Point d'information Palestine
> N°203 du 30/07/2002
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Rédaction :
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Au
sommaire
Témoignages
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des citoyens de Palestine
ou des observateurs. Ils sont libres de
droits.
1. L’arbitraire dicte sa loi par Anis
Gandeel, citoyen de Gaza en Palestine
2. Un
mois de "calme relatif"... par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethlehem
en Palestine
Dernières
parutions
1.
Mémoires d'un village palestinien disparu de Mohammed
Al-Asaad récit commenté par Joseph Algazy aux éditions Albin Michel
2. Panoramiques N° 59 "Israël-Palestine : des utopies ou le
cauchemar" aux édtions Corlet-Marianne
3. Critique internationale n°15 - Avril / Juin 2002
Réseau
Cette rubrique
regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des
communiqués d'ONG. Ils sont libres de droits, sauf mention
particulière.
1. Arafat appelle à la tenue d’élections démocratiques aux
Etats-Unis. Réactions mitigées à travers le monde par Rahul Mahajan (26
juin 2002) [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
2. Un plan pour une paix
impériale par Mumia Abu-Jamal (25 juin 2002) [traduit de l'anglais par Monique Barillot]
3.
L’infiltration israélienne en Afrique et la rencontre de deux
racismes par Marie Debs (27 mars 2002)
4. "Lettre ouverte aux nations de
l’Europe" par l'Anti-Defamation League
5. Le nigaud de service par Israël Shamir (27 juin 2002)
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
6. Planter les patates ? Un cours par correspondance, depuis la
prison !
Revue de presse
1.
Hosni Moubarak : "Arafat n'est pas le problème" propos
recueillis au Caire par Charles Lambroschini in Le Figaro du mercredi 24 juillet
2002
2. Grandeur de Yasser Arafat par Gilles
Deleuze in la Revue d’études palestiniennes N°84
(été 2002)
3. "Les Israéliens
ignorent la tragédie palestinienne" par Baudoin Loos in Le Soir
(quotidien belge) du dimanche 21 juillet 2002
4.
Les diplomates face à l'aigreur des acteurs par Baudoin Loos in
Le Soir (quotidien belge) du dimanche 21 juillet 2002
5. Pas de lot de consolation pour ceux qui attendaient de
Bush une position un tant soit peu équilibrée - George W. Bush : une “vision”
aveugle et un “plan de paix” ressemblant comme son jumeau à une déclaration de
guerre par Subhi Hadidi in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à
Londres) du vendredi 28 juin2002 [traduit de l'arabe
par Marcel Charbonnier]
6. Le
plan de Bush sur la comète se contente de répéter les erreurs du passé
par Marwan Bishara in International Herald Tribune (quotidien international
publié à Paris) du vendredi 26 juin 2002 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
7. Notre fille a
été tuée dans un attentat-suicide... Mais c’est la terreur de l’occupation
israélienne qui est la cause de sa mort par Alexandra Williams in The
Mirror (quotidien britannique) du jeudi 25 juin 2002 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
8. Rejetant
toute responsabilité dans les attentats-suicides, et qualifiant Sharon de
“partenaire” et Pérès de “feuille de vigne”, Arafat déclare : “Nous nous sommes
trompés, à Camp David. C’est la “promenade” de Sharon à Al-Aqsa qui a mis le feu
aux poudres” propos recueillis par Akiva Eldar paru dans Ha’Aretz
(quotidien israélien) du 23 juin 2002 repris in Al-Quds Al-Arabi (quotidien
arabe publié à Londres) du lundi 24 juin 2002 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
9. Le directeur de CNN accuse Israël de
terrorisme par Oliver Burkeman (New York) et Peter Beaumont (Jérusalem)
in The Guardian (quotidien britannique) du mardi 18 juin 2002
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
10. Starbucks,
de plus en plus dans la ligne de mire du boycott arabe, en raison de ses liens
croissants avec Israël par Robert Fisk in The Independent (quotidien
britannique) du vendredi 14 juin 2002 [traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
11. Des élections en
Palestine, tout de suite par Edward Saïdin Al-Ahram Weekly
(hebdomadaire égyptien) du jeudi 13 juin 2002 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
12. Vingt ans après la guerre du Liban : nous
l’avons menée pour en chasser Arafat, mais nous n’avons fait que l’amener en
Eretz Israël, lui et toute son armada par Ze’ev Shif paru dans Ha'Aretz
(quotidien israélien) du 7 juin 2002 et repris in Al-Quds Al-Arabi (quotidien
arabe publié à Londres) du samedi 8 juin 2002
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
13. Pas de baguette magique : des élections sont
la clé de toute réforme palestinienne. Mais un parti réformiste au programme
viable et fédérateur est indispensable par Islah Jad in Al-Ahram Weekly
(hebdomadaire égyptien) du jeudi 6 juin 2002 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
14. Des mesures progressives, en vue de la réforme
de l’Autorité Palestinienne par le Dr. Anis Al-Qasim in Al-Quds
Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 29 mai 2002
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
15. Anis Qasim commente le Dr. Anis Al-Qasim ! -
Commentaires sur “Des mesures progressives en vue de la réforme de l’Autorité
Palestinienne” par Anis Fawzi Qasim in Al-Quds
Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 5 juin 2002
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Témoignages
1.
L’arbitraire dicte sa loi par Anis Gandeel, citoyen de Gaza en
Palestine
(Anis Gandeel est coordinateur des programmes
d'Enfants réfugiés du monde à Gaza.)
Gaza, le vendredi 26
juillet 2002 - Hachem, mon petit-neveu de deux ans et petit copain de mon
fils, s’était réfugié dans un coin de la maison au moment où nous sommes rentrés
pour le voir après la nuit terrifiante qu’il vient de passer avec le reste de sa
famille et ses voisins dans le quartier sur peuplé d’Aldaraje à Gaza ville. Ses
yeux, grands ouverts, mais vide de regard, nous regardaient sans nous
voir. Son petit corps replié, avec ses bras et jambes tremblantes,
avait du mal à porter sa tête alourdie par les milliers d’images qu’il a vues
tout au long de la nuit et qui y sont gravées pour toujours.
Quelques heures
auparavant, à minuit, Hachem caressait encore un sommeil d’enfant quand
une fenêtre arrachée s’est envolé vers lui et l’a fait sauter de son lit.
Un missile, d’une tonne, vient d’être lancé par un bombardier F16 de
l’armée d’Israël, sur l’une des maisons voisines. Cette bombe, supposée liquider
un chef de guerre palestinien, a fini par détruire plusieurs maisons et a
enlevé la vie à une quinzaine de personnes civiles dont douze
enfants.
Hachem, collé à sa mère, est resté paralysé toute la nuit
devant les images de plusieurs dizaines de morts et de blessés qu’il identifiait
lui-même comme petits copains avec qui il avait joué la veille.
Durant des heures, il entendait les cris de douleurs doublés par les sirènes
d’ambulances qui ont envahi, sans prévenir, son quartier. La peur et la terreur
de sa mère, ses frères et sœurs, rajoutaient encore à son désarroi et le
livraient gratuitement à son premier traumatisme lié au contexte de son pays
occupé et de son peuple en quête de sa liberté.
En entrant dans la maison de
Hachem, juste après mon passage auprès des maisons ravagées, je pensais encore
aux mots du Premier ministre d’Israël qui se félicitait du succès de l’opération
de son aviation militaire. Les décombres et les odeurs de chaire humaine qui
brûlaient encore m’affirmaient la folie de tous ceux qui jouent à la
guerre.
Par contre, mon fils Lo’ai, lui, s’est tout de suite dirigé
vers son cousin. Le voyant dans cet état, il s’est approché doucement et l’a
invité à marcher avec lui. Hachem restait figé dans son coin en refusant de
répondre à l’invitation. Sans attendre, Lo’ai est allé chercher une petite
voiture a commencé à jouer le cavalier fou tout en regardant fixement son
cousin. Il l’a en suite invité à monter avec lui pour faire un tour
comme ils ont l’habitude de le faire à chaque fois qu’ils se rencontrent.
Quelques minutes plus tard, les rires et cris d’enfants remplissaient la maison
et m’ont sauvé de mes mornes pensés.
En les contemplant, j’ai songé au
slogan d’Enfants réfugiés du monde, l’association dont je suis maintenant le
coordinateur des programmes à Gaza «Un enfant qui joue est un enfant qui revit»
Tout en exprimant ma gratitude à mon fils qui, en jouant avec son cousin, m’a
réappris une évidence relative à mon travail professionnel, en tant qu’animateur
et formateur dans le domaine de l’enfance, j’ai senti une douleur extrême dans
mon cœur en pensant que notre vie, notre avenir et celles de nos enfants
dépendent complètement de l’arbitraire des chefs de guerre qui ne voient en la
mort des enfants qu’un succès. Combien de temps encore allons nous souffrir ?
Combien d’enfants devons nous perdre, par la mort ou les
traumatismes, avant d’avoir la paix ? Jusqu’à quand le pouvoir de ceux qui
bafouent les droits de l’homme régnera ? Si la raison a des limites, la folie,
elle n’en pas, pourquoi ?
2. Un mois de "calme relatif"... par Nathalie
Laillet, citoyenne de Bethlehem en Palestine
Vendredi 19 juillet 2002 - Me voilà donc en France, à la campagne.
Je dors à peu près onze heures par nuit. Faut dire qu'ici, dans ma Normandie
natale, je ne suis pas trop emmerdée par les tanks derniers modèles de l'armée
israélienne. J'ai décidément de la chance, moi : j'ai un passeport
occidental.
Fatiguée certes, mais quand même pas assez pour laisser passer
les conneries que j'entends un peu partout ici.
Attaque dans une
colonie (au passage, je vous rappelle que les colonies sont illégales au regard
du droit international, et ce depuis l'occupation de la Cisjordanie et de la
Bande de Gaza en 1967) : 8 morts, dont un bébé.
Le lendemain, deux kamikazes
se font exploser à Tel Aviv:3 morts, en plus des 2 kamikazes. Et vos journaux de
reparler d'un "regain de violence au Proche-Orient"..
Voici un extrait d'une
dépêche de l'agence Reuters publiée ce vendredi 19 juillet :
"Ces
attaques ont mis fin au mois de calme relatif qui régnait en Israël depuis la
réoccupation par l'Etat hébreu de sept villes palestiniennes de Cisjordanie.
Israël entendait ainsi répondre à une vague d'attentats suicides qui avaient tué
26 israéliens au mois de juin. Au moins 1.447 palestiniens et 559
israéliens ont péri depuis le début de la seconde Intifada, fin septembre
2000."
Un mois de calme relatif !
Honnêtement j'ai relu le message
plusieurs fois pour être certaine d'avoir bien compris... Un mois de calme
relatif ! Ha ha ha ha !
Je viens de le passer dans ces villes palestiniennes
réoccupées, ce "mois de calme relatif" ! Et franchement, je n'avais absolument
pas remarqué qu'il était calme, ce mois, ha ça non alors !
Je pense à mes
amis (français) qui vivent et travaillent dans les territoires: à Katia, et ses
soucis pour continuer, en dépit de tout, ses cours, à V., qui ne sait plus où
donner de la tête, à C. coincée sous couvre feu, à A. elle aussi coincée sous
couvre feu, alors qu'elle doit commencer à travailler dans une autre ville, à
J., une jeune volontaire qui emmenait des médicaments et qui a été arrêtée et
conduite en prison par les forces israéliennes (une journée), à vous aussi Ludo
et Zeitoun, pour vos heures sous la mitraille à Deheishe, à faire le tour des
copains pour savoir qui a été blessé, à "Sousou" pour sa nuit de frayeur à
Deheishe, quand les soldats israéliens ont fait irruption dans la maison où elle
dormait.
Oui, je pense à vous tous qui comme moi avez vécu ce "mois de calme
relatif". Si on était tous ensemble en ce moment, on en rirait
ensemble...
Difficile de raconter un mois de couvre feu...
Un couvre feu,
je vous l'ai déjà dit pour l'opération Rempart du mois d'avril, c'est les nerfs
à vifs, les larmes qui coulent, les sursauts au moindre bruit, les sirènes des
ambulances, celles des jeeps, le crissement des tanks, les soldats israéliens
qui hurlent "mamnou' attajawal" (=couvre feu) dans les hauts parleurs. Le couvre
feu, c'est la rue déserte, les voisins qu'on ne voit plus, la peur quand le tank
s'arrête tout près, nos journées à guetter les infos pour savoir si demain "ils"
lèveront le couvre feu, notre désespoir quand on apprend qu'ils ne le lèveront
pas...
C'est tout ça, un couvre feu. Et plus encore. Et ça ne s'arrête pas.
Les tanks passent aussi la nuit. Vous dormez entre deux passages de colonnes de
tanks. Un mois de calme relatif, ha ha ha !
Quelques souvenirs qui me
reviennent en vrac : Jeudi 4 juillet : "Ils" ont levé le couvre feu, avec A, on
a donc vaqué à nos occupations, on a vu nos copains et docilement, comme tous
les autres, on est rentré chez nous à l'heure imposée par les autorités
israéliennes. Des gosses dans la rue jouaient au foot. La levée finissait à 18h,
il était 18h 15. Les jeeps sont passées et ont hurlé "mamnou' atajawal!"
(=couvre feu, en arabe). Les gosses n'ont pas dû rentrer assez vite. On a
entendu un "boum"; J'ai pensé à une bombe sonore, qui comme son nom l'indique
fait du bruit. Les soldats usent et abusent de ces petites choses pour nous
terrifier, ou terroriser, pour employer un terme plus à la mode...
A. et moi,
on se prépare notre petit narguilé dans le jardin. Le tabac est prêt. Le charbon
est sur le feu. Le jasmin embaume, il fait chaud, les pistaches et le jus de
fruit sont là. Soirée cool. Tout d'un coup, A. revient vers moi, l'air bizarre.
Au même moment, je sens un truc qui me brûle le nez. J'ai l'impression que je
vais saigner du nez, ça brûle, je commence à tousser.
Pas besoin de se
parler, on a compris. Du gaz ! Le "boum" de tout à l'heure c'était du gaz ! Nous
on a eu un tout petit peu de ce nuage. Les gosses eux se sont tout pris. Vite on
file sous le robinet, pour calmer la brûlure. On s'est fait gazés dans le
jardin...
Autre souvenir : Deux de mes étudiants bravent le couvre feu, pour
venir... prendre des cours de français ! Ils apportent leurs bouquins et
tranquillement , dans le jardin, on bosse les conjugaisons. Les tanks passent et
repassent dans un vacarme assourdissant. On finit la journée en jouant aux
cartes avec le fils des voisins. On écoute Oum Kalthoum, Kazem As-Saher, mais
aussi I Am. Le narguilé glougloute.
Vers 18h-19h, il leur faut rentrer avant
que la nuit ne tombe (vers 20h). Un dernier café, et ils partent, en évitant
bien sûr les routes. De petits chemins en jardins, ils ont 500 mètres à faire
pour gagner le camp de réfugiés de Deheishé où ils habitent. Un jour, ils se
sont fait prendre.
Questions :
- D'ou es-tu ?
- Deheishé
- Contre le
mur !
Ils vont y passer plus d'une demie heure, les mains en l'air et plaqués
au mur.
Faut dire que Deheishé est d'après les autorités israéliennes, un
"nid de terroristes".
Shadi se fait passer à tabac par un soldat. Jihad
montre sa carte de presse, le soldat arrête de taper sur Shadi.Une demie heure
contre un mur. Quelle insolence aussi ! Ils avaient osé braver le couvre feu !
Ils avaient osé vivre alors qu'ils auraient dû rester confinés chez eux
!
Contre le mur, ils se sont regardés, se sont souri... et ont commencé à
chanter ! Oum Kalthoum et Kazem, et même quelques chansons nationalistes !
Le soldat a recommencé à frapper, ils ont continué à chanter. Le soldat les
a laissés partir...
Autre souvenir encore : Jeudi 11 juillet. Ils ont ouvert
le couvre feu ! Enfin! Depuis une semaine, j'ai bien dit une semaine, on a eu
seulement quatre heures de liberté. On est sortis le jeudi 4 juillet. Vendredi
et samedi suivant, à la maison. Dimanche, 4 heures de liberté de 10H à 14h.
Lundi, mardi et mercredi, à la maison. Jeudi 11 juillet, ils ont levé le couvre
feu de 9H à 14H. Quelle générosité !
J'en profite pour faire un aller et
retour à Jérusalem récupérer ma paye. Au retour, le soldat examine mon passeport
sous toutes les coutures, me demande mon visa alors qu'il l'a sous les yeux,
etc… A la fin, avec un sourire enjoleur, il me dit : "Have a nice
day."
Connard ! A été le seul mot qui me soit venu à l'esprit, et grâce
à Dieu, je ne sais pas le dire en anglais... Mais mon anglais déficient me
permet quand même de lui dire le fond de ma pensée : "nice day" alors que je
n'ai plus qu'une demie heure de liberté avant que les tanks ne reviennent ! Mon
"nice day", monsieur le soldat, ce sera le jour où vous quitterez les villes que
vous occupez ! Le jour où je serai libre d'aller et venir à ma guise. Dans ma
demie heure de liberté, il me faut acheter à bouffer. Direction le supermarché à
côté de chez moi.
"Aïe, ça brûle, j'ai le nez qui saigne ou quoi ?!" Tout le
monde pleure. Des gaz ?! Dans le magasin ?!
-"Oui", me répond le patron, "ils
en ont lancé ce matin au début de la levée du couvre feu. Depuis, on n'arrive
pas à le faire sortir du magasin. il n'y a pas d'air, et si on met un ventilo,
on n'a plus assez d'électricité pour les congélateurs, alors..."
Alors, on
achète le fromage et la viande et le chocolat dans le gaz.
Tout ça et encore
bien d'autres choses, c'était pendant ce mois de "calme relatif."
Oui,
vraiment, on est bien informé en Occident. Comment peut-on comprendre un conflit
si on n'entend qu'un son de cloches ? Certains m'ont accusé de faire de la
propagande pro-palestinienne. Pourquoi ? Parce que je ne reprends pas le
discours officiel ? Venez voir ce qui ce passe là bas, venez voir, et vous
comprendrez.
Dernières
parutions
1. Mémoires d'un village
palestinien disparu de Mohammed Al-Asaad récit commenté par Joseph
Algazy
aux éditions Albin Michel
[180 pages - ISBN : 2226132791 - Prix : 14,90
euros]
En 1948, à l'âge de quatre ans, Mohammed Al-Asaad
assiste à la "Naqba" [la "Catastrophe" en arabe, qui désigne pour les
Palestiniens, la spoliation de leur pays par les forces coloniales juives] qui
arrache des milliers de Palestiniens à leur terre. Publié en arabe quarante-deux
ans plus tard sous le titre "Les Enfants de la rosée", ce récit mêle souvenirs
d'enfance, témoignages et contes allégoriques qui évoquent l'histoire d'un
peuple successivement soumis aux dominations ottomane, britannique et
aujourd'hui israélienne. Mais ce que Mohammed Al-Asaad, l'un des plus grands
poètes palestiniens, met en cause, c'est la disparition de toute trace qui
prouverait l'appartenance de son peuple à cette terre. Cette histoire condamnée
- villages effacés ou rayés des cartes -, il revient à la mémoire de lui
redonner vie. Procédant à une rigoureuse reconstitution historique des
spoliations auxquelles s'est livré l'État d'Israël, Joseph Algazy dresse un
réquisitoire sans appel contre une politique discriminatoire qui empêche,
aujourd'hui plus que jamais, de "discerner la moindre lueur au bout du tunnel".
2. Panoramiques N° 59 "Israël-Palestine : des utopies
ou le cauchemar"
aux édtions Corlet-Marianne
[220 pages - 14 Euros - ISBN : 2854809858 -
Corlet-Panoramiques - ZI route de Vire - 14110
Condé-sur-Noireau]
La revue Panoramiques, dirigée par Guy
Hennebelle, présente dans ce numéros consacré au conflit
israélo-palestinien et réalisé avec le concours de Walid El Khachab et Salomon
Chatren, près d'une quarantaine de contributions.
Le 6 juin 1967 éclatait la guerre des Six Jours. Trente-trois ans après, le
conflit entre les Israëliens et les Palestiniens ne fait que s'aggraver et
pourrait embraser la région, sinon au-delà... Ce numéro de 220 pages, dont la
réalisation patiente a demandé quatre ans d'efforts et essuyé bien des
déconvenues, réunit une trentaine d'auteurs juifs, arabes, autres, qui
présentent, en toute liberté, leur vision du problème mais surtout des esquisses
de solutions : un Etat binational, deux Etats fédérés, confédérés, etc... A
mentionner au sommaire, une lettre de l'ambassadeur d'Israël en France, Eli
Barnavi, et un entretien avec la Déléguée générale de Palestine en
France Leïla Shahid, un débat entre Jean-François Kahn, directeur de
Marianne et le dramaturge algérien Slimane Benaïssa, ainsi que
des textes de Georges A. Bertrand, Malek Chebel, Antoine
Sfeir...
3. Critique internationale n°15 - Avril / Juin
2002
[ISBN : 2724629418 - Prix :
18,50 euros - Critique internationale / CERI - 56, rue Jacob -
75006 Paris]
A noter dans cette revue trimestrielle publiée
par Sciences-Po, une excellente étude d'Adriana Kemp sur la
minorité arabe-palestinienne en Israël de 1948 à 1966.
Naissance d'une "minorité piégée". La gestion de la population
arabe dans les débuts de l'Etat d'Israël par Adriana Kemp
Durant les deux premières décennies de l'Etat d'Israël, une bande de
territoire tout au long de la frontière a été placée sous administration
militaire et sous un régime d'exception, tant à des fins de sécurité militaire
proprement dite que pour mieux contrôler les populations palestiniennes qui y
vivaient. Paradoxe : l'Etat israélien a fait de ses résidents palestiniens des
citoyens alors que, comme "Etat juif", il ne pouvait que les considérer comme
une "population dangereuse" à surveiller. Cette surveillance "ethnique", ne
s'avouant guère comme telle, s'est principalement exercée sous le couvert de
mesures de caractère territorial : les règlements particuliers de ces zones
frontalières, dont certains remontaient à la période du Mandat britannique et
qui ont permis à la fois de "judaïser" ces territoires et de surveiller de très
près la population palestinienne qui y vivait toujours. L'ambiguïté de cette
politique d'inclusion-exclusion a suscité d'abondants débats parlementaires, et
son résultat est lui aussi ambigu. [...]
Réseau
1. Arafat appelle à la tenue d’élections démocratiques
aux Etats-Unis. Réactions mitigées à travers le monde par Rahul Mahajan
(26 juin 2002)
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Rahul Mahajan est le candidat du
Parti Vert au poste de gouverneur du Texas. Il est l’auteur de “The New Crusade
: America’s War on Terrorism” (La nouvelle Croisade : La Guerre de l’Amérique
contre le terrorisme), Monthly Review Press, avril 2002. Membre fondateur du
Nowar Collective (Collectif Anti-Guerre), il travaille au National Board of
Peace Action, un mouvement pacifiste américain.)
Hier, Yasser Arafat, président de l’Autorité palestinienne, a stupéfait le
monde entier en exigeant que les Etats-Unis procèdent sans tarder à des
élections démocratiques chez eux afin de désigner un nouveau chef de leur
exécutif, en affirmant que c’était là une condition sine qua non pour que ce
pays puisse prétendre continuer à jouer son rôle d’”honnête courtier” entre
Israël et la Palestine.
“M. Bush est compromis par son implication dans l’élimination sélective de
certains électeurs des listes électorales, avec des manières de coucou, et ses
tactiques d’abus de pouvoir dans un certain Etat du sud-est [que nous ne
nommerons pas, mais dont le nom commence par un “F”, ndt] contrôlé par son
frère”, a indiqué M. Arafat, élu en 1996 en Cisjordanie et dans la bande de Gaza
avec 87 % des suffrages, lors d’élections déclarées libres et tout-à-fait
régulières par des observateurs internationaux, au nombre desquels l’ancien
président américain Jimmy Carter. “Nos comptages indiquent que M. Bush aurait
perdu les élections si ses associés n’avaient pas privé autant de milliers
d’Afro-Américains - une minorité opprimée - de leur droit de vote. Force est de
constater qu’il n’est certainement pas l’homme le plus indiqué pour ramener la
paix au Moyen-Orient.”
Hugo Chavez, président du Venezuela, élu avec 62 % des suffrages
populaires, a approuvé les observations de M. Arafat. M. Chavez est depuis
longtemps en butte à l’attitude antidémocratique de Bush. Entre autres,
l’administration Bush a fait passer des centaines de milliers de dollars à des
forces anti-Chavez, notamment le “Fond de Soutien à la Démocratie”. On la
soupçonne d’avoir donné le feu vert au coup d’Etat- heureusement avorté -
fomenté par cette milice d’extrême-droite. “Une fois les choses rentrées dans
l’ordre, et à peine étais-je revenu au pouvoir”, a dit Chavez, “l’administration
de Bush m’a dit carrément : ‘un vote majoritaire ne confère aucune légitimité’ !
Sauf, bien entendu - du moins j’en fais la supposition - lorsqu’il s’agit d’une
majorité... à la Cour Suprême ?... Je respecte les traditions locales des
Etats-Unis, aussi désuètes soient-elles, mais cela est très loin de donner
l’exemple pour la façon dont les choses devraient se dérouler au Moyen-Orient,
vous ne croyez pas ? Pourquoi ne reviendrions-nous pas à la bonne vieille idée
d’une conférence internationale pour régler la question de la Palestine ?”
Toutefois, Bush ne resta pas sans défenseur. Le Premier ministre israélien
Ariel Sharon, élu à la tête d’un pays qui opère une discrimination légale entre
ses citoyens sur la base de la croyance religieuse, interdit formellement aux
candidats aux élections de faire campagne pour l’abolition de cette
discrimination scélérate et prive de citoyenneté une population entière soumise
à son occupation militaire, a rejeté cet appel d’Arafat, en le qualifiant
d’”absurde”.
Hamid Karzai, récemment “élu” à la présidence de l’Afghanistan par un grand
conseil de notables, la “loya jirga” (dont une instance étrangère, contrôlée
elle-même par les Etats-Unis, choisit les délégués - des seigneurs de la guerre
non-élus et qui ont ravagé le pays ont été autorisés à contrôler la réunion et
ont menacé de mort les délégués qui auraient refusé de voter “comme il convient”
-, assistée par l’envoyé spécial des Etats-Unis en Afghanistan, Zalmay
Khalilzad, qui a refusé à au moins deux autres candidats de participer au
scrutin) s’est joint à M. Sharon pour apporter son soutien à M. Bush en cette
heure où il en a le plus grand besoin. Karzai a déclaré : “En Afghanistan, nous
avons la loya jirga. Aux Etats-Unis, vous avez votre manière à vous de procéder
- nous comprenons bien qu’il est traditionnel, là-bas, chez vous, pour les
grandes entreprises, de jouer un très grand rôle dans l’élection des politiciens
et dans l’écriture des lois. Nous sommes nous-mêmes très intéressés par l’étude
de ce genre de système politique, dont nous pourrions avantageusement nous
inspirer...”
Vojislav Kostunica, choisi pour diriger la Yougoslavie au moyen d’un
scrutin pour lequel les Etats-Unis ont dépensé environ 25 millions de dollars
dans l’espoir d’en influencer les résultats, fut lui aussi très prompt à voler
au secours de Bush, indiquant qu’il n’a constaté aucun vice de procédure dans
les élections (américaines) de 2000.
