1.
Soirée de témoignages de Tamir Sorek et Noam Sheizaf "Refuzniks"
israéliens à Marseille
le dimanche 26 mai 2002 à 18h au Théâtre
Toursky
Soirée organisée par Solidaires des israéliens contre
l'occupation (SICO) et l'Union juive française pour la paix - Provence (UJFP)
avec le soutien de la Ligue des droits de l'homme et Amnesty International. À la
mi-avril 2002, 427 officiers et soldats, réservistes de l’armée israélienne,
refusant de servir dans les territoires occupés ont signé le texte qui suit
:
"Nous, officiers et soldats combattants de réserve de Tsahal, qui avons
grandi dans le berceau du sionisme et du sacrifice pour l'état d'Israël, qui
avons toujours servi en première ligne, qui avons été les premiers, en toute
mission, qu'elle soit facile ou difficile, à défendre l'état d'Israël et à le
renforcer. Nous, officiers et soldats combattants qui servons l'état d'Israël
pendant de longues semaines chaque année, malgré le prix personnel élevé que
nous avons payé. Nous qui avons été en service de réserve dans tous les
territoires et qui avons reçu des ordres et des instructions qui n'ont rien à
voir avec la sécurité de l'état, mais dont le seul objectif est la domination du
peuple palestinien. Nous qui avons vu de nos yeux le prix sanglant que
l'occupation impose aux deux parties en présence. Nous qui avons senti comment
les ordres que nous recevions détruisaient toutes les valeurs de ce pays. Nous
qui avons compris que le prix de l'occupation était la perte de l'image humaine
de Tsahal et la corruption de toute la société israélienne. Nous qui savons que
les territoires occupés ne sont pas Israël, et que toutes les colonies sont
destinées à être supprimées... Nous déclarons que nous ne continuerons pas à
combattre dans cette guerre pour la paix des colonies, que nous ne continuerons
pas à combattre au-delà de la ligne verte pour dominer, expulser, affamer et
humilier tout un peuple. Nous déclarons que nous continuerons à servir Tsahal en
toute occasion qui servira la défense de l'état d'Israël L'occupation et la
répression n'ont pas cet objectif. Et nous n'y participerons pas."
[Théâtre Toursky - 16, Passage Léo Ferré -
Marseille 3ème]
2. Rassemblement devant le Consulat
général des Etats-Unis à Marseille
le lundi 27 mai 2002 à
18h
Le Collectif pour le respect des droits du peuple palestinien
organise, à l'occasion de la visite officielle en France du Président américain
Georges W. Bush, un rassemblement de soutien au peuple palestinien et de
protestation contre à la politique de soutien américaine au criminel de guerre
Ariel Sharon. Contre la stratégie de domination du monde des Etats Unis et
contre le soutien accordé par Georges W. Bush à la politique de colonisation,
d'humilitation et de massacres du gouvernement israélien.
[Consulat général des Etats Unis - 12, boulevard Paul Peytral -
Marseille 6ème (à côté de la Préfecture) - M° Estrangin]
3. Jean Genet et les Palestiniens à
Paris
le lundi 27 mai à 20h30 au Théâtre national de la
Colline
Théâtre de la Colline organise une soirée consacrée à Jean
Genet et les Palestiniens. Cette soirée comportera une première partie consacrée
à des lectures de textes de Jean Genet par les comédiens du spectacle "Les
Paravents", actuellement mis en scène au Théâtre de la Colline par Frédéric
Fisbach : Quatre heures à Chatila, Le Captif amoureux...
La seconde partie
sera consacrée à un débat animé par Dominique Vidal, rédacteur en chef adjoint
du "Monde diplomatique" en présence de : Leïla Shahid, Déléguée générale de
Palestine en France et Albert Dichy, directeur littéraire de l'IMEC et
respnsable des archives Jean Genet.
[Théâtre de
la Colline - 15, rue Malte-Brun - Paris 20ème - M° Gambetta - Entrée libre.
Réservation obligatoire au : 01 44 62 52 00]
4. Soirées de solidarité avec la Palestine au Centre
Culturel d’Egypte à Paris
les mercredi 5, jeudi 6 et vendredi 7 juin
2002 à 18h30- Mercredi 5 juin à 18h30 : Contes de Palestine, musique
et chants de Saadi Younis Bahri
- Jeudi 6 juin à 18h30 : Une enfance à Gaza,
conférence-signature du livre d’Arlette Tadié, "Mon enfance en Palestine, ou la
colombe poignardée" qui vient de paraître aux éditions Maisonneuve et Larose
[15,00 euros / 98,39 FF - ISBN : 2706816031]
- Vendredi 7 juin à18h30 :
L’Europe pour la Palestine, projection du film de Claude Louchard et Loïc
Santerre, suivie par des témoignages
[Centre
Culturel d’Egypte - 111, boulevard Saint-Michel - Paris 5ème - RER B Luxembourg
- Tél : 01 46 33 75 67 - http://www.culture-egypte.com]
Dernière
parution
Le Vagin du scorpion, ou le
parcours d'un resistant palestinien par Hassan Sharif Jaubeh dit "Abu
Ali"
narration recueillie et traduite de l'anglais, avec préface et notes,
par Rodrigo de Zayas
aux éditions L'esprit des
péninsules
[ISBN : 2846360103 - 350 pages
- 21,34 euros / 139,98 FF]
Sous forme d'un entretien réalisé
en 1997 avec Rodrigo de Zayas, Abu Ali raconte une vie tout entière consacrée à
la lutte armée et politique qui coïncide avec quelques-unes des pages les plus
noires du Proche-Orient : "Septembre noir", guerre civile libanaise, Intifada...
Les analyses de ce grand résistant se trouvent pleinement confortées par
l'actuelle politique d'Ariel Sharon et de son gouvernement. L'ouvrage est
complété par deux brefs entretiens avec, d'une part, la compagne de l'auteur qui
évoque l'un des hauts-lieux de la résistance palestinienne, le village de
Koformalek et, d'autre part, un des principaux dirigeants de l'OLP, proche
conseiller de Yasser Arafat, qui a la particularité d'être juif.
-
Présentation du livre par Marina da Silva in Le Monde
diplomatique du mois d'octobre 2001 - Depuis 1997, Rodrigo de Zayas gardait des
heures d'enregistrement, effectuées à Ramallah, avec un résistant palestinien.
C'est la seconde Intifada et l'encerclement des Palestiniens qui le pousse à
leur donner forme, comme pour poser un acte concret de solidarité avec cette
nouvelle insurrection. « La Palestine est comme le vagin d'un scorpion »,
affirme le protagoniste de ce témoignage, Hassan Sharif Jaubeh, alias Abu Ali,
un imprimeur et militant connu, venu s'installer à Ramallah après les accords de
paix. Il a tout juste cinq ans lorsque sa famille est expulsée de Jérusalem et
que commence la Nakba. Il va consacrer toute sa vie à la lutte politique et
militaire et accompagner tous les tempos de la résistance palestinienne. Au-delà
de son propre parcours de vie - il est en Jordanie au moment de Septembre noir,
au Liban durant la guerre civile, puis vit en Italie et en France -, c'est celui
de milliers de Palestiniens qu'il donne à entendre, combattants anonymes ou
responsables politiques. Mené comme une discussion où les interlocuteurs passent
du politique au personnel, de l'analyse à l'anecdote, l'entretien fourmille
d'événements et de personnages. L'on pourrait, bien sûr, s'interroger sur
l'exhaustivité de cet exercice de mémoire, mais, outre que bon nombre de faits
sont vérifiables, l'on retiendra de cette rencontre son efficacité à donner du
relief à un trajet individuel, l'inscrivant ainsi dans le champ collectif.
Réseau
1. Discours prononcé par le Président Yasser Arafat
devant le Conseil législatif palestinien à Ramallah, le mercredi 15 mai
2002
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Frère Ahmad Qura’i Abu ‘Alâ’, président
du respecté Conseil législatif palestinien, frères et soeurs, membres éminents
du Conseil législatif, Mesdames et Messieurs,
c’est pour moi une joie et un
honneur de m’adresser à vous, en ce jour où vous tenez cette séance déterminante
de notre Conseil législatif élu, qui a assumé par le passé et continue à
assumer, parallèlement au Conseil National Palestinien, les tâches imposantes et
les responsabilités historiques qui leur ont été confiées, alors que notre
peuple palestinien résistant, patient, en sentinelle, traverse avec fermeté et
force d’âme cette étape transitoire, beaucoup trop longue, entre l’occupation et
l’indépendance, entre l’esclavage et la liberté. Notre destin, à tous, le destin
de notre génération et le destin de notre peuple, est d’endurer toutes ces
souffrances indicibles, parce que notre exigence, notre but, notre rêve, c’est
la liberté, une liberté réelle, et l’indépendance, une indépendance totale, dans
l’Etat indépendant de Palestine, dont la capitale sera la sainte ville de
Jérusalem.
Permettez-moi, chers amis députés du Conseil législatif, de vous
demander de nous remémorer en ce quinze mai, ce jour de la Nakba du peuple
palestinien, tout ce que notre peuple a enduré et ne cesse d’endurer jusqu’à ce
jour, toutes les souffrances de notre peuple, qui n’a jamais baissé les bras
devant les difficultés et les défis historiques qu’il a opposés à la volonté de
l’effacer de la carte géo-politique du Moyen-Orient. Ce peuple, qui est un
peuple de géants, défend sa terre sacrée et ses lieux saints musulmans et
chrétiens. Il écrit cette épopée historique qu’il continue à mener, en peuple
héroïque, avec toutes les forces qui luttent afin que nos enfants et nos
différentes générations puissent vivre en sécurité et en paix dans un pays libre
et indépendant, débarrassé de l’occupation et de la colonisation, de la
répression, des persécutions, des exécutions, des incarcérations qui s’abattent
sur lui d’une manière sans précédent dans l’histoire contemporaine. En effet,
notre peuple est le seul à vivre, dans le monde entier, sous occupation
étrangère.
La paix a été, est et restera notre choix stratégique. Nous ne
délaisserons jamais le choix de la paix entre nous et les Israéliens. En effet,
la paix est dans l’intérêt des deux peuples, palestinien et israélien, et toutes
les options essayées par le gouvernement israélien afin d’en finir avec le choix
de la paix, la paix des braves que j’ai signée avec mon compagnon disparu Rabin,
assassiné par ces forces extrémistes, toutes ces tentatives ont échoué et ont
démontré leur nature inepte. On le voit bien : la “solution” militaire
israélienne, en dépit de toutes les exactions de ses exécutants, en matière de
tueries, de destructions de maisons et de l’infrastructure de nos institutions
officielles, éducatives, sanitaires, sociales, sécuritaires et autres, ne change
rien, n’a rien changé et ne changera rien à notre détermination à conquérir
l’indépendance, la souveraineté, la liberté et la paix des braves signée lors de
la conférence de Madrid et confirmée par les accords conclus en vue d’une paix
juste, globale et durable, en particulier après l’adoption de l’initiative
saoudienne, présentée par le prince Abdullah, au sommet arabe de Beyrouth,
récemment, ainsi que par la réunion toute récente, à Sharm ElShaykh, entre le
président égyptien Moubarak, sa majesté le prince Abdullah Al Sa’ud, et le
président syrien Bashshâr al-Asad.
Nous n’avons jamais cessé de tendre la
main vers une paix juste, la paix des braves, la paix qui assure la sérénité, la
justice aux Palestiniens et aux Israéliens, au monde arabe, au Moyen-Orient et
au monde entier. Qu’on le sache. Cette paix, dans cette terre (= région, ndt),
la terre sainte pour tous, j’affirme en toute bonne foi et en toute
responsabilité, aujourd’hui, que les négociations que nous avons menées (pour
l’obtenir) à Camp David ont été très âpres, délicates, critiques, et qu’elles
ont abordé l’ensemble des questions fondamentales. Et malgré les efforts
louables et acharnés déployés par le président Clinton et son équipe, nous ne
sommes pas parvenus à un accord sur ces points fondamentaux. Nous avons
poursuivi, comme vous le savez, les négociations à Sharm al-Shaykh, sous le haut
patronage de son excellence le président Moubarak, ainsi qu’à Paris, le
président Chirac assistant à leur dernière session. Les progrès accomplis au
cours des négociations menées à Taba - et nous reviendrons sur la conférence de
presse qui a réuni Abu ‘Alâ’ et Shlomo Ben Ami - aurait dû être mis en
application après les élections en Israël. Vous avez tous vécu, vous avez tous
assisté, avec votre peuple et votre Autorité palestinienne, ce qui s’est passé
par la suite, et en particulier les opérations militaires israéliennes mettant
en application des plans préparés de longue date et dans le détail, tel
l’opération “Champ de Chardons”, menée contre notre peuple désarmé, et dont le
coup d’envoi a été donné après l’agression de l’Esplanade des Mosquées (al-Haram
al-Qudsiyy al-Sharîf) à Jérusalem, au cours d’une provocation ouverte contre les
fidèles en prière dans la mosquée bénie d’Al-Aqsa, et ce que cette intrusion
provocatrice a entraîné : les tirs contre les fidèles, les martyrs tués, les
blessés, parmi les nôtres.
Frère président du Conseil législatif palestinien,
frères et soeurs, député(e)s,
face à la guerre d’agression, totalement
injuste, contre notre peuple, depuis leur “Champ de Chardons” jusqu’à leur
“Guerre des Cent Jours”, leur “Géhenne”, leur “Déferlante”, leur “Arc en Ciel”,
leur “Rempart”, notre peuple, dans chaque ville, dans chaque camp de réfugiés,
dans chaque village et dans chaque hameau, a résisté à l’occupation, à
l’encerclement, aux massacres, à l’agression.
Notre population et notre
Autorité nationale ont consenti d’énormes sacrifices, durant deux années au
cours desquelles il n’est pas une ville, un village, un camp, une maison, une
cabane qui n’ait été la cible des opérations militaires israéliennes, des tanks,
des bombardiers, des barrages routiers, du bouclage des villes et villages. Les
bombes et les balles ont atteint les enfants, dans leurs écoles, les mères de
famille, elles ont détruit des maisons, ensevelissant leurs habitants.
L’histoire témoignera de ce qui a été commis dans le camp de réfugiés de Jénine
et dans la ville de Jénine, elle retiendra les crimes israéliens perpétrés
contre notre peuple, dans ce camp héroïque, ainsi qu’à Balata, à Askar, à Nur
Shams, Ayidéh, al-Fawwar, Al-Deheïshéh, Al’Am’ariyy, Qaddura et dans les autres
camps, ainsi qu’à Naplouse, y compris dans la vieille ville historique, dont les
mosquées et les églises les plus anciennes ont été détruites, à Ramallah, à
Bethleem, en particulier dans sa Basilique de la Nativité, vénérée par les
Chrétiens et les Musulmans, à Gaza, à Jabalya, à Khan Younis, à Deïr al-Balah, à
Rafah et dans son camp, à ‘Abasan, à Beït Hanun, à Tulkarem, à Qalqiliya, à
Hébron. Dans les agglomérations principales de nos différentes régions et
départements. La destruction totale de l’aéroport international de Gaza, la
destruction de nos avions, la destruction du port de Gaza, des ministères, des
bâtiments de la radio et de la télévision, la division de la bande de Gaza entre
plusieurs cantons séparés et morcelés. Le chemin vers la liberté, l’indépendance
et la dignité, chers soeurs et frères, n’a jamais été parsemé de roses et de
basilic. Non, ce chemin est jonché de résistance, de vigilance, de patience et
d’endurance, de capacité à faire face à l’agression et aux agresseurs. Les
chapitres du complot dirigé contre votre peuple et votre patrie, destiné à nous
priver de notre liberté, de notre indépendance et de notre citoyenneté, n’ont
cessé de se succéder les uns aux autres. Depuis la nuit du 29 mars dernier, nous
sommes soumis à une agression israélienne massive, recourant à tous les types
d’armements - tanks, avions de combat, missiles - et notamment des armes
prohibées par le droit de la guerre. En face, nous n’avions que la patience et
la résistance, nos villes et nos camps étant assiégés, ainsi que le siège de la
présidence, à Ramallah, et l’Eglise de la Nativité et la mosquée d’Omar à
Bethleem. Bien que le siège ait été levé de la présidence et de l’Eglise de la
Nativité, dans les conditions les plus difficiles, je tiens à vous rappeler que
l’accord avec les émissaires américains et européens, prévoyait que les forces
d’occupation lèveraient le siège, en premier, de la Basilique de la Nativité,
mais que le gouvernement israélien a poursuivi ses incursions et ses agressions
quotidiennes dans toutes les régions, sans aucunement se soucier de la
réprobation internationale croissante suscitée par ses agressions et ses crimes.
Bien loin de là, puisqu’ils sont même allés jusqu’à empêcher la venue d’une
commission internationale d’enquête chargée d’enquêter sur les crimes de l’armée
d’occupation contre nos concitoyens dans le camp de Jénine, ainsi qu’à poser des
conditions rédhibitoires afin d’empêcher la réunion d’une conférence
internationale que le président Bush appelle de ses voeux, qui aurait abouti à
la création de l’Etat palestinien indépendant. Je rappelle que le président Bush
est le premier président américain à se prononcer en ce sens.
Chères soeurs
et chers frères,
je sais que les accords conclus en ce qui concerne nos
frères à Ramallah et à Bethléem suscitent des commentaires. Ces accords visaient
à obtenir la levée des deux sièges et au retrait des forces occupantes. Mais
j’assume l’entière responsabilité de tout ce qui s’est passé, d’autant plus que
ce qui s’est traduit dans les faits résultait de propositions et de garanties
internationales, américaines, européennes, russes et onusiennes, dans les
circonstances très critiques et difficiles que vous connaissez, et que je ne
détaillerai pas ici. Je vous laisse apprécier ces développements, en toute
sincérité et avec esprit d’ouverture, en gardant à l’esprit qu’aucun parcours
n’est exempt d’erreurs, loin des sentiments et des polémiques, afin de toujours
respecter l’authenticité pour faire face aux dangers auxquels sont confrontés
tant notre peuple que notre cause, sur de multiples plans.
Frère président du
Conseil législatif palestinien, soeurs et frères membres du
Conseil,
l’agression israélienne contre notre peuple est déclarée, elle sera
permanente et croissante tant que l’occupation et la colonisation écraseront
notre terre et notre peuple. Devant cette fermeté, cet héroïsme allant jusqu’au
sacrifice suprême (que l’on pense au tout jeune Faris Awdéh, debout, seul, une
pierre à la main, face à un tank israélien), devant ce sacrifice continu de nos
populations, ce dont nous avons le plus grand besoin, c’est de réviser nos
projets et nos politiques, de redresser le tir, et de réorienter notre avancée
en direction de l’indépendance nationale, avec un dévouement total, avec
sincérité et confiance, avec détermination (“Certes, nous vous éprouverons par
quelque peur, quelque faim, quelque manque d’argent, quelque perte de richesses
ou quelque mauvaise récolte. Annonce alors (toi, Muhammad) à ceux qui sont
patients (notre) bonne nouvelle : apprends-leur à dire (cette prière), s’ils
sont frappés par une épreuve : “c’est à Dieu que nous appartenons et
(dussions-nous mourir) c’est auprès de Lui que nous retournerons”“ (adaptation
du Coran personnelle, ndt)).
A cet effet, nous avons annoncé, il y a
déjà quelque temps, et nous en renouvelons l’annonce aujourd’hui, que nous
rejetons les opérations visant les civils israéliens, comme nous rejetons ce que
subissent les civils palestiniens, comme ce qui s’est passé à Jénine, notre
Jéningrad... L’opinion publique palestinienne et arabe est parvenue à la
conclusion que ces opérations sont contre-productives, elles ne font que
retourner contre nous une majorité de la société internationale, cette société
qui a créé Israël, l’a financé, armé et protégé, lui assurant une impunité qui
suscite le débat. J’appelle votre noble assemblée à examiner cette question
grave et controversée, dans l’arène palestinienne et arabe et à nous souvenir de
la trêve d’al-Hudaïbiyyé, en mettant l’intérêt national et arabe de notre peuple
et de notre nation arabe avant toute chose, et en renforçant la solidarité
mondiale avec votre peuple et votre cause. J’incite également votre assemblée à
animer un débat national exhaustif et approfondi sur tous les problèmes
politiques importants dans le cadre de nos préoccupations nationales, arabes et
internationales, dont le centre est la pérennisation et la mobilisation de notre
lutte nationale, sous toutes ses formes, en vue de la réalisation des
aspirations de notre peuple à établir l’Etat palestinien indépendant, ayant pour
capitale Jérusalem, dans nos territoires occupés en 1967, conformément aux
décisions prises par notre Conseil National Palestinien lorsqu’il a proclamé
l’indépendance et la création de notre Etat indépendant, au cours de sa séance
historique, en 1988, à Alger.
Notre situation intérieure et notre
organisation politique, après l’agression israélienne récente, requièrent de
nous que nous procédions à une révision exhaustive ne négligeant aucun des
aspects de notre vie nationale. Vous savez que nous avons établi notre système
politique sur une base démocratique et sur des élections libres et régulières
placées sous la supervision de chefs d’Etat venus du monde entier. Nous avons
établi nos services de sécurité et les forces de la gendarmerie nationale et de
la police dans le cadre d’une connaissance préalable du caractère transitoire de
la phase des accords d’Oslo qui aurait dû s’achever en 1999, charge à nous de
réformer la construction politique, administrative et sécuritaire de notre Etat.
Mais les choses se sont déroulées de manière complètement différente après que
le gouvernement israélien eût refusé de respecter et de mettre en application
les accords, menant depuis lors cette guerre inique contre nous, contre notre
terre, contre notre peuple, contre nos lieux saints chrétiens et
musulmans.
Permettez-moi de vous proposer en toute sincérité et en tout
esprit de responsabilité l’organisation rapide d’élections à tous les niveaux
matériellement possibles - populaires ou grands électeurs - en faisant des
élections libres le moyen fondamental permettant de choisir les responsables et
les dirigeants, que ce soit au sein des instances de la société nationale ou
dans les organisations, les unions, les syndicats et les institutions
populaires, instruments fondamentaux de la construction de la société nationale.
J’insiste sur le caractère fondamental du principe de la séparation entre les
pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif, sur la préservation de l’unité
nationale et des droits de la personne. De même, en partant de mon expérience en
matière de mise en place de l’administration et de l’Autorité palestinienne, je
vous invite à réexaminer toutes les structures administratives et
ministérielles, ainsi que les services de sécurité, après qu’en sont apparues
les failles et les insuffisances, ici et là, insuffisance que l’on ne saurait
dissimuler à notre opinion publique alors même qu’elle est soumise aux affres de
l’occupation israélienne. Nous avons, tous, déployé de grands efforts dans
l’édification et l’action, nous avons sans doute commis des erreurs, et aussi
fait les choses correctement, dans tel ou tel aspect, dans telle ou telle
responsabilité. Mais nous avons toujours respecté l’honnêteté, nous avons
toujours gardé en vue les objectifs nationaux, au premier rang desquels
l’indépendance, la liberté, l’Etat palestinien autonome, ayant pour capitale
Jérusalem. (“Qu’ils entrent dans la sainte Mosquée comme s’ils y entraient pour
la première fois”). Lorsque je parle de notre territoire, j’entends par là tous
les territoires arabes occupés tels que définis à la conférence de Madrid. Je
vous
remercie.
