Point d'information Palestine
> N°201 du 17/06/2002
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Rédaction :
Pierre-Alexandre Orsoni et Marcel
Charbonnier
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Au
sommaire
Témoignages
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des citoyens de Palestine
ou des observateurs. Ils sont libres de
droits.
1. Un samedi...
presque ordianaire par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en
Palestine
2. Ils sont revenus ! par Nathalie Laillet, citoyenne de
Bethléem en Palestine
3. Ramallah -
Jérusalem par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en
Palestine
4. Bethléem toujours sous couvre-feu par
Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
5. Rien qu'une journée à Hébron par Anwar Abu Eisheh,
citoyen d'Hébron en Palestine
6. Un petit coin de verdure par David Torres, citoyen de
Gaza en
Palestine
Rendez-vous
Pour retrouver l'ensemble des rendez-vous en Europe,
consultez l'agenda réalisé par Giorgio Basile sur : http://www.solidarite-
palestine.org/evnt.html
1. Israël Shamir invité par
Luisa Morgantini ce mercredi 19 juin 2002 à Rome en Italie
2.
Solidarité avec les réfugiés palestiniens du Liban le vendredi
21 juin 2002 à 19h à Marseille
3. Manifestation pour appeler
au boycott des produits israéliens le samedi 22 juin 2002 à 14h30 à
Marseille
4. Rencontre exceptionnelle avec Jeff Halper le
samedi 22 juin 2002 à 19h à Marseille
5. Exposition "Al-Quds
Al-Sharîf" à l'Institut du Monde Arabe du 2 juillet au 4 août 2002 à
Paris
6. Biennale des Cinémas Arabes à Marseille du 3
au 6 juillet 2002 - "Gros plan sur la Palestine" le vendredi 5
juillet 2002
Dernières parutions
1.
Des pierres aux fusils - Les secret de l'intifada par Georges
Malbrunot aux éditions Flammarion
2. Détruire la Palestine, ou comment terminer
la guerre de 1948 de Tanya Reinhart aux éditions La
Fabrique
DOSSIER SPECIAL : Le journalisme en
danger
Quand la liberté d'opinion se heurte au
replie communautaire - Là ou le pathos nie toute élaboration
intellectuelle
1.1. Menaces de l'acteur américain John
Malkovich contre le journaliste Robert Fisk
1.2. Pourquoi John Malkovich veut-il me tuer ? par
Robert Fisk
In The Independent (quotidien britannique) du mardi 14 mai
2002
2. LE CAS DANIEL
MERMET
2.1. Pétition lancée par Daniel Mermet "Contre la
banalisation de l'antisémitisme"
2.2. Maître William Goldnadel, président
d’Avocats sans frontières et vice-président de
France-Israël
le vendredi 31 mai 2002 à 7h45 sur Radio J (radio
"communautaire" juive - 94.8 FM
Paris)
2.3. Reporters sans frontières exprime son
soutien au journaliste Daniel Mermet
2.4.
Le journaliste Daniel Mermet assigné pour "incitation à la haine
raciale" par Xavier Ternisien
in Le Monde du dimanche 2 juin
2002
2.5. Sionisme et judaïsme par
Daniel Cling (Paris) dans le courrier des lecteurs du quotidien Le Monde du
vendredi 14 juin 2002
2.6. Le Comité de
Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient dénonce le procès fait à Daniel
Mermet et lui apporte son soutien
3.
LE CAS ANGELIQUE SCHALLER
3.1. Lancement régional - "Boycott des
produits israéliens" par Angélique Schaller
in La Marseillaise du
mardi 28 mai 2002
3.2.
A nos lecteurs par
Christian Digne in La Marseillaise du mardi 4 juin 2002
Revue de
presse
Cette rubrique
regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des
communiqués d'ONG. Ils sont libres de droits, sauf mention
particulière.
1. Obstacle à tout accord de paix - Le cancer des
colonies israéliennes par Marwan Bishara in Le Monde Diplomatique du
mois de juin 2002
2. Une effroyable routine au Proche-Orient par Gilles
Paris in Le Monde du samedi 1er juin 2002
3. Histoire et propagande en Palestine et Israël par
Bernabe Lopez Garcia In El País (quotidien espagnol) du vendredi 31 mai 2002
[Traduit de l’espagnol par Michel
Gilquin]
4. Israël renforce sa politique de
colonisation en Cisjordanie par Stéphanie Le Bars in Le Monde du
vendredi 31 mai 2002
5. "Une maison au Canada, au cas où..."
par Jean-Paul Mari in Le Nouvel Observateur du jeudi 30 mai 2002
6. "Il s'agit d'un des derniers territoires colonisés" entretien
avec André Raymond réalisé par Dina Heshmat in Al Ahram
Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 29 mai 2002
7. Parution du
rapport annuel américain sur les “foyers de terrorisme” mondiaux - Toujours la
même vision manichéenne : “Qui n’est pas avec nous est terroriste... et, donc,
contre nous” ! par Subhi Hadidi in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe
publié à Londres) du vendredi 24 mai 2002 [traduit
de l'arabe par Marcel Charbonnier]
8. Jeune à
Jénine par Christophe Ayad in Libération du jeudi 23 mai 2002
9. Document : Exclusif : les secrets de Camp David
in Le Nouvel Observateur du jeudi 23 mai 2002
10. Alors que Sharon dépèce la Cisjordanie -
Palestiniens l’arme des urnes par René Backmann in Le Nouvel
Observateur du jeudi 23 mai 2002
11. Le plan de Sharon ? Chasser les
Palestiniens au-delà du Jourdain par le Pr. Martin Van Creveld in The
Telegraph (quotidien britannique) du dimanche 28 avril 2002 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Témoignages
1. Un samedi... presque
ordinaire par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en
Palestine
Bethléem, le dimanche 26 mai 2002 - Hier, comme
tous les samedis, du moins quand la situation est "normale", je travaillais. Je
donnais des cours à Dheisheh. Dans l'après-midi j'ai eu les enfants. Tout s'est
passé normalement, les enfants étaient en forme.
Il y a actuellement dans le
camp d'autres Français dont l'une rentre bientôt en France. Avant son départ,
elle a voulu organiser une petite "fête" en l'honneur des enfants et de la
famille qui l'a hébergée ces derniers temps. Et quand des Français veulent
mettre à l'honneur leur pays, ça se finit souvent en soirée crêpes... Donc,
crêpes pour tout le monde !
S. les prépare pendant que moi je donne mon cours
aux adultes. Le cours finit à 20h30. Il est convenu que Chadi, un de mes
étudiants qui sera aussi de la fête, m'accompagnera jusque chez S.
À 20h30,
le cours se termine. Exercices pour la fois prochaine, dernières
recommandations, derniers conseils...
Avec Chadi, je m'enfonce à l'intérieur
du camp. Un jeune garçon nous croise, interpelle mon étudiant :
- Salut ! Ils
rentrent !
Inutile de demander qui... Dans ce genre de situation, je doute
toujours de mes connaissances en arabe... J'interroge Chadi :
- Qu'est-ce
qu'il a dit ? Ils rentrent ?
- T'inquiète pas... Des rumeurs...
On
continue. Chadi me raconte sa journée pour le moins mouvementée: pour aller à
Jérusalem, il a dû passer par... Ramallah ! (en gros, c'est comme si vous
vouliez aller de Juvisy à Paris en passant par Sarcelles !) Il s'est fait
prendre au check de Qalandia où il a dû patienter 5 heures... Pour avoir vu
d'autres types là-bas, j'imagine sans peine ce qu'on lui a fait. Je l'interroge,
mais il élude la question. Chadi a 20 ans. Il écrit des chansons. Pour vivre, il
n'a que ce qu'il peut gagner en allant travailler illégalement à Jérusalem. Il
est payé à la journée. Et depuis trois mois, il n'a presque pas bossé... J'ai
remarqué un détail frappant chez mes étudiants ces derniers jours: ils achètent
leurs cigarettes... à l'unité ! Je les ai même vu en acheter une et la fumer à
deux...
Un autre jeune garçon nous arrête :
- Ils arrivent !
Du coup,
je ne doute plus de mon arabe !
- Chadi, ils rentrent !
- Ne t'inquiète
pas !
Un silence. Il reprend :
- Ce soir, tu dors dans le camp. Tu ne
rentres pas chez toi. On va voir avec les autres.
Le camp se transforme sous
mes yeux: les gosses sortent dans la rue, chacun y va de son commentaire, les
shebabs se réunissent, s'interpellent. Les "recherchés" se ruent sur leurs
voitures et partent je ne sais trop où. Du coup, il y a des embouteillages dans
les ruelles du camp ! C'est la première fois que je vois ça.
Au fur et
à mesure qu'on avance vers la maison de S, les nouvelles s'affinent: les tanks
ont fait mouvement de Beit Jala à Bethléem, ils sont actuellement à un carrefour
que l'on nomme "matbasse", et se dirigeraient vers la vieille ville. Le
couvre-feu serait en vigueur. D'autres rumeurs aussi: des tanks seraient à
al-Khader et à Duha, mais dans ce cas, il ne s'agit que de rumeurs... Les gosses
en rajoutent: "ils sont à la porte du camp" crient les plus petits. Les plus
grands démentent.
Les hélicoptères entrent alors en action. On les entend,
mais on ne les voit pas: ils ont coupé leurs lumières.
On discute tous dans
les rues, le nez en l'air pour voir où ils sont. Pourquoi viennent-ils ? Que
veulent-ils ? combien de temps vont-ils rester ? Je vous rappelle qu'ils ont
quitté Bethléem le 10 mai après 40 jours de couvre-feu. Nous sommes le 25...
M.... ! Ils ne nous auront laissé tranquilles que 15 jours...
On arrive chez
S. Les gosses sont là, les mains pleines de chocolat (les crêpes chocolat ont eu
beaucoup plus de succès que celles au sucre !). On est toujours dans un espèce
d'atmosphère irréelle: on mange des crêpes et on discute, avec en bruit de fond
le bourdonnement obsédant des hélicoptères... !
Vers 23h30, je vais chez les
voisins qui m'hébergent pour la nuit. La maman me prête un pyjama, un matelas
dans un coin, une couverture, et me voilà couchée sans autre forme de procès !
(Inutile de vous dire que je ne prends pas ma brosse à dent pour aller donner un
cours ou manger des crêpes chez des amis !) Je m'endors, bercée par les
hélico...
6 heures du matin. L'un des fils fait irruption dans la pièce où
nous dormons.
- Ils sont partis !
Du coup, tout le monde se lève, on met
la TV sur la chaîne Al Jazirah qui diffuse de l'info en continu: la nouvelle est
confirmée: ils sont partis après avoir dynamité une maison.
Lana, la plus
jeune des enfants (10 ans) ne peut cacher son désarroi :
- S'ils sont partis,
ça veut dire que j'ai école ?
On éclate tous de rire.
Sa maman lui dit
d'aller se recoucher. On en fait tous autant. Aujourd'hui, Lana a un examen de
math...
Petit déjeuner au thé et au za'tar (pour ceux qui connaissent).
Je
les quitte un peu plus tard, la journée ne fait que commencer... Je rentre chez
moi à pied. Presque heureuse. Heureuse de rentrer chez moi et de me dire que les
"tankosaures" (c'est comme ça que je les avais surnommés pendant le couvre-feu)
ne sont plus là. Un petit détail que j'avais oublié de vous dire: samedi, je
suis partie de chez moi un peu vite pour aller donner mon cours... Dans ma
précipitation, j'avais oublié mon passeport à la maison...
J'ai téléphoné à
la famille qui m'a hébergée la nuit dernière: Lana a réussi son
examen...
2. Ils sont revenus ! par Nathalie Laillet,
citoyenne de Bethléem en Palestine
Ramallah, le lundi 27 mai
2002 - Je suis très en colère aujourd'hui. Et je n'ai pas envie de
souhaiter le moindre "bonjour".
Je suis à Ramallah, encore une fois coincée
loin de chez moi. Et pourquoi ça coincée ? Parce que Sharon le fou est à nouveau
à la recherche de terroristes ! Et évidemment, ils sont à Bethléem, les
terroristes, ils sont même à Dheisheh !
Je vous rappelle l'histoire de ces
derniers mois: du 10 au 19 mars, couvre-feu dans presque toutes les villes de
Palestine. Les gens se sortaient pas de chez eux, l'armée était là. Elle était
présente non seulement dans les villes, mais aussi et surtout dans les camps.
Vous vous souvenez tous de ces images (à moins que votre mémoire soit sélective)
de jeunes gens, les mains liées dans le dos, les yeux bandés, regroupés dans les
écoles pour être interrogés par le Shin Beth (service de sécurité intérieure).
Des moyens dignes d'une démocratie, ça ? Pénétrer en armes chez les gens,
arrêter tous les hommes de plus de 15 ans (J'ai bien dit 15), et les soumettre à
des interrogatoires plus ou moins musclés, c'est des procédés démocratiques ? En
ce temps-là, vous vous étiez indignés, vous aviez manifesté votre émotion. Bien
sûr depuis, il y a eu les vacances de Pâques, et puis les ponts de mai... Votre
indignation s'est quelque peu effritée...
Le 19 mars donc, les Israéliens
quittaient les villes palestiniennes... pour mieux y revenir ! Le 29 mars, ils
étaient à Ramallah, encore une fois ! Et le premier avril à Bethléem ! dans
toutes les autres villes aussi. La fameuse opération Rempart, avec son cortège
d'humiliation, de destruction, de morts, de peur, de haine. Opération réussie
décidément: la haine n'a jamais été aussi forte. Des deux côtés.
À Bethléem,
on a eu 40 jours de couvre feu. Les tanks sont partis le 10 mai. Pendant 40
jours, nous ne sommes sortis de chez nous que quand lorsque l'armée d'OCCUPATION
(vous avez peur des mots ?) nous y autorisait. Les lignes de téléphone étaient
parfois coupées, comme l'électricité.
40 jours pendant lesquels nos contacts
avec l'extérieur ont été des plus réduits.
Ils sont partis le 10 mai. Et nous
sommes le 27 mai. Et ils sont de retour ! M.... à la fin !
Israël dit que les
réseaux terroristes se sont reconstitués. Libre à vous de les croire. Si ça ne
vous gêne pas qu'on se paye votre tête, c'est votre probleme. Moi, ça me déplaît
fortement.
Vous voulez savoir ce qui s'est passé pendant ces deux semaines de
liberté que la "glorieuse" armée d'Israël nous a si généreusement octroyées
?
On a nettoyé, reconstruit, consolé. On a parlé, on a pleuré, on s'est remis
à travailler. On a essayé de reprendre une vie normale. La première semaine, on
n'a pas pu. Et depuis sept jours on s'y remettait tant bien que mal.
Ce se
sont pas les entités terroristes que Sharon est venu détruire. Ce sont les
structures même de la société.
Je ne sais plus quoi faire ni quoi vous dire
pour que vous réagissiez. Ils ne sont pas en train d'"éradiquer" le terrorisme,
ils sont en train de le renforcer. Et ils le savent. Ils jouent avec l'opinion
internationale, tout comme Bush père et fils jouent avec l'opinion
internationale en ce qui concerne l'Irak ou l'Afghanistan, et Poutine pour la
Tchétchénie.
Je ne sais qu'une chose: que des hommes sur terre sont privés de
leurs droits les plus fondamentaux tels que leur droit à la liberté ou même à la
vie.
Et que je continuerai à le dire.
"Je suis écœuré" me disait un ami
Palestinien qui vit en Europe. Moi aussi, je le suis.
Je suis écœurée par le
gouvernement israélien et ses mensonges à l'encontre de son propre peuple.
Je
suis écœurée par la société israélienne qui se dit bien pensante et qui pratique
la politique de l'autruche.
Je suis aussi écœurée par cet espèce de ventre
mou qu'on appelle l'Occident. Écœurée par son manque de courage et sa lâcheté.
Des hommes meurent. Ça vous laisse donc indiffèrent ? Au secours ! Ils sont en
train de tuer mes amis !
3. Ramallah - Jérusalem par
Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
Jérusalem, le
mercredi 29 mai 2002 - Salam ! (Paix !) J'ai écrit mon dernier message à
Ramallah. Je suis à présent à Jérusalem. Récit des dernières heures.
Mardi,
j'ai accompagné Katia à l'Université de Bir Zeit, là où elle
travaille.
Ensemble, nous avons fait le chemin qu'elle fait tous les jours
pour aller bosser.
En sortant de chez elle, on prend un taxi qui nous fait
parcourir quelques kilomètres. Tas de terre, blocs de béton au milieu de la
route, le taxi ne va pas plus loin. On descend. On continue à pied. La marche à
pied, c'est bon pour la santé... et visiblement la santé des Palestiniens est
une donnée importante pour le gouvernement de Sharon (ça lui ferait d'ailleurs
du bien à lui aussi de venir suer sur les routes de Cisjordanie...)
On marche
donc. Une petit dizaine de minutes. Et puis à un moment, on passe devant un
tank. Quoi de plus normal quand on va à la fac ?
Nous sommes loin, très loin,
de la fameuse "Ligne Verte" qui sépare Israël des Territoires Occupés. Pourtant
le tank est bien là, lui. Alors, excusez ma bêtise, mais je ne comprends plus:
ils nous disent pourtant que toutes les opérations militaires ont pour but de
protéger la sécurité des Israéliens, non ? Mais il n'y en a pas d'Israéliens,
ici ! Alors vraiment, je ne comprends pas, ça ne colle pas avec le discours
officiel.
Un tank donc au milieu de la route sur laquelle nous cheminons...
Et des soldats. Évidemment.
Comme tous les soldats de la "glorieuse" armée de
"défense" (sic, oups, je m'étrangle !) d'Israël, ils soignent leur look, les
soldats: lunettes de soleil dernier cri, cheveux coupés très courts, ou au
contraire un peu longs, négligemment attachés, boucle d'oreille, chewing gum...
Le look jeune con dragueur quoi, le look qu'on trouve sur le littoral israélien.
Mais là, on n'est pas à la plage. Et visiblement, ça les ennuie d'être là, les
soldats. C'est vrai, faut les comprendre... Du coup, ils se "vengent" un peu sur
nous. C'est vrai que c'est de notre faute aussi: pourquoi nous obstinons-nous à
aller à l'Université ? Activité hautement subversive, ça, activité terroriste,
c'est certain !
Alors, les soldats qui ont chaud sous leur casque, leur gilet
pare-balles et leurs rangers, nous "gueulent" dessus ! Ils passent le temps
quoi... Hier matin, les filles avaient de la chance: elles ne se faisaient pas
arrêter... Les garçons, c'était un peu différen. On les arrêtait, on leur
demandait d'ouvrir leurs sacs, leurs livres (un terroriste recherché pourrait
s'y cacher !). Et certains devaient attendre. Pourquoi ? Je pense que même le
soldat ne pourrait pas répondre à la question... On leur prend leur papier
d'identité et on leur dit d'attendre. De dix minutes à plusieurs heures. Selon
le bon vouloir du soldat. Inutile de tenter de discuter pour plaider sa cause,
style: "mais j'ai mes examens de fin d'année !". Ça risque seulement de rendre
l'attente plus longue...
Bref, on dépasse le tank.
On reprend un autre
taxi et hop, cette fois, direction la fac, à quelques kilomètres de là.
Bir
Zeit est, avant d'être une fac, un beau village palestinien, où les femmes
portent la taub traditionnelle, où les maisons de pierre me font rêver.
Bir
Zeit, c'est des oliviers, des cigales qui chantent, des hommes qui travaillent
la terre, des ânes qui braient, des gosses qui sortent de l'école en
chahutant.
C'est un décor de collines arides, où les pierres seules semblent
pousser. La terre est ocre, les pierres presque roses sous le chaud soleil de
mai... Au détour d'un virage, en haut d'une colline, l'Université.
Ici, comme
dans toutes les fac de Palestine, on parle politique. Beaucoup. On écrit sur les
murs, on distribue des tracts, on discute. Oui, on y fait de la politique entre
les cours. Mais ce n'est pas l'activité principale de ces étudiants. Non, à Bir
Zeit, l'activité principale c'est... la drague ! Dans les recoins des allées,
sous les ombres des oliviers, on conte fleurette à sa belle...
J'assiste au
cours de Katia, on prend un café et je repars dans l'autre sens, direction cette
fois Ramallah. Je repasse donc devant le tank, qui n'a pas bougé. Des garçons
attendent toujours le bon vouloir des soldats...
À Ramallah, je me sens un
peu déprimée: que faire ? Rester là et attendre que les chars arrivent ? Ou
repartir sur Jérusalem et attendre qu'ils ouvrent Bethléem ?
Pause internet,
puis pizza avec V. et enfin je me décide: je vais à Jérusalem et de là j'attends
la "libération" (sic !) de Bethléem pour pouvoir retourner chez moi... (et donc
changer de vêtements, puisque, étant partie de chez moi pour une demi journée
seulement, je n'avais pas pris de valise !)
On se dirige vers les taxis. En
chemin, on croise une Française qui vit à Ramallah et travaille à
Jérusalem:
- Dépêchez vous, nous dit-elle. C'est le bazar à Qalandia ! Ils
ferment !
On court. Un taxi. On monte.
On arrive à Qalandia. Beaucoup de
gens attendent. Tous ont leur portable à la main.
- Msakkar !, le check est
fermé !
On essaie de passer malgré tout en utilisant nos passeports
étrangers. Un soldat nous explique que ce n'est pas possible. Comme toujours sur
les check, il faut être le plus con possible. À ce jeu-là, on devient
bon...
On essaie la pitié :
- Mais nous on habite Jérusalem ! On ne
connaît personne à Ramallah ! Si tu nous empêches de passer, ça veut dire qu'on
va dormir ici ! Tu te rends compte comme c'est dangereux ? Allez, on peut passer
?
- Non non, on ne peux pas passer ! Je suis désolé, mais c'est comme ça !
C'est les ordres. Personne ne passe. Pas même les ambulances !
On lâche
l'affaire. On décide de passer ailleurs.
Mais la petite phrase sur les
ambulance est enregistrée... À ressortir quand Tsahal affirmera au monde entier
qu'elle laisse toujours passer les ambulances...
Si on ne peut pas passer par
le chemin direct, on passe par le "laffe" (détour). Aujourd'hui, le "laffe"
passe par le check de Beit El. On prend un taxi qui nous y emmène (au passage,
c'est complètement de l'autre côté de Ramallah. Qu'à cela ne tienne, on voit du
paysage !). On arrive au check. Il y a foule. Les femmes et les étrangers
passent sans contrôle ou presque. Quant aux hommes, des soldats récupèrent leurs
papiers d'identité... Un peu comme pour la fac.
Mais nous sommes chanceuses,
nous sommes à la fois des minettes et des étrangères. On passe. Ouf ! ! On a
quitté Ramallah !
Reste maintenant à gagner Jérusalem, à quelque quinze
kilomètres de là.
Quand on prend le check de Beit El, on se retrouve sur la
route des colons. Pas envie de faire du stop... Et pas de taxi en vue... Un
moment d'hésitation.
Et tout d'un coup devant nous... une voiture portant les
étoiles de l 'Union Européenne !
- Euh... vous allez à Jérusalem ?
-
Montez, on vous emmène !
Tiens, il y a des jours ou je me sens profondément
européenne, moi...
4. Bethléem toujours sous couvre-feu par
Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
Jérusalem, le
jeudi 30 mai 2002 - Je suis toujours coincée à Jérusalem. Les tanks sont
entrés cette nuit à Hébron. À l'heure où je vous écris, il semble qu'ils soient
repartis.
À Ramallah, la situation est tendue: le check de Qalandia
(principal point d'accès à la ville) est ferme la plupart du temps. À force de
négocier (surtout si on est étranger), on peut espérer entrer dans Ramallah.
Pour en sortir, c'est une autre paire de manches... Une partie de poker en
quelque sorte...
En ce qui concerne l'université de Bir Zeit, les cours n'ont
pas lieu depuis trois jours. Depuis trois jours, aucun homme n'est autorisé à
passer le check qui mène à cette université (check qui est situe, je vous le
rappelle, très loin de la Ligne Verte, et qui donc n'est pas un point de passage
vers Israël). Ce matin, des étudiants et des profs ont essayé de passer: ils se
sont pris des gaz lacrymogènes. Deux mots sur ces gaz: Israël dit que ce sont
les mêmes que ceux qui sont utilisés dans d'autres pays, tel que la France. J'en
ai fait pas mal des manifs, dans ma vie, sur le pavé parisien. Je n'ai jamais
rien senti de tel que les gaz qu'on utilise ici. Description : si vous avez la
chance de ne pas vous prendre le nuage de fumée en pleine tronche, vous aurez
des symptômes légers : peau qui brûle comme après une exposition au soleil non
protégée, yeux rouges, qui picotent et ce pendant plusieurs heures.
Ça, c'est
si vous êtes loin des gaz. Si vous êtes trop près... Vous allez pleurer toutes
les larmes de votre corps, votre peau et vos yeux seront rouges tomate. J'ai vu
beaucoup de personnes vomir, suite à ces gaz. J'ai aussi vu des personnes se
faire évacuer en ambulance : elles avaient besoin d'assistance respiratoire...
Les mêmes gaz, oui, bien sûr, puisqu'on vous le dit.
Bethléem est toujours
sous couvre-feu, et ce depuis lundi dernier. Je consulte vos (nos ?) quotidiens
nationaux sur le net. Bethléem n'a droit qu'à un entrefilet, noyé dans le
"ballet diplomatique" du Proche-Orient. Ma maison est sous couvre-feu. Mes amis,
mes étudiants, mes voisins sont sous couvre-feu. Ils ne sortent pas. Les tanks
sont en contrebas de mon jardin. Presque pas de tirs dans la ville. Le quartier
de la Nativité est bouclé. Les tanks sont à nouveau sur la place de la Nativité.
Cette fois, les soldats de l'armée de "défense" (gloups !) se sont postés devant
les portes de l'Église. Pour éviter que les "méchants terroristes" s'y réfugient
une fois encore. Vu le mal qu'on a eu à leur trouver des pays d'accueil en
Europe, à ces "méchants terroristes", faudrait pas que d'autres trouvent refuge
une fois encore dans ce... lieu d'asile, puisque la Nativité, comme toutes les
églises du monde, est un lieu d'asile.
Israël revoit donc le droit d'asile...
à sa manière. Israël se dit seul apte à protéger les différentes religions de
"Terre Sainte". Pourtant, moi qui suis chrétienne, je ne peux me rendre dans
l'un des lieux les plus saints selon ma religion.
Les mauvaises langues me
diront que, dans mon exil à Jérusalem, je n'ai qu'à aller au Saint
Sépulcre.
