Réseau
1. Appel des ressortissants français
présents parmi les civils internationaux assiégés dans le Palais présidentiel
palestinien à Ramallah par l'armée d'occupation
israélienne
[Depuis le dimanche 31 mars
2002, une quarantaine de ressortissants étrangers sont assiégés par l'armée
d'occupation israélienne dans le Palais présidentiel palestinien de Ramallah.
Ils sont allemands, belges, brésiliens, espagnols, français, irlandais et
suisses. Leur mission est de protéger pacifiquement de la brutalité militaire
israélienne, le Président Yasser Arafat et ses collaborateurs. Hier, jeudi 18
avril 2002 à 19h10 (heure de Paris), ils nous ont appelé par téléphone et nous
ont demandé de transmettre cet appel de toute urgence.
ndlr]
Ramallah (Palestine), le jeudi 18 avril 2002 - Depuis
trois semaines, assiégés dans Ramallah avec le Président élu du peuple
palestinien et son entourage, nous attendons une prise décision claire de la
part de l'exécutif français et nous espérons son intervention pour arrêter les
massacres perpétrés depuis des semaines par l'armée israélienne.
Malgré nos
demandes nous n'avons même pas reçus un appel téléphonique de nos
autorités.
Comment Messieurs Chirac et Jospin qui assument à l'heure actuelle
les plus autres fonctions de l'état, peuvent-il demander la confiance de
l'ensemble des français pour les élirent ou réélirent au poste suprême.
Ils
démissionnent devant leur responsabilités, au moment ou ils devraient intervenir
personnellement pour garantir la sécurité de leurs ressortissants, menacés par
une armée qui ne recule devant aucune atrocité et se faire les garants des
valeurs universelles du droit des peuples à l'autodétermination.
Nous
appelons donc tous les citoyens attachés aux valeurs fondatrices de la
république française à refuser leur vote à Messieurs Chirac et Jospin, tant
qu'ils ne seront pas intervenus personnellement pour imposer la fin de
l'occupation et la levée définitive du siège du palais présidentiel à
Ramallah.
2. Palestine,
Pourquoi... par des ressortissants européens qui vivent en
Palestine
Palestine, le jeudi 18 avril 2002 - Européens âgés de 20 à
50 ans, nous partageons depuis des mois voire des années le quotidien des
Palestiniens, qualifiés par certains de "terroristes" alors que ce peuple
aimerait simplement avoir les mêmes droits que les autres. Nos souvenirs, nos
rires sont à Jérusalem, Ramallah, Naplouse, Bethléem, Gaza et autres villes
palestiniennes mises à feu et à sang par les forces d'occupation israéliennes
qui affament, pillent, terrorisent, torturent et tuent nos voisins et nos amis,
au mépris total des Droits de l'Homme, des résolutions de l'O.N.U. et des
conventions internationales. Aujourd¹hui l'Histoire s'étale sous nos yeux, et
nous sommes réellement effrayés par certains discours.
A ceux qui disent
qu'il faut chercher la paix, nous disons que les Palestiniens l'ont cherchée: en
acceptant la réalité de l'Etat d'Israël sur les 4/5ème de leur patrie historique
et les Accords d'Oslo, qui ont laissé l'occupation et la colonisation se
poursuivre.
A ceux qui se déculpabilisent de l'Holocauste en laissant les
Palestiniens se faire tuer, nous disons que jamais le sang versé par ce peuple
ne lavera l'histoire européenne de ses crimes.
A ceux qui pensent que cette
terre a été donnée par Dieu à un peuple qui se permet tout au nom de la Bible,
nous disons que la religion est une affaire privée et que la Bible n'est pas un
cadastre.
A ceux qui se gardent de critiquer l'Etat d'Israël par crainte
d'être accusés d'antisémitisme, nous disons que le devoir d'assistance à un
peuple en danger est plus important que les risques d'insultes et
d'intimidations.
A ceux qui aiment Israël, nous disons qu'il ne faut pas
cautionner les crimes d'un ami.
A ceux qui ne parlent que des attentats en
Israël, nous disons "donnez aux Palestiniens des F16 et autres inventions
vendues par des hommes pour tuer des hommes". Alors ils pourront défendre la
terre qu'on continue de leur voler et faire la guerre comme les Israéliens,
selon la méthode que "le monde libre" trouve civilisée.
A ceux qui croient
que la neutralité consiste à renvoyer dos à dos le discours de l'occupant et
celui de l'occupé, nous soutenons que confronter chaque discours aux faits
permettrait de dévoiler les mensonges israéliens.
Les crimes dont nous
sommes témoins sont inscrits à vie dans notre chair. Nous les ferons inscrire
dans l'Histoire. Les générations futures auront un bain de sang de plus à
apprendre à l'école. Ils viendront à leur tour demander des comptes comme nous
en demandons aujourd'hui, car cette fois personne ne pourra dire "je ne savais
pas". Et surtout n¹oubliez pas : manifestez, protestez, agissez, réagissez !
Signataires : Chantal (Hébron dont 20% n'ont
jamais cessé d'être occupés depuis 1967), Valérie (Jérusalem-est occupée),
Nathalie, Stéphanie et Omar (Bethléem réoccupée), Vincent, Anaïs, Isabelle,
Chadia, Théodora, Chantal et Haïtham, Claude, Myriam, Micaël, Coralie et Antoine
(Ramallah réoccupée), Ana, Emilie et Véronique (Naplouse réoccupée), Marianne
(Gaza, bouclée), Ben, Manuel et Kristin (Abou Dis surveillée).
[Contact : cevepalestine02@yahoo.com]
3. “Israël en danger” ou : Une
stratégie médiatique d’avenir, pour Israël par Saleh Abdel
Jawad
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
(Saleh Abdel Jawad est
politologue, professeur à l’université de Birzeit en Palestine.)
17
avril 2002 - Ce papier se propose de répondre au mythe qui voudrait que les
Palestiniens seraient en train de mener une guerre contre l’existence même
d’Israël et que, par tant, la guerre menée par Israël contre les Palestiniens
serait une lutte pour sa survie (‘milkhama bifshil ha-bayt’ : ‘une guerre pour
la défense du foyer’). Cette idée fausse a proliféré, au cours des derniers
mois, et elle est utilisée à la manière d’une lance et d’un axe stratégique de
la propagande sioniste contre le peuple palestinien. Viennent y ajouter leurs
effets deux autres arguments fallacieux constitutifs du récit israélien : la
“générosité” d’Israël à Camp David (que les Palestiniens auraient - pour autant
qu’elle eût existé - rejetée), et l’expression “terrorisme palestinien” qui a
fait ses preuves dans les médias. Le lobby sioniste aux Etats-Unis et l’appareil
de propagande de Sharon ont fait leur cette approche tri-composite, laquelle a
même trouvé un écho, récemment, dans les discours du président américain, George
Deubeuliou Bush. La propagation réussie, il faut bien le reconnaître, de cette
propagande a trouvé une sorte de couronnement dans une numéro spécial, récent,
de l’hebdomadaire Newsweek, sur la couverture duquel figurait une étoile de
David, avec une légende posant la question de savoir si Israël avait quelque
chance de survivre... Ce numéro regorgeait d’articles et de reportages, dont un,
écrit par un certain Henry Kissinger, ce même Kissinger Henry dont des archives
officielles récemment déclassifiées montrent qu’il a été à l’origine non
seulement de la politique arabe des Etats-Unis, mais aussi des drames humains
dont les peuples du Timor oriental (durant le mandat de Gerald Ford) et de
l’Angola (sous celui de Jimmy Carter) ont eu à souffrir.