Et Mahathir Mohamad, président de la Malaisie, si longtemps moqué pour ses
affirmations répétées selon lesquelles “la “culture asiatique”” n’est pas
compatible avec les droits universels de la personne,” d’ajouter : “Les
élections sont une question d’ordre strictement intérieur ; elles ne devraient
en aucun cas entrer en ligne de compte dans la détermination du statut d’honnête
courtier des Etats-Unis. L’autoritarisme des Palestiniens représente une menace
très sérieuse pour la notion d’indépendance nationale.”
Dans un volte-face surprenant, Tony Blair, le Premier ministre britannique,
allié de longue date des Etats-Unis, a approuvé quant à lui l’appel lancé par
Arafat, déclarant : “Du temps que nous y sommes, jetons à nouveau un petit coup
d’oeil à notre traité sur l’Indépendance américaine. Non content de n’avoir
jamais été élu, George Washington avait plutôt une fâcheuse tendance à
s’acoquiner avec des terroristes. Benedict Arnold !... ; on peut trouver
partenaire de paix plus présentable, ‘n’est-ce pas’ (en français dans le texte,
ndt) ?”
Nous aurions souhaité obtenir des réactions à ces commentaires. Mais M.
Arafat, très pris par l’étude d’un plan qui permettrait de trouver un nouveau
dirigeant israélien qui ne soit pas compromis dans l’assassinat de centaines
d’innocents à Sabra et Chatila, afin de négocier avec lui, n’était pas
joignable.
2. Un plan pour une paix impériale par Mumia
Abu-Jamal (25 juin 2002)
[traduit de l'anglais
par Monique Barillot]
Quand un Président américain
parle, on l'écoute. On l'écoute parce que les États-Unis sont une
"Superpuissance" (pour emprunter le terme à l'intelligentsia française), un
Super-état sans état concurrent sérieux au monde en face de sa totale hégémonie
militaire et économique.
On écoute, mais on n'approuve pas forcément.
Et
c'est particulièrement vrai quand ce président américain est Georges Bush (que
certains connaissent comme H.I.M. George III) qui n'a pas le don de lire ce que
les autres ont écrit en y mettant son propre ton, et qui fait fuir ceux qui le
soutiennent par sa syntaxe rocailleuse et ses propos déplacés quand il se trouve
à portée d'un micro ouvert.
Et mieux , quand Bush parle, c'est vrai qu'il
donne l'impression que son discours a été écrit pour lui par des farceurs au
service du lobby Israélien.
Ainsi, son discours de début d'été sur les
pré-conditions US au soutien à la création d'un état palestinien intérimaire a
du provoquer des sourires rayonnants à Tel Aviv et dans les colonies, en même
temps qu'une volée de grognements devant cet outrage acrobatique dans les
territoires occupés, à Gaza et en Cisjordanie.
"La Paix exige un nouveau et
différent leadership palestinien, pour qu'un état Palestinien puisse
naître." [G.W. Bush, 24/06/2002]
Par ces mots, les américains
poignardent Yasser Arafat, en offrant à un peuple assiégé son "aide" à
condition qu'ils se trahissent eux-même.
Il n'a pas échappé aux
palestiniens que l'offre est faite au moment même où Israël vient de lancer sa
seconde occupation militaire massive de leurs pays, comme la main de fer qui
accompagne le mielleux discours diplomatique américain.
C'est une sorte
macabre de"suite d'Oslo," une nouvelle initiative diplomatique qui monte d'un
cran dans la, trahison sur les talons d'une autre trahison. Pour des millions
d'Arabes, Oslo n'était pas le glorieux aboutissement que les médias
d'entreprise, pro-occidentaux ont dépeint.
As'ad Abu-Khalil, étudiant de
sciences politiques remarque :
Il est important de se rendre compte que le
processus d'Oslo, qui a été salué comme une victoire par les Etats-Unis, a
rencontré scepticisme et hostilité au Moyen-Orient... L'opinion publique arabe
et même quelques gouvernements arabes, ont trouvé le processus d'Oslo injuste
envers les Palestiniens et ont condamné Yasser Arafat pour avoir sacrifié des
décennies de lutte palestinienne pour sauver sa propre carrière politique...
[Seven Stories / Open Media, 2002, p. 36]
Bush, employant les mots "de paix"
et les promesses de soutien, donne un brillant feu vert à l'intransigeance
israélienne et la belligérance militaire dans la région. Quand une armée tue, ou
réprime les gens, on ne considère pas cela comme de la violence. Les
Palestiniens n'ont aucun droit à la sécurité et apparemment aucun droit à une
structure d'Etat, à moins qu'ils ne trahissent leurs leaders.
Pour ce qui
est de l'insistance américaine sur la création d'un état qui ne prenne pas ses
racines dans le terrorisme, ces mêmes Américains tiennent à une pureté dont ils
n'ont pas fait preuve à leurs débuts. Le génocide impitoyable et monstrueux
commis contre les nations "indiennes" indigènes, de "Wounded Knee" à "Sand
Creek", est bien une histoire de terrorisme qui n'a pas d'équivalent au
monde.
On pourrait dire la même chose de l'exploitation raciste des noirs
pendant des siècles.
Israël non plus ne pourrait se réclamer d'une telle
qualité, alors qu'à ses débuts, il y a un peu plus 50 ans, des milices armées
Juives ont poussé les britanniques à quitter, de guerre lasse, la Palestine, et
aussi chassé d' innombrables Arabes de leurs pays, celui de leurs ancêtres, en
bombardant des hôtels et en commettant des massacres comme à Deir Yassin.
Le
terrorisme a apparemment si bien marché qu'au moins deux des hommes dont les
visages faisaient l' affiches des avis de recherche britanniques, Menachem Begin
et Rabin Yitzhak, sont devenus plus tard les Premiers ministres d'Israël.
'Israël, pour citer George III, "menacé par la terreur ?"
Ni les
Etats-Unis, ni Israël, ne veulent "la paix". Ils veulent le silence et la
soumission de l'opprimé et de l'occupé.
Ils veulent une Palestine qui
n'ait d'Etat que le nom, un état client de l' Amérique et un satrape d'
Israël.
C'est "la vision" de Bush d'une démocratie impériale. Le peuple de
Palestine l'acceptera-t-il ?
3. L’infiltration israélienne en Afrique et la
rencontre de deux racismes par Marie Debs (27 mars 2002)
Au
début des années 90, à la chute du régime de l’Apartheid, le monde a
découvert avec étonnement l’importance des liens tissés entre Israël et
l’Afrique du Sud raciste sur tous les plans et à tous les niveaux. Une partie de
l’opinion mondiale, qui, depuis 1980, avait refusé de croire les informations
fournies et les articles publiés par certains journaux, a commencé à se poser la
question sur la réalité de la présence israélienne dans le continent noir,
y compris dans certains pays du Maghreb arabe.
Il est vrai qu’un grand
nombre de livres et de rapports avait déjà été publié sur cette question ; mais
l’impact que l’on s’attendait d’une telle publication n’avait jamais dépassé les
cercles (étroits) d’une certaine catégorie d’intellectuels de gauche, vu que la
plupart de ces livres et de ces rapports portaient des signatures arabes,
palestiniennes en particulier, et parce que les différents gouvernements qui
s’étaient succédés en Israël depuis le début des années 50 avaient pratiqué une
certaine politique de camouflage basée sur trois axes bien séparés.
Les axes de la politique israélienne
Ces axes, qui
avaient reçu l’aval des Etats-Unis et de leur théoricien de la realpolitik,
Henry Kissinger, étaient les suivants :
1 – La lutte contre les idées de
libération qui ont prévalu dans certaines régions africaines, notamment l’Angola
et les ex - colonies portugaises, à partir de l’entraînement de mercenaires,
mais aussi de campagnes de propagande où l’anticommunisme jouait le rôle de
promoteur « légal ».
2 – Des relations très étendues avec le régime de
Pretoria basées sur les liens historiques tissés depuis 1902 par Theodor Herzl
avec Cecil Rhodes [1] et poursuivis, à partir des années 20, par Hayim Weizmann
avec le général Christian Smuts.
3 – Une propagande à outrance parmi les
peuples d’Afrique nouvellement libérés basée sur une association entre ces
peuples et leur lutte contre le colonialisme britannique et les affres de
l’antisémitisme qu’Israël « subissait » de la part des peuples arabes (peuples
sémites).
Ces axes avaient pour objectif de développer la présence
politique, économique et militaire d’Israël en Afrique et, à travers elle, le
rôle des Etats-Unis. Et pour mener à bien la mission qui leur était assignée par
les Américains (et, aussi, par leurs intérêts propres), les différents
gouvernements israéliens ont eu recours, dans la majeure partie des cas, non à
une politique à visage découvert, mais à l’infiltration à partir d’organismes
existants (la centrale syndicale : Histadrout) ou créés pour l’occasion.
Les chevaux de Troie
Un rapport publié en août 1985
par « Le Centre des études palestiniennes » recensait – à part la centrale
syndicale déjà nommée – 12 organismes qui avaient pour but d’étendre l’influence
d’Israël dans les pays du continent africain [2].
Ces organismes sont
: L’Organisation sioniste, L’Agence juive, le Congrès mondial juif, Le
Parti du travail israélien (en tant que membre de l’Internationale socialiste),
l’Institut afro-asiatique (créé en 1960 et dans lequel ont étudié une vingtaine
de milliers d’Africains dont certains atteignirent des postes gouvernementaux),
le Centre des études ouvrières et corporatives (créé en 1963 et dont l’objectif
était complémentaire à celui de l’Institut afro-asiatique), le Service de
coopération internationale, Machav (qui coordonnait les actions des différents
ministères et organismes israéliens s’occupant des relations avec l’Afrique),
l’Amicale des Anciens (cadres) africains ayant fait leurs études en Israël,
l’Institut Weizmann pour les sciences, l’organisation féminine « Hadassa » dont
le siège était New-York et, enfin, l’Institut des études africaines de Haïfa.
Les intérêts militaires
Parlons, d’abord, des intérêts
militaires d’Israël en Afrique et du commerce des armes qu’il pratiqua (et
pratique toujours) avec nombre de régimes africains, dont l’Ouganda, le Zaïre
et, bien entendu, le régime de Pretoria avant sa chute, puisque les rumeurs sur
une poursuite de la collaboration avec le nouveau régime ne sont pas confirmées.
Et si nous n’avons pas pu obtenir des données très récentes sur ce commerce, les
chiffres qui datent depuis quelques années sont très révélateurs à
ce propos.
Disons tout de suite que ce commerce se caractérise par les
immenses intérêts qu’il gère et l’importance stratégique qui lui est inhérente,
puisque, sous un nom ou un autre, Israël (et les Etats-Unis derrière lui) a
toujours des milliers d’experts militaires disséminés un peu partout sur le
continent africain, encadrant des armées répressives et, surtout, constituant
des fers de lances prêts à toute éventualité. De plus, certains rapports sur le
commerce d’armes israéliennes avaient, au début des années 90, noté le chiffre
de 800 000 dollars par an pour les seuls échanges avec Pretoria, tandis que
d’autres parlaient de la somme de deux milliards annuellement pour l’ensemble
des pays africains. Sans oublier que ces échanges ont permis aux gouvernements
israéliens d’obtenir l’uranium nécessaire à la fabrication des bombes atomiques
de type « Hiroshima » et d’autres et, aussi, un espace d’expérimentation des
armes nucléaires dans le désert de Kalahari…
Ce commerce d’armes avec le
régime raciste de la minorité blanche en Afrique du Sud s’était fait en tout
quiétude et sans que Washington y trouve à redire, malgré les sanctions que le
Congrès américain avait décrétées, en 1986, et qui prévoyaient de couper l’aide
militaire aux alliés des Etats-Unis qui avaient des relations avec
Pretoria [3].
Il faut dire que Henry Kissinger a joué, là aussi, un rôle
très important pour fermer les yeux des congressmen, comme il avait joué un rôle
primordial dans la facilitation de tous les accords militaires secrets établis
entre Tel-Aviv et les gouvernements africains dans le but d’asseoir les régimes
répressifs ou de déstabiliser des régimes démocratiques.
Les intérêts économiques
Si nous avons mis l’accent
sur ce côté militaire, c’est pour montrer les liens qui ont uni, pour un temps,
deux racismes dangereux pour les peuples africains et, surtout, pour attirer
l’attention sur le grand fossé qui sépare en fait la propagande israélienne et
les activités subversives qu’il a menées dans nombre de pays , en appui aux
nombreuses dictatures et contre les aspirations des populations, que ce soit
dans l’exemple le plus flagrant de l’union au régime de l’apartheid ou, encore,
dans les complots ourdis en Angola ou, enfin, dans l’infiltration israélienne
dans des pays tels le Nigeria, le Zaïre, le Togo ou le Liberia, pour ne nommer
que les quatre pays qui constituent, après l’Afrique du Sud, d’importantes bases
d’influence économique israélienne en Afrique noire.
Donc, les intérêts
militaires étaient doublés d’intérêts financiers et économiques. En effet, le
chiffre d’affaires annuel produit par la vente des armes (qui reste importante,
malgré la chute du régime de l’apartheid) ; à cela, nous devrions ajouter les
exportations israéliennes qui s’élèvent, elles aussi, à quelques milliards de
dollars par an : produits industriels divers, machines agricoles, fertilisants,
engrais…etc.
Mais Israël ne se contente pas de ces exportations, ni de la
présence de ses grandes sociétés (telles : Solel Bonet, Koor Industries, Meïr
Brothers, Agridno…), depuis le début des années 70, dans plus de vingt états
africains où elles gèrent quelques centaines de projets dans les domaines du
bâtiment, de l’extraction et du commerce du diamant et des métaux précieux (l’or
zaïrois, surtout). Les milieux industriels israéliens se sont infiltrés dans
l’économie africaine à travers des investissements directs et des prêts
consentis par la « Banque Leumi » et la « Japhet Bank ».
Aides militaires
diverses, appui à l’apartheid et à certaines dictatures, ventes d’armes,
mainmise sur une partie des richesses africaines, infiltration financière : tels
sont les différents visages de la présence israélienne en Afrique.
- NOTES :
[1] Cf. la lettre
adressée par Herzl à Rhodes et dans laquelle il lui demande son aide en ces
termes : « Il y a des rêveurs dont les visions s’étendent à travers de longues
périodes, mais il leur manque la puissance pratique ; puis, il y a des esprits
pratique à qui il manque l’imagination politique fertile. Vous, Mr. Rhodes, vous
êtes un politique visionnaire ou un rêveur international… Vous en avez donné des
preuves ; voilà pourquoi je vous demande d’apposer votre sceau sur le plan
sioniste et de proclamer devant les personnes qui ne jurent que par vous : Je,
Rhodes, déclare avoir examiné ce plan et je l’ai trouvé correct et pratique.
C’est un plan qui recèle de civilisation ; il est parfait (…) pour le progrès de
l’humanité et très utile à l’Angleterre et à la Grande-Bretagne ».
[2] La
Présence israélienne en Afrique durant trois décennies, publications du « Centre
des études palestiniennes », rapport à diffusion restreinte n° 30, daté du 20/
8/ 1985, pages 5-7.
[3] « The comprehensive anti apartheid act », section
508.
D’aucuns prétendent que les Etats-Unis n’avaient pas eu connaissance de
ces accords militaires « secrets » ; cependant, John Vorster, premier ministre
de Pretoria, en visite à Tel-Aviv en 1976, avait signé des accords dans lesquels
il est stipulé que « l’Afrique du Sud fournissait à Israël des matières
premières et une aide financière, en échange de quoi elle obtiendra des armes
israéliennes ou la technologie de fabriquer ces armes sous licence ». Dix ans
plus tard, en 1986, Modechai Vanunu, le chercheur israélien en matière
nucléaire, avait révélé que les scientifiques sud-africains visitaient
régulièrement Israël où ils travaillaient dans un centre secret implanté dans le
désert du Négév.
4. "Lettre ouverte aux nations de
l’Europe" par l'Anti-Defamation League
[Encart publié dans le
quotidien français Le Monde du jeudi 6 juin 2002 et ne comportant pas la mention
: “publicité” !]
Cinquante sept ans après l’holocauste [sans majuscule, ndlr], on massacre des juifs innocents en Israël et, en Europe, des
juifs et des institutions juives font l’objet d’attaques. Dans les années trente
et quarante, six millions de juifs européens ont été anéantis par un régime
haïssable tandis qu’en Europe, les pays restaient soit indifférents, soit lui
prêtaient main forte.
Aujourd’hui, dans un monde très différent [? ndlr], les
nations d’Europe se trouvent à nouveau jouer le mauvais rôle face aux meurtres
de juifs en Israël. Le refus de l’Europe de s’élever, par principe, contre le
terrorisme palestinien, n’a fait qu’encourager la poursuite des exécutions
terroristes. A chaque fois que le gouvernement américain presse Arafat de
juguler le terrorisme, l’Europe lui ouvre la possibilité de ne pas agir, ce qui
revient à autoriser en Europe les agissements des auteurs d’actes de violence
antisémite et anti-israéliens. On peut former l’espoir que la tuerie prendra fin
si l’Europe joint sa voix à celle de l’Amérique pour dire clairement à M. Arafat
de mettre un terme au terrorisme. Il faut qu’il sache que, s’il ne le fait
pas, Israël, comme toute autre nation, jouit du droit fondamental à la
protection de son pays et de ses citoyens.
Le message doit être clair et
cohérent : mettre fin à la violence, combattre le terrorisme, arrêter les
encouragements à s’en prendre à Israël, négocier de bonne fois [sic, ndlr] un accord de compromis pour la paix
dans la sécurité et pour l’indépendance des israéliens et des palestiniens. Rien
ne justifie le terrorisme [sauf lorsqu’il est
d’Etat, et israélien, ndlr]. Si on
pense que l’Europe a tiré des leçons de la destruction du judaïsme européen,
c’est maintenant qu’il faut agir.
ANTI-DEFAMATION LEAGUE (registered) - Glen A.
Tobias, Président national - Abraham H. Foxman, Directeur
national
Anti-Defamation League, 823 United Nations Plaza [très bien situé, beau quartier, l’ONU à deux pas, ndlr]
New York, NY 10017
[L’Anti-Defamation League est
l’équivalent américain de la LICRA française. Il serait d’ailleurs plus
approprié, en l’occurrence, de parler de “maison mère”. Sous couvert de lutte
contre l’antisémitisme, l’objectif stratégique de ces deux officines est de
diffuser la propagande sioniste, avec le succès heureusement mitigé que l’on
sait, ce qui l’amène à dépenser une somme certainement assez conséquente (un
quart de page dans Le Monde) afin de se ridiculiser un peu plus, s’il était
possible, aux yeux de l’opinion publique française.]
5. Le nigaud de service par Israël Shamir (27
juin 2002)
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
“Il faudrait décerner au président Bush le titre de Sioniste Emérite”,
grinça HaNegbi, brute devenue ministre, lorsque les paroles du président
américain eurent fini de résonner dans la chaleur moyen-orientale de cette fin
juin. “Non. Mieux que ça : il faudrait le coopter au comité directeur du
Likoud”, riposta le leader d’opposition Yossi Sarid. Le dirigeant travailliste
israélien Shimon Pérès semblait encore plus idiot que jamais auparavant, Bush
lui ayant chouravé son hochet préféré ; la “menace d’une intervention
américaine”. Pérès et Sarid n’ont jamais pris la défense des droits humains des
Palestiniens, poussés par la sympathie ou la commune humanité, non. Ils ont
toujours préféré tromper leurs partisans au sein d’un électorat israélien au
nationalisme notoire : “Nous nous comporterions volontiers vis-à-vis des
Palestiniens et de leurs territoires aussi brutalement que le Likoud (la
droite), mais nous tenons à nos relations spéciales avec les Etats-Unis. Les
Américains ne le permettraient pas ; c’est pourquoi nous sommes contraints à
nous comporter en êtres humains”. Désormais, leur interprétation tirée par les
cheveux est par terre. Les Américains s’en moquent. Ils ne prennent ombrage
d’absolument rien du tout et Israël peut poursuivre sa glissade inexorable vers
le cauchemar fasciste.
Avec un sourire forcé, je parcours des e-mails et des
articles de l’année dernière, datant de l’époque où Bush Junior venait d’être
élu président. Nombreux étaient les pontes de droite à exprimer l’opinion que
les Juifs avaient perdu, avec son élection, leur ascendant sur la politique
américaine. “Des Juifs au cabinet de Bush ? Hou-hou, faites-moi peur !” se
lamentait Phillip Weiss, de l’Observer. Justin Raimondo, du site Antiwar.com,
était aux anges devant ce qui avait tout l’air d’être un revers pour les Juifs.
Mais, quelques mois après, seulement, ils allaient être fixés : la suprématie
anglo-saxonne reconquise aux Etats-Unis n’était qu’un mirage. En procurant
judicieusement de l’argent à la fois aux Républicains et aux Démocrates, à
pratiquement tous les candidats, qu’ils soient de droite ou de gauche, les
dirigeants juifs sont capables d’influencer le choix des électeurs en faveur des
candidats qui ont leur préférence. Sans doute ne peuvent-ils pas faire nommer
telle personne en particulier à tel ou tel poste, mais ils peuvent jouer un rôle
dans la premier tour, à partir duquel le choix final, quel qu’il soit, importe
assez peu. Ils savent ce qu’ils veulent : ils préfèrent les nigauds de service,
des gens à l’intelligence, à la compétence et à la volonté limitées, d’une
moralité douteuse, qu’ils s’appellent Bush ou Gore, peu leur
importe.
“Choisir un gouvernant faible”, telle est la règle du jeu pour la
prise de contrôle réussie d’un pays par une minorité ethnique ou religieuse.
Règle à appliquer dès lors que la populace du dit pays n’est pas encore prête à
accepter ses vrais gouvernants. Dans Babylon - 5 et d’autres films de
science-fiction, les extraterrestres préfèrent un Terrien mollasson comme
faire-valoir. Ils ont appris ça dans l’histoire. Dans la seconde moitié du
premier millénaire, un immense Etat eurasien, la Khazarie, fit l’objet d’une
prise de contrôle de ce genre.
Les Khazars indigènes étaient gouvernés et
protégés par des nobles guerriers, Turcs, avec à leur tête le Khan, c’est-à-dire
le roi. Durant les sixième, septième et huitième siècles, ils accueillirent
quelques vagues d’immigrants Juifs, venus tout d’abord de la Perse sassanide
puis, plus tard, de l’Irak abbasside et de l’Empire byzantin. Les khans turcs,
bienveillants et tolérants, croyaient acquérir, en les recevant, des sujets
utiles, intelligents et diligents, mais très vite, ces nouveaux arrivants
prirent le contrôle de la Khazarie.
Pour un temps, ils conservèrent la façade
du règne de l’aristocratie khazare traditionnelle, en plaçant sur le trône des
Khans de plus en plus faibles. En 803, le Juif Obadiah devint le véritable
maître de la Khazarie, tandis que le Khan “Goy” continuait à être montré au
peuple, une fois par an, en gage de légitimité du pouvoir d’Obadiah. Finalement,
le dernier Khan gentil fut déchu, et la fiction du pouvoir khazar prit fin,
tandis qu’un Beg juif prenait ouvertement les rênes du pouvoir en
Khazarie.
On avance souvent que les dirigeants juifs forcèrent les Khazars à
se convertir en masse au judaïsme. Le romancier juif Arthur Koestler pensait que
les Juifs modernes étaient les descendants de ces Khazars convertis au judaïsme
[1]. Mais deux scientifiques russes remarquables, l’archéologue Artamonov et
l’historien Leon Gumilev [2], parvinrent après de longues recherches à la
conclusion que les Khazars ordinaires n’ont pas été convertis au judaïsme. Les
Juifs constituaient la classe dirigeante en Khazarie et, d’après Gumilev, ils ne
partageaient pas les postes à la Cour ou les responsabilités importantes avec
des “étrangers” (non-Juifs). Les Khazars devinrent ainsi les sujets d’un pouvoir
ethniquement et religieusement allogène. Ils devaient payer des impôts pour
entretenir l’armée et la police, et aussi pour financer une politique étrangère
des plus aventureuses. Ils finirent par perdre complètement leur pays.
Les
Juifs régnants se sont “éclatés”, mais durant fort peu de temps : un siècle
après leur prise de contrôle totale, l’Empire khazar achevait de se désintégrer.
Des montages de ce genre ne durent pas, car ils détruisent la base même du
pouvoir sur lequel ils sont édifiés. Les Khazars s’en moquaient : ils n’avaient
pas de part à la fabuleuse richesse de l’Empire. Ils devinrent les Tatars et les
Khazaks, et autres nations de la steppe. Leurs voisins ne pleurèrent pas la
disparition de l’Empire, fort enclin au génocide et au commerce des esclaves.
Les Juifs errèrent et finirent par s’éloigner du bassin dévasté de la Mer
Caspienne, s’enfonçant dans les profondeurs polonaises et lituaniennes,
disparaissant de l’histoire pour un petit millénaire d’hibernation.
Les Juifs
de Khazarie avaient besoin d’un nigaud pour tenir le rôle du Khan, car leur
pouvoir était loin d’être assuré et, seul, un nigaud autochtone pouvait accepter
de satisfaire à leurs exigences. Le discours de Bush sur le Moyen-Orient a
montré que ce scion d’une famille riche et puissante est capable de se comporter
comme un lapin pris dans les phares d’une voiture. Dès cet instant, le sort de
l’Empire américain était scellé.
- Notes :
[1] : Arthur Koestler, La Treizième Tribu.
[2] : Leon Gumilev, La Russie
et la Grande Steppe (en russe).
6. Planter les patates ? Un cours par correspondance,
depuis la prison !
Un vieux paysan vivait, seul, en
Palestine. Il voulait bêcher son champ, pour y planter des pommes de terre, mais
il pouvait difficilement faire ce travail - très fatiguant - à lui seul. Son
fils unique, qui l’aidait d’habitude et l’aurait fait volontiers de nouveau,
était prisonnier en Israël.
Le vieil homme écrivit à son fils, et lui exposa
son problème du moment.
Une semaine après, il reçut cette réponse : “Papa,
pour l'amour du ciel, ne bêche pas ce champ : c’est là où j’ai caché les
kalachnikovs !"
Le lendemain, à 4 heures du matin, une douzaine de soldats de
“Tsahal” débarquaient. Ils retournèrent tout le champ, mais ne trouvèrent pas la
trace d’un quelconque kalachnikovs...
Intrigué et quelque peu inquiet, le
vieux Palestinien écrivit à nouveau à son fils, lui demandant “ce qui avait bien
pu se passer et ce qu’il devait faire, maintenant ?”
Quelques jours après, la
réponse de son fils arriva : “Maintenant ? Tu peux planter tes patates, papa !
C’est le mieux que je puisse faire pour toi, pour l’instant”...
Revue de
presse
1. Hosni Moubarak : "Arafat n'est pas le
problème" propos recueillis au Caire par Charles Lambroschini
in Le
Figaro du mercredi 24 juillet 2002
PROCHE-ORIENT Avant de rencontrer Jacques Chirac demain à l'Elysée,
le président égyptien s'est entretenu avec «Le Figaro». Hosni Moubarak arrive
aujourd'hui à Paris pour s'entretenir avec Jacques Chirac qui le recevra demain
à l'Elysée. Alors que le dernier raid israélien se solde par un bilan humain
très lourd, le président égyptien tente une nouvelle fois de battre le rappel
des bonnes volontés pour faire pression sur Ariel Sharon et sur George W. Bush.
Hosni Moubarak sera suivi, vingt-quatre heures plus tard, par le roi Abdallah de
Jordanie. Les deux dirigeants arabes vont répéter leur conviction qu'il n'y aura
aucune chance de ressusciter le processus de paix si Yasser Arafat est écarté du
pouvoir.