Certes... Mais il y a là-bas une chose qui me met toujours de très
mauvaise humeur: les soldats d'Israël ! Eh oui ! Sans doute pour «protéger» les
Lieux Saints, Israël entretient quelques flics et militaires à l'entrée de
l'Église. Si encore ils restaient sur le parvis... Mais non! Munis de leurs
pistolets ou autres fusils, il leur arrive fréquemment de pénétrer à l'intérieur
de l'Église...
Encore une fois, je m'interroge: les soldats d'Israël ont le
droit de pénétrer quand bon leur semble, en armes, au Saint Sépulcre.
En
revanche, les soldats de Palestine sont accusés d'être de dangereux
"terroristes" quand ils sont trouvés, en armes, à l'intérieur de la
Nativité...
Désolée, je ne comprends rien.
Hier, il y a eu une levée du
couvre-feu à Bethléem. Les habitants ont eu quatre heures pour courir de-ci
de-là pour trouver de quoi manger dans les prochains jours.
Cinq tanks
Merkava, les plus gros, étaient postés à Bab azqaq, l'un des principaux
carrefours de la ville. Une fois encore, les gens ont fait leurs achats sous la
menace de leurs canons.
Voilà donc pour la situation sur le terrain. Et je ne
vous ai pas parlé des autres villes, Jénine, Qalqiliya, Tulkarem et Naplouse, où
la situation est tout aussi désespérante. Et je ne vous ai pas parlé des
villages. Ni des camps de réfugiés (deux mots à ce propos: l'armée campe devant
l'association pour laquelle je travaille à Dheisheh. Le camp de Shofat, à
Jérusalem-Est, est actuellement sous couvre-feu. Il est situé à quelques
centaines de mètres des colonies de Jérusalem-Est, dont les colons sont, eux,
libres d'aller où bon leur semble.)
Des adolescents juifs sont morts ces
derniers jours. Je condamne ces actions. Je ne me suis jamais réjouie de la mort
des gens (quoique celle de Sharon ne m'attristera pas outre mesure...) Mais ces
ados habitaient à Itamar, une colonie proche de Naplouse, et illégale au regard
du droit international.
L'État palestinien aurait dû être proclamé en 1999,
suite aux Accords d'Oslo. Les colonies auraient dû être démantelées. Or, elles
s'agrandissent toujours.
Que leur reste-t-il donc, aux Palestiniens ? Que
doivent-ils faire pour qu'on reconnaisse enfin, après plus de 50 ans, leur droit
à disposer d'eux-mêmes ? Israël ne respecte pas le droit international. Et nous,
nous le savons, et nous nous taisons. Nous sommes nous aussi coupables de la
mort de ces quatre adolescents.
Une grand-mère et sa toute petite fille sont
mortes dans un attentat. Là encore je condamne sans réserve.
Quelques jours
avant, une femme et sa fille de 12 ans ont trouvé la mort à Rafah (sud de la
bande de Gaza), tuées par des obus de tanks.
Je condamne sans
réserve.
Dans le premier cas, il s'agit d'un acte terroriste, nous sommes
tous d'accord.
Mais dans le second cas, aussi. Une femme et sa fille tuées
par des tanks alors qu'elles travaillaient, c'est aussi un acte de
terrorisme.
Non, ce n'est pas une bavure, comme le prétend
Tsahal.
J'attends de l'Occident (mais sans doute suis-je utopiste) qu'il
condamne sans réserve TOUS les actes de terrorisme. Si nous n'en sommes pas
capables, cela signifie que nous n'avons tiré aucune leçon du siècle
passé.
Et le 21ème risque d'être beaucoup plus noir, ou plus exactement :
rouge.
5. Rien qu'une journée à Hébron par Anwar Abu
Eisheh, citoyen d'Hébron en PalestineHébron, le mardi 4 juin
2002 - Le 4 juin 2002, à 7h45, les enfants sont à l'école comme 6 jours sur
7 par semaine, je commence ma journée par aller voir le vendeur de sandwich
falafel. J'ai appris par hasard il y a quelques jours qu'il vendait le sandwich
aux élèves (dont mes enfants) de l'école privée située à 150 mètres de son
kiosque, à 1,5 shekels alors que ce n'est qu'1 shekel aux enfants de l'école
publique située à 20 mètres. Il s'est expliqué en me disant que c'est en accord
avec la directrice de l'école publique, car ces enfants-là ont rarement plus
qu'un shekel. Je lui ai dit que j'allais immédiatement la voir pour lui demander
de quel droit ! "Ah, ce n"est pas la directrice actuelle mais l"ancienne." Je
suis donc allé voir à l'école publique, l'histoire l'a fait bien rire et elle
m'a répondu :"tant mieux, les élèves de l'école privée ont beaucoup d'argent" et
elle m'a rappelé que sa prédécesseur n'était autre que ma soeur ! On a ensuite
pris rendez-vous pour s'organiser afin de loger nos amis français qui viennent à
Hébron les deux premières semaines de juillet dans le cadre de notre projet
"Hébron 2002".
(J'ai ensuite vérifié avec ma soeur que c'était effectivement
elle qui était à l'origine de cette ségrégation et en riant elle m'a dit
"pourquoi tu ne mets pas tes enfants à l"école publique comme tout le monde." et
puis elle m'a blâmé car j'avais "blessé" un homme psychologiquement
fragile.)
Cherchant un soutien moral, j'ai appelé la directrice de l'école
privée qui n'était pas au courant de cette histoire de différence de prix
infligée à ses élèves. Je lui ai raconté tout en lui disant que le vendeur avait
fini par me dire "à la fin de cette semaine, les enfants seront en vacances et à
partir de là je ferai le même prix pour tous les enfants, que l"école soit
privée, publique et celle des Mennonites (à 100m)".
Ensuite j'expédie les
affaires courantes et j'appelle mon autre soeur directrice d'un jardin d'enfants
du Croissant Rouge d'Hébron et situé dans le coin misérable sous
occupation, pour vérifier si le menuisier y est allé aujourd'hui comme prévu
(notre association a décidé d'affecter les 1524 ? envoyés par le Secours
Populaire de Thiers à l'achat d'une imprimante pour une école publique et à des
travaux de menuiserie pour le jardin d'enfants du Croissant rouge).
Ma soeur
m'a répondu que le menuisier devait arriver d'un moment à l'autre ; elle était
étonnée que je ne lui parle que de cela."Mais tu ne sais pas ce qui s'est passé
cette nuit ?" m'a-t-elle dit. Non, je ne savais pas.
"Tu as entendu les chars
passer quand même ?"
"Non, je n'ai rien entendu"
"Eh bien sache qu"une
colonne de chars a traversé la rue principale d"Hébron, a roulé sur 26 véhicules
dont un taxi qui appartient à nos frères et un autre à notre oncle .."
puis
elle m'a conseillé d'aller consoler mes frères car dès le petit matin quand mes
frères ont entendu la nouvelle leur taux de diabète s'est envolé.
J'ai
l'habitude d'écouter les infos et presque uniquement des infos le matin. Ce
matin je n'ai écouté que celles de Radio Israël en arabe. plus
d'une heure en
continu mais rien sur ce que m'a raconté ma soeur. Je suis donc vite parti
trouver mes frères ; j'ai ressenti une légère
inquiétude lorsque je n'en ai
trouvé aucun à la station de taxis :
d'habitude il y en a toujours au moins
un ! J'ai vite appris qu'ils s'occupaient de l'évacuation du taxi aplati.
Apparemment la poussée de diabète n'avait été que momentanée.
A 9h je suis à
la mairie, le premier "client" pour l'achat une citerne d'eau. Pas d'attente, on
me demande d'aller attendre le camion à la maison. Je devais aller chercher les
enfants entre 9h25 et 9h 35 à la sortie de l'école (c'est toujours comme çà en
période d'examens). La citerne est arrivée exactement à 9h24. Je m'apprêtais à
démarrer mais impossible de sortir de notre impasse avant 10h le temps de vider
le contenu de la citerne. Angoisse. les enfants m'attendent à 1.500m de là, au
coin de la rue et on ne sait jamais ce qui peut se passer !
Je reviens
aux affaires courantes :
- J'ai appelé le doyen de ma fac de droit chez
lui en me disant que peut-être il était rentré, peut-être y a-t-il du nouveau
côté université. Cela fait 33 jours que tous les doyens des facultés de
l'Université Al Quds où je travaille sont partis avec le Président en tête pour
collecter des fonds qui combleraient le déficit de l'Université. Maintenant ils
nous doivent 8 mois de salaire ! La femme de mon doyen m'a dit que la délégation
avait fait les Emirats, la Koweït, l'Arabie Saoudite etc… sans véritable succès.
que des miettes..
- Un rendez-vous à Jérusalem a été pris entre Chantal
et Safa, une fille parrainée par une famille française via l'AFPS
[Pour parrainer un enfant palestiniens consultez le site de l'AFPS
http://www.france-
palestine.org/Parrainages/Parrainages.html , Ndlr] pour qu'elle passe prendre 130 dollars qui lui ont
été envoyés. Je lui ai demandé d'écrire une lettre de remerciements, ai préparé
l'enveloppe, Chantal lui colle un timbre israélien sur l'enveloppe et il
ne reste donc qu'à poster la lettre de remerciements déjà rédigée par Safa.
Celle-ci ne peut pas passer à la poste. Entendant cela j'étais tellement en
colère que j'ai appelé Safa et ai commencé à crier. Au bout de quelques minutes,
j'ai compris que ma colère n'était pas justifiée parce que
- Safa a 19
ans et n'a jamais mis les pieds dans un bureau de poste, elle ne sait pas où se
trouve la poste.
- Elle et sa maman qui habitent aux portes du "Grand
Jérusalem" n'ont pas le droit d'aller dans le centre parce qu'elles sont
résidentes des territoires palestiniens, jadis autonomes. Elles font donc en
sorte de rester le moins possible en ville pour éviter les contrôles fréquents
de la police et de l'armée israéliennes.
- J'ai été averti que nous
aurions la visite d'une délégation du CCFD qui partira de Jérusalem pour Hébron
le jeudi 6 juin à 13h. cela m'a énervé parce que tout simplement la délégation
ne verra ni ce que nous faisons comme activités (parfois subventionnées
par le CCFD d'ailleurs), ni la ville en activité et n'aura pas le temps de voir
des gens. Si tout va bien sur les routes, la délégation passera 2 à 3h
dans la ville morte. Notre compagnon Nafez de la Library on Wheels for
Non-Violence and Peace" m'a dit qu'ils avaient déjà un programme pré-établi,
plein de rendez-vous. J'ai décidé d'appeler la délégation pour convaincre ses
membres de passer au moins une journée à Hébron ou en tout cas de venir le matin
pendant que la ville vit (il est 23h au moment où j'écris ces lignes, les chars
commencent à passer dans l'artère principale, c'est à dire à 150 mètres de chez
nous et il y a des tirs mais très loin, au moins à un km). Le temps de trouver
les coordonnées de la délégation, j'ai été appelé.
Il est 12h35 , la
permanente au local de l'association situé dans la zone jadis autonome m'a
appelée affolée : "les chars israéliens se rapprochent de nous, il semble qu'un
colon ait été tué dans la vieille ville, on ferme et on s'en va, d'ailleurs
Brahim (marocain sans papier, professeur de français) est déjà parti en courant,
nous n'avons pas de nouvelles de Lina (l'autre permanente du local de la vieille
ville), ni de Rafe (l'animateur des activités pour les jeunes de la vieille
ville).". Du coup j'oublie automatiquement la délégation du CCFD et la moitié de
la France !
Je commence à appeler les portables de Rafe et Lina. Vers 13h05,
Franck (un journaliste de RFI) m'appelle de France pour demander de nos
nouvelles. Il est en fait le seul à pouvoir me dire ce qui se passait vraiment à
Hébron en me lisant une dépêche de l'AFP. "Un Israélien a été blessé grièvement
et un autre plus légèrement suite à des jets de pierres palestiniens. L"armée
israélienne est entrée dans le centre ville de la zone autonome". D'après les
gens il semble que les pierres aient été jetées par des jeunes qui avaient été
refoulés à un barrage et qui ont tendu une embuscade pas loin du barrage à une
voiture de colons. Le colon a perdu le contrôle de sa voiture qui a fait une
embardée.
Quelques minutes plus tard j'ai pu joindre notre dévouée et
courageuse permanente de la vieille ville, elle ne voulait pas quitter le local
malgré le couvre-feu (interdiction de circuler même à pied) imposé 45 minutes
auparavant parce que l'ouvrier qui était passé pour décoincer une porte était
parti chercher des outils. Alors comment partir en laissant le local ouvert ?
Nous avons fini par avoir l'aide des voisins et le problème a été réglé. Lina a
donc pu partir -elle sait comment quitter la vieille ville sous couvre-feu- et à
14h elle était au local provisoire de la zone jadis autonome. Rafe, dont j'avais
retrouvé la trace, m'avait demandé au téléphone la veille de ne pas travailler
pour préparer ses examens de français.et j'avais oublié ! Ma peur était
injustifiée.
Entre 12h35 et 14h j'ai beaucoup hésiter à faire passer les
examens à nos élèves de français. L'épreuve était prévue à 16h. Je pars toujours
du principe "ils veulent notre mort alors nous devons tout faire pour continuer
à vivre" mais aujourd'hui est ce possible de faire comme si de rien n'était
?
Après avoir prévenu le Centre Culturel Français de Jérusalem de l'éventuel
ajournement de l'épreuve prévue depuis des mois, je me suis renseigné sur la
présence précise de l'armée. Le nouveau barrage installé à 12h35 était à plus de
800 m, les trois jeeps entrées dans la zone "jadis autonome" n'ont fait que
traverser la ville, un aller-retour dans l'avenue principale d'un bout à l'autre
d'Hébron. Beaucoup de citoyens ont été effrayés et ont pris la fuite dès qu'ils
ont vu les jeeps, mais nombreux sont ceux qui n'ont ni bougé de leur place ni
fermé boutique. comme avant les accords d'Oslo.
A 14h j'ai décidé de
maintenir l'épreuve d'examen. J'ai appelé Brahim, nous avions au total 10
présents sur 13 inscrits. et Brahim a même donné un cours à un nouveau groupe de
débutants de 18h à 20h.
Ah, j'allais oublier le pompier Tahcine. depuis
plusieurs jours je lui demande d'aller réparer la tuyauterie du local de la
vieille ville. Je l'ai harcelé trois fois ce matin et il a fini par
descendre. Il était à 3 minutes de l'association quand tout a éclaté. Il a
rebroussé chemin en courant vers sa voiture pour fuir la "zone tampon" avant
l'arrivée de l'armée. Il était trop tard. Il a été coincé et il lui a fallu
plusieurs heures avant de pouvoir sortir... Pendant ce temps c'est lui qui
m'harcelait au téléphone : "tu vois ce que tu me fais faire.". Tout en étant
inquiet pour lui, je lui répondais qu'il n'avait qu'à faire ce travail avant,
comme prévu.
Enfin, et comme vous pouvez l'imaginer, nous ici, nous
n'arrêtons pas de raconter nos malheurs et nos histoires avec l'occupant
israélien. Cela devient monotone. C'est comme les histoires de chauffeur de
taxis parisiens après 3 ou 4 ans de métier.
Pour finir, juste une
petite histoire d'humiliation qui s'est passée ce matin à Hébron : les soldats
qui sont entrés à Hébron à 1h30 ce matin et qui ont détruit 26 véhicules se sot
installés entre le "nouveau" centre ville (jadis autonome) et les halles où ils
sont apparemment restés jusqu'à 6h ou 6h30. Ils ont arrêté tous les passants,
ont pris leur carte d'identité pour vérification et juste avant leur départ et
après avoir fini la vérification, un soldat israélien a commencé d'appeler les
Palestiniens un par un, il jetait entre ses pieds les cartes d'identité et
les Palestiniens devaient les ramasser par terre, obligés de se baisser devant
le soldat de l'armée de la défense d'Israel. Quel avantage pour la sécurité de
l'état d'Israël ?
Cette HUMILIATION est génératrice de haine et de violence
et ne peut que nuire à la cause de la sécurité. Le triste attentat de ce matin 5
juin est certainement en partie le produit de ce genre de comportement. Aidez
nous à lutter contre toutes les violences destructrices d'espoir. Venez voir !
Et en attendant faites parvenir vos convictions aux décideurs politiques.
Bougez comme vous l'entendez !
PS : La journée que je vous ai racontée
ressemble à tant d'autres.
6. Un petit coin de verdure par David Torres,
citoyen de Gaza en Palestine
Gaza, le samedi 15 juin 2002 - A Gaza,
excepté le parc municipal, il y a très peu d'endroits ombragés, peu d'arbres
dans les rues, en comparaison avec ce que l'on peut trouver en Egypte par
exemple. Ici, quand arrive la chaleur de l'été, les tours protègent plus que les
rares arbres des rues, pour la plupart plantés depuis moins de 10 ans, et les
couleurs dominantes restent le gris et le sable. Seules quelques grands axes ont
été plantés. Aujourd'hui encore j'ai du mal à imaginer Gaza sous les roues des
Jeeps israéliennes, ses larges artères sans bitume, sans feux rouges, sans
arbres. Aujourd'hui pour imaginer ce qu'était le camp de Shati il faut trouver
ces maisons de mauvaises pierres de sable, de tôles, sans étages, retirer le
revêtement des rues, et puis les patrouilles. Pourtant, en s'éloignant du
centre, on trouve parfois des trous dans le sable où un vert violent l'emporte
sur le sable. Ici une orangeraie, là ce sont des vignes qui rampent sur le sol,
là-bas des oliviers balancent leurs feuilles dans le vent du large. Avant hier
Walid était plutôt déprimé. Alors il nous a emmenés, son frère et moi, dans un
coin de Sheikh Ajlin. On descend vers la mer, longeant un mur de parpaings, puis
une ouverture à droite, le mur s'ouvre sur un chemin de sable. De l'autre côté
le paysage est différent, peu de maisons, du sable, un sycomore et tout en haut
un jardin. Oh ! Pas le paradis, des légumes, quelques bananiers, de la menthe,
des arbres, quelques fleurs. Deux vieillards, les genoux dans le sol, nous
regardent passer, puis viennent nous accueillir. L'un d'entre eux avance son
pied bot dans le sable, puis vient s'asseoir sur une chaise en plastique. Sa
fille vient nous servir le thé. Derrière nous, la cabane où il dort. Un
grand-père tout ratatiné, le visage bruni par les ans, sa calotte blanche
tricotée sur sa tête lisse, sa main tremble tellement que j'ai peur qu'il
renverse le thé qu'il est en train de nous servir. C'est le soir, un vent frais
et léger souffle depuis la mer, le soleil nous éclaire mais ne brûle plus, il
est en face de moi, derrière cet homme qui a déjà commencé à parler de la
situation !
"Ah ! Aujourd'hui, regardez tous ces gens entassés sur ce tas de
sable de Gaza, rien ne pousse ; et la mer ! C'est à peine si on peut rapporter
quelques sardines ! Ah ! Au pays, on allait pêcher avec des bateaux sans
moteurs, mais on attrapait des kilos de sardines !"
Hamameh. Evidemment il
vient de Hamameh, le pays des pêcheurs de sardines au nord d'El Majdal. Le
village de la famille de Yasser. Certains à Gaza disent que les gens de
Hamameh aiment tellement les sardines qu'il fourrent les beignets qu'on mange au
Ramadan avec de la sardine ! Ils continuent a discuter et le soleil est déjà
sous la mer, l'autre papy nous raconte ses aventure en Jordanie, après la guerre
de 1967, au fond d'immenses taches ardoise se détachent sur le ciel bleu pastel
et rose, le vent s'est encore adouci, la lumière s'échappe lentement vers la
mer, il n'y a pas d'électricité.
Rendez-vous
1. Israël Shamir invité par Luisa
Morgantini ce mercredi 19 juin 2002 à 12h à Rome en
Italie
L’Onorevole Luisa Morgantini, député européenne et les
amis d’Israël Shamir vous invitent à la conférence de presse qui sera organisée
ce mercredi 19 juin 2002 dans la Salle des Drapeaux du Bureau pour l’Italie du
Parlement Européen, sis au 149 de la Via del IV Novembre, à Rome, de 12h à 14 h,
à l’occasion de la publication de l’anthologie des écrits d’Israël Shamir "Carri
armati e ulivi della Palestina. Il Fragore del silenzio." (Blindés et oliviers
de Palestine. Le fracas du silence.) aux éditions CRT, 2002, Pistoia, Italie.
L’auteur répondra aux questions des journalistes. Seront présents : Luisa
Morgantini, Ali Rashid, le Pr. Roberto Giammanco et le Pr. Claudio Del
Bello.Israël Shamir est né à Novosibirsk, Sibérie, en 1947.
Exclu de l’université pour menées subversives en 1969, il a émigré en Israël “de
sa propre initiative”, et il a participé aux combats de 1973. Il a été
correspondant de presse au Vietnam, au Cambodge, au Laos et, durant de
nombreuses années, au Japon, au point de devenir un spécialiste et traducteur de
la littérature japonaise. De 1989 à 1993, il a été l’envoyé spécial du quotidien
Ha’Aretz en Russie. Revenu en Israël, il s’est engagé dans la dénonciation de la
politique sioniste d’”apartheid”. A travers une activité littéraire et
journalistique prolixe, tant sur papier que sur Internet (site : http://www.israelshamir.net),
et des conférences en Europe, en Egypte, aux Etats-Unis, Israël Shamir présente
une vision alternative du conflit israélo-palestinien.
Il refuse la solution
du “deux Etats pour deux peuples”, car il la juge destructrice et sans
perspectives dans les circonstances présentes. Il le fait au nom d’une paix
fondée sur un Etat unique, entre le Jourdain et la Mer, dans lequel tous les
habitants auraient des droits égaux et d’où seraient bannies les discriminations
ethniques et religieuses. “Je ne suis pas un ami des Palestiniens. Je suis
Palestinien”, déclare Shamir, au nom du droit au retour des Palestiniens, exilés
en 1948, dont les terres ont été expropriées et auxquels tout droit fondamental
est nié. Ce non-droit est le résultat d’une politique folle qui a consisté à
“importer” des centaines de milliers de Roumains, de Thaïlandais, de Chinois,
d’Africains et un million de Russes et d’Ukrainiens, lesquels peuplent la
galaxie de ghettos qu’est aujourd’hui l’Etat d’Israël.
A l’apartheid
politique, psychologique et culturel de l’Etat d’Israël, Shamir oppose une
attitude de résistance à même de réhabiliter une conscience historique
non-unilatérale, les moments les plus sublimes de toutes les expériences
religieuses, la conscience d’appartenir à une même humanité dont il faut
absolument garantir l’avenir. A travers des milliers d’oliviers arrachés par les
bulldozers, dit Shamir avec des accents non dénués de poésie, avec le paysage de
la Palestine transformé en une banlieue quelconque et sordide, c’est l’humanité
toute entière qui est offensée et dégradée. Réaliser l’utopie ne relève
désormais plus de l’espérance. C’est la seule nécessité qui tienne. En mai 2002,
le fils d’Israël Shamir, citoyen suédois par sa mère, a participé à l’incursion
d’un groupe de pacifistes qui ont réussi à pénétrer dans la Basilique de la
Nativité à Bethléem et à apporter des médicaments et de la nourriture aux
Palestiniens assiégés. Immédiatement arrêté, il a été expulsé d’Israël, où il
est interdit de séjour pour les dix années à venir. [Contacts et informations en Italie : libroshamir@libero.it]
2. Solidarité avec les réfugiés
palestiniens du Liban le vendredi 21 juin 2002 à 19h à
Marseille
au Centre Fissiaux - 2,
avenue de Maréchal Foch (M° Cinq avenues) Marseille
4ème
Soirée organisée par Ajial France en soutien aux
palestiniens du Liban avec, Racha Salah (sous réserve) : Compte rendu de notre
voyage au Liban, de mars 2002 ; Exposition de photographies d'Anne-Marie Camps
et stand d'artisanat palestinien.
[IMPORTANT : Repas palestinien sur
réservation (obligatoire) auprès de Leïla Tadros : tadros.ram@wanadoo.fr - Tél. 04 91 34 36 75 - Prix par personne : 20 euros / étudiants
ou chomeurs : 10 euros / repas enfants - 12 ans: 6
euros]
3. Manifestation pour appeler au boycott des produits
israéliens le samedi 22 juin 2002 à 14h30 à
Marseille
aux Mobiles (M°
Reformés / Canebière) Marseille 1er
Le Collectif pour le respect
des droits du peuple palestinien appelle à un rassemblement. A l'occasion de ce
rassemblement, organisé par le Collectif pour le respect des droits du peuple
palestinien, une grande campagne de boycott des produits israéliens sera
lancée.
4. Rencontre exceptionnelle avec Jeff Halper le samedi
22 juin 2002 à 19h à Marseilleà la
Faculté Saint Charles - Amphithéâtre Sabry - 3, Place Victor
Hugo (M° Gare St-Charles) Marseille
3èmeLe droit de vivre dans une patrie : 1000
rencontres pour reconstruire des maisons palestiniennes Dans
le cadre de la tournée en France, du 18 au 28 juin, de Jeff Halper, coordinateur
du Comité Israélien Contre les Démolitions de Maisons (ICAHD). Il est invité
dans plusieurs villes de France pour parler de l’occupation des Territoires
palestiniens par l’armée israélienne, témoigner en tant que militant de la paix
israélien et présenter la campagne de son association.
[Tous le détails
de cette campagnes sont disponibles sur le site de Giorgio Basile "Solidaires du
peuple palestinien" à l'adresse suivante : http://www.solidarite-palestine.org/doc206.html]
Parmi ses multiples projets, l’ICAHD organise des reconstructions de
maisons palestiniennes détruites par l’armée israélienne, et rassemblent à cette
occasion des centaines d’israéliens et de palestiniens. Elle souhaite
sensibiliser la société israélienne à la réalité de l’occupation et promouvoir
la solidarité et la paix.
[Organisé par le
Collectif pour le respect des droits du peuple palestinien - Contact :
marseille.palestine@nomade.fr]
5. Exposition "Al-Quds Al-Sharîf" à
l'Institut du Monde Arabe du 2 juillet au 4 août 2002 à
Paris
Une exposition de photographies de 1890 à 1925, extraites
de la collection de l'Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem,
consacrée au patrimoine musulman de la vieille ville de Jérusalem.