L’article de
Kissinger, donc, mentionne que le retour d’Israël à ses frontières d’avant le 4
juin 1967 mettrait en danger son existence car, écrit-il, les zones arabes de
Cisjordanie sont trop près du coeur de ce pays. Il cite comme exemple la ville
israélienne de Netanya, qui n’est qu’à treize kilomètres de Tulkarem (en dépit
du fait que Tulkarem sera toujours à treize kilomètres de Netanya, quand bien
même Israël ne se retirait pas jusqu’à ses frontières d’avant juin 67. A moins,
bien entendu, que Kissinger n’envisage d’éliminer Tulkarem de la carte sans
autre forme de procès ?!). Kissinger tente vainement de rejeter la thèse selon
laquelle c’est une solution définitive de la question palestinienne qu’il
incombe à l’administration américaine de trouver. Il préfère soutenir l’option
d’une gestion des crises au moyen de règlements intérimaires. Dans la même
veine, nous ne sommes nullement surpris de le voir douter de la pertinence de
l’initiative saoudienne et de sa prise en considération d’Israël, en s’en
référant à la “froideur” de la paix égypto-israélienne et au cynisme (promu par
Barak) intrinsèque à l’exigence d’une reconnaissance d’Israël par les Arabes et
d’une normalisation totale de leurs relations avec cet Etat.
Bien que ces
allégations soient manifestement sans fondement, le monde arabe doit les prendre
tout-à-fait au sérieux. En effet, elles constituent la pierre angulaire de la
”justification” de tous les crimes commis aujourd’hui, ainsi que la violation
flagrante de toutes les lois internationales (à commencer par la Quatrième
convention de Genève, de 1949) qui régissent l’attitude à observer vis-à-vis des
civils dans une situation de guerre (laquelle est en l’occurrence une guerre
unilatérale déclenchée par la partie surpuissante, arrogante et
insolente).
Ces allégations sont donc un chèque en blanc signé et remis à
Sharon, avalisant toutes ses exactions. Il est, par conséquent, indispensable
que les intellectuels palestiniens et, avec eux, les intellectuels du monde
entier, adressent un message extrêmement clair à l’opinion publique israélienne,
mais aussi mondiale, en déconstruisant le cynisme de ces outils de propagande.
Car ils pourraient s’avérer encore bien plus dangereux que les mensonges de
l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak et de Shlomo Ben Ami, abondamment
diffusés par les médias occidentaux et israéliens à la veille de l’échec des
négociations de Camp David, déjà mentionnées, en 2000. De la même manière que ce
mythe, plus qu’aucun autre auparavant, avait pavé la voie devant le rouleau
compresseur de la répression israélienne contre les Palestiniens après
l’explosion de l’Intifada Al-Aqsa (survenue dans le marasme causé par le silence
des Palestiniens, à l’époque, sur ce qui s’était produit en réalité à Camp
David), le nouveau mythe en date menace de paver la voie devant la
cristallisation d’un consensus israélien, voire même judéo-occidental,
“justifiant” les pires exactions contre les Palestiniens : tueries,
destructions, et même expulsion collective manu militari. Nous devons nous
remémorer comment les mythes et les mensonges (que tout le monde connaît)
répandus par les sionistes sur la guerre de 1948 ont réussi à leur fournir une
“légitimation” non seulement de l’ensemble des drames infligés à notre peuple à
l’époque, mais même de la plupart de ceux qui lui ont été infligés depuis lors
!
C’est ce qui m’amène à vous faire part d’une lettre parodique dont
l’objectif est de démolir ces mythes. Je l’ai intitulée “Israël en danger” (j’ai
bien le droit, moi aussi, d’attirer le lecteur, non ?) :
Israël se bat pour la survie
Notre
existence est menacée : nous ne détenons que deux cents têtes nucléaires. Nous
sommes en danger : nous produisons nos propres satellites militaires, alors que
les Arabes se déplacent encore à dos de chameau. Nous sommes en danger
existentiel, bien que notre aviation militaire soit la seconde au monde après
celle des Etats-Unis, du point de vue qualitatif, et bien que notre équipement
militaire et nos tanks laissent loin derrière eux en quantité tout ce que la
France, l’Allemagne et l’Angleterre prises ensemble peuvent se vanter de
posséder. Nous sommes en danger, en dépit de notre avance technologique et de
nos armes secrètes, que nous expérimenterons, n’en doutez pas, le moment venu,
contre les terroristes arabes, et bien que nous soyons le sixième exportateur
d’armement au monde. Tout cela n’empêche pas que nous sommes en danger. Nous
vous en conjurons, ne permettez pas qu’Auschwitz recommence.
Il y a (en face
de nous) 30 000 Palestiniens armés de vieux riblons AK-47. La plupart d’entre
eux se sont rendus sans combattre, quand nous avons investi leurs villes. Of
course : ils n’avaient pas de munitions. Mais n’empêche. Leur chef, Abu Ammar
(Yasser Arafat, ndt), qui a soixante-treize ans et qui ne peut appeler ses
forces (armées), même pas de la cabine téléphonique au coin de la rue, est le
plus grand stratège depuis Klauzewicz et Napoléon Bonaparte. Mais comment vous
faire comprendre ? Ces diaboliques Palestiniens pourraient bien être capables,
les vaches, de détruire nos F-15, avec leurs tromblons ; ils pourraient bien
détruire aussi nos têtes nucléaires dans leurs bases secrètes, voire même en
vol, ces andouilles. Ils menacent l’existence de nos soldats dont nous vous
rappelons, au cas où vous l’auriez oublié, qu’ils ne sont, avec les réservistes,
pas plus d’un petit million !
Nous sommes en danger de mort : l’économie
palestinienne est en train d’absorber la nôtre. Leur revenu national est de 4
milliards de dollars et ils en ont perdu 2,4 à cause de leur satanée Intifada.
Bien fait pour leur tronche. Nous, pauvre petit Israël, n’avons que 120
milliards de dollars de produit national brut. Nous sommes en danger. C’est
tonton Riri (Kissinger) qui l’a dit, d’abord : la distance de Netanya à Tulkarem
n’est que de treize kilomètres. Les Palestiniens lui auront sans doute dérangé
le cerveau, avec leur équipement de déprogrammation télépathique des neurones :
c’est la seule explication plausible au fait que le pauvre vieux n’ait pas
remarqué que la distance de Tulkarem à Netanya est - elle aussi - seulement de
treize kilomètres !
