Point d'information Palestine > N°200 du 25/05/2002

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Rédaction : Pierre-Alexandre Orsoni et Marcel Charbonnier
                                                                                           
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Au sommaire
                              
Témoignages
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des citoyens de Palestine ou des observateurs. Ils sont libres de droits.
1. Violence par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
2. En vrac, ça va mal… ("Histoires de sous") par Anwar Abu Eisheh, citoyen d'Hébron en Palestine 
                                       
Rendez-vous
Pour retrouver l'ensemble des rendez-vous en Europe, consultez l'agenda sur : http://www.solidarite- palestine.org/evnt.html
1. Soirée de témoignages de Tamir Sorek et Noam Sheizaf "Refuzniks" israéliens à Marseille le dimanche 26 mai 2002 à 18h au Théâtre Toursky
2. Rassemblement devant le Consulat général des Etats-Unis à Marseille le lundi 27 mai 2002 à 18h
3. Jean Genet et les Palestiniens à Paris le lundi 27 mai à 20h30 au Théâtre national de la Colline
4. Soirées de solidarité avec la Palestine au Centre Culturel d’Egypte à Paris les mercredi 5, jeudi 6 et vendredi 7 juin 2002 à 18h30
                 
Dernière parution
Le Vagin du scorpion, ou le parcours d'un resistant palestinien par Hassan Sharif Jaubeh dit "Abu Ali" narration recueillie et traduite de l'anglais, avec préface et notes, par Rodrigo de Zayas aux éditions L'esprit des péninsules
                               
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG. Ils sont libres de droits, sauf mention particulière.
1. Discours prononcé par le Président Yasser Arafat devant le Conseil législatif palestinien à Ramallah, le mercredi 15 mai 2002 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
2. Les jumelles de Madame Klein par Israël Shamir [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. Israël : Sale temps pour la liberté de la presse Extrait du Rapport annuel 2002 de Reporters sans Frontières
4. Le grand réformateur par Uri Avnery [traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
5. C’est simple : “Partez !” par Gabriel Ash sur le site américain http://www.yellowtimes.org (alternative news and views) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                                    
Revue de presse
1. Conditions inhumaines dans les camps de détention en Israël - Pourquoi il faut interpeller la justice par Uri Blau in Kol Ha’Ir (hebdomadaire israélien) du vendredi 24 mai 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
2. Israël veut diviser en cantons hermétiques la Cisjordanie par Alexandra Schwartzbrob in Libération du vendredi 24 mai 2002
3. Israël impose de nouvelles règles de circulation en Cisjordanie par Gilles Paris in Le Monde du jeudi 23 mai 2002
4. L’apartheid dans les territoires. Les faits accomplis israéliens anéantissent les espoirs de paix par Marwan Bishara in The International Herald Tribune (quotidien international publié à Paris) du mercredi 22 mai 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
5. Ahmed Maher : “Seul Arafat peut contrôler la situation” un entretien avec le ministre des Affaires étrangères égyptien propos recueillis au Caire par Claude Lorieux in Le Figaro le samedi 18 mai 2002
6. Les délires du mépris antipalestinien par José Bové, Rony Brauman et Nahala Chahal in Le Monde du vendredi 17 mai 2002
7. Les démons de la Nakbah par Ilan Pappe in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 16 mai 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
8. Arafat appelle à une réforme totale du régime politique palestinien, en réaffirmant le choix de la paix par Walid Awadh in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du jeudi 16 mai 2002 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
9. Les critiques contre Arafat sont les plus virulentes depuis la création de l’Autorité par Amos Har’le in Ha’Aretz (quotidien israélien) du 15 mai 2002 repris par Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du jeudi 16 mai 2002 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
10. Tous américains par Serge Halimi in Manière de Voir (Le Monde Diplomatique) N° 63 mai-juin 2002
11. Reconnaissant avoir commis “des erreurs”, Arafat promet “des réformes d’envergure” par James Bennet in The New York Times (quotidien américain) du jeudi 16 mai 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
12. Arafat quitte enfin Ramallah, mais il évite le contact avec une foule hostile à Jénine par James Benett in The New York Times (quotidien américain) du mardi 14 mai 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
13. Dans l’église de la Nativité, le refus (et les poubelles) d’un siège par Alan Cowell & Joel Greenberg in The New York Times (quotidien américain) du samedi 11 mai 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                                           
Témoignages

                                                    
1. Violence par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
Bethléem, le mercredi 22 mai 2002.
La violence de tous les jours. Celle dont on ne vous parle pas au 20 Heures. Justement, moi, aujourd'hui, je voudrais vous en parler.
Eh oui, pour une fois, vos journaux favoris n'ont pas titré sur un «regain de violence au Proche-Orient». Pourtant, vous l'entendez assez régulièrement, cette phrase. Et la dernière fois que vous l'avez entendue, c'était dimanche, le jour de l'attentat suicide revendiqué par le FPLP, attentat qui a fait trois morts en plus du kamikaze sur un marché de la ville israélienne de Netanya. Trois morts israéliens, et vos journaux titrent sur un regain de violence. Aujourd'hui, pas d'attentat. À écouter vos journaux, on en viendrait presque à croire que tout va presque bien ici. Eh bien figurez-vous qu'à l'heure où je vous parle (14 heures, heure française) il y a déjà trois morts et plusieurs arrestations en Palestine occupée.
Trois morts. Comme à Netanya dimanche. Mais cette fois, personne ne titre sur un «regain» de violence... Et effectivement, il ne s'agit pas d'un «regain» de violence. La violence, ici, est quotidienne. Chaque jour, je dis bien CHAQUE JOUR, apporte son lot de morts. De ces morts, pourtant, on ne vous en parle pas. Pourquoi ? Parce qu'ils sont Palestiniens ? Arabes ? Musulmans ?
Trois morts aujourd'hui. Un à un barrage près de Jénine, un autre (il avait 17 ans) à Rafah dans le sud de la bande de Gaza. Le troisième est mort en essayant de contourner le check-point de Bethléem, ce même check dont je vous parle si souvent. Il était de Dheisheh. Moussa (qui signifie «Moïse» en arabe) est mort ce matin. Il avait une quarantaine d'années. Version des habitants de Dheisheh : il allait travailler à Jérusalem; il passait en fraude le check, ils lui ont tiré dessus. Version officielle israélienne : c'était un terroriste qui allait poser une bombe à Jérusalem. D'ailleurs on a retrouvé des explosifs sur lui.
Souvenez-vous seulement de mes récents déboires avec l'armée israélienne et rappelez-vous que la version officielle israélienne, c'est que j'ai attaqué la soldate à coups de cassette vidéo... [Cf. "You're under arrest" in 189° Point d'information Palestine du 13/02/2002]
Ce qu'il y a de pratique avec la version israélienne, c'est qu'on peut la ressortir tout le temps (les deux autres morts de la journée ont droit à la même version officielle). De plus, une fois mort, le «terroriste» va avoir du mal à prouver son innocence quant à l'éventualité d'un attentat suicide. Déjà que c'est difficile à prouver en étant vivant... Et ce qu'il y a de bien aussi dans cette version, c'est que c'est l'armée qui ramasse le corps. Comme ça, impossible de prouver qu'il n'avait pas d'explosif sur lui... Malin, hein ? L'armée israélienne ramasse le corps. Et elle le garde !
De la salle où je vous écris, j'ai surpris une conversation entre deux adolescents. L'un parlait de ce mort à l'autre :
- Il est de Dheisheh ? demande le deuxième.
- Oui.
- L'enterrement, c'est demain ?
Et tous les deux d'éclater de rire. Oui, ils ont éclaté de rire, vous avez bien lu.
Pourquoi ? Parce que l'un et l'autre savent pertinemment que l'enterrement n'aura pas lieu avant plusieurs jours, voire plusieurs semaines.
Pour vous donner l'ambiance, avant la mort de Moussa, on était déjà dans l'attente d'un autre corps, ici, à Dheisheh. Le corps d'un gamin de 16 ans tué il y a une semaine à peu près au même endroit, avec la même version officielle israélienne et la même version des habitants du camp. Maintenant, c'est deux cadavres qu'on attend de récupérer pour pouvoir les enterrer. Les deux sont musulmans. En Islam, il faut enterrer les morts au plus vite...
Moussa est mort par balles. Les deux autres aussi. Et ceux qui sont morts hier aussi (oui, il y en a eu). Et ceux d'avant-hier aussi (eh oui, il y en a eu aussi). Toutes ces morts sont violentes. N'en déplaise à vos journaux favoris, il n'y a pas de «regain» de violence au Proche-Orient. Pour la triste raison que la mort est quotidienne, que l'humiliation est quotidienne. La violence de tous les jours. C'est ce dont je suis témoin, hélas.
Hier, j'ai passé ce fameux check-point, à quelques mètres seulement de l'endroit où Moussa est mort. Les soldats ne m'ont rien demandé, pas même de présenter mes papiers. Faut dire qu'ils étaient occupés, ces soldats... Une dizaine d'hommes palestiniens plaqués contre le mur, jambes écartées, mains levées contre le mur. Les soldats rigolent dans leur casemate entourée de sacs de sable. Deux soldats s'amusent au détriment des Palestiniens et font rire le reste du groupe. Les deux soldats se tiennent derrière les Palestiniens et, du bout de leur fusil, leur ordonnent de lever les mains plus haut, ou d'écarter les jambes encore un peu... Les soldats parlent entre eux. En hébreu. Je ne comprends pas. Je n'ai hélas pas besoin de comprendre leur langue pour savoir de quoi il retourne... Je passe vite. Je sens la colère gronder en moi. Les yeux baissés, je me dirige vers le taxi. Je n'ai qu'une envie, à ce moment là, qui me brûle la main : retourner près des soldats pour leur donner une claque. Oui, une claque. Pour leur apprendre à respecter les autres.
La violence, c'est aussi ces hommes contre le mur. Et cet autre qui, il y a dix jours, se faisait tabasser sous mes yeux, à coups de rangers, au check-point de Qalandia (route de Ramallah). Moi, je revenais de mon cours de français, et je commentais les Fables de La Fontaine avec une de mes étudiantes...
Voilà donc ce qui se passe tous les jours, ici, loin des caméras. Au check de Bethléem, hier, les médias n'étaient pas là.
                                           
2. En vrac, ça va mal…("Histoires de sous") par Anwar Abu Eisheh, citoyen d'Hébron en Palestine
Hébron, le lundi 13 mai 2002.
Rêves
Il y a quelques jours Hanane, notre fille de 10 ans, se lève très tôt  et vient me voir à mon bureau. « De quoi as-tu rêvé ?» lui ai-je demandé. Elle m’a raconté : « j"étais chez Sima (sa meilleure amie, fille d"un couple palestino-ukrainien), l"armée israélienne a envahi la zone, maman était au milieu du chemin, elle voulait venir me chercher et du coup ne pouvait plus, j"ai pleuré et cela m"a réveillé ».
L’aide, à qui ?
Un soir, un conseiller juridique des forces de sécurité nationale à Hébron, avec le grade de capitaine, tournait autour du pot malgré le fait que c’est mon cousin germain ; il finit par me dire : « mon salaire est toujours de 1.900 shekels, je paye 133 dinars jordaniens de loyer, plus 87 dinars jordaniens de crédit mensuel pour les meubles que j"ai  acheté quand je me suis  marié il y a deux ans. Maintenant il me reste 320 shekels (environ 73 euros) pour vivre avec ma femme et mon fils de quelques mois… Heureusement que ma femme travaille (elle est professeur d"arabe dans une école et touche 1.200 shekels par mois). Elle en garde la moitié pour les vêtements etc. ». Il m’a demandé un bon de distribution de nourriture…
Il faut savoir qu’environ 135.000 fonctionnaires sont dans le même cas, seuls 5% d’entre eux, en haut de l’échelle,  s’en sortent. Par ailleurs l’UNRWA emploie 42.000 personnes, mieux rémunurées que les fonctionnaires. Ce sont ces deux catégories qui   continuent de faire tourner tant bien que mal l’économie puisque ce sont les seuls à toucher des salaires sur une base régulière.
Depuis le début de l’année nous avons distribué des bons de nourriture avec l’argent de l’AFPS (8.000 $), d’un groupe de chauffeurs de taxis parisiens (6.000 euros), de l’Association de l’Enfant Blessé Palestinien (10.000 euros pas encore arrivés mais nous avons déjà  anticipé pour acheter du lait pour les enfants).
Vendredi dernier, je suis parti avec mes frères, mon père et mon oncle présenter nos condoléances. J’étais assis entre mon oncle le plus âgé (85 ans) et mon frère (45 ans). Mon oncle a commencé à me parler de deux personnes qui ont besoin d’aide, il s’agit des locataires de boutiques dont il est propriétaire et qui ne paye plus leur loyer depuis des mois. Il me dit qu’ils n’ont vraiment plus de quoi manger. Mon oncle étant sourd et parlant donc fort, mon frère a tout entendu de son récit. J’ai commencé à dire qu’il ne restait plus de fonds pour de nouvelles aides,  mon frère m’a alors donné un coup de coude en me disant « tu n"as pas honte de refuser quelque chose au plus âgé de tes oncles, donne de ta poche et je te rembourserai », puis mon frère a répondu à ma place « oui, on va te donner pour eux ». Le menuisier et le ferrailleur locataires de mon oncle sont donc sur la liste d’attente. Bien sûr je ne doute pas qu’ils soient dans le besoin, mais où tourner la tête ? Il y en a tellement ! Et ce n’est plus un sort réservé à la partie occupée de la ville (H2, la vieille ville) c’est très généralisé… Entre bouclage hermétique, invasion réussie et incursions répétées, on peut dire d’ailleurs que les notions H1 (Hébron 1 autonome), H2 (Hébron 2 occupée), zone A (autonome), zone B (contrôle commun israélo-palestinien), zone C (contrôle total israélien) ont totalement disparu du fait des pratiques israéliennes. Nous avons souvent l’occasion de « cohabiter » avec les chars israéliens, ils sont devant ou derrière, malheur à l’automobiliste qui fait un mouvement suspect, comme vouloir le dépasser par exemple…
Vous avez dit salarié ?
Le 5 mai une publicité en première page du premier quotidien palestinien "Al Quds" : l’administration de l’Université où je travaille (Université Al Quds) nous annonce qu’elle ne peut pas nous demander d’aller travailler tant qu’elle n’a pas trouvé de solution pour nous payer les 7 mois de salaire en retard, tout en nous signalant que les bureaux sont à notre disposition en attendant la solution qui « préservera notre dignité » … A la page 5 du même journal le syndicat des employés de l’Université nous demande de ne pas aller travailler à partir du 11 mai et de ne pas faire l’effort d’emprunter de l’argent pour nous déplacer tant que l’administration n’a pas trouvé de solution pour préserver notre dignité…
Sachant que depuis le 28 mars aucun cours n’a eu lieu et qu’au jour d’aujourd’hui seuls 20% des étudiants (ceux de la région de Jérusalem et des environs d’Abu Dis) peuvent se rendre à l’université, je me demande à quoi bon une telle annonce dans le journal… En tout cas j’ai envie de la dire et fort : le mouvement syndical en Palestine est rouillé et malade…, tout comme les empires associatifs où la notion de volontariat a totalement disparu… J’ai écrit il y a trois ans au président de l’Université, lui demandant de ne pas soustraire chaque mois de mon salaire le dinar jordanien qui représente la cotisation d’adhésion au syndicat (je crois que je suis le seul à l’avoir fait), avec copie de ma lettre au syndicat. Je n’ai jamais eu de réponse, le dinar est bien retenu chaque mois, le président du syndicat et les membres du bureau tiennent à me considérer comme adhérent malgré moi, dans une ambiance fraternelle il faut le dire puisqu’il leur arrive même de me consulter en tant que professeur de droit du travail…
En ce qui concerne ma soeur, c’est un autre registre : elle est directrice d’un jardin d’enfants du Croissant Rouge à Hébron depuis 11 ans. On lui doit 11 mois de salaire, étalés sur plusieurs années mais ce n’est pas le pire : maintenant son salaire, et celui de vingtaines de ses collègues, est gelé depuis Oslo. Puis il a été diminué à hauteur de 20% en 2000. La moitié des congés « payés » d’été n’est plus payée. A chaque baisse de salaire  un nouveau contrat de travail est rédigé, si on ne signe pas on prend la porte…
Le ministère du travail n’a rien pu faire, les syndicats non plus, les avocats sollicités n’ont pas accepté de défendre leurs droits et je ne me proposerai pas tant que nous ne serons pas dans un état de droit… Il est vrai par ailleurs que le Croissant Rouge rend beaucoup de services aux habitants de la ville, il est le seul à disposer d’ambulances de secours dans tout le district qui desservent plus de 400.000 habitants gratuitement. Il y a aussi les dispensaires presque gratuits, alors les dilemmes…
Circulez…il n’y a rien à voir
Pour en finir avec la famille Abu Eisheh et pour donner des exemples concrets de choses vécues (nous sommes loin d’être parmi  les gens qui souffrent le plus !), un diabète s’est déclaré le 11 mai chez mon frère de 45 ans… le jour où Palestine Telecommunications a fini par lui couper les téléphones du domicile et du bureau des taxis… Il ne peut plus payer les factures. Comme beaucoup, il avait cru à la paix et il a emprunté en dollars… Pas d’acheteur maintenant pour ses taxis, même à 30 ou 20% de leur valeur… 80% de la quarantaine de taxis qui constituent sa compagnie roulent sans assurance ni carte grise valable. Il semble d’ailleurs qu’il n’y ait que 10% de véhicules en règle dans les territoires palestiniens (et je ne parle pas des voitures volées…D’ailleurs le 13mai la police israélienne est entrée dans Hébron et a confisqué les  voitures volées à plaque jaune –israélienne- mais sans pour autant infliger de PV…). Il faut savoir qu’ici Israéliens et Palestiniens doivent renouveler chaque année les cartes grises et les coûts sont exorbitants. Voici quelques exemples concernant nos voitures à plaque jaune :
- renouvellement de carte grise de notre voiture de 4 ans (diesel) : 4485 Shekels (1.000 euros) en février dernier. C’est pourtant moins que la première année (98) : 1480 euros…
- assurance : 1590 euros
- carte grise de la vieille Seat de Chantal (15 ans…) pour cette année :  150 euros, non renouvelée  et plus valable depuis octobre dernier…
- assurance (au tiers) : 416 euros , non renouvelée depuis la même date !
Un taxi doit payer différentes taxes qui s’élèvent à 8.000 shekels par an. Le prix moyen de l’assurance au tiers est actuellement de 2.600 shekels (3.500 avant l’Intifada), et l’assurance tous risques de 4.200 shekels (contre 5.200 avant l’Intifada).
Le renouvellement du permis de conduire , lui, coûte 200 shekels tous les 5 ans mais  il  nécessite aussi beaucoup de patience car il faut obtenir un certificat de bonne conduite délivré par la police après autorisation de plusieurs institutions de sécurité qui parfois ne donnent leur approbation qu’après que le demandeur soit passé dire un  « bonjour financier » (surtout si on sait qu’il n’est pas fauché…) En échange il pouvait obtenir un reçu pour la somme versée, mentionnant qu’on le remercie pour le don destiné à l’institution en question… Maintenant nos institutions sécuritaires sont hors service et  personne ne renouvelle plus son permis !
L’eau, encore et toujours …
Vous devez avoir soif, buvez un verre d’eau à la santé du peuple palestinien…
Passons justement à ce précieux liquide : la semaine dernière la citerne située sous la maison était vide, le propriétaire a acheté 10 m 3 pour 150 Shekels (34 euros),  j’en ai acheté la même quantité pour 110 shekels (25 euros). Pourquoi cette différence ?
Il y a trois points de vente à Hébron :
- le premier au sud de la ville, juste à côté de la plus grande et plus ancienne colonie des environs (Kyriat Arba) où un palestinien qui habite là  a donc la chance de toujours  pouvoir s’approvisionner puisque la « ligne » où il se sert dessert la colonie. Il semble que les autorités israéliennes ferment les yeux… Ce monsieur ne dessert que le sud de la ville puisqu’il est quasi impossible de faire passer de gros camions entre le nord et le sud de la ville ;
- le second est « géré » par un bon ami des Israéliens, il vend de l’eau à la porte d’une petite colonie au nord-est de la ville. En deux minutes il remplit  un camion citerne. Les véhicules font la queue 24h sur 24 et leurs propriétaires revendent aux particuliers. Le manège est incessant et de plus en plus de gens sont attirés par ce travail. La queue s’allonge donc, l’attente aussi et les prix montent : on s’attend à devoir payer 200 shekels (45 euros) en  juin et 220 (50 euros) en juillet et août…
- par contre à la mairie c’est le consommateur qui fait la queue, en ce moment 10 jours pour être livré par un employé de la mairie qui lui, ne travaille pas la nuit… Les voisins du point d’eau où s’approvisionne la mairie sont les plus heureux de la ville : ils ne manquent jamais du précieux liquide. En contrepartie du « bas prix » , on prévoit le délai d’attente à 3 semaines d ‘ici le vrai été…
En ce qui concerne le prix du mètre cube d’eau, je sais maintenant à quoi m’en tenir :
- à Hébron au robinet quand il y en a : 4 shekels jusqu’à 20m3 et 5 NIS le m3 supplémentaire
- à Hébron par les camions citernes :  de 11 à 15 shekels
- à Kyriat Arba pour les colons : 2, 69
- à Jérusalem-Ouest au Consulat : 4,28 shekels pour  l’usage domestique, 5,78 pour le jardin plus 4,19 shekels par m3 passant dans les égouts…
- à Jérusalem-Est au service culturel du consulat :2,69 shekels jusqu’à 16 m3 puis 3,99 pour les 14 m3 supplémentaires puis 5,78 pour la suite plus 2,25 shekels par m3 pour les égoûts,
- au centre culturel français à Jérusalem-Est : 7,40 shekels tout compris
- à Ramallah : 3,55 shekels
- et à Arcueil : on n’y a jamais fait attention …
Circulez… mais restez cool !
Et pour en finir avec les  dépenses nécessaires, parlons du prix des trajets Hébron - Jérusalem en  taxi collectif non  officiel (les autres n’ont plus l’autorisation  de circuler): avant l’Intifada : 7 NIS, au début de l’Intifada (route nord fermée) : 10 NIS, depuis cet hiver entre 15 et 20 selon qu’il faille passer par le sud ou le sud-est pour rejoindre la route nord puisque celle du l’est est fermée aussi ! Dans le sens Jérusalem - Hébron cela peut-être plus si on veut faire moins de kilomètres (oui oui…) et ne pas se taper le plus chaotique des chemins qui  vous laisse au centre ville. En effet le prix demandé s’entend jusqu’au terminus, peu importe que vous descendiez avant comme cela arrive souvent à Chantal qui en a marre de s’agripper au siège du taxi parce ce que le chauffeur roule à 120 km à l’heure pour faire le plus de trajets possible dans la journée et qui sur la dernière portion non macadamisée se croit au Paris - Dakar. Donc on fait un relais à l’un des barrages avec un vrai collectif qui prend 2 NIS pour aller en ville mais passe loin de chez nous, puis on  prend un « spécial » à 6 NIS pour finir par être déposé à la maison (au départ d’Hébron le matin on n’a pas le choix, il faut partir du centre puisque les  chauffeurs ont passé la nuit à Hébron et y donc fait dormir aussi leurs véhicules.)
Au total Chantal dépense le quart de son salaire en frais de transport…
A suivre pour d’autres nouvelles moins décourageantes !                           
                                               
Rendez-vous

                       
1. Soirée de témoignages de Tamir Sorek et Noam Sheizaf "Refuzniks" israéliens à Marseille
le dimanche 26 mai 2002 à 18h au Théâtre Toursky

Soirée organisée par Solidaires des israéliens contre l'occupation (SICO) et l'Union juive française pour la paix - Provence (UJFP) avec le soutien de la Ligue des droits de l'homme et Amnesty International. À la mi-avril 2002, 427 officiers et soldats, réservistes de l’armée israélienne, refusant de servir dans les territoires occupés ont signé le texte qui suit :
"Nous, officiers et soldats combattants de réserve de Tsahal, qui avons grandi dans le berceau du sionisme et du sacrifice pour l'état d'Israël, qui avons toujours servi en première ligne, qui avons été les premiers, en toute mission, qu'elle soit facile ou difficile, à défendre l'état d'Israël et à le renforcer. Nous, officiers et soldats combattants qui servons l'état d'Israël pendant de longues semaines chaque année, malgré le prix personnel élevé que nous avons payé. Nous qui avons été en service de réserve dans tous les territoires et qui avons reçu des ordres et des instructions qui n'ont rien à voir avec la sécurité de l'état, mais dont le seul objectif est la domination du peuple palestinien. Nous qui avons vu de nos yeux le prix sanglant que l'occupation impose aux deux parties en présence. Nous qui avons senti comment les ordres que nous recevions détruisaient toutes les valeurs de ce pays. Nous qui avons compris que le prix de l'occupation était la perte de l'image humaine de Tsahal et la corruption de toute la société israélienne. Nous qui savons que les territoires occupés ne sont pas Israël, et que toutes les colonies sont destinées à être supprimées... Nous déclarons que nous ne continuerons pas à combattre dans cette guerre pour la paix des colonies, que nous ne continuerons pas à combattre au-delà de la ligne verte pour dominer, expulser, affamer et humilier tout un peuple. Nous déclarons que nous continuerons à servir Tsahal en toute occasion qui servira la défense de l'état d'Israël L'occupation et la répression n'ont pas cet objectif. Et nous n'y participerons pas."
[Théâtre Toursky - 16, Passage Léo Ferré - Marseille 3ème]
                               
2. Rassemblement devant le Consulat général des Etats-Unis à Marseille
le lundi 27 mai 2002 à 18h

Le Collectif pour le respect des droits du peuple palestinien organise, à l'occasion de la visite officielle en France du Président américain Georges W. Bush, un rassemblement de soutien au peuple palestinien et de protestation contre à la politique de soutien américaine au criminel de guerre Ariel Sharon. Contre la stratégie de domination du monde des Etats Unis et contre le soutien accordé par Georges W. Bush à la politique de colonisation, d'humilitation  et de massacres du gouvernement israélien.
[Consulat général des Etats Unis - 12, boulevard Paul Peytral - Marseille 6ème (à côté de la Préfecture) - M° Estrangin]
                               
