Point d'information Palestine > N°201 du 17/06/2002

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Association loi 1901 - Membre de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
Rédaction : Pierre-Alexandre Orsoni et Marcel Charbonnier
                                                                                           
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http://www.solidarite-palestine.org - http://www.paix-en-palestine.org - http://www.france-palestine.org
                                            
Au sommaire
                              
Témoignages
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des citoyens de Palestine ou des observateurs. Ils sont libres de droits.
1. Un samedi... presque ordianaire par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
2. Ils sont revenus ! par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
3. Ramallah - Jérusalem par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
4. Bethléem toujours sous couvre-feu par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
5. Rien qu'une journée à Hébron par Anwar Abu Eisheh, citoyen d'Hébron en Palestine
6. Un petit coin de verdure par David Torres, citoyen de Gaza en Palestine
                                                                       
Rendez-vous
Pour retrouver l'ensemble des rendez-vous en Europe, consultez l'agenda réalisé par Giorgio Basile sur : http://www.solidarite- palestine.org/evnt.html
1. Israël Shamir invité par Luisa Morgantini ce mercredi 19 juin 2002 à Rome en Italie
2. Solidarité avec les réfugiés palestiniens du Liban le vendredi 21 juin 2002 à 19h à Marseille 
3. Manifestation pour appeler au boycott des produits israéliens le samedi 22 juin 2002 à 14h30 à Marseille
4. Rencontre exceptionnelle avec Jeff Halper le samedi 22 juin 2002 à 19h à Marseille
5. Exposition "Al-Quds Al-Sharîf" à l'Institut du Monde Arabe du 2 juillet au 4 août 2002 à Paris
6. Biennale des Cinémas Arabes à Marseille du 3 au 6 juillet 2002 - "Gros plan sur la Palestine" le vendredi 5 juillet 2002
                                     
Dernières parutions
1. Des pierres aux fusils - Les secret de l'intifada par Georges Malbrunot aux éditions Flammarion
2. Détruire la Palestine, ou comment terminer la guerre de 1948 de Tanya Reinhart aux éditions La Fabrique
                                           
DOSSIER SPECIAL : Le journalisme en danger
Quand la liberté d'opinion se heurte au replie communautaire - Là ou le pathos nie toute élaboration intellectuelle
1.1. Menaces de l'acteur américain John Malkovich contre le journaliste Robert Fisk
1.2. Pourquoi John Malkovich veut-il me tuer ? par Robert Fisk
In The Independent (quotidien britannique) du mardi 14 mai 2002
2. LE CAS DANIEL MERMET
2.1. Pétition lancée par Daniel Mermet "Contre la banalisation de l'antisémitisme"
2.2. Maître William Goldnadel, président d’Avocats sans frontières et vice-président de France-Israël
le vendredi 31 mai 2002 à 7h45 sur Radio J (radio "communautaire" juive - 94.8 FM Paris)
2.3. Reporters sans frontières exprime son soutien au journaliste Daniel Mermet
2.4. Le journaliste Daniel Mermet assigné pour "incitation à la haine raciale" par Xavier Ternisien
in Le Monde du dimanche 2 juin 2002
2.5. Sionisme et judaïsme par Daniel Cling (Paris) dans le courrier des lecteurs du quotidien Le Monde du vendredi 14 juin 2002
2.6. Le Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient dénonce le procès fait à Daniel Mermet et lui apporte son soutien
3. LE CAS ANGELIQUE SCHALLER
3.1. Lancement régional - "Boycott des produits israéliens" par Angélique Schaller in La Marseillaise du mardi 28 mai 2002
3.2. A nos lecteurs par Christian Digne in La Marseillaise du mardi 4 juin 2002
                               
Revue de presse
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG. Ils sont libres de droits, sauf mention particulière.
1. Obstacle à tout accord de paix - Le cancer des colonies israéliennes par Marwan Bishara in Le Monde Diplomatique du mois de juin 2002
2. Une effroyable routine au Proche-Orient par Gilles Paris in Le Monde du samedi 1er juin 2002
3. Histoire et propagande en Palestine et Israël par Bernabe Lopez Garcia In El País (quotidien espagnol) du vendredi 31 mai 2002 [Traduit de l’espagnol par Michel Gilquin]
4. Israël renforce sa politique de colonisation en Cisjordanie par Stéphanie Le Bars in Le Monde du vendredi 31 mai 2002
5. "Une maison au Canada, au cas où..." par Jean-Paul Mari in Le Nouvel Observateur du jeudi 30 mai 2002
6. "Il s'agit d'un des derniers territoires colonisés" entretien avec André Raymond  réalisé par Dina Heshmat in Al Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 29 mai 2002
7. Parution du rapport annuel américain sur les “foyers de terrorisme” mondiaux - Toujours la même vision manichéenne : “Qui n’est pas avec nous est terroriste... et, donc, contre nous” ! par Subhi Hadidi in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 24 mai 2002 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
8. Jeune à Jénine par Christophe Ayad in Libération du jeudi 23 mai 2002
9. Document : Exclusif : les secrets de Camp David in Le Nouvel Observateur du jeudi 23 mai 2002
10. Alors que Sharon dépèce la Cisjordanie - Palestiniens l’arme des urnes par René Backmann in Le Nouvel Observateur du jeudi 23 mai 2002
11. Le plan de Sharon ? Chasser les Palestiniens au-delà du Jourdain par le Pr. Martin Van Creveld in The Telegraph (quotidien britannique) du dimanche 28 avril 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                                           
Témoignages

                                                    
1. Un samedi... presque ordinaire par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
Bethléem, le dimanche 26 mai 2002 - Hier, comme tous les samedis, du moins quand la situation est "normale", je travaillais. Je donnais des cours à Dheisheh. Dans l'après-midi j'ai eu les enfants. Tout s'est passé normalement, les enfants étaient en forme.
Il y a actuellement dans le camp d'autres Français dont l'une rentre bientôt en France. Avant son départ, elle a voulu organiser une petite "fête" en l'honneur des enfants et de la famille qui l'a hébergée ces derniers temps. Et quand des Français veulent mettre à l'honneur leur pays, ça se finit souvent en soirée crêpes... Donc, crêpes pour tout le monde !
S. les prépare pendant que moi je donne mon cours aux adultes. Le cours finit à 20h30. Il est convenu que Chadi, un de mes étudiants qui sera aussi de la fête, m'accompagnera jusque chez S.
À 20h30, le cours se termine. Exercices pour la fois prochaine, dernières recommandations, derniers conseils...
Avec Chadi, je m'enfonce à l'intérieur du camp. Un jeune garçon nous croise, interpelle mon étudiant :
- Salut ! Ils rentrent !
Inutile de demander qui... Dans ce genre de situation, je doute toujours de mes connaissances en arabe... J'interroge Chadi :
- Qu'est-ce qu'il a dit ? Ils rentrent ?
- T'inquiète pas... Des rumeurs...
On continue. Chadi me raconte sa journée pour le moins mouvementée: pour aller à Jérusalem, il a dû passer par... Ramallah ! (en gros, c'est comme si vous vouliez aller de Juvisy à Paris en passant par Sarcelles !) Il s'est fait prendre au check de Qalandia où il a dû patienter 5 heures... Pour avoir vu d'autres types là-bas, j'imagine sans peine ce qu'on lui a fait. Je l'interroge, mais il élude la question. Chadi a 20 ans. Il écrit des chansons. Pour vivre, il n'a que ce qu'il peut gagner en allant travailler illégalement à Jérusalem. Il est payé à la journée. Et depuis trois mois, il n'a presque pas bossé... J'ai remarqué un détail frappant chez mes étudiants ces derniers jours: ils achètent leurs cigarettes... à l'unité ! Je les ai même vu en acheter une et la fumer à deux...
Un autre jeune garçon nous arrête :
- Ils arrivent !
Du coup, je ne doute plus de mon arabe !
- Chadi, ils rentrent !
- Ne t'inquiète pas !
Un silence. Il reprend :
- Ce soir, tu dors dans le camp. Tu ne rentres pas chez toi. On va voir avec les autres.
Le camp se transforme sous mes yeux: les gosses sortent dans la rue, chacun y va de son commentaire, les shebabs se réunissent, s'interpellent. Les "recherchés" se ruent sur leurs voitures et partent je ne sais trop où. Du coup, il y a des embouteillages dans les ruelles du camp  ! C'est la première fois que je vois ça.
Au fur et à mesure qu'on avance vers la maison de S, les nouvelles s'affinent: les tanks ont fait mouvement de Beit Jala à Bethléem, ils sont actuellement à un carrefour que l'on nomme "matbasse", et se dirigeraient vers la vieille ville. Le couvre-feu serait en vigueur. D'autres rumeurs aussi: des tanks seraient à al-Khader et à Duha, mais dans ce cas, il ne s'agit que de rumeurs... Les gosses en rajoutent: "ils sont à la porte du camp" crient les plus petits. Les plus grands démentent.
Les hélicoptères entrent alors en action. On les entend, mais on ne les voit pas: ils ont coupé leurs lumières.
On discute tous dans les rues, le nez en l'air pour voir où ils sont. Pourquoi viennent-ils ? Que veulent-ils ? combien de temps vont-ils rester ? Je vous rappelle qu'ils ont quitté Bethléem le 10 mai après 40 jours de couvre-feu. Nous sommes le 25... M.... ! Ils ne nous auront laissé tranquilles que 15 jours...
On arrive chez S. Les gosses sont là, les mains pleines de chocolat (les crêpes chocolat ont eu beaucoup plus de succès que celles au sucre !). On est toujours dans un espèce d'atmosphère irréelle: on mange des crêpes et on discute, avec en bruit de fond le bourdonnement obsédant des hélicoptères... !
Vers 23h30, je vais chez les voisins qui m'hébergent pour la nuit. La maman me prête un pyjama, un matelas dans un coin, une couverture, et me voilà couchée sans autre forme de procès ! (Inutile de vous dire que je ne prends pas ma brosse à dent pour aller donner un cours ou manger des crêpes chez des amis !) Je m'endors, bercée par les hélico...
6 heures du matin. L'un des fils fait irruption dans la pièce où nous dormons.
- Ils sont partis !
Du coup, tout le monde se lève, on met la TV sur la chaîne Al Jazirah qui diffuse de l'info en continu: la nouvelle est confirmée: ils sont partis après avoir dynamité une maison.
Lana, la plus jeune des enfants (10 ans) ne peut cacher son désarroi :
- S'ils sont partis, ça veut dire que j'ai école ?
On éclate tous de rire.
Sa maman lui dit d'aller se recoucher. On en fait tous autant. Aujourd'hui, Lana a un examen de math...
Petit déjeuner au thé et au za'tar (pour ceux qui connaissent).
Je les quitte un peu plus tard, la journée ne fait que commencer... Je rentre chez moi à pied. Presque heureuse. Heureuse de rentrer chez moi et de me dire que les "tankosaures" (c'est comme ça que je les avais surnommés pendant le couvre-feu) ne sont plus là. Un petit détail que j'avais oublié de vous dire: samedi, je suis partie de chez moi un peu vite pour aller donner mon cours... Dans ma précipitation, j'avais oublié mon passeport à la maison...
J'ai téléphoné à la famille qui m'a hébergée la nuit dernière: Lana a réussi son examen...
                                   
2. Ils sont revenus ! par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
Ramallah, le lundi 27 mai 2002 - Je suis très en colère aujourd'hui. Et je n'ai pas envie de souhaiter le moindre "bonjour".
Je suis à Ramallah, encore une fois coincée loin de chez moi. Et pourquoi ça coincée ? Parce que Sharon le fou est à nouveau à la recherche de terroristes ! Et évidemment, ils sont à Bethléem, les terroristes, ils sont même à Dheisheh !
Je vous rappelle l'histoire de ces derniers mois: du 10 au 19 mars, couvre-feu dans presque toutes les villes de Palestine. Les gens se sortaient pas de chez eux, l'armée était là. Elle était présente non seulement dans les villes, mais aussi et surtout dans les camps. Vous vous souvenez tous de ces images (à moins que votre mémoire soit sélective) de jeunes gens, les mains liées dans le dos, les yeux bandés, regroupés dans les écoles pour être interrogés par le Shin Beth (service de sécurité intérieure). Des moyens dignes d'une démocratie, ça ? Pénétrer en armes chez les gens, arrêter tous les hommes de plus de 15 ans (J'ai bien dit 15), et les soumettre à des interrogatoires plus ou moins musclés, c'est des procédés démocratiques ? En ce temps-là, vous vous étiez indignés, vous aviez manifesté votre émotion. Bien sûr depuis, il y a eu les vacances de Pâques, et puis les ponts de mai... Votre indignation s'est quelque peu effritée...
Le 19 mars donc, les Israéliens quittaient les villes palestiniennes... pour mieux y revenir ! Le 29 mars, ils étaient à Ramallah, encore une fois ! Et le premier avril à Bethléem ! dans toutes les autres villes aussi. La fameuse opération Rempart, avec son cortège d'humiliation, de destruction, de morts, de peur, de haine. Opération réussie décidément: la haine n'a jamais été aussi forte. Des deux côtés.
À Bethléem, on a eu 40 jours de couvre feu. Les tanks sont partis le 10 mai. Pendant 40 jours, nous ne sommes sortis de chez nous que quand lorsque l'armée d'OCCUPATION (vous avez peur des mots ?) nous y autorisait. Les lignes de téléphone étaient parfois coupées, comme l'électricité.
40 jours pendant lesquels nos contacts avec l'extérieur ont été des plus réduits.
Ils sont partis le 10 mai. Et nous sommes le 27 mai. Et ils sont de retour ! M.... à la fin !
Israël dit que les réseaux terroristes se sont reconstitués. Libre à vous de les croire. Si ça ne vous gêne pas qu'on se paye votre tête, c'est votre probleme. Moi, ça me déplaît fortement.
Vous voulez savoir ce qui s'est passé pendant ces deux semaines de liberté que la "glorieuse" armée d'Israël nous a si généreusement octroyées ?
On a nettoyé, reconstruit, consolé. On a parlé, on a pleuré, on s'est remis à travailler. On a essayé de reprendre une vie normale. La première semaine, on n'a pas pu. Et depuis sept jours on s'y remettait tant bien que mal.
Ce se sont pas les entités terroristes que Sharon est venu détruire. Ce sont les structures même de la société.
Je ne sais plus quoi faire ni quoi vous dire pour que vous réagissiez. Ils ne sont pas en train d'"éradiquer" le terrorisme, ils sont en train de le renforcer. Et ils le savent. Ils jouent avec l'opinion internationale, tout comme Bush père et fils jouent avec l'opinion internationale en ce qui concerne l'Irak ou l'Afghanistan, et Poutine pour la Tchétchénie.
Je ne sais qu'une chose: que des hommes sur terre sont privés de leurs droits les plus fondamentaux tels que leur droit à la liberté ou même à la vie.
Et que je continuerai à le dire.
"Je suis écœuré" me disait un ami Palestinien qui vit en Europe. Moi aussi, je le suis.
Je suis écœurée par le gouvernement israélien et ses mensonges à l'encontre de son propre peuple.
Je suis écœurée par la société israélienne qui se dit bien pensante et qui pratique la politique de l'autruche.
Je suis aussi écœurée par cet espèce de ventre mou qu'on appelle l'Occident. Écœurée par son manque de courage et sa lâcheté. Des hommes meurent. Ça vous laisse donc indiffèrent ? Au secours ! Ils sont en train de tuer mes amis !
                                       
3. Ramallah - Jérusalem par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
Jérusalem, le mercredi 29 mai 2002 - Salam ! (Paix !) J'ai écrit mon dernier message à Ramallah. Je suis à présent à Jérusalem. Récit des dernières heures.
Mardi, j'ai accompagné Katia à l'Université de Bir Zeit, là où elle travaille.
Ensemble, nous avons fait le chemin qu'elle fait tous les jours pour aller bosser.
En sortant de chez elle, on prend un taxi qui nous fait parcourir quelques kilomètres. Tas de terre, blocs de béton au milieu de la route, le taxi ne va pas plus loin. On descend. On continue à pied. La marche à pied, c'est bon pour la santé... et visiblement la santé des Palestiniens est une donnée importante pour le gouvernement de Sharon (ça lui ferait d'ailleurs du bien à lui aussi de venir suer sur les routes de Cisjordanie...)
On marche donc. Une petit dizaine de minutes. Et puis à un moment, on passe devant un tank. Quoi de plus normal quand on va à la fac ?
Nous sommes loin, très loin, de la fameuse "Ligne Verte" qui sépare Israël des Territoires Occupés. Pourtant le tank est bien là, lui. Alors, excusez ma bêtise, mais je ne comprends plus: ils nous disent pourtant que toutes les opérations militaires ont pour but de protéger la sécurité des Israéliens, non ? Mais il n'y en a pas d'Israéliens, ici ! Alors vraiment, je ne comprends pas, ça ne colle pas avec le discours officiel.
Un tank donc au milieu de la route sur laquelle nous cheminons... Et des soldats. Évidemment.
Comme tous les soldats de la "glorieuse" armée de "défense" (sic, oups, je m'étrangle !) d'Israël, ils soignent leur look, les soldats: lunettes de soleil dernier cri, cheveux coupés très courts, ou au contraire un peu longs, négligemment attachés, boucle d'oreille, chewing gum... Le look jeune con dragueur quoi, le look qu'on trouve sur le littoral israélien. Mais là, on n'est pas à la plage. Et visiblement, ça les ennuie d'être là, les soldats. C'est vrai, faut les comprendre... Du coup, ils se "vengent" un peu sur nous. C'est vrai que c'est de notre faute aussi: pourquoi nous obstinons-nous à aller à l'Université ? Activité hautement subversive, ça, activité terroriste, c'est certain !
Alors, les soldats qui ont chaud sous leur casque, leur gilet pare-balles et leurs rangers, nous "gueulent" dessus ! Ils passent le temps quoi... Hier matin, les filles avaient de la chance: elles ne se faisaient pas arrêter... Les garçons, c'était un peu différen. On les arrêtait, on leur demandait d'ouvrir leurs sacs, leurs livres (un terroriste recherché pourrait s'y cacher !). Et certains devaient attendre. Pourquoi ? Je pense que même le soldat ne pourrait pas répondre à la question... On leur prend leur papier d'identité et on leur dit d'attendre. De dix minutes à plusieurs heures. Selon le bon vouloir du soldat. Inutile de tenter de discuter pour plaider sa cause, style: "mais j'ai mes examens de fin d'année !". Ça risque seulement de rendre l'attente plus longue...
Bref, on dépasse le tank.
On reprend un autre taxi et hop, cette fois, direction la fac, à quelques kilomètres de là.
Bir Zeit est, avant d'être une fac, un beau village palestinien, où les femmes portent la taub traditionnelle, où les maisons de pierre me font rêver.
Bir Zeit, c'est des oliviers, des cigales qui chantent, des hommes qui travaillent la terre, des ânes qui braient, des gosses qui sortent de l'école en chahutant.
C'est un décor de collines arides, où les pierres seules semblent pousser. La terre est ocre, les pierres presque roses sous le chaud soleil de mai... Au détour d'un virage, en haut d'une colline, l'Université.
Ici, comme dans toutes les fac de Palestine, on parle politique. Beaucoup. On écrit sur les murs, on distribue des tracts, on discute. Oui, on y fait de la politique entre les cours. Mais ce n'est pas l'activité principale de ces étudiants. Non, à Bir Zeit, l'activité principale c'est... la drague ! Dans les recoins des allées, sous les ombres des oliviers, on conte fleurette à sa belle...
J'assiste au cours de Katia, on prend un café et je repars dans l'autre sens, direction cette fois Ramallah. Je repasse donc devant le tank, qui n'a pas bougé. Des garçons attendent toujours le bon vouloir des soldats...
À Ramallah, je me sens un peu déprimée: que faire ? Rester là et attendre que les chars arrivent ? Ou repartir sur Jérusalem et attendre qu'ils ouvrent Bethléem ?
Pause internet, puis pizza avec V. et enfin je me décide: je vais à Jérusalem et de là j'attends la "libération" (sic !) de Bethléem pour pouvoir retourner chez moi... (et donc changer de vêtements, puisque, étant partie de chez moi pour une demi journée seulement, je n'avais pas pris de valise !)
On se dirige vers les taxis. En chemin, on croise une Française qui vit à Ramallah et travaille à Jérusalem:
- Dépêchez vous, nous dit-elle. C'est le bazar à Qalandia ! Ils ferment !
On court. Un taxi. On monte.
On arrive à Qalandia. Beaucoup de gens attendent. Tous ont leur portable à la main.
- Msakkar !, le check est fermé !
On essaie de passer malgré tout en utilisant nos passeports étrangers. Un soldat nous explique que ce n'est pas possible. Comme toujours sur les check, il faut être le plus con possible. À ce jeu-là, on devient bon...
On essaie la pitié :
- Mais nous on habite Jérusalem ! On ne connaît personne à Ramallah ! Si tu nous empêches de passer, ça veut dire qu'on va dormir ici ! Tu te rends compte comme c'est dangereux ? Allez, on peut passer ?
- Non non, on ne peux pas passer ! Je suis désolé, mais c'est comme ça ! C'est les ordres. Personne ne passe. Pas même les ambulances !
On lâche l'affaire. On décide de passer ailleurs.
Mais la petite phrase sur les ambulance est enregistrée... À ressortir quand Tsahal affirmera au monde entier qu'elle laisse toujours passer les ambulances...
Si on ne peut pas passer par le chemin direct, on passe par le "laffe" (détour). Aujourd'hui, le "laffe" passe par le check de Beit El. On prend un taxi qui nous y emmène (au passage, c'est complètement de l'autre côté de Ramallah. Qu'à cela ne tienne, on voit du paysage !). On arrive au check. Il y a foule. Les femmes et les étrangers passent sans contrôle ou presque. Quant aux hommes, des soldats récupèrent leurs papiers d'identité... Un peu comme pour la fac.
Mais nous sommes chanceuses, nous sommes à la fois des minettes et des étrangères. On passe. Ouf ! ! On a quitté Ramallah !
Reste maintenant à gagner Jérusalem, à quelque quinze kilomètres de là.
Quand on prend le check de Beit El, on se retrouve sur la route des colons. Pas envie de faire du stop... Et pas de taxi en vue... Un moment d'hésitation.
Et tout d'un coup devant nous... une voiture portant les étoiles de l 'Union Européenne !
- Euh... vous allez à Jérusalem ?
- Montez, on vous emmène !
Tiens, il y a des jours ou je me sens profondément européenne, moi...
 