[Institut du Monde Arabe - 1, rue
des Fossés–Saint–Bernard - Paris 5ème - Tél. 01 40 51 38 38 - Ouvert tous les
jours de 10 h à 18 h (sauf les lundis) - M° Jussieu, Cardinal-Lemoine,
Sully-Morland]
6. Biennale des Cinémas Arabes à
Marseille du 3 au 6 juillet 2002
"Gros plan sur la
Palestine" le vendredi 5 juillet 2002
au Cinéma Les Variétés 37, rue Vincent Scotto (M° Noailles)
Marseille 1er
14h00 - Mariages Mixtes en Terre
Sainte de Michel Khleifi, 50 min,1995
- Défi de
Nizar Hassan, 20 min, 2001
15h30 - Naïm et Wadeea de
Najwa Najjar, 20 min, 1999
- Saed de Soud Mohana, 11 min,
2001
- Mahmoud Darwich de Simone Bitton, 59 min,
1997
17h30 - En
Direct de Palestine de Rashid Masharawi, 57 min, 2001
-
Maklouba de Rashid Masharawi, 6 min, 2000
L'association
Aflam présente cette année à Marseille, une programmation extraite de la
Biennale des Cinémas Arabes organisée par l'Institut du Monde Arabe de Paris du
29 juin au 7 juillet 2002.
[Vous pouvez vous procurer le détail
de cette programmation sur Marseille, auprès de l'Aflam - BP 20 - 13243
Marseille Cedex 01 - E-mail : aflamarseille@club-
internet.fr - Tél/Fax : 04 91 47 73 94]
Dernières
parutions
1. Des pierres aux fusils - Les
secret de l'intifada par Georges Malbrunot
aux éditions
Flammarion
[ISBN : 2080683306 -
Parution en juin 2002 - 264 pages - 18,00 euros / 118,07
FF]
Georges Malbrunot est correspondant de
Radio France Internationale et de RTL à Jérusalem. Il collabore régulièrement au
Figaro, à Ouest-France et au Point.
La seconde Intifada est désormais une guerre dont
personne ne sait comment elle finira. Kamikazes islamistes contre chars de
Tsahal, avec une Autorité palestinienne en miette, les deux camps s'engouffrent
dans l'escalade de la violence extrême. Ils échangent coups pour coups devant
une opinion internationale divisée et dépassée. Dans le chaos qui s'installe, on
finit par oublier les racines de l'affrontement, la guerre secrète et déjà
acharnée qui l'a précédée. Observateur impartial, sur le terrain depuis 1994,
Georges Malbrunot a rencontré certains des principaux acteurs du conflit. Il
apporte ainsi, dans cette première enquête sur l'organisation de la révolte, des
informations inédites. Un kamikaze rescapé lui explique comment on prépare un
attentat. Il remonte les filières clandestines des traficants d'armes - certains
sont israéliens, d'autres proches du Hezbollah - qui fournissent les
Palestiniens. Il visite un entrepôt où ont été stockés des missiles Kassam 2
lancés par les intégristes ; il décrit les méthodes impitoyables du Shin Bet
pour recruter des mouchards ; il fait le portrait d'un homme de l'ombre, un
kurde, le "banquier" d'Arafat. Derrière les images de villes palestiniennes
détruites et de cadavres, il dévoile des complicités entre corrompus, des
ententes et des occasions manqués. Il montre l'envers d'un gâchis qui, tandis
que la paix agonise, n'a cessé de se nourrir de lui-même.
2. Détruire la Palestine, ou
comment terminer la guerre de 1948 de Tanya Reinhart
aux éditions La
Fabrique
[13,00 euros / 85,27 FF - ISBN :
2913372228 - Parution en avril 2002]
Tanya
Reinhart est professeur de linguistique aux universités de Tel-Aviv et
d'Utrecht. Depuis sa thèse au MIT en 1976, elle est mondialement connue pour ses
contributions à la linguistique théorique. En 1994, après les accords d'Oslo,
elle a commencé à écrire sur la politique. Elle a une chronique régulière dans
le quotidien israélien le plus lu, " Yediot Aharonot ", et publie également des
articles sur internet et dans des forums internationaux. Parmi ses publications
théoriques, citons " Anaphora and Semantic Interpretation ", Chicago Press,
1983, et " From Cubism to Madona : Subject and Representation in XX° century art
" (en hébreu), Tel-Aviv, 2000.
Les événements actuels en Israël-Palestine sont
généralement présentés comme une série d'incidents tragiques, aggravés par la
psychologie perverse de l'actuel Premier ministre, Ariel Sharon. Mais l'examen
attentif des faits tels qu'ils ressortent des médias israéliens révèle que, dès
les premiers jours du soulèvement palestinien, derrière la folie apparente il y
avait des ordres terrifiants qui avaient été donnés. Israël a mis en œuvre de
façon systématique le projet de faire tomber Arafat, de détruire les
institutions palestiniennes et d'en finir avec les accords d'Oslo.
En fait,
cette politique remonte à plus loin dans le temps. Depuis le début du "
processus d'Oslo " en 1993, il y a eu deux conceptions divergentes dans les
milieux politiques et militaires israéliens. La première, soutenue par Yossi
Beilin, cherchait à mettre en application une version du vieux plan du parti
travailliste (plan Alon), qui consistait à annexer environ 35% des territoires
occupés et à donner aux Palestiniens un certain degré d'autodétermination sur le
reste. Mais pour la partie opposée, c'était encore trop. L'oppositions aux
accords d'Oslo était focalisée autour des militaires - dont le porte-parole le
plus virulent à l'époque était le chef d'état-major, Ehud Barak - et dans le
cercle politique de Sharon. Barak et Sharon appartiennent à une lignée de
généraux politiques, nourris par le mythe de Ben Gourion, la rédemption par la
terre. Comme ils l'ont déclaré à maintes reprises l'an dernier, " la guerre de
1948 n'est pas encore terminée ". Pour eux, il est encore possible de mettre à
exécution le plan de Sharon : écraser les Palestiniens, en pousser le plus grand
nombre hors des territoires occupés, et imposer un ordre régional comme il a
essayé de le faire au Liban en 1982. Cette confiance a été renforcée par la
nouvelle philosophie occidentale de la guerre, mise en application en Irak, au
Kosovo et en Afghanistan.
En 1999, l'armée est revenue au pouvoir, par Barak
puis Sharon. Pour corriger ce qui était pour eux la grave erreur d'Oslo, la
première étape était de convaincre l'opinion publique israélienne, fatiguée de
la guerre, que les Palestiniens ne voulaient pas la paix et mettaient en cause
l'existence même d'Israël. Sharon tout seul n'y serait peut-être pas parvenu,
mais Barak y a réussi. Par une magistrale mystification, il a convaincu les
Israéliens et le monde entier qu'il avait fait à Camp David des concessions sans
précédent, que les Palestiniens avaient refusé (on trouvera dans le livre une
étude détaillée des négociations, montrant qu'en fait Israël n'a rien proposé
d'autre qu'une version aggravée de la situation existante). Après un an et demi
de propagande, de terreur et de mensonges, Sharon et les militaires sont
désormais convaincus que rien ne peut plus les arrêter.
DOSSIER SPECIAL : Le journalisme en danger
Quand la liberté d'opinion se
heurte au replie communautaire - Là ou le pathos nie toute
élaboration intellectuelle
"Si nous voulons une vie calme,
nous devrons juste nous ranger, arrêter de critiquer Israël ou l'Amérique.
Ou arrêter tout simplement
d'écrire."
Robert Fisk, journaliste
britanique spécialiste du Proche-Orient
Depuis plusieurs mois, des journalistes et
leurs rédactions sont l'objet de campagnes d'intimidation de plus en plus
violentes, lancées un peu partout dans le monde, par les "petites mains" du
lobby pro-israélien. Le Point d'information Palestine vous
présente dans ce dossier trois cas significatifs, afin d'éclairer nos
consciences de lecteurs indépendants, sur les dangers qui pèsent aujourd'hui sur
la liberté de la
presse.
1. LE CAS ROBERT FISK
1.1. Menaces de l'acteur
américain John Malkovich contre le journaliste Robert
Fisk
24 mai 2002 - Reporters sans
frontières exprime sa solidarité à Robert Fisk. Robert Fisk,
journaliste au quotidien britannique The Independent et spécialiste du
Proche-Orient, fait l'objet, depuis des mois, d'une violente campagne d'insultes
pour sa couverture du conflit israélo-palestinien et les critiques qu'il a
exprimées à l'égard des politiques israélienne et américaine dans la région.
Dans ce contexte, les déclarations de l'acteur américain John Malkovich, le 1er
mai 2002, devant la Cambridge Union Debating Society au Royaume-Uni, sont d'une
gravité sans précédent venant d'une personnalité aussi connue. M. Malkovich. a
affirmé avoir lui-même envie de "descendre" le journaliste.
"L'acteur John
Malkovich ose encourager et appuyer de tout le poids de sa notoriété le flot
d'insultes et de menaces auquel est confronté un grand journaliste. Nous
dénonçons les propos gravement irresponsables, aussi imbéciles que dangereux, de
l'acteur américain et assurons Robert Fisk de notre pleine solidarité" a déclaré
Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières.
Journaliste
de renommée internationale, spécialiste du Proche-Orient, Robert Fisk est l'un
des premiers à avoir dénoncé les massacres de Sabra et Chatila en 1982. Il est,
depuis des mois, régulièrement l'objet de menaces anonymes pour sa couverture du
conflit israélo-palestinien. Suite au 11 septembre, le journaliste avait, dans
plusieurs articles, désigné la non-résolution du conflit israélo-palestinien
comme l'une des principales racines du terrorisme. Interrogé, le 1er mai 2002, à
la Cambridge Union Debating Society, sur les personnalités qu'il souhaiterait
"combattre jusqu'à la mort", John Malkovich avait répondu, au sujet de Robert
Fisk, qu'il préférerait "simplement le descendre" ("just shoot
him"). [Indispensable : le site de Reporters
sans frontières - http://www.rsf.org]
1.2. Pourquoi John Malkovich
veut-il me tuer ? par Robert Fisk
In The Independent (quotidien
britannique) du mardi 14 mai 2002
[traduit de
l'anglais par Monique Barillot]
Ca s'est d'abord
installé comme un filet, un goutte à goutte continuel de courrier haineux qui
arrivait une fois par semaine pour me punir d'avoir fait un rapport sur le
meurtre d'un Libanais innocent par des attaques aériennes israéliennes ou
suggérant que les Arabes -aussi bien que les Israéliens- voulaient la paix au
Moyen-Orient.
Cela commença à changer vers la fin des années 90.
Un
exemple typique est la lettre qui est arrivée après que j'ai écrit avoir vu de
mes propres yeux en 1996 les artilleurs israéliens abattre 108 réfugiés
ayant trouvé abri dans le camp de l'ONU installé dans la ville libanaise de Qana
: Ca commençait ainsi: "Je n'aime ni n'admire les antisémites, "Hitler en fut un
des plus célèbre dans l'histoire récente" Et encore, par comparaison avec
l'avalanche de lettres haineuses, menaçantes et de déclarations ouvertement
violentes que les journalistes reçoivent aujourd'hui, c'était relativement
doux.
Car Internet semble avoir conduit ceux qui n'aiment pas entendre dire
la vérité à propos du Moyen-Orient à se retrouver dans une communauté de haine,
envoyant des lettres venimeuses non seulement à moi, mais à n'importe quel
journaliste qui ose critiquer Israël -ou la politique américaine- dans le
Moyen-Orient.
On trouvait toujours, dans le passé, une limite à l'expression
de cette haine. Les lettres étaient signées avec l'adresse de l'auteur. Dans le
cas contraire, elles étaient si mal écrites qu'elles en étaient illisibles. Ce
n'est plus ainsi désormais. En 26 ans au Moyen-Orient, je n'ai jamais lu autant
de messages vils et intimidants qui me soient adressés. Beaucoup exigent
maintenant ma mort. Et la semaine dernière, l'acteur de Hollywood John Malkovich
est allé jusqu'à dire à l'"Union Cambridge" qu'il voudrait me
tuer.
Comment, me suis-je demandé- a-t-il pu en venir là ?
Lentement mais sûrement, la haine grandit, conduisant aux menaces mortelles,
repoussant graduellement les murs de la convenance et la légalité jusqu'à ce
qu'un journaliste puisse être injurié, sa famille diffamée, qu'il soit maltraité
par une foule en colère, raillé et insulté dans les pages d'un journal
américain, que sa vie même soit dévalorisée et menacée par un acteur
qui - sans même dire pourquoi - annonce qu'il veut me tuer.
Pour la
plupart ces actes répugnants sont le fait d'hommes et les femmes qui prétendent
défendre Israël, bien que je doive dire que je n'ai jamais dans ma vie reçu une
lettre grossière ou insultante en provenance d'Israël. Les Israéliens expriment
parfois leur critique de mes articles - et parfois leur éloge - mais ils ne se
sont jamais laissés conduire à la saleté et aux obscénités que je reçois
maintenant.
"Ta mère était la fille d'Eichmann," trouve-t-on dans un des plus
récent de ces messages. Ma mère Peggy, qui est morte après une longue bataille
avec la maladie de Parkinson, il y a trois ans et demi, était en fait
technicien-opérateur radio pour la RAF sur les Spittfires au coeur des combats
de Grande-Bretagne en 1940.
Les événements du 11 septembre ont chauffé
la haine au rouge
Ce jour là, dans un avion de ligne qui effectuait
son vol de retour en provenance d'Amérique, haut sur l'Atlantique, j'ai
écrit un article pour l'Indépendant, soulignant que l'on tenterait, dans les
jours suivants, d'empêcher quiconque de demander pourquoi de tels crimes contre
l'humanité avaient pu arriver à New York et à Washington
En dictant mon
article par le téléphone satellite de l'avion, je parlais de l'histoire de la
supercherie du Moyen-Orient, de la montée de la colère arabe, et de la mort de
milliers d'enfants iraquiens à cause des sanctions des USA, de l'occupation
continue de la terre palestinienne de Cisjordanie et de la bande de Gaza par
Israël avec le soutien américain. Je ne blâmais pas Israël. Je suggérais que
Ousama Ben Laden était responsable.
Mais les courriers électroniques qui
affluèrent à l'Indépendant les quelques jours qui suivirent furent
incendiaires.
Les attaques contre l'Amérique avaient pour cause le "la haine
personnifiée" ou plus précisément la façon obsessive et déshumanisée avec
laquelle Fisk et Bin Laden avaient pu diffuser leur propagande, disait une
lettre d'un Professeur Judea Pearl d'UCLA. J'étais, déclarait-il, un "cracheur
de venin" et un "colporteur de haine" professionnel.
Une autre lettre, signée
Ellen Popper, annonçait que j'étais "de mèche avec le super terroriste" Ben
Laden. Mark Guon me qualifia de "complètement cinglé". J'étais "psychotique",
selon Lillie et Barry Weiss. Brandon Heller de San Diego me fit savoir
"vous soutenez finalement le diable lui-même".
Et cela empira
Sur une radio irlandaise, un professeur de Harward,
rendu furieux par ma question sur les atrocités du 11 septembre, me traita de
"menteur", d'"individu dangereux" et déclara que cet "anti-américanisme" -quel
qu'il soit- était la même chose que l'anti-sémitisme. Non seulement c'était
pervers de suggérer que quiconque puisse avoir eu une raison, même avec l'esprit
dérangé, pour commettre cette tuerie massive. Et bien plus, cela conduisait à
penser qu'il devait y avoir des raisons. Critiquer les Etats Unis, cela revenait
à être un ennemi des juifs, un raciste, un nazi.
Et cela continua
Début décembre, je fus presque tué par une foule de
réfugiés afghans rendus fous de rage par la tuerie récente de leurs
proches par des attaques aériennes de B-52 américains. J'écrivis un article sur
mon agression, ajoutant que je ne pouvais pas blâmer mes attaquants, qui avaient
cruellement souffert, que j'aurais fait la même chose. Les injures qui suivirent
furent sans fin.
Dans le Wall Street Journal, Mark Steyn écrivit un
article avec pour gros titre "le multi-culturaliste" - moi - "a eu ce
qu'il méritait."
Le site web de l'Indépendant reçut des courriers suggérant
que j'étais pédophile. Parmi plusieurs cartes de noël vicieuses l'une portait la
légende des douze jours de Noël et la note suivante à l'intérieur: "Robert Fiske
(sic) - Seigneur Rire-Gras du Moyen-Orient et chef de file de la
propagande anti-sémite et profaciste islamophile."
Depuis l'offensive d'Ariel
Sharon en Cisjordanie, provoquée par les terribles suicides à la bombe de
palestiniens, un nouveau thème a émergé. Les journalistes qui critiquent Israël
sont accusés d'inciter les anti-sémites à brûler les synagogues.
Mieux, ce
n'est pas la brutalité d'Israël et l'occupation qui incitent ces gens écœurants
et cruels à attaquer les institutions les synagogues et les cimetières juifs. Ce
sont nous, les journalistes les responsables. Presque quiconque se permettant de
critique la politique US ou Israélienne est maintenant dans la ligne de mire.
Mon propre collègue Phil Reeves, est l'un de ceux-la. Deux journalistes de la
BCC en Israël aussi, ainsi que Suzanne Goldenberg du Guardian.
Prenez le cas
de Jennifer Loewenstein, militante des droits de l'homme à GAZA, qui est juive
elle-même, et qui a écrit une condamnation de ceux qui prétendent que les
Palestiniens sacrifient délibérément leurs enfants. Elle reçut rapidement le
courrier électronique suivant: " SALOPE. Je peux te renifler depuis Afar. Tu es
une putain et tu as du sang arabe. Ta mère est une putain d'arabe. Au moins,
pour l'amour de Dieu, change ton putain de nom. Ben Aviram"
Est-ce que
ce genre d'ordure a un effet sur les autres ? Je crains que oui ? Quelques jours
seulement après que Malkovich ait déclaré vouloir me descendre, un site web
reprenait les paroles de l'acteur. Le site comportait une animation avec mon
visage recevant un violent coup de poing et en sous-titre: "Je comprends qu'ils
me battent pour faire sortir la merde."
C'est ainsi qu'une remarque répugnante faite par un
acteur à l'Union Cambridge a mené à un site Web suggérant que bien d'autres
encore désirent aussi me tuer. Malkovich n'a pas été mis en cause par la police.
Il pourrait, je suppose, se voir refuser tout nouveau visa pour la
Grande-Bretagne avant qu'il ne s'explique ou fasse des excuses pour ses viles
remarques. Mais le mal est fait. En tant que journalistes, nos vies sont
maintenant exposées aux agresseurs de l'Internet. Si nous voulons une vie calme,
nous devrons juste nous ranger, arrêtez de critiquer Israël ou l'Amérique. Ou
arrêter tout simplement d'écrire.
[Si vous souhaitez
apporter votre soutien à Robert Fisk, vous pouvez adresser un e-mail (de
préférence en anglais) à sa rédaction : newseditor@independent.co.uk]
2. LE CAS DANIEL
MERMET
2.1. Pétition lancée par
Daniel Mermet "Contre la banalisation de
l'antisémitisme"
Mettant en cause des appels d'auditeurs
diffusés dans "Là-bas si j'y suis" en juin 2001, au cours d'une série
d'émissions sur le conflit israélo-palestinien, l'association Avocats sans
frontières, l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) et la Ligue contre le
racisme et l'antisémitisme (Licra) ont assigné en justice Daniel Mermet et
Jean-Marie Cavada, président de Radio France, accusés d'"incitation à la haine
raciale". L'audience a eu lieu le 31 mai, le jugement sera rendu le 12 juillet.
Est-il possible de critiquer l'actuel gouvernement israélien sans être
poursuivi pour antisémitisme ? Calomnies et insultes émanant de groupes
extrémistes se multiplient depuis des mois notamment à l'encontre des
journalistes et des rédactions. Culpabilisation, agressions physiques,
dénonciations diffamatoires, sont quotidiennes.
Ainsi le 31 mai, Daniel
Mermet, journaliste et producteur à Radio France, a comparu devant le tribunal
correctionnel de Paris pour avoir diffusé des commentaires émanant d'auditeurs
dans une série de reportages à Gaza et en Israël. Au terme d'un procès de huit
heures, aucune peine n'a été requise. Le jugement sera rendu le 12 juillet
prochain.
Les graves actes antisémites qui se sont multipliés en France au
cours des vingt derniers mois doivent être poursuivis et condamnés par la
Justice ainsi que tous les actes racistes ou xénophobes. Et l'on ne peut que
partager une inquiétude déjà exacerbée par la tragédie qui se déroule au
Proche-Orient. Mais cette nouvelle inquisition, qui prétend parler au nom de
tous les Juifs, exploite peurs et désarroi et, face à la moindre critique de
l'actuelle politique israélienne brandit l'accusation d'antisémitisme. Il est
consternant de voir des personnalités du monde intellectuel soutenir de telles
dérives, allant jusqu'à s'associer à des poursuites judiciaires visant à faire
taire un journaliste comme Daniel Mermet. Ainsi la lutte contre l'antisémitisme
et la judéophobie, systématiquement et abusivement invoquée, s'en trouve
dangereusement galvaudée. Si "Là-bas si j'y suis" est une émission antisémite,
alors l'antisémitisme est partout.
Nous refusons ce délire accusatoire et
cette exacerbation de la suspicion. Nous refusons cette grave dérive du débat
public. Nous refusons cette banalisation de l'antisémitisme. Nous refusons ces
pressions et ces diffamations qui constituent une atteinte à la liberté
d'opinion. Nous refusons de nous taire. (Paris, le 7 juin 2002)
[Pour signer cet appel, envoyez un message indiquant vos nom,
prénom, profession et ville à : daniel.mermet@radiofrance.com ou via son site internet : http://www.labassijysuis.org]
2.2. Maître William Goldnadel,
président d’Avocats sans frontières et vice-président de
France-Israël
le vendredi 31 mai 2002 à 7h45 sur Radio J
(radio "communautaire" juive - 94.8 FM
Paris)
Aujourd’hui, à 13h30, devant la 17è Chambre du Tribunal correctionnel de
Paris, va se dérouler un procès que je considère comme très important.
Dix
jours seulement après l’attentat du Delphinarium à Tel-Aviv qui a vu vingt vies
d’adolescents emportées par la haine meurtrière, Daniel Mermet, journaliste
vedette à France-Inter a cru devoir consacrer une semaine au conflit
israélo-arabe. Il a rejoint ses amis José Bové, Michel Warschavski,
antisionistes patentés, ses copains de « Droits devant », de « Droit au logement
» et du Syndicat de la Magistrature, pour s’en donner à cœur joie, jour après
jour, dans un happening anti-israélien.
Entourés des rires extatiques de
l’équipe de Mermet, des enfants de Palestine ont raconté la recette des coktails
molotov à lancer sur les soldats de Tsahal et leur détermination à jouer les
bombes humaines.
Mais mieux que cela encore : dans le cadre d’une
grand’messe anti-juive, monsieur Mermet Daniel a recueilli, en les triant
soigneusement sur une boîte vocale, les messages les plus haineux d’un auditoire
qu’il avait chauffé à blanc. C’est ainsi qu’on a pu entendre sur ce qui est
censé être la voix de la France : « ne soyons pas racistes, ne soyons pas
fascistes, ne soyons pas sionistes ». Ou encore : « qu’est-ce que c’est que ces
hypocrites qui manient avec tant de virtuosité le bouclier de l’antisémitisme,
quand on veut juste leur rappeler qu’ils reproduisent à doses homéopathiques
l’horrible injustice dont ils ont souffert ». Ou « je suis farouchement
antisioniste, je ne suis en rien antisémite ! ». Et puis encore : « oui les
Juifs ont très bien exploité le capital de pitié qu’ils cultivent depuis 50 ans
; maintenant, ça suffit ! ». Et il ne s’agit ici que de quelques extraits d’un
florilège nauséabond tout autant qu’inepte.
Ce procès est très important
parce que ces dérapages ne tombent pas du ciel, ils sont les enfants obscènes
dont le papa est la haine de l’Etat juif et la maman le mensonge et la
désinformation. Ils ont été conçus, je vous le dis depuis tant d’années, non par
le vieil antisémitisme rance d’extrême-droite, mais par un antisémitisme plus
frais dont les vecteurs sont l’extrême-gauche et l’islamisme radical qui ont
fait alliance.
Et ce n’est pas un hasard si c’est sur les ondes de
Radio-France, radio d’Etat depuis longtemps dédiée à l’anti-israélisme, que ces
errements ont pu être tolérés. Ce n’est pas non plus un hasard cosmique si le
témoin qu’a fait citer Daniel Mermet est Rony Brauman qui a post-facé le livre
révisionniste du juif américain Norman Finkelstein, émule de Garaudy. Et
ce n’est pas non plus un hasard si - je me permets de le dire - si c’est «
Avocats sans frontière » qui a décidé de poursuivre Norman Finkelstein, comme
c’est aussi « Avocats sans frontière » qui a initié avec l’Union des étudiants
juifs de France le procès contre Mermet. Nous avons fait citer comme témoin
Alain Finkielkraut et le président du CRIF, Roger Cukierman.
Si vous le
pouvez, venez aujourd’hui écouter les débats à 13h30 devant la 17è Chambre
correctionnelle de Paris et soutenir ce combat essentiel contre l’antisémitisme
le plus redoutable c’est à dire celui qui ne dit pas son nom mais abuse de tous
les pouvoirs dont il dispose aujourd’hui, à commencer par un pouvoir médiatique
sans contrôle. C’est ce pouvoir que nous devons d’abord contester si nous
voulons tenter de déprogrammer l’agenda de la haine qui
revient.
2.3. Reporters sans frontières exprime son soutien au
journaliste Daniel Mermet
3 juin 2002 - Daniel
Mermet, journaliste et animateur à France Inter, a comparu le 31 mai devant le
tribunal correctionnel de Paris pour diffusion de propos jugés antisémites. Il
est poursuivi par l'Union des étudiants juifs de France (UEJF), la Ligue contre
le racisme et l'antisémitisme (LICRA) et Avocats sans frontières, pour avoir
diffusé à l'antenne des commentaires anti-israéliens émanant de plusieurs
auditeurs.
Reporters sans frontières s'indigne de la mise
en cause du journaliste pour la simple diffusion de messages émanant
d'auditeurs, et s'inquiète plus généralement de la multiplication des mises en
cause abusives du droit à la libre expression ces derniers mois en France.