3. Jean Genet et les Palestiniens à Paris
le lundi 27 mai à 20h30 au Théâtre national de la Colline

Théâtre de la Colline organise une soirée consacrée à Jean Genet et les Palestiniens. Cette soirée comportera une première partie consacrée à des lectures de textes de Jean Genet par les comédiens du spectacle "Les Paravents", actuellement mis en scène au Théâtre de la Colline par Frédéric Fisbach : Quatre heures à Chatila, Le Captif amoureux...
La seconde partie sera consacrée à un débat animé par Dominique Vidal, rédacteur en chef adjoint du "Monde diplomatique" en présence de : Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine en France et Albert Dichy, directeur littéraire de l'IMEC et respnsable des archives Jean Genet.
[Théâtre de la Colline - 15, rue Malte-Brun - Paris 20ème - M° Gambetta - Entrée libre. Réservation obligatoire au : 01 44 62 52 00]
                                               
4. Soirées de solidarité avec la Palestine au Centre Culturel d’Egypte à Paris
les mercredi 5, jeudi 6 et vendredi 7 juin 2002 à 18h30

- Mercredi 5 juin à 18h30 : Contes de Palestine, musique et chants de Saadi Younis Bahri
- Jeudi 6 juin à 18h30 : Une enfance à Gaza, conférence-signature du livre d’Arlette Tadié, "Mon enfance en Palestine, ou la colombe poignardée" qui vient de paraître aux éditions Maisonneuve et Larose [15,00 euros / 98,39 FF - ISBN : 2706816031]
- Vendredi 7 juin à18h30 : L’Europe pour la Palestine, projection du film de Claude Louchard et Loïc Santerre, suivie par des témoignages
[Centre Culturel d’Egypte - 111, boulevard Saint-Michel - Paris 5ème - RER B Luxembourg - Tél : 01 46 33 75 67 - http://www.culture-egypte.com]
           
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Le Vagin du scorpion, ou le parcours d'un resistant palestinien par Hassan Sharif Jaubeh dit "Abu Ali"
narration recueillie et traduite de l'anglais, avec préface et notes, par Rodrigo de Zayas
aux éditions L'esprit des péninsules

[ISBN : 2846360103 - 350 pages - 21,34 euros / 139,98 FF]
Sous forme d'un entretien réalisé en 1997 avec Rodrigo de Zayas, Abu Ali raconte une vie tout entière consacrée à la lutte armée et politique qui coïncide avec quelques-unes des pages les plus noires du Proche-Orient : "Septembre noir", guerre civile libanaise, Intifada... Les analyses de ce grand résistant se trouvent pleinement confortées par l'actuelle politique d'Ariel Sharon et de son gouvernement. L'ouvrage est complété par deux brefs entretiens avec, d'une part, la compagne de l'auteur qui évoque l'un des hauts-lieux de la résistance palestinienne, le village de Koformalek et, d'autre part, un des principaux dirigeants de l'OLP, proche conseiller de Yasser Arafat, qui a la particularité d'être juif. 
- Présentation du livre par Marina da Silva in Le Monde diplomatique du mois d'octobre 2001 - Depuis 1997, Rodrigo de Zayas gardait des heures d'enregistrement, effectuées à Ramallah, avec un résistant palestinien. C'est la seconde Intifada et l'encerclement des Palestiniens qui le pousse à leur donner forme, comme pour poser un acte concret de solidarité avec cette nouvelle insurrection. « La Palestine est comme le vagin d'un scorpion », affirme le protagoniste de ce témoignage, Hassan Sharif Jaubeh, alias Abu Ali, un imprimeur et militant connu, venu s'installer à Ramallah après les accords de paix. Il a tout juste cinq ans lorsque sa famille est expulsée de Jérusalem et que commence la Nakba. Il va consacrer toute sa vie à la lutte politique et militaire et accompagner tous les tempos de la résistance palestinienne. Au-delà de son propre parcours de vie - il est en Jordanie au moment de Septembre noir, au Liban durant la guerre civile, puis vit en Italie et en France -, c'est celui de milliers de Palestiniens qu'il donne à entendre, combattants anonymes ou responsables politiques. Mené comme une discussion où les interlocuteurs passent du politique au personnel, de l'analyse à l'anecdote, l'entretien fourmille d'événements et de personnages. L'on pourrait, bien sûr, s'interroger sur l'exhaustivité de cet exercice de mémoire, mais, outre que bon nombre de faits sont vérifiables, l'on retiendra de cette rencontre son efficacité à donner du relief à un trajet individuel, l'inscrivant ainsi dans le champ collectif.
                                                               
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1. Discours prononcé par le Président Yasser Arafat devant le Conseil législatif palestinien à Ramallah, le mercredi 15 mai 2002
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Frère Ahmad Qura’i Abu ‘Alâ’, président du respecté Conseil législatif palestinien, frères et soeurs, membres éminents du Conseil législatif, Mesdames et Messieurs,
c’est pour moi une joie et un honneur de m’adresser à vous, en ce jour où vous tenez cette séance déterminante de notre Conseil législatif élu, qui a assumé par le passé et continue à assumer, parallèlement au Conseil National Palestinien, les tâches imposantes et les responsabilités historiques qui leur ont été confiées, alors que notre peuple palestinien résistant, patient, en sentinelle, traverse avec fermeté et force d’âme cette étape transitoire, beaucoup trop longue, entre l’occupation et l’indépendance, entre l’esclavage et la liberté. Notre destin, à tous, le destin de notre génération et le destin de notre peuple, est d’endurer toutes ces souffrances indicibles, parce que notre exigence, notre but, notre rêve, c’est la liberté, une liberté réelle, et l’indépendance, une indépendance totale, dans l’Etat indépendant de Palestine, dont la capitale sera la sainte ville de Jérusalem.
Permettez-moi, chers amis députés du Conseil législatif, de vous demander de nous remémorer en ce quinze mai, ce jour de la Nakba du peuple palestinien, tout ce que notre peuple a enduré et ne cesse d’endurer jusqu’à ce jour, toutes les souffrances de notre peuple, qui n’a jamais baissé les bras devant les difficultés et les défis historiques qu’il a opposés à la volonté de l’effacer de la carte géo-politique du Moyen-Orient. Ce peuple, qui est un peuple de géants, défend sa terre sacrée et ses lieux saints musulmans et chrétiens. Il écrit cette épopée historique qu’il continue à mener, en peuple héroïque, avec toutes les forces qui luttent afin que nos enfants et nos différentes générations puissent vivre en sécurité et en paix dans un pays libre et indépendant, débarrassé de l’occupation et de la colonisation, de la répression, des persécutions, des exécutions, des incarcérations qui s’abattent sur lui d’une manière sans précédent dans l’histoire contemporaine. En effet, notre peuple est le seul à vivre, dans le monde entier, sous occupation étrangère.
La paix a été, est et restera notre choix stratégique. Nous ne délaisserons jamais le choix de la paix entre nous et les Israéliens. En effet, la paix est dans l’intérêt des deux peuples, palestinien et israélien, et toutes les options essayées par le gouvernement israélien afin d’en finir avec le choix de la paix, la paix des braves que j’ai signée avec mon compagnon disparu Rabin, assassiné par ces forces extrémistes, toutes ces tentatives ont échoué et ont démontré leur nature inepte. On le voit bien : la “solution” militaire israélienne, en dépit de toutes les exactions de ses exécutants, en matière de tueries, de destructions de maisons et de l’infrastructure de nos institutions officielles, éducatives, sanitaires, sociales, sécuritaires et autres, ne change rien, n’a rien changé et ne changera rien à notre détermination à conquérir l’indépendance, la souveraineté, la liberté et la paix des braves signée lors de la conférence de Madrid et confirmée par les accords conclus en vue d’une paix juste, globale et durable, en particulier après l’adoption de l’initiative saoudienne, présentée par le prince Abdullah, au sommet arabe de Beyrouth, récemment, ainsi que par la réunion toute récente, à Sharm ElShaykh, entre le président égyptien Moubarak, sa majesté le prince Abdullah Al Sa’ud, et le président syrien Bashshâr al-Asad.
Nous n’avons jamais cessé de tendre la main vers une paix juste, la paix des braves, la paix qui assure la sérénité, la justice aux Palestiniens et aux Israéliens, au monde arabe, au Moyen-Orient et au monde entier. Qu’on le sache. Cette paix, dans cette terre (= région, ndt), la terre sainte pour tous, j’affirme en toute bonne foi et en toute responsabilité, aujourd’hui, que les négociations que nous avons menées (pour l’obtenir) à Camp David ont été très âpres, délicates, critiques, et qu’elles ont abordé l’ensemble des questions fondamentales. Et malgré les efforts louables et acharnés déployés par le président Clinton et son équipe, nous ne sommes pas parvenus à un accord sur ces points fondamentaux. Nous avons poursuivi, comme vous le savez, les négociations à Sharm al-Shaykh, sous le haut patronage de son excellence le président Moubarak, ainsi qu’à Paris, le président Chirac assistant à leur dernière session. Les progrès accomplis au cours des négociations menées à Taba - et nous reviendrons sur la conférence de presse qui a réuni Abu ‘Alâ’ et Shlomo Ben Ami - aurait dû être mis en application après les élections en Israël. Vous avez tous vécu, vous avez tous assisté, avec votre peuple et votre Autorité palestinienne, ce qui s’est passé par la suite, et en particulier les opérations militaires israéliennes mettant en application des plans préparés de longue date et dans le détail, tel l’opération “Champ de Chardons”, menée contre notre peuple désarmé, et dont le coup d’envoi a été donné après l’agression de l’Esplanade des Mosquées (al-Haram al-Qudsiyy al-Sharîf) à Jérusalem, au cours d’une provocation ouverte contre les fidèles en prière dans la mosquée bénie d’Al-Aqsa, et ce que cette intrusion provocatrice a entraîné : les tirs contre les fidèles, les martyrs tués, les blessés, parmi les nôtres.
Frère président du Conseil législatif palestinien, frères et soeurs, député(e)s,
face à la guerre d’agression, totalement injuste, contre notre peuple, depuis leur “Champ de Chardons” jusqu’à leur “Guerre des Cent Jours”, leur “Géhenne”, leur “Déferlante”, leur “Arc en Ciel”, leur “Rempart”, notre peuple, dans chaque ville, dans chaque camp de réfugiés, dans chaque village et dans chaque hameau, a résisté à l’occupation, à l’encerclement, aux massacres, à l’agression.
Notre population et notre Autorité nationale ont consenti d’énormes sacrifices, durant deux années au cours desquelles il n’est pas une ville, un village, un camp, une maison, une cabane qui n’ait été la cible des opérations militaires israéliennes, des tanks, des bombardiers, des barrages routiers, du bouclage des villes et villages. Les bombes et les balles ont atteint les enfants, dans leurs écoles, les mères de famille, elles ont détruit des maisons, ensevelissant leurs habitants. L’histoire témoignera de ce qui a été commis dans le camp de réfugiés de Jénine et dans la ville de Jénine, elle retiendra les crimes israéliens perpétrés contre notre peuple, dans ce camp héroïque, ainsi qu’à Balata, à Askar, à Nur Shams, Ayidéh, al-Fawwar, Al-Deheïshéh, Al’Am’ariyy, Qaddura et dans les autres camps, ainsi qu’à Naplouse, y compris dans la vieille ville historique, dont les mosquées et les églises les plus anciennes ont été détruites, à Ramallah, à Bethleem, en particulier dans sa Basilique de la Nativité, vénérée par les Chrétiens et les Musulmans, à Gaza, à Jabalya, à Khan Younis, à Deïr al-Balah, à Rafah et dans son camp, à ‘Abasan, à Beït Hanun, à Tulkarem, à Qalqiliya, à Hébron. Dans les agglomérations principales de nos différentes régions et départements. La destruction totale de l’aéroport international de Gaza, la destruction de nos avions, la destruction du port de Gaza, des ministères, des bâtiments de la radio et de la télévision, la division de la bande de Gaza entre plusieurs cantons séparés et morcelés. Le chemin vers la liberté, l’indépendance et la dignité, chers soeurs et frères, n’a jamais été parsemé de roses et de basilic. Non, ce chemin est jonché de résistance, de vigilance, de patience et d’endurance, de capacité à faire face à l’agression et aux agresseurs. Les chapitres du complot dirigé contre votre peuple et votre patrie, destiné à nous priver de notre liberté, de notre indépendance et de notre citoyenneté, n’ont cessé de se succéder les uns aux autres. Depuis la nuit du 29 mars dernier, nous sommes soumis à une agression israélienne massive, recourant à tous les types d’armements - tanks, avions de combat, missiles - et notamment des armes prohibées par le droit de la guerre. En face, nous n’avions que la patience et la résistance, nos villes et nos camps étant assiégés, ainsi que le siège de la présidence, à Ramallah, et l’Eglise de la Nativité et la mosquée d’Omar à Bethleem. Bien que le siège ait été levé de la présidence et de l’Eglise de la Nativité, dans les conditions les plus difficiles, je tiens à vous rappeler que l’accord avec les émissaires américains et européens, prévoyait que les forces d’occupation lèveraient le siège, en premier, de la Basilique de la Nativité, mais que le gouvernement israélien a poursuivi ses incursions et ses agressions quotidiennes dans toutes les régions, sans aucunement se soucier de la réprobation internationale croissante suscitée par ses agressions et ses crimes. Bien loin de là, puisqu’ils sont même allés jusqu’à empêcher la venue d’une commission internationale d’enquête chargée d’enquêter sur les crimes de l’armée d’occupation contre nos concitoyens dans le camp de Jénine, ainsi qu’à poser des conditions rédhibitoires afin d’empêcher la réunion d’une conférence internationale que le président Bush appelle de ses voeux, qui aurait abouti à la création de l’Etat palestinien indépendant. Je rappelle que le président Bush est le premier président américain à se prononcer en ce sens.
Chères soeurs et chers frères,
je sais que les accords conclus en ce qui concerne nos frères à Ramallah et à Bethléem suscitent des commentaires. Ces accords visaient à obtenir la levée des deux sièges et au retrait des forces occupantes. Mais j’assume l’entière responsabilité de tout ce qui s’est passé, d’autant plus que ce qui s’est traduit dans les faits résultait de propositions et de garanties internationales, américaines, européennes, russes et onusiennes, dans les circonstances très critiques et difficiles que vous connaissez, et que je ne détaillerai pas ici. Je vous laisse apprécier ces développements, en toute sincérité et avec esprit d’ouverture, en gardant à l’esprit qu’aucun parcours n’est exempt d’erreurs, loin des sentiments et des polémiques, afin de toujours respecter l’authenticité pour faire face aux dangers auxquels sont confrontés tant notre peuple que notre cause, sur de multiples plans.
Frère président du Conseil législatif palestinien, soeurs et frères membres du Conseil,
l’agression israélienne contre notre peuple est déclarée, elle sera permanente et croissante tant que l’occupation et la colonisation écraseront notre terre et notre peuple. Devant cette fermeté, cet héroïsme allant jusqu’au sacrifice suprême (que l’on pense au tout jeune Faris Awdéh, debout, seul, une pierre à la main, face à un tank israélien), devant ce sacrifice continu de nos populations, ce dont nous avons le plus grand besoin, c’est de réviser nos projets et nos politiques, de redresser le tir, et de réorienter notre avancée en direction de l’indépendance nationale, avec un dévouement total, avec sincérité et confiance, avec détermination (“Certes, nous vous éprouverons par quelque peur, quelque faim, quelque manque d’argent, quelque perte de richesses ou quelque mauvaise récolte. Annonce alors (toi, Muhammad) à ceux qui sont patients (notre) bonne nouvelle : apprends-leur à dire (cette prière), s’ils sont frappés par une épreuve : “c’est à Dieu que nous appartenons et (dussions-nous mourir) c’est auprès de Lui que nous retournerons”“ (adaptation du Coran personnelle, ndt)). 
A cet effet, nous avons annoncé, il y a déjà quelque temps, et nous en renouvelons l’annonce aujourd’hui, que nous rejetons les opérations visant les civils israéliens, comme nous rejetons ce que subissent les civils palestiniens, comme ce qui s’est passé à Jénine, notre Jéningrad... L’opinion publique palestinienne et arabe est parvenue à la conclusion que ces opérations sont contre-productives, elles ne font que retourner contre nous une majorité de la société internationale, cette société qui a créé Israël, l’a financé, armé et protégé, lui assurant une impunité qui suscite le débat. J’appelle votre noble assemblée à examiner cette question grave et controversée, dans l’arène palestinienne et arabe et à nous souvenir de la trêve d’al-Hudaïbiyyé, en mettant l’intérêt national et arabe de notre peuple et de notre nation arabe avant toute chose, et en renforçant la solidarité mondiale avec votre peuple et votre cause. J’incite également votre assemblée à animer un débat national exhaustif et approfondi sur tous les problèmes politiques importants dans le cadre de nos préoccupations nationales, arabes et internationales, dont le centre est la pérennisation et la mobilisation de notre lutte nationale, sous toutes ses formes, en vue de la réalisation des aspirations de notre peuple à établir l’Etat palestinien indépendant, ayant pour capitale Jérusalem, dans nos territoires occupés en 1967, conformément aux décisions prises par notre Conseil National Palestinien lorsqu’il a proclamé l’indépendance et la création de notre Etat indépendant, au cours de sa séance historique, en 1988, à Alger.
Notre situation intérieure et notre organisation politique, après l’agression israélienne récente, requièrent de nous que nous procédions à une révision exhaustive ne négligeant aucun des aspects de notre vie nationale. Vous savez que nous avons établi notre système politique sur une base démocratique et sur des élections libres et régulières placées sous la supervision de chefs d’Etat venus du monde entier. Nous avons établi nos services de sécurité et les forces de la gendarmerie nationale et de la police dans le cadre d’une connaissance préalable du caractère transitoire de la phase des accords d’Oslo qui aurait dû s’achever en 1999, charge à nous de réformer la construction politique, administrative et sécuritaire de notre Etat. Mais les choses se sont déroulées de manière complètement différente après que le gouvernement israélien eût refusé de respecter et de mettre en application les accords, menant depuis lors cette guerre inique contre nous, contre notre terre, contre notre peuple, contre nos lieux saints chrétiens et musulmans.
Permettez-moi de vous proposer en toute sincérité et en tout esprit de responsabilité l’organisation rapide d’élections à tous les niveaux matériellement possibles - populaires ou grands électeurs - en faisant des élections libres le moyen fondamental permettant de choisir les responsables et les dirigeants, que ce soit au sein des instances de la société nationale ou dans les organisations, les unions, les syndicats et les institutions populaires, instruments fondamentaux de la construction de la société nationale. J’insiste sur le caractère fondamental du principe de la séparation entre les pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif, sur la préservation de l’unité nationale et des droits de la personne. De même, en partant de mon expérience en matière de mise en place de l’administration et de l’Autorité palestinienne, je vous invite à réexaminer toutes les structures administratives et ministérielles, ainsi que les services de sécurité, après qu’en sont apparues les failles et les insuffisances, ici et là, insuffisance que l’on ne saurait dissimuler à notre opinion publique alors même qu’elle est soumise aux affres de l’occupation israélienne. Nous avons, tous, déployé de grands efforts dans l’édification et l’action, nous avons sans doute commis des erreurs, et aussi fait les choses correctement, dans tel ou tel aspect, dans telle ou telle responsabilité. Mais nous avons toujours respecté l’honnêteté, nous avons toujours gardé en vue les objectifs nationaux, au premier rang desquels l’indépendance, la liberté, l’Etat palestinien autonome, ayant pour capitale Jérusalem. (“Qu’ils entrent dans la sainte Mosquée comme s’ils y entraient pour la première fois”). Lorsque je parle de notre territoire, j’entends par là tous les territoires arabes occupés tels que définis à la conférence de Madrid. Je vous remercie.
                                           
2. Les jumelles de Madame Klein par Israël Shamir
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Jaffa, le jeudi 2 mai 2002 - Les jumelles, c’est bien pratique. Généralement, on s’en sert pour examiner des objets éloignés. Mais certains s’y entendent pour les prendre à l’envers et transformer un objet tout proche et menaçant en une petite chose insignifiante, dans le lointain... Cette manoeuvre, relevant de l’enfantillage, a été faite par Naomi Klein, auteur du best-seller "No Logo", dans une lettre au quotidien de Toronto (Canada), The Globe and Mail [1]. Sous sa plume magique, le groupe de personnes le plus puissant de toute l’Amérique du Nord, propriétaires de la quasi-totalité des médias canadiens et américains et d’un patrimoine immobilier quasi illimité, a été métamorphosé en une poignée de Juifs terrorisés, venus trouver refuge dans quelque synagogue reléguée, pour y sauver leur peau. Il faut un certain temps avant de réaliser qu’elle écrit à propos de gens que nous connaissons, et qui vivent à l’époque où nous vivons, et non de quelque événement survenu au Moyen-Age.
Madame Klein écrit : “La plupart des Juifs ont tellement peur qu’ils sont prêts aujourd’hui à faire tout et n’importe quoi afin de défendre la politique d’Israël”. La seconde partie de sa phrase est vraie. Nous savons que la plupart des Juifs sont prêts à absolument tout pour défendre, soutenir et faire la promotion de l’épuration ethnique en Palestine. Ils sont prêts à le faire en permanence. Ils ont voué aux gémonies Paul Wolfowitz, le plus assoiffé de sang de l’équipe de choc néo-libérale, parce qu’il n’était pas suffisamment assoiffé de sang. Dans la synagogue moyenne, on considère que Sharon est quelqu’un d’un peu trop gentil pour sa fonction, qu’il est en quelque sorte une sorte de gauchiste de l’ombre. Mais la peur n’a rien à voir là-dedans : aujourd’hui, les Juifs n’ont rien à craindre. Ils disent et font ce qu’ils veulent, sans se retourner en arrière. La tradition juive interdit de maltraiter les Goyim, mais seulement dans la mesure où ce mauvais traitement pourrait faire ricochet et mettre en danger un juif. Apparemment, aujourd’hui, les Juifs ne se sentent absolument pas menacés.
Il y a quelques jours, je suis allé à une réunion de solidarité juive, à Brighton Beach, près de New York. Les Juifs y honoraient Yvet Lieberman, un ministre israélien qui a quitté le gouvernement Sharon en protestation contre l’approche libérale de Sharon. Ils ont claqué un fric monstrueux, dressé des écrans géants et établi des liaisons satellites afin de proclamer leurs sentiments de manière non-équivoque. Mais ce n’est pas la peine d’aller dans une réunion publique : ouvrez un journal juif, depuis le quotidien israélien Ha’Aretz jusqu’à l’hebdomadaire américain Jewish Week, et un flot de haine absolue vous sautera en pleine gueule.
Cela n’est pas nouveau : il y a dix ans de cela, Danni Rubinstein, journaliste libéral israélien, se plaignait du fait que les juifs américains soutiennent invariablement les forces nationalistes les plus extrémistes en Israël. Les Juifs américains ne font pas exception : les Juifs d’Angleterre et de Russie passent leur temps à braire pour réclamer du sang goy, eux aussi. Apologiste avertie, Madame Klein préfère expliquer cet encouragement criminel et coupable au meurtre de masse par leur “peur”...
Elle aurait fait une excellente avocate, à Nuremberg. En effet, qui n’a pas peur ? Comme l’a écrit le Dr. Nolte, les atrocités nazies ont été causées par la peur du communisme russe. Les atrocités des communistes ont été causée par leur peur de l’agression impérialiste, etc. En d’autres termes, la peur n’est pas une excuse. S’ils ont peur, ils peuvent aller consulter leur psy, au lieu de soutenir un génocide.
Madame Klein élabore un syllogisme : les Juifs soutiennent Sharon parce qu’ils ont peur. Donc, luttons contre l’antisémitisme, et le problème sera résolu. Hélas, sa conclusion est aussi faible que sa prémisse. Sharon n’utilise pas la peur des Juifs, il mobilise le chauvinisme juif, et notamment celui de Madame Klein. Dans son livre, No Logo, elle nous dit que son action politique a commencé avec la défense des riches Juifs qui étaient sous-représentés dans les conseils d’administration de leurs sociétés. Cela s’est terminé par la défense des partisans de Sharon. Aujourd’hui, la plupart des Juifs parlent d’une seule voix, depuis la “gauche” de Naomi Klein jusqu’à la “droite” de Barbara Amiel. Pour eux, il n’y a ni Gauche, ni Droite. Il n’existe que les intérêts ethniques des Juifs.
Madame Klein remue beaucoup de vent au sujet de quelques synagogues endommagées. Nous n’avons pas entendu d’elle ni de ses amis un mot de protestation contre le siège de l’Eglise de la Nativité à Bethléem, ni contre la destruction de l’ancestrale Grande Mosquée de Naplouse. Pas un mot ! J’imagine ce qui se passerait si une synagogue était assiégée et si ses occupants mouraient de faim et sous les tirs, comme à Bethleem. Mme Klein exige de nous que nous nous occupions de synagogues. Les synagogues sont utilisées pour collecter de l’argent pour financer l’offensive de Sharon. C’est en général dans des synagogues que Netanyahu et autres monstres font leurs discours à leurs fidèles. Alors que les églises et les mosquées sont détruites par la guerre, il faudrait que les synagogues soient en paix ? Les synagogues sont loin d’être neutres, et Mme Klein l’admet : “dans la synagogue de mon quartier”, écrit-elle, “l’inscription, sur la porte, dit : “Soutenez Israël... aujourd’hui plus que jamais”“.
Et voilà qu’aujourd’hui - après le massacre de Jenine, après l’attaque contre Bethleem, après la destruction massive de Ramallah et d’Hébron, ils veulent soutenir Israël plus que jamais. Sans leur soutien, Sharon serait totalement incapable de commettre ses atrocités. Sans leur soutien, Israël se rétrécirait à sa taille normale. A mon avis, ces gens ne doivent pas être protégés, comme s’il s’agissait d’un petit groupe minuscule de dévots. Ces gens extrêmement puissants et influents doivent être traités avec une rigueur extrême.
Il n’y a aucun danger d’agression raciste contre des Juifs pacifiques, et c’est bien comme ça. Le niveau actuel de mariages mixtes et de rapports sociaux (intercommunautaires) exclut une telle possibilité. Même Jean-Marie Le Pen a un gendre juif, Samuel Maréchal, et il est très ami avec un Juif, Jean-Claude Martinez. Tant Maréchal que Martinez sont des membres éminents du Front National. Mais l’état juif extra-territorial, l’extension outre-mer d’Israël, doit être montré du doigt comme perpétrateur d’atrocités.
                                               