4. Bethléem toujours sous couvre-feu par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
Jérusalem, le jeudi 30 mai 2002 - Je suis toujours coincée à Jérusalem. Les tanks sont entrés cette nuit à Hébron. À l'heure où je vous écris, il semble qu'ils soient repartis.
À Ramallah, la situation est tendue: le check de Qalandia (principal point d'accès à la ville) est ferme la plupart du temps. À force de négocier (surtout si on est étranger), on peut espérer entrer dans Ramallah. Pour en sortir, c'est une autre paire de manches... Une partie de poker en quelque sorte...
En ce qui concerne l'université de Bir Zeit, les cours n'ont pas lieu depuis trois jours. Depuis trois jours, aucun homme n'est autorisé à passer le check qui mène à cette université (check qui est situe, je vous le rappelle, très loin de la Ligne Verte, et qui donc n'est pas un point de passage vers Israël). Ce matin, des étudiants et des profs ont essayé de passer: ils se sont pris des gaz lacrymogènes. Deux mots sur ces gaz: Israël dit que ce sont les mêmes que ceux qui sont utilisés dans d'autres pays, tel que la France. J'en ai fait pas mal des manifs, dans ma vie, sur le pavé parisien. Je n'ai jamais rien senti de tel que les gaz qu'on utilise ici. Description : si vous avez la chance de ne pas vous prendre le nuage de fumée en pleine tronche, vous aurez des symptômes légers : peau qui brûle comme après une exposition au soleil non protégée, yeux rouges, qui picotent et ce pendant plusieurs heures.
Ça, c'est si vous êtes loin des gaz. Si vous êtes trop près... Vous allez pleurer toutes les larmes de votre corps, votre peau et vos yeux seront rouges tomate. J'ai vu beaucoup de personnes vomir, suite à ces gaz. J'ai aussi vu des personnes se faire évacuer en ambulance : elles avaient besoin d'assistance respiratoire... Les mêmes gaz, oui, bien sûr, puisqu'on vous le dit.
Bethléem est toujours sous couvre-feu, et ce depuis lundi dernier. Je consulte vos (nos ?) quotidiens nationaux sur le net. Bethléem n'a droit qu'à un entrefilet, noyé dans le "ballet diplomatique" du Proche-Orient. Ma maison est sous couvre-feu. Mes amis, mes étudiants, mes voisins sont sous couvre-feu. Ils ne sortent pas. Les tanks sont en contrebas de mon jardin. Presque pas de tirs dans la ville. Le quartier de la Nativité est bouclé. Les tanks sont à nouveau sur la place de la Nativité. Cette fois, les soldats de l'armée de "défense" (gloups !) se sont postés devant les portes de l'Église. Pour éviter que les "méchants terroristes" s'y réfugient une fois encore. Vu le mal qu'on a eu à leur trouver des pays d'accueil en Europe, à ces "méchants terroristes", faudrait pas que d'autres trouvent refuge une fois encore dans ce... lieu d'asile, puisque la Nativité, comme toutes les églises du monde, est un lieu d'asile.
Israël revoit donc le droit d'asile... à sa manière. Israël se dit seul apte à protéger les différentes religions de "Terre Sainte". Pourtant, moi qui suis chrétienne, je ne peux me rendre dans l'un des lieux les plus saints selon ma religion.
Les mauvaises langues me diront que, dans mon exil à Jérusalem, je n'ai qu'à aller au Saint Sépulcre.
Certes... Mais il y a là-bas une chose qui me met toujours de très mauvaise humeur: les soldats d'Israël ! Eh oui ! Sans doute pour «protéger» les Lieux Saints, Israël entretient quelques flics et militaires à l'entrée de l'Église. Si encore ils restaient sur le parvis... Mais non! Munis de leurs pistolets ou autres fusils, il leur arrive fréquemment de pénétrer à l'intérieur de l'Église...
Encore une fois, je m'interroge: les soldats d'Israël ont le droit de pénétrer quand bon leur semble, en armes, au Saint Sépulcre.
En revanche, les soldats de Palestine sont accusés d'être de dangereux "terroristes" quand ils sont trouvés, en armes, à l'intérieur de la Nativité...
Désolée, je ne comprends rien.
Hier, il y a eu une levée du couvre-feu à Bethléem. Les habitants ont eu quatre heures pour courir de-ci de-là pour trouver de quoi manger dans les prochains jours.
Cinq tanks Merkava, les plus gros, étaient postés à Bab azqaq, l'un des principaux carrefours de la ville. Une fois encore, les gens ont fait leurs achats sous la menace de leurs canons.
Voilà donc pour la situation sur le terrain. Et je ne vous ai pas parlé des autres villes, Jénine, Qalqiliya, Tulkarem et Naplouse, où la situation est tout aussi désespérante. Et je ne vous ai pas parlé des villages. Ni des camps de réfugiés (deux mots à ce propos: l'armée campe devant l'association pour laquelle je travaille à Dheisheh. Le camp de Shofat, à Jérusalem-Est, est actuellement sous couvre-feu. Il est situé à quelques centaines de mètres des colonies de Jérusalem-Est, dont les colons sont, eux, libres d'aller où bon leur semble.)
Des adolescents juifs sont morts ces derniers jours. Je condamne ces actions. Je ne me suis jamais réjouie de la mort des gens (quoique celle de Sharon ne m'attristera pas outre mesure...) Mais ces ados habitaient à Itamar, une colonie proche de Naplouse, et illégale au regard du droit international.
L'État palestinien aurait dû être proclamé en 1999, suite aux Accords d'Oslo. Les colonies auraient dû être démantelées. Or, elles s'agrandissent toujours.
Que leur reste-t-il donc, aux Palestiniens ? Que doivent-ils faire pour qu'on reconnaisse enfin, après plus de 50 ans, leur droit à disposer d'eux-mêmes ? Israël ne respecte pas le droit international. Et nous, nous le savons, et nous nous taisons. Nous sommes nous aussi coupables de la mort de ces quatre adolescents.
Une grand-mère et sa toute petite fille sont mortes dans un attentat. Là encore je condamne sans réserve.
Quelques jours avant, une femme et sa fille de 12 ans ont trouvé la mort à Rafah (sud de la bande de Gaza), tuées par des obus de tanks.
Je condamne sans réserve.
Dans le premier cas, il s'agit d'un acte terroriste, nous sommes tous d'accord.
Mais dans le second cas, aussi. Une femme et sa fille tuées par des tanks alors qu'elles travaillaient, c'est aussi un acte de terrorisme.
Non, ce n'est pas une bavure, comme le prétend Tsahal.
J'attends de l'Occident (mais sans doute suis-je utopiste) qu'il condamne sans réserve TOUS les actes de terrorisme. Si nous n'en sommes pas capables, cela signifie que nous n'avons tiré aucune leçon du siècle passé.
Et le 21ème risque d'être beaucoup plus noir, ou plus exactement : rouge.
                                                   
5. Rien qu'une journée à Hébron par Anwar Abu Eisheh, citoyen d'Hébron en Palestine
Hébron, le mardi 4 juin 2002 - Le 4 juin 2002, à 7h45, les enfants sont à l'école comme 6 jours sur 7 par semaine, je commence ma journée par aller voir le vendeur de sandwich falafel. J'ai appris par hasard il y a quelques jours qu'il vendait le sandwich aux élèves (dont mes enfants) de l'école privée située à 150 mètres de son kiosque, à 1,5 shekels alors que ce n'est qu'1 shekel aux enfants de l'école publique située à 20 mètres. Il s'est expliqué en me disant que c'est en accord avec la directrice de l'école publique, car ces enfants-là ont rarement plus qu'un shekel. Je lui ai dit que j'allais immédiatement la voir pour lui demander de quel droit ! "Ah, ce n"est pas la directrice actuelle mais l"ancienne." Je suis donc allé voir à l'école publique, l'histoire l'a fait bien rire et elle m'a répondu :"tant mieux, les élèves de l'école privée ont beaucoup d'argent" et elle m'a rappelé que sa prédécesseur n'était autre que ma soeur ! On a ensuite pris rendez-vous pour s'organiser afin de loger nos amis français qui viennent à Hébron les deux premières semaines de juillet dans le cadre de notre projet "Hébron 2002".
(J'ai ensuite vérifié avec ma soeur que c'était effectivement elle qui était à l'origine de cette ségrégation et en riant elle m'a dit  "pourquoi tu ne mets pas tes enfants à l"école publique comme tout le monde." et puis elle m'a blâmé car j'avais "blessé" un homme psychologiquement fragile.)
Cherchant un soutien moral, j'ai appelé la directrice de l'école privée qui n'était pas au courant de cette histoire de différence de prix infligée à ses élèves. Je lui ai raconté tout en lui disant que le vendeur avait fini par me dire "à la fin de cette semaine, les enfants seront en vacances et à partir de là je ferai le même prix pour tous les enfants, que l"école soit privée, publique et celle des Mennonites (à 100m)".
Ensuite j'expédie les affaires courantes et j'appelle mon autre soeur directrice d'un jardin d'enfants du  Croissant Rouge d'Hébron et situé dans le coin misérable sous occupation, pour vérifier si le menuisier y est allé aujourd'hui comme prévu (notre association a décidé d'affecter les 1524 ? envoyés par le Secours Populaire de Thiers à l'achat d'une imprimante pour une école publique et à des travaux de menuiserie pour le jardin d'enfants du Croissant rouge).
Ma soeur m'a répondu que le menuisier devait arriver d'un moment à l'autre ; elle était étonnée que je ne lui parle que de cela."Mais tu ne sais pas ce qui s'est passé cette nuit ?" m'a-t-elle dit. Non, je ne savais pas.
"Tu as entendu les chars passer quand même ?"
"Non, je n'ai rien entendu"
"Eh bien sache qu"une colonne de chars a traversé la rue principale d"Hébron, a roulé sur 26 véhicules dont un taxi qui appartient à nos frères et un autre à notre oncle .."
puis elle m'a conseillé d'aller consoler mes frères car dès le petit matin quand mes frères ont entendu la nouvelle leur taux de diabète s'est envolé.
J'ai l'habitude d'écouter les infos et presque uniquement des infos le matin. Ce matin je n'ai écouté que celles de Radio Israël en arabe. plus
d'une heure en continu mais rien sur ce que m'a raconté ma soeur. Je suis donc vite parti trouver mes frères ; j'ai ressenti une légère
inquiétude lorsque je n'en ai trouvé aucun à la station de taxis :
d'habitude il y en a toujours au moins un ! J'ai vite appris qu'ils s'occupaient de l'évacuation du taxi aplati. Apparemment la poussée de diabète n'avait été que momentanée.
A 9h je suis à la mairie, le premier "client" pour l'achat une citerne d'eau. Pas d'attente, on me demande d'aller attendre le camion à la maison. Je devais aller chercher les enfants entre 9h25 et 9h 35 à la sortie de l'école (c'est toujours comme çà en période d'examens). La citerne est arrivée exactement à 9h24. Je m'apprêtais à démarrer mais impossible de sortir de notre impasse avant 10h le temps de vider le contenu de la citerne. Angoisse. les enfants m'attendent à 1.500m de là, au coin de la rue et on ne sait jamais ce qui  peut se passer !
Je reviens aux affaires courantes :
 - J'ai appelé le doyen de ma fac de droit chez lui en me disant que peut-être il était rentré, peut-être y a-t-il du nouveau côté université. Cela fait 33 jours que tous les doyens des facultés de l'Université Al Quds où je travaille sont partis avec le Président en tête pour collecter des fonds qui combleraient le déficit de l'Université. Maintenant ils nous doivent 8 mois de salaire ! La femme de mon doyen m'a dit que la délégation avait fait les Emirats, la Koweït, l'Arabie Saoudite etc… sans véritable succès. que des miettes..
 - Un rendez-vous à Jérusalem a été pris entre Chantal et Safa, une fille parrainée par une famille française via l'AFPS [Pour parrainer un enfant palestiniens consultez le site de l'AFPS http://www.france- palestine.org/Parrainages/Parrainages.html , Ndlr] pour qu'elle passe prendre 130 dollars qui lui ont été envoyés. Je lui ai demandé d'écrire une lettre de remerciements, ai préparé l'enveloppe, Chantal lui colle un timbre israélien sur l'enveloppe et  il ne reste donc qu'à poster la lettre de remerciements déjà rédigée par Safa. Celle-ci ne peut pas passer à la poste. Entendant cela j'étais tellement en colère que j'ai appelé Safa et ai commencé à crier. Au bout de quelques minutes, j'ai compris que ma colère n'était pas justifiée parce que
 - Safa a 19 ans et n'a jamais mis les pieds dans un bureau de poste, elle ne sait pas où se trouve la poste.
 - Elle et sa maman qui habitent aux portes du "Grand Jérusalem" n'ont pas le droit d'aller dans le centre parce qu'elles sont résidentes des territoires palestiniens, jadis autonomes. Elles font donc en sorte de rester le moins possible en ville pour éviter les contrôles fréquents de la police et de l'armée israéliennes.
 - J'ai été averti que nous aurions la visite d'une délégation du CCFD qui partira de Jérusalem pour Hébron le jeudi 6 juin à 13h. cela m'a énervé parce que tout simplement la délégation ne verra ni ce que nous faisons comme activités  (parfois subventionnées par le CCFD d'ailleurs), ni la ville en activité et n'aura pas le temps de voir des gens. Si tout va bien sur les routes,  la délégation passera 2 à 3h dans la ville morte. Notre compagnon Nafez de la Library on Wheels for Non-Violence and Peace" m'a dit qu'ils avaient déjà un programme pré-établi, plein de rendez-vous. J'ai décidé d'appeler la délégation pour convaincre ses membres de passer au moins une journée à Hébron ou en tout cas de venir le matin pendant que la ville vit (il est 23h au moment où j'écris ces lignes, les chars commencent à passer dans l'artère principale, c'est à dire à 150 mètres de chez nous et il y a des tirs mais très loin, au moins à un km). Le temps de trouver les coordonnées de la délégation, j'ai été appelé.
Il est 12h35 , la permanente  au local de l'association situé dans la zone jadis autonome m'a appelée affolée : "les chars israéliens se rapprochent de nous, il semble qu'un colon ait été tué dans la vieille ville, on ferme et on s'en va, d'ailleurs Brahim (marocain sans papier, professeur de français) est déjà parti en courant, nous n'avons pas de nouvelles de Lina (l'autre permanente du local de la vieille ville), ni de Rafe (l'animateur des activités pour les jeunes de la vieille ville).". Du coup j'oublie automatiquement la délégation du CCFD et la moitié de la France !
Je commence à appeler les portables de Rafe et Lina. Vers 13h05, Franck (un journaliste de RFI) m'appelle de France pour demander de nos nouvelles. Il est en fait le seul à pouvoir me dire ce qui se passait vraiment à Hébron en me lisant une dépêche de l'AFP. "Un Israélien a été blessé grièvement et un autre plus légèrement suite à des jets de pierres palestiniens. L"armée israélienne est entrée dans le centre ville de la zone autonome". D'après les gens il semble que les pierres aient été jetées par des jeunes qui avaient été refoulés à un barrage et qui ont tendu une embuscade pas loin du barrage à une voiture de colons. Le colon a perdu le contrôle de sa voiture qui a fait une embardée.
Quelques minutes plus tard j'ai pu joindre notre dévouée et courageuse permanente de la vieille ville, elle ne voulait pas quitter le local malgré le couvre-feu (interdiction de circuler même à pied) imposé 45 minutes auparavant parce que l'ouvrier qui était passé pour décoincer une porte était parti chercher des outils. Alors comment partir en laissant le local ouvert ? Nous avons fini par avoir l'aide des voisins et le problème a été réglé. Lina a donc pu partir -elle sait comment quitter la vieille ville sous couvre-feu- et à 14h elle était au local provisoire de la zone jadis autonome. Rafe, dont j'avais retrouvé la trace, m'avait demandé au téléphone la veille de ne pas travailler pour préparer ses examens de français.et j'avais oublié ! Ma peur était injustifiée.
Entre 12h35 et 14h j'ai beaucoup hésiter à faire passer les examens à nos élèves de français. L'épreuve était prévue à 16h. Je pars toujours du principe "ils veulent notre mort alors nous devons tout faire pour continuer à vivre" mais aujourd'hui est ce possible de faire comme si de rien n'était ?
Après avoir prévenu le Centre Culturel Français de Jérusalem de l'éventuel ajournement de l'épreuve prévue depuis des mois, je me suis renseigné sur la présence précise de l'armée. Le nouveau barrage installé à 12h35 était à plus de 800 m, les trois jeeps entrées dans la zone "jadis autonome" n'ont fait que traverser la ville, un aller-retour dans l'avenue principale d'un bout à l'autre d'Hébron. Beaucoup de citoyens ont été effrayés et ont pris la fuite dès qu'ils ont vu les jeeps, mais nombreux sont ceux qui n'ont ni bougé de leur place ni fermé boutique. comme avant les accords d'Oslo.
A 14h j'ai décidé de maintenir l'épreuve d'examen. J'ai appelé Brahim, nous avions au total 10 présents sur 13 inscrits. et Brahim a même donné un cours à un nouveau groupe de débutants de 18h à 20h.
Ah, j'allais oublier le pompier Tahcine. depuis plusieurs jours je lui demande d'aller réparer la tuyauterie du local de la vieille ville. Je l'ai harcelé trois fois ce matin et il  a fini par descendre. Il était à 3 minutes de l'association quand tout  a éclaté. Il a rebroussé chemin en courant vers sa voiture pour fuir la "zone tampon" avant l'arrivée de l'armée. Il était trop tard. Il a été coincé et il lui a fallu plusieurs heures avant de pouvoir sortir... Pendant ce temps c'est lui qui m'harcelait au téléphone : "tu vois ce que tu me fais faire.". Tout en étant inquiet pour lui, je lui répondais qu'il n'avait qu'à faire ce travail avant, comme prévu.
Enfin, et comme vous pouvez l'imaginer, nous ici, nous n'arrêtons pas de raconter nos malheurs et nos histoires avec l'occupant israélien. Cela devient monotone. C'est comme les histoires de chauffeur de taxis parisiens après 3 ou 4 ans de métier.
Pour finir,  juste une petite histoire d'humiliation qui s'est passée ce matin à Hébron : les soldats qui sont entrés à Hébron à 1h30 ce matin et qui ont détruit 26 véhicules se sot installés entre le "nouveau" centre ville (jadis autonome) et les halles où ils sont apparemment restés jusqu'à 6h ou 6h30. Ils ont arrêté tous les passants, ont pris leur carte d'identité pour vérification et juste avant leur départ et après avoir fini la vérification, un soldat israélien a commencé d'appeler les Palestiniens un par un,  il jetait entre ses pieds les cartes d'identité et les Palestiniens devaient les ramasser par terre, obligés de se baisser devant le soldat de l'armée de la défense d'Israel. Quel avantage pour la sécurité de l'état d'Israël ?
Cette HUMILIATION est génératrice de haine et de violence et ne peut que nuire à la cause de la sécurité. Le triste attentat de ce matin 5 juin est certainement en partie le produit de ce genre de comportement. Aidez nous à lutter contre toutes les violences destructrices d'espoir. Venez voir ! Et en attendant faites parvenir  vos convictions aux décideurs politiques. Bougez  comme vous l'entendez !
PS : La journée que je vous ai racontée ressemble à tant d'autres.
                                               
6. Un petit coin de verdure par David Torres, citoyen de Gaza en Palestine
Gaza, le samedi 15 juin 2002 - A Gaza, excepté le parc municipal, il y a très peu d'endroits ombragés, peu d'arbres dans les rues, en comparaison avec ce que l'on peut trouver en Egypte par exemple. Ici, quand arrive la chaleur de l'été, les tours protègent plus que les rares arbres des rues, pour la plupart plantés depuis moins de 10 ans, et les couleurs dominantes restent le gris et le sable. Seules quelques grands axes ont été plantés. Aujourd'hui encore j'ai du mal à imaginer Gaza sous les roues des Jeeps israéliennes, ses larges artères sans bitume, sans feux rouges, sans arbres. Aujourd'hui pour imaginer ce qu'était le camp de Shati il faut trouver ces maisons de mauvaises pierres de sable, de tôles, sans étages, retirer le revêtement des rues, et puis les patrouilles. Pourtant, en s'éloignant du centre, on trouve parfois des trous dans le sable où un vert violent l'emporte sur le sable. Ici une orangeraie, là ce sont des vignes qui rampent sur le sol, là-bas des oliviers balancent leurs feuilles dans le vent du large. Avant hier Walid était plutôt déprimé. Alors il nous a emmenés, son frère et moi, dans un coin de Sheikh Ajlin. On descend vers la mer, longeant un mur de parpaings, puis une ouverture à droite, le mur s'ouvre sur un chemin de sable. De l'autre côté le paysage est différent, peu de maisons, du sable, un sycomore et tout en haut un jardin. Oh ! Pas le paradis, des légumes, quelques bananiers, de la menthe, des arbres, quelques fleurs. Deux vieillards, les genoux dans le sol, nous regardent passer, puis viennent nous accueillir. L'un d'entre eux avance son pied bot dans le sable, puis vient s'asseoir sur une chaise en plastique. Sa fille vient nous servir le thé. Derrière nous, la cabane où il dort. Un grand-père tout ratatiné, le visage bruni par les ans, sa calotte blanche tricotée sur sa tête lisse, sa main tremble tellement que j'ai peur qu'il renverse le thé qu'il est en train de nous servir. C'est le soir, un vent frais et léger souffle depuis la mer, le soleil nous éclaire mais ne brûle plus, il est en face de moi, derrière cet homme qui a déjà commencé à parler de la situation !
"Ah ! Aujourd'hui, regardez tous ces gens entassés sur ce tas de sable de Gaza, rien ne pousse ; et la mer ! C'est à peine si on peut rapporter quelques sardines ! Ah ! Au pays, on allait pêcher avec des bateaux sans moteurs, mais on attrapait des kilos de sardines !"
Hamameh. Evidemment il vient de Hamameh, le pays des pêcheurs de sardines au nord d'El Majdal. Le village de la famille de Yasser.  Certains à Gaza disent que les gens de Hamameh aiment tellement les sardines qu'il fourrent les beignets qu'on mange au Ramadan avec de la sardine ! Ils continuent a discuter et le soleil est déjà sous la mer, l'autre papy nous raconte ses aventure en Jordanie, après la guerre de 1967, au fond d'immenses taches ardoise se détachent sur le ciel bleu pastel et rose, le vent s'est encore adouci, la lumière s'échappe lentement vers la mer, il n'y a pas d'électricité.
                                               
Rendez-vous

                                   
1. Israël Shamir invité par Luisa Morgantini ce mercredi 19 juin 2002 à 12h à Rome en Italie
L’Onorevole Luisa Morgantini, député européenne et les amis d’Israël Shamir vous invitent à la conférence de presse qui sera organisée ce mercredi 19 juin 2002 dans la Salle des Drapeaux du Bureau pour l’Italie du Parlement Européen, sis au 149 de la Via del IV Novembre, à Rome, de 12h à 14 h, à l’occasion de la publication de l’anthologie des écrits d’Israël Shamir "Carri armati e ulivi della Palestina. Il Fragore del silenzio." (Blindés et oliviers de Palestine. Le fracas du silence.) aux éditions CRT, 2002, Pistoia, Italie. L’auteur répondra aux questions des journalistes. Seront présents : Luisa Morgantini, Ali Rashid, le Pr. Roberto Giammanco et le Pr. Claudio Del Bello.
Israël Shamir est né à Novosibirsk, Sibérie, en 1947. Exclu de l’université pour menées subversives en 1969, il a émigré en Israël “de sa propre initiative”, et il a participé aux combats de 1973. Il a été correspondant de presse au Vietnam, au Cambodge, au Laos et, durant de nombreuses années, au Japon, au point de devenir un spécialiste et traducteur de la littérature japonaise. De 1989 à 1993, il a été l’envoyé spécial du quotidien Ha’Aretz en Russie. Revenu en Israël, il s’est engagé dans la dénonciation de la politique sioniste d’”apartheid”. A travers une activité littéraire et journalistique prolixe, tant sur papier que sur Internet (site : http://www.israelshamir.net), et des conférences en Europe, en Egypte, aux Etats-Unis, Israël Shamir présente une vision alternative du conflit israélo-palestinien.
Il refuse la solution du “deux Etats pour deux peuples”, car il la juge destructrice et sans perspectives dans les circonstances présentes. Il le fait au nom d’une paix fondée sur un Etat unique, entre le Jourdain et la Mer, dans lequel tous les habitants auraient des droits égaux et d’où seraient bannies les discriminations ethniques et religieuses. “Je ne suis pas un ami des Palestiniens. Je suis Palestinien”, déclare Shamir, au nom du droit au retour des Palestiniens, exilés en 1948, dont les terres ont été expropriées et auxquels tout droit fondamental est nié. Ce non-droit est le résultat d’une politique folle qui a consisté à “importer” des centaines de milliers de Roumains, de Thaïlandais, de Chinois, d’Africains et un million de Russes et d’Ukrainiens, lesquels peuplent la galaxie de ghettos qu’est aujourd’hui l’Etat d’Israël.
A l’apartheid politique, psychologique et culturel de l’Etat d’Israël, Shamir oppose une attitude de résistance à même de réhabiliter une conscience historique non-unilatérale, les moments les plus sublimes de toutes les expériences religieuses, la conscience d’appartenir à une même humanité dont il faut absolument garantir l’avenir. A travers des milliers d’oliviers arrachés par les bulldozers, dit Shamir avec des accents non dénués de poésie, avec le paysage de la Palestine transformé en une banlieue quelconque et sordide, c’est l’humanité toute entière qui est offensée et dégradée. Réaliser l’utopie ne relève désormais plus de l’espérance. C’est la seule nécessité qui tienne. En mai 2002, le fils d’Israël Shamir, citoyen suédois par sa mère, a participé à l’incursion d’un groupe de pacifistes qui ont réussi à pénétrer dans la Basilique de la Nativité à Bethléem et à apporter des médicaments et de la nourriture aux Palestiniens assiégés. Immédiatement arrêté, il a été expulsé d’Israël, où il est interdit de séjour pour les dix années à venir.
[Contacts et informations en Italie : libroshamir@libero.it]
                                           
2. Solidarité avec les réfugiés palestiniens du Liban le vendredi 21 juin 2002 à 19h à Marseille 
au Centre Fissiaux - 2, avenue de Maréchal Foch (M° Cinq avenues) Marseille 4ème
Soirée organisée par Ajial France en soutien aux palestiniens du Liban avec, Racha Salah (sous réserve) : Compte rendu de notre voyage au Liban, de mars 2002 ; Exposition de photographies d'Anne-Marie Camps et stand d'artisanat palestinien.
[IMPORTANT : Repas palestinien sur réservation (obligatoire) auprès de Leïla Tadros : tadros.ram@wanadoo.fr - Tél. 04 91 34 36 75 - Prix par personne : 20 euros / étudiants ou chomeurs : 10 euros / repas enfants - 12 ans: 6 euros]
               
3. Manifestation pour appeler au boycott des produits israéliens le samedi 22 juin 2002 à 14h30 à Marseille
aux Mobiles (M° Reformés / Canebière) Marseille 1er
Le Collectif pour le respect des droits du peuple palestinien appelle à un rassemblement. A l'occasion de ce rassemblement, organisé par le Collectif pour le respect des droits du peuple palestinien, une grande campagne de boycott des produits israéliens sera lancée.
                