"Est-il encore possible d'exprimer des opinions tranchées sur l'actuel
gouvernement israélien sans être taxé d'antisémitisme ?", s'est interrogé Robert
Ménard, secrétaire général de l'organisation. "Il n'est pas acceptable que la
lutte contre l'antisémitisme soit systématiquement et abusivement invoquée - et
ainsi galvaudée - pour censurer ou sanctionner les mises en cause de la
politique d'Israël dans le contexte actuel. Nous mettons en garde contre un
recul de la liberté d'expression en France", a ajouté M. Ménard. [http://www.rsf.org]
2.4. Le journaliste Daniel Mermet assigné pour
"incitation à la haine raciale" par Xavier Ternisien
in Le Monde du
dimanche 2 juin 2002
Des associations juives accusent le producteur de
France-Inter d'avoir diffusé des propos d'auditeurs à caractère antisémite
Du
18 au 22 juin 2001, Daniel Mermet consacrait son émission quotidienne sur
France-Inter, "Là-bas si j'y suis", au conflit israélo-palestinien. Au début du
programme, une boîte vocale diffusait des réactions d'auditeurs. "Qu'est-ce que
c'est que ce pouvoir mortifère qui se complaît dans les assassinats d'enfants et
les mutilations, qui justifie l'inacceptable jour après jour avec une
outrecuidance criminelle et qui a l'infâme arrogance de nous traiter de racistes
quand on ose timidement protester contre cette conduite indigne ? Qu'est-ce que
c'est que ces hypocrites qui manient avec tant de virtuosité le bouclier de
l'antisémitisme quand on veut juste leur rappeler que depuis cinquante ans, ils
reproduisent à dose homéopathique l'horrible injustice dont ils ont souffert ?
Je suis farouchement antisioniste. Je ne suis en rien antisémite."
Ces
propos, et sept autres réactions, sont-ils constitutifs des délits de
diffamation raciale et de provocation à la haine raciale ? L'association Avocats
sans frontières, présidée par Me Gilles William Goldnadel, l'Union des étudiants
juifs de France (UEJF) et la Licra, qui ont assigné, vendredi 31 mai, Daniel
Mermet et Jean-Marie Cavada, président de Radio France, devant la 17e chambre du
tribunal de Paris, en sont convaincues. Avec à l'appui, des témoins de poids :
les philosophes Alain Finkielkraut et Pierre-André Taguieff - qui n'a pu se
déplacer -, le journaliste Alexandre Adler et Roger Cukierman, président du
Conseil représentatif des institutions juifs de France (CRIF).
Pour Me
Goldnadel, il ne fait aucun doute que Daniel Mermet est un "militant" de la
cause palestinienne. "Le journaliste est un imparfait de l'objectif, c'est un
homme désintéressé et honnête", répond le prévenu. "Qu'avez-vous cherché à
montrer à travers vos émissions ?", lui demande la présidente, Mme Catherine
Bezio. "De la souffrance, de la haine, l'insécurité, le désarroi, et aussi des
amorces de résistance. Ce sont des carnets de route."
"LE VIBRATO DE SES
ÉMISSIONS"
Le magnétophone est branché, le tribunal écoute les pièces à
conviction. Les sons de la vie à Gaza font irruption dans la torpeur du prétoire
: des gamins qui rient en expliquant la fabrication des cocktails Molotov, des
avions F 16 qui traversent le ciel. "Daniel Mermet est un journaliste engagé,
juge Alain Finkielkraut.C'est sa marque d'originalité, le vibrato de ses
émissions. J'avoue que j'y suis sensible."Mais le philosophe s'alarme dès que
"l'engagement vampirise le journalisme" : "Tout au long de son émission, Daniel
Mermet ramène ce qu'il décrit à du déjà vu : l'apartheid, la colonisation, le
martyre juif. C'est une logique de renversement : les Israéliens sont considérés
comme juifs, et donc comme des victimes passées de l'autre côté, des victimes
devenues nazis."
L'audience tourne au débat philosophique sur les rapports
entre antisionisme et antisémitisme. "95 % des juifs de France sont sionistes,
avance Alain Finkielkraut, dans le sens où ils ont une solidarité de destin avec
Israël. Mettre au banc de l'humanité cet Etat, en tant que fasciste ou nazi,
c'est exclure, sous le masque de l'antiracisme, tous ceux qui, en tant que
juifs, le soutiennent."
Cité par la défense, Rony Brauman ne partage pas
cette analyse. Pour l'ancien président de Médecins sans frontières, le sionisme
est une option politique, critiquable en tant que telle. "Toute l'ambiguïté du
sionisme, c'est qu'il renferme dès l'origine à la fois un mouvement de
libération nationale et un mouvement colonial. En ce sens, il comporte une part
de racisme." Alexandre Adler souligne, lui, que la boîte vocale incriminée est
un peu comme le courrier des lecteurs d'un journal, "avec l'effet violent
qu'apporte en plus la radio". Pour le directeur éditorial de Courrier
international, "ce n'est pas la liberté d'expression qui doit prévaloir dans le
choix des interventions".
Sur 29 auditeurs diffusés à l'antenne, 18 sont
pro-palestiniens et 11 pro-israéliens. Daniel Mermet reconnaît avoir reçu
davantage de messages pro-israéliens, "des interventions envoyées en réseau,
avec sensiblement les mêmes mots". Des choix éditoriaux qui portent la marque
d'un "antisémitisme new look" de gauche, tranche Me Goldnadel, parce qu'il n'y a
"qu'un cheveu entre la détestation de l'Etat juif et l'antisémitisme".
Pour
le procureur Christian Ligneul, les émissions de Daniel Mermet sont à replacer
dans "un débat politique, un contexte de guerre". "On ne peut pas reprocher au
journaliste de reproduire un amalgame entre le peuple juif et l'Etat d'Israël,
poursuit-il. C'est peut-être moralement répréhensible, mais pas pénalement."Il
laisse donc au tribunal le soin d'apprécier si le prévenu "a franchi une fois
seulement la limite". Me Jean-Yves Halimi, conseil de Daniel Mermet, dénonce
"les amalgames, les contresens, les citations tronquées, les glissements
sémantiques abusifs et les syllogismes erronés" commis selon lui par les parties
civiles. Ce procès constitue, affirme-t-il, "le point d'orgue des pressions
exercées sur les médias à l'occasion du conflit israélo-palestinien". Jugement
le 10 juillet.
2.5. Sionisme et
judaïsme par Daniel Cling (Paris)
dans le courrier des lecteurs du
quotidien Le Monde du vendredi 14 juin 2002
Je relève avec surprise,
dans votre article consacré au procès intenté à Daniel Mermet pour “incitation à
la haine raciale” (Le Monde du 3 juin), les propos d’Alain Finkielkraut, selon
qui “95 % des juifs de France sont sionistes”. De culture juive, je ne me sens
absolument pas lié par cette assertion et fais partie des Français qui s’élèvent
contre la politique d’Israël comme celle de n’importe quel Etat. Je ne sais pas
d’où proviennent les chiffres avancés par le philosophe et j’ai l’impression
qu’ils sont le fruit d’un raisonnement qui consiste à établir, en un raccourci
facile, que tous les Israéliens étant juifs, tous les juifs sont israéliens.
(...) On peut être opposé à la politique d’Israël sans être antisémite et
considérer que certains actes barbares sont perpétrés par ses dirigeants. Si les
propos entendus dans l’émission de M. Mermet prêtent à discussion, ils ne me
paraissent en aucun cas déplacés dans ce contexte et je lui suis gré de rendre
compte, à sa manière, de ce qui se produit dans le monde. Porter un nom à
consonance juive ne donne aucune qualification pour refuser à quiconque le droit
d’exprimer des idées contraires aux siennes, surtout lorsqu’il s’agit d’évoquer
Israël ; protéger à tout prix cet Etat, au nom des souffrances du peuple juif,
ne rend pas toujours service aux juifs que l’on voudrait défendre
aujourd’hui.
2.6. Le Comité de Vigilance
pour une Paix Réelle au Proche-Orient dénonce le procès fait à Daniel Mermet et
lui apporte son soutien
Paris, 10 juin 2002 - Le Comité de
Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient (CVPR-PO) observe avec attention
la prolifération inhabituelle depuis quelques mois, de poursuites judiciaires à
l'encontre de personnes privées, dans l'exercice de leur profession ou de leur
droit à la liberté de parole, au prétexte de leur opinion sur la question de
Palestine.
Les procédures sont conduites à l'initiative d'organisations
instituées ou de groupements constitués pour la circonstance, et se portant
partie civile.
Ces procès querelleurs se multiplient en France et en Europe.
Le procédé est souvent le même : des citations tronquées, des amalgames
hâtifs, des assimilations sémantiques ou logiques grossières servent à
diligenter les procédures.
Aux Pays-Bas, l'épouse du président de la Banque
Centrale Européenne est accusée "d'antisémitisme" pour avoir accroché au balcon
de sa résidence privée un drapeau palestinien.
Le cas du journaliste Daniel
Mermet, animateur et producteur de l'émission de "France Inter" intitulée
"Là-bas si j'y suis" est à cet égard exemplaire.
Daniel Mermet est poursuivi
devant la 17ème Chambre du Tribunal correctionnel de Paris pour avoir diffusé
comme le veut la règle même de son émission les propos d'auditeurs réagissant
aux "Carnets de route" du journaliste, en Palestine et en Israël.
Sur
trente-cinq messages d'auditeurs diffusés, sept ont été sélectionnés par les
plaignants. Il s'agit, et ce n'est pas le fruit du hasard, de messages exprimant
des critiques d'auditeurs à l'égard de la politique menée actuellement par le
gouvernement de l'Etat d'Israël.
Ces critiques sont assimilées par les
plaignants à de "l'incitation à la haine raciale". Le tour de passe-passe
consiste, en l'occurrence, à assimiler la critique d'une idéologie politique, le
sionisme, à de l'antisémitisme.
Le Comité de Vigilance pour une Paix Réelle
au Proche-Orient ( CVPR ) n'est surpris ni par le procédé, ni par la procédure,
et souhaite exprimer sur cette affaire les observations suivantes :
Le CVPR
considère que la plainte déposée contre Daniel Mermet est de nature abusive et
porte atteinte à l'exercice de sa profession par le journaliste. Il entend lui
exprimer son entier soutien dans cette affaire.
Il relève que cette procédure
s'inscrit dans le cadre d'une campagne qui cherche à criminaliser le mouvement
d'opinion qui se développe en faveur du respect et de l'application pour le
peuple palestinien des droits légitimes qui lui sont reconnus dans le cadre de
la légalité internationale, et notamment des résolutions de l'ONU.
Le CVPR
considère qu'ester en justice contre l'éditorialiste, au chef d'avoir diffusé
des propos d'auditeurs, vise, d'abord, à provoquer et amplifier une atmosphère
d'intimidation, de censure et d'autocensure, notamment au sein de la presse.
Il s'étonne que des journalistes, des éditorialistes et des intellectuels,
animateurs eux-mêmes, pour certains d'entre eux, d'émissions sur la même radio
de service public, où leurs opinions en faveur de la politique menée par l'Etat
d'Israël s'affirment avec la régularité d'un métronome, aient cru bon de se
porter témoins à charge contre leur confrère.
Le CVPR considère, à cet
égard, que de telles manières rappellent fâcheusement des méthodes de type
maccarthyste. Ces méthodes se développent et s'amplifient au sein de la
société israélienne.
Le CVPR les a dénoncées dans son communiqué du 14
mai dernier, se rapportant au procès fait à l'historien israélien Ilan Pappé,
par l'Université de Haïfa.
Le Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au
Proche-Orient considère aussi que la vague procédurière dont ce procès fait à
Daniel Mermet est le dernier avatar médiatisé, dérive d'une volonté de
transférer ce climat maccarthyste vers la France et les pays de l'Union
Européenne par des artifices qui relèvent du terrorisme intellectuel.
Il
relève que les similitudes de facture qui caractérisent ce harcèlement
judiciaire, et la multiplication des procédures, permettent de présumer d'une
campagne orchestrée et rappellent singulièrement les procès à la chaîne engagés
de manière systématique, il y a quelques années, par les mouvements
d'extrême-droite dans le but de tenter de faire taire leurs adversaires et
les critiques.
Le Comité de Vigilance pour une paix Réelle au Proche-Orient
appelle les intellectuels, les journalistes, les artistes, les universitaires de
tous bords à se mobiliser pour empêcher une dérive inquiétante qui ne peut
qu'être préjudiciable à un véritable dialogue entre les protagonistes. Les
tragédies annoncées au Proche-Orient requièrent une protection accrue du droit à
l'information, et surtout la levée de la chape de déshumanisation et de silence
sous laquelle certains cherchent à étouffer la question de Palestine. Le
CVPR qui s'est notamment engagé à œuvrer au respect et à l'application des
dispositions du droit ne peut laisser le harcèlement procédurier étrangler la
justice. Il réaffirme sa détermination à s'opposer à toute censure sous quelque
forme qu'elle
advienne.
3. LE CAS ANGELIQUE
SCHALLER
Ce dernier cas est
assez particulier, car la journaliste concernée, Angélique Schaller, à l'inverse
des rédactions de The Independent et de France Inter, qui soutiennent leurs
journalistes respectifs, a quant à elle été "désavouée" par son rédacteur en
chef. EXPLICATIONS - Angélique Schaller est
une jeune journaliste du quotidien régional "La Marseillaise". Ce journal,
historiquement proche du Parti communiste français, a publié le mardi 28 mai
2002 un article d'Angélique Schaller intitulé "Boycott des produits israéliens"
(reproduit ci-dessous). Le lundi 3 juin dernier, un groupe d'une quarantaine
extrémistes juifs marseillais ont entrepris une action d'intimidation devant le
siège du quotidien. Fustigeant bruyamment, la
couverture par ce journal des nombreuses actions menées par le
Collectif pour le respect des droits du peuple palestinien à Marseille et dans
sa région, cette "bande" d'excités a distribué des oranges d'importation
israélienne aux passants médusés. Etonnée, inquiète, et soucieuse de son image
en pleine campagne électorale, la rédaction de "La Marseillaise" a alors décidé
de recevoir ces extrémistes juifs marseillais dans ses locaux. Le lendemain,
Christian Digne, rédacteur en chef du quotidien, publiait une longue mise au
point intitulée "A nos lecteurs" (reproduite ci-dessous) dans laquelle il
s'excusait. Il serait intéressant de retrouver dans les archives
de ce journal, ses positions concernant la campagne de boycott de
l'Afrique du sud de l'apartheid dans les années
80...
3.1. Lancement régional - "Boycott des
produits israéliens" par Angélique
Schaller
in La Marseillaise du mardi 28 mai 2002
[L'article est illustré par la reproduction
d'un autocollant sur lequel on voit une orange, accompagnée du texte suivant
"Les oranges... vous les aimez sanguine ? Quand vous achetez des oranges,
des citrons, des avocats, des pamplemousses Jaffa et Carmel, vous cautionnez les
massacres en Palestine. Boycott des produit
israéliens."]
Ils étaient peu nombreux à s'être réunis, hier, à 18 heures,
devant le Consulat des Etats-Unis à Marseille. Certes, les membre habituels du
Collectif pour le respect des droits du peuple palestinien étaient là : de
Ballon rouge à Résister en passant par le Centre d'information et de
documentation sur l'immigration maghrébine (Cidim), Méditerranée Solidaire, la
Ligue des Droits de l'Homme...
Ceux qui ont pu, hier, rassembler plusieurs
milliers de personnes sur la Canebière pour une manifestation organisée en 24
heures, rappellent la nécessité de se remobiliser aujourd'hui. Le rassemblement
d'hier soir a néanmoins permis une action à minima symbolique : "Nous protestons
contre la venue de Bush en France et alertons sur les mobiles d'une telle visite
qui ne peut que préparer un "sale coup", nous pensons évidement à une attaque de
l'Irak" a notamment déclaré Alain Castan de Résister, "C'est aussi l'occasion de
manifester notre opposition à son soutien inconditionnel à Sharon et de
stigmatiser l'éternelle inertie internationale".
Ce rassemblement, a aussi été l'opportunité de
lancer la version régionale de l'opération de boycott de produits israéliens.
Des autocollants et des affichettes circulent "Vous aimez les oranges sanguines
? Quand vous achetez des oranges, des citrons, des avocats, des
pamplemousses Jaffa et Carmel, vous cautionnez les massacres en Palestine". Ce
qui n'empêchera pas les militants marseillais de relayer la campagne nationale
qui débutera le 22 juin prochain, sur la base d'une liste plus
exhaustive.
Ce 22 juin sera d'ailleurs la date de la prochaine
manifestation pour la Palestine (14h30, départ sur le Vieux-Port [en fait le départ se fera des Mobiles cf. la rubrique
"Rendez-vous" de ce PiP, ndlr]) : "C'est fondamental car la
situation ne s'améliore pas du tout dans les Territoires occupés, même si les
médias français le relayent moins dans leurs colonnes" ajoute encore Alain
Castan. Ce dernier a aussi annoncé que le départ de la prochaine Mission civile
de protection organisée au niveau local, se déroulerait en juillet
prochain.
3.2. A nos lecteurs par Christian
Digne
in La Marseillaise du mardi 4 juin 2002
EXTRAIT - Nous avons publié, dans l'édition du mardi 28 mai, l'appel de
plusieurs associations se prononçant pour le boycott des produits israéliens.
L'article était accompagné de la reproduction d'une affiche, réalisée par ces
associations, dont les termes étaient particulièrement vindicatifs à l'égard
d'Israël. Cette publication a suscité la vive réprobation de nombreux lecteurs
de La Marseillaise, de responsables et de membres de la communauté juive. Nous
comprenons et nous partageons leur émotion [à cinq
jours du premier tour des élection législatives en France, ndlr du
PiP]. Notre quotidien ne soutien pas l'initiative lancée par ces
associations. S'il est légitime, pour notre quotidien d'informer sur les prises
de position du monde associatif, il nous revenait de bien séparer cette opinion
et la ligne éditoriale de La Marseillaise sur ce sujet. Ce que nous n'avons pas
fait.
Sur la situation dramatique du Proche-Orient, La Marseillaise a un seul
parti pris : celui du combat pour la paix. Une paix qui ne s'installera sur
cette terre de Méditerranée qu'à une double condition : la garantie de la
sécurité du peuple d'Irsaël et la création d'un Etat palestinien souverain dans
des frontières reconnues. C'est pourquoi nous sommes animés de la volonté
éditoriale de valoriser toutes les initiatives qui, refusant la spirale de la
haine et de la violence, favorisent ce rapprochement entre les peuples, leur
meilleure compréhension. A notre avis, l'appel au boycott des produits
israéliens ne participe pas à cette recherche. [...]
Revue de presse
1. Obstacle à tout accord de paix - Le
cancer des colonies israéliennes par Marwan Bishara
in Le Monde
Diplomatique du mois de juin 2002
Tandis que l’armée israélienne multiplie les
incursions meurtrières dans les villes “autonomes”, les autorités d’occupation
imposent de nouvelles mesures restrictives à la circulation des biens et des
personnes : la Cisjordanie est divisée en huit “cantons”, entre lesquels il
faudra des permis spéciaux pour se déplacer. Ces décisions, qui accentuent
l’asphyxie économique, enterrent les accords d’Oslo. Sur le terrain, en
violation de toutes les résolutions internationales, le cancer des colonies
s’étend.
Pourquoi la paix est-elle si difficile à construire au
Proche-Orient ? Le plus grand obstacle est assurément l’existence des colonies
israéliennes, raison d’être et moteur de l’occupation. Trente années
d’objections américaines et européennes n’y ont rien fait. Bien qu’illégales,
elles se sont étendues, minant toute tentative de construction d’un Etat
palestinien. Et, si elles continuent à proliférer, elles finiront par précipiter
- et à quel prix ! - la fin de l’Israël qu’avaient imaginé ses fondateurs.
La
dynamique et l’idéologie des colonies sont devenues, ces dernières années, la
pierre angulaire de l’identité israélienne moderne. La politique de colonisation
et ses actuelles manifestations violentes ont transcendé les divisions ethniques
et religieuses du pays pour constituer un nouvel “israélisme”, fondé sur un
nouveau nationalisme juif. Les colons et leurs alliés reproduisent Israël à leur
image : une théocratie en perpétuel conflit. Et chaque jour, sous la direction
de M. Ariel Sharon et avec le soutien explicite du président George W. Bush,
cette évolution devient une prophétie autodestructrice.
Ces colons de la
nouvelle génération n’ont aucun point commun avec leurs prédécesseurs d’avant
1948, qui fondèrent le sionisme et construisirent l’Etat sur des bases laïques,
socialistes et majoritairement européennes. Ceux d’après 1967sont principalement
des néolibéraux, croyants et ocnservateurs à la Reagan. De surcroit,
contrairement aux colons d’autrefois, leur occupation est parrainée par l’Etat
d’Israël.
Pour assurer le succès du nationalisme “grand-israélien” comme
leurs prédécesseurs le firent pour le nationalisme israélien, il faudra, selon
les nouveaux sionistes, passer par un nouveau nettoyage ethnique. On lit déjà le
“transfert” des Palestiniens sur les lèvres de nombreux membres du cabinet de M.
Sharon.
Pis : l’ex-général Efi Eitam, ministre récemment nommé, colon
angoissé et chef du Parti national religieux, a qualifié l’idée de “transfert”
de politiquement “attirante” quoique irréaliste en l’absence de guerre. Selon
cet ancien travailliste, “peu d’Arabes resteraient” en cas de conflit
généralisé. Et M. Eitam a appelé à des frappes préventives contre l’Irak et
l’Iran [1]...
Pour sa part, l’actuel premier ministre d’Israël a reconnu que
l’armée serait partie depuis longtemps si les colonies n’existaient pas. Mais
ces dernières présentent un grand avantage : elles permettent aux dirigeants
israéliens de convaincre leurs concitoyens que “leur armée n’est pas une armée
étrangère exerçant son pouvoir sur une armée étrangère”. En 1977, lorsque le
ministre Sharon présidait le comité ministériel pour les colonies, il avait
supervisé l’établissement de nouvelles colonies en Cisjordanie et à Gaza. Il
prévoyait d’y installer deux millions de juifs. Un quart de siècle plus tard, le
premier ministre Sharon reste intransigeant sur le fait qu’Israël a le “droit
moral” de modifier la démographie de ces territoires. Depuis son élection en
janvier 2001, M. Sharon a fait construire trente-cinq nouveaux avant-postes de
colonies [2].
Dans la seconde moitié des années 1970, lors de la transition
du gouvernement travailliste à celui du Likoud, M. Sharon apparut comme un
dirigeant capable de réaliser le rêve d’un “Grand Israël” allant au-delà des
frontières reconnues internationalement. En encourageant les Israéliens à
s’installer “partout” dans les territoires occupés, M. Shimon Pérès a conforté
M. Sharon dans ses efforts pour mettre en oeuvre le programme du puissant
mouvement bipartisan (Likoud/travaillistes) favorable à la “terre élargie
d’Israël”, du fleuve Jourdain à la Méditerranée.
Vingt-cinq ans plus tard, le
nombre de colons dans les territoires occupés est passé de 7 000 en 1977 à plus
de 200 000 en 2002 - plus 200 000 autres à Jérusalem-Est. Leurs 200 colonies
occupent 1,7 % du territoire de la Cisjordanie, mais en contrôlent 41,9 % [3].
Une partie d’entre eux sont de dangereux fanatiques armés autorisés à tuer par
l’armée israélienne. Année après année, les escadrons de la mort des colons ont
abattu des civils non armés, mené des attaques terroristes contre des élus,
torturé et assassiné de nombreux Palestiniens. En mai dernier, les services de
police ont empêché à la dernière minute un attentat contre des civils
palestiniens.
Depuis les accords d’Oslo (1993), Israël a multiplié par trois
le nombre de ses colons et par deux celui de ses colonies, qu’il a reliées les
unes aux autres par un réseau de routes de contournement et de zones
industrielles assurant leur domination spatiale sur les territoires
palestiniens. Ministre des infrastructures du gouvernement de M. Benyamin
Nétanyahou, M. Sharon concentra dans ce but les programmes d’investissement
d’Israël. Les gouvernements d’Itzhak Rabin et de M. Ehoud Barak ne furent pas
moins actifs. Une véritable prolifération de colonies se produisit sous le
gouvernement Barak, sous la supervision de M. Itzhak Lévy, alors dirigeant du
Parti national religieux et ministre des colonies [4]. Quand le temps vint de
mettre un terme à tout ce chaos, lors du sommet de Camp David en juillet 2000,
les négociations trébuchèrent, puis avortèrent sur l’insistance israélienne à
conserver les colonies et 9 % de la Cisjordanie. On demanda aux Palestiniens de
signer un accord final fondé sur la promesse d’un quasi-Etat divisé en quatre
régions séparées, encerclées de blocs de colonies. Bref, le maintien de ces
dernières a saboté la tentative de mettre fin à l’occupation et compromis les
efforts de paix.
Après l’échec du sommet de Camp David et suite à
l’éclatement de la seconde Intifada, le rapport établi par la commission
internationale dirigée par le sénateur américain George Mitchell souligna le
fait que lels colonies juives ne pouvaient aller de pair avec l’établissement de
la paix. La commission en recommanda le gel, présenté comme condition d’un
cessez-le-feu et d’une reprise des négociations. Au contraire, le cabinet de M.
Sharon approuva un budget supplémentaire de 400 millions de dollars pour les
colonies.
“Montrer à tous l’image de
Dieu”
Actuellement, 7 000 colons contrôlent 30 % des 224 km2 de
la bande de Gaza. Or celle-ci compte 1,2 million de Palestiniens, pour la
plupart des réfugiés. Il leur est impossible de circuler sans passer par des
colonies fortifiées abritant piscines et terrains de base-ball au coeur d’un
territoire sablonneux et surpeuplé où l’eau est rare et chaque lopin de terre
précieux. Quelque 400 maisons palestiniennes y ont été détruites par Israël
pendant la première année de l’Intifada, sous couvert de protection des colonies
voisines.
Lorsque l’armée demanda à M. Sharon de déménager certaines colonies
éloignées pour les regrouper avec d’autres, plus proches et mieux défendues, le
premier ministre refusa et jura de n’en démanteler aucune tant qu’il serait au
pouvoir. Il nomma alors deux nouveaux ministres du Parti national religieux
(NRP), noyau dur des dirigeants de la colonisation, et les plaça au cabinet de
sécurité qui supervise les territoires occupés.
Il n’y a pas de meilleure
façon de décrire la nouvelle géographie des colonies que de découper la carte de
la Cisjordanie dans un morceau de gruyère. Les petits trous noirs, vides et
déconnectés les uns des autres, sont les cantons palestiniens, dits autonomes,
et les riches parties jaunes les entourant les colonies juives.
Deux lois
prévalent en Palestine : l’une pour les colons, l’autre pour les Palestiniens.
Les premiers peuvent circuler, construire et se développer, alors que les
seconds sont bloqués dans quelque 200 cantons encerclés. Les Israéliens
continuent d’exproprier toujours plus de terres, et les Palestiniens en ont de
moins en moins.
