Rencontre aujourd'hui avec Leïla Shahid à Aix-en Provence
[détails dans la rubrique "Rendez-vous"]
 
               
Point d'information Palestine > N°199 du 16/05/2002

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Rédaction : Pierre-Alexandre Orsoni et Marcel Charbonnier
                                                                                           
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http://www.protection- palestine.org - http://www.paixjusteauproche- orient.com
         
Au sommaire
                              
Témoignages
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des citoyens de Palestine ou des observateurs. Ils sont libres de droits.
1. Allons enfants... par David Torres, citoyen de Gaza en Palestine
2. Bethléem libérée ? par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
                                       
Rendez-vous
Pour retrouver l'ensemble des rendez-vous en Europe, consultez l'agenda sur : http://www.solidarite- palestine.org/evnt.html
1. Rencontre avec Leïla Shahid à Aix-en-Provence ce jeudi 16 mai 2002 à 21h
2. Projection du film "Paul le charpentier" de Ibrahim Khill le mercredi 22 mai 2002 au Centre culturel algérien de Paris
         
Dernière parution
- Retour de Palestine par José Bové et Collectif, préface de Rony Brauman aux éditions Fayard - collection Mille et Une Nuits         
                               
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG. Ils sont libres de droits, sauf mention particulière.
1. Une rencontre avec Arafat par Uri Avnery [traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
2. Le Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient dénonce le procès fait à l'historien israélien Ilan Pappé
3. Les Héros de la Dernière Chance par Israël Shamir [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
    
Revue de presse
1. Le prince Abdullah contacte les directions du Hamas et du Jihad afin de les convaincre d’abandonner les attentats-suicides in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 7 mai 2002 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
2. Pour en finir avec la légende de l’influence américaine et de l’impuissance arabe. Le gouvernement américain est encore plus impuissant que les dirigeants arabes par Abdel Wahhab alAfandi in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 7 mai 2002 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
3. Sharon propose de court-circuiter Arafat dans de futures négociations par Todd S. Purdum & Steven Erlanger in The New York Times (quotidien américain) du mardi 7 mai 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
4. Les Etats-Unis “encouragent” Israël à intégrer Arafat à des négociations par Todd S. Purdum & Judith Miller in The New York Times (quotidien américain) du dimanche 5 mai 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
5. Jénine, enquête sur un crime de guerre - La Palestine à feu et à sang par Amnon Kapeliouk in Le Monde Diplomatique du mois de mai 2002
6. Les associations de défense des droits de l’homme (israéliennes, juives comme arabes) en butte à une campagne de grande envergure visant à les exclure du consensus national par Roti Sinaï in Ha’Aretz (quotidien israélien) du jeudi 25 avril 2002 cité par Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 26 avril 2002 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
7. La mosquée al-Khudra, de Naplouse, l’une des plus anciennes du monde, détruite par les tanks israéliens se “creusant” un passage dans la vieille ville par Ala’ Badarnéh in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 26 avril 2002 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
8. Une commission des urgences humanitaires par le Shaykh Ra’ed Salah in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 26 avril 2002 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
9. La normalisation a échoué... Essayons le boycott par Sa’id alShihabi in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 26 avril 2002 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
10. Quelle sorte de guerre est-ce donc là ? par Amira Hass in Ha’Aretz (quotidien israélien) du lundi 22 avril 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
11. C’est cette semaine que l’on saura qui dirige l’alliance américano-israélienne par Robert Fisk in The Independent (quotidien britannique) du lundi 8 avril 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                                           
Témoignages

                                                   
1. Allons enfants... par David Torres, citoyen de Gaza en Palestine
Dimanche 5 mai 2002 - Le journal libanais l'Orient le Jour a pondu un papier sur le boycott des produits américains. Et les nouvelles sont plutôt réjouissantes. Après les campagnes de pub a la télé et sur le net les consommateurs des pays arabes du proche-orient ont commencé a éviter les fast-food (-20% de ventes en
Egypte) et a boire des jus de fruits frais (-65% pour Coca et -45% pour Pepsi en Arabie Saoudite). Et le phénomène prend de l'importance au Liban et en Syrie, a Bahrayn et en Jordanie. On se réjouit pour la santé de ces braves gens, et on leur souhaite aussi d'arrêter de fumer (Lucky Strike, Marlboro.) ce serait génial. Peut-être qu'un jour, avant de déverser son mépris sur le monde, l'Amérique réfléchira 5 mn et évitera de cracher sur les foules de consommateurs. Triste monde. Enfin dans la même veine, mais avec plus de force, les poly-réfugiés de Jénine (1948, 1967, 2002.) dans un sursaut de dignité ont renvoyé au visage des bonnes consciences américaines les paquets d'US AID. Passe encore de manger les bombes et les balles Made in USA, payées trois fois rien aux américains avec de l'argent gracieusement prêté à Israël par les Etats Unis. Bon ils n'avaient pas le choix. Mais prendre le dessert avec les biscuits de l'oncle Sam !!! Les bonnes consciences sont reparties comme Jospin, sous la colère de ceux qui ont bu une telle dose de mépris qu'ils n'en peuvent plus.  Et en France quelles sont les nouvelles ? Et bien pour ceux qui seraient devenu subitement un peu plus citoyens depuis le premier tour des élections, on ne fait pas les choses a moitié. Si on veut lutter contre le racisme et la haine, il faut le faire complètement.
Il n'y a pas de bons racistes ou de bonnes raisons d'avoir une politique haineuse fondée sur des critères raciaux. Alors pour ceux qui vont faire les courses, a moins d'être vraiment accroc a telle ou telle marque de jus de fruits, un petit coup d'oil sur le code barre. En bas une liste de chiffres. Si ca commence par 729, ca veut dire que ce produit vient d'un pays dont le président use d'une liberté de parole qui doit laisser Le Pen rêveur, dont le chef du gouvernement est responsable de plus de morts que Klaus Barbie, un pays qui pratique sur une large échelle déportations, massacres, destructions de maisons, d'écoles, de villes et villages, emprisonnements, torture, qui détient actuellement dans ses geôles 499 enfants de 13 a 18 ans. Alors lutter contre Le Pen, c'est bien oui, mais lutter contre le racisme et la haine c'est aussi ne pas donner notre argent a ceux qui pratiquent ce qu'en France Le Pen lui-même n'oserait pas faire. Allez, un petit effort.
                                                                           
2. Bethléem libérée ? par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
lundi 13 mai 2002 - Bonjour à tous. Je suis rentrée à Bethléem samedi 11 mai dans l'après-midi. Au check-point de Mar Elias, le principal, trois tanks Merkava, canons pointés, font face à la voiture dans laquelle je me trouve. Prudemment, on rebrousse chemin et on prend la direction du check-point DCO à Beit Jala. Un tas de terre au milieu de la route. Il faut descendre, laisser la voiture et prendre un taxi de l'autre côté. Mais ici pas de tanks. Des jeeps, mais pas de contrôle de passeport. Bref on rentre dans Beit Jala puis Bethléem sans problème.
Je file chez moi poser mon sac avant de partir travailler.
En chemin je remarque que le carrefour central, Bab Az-Zqaq, a été pas mal abîmé ces derniers jours. Les tanks se sont visiblement «amusés» à rouler sur les panneaux indicateurs (il y avait des terroristes cachés derrière, c'est certain...). Près de chez moi, je remarque des morceaux de verre, des débris de plastique, de bois... Ça a dû être mouvementé en mon absence (je vous rappelle que j'ai été absente du 1 au 11 mai). La voiture de mon voisin n'est pas à sa place. J'espère qu'ils ne l'ont pas abîmée.
Pendant le couvre-feu, ils ont tiré deux roquettes sur la voiture d'un de nos copains qui était stationnée pas très loin d'ici. Notre copain n'a plus de voiture... et nous non plus du même coup, puisqu'il nous servait volontiers de taxi! Mais, que voulez-vous, une voiture garée dans la rue pendant le couvre-feu ne peut être autre chose qu'une «entité terroriste». N'oubliez pas que nous sommes dans l'«Axe du Mal»! Ça me fait toujours rire, cette expression, allez savoir pourquoi... À chaque fois que je l'entends, j'ai l'impression de me trouver dans un film de SF style «la Guerre des Étoiles». Imaginez Arafat en Dark Vador, et Sharon en Jedi! À mourir de rire, je vous dis!
Pause cinéma terminée, je reprends mon récit :
J'arrive devant ma porte. Des débris de verre ici aussi. Que s'est-il passé?
J'ouvre la porte. Choc. «Ils» sont venus. «Ils» sont entrés. «Ils» ont fouillé. (veni, vidi, vici, à la mode israélienne en somme...)
Armoire ouverte. Vêtements étalés par terre. Matelas retournés. Ils ont défait les draps. Radio-cassette par terre. Livres aussi, écornés. Apparemment, rien de cassé ni de volé. Ilhamdoulillah!! (merci mon Dieu).
Je monte quatre à quatre chez les voisins. Et j'apprends. La maman, encore choquée, me raconte:
 - C'était lundi dernier, le 6 mai. Vers 4 ou 5 heures de l'après-midi. Le tank s'est arrêté en bas, dans la rue, le canon pointé vers nos maisons. Des soldats sont venus à pied. Ils sont entrés chez M. notre voisin. Regarde son appartement!
Je regarde dans la direction indiquée. Re-choc. Par les fenêtres béantes, j'aperçois des bouts de meubles calcinés. C'est donc de là que venaient les débris... Ma voisine reprend :
- Ils sont entrés chez lui. Il n'y avait personne. Ils ont posé une bombe. Si tu avais entendu le bruit! J'ai cru que j'allais mourir!
Ses yeux se remplissent de larmes, son visage exprime la peur. Elle porte la main à son cœur. Tout a explosé dans l'appartement de M. Les vitres ont volé en éclats, les volets aussi. J'interroge :
- Mais où était M.?
- Ah, tu ne le connais pas?
- Non...
- Il était dans l'Église de la Nativité. Maintenant, il est à Gaza...
J'ignorais que j'avais un voisin célèbre... Elle continue :
- Après, ils ont visité des maisons. Ils sont venus chez nous. Mon fils s'est précipité, les mains en l'air, pour leur ouvrir la porte avant qu'ils ne la fassent exploser. De l'autre côté de la porte vitrée, les soldats le mettaient en joue! J'avais tellement peur! Oh mon Dieu! Un groupe est venu dans notre maison. Un autre groupe nous a demandé si
quelqu'un habitait l'appartement du dessous. On leur a dit qu'il y avait une Française mais que pour le moment, elle était à Jérusalem. On leur a dit qu'on n'avait pas la clé. «D'accord, m'a dit le soldat, si dans deux minutes, tu n'as pas la clé, on fait exploser la porte. Ton fils vient avec nous.» Ils étaient dix environ. Cinq sont restés chez nous, cinq sont descendus chez toi. J'ai, grâce à Dieu, trouvé un double de ta clé. Mon fils leur a ouvert ton appartement et voilà. Ils ont cassé des choses chez toi?
- Non apparemment rien. Mais j'ai du ménage (encore!) à faire! Comment ça s'est passé chez vous? Ils ont cassé?
- Non. Mais Émilie, ma fille, devait les précéder dans chaque pièce, un canon pointé dans le dos. Mon fils était avec eux en bas, ma fille avait une arme dans le dos, j'ai cru que je devenais folle!
- Combien de temps ça a duré?
- Je ne sais pas... J'avais tellement peur!
- Ils sont partis maintenant...
Je me garde bien de lui raconter les tanks au check et mes sombres pressentiments... Ainsi donc, les soldats sont venus chez moi... Ils ont fouillé. À la recherche de terroristes, d'usine d'explosifs ou de caches d'armes. Et ils croyaient les trouver sous le matelas, dans l'armoire ou entre les pages de mes livres...
Ce n'était pas leur première visite. Ils étaient déjà passés «nous voir» une fois. Une nuit. À trois heures du matin. N'avaient rien cassé. Ils étaient entrés chez mes voisins au dessus, mais pas chez moi. Moi j'étais dans mon lit. Terrorisée. En pyjama, avec mon passeport dans la main. Toute la nuit, il y avait eu des tirs. Et des tanks. Je ne dormais pas, je ne pouvais pas. Je les ai entendus entrer chez mes voisins. Je les entendais marcher avec leurs grosses rangers. Je les entendais parler et bouger les meubles. J'attendais qu'ils viennent. J'avais tellement peur que je n'osais pas bouger, je n'osais même pas m'habiller.
Apparemment, ils n'ont pas vu qu'il y avait un appartement en dessous. Ils sont partis. Je n'ai pas dormi cette nuit-là. Et beaucoup d'autres après, où je ne pouvais pas m'endormir avant trois heures du matin... 40 jours de couvre-feu.
On vous a décrit ce qu'est un couvre-feu. Vous avez vu les images de ces rues désertes à la TV. Pourtant, vous ne pouvez pas imaginer ce que sont 40 jours de couvre-feu. 40 jours. 40 nuits. 40 jours terrés dans votre maison et votre peur. 40 nuits aussi.
Pensez à tout ce que vous, qui êtes libres, avez fait pendant ces derniers 40 jours. Imaginez que toutes ces choses, ces menus détails qui font votre quotidien disparaissent d'un coup. Vous êtes chez vous. La peur au ventre. Terrés comme des bêtes.
Les attentats vont reprendre de plus belle, n'en doutez pas. Pendant ces 40 jours, la haine a mûri. Samedi, l'armée d'occupation a quitté la ville. Mais le check est fermé. Liberté? Samedi et dimanche, les avions de combat ont survolé la région. Un petit clin d'œil de l'armée d'occupation, histoire de nous rappeler qu'ils sont là et qu'ils reviendront. Parce qu'ils vont revenir. Et à chaque fois qu'ils reviennent, c'est plus violent que la fois précédente. Je n'ose pas imaginer les fois prochaines. La paix? Il n'y a bien qu'en Occident qu'on y croit encore...
                           
                                               
Rendez-vous


1. Rencontre avec Leïla Shahid à Aix-en-Provence
ce jeudi 16 mai 2002 à 21h
Palestine : Comment agir pour une paix dans la justice ? Une rencontre organisée par Aix Solidarité avec le soutien de nombreuses organisations* ce jeudi 16 mai 2002 à 21h - Salle du Bois de l'Aune - ZAC Jas-de-Bouffan - Aix-en-Provence - autour de Leila Shahid, Déléguée générale de Palestine en France, le Pr. Marcel-Francis Kahn, porte-parole du Collectif des citoyens d'origine juive ou arabe pour le droit des palestiniens, Oren Medicks, membre de "Gush Shalom" ("Le Bloc de la Paix") et le témoignage de participants de notre région à des Missions civiles de protection du peuple palestinien http://www.protection-palestine.org.
A partir de 20h : Exposition de photographies d'Anne-Marie Camps "Douce et brûlante Palestine" - Stands associatifs.
* AMFP (association médicale franco-palestinienne) - ASTI (association de solidarité avec les travailleurs immigrés) - ATTAC Pays d'Aix - ATMF (association des travailleurs maghrébins de France) - CIDIM (centre d'information et de documentation sur l'immigration et le maghreb) - CIMADE du pays d'Aix - LDH (Ligue des droits de l'homme) - MRAP (mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples) - RFPP (rassemblement franco-palestinien pour la paix) - UJFP (union juive française pour la paix)
                                       
2. Projection du film "Paul le charpentier" de Ibrahim Khill
le mercredi 22 mai 2002 au Centre culturel algérien de Paris

Le Centre culturel algérien - 171, rue de la Croix-nivert - Paris 15ème - M° Boucicaut ou Convention - Tél. 01 45 54 95 31 - organise une projection du film "Paul le charpentier" du réalisateur palestinien, Ibrahim Khill [1], en présence de ce dernier et avec la participation de Michel Lelong [2], père blanc, ancien responsable du Secrétariat pour les relations avec l'islam (SRI). PAF : 3 euros.
[1] Lire dans le 75° Point d'information Palestine du 30/06/2000 : "Paul le charpentier ou le combattant de l'amour" par Annie Fiore in La Marseillaise du mardi 27 juin 2000 et dans le 120° Point d'information Palestine du 14/12/2000 : "Le portrait d'un juste" par Philippe Clanché in Témoignage Chrétien du jeudi 7 décembre 2000.
[2] Michel Lelong a publié plusieurs ouvrages, dont L'Islam et l'occident aux éditions Albin Michel (2000 - ISBN : 2226014284) et Guerre ou paix à Jérusalem ? aux éditions Albin Michel (1982 - ISBN : 2226016368).
           
Dernière parution

                                                                                                   
Retour de Palestine par José Bové et Collectif, préface de Rony Brauman
aux éditions Fayard - collection Mille et Une Nuits
[12,00 euros / 78,71 FF - ISBN : 284205699X - Parution en mai 2002 - 208 pages]
Témoignages des participants à la 11ème mission organisée du 27 mars au 13 avril 2002 par la Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien http://www.protection-palestine.org
Ils étaient partis pour aider des paysans, des médecins, des enseignants palestiniens. Ils se sont retrouvés dans la guerre. Ils auraient dû hurler pour qu'on les rapatrie. Ils ont décidé de rester pour protéger les populations civiles. L'histoire est à peine croyable. Cinquante-deux Français, avec José Bové et des centaines d'internationaux, ont imposé la logique de Porto Alegre dans un cadre de guerre chaude : non-violence et résistance civile. Cela a marché : ils ont sauvé l'hôpital de Ramallah, rompu le siège du quartier général de Yasser Arafat, arrêté des chars, sauvé des dizaines de civils. Ce qu'aucun diplomate ni humanitaire n'a pu faire, ils l'ont réussi, là où ils étaient. Ce récit à cinquante-deux voix a été recueilli dans l'urgence. Derrière l'aventure, qu'ils racontent avec l'humilité des gens simples, apparaît la tragédie d'un peuple au temps d'une guerre coloniale. Un document bouleversant.
La diplomatie du faible au fort - Préface de l'ouvrage par Rony Brauman
Les missions civiles pour la protection du peuple palestinien qui se relaient depuis des mois auprès de la population palestinienne n'ont certes pas pu empêcher les massacres de Jénine, ni s'opposer aux exactions commises par l'armée israélienne. Elles ne le prétendaient pas, même si chaque volontaire, évidemment, l'espérait plus que tout. Ce qu'elles ont accompli, pourtant, aucun gouvernement ou organisme politique ne le faisait, aucune institution humanitaire ne le pouvait.
Elles ont bloqué l'étau dans lequel le gouvernement israélien s'était promis d'étouffer le président de l'Autorité palestinienne. Ces citoyens, qu'on appelle désormais des " internationaux ", ont arrêté l'invasion et probablement la destruction de l'hôpital de Ramallah. Grâce à leur présence permanente sur les lieux, l'hôpital parvient à fonctionner tant bien que mal. A force de ténacité et de courage physique (il en fallait), ils ont symboliquement brisé l'isolement des Palestiniens assiégés. Ils n'ont pas mis fin à cette guerre coloniale, qui continue de faire rage à l'heure où ces lignes sont écrites. Mais ils ont démontré, par la diversité de leurs origines et la clarté de leurs positions, que l'exigence de justice reste bien vivante sous tous les horizons de la planète.
C'est là, dans cette volonté incassable de rappeler que la résistance à l'oppression est un droit fondamental, que réside leur légitimité. Et c'est dans leur faiblesse même que se trouve leur force. Plus que quiconque, en maintenant avec leurs moyens dérisoires un lien avec la Palestine bouclée et le reste du monde, ils auront travaillé à désamorcer la spirale de haine où se trouve aspiré le Proche-Orient.
Tous ceux qui ont vainement œuvré à la formation de " brigades internationales de la paix " au moment du siège de Sarajevo peuvent se féliciter. Quelque chose de neuf s'est produit, qu'ils appelaient de leurs vœux, avec le surgissement effectif de cette diplomatie du faible au fort. Ces francs-tireurs pacifiques ne visent rien d'autre qu'une paix juste. Ils ont su avant tout le monde que le huit-clos voulu par l'occupant serait dévastateur pour l'occupé. C'est à ce verrouillage qu'ils ont voulu très tôt s'opposer et ils y sont parvenus.
Fort d'un important soutien dans l'opinion publique, ce mouvement est aussi la cible de critiques féroces, voire d'agressions physiques, dans un contexte où les violences identitaires se multiplient. Un " racisme de guerre ", selon l'expression de Maxime Rodinson, a fait son apparition en France, et il est malheureusement probable qu'il durera tant que durera cette guerre. D'où qu'ils viennent et qu'elles qu'en soient les causes, faut-il le redire, les acte et propos racistes sont intolérables.
Contrairement aux calomnies martelées par la plupart des représentants d'institutions communautaires juives françaises, tous les membres des missions civiles et ceux qui les soutiennent ont condamné ces attaques sans appel et sans excuse. La mémoire du supplice des Juifs sous le IIIe reich hante les générations suivantes, comment pourrait-il en être autrement ? Mais elle ne saurait justifier le soupçon d'antisémitisme jeté a priori sur toute personne osant revendiquer avec force l'application du droit dans le conflit israélo-palestinien. Invoquer la Shoah pour soutenir, même indirectement, une politique criminelle est une insulte aux victimes du nazisme.
Les " bombes humaines " qui se font exploser parmi les civils en Israël commettent des actes effroyables. Mais quiconque s'est rendu, ne serait-ce que quelques jours, dans les territoires palestiniens constate que l'on y fabrique depuis des années du désespoir et de la violence à grande échelle. Ce n'est pas excuser le moins du monde cette terreur que de constater qu'elle est d'abord le produit d'une autre terreur.
Le gouvernement israélien est en voie de radicalisation, avec l'entrée au cabinet de sécurité du général Effi Eitam qui affirme qu' "aucune souveraineté autre qu'israélienne n'existera jamais entre la mer et le Jourdain ". Ce colon mystique prône la création de homelands, l'apartheid, la purification ethnique. Cette solution a déjà été testée en Afrique du Sud et il est peu probable qu'elle soit techniquement réalisable. Quoi qu'il en soit, l'ascension politique d'un tel fanatique rappelle, si l'on pouvait encore l'oublier, que le gouvernement d'Ariel Sharon croit à une solution militaire du " problème palestinien ".
Mais elle devrait également poser un sérieux problème à ceux qui décrivent encore Israël comme une démocratie. Comment pourrait-on se prétendre républicain intransigeant en France et tenir pour un détail la présence d'un exalté raciste au gouvernement à Jérusalem ? Au-delà des circonstances du moment, un Etat qui opprime un peuple eput-il être qualifié de " démocratique " ? C'est bien de cela qu'il s'agit en définitive : du droit d'avoir des droits. C'est ce principe fondateur de toute politique décente que les volontaires des missions civiles sont allés défendre aux côtés des Palestiniens à Ramallah. Lisons-les avec attention, car ils nous racontent les aventures du seul combat qui vaille, celui de la liberté et de la justice. (Paris, le 10 avril 2002)
                                                               