4. Rencontre exceptionnelle avec Jeff Halper le samedi 22 juin 2002 à 19h à Marseille
à la Faculté Saint Charles - Amphithéâtre Sabry - 3, Place Victor Hugo (M° Gare St-Charles) Marseille 3ème
Le droit de vivre dans une patrie : 1000 rencontres pour reconstruire des maisons palestiniennes
Dans le cadre de la tournée en France, du 18 au 28 juin, de Jeff Halper, coordinateur du Comité Israélien Contre les Démolitions de Maisons (ICAHD). Il est invité dans plusieurs villes de France pour parler de l’occupation des Territoires palestiniens par l’armée israélienne, témoigner en tant que militant de la paix israélien et présenter la campagne de son association. [Tous le détails de cette campagnes sont disponibles sur le site de Giorgio Basile "Solidaires du peuple palestinien" à l'adresse suivante : http://www.solidarite-palestine.org/doc206.html] Parmi ses multiples projets, l’ICAHD organise des reconstructions de maisons palestiniennes détruites par l’armée israélienne, et rassemblent à cette occasion des centaines d’israéliens et de palestiniens. Elle souhaite sensibiliser la société israélienne à la réalité de l’occupation et promouvoir la solidarité et la paix.
[Organisé par le Collectif pour le respect des droits du peuple palestinien - Contact : marseille.palestine@nomade.fr]
                                           
5. Exposition "Al-Quds Al-Sharîf" à l'Institut du Monde Arabe du 2 juillet au 4 août 2002 à Paris
Une exposition de photographies de 1890 à 1925, extraites de la collection de l'Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem, consacrée au patrimoine musulman de la vieille ville de Jérusalem.
[Institut du Monde Arabe - 1, rue des Fossés–Saint–Bernard - Paris 5ème - Tél. 01 40 51 38 38 - Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h (sauf les lundis) - M° Jussieu, Cardinal-Lemoine, Sully-Morland]
                           
6. Biennale des Cinémas Arabes à Marseille du 3 au 6 juillet 2002
"Gros plan sur la Palestine" le vendredi 5 juillet 2002

au Cinéma Les Variétés 37, rue Vincent Scotto (M° Noailles) Marseille 1er
14h00 - Mariages Mixtes en Terre Sainte de Michel Khleifi, 50 min,1995
- Défi de Nizar Hassan, 20 min, 2001
15h30 - Naïm et Wadeea de Najwa Najjar, 20 min, 1999
- Saed de Soud Mohana, 11 min, 2001
- Mahmoud Darwich de Simone Bitton, 59 min, 1997
17h30 - En Direct de Palestine de Rashid Masharawi, 57 min, 2001
- Maklouba de Rashid Masharawi, 6 min, 2000
L'association Aflam présente cette année à Marseille, une programmation extraite de la Biennale des Cinémas Arabes organisée par l'Institut du Monde Arabe de Paris du 29 juin au 7 juillet 2002.
[Vous pouvez vous procurer le détail de cette programmation sur Marseille, auprès de l'Aflam - BP 20 - 13243 Marseille Cedex 01 - E-mail : aflamarseille@club- internet.fr - Tél/Fax : 04 91 47 73 94]
                                   
                                                                                          
Dernières parutions

                                                                                                   
1. Des pierres aux fusils - Les secret de l'intifada par Georges Malbrunot
aux éditions Flammarion

[ISBN : 2080683306 - Parution en juin 2002 - 264 pages - 18,00 euros / 118,07 FF]
Georges Malbrunot est correspondant de Radio France Internationale et de RTL à Jérusalem. Il collabore régulièrement au Figaro, à Ouest-France et au Point.
La seconde Intifada est désormais une guerre dont personne ne sait comment elle finira. Kamikazes islamistes contre chars de Tsahal, avec une Autorité palestinienne en miette, les deux camps s'engouffrent dans l'escalade de la violence extrême. Ils échangent coups pour coups devant une opinion internationale divisée et dépassée. Dans le chaos qui s'installe, on finit par oublier les racines de l'affrontement, la guerre secrète et déjà acharnée qui l'a précédée. Observateur impartial, sur le terrain depuis 1994, Georges Malbrunot a rencontré certains des principaux acteurs du conflit. Il apporte ainsi, dans cette première enquête sur l'organisation de la révolte, des informations inédites. Un kamikaze rescapé lui explique comment on prépare un attentat. Il remonte les filières clandestines des traficants d'armes - certains sont israéliens, d'autres proches du Hezbollah - qui fournissent les Palestiniens. Il visite un entrepôt où ont été stockés des missiles Kassam 2 lancés par les intégristes ; il décrit les méthodes impitoyables du Shin Bet pour recruter des mouchards ; il fait le portrait d'un homme de l'ombre, un kurde, le "banquier" d'Arafat. Derrière les images de villes palestiniennes détruites et de cadavres, il dévoile des complicités entre corrompus, des ententes et des occasions manqués. Il montre l'envers d'un gâchis qui, tandis que la paix agonise, n'a cessé de se nourrir de lui-même.
                                        
2. Détruire la Palestine, ou comment terminer la guerre de 1948 de Tanya Reinhart
aux éditions La Fabrique

[13,00 euros / 85,27 FF - ISBN : 2913372228 - Parution en avril 2002]
Tanya Reinhart est professeur de linguistique aux universités de Tel-Aviv et d'Utrecht. Depuis sa thèse au MIT en 1976, elle est mondialement connue pour ses contributions à la linguistique théorique. En 1994, après les accords d'Oslo, elle a commencé à écrire sur la politique. Elle a une chronique régulière dans le quotidien israélien le plus lu, " Yediot Aharonot ", et publie également des articles sur internet et dans des forums internationaux. Parmi ses publications théoriques, citons " Anaphora and Semantic Interpretation ", Chicago Press, 1983, et " From Cubism to Madona : Subject and Representation in XX° century art " (en hébreu), Tel-Aviv, 2000. 
Les événements actuels en Israël-Palestine sont généralement présentés comme une série d'incidents tragiques, aggravés par la psychologie perverse de l'actuel Premier ministre, Ariel Sharon. Mais l'examen attentif des faits tels qu'ils ressortent des médias israéliens révèle que, dès les premiers jours du soulèvement palestinien, derrière la folie apparente il y avait des ordres terrifiants qui avaient été donnés. Israël a mis en œuvre de façon systématique le projet de faire tomber Arafat, de détruire les institutions palestiniennes et d'en finir avec les accords d'Oslo.
En fait, cette politique remonte à plus loin dans le temps. Depuis le début du " processus d'Oslo " en 1993, il y a eu deux conceptions divergentes dans les milieux politiques et militaires israéliens. La première, soutenue par Yossi Beilin, cherchait à mettre en application une version du vieux plan du parti travailliste (plan Alon), qui consistait à annexer environ 35% des territoires occupés et à donner aux Palestiniens un certain degré d'autodétermination sur le reste. Mais pour la partie opposée, c'était encore trop. L'oppositions aux accords d'Oslo était focalisée autour des militaires - dont le porte-parole le plus virulent à l'époque était le chef d'état-major, Ehud Barak - et dans le cercle politique de Sharon. Barak et Sharon appartiennent à une lignée de généraux politiques, nourris par le mythe de Ben Gourion, la rédemption par la terre. Comme ils l'ont déclaré à maintes reprises l'an dernier, " la guerre de 1948 n'est pas encore terminée ". Pour eux, il est encore possible de mettre à exécution le plan de Sharon : écraser les Palestiniens, en pousser le plus grand nombre hors des territoires occupés, et imposer un ordre régional comme il a essayé de le faire au Liban en 1982. Cette confiance a été renforcée par la nouvelle philosophie occidentale de la guerre, mise en application en Irak, au Kosovo et en Afghanistan.
En 1999, l'armée est revenue au pouvoir, par Barak puis Sharon. Pour corriger ce qui était pour eux la grave erreur d'Oslo, la première étape était de convaincre l'opinion publique israélienne, fatiguée de la guerre, que les Palestiniens ne voulaient pas la paix et mettaient en cause l'existence même d'Israël. Sharon tout seul n'y serait peut-être pas parvenu, mais Barak y a réussi. Par une magistrale mystification, il a convaincu les Israéliens et le monde entier qu'il avait fait à Camp David des concessions sans précédent, que les Palestiniens avaient refusé (on trouvera dans le livre une étude détaillée des négociations, montrant qu'en fait Israël n'a rien proposé d'autre qu'une version aggravée de la situation existante). Après un an et demi de propagande, de terreur et de mensonges, Sharon et les militaires sont désormais convaincus que rien ne peut plus les arrêter.
                                                                
DOSSIER SPECIAL : Le journalisme en danger

                                                       
Quand la liberté d'opinion se heurte au replie communautaire - Là ou le pathos nie toute élaboration intellectuelle
                               
"Si nous voulons une vie calme, nous devrons juste nous ranger, arrêter de critiquer Israël ou l'Amérique. Ou arrêter tout simplement d'écrire."
Robert Fisk, journaliste britanique spécialiste du Proche-Orient
                                   
Depuis plusieurs mois, des journalistes et leurs rédactions sont l'objet de campagnes d'intimidation de plus en plus violentes, lancées un peu partout dans le monde, par les "petites mains" du lobby pro-israélien. Le Point d'information Palestine vous présente dans ce dossier trois cas significatifs, afin d'éclairer nos consciences de lecteurs indépendants, sur les dangers qui pèsent aujourd'hui sur la liberté de la presse.
                                   
1. LE CAS ROBERT FISK
                               
1.1. Menaces de l'acteur américain John Malkovich contre le journaliste Robert Fisk
24 mai 2002 - Reporters sans frontières exprime sa solidarité à Robert Fisk. Robert Fisk, journaliste au quotidien britannique The Independent et spécialiste du Proche-Orient, fait l'objet, depuis des mois, d'une violente campagne d'insultes pour sa couverture du conflit israélo-palestinien et les critiques qu'il a exprimées à l'égard des politiques israélienne et américaine dans la région. Dans ce contexte, les déclarations de l'acteur américain John Malkovich, le 1er mai 2002, devant la Cambridge Union Debating Society au Royaume-Uni, sont d'une gravité sans précédent venant d'une personnalité aussi connue. M. Malkovich. a affirmé avoir lui-même envie de "descendre" le journaliste.
"L'acteur John Malkovich ose encourager et appuyer de tout le poids de sa notoriété le flot d'insultes et de menaces auquel est confronté un grand journaliste. Nous dénonçons les propos gravement irresponsables, aussi imbéciles que dangereux, de l'acteur américain et assurons Robert Fisk de notre pleine solidarité" a déclaré Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières.
Journaliste de renommée internationale, spécialiste du Proche-Orient, Robert Fisk est l'un des premiers à avoir dénoncé les massacres de Sabra et Chatila en 1982. Il est, depuis des mois, régulièrement l'objet de menaces anonymes pour sa couverture du conflit israélo-palestinien. Suite au 11 septembre, le journaliste avait, dans plusieurs articles, désigné la non-résolution du conflit israélo-palestinien comme l'une des principales racines du terrorisme. Interrogé, le 1er mai 2002, à la Cambridge Union Debating Society, sur les personnalités qu'il souhaiterait "combattre jusqu'à la mort", John Malkovich avait répondu, au sujet de Robert Fisk, qu'il préférerait "simplement le descendre" ("just shoot him").  [Indispensable : le site de Reporters sans frontières - http://www.rsf.org]
                                       
1.2. Pourquoi John Malkovich veut-il me tuer ? par Robert Fisk
In The Independent (quotidien britannique) du mardi 14 mai 2002
[traduit de l'anglais par Monique Barillot]

Ca s'est d'abord installé comme un filet, un goutte à goutte continuel de courrier haineux qui arrivait une fois par semaine pour me punir d'avoir fait un rapport sur le meurtre d'un Libanais innocent par des attaques aériennes israéliennes ou suggérant que les Arabes -aussi bien que les Israéliens- voulaient la paix au Moyen-Orient.
Cela commença à changer vers la fin des années 90.
Un exemple typique est la lettre qui est arrivée après que j'ai écrit avoir vu de mes propres yeux en 1996  les artilleurs israéliens abattre 108 réfugiés ayant trouvé abri dans le camp de l'ONU installé dans la ville libanaise de Qana : Ca commençait ainsi: "Je n'aime ni n'admire les antisémites, "Hitler en fut un des plus célèbre dans l'histoire récente" Et encore, par comparaison avec l'avalanche de lettres haineuses, menaçantes et de déclarations ouvertement violentes que les journalistes reçoivent aujourd'hui, c'était relativement doux.
Car Internet semble avoir conduit ceux qui n'aiment pas entendre dire la vérité à propos du Moyen-Orient à se retrouver dans une communauté de haine, envoyant des lettres venimeuses non seulement à moi, mais à n'importe quel journaliste qui ose critiquer Israël -ou la politique américaine- dans le Moyen-Orient.
On trouvait toujours, dans le passé, une limite à l'expression de cette haine. Les lettres étaient signées avec l'adresse de l'auteur. Dans le cas contraire, elles étaient si mal écrites qu'elles en étaient illisibles. Ce n'est plus ainsi désormais. En 26 ans au Moyen-Orient, je n'ai jamais lu autant de messages vils et intimidants qui me soient adressés. Beaucoup exigent maintenant ma mort. Et la semaine dernière, l'acteur de Hollywood John Malkovich est allé jusqu'à dire à  l'"Union Cambridge" qu'il voudrait me tuer.
Comment, me suis-je demandé- a-t-il pu en venir là ? 
Lentement mais sûrement, la haine grandit, conduisant aux menaces mortelles, repoussant graduellement les murs de la convenance et la légalité jusqu'à ce qu'un journaliste puisse être injurié, sa famille diffamée, qu'il soit maltraité par une foule en colère, raillé et insulté dans les pages d'un journal américain, que  sa vie même soit dévalorisée et menacée  par un acteur qui - sans même dire pourquoi - annonce  qu'il veut me tuer.
Pour la plupart ces actes répugnants sont le fait d'hommes et les femmes qui prétendent défendre Israël, bien que je doive dire que je n'ai jamais dans ma vie reçu une lettre grossière ou insultante en provenance d'Israël. Les Israéliens expriment parfois leur critique de mes articles - et parfois leur éloge - mais ils ne se sont jamais laissés conduire à la saleté et aux obscénités que je reçois maintenant.
"Ta mère était la fille d'Eichmann," trouve-t-on dans un des plus récent de ces messages. Ma mère Peggy, qui est morte après une longue bataille avec la maladie de Parkinson, il y a trois ans et demi, était en fait technicien-opérateur radio pour la RAF sur les Spittfires au coeur des combats de Grande-Bretagne en 1940.
Les événements du 11 septembre ont chauffé la haine au rouge
Ce jour là, dans un avion de ligne qui effectuait son vol de retour en provenance  d'Amérique, haut sur l'Atlantique, j'ai écrit un article pour l'Indépendant, soulignant que l'on tenterait, dans les jours suivants, d'empêcher quiconque de demander pourquoi de tels crimes contre l'humanité avaient pu arriver à New York et à Washington
En dictant mon article par le téléphone satellite de l'avion, je parlais de l'histoire de la supercherie du Moyen-Orient, de la montée de la colère arabe, et de la mort de milliers d'enfants iraquiens à cause des sanctions des USA, de l'occupation continue de la terre palestinienne de Cisjordanie et de la bande de Gaza par Israël avec le soutien américain. Je ne blâmais pas Israël. Je suggérais que Ousama Ben Laden était responsable.
Mais les courriers électroniques qui affluèrent à l'Indépendant les quelques jours qui suivirent furent incendiaires.
Les attaques contre l'Amérique avaient pour cause le "la haine personnifiée" ou plus précisément la façon obsessive et déshumanisée avec laquelle Fisk et Bin Laden avaient pu diffuser leur propagande, disait une lettre d'un Professeur Judea Pearl d'UCLA. J'étais, déclarait-il, un "cracheur de venin" et un "colporteur de haine" professionnel.
Une autre lettre, signée Ellen Popper, annonçait que j'étais "de mèche avec le super terroriste" Ben Laden. Mark Guon me qualifia de "complètement cinglé". J'étais "psychotique", selon Lillie et Barry Weiss. Brandon Heller de  San Diego me fit savoir "vous soutenez finalement le diable lui-même".
Et cela empira
Sur une radio irlandaise, un professeur de Harward, rendu furieux par ma question sur les atrocités du 11 septembre, me traita de "menteur", d'"individu dangereux" et déclara que cet "anti-américanisme" -quel qu'il soit- était la même chose que l'anti-sémitisme. Non seulement c'était pervers de suggérer que quiconque puisse avoir eu une raison, même avec l'esprit dérangé, pour commettre cette tuerie massive. Et bien plus, cela conduisait à penser qu'il devait y avoir des raisons. Critiquer les Etats Unis, cela revenait à être un ennemi des juifs, un raciste, un nazi.
Et cela continua
Début décembre, je fus presque tué par une foule de réfugiés afghans  rendus fous de rage par la tuerie récente de leurs proches par des attaques aériennes de B-52 américains. J'écrivis un article sur mon agression, ajoutant que je ne pouvais pas blâmer mes attaquants, qui avaient cruellement souffert, que j'aurais fait la même chose. Les injures qui suivirent furent sans fin.
Dans le  Wall Street Journal, Mark Steyn écrivit un article avec pour gros titre "le multi-culturaliste" - moi -  "a eu ce qu'il méritait."
Le site web de l'Indépendant reçut des courriers suggérant que j'étais pédophile. Parmi plusieurs cartes de noël vicieuses l'une portait la légende des douze jours de Noël et la note suivante à l'intérieur: "Robert Fiske (sic) - Seigneur Rire-Gras du  Moyen-Orient et chef de file de la propagande anti-sémite et profaciste islamophile."
Depuis l'offensive d'Ariel Sharon en Cisjordanie, provoquée par les terribles suicides à la bombe de palestiniens, un nouveau thème a émergé. Les journalistes qui critiquent Israël sont accusés d'inciter les anti-sémites à brûler les synagogues.
Mieux, ce n'est pas la brutalité d'Israël et l'occupation qui incitent ces gens écœurants et cruels à attaquer les institutions les synagogues et les cimetières juifs. Ce sont nous, les journalistes les responsables. Presque quiconque se permettant de critique la politique US ou Israélienne est maintenant dans la ligne de mire. Mon propre collègue Phil Reeves, est l'un de ceux-la. Deux journalistes de la BCC en Israël aussi, ainsi que Suzanne Goldenberg du Guardian.
Prenez le cas de Jennifer Loewenstein, militante des droits de l'homme à GAZA, qui est juive elle-même, et qui a écrit une condamnation de ceux qui prétendent que les Palestiniens sacrifient délibérément leurs enfants. Elle reçut rapidement le courrier électronique suivant: " SALOPE. Je peux te renifler depuis Afar. Tu es une putain et tu as du sang arabe. Ta mère est une putain d'arabe. Au moins, pour l'amour de Dieu, change ton putain de nom.  Ben Aviram"
Est-ce que ce genre d'ordure a un effet sur les autres ? Je crains que oui ? Quelques jours seulement après que Malkovich ait déclaré vouloir me descendre, un site web reprenait les paroles de l'acteur. Le site comportait une animation avec mon visage recevant un violent coup de poing et en sous-titre: "Je comprends qu'ils me battent pour faire sortir la merde."
C'est ainsi qu'une remarque répugnante faite par un acteur à l'Union Cambridge a mené à un site Web suggérant que bien d'autres encore désirent aussi me tuer. Malkovich n'a pas été mis en cause par la police. Il pourrait, je suppose, se voir refuser tout nouveau  visa  pour la Grande-Bretagne avant qu'il ne s'explique ou fasse des excuses pour ses viles remarques. Mais le mal est fait. En tant que journalistes, nos vies sont maintenant exposées aux agresseurs de l'Internet. Si nous voulons une vie calme, nous devrons juste nous ranger, arrêtez de critiquer Israël ou l'Amérique. Ou arrêter tout simplement d'écrire.
[Si vous souhaitez apporter votre soutien à Robert Fisk, vous pouvez adresser un e-mail (de préférence en anglais) à sa rédaction : newseditor@independent.co.uk]
                                            
2. LE CAS DANIEL MERMET
                                   
2.1. Pétition lancée par Daniel Mermet "Contre la banalisation de l'antisémitisme"
Mettant en cause des appels d'auditeurs diffusés dans "Là-bas si j'y suis" en juin 2001, au cours d'une série d'émissions sur le conflit israélo-palestinien, l'association Avocats sans frontières, l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) et la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) ont assigné en justice Daniel Mermet et Jean-Marie Cavada, président de Radio France, accusés d'"incitation à la haine raciale". L'audience a eu lieu le 31 mai, le jugement sera rendu le 12 juillet.
Est-il possible de critiquer l'actuel gouvernement israélien sans être poursuivi pour antisémitisme ? Calomnies et insultes émanant de groupes extrémistes se multiplient depuis des mois notamment à l'encontre des journalistes et des rédactions. Culpabilisation, agressions physiques, dénonciations diffamatoires, sont quotidiennes.
Ainsi le 31 mai, Daniel Mermet, journaliste et producteur à Radio France, a comparu devant le tribunal correctionnel de Paris pour avoir diffusé des commentaires émanant d'auditeurs dans une série de reportages à Gaza et en Israël. Au terme d'un procès de huit heures, aucune peine n'a été requise. Le jugement sera rendu le 12 juillet prochain.
Les graves actes antisémites qui se sont multipliés en France au cours des vingt derniers mois doivent être poursuivis et condamnés par la Justice ainsi que tous les actes racistes ou xénophobes. Et l'on ne peut que partager une inquiétude déjà exacerbée par la tragédie qui se déroule au Proche-Orient. Mais cette nouvelle inquisition, qui prétend parler au nom de tous les Juifs, exploite peurs et désarroi et, face à la moindre critique de l'actuelle politique israélienne brandit l'accusation d'antisémitisme. Il est consternant de voir des personnalités du monde intellectuel soutenir de telles dérives, allant jusqu'à s'associer à des poursuites judiciaires visant à faire taire un journaliste comme Daniel Mermet. Ainsi la lutte contre l'antisémitisme et la judéophobie, systématiquement et abusivement invoquée, s'en trouve dangereusement galvaudée. Si "Là-bas si j'y suis" est une émission antisémite, alors l'antisémitisme est partout.
Nous refusons ce délire accusatoire et cette exacerbation de la suspicion. Nous refusons cette grave dérive du débat public. Nous refusons cette banalisation de l'antisémitisme. Nous refusons ces pressions et ces diffamations qui constituent une atteinte à la liberté d'opinion. Nous refusons de nous taire. (Paris, le 7 juin 2002)
[Pour signer cet appel, envoyez un message indiquant vos nom, prénom, profession et ville à :
daniel.mermet@radiofrance.com ou via son site internet : http://www.labassijysuis.org]
                                        
2.2. Maître William Goldnadel, président d’Avocats sans frontières et vice-président de France-Israël
le vendredi 31 mai 2002 à 7h45 sur Radio J (radio "communautaire" juive - 94.8 FM Paris)
Aujourd’hui, à 13h30, devant la 17è Chambre du Tribunal correctionnel de Paris, va se dérouler un procès que je considère comme très important.
Dix jours seulement après l’attentat du Delphinarium à Tel-Aviv qui a vu vingt vies d’adolescents emportées par la haine meurtrière, Daniel Mermet, journaliste vedette à France-Inter a cru devoir consacrer une semaine au conflit israélo-arabe. Il a rejoint ses amis José Bové, Michel Warschavski, antisionistes patentés, ses copains de « Droits devant », de « Droit au logement » et du Syndicat de la Magistrature, pour s’en donner à cœur joie, jour après jour, dans un happening anti-israélien.
Entourés des rires extatiques de l’équipe de Mermet, des enfants de Palestine ont raconté la recette des coktails molotov à lancer sur les soldats de Tsahal et leur détermination à jouer les bombes humaines.
Mais mieux que cela encore : dans le cadre d’une grand’messe anti-juive, monsieur Mermet Daniel a recueilli, en les triant soigneusement sur une boîte vocale, les messages les plus haineux d’un auditoire qu’il avait chauffé à blanc. C’est ainsi qu’on a pu entendre sur ce qui est censé être la voix de la France : « ne soyons pas racistes, ne soyons pas fascistes, ne soyons pas sionistes ». Ou encore : « qu’est-ce que c’est que ces hypocrites qui manient avec tant de virtuosité le bouclier de l’antisémitisme, quand on veut juste leur rappeler qu’ils reproduisent à doses homéopathiques l’horrible injustice dont ils ont souffert ». Ou « je suis farouchement antisioniste, je ne suis en rien antisémite ! ». Et puis encore : « oui les Juifs ont très bien exploité le capital de pitié qu’ils cultivent depuis 50 ans ; maintenant, ça suffit ! ». Et il ne s’agit ici que de quelques extraits d’un florilège nauséabond tout autant qu’inepte.
Ce procès est très important parce que ces dérapages ne tombent pas du ciel, ils sont les enfants obscènes dont le papa est la haine de l’Etat juif et la maman le mensonge et la désinformation. Ils ont été conçus, je vous le dis depuis tant d’années, non par le vieil antisémitisme rance d’extrême-droite, mais par un antisémitisme plus frais dont les vecteurs sont l’extrême-gauche et l’islamisme radical qui ont fait alliance.
Et ce n’est pas un hasard si c’est sur les ondes de Radio-France, radio d’Etat depuis longtemps dédiée à l’anti-israélisme, que ces errements ont pu être tolérés. Ce n’est pas non plus un hasard cosmique si le témoin qu’a fait citer Daniel Mermet est Rony Brauman qui a post-facé le livre révisionniste du juif américain  Norman Finkelstein, émule de Garaudy. Et ce n’est pas non plus un hasard si - je me permets de le dire -  si c’est « Avocats sans frontière » qui a décidé de poursuivre Norman Finkelstein, comme c’est aussi « Avocats sans frontière » qui a initié avec l’Union des étudiants juifs de France le procès contre Mermet. Nous avons fait citer comme témoin Alain Finkielkraut et le président du CRIF, Roger Cukierman.
Si vous le pouvez, venez aujourd’hui écouter les débats à 13h30 devant la 17è Chambre correctionnelle de Paris et soutenir ce combat essentiel contre l’antisémitisme le plus redoutable c’est à dire celui qui ne dit pas son nom mais abuse de tous les pouvoirs dont il dispose aujourd’hui, à commencer par un pouvoir médiatique sans contrôle. C’est ce pouvoir que nous devons d’abord contester si nous voulons tenter de déprogrammer l’agenda de la haine qui revient.
                                           
2.3. Reporters sans frontières exprime son soutien au journaliste Daniel Mermet
3 juin 2002 - Daniel Mermet, journaliste et animateur à France Inter, a comparu le 31 mai devant le tribunal correctionnel de Paris pour diffusion de propos jugés antisémites. Il est poursuivi par l'Union des étudiants juifs de France (UEJF), la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) et Avocats sans frontières, pour avoir diffusé à l'antenne des commentaires anti-israéliens émanant de plusieurs auditeurs.
Reporters sans frontières s'indigne de la mise en cause du journaliste pour la simple diffusion de messages émanant d'auditeurs, et s'inquiète plus généralement de la multiplication des mises en cause abusives du droit à la libre expression ces derniers mois en France.
"Est-il encore possible d'exprimer des opinions tranchées sur l'actuel gouvernement israélien sans être taxé d'antisémitisme ?", s'est interrogé Robert Ménard, secrétaire général de l'organisation. "Il n'est pas acceptable que la lutte contre l'antisémitisme soit systématiquement et abusivement invoquée - et ainsi galvaudée - pour censurer ou sanctionner les mises en cause de la politique d'Israël dans le contexte actuel. Nous mettons en garde contre un recul de la liberté d'expression en France", a ajouté M. Ménard. [http://www.rsf.org]
                                      