Ces dernières années, Israël a multiplié les bouclages des
zones palestiniennes, imposés de manière hermétique, globalement ou localement,
afin de faciliter les déplacements des colons. Selon le Fonds monétaire
international (FMI) et la Banque mondiale, ces bouclages ont causé plus de tort
à l’économie palestinienne et à la construction nationale que tout autre
facteur. Elles ont surtout rendu la vie des Palestiniens impossible. Certains
amis occidentaux d’Israël, comme l’éditorialiste Thomas Friedman, estiment que,
si la logique des colons devait l’emporter, Israël se transformerait en un
véritable régime d’apartheid. L’ancien procureur général israélien Michael
Ben-Yair estime que la logique des colons intégristes a d’ores et déjà gagné et
qu’Israël a “établi un régime d’apartheid dans les territoires occupés
[5]”.
Tel n’est pas le point de vue des colons. Pour le général en retraite
Eitam, l’étoile montante de la droite religieuse, le “Grand Israël” est “l’Etat
de Dieu ; les juifs sont l’âme de ce monde ; le peuple juif a pour mission de
révéler l’image de Dieu sur terre”. Lui-même se considère d’ailleurs comme situé
“à la place de Moïse et du roi David” ; là où “un monde sans juifs est un monde
de robots, un monde mort ; et l’Etat d’Israël est l’arche de Noé de l’avenir du
monde. Sa tâche est de montrer à tous l’image de Dieu [6].
Au fil des ans,
les familles modestes ainsi que les nouveaux immigrants furent incités à
s’installer dans les colonies : on leur offrit des maisons à bas prix et des
avantages financiers, parfois grâce à de l’argent provenant de l’aide
américaine. Plus les promesses d’une vie meilleure se muèrent en cauchemar
colonial, et plus les colons pragmatiques se dotèrent d’une idéologie toujours
plus à droite. Et plus de 94 % d’entre eux votèrent pour M. Nétanyahou, puis
pour M. Sharon aux dernières élections.
Actuellement, des intégristes
fanatiques dominent le conseil regroupant les organismes de gestion des colonies
et exercent une influence considérable sur les décisions du gouvernement. Dix
députés sur cent vingt sont des colons, et tous font partie de la coalition au
pouvoir. Trois colons ont déjà été ministres du gouvernement Sharon et deux le
sont actuellement, sans oublier nombre de responsables d’agences
gouvernementales. Bien qu’elles soient considérées comme “extraterritoriales”
par la communauté internationale, les colonies représentent le foyer ardent du
nationalisme “grand-israélien”. A l’inverse de leurs concitoyens qui souhaitent
un “Etat juif” reconnu internationalement à l’intérieur de frontières
souveraines, ces nouveaux fanatiques insistent sur le fait que leur patrie est
la “terre d’Israël”, et non l’”Etat d’Israël” : ils n’accepteront donc pas
l’existence d’un autre Etat entre le Jourdain et la Méditerranée.
Le pouvoir
des colons dépasse leur influence électorale. Ces vingt-cinq dernières années, à
l’exception des éphémères gouvernements Rabin et Barak, l’influence des colons
religieux n’a cessé de croître pour devenir le noyau dur des coalitions dirigées
par le Likoud. Ce faisant, ils menacent non seulement la Palestine et la
normalisation d’Israël, mais aussi la région tout entière.
Car les ‘think
tanks’ mis en place dans les colonies présentent des théories fondées sur la
guerre, adaptées aux nouveaux concepts américains tels que la “guerre contre le
terrorisme” et l’”axe du Mal”, ainsi qu’aux nouveaux systèmes de missiles et à
la pire littérature sensationnaliste produite par le Pentagone. Rêvant de mener
des guerres à l’américaine, les colons ne se soucient guère de cohabiter avec
leurs voisins. Et pour cause : ils croient qu’”Israël est l’espoir du monde” et
que “la sauvagerie morale palestinienne est organisée pour nous empêcher de
l’être”.
Paradoxalement, la dernière vague d’attentats-suicides palestiniens
a fait le jeu des colons. L’idée, évidemment erronée, que les Palestiniens
exigeraient non seulement le retrait d’Israël des territoires occupés, mais
celui d’Israël tout entier, a diminué la pression exercée sur les colonies -
perçues jusque-là comme un obstacle à la paix - et radicalisé toute la société
israélienne. La politique de colonisation, poursuivie envers et contre tous les
accords signés, a dessiné une nouvelle géographie du conflit. Si bien que des
millions de Palestiniens et d’Israéliens vivent dans la peur, du fait de colons
illégaux qui plongent la région dans une guerre coloniale et communautaire. Si
Israël poursuit son entreprise au même rythme que depuis les accords d’Oslo, les
colons seront bientôt un million. Il sera alors impossible de séparer les
Palestiniens d’Israël et de ses colons sans procéder à un nettoyage
ethnique.
Une telle évolution ne compromettra pas seulement l’avenir de
l’Etat palestinien, mais aussi toute chance de maintenir à long terme l’Etat
hébreu, d’autant que l’avantage démographique juif sur le territoire de la
Palestine mandataire (Israël, Cisjordanie et bande de Gaza) ne cessera de
diminuer. Dans dix ans, les Palestiniens deviendront même majoritaires. Et ces
millions de juifs et d’Arabes seront de plus en plus inséparables.
Pour
l’instant, la logique de M. Sharon et de ses colons continue à alimenter un état
de conflit permanent et de guerre en Palestine et au Proche-Orient. Si la
communauté internationale n’intervient pas, la logique des colonies conduira au
même blocage qu’à la veille de la guerre de 1948 : il faudra choisir entre un
Etat binational et une nouvelle tentative de nettoyage ethnique. Mais cette
dernière représenterait cette fois, pour Israël, une erreur stratégique
dramatique : pensons au sort de M. Slobodan Milosevic...
(Marwan
Bishara est chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Paris,
auteur notamment de Palestine/Israël : la paix ou l’apartheid, La Découverte,
Paris, 2002.)
- Notes :
[1] : Haaretz, Tel-Aviv, 12 avril 2002.
[2] : The New York Times, 27
avril 2002.
[3] : Voir www.betselem.org,
“Israel’s Settlement Policy in the West Bank”, Tel-Aviv, 13 mai 2002.
[4] :
La quatrième convention de Genève, signée par Israël et les Etats-Unis, stipule,
on le sait, que “le pouvoir occupant ne déportera et ne transférera aucune
partie de sa population civile vers les territoires qu’il occupe”.
[5] :
Haaretz, 3 mars 2002.
[6] : Haaretz, 18 avril
2002.
2. Une effroyable routine au Proche-Orient par
Gilles Paris
in Le Monde du samedi 1er juin 2002
A contrario, le déplacement des Palestiniens en dehors des zones où ils se
concentrent n'est permis qu'à titre dérogatoire, et littéralement transitoire,
uniquement pour aller de l'une à l'autre. Dans cette logique, l'accès au
territoire israélien et à Jérusalem-Est est naturellement prohibé. Les
justifications de ces nouvelles règles avancées par l'administration civile (en
fait militaire) des territoires privilégient le souci officiel de faciliter la
vie quotidienne des Palestiniens (ceux d'entre eux qui seraient gratifiés d'une
autorisation à se déplacer n'auraient plus à redouter l'arbitraire des
check-points), ainsi que leur portée temporaire (elles disparaîtraient dès lors
que la situation serait redevenue "normale".) Ces arguments seraient sans doute
plus convaincants si ces règles ne s'inscrivaient pas dans quatre décennies
d'occupation au cours desquelles l'espace conquis militairement en 1967 a été
l'objet d'une pensée unique.
Comme en ont émis l'hypothèse Franck Debié et Sylvie Fouet dans un ouvrage
publié en avril 2001 (La Paix en miettes, PUF), les Israéliens semblent
prisonniers d'une matrice sécuritaire qui les empêche de penser la
décolonisation, même partielle, de la Cisjordanie et de
Gaza.
Cette matrice est héritée du plan Allon, du nom d'un responsable
travailliste à l'origine de ce plan à la fin des années 1960. L'espace occupé
est un espace disponible dans lequel serait éventuellement découpé un micro-Etat
palestinien en fonction de critères subjectifs israéliens. Dans cette approche,
le pourcentage concédé à cet Etat "en creux" peut osciller en fonction des
acteurs : à la baisse avec Benyamin Nétanyahou, à la hausse avec Ehoud Barak. La
grille de lecture reste la même : la sécurité d'Israël, du moins telle que
l'envisage l'armée, l'emporte sur la viabilité de l'entité. Elle explique
aujourd'hui la disparition des zones autonomes palestiniennes et le projet de
nouvelles règles de circulation. Si cette situation s'installe, de nouveaux
verrous auront été posés, sans doute durablement, qui compliqueront toute
tentative de renégociation.
LA NÉGATION D'UN PAYS À VENIR
Ces modifications apportées sur le terrain par les Israéliens suscitent
jusqu'à présent l'indifférence de la communauté internationale. Plus personne ne
remet en question la totale liberté de manœuvre de l'armée israélienne à
l'intérieur des zones autrefois autonomes palestiniennes. Il en va de même avec
la poursuite de la colonisation en Cisjordanie et l'opposition du premier
ministre Ariel Sharon, candidat à sa succession en 2003, au démantèlement d'une
seule implantation partout dans les territoires occupés.
Dans le même temps, les critiques s'abattent en rafale sur Yasser Arafat,
le chef de l'Autorité palestinienne, accusé d'avoir fourvoyé son peuple à la
tête d'une administration incapable et corrompue. En sous-estimant notamment la
capacité de M. Sharon de bâtir une coalition durable et en se trompant
lourdement sur la nature de la nouvelle administration américaine, le chef de
l'Autorité palestinienne a assurément multiplié les erreurs tactiques en un
temps record. Mais les détracteurs approximatifs de M. Arafat vont plus loin en
mettant en doute son projet de coexistence d'un Etat palestinien avec un Etat
juif, un engagement stratégique pourtant maintes fois réitéré. Les plus
caricaturaux, comme M. Barak à travers un entretien accordé à la New York Review
of Books, vont même jusqu'à le nier au nom d'un concept culturaliste pour le
moins douteux : le mensonge comme composante essentielle de la culture
palestinienne.
En Cisjordanie, avec l'institutionnalisation des "cantons", c'est pourtant
la négation d'un pays à venir qui s'opère en toute lumière. Elle porte de
sérieux coups à la "vision de l'Etat palestinien" exprimée par le président
américain George W. Bush, qui, comme une ligne d'horizon, s'éloigne au fur et à
mesure que l'on s'efforce de s'en approcher.
3. Histoire et propagande en Palestine et
Israël par Bernabe Lopez Garcia
In El País (quotidien espagnol) du
vendredi 31 mai 2002
[Traduit de l’espagnol par
Michel Gilquin]
(Bernabe Lopez Garcia est
professeur d’Histoire d’Islam contemporain à l’Université autonome de
Madrid.)
Contrairement à ce qui se passe en France, où les
intellectuels se sont mobilisés par leur plume pour prendre position sur un
conflit qui s’est aggravé en Palestine et Israël ces dernières semaines, les
réactions en Espagne ont été moins visibles, hormis celles de quelque écrivain,
quelques arabisants ou des chroniqueurs habituels dans les différents
journaux.
Cela peut s’expliquer en partie par le fait que dans notre pays, à
la différence de la France, il n’y a pas de communauté juive bien identifiée,
qui est perçue par l’opinion comme une communauté étrangère en dépit de ses
vieilles racines historiques ou de décennies de présence de certains de ses
membres les plus représentatifs. L’existence d’une communauté arabe n’est guère
davantage ressentie parce qu’elle n’est pas structurellement organisée, et que
sa visibilité médiatique pour l’opinion se résume à une jeune immigration de
maghrébins, généralement marginalisés. On ignore toutefois l’existence d’une
élite, originaire du Moyen-Orient - avec une notable présence palestinienne -,
installée depuis les années 70 .
En cela, la parution, dans les pages du «
País », de l’article de Juan Pablo Fusi (« Histoire et Moyen-Orient », 9
avril) mérite attention, car il se targue d’apporter un regard froid et objectif
par une analyse historique de cette question. Mais si cet exercice s’avère comme
quelque chose de très nécessaire en ce moment, le mener à bien de la façon dont
il l’a fait dans ce cas, en violentant l’argumentation et en déformant à ce
point l’histoire (pour ne pas parler des inexactitudes dans les dates les plus
élémentaires), n’aboutit pas à contrecarrer d’un pouce ce que l’auteur lui-même
désigne comme «des déformations historiques délibérées, des omissions
systématiques et des commentaires tendancieux » de l’information et des médias
espagnols sur ce conflit.
Il n’y a pas l’ombre d’un doute que les
nouvelles générations qui consomment aujourd’hui ces informations ont besoin
d’un meilleur fil conducteur pour comprendre le conflit, mais ce n’est pas, à
mon sens, l’argumentation délivrée par Fusi qui les aidera à raisonner sur les
origines et les causes, la nature et l’évolution d’une tragédie qui dure depuis
quasiment un siècle. Parce que le drame n’a pas commencé en 1948, comme le
prétend Fusi, avec le refus de la partition de la Palestine de la part des pays
arabes. Ce n’est pas «propagande officielle palestinienne » que de
rappeler qu’au début du XXème siècle, dans les districts ottomans (Sandjaks)
d’Acre, de Naplouse et de Jérusalem qui formaient la Palestine depuis
l’occupation turque à l’orée du XVIème siècle - et non du XIIème-XIIIème
siècle-, la population juive installée dépassait à peine 50.000 personnes, ce
qui ne représentait seulement que 7% des habitants. De plus, une bonne partie de
ces juifs étaient des immigrants, récemment arrivés, fuyant les
persécutions dans certains pays européens, et encouragés par les appels du
mouvement sioniste qui, depuis peu, avait centré sa revendication sur un retour
à la terre des ancêtres. Et cela, effectivement, en se fondant sur le mythe
qu’il s’agissait «d’une terre sans peuple pour un peuple sans terre ».
Sans tenir compte de cette donnée fondamentale, le chiffre de 650.000 juifs en
Palestine en 1948, avant le conflit armé avec ses voisins arabes, ne peut être
apprécié à sa juste valeur. Dire, ainsi, que l’immigration juive en Palestine
avant 1945 n’était pas significative sur le plan numérique, c’est, de façon
délibérée, ignorer les faits parce qu’ils ne cadrent pas avec l’argumentation
qu’il soutient. Rien qu’entre 1931 et 1946, 434.000 juifs ont immigré,
c’est à dire 66 % du chiffre dont parle Fusi !
La tragédie avait déjà été
pressentie en 1919, quand une commission d’enquête, menée par les Américains
King et Crane, analysa sur le terrain l’impact prévisible de la création d’un
foyer national juif en Palestine, promis à la Fédération sioniste par les
Britanniques par le biais de la Déclaration Balfour de Novembre 1917. Cette
commission, que les deux grandes puissances de l’époque refusèrent de prendre au
sérieux, avertit qu’« il faut avoir à l’esprit que la population non juive de
Palestine - quasiment les 9/10ème du total- est résolument hostile à tout le
programme sioniste. Il ne semble pas qu’il y ait de question sur laquelle la
population palestinienne soit plus unie. Imposer à un peuple dans de telles
dispositions une immigration juive illimitée, de même que lui faire subir des
pressions financières et sociales permanentes pour qu’il cède ses terres, serait
une violation flagrante des principes sur les droits des peuples ».
Une autre
inexactitude grossière dans l’article de Fusi est de prétendre que l’attitude de
la Grande-Bretagne dans la région fut toujours pro-arabe. Ne le fut pas, bien
sûr, la Déclaration Balfour, pas plus que la nomination du premier Haut
Commissaire, le Juif Herbert Samuel. Que les juifs leur soient apparus
progressivement comme quelque chose «d’incommodant et d’irritant » ne fut rien
d’autre que la conséquence de ne pas avoir su trouver la formule pour désamorcer
la bombe constituée par leur promesse de créer un foyer national pour les juifs.
S’être servi des Arabes, avoir constitué deux royaumes dans la région dirigée
par les Hachémites (vis-à-vis de qui ils tentaient de racheter leur trahison de
ne pas avoir tenu la promesse faite au Chérif Hussein de constituer un Royaume
Arabe), ne permet pas, à mon avis, de qualifier leur politique autrement que de
pro-britannique. Et s’ils eurent à naviguer entre arabes et juifs, ce fut parce
qu’ils se trouvaient au centre de la guerre ouverte de deux nationalismes, le
sioniste et le palestinien, qui luttaient pour se partager un même espace, et
qu’ils étaient contraints de jouer les médiateurs.
Juan Pablo Fusi paraît
nier, dans son article, l’existence d ’un «véritable nationalisme populaire
palestinien » en 1948. Qu’il ait existé des courants et des projets différents,
comme celui du Mufti de Jérusalem Amine el Husseini à la tête du Haut Comité
Arabe (regroupement
des partis nationalistes crées en avril 1936) et celui
qui préconisait l’unification de la Palestine avec la Transjordanie de l’Emir
Abdallah, animé par la famille Nachachibi, n’infirme absolument pas l’existence
d’un mouvement qui mena une insurrection populaire et
une grève générale qui
se prolongea plusieurs mois en 1936 et qui fut le détonateur qui convainquit les
Britanniques d’adopter l’idée de la partition du territoire.
Ne pas
reconnaître l’existence de ce nationalisme palestinien, qui fut aussi le
catalyseur d’un nationalisme arabe transnational, qui aboutit à la constitution
d’une sorte de «brigades internationales » animées par le mouvement des
Frères musulmans en Egypte, c’est ne pas comprendre le coeur d’une des autres
dimensions du problème. Que le drame palestinien ait pris, depuis les années 30,
une dimension transnationale pour la majorité des Arabes et des musulmans, en
tant que symbole d’une lutte juste, c’est un fait, au même titre que l’a été la
guerre civile espagnole et ce qu’elle représentait parmi les progressistes du
monde. A telle enseigne qu’elle devint une cause si mobilisatrice à l’intérieur
des pays arabes que l’intervention des armées arabes contre la création de
l’Etat d’Israël fut davantage motivée pour satisfaire et faire taire les
opinions publiques solidaires de la lutte des Palestiniens que comme le résultat
d’une profonde et véritable conviction de leurs dirigeants. Pour preuve, les
coups d’Etat qui se succédèrent en Syrie et en Egypte entre 1949 et 1952, furent
en rapport direct avec l’échec arabe dans cette guerre ; mais aussi que la
Palestine ait pu être érigée, alors comme maintenant, en alibi par des régimes
arabes en déficit de légitimité.
L’autre point où Fusi est partial, c’est
dans son insistance à voir le problème palestinien comme un «drame d’un peuple
de réfugiés» et non comme un problème d’occupation militaire à laquelle Israël
se refuse, pour diverses raisons, à mettre fin. Pas une seule allusion aux
résolutions des Nations Unies dans lesquelles est exigé l’abandon des
territoires occupés en 1967, pas un seul commentaire sur le fait que la guerre
de 1948-49 a procuré à Israël, en plus de l’espace prévu par la partition, la
moitié des territoires que l’ONU avait dévolu à l’Etat arabe, territoires qui,
après avoir fait l’objet de négociations avec les Etats voisins lors des
armistices respectifs, ne furent plus réclamés par personne par la suite. Sont
aussi oubliés des épisodes essentiels comme le premier Camp David et sont omis
des faits qui impliqueraient la responsabilité d’Israël dans la situation
actuelle. La provocation de Sharon sur l’Esplanade des Mosquées, par
exemple, est absente de sa trame argumentaire.
Il est sans doute
nécessaire de réexaminer le rôle des Etats arabes dans le développement du drame
palestinien en tenant compte qu’eux aussi partagent des responsabilités dans ce
conflit. Il y a lieu de penser qu’avoir supplanté les Palestiniens, comme ce fut
une constante de la part des régimes voisins depuis l’intervention de 1948, fut
une erreur. Ainsi, jusqu’à la restructuration de l’OLP à la suite de la débâcle
de 1967, cette organisation n’a pas pu se libérer de la tutelle de la Ligue
Arabe et surtout de l’Egypte. Même la Jordanie n’avait pas renoncé à l’annexion
de la Cisjordanie (purement formelle depuis l’occupation israélienne de 1967)
avant 1988.
Mais tout cela n’empêche pas de voir l’origine des problèmes
dans l’installation par la force d’une immigration juive porteuse d’un projet
étatique et la responsabilité inexcusable d’une communauté internationale qui a
laissé Israël camper sur ses positions depuis 1967, qui ne l’a pas soumis à des
pressions pour qu’il applique les résolutions de l’ONU, laissant ainsi le
problème déboucher vers le désastre.
Dénoncer ces responsabilités, je ne
crois pas que cela relève de l ’ « antisémitisme latent et presque inconscient »
dont parle Pilar Rahola dans un article récent ou d’un « faux populisme
progressiste » auquel fait allusion Fusi, mais bien d’une volonté de reconnaître
le fond des choses en évitant de confondre l’histoire et la
propagande.
4. Israël
renforce sa politique de colonisation en Cisjordanie par Stéphanie Le
Bars
in Le Monde du vendredi 31 mai 2002
Le ministère du
logement lance de nouveaux programmes de construction dans les territoires
occupés. Le gouvernement d'Ariel Sharon insiste sur le maintien de toutes les
implantations juives. Pourtant, 59 % des Israéliens pensent que la paix
passe par leur démantèlement
Jérusalem de notre correspondante
Alors que de plus en plus de voix s'élèvent en Israël pour demander la
"sortie des territoires palestiniens", les colonies continuent imperturbablement
de s'étendre.
Le 20 mai, Mossi Raz, pourfendeur inlassable des implantations israéliennes
en territoire occupé, a dénoncé les intentions du ministère israélien du
logement et des constructions en la matière.
Sur les cinq premiers mois de l'année, ce dernier a en effet lancé un appel
d'offres pour la construction de 957 nouveaux logements en Cisjordanie,
notamment dans les colonies proches de Jérusalem. Pour l'ensemble de l'année
2001, une procédure identique a permis le lancement de quelque 800 nouvelles
habitations dans les territoires palestiniens. M. Raz estime que cette démarche
viole le principe selon lequel seules des constructions correspondant à "la
croissance naturelle" des colonies peuvent se justifier.
En 2001, le nombre de colons installés en Cisjordanie, dans la bande de
Gaza et à Jérusalem-Est a augmenté de 5 %, pour atteindre un total de 380 000.
Dans un document présenté en mars au ministre de la défense, Benyamin Ben
Eliezer, l'organisation israélienne La Paix maintenant a fait état, selon le
quotidien Haaretz, de la création par les colons de 34 "avant-postes" sauvages
en Cisjordanie au cours des douze derniers mois. Le ministère a assuré qu'une
partie d'entre eux avaient été évacués par l'armée.
Au-delà de leur extension immobilière bien visible, les colonies contrôlent
également une part de plus en plus importante du territoire de Cisjordanie, par
le biais des routes de contournement qui permettent aux colons d'éviter les
villes et les villages palestiniens, des surfaces déclarées zones militaires et
des réserves de terre.
AVANTAGES FINANCIERS
Selon un rapport récent publié par l'organisation israélienne de défense
des droits de l'homme dans les territoires occupés, B'Tselem, les colonies de
Cisjordanie ont ainsi la mainmise sur 42 % du territoire. Les constructions en
elles-mêmes occupent 1,7 % de la surface de Cisjordanie, mais les municipalités
ont étendu leurs limites jusqu'à 6,8 % du territoire tandis que les conseils
régionaux en contrôlent 35 %, note l'organisation israélienne. "Cette
configuration vise à empêcher toute continuité territoriale côté palestinien et
réduit son développement économique et agricole, souligne-t-elle. L'extension
des plus grandes colonies autour de Jérusalem pourrait même, à terme, provoquer
une coupure entre le nord et le sud de la Cisjordanie."
L'association dénonce également les avantages financiers octroyés aux
municipalités et aux Israéliens des territoires. Selon B'Tselem, les conseils
locaux représentant les colonies ont reçu des subventions supérieures de 65 % à
celles reçues par leurs homologues en Israël. Dans le même temps, regrette
l'association, l'Etat ne propose aucune aide aux personnes qui souhaiteraient
quitter les colonies pour s'installer en Israël. Le premier ministre, Ariel
Sharon, affirme en outre régulièrement qu'il n'est pas dans ses intentions, "ni
à court terme, ni à long terme", d'évacuer la moindre colonie. La proposition de
loi présentée le 20 mai devant le Parlement israélien par le président de la
commission des lois de la Knesset, le travailliste Ophir Pinez-Paz, n'a, dans ce
contexte, que peu de chances d'aboutir. Elle prévoit d'indemniser les habitants
d'une vingtaine de colonies de la bande de Gaza, en cas de démantèlement.
Même si, dans ce dossier hautement politique, l'argument financier paraît
secondaire, un professeur d'économie s'est efforcé d'estimer le coût de
l'évacuation des territoires. Partant du principe que les plus grandes colonies
seraient annexées à Israël en échange de terres remises aux Palestiniens, Haïm
Ben-Shahar évalue à 80 000 le nombre de colons nécessitant une évacuation. Leur
relogement en Israël coûterait, selon l'économiste, 2,6 milliards d'euros à
l'Etat. L'abandon des colonies isolées permettrait en revanche de réaliser des
économies en termes de défense et d'infrastructures.
Selon un sondage paru début mai, 59 % des Israéliens jugent que la paix
avec les Palestiniens passe par le démantèlement de la plupart des colonies.
Quel qu'en soit le prix.
[383 600 colons pour 157 implantations - -
Cent quarante-six colonies sont officiellement recensées en Cisjordanie et dans
la bande de Gaza. Elles regroupent 213 600 personnes, au lieu de 109 784 en 1992
et 1 500 en 1972. A Jérusalem-Est, onze colonies comptent 170 000 habitants, au
lieu de 141 000 en 1992 et 6 900 en 1972. (Source : Foundation for Middle East
Peace, special report mars 2002.) - Les routes de contournement qui
desservent ces colonies représentent actuellement 316 km, soit une superficie
(en ajoutant la zone tampon définie de part et d'autre de la route) de 47,5 km2.
En ajoutant les constructions en cours, on parvient à un total de 350 km et de
51 km2 de terres palestiniennes confisquées. (Source Miftah, octobre 2001.)