- Jacques Chirac vous attend à l'Elysée. Juste avant, vous aviez reçu
au Caire le colonel Kadhafi et, à Genève, vous vous étiez entretenu avec le roi
Fahd d'Arabie Saoudite et cheikh Zayed des Emirats arabes unis. Est-ce donc si
difficile de faire la synthèse entre les trois plans qui prétendent ramener la
paix entre Israéliens et Palestiniens: le plan défini par George W. Bush dans
son discours du 24 juin, celui des Saoudiens, votre propre plan
?
- Il n'y a pas trois plans de paix. Nous travaillons tous dans la même
direction: il s'agit de trouver la formule qui permettra aux Israéliens et aux
Palestiniens de reprendre la négociation. Si nous défendions chacun un projet
différent, nous n'aurions aucune chance d'arriver au but. Or cet objectif commun
est évident: nous voulons aider les deux camps à sortir de l'impasse actuelle.
Depuis plus de cinquante ans que dure ce conflit, il est frustrant de toujours
répéter les mêmes choses. Mais l'alternative est simple: soit nous parlons, soit
nous faisons la guerre. Or des guerres, nous en avons trop fait: nous n'en
voulons plus.
- Vous avez dit récemment que le président Bush avait
amélioré son projet. En quoi consistent ces changements ?
- Je n'ai pas
voulu dire qu'il avait changé de plan. J'estime simplement que, dans les
entretiens qu'il a eus depuis son discours, il a établi une balance plus égale
entre les Israéliens et les Palestiniens. J'avais trouvé que son discours du 24
juin était équilibré. Il confirmait ce que le président m'avait confié lors de
nos entretiens de Camp David les 7 et 8 juin. Précisément, M. Bush préconise
l'établissement d'un Etat palestinien indépendant et totalement souverain qui
vivra à côté d'un Etat israélien dont l'indépendance et la souveraineté seront
également reconnues. Mais j'ai pensé qu'après ce discours, il fallait des
explications supplémentaires pour dissiper certaines ambiguïtés. Une fois ces
éclaircissements obtenus, on pourrait passer à une deuxième étape: la mise en
place des mécanismes permettant de transformer l'esquisse en plan véritable. Nos
questions concernaient surtout Yasser Arafat. Aux yeux des Egyptiens et de leurs
partenaires arabes, c'était une grande erreur de vouloir l'écarter.
- Avez-vous obtenu que le président Bush modifie son attitude à propos
d'Arafat ?
- Je vous le répète, je n'ai jamais voulu dire que Bush avait
changé son plan puisque, pendant nos entretiens de Camp David, le président
avait bien précisé: «Arafat n'est pas le problème.» Mais il semble que certains
cercles politiques avaient essayé de convaincre George W.Bush d'écarter Arafat.
Je m'étais vigoureusement opposé à ce scénario. Et depuis, le président a
confirmé ce qu'il m'avait dit à Camp David: «Arafat n'est pas le
problème.»
- Mais est-il encore légitime ?
- Que nous l'aimions ou non,
Arafat reste le chef démocratiquement élu de son peuple. Le jour où la
négociation reprendra, il sera le seul qui osera faire les concessions
nécessaires, car il sait qu'il a le soutien des Palestiniens, le seul qui pourra
leur faire accepter ces concessions. Il faudra faire bouger Arafat mais, sans
lui, le processus de paix n'avancera pas.
- Il a quand même commis beaucoup d'erreurs. Et sa plus grande faute
n'a-t-elle pas été de refuser l'offre de Barak pendant l'été 2000 qui, affirment
les Israéliens, se serait traduite par la restitution de 96 % des territoires
conquis en 1967 ?
- Vous écoutez trop la propagande des Israéliens ! Ils
proposaient 96%. Mais ils gardaient Jérusalem et ses banlieues, ils gardaient
les colonies de peuplement, ils gardaient la vallée du Jourdain, ils gardaient
les ports, ils gardaient des casernes pour leur armée... Finalement, on arrivait
à 96 % de 45 %. Soit 40 % de la surface d'origine.
- Les Israéliens insistent: éliminer Arafat permettrait l'émergence
d'une nouvelle génération, plus moderne, plus compétente, moins corrompue.
Puisque vous cherchez à sortir de l'impasse le conflit israélo-palestinien,
n'est-ce pas un risque à prendre ?
- Je ne soutiens pas un individu mais
la cause de la paix et de la stabilité. Nous avons besoin d'Arafat pour relancer
le processus de paix. Il doit donc rester en fonction jusqu'au terme du
processus. Une fois que la négociation aura repris, une nouvelle génération
émergera. Mais écarter aujourd'hui Arafat, ce serait déclencher le chaos.
- Vous voulez dire qu'il risquerait d'être remplacé par les extrémistes
du Hamas ou du Djihad islamique ?
- On ne sait jamais. Mais il est
probable que, très vite, on regretterait Arafat.
- Que pensez-vous de l'idée des Israéliens et des Américains de faire
d'Arafat un président qui règne mais ne gouverne pas ? Comme la reine
d'Angleterre.
- Et pourquoi pas la reine de Micronésie ! Non, un
président sans autorité serait contraire à la culture politique du
Proche-Orient. Il y a un lien personnel entre le peuple et le chef, que celui-ci
soit élu ou pas. Rappelez-vous: après la guerre perdue de 1967, Nasser avait
voulu démissionner mais les Egyptiens étaient descendus dans la rue par millions
pour l'en empêcher. Chez nous, un leader ne peut pas être un simple symbole.
Quand il parvient au sommet, c'est pour exercer le pouvoir. Sinon, il sera
chassé.
- En face d'Arafat, il y a Sharon. D'après vous, quel est son véritable
objectif ? S'est-il résigné à la création d'un Etat palestinien ou rêve-t-il
toujours du Grand Israël ?
- Bush me dit que Sharon est un homme de
paix. Mais j'aimerais en voir la preuve sur le terrain. Pour l'instant, je vois
seulement des chars, j'entends seulement des bombes.
- Vous avez conclu le premier accord israélo-arabe avec Menahem Begin
en 1978 à Camp David. Si cela a été possible avec un homme qui avait commencé sa
vie politique comme terroriste, pourquoi pas avec Ariel Sharon ?
- Begin
était très dur mais c'était un homme de parole. Il y en a bien d'autres qui,
ayant débuté comme terroristes, ne sont pas pour autant devenus des hommes
d'Etat aussi brillants que Begin. J'ai la même opinion sur Rabin: un grand
général qui a su se transformer en grand homme politique. Mais, pour l'instant,
Sharon n'est qu'un très bon militaire.
- Vous avez dit qu'il faut créer des mécanismes pour que ces
déclarations américaine, saoudienne ou égyptienne débouchent effectivement sur
la création d'un Etat palestinien. Que pensez-vous du processus couramment
évoqué et qui, partant de la rédaction d'une Constitution palestinienne, se
terminerait par des élections ?
- Aujourd'hui, mon premier souci n'est
pas la proclamation d'un Etat palestinien mais l'arrêt de la violence. Plus
tard, il faudra bien trouver le moyen de faire redémarrer une négociation
politique. Et c'est seulement lorsque des tractations autour d'une table auront
vraiment commencé que les deux parties pourront décider où, quand, comment, on
passera à l'application du principe défini par George W. Bush : l'existence côte
à côte de deux Etats, palestinien et israélien.
- Washington a posé une précondition: l'Autorité palestinienne doit
être réformée.
- Les réformes sont impératives. Je l'ai dit et répété à
Arafat. Un seul homme qui décide de tout, cela ne peut plus marcher. Arafat doit
créer les institutions d'un Etat. Et, c'est vrai, il faudra le pousser pour
qu'il avance. Je lui ai déjà envoyé un émissaire, j'en enverrai d'autres pour
lui dire : «Faites ceci. Faites cela.»
- Avec quelles priorités ?
- Il y en a trois. La sécurité : il
faut qu'Arafat en finisse avec la multiplicité des polices et des forces
militaires. Le maintien de l'ordre et la défense nationale doivent relever d'une
autorité étatique centrale. L'argent : les finances d'un Etat n'ont rien à voir
avec la gestion d'un porte-monnaie privé. Les dépenses publiques doivent entrer
dans le cadre d'un budget qui lui-même doit être organisé selon des règles
fixées par la loi. La justice : il faut rédiger une Constitution fixant les
rapports entre les différents pouvoirs et former des magistrats
professionnellement incontestables.
- Et on finira par des élections !
- Bien sûr. Mais, pour
organiser des élections, il faut d'abord que l'armée israélienne se soit retirée
des Territoires palestiniens. Les candidats doivent être libres d'aller et de
venir. Et les électeurs aussi. Sinon comment faire campagne, comment voter ?
C'est le même problème pour les réformes. Les Israéliens ne peuvent pas réclamer
la modernisation de l'Autorité palestinienne et, simultanément, détruire au
canon les commissariats, les ministères, les bureaux de l'administration. Il n'y
aura pas de réforme possible sous le feu des chars israéliens.
- George W. Bush comprend-il que l'évacuation est un impératif
?
- Il comprend le problème. Mais, alors que les gouvernements arabes
réclament le retour aux frontières de 1967 conformément aux résolutions de
l'ONU, le président américain ne demande que l'évacuation des zones réoccupées
par l'armée israélienne le 28 septembre dernier. Selon lui, le reste relève de
la négociation de paix.
- Selon vous, George W. Bush veut-il vraiment des élections
palestiniennes ? Compte tenu du refus de Sharon de retirer ses troupes, de
nombreux éditorialistes américains sont d'avis que cette exigence d'un scrutin
dans l'espoir de trouver des remplaçants à Arafat n'est qu'un alibi. Il
s'agirait de convaincre la communauté juive des Etats-Unis de voter pour le
Parti républicain plutôt que pour les Démocrates lors des législatives de
novembre.
- Tant que vous y êtes, pourquoi Bush ne penserait-il pas déjà
à la présidentielle de 2004 ?
- Parler politique quand il y a urgence humanitaire a-t-il un sens ?
Kofi Annan, le secrétaire général de l'ONU, avance le chiffre de deux millions
de Palestiniens qui souffrent de malnutrition.
- La plus grande erreur
des Israéliens est d'avoir fermé leurs portes aux 120.000 Palestiniens qui
venaient travailler en Israël. Ces travailleurs palestiniens étaient les
meilleurs ambassadeurs d'Israël pour calmer l'opinion en Cisjordanie et à Gaza.
Un chef de famille qui peut gagner sa vie et nourrir ses enfants ne devient pas
un terroriste.
- Mais qui a commencé ? Si Israël a fermé ses frontières, c'est pour
empêcher le passage des terroristes.
- Ehud Barak est resté premier
ministre trois ans et il a connu six attentats suicides. Depuis dix-huit mois
qu'Ariel Sharon est au pouvoir, il y a eu soixante-cinq attentats suicides.
L'explication de cette différence est évidente: les gens sont désespérés. Un
homme qui, faute de travail, n'a pas d'argent pour nourrir sa femme et ses
enfants, pour acheter des vêtements et des médicaments, pour payer l'école,
finit par penser que la vie ne vaut plus la peine d'être vécue. Alors, il enfile
une ceinture explosive et il va tuer des Israéliens en se tuant lui-même. Les
Palestiniens sont désespérés parce qu'ils ne sont pas traités comme des êtres
humains. Et Israël n'a répondu à ce désespoir que par la réoccupation des villes
palestiniennes.
- Après les attentats du 11 septembre, vous n'aviez trouvé aucune
excuse aux opérations terroristes d'Oussama ben Laden. Mais, à vous écouter, on
croirait que les kamikazes palestiniens, eux, pratiquent un terrorisme
légitime.
- Votre interprétation est fausse. Je n'accepte pas que l'on
puisse tuer des innocents, je condamne donc toutes les formes de terrorisme.
Personne ne peut refuser aux Palestiniens le droit de résister à l'occupation
étrangère. Mais cela ne les autorise pas à frapper des Israéliens assis à une
terrasse de café, dans une discothèque, dans une fête de mariage. Les civils qui
sont ainsi massacrés n'ont rien à voir avec l'armée d'occupation.
- Les Israéliens aussi sont désespérés. La construction d'un mur de
protection qui, comme dans un ghetto, les isole à nouveau de leurs voisins
arabes, n'en est-elle pas la preuve ?
- La solution est pourtant simple
: il faut que l'armée israélienne évacue les territoires occupés. Pour que les
Palestiniens procèdent aux réformes exigées par Sharon et Bush, les Israéliens
doivent les y aider. J'ajoute que si Arafat est le seul à faire des concessions,
les Palestiniens ne le lui pardonneront pas. Il a besoin de concessions
israéliennes. Enfin, les Américains doivent rompre avec l'injustice qui consiste
à condamner bruyamment les fautes des Palestiniens tout en fermant les yeux sur
celles des Israéliens. Des gens sont traités par Israël comme des animaux et
Washington se tait. Je ne demande pas de laisser la voie libre aux kamikazes
mais de rendre l'espoir aux habitants de la Cisjordanie et de Gaza en leur
donnant une chance de mener une vie normale, de se déplacer, de travailler.
Israël doit au moins accepter un retrait partiel en quittant les zones
réoccupées le 28 septembre.
- Puisque même la puissante Amérique ne parvient pas à imposer sa
solution, pourquoi ne pas laisser Sharon et Arafat s'arranger entre eux
?
- Mais parce qu'ils se haïssent depuis l'invasion du Liban en 1982: il
y a vingt ans que ces deux-là s'insultent. Certains conflits sont si passionnels
qu'il ne peut pas y avoir de solution sans intervention d'un arbitre. Les
Britanniques et l'IRA n'ont réussi à trouver un compromis que grâce à la
médiation américaine.
- D'où l'idée d'une conférence de paix internationale. Pourquoi George
W. Bush n'a-t-il pas retenu cette option dans son discours ?
- C'est
Jacques Chirac qui a pris l'initiative de réunir une telle conférence et le
nouveau ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, m'en a
longuement parlé lors de son passage au Caire. Si on ne réussit pas à débloquer
la situation, ce sera effectivement la solution de la dernière chance. Mais il
faut que cette conférence soit longuement préparée. En quinze jours, on peut
réunir un sommet de chefs d'Etat mais il n'aboutira à rien d'autre qu'à
exaspérer les Palestiniens et les Israéliens qui en auront attendu le remède
miracle. Avant de convoquer la conférence de Madrid, James Baker, le secrétaire
d'Etat de Bush senior, avait travaillé plus de six mois. Il avait multiplié les
voyages au Proche-Orient et en Europe pour négocier, avec les futurs
participants à la conférence, un consensus minimum et donc obtenir la garantie
d'un succès.
- C'était une autre époque. Le fils Bush veut-il vraiment associer ses
alliés au débat, la France, l'Europe ? Persuadé des vertus de
«l'unilatéralisme», ne préfère-t-il pas que la superpuissance américaine joue
ses cartes seule ?
- Aujourd'hui, George W. Bush consulte les Européens.
Ce n'était peut-être pas vrai dans une première période. Mais depuis, il me
semble avoir évolué. Il veut la participation de ses alliés. Mais l'Europe
souffre d'une grave lacune: sur le Proche-Orient, elle ne parle pas d'une seule
voix. La France a une politique arabe mais la Grande-Bretagne regarde d'abord
vers les Etats-Unis et, à cause de son passé nazi, l'Allemagne hésite à prendre
des initiatives. Espérons qu'il y aura un jour des Etats-Unis d'Europe.
- George W. Bush pense à ouvrir un deuxième front au Proche-Orient en
allant frapper l'Irak. Sa volonté d'abattre Saddam Hussein vous paraît-elle
légitime ?
- Chasser Saddam Hussein du pouvoir ne fera que créer un
autre problème. Il n'y a pas de guerre propre, on finit toujours par tuer des
innocents, donc par créer de la sympathie pour le pays qui est la cible.
Attaquer l'Irak serait une grande erreur. En s'ajoutant au conflit
israélo-palestinien, un deuxième front ne peut qu'aggraver la déstabilisation de
notre région.
- Mais le président américain affirme qu'il a le devoir de prévenir une
plus grande catastrophe: l'emploi par Saddam Hussein d'armes de destruction
massive, nucléaires, chimiques, biologiques, pour soumettre à sa volonté les
voisins de l'Irak.
- Et, parmi ces voisins, que dites-vous d'Israël ? Ce
pays ne dispose-t-il pas aussi d'un arsenal particulièrement sophistiqué, d'une
panoplie particulièrement dangereuse ? Si Bush insiste pour éliminer les armes
irakiennes de destruction massive, il doit les éliminer partout ailleurs. Cela
ne signifie pas qu'il faut donner à Saddam Hussein toute liberté de se doter de
ces armes. Je suis allé dire publiquement à Bagdad, et en présence de Saddam
Hussein, que le Proche-Orient voulait être débarrassé de toutes les armes
nucléaires. Mais encore une fois, l'Irak n'est pas seul en cause. Il ne faut pas
oublier Israël.
- Nous approchons du premier anniversaire des attentats du 11
septembre. Croyez-vous qu'Oussama ben Laden et ses fidèles d'Al Qaida peuvent
lancer d'autres opérations terroristes contre les Etats-Unis et leurs alliés, en
Europe, au Proche-Orient ou ailleurs ?
- Où est Ben Laden ? Certains
disent qu'il est mort, d'autres qu'il a survécu. Peu importe, il aligne
suffisamment de militants à travers le monde pour frapper quand il veut, où il
veut. Notre meilleure protection, c'est de régler les conflits qui restent sans
solution et d'abord le conflit israélo-palestinien. C'est aussi pourquoi
l'Amérique doit résister à la tentation d'une guerre contre l'Irak. Chaque
conflit crée du terrorisme. Si nous n'arrêtons pas cette épidémie à la source,
il n'y aura plus de sécurité nulle part. Dans aucun pays, on ne pourra plus
prendre l'avion, dîner au restaurant, aller au cinéma sans avoir peur. La vie
sera un enfer.
- N'êtes-vous pas en train de noircir le tableau ?
- Pas du
tout, malheureusement ! Dès 1986, j'avais averti la communauté internationale de
la menace et proposé, devant le Parlement de Strasbourg, une convention
antiterroriste. Mais je n'ai pas été écouté parce que les gouvernements
craignaient que les travaux de rédaction ne s'enlisent dans un débat sémantique
sur la différence entre résistance et terrorisme. Je continue de penser que
cette convention serait un outil sans pareil. Les assassins ne pourraient plus
obtenir l'asile politique car cela serait interdit et les pays qui refuseraient
de signer la convention deviendraient automatiquement des hors-la-loi. Mais il
est bien tard. Aujourd'hui, le terrorisme s'est répandu partout comme un
cancer.
2. Grandeur de Yasser Arafat
par Gilles Deleuze
in la Revue d’études palestiniennes N°84 (été
2002)
[Ce texte de Gilles
Deleuze, écrit en septembre 1983, est paru pour la première fois dans la Revue
d'études palestiniennes N° 10 (hiver 84)]
La cause palestinienne est d’abord l’ensemble des injustices que ce peuple
a subi et ne cesse de subir. Ces injustices sont les actes de violence, mais
aussi les illogismes, les faux raisonnements, les fausses garanties qui
prétendent les compenser ou les justifier. Arafat n’avait plus qu’un mot pour
parler des promesses non tenues, des engagements violés, au moment des massacres
de Sabra et Chatila : shame, shame.
On dit que ce n’est pas un génocide. Et pourtant c’est une histoire qui
comporte beaucoup d’Oradour, depuis le début. Le terrorisme sioniste ne
s’exerçait pas seulement contre les Anglais, mais sur les villages arabes qui
devaient disparaître ; l’Irgoun fut très actif à cet égard (Deir Yasin). D’un
bout à l’autre, il s’agira de faire comme si le peuple palestinien, non
seulement ne devait plus être, mais n’avait jamais été.
Les conquérants étaient de ceux qui avaient subi eux-mêmes le plus grand
génocide de l’histoire. De ce génocide, les sionistes avaient fait un mal
absolu. Mais transformer le plus grand génocide de l’histoire en un mal absolu,
c’est une vision religieuse et mystique, ce’ n’est pas une vision
historique. Elle n’arrête pas le mal ; au contraire, elle le propage, elle le
fait retomber sur d’autres innocents, elle exige une réparation qui fait subir à
ces autres une partie de ce que les juifs ont subi (l’expulsion, la mise en
ghetto, la disparition comme peuple). Avec des moyens plus « froids » que le
génocide, on veut aboutir au même résultat.
Les Etats-Unis et l’Europe devaient réparation aux juifs. Et cette
réparation, ils la firent payer par un peuple dont le moins qu’on puisse dire
est qu’il n’y était pour rien, singulièrement innocent de tout holocauste et
n’en ayant même pas entendu parler. C’est là que le grotesque commence, aussi
bien que la violence. Le sionisme, puis l’état d’Israël exigeront que les
Palestiniens les reconnaissent en droit. Mais lui, l’Etat d’Israël, il ne
cessera de nier le fait même d’un peuple palestinien. On ne parlerait jamais de
Palestiniens, mais d’Arabes de Palestine, comme s’ils s’étaient trouvés là par
hasard ou par erreur. Et plus tard, on fera comme si les Palestiniens expulsés
venaient du dehors, on ne parlera pas de la première guerre de résistance qu’ils
ont menée tout seuls. On en fera les descendants d’Hitler, puisqu’ils ne
reconnaissaient pas le droit d’Israël. Mais Israël se réserve le droit de nier
leur existence de fait. C’est là que commence une fiction qui devait s’étendre
de plus en plus, et peser sur tous ceux qui défendaient la cause palestinienne.
Cette fiction, ce pari d’Israël, c’était de faire passer pour antisémites tous
ceux qui contesteraient les conditions de fait et les actions de l’Etat
sioniste. Cette opération trouve sa source dans la froide politique de l’Etat
d’Israël à l’égard des Palestiniens.
Israël n’a jamais caché son but, dés le début : faire le vide dans le
territoire palestinien. Et bien mieux, faire comme si le territoire palestinien
était vide, destiné depuis toujours aux sionistes. Il s’agissait bien de
colonisation, mais pas au sens européen du XIX ème siècle : on n’exploiterait
pas les habitants du pays, on les ferait partir. Ceux qui resteraient, on n’en
ferait pas une main-d’œuvre dépendant du territoire, mais plutôt une main
d’œuvre volante et détachée, comme si c’étaient des immigrés mis en ghetto. Dés
le début, c’est l’achat des terres sous la condition qu’elles soient vides
d’occupants, ou vidables. C’est un génocide, mais où l’extermination physique
reste subordonnée à l’évacuation géographique : n’étant que des Arabes en
général, les Palestiniens survivants doivent aller se fondre avec les autres
Arabes ; L’extermination physique, qu’elle soit ou non confiée à des
mercenaires, est parfaitement présente. Mais ce n’est pas un génocide, dit-on,
puisqu’elle n’est pas le « but final » : en effet ; c’est un moyen parmi
d’autres ;
La complicité des Etats-Unis avec Israël ne vient pas seulement de la
puissance d’un lobby sioniste. Elias Sanbar a bien montré comment les Etats-Unis
retrouvaient dans Israël une part de leur histoire : l’extermination des
Indiens, qui, là aussi, ne fut qu’en partie directement physique. Il s’agissait
de faire le vide, et comme s’il n’y avait jamais eu d’Indiens, sauf dans
des ghettos qui en feraient autant d’immigrés du dedans. A beaucoup d’égards,
les Palestiniens sont les nouveaux Indiens, les Indiens d’Israël. L’analyse
marxiste indique les deux mouvements contraires du capitalisme : s’imposer
constamment des limites, à l’intérieur desquelles il aménage et exploite son
propre système ; repousser toujours plus loin ces limites, les dépasser pour
recommencer en plus grand ou en plus intense sa propre fondation. Repousser les
limites, c’était l’acte du capitalisme américain, du rêve américain, repris par
Israël et le rêve du Grand Israël sur territoire arabe, sur le dos des
Arabes.
Comment le peuple palestinien a su résister et résiste. Comment, de peuple
lignager, il est devenu nation armée. Comment il s’est donné un organisme qui ne
le représente pas simplement, mais l’incarne, hors territoire et sans Etat : il
y fallait un grand personnage historique qu’on dirait, d’un point de vue
occidental, presque sorti de Shakespeare, et ce fut Arafat. Ce n’était pas la
première fois dans l’histoire ( les Français peuvent penser à la France libre, à
cette différence près qu’elle avait au début moins de base populaire). Et ce qui
n’est pas non plus pour la première fois dans l’histoire, c’est toutes les
occasions où une solution, un élément de solution étaient possibles, que les
Israéliens ont délibérément, sciemment détruits. Ils s’en tenaient à leur
position religieuse de nier, non pas seulement le droit, mais le fait
palestinien. Ils se lavaient de leur propre terrorisme en traitant les
Palestiniens de terroristes venus du dehors. Et précisément parce que les
Palestiniens n’étaient pas cela, aussi différents des autres Arabes que les
Européens peuvent l’être entre eux, ils ne pouvaient attendre des états arabes
eux-mêmes qu’une aide ambiguë, qui se retournait parfois en hostilité et
extermination, quand le modèle palestinien devenait pour eux trop dangereux. Les
Palestiniens ont parcouru tous ces cycles infernaux de l’histoire : la faillite
des solutions chaque fois qu’elles étaient possibles, les pires retournements
d’alliance dont ils faisaient les frais, les promesses les plus solennelles non
tenues. Et de tout cela, leur résistance a dû se nourrir.
Il se peut que l’un des buts des massacres de Sabra et Chatila ait
été de déconsidérer Arafat. Il n’avait consenti au départ des combattants, dont
la force restait intacte, qu’à condition que la sécurité de leurs familles fût
absolument garantie, par les Etats-Unis et même par Israël. Après les massacres,
il n’y avait pas d’autre mot que « shame ». Si la crise qui s’ensuit pour l’OLP
avait pour résultat, à plus ou moins long terme, soit une intégration dans un
état arabe, soit une dissolution dans l’intégrisme musulman, alors on pourrait
dire que le peuple palestinien a effectivement disparu. Mais ce serait dans de
telles conditions que le monde, les Etats-Unis, et même Israël n’auraient
pas fini de regretter les occasions perdues, y compris celles qui restent encore
possibles aujourd’hui. A la formule orgueilleuse d’Israël : " nous ne sommes pas
un peuple comme les autres ", n’a cessé de répondre un cri des Palestiniens,
celui qu’invoquait le premier numéro de la Revue d’études palestiniennes : nous
sommes un peuple comme les autres, nous ne voulons être que cela…
En menant la guerre terroriste du Liban, Israël a cru supprimer l’OLP et
retirer son support au peuple palestinien, déjà privé de sa terre. Et peut-être
y a-t-il réussi, puisque dans Tripoli encerclée, il n’y a plus que la présence
physique d’Arafat parmi les siens, tous dans une espèce de grandeur solitaire.
Mais le peuple palestinien ne perdra pas son identité sans susciter à sa place
un double terrorisme, d’Etat et de religion, qui profitera de sa disparition et
rendra impossible tout règlement pacifique avec Israël. De la guerre du Liban,
Israël lui-même ne sortira pas seulement moralement désuni, économiquement
désorganisé, il se trouvera devant l’image inversée de sa propre intolérance.
Uns solution politique, un règlement pacifique n’est possible qu’avec une OLP
indépendante, qui n’aura pas disparu dans un Etat déjà existant, et ne se sera
pas perdue dans les différents mouvements islamiques. Une disparition de l’OLP
ne serait que la victoire des forces aveugles de guerre, indifférentes à
la survie du peuple palestinien.
3.