2. Les jumelles de Madame
Klein par Israël Shamir
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
Jaffa, le jeudi 2
mai 2002 - Les jumelles, c’est bien pratique. Généralement, on s’en sert pour
examiner des objets éloignés. Mais certains s’y entendent pour les prendre à
l’envers et transformer un objet tout proche et menaçant en une petite chose
insignifiante, dans le lointain... Cette manoeuvre, relevant de l’enfantillage,
a été faite par Naomi Klein, auteur du best-seller "No Logo", dans une lettre au
quotidien de Toronto (Canada), The Globe and Mail [1]. Sous sa plume magique, le groupe de personnes
le plus puissant de toute l’Amérique du Nord, propriétaires de la quasi-totalité
des médias canadiens et américains et d’un patrimoine immobilier quasi illimité,
a été métamorphosé en une poignée de Juifs terrorisés, venus trouver refuge dans
quelque synagogue reléguée, pour y sauver leur peau. Il faut un certain temps
avant de réaliser qu’elle écrit à propos de gens que nous connaissons, et qui
vivent à l’époque où nous vivons, et non de quelque événement survenu au
Moyen-Age.
Madame Klein écrit : “La plupart des Juifs ont tellement peur
qu’ils sont prêts aujourd’hui à faire tout et n’importe quoi afin de défendre la
politique d’Israël”. La seconde partie de sa phrase est vraie. Nous savons que
la plupart des Juifs sont prêts à absolument tout pour défendre, soutenir et
faire la promotion de l’épuration ethnique en Palestine. Ils sont prêts à le
faire en permanence. Ils ont voué aux gémonies Paul Wolfowitz, le plus assoiffé
de sang de l’équipe de choc néo-libérale, parce qu’il n’était pas suffisamment
assoiffé de sang. Dans la synagogue moyenne, on considère que Sharon est
quelqu’un d’un peu trop gentil pour sa fonction, qu’il est en quelque sorte une
sorte de gauchiste de l’ombre. Mais la peur n’a rien à voir là-dedans :
aujourd’hui, les Juifs n’ont rien à craindre. Ils disent et font ce qu’ils
veulent, sans se retourner en arrière. La tradition juive interdit de maltraiter
les Goyim, mais seulement dans la mesure où ce mauvais traitement pourrait faire
ricochet et mettre en danger un juif. Apparemment, aujourd’hui, les Juifs ne se
sentent absolument pas menacés.
Il y a quelques jours, je suis allé à une
réunion de solidarité juive, à Brighton Beach, près de New York. Les Juifs y
honoraient Yvet Lieberman, un ministre israélien qui a quitté le gouvernement
Sharon en protestation contre l’approche libérale de Sharon. Ils ont claqué un
fric monstrueux, dressé des écrans géants et établi des liaisons satellites afin
de proclamer leurs sentiments de manière non-équivoque. Mais ce n’est pas la
peine d’aller dans une réunion publique : ouvrez un journal juif, depuis le
quotidien israélien Ha’Aretz jusqu’à l’hebdomadaire américain Jewish Week, et un
flot de haine absolue vous sautera en pleine gueule.
Cela n’est pas nouveau :
il y a dix ans de cela, Danni Rubinstein, journaliste libéral israélien, se
plaignait du fait que les juifs américains soutiennent invariablement les forces
nationalistes les plus extrémistes en Israël. Les Juifs américains ne font pas
exception : les Juifs d’Angleterre et de Russie passent leur temps à braire pour
réclamer du sang goy, eux aussi. Apologiste avertie, Madame Klein préfère
expliquer cet encouragement criminel et coupable au meurtre de masse par leur
“peur”...
Elle aurait fait une excellente avocate, à Nuremberg. En effet, qui
n’a pas peur ? Comme l’a écrit le Dr. Nolte, les atrocités nazies ont été
causées par la peur du communisme russe. Les atrocités des communistes ont été
causée par leur peur de l’agression impérialiste, etc. En d’autres termes, la
peur n’est pas une excuse. S’ils ont peur, ils peuvent aller consulter leur psy,
au lieu de soutenir un génocide.
Madame Klein élabore un syllogisme : les
Juifs soutiennent Sharon parce qu’ils ont peur. Donc, luttons contre
l’antisémitisme, et le problème sera résolu. Hélas, sa conclusion est aussi
faible que sa prémisse. Sharon n’utilise pas la peur des Juifs, il mobilise le
chauvinisme juif, et notamment celui de Madame Klein. Dans son livre, No Logo,
elle nous dit que son action politique a commencé avec la défense des riches
Juifs qui étaient sous-représentés dans les conseils d’administration de leurs
sociétés. Cela s’est terminé par la défense des partisans de Sharon.
Aujourd’hui, la plupart des Juifs parlent d’une seule voix, depuis la “gauche”
de Naomi Klein jusqu’à la “droite” de Barbara Amiel. Pour eux, il n’y a ni
Gauche, ni Droite. Il n’existe que les intérêts ethniques des Juifs.
Madame
Klein remue beaucoup de vent au sujet de quelques synagogues endommagées. Nous
n’avons pas entendu d’elle ni de ses amis un mot de protestation contre le siège
de l’Eglise de la Nativité à Bethléem, ni contre la destruction de l’ancestrale
Grande Mosquée de Naplouse. Pas un mot ! J’imagine ce qui se passerait si une
synagogue était assiégée et si ses occupants mouraient de faim et sous les tirs,
comme à Bethleem. Mme Klein exige de nous que nous nous occupions de synagogues.
Les synagogues sont utilisées pour collecter de l’argent pour financer
l’offensive de Sharon. C’est en général dans des synagogues que Netanyahu et
autres monstres font leurs discours à leurs fidèles. Alors que les églises et
les mosquées sont détruites par la guerre, il faudrait que les synagogues soient
en paix ? Les synagogues sont loin d’être neutres, et Mme Klein l’admet : “dans
la synagogue de mon quartier”, écrit-elle, “l’inscription, sur la porte, dit :
“Soutenez Israël... aujourd’hui plus que jamais”“.
Et voilà qu’aujourd’hui -
après le massacre de Jenine, après l’attaque contre Bethleem, après la
destruction massive de Ramallah et d’Hébron, ils veulent soutenir Israël plus
que jamais. Sans leur soutien, Sharon serait totalement incapable de commettre
ses atrocités. Sans leur soutien, Israël se rétrécirait à sa taille normale. A
mon avis, ces gens ne doivent pas être protégés, comme s’il s’agissait d’un
petit groupe minuscule de dévots. Ces gens extrêmement puissants et influents
doivent être traités avec une rigueur extrême.
Il n’y a aucun danger
d’agression raciste contre des Juifs pacifiques, et c’est bien comme ça. Le
niveau actuel de mariages mixtes et de rapports sociaux (intercommunautaires)
exclut une telle possibilité. Même Jean-Marie Le Pen a un gendre juif, Samuel
Maréchal, et il est très ami avec un Juif, Jean-Claude Martinez. Tant Maréchal
que Martinez sont des membres éminents du Front National. Mais l’état juif
extra-territorial, l’extension outre-mer d’Israël, doit être montré du doigt
comme perpétrateur d’atrocités.
-
Note : [1] De vieilles haines, alimentées par la peur par Naomi
Klein in
The Globe and Mail (quotidien canadien) du mercredi 24 avril 2002
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Naomi Klein est l’auteur de
l’ouvrage No Logo.)
J’ai su, grâce à des messages
électroniques, que quelque chose d’inédit était en train de se passer à
Washington, le week-end dernier. Une manifestation contre la Banque Mondiale et
le FMI voyait ses rangs grossis par les membres d’une marche contre la guerre,
ainsi que par ceux d’une manifestation de protestation contre l’occupation des
territoires palestiniens par Israël.
Finalement, toutes ces manifs se sont
fondues ensemble, donnant ce que les organisateurs ont pu qualifier de plus
grande manifestation de solidarité avec la Palestine de toute l’histoire des
Etats-Unis, avec quelque 75 000 participants, selon la police.
Dimanche soir,
j’ai allumé la télé dans l’espoir d’avoir un aperçu de cette protestation
historique. Mais ce que j’ai vu, c’est tout autre chose : un Jean-Marie Le Pen
triomphant, célébrant son tout nouveau statut de deuxième leader politique
français en popularité. Depuis lors, je me pose la question de savoir si la
nouvelle alliance des forces, vue dans (nos) rues, pouvait aussi quelque chose
contre cette nouvelle menace.
En tant que pourfendeuse tant de l’occupation
israélienne que de la globalisation dictée par les trusts, il me semble que la
convergence qui s’est produite le week-end dernier à Washington aurait dû se
faire il y a bien longtemps. En dépit d’étiquettes pratiques, telle
“anti-mondialisation”, les protestations contre le libéralisme, au cours des
trois années écoulées, ont, toutes, tourné autour de l’idée d’autodétermination
: le droit des gens, où que ce soit, de décider comment organiser au mieux leur
société et leur économie, que cela signifiât introduire une réforme agraire au
Brésil, ou bien produire des médicaments anti-sida génériques en Inde, ou bien,
encore, précisément, résister à une force d’occupation, comme en
Palestine.
Lorsque des centaines de militants anti-mondialisation ont
commencé à affluer à Ramallah afin d’y agir en “boucliers humains” s’interposant
entre les tanks israéliens et les civils palestiniens, la théorie qui se
développait autour des sommets du commerce mondial (GATT) était mise en
application concrète. Ramener cet enthousiasme courageux à Washington, où la
majorité des décisions politiques concernant le Moyen-Orient sont prises, était
donc l’étape logique suivante. Mais lorsque j’ai vu M. Le Pen triomphant à la
télévision, les bras tendus dans une attitude de victoire, une partie de mon
enthousiasme m’a abandonnée. Il n’y a aucune espèce de rapport entre le fascisme
français et les marcheurs pour une “Palestine libre” à Washington (en réalité,
les seules personnes que les partisans de M. Le Pen semblent haïr plus que les
Juifs, ce sont les Arabes).
Et néanmoins, je ne pouvais m’empêcher de penser
à toutes les manifestations auxquelles j’ai assisté, dans lesquelles la violence
anti-musulmane était à juste titre condamnée, Ariel Sharon à juste titre
conspué, mais où, en revanche, nulle mention n’était faite d’agressions contre
des synagogues, des cimetières et des centres communautaires juifs. Ni du fait
qu’à chaque fois où je me connecte à des sites d’information militante sur
Internet, tel Indymedia.org, qui pratique la “publication ouverte”, je me trouve
confrontée à une série de théories du complot juif à propos des attentats du 11
septembre (2001) et/ou à des extraits des Protocoles des Sages de Sion...
Le
mouvement anti-mondialisation n’est pas antisémite ; le problème est simplement
qu’il n’a pas complètement fait le tour des implications du fait de se plonger
dans le conflit moyen-oriental. La plupart des gens de gauche prennent partie
pour un camp, tout simplement, et, au Moyen-Orient, où un côté est occupé et
l’autre côté a le soutien militaire des Etats-Unis derrière soi, le choix semble
clair. Mais il est possible de critiquer Israël tout en condamnant sans aucune
faiblesse la montée de l’antisémitisme.
Et il est, de même, possible de
soutenir l’indépendance palestinienne sans adopter pour autant une dichotomie
simpliste “pro-Palestine/anti-Israël”, image renversée des équations “bien
contre mal” chères au président George W. Bush.
Pourquoi ratiociner sur de
telles subtilités, me direz-vous, alors que l’on retire encore des cadavres des
ruines de Jénine ? Parce que toute personne intéressée à combattre le fascisme à
la Le Pen ou la brutalité façon Sharon doit se confronter sans barguigner à la
réalité de l’antisémitisme. La haine des Juifs est un outil puissant aux mains
de la droite, tant en Europe qu’en Israël. Pour M. Le Pen, l’antisémitisme est
une aubaine, qui lui permet de faire monter son taux de popularité de 10 % à 17
% en une semaine.
Pour Ariel Sharon, c’est la peur d’un antisémitisme, tant
réel qu’imaginaire, qui lui sert d’arme. M. Sharon aime à répéter qu’il tient
tête aux terroristes afin de démontrer qu’il n’a pas peur. En réalité, sa
politique est toute entière dictée par la peur. Sa grande intelligence, c’est de
comprendre à la perfection la profondeur de la peur qu’ont les Juifs d’un nouvel
Holocauste. Il sait établir des parallèles entre les angoisses juives vis-à-vis
de l’antisémitisme et les peurs américaines vis-à-vis du terrorisme.
Sharon
est maître dans l’art de mobiliser toutes ces peurs au service de ses objectifs
politiques. La peur primale, et familière, sur laquelle M. Sharon élabore, c’est
la peur que les voisins d’Israël ne veuillent rejeter les Juifs à la mer. La
deuxième peur que M. Sharon manipule, c’est la peur, parmi les Juifs de la
diaspora, qu’ils pourraient être en fin de compte un jour contraints de venir
chercher refuge en Israël. Cette peur amène des millions de Juifs, dans le monde
entier - dont beaucoup sont rendus malades par l’agression israélienne - à se
taire et à envoyer leurs chèques, payant en quelque sorte des traites sur leur
futur sanctuaire-refuge.
L’équation est simple : plus les Juifs ont peur,
plus M. Sharon est puissant. Elu sur un programme de “paix au moyen de la
sécurité”, son administration pourrait difficilement dissimuler sa satisfaction
devant la montée de M. Le Pen, en s’empressant d’exhorter les Juifs de France à
faire leur valise et à venir en “terre promise”.
Pour M. Sharon, la peur chez
les Juifs est la garantie que son pouvoir pourra s’exercer sans entraves, lui
donnant l’impunité dont il a besoin pour commettre l’impensable : envoyer
l’armée à l’intérieur du ministère palestinien de l’Education afin d’y détruire
les archives ; enterrer vivants des enfants palestiniens sous les ruines de
leurs propres maisons ; empêcher les ambulances de venir secourir des blessés à
l’agonie.
Les Juifs de la diaspora sont dans une situation extrêmement
délicate, désormais. Les agissements du pays qui était censé assurer leur future
sécurité les rendent moins sûrs que jamais, aujourd’hui même. M. Sharon
s’emploie à effacer tout distinguo, délibérément, entre les mots “juif” et
“israélien”, en prétendant combattre non pas pour le territoire d’Israël, mais
pour la survie du peuple juif. Et lorsque l’antisémitisme ressurgit, au moins en
partie, à cause de ses agissements, c’est encore M. Sharon qui est en situation
d’en recueillir les dividendes politiques.
Et ça marche. Les Juifs ont
aujourd’hui tellement peur qu’ils sont prêts à faire n’importe quoi pour
défendre la politique israélienne. Ainsi de la synagogue de mon quartier, dont
la façade a juste été un peu noircie par un feu suspect. La plaque, à l’entrée,
n’énonce pas “Merci bien, Sharon”. Non. Il y est inscrit : “Soutenez Israël.
Aujourd’hui plus que jamais.”
Il y a une issue. Rien ne pourra jamais
éradiquer l’antisémitisme, mais les Juifs, tant en Israël qu’en dehors d’Israël,
pourraient être un peu plus en sécurité s’il se développait une campagne afin
d’établir la différence entre différentes prises de position des Juifs et les
agissements de l’Etat d’Israël. C’est en cela qu’un mouvement international peut
jouer un rôle crucial. D’ores et déjà, des alliances se nouent entre militants
anti-mondialisation et des “refuseniks” israéliens, ces soldats qui refusent
d’effectuer leur service obligatoire dans les territoires occupés. Et les images
les plus frappantes des manifestations de samedi dernier étaient sans doute
celles de rabbins défilant aux côtés de Palestiniens.
Mais il faut faire
plus. Il est trop facile, pour des militants pour la justice (dans le monde), de
se dire que les Juifs ont des avocats tellement puissants à Washington et à
Jérusalem, que la bataille contre l’antisémitisme ne justifie pas qu’ils la
mènent.
C’est là une erreur mortelle.
C’est précisément parce que
l’antisémitisme est utilisé par des gens comme M. Sharon qu’il faut absolument
renouveler la lutte contre lui.
Dès lors que l’antisémitisme ne sera plus
considéré comme le problème des seuls Juifs, dont seuls Israël et le lobby
sioniste doivent s’occuper, M. Sharon sera privé de son arme la plus efficace
pour son occupation indéfendable et de plus en plus brutale.
Par surcroît,
dès lors que la haine anti-juive diminue, les gens comme Jean-Marie Le Pen
perdent immédiatement leur influence.
3. Israël : Sale temps pour la liberté de
la presse
Extrait du Rapport annuel 2002 de Reporters sans
Frontières
Jeudi 2 mai 2002 - Depuis septembre 2000, 45 cas de
journalistes blessés par balles ont été recensés par Reporters sans frontières.
En décembre 2001, le ministère israélien de la Défense a rendu publiques les
conclusions de ses enquêtes. Superficielles, partielles, elles ont, dans la
majorité des cas, nié toute responsabilité de Tsahal. Les journalistes
palestiniens, qui constituent la majorité des blessés, ont rencontré des
difficultés croissantes pour circuler entre les différents territoires.
Les quinze mois de violence entre l'armée
israélienne et les Palestiniens se sont soldés par un lourd bilan : plus de
mille tués (environ 800 du côté palestinien et 200 du côté israélien). Et la fin
d'année a connu une escalade dans la violence avec les attentats suicides du
Hamas et du Djihad islamique et la riposte de Tsahal (l'armée israélienne) dans
les villes palestiniennes. Dans un tel contexte, les journalistes ont travaillé
dans des conditions difficiles. Depuis le début de la deuxième Intifada, le 29
septembre 2000, 45 cas de journalistes blessés par balles ont été recensés par
Reporters sans frontières. Certains ont été grièvement atteints. Dans la
majorité des cas, l'organisation, après une enquête sur le terrain, en a imputé
la responsabilité à l'armée israélienne et a demandé à celle-ci de diligenter
des enquêtes. A la mi-décembre 2001, soit quinze mois après les premiers
affrontements, le ministère israélien de la Défense a fait part des résultats de
ses enquêtes. Seuls neuf cas de journalistes ont été évoqués dans le document
qui a mis hors de cause Tsahal, à une seule exception. Les journalistes
palestiniens qui constituent la majorité des blessés, ont rencontré par ailleurs
des difficultés croissantes pour circuler entre les différents territoires. En
fin d'année, les autorités israéliennes ont envisagé de ne pas renouveler les
cartes de presse des correspondants palestiniens de la presse étrangère. Dans le
même temps, Tel-Aviv rendait public le projet de création d'une télévision en
arabe pour contrer la "propagande" des médias arabes et particulièrement
palestiniens. Au fil des mois, une partie de la presse israélienne, pourtant
connue pour son professionnalisme et son indépendance, s'est parfois faite le
porte-parole de l'armée, en reprenant à son compte le vocabulaire utilisé par
Tsahal.
Huit journalistes blessés par balles Le 9 février 2001, Laurent van
der Stockt, photographe de l'agence Gamma, couvre en compagnie d'un confrère de
Reuters, des manifestations de jeunes Palestiniens à Ramallah. Le photographe se
trouve à une cinquantaine de mètres des soldats israéliens lorsqu'une balle
réelle le frappe au genou. La manifestation avait commencé après la prière du
vendredi. Les jeunes Palestiniens s'étaient dirigés vers un barrage israélien
près d'une colonie juive. Ils ont jeté des pierres sur les militaires, qui ont
riposté avec des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes. Le photographe a
été transporté dans un hôpital de Jérusalem puis rapatrié en France. Alité
pendant trois mois, le journaliste conserve de graves séquelles. Le même jour,
au même endroit, Rebhi Ahmad Mohammed al-Kobari, cameraman palestinien
travaillant pour la chaîne de télévision palestinienne al-Sharq à Ramallah, est
blessé au genou gauche par des éclats de balle après que l'armée israélienne a
ouvert le feu sur des manifestants. Le journaliste portait, outre sa caméra, un
casque clairement marqué "TV". Le 23 mars, Ahmed Zaki, journaliste palestinien,
correspondant de la chaîne Oman Satellite Television, est touché au genou par un
projectile indéterminé alors qu'il couvre des affrontements à l'entrée de
Ramallah. Le 14 avril, Zakaria Abu Harbeid, journaliste de l'agence de presse
locale Ramatan, est blessé à Khan Younis (dans la bande de Gaza) alors qu'il
prenait des photos de soldats israéliens tirant sur des Palestiniens. Atteint à
la main gauche, il a dû être hospitalisé pendant plusieurs jours. Le 20 avril,
Laïla Odeh, correspondante de la chaîne de télévision émiratie Abou Dhabi TV à
Jérusalem, interviewe, dans la région de Rafah, des personnes dont les maisons
ont été détruites par des raids israéliens dans la bande de Gaza, quelques jours
auparavant. Au moment où la journaliste et son équipe s'apprêtent à quitter les
lieux, des soldats israéliens tirent dans leur direction. Touchée par une balle
réelle à la cuisse, Laïla Odeh est rapidement conduite à l'hôpital de Rafah puis
transférée à l'hôpital Al Shifa, à Gaza. Selon la journaliste, les soldats l'ont
visée délibérément. Dans le rapport rendu public le 18 décembre par l'armée
israélienne, il est indiqué qu'une "enquête-action" complémentaire pourrait être
décidée si nécessaire. Le 15 mai, Bertrand Aguirre, correspondant de la chaîne
de télévision française TF1, est blessé alors qu'il couvre des affrontements
entre l'armée israélienne et des manifestants palestiniens à Ramallah. Une balle
frappe le gilet pare-balles du journaliste, provoquant un hématome. Le
journaliste est transporté à l'hôpital de Ramallah pour y être examiné. "Je ne
peux pas dire si le garde-frontière qui a ouvert le feu me visait en tant que
journaliste, ni même s'il me visait personnellement. Ce qui est clair, en
revanche, c'est qu'il a ouvert le feu à courte distance, à balles réelles,
tirant à hauteur d'homme, alors qu'en aucun cas sa sécurité n'était mise en
danger", a précisé le journaliste à Reporters sans frontières. En septembre, le
journaliste est informé que l'enquête est close. Pour justifier cette décision,
Eran Shangar, directeur du bureau des affaires internes à la police, explique :
"Après avoir examiné les éléments du dossier, j'ai décidé de ne pas traduire en
justice le policier, faute de preuves suffisantes". Pourtant, trois équipes de
télévision différentes ont filmé simultanément la scène. On y voit clairement un
garde-frontière israélien descendre de son véhicule, ajuster calmement son arme
et, cigarette à la bouche, ouvrir le feu à balles réelles, à hauteur d'homme, à
une distance d'environ 100 mètres. Le 15 juin, un journaliste japonais
indépendant est légèrement blessé à la main par un éclat suite à des tirs de
soldats israéliens lors d'affrontements survenus à l'entrée de Ramallah. Le 6
juillet, Lu'ay Abu-Haikal est touché par une balle métallique enveloppée de
caoutchouc alors qu'il couvrait des affrontements entre troupes israéliennes et
manifestants palestiniens à Hébron. Il est soigné à l'hôpital d'Hébron.