- Note : [1] De vieilles haines, alimentées par la peur par Naomi Klein in The Globe and Mail (quotidien canadien) du mercredi 24 avril 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Naomi Klein est l’auteur de l’ouvrage No Logo.)
J’ai su, grâce à des messages électroniques, que quelque chose d’inédit était en train de se passer à Washington, le week-end dernier. Une manifestation contre la Banque Mondiale et le FMI voyait ses rangs grossis par les membres d’une marche contre la guerre, ainsi que par ceux d’une manifestation de protestation contre l’occupation des territoires palestiniens par Israël.
Finalement, toutes ces manifs se sont fondues ensemble, donnant ce que les organisateurs ont pu qualifier de plus grande manifestation de solidarité avec la Palestine de toute l’histoire des Etats-Unis, avec quelque 75 000 participants, selon la police.
Dimanche soir, j’ai allumé la télé dans l’espoir d’avoir un aperçu de cette protestation historique. Mais ce que j’ai vu, c’est tout autre chose : un Jean-Marie Le Pen triomphant, célébrant son tout nouveau statut de deuxième leader politique français en popularité. Depuis lors, je me pose la question de savoir si la nouvelle alliance des forces, vue dans (nos) rues, pouvait aussi quelque chose contre cette nouvelle menace.
En tant que pourfendeuse tant de l’occupation israélienne que de la globalisation dictée par les trusts, il me semble que la convergence qui s’est produite le week-end dernier à Washington aurait dû se faire il y a bien longtemps. En dépit d’étiquettes pratiques, telle “anti-mondialisation”, les protestations contre le libéralisme, au cours des trois années écoulées, ont, toutes, tourné autour de l’idée d’autodétermination : le droit des gens, où que ce soit, de décider comment organiser au mieux leur société et leur économie, que cela signifiât introduire une réforme agraire au Brésil, ou bien produire des médicaments anti-sida génériques en Inde, ou bien, encore, précisément, résister à une force d’occupation, comme en Palestine.
Lorsque des centaines de militants anti-mondialisation ont commencé à affluer à Ramallah afin d’y agir en “boucliers humains” s’interposant entre les tanks israéliens et les civils palestiniens, la théorie qui se développait autour des sommets du commerce mondial (GATT) était mise en application concrète. Ramener cet enthousiasme courageux à Washington, où la majorité des décisions politiques concernant le Moyen-Orient sont prises, était donc l’étape logique suivante. Mais lorsque j’ai vu M. Le Pen triomphant à la télévision, les bras tendus dans une attitude de victoire, une partie de mon enthousiasme m’a abandonnée. Il n’y a aucune espèce de rapport entre le fascisme français et les marcheurs pour une “Palestine libre” à Washington (en réalité, les seules personnes que les partisans de M. Le Pen semblent haïr plus que les Juifs, ce sont les Arabes).
Et néanmoins, je ne pouvais m’empêcher de penser à toutes les manifestations auxquelles j’ai assisté, dans lesquelles la violence anti-musulmane était à juste titre condamnée, Ariel Sharon à juste titre conspué, mais où, en revanche, nulle mention n’était faite d’agressions contre des synagogues, des cimetières et des centres communautaires juifs. Ni du fait qu’à chaque fois où je me connecte à des sites d’information militante sur Internet, tel Indymedia.org, qui pratique la “publication ouverte”, je me trouve confrontée à une série de théories du complot juif à propos des attentats du 11 septembre (2001) et/ou à des extraits des Protocoles des Sages de Sion...
Le mouvement anti-mondialisation n’est pas antisémite ; le problème est simplement qu’il n’a pas complètement fait le tour des implications du fait de se plonger dans le conflit moyen-oriental. La plupart des gens de gauche prennent partie pour un camp, tout simplement, et, au Moyen-Orient, où un côté est occupé et l’autre côté a le soutien militaire des Etats-Unis derrière soi, le choix semble clair. Mais il est possible de critiquer Israël tout en condamnant sans aucune faiblesse la montée de l’antisémitisme.
Et il est, de même, possible de soutenir l’indépendance palestinienne sans adopter pour autant une dichotomie simpliste “pro-Palestine/anti-Israël”, image renversée des équations “bien contre mal” chères au président George W. Bush.
Pourquoi ratiociner sur de telles subtilités, me direz-vous, alors que l’on retire encore des cadavres des ruines de Jénine ? Parce que toute personne intéressée à combattre le fascisme à la Le Pen ou la brutalité façon Sharon doit se confronter sans barguigner à la réalité de l’antisémitisme. La haine des Juifs est un outil puissant aux mains de la droite, tant en Europe qu’en Israël. Pour M. Le Pen, l’antisémitisme est une aubaine, qui lui permet de faire monter son taux de popularité de 10 % à 17 % en une semaine.
Pour Ariel Sharon, c’est la peur d’un antisémitisme, tant réel qu’imaginaire, qui lui sert d’arme. M. Sharon aime à répéter qu’il tient tête aux terroristes afin de démontrer qu’il n’a pas peur. En réalité, sa politique est toute entière dictée par la peur. Sa grande intelligence, c’est de comprendre à la perfection la profondeur de la peur qu’ont les Juifs d’un nouvel Holocauste. Il sait établir des parallèles entre les angoisses juives vis-à-vis de l’antisémitisme et les peurs américaines vis-à-vis du terrorisme.
Sharon est maître dans l’art de mobiliser toutes ces peurs au service de ses objectifs politiques. La peur primale, et familière, sur laquelle M. Sharon élabore, c’est la peur que les voisins d’Israël ne veuillent rejeter les Juifs à la mer. La deuxième peur que M. Sharon manipule, c’est la peur, parmi les Juifs de la diaspora, qu’ils pourraient être en fin de compte un jour contraints de venir chercher refuge en Israël. Cette peur amène des millions de Juifs, dans le monde entier - dont beaucoup sont rendus malades par l’agression israélienne - à se taire et à envoyer leurs chèques, payant en quelque sorte des traites sur leur futur sanctuaire-refuge.
L’équation est simple : plus les Juifs ont peur, plus M. Sharon est puissant. Elu sur un programme de “paix au moyen de la sécurité”, son administration pourrait difficilement dissimuler sa satisfaction devant la montée de M. Le Pen, en s’empressant d’exhorter les Juifs de France à faire leur valise et à venir en “terre promise”.
Pour M. Sharon, la peur chez les Juifs est la garantie que son pouvoir pourra s’exercer sans entraves, lui donnant l’impunité dont il a besoin pour commettre l’impensable : envoyer l’armée à l’intérieur du ministère palestinien de l’Education afin d’y détruire les archives ; enterrer vivants des enfants palestiniens sous les ruines de leurs propres maisons ; empêcher les ambulances de venir secourir des blessés à l’agonie.
Les Juifs de la diaspora sont dans une situation extrêmement délicate, désormais. Les agissements du pays qui était censé assurer leur future sécurité les rendent moins sûrs que jamais, aujourd’hui même. M. Sharon s’emploie à effacer tout distinguo, délibérément, entre les mots “juif” et “israélien”, en prétendant combattre non pas pour le territoire d’Israël, mais pour la survie du peuple juif. Et lorsque l’antisémitisme ressurgit, au moins en partie, à cause de ses agissements, c’est encore M. Sharon qui est en situation d’en recueillir les dividendes politiques.
Et ça marche. Les Juifs ont aujourd’hui tellement peur qu’ils sont prêts à faire n’importe quoi pour défendre la politique israélienne. Ainsi de la synagogue de mon quartier, dont la façade a juste été un peu noircie par un feu suspect. La plaque, à l’entrée, n’énonce pas “Merci bien, Sharon”. Non. Il y est inscrit : “Soutenez Israël. Aujourd’hui plus que jamais.”
Il y a une issue. Rien ne pourra jamais éradiquer l’antisémitisme, mais les Juifs, tant en Israël qu’en dehors d’Israël, pourraient être un peu plus en sécurité s’il se développait une campagne afin d’établir la différence entre différentes prises de position des Juifs et les agissements de l’Etat d’Israël. C’est en cela qu’un mouvement international peut jouer un rôle crucial. D’ores et déjà, des alliances se nouent entre militants anti-mondialisation et des “refuseniks” israéliens, ces soldats qui refusent d’effectuer leur service obligatoire dans les territoires occupés. Et les images les plus frappantes des manifestations de samedi dernier étaient sans doute celles de rabbins défilant aux côtés de Palestiniens.
Mais il faut faire plus. Il est trop facile, pour des militants pour la justice (dans le monde), de se dire que les Juifs ont des avocats tellement puissants à Washington et à Jérusalem, que la bataille contre l’antisémitisme ne justifie pas qu’ils la mènent.
C’est là une erreur mortelle.
C’est précisément parce que l’antisémitisme est utilisé par des gens comme M. Sharon qu’il faut absolument renouveler la lutte contre lui.
Dès lors que l’antisémitisme ne sera plus considéré comme le problème des seuls Juifs, dont seuls Israël et le lobby sioniste doivent s’occuper, M. Sharon sera privé de son arme la plus efficace pour son occupation indéfendable et de plus en plus brutale.
Par surcroît, dès lors que la haine anti-juive diminue, les gens comme Jean-Marie Le Pen perdent immédiatement leur influence.
                                                       
3. Israël : Sale temps pour la liberté de la presse
Extrait du Rapport annuel 2002 de Reporters sans Frontières
Jeudi 2 mai 2002 - Depuis septembre 2000, 45 cas de journalistes blessés par balles ont été recensés par Reporters sans frontières. En décembre 2001, le ministère israélien de la Défense a rendu publiques les conclusions de ses enquêtes. Superficielles, partielles, elles ont, dans la majorité des cas, nié toute responsabilité de Tsahal. Les journalistes palestiniens, qui constituent la majorité des blessés, ont rencontré des difficultés croissantes pour circuler entre les différents territoires.
Les quinze mois de violence entre l'armée israélienne et les Palestiniens se sont soldés par un lourd bilan : plus de mille tués (environ 800 du côté palestinien et 200 du côté israélien). Et la fin d'année a connu une escalade dans la violence avec les attentats suicides du Hamas et du Djihad islamique et la riposte de Tsahal (l'armée israélienne) dans les villes palestiniennes. Dans un tel contexte, les journalistes ont travaillé dans des conditions difficiles. Depuis le début de la deuxième Intifada, le 29 septembre 2000, 45 cas de journalistes blessés par balles ont été recensés par Reporters sans frontières. Certains ont été grièvement atteints. Dans la majorité des cas, l'organisation, après une enquête sur le terrain, en a imputé la responsabilité à l'armée israélienne et a demandé à celle-ci de diligenter des enquêtes. A la mi-décembre 2001, soit quinze mois après les premiers affrontements, le ministère israélien de la Défense a fait part des résultats de ses enquêtes. Seuls neuf cas de journalistes ont été évoqués dans le document qui a mis hors de cause Tsahal, à une seule exception. Les journalistes palestiniens qui constituent la majorité des blessés, ont rencontré par ailleurs des difficultés croissantes pour circuler entre les différents territoires. En fin d'année, les autorités israéliennes ont envisagé de ne pas renouveler les cartes de presse des correspondants palestiniens de la presse étrangère. Dans le même temps, Tel-Aviv rendait public le projet de création d'une télévision en arabe pour contrer la "propagande" des médias arabes et particulièrement palestiniens. Au fil des mois, une partie de la presse israélienne, pourtant connue pour son professionnalisme et son indépendance, s'est parfois faite le porte-parole de l'armée, en reprenant à son compte le vocabulaire utilisé par Tsahal.
Huit journalistes blessés par balles Le 9 février 2001, Laurent van der Stockt, photographe de l'agence Gamma, couvre en compagnie d'un confrère de Reuters, des manifestations de jeunes Palestiniens à Ramallah. Le photographe se trouve à une cinquantaine de mètres des soldats israéliens lorsqu'une balle réelle le frappe au genou. La manifestation avait commencé après la prière du vendredi. Les jeunes Palestiniens s'étaient dirigés vers un barrage israélien près d'une colonie juive. Ils ont jeté des pierres sur les militaires, qui ont riposté avec des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes. Le photographe a été transporté dans un hôpital de Jérusalem puis rapatrié en France. Alité pendant trois mois, le journaliste conserve de graves séquelles. Le même jour, au même endroit, Rebhi Ahmad Mohammed al-Kobari, cameraman palestinien travaillant pour la chaîne de télévision palestinienne al-Sharq à Ramallah, est blessé au genou gauche par des éclats de balle après que l'armée israélienne a ouvert le feu sur des manifestants. Le journaliste portait, outre sa caméra, un casque clairement marqué "TV". Le 23 mars, Ahmed Zaki, journaliste palestinien, correspondant de la chaîne Oman Satellite Television, est touché au genou par un projectile indéterminé alors qu'il couvre des affrontements à l'entrée de Ramallah. Le 14 avril, Zakaria Abu Harbeid, journaliste de l'agence de presse locale Ramatan, est blessé à Khan Younis (dans la bande de Gaza) alors qu'il prenait des photos de soldats israéliens tirant sur des Palestiniens. Atteint à la main gauche, il a dû être hospitalisé pendant plusieurs jours. Le 20 avril, Laïla Odeh, correspondante de la chaîne de télévision émiratie Abou Dhabi TV à Jérusalem, interviewe, dans la région de Rafah, des personnes dont les maisons ont été détruites par des raids israéliens dans la bande de Gaza, quelques jours auparavant. Au moment où la journaliste et son équipe s'apprêtent à quitter les lieux, des soldats israéliens tirent dans leur direction. Touchée par une balle réelle à la cuisse, Laïla Odeh est rapidement conduite à l'hôpital de Rafah puis transférée à l'hôpital Al Shifa, à Gaza. Selon la journaliste, les soldats l'ont visée délibérément. Dans le rapport rendu public le 18 décembre par l'armée israélienne, il est indiqué qu'une "enquête-action" complémentaire pourrait être décidée si nécessaire. Le 15 mai, Bertrand Aguirre, correspondant de la chaîne de télévision française TF1, est blessé alors qu'il couvre des affrontements entre l'armée israélienne et des manifestants palestiniens à Ramallah. Une balle frappe le gilet pare-balles du journaliste, provoquant un hématome. Le journaliste est transporté à l'hôpital de Ramallah pour y être examiné. "Je ne peux pas dire si le garde-frontière qui a ouvert le feu me visait en tant que journaliste, ni même s'il me visait personnellement. Ce qui est clair, en revanche, c'est qu'il a ouvert le feu à courte distance, à balles réelles, tirant à hauteur d'homme, alors qu'en aucun cas sa sécurité n'était mise en danger", a précisé le journaliste à Reporters sans frontières. En septembre, le journaliste est informé que l'enquête est close. Pour justifier cette décision, Eran Shangar, directeur du bureau des affaires internes à la police, explique : "Après avoir examiné les éléments du dossier, j'ai décidé de ne pas traduire en justice le policier, faute de preuves suffisantes". Pourtant, trois équipes de télévision différentes ont filmé simultanément la scène. On y voit clairement un garde-frontière israélien descendre de son véhicule, ajuster calmement son arme et, cigarette à la bouche, ouvrir le feu à balles réelles, à hauteur d'homme, à une distance d'environ 100 mètres. Le 15 juin, un journaliste japonais indépendant est légèrement blessé à la main par un éclat suite à des tirs de soldats israéliens lors d'affrontements survenus à l'entrée de Ramallah. Le 6 juillet, Lu'ay Abu-Haikal est touché par une balle métallique enveloppée de caoutchouc alors qu'il couvrait des affrontements entre troupes israéliennes et manifestants palestiniens à Hébron. Il est soigné à l'hôpital d'Hébron.
Six journalistes interpellés Le 24 avril 2001, à Naplouse (en Cisjordanie), quatre journalistes de la chaîne de télévision publique palestinienne Palestinian Broadcasting Corporation (PBC), Ruba Al-Najar, journaliste, Jaghoub Jaghoub, cameraman, Bilal Aburish, assistant de production et Samir Abid Rabbo, ingénieur du son, sont arrêtés par des soldats israéliens alors qu'ils sont en reportage. Un officier de l'armée leur reproche d'avoir filmé des véhicules et des positions militaires israéliennes. Après avoir conduit les journalistes dans la colonie de Karne Shermon, des soldats leur bandent les yeux ainsi qu'à leur chauffeur, Hussein Al Gharnaoui, puis les interrogent. Les militaires les fouillent et visionnent les cassettes vidéo de l'équipe. Au terme de huit heures de détention, Ruba Al-Najar, Jaghoub Jaghoub, Bilal Aburish et Samir Abid Rabbo sont relâchés alors que leur chauffeur demeure détenu sous prétexte qu'il serait impliqué dans des "activités hostiles". Le 29 juillet, lors d'affrontements sur l'esplanade des mosquées, Ahmed Husseini Siam, qui travaille pour CBS, est interpellé par la police qui lui confisque une cassette vidéo. Le 30 octobre, Maurizio Giuliano, journaliste free-lance, traverse le pont Allenby entre la Jordanie et les Territoires occupés. Il est interpellé au barrage israélien où il est malmené par un policier. Il est ensuite également retenu quelques heures du côté jordanien. Quatorze journalistes agressés Le 10 mars 2001, Hossam Abou Alan, photographe de l'Agence France-Presse, Mazen Dana, cameraman de l'agence Reuters, et Nael Shiyoukhi, preneur de son pour cette dernière agence, couvrent le carnaval juif à Hébron lorsqu'ils sont pris à partie par des colons juifs. Le 29 juillet, au moment des affrontements sur l'esplanade des Mosquées, neuf journalistes, Nasser Atta (ABC News), Rachid Safadi (Al Jazira), Atta Awassat (Yedihot Aharonot), Fatem Awalan (Nile TV), Gevara Bouderi (Al Jazira), Mahfuz Abu Turk (free-lance travaillant pour Reuters notamment), Muna Qawasmi (Al Ayyam), Amar Awad (Reuters) et Nasser Abdel Jawad (cameraman), se retrouvent face à plusieurs centaines de policiers après que les manifestants ont fui ou se sont réfugiés dans la mosquée. Les policiers, qui envisageaient de donner l'assaut, ont pris à partie les journalistes. Ceux-ci ont été matraqués. Atta Awassat est frappé à coups de crosse. Le 13 août, Tarek Abdel Jaber et Abdel Nasser Abdoun, respectivement journaliste et cameraman pour la télévision d'Etat égyptienne, sont attaqués par un soldat israélien au barrage de Qalandia, entre Jérusalem et Ramallah. Le soldat frappe Abdel Nasser Abdoun au visage puis à l'aine, le faisant tomber à terre. Selon les deux journalistes, les autres soldats israéliens n'ont rien fait pour empêcher cette agression. Abdel Nasser Abdoun est conduit à l'hôpital Makased de Jérusalem d'où il ressort trois heures plus tard. Le soldat israélien responsable a été condamné à vingt et un jours de prison et interdit de commandement. Pressions et entraves Le 8 mars 2001, dans la bande de Gaza, Christine Hauser, Ahmed Bahadou et Suhaib Salem, journalistes de Reuters, sont victimes de tirs d'avertissement de la part de soldats de Tsahal. Les soldats tirent en direction des trois journalistes qui souhaitaient prendre des photos et filmer un dispositif militaire israélien, à Netzarim. Les reporters, clairement identifiables grâce à leur matériel, doivent se coucher à terre. Les militaires leur demandent de quitter l'endroit, puis l'un d'eux vient leur dire qu'ils ne sont pas autorisés à être dans ce lieu. Le porte-parole de l'armée israélienne, Olivier Rafowicz, a ensuite déclaré qu' "en raison d'une situation très tendue à Gaza, les civils n'étaient pas autorisés à s'approcher des postes des forces de défense israéliennes". "L'armée a seulement effectué des tirs d'avertissement. L'équipe de Reuters n'avait pas informé l'armée de sa présence dans cette zone", a-t-il ajouté. Début mai, le chef du département de l'Education de l'armée, le général Eliezer Stern, a ordonné la suspension pour plusieurs semaines de l'hebdomadaire de l'armée israélienne BeMahaneh. Selon un porte-parole de l'armée, "des articles parus dans le journal (daté du 4 mai 2001) ne correspondaient pas aux normes de l'armée". Un article publié dans ce numéro dressait le portrait d'un colonel de réserve homosexuel. Le 1er août, une équipe de journalistes palestiniens est bloquée plusieurs heures à un barrage à l'entrée de Naplouse. Le lendemain, une équipe de ANN (Arab News Network) est à son tour retenue durant deux heures au même barrage. Mohamad Al-Sayed, journaliste, Ahmed Al-Asi, cameraman et leur chauffeur sont insultés après que Mohamad Al-Sayed (arabe israélien) eut refusé de servir d'interprète aux militaires israéliens. Le 5 octobre, le véhicule blindé d'Elizabeth Dalziel de Associated Press est touché par des balles lors d'un échange de tirs entre soldats israéliens et Palestiniens, à Hébron. Une première balle frappe le pare-brise du véhicule qui porte les insignes distinctifs des médias : "TV" et "Press". Alors que la journaliste tente de fuir, au moins cinq autres balles atteignent la voiture, dont une crève un pneu. La photographe a déclaré n'avoir pas vu qui avait ouvert le feu mais a estimé que les tirs provenaient des positions israéliennes. La scène s'est déroulée dans le quartier de Abou Sneineh, l'un des deux secteurs de Hébron où l'armée israélienne a fait une incursion, le même jour, tuant cinq Palestiniens. L'armée israélienne a annoncé, le 6 octobre, enquêter sur l'origine des tirs. Début 2002, les résultats de l'enquête n'ont toujours pas été rendus publics. A l'automne, Ziad Abou Ziad, député à l'Assemblée législative palestinienne et directeur de publication du magazine Palestine - Israël Journal (rédigé en commun par des Israéliens et des Palestiniens), est interdit d'accès à Jérusalem où se trouve le siège de son journal. "Certains semblent craindre plus que tout le dialogue entre nos deux peuples", note le journaliste pour expliquer cette interdiction. Le 18 novembre, une équipe de journalistes de la télévision libanaise Al-Manar appartenant au mouvement chiite du Hezbollah est victime de tirs de la part de soldats israéliens, près du village frontalier de Kfarchouba. Selon le Hezbollah, un journaliste asiatique et plusieurs journalistes européens étaient présents et auraient également essuyé des tirs. Les soldats israéliens ont ouvert le feu sur les journalistes en les visant entre les pieds. Le 13 décembre, l'armée israélienne démolit le centre de transmission de la télévision et de la radio palestiniennes à Ramallah dont elle a dynamité la principale antenne de diffusion. Le 12 décembre au soir, la télévision et la radio palestiniennes n'émettaient déjà plus suite à des bombardements. Ces médias officiels ont été alors obligés d'utiliser les antennes des radios et télévisions privées pour pouvoir diffuser leurs programmes. Le 18 décembre, l'Office de presse du gouvernement israélien (GPO) fait part de son projet de ne pas renouveler les cartes de presse des journalistes palestiniens travaillant pour des médias étrangers. On leur octroierait à la place une carte orange "spécial assistant" qui ne serait valide que pour les territoires et ne leur donnerait pas un accès automatique à Israël. Les autorités israéliennes ont justifié cette mesure en déclarant que les journalistes palestiniens "disséminent de la propagande et ne répondent pas aux standards journalistiques pour une couverture équilibrée". Selon le GPO, cinq à six cents journalistes palestiniens détiennent actuellement une carte de presse.
                                                   