2.4. Le journaliste Daniel Mermet assigné pour "incitation à la haine raciale" par Xavier Ternisien
in Le Monde du dimanche 2 juin 2002

Des associations juives accusent le producteur de France-Inter d'avoir diffusé des propos d'auditeurs à caractère antisémite
Du 18 au 22 juin 2001, Daniel Mermet consacrait son émission quotidienne sur France-Inter, "Là-bas si j'y suis", au conflit israélo-palestinien. Au début du programme, une boîte vocale diffusait des réactions d'auditeurs. "Qu'est-ce que c'est que ce pouvoir mortifère qui se complaît dans les assassinats d'enfants et les mutilations, qui justifie l'inacceptable jour après jour avec une outrecuidance criminelle et qui a l'infâme arrogance de nous traiter de racistes quand on ose timidement protester contre cette conduite indigne ? Qu'est-ce que c'est que ces hypocrites qui manient avec tant de virtuosité le bouclier de l'antisémitisme quand on veut juste leur rappeler que depuis cinquante ans, ils reproduisent à dose homéopathique l'horrible injustice dont ils ont souffert ? Je suis farouchement antisioniste. Je ne suis en rien antisémite."
Ces propos, et sept autres réactions, sont-ils constitutifs des délits de diffamation raciale et de provocation à la haine raciale ? L'association Avocats sans frontières, présidée par Me Gilles William Goldnadel, l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) et la Licra, qui ont assigné, vendredi 31 mai, Daniel Mermet et Jean-Marie Cavada, président de Radio France, devant la 17e chambre du tribunal de Paris, en sont convaincues. Avec à l'appui, des témoins de poids : les philosophes Alain Finkielkraut et Pierre-André Taguieff - qui n'a pu se déplacer -, le journaliste Alexandre Adler et Roger Cukierman, président du Conseil représentatif des institutions juifs de France (CRIF).
Pour Me Goldnadel, il ne fait aucun doute que Daniel Mermet est un "militant" de la cause palestinienne. "Le journaliste est un imparfait de l'objectif, c'est un homme désintéressé et honnête", répond le prévenu. "Qu'avez-vous cherché à montrer à travers vos émissions ?", lui demande la présidente, Mme Catherine Bezio. "De la souffrance, de la haine, l'insécurité, le désarroi, et aussi des amorces de résistance. Ce sont des carnets de route."
"LE VIBRATO DE SES ÉMISSIONS"
Le magnétophone est branché, le tribunal écoute les pièces à conviction. Les sons de la vie à Gaza font irruption dans la torpeur du prétoire : des gamins qui rient en expliquant la fabrication des cocktails Molotov, des avions F 16 qui traversent le ciel. "Daniel Mermet est un journaliste engagé, juge Alain Finkielkraut.C'est sa marque d'originalité, le vibrato de ses émissions. J'avoue que j'y suis sensible."Mais le philosophe s'alarme dès que "l'engagement vampirise le journalisme" : "Tout au long de son émission, Daniel Mermet ramène ce qu'il décrit à du déjà vu : l'apartheid, la colonisation, le martyre juif. C'est une logique de renversement : les Israéliens sont considérés comme juifs, et donc comme des victimes passées de l'autre côté, des victimes devenues nazis."
L'audience tourne au débat philosophique sur les rapports entre antisionisme et antisémitisme. "95 % des juifs de France sont sionistes, avance Alain Finkielkraut, dans le sens où ils ont une solidarité de destin avec Israël. Mettre au banc de l'humanité cet Etat, en tant que fasciste ou nazi, c'est exclure, sous le masque de l'antiracisme, tous ceux qui, en tant que juifs, le soutiennent."
Cité par la défense, Rony Brauman ne partage pas cette analyse. Pour l'ancien président de Médecins sans frontières, le sionisme est une option politique, critiquable en tant que telle. "Toute l'ambiguïté du sionisme, c'est qu'il renferme dès l'origine à la fois un mouvement de libération nationale et un mouvement colonial. En ce sens, il comporte une part de racisme." Alexandre Adler souligne, lui, que la boîte vocale incriminée est un peu comme le courrier des lecteurs d'un journal, "avec l'effet violent qu'apporte en plus la radio". Pour le directeur éditorial de Courrier international, "ce n'est pas la liberté d'expression qui doit prévaloir dans le choix des interventions".
Sur 29 auditeurs diffusés à l'antenne, 18 sont pro-palestiniens et 11 pro-israéliens. Daniel Mermet reconnaît avoir reçu davantage de messages pro-israéliens, "des interventions envoyées en réseau, avec sensiblement les mêmes mots". Des choix éditoriaux qui portent la marque d'un "antisémitisme new look" de gauche, tranche Me Goldnadel, parce qu'il n'y a "qu'un cheveu entre la détestation de l'Etat juif et l'antisémitisme".
Pour le procureur Christian Ligneul, les émissions de Daniel Mermet sont à replacer dans "un débat politique, un contexte de guerre". "On ne peut pas reprocher au journaliste de reproduire un amalgame entre le peuple juif et l'Etat d'Israël, poursuit-il. C'est peut-être moralement répréhensible, mais pas pénalement."Il laisse donc au tribunal le soin d'apprécier si le prévenu "a franchi une fois seulement la limite". Me Jean-Yves Halimi, conseil de Daniel Mermet, dénonce "les amalgames, les contresens, les citations tronquées, les glissements sémantiques abusifs et les syllogismes erronés" commis selon lui par les parties civiles. Ce procès constitue, affirme-t-il, "le point d'orgue des pressions exercées sur les médias à l'occasion du conflit israélo-palestinien". Jugement le 10 juillet.
                                       
2.5. Sionisme et judaïsme par Daniel Cling (Paris)
dans le courrier des lecteurs du quotidien Le Monde du vendredi 14 juin 2002

Je relève avec surprise, dans votre article consacré au procès intenté à Daniel Mermet pour “incitation à la haine raciale” (Le Monde du 3 juin), les propos d’Alain Finkielkraut, selon qui “95 % des juifs de France sont sionistes”. De culture juive, je ne me sens absolument pas lié par cette assertion et fais partie des Français qui s’élèvent contre la politique d’Israël comme celle de n’importe quel Etat. Je ne sais pas d’où proviennent les chiffres avancés par le philosophe et j’ai l’impression qu’ils sont le fruit d’un raisonnement qui consiste à établir, en un raccourci facile, que tous les Israéliens étant juifs, tous les juifs sont israéliens. (...) On peut être opposé à la politique d’Israël sans être antisémite et considérer que certains actes barbares sont perpétrés par ses dirigeants. Si les propos entendus dans l’émission de M. Mermet prêtent à discussion, ils ne me paraissent en aucun cas déplacés dans ce contexte et je lui suis gré de rendre compte, à sa manière, de ce qui se produit dans le monde. Porter un nom à consonance juive ne donne aucune qualification pour refuser à quiconque le droit d’exprimer des idées contraires aux siennes, surtout lorsqu’il s’agit d’évoquer Israël ; protéger à tout prix cet Etat, au nom des souffrances du peuple juif, ne rend pas toujours service aux juifs que l’on voudrait défendre aujourd’hui.
                                                        
2.6. Le Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient dénonce le procès fait à Daniel Mermet et lui apporte son soutien
Paris, 10 juin 2002 - Le Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient (CVPR-PO) observe avec attention la prolifération inhabituelle depuis quelques mois, de poursuites judiciaires à l'encontre de personnes privées, dans l'exercice de leur profession ou de leur droit à la liberté de parole, au prétexte de leur opinion sur la question de Palestine.
Les procédures sont conduites à l'initiative d'organisations instituées ou de groupements constitués pour la circonstance, et se portant partie civile.
Ces procès querelleurs se multiplient en France et en Europe.
Le procédé est souvent le même : des citations tronquées, des amalgames hâtifs, des assimilations sémantiques ou logiques grossières servent à diligenter les procédures.
Aux Pays-Bas, l'épouse du président de la Banque Centrale Européenne est accusée "d'antisémitisme" pour avoir accroché au balcon de sa résidence privée un drapeau palestinien.
Le cas du journaliste Daniel Mermet, animateur et producteur de l'émission de "France Inter" intitulée "Là-bas si j'y suis" est à cet égard exemplaire.
Daniel Mermet est poursuivi devant la 17ème Chambre du Tribunal correctionnel de Paris pour avoir diffusé comme le veut la règle même de son émission les propos d'auditeurs réagissant aux "Carnets de route" du journaliste, en Palestine et en Israël.
Sur trente-cinq messages d'auditeurs diffusés, sept ont été sélectionnés par les plaignants. Il s'agit, et ce n'est pas le fruit du hasard, de messages exprimant des critiques d'auditeurs à l'égard de la politique menée actuellement par le gouvernement de l'Etat d'Israël.
Ces critiques sont assimilées par les plaignants à de "l'incitation à la haine raciale". Le tour de passe-passe consiste, en l'occurrence, à assimiler la critique d'une idéologie politique, le sionisme, à de l'antisémitisme.
Le Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient ( CVPR ) n'est surpris ni par le procédé, ni par la procédure, et souhaite exprimer sur cette affaire les observations suivantes :
Le CVPR considère que la plainte déposée contre Daniel Mermet est de nature abusive et porte atteinte à l'exercice de sa profession par le journaliste. Il entend lui exprimer son entier soutien dans cette affaire.
Il relève que cette procédure s'inscrit dans le cadre d'une campagne qui cherche à criminaliser le mouvement d'opinion qui se développe en faveur du respect et de l'application pour le peuple palestinien des droits légitimes qui lui sont reconnus dans le cadre de la légalité internationale, et notamment des résolutions de l'ONU.
Le CVPR considère qu'ester en justice contre l'éditorialiste, au chef d'avoir diffusé des propos d'auditeurs, vise, d'abord, à provoquer et amplifier une atmosphère d'intimidation, de censure et d'autocensure, notamment au sein de la presse.
Il s'étonne que des journalistes, des éditorialistes et des intellectuels, animateurs eux-mêmes, pour certains d'entre eux, d'émissions sur la même radio de service public, où leurs opinions en faveur de la politique menée par l'Etat d'Israël s'affirment avec la régularité d'un métronome, aient cru bon de se porter témoins à charge contre leur confrère.
Le CVPR considère, à cet égard, que de telles manières rappellent fâcheusement des méthodes de type maccarthyste.  Ces méthodes se développent et s'amplifient au sein de la société israélienne.
Le CVPR  les a dénoncées dans son communiqué du 14 mai dernier, se rapportant au procès fait à l'historien israélien Ilan Pappé, par l'Université de Haïfa.
Le Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient considère aussi que la vague procédurière dont ce procès fait à Daniel Mermet est le dernier avatar médiatisé, dérive d'une volonté de transférer ce climat maccarthyste vers la France et les pays de l'Union Européenne par des artifices qui relèvent du terrorisme intellectuel.
Il relève que les similitudes de facture qui caractérisent ce harcèlement judiciaire, et la multiplication des procédures, permettent de présumer d'une campagne orchestrée et rappellent singulièrement les procès à la chaîne engagés de manière systématique, il y a quelques années,  par les mouvements d'extrême-droite dans le  but de tenter de faire taire leurs adversaires et les critiques.
Le Comité de Vigilance pour une paix Réelle au Proche-Orient appelle les intellectuels, les journalistes, les artistes, les universitaires de tous bords à se mobiliser pour empêcher une dérive inquiétante qui ne peut qu'être préjudiciable à un véritable dialogue entre les protagonistes. Les tragédies annoncées au Proche-Orient requièrent une protection accrue du droit à l'information, et surtout la levée de la chape de déshumanisation et de silence sous laquelle  certains cherchent à étouffer la question de Palestine. Le CVPR qui s'est notamment engagé à œuvrer au respect et à l'application des dispositions du droit ne peut laisser le harcèlement procédurier étrangler la justice. Il réaffirme sa détermination à s'opposer à toute censure sous quelque forme qu'elle advienne.
                                                            
3. LE CAS ANGELIQUE SCHALLER
                   
Ce dernier cas est assez particulier, car la journaliste concernée, Angélique Schaller, à l'inverse des rédactions de The Independent et de France Inter, qui soutiennent leurs journalistes respectifs, a quant à elle été "désavouée" par son rédacteur en chef. EXPLICATIONS - Angélique Schaller est une jeune journaliste du quotidien régional "La Marseillaise". Ce journal, historiquement proche du Parti communiste français, a publié le mardi 28 mai 2002 un article d'Angélique Schaller intitulé "Boycott des produits israéliens" (reproduit ci-dessous). Le lundi 3 juin dernier, un groupe d'une quarantaine extrémistes juifs marseillais ont entrepris une action d'intimidation devant le siège du quotidien. Fustigeant bruyamment, la couverture par ce journal des nombreuses actions menées par le Collectif pour le respect des droits du peuple palestinien à Marseille et dans sa région, cette "bande" d'excités a distribué des oranges d'importation israélienne aux passants médusés. Etonnée, inquiète, et soucieuse de son image en pleine campagne électorale, la rédaction de "La Marseillaise" a alors décidé de recevoir ces extrémistes juifs marseillais dans ses locaux. Le lendemain, Christian Digne, rédacteur en chef du quotidien, publiait une longue mise au point intitulée "A nos lecteurs" (reproduite ci-dessous) dans laquelle il s'excusait. Il serait intéressant de retrouver dans les archives de ce journal, ses positions concernant la campagne de boycott de l'Afrique du sud de l'apartheid dans les années 80...
                               
3.1. Lancement régional - "Boycott des produits israéliens" par Angélique Schaller
in La Marseillaise du mardi 28 mai 2002
[L'article est illustré par la reproduction d'un autocollant sur lequel on voit une orange, accompagnée du texte suivant "Les oranges... vous les aimez sanguine ? Quand vous achetez des oranges, des citrons, des avocats, des pamplemousses Jaffa et Carmel, vous cautionnez les massacres en Palestine. Boycott des produit israéliens."]
Ils étaient peu nombreux à s'être réunis, hier, à 18 heures, devant le Consulat des Etats-Unis à Marseille. Certes, les membre habituels du Collectif pour le respect des droits du peuple palestinien étaient là : de Ballon rouge à Résister en passant par le Centre d'information et de documentation sur l'immigration maghrébine (Cidim), Méditerranée Solidaire, la Ligue des Droits de l'Homme...
Ceux qui ont pu, hier, rassembler plusieurs milliers de personnes sur la Canebière pour une manifestation organisée en 24 heures, rappellent la nécessité de se remobiliser aujourd'hui. Le rassemblement d'hier soir a néanmoins permis une action à minima symbolique : "Nous protestons contre la venue de Bush en France et alertons sur les mobiles d'une telle visite qui ne peut que préparer un "sale coup", nous pensons évidement à une attaque de l'Irak" a notamment déclaré Alain Castan de Résister, "C'est aussi l'occasion de manifester notre opposition à son soutien inconditionnel à Sharon et de stigmatiser l'éternelle inertie internationale".
Ce rassemblement, a aussi été l'opportunité de lancer la version régionale de l'opération de boycott de produits israéliens. Des autocollants et des affichettes circulent "Vous aimez les oranges sanguines ? Quand vous achetez des oranges, des citrons, des avocats, des pamplemousses Jaffa et Carmel, vous cautionnez les massacres en Palestine". Ce qui n'empêchera pas les militants marseillais de relayer la campagne nationale qui débutera le 22 juin prochain, sur la base d'une liste plus exhaustive.
Ce 22 juin sera d'ailleurs la date de la prochaine manifestation pour la Palestine (14h30, départ sur le Vieux-Port [en fait le départ se fera des Mobiles cf. la rubrique "Rendez-vous" de ce PiP, ndlr]) : "C'est fondamental car la situation ne s'améliore pas du tout dans les Territoires occupés, même si les médias français le relayent moins dans leurs colonnes" ajoute encore Alain Castan. Ce dernier a aussi annoncé que le départ de la prochaine Mission civile de protection organisée au niveau local, se déroulerait en juillet prochain.
                               
3.2. A nos lecteurs par Christian Digne
in La Marseillaise du mardi 4 juin 2002
EXTRAIT - Nous avons publié, dans l'édition du mardi 28 mai, l'appel de plusieurs associations se prononçant pour le boycott des produits israéliens. L'article était accompagné de la reproduction d'une affiche, réalisée par ces associations, dont les termes étaient particulièrement vindicatifs à l'égard d'Israël. Cette publication a suscité la vive réprobation de nombreux lecteurs de La Marseillaise, de responsables et de membres de la communauté juive. Nous comprenons et nous partageons leur émotion [à cinq jours du premier tour des élection législatives en France, ndlr du PiP]. Notre quotidien ne soutien pas l'initiative lancée par ces associations. S'il est légitime, pour notre quotidien d'informer sur les prises de position du monde associatif, il nous revenait de bien séparer cette opinion et la ligne éditoriale de La Marseillaise sur ce sujet. Ce que nous n'avons pas fait.
Sur la situation dramatique du Proche-Orient, La Marseillaise a un seul parti pris : celui du combat pour la paix. Une paix qui ne s'installera sur cette terre de Méditerranée qu'à une double condition : la garantie de la sécurité du peuple d'Irsaël et la création d'un Etat palestinien souverain dans des frontières reconnues. C'est pourquoi nous sommes animés de la volonté éditoriale de valoriser toutes les initiatives qui, refusant la spirale de la haine et de la violence, favorisent ce rapprochement entre les peuples, leur meilleure compréhension. A notre avis, l'appel au boycott des produits israéliens ne participe pas à cette recherche. [...]
                                               
[Nous vous invitons à réagir à cette affaire, en envoyant dès aujourd'hui vos messages à Angélique Schaller : aschaller@la- marseillaise.tm.fr et à Christian Digne : cdigne@la- marseillaise.tm.fr et en nous faisant parvenir une copie de votre courrier : amfpmarseille@wanadoo.fr.]
                                     
Revue de presse

                                           
1. Obstacle à tout accord de paix - Le cancer des colonies israéliennes par Marwan Bishara
in Le Monde Diplomatique du mois de juin 2002
Tandis que l’armée israélienne multiplie les incursions meurtrières dans les villes “autonomes”, les autorités d’occupation imposent de nouvelles mesures restrictives à la circulation des biens et des personnes : la Cisjordanie est divisée en huit “cantons”, entre lesquels il faudra des permis spéciaux pour se déplacer. Ces décisions, qui accentuent l’asphyxie économique, enterrent les accords d’Oslo. Sur le terrain, en violation de toutes les résolutions internationales, le cancer des colonies s’étend.
Pourquoi la paix est-elle si difficile à construire au Proche-Orient ? Le plus grand obstacle est assurément l’existence des colonies israéliennes, raison d’être et moteur de l’occupation. Trente années d’objections américaines et européennes n’y ont rien fait. Bien qu’illégales, elles se sont étendues, minant toute tentative de construction d’un Etat palestinien. Et, si elles continuent à proliférer, elles finiront par précipiter - et à quel prix ! - la fin de l’Israël qu’avaient imaginé ses fondateurs.
La dynamique et l’idéologie des colonies sont devenues, ces dernières années, la pierre angulaire de l’identité israélienne moderne. La politique de colonisation et ses actuelles manifestations violentes ont transcendé les divisions ethniques et religieuses du pays pour constituer un nouvel “israélisme”, fondé sur un nouveau nationalisme juif. Les colons et leurs alliés reproduisent Israël à leur image : une théocratie en perpétuel conflit. Et chaque jour, sous la direction de M. Ariel Sharon et avec le soutien explicite du président George W. Bush, cette évolution devient une prophétie autodestructrice.
Ces colons de la nouvelle génération n’ont aucun point commun avec leurs prédécesseurs d’avant 1948, qui fondèrent le sionisme et construisirent l’Etat sur des bases laïques, socialistes et majoritairement européennes. Ceux d’après 1967sont principalement des néolibéraux, croyants et ocnservateurs à la Reagan. De surcroit, contrairement aux colons d’autrefois, leur occupation est parrainée par l’Etat d’Israël.
Pour assurer le succès du nationalisme “grand-israélien” comme leurs prédécesseurs le firent pour le nationalisme israélien, il faudra, selon les nouveaux sionistes, passer par un nouveau nettoyage ethnique. On lit déjà le “transfert” des Palestiniens sur les lèvres de nombreux membres du cabinet de M. Sharon.
Pis : l’ex-général Efi Eitam, ministre récemment nommé, colon angoissé et chef du Parti national religieux, a qualifié l’idée de “transfert” de politiquement “attirante” quoique irréaliste en l’absence de guerre. Selon cet ancien travailliste, “peu d’Arabes resteraient” en cas de conflit généralisé. Et M. Eitam a appelé à des frappes préventives contre l’Irak et l’Iran [1]...
Pour sa part, l’actuel premier ministre d’Israël a reconnu que l’armée serait partie depuis longtemps si les colonies n’existaient pas. Mais ces dernières présentent un grand avantage : elles permettent aux dirigeants israéliens de convaincre leurs concitoyens que “leur armée n’est pas une armée étrangère exerçant son pouvoir sur une armée étrangère”. En 1977, lorsque le ministre Sharon présidait le comité ministériel pour les colonies, il avait supervisé l’établissement de nouvelles colonies en Cisjordanie et à Gaza. Il prévoyait d’y installer deux millions de juifs. Un quart de siècle plus tard, le premier ministre Sharon reste intransigeant sur le fait qu’Israël a le “droit moral” de modifier la démographie de ces territoires. Depuis son élection en janvier 2001, M. Sharon a fait construire trente-cinq nouveaux avant-postes de colonies [2].
Dans la seconde moitié des années 1970, lors de la transition du gouvernement travailliste à celui du Likoud, M. Sharon apparut comme un dirigeant capable de réaliser le rêve d’un “Grand Israël” allant au-delà des frontières reconnues internationalement. En encourageant les Israéliens à s’installer “partout” dans les territoires occupés, M. Shimon Pérès a conforté M. Sharon dans ses efforts pour mettre en oeuvre le programme du puissant mouvement bipartisan (Likoud/travaillistes) favorable à la “terre élargie d’Israël”, du fleuve Jourdain à la Méditerranée.
Vingt-cinq ans plus tard, le nombre de colons dans les territoires occupés est passé de 7 000 en 1977 à plus de 200 000 en 2002 - plus 200 000 autres à Jérusalem-Est. Leurs 200 colonies occupent 1,7 % du territoire de la Cisjordanie, mais en contrôlent 41,9 % [3]. Une partie d’entre eux sont de dangereux fanatiques armés autorisés à tuer par l’armée israélienne. Année après année, les escadrons de la mort des colons ont abattu des civils non armés, mené des attaques terroristes contre des élus, torturé et assassiné de nombreux Palestiniens. En mai dernier, les services de police ont empêché à la dernière minute un attentat contre des civils palestiniens.
Depuis les accords d’Oslo (1993), Israël a multiplié par trois le nombre de ses colons et par deux celui de ses colonies, qu’il a reliées les unes aux autres par un réseau de routes de contournement et de zones industrielles assurant leur domination spatiale sur les territoires palestiniens. Ministre des infrastructures du gouvernement de M. Benyamin Nétanyahou, M. Sharon concentra dans ce but les programmes d’investissement d’Israël. Les gouvernements d’Itzhak Rabin et de M. Ehoud Barak ne furent pas moins actifs. Une véritable prolifération de colonies se produisit sous le gouvernement Barak, sous la supervision de M. Itzhak Lévy, alors dirigeant du Parti national religieux et ministre des colonies [4]. Quand le temps vint de mettre un terme à tout ce chaos, lors du sommet de Camp David en juillet 2000, les négociations trébuchèrent, puis avortèrent sur l’insistance israélienne à conserver les colonies et 9 % de la Cisjordanie. On demanda aux Palestiniens de signer un accord final fondé sur la promesse d’un quasi-Etat divisé en quatre régions séparées, encerclées de blocs de colonies. Bref, le maintien de ces dernières a saboté la tentative de mettre fin à l’occupation et compromis les efforts de paix.
Après l’échec du sommet de Camp David et suite à l’éclatement de la seconde Intifada, le rapport établi par la commission internationale dirigée par le sénateur américain George Mitchell souligna le fait que lels colonies juives ne pouvaient aller de pair avec l’établissement de la paix. La commission en recommanda le gel, présenté comme condition d’un cessez-le-feu et d’une reprise des négociations. Au contraire, le cabinet de M. Sharon approuva un budget supplémentaire de 400 millions de dollars pour les colonies.
“Montrer à tous l’image de Dieu”
Actuellement, 7 000 colons contrôlent 30 % des 224 km2 de la bande de Gaza. Or celle-ci compte 1,2 million de Palestiniens, pour la plupart des réfugiés. Il leur est impossible de circuler sans passer par des colonies fortifiées abritant piscines et terrains de base-ball au coeur d’un territoire sablonneux et surpeuplé où l’eau est rare et chaque lopin de terre précieux. Quelque 400 maisons palestiniennes y ont été détruites par Israël pendant la première année de l’Intifada, sous couvert de protection des colonies voisines.
Lorsque l’armée demanda à M. Sharon de déménager certaines colonies éloignées pour les regrouper avec d’autres, plus proches et mieux défendues, le premier ministre refusa et jura de n’en démanteler aucune tant qu’il serait au pouvoir. Il nomma alors deux nouveaux ministres du Parti national religieux (NRP), noyau dur des dirigeants de la colonisation, et les plaça au cabinet de sécurité qui supervise les territoires occupés.
Il n’y a pas de meilleure façon de décrire la nouvelle géographie des colonies que de découper la carte de la Cisjordanie dans un morceau de gruyère. Les petits trous noirs, vides et déconnectés les uns des autres, sont les cantons palestiniens, dits autonomes, et les riches parties jaunes les entourant les colonies juives.
Deux lois prévalent en Palestine : l’une pour les colons, l’autre pour les Palestiniens. Les premiers peuvent circuler, construire et se développer, alors que les seconds sont bloqués dans quelque 200 cantons encerclés. Les Israéliens continuent d’exproprier toujours plus de terres, et les Palestiniens en ont de moins en moins.
Ces dernières années, Israël a multiplié les bouclages des zones palestiniennes, imposés de manière hermétique, globalement ou localement, afin de faciliter les déplacements des colons. Selon le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, ces bouclages ont causé plus de tort à l’économie palestinienne et à la construction nationale que tout autre facteur. Elles ont surtout rendu la vie des Palestiniens impossible. Certains amis occidentaux d’Israël, comme l’éditorialiste Thomas Friedman, estiment que, si la logique des colons devait l’emporter, Israël se transformerait en un véritable régime d’apartheid. L’ancien procureur général israélien Michael Ben-Yair estime que la logique des colons intégristes a d’ores et déjà gagné et qu’Israël a “établi un régime d’apartheid dans les territoires occupés [5]”.
Tel n’est pas le point de vue des colons. Pour le général en retraite Eitam, l’étoile montante de la droite religieuse, le “Grand Israël” est “l’Etat de Dieu ; les juifs sont l’âme de ce monde ; le peuple juif a pour mission de révéler l’image de Dieu sur terre”. Lui-même se considère d’ailleurs comme situé “à la place de Moïse et du roi David” ; là où “un monde sans juifs est un monde de robots, un monde mort ; et l’Etat d’Israël est l’arche de Noé de l’avenir du monde. Sa tâche est de montrer à tous l’image de Dieu [6].
Au fil des ans, les familles modestes ainsi que les nouveaux immigrants furent incités à s’installer dans les colonies : on leur offrit des maisons à bas prix et des avantages financiers, parfois grâce à de l’argent provenant de l’aide américaine. Plus les promesses d’une vie meilleure se muèrent en cauchemar colonial, et plus les colons pragmatiques se dotèrent d’une idéologie toujours plus à droite. Et plus de 94 % d’entre eux votèrent pour M. Nétanyahou, puis pour M. Sharon aux dernières élections.
Actuellement, des intégristes fanatiques dominent le conseil regroupant les organismes de gestion des colonies et exercent une influence considérable sur les décisions du gouvernement. Dix députés sur cent vingt sont des colons, et tous font partie de la coalition au pouvoir. Trois colons ont déjà été ministres du gouvernement Sharon et deux le sont actuellement, sans oublier nombre de responsables d’agences gouvernementales. Bien qu’elles soient considérées comme “extraterritoriales” par la communauté internationale, les colonies représentent le foyer ardent du nationalisme “grand-israélien”. A l’inverse de leurs concitoyens qui souhaitent un “Etat juif” reconnu internationalement à l’intérieur de frontières souveraines, ces nouveaux fanatiques insistent sur le fait que leur patrie est la “terre d’Israël”, et non l’”Etat d’Israël” : ils n’accepteront donc pas l’existence d’un autre Etat entre le Jourdain et la Méditerranée.
Le pouvoir des colons dépasse leur influence électorale. Ces vingt-cinq dernières années, à l’exception des éphémères gouvernements Rabin et Barak, l’influence des colons religieux n’a cessé de croître pour devenir le noyau dur des coalitions dirigées par le Likoud. Ce faisant, ils menacent non seulement la Palestine et la normalisation d’Israël, mais aussi la région tout entière.
Car les ‘think tanks’ mis en place dans les colonies présentent des théories fondées sur la guerre, adaptées aux nouveaux concepts américains tels que la “guerre contre le terrorisme” et l’”axe du Mal”, ainsi qu’aux nouveaux systèmes de missiles et à la pire littérature sensationnaliste produite par le Pentagone. Rêvant de mener des guerres à l’américaine, les colons ne se soucient guère de cohabiter avec leurs voisins. Et pour cause : ils croient qu’”Israël est l’espoir du monde” et que “la sauvagerie morale palestinienne est organisée pour nous empêcher de l’être”.
Paradoxalement, la dernière vague d’attentats-suicides palestiniens a fait le jeu des colons. L’idée, évidemment erronée, que les Palestiniens exigeraient non seulement le retrait d’Israël des territoires occupés, mais celui d’Israël tout entier, a diminué la pression exercée sur les colonies - perçues jusque-là comme un obstacle à la paix - et radicalisé toute la société israélienne. La politique de colonisation, poursuivie envers et contre tous les accords signés, a dessiné une nouvelle géographie du conflit. Si bien que des millions de Palestiniens et d’Israéliens vivent dans la peur, du fait de colons illégaux qui plongent la région dans une guerre coloniale et communautaire. Si Israël poursuit son entreprise au même rythme que depuis les accords d’Oslo, les colons seront bientôt un million. Il sera alors impossible de séparer les Palestiniens d’Israël et de ses colons sans procéder à un nettoyage ethnique.
Une telle évolution ne compromettra pas seulement l’avenir de l’Etat palestinien, mais aussi toute chance de maintenir à long terme l’Etat hébreu, d’autant que l’avantage démographique juif sur le territoire de la Palestine mandataire (Israël, Cisjordanie et bande de Gaza) ne cessera de diminuer. Dans dix ans, les Palestiniens deviendront même majoritaires. Et ces millions de juifs et d’Arabes seront de plus en plus inséparables.
Pour l’instant, la logique de M. Sharon et de ses colons continue à alimenter un état de conflit permanent et de guerre en Palestine et au Proche-Orient. Si la communauté internationale n’intervient pas, la logique des colonies conduira au même blocage qu’à la veille de la guerre de 1948 : il faudra choisir entre un Etat binational et une nouvelle tentative de nettoyage ethnique. Mais cette dernière représenterait cette fois, pour Israël, une erreur stratégique dramatique : pensons au sort de M. Slobodan Milosevic...
(Marwan Bishara est chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Paris, auteur notamment de Palestine/Israël : la paix ou l’apartheid, La Découverte, Paris, 2002.)
- Notes :
[1] : Haaretz, Tel-Aviv, 12 avril 2002.
[2] : The New York Times, 27 avril 2002.
[3] : Voir
www.betselem.org, “Israel’s Settlement Policy in the West Bank”, Tel-Aviv, 13 mai 2002.
[4] : La quatrième convention de Genève, signée par Israël et les Etats-Unis, stipule, on le sait, que “le pouvoir occupant ne déportera et ne transférera aucune partie de sa population civile vers les territoires qu’il occupe”.
[5] : Haaretz, 3 mars 2002.
[6] : Haaretz, 18 avril 2002.
                                       