Six journalistes interpellés Le 24 avril 2001, à
Naplouse (en Cisjordanie), quatre journalistes de la chaîne de télévision
publique palestinienne Palestinian Broadcasting Corporation (PBC), Ruba
Al-Najar, journaliste, Jaghoub Jaghoub, cameraman, Bilal Aburish, assistant de
production et Samir Abid Rabbo, ingénieur du son, sont arrêtés par des soldats
israéliens alors qu'ils sont en reportage. Un officier de l'armée leur reproche
d'avoir filmé des véhicules et des positions militaires israéliennes. Après
avoir conduit les journalistes dans la colonie de Karne Shermon, des soldats
leur bandent les yeux ainsi qu'à leur chauffeur, Hussein Al Gharnaoui, puis les
interrogent. Les militaires les fouillent et visionnent les cassettes vidéo de
l'équipe. Au terme de huit heures de détention, Ruba Al-Najar, Jaghoub Jaghoub,
Bilal Aburish et Samir Abid Rabbo sont relâchés alors que leur chauffeur demeure
détenu sous prétexte qu'il serait impliqué dans des "activités hostiles". Le 29
juillet, lors d'affrontements sur l'esplanade des mosquées, Ahmed Husseini Siam,
qui travaille pour CBS, est interpellé par la police qui lui confisque une
cassette vidéo. Le 30 octobre, Maurizio Giuliano, journaliste free-lance,
traverse le pont Allenby entre la Jordanie et les Territoires occupés. Il est
interpellé au barrage israélien où il est malmené par un policier. Il est
ensuite également retenu quelques heures du côté jordanien. Quatorze
journalistes agressés Le 10 mars 2001, Hossam Abou Alan, photographe de l'Agence
France-Presse, Mazen Dana, cameraman de l'agence Reuters, et Nael Shiyoukhi,
preneur de son pour cette dernière agence, couvrent le carnaval juif à Hébron
lorsqu'ils sont pris à partie par des colons juifs. Le 29 juillet, au moment des
affrontements sur l'esplanade des Mosquées, neuf journalistes, Nasser Atta (ABC
News), Rachid Safadi (Al Jazira), Atta Awassat (Yedihot Aharonot), Fatem Awalan
(Nile TV), Gevara Bouderi (Al Jazira), Mahfuz Abu Turk (free-lance travaillant
pour Reuters notamment), Muna Qawasmi (Al Ayyam), Amar Awad (Reuters) et Nasser
Abdel Jawad (cameraman), se retrouvent face à plusieurs centaines de policiers
après que les manifestants ont fui ou se sont réfugiés dans la mosquée. Les
policiers, qui envisageaient de donner l'assaut, ont pris à partie les
journalistes. Ceux-ci ont été matraqués. Atta Awassat est frappé à coups de
crosse. Le 13 août, Tarek Abdel Jaber et Abdel Nasser Abdoun, respectivement
journaliste et cameraman pour la télévision d'Etat égyptienne, sont attaqués par
un soldat israélien au barrage de Qalandia, entre Jérusalem et Ramallah. Le
soldat frappe Abdel Nasser Abdoun au visage puis à l'aine, le faisant tomber à
terre. Selon les deux journalistes, les autres soldats israéliens n'ont rien
fait pour empêcher cette agression. Abdel Nasser Abdoun est conduit à l'hôpital
Makased de Jérusalem d'où il ressort trois heures plus tard. Le soldat israélien
responsable a été condamné à vingt et un jours de prison et interdit de
commandement. Pressions et entraves Le 8 mars 2001, dans la bande de Gaza,
Christine Hauser, Ahmed Bahadou et Suhaib Salem, journalistes de Reuters, sont
victimes de tirs d'avertissement de la part de soldats de Tsahal. Les soldats
tirent en direction des trois journalistes qui souhaitaient prendre des photos
et filmer un dispositif militaire israélien, à Netzarim. Les reporters,
clairement identifiables grâce à leur matériel, doivent se coucher à terre. Les
militaires leur demandent de quitter l'endroit, puis l'un d'eux vient leur dire
qu'ils ne sont pas autorisés à être dans ce lieu. Le porte-parole de l'armée
israélienne, Olivier Rafowicz, a ensuite déclaré qu' "en raison d'une situation
très tendue à Gaza, les civils n'étaient pas autorisés à s'approcher des postes
des forces de défense israéliennes". "L'armée a seulement effectué des tirs
d'avertissement. L'équipe de Reuters n'avait pas informé l'armée de sa présence
dans cette zone", a-t-il ajouté. Début mai, le chef du département de
l'Education de l'armée, le général Eliezer Stern, a ordonné la suspension pour
plusieurs semaines de l'hebdomadaire de l'armée israélienne BeMahaneh. Selon un
porte-parole de l'armée, "des articles parus dans le journal (daté du 4 mai
2001) ne correspondaient pas aux normes de l'armée". Un article publié dans ce
numéro dressait le portrait d'un colonel de réserve homosexuel. Le 1er août, une
équipe de journalistes palestiniens est bloquée plusieurs heures à un barrage à
l'entrée de Naplouse. Le lendemain, une équipe de ANN (Arab News Network) est à
son tour retenue durant deux heures au même barrage. Mohamad Al-Sayed,
journaliste, Ahmed Al-Asi, cameraman et leur chauffeur sont insultés après que
Mohamad Al-Sayed (arabe israélien) eut refusé de servir d'interprète aux
militaires israéliens. Le 5 octobre, le véhicule blindé d'Elizabeth Dalziel de
Associated Press est touché par des balles lors d'un échange de tirs entre
soldats israéliens et Palestiniens, à Hébron. Une première balle frappe le
pare-brise du véhicule qui porte les insignes distinctifs des médias : "TV" et
"Press". Alors que la journaliste tente de fuir, au moins cinq autres balles
atteignent la voiture, dont une crève un pneu. La photographe a déclaré n'avoir
pas vu qui avait ouvert le feu mais a estimé que les tirs provenaient des
positions israéliennes. La scène s'est déroulée dans le quartier de Abou
Sneineh, l'un des deux secteurs de Hébron où l'armée israélienne a fait une
incursion, le même jour, tuant cinq Palestiniens. L'armée israélienne a annoncé,
le 6 octobre, enquêter sur l'origine des tirs. Début 2002, les résultats de
l'enquête n'ont toujours pas été rendus publics. A l'automne, Ziad Abou Ziad,
député à l'Assemblée législative palestinienne et directeur de publication du
magazine Palestine - Israël Journal (rédigé en commun par des Israéliens et des
Palestiniens), est interdit d'accès à Jérusalem où se trouve le siège de son
journal. "Certains semblent craindre plus que tout le dialogue entre nos deux
peuples", note le journaliste pour expliquer cette interdiction. Le 18 novembre,
une équipe de journalistes de la télévision libanaise Al-Manar appartenant au
mouvement chiite du Hezbollah est victime de tirs de la part de soldats
israéliens, près du village frontalier de Kfarchouba. Selon le Hezbollah, un
journaliste asiatique et plusieurs journalistes européens étaient présents et
auraient également essuyé des tirs. Les soldats israéliens ont ouvert le feu sur
les journalistes en les visant entre les pieds. Le 13 décembre, l'armée
israélienne démolit le centre de transmission de la télévision et de la radio
palestiniennes à Ramallah dont elle a dynamité la principale antenne de
diffusion. Le 12 décembre au soir, la télévision et la radio palestiniennes
n'émettaient déjà plus suite à des bombardements. Ces médias officiels ont été
alors obligés d'utiliser les antennes des radios et télévisions privées pour
pouvoir diffuser leurs programmes. Le 18 décembre, l'Office de presse du
gouvernement israélien (GPO) fait part de son projet de ne pas renouveler les
cartes de presse des journalistes palestiniens travaillant pour des médias
étrangers. On leur octroierait à la place une carte orange "spécial assistant"
qui ne serait valide que pour les territoires et ne leur donnerait pas un accès
automatique à Israël. Les autorités israéliennes ont justifié cette mesure en
déclarant que les journalistes palestiniens "disséminent de la propagande et ne
répondent pas aux standards journalistiques pour une couverture équilibrée".
Selon le GPO, cinq à six cents journalistes palestiniens détiennent actuellement
une carte de presse.
4. Le grand réformateur par Uri
Avnery
[traduit de l'anglais par R. Massuard et
S. de Wangen]
Samedi 18 mai 2002 - Quand les habitants
de Bethléem sont sortis de leurs maisons, après les longues semaines au cours
desquelles les soldats israéliens tiraient sur tout ce qui bougeait en ville,
ils ont découvert que le paysage avait changé. Pendant qu’ils étaient
emprisonnés dans leurs maisons, l’armée travaillait jour et nuit pour les isoler
du monde par une tranchée profonde de deux mètres et des fils de fer barbelés
meurtriers, aigus comme un rasoir, qui pourraient faire saigner jusqu’à la mort
quiconque serait pris dedans. La ville et sa banlieue (Beit-Jala, le camp d’Aïda
et d’autres camps de réfugiés) étaient devenus une vaste prison.
Cette
semaine, des membres du parlement palestinien ont essayé de se rendre à la
séance qui traitait de la « réforme ». Le voyage à Ramallah, d’une heure et
demie en temps ordinaire, leur a pris 4 heures, avec une série d’humiliations
aux nombreux barrages de l’armée.
Bethléem est une banlieue de Jérusalem.
Des centaines de fils la relient à la ville. Tous ces fils sont maintenant
coupés. Jérusalem est plus loin de Bethléem que le côté obscur de la
lune.
Cette sorte de clôture est en train d’être construite dans de nombreux
endroits du pays, séparant les enclaves palestiniennes non seulement d’Israël
mais l’une de l’autre également. Le slogan est « séparation », et cela sonne
bien aux oreilles israéliennes. « Nous sommes ici et ils sont là », comme le
lamentable Ehoud Barak avait l’habitude de dire. La situation réelle est tout
autre : « Nous sommes ici et nous sommes là ». Parce que la séparation est non
seulement unilatérale mais aussi unidirectionnelle. Il est interdit aux
Palestiniens de traverser pour aller en Israël, mais les colons et les soldats
passent en Palestine.
La guerre de Sharon contre le peuple palestinien
continue à un rythme rapide. L’installation des clôtures n’est qu’une de ces
opérations. La deuxième est l’activité de colonisation qui ne s’est jamais
arrêtée. Les anciennes colonies s’étendent, de nouvelles surgissent et, sur tous
les territoires occupés, la construction de routes de contournement continue,
entraînant l’expropriation de terres palestiniennes et l’étranglement de
villages palestiniens.
La troisième opération de la guerre porte le titre
glorieux de « réforme ».
Quand Sharon déclare que la réforme de l’Autorité
palestinienne est une condition pour la reprise du processus de paix, c’est une
autre manœuvre pour empêcher toute négociation. Cela permet également à Sharon
de monter dans le train de Bush qui demande une réforme démocratique de
l’Autorité (sans, évidemment, demander la même chose aux pays comme l’Egypte,
l’Arabie Saoudite, la Jordanie, le Pakistan et la Chine).
Le slogan de la
réforme sert également un autre des objectifs de Sharon : il attire l’attention
du public, et fait que les événements de Jénine sont oubliés et les incursions
et les assassinats quotidiens des FID dans les territoires palestiniens
ignorés.
Mais, en tant que Grand Réformateur de la Palestine, Sharon poursuit
un objectif beaucoup plus important. Quand il était général actif dans l’armée,
il était réputé comme un commandant qui « lit le champ de bataille », ce qui
signifie qu’il avait l’aptitude de saisir instinctivement où se trouve le point
crucial sur le front ennemi. Par exemple : longtemps avant la guerre d’octobre
1973, Sharon avait décidé exactement l’endroit où il franchirait le front
égyptien et traverserait le canal de Suez le moment voulu.
Sharon a décidé
depuis longtemps que le point crucial sur le front palestinien est la leadership
de Yasser Arafat. Beaucoup de gens croient que les efforts de Sharon pour
éliminer le chef palestinien sont motivés par un désir de vengeance personnelle
après qu’Arafat lui ait échappé des mains à Beyrouth. Mais le problème est
beaucoup plus sérieux.
Sharon sait que s’il réussit à briser Arafat, nous
briserions la colonne vertébrale du peuple palestinien pour de nombreuses années
– des années au cours desquelles il pourrait terminer la tâche de remplir les
territoires avec des colonies et de les annexer à Israël. Arafat est un chef
fort et autoritaire, qui fait tenir ensemble tous les courants du peuple
palestinien, évitant une guerre civile entre eux, et il est le seul qui puisse
prendre des décisions courageuses, historiques.
De toutes parts, on parle
désormais de réformer l’Autorité palestinienne mais chacun a un programme
différent. Pour Sharon, la réforme signifie en finir avec Arafat et installer un
groupe de Quislings (comme il l’a tenté il y 20 ans avec la création des «
comités de villages »). Pour Bush, la « réforme » veut dire nommer une direction
palestinienne qui suivra ses ordres (et, indirectement, ceux d’Israël) en
échange de la création d’un Etat-client palestinien comme Porto-Rico ou Andorre
(ainsi que Netanyahou l’a un jour déclaré).
Chez les Palestiniens eux-mêmes,
certains voient la réforme simplement comme un moyen d’éliminer leurs rivaux et
de prendre leur place. Je suspecte que certains des Palestiniens partisans de la
réforme travaillent pour le Mossad et/ou la CIA. Le Hamas espère que la réforme
conduira à la chute de l’Autorité palestinienne et ouvrira la voie de sa propre
prise de pouvoir. D’autres Palestiniens désirent honnêtement l’établissement
immédiat de pratiques appropriées pour un Etat ordonné, faisant totalement
abstraction du fait que le peuple palestinien est encore en plein combat pour
son existence même, confronté au danger réel d’être finalement expulsé de son
pays.
De nombreux Palestiniens veulent une réforme différente : une réforme
qui éliminera tous les éléments parasites qui se sont accrochés à l’Autorité
palestinienne, et qui préparera le peuple palestinien à la prochaine étape
décisive de sa lutte de libération. Pas une réforme à la place de la lutte, mais
une réforme pour la lutte. Aucun d’eux n’a l’intention de réaliser le rêve de
Sharon et de Bush de liquider Arafat et d’en faire une imitation palestinienne
de Moshe Katzav, le Président symbolique d’Israël.
5. C’est simple : “Partez
!” par Gabriel Ash
sur le site américain http://www.yellowtimes.org
(alternative news and views)
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
Jeudi 25 avril 2002
- Combien de Palestiniens sont morts à Jénine ? Des dizaines ? Des centaines ?
Combien de centaines ? Si le nombre s’avère d’ici quelque temps être exactement
de 641, ou exactement de 139, cela représentera-t-il une “victoire” en matière
de relations publiques pour les Palestiniens, ou bien pour les Israéliens ?
Tandis que les journalistes se mettent sur les rangs afin de proclamer le
“vainqueur”, CNN procède à un sondage sur internet sur la crédibilité de chacun
des deux camps. Peut-être assistera-t-on bientôt à des morts polémiquant avec
des vivants sur le plateau de l’émission de la CNN sordidement baptisée “Feux
croisés” ?!?
Comme exercice mental, essayons, si vous le voulez bien, de
déterminer à partir de combien de morts, exactement, l’aiguille de la balance
cesse de pencher du côté israélien pour pencher du côté palestinien ; à partir
de quel moment une incursion devient-elle une boucherie, une boucherie
devient-elle un massacre, un massacre un génocide...
Tout ceci est
extrêmement important, pour qui se préoccupe de relations publiques.
Durant
onze jours, les soldats des Forces israéliennes de défense ont empêché les
journalistes, les médecins, les équipes de secouristes et les convois d’aide de
première nécessité de pénétrer à Jénine.
Voilà comment ils “protègent” la
vérité, la gardant précieusement enfermée, à l’abri de tous ceux qui, à
l’extérieur, censément animés de mauvaises intentions, pourraient en “faire
mauvais usage” à l’encontre d’Israël.
Et il est bien vrai que la vérité est
une arme effroyable. Il serait regrettable de laisser un camp en détenir plus
que l’autre camp n’en détient. Il faut qu’il y ait un équilibre. Mais seulement
en matière de vérité. Nul besoin d’équilibre lorsqu’il est question de puissance
de feu, par exemple. Non : qu’Israël détienne l’arme nucléaire et des
hélicoptères Apache, payés par les contribuables américains, lesquels ne peuvent
même pas se payer une sécu digne de ce nom, tandis qu’en face, les Palestiniens
se battent avec des pétoires et des bombes artisanales, voilà qui est dans
l’ordre des choses.
On se moque qu’il n’y ait pas d’équilibre en matière de
territoires. Que les Israéliens contrôlent tout le territoire et que les
Palestiniens n’en aient aucun, à la limite, qu’est-ce que ça peut bien faire ?
Aucun équilibre n’est requis, non plus, en matière de liberté, de droits de
l’homme, toutes choses dont les Israéliens jouissent, et les Palestiniens, non.
En revanche, il FAUT qu’il y ait équilibre dans la façon de rapporter ce qui
s’est passé à Jénine.
C’est pourquoi la précision et la déontologie sont très
importantes, à Jénine. S’agissait-il à proprement parler d’un “massacre”, comme
l’a dit Pérès avant de se rétracter, d’une “dévastation”, ou simplement d’une
“incursion” utilisant “la force requise” afin de remplir des “objectifs
nécessaires”, tel celui de montrer aux Palestiniens qui est le chef et ce qu’il
en coûte de l’énerver ? Si vous utilisez un mot trop fort, si vous choisissez
une expression qui colle avec la puanteur des corps en décomposition, attention
: Israël va vous réprimander, vous taxer d’être antisémite et pourrait bien,
même, vous expulser. Vous voilà prévenu.
Mais que peut-on faire ? Même The
Economist, dont on connaît la prudence et les penchants pro-israéliens, a évoqué
l’évidence incontestable que des crimes de guerres ont été commis. L’envoyé de
l’ONU, Terje Roed-Larsen, a qualifié la dévastation de Jénine d’”effroyable,
dépassant l’entendement”. Il a jugé “moralement répugnant” qu’Israël ait empêché
l’entrée des secours à Jénine durant onze jours. Israël continue à bloquer les
équipes de secours, tandis que Pérès est en train de se demander s’il convient
de renvoyer Roed-Larsen chez lui, avec un mot pour ses parents, ou se contenter
de lui donner son compte. C’est le langage peu diplomatique du diplomate
norvégien - notez-le - et non la réalité peu diplomatique à laquelle il se
réfère, qui heurte la sensibilité morale hautement évoluée d’Israël.
Après
avoir donné son feu vert, voilà que le gouvernement israélien bloque la mission
d’enquête de l’ONU. Le problème, d’après Israël, serait que de trop nombreux
membres de cette commission ont une expérience “humanitaire”, et risquent d’être
peu au fait des nécessités de la guerre. On peut aisément imaginer le genre de
gens, avec quels états de service et quels curriculibus vitarum, Israël aimerait
voir composer cette commission : peut-être quelques dirigeants d’escadrons de la
mort sud-américains ; si possible le général français tortionnaire Paul
Aussaresse, qui a dirigé le ratissage de la Casbah d’Alger par les parachutistes
français en 1957 ? Pour faire bonne mesure - cerise sur le gâteau - des
connaisseurs en matière de crimes de guerre tels une Madeleine Albright, ou même
(pourquoi pas ?) un Henri Kissinger, pourraient utilement lui apporter le
concours de leur autorité morale, ainsi que la rarissime élasticité de leur
discours.
Du moment que l’équilibre est observé...
Pour l’opinion publique
et les politiciens israéliens, l’opprobre largement répandu, et fâcheusement
déséquilibré, dont ils sont l’objet n’est qu’une manifestation de plus du fait
que “tout le monde est contre eux”.
Faisant écho au sentiment populaire, le
président israélien, Moshe Katsav, geint : “avec tout le respect et l’estime dûs
aux gens de conscience et aux libéraux compatissants du monde entier, je ne
parviens à comprendre pourquoi ils n’ont pas desserré les lèvres, durant plus
d’un an et demi que sont commis les plus cruels des actes de terreur sans aucun
précédent, contre les citoyens israéliens, où qu’ils se
trouvent.”
Dites-nous, président Katsav, tous les habitants de Jénine
sont-ils, d’après vous, des terroristes ? La plupart d’entre eux en sont-ils ?
Le standard du Bon Dieu, consistant à affirmer qu’il suffit de dix Justes pour
sauver une cité, est-il trop laxiste, à vos yeux ? Dans l’affirmation “toute
punition collective est un crime de guerre”, quel est le passage que vous ne
comprenez pas ?
Le fait que l’éruption de violence, au cours des dix-huit
mois écoulés, vous surprenne à un tel point me fait me demander, Président
Katsav, si vous avez la moindre idée de ce qu’est la Liberté ? La Déclaration
universelle des Droits de l’homme, vous connaissez ?
Avez-vous bien compris
que “universelle” signifie que cette Déclaration “s’applique, de manière égale,
à tout le monde” ?
N’auriez-vous pas, par hasard, un problème avec les
adjectifs possessifs ?
Une chose est sure, avec “mon/ma” et “notre”, vous
êtes parfaitement à l’aise. Mais comprenez-vous les concepts qu’il y a derrière
“votre”, “son”, “sa”, et “leur” ? Quand je regarde la carte de vos extorsions du
territoire des autres pour y construire vos colonies, j’en doute
sérieusement.
Le fait que les “gens de conscience” ne condamnent pas le
terrorisme vous stupéfie ? Le simple fait que vous puissiez porter une telle
accusation montre bien que vous vivez sur une autre planète. Mais ça ne fait
rien, je vais répondre, et doublement, à vos complaintes.
La réponse longue,
Président Katsav, “avec tout le respect et l’estime dus à votre auguste
personne”, c’est que les kamikazes qui se font sauter en Israël n’y débarquent
pas depuis l’espace. Leurs ceintures explosives pourraient à juste titre porter
une étiquette indiquant “made in the Greater Eretz Israël” (“fabriqué dans le
Grand Eretz-Israël”).
Les bombes des kamikazes sont les fleurs mutantes de
l’occupation brutale d’Israël. Ces fleurs s’épanouissent sur les branches de
cinquante quatre années de déshumanisation des Palestiniens. Ce sont les
fantômes de votre barbarie revenus vous hanter ; la mémoire de votre guerre
contre la mémoire.
La destruction massive et délibérée des traces laissées
par la vie des civils palestiniens en Cisjordanie, au cours de ces dernières
semaines, n’est que le dernier chapitre en date d’une guerre d’éradication de la
mémoire palestinienne entreprise en 1948, avec la destruction de plus de quatre
cent villages palestiniens. Mais vous semblez ne rien retenir de l’histoire, en
l’occurrence de votre propre histoire : les fantômes, eux, reviennent, encore et
encore, à chaque fois plus violemment.
Pour ceux qui sont prêts à se
sacrifier, leur haine inextinguible contre vous est tout ce qui leur reste,
après que vous ayez passé au bulldozer leur passé et leur avenir.
Que vous
le vouliez ou non, ces gens sont vos enfants illégitimes. Tout ce qu’ils ont
appris, en matière de haine, c’est vous qui le leur avez inculqué. Tout ce
qu’ils ont oublié, en matière d’humanité, c’est vous qui le leur avez fait
oublier. Alors, embrassez-les. Là, maintenant, tout de suite. N’ont-ils pas
apporté la preuve qu’ils sont les dignes rejetons de leurs parents - vous
?
Quand à la réponse courte, Président Katsav, elle est vraiment très courte
: “Partez !”
Rappelez l’armée. Déclarez l’occupation forclose. Et sortez des
Territoires Occupés. Sortez ! C’est tout.
Ne bougonnez pas que la situation
est “difficile”, “complexe”. Vous êtes l’oppresseur. Vous êtes l’occupant. Vous
garez vos tanks sur des terrains dévastés. Vous remplissez vos piscines avec de
l’eau volée. Vous tuez et vous détruisez pour vous accaparer le bien des autres.
Alors arrêtez de nous faire ch..r avec la “situation”. Foutez le camp !
Arrêtez de tromper le brave monde. Cessez vos abus de langage. Arrêtez de
filer votre propre cocon moral. Assez de faire de votre pays et de votre peuple
des métaphores du mal. Sortez !
N’attendez pas Bush. N’attendez pas Arafat.
N’attendez pas de pouvoir négocier avec le dirigeant palestinien mythique qui
finirait par accepter votre domination. Il n’y a rien à négocier. Partez
!
Surtout, n’oubliez pas vos fondamentalistes juifs enragés de Kiriat Arba’
et de BeitEl. Faites-les monter dans les bus et écrasez le champignon, le pied
au plancher, jusqu’à ce que les collines de Cisjordanie disparaissent de votre
rétroviseur. Partez !
Rassemblez vos nervis de “policiers des frontières”
totalement dépourvus de frontières morales, donnez-leur des bourses scolaires et
renvoyez-les à l’école. Donnez-leur une nouvelle chance de découvrir qu’il y a
autre chose à faire, dans la vie, que réduire en bouillie des civils innocents
en les battant comme plâtre. Partez !
N’oubliez pas vos checkpoints, avec
toutes leurs humiliations vicelardes et leurs tireurs d’élites assassins. Et
partez !