4. Le grand réformateur par Uri Avnery
[traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]

Samedi 18 mai 2002 - Quand les habitants de Bethléem sont sortis de leurs maisons, après les longues semaines au cours desquelles les soldats israéliens tiraient sur tout ce qui bougeait en ville, ils ont découvert que le paysage avait changé. Pendant qu’ils étaient emprisonnés dans leurs maisons, l’armée travaillait jour et nuit pour les isoler du monde par une tranchée profonde de deux mètres et des fils de fer barbelés meurtriers, aigus comme un rasoir, qui pourraient faire saigner jusqu’à la mort quiconque serait pris dedans. La ville et sa banlieue (Beit-Jala, le camp d’Aïda et d’autres camps de réfugiés) étaient devenus une vaste prison.
Cette semaine, des membres du parlement palestinien ont essayé de se rendre à la séance qui traitait de la « réforme ». Le voyage à Ramallah, d’une heure et demie en temps ordinaire, leur a pris 4 heures, avec une série d’humiliations aux nombreux barrages de l’armée.
Bethléem est une banlieue de Jérusalem. Des centaines de fils la relient à la ville. Tous ces fils sont maintenant coupés. Jérusalem est plus loin de Bethléem que le côté obscur de la lune.
Cette sorte de clôture est en train d’être construite dans de nombreux endroits du pays, séparant les enclaves palestiniennes non seulement d’Israël mais l’une de l’autre également. Le slogan est « séparation », et cela sonne bien aux oreilles israéliennes. « Nous sommes ici et ils sont là », comme le lamentable Ehoud Barak avait l’habitude de dire. La situation réelle est tout autre : « Nous sommes ici et nous sommes là ». Parce que la séparation est non seulement unilatérale mais aussi unidirectionnelle. Il est interdit aux Palestiniens de traverser pour aller en Israël, mais les colons et les soldats passent en Palestine.
La guerre de Sharon contre le peuple palestinien continue à un rythme rapide. L’installation des clôtures n’est qu’une de ces opérations. La deuxième est l’activité de colonisation qui ne s’est jamais arrêtée. Les anciennes colonies s’étendent, de nouvelles surgissent et, sur tous les territoires occupés, la construction de routes de contournement continue, entraînant l’expropriation de terres palestiniennes et l’étranglement de villages palestiniens.
La troisième opération de la guerre porte le titre glorieux de « réforme ».
Quand Sharon déclare que la réforme de l’Autorité palestinienne est une condition pour la reprise du processus de paix, c’est une autre manœuvre pour empêcher toute négociation. Cela permet également à Sharon de monter dans le train de Bush qui demande une réforme démocratique de l’Autorité (sans, évidemment, demander la même chose aux pays comme l’Egypte, l’Arabie Saoudite, la Jordanie, le Pakistan et la Chine).
Le slogan de la réforme sert également un autre des objectifs de Sharon : il attire l’attention du public, et fait que les événements de Jénine sont oubliés et les incursions et les assassinats quotidiens des FID dans les territoires palestiniens ignorés.
Mais, en tant que Grand Réformateur de la Palestine, Sharon poursuit un objectif beaucoup plus important. Quand il était général actif dans l’armée, il était réputé comme un commandant qui « lit le champ de bataille », ce qui signifie qu’il avait l’aptitude de saisir instinctivement où se trouve le point crucial sur le front ennemi. Par exemple : longtemps avant la guerre d’octobre 1973, Sharon avait décidé exactement l’endroit où il franchirait le front égyptien et traverserait le canal de Suez le moment voulu.
Sharon a décidé depuis longtemps que le point crucial sur le front palestinien est la leadership de Yasser Arafat. Beaucoup de gens croient que les efforts de Sharon pour éliminer le chef palestinien sont motivés par un désir de vengeance personnelle après qu’Arafat lui ait échappé des mains à Beyrouth. Mais le problème est beaucoup plus sérieux.
Sharon sait que s’il réussit à briser Arafat, nous briserions la colonne vertébrale du peuple palestinien pour de nombreuses années – des années au cours desquelles il pourrait terminer la tâche de remplir les territoires avec des colonies et de les annexer à Israël. Arafat est un chef fort et autoritaire, qui fait tenir ensemble tous les courants du peuple palestinien, évitant une guerre civile entre eux, et il est le seul qui puisse prendre des décisions courageuses, historiques.
De toutes parts, on parle désormais de réformer l’Autorité palestinienne mais chacun a un programme différent. Pour Sharon, la réforme signifie en finir avec Arafat et installer un groupe de Quislings (comme il l’a tenté il y 20 ans avec la création des « comités de villages »). Pour Bush, la « réforme » veut dire nommer une direction palestinienne qui suivra ses ordres (et, indirectement, ceux d’Israël) en échange de la création d’un Etat-client palestinien comme Porto-Rico ou Andorre (ainsi que Netanyahou l’a un jour déclaré).
Chez les Palestiniens eux-mêmes, certains voient la réforme simplement comme un moyen d’éliminer leurs rivaux et de prendre leur place. Je suspecte que certains des Palestiniens partisans de la réforme travaillent pour le Mossad et/ou la CIA. Le Hamas espère que la réforme conduira à la chute de l’Autorité palestinienne et ouvrira la voie de sa propre prise de pouvoir. D’autres Palestiniens désirent honnêtement l’établissement immédiat de pratiques appropriées pour un Etat ordonné, faisant totalement abstraction du fait que le peuple palestinien est encore en plein combat pour son existence même, confronté au danger réel d’être finalement expulsé de son pays.
De nombreux Palestiniens veulent une réforme différente : une réforme qui éliminera tous les éléments parasites qui se sont accrochés à l’Autorité palestinienne, et qui préparera le peuple palestinien à la prochaine étape décisive de sa lutte de libération. Pas une réforme à la place de la lutte, mais une réforme pour la lutte. Aucun d’eux n’a l’intention de réaliser le rêve de Sharon et de Bush de liquider Arafat et d’en faire une imitation palestinienne de Moshe Katzav, le Président symbolique d’Israël.
                                               
5. C’est simple : “Partez !” par Gabriel Ash
sur le site américain 
http://www.yellowtimes.org (alternative news and views)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Jeudi 25 avril 2002 - Combien de Palestiniens sont morts à Jénine ? Des dizaines ? Des centaines ? Combien de centaines ? Si le nombre s’avère d’ici quelque temps être exactement de 641, ou exactement de 139, cela représentera-t-il une “victoire” en matière de relations publiques pour les Palestiniens, ou bien pour les Israéliens ? Tandis que les journalistes se mettent sur les rangs afin de proclamer le “vainqueur”, CNN procède à un sondage sur internet sur la crédibilité de chacun des deux camps. Peut-être assistera-t-on bientôt à des morts polémiquant avec des vivants sur le plateau de l’émission de la CNN sordidement baptisée “Feux croisés” ?!?
Comme exercice mental, essayons, si vous le voulez bien, de déterminer à partir de combien de morts, exactement, l’aiguille de la balance cesse de pencher du côté israélien pour pencher du côté palestinien ; à partir de quel moment une incursion devient-elle une boucherie, une boucherie devient-elle un massacre, un massacre un génocide...
Tout ceci est extrêmement important, pour qui se préoccupe de relations publiques.
Durant onze jours, les soldats des Forces israéliennes de défense ont empêché les journalistes, les médecins, les équipes de secouristes et les convois d’aide de première nécessité de pénétrer à Jénine.
Voilà comment ils “protègent” la vérité, la gardant précieusement enfermée, à l’abri de tous ceux qui, à l’extérieur, censément animés de mauvaises intentions, pourraient en “faire mauvais usage” à l’encontre d’Israël.
Et il est bien vrai que la vérité est une arme effroyable. Il serait regrettable de laisser un camp en détenir plus que l’autre camp n’en détient. Il faut qu’il y ait un équilibre. Mais seulement en matière de vérité. Nul besoin d’équilibre lorsqu’il est question de puissance de feu, par exemple. Non : qu’Israël détienne l’arme nucléaire et des hélicoptères Apache, payés par les contribuables américains, lesquels ne peuvent même pas se payer une sécu digne de ce nom, tandis qu’en face, les Palestiniens se battent avec des pétoires et des bombes artisanales, voilà qui est dans l’ordre des choses.
On se moque qu’il n’y ait pas d’équilibre en matière de territoires. Que les Israéliens contrôlent tout le territoire et que les Palestiniens n’en aient aucun, à la limite, qu’est-ce que ça peut bien faire ?
Aucun équilibre n’est requis, non plus, en matière de liberté, de droits de l’homme, toutes choses dont les Israéliens jouissent, et les Palestiniens, non. En revanche, il FAUT qu’il y ait équilibre dans la façon de rapporter ce qui s’est passé à Jénine.
C’est pourquoi la précision et la déontologie sont très importantes, à Jénine. S’agissait-il à proprement parler d’un “massacre”, comme l’a dit Pérès avant de se rétracter, d’une “dévastation”, ou simplement d’une “incursion” utilisant “la force requise” afin de remplir des “objectifs nécessaires”, tel celui de montrer aux Palestiniens qui est le chef et ce qu’il en coûte de l’énerver ? Si vous utilisez un mot trop fort, si vous choisissez une expression qui colle avec la puanteur des corps en décomposition, attention : Israël va vous réprimander, vous taxer d’être antisémite et pourrait bien, même, vous expulser. Vous voilà prévenu.
Mais que peut-on faire ? Même The Economist, dont on connaît la prudence et les penchants pro-israéliens, a évoqué l’évidence incontestable que des crimes de guerres ont été commis. L’envoyé de l’ONU, Terje Roed-Larsen, a qualifié la dévastation de Jénine d’”effroyable, dépassant l’entendement”. Il a jugé “moralement répugnant” qu’Israël ait empêché l’entrée des secours à Jénine durant onze jours. Israël continue à bloquer les équipes de secours, tandis que Pérès est en train de se demander s’il convient de renvoyer Roed-Larsen chez lui, avec un mot pour ses parents, ou se contenter de lui donner son compte. C’est le langage peu diplomatique du diplomate norvégien - notez-le - et non la réalité peu diplomatique à laquelle il se réfère, qui heurte la sensibilité morale hautement évoluée d’Israël.
Après avoir donné son feu vert, voilà que le gouvernement israélien bloque la mission d’enquête de l’ONU. Le problème, d’après Israël, serait que de trop nombreux membres de cette commission ont une expérience “humanitaire”, et risquent d’être peu au fait des nécessités de la guerre. On peut aisément imaginer le genre de gens, avec quels états de service et quels curriculibus vitarum, Israël aimerait voir composer cette commission : peut-être quelques dirigeants d’escadrons de la mort sud-américains ; si possible le général français tortionnaire Paul Aussaresse, qui a dirigé le ratissage de la Casbah d’Alger par les parachutistes français en 1957 ? Pour faire bonne mesure - cerise sur le gâteau - des connaisseurs en matière de crimes de guerre tels une Madeleine Albright, ou même (pourquoi pas ?) un Henri Kissinger, pourraient utilement lui apporter le concours de leur autorité morale, ainsi que la rarissime élasticité de leur discours.
Du moment que l’équilibre est observé...
Pour l’opinion publique et les politiciens israéliens, l’opprobre largement répandu, et fâcheusement déséquilibré, dont ils sont l’objet n’est qu’une manifestation de plus du fait que “tout le monde est contre eux”.
Faisant écho au sentiment populaire, le président israélien, Moshe Katsav, geint : “avec tout le respect et l’estime dûs aux gens de conscience et aux libéraux compatissants du monde entier, je ne parviens à comprendre pourquoi ils n’ont pas desserré les lèvres, durant plus d’un an et demi que sont commis les plus cruels des actes de terreur sans aucun précédent, contre les citoyens israéliens, où qu’ils se trouvent.”
Dites-nous, président Katsav, tous les habitants de Jénine sont-ils, d’après vous, des terroristes ? La plupart d’entre eux en sont-ils ? Le standard du Bon Dieu, consistant à affirmer qu’il suffit de dix Justes pour sauver une cité, est-il trop laxiste, à vos yeux ? Dans l’affirmation “toute punition collective est un crime de guerre”, quel est le passage que vous ne comprenez pas ?
Le fait que l’éruption de violence, au cours des dix-huit mois écoulés, vous surprenne à un tel point me fait me demander, Président Katsav, si vous avez la moindre idée de ce qu’est la Liberté ? La Déclaration universelle des Droits de l’homme, vous connaissez ?
Avez-vous bien compris que “universelle” signifie que cette Déclaration “s’applique, de manière égale, à tout le monde” ?
N’auriez-vous pas, par hasard, un problème avec les adjectifs possessifs ?
Une chose est sure, avec “mon/ma” et “notre”, vous êtes parfaitement à l’aise. Mais comprenez-vous les concepts qu’il y a derrière “votre”, “son”, “sa”, et “leur” ? Quand je regarde la carte de vos extorsions du territoire des autres pour y construire vos colonies, j’en doute sérieusement.
Le fait que les “gens de conscience” ne condamnent pas le terrorisme vous stupéfie ? Le simple fait que vous puissiez porter une telle accusation montre bien que vous vivez sur une autre planète. Mais ça ne fait rien, je vais répondre, et doublement, à vos complaintes.
La réponse longue, Président Katsav, “avec tout le respect et l’estime dus à votre auguste personne”, c’est que les kamikazes qui se font sauter en Israël n’y débarquent pas depuis l’espace. Leurs ceintures explosives pourraient à juste titre porter une étiquette indiquant “made in the Greater Eretz Israël” (“fabriqué dans le Grand Eretz-Israël”).
Les bombes des kamikazes sont les fleurs mutantes de l’occupation brutale d’Israël. Ces fleurs s’épanouissent sur les branches de cinquante quatre années de déshumanisation des Palestiniens. Ce sont les fantômes de votre barbarie revenus vous hanter ; la mémoire de votre guerre contre la mémoire.
La destruction massive et délibérée des traces laissées par la vie des civils palestiniens en Cisjordanie, au cours de ces dernières semaines, n’est que le dernier chapitre en date d’une guerre d’éradication de la mémoire palestinienne entreprise en 1948, avec la destruction de plus de quatre cent villages palestiniens. Mais vous semblez ne rien retenir de l’histoire, en l’occurrence de votre propre histoire : les fantômes, eux, reviennent, encore et encore, à chaque fois plus violemment.
Pour ceux qui sont prêts à se sacrifier, leur haine inextinguible contre vous est tout ce qui leur reste, après que vous ayez passé au bulldozer leur passé et leur avenir.
Que vous le vouliez ou non, ces gens sont vos enfants illégitimes. Tout ce qu’ils ont appris, en matière de haine, c’est vous qui le leur avez inculqué. Tout ce qu’ils ont oublié, en matière d’humanité, c’est vous qui le leur avez fait oublier. Alors, embrassez-les. Là, maintenant, tout de suite. N’ont-ils pas apporté la preuve qu’ils sont les dignes rejetons de leurs parents - vous ?
Quand à la réponse courte, Président Katsav, elle est vraiment très courte : “Partez !”
Rappelez l’armée. Déclarez l’occupation forclose. Et sortez des Territoires Occupés. Sortez ! C’est tout.
Ne bougonnez pas que la situation est “difficile”, “complexe”. Vous êtes l’oppresseur. Vous êtes l’occupant. Vous garez vos tanks sur des terrains dévastés. Vous remplissez vos piscines avec de l’eau volée. Vous tuez et vous détruisez pour vous accaparer le bien des autres. Alors arrêtez de nous faire ch..r avec la “situation”. Foutez le camp !
Arrêtez de tromper le brave monde. Cessez vos abus de langage. Arrêtez de filer votre propre cocon moral. Assez de faire de votre pays et de votre peuple des métaphores du mal. Sortez !
N’attendez pas Bush. N’attendez pas Arafat. N’attendez pas de pouvoir négocier avec le dirigeant palestinien mythique qui finirait par accepter votre domination. Il n’y a rien à négocier. Partez !
Surtout, n’oubliez pas vos fondamentalistes juifs enragés de Kiriat Arba’ et de BeitEl. Faites-les monter dans les bus et écrasez le champignon, le pied au plancher, jusqu’à ce que les collines de Cisjordanie disparaissent de votre rétroviseur. Partez !
Rassemblez vos nervis de “policiers des frontières” totalement dépourvus de frontières morales, donnez-leur des bourses scolaires et renvoyez-les à l’école. Donnez-leur une nouvelle chance de découvrir qu’il y a autre chose à faire, dans la vie, que réduire en bouillie des civils innocents en les battant comme plâtre. Partez !
N’oubliez pas vos checkpoints, avec toutes leurs humiliations vicelardes et leurs tireurs d’élites assassins. Et partez !
Envoyez le Shin-Bet au vert. Depuis trente-cinq ans que cela dure, le monde en a plus qu’assez de vos garde-chiourmes et tortionnaires émérites. Surtout, ne les oubliez pas non plus, et partez !
Donnez-vous en à coeur joie, avec vos bulldozers hideux, dans les colonies illégales de Ma’ale Edomim, Har Homa et Gilo. Ils auront de quoi s’occuper : il y a plein de trucs à démolir dans ces forteresses hideuses. Surtout, laissez-les bien travailler jusqu’à ce qu’ils aient débarrassé le paysage de toute trace de votre viol. Cette remise en état une fois menée à bien, partez !
Ne vous excusez pas. Ne cherchez pas à vous justifier. N’expliquez pas. Il n’y a rien à expliquer. Honnêtement. On ne vous demande qu’un chose : que vous partiez !
Ne vous faites pas de souci pour les milliers d’oliviers, symboles de paix, que vous avez arrachés. Quelqu’un les replantera.
Partez !
                                     
Revue de presse

                                           
1. Conditions inhumaines dans les camps de détention en Israël - Pourquoi il faut interpeller la justice par Uri Blau
in Kol Ha’Ir (hebdomadaire israélien) du vendredi 24 mai 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Des centaines de détenus palestiniens ont été maintenus dans des conditions inhumaines durant les premières semaines d’invasion des villes et des camps de réfugiés de Cisjordanie par Israël, opération baptisée “Remparts”. Un rapport interne de l’avocat général (israélien) atteste que des détenus ont été maintenus ligotés - jusqu’à douze journées durant - ont eu les yeux bandés, ont dû dormir par terre, dehors, exposés au froid et à la pluie, n’ont pu se laver, ont été amenés à la limite de l’inanition par manque de nourriture... L’information a été portée à la connaissance du bureau de l’Avocat Général (de l’Etat) au moment où les avocats qui y travaillent étaient en train de préparer leurs réponses à un appel en Cour Suprême, interjeté par des organisations de défense des droits de l’homme, concernant les conditions de détention (des Palestiniens arrêtés, ndt). Le cabinet de l’Avocat général a adopté le parti consistant à ne pas encombrer le tribunal avec ces faits, parce que les conditions de détention (auraient) été améliorées juste la veille du jour où la réponse de l’Etat devait être soumise au tribunal. Dans sa réponse, l’Etat qualifiait les conditions de détention de “mesurées, humaines et raisonnables”.
Ce rapport, rédigé par Shay Nitzan, avocat chargé des questions de sécurité au cabinet de l’Avocat général, indique que de nombreux détenus se sont vu confisquer biens et documents personnels sans autre forme de procès, lesquels ne leur ont pas été restitués après qu’ils eurent été relâchés. Le rapport fait état, par ailleurs, de plaintes de détenus qui affirment avoir été molestés par les soldats israéliens.
Ce sont près de 6 000 Palestiniens qui ont été arrêtés depuis le début de l’invasion. Plus de 4 000 d’entre eux ont été remis en liberté. En d’autre termes, les deux tiers, au moins, des détenus n’ont pu être déclarés suspects d’un délit quelconque.
Le rapport, remis à l’Avocat général Elyakim Rubinstein et au procureur en chef Edna Arbel, affirme qu’”en raison d’un manque d’organisation, des centaines de personnes appréhendées ont été menottées, exposées au froid et aux intempéries durant plusieurs jours. Le centre d’Ofer [c’est un camp de détention - oznik.com] n’était pas censé en être responsable, et l’instance qui en a pris la responsabilité n’est pas clairement définie. De plus, en raison de l’”improvisation”, des centaines de détenus ont été gardés, environ une semaine, sans qu’on leur fournisse de couchage (matelas / couvertures), sans parler de l’impossibilité pour eux de se laver et de changer de vêtements. Ajoutons à cela le manque de nourriture pour les personnes appréhendées.”
A la suite de ce rapport, Rubinstein s’est rapproché de l’armée et a exigé qu’une enquête approfondie des conditions de détention durant les premières semaines de l’invasion soit menée. Le rapport, accompagné de la demande d’enquête de Rubinstein, a été remis au Major général Yitzhak Eitan, commandant du QG de l’armée. On demandait à Eytan d’examiner la possibilité de nommer un comité d’enquête interne afin de procéder aux vérifications nécessaires. Autrement dit, si l’armée opte pour cette possibilité qui lui est offerte, le major général Yitzhak Eytan, sous les ordres duquel les installations inhumaines étaient placées, devra répondre à une commission d’enquête à ce sujet dirigée par Eytan Yitzhak, général major !
L’Avocat général n’a pas informé la Cour suprême
L’appel devant la Cour Suprême a été interjeté, à la mi-avril, par le Centre pour la Protection de l’Individu, et par d’autres associations de défense des droits de l’homme. Les plaignants arguaient du fait que les conditions de détention dans le centre Ofer (et aussi dans les camps de détention provisoires improvisés en Cisjordanie) étaient “inhumaines” et “cruelles”. Ils demandaient à la Cour (suprême israélienne) d’ordonner que les conditions de détention soient conformes aux lois.
Afin d’étudier le dossier et de préparer la réponse de l’Etat, Nitzan s’est rendu à Ofer. Il y a rencontré le commandant, ainsi que des officiers de la Police militaire. Le 24 avril, l’Etat a informé la Cour qu’”à notre connaissance et à ce jour”, les conditions de détention dans le centre d’Ofer “sont humaines, adaptées, respectables et raisonnables”. L’Etat a aussi fait valoir qu’en raison de l’arrivée très rapide des détenus dans ce centre, et de leur grand nombre, tous les détenus n’avaient pu “bénéficier” des conditions de détention “idéales”, mais seulement “pour une période relativement courte”.
Devant le tribunal, l’Etat a fait valoir que les centres (de détention) provisoires avaient été fermés et qu’en conséquence continuer à en parler serait spécieux et oiseux. La Cour suprême a accepté la position de l’Etat en matière de centres temporaires, et décidé que Nitzan visiterait le centre d’Ofer avec cinq représentants des plaignants. Après quoi, un communiqué complémentaire serait produit, concernant les conditions actuelles dans ce camp. La visite, prévue le 30 avril, a été ajournée, des représentants des plaignants ayant demandé à parler aux détenus, durant cette visite. Elle a finalement eu lieu, mercredi dernier.
Nitzan a pris conscience des mauvais traitements infligés aux détenus au cours de son travail de rédaction de la réponse à l’appel (interjeté devant la Cour suprême). Ces éléments d’information (lesquels, dixit Nitzan, “nous ont surpris et peiné”), n’avaient ni été soumis à la Cour, ni rendus publics. Il s’agit des éléments sur lesquels le rapport interne, le premier à être publié dans cette affaire, se fondait.
Du pain et du flan à la gélatine
La plupart des Palestiniens arrêtés ont été tout d’abord emmenés dans des centres temporaires de “répartition”, en Cisjordanie. D’après le rapport, dans la majorité des cas, ils étaient enfermés dans ces centres pour un laps de temps relativement court, allant de quelques heures à deux jours. Durant ce laps de temps, les détenus étaient examinés. Ils étaient soumis à un premier interrogatoire général, puis triés entre “sans-objet - relâchés” ou promis à une prolongation de leur détention en vue de l’examen ultérieur de charges susceptibles d’être retenues contre eux. En principe, la plupart de ceux qui restaient auraient dû être transférés aussitôt que possible vers le “centre” d’Ofer. Quelques-uns d’entre eux ont été emmenés vers d’autres centres de détention. Nitzan indique, dans son rapport, que “les conditions, dans ces centres, étaient “extrêmement minimalistes”, mais les détenus y “bénéficiaient” d’eau potable, de nourriture et d’accès aux toilettes.
“En général, tous les détenus de ces centres avaient les yeux bandés en permanence, durant toute la durée de leur détention. On ne leur enlevait leur bandeau qu’au moment des repas. Il n’y avait ni lits, ni matelas, les détenus devaient rester assis ou “dormir” à même le sol. Ils ne pouvaient se laver entièrement (douche) ni changer de vêtements. La nourriture qu’on leur fournissait était réduite “au strict minimum” (sic). Selon les informations que nous avons pu obtenir, on leur donnait essentiellement du pain et du flan à la gélatine (le “jello” des British, qui tremble, dans lequel on se voit comme dans un miroir déformant et qui fait ‘floc-floc’ dans l’estomac, ndt), avec une portion de viande à midi. Dans certains endroits, les détenus étaient en plein air (et à la “belle étoile”). Comme on le sait, durant les premiers jours de l’incursion israélienne en Cisjordanie, il faisait froid et il pleuvait beaucoup et, malgré cela, dans certains centres de détention, les prisonniers devaient rester assis par terre, menottés, dans le froid et sous la pluie, les yeux bandés...”
“De telles conditions”, écrivit Nitzan, “peuvent être admises comme inévitables, pour peu que la période de détention soit relativement brève. Ceci dit, je doute qu’il ait été raisonnable de garder ces détenus plus de vingt-quatre heures sans abri, dans le froid et la pluie, et nombre de détenus ont été soumis à ces conditions, durant des périodes encore plus longues. En tout cas, personne ne peut nier qu’il est totalement irresponsable - à dire le moins - de maintenir un prisonnier dans de telles conditions durant des journées entières, et en particulier des personnes appréhendées en attente de vérification”. Mais l’enquête a établi que, le 24 avril, treize détenus étaient soumis à de telles conditions, dans un centre provisoire à Samaria (au nord de la Cisjordanie). L’un d’entre eux les subissait depuis douze jours ! Deux autres, depuis onze jours. D’autres encore étaient là depuis quatre (pour le plus récemment arrêté) à huit jours (pour le quatrième en terme d’”ancienneté”). Durant toute la durée leur détention, d’après les informations dont nous disposons, ils sont restés menottés (sans qu’on leur enlève une seule fois les menottes pour éviter l’ankylose), sur le sol (sans matelas), les yeux bandés (à l’exception des repas), sans pouvoir se laver, nourris essentiellement de pain et de “jello” (voir plus haut). Nitzan a demandé immédiatement des explications à l’armée sur les conditions de ces détenus. L’après-midi même, on lui répondit qu’ils avaient été transférés dans un autre centre offrant des conditions “réglementaires”.
“Il me semble indispensable de faire une enquête afin de savoir comment cela a pu se produire dans le centre de détention de Samaria”, consigna Nitzan, “ et si de telles choses pouvaient se produire dans d’autres de ces centres. Ce qui s’est passé dans ces différents centres devrait faire l’objet d’investigations.”
“Cette allégation pourrait ne pas être dénuée de tout fondement (...)"
Depuis le début de l’invasion, entre 3 000 et 4 000 Palestiniens ont été emmenés dans le centre d’Ofer. La majorité d’entre eux furent relâchés, et au jour de rédaction du rapport (le 24 avril), il y avait à Ofer 1 130 détenus. Or la capacité maximale d’Ofer est de 450 détenus... La capacité d’urgence du centre a été établie à 700 personnes (dans ce calcul, trente détenus doivent s’entasser dans chaque tente, prévue pour en héberger vingt...). Etant donné que plus de 700 détenus ont été amenés en une seule fois directement à Ofer dès le début de l’incursion israélienne, il y avait peu de place libre...
“Durant les premiers jours, tout le “trop-plein” de détenus, soit environ 300, restait assis par terre trois jours durant..., exposés au froid et à la pluie, sans matelas, menottés. Ces détenus “excédentaires” n’étaient pas considérés ressortir à la responsabilité du centre d’Ofer, c’est pourquoi il n’y a pas de réponse claire à la question de savoir si quelqu’un a pensé à leur donner de quoi manger... “ indique le rapport, lequel est très intéressant, lorsqu’il s’agit de la question de la nourriture : “d’après l’action en appel, les détenus ont été laissés sans nourriture durant des jours entiers. Il a été avancé qu’un pot de fromage blanc, un concombre et une matza (pain azyme, ndt) était tout ce que recevait à manger, au petit-déjeuner, six ou sept détenus. Notre enquête montre que cette allégation pourrait ne pas être infondée” écrit sobrement Nitzan.
Sur la question des vêtements, des sous-vêtements, des serviettes de toilette, le rapport indique : “on nous a dit que le centre disposait de sept cent trousseaux comportant vêtements, sous-vêtements et serviette de toilette. Ces sept cent trousseaux ayant été distribués aux sept cent premiers détenus, il n’y avait plus de vêtements, de sous-vêtements ni de serviettes de toilette pour les autres, qui ne cessaient d’affluer. De nouveaux trousseaux furent livrés au centre, mais pas avant le 24 avril. Conséquence facile à imaginer : des milliers de détenus ont dû garder sur eux les mêmes vêtements et sous-vêtements jusqu’à trois semaines durant, pour certains d’entre eux, et aucun ne disposait d’une serviette de toilette.”
Après trois jours de détention  - passés assis par terre, en plein air et à la belle étoile - quatre abris (destinés initialement à abriter des voitures) ont été convertis en local provisoire. Les détenus y furent gardés, durant deux semaines. On mit à leur disposition des matelas de camping et des toilettes chimiques, et (même ?), plus tard seulement, des douches. Ces abris mobiles étaient une solution provisoire au problème du manque d’espace. Néanmoins, “les abris sont totalement ouverts sur un côté, et n’assurent aucune protection contre le froid. Il faut aussi noter que, durant les premiers jours après l’installation dans ces hangars, certains des détenus n’avaient ni matelas, ni couvertures, ne pouvaient prendre de douche, etc...” Durant les trois semaines, les détenus ne pouvaient pas sortir des hangars et sept nouveaux emplacements étaient construits dans le centre d’Ofer. Ces nouveaux emplacements étaient cimentés, entourés de grillage, sécurisés. Des toilettes avec évacuation à l’égout y étaient installées, ainsi que des douches. Ces nouvelles parcelles, destinées à abriter 500 détenus dans des conditions acceptables, furent entièrement occupées la veille de l’audience, ce qui permit à l’Etat de clamer devant le tribunal que les détenus étaient placés dans des conditions raisonnables...
“Questions embarrassantes”
A la fin de son rapport, Nitzan pose quelques questions : “Primo, il faut enquêter afin de savoir comment il se fait que les Forces israéliennes de défense n’aient pas envisagé sérieusement qu’elles pourraient être amenées un jour à détenir plus de 500 personnes inopinément... A ce sujet, il convient de noter également que les juges de la Cour suprême, même s’ils ne sont pas beaucoup intéressés aux conditions de détention dans le centre (d’Ofer) au tout début de la crise, ont néanmoins considéré nécessaire de consigner le fait que d’arrêter des “suspects” en nombre très largement supérieur aux capacités des centres prévus à cet effet, ce qui a causé d’énormes problèmes, suscite bien des interrogations ? Les juges ont noté, également, que l’on nous avait dit que, désormais, après que le centre (d’Ofer) ait été porté à une capacité de 1 200 détenus, les abris mobiles allaient être démontés. Faut-il demander si l’armée est prête à faire face à une situation, dans le futur, dans laquelle plus de 1 200 personnes seraient arrêtées, afin que ces problèmes ne se renouvellent pas ? Toutes ces questions sont préoccupantes et méritent un examen sérieux.”
Nitzan demande aussi une enquête sur les raisons pour lesquelles l’armée n’était pas prête à recevoir les détenus dans les centres provisoires : “Ils auraient dû, au minimum, prendre les dispositions nécessaires pour pouvoir dresser des tentes dans les centres provisoires, afin que les détenus ne soient pas gardés dehors, soumis au froid et à la pluie. Il faut mentionner le fait que la quasi-totalité de ces détenus ont été relâchés des centres d’examen après un court délai, car on a constaté qu’ils n’avaient rien fait de “répréhensible” contre notre armée.” Au moment où nous mettons sous presse, le porte-parole de l’armée n’a fait aucun commentaire sur le contenu de cet article.
Témoignage : Ceux qui relevaient la tête étaient tabassés
Ramzi al-Nabrisi a été arrêté (dès) le 30 mars et relâché dix jours après
Un témoignage sous serment de Ramzi al-Nabrisi, un policier palestinien de Ramallah, arrêté le 30 mars, a été soumis à la Cour suprême en pièce jointe à l’appel interjeté par les associations de défense des droits de l’homme. Al-Nabrisi avait été libéré au bout de dix jours. Rien n’a été retenu contre lui, il n’a pas été accusé. Sa carte d’identité, confisquée au moment de son arrestation, ne lui a pas été restituée. Les ONG de défense des droits de l’homme ont de nombreux témoignages de parties civiles, similaires à celui-ci.
“On nous a emmenés au camp militaire de BethEl. Nous étions très nombreux ; ils nous ont fait asseoir par terre. La nuit était très froide, et il ‘tombait des cordes’. On avait les menottes aux poignets, et les yeux bandés. Ensuite, la pluie s’est intensifiée ; nous étions trempés jusqu’aux os. J’ai essayé de mettre à l’abri de la pluie, autant que je pouvais le faire, le pansement de ma main blessée, car j’avais peur de l’infection, mais en vain. Nous sommes restés de la sorte toute la nuit, puis toute la matinée suivante, jusqu’après-midi. Le froid intense, la pluie, les menottes : impossible de dormir. Durant toutes ces heures interminables, on ne nous a donné ni nourriture, ni cigarettes. On nous obligeait à baisser la tête. Si quelqu’un osait la relever, c’était immédiatement les insultes, et les coups ne tardaient pas à suivre. On a fini par obtenir de l’eau potable, mais cela dépendait du bon vouloir du soldat le plus près de vous... Nos demandes d’aller aux toilettes se voyaient la plupart du temps opposer un refus, tout au moins pas dans les délais utiles.” Ensuite, Al-Nabrisi fut transféré au camp d’Ofer : “Là, dès la première nuit, ils ont été à court de matelas et de couvertures... J’ai été gardé dans ce camp durant environ dix jours, jusqu’au 9 avril 2002. Les conditions étaient très dures, inhumaines, avilissantes. A l’évidence, ceux qui gardaient ce camp ignoraient ou négligeaient délibérément nos besoins élémentaires d’êtres humains... Dormir sous des tentes, durant ces jours très froids, sous des pluies diluviennes, c’était très très dur... Le manque de matelas et de couvertures nous obligeait à nous serrer les uns aux autres. Apparemment, la quantité de nourriture distribuée, la “qualité” de la nourriture et la façon dont elle nous était “servie” étaient censées nous maintenir en vie, rien de plus. En résumé, laissez-moi vous dire sans plus remuer ces souvenirs pénibles que j’ai sans doute vécu là une des périodes les plus dures de toute ma vie. Je n’avais jamais ressenti une telle humiliation ni jamais été l’objet d’une tel mépris. Des jours entiers, affamé, mourant de froid, sans pouvoir se laver, sans pouvoir consulter un médecin, etc... Tout cela m’a donné le sentiment douloureux de ne pas avoir été traité comme un être humain aurait dû (et devrait) l’être.”
                                       