Réseau

                                                       
1. Une rencontre avec Arafat par Uri Avnery
[traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
Samedi 11 mai 2002 - « Ils veulent que nous promulguions une Constitution ? Pas de problème ! Je vais demander à Israël de m’envoyer un exemplaire de la leur et la copierai mot pour mot ! » Arafat m’a lancé un regard amusé. Israël, bien sûr, n’a pas de Constitution.
C’était mercredi soir, après que cinq militants de Gush Shalom – Haim Hanegbi, Adam Keller, Oren Medicks, Rachel Avnery et moi – eurent réussi à pénétrer dans Ramallah (interdite aux Israéliens) et à entrer dans le complexe bombardé, fortifié du chef palestinien. Il existait un risque qu’Ariel Sharon, qui rentrait alors de Washington, exploite l’attentat suicide meurtrier du soir précédent à Rishon-Letzion pour parvenir à son vieil objectif : tuer Yasser Arafat. Cela aurait été un désastre pour Israël et aurait empêché la paix pour des générations. Nous pensions que la présence d’Israéliens dans le complexe pourrait aider à éviter une telle attaque.
Immédiatement après qu’Arafat eût terminé sa rencontre avec l’émissaire européen, Moratinos, au cours de laquelle ils avaient conclu l’accord final mettant fin au siège de l’église de la Nativité à Bethléem, il nous a reçus pour un long entretien. « Je vais donner des bourses aux 13 qui doivent aller à l’étranger, » a-t-il observé, comme s’il continuait la conversation précédente, et il nous a lu le document qu’il venait de signer.
Depuis que je l’ai rencontré en 1982 dans Beyrouth assiégée, dans des circonstances presque similaires, je l’ai revu de nombreuses fois. Je l’ai trouvé calme, souriant, sûr de lui, un peu fatigué.
Il a ri quand je lui ai décrit les « réformes » que Georges W. Bush veut voir adopter par l’Autorité palestinienne : la Palestine devrait devenir démocratique comme l’Arabie Saoudite, avoir une séparation des pouvoirs comme en Syrie, être présidée par un chef d’Etat sans pouvoir comme en Jordanie, avoir un service de sécurité unifié comme en Egypte et une Cour indépendante comme en Irak.
La nouvelle idée Bush-Sharon de « réformer » la structure de l’Autorité (c’est-à-dire la nomination d’agents américains) comme condition préalable à la paix ne semble pas avoir fait une impression profonde sur Arafat. En réalité, il est difficile de savoir si ceci est un prétexte cynique pour reporter une solution ou seulement une démonstration de stupidité monumentale. « Il n’y aura pas de Hamid Karzai palestinien », a-t-il dit, faisant allusion au président potiche que les Américains ont imposé de l’extérieur à l’Afghanistan.
Jamais comme maintenant, Arafat n’avait été aussi profondément intégré dans le cœur même du peuple palestinien. Son prestige est monté au zénith dans tout le monde arabe, où les masses comparent leurs propres rois et présidents à l’homme qui a enduré six semaines de siège, la plupart du temps presque sans nourriture, sans eau ni électricité, à une distance de deux mètres des soldats israéliens (nous avons mesuré la distance nous-même) sans fléchir. L’idée que quelqu’un de l’extérieur pourrait ne faire de lui qu’une figure de proue est ridicule.
²« L’OLP est au-dessus de l’Autorité palestinienne et je suis le chef de l’OLP » nous a-t-il rappelé. L’OLP représente toutes les composantes du peuple palestinien, alors que l’Autorité palestinienne a été élue seulement par les habitants de la Cisjordanie (y compris Jérusalem Est) et de la Bande de Gaza.
Au cours de la rencontre, des officiers supérieurs sont entrés plusieurs fois et ont fait état de concentrations de troupes israéliennes autour de la Bande de Gaza et de Ramallah. Une attaque de Sharon semblait pouvoir intervenir à tout moment. Arafat a pris ces informations en compte et donné quelques ordres brefs. Yasser Abed Rabbo a été présent pendant toute la rencontre, et d’autres personnalités importantes entraient de temps en temps et écoutaient.
Nous lui avons demandé sa réaction à l’annonce de l’attentat-suicide qui avait eu lieu 24 heures auparavant. « J’ai publié une condamnation ferme (Arafat a utilisé, pour la première fois, le mot arabe ‘irhab’, terrorisme) et ordonné l’arrestation de militants du Hamas, » a-t-il répondu. « Ils ont programmé l’attaque exactement pendant la rencontre au cours de laquelle Sharon demandait à Bush la permission d’appliquer ses plans contre l’Autorité palestinienne et contre moi-même. Les responsables du Hamas savaient qu’ils servaient Sharon. Ils veulent détruire l’Autorité et peu leur importe d’utiliser Sharon dans ce but. »
« Réfléchissez, » a-t-il continué, « Ai-je l’air d’un imbécile qui poserait des bombes sous son propre siège ? »
Il était presque minuit quand la rencontre s’est terminée. Les soldats nous ont invités à un dîner de pitta, sardines, fromage, homous. Pendant la longue nuit en leur compagnie, nous sommes devenus une attraction dans le complexe qui loge plus d’une centaine de soldats armés de la Force 17 qui ont continué pendant toute la nuit à fortifier l’endroit avec des sacs de sable. Beaucoup parmi eux se mettaient autour de nous, nous inondant de questions qui montraient qu’ils étaient immensément curieux de la situation en Israël, comme nous étions curieux de leur propre situation.
Nous étions assis en cercle dans une salle où tous les meubles avaient été repoussés contre les murs, bavardant et fumant. Haim est devenu ami avec un jeune de 17 ans, qui n’avait pas vu sa famille à Jénine depuis 4 mois, à cause du blocus, et qui était très inquiet de leur sort. Un autre n’avait pas vu sa famille à Gaza depuis deux ans. Tous ses biens avaient brûlé dans les incendies qui s’étaient propagés des immeubles voisins, le laissant avec seulement les vêtements qu’il avait sur le dos. Adam a eu une discussion avec un homme de 25 ans qui parlait bien l’hébreu et se souvenait avec nostalgie du Juif irakien qui l’avait employé sur le marché de Beer-Sheva. Un autre, de 37 ans, avait été arrêté à 15 ans pour avoir jeté des pierres, il avait passé 15 ans en prison et sert maintenant comme officier.
Seul un soldat ne s’est pas joint à nous, le visage fermé. Il écoutait, disant seulement qu’il ne croyait pas que la paix viendrait un jour. Et Rachel prenait des photos.
Tous voulaient savoir ce que pensent les Israéliens et avant tout pourquoi Israël ne veut pas la paix. Ces terribles « hommes armés » (comme on les appelle dans les articles de presse israéliens), avec leurs différentes kalashnikovs, certains en vêtements civils (« tous nos uniformes ont été brûlés par vos missiles ») parlaient avec nostalgie de la paix. Après quelques heures de conversation, Oren a résumé : « Nous pourrions signer un traité de paix dans les cinq minutes. »
Il y avait quelque chose de surréaliste dans la situation : tous parlaient du Ra’is avec une admiration sans bornes. Comme nous, ils s’attendaient à être attaqués à tout moment par les tanks israéliens, mais ils avaient une conversation amicale avec les Israéliens qui étaient venus vers eux.
Quand nous nous sommes enfin étendus sur nos matelas, côte à côte avec quelques « internationaux » de plusieurs pays qui étaient également venus pour servir de « boucliers humains », on m’a demandé une interview par téléphone en direct pour la télévision Al Jazeera qui a diffusé la nouvelle de notre présence dans des millions de foyers dans l’ensemble du monde arabe. Encore un petit pont pour la paix.
Le matin, après une toilette sommaire (il y avait une longue file devant la salle de bain), nous avons fait le tour du complexe, guidés par la courageuse Neta Golan qui avait été présente pendant toute la durée du siège. Un odeur d’urine et d’excréments remplissait toutes les chambres qui avaient été occupées par notre armée. Quelqu’un avait peint Mezuzot (l’étoile de David) sur toutes les portes. Dans une chambre, il y avait une haute pile d’ordinateurs brisés. Partout les meubles étaient détruits. Sur tous les murs, des graffitis : l’hymne national israélien (avec des fautes grossières), le nom Israël en arabe (mal épelé), un slogan en anglais : « Isreal (sic) règne » ». Dans les murs, les trous béants, qui sont devenus la marque de fabrique des FID, en dépit du fait que toutes les portes avaient été ouvertes. Dehors, des tas de voitures écrasées. Sur le côté, la Chevrolet blindée noire, que le Président Clinton avait donnée en présent à Arafat, aplatie, avec des marques de tanks clairement visibles sur le toit. Partout la saleté, la destruction et le vandalisme gratuit de « l’armée la plus humaine du monde ». Nous ne nous sentions pas très fiers.
                                                   
2. Le Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient dénonce le procès fait à l'historien israélien Ilan Pappé
Le Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient (CVPR) [1] apprend que l'historien israélien Ilan Pappé [2], professeur à l'université de Haïfa, se trouve sous le coup d'une procédure d'exclusion engagée par les autorités académiques de cette université.
Les prétextes avancés contre le professeur Pappé sont liés aux critiques formulées, par ce dernier, à l'égard de l'attitude de l'université de Haïfa envers un autre universitaire, Theodor Katz. Ce dernier a subi une "disqualification académique" pour avoir traité d'un sujet considéré comme tabou par les autorités israéliennes. Celles-ci lui font grief d'avoir soutenu une thèse de doctorat consacrée au massacre de Tantoura, commis dans la nuit du 22 au 23 mai 1948 par des militaires connus sous le nom "d'anges de la mort" appartenant au troisième régiment de la "brigade Alexandroni" de la Haganah commandés, à l'époque, par Dan Epstein.
Le professeur Pappé est l'une des figures de proue du courant dit des "nouveaux historiens" dont les travaux, dans leur diversité, entreprennent de dégager l'étude de l'histoire réelle du Proche-Orient des contraintes et des déformations de l'historiographie et de l'idéologie. Par sa démarche il contribue à rétablir la vérité sur la genèse de la tragédie proche-orientale.
Cet apport au rétablissement des faits, est la condition d'un "apaisement des esprits" fondé sur la confrontation des protagonistes avec leur propre histoire. En ce sens, la démarche de l'historien apporte une contribution essentielle au travail commun des Palestiniens et des Israéliens sur eux-mêmes. Et ce travail est sans aucun doute, l'un des principes de la fondation d'une paix réelle au Proche-Orient.
Le CVPR considère que les menaces qui pèsent contre le statut du professeur Ilan Pappé sont porteuses de graves dangers pour l'avenir. Le procès qui lui est fait s'inscrit dans un climat de type maccarthyste, qui pèse de plus en plus lourdement sur la société israélienne dont pourront faire les frais, universitaires, intellectuels, journalistes, artistes etc... qui ne se plient pas à la pensée conforme du moment, et qui menace, sans détail, leurs homologues appartenant à la communauté arabe palestinienne de 1948.
Ce procès s'inscrit, également, dans le contexte de la situation dramatique des universités palestiniennes et de la destruction des institutions éducatives palestiniennes délibérément ravagées lors de la récente offensive israélienne en Cisjordanie.
Les intimidations dont le procès fait au professeur Pappé est un exemple, sont particulièrement inquiétantes à l'heure où, les tabous progressivement levés, surgissent de nouvelles menaces, et notamment le spectre funeste de "transferts de population", synonymes de nouvelles catastrophes, dont tous seront affectés, sans aucune exception.
Le CVPR lance, à cet égard, un appel  aux autorités académiques françaises et européennes. Il leur demande d'intervenir immédiatement afin de faire cesser les poursuites engagées contre le professeur Ilan Pappé. Il entend entreprendre d'autres démarches à cet effet. Il appelle plus largement l'UNESCO, l'Union Européenne (Parlement et Commission), ainsi que toutes les organisations garantes, par principe, de la liberté de pensée et des libertés démocratiques fondamentales, à œuvrer en vue d'empêcher par tous les moyens institutionnels disponibles les nouvelles dérives qui menacent aujourd'hui le Proche-Orient, mais dont les conséquences, y compris pour l'Europe, seront incalculables.
[1] Le Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient est une association présidée par le philosophe Georges Labica, et dont le président d'honneur est le Professeur Jacques Milliez. Elle compte notamment au sein de son conseil d'administration, des universitaires et des Ambassadeurs de France. Le Comité de Parrainage du CVPR est composé de : Guy Aurenche, Albert Bourgi, Jacques Chatagner, Claude Cheysson, Robert Davezies, Jacques de la Ferrière, Gisèle Halimi, Stéphane Hessel, Jean-Marie Lambert, Simon Malley, André Miquel, Edgar Morin, Louis Odru, Pierre Pradier, Jack Ralite, Madeleine Rébérioux, Philippe Rebeyrol, Paul Ricoeur et Pierre Vidal-Naquet.
[2] A lire : La guerre de 1948 en Palestine de Ilan Pappé aux édition de La fabrique (22,71 euros / 148,97 FRF - ISBN : 291337204X - Parution en avril 2000 - 390 pages). Pour plus d'information sur cette affaire, consultez le dossier et signez la pétition disponible sur le site de Giorgio Basile
http://www.solidarite-palestine.org/breves.html#m295.
                                       
3. Les Héros de la Dernière Chance par Israël Shamir
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Lundi 6 mai 2002, 10h32 - Cette année, c’est longtemps après l’Occident - au début mai - que l’Orient a fêté Pâques. Mais l’ambiance était bien peu à la fête, l’Eglise de la Nativité, à Bethléem, étant assiégée depuis un mois. Des prêtres et des laïcs affamés sont enfermés dans la grotte où la Vierge mit le Christ au monde ; des corps de policiers abattus par des tireurs d’élite israéliens s’entassent au pied de la mosaïque à l’Arbre de Jessé rutilant. De temps en temps, les attaquants envoyaient des étoupes enflammées sur la charpente en bois de la toiture de la basilique et s’amusaient au spectacle des défenseurs assiégés qui couraient afin d’éteindre les débuts d’incendies. Mais Pâques a produit son miracle, et ce miracle a été baptisé MIS.
Qu’est-ce donc que ce MIS ? Pour la réponse, déplacez-vous à quelques centaines de mètres de l’église, sur la vaste terrasse qui domine le moutenement en pente douce des collines, en direction de la Mer Morte, là-bas, au-delà du “s” de la route ; il y a là-bas un petit sanctuaire byzantin, jouxtant une citerne. Le vent d’est, venu du désert, y a amassé une couche de poussière de sable sur le couvert de mosaïques, et des chardons de légende ont poussé parmi leurs croix rouge sombre. Ce sanctuaire a un je-ne-sais quoi d’aquatique, comme nombre de tombeaux, en Terre sainte. On l’appelle Bi’r Daoud (le Puits de David), en mémoire d’un exploit légendaire.
Il y a bien longtemps, une armée conquérante venue des cités de la plaine avait déclaré la Guerre à la Terreur et assiégé ce petit village escarpé, dans le but de capturer un homme du coin, un chef terroriste palestinien nommé David, lequel attaquait les colonies des conquérants. Mais les compagnons de ce David, une petite bande hétéroclite, défia les ordres des envahisseurs. Ils contournèrent les barrages en travers des routes, ignorèrent les mesures de sécurité, se faufilèrent dans les villages et, chose tout-à-fait inouïe, ils apportèrent de l’eau, puisée dans un village voisin, Bethléem, à David, que nous appelons de nos jours le Roi David.
Et voilà que des siècles après, cet exploit a été renouvelé par une nouvelle version des compagnons du Roi David, le Mouvement International de Solidarité, ou MIS, la terre de Palestine étant devenue la scène d’une confrontation et d’un engagement international parmi les plus dramatiques depuis des décennies, si ce n’est des siècles. De jeunes hommes et jeunes femmes, européens et américains, nés trop tard pour rejoindre les Brigades Internationales venues au secours des Républicains espagnols, en 1936, ont rejoint le Mouvement International de Solidarité et sont venus parmi les vertes collines de Bethléem et d’Hébron. Ils sont venus en des temps on ne peut plus troublés : des dirigeants israéliens ont en effet planifié l’expulsion et l’extermination des Palestiniens afin de créer un pays aussi juif que l’Allemagne était aryenne. Du fait de leur simple présence, les volontaires du MIS ont fait échouer ce plan et ils ont sauvé les paysans locaux de la destruction et de l’expulsion. Ils vivent dangereusement, jouant au chat et à la souris avec les “mechaslim” (les “exterminateurs”) israéliens, esquivant les balles des tireurs d’élite, restant auprès des paysans dans des villages sans défense. Si, pour vous, le Roi David, c’est trop rétro, voyez en eux des Héros de la Dernière Chance, dignes de la réputation de Schwarzenegger.
Bien que certains d’entre ces volontaires aient des parents juifs, ils rejettent les conceptions séparatistes du “réservé aux Juifs”, tel que perpétué par les Peaceniks Sionistes du “camp de la paix”. Ils sont pour l’égalité, pour l’”Internationale des Hommes de Bonne Volonté”, comme dirait Isaac Babel. Ils sont venus du pays de Folke Bernadotte, et aussi du pays d’Abe Lincoln, de T. E. Lawrence. Certains de ces volontaires du MIS ont pris part aux protestations non-violentes de Seattle, de Gothenburg et de Gênes, en affrontant le dragon à deux-têtes : celui de la Mondialisation et du Sionisme. D’autres sont venus en Terre sainte en avril 2002, en pleine offensive israélienne de Pâque, tandis que les nervis volontaires de Sharon démolissaient les maisons, arrachaient les oliviers, déportaient des milliers de Palestiniens vers des camps de concentration, massacraient des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants dans le camp de réfugiés de Jénine et dans la ville de Naplouse. Lorsque le Raz-de-Marée israélien a fait irruption dans Bethléem, plus de deux cent habitants de la ville se sont réfugiés dans la basilique.
En réalité, la tradition du droit d’asile est plus ancienne que le christianisme ; elle est connue de l’humanité depuis l’aube de la civilisation. Les églises ont de tout temps offert des lieux d’asile, et le Bossu de Notre-Dame de Victor Hugo vient immédiatement à l’esprit. En Amérique latine, les gens persécutés, que ce soit des immigrants illégaux ou des dirigeants syndicalistes, ont été sauvés dans des églises, où ils ont été cachés tandis que, pendant la seconde guerre mondiale, des milliers de Juifs trouvèrent refuge dans des églises et des monastères. C’est pourquoi les malheureux captifs de Bethléem pensaient qu’ils seraient en sécurité, à l’abri derrière les murs formidables de la plus ancienne église de toute la chrétienté.
L’église de la Nativité, à Bethléem, a été édifiée en l’an 325. Elle est la seule survivante des trois plus importants édifices chrétiens de la Terre sainte. Son histoire tourmentée a été, toute chose prise en compte, plutôt chanceuse : les envahisseurs perses refusèrent les ordres de la détruire (de leurs commissaires juifs), en l’an 614. En 1009, les Sarrasins désobéirent à des ordres similaires de Hakim, le calife d’Egypte, qui était complètement fou...Tandis qu’en ces deux occurrences, l’église-soeur, le Saint Sépulcre de Jérusalem, était incendié et démoli. En 1099, Tancrède, futur prince de Galilée, eut connaissance, à Latrun, à une quarantaine de kilomètres de là, en territoire hostile, de rapports faisant état de plans de l’ennemi visant à détruire l’Eglise de la Nativité : il chevaucha, de nuit, à la tête de ses chevaliers, et ils réussirent à la sauver.
Les Rois croisés de Jérusalem choisirent d’être couronnés dans l’Eglise de la Nativité, et des rois d’Angleterre et de France envoyèrent à son clergé des présents somptueux. En 1145, des mosaïques d’une beauté extraordinaire ornaient ses murs : elles représentaient l’Arbre de Jessé, l’Arbre de Vie, et l’incrédule Saint-Thomas touchant du doigt les plaies du Ressuscité. En 1932, les Britanniques découvrirent une magnifique mosaïque du quatrième siècle, sur le sol et, en 2000, Yasser Arafat fit entièrement réaménager la Place de la Mangeoire, devant la basilique. Cette église a été révérée par des millions de croyants à travers les siècles ; c’est pourquoi ces pauvres gens pensaient qu’ils seraient en sécurité, à l’abri de son enceinte.
Mais les Juifs n’ont strictement rien à faire de l’inviolabilité des églises. Bien sûr, entre eux, les avis divergent. Les sionistes adeptes du Rabbin Kook, principale obédience religieuse en Israël, professent que toutes les églises doivent être détruites au plus vite, avant même les mosquées : c’est dire ! Pour eux, l’éradication du christianisme est une tâche encore plus urgente que l’élimination des Palestiniens. Leurs opposants traditionnels pensent qu’il n’y a pas le feu au lac, et que cela devrait être fait par le Messie Vengeur des Juifs, lorsqu’il daignera arriver. Les Juifs laïques s’en foutent royalement. C’est la raison pour laquelle l’armée juive n’a éprouvé aucune espèce de difficulté (morale) à encercler l’église et à entreprendre le plus cruel des sièges de sa pourtant longue et “riche” histoire...
Quarante moines et prêtres sont restés à leur poste, dans l’église, avec deux cent réfugiés. Durant un mois, les Israéliens n’ont pas accepté que l’on amenât de l’eau ou des vivres aux assiégés. Comme lors des sièges médiévaux, des gens sont morts de faim, en tentant de survivre grâce à de l’eau de pluie dans laquelle on faisait bouillir quelques feuilles de citronnier et quelque herbe folle. A l’intérieur de l’église vénérable, la puanteur des cadavres et des blessures infectées rendait l’atmosphère irrespirable.
Des caméras dernier-cri assistaient les tireurs d’élite israéliens, suspendus dans les airs, installés sur des nacelles treuillées par des grues et tirant sur tout ce qui bougeait. Ils ont tué des moines et des prêtres, et aussi des réfugiés. Avant même le siège, ils ont tué un enfant de choeur, Johny, et au moment où je vous écris, en ce 4 mai, ils ont assassiné un autre homme d’église, accomplissant son sacerdoce. Ils ont fait cela impunément, puisqu’aussi bien ils savent qu’ils ont les médias occidentaux à leurs bottes. L’écrivain de contes merveilleux danois, Hans Christian Andersen, a évoqué dans l’un de ses contes le miroir magique de la Reine des Neiges, lequel déforme la réalité, transformant les belles choses en choses horribles, et vice-versa. Dans le miroir magique de la CNN, cette église ancestrale est devenue “un endroit où certains Chrétiens pensent que Jésus serait né”. Les réfugiés y ont été présentés comme des “terroristes”. Les moines et les prêtres devinrent leurs “otages” : voilà le travail du miroir magique de la Reine des Neiges... Les cris des assiégés ne risquaient pas de franchir les portes capitonnées des médias occidentaux dont les Israéliens tirent toutes les ficelles.
C’est en ces heures on ne peut plus sombres que le Mouvement International de Solidarité est arrivé. Alors que la Terre Sainte s’était préparée pour le Vendredi Saint (la majorité des chrétiens palestiniens appartiennent à l’église grecque-orthodoxe de Jérusalem), deux dizaines de volontaires se séparèrent en deux groupes : l’un mit en scène une diversion dans la meilleure tradition des Canons de Navarone d’Alistair McLean. Tandis que les soldats israéliens étaient stupéfaits par leur courage frisant la folie et perdaient leur temps à essayer de les capturer, le deuxième groupe se précipitait et réussissait à franchir le portail de l’église. Ils apportèrent un peu de nourriture et d’eau pour les réfugiés affamés et assiégés, de quoi tenir jusqu’au dimanche de Pâques. Sans doute les livres d’histoire appelleront-ils leur percée “Sauvetage de Pâques”.
Lorsqu’on aura (enfin) fait piquer le sionisme (comme un chien incurable, ndt), les noms de ces hommes et femmes courageux seront gravés sur les murs de l’église. Dans la sacristie, près de l’épée de Godefroy de Bouillon, le Défenseur du Saint-Sépulcre (le dirigeant de la Première Croisade avait en effet refusé la couronne, mais avec accepté ce titre), on mettra les casquettes de base-ball et les tennis des Défenseurs de la Nativité, de ceux qui sont entrés dans l’église, pour y partager la faim et le danger imposés par le siège israélien : Alistair Hillman (Royaume Uni), Allan Lindgaard (Danemark), Erik Algers (suède), Jacqueline Soohen (Canada), Kristen Schurr (Etats-Unis), Larry Hales (Etats-Unis), Mary Kelly (Irlande), Nauman Zaidi (Etats Unis), Stefan Coster (Suède) et Robert O’Neill (Etats-Unis), ainsi que de ceux qui, sacrifiant leur liberté, ont créé la diversion et ont été emprisonnés : Jeff Kingham (Etats Unis), Jo Harrison (Royaume Uni), Johannes Wahlstrom (Suède), James Hanna (Etats-Unis), Kate Thoms (Royaume Uni), Marcia Tubbs (Royaume Uni), John Caruso, Nathan Musselman, Nathan Mauger, Trevor Baumgartner, Thomas Kootsoukos (Etats-Unis), Ida Fasten (Suède) et Huwaida Arraf (Etats-Unis).
Le groupe ayant fait diversion a été arrêté pour le crime affreux d’avoir apporté de la nourriture aux réfugiés affamés, dans l’église, à Pâques. Pour commencer, les hommes ont été séparés des femmes et mis en prison dans la colonie juive illégale d’Etzion. Les femmes furent envoyées à Jérusalem, et convoquées au tribunal, où on les a condamnées à être expulsées. Sur le chemin de leur transfert vers la prison, les Anglaises ont réussi à sauter de la camionnette et à échapper à leurs gardiens ! L’une d’entre elles a été capturée par un civil israélien, qui n’hésita pas une seconde à la menacer d’un couteau. Deux autres sont toujours en cavale, ainsi qu’une jeune suédoise, Ida. Elles ont montré ce qu’est la vraie désobéissance civile, comment une action humanitaire non-violente peut faire la différence, même dans le circonstance déshumanisé de l’occupation israélienne. Aujourd’hui, les hommes sont toujours emprisonnés dans Hébron occupée, ils sont aux mains des colons “hébronites” fanatiques.
Bien qu’ils n’aient commis aucune contravention sur le territoire d’Israël, ils ont été condamnés à l’expulsion du territoire israélien, avec interdiction d’y pénétrer durant une période de dix ans. Espérons que l’apartheid de l’”Etat d’Israël” ne durera pas aussi longtemps... Leur condamnation a prouvé que, pour les Israéliens, les “territoires palestiniens” ne sont qu’une fiction légale, que l’on peut respecter ou ignorer à sa guise. Alors, qu’est-ce qui nous empêche d’en user de même, et d’exiger l’égalité pour tous, Juifs comme Gentils, dans l’ensemble de la Palestine ?
En tant que journaliste, je regrette que ce drame intense du siège, de la percée, de la diversion, du soulagement, du sauvetage, des arrestations, de la fuite et de la confrontation de Pâques, à l’ombre de la vénérable église - on ne saurait portant faire mieux en terme de suspense et de péripéties - n’ait pas atteint l’audience maximale en Europe et en Amérique, que tout cela n’ait pas été diffusé par toutes les stations de télévision et repris par tous les journaux.
Mais ce regret ne diminue en rien ma joie : celle que l’un des jeunes qui ont brisé le siège était mon propre fils...
[Message d’Israël Shamir du lundi 6 mai 2002, à 11h56 - A tous mes correspondants qui ont eu la gentillesse de demander des nouvelles de mon fils. Après l’action à l’église de la Nativité, mon fils, Yohi, a été expulsé d’Israël ce jour (lundi) et il est désormais libre, en Suède. Israël Shamir - shamir@home.se - http://www.israelshamir.net]
                                     