Envoyez le Shin-Bet au vert. Depuis trente-cinq ans que cela dure,
le monde en a plus qu’assez de vos garde-chiourmes et tortionnaires émérites.
Surtout, ne les oubliez pas non plus, et partez !
Donnez-vous en à coeur
joie, avec vos bulldozers hideux, dans les colonies illégales de Ma’ale Edomim,
Har Homa et Gilo. Ils auront de quoi s’occuper : il y a plein de trucs à démolir
dans ces forteresses hideuses. Surtout, laissez-les bien travailler jusqu’à ce
qu’ils aient débarrassé le paysage de toute trace de votre viol. Cette remise en
état une fois menée à bien, partez !
Ne vous excusez pas. Ne cherchez pas à
vous justifier. N’expliquez pas. Il n’y a rien à expliquer. Honnêtement. On ne
vous demande qu’un chose : que vous partiez !
Ne vous faites pas de souci
pour les milliers d’oliviers, symboles de paix, que vous avez arrachés.
Quelqu’un les replantera.
Partez !
Revue de
presse
1. Conditions inhumaines dans les camps de détention
en Israël - Pourquoi il faut interpeller la justice par Uri Blau
in
Kol Ha’Ir (hebdomadaire israélien) du vendredi 24 mai 2002
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Des centaines de détenus palestiniens ont
été maintenus dans des conditions inhumaines durant les premières semaines
d’invasion des villes et des camps de réfugiés de Cisjordanie par Israël,
opération baptisée “Remparts”. Un rapport interne de l’avocat général
(israélien) atteste que des détenus ont été maintenus ligotés - jusqu’à douze
journées durant - ont eu les yeux bandés, ont dû dormir par terre, dehors,
exposés au froid et à la pluie, n’ont pu se laver, ont été amenés à la limite de
l’inanition par manque de nourriture... L’information a été portée à la
connaissance du bureau de l’Avocat Général (de l’Etat) au moment où les avocats
qui y travaillent étaient en train de préparer leurs réponses à un appel en Cour
Suprême, interjeté par des organisations de défense des droits de l’homme,
concernant les conditions de détention (des Palestiniens arrêtés, ndt). Le
cabinet de l’Avocat général a adopté le parti consistant à ne pas encombrer le
tribunal avec ces faits, parce que les conditions de détention (auraient) été
améliorées juste la veille du jour où la réponse de l’Etat devait être soumise
au tribunal. Dans sa réponse, l’Etat qualifiait les conditions de détention de
“mesurées, humaines et raisonnables”.
Ce rapport, rédigé par Shay Nitzan,
avocat chargé des questions de sécurité au cabinet de l’Avocat général, indique
que de nombreux détenus se sont vu confisquer biens et documents personnels sans
autre forme de procès, lesquels ne leur ont pas été restitués après qu’ils
eurent été relâchés. Le rapport fait état, par ailleurs, de plaintes de détenus
qui affirment avoir été molestés par les soldats israéliens.
Ce sont près de
6 000 Palestiniens qui ont été arrêtés depuis le début de l’invasion. Plus de 4
000 d’entre eux ont été remis en liberté. En d’autre termes, les deux tiers, au
moins, des détenus n’ont pu être déclarés suspects d’un délit quelconque.
Le
rapport, remis à l’Avocat général Elyakim Rubinstein et au procureur en chef
Edna Arbel, affirme qu’”en raison d’un manque d’organisation, des centaines de
personnes appréhendées ont été menottées, exposées au froid et aux intempéries
durant plusieurs jours. Le centre d’Ofer [c’est un camp de détention -
oznik.com] n’était pas censé en être responsable, et l’instance qui en a pris la
responsabilité n’est pas clairement définie. De plus, en raison de
l’”improvisation”, des centaines de détenus ont été gardés, environ une semaine,
sans qu’on leur fournisse de couchage (matelas / couvertures), sans parler de
l’impossibilité pour eux de se laver et de changer de vêtements. Ajoutons à cela
le manque de nourriture pour les personnes appréhendées.”
A la suite de ce
rapport, Rubinstein s’est rapproché de l’armée et a exigé qu’une enquête
approfondie des conditions de détention durant les premières semaines de
l’invasion soit menée. Le rapport, accompagné de la demande d’enquête de
Rubinstein, a été remis au Major général Yitzhak Eitan, commandant du QG de
l’armée. On demandait à Eytan d’examiner la possibilité de nommer un comité
d’enquête interne afin de procéder aux vérifications nécessaires. Autrement dit,
si l’armée opte pour cette possibilité qui lui est offerte, le major général
Yitzhak Eytan, sous les ordres duquel les installations inhumaines étaient
placées, devra répondre à une commission d’enquête à ce sujet dirigée par Eytan
Yitzhak, général major !
L’Avocat général n’a pas informé la Cour
suprême
L’appel devant la Cour Suprême a été interjeté, à la
mi-avril, par le Centre pour la Protection de l’Individu, et par d’autres
associations de défense des droits de l’homme. Les plaignants arguaient du fait
que les conditions de détention dans le centre Ofer (et aussi dans les camps de
détention provisoires improvisés en Cisjordanie) étaient “inhumaines” et
“cruelles”. Ils demandaient à la Cour (suprême israélienne) d’ordonner que les
conditions de détention soient conformes aux lois.
Afin d’étudier le dossier
et de préparer la réponse de l’Etat, Nitzan s’est rendu à Ofer. Il y a rencontré
le commandant, ainsi que des officiers de la Police militaire. Le 24 avril,
l’Etat a informé la Cour qu’”à notre connaissance et à ce jour”, les conditions
de détention dans le centre d’Ofer “sont humaines, adaptées, respectables et
raisonnables”. L’Etat a aussi fait valoir qu’en raison de l’arrivée très rapide
des détenus dans ce centre, et de leur grand nombre, tous les détenus n’avaient
pu “bénéficier” des conditions de détention “idéales”, mais seulement “pour une
période relativement courte”.
Devant le tribunal, l’Etat a fait valoir que
les centres (de détention) provisoires avaient été fermés et qu’en conséquence
continuer à en parler serait spécieux et oiseux. La Cour suprême a accepté la
position de l’Etat en matière de centres temporaires, et décidé que Nitzan
visiterait le centre d’Ofer avec cinq représentants des plaignants. Après quoi,
un communiqué complémentaire serait produit, concernant les conditions actuelles
dans ce camp. La visite, prévue le 30 avril, a été ajournée, des représentants
des plaignants ayant demandé à parler aux détenus, durant cette visite. Elle a
finalement eu lieu, mercredi dernier.
Nitzan a pris conscience des mauvais
traitements infligés aux détenus au cours de son travail de rédaction de la
réponse à l’appel (interjeté devant la Cour suprême). Ces éléments d’information
(lesquels, dixit Nitzan, “nous ont surpris et peiné”), n’avaient ni été soumis à
la Cour, ni rendus publics. Il s’agit des éléments sur lesquels le rapport
interne, le premier à être publié dans cette affaire, se fondait.
Du pain et du flan à la gélatine
La plupart des
Palestiniens arrêtés ont été tout d’abord emmenés dans des centres temporaires
de “répartition”, en Cisjordanie. D’après le rapport, dans la majorité des cas,
ils étaient enfermés dans ces centres pour un laps de temps relativement court,
allant de quelques heures à deux jours. Durant ce laps de temps, les détenus
étaient examinés. Ils étaient soumis à un premier interrogatoire général, puis
triés entre “sans-objet - relâchés” ou promis à une prolongation de leur
détention en vue de l’examen ultérieur de charges susceptibles d’être retenues
contre eux. En principe, la plupart de ceux qui restaient auraient dû être
transférés aussitôt que possible vers le “centre” d’Ofer. Quelques-uns d’entre
eux ont été emmenés vers d’autres centres de détention. Nitzan indique, dans son
rapport, que “les conditions, dans ces centres, étaient “extrêmement
minimalistes”, mais les détenus y “bénéficiaient” d’eau potable, de nourriture
et d’accès aux toilettes.
“En général, tous les détenus de ces centres
avaient les yeux bandés en permanence, durant toute la durée de leur détention.
On ne leur enlevait leur bandeau qu’au moment des repas. Il n’y avait ni lits,
ni matelas, les détenus devaient rester assis ou “dormir” à même le sol. Ils ne
pouvaient se laver entièrement (douche) ni changer de vêtements. La nourriture
qu’on leur fournissait était réduite “au strict minimum” (sic). Selon les
informations que nous avons pu obtenir, on leur donnait essentiellement du pain
et du flan à la gélatine (le “jello” des British, qui tremble, dans lequel on se
voit comme dans un miroir déformant et qui fait ‘floc-floc’ dans l’estomac,
ndt), avec une portion de viande à midi. Dans certains endroits, les détenus
étaient en plein air (et à la “belle étoile”). Comme on le sait, durant les
premiers jours de l’incursion israélienne en Cisjordanie, il faisait froid et il
pleuvait beaucoup et, malgré cela, dans certains centres de détention, les
prisonniers devaient rester assis par terre, menottés, dans le froid et sous la
pluie, les yeux bandés...”
“De telles conditions”, écrivit Nitzan, “peuvent
être admises comme inévitables, pour peu que la période de détention soit
relativement brève. Ceci dit, je doute qu’il ait été raisonnable de garder ces
détenus plus de vingt-quatre heures sans abri, dans le froid et la pluie, et
nombre de détenus ont été soumis à ces conditions, durant des périodes encore
plus longues. En tout cas, personne ne peut nier qu’il est totalement
irresponsable - à dire le moins - de maintenir un prisonnier dans de telles
conditions durant des journées entières, et en particulier des personnes
appréhendées en attente de vérification”. Mais l’enquête a établi que, le 24
avril, treize détenus étaient soumis à de telles conditions, dans un centre
provisoire à Samaria (au nord de la Cisjordanie). L’un d’entre eux les subissait
depuis douze jours ! Deux autres, depuis onze jours. D’autres encore étaient là
depuis quatre (pour le plus récemment arrêté) à huit jours (pour le quatrième en
terme d’”ancienneté”). Durant toute la durée leur détention, d’après les
informations dont nous disposons, ils sont restés menottés (sans qu’on leur
enlève une seule fois les menottes pour éviter l’ankylose), sur le sol (sans
matelas), les yeux bandés (à l’exception des repas), sans pouvoir se laver,
nourris essentiellement de pain et de “jello” (voir plus haut). Nitzan a demandé
immédiatement des explications à l’armée sur les conditions de ces détenus.
L’après-midi même, on lui répondit qu’ils avaient été transférés dans un autre
centre offrant des conditions “réglementaires”.
“Il me semble indispensable
de faire une enquête afin de savoir comment cela a pu se produire dans le centre
de détention de Samaria”, consigna Nitzan, “ et si de telles choses pouvaient se
produire dans d’autres de ces centres. Ce qui s’est passé dans ces différents
centres devrait faire l’objet d’investigations.”
“Cette allégation pourrait ne pas être dénuée de tout fondement
(...)"
Depuis le début de l’invasion, entre 3 000 et 4 000
Palestiniens ont été emmenés dans le centre d’Ofer. La majorité d’entre eux
furent relâchés, et au jour de rédaction du rapport (le 24 avril), il y avait à
Ofer 1 130 détenus. Or la capacité maximale d’Ofer est de 450 détenus... La
capacité d’urgence du centre a été établie à 700 personnes (dans ce calcul,
trente détenus doivent s’entasser dans chaque tente, prévue pour en héberger
vingt...). Etant donné que plus de 700 détenus ont été amenés en une seule fois
directement à Ofer dès le début de l’incursion israélienne, il y avait peu de
place libre...
“Durant les premiers jours, tout le “trop-plein” de détenus,
soit environ 300, restait assis par terre trois jours durant..., exposés au
froid et à la pluie, sans matelas, menottés. Ces détenus “excédentaires”
n’étaient pas considérés ressortir à la responsabilité du centre d’Ofer, c’est
pourquoi il n’y a pas de réponse claire à la question de savoir si quelqu’un a
pensé à leur donner de quoi manger... “ indique le rapport, lequel est très
intéressant, lorsqu’il s’agit de la question de la nourriture : “d’après
l’action en appel, les détenus ont été laissés sans nourriture durant des jours
entiers. Il a été avancé qu’un pot de fromage blanc, un concombre et une matza
(pain azyme, ndt) était tout ce que recevait à manger, au petit-déjeuner, six ou
sept détenus. Notre enquête montre que cette allégation pourrait ne pas être
infondée” écrit sobrement Nitzan.
Sur la question des vêtements, des
sous-vêtements, des serviettes de toilette, le rapport indique : “on nous a dit
que le centre disposait de sept cent trousseaux comportant vêtements,
sous-vêtements et serviette de toilette. Ces sept cent trousseaux ayant été
distribués aux sept cent premiers détenus, il n’y avait plus de vêtements, de
sous-vêtements ni de serviettes de toilette pour les autres, qui ne cessaient
d’affluer. De nouveaux trousseaux furent livrés au centre, mais pas avant le 24
avril. Conséquence facile à imaginer : des milliers de détenus ont dû garder sur
eux les mêmes vêtements et sous-vêtements jusqu’à trois semaines durant, pour
certains d’entre eux, et aucun ne disposait d’une serviette de
toilette.”
Après trois jours de détention - passés assis par terre, en
plein air et à la belle étoile - quatre abris (destinés initialement à abriter
des voitures) ont été convertis en local provisoire. Les détenus y furent
gardés, durant deux semaines. On mit à leur disposition des matelas de camping
et des toilettes chimiques, et (même ?), plus tard seulement, des douches. Ces
abris mobiles étaient une solution provisoire au problème du manque d’espace.
Néanmoins, “les abris sont totalement ouverts sur un côté, et n’assurent aucune
protection contre le froid. Il faut aussi noter que, durant les premiers jours
après l’installation dans ces hangars, certains des détenus n’avaient ni
matelas, ni couvertures, ne pouvaient prendre de douche, etc...” Durant les
trois semaines, les détenus ne pouvaient pas sortir des hangars et sept nouveaux
emplacements étaient construits dans le centre d’Ofer. Ces nouveaux emplacements
étaient cimentés, entourés de grillage, sécurisés. Des toilettes avec évacuation
à l’égout y étaient installées, ainsi que des douches. Ces nouvelles parcelles,
destinées à abriter 500 détenus dans des conditions acceptables, furent
entièrement occupées la veille de l’audience, ce qui permit à l’Etat de clamer
devant le tribunal que les détenus étaient placés dans des conditions
raisonnables...
“Questions embarrassantes”
A la fin de son rapport,
Nitzan pose quelques questions : “Primo, il faut enquêter afin de savoir comment
il se fait que les Forces israéliennes de défense n’aient pas envisagé
sérieusement qu’elles pourraient être amenées un jour à détenir plus de 500
personnes inopinément... A ce sujet, il convient de noter également que les
juges de la Cour suprême, même s’ils ne sont pas beaucoup intéressés aux
conditions de détention dans le centre (d’Ofer) au tout début de la crise, ont
néanmoins considéré nécessaire de consigner le fait que d’arrêter des “suspects”
en nombre très largement supérieur aux capacités des centres prévus à cet effet,
ce qui a causé d’énormes problèmes, suscite bien des interrogations ? Les juges
ont noté, également, que l’on nous avait dit que, désormais, après que le centre
(d’Ofer) ait été porté à une capacité de 1 200 détenus, les abris mobiles
allaient être démontés. Faut-il demander si l’armée est prête à faire face à une
situation, dans le futur, dans laquelle plus de 1 200 personnes seraient
arrêtées, afin que ces problèmes ne se renouvellent pas ? Toutes ces questions
sont préoccupantes et méritent un examen sérieux.”
Nitzan demande aussi une
enquête sur les raisons pour lesquelles l’armée n’était pas prête à recevoir les
détenus dans les centres provisoires : “Ils auraient dû, au minimum, prendre les
dispositions nécessaires pour pouvoir dresser des tentes dans les centres
provisoires, afin que les détenus ne soient pas gardés dehors, soumis au froid
et à la pluie. Il faut mentionner le fait que la quasi-totalité de ces détenus
ont été relâchés des centres d’examen après un court délai, car on a constaté
qu’ils n’avaient rien fait de “répréhensible” contre notre armée.” Au moment où
nous mettons sous presse, le porte-parole de l’armée n’a fait aucun commentaire
sur le contenu de cet article.
Témoignage : Ceux qui relevaient la tête étaient tabassés
Ramzi
al-Nabrisi a été arrêté (dès) le 30 mars et relâché dix jours
après
Un témoignage sous serment de Ramzi al-Nabrisi, un policier palestinien de
Ramallah, arrêté le 30 mars, a été soumis à la Cour suprême en pièce jointe à
l’appel interjeté par les associations de défense des droits de l’homme.
Al-Nabrisi avait été libéré au bout de dix jours. Rien n’a été retenu contre
lui, il n’a pas été accusé. Sa carte d’identité, confisquée au moment de son
arrestation, ne lui a pas été restituée. Les ONG de défense des droits de
l’homme ont de nombreux témoignages de parties civiles, similaires à celui-ci.
“On nous a emmenés au camp militaire de BethEl. Nous étions très nombreux ;
ils nous ont fait asseoir par terre. La nuit était très froide, et il ‘tombait
des cordes’. On avait les menottes aux poignets, et les yeux bandés. Ensuite, la
pluie s’est intensifiée ; nous étions trempés jusqu’aux os. J’ai essayé de
mettre à l’abri de la pluie, autant que je pouvais le faire, le pansement de ma
main blessée, car j’avais peur de l’infection, mais en vain. Nous sommes restés
de la sorte toute la nuit, puis toute la matinée suivante, jusqu’après-midi. Le
froid intense, la pluie, les menottes : impossible de dormir. Durant toutes ces
heures interminables, on ne nous a donné ni nourriture, ni cigarettes. On nous
obligeait à baisser la tête. Si quelqu’un osait la relever, c’était
immédiatement les insultes, et les coups ne tardaient pas à suivre. On a fini
par obtenir de l’eau potable, mais cela dépendait du bon vouloir du soldat le
plus près de vous... Nos demandes d’aller aux toilettes se voyaient la plupart
du temps opposer un refus, tout au moins pas dans les délais utiles.” Ensuite,
Al-Nabrisi fut transféré au camp d’Ofer : “Là, dès la première nuit, ils ont été
à court de matelas et de couvertures... J’ai été gardé dans ce camp durant
environ dix jours, jusqu’au 9 avril 2002. Les conditions étaient très dures,
inhumaines, avilissantes. A l’évidence, ceux qui gardaient ce camp ignoraient ou
négligeaient délibérément nos besoins élémentaires d’êtres humains... Dormir
sous des tentes, durant ces jours très froids, sous des pluies diluviennes,
c’était très très dur... Le manque de matelas et de couvertures nous obligeait à
nous serrer les uns aux autres. Apparemment, la quantité de nourriture
distribuée, la “qualité” de la nourriture et la façon dont elle nous était
“servie” étaient censées nous maintenir en vie, rien de plus. En résumé,
laissez-moi vous dire sans plus remuer ces souvenirs pénibles que j’ai sans
doute vécu là une des périodes les plus dures de toute ma vie. Je n’avais jamais
ressenti une telle humiliation ni jamais été l’objet d’une tel mépris. Des jours
entiers, affamé, mourant de froid, sans pouvoir se laver, sans pouvoir consulter
un médecin, etc... Tout cela m’a donné le sentiment douloureux de ne pas avoir
été traité comme un être humain aurait dû (et devrait)
l’être.”
2. Israël veut diviser en cantons hermétiques la
Cisjordanie par Alexandra Schwartzbrob
in Libération du vendredi 24
mai 2002
Les mesures appliquées à Gaza s'étendraient à
l'ensemble des territoires, provoquant la colère des
Européens.
Principaux soutiens économiques de la société
palestinienne, les donateurs étrangers sont très inquiets du projet des
autorités israéliennes de diviser la Cisjordanie en «cantons» hermétiques. «Ce
projet est inacceptable à la fois légalement et dans son principe car il revient
à une prise de contrôle militaire de la Cisjordanie par Israël, et il tue toute
possibilité de développement économique et de réformes sur le territoire
palestinien alors qu'il s'agit là d'une condition essentielle pour espérer
revenir un jour à un processus de paix», selon le représentant de la Commission
européenne en Cisjordanie et à Gaza, Jean Bretéché.
La Commission européenne,
qui préside une «task force» composée des Nations unies, de l'USAid et de la
Banque mondiale visant à reconstruire une Cisjordanie privée de tout par les
dernières offensives militaires israéliennes, a récemment été informée à deux
reprises, par l'état-major de Tsahal, des projets envisagés par le gouvernement
Sharon pour ce territoire quasi reconquis au cours de l'opération «Rempart». Des
projets qui visent à entraver toute liberté de mouvement de la population et des
marchandises afin, notamment, de préserver la sécurité des colons
juifs.
Terminaux. Pour aller d'une ville de Cisjordanie à l'autre, les
Palestiniens auront besoin d'un permis spécial qui sera délivré en fonction de
critères à déterminer. De leur côté, les camions de transport des marchandises
et des matériels ne pourront plus pénétrer les villes palestiniennes. Les
autorités israéliennes sont en train de créer cinq à six terminaux en
Cisjordanie, sur le modèle du terminal de Karni à Gaza, où les marchandises
seront transportées selon le système «back to back» (de l'arrière d'un véhicule
à l'arrière d'un autre) : les camions délivreront leurs chargements dans des
zones spécifiques, situées en dehors des villes, à d'autres camions qui, eux,
auront une autorisation spéciale pour circuler de l'autre côté. Les travaux en
ce sens ont déjà commencé. Bethléem et Ramallah sont peu à peu encerclés par des
rangées de barbelés infranchissables et les check points pour y accéder
deviennent aussi sophistiqués (avec miradors, chaussées à plusieurs voies...)
que celui d'Eretz à l'entrée de Gaza. «Le développement économique de la
Cisjordanie est impossible dans ces conditions d'enfermement, ce qui nous pose
un vrai problème à nous, donateurs, qui sommes censés financer la reconstruction
et l'autonomisation de ce territoire. Les réformes deviennent également
difficiles à mettre en oeuvre : comment les Palestiniens pourront-ils aller
voter dans leur village d'origine s'ils sont empêchés de circuler ?», s'inquiète
Bretéché. Fin avril, à Oslo, les donateurs ont décidé de dégager près de 2
milliards de dollars dans l'année pour l'aide à la Palestine. «Les donateurs ne
sont-ils pas en train, indirectement, de financer le cantonnement des
territoires par Israël ?», interrogeait cette semaine Amira Hass dans le
quotidien Ha'aretz.
Sanctions. Au cours d'une réunion prévue lundi à Tel-Aviv
avec le responsable de la Cisjordanie au sein de l'armée israélienne, les
donateurs comptent exprimer leur désaccord total avec ce projet. Au-delà, les
ministres européens des Affaires étrangères pourraient en être saisis. «Nous ne
pouvons pas interrompre notre aide aux Palestiniens car ce serait les punir deux
fois, explique Bretéché. D'autant que les derniers événements nous ont
contraints à transformer notre assistance en aide à la survie.» Des sanctions
contre Israël pourraient être envisagées, mais les Quinze risquent d'avoir du
mal à trouver un consensus. «L'idéal serait que la société israélienne réagisse.
Elle a tout à perdre à ce projet, qui risque encore d'accroître dans les
territoires le désespoir et la haine.».
3. Israël impose de nouvelles règles
de circulation en Cisjordanie par Gilles Paris
in Le Monde du jeudi
23 mai 2002
Les mesures en vigueur à Gaza pourraient être
étendues à tous les territoires. Les Palestiniens dénoncent un "nouveau chapitre
de l'apartheid qui vise à intensifier la
colonisation".