- Dans les accords d'Oslo (13 septembre 1993), les colonies ne sont pas
évoquées, conformément à la volonté des Israéliens. Cependant, ces accords
stipulent qu'"aucune des parties ne devra prendre des initiatives ou des mesures
qui auraient pour conséquence de changer le statut de la Cisjordanie et de la
bande de Gaza en attendant l'issue des négociations sur le statut final" des
territoires palestiniens. Selon le rapport de la commission
internationale présidée par l'ancien sénateur américain George Mitchell (30
avril 2000), "le gouvernement d'Israël devrait geler toutes les activités de
colonisation, y compris la "croissance naturelle" des implantations existantes.
Le type de coopération sécuritaire souhaitée par le gouvernement d'Israël ne
peut pas durablement coexister avec une activité de colonisation qualifiée très
récemment par l'Union européenne de "très préoccupante" et par les Etats-Unis de
"provocatrice".]
5. "Une maison au Canada, au cas où..." par
Jean-Paul Mari
in Le Nouvel Observateur du jeudi 30 mai 2002
Haïm Fishlson, directeur de Capital Canada, 50 ans, Tel-Aviv.
Pour l’instant, il n’y a rien. Sinon un grand terrain couvert d’herbe
verte. C’est normal, il pleut si souvent à Toronto au Canada. Pourtant, Haïm
Fishlson, agent immobilier à Tel-Aviv, a déjà gagné 15 millions de dollars en
vendant une centaine d’appartements d’un immeuble virtuel dans une ville que ses
clients n’ont jamais vue. Derrière son bureau, il les voit défiler, lit sur leur
visage le doute, la confusion et la peur de l’avenir... «Aujourd’hui, en Israël,
les gens n’ont plus cette lumière d’antan dans les yeux», dit Haïm. L’assassinat
de Rabin, l’échec de Barak à faire la paix avec la Syrie, la crise économique,
la dévaluation du shekel et, maintenant, l’Intifada des kamikazes qui fait
trembler les murs au cœur de Tel-Aviv... Quelque chose s’est cassé chez ses
clients d’une cinquantaine d’années, classe encore aisée de commerçants,
dentistes ou hommes d’affaires, tous nés en Israël. Haïm l’a senti avant les
autres, et son flair d’agent immobilier l’a poussé à explorer la carte des
grandes villes internationales: «Je savais que plusieurs dizaines de milliers
d’Israéliens avaient investi entre 5 et 10 milliards de dollars en biens
immobiliers aux Etats-Unis, en Europe, voire à l’Est, Roumanie, Hongrie,
Tchécoslovaquie.»
New York, Londres, Amsterdam? Trop cher, les prix ont
triplé ces dernières années. Paris? Marché dur et saturé. Hongkong? Vraiment
très loin. Finalement, Haïm part explorer Toronto, beaucoup d’espace à deux pas
des Etats-Unis, un fort potentiel immobilier, un dollar canadien bas, une grande
ville ouverte chaque année à 150000 nouveaux immigrés, peuplée de quelques
Canadiens mais de beaucoup d’Indiens, de Chinois, de Pakistanais et
d’Israéliens. Une capitale moderne et mélangée où personne ne force les
communautés d’immigrants à s’intégrer... «Une odeur de nouveau monde, de
nouvelle vie!» Haïm tient son «ailleurs» et il n’hésite pas à acheter sur plan
120 appartements, plus de la moitié d’une immense tour. A Tel-Aviv, il crée une
nouvelle société, Capital Canada, ouvre des bureaux, étale des plans sur papier
et un dessin en couleur d’un grand building de verre. Le choix va du grand
studio de 50 mètres carrés, avec salon et kitchenette à 50000 dollars (355000
francs environ, 54000 euros), au grand appartement qui en coûte le triple. Les
clients se ruent. Souvent en couple. «Quand votre femme vous attend le soir à la
maison, cloîtrée par la peur des attentats, et qu’elle vous pose toujours la
même question: "Qu’allons-nous faire?", vous, le mari, vous avez enfin une
réponse: "Nous allons acheter quelque chose au Canada"», sourit Haïm. Oh! Il ne
s’agit pas encore d’émigrer. La plupart achète un, deux ou cinq appartements
pour les louer, un investissement solide, dans la pierre et un pays sûr
d’exister dans vingt ans.
Pourtant Haïm lui-même écarquille les yeux devant
tant d’audace: «Il y a une règle absolue en affaires... ne jamais dépendre d’une
seule personne.» Qui va assurer le suivi du dossier, louer les appartements et
gérer la copropriété? Haïm, lui, n’a rien signé. «Ils n’ont que ma parole. Dieu
merci, je suis parfaitement honnête!» Mieux: la dévaluation du shekel a déjà
fait gagner de l’argent aux premiers acheteurs. Dans un pays où tout le monde se
veut plus malin que son voisin, les appartements de Capital Canada apparaissent
désormais comme la bonne affaire qu’on se chuchote entre amis, la dernière mine
d’or enfouie derrière les murs modestes d’une agence immobilière de la rue
Ayarkon, près du vieux port de Tel-Aviv. «Je n’arrive pas à croire que j’ai
réussi une opération aussi folle», dit Haïm en contemplant la forêt
d’autocollants: «vendu» qui recouvre son plan d’occupation.
«Et maintenant,
j’ai mieux!» Il se lève d’un bond et introduit une cassette dans un lecteur
vidéo. Titre: «le Paradis sur Terre». Dans un univers tropical de carte postale
défilent des images... de paysage. Des montagnes, un fleuve, une plage de sable
blanc, du vert, beaucoup de vert et de l’espace, énormément d’espace. Le tout
barré de messages: «Terrain très facile d’accès, à deux heures à peine de
Miami!; température stable, 28 degrés; démocratie; pas d’armée; importante
communauté juive; des prix qui grimpent grâce à la proximité des USA!» Haïm
propose de futures villas de 100 mètres carrés, 7000 mètres carrés de terrain au
Costa Rica près du Pacifique pour moins de 100000 dollars: «Au Paradis... C’est
un truc malin, non?» De plus, l’agent assure que le gouvernement du Costa Rica,
à partir d’un investissement de 50000 dollars, vous offre automatiquement la
citoyenneté. Au cas où…
6. "Il s'agit d'un des derniers territoires colonisés"
entretien avec André Raymond réalisé par Dina
Heshmat
in Al Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 29 mai
2002
André Raymond, historien spécialiste du monde arabe, en
particulier de sa période ottomane, apporte un point de vue particulier sur la
Palestine et sur la perception du conflit par les
Français.
— Al-Ahram Hebdo : Vous êtes un
spécialiste du monde arabe, de son histoire, en particulier de sa période
ottomane. De quelle manière votre intérêt dans ce domaine influence-t-il votre
perception du conflit israélo-palestinien ?
— André Raymond :
Bien sûr, quelqu'un qui s'occupe du monde arabe ne peut pas ne pas être
influencé, donc avoir une position sur la Palestine. C'est quand même le grand
problème auquel le monde arabe est confronté. Mais ce n'est pas seulement une
question de spécialistes, je suis un citoyen, un citoyen français, et par
conséquent le problème m'intéresse. Comme d'ailleurs il intéresse beaucoup les
Français, il y a eu un grand changement depuis deux, trois ans dans l'opinion
française en ce qui concerne la Palestine. Jusque-là, l'influence des milieux
sionistes était très grande. Les Français avaient tendance à voir le problème de
la Palestine à travers le problème de la Shoah, des massacres pendant la guerre,
ce qui évidemment les amenait à quelques difficultés à comprendre la Palestine.
Depuis trois ans, il y a eu un changement très important.
— Pourquoi trois ans ?
— Oui, deux, trois ans.
Ça correspond évidemment au début de l'Intifada, et aussi à l'extrême brutalité
avec laquelle les Israéliens ont commencé à tenter de résoudre, ou supposer
qu'ils allaient résoudre le problème de la Palestine. Les médias et les journaux
ont été très choqués par la brutalité des Israéliens, et ça a donc amené une
évolution dans l'opinion publique. Dans les milieux politiques, il y a toujours
eu une tradition politique très longue, qui remonte à De Gaulle, et même avant —
la France n'a jamais été favorable à l'implantation de juifs en Palestine.
Disons que surtout la présidence De Gaulle a joué un certain rôle. Rappelez-vous
sa position en 1967, au moment de la guerre. Il y a une tradition à laquelle le
président Chirac a été assez fidèle, d'amitié et de compréhension à l'égard du
monde arabe, en particulier à l'égard de la Palestine. Mais sa politique
extérieure tient compte forcément de la politique européenne et il y a en Europe
des Etats qui sont extrêmement en retard pour comprendre l'affaire de Palestine.
Après tout, il s'agit d'une affaire coloniale, de la colonisation d'un
territoire et d'un peuple par un autre. A notre époque, ça paraît
particulièrement choquant. La période de la colonisation est quand même
terminée. Dans le fond, la Palestine est un des derniers territoires
colonisés.
— Vous voyez donc la situation en Palestine comme un
système d'apartheid ?
— Oui, je la vois comme un système
colonial. Les Palestiniens ont finalement, après des hésitations qui sont bien
compréhensibles, accepté de perdre presque 80 % de leur territoire national,
puisque le règlement de l'affaire de Palestine en 1948 a finalement abouti à
priver les Palestiniens de 80 % de leurs terres. Il y a peu de peuples qui aient
souffert pareil sacrifice. Ils ont accepté aussi de reconnaître Israël dans les
frontières de 1949, les gens sont un petit peu surpris qu'on leur demande
aujourd'hui des sacrifices supplémentaires. L'idée qui finit par s'imposer
aujourd'hui est que la cause des Palestiniens est une cause juste, qu'ils ont
souffert injustement, et que par conséquent, on doit reconnaître leurs
revendications.
— Pensez-vous qu'il y a une évolution
particulière dans l'opinion publique en France par rapport à cette question ces
derniers mois, en particulier dans les milieux universitaires
?
— Oui, je pense qu'en effet il y a une évolution très forte,
qui est due comme je l'ai dit à l'Intifada, mais aussi à la brutalité
israélienne, surtout depuis que Sharon est au pouvoir. Les gens ont le sentiment
que la politique officielle israélienne est vraiment catastrophique et donc
qu'il faut l'arrêter. En effet, dans les milieux intellectuels et
universitaires, il y a une prise de position plus grande. Ça se voit quand on
lit les journaux comme Le Monde, on voit bien une certaine évolution. Encore que
Le Monde a une certaine tendance à toujours donner une version qu'il pense
équilibrée des choses, alors qu'en l'occurrence, il n'y a pas d'équilibre. Il y
a un peuple qui a été victime d'un crime historique, et par conséquent, ce
peuple a raison. Il faudrait donner raison aux Palestiniens. Ce qui est vraiment
regrettable, c'est que la communauté internationale soit totalement paralysée
dans l'affaire de Palestine, qu'aucune des décisions de l'Onu n'ait jamais été
acceptée, que l'Amérique fasse un barrage permanent à toute décision qui
s'efforce de ramener Israël à une juste vision des choses. C'est vraiment
quelque chose de très grave.
Ce qui est déplorable dans cette affaire, c'est
qu'on sait très bien qu'Israël est tenu à bout de bras par les Etats-Unis, qui
dépensent environ 4 milliards de dollars pour Israël pour son armement, pour
maintenir son économie, c'est-à-dire à peu près autant que les Etats-Unis
donnent à l'ensemble du monde arabe, et on voit les Etats-Unis incapables
d'imposer raison à Israël. Nous aimerions bien, nous autres Français et
Européens, que l'Europe joue un rôle actif dans cette affaire. Les bases d'un
règlement sont connues. C'est un retour à la situation de 1949, qui encore une
fois est une situation extrêmement douloureuse pour les Arabes, puisqu'ils ont
perdu la plus grande partie du pays et qu'un million de réfugiés ont été lancés
sur les routes. Les Palestiniens acceptent cette situation. Il faut maintenant
plus ou moins imposer à Israël de l'accepter.
C'est en tant que citoyen que
personnellement je réagis, autant, évidemment qu'en spécialiste et ami du monde
arabe.
— En France, il y a de plus en plus de mouvements qui sont
impliqués dans la solidarité avec le peuple palestinien ....
—
Il y a effectivement une forte réaction, en particulier chez les étudiants. Le
mouvement de solidarité avec la Palestine est plus fort qu'il n'a jamais été.
Mais il faut tenir compte des difficultés que présente l'Europe. Les Européens
sont naturellement très sensibles aux souffrances que les juifs ont subies
pendant la guerre. De ces souffrances, les Arabes ne sont pas responsables. La
preuve, dans les pays arabes, les communautés juives se sont maintenues jusqu'à
une époque très récente. Les malheurs du peuple juif ne sont pas des malheurs
dont on peut rendre coupables les Arabes. Quand on a créé le mandat pour
installer un foyer juif en Palestine, on s'engageait dans une pente extrêmement
redoutable. Il serait vraiment urgent que l'Europe prenne une position plus
neutre, que les Etats-Unis jouent un rôle plus actif.
— Est-ce
que vous êtes en contact avec des universitaires en Palestine
?
— J'ai eu l'occasion d'aller en Palestine, il y a quelques
ans, à l'époque où les choses paraissaient susceptibles de trouver une solution.
J'ai été à Birzeit, et je fais partie du Conseil d'administration d'une très
importante institution arabe à Jérusalem, c'est une bibliothèque privée, très
riche, installée près d'Al-Haram Al-Chérif. J'ai travaillé pour le développement
de cette bibliothèque. J'appartiens également à l'association des universitaires
en faveur d'un règlement des affaires de Palestine, qui s'efforce de maintenir
des liens entre les universitaires français et palestiniens, et aussi d'ailleurs
de leur donner l'aide dont ils ont besoin. La politique de Sharon en Palestine a
consisté pour l'essentiel à saccager toute institution qui était susceptible, un
jour, de faire de la Palestine un pays moderne et vivable.
—
Selon vous, quelle solution y a-t-il à long terme pour cette région
?
— Le problème du terrorisme dont on fait beaucoup de cas
actuellement est en effet un grave problème. Mais d'abord, tout le monde sait
bien que le terrorisme en Palestine a été créé par les Israéliens eux-mêmes. Les
Israéliens ont commencé une politique de terrorisme systématique avant 1948,
pour obliger les Anglais à quitter la Palestine. Il suffit de rappeler la
destruction de l'hôtel David à Jérusalem, où il y a eu une cinquantaine de
morts, pour apprécier l'inanité de ce que disent les Israéliens à ce sujet.
Quand on prive un peuple de tout moyen d'expression, quand on l'accule au
désespoir, ce peuple commet des actes de désespoir. Ce n'est qu'en discutant sur
des bases claires, celles d'ailleurs que les Saoudiens ont encore proposées
récemment, qu'on pourra progressivement revenir à une situation plus normale.
C'est absurde de dire il faut arrêter le terrorisme pour négocier, en réalité
c'est en négociant qu'on pourra, probablement, arrêter le terrorisme, ce qui est
souhaitable, bien sûr. C'est en ouvrant des perspectives politiques aux
Palestiniens qu'on pourra les amener à ne pas recourir aux moyens les plus
extrêmes.
Pour une personne de mon âge, nous avons une expérience, celle de
l'occupation allemande. Nous savons que la tragédie des temps peut nous amener à
des solutions douloureuses. Le problème n'est pas d'arrêter les actions
terroristes. Le problème est de négocier sur des bases très claires, pour que la
violence s'apaise. Il faut vraiment être extrêmement borné, comme parfois
certains dirigeants américains, pour croire qu'on pourra arrêter le terrorisme
si on n'engage pas précisément des négociations politiques. C'est le fond de la
politique française. C'est satisfaisant pour les Français de savoir que les
responsables sont conscients de cette situation. Bien sûr, plus on tarde, plus
ça sera difficile. Il aurait certainement été plus facile de négocier il y a
deux ans que maintenant.
En élisant Sharon, les Israéliens ont pris devant
l'Histoire une responsabilité très grave. Il faut aussi que les peuples sachent
prendre leurs problèmes en main. Quand la France menait une guerre coloniale en
Algérie, elle a eu la chance d'avoir un chef responsable, De Gaulle, qui,
progressivement a mis entre les mains des citoyens les clés pour la fin de cette
guerre coloniale. Il faut espérer qu'un jour, un dirigeant israélien aura le
courage de dire un certain nombre de choses et de renouer le dialogue avec les
Palestiniens.
7. Parution du rapport annuel américain sur les
“foyers de terrorisme” mondiaux - Toujours la même vision manichéenne : “Qui
n’est pas avec nous est terroriste... et, donc, contre nous” ! par
Subhi Hadidi
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du
vendredi 24 mai 2002
[traduit de l'arabe par
Marcel Charbonnier]
Le rapport annuel sur le
terrorisme et les organisations terroristes dans le monde, publié il y a
quelques jours par le secrétariat d’Etat, n’apporte strictement rien de nouveau
à la teneur générale des rapports précédents. Au point de donner l’impression
que les spécialistes américains ès-terrorisme/terroristes n’ont rien retenu des
sanglantes leçons dont l’année 2001 n’a pourtant pas été avare, tant aux
Etats-Unis qu’un peu partout dans le monde. De plus, sans entrer dans les
détails “techniques” et les informations sur l’ampleur et le rayon d’action
ainsi que sur le sources de financement de telle ou telle de ces organisations
répertoriées et classées par les services américains dans la catégorie
“terroristes”, le rapport de cette année semble être en recul en comparaison
avec les conclusions auxquelles le secrétariat d’Etat avait apparemment abouti,
sur le même sujet, à l’époque de Madeleine Albright.
La teneur du rapport,
cette année, l’essence de sa philosophie explicative et analytique, se résument
en la phrase célèbre prononcée par le président américain George Bush fils,
après les attentats du 11 septembre dernier : “Toutes les nations, dans toutes
les régions du monde, doivent décider maintenant : soit vous êtes avec nous,
soit vous êtes dans le camp des terroristes”. C’est donc cette même vision
manichéenne, divisant le monde en “bons” et en “mauvais”, entre “opposants au
terrorisme” et “suppôts du terrorisme”, “preux chevalier rangés derrière la
bannière des Etats-Unis” et “vil félon stipendié agissant nécessairement contre
eux”, dans la mêlée du combat contre le Mal ou (c’est la même chose, vue de
l’autre côté) du combat contre le Bien. Car les frontières sont devenues très
claires, qu’on le veuille ou non (entre le “camp du bien” et le “camp du mal”) :
“aucune nation ne peut se payer le luxe d’observer la lutte de l’extérieur, car
il n’y a plus d’extérieur, désormais”, a affirmé le secrétaire d’Etat Colin
Powell, dans la préface du même rapport.
Le fait est que les calamités du 11
septembre n’ont rien changé à la philosophie générale entourant la question
extrêmement complexe du terrorisme, les définitions, les mesures, les protocoles
de dissuasion et de défense qui y sont associés. Cela, pour autant que ces
questions de terrorisme n’aient pas encore empiré dans les faits. Au temps
d’Albright, l’Amérique était confrontée à une “trentaine d’organisations
terroristes internationales”, les plus violentes et les plus dangereuses pour
les intérêts des Etats-Unis et de leurs alliés, ainsi que pour la sécurité et la
stabilité internationale”, de même que pour... et pour... etc. Aujourd’hui, nous
en avons trente-trois : on voit donc que leur nombre, loin de diminuer ou de
stagner, a augmenté ! Le monde musulman est plus “favorisé” que les autres,
naturellement : il a affaire à 23 organisations terroristes, soit plus que la
moitié de toutes les organisations terroristes sévissant dans le monde ! Et, à
l’intérieur du monde musulman, les Arabes sont particulièrement “bien servis” :
14 organisations terroristes y opèrent, à comparer aux 13 de l’année précédente.
Allez-vous deviner quel est le nouvel “hôte” des Arabes ? Il s’agit ni plus ni
moins que de l’organisation Al-Qa’ida... Oui, vous avez bien lu : Al-Qa’ida,
laquelle fait d’ailleurs son entrée - grande première - dans le rapport annuel
sur le terrorisme rédigé par le secrétariat d’Etat !!!
Les Palestiniens
battent tous les records en ce qui concerne le palmarès des organisations
terroristes pour un même peuple : organisation d’Abu Nidal, Milices des Martyrs
d’Al-Aqsa, Hamas, Jihad islamique, Front de libération de la Palestine (Abu
al-Abbas), Front populaire, Front populaire - Commandement général... Et comme
il est connu que lorsqu’on parle de l’agneau, le loup n’est pas loin, Israël,
par contraste, doit se contenter d’une seule organisation terroriste, “Kahana
Hayy” (= “Kahana est vivant”), que le rapport considère terroriste en vertu du
rapport du gouvernement israélien lui-même, sur le même sujet, pour l’année
1994, où cette organisation avait fait son entrée après qu’elle eût approuvé le
massacre perpétré par Barukh Goldstein à la mosquée d’Hébron (al-Haram
al-Ibrahîmî).
En ce qui concerne la définition du terrorisme, il ne semble
pas que les attentats cataclysmiques du 11 septembre aient apporté quoi que ce
soit de nouveau aux définitions anciennes utilisées dans la loi sur la lutte
contre le terrorisme, signée par le président Bill Clinton en 1996. Voici ce que
dit cette loi, en matière de définition du terrorisme :
- l’expression “le
terrorisme” s’applique à la violence délibérée et préméditée, motivée par des
motifs politiques, contre des cibles “non combattantes”, exercée par des
organisations locales ou quasi-locales, ou au moyens d’agents secrets, cela,
afin d’exercer une influence sur l’opinion publique.
- l’expression “ le
terrorisme international” désigne le terrorisme qui frappe des citoyens ou des
territoires dans plusieurs pays, en tout cas dans plus d’un pays.
-
l’expression “groupe terroriste” désigne qu’un groupe principal ou secondaire
exerce une action terroriste à l’échelle locale et à l’échelle mondiale, en même
temps.
Comme on le voit, non seulement cette terminologie est tout-à-fait
déficiente et grotesque, mais elle est de plus hautement susceptible de se
retourner contre ses inventeurs en les condamnant pour les mêmes chefs
d’inculpation sous lesquels eux-mêmes condamnent les autres. En effet, sur la
base des attendus de ces définitions, il sera loisible, pour tout un chacun,
d’ajouter à la liste des trente-trois organisations recensées par le rapport
étatsunien tous les services d’espionnage occidentaux qui ont perpétré par le
passé des dizaines d’assassinats individuels et organisé des coups d’Etat
militaires, ainsi qu’oeuvré à la déstabilisation de la situation intérieure de
moult Etats et nations. Il sera aussi, dès lors, légitime, et amusant, de placer
au sommet de la liste l’agence américaine de renseignement, la CIA, en personne,
en sa qualité de “Mère (incontestée) de toutes les nobles Officines”. Sans doute
la suivraient ensuite dignement le Mossad israélien, connu pour sa noblesse de
sentiments et la délicatesse de ses opérations, puis le MI5 britannique, la DST
française, et autres acronymes hautement civilisés et à la réputation planétaire
aucunement usurpée.
Le journaliste américain Jeff Stein, spécialisé dans la
dénonciation des coups tordus des agences américaines de renseignement, pourrait
fournir à l’humanité de nouveaux sujets d’étude, toujours passionnants, autour
de la nature terroriste de la CIA, ce vieux creuset américain en matière
d’espionnage, de complots, de réalisation de coups d’Etat et d’assassinats
politiques, à la cheville duquel nul autre ne peut prétendre atteindre. Stein
avait déjà levé le voile sur l’histoire de Milard Shirley, bras armé de la CIA
en Afrique du Sud et d’une manière générale dans les pays d’Afrique, pendant des
décennies. Ce Milard est mort en Suisse d’un accident de la route, mais il a été
pour ainsi dire ressuscité dans le feu de la polémique autour des méthodes
expéditives autorisées par l’Agence (et aussi, en l’occurrence, par le
Pentagone), afin de mener à bien différentes missions politiques et
d’espionnage.
Parmi toutes ces méthodes, Milard avait pris l’habitude
d’instiller en toute discrétion quelques gouttes d’acide cyanhydrique dans le
cocktail de ses victimes, ce qui provoquait (allez savoir pourquoi ?) chez elles
des crises cardiaques fulgurantes, en conséquence de quoi les médecins (!?)
avaient tendance à attribuer leur décès fulgurant à des causes naturelles.
Mentionnons, au passage, qu’il s’agit là d’une des multiples “prescription”
(“recettes”) figurant au programme officiel des étudiants de l’”Ecole des deux
Amériques” sise à Fort Bening (Géorgie), gérée par le ministère américain de la
Défense et chargée de former et d’entraîner les officiers stagiaires venus des
pays d’Amérique latine.
Une autre “prescription” consiste à mettre certaines
substances chimiques particulières dans les pots à eau. Milard avait recours à
cet expédient lorsqu’il s’agissait de “mener rondement” certaines négociations
(avec des organisations syndicales, par exemple), lorsqu’il fallait épuiser
l’adversaire de manière à le contraindre à signer n’importe quoi... pour des
raisons physiologiques impérieuses ! Une troisième méthode consistait à se mêler
aux manifestations des Noirs et à distribuer gratuitement le plus grand nombre
possible de tee-shirts portant le logo et le slogan de l’”African Congress”, ou
des slogans et des caricatures fustigeant l’apartheid. Avant sa généreuse
distribution, Milard avait pris soin de faire tremper les tee-shirts dans une
solution spéciale provoquant d’insupportables démangeaisons, voire même des
inflammations et des ulcérations de la peau quasi-immédiates.
L’une des plus
grandes réalisations de toute l’histoire de l’humanité fut sans doute la
patience et la minutie mises en oeuvre afin d’observer les moindres mouvements
de Nelson Mandela à l’époque où il agissait dans la clandestinité, jusqu’à ce
que l’occasion propice se présentât et que Milard conduisît en personne les
agents de la sécurité du régime jusqu’au QG secret de Nelson Mandela, où ils
procédèrent à son arrestation. Autrement dit, au cas peu probable où les
dirigeants du Congrès National Africain - Nelson Mandela, à leur tête - auraient
tout oublié de leur douloureux passé, une chose est sûre : ils n’ont pas oublié
ce petit détail : ce sont les agents de la CIA qui ont arrêté Mandela, et non
les gouvernants racistes de Johannesburg !