2. Une effroyable routine au Proche-Orient par Gilles Paris
in Le Monde du samedi 1er juin 2002
A contrario, le déplacement des Palestiniens en dehors des zones où ils se concentrent n'est permis qu'à titre dérogatoire, et littéralement transitoire, uniquement pour aller de l'une à l'autre. Dans cette logique, l'accès au territoire israélien et à Jérusalem-Est est naturellement prohibé. Les justifications de ces nouvelles règles avancées par l'administration civile (en fait militaire) des territoires privilégient le souci officiel de faciliter la vie quotidienne des Palestiniens (ceux d'entre eux qui seraient gratifiés d'une autorisation à se déplacer n'auraient plus à redouter l'arbitraire des check-points), ainsi que leur portée temporaire (elles disparaîtraient dès lors que la situation serait redevenue "normale".) Ces arguments seraient sans doute plus convaincants si ces règles ne s'inscrivaient pas dans quatre décennies d'occupation au cours desquelles l'espace conquis militairement en 1967 a été l'objet d'une pensée unique.
Comme en ont émis l'hypothèse Franck Debié et Sylvie Fouet dans un ouvrage publié en avril 2001 (La Paix en miettes, PUF), les Israéliens semblent prisonniers d'une matrice sécuritaire qui les empêche de penser la décolonisation, même partielle, de la Cisjordanie et de Gaza.     
Cette matrice est héritée du plan Allon, du nom d'un responsable travailliste à l'origine de ce plan à la fin des années 1960. L'espace occupé est un espace disponible dans lequel serait éventuellement découpé un micro-Etat palestinien en fonction de critères subjectifs israéliens. Dans cette approche, le pourcentage concédé à cet Etat "en creux" peut osciller en fonction des acteurs : à la baisse avec Benyamin Nétanyahou, à la hausse avec Ehoud Barak. La grille de lecture reste la même : la sécurité d'Israël, du moins telle que l'envisage l'armée, l'emporte sur la viabilité de l'entité. Elle explique aujourd'hui la disparition des zones autonomes palestiniennes et le projet de nouvelles règles de circulation. Si cette situation s'installe, de nouveaux verrous auront été posés, sans doute durablement, qui compliqueront toute tentative de renégociation.
LA NÉGATION D'UN PAYS À VENIR
Ces modifications apportées sur le terrain par les Israéliens suscitent jusqu'à présent l'indifférence de la communauté internationale. Plus personne ne remet en question la totale liberté de manœuvre de l'armée israélienne à l'intérieur des zones autrefois autonomes palestiniennes. Il en va de même avec la poursuite de la colonisation en Cisjordanie et l'opposition du premier ministre Ariel Sharon, candidat à sa succession en 2003, au démantèlement d'une seule implantation partout dans les territoires occupés.
Dans le même temps, les critiques s'abattent en rafale sur Yasser Arafat, le chef de l'Autorité palestinienne, accusé d'avoir fourvoyé son peuple à la tête d'une administration incapable et corrompue. En sous-estimant notamment la capacité de M. Sharon de bâtir une coalition durable et en se trompant lourdement sur la nature de la nouvelle administration américaine, le chef de l'Autorité palestinienne a assurément multiplié les erreurs tactiques en un temps record. Mais les détracteurs approximatifs de M. Arafat vont plus loin en mettant en doute son projet de coexistence d'un Etat palestinien avec un Etat juif, un engagement stratégique pourtant maintes fois réitéré. Les plus caricaturaux, comme M. Barak à travers un entretien accordé à la New York Review of Books, vont même jusqu'à le nier au nom d'un concept culturaliste pour le moins douteux : le mensonge comme composante essentielle de la culture palestinienne.
En Cisjordanie, avec l'institutionnalisation des "cantons", c'est pourtant la négation d'un pays à venir qui s'opère en toute lumière. Elle porte de sérieux coups à la "vision de l'Etat palestinien" exprimée par le président américain George W. Bush, qui, comme une ligne d'horizon, s'éloigne au fur et à mesure que l'on s'efforce de s'en approcher.
                                       
3. Histoire et propagande en Palestine et Israël par Bernabe Lopez Garcia
In El País (quotidien espagnol) du vendredi 31 mai 2002
[Traduit de l’espagnol par Michel Gilquin]

(Bernabe Lopez Garcia est professeur d’Histoire d’Islam contemporain à l’Université autonome de Madrid.)
Contrairement à ce qui se passe en France, où les intellectuels se sont mobilisés par leur plume pour prendre position sur un conflit qui s’est aggravé en Palestine et Israël ces dernières semaines, les réactions en Espagne ont été moins visibles, hormis celles de quelque écrivain, quelques arabisants ou des chroniqueurs habituels dans les différents journaux.
Cela peut s’expliquer en partie par le fait que dans notre pays, à la différence de la France, il n’y a pas de communauté juive bien identifiée, qui est perçue par l’opinion comme une communauté étrangère en dépit de ses vieilles racines historiques ou de décennies de présence de certains de ses membres les plus représentatifs. L’existence d’une communauté arabe n’est guère davantage ressentie parce qu’elle n’est pas structurellement organisée, et que sa visibilité médiatique pour l’opinion se résume à une jeune immigration de maghrébins, généralement marginalisés. On ignore toutefois l’existence d’une élite, originaire du Moyen-Orient - avec une notable présence palestinienne -, installée depuis les années 70 .
En cela, la parution, dans les pages du « País », de l’article de Juan Pablo Fusi (« Histoire  et Moyen-Orient », 9 avril) mérite attention, car il se targue d’apporter un regard froid et objectif par une analyse historique de cette question. Mais si cet exercice s’avère comme quelque chose de très nécessaire en ce moment, le mener à bien de la façon dont il l’a fait dans ce cas, en violentant l’argumentation et en déformant à ce point l’histoire (pour ne pas parler des inexactitudes dans les dates les plus élémentaires), n’aboutit pas à contrecarrer d’un pouce ce que l’auteur lui-même désigne comme «des déformations historiques délibérées, des omissions systématiques et des commentaires tendancieux » de l’information et des médias espagnols  sur ce conflit.
Il n’y a pas l’ombre d’un doute que les nouvelles générations qui consomment aujourd’hui ces informations ont besoin d’un meilleur fil conducteur pour comprendre le conflit, mais ce n’est pas, à mon sens, l’argumentation délivrée par Fusi qui les aidera à raisonner sur les origines et les causes, la nature et l’évolution d’une tragédie qui dure depuis quasiment un siècle. Parce que le drame n’a pas commencé en 1948, comme le prétend Fusi, avec le refus de la partition de la Palestine de la part des pays arabes. Ce n’est pas «propagande officielle palestinienne »  que de rappeler qu’au début du XXème siècle, dans les districts ottomans (Sandjaks) d’Acre, de Naplouse et de Jérusalem qui formaient la Palestine depuis l’occupation turque à l’orée du XVIème siècle - et non du XIIème-XIIIème siècle-, la population juive installée dépassait à peine 50.000 personnes, ce qui ne représentait seulement que 7% des habitants. De plus, une bonne partie de ces juifs étaient des immigrants, récemment  arrivés, fuyant les persécutions dans certains pays européens, et encouragés par les appels du mouvement sioniste qui, depuis peu, avait centré sa revendication sur un retour à la terre des ancêtres. Et cela, effectivement, en se fondant sur le mythe qu’il s’agissait  «d’une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Sans tenir compte de cette donnée fondamentale, le chiffre de 650.000 juifs en Palestine en 1948, avant le conflit armé avec ses voisins arabes, ne peut être apprécié à sa juste valeur. Dire, ainsi, que l’immigration juive en Palestine avant 1945 n’était pas significative sur le plan numérique, c’est, de façon délibérée, ignorer les faits parce qu’ils ne cadrent pas avec l’argumentation qu’il soutient. Rien qu’entre 1931 et 1946,  434.000 juifs ont immigré, c’est à dire 66 % du chiffre dont parle Fusi !
La tragédie avait déjà été pressentie en 1919, quand une commission d’enquête, menée par les Américains King et Crane, analysa sur le terrain l’impact prévisible de la création d’un foyer national juif en Palestine, promis à la Fédération sioniste par les Britanniques par le biais de la Déclaration Balfour de Novembre 1917. Cette commission, que les deux grandes puissances de l’époque refusèrent de prendre au sérieux, avertit qu’« il faut avoir à l’esprit que la population non juive de Palestine - quasiment les 9/10ème du total- est résolument hostile à tout le programme sioniste. Il ne semble pas qu’il y ait de question sur laquelle la population palestinienne soit plus unie. Imposer à un peuple dans de telles dispositions une immigration juive illimitée, de même que lui faire subir des pressions financières et sociales permanentes pour qu’il cède ses terres, serait une violation flagrante des principes sur les droits des peuples ».
Une autre inexactitude grossière dans l’article de Fusi est de prétendre que l’attitude de la Grande-Bretagne dans la région fut toujours pro-arabe. Ne le fut pas, bien sûr, la  Déclaration Balfour, pas plus que la nomination du premier Haut Commissaire, le Juif Herbert Samuel. Que les juifs leur soient apparus progressivement comme quelque chose «d’incommodant et d’irritant » ne fut rien d’autre que la conséquence de ne pas avoir su trouver la formule pour désamorcer la bombe constituée par leur promesse de créer un foyer national pour les juifs. S’être servi des Arabes, avoir constitué deux royaumes dans la région dirigée par les Hachémites (vis-à-vis de qui ils tentaient de racheter leur trahison de ne pas avoir tenu la promesse faite au Chérif Hussein de constituer un Royaume Arabe), ne permet pas, à mon avis, de qualifier leur politique autrement que de pro-britannique. Et s’ils eurent à naviguer entre arabes et juifs, ce fut parce qu’ils se trouvaient au centre de la guerre ouverte de deux nationalismes, le sioniste et le palestinien, qui luttaient pour se partager un même espace, et qu’ils étaient contraints de jouer les médiateurs.
Juan Pablo Fusi paraît nier, dans son article, l’existence d ’un «véritable nationalisme populaire palestinien » en 1948. Qu’il ait existé des courants et des projets différents, comme celui du Mufti de Jérusalem Amine el Husseini à la tête du Haut Comité Arabe (regroupement
des partis nationalistes crées en avril 1936) et celui qui préconisait l’unification de la Palestine avec la Transjordanie de l’Emir Abdallah, animé par la famille Nachachibi, n’infirme absolument pas l’existence d’un mouvement qui mena une insurrection populaire et
une grève générale qui se prolongea plusieurs mois en 1936 et qui fut le détonateur qui convainquit les Britanniques d’adopter l’idée de la partition du territoire.
Ne pas reconnaître l’existence de ce nationalisme palestinien, qui fut aussi le catalyseur d’un nationalisme arabe transnational, qui aboutit à la constitution d’une sorte de «brigades internationales »  animées par le mouvement des Frères musulmans en Egypte, c’est ne pas comprendre le coeur d’une des autres dimensions du problème. Que le drame palestinien ait pris, depuis les années 30, une dimension transnationale pour la majorité des Arabes et des musulmans, en tant que symbole d’une lutte juste, c’est un fait, au même titre que l’a été la guerre civile espagnole et ce qu’elle représentait parmi les progressistes du monde. A telle enseigne qu’elle devint une cause si mobilisatrice à l’intérieur des pays arabes que l’intervention des armées arabes contre la création de l’Etat d’Israël fut davantage motivée pour satisfaire et faire taire les opinions publiques solidaires de la lutte des Palestiniens que comme le résultat d’une profonde et véritable conviction de leurs dirigeants. Pour preuve, les coups d’Etat qui se succédèrent en Syrie et en Egypte entre 1949 et 1952, furent en rapport direct avec l’échec arabe dans cette guerre ; mais aussi que la Palestine ait pu être érigée, alors comme maintenant, en alibi par des régimes arabes en déficit de légitimité.
L’autre point où Fusi est partial, c’est dans son insistance à voir le problème palestinien comme un «drame d’un peuple de réfugiés» et non comme un problème d’occupation militaire à laquelle Israël se refuse, pour diverses raisons, à mettre fin. Pas une seule allusion aux résolutions des Nations Unies dans lesquelles est exigé l’abandon des territoires occupés en 1967, pas un seul commentaire sur le fait que la guerre de 1948-49 a procuré à Israël, en plus de l’espace prévu par la partition, la moitié des territoires que l’ONU avait dévolu à l’Etat arabe, territoires qui, après avoir fait l’objet de négociations avec les Etats voisins lors des armistices respectifs, ne furent plus réclamés par personne par la suite. Sont aussi oubliés des épisodes essentiels comme le premier Camp David et sont omis des faits qui impliqueraient la responsabilité d’Israël dans la situation actuelle. La provocation de Sharon sur l’Esplanade des Mosquées, par exemple,  est absente de sa trame argumentaire.
Il est sans doute nécessaire de réexaminer le rôle des Etats arabes dans le développement du drame palestinien en tenant compte qu’eux aussi partagent des responsabilités dans ce conflit. Il y a lieu de penser qu’avoir supplanté les Palestiniens, comme ce fut une constante de la part des régimes voisins depuis l’intervention de 1948, fut une erreur. Ainsi, jusqu’à la restructuration de l’OLP à la suite de la débâcle de 1967, cette organisation n’a pas pu se libérer de la tutelle de la Ligue Arabe et surtout de l’Egypte. Même la Jordanie n’avait pas renoncé à l’annexion de la Cisjordanie (purement formelle depuis l’occupation israélienne de 1967) avant 1988.
Mais tout cela n’empêche pas de voir l’origine des problèmes dans l’installation par la force d’une immigration juive porteuse d’un projet étatique et la responsabilité inexcusable d’une communauté internationale qui a laissé Israël camper sur ses positions depuis 1967, qui ne l’a pas soumis à des pressions pour qu’il applique les résolutions de l’ONU, laissant ainsi le problème déboucher vers le désastre.
Dénoncer ces responsabilités, je ne crois pas que cela relève de l ’ « antisémitisme latent et presque inconscient » dont parle Pilar Rahola dans un article récent ou d’un « faux populisme progressiste » auquel fait allusion Fusi, mais bien d’une volonté de reconnaître le fond des choses en évitant de confondre l’histoire et la propagande.
                                                   
4. Israël renforce sa politique de colonisation en Cisjordanie par Stéphanie Le Bars
in Le Monde du vendredi 31 mai 2002
Le ministère du logement lance de nouveaux programmes de construction dans les territoires occupés. Le gouvernement d'Ariel Sharon insiste sur le maintien de toutes les implantations juives. Pourtant, 59  % des Israéliens pensent que la paix passe par leur démantèlement
Jérusalem de notre correspondante
Alors que de plus en plus de voix s'élèvent en Israël pour demander la "sortie des territoires palestiniens", les colonies continuent imperturbablement de s'étendre.     
Le 20 mai, Mossi Raz, pourfendeur inlassable des implantations israéliennes en territoire occupé, a dénoncé les intentions du ministère israélien du logement et des constructions en la matière.
Sur les cinq premiers mois de l'année, ce dernier a en effet lancé un appel d'offres pour la construction de 957 nouveaux logements en Cisjordanie, notamment dans les colonies proches de Jérusalem. Pour l'ensemble de l'année 2001, une procédure identique a permis le lancement de quelque 800 nouvelles habitations dans les territoires palestiniens. M. Raz estime que cette démarche viole le principe selon lequel seules des constructions correspondant à "la croissance naturelle" des colonies peuvent se justifier.
En 2001, le nombre de colons installés en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et à Jérusalem-Est a augmenté de 5 %, pour atteindre un total de 380 000. Dans un document présenté en mars au ministre de la défense, Benyamin Ben Eliezer, l'organisation israélienne La Paix maintenant a fait état, selon le quotidien Haaretz, de la création par les colons de 34 "avant-postes" sauvages en Cisjordanie au cours des douze derniers mois. Le ministère a assuré qu'une partie d'entre eux avaient été évacués par l'armée.
Au-delà de leur extension immobilière bien visible, les colonies contrôlent également une part de plus en plus importante du territoire de Cisjordanie, par le biais des routes de contournement qui permettent aux colons d'éviter les villes et les villages palestiniens, des surfaces déclarées zones militaires et des réserves de terre.
AVANTAGES FINANCIERS
Selon un rapport récent publié par l'organisation israélienne de défense des droits de l'homme dans les territoires occupés, B'Tselem, les colonies de Cisjordanie ont ainsi la mainmise sur 42 % du territoire. Les constructions en elles-mêmes occupent 1,7 % de la surface de Cisjordanie, mais les municipalités ont étendu leurs limites jusqu'à 6,8 % du territoire tandis que les conseils régionaux en contrôlent 35 %, note l'organisation israélienne. "Cette configuration vise à empêcher toute continuité territoriale côté palestinien et réduit son développement économique et agricole, souligne-t-elle. L'extension des plus grandes colonies autour de Jérusalem pourrait même, à terme, provoquer une coupure entre le nord et le sud de la Cisjordanie."
L'association dénonce également les avantages financiers octroyés aux municipalités et aux Israéliens des territoires. Selon B'Tselem, les conseils locaux représentant les colonies ont reçu des subventions supérieures de 65 % à celles reçues par leurs homologues en Israël. Dans le même temps, regrette l'association, l'Etat ne propose aucune aide aux personnes qui souhaiteraient quitter les colonies pour s'installer en Israël. Le premier ministre, Ariel Sharon, affirme en outre régulièrement qu'il n'est pas dans ses intentions, "ni à court terme, ni à long terme", d'évacuer la moindre colonie. La proposition de loi présentée le 20 mai devant le Parlement israélien par le président de la commission des lois de la Knesset, le travailliste Ophir Pinez-Paz, n'a, dans ce contexte, que peu de chances d'aboutir. Elle prévoit d'indemniser les habitants d'une vingtaine de colonies de la bande de Gaza, en cas de démantèlement.
Même si, dans ce dossier hautement politique, l'argument financier paraît secondaire, un professeur d'économie s'est efforcé d'estimer le coût de l'évacuation des territoires. Partant du principe que les plus grandes colonies seraient annexées à Israël en échange de terres remises aux Palestiniens, Haïm Ben-Shahar évalue à 80 000 le nombre de colons nécessitant une évacuation. Leur relogement en Israël coûterait, selon l'économiste, 2,6 milliards d'euros à l'Etat. L'abandon des colonies isolées permettrait en revanche de réaliser des économies en termes de défense et d'infrastructures.
Selon un sondage paru début mai, 59 % des Israéliens jugent que la paix avec les Palestiniens passe par le démantèlement de la plupart des colonies. Quel qu'en soit le prix.
[383 600 colons pour 157 implantations - - Cent quarante-six colonies sont officiellement recensées en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Elles regroupent 213 600 personnes, au lieu de 109 784 en 1992 et 1 500 en 1972. A Jérusalem-Est, onze colonies comptent 170 000 habitants, au lieu de 141 000 en 1992 et 6 900 en 1972. (Source : Foundation for Middle East Peace, special report mars 2002.) - Les routes de contournement qui desservent ces colonies représentent actuellement 316 km, soit une superficie (en ajoutant la zone tampon définie de part et d'autre de la route) de 47,5 km2. En ajoutant les constructions en cours, on parvient à un total de 350 km et de 51 km2 de terres palestiniennes confisquées. (Source Miftah, octobre 2001.) - Dans les accords d'Oslo (13 septembre 1993), les colonies ne sont pas évoquées, conformément à la volonté des Israéliens. Cependant, ces accords stipulent qu'"aucune des parties ne devra prendre des initiatives ou des mesures qui auraient pour conséquence de changer le statut de la Cisjordanie et de la bande de Gaza en attendant l'issue des négociations sur le statut final" des territoires palestiniens. Selon le rapport de la commission internationale présidée par l'ancien sénateur américain George Mitchell (30 avril 2000), "le gouvernement d'Israël devrait geler toutes les activités de colonisation, y compris la "croissance naturelle" des implantations existantes. Le type de coopération sécuritaire souhaitée par le gouvernement d'Israël ne peut pas durablement coexister avec une activité de colonisation qualifiée très récemment par l'Union européenne de "très préoccupante" et par les Etats-Unis de "provocatrice".]
                                               