Jérusalem de notre correspondant - Les
autorités israéliennes souhaitent-elles étendre le "modèle" de Gaza à l'ensemble
de la Cisjordanie ? La question se pose depuis le 22 avril. Ce jour-là, au
lendemain de l'annonce officielle de la fin de l'opération "Mur de protection",
le coordinateur israélien des activités dans les territoires a dévoilé le projet
imposant de nouvelles règles de circulation en Cisjordanie au cours d'une
réunion confidentielle organisée avec la "task force" qui regroupe les donateurs
internationaux.
Ces règles, à nouveau évoquées au cours d'une deuxième
réunion, tenue le 7 mai, visent à institutionnaliser le siège par l'armée
israélienne des anciennes zones autonomes palestiniennes, soit les principales
agglomérations à l'intérieur desquelles l'armée israélienne évolue par ailleurs
librement depuis plusieurs mois : Bethléem, une partie de Hébron, Jénine,
Jéricho, Naplouse, Kalkiliya, Ramallah et Tulkarem.
AU CAS PAR CAS
Les
Palestiniens ne pourraient se déplacer d'une zone à l'autre à moins de disposer
d'un permis accordé au cas par cas par l'administration civile israélienne, qui
est d'ailleurs exercée par l'armée. Ce permis serait valable un mois et
utilisable uniquement de 5 heures à 19 heures De même, seraient interdits les
déplacements entre la Cisjordanie et Israël, y compris pour les habitants
palestiniens de la partie orientale annexée de Jérusalem, qu'Israël considère
comme sienne. Accessoirement, les personnels internationaux, y compris les
diplomates, seraient tenus de soumettre leur véhicule à la fouille au point de
passage d'Erez, au nord de la bande de Gaza, ce qui est contraire à tous les
usages.
Pour les marchandises, les règles seraient tout aussi strictes, avec
la généralisation de la procédure - déjà en vigueur à Gaza - obligeant les
camions à décharger systématiquement leur cargaison aux check-points commandant
l'accès aux anciennes zones autonomes, pour être rechargés sur d'autres
véhicules après vérification par l'armée israélienne. Cette procédure longue et
coûteuse serait systématisée pour les transports de biens à destination
d'Israël. Elle semble d'ailleurs déjà être entrée en application pour les
agglomérations proches de la "ligne verte" qui sépare Israël de la
Cisjordanie.
Elle pourrait également être appliquée pour les échanges entre
les villes palestiniennes, comme en témoigne la création d'une plate-forme de
transit au sud de Ramallah. Enfin, les agences internationales devraient avoir
systématiquement recours à des chauffeurs internationaux pour transporter l'aide
humanitaire ou les marchandises et équipements utilisés dans le cadre de
projets.
Les donateurs ont pour l'instant réservé leur réponse et sollicité
leurs chancelleries. Car ces entraves sans précédent, si elles devaient être
appliquées intégralement, auraient des conséquences dramatiques sur le tissu
économique, social et politique de ce qui reste de l'Autorité palestinienne en
Cisjordanie. Une étude des Nations unies, réalisée avant l'hiver, attestait déjà
de l'effet déterminant de la politique des bouclages sur une population dont le
niveau de vie, en baisse constante depuis les accords d'Oslo, s'est brutalement
effondré depuis le début de la deuxième Intifada, à la fin du mois de septembre
2000. Le verrouillage de "cantons" palestiniens isolés les uns des autres
parachèverait "la casse" de cette économie et remettrait en cause les projets de
développement. "La situation serait même pire en Cisjordanie qu'à Gaza parce que
les espaces seraient beaucoup plus réduits", estime un diplomate des Nations
unies.
FAITS ACCOMPLIS
Les implications politiques ne seraient pas
moindres : cet émiettement systématique précipiterait la fin d'un gouvernement
central au profit d'acteurs politiques locaux avec lesquels les Israéliens
pourraient traiter directement. Il remettrait en cause le redécoupage
territorial opéré à Oslo et compliquerait singulièrement d'éventuelles
négociations par la généralisation des faits accomplis.
Sollicitée, l'armée
israélienne nous a assurés, dans un premier temps, ne pas être informée de
nouvelles règles de circulation pour la Cisjordanie. Puis, les responsables de
la coordination des activités dans les territoires ont admis l'existence de ces
procédures qui "ont pour but de faciliter la vie quotidienne des Palestiniens en
posant des principes clairs" et qui, par ailleurs, ne seraient que "provisoires"
et destinées à être "supprimées dès que la situation redeviendra
normale".
Les autorités palestiniennes, qui ont été informées de ces
nouvelles règles par les donateurs, ont vivement réagi en dénonçant "ce nouveau
chapitre de l'apartheid qui vise à transformer la Cisjordanie et la bande de
Gaza en cantons entourés de zones tampons, et à intensifier la
colonisation".
4. L’apartheid dans les territoires.
Les faits accomplis israéliens anéantissent les espoirs de paix par
Marwan Bishara
in The International Herald Tribune (quotidien international
publié à Paris) du mercredi 22 mai 2002
[traduit
de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Marwan
Bishara enseigne les relations internationales à l’Université américaine de
Paris. Il est l’auteur de “Palestine/Israël : la paix ou l’apartheid” aux
editions La Découverte.)
Tandis que Palestiniens et organisations
humanitaires et de secours s’efforcent de reconstituer la vie en Cisjordanie et
de réformer les institutions palestiniennes, au lendemain de l’invasion
israélienne du mois de mars dernier, Israël met en place un régime d’apartheid
de facto dans les territoires palestiniens, système qui ne pourra que miner les
efforts de paix de la communauté internationale et conduire à une escalade
ultérieure dans le conflit.
Si l’on s’en réfère aux minutes de deux réunions
récentes, l’armée israélienne et les responsables gouvernementaux israéliens ont
signifié aux représentants de pays donateurs que toutes les grandes villes de
Cisjordanie seront encerclées et que les déplacements des Palestiniens entre ces
différentes villes ne seront désormais plus possibles sans l’obtention d’un
laissez-passer délivré par l’armée israélienne.
De tels permis auront une
validité d’un mois et permettront de voyager (seulement) entre cinq heures du
matin et sept heures du soir. Tout déplacement des Palestiniens vers Israël et
Jérusalem Est sera interdit. De même, les Arabes d’Israël se verront interdire
de se rendre dans les territoires palestiniens.
Les mouvements de
marchandises entre villes palestiniennes, à l’intérieur de la Cisjordanie, ainsi
que d’Israël en Cisjordanie, seront soumis à un système “dos-à-dos” : les
marchandises devront être déchargées des camions entrants puis rechargés sur des
camions locaux. La mise en vigueur du nouveau système va, une fois de plus
morceler, les territoires, en huit cantons séparés.
Seuls les biens
humanitaires seront admis à pénétrer à Gaza ; les biens destinés à des projets
financés par des (pays) donateurs ne pouvant y entrer qu’au cas-par-cas, chaque
entrée devant être prévue et autorisée au préalable.
Ces mesures punitives
vont accélérer le déclin déjà rapide de l’économie palestinienne, qui a déjà
chuté d’un tiers entre septembre 2000 et décembre 2001, ce à quoi il faut
ajouter les 25 % de décroissance au cours des sept années du processus d’Oslo.
Selon les agences internationales, l’invasion de la Cisjordanie par l’armée
israélienne, en mars dernier, a coûté aux Palestiniens 4 milliards de dollars
supplémentaires, dont $ 360 millions en destructions et plusieurs milliards de
dollars de manque à gagner. Le produit intérieur brut total de la Palestine
atteignait $ 3,5 milliards, en 1999.
Les nouvelles mesures (israéliennes)
vont ralentir, sinon totalement arrêter, de nombreuses activités productives,
entraînant ultérieurement une augmentation du chômage, qui dépasse actuellement
les 50 % dans les villes et les 70 % dans les camps de réfugiés. Les bouclages
auront aussi pour effet d’aggraver la pauvreté dans les territoires, avec plus
de la moitié de la population vivant au-dessous du seuil de pauvreté, de
nombreuses familles n’ayant que l’équivalent de deux dollars par jour pour
survivre, parfois moins.
Au cours des dernières semaines, l’attention
internationale s’est focalisée sur les réformes politiques en Palestine, qui
seraient la solution permettant de sortir de l’impasse. Mais améliorer la vie et
les institutions palestiniennes s’avérera totalement impossible si les plans de
bantoustanisation du Premier ministre Ariel Sharon s’inscrivent dans la
réalité.
Le fonctionnement de l’autorité centrale (palestinienne) sera obéré
par les mesures israéliennes. La participation populaire au processus de prise
de décision au niveau central, afin de tenir l’Autorité palestinienne pour
redevable et d’ assurer la transparence de son fonctionnement sera rendu
pratiquement impossible, la circulation des gens, les échanges politiques et les
réunions étant interdits. Le pouvoir effectif pourrait bien, en réalité, se
déplacer jusqu’à finir par graviter autour de milices locales, ce qui créerait
un environnement politique encore plus fragmenté et imprévisible.
Sharon
conditionne les négociations de paix à la réforme palestinienne - pendant que
son armée, en imposant l’état de siège, s’assure qu’aucune réforme de cette
sorte ne puisse être mise en oeuvre. L’intention réelle, derrière les actes du
cabinet de sécurité de Sharon, composé de colons, de fondamentalistes religieux
et de généraux outranciers, semble être de protéger et d’étendre les colonies
illégales dans les territoires palestiniens.
Les colonies sont la raison pour
laquelle les bouclages israéliens sont imposés non pas sur des territoires
étendus, mais plutôt à chaque camp et centre urbain palestiniens pris isolément,
tous étant concernés. Ces bouclages, dans certains cas, ont représenté des
éléments parmi les plus inhumains et perturbateurs de la vie quotidienne et du
développement palestiniens, les frontières étant tracées par les tanks, et non
pas par des traités.
Les colons et les fondamentalistes religieux juifs
s’opposent au retrait des territoires occupés ; voire, au démantèlement d’une
seule colonie. Ils sont convaincus que la loi internationale ne s’applique pas
dans le cas d’espèce des territoires occupés, dont ils considèrent avoir reçu la
terre en héritage. L’adoption par le parti Likoud de Benjamin Netanyahu du rejet
populiste d’un Etat palestinien a démontré la force du lobby des colonies dans
le parti gouvernemental.
Les nouveaux bouclages israéliens protégeront
l’expansion des colonies, mais pas les Israéliens. En effet, ils vont
transformer les territoires autonomes en une juxtaposition de huit cellules
carcérales géantes. Les frustrations, l’oppression et l’humiliation quotidienne
montantes ne pourront qu’alimenter les foyers de conflictualité et de vindicte,
miner les efforts de réconciliation. Du même coup, on doit s’attendre à une
recrudescence du terrorisme tant chez les Palestiniens que chez les
colons.
La fin de l’occupation est indispensable si l’on veut instituer un
processus démocratique authentique et donner aux Palestiniens la capacité de
rendre Arafat et les autres membres de l’Autorité redevables et responsables
face aux accusations de corruption et de népotisme. Elle est indispensable
aussi, si l’on veut donner aux Palestiniens la possibilité d’exercer leur droit
à l’auto-détermination. Enfin, mettre un terme à l’occupation est le préalable
incontournable d’un retour à une vie normale en Israël.
Mettre un terme à
l’occupation aplanira la voie de la démocratisation et des réformes. Le
contraire n’est pas vrai. A entendre le président démocratiquement élu du Timor
oriental parler de responsabilité en matière de citoyenneté et de démocratie
après (seulement) que ce pays ait obtenu sa pleine indépendance, lundi dernier,
il était évident que les Palestiniens devraient se voir offrir la même
opportunité de traduire leur liberté collective en liberté et en dignité
individuelles.
5. Ahmed Maher : “Seul Arafat peut contrôler la
situation” un entretien avec le ministre des Affaires étrangères
égyptien propos recueillis au Caire par Claude Lorieux
in Le Figaro
le samedi 18 mai 2002
Chef de la diplomatie égyptienne depuis le 15 mai 2001, Ahmed Maher
s’est rendu cette semaine à Moscou, où il s’est entretenu avec son homologue
Igor Ivanov. Ancien ambassadeur en URSS et aux Etats-Unis, il était à Beyrouth
hier pour participer au “Comité du suivi de l’initiative de paix arabe” (le
“Plan Abdallah”) avant de retrouver, dans l’île grecque de Mykonos, ses
collègues européens et arabes de l’Euromed.
- Le Figaro (LF) :
Le monde arabe paraît s’habituer à l’idée que Yasser Arafat pourrait être
remplacé à la tête de l’autorité palestinienne. L’après-Arafat a-t-il commencé
?
- Ahmed Maher (AM) : Quand je suis allé voir Arafat, le 5 mai à
Ramallah, j’ai eu le sentiment que lui et ses collègues comprenaient la
nécessité d’une réforme de l’Autorité palestinienne. Mais Israël s’est emparé du
mot “réforme” et l’a traduit par “mise à l’écart d’Arafat”. Il était normal que
les Palestiniens se rebiffent. Qu’on l’aime ou non, Arafat a été élu par des
élections libres, sous surveillance d’une équipe internationale ayant à sa tête
l’ancien président Jimmy Carter. Il est d’ailleurs en train de reprendre les
choses en main. Après avoir, mercredi, signé une loi sur l’indépendance du
pouvoir judiciaire, Arafat a reconnu ses erreurs devant le Conseil législatif
palestinien. Il a annoncé des élections. Il est certain que nous allons vers des
réformes.
- LF : Mais l’idée d’un éloignement d’Arafat ne fait-elle
pas son chemin ?
- AM : Les Israéliens ont tenté de créer la zizanie
au sein de l’Autorité palestinienne. Ils ont cité des noms. Ils ont dit : “Nous
pensons qu’untel ou untel serait le meilleur successeur d’Arafat.” Ils ont créé
une atmosphère malsaine. Mais en annonçant qu’il mènera lui-même cette réforme
avec le Conseil législatif, Arafat peut faire échouer la manoeuvre
israélienne.
- LF : Egypte, Arabie Saoudite et Syrie qui viennent de
participer au sommet de Charm elCheikh ne pourraient-elles pas inciter les
groupes palestiniens à l’apaisement ?
- AM : Jouer le jeu des
factions serait extrêmement dangereux. La réforme de l’Autorité palestinienne
doit aller de pair avec une sorte d’union nationale pour progresser vers la
paix. En Israël, il existe bien un gouvernement d’unité nationale ! La primauté
de l’Autorité palestinienne doit être reconnue. Toutes les organisations
palestiniennes doivent sentir l’obligation morale de ne pas entraver l’effort de
paix qui est dans l’intérêt de tous.
- LF : Washington compte
néanmoins sur les Etats arabes modérés pour faire pression sur les organisations
palestiniennes...
- AM : Tout comme nous comptons sur le président
Bush pour faire pression sur les Israéliens afin qu’ils mettent un terme à leurs
excès ! Quant à nous, nous ne voulons pas “faire pression” sur l’Autorité
palestinienne, mais l’aider à réaliser les objectifs de paix qu’elle s’est
elle-même fixés.
- LF : Vos efforts ne seront-ils pas vains si des
terroristes massacrent des Juifs au cours d’attentats ?
- AM : Il y
aura toujours des individus incontrôlables, ou des ennemis déclarés des options
pacifiques. Evidemment on ne peut pas les empêcher. Mais si les deux parties
montrent un désir sincère d’avancer sur le chemin de la paix, il faut assurément
que la violence cesse. Tout en reconnaissant le droit du peuple palestinien à la
résistance, la déclaration de Charm elSheikh demande le rejet de la violence.
Elle s’adresse d’abord à Israël. Mais elle demande aussi aux organisations
palestiniennes de ne pas donner à Israël le prétexte de nouvelles
attaques.
- LF : Le “marché”, qui a permis la levée du siège de
Ramallah, mais tué dans l’oeuf la commission d’enquête sur l’occupation de
Jénine, n’a pas redoré le prestige d’Arafat.
- AM : Je ne crois pas
qu’il y ait eu de “marché”, sinon peut-être entre les Etats-Unis et Israël. Je
crois en revanche que l’abandon de la mission d’information sur Jénine fut une
erreur monumentale. Le fait que les Israéliens aient tout fait pour l’empêcher
montre qu’ils ont quelque chose à cacher. Je ne sais pas à quel stade il faut
utiliser le mot “massacre”. Mais il est certain que des crimes de guerre au sens
de la Convention de Genève ont été commis. Il était important que la mission ait
lieu.
- LF : Qu’est-ce qui empêche Arafat de devenir une sorte
d’homme-symbole, de Mandela de la cause palestinienne, et de laisser à d’autres,
plus jeunes et moins contestés, la conduite du gouvernement de la Palestine
?
- AM : Ce n’est pas dans son caractère et ce n’est pas ce que
réclame la situation. Elle exige une main forte, une volonté centralisée,
capable de contrôler toutes ces forces. Je ne vois pas d’autre personnalité
palestinienne qui puisse avoir autant d’autorité, autant de prestige qu’Arafat
pour contrôler une situation extrêmement difficile.
6. Les délires du mépris antipalestinien par
José Bové, Rony Brauman et Nahala Chahal
in Le Monde du vendredi 17 mai
2002
(José Bové est chargé des relations internationales de la
Confédération paysanne. Rony Brauman est médecin, ancien président de Médecins
sans frontières ; il enseigne à l'Institut d'études politiques de Paris. Nahala
Chahal est coordinatrice de la Campagne civile internationale pour la protection
du peuple palestinien.)
Que l'auteur du film "Shoah" fasse preuve
d'une telle insensibilité aux souffrances d'un peuple, voilà qui a de quoi
déconcerter.
Ignorants, bornés, arrogants : voici le portrait-type, selon le cinéaste
Claude Lanzmann (Le Monde du 10 mai), de ces militants qui se sont mobilisés
pour faire pacifiquement barrage à l'avancée des chars israéliens contre le
siège de l'Autorité palestinienne à Ramallah.
La revue Les Temps modernes,
qu'il dirige, a soutenu, en d'autres temps, le droit des peuples à la justice et
à l'autodétermination. Claude Lanzmann peut aujourd'hui accabler de son mépris
ceux pour qui cette cause demeure d'une brûlante actualité. Il peut tourner en
dérision, dans un long point de vue, l'action de ces groupes citoyens sans
évoquer, et moins encore condamner, la politique de colonisation en Cisjordanie
et à Gaza, méthodiquement développée par les autorités israéliennes. Il peut
tenir pour quantité négligeable le doublement de ces colonies juives dans les
territoires occupés depuis la signature des accords d'Oslo, tout en s'indignant
de l'ignorance dans laquelle se trouvent les "touristes humanitaires" des
"raisons et concaténations qui conduisent à la situation actuelle". Triste
régression.
Ce que ces groupes ont accompli, pourtant, aucun gouvernement ou
organisme politique ne le faisait, aucune institution humanitaire ne le pouvait.
Leur action a bloqué l'étau dans lequel le gouvernement israélien s'était promis
d'étouffer le président de l'Autorité palestinienne. Ces citoyens, en provenance
des cinq continents, ont arrêté l'invasion et probablement la destruction de
l'hôpital de Ramallah. Grâce à leur présence permanente sur les lieux, l'hôpital
a pu continuer à fonctionner tant bien que mal.
A force de ténacité et de
courage physique (il en fallait, monsieur Lanzmann, contrairement à ce que vous
faites mine de croire), ces groupes ont symboliquement brisé l'isolement des
Palestiniens assiégés. Ils n'ont pas mis fin à cette guerre coloniale, mais ils
ont démontré, par la diversité de leurs origines et la clarté de leurs
positions, que l'exigence de justice, sans haine ni manichéisme, reste bien
vivante sous tous les horizons de la planète.
C'est là, dans cette volonté
incassable de rappeler que la résistance à l'oppression est un droit
fondamental, que réside leur légitimité. Plus que quiconque, en maintenant avec
leurs moyens dérisoires un lien entre la Palestine bouclée et le reste du monde,
ces groupes auront travaillé à désamorcer la spirale de haine où se trouve
entraîné le Proche-Orient.
Non, monsieur Lanzmann, ce n'est pas la "haine
anti-israélienne" qui animait ces gens. Francs-tireurs pacifiques, ils ne
visaient rien d'autre qu'une paix juste. Leur opposer "les hommes véritables
(sic) des véritables brigades internationales", les abaisser au rang de "faux
témoins" et de manipulateurs, c'est simplement faire preuve d'un insondable
mépris pour les souffrances d'une population et pour ceux qui ne se résignent
pas à cet état de fait. Contrairement à ce que vous affirmez, Claude Lanzmann,
sur un ton péremptoire, ces hommes et ces femmes ont visité Israël, rencontré
des Israéliens et longuement discuté du conflit avec eux. Jamais leurs
initiatives n'auraient pu avoir lieu sans la mobilisation des pacifistes
israéliens.
Non, monsieur Lanzmann, ce n'est pas le camp du "bien absolu" que
nous avons choisi. C'est, plus prosaïquement, plus fondamentalement surtout,
celui de la défense des droits nationaux des Palestiniens reconnus par l'ONU. On
rencontre aussi dans ce camp, vous semblez l'oublier, des citoyens israéliens,
militants des droits de l'homme, des officiers et des soldats, des intellectuels
qui, en d'autres temps sans doute, auraient pu être des lecteurs des Temps
modernes. Ceux-là même, d'ailleurs, qui se dressent contre la propagande que
vous relayez avec tant de légèreté.
Ils savent, comme tout le monde, sauf
vous, qu'il y a bien longtemps que les Palestiniens de la bande de Gaza n'ont
plus le droit de travailler en Israël. Ils savent, eux, que les négociations de
Camp David n'en étaient pas et que c'est Ehud Barak qui a brutalement interrompu
les pourparlers de Taba (où fut mis sur la table un véritable plan de paix,
effectivement), par peur de perdre les élections.
Non, monsieur Lanzmann, nul
ne croit que "des barbares arrachent les oliviers par plaisir, qu'ils détruisent
les maisons au bulldozer ou les font sauter à la dynamite par sadisme pur". Ce
sont des soldats qui le font parce qu'ils ont reçu l'ordre de le faire. Et ce
sont ces ordres infâmes que refusent d'exécuter les objecteurs de conscience
israéliens.
Si vous aviez pris la peine de passer quelques jours dans les
territoires occupés, si vous aviez cherché à savoir à quoi y ressemble la vie
quotidienne, vous qui affirmez si bien connaître la réalité du Proche-Orient,
vous auriez honte de la travestir en une "plainte des communicants Palestiniens,
plainte rodée, théâtralisée". Vous auriez compris depuis longtemps que la
sécurité d'Israël n'a pas d'autre avenir que celui de la justice rendue aux
Palestiniens et, dans l'immédiat, l'assurance de leur protection.
Non,
monsieur Lanzmann, la raison d'être du voyage en Israël des écrivains qui se
sont exprimés dans les pages Débats du Monde, ce n'est pas de "dénoncer Israël,
essence et existence confondues, comme l'incarnation du Mal". Rien, dans leurs
propos ni dans ceux des volontaires des missions civiles, ne vous autorise à
leur attribuer cette pensée stupide et odieuse. Leur ambition n'est autre que de
témoigner d'une situation insupportable et de réduire, si peu que ce soit, la
disproportion des forces en présence en s'adressant à l'opinion publique.
Que
l'auteur du film Shoah fasse preuve d'une telle insensibilité aux souffrances
d'un peuple, que le directeur des Temps modernes se montre si hermétiquement
fermé au scandale politique et humain d'une occupation qui dure depuis
trente-cinq ans, voilà qui a de quoi déconcerter. Mais passons, car ces
contradictions sont les vôtres, après tout.
Reste le conflit, dont l'issue
semble s'éloigner de jour en jour. Avec l'entrée au gouvernement du général Effi
Eitam, un exalté raciste partisan du "Grand Israël", et avec les récentes
déclarations du premier ministre, il est certain que le blocus, les
bombardements, les détentions administratives et autres punitions collectives
vont se poursuivre, que la répression va continuer de tenir lieu de
politique.