Revue de presse

                                           
1. Le prince Abdullah contacte les directions du Hamas et du Jihad afin de les convaincre d’abandonner les attentats-suicides
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 7 mai 2002
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Les jours prochains verront se déployer une initiative saoudo-égypto-jordanienne, coordonnée par les Etats-Unis, visant à faire pression sur le président palestinien Yasser Arafat, avec deux objectifs, dont le premier est de susciter des réformes radicales dans l’Autorité nationale palestinienne qu’il dirige, en particulier dans ses instances sécuritaires, et le second d’empêcher les attentats-suicides coûte que coûte.
Des sources palestiniennes bien informées indiquent que le prince Abdullah Bin AbdelAziz, prince régnant saoudien, est actuellement en contact avec les mouvements Hamas et Djihad islamique en vue d’inviter leurs dirigeants à Riyadh pour les convaincre d’abandonner définitivement les opérations-suicides et de les inciter à apporter leur soutien à l’Autorité palestinienne.
Les mêmes sources laissent entendre que la délégation égyptienne qui a rendu visite à Yasser Arafat, à Ramallah, avant-hier, laquelle comptait parmi ses membres Usama al-Baz, conseiller politique du président Moubarak, Omar Suleïman, chef des services secrets égyptiens, ainsi que M. Ahmad Maher, ministre des Affaires étrangères, a remis au président palestinien un message du président Moubarak lui demandant d’opérer des réformes politiques immédiates en conformité avec les exigences américaines, d’unifier les instances de sécurité palestiniennes, et de reprendre en main immédiatement la rue palestinienne et les formations oppositionnelles, en interdisant formellement toute opération-suicide.
Ces sources nous ont confirmé que le gouvernement égyptien a proposé d’accueillir une rencontre tripartite au Caire, entre des représentants des mouvements Fatah, Hamas et Djihad islamique, afin de convenir d’une modalité de coexistence et de coopération aboutissant à la formation d’un gouvernement (palestinien) d’union nationale réunissant toutes les factions et s’engageant à interdire tout attentat-suicide.
D’après ces sources, M. Maher a insisté également sur l’absolue nécessité de réformer l’Autorité palestinienne et ses institutions politiques et sécuritaires, et de mettre un terme à la corruption au moyen d’une comptabilité nationale adéquate (et c’est un Egyptien qui le dit !... ndt).
Elles ajoutent que le président palestinien n’a pas acquiescé à ces propositions, il a au contraire refusé toute rencontre tripartite, car celle-ci aurait signifié qu’on mettait le mouvement Fatah sur le même niveau que les autres factions. Par ailleurs, Arafat considère qu’une rencontre entre les trois formations relève des affaires intérieures palestiniennes et qu’elle doit par conséquent être laissée à l’examen de l’Autorité elle-même, afin qu’elle y donne les suites qu’elle entend donner, comme cela a toujours été le cas jusqu’ici.
Les Etats-Unis avaient laissé filtrer des informations sur l’engagement du prince Abdullah vis-à-vis du président Bush à oeuvrer, avec les autres gouvernements arabes, en vue d’obtenir une cessation des attentats-suicides.
Ces manoeuvres en coulisse se produisent au moment où le premier ministre israélien Ariel Sharon a des conversations au sommet, à Washington, au cours desquelles il espère convaincre les Etats-Unis d’écarter le président palestinien du “processus de paix” au Moyen-Orient. Sharon a rencontré le ministre américain des Affaires étrangères, Colin Powell, ainsi que le ministre de la Défense, Donald Rumsfeld, hier. Aujourd’hui, il doit rencontrer le président Bush à la Maison Blanche. Ce sera la cinquième rencontre entre les deux dirigeants.
Bush a déclaré hier qu’il ressentait, à l’instar d’Israël, une “grande déception” vis-à-vis d’Arafat. Il a notamment déclaré : “Il (Arafat) m’a déçu. Il doit prendre en main les rênes du pouvoir et montrer au monde qu’il croit en la paix.”
A la question de savoir si les critiques d’Israël envers Arafat représentaient un obstacle à la paix, Bush a répondu : “ils (les Israéliens) disent qu’ils ont perdu tout espoir dans sa capacité à gouverner”, ajoutant : “la déception est grande”.
Condoleezza Rice, conseillère du président en matière de sécurité nationale, avait déclaré peu auparavant que l’administration américaine allait entamer des conversations avec “les alliés arabes, européens et autres” en vue d’exercer des pressions sur Arafat. Et en effet les Européens ont commencé à mettre en application les volontés américaines, en prenant “sérieusement” en considération les allégations de Sharon sur un lien entre Arafat et les opérations-suicides.
Un porte-parole de la Commission européenne, à Bruxelles, a déclaré hier que l’Union européenne examine “avec le plus grand sérieux” les accusations portées contre Arafat dans le rapport israélien (du même nom...), notamment le fait qu’il ait détourné des fonds européens aux fins de financer des attentats anti-israéliens.
Ce porte-parole européen a déclaré, au nom du commissaire européen chargé des relations extérieures, Chris Patten, que “les affirmations du gouvernement israélien sont graves. Nous les examinerons avec le plus grand sérieux. La Commission européenne étudiera tous les indices disponibles lorsque nous recevrons ces documents de la part du gouvernement israélien.”
Sa’ib Uraïqat, principal négociateur palestinien, a qualifié le rapport israélien de “contrefait et bourré de gros mensonges”. Il a déclaré : “Nous sommes prêts à montrer au président Bush les corps de Palestiniens déchiquetés par les balles israéliennes, et en particulier ceux de Fatiméh Muhammad Zakarinéh (30 ans) de Jénine, ainsi que le corps de l’enfant Samir Abu Thuraya, de Tulkarem... Ces corps déchiquetés par les balles israéliennes symbolisent le terrorisme d’Etat et les crimes de guerre israéliens. Il s’agit là d’une preuve tangible, d’un témoignage réel de ce qui se passe sur le terrain, et non de documents fallacieux.”
Uraïqat a poursuivi : “le peuple palestinien est victime de crimes de guerre, de massacres, de terrorisme d’Etat de la part d’Israël, jour après jour, heure après heure.”
Les forces armées israéliennes ont poursuivi leurs opérations de pénétration et d’arrestations, dans plusieurs villages de Cisjordanie. Elles ont tué hier matin, à l’aube, quatre Palestiniens à Gaza.
Les négociations sur la fin du siège de l’Eglise de la Nativité (à Bethléem) sont dans l’impasse. Ce siège en est à son trente-sixième jour. Les négociations étaient sur le point d’aboutir, les Palestiniens acceptant l’expatriation des hommes recherchés par Israël vers Gaza et l’Italie.
Tandis que l’Italie refusait de recevoir six des assiégés qu’Israël veut expulser, en accord avec l’Autorité palestinienne, Israël a porté ce nombre à treize... Des négociations sont actuellement en cours quant à l’expulsion de ces (treize) personnes vers la Jordanie, dans l’attente qu’elles soient admises par un pays tiers, trente assiégés devant être expulsés vers la bande de Gaza. L’armée n’a pas pu, apparemment, patienter jusqu’à la conclusion des négociations, puisqu’elle a fait exploser hier la maison de l’un des assiégés, Jihad alJa’ara, à Bethléem.
                                       
2. Pour en finir avec la légende de l’influence américaine et de l’impuissance arabe. Le gouvernement américain est encore plus impuissant que les dirigeants arabes par Abdel Wahhab alAfandi
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 7 mai 2002
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

(Abdel Wahhab alAfandi est un écrivain-chercheur soudanais résidant à Londres.)
Sans doute nos nobles gouvernants, ces shaykhs de nos tribus arabisantes, trouveront-ils beaucoup de consolation à l’observation de cet homme qui, prétendant être le dirigeant de l’Etat le plus puissant qui soit au monde, n’en est pas moins incapable d’obtenir qu’un pays survivant grâce à sa seule aumône lui obéisse. Et non seulement ça : loin d’adresser à cet Etat l’avertissement qui convient et de le menacer de lui couper les subsides, il en est réduit à bégayer ses déclarations ouvertement hypocrites et mensongères, dans lesquelles il chante les louanges du dit Etat, et à prétendre que ses dirigeants sont coopératifs et comprennent on ne peut mieux ses propres impératifs. Il y a aussi, sans doute, quelque consolation, pour les membres des Parlements arabes, de Bagdad à Nouakchott, contraints en permanence de chanter les louanges du chef unique, de sa descendance et de sa domesticité, au spectacle des membres du Congrès américain, réduits à devoir faire la course avec eux afin de présenter leurs protestations d’allégeance, d’obéissance aveugle, d’hypocrisie et de duplicité à leur souverain, Israël, en reprenant, pour ce faire, les mêmes expressions surgies de la fertile imagination et de l’éloquence fleurie des Bani Ya’rab (les Arabes, ndt) rendant hommage à leurs dirigeants inspirés et infaillibles ? Ne dit-on pas “au spectacle du malheur d’autrui, son propre fardeau est allégé ?”
S’il y a dans l’impuissance patente de l’Amérique quelque consolation pour des dirigeants arabes que leurs peuples accusent d’impuissance à se porter au secours de leurs frères en Palestine, en demandant qu’ils soient remplacés sans délai par des gens plus à même de faire face à leurs responsabilités, cette impuissance américaine tire, simultanément, le tapis de dessous les pieds de ces mêmes dirigeants et de leurs initiatives de paix. En effet, les dirigeants du “camp de la paix” arabe ont élaboré leur pari, depuis l’époque de feu le président Anwar ElSadate, sur l’idée que 99 % de la solution était entre les mains de l’Amérique. Dans cette optique, il suffirait de convaincre les dirigeants américains de la nécessité de soutenir cette solution, et de donner à ces dirigeants toutes les marques d’allégeance, d’obéissance, en s’engageant à soutenir leurs intérêts, pour que la puissance américaine fasse son devoir en convainquant Israël de faire les minuscules concessions indispensables à la réalisation de la paix des braves. Il a été établi, au cours des semaines écoulées, que les Etats-Unis et leur gouvernement sont encore plus impuissants que les dirigeants arabes et que les dirigeants de l’Amérique s’aplatissent devant Israël encore plus que les dirigeants arabes ne s’aplatissent devant l’Amérique.
Devant cette réalité, l’idée selon laquelle s’aplatir devant l’Amérique remplirait la fonction qu’on attend de cette attitude, à savoir parvenir à un marchandage à même de permettre aux dirigeants arabes de garder la face (ou tout au moins ce qu’il en reste), en éloignant le spectre du désastre pour tout le monde. Peut-être alors la solution est-elle de trouver l’intermédiaire idoine et de s’orienter sans plus attendre vers l’aplatissement aux pieds d’Israël : c’est ce qu’a fait, en effet, la direction palestinienne à Oslo, ainsi que la Jordanie, bien qu’à un moindre degré. Mais comme la crise actuelle le montre, cette solution n’a pas, elle non plus, abouti, semble-t-il, aux résultats attendus. Durant les huit années consécutives aux accords d’Oslo, signés en septembre 1993, la direction palestinienne a tout fait, absolument tout, afin de donner satisfaction aux Bani Ya’kub (les Juifs, ndt). Elle a dépensé tout l’argent dont elle disposait pour construire des prisons et des camps de détention, pour enrôler des dizaines de milliers d’hommes dans des services de police et de sécurité innombrables et, cela, afin de punir tous ceux qui auraient eu la fantaisie de mettre en colère les maîtres ou de troubler la quiétude de leur occupation. Mais ces services n’ont pas permis ne serait-ce que de mettre en application les accords partiels signées par les Israéliens, ni d’amener à une solution définitive satisfaisant, et de très loin, au minimum requis par les aspirations légitimes du peuple palestinien.
Sans doute la preuve la plus éloquente de l’échec de cette politique est-elle apportée par le destin du colonel Jubraïl al-Rajub, commandant de ce que l’on appelle “la sécurité préventive” en Cisjordanie. Cet homme surpassait tous ses homologues en termes de sens des responsabilités et d’énergie à sévir contre les Palestiniens opposants à Israël, à les humilier et à les mépriser. Il a poursuivi cette abnégation même après avoir réchappé à une tentative d’assassinat ciblé israélien. Il était même allé jusqu’à garder ses propres prisonniers palestiniens jusqu’à ce que son QG subisse une attaque impitoyable des forces israéliennes, qui ne devait l’épargner ni lui, ni ceux qui étaient dans sa poigne d’acier, mais tout cela ne lui a été d’aucun secours, ne lui valant même pas un minimum de reconnaissance de la part d’Israël, pas même son acceptation comme partenaire dans le fameux “processus de paix”.
Ce paradoxe ne saurait être attribué à l’insuffisance des dirigeants arabes, bien qu’il s’agisse là d’une réalité incontestable. Il est lié à l’équilibre des forces sur le plan international, auquel s’ajoute la nature des régimes en question. En effet, les régimes arabes souffrent d’une double crise, qui s’incarne dans la faiblesse de la légitimité dont ils peuvent se réclamer et du soutien populaire dont ils bénéficient, d’une part, et d’autre part, de leur succès à intimer à toutes les voix discordantes l’ordre de se taire. En contre-partie, les systèmes politiques, en Israël et aux Etats-Unis, ne souffrent d’aucune faiblesse en matière de légitimité et n’ont nulle crainte du pluralisme des opinions, mais au contraire s’en renforcent dans la confrontation avec les régimes arabes monolithiques. C’est pourquoi nous constatons que le gouvernement Sharon comporte en son sein des partis qui pourraient considérer le Hamas, en comparaison avec eux-mêmes, comme extrêmement modéré et pacifiste. Mais le gouvernement israélien n’accepte pas que l’on publie un quelconque article critique, dans une quelconque publication palestinienne et il considère que Yasser Arafat est responsable de tout attaque anti-israélienne, que cette attaque soit armée ou simplement verbale.
Cette situation est rendue encore plus complexe, si besoin était, par la composition de la société internationale actuelle, laquelle rejette les notions de piété filiale et de générosité charitable, ne se préoccupant que de violence, dans ses diverses manifestations. Ainsi, par exemple au Kossovo, les Albanais ont souffert pendant des décennies de l’oppression et de l’humiliation, sans que quiconque ne se préoccupât de leur sort. Mais à peine les Kossovars eurent-ils pris les armes et menacé la stabilité de l’Europe, l’ONU et l’OTAN, et avec eux le monde entier, sont accouru pour régler le problème. Dans notre monde arabe, qu’il suffise de faire la comparaison avec l’occupation israélienne des territoires arabes, en Syrie et au Liban. Dans le premier cas, la Syrie s’est engagée dans le choix de la paix. Elle a attendu sans intervenir que vienne le jour où enfin Israël mettrait en applications les résolutions du Conseil de sécurité, en lui restituant le plateau du Golan. Quant au Liban, la résistance ne s’y est en aucun cas reposé sur Kofi Annan, mais elle a pris ses responsabilités et elle a eu recours aux armes. Résultat : le Golan est toujours aussi occupé, tandis que le sud-Liban s’est, lui, débarrassé des forces israéliennes d’occupation.
Ainsi, on le voit, les Arabes sont impuissants à pratiquer l’un quelconque des deux langages de notre époque : le langage de la force et le langage de la démocratie et des droits légitimes. Quant à la voix de la soumission, la seule qu’ils connaissent encore, elle n’est pas de grand secours dans un monde où la reconnaissance et la bonté ne jouissent d’aucune considération, comme nous l’avons indiqué. Ainsi, d’une manière générale, quiconque s’abaisse à la mendicité est incapable de dicter à son bienfaiteur ce que ce dernier daignera en fin de compte jeter dans sa sébile. Dans la loi de la jungle qui règne sur l’arène internationale de nos jours, la mendicité ne sert à rien, à moins qu’il ne s’agisse de mise à l’épreuve. Ainsi, le président américain ne peut que se rendre au Congrès pour lui demander d’arracher les territoires à Israël et de les offrir en cadeau aux Arabes en signe de reconnaissance et de générosité. Plus, il doit convaincre le Congrès que les intérêts de l’Amérique l’imposent, et que ces intérêts seront en danger tant que ses exigences n’auront pas été satisfaites. Quand on connaît l’hégémonie sioniste sur la scène politique et dans les médias, aux Etats-Unis, le président et les membres du Congrès ne sauraient que déplaire à Israël, faute de quoi leurs intérêts propres seraient remis en cause avant même ceux de l’Amérique.
En ce qui concerne cette fois Israël, il y règne un régime démocratique, jusqu’à un certain point. L’éventualité que les Arabes et l’Amérique lui demandent l’aumône est rendue invraisemblable, elle aussi, par les équilibres de pouvoir à l’intérieur même d’Israël. Il s’agit d’équilibres qui n’ont cessé de tendre, malheureusement pour les Arabes, vers la satisfaction des intérêts des éléments les plus extrémistes, ce qui est, là encore, une conséquence de la faiblesse des Arabes. En effet, les éléments israéliens favorables à une paix significative avec les Arabes sont très affaiblis, non pas à cause des opérations du Hamas ou du “terrorisme”, contrairement à ce que d’aucuns avancent, mais exactement à cause du contraire. Nous n’avons jamais entendu, par exemple, parler des partisans de Kahana jusqu’à ce qu’ils s’opposent au retrait de l’armée israélienne du sud-Liban, après les coups très douloureux qui lui furent portés par les “terroristes” du Hizbollah.
L’impuissance américaine est le reflet de l’arrogance israélienne, laquelle est, à son tour, le reflet de l’impuissance arabe. Dans le marché mondial contemporain, le client n’obtient que ce dont il est prêt à payer le prix ou ce dont il serait capable de payer le prix. Ainsi, les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres deviennent de plus en plus pauvres, et cela vaut, également, pour celui qui réclame son droit usurpé. Ainsi, l’Egypte n’a-t-elle récupéré le Sinaï qu’après avoir apporté la preuve qu’elle était capable de menacer l’emprise d’Israël sur elle, ainsi que sur le Golan. Ainsi le Liban n’a-t-il récupéré son territoire, au sud, qu’après avoir fait s’élever le prix de la main-mise israélienne sur celui-ci jusqu’à un niveau qu’Israël ne pouvait plus supporter de payer. Il en va de même dans la crise actuelle, où les Etats-Unis n’ont pas bougé le petit doigt afin de défendre les Palestiniens jusqu’à ce que l’Intifada ait créé un véritable tremblement de terre, non pas seulement sous les pieds d’Israël, mais aussi sous les pieds des alliés arabes de l’Amérique. C’est à cause de l’Intifada que les appels au secours et la mendicité des alliés de l’Amérique se sont transformés en défi involontaire. Car la terreur qui s’est emparée des régimes (arabes) s’est transformé en terreur ressentie à Washington, ainsi qu’à Tel-Aviv.
En résumé, la solution pacifique, dans la logique des choses actuelle, ne pourra prendre place qu’après une guerre, ou après une menace de guerre, du point de vue d’Israël. Car les conditions de la paix sont réunies, la paix existe, d’autant plus que les Arabes ne cessent de répéter, du matin jusqu’au soir, qu’ils ne toucheront pas à un seul tank israélien, qu’ils s’engagent à faire de leurs Etats, y compris l’Autorité palestinienne, des lignes de défense avancées contre quiconque envisagerait de porter atteinte à la sécurité d’Israël. Ce qu’ayant fait, ils escomptent que l’Amérique fasse pression sur Israël afin que celui-ci leur fasse des concessions. Plus : certains demandent à Israël d’autoriser l’envoi de forces internationales qui mettent les Palestiniens à l’abri de sa terreur. Au nom de quelle logique, sous quel prétexte Israël pourrait-il accepter cela ? Si Israël voulait mettre un terme à sa terreur, ne le ferait-il pas sur le champ, et de lui-même ?
La seule logique qui puisse amener Israël à accepter une présence étrangère, ce serait si cette présence étrangère était destinée à le protéger contre un danger qui le menacerait. Si les Arabes veulent obtenir cette présence étrangère, il devront nécessairement créer la menace nécessaire. Ils ne le feront pas, dans le statu quo actuel, caractérisé par la fragilité de leurs régimes et la faiblesse tant de leurs potentialités que de leur volonté.
                                           