"Les Israéliens ignorent la tragédie palestinienne" par Baudoin
Loos
in Le Soir (quotidien belge) du dimanche 21 juillet 2002
Un
collègue israélien pas comme les autres. Les autres, en grande majorité, se
considèrent en guerre. Contre le terrorisme palestinien. Lui connaît l'âme des
Palestiniens. Et il a choisi de témoigner, dans son journal le quotidien de
gauche « Haaretz » par le biais d'une chronique des choses de la vie vue à
travers les yeux palestiniens. Son message, au séminaire de Copenhague, a été
écouté dans un silence impressionnant.
La plupart des Israéliens ignorent ce
qui se passe à une demi-heure de chez eux, côté palestinien. Ils ne veulent pas
savoir. Deux facteurs au moins expliquent cette attitude : d'abord le « mythe »
qui énonce qu'Ehoud Barak (dernier Premier ministre travailliste) a fait des «
propositions généreuses » à Camp David que Yasser Arafat a refusées pour
préférer la violence, et ensuite, bien sûr, les attentats suicide, qui ont fait
du camp de la paix une peau de chagrin.
Les racines de l'ignorance remontent
loin, selon lui. Dans mon éducation, je n'ai jamais entendu parler de la
tragédie palestinienne. J'allais au Club Med sans que personne ne me dise qu'il
était installé sur un port de pêche palestinien détruit comme quatre cents
autres villages, après la guerre de 1948. Mais on n'efface pas l'histoire, elle
brûle encore les cœurs dans les camps.
Et Levy n'épargne guère ses collègues.
Nous avons une des meilleures presses du monde, sauf quand il s'agit de la
question palestinienne, où la narration des informations est totalement biaisée.
La tragédie israélienne est bien couverte, ce qui me semble juste, mais le prix
payé par les Palestiniens n'est pas couvert du tout !
Il y a un an, j'ai
publié un article intitulé « Ici nous avons créé un kamikaze » à propos d'une
famille dans un camp de Bethléem où j'avais trouvé une misère inouïe. J'ai
appris que le fils aîné de cette famille a récemment conduit la voiture qui a
mené un homme se faire exploser à Jérusalem. Les Palestiniens ne naissent pas
ainsi, mais on ne veut pas se poser la question du « pourquoi » !
L'amertume
de notre confrère ne peut se confiner à son temps de parole. La seule réponse
honnête que Barak a jamais eue, c'est quand il a admis (en 1998) que s'il avait
été un jeune Palestinien, il aurait été terroriste... Mais les Israéliens
refusent de se mettre un moment dans les chaussures des Palestiniens...
«
J'ai honte parce que je suis un patriote ! »
Gideon Levy n'a pas la vie
facile, lui qui est malmené sur les plateaux de télévision, lui qui est parfois
traité de « Hitler » ou reçoit de sordides menaces de mort concernant ses
enfants, par exemple. Mais il ne croit pas que ses écrits minent la position
d'Israël dans le monde, comme le craignent les Affaires étrangères et même son
propre éditeur. Je me considère comme un patriote. Si Israël ne parle pas d'une
seule voix grâce à des gens comme moi, j'estime que cela est à son avantage.
J'ai honte de ce que mon peuple, mon armée, mon gouvernement font parce que je
suis israélien. Je refuse l'école de pensée en vogue chez nous qui consiste à
nous présenter en victimes ultimes. Si je suis inquiet pour toutes ces
choses-là, c'est justement parce que je suis un patriote !·
4. Les diplomates face à
l'aigreur des acteurs par Baudoin Loos
in Le Soir (quotidien belge)
du dimanche 21 juillet 2002
Proche-Orient Les Nations unies ont réuni
cette semaine à Copenhague une brochette de personnalités du conflit
israélo-palestinien
Une actualité des plus déprimantes des attentats
palestiniens a enveloppé mercredi et jeudi les travaux d'un séminaire organisé
par l'ONU à Copenhague (1). Ce qui n'a pas empêché l'émission de messages
encourageants...
De notre envoyé spécial - Copenhague - Entre autres
missions ingrates, les diplomates ont celle de devoir persévérer, quels que
soient les écueils. Au Proche-Orient, ces écueils bouchent l'horizon et font
frémir, mais le Norvégien Terje Roed-Larsen et l'Espagnol Miguel-Angel
Moratinos, respectivement coordinateur des Nations unies pour le processus de
paix au Proche-Orient et envoyé spécial des Quinze pour ce même processus,
semblent n'en avoir cure.
A Copenhague, et bien qu'ils reconnaissaient que
les événements sur le terrain assombrissaient la donne Chaque camp croit que
l'autre veut son anéantissement, a résumé Roed-Larsen , les deux diplomates ont
fait part de leur expérience la plus chaude, celle de leur participation, mardi,
à la réunion new-yorkaise du « Quartette » (les Etats-Unis, l'Union européenne,
la Russie et l'ONU), un acteur nouveau, qui sera peut-être amené à jouer un rôle
majeur au Proche-Orient.
Nos idées se retrouvent dans le communiqué du
Quartette, s'est ainsi réjoui Moratinos, et je dis que, malgré le pessimisme
ambiant au Proche-Orient, la paix n'est plus une utopie, grâce à cette série
d'éléments convergents : il n'existe pas de solution militaire mais politique,
celle des deux Etats, juif et palestinien, sur la base des frontières de 1967 ;
il faut un agenda clair, l'arrêt de la terreur, l'arrêt de la colonisation
juive, des réformes et des élections côté palestinien, et enfin une conférence
internationale.
On sait maintenant où on va, a, pour sa part, commenté le
Norvégien. Un ministre israélien me le disait encore récemment : il y a quelques
années, on n'aurait pas osé proposer un Etat palestinien, et encore moins à
partir du tracé des frontières de 1967. Cela dit, notre approche se distingue
par la théorie du « parallélisme » : on bâtira sur trois piliers en même temps,
sécuritaire, politique et économique, et non à partir du premier pilier
seulement, solution dont l'échec patent se répétera (l'exigence de l'Israélien
Sharon soutenu par l'Américain Bush NDLR) indéfiniment tant qu'on
l'appliquera...
Mais le Quartette est loin de parler d'une même voix, malgré
les communiqués lénifiants. Notre seul sujet de division est le sort d'Arafat,
dont les Etats-Unis, comme Israël, ne veulent plus, plaide Roed-Larsen. Les
trois autres membres du Quartette le considèrent comme le chef légitime des
Palestiniens.
Ce sujet, le rôle d'Arafat, eut le don de mettre Yasser Abed
Rabbo, ministre palestinien, de méchante humeur : Il serait donc responsable de
tout ! Même emprisonné dans ses bureaux à Ramallah. Sait-on que, pour le voir,
il faut un permis israélien ? Que la porte métallique coulissante du complexe a
été remplacée par un char israélien ? Cette humiliation en fait le symbole de ce
qu'endure le peuple palestinien.
Les souffrances du peuple palestinien,
justement, ont été longuement évoquées. Pourquoi les médias ignorent-ils les
cinq semaines de couvre-feu subies par un million de Palestiniens ?, s'exclama
Abed Rabbo. Qui parle des chars israéliens qui démolissent, comme ça en passant,
les poteaux électriques, téléphoniques, les canalisations d'eau. Tout est
paralysé depuis la réoccupation des villes, on atteint des niveaux de pauvreté
sans précédent et on se dirige vers une vraie famine dans certaines zones, mais
qui l'écrit ? On exige de nous des réformes alors que les gens ne peuvent sortir
de chez eux pour aller à l'hôpital, au travail ou à l'école !
Suscitant des
crispations de mâchoire, Roed-Larsen révéla alors qu'Ariel Sharon venait de
téléphoner à Kofi Annan pour demander à l'ONU de lancer un important programme
d'aide humanitaire à destination des Palestiniens. Il faut savoir que dans la
bande de Gaza, 70 à 80% des travailleurs sont sans emploi, et environ 50% en
Cisjordanie, deux millions de gens dépendent maintenant de l'aide internationale
pour leur nourriture. On en arrive à une telle situation que le recours à la
violence extrême est appuyé par la grande majorité de la population
palestinienne : l'« infrastructure du terrorisme » est dans les esprits ! Pour
l'extirper, il faut une vraie ouverture politique.
Le terrorisme ! Neuf morts
mardi, trois mercredi : les attentats suicide, qualifiés de « moralement
répugnants » par le Quartette, rythment à nouveau l'actualité. Et provoquent
aussi l'ire d'Abed Rabbo : Sans même parler du point de vue éthique, les
Palestiniens doivent rejeter ces attaques qui servent d'argument à Sharon pour
couvrir les crimes de l'occupation et, comme il l'a dit au « Haaretz » en avril
2001, « terminer la guerre de 1948 », sans laisser aux Palestiniens le moindre
droit, les maintenant dans une cage qui ne s'ouvre que pour laisser entrer la
nourriture !
Il revint à la journaliste israélien Samdar Perry, du « Yediot
Aharonot », d'évoquer la réaction de la société israélienne, qui n'acceptera
jamais ces méthodes. J'ai pu, raconta-t-elle, interviewer une jeune kamikaze qui
avait renoncé à se faire exploser au dernier moment en voyant les enfants qui
devaient être sa cible, et j'ai pu constater qu'on ne fait pas grand-chose, chez
les Palestiniens, contre les encouragements à devenir « martyrs ».
La haine,
la souffrance. Le patient est mourant, lança Roed-Larsen. Un immense courage des
dirigeants est requis. Un message qui rejoignait celui de l'Indien Shashi
Tharoor, sous-secrétaire général des Nations unies qui dirigeait les débats : Le
chemin du dialogue est le seul possible pour en venir à cette paix que l'on sait
désirée par la majorité des deux peuples.·
(1) Intitulé « Terminer la
confrontation : construire la paix au Proche-Orient », ce séminaire pour les
médias a réuni une grosse vingtaine d'invités dont certains, comme l'Israélien
Yossi Beilin et le Palestinien Yasser Abed Rabbo, ont pu avoir des entretiens à
l'abri des regards. Les représentants du gouvernement israélien avaient décliné
l'invitation car elle reposait sur un budget voté annuellement à l'ONU contre la
volonté d'Israël.
5. Pas de lot de consolation
pour ceux qui attendaient de Bush une position un tant soit peu équilibrée -
George W. Bush : une “vision” aveugle et un “plan de paix” ressemblant comme son
jumeau à une déclaration de guerre par Subhi Hadidi
in Al-Quds
Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 28
juin2002
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
(Ecrivain-chercheur syrien, Subhi
Hadidi vit à Paris.)
Sans doute les Arabes modérés, comptant au
nombre des “gens de raison” - autrement dit de ces “rationalistes raisonnables”
qui s’étaient empressés de rejoindre la cohorte de la “rationalité” dès son
émergence/transformation en obédience idéo-cognitive consécutive à la seconde
guerre du Golfe, et dont l’un des fruits avait été rien moins que le “nouvel
ordre mondial” (qui ne tarda pas à exhaler son dernier souffle, sans dommage ni
regrets) - sans doute, disais-je, ces Arabes modérés ont-ils été frappés d’une
terrible déception en entendant le discours du président George W. Bush sur sa
vision de la paix palestino-israélienne. Certainement, ils ont été atterrés et
ils se sont frappés les mains l’une contre l’autre d’impuissance en découvrant
jusqu’à quelles profondeurs abyssales le chef des Etats-Unis était capable de
s’enfoncer. Lui, le dirigeant de ces Etats-Unis qui sont, comme on sait, la
“Nation indispensable”, le Phare du Monde Libre, le Havre du Libéralisme -
archéo comme néo -, la Mecque de la Raison et des Gens “Raisonnables”...
On
pourra dire tout ce qu’on voudra au sujet de l’alignement du discours bushien -
avec un parti-pris total, éhonté et scandaleux - sur le programme du Likoud. On
me pardonnera, j’espère, d’emprunter à autrui, puisqu’aussi bien je restitue la
citation - excellente - à son auteur et légitime propriétaire. Ainsi, le
journaliste britannique Robert Fisk a déclaré, après avoir entendu ce discours :
“Je me demande bien pourquoi Bush ne laisse-t-il pas Sharon diriger son service
de presse ?” Tout un chacun aura pu observer, et même à plusieurs reprises, une
kyrielle de remises en cause de points acquis fondamentaux, qui finissaient par
constituer une énorme régression par rapport au discours prononcé par Bush, pas
plus de deux mois auparavant, à la Maison Blanche, dans la Roseraie, déjà... Il
est loisible à tout un chacun de procéder à cette comparaison instructive,
autant de fois que nécessaire, ad libitum, jusqu’à satiété, ad nauseam... Sauf
mon respect pour la personne de ce cher George, je pense qu’on ne peut que
s’étonner de la tournure d’esprit et du comportement pour le moins étranges de
l’homme qui préside aux destinées de l’Amérique... et du monde !
En effet,
ceux qui espéraient de Bush qu’il adoptât une position équilibrée - ou
quasi-équitable, à demi-neutre, équitable à 25%, allez, ne chipotons pas - entre
les Palestiniens et les Israéliens sont les seuls fondés aujourd’hui à
s’étonner, à se poser des questions, à être surpris, déçus, ou attristés. Parmi
ceux-ci, nous citerons au tout premier chef le président égyptien Hosni
Moubarak, lui qui croyait que d’avoir effectué un séjour à la résidence
campagnarde de Camp David - avec tout ce qui y bruit et s’y susurre en matière
de révélations, de confessions, de tuyaux et de supputations autour des dangers
qui guettent les régimes arabes modérés avant même de menacer Yasser Arafat -
aurait suffi à convaincre le président américain de condescendre à une
concession - au moins celle-là... : fixer un délai tangible et crédible à la
création de l’Etat palestinien. Notre deuxième exemple, parmi nos grands déçus
inconsolables, sera celui du souverain saoudien, qui croyait (plutôt : que ses
conseillers politiques amateurs post-modernes avaient convaincu du fait) que
l’initiative de paix qu’il avait lancée - et que les Arabes avaient avalisée
lors du sommet arabe de Beyrouth - constituerait le joyau dans l’écrin des
“visions” de George W. Bush en matière de paix arabo-israélienne (et non pas
seulement palestino-israélienne)...
Notre troisième exemple d’amoureux
éconduits sera celui de ces Arabes “rationnels” qui n’avaient de cesse de
houspiller, d’inciter à l’arrêt de l’Intifada (excusez-moi : “de mettre un terme
aux violences”) et d’accepter le premier projet de paix venu, en partant du
principe qu’”un bon compromis historique aujourd’hui, aussi injuste et éphémère
soit-il, vaut mieux que tout perdre demain en s’obstinant de dire “la’” (“non”)
à tout...” Non que la tribu des “sages” arabes protestassent, entre autres,
contre l’immixtion du président américain dans les affaires intérieures du
peuple palestinien en exigeant de lui qu’il élise une direction nouvelle,
différente... Non qu’ils s’insurgeassent contre le reniement par notre homme de
ses engagements passés - qu’il s’agît de l’Etat palestinien ou du retrait de
l’armée israélienne d’occupation des territoires placés sous la souveraineté de
l’Autorité palestinienne. Non. C’est tout simplement qu’ils ne trouvent aucune
explication susceptible d’établir la “rationalité” de ce discours qui défie
toute logique - tout du moins, apparemment, si l’on reste à l’intérieur des
limites d’un esprit arabe standard...
Ainsi, pour eux, ce qui domine dans le
discours de Bush (et ce qui les gêne), c’est cette irrationalité. Ce n’est
absolument pas son alignement sur Sharon et sur la vision politique du Likoud.
Ce sont là des “visions”, mais elles sont aveugles. Au plus loin qu’elles
atteignent, elles ne dépassent pas la pointe du nez du visionnaire. On nous
présente ce discours comme “annonciateur de paix”. En réalité, c’est une
déclaration de guerre en bonne et due forme. On nous dit que c’est un “plan
d’action”. Mais ce plan ne comporte rien qui soit réalisable, mis à part,
peut-être, le fait de donner à Sharon toute latitude de pousser encore plus loin
ses plans militaires et sa politique fasciste, et/ou d’intimer aux Palestiniens
l’ordre de procéder à des réformes démocratiques drastiques - démocratiques,
mais imposées par des ukases totalement antidémocratiques...
Que déciderait
George Bush si des élections présidentielles avaient lieu, en Palestine, en
présence et sous la supervision d’instances internationales neutres (comme
l’équipe d’observateurs de Jimmy Carter, l’Union européenne, les organisations
de défense des droits de l’homme...) et si Yasser Arafat était réélu président ?
La Maison Blanche dirait-elle, dans ce cas de figure, que ces élections
n’étaient ni libres ni honnêtes ? Ou bien en refuserait-elle l’issue, au motif
qu’elle ne répond pas tout-à-fait aux désirs de Washington et de Tel-Aviv ? Ou
bien peut-être Bush a-t-il d’ores et déjà dans sa manche un projet alternatif,
opposé à l’éventualité, tout-à-fait probable, de cette réélection : une recette
de présidence cuisinée “à l’Afghane”, modèle Hamid Karzaï ? Quel crétin des
alpages a persuadé le président des Etats-Unis que la Palestine a quelque chose
à voir avec l’Afghanistan et les Palestiniens, avec les Afghans ?!? Est-ce cette
même andouille de l’Himalaya, qui avait déjà convaincu Bush que l’Irak et
l’Afghanistan, c’est la même chose, et que les Kurdes qui vivent dans le nord de
l’Irak sont les clones, en quelque sorte, de l’”Alliance du Nord” afghane et
qu’ils sont aussi doués que ceux-ci pour ce qui est de se vendre à l’étranger et
se soumettre servilement à l’envahisseur ?
Comment les conseillers et les
aides de camp du président américain (du vice-président Dick Cheney à la femme
de confiance et puits de science Condoleezza Rice, en passant par le pôle de la
“fermeté”, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et le pôle “modéré” du
secrétaire d’Etat Colin Powell) ont-ils pu, tous ensemble, convaincre le
président américain que les conditions d’une paix pouvaient comporter des
réformes en Palestine telles qu’elles requièrent des “institutions politiques et
économiques entièrement nouvelles, basées sur la démocratie, l’économie de
marché et la lutte contre le terrorisme” ; l’”établissement d’une démocratie
authentique fondée sur la tolérance et la liberté” ; l’élection d’”une nouvelle
direction palestinienne, totalement différente” ; de “nouveaux dirigeants, non
compromis avec le terrorisme” ; l’”arrêt de l’afflux de fonds et de matériel,
ainsi que des opérations de mobilisation et d’enrôlement dans les rangs de
mouvances terroristes s’efforçant de détruire Israël, dont le Hamas, le Djihad
islamique et le Hizbollah” ; l’exigence que “tout Etat sincèrement engagé dans
la paix interdise l’acheminement des fournitures iraniennes destinées à ces
groupes terroristes et s’oppose aux menées des régimes qui soutiennent le
terrorisme, comme l’Irak” ; l’exigence que “la Syrie choisisse le bon camp dans
la guerre contre le terrorisme, en fermant les camps d’entraînement des
terroristes et en chassant les organisations terroristes de son territoire...”
Ouf ! Excusez du peu...
Plus que l’habituelle simplification abusive dont
on accuse généralement (à juste titre) le discours bushien, il y a cette fois-ci
un délayage pernicieux et délibéré : délayage dans l’expression concrète, dans
les idées formulées et dans les réalités tangibles. En ce sens, le discours de
Bush lui permet de se laver les mains de toute responsabilité morale, juridique
et politique dans ce que Sharon est en train de commettre - et commettra, à
l’avenir. Par ailleurs, le discours de Bush donne au premier ministre de l’Etat
hébreu le feu vert lui permettant de poursuivre ce qu’il est en train de faire,
et même de faire, à l’avenir, exactement tout ce qui lui plaira. Mais, par
ailleurs, ce laxisme intentionnel envoie aux Arabes - plus précisément, aux
dirigeants arabes, sans égard pour la “modération” d’un tel ou l’”extrémisme” de
tel autre - un message américain nouveau, affiché sans fioritures : la Maison
Blanche se moque bien de vos inquiétudes au sujet de ce qui risquerait fort de
se produire dans la rue, en réaction à l’alignement américain sur le programme
politique du Likoud ; débrouillez-vous tout seuls, et les vaches seront bien
gardées !
Une seule raison valable nous semble expliquer ce traitement à la
légère, par l’Amérique, des hantises des gouvernants arabes. Ne parlons pas, par
charité, de la “dignité”, de la “pudeur” ou de l’”honneur” des dits gouvernants.
Cette raison, c’est que tous les oeufs du Moyen-Orient sont dans le même panier
- américain - depuis l’inauguration des tentatives de règlement pacifique du
conflit arabo-israélien - ce qui remonte à relativement loin dans le passé : à
la décision prise par feu le président égyptien Anwar Sadate de renvoyer
d’Egypte les experts soviétiques et d’effectuer le voyage de Jérusalem occupée.
A la décision, aussi, de feu le président syrien Hafez al-Assad, de procéder à
une ouverture politique quasi-totale vis-à-vis des Etats-Unis (à travers le
président américain de l’époque, Richard Nixon, et surtout son célèbre
secrétaire d’Etat Henry Kissinger), non seulement sur fond de négociations, mais
pour prix partiel du silence américain devant l’”imposition par la Syrie de son
hégémonie sur le Liban” ; pour aboutir naturellement à la “Tempête du désert”, à
la conférence de Madrid, aux accords d’Oslo et de Wadi Araba, à la série de
conversations - secrètes comme publiques - entre la Syrie et Israël.
Les
autres raisons ont nom : démission du monde (Union européenne, Russie, Chine...)
- voulue ou imposée - de toute responsabilité en matière de participation à la
formulation des solutions possibles ou d’exerce de pressions sur l’Etat hébreu
et les Etats-Unis. Le fait que Bush ait ignoré impérialement l’idée de
conférence mondiale, formulée par la commission quadripartite (composée de
l’Union européenne, de la Russie, de l’ONU et des Etats-Unis) ne vient que
confirmer cette démission... pour qui, naturellement, aurait encore besoin qu’on
lui mette les points sur les “i” ! Les autres raisons ne sont pas sans lien avec
le dérèglement de l’équilibre des forces en présence, en faveur de l’Etat
hébreu, et au désavantage de régimes arabes totalitaires, impuissants et liges ;
dérèglement venant confirmer le principe de l’unipolarité mondiale et de
l’extension de l’influence américaine à l’ensemble des relations
internationales, rendant obsolètes les quelques principes rescapés de la
“légalité internationale”, à l’ONU, par un recours américain - abusif,
arbitraire et discriminatoire - au droit de veto.
On dit habituellement - à
juste titre, semble-t-il - que l’ensemble de la politique américaine -
intérieure et étrangère - peut changer du tout au tout avec la relève de la
garde à la Maison Blanche, sauf - bien entendu - en ce qui concerne les
politiques, décidées en très haut-lieu, poursuivies par les Etats-Unis au
Moyen-Orient. La fermeté de cette conviction ne résulte pas de la supposition
que les données du Moyen-Orient seraient immuables, constantes et éternelles. En
effet, cette région du monde, à l’instar des autres, en réalité, est soumise au
principe du changement et de l’évolution - ne fût-ce en vertu des lois d’une
Histoire supposée aller toujours de l’avant - tout au moins, du fait que cette
région est située au coeur de l’Histoire et ne saurait, en conséquence,
s’abstraire du mouvement du monde contemporain.
La force de cette conviction
tient, par ailleurs, à la solidité de l’énorme édifice de la diplomatie
américaine au Moyen-Orient. Dans un passé pas très éloigné, cet édifice reposait
encore sur trois piliers principaux et quelques étais secondaires : tenir en
respect le danger communiste et empêcher la Russie d’accéder aux mers chaudes
(comme le voulait la légende) ; assurer un calme total sur le front du pétrole,
en matière tant de sécurité de l’approvisionnement que de stabilité du prix du
baril ; enfin, garantir la sécurité de l’Etat hébreu. Indépendamment du fait que
la fin de la guerre froide a permis d’assurer la tenue en respect -
“containment” (eng.) - de l’Union soviétique - bien plus : d’en effacer jusqu’au
souvenir dans les atlas -, l’opération “Tempête du désert” a permis d’atteindre
les deux autres objectifs d’une manière magistrale, digne de faire pâlir le
Panthéon imaginaire des présidents des Etats-Unis de jalousie pour Georges
Bush-père.
Il fut un temps où un diplomate aussi rusé que pouvait l’être un
certain Henry Kissinger était contraint de recourir aux “navettes
diplomatiques”, à la “diplomatie des petits pas” entre Le Caire et Tel-Aviv,
entre Damas et Riyadh ou Amman, pour aboutir à un grand accord quasi miraculeux
sur quelque point de détail, minuscule et nullement hors d’atteinte. En dépit du
fait que l’Union soviétique possédât alors son propre panier à oeufs, dans la
région du Moyen-Orient, la suite des événements allait démontrer que tous les
oeufs finiraient par se retrouver dans le seul panier
américain...
Aujourd’hui, les choses ont drôlement changé. Les Etats-Unis
n’ont plus besoin que d’un simple texte, que se refilent entre eux, pour le
corriger aux marges, le vice-président, la conseillère ès-sécurité nationale
Condoleezza Rice, le secrétaire d’Etat à la Défense et le secrétaire d’Etat tout
court ; puis que réécrit en lui donnant sa tournure définitive le plumitif en
chef de la présidence américaine Michael Gerson ; avant que le relise une énième
et pénultième fois la confidente du président, Karen Hughes (potins rapportés
par The New York Times), pour que ce topo devienne une “vision”, une
“politique”, un “plan de paix”...
Un plan de paix ? Défectueux ?
Outrancièrement simplificateur ? Partial ? Dilatoire ? Immoral ?
Les Arabes,
de nos jours, ne sont pas si regardants !
6. Le plan de Bush sur la
comète se contente de répéter les erreurs du passé par Marwan
Bishara
in International Herald Tribune (quotidien international publié à
Paris) du vendredi 26 juin 2002
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Marwan Bishara
enseigne les relations internationales à l’Université américaine de Paris. Il
est l’auteur de “Palestine/Israël : Paix ou Apartheid ?”)
En entendant le
discours sur le Moyen-Orient du président George W. Bush, lundi dernier, je ne
pouvais m’empêcher de secouer la tête, d’incrédulité. Cette administration
répète pour la énième fois les erreurs du passé, bien loin de tracer une
perspective véritablement novatrice pour l’avenir.
Se pliant aux consignes
israéliennes, Bush a choisi d’ignorer deux documents préparatoires fondamentaux,
pourtant déposés sur son bureau. L’un déclinait une initiative arabe très
complète traçant les grandes lignes d’un futur pacifique et débarrassé de
l’occupation. L’autre, émanant de Yasser Arafat, unique dirigeant palestinien
démocratiquement élu, acceptait les propositions formulées par le président Bill
Clinton, en décembre 2000, comme base pour des négociations à venir.
Comme de
nombreux prédécesseurs avant lui, Bush se sent enclin à imaginer une manière
“créative” de sortir d’un problème facile à résoudre. Il en résulte finalement
une formule permettant plus de gérer la crise que de la résoudre.
Or il se
trouve, malheureusement pour lui, que la solution à ce conflit - le retrait
total d’Israël des territoires occupés en 1967 en échange de la paix avec ses
voisins arabes, soit “la terre contre la paix” - est connue depuis des
décennies. On s’est ingénié à l’éluder, depuis des décennies aussi.
Bush veut
que nous faire retourner à un processus provisoire, mais avec une nouvelle
direction palestinienne. Une politique américaine intelligente, ai-je appris
durant une visite effectuée la semaine dernière à Washington, est une politique
qui s’éloigne d’Israël tout en s’en prenant aux Palestiniens ! Bush, qui a bien
intégré l’expérience de son père, sait tout ce qu’il y a à savoir sur les
conséquences fâcheuses d’une pression éventuelle sur Israël.