Le refus opposé par Ariel Sharon à toute commission d'enquête,
même exclusivement américaine, sur l'attaque de Jénine est un message éloquent
en ce sens.
C'est ce camp d'éradicateurs, cette stratégie jusqu'au-boutiste
de kamikaze que vous défendez aujourd'hui. Pourquoi ?
L'armée israélienne,
nous en convenons volontiers avec vous, "n'est ni un ramassis de voleurs, ni une
bande d'assassins". C'est une armée d'occupation. Cela suffit pour justifier la
réprobation, non pas d'Israël en tant que tel, mais de sa politique d'expansion.
Ce pays, écrivez-vous, "est une démocratie et une puissance". Une puissance,
certes, qui pourrait le nier ? Mais une démocratie ? Pas tant qu'il opprimera un
autre peuple.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit, en définitive : du droit
d'avoir des droits. C'est ce principe fondateur de toute politique décente que
les volontaires des missions civiles et les écrivains sont allés défendre aux
côtés des Palestiniens à Ramallah. Il est affligeant de constater que, sous les
auspices de Sartre ("un Parlement à lui tout seul", avez-vous écrit), vous
accablez d'insultes et de sarcasmes des hommes et des femmes qui se sont
mobilisés pour le seul combat qui vaille : celui de la liberté et de la
justice.
7. Les démons de la Nakbah
par Ilan Pappe
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 16 mai
2002
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
(Ilan Pappe est professeur de
science politique à l’université de Haïfa. Il est en Irsaël, l’un des
"nouveaux historiens".)
Durant mon enfance (je suis né à Haïfa au début des années
1950) je n’ai jamais entendu parler de la Nakbah (catastrophe), et je n’en
connaissais pas le sens. Ce n’est qu’au collège que ce terme fit pour moi sa
première apparition. Il y avait trois élèves palestiniens dans ma classe, et
nous participions tous à des visites guidées dans la ville de Haïfa et dans les
environs. A l’époque, la présence arabe, à Haïfa, était encore manifeste, dans
la Vieille Ville : de magnifiques constructions, les restes d’un marché couvert,
détruit par les Israéliens en 1948, des mosquées, des églises...
Ces vestiges
attestaient du passé prestigieux de la ville. La plupart d’entre eux ont
aujourd’hui disparu. Ils ont été rasés par les bulldozers à l’initiative d’un
maire hyperactif qui a veillé à éliminer toute caractéristique urbaine qui
aurait pu évoquer de près ou de loin le passé arabe de la cité. Mais, à cette
époque, il y avait encore quelques rares maisons arabes, coincées entre les
buildings modernes en béton. Les guides, lors de nos visites scolaires, les
appelaient “Khirbet al-Shaykh” (litt. “la Ruine du Shaykh, ou du Vieux”), ce qui
était une manière de faire une vague allusion à des maisons arabes remontant à
une période indéfinie. Mes camarades palestiniens murmuraient que ces maisons
avaient été abandonnées lors de la Nakbah de 1948, mais ils n’auraient jamais
osé défier les professeurs. Ils ne s’étendaient pas sur le sujet.
Plus tard,
jeune étudiant en doctorat à l’Université d’Oxford, je choisis “1948" comme
sujet de thèse. Je commençais à rédiger mon mémoire sur la politique britannique
durant cette année là, mais je découvris incidemment des indices, dans les
archives israéliennes et britanniques, lesquels, une fois rassemblés et mis en
cohérence, me donnèrent pour la première fois une idée claire sur ce qu’était
cette “Nakbah”. Je trouvai des preuves irréfutables de l’expulsion systématique
des Palestiniens hors de la Palestine, et je restai stupéfait devant la rapidité
avec laquelle la judaïsation des villages et des campagnes autrefois
palestiniens avait été accomplie.
Ces villages, dont les habitants avaient
été évincés en 1948, avaient été renommés et repeuplés en l’affaire de seulement
quelques mois. Cette réalité contrastait violemment non seulement avec ce que
j’avais appris à l’école au sujet de 1948, mais même avec ce que j’avais acquis
en tant qu’étudiant à la section des Etudes Moyen-Orientales de l’Université
hébraïque de Jérusalem, même si un nombre non négligeable de mes cours avaient
trait à l’histoire d’Israël. Inutile de dire que mes découvertes contredisaient
également les messages qui m’avaient été inculqués, en tant que citoyen
israélien, durant ma formation militaire, ou à l’occasion d’événements publics
telle la célébration du Jour de l’Indépendance et, aussi, à travers le discours
développé quotidiennement par les médias du pays, sur l’histoire du conflit
israélo-palestinien.
Une fois rentré en Israël, en 1984, pour y entamer une
carrière universitaire, je découvris l’ampleur du phénomène de déni de la Nakbah
dans mon nouvel environnement. Cela s’insérait, en réalité, dans un phénomène
plus global : celui de l’exclusion des Palestiniens, ni plus ni moins, du
discours académique israélien. Cela était particulièrement évident, et
stupéfiant, dans le domaine des études moyen-orientales, dans lequel j’avais
commencé ma carrière en tant que maître assistant. Vers la fin des années 1980,
conséquence de la première Intifada, la situation en la matière s’améliora
quelque peu, les Palestiniens étant admis dans les études moyen-orientales, où
ils firent leur entrée en qualité de sujets d’étude pertinents ! Mais même ce
changement est intervenu essentiellement du fait d’universitaires qui avaient
été des experts des services secrets israéliens sur le “sujet”, par le passé, et
qui entretenaient encore des liens très étroits avec les services de sécurité et
les Forces israéliennes de défense (armée israélienne, “Tsahal”, ndt). Ainsi,
cette vision “universitaire” eut pour effet d’occulter la Nakbah en tant
qu’événement historique local, en dissuadant les étudiants et les universitaires
locaux de défier le déni généralisé et l’occultation de la catastrophe dans le
monde situé à l’extérieur des tours d’ivoire des universités.
Pendant une
courte période, à la fin des années 1980, plusieurs chercheurs, dont moi-même,
ont attiré l’attention du public en publiant des ouvrages de recherche qui
remettaient en question la version reçue en Israël de la guerre de 1948. Dans
ces ouvrages, nous accusions Israël d’avoir expulsé la population indigène et
d’avoir détruit les villages et les hameaux palestiniens. Bien que nos premiers
ouvrages aient été prudents et hésitants (et les miens n’étaient même pas
traduits en hébreu...), il était tout de même possible d’en déduire que l’Etat
juif avait été édifié sur les ruines du peuple indigène de la Palestine, dont
les ressources, les maisons, la culture et les terres avaient été
systématiquement détruites ou spoliées.
La réponse publique, en Israël, à
l’époque, allait de l’indifférence au rejet total de nos constatations. C’est
seulement dans les médias et à travers le système éducatif que nous avons réussi
à inciter les gens à regarder le passé d’une manière différente. Toutefois, d’en
haut, l’establishment a fait tout son possible afin d’écraser ces timides
bourgeons de prise de conscience d’eux-mêmes par les Israéliens et de
reconnaissance du rôle joué par Israël dans la catastrophe qui s’était abattue
sur le peuple palestinien, prise de conscience qui aurait pu aider les
Israéliens à mieux comprendre le blocage actuel du processus de paix.
La
lutte contre le déni de la Nakbah, en Israël, se déplaça ensuite en direction de
la scène politique palestinienne en Israël. Depuis le quarantième anniversaire
de la Nakbah, en 1988, la minorité palestinienne en Israël a associé, d’une
manière totalement nouvelle, ses mémoires tant collective qu’individuelles de la
catastrophe à la situation générale des Palestiniens et, en particulier, avec
leurs propres difficultés. Cette association s’est manifestée au travers d’un
ensemble de gestes symboliques, tels des services religieux à l’occasion du jour
de commémoration de la Nakbah, des visites organisées de villages abandonnés ou
anciennement peuplés de Palestiniens, en Israël, de séminaires consacrés au
passé historique, d’interviews détaillées de survivants de la Nakbah, publiés
dans la presse.
Par l’intermédiaire de ses représentants politiques, de ses
organisations non gouvernementales et de ses médias, la minorité palestinienne
d’Israël a été capable d’amener le public israélien à prendre conscience de la
réalité de la Nakbah. Cette réémergence de la Nakbah en tant que sujet de débat
public a été favorisée, également, par le climax atteint au moment des
négociations d’Oslo - en particulier le sommet de Camp David entre le Premier
ministre israélien d’alors, Ehud Barak, et Yasser Arafat (en été 2000). La
fausse impression prévalant à l’époque, qui voulait que la fin du conflit fût à
portée de main, a placé la Nakbah et la responsabilité israélienne dans cette
Nakbah tout en haut de la liste des exigences palestiniennes. Et, en dépit de
l’effondrement de la rencontre au sommet, due principalement à la volonté de la
partie israélienne d’imposer ses vues à la partie palestinienne, la catastrophe
de 1948 a été, durant une certaine période, rappelée à l’attention d’une
audience locale, régionale et, dans une certaine mesure, mondiale.
Non
seulement en Israël, mais aux Etats-Unis, et même en Europe, il fut nécessaire
de rappeler aux gens concernés par la question palestinienne que ce conflit ne
concernait pas seulement le futur des territoires occupés, mais aussi celui des
réfugiés palestiniens qui avaient été chassés de leurs foyers en 1948. Les
Israéliens avaient, auparavant, réussi à mettre sur la touche des accords d’Oslo
le sujet des droits des réfugiés, aidés en cela par une diplomatie et une
stratégie palestiniennes mal pilotées.
En effet, la Nakbah avait été à ce
point habilement et efficacement éliminée de l’ordre du jour du processus de
paix que lorsqu’elle y fit inopinément sa réapparition, les Israéliens eurent un
choc : ils eurent le sentiment (justifié) qu’une véritable boîte de Pandore
venait d’être ouverte sous leur nez. La pire crainte des négociateurs israéliens
était qu’il fût possible que la responsabilité d’Israël dans la catastrophe de
1948 devînt désormais un sujet négociable et, en conséquence, du côté israélien,
on fit, bien entendu, face à ce “danger”. Dans les médias israéliens et au
parlement, la Knesset, une position consensuelle se dégagea : aucun négociateur
israélien ne serait autorisé ne serait-ce qu’à évoquer le Droit au Retour des
réfugiés palestiniens dans les foyers qu’ils avaient habités avant 1948. La
Knesset adopta une loi à cet effet, et Barak en prit publiquement l’engagement
sur la passerelle de l’avion qui allait l’emmener à Camp David...
Les médias
et autres institutions culturelles israéliennes avaient été également mobilisés
afin de décourager toute velléité de débattre de la Nakbah et de son caractère
pertinent dans le processus de paix et c’est dans cette ambiance que je fus
impliqué dans l’affaire Tantura. Ce problème (scandale ?) a éclaté après qu’un
étudiant en maîtrise dans mon université, celle d’Haïfa en l’occurrence, a
évoqué dans un exposé un massacre jusqu’ici tu et occulté, inconnu, commis par
les forces armées israéliennes, durant la guerre de 1948, dans le village
palestinien de Tantura. Cet étudiant a été convoqué au tribunal en décembre 2000
et accusé de diffamation. En novembre 2001, il a été exclu de l’université pour
avoir osé produire encore d’autre preuves, s’il était besoin, de la
responsabilité israélienne dans la catastrophe subie par les Palestiniens. Le
système judiciaire, apparemment, désirait se joindre au choeur des
dénégateurs.
Cette année, tandis que je jette un regard en arrière, sur les
tentatives que j’ai pu déployer, avec d’autres, afin d’introduire la Nakbah dans
l’ordre du jour du débat politique public en Israël, j’en retire un tableau très
mitigé. Je suis en mesure, maintenant, de détecter des failles dans le mur de
déni et de répression qui entoure la Nakbah, en Israël, ce qui est à mettre à
l’actif du débat autour de la “nouvelle histoire” et du renouveau de l’action
politique des Palestiniens vivant en Israël. Cette atmosphère nouvelle a été
favorisée, également, par une clarification de la position palestinienne sur la
question des réfugiés, un peu avant la fin du processus d’Oslo. Le résultat,
aujourd’hui, à la mi-2002, c’est qu’après (et en dépit de) plus de cinquante ans
de répression, il est plus difficile de nier, en Israël, l’expulsion et la
destruction des Palestiniens opérées en 1948. Toutefois, ce succès relatif a été
accompagné de deux réactions négatives, qu’il ne faut pas négliger, formulées
après le déclenchement spontané de l’Intifada d’Al-Aqsa (la deuxième Intifada,
actuelle, ndt).
La première de ces réactions est venue de l’establishment
politique israélien, principalement du gouvernement Sharon, par l’entremise de
son ministre de l’éducation, qui a entrepris l’élimination systématique de tout
livre scolaire, de tout programme, qui pourrait faire allusion de près ou de
loin à la Nakbah, même d’extrêmement loin. Des instructions similaires ont été
données aux autorités de la radiodiffusion publique.
La seconde réaction a
été encore plus grave et concerne des couches encore plus larges de la
population israélienne. Bien qu’un nombre très considérable de politiciens,
journalistes et universitaires israéliens aient cessé de nier ce qui s’est passé
en 1948, ils n’en ont pas moins fait preuve de détermination à le justifier
publiquement, non seulement rétroactivement, mais aussi en prévision d’une
utilisation future de cette justification. L’idée du “transfert” est entrée,
ouvertement - c’est une première - dans le discours politique israélien, en
conquérant une légitimité de moyen le plus adapté pour régler le “problème”
palestinien.
Sincèrement, si l’on me demandait de choisir ce qui caractérise
le mieux la réponse actuelle israélienne à la question de la Nakbah, je
répondrais sans hésiter que c’est la popularité grandissante de l’Option du
Transfert, dans l’opinion publique israélienne (humeur du moment et pensée
élaborée). La Nakbah - l’expulsion des Palestiniens à l’extérieur de la
Palestine - semble désormais, à beaucoup de gens, être au centre de la carte
politique, comme une conséquence inévitable et justifiable du projet sioniste en
Palestine. Si l’on entend quelque plainte, c’est en général que l’expulsion n’a
pas été menée jusqu’au bout. Le fait que même un “nouvel historien” comme Benny
Morris adhère désormais à l’opinion que l’expulsion (des Palestiniens) était
inévitable et qu’elle aurait même dû être beaucoup plus drastique contribue à
légitimiser les projets israéliens d’une nouvelle phase, à venir, d’épuration
ethnique.
Le transfert est d’ores et déjà l’option officielle, morale,
recommandée par l’un des centres universitaires les plus prestigieux d’Israël,
le Centre pour les Etudes Interdisciplinaires d’Erzliya, lequel conseille le
gouvernement. Cette option est apparue comme une proposition politique dans des
documents présentés par des ministres travaillistes éminents à leur
gouvernement. Elle est ouvertement soutenue par des professeurs d’université,
des commentateurs des médias, et les individualités qui osent la condamner sont
extrêmement rares. De plus, dernièrement, le chef de la majorité (républicaine)
à la Chambre américaine des Représentants l’a ouvertement faite
sienne.
Ainsi, la boucle est bouclée. Lorsqu’Israël s’est emparé de presque
80 pour cent de la Palestine, en 1948, il le fit déjà au moyen de colonies
(“implantations”) et de nettoyage ethnique évinçant la population palestinienne
originelle. Le pays est aujourd’hui dirigé par un Premier ministre qui jouit
d’une très grande popularité, et qui veut déterminer par la force le futur des
20 pour cent (de la Palestine historique) restants. Il a, à l’instar de tous ses
prédécesseurs, qu’ils aient été du parti Travailliste ou du Likoud, eu recours
aux colonies comme meilleur moyen pour ce faire, innovant en cela qu’il a, de
surcroît, détruit l’infrastructure de la Palestine indépendante. Il a la
conviction, et il n’a peut-être pas tort, que l’opinion publique, en Israël,
l’autoriserait à aller encore plus loin, quand bien même dût-il s’agir de
répéter le nettoyage ethnique non seulement des Palestiniens des territoires
occupés, mais même, si nécessaire, du million de Palestiniens vivant à
l’intérieur des frontières israéliennes d’avant juin 1967.
On le voit : la
Nakbah n’est plus niée, en Israël. Au contraire, on s’en vante. Toutefois,
l’histoire, dans sa totalité, doit être dite aux Israéliens, car il y a
peut-être encore, dans la population de cet Etat, des gens susceptibles d’être
sensibilisés à leur passé de leur pays et à sa conduite actuelle. Cette partie
de la population israélienne devrait être mise en garde sur le fait que des
agissements horrifiants leur ont été cachés, lesquels ont été commis durant la
guerre de 1948. Il faudrait leur dire, aussi, que de tels agissements risquent
de se renouveler aujourd’hui, si eux-mêmes, et d’autres, n’agissent pas afin de
s’y opposer avant que l’irréparable soit commis.
8. Arafat appelle à une réforme totale du
régime politique palestinien, en réaffirmant le choix de la paix par
Walid Awadh
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à
Londres) du jeudi 16 mai 2002
[traduit de l'arabe par
Marcel Charbonnier]
Des informations circulent sur
l’organisation d’élections, à la fin de l’été ou au début de l’automne. Le
discours d’Arafat est bien accueilli dans le monde, mais Israël fait part de ses
réserves.
Le président palestinien Yasser Arafat
a reconnu des insuffisances dans les services de sécurité et il a appelé à des
réformes complètes de l’Autorité palestinienne et à la préparation d’élections.
Il a également endossé la responsabilité des fautes commises au niveau exécutif,
en affirmant la nécessité d’y porter remède, et insisté sur le fait que la paix
était toujours un choix stratégique pour les Palestiniens.
C’était au cours
d’une allocution prononcée par Arafat devant les membres du Conseil législatif
palestinien, à Ramallah, en commémoration du jour de la Nakba palestinienne
(création d’Israël) (16 mai).
Dans son discours, Arafat a dit notamment qu’il
avait connaissance des critiques suscitées chez le peuple palestinien par les
accords mettant un terme au siège israélien imposé à son QG à Ramallah, et aux
Palestiniens cernés dans la Basilique de la Nativité, à Bethléem. Affirmant
qu’il n’y avait pas d’autre choix, Arafat a déclaré en endosser l’entière
responsabilité.
Il a poursuivi en ces termes : “Il y a des remarques sur la
façon dont on est parvenu à un accord en ce qui concerne nos frères à Ramallah
et à Bethléem, accord en vue de lever les deux sièges et les modalités du
retrait de l’armée d’occupation. Mais j’endosse l’entière responsabilité de tout
ce qui s’est passé, et en particulier le fait qu’il s’agissait de la mise en
application de suggestions internationales, américaines et européennes,
formulées dans les circonstances urgentes et difficiles que vous connaissez et
que je ne rappellerai pas ici dans le détail, persuadé que vous les connaissez
tous parfaitement bien.”
Arafat a promis de corriger les erreurs qui se sont
produites dans l’action de l’Autorité palestinienne au cours des années écoulées
et, cela, sans attendre. Il a rappelé que le peuple palestinien lutte pour son
indépendance complète, pour son Etat, qui aura pour capitale Jérusalem “que cela
plaise ou non. Que celui à qui cela déplaît aille boire l’eau de la mer Morte”,
pour reprendre ses propres termes.
Arafat a affirmé que la paix est la seule
option et qu’elle est dans l’intérêt des deux peuples palestinien et israélien.
Il a ajouté, à propos des opérations au cours desquelles des Palestiniens se
sacrifient en se faisant sauter au moyen de charges explosives à l’intérieur du
territoire israélien, opérations qui ont causé de nombreuses victimes
israéliennes, que “l’opinion publique palestinienne et l’opinion publique arabe
en sont arrivées à la conclusion que ces attentats-suicides ne servent pas leurs
objectifs”. Il a appelé à la préparation rapide d’élections, et à ce qu’on
procède aux scrutins matériellement possibles, disant : “notre situation
intérieure et notre organisation politique nécessitent une évaluation complète
et une remise en considération de toutes les instances ministérielles,
administratives et sécuritaires. Nous avons besoin, plus que tout, d’un audit de
nos politiques et de corriger et de redresser notre marche vers l’indépendance
nationale, avec la plus grande sincérité et avec fermeté”. Arafat n’a pas
précisé de date pour des élections à venir, il n’a pas non plus donné de détails
(sur le niveau de ces scrutins : municipal ; législatif ; présidentiel ?
Ndt).
Arafat a laissé aux membres du Conseil législatif et au peuple lui-même
le soin d’évaluer les derniers développements en toute confiance et
responsabilité, loin du sentimentalisme et du sensationnalisme. Il a dit qu’il
laissait le Conseil législatif animer comme il l’entendait le plus vaste débat
national.
Il a fait allusion également à la nécessité de respecter
scrupuleusement le principe de la “séparation des pouvoirs judiciaire,
législatif et exécutif”, et de “préserver l’unité nationale et le respect des
droits de la personne”.
Par ailleurs, Ahmad Qura’i, président du Conseil
législatif palestinien, a déclaré aux journalistes, après le discours d’Arafat,
que “la tenue d’élections allait être discutée au cours de la séance de ce jour”
(hier, 16 mai, ndt), ajoutant que “le discours du président Arafat comportait
des principes très importants dont nous allons débattre dans un groupe de
travail qui sera réuni en permanence au cours des deux semaines à venir”. Ces
élections se tiendront avant la fin de l’année.” Quant à Nabil Amr, ministre
démissionnaire des relations avec le Parlement palestinien, il a commenté
l’annonce d’élections par Arafat en ces termes : “il s’agit de généralités. Ce
que nous attendons, ce sont des décisions, des mesures, des dispositions rendant
possible la tenue de scrutin(s), et je ne pense pas que le gouvernement actuel
soit en mesure de faire ce que le Président a promis qu’il ferait. C’est
pourquoi il faut au préalable nommer un nouveau gouvernement, plus compétent, et
à même d’accomplir cette mission”.
La députée palestinienne Hanan Ashrawi a
appelé hier (mercredi) le président palestinien à aller de l’avant, l’exhortant
à passer à la réalisation de ses promesses de réformes, lui demandant “de
joindre les actes à la parole”. Mme Ashrawi a déclaré, au cours d’une interview
à la chaîne américaine CNN, commentant le discours d’Arafat, au cours duquel il
a appelé à “une révision complète du système politique palestinien”, qu’”Arafat
s’est contenté d’annoncer ses intentions en la matière”.
Elle a poursuivi en
disant : “bien loin de nous présenter des mesures concrètes, ou un plan
d’action, il s’est contenté de nous demander de discuter de la situation afin de
dégager de cette évaluation les mesures possibles.”
Mme Ashrawi a été très
claire, disant que “le peuple palestinien a besoin de mesures pratiques
immédiates concrétisant de manière sérieuse les bonnes intentions ainsi
annoncées”.
Un porte-parole du Premier ministre israélien Ariel Sharon a
déclaré mercredi que le discours d’Arafat “ne comportait rien de nouveau”. Le
porte-parole israélien Ra’anan Ghissin a commenté, pour sa part, en ces termes :
“(Arafat) n’a rien dit de nouveau. La mer Morte est toujours la mer Morte, et le
vieil Arafat est toujours l’Arafat que nous connaissons bien”.
Bon accueil international
La Maison
Blanche a accueilli favorablement, mercredi, les déclarations du président
palestinien appelant à la tenue d’élections et à la réforme de l’Autorité
palestinienne. Le porte-parole de la présidence, Arié Fleischer, a déclaré que
“ces déclarations sont positives”, en précisant “attendre maintenant des
actes”.
Fleischer a ajouté : “le président (Bush) aspire à des actes qui
aient pour effet d’apporter au peuple palestinien une vie meilleure et de
renforcer les chances d’une paix permanente”.
Le porte-parole (pour les
relations internationales) de la Commission européenne, Javier Solana, a déclaré
mercredi que le président palestinien l’avait informé de sa détermination à
procéder à des “élections législatives et municipales, à la fin de l’été ou au
début de l’automne”.