5. "Une maison au Canada, au cas où..." par Jean-Paul Mari
in Le Nouvel Observateur du jeudi 30 mai 2002
Haïm Fishlson, directeur de Capital Canada, 50 ans, Tel-Aviv. Pour l’instant, il n’y a rien. Sinon un grand terrain couvert d’herbe verte. C’est normal, il pleut si souvent à Toronto au Canada. Pourtant, Haïm Fishlson, agent immobilier à Tel-Aviv, a déjà gagné 15 millions de dollars en vendant une centaine d’appartements d’un immeuble virtuel dans une ville que ses clients n’ont jamais vue. Derrière son bureau, il les voit défiler, lit sur leur visage le doute, la confusion et la peur de l’avenir... «Aujourd’hui, en Israël, les gens n’ont plus cette lumière d’antan dans les yeux», dit Haïm. L’assassinat de Rabin, l’échec de Barak à faire la paix avec la Syrie, la crise économique, la dévaluation du shekel et, maintenant, l’Intifada des kamikazes qui fait trembler les murs au cœur de Tel-Aviv... Quelque chose s’est cassé chez ses clients d’une cinquantaine d’années, classe encore aisée de commerçants, dentistes ou hommes d’affaires, tous nés en Israël. Haïm l’a senti avant les autres, et son flair d’agent immobilier l’a poussé à explorer la carte des grandes villes internationales: «Je savais que plusieurs dizaines de milliers d’Israéliens avaient investi entre 5 et 10 milliards de dollars en biens immobiliers aux Etats-Unis, en Europe, voire à l’Est, Roumanie, Hongrie, Tchécoslovaquie.»
New York, Londres, Amsterdam? Trop cher, les prix ont triplé ces dernières années. Paris? Marché dur et saturé. Hongkong? Vraiment très loin. Finalement, Haïm part explorer Toronto, beaucoup d’espace à deux pas des Etats-Unis, un fort potentiel immobilier, un dollar canadien bas, une grande ville ouverte chaque année à 150000 nouveaux immigrés, peuplée de quelques Canadiens mais de beaucoup d’Indiens, de Chinois, de Pakistanais et d’Israéliens. Une capitale moderne et mélangée où personne ne force les communautés d’immigrants à s’intégrer... «Une odeur de nouveau monde, de nouvelle vie!» Haïm tient son «ailleurs» et il n’hésite pas à acheter sur plan 120 appartements, plus de la moitié d’une immense tour. A Tel-Aviv, il crée une nouvelle société, Capital Canada, ouvre des bureaux, étale des plans sur papier et un dessin en couleur d’un grand building de verre. Le choix va du grand studio de 50 mètres carrés, avec salon et kitchenette à 50000 dollars (355000 francs environ, 54000 euros), au grand appartement qui en coûte le triple. Les clients se ruent. Souvent en couple. «Quand votre femme vous attend le soir à la maison, cloîtrée par la peur des attentats, et qu’elle vous pose toujours la même question: "Qu’allons-nous faire?", vous, le mari, vous avez enfin une réponse: "Nous allons acheter quelque chose au Canada"», sourit Haïm. Oh! Il ne s’agit pas encore d’émigrer. La plupart achète un, deux ou cinq appartements pour les louer, un investissement solide, dans la pierre et un pays sûr d’exister dans vingt ans.
Pourtant Haïm lui-même écarquille les yeux devant tant d’audace: «Il y a une règle absolue en affaires... ne jamais dépendre d’une seule personne.» Qui va assurer le suivi du dossier, louer les appartements et gérer la copropriété? Haïm, lui, n’a rien signé. «Ils n’ont que ma parole. Dieu merci, je suis parfaitement honnête!» Mieux: la dévaluation du shekel a déjà fait gagner de l’argent aux premiers acheteurs. Dans un pays où tout le monde se veut plus malin que son voisin, les appartements de Capital Canada apparaissent désormais comme la bonne affaire qu’on se chuchote entre amis, la dernière mine d’or enfouie derrière les murs modestes d’une agence immobilière de la rue Ayarkon, près du vieux port de Tel-Aviv. «Je n’arrive pas à croire que j’ai réussi une opération aussi folle», dit Haïm en contemplant la forêt d’autocollants: «vendu» qui recouvre son plan d’occupation.
«Et maintenant, j’ai mieux!» Il se lève d’un bond et introduit une cassette dans un lecteur vidéo. Titre: «le Paradis sur Terre». Dans un univers tropical de carte postale défilent des images... de paysage. Des montagnes, un fleuve, une plage de sable blanc, du vert, beaucoup de vert et de l’espace, énormément d’espace. Le tout barré de messages: «Terrain très facile d’accès, à deux heures à peine de Miami!; température stable, 28 degrés; démocratie; pas d’armée; importante communauté juive; des prix qui grimpent grâce à la proximité des USA!» Haïm propose de futures villas de 100 mètres carrés, 7000 mètres carrés de terrain au Costa Rica près du Pacifique pour moins de 100000 dollars: «Au Paradis... C’est un truc malin, non?» De plus, l’agent assure que le gouvernement du Costa Rica, à partir d’un investissement de 50000 dollars, vous offre automatiquement la citoyenneté. Au cas où…
                                   
6. "Il s'agit d'un des derniers territoires colonisés" entretien avec André Raymond  réalisé par Dina Heshmat
in Al Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 29 mai 2002
André Raymond, historien spécialiste du monde arabe, en particulier de sa période ottomane, apporte un point de vue particulier sur la Palestine et sur la perception du conflit par les Français. 
— Al-Ahram Hebdo : Vous êtes un spécialiste du monde arabe, de son histoire, en particulier de sa période ottomane. De quelle manière votre intérêt dans ce domaine influence-t-il votre perception du conflit israélo-palestinien ?
— André Raymond : Bien sûr, quelqu'un qui s'occupe du monde arabe ne peut pas ne pas être influencé, donc avoir une position sur la Palestine. C'est quand même le grand problème auquel le monde arabe est confronté. Mais ce n'est pas seulement une question de spécialistes, je suis un citoyen, un citoyen français, et par conséquent le problème m'intéresse. Comme d'ailleurs il intéresse beaucoup les Français, il y a eu un grand changement depuis deux, trois ans dans l'opinion française en ce qui concerne la Palestine. Jusque-là, l'influence des milieux sionistes était très grande. Les Français avaient tendance à voir le problème de la Palestine à travers le problème de la Shoah, des massacres pendant la guerre, ce qui évidemment les amenait à quelques difficultés à comprendre la Palestine. Depuis trois ans, il y a eu un changement très important.
— Pourquoi trois ans ?
— Oui, deux, trois ans. Ça correspond évidemment au début de l'Intifada, et aussi à l'extrême brutalité avec laquelle les Israéliens ont commencé à tenter de résoudre, ou supposer qu'ils allaient résoudre le problème de la Palestine. Les médias et les journaux ont été très choqués par la brutalité des Israéliens, et ça a donc amené une évolution dans l'opinion publique. Dans les milieux politiques, il y a toujours eu une tradition politique très longue, qui remonte à De Gaulle, et même avant — la France n'a jamais été favorable à l'implantation de juifs en Palestine. Disons que surtout la présidence De Gaulle a joué un certain rôle. Rappelez-vous sa position en 1967, au moment de la guerre. Il y a une tradition à laquelle le président Chirac a été assez fidèle, d'amitié et de compréhension à l'égard du monde arabe, en particulier à l'égard de la Palestine. Mais sa politique extérieure tient compte forcément de la politique européenne et il y a en Europe des Etats qui sont extrêmement en retard pour comprendre l'affaire de Palestine. Après tout, il s'agit d'une affaire coloniale, de la colonisation d'un territoire et d'un peuple par un autre. A notre époque, ça paraît particulièrement choquant. La période de la colonisation est quand même terminée. Dans le fond, la Palestine est un des derniers territoires colonisés.
— Vous voyez donc la situation en Palestine comme un système d'apartheid ?
— Oui, je la vois comme un système colonial. Les Palestiniens ont finalement, après des hésitations qui sont bien compréhensibles, accepté de perdre presque 80 % de leur territoire national, puisque le règlement de l'affaire de Palestine en 1948 a finalement abouti à priver les Palestiniens de 80 % de leurs terres. Il y a peu de peuples qui aient souffert pareil sacrifice. Ils ont accepté aussi de reconnaître Israël dans les frontières de 1949, les gens sont un petit peu surpris qu'on leur demande aujourd'hui des sacrifices supplémentaires. L'idée qui finit par s'imposer aujourd'hui est que la cause des Palestiniens est une cause juste, qu'ils ont souffert injustement, et que par conséquent, on doit reconnaître leurs revendications.
— Pensez-vous qu'il y a une évolution particulière dans l'opinion publique en France par rapport à cette question ces derniers mois, en particulier dans les milieux universitaires ?
— Oui, je pense qu'en effet il y a une évolution très forte, qui est due comme je l'ai dit à l'Intifada, mais aussi à la brutalité israélienne, surtout depuis que Sharon est au pouvoir. Les gens ont le sentiment que la politique officielle israélienne est vraiment catastrophique et donc qu'il faut l'arrêter. En effet, dans les milieux intellectuels et universitaires, il y a une prise de position plus grande. Ça se voit quand on lit les journaux comme Le Monde, on voit bien une certaine évolution. Encore que Le Monde a une certaine tendance à toujours donner une version qu'il pense équilibrée des choses, alors qu'en l'occurrence, il n'y a pas d'équilibre. Il y a un peuple qui a été victime d'un crime historique, et par conséquent, ce peuple a raison. Il faudrait donner raison aux Palestiniens. Ce qui est vraiment regrettable, c'est que la communauté internationale soit totalement paralysée dans l'affaire de Palestine, qu'aucune des décisions de l'Onu n'ait jamais été acceptée, que l'Amérique fasse un barrage permanent à toute décision qui s'efforce de ramener Israël à une juste vision des choses. C'est vraiment quelque chose de très grave.
Ce qui est déplorable dans cette affaire, c'est qu'on sait très bien qu'Israël est tenu à bout de bras par les Etats-Unis, qui dépensent environ 4 milliards de dollars pour Israël pour son armement, pour maintenir son économie, c'est-à-dire à peu près autant que les Etats-Unis donnent à l'ensemble du monde arabe, et on voit les Etats-Unis incapables d'imposer raison à Israël. Nous aimerions bien, nous autres Français et Européens, que l'Europe joue un rôle actif dans cette affaire. Les bases d'un règlement sont connues. C'est un retour à la situation de 1949, qui encore une fois est une situation extrêmement douloureuse pour les Arabes, puisqu'ils ont perdu la plus grande partie du pays et qu'un million de réfugiés ont été lancés sur les routes. Les Palestiniens acceptent cette situation. Il faut maintenant plus ou moins imposer à Israël de l'accepter.
C'est en tant que citoyen que personnellement je réagis, autant, évidemment qu'en spécialiste et ami du monde arabe.
— En France, il y a de plus en plus de mouvements qui sont impliqués dans la solidarité avec le peuple palestinien ....
— Il y a effectivement une forte réaction, en particulier chez les étudiants. Le mouvement de solidarité avec la Palestine est plus fort qu'il n'a jamais été. Mais il faut tenir compte des difficultés que présente l'Europe. Les Européens sont naturellement très sensibles aux souffrances que les juifs ont subies pendant la guerre. De ces souffrances, les Arabes ne sont pas responsables. La preuve, dans les pays arabes, les communautés juives se sont maintenues jusqu'à une époque très récente. Les malheurs du peuple juif ne sont pas des malheurs dont on peut rendre coupables les Arabes. Quand on a créé le mandat pour installer un foyer juif en Palestine, on s'engageait dans une pente extrêmement redoutable. Il serait vraiment urgent que l'Europe prenne une position plus neutre, que les Etats-Unis jouent un rôle plus actif.
— Est-ce que vous êtes en contact avec des universitaires en Palestine ?
— J'ai eu l'occasion d'aller en Palestine, il y a quelques ans, à l'époque où les choses paraissaient susceptibles de trouver une solution. J'ai été à Birzeit, et je fais partie du Conseil d'administration d'une très importante institution arabe à Jérusalem, c'est une bibliothèque privée, très riche, installée près d'Al-Haram Al-Chérif. J'ai travaillé pour le développement de cette bibliothèque. J'appartiens également à l'association des universitaires en faveur d'un règlement des affaires de Palestine, qui s'efforce de maintenir des liens entre les universitaires français et palestiniens, et aussi d'ailleurs de leur donner l'aide dont ils ont besoin. La politique de Sharon en Palestine a consisté pour l'essentiel à saccager toute institution qui était susceptible, un jour, de faire de la Palestine un pays moderne et vivable.
— Selon vous, quelle solution y a-t-il à long terme pour cette région ?
— Le problème du terrorisme dont on fait beaucoup de cas actuellement est en effet un grave problème. Mais d'abord, tout le monde sait bien que le terrorisme en Palestine a été créé par les Israéliens eux-mêmes. Les Israéliens ont commencé une politique de terrorisme systématique avant 1948, pour obliger les Anglais à quitter la Palestine. Il suffit de rappeler la destruction de l'hôtel David à Jérusalem, où il y a eu une cinquantaine de morts, pour apprécier l'inanité de ce que disent les Israéliens à ce sujet. Quand on prive un peuple de tout moyen d'expression, quand on l'accule au désespoir, ce peuple commet des actes de désespoir. Ce n'est qu'en discutant sur des bases claires, celles d'ailleurs que les Saoudiens ont encore proposées récemment, qu'on pourra progressivement revenir à une situation plus normale. C'est absurde de dire il faut arrêter le terrorisme pour négocier, en réalité c'est en négociant qu'on pourra, probablement, arrêter le terrorisme, ce qui est souhaitable, bien sûr. C'est en ouvrant des perspectives politiques aux Palestiniens qu'on pourra les amener à ne pas recourir aux moyens les plus extrêmes.
Pour une personne de mon âge, nous avons une expérience, celle de l'occupation allemande. Nous savons que la tragédie des temps peut nous amener à des solutions douloureuses. Le problème n'est pas d'arrêter les actions terroristes. Le problème est de négocier sur des bases très claires, pour que la violence s'apaise. Il faut vraiment être extrêmement borné, comme parfois certains dirigeants américains, pour croire qu'on pourra arrêter le terrorisme si on n'engage pas précisément des négociations politiques. C'est le fond de la politique française. C'est satisfaisant pour les Français de savoir que les responsables sont conscients de cette situation. Bien sûr, plus on tarde, plus ça sera difficile. Il aurait certainement été plus facile de négocier il y a deux ans que maintenant.
En élisant Sharon, les Israéliens ont pris devant l'Histoire une responsabilité très grave. Il faut aussi que les peuples sachent prendre leurs problèmes en main. Quand la France menait une guerre coloniale en Algérie, elle a eu la chance d'avoir un chef responsable, De Gaulle, qui, progressivement a mis entre les mains des citoyens les clés pour la fin de cette guerre coloniale. Il faut espérer qu'un jour, un dirigeant israélien aura le courage de dire un certain nombre de choses et de renouer le dialogue avec les Palestiniens.
                                            
7. Parution du rapport annuel américain sur les “foyers de terrorisme” mondiaux - Toujours la même vision manichéenne : “Qui n’est pas avec nous est terroriste... et, donc, contre nous” ! par Subhi Hadidi
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 24 mai 2002
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Le rapport annuel sur le terrorisme et les organisations terroristes dans le monde, publié il y a quelques jours par le secrétariat d’Etat, n’apporte strictement rien de nouveau à la teneur générale des rapports précédents. Au point de donner l’impression que les spécialistes américains ès-terrorisme/terroristes n’ont rien retenu des sanglantes leçons dont l’année 2001 n’a pourtant pas été avare, tant aux Etats-Unis qu’un peu partout dans le monde. De plus, sans entrer dans les détails “techniques” et les informations sur l’ampleur et le rayon d’action ainsi que sur le sources de financement de telle ou telle de ces organisations répertoriées et classées par les services américains dans la catégorie “terroristes”, le rapport de cette année semble être en recul en comparaison avec les conclusions auxquelles le secrétariat d’Etat avait apparemment abouti, sur le même sujet, à l’époque de Madeleine Albright.
La teneur du rapport, cette année, l’essence de sa philosophie explicative et analytique, se résument en la phrase célèbre prononcée par le président américain George Bush fils, après les attentats du 11 septembre dernier : “Toutes les nations, dans toutes les régions du monde, doivent décider maintenant : soit vous êtes avec nous, soit vous êtes dans le camp des terroristes”. C’est donc cette même vision manichéenne, divisant le monde en “bons” et en “mauvais”, entre “opposants au terrorisme” et “suppôts du terrorisme”, “preux chevalier rangés derrière la bannière des Etats-Unis” et “vil félon stipendié agissant nécessairement contre eux”, dans la mêlée du combat contre le Mal ou (c’est la même chose, vue de l’autre côté) du combat contre le Bien. Car les frontières sont devenues très claires, qu’on le veuille ou non (entre le “camp du bien” et le “camp du mal”) : “aucune nation ne peut se payer le luxe d’observer la lutte de l’extérieur, car il n’y a plus d’extérieur, désormais”, a affirmé le secrétaire d’Etat Colin Powell, dans la préface du même rapport.
Le fait est que les calamités du 11 septembre n’ont rien changé à la philosophie générale entourant la question extrêmement complexe du terrorisme, les définitions, les mesures, les protocoles de dissuasion et de défense qui y sont associés. Cela, pour autant que ces questions de terrorisme n’aient pas encore empiré dans les faits. Au temps d’Albright, l’Amérique était confrontée à une “trentaine d’organisations terroristes internationales”, les plus violentes et les plus dangereuses pour les intérêts des Etats-Unis et de leurs alliés, ainsi que pour la sécurité et la stabilité internationale”, de même que pour... et pour... etc. Aujourd’hui, nous en avons trente-trois : on voit donc que leur nombre, loin de diminuer ou de stagner, a augmenté ! Le monde musulman est plus “favorisé” que les autres, naturellement : il a affaire à 23 organisations terroristes, soit plus que la moitié de toutes les organisations terroristes sévissant dans le monde ! Et, à l’intérieur du monde musulman, les Arabes sont particulièrement “bien servis” : 14 organisations terroristes y opèrent, à comparer aux 13 de l’année précédente. Allez-vous deviner quel est le nouvel “hôte” des Arabes ? Il s’agit ni plus ni moins que de l’organisation Al-Qa’ida... Oui, vous avez bien lu : Al-Qa’ida, laquelle fait d’ailleurs son entrée - grande première - dans le rapport annuel sur le terrorisme rédigé par le secrétariat d’Etat !!!
Les Palestiniens battent tous les records en ce qui concerne le palmarès des organisations terroristes pour un même peuple : organisation d’Abu Nidal, Milices des Martyrs d’Al-Aqsa, Hamas, Jihad islamique, Front de libération de la Palestine (Abu al-Abbas), Front populaire, Front populaire - Commandement général... Et comme il est connu que lorsqu’on parle de l’agneau, le loup n’est pas loin, Israël, par contraste, doit se contenter d’une seule organisation terroriste, “Kahana Hayy” (= “Kahana est vivant”), que le rapport considère terroriste en vertu du rapport du gouvernement israélien lui-même, sur le même sujet, pour l’année 1994, où cette organisation avait fait son entrée après qu’elle eût approuvé le massacre perpétré par Barukh Goldstein à la mosquée d’Hébron (al-Haram al-Ibrahîmî).
En ce qui concerne la définition du terrorisme, il ne semble pas que les attentats cataclysmiques du 11 septembre aient apporté quoi que ce soit de nouveau aux définitions anciennes utilisées dans la loi sur la lutte contre le terrorisme, signée par le président Bill Clinton en 1996. Voici ce que dit cette loi, en matière de définition du terrorisme :
- l’expression “le terrorisme” s’applique à la violence délibérée et préméditée, motivée par des motifs politiques, contre des cibles “non combattantes”, exercée par des organisations locales ou quasi-locales, ou au moyens d’agents secrets, cela, afin d’exercer une influence sur l’opinion publique.
- l’expression “ le terrorisme international” désigne le terrorisme qui frappe des citoyens ou des territoires dans plusieurs pays, en tout cas dans plus d’un pays.
- l’expression “groupe terroriste” désigne qu’un groupe principal ou secondaire exerce une action terroriste à l’échelle locale et à l’échelle mondiale, en même temps.
Comme on le voit, non seulement cette terminologie est tout-à-fait déficiente et grotesque, mais elle est de plus hautement susceptible de se retourner contre ses inventeurs en les condamnant pour les mêmes chefs d’inculpation sous lesquels eux-mêmes condamnent les autres. En effet, sur la base des attendus de ces définitions, il sera loisible, pour tout un chacun, d’ajouter à la liste des trente-trois organisations recensées par le rapport étatsunien tous les services d’espionnage occidentaux qui ont perpétré par le passé des dizaines d’assassinats individuels et organisé des coups d’Etat militaires, ainsi qu’oeuvré à la déstabilisation de la situation intérieure de moult Etats et nations. Il sera aussi, dès lors, légitime, et amusant, de placer au sommet de la liste l’agence américaine de renseignement, la CIA, en personne, en sa qualité de “Mère (incontestée) de toutes les nobles Officines”. Sans doute la suivraient ensuite dignement le Mossad israélien, connu pour sa noblesse de sentiments et la délicatesse de ses opérations, puis le MI5 britannique, la DST française, et autres acronymes hautement civilisés et à la réputation planétaire aucunement usurpée.
Le journaliste américain Jeff Stein, spécialisé dans la dénonciation des coups tordus des agences américaines de renseignement, pourrait fournir à l’humanité de nouveaux sujets d’étude, toujours passionnants, autour de la nature terroriste de la CIA, ce vieux creuset américain en matière d’espionnage, de complots, de réalisation de coups d’Etat et d’assassinats politiques, à la cheville duquel nul autre ne peut prétendre atteindre. Stein avait déjà levé le voile sur l’histoire de Milard Shirley, bras armé de la CIA en Afrique du Sud et d’une manière générale dans les pays d’Afrique, pendant des décennies. Ce Milard est mort en Suisse d’un accident de la route, mais il a été pour ainsi dire ressuscité dans le feu de la polémique autour des méthodes expéditives autorisées par l’Agence (et aussi, en l’occurrence, par le Pentagone), afin de mener à bien différentes missions politiques et d’espionnage.
Parmi toutes ces méthodes, Milard avait pris l’habitude d’instiller en toute discrétion quelques gouttes d’acide cyanhydrique dans le cocktail de ses victimes, ce qui provoquait (allez savoir pourquoi ?) chez elles des crises cardiaques fulgurantes, en conséquence de quoi les médecins (!?) avaient tendance à attribuer leur décès fulgurant à des causes naturelles. Mentionnons, au passage, qu’il s’agit là d’une des multiples “prescription” (“recettes”) figurant au programme officiel des étudiants de l’”Ecole des deux Amériques” sise à Fort Bening (Géorgie), gérée par le ministère américain de la Défense et chargée de former et d’entraîner les officiers stagiaires venus des pays d’Amérique latine.
Une autre “prescription” consiste à mettre certaines substances chimiques particulières dans les pots à eau. Milard avait recours à cet expédient lorsqu’il s’agissait de “mener rondement” certaines négociations (avec des organisations syndicales, par exemple), lorsqu’il fallait épuiser l’adversaire de manière à le contraindre à signer n’importe quoi... pour des raisons physiologiques impérieuses ! Une troisième méthode consistait à se mêler aux manifestations des Noirs et à distribuer gratuitement le plus grand nombre possible de tee-shirts portant le logo et le slogan de l’”African Congress”, ou des slogans et des caricatures fustigeant l’apartheid. Avant sa généreuse distribution, Milard avait pris soin de faire tremper les tee-shirts dans une solution spéciale provoquant d’insupportables démangeaisons, voire même des inflammations et des ulcérations de la peau quasi-immédiates.
L’une des plus grandes réalisations de toute l’histoire de l’humanité fut sans doute la patience et la minutie mises en oeuvre afin d’observer les moindres mouvements de Nelson Mandela à l’époque où il agissait dans la clandestinité, jusqu’à ce que l’occasion propice se présentât et que Milard conduisît en personne les agents de la sécurité du régime jusqu’au QG secret de Nelson Mandela, où ils procédèrent à son arrestation. Autrement dit, au cas peu probable où les dirigeants du Congrès National Africain - Nelson Mandela, à leur tête - auraient tout oublié de leur douloureux passé, une chose est sûre : ils n’ont pas oublié ce petit détail : ce sont les agents de la CIA qui ont arrêté Mandela, et non les gouvernants racistes de Johannesburg !
De même, le groupe Abu Sayyaf pourrait demander à juste titre que l’on ajoutât les organisations Mossad, Shin Bet et Shabak à la liste (des organisations terroristes), non seulement en raison de l’assassinat de dizaines de civils palestiniens à mettre à leur “actif”, mais en raison de leur violation de la souveraineté et de la respectabilité de nombreux pays en Occident et en Orient afin d’y assassiner des ennemis (d’Israël) tels Ghassan Kanafani et Khalil al-Wazir. Le groupe japonais “Aoum Shinrikyo” pourrait porter plainte contre le plagiat pratiqué par des dizaines de sectes rédemptrices et racistes américaines, qui “pompent” allègrement sa propre philosophie rédemptrice. Et puisque diffuser des gaz mortels dans le métro de Tokyo représente pour l’administration américaine un acte terroriste, pourquoi le même principe ne s’applique-t-il pas à la manipulation de citoyens américains appartenant à la secte de la “Branche Davidique” qui ont été poussés au suicide rituel collectif, brûlés sur les bûchers sacrés et asphyxiés par les gaz mortels purificateurs ? La secte juive extrémiste Kakh ne pourrait-elle pas se comparer à l’extrémisme américain à l’origine de la destruction par attentat à l’explosif du bâtiment fédéral de l’Oklahoma ?
Nous ne disons rien de nouveau en affirmant que le discours officiel américain sur le terrorisme pointe du doigt l’extrême complexité des choses lorsqu’il s’agit de remonter aux causes profondes et essentielles de la montée du terrorisme. Mais ce même discours américain se met curieusement à apprécier au plus haut point la complexité extrême lorsqu’il est question de se protéger derrière un rempart juridique contre le terrorisme. Aujourd’hui, Colin Powell, à l’instar de Madeleine Albright hier et de tous les Secrétaires d’Etat américains qui les ont précédés, prête une oreille de glaise et une autre oreille de pâte à pain à des études (pourtant garanties cent pour cent américaines !) qui insistent sur les relations politiques, sociologiques, psychologiques et idéologiques entre la montée de la violence et sa mutation en terrorisme, démontrant unanimement que le terrorisme règne, d’une manière qui ressemble fort à une règle ne souffrant quasi aucune exception, lorsqu’un groupe en position de faiblesse se voit acculé au recours à la violence contre un groupe dominant, dans un contexte de disparité dans l’équilibre des forces. Et lorsque le groupe le plus puissant a recours à un surcroît de violence contre le groupe le plus faible, il ne fait qu’ajouter au terrorisme officiel d’Etat un caractère de répression absolue et crûment affichée.
Il y a, dans la parution du rapport du secrétariat d’Etat américain sur les “foyers de terrorisme” dans le monde, au moment où le président américain entame sa deuxième tournée européenne depuis sa prise de fonctions (et aussi la première depuis les attentats du 11 septembre et le lancement de sa “croisade anti-terroriste) plus qu’une coïncidence. Là encore, les Etats-Unis ne semblent pas avoir retenu grand-chose de la leçon (qui leur a été infligée), au point que la nouvelle tournée de Bush revêt le caractère d’un addendum à la situation ancienne, plus que celui du passage à une ère nouvelle. Ainsi, avant le 11 septembre, Bush avait annoncé les nouveaux projets en matière d’armement qu’il a l’intention de lancer prochainement, ainsi que le projet du “bouclier antimissiles” et l’abandon de la “philosophie de la négociation” en matière de désarmement stratégique, laquelle s’était pourtant imposée tout au long des dernières décennies avant que la page de la guerre froide ne soit tournée. Aujourd’hui, Bush prêche la nécessité de faire face à l’”Axe du Mal”, en général, et de réunir une coalition internationale afin d’écarter du pouvoir le régime irakien, en particulier.
De son côté, le secrétaire d’Etat à la Défense, Ronald Rumsfeld, fait raisonner les tambours de la guerre contre les armes de destruction massive, et il insiste sur la nécessité pour les Etats-Unis de se préparer en toute hypothèse à pouvoir faire face à deux guerre régionales simultanées, sur deux champs d’intervention éloignés l’un de l’autre. Quant au Pentagone, il ne considère nullement, pour sa part, que la guerre froide soit terminée. C’est pourquoi son rapport stratégique publié cette année ressemble comme deux gouttes d’eau à son aîné de quatorze ans, publié en 1988, sous le règne du président George Bush père, en se fondant dans ses estimations générales sur,  au bas mot, neuf dixièmes des articles de doctrine retenus en 1945 ! Comment ce rapport ne serait-il pas “belliciste”, dans de telles conditions, puisque l’abandon de la “philosophie de la négociation”, fille de la guerre froide, ne peut que conduire à la philosophie de la course aux armements, jusqu’aux dents, contre un ennemi hypothétique hautement imaginaire, ou bien contre un ennemi existant, seul et unique (“objet de mon ressentiment” - George W. Bush), dangereux, effroyable, gigantesque et surpuissant : j’ai nommé... (tara-ta-ta) : l’Irak !!
Hier même, en Allemagne, devant le Bundestag (parlement), George Bush junior donnait l’impression de reproduire un vieux discours usé jusqu’à la corde, spécieux et déconnecté du réel ; il nous rebattait les oreilles de propos rabâchés et répétés sans cesse. Cela ne serait pas grave, n’eût été ce discours archi-connu particulièrement dangereux, aventureux et, pour tout dire... terroriste !
                                       