2. Israël veut diviser en cantons hermétiques la Cisjordanie par Alexandra Schwartzbrob
in Libération du vendredi 24 mai 2002

Les mesures appliquées à Gaza s'étendraient à l'ensemble des territoires, provoquant la colère des Européens.
Principaux soutiens économiques de la société palestinienne, les donateurs étrangers sont très inquiets du projet des autorités israéliennes de diviser la Cisjordanie en «cantons» hermétiques. «Ce projet est inacceptable à la fois légalement et dans son principe car il revient à une prise de contrôle militaire de la Cisjordanie par Israël, et il tue toute possibilité de développement économique et de réformes sur le territoire palestinien alors qu'il s'agit là d'une condition essentielle pour espérer revenir un jour à un processus de paix», selon le représentant de la Commission européenne en Cisjordanie et à Gaza, Jean Bretéché.
La Commission européenne, qui préside une «task force» composée des Nations unies, de l'USAid et de la Banque mondiale visant à reconstruire une Cisjordanie privée de tout par les dernières offensives militaires israéliennes, a récemment été informée à deux reprises, par l'état-major de Tsahal, des projets envisagés par le gouvernement Sharon pour ce territoire quasi reconquis au cours de l'opération «Rempart». Des projets qui visent à entraver toute liberté de mouvement de la population et des marchandises afin, notamment, de préserver la sécurité des colons juifs.
Terminaux. Pour aller d'une ville de Cisjordanie à l'autre, les Palestiniens auront besoin d'un permis spécial qui sera délivré en fonction de critères à déterminer. De leur côté, les camions de transport des marchandises et des matériels ne pourront plus pénétrer les villes palestiniennes. Les autorités israéliennes sont en train de créer cinq à six terminaux en Cisjordanie, sur le modèle du terminal de Karni à Gaza, où les marchandises seront transportées selon le système «back to back» (de l'arrière d'un véhicule à l'arrière d'un autre) : les camions délivreront leurs chargements dans des zones spécifiques, situées en dehors des villes, à d'autres camions qui, eux, auront une autorisation spéciale pour circuler de l'autre côté. Les travaux en ce sens ont déjà commencé. Bethléem et Ramallah sont peu à peu encerclés par des rangées de barbelés infranchissables et les check points pour y accéder deviennent aussi sophistiqués (avec miradors, chaussées à plusieurs voies...) que celui d'Eretz à l'entrée de Gaza. «Le développement économique de la Cisjordanie est impossible dans ces conditions d'enfermement, ce qui nous pose un vrai problème à nous, donateurs, qui sommes censés financer la reconstruction et l'autonomisation de ce territoire. Les réformes deviennent également difficiles à mettre en oeuvre : comment les Palestiniens pourront-ils aller voter dans leur village d'origine s'ils sont empêchés de circuler ?», s'inquiète Bretéché. Fin avril, à Oslo, les donateurs ont décidé de dégager près de 2 milliards de dollars dans l'année pour l'aide à la Palestine. «Les donateurs ne sont-ils pas en train, indirectement, de financer le cantonnement des territoires par Israël ?», interrogeait cette semaine Amira Hass dans le quotidien Ha'aretz.
Sanctions. Au cours d'une réunion prévue lundi à Tel-Aviv avec le responsable de la Cisjordanie au sein de l'armée israélienne, les donateurs comptent exprimer leur désaccord total avec ce projet. Au-delà, les ministres européens des Affaires étrangères pourraient en être saisis. «Nous ne pouvons pas interrompre notre aide aux Palestiniens car ce serait les punir deux fois, explique Bretéché. D'autant que les derniers événements nous ont contraints à transformer notre assistance en aide à la survie.» Des sanctions contre Israël pourraient être envisagées, mais les Quinze risquent d'avoir du mal à trouver un consensus. «L'idéal serait que la société israélienne réagisse. Elle a tout à perdre à ce projet, qui risque encore d'accroître dans les territoires le désespoir et la haine.».
                                                           
3. Israël impose de nouvelles règles de circulation en Cisjordanie par Gilles Paris
in Le Monde du jeudi 23 mai 2002

Les mesures en vigueur à Gaza pourraient être étendues à tous les territoires. Les Palestiniens dénoncent un "nouveau chapitre de l'apartheid qui vise à intensifier la colonisation".
Jérusalem de notre correspondant - Les autorités israéliennes souhaitent-elles étendre le "modèle" de Gaza à l'ensemble de la Cisjordanie ? La question se pose depuis le 22 avril. Ce jour-là, au lendemain de l'annonce officielle de la fin de l'opération "Mur de protection", le coordinateur israélien des activités dans les territoires a dévoilé le projet imposant de nouvelles règles de circulation en Cisjordanie au cours d'une réunion confidentielle organisée avec la "task force" qui regroupe les donateurs internationaux.
Ces règles, à nouveau évoquées au cours d'une deuxième réunion, tenue le 7 mai, visent à institutionnaliser le siège par l'armée israélienne des anciennes zones autonomes palestiniennes, soit les principales agglomérations à l'intérieur desquelles l'armée israélienne évolue par ailleurs librement depuis plusieurs mois : Bethléem, une partie de Hébron, Jénine, Jéricho, Naplouse, Kalkiliya, Ramallah et Tulkarem.
AU CAS PAR CAS
Les Palestiniens ne pourraient se déplacer d'une zone à l'autre à moins de disposer d'un permis accordé au cas par cas par l'administration civile israélienne, qui est d'ailleurs exercée par l'armée. Ce permis serait valable un mois et utilisable uniquement de 5 heures à 19 heures De même, seraient interdits les déplacements entre la Cisjordanie et Israël, y compris pour les habitants palestiniens de la partie orientale annexée de Jérusalem, qu'Israël considère comme sienne. Accessoirement, les personnels internationaux, y compris les diplomates, seraient tenus de soumettre leur véhicule à la fouille au point de passage d'Erez, au nord de la bande de Gaza, ce qui est contraire à tous les usages.
Pour les marchandises, les règles seraient tout aussi strictes, avec la généralisation de la procédure - déjà en vigueur à Gaza - obligeant les camions à décharger systématiquement leur cargaison aux check-points commandant l'accès aux anciennes zones autonomes, pour être rechargés sur d'autres véhicules après vérification par l'armée israélienne. Cette procédure longue et coûteuse serait systématisée pour les transports de biens à destination d'Israël. Elle semble d'ailleurs déjà être entrée en application pour les agglomérations proches de la "ligne verte" qui sépare Israël de la Cisjordanie.
Elle pourrait également être appliquée pour les échanges entre les villes palestiniennes, comme en témoigne la création d'une plate-forme de transit au sud de Ramallah. Enfin, les agences internationales devraient avoir systématiquement recours à des chauffeurs internationaux pour transporter l'aide humanitaire ou les marchandises et équipements utilisés dans le cadre de projets.
Les donateurs ont pour l'instant réservé leur réponse et sollicité leurs chancelleries. Car ces entraves sans précédent, si elles devaient être appliquées intégralement, auraient des conséquences dramatiques sur le tissu économique, social et politique de ce qui reste de l'Autorité palestinienne en Cisjordanie. Une étude des Nations unies, réalisée avant l'hiver, attestait déjà de l'effet déterminant de la politique des bouclages sur une population dont le niveau de vie, en baisse constante depuis les accords d'Oslo, s'est brutalement effondré depuis le début de la deuxième Intifada, à la fin du mois de septembre 2000. Le verrouillage de "cantons" palestiniens isolés les uns des autres parachèverait "la casse" de cette économie et remettrait en cause les projets de développement. "La situation serait même pire en Cisjordanie qu'à Gaza parce que les espaces seraient beaucoup plus réduits", estime un diplomate des Nations unies.
FAITS ACCOMPLIS
Les implications politiques ne seraient pas moindres : cet émiettement systématique précipiterait la fin d'un gouvernement central au profit d'acteurs politiques locaux avec lesquels les Israéliens pourraient traiter directement. Il remettrait en cause le redécoupage territorial opéré à Oslo et compliquerait singulièrement d'éventuelles négociations par la généralisation des faits accomplis.
Sollicitée, l'armée israélienne nous a assurés, dans un premier temps, ne pas être informée de nouvelles règles de circulation pour la Cisjordanie. Puis, les responsables de la coordination des activités dans les territoires ont admis l'existence de ces procédures qui "ont pour but de faciliter la vie quotidienne des Palestiniens en posant des principes clairs" et qui, par ailleurs, ne seraient que "provisoires" et destinées à être "supprimées dès que la situation redeviendra normale".
Les autorités palestiniennes, qui ont été informées de ces nouvelles règles par les donateurs, ont vivement réagi en dénonçant "ce nouveau chapitre de l'apartheid qui vise à transformer la Cisjordanie et la bande de Gaza en cantons entourés de zones tampons, et à intensifier la colonisation".
                                                                       
4. L’apartheid dans les territoires. Les faits accomplis israéliens anéantissent les espoirs de paix par Marwan Bishara
in The International Herald Tribune (quotidien international publié à Paris) du mercredi 22 mai 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Marwan Bishara enseigne les relations internationales à l’Université américaine de Paris. Il est l’auteur de “Palestine/Israël : la paix ou l’apartheid” aux editions La Découverte.)
Tandis que Palestiniens et organisations humanitaires et de secours s’efforcent de reconstituer la vie en Cisjordanie et de réformer les institutions palestiniennes, au lendemain de l’invasion israélienne du mois de mars dernier, Israël met en place un régime d’apartheid de facto dans les territoires palestiniens, système qui ne pourra que miner les efforts de paix de la communauté internationale et conduire à une escalade ultérieure dans le conflit.
Si l’on s’en réfère aux minutes de deux réunions récentes, l’armée israélienne et les responsables gouvernementaux israéliens ont signifié aux représentants de pays donateurs que toutes les grandes villes de Cisjordanie seront encerclées et que les déplacements des Palestiniens entre ces différentes villes ne seront désormais plus possibles sans l’obtention d’un laissez-passer délivré par l’armée israélienne.
De tels permis auront une validité d’un mois et permettront de voyager (seulement) entre cinq heures du matin et sept heures du soir. Tout déplacement des Palestiniens vers Israël et Jérusalem Est sera interdit. De même, les Arabes d’Israël se verront interdire de se rendre dans les territoires palestiniens.
Les mouvements de marchandises entre villes palestiniennes, à l’intérieur de la Cisjordanie, ainsi que d’Israël en Cisjordanie, seront soumis à un système “dos-à-dos” : les marchandises devront être déchargées des camions entrants puis rechargés sur des camions locaux. La mise en vigueur du nouveau système va, une fois de plus morceler, les territoires, en huit cantons séparés.
Seuls les biens humanitaires seront admis à pénétrer à Gaza ; les biens destinés à des projets financés par des (pays) donateurs ne pouvant y entrer qu’au cas-par-cas, chaque entrée devant être prévue et autorisée au préalable.
Ces mesures punitives vont accélérer le déclin déjà rapide de l’économie palestinienne, qui a déjà chuté d’un tiers entre septembre 2000 et décembre 2001, ce à quoi il faut ajouter les 25 % de décroissance au cours des sept années du processus d’Oslo. Selon les agences internationales, l’invasion de la Cisjordanie par l’armée israélienne, en mars dernier, a coûté aux Palestiniens 4 milliards de dollars supplémentaires, dont $ 360 millions en destructions et plusieurs milliards de dollars de manque à gagner. Le produit intérieur brut total de la Palestine atteignait $ 3,5 milliards, en 1999.
Les nouvelles mesures (israéliennes) vont ralentir, sinon totalement arrêter, de nombreuses activités productives, entraînant ultérieurement une augmentation du chômage, qui dépasse actuellement les 50 % dans les villes et les 70 % dans les camps de réfugiés. Les bouclages auront aussi pour effet d’aggraver la pauvreté dans les territoires, avec plus de la moitié de la population vivant au-dessous du seuil de pauvreté, de nombreuses familles n’ayant que l’équivalent de deux dollars par jour pour survivre, parfois moins.
Au cours des dernières semaines, l’attention internationale s’est focalisée sur les réformes politiques en Palestine, qui seraient la solution permettant de sortir de l’impasse. Mais améliorer la vie et les institutions palestiniennes s’avérera totalement impossible si les plans de bantoustanisation du Premier ministre Ariel Sharon s’inscrivent dans la réalité.
Le fonctionnement de l’autorité centrale (palestinienne) sera obéré par les mesures israéliennes. La participation populaire au processus de prise de décision au niveau central, afin de tenir l’Autorité palestinienne pour redevable et d’ assurer la transparence de son fonctionnement sera rendu pratiquement impossible, la circulation des gens, les échanges politiques et les réunions étant interdits. Le pouvoir effectif pourrait bien, en réalité, se déplacer jusqu’à finir par graviter autour de milices locales, ce qui créerait un environnement politique encore plus fragmenté et imprévisible.
Sharon conditionne les négociations de paix à la réforme palestinienne - pendant que son armée, en imposant l’état de siège, s’assure qu’aucune réforme de cette sorte ne puisse être mise en oeuvre. L’intention réelle, derrière les actes du cabinet de sécurité de Sharon, composé de colons, de fondamentalistes religieux et de généraux outranciers, semble être de protéger et d’étendre les colonies illégales dans les territoires palestiniens.
Les colonies sont la raison pour laquelle les bouclages israéliens sont imposés non pas sur des territoires étendus, mais plutôt à chaque camp et centre urbain palestiniens pris isolément, tous étant concernés. Ces bouclages, dans certains cas, ont représenté des éléments parmi les plus inhumains et perturbateurs de la vie quotidienne et du développement palestiniens, les frontières étant tracées par les tanks, et non pas par des traités.
Les colons et les fondamentalistes religieux juifs s’opposent au retrait des territoires occupés ; voire, au démantèlement d’une seule colonie. Ils sont convaincus que la loi internationale ne s’applique pas dans le cas d’espèce des territoires occupés, dont ils considèrent avoir reçu la terre en héritage. L’adoption par le parti Likoud de Benjamin Netanyahu du rejet populiste d’un Etat palestinien a démontré la force du lobby des colonies dans le parti gouvernemental.
Les nouveaux bouclages israéliens protégeront l’expansion des colonies, mais pas les Israéliens. En effet, ils vont transformer les territoires autonomes en une juxtaposition de huit cellules carcérales géantes. Les frustrations, l’oppression et l’humiliation quotidienne montantes ne pourront qu’alimenter les foyers de conflictualité et de vindicte, miner les efforts de réconciliation. Du même coup, on doit s’attendre à une recrudescence du terrorisme tant chez les Palestiniens que chez les colons.
La fin de l’occupation est indispensable si l’on veut instituer un processus démocratique authentique et donner aux Palestiniens la capacité de rendre Arafat et les autres membres de l’Autorité redevables et responsables face aux accusations de corruption et de népotisme. Elle est indispensable aussi, si l’on veut donner aux Palestiniens la possibilité d’exercer leur droit à l’auto-détermination. Enfin, mettre un terme à l’occupation est le préalable incontournable d’un retour à une vie normale en Israël.
Mettre un terme à l’occupation aplanira la voie de la démocratisation et des réformes. Le contraire n’est pas vrai. A entendre le président démocratiquement élu du Timor oriental parler de responsabilité en matière de citoyenneté et de démocratie après (seulement) que ce pays ait obtenu sa pleine indépendance, lundi dernier, il était évident que les Palestiniens devraient se voir offrir la même opportunité de traduire leur liberté collective en liberté et en dignité individuelles.
                                                        
5. Ahmed Maher : “Seul Arafat peut contrôler la situation” un entretien avec le ministre des Affaires étrangères égyptien propos recueillis au Caire par Claude Lorieux
in Le Figaro le samedi 18 mai 2002
Chef de la diplomatie égyptienne depuis le 15 mai 2001, Ahmed Maher s’est rendu cette semaine à Moscou, où il s’est entretenu avec son homologue Igor Ivanov. Ancien ambassadeur en URSS et aux Etats-Unis, il était à Beyrouth hier pour participer au “Comité du suivi de l’initiative de paix arabe” (le “Plan Abdallah”) avant de retrouver, dans l’île grecque de Mykonos, ses collègues européens et arabes de l’Euromed.
- Le Figaro (LF) : Le monde arabe paraît s’habituer à l’idée que Yasser Arafat pourrait être remplacé à la tête de l’autorité palestinienne. L’après-Arafat a-t-il commencé ?
- Ahmed Maher (AM) : Quand je suis allé voir Arafat, le 5 mai à Ramallah, j’ai eu le sentiment que lui et ses collègues comprenaient la nécessité d’une réforme de l’Autorité palestinienne. Mais Israël s’est emparé du mot “réforme” et l’a traduit par “mise à l’écart d’Arafat”. Il était normal que les Palestiniens se rebiffent. Qu’on l’aime ou non, Arafat a été élu par des élections libres, sous surveillance d’une équipe internationale ayant à sa tête l’ancien président Jimmy Carter. Il est d’ailleurs en train de reprendre les choses en main. Après avoir, mercredi, signé une loi sur l’indépendance du pouvoir judiciaire, Arafat a reconnu ses erreurs devant le Conseil législatif palestinien. Il a annoncé des élections. Il est certain que nous allons vers des réformes.
- LF : Mais l’idée d’un éloignement d’Arafat ne fait-elle pas son chemin ?
- AM : Les Israéliens ont tenté de créer la zizanie au sein de l’Autorité palestinienne. Ils ont cité des noms. Ils ont dit : “Nous pensons qu’untel ou untel serait le meilleur successeur d’Arafat.” Ils ont créé une atmosphère malsaine. Mais en annonçant qu’il mènera lui-même cette réforme avec le Conseil législatif, Arafat peut faire échouer la manoeuvre israélienne.
- LF : Egypte, Arabie Saoudite et Syrie qui viennent de participer au sommet de Charm elCheikh ne pourraient-elles pas inciter les groupes palestiniens à l’apaisement ?
- AM : Jouer le jeu des factions serait extrêmement dangereux. La réforme de l’Autorité palestinienne doit aller de pair avec une sorte d’union nationale pour progresser vers la paix. En Israël, il existe bien un gouvernement d’unité nationale ! La primauté de l’Autorité palestinienne doit être reconnue. Toutes les organisations palestiniennes doivent sentir l’obligation morale de ne pas entraver l’effort de paix qui est dans l’intérêt de tous.
- LF : Washington compte néanmoins sur les Etats arabes modérés pour faire pression sur les organisations palestiniennes...
- AM : Tout comme nous comptons sur le président Bush pour faire pression sur les Israéliens afin qu’ils mettent un terme à leurs excès ! Quant à nous, nous ne voulons pas “faire pression” sur l’Autorité palestinienne, mais l’aider à réaliser les objectifs de paix qu’elle s’est elle-même fixés.
- LF : Vos efforts ne seront-ils pas vains si des terroristes massacrent des Juifs au cours d’attentats ?
- AM : Il y aura toujours des individus incontrôlables, ou des ennemis déclarés des options pacifiques. Evidemment on ne peut pas les empêcher. Mais si les deux parties montrent un désir sincère d’avancer sur le chemin de la paix, il faut assurément que la violence cesse. Tout en reconnaissant le droit du peuple palestinien à la résistance, la déclaration de Charm elSheikh demande le rejet de la violence. Elle s’adresse d’abord à Israël. Mais elle demande aussi aux organisations palestiniennes de ne pas donner à Israël le prétexte de nouvelles attaques.
- LF : Le “marché”, qui a permis la levée du siège de Ramallah, mais tué dans l’oeuf la commission d’enquête sur l’occupation de Jénine, n’a pas redoré le prestige d’Arafat.
- AM : Je ne crois pas qu’il y ait eu de “marché”, sinon peut-être entre les Etats-Unis et Israël. Je crois en revanche que l’abandon de la mission d’information sur Jénine fut une erreur monumentale. Le fait que les Israéliens aient tout fait pour l’empêcher montre qu’ils ont quelque chose à cacher. Je ne sais pas à quel stade il faut utiliser le mot “massacre”. Mais il est certain que des crimes de guerre au sens de la Convention de Genève ont été commis. Il était important que la mission ait lieu.
- LF : Qu’est-ce qui empêche Arafat de devenir une sorte d’homme-symbole, de Mandela de la cause palestinienne, et de laisser à d’autres, plus jeunes et moins contestés, la conduite du gouvernement de la Palestine ?
- AM : Ce n’est pas dans son caractère et ce n’est pas ce que réclame la situation. Elle exige une main forte, une volonté centralisée, capable de contrôler toutes ces forces. Je ne vois pas d’autre personnalité palestinienne qui puisse avoir autant d’autorité, autant de prestige qu’Arafat pour contrôler une situation extrêmement difficile.
                                                       