Nous sommes en danger parce que nous défendons notre
territoire à Gaza, envahie par des réfugiés palestiniens que nous avions
pourtant pris la peine d’expulser de Jaffa et d’Ashdod, en 1948. Aujourd’hui,
ceux-ci nous empêchent tout à fait grossièrement de nous emparer des cent pour
cent de la Bande de Gaza, dont la superficie, dois-je le rappeler, n’est que de
360 kilomètres carrés !? Que dire de ces gueux ? Une bande de sauvages : ces
animaux, dans la bande de Gaza, vivent serrés comme des sardines.
Ils ne sont
pas civilisés : voilà qui résume tout le danger auquel nous sommes confrontés.
Le citoyen palestinien, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, ne consomme
qu’un dixième de l’eau consommée par un colon israélien : voilà pourquoi les
Palestiniens sentent tellement mauvais : leur hygiène est déficiente. Quoi qu’il
en soit, les Palestiniens sont des oppresseurs puisqu’aussi bien ils ne laissent
pas nos colons remplir leurs piscines d’eau fraîche quotidiennement.
Nous
sommes en danger démographique, les Palestiniens se multipliant comme des
lapins. Mais nous ne pouvons nous résoudre à être des criminels dans le style
d’Hitler et construire, ce qu’à Yahvé ne plaise, des chambres à gaz pour les
éliminer. Non. C’est pourquoi nous allons résoudre le problème démographique en
recourant à la non-violence.
Voici comment nous, qui sommes civilisés, allons
procéder.
Tout d’abord, nous allons faire venir des Russes et des
Ethiopiens. Et s’ils ne sont pas Juifs ?! Mais qu’est-ce que ça peut bien vous
faire, d’abord ? A partir du moment où il ne s’agit pas de Palestiniens du
coin...
Ensuite, nous arrêterons les femmes enceintes, aux barrages
militaires, afin d’éviter qu’elles ne puissent atteindre une maternité. Par
souci humanitaire, nous avons décidé de fournir à nos soldats en faction aux
checkpoints des boules Quiès (r) afin qu’ils ne soient pas importunés par les
hurlements et les gémissements de ces femmes en gésine en train de mourir, ainsi
que par les cris de leurs nouveaux-nés en train de mourir avec elles.
La
distribution de ces bouchons pour les oreilles sera autorisée également en cas
de Palestiniens hurlant à la mort de douleur, atteints d’infarctus, de coliques
néphrétiques nécessitant un traitement d’urgence, ou de toute autre affection
mettant leur vie en danger, telles les crises de diabète, d’hypertension, ou
autres.
Troisièmement, étant donné que nous ne saurions être des criminels et
recourir aux armes biologiques, nous avons décidé d’interdire aux Palestiniens
d’enterrer leurs morts. Nous tenons là une idée géniââââle. Les corps en
décomposition diffuseront les épidémies. Comme ça, ils crèveront par la faute de
leurs propres compatriotes palestiniens, et nous garderons une conscience
nickel.
Quatrièmement, afin d’éviter de lourdes charges financières à
l’Autorité palestinienne, nous avons décidé d’aider le Ministère de la Santé et
le Croissant Rouge palestiniens en les dispensant de toute responsabilité dans
l’acheminement des blessés. Comme vous le savez tous, sans doute, le transport
des blessés par ambulance est extrêmement coûteux. C’est pourquoi un Palestinien
qui se respecte a le devoir de servir sa grande nation palestinienne en saignant
à blanc. Ainsi, il connaîtra le confort et procurera du confort à autrui. Que
désirer de mieux ? En geste de bonne volonté, nous avons décidé d’aider
financièrement les pères de famille et les chefs de famille palestiniens en
fermant toutes les écoles, en occupant le ministère palestinien de l’Education
nationale et en démantelant et confisquant tous ses fichiers, ordinateurs,
etc...
Cinquièmement - c’est absolument sans précédent - nous avons décidé
d’accorder aux Palestiniens un congé illimité. Chose incroyable,
incompréhensible, ils continuent à se plaindre ! Le Palestinien est le seul au
monde à recevoir un congé d’un an (voire plus), alors que les employés les plus
qualifiés, dans un pays comme la Suisse, n’ont pas droit à plus d’un mois de
congés par an !
Monde libre, te voilà prévenu : le danger a encore augmenté
depuis que nous avons envahi les villes palestiniennes.
Les Palestiniens
n’ont rien d’autre à manger durant les interminables bouclages, que nous
envisageons de maintenir des semaines durant, que des lentilles, des fayots et
du blé. Ils ont du bol, et ils devraient nous remercier, ces ingrats : c’est là
un régime très équilibré, très riche en fibres. Mais, mince alors, ça produit un
tas de flatulences, et nous sommes confrontés à un nouvel Auschwitz. C’est
pourquoi nous avons décidé : plus jamais ça !
Enfin, en dépit du fait que
nous soyons menacés - d’extinction, rien que ça - nous avons décidé, comme
il sied au Peuple (élu) d’Israël, de mourir, mais cette fois, sans emmerder le
monde. C’est pourquoi nous avons décidé qu’il n’y aurait pas de témoins de ces
crimes perpétrés contre nous et c’est pourquoi nous sommes amenés à tenir à
l’écart tout journaliste du nouvel Auschwitz. Malheureusement, nos juristes ne
pourront sans doute pas, dans cinquante ans, exiger des compensations
financières. Mais vous pouvez nous croire : nous sommes sincères lorsque nous
vous disons que, nous tenons par dessus-tout à ne déranger personne.
Une
victime compatissante
Ariel Sharon
4. Lettre ouverte à Ariel
Sharon par Bertrand Bloch
(Bertrand Bloch est professeur d’histologie à l’université de
Bordeaux 2 et membre de la Coordination des Appels pour une Paix Juste au
Proche-Orient – CAPJPO : http://www.paixjusteauproche-orient.com)
Cher Ariel,
Je
viens de passer quelques jours en Israël pour Pessah, afin de témoigner à ma
famille qui vit à Beersheba, affection et chaleur dans ces horribles moments.
Je t’écris parce que durant la semaine que j’ai passé là-bas, les
évènements antisémites qui se déroulent en France me montrent que tu
contribues, avec les fanatiques de tous bords, à nous faire basculer
dans un monde et une logique qui sont inacceptables pour un juif et pour
un citoyen et qui me font peur, pour moi et pour mes enfants.