8. Jeune à Jénine par Christophe Ayad
in Libération du jeudi 23 mai 2002
Rim Saleh, 15 ans, palestinienne. A tenu sur son cahier d'écolière son journal du camp occupé.
Rim Saleh en 5 dates :
- 30 mars 1987 - Naissance dans le camp de réfugiés de Jénine.
- 28 septembre 2000 - Début de l'Intifada Al-Aqsa.
- 3 avril 2002 - Début de l'invasion du camp de réfugiés de Jénine.
- 6-13 avril 2002 - La maison de Rim est occupée par des soldats israéliens.
- 13 avril 2002 - Arrêt des combats, le camp est en ruines.
C'est un cahier d'écolière, recouvert de fines lignes d'une écriture régulière et sage. Rien dans la monotonie des pleins et des déliés ne vient dire le fracas de la violence et le bruit de la guerre. C'est un journal anti-intime, un compte rendu quasi météorologique de l'Intifada que Rim Saleh tient depuis des mois : tous les soirs, la jeune fille consigne les événements du jour, une chronique morbide inspirée des bulletins d'information. On y retrouve les mêmes expressions : «les forces d'occupation» pour l'armée israélienne, les «martyrs» pour les morts... Rim Saleh a 15 ans et elle sait distinguer le son d'une Kalachnikov de celui d'un M16. Elle sait que son grand-père, chassé par la guerre de 1948, possédait une maison et des champs à Kafrein, entre Magiddo et Haïfa. Elle sait qu'elle est fille et petite-fille de réfugiés palestiniens, qu'elle a grandi dans le camp de Jénine, une «sous-ville» de 15 000 habitants presque aussi peuplée que la ville elle-même, un dédale de tôle et de ciment accroché à flanc de collines. Elle sait par coeur ses ruelles boueuses l'hiver, poussiéreuses l'été. Elle sait l'ennui sans rémission de ceux qui n'attendent rien de l'avenir.
Sur les murs de sa chambre, les posters représentent des jeunes héros, armes à la main, le front ceint d'un bandeau. A la maison, Rim tourne en rond entre un père au chômage, une mère institutrice et quatre petits frères. Il y a peu de livres à la maison et elle les a tous lus. Alors, Rim, jeune fille studieuse et calme, écrit, comme on tue le temps, comme on s'adonne à un hobby morose. Machinalement, sans émotion, sans jamais utiliser la première personne. Parce que cela ne se fait pas de parler de soi, de ses désirs et de ses peines, quand on est fille de réfugiés palestiniens, qui ne s'autorise que deux souhaits dans la vie : l'indépendance pour la Palestine et le droit au retour pour sa famille. Pourquoi écrit-elle ? «Pour l'avenir», dit-elle. Un jour, la guerre est entrée dans sa maison et l'encre bleue sur le journal a laissé la place au tremblement du crayon à papier. C'était le samedi 6 avril, à 9 h 30 du matin: un grand boum dans le salon familial et, par le pan de mur détruit, des soldats israéliens ont débarqué les uns après les autres, harnachés, le visage grimé à la peinture noire.
Samedi 6 avril : «Lorsqu'ils sont entrés, nous avons tous levé les mains en l'air pour qu'ils ne tirent pas. Ils nous ont rassemblés, à vingt-quatre - les voisins, les cousins, la famille - dans une seule pièce. Ils ont fouillé la maison. Tout est cassé. Même les journaux, ils les ont jetés par terre. Certains sont nerveux et je peux voir la haine dans leurs yeux. Un soldat a craché sur nous. Il avait la peau sombre, peut-être qu'il venait du Yémen. Je ne peux pas croire qu'ils sont dans ma maison. Je ne ressens rien.»
Cela fait quatre jours que l'opération Rempart a commencé à Jénine : la plus vaste action militaire entreprise par l'armée israélienne de ces vingt dernières années. Un déluge de feu s'abat sur ce camp de réfugiés considéré comme un objectif prioritaire : de là viendraient près de la moitié des auteurs d'attentats-suicides en Israël, la «tête du serpent» selon l'état-major israélien. La ligne verte passe à moins de 10 kilomètres, juste derrière les collines couvertes d'oliviers. Malgré les années qui passent, malgré le ciment qui a remplacé les tentes en toile du début, les réfugiés n'ont jamais pu se résoudre à accepter leur exil : ces collines-là ne sont pas les leurs, ni ces oliviers. C'est là que bat le coeur du nationalisme palestinien, son «fer de lance». Pendant les premiers jours, Rim écoute la radio et retranscrit les nouvelles consciencieusement. A partir du moment où les soldats investissent sa maison, la chronique devient récit.
Dimanche 7 avril : «Un soldat a été gravement blessé dans notre maison. Il a du sang sur tout le visage et il pousse des hurlements. Les autres lui ont bandé la tête et le bras. Il pleure en appelant sa mère. J'ai peur qu'ils se vengent sur nous. Ils nous hurlent dessus en hébreu. Un des soldats est tellement en colère qu'il cogne sa tête contre le mur.»
Les combattants palestiniens se battent jusqu'à la mort. L'armée israélienne, qui pensait s'emparer du camp en quarante-huit heures, est contrainte de prendre maison après maison. L'opération antiterroriste vire à une sale guerre contre les civils. Malgré les appels de l'armée à évacuer les lieux, les habitants se terrent dans leurs maisons : peur panique de réfugiés à qui leurs aïeux ont toujours dit «ne fais pas comme moi, ne pars jamais !».
Lundi 8 avril: «Nos voisins, les Ghoul, habitent de l'autre côté de la rue. Ils ont envoyé leurs enfants chez nous parce que c'est plus sûr, mais les parents ne veulent pas quitter leur maison. Lorsqu'elle est bombardée, ils se réfugient au rez-de-chaussée. Elle est à nouveau frappée. Ils partent finalement [...]. Maintenant, ils ont une moitié de maison. Quand les hélicoptères Apache tournent dans le ciel, les enfants plaquent leurs mains sur leurs oreilles. Les soldats israéliens nous disent de ne pas avoir peur : "Ils savent où nous sommes, vous ne serez pas bombardés."»
Mardi 9 avril : «Notre voisine Hyam vient frapper à notre porte. Elle est enceinte, elle a mal et elle a peur. Les soldats lui hurlent de partir. Elle ressort dans la rue avec sa fille qui tient un morceau de chiffon blanc à la main. On leur tire dessus mais elles ne sont pas blessées. Lorsque Hyam rentre chez elle, son mari a disparu. Il a été arrêté par les Israéliens.»
Dans la maison, l'occupation se poursuit. A la lueur des bougies, Rim note dans son cahier : «Nous essayons de lire le Coran. Nous ne pouvons rien laver, alors nous mettons les mêmes vêtements tous les jours. Je ne peux pas me laver les cheveux. Les enfants doivent se tenir tranquilles, sinon les soldats leur crient dessus. Une seule personne à la fois a le droit de se déplacer dans la maison, pour aller à la cuisine ou à la salle de bains. On n'a pas le droit de s'approcher des fenêtres.»
La cohabitation forcée dure une interminable semaine. Lorsque l'armée se retire, la famille décou vre par la fenêtre de la cuisine un champ de ruines, des centaines de maisons détruites, des milliers de sans-abris. C'était la première fois que Rim voyait des soldats d'aussi près. Après coup, elle dit : «Je n'ai pas eu peur, pas un instant.» Dans son journal, elle écrit le con traire. Il y a deux ans seulement, avant le bouclage hermétique des territoires palestiniens, son père, Jamal, allait travailler tous les jours à Haïfa comme plombier. Autant dire il y a des années-lumière, sur une autre planète.
Rim est née en 1987, quelques mois avant le déclenchement de la première Intifada. Mais son Intifada à elle a débuté en septembre 2000. Comme la plupart des jeunes Palestiniens de sa génération, elle ne croit pas à la négociation ni à la coexistence : pour elle, tôt ou tard, Israël se retirera. Ses parents soutiennent le Fatah, le parti nationaliste et laïc de Yasser Arafat, mais Rim lui préfère les islamistes du Hamas ou du Jihad : «Ils n'ont pas peur de la mort.» Et elle, est-elle prête à mourir pour la Palestine ? «Bien sûr», répond la jeune fille aux yeux noirs, calme et décidée. «Mais si ce n'est pas nécessaire de mourir, j'aimerais devenir journaliste.» Et poursuivre son journal.
                                           
9. Document : Exclusif : les secrets de Camp David
in Le Nouvel Observateur du jeudi 23 mai 2002
Israël-Palestiniens. Le jour où l’espoira sombré
Pourquoi, sept ans après la signature à Washington de l’accord d’Oslo par Itzhak Rabin, Shimon Peres et Yasser Arafat, Israéliens et Palestiniens se sont-ils de nouveau retrouvés, en septembre 2000, face à face, les armes à la main, engagés dans une seconde Intifada qui a déjà fait près de 2000 morts, et dont personne aujourd’hui n’aperçoit l’issue? C’est à cette terrible question que s’efforce de répondre, après une minutieuse enquête auprès des principaux négociateurs, Charles Enderlin dans «le Rêve brisé», qui paraît cette semaine*. Nous publions ici des extraits du chapitre consacré au sommet de Camp David, en juillet 2000
Le 11 juillet 2000 commence l’un des épisodes les plus curieux du processus de paix. Le président des Etats-Unis, sa secrétaire d’Etat, son conseiller à la Sécurité nationale, le chef de la CIA, son équipe de conseillers les plus férus d’histoire du Proche-Orient vont tenter, en quelques semaines, de régler le conflit israélo-arabe. [...] A Camp David, il s’agira d’ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire de l’humanité. Pas moins. [...] Ehoud Barak a l’intention d’en finir. La veille de son départ pour les Etats-Unis, à Jérusalem, recevant quelques-uns de ses conseillers, il leur a expliqué que le sommet était la toute dernière étape des négociations. [...] Bref, il se prépare à l’échec et fixe des limites très strictes à la négociation.
D’abord, rien ne doit être conclu aussi longtemps qu’il subsistera un seul point de divergence. [...] Lui-même évitera toute rencontre en tête-à-tête avec Arafat. Il ne faudrait pas que le chef de l’OLP mette à profit le moindre écart verbal pour peser sur les pourparlers. A plusieurs reprises, à des instants critiques du sommet, ses conseillers lui proposeront de discuter directement avec Arafat. Barak refusera. Régulièrement, au cours des repas, il ignorera ouvertement le chef de l’OLP. Une attitude que les Palestiniens prendront pour une insulte et l’expression d’un refus de négocier.
Barak arrive à Camp David dans les pires circonstances pour lui. En Israël, son taux de popularité est au plus bas. Il n’a plus de majorité à la Knesset, où les motions de censure se succèdent. [...] Yasser Arafat est persuadé qu’on l’a fait venir à Camp David pour lui imposer un accord, l’obliger à faire des concessions sur Jérusalem-Est et le Harâm el-Charif [l’esplanade des Mosquées]. Or, sur ce point, il estime ne rien pouvoir céder. Quelques semaines auparavant, le roi Fahd d’Arabie Saoudite lui a rappelé que le troisième lieu saint de l’islam appartient à tous les musulmans. Et puis le chef de l’OLP considère qu’il ne peut être le premier leader arabe à ne pas obtenir la restitution de tous les territoires occupés par Israël en 1967. [...]
Mercredi 12 juillet
La première réunion sur les frontières du futur Etat palestinien commence par un bref entretien entre Madeleine Albright et les négociateurs palestiniens. [...] Les négociateurs israéliens arrivent et, très vite, les choses tournent mal. Shlomo Ben-Ami présente les demandes israéliennes. Création de blocs d’implantation en Cisjordanie regroupant de 75 à 80% des colons juifs. Définition d’arrangements spéciaux en faveur de 50000 colons supplémentaires mais pour un temps limité. Reconnaissance de la présence israélienne jusqu’à la remise aux Palestiniens de la frontière orientale – dans vingt ou trente ans seulement. Les Palestiniens s’insurgent et refusent de discuter cette proposition.
Abou Ala: «Acceptez-vous la frontière du 4 juin [comme base de discussion]? Acceptez-vous le principe de l’échange de territoires?» [...]
Shlomo Ben-Ami: «Nous verrons cela sur les cartes. Mais nous avons toujours pris pour base la ligne de 1967. Les pourcentages de territoires qui doivent être évacués [par l’armée israélienne dans le cadre de l’accord intérimaire] se trouvent en Cisjordanie, c’est-à-dire sur la base de la ligne de 1967.» [...]
Mohamed Dahlan s’énerve: «Vous êtes venus à Camp David pour torpiller la rencontre. Vous voulez, en fait, rejeter sur nous la responsabilité de l’échec des négociations. [...]»
Arafat, qui a été mis au courant du ton de la discussion, va voir Clinton en compagnie de Saëb Erekat. Arafat: «Nous avez-vous invités à Camp David pour rejeter sur nous la responsabilité de l’échec?» Et le président palestinien de critiquer violemment Ehoud Barak: «Je vous rapelle qu’il a voté contre Oslo. Il veut former en Israël un gouvernement d’union nationale avec le Likoud...» [...]
Jeudi 13 juillet
[...] Tard, à minuit trente, Yasser Arafat, accompagné par Saëb Erekat est reçu par Bill Clinton.
Clinton: «J’ai rencontré Barak et je voudrais examiner certaines idées avec vous.»
Arafat: «Que proposez-vous au sujet de Jérusalem?»
Clinton: «Monsieur le président, ce document [que la délégation américaine prépare] consignera votre position, à savoir que vous voulez que Jérusalem soit la capitale de l’Etat palestinien, et nous mentionnerons qu’Israël revendique Jérusalem comme la capitale indivisible de l’Etat d’Israël.»
Arafat: «Je ne crois pas que je pourrai accepter un document incluant ces positions. Ceci est contraire aux termes de référence du processus de paix.»
Clinton: «Cela ne vous engage pas. Vous le consulterez [le document] et vous me direz ce qui ne vous plaît pas.» [...]
A 2 heures du matin, Dahlan est appelé par Dennis Ross qui lui remet le document américain. Le colonel palestinien en prend connaissance et conseille au secrétaire d’Etat adjoint de ne pas le faire parvenir à Yasser Arafat. Ross refuse et demande que le président palestinien en soit informé.
Quelques minutes plus tard, cette seconde version du «non-papier» américain est présentée à Ehoud Barak, qui le lit rapidement et sursaute: au sujet de Jérusalem, l’article 6 alinéa 4 stipule que le secteur municipal de Jérusalem accueillera les «capitales nationales d’Israël et de l’Etat palestinien». Pour le Premier ministre, cela signifie que les nouveaux quartiers juifs de Jérusalem en seront exclus. Dennis Ross corrige à la main: «Le secteur élargi de Jérusalem accueillera, etc.» L’équipe israélienne rejette le document après l’avoir examiné. [...]
Pour Saëb Erekat, qui ne sait pas que le texte a déjà été refusé par Ehoud Barak, il ne fait pas de doute que ce document a été rédigé en collaboration avec les Israéliens. De toute manière, il est inacceptable pour Yasser Arafat. […] La discussion commence. La délégation palestinienne dans son ensemble est d’accord: il n’est pas question de considérer ce document comme une base possible pour les négociations. Arafat jette le papier par terre et donne l’ordre à Saëb Erekat de le rendre aux Américains. [...]
Vendredi 14 juillet
[...] A 15 heures, le comité de Jérusalem se réunit. Yasser Abed Rabbo dirige la délégation palestinienne. Dan Meridor, son homologue israélien, explique d’entrée de jeu que tout accord sur la Ville sainte devra être rendu public et accepté par le gouvernement d’union nationale qu’il voudrait former en Israël. Tout ce qui concerne Jérusalem peut être négocié sauf, dit-il, la question de la souveraineté. «La division de la souveraineté sur Jérusalem est une idée qui ne passera pas en Israël.»
Abed Rabbo lui expose alors la différence qu’il voit entre une ville ouverte et une ville unifiée. Deux entités souveraines peuvent accepter le principe d’une ville ouverte. «Nous n’accepterons aucune solution qui repousserait à plus tard la solution du problème de Jérusalem. Ce serait la bombe à retardement qui ferait exploser tout règlement futur.» [...]
Samedi 15 juillet
[...] Le comité de Jérusalem se réunit à 10 heures du matin. Les choses n’avancent pas. Les Israéliens font marche arrière. Dan Meridor annonce qu’il refuse le principe de deux municipalités à Jérusalem. [...]
Yasser Abed Rabbo leur répond: «Nous ne sommes pas venus ici pour discuter d’affaires municipales mais pour trouver une solution politique. Il ne s’agit pas de traiter de droits sociaux ou administratifs de base à Jérusalem mais bien de droits politiques.» La discussion s’enlise. [...]
Le comité des frontières et de la sécurité est également réuni. Shlomo Ben-Ami a présenté une carte qui scandalise les Palestiniens. Ils n’obtiendraient que 76% de la Cisjordanie alors que 10% du territoire est colorié en orange, zones où les Israéliens prétendent conserver des terrains en bail à long terme. Abou Ala sait compter: les Israéliens prétendent annexer 14% du territoire; avec ces 10% supplémentaires, il ne restera bel et bien que 76% de la Cisjordanie aux Palestiniens [en jaune sur la carte]. […] Le président des Etats-Unis, lui aussi, critique la carte. «Je réalise que cette carte est inacceptable. Il y a une ligne orange sur le Jourdain, la région de Jérusalem sous contrôle israélien atteint la vallée du Jourdain, et le secteur de l’implantation d’Ariel, à l’ouest, est très élargi...» Clinton demande à Abou Ala de commenter la carte israélienne. Le Palestinien refuse. «Les Israéliens doivent d’abord accepter le principe de l’échange de territoires. Et puis, dit-il, pour les Palestiniens, la légitimité internationale signifie un retrait israélien sur la frontière du 4 juin 1967.» Alors Bill Clinton explose. Il hurle littéralement: «Monsieur, je sais que vous voudriez que toute la carte soit en jaune. Mais ce n’est pas possible. Ici, ce n’est pas le Conseil de Sécurité. Ce n’est pas l’Assemblée générale de l’ONU. Si vous voulez faire une conférence, allez là-bas et ne me faites pas perdre mon temps. Je suis le président des Etats-Unis. Je suis prêt à faire mes bagages et à partir. Moi aussi, je risque de perdre beaucoup ici. Vous faites obstacle à la négociation. Vous n’agissez pas avec franchise. Vous ne soumettez jamais aucune contre-proposition.»
L’algarade est si violente que les délégués du comité sur Jérusalem qui se trouvent dans la pièce voisine viennent aux nouvelles. Abou Ala ne dit pas un mot. Il baisse la tête et sort. Plus tard, rencontrant Shahak et Meridor, il leur demandera: «Qu’est ce que Clinton veut de moi?» [...]
A 18 heures, les négociateurs qui ont discuté de Jérusalem font leur rapport à Clinton. [...] Clinton intervient: «Spécifiez les pouvoirs que vous pensez transférer aux Palestiniens dans le cadre d’une municipalité palestinienne.».
Gilead Sher: «Discutons du principe et non des détails. [...] Les limites municipales actuelles de Jérusalem devraient être élargies. Il y aurait donc une seconde municipalité, palestinienne celle-ci, à Abou Dis, qui pourrait se voir confier certains pouvoirs administratifs à Jérusalem-Est. Mais cette municipalité, qui serait celle d’Al-Qods, couvrirait une ville différente.»
Sandy Berger s’adresse aux Palestiniens: «Pourquoi n’accepteriez-vous pas qu’un certain nombre de juifs puissent prier sur l’esplanade [des Mosquées]?» Yasser Abed Rabbo racontera qu’il s’est senti bouleversé par la question: «Ce que vous dites est très dangereux. Nous sommes venus ici pour faire la paix, pas pour déclencher une nouvelle guerre de religions. C’est comme si je revendiquais pour les musulmans le droit d’aller prier devant le mur des Lamentations. Vous imaginez ce que seraient les conséquences?» Les Israéliens suivent l’échange en silence. Abed Rabbo interpelle Gilead Sher: «Expliquez-lui que ce qu’il dit est très dangereux. Pourquoi ne dites-vous rien?» [...]
Dimanche 16 juillet
[...] Saëb Erekat et Mohamed Dahlan font leur rapport à Arafat. Les Israéliens, disent-ils, veulent annexer 12% de la Cisjordanie et recevoir un bail de douze à trente ans sur 10% de territoires supplémentaires dans la vallée du Jourdain où ils conserveraient le contrôle de la sécurité. La frontière elle-même, sur la rivière, resterait sous la souveraineté israélienne. Les Palestiniens n’auraient pas accès à la mer Morte. Quatre blocs d’implantation seraient créés en Cisjordanie, mais soixante-trois colonies juives seraient maintenues dans l’Etat palestinien. Les limites municipales de la Jérusalem juive seraient étendues à l’est. Selon les deux négociateurs, les Israéliens n’ont rien présenté de neuf si ce n’est la proposition d’un régime spécial pour la Vieille Ville de Jérusalem. Le quartier musulman serait doté d’un statut spécial mais, ajoutent-ils, Sher et Ben-Ami ont à nouveau revendiqué pour les juifs le droit de prier sur une partie du Harâm el-Charif.
Arafat, très nerveux, annonce qu’il va parler aux Américains: «Je vais leur dire que ce n’est pas une manière de négocier!»
Dans l’après-midi, Clinton reçoit Arafat. La rencontre dure une demi-heure. Arafat: «Les Israéliens ont répété qu’ils voulaient prier sur le Harâm. C’est très dangereux. Cela m’est égal qu’ils prient, mais cela mènera à une révolution islamique. Je ne peux pas accepter cela.» Clinton: «OK! Présentez vos objections et dites non! Mais si nous ne parvenons pas à trouver une solution dans les tout prochains jours, nous repartirons tous les mains vides. Il semble que Barak, lui, a fait un pas.» [...]
La délégation palestinienne se réunit et décide de clarifier ses positions dans une lettre destinée à Clinton: «L’objectif des négociations est l’application des résolutions 242 et 338 du Conseil de Sécurité des Nations unies, c’est-à-dire le retrait d’Israël sur la ligne du 4 juin 1967. Nous sommes prêts à accepter des rectifications de frontières entre les deux pays, à condition qu’elles soient équivalentes en valeur et en importance. Pour ce qui concerne le problème des réfugiés, nous voulons le régler sur la base de la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies. A propos de Jérusalem, nous voulons que la partie orientale de la ville devienne la capitale de l’Etat palestinien. Nous sommes prêt à discuter du concept de ville ouverte entre l’est et l’ouest de Jérusalem, à tenir compte du statut du quartier juif et du mur des Lamentations, qui pourraient relever de la souveraineté israélienne. La proclamation de la fin du conflit n’interviendra qu’après la mise en place du mécanisme d’application de l’accord sur le statut permanent. Les arrangements de sécurité ne peuvent pas se faire sur le compte [exclusif] des Palestiniens. [...]»
Lundi 17 juillet
[...] A 13 heures, la délégation israélienne se réunit pour tenir une discussion qui durera jusqu’à 6 heures du matin. Tout le monde est là, y compris l’assistant de la délégation, Gidi Grinstein. Tous ont l’impression de travailler pour l’histoire. [...]
Ben-Ami: «L’accord doit prendre en compte ce que Jérusalem a de mythique pour les Palestiniens. Quelque chose qu’il est impossible de mesurer. La réussite en dépend. Il faut affronter la question de Jérusalem. Il faut nous débarrasser des slogans du genre: "Peres s’apprête à diviser Jérusalem." Jérusalem a déjà été divisée. Sur le mont du Temple, il faut renforcer la situation actuelle en faisant reconnaître une souveraineté israélienne bénigne. A propos des quartiers intérieurs, il n’y aura pas d’accord s’il n’est pas fait mention de la souveraineté d’Arafat sur la Vieille Ville.»
Amnon Shahak: [...] «L’Etat d’Israël fut le fruit d’un sionisme pragmatique qui était prêt à faire des compromis importants. Nous ne saurions renoncer à la souveraineté du mont du Temple. C’est le cœur de la culture juive, que nous le contrôlions ou pas. La souveraineté au sens profond du terme doit donc nous revenir. Nous ne pouvons pas donner le Temple à Arafat. Mais sans Jérusalem, sans quelque chose dans la Vieille Ville [pour les Palestiniens], il n’y aura pas d’accord. Il faut trouver le moyen de reconnaître aux Palestiniens un espace plus ou moins grand dans le quartier musulman de Jérusalem. Là, ils pourront bénéficier du type de statut dont disposent les églises et les ambassades. [...] Il n’est pas certain que cela les satisfera. Il est possible que même en s’y prenant comme cela, on ne trouve pas de solution pour Jérusalem. Et nous reviendrons alors au point de départ.» [...]
Ehoud Barak: [...] «Le moment est historique, et nous ne saurions nous y soustraire [...]. Je ne connais pas un Premier ministre qui accepterait de signer le transfert de la souveraineté sur le premier et sur le second Temple [le mont du Temple], qui est la base du sionisme. [...] Une souveraineté palestinienne sur la Vieille Ville serait aussi dure [à supporter] qu’un deuil. Sans séparation d’avec les Palestiniens, sans fin du conflit, nous plongeons dans la tragédie. [...] Sur certains sujets, nous sommes disposés au refus, prêts à affronter le monde, comme Ben Gourion qui proclama en son temps Jérusalem capitale de l’Etat juif – ce que la communauté internationale n’a jamais accepté. [...]»
Mercredi 19 juillet
[...] 10 heures. C’est la première de six rencontres orageuses entre Clinton et Arafat. Le président américain a décidé de faire monter la pression sur le leader palestinien: «Je suis très déçu. Vous allez perdre mon amitié. Vous allez ruiner pour vingt ans l’occasion de conclure un accord. Barak va former un gouvernement d’union nationale. Vous me faites perdre huit ans d’efforts...»
Arafat: «Je ne peux pas conclure d’accord sans Jérusalem. Je ne trahirai pas Jérusalem [...]. Les propositions que vous me soumettez, je les ai reçues de Barak par l’intermédiaire de Dahlan. Je ne trahirai ni les chrétiens, ni les Palestiniens. Je ne suis pas responsable de l’échec. J’avais demandé que ce sommet soit mieux préparé, et qu’on évite de refaire ce qui s’était passé avec Assad à Genève, mais vous ne m’avez pas écouté. J’avais proposé que des forces internationales soient déployées [dans la vallée du Jourdain] et vous êtes venu me réclamer 20% du territoire frontalier...»
Clinton évoque la chute du gouvernement Barak et la formation d’un cabinet d’union nationale avec la droite israélienne, ce qui signifierait l’arrêt du processus de paix.
Arafat: «Que puis-je y faire? S’il le faut, j’attendrai vingt ans encore. Je vous demande de poursuivre les négociations. Et si votre proposition est la dernière, je consulterai la direction palestinienne pour lui dire: voici ce qu’on nous offre. A vous de décider.» [...]
Lundi 24 juillet
[...] A 21 heures, Bill Clinton reçoit Yasser Arafat. Madeleine Albright, Sandy Berger, George Tenet et Robert Malley assistent à la scène. Yasser Arafat est accompagné par Abou Ala et Saëb Erekat.
Clinton: «Pourquoi rejetez-vous ma dernière proposition?»
Arafat: «Je ne peux pas trahir mon peuple. Voulez-vous assister à mes funérailles? Je préfère la mort plutôt que d’accepter la souveraineté israélienne sur le Harâm el-Charif [...]. Je n’entrerai pas dans l’histoire des Arabes en tant que traître. Comme je vous l’ai dit, Jérusalem sera libérée, si ce n’est pas maintenant, ce sera plus tard, dans cinq, dix, ou cent ans...»
Clinton explose: «Barak a fait tellement de concessions. Et vous n’en faites aucune! Vous auriez pu recevoir la souveraineté sur les quartiers chrétiens et musulmans de la Vieille Ville, la juridiction pleine et entière sur le Harâm el-Charif. Il s’agit d’une question politique et non religieuse. Vous avez manqué une occasion en 1948, vous en avez raté une autre en 1978, lors [du premier sommet] de Camp David. Et voilà que vous recommencez! Vous n’aurez pas d’Etat, les relations qui lient l’Amérique et les Palestiniens prendront fin. Le Congrès va voter l’arrêt de l’aide qui vous est accordée, et vous serez traités comme une organisation terroriste... Personne au Proche-Orient ne vous regardera en face. [...]»
Saëb Erekat demande à Arafat l’autorisation de répondre. Il se lance alors dans une diatribe passionnée: «Monsieur le président, cela ne vous coûte rien de nous accuser et de nous menacer. Nous n’avons pas de lobby susceptible d’influencer la situation à Washington. Nous comprenons vos alliances stratégiques, votre alliance avec Israël, qu’Israël est une partie prenante de la vie politique aux Etats-Unis. [...] Nous ne sommes pas hostiles à Israël. Nous avons reconnu Israël. Mais ce que je veux vous faire comprendre, c’est que nous sommes contre l’occupation israélienne [...]. Monsieur le président, vous êtes le leader du monde, ne menacez pas mon président, traitez-nous avec justice. Le peuple palestinien, sous la direction de Yasser Arafat, a accepté et reconnu l’Etat d’Israël qui occupe 78% de la Palestine historique. Jamais dans l’histoire des Palestiniens un leader n’a reconnu ainsi l’Etat d’Israël et accepté de fonder l’Etat sur 22% de la terre...! Or à présent vous dites qu’Arafat n’a pas fait suffisamment de concessions! [...]
Les Israéliens veulent nous arracher des concessions, tantôt pour satisfaire leur opinion publique, tantôt pour des raisons historiques, tantôt en réaction à des sondages d’opinion, parfois pour leur sécurité ou pour ménager la psychologie du peuple israélien... Je ne peux pas... Je ne peux pas négocier un jour pour les colons, le lendemain pour l’Histoire, un autre pour les généraux, pour la psychologie des juifs, ensuite pour le caractère exceptionnel du peuple juif... Je ne peux pas... Je tente de négocier la paix... [...]»
Une heure plus tard débute l’ultime séance de pourparlers de Camp David. [...] Shlomo Ben-Ami s’adresse à Saëb Erekat: [...] «Arafat fait passer la question musulmane en tête de ses priorités, avant même les intérêts nationaux palestiniens. […] Si Camp David se termine sans accord, cela signifiera l’effondrement du processus de paix, l’effondrement du camp de la paix en Israël, la chute du gouvernement Barak, et peut-être la formation d’un cabinet d’union nationale avec Sharon.»
Erekat: «Oui, c’est la raison pour laquelle nous ne devons pas parler d’un échec mais mettre en évidence ce qui a été accompli afin de ne pas détruire le camp de la paix, ni d’un côté ni de l’autre. Nous devons poursuivre les négociations...»
Mardi 25 juillet
En début de matinée, Bill Clinton réunit une dernière fois Israéliens et Palestiniens. Ehoud Barak est accompagné de Danny Yatom, Yasser Arafat de Saëb Erekat. Sandy Berger est présent. Clinton: «Je suis très mécontent car nous n’avons pas conclu d’accord. Mais je note que de très grands progrès ont été accomplis. Des deux côtés, les positions ont avancé. Je voudrais que vous poursuiviez les négociations afin de parvenir à un accord vers la mi-septembre». [...] Israéliens et Palestiniens acceptent le projet de communiqué final. Il sera lu par Bill Clinton.
Les Palestiniens préparent leurs bagages. Dans leurs chambres, les téléviseurs sont allumés. Des émissions spéciales sont consacrées à l’échec du sommet... Des sources américaines et israéliennes accusent Yasser Arafat de «n’avoir fait aucune concession» quand Ehoud Barak «jouait sa carrière politique en acceptant de diviser à nouveau Jérusalem». Saëb Erekat est furieux. Il appelle Dennis Ross au téléphone: «Que se passe-t-il? Qu’est-ce que cela signifie?» Ross: «Barak a besoin de ce coup de pouce en raison de ses difficultés intérieures en Israël.» Erekat: «Vous détruisez tout! Vous détruisez tout!» Il repose le combiné.
(*) «Le Rêve brisé. Histoire de l’échec du processus de paix au Proche-Orient, 1995-2002», par Charles Enderlin, Fayard, 370 p., 20 euros.
Correspondant de France 2 à Jérusalem depuis 1981, Charles Enderlin, 56 ans, a publié en 1991 une biographie d’Itzhak Shamir puis, en 1998, «Paix ou guerres», consacré à l’histoire des négociations secrètes entre Palestiniens et Israéliens, de 1917 à 1997, dont «le Rêve brisé» constitue la suite.
- Les Palestiniens : Yasser Arafat, président de l’Autorité palestinienne; Abou Ala (Ahmed Qorei), président du Conseil législatif; Saëb Erekat, ministre de l’Administration locale; Yasser Abed Rabbo, ministre de l’Information et de la Culture; Mohamed Dahlan, chef de la sécurité préventive à Gaza.
- Les Israéliens : Ehoud Barak, Premier ministre; Shlomo Ben-Ami, ministre des Affaires étrangères; Dan Meridor, président de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense à la Knesset; Amnon Shahak, ministre du Tourisme; Danny Yatom, conseiller d’Ehoud Barak pour la défense, ex-chef du Mossad;Gilead Sher, chef de cabinet de Barak, avocat.
- Les Américains : Bill Clinton, président des Etats-Unis; Madeleine Albright, secrétaire d’Etat; Samuel (Sandy) Berger, conseiller pour la Sécurité; George Tenet, directeur de la CIA; Dennis Ross, coordinateur du processus de paix au Proche-Orient; Robert Malley, conseiller spécial du président pour les affaires du Proche-Orient.
                                                           