Bush exige un
changement à la direction palestinienne afin de paver la voie conduisant à un
Etat palestinien, à un horizon non fixé. Mais, dans toute démocratie, la
direction d’un pays émane du choix du peuple. Aussi longtemps qu’un nouveau
président n’aura pas été désigné par des élections libres et ouvertes, personne
n’a le droit d’imposer un dirigeant aux Palestiniens. Avec les tanks israéliens
partout dans les territoires palestiniens, on voit mal comment des élections
libres et ouvertes pourraient être tenues...
Le meilleur scénario alternatif
verrait Arafat nommer le leader le plus populaire en Palestine aujourd’hui,
comme adjoint et successeur possible, et le charger de négocier avec Israël.
Marwan Barghuthi, député élu et homme politique compétent, connaît bien la
politique israélienne et parle l’hébreu couramment. Bien qu’il soit actuellement
emprisonné en Israël - ce n’est pas pour lui une première - il pourrait parvenir
à un accord de paix avec ceux qui sont pour le moment ses geôliers, aussi bien
qu’avait su le faire Nelson Mandela.
Bush nous dit que l’intérim nécessitera
trois ans. L’approche par étapes était conçue afin d’établir une certaine
confiance entre les deux parties. La paix, c’est un processus, nous disait-on.
Et pourtant, bien loin de régler le problème - c’est-à-dire l’occupation
brutale, par Israël, depuis trente-cinq ans, de territoires palestiniens - un
processus par étapes ne pourra que conduire à plus de domination israélienne et
encore plus d’implantations illégales.
Pourquoi Bush s’ingénie-t-il ainsi à
creuser un nouveau tunnel pour avoir le plaisir d’apercevoir la lumière, au bout
? Parce qu’en définitive ce nouveau plan exonérera son administration de tout
engagement et de toute décision sérieuses qui pourrait le placer dans un rapport
conflictuel avec Israël. Quand viendra le temps du règlement “permanent”, sur
l’agenda de la prochaine administration américaine, la situation aura été
changée, vraisemblablement en pire, [mais cela ne sera plus le problème de
Bush].
En attendant, ajouter trois années d’incertitude aux sept années
d’ambiguïté du processus d’Oslo, voilà qui signifie encore plus de processus et
encore moins de paix ! Cela permettra, une fois de plus, aux dirigeants
israéliens d’éluder le choix crucial qu’Israël devra bien finir par trancher :
veut-il les territoires, ou bien veut-il la paix ? Comme l’eau et l’huile, la
paix et l’occupation ne sont pas susceptibles d’être mélangées.
Au lieu de
s’attaquer à la résolution de cette quadrature du cercle, l’autruche américaine
semble se contenter de s’enterrer la tête dans le sable dans l’attente vaine
qu’en entendant le mot “Etat”, les Palestiniens vont faire volte-face et que le
conflit sera réglé. Mais un Etat ne saurait en aucun cas servir d’ersatz de
solution équitable : l’Etat doit être, au contraire, le point d’arrivée d’une
politique sensées conduisant à la fin de l’occupation.
Si Washington
s’entête à faire obstacle à l’application du droit international qui proscrit la
main-mise sur un territoire étranger par la force, cela ne fera qu’alimenter la
culture d’impunité prévalant en Israël, en nourrissant, par voie de conséquence,
la culture de l’attentat-suicide du côté palestinien.
En attendant, les
sorciers-guérisseurs moyen-orientaux prolifèrent tant en Israël qu’en Palestine,
produisant toujours plus de fondamentalisme et d’irrationnel. Si les seules lois
terrestres à s’appliquer sur leur territoire sont celles de la jungle -
gouverner par la force brute - alors les deux côtés seront de plus en plus
enclins à mettre en application les interprétations et les prescriptions
religieuses. Un conflit religieux et ethnique aurait de terribles conséquences
pour les deux peuples, pour très longtemps.
7. Notre fille a été tuée dans
un attentat-suicide... Mais c’est la terreur de l’occupation israélienne qui est
la cause de sa mort par Alexandra Williams (Jérusalem)
in The Mirror
(quotidien britannique) du jeudi 25 juin 2002
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Un grand auto-collant “Libérez la
Palestine !” occupe le centre de la porte d’entrée des Elhanan. Non. Ce n’est
pas une maison palestinienne, dans les territoires occupés... Chose remarquable,
cette maison est située dans un quartier aisé du quartier juif de Jérusalem.
Elle appartient à un couple dont la fille, Smadar, a été tuée (à l’âge de
quatorze ans) par un kamikaze palestinien.
Bien loin de s’abandonner à la
revanche et à la haine, Nurit Elhanan et Rami, son époux (ils ont cinquante-deux
ans l’une et l’autre) se battent pour la paix.
Ils mènent une campagne pour
la fin de l’occupation israélienne des territoires palestiniens, occupation
qu’ils qualifient de “cancer entretenant la terreur”.
Nurit, titulaire d’un
doctorat de linguistique de l’Université hébraïque de Jérusalem, m’a dit :
“Aucune vraie mère ne peut nourrir une seule seconde l’idée de se consoler en
tuant l’enfant d’une autre mère. Israël est en passe de devenir un cimetière
d’enfants. On est en train de faire de la Terre Sainte un terrain vague.”
Son
mari, Rami, graphiste, acquiesce : “Si pour chaque enfant israélien tué
aujourd’hui on décide d’aller demain tuer un enfant palestinien, il n’y aura
jamais de solution.”
“Notre fille a été tuée à cause de la terreur que
représente l’occupation israélienne. Chaque victime innocente, d’un côté comme
de l’autre, est victime de l’occupation. L’occupation, c’est un cancer qui
nourrit le terrorisme palestinien.”
La semaine dernière, après deux
attentats-suicides et une fusillade qui ont coûté la vie à trente Israéliens,
Israël a durcit sa politique de répression militaire. Il en a résulté la mort de
Palestiniens innocents - cinq enfants, dans la seule journée de vendredi dernier
!
Rami : “Quand j’ai appris la mort d’enfants palestiniens à Jénine, j’étais
atterré, de la même manière que je l’avais été la veille en apprenant la mort de
nombreux Israéliens tués par un attentat-suicide. Les Palestiniens souffrent et
pleurent exactement comme les Israéliens. Eux et nous, avons le même sang : il
est rouge.”
Certains accusent le couple de faire l’apologie des kamikazes.
Durant un meeting pour la paix, un Israélien les a qualifiés de “traîtres
gauchistes”, trouvant intelligent d’ajouter : “quel dommage que vous n’ayez pas
sauté avec votre gamine !”
Smadar a été tuée dans un double attentat-suicide
palestinien perpétré à Jérusalem en septembre 1997. Il était trois heures de
l’après-midi, le jour de la rentrée des classes. Elle était en train d’acheter
ses livres scolaires avec deux de ses camarades proches. Horrifiés, les clients
de la librairie tentèrent d’échapper à la première bombe, mais ce fut pour se
retrouver face au deuxième terroriste, qui déclencha alors son engin infernal,
provoquant un carnage.
Smadar a été tuée sur le coup, ainsi qu’une de ses
camarades. L’autre resta dans le coma pendant six mois. Cinq ans ont passé, mais
la douleur est encore trop vive pour les parents, qui ne peuvent en parler.
Rami, dont le propre père a survécu à Auschwitz et dont les grands-parents,
tantes et oncles ont tous disparu dans l’Holocauste, me dit : “la douleur
d’avoir perdu notre chère enfant est insupportable, mais notre maison n’est pas
un foyer de haine. Vous pouvez, bien sûr, vous abandonner à votre malheur et ne
rien faire à part attendre la mort... Mais vous pouvez aussi essayer de vous
rendre utile.” “Nous avons cherché à rencontrer des gens comme nous, qui ont
vécu la même chose que nous, mais de “l’autre côté”. Aujourd’hui, nous avons
beaucoup d’amis palestiniens, des parents, qui ont perdu un enfant, ou
plusieurs, eux aussi. Nous sommes en position de pouvoir. Nous ne pouvions
garder le silence. Nous devons informer le monde extérieur. C’est notre malheur
qui nous donne cette énergie”.
D’aucuns avancent l’argument que mettre fin à
l’occupation ne permettrait pas de mettre un terme aux attentats-suicides. Hamas
et le Djihad islamique ont juré de continuer leur campagne de terreur jusqu’à ce
que les Juifs soient chassés d’Israël. Mais Rami et Nurit pensent que les
organisations terroristes tirent leur force des persécutions subies par (leur)
peuple.
Nurit : “Le Hamas tire son pouvoir de la colère. Si vous redonnez aux
gens leur dignité, leur honneur et la prospérité, en cessant de les occuper, le
Hamas perdra son pouvoir.”
Rami ajoute : “Si un homme atteint d’un cancer à
la jambe va chez le médecin et lui demande s’il ira bien après une éventuelle
amputation, aucun médecin au monde ne lui dira : mais oui, bien sûr, tout ira
très bien... Mais aucun médecin au monde ne lui dira qu’il ne doit pas être
amputé.”
“Evacuer Gaza et la Cisjordanie ne peut qu’être dans l’intérêt tant
des Israéliens que des Palestiniens”. Le couple a trois enfants : Elik (25 ans)
; Guy (23 ans) et Yigal (10 ans). Elik et Guy, qui sont aujourd’hui étudiants à
Paris, ont servi dans l’armée israélienne. Ils ont combattu sur la frontière
libanaise.
Nurit et Rami sont convaincus que si leurs fils étaient incorporés
aujourd’hui dans l’armée, ils refuseraient de faire leur service militaire dans
les territoires palestiniens. Rami, vétéran des guerres de 1973 (dite du
Kippour) et de 1982 (invasion du Liban, sous l’intitulé “Paix en Galilée, ndt),
dit : “Les vrais héros, ce sont les refuseniks”.
La colère de Rami et de son
épouse est dirigée contre le premier ministre israélien Ariel Sharon, le
dirigeant palestinien Yasser Arafat et les Etats-Unis, bien plus que contre le
kamikaze qui a tué leur fille.
Nurit : “La guerre n’est pas entre le peuple
israélien et le peuple palestinien, mais entre ces hommes qui détruisent la vie
et qui se prétendent des dirigeants. Les Etats-Unis sont rétifs et excédés par
la situation. Quant au reste du monde, il continue son petit train-train, comme
si le sang n’avait jamais été répandu.”
Le couple a fondé le Forum des
Familles Eprouvées, avec le Palestinien Izzat Ghazzawi, dont le fils Rami (seize
ans) a été tué par les soldats de l’armée israélienne. En décembre dernier,
Nurit et Izzat ont été lauréats du Prix de la Liberté d’expression décerné par
le Parlement européen.
Nurit : “On me demande souvent si je ressens un
besoin de venger le meurtre de ma chère petite, qui a été tuée pour la seule
“raison” d’être née Israélienne, par un jeune homme qui était désespéré au point
de tuer en se suicidant, pour la seule “raison” d’être né Palestinien.
“Je
réponds à chaque fois en citant le poète hébreu Bialik, qui a dit : “Satan n’est
pas encore à la veille d’inventer le genre de vengeance de nature à faire
oublier le sang répandu d’un petit enfant...”
8. Rejetant toute
responsabilité dans les attentats-suicides, et qualifiant Sharon de “partenaire”
et Pérès de “feuille de vigne”, Arafat déclare : “Nous nous sommes trompés, à
Camp David. C’est la “promenade” de Sharon à Al-Aqsa qui a mis le feu aux
poudres” propos recueillis par Akiva Eldar
Paru dans Ha’Aretz
(quotidien israélien) du 23 juin 2002 repris in Al-Quds Al-Arabi (quotidien
arabe publié à Londres) du lundi 24 juin 2002
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Vraisemblablement, les sacs de sables entassés dans le bureau de Yasser
Arafat et dans les couloirs de la Muqâta‘ah, les carcasses de voitures pilées
(par les blindés israéliens) au milieu des gravats, les gardes armés, la petite
cuisine misérable du Président, les livres scolaires des enfants palestiniens,
les vues de la Muqâta‘ah à moitié en ruines : tout cela fera partie un jour ou
l’autre des souvenirs idéalisés de la guerre d’indépendance palestinienne. En
tous les cas, mercredi dernier, ce spectacle désolant ne suscitait pas un
abattement particulier...
Il formait comme une sorte de décor surréaliste aux
propos d’Arafat, parlant tranquillement d’ “un règlement basé sur des frontières
ouvertes sur le modèle du Benelux (Belgique + Hollande + Luxembourg)”, suscitant
de sérieux doutes quant à sa capacité de parvenir à un accord de cette nature...
A la fin de l’interview, Arafat m’a dit que “le mot ‘fatigué’ n’était pas
palestinien”, mais ses yeux se chargeaient de le démentir...
Arafat semblait
très préoccupé par des rapports venus de Gaza, au sujet de manifestations de
pauvres gens affamés. Là-bas, les marchands de légumes vendaient des pommes de
terre gâtées en raison de leur longue stagnation dans l’attente que s’ouvre le
barrage de Karni. Le sac de quinze kilos était à un shekel. Il était difficile
de dire si Arafat semblait abattu, ou bien s’il prenait sur lui, contenant sa
colère. Son porte-parole de longue date, Nabil Abu Rudeïnéh, spécialiste
ès-maîtrise du Président et le seul, de toute une armée d’assistants qu’il s’est
chargé de fournir lui-même au “dîwân” (la “cour” d’Arafat, en quelque sorte...),
s’est retrouvé, pour le coup, au chômage : Arafat a conservé son calme,
contrairement à son habitude, et il a répondu très courtoisement à toutes mes
tentatives pour le forcer à proférer ses nombreuses expressions incendiaires
habituelles...
Arafat a gardé son calme, même après qu’on lui ait posé une
question sur la réputation de menteur qui lui colle à la peau depuis quelque
temps... Naguère, il aurait chassé tous les journalistes de la salle si l’un
d’eux eût osé poser une question beaucoup moins iconoclaste... Sa réponse aux
nombreuses critiques à son sujet, venues d’Israël et de la Maison Blanche, fut
de dire : “j’en ai l’habitude. Cela fait partie de l’escalade militaire. Ce qui
importe, c’est l’application de la paix des braves en Terre sainte, pour nos
enfants et pour l’avenir de tous les enfants de toute la région”. Tout ce qu’il
trouva à répliquer aux propos de Benjamin Ben Eliezer, pour lequel, “son rôle
historique ayant pris fin, il devait laisser sa place” fut : “ce n’est pas
Eliezer qui m’a élu, ce sont les enfants de mon peuple”. Les diplomates
chevronnés qui ont pu rendre visite à la Muqâta‘ah de Ramallah ces jours
derniers ont constaté qu’Arafat en était arrivé au constat que le prix que
Sharon lui extorquerait si le terrorisme se poursuivait serait en fin de compte
plus élevé que celui qu’il devrait payer d’avance à Ahmad Yassin s’il voulait
obtenir de lui qu’il les fasse cesser. Mais seul celui qui n’a pas jeté un coup
d’oeil au “bureau” de Tawfîq al-Tîrâwî peut prendre au sérieux l’exigence
adressée à l’Autorité palestinienne qu’elle procède à l’arrestation des
activistes du Hamâs et du Djihâd islamique. Tawfîq al-Tîrâwî, qui porte encore
aujourd’hui le titre respecté de “chef des services de renseignement en
Cisjordanie” est assis, au milieu de ce qui avait été jadis une prison et que
les tanks de l’armée israélienne “de défense” ont transformé en un tas de
gravats. Il accueille ses hôtes, assis à une table de camping en plastique,
tandis que des geôliers au regard éteint sont étendus sur des matelas, dans les
“cellules” ouvertes aux quatre vents de la prison détruite...
Le terrorisme : les kamikazes se suicident
pour des allocations
Arafat rejette catégoriquement toute responsabilité
tant dans le terrorisme que dans les souffrances de son peuple. Toute tentative
pour lui arracher une déclaration là-dessus se heurte à un mur. Le président
palestinien n’est pas disposé à reconnaître avoir fait preuve de tolérance à
l’égard du Hamâs après Oslo. Il affirme avoir ordonné personnellement
l’assignation à résidence d’Ahmad Yassin, que Netanyahu avait libéré peu avant.
Arafat rejette même toute responsabilité dans l’histoire du Karine A. (bateau
chargé d’armes, arraisonné par Israël, ndt). Il promet de ramener la sécurité
aux villes d’Israël à la seule condition qu’on lui donne le temps de réorganiser
ses forces de sécurité et de mener à bien des réformes qui “battraient leur
plein”, selon ses dires.
Le nouveau ministre palestinien de l’intérieur
rentrait le même jour du Caire et d’Amman, à la suite d’une série de
consultations avec des experts égyptiens et jordaniens en matière de sécurité.
Arafat montre de la main une pile de dossiers entassés à droite de son bureau :
“Vous voyez ? Ce sont les projets de réformes que nous avons reçus et que nous
commençons à mettre en pratique sur le terrain.”
Arafat déclare réprouver les
attentats-suicides en termes très clairs, et approuver la pétition lancée par
Sari Nuseïbéh et d’autres intellectuels, contre ce phénomène. Selon ses termes,
il n’y a aucune différence, à ses yeux, entre civils israéliens et civils
palestiniens. Les services de sécurité israéliens affirment détenir des preuves
accablantes qu’il continue à encourager - voire, à financer - des attentats
dirigés contre les colons et les soldats israéliens.
Akiva ElDar (- dans la
suite du texte) :
- Pourquoi ne prenez pas de mesures concrètes contre
ceux qui envoient des jeunes gens et des jeunes filles se suicider en tuant des
civils israéliens ?
- Yasser Arafat : Nous avons arrêté Abdallâh
al-Shâmî, chef du Djihâd islamique. Nous poursuivons ses partisans afin de
s’assurer que nos ordres sont appliqués.
- Comment expliquez-vous ce
phénomène, sans équivalent dans le monde ?
- Yasser Arafat : Je vais
vous donner un exemple : dans les premiers jours, au cours de la phase “Gaza et
Jéricho d’abord”, lorsque Rabin a été contraint, pour la première fois d’imposer
le bouclage de Gaza, il m’a envoyé 15 millions de shekels. La deuxième fois, il
m’a envoyé dix millions, la troisième, douze millions. Je l’ai contacté, à
l’époque, pour lui demander la raison pour laquelle il m’envoyait cet argent. Il
m’a répondu que ces sommes étaient destinées à créer des emplois, car les gens
se retourneraient contre lui - et contre moi - si nous étions incapables de leur
procurer un travail. Aujourd’hui, il y avait une manifestation, à Gaza : c’était
des gens en détresse. Nous essayons de les aider, mais vous nous avez confisqué
nos finances, et nous n’avons pas encore pu, à ce jour, verser aux employés leur
salaire du mois de mai. Cette situation pousse les jeunes au suicide afin que
leurs familles vivent bien grâce à l’argent que leur envoient toutes sortes
d’organisations extrémistes. Ces gens-là ont versé 30 000 dollars à deux
familles de Jénine. Par ailleurs, les humiliations et les vexations délibérées
(des soldats israéliens) aux barrages militaires contribuent à ce phénomène.
Est-il admissible que des femmes soient obligées d’accoucher devant des barrages
militaires, que des femmes soient contraintes de soulever leurs vêtements afin
de montrer qu’elles ne transportent pas d’armes ?
- Comment
expliquez-vous les grandes quantités d’armes trouvées chez vous par l’armée (“de
défense”) israélienne ?
- Yasser Arafat : Dans cette région, il y a des
armes partout. Toutes les portes sont ouvertes et l’anarchie règne. Vous pouvez
achetez toutes les armes que vous voulez, en Egypte ou en Jordanie, et même en
Israël...
- Et qu’en est-il du Karine A. ?
- Yasser Arafat : Nous
n’avons rien à voir avec cette affaire. J’ai proposé à Afi Dechter de participer
à l’enquête. J’ai proposé la même chose également aux Américains, aux Européens,
aux Russes et à l’ONU.
- Continuez-vous à affirmer que ces armes étaient
destinées au Hezbollah ?
- Yasser Arafat : Je n’en suis pas certain.
Mais cela semble être le cas. Qu’irions-nous louer un bateau ? Nous avons
beaucoup de bateaux, nous, les Palestiniens : vous en avez même fait exploser
un, dans le port de Gaza. Nous avons encore, à ce jour, beaucoup de bateaux,
dans différents mouillages.
Les négociations : le modèle du
Bénélux
Comme on devait s’y attendre, les réactions des
services (israéliens) de sécurité au résumé de l’interview publié dans le
Ha’Aretz de vendredi dernier consistaient à dire qu’Arafat était prêt désormais
à dire n’importe quoi afin de ne pas tomber dans le gouffre qui s’ouvrirait
désormais à ses pieds. Les médias israéliens, de leur côté, n’ont pas apporté
grande attention à un rapport du “Washington Post” disant que Nabîl Sha‘th avait
été envoyé auprès de l’administration américaine pour lui exposer un plan de
paix (palestinien). Ce plan comportait la création d’un Etat palestinien dans
deux ans, le remplacement du droit au retour des réfugiés palestiniens par une
formule plus obscure, laquelle affirmait la nécessité d’un règlement de cette
question, ainsi que l’acceptation de modifications frontalières, dans les
territoires et à l’est de Jérusalem. Arafat affirmera, au cours de cette
rencontre, avoir envoyé Sha‘th afin qu’il transmette à Washington un plan qui
mentionne les propositions Clinton, dans une large mesure, tournant autour de la
question du droit au retour.
Une des expressions favorites d’Arafat, en
anglais est : “Why not ?” (“Pourquoi pas ?”) Lorsqu’il l’emploie, il est
impossible de savoir s’il veut dire : “oui”, “non” ou “peut-être”... Jeudi
dernier, il n’a pas rejeté carrément - ni approuvé ouvertement - l’idée d’un
Etat palestinien provisoire, lancée par l’administration américaine. Il a
simplement déclaré qu’il devait obtenir des informations complémentaires de la
part de l’administration américaine et étudier la question. De même, sa position
sur le projet Pérès-Abû al-‘Alâ’, qui propose la reconnaissance d’un Etat
palestinien aux frontières non définies, dans un premier temps, est restée dans
le flou le plus total.
Arafat dit que les négociations autour de cette
proposition sont en cours et que Sharon les a fait suspendre, allant jusqu’à
prétendre que Pérès n’avait pas été mandaté pour proposer ce plan. La solution
préférée d’Arafat consiste en une fédération d’Etats sur le modèle du Bénélux,
qui réunirait Israël, la Palestine, le Liban et la Jordanie.
Cette hypothèse
n’est pas une utopie, selon lui. Il rappelle que l’accord de paix auquel était
parvenu Sadate avait été entouré, au départ, du plus grand scepticisme, et que
très rares étaient ceux qui étaient convaincus, avant la signature d’Oslo, qu’il
serait possible de parvenir à un accord entre Israël et l’OLP. Aujourd’hui
encore, Arafat est convaincu qu’un accord politique sera trouvé à la crise
actuelle, tôt ou tard. “Seul le retour au processus politique peut mettre un
terme à l’effusion de sang”, a déclaré Arafat, s’inspirant de l’appel de Bush
“aux citoyens d’Israël et aux Palestinien”, leur disant : “trop, c’est trop”.
(plus exactement : “assez, c’est assez”, ndt). A Sadate, en revanche, il a
emprunté l’expression “au nom de vos enfants et au nom de nos enfants, j’affirme
: plus de guerre à partir d’aujourd’hui !”
Arafat conserve à Sharon son
statut d’associé dans l’accord de paix : “A Wye (Plantation), il était présent
en qualité de numéro deux, derrière Nétanyahu. Il a signé de sa main l’accord
dont toute une partie n’a pas été appliquée. Sharon est le général qui a
démantelé toutes les colonies du Sinaï... “. (Certes, mais est-ce pour expier
cela qu’il construit des colonies à tour de bras en Cisjordanie et dans la bande
de Gaza ?)
Arafat : Citez-moi une seule colonie qui soit entièrement peuplée.
La majorité d’entre elles sont peuplées seulement à 40 % de leur
capacité...
Arafat refuse de renoncer aux services des Etats-Unis qui,
jusqu’à présent, ont soigneusement évité comme la peste toute forme de contact
avec lui. Il leur demande de se comporter en conformité avec la responsabilité
qui leur incombe en tant qu’unique grande puissance. Il recommande également de
rechercher l’assistance des “quatre” (Etats-Unis, ONU, Union européenne, Russie)
et de reprendre des contacts directs avec Israël. Il exprime son espoir de voir
la reprise du processus politique amener le retrait de l’armée israélienne des
territoires (palestiniens), ce qui lui permettrait de mettre en pratique son
projet d’organiser des élections municipales et présidentielles, ainsi que
législatives, en décembre 2002 ou en janvier 2003.
Le droit au retour : Vous en connaissez,
vous, des réfugiés qui veulent revenir ?
- Etes-vous prêt à parvenir à un marché basé
sur les propositions Clinton (les frontières de 1967, avec de légères
modifications, les échanges de territoires, le partage de Jérusalem entre
quartiers juifs et quartiers arabes, l’application du droit au retour mais
seulement vers l’Etat palestinien) ?
- Yasser Arafat : Oui. Bien sûr, y
compris les échanges territoriaux.
- Pouvez-vous dire au peuple israélien
que vous convenez du fait que régler le problème des réfugiés ne doit pas porter
atteinte à l’identité juive d’Israël, Etat juif ?
- Yasser Arafat : Et
vous, dites- moi : les Palestiniens qui sont devenus syriens ou canadien, ou
président du gouvernement de Bélize (qui est d’origine palestinienne...)
désirent-ils revenir ?
- Bon... (très drôle...). Mais il y a les réfugiés
qui vivent au Liban, en Syrie, en Libye ?
- Arafat éclate de rire,
puis demande : Les réfugiés qui vivent en Jordanie voudront-ils déménager
chez nous ? En ce qui concerne les réfugiés palestiniens au Liban, il est de mon
devoir de les aider, même aujourd’hui, dans la situation où nous nous trouvons -
très difficile, comme vous le savez. J’ai proposé à Clinton, en présence de
Barak, que nous traitions le problème des réfugiés du Liban en priorité. Cette
idée a été acceptée. Ils m’ont demandé quel était leur nombre. Je leur ai
répondu qu’ils étaient au nombre de 480 000, à l’époque où j’étais moi-même au
Liban. Beaucoup d’entre eux ont émigré en Occident ou dans les pays scandinaves.
On me dit qu’il ne sont plus que 200 000, aujourd’hui.
- Donc, votre
vision de la solution au problème des réfugiés est que ceux-ci rentrent dans
leur pays, c’est-à-dire dans l’Etat de Palestine qui sera créé dans la région
?
- Yasser Arafat : En partie. Une commission quadripartite
(égypto-jordano-israélo-palestinienne) est parvenue à des propositions de
solution très importantes. Certaines ont même été mises en oeuvre.
Camp David : quelle sorte d’indépendance
?
On sent à travers les réactions d’Arafat - c’est
quasi-palpable - que ce n’est pas la première fois qu’il s’entend dire que Barak
a convaincu beaucoup de gens, au sein de la gauche israélienne, qu’il avait
refusé les “propositions généreuses d’Israël” à Camp David. Il a une
question-réplique imparable, toute prête : “le contrôle par Israël de notre
espace aérien et de nos postes-frontières avec l’Egypte et la Jordanie, c’est ça
que vous appelez l’“indépendance” ? J’ai dit aussi à Barak que j’étais d’accord
pour que le Mur des Lamentations (plus précisément ce qui en apparaît, au-dessus
du sol) reste sous souveraineté israélienne totale, ainsi que le quartier juif
de Jérusalem (Hâret-al-Yahûd). Mais Barak a exigé la place située en contre-bas
du Harâm-al-Sharîf (Esplanade des Mosquées). Ce n’est pas moi qui ai soulevé ce
problème, c’est pourquoi j’ai consulté la commission de Jérusalem, dépendant de
la Ligue des Etats arabes, au Maroc, et je leur ai dit que je signerais si cela
leur paraissait acceptable. (Dennis Ross, qui présidait la délégation
américaine, prétend que Clinton aurait réussi à convaincre sur ce point les
dirigeants arabes, mais que c’est lui, Arafat, qui aurait exigé d’eux qu’ils
“retiennent (en quelque sorte) sa main”... pour qu’il ne puisse
signer...