Pour tous
ceux qui, en France sont amis d’Israël, et ont rêvé de la paix lors du processus
d’Oslo, une paix juste qui respecte les aspirations nationales des palestiniens,
ton arrivée au pouvoir nous a fait craindre le pire; chacun sait et doit
dénoncer les atermoiements et les ambiguïtés de certains leaders palestiniens ;
chacun voit chaque jour les attentats inacceptables qui radicalisent dans la
dignité et le désarroi la population israélienne. Celle-ci estime
désormais qu’il n’y a d’autre issue que l’affrontement sans merci avec les
Palestiniens. Mais le pouvoir des fanatiques ne peut que se nourrir des discours
et des actes qui sèment l’humiliation et le désespoir parmi les civils
palestiniens afin de fermer les rares portes qui permettraient de stopper cette
spirale insensée et mortifère. I. Rabin, qui est mort de la vision de paix qu’il
proposait, avait cette volonté farouche de négocier, en dépit des poseurs de
bombes, sans transiger avec la sécurité d’Israël. Depuis ton arrivée, et tout
singulièrement ces dernières semaines, tu as engagé le gouvernement et l’armée
israélienne dans un combat qui laisse croire que la violence aurait raison
contre les demandes légitimes d’un peuple; les amis d’Israël, un certain nombre
d’israéliens courageux constatent avec tristesse qu’Israël y perd
progressivement son âme et son honneur, sans gagner la sécurité à laquelle
chacun de ses citoyens aspire.
Cher Ariel, j’ai été choqué lorsque tu t’es
adressé à moi, il y a quelques semaines, en tant que juif français, pour me
mettre en garde contre une France antisémite et contre le danger que
représenterait la communauté arabo-musulmane de notre pays. Il y a en France,
comme partout, les antisémites et les racistes d’hier et de demain, contre
lesquels chacun de nous doit lutter sans relâche. Mais il y a aussi, et c’est la
force de mon pays, celui auquel je veux croire pour nos enfants, l’immense
majorité des français, quelles que soient leur origine, leur religion et leurs
sympathies pour la Palestine ou pour Israël, qui veulent vivre dans le respect
de l’autre, en paix. Ceux-là refusent le repli communautaire; ils ont le souci
des valeurs communes de notre pays.
Cher Ariel, ton combat, ton discours de
violence, l’impasse à laquelle tu conduis Israël me consternent. Je soutiens
Israël mais je ne peux que dénoncer ta politique sans issue. En dépit des
horreurs actuelles, je veux croire qu’il n’est pas trop tard. Nous devons tous
militer pour l’établissement d’un état palestinien à coté d’Israël dans le
respect mutuel des droits et des aspirations des deux peuples. Comme membres de
la société civile, comme politiques notre responsabilité est d’agir afin de
redonner à chacun confiance dans l’avenir. Plus que
jamais.
5. Extrait de l'interview avec
Rachi Israéli, présenté comme spécialiste de l'Islam et du Proche-Orient,
professeur à l'université hébraïque de Jérusalem sur Arutz 7 (radio
israélienne) le lundi 25 mars 2002
- Vous voyez que les
Palestiniens et le Monde Arabe et je dois dire avec l'aide de la gauche
israélienne et de la gauche intellectuelle européenne et américaine ont réussi
depuis 1967 à changer l'attention du monde, pour virer du problème israélo-arabe
au problème israélo-palestinien. Dans la grande équation Israël/Monde Arabe,
avant 1967 c'est Israël qui avait la sympathie du monde, c'était le petit
Israël assiégé menacé par tout ce monde arabe autour de lui. (...) On voit dans
cette petite équation Israël, le grand pouvoir la grande puissance qui occupe
les Palestiniens sont les sans état les pauvres les malheureux.(...). Dès que
les Américains ont commencé à lutter contre le terrorisme mondial, la grande
équation était entrain de se revivre on voyait bien la menace non seulement
contre Israël mais contre tout le monde occidental avec tout ce monde islamique
les Arabes et ainsi de suite, et le plan saoudien justement vient pour retourner
la situation pour revenir de nouveau à la petite équation
Israël/Palestine.
Ce dont on discute maintenant, c'est de l'Irak et non plus
des menaces arabes contre Israël, ce n'est plus du terrorisme islamiste
international, mais on discute comment régler le problème palestinien.
(...)
Je crois ce que le gouvernement israélien est entrain de faire maintenant c'est
d'évaluer les grands bénéfices d'Israël quand le grand combat commencera contre
l'Irak ou l'Iran ou les deux.
- Ce qui explique le profil bas
d'Ariel Sharon en ce moment...
- Absolument. Car les
Palestiniens ne menacent pas l'existence d'Israël.C'est l'Irak. (...) Mais pour
nous lorsque (jusqu'à ce que) les Américains arriveront à l'étape où la grande
menace contre Israël est liquidé.... il vaut mieux payer maintenant ce petit
prix par rapport au grand bénéfice que nous aurons (..).Ce qui explique le
profil très très bas de Sharon qui ne veut pas causer aux Américains
n'importe quel prétexte pour qu'ils lancent pas le combat décisif contre l'Irak
qui est dans notre intérêt.
- Et le combat décisif contre Yasser
Arafat ? On a entendu certains ministres comme Uzi Landau dirent que tout était
prêt pour des opérations sans précédent , réoccupation de tous les territoires
palestiniens. Ce combat là aura t-il lieu? Est ce que Ariel Sharon aura un jour
la possibilité de le mettre en oeuvre ?
- Il y a à mon avis
deux scénarios possibles : pendant la guerre contre l'Irak, qui va changer, peut
être révolutionner le Proche-Orient, l'attention du monde sera de nouveau centré
sur l'Irak. Ce qui nous laisserait les mains libres pour faire bien des
choses ici qui maintenant attire l'attention du monde mais qui plus tard
attireront moins d'attention. (...)L'autre, c'est qu'Arafat en voyant Saddam,
son grand supporter, est entrain de subir une défaite, se repliera sur
lui, et on assistera à une baisse des attentats pour ne pas que le monde se
retourne contre lui, pendant que l'attention du monde est tourné vers
l'Irak.
6. Une autre voix
une lettre de l'Union juive française
pour la paix - Provence
Lundi 15 avril 2002 - Nous nous adressons à tous nos concitoyens, et en particulier à ceux qui
considérent avoir des liens d'attachement spécifiques avec Israel.
Nous condamnons les actes d'antisémitisme perpétrés
en France, dont la portée symbolique est immense. Nous condamnons les attentats kamikazes commis par les Palestiniens à
l'égard d'une population civile, qu'ils soient actes individuels de desespérés
ou d'organisations politiques. Nous les
condamnons sans réserve, parce que le respect de la vie humaine est un devoir
sacré, parce qu'aujourd'hui plus que jamais, nous devons nous battre pour la vie
et non pour la mort.
Mais nous savons que le risque est grand de rester
dans la confusion.
Les attentats terroristes palestiniens ne sont ni
la cause ni la justification des massacres commis par l'armée israélienne dans
les territoires occupés depuis 1967. Nous rappelons que le premier attentat de
ces dernières années fut commis par un juif, Baruch Goldstein, auteur du
massacre du Tombeau des Patriarches, tuant dans un acte de folie meurtrière
trente neuf musulmans en prière. Nous rappelons également que c'est Sharon qui
fut le premier à profaner un lieu saint, en venant parader sur l'Esplanade des
Mosquées / Mont du Temple, sous la haute protection de l'armée.
Aussi, malgré toutes les intimes convictions des
uns et des autres, il faut regarder la réalité en face.