3. Sharon propose de court-circuiter Arafat dans de futures négociations par Todd S. Purdum & Steven Erlanger
in The New York Times (quotidien américain) du mardi 7 mai 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Le premier ministre israélien Ariel Sharon a entamé ses conversations avec les dirigeants de l’administration Bush, ici, ce jour, soulignant sa vision de la phase qui s’ouvre en matière de paix au Moyen-Orient, recherche de la paix qui, pour lui, devrait ignorer Yasser Arafat et ne proposer que des étapes intérimaires en vue d’un Etat palestinien, ont indiqué des officiels israéliens et américains.
“Tout le monde sait que nous n’allons pas nous mettre à tracer des lignes frontalières pour un statut définitif, ni diviser Jérusalem”, a déclaré un officiel israélien aujourd’hui. “Ce n’est vraiment pas à l’ordre du jour”.
Les responsables israéliens ont renforcé leurs plaidoiries contre M. Arafat et ont continué à faire circuler des documents dont ils affirment qu’ils prouvent que l’Arabie saoudite finançait les familles de terroristes-kamikazes.
Pendant ce temps, le roi Abdullah II de Jordanie et le ministre saoudien des Affaires étrangères, tous deux à Washington, poursuivaient leurs propres objectifs, incluant la recherche de soutiens pour M. Arafat, durant une journée de diplomatie derrière les portes closes, avec le secrétaire d’Etat, Colin L. Powell.
Dans un discours prononcé ici, ce soir, par M. Sharon devant la Ligue anti-diffamation (la Licra américaine, ndt), il a exprimé son soulagement de voir que l’ONU a été contraint d’abandonner une mission d’enquête proposée, sur les agissements d’Israël dans le camp de réfugiés palestiniens de Jenine, qualifiant les accusations palestiniennes de massacre de “diffamation palestinienne sanglante”. Il a remercié le président Bush et le secrétaire d’Etat Powell pour leur aide dans l’enterrement de cette mission, disant notamment : “Ils ont su se montrer très fermes afin de ne pas permettre que des soldats israéliens soient interrogés.”
M. Bush, qui doit rencontrer M. Sharon mardi, a renouvelé ses critiques acerbes contre M. Arafat, mais il n’a pas fait écho aux exigences de M. Sharon que le dirigeant palestinien soit remplacé. Au contraire, il a exhorté Arafat et les autres dirigeants au Moyen-Orient à “assumer leurs responsabilités” et à “gouverner”.
“Il m’a déçu”, a confié M. Bush à des journalistes durant une visite dans un collège du Michigan, à Southfield, parlant de M. Arafat. “Il doit diriger. Il doit montrer au monde qu’il croit en la paix.”
Mais, a-t-il ajouté, “afin de parvenir à la paix, toutes les parties - les pays arabes, Israël, le président Arafat et l’Autorité palestinienne - doivent assumer leurs responsabilités et décider.”
Dans son discours, ce soir, M. Sharon n’a donné aucune précision sur ses idées, mais il a déclaré qu’Israël avait dû faire face à “une campagne brutale de terreur suscitée et encouragée par l’Autorité palestinienne et son chef.”
Ne citant pas le nom de M. Arafat, Sharon a poursuivi : “une Autorité palestinienne responsable et capable de promouvoir la cause de la paix ne saurait dépendre de la volonté d’un seul homme.”
La “diffamation sanglante” mentionnée dans son discours est une expression que M. Sharon affectionne. Avant de l’employer au sujet des accusations (portées contre Israël) au sujet de Jenine, il avait accusé l’hebdomadaire Time magazine de “diffamation sanglante” dans un procès qu’il avait intenté à cette publication, il y a une vingtaine d’années.
En Israël, des pourparlers se sont poursuivis pour examiner la façon de dénouer la crise du siège militaire imposé à l’Eglise de la Nativité, à Bethléem, dans laquelle plus de 120 personnes sont assiégées. Israël exige que lui soient remis des activistes palestiniens figurant sur une liste de personnes recherchées. En échange, Israël affirme qu’il se retirera de Bethléem, dernière zone importante sous souveraineté palestinienne encore occupée militairement.
Les grandes lignes d’un accord ont été tracées dimanche dernier, mais des officiels ont indiqué que M. Arafat avait objecté à l’exigence d’Israël d’exiler 13 hommes de la région, probablement vers l’Italie, en s’en tenant à l’envoi en relégation de seulement six hommes. Des responsables israéliens ont indiqué penser que M. Arafat était réticent à donner à M. Sharon une quelconque victoire avant sa rencontre avec M. Bush, qui a exercé des pressions intenses afin qu’une issue soit trouvée à l’impasse.
Sur ces entrefaites, des diplomates arabes ont indiqué qu’ils espéraient que le président égyptien Hosni Mubarak, le président syrien Bashar al-Assad et le prince régnant Abdullah d’Arabie saoudite rencontreraient M. Arafat dans la cité balnéaire égyptienne de Sharm elSheykh, ce week-end, afin de l’encourager à contrôler la violence et à aplanir le chemin en vue d’une reprise des négociations de paix.
Mais la série désordonnées de réunions qui se succèdent ici à Washington ont contribué à souligner les gouffres séparant les positions respectives des Arabes, d’Israël et des Etats-Unis. Des responsables israéliens appartenant au parti de M. Sharon ont publié un document de 85 pages dont ils disent qu’il contient les preuves de paiements saoudiens de pensions aux familles de kamikazes (palestiniens) ainsi qu’au groupe terroriste Hamas. L’ambassadeur d’Arabie saoudite à Washington, le prince Bandar bin Sultan, a publié un communiqué rejetant ces allégations qualifiées de “totalement fallacieuses et sans fondement.”
Depuis quelques jours, les responsables israéliens font circuler ces documents ainsi que des documents saisis allant dans ce sens, alléguant la complicité de M. Arafat dans des attentats terroristes.
Mais aujourd’hui, la moutarde est montée au nez de responsables saoudiens. Le prince Bandar a fait état de sa frustration devant le manque d’enthousiasme de M. Sharon à soutenir l’initiative de paix proposée récemment par son pays, appelant à une reconnaissance générale d’Israël par l’ensemble des pays arabes en échange du retrait israélien de l’ensemble des territoires occupés.
“La question posée, a dit le prince, est celle de savoir s’il arrive parfois à M. Sharon de répondre à une question par “oui”“...
Ni les Israéliens ni l’administration Bush ne sont disposés à donner des détails sur les conversations prévues entre M. Sharon et le président américain, mais ils ont laissé filtrer suffisamment de “fuites” pour que l’on puisse prévoir quelques tensions dans l’air.
Des hauts responsables européens et arabes ont répété que tout nouvel effort de paix exigera un calendrier précis et minuté en vue de la création garantie d’un Etat palestinien. Des officiels israéliens ont fait savoir que pour le moment M. Sharon était disposé à ne discuter que de mesures intérimaires dans ce sens, tandis qu’Israël renforce ses mesures de sécurité et se réserve le droit d’opérer des raids stratégiques dans des zones palestiniennes, dans le court terme, dût la violence se poursuivre.
“Je pense que nous sommes aujourd’hui dans une phase d’observation, afin d’examiner quelles mesures sont susceptibles d’être adoptées, des premiers pas sur le chemin d’une solution définitive, mais certainement pas un accord définitif tout de suite”, a indiqué un officiel israélien. Personne ne veut clore les négociations sur le règlement définitif”. Mais, a-t-il ajouté, Israël n’est pas près, aujourd’hui, pour ces négociations.
“La flexibilité que Sharon s’apprête à offrir ne saurait déboucher sur le vide”, a poursuivi l’Israélien. “Elle présuppose une coopération en matière de sécurité. Si les attentats reprennent, nous reviendrons (dans les territoires) immédiatement.”
Le secrétaire d’Etat Powell a rencontré M. Sharon dans sa suite, durant environ 45 minutes, mais les deux hommes n’ont pas rencontré les journalistes. En sortant, M. Powell s’est contenté de déclarer : “nous avons eu une réunion intéressante et cordiale”.
Des responsables israéliens et américains ont indiqué que M. Sharon n’avait pas apporté son “dossier Arafat” à son rendez-vous avec M. Powell, et que ce document n’avait été produit, en passant, qu’au cours d’une rencontre ultérieure, avec le secrétaire à la Défense, Donald H. Rumsfeld.
Powell, après avoir rencontré le roi Abdullah II de Jordanie au Département d’Etat, a indiqué que lui-même et M. Sharon avaient discuté des moyens d’améliorer la sécurité, de reconstruire les institutions palestiniennes et de préparer le terrain en vue d’une solution politique au conflit, mais il a précisé que l’administration (américaine) elle-même n’avait pas encore arrêté de manière définitive le modus operandi.
“Différents points de vue se sont exprimés, sur la dimension politique (du conflit)”, a dit Powell. “Et ce que nous allons discuter avec nos amis, au cours des semaines à venir, c’est la nature d’un règlement global, ou d’un règlement qui devrait impliquer des étapes définies sur la voie vers un règlement global. Nous n’avons pas encore arrêté notre position à ce sujet, et c’est la raison pour laquelle nous poursuivons nos consultations avec les pays amis (des Etats-Unis)”.
Après avoir rencontré le secrétaire d’Etat Powell au Département d’Etat, le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Saud al-Fayçal, a déclaré qu’il ne pouvait pas encore donner d’avis sur une conférence de paix au Moyen-Orient au niveau des ministres des Affaires étrangères, conférence proposée par les Etats-Unis, car trop de détails demeuraient encore dans le flou.
A la question qu’on lui avait posée, en arabe, de savoir s’il avait l’intention de rencontrer quelqu’un appartenant à la délégation de M. Sharon, profitant de leur présence tous les deux à Washington, le prince Saud répondit, d’abord en arabe, puis en d’autres langues : “C’est la’, non, no, nyet et nein !”
                                   
4. Les Etats-Unis “encouragent” Israël à intégrer Arafat à des négociations par Todd S. Purdum & Judith Miller
in The New York Times (quotidien américain) du dimanche 5 mai 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

La Maison Blanche déploie des efforts de dernière minute afin de persuader le gouvernement israélien de la nécessité de traiter avec Yasser Arafat, en dépit du fait que les Israéliens continuent à mener une campagne intensive afin de le discréditer.
Les deux campagnes contraires se déploient tandis que l’on prépare, ici, à Washington, une rencontre entre le président Bush et le premier ministre Ariel Sharon, mardi.
Le défi immédiat que devra relever M. Bush, indique l’un de ses principaux assistants en matière de politique étrangère, sera de “convaincre les Israéliens qu’il est dans leur intérêt, à long terme, de traiter avec Arafat, aussi fautif soit-il.”
Mais, au cours des derniers jours, des officiels israéliens ont déployé une campagne intensive afin d’écarter M. Arafat et l’Autorité palestinienne en tant que négociateurs plausibles, en se basant sur des documents saisis par Israël au cours de ses opérations en Cisjordanie, et sur les interrogatoires de quelque 1 800 Palestiniens arrêtés durant l’offensive, parmi lesquels des associés éminents de M. Arafat.
Les responsables des services de renseignement israéliens ont “briefé” leurs homologues de Washington, les informant de ce qu’ils affirment être des preuves établissant clairement que l’Autorité palestinienne dirige un réseau terroriste, lequel planifie, finance et exécute ses propres attentats-suicides contre des civils (israéliens) et coopère avec des formations islamistes.
Israël a commencé à rendre public un échantillonnage des éléments qu’il prétend avoir recueillis au cours de sa plus vaste offensive terrestre en plus de vingt ans : des armes artisanales, des camouflages, des cartes d’identité israéliennes volées, des posters célébrant des terroristes-kamikazes, ainsi qu’une partie des quelque 500 000 documents saisis. (Y z’exagèrent pas un peu, là ? Ndt)
Le gouvernement israélien a déclaré ce jour qu’il publierait un dossier d’une centaine de pages, dimanche, détaillant “les liens financiers de M. Arafat avec les organisations terroristes palestiniennes, ainsi que son implication personnelle dans les activités de celles-ci”
Parmi ces documents, certains semble établir l’accord de M. Arafat pour le paiement du perpétrateur d’un attentat contre un repas de bat mitzvah, qui avait causé la mort de six personnes et cinquante blessés, ainsi que sa signature d’un arrêté portant création d’une usine palestinienne d’armement lourd.
(Les Israéliens ont trouvé) aussi un document portant le logo du Comité saoudien d’assistance à l’Intifada d’Al-Quds, document qui, aux dires des Israéliens, comporte la répartition d’allocations d’un montant total de 500 000 dollars aux familles de cent deux “martyrs”, dont au moins huit étaient impliqués dans des attentats-suicides.
Les Palestiniens mettent en doute l’authenticité de ces documents, et il est évident que leur publication par Israël vise à mettre l’accent sur une contradiction chez M. Bush entre la façon dont il traite les groupes terroristes (dans le cadre de sa croisade mondiale, ndt) et celle dont son administration préconise de continuer à traiter avec M. Arafat.
Dimanche, des responsables de la Maison Blanche ont indiqué que même si ces documents sont convainquants, ils n’en obèrent pas pour autant l’absolue nécessité qu’il y a de travailler avec M. Arafat dans le cadre d’un plan de paix dans le genre de celui que M. Bush s’efforce de mettre en place avec l’aide de pays arabes amis des Etats-Unis.
M. Sharon, attendu à Washington dimanche soir, avancera vraisemblablement l’argument selon lequel les efforts de M. Bush en vue de la promotion d’une paix sont condamnés à l’échec aussi longtemps qu’ils dépendront du dirigeant palestinien.
“Les Israéliens ont été extrêmement choqués par la quantité d’informations qu’ils ont trouvée” sur les liens de l’Autorité palestinienne avec le terrorisme, au cours de leurs derniers coups de filet et descentes dans les zones palestiniennes, a indiqué un haut fonctionnaire de l’administration américaine. “Même s’ils ne pensent pas que la collusion avec certains de ces groupes terroristes allait très loin”, a-t-il précisé.
Il n’en reste pas moins, a poursuivi ce haut responsable américain, parlant du gouvernement de M. Sharon, “qu’ils doivent comprendre que ce n’est qu’en ayant une Autorité palestinienne responsable [ce qu’elle est, de notre point de vue] que nous pourrons résoudre ces questions, et que Yasser Arafat est le dirigeant de cette Autorité palestinienne.”
La rencontre en tête à tête entre M. Sharon et le président américain, prévue mardi après-midi dans le Bureau Ovale (de la Maison Blanche) promet d’être une confrontation inhabituelle et risquée entre les deux leaders conservateurs, dont le franc-parler de l’un comme de l’autre est connu.
Des officiels de l’administration américaine ont mené des conversations intenses avec leurs partenaires israéliens dans le but de faire de cette rencontre en tête à tête, d’une heure, un succès. Avant de rencontrer M. Bush, M. Sharon doit rencontrer plusieurs responsables de l’administration américaine, dont le secrétaire à la Défense Donald H. Rumsfeld, le vice-président Dick Cheney et la conseillère en matière de sécurité nationale, Condoleezza Rice.
MM. Bush et Sharon semblent avoir rompu la glace, il y a quatre ans de cela, lorsque M. Sharon avait invité M. Bush, alors gouverneur de l’Etat du Texas, dans son hélicoptère personnel, pour une découverte de la Cisjordanie et de la bande de Gaza depuis les airs (!). Mais, au cours du mois écoulé, cette relation s’est envenimée, M. Bush ayant été absolument furieux du refus de M. Sharon d’obtempérer à son appel à un retrait “sans délai” de la Cisjordanie.
Cette semaine, la crise s’est quelque peu apaisée, avec le retrait d’Israël de Ramallah et son accord à la “libération” de M. Arafat - concession qui a rendu possible l’invitation de M. Sharon à Washington. Un responsable américain a dit que M. Sharon “sait désormais que le soutien du président (Bush) ne saurait être automatique.”
En Israël, des officiels ont indiqué que M. Sharon va s’attacher à réaliser trois objectifs, durant sa visite aux Etats-Unis. L’un de ces objectifs est le remplacement de M. Arafat par un nouveau dirigeant palestinien, le second étant le déploiement d’idées concrètes en vue de la conférence sur le Moyen-Orient que le secrétaire d’Etat Colin L. Powell a proposée à l’échéance de cet été, et, enfin, la coordination politique entre les Etats-Unis et Israël.
Au sujet de la conférence estivale, “nous ne voulons pas y aller et y avoir la surprise d’une initiative à laquelle nous n’aurions aucune part”, a indiqué un officiel israélien. Cette conférence pourrait réunir des ministres des Affaires étrangères de pays arabes, d’Europe, de Russie, ainsi que d’Israël et des Etats-Unis, afin de discuter différentes possibilités.
Mais Israël exigera que la Syrie ne soit pas admise à cette conférence, puisqu’aussi bien ce pays est accusé d’héberger des terroristes, a indiqué un officiel israélien. Certains pays arabes ont commencé eux aussi, dès aujourd’hui, à édicter les conditions de leur participation. Le ministre égyptien des Affaires étrangères a ainsi indiqué qu’Israël doit se retirer de tous les territoires sous souveraineté palestinienne avant que des discussions, dans le cadre d’une conférence de paix, soient envisageables, a rapporté l’agence Reuters.
A Washington, une question demeure pendante : celle de savoir jusqu’où M. Bush peut - ou veut - pousser M. Sharon afin de le convaincre d’envisager favorablement un plan visant à remettre à l’ordre du jour des négociations avec les Palestiniens.
Le père de l’actuel président américain avait recherché des négociations, il y a dix ans, et le président Clinton avait marché dans ses brisées jusqu’à ce que ces négociations échouent, à la fin de son mandat.
M. Sharon a jusqu’ici freiné des quatre fers, et l’on s’attend à ce qu’il cherche à s’attirer, ici, à Washington, les bonnes grâces de la droite du parti républicain, lequel accuse M. Bush de ne pas soutenir suffisamment la ligne dure adoptée par Israël.
M. Sharon demandera vraisemblablement son soutien pour un bannissement de M. Arafat.
La position de la Maison Blanche consiste à dire que M. Bush s’efforce de suivre ce qui lui semble être la meilleure stratégie, sans égard pour les pressions qui pourraient émaner du sein de son propre parti. Mais ses conseillers politiques ont une claire conscience que les alliés de M. Bush sont beaucoup plus critiques sur sa position (personnelle) que ne le sont ses adversaires démocrates (eux-mêmes).
L’approche diplomatique annoncée il y a tout juste un mois par M. Bush est menacée par le refus opposé par M. Sharon à toute idée de traiter avec M. Arafat. L’approche Bush envisage une sorte de division du travail, dans laquelle les pays arabes, emmenés par l’Arabie saoudite, l’Egypte et la Jordanie, se verront confier la mission d’exercer une pression sur M. Arafat, tandis que le président américain se fait fort, de son côté, de presser M. Sharon d’adopter des mesures concrètes allant dans le sens de la création d’un Etat palestinien.
Deux jours après le départ de M. Sharon, le roi Abdullah II de Jordanie arrivera à Washington pour des conversations avec M. Bush sur les étapes suivantes, consistant à contraindre M. Arafat à retenir les extrémistes et à maintenir le couvercle sur la marmite des kamikazes.
M. Bush insiste sur le fait qu’il est persuadé que son approche peut fonctionner, mais seulement si tant les Israéliens que les Palestiniens suivent sa baguette de chef d’orchestre. “Je suis optimiste. Nous avons fait de grands et bons progrès”, a-t-il déclaré mercredi dernier, après une rencontre avec des dirigeants européens, consacrée au Moyen-Orient, à la Maison Blanche.
“Après tout, il n’y a pas plus d’une semaine, Yasser Arafat était coincé dans son bâtiment de Ramallah, un bâtiment plein de pacifistes manifestement allemands (!) (Bush a l’air de craindre que José Bové soit un clone d’Adolf Hitler, ndt), ainsi que de toutes sortes de gens (louches, ndt). Maintenant, (tout ce petit monde) est dehors. (Arafat) est de nouveau libre et à même de montrer qu’il est un chef, capable d’agir dans le monde.”
En privé (!), Bush a dit à Sharon qu’il n’avait absolument aucune confiance en Arafat et qu’il aimerait bien trouver un autre Palestinien avec qui négocier, a indiqué un officiel américain (!!). Le secrétaire d’Etat Powell a eu des rencontres multiples avec certains adjoints d’Arafat, mais personne, dans l’administration américaine, n’a trouvé le moyen de mettre à l’écart M. Arafat lui-même, qui demeure le dirigeant élu (des Palestiniens).
Ainsi, d’après des sources officielles de l’administration américaine, M. Bush envisage de dire à M. Sharon que la stratégie consistant à faire en sorte que des pays arabes fassent pression sur le dirigeant palestinien fonctionne, afin que M. Sharon ne puisse rien dire ni faire qui soit susceptible de contrarier cette stratégie.
“Nous pensons pouvoir dire que nous avons constaté certaines avancées, notamment à Crawford”, a déclaré un haut responsable américain très impliqué dans les négociations, au cours d’une interview, vendredi dernier. Il faisait allusion à la rencontre entre M. Bush et le Prince régnant Abdullah d’Arabie saoudite, tenue dans le ranch texan du président, à Crawford, il y a une dizaine de jours.
“Les Saoudiens ont été très actifs afin d’amener Arafat à accepter le marchandage de Ramallah”, a dit cet officiel, faisant allusion à l’accord des Palestiniens consistant à confier à la bonne garde de surveillants américains et britanniques six Palestiniens accusés par l’Autorité palestinienne du meurtrer du ministre israélien du tourisme, en octobre dernier (Re’avam Ze’evi, ndt). “Et je pense que les Egyptiens ont téléphoné à Arafat, eux aussi. Donc, on voit bien que cela peut marcher”, si en effet les Saoudiens et les Egyptiens peuvent jouer de leur influence afin de peser sur l’attitude de M. Arafat...
                                       