6. Les délires du mépris antipalestinien par José Bové, Rony Brauman et Nahala Chahal
in Le Monde du vendredi 17 mai 2002

(José Bové est chargé des relations internationales de la Confédération paysanne. Rony Brauman est médecin, ancien président de Médecins sans frontières ; il enseigne à l'Institut d'études politiques de Paris. Nahala Chahal est coordinatrice de la Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien.)
Que l'auteur du film "Shoah" fasse preuve d'une telle insensibilité aux souffrances d'un peuple, voilà qui a de quoi déconcerter.
Ignorants, bornés, arrogants : voici le portrait-type, selon le cinéaste Claude Lanzmann (Le Monde du 10 mai), de ces militants qui se sont mobilisés pour faire pacifiquement barrage à l'avancée des chars israéliens contre le siège de l'Autorité palestinienne à Ramallah.
La revue Les Temps modernes, qu'il dirige, a soutenu, en d'autres temps, le droit des peuples à la justice et à l'autodétermination. Claude Lanzmann peut aujourd'hui accabler de son mépris ceux pour qui cette cause demeure d'une brûlante actualité. Il peut tourner en dérision, dans un long point de vue, l'action de ces groupes citoyens sans évoquer, et moins encore condamner, la politique de colonisation en Cisjordanie et à Gaza, méthodiquement développée par les autorités israéliennes. Il peut tenir pour quantité négligeable le doublement de ces colonies juives dans les territoires occupés depuis la signature des accords d'Oslo, tout en s'indignant de l'ignorance dans laquelle se trouvent les "touristes humanitaires" des "raisons et concaténations qui conduisent à la situation actuelle". Triste régression.
Ce que ces groupes ont accompli, pourtant, aucun gouvernement ou organisme politique ne le faisait, aucune institution humanitaire ne le pouvait. Leur action a bloqué l'étau dans lequel le gouvernement israélien s'était promis d'étouffer le président de l'Autorité palestinienne. Ces citoyens, en provenance des cinq continents, ont arrêté l'invasion et probablement la destruction de l'hôpital de Ramallah. Grâce à leur présence permanente sur les lieux, l'hôpital a pu continuer à fonctionner tant bien que mal.
A force de ténacité et de courage physique (il en fallait, monsieur Lanzmann, contrairement à ce que vous faites mine de croire), ces groupes ont symboliquement brisé l'isolement des Palestiniens assiégés. Ils n'ont pas mis fin à cette guerre coloniale, mais ils ont démontré, par la diversité de leurs origines et la clarté de leurs positions, que l'exigence de justice, sans haine ni manichéisme, reste bien vivante sous tous les horizons de la planète.
C'est là, dans cette volonté incassable de rappeler que la résistance à l'oppression est un droit fondamental, que réside leur légitimité. Plus que quiconque, en maintenant avec leurs moyens dérisoires un lien entre la Palestine bouclée et le reste du monde, ces groupes auront travaillé à désamorcer la spirale de haine où se trouve entraîné le Proche-Orient.
Non, monsieur Lanzmann, ce n'est pas la "haine anti-israélienne" qui animait ces gens. Francs-tireurs pacifiques, ils ne visaient rien d'autre qu'une paix juste. Leur opposer "les hommes véritables (sic) des véritables brigades internationales", les abaisser au rang de "faux témoins" et de manipulateurs, c'est simplement faire preuve d'un insondable mépris pour les souffrances d'une population et pour ceux qui ne se résignent pas à cet état de fait. Contrairement à ce que vous affirmez, Claude Lanzmann, sur un ton péremptoire, ces hommes et ces femmes ont visité Israël, rencontré des Israéliens et longuement discuté du conflit avec eux. Jamais leurs initiatives n'auraient pu avoir lieu sans la mobilisation des pacifistes israéliens.
Non, monsieur Lanzmann, ce n'est pas le camp du "bien absolu" que nous avons choisi. C'est, plus prosaïquement, plus fondamentalement surtout, celui de la défense des droits nationaux des Palestiniens reconnus par l'ONU. On rencontre aussi dans ce camp, vous semblez l'oublier, des citoyens israéliens, militants des droits de l'homme, des officiers et des soldats, des intellectuels qui, en d'autres temps sans doute, auraient pu être des lecteurs des Temps modernes. Ceux-là même, d'ailleurs, qui se dressent contre la propagande que vous relayez avec tant de légèreté.
Ils savent, comme tout le monde, sauf vous, qu'il y a bien longtemps que les Palestiniens de la bande de Gaza n'ont plus le droit de travailler en Israël. Ils savent, eux, que les négociations de Camp David n'en étaient pas et que c'est Ehud Barak qui a brutalement interrompu les pourparlers de Taba (où fut mis sur la table un véritable plan de paix, effectivement), par peur de perdre les élections.
Non, monsieur Lanzmann, nul ne croit que "des barbares arrachent les oliviers par plaisir, qu'ils détruisent les maisons au bulldozer ou les font sauter à la dynamite par sadisme pur". Ce sont des soldats qui le font parce qu'ils ont reçu l'ordre de le faire. Et ce sont ces ordres infâmes que refusent d'exécuter les objecteurs de conscience israéliens.
Si vous aviez pris la peine de passer quelques jours dans les territoires occupés, si vous aviez cherché à savoir à quoi y ressemble la vie quotidienne, vous qui affirmez si bien connaître la réalité du Proche-Orient, vous auriez honte de la travestir en une "plainte des communicants Palestiniens, plainte rodée, théâtralisée". Vous auriez compris depuis longtemps que la sécurité d'Israël n'a pas d'autre avenir que celui de la justice rendue aux Palestiniens et, dans l'immédiat, l'assurance de leur protection.
Non, monsieur Lanzmann, la raison d'être du voyage en Israël des écrivains qui se sont exprimés dans les pages Débats du Monde, ce n'est pas de "dénoncer Israël, essence et existence confondues, comme l'incarnation du Mal". Rien, dans leurs propos ni dans ceux des volontaires des missions civiles, ne vous autorise à leur attribuer cette pensée stupide et odieuse. Leur ambition n'est autre que de témoigner d'une situation insupportable et de réduire, si peu que ce soit, la disproportion des forces en présence en s'adressant à l'opinion publique.
Que l'auteur du film Shoah fasse preuve d'une telle insensibilité aux souffrances d'un peuple, que le directeur des Temps modernes se montre si hermétiquement fermé au scandale politique et humain d'une occupation qui dure depuis trente-cinq ans, voilà qui a de quoi déconcerter. Mais passons, car ces contradictions sont les vôtres, après tout.
Reste le conflit, dont l'issue semble s'éloigner de jour en jour. Avec l'entrée au gouvernement du général Effi Eitam, un exalté raciste partisan du "Grand Israël", et avec les récentes déclarations du premier ministre, il est certain que le blocus, les bombardements, les détentions administratives et autres punitions collectives vont se poursuivre, que la répression va continuer de tenir lieu de politique.
Le refus opposé par Ariel Sharon à toute commission d'enquête, même exclusivement américaine, sur l'attaque de Jénine est un message éloquent en ce sens.
C'est ce camp d'éradicateurs, cette stratégie jusqu'au-boutiste de kamikaze que vous défendez aujourd'hui. Pourquoi ?
L'armée israélienne, nous en convenons volontiers avec vous, "n'est ni un ramassis de voleurs, ni une bande d'assassins". C'est une armée d'occupation. Cela suffit pour justifier la réprobation, non pas d'Israël en tant que tel, mais de sa politique d'expansion. Ce pays, écrivez-vous, "est une démocratie et une puissance". Une puissance, certes, qui pourrait le nier ? Mais une démocratie ? Pas tant qu'il opprimera un autre peuple.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit, en définitive : du droit d'avoir des droits. C'est ce principe fondateur de toute politique décente que les volontaires des missions civiles et les écrivains sont allés défendre aux côtés des Palestiniens à Ramallah. Il est affligeant de constater que, sous les auspices de Sartre ("un Parlement à lui tout seul", avez-vous écrit), vous accablez d'insultes et de sarcasmes des hommes et des femmes qui se sont mobilisés pour le seul combat qui vaille : celui de la liberté et de la justice.
                                       
7. Les démons de la Nakbah par Ilan Pappe
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 16 mai 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Ilan Pappe est professeur de science politique à l’université de Haïfa. Il est en Irsaël, l’un des "nouveaux historiens".)
Durant mon enfance (je suis né à Haïfa au début des années 1950) je n’ai jamais entendu parler de la Nakbah (catastrophe), et je n’en connaissais pas le sens. Ce n’est qu’au collège que ce terme fit pour moi sa première apparition. Il y avait trois élèves palestiniens dans ma classe, et nous participions tous à des visites guidées dans la ville de Haïfa et dans les environs. A l’époque, la présence arabe, à Haïfa, était encore manifeste, dans la Vieille Ville : de magnifiques constructions, les restes d’un marché couvert, détruit par les Israéliens en 1948, des mosquées, des églises...
Ces vestiges attestaient du passé prestigieux de la ville. La plupart d’entre eux ont aujourd’hui disparu. Ils ont été rasés par les bulldozers à l’initiative d’un maire hyperactif qui a veillé à éliminer toute caractéristique urbaine qui aurait pu évoquer de près ou de loin le passé arabe de la cité. Mais, à cette époque, il y avait encore quelques rares maisons arabes, coincées entre les buildings modernes en béton. Les guides, lors de nos visites scolaires, les appelaient “Khirbet al-Shaykh” (litt. “la Ruine du Shaykh, ou du Vieux”), ce qui était une manière de faire une vague allusion à des maisons arabes remontant à une période indéfinie. Mes camarades palestiniens murmuraient que ces maisons avaient été abandonnées lors de la Nakbah de 1948, mais ils n’auraient jamais osé défier les professeurs. Ils ne s’étendaient pas sur le sujet.
Plus tard, jeune étudiant en doctorat à l’Université d’Oxford, je choisis “1948" comme sujet de thèse. Je commençais à rédiger mon mémoire sur la politique britannique durant cette année là, mais je découvris incidemment des indices, dans les archives israéliennes et britanniques, lesquels, une fois rassemblés et mis en cohérence, me donnèrent pour la première fois une idée claire sur ce qu’était cette “Nakbah”. Je trouvai des preuves irréfutables de l’expulsion systématique des Palestiniens hors de la Palestine, et je restai stupéfait devant la rapidité avec laquelle la judaïsation des villages et des campagnes autrefois palestiniens avait été accomplie.
Ces villages, dont les habitants avaient été évincés en 1948, avaient été renommés et repeuplés en l’affaire de seulement quelques mois. Cette réalité contrastait violemment non seulement avec ce que j’avais appris à l’école au sujet de 1948, mais même avec ce que j’avais acquis en tant qu’étudiant à la section des Etudes Moyen-Orientales de l’Université hébraïque de Jérusalem, même si un nombre non négligeable de mes cours avaient trait à l’histoire d’Israël. Inutile de dire que mes découvertes contredisaient également les messages qui m’avaient été inculqués, en tant que citoyen israélien, durant ma formation militaire, ou à l’occasion d’événements publics telle la célébration du Jour de l’Indépendance et, aussi, à travers le discours développé quotidiennement par les médias du pays, sur l’histoire du conflit israélo-palestinien.
Une fois rentré en Israël, en 1984, pour y entamer une carrière universitaire, je découvris l’ampleur du phénomène de déni de la Nakbah dans mon nouvel environnement. Cela s’insérait, en réalité, dans un phénomène plus global : celui de l’exclusion des Palestiniens, ni plus ni moins, du discours académique israélien. Cela était particulièrement évident, et stupéfiant, dans le domaine des études moyen-orientales, dans lequel j’avais commencé ma carrière en tant que maître assistant. Vers la fin des années 1980, conséquence de la première Intifada, la situation en la matière s’améliora quelque peu, les Palestiniens étant admis dans les études moyen-orientales, où ils firent leur entrée en qualité de sujets d’étude pertinents ! Mais même ce changement est intervenu essentiellement du fait d’universitaires qui avaient été des experts des services secrets israéliens sur le “sujet”, par le passé, et qui entretenaient encore des liens très étroits avec les services de sécurité et les Forces israéliennes de défense (armée israélienne, “Tsahal”, ndt). Ainsi, cette vision “universitaire” eut pour effet d’occulter la Nakbah en tant qu’événement historique local, en dissuadant les étudiants et les universitaires locaux de défier le déni généralisé et l’occultation de la catastrophe dans le monde situé à l’extérieur des tours d’ivoire des universités.
Pendant une courte période, à la fin des années 1980, plusieurs chercheurs, dont moi-même, ont attiré l’attention du public en publiant des ouvrages de recherche qui remettaient en question la version reçue en Israël de la guerre de 1948. Dans ces ouvrages, nous accusions Israël d’avoir expulsé la population indigène et d’avoir détruit les villages et les hameaux palestiniens. Bien que nos premiers ouvrages aient été prudents et hésitants (et les miens n’étaient même pas traduits en hébreu...), il était tout de même possible d’en déduire que l’Etat juif avait été édifié sur les ruines du peuple indigène de la Palestine, dont les ressources, les maisons, la culture et les terres avaient été systématiquement détruites ou spoliées.
La réponse publique, en Israël, à l’époque, allait de l’indifférence au rejet total de nos constatations. C’est seulement dans les médias et à travers le système éducatif que nous avons réussi à inciter les gens à regarder le passé d’une manière différente. Toutefois, d’en haut, l’establishment a fait tout son possible afin d’écraser ces timides bourgeons de prise de conscience d’eux-mêmes par les Israéliens et de reconnaissance du rôle joué par Israël dans la catastrophe qui s’était abattue sur le peuple palestinien, prise de conscience qui aurait pu aider les Israéliens à mieux comprendre le blocage actuel du processus de paix.
La lutte contre le déni de la Nakbah, en Israël, se déplaça ensuite en direction de la scène politique palestinienne en Israël. Depuis le quarantième anniversaire de la Nakbah, en 1988, la minorité palestinienne en Israël a associé, d’une manière totalement nouvelle, ses mémoires tant collective qu’individuelles de la catastrophe à la situation générale des Palestiniens et, en particulier, avec leurs propres difficultés. Cette association s’est manifestée au travers d’un ensemble de gestes symboliques, tels des services religieux à l’occasion du jour de commémoration de la Nakbah, des visites organisées de villages abandonnés ou anciennement peuplés de Palestiniens, en Israël, de séminaires consacrés au passé historique, d’interviews détaillées de survivants de la Nakbah, publiés dans la presse.
Par l’intermédiaire de ses représentants politiques, de ses organisations non gouvernementales et de ses médias, la minorité palestinienne d’Israël a été capable d’amener le public israélien à prendre conscience de la réalité de la Nakbah. Cette réémergence de la Nakbah en tant que sujet de débat public a été favorisée, également, par le climax atteint au moment des négociations d’Oslo - en particulier le sommet de Camp David entre le Premier ministre israélien d’alors, Ehud Barak, et Yasser Arafat (en été 2000). La fausse impression prévalant à l’époque, qui voulait que la fin du conflit fût à portée de main, a placé la Nakbah et la responsabilité israélienne dans cette Nakbah tout en haut de la liste des exigences palestiniennes. Et, en dépit de l’effondrement de la rencontre au sommet, due principalement à la volonté de la partie israélienne d’imposer ses vues à la partie palestinienne, la catastrophe de 1948 a été, durant une certaine période, rappelée à l’attention d’une audience locale, régionale et, dans une certaine mesure, mondiale.
Non seulement en Israël, mais aux Etats-Unis, et même en Europe, il fut nécessaire de rappeler aux gens concernés par la question palestinienne que ce conflit ne concernait pas seulement le futur des territoires occupés, mais aussi celui des réfugiés palestiniens qui avaient été chassés de leurs foyers en 1948. Les Israéliens avaient, auparavant, réussi à mettre sur la touche des accords d’Oslo le sujet des droits des réfugiés, aidés en cela par une diplomatie et une stratégie palestiniennes mal pilotées.
En effet, la Nakbah avait été à ce point habilement et efficacement éliminée de l’ordre du jour du processus de paix que lorsqu’elle y fit inopinément sa réapparition, les Israéliens eurent un choc : ils eurent le sentiment (justifié) qu’une véritable boîte de Pandore venait d’être ouverte sous leur nez. La pire crainte des négociateurs israéliens était qu’il fût possible que la responsabilité d’Israël dans la catastrophe de 1948 devînt désormais un sujet négociable et, en conséquence, du côté israélien, on fit, bien entendu, face à ce “danger”. Dans les médias israéliens et au parlement, la Knesset, une position consensuelle se dégagea : aucun négociateur israélien ne serait autorisé ne serait-ce qu’à évoquer le Droit au Retour des réfugiés palestiniens dans les foyers qu’ils avaient habités avant 1948. La Knesset adopta une loi à cet effet, et Barak en prit publiquement l’engagement sur la passerelle de l’avion qui allait l’emmener à Camp David...
Les médias et autres institutions culturelles israéliennes avaient été également mobilisés afin de décourager toute velléité de débattre de la Nakbah et de son caractère pertinent dans le processus de paix et c’est dans cette ambiance que je fus impliqué dans l’affaire Tantura. Ce problème (scandale ?) a éclaté après qu’un étudiant en maîtrise dans mon université, celle d’Haïfa en l’occurrence, a évoqué dans un exposé un massacre jusqu’ici tu et occulté, inconnu, commis par les forces armées israéliennes, durant la guerre de 1948, dans le village palestinien de Tantura. Cet étudiant a été convoqué au tribunal en décembre 2000 et accusé de diffamation. En novembre 2001, il a été exclu de l’université pour avoir osé produire encore d’autre preuves, s’il était besoin, de la responsabilité israélienne dans la catastrophe subie par les Palestiniens. Le système judiciaire, apparemment, désirait se joindre au choeur des dénégateurs.
Cette année, tandis que je jette un regard en arrière, sur les tentatives que j’ai pu déployer, avec d’autres, afin d’introduire la Nakbah dans l’ordre du jour du débat politique public en Israël, j’en retire un tableau très mitigé. Je suis en mesure, maintenant, de détecter des failles dans le mur de déni et de répression qui entoure la Nakbah, en Israël, ce qui est à mettre à l’actif du débat autour de la “nouvelle histoire” et du renouveau de l’action politique des Palestiniens vivant en Israël. Cette atmosphère nouvelle a été favorisée, également, par une clarification de la position palestinienne sur la question des réfugiés, un peu avant la fin du processus d’Oslo. Le résultat, aujourd’hui, à la mi-2002, c’est qu’après (et en dépit de) plus de cinquante ans de répression, il est plus difficile de nier, en Israël, l’expulsion et la destruction des Palestiniens opérées en 1948. Toutefois, ce succès relatif a été accompagné de deux réactions négatives, qu’il ne faut pas négliger, formulées après le déclenchement spontané de l’Intifada d’Al-Aqsa (la deuxième Intifada, actuelle, ndt).
La première de ces réactions est venue de l’establishment politique israélien, principalement du gouvernement Sharon, par l’entremise de son ministre de l’éducation, qui a entrepris l’élimination systématique de tout livre scolaire, de tout programme, qui pourrait faire allusion de près ou de loin à la Nakbah, même d’extrêmement loin. Des instructions similaires ont été données aux autorités de la radiodiffusion publique.
La seconde réaction a été encore plus grave et concerne des couches encore plus larges de la population israélienne. Bien qu’un nombre très considérable de politiciens, journalistes et universitaires israéliens aient cessé de nier ce qui s’est passé en 1948, ils n’en ont pas moins fait preuve de détermination à le justifier publiquement, non seulement rétroactivement, mais aussi en prévision d’une utilisation future de cette justification. L’idée du “transfert” est entrée, ouvertement - c’est une première - dans le discours politique israélien, en conquérant une légitimité de moyen le plus adapté pour régler le “problème” palestinien.
Sincèrement, si l’on me demandait de choisir ce qui caractérise le mieux la réponse actuelle israélienne à la question de la Nakbah, je répondrais sans hésiter que c’est la popularité grandissante de l’Option du Transfert, dans l’opinion publique israélienne (humeur du moment et pensée élaborée). La Nakbah - l’expulsion des Palestiniens à l’extérieur de la Palestine - semble désormais, à beaucoup de gens, être au centre de la carte politique, comme une conséquence inévitable et justifiable du projet sioniste en Palestine. Si l’on entend quelque plainte, c’est en général que l’expulsion n’a pas été menée jusqu’au bout. Le fait que même un “nouvel historien” comme Benny Morris adhère désormais à l’opinion que l’expulsion (des Palestiniens) était inévitable et qu’elle aurait même dû être beaucoup plus drastique contribue à légitimiser les projets israéliens d’une nouvelle phase, à venir, d’épuration ethnique.
Le transfert est d’ores et déjà l’option officielle, morale, recommandée par l’un des centres universitaires les plus prestigieux d’Israël, le Centre pour les Etudes Interdisciplinaires d’Erzliya, lequel conseille le gouvernement. Cette option est apparue comme une proposition politique dans des documents présentés par des ministres travaillistes éminents à leur gouvernement. Elle est ouvertement soutenue par des professeurs d’université, des commentateurs des médias, et les individualités qui osent la condamner sont extrêmement rares. De plus, dernièrement, le chef de la majorité (républicaine) à la Chambre américaine des Représentants l’a ouvertement faite sienne.
Ainsi, la boucle est bouclée. Lorsqu’Israël s’est emparé de presque 80 pour cent de la Palestine, en 1948, il le fit déjà au moyen de colonies (“implantations”) et de nettoyage ethnique évinçant la population palestinienne originelle. Le pays est aujourd’hui dirigé par un Premier ministre qui jouit d’une très grande popularité, et qui veut déterminer par la force le futur des 20 pour cent (de la Palestine historique) restants. Il a, à l’instar de tous ses prédécesseurs, qu’ils aient été du parti Travailliste ou du Likoud, eu recours aux colonies comme meilleur moyen pour ce faire, innovant en cela qu’il a, de surcroît, détruit l’infrastructure de la Palestine indépendante. Il a la conviction, et il n’a peut-être pas tort, que l’opinion publique, en Israël, l’autoriserait à aller encore plus loin, quand bien même dût-il s’agir de répéter le nettoyage ethnique non seulement des Palestiniens des territoires occupés, mais même, si nécessaire, du million de Palestiniens vivant à l’intérieur des frontières israéliennes d’avant juin 1967.
On le voit : la Nakbah n’est plus niée, en Israël. Au contraire, on s’en vante. Toutefois, l’histoire, dans sa totalité, doit être dite aux Israéliens, car il y a peut-être encore, dans la population de cet Etat, des gens susceptibles d’être sensibilisés à leur passé de leur pays et à sa conduite actuelle. Cette partie de la population israélienne devrait être mise en garde sur le fait que des agissements horrifiants leur ont été cachés, lesquels ont été commis durant la guerre de 1948. Il faudrait leur dire, aussi, que de tels agissements risquent de se renouveler aujourd’hui, si eux-mêmes, et d’autres, n’agissent pas afin de s’y opposer avant que l’irréparable soit commis.
                                           