De même, le groupe Abu Sayyaf
pourrait demander à juste titre que l’on ajoutât les organisations Mossad, Shin
Bet et Shabak à la liste (des organisations terroristes), non seulement en
raison de l’assassinat de dizaines de civils palestiniens à mettre à leur
“actif”, mais en raison de leur violation de la souveraineté et de la
respectabilité de nombreux pays en Occident et en Orient afin d’y assassiner des
ennemis (d’Israël) tels Ghassan Kanafani et Khalil al-Wazir. Le groupe japonais
“Aoum Shinrikyo” pourrait porter plainte contre le plagiat pratiqué par des
dizaines de sectes rédemptrices et racistes américaines, qui “pompent”
allègrement sa propre philosophie rédemptrice. Et puisque diffuser des gaz
mortels dans le métro de Tokyo représente pour l’administration américaine un
acte terroriste, pourquoi le même principe ne s’applique-t-il pas à la
manipulation de citoyens américains appartenant à la secte de la “Branche
Davidique” qui ont été poussés au suicide rituel collectif, brûlés sur les
bûchers sacrés et asphyxiés par les gaz mortels purificateurs ? La secte juive
extrémiste Kakh ne pourrait-elle pas se comparer à l’extrémisme américain à
l’origine de la destruction par attentat à l’explosif du bâtiment fédéral de
l’Oklahoma ?
Nous ne disons rien de nouveau en affirmant que le discours
officiel américain sur le terrorisme pointe du doigt l’extrême complexité des
choses lorsqu’il s’agit de remonter aux causes profondes et essentielles de la
montée du terrorisme. Mais ce même discours américain se met curieusement à
apprécier au plus haut point la complexité extrême lorsqu’il est question de se
protéger derrière un rempart juridique contre le terrorisme. Aujourd’hui, Colin
Powell, à l’instar de Madeleine Albright hier et de tous les Secrétaires d’Etat
américains qui les ont précédés, prête une oreille de glaise et une autre
oreille de pâte à pain à des études (pourtant garanties cent pour cent
américaines !) qui insistent sur les relations politiques, sociologiques,
psychologiques et idéologiques entre la montée de la violence et sa mutation en
terrorisme, démontrant unanimement que le terrorisme règne, d’une manière qui
ressemble fort à une règle ne souffrant quasi aucune exception, lorsqu’un groupe
en position de faiblesse se voit acculé au recours à la violence contre un
groupe dominant, dans un contexte de disparité dans l’équilibre des forces. Et
lorsque le groupe le plus puissant a recours à un surcroît de violence contre le
groupe le plus faible, il ne fait qu’ajouter au terrorisme officiel d’Etat un
caractère de répression absolue et crûment affichée.
Il y a, dans la parution
du rapport du secrétariat d’Etat américain sur les “foyers de terrorisme” dans
le monde, au moment où le président américain entame sa deuxième tournée
européenne depuis sa prise de fonctions (et aussi la première depuis les
attentats du 11 septembre et le lancement de sa “croisade anti-terroriste) plus
qu’une coïncidence. Là encore, les Etats-Unis ne semblent pas avoir retenu
grand-chose de la leçon (qui leur a été infligée), au point que la nouvelle
tournée de Bush revêt le caractère d’un addendum à la situation ancienne, plus
que celui du passage à une ère nouvelle. Ainsi, avant le 11 septembre, Bush
avait annoncé les nouveaux projets en matière d’armement qu’il a l’intention de
lancer prochainement, ainsi que le projet du “bouclier antimissiles” et
l’abandon de la “philosophie de la négociation” en matière de désarmement
stratégique, laquelle s’était pourtant imposée tout au long des dernières
décennies avant que la page de la guerre froide ne soit tournée. Aujourd’hui,
Bush prêche la nécessité de faire face à l’”Axe du Mal”, en général, et de
réunir une coalition internationale afin d’écarter du pouvoir le régime irakien,
en particulier.
De son côté, le secrétaire d’Etat à la Défense, Ronald
Rumsfeld, fait raisonner les tambours de la guerre contre les armes de
destruction massive, et il insiste sur la nécessité pour les Etats-Unis de se
préparer en toute hypothèse à pouvoir faire face à deux guerre régionales
simultanées, sur deux champs d’intervention éloignés l’un de l’autre. Quant au
Pentagone, il ne considère nullement, pour sa part, que la guerre froide soit
terminée. C’est pourquoi son rapport stratégique publié cette année ressemble
comme deux gouttes d’eau à son aîné de quatorze ans, publié en 1988, sous le
règne du président George Bush père, en se fondant dans ses estimations
générales sur, au bas mot, neuf dixièmes des articles de doctrine retenus
en 1945 ! Comment ce rapport ne serait-il pas “belliciste”, dans de telles
conditions, puisque l’abandon de la “philosophie de la négociation”, fille de la
guerre froide, ne peut que conduire à la philosophie de la course aux armements,
jusqu’aux dents, contre un ennemi hypothétique hautement imaginaire, ou bien
contre un ennemi existant, seul et unique (“objet de mon ressentiment” - George
W. Bush), dangereux, effroyable, gigantesque et surpuissant : j’ai nommé...
(tara-ta-ta) : l’Irak !!
Hier même, en Allemagne, devant le Bundestag
(parlement), George Bush junior donnait l’impression de reproduire un vieux
discours usé jusqu’à la corde, spécieux et déconnecté du réel ; il nous
rebattait les oreilles de propos rabâchés et répétés sans cesse. Cela ne serait
pas grave, n’eût été ce discours archi-connu particulièrement dangereux,
aventureux et, pour tout dire... terroriste !
8. Jeune à
Jénine par Christophe Ayad
in Libération du jeudi 23 mai 2002
Rim Saleh, 15 ans, palestinienne. A tenu sur son cahier
d'écolière son journal du camp occupé.
Rim Saleh en 5 dates :
- 30 mars 1987 - Naissance dans le camp de
réfugiés de Jénine.
- 28 septembre 2000 - Début de l'Intifada Al-Aqsa.
- 3
avril 2002 - Début de l'invasion du camp de réfugiés de Jénine.
- 6-13 avril
2002 - La maison de Rim est occupée par des soldats israéliens.
- 13 avril
2002 - Arrêt des combats, le camp est en ruines.
C'est un cahier d'écolière, recouvert de fines lignes d'une écriture
régulière et sage. Rien dans la monotonie des pleins et des déliés ne vient dire
le fracas de la violence et le bruit de la guerre. C'est un journal anti-intime,
un compte rendu quasi météorologique de l'Intifada que Rim Saleh tient depuis
des mois : tous les soirs, la jeune fille consigne les événements du jour, une
chronique morbide inspirée des bulletins d'information. On y retrouve les mêmes
expressions : «les forces d'occupation» pour l'armée israélienne, les «martyrs»
pour les morts... Rim Saleh a 15 ans et elle sait distinguer le son d'une
Kalachnikov de celui d'un M16. Elle sait que son grand-père, chassé par la
guerre de 1948, possédait une maison et des champs à Kafrein, entre Magiddo et
Haïfa. Elle sait qu'elle est fille et petite-fille de réfugiés palestiniens,
qu'elle a grandi dans le camp de Jénine, une «sous-ville» de 15 000 habitants
presque aussi peuplée que la ville elle-même, un dédale de tôle et de ciment
accroché à flanc de collines. Elle sait par coeur ses ruelles boueuses l'hiver,
poussiéreuses l'été. Elle sait l'ennui sans rémission de ceux qui n'attendent
rien de l'avenir.
Sur les murs de sa chambre, les posters représentent des
jeunes héros, armes à la main, le front ceint d'un bandeau. A la maison, Rim
tourne en rond entre un père au chômage, une mère institutrice et quatre petits
frères. Il y a peu de livres à la maison et elle les a tous lus. Alors, Rim,
jeune fille studieuse et calme, écrit, comme on tue le temps, comme on s'adonne
à un hobby morose. Machinalement, sans émotion, sans jamais utiliser la première
personne. Parce que cela ne se fait pas de parler de soi, de ses désirs et de
ses peines, quand on est fille de réfugiés palestiniens, qui ne s'autorise que
deux souhaits dans la vie : l'indépendance pour la Palestine et le droit au
retour pour sa famille. Pourquoi écrit-elle ? «Pour l'avenir», dit-elle. Un
jour, la guerre est entrée dans sa maison et l'encre bleue sur le journal a
laissé la place au tremblement du crayon à papier. C'était le samedi 6 avril, à
9 h 30 du matin: un grand boum dans le salon familial et, par le pan de mur
détruit, des soldats israéliens ont débarqué les uns après les autres,
harnachés, le visage grimé à la peinture noire.
Samedi 6 avril : «Lorsqu'ils
sont entrés, nous avons tous levé les mains en l'air pour qu'ils ne tirent pas.
Ils nous ont rassemblés, à vingt-quatre - les voisins, les cousins, la famille -
dans une seule pièce. Ils ont fouillé la maison. Tout est cassé. Même les
journaux, ils les ont jetés par terre. Certains sont nerveux et je peux voir la
haine dans leurs yeux. Un soldat a craché sur nous. Il avait la peau sombre,
peut-être qu'il venait du Yémen. Je ne peux pas croire qu'ils sont dans ma
maison. Je ne ressens rien.»
Cela fait quatre jours que l'opération Rempart a
commencé à Jénine : la plus vaste action militaire entreprise par l'armée
israélienne de ces vingt dernières années. Un déluge de feu s'abat sur ce camp
de réfugiés considéré comme un objectif prioritaire : de là viendraient près de
la moitié des auteurs d'attentats-suicides en Israël, la «tête du serpent» selon
l'état-major israélien. La ligne verte passe à moins de 10 kilomètres, juste
derrière les collines couvertes d'oliviers. Malgré les années qui passent,
malgré le ciment qui a remplacé les tentes en toile du début, les réfugiés n'ont
jamais pu se résoudre à accepter leur exil : ces collines-là ne sont pas les
leurs, ni ces oliviers. C'est là que bat le coeur du nationalisme palestinien,
son «fer de lance». Pendant les premiers jours, Rim écoute la radio et
retranscrit les nouvelles consciencieusement. A partir du moment où les soldats
investissent sa maison, la chronique devient récit.
Dimanche 7 avril : «Un
soldat a été gravement blessé dans notre maison. Il a du sang sur tout le visage
et il pousse des hurlements. Les autres lui ont bandé la tête et le bras. Il
pleure en appelant sa mère. J'ai peur qu'ils se vengent sur nous. Ils nous
hurlent dessus en hébreu. Un des soldats est tellement en colère qu'il cogne sa
tête contre le mur.»
Les combattants palestiniens se battent jusqu'à la mort.
L'armée israélienne, qui pensait s'emparer du camp en quarante-huit heures, est
contrainte de prendre maison après maison. L'opération antiterroriste vire à une
sale guerre contre les civils. Malgré les appels de l'armée à évacuer les lieux,
les habitants se terrent dans leurs maisons : peur panique de réfugiés à qui
leurs aïeux ont toujours dit «ne fais pas comme moi, ne pars jamais !».
Lundi
8 avril: «Nos voisins, les Ghoul, habitent de l'autre côté de la rue. Ils ont
envoyé leurs enfants chez nous parce que c'est plus sûr, mais les parents ne
veulent pas quitter leur maison. Lorsqu'elle est bombardée, ils se réfugient au
rez-de-chaussée. Elle est à nouveau frappée. Ils partent finalement [...].
Maintenant, ils ont une moitié de maison. Quand les hélicoptères Apache tournent
dans le ciel, les enfants plaquent leurs mains sur leurs oreilles. Les soldats
israéliens nous disent de ne pas avoir peur : "Ils savent où nous sommes, vous
ne serez pas bombardés."»
Mardi 9 avril : «Notre voisine Hyam vient frapper à
notre porte. Elle est enceinte, elle a mal et elle a peur. Les soldats lui
hurlent de partir. Elle ressort dans la rue avec sa fille qui tient un morceau
de chiffon blanc à la main. On leur tire dessus mais elles ne sont pas blessées.
Lorsque Hyam rentre chez elle, son mari a disparu. Il a été arrêté par les
Israéliens.»
Dans la maison, l'occupation se poursuit. A la lueur des
bougies, Rim note dans son cahier : «Nous essayons de lire le Coran. Nous ne
pouvons rien laver, alors nous mettons les mêmes vêtements tous les jours. Je ne
peux pas me laver les cheveux. Les enfants doivent se tenir tranquilles, sinon
les soldats leur crient dessus. Une seule personne à la fois a le droit de se
déplacer dans la maison, pour aller à la cuisine ou à la salle de bains. On n'a
pas le droit de s'approcher des fenêtres.»
La cohabitation forcée dure une
interminable semaine. Lorsque l'armée se retire, la famille décou vre par la
fenêtre de la cuisine un champ de ruines, des centaines de maisons détruites,
des milliers de sans-abris. C'était la première fois que Rim voyait des soldats
d'aussi près. Après coup, elle dit : «Je n'ai pas eu peur, pas un instant.» Dans
son journal, elle écrit le con traire. Il y a deux ans seulement, avant le
bouclage hermétique des territoires palestiniens, son père, Jamal, allait
travailler tous les jours à Haïfa comme plombier. Autant dire il y a des
années-lumière, sur une autre planète.
Rim est née en 1987, quelques mois
avant le déclenchement de la première Intifada. Mais son Intifada à elle a
débuté en septembre 2000. Comme la plupart des jeunes Palestiniens de sa
génération, elle ne croit pas à la négociation ni à la coexistence : pour elle,
tôt ou tard, Israël se retirera. Ses parents soutiennent le Fatah, le parti
nationaliste et laïc de Yasser Arafat, mais Rim lui préfère les islamistes du
Hamas ou du Jihad : «Ils n'ont pas peur de la mort.» Et elle, est-elle prête à
mourir pour la Palestine ? «Bien sûr», répond la jeune fille aux yeux noirs,
calme et décidée. «Mais si ce n'est pas nécessaire de mourir, j'aimerais devenir
journaliste.» Et poursuivre son journal.
9. Document : Exclusif : les secrets de
Camp David
in Le Nouvel Observateur du jeudi 23 mai 2002
Israël-Palestiniens. Le jour où l’espoira
sombré
Pourquoi, sept ans après la signature à
Washington de l’accord d’Oslo par Itzhak Rabin, Shimon Peres et Yasser Arafat,
Israéliens et Palestiniens se sont-ils de nouveau retrouvés, en septembre 2000,
face à face, les armes à la main, engagés dans une seconde Intifada qui a déjà
fait près de 2000 morts, et dont personne aujourd’hui n’aperçoit l’issue? C’est
à cette terrible question que s’efforce de répondre, après une minutieuse
enquête auprès des principaux négociateurs, Charles Enderlin dans «le Rêve
brisé», qui paraît cette semaine*. Nous publions ici des extraits du chapitre
consacré au sommet de Camp David, en juillet 2000
Le 11 juillet 2000 commence l’un des
épisodes les plus curieux du processus de paix. Le président des Etats-Unis, sa
secrétaire d’Etat, son conseiller à la Sécurité nationale, le chef de la CIA,
son équipe de conseillers les plus férus d’histoire du Proche-Orient vont
tenter, en quelques semaines, de régler le conflit israélo-arabe. [...] A Camp
David, il s’agira d’ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire de l’humanité. Pas
moins. [...] Ehoud Barak a l’intention d’en finir. La veille de son départ pour
les Etats-Unis, à Jérusalem, recevant quelques-uns de ses conseillers, il leur a
expliqué que le sommet était la toute dernière étape des négociations. [...]
Bref, il se prépare à l’échec et fixe des limites très strictes à la
négociation.
D’abord, rien ne doit être conclu aussi longtemps qu’il
subsistera un seul point de divergence. [...] Lui-même évitera toute rencontre
en tête-à-tête avec Arafat. Il ne faudrait pas que le chef de l’OLP mette à
profit le moindre écart verbal pour peser sur les pourparlers. A plusieurs
reprises, à des instants critiques du sommet, ses conseillers lui proposeront de
discuter directement avec Arafat. Barak refusera. Régulièrement, au cours des
repas, il ignorera ouvertement le chef de l’OLP. Une attitude que les
Palestiniens prendront pour une insulte et l’expression d’un refus de
négocier.
Barak arrive à Camp David dans les pires circonstances pour lui. En
Israël, son taux de popularité est au plus bas. Il n’a plus de majorité à la
Knesset, où les motions de censure se succèdent. [...] Yasser Arafat est
persuadé qu’on l’a fait venir à Camp David pour lui imposer un accord, l’obliger
à faire des concessions sur Jérusalem-Est et le Harâm el-Charif [l’esplanade des
Mosquées]. Or, sur ce point, il estime ne rien pouvoir céder. Quelques semaines
auparavant, le roi Fahd d’Arabie Saoudite lui a rappelé que le troisième lieu
saint de l’islam appartient à tous les musulmans. Et puis le chef de l’OLP
considère qu’il ne peut être le premier leader arabe à ne pas obtenir la
restitution de tous les territoires occupés par Israël en 1967. [...]
Mercredi 12 juillet
La première réunion sur les
frontières du futur Etat palestinien commence par un bref entretien entre
Madeleine Albright et les négociateurs palestiniens. [...] Les négociateurs
israéliens arrivent et, très vite, les choses tournent mal. Shlomo Ben-Ami
présente les demandes israéliennes. Création de blocs d’implantation en
Cisjordanie regroupant de 75 à 80% des colons juifs. Définition d’arrangements
spéciaux en faveur de 50000 colons supplémentaires mais pour un temps limité.
Reconnaissance de la présence israélienne jusqu’à la remise aux Palestiniens de
la frontière orientale – dans vingt ou trente ans seulement. Les Palestiniens
s’insurgent et refusent de discuter cette proposition.
Abou Ala:
«Acceptez-vous la frontière du 4 juin [comme base de discussion]? Acceptez-vous
le principe de l’échange de territoires?» [...]
Shlomo Ben-Ami: «Nous verrons
cela sur les cartes. Mais nous avons toujours pris pour base la ligne de 1967.
Les pourcentages de territoires qui doivent être évacués [par l’armée
israélienne dans le cadre de l’accord intérimaire] se trouvent en Cisjordanie,
c’est-à-dire sur la base de la ligne de 1967.» [...]
Mohamed Dahlan s’énerve:
«Vous êtes venus à Camp David pour torpiller la rencontre. Vous voulez, en fait,
rejeter sur nous la responsabilité de l’échec des négociations. [...]»
Arafat, qui a été mis au courant du ton de la discussion, va voir Clinton en
compagnie de Saëb Erekat. Arafat: «Nous avez-vous invités à Camp David pour
rejeter sur nous la responsabilité de l’échec?» Et le président palestinien de
critiquer violemment Ehoud Barak: «Je vous rapelle qu’il a voté contre Oslo. Il
veut former en Israël un gouvernement d’union nationale avec le Likoud...»
[...]
Jeudi 13 juillet
[...] Tard, à minuit trente, Yasser
Arafat, accompagné par Saëb Erekat est reçu par Bill Clinton.
Clinton: «J’ai
rencontré Barak et je voudrais examiner certaines idées avec vous.»
Arafat:
«Que proposez-vous au sujet de Jérusalem?»
Clinton: «Monsieur le président,
ce document [que la délégation américaine prépare] consignera votre position, à
savoir que vous voulez que Jérusalem soit la capitale de l’Etat palestinien, et
nous mentionnerons qu’Israël revendique Jérusalem comme la capitale indivisible
de l’Etat d’Israël.»
Arafat: «Je ne crois pas que je pourrai accepter un
document incluant ces positions. Ceci est contraire aux termes de référence du
processus de paix.»
Clinton: «Cela ne vous engage pas. Vous le consulterez
[le document] et vous me direz ce qui ne vous plaît pas.» [...]
A 2 heures du
matin, Dahlan est appelé par Dennis Ross qui lui remet le document américain. Le
colonel palestinien en prend connaissance et conseille au secrétaire d’Etat
adjoint de ne pas le faire parvenir à Yasser Arafat. Ross refuse et demande que
le président palestinien en soit informé.
Quelques minutes plus tard, cette
seconde version du «non-papier» américain est présentée à Ehoud Barak, qui le
lit rapidement et sursaute: au sujet de Jérusalem, l’article 6 alinéa 4 stipule
que le secteur municipal de Jérusalem accueillera les «capitales nationales
d’Israël et de l’Etat palestinien». Pour le Premier ministre, cela signifie que
les nouveaux quartiers juifs de Jérusalem en seront exclus. Dennis Ross corrige
à la main: «Le secteur élargi de Jérusalem accueillera, etc.» L’équipe
israélienne rejette le document après l’avoir examiné. [...]
Pour Saëb
Erekat, qui ne sait pas que le texte a déjà été refusé par Ehoud Barak, il ne
fait pas de doute que ce document a été rédigé en collaboration avec les
Israéliens. De toute manière, il est inacceptable pour Yasser Arafat. […] La
discussion commence. La délégation palestinienne dans son ensemble est d’accord:
il n’est pas question de considérer ce document comme une base possible pour les
négociations. Arafat jette le papier par terre et donne l’ordre à Saëb Erekat de
le rendre aux Américains. [...]
Vendredi 14 juillet
[...] A 15 heures, le comité de
Jérusalem se réunit. Yasser Abed Rabbo dirige la délégation palestinienne. Dan
Meridor, son homologue israélien, explique d’entrée de jeu que tout accord sur
la Ville sainte devra être rendu public et accepté par le gouvernement d’union
nationale qu’il voudrait former en Israël. Tout ce qui concerne Jérusalem peut
être négocié sauf, dit-il, la question de la souveraineté. «La division de la
souveraineté sur Jérusalem est une idée qui ne passera pas en Israël.»
Abed
Rabbo lui expose alors la différence qu’il voit entre une ville ouverte et une
ville unifiée. Deux entités souveraines peuvent accepter le principe d’une ville
ouverte. «Nous n’accepterons aucune solution qui repousserait à plus tard la
solution du problème de Jérusalem. Ce serait la bombe à retardement qui ferait
exploser tout règlement futur.» [...]
Samedi 15 juillet
[...] Le comité de Jérusalem se
réunit à 10 heures du matin. Les choses n’avancent pas. Les Israéliens font
marche arrière. Dan Meridor annonce qu’il refuse le principe de deux
municipalités à Jérusalem. [...]
Yasser Abed Rabbo leur répond: «Nous ne
sommes pas venus ici pour discuter d’affaires municipales mais pour trouver une
solution politique. Il ne s’agit pas de traiter de droits sociaux ou
administratifs de base à Jérusalem mais bien de droits politiques.» La
discussion s’enlise. [...]
Le comité des frontières et de la sécurité est
également réuni. Shlomo Ben-Ami a présenté une carte qui scandalise les
Palestiniens. Ils n’obtiendraient que 76% de la Cisjordanie alors que 10% du
territoire est colorié en orange, zones où les Israéliens prétendent conserver
des terrains en bail à long terme. Abou Ala sait compter: les Israéliens
prétendent annexer 14% du territoire; avec ces 10% supplémentaires, il ne
restera bel et bien que 76% de la Cisjordanie aux Palestiniens [en jaune sur la
carte]. […] Le président des Etats-Unis, lui aussi, critique la carte. «Je
réalise que cette carte est inacceptable. Il y a une ligne orange sur le
Jourdain, la région de Jérusalem sous contrôle israélien atteint la vallée du
Jourdain, et le secteur de l’implantation d’Ariel, à l’ouest, est très
élargi...» Clinton demande à Abou Ala de commenter la carte israélienne. Le
Palestinien refuse. «Les Israéliens doivent d’abord accepter le principe de
l’échange de territoires. Et puis, dit-il, pour les Palestiniens, la légitimité
internationale signifie un retrait israélien sur la frontière du 4 juin 1967.»
Alors Bill Clinton explose. Il hurle littéralement: «Monsieur, je sais que vous
voudriez que toute la carte soit en jaune. Mais ce n’est pas possible. Ici, ce
n’est pas le Conseil de Sécurité. Ce n’est pas l’Assemblée générale de l’ONU. Si
vous voulez faire une conférence, allez là-bas et ne me faites pas perdre mon
temps. Je suis le président des Etats-Unis. Je suis prêt à faire mes bagages et
à partir. Moi aussi, je risque de perdre beaucoup ici. Vous faites obstacle à la
négociation. Vous n’agissez pas avec franchise. Vous ne soumettez jamais aucune
contre-proposition.»
L’algarade est si violente que les délégués du comité
sur Jérusalem qui se trouvent dans la pièce voisine viennent aux nouvelles. Abou
Ala ne dit pas un mot. Il baisse la tête et sort. Plus tard, rencontrant Shahak
et Meridor, il leur demandera: «Qu’est ce que Clinton veut de moi?» [...]
A
18 heures, les négociateurs qui ont discuté de Jérusalem font leur rapport à
Clinton. [...] Clinton intervient: «Spécifiez les pouvoirs que vous pensez
transférer aux Palestiniens dans le cadre d’une municipalité
palestinienne.».
Gilead Sher: «Discutons du principe et non des détails.
[...] Les limites municipales actuelles de Jérusalem devraient être élargies. Il
y aurait donc une seconde municipalité, palestinienne celle-ci, à Abou Dis, qui
pourrait se voir confier certains pouvoirs administratifs à Jérusalem-Est. Mais
cette municipalité, qui serait celle d’Al-Qods, couvrirait une ville
différente.»
Sandy Berger s’adresse aux Palestiniens: «Pourquoi
n’accepteriez-vous pas qu’un certain nombre de juifs puissent prier sur
l’esplanade [des Mosquées]?» Yasser Abed Rabbo racontera qu’il s’est senti
bouleversé par la question: «Ce que vous dites est très dangereux. Nous sommes
venus ici pour faire la paix, pas pour déclencher une nouvelle guerre de
religions. C’est comme si je revendiquais pour les musulmans le droit d’aller
prier devant le mur des Lamentations. Vous imaginez ce que seraient les
conséquences?» Les Israéliens suivent l’échange en silence. Abed Rabbo
interpelle Gilead Sher: «Expliquez-lui que ce qu’il dit est très dangereux.
Pourquoi ne dites-vous rien?» [...]
Dimanche 16 juillet
[...] Saëb Erekat et Mohamed Dahlan
font leur rapport à Arafat. Les Israéliens, disent-ils, veulent annexer 12% de
la Cisjordanie et recevoir un bail de douze à trente ans sur 10% de territoires
supplémentaires dans la vallée du Jourdain où ils conserveraient le contrôle de
la sécurité. La frontière elle-même, sur la rivière, resterait sous la
souveraineté israélienne. Les Palestiniens n’auraient pas accès à la mer Morte.
Quatre blocs d’implantation seraient créés en Cisjordanie, mais soixante-trois
colonies juives seraient maintenues dans l’Etat palestinien. Les limites
municipales de la Jérusalem juive seraient étendues à l’est. Selon les deux
négociateurs, les Israéliens n’ont rien présenté de neuf si ce n’est la
proposition d’un régime spécial pour la Vieille Ville de Jérusalem. Le quartier
musulman serait doté d’un statut spécial mais, ajoutent-ils, Sher et Ben-Ami ont
à nouveau revendiqué pour les juifs le droit de prier sur une partie du Harâm
el-Charif.