- Dans ce cas, comment expliquez-vous que Clinton ait fait
retomber sur vous l’entière responsabilité de l’échec ?
- Yasser Arafat
: Permettez-moi de vous renvoyer à ce que dit Robert Malley (l’un des
conseillers de Clinton à Camp David, R. Malley a attribué à Barak la majorité
des fautes qui ont conduit à l’échec des négociations, dans de nombreux articles
publiés par la presse internationale). Malley sait tout, dans le détail, sur les
rôles joués par Clinton et Barak.
- Mais il y a Dennis Ross, aussi, qui
dit que vous êtes responsable de l’échec ?
- Yasser Arafat : Nabil Abu
Rudeïnéh vole au secours d’Arafat : “C’est tout-à-fait compréhensible. Ross n’a
abouti à absolument rien, en dix ans de travail en tant que coordonnateur du
processus de paix. Voilà pourquoi il lance des accusations sans fondement contre
nous.”
- Yasser Arafat : Il est très important de nous souvenir que le
dernier accord signé l’a été à Taba et que Barak a tout arrêté, promettant de
reprendre les discussions après les élections... (législatives en Israël. On
sait ce qu’il en est advenu... ndt).
- Vous a-t-on dit que Barak prétend
que les négociations de Taba n’avaient aucun sens et qu’elles avaient pour seul
objectif de dévoiler votre vrai visage ?
- Yasser Arafat : Ah bon ?
Alors, dans ce cas, comment peut-il déclarer accepter tout ce qui a été acquis,
justement à Taba ? Les représentants européens et égyptiens affirment eux aussi
que les deux parties étaient arrivées à des positions très voisines. Ce qui est
arrivé, ensuite, a tout effacé.
- De nombreux Israéliens, peut-être même
une majorité, sont convaincus que vous n’avez jamais voulu véritablement
parvenir à un quelconque accord de paix, et que vous avez préparé d’avance
l’Intifada, en vous servant de la “promenade” de Sharon sur l’esplanade (des
mosquées) comme d’un prétexte ?
- Yasser Arafat : Abû al-‘Alâ’, Abû
Mâzin, Sâ’ib ‘Uraïqât et moi-même nous sommes rendus chez Barak, à Kokhaf Ya’ir.
Il y avait là Amnon Shahak, Shlomo Ben-Ami, Yossi Ginossar, Jile’ad Sher, Dani
Yatom et Dani Abraham. Devant tout le monde, j’ai exhorté Barak à empêcher
Sharon de se rendre sur l’Esplanade des Mosquées. Je lui ai rappelé la
déclaration de Moshé Dayan - son héros - sur le danger que représenterait
potentiellement le fait que des Juifs viennent prier en ces lieux, et je lui ai
demandé pourquoi Sharon n’avait pas effectué cette “visite” quand il était le
numéro deux du gouvernement Netanyahou, pourquoi il n’avait pas “visité”
l’Esplanade du temps de Begin, et pourquoi il le faisait justement maintenant
?
- Que pensez-vous de votre partenaire d’Oslo, qui participe aujourd’hui
au gouvernement Sharon, et des autres Travaillistes qui contribuent à la
politique actuelle ?
- Yasser Arafat : Ces gens-là ne constituent pas un
pouvoir, tout au plus jouent-ils le rôle de feuilles de vigne (en arabe,
l’expression est “feuilles de mûrier” (parfois - “de figuier”) ...ndt). Ils
bloquent tout, juste au moment où nous devons nous dépêcher, tous autant que
nous sommes, de nous activer afin de sauver la paix des braves que nous avons
signée.
- Que risque-t-il de se passer, d’après vous, si cela s’avère
impossible ?
- Yasser Arafat : Nous allons tous le payer cher. Il est
inconcevable que quiconque puisse supposer que la force militaire réglera tous
les problèmes. Voyez la guerre américaine au Vietnam : le conflit entre
Vietnamiens et Américains a été réglé par les voies politiques après cinq années
de négociations ininterrompues, à Paris...
9. Le directeur de CNN accuse
Israël de terrorisme par Oliver Burkeman (New York) et Peter Beaumont
(Jérusalem)
in The Guardian (quotidien britannique) du mardi 18 juin
2002
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Ted Turner, le fondateur milliardaire (en
dollars...) de la chaîne CNN a accusé Israël de perpétrer des actes de
“terrorisme” contre les Palestiniens, au cours de commentaires qui risquent fort
d’entraîner un nouveau déclin dans les relations - déjà passablement glaciales -
du réseau câblé américain avec l’Etat juif.
“Les Israéliens et les
Palestiniens ne sont-ils pas en train de se terroriser mutuellement ?” s’est
interrogé à haute voix Ted Turner, qui est aussi adjoint au directeur d’AOL Time
Warner, holding contrôlant CNN, en répondant à une question d’un de nos
journalistes.
“Les Palestiniens combattent au moyen de kamikazes, de bombes
humaines. Ils n’ont que ça. Les Israéliens... eux, ont l’une des plus puissantes
machines de guerre au monde. Les Palestiniens n’ont rien. Alors, à ce compte-là,
dites-moi : qui sont les terroristes ? Je pense qu’il faut reconnaître que les
deux côtés sont responsables de terrorisme.”
Les propos de Turner ont été
condamnés par le gouvernement d’Ariel Sharon, qui les a qualifiés de “stupides”.
Andrea Levin, directrice de l’organisme de surveillance des médias pro-sioniste
américain ‘Camera’ a déclaré que les commentaires de Turner constituaient une
tentative “répréhensible” de “rendre floue la ligne de séparation entre
criminels et victimes.”
Au cours de sa première interview à un journal
anglais depuis les attentats du 11 septembre, M. Turner - recordman de
philanthropie en 1997 : il a fait cette année-là un don d’un milliard de dollars
à l’ONU - affirme que la pauvreté et le désespoir constituent le terreau
favorable aux vocations de kamikazes chez certains Palestiniens.
Mais Daniel
Seaman, porte-parole du gouvernement israélien, ne voit pas les choses comme lui
: “Si j’ai un conseil à donner à Ted Turner, c’est le suivant : si les gens
pensent que vous êtes idiot, le mieux est de fermer votre gu..le plutôt que de
l’ouvrir au risque de leur en donner confirmation.”
M. Turner admet par
ailleurs avoir eu tort, lorsqu’il a qualifié les terroristes du 11 septembre de
“courageux” (“brave”) au cours d’un discours à Rhode Island qui avait fait
scandale. “J’ai sans doute mal choisi mes mots”, dit-il, ajoutant qu’étant
propriétaire de l’équipe de base-ball, les Atlanta Braves (“Les Costauds
d’Atlanta”), ce terme de “brave” n’est jamais absent de ses pensées.
“Voyez-vous, je suis quelqu’un dont le cerveau fonctionne très bien, mais
parfois j’”attrape” le mauvais mot... J’veux dire : je ne tape pas mes discours
à la machine par avance, pour ensuite aller m’asseoir là-haut (à la tribune) et
lire mes propres mots sur un prompteur, vous savez... Je fais dans
l’improvisation...”
M. Turner a été ému aux larmes, à un certain moment de
l’interview, par la combinaison “déprimante” des conflits actuels, comme celui
du Moyen-Orient, et l’état (déplorable et inquiétant) de l’environnement, qui,
affirme-t-il, exige une attention mondiale et soutenue - “sinon, vous savez...
c’est : adieu !”
Un ministre important du cabinet de M. Arafat a déclaré au
Guardian qu’il avait été très satisfait des propos tenus par M. Turner. Nombreux
sont les Palestiniens à se plaindre amèrement, à l’inverse, d’un parti-pris
pro-israélien dans la couverture par CNN des événements. Ils appellent la chaîne
américaine, par dérision “Zionist News Network” (“ZNN” et non CNN). Israël, en
revanche, voit en CNN une chaîne pro-palestinienne !
“Je pense que ces propos
reflètent une approche plus sérieuse du problème”, a déclaré M. Ghassan Khatib,
ministre du travail récemment pressenti par M. Arafat, et qui était jusqu’à
récemment directeur du Jérusalem Media and Communication Center, une institution
palestinienne d’évaluation de l’audiovisuel.
“Un des problèmes rencontrés
lorsqu’on s’efforce de réduire les violences, est le fait que l’attention
internationale se focalise beaucoup plus sur les victimes israéliennes que
palestiniennes, en dépit du fait que quatre fois plus de Palestiniens ont été
tués.”
CNN sert depuis toujours de “punching ball” aux deux camps. Le
sentiment que cette chaîne est de parti-pris, très répandu parmi certains
partisans d’Israël aux Etats-Unis et en Israël même avait abouti à plusieurs
campagnes de boycott, à l’initiative de groupes de pression, qui incitaient les
téléspectateurs à “zapper” et à regarder plutôt la chaîne Fox News de Rupert
Murdoch. Mais, il y a trois mois de cela, au cours d’une interview avec la
journaliste-vedette de CNN, Christiane Amanpour, M. Arafat avait raccroché
violemment le téléphone après avoir accusé la journaliste de parti-pris
pro-israélien. “Avec ce genre de questions, vous couvrez les activités
terroristes de l’occupation israélienne et les crimes israéliens”, avait dit
Arafat, hors de lui. “On se calme... Soyez fair-play ... Bye-bye” (avait
répliqué la fière Christiane).
10. Starbucks, de plus en plus dans la ligne de mire
du boycott arabe, en raison de ses liens croissants avec Israël par
Robert Fisk
in The Independent (quotidien britannique) du vendredi 14 juin
2002
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Une nouvelle campagne de boycott de produits américains, très bien
coordonnée, est en train d’être lancée à travers cinq pays arabes. La première
cible de cette campagne, ce sont les cafés [il s’agit des locaux, des
“estaminets”, ndt] “Starbucks”. Mais Nestlé, Coca-Cola, Johnson & Johnson et
Burger King, entre autres, sont aussi sur la liste noire. Aujourd’hui, devant
les cinq cafés Starbuck de Beyrouth, des militants distribuaient des tracts
exposant dans le détail les sentiments pro-israéliens du PDG de ce trust, Howard
Schultz. Ces tracts le présentent, sans ambages, comme un “activiste
sioniste”.
En 1998, Mr Schultz fut le lauréat du “Prix de la Gratitude pour
le Jubilé d’Israël”, décerné par le Fond Yérosolomitain de Aish Ha-Torah,
association violemment hostile à Yasser Arafat, et qui ne rate pas une occasion
de marteler que les territoires palestiniens “ne sont en aucun cas “occupés” et
doivent être qualifiés de “disputés”. Dans un discours devant l’association des
Juifs américains à Seattle, il y a quelques semaines - au plus fort de la
réoccupation des villes de Cisjordanie par Ariel Sharon - le boss de Starbuck
condamnait l’”inaction” de l’Autorité palestinienne et faisait tomber sa
sentence : “les Palestiniens ne font pas leur boulot : ils ne mettent pas un
terme au terrorisme !” Gideon Meir, un porte-parole du ministère israélien des
Affaires étrangères, félicita M. Shultz de donner ainsi l’occasion aux étudiants
américains d’entendre “la version israélienne de la crise au Moyen-Orient”.
A
part le Liban, Starbucks est actif dans six autres pays arabes - Arabie
saoudite, Koweït, Bahrain, Oman, Qatar et Emirats Arabes Unis - mais les
militants du boycott, parmi lesquels des groupes tant palestiniens qu’islamistes
à l’université Ein Shams et à l’Université américaine du Caire, disposent d’une
liste beaucoup plus longue d’entreprises qu’ils entendent sanctionner en raison
de leur soutien (supposé) à Israël, non seulement au Moyen-Orient, mais aux
Etats-Unis mêmes.
Au nombre de ces firmes figurent AOL Time Warner, Disney,
Estée Lauder, Nokia, Revlon, Marks & Spencer, Selfridges et IBM. Les
étudiants des universités de Dubaï et de Damas se préparent à entrer dans la
ronde.
“Au début, faire en sorte que les quatre groupes de boycottage actifs
au Liban travaillent ensemble, c’était un véritable casse-tête”, raconte Amira
Solh, militante libanaise. “Nous avions de la difficulté à décider si nous
allions cibler des biens américains ou les entreprises qui ont des liens directs
avec Israël. Nous n’avons commencé à travailler effectivement qu’avec le premier
siège imposé par l’armée israélienne au QG d’Arafat à Ramallah. Le Liban
boycotte officiellement toutes les marchandises israéliennes. Alors, nous nous
sommes posé la question de toutes ces entreprises qui traitent avec Israël et
l’aident directement ?”
“La plupart des pays arabes sont tombés aux mains
d’un monde capitaliste et ils ferment les yeux sur les entreprises qui ont des
liens étroits avec Israël. Nous entrons désormais dans une véritable guerre
économique.”
Burger King suscite l’ire des Arabes, beaucoup plus encore que
lorsqu’il avait ouvert un fast-food dans une colonie israélienne illégale de
Cisjordanie, voici deux ans. La compagnie avait décidé, dans un premier temps,
de fermer son établissement. Mais - après les pressions du lobby pro-israélien
aux Etats-Unis - elle en avait apparemment autorisé la réouverture, sous une
enseigne différente toutefois.
Nestlé a acquis une participation majoritaire
de contrôle dans la firme israélienne Osem, ce qui lui permet d’écouler ses
productions en Israël, parmi lesquelles Nescafé, Perrier, Carnation, Smarties et
KitKat. Il s’agit d’un marché qui confère à la firme, selon les termes d’un
journaliste israélien, “un réseau de distribution et une infrastructure
publicitaire à l’échelle mondiale”. Dans un rapport d’activité récent, destiné
aux investisseurs, Osem-Nestlé a annoncé un profit trimestriel de 5,7 millions
de dollars.
Au Liban, Coca-Cola - qui dispose d’une usine dans le pays - a
essayé de détourner les critiques arabes en faisant savoir qu’il ne fabrique pas
de Coca-Cola en Israël et qu’il ne vend dans l’Etat hébreu que des bouteilles
importées de ses produits, à savoir : Coca, Fanta et Sprite. Procédant à ce qui
a été très largement perçu comme une tentative d’adoucir la vindicte des
protestataires, la compagnie Coca-Cola-Liban a décidé, comme par enchantement,
de sponsoriser un programme de plantation de cèdres du Liban (l’emblème
national), dans les environs de la ville de Jezzine, au sud de
Beyrouth...
Starbucks, qui possède 4 709 détaillants dans le monde entier,
s’est efforcé de se débarrasser de l’image pro-israélienne qui lui colle à la
peau, en répondant aux protestataires qui ont écrit au siège social de la
compagnie que son PDG, Howard Shultz, qui est juif (et ne le cache pas), “ne
pense pas que le terrorisme (sic) soit représentatif du peuple
palestinien”.
En prenant la parole récemment dans sa synagogue de quartier,
rapporte la société Starbucks, “Howard s’exprimait en tant que personne privée
et il ne donnait en aucun cas une interview aux médias sur ce sujet” [le
Moyen-Orient, ndt]. Une autre réponse de Starbucks fut que la compagnie “est
profondément peinée par les événements (sic) actuels au Moyen-Orient”, après
quoi elle citait une déclaration de M. Shultz : “Je regrette profondément que
mon discours de Seattle ait été interprété comme anti-palestinien. Il y a eu un
malentendu. Ma position a toujours été en faveur de la paix et pour que les deux
nations (sic) coexistent pacifiquement.”
Les étudiants arabes sont d’avis que
les craintes réelles des dirigeants américains ne concernent pas des pertes
économiques dans le monde arabe, mais bien le danger que le boycottage militant
arabe ne soit repris par des sympathisants de la cause palestinienne en Europe,
voire même en Amérique.
M. Shultz, qui, jusqu’à plus ample informé, ne
semble pas avoir jamais condamné la construction de colonies israéliennes
illégales dans les territoires occupés, a été à la pointe de l’entrée de
Starbucks sur le marché israélien, l’année dernière, avec l’ouverture de ses
deux premiers cafés - construits par une joint-venture dénommée Shalom Coffee
Ltd - à Tel-Aviv. Starbucks projette d’avoir un total de vingt cafés répartis
dans l’ensemble d’Israël à la fin de cette année.
M. Shultz se rend
régulièrement en Israël. Il est l’une des nombreuses personnalités qui ont été
accueillies à Jérusalem en qualité d’invités de la mission Theodor Herzl,
laquelle décerne au cours d’un dîner de gala annuel un “prix des Amis de Sion”
honorant “ceux qui ont joué un rôle éminent en faisant la promotion de liens
étroits entre les Etats-Unis et Israël”.
Parmi les autre personnalités
invitées par cette mission Theodor Herzl, mentionnons la Baroness Thatcher, Newt
Gingrich, porte-parole du Sénat américain et l’ancien gouverneur américain Tom
Ridge, qui dirige actuellement la firme “Homeland Security”.
11. Des élections en Palestine, tout de
suite par Edward Saïd
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du
jeudi 13 juin 2002
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Six appels distincts à des réformes et à la tenue
d’élections en Palestine se font entendre actuellement : cinq sur les six sont,
pour les problèmes qui préoccupent les Palestiniens, sans objets et hors-sujet.
Sharon veut des réformes qui soient pour lui un moyen supplémentaire
d’obérer la vie nationale palestinienne - si cela est possible -, c’est-à-dire
des réformes qui constituent une sorte de prolongation de sa politique inepte
d’interventions et de destructions perpétuelles. Sharon veut se débarrasser
d’Arafat, saucissonner la Cisjordanie en cantons isolés et hermétiques,
réinstaller une autorité d’occupation - de préférence avec quelques supplétifs
palestiniens - poursuivre l’activité de colonisation et “assurer” la sécurité
d’Israël avec la manière très particulière qui est la sienne en la matière. Il
est trop aveuglé par ses propres hallucinations et obsessions idéologiques pour
se rendre compte que cela n’apportera jamais ni la paix ni la sécurité, et ne
ramènera certainement pas le “calme” dont il ne cesse de nous rebattre les
oreilles. Dans la vision sharonienne des choses, des élections en Palestine ne
sont qu’un détail dépourvu de la moindre importance.
En second lieu, les
Etats-Unis veulent des réformes qui soient essentiellement un moyen de lutter
contre le “terrorisme”. Ah, le terrorisme, ce mot-panacée qui ne tient
aucunement compte de l’histoire, du contexte, de la société ou de quoi que ce
soit, en réalité. George Bush nourrit une détestation viscérale pour Arafat, et
ne comprend décidément rien à l’ensemble de la situation en Palestine. Dire que
lui-même et son administration faite de bric et de broc “veulent” quoi que ce
soit reviendrait à décerner une dignité par trop indue à des éructations, des
accès, des crises, des rétractations, des dénonciations, des déclarations
totalement contradictoires, des missions stériles et des volte-faces de
différents officiels, en y voyant un désir global de bien faire qui, à
l’évidence, n’existe pas. Incohérente, sauf bien sûr lorsqu’il s’agit de
pressions et de programmes d’action du lobby sioniste et de la droite chrétienne
dont il est considéré à juste titre aujourd’hui comme la tête pensante, la
politique de Bush consiste, en réalité, en injonctions adressées à Arafat de
mettre un terme au terrorisme, et (lorsqu’il veut apaiser les Arabes) à
quelqu’un, quelque part, de quelque façon, de produire un Etat palestinien et
une conférence géante et, enfin, à Israël de continuer à recevoir un soutien
total et inconditionnel, y compris, au cas - très probable - où Israël
envisagerait de mettre un terme à la carrière d’Arafat. Au-delà de tout ça, la
politique américaine doit encore être formulée par quelqu’un, d’une façon ou
d’une autre, quelque part. Il faut toujours garder à l’esprit toutefois que le
Moyen-Orient est une question de politique intérieure, aux Etats-Unis, et non
pas de politique étrangère, et que cette question fait l’objet de dynamiques
difficilement prévisibles, à l’intérieur de la société (américaine). Tout cela
convient parfaitement à Israël, qui ne désire rien tant que de rendre la vie
collective des Palestiniens encore plus misérable et encore moins vivable, que
ce soit au moyen des incursions militaires ou en imposant des conditions
politiques impossibles qui satisfassent à l’obsession frénétique de Sharon
d’écraser les Palestiniens définitivement. Bien entendu, il y a aussi des
Israéliens, de même que des Juifs américains, qui veulent coexister avec un Etat
palestinien, mais ni les uns ni les autres n’ont aujourd’hui un quelconque
pouvoir. Sharon et l’administration Bush, seuls, mènent le jeu.
En troisième
lieu, il y a la demande des dirigeants arabes, laquelle, à ce que j’en
distingue, est une sorte de combinatoire entre différents éléments, dont aucun
n’est susceptible d’aider directement les Palestiniens eux-mêmes. Le premier de
ces éléments, c’est la peur que leur inspirent leurs propres peuples, lesquels
ont assisté aux destructions massives et n’ayant rencontré pratiquement aucune
résistance perpétrées par Israël dans les territoires palestiniens, sans aucune
intervention sérieuse des Arabes, ni aucune tentative de dissuasion de leur
part. Le plan de paix (saoudien) proposé au sommet de Beyrouth offre à Israël
précisément ce que Sharon a rejeté, c’est-à-dire l’échange des territoires
contre la paix. Et encore s’agit-là d’une proposition totalement inerme et
dépourvue de tout calendrier. Bien qu’il puisse s’agir d’une bonne chose à
conserver dans nos archives de façon à contrebalancer le bellicisme effronté
d’Israël, nous ne devons entretenir aucune illusion sur les intentions réelles
d’Israël, lesquelles, à l’instar de l’appel à des réformes en Palestine, sont en
réalité des garanties données afin d’apaiser des peuples arabes rendus
absolument malades par l’inaction médiocre de leurs dirigeants. Ensuite, bien
entendu, il y a l’exaspération ressentie par la plupart des régimes arabes
vis-à-vis de l’ensemble du problème palestinien. Ils ne semblent pas avoir le
moindre problème moral avec Israël, bien qu’il s’agisse d’un Etat juif sans
frontières déclarées, qui occupe illégalement Jérusalem, Gaza et la Cisjordanie
depuis trente-cinq ans, ni même devant la dépossession du peuple palestinien par
Israël.
Ils seraient prêts à pallier gentiment à ces terribles injustices si
seulement Arafat et son peuple voulaient bien se comporter calmement, ou s’en
aller sans bruit. Enfin, il y a un désir qui travaille de vieille date les
dirigeants arabes : celui d’entrer dans les bonnes grâces des Etats-Unis et de
rivaliser entre eux afin de revendiquer le titre de principal allié de
l’Amérique. Sans doute n’ont-ils tout simplement pas conscience du degré de la
haine que la plupart des Américains nourrissent à leur égard et ne savent-ils
pas combien statut politique et économique aux Etats-Unis est peu pris en
considération, ou très mal évalué.
En quatrième position, dans le choeur des
chantres de la réforme, on trouve les Européens. Mais ceux-ci se contentent de
gesticuler, envoyant des émissaires rencontrer Sharon et Arafat. Ils multiplient
les déclarations fracassantes à Bruxelles, financent quelques projets et se
contentent, grosso modo, de cela, tellement l’ombre des Etats-Unis, au-dessus de
leur tête, leur en impose.
Cinquième protagoniste, Arafat et son cercle
d’associés qui ont soudain découvert les vertus (théoriques, tout du moins) de
la démocratie et de la réforme. J’ai conscience de m’exprimer en étant très loin
du champ de bataille et je connais, par ailleurs, les multiples arguments autour
d’un Arafat assiégé -puissant symbole de la résistance palestinienne à
l’agression israélienne.. Mais j’en suis arrivé au point où je pense que rien,
dans tout ce pathos, n’a plus aucune signification. Arafat n’est intéressé qu’à
une seule chose : sauver sa peau. Il a eu presque dix années de liberté pour
gérer son petit royaume riquiqui et la seule chose qu’il ait réussi à faire
c’est de s’attirer l’opprobre et la vindicte, sur lui-même et sur la plus grande
partie de son équipe ; l’Autorité est devenue le synonyme de la brutalité, de
l’autocratie et d’une corruption inimaginable. Pourquoi irait-on s’imaginer un
seul instant qu’Arafat est capable, à ce stade, de quoi que ce soit de
différent, et que son nouveau cabinet restreint (dominé par les mêmes vieilles
personnifications de la défaite et de l’incompétence) va mettre en oeuvre une
vraie réforme : cela défie la raison. Arafat est le chef d’un peuple éprouvé
depuis trop longtemps, qu’il a exposé, l’an dernier, à une souffrance et des
difficultés inacceptables, basées, toutes, sans exception, sur une mixture
composée d’une absence de stratégie et de sa confiance impardonnable en la
mansuétude d’Israël et des Etats-Unis, acquise selon lui via Oslo. Les
dirigeants de mouvements de libération nationale ne s’avisent généralement pas
d’exposer leur peuple sans défense à la sauvagerie de criminels de guerre de
l’acabit d’un Sharon, contre lequel n’existaient ni défense réelle ni une
quelconque forme de préparation. Pourquoi, dans ces conditions, provoquer une
guerre dont les victimes seront pour la plupart des gens innocents, alors que
vous n’avez ni la capacité militaire de faire la guerre, ni la capacité
diplomatique d’y mettre fin ? Ayant répété cette bévue désormais à trois
reprises (Jordanie, Liban, Cisjordanie), Arafat ne devrait pas se voir confier
une quelconque chance de provoquer un quatrième désastre.
Il a annoncé que
des élections seraient organisées en 2003, mais son premier souci est de
redéployer les services de sécurité. J’ai indiqué à maintes reprises dans ces
colonnes que l’appareil sécuritaire d’Arafat a de tout temps été taillé sur
mesure de manière à servir ses objectifs personnels et ceux d’Israël, les
accords d’Oslo étant basés sur un marché passé avec l’occupation militaire
israélienne. Israël ne se préoccupait que de sa propre sécurité, dont il tenait
Arafat responsable (proposition qu’il avait accepté, signalons-le au passage,
dès 1992). Pendant ce temps, Arafat utilisait les quinze ou dix-neuf (peu
importe le nombre exact) de services de sécurité, jouant l’un contre les autres,
tactique qu’il avait perfectionnée à Fakhani, et qui est d’une stupidité patente
si on l’examine du point de vue du bien général. Il n’a jamais réellement
contenu ni le Hamas ni le Djihad islamique, ce qui a toujours convenu
parfaitement à Israël : pour ce dernier, les attentats-suicides (parfaitement
idiots) commis par les soi-disant martyrs peuvent toujours servir d’excuse toute
faite, en cas de besoin, pour diminuer et punir encore un peu plus un peuple
entier. Si une chose a causé un tort énorme à notre cause, en plus du régime
désastreux d’Arafat, c’est bien cette politique calamiteuse consistant à
assassiner des civils israéliens, comme pour prouver encore un peu plus au monde
entier que nous sommes bien en réalité les terroristes d’un mouvement dévoyé.
Pour quel gain ? Personne n’a jamais été capable, et pour cause, de le
dire.