La «chasse aux terroristes» n'est qu'un pretexte
pour anéantir la population palestinienne sommée ou de disparaître ou de se
disperser si elle ne veut pas être asservie.
La guerre menée par Sharon et son gouvernement,
renforçé de ministres issus de l'extrème droite religieuse, n'a d'autre but que
d'annexer définitivement la Cisjordanie et de construire, au mépris de la
sécurité même de la population israélienne, «un Grand Israel de la Mer au
Jourdain», «Espace Vital du Peuple juif», selon les propos du général Effi
Eytam, nouveau ministre du gouvernement d'Union Nationale depuis le 8 Avril
(interview recueillie par Sylvain Cypel dans le Monde du 7-8 avril
2002).
Porter la guerre partout, y compris dans les États
arabes qui ont conclu la paix avec Israel, est l'ultime visée des manœuvres de
Sharon et de ses acolytes qui tentent de s'appuyer sur les instances
communautaires juives internationales pour couvrir leurs exactions. Ils tentent
ainsi de prendre les juifs du monde entier en otages, en les amenant à soutenir
une politique que ceux ci réprouveraient s'il ne s'agissait pas d'Israel. Ils se
conduisent comme des pères incestueux, qui tiennent leur famille par la loi de
la tribu, au nom du fantasme d'une menace permanente.
Écoutons encore Effi Eytam: «Nous croyons en
l'existence du Maitre du Monde, les Chrétiens et les Musulmans aussi, mais ils
ne forment pas un peuple, Nous si. C'est notre particularité: Nous sommes seuls
au monde à entretenir un dialogue avec Dieu en tant que peuple..... Nous devons
ètre la lumière pour nous mèmes, et nous deviendrons la lumière des Nations....
Par sa stature morale, Israel montrera la voie.»
Combien ces propos sont éloignés de l'enseignement
le plus fondamental du judaisme : «Ce que tu ne
supporterais pas qu'on te fasse, ne le fais pas aux autres !»
Tsahal s'est notamment inspirée de «l'expérience»
allemande devant le Ghetto de Varsovie et a fait venir devant son Collège
National de Défense le spécialiste de la lutte contre les ghettos noirs à Los
Angeles, ainsi qu'un général russe des forces spéciales en Tchéchénie pour
préparer l'offensive actuelle contre les villes palestiniennes (Haar'etz Janvier
-fevrier 2001).
L'abjection chez eux s'ajoute au ridicule. Shimon
Peres, Prix Nobel de la Paix, devenu Prix Sharon de la Guerre, pousse le
grotesque jusqu'à parler de «propagande palestinienne» à propos des massacres de
Jenine. Pourtant, c'est bien l'armée israélienne qui empèche les journalistes,
même israéliens, de faire leur travail d'information. Envers et contre tous les
témoignages concordant des européens présents à Ramallah, Bethléem et autres
villes palestiniennes, le gouvernement Sharon maintient que la soldatesque de
pillards endoctrinés qu'est devenu Tsahal, est l'armée la plus vertueuse du
monde.
Agir ainsi c'est faire outrage aux juifs
vivants
En jouant de leur peur viscérale de l'antisémitisme
pour tenter de ruiner toute liberté de pensée, en instillant un climat de
paranoia et défiance devant tout ce qui n'est pas de leur bord et en laissant
entendre qu'il y aurait un complot contre les juifs dont seul Israèl serait le
bouclier et le rempart.
Agir ainsi c'est faire outrage aux juifs
morts
En rangeant sous la même bannière d'un pouvoir
fasciste raciste et belliqueux les massacrés de la Shoah. C'est faire outrage à
ce qu'il y a eu de meilleur dans le monde juif du XX ème siècle: le combat pour
la justice et la fraternité entre les peuples,dans lequel s'illustrèrent des
combattants juifs antifascistes, ceux des Brigades Internationales, ceux de la
Résistance, de la MOI et de l'Affiche Rouge, ceux enfin du Ghetto de
Varsovie.
Massacrer, humilier, torturer, affamer des hommes,
des femmes et des enfants en leur nom est une effroyable imposture.
Les crimes de guerre commis ces dernières semaines
n'ont d'autre but que de terroriser les civils palestiniens à qui il n'est
proposé qu'une alternative: vivre sans droits politiques, comme des étrangers
sur leur propre terre, ou partir notamment en Jordanie s'ils continuent à
réclamer l'application des résolutions de l'ONU.
Suivant la voie révisionniste, Sharon et ses
ministres veulent réécrire l'Histoire, y compris celle des fondements d'Israel.
Mais Israel, qui doit son existence à une décision de l'ONU ne peut continuer à
bafouer les lois internationales sans mettre en péril son avenir et sa
légitimité.
La Paix pour les Israéliens et les Palestiniens
passe par le retrait d'Israel sur les frontières d'avant 1967, le démantèlement
des colonies, l'existence de deux États ayant chacun Jérusalem comme capitale.
L'heure est trop grave pour hésiter à s'engager.
Le choix est simple, le combat pour la paix est
celui du soutien au Peuple Palestinien, ainsi qu'aux forces de Paix en
Israel.
[Contact Union juive
française pour la paix - Provence : ujfpp@free.fr]
7. À Jénine, j'ai
fondé... par Uri Avnery
[traduit de l'anglais par R.
Massuard et S. de Wangen]
13 avril 2002 - Il y a 105 ans, le
lendemain du premier congrès sioniste à Bâle, Théodore Herzl a écrit dans son
journal: «À Bâle, j'ai fondé l'État des Juifs.» Cette semaine, Ariel Sharon
devrait noter dans son journal : «À Jénine j'ai fondé l'État des
Palestiniens.»
Évidemment, ce n'est pas ce qu'il voulait. Tout au
contraire, son intention était de détruire la nation palestinienne, ses
institutions et sa direction, une bonne fois pour toutes, ne laissant que des
ruines, des décombres humains dont on pourrait se débarrasser n'importe
où.
En pratique, c'est quelque chose de tout à fait différent
qui s'est passé. Confrontée aux attaques de la puissante machine militaire de la
région et aux armes les plus modernes du monde, noyée dans une mer de
souffrances, entourée de cadavres, la nation palestinienne s'est redressée comme
jamais.
Dans le petit camp de réfugiés près de Jénine, un groupe
de combattants palestiniens de toutes les organisations se sont rassemblés pour
une bataille défensive qui est enraciné pour toujours dans le cœur de tous les
Arabes. Elle est le Massada palestinien - comme l'a appelée un officier
israélien faisant allusion à la légendaire résistance de ceux qui restaient de
la grande révolte contre Rome en 71 avant JC.
Quand les médias internationaux ne pourront plus être
tenus à l'écart et que les images de l'horreur seront publiées, deux versions
possibles pourront émerger: Jénine, l'histoire d'un massacre, un second Sabra et
Chatila - et Jénine, le Stalingrad palestinien, l'histoire d'un héroïsme
mémorable. C'est certainement la seconde qui prévaudra.