5. Jénine, enquête sur un crime de guerre - La Palestine à feu et à sang par Amnon Kapeliouk
in Le Monde Diplomatique du mois de mai 2002
(Amnon Kapeliouk est journaliste, et vit à Jérusalem. Il est l'auteur de "Sabra et Chatila, enquête sur un massacre" aux éditions du Seuil - Paris 1982.)
Le paysage défie toute description. Une incarnation de l’horreur, une vision d’après ouragan. Des maisons détruites, totalement ou partiellement, des débris de béton et de fer, des fils électriques entremêlés. Des voitures pulvérisées par les chars ou les missiles ajoutent une dimension barbare à cet effrayant spectacle. Une odeur âpre de cadavres flotte sur les décombres. Rien ne demeure des infrastructures.
Au milieu du camp, un terrain vague rectangulaire. C’était le quartier Haouachine, qui comptait quelque 150 maisons (sur un total de 1 100). Des bulldozers géants ont complètement démoli ce quartier, avant d’en aplanir la surface. Des femmes, des vieux, des enfants, des hommes errent dans les décombres, à la recherche de leurs proches ensevelis.
Un homme de trente ans creuse la terre avec une pelle, tandis que son fils dégage les débris avec ses mains. Ils espèrent trouver les membres de leur famille qui y ont été enterrés vivants. Quelques dizaines de mètres plus loin, trois hommes arrachent le cadavre de leur père, défiguré, des restes de ce qui fut leur maison dans l’un des quartiers les plus pauvres de la Cisjordanie. Dans le coin d’un bâtiment, à moitié détruit, une femme d’une quarantaine d’années pleure et crie : “Dieu ! Venge-nous et fais mourir Sharon!” Des membres de sa famille, insiste-t-elle, gisent sous les décombres. Quelques enfants regardent autour d’eux, ébahis ; l’horreur a effacé tout sourire de leurs visages. “Sharon, par sa folle et criminelle opération, a fait de tous ces enfants de futurs suicidaires à la bombe. C’est lui, ce monstre, qui nous poussera tous à riposter par tous les moyens, pour chasser son armée et ses colons de notre terre”, dit une jeune femme dont toute la famille a été sauvée en prenant la fuite dans le village voisin de Roummanéh, au premier jour de l’assaut contre le camp. “Les destructions terribles dans le camp ont été faites selon un plan minutieux. Sharon voulait nous terroriser”, explique Mouhammad Abou ElHija, dentiste de 32 ans, dont la famille fut expulsée en 1948 de la région de Haïfa, comme beaucoup d’autres habitants. De 80 % à 90 % des maisons sont inhabitables. Sur le côté est et dans le centre de la localité, le ravage est total. Le délégué général de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés (UNRWA), M. Peter Hansen, a exprimé son horreur et déclaré le camp zone sinistrée.
“Boucliers humains”
Jénine a été envahi le 3 avril, cinquième jour de l’assaut contre les villes palestiniennes de Cisjordanie. Un tir nourri, des obus de chars et des missiles d’hélicoptères ont signalé le commencement de l’attaque contre le camp. Un couvre-feu a été décrété et les habitants terrifiés ont trouvé refuge dans leurs maisons. Comme les chars ne pouvaient pénétrer dans les ruelles, des bulldozers géants détruisaient les maisons des deux côtés. Une deuxième vague de destruction a commencé quatre jours plus tard, visant l’ensemble du centre, où s’élevaient des habitations de un à trois étages. C’est là que des combattants palestiniens munis de kalachnikovs et d’explosifs s’étaient regroupés pour faire face à l’une des armées les plus modernes du monde. La bataille fut très dure et inégale. Les Palestiniens subirent des pertes très lourdes, les blessés - des combattants, mais aussi, en majorité, des civils - agonisèrent, l’armée interdisant aux ambulances du Croissant-Rouge de circuler.
Le 9 avril, les Palestiniens tendirent une embuscade, dans laquelle treize soldats furent tués. L’armée donna alors des consignes en vue d’éviter à tout prix de nouvelles pertes. On tira donc à vue sur tout ce qui bougeait. Les soldats n’avaient-ils pas été informés que le camp était un repère de terroristes du Hamas et du Djihad ? Voilà qui justifiait une punition collective... Le dynamitage des maisons s’est alors intensifié. Dans ce camp comme dans toutes les villes palestiniennes, toute institution ou bureau de l’Autorité palestinienne a été systématiquement détruit : il s’agissait d’en anéantir tous les symboles et tous les moyens.
Chaque appartement fut systématiquement fouillé : une fois la famille enfermée dans une seule pièce, les soldats renversaient les meubles, ouvraient les armoires, jetant tout à terre et semant un désordre indescriptible. Vols d’argent, de bijoux et même de cigarettes se sont multipliés. Pour faire ouvrir les portes, ils se servaient d’un “bouclier humain”, à savoir un habitant du camp les précédant - une pratique qui relève du crime de guerre. S’il n’y avait pas de réponse, ils faisaient sauter la porte à l’aide d’explosifs. Un “incident” parmi tant d’autres : un “bouclier” affirme au soldat qu’il a entendu du bruit à l’intérieur de la maison, mais celui-ci fait quand même exploser la porte, blessant grièvement une femme. “Je regrette”, dit le soldat, avant de passer à la porte suivante...
Les ruines de Jénine, à ciel ouvert, témoignent d’une rage de destruction. Mais qu’en est-il du nombre de victimes ? Le camp comptait 14 500 âmes. Quelque mille personnes ont fui pour gagner les villages avoisinants la veille de l’assaut. Le deuxième jour de l’entrée des blindés, des haut-parleurs de l’armée ont appelé les Palestiniens à quitter le camp. Décrété au début de l’opération, le couvre-feu a été levé pour faciliter leur départ. Ce même jour et les suivants, plusieurs milliers de personnes sont parties à pied vers sept petits villages de la région : 4 000 autres sont restées terrées dans leur maison dans des conditions désastreuses : sans eau, ni nourriture, ni électricité, sans pouvoir aller à l’hôpital et dans une atmosphère infernale de tirs, de bombardements et d’explosions, jour et nuit.
Les hélicoptères ont “arrosé” le camp sans pitié. Ici, seuls les Cobra, les redoutables “monstres” qui opéraient durant la guerre du Vietnam, étaient en service. Un pilote de l’escadrille, le lieutenant-colonel Sh., raconte : “Notre escadrille a lancé pendant tous les jours des combats une quantité énorme de missiles à l’intérieur du camp des réfugiés. Des centaines de missiles. Toute l’escadrille fut mobilisée pour ces opérations, y compris des réservistes. (...) Pendant les combats, il y avait toujours au-dessus de Jénine deux Cobra prêts à lancer un missile vers la maison indiquée par le QG en bas (...). Les “combattants volants” ne jureront pas que leurs missiles n’ont pas touché des civils.”
Question. Est-ce que cela ne ressemble pas à un jeu vidéo truqué ? Vous êtes là-haut avec un missile Taw, et eux sont armés avec des kalachnikovs.
- Oui, ce n’est pas un combat à armes égales, et c’est bien que ce soit ainsi. (...) Je n’ai jamais tiré un missile sur des femmes et des enfants. Est-ce que je n’ai pas raccourci en fin de compte la vie d’êtres humains ? La réponse est positive. Je n’y peux rien [1].”
L’intervention des Cobra a fait l’objet de centaines d’heures de préparation. Le camp a été photographié par satellite, chacune de ses maisons a reçu un numéro de quatre chiffres, les deux pilotes avaient un carte, et, lorsqu’ils captaient un ordre indiquant un numéro, le missile était aussitôt lancé sur la maison désignée. Combien de personnes ont été touchées avec ces missiles ? Combien de victimes y a-t-il eu parmi les combattants ? Et combien parmi les civils innocents ? Nul ne saurait le dire.
“Ce n’est pas difficile d’imaginer ce qui se passe à l’intérieur des maisons après tout ce qu’on a tiré dessus, dit un réserviste qui requiert l’anonymat. (...) A la suite de la mort du commandant de notre compagnie dans les premières minutes de combat, l’ordre que nous avons reçu était très clair : il fallait tirer sur chaque fenêtre, arroser chaque bâtiment sans tenir compte du fait qu’on tire ou non de là-bas. On nous a dit d’une façon claire : “Cassez-les !” A partir de ce moment-là, nous avons craché des munitions de toutes les armes que l’armée possède, sauf l’artillerie. Nous avons tiré des dizaines de missiles à l’intérieur des maisons et utilisé des mitraillettes lourdes contre chaque fenêtre. Nous avons même achevé un cheval qui passait dans la rue.
“Chaque nuit, il fallait, selon les ordres, “réveiller le camp”. Le but était de tirer contre [les combattants] pour les inciter à riposter, et alors tirer exactement sur les endroits d’où provenait le feu. Pourtant, en réalité, nous avons tiré des quantités énormes de munitions dans toutes les directions. (...) Pendant le couvre-feu, il y avait des “patrouilles violentes”. Un char “galopait” dans les rues désertes, écrasait tout ce qu’il trouvait sur son chemin et ouvrait le feu sur ceux qui violaient le couvre-feu.
- Avez-vous vu des victimes ?
- Moi, personnellement, non. Ils étaient dans leurs maisons. Les derniers jours, la plupart de ceux qui sont sortis des bâtiments étaient des vieillards, des femmes, des enfants qui avaient subi notre feu. Nous ne leur avons laissé aucune chance de sortir du camp ; il s’agit d’un grand nombre de personnes. Une nuit, j’ai monté la garde (dans un appartement dans lequel nous nous étions installés). Toute la nuit j’ai entendu une petite fille qui pleurait. Là-bas, il s’est produit une déshumanisation. Certes, nous avons subi un feu nourri, mais, en revanche, nous avons effacé une ville [2].”
Le 11 avril, les derniers combattants palestiniens ont cessé la résistance.
Le grand nombre de victimes palestiniennes a choqué, en Israël, tous ceux que révulse la politique de force du gouvernement, mais aussi tous ceux qui redoutent que l’image de l’Etat juif en sorte ternie. Les pacifistes ont manifesté dans les grandes villes du pays, tentant même de faire parvenir une aide humanitaire à la population sinistrée. Même le ministre des affaires étrangères, M. Shimon Pérès, s’est alarmé, selon le quotidien Haaretz, des “réactions internatioanles hostiles dès que les dimensions de la bataille au camp de réfugiés de Jénine, dans laquelle plus de cent Palestiniens ont été tués, seront connues. Lors de conversations à huis clos, Pérès a qualifié l’opération de “massacre” [3]”.
Le premier ministre s’étant emporté contre ces “propos irresponsables”, M. Pérès a affirmé qu’il avait été mal cité. Mais les faits sont têtus, et le nombre des victimes palestiniennes n’a cessé d’augmenter. Le spécialiste des questions de défense au quotidien Haaretz, Zeev Schiff, connu pour ses liens avec l’establishment militaire, a raconté que, “après la fin des combats, au cours des premières fouilles, 80 cadavres ont été trouvés. On estime que le nombre des victimes dans les combats s’élève à quelque 200 Palestiniens, y compris des civils, dont une partie est enterrée sous les décombres des maisons effondrées [4]”. Le chiffre de 200 morts s’impose. Le porte-parole de l’armée, le colonel Ron Kitri, l’utilise également [5].
Pour les habitants du camp, ce nombre est sous-estimé. Pourtant, le ministre de la défense, le travailliste Benjamin Ben Eliezer, déclare que le “vrai chiffre” est de quelques dizaines. Un éditorialiste israélien s’interroge : “Est-il possible que dans des combats aussi durs que ceux de Jénine, qui ont coûté la vie à 23 soldats israéliens et en ont blessé 60, auxquels ont participé des hélicoptères d’assaut, des chars et des bulldozers lourds, avec des destructions tellement importantes, le nombre des morts (palestiniens) soit si réduit. Il y a quelque chose qui cloche dans ce calcul [6].”
Le secret du bilan exacte, de toute façon très élevé, est enfoui sous les maisons détruites, ainsi que dans les tombes palestiniennes et les fosses creusées par l’armée. Au cours des combats, quinze victimes ont été enterrées par des habitants, dont huit devant l’hôpital. Dans le côté est du camp, il existe un terrain vague où les soldats israéliens ont, selon plusieurs témoins, creusé la terre avec un bulldozer, “et sans doute enterré des cadavres”. Près du cimetière, quelques victimes ont été inhumées, dont le nombre n’est pas connu. Il y avait aussi encore des dizaines de cadavres dans les services de santé - 48 ont été ensevelis.
Enfin, le plus grand secret entoure le transfert des cadavres ramassés dans le camp et emportés tout d’abord au bois de Saadeh, dans le nord de la localité. De là, emballés par les services du rabbinat militaire dans des sacs de plastique noirs, ils ont été transportés par des camions réfrigérés vers le cimetière créé par l’armée, près du pont Damiah, dans la vallée du Jourdain, pour les activistes palestiniens (“cimetière des terroristes” pour les Israéliens, “cimetière des numéros” pour les Palestiniens, à cause des numéros qui figurent, seuls, sur les tombes). Des associations israéliennes des droits humains se sont adressées à la Cour suprême pour faire cesser ces enterrements, mais le gros du “travail” avait déjà été fait. Combien de cadavres y ont été transférés ? Mystère...
C’est dire que la commission créée par le secrétaire général de l’ONU, mais dont M. Sharon a commencé à contester la composition et les objectifs, a devant elle une lourde tâche. De surcroît, elle devra aussi étudier l’interdiction faite, pendant onze jours, à la Croix-Rouge, au Croissant-Rouge, ainsi qu’à diverses organisations humanitaires, d’intervenir, en violation avec les conventions sur le droit de la guerre. Les Palestiniens ont sollicité d’urgence l’envoi de matériel lourd pour dégager les maisons détruites afin de chercher des survivants. Israël, qui dispose des moyens en ce domaine, s’y est refusé. La longue fermeture hermétique du lieu du désastre à la presse locale et internationale, inhabituelle dans ce pays, a provoqué beaucoup de doutes sur les comptes rendus de l’armée et du gouvernement. Qu’y avait-il à cacher ? La presse israélienne n’a pas été à la hauteur des événements, sauf quelques journalistes qui n’ont pas respecté le mot d’ordre “Silence, on tire !”
Désormais, le camp de réfugiés palestiniens de Jénine appartiendra à la longue liste de crimes qui jalonnent le conflit israélo-palestinien, du massacre de Qibya (1953) à celui de Sabra et Chatila (1982). Avec, pour dénominateur commun, le général Ariel Sharon.
[1] : Yediot Aharonot, Tel-Aviv, 19 avril 2002.
[2] : Ibidem.
[3] : Haaretz, 9 avril 2002.
[4] : Haaretz, 12 avril 2002.
[5] : Ibidem, 15 avril 2002.
[6] : Yediot Aharonot, 19 avril 2002.
                                       
6. Les associations de défense des droits de l’homme (israéliennes, juives comme arabes) en butte à une campagne de grande envergure visant à les exclure du consensus national par Roti Sinaï
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du jeudi 25 avril 2002 cité par Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 26 avril 2002
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