Ayant, comme nous l’avons vu, passé un véritable marché avec l’occupant
en signant les accords d’Oslo, Arafat ne s’est jamais réellement trouvé en
position de diriger un mouvement et de le conduire à bonne fin. Ironiquement, il
est en train actuellement de tenter un nouveau marché, tant pour se sauver
lui-même que pour prouver aux Américains, à Israël et aux autres Arabes qu’il
mérite qu’on lui laisse une nouvelle chance. Personnellement, je ne me soucie
pas le moins du monde de ce que Bush, les dirigeants arabes ou Sharon, pensent :
ce qui m’intéresse, c’est ce que nous - en tant que peuple (palestinien) -
pensons de notre dirigeant, et à ce sujet je crois que nous devons être
absolument clairs, en rejetant totalement son plan de réforme, d’élections, de
réorganisation du gouvernement et des services de sécurité. Ses états de service
sont trop pitoyables, ses capacités de dirigeant trop faibles et son
incompétence trop avérée pour qu’il puisse décemment se voir accorder à nouveau
la possibilité de renouveler la tentative.
En sixième place, enfin, vient le
peuple palestinien, qui réclame actuellement à cor et à cri, à juste titre, des
réformes et des élections. Des six que j’ai passées en revue dans cet article,
c’est la seule revendication légitime, à mes yeux. Il convient d’insister sur le
fait que l’administration actuelle d’Arafat, ainsi que le Conseil législatif,
ont dépassé leur terme initialement fixé, qui aurait dû intervenir en 1999 et se
traduire par de nouvelles élections. De plus, les élections de 1996 avaient été
basées sur les seuls accords d’Oslo, lesquels donnaient à Arafat et à son peuple
la simple autorisation de gérer des parties de la Cisjordanie et de la bande de
Gaza en lieu et place des Israéliens, sans souveraineté ni sécurité réelles,
puisqu’aussi bien Israël conservait le contrôle des frontières, de la sécurité,
du territoire (sur lequel il a doublé, que dis-je, triplé, les colonies), l’eau
et l’air. En d’autres termes, la base (désormais dépassée) qu’Oslo avait pu
représenter pour des élections et des réformes, est aujourd’hui nulle et non
advenue. Toute tentative de poursuivre sur la base de ce type de plate-forme
n’est que perte de temps et ne saurait aboutir ni à des réformes ni à des
élections régulières. En découle la confusion actuelle, qui cause à tout
Palestinien, où qu’il se trouve, chagrin et frustration.
Que faire, donc, si
l’ancienne base d’une légitimité palestinienne n’existe plus dans la réalité ?
Il ne saurait y avoir, en aucun cas, de retour à Oslo, pas plus qu’il ne saurait
y avoir de retour à l’administration jordanienne ou israélienne. En tant
qu’historien spécialiste de périodes ayant connu des bouleversements importants,
j’aimerais faire observer que lorsqu’ une rupture majeure avec le passé se
produit (comme, par exemple, durant la période postérieure à la chute de la
monarchie, renversée par la Révolution française, ou durant la période où
l’apartheid a été démantelé, en préparation des élections de 1994, en Afrique du
Sud), une nouvelle base de légitimité doit être créée par l’unique et ultime
source de l’autorité, c’est-à-dire, par le peuple lui-même. Les intérêts majeurs
dans la société palestinienne, ceux qui ont permis que la vie continuât, que ce
soient les syndicats, les travailleurs de la santé, les enseignants, les
agriculteurs, les avocats, les médecins, sans oublier les nombreuses ONG,
doivent constituer aujourd’hui la base sur laquelle la réforme palestinienne -
en dépit des incursions armées et de l’occupation israéliennes - puisse
s’appuyer. Il me semble parfaitement inutile d’attendre qu’Arafat, l’Europe, les
Etats-Unis ou les Arabes le fassent : cela doit être fait absolument par les
Palestiniens eux-mêmes au moyen d’une Assemblée constituante qui réunisse toutes
les composantes de la société palestinienne. Seul un regroupement de cette
nature, constitué par le peuple lui-même et non pas par les vétérans d’Oslo, et
certainement pas par les débris de l’Autorité d’Arafat, complètement
discrédités, a quelque espoir de succès dans la réorganisation de la société
afin de la tirer des conditions ruineuses, et pour tout dire catastrophiques,
dans lesquelles elle se trouve placée actuellement. La tâche fondamentale de
cette Assemblée sera de mettre sur pied, en urgence, un état de salut public qui
ait deux objectifs. Le premier, assurer la continuation de la vie de la société
palestinienne, dans l’ordre, avec la participation de tous les partenaires
concernés. Le deuxième, élire un comité exécutif d’urgence dont le mandat sera
de mettre un terme à l’occupation, et non de négocier avec elle. Il est évident
que nous ne sommes pas de taille à nous affronter à Israël, militairement : les
Kalashnikoffs ne sont d’aucune utilité, avec un déséquilibre des forces aussi
énorme. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une stratégie de lutte imaginative,
qui permette de mobiliser toutes les ressources humaines dont nous disposons
afin de repérer, isoler et rendre progressivement impraticables les principales
manifestations du phénomène de la colonisation, à savoir : les colonies, les
routes de contournement, les barrages routiers, les démolitions de maisons. Le
groupe qui entoure actuellement Arafat est désespérément incapable d’imaginer,
et a fortiori de mettre en oeuvre, une stratégie de cette nature : il est trop
en faillite, trop impliqué dans des pratiques de corruption égoïste, trop
encombré par les échecs du passé.
Pour qu’une stratégie palestinienne de ce
type fonctionne, il faut aussi une composante israélienne, constituée
d’individus et de groupes dont la base commune de lutte contre l’occupation peut
et doit, même, être établie. C’est la grande leçon de la lutte menée contre
l’apartheid en Afrique du Sud : cette lutte a précédé la vision d’une société
multiraciale de laquelle ni aucun dirigeant ni aucun mouvement ne se sont jamais
détournés. La seule vision provenant d’Israël, aujourd’hui, est faite de
violence, de séparation forcée et de la continuation de la subordination des
Palestiniens à l’idéologie d’on ne sait quelle suprématie juive. Bien entendu,
ce ne sont pas tous les Israéliens qui sont sur ces positions mais il nous
revient de promouvoir l’idée de la coexistence entre deux Etats qui aient des
relations naturelles entre eux, sur la base de la souveraineté et de l’égalité.
Le sionisme classique n’a pas été capable, jusqu’à nos jours, d’engendrer une
vision de ce type : elle doit donc émaner du peuple palestinien lui-même et de
ses nouveaux dirigeants, dont la nouvelle légitimité doit être édifiée
maintenant, à un moment où tout s’écroule et où tout le monde est enclin à
re-former la Palestine à sa propre image et en fonction de ses propres
conceptions.
Nous n’avons jamais eu à faire face à période pire - et en même
temps, plus féconde. L’ordre arabe est dans une confusion totale,
l’administration américaine est contrôlée en réalité par la droite chrétienne et
le lobby israélien (vingt-quatre heures auront suffi à Sharon, au cours de sa
dernière visite à Washington, pour mettre à terre tout ce à quoi Bush semblait
avoir consenti avec le président égyptien Hosni Moubarak). Notre société vient
d’être presque totalement ruinée par une direction désastreuse et l’insanité de
la bévue qui voudrait que le recours aux attentats-suicides mène directement à
un Etat palestinien islamique. Il y a toujours place pour l’espoir en un futur
meilleur, mais il faut être capable de le chercher, de le discerner et de le
trouver là où il réside effectivement. Il est tout-à-fait clair qu’en l’absence
de toute politique conséquente, palestinienne ou arabe, de l’information, aux
Etats-Unis (tout particulièrement en direction du Congrès), nous ne pourrons
nous bercer un seul instant de l’illusion que Powell et Bush sont réellement
occupés à fixer un calendrier pour la réhabilitation des Palestiniens. C’est
pourquoi je persiste à dire que l’effort doit venir de nous, il doit être fait
par nous, et pour nous. Je n’essaie pas le moins du monde de suggérer une
approche différente. En dehors du peuple palestinien, qui pourrait bâtir la
légitimité dont il a besoin afin de se gouverner lui-même et combattre
l’occupation au moyen d’armes qui ne tuent pas d’innocents et ne nous fassent
pas perdre encore plus de soutien à notre cause que nous n’en avons jamais perdu
auparavant ? Une cause juste peut très facilement être subvertie par des
méthodes inadéquates, corrompues, voire néfastes. Le plus tôt nous en aurons
conscience, plus grande sera notre chance de nous sortir, par nous mêmes, de
l’impasse où nous nous trouvons.
12. Vingt ans après la guerre du Liban : nous
l’avons menée pour en chasser Arafat, mais nous n’avons fait que l’amener en
Eretz Israël, lui et toute son armada par Ze’ev Shif
paru dans
Ha'Aretz (quotidien israélien) du 7 juin 2002 et repris in Al-Quds Al-Arabi
(quotidien arabe publié à Londres) du samedi 8 juin2002
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Hier, c’était le vingtième anniversaire du
déclenchement de la guerre du Liban. Il est satisfaisant de constater, à cette
occasion, qu’un certain nombre de généraux et d’hommes politiques (israéliens)
qui avaient à l’époque soutenu cette guerre avec enthousiasme ont fini par
adopter, aujourd’hui, une position différente.
Mais ce qui doit retenir notre
attention, actuellement, ce ne sont pas les ruses et tactiques qui avaient
abouti à la guerre et à son extension, mais bien les leçons stratégiques qui
émanent de tout un enchaînement d’échecs qui avait conduit à cette guerre et à
ses (déplorables) conséquences.
Le premier échec découlait de ses objectifs
politiques, exagérément ambitieux, et notamment celui de consacrer (“couronner”)
un président de la République libanaise. Ces buts et ces objectifs (hors
d’atteinte) avaient créé une cassure profonde à l’intérieur même d’Israël. Les
guerres ne bénéficiant pas du consensus national sont vouées à l’échec, nous
ferions bien de nous en souvenir. Israël avait obtenu de Washington le “feu
vert” pour des opérations limitées. Mais l’engrenage militaire avait fini par
aboutir avec un contentieux avec Washington. Ainsi, nous avons été confrontés à
une guerre d’offensive, sans appui, sans soutien de La Grande Puissance. Ajoutez
à cela que la gageure d’imposer la paix par la force à notre grande voisine du
nord (la Syrie, ndt) était vouée par avance à l’échec.
Le deuxième flop, plus
dommageable que le premier à bien des égards, fut la décision de rester au Liban
sans fixer de terme à cette présence militaire. Trois longues années se sont
ainsi écoulées avant que soit prise la décision (à la majorité (Likoud+parti
travailliste)) de se retirer mais de rester dans une zone-tampon gardée par des
milices libanaises (ALS - armée du Liban Sud), soutenues par Israël. Durant les
années de notre présence au Liban, nous avons encaissé les plus grandes pertes
jamais enregistrées (par “Tsahal”, ndt), notamment, du fait des
opérations-suicides. La liste des arguments pour le maintien au Liban était
impressionnante. Nous étions convaincus, par exemple, que le fait de garder le
contrôle de Saïda assurerait la paix et la sécurité à la Galilée (!). Nous avons
refusé d’appliquer la résolution 425 du Conseil de sécurité, laquelle confiait
la sécurité, au Sud Liban, à l’armée libanaise. Chose que nous n’exigeons même
plus aujourd’hui...
Avec le temps, nous avons fait des Shiites du Sud-Liban
nos ennemis. Le Hizbullah, à la création duquel nous avons indirectement
participé, a pris la place de l’organisation shiite Amal, en devenant une des
principales milices armées au Liban. Ceci a ouvert la porte à une intervention
iranienne massive dans ce pays. Une situation très complexe s’est instaurée,
dans laquelle une organisation de commandos, telle le Hizbullah, a fini par
tenir à sa merci des colonies situées au nord d’Israël. Mais le problème ne se
limite pas là : en effet, l’Iran a réussi à installer au Sud-Liban une base
avancée de missiles. Pendant toutes ces années, aucune personnalité centrale,
capable de persuader le système (administrativo-militaire) de la nécessité de
reconsidérer sa vision et le modèle stratégique en vigueur, n’est apparue en
Israël.
Le troisième échec est relatif à nos amis - “amis” entre guillemets
et amis sans guillemets - au Liban. Les premiers (les “amis”), ce sont les
membres des Kataïb (milices chrétiennes-extrême droite, ndt), nos alliés dans la
guerre de 1982. Ceux-là avaient en vue l’objectif de nous pousser à faire la
guerre jusqu’à ce que nous finissions par chasser les Syriens du Liban, à leur
place. Les Kataïb nous ont impliqués dans un massacre commis par leurs soins
contre les Palestiniens, à Sabra et Chatila. Bien que les stratèges des Kataïb
aient administré la preuve qu’ils étaient plus sages que toutes nos têtes d’oeuf
du Mossad et du gouvernement, le résultat final fut que cette guerre aboutit en
réalité à leur quasi-disparition.
Le Liban est contrée traîtresse. Au moment
où il propose de créer un front anti-terroriste, épaule contre épaule avec
l’Occident, les débris d’Al-Qa’ida continuent à s’y réfugier, venant
d’Afghanistan. L’assassin d’un président libanais est sorti de prison. Ceux qui
ont commis les massacres de Palestiniens se baladent, en toute liberté. La façon
dont (les officiels libanais) traitent les Palestiniens est très dure, on
pourrait dire ‘sauvage’. Ils veulent, encore aujourd’hui, se débarrasser des
réfugiés ‘installés’ chez eux et les envoyer chez nous. De son côté, Israël a
fait la démonstration de son ingratitude et de son absence totale de pudeur et
de honte, vis-à-vis de ses anciens alliés fidèles, (les supplétifs) de l’Armée
du Liban Sud, dont des centaines ont été tués dans le no-man’s land frontalier
afin de défendre, en réalité, nos propres frontières septentrionales.
Durant
la guerre du Liban, et après, le ministre de l’Histoire s’est bien fendu la
pêche, il a bien ri aux dépens d’Israël. Nous avons chassé Arafat et son armée
de là-bas, afin d’infliger aussi, indirectement, un grand coup aux Palestiniens
des territoires (occupés). Lorsqu’Arafat a voulu retourner au Liban, ce sont les
Syriens qui l’ont mis dehors. Et finalement, à cause d’une stratégie bricolée à
la va-vite, incarnée par Oslo, nous avons amené Arafat et toute sa clique en
Eretz-Israël. Voilà pourquoi votre fille est muette. Voilà pourquoi, en réalité,
ce que nous sommes en train de vivre n’est autre chose qu’une nouvelle phase de
la guerre d’”Indépendance” (indépendance... pour Israël, ndt) de
1948...
13. Pas de baguette magique : des élections sont
la clé de toute réforme palestinienne. Mais un parti réformiste au programme
viable et fédérateur est indispensable par Islah Jad
in Al-Ahram
Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 6 juin 2002
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
(Islah Jad est une universitaire
égyptienne, enseignante à l'Université de Birzeit et vivant à
Ramallah.)
Les élections semblent représenter la formule
magique pour tous ceux, dans l’Autorité palestinienne et en dehors d’elle, qui
aspirent à la réforme politique. Mais des élections (municipales, législatives
ou présidentielles) seront-elles à même d’infuser un sang neuf au système
politique palestinien et de corriger les défauts manifestes de son processus de
prise de décision ? Afin d’apporter des réponses à cette interrogation, nous
devons tout d’abord nous pencher sur la carte politique palestinienne actuelle
et essayer de distinguer les changements que des élections pourraient
éventuellement y apporter.
Parmi les formations palestiniennes actives
politiquement, deux sont très bien organisées : le Fatah et le Hamas. Elles
tirent toutes deux leur popularité dans l’opinion publique palestinienne de deux
sources différentes, bien que toutes deux disposent d’une certaine doctrine en
matière d’action. Leurs programmes sont fondés sur la fin de l’occupation :
toutes deux ont une riche histoire de lutte armée ; toutes deux recourent à la
lutte armée en tant que moyen de conserver le soutien populaire et la légitimité
politique dont elles jouissent ; ni l’une ni l’autre n’est particulièrement
désireuse de recourir à des élections comme moyen de réforme politique.
Le
Fatah connaît actuellement des dissensions internes. D’aucuns, au sein de cette
formation, ont opté pour la continuation de la résistance armée, tandis que
d’autres y sont opposés. Les divisions sont alimentées par plusieurs facteurs,
allant de rivalités personnelles jusqu’à un manque de confiance
inter-générationnel, des divergences doctrinales surgissant comme des
champignons, à chaque pas important à franchir. Les nouvelles générations, d’une
manière générale, critiquent ce qu’elles considèrent comme de la capitulation
larvée, de l’opportunisme et un manque de zèle révolutionnaire qu’elles pensent
déceler chez des leaders plus mûrs. Bien loin d’apaiser les dissensions qui se
font jour à l’intérieur du Fatah, des élections risqueraient fort, au contraire,
de les envenimer.
Jusqu’ici, le Hamas semble n’être intéressé que par des
élections municipales. Ses dirigeants voient d’éventuelles élections
législatives et présidentielles d’un mauvais oeil : il s’agirait là, en
l’occurrence, pour eux, d’élections par trop liées au processus d’Oslo. Hamas
escompte tirer profit des élections municipales pour étendre son aire
d’influence et diffuser son idéologie dans les arrières-cours palestiniennes
grâce à son réseau - fort étendu - de services sociaux.
Mis à part le Fatah
et le Hamas, y a-t-il des forces (politiques) palestiniennes à même de faire
d’une campagne électorale un instrument de réforme ?
Sur la scène politique
palestinienne, les voix discordantes ne manquent pas ; elles sont même légion, y
compris parmi les membres du Conseil législatif palestinien, les militants
actifs dans la société civile, et un ensemble très vivant d’écrivains et
d’intellectuels. Mais la plupart de ces personnes agissent individuellement et
non en tant que membres d’un mouvement cohérent et rassembleur. De plus, rares
sont ceux parmi elles à entretenir un quelconque espoir d’influer sur l’issue
des élections et/ou d’offrir aux électeurs un leadership et/ou un programme
alternatifs.
Prenons l’exemple des élections présidentielles. Il est clair
que les membres actuels du Conseil législatif palestinien ont apporté la
démonstration de leur incapacité à exercer en quoi que ce soit le processus de
décision gouvernemental palestinien. La solution évidente consisterait, par
conséquent, à changer les députés. Mais par qui les remplacer ? Toutes nouvelles
élections (législatives) ne pourraient qu’aboutir à la désignation de députés
élus sur la base des loyautés politiques et claniques existantes, ce qui risque
de diminuer d’autant, chez ces élus, toute inclination réelle au
changement.
Les dernières élections ont porté au Conseil législatif
palestinien plusieurs personnalités qui ont osé défier l’hégémonisme du pouvoir
exécutif. Haydar Abdel-Shafi, Hanan Ashrawi, Abdel-Jawwad Salih, Mu’awiyah
al-Masri, Azmi Al-Shu’aybi, Hassan Khurayshah, Farkhi Turkuman et Rawiyah
Al-Shawwa, pour n’en citer qu’un certain nombre, ont fustigé la corruption
généralisée, la non-inscription dans les réalités de l’état de droit, l’absence
de contrôle financier. Ces personnalités, toutefois, n’ont pas réussi à
constituer un front oppositionnel uni, lequel aurait pu défier le système en
place. Avons-nous une quelconque raison particulière de penser que des élections
(dussent celles-ci être tenues en fonction d’un code électoral modifié)
changeraient en quoi que ce soit cette donne ?
Les élections ne sont pas je
ne sais quelle baguette magique capable de métamorphoser le système politique
palestinien existant. Les élections ne créent en aucun cas les formations
politiques ; bien au contraire, elles ne font que consacrer l’influence des
forces politiques existantes. Le parlement palestinien actuel est dominé par le
Fatah pour la simple raison que le Fatah est une force politique cohérente et
fédératrice. Les personnalités élues en tant que députés indépendants sont
restés isolées. Elles n’ont pas su constituer une force politique organisée et
crédible. L’opposition est restée faible parce qu’elle n’a pas su formuler une
doctrine alternative à même de défier le Fatah et le Hamas, tout au moins en
restant dans le cadre du choix de (la continuation de) la résistance.
Dans
ces conditions, il est bien difficile de considérer que des élections seraient
susceptibles de représenter à elles seules le levier de la (nécessaire) réforme
politique. La réforme continuera à être très peu probable tant que l’opposition
ne se fondra pas en un mouvement rassembleur et crédible, doté d’un programme
clair, ainsi que d’une vision sur la manière d’engager l’ensemble de la nation
dans la lutte pour la libération nationale.
Tant le Fatah que le Hamas tirent
leur légitimité politique de leurs actions de résistance. Pour être crédible,
tout mouvement palestinien authentiquement réformiste devra rassembler
l’ensemble de la nation palestinienne (médias, militants politiques, hommes
d’affaires, bref, la société civile) dans une mobilisation permettant de
résister à l’expansion monstrueuse des colonies (israéliennes), pour ne
mentionner que l’un des nombreux problèmes auxquels le peuple palestinien est
confronté. Le mouvement de réforme, lorsqu’il prendra forme (s’il prend forme un
jour) devrait conduire les Palestiniens à résister - pied à pied - au creusement
de toujours plus de routes réservées aux colonies et aux mises en chantier
incessantes de nouveaux appartements par les colons. Mais, avant toute chose, un
mouvement de cette nature devrait formuler une approche cohérente et
rassembleuse, suscptible de le différencier tant du Fatah que du Hamas. Ce
mouvement devrait, notamment, s’adresser aux opinions publiques israélienne,
arabe et internationale beaucoup plus que ces deux formations ne le font (ce qui
ne devrait pas être difficile, ndt).
Un parti palestinien de la réforme
devrait inclure dans son programme les moyens permettant de défendre les
secteurs défavorisés de la population palestinienne. De plus, il devrait
redéfinir le conflit comme la quête nationale (et absolument pas
confessionnelle) d’un Etat national palestinien. Ce n’est que lorsque le parti
de la réforme aura atteint ce niveau de maturité que des élections pourront être
le vecteur d’un changement, et un objectif rassembleur pour la nation
palestinienne.
14. Des mesures progressives,
en vue de la réforme de l’Autorité Palestinienne par le Dr. Anis
Al-Qasim
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi
29 mai 2002
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
(Le Dr. Anis Al-Qasim
Président de la Commission juridique du Conseil législatif
palestinien.)
Le vingt et-unième siècle commençant verra-t-il
imposer un nouveau mandat international à ce qui reste de la Palestine, afin d’y
protéger les “réalisations” du mandat du siècle précédent ? Celui-ci a rempli
son objectif, hélas : l’instauration de l’Etat d’Israël sur le territoire
palestinien. Ce nouveau mandat viendrait - s’il devait s’instaurer un jour, ce
qu’à Dieu ne plaise - non seulement protéger Israël, mais aussi pérenniser la
situation actuelle, faite d’expansion israélienne à Jérusalem et en Cisjordanie
et d’hégémonie israélienne sur l’existence et le devenir des Palestiniens. Les
indices de cette nouvelle orientation ne manquent pas. Il y a notamment ces
déclarations, récentes, de Roed-Larsen, le représentant de l’ONU en Palestine,
et celles d’Indyk, ancien ambassadeur américain en Israël, dont on connaît le
parti-pris. Il y a aussi cet accord quasi-unanime pour placer une prison
palestinienne sous la surveillance américano-britannique (à Jéricho), exiler des
Palestiniens et considérer la résistance palestinienne comme du terrorisme. Afin
que cette nouvelle catastrophe n’advienne pas, les Palestiniens doivent procéder
à une révision sérieuse de tout ce qui s’est passé depuis l’instauration de
l’Autorité palestinienne, dût cette révision s’avérer douloureuse. Ils doivent
redresser la barre, sur des bases objectives, dans lesquelles les questions de
personnes ne sauraient entrer en aucune manière.
Les exigences de réforme(s)
émanent de plusieurs directions, et ce sont des objectifs contradictoires entre
eux qui sont visés. Le fait que ceux qui parlent à tout bout de champ de
réforme, ces jours-ci, soient le président Bush, Sharon et la presse
israélienne, a de quoi nous mettre la puce à l’oreille. On dirait que ces drôles
de réformateurs-là (!) ont découvert, un beau matin, les problèmes dont souffre
l’Autorité palestinienne, tout en ignorant le rôle éminent qu’ils ont eux-mêmes
joué dans l’apparition de ses failles. La surenchère, entre ces mêmes
“réformateurs”, dans les conseils qu’ils prodiguent - ce qu’il faudrait, que
dis-je, ce qu’il faut absolument réformer - vont jusqu’à l’avis partagé qu’il
faut changer carrément la direction palestinienne, ou, au minimum, la
transformer en une direction d’opérette, symbolique, de représentation ;
d’autres personnes se chargeant des choses sérieuses... La presse israélienne
parle désormais de je ne sais quelles coalitions palestiniennes et de je ne sais
quelles personnalités nommément désignées, qu’elle élit à ces fonctions. Une
partie de ces journaux va même jusqu’à désigner une personne en particulier et
jusqu’à en décliner les prérogatives avec beaucoup de détails... On constate
que, parmi ces “hautes missions”, pas une seule ne sert l’intérêt national
palestinien. Un oubli, peut-être ?
Il est évident que les partenaires
israéliens visent, à travers leurs contacts avec ces frères (palestiniens), dont
tous sont ainsi approchés en raison des postes qu’ils occupent, à leur arracher
des promesses et des engagements, exactement de la même façon qu’ils opèrent
vis-à-vis des candidats à l’élection présidentielle américaine. Ils leur
accordent leur soutien en contre-partie de la mise à exécution de ce à quoi ils
les ont engagés (je serais plus exacte en écrivant : de ce dans quoi ils les ont
compromis...). A défaut, ils s’exposeraient aux plus grandes difficultés, dont
la diffamation et le chantage ne sont pas les moindres. Nous exhortons ces
frères à la plus extrême vigilance, à ne pas se laisser embobiner et séduire par
la perspective d’une nomination et à ne pas se compromettre, comme d’autres
avant eux se sont compromis et comme certains sont en passe actuellement de se
compromettre, en acceptant de jouer des rôles que le peuple palestinien ne
saurait en aucun cas approuver et qui portent atteinte à ses principes
essentiels, ces principes constants qui sont, en réalité, les cibles réellement
visées par tout ce brassage de vent israélien. Le peuple palestinien est
tout-à-fait capable de renverser, tout seul, le dirigeant qui s’aviserait de
violer ces principes. Ni l’hégémonie d’un tel (piètre) dirigeant sur les
services de sécurité ni le soutien qu’Israël et l’Amérique lui apporteraient ne
lui seraient d’un quelconque secours, face à la colère populaire. Nous
n’accusons personne. Nous ne faisons que rappeler les choses essentielles. La
légitimité de l’Autorité ne saurait émaner d’arrangements avec Israël ou
l’Amérique, ni d’un coup d’état militaire qu’ils appuieraient. Elle découle
uniquement, avant toute chose et après toute chose, des institutions
palestiniennes constitutionnelles ad hoc et du peuple palestinien lui-même, en
Palestine et hors de Palestine.