La France a qualifié le discours du président
palestinien de “ constructif ”. L’adjoint au porte-parole du Quai d’Orsay,
Bernard Valero, a déclaré : “c’est un discours constructif, dans lequel nous
relevons avec satisfaction l’insistance du président de l’Autorité palestinienne
sur son engagement pour la paix, sa condamnation de la violence et également son
désir de réformer les institutions palestiniennes. Tout ceci est, à nos yeux,
très positif.”
9. Les critiques contre Arafat sont les plus
virulentes depuis la création de l’Autorité par Amos Har’le
in
Ha’Aretz (quotidien israélien) du 15 mai 2002 repris par Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du jeudi
16 mai 2002
[traduit de l'arabe par
Marcel Charbonnier]
Limogeage probable d’Al-Tirawi et vaste mouvement au niveau de
la direction
Selon des sources militaires (israéliennes), les critiques visant, en
Cisjordanie, Yasser Arafat, président de l’Autorité palestinienne, sont les plus
virulentes jamais formulées à l’encontre de l’Autorité. Néanmoins, ces sources
ne considèrent pas que ces développements récents soient susceptibles de menacer
le pouvoir d’Arafat.
On considère, dans l’armée (israélienne) que les
changements à l’intérieur de l’Autorité sont l’une des principales conséquences
de l’opération Rempart. Les attaques contre Arafat proviennent jusqu’à présent
de la direction de l’Autorité. Ce qui a changé, c’est que moins d’efforts sont
déployés pour les dissimuler que par le passé. A de nombreuses occasions, Abu
Mazen, adjoint d’Arafat à la direction de l’OLP, a critiqué violemment le
président de l’Autorité, en sa présence et en celle d’autres responsables.
En Cisjordanie, les réserves vis-à-vis d’Arafat proviennent de plusieurs
directions : les organisations islamistes s’opposent à la position qu’il a prise
en matière de suspension des attentats-suicides, tandis que différents courants
politiques font part de leurs critiques au sujet des négociations qu’il a menées
notamment en ce qui concerne l’arrestation des assassins du ministre Re’avam
Ze’evi et l’envoi en exil des assiégés dans la basilique de la Nativité à
Bethléem et alors que la population établit un lien entre Arafat et les
terribles destructions causées par l’armée (israélienne) dans les villes de
Cisjordanie.
D’après des sources proches des services de sécurité, la visite
d’Arafat dans les villes de Cisjordanie, avant-hier, est un échec : la réponse
populaire a été très faible. Dans le camp de Jénine, des activistes du Hamas et
du Fatah avaient menacé d’empêcher le préfet Zuhaïr Manaçirah d’entrer dans le
camp au cours de la visite prévue d’Arafat, sous prétexte que ce préfet se
serait enfui en Jordanie au moment des combats dans le camp. Le comportement de
ces activistes a contraint Arafat à renoncer à la visite du camp. Des sources du
Fatah avançaient, ces derniers jours, que l’opération militaire israélienne
baptisée “Rempart” avait sévèrement entamé le crédit de l’OLP en
Cisjordanie.
L’appel à des réformes des instances du pouvoir émergent dans le
Fatah, plus qu’ailleurs. Mais il semble que le fait qu’Israël et les Etats-Unis
se rejoignent sur cette même exigence ne pourra qu’affaiblir le poids de ce
courant (réformiste) à l’intérieur de l’Autorité, car les partisans des réformes
(palestiniens) risqueront d’apparaître comme des agents d’Israël.
Il semble
que l’agression subie avant-hier au soir par le ministre palestinien Hasan
‘Asfour, soit liée dans une grande mesure à des soupçons de corruption. Des
accusations mutuelles de corruption sont échangées, dans différents milieux de
l’Autorité et du Fatah, en particulier en ce qui concerne l’utilisation
détournée de fonds d’aide normalement destinés à la réparation des dommages
causés par l’opération israélienne “Rempart”.
A l’intérieur même du Fatah,
une discussion approfondie est en cours depuis quelques jours autour de la
question des attentats-suicides : beaucoup de militants de l’OLP considèrent que
le passage à des opérations dures à l’intérieur du territoire israélien, à
partir la fin du mois de janvier de cette année, était une erreur. En revanche,
le Hamas et le Djihad islamique ont déclaré qu’ils allaient poursuivre des
attentats de cette nature, après avoir refusé les pressions d’Arafat les
appelant à limiter désormais leurs opérations à la Cisjordanie. Selon les
estimations faites en Israël, l’Autorité s’est abstenue, jusqu’ici, de faire un
quelconque effort afin de déjouer ces attentats.
En raison de la poursuite de
la crainte d’attentats et du maintien de l’état d’alerte, des concentrations de
troupes sont maintenues tout au long de la ligne de contact, en Cisjordanie. Le
chef d’état-major de l’armée israélienne, Shaul Mofaz, a déclaré il y a quelques
jours qu’il suffirait que deux kamikazes parviennent à leurs fins pour que tous
les “acquis” de l’opération Rempart soient anéantis. A la lumière de l’hypothèse
que les attentats-suicides vont se poursuivre, l’armée continue à se préparer,
en vue d’une possible opération en représailles dans la bande de Gaza. Mais
cette opération serait d’une envergure moindre de celle, initialement prévue, et
qui a été suspendue la semaine dernière.
Plusieurs responsables du Hamas,
dont Salah Shahhadéh “sont passés à la clandestinité” et ont quitté leur
domicile depuis le “premier” attentat (post-”Rempart”, ndt) perpétré à Rishon
lé-Tzion. Bien qu’une semaine se soit écoulée depuis cet attentat, l’identité du
kamikaze n’a toujours pas été établie et aucune “maison de condoléances” n’a été
ouverte (en sa mémoire) en Cisjordanie. Une source militaire (israélienne) a
indiqué qu’il s’agit là “d’un précédent unique dans la confrontation
actuelle”.
Sur fond des conséquences du coup que l’opération Rempart a
représenté pour l’Autorité palestinienne, les supputations de réformes de cette
dernière vont bon train. Ces derniers jours, des rapports indiquaient qu’Arafat
allait limoger Tawfiq Al-Tirawi, le président des renseignements généraux en
Cisjordanie, lequel pourrait être remplacé par Amin al-Hindi, chef des services
de renseignement dans la bande de Gaza. La semaine dernière, à Naplouse, le chef
des forces d’intervention rapide de l’Autorité, Huseïn ‘Id, a été limogé. Pour
justifier sa mise à l’écart, on a invoqué des problèmes de moeurs, mais il
semble qu’elle soit en réalité motivée par des luttes d’influence, exacerbées
par le déroulement des événements au moment de l’entrée de l’armée israélienne
dans cette ville.
10. Tous américains par
Serge Halimi
in Manière de Voir (Le Monde Diplomatique) N° 63 mai-juin
2002
Après les attentats du 11 septembre 2001, une
vague d’américanophilie a submergé les médias... Nouvelle forme de terrorisme
intellectuel.
L’Amérique, c’est le monde
En deux
propositions d’un enchaînement logique audacieux, le président George W. Bush a
en effet expliqué : “Maintenant que la guerre nous a été déclarée, nous
conduirons le monde à la victoire.” Le 11 septembre 2001, en tous cas, les
Etats-Unis ont essuyé des pertes supérieures à celles causées par toutes leurs
opérations militaires menées successivement depuis vingt ans contre la Grenade,
la Libye, le Panama, l’Irak, la Somalie, Haïti, l’Afghanistan, le Soudan et la
Yougoslavie. Un tel événement - et la destruction d’une aile du Pentagone -
méritait peut-être mieux que le traitement médiatique presque exclusivement
compassionnel auquel il a d’abord donné lieu.
Oeil pour oeil... Devant les
décombres du World Trade Center, 67 % des Américains ont admis que l’éventualité
de “plusieurs milliers de victimes civiles innocentes” causées par une riposte
militaire n’apaiserait pas leur soif de revanche [1]. Sans doute imaginent-ils
que ces victimes-là se trouveront dans le camp de leur adversaire. Ce qui compte
moins. Pour eux. Et donc pour nous, puisque “nous sommes tous américains”.
Ce
genre de citoyenneté ne va pas sans contraintes. Après avoir réclamé la liberté
de conduire une politique étrangère dictée par leurs seuls intérêts, les
Etats-Unis exigent en effet, au moment de l’épreuve, une solidarité sans faille,
l’alignement de leurs alliés. “La coopération dans l’effort de guerre, prévient
le Washington Post, doit être une exigence absolue. Tout refus de coopérer (...)
devrait définir un adversaire de l’Amérique et entraîner des conséquences
sérieuses, économiques ou militaires [2].”
On coopéra. Le 18 septembre 2001,
lors d’une de ces innombrables émissions, “spéciales” à force d’être vides,
réalisées en direct de New York par France-Inter, le journaliste de service crut
bon d’égrener presque chaque minute l’heure de la côte Est. Elle était
vraisemblablement devenue la nôtre. Tous américains, nous vivions à New York et
nous parlions tous anglais. “Les attaques, précisa The International Herald
Tribune, ont remis en cause l’idée que les autres pays, en particulier en
Europe, pouvaient avoir des systèmes de valeur et des niveaux de confort proches
de ceux de l’Amérique, tout en refusant de s’impliquer dans la confrontation
entre les Etats-Unis et les forces terroristes qui narguent l’Occident
[3].”
Interrogé par France-Inter, le réalisateur Michael Cimino n’avait rien
à dire. Mais il le disait de Los Angeles, et en anglais. La
politologue-journaliste Nicole Bacharand, éblouie par son babillage, lui donna
la réplique : “Thank you, Michael, and remember this : we are all Americans
[4].” Et puis, le 14 septembre, sur France-Musiques : “Bonjour à tous.
Aujourd’hui à midi, nous serons tous américains en faisant, trois minutes
durant, silence. (...) Huit cents millions d’Européens communieront peu ou prou
dans la même attitude à la même heure, rejoignant en cela vos quotidiens qui, le
premier choc passé, s’arrêtent un instant ce matin pour se recueillir et
réfléchir.” “Réfléchir”, le mot fut donc prononcé au moins une fois pendant ces
journées-là.
Peut-être inspiré par le grand instant de recueillement
européen, Jean d’Ormesson adressa deux jours plus tard, par l’entremise du
Figaro, une “Lettre ouverte au président Bush”. Il lui écrivait : “Vous
connaissez le cri qui est sur toutes nos lèvres : “Nous sommes tous des
Américains”“. Mais, pour le Journal du dimanche, il était dit qu’on n’en
resterait pas là : “Si c’est l’Amérique qui est en deuil, ce sont toutes les
démocraties qui sont frappées. Et en danger. En ce sens, oui, nous sommes tous
des Américains.”
“Nous” ? “Tous” ? Sans indiquer au nom de quelle autorité
ils le faisaient - celle de l’information ? -, nombre de commentateurs dominants
se sont ainsi jugés habilités à “nous” prescrire des appartenances collectives,
des minutes de silence, des cris sur nos lèvres. Au moment où un journaliste
présumé trop impertinent se voyait, lui, imposer “non pas trois minutes, mais
une semaine de silence [5]”, la démocratie attaquée nous valut même une revue de
presse involontairement éclairante : “Lisez Jean-Marie Colombani à la “une” du
Monde. Lisez Serge July, de Libération, Michel Schifres dans Le Figaro. Lisez la
chronique de Jacques Julliard, l’éditorial de Jean Daniel dans Le Nouvel
Observateur. Celui de Claude Imbert dans Le Point ou de Denis Jeambar dans
L’Express. Lisez ces dizaines de pages, ces centaines d’articles qui expliquent
finalement tous la même chose [6].” Oui, la même chose. Mais alors pourquoi tout
lire ?
Et l’Etat opéra son retour
Désormais,
les marchés le réclamaient. Car, ainsi que l’annonça l’un de leurs plus loyaux
interprètes, “la seule réponse qu’attendent les milieux d’affaires, les milieux
économiques, c’est évidemment une réponse politique très forte, parce que c’est
le système capitaliste même qui a été touché en son coeur [7]”. Le 17 septembre,
peut-être pour rassurer les actionnaires épouvantés et conforter notre
patriotisme désormais délocalisé, on annonça, à tort, que la baisse des cours
avait été enrayée à Wall Street. Le correspondant de France-Inter précisa
aussitôt : “Il s’agit de ne pas offrir une deuxième victoire aux ennemis de
l’Amérique [8].”
Puis on s’interrogea : dans quel chaudron intellectuel et
politique avait pu bouillonner autant de haine et de détermination ? La réponse
ne tarda pas “Les primates vociférateurs et casseurs de
l’antimondialisation, en déshérence de maoïsme, s’en prennent en réalité à
l’Amérique, synonyme de capitalisme. Cette obsession aboutit à une véritable
déresponsabilisation du monde [9].” Complaisamment cité par un quotidien du
matin que ce filon-là allait beaucoup mobiliser, un “décideur” économique trop
longtemps bâillonné libéra enfin sa plume : “En s’attaquant à un tel symbole (le
World Trade Center), les terroristes rejoignent le discours des
antimondialistes, dont la parole est devenue omniprésente [10].”
Très
présents en effet sur les ondes pendant l’été, les “antimondialistes” se
voyaient désormais sommés de rendre gorge : qui sème le vent récolte la tempête,
New York permettrait d’effacer Gênes. Un journaliste américain à Paris commit
ces quelques lignes : “L’horreur de ces avions détournés qui s’écrasent sur ce
symbole du World Trade Center souligne l’absurdité de cette violence déplacée
contre la mondialisation et renforce la main des autorités qui doivent y faire
face. Diaboliser de manière violente les Etats-Unis et les organisations du
commerce mondial s’apparente à présent à une entreprise potentiellement
meurtrière [11].” World Trade Centerni signifiait-il pas Centre du commerce
mondial... ?
Quand il apparut que, quelques jours avant l’attentat, Oussama
Ben Laden avait peut-être spéculé de manière à profiter de la réaction
prévisible des marchés à un événement dont il aurait eu connaissance avant les
autres, nul n’eut l’idée sacrilège de mettre en cause le système capitaliste,
les milliardaires et les délits d’initiés. Les galeux et les pelés avaient déjà
été repérés ailleurs. Ainsi, interrogeant un dirigeant d’Attac-France sur les
ondes d’Europe I (groupe Matra-Hachette-Lagardère), la journaliste-commissaire
lui demanda : “Qu’est-ce que vous répondez à ceux qui disent : qui vole un oeuf,
vole un boeuf ? Je traduis : qui arrache un pied de maïs transgénique est
capable un jour - on ne sait pas - de poser une bombe ?” Effectivement, on ne
sait jamais...
On sait cependant que la pudeur qui recommandait de ne pas
faire son miel avec la mort de milliers de civils new-yorkais ne fut pas
longtemps de mise. Des industriels profitèrent de l’émotion générale pour
annoncer, en catimini, de gigantesques “plans sociaux”. Et, le 17 septembre, M.
Franz-Christoph Zeitler, membre du conseil de la Bundesbank, estima que, “dans
cette situation difficile psychologiquement et économiquement, la priorité est
de maintenir le bon fonctionnement et la liquidité des marchés financiers. La
discussion sur une nouvelle taxation des marchés internationaux, telle que la
taxe Tobin, est extrêmement contre-productive”. Ne serait-elle pas même
carrément criminelle ?
- Notes :
[1] : Sondage du New York Times, réalisé les 13 et 14 septembre 2001. La
question posée était : “Les Etats-Unis doivent-ils prendre des mesures
militaires contre les auteurs de l’attaque même si cela que des milliers de
civils innocents peuvent être tués ?”
[2] : Editorial du Washington Post
publié dans l’International Herald Tribune du 14 septembre 2001.
[3] : John
Vinocur, “The New World Order Is a Clash of Civilizations”, International Herald
Tribune, Paris, 13 sptembre 2001. Hors Occident, et en particulier dans les pays
du Sud, l’émotion causée par les événements fut moindre. Au Cameroun, par
exemple, le journal Le Messager estima que “cet attentat-surprise a été à la
mesure de l’arrogance avec laquelle le pays de George Bush tente aujourd’hui
d’affirmer sur le monde une domination de mauvais aloi”.
[4] : “Merci
Michael, et souvenez-vous bien que nous sommes tous américains.”
[5] : Daniel
Mermet, comme il en fit lui-même la révélation sur France-Inter, le 17
septembre.
[6] : France-Info, 13 septembre 2001.
[7] : Jean-Marc
Sylvestre, TF1, 12 septembre 2001.
[8] : Flash de 18 heures. Ce jour-là, Wall
Street perdit 7,1 %.
[9] : Jean-François Revel (de l’Académie française),
“Pourquoi tant de haine ?”, Le Point, 14 septembre 2001.
[10] : “Le Figaro
Economie”, 13 septembre 2001. Le site de l’Acrimed a réuni nombre de citations
de ce type (www.samizdat.net/acrimed).
[11] : John Vinocur, op. Cit. Lire aussi “Terrorists Exploit
Anti-Globalization”, The International Herald Tribune, 22-23 septembre
2001.
11. Reconnaissant avoir commis “des erreurs”, Arafat
promet “des réformes d’envergure” par James Bennet
in The New York
Times (quotidien américain) du jeudi 16 mai 2002
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Yasser Arafat a répondu, aujourd’hui, à
des pressions, tant palestiniennes qu’internationales, l’incitant à procéder à
des réformes : il a reconnu certaines erreurs et s’est engagé à des changements
dans son administration et à organiser des élections. On remarque toutefois
qu’il n’a pas donné beaucoup de détails sur ses intentions.
Mais ses
promesses de procéder à des réformes audacieuses ont peu de chance d’ébranler le
gouvernement israélien (ainsi que l’armée israélienne), convaincus qu’ils sont
que les promesses de M. Arafat n’engagent que ceux qui les écoutent.
Un haut
responsable militaire israélien a déclaré aujourd’hui à Washington que le projet
de l’administration Bush d’envoyer George J. Tenet, directeur de la CIA, dans la
région, était inutile, car Israël n’accordera jamais sa confiance à un service
palestinien de sécurité contrôlé par M. Arafat, quand bien même M. Tenet aurait
contribué à sa mise sur pied.
Le dirigeant palestinien s’exprimait après que
le Premier ministre israélien Ariel Sharon ait exigé des réformes (dans
l’Autorité palestinienne) en préalable à toute reprise des négociations. Mais M.
Arafat semblait répondre en fait aux pressions américaines ainsi qu’à des
exigences de changement croissante chez les Palestiniens, (qui réclament)
notamment des élections et des progrès dans la lutte contre la corruption, dans
la séparation des pouvoirs et dans le respect et la garantie des libertés
civiques. On dirait que, soudain, de nombreuses frustrations qui mijotaient à
feu doux depuis bien longtemps se sont mises à bouillir et à
déborder...
“C’est le moment opportun de procéder à des changements et à des
réformes, en dépit de toutes les tentatives déployées afin de saper nos
efforts”, a notamment dit M. Arafat au cours de son allocution, ici à Ramallah,
devant le Conseil Législatif Palestinien. “Le temps est venu de retrousser les
manches, et de construire.”
Le discours d’Arafat marquait la commémoration
palestinienne du jour de la Nakba, ou catastrophe (nationale), du nom que les
Palestiniens donnent à la proclamation de l’indépendance d’Israël, en 1948, sur
un territoire qu’ils tiennent pour leur patrie. L’an dernier, des milliers de
Palestiniens avaient manifesté dans le centre-ville de Ramallah. Cette année,
deux cent manifestants, tout au plus, se sont montrés, et M. Arafat n’y a fait
qu’un brève allusion au passage, dans son discours, lequel, après avoir donné un
compte-rendu sombre de la lutte récente avec Israël, exposa ses propositions
pour l’avenir, mêlant les promesses de changement aux appels à la
patience.
Le changement qui se dessine dans la politique palestinienne - qui
n’est pas considéré comme une menace immédiate pour le contrôle de M. Arafat sur
le pouvoir - a trouvé un écho dans la manière dont les législateurs ont reçu son
discours : mi-satisfaits, mi-sceptiques. Les applaudissements à son appel à de
nouvelles élections se sont mués en rires bienveillants lorsqu’il a suggéré
qu’il n’y avait pas urgence pour ce faire, ajoutant : “Nous devons être
raisonnables - nous devons veiller à n’entreprendre que ce que nous pouvons
mener à bien.”
“Tout ça, c’est fort bien”, a commenté Ahmad al-Deek, un
vétéran du parti Fath de M. Arafat, une fois le discours de celui-ci terminé.
“Mais”, ajouta-t-il aussitôt, “ce que nous voulons, ce n’est pas des programmes.
Ce que nous voulons, ce sont des mesures pratiques immédiates.”
Certains
partisans des réformes gouvernementales redoutent que l’intérêt soudain
manifesté au sommet en la matière reflète moins un profond désir de changement
qu’un espoir que ce changement puisse être détourné de ses objectifs nobles, au
profit de la direction actuelle.
Nader Saïd, sociologue de l’Université de
Bir Zeit, m’a dit que certains bénéficiaires des réformes pourraient être “les
gens qui sont responsables de la corruption. Comment pourrait-on leur faire
confiance pour ramener la société sur des bases démocratiques ?”
Nabil Amr,
ministre des relations parlementaires (démissionnaire) du gouvernement de M.
Arafat, mettant en cause l’absence de réformes, a déclaré : “Nous devons
attendre de voir ce qu’il va faire sur le terrain. Nous avons besoin d’un
nouveau gouvernement”. M. Amr, longtemps considéré comme membre de l’entourage
restreint de M. Arafat, est soupçonné par d’autres hommes politiques et
analystes politiques palestiniens d’avoir l’ambition de prendre la tête de la
parade - ce qui, en tous les cas, est symptomatique de la dynamique politique
qui se développe actuellement.
Abul Jawad Saleh, dirigeant de l’opposition
parlementaire, a brandi le texte d’un discours prononcé par M. Arafat voilà plus
d’un an. “C’est du rabâchage”, a-t-il dit, “la seule différence, c’est
qu’aujourd’hui, c’est plus détaillé”. Puis il a ajouté : “Arafat n’a pas mis en
pratique un seul de ses engagements pris publiquement l’an dernier.”
M.
Saleh, parlant de M. Arafat, a déclaré : “Il n’est pas sérieux. Il n’est sérieux
que lorsqu’il est soumis à la pression.” Il a appelé les Palestiniens à des
manifestations et à la désobéissance civile, afin d’exprimer “leur désir de
réformes substantielles et de libertés”, en stigmatisant des entraves à la
liberté de la presse.
Mais M. Saleh a averti son auditoire sur le fait que
les exigences israéliennes et américaines “rendaient plus difficiles” la tâche
des partisans de la réforme, en les faisant apparaître comme des traîtres au
service d’intérêts étrangers.
Certains hommes politiques palestiniens, dont
des membres du Fatah, ne cessent d’appeler à des réformes, depuis des années.
Hussam Khader, un député palestinien de Naplouse, a fustigé les proches de M.
Arafat et les qualifiant du “Parti Economique d’Oslo”, en référence à une
corruption dont il est convaincu qu’elle a été fortement encouragée par le
processus de paix d’Oslo.
Dans son discours, M. Arafat a répété son rejet
proclamé des attaques contre des civils israéliens, disant qu’”elles ne
sauraient servir nos intérêts”.
Certains de ceux qui en appellent aux
réformes pourraient en être aussi les bénéficiaires. Nombreux sont les
Palestiniens à être ulcérés par le comportement de M. Muhammad Rashid, l’un des
conseillers financiers de M. Arafat, qui a servi d’intermédiaire pour des
contacts avec Israël grâce notamment à ses rencontres avec le fils de M. Sharon,
Omri. M. Rashid est lié à Muhammad Dahlan, le chef de la sécurité palestinienne
à Gaza, lequel semble être le (successeur) putatif de M. Arafat.
M. Dahlan
s’est élevé comme le manque de promotion à l’intérieur de l’Autorité
palestinienne, dans laquelle des ministres vieillissants s’accrochent à leur
marocain.