A l’occasion de la Journée de l’Holocauste, célébrée (en Israël) il y a trois semaines, des militants arabes des droits de l’homme ont demandé qu’une minute de silence soit respectée en hommage aux victimes palestiniennes de l’Intifada. Cette demande a été formulée au cours d’un débat réunissant des militants des droits de l’homme, arabes et juifs, qui s’est déroulé en marge d’un congrès pédagogique axé sur la démocratie, tenu à Nazareth. Cette demande a été justifiée par le fait que les martyrs (victimes de l’Intifada) sont des victimes de la “situation” comme le sont celles des attentats-suicides. Les militants arabes ont demandés également que leurs homologues juifs publient un communiqué indiquant que leurs associations respectives refusent de considérer Israël comme un Etat juif et qu’Israël doit être l’Etat de tous ses citoyens.
Personnellement, j’ai sursauté et je me suis dis que je voulais qu’Israël soit un Etat au caractère national juif, mais dans lequel les citoyens arabes jouissent de droits égaux à ceux des citoyens juifs. Mais on m’a très vite attaqué. On m’a dit que dans tout Juif se cachait un nationaliste extrémiste, puis on a ajouté d’autres arguments du même tonneau. Nous avons refusé également leur proposition d’observer une minute de silence à la mémoire des martyrs. Je leur ai dit que, pour moi, “les martyrs n’ont plus à être protégés par de quelconques droits de l’homme”. C’est aussi l’avis de l’avocat Yuval Albshein, qui a créé la section des droits de l’homme à l’université académique de droit de Ramat Gan, qu’il préside depuis deux ans.
Cet incident met en lumière une faille qui va s’élargissant dans les milieux des droits de l’homme dans le contexte de l’Intifada, d’une manière générale, et en particulier depuis les opérations menées par l’armée israélienne en Cisjordanie. Depuis le début de l’Intifada, les militants des droits de l’homme sont en proie à une perplexité croissante. Dans certaines associations, il y a eu des débats enflammés, au cours des derniers mois, portant sur la démarche à adopter dans le contexte du conflit sentimental et moral où elles se perdent en raison des attentats kamikazes.
Celles de ces associations qui se considèrent comme fondamentalement sociales, et qui participaient autrefois à des débats sur les droits de l’homme palestinien, préfèrent aujourd’hui se replier sur leur anxiété au sujet des couches les plus pauvres de la population israélienne. Elles n’élèvent d’ailleurs quasiment plus la voix sur les autres sujets.
Le sommet de la crise a été atteint avec une attaque sans précédent, au cours des deux semaines écoulées, contre les activités de l’association des “Droits du citoyen”, que l’on considérait jusqu’ici comme une institution jouissant du respect et de l’estime la plus large dans le public, bien qu’elle ne se situe pas au centre du consensus national (israélien).
Il est vrai que des tentatives nombreuses ont été déployées, déjà par le passé, visant à déligitimer cette association, la mesure la plus évidente dans ce sens ayant été une déclaration de Rabin selon qui cette association (était, en réalité) “l’association des Droits du Hamas”. Mais les présidents de l’association, parmi lesquels le conseiller juridique Dan Yaker, qui achèvera prochainement sa vingtième année passée à son service, n’ont pas souvenir d’attaques contre eux approchant de près ou de loin la campagne de dénigrement actuelle. Cette cabale les angoisse, en particulier parce qu’une partie non négligeable d’entre ses auteurs appartiennent à l’appareil judiciaire, au sein duquel l’association, pourtant, s’est formée et a grandi au cours des années écoulées.
L’association mentionne en particulier les critiques du conseiller juridique du gouvernement, Eliakim Rubinstein, au cours d’une conférence prononcée voici quinze jours à l’université Bar Ilan, dans laquelle il a fustigé les obstacles mis par l’association devant l’armée israélienne au prétexte de défendre les droits de l’homme.
Depuis que l’armée a pénétré dans les régions autonomes A, il y a quatre semaines, l’association a saisi à quatre reprises la Cour suprême de justice israélienne, en collaboration avec d’autres associations, telle Adalah, qui assure le suivi du respect des droits en matière judiciaire de la minorité arabe d’Israël. Les chances de voir ces interventions aboutir étaient minimes. L’association a participé, en réalité, à une guerre de propagande contre l’Etat, à travers cette action. Elever des protestations n’était pas une action intelligente, elle n’a fait que porter atteinte à la crédibilité de la Cour suprême, laquelle représente un point d’appui capital pour la promotion des droits de l’homme. Albashein dit que le fait que les associations de défense des droits de l’homme se considèrent de gauche pour ainsi dire par définition obère la possibilité pour elles de développer leur action. De là découle sa décision de s’adresser à des milieux nouveaux, et notamment dans les colonies colonies, afin d’y faire parvenir le message des droits de l’homme.
Du point de vue historique, des personnalités éminentes de la droite ont défendu les droits de l’homme, en Israël, à l’instar de Ze’if Jabotinsky, Menahem Begin et Dan Meridor. Le premier président de l’association, Hans Klinghofer, était député de droite à la Knesseth. Le second, le juge Shim’un Egrant, n’était pas du tout une personnalité politique. Les derniers événements ont mis un terme aux efforts entrepris depuis un an par Albeshein, visant à mobiliser la droite pour les activités de protection des droits de l’homme.
Karmi n’est pas d’accord avec cela. Elle dit qu’il faut séparer la théorie sociale fondée sur les principes de l’équité et les principes des droits de l’homme. “On nous présente sous les traits de gens qui luttent contre l’Etat, mais nos activités découlent, précisément, du souci profond que nous avons de l’image donnée par l’Etat. Notre personnalité morale, en tant qu’Etat, se mesure à l’aune de ce que nous faisons aux autres, et non à celle de ce que les autres nous font”, ajoute Karmi. Ce à quoi on lui répond que les droits de l’homme s’arrêtent là où est posée la question de savoir qui a l’intention de nous porter du tort, tout en sachant que la clé réside dans l’universalité des droits de l’homme, selon elle, sans égard à l’appartenance de cet homme à un groupe déterminé.
Les critiques qui se sont abattues sur l’association portent sur le fait, notamment, qu’elle serait sortie de la politique rationnelle et étudiée qu’elle avait décidée, en pleine controverse sur les droits de l’homme, en adoptant des positions extrémistes en matière de défense des Palestiniens. Karmi refuse cette allégation en disant que les critères d’action de l’association n’ont pas varié d’un iota.
Le Dr. Rohama Marton, présidente de l’association (israélienne) des Médecins pour les Droits de l’homme dit que s’il est avéré que l’Etat a bel et bien glissé vers la droite, l’association n’a, en revanche, pas cessé d’agir au centre. Mme Marton considère que la tendance à adopter un discours prétendument “équilibré” consistant à dire que toute critique du comportement de l’armée doit être accompagné d’une critique des opérations palestiniennes et que la défense des droits des Palestiniens implique nécessairement la défense des droits des Israéliens aboutit à effacer la réalité. Elle avance qu’il s’agit là “d’un faux problème”, ajoutant : “ainsi, personnellement, je ne défends pas les attentats-suicides, très loin de là, mais il ne saurait y avoir de tentative d’assimilation ou d’établissement d’une équivalence entre l’occupant et celui qui ploie sous le joug de l’occupation”.
Dans le contexte de la campagne menée contre elles, les associations arabes et juives de défense des droits de l’homme (en Israël) ont de plus en plus tendance à resserrer leurs liens. Les autres milieux ne sont pas enclins à répondre à leurs appels. S’adresser au grand public est toujours aussi difficile pour elles, car les médias sont mobilisés au service de l’Etat. Mais ces associations sont convaincues du fait que la nécessité de défendre les droits de l’homme devient plus évidente précisément en temps de crise, ce qui est tout particulièrement le cas actuellement. Dans quelque temps, les mêmes personnes qui adoptent actuellement des positions défensives jetteront un regard en arrière et se diront qu’elles ne comprennent pas pourquoi elles ont fait ce qu’elles font aujourd’hui. C’est ce qui s’est passé, au début de la guerre du Liban (1982, ndt), quand tous ceux qui manifestaient pour protester contre cette guerre étaient considérés comme des traîtres. Ce n’est qu’après la bataille que les gens ont compris que cette petite minorité avait conscience de l’énormité de la faute qui était commise alors.
                           
7. La mosquée al-Khudra, de Naplouse, l’une des plus anciennes du monde, détruite par les tanks israéliens se “creusant” un passage dans la vieille ville par Ala’ Badarnéh
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 26 avril 2002
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

“Le muezzin continue ses appels... Il faut que nous prions”, dit ‘Uthman al-Kattut, connu sous le sobriquet d’Abu Ghalib (cinquante-huit ans). Il habite la rue Kushaïk, au-dessus de la mosquée al-Khudra (mosquée Verte), dans le quartier Yasaminéh de la vieille ville de Naplouse et il vient de terminer ses prières dans cette mosquée, bien qu’elle soit très endommagée.
La mosquée Khudra, à Naplouse, est considérée comme l’une des plus anciennes du monde. Elle a été édifiée au temps du Sultan Al-Mansur Sa’ad edDin Qalawun, que Dieu l’honore, et elle avait été restaurée entièrement en 1975 avec les fonds de donateurs privés. Elle a subi l’agression des occupants au cours de leur incursion dans la ville historique de Naplouse.
Avec ses portes historiques, ses belles coupoles, cette mosquée jouissait d’un prestige particulier, et “dans sa petite salle de prières se pressaient des fidèles venus de tous les quartiers anciens de Naplouse”, nous indique le hajj Abu Ghalib, revenu y prier et faire deux génuflexions près de la niche indiquant la direction de la Mekke, appelée mihrâb en arabe, c’est-à-dire juste à côté des pierres et des gravats résultant des destructions des bulldozers et des tanks israéliens, qui ont complètement abattu la façade nord et la coupole verte centrale, avec ses vitraux anciens, non datés.
Sur les armoires aux portes finement ciselées, les occupants ont écrit des obscénités en hébreu.
Les beaux tapis persans anciens qui recouvraient entièrement le sol ont été enlevés, après avoir été foulés par les rangers des soldats de “Tsahal” totalement irrespectueux de la sacralité d’une mosquée, et on ne les remettra sans doute pas après ce sacrilège, car personne ne voudrait désormais prier sur des tapis ainsi souillés.
Tous les fidèles que j’ai interrogés et qui étaient là, dans cette mosquée à moitié démolie m’ont dit qu’ils avaient l’habitude d’y venir prier, même de loin, quotidiennement, et qu’ils continuaient à le faire malgré les destructions.
Nimr Abu Dawud (soixante deux ans) était occupé à soulever une pierre sculptée d’inscriptions ornementales donnant la date de fondation de la mosquée, afin de la mettre en lieu sûr. Je lui ai demandé quels ont été ses sentiments lorsqu’il a trouvé la mosquée dans cet  état déplorablel. Il m’a répondu : “Nous l’avons bien construite une première fois ? Nous allons la reconstruire. Je viens ici pour toutes les prières, depuis des années.”
J’ai demandé au hajj Nimr ce qu’il pense des allégations des Israéliens qui prétendent avoir trouvé la mosquée en ruines à leur arrivée dans la ville. Nimr a éclaté de rire, puis il m’a montré les traces laissées par les bulldozers sur les colonnes et sur les murs encore debout. Un groupe de jeunes du quartier sont intervenus pour confirmer son témoignage : “Nous avons vu les bulldozers et les tanks : ils emplissaient la rue qui surplombe la mosquée. Ils sont restés là plusieurs jours de suite. Un bulldozer israélien a tenté d’ouvrir un passage à travers la mosquée pour aboutir au quartier de Yasaminéh et pénétrer dans les autres quartiers de la vieille ville. C’est alors qu’ils ont démoli la partie ouest de la mosquée. Les soldats israéliens y ont pénétré par l’escalier supérieur, après avoir démoli la coupole”. Le hajj Nimr me montre les tombeaux de saints hommes inhumés dans une petite cour adjacente à la mosquée. Les pierres tombales ont été arrachées. Ensuite il me montre une large brèche, dans un mur d’une autre cour : les soldats israéliens l’ont utilisée pour investir les quartiers situés derrière la mosquée et les terrasses des maisons, ainsi qu’une école voisine. Ils y ont tué des dizaines de jeunes combattants qui défendaient le quartier de Yasaminéh. M’étant enquis du sort de l’imam de la mosquée, on me répond que le shaykh Maher al-Kharraz a été atteint par balle et qu’on ne sait pas où il se trouve jusqu’à présent. On avait fait courir la rumeur de sa mort, certains disent qu’il a été arrêté, mais la plupart des gens pensent qu’il n’a été que légèrement blessé.
Le lendemain, après que tous les tapis eurent été retirés, le hajj Abu Ghalib était revenu prier dans la mosquée. Il était le seul fidèle, seul avec les ruines et les rayons du soleil couchant passant par l’énorme trou au milieu de la coupole centrale. Après avoir achevé sa prière, il m’a à nouveau souhaité chaleureusement la bienvenue, m’informant que le muezzin allait faire l’appel à la prière, et qu’une prière collective suivrait immédiatement.
Je l’ai pris en photo (l’article est accompagné d’une photo de M. Abu Ghalib, priant au milieu des ruines, ndt). Il m’a invité à revenir après la reconstruction de la mosquée afin que nous priions ensemble dans une mosquée Khudr toute neuve, bientôt, affirmant qu’il est impossible d’effacer la mémoire des peuples : ni les pelles dentées des bulldozers ni les chenilles des tanks ne peuvent l’effacer. Il m’a assuré que la mosquée verte retrouverait bientôt ses coupoles vertes.
La mosquée verte n’est pas la seule à avoir subi des destructions, à Naplouse. Les bulldozers ont démoli également la porte principale, historique, de la grande mosquée située à l’est de la vieille ville. Cette porte monumentale était l’une des plus anciennes de Naplouse. Elle était ornée de magnifiques motifs sculptés. La mosquée ElBey a fait l’objet d’une incursion, elle a été transformée en hôpital de campagne et des dizaines de blessés y ont été recueillis, dont la plupart sont morts entre ses murs, après avoir perdu tout leur sang. Il y a eu encore plus de morts après que les réserves d’oxygène et les médicaments se sont mis à manquer. Des médecins secouristes qui s’étaient portés volontaires pour sauver les blessés qui s’entassaient à l’intérieur de la mosquée ont été amenés à faire office de boucliers humains afin d’empêcher que l’armée israélienne ne l’investisse ou n’arrête certains blessés, que les ambulances n’ont pu emmener dans les hôpitaux, puisqu’on le leur interdisait, et qui sont morts en grand nombre, au milieu des colonnades de la mosquée ElBey.
Des mosquées sont détruites, d’autres sont vandalisées. L’église grecque catholique, dans la vieille ville de Naplouse, très ancienne, nous dit le père Georges Awwad qui en est responsable, a dû elle aussi payer son tribut dans ces destructions. Les avions F-16 et leurs missiles ont détruit des vestiges antiques remontant à plus de trois millénaires, transformés en gravats eux aussi.
Mais tous affirment, à Naplouse, que la reconstruction est la seule option, ici. Tous veulent réentendre les appels du muezzin et le tintement des cloches.
                                       
8. Une commission des urgences humanitaires par le Shaykh Ra’ed Salah
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 26 avril 2002
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

(Le Shaykh Ra’ed Salah est chef du Mouvement islamiste en “Israël de 48".)
Je dois avouer à mes lecteurs que je commence à avoir honte de moi-même ! De plus, me voilà hésitant : parlerai-je, ou non ? Ecrirai-je, ou non ? Participerai-je à des réunions politiques, ou non ? Oui, je suis encore en proie à ces sentiments. Et même, ils ne font que se confirmer, de jour en jour ! Je me demande, avec reproche et suspicion  “Qui sommes-nous ? Et lorsque je demande qui nous sommes, j’entends par “nous” le monde arabo-musulman ?!
Qui sommes-nous, nous qui savons que des dizaines de blessés sont prisonniers sous les décombres de leurs maisons détruites dans le camp de réfugiés de Jénine ? Voilà des jours qu’ils souffrent et appellent au secours ! Ils réclament de quoi manger : il n’y a rien à manger ! Ils meurent de soif : il n’y a plus d’eau ! Ils ont besoin de médicaments : il n’y en a pas ! Leur âme abandonne leur corps, ils meurent en martyrs, sans trouver, dans une nation d’un milliard de musulmans, parmi lesquels les Arabes, quelqu’un qui leur réponde ! Oui, qui sommes-nous, nous qui savons, tous autant que nous sommes, qu’il y a eu en Palestine des dizaines de blessés assiégés, des malades souffrant d’affections chroniques ou de maladies graves et qui ne cessent de nous appeler à leur secours, à Jénine, à Naplouse, à Ramallah, à Bethléem...
Certains d’entre eux doivent impérativement être dialysés, mais personne ne venant à leur secours, c’est la mort qui vient les chercher ! D’autres, blessés grièvement, perdent leur sang et seule une opération en urgence pourrait les sauver, mais là aussi, le chirurgien remplaçant, c’est la mort ! Et aussi, ces femmes enceintes, dans leurs villes assiégées, qui supplient qu’on les assiste au moment de la délivrance, mais : personne. Soit ce sont elles-mêmes qui meurent, soit c’est leur enfant, soit encore, bien souvent : les deux ! Qui sommes-nous, nous qui savons, tous, nous qui avons appris et ne saurions feindre d’ignorer que des milliers de prisonniers sont arrêtés par l’armée israélienne d’occupation et sont menacés, pour certains, d’être exécutés, comme d’autres avant eux l’ont été. Leurs familles nous appellent à leur secours, nous disant : si, au moins, les Israéliens nous disaient combien il y a de prisonniers, quels sont leurs noms... afin qu’on puisse s’opposer autant que faire se peut à leur exécution. Mais, jusqu’ici, personne n’a été capable de les aider : jusqu’à ce jour le sort de ces prisonniers suscite les plus vives inquiétudes et, semblables à nous-mêmes, nous n’avons répondu à aucun de ces appels au secours !
Nous sommes devenus la Ummah des musulmans impotents, nous sommes devenus le monde arabe version ramollo ! Notre devoir se limiterait-il à organiser manifestations et défilés ? C’est important, certes. Nous incombe-t-il seulement de décréter une journée de grève et de nous mettre d’accord sur la prochaine ? Voilà qui est, certes, très important ! Nous contenterons-nous de crier des slogans aux carrefours, devant différentes ambassades, devant des barrages militaires ? Pouvons-nous nous en tenir aux campagnes de secours humanitaires traditionnelles ? Et je réaffirme qu’elles sont indispensables ! Comment pouvons-nous définir ensemble ce qui relève de toutes les actions que j’ai énumérées et ce qui relève d’une action qui soit véritablement à la hauteur des graves problèmes accumulés à la suite des massacres commis contre notre peuple par l’occupation israélienne ? Au Mouvement islamique, nous avons créé une Commission des urgences humanitaires, qui fédère les sections suivantes :
1 - le Centre d’études contemporaines ; 2 - la Commission des secours humanitaires ; 3 - l’association Al-Mizan (la Balance) pour la défense des droits de l’homme ; 4 - l’association Sanad (Soutien) pour la protection maternelle et infantile ; 5 - l’association al-Balagh (Eloquence) ; 6 - une Commission de l’information.
A la commission des secours humanitaires, nous avons défini un programme d’action aux objectifs précis, que je vais m’efforcer de vous présenter de manière succincte, mais sans les trahir, en mentionnant les mesures qui ont d’ores et déjà été programmées et validées :
1/ Nous avons lancé une campagne de grande envergure auprès de la population de la Galilée, du Triangle, du Néguev et des villes côtières (St Jean d’Acre, Haïfa, Jaffa, Lidd, Ramléh). Cette campagne de solidarité a permis de collecter des denrées alimentaires, des médicaments, des vêtements et de l’argent. Nous poursuivons ces collectes et j’indique - c’est très important - que nous avons réussi à faire passer plusieurs dizaines de camions en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, où ces secours ont pu être distribués.
2/ Nous avons procédé à une campagne d’information sur un grand projet, intitulé “Campagne des 100 000 colis alimentaires”. Ce fut un grand succès. Nous avons déjà collecté plusieurs dizaines de milliers de colis alimentaires, d’un coût unitaire de 25 dollars (~ 25   ~ 175 F). Nous avons déjà distribué plusieurs milliers de ces colis en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
3/ Par ailleurs, nous avons entrepris la réalisation pratique d’un projet que nous avions lancé il y a plusieurs mois : le “Projet de la Fraternité”, lequel a pour objectif de créer des liens fraternels entre familles de l’intérieur (Israël de 48, ndt) et familles de Cisjordanie et familles de Gaza. Un engagement matériel accompagne ces liens de fraternité et d’entraide : chaque famille de l’intérieur, c’est-à-dire de Galilée, du Triangle, du Néguev et des grandes villes côtières, s’engage à verser à une famille des territoires 500 NIS (nouveaux shekels israéliens). Les familles donatrices sont encouragées à faire un effort plus important, si elles le peuvent.
4/ Nous nous préparons à recevoir des orphelins, dont le nombre s’est malheureusement accru de manière dramatique à la suite des dévastations des camps de Jénine et de Balata, de la vieille ville de Naplouse, de Ramallah, de Tulkarem, de Tubas, etc... L’association pour la Protection maternelle et infantile (Sanad) qui relève de la Commission des secours humanitaires a pris les dispositions nécessaires.
5/ Nous avons mis sur pied un programme d’action sanitaire, qui consiste à distribuer 5 000 boîtes à pharmacie dans les familles de nos compatriotes en Cisjordanie et à Gaza, en allant les voir chez eux. Nous avons prévu de remettre 200 mallettes de premiers secours à 200 médecins dans les territoires, et nous allons commencer cette répartition prochainement.
6/ Nous avons commencé à ouvrir des centres médicaux dans les différents quartiers de Gaza, afin que nos concitoyens puissent trouver un dispensaire près de chez eux.
7/ En ces jours extrêmement difficiles, nous nous efforçons de secourir les malades dont la vie est menacée s’ils ne peuvent recevoir en temps utile les traitements appropriés à leur état. Malheureusement, certains sont décédés. C’est pourquoi nous renforçons cette action. Nous avons pu amener un certain nombre de ces malades vers les hôpitaux de Nazareth (en Israël, donc, ndt), dont des diabétiques et des dialysés, notamment.
8/ Nous avons entrepris de manière efficace et permanente le suivi des personnes arrêtées. Cela consiste à chercher à en connaître le nombre, les identités, les lieux de détention. Ceci, afin d’éviter qu’ils ne soient isolés individuellement, phase préparatoire à une possible exécution sommaire, comme cela a pu se produire par le passé. L’association Mizan, membre de la Commission des urgences humanitaires, a entrepris cette action de recensement des prisonniers, qu’elle poursuit en permanence.
9/ Nous recensons également les massacres commis durant l’Intifada al-Aqsa et nous documentons, en particulier, le massacre du camp de Jénine. Nous sommes déterminés à mener à bien cette action de recension des preuves, en ne négligeant aucune dimension de ce drame humain.
10/ Nous réfléchissons à la reconstruction du camp de Jénine, grâce à un camp de travail volontaire qui réunira des dizaines de maçons et des centaines d’ouvriers du bâtiment. Nous reconstruirons collectivement les maisons détruites dans le camp de Jénine ! Beaucoup de volontaires se sont déjà fait connaître auprès de notre association : ils sont prêts à se mettre au travail. C’est pourquoi je pense ne pas exagérer en disant que nous ambitionnons de jouer un rôle important dans la reconstruction non seulement du camp de Jénine, mais aussi des maisons et bâtiments publics détruits dans le camp de Balata et dans le centre historique (Qasabah) de la ville de Naplouse, ainsi qu’à Ramallah et à Bethléem.
11/ Nous ne négligeons pas, non plus, un problème important, dramatique, auquel doit être apportée une solution urgente. Ce problème, je pense pouvoir le cerner au moyen des questions suivantes : qu’en est-il du sort des personnes qui ont tout perdu, que l’on a extraites de leurs maisons (souvent en ruines) à Jénine et ailleurs ? Où loger les habitants du camp de Jénine en attendant qu’il soit reconstruit ? Comment y accueillir de nouveaux réfugiés (car il le faudra sans doute) ?
12/ Nous devons également évaluer et recenser les destructions. Pour ce faire, nous accueillerons à bras ouverts toute institution spécialisée qui accepterait de nous aider à mener à bien cette tâche extrêmement lourde, mais indispensable.
13/ Nous avons contacté des instances arabes locales, dans l’espoir qu’une municipalité arabe nous fera don d’un terrain afin d’y édifier un musée-mémorial des atrocités commises par Israël au cours de l’Intifada al-Aqsa, dont les massacres de Jénine. Nous avons pris l’initiative de demander à nos édiles municipaux de donner à un rond-point, dans chaque localité arabe, le nom de “Rond-point du massacre de Jénine”, ou “Rond-point du massacre de Balata”, ou “Rond-point du massacre de la Qasabah de Naplouse”, etc... Nous demandons aux conseils municipaux de placer au centre du terre-plein de ces ronds-points des vestiges des destructions, amenés des différents camps de réfugiés et quartiers dévastés.
A ce propos, je mentionne que l’idée a été soulevée de conserver en l’état une parcelle du camp de Jénine, ainsi que d’autres camps dévastés, en témoins silencieux et néanmoins éloquents de la sauvagerie de l’institution militaire israélienne.
Nous préparons un film documentaire sur les massacres et, d’une manière générale, sur la barbarie de l’occupation israélienne.
14/ D’aucuns vont peut-être poser la question : “sommes-nous capables de mener à bien toutes ces missions ?” Je leur répondrai ceci : si bon nombre d’entre nous arrêtaient de fumer, nous pourrions faire beaucoup de choses avec l’argent que cela leur permettrait d’économiser ! Pourquoi des centaines d’entre nous ne consacreraient-ils pas l’argent de leur petit pèlerinage à la Mekke (‘umra), cette année, à ces projets humanitaires ? Je pense en particulier à certains parmi eux qui ont déjà accompli ce pèlerinage - coûteux- mainte fois...
15/ Enfin, ce que je viens de vous exposer, ce sont des actions qui doivent être entreprises en fonction de l’ordre des priorités. Il s’agit, pour certaines d’entre elles, d’action à long terme. Par ailleurs, nous appelons toutes les personnes de bonne volonté, hommes et femmes, à venir se joindre à nous et à mettre leur travail et leur compétence au service de nos concitoyens des territoires. Je demande à Allah - qu’Il soit exalté - de nous accorder le succès et de guider nos pas vers ce qu’Il aime et ce qu’Il agrée.
                               