8. Arafat appelle à une réforme totale du régime politique palestinien, en réaffirmant le choix de la paix par Walid Awadh
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du jeudi 16 mai 2002
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Des informations circulent sur l’organisation d’élections, à la fin de l’été ou au début de l’automne. Le discours d’Arafat est bien accueilli dans le monde, mais Israël fait part de ses réserves.
Le président palestinien Yasser Arafat a reconnu des insuffisances dans les services de sécurité et il a appelé à des réformes complètes de l’Autorité palestinienne et à la préparation d’élections. Il a également endossé la responsabilité des fautes commises au niveau exécutif, en affirmant la nécessité d’y porter remède, et insisté sur le fait que la paix était toujours un choix stratégique pour les Palestiniens.
C’était au cours d’une allocution prononcée par Arafat devant les membres du Conseil législatif palestinien, à Ramallah, en commémoration du jour de la Nakba palestinienne (création d’Israël) (16 mai).
Dans son discours, Arafat a dit notamment qu’il avait connaissance des critiques suscitées chez le peuple palestinien par les accords mettant un terme au siège israélien imposé à son QG à Ramallah, et aux Palestiniens cernés dans la Basilique de la Nativité, à Bethléem. Affirmant qu’il n’y avait pas d’autre choix, Arafat a déclaré en endosser l’entière responsabilité.
Il a poursuivi en ces termes : “Il y a des remarques sur la façon dont on est parvenu à un accord en ce qui concerne nos frères à Ramallah et à Bethléem, accord en vue de lever les deux sièges et les modalités du retrait de l’armée d’occupation. Mais j’endosse l’entière responsabilité de tout ce qui s’est passé, et en particulier le fait qu’il s’agissait de la mise en application de suggestions internationales, américaines et européennes, formulées dans les circonstances urgentes et difficiles que vous connaissez et que je ne rappellerai pas ici dans le détail, persuadé que vous les connaissez tous parfaitement bien.”
Arafat a promis de corriger les erreurs qui se sont produites dans l’action de l’Autorité palestinienne au cours des années écoulées et, cela, sans attendre. Il a rappelé que le peuple palestinien lutte pour son indépendance complète, pour son Etat, qui aura pour capitale Jérusalem “que cela plaise ou non. Que celui à qui cela déplaît aille boire l’eau de la mer Morte”, pour reprendre ses propres termes.
Arafat a affirmé que la paix est la seule option et qu’elle est dans l’intérêt des deux peuples palestinien et israélien. Il a ajouté, à propos des opérations au cours desquelles des Palestiniens se sacrifient en se faisant sauter au moyen de charges explosives à l’intérieur du territoire israélien, opérations qui ont causé de nombreuses victimes israéliennes, que “l’opinion publique palestinienne et l’opinion publique arabe en sont arrivées à la conclusion que ces attentats-suicides ne servent pas leurs objectifs”. Il a appelé à la préparation rapide d’élections, et à ce qu’on procède aux scrutins matériellement possibles, disant : “notre situation intérieure et notre organisation politique nécessitent une évaluation complète et une remise en considération de toutes les instances ministérielles, administratives et sécuritaires. Nous avons besoin, plus que tout, d’un audit de nos politiques et de corriger et de redresser notre marche vers l’indépendance nationale, avec la plus grande sincérité et avec fermeté”. Arafat n’a pas précisé de date pour des élections à venir, il n’a pas non plus donné de détails (sur le niveau de ces scrutins : municipal ; législatif ; présidentiel ? Ndt).
Arafat a laissé aux membres du Conseil législatif et au peuple lui-même le soin d’évaluer les derniers développements en toute confiance et responsabilité, loin du sentimentalisme et du sensationnalisme. Il a dit qu’il laissait le Conseil législatif animer comme il l’entendait le plus vaste débat national.
Il a fait allusion également à la nécessité de respecter scrupuleusement le principe de la “séparation des pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif”, et de “préserver l’unité nationale et le respect des droits de la personne”.
Par ailleurs, Ahmad Qura’i, président du Conseil législatif palestinien, a déclaré aux journalistes, après le discours d’Arafat, que “la tenue d’élections allait être discutée au cours de la séance de ce jour” (hier, 16 mai, ndt), ajoutant que “le discours du président Arafat comportait des principes très importants dont nous allons débattre dans un groupe de travail qui sera réuni en permanence au cours des deux semaines à venir”. Ces élections se tiendront avant la fin de l’année.” Quant à Nabil Amr, ministre démissionnaire des relations avec le Parlement palestinien, il a commenté l’annonce d’élections par Arafat en ces termes : “il s’agit de généralités. Ce que nous attendons, ce sont des décisions, des mesures, des dispositions rendant possible la tenue de scrutin(s), et je ne pense pas que le gouvernement actuel soit en mesure de faire ce que le Président a promis qu’il ferait. C’est pourquoi il faut au préalable nommer un nouveau gouvernement, plus compétent, et à même d’accomplir cette mission”.
La députée palestinienne Hanan Ashrawi a appelé hier (mercredi) le président palestinien à aller de l’avant, l’exhortant à passer à la réalisation de ses promesses de réformes, lui demandant “de joindre les actes à la parole”. Mme Ashrawi a déclaré, au cours d’une interview à la chaîne américaine CNN, commentant le discours d’Arafat, au cours duquel il a appelé à “une révision complète du système politique palestinien”, qu’”Arafat s’est contenté d’annoncer ses intentions en la matière”.
Elle a poursuivi en disant : “bien loin de nous présenter des mesures concrètes, ou un plan d’action, il s’est contenté de nous demander de discuter de la situation afin de dégager de cette évaluation les mesures possibles.”
Mme Ashrawi a été très claire, disant que “le peuple palestinien a besoin de mesures pratiques immédiates concrétisant de manière sérieuse les bonnes intentions ainsi annoncées”.
Un porte-parole du Premier ministre israélien Ariel Sharon a déclaré mercredi que le discours d’Arafat “ne comportait rien de nouveau”. Le porte-parole israélien Ra’anan Ghissin a commenté, pour sa part, en ces termes : “(Arafat) n’a rien dit de nouveau. La mer Morte est toujours la mer Morte, et le vieil Arafat est toujours l’Arafat que nous connaissons bien”.
Bon accueil international
La Maison Blanche a accueilli favorablement, mercredi, les déclarations du président palestinien appelant à la tenue d’élections et à la réforme de l’Autorité palestinienne. Le porte-parole de la présidence, Arié Fleischer, a déclaré que “ces déclarations sont positives”, en précisant “attendre maintenant des actes”.
Fleischer a ajouté : “le président (Bush) aspire à des actes qui aient pour effet d’apporter au peuple palestinien une vie meilleure et de renforcer les chances d’une paix permanente”.
Le porte-parole (pour les relations internationales) de la Commission européenne, Javier Solana, a déclaré mercredi que le président palestinien l’avait informé de sa détermination à procéder à des “élections législatives et municipales, à la fin de l’été ou au début de l’automne”.
La France a qualifié le discours du président palestinien de “ constructif ”. L’adjoint au porte-parole du Quai d’Orsay, Bernard Valero, a déclaré : “c’est un discours constructif, dans lequel nous relevons avec satisfaction l’insistance du président de l’Autorité palestinienne sur son engagement pour la paix, sa condamnation de la violence et également son désir de réformer les institutions palestiniennes. Tout ceci est, à nos yeux, très positif.”
                                               
9. Les critiques contre Arafat sont les plus virulentes depuis la création de l’Autorité par Amos Har’le
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du 15 mai 2002 repris par Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du jeudi 16 mai 2002
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Limogeage probable d’Al-Tirawi et vaste mouvement au niveau de la direction
Selon des sources militaires (israéliennes), les critiques visant, en Cisjordanie, Yasser Arafat, président de l’Autorité palestinienne, sont les plus virulentes jamais formulées à l’encontre de l’Autorité. Néanmoins, ces sources ne considèrent pas que ces développements récents soient susceptibles de menacer le pouvoir d’Arafat.
On considère, dans l’armée (israélienne) que les changements à l’intérieur de l’Autorité sont l’une des principales conséquences de l’opération Rempart. Les attaques contre Arafat proviennent jusqu’à présent de la direction de l’Autorité. Ce qui a changé, c’est que moins d’efforts sont déployés pour les dissimuler que par le passé. A de nombreuses occasions, Abu Mazen, adjoint d’Arafat à la direction de l’OLP, a critiqué violemment le président de l’Autorité, en sa présence et en celle d’autres responsables.
En Cisjordanie, les réserves vis-à-vis d’Arafat proviennent de plusieurs directions : les organisations islamistes s’opposent à la position qu’il a prise en matière de suspension des attentats-suicides, tandis que différents courants politiques font part de leurs critiques au sujet des négociations qu’il a menées notamment en ce qui concerne l’arrestation des assassins du ministre Re’avam Ze’evi et l’envoi en exil des assiégés dans la basilique de la Nativité à Bethléem et alors que la population établit un lien entre Arafat et les terribles destructions causées par l’armée (israélienne) dans les villes de Cisjordanie.
D’après des sources proches des services de sécurité, la visite d’Arafat dans les villes de Cisjordanie, avant-hier, est un échec : la réponse populaire a été très faible. Dans le camp de Jénine, des activistes du Hamas et du Fatah avaient menacé d’empêcher le préfet Zuhaïr Manaçirah d’entrer dans le camp au cours de la visite prévue d’Arafat, sous prétexte que ce préfet se serait enfui en Jordanie au moment des combats dans le camp. Le comportement de ces activistes a contraint Arafat à renoncer à la visite du camp. Des sources du Fatah avançaient, ces derniers jours, que l’opération militaire israélienne baptisée “Rempart” avait sévèrement entamé le crédit de l’OLP en Cisjordanie.
L’appel à des réformes des instances du pouvoir émergent dans le Fatah, plus qu’ailleurs. Mais il semble que le fait qu’Israël et les Etats-Unis se rejoignent sur cette même exigence ne pourra qu’affaiblir le poids de ce courant (réformiste) à l’intérieur de l’Autorité, car les partisans des réformes (palestiniens) risqueront d’apparaître comme des agents d’Israël.
Il semble que l’agression subie avant-hier au soir par le ministre palestinien Hasan ‘Asfour, soit liée dans une grande mesure à des soupçons de corruption. Des accusations mutuelles de corruption sont échangées, dans différents milieux de l’Autorité et du Fatah, en particulier en ce qui concerne l’utilisation détournée de fonds d’aide normalement destinés à la réparation des dommages causés par l’opération israélienne “Rempart”.
A l’intérieur même du Fatah, une discussion approfondie est en cours depuis quelques jours autour de la question des attentats-suicides : beaucoup de militants de l’OLP considèrent que le passage à des opérations dures à l’intérieur du territoire israélien, à partir la fin du mois de janvier de cette année, était une erreur. En revanche, le Hamas et le Djihad islamique ont déclaré qu’ils allaient poursuivre des attentats de cette nature, après avoir refusé les pressions d’Arafat les appelant à limiter désormais leurs opérations à la Cisjordanie. Selon les estimations faites en Israël, l’Autorité s’est abstenue, jusqu’ici, de faire un quelconque effort afin de déjouer ces attentats.
En raison de la poursuite de la crainte d’attentats et du maintien de l’état d’alerte, des concentrations de troupes sont maintenues tout au long de la ligne de contact, en Cisjordanie. Le chef d’état-major de l’armée israélienne, Shaul Mofaz, a déclaré il y a quelques jours qu’il suffirait que deux kamikazes parviennent à leurs fins pour que tous les “acquis” de l’opération Rempart soient anéantis. A la lumière de l’hypothèse que les attentats-suicides vont se poursuivre, l’armée continue à se préparer, en vue d’une possible opération en représailles dans la bande de Gaza. Mais cette opération serait d’une envergure moindre de celle, initialement prévue, et qui a été suspendue la semaine dernière.
Plusieurs responsables du Hamas, dont Salah Shahhadéh “sont passés à la clandestinité” et ont quitté leur domicile depuis le “premier” attentat (post-”Rempart”, ndt) perpétré à Rishon lé-Tzion. Bien qu’une semaine se soit écoulée depuis cet attentat, l’identité du kamikaze n’a toujours pas été établie et aucune “maison de condoléances” n’a été ouverte (en sa mémoire) en Cisjordanie. Une source militaire (israélienne) a indiqué qu’il s’agit là “d’un précédent unique dans la confrontation actuelle”.
Sur fond des conséquences du coup que l’opération Rempart a représenté pour l’Autorité palestinienne, les supputations de réformes de cette dernière vont bon train. Ces derniers jours, des rapports indiquaient qu’Arafat allait limoger Tawfiq Al-Tirawi, le président des renseignements généraux en Cisjordanie, lequel pourrait être remplacé par Amin al-Hindi, chef des services de renseignement dans la bande de Gaza. La semaine dernière, à Naplouse, le chef des forces d’intervention rapide de l’Autorité, Huseïn ‘Id, a été limogé. Pour justifier sa mise à l’écart, on a invoqué des problèmes de moeurs, mais il semble qu’elle soit en réalité motivée par des luttes d’influence, exacerbées par le déroulement des événements au moment de l’entrée de l’armée israélienne dans cette ville.
                                           
10. Tous américains par Serge Halimi
in Manière de Voir (Le Monde Diplomatique) N° 63 mai-juin 2002
Après les attentats du 11 septembre 2001, une vague d’américanophilie a submergé les médias... Nouvelle forme de terrorisme intellectuel.
L’Amérique, c’est le monde
En deux propositions d’un enchaînement logique audacieux, le président George W. Bush a en effet expliqué : “Maintenant que la guerre nous a été déclarée, nous conduirons le monde à la victoire.” Le 11 septembre 2001, en tous cas, les Etats-Unis ont essuyé des pertes supérieures à celles causées par toutes leurs opérations militaires menées successivement depuis vingt ans contre la Grenade, la Libye, le Panama, l’Irak, la Somalie, Haïti, l’Afghanistan, le Soudan et la Yougoslavie. Un tel événement - et la destruction d’une aile du Pentagone - méritait peut-être mieux que le traitement médiatique presque exclusivement compassionnel auquel il a d’abord donné lieu.
Oeil pour oeil... Devant les décombres du World Trade Center, 67 % des Américains ont admis que l’éventualité de “plusieurs milliers de victimes civiles innocentes” causées par une riposte militaire n’apaiserait pas leur soif de revanche [1]. Sans doute imaginent-ils que ces victimes-là se trouveront dans le camp de leur adversaire. Ce qui compte moins. Pour eux. Et donc pour nous, puisque “nous sommes tous américains”.
Ce genre de citoyenneté ne va pas sans contraintes. Après avoir réclamé la liberté de conduire une politique étrangère dictée par leurs seuls intérêts, les Etats-Unis exigent en effet, au moment de l’épreuve, une solidarité sans faille, l’alignement de leurs alliés. “La coopération dans l’effort de guerre, prévient le Washington Post, doit être une exigence absolue. Tout refus de coopérer (...) devrait définir un adversaire de l’Amérique et entraîner des conséquences sérieuses, économiques ou militaires [2].”
On coopéra. Le 18 septembre 2001, lors d’une de ces innombrables émissions, “spéciales” à force d’être vides, réalisées en direct de New York par France-Inter, le journaliste de service crut bon d’égrener presque chaque minute l’heure de la côte Est. Elle était vraisemblablement devenue la nôtre. Tous américains, nous vivions à New York et nous parlions tous anglais. “Les attaques, précisa The International Herald Tribune, ont remis en cause l’idée que les autres pays, en particulier en Europe, pouvaient avoir des systèmes de valeur et des niveaux de confort proches de ceux de l’Amérique, tout en refusant de s’impliquer dans la confrontation entre les Etats-Unis et les forces terroristes qui narguent l’Occident [3].”
Interrogé par France-Inter, le réalisateur Michael Cimino n’avait rien à dire. Mais il le disait de Los Angeles, et en anglais. La politologue-journaliste Nicole Bacharand, éblouie par son babillage, lui donna la réplique : “Thank you, Michael, and remember this : we are all Americans [4].” Et puis, le 14 septembre, sur France-Musiques : “Bonjour à tous. Aujourd’hui à midi, nous serons tous américains en faisant, trois minutes durant, silence. (...) Huit cents millions d’Européens communieront peu ou prou dans la même attitude à la même heure, rejoignant en cela vos quotidiens qui, le premier choc passé, s’arrêtent un instant ce matin pour se recueillir et réfléchir.” “Réfléchir”, le mot fut donc prononcé au moins une fois pendant ces journées-là.
Peut-être inspiré par le grand instant de recueillement européen, Jean d’Ormesson adressa deux jours plus tard, par l’entremise du Figaro, une “Lettre ouverte au président Bush”. Il lui écrivait : “Vous connaissez le cri qui est sur toutes nos lèvres : “Nous sommes tous des Américains”“. Mais, pour le Journal du dimanche, il était dit qu’on n’en resterait pas là : “Si c’est l’Amérique qui est en deuil, ce sont toutes les démocraties qui sont frappées. Et en danger. En ce sens, oui, nous sommes tous des Américains.”
“Nous” ? “Tous” ? Sans indiquer au nom de quelle autorité ils le faisaient - celle de l’information ? -, nombre de commentateurs dominants se sont ainsi jugés habilités à “nous” prescrire des appartenances collectives, des minutes de silence, des cris sur nos lèvres. Au moment où un journaliste présumé trop impertinent se voyait, lui, imposer “non pas trois minutes, mais une semaine de silence [5]”, la démocratie attaquée nous valut même une revue de presse involontairement éclairante : “Lisez Jean-Marie Colombani à la “une” du Monde. Lisez Serge July, de Libération, Michel Schifres dans Le Figaro. Lisez la chronique de Jacques Julliard, l’éditorial de Jean Daniel dans Le Nouvel Observateur. Celui de Claude Imbert dans Le Point ou de Denis Jeambar dans L’Express. Lisez ces dizaines de pages, ces centaines d’articles qui expliquent finalement tous la même chose [6].” Oui, la même chose. Mais alors pourquoi tout lire ?
Et l’Etat opéra son retour
Désormais, les marchés le réclamaient. Car, ainsi que l’annonça l’un de leurs plus loyaux interprètes, “la seule réponse qu’attendent les milieux d’affaires, les milieux économiques, c’est évidemment une réponse politique très forte, parce que c’est le système capitaliste même qui a été touché en son coeur [7]”. Le 17 septembre, peut-être pour rassurer les actionnaires épouvantés et conforter notre patriotisme désormais délocalisé, on annonça, à tort, que la baisse des cours avait été enrayée à Wall Street. Le correspondant de France-Inter précisa aussitôt : “Il s’agit de ne pas offrir une deuxième victoire aux ennemis de l’Amérique [8].”
Puis on s’interrogea : dans quel chaudron intellectuel et politique avait pu bouillonner autant de haine et de détermination ? La réponse ne tarda pas  “Les primates vociférateurs et casseurs de l’antimondialisation, en déshérence de maoïsme, s’en prennent en réalité à l’Amérique, synonyme de capitalisme. Cette obsession aboutit à une véritable déresponsabilisation du monde [9].” Complaisamment cité par un quotidien du matin que ce filon-là allait beaucoup mobiliser, un “décideur” économique trop longtemps bâillonné libéra enfin sa plume : “En s’attaquant à un tel symbole (le World Trade Center), les terroristes rejoignent le discours des antimondialistes, dont la parole est devenue omniprésente [10].”
Très présents en effet sur les ondes pendant l’été, les “antimondialistes” se voyaient désormais sommés de rendre gorge : qui sème le vent récolte la tempête, New York permettrait d’effacer Gênes. Un journaliste américain à Paris commit ces quelques lignes : “L’horreur de ces avions détournés qui s’écrasent sur ce symbole du World Trade Center souligne l’absurdité de cette violence déplacée contre la mondialisation et renforce la main des autorités qui doivent y faire face. Diaboliser de manière violente les Etats-Unis et les organisations du commerce mondial s’apparente à présent à une entreprise potentiellement meurtrière [11].” World Trade Centerni signifiait-il pas Centre du commerce mondial... ?
Quand il apparut que, quelques jours avant l’attentat, Oussama Ben Laden avait peut-être spéculé de manière à profiter de la réaction prévisible des marchés à un événement dont il aurait eu connaissance avant les autres, nul n’eut l’idée sacrilège de mettre en cause le système capitaliste, les milliardaires et les délits d’initiés. Les galeux et les pelés avaient déjà été repérés ailleurs. Ainsi, interrogeant un dirigeant d’Attac-France sur les ondes d’Europe I (groupe Matra-Hachette-Lagardère), la journaliste-commissaire lui demanda : “Qu’est-ce que vous répondez à ceux qui disent : qui vole un oeuf, vole un boeuf ? Je traduis : qui arrache un pied de maïs transgénique est capable un jour - on ne sait pas - de poser une bombe ?” Effectivement, on ne sait jamais...
On sait cependant que la pudeur qui recommandait de ne pas faire son miel avec la mort de milliers de civils new-yorkais ne fut pas longtemps de mise. Des industriels profitèrent de l’émotion générale pour annoncer, en catimini, de gigantesques “plans sociaux”. Et, le 17 septembre, M. Franz-Christoph Zeitler, membre du conseil de la Bundesbank, estima que, “dans cette situation difficile psychologiquement et économiquement, la priorité est de maintenir le bon fonctionnement et la liquidité des marchés financiers. La discussion sur une nouvelle taxation des marchés internationaux, telle que la taxe Tobin, est extrêmement contre-productive”. Ne serait-elle pas même carrément criminelle ?
- Notes :
[1] : Sondage du New York Times, réalisé les 13 et 14 septembre 2001. La question posée était : “Les Etats-Unis doivent-ils prendre des mesures militaires contre les auteurs de l’attaque même si cela que des milliers de civils innocents peuvent être tués ?”
[2] : Editorial du Washington Post publié dans l’International Herald Tribune du 14 septembre 2001.
[3] : John Vinocur, “The New World Order Is a Clash of Civilizations”, International Herald Tribune, Paris, 13 sptembre 2001. Hors Occident, et en particulier dans les pays du Sud, l’émotion causée par les événements fut moindre. Au Cameroun, par exemple, le journal Le Messager estima que “cet attentat-surprise a été à la mesure de l’arrogance avec laquelle le pays de George Bush tente aujourd’hui d’affirmer sur le monde une domination de mauvais aloi”.
[4] : “Merci Michael, et souvenez-vous bien que nous sommes tous américains.”
[5] : Daniel Mermet, comme il en fit lui-même la révélation sur France-Inter, le 17 septembre.
[6] : France-Info, 13 septembre 2001.
[7] : Jean-Marc Sylvestre, TF1, 12 septembre 2001.
[8] : Flash de 18 heures. Ce jour-là, Wall Street perdit 7,1 %.
[9] : Jean-François Revel (de l’Académie française), “Pourquoi tant de haine ?”, Le Point, 14 septembre 2001.
[10] : “Le Figaro Economie”, 13 septembre 2001. Le site de l’Acrimed a réuni nombre de citations de ce type (
www.samizdat.net/acrimed).
[11] : John Vinocur, op. Cit. Lire aussi “Terrorists Exploit Anti-Globalization”, The International Herald Tribune, 22-23 septembre 2001.
                                     