Les nations sont bâties sur des mythes. J'ai été élevé sur
les mythes de Massada et Tel-Chai, qui ont formé la conscience de la nouvelle
nation hébraïque. (À Tel-Chai, en 1920, un groupe de défenseurs juifs conduit
par le héros manchot Joseph Trumpeldor ont été tués dans un incident avec des
combattants syriens anti-Français.) Les mythes de Jénine et d'Arafat emprisonné
dans ses bureaux à Ramallah formeront la conscience de la nouvelle nation
palestinienne.
Un robot militaire primaire qui voit tout en termes de
puissance de feu et de comptage de cadavres ne pourra pas comprendre cela. Mais
Napoléon, un génie militaire, a dit que, dans la guerre, le moral compte pour
les trois quarts et l'équilibre réel des forces seulement pour le dernier
quart.
Comment se présente la guerre de Sharon dans cette
perspective?
En ce qui concerne les forces réelles, le rapport est
clair. Quelques dizaines d'Israéliens tués, des centaines de Palestiniens morts.
Aucune destruction en Israël, des destructions horribles dans les villes
palestiniennes.
Le but proclamé était de «détruire l'infrastructure de la
terreur». Cette définition est en elle-même un non-sens: L'«infrastructure de la
terreur» existe dans l'âme de millions de Palestiniens et de dizaines de
millions d'Arabes dont le cœur éclate de rage. Plus il y a de combattants et de
kamikazes tués, plus de combattants et de kamikazes sont prêts à les remplacer.
Nous avons vu les «laboratoires d'explosifs» - quelques sacs de matériel que
l'on peut obtenir dans les boutiques israéliennes. Les FDI sont fières d'en
découvrir des dizaines. Il y en aura bientôt des centaines
d'autres.
Quand des dizaines de personnes blessées gisent dans les
rues et perdent lentement leur sang jusqu'à la mort, parce que l'armée tire sur
toute ambulance qui circule - cela crée une haine terrible. Quand l'armée
enterre secrètement des centaines de cadavres d'hommes, de femmes et d'enfants -
cela crée une haine terrible. Quand des tanks écrasent des voitures, détruisent
des maisons, arrachent des poteaux électriques, crèvent des conduites d'eau,
laissent derrière eux des milliers de gens sans abri et obligent des enfants à
boire l'eau des flaques de la rue - cela provoque une haine
terrible.
Un enfant palestinien qui voit tout cela de ses propres
yeux devient le kamikaze de demain. Ainsi ce sont Sharon et Mofaz qui créent
l'infrastructure terroriste.
Par là même, ils ont créé les fondations de la nation
palestinienne et de l'État palestinien. Les gens ont vu leurs combattants à
Jénine et croient qu'ils sont de bien plus grand héros que les soldats
israéliens, protégés comme ils sont à l'intérieur de leurs énormes tanks. Ils
ont vu leur dirigeant dans une séquence historique à la TV, son visage éclairé
par une simple bougie dans son bureau sombre et encerclé, prêt à mourir à tout
moment, et ils le comparent avec les ministres israéliens hédonistes, assis dans
leurs bureaux, loin des combats, entourés par des hordes de gardes du corps.
Ainsi naît l'orgueil national.
Rien de bon pour Israël ne sortira de cette aventure,
comme rien de bon n'est sorti des aventures précédentes de Sharon. Le concept de
l'opération était stupide, son application cruelle, les résultats en seront
désastreux. Cela n'apportera ni paix ni sécurité, ne résoudra aucun problème,
mais isolera Israël et mettra en danger les Juifs du monde entier.
En fin de compte, on ne se souviendra que d'une seule
chose: notre machine militaire géante a attaqué le petit peuple palestinien, et
le petit peuple palestinien et son dirigeant ont tenu bon. Aux yeux des
Palestiniens, et pas seulement à leurs yeux, cela apparaîtra comme une victoire
éclatante, la victoire d'un David moderne contre Goliath.
8. Mise à sac du Centre culturel
Khalil Sakakini à Ramallah par Adila Laidi, directrice du
Centre
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
16 avril 2002 - Ce
jour, 15 avril 2002, le couvre-feu imposé à la ville de Ramallah a été levé pour
la quatrième fois pour une durée de quatre heures, ce qui nous a permis d’entrer
dans les locaux du Centre Culturel Sakakini et de commencer à évaluer les
dommages commis par l’armée israélienne durant son effraction du samedi 13
avril.
Nous avons découvert un spectacle de désolation et de destruction,
défigurant un bel édifice ancien, résumé à lui seul de l’esthétique de
l’architecture palestinienne. Toutes les fenêtres du premier étage, toutes les
vitres de la véranda ont été soufflées par deux explosions, destinées à “faire
sauter” deux portes métalliques latérales. Tous les sols, tant de la véranda que
de la salle de conférence et du foyer (cafeteria) étaient couverts d’éclats de
vitres.
Les quatre bureaux ont été vandalisés, y compris celui du poète
Mahmoud Darwish : les tiroirs des placards muraux d’origine, ainsi que ceux des
bureaux, ont été vidés sur le sol, les étagères des bibliothèques cassées, les
livres jetés par terre, une porte ancienne en bois fracturée. L’étendue des
dommages ne sera connue et estimée que lorsque nous pourrons retourner
travailler dans le centre, mais nous pouvons d’ores et déjà faire un premier
inventaire :
- dommages irréparables à certaines oeuvres d’art, à un portail
d’origine en fer forgé, destruction du standard téléphonique, électricité
coupée, système d’alarme endommagé, un radiateur cassé par l’explosion dont
l’eau s’est répandue sur le sol du foyer, coffre-fort forcé, marques et impacts
profonds causés par les éclats de l’explosion dans tous les murs et plafonds.
- en ce qui concerne le pillage : le disque dur de l’ordinateur central a
été volé, ainsi que quelques milliers de NIS (nouveaux shekels israéliens),
volés dans le coffre-fort, ainsi qu’un téléphone portable.
Les dommages ont
été photographiés et filmés en vidéo.
Le Centre culturel Sakakini est une
organisation non-gouvernementale fondée en 1996. Elle organise diverses
manifestations artistiques et développe des projets spécifiques consacrés à
l’histoire et à la culture orale palestinienne.
Avant l’invasion, le Centre
avait reçu la visite d’une délégation internationale d’écrivains, parmi lesquels
deux prix Nobel, Wole Soyinka et Jose Saramago.
Les institutions artistiques
et culturelles n’ont pas échappé au vandalisme et à la destruction systématique
qui ont frappé l’ensemble des institutions palestiniennes, durant ces deux
dernières semaines. Ainsi le Théâtre-Cinémathèque Qassaba, à Ramallah a eu
à en souffrir. Les Centres culturels français et grec, à Ramallah, ont été
entièrement détruits. Mentionnons l’occupation qui se poursuit, à ce jour, du
Centre pour la Paix de Bethleem, ainsi que du siège du Ministère palestinien de
la Culture, à Ramallah.
Depuis le début de l’invasion israélienne, le
personnel du Centre Sakakini a continué à travailler, sous l’état de siège,
rassemblant et expédiant notamment des témoignages sur la vie quotidienne dans
la ville assiégée, des lettres et des dessins d’enfants, des appels aux médias,
ainsi qu’une lettre ouverte adressée à George Bush.