9. La normalisation a échoué... Essayons le boycott par Sa’id alShihabi
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 26 avril 2002
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

(Sa’id alShihabi est un journaliste bahreïni qui réside à Londres.)
Le boycott est un moyen de pression qui a fait ses preuves. Mais le boycott a aussi une dimension symbolique, laquelle est indispensable dans le soutien à tout objectif politique. Cette dimension symbolique revêt une valeur intrinsèque, et elle n’est pas dépourvue de résonances et de conséquences. Pour peu que ses tenants soient vraiment convaincus de sa raison d’être et de ses justifications, le boycott est susceptible de se transformer en culture bien ancrée, capable de se poursuivre dans certains cas durant plusieurs décennies, voire plusieurs générations. Ainsi, le boycott imposé par les Etats-Unis à Cuba après la révolution castriste, il y a plus de quarante ans, se poursuit, bien qu’il n’ait aucune justification pratique. L’économie cubaine est demeurée cohérente durant ces décennies de boycott, en dépit des difficultés que celui-ci lui a créées. Mais, du point de vue américain, ce boycott signifie le refus des politiques adoptées par le régime cubain, Washington sachant pertinemment qu’il est seul à le pratiquer, aucun autre Etat ne l’ayant suivi sur cette voie. Le boycott économique américain de l’Iran se poursuit depuis la révolution (islamique) de 1979 et il en va de même dans le cas de l’Irak depuis son invasion du Koweït, il y a désormais pas loin de douze ans. Ces différents boycotts n’ont amené aucun changement politique significatif. Il est indéniable que les pays concernés souffrent de difficultés économiques parfois énormes, mais la justification du boycott économique est qu’il vient appuyer des positions politiques qu’il réaffirme en dehors de toute considération pour son efficacité économique. Dans certains cas, il peut y avoir aussi efficacité économique. Ainsi, il y a plus de cent trente ans, après que le grand religieux Ayatollah Mirza Hasan al-Shirazi ait publié sa fatwa (décret islamique) stipulant le boycott du tombac anglais (il s’agit du tabac pour les pipes à eau, ou narghilés, ndt), les compagnies de tabac anglaises ont subi des pertes très importantes. On voit ainsi que l’arme du boycott économique est l’un des moyens de pression politiques possibles, qui prend une importance accrue lorsque les autres alternatives politiques manquent. Lorsque les Etats-Unis, il y a cinq ans, ont interdit les investissements supérieurs à 20 millions de dollars tant en Iran qu’en Libye (loi d’Amato, ndt), ils savaient que la mise en pratique de cette décision ne serait pas aisée. Mais leur objectif était d’affirmer leur politique hostile aux deux pays visés par ce décret.
Aujourd’hui, le boycott, son efficacité et sa justification sont de nouveau à l’ordre du jour. La réapparition de ce débat résulte de la colère très vive des peuples arabes et musulmans devant les événements en Palestine et de leur impuissance à influer d’une quelconque manière sur leur déroulement. Les manifestations, énormes, dans les capitales arabes, risquent fort de ne pas amener les Etats-Unis à modifier leur politique de soutien à l’occupation israélienne, d’autant que ceux-ci sont conscients du fait que leur réputation dans le monde ne saurait être pire que ce qu’elle est aujourd’hui. Mais ces manifestations sont l’expression d’une opinion publique totalement opposée à la politique américaine. Il n’en reste pas moins que les manifestations de protestation ne suffisent pas, à elles seules, à atteindre l’objectif visé. Elles appellent d’autres mesures, susceptibles de leur donner un contenu concret. Elles posent, donc, le problème du boycott économique des produits américains en tant que nécessité du moment, pour faire comprendre au peuple américain à quel point la politique de leur gouvernement est scandaleuse, qui consiste à soutenir l’agression israélienne, fût-ce au détriment des intérêts du peuple américain. Le problème est que l’hégémonie sioniste sur les médias américains est parvenue à faire intégrer par le public américain l’agressivité envers tout ce qui est arabe ou musulman. Il en résulte que, lorsque ces médias traitent du boycott, ils le font d’une manière qui leur enlève toute possibilité d’exercer une quelconque influence sur l’opinion publique américaine. Le boycott n’en demeure pas moins indispensable, car à long terme, et particulièrement dans le contexte actuel, où l’économie américaine montre des signes de stagnation ou tout au moins de faible croissance, il peut être efficace. Pour ce faire, il faut reprendre en considération la politique d’exportation du pétrole, le volume de la production et le prix du brut. La décision du gel de la production pétrolière dans les pays de l’OPEC et dans un certain nombre de pays exportateurs de pétrole n’y adhérant pas, telle l’Egypte, entraînerait nécessairement une augmentation du prix du pétrole mesurée, celui-ci pouvant atteindre de 30 à 40 dollars le baril (ce qui reste encore bien inférieur au prix réel que le pétrole devrait raisonnablement atteindre). Cette augmentation du prix du pétrole devrait à son tour entraîner des difficultés économiques aux Etats-Unis (principalement sur la côte Ouest), et cela permettrait de faire toucher du doigt aux Américains la force réelle des pays pétroliers. Le boycott des produits américains viendrait encore renforcer la pression exercée sur l’économie américaine. Pour peu que ces mesures soient accompagnées d’une campagne médiatique et d’un programme sophistiqué de relations publiques afin d’expliquer à l’opinion publique occidentale les raisons de ce boycott, il est vraisemblable que l’opinion publique américaine ferait pression sur la Maison Blanche afin qu’elle modifie sa politique et ses prises de position en ce qui concerne Israël.
Un ministre arabe des Affaires étrangères, commentant la revendication du recours à l’arme du pétrole, a déclaré que celui-ci était “l’arme du développement”, et non une arme politique. Cela, au moment où les pays du Benelux décidaient de suspendre leur coopération culturelle avec Israël en raison des crimes commis par ses forces armées à Jénine, Naplouse, Ramallah, Tulkarem, et autres localités palestiniennes. Ces pays ont bien utilisé la culture comme une arme, dans un combat humaniste, convaincus qu’ils étaient de la nécessité qui s’imposait à eux de protester contre les agissements israéliens, en recourant à un moyen civilisé.
Les Arabes sont les premiers concernés par un boycott économique de l’entité israélienne et des Etats-Unis d’Amérique. On sait que le soutien de Washington à Tel-Aviv n’est pas que militaire, mais qu’il est aussi économique et politique. Plus grave encore est l’engagement des Etats-Unis à soutenir la politique d’Israël dans l’arène internationale, de le protéger contre la protestation mondiale. Ce faisant, ils passent par pertes et profits les principes de base du droit international, lequel condamne les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
Actuellement, certains pays arabes qui ont décidé, il y a sept ans, de lever l’embargo secondaire et tertiaire à l’encontre d’Israël ressentent une certaine amertume. Le boycott arabe avait permis de porter atteinte à l’économie israélienne de manière sensible, les pertes israéliennes du fait de ce boycott étant évaluées à plus de 90 milliards de dollars. Régulièrement, les Etats-Unis protestaient avec véhémence contre ce boycott.
En 1977, le président américain Jimmy Carter avait fait adopter une loi interdisant aux compagnies américaines de s’associer au boycott arabe d’Israël. Il avait même fait voter une loi visant à “mettre fin aux divisions au sein de la société américaine résultant du boycott étranger visant les citoyens juifs américains”. Après la guerre du Golfe, l’Amérique a fait pression sur les pays arabes du Golfe afin qu’ils normalisent leurs relations avec l’entité israélienne. Cette normalisation commençait par l’allégement du boycott d’Israël de la part de ces pays. La décision prise par le Conseil de Coopération du Golfe, le 1er octobre 1994 reflète bien ces pressions (américaines).
Cette décision comportait la reconnaissance d’une avancée dans le processus de paix, principalement dans les processus (“bilatéraux”) palestinien et jordanien, et le “sentiment” qu’il convenait de remettre en cause le boycott d’Israël. Le communiqué final des pays du Golfe disait alors que les pays membres du conseil de coopération “ont examiné la situation et sont convaincus de la nécessité de suspendre le boycott (d’Israël) aux niveaux secondaire et tertiaire”, affirmant que la coopération économique directe avec l’entité israélienne n’était pas possible, et qu’une décision pour ce faire devrait être prise à l’unanimité des pays arabes. A Taba, en Egypte, en février 1995, les responsables du commerce égyptiens, américains, jordaniens et palestiniens ont signé un document commun (connu sous le nom de “déclaration de Taba”), lequel “appuie tous les efforts en vue de l’arrêt du boycott d’Israël”.
Ce dont il est question aujourd’hui, c’est de prendre des décisions qui rendent une validité à une position arabo-musulmane.
La décision de boycotter constituerait une innovation susceptible de se substituer aux modalités habituelles des politiques arabes et musulmanes, lesquelles se caractérisent par leur caractère réactif (et non proactif). Afin que cette action soit efficace, il faut qu’elle soit accompagnée de la décision de réduire la production du pétrole, laquelle est possible. Mais Washington s’y opposera violemment. La réduction de la production de pétrole n’est certes pas une arme, mais elle n’en constitue pas moins une mesure incontournable imposée par les lois du marché et la nécessité de trouver un équilibre entre cette ressource unique du côté arabo-musulman et les biens importés des Etats-Unis et des autres pays du monde à des prix qui ne cessent d’augmenter.
Il y a une autre dimension au boycott, qui concerne les instances religieuses dans le monde musulman. On est fondé à s’étonner de l’absence d’intérêt de ces instances pour le boycott, d’autant que les populations ont entrepris spontanément de prendre des mesures concrètes dans ce domaine. Ainsi, dans les pays du Golfe, les citoyens évitent d’acheter des produits américains, leur en préférant d’autres, et ils vont jusqu’à modifier leurs préférences consuméristes et leur mode de vie pour ce faire. Cela ne leur pose pas de difficulté particulière, car ce qui les motive, c’est l’amour du bien et la lutte contre le mal. Par le passé, on a vu des appels au boycott signés par des ulamâ’ (docteurs de la loi musulmans), lesquels ont publié force déclarations en ce sens. Mais ce qui est nécessaire aujourd’hui, c’est un boycott efficace et percutant. Pour ce faire, un consensus entre les hommes de religion des grandes capitales arabes et musulmanes est requis, portant sur l’action commune minimale permettant de faire aboutir ce projet. Selon les données disponibles, et en tenant compte des initiatives multiples actuelles, il semble que le succès d’un boycott est largement assuré. Actuellement, les investissements des pays du Golfe en Occident dépassent les 600 milliards de dollars et les échanges commerciaux annuels atteignent les 100 milliards de dollars, échanges commerciaux dans lesquels les Etats-Unis se taillent la part du lion. Dans le contexte actuel de mondialisation économique, un produit donné peut être obtenu de multiples provenances, avec des standards de qualité et des niveaux de prix quasi-identiques. Le boycott des produits américains est la mesure minimale que peuvent prendre les ulamâ’ (juristes musulmans) afin de sortir de la situation actuelle d’exaspération populaire, qui se traduit par des manifestations et des protestations qui vont, en certains endroits, jusqu’à l’enrôlement de volontaires pour des opérations de résistance en Palestine. Laisser la colère populaire sans débouché, comme actuellement, ne sera pas sans conséquences, certains pouvant être incités à commettre des actes graves ou à adopter des positions d’une radicalité extrême. Le boycott des produits américains, accompagné de la reprise du boycott arabe, secondaire et tertiaire, d’Israël, est à même d’apaiser la conscience (des gens) et de réduire la pression morale qui s’exerce sur eux, résultant du sentiment d’impuissance à apporter un soutien à un peuple assiégé et soumis à un déluge de fer et de feu, et aussi de donner une expression concrète à la solidarité, à l’unité des rangs et au destin commun. En l’absence de ces mesures, nous risquons de voir la situation échapper totalement à la maîtrise (des gouvernements), surtout lorsque l’on tient compte du risque que représente la poursuite par Sharon de ses (funestes) projets.
                               