Les objectifs visés par Israël à travers la
“réforme” diffèrent radicalement des buts invoqués par les Palestiniens
eux-mêmes (les premiers intéressés, ndt) depuis fort longtemps. Les
récriminations d’Israël au sujet des services de sécurité palestiniens n’ont
strictement rien à voir avec les plaintes des Palestiniens à leur sujet. Israël
veut des forces de sécurité palestiniennes protégeant la sécurité d’Israël, dans
l’ acception très larges et éminemment élastique de ce concept, quel que fût le
prix à payer pour les droits de l’homme palestinien, alors que le Palestinien
qui réclame la réforme exige, lui, de ces forces de sécurité qu’elles protègent
sa sécurité personnelle, ainsi que celle du pays, qu’elles garantissent ses
droits contre toute agression et qu’elles respectent les mêmes droits tant dans
leur comportement vis-à-vis de lui que dans que dans la position qu’elles
adoptent vis-à-vis d’Israël. Les Palestiniens refusent que ses forces de
sécurité soient des forces de répression, de torture, de corruption et
d’intimidation pour le citoyen, ils n’admettent pas qu’elles soient au-dessus
des lois, qu’elles n’aient aucun compte à rendre, qu’elles jouissent de
l’impunité si d’aventure elles venaient à attenter aux droits du citoyen. Rien
de tout cela ne préoccupe Israël en quoi que ce soit. Les preuves en sont
légion. Il y a donc, on le voit, une différence énorme entre ce que veut le
“réformateur” israélien et ce que veut le citoyen palestinien.
La réforme des
forces de sécurité ne saurait consister à les unifier dans un seul service placé
sous un commandement unique, pas plus qu’à écarter tel ou tel responsable, mais
bien à soumettre ces services et leur(s) responsable(s) à l’état de droit et à
la responsabilité juridique, afin qu’ils ne puissent se comporter que
conformément au droit et dans le cadre des limites que ce droit fixe, notamment
la non-remise en cause des décisions de justice et leur caractère exécutoire. Ce
qu’il faut, donc, c’est soumettre les forces de sécurité, quel que soit le
nombre de leurs différents services et quelles qu’en soient les différentes
prérogatives, au principe de la primauté du droit, partie de l’état de droit. Ce
n’est qu’à partir de là que la situation pourra être normale, c’est-à-dire
légale. Cela implique que soient publiés des décrets fixant l’organisation des
différents services de sécurité, en fixant les prérogatives et les rendant
responsables devant la justice, ainsi que leur ministre de tutelle, des
contraventions qu’ils seraient susceptibles de commettre, ce à quoi s’ajoute la
responsabilité politique de leur tutelle vis-à-vis du pouvoir
législatif.
Mais il ne suffit pas de réformer les services de sécurité,
unique préoccupation obsessionnelle d’Israël, dans sa vision (intéressée) des
affaires (intérieures) palestiniennes. Le besoin de réforme est beaucoup plus
large, beaucoup plus général. C’est ce à quoi les Palestiniens aspirent, ce
qu’ils ne cessent de réclamer depuis fort longtemps. Le point de départ,
incontournable, c’est l’établissement d’un régime de gouvernement cohérent,
fondé sur une loi fondamentale ou une constitution provisoire qui fixe les
principes et définisse les pouvoirs et les prérogatives, ainsi que la nécessité
de rendre des comptes, de vérifier la constitutionnalité des décisions et des
lois. L’Autorité nationale palestinienne a échoué dans cette tâche. Le
relâchement, l’anarchie et la corruption dont nous nous plaignons actuellement
découlent de cet échec. Changer les personnes ne saurait nous dispenser de
prendre ces mesures car les choses resteraient en l’état, sans garde-fous et
sans autorité de référence.
Tout cela n’échappe pas aux Palestiniens. Au
cours de la même séance historique du Conseil national palestinien, en 1988
(soit cinq ans avant Oslo), qui avait vu proclamer l’indépendance de la
Palestine et l’établissement d’un Etat palestinien, j’ai eu l’honneur de
présenter, en ma qualité de Président de la Commission juridique du Conseil, un
projet de résolution confiant à celui-ci la mission de définir la loi
fondamentale d’un gouvernement palestinien. Malgré l’opposition de forces
influentes à cette proposition, le Conseil l’a adoptée à une confortable
majorité. Le but visé, par-delà cette résolution, était d’assurer une base saine
et des fondements constitutionnels solides en prévision du saut qualitatif que
représentait le passage (de l’OLP) de mouvement de libération nationale à un
Etat doté d’un gouvernement, d’une constitution et d’institutions. En effet, la
charte fondamentale de l’OLP ne convenait pas à la phase nouvelle, pas plus que
ne convenait le système constitutionnel en vigueur en Cisjordanie avant
l’acceptation de la “sécession” par la Jordanie (fakk irtibât : “rupture du
cordon ombilical” : c’est plutôt la Jordanie qui a décrété qu’elle se
“désintéressait” des affaires de la Cisjordanie, ndt). Il fallait donc instaurer
un nouveau régime constitutionnel applicable dans tous les territoires soumis à
l’Autorité nationale palestinienne. Et en effet, le projet a été mené à bien.
Des consultations, nombreuses et approfondies, eurent lieu à ce sujet, à grande
échelle, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Palestine. Des amendements lui
ont été apportés sur la base de ces consultations et tous les textes amendés ont
été publiés dans la presse, en Palestine, jusqu’à ce qu’on aboutît à une
quatrième version, qui fut prête à être examinée et adoptée à temps pour les
élections du Conseil législatif et les premières élections présidentielles. En
effet, lorsque le Conseil tint ses premières séances, ses membres avaient à leur
disposition le projet de loi fondamentale, prêt à être débattu par l’assemblée
nouvellement élue. Le Conseil a entamé l’examen du projet dès sa première séance
; c’était la première loi dont il débattait. Malgré des oppositions et des
manoeuvres dilatoires, le Conseil finit, le 2 octobre 1997 par adopter une loi
fondamentale valable pour la période dite “intérimaire”, telle que définie par
les accords d’Oslo. Le Conseil remit ce texte fondamental, soumis au vote et
approuvé, au Président (Arafat) afin qu’il le publiât. Malheureusement, cette
publication n’a jamais eu lieu, et la période intérimaire prévue par les accords
d’Oslo arriva à son terme sans que la loi fondamentale soit publiée et sans, par
conséquent, qu’elle puisse tenir lieu de constitution palestinienne provisoire.
Il en a résulté que la situation est demeurée en l’état, sans les indispensables
garde-fou constitutionnels, dès l’établissement de l’Autorité palestinienne et
jusqu’à ce jour, alors qu’il aurait été possible de bénéficier d’une entrée en
matière parfaitement viable et saine, pour l’Autorité palestinienne, à l’abri de
textes constitutionnels modernes qui avaient fait l’objet des soins méticuleux
de nombreux spécialistes du droit constitutionnel, parmi les plus brillants,
tant à la commission des droits de l’homme dépendant de l’ONU que dans des
milieux diplomatiques et universitaires du monde entier. En vertu des textes que
cette constitution provisoire rassemblait, elle incarnait la pensée
constitutionnelle démocratique parlementaire contemporaine, voire même la
développait en l’anticipant, en reprenant les contenus des grandes chartes
internationales en matière de protection des droits de l’homme, des libertés
fondamentales et de la prévalence de l’état de droit.
La non-publication et
la non mise en vigueur de la loi fondamentale, jusqu’à ce jour, malgré les
pressions insistantes de très nombreux Palestiniens en ce sens, ainsi que les
manoeuvres imaginées pour les détourner, représente une véritable tragédie
historique dont se sont rendus responsables tous les membres (je dis bien :
tous) de l’Autorité palestinienne. En effet, en plus des effets sur le plan
intérieur de l’absence d’une loi fondamentale - et ces effets ont été
dévastateurs - l’opinion publique mondiale, et en particulier les décideurs
étrangers, notamment des pays donateurs, ont commencé à perdre confiance en la
capacité des Palestiniens à se gouverner eux-mêmes, dans le cadre d’un état
démocratique moderne. Nous avons commencé à entendre des expressions de
déception et de déconvenue vis-à-vis du peuple palestinien dans son entièreté.
Les frères (arabes) et les amis (étrangers) n’ont pas pu croire ce qu’ils
voyaient de leurs propre yeux : quoi, les Palestiniens, qui avaient contribué de
la manière qu’on sait à la prospérité de tant de pays arabes, étaient incapables
de mettre sur pied un régime de gouvernement viable chez eux ? Ainsi, près de
dix années se sont écoulées depuis l’instauration de l’Autorité nationale
palestinienne, et les Palestiniens n’ont ni constitution provisoire ni loi
fondamentale de gouvernement : ils sont (mal) “gouvernés” par des décrets
personnels qui parfois visent juste et parfois sont complètement à côté de la
plaque, sans garde-fou, sans contrôle, sans qu’aucun compte ne soit jamais exigé
ni, a fortiori, rendu...
La période intérimaire (prévue par les accords
d’Oslo, ndt) arriva à son terme. On dit alors que la loi fondamentale votée par
le Conseil législatif n’était plus adaptée à la nouvelle phase, et qu’il fallait
arrêter une nouvelle constitution. Dès lors commençait un nouveau drame, qu’il
est inutile d’expliciter en détail. Le secrétaire général de la Ligue des Etats
arabes fut invité par des experts arabes à rédiger cette constitution. Sans
résultat jusqu’à maintenant.
La loi fondamentale votée par le conseil
législatif, encore non publiée jusqu’à ce jour, est susceptible de servir
d’ossature à un régime fondamental viable, dans la période actuelle. Il suffit
de lui apporter de légers amendements qui prennent en considération l’expérience
des dix dernières années et permettent de colmater les fissures qui ont pu se
manifester. Cette (simple) révision d’un projet longuement étudié, lequel a, de
surcroît, franchi les différentes procédures législatives est tâche beaucoup
plus aisée et plus logique, dans les circonstances présentes, que celle qui
consisterait à instituer de nouvelles commissions constitutionnelles qui
devraient se mettre au travail à partir de zéro, comme si les efforts importants
déployés jusqu’ici l’avaient été en vain. On serait même fondé à considérer ce
recommencement comme faisant partie des manoeuvres dilatoires en matière de
redressement de la trajectoire gouvernementale.
Dans certains milieux, en
particulier israéliens, il se dit qu’en cas d’impossibilité de se débarrasser de
la direction actuelle, il faut en faire une direction symbolique chargée de
l’inauguration des chrysanthèmes, et nommer un chef de gouvernement disposant de
toutes les prérogatives effectives. Naturellement, ces mêmes milieux oeuvreront
à faire émerger et à faire réussir le premier ministre de leurs rêves, dût cette
suggestion être retenue. Toute comparaison avec la situation prévalant en Israël
serait abusive. En effet, le président (de la république) israélien est élu par
les membres de la Knesset, et non par le peuple, tandis que le premier ministre
est, lui, élu au suffrage universel. Le président palestinien est élu, quant à
lui, au suffrage universel. Nous ne connaissons pas d’exemple d’un président,
ainsi élu, au suffrage universel, et dont le rôle serait purement symbolique ou
protocolaire. Que l’on songe aux présidents français, égyptien, tunisien,
algérien, même si les modes de désignation populaire varient entre ces
différents cas.
Dans tous les pays dirigés par ces présidents de la
république, il y a un premier ministre doté de prérogatives constitutionnelles
qui n’entrent pas en conflit avec celles du président. Dans la troisième lecture
de la loi fondamentale (palestinienne), nous avions proposé qu’il y ait un
premier ministre choisi sur la base de la question de confiance au parlement.
Ainsi la confiance lui serait retirée (motion de censure) au cas où le parlement
n’avaliserait pas la politique du gouvernement, le président se tenant à l’écart
de cette question et ayant le pouvoir (constitutionnel) de nommer un premier
ministre proposant une politique différente, laquelle serait soumise, à son
tour, naturellement, au vote du parlement. Le choix est à opérer entre un régime
présidentiel et un régime mixte (mi-présidentiel, mi-parlementaire), à la
française, par exemple, lequel a ses avantages et ses inconvénients. Ce choix
reste ouvert. Ce qui est, en revanche, totalement inacceptable, c’est un
président qui serait élu directement par le peuple, au suffrage universel, mais
qui serait néanmoins un président-symbole, privé de tout pouvoir réel.
Nous
voyons donc que l’étape essentielle à franchir sur la voie de la réforme
consiste à décider d’un régime fondamental et à s’y tenir, de la manière que
nous avons mentionnée. D’en décider et qu’il devienne exécutif. Cette opération
ne devrait pas exiger beaucoup de temps, ni beaucoup d’énergie. En effet, la
base existe déjà, en grande partie, dans la loi fondamentale adoptée par le
Conseil législatif, et qui n’a jamais été publiée. De cette manière, beaucoup de
choses seraient remises en place. Par exemple, les controverses inutiles au
sujet du successeur du président en cas de décès ou d’incapacité, n’ayant plus
d’objet, cesseraient. La loi fondamentale, en effet, a veillé a apporter une
solution constitutionnelle, à savoir que le président du Conseil constitutionnel
assume les prérogatives du président jusqu’à la désignation d’un successeur, des
élections présidentielles devant être réalisées sous six mois. Avec ce texte
constitutionnel clair, c’en est fini des rumeurs et des coteries. La
transmission du pouvoir s’effectue pacifiquement, en suivant des procédures
précises. De même, la loi fondamentale fixe les enveloppes ministérielles du
budget, la façon de les calculer et de les imputer sur la base du contrôle
financier des exécutions budgétaires, ce qui met un terme à la période de flou
autour des dépenses publiques et du devenir des aides financières perçues par
l’Autorité nationale (= palestinienne) de nombreuses sources différentes. De la
même manière, cette loi fondamentale a fixé les droits et les libertés
publiques, en affirmant au gouvernement le principe du pluralisme et en énonçant
les modalités de l’évaluation et du contrôle ainsi que des autres questions
concernant le gouvernement, en fournissant un arsenal législatif adapté à
celui-ci. Parmi les nombreuses personnes qui exigent aujourd’hui une
constitution, beaucoup ne semblent pas avoir lu cette loi fondamentale telle que
l’a adoptée le Conseil législatif, ni ses fondements, que nous avons publiés
pourtant dans les journaux palestiniens à l’époque. Ils n’ont aucune idée des
efforts énormes qui ont été déployés à cette fin. Je ne saurais trop les
encourager à s’y intéresser et à en prendre connaissance.
Telle est donc le
premier pas, fondamental, en vue de la réforme. Tout ce qui sort du cadre que
nous avons défini ne peut qu’en découler, c’est-à-dire nécessite un fondement
constitutionnel. En la matière, les manoeuvres ne sont pas de mise. Il ne faut
pas non plus repousser la mise en application à l’après-élections, qu’il
s’agisse des élections présidentielles ou des élections législatives, car cela
signifierait que l’on prolongerait, sans raison, les souffrances découlant de la
situation actuelle, souffrances que ne sauraient régler des élections et que
seule est susceptible de traiter l’existence de fondamentaux constitutionnels
sains, fixant des limites, des garde-fou, des prérogatives et des pouvoirs et
qui s’imposent à tous, quel que soit celui qui remportera les élections.
Ce
n’est qu’une fois cette étape franchie que l’on pourra examiner les autres
problèmes, dont le premier sera d’affirmer la totale indépendance vis-à-vis de
l’exécutif d’un pouvoir judiciaire dont les arrêts soient appliqués et
respectés, la suppression des tribunaux d’exception et la remise de leurs tâches
aux juridictions ordinaires, telles qu’elles existent dans le monde civilisé.
L’existence de cours de sûreté de l’Etat dans plusieurs pays arabes ne saurait
en rien justifier que l’on s’en inspirât en Palestine. En effet, ces tribunaux
d’exception tombent sous le coup de nombreuses et graves critiques du point de
vue juridique, dont la moindre n’est pas qu’ils contreviennent au principe de
l’égalité de tous devant la loi. Ensuite, il faudra sans tarder examiner des
législations très importantes, obéissant à un ordre du jour législatif déterminé
en fonction des priorités. Parmi les premières mesures à examiner, à mon avis,
vient en bonne place celle consistant à renforcer le contrôle (législatif) sur
l’utilisation de l’argent public. Le Conseil législatif a donné son accord à un
projet de loi sur le contrôle administratif. L’instance créée par cette loi est
précisément celle qui a tiré la sonnette d’alarme en matière de présomptions de
corruption. Mais cette loi est défectueuse sur un point fondamental. En effet,
elle a créé une instance de contrôle sans pouvoir répressif. Cette instance se
contente de communiquer son rapport annuel au président ou au ministre concerné,
charge à lui de prendre les mesures qu’il juge utiles afin de donner suite aux
contraventions décelées par l’institution de contrôle. Nous avons vu comment ont
été traités les soupçons de corruption à l’égard de certaines personnalités. Il
faut doter l’instance de contrôle du pouvoir d’obtenir des informations de
l’appareil exécutif, et qu’elle ne se contente pas d’informer celui-ci au moyen
de son rapport annuel, voire la doter du pouvoir de poursuivre elle-même, ou en
recourant aux services de la justice, les personnes suspectées, ou encore de
renvoyer l’affaire au procureur de la république afin que les contrevenants
soient convoqués au tribunal. Ainsi, le pouvoir exécutif ne pourrait plus être à
la fois juge et partie. Le troisième problème qui nécessite une solution urgente
est celui du statut des services de sécurité. Il faut mettre au point des
règlements qui en précisent les prérogatives et les missions, en écartant tout
risque qu’atteinte soit portée aux droits et aux libertés publiques garanties
aux citoyens par la loi fondamentale.
Ce ne sont là que quelques exemples des
points à examiner en priorité dès que la loi fondamentale aura été promulguée.
En effet, ce qui est demandé va au-delà. Il s’agit de la fixation d’un véritable
ordre du jour législatif comportant les problèmes à traiter, par ordre
décroissant de priorité.
Nous appelons tous les citoyens sincères à se
rassembler afin d’exiger les réformes voulues par les citoyens palestiniens. Le
danger existe, en effet, que l’Autorité se prête au jeu, sous les pressions
intenses auxquelles elle est soumise, de réformes dictées par les Etats-Unis et
Israël, c’est-à-dire, de réformes qui ne changeraient rien à la situation
existante, si elles ne les rendent encore pires, en conférant un pouvoir encore
accru aux services de sécurité en-dehors du cadre de la loi, afin de satisfaire
à ce qu’Israël imagine être indispensable à sa propre sécurité, concept dont on
connaît la nature éminemment extensible et élastique. Cela, alors que ce que
nous voulons, nous Palestiniens, c’est une réforme globale partant d’une base
palestinienne refusant que la sécurité d’autrui soit assurée au détriment de la
nôtre, ainsi qu’à celui de nos droits et de nos libertés et alors que nous
réclamons avec insistance, même dans la phase actuelle, un régime politique qui
respecte et applique la démocratie, qui protège les droits et ne les brade pas,
dans lequel le pouvoir est dévolu conformément à la volonté du peuple, où la
souveraineté soit celle de la loi et non celle d’un individu, qui soit régi par
des articles constitutionnels respectés par tous et en vertu desquels tous
soient jugés, un régime qui se caractérise par le désintéressement et
l’honnêteté, en bref : les mains propres. En résumé ; un régime digne d’un
peuple qui a su lutter un siècle durant pour la liberté, son indépendance et sa
dignité.
15. Anis Qasim commente le Dr. Anis Al-Qasim ! -
Commentaires sur “Des mesures progressives en vue de la réforme de l’Autorité
Palestinienne” par Anis Fawzi Qasim
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié
à Londres) du mercredi 5 juin 2002
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
(Anis Fawzi Qasim est conseiller juridique,
résidant en Jordanie.)
Al-Quds
al-Arabi a publié, le 29 mai [article
ci-dessus], un excellent article de mon professeur et homonyme
le Dr. Anis al-Qasim, ancien Président de la commission juridique du Conseil
national palestinien, article dans lequel l’auteur proposait des mesures
progressives pour réformer l’Autorité palestinienne. La première de ces mesures
était de consolider la loi fondamentale instituant l’Autorité. Cette charte
fondamentale est le fruit des efforts dépensés sans compter par le Dr. Al-Qasim.
Elle a donc bénéficié de sa totale indépendance d’esprit, de sa longue
expérience et de son expertise très largement reconnue, tant dans le domaine
juridique que dans le service de la cause nationale palestinienne. Le Conseil
législatif palestinien a adopté cette loi fondamentale, après débats et quelques
amendements, au mois d’octobre dernier. Mais le Président Arafat l’a conservée
dans son tiroir depuis lors, pour ne l’en ressortir et s’y référer, la semaine
dernière seulement, qu’une fois la campagne de la réforme lancée... Le Dr.
Al-Qasim proposait une série de mesures à envisager après cette étape obligée :
la ratification de la loi fondamentale. Il s’agit, notamment, d’affirmer l’état
de droit, de supprimer les tribunaux d’exception, de renforcer le contrôle de
l’utilisation de l’argent public, de fixer les missions des services de
sécurité... Il n’y a aucun commentaire à faire sur la pertinence de ces mesure,
elle va de soi. Aujourd’hui, une loi fondamentale a donc été proclamée, le
principe de l’indépendance de la justice vient d’être affirmé, voici quelques
jours, par le président Arafat. La question de la réorganisation des services de
sécurité est en cours d’examen. Pouvons-nous respirer, en nous disant que les
réformes sont bien engagées et que l’Autorité palestinienne a retrouvé ses
esprits ?
Il se trouve que j’ai eu l’honneur de “croiser le fer” avec mon
professeur et maître, le Dr Al-Qasim, sur cette fameuse loi fondamentale, dès
ses premières ébauches. Nous eûmes de longues discussions, il va sans dire -
passionnantes. Comme tout professeur, je pense, le Dr. Al-Qasim était imbattable
dans ses plaidoiries en défense de son “bébé”, tandis que moi, comme tout
étudiant “tout feu-tout flammes”, j’avais le don de m’enferrer et de me
retrancher dans mes positions...
Je n’en persiste pas moins à soutenir que
notre problème (à nous, les Palestiniens) ne découle pas d’un vide juridique ni
d’une insuffisance législative, mais que nous avons bel et bien été “contaminés”
par Oslo. Le pire qu’“Oslo” ait produites n’est autre que ce qu’il est convenu
d’appeler l’”Autorité palestinienne”. C’est pourquoi j’affirme que la première
mesure à prendre doit être de demander des comptes à ceux qui nous ont entraînés
dans les marécages et dans les oubliettes d’Oslo, avant de mobiliser - eux-mêmes
: oui, vous lisez bien : les mêmes ! - dans la grande campagne de réformes.
Celles-ci consistant à changer les pions de cases, mais toujours, bien entendu
sur le même échiquier : celui d’Oslo !
Le Dr. Al-Qasim, qui a contribué à
créer l’Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP) et à en écrire la
charte nationale, a une longue et profonde expérience de la capacité des
épigones de la direction palestinienne à gauchir les textes et à les contourner
afin de les faire échapper aux principes clairement énoncés dans la charte
pourtant confirmée par les votes des divers conseils nationaux successifs. Parmi
ces violations, celle commise par le Président Arafat au cours d’une visite à
Paris, en 1989, n’est pas la moindre. Il avait alors déclaré, tout de go, que la
charte de l’OLP était devenue soudain “caduque”, en français dans le texte ! (Ce
terme lui avait été “suggéré” par les services d’un président français quelque
peu machiavélique et adulateur fanatique d’Israël, un certain François
Mitterrand. Ndt)
Ainsi on se permettait de dénoncer le contrat social
palestinien d’un mot lâché devant les journalistes. Personne ne se soucia de
demander à Arafat, à l’époque : “quel mandat avez-vous reçu, pour vous autoriser
ainsi à annuler la charte fondamentale (de votre nation) ?”
Dans ces
conditions, comment pourrions-nous imaginer que la loi fondamentale soit plus
respectable aux yeux de nos dirigeants que la charte de l’OLP ? Cette loi
fondamentale peut-elle servir de garde-fou aux agissements, au comportement et à
la conduite de la direction palestinienne (actuelle) ?
Les négociateurs
d’Oslo ne sauraient alléguer qu’ils ne connaissaient pas ou qu’ils ne
prévoyaient pas les destructions, les divisions, la corruption qui allaient en
découler, ni les pots de vin, ni les centres d’interrogatoires où les gens sont
persécutés ou rackettés. Ils savaient, tous, parfaitement, quelles étaient les
propositions de la délégation israélienne. Ils connaissaient, tous, très bien,
les commentaires (sur ces propositions) et les analyses de la délégation
palestinienne à Washington. N’est-il pas dès lors étrange, pour ne pas dire
louche, que les négociateurs d’Oslo soient tombés, systématiquement, dans toutes
les chausse-trappes contre lesquelles les négociateurs de Washington les avaient
dûment mis en garde ?
Si l’on retient l’hypothèse que les négociateurs
d’Oslo n’étaient pas au courant des arrières-pensées israéliennes, c’est encore
pire. Cela signifierait qu’ils se seraient attelés à la cause nationale
(palestinienne) en ayant à son égard une approche d’orientalistes, et non
l’attitude rseponsable de patriotes concernés au premier chef. Ils n’auraient
négocié, dans ce cas de figure, que pour édifier leur gloire personnelle et à
des fins égoïstes, pour qu’on parle d’eux dans les médias occidentaux en disant
: “ce sont des gens réalistes, intelligents et pragmatiques”. Ils auraient
négocié en s’étant dépouillés de toute culture sur ce qu’est le sionisme, en
tant que pensée, qu’idéologie et praxis. [C’est hélas sans doute ce qui s’est
passé dans la réalité]. De même, ne constate-t-on pas avec quelle facilité ils
se sont laissés berner par l’expression paradoxale de “courtier américain
équitable”, un peu comme si l’Amérique, après un moment d’étourderie passagère,
eusse retrouvé ses esprits...
Les événements récents, qui ont vu le peuple
palestinien, ses villes, ses villages, ses camps de réfugiés totalement livrés à
la merci d’Israël, sans défense, au milieu d’un silence international
assourdissant et de la vaine agitation officielle arabe, découlent d’Oslo. Ils
en sont la mise en application scrupuleuse. Ces accords ne parlent que de
“sécurité” dans tous ses aspects, en excluant toute référence à une instance
internationale chargée de présider au bon déroulement des négociations. L’accord
intérimaire cite cent quarante-sept fois l’expression “en vertu de cet accord”
et cela, afin d’insister sur le fait qu’il exclut toutes les instances
d’arbitrage internationales. Pérès a mis comme condition, dès le début des
négociations secrètes menées à Oslo, que tout différend entre les deux parties
ne soit en aucun cas soumis à un tribunal international ni à un quelconque
arbitrage international, ni à une quelconque instance internationale, mais qu’il
serait réglé, exclusivement, par des négociations (bilatérales). Les accords
d’Oslo sont exempts de toute indication d’une instance d’arbitrage à laquelle
recours pourrait être fait dût une difficulté advenir... Est-il admissible que
l’on traite la cause nationale (palestinienne) avec une telle légèreté, un tel
je-m’en-foutisme ? Qui est responsable de ces fautes, de ces crimes ? Est-il
concevable que les négociateurs passent des heures à chipoter sur le nombre de
voitures blindées destinées à la protection des dirigeants de l’Autorité et la
couleur de l’essence dont on alimentera les dits véhicules, tandis que personne
ne se préoccupe de placer des bornes sur le tracé de la route des négociations
et ne se pose la question de savoir où elle aboutit ?
Voir des gens (dont un
certain nombre de responsables ayant sauté en marche du wagon de l’Autorité sous
prétexte de “manque de réforme”) qui s’étaient ingéniés à vendre Oslo et à tirer
un maximum de profit de la corruption et des pots-de-vin dont cet accord était
l’annonciateur, faire mine de s’atteler aujourd’hui à la réforme de l’Autorité
palestinienne, voilà qui suscite le doute. On se moque des gens, on insulte le
sang des martyrs et les souffrances de notre population palestinienne des
territoires occupés.
Même la mise en exergue de la loi fondamentale ne
saurait blanchir ces gens-là, les absoudre de leurs fautes et de leurs
turpitudes.
Il faut en revenir au principe de responsabilité et dire : la
réforme a déjà commencé !