Tous ces documents sont
consultables sur le site : http://www.intertech pal.com.
Un autre site
présentant ces documents a fait l’objet d’une attaque par virus. Il s’agit du
site : http://www.alnakba.org/siege
Les
méthodes de destruction du centre Sakakini correspond à la manière dont l’armée
israélienne a usé pour faire irruption dans les domiciles privées et les
institutions publiques au cours des deux dernières semaines, qui se résume à
deux mots : terreur et crime. Cette sauvagerie prouve une détermination affichée
très claire de vandaliser et de détruire toutes les infrastructures
institutionnelles des Palestiniens, accompagnée de pillages quasi-systématique
commis par des soldats haineux.
Nous ne sommes hélas nullement surpris de
constater encore une fois que l’armée israélienne qui n’a aucun respect pour la
vie humaine, comme l’illustre le massacre barbare commis dans le camp de
réfugiés de Jenine, ni aucun respect pour les lieux saints, comme le symbolise
la perpétuation du siège de l’Eglise de la Nativité à Bethléem, qui nous fait
revivre le Moyen-Age, montre également qu’elle n’a aucune espèce de
considération pour la dignité de tout héritage culturel.
[Pour plus d’information, contacter Mr. Mazen Qupty,
secrétaire du Comité de direction du Centre Sakakini au numéro de téléphone
suivant : +972 2 627 66 67 - en particulier, en ce qui concerne les actions
légales envisagées.]
9. Désespoir en Palestine
par Mumia Abu-Jamal
[traduit de l'anglais par
Marcel Charbonnier]
“ (...) [Une] société qui
s’accoutume au recours à la violence pour résoudre ses problèmes, tant mineurs
et qu’importants, est une société dans laquelle les racines des relations inter
humaines sont atteintes” Ignacio Martin-Baro, S.J., in Ecrits pour
une psychologie de la libération (1994)
21 mars 2002 - La guerre désorganise les vies humaines,
détruit la santé et les biens, mais un conflit armé décime également la santé
mentale individuelle et collective.
Pour que ce qui concerne celle-ci, un
problème est rarement traité, celui des blessures de l’âme, de l’esprit. Encore
plus rarement évoqué, l’impact de la guerre sur les pauvres, les jeunes, les
dépossédés. Quel sont les effets d’un conflit armé sur les opprimés, les damnés,
les démunis ?
Le Dr. Eyad Sarraj, psychiatre palestinien, a écrit, il y a
plusieurs années, que l’occupation israélienne avait un caractère si négatif, et
des effets si dévastateurs sur la psyché des Palestiniens, que “la chose
étonnante (était) non pas que des attentats-suicides se produisent”, mais bien
“le fait qu’ils soient tellement rares”. Le Dr. Sarraj notait :
“Je pense
qu’il s’agit d’actes de désespoir absolu, marquant le stade extrêmement grave
atteint dans un conflit apparemment sans issue. Depuis le déracinement des
Palestiniens, en 1948, causé par le terrorisme juif de l’Irgoun, dirigé par
Yitzhak Shamir et Menahem Begin, nous avons tout tenté. Nous avons misé sur
Nasser et le nationalisme arabe, ce qui nous a valu d’être envahis, en 1956,
dans nos maisons de fortune des camps de réfugiés. Ce n’est que parce que l’URSS
a menacé de bombarder Londres et Paris, et seulement grâce à la détermination du
président américain Eisenhower que l’occupation d’alors a pris fin.
Puis vint
le désastre consécutif à la guerre arabo-israélienne de 1967, Israël s’emparant,
après une guerre-éclair de six jours, du Sinaï conquis sur l’Egypte, du Golan
conquis sur la Syrie, et volant aux Arabes palestiniens tant la Cisjordanie que
la bande de Gaza.
Plus de trente années durant, les Palestiniens ont dû vivre
sous l’occupation militaire israélienne (qu’ils appellent la Nakba), avec des
cartes d’identité spéciales, des permis de résidence, des restrictions
extrêmement sévères à leurs déplacements internes, des “passeports” faisant état
d’une “nationalité : indéterminée” et l’omniprésence perpétuelle de l’occupant,
affectant les moindres gestes quotidiens. Ils ont dû vivre en étrangers sur la
terre de leurs pères, une terre surchargée de colonies israéliennes, de barrages
de contrôle militaire et de désespoir.
Pour les Palestiniens, rien n’a
fonctionné comme promis. Les résolutions de l’ONU proclament leur droit au
retour, leur droit à un Etat, la fin de l’occupation israélienne. Mais, sur le
terrain, rien ne change. L’armée écrase leurs maisons au bulldozer, des
francs-tireurs descendent leurs gamins qui lancent des pierres. Des dirigeants
sont liquidés à domicile, les F-16 vrombissent dans le ciel durant la nuit. Et,
dans cet espoir sans fond, des jeunes hommes (et désormais des jeunes femmes,
aussi ! ) s’entourent la taille de ceintures de mort. Leur seule prière ? Ne pas
mourir -
seuls...
10.
C’est çà, nos amis ? par Mumia Abu-Jamal
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
13 mars 2002 - Tandis que les tanks
israéliens déferlent sur les territoires palestiniens et que des dizaines de
milliers de soldats israéliens détruisent des centaines de maisons
palestiniennes, le président des Etats-Unis parle, devant des journalistes
clairsemés réunis pour une conférence de presse dont on a cru qu’elle ne
viendrait jamais, de l’assaut militaire de l’allié de l’Amérique : “Je pense que
cela ne sert à rien”.
Alors que le peuple palestinien vit une de ses heures
les plus sombres, alors que Ramallah et les camps de réfugiés sont ravagés par
plus de 20 000 soldats israéliens, accompagnés de centaines de chars et des
destructions incessantes infligées par les avions d’attaque F-16, la réponse du
gouvernement américain est celle-là : insipide, inintelligente et significative
du parti-pris écrasant qui caractérise la position des Etats-Unis sur le conflit
au Moyen-Orient.
Tandis que les diplomates et les hommes politiques
américains multiplient les appels à la paix, on ne saurait affirmer que les
Etats-Unis méritent d’être qualifiés d’arbitre impartial.
Examinons, par
exemple, le rôle des Etats-Unis dans les couloirs de l’ONU, lorsque des
résolutions concernant la Palestine sont mises en discussion :
Résolution
33/110, sur les conditions de vie du peuple palestinien (18.12.1978). Vote : 110
pour, 2 contre (Etats-Unis ; Israël)
Résolution 34/113 : Demande d’un rapport
d’enquête sur les conditions de vie des Palestiniens dans les territoires arabes
occupés par Israël (14.12.1975). Vote : 120 pour, 2 contre (devinez qui
?)
Résolution 34/133 : Assistance au peuple palestinien (14.12.1979). Vote :
112 pour, 3 contre (Etats-Unis, Israël, Canada)
Résolution 35/169C : Sur les
droits des Palestiniens (15.12.1980). Vote : 120 pour, 3 contre (Etats-Unis,
Israël, Australie).