10. Quelle sorte de guerre est-ce donc là ? par Amira Hass
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du lundi 22 avril 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Il est toujours impossible de savoir combien de personnes sont encore ensevelies sous les ruines du camp de réfugiés de Jenine, où la puanteur des cadavres en décomposition se mélange à l’odeur âcre des ordures qui s’entassent et au parfum des géraniums rosat et de la menthe.
Appuyé sur sa canne, un homme contemple un énorme tas de gravats : mélange de béton concassé, de ferrures tordues, de lambeaux de matelas, de câbles électriques, de fragments de carrelage, de morceaux de tuyauterie, avec un interrupteur pour la lumière, orphelin. “C’est ma maison”, me dit-il, “et mon fils est là-dessous.” Il s’appelle Abu Rashid. Son fils, Jamal, 35 ans, était condamné au fauteuil à roulettes. Le bulldozer avait commencé à attaquer la maison alors que la famille était encore à l’intérieur. Et où ailleurs auraient-ils bien pu se trouver, sinon chez eux, recherchant - comme tous les habitants du camp de réfugiés de Jenine - l’endroit le plus sûr pour se mettre à l’abri des tirs de mortiers, de roquettes et de mitrailleuses, dans l’espoir d’une brève accalmie ?
Abu Rashid et les autres membres de sa famille se sont précipités vers la porte d’entrée, sont sortis de la maison, les mains en l’air, et ont tenté de crier pour attirer l’attention du conducteur de ce bulldozer énorme, conducteur que l’on ne voyait ni n’entendait, et l’avertir qu’il y avait encore quelqu’un à l’intérieur. Mais le bulldozer ne s’arrêtait pas de vrombir, de prendre un peu de recul pour attaquer de plus belle, trouvant une prise dans le mur de béton, jusqu’à ce que toute la maison finisse par s’effondrer sur Jamal avant que personne ait pu faire quoi que ce soit pour le sauver.
Tout autour d’Abu Rashid, d’autres personnes escaladaient des tas de gravats, se frayant un passage entre des poteaux en ciment, des ferrures et des fragments de métal redoutablement effilés, des piliers en béton et des plafonds effondrés, des fragments de sanitaires. Tous n’étaient pas aussi introvertis qu’Abu Rashid, qui se parlait à lui-même plus qu’il ne parlait à ceux qui s’étaient arrêtés pour l’écouter. Qui essayait de sauver quelque chose des ruines : un vêtement, une chaussure, un sac de riz. Tout près, une petite fille en équilibre précaire sur un tas de blocs de ciment fracassés, montrait un plafond, à ses pieds, et ne pouvait s’arrêter de pleurer. Entre ses sanglots, elle réussit à nous dire que c’était ce qui restait de la maison de ses parents et qu’elle ne savait pas qui était enterré là-dessous, qui avait pu s’échapper, s’il y avait encore quelqu’un de vivant sous les ruines, qui les délivrerait, et quand ?
Parmi les tas de ruines, au milieu de quelques maisons qui tiennent encore partiellement debout, les murs qui ne se sont pas effondrés étant criblés d’impacts de toutes tailles, un grand “ground zero” a été créé. Là où, jusqu’à il y a deux semaines, plusieurs maisons se trouvaient, dont certaines bâties sur trois niveaux, un ou plusieurs bulldozers des Forces Israéliennes de Défense étaient passés à plusieurs reprises sur les tas de ciment, afin de les écrabouiller et de les réduire en farine, bref : d’en faire “une autoroute trans-israélienne”, pour reprendre la métaphore plaisante du lettré Ariel Sharon. La maison d’Abu Rashid y était passée elle aussi, victime des mâchoires des bulls. On me montre une petite ouverture dans l’un des monceaux de gravats. Provenant de là-dessous, il avait entendu des appels au secours jusqu’à dimanche soir. Lundi matin, plus un son n’en provenait. Quelqu’un d’autre me montre ce qui avait été auparavant une maison que se partageaient deux soeurs. On me dit qu’elles sont infirmes. On ne sait toujours pas si elles sont sous les ruines ou si elles ont pu sortir du camp quand il en était encore temps.
Calme relatif
Certaines maisons étaient vides lorsqu’elles ont été démolies. Dans certains cas, les soldats ont donné l’ordre aux gens de sortir immédiatement : c’était leur seul moyen d’avoir la vie sauve. Les gens me disent qu’un homme âgé a refusé de quitter son domicile. “Il y a cinquante ans, vous m’avez expulsé de Haifa. Aujourd’hui, je n’ai plus d’endroit où aller”, aurait-il déclaré. Les soldats ont empoigné le vieil homme déterminé et l’ont emmené de force. Dans certains autres cas, ils n’ont même pas pris la peine d’avertir, et les bulldozers étaient déjà là. Sans actionner les klaxons des bulls, dans vérifier s’il n’y avait pas encore quelqu’un à l’intérieur. Cela est arrivé, dimanche 14 avril, à la famille Abu Bakr, qui vit à la limite entre le camp de réfugiés et la ville de Jenin proprement dite.
Tant dans la ville que dans le camp de réfugiés, un couvre-feu avait été imposé ; les soldats israéliens circulaient à bords de tanks et de véhicules blindés, à pied également. De temps en temps, ils hurlaient, balançaient des grenades incapacitantes ou faisaient sauter des objets jugés suspects. Mais en comparaison de la semaine précédente, la situation était incomparablement plus calme : il n’y avait plus de tirs depuis des hélicoptères, plus d’échanges de tirs avec une poignée de militants palestiniens armés. Mais, soudain, à quatre heures de l’après-midi, les membres de la famille Abu Bakr entendirent le son d’un mur qu’on abat. Le père de famille sortit, agitant un drapeau blanc, et il cria aux soldats : “Nous sommes chez nous ; où voulez-vous qu’on aille ? Pourquoi êtes-vous en train de démolir notre maison, avec nous à l’intérieur ?”
Ils lui crièrent : “Yallah, yallah, rentre !” et ils arrêtèrent le bull.
La ligne de crête étroite où cette maison est située, large de quelques mètres, servait de pont de transit entre la ville et le camp. Les habitants de la ville de Jenin, qui sont nombreux à être originaires du camp, tentaient d’échapper aux soldats israéliens et d’apporter à leurs parents et amis de l’eau, de la nourriture et des cigarettes. Ils en ont déduit que c’était devant la maison des Abu Bakr que l’armée israélienne voulait élargir la zone séparant la ville du camp, afin d’éviter toute espèce de “contrebande” que ce soit. Dans l’après-midi, un véhicule blindé prenait position près de la maison et des soldats entreprenaient de passer au peigne fin les terrains tout autour. Puis le véhicule blindé partit. M. alla préparer le café. A peine avait-il eu le temps de mettre une cuillerée de sucre en poudre dans la petite cafetière orientale à gorge étroite et à long manche que quelqu’un ou quelque chose faisait intrusion par une fenêtre, cassant la vitre et enflammant immédiatement la cuisine. Une bombe incapacitante ? Une grenade lacrymogène ? Les soldats, dehors, ont-ils cru que quelqu’un leur tirait dessus, lorsqu’il a allumé le gaz ? M. loue le ciel de n’avoir eu “que” des brûlures aux mains et au visage dans les flammes qui ont été immédiatement maîtrisées, que personne n’ait été blessé dans sa famille, et que sa maison n’ait pas été détruite.
Mohammed al-Sba’a, 70 ans, n’a pas eu cette chance. Lundi 8 avril, les bulldozers tonnaient tout près de sa maison, dans le quartier de Hawashan, au milieu du camp. Il sortit de sa maison pour dire aux militaires qu’il y avait des gens, à l’intérieur - lui, sa femme, leurs deux fils, les épouses de ceux-ci et leur sept enfants. Il a été abattu sur le pas de sa porte, d’une balle dans la tête, a indiqué l’un de ses fils, cette semaine. Des membres de sa famille ont réussi à le ramener à l’intérieur. Mais on leur ordonna alors de sortir : les hommes ont été arrêtés, puis relâchés et emmenés au village de Rumani, au nord de Jenin. Les femmes ont été emmenées au bâtiment du Croissant Rouge. Le corps du père est resté dans la maison. Quand ses deux fils, les deux hommes de la maisonnée, sont revenus de leur captivité, ils n’ont pas retrouvé trace de la maison.
La destruction de dizaines de maisons par bulldozers a commencé le samedi 6 avril, quatre jours après le début de l’attaque lancée par les Forces israéliennes de Défense contre Jenin. Il est encore impossible de savoir combien de personnes ont été ensevelies sous les ruines. L’horrible puanteur des cadavres en décomposition - on en exhume tous les jours - se mélange à l’odeur des ordures non collectées, et qu’on a été obligé de brûler sur place, et au parfum surprenant des géraniums, des roses et de la menthe poussant au pied des bougainvillées cultivées par les gens dans les étroites venelles qui séparaient les maisons surpeuplées. Quand cela sera possible, l’UNRWA et la Croix-Rouge établiront les listes de détenus, de blessés et de disparus. Mais l’urgence absolue, actuellement, c’est de distribuer de l’eau potable, de la nourriture et des médicaments. Le camp a été défini comme zone sinistrée.
La démolition des maisons par bulldozers a été précédée de tirs à l’arme lourde, par les tanks, dès le début de l’opération de l’armée israélienne, le mardi 2 avril. Les tanks ont encerclé le camp, on pris position sur les collines situées à l’ouest, et se sont ruées dans la rue principale. Deux jours plus tard, les tirs d’hélicoptères commençaient, raconte les gens : tirs de missiles et de mitrailleuses. Les habitants se sont réfugiés dans leurs cages d’escaliers, au rez-de-chaussée, dans les salles de bains intérieures, dans les celliers à l’angle des cours intérieures. Les gens se faisaient tout petits dans ces espaces confinés, se serraient les uns contre les autres, terrorisés. Ils se bouchaient les oreilles et fermaient les yeux, tentaient de calmer les enfants.
Statistiques des dommages
Quand les tirs se sont calmés, ont-ils témoigné, ils sont sorti et ont trouvé leurs maisons calcinées, les flammes et la fumée s’en échappant en nuées ardentes, les murs étaient criblés de balles, les sols en équilibre précaire, les portes et les volets arrachés, les fenêtres pulvérisées, avec d’énormes trous dans les façades. Le temps des statistiques de dommages viendra lui aussi, et alors les équipes de l’ONU seront en mesure de nous dire combien de maisons ont été détruites par les bulldozers, combien ont été endommagées par les tirs et si elles pourront être réparées ou s’il est plus sûr de les démolir complètement. Combien de familles les habitaient. Combien de personnes au total...
Umm Yasser a sauvé un bébé d’un an dans la maison des voisins, qui avait été bombardée. Le père du bébé, Rizk, m’a-t-elle dit, avait réussi à se tirer des décombres alors qu’il était blessé aux deux jambes et qu’il avait eu le dos grièvement brûlé dans l’incendie. Il est sorti, les bras tendus devant lui, perdant son sang. La maison a été cernée par les soldats. Un médecin (ou un infirmier) militaire israélien est venu, il a nettoyé ses blessures, lui a mis des bandages, et les soldats l’ont emmenés à l’emplacement du cimetière, où ils l’ont abandonné. Des voisins qui avaient suivi la scène sont allé le chercher et ont appelé un docteur. Ils n’ont pu l’emmener à l’hôpital qu’une semaine après...
H. et sa famille étaient chez eux quand leur maison a été bombardée. Ils sont allés s’abriter dans la famille de la mère, proche de là. H. pense que cela s’est passé le 8 avril. Les gens ont beaucoup de difficulté à se souvenir des dates exactes : tous les jours de l’attaque israélienne ont été un mélange e terreur, de sang et de destruction, sans distinction entre le jour et la nuit. Son mari, Y. , a été blessé par balle alors qu’il était sorti sur le seul de la maison. Elle l’a tiré jusqu’à la maison de son père. Là, ils bandèrent sa jambe blessée, priant pour que tout se passe bien, et ils n’ont réussi à l’emmener à une clinique privée que le dimanche suivant, le 14 avril, en échappant aux patrouilles israéliennes qui arpentaient la ruelle.
A.S. a été blessé alors qu’il effectuait une mission imposée par l’armée israélienne. Une patrouille à pied l’a extrait de chez lui pour lui intimer l’ordre d’accompagner les soldats, de marcher au-devant d’eux et d’ouvrir les portes du voisinage pour eux. A.S. fit ce qu’on lui ordonnait. Alors qu’il se trouvait devant l’une des portes d’entrée, une autre unité de soldats apparut. Sans doute ont-ils pensé qu’il appartenait aux ‘muqâwimîn’ (les insurgés, les résistants armés), car personne d’autre n’aurait osé arpenter les rues durant les premiers jours de la prise de contrôle du camp par l’armée. Ils lui tirèrent dessus et le blessèrent.
Il est resté couché, blessé, durant quatre jours, chez des voisins, jusqu’à ce que ses frères parviennent à l’emmener aux urgences. Leur domicile, au deuxième étage de la maison familiale située sur une colline, a été endommagé par quatre ou cinq roquettes et d’innombrables balles : des soldats avaient pris position dans un immeuble élevé, à côté, et ils faisaient des cartons.
Sa mère nous raconte toute l’histoire en détail, tout en conduisant les visiteurs d’une pièce détruite à une autre. Puis elle nous emmène au jardin : “il aimait planter plein de choses, il aimait la vie, pas la mort”, nous dit-elle, parlant de son fils. Ses autres enfants offrent à tous des fruits du jardin : des loquats (bibaces - nèfles orientales, ndt, en arabe : akidouniyéh) délicieusement aigrelets, des prunes juteuses et rafraîchissantes. La plupart des réservoirs d’eau du camp ont été touchés dès les premiers jours. Les canalisations d’eau ont été crevées par le passage des chenilles des chars et des bulldozers de l’armée israélienne. L’eau potable a été coupée dès le début.
Sachant cela, dans une situation où chaque goutte d’eau doit être précieusement épargnée, planter sa canine dans ces fruits absolument exquis est un luxe inimaginable.
Abu Riyad, 51 ans, a été contraint lui aussi, comme tant d’autres, à exécuter des missions pour l’armée israélienne. Durant cinq jours, il a dû accompagner les soldats de “Tsahal” : durant la journée, il marchait au-devant d’eux, allant de porte en porte, frappant à ces portes tandis que les soldats se planquaient derrière lui, leurs flingues pointés tant sur la porte que sur lui-même. De nuit, il était contraint d’être avec eux dans quelque maison “conquise”. Ils l’avaient menotté et deux soldats le gardaient, a-t-il indiqué. A la fin de sa “mission”, ils lui ont dit de rester dans une maison qu’ils lui ont désignée, seul. Tout autour, les bulldozers et les tanks s’activaient. L’un des tanks fonça sur la maison. Abu Riyad sauta littéralement dans une maison adjacente, échappant d’une maison à une autre, que l’armée détruisait sur ses talons, jusqu’à ce qu’il finisse par se retrouver chez lui, c’est-à-dire dans une maison elle aussi partiellement détruite, atteinte par trois missiles. Lorsque les missiles avaient atteint sa maison, treize personnes s’y trouvaient.
Un officier de “Tsahal” nettoie la salle de bain
S. se considère chanceuse. La maison de sa famille n’a été occupée qu’une semaine, comme une douzaine d’autres, dans le camp qui s’étend sur les contreforts des collines et des falaises avoisinantes. S. est veuve. Elle vit avec son frère et la famille de celui-ci, dans une maison située à l’extrémité ouest du camp : quatre adultes, dix enfants. La plupart des résidents de la maison avaient pu quitter le coin avant l’intrusion de l’armée israélienne. Durant la première et la seconde nuits, des soldats ont pris le contrôle de trois maisons voisines. Les membres de la famille se sont réfugiés dans la cuisine, qu’ils pensaient être la pièce la plus sûre.
Soudain, au beau milieu de la nuit, quelqu’un fit irruption à travers le mur, en creusant un trou au niveau du sol et s’en extirpant devant le nez de Rabiya, 8 ans. Les fenêtres volèrent en éclats et la pièce se retrouva emplie de poussière. Les quatorze personnes qui se trouvaient dans la cuisine, se mirent à hurler, terrorisées. Par le trou, dans le mur, ils entendirent quelqu’un crier, en arabe : “quiconque tentera de sortir sera tué !”. Ils risquèrent un oeil par la fenêtre et virent un groupe de soldats israéliens, dans la ruelle adjacente. Ils essayèrent de négocier avec eux, demandant s’ils ne pourraient pas passer dans la maison des voisins, dans un abri plus sûr. Mais ne reçurent pour toute réponse que la même phrase : “quiconque sortira de cette maison sera abattu !”
Peu après, les soldats creusèrent un trou dans le mur de la montée d’escalier et firent irruption à l’intérieur. Les membres de la famille, sidérés, blottis dans un coin, les virent sauter l’un après l’autre dans la cage d’escalier, leurs visages barbouillés de noir (maquillage de guerre).
Les membres de la famille furent conduits sans ménagement dans une autre pièce, pleine de poussière et d’éclats de verre. On les y retînt jusqu’au vendredi matin. Les soldats, nous a rapporté S. , ne les autorisaient pas à quitter cette pièce très peu éclairée. Lorsqu’ils supplièrent qu’on les laisse aller aux toilettes, les soldats leur ont amené une casserole, prise dans la cuisine. Le beau-frère de S. a été arrêté ; trois femmes et leurs enfants ont été abandonnés dans une maison pleine d’étrangers, des soldats qui plus est (on sait par ailleurs que l’armée “mixte” d’Israël, Tsahal, se livre délibérément à des mises en scène pornographiques dans les maisons occupées afin de bien montrer qui, en l’occurrence, est civilisé, ndt).
Le soir venu, S. ouvrit sa porte et découvrit que les soldats avaient été relevés. Par gestes, elle signala aux nouveaux qu’elle voulait aller aux toilettes, y emmener ses enfants, apporter de quoi manger. Quelqu’un qui lui sembla être un officier lui dit d’y aller. Elle dût enjamber autant de soldats israéliens qu’il y en avait d’avachis sur le sol de sa propre maison, en marchant sur la pointe des pieds afin de ne pas déranger leurs majestés. Les toilettes étaient dans un état de saleté indescriptible. L’officier israélien, qui se trouvait non loin lui fit le geste de se passer la corde au cou pour se pendre. Elle comprit alors qu’il mourrait de honte de voir ce qu’il voyait. Il alla dans une maison voisine, où il n’y avait personne, et ramena de l’eau. Puis il entreprit de nettoyer lui-même les toilettes. Lorsque les valeureux soldats de “Tsahal” débarrasseront le plancher, d’ici une semaine dans le meilleur des cas, ils laisseront derrière eux une quantité incroyable de boîtes de conserve vide : celles de leurs rations militaires.
Cette nuit-là, alors que la famille était bouclée dans une pièce, les soldats entreprirent de fouiller la maison. Ils vidèrent tous les tiroirs et les placards, retournèrent les meubles, cassèrent le poste de télévision, coupèrent le fil du téléphone, qu’ils emmenèrent, et creusèrent un nouveau trou (!) dans le mur mitoyen avec un autre appartement. Sur le mur nouvellement cassé, il y avait une fresque peinte par son beau-frère alors qu’il avait quinze ans. Il avait dessiné un paysage suisse : un lac, des pics enneigés, des sapins, un daim, une maison au toit de tuiles rouges, la fumée s’élevant en volutes au-dessus de la cheminée. Au bord du lac, il avait portraituré deux hommes moustachus, habillés en costume palestinien, à dos de mulet. La date : 10 mai 1995. Signé : Ashra Abu al-Haija.
Al-Haija a été tué dans les premiers jours de l’attaque de l’armée israélienne, il a été atteint par un missile. Le mardi de l’avant-dernière semaine, son cadavre déchiqueté gisait encore dans l’une des pièces de la maison à moitié démolie. Al-Haija était un militant du Hamas, lequel avait juré de défendre le camp jusqu’à la mort, avec des membres d’autres groupes armés. J. Z., dont deux des neveux se trouvent parmi les hommes armés à avoir été tués, estime qu’ils n’étaient pas plus de soixante-dix. “Mais quiconque les a aidés se considère tout aussi actif qu’eux, dans la résistance : ceux qui leur signalaient, de loin, l’approche des soldats israéliens, ceux qui les cachaient, ceux qui leur faisait du thé.” D’après lui, aucune porte, dans le camp, ne leur était fermée lorsqu’ils fuyaient les soldats à leurs trousses. Les habitants du camp, nous a-t-il dit, avait décidé de ne pas les abandonner, de ne pas laisser les combattants avec leurs seuls équipements. Telle fut la décision de la majorité, prise par chacun individuellement.
Bien que parent ou proche de bien des hommes armés, il admet qu’il est difficile pour lui de décrire précisément comme les combats se sont déroulés, au cours desquels ils ont été tués, ainsi que des soldats israéliens. “Des reconstitutions que nous avons tenté de faire après coup, il nous semble que l’armée israélienne a attaqué le camp à la mitrailleuse depuis plusieurs directions à la fois, tout en tentant de faire pénétrer des fantassins dans le camp. Mais en raison de la résistance que nos combattants leur ont opposée, ce fut un échec. Ensuite, ils se sont mis à s’en prendre à toutes les maisons, dans le camp, en les bombardant au moyen d’hélicoptères et de tanks, au hasard. Les soldats qui ont pu prendre le contrôle de maisons situées en bordure du camp signalaient contre quoi tirer et que détruire”. Petit à petit, les Palestiniens armés ont été contraints à reculer vers le centre du camp, où ils ont livré leurs dernières batailles, leur combat jusqu’à la mort.
J. Z. est un maçon qui a construit sa maison de ses propres mains, ainsi que celles d’amis. Sa maison a été détruite par des tirs directs de plusieurs missiles. Il dormait chez son jeune ami, A.M. Le soir venu, le camp est plongé dans l’obscurité : l’électricité a été coupée dès le 3 avril. On entretient l’illusion qu’une fenêtre à travers laquelle ne se devine pas la lueur d’une bougie ne sera pas visée. Les tirs de l’armée israélienne se poursuivent, par intermittence, bien que plus aucun Palestinien ne s’avisât de tirer dans sa direction. De temps à autre, le silence est déchiré par le fracas d’une explosion.
L’anxiété et le doute trouvent un remède passager dans une conversation, typique en ces journées, comme celle entre la mère d’A.N. et sa tante. Lundi matin, la conversation avec l’invitée venue d’Israël (Amira Hass, ndt) commença par l’énumération de ceux dont J. Z. savait qu’ils avaient été tués. Sept d’entre eux étaient des combattants et sont morts dans la bataille. Il y avait aussi dix civils, dont trois femmes et au moins deux vieillards. Le sort de dizaines de personnes est encore inconnu.
Puis la conversation saute à des souvenirs de la prison provisoire de Ketsiot, où J. avait été incarcéré durant la première intifada et qui a repris du service, pour les soldats israéliens. Quelqu’un a raconté à A.M. qu’un soldat israélien avait perdu son casque dans une maison qu’il avait fouillée. Les tirs étaient très intenses dans les parages. Le soldat ordonna à un jeune Palestinien qui avait été “recruté” de lui ramener son casque, en échange de quoi il serait libéré. Ignorant les balles, ce jeune homme alla en courant à la maison inspectée, ramena le casque du soldat israélien, et fut autorisé à rentrer chez lui. J. relate un autre fait marquant, qui s’est produit près du camp, dont les protagonistes étaient des soldats qui avaient été attaqués à l’intérieur d’une maison qu’ils venaient d’investir, et d’où ils avaient décampé, abandonnant leurs armes derrière eux. Dans le camp, on raconte que l’un d’entre eux criait : “Maman, maman, c’est quoi, cette guerre de m.r.e !?!”
                                   
11. C’est cette semaine que l’on saura qui dirige l’alliance américano-israélienne par Robert Fisk
in The Independent (quotidien britannique) du lundi 8 avril 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Quoi d’étonnant ? Voici qu’inopinément Israël ne veut pas nous écouter. L’ex-général Ariel Sharon préfère continuer à bousiller l’Autorité palestinienne, faisant des confettis des accords d’Oslo au nom de sa Guerre Sainte contre le terrorisme. Pourquoi nous formaliser du nombre scandaleux de victimes civiles chez les Palestiniens ? Après tout, l’Amérique n’a-t-elle pas elle aussi pris sa revanche en tuant des milliers de civils innocents dans l’un des pays les plus pauvres de la planète après les crimes contre l’humanité perpétrés le 11 septembre (2001) ? Je doit toutefois admettre avoir ressenti une satisfaction morose en entendant la réponse d’un président George Bush abasourdi devant le refus de M. Sharon de retirer son armée de Cisjordanie. Le Premier ministre israélien est bien, que je sache, ce même homme qui avait envoyé son armada au Liban, en 1982, afin d’”en éradiquer le terrorisme” (veuillez noter la similitude dans le vocabulaire, et aussi les mentalités), et dont les forces israéliennes d’”élite” avaient tué, excusez du peu, 17 500 personnes, pratiquement toutes des civils. M. Sharon est, je le rappelle, l’homme qui a envoyé les Phalangistes alliés d’Israël dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila, à Beyrouth, où ils ont massacré 1 700 civils palestiniens. Il avait été tenu “personnellement responsable” de ces exactions par la propre commission d’enquête mise sur pied par Israël. Des témoignages en train de faire surface à Beyrouth indiquent que la plupart des réfugiés massacrés ont été tués en réalité au cours des deux semaines consécutives au massacre originel, dont les survivants ont été livrés aux Phalangistes par les soldats israéliens eux-mêmes. Aussi, on se demande bien pourquoi M. Sharon s’arrêterait-il en si bon chemin, et pourquoi aujourd’hui ? Si M. Bush veut réellement réfréner son incorrigible allié, pourquoi ne pose-t-il pas à M. Sharon quelques questions ? Pourquoi ne lui demande-t-il pas ce que sont devenus les plus d’un millier de prisonniers palestiniens qui ont disparu entre les mains d’Israël durant ces deux dernières semaines ? Qu’est-il advenu, par exemple, des cinq hommes, les yeux bandés et ficelés comme des poulets, que j’ai découverts dans la colonie juive de Psagot ? Que sont devenues ces cohortes de jeunes hommes que j’ai vu embarqués de force dans un autobus aux vitres entourées de fil de fer barbelé, un bus qui contourna Jérusalem et obliqua vers l’ouest, prenant l’autoroute de Tel-Aviv ? Combien de ces jeunes hommes sont-ils soumis à la torture, dans des centres d’interrogatoire ou dans la Colonie Russe (Moskobiyéh), principal centre de torture à Jérusalem Ouest ? Mais depuis que les soldats de M. Bush sont passés maîtres dans l’art de ficeler des prisonniers musulmans et de leur bander les yeux, avant de les placer devant des cours martiales, pourquoi M. Sharon devrait-il faire des chichis ? En effet, mois après mois, tandis que M. Sharon déchirait l’accord d’Oslo, construisait des colonies juives sur les territoires arabes à la vitesse grand V et envoyait ses escadrons de la mort assassiner des Palestiniens, l’administration Bush - craignant comme la peste de déplaire aux Israéliens - lui laissait faire absolument tout ce qui lui passait par la tête. En réaction aux atroces attentats-suicides palestiniens, Bush exprimait son indignation. En réponse à l’agression israélienne, il appelait à la retenue - autant dire qu’il ne faisait rien.
Je pose à nouveau la question : y a-t-il là quelque chose de surprenant ? Durant des mois, les médias américains ont refusé de dire à leurs téléspectateurs et lecteurs ce qui se passait dans les territoires occupés. Les journaux américains ont toléré l’insanité d’éditorialistes qui encourageaient M. Sharon à l’escalade dans des agissements de plus en plus barbares. Que dire, par exemple, d’un article publié récemment dans le New York Times par William Safire, parlant certes de civils juifs assassinés par des Palestiniens, comme d’habitude, mais par contre, de civils arabes “pris dans des échanges de tirs”, “les échanges de tirs” étant l’extrême limite de ce qu’osent la majorité des journalistes pour suggérer que les responsables en sont les Israéliens. Safire joue le jeu rebattu consistant à qualifier les territoires occupés de “territoires contestés”, ce qui est une grotesque distorsion de la vérité, chose réaffirmée par le Département d’Etat dans une note politique émise par le Secrétaire d’Etat Colin Powell.
Mais Safire brandit une nouvelle menace à l’adresse des journalistes qui seraient encore désireux de dire la vérité : “Il s’agit de territoires contestés”, écrit-il, “et les appeler “occupés” dénote un préjugé contre le droit d’Israël à disposer de frontières sures et défendables”. On voit bien quelle est l’argutie. Si nous avons un “préjugé” contre les droits d’Israël, le pas n’est pas difficile à franchir pour nous accuser d’antisémitisme. Mais qui se laisse prendre à cette absurdité ? Suis-je supposé obligé d’alléguer que les soldats qui m’ont bloqué, dans ma voiture, et ont pointé leurs mitraillettes sur moi, la semaine passée, en Cisjordanie, étaient suisses ? Suis-je supposé croire que ce ramassis de soldats israéliens qui tiraient contre des femmes palestiniennes cherchant désespérément à sortir de Ramallah étaient des Birmans ? Safire reçoit régulièrement des coups de fil de M. Sharon (après quoi il est tout content de nous raconter les dernières lubies de M. Sharon), mais mon vieux pote Tom Friedman, dans son éditorial toujours plus messianique que celui de la veille, dans le New York Times, a presque à coup sûr quelque chose d’encore plus croustillant à raconter sur Sharon. “Israël doit frapper un grand coup militairement afin de montrer clairement que le terrorisme ne paie pas”, annonçait-il, la semaine dernière. Dites-moi, je vous en conjure, à quel jeu joue un journaliste américain lorsqu’il exhorte M. Sharon à emprunter le sentier de la guerre ? Friedman était avec moi, dans les camps de Sabra et Chatila : a-t-il oublié ce que nous avons vu ? La semaine dernière, toutefois, Friedman donnait aux Palestiniens le conseil sans frais de s’orienter vers une résistance non-violente,’à la Ghandi’ (en français dans le texte, ndt).
Pour lui, “un mouvement palestinien non-violent, qui en aurait appelé à la conscience de la majorité silencieuse israélienne, aurait déjà obtenu un Etat palestinien depuis au moins trente ans...” Inutile de dire que lorsque des Occidentaux, parmi lesquels deux Britanniques, manifestèrent pacifiquement à Bethléem et furent blessés par un soldat israélien qui leur tira dessus, Friedman ne dit pas un mot. Pour Friedman, la raison pour laquelle les Palestiniens recourent aux attentats-suicides, ce n’est pas leur désespoir face à l’occupation - cette occupation dont Safire, bien entendu, nous donne l’ordre de ne jamais la mentionner - mais le fait que “les Palestiniens sont rendus aveugles par leur fureur narcissique à un point tel” qu’ils ont perdu de vue le caractère sacré de la vie humaine. Et ça continue. Après avoir bestialisé les Palestiniens tellement d’année, pourquoi serions-nous surpris lorsque une société [en l’occurrence, l’israélienne] finit par produire précisément les monstres que nous avons toujours prétendu voir en eux ? Il n’est pas jusqu’au discours de M. Bush, la semaine dernière, annonçant l’envoi de M. Powell en mission “urgente” de paix tout en lui donnant un délai incroyablement lambinant de sept jours (!) pour arriver en Israël, qui n’ait réservé son venin aux Palestiniens. Et malgré tout ça, après tout ça, il ne comprend pas pourquoi M. Sharon peut se permettre le caprice de conserver son armée dans les territoires occupés... C’est pourquoi la semaine qui s’ouvre sera décisive, dans le rapport entre Israël et les Etats-Unis. Ce sera un test en temps réel pour la présidence Bush. Nous allons enfin découvrir qui - des Etats-Unis ou d’Israël - mène la politique américaine au Moyen-Orient. Ça serait merveilleux de pouvoir penser que ce sont les premiers. Personnellement, je suis loin d’en être convaincu.