11. Reconnaissant avoir commis “des erreurs”, Arafat promet “des réformes d’envergure” par James Bennet
in The New York Times (quotidien américain) du jeudi 16 mai 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Yasser Arafat a répondu, aujourd’hui, à des pressions, tant palestiniennes qu’internationales, l’incitant à procéder à des réformes : il a reconnu certaines erreurs et s’est engagé à des changements dans son administration et à organiser des élections. On remarque toutefois qu’il n’a pas donné beaucoup de détails sur ses intentions.
Mais ses promesses de procéder à des réformes audacieuses ont peu de chance d’ébranler le gouvernement israélien (ainsi que l’armée israélienne), convaincus qu’ils sont que les promesses de M. Arafat n’engagent que ceux qui les écoutent.
Un haut responsable militaire israélien a déclaré aujourd’hui à Washington que le projet de l’administration Bush d’envoyer George J. Tenet, directeur de la CIA, dans la région, était inutile, car Israël n’accordera jamais sa confiance à un service palestinien de sécurité contrôlé par M. Arafat, quand bien même M. Tenet aurait contribué à sa mise sur pied.
Le dirigeant palestinien s’exprimait après que le Premier ministre israélien Ariel Sharon ait exigé des réformes (dans l’Autorité palestinienne) en préalable à toute reprise des négociations. Mais M. Arafat semblait répondre en fait aux pressions américaines ainsi qu’à des exigences de changement croissante chez les Palestiniens, (qui réclament) notamment des élections et des progrès dans la lutte contre la corruption, dans la séparation des pouvoirs et dans le respect et la garantie des libertés civiques. On dirait que, soudain, de nombreuses frustrations qui mijotaient à feu doux depuis bien longtemps se sont mises à bouillir et à déborder...
“C’est le moment opportun de procéder à des changements et à des réformes, en dépit de toutes les tentatives déployées afin de saper nos efforts”, a notamment dit M. Arafat au cours de son allocution, ici à Ramallah, devant le Conseil Législatif Palestinien. “Le temps est venu de retrousser les manches, et de construire.”
Le discours d’Arafat marquait la commémoration palestinienne du jour de la Nakba, ou catastrophe (nationale), du nom que les Palestiniens donnent à la proclamation de l’indépendance d’Israël, en 1948, sur un territoire qu’ils tiennent pour leur patrie. L’an dernier, des milliers de Palestiniens avaient manifesté dans le centre-ville de Ramallah. Cette année, deux cent manifestants, tout au plus, se sont montrés, et M. Arafat n’y a fait qu’un brève allusion au passage, dans son discours, lequel, après avoir donné un compte-rendu sombre de la lutte récente avec Israël, exposa ses propositions pour l’avenir, mêlant les promesses de changement aux appels à la patience.
Le changement qui se dessine dans la politique palestinienne - qui n’est pas considéré comme une menace immédiate pour le contrôle de M. Arafat sur le pouvoir - a trouvé un écho dans la manière dont les législateurs ont reçu son discours : mi-satisfaits, mi-sceptiques. Les applaudissements à son appel à de nouvelles élections se sont mués en rires bienveillants lorsqu’il a suggéré qu’il n’y avait pas urgence pour ce faire, ajoutant : “Nous devons être raisonnables - nous devons veiller à n’entreprendre que ce que nous pouvons mener à bien.”
“Tout ça, c’est fort bien”, a commenté Ahmad al-Deek, un vétéran du parti Fath de M. Arafat, une fois le discours de celui-ci terminé. “Mais”, ajouta-t-il aussitôt, “ce que nous voulons, ce n’est pas des programmes. Ce que nous voulons, ce sont des mesures pratiques immédiates.”
Certains partisans des réformes gouvernementales redoutent que l’intérêt soudain manifesté au sommet en la matière reflète moins un profond désir de changement qu’un espoir que ce changement puisse être détourné de ses objectifs nobles, au profit de la direction actuelle.
Nader Saïd, sociologue de l’Université de Bir Zeit, m’a dit que certains bénéficiaires des réformes pourraient être “les gens qui sont responsables de la corruption. Comment pourrait-on leur faire confiance pour ramener la société sur des bases démocratiques ?”
Nabil Amr, ministre des relations parlementaires (démissionnaire) du gouvernement de M. Arafat, mettant en cause l’absence de réformes, a déclaré : “Nous devons attendre de voir ce qu’il va faire sur le terrain. Nous avons besoin d’un nouveau gouvernement”. M. Amr, longtemps considéré comme membre de l’entourage restreint de M. Arafat, est soupçonné par d’autres hommes politiques et analystes politiques palestiniens d’avoir l’ambition de prendre la tête de la parade - ce qui, en tous les cas, est symptomatique de la dynamique politique qui se développe actuellement.
Abul Jawad Saleh, dirigeant de l’opposition parlementaire, a brandi le texte d’un discours prononcé par M. Arafat voilà plus d’un an. “C’est du rabâchage”, a-t-il dit, “la seule différence, c’est qu’aujourd’hui, c’est plus détaillé”. Puis il a ajouté : “Arafat n’a pas mis en pratique un seul de ses engagements pris publiquement l’an dernier.”
M. Saleh, parlant de M. Arafat, a déclaré : “Il n’est pas sérieux. Il n’est sérieux que lorsqu’il est soumis à la pression.” Il a appelé les Palestiniens à des manifestations et à la désobéissance civile, afin d’exprimer “leur désir de réformes substantielles et de libertés”, en stigmatisant des entraves à la liberté de la presse.
Mais M. Saleh a averti son auditoire sur le fait que les exigences israéliennes et américaines “rendaient plus difficiles” la tâche des partisans de la réforme, en les faisant apparaître comme des traîtres au service d’intérêts étrangers.
Certains hommes politiques palestiniens, dont des membres du Fatah, ne cessent d’appeler à des réformes, depuis des années. Hussam Khader, un député palestinien de Naplouse, a fustigé les proches de M. Arafat et les qualifiant du “Parti Economique d’Oslo”, en référence à une corruption dont il est convaincu qu’elle a été fortement encouragée par le processus de paix d’Oslo.
Dans son discours, M. Arafat a répété son rejet proclamé des attaques contre des civils israéliens, disant qu’”elles ne sauraient servir nos intérêts”.
Certains de ceux qui en appellent aux réformes pourraient en être aussi les bénéficiaires. Nombreux sont les Palestiniens à être ulcérés par le comportement de M. Muhammad Rashid, l’un des conseillers financiers de M. Arafat, qui a servi d’intermédiaire pour des contacts avec Israël grâce notamment à ses rencontres avec le fils de M. Sharon, Omri. M. Rashid est lié à Muhammad Dahlan, le chef de la sécurité palestinienne à Gaza, lequel semble être le (successeur) putatif de M. Arafat.
M. Dahlan s’est élevé comme le manque de promotion à l’intérieur de l’Autorité palestinienne, dans laquelle des ministres vieillissants s’accrochent à leur marocain.
Un autre allié de ces hauts responsables, Hanan Asfour, ministre palestinien, a été sauvagement agressé devant son domicile par cinq hommes masqués, dimanche dernier. Cette agression est sans doute significative de l’intensité de la lutte désormais engagée, pour le pouvoir, en Palestine.
M. Arafat a été vivement critiqué par de nombreux Palestiniens pour avoir permis que 13 Palestiniens accusés de terrorisme par Israël soient envoyés en exil, dans le cadre du règlement du siège de l’Eglise de la Nativité de Bethléem, qui a duré pas moins de trente-neuf jours. M. Rashid a joué un rôle important dans ce dénouement. Faisant une allusion indirecte à ces critiques, aujourd’hui, M. Arafat a précisé qu’il était le seul à qui l’on puisse reprocher d’éventuelles erreurs, en la matière.
“Je vous le dis, si une erreur a été commise, j’en suis le seul responsable”, a-t-il dit, dans un moment de confession tout-à-fait inhabituel. Mais, a-t-il aussitôt ajouté, “il n’y a, dans le monde entier, aucune action qui soit totalement infaillible.”
Le président d’Israël, Moshe Katsav, a déclaré, après le discours de M. Arafat : “Les dirigeants peuvent faire des erreurs - ils ne sont que des hommes comme tous les autres. Mais le problème, avec Arafat, c’est qu’il commet des erreurs consciemment et délibérément.”
Les Palestiniens sont désemparés, après l’écrasante offensive militaire israélienne qu’ils ont subie, et aussi face au délabrement de leur économie, ont déclaré certains responsables palestiniens. “Ce qui est particulièrement frustrant, c’est la situation politique et la direction, qui n’a pas réalisé ce à quoi elle est en train d’appeler (une nouvelle fois)”, a déclaré Jamal Barghouti, un militant du Fatah.
Dans son discours, M. Arafat a exhorté les législateurs à procéder à “un inventaire ne laissant dans l’ombre aucun aspect de notre vie (nationale)”. Après l’avoir gardé sous le coude à l’état de projet de loi durant dix-huit mois, M. Arafat a enfin signé un décret garantissant l’indépendance de la justice, lui donnant force exécutive.
Après l’exigence de réforme dans les affaires palestiniennes formulée par M. Sharon, mardi dernier, certains politiciens israéliens ont laissé entendre qu’il était beaucoup trop exigeant vis-à-vis de l’Autorité palestinienne, très affaiblie par le conflit avec Israël. Mais des politiciens palestiniens disaient, aujourd’hui, qu’une réforme réelle ne pourrait qu’accélérer la mise sur pied de l’Etat auquel ils aspirent.
Les Palestiniens, sans nul doute, aspirent à un Etat qui leur manque cruellement, mais ils n’en ont pas moins réussi à créer une bureaucratie babylonienne. M. Arafat supervise vingt-huit ministères, de l’agriculture à la jeunesse et l’athlétisme. Nombreux sont les Palestiniens à se plaindre de ne jamais avoir obtenu la moindre aide de leur administration, mais ils mettent aussi en accusation les incursions militaires israéliennes et les bouclages imposés par Israël aux territoires palestiniens.
Il n’y a pas eu d’élections en Palestine depuis janvier 1996, date à laquelle les Palestiniens ont élu leur président, M. Arafat, ainsi que les quatre-vingt huit membres actuels du Conseil législatif. Pour que des élections soient possibles, il faudra qu’Israël assouplisse son contrôle des territoires.
L’administration Bush appelle depuis longtemps à des réformes dans l’Autorité palestinienne, en particulier en ce qui concerne ses multiples services de sécurité. Mais l’administration américaine s’est braquée, récemment, contre une proposition française préconisant des élections à court terme, en raison des craintes américaines que les formations extrémistes ne remportent ces élections.
M. Saïd, le sociologue que nous avons déjà cité, a dit, à propos de l’éventualité d’élections : “Ce qui manque le plus est un mouvement plus libéral, laïc, démocratique, car ces forces ne sont pas suffisamment organisées.”
Il a ajouté que les Etats-Unis voyaient seulement dans les pays arabes des clients corrompus ou des dictatures fondamentalistes. “Ils ne voient pas qu’il y a une vie démocratique riche, foisonnante, mais clandestine, dans le monde arabe, et que cette vie démocratique n’aspire qu’à une chose : pouvoir s’exprimer”, a-t-il conclu.
                                           
12. Arafat quitte enfin Ramallah, mais il évite le contact avec une foule hostile à Jénine par James Benett
in The New York Times (quotidien américain) du mardi 14 mai 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Camp de réfugiés de Jenine, Cisjordanie, 13 mai -- Yasser Arafat a quitté aujourd’hui Ramallah pour la première fois depuis plus de cinq mois. Il s’est rendu en visite dans trois autres villes de Cisjordanie ravagées elles aussi par les incursions de l’armée israélienne.
Mais c’est ce qu’il n’a pas pu faire - arrêter son cortège d’automobiles après être ressorti sortie d’un cimetière voisin et s’adresser à plus d’un millier de Palestiniens qui attendaient sous un soleil de plomb dans le camp dévasté de Jenine - qui dit le plus de choses sur les problèmes auxquels il est désormais confronté, maintenant qu’il est certes libre, mais soumis à des pressions internationales redoublées afin d’agir contre la violence palestinienne.
M. Arafat risquait d’être soumis aux critiques s’il avait pris le micro qui l’attendait à la sortie de ce cimetière. Mais en ne leur adressant pas la parole, Arafat n’a réussi qu’à irriter jusqu’à ses rares partisans.
“Nous ne nous attendions pas à ce qu’il vienne ici pour nous tourner le dos”, m’a dit Abdul Ghani, 27 ans, marchand de légumes. “Ce que nous attendions de lui, c’est qu’il vienne constater l’étendue des dégâts et donner des ordres afin que la reconstruction commence sans attendre.”
L’un des conseillers proches de M. Arafat a insisté pour dire qu’il n’était à sa connaissance pas prévu qu’il prenne la parole, mais les habitants mettent en doute cette interprétation. Tareq Alghoul, dirigeant local du mouvement Fatah, de M. Arafat, a essayé de faire bonne figure, insistant sur le fait que les résidents du camp avaient bien compris que les assistants de M. Arafat devaient tenir le plus grand compte d’impératifs de sécurité.
“Mais nous l’aurions protégé, nous !” l’interrompit Hussein Hamdan, 45 ans.
Un autre homme, vêtu d’un T-shirt blanc, cria : “Ne lui donnez pas d’excuses ! Le président ne voulait pas venir, c’est tout !”
Se déplaçant en voiture et à bord d’un hélico emprunté à la Jordanie, M. Arafat a inspecté les destructions à Bethléem, à Naplouse et dans la ville de Jénine. Il a assuré aux Palestiniens qu’ils s’avançaient inexorablement sur la voie de leur propre Etat, dont la capitale sera(it) Jérusalem.
Mais pour prix de cette avancée vers la citoyenneté, l’administration Bush a exigé que soit menée une véritable “opération coup de poing” contre la violence palestinienne. Or toute opération authentique de ce type mettrait M. Arafat en confrontation directe avec bien des Palestiniens, ici. La population du camp est exaspérée par le rythme de gastéropode tant des réformes civiles palestiniennes que du développement économique.
Le camp de réfugiés de Jénine est un problème depuis fort longtemps tant pour M. Arafat que pour Israël, lequel prétend que son opération militaire ici a été rendue nécessaire par le fait que le camp aurait “produit” vingt-trois “kamikazes”. En réalité, certains Palestiniens avancent, ici que M. Arafat pourrait bien avoir été en connivence avec l’opération israélienne, afin de liquider sa propre opposition.
“Qu’il ne soit pas venu jusqu’à l’intérieur du camp et qu’il ne m’ai pas serré la main, je m’en moque complètement”, me dit Sujood Hawashin, une collégienne en uniforme à rayures bleues et blanches. “C’est quelqu’un qui ne veut pas nous laisser lancer des opérations de résistance”. Il faisait allusion à l’appel lancé par M. Arafat la semaine dernière à ses forces de sécurité d’empêcher “tout attentat terroriste contre les civils israéliens.”
A un lacet noir passé autour du cou, par-dessus son col en dentelle, Sujood portait un médaillon avec la photo de son frère, Muhammad, treize ans, dont elle me dit qu’il a été tué au cours des combats, ici, à Jénine.
Avant qu’Israël n’enferme M. Arafat à Ramallah, en décembre dernier, il était le plus souvent en déplacement, très souvent à l’étranger. Mais il visitait très rarement des endroits tels que ce camp.
En fait, m’ont dit des résidents, il n’était jamais revenu à Jénine depuis qu’Israël avait restitué la ville à l’Autorité palestinienne, en novembre 1995. Quant au camp, il n’y avait pas remis les pieds depuis les années 1960, époque où il y était venu clandestinement, me dit un habitant de vieille date.
“C’est juste maintenant que le camp est détruit, qu’il se souvient de nous ?” demande, amer, un combattant âgé de dix-huit ans.
Signe, si besoin était, de la tension qui règne entre Palestiniens, une échauffourée a éclaté après que la quasi-totalité des gens qui s’étaient rassemblés se soit dispersé à travers le champ de gravats laissé par les bulldozers israéliens.
Un peu avant l’arrivée d’Arafat, M. Hamdan, un inspecteur sanitaire et membre de longue date du mouvement Fatah, avait pris le micro pour demander à tous les Palestiniens qui ne se trouvaient pas dans le camp au moment de l’attaque israélienne de quitter les lieux. Plus tard, tandis que la foule diminuait, un autre Palestinien a abordé M. Hamdan, a commencé à le houspiller, puis il a sorti un revolver et lui a tiré dessus, l’atteignant à l’aine. D’autres hommes brandissant des flingues se sont précipités afin de les séparer, tandis que les cris et l’odeur âcre de la poudre emplissaient l’atmosphère.
L’automne dernier, après que M. Arafat se soit plié aux injonctions d’Israël et ait ordonné l’arrestation, dans le camp de Jénine, de Mahmoud Tawalbéh, dirigeant local du mouvement du Jihad islamique, des protestations violentes avaient éclaté.
M. Tawalbéh, arrêté à Naplouse, plus au sud, a réussi à s’échapper lorsque la prison a été attaquée par l’armée israélienne, mais il est mort dans les combats. De nombreux jeunes hommes, ici, portent la photographie de M. Tawalbéh en sautoir autour du cou. Aucune photo de M. Arafat n’a, par contre, été aperçue.
Des officiels palestiniens ont parlé à plusieurs reprises d’un massacre qui aurait été commis ici, mais jusqu’à présent, quarante deux corps ont été inhumé dans un cimetière situé en bordure du camp, et c’est à ce cimetière que M. Arafat est venu rendre visite aujourd’hui. La plus part des morts retrouvés jusqu’ici étaient des combattants. Israël a perdu vingt trois soldats au cours des combats.
Après avoir quitté le cimetière, le convoi de M. Arafat a longé la partie la plus dévastée du camp, où la foule l’attendait. Zuhdi Hijazi, 75 ans, m’a dit que M. Arafat avait fait apparition sur une terrasse et qu’il faisait des “V” de la victoire. “Je n’ai pas pu lui parler. J’ai juste réussi à lui serrer la main”, a poursuivi M. Hijazi, sous le charme.
Dans son allocution de Jénine, M. Arafat a rendu hommage au courage des réfugiés du camp, qu’il a rebaptisé “Jénin-grad”, en référence au siège de Léningrad, au cours de la Seconde guerre mondiale.
En s’envolant, les deux hélicoptères véhiculant le cortège de M. Arafat ont fait une grande boucle au-dessus de la foule qui commençait à se clairsemer. Certains leurs faisaient des signes d’adieu, d’autres leurs faisaient signe de s’en aller au plus vite.
Nabil Abu Rudeïnéh, un de ses proches conseillers qui l’accompagnaient, a indiqué qu’il y a eu, apparemment, une confusion. “Sans doute y a-t-il eu un malentendu”, a-t-il dit. “Un groupe de personnes attendaient (Arafat)(au tournant) - je ne sais pas pourquoi - personne ici ne le sait.” Parlant du camp, il a ajouté : “Il n’y a aucune autorité responsable, ici.”
Des gens du camp, dont des responsables du Fatah, assuraient qu’on leur avait confirmé que M. Arafat viendrait rendre visite aux résidents du camp de réfugiés.
“Je suis déçu”, me dit Jamal Shati Hindi, membre du Conseil législatif palestinien appartenant au Fatah. “Cette visite n’a pas été effectuée conformément au programme fixé, et elle laisse une sensation déplaisante. Pourquoi tous ces gens étaient-ils là, à attendre le président, sous un cagnard pas possible, à votre avis ? C’était bien la preuve de leur affection pour lui”.
Mais les destructions toutes récentes alimentent la frustration à l’égard du mode de gouvernement palestinien, ici. Nombreux sont les résidents à se plaindre de la lenteur des secours. “J’aurais aimé pouvoir lui raconter ce qui m’est arrivé”, me dit Safiyéh Milhem, soixante-trois ans, me parlant d’Arafat, au milieu des ruines de sa maison. “Je l’attendais depuis l’aube. Je l’attendais, et j’attendais de lui qu’il donne des instructions pour que l’on reconstruise ma maison...”
                                                       
13. Dans l’église de la Nativité, le refus (et les poubelles) d’un siège [1] par Alan Cowell & Joel Greenberg
in The New York Times (quotidien américain) du samedi 11 mai 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Entre des colonnes de marbre couleur ambre, brunies par les siècles et polies par les dévotions des croyants, les assiségés avaient étendu des matelas crasseux et des couvertures marron, en désordre et chiffonnées. Dès l’entrée surbaissée, appelée Porte de l’Humilité, une odeur d’urine vous prend à la gorge. Sous les hautes voûtes de bois, des boîtes de sardines vides laissent s’échapper sur les dalles de pierre des filets d’huile malodorante entre des cierges votifs répandus sur le sol.
(Mais) le seul dommage réel concerne le prieuré franciscain attenant à la basilique. Il a été léché par les flammes de l’un des trois incendies dont on il a été fait état durant le siège. Il n’en reste que des plafonds et des carrelages noircis.
Tout compte fait, ont dit quelques prêtres, le pire a été évité.
Tôt ce matin, après trente-neuf jours de siège, plus de cent trente personnes - des Palestiniens armés et civils, des prêtres et des pacifistes étrangers - sont sortis en file indienne de l’Eglise de la Nativité, qui marque l’endroit où serait né Jésus, et où la plupart des Palestiniens retenus prisonniers avaient cherché refuge tandis que l’armée israélienne investissait la ville, le 2 avril dernier.
Plusieurs heures après que le dernier ‘occupant’ de l’église soit sorti, les soldats israéliens qui les assiégeaient ont tout emporté, depuis les transfos des téléphones portables jusqu’aux caisses de munitions, chargeant le tout dans des convois de jeeps poussiéreuses qui repartaient aussitôt, traversant la Place de la Mangeoire, la laissant étrangement déserte au bout de seulement quelques minutes.
D’un pas tout d’abord hésitant, puis avec de plus en plus d’assurance, des habitants de la ville, qui avaient vécu sous un couvre-feu quasi permanent durant plus d’un mois, sont sortis de leurs maisons dans les rues dévastées. S’accroupissant et jouant des coudes, ils se sont pressés devant la minuscule porte de côté, laquelle conduit à l’intérieur de la vénérable église (vieille de mille sept cents ans). Une fois à l’intérieur, ils restèrent bouche bée.
Un fonds baptismal, entouré de boîtes d’Ajax, avait tout l’air d’avoir servi pour faire la vaisselle. Un autel avait servi de table. Des casseroles et des réchauds à gaz se partageaient l’espace avec des tenues de camouflages abandonnées. Des sacs-poubelle en plastique noir encombraient les recoins plongés dans la pénombre. Ailleurs, dans Bethléem, l’air était lourd de la puanteur des ordures que l’on brûlait.
Mais ce premier groupe, représentant une partie de la population chrétienne de Cisjordanie, laquelle ne cesse de perdre de ses ouailles, ignorant ces “profanations”, se précipitèrent vers les marches de marbre qui conduisent dans la crypte - la grotte - laquelle correspond à l’endroit précis où les Chrétiens ont la conviction que leur Sauveur est né.
Là, ils se prosternèrent devant une étoile d’argent aux nombreuses pointes, pleurant à chaudes larmes, l’embrassant. Certains allumèrent des cierges et touchèrent les icones, ignorant les non-chrétiens et les journalistes, avec leurs cameras, leurs blocs-notes et leurs projecteurs.
La foule était tumultueuse, spontanée, elle ignorait totalement les protocoles soigneusement et jalousement conservés entre les diverses obédiences orthodoxes et catholiques qui se partagent la responsabilité de ce lieu saint.
“Je suis tellement heureuse, c’est fou”, me dit Diana Masri, une Palestinienne orthodoxe âgée de 45 ans. “Cela fait quarante jours que je ne pouvais accéder à mon église”, ajouta-t-elle, faisant une petite entorse au strict décompte des jours du siège afin qu’il corresponde à la période passée au désert par Jésus, selon les Evangiles.
Ces trente-neuf (ou quarante...) jours semblent faire d’ores et déjà partie de l’épopée palestinienne, faite d’une succession d’événements dans laquelle la simple survie est célébrée comme une victoire sur l’écrasante supériorité militaire d’Israël. Et il est de fait que le siège de l’église a été accompagné d’un couvre-feu qui ajoutait une pression supplémentaire sur les assiégés, afin de les contraindre à se rendre. Ainsi, avec le retrait de l’armée israélienne, ce soir, c’est bien l’ensemble des cent mille habitants de la ville de Béthléem qui étaient libérés et soulagés.
D’après certaines des personnes qui ont subi le siège, les gens retenus dans l’église étaient soumis aux ordres de Palestiniens armés, que l’on appelle ici des shabab, ou les “braves gars”, terme donné par les Palestiniens aux résistants depuis la première intifada (insurrection), à la fin des années 1980.
Ils avaient mis sur pied des comités pour la nourriture et la prise de décisions, sur des questions telles que laisser sortir certaines personnes, ce que des dizaines ont pu faire tout au long du siège.
Ils ont maintenu le contact avec le monde extérieur grâce à des téléphones portables. Refusant de donner leur identité, ils ont déclaré : “Nous étions seulement les otages de la paix. Nous aurions pu sortir, mais nous avons choisi de rester.”
Un prêtre mexicain coincé dans la basilique par le siège, le révérend Nicolas Marques, me dit que durant les premiers jours, des hommes en armes ont volé des objets de culte dans la partie arménienne de la basilique - une chaîne en or d’un évêque et une croix pectorale, un candélabre, une icone... mais qu’ils ont tout remis en place, quelques jours après.
Des popes orthodoxes ont dit qu’au début, certains des hommes armés (les “shabab”) avaient dormi dans la grotte où l’on vénère le lieu de naissance de Jésus, mais que des prêtres avaient réussi à les persuader d’aller dormir ailleurs, à l’extérieur des murs épais de la basilique.
Parmi les différents groupes qui se trouvaient là, dix militants étrangers pro-palestiniens ont fait preuve de manque de respect pour la sacralité des lieux, buvant de l’alcool et fumant, se sont plaints des popes orthodoxes, s’adressant aux journalistes.
Lorsqu’ils dormaient, ont raconté certains des assiégés, les prêtres se tenaient dans leurs dortoirs habituels et les Palestiniens s’étendaient à même le sol de l’église, en marbre...
“Il y avait un puits, et nous aurions bien aimé nous laver, mais c’était difficile, en raison de la promiscuité”, me dit Salah Ajami, 29 ans, l’un des quatre-vingt quatre civils palestiniens à avoir subi le siège.
Muhammad Madani, représentant de Yasser Arafat, a indiqué qu’un comité s’était créé également, chargé de la gestion des dépouilles des personnes décédées. Les soldats israéliens, a-t-il indiqué, ont tué huit personnes et en ont blessé vingt-sept, durant le siège.
Des officiels israéliens ont déclaré que leurs tireurs d’élites qui surveillaient la basilique, avec ses multiples courettes et ses innombrables recoins, n’avaient tiré que sur des hommes armés. Mais M. Ajami conteste cette affirmation. “L’un des hommes était le sonneur de cloches!...” a-t-il à juste titre rappelé.
Les interminables journées du siège, m’a dit M. Ajami, se sont passées en discussions sur les grandes questions du moment. Les officiels israéliens répliquent que les occupants ne se contentaient pas de bavarder.
Après le départ des Palestiniens et des ressortissants d’autres nationalités, aujourd’hui, des agents américains ont rassemblé des dizaines de fusils d’assaut abandonnés par les hommes armés, conformément aux conditions mises à leur libération. Des officiers israéliens ont indiqué que leurs experts avaient trouvé “quarante engins explosifs”, et notamment des mines camouflées.
Mais cette affirmation allait être démentie par la suite des événements.
Le fait que les militaires israéliens aient averti que l’église pouvait être minée n’a nullement dissuadé des moines et des frères de se précipiter à l’intérieur, juste après cinq heures de l’après-midi, pour chanter des hymnes et prier en action de grâce, tandis que les cloches de l’église sonnaient à toute volée, pour la première fois depuis cinq semaines...
Puis les soldats israéliens se retirèrent, et la foule se précipita dans l’église, ne voyant aucune trace de bombe ou d’un quelconque explosif...
Peu après, alors que l’église était rouverte, Pietro Sambi, légat pontifical à Jérusalem, vêtu de pourpre, y pénétrait, faisait un bref inventaire des traces de l’occupation récente des lieux - bols abandonnés et bouteilles de gaz destinées à faire la cuisine - et déclarait rapidement qu’il n’y avait là rien qui puisse être considéré comme une volonté délibérée de sacrilège.
Le crucifix d’or incrusté de pierreries trônait toujours au-dessus de la nef, les chandeliers de bronze, les globes et les lampes d’argent pendaient toujours des voûtes. Dans la lumière déclinante de l’après-midi, les mosaïques murales semblaient absolument intactes.
Il est vrai que, comme me l’a dit Madame Masri, “des hommes en armes n’auraient jamais dû se trouver ici”. Mais, en fin de compte, chacune des innombrables religions qui caractérisent cette région du monde reprenait confiance en elle-même et retrouvait ses marques.
Saheeya Khamis, une dame musulmane dont le fils, m’a-t-elle dit, fait partie des Palestiniens exilés à Chypre aujourd’hui, est venue remercier la Vierge Marie de l’avoir protégé et s’assurer que la basilique “était intacte”.
Peu après, tandis que les citadins se pressaient sur la Place de la Mangeoire, ou se contentaient de savourer la fraîcheur du soir, oubliée depuis un long mois, grignotant une olive ou fumant une cigarette, le muezzin appela les fidèles musulmans à la prière, depuis le minaret de la mosquée d’Omar, située juste en face de l’Eglise de la Nativité. Cela aussi, m’ont dit les gens autour de moi, c’était une grande première, depuis trente-neuf jour...
[1] - Jeu de mots sur “refuse” (anglais), dans le titre de cet article, ndt.