Un autre allié de ces hauts responsables, Hanan Asfour, ministre
palestinien, a été sauvagement agressé devant son domicile par cinq hommes
masqués, dimanche dernier. Cette agression est sans doute significative de
l’intensité de la lutte désormais engagée, pour le pouvoir, en Palestine.
M.
Arafat a été vivement critiqué par de nombreux Palestiniens pour avoir permis
que 13 Palestiniens accusés de terrorisme par Israël soient envoyés en exil,
dans le cadre du règlement du siège de l’Eglise de la Nativité de Bethléem, qui
a duré pas moins de trente-neuf jours. M. Rashid a joué un rôle important dans
ce dénouement. Faisant une allusion indirecte à ces critiques, aujourd’hui, M.
Arafat a précisé qu’il était le seul à qui l’on puisse reprocher d’éventuelles
erreurs, en la matière.
“Je vous le dis, si une erreur a été commise, j’en
suis le seul responsable”, a-t-il dit, dans un moment de confession tout-à-fait
inhabituel. Mais, a-t-il aussitôt ajouté, “il n’y a, dans le monde entier,
aucune action qui soit totalement infaillible.”
Le président d’Israël, Moshe
Katsav, a déclaré, après le discours de M. Arafat : “Les dirigeants peuvent
faire des erreurs - ils ne sont que des hommes comme tous les autres. Mais le
problème, avec Arafat, c’est qu’il commet des erreurs consciemment et
délibérément.”
Les Palestiniens sont désemparés, après l’écrasante offensive
militaire israélienne qu’ils ont subie, et aussi face au délabrement de leur
économie, ont déclaré certains responsables palestiniens. “Ce qui est
particulièrement frustrant, c’est la situation politique et la direction, qui
n’a pas réalisé ce à quoi elle est en train d’appeler (une nouvelle fois)”, a
déclaré Jamal Barghouti, un militant du Fatah.
Dans son discours, M. Arafat a
exhorté les législateurs à procéder à “un inventaire ne laissant dans l’ombre
aucun aspect de notre vie (nationale)”. Après l’avoir gardé sous le coude à
l’état de projet de loi durant dix-huit mois, M. Arafat a enfin signé un décret
garantissant l’indépendance de la justice, lui donnant force exécutive.
Après
l’exigence de réforme dans les affaires palestiniennes formulée par M. Sharon,
mardi dernier, certains politiciens israéliens ont laissé entendre qu’il était
beaucoup trop exigeant vis-à-vis de l’Autorité palestinienne, très affaiblie par
le conflit avec Israël. Mais des politiciens palestiniens disaient, aujourd’hui,
qu’une réforme réelle ne pourrait qu’accélérer la mise sur pied de l’Etat auquel
ils aspirent.
Les Palestiniens, sans nul doute, aspirent à un Etat qui leur
manque cruellement, mais ils n’en ont pas moins réussi à créer une bureaucratie
babylonienne. M. Arafat supervise vingt-huit ministères, de l’agriculture à la
jeunesse et l’athlétisme. Nombreux sont les Palestiniens à se plaindre de ne
jamais avoir obtenu la moindre aide de leur administration, mais ils mettent
aussi en accusation les incursions militaires israéliennes et les bouclages
imposés par Israël aux territoires palestiniens.
Il n’y a pas eu d’élections
en Palestine depuis janvier 1996, date à laquelle les Palestiniens ont élu leur
président, M. Arafat, ainsi que les quatre-vingt huit membres actuels du Conseil
législatif. Pour que des élections soient possibles, il faudra qu’Israël
assouplisse son contrôle des territoires.
L’administration Bush appelle
depuis longtemps à des réformes dans l’Autorité palestinienne, en particulier en
ce qui concerne ses multiples services de sécurité. Mais l’administration
américaine s’est braquée, récemment, contre une proposition française
préconisant des élections à court terme, en raison des craintes américaines que
les formations extrémistes ne remportent ces élections.
M. Saïd, le
sociologue que nous avons déjà cité, a dit, à propos de l’éventualité
d’élections : “Ce qui manque le plus est un mouvement plus libéral, laïc,
démocratique, car ces forces ne sont pas suffisamment organisées.”
Il a
ajouté que les Etats-Unis voyaient seulement dans les pays arabes des clients
corrompus ou des dictatures fondamentalistes. “Ils ne voient pas qu’il y a une
vie démocratique riche, foisonnante, mais clandestine, dans le monde arabe, et
que cette vie démocratique n’aspire qu’à une chose : pouvoir s’exprimer”, a-t-il
conclu.
12. Arafat quitte enfin Ramallah, mais il évite le
contact avec une foule hostile à Jénine par James Benett
in The New
York Times (quotidien américain) du mardi 14 mai 2002
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Camp de réfugiés de Jenine, Cisjordanie,
13 mai -- Yasser Arafat a quitté aujourd’hui Ramallah pour la première fois
depuis plus de cinq mois. Il s’est rendu en visite dans trois autres villes de
Cisjordanie ravagées elles aussi par les incursions de l’armée
israélienne.
Mais c’est ce qu’il n’a pas pu faire - arrêter son cortège
d’automobiles après être ressorti sortie d’un cimetière voisin et s’adresser à
plus d’un millier de Palestiniens qui attendaient sous un soleil de plomb dans
le camp dévasté de Jenine - qui dit le plus de choses sur les problèmes auxquels
il est désormais confronté, maintenant qu’il est certes libre, mais soumis à des
pressions internationales redoublées afin d’agir contre la violence
palestinienne.
M. Arafat risquait d’être soumis aux critiques s’il avait pris
le micro qui l’attendait à la sortie de ce cimetière. Mais en ne leur adressant
pas la parole, Arafat n’a réussi qu’à irriter jusqu’à ses rares
partisans.
“Nous ne nous attendions pas à ce qu’il vienne ici pour nous
tourner le dos”, m’a dit Abdul Ghani, 27 ans, marchand de légumes. “Ce que nous
attendions de lui, c’est qu’il vienne constater l’étendue des dégâts et donner
des ordres afin que la reconstruction commence sans attendre.”
L’un des
conseillers proches de M. Arafat a insisté pour dire qu’il n’était à sa
connaissance pas prévu qu’il prenne la parole, mais les habitants mettent en
doute cette interprétation. Tareq Alghoul, dirigeant local du mouvement Fatah,
de M. Arafat, a essayé de faire bonne figure, insistant sur le fait que les
résidents du camp avaient bien compris que les assistants de M. Arafat devaient
tenir le plus grand compte d’impératifs de sécurité.
“Mais nous l’aurions
protégé, nous !” l’interrompit Hussein Hamdan, 45 ans.
Un autre homme, vêtu
d’un T-shirt blanc, cria : “Ne lui donnez pas d’excuses ! Le président ne
voulait pas venir, c’est tout !”
Se déplaçant en voiture et à bord d’un
hélico emprunté à la Jordanie, M. Arafat a inspecté les destructions à Bethléem,
à Naplouse et dans la ville de Jénine. Il a assuré aux Palestiniens qu’ils
s’avançaient inexorablement sur la voie de leur propre Etat, dont la capitale
sera(it) Jérusalem.
Mais pour prix de cette avancée vers la citoyenneté,
l’administration Bush a exigé que soit menée une véritable “opération coup de
poing” contre la violence palestinienne. Or toute opération authentique de ce
type mettrait M. Arafat en confrontation directe avec bien des Palestiniens,
ici. La population du camp est exaspérée par le rythme de gastéropode tant des
réformes civiles palestiniennes que du développement économique.
Le camp de
réfugiés de Jénine est un problème depuis fort longtemps tant pour M. Arafat que
pour Israël, lequel prétend que son opération militaire ici a été rendue
nécessaire par le fait que le camp aurait “produit” vingt-trois “kamikazes”. En
réalité, certains Palestiniens avancent, ici que M. Arafat pourrait bien avoir
été en connivence avec l’opération israélienne, afin de liquider sa propre
opposition.
“Qu’il ne soit pas venu jusqu’à l’intérieur du camp et qu’il ne
m’ai pas serré la main, je m’en moque complètement”, me dit Sujood Hawashin, une
collégienne en uniforme à rayures bleues et blanches. “C’est quelqu’un qui ne
veut pas nous laisser lancer des opérations de résistance”. Il faisait allusion
à l’appel lancé par M. Arafat la semaine dernière à ses forces de sécurité
d’empêcher “tout attentat terroriste contre les civils israéliens.”
A un
lacet noir passé autour du cou, par-dessus son col en dentelle, Sujood portait
un médaillon avec la photo de son frère, Muhammad, treize ans, dont elle me dit
qu’il a été tué au cours des combats, ici, à Jénine.
Avant qu’Israël
n’enferme M. Arafat à Ramallah, en décembre dernier, il était le plus souvent en
déplacement, très souvent à l’étranger. Mais il visitait très rarement des
endroits tels que ce camp.
En fait, m’ont dit des résidents, il n’était
jamais revenu à Jénine depuis qu’Israël avait restitué la ville à l’Autorité
palestinienne, en novembre 1995. Quant au camp, il n’y avait pas remis les pieds
depuis les années 1960, époque où il y était venu clandestinement, me dit un
habitant de vieille date.
“C’est juste maintenant que le camp est détruit,
qu’il se souvient de nous ?” demande, amer, un combattant âgé de dix-huit
ans.
Signe, si besoin était, de la tension qui règne entre Palestiniens, une
échauffourée a éclaté après que la quasi-totalité des gens qui s’étaient
rassemblés se soit dispersé à travers le champ de gravats laissé par les
bulldozers israéliens.
Un peu avant l’arrivée d’Arafat, M. Hamdan, un
inspecteur sanitaire et membre de longue date du mouvement Fatah, avait pris le
micro pour demander à tous les Palestiniens qui ne se trouvaient pas dans le
camp au moment de l’attaque israélienne de quitter les lieux. Plus tard, tandis
que la foule diminuait, un autre Palestinien a abordé M. Hamdan, a commencé à le
houspiller, puis il a sorti un revolver et lui a tiré dessus, l’atteignant à
l’aine. D’autres hommes brandissant des flingues se sont précipités afin de les
séparer, tandis que les cris et l’odeur âcre de la poudre emplissaient
l’atmosphère.
L’automne dernier, après que M. Arafat se soit plié aux
injonctions d’Israël et ait ordonné l’arrestation, dans le camp de Jénine, de
Mahmoud Tawalbéh, dirigeant local du mouvement du Jihad islamique, des
protestations violentes avaient éclaté.
M. Tawalbéh, arrêté à Naplouse, plus
au sud, a réussi à s’échapper lorsque la prison a été attaquée par l’armée
israélienne, mais il est mort dans les combats. De nombreux jeunes hommes, ici,
portent la photographie de M. Tawalbéh en sautoir autour du cou. Aucune photo de
M. Arafat n’a, par contre, été aperçue.
Des officiels palestiniens ont parlé
à plusieurs reprises d’un massacre qui aurait été commis ici, mais jusqu’à
présent, quarante deux corps ont été inhumé dans un cimetière situé en bordure
du camp, et c’est à ce cimetière que M. Arafat est venu rendre visite
aujourd’hui. La plus part des morts retrouvés jusqu’ici étaient des combattants.
Israël a perdu vingt trois soldats au cours des combats.
Après avoir quitté
le cimetière, le convoi de M. Arafat a longé la partie la plus dévastée du camp,
où la foule l’attendait. Zuhdi Hijazi, 75 ans, m’a dit que M. Arafat avait fait
apparition sur une terrasse et qu’il faisait des “V” de la victoire. “Je n’ai
pas pu lui parler. J’ai juste réussi à lui serrer la main”, a poursuivi M.
Hijazi, sous le charme.
Dans son allocution de Jénine, M. Arafat a rendu
hommage au courage des réfugiés du camp, qu’il a rebaptisé “Jénin-grad”, en
référence au siège de Léningrad, au cours de la Seconde guerre mondiale.
En
s’envolant, les deux hélicoptères véhiculant le cortège de M. Arafat ont fait
une grande boucle au-dessus de la foule qui commençait à se clairsemer. Certains
leurs faisaient des signes d’adieu, d’autres leurs faisaient signe de s’en aller
au plus vite.
Nabil Abu Rudeïnéh, un de ses proches conseillers qui
l’accompagnaient, a indiqué qu’il y a eu, apparemment, une confusion. “Sans
doute y a-t-il eu un malentendu”, a-t-il dit. “Un groupe de personnes
attendaient (Arafat)(au tournant) - je ne sais pas pourquoi - personne ici ne le
sait.” Parlant du camp, il a ajouté : “Il n’y a aucune autorité responsable,
ici.”
Des gens du camp, dont des responsables du Fatah, assuraient qu’on leur
avait confirmé que M. Arafat viendrait rendre visite aux résidents du camp de
réfugiés.
“Je suis déçu”, me dit Jamal Shati Hindi, membre du Conseil
législatif palestinien appartenant au Fatah. “Cette visite n’a pas été effectuée
conformément au programme fixé, et elle laisse une sensation déplaisante.
Pourquoi tous ces gens étaient-ils là, à attendre le président, sous un cagnard
pas possible, à votre avis ? C’était bien la preuve de leur affection pour
lui”.
Mais les destructions toutes récentes alimentent la frustration à
l’égard du mode de gouvernement palestinien, ici. Nombreux sont les résidents à
se plaindre de la lenteur des secours. “J’aurais aimé pouvoir lui raconter ce
qui m’est arrivé”, me dit Safiyéh Milhem, soixante-trois ans, me parlant
d’Arafat, au milieu des ruines de sa maison. “Je l’attendais depuis l’aube. Je
l’attendais, et j’attendais de lui qu’il donne des instructions pour que l’on
reconstruise ma maison...”
13. Dans l’église de la Nativité, le refus (et les
poubelles) d’un siège [1] par
Alan Cowell & Joel Greenberg
in The New York Times (quotidien américain)
du samedi 11 mai 2002
[traduit de l'anglais par
Marcel Charbonnier]
Entre des colonnes de marbre
couleur ambre, brunies par les siècles et polies par les dévotions des croyants,
les assiségés avaient étendu des matelas crasseux et des couvertures marron, en
désordre et chiffonnées. Dès l’entrée surbaissée, appelée Porte de l’Humilité,
une odeur d’urine vous prend à la gorge. Sous les hautes voûtes de bois, des
boîtes de sardines vides laissent s’échapper sur les dalles de pierre des filets
d’huile malodorante entre des cierges votifs répandus sur le sol.
(Mais) le
seul dommage réel concerne le prieuré franciscain attenant à la basilique. Il a
été léché par les flammes de l’un des trois incendies dont on il a été fait état
durant le siège. Il n’en reste que des plafonds et des carrelages
noircis.
Tout compte fait, ont dit quelques prêtres, le pire a été
évité.
Tôt ce matin, après trente-neuf jours de siège, plus de cent trente
personnes - des Palestiniens armés et civils, des prêtres et des pacifistes
étrangers - sont sortis en file indienne de l’Eglise de la Nativité, qui marque
l’endroit où serait né Jésus, et où la plupart des Palestiniens retenus
prisonniers avaient cherché refuge tandis que l’armée israélienne investissait
la ville, le 2 avril dernier.
Plusieurs heures après que le dernier
‘occupant’ de l’église soit sorti, les soldats israéliens qui les assiégeaient
ont tout emporté, depuis les transfos des téléphones portables jusqu’aux caisses
de munitions, chargeant le tout dans des convois de jeeps poussiéreuses qui
repartaient aussitôt, traversant la Place de la Mangeoire, la laissant
étrangement déserte au bout de seulement quelques minutes.
D’un pas tout
d’abord hésitant, puis avec de plus en plus d’assurance, des habitants de la
ville, qui avaient vécu sous un couvre-feu quasi permanent durant plus d’un
mois, sont sortis de leurs maisons dans les rues dévastées. S’accroupissant et
jouant des coudes, ils se sont pressés devant la minuscule porte de côté,
laquelle conduit à l’intérieur de la vénérable église (vieille de mille sept
cents ans). Une fois à l’intérieur, ils restèrent bouche bée.
Un fonds
baptismal, entouré de boîtes d’Ajax, avait tout l’air d’avoir servi pour faire
la vaisselle. Un autel avait servi de table. Des casseroles et des réchauds à
gaz se partageaient l’espace avec des tenues de camouflages abandonnées. Des
sacs-poubelle en plastique noir encombraient les recoins plongés dans la
pénombre. Ailleurs, dans Bethléem, l’air était lourd de la puanteur des ordures
que l’on brûlait.
Mais ce premier groupe, représentant une partie de la
population chrétienne de Cisjordanie, laquelle ne cesse de perdre de ses
ouailles, ignorant ces “profanations”, se précipitèrent vers les marches de
marbre qui conduisent dans la crypte - la grotte - laquelle correspond à
l’endroit précis où les Chrétiens ont la conviction que leur Sauveur est
né.
Là, ils se prosternèrent devant une étoile d’argent aux nombreuses
pointes, pleurant à chaudes larmes, l’embrassant. Certains allumèrent des
cierges et touchèrent les icones, ignorant les non-chrétiens et les
journalistes, avec leurs cameras, leurs blocs-notes et leurs projecteurs.
La
foule était tumultueuse, spontanée, elle ignorait totalement les protocoles
soigneusement et jalousement conservés entre les diverses obédiences orthodoxes
et catholiques qui se partagent la responsabilité de ce lieu saint.
“Je suis
tellement heureuse, c’est fou”, me dit Diana Masri, une Palestinienne orthodoxe
âgée de 45 ans. “Cela fait quarante jours que je ne pouvais accéder à mon
église”, ajouta-t-elle, faisant une petite entorse au strict décompte des jours
du siège afin qu’il corresponde à la période passée au désert par Jésus, selon
les Evangiles.
Ces trente-neuf (ou quarante...) jours semblent faire d’ores
et déjà partie de l’épopée palestinienne, faite d’une succession d’événements
dans laquelle la simple survie est célébrée comme une victoire sur l’écrasante
supériorité militaire d’Israël. Et il est de fait que le siège de l’église a été
accompagné d’un couvre-feu qui ajoutait une pression supplémentaire sur les
assiégés, afin de les contraindre à se rendre. Ainsi, avec le retrait de l’armée
israélienne, ce soir, c’est bien l’ensemble des cent mille habitants de la ville
de Béthléem qui étaient libérés et soulagés.
D’après certaines des personnes
qui ont subi le siège, les gens retenus dans l’église étaient soumis aux ordres
de Palestiniens armés, que l’on appelle ici des shabab, ou les “braves gars”,
terme donné par les Palestiniens aux résistants depuis la première intifada
(insurrection), à la fin des années 1980.
Ils avaient mis sur pied des
comités pour la nourriture et la prise de décisions, sur des questions telles
que laisser sortir certaines personnes, ce que des dizaines ont pu faire tout au
long du siège.
Ils ont maintenu le contact avec le monde extérieur grâce à
des téléphones portables. Refusant de donner leur identité, ils ont déclaré :
“Nous étions seulement les otages de la paix. Nous aurions pu sortir, mais nous
avons choisi de rester.”
Un prêtre mexicain coincé dans la basilique par le
siège, le révérend Nicolas Marques, me dit que durant les premiers jours, des
hommes en armes ont volé des objets de culte dans la partie arménienne de la
basilique - une chaîne en or d’un évêque et une croix pectorale, un candélabre,
une icone... mais qu’ils ont tout remis en place, quelques jours après.
Des
popes orthodoxes ont dit qu’au début, certains des hommes armés (les “shabab”)
avaient dormi dans la grotte où l’on vénère le lieu de naissance de Jésus, mais
que des prêtres avaient réussi à les persuader d’aller dormir ailleurs, à
l’extérieur des murs épais de la basilique.
Parmi les différents groupes qui
se trouvaient là, dix militants étrangers pro-palestiniens ont fait preuve de
manque de respect pour la sacralité des lieux, buvant de l’alcool et fumant, se
sont plaints des popes orthodoxes, s’adressant aux journalistes.
Lorsqu’ils
dormaient, ont raconté certains des assiégés, les prêtres se tenaient dans leurs
dortoirs habituels et les Palestiniens s’étendaient à même le sol de l’église,
en marbre...
“Il y avait un puits, et nous aurions bien aimé nous laver, mais
c’était difficile, en raison de la promiscuité”, me dit Salah Ajami, 29 ans,
l’un des quatre-vingt quatre civils palestiniens à avoir subi le
siège.
Muhammad Madani, représentant de Yasser Arafat, a indiqué qu’un comité
s’était créé également, chargé de la gestion des dépouilles des personnes
décédées. Les soldats israéliens, a-t-il indiqué, ont tué huit personnes et en
ont blessé vingt-sept, durant le siège.
Des officiels israéliens ont déclaré
que leurs tireurs d’élites qui surveillaient la basilique, avec ses multiples
courettes et ses innombrables recoins, n’avaient tiré que sur des hommes armés.
Mais M. Ajami conteste cette affirmation. “L’un des hommes était le sonneur de
cloches!...” a-t-il à juste titre rappelé.
Les interminables journées du
siège, m’a dit M. Ajami, se sont passées en discussions sur les grandes
questions du moment. Les officiels israéliens répliquent que les occupants ne se
contentaient pas de bavarder.
Après le départ des Palestiniens et des
ressortissants d’autres nationalités, aujourd’hui, des agents américains ont
rassemblé des dizaines de fusils d’assaut abandonnés par les hommes armés,
conformément aux conditions mises à leur libération. Des officiers israéliens
ont indiqué que leurs experts avaient trouvé “quarante engins explosifs”, et
notamment des mines camouflées.
Mais cette affirmation allait être démentie
par la suite des événements.
Le fait que les militaires israéliens aient
averti que l’église pouvait être minée n’a nullement dissuadé des moines et des
frères de se précipiter à l’intérieur, juste après cinq heures de l’après-midi,
pour chanter des hymnes et prier en action de grâce, tandis que les cloches de
l’église sonnaient à toute volée, pour la première fois depuis cinq
semaines...
Puis les soldats israéliens se retirèrent, et la foule se
précipita dans l’église, ne voyant aucune trace de bombe ou d’un quelconque
explosif...
Peu après, alors que l’église était rouverte, Pietro Sambi, légat
pontifical à Jérusalem, vêtu de pourpre, y pénétrait, faisait un bref inventaire
des traces de l’occupation récente des lieux - bols abandonnés et bouteilles de
gaz destinées à faire la cuisine - et déclarait rapidement qu’il n’y avait là
rien qui puisse être considéré comme une volonté délibérée de sacrilège.
Le
crucifix d’or incrusté de pierreries trônait toujours au-dessus de la nef, les
chandeliers de bronze, les globes et les lampes d’argent pendaient toujours des
voûtes. Dans la lumière déclinante de l’après-midi, les mosaïques murales
semblaient absolument intactes.
Il est vrai que, comme me l’a dit Madame
Masri, “des hommes en armes n’auraient jamais dû se trouver ici”. Mais, en fin
de compte, chacune des innombrables religions qui caractérisent cette région du
monde reprenait confiance en elle-même et retrouvait ses marques.
Saheeya
Khamis, une dame musulmane dont le fils, m’a-t-elle dit, fait partie des
Palestiniens exilés à Chypre aujourd’hui, est venue remercier la Vierge Marie de
l’avoir protégé et s’assurer que la basilique “était intacte”.
Peu après,
tandis que les citadins se pressaient sur la Place de la Mangeoire, ou se
contentaient de savourer la fraîcheur du soir, oubliée depuis un long mois,
grignotant une olive ou fumant une cigarette, le muezzin appela les fidèles
musulmans à la prière, depuis le minaret de la mosquée d’Omar, située juste en
face de l’Eglise de la Nativité. Cela aussi, m’ont dit les gens autour de moi,
c’était une grande première, depuis trente-neuf jour...
[1] - Jeu de mots sur “refuse” (anglais), dans le titre de cet
article,
ndt.