10. Alors que Sharon dépèce la Cisjordanie - Palestiniens l’arme des urnes par René Backmann
in Le Nouvel Observateur du jeudi 23 mai 2002
En reconnaissant qu’il a commis des erreurs et qu’il est temps d’organiser de nouvelles élections, Yasser Arafatcherche à renforcer sa légitimité, mais aussi à placer Israël devant un fait accompli : l’internationalisation du conflit.
Une semaine après le vote par le comité central du Likoud d’une motion excluant la création d’un Etat palestinien – texte présenté par Benyamin Netanyahou mais combattu par Ariel Sharon –, le gouvernement israélien vient de mettre en œuvre, discrètement, une nouvelle réglementation de la circulation des personnes et des biens en Cisjordanie qui confirme les pires craintes des Palestiniens. Délibérément ignorée par le gouvernement israélien, l’Autorité palestinienne n’avait pas été officiellement informée, dimanche, de l’instauration de ces mesures annoncées sur le terrain à tous ceux qui se présentaient aux postes de contrôle de l’armée israélienne.
Selon cette nouvelle réglementation, destinée, selon l’armée, «à se substituer aux bouclages et aux couvre-feux», la Cisjordanie a été divisée en huit zones: Jénine, Naplouse, Tulkarem, Kalkiliya, Ramallah, Jéricho, Bethléem et Hébron. Chaque zone aura une seule entrée. Pour quitter leur zone de résidence, les Palestiniens devront disposer d’un permis spécial délivré par «l’administration civile» – c’est-à-dire l’armée israélienne – utilisable de 5 heures du matin à 19 heures et renouvelable tous les mois. Pour le transport des biens, les choses seront plus complexes encore: un camion enregistré dans une zone ne pourra pas se rendre dans une autre. Il devra déposer sa cargaison à un point de transit, sous surveillance militaire, où un autre véhicule enregistré dans la zone de destination viendra prendre livraison du chargement. «Nous assistons à la naissance des bantoustans de Palestine, constate un universitaire de Ramallah. Je ne vois pas comment l’Autorité palestinienne pourrait réussir à organiser des élections dans un territoire aussi morcelé.» La tenue d’élections municipales avant la fin de cette année et législatives en 2003 est pourtant l’un des objectifs politiques majeurs de Yasser Arafat depuis qu’il a reconnu devant le Conseil législatif palestinien, la semaine dernière, qu’il avait commis des «erreurs» et que des «réformes» devaient être entreprises pour rendre son régime plus démocratique, plus efficace et plus transparent.
Suggérée au début de l’année par Paris puis par l’Union européenne, l’organisation de nouvelles élections sous contrôle international dans les territoires autonomes palestiniens était surtout destinée à renforcer la légitimité de Yasser Arafat dans la perspective d’une reprise du processus de paix. L’idée avait été boudée par Washington et rejetée par Israël. Jérusalem, qui rêve de se débarrasser définitivement de Yasser Arafat pour le remplacer par un pouvoir plus docile – c’est-à-dire par une poignée de notables locaux –, y reste hostile. Mais Washington est disposé à la soutenir si le président palestinien, qui vient de condamner une nouvelle fois le terrorisme, accepte de rassembler ses multiples polices en une force de sécurité unifiée placée sous le commandement d’un chef «responsable», et s’il s’engage à réduire le nombre de ses ministres.
Les appels à la démocratisation et à la réforme venus d’Europe ou des Etats-Unis avaient, il est vrai, d’autant plus de chances d’être entendus qu’ils font écho à une demande pressante de la société palestinienne. Yasser Arafat l’a mesuré lors de sa tournée à Bethléem, Naplouse et Jénine: sa popularité reste grande, mais son pouvoir est discuté, et certains de ses fidèles sont haïs. «Nous attendons des mesures concrètes, dit la députée Hanane Ashraoui. La priorité est la mise à l’écart des responsables qui ont abusé de leur pouvoir.»
Ce qui complique la partie politique en cours, c’est que plusieurs des «dirigeants responsables» que Washington – et parfois Jérusalem – jugent «indispensables» au nouveau pouvoir palestinien figurent parmi les hommes dont la population palestinienne exige la mise à l’écart. C’est aussi que certains avocats des réformes qui appellent à la relève des dirigeants actuels pensent surtout à promouvoir leurs amis et leurs réseaux. Politicien roué, Yasser Arafat a fait face aux attentes de son peuple, aux suggestions des capitales arabes et aux exigences américaines avec sa ruse habituelle. En proposant d’organiser des élections sous le contrôle d’observateurs étrangers, comme en 1996, il cherche à la fois à renforcer sa légitimité en vue d’éventuelles négociations et à afficher sa bonne volonté «démocratique» tout en provoquant, de fait, l’internationalisation du conflit, à la grande fureur de Sharon, qui y est hostile.
En rappelant que le scrutin ne pourra avoir lieu tant que l’armée israélienne continuera d’occuper les territoires palestiniens, Arafat place Jérusalem dans une position difficile. A moins qu’Ariel Sharon, invoquant le reprise des attentats, ne donne suite à ses menaces et n’interdise à Yasser Arafat de rentrer en Palestine après la tournée qu’il s’apprête à entreprendre dans le monde arabe et en Europe. Le Premier ministre israélien et une partie de l’administration Bush auraient alors la voie libre pour réaliser leur projet: installer en Palestine un régime «fort» et docile, soutenu par Washington, avec lequel le gouvernement israélien pourrait reprendre les négociations sur des «bases nouvelles»…
                                                                                                                   
11. Le plan de Sharon ? Chasser les Palestiniens au-delà du Jourdain par le Pr. Martin Van Creveld
in The Telegraph (quotidien britannique Grande-Bretagne) du dimanche 28 avril 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Le Professeur Martin van Creveld, vit à Jérusalem. Il est l’auteur de l’ouvrage : L’épée et l’olivier - Une histoire critique des Forces israéliennes de défense, New York, 1998 et de The Sword and the Olive ; a Critical History of the Israel Defense Force.)
L’éminent historien israélien Martin van Creveld prédit qu’une attaque américaine contre l’Irak ou un attentat terroriste en Israël pourraient déclencher une mobilisation massive visant à débarrasser les territoires occupés de leurs deux millions d’Arabes.
Voici deux ans, moins de huit pour cent des Israéliens juifs interrogés par l’agence Gallup d’études de l’opinion publique ont répondu en se disant favorables à ce que l’on dénomme de l’euphémisme de “transfert” - et qui n’est rien d’autre que l’expulsion d’au minimum deux millions de Palestiniens au-delà du Jourdain. Ce mois-ci, le même sondage fait apparaître un chiffre de 44 pour cent.
Cette année même, à un journaliste qui demandait à Ariel Sharon s’il était en faveur d’une mesure telle que celle-là, le Premier ministre israélien lui avait répondu qu’il ne pensait pas exactement en ces termes. Un coup d’oeil à ses mémoires, toutefois, permet de vérifier qu’il n’a pas toujours été aussi regardant.
En septembre 1970, le roi Hussein de Jordanie décida d’en finir avec les Palestiniens, dans son royaume, tuant de cinq à dix mille d’entre eux. L’alors général Sharon, commandant en chef en exercice de l’armée israélienne, sur le front sud, jugea que la politique israélienne consistant à aider le souverain hachémite était une erreur ; pour lui, au contraire, ce qu’Israël aurait dû faire, c’était en profiter pour le renverser ! Il a souvent répété depuis que la Jordanie, laquelle, à ses dires, est majoritairement peuplée de Palestiniens, encore aujourd’hui, est le vrai Etat palestinien. La conclusion - à savoir que les Palestiniens devraient tous aller en vivre en Jordanie - coule de source.
Durant sa guerre d’indépendance, en 1948, Israël a chassé 650 000 Palestiniens de leurs foyers, vers les pays voisins. Si Israël voulait tenter quelque chose d’approchant aujourd’hui, cela pourrait bien déclencher une guerre régionale. De plus en plus de gens, à Jérusalem, pensent que tel est bien, pourtant, l’objectif de M. Sharon. Voilà ce qui pourrait expliquer pourquoi M. Sharon, célèbre pour son habileté à faire des projets à long terme, semble ne pas avoir de stratégie. En réalité, il nourrit depuis toujours un plan très clair : il s’agit de rien de moins que débarrasser Israël des Palestiniens.
Peu de gens, et moi le dernier, iraient jusqu’à souhaiter que de tels événements se produisent dans la réalité. Mais un tel scénario pourrait très aisément voir ses conditions réunies. M. Sharon n’aurait qu’à attendre que l’opportunité se présente - telle une offensive américaine contre l’Irak, offensive que d’aucuns, en Israël, verraient bien se produire au début de l’été. M. Sharon a dit en personne à Colin Powell, Secrétaire d’Etat, que l’Amérique ne devrait pas permettre que la situation prévalant en Israël risque de retarder cette opération...
Une insurrection en Jordanie, suivie par l’effondrement du régime du roi Abdullah II, serait aussi une opportunité intéressante - de même qu’un attentat terroriste en Israël, causant plusieurs centaines de victimes. Dussent de semblables circonstances se trouver réunies, Israël mobiliserait à la vitesse de l’éclair - aujourd’hui même, alors que ces circonstances sont loin d’être réunies, la quasi-totalité de la population israélienne (mâle et femelle) en âge de porter les armes est sur le pied de guerre...
Comme hors-d’oeuvre, les trois sous-marins ultramodernes d’Israël iraient rejoindre des positions de tir, au large des côtes. Les frontières seraient naturellement fermées, un black-out serait imposé aux informations par la censure militaire, tous les journalistes étrangers seraient consignés dans leurs hôtels et se verraient gratifiés du titre d’“invités du gouvernement à titre gracieux”. Une armada composée de douze divisions, dont onze divisions blindées, plus diverses unités territoriales adaptées à des missions d’occupation, seraient déployées : cinq face à l’Egypte, trois face à la Syrie et une face au Liban. Cela laisserait trois unités disponibles pour le “front est”, ainsi que suffisamment de forces pour mettre un tank dans chacun des villages arabes d’Israël (“de 48"), juste au cas où leur population aurait quelques lubies bizarres (comme celle de se révolter, ndt). L’expulsion des Palestiniens ne nécessiterait que quelques brigades. Celles-ci ne prendraient même pas la peine de faire sortir les gens de leurs maisons. Elles utiliseraient massivement l’artillerie lourde afin de les chasser ; les destructions de Jénine ressembleraient à un coup d’épingle, en comparaison à ce qui se passerait dans ce cas de figure...
Toute intervention venue de l’extérieur serait repoussée par l’aviation israélienne. En 1982, dernière en date de ses opérations de grande envergure, elle avait détruit 19 batteries anti-aériennes syriennes et abattu cent Mig syriens contre un seul Mirage perdu de son côté... Aujourd’hui, sa supériorité est beaucoup plus écrasante, encore, qu’elle ne l’était alors, et elle représenterait une menace tellement dissuasive qu’elle interdirait pratiquement toute attaque blindée (syrienne) sur les hauts-plateaux du Golan. Quant aux Egyptiens, ils sont séparés d’Israël par environ deux cent kilomètres d’étendues désertes. A en juger à ce qui s’était passé en juin 1967, feraient-ils montre de vouloir les traverser qu’ils seraient écrasés. Les armées jordanienne et libanaise sont, quant à elles, trop faibles pour seulement compter, et l’Irak n’est pas en position d’intervenir, puisqu’il est vrai qu’il n’a pas récupéré sa force militaire d’avant 1991 et qu’il est soumis au chantage américain. Saddam Hussein pourrait éventuellement lancer quelques-uns des trente ou quarante missiles, tout au plus, dont il dispose vraisemblablement.
Les dommages que ces missiles pourraient infliger seraient, toutefois, limités. Dût Saddam être assez fou pour recourir à des armes de destruction massive, la réponse d’Israël serait “si horrible et terrifiante” (comme l’avait déclaré jadis feu le Premier ministre Yitzhak Rabin) qu’elle “défierait l’imagination”. D’aucuns pensent que la communauté internationale ne laisserait pas procéder sans réagir à un tel nettoyage ethnique. Je n’en donnerais pas ma main à couper. Si M. Sharon décidait d’aller plus loin, le seul pays qui pourrait le stopper, c’est les Etats-Unis. Les Etats-Unis, toutefois, se considèrent en guerre avec des composantes du monde musulman qui ont apporté leur soutien à Ossama Ben Laden. L’Amérique ne verrait pas nécessairement un quelconque inconvénient à ce qu’une bonne leçon soit donné au monde - en particulier si cela peut être mené aussi rondement et brutalement que lors de la campagne guerrière de 1967 ; et d’autant plus, si cela ne devait pas interrompre le flot du pétrole trop longtemps. Les experts militaires israéliens estiment qu’une guerre de cette nature pourrait être conclue sous huitaine. Si les pays arabes n’interviennent pas, elle se terminerait avec les Palestiniens totalement chassés et une Jordanie en ruines.
S’ils intervenaient, cela ne changerait absolument rien au résultat, sauf que les principales armées arabes seraient détruites, elles aussi. Israël essuierait, bien entendu, quelques pertes, en particulier dans le nord, où la population israélienne serait soumise aux bombardements du Hizbollah (depuis le Liban, ndt). Toutefois, le nombre des victimes israéliennes serait limité et Israël serait une fois encore triomphant, comme il l’a été en 1948, en 1956, en 1967 et en 1973. Vous m’entendez, Monsieur Arafat ?