Arafat, très nerveux, annonce qu’il va parler aux Américains: «Je
vais leur dire que ce n’est pas une manière de négocier!»
Dans l’après-midi,
Clinton reçoit Arafat. La rencontre dure une demi-heure. Arafat: «Les Israéliens
ont répété qu’ils voulaient prier sur le Harâm. C’est très dangereux. Cela m’est
égal qu’ils prient, mais cela mènera à une révolution islamique. Je ne peux pas
accepter cela.» Clinton: «OK! Présentez vos objections et dites non! Mais si
nous ne parvenons pas à trouver une solution dans les tout prochains jours, nous
repartirons tous les mains vides. Il semble que Barak, lui, a fait un pas.»
[...]
La délégation palestinienne se réunit et décide de clarifier ses
positions dans une lettre destinée à Clinton: «L’objectif des négociations est
l’application des résolutions 242 et 338 du Conseil de Sécurité des Nations
unies, c’est-à-dire le retrait d’Israël sur la ligne du 4 juin 1967. Nous sommes
prêts à accepter des rectifications de frontières entre les deux pays, à
condition qu’elles soient équivalentes en valeur et en importance. Pour ce qui
concerne le problème des réfugiés, nous voulons le régler sur la base de la
résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies. A propos de Jérusalem,
nous voulons que la partie orientale de la ville devienne la capitale de l’Etat
palestinien. Nous sommes prêt à discuter du concept de ville ouverte entre l’est
et l’ouest de Jérusalem, à tenir compte du statut du quartier juif et du mur des
Lamentations, qui pourraient relever de la souveraineté israélienne. La
proclamation de la fin du conflit n’interviendra qu’après la mise en place du
mécanisme d’application de l’accord sur le statut permanent. Les arrangements de
sécurité ne peuvent pas se faire sur le compte [exclusif] des Palestiniens.
[...]»
Lundi 17 juillet
[...] A 13 heures, la délégation
israélienne se réunit pour tenir une discussion qui durera jusqu’à 6 heures du
matin. Tout le monde est là, y compris l’assistant de la délégation, Gidi
Grinstein. Tous ont l’impression de travailler pour l’histoire.
[...]
Ben-Ami: «L’accord doit prendre en compte ce que Jérusalem a de
mythique pour les Palestiniens. Quelque chose qu’il est impossible de mesurer.
La réussite en dépend. Il faut affronter la question de Jérusalem. Il faut nous
débarrasser des slogans du genre: "Peres s’apprête à diviser Jérusalem."
Jérusalem a déjà été divisée. Sur le mont du Temple, il faut renforcer la
situation actuelle en faisant reconnaître une souveraineté israélienne bénigne.
A propos des quartiers intérieurs, il n’y aura pas d’accord s’il n’est pas fait
mention de la souveraineté d’Arafat sur la Vieille Ville.»
Amnon Shahak:
[...] «L’Etat d’Israël fut le fruit d’un sionisme pragmatique qui était prêt à
faire des compromis importants. Nous ne saurions renoncer à la souveraineté du
mont du Temple. C’est le cœur de la culture juive, que nous le contrôlions ou
pas. La souveraineté au sens profond du terme doit donc nous revenir. Nous ne
pouvons pas donner le Temple à Arafat. Mais sans Jérusalem, sans quelque chose
dans la Vieille Ville [pour les Palestiniens], il n’y aura pas d’accord. Il faut
trouver le moyen de reconnaître aux Palestiniens un espace plus ou moins grand
dans le quartier musulman de Jérusalem. Là, ils pourront bénéficier du type de
statut dont disposent les églises et les ambassades. [...] Il n’est pas certain
que cela les satisfera. Il est possible que même en s’y prenant comme cela, on
ne trouve pas de solution pour Jérusalem. Et nous reviendrons alors au point de
départ.» [...]
Ehoud Barak: [...] «Le moment est historique, et nous ne
saurions nous y soustraire [...]. Je ne connais pas un Premier ministre qui
accepterait de signer le transfert de la souveraineté sur le premier et sur le
second Temple [le mont du Temple], qui est la base du sionisme. [...] Une
souveraineté palestinienne sur la Vieille Ville serait aussi dure [à supporter]
qu’un deuil. Sans séparation d’avec les Palestiniens, sans fin du conflit, nous
plongeons dans la tragédie. [...] Sur certains sujets, nous sommes disposés au
refus, prêts à affronter le monde, comme Ben Gourion qui proclama en son temps
Jérusalem capitale de l’Etat juif – ce que la communauté internationale n’a
jamais accepté. [...]»
Mercredi 19 juillet
[...] 10 heures. C’est la première
de six rencontres orageuses entre Clinton et Arafat. Le président américain a
décidé de faire monter la pression sur le leader palestinien: «Je suis très
déçu. Vous allez perdre mon amitié. Vous allez ruiner pour vingt ans l’occasion
de conclure un accord. Barak va former un gouvernement d’union nationale. Vous
me faites perdre huit ans d’efforts...»
Arafat: «Je ne peux pas conclure
d’accord sans Jérusalem. Je ne trahirai pas Jérusalem [...]. Les propositions
que vous me soumettez, je les ai reçues de Barak par l’intermédiaire de Dahlan.
Je ne trahirai ni les chrétiens, ni les Palestiniens. Je ne suis pas responsable
de l’échec. J’avais demandé que ce sommet soit mieux préparé, et qu’on évite de
refaire ce qui s’était passé avec Assad à Genève, mais vous ne m’avez pas
écouté. J’avais proposé que des forces internationales soient déployées [dans la
vallée du Jourdain] et vous êtes venu me réclamer 20% du territoire
frontalier...»
Clinton évoque la chute du gouvernement Barak et la formation
d’un cabinet d’union nationale avec la droite israélienne, ce qui signifierait
l’arrêt du processus de paix.
Arafat: «Que puis-je y faire? S’il le faut,
j’attendrai vingt ans encore. Je vous demande de poursuivre les négociations. Et
si votre proposition est la dernière, je consulterai la direction palestinienne
pour lui dire: voici ce qu’on nous offre. A vous de décider.» [...]
Lundi 24 juillet
[...] A 21 heures, Bill Clinton reçoit
Yasser Arafat. Madeleine Albright, Sandy Berger, George Tenet et Robert Malley
assistent à la scène. Yasser Arafat est accompagné par Abou Ala et Saëb Erekat.
Clinton: «Pourquoi rejetez-vous ma dernière proposition?»
Arafat: «Je ne
peux pas trahir mon peuple. Voulez-vous assister à mes funérailles? Je préfère
la mort plutôt que d’accepter la souveraineté israélienne sur le Harâm el-Charif
[...]. Je n’entrerai pas dans l’histoire des Arabes en tant que traître. Comme
je vous l’ai dit, Jérusalem sera libérée, si ce n’est pas maintenant, ce sera
plus tard, dans cinq, dix, ou cent ans...»
Clinton explose: «Barak a fait
tellement de concessions. Et vous n’en faites aucune! Vous auriez pu recevoir la
souveraineté sur les quartiers chrétiens et musulmans de la Vieille Ville, la
juridiction pleine et entière sur le Harâm el-Charif. Il s’agit d’une question
politique et non religieuse. Vous avez manqué une occasion en 1948, vous en avez
raté une autre en 1978, lors [du premier sommet] de Camp David. Et voilà que
vous recommencez! Vous n’aurez pas d’Etat, les relations qui lient l’Amérique et
les Palestiniens prendront fin. Le Congrès va voter l’arrêt de l’aide qui vous
est accordée, et vous serez traités comme une organisation terroriste...
Personne au Proche-Orient ne vous regardera en face. [...]»
Saëb Erekat
demande à Arafat l’autorisation de répondre. Il se lance alors dans une diatribe
passionnée: «Monsieur le président, cela ne vous coûte rien de nous accuser et
de nous menacer. Nous n’avons pas de lobby susceptible d’influencer la situation
à Washington. Nous comprenons vos alliances stratégiques, votre alliance avec
Israël, qu’Israël est une partie prenante de la vie politique aux Etats-Unis.
[...] Nous ne sommes pas hostiles à Israël. Nous avons reconnu Israël. Mais ce
que je veux vous faire comprendre, c’est que nous sommes contre l’occupation
israélienne [...]. Monsieur le président, vous êtes le leader du monde, ne
menacez pas mon président, traitez-nous avec justice. Le peuple palestinien,
sous la direction de Yasser Arafat, a accepté et reconnu l’Etat d’Israël qui
occupe 78% de la Palestine historique. Jamais dans l’histoire des Palestiniens
un leader n’a reconnu ainsi l’Etat d’Israël et accepté de fonder l’Etat sur 22%
de la terre...! Or à présent vous dites qu’Arafat n’a pas fait suffisamment de
concessions! [...]
Les Israéliens veulent nous arracher des concessions,
tantôt pour satisfaire leur opinion publique, tantôt pour des raisons
historiques, tantôt en réaction à des sondages d’opinion, parfois pour leur
sécurité ou pour ménager la psychologie du peuple israélien... Je ne peux pas...
Je ne peux pas négocier un jour pour les colons, le lendemain pour l’Histoire,
un autre pour les généraux, pour la psychologie des juifs, ensuite pour le
caractère exceptionnel du peuple juif... Je ne peux pas... Je tente de négocier
la paix... [...]»
Une heure plus tard débute l’ultime séance de pourparlers
de Camp David. [...] Shlomo Ben-Ami s’adresse à Saëb Erekat: [...] «Arafat fait
passer la question musulmane en tête de ses priorités, avant même les intérêts
nationaux palestiniens. […] Si Camp David se termine sans accord, cela
signifiera l’effondrement du processus de paix, l’effondrement du camp de la
paix en Israël, la chute du gouvernement Barak, et peut-être la formation d’un
cabinet d’union nationale avec Sharon.»
Erekat: «Oui, c’est la raison pour
laquelle nous ne devons pas parler d’un échec mais mettre en évidence ce qui a
été accompli afin de ne pas détruire le camp de la paix, ni d’un côté ni de
l’autre. Nous devons poursuivre les négociations...»
Mardi 25 juillet
En début de matinée, Bill Clinton
réunit une dernière fois Israéliens et Palestiniens. Ehoud Barak est accompagné
de Danny Yatom, Yasser Arafat de Saëb Erekat. Sandy Berger est présent. Clinton:
«Je suis très mécontent car nous n’avons pas conclu d’accord. Mais je note que
de très grands progrès ont été accomplis. Des deux côtés, les positions ont
avancé. Je voudrais que vous poursuiviez les négociations afin de parvenir à un
accord vers la mi-septembre». [...] Israéliens et Palestiniens acceptent le
projet de communiqué final. Il sera lu par Bill Clinton.
Les Palestiniens
préparent leurs bagages. Dans leurs chambres, les téléviseurs sont allumés. Des
émissions spéciales sont consacrées à l’échec du sommet... Des sources
américaines et israéliennes accusent Yasser Arafat de «n’avoir fait aucune
concession» quand Ehoud Barak «jouait sa carrière politique en acceptant de
diviser à nouveau Jérusalem». Saëb Erekat est furieux. Il appelle Dennis Ross au
téléphone: «Que se passe-t-il? Qu’est-ce que cela signifie?» Ross: «Barak a
besoin de ce coup de pouce en raison de ses difficultés intérieures en Israël.»
Erekat: «Vous détruisez tout! Vous détruisez tout!» Il repose le combiné.
(*) «Le Rêve brisé. Histoire de l’échec du
processus de paix au Proche-Orient, 1995-2002», par Charles Enderlin, Fayard,
370 p., 20 euros.
Correspondant de France 2 à Jérusalem depuis 1981, Charles
Enderlin, 56 ans, a publié en 1991 une biographie d’Itzhak Shamir puis, en 1998,
«Paix ou guerres», consacré à l’histoire des négociations secrètes entre
Palestiniens et Israéliens, de 1917 à 1997, dont «le Rêve brisé» constitue la
suite.
- Les Palestiniens : Yasser Arafat, président de
l’Autorité palestinienne; Abou Ala (Ahmed Qorei), président du Conseil
législatif; Saëb Erekat, ministre de l’Administration locale; Yasser Abed Rabbo,
ministre de l’Information et de la Culture; Mohamed Dahlan, chef de la sécurité
préventive à Gaza.
- Les Israéliens : Ehoud Barak, Premier ministre; Shlomo
Ben-Ami, ministre des Affaires étrangères; Dan Meridor, président de la
Commission des Affaires étrangères et de la Défense à la Knesset; Amnon Shahak,
ministre du Tourisme; Danny Yatom, conseiller d’Ehoud Barak pour la défense,
ex-chef du Mossad;Gilead Sher, chef de cabinet de Barak, avocat.
- Les Américains : Bill Clinton, président des Etats-Unis;
Madeleine Albright, secrétaire d’Etat; Samuel (Sandy) Berger, conseiller pour la
Sécurité; George Tenet, directeur de la CIA; Dennis Ross, coordinateur du
processus de paix au Proche-Orient; Robert Malley, conseiller spécial du
président pour les affaires du Proche-Orient.
10.
Alors que Sharon dépèce la Cisjordanie -
Palestiniens l’arme des urnes par René Backmann
in Le Nouvel Observateur du jeudi 23 mai 2002
En reconnaissant qu’il a commis des erreurs et qu’il est temps
d’organiser de nouvelles élections, Yasser Arafatcherche à renforcer sa
légitimité, mais aussi à placer Israël devant un fait accompli :
l’internationalisation du conflit.
Une semaine après le vote par le comité central du Likoud d’une motion
excluant la création d’un Etat palestinien – texte présenté par Benyamin
Netanyahou mais combattu par Ariel Sharon –, le gouvernement israélien vient de
mettre en œuvre, discrètement, une nouvelle réglementation de la circulation des
personnes et des biens en Cisjordanie qui confirme les pires craintes des
Palestiniens. Délibérément ignorée par le gouvernement israélien, l’Autorité
palestinienne n’avait pas été officiellement informée, dimanche, de
l’instauration de ces mesures annoncées sur le terrain à tous ceux qui se
présentaient aux postes de contrôle de l’armée israélienne.
Selon cette
nouvelle réglementation, destinée, selon l’armée, «à se substituer aux bouclages
et aux couvre-feux», la Cisjordanie a été divisée en huit zones: Jénine,
Naplouse, Tulkarem, Kalkiliya, Ramallah, Jéricho, Bethléem et Hébron. Chaque
zone aura une seule entrée. Pour quitter leur zone de résidence, les
Palestiniens devront disposer d’un permis spécial délivré par «l’administration
civile» – c’est-à-dire l’armée israélienne – utilisable de 5 heures du matin à
19 heures et renouvelable tous les mois. Pour le transport des biens, les choses
seront plus complexes encore: un camion enregistré dans une zone ne pourra pas
se rendre dans une autre. Il devra déposer sa cargaison à un point de transit,
sous surveillance militaire, où un autre véhicule enregistré dans la zone de
destination viendra prendre livraison du chargement. «Nous assistons à la
naissance des bantoustans de Palestine, constate un universitaire de Ramallah.
Je ne vois pas comment l’Autorité palestinienne pourrait réussir à organiser des
élections dans un territoire aussi morcelé.» La tenue d’élections municipales
avant la fin de cette année et législatives en 2003 est pourtant l’un des
objectifs politiques majeurs de Yasser Arafat depuis qu’il a reconnu devant le
Conseil législatif palestinien, la semaine dernière, qu’il avait commis des
«erreurs» et que des «réformes» devaient être entreprises pour rendre son régime
plus démocratique, plus efficace et plus transparent.
Suggérée au début de
l’année par Paris puis par l’Union européenne, l’organisation de nouvelles
élections sous contrôle international dans les territoires autonomes
palestiniens était surtout destinée à renforcer la légitimité de Yasser Arafat
dans la perspective d’une reprise du processus de paix. L’idée avait été boudée
par Washington et rejetée par Israël. Jérusalem, qui rêve de se débarrasser
définitivement de Yasser Arafat pour le remplacer par un pouvoir plus docile –
c’est-à-dire par une poignée de notables locaux –, y reste hostile. Mais
Washington est disposé à la soutenir si le président palestinien, qui vient de
condamner une nouvelle fois le terrorisme, accepte de rassembler ses multiples
polices en une force de sécurité unifiée placée sous le commandement d’un chef
«responsable», et s’il s’engage à réduire le nombre de ses ministres.
Les
appels à la démocratisation et à la réforme venus d’Europe ou des Etats-Unis
avaient, il est vrai, d’autant plus de chances d’être entendus qu’ils font écho
à une demande pressante de la société palestinienne. Yasser Arafat l’a mesuré
lors de sa tournée à Bethléem, Naplouse et Jénine: sa popularité reste grande,
mais son pouvoir est discuté, et certains de ses fidèles sont haïs. «Nous
attendons des mesures concrètes, dit la députée Hanane Ashraoui. La priorité est
la mise à l’écart des responsables qui ont abusé de leur pouvoir.»
Ce qui
complique la partie politique en cours, c’est que plusieurs des «dirigeants
responsables» que Washington – et parfois Jérusalem – jugent «indispensables» au
nouveau pouvoir palestinien figurent parmi les hommes dont la population
palestinienne exige la mise à l’écart. C’est aussi que certains avocats des
réformes qui appellent à la relève des dirigeants actuels pensent surtout à
promouvoir leurs amis et leurs réseaux. Politicien roué, Yasser Arafat a fait
face aux attentes de son peuple, aux suggestions des capitales arabes et aux
exigences américaines avec sa ruse habituelle. En proposant d’organiser des
élections sous le contrôle d’observateurs étrangers, comme en 1996, il cherche à
la fois à renforcer sa légitimité en vue d’éventuelles négociations et à
afficher sa bonne volonté «démocratique» tout en provoquant, de fait,
l’internationalisation du conflit, à la grande fureur de Sharon, qui y est
hostile.
En rappelant que le scrutin ne pourra avoir lieu tant que l’armée
israélienne continuera d’occuper les territoires palestiniens, Arafat place
Jérusalem dans une position difficile. A moins qu’Ariel Sharon, invoquant le
reprise des attentats, ne donne suite à ses menaces et n’interdise à Yasser
Arafat de rentrer en Palestine après la tournée qu’il s’apprête à entreprendre
dans le monde arabe et en Europe. Le Premier ministre israélien et une partie de
l’administration Bush auraient alors la voie libre pour réaliser leur projet:
installer en Palestine un régime «fort» et docile, soutenu par Washington, avec
lequel le gouvernement israélien pourrait reprendre les négociations sur des
«bases nouvelles»…
11. Le plan de Sharon ? Chasser les
Palestiniens au-delà du Jourdain par le Pr. Martin Van Creveld
in
The Telegraph (quotidien britannique Grande-Bretagne) du dimanche 28 avril
2002
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
(Le Professeur Martin van
Creveld, vit à Jérusalem. Il est l’auteur de l’ouvrage : L’épée et l’olivier -
Une histoire critique des Forces israéliennes de défense, New York, 1998 et de
The Sword and the Olive ; a Critical History of the Israel Defense
Force.)
L’éminent historien israélien Martin van Creveld
prédit qu’une attaque américaine contre l’Irak ou un attentat terroriste en
Israël pourraient déclencher une mobilisation massive visant à débarrasser les
territoires occupés de leurs deux millions d’Arabes.
Voici deux ans, moins de huit pour cent des Israéliens
juifs interrogés par l’agence Gallup d’études de l’opinion publique ont répondu
en se disant favorables à ce que l’on dénomme de l’euphémisme de “transfert” -
et qui n’est rien d’autre que l’expulsion d’au minimum deux millions de
Palestiniens au-delà du Jourdain. Ce mois-ci, le même sondage fait apparaître un
chiffre de 44 pour cent.
Cette année même, à un journaliste qui demandait à
Ariel Sharon s’il était en faveur d’une mesure telle que celle-là, le Premier
ministre israélien lui avait répondu qu’il ne pensait pas exactement en ces
termes. Un coup d’oeil à ses mémoires, toutefois, permet de vérifier qu’il n’a
pas toujours été aussi regardant.
En septembre 1970, le roi Hussein de
Jordanie décida d’en finir avec les Palestiniens, dans son royaume, tuant de
cinq à dix mille d’entre eux. L’alors général Sharon, commandant en chef en
exercice de l’armée israélienne, sur le front sud, jugea que la politique
israélienne consistant à aider le souverain hachémite était une erreur ; pour
lui, au contraire, ce qu’Israël aurait dû faire, c’était en profiter pour le
renverser ! Il a souvent répété depuis que la Jordanie, laquelle, à ses dires,
est majoritairement peuplée de Palestiniens, encore aujourd’hui, est le vrai
Etat palestinien. La conclusion - à savoir que les Palestiniens devraient tous
aller en vivre en Jordanie - coule de source.
Durant sa guerre
d’indépendance, en 1948, Israël a chassé 650 000 Palestiniens de leurs foyers,
vers les pays voisins. Si Israël voulait tenter quelque chose d’approchant
aujourd’hui, cela pourrait bien déclencher une guerre régionale. De plus en plus
de gens, à Jérusalem, pensent que tel est bien, pourtant, l’objectif de M.
Sharon. Voilà ce qui pourrait expliquer pourquoi M. Sharon, célèbre pour son
habileté à faire des projets à long terme, semble ne pas avoir de stratégie. En
réalité, il nourrit depuis toujours un plan très clair : il s’agit de rien de
moins que débarrasser Israël des Palestiniens.
Peu de gens, et moi le
dernier, iraient jusqu’à souhaiter que de tels événements se produisent dans la
réalité. Mais un tel scénario pourrait très aisément voir ses conditions
réunies. M. Sharon n’aurait qu’à attendre que l’opportunité se présente - telle
une offensive américaine contre l’Irak, offensive que d’aucuns, en Israël,
verraient bien se produire au début de l’été. M. Sharon a dit en personne à
Colin Powell, Secrétaire d’Etat, que l’Amérique ne devrait pas permettre que la
situation prévalant en Israël risque de retarder cette opération...
Une
insurrection en Jordanie, suivie par l’effondrement du régime du roi Abdullah
II, serait aussi une opportunité intéressante - de même qu’un attentat
terroriste en Israël, causant plusieurs centaines de victimes. Dussent de
semblables circonstances se trouver réunies, Israël mobiliserait à la vitesse de
l’éclair - aujourd’hui même, alors que ces circonstances sont loin d’être
réunies, la quasi-totalité de la population israélienne (mâle et femelle) en âge
de porter les armes est sur le pied de guerre...
Comme hors-d’oeuvre, les
trois sous-marins ultramodernes d’Israël iraient rejoindre des positions de tir,
au large des côtes. Les frontières seraient naturellement fermées, un black-out
serait imposé aux informations par la censure militaire, tous les journalistes
étrangers seraient consignés dans leurs hôtels et se verraient gratifiés du
titre d’“invités du gouvernement à titre gracieux”. Une armada composée de douze
divisions, dont onze divisions blindées, plus diverses unités territoriales
adaptées à des missions d’occupation, seraient déployées : cinq face à l’Egypte,
trois face à la Syrie et une face au Liban. Cela laisserait trois unités
disponibles pour le “front est”, ainsi que suffisamment de forces pour mettre un
tank dans chacun des villages arabes d’Israël (“de 48"), juste au cas où leur
population aurait quelques lubies bizarres (comme celle de se révolter, ndt).
L’expulsion des Palestiniens ne nécessiterait que quelques brigades. Celles-ci
ne prendraient même pas la peine de faire sortir les gens de leurs maisons.
Elles utiliseraient massivement l’artillerie lourde afin de les chasser ; les
destructions de Jénine ressembleraient à un coup d’épingle, en comparaison à ce
qui se passerait dans ce cas de figure...
Toute intervention venue de
l’extérieur serait repoussée par l’aviation israélienne. En 1982, dernière en
date de ses opérations de grande envergure, elle avait détruit 19 batteries
anti-aériennes syriennes et abattu cent Mig syriens contre un seul Mirage perdu
de son côté... Aujourd’hui, sa supériorité est beaucoup plus écrasante, encore,
qu’elle ne l’était alors, et elle représenterait une menace tellement dissuasive
qu’elle interdirait pratiquement toute attaque blindée (syrienne) sur les
hauts-plateaux du Golan. Quant aux Egyptiens, ils sont séparés d’Israël par
environ deux cent kilomètres d’étendues désertes. A en juger à ce qui s’était
passé en juin 1967, feraient-ils montre de vouloir les traverser qu’ils seraient
écrasés. Les armées jordanienne et libanaise sont, quant à elles, trop faibles
pour seulement compter, et l’Irak n’est pas en position d’intervenir, puisqu’il
est vrai qu’il n’a pas récupéré sa force militaire d’avant 1991 et qu’il est
soumis au chantage américain. Saddam Hussein pourrait éventuellement lancer
quelques-uns des trente ou quarante missiles, tout au plus, dont il dispose
vraisemblablement.
Les dommages que ces missiles pourraient infliger
seraient, toutefois, limités. Dût Saddam être assez fou pour recourir à des
armes de destruction massive, la réponse d’Israël serait “si horrible et
terrifiante” (comme l’avait déclaré jadis feu le Premier ministre Yitzhak Rabin)
qu’elle “défierait l’imagination”. D’aucuns pensent que la communauté
internationale ne laisserait pas procéder sans réagir à un tel nettoyage
ethnique. Je n’en donnerais pas ma main à couper. Si M. Sharon décidait d’aller
plus loin, le seul pays qui pourrait le stopper, c’est les Etats-Unis. Les
Etats-Unis, toutefois, se considèrent en guerre avec des composantes du monde
musulman qui ont apporté leur soutien à Ossama Ben Laden. L’Amérique ne verrait
pas nécessairement un quelconque inconvénient à ce qu’une bonne leçon soit donné
au monde - en particulier si cela peut être mené aussi rondement et brutalement
que lors de la campagne guerrière de 1967 ; et d’autant plus, si cela ne devait
pas interrompre le flot du pétrole trop longtemps. Les experts militaires
israéliens estiment qu’une guerre de cette nature pourrait être conclue sous
huitaine. Si les pays arabes n’interviennent pas, elle se terminerait avec les
Palestiniens totalement chassés et une Jordanie en ruines.
S’ils
intervenaient, cela ne changerait absolument rien au résultat, sauf que les
principales armées arabes seraient détruites, elles aussi. Israël essuierait,
bien entendu, quelques pertes, en particulier dans le nord, où la population
israélienne serait soumise aux bombardements du Hizbollah (depuis le Liban,
ndt). Toutefois, le nombre des victimes israéliennes serait limité et Israël
serait une fois encore triomphant, comme il l’a été en 1948, en 1956, en 1967 et
en 1973. Vous m’entendez, Monsieur Arafat
?