Je pourrais poursuivre la litanie, elle est accablante.
Mais cela suffit.
Doit-on, par tant, s’étonner si les Palestiniens, en
particulier, comme les Arabes en général, ont le sentiment que les Etats-Unis
sont fort mal placés pour arbitrer entre les deux parties ?
Si d’aventure un
Palestinien attaque un Israélien, les Etats-Unis sont prompts à fustiger Arafat
“de ne pas faire suffisamment” pour la paix.
Lorsque des soldats ou des
colons israéliens se rendent responsables de violences contre des Arabes, il y a
soit un silence assourdissant du côté de Washington, ou le même genre de
commentaires tiédasses et “empruntés” que ceux concédés par Bush en
réaction aux incursions israéliennes massives à Ramallah et dans les camps de
réfugiés.
Le Conseil de Sécurité de l’ONU a voté récemment, avec le soutien
des Etats-Unis, une résolution approuvant l’établissement d’un Etat palestinien.
Les Etats-Unis auraient-ils enfin eu les yeux dessillés, tel Saint-Paul, sur le
chemin de Damas ? Ne rêvons pas.
Dans cette ère nouvelle de guerre globale,
l’empire Etasunien ne pouvait faire à moins afin de calmer ses alliés arabes,
tels l’Egypte et l’Arabie saoudite.
La question posée est : Quel Etat
?
Un Etat indépendant, souverain, ou une succursale des intérêts américains
et israéliens ?
Une nation, c’est bien plus qu’un drapeau, une capitale et un
aéroport, tout particulièrement à notre ère de voracité impérialiste globalisée
et de super-pouvoir débridé.
A moins que les événements ne connaissent un
retournement radical, un Etat palestinien serait ce qu’Israël et les Etats-Unis
permettraient qu’il soit (c’est-à-dire : pas grand-chose). Point.
1. Abjections par Rudolf
El-Kareh
paru dans le dernier numéro de La revue d'études palestiniennes - N°
83 - Printemps 2002
Il y a quelque chose de vicieux, sur le fond, dans
la question israélienne.
Et ce quelque chose de vicieux naît de la
surdétermination profonde de l'Etat d'Israël par les abominations nazies et par
la persécution des juifs notamment en Europe centrale et en Russie.
Ce
quelque chose de vicieux se nourrit du décalage entre les crimes commis en
Europe et les conditions iniques de la fondation de l'Etat d'Israël au détriment
du peuple palestinien. Il se nourrit aussi d'une réponse qui n'a jamais été
apportée à la question de savoir au nom de quelle morale les injustices et les
souffrances infligées aux communautés juives d'Europe doivent être payées d'une
injustice et de souffrances infligées au premier chef au peuple de Palestine.
Ce quelque chose de vicieux se nourrit aussi de la confusion entre les
appareillages militaires et idéologiques de l'Etat d'Israël ajoutés à leur
instrumentalisation géopolitique, d'une part, et la persécution des juifs
d'Europe et de Russie, d'autre part. Il se nourrit encore de la volonté de faire
partager et assumer au peuple palestinien et aux peuples arabes en général, non
seulement la responsabilité d'une Histoire qui n'est pas la leur, mais aussi le
sentiment de culpabilité conséquent aux abominations de la deuxième guerre
mondiale, éprouvé en Europe puis plus tard aux Etats-Unis.
Il y a quelque
chose de vicieux à faire admettre par la force à des générations palestiniennes
et arabes détruites par la politique de l'Etat d'Israël, l'idée qu'elles doivent
assumer par la contrainte ce sentiment de culpabilité. La voie du partage de la
compassion et de la solidarité avec les victimes du nazisme aurait dû suivre en
réalité un chemin parfaitement inverse à celui de la logique qui écrase
aujourd'hui le peuple palestinien mais aussi ce qui est devenu la société
israélienne : celle de la victime devenue à son tour bourreau, et qui sacrifie,
en les reproduisant, aux mêmes actes de barbarie et de sadisme.
Au nom d'une
histoire qui n'est pas la leur, les Palestiniens sont ainsi sommés de se
contraindre et de se soumettre. Toute résistance à la domination coloniale et au
déni, sera réduite avec la plus grande cruauté, selon une logique grotesque,
prétextant que les victimes - en l'occurrence du nazisme - et surtout leurs
légataires proclamés, doivent se garder d'un retour potentiel de l'oppression
historique subie par une oppression exercée, plus grande encore. Logique
d'autant plus absurde et criminelle que la victime d'aujourd'hui, oppresseur
potentiel supposé de demain, est totalement étrangère aux assassins d'hier.
C'est dans ce quelque chose de vicieux qu'il faut aussi rechercher les
causes de la cruauté israélienne actuelle, de ses mots et de ses actes. Jour
après jour les confusions intellectuelles et morales dont se trouve pétri le
discours israélien officiel se manifestent par des dérapages qui prennent la
forme d'une parole de plus en plus structurée, dont de nombreux actes barbares
sont le prolongement.
Le racisme des rabbins ultras ou des politiciens
d'extrême-droite a investi désormais le discours politique gouvernemental et
celui de fractions importantes de l'armée. Ce qui, en d'autres lieux et d'autres
circonstances aurait provoqué d'immenses scandales, paraît tout à fait naturel à
ceux-là même qui se saisissent de toute critique de la politique israélienne et
de celle de ses protecteurs américains pour brandir incontinent et
inconsidérément l'accusation d'antisémitisme.
Que l'on en juge.
Rapportés
par le journal Haaretz, voici les propos d'un officier israélien présenté comme
étant "en charge des Territoires" [ toujours cette indéfinition qui exprime le
déni de la Palestine ] : "Afin de se préparer convenablement à la prochaine
campagne militaire, il est justifié et même vital de nous inspirer de toutes les
sources possibles. Si notre mission est de nous emparer d'un camp de réfugiés
densément peuplé ou de nous saisir de la casbah de Naplouse [ quel aveu du fait
colonial que ce mimétisme avec la guerre d'Algérie ! ] et si obligation est
donnée à un officier de s'efforcer d'exécuter cette mission sans faire de
victimes des deux côtés, ce dernier devra avant tout analyser et intégrer les
enseignements des batailles passées, et même - aussi choquant que cela puisse
paraître - analyser comment l'armée allemande a opéré dans le ghetto de
Varsovie".
Le journaliste qui relate ces propos ajoute que "l'officier en
question n'est pas le seul à avoir cette approche. Beaucoup de ses camarades
estiment que pour sauver des israéliens, il est aujourd'hui légitime de tirer
parti de nos connaissances sur les origines de cette guerre terrible dont les
victimes étaient leurs familles". Propos terribles lorsque l'on sait que ces
"connaissances" et cette "expérience" ont été consignées dans les détails par le
général SS Jürgen Stroop qui réduisit la révolte du ghetto de Varsovie. On sait
aussi que la "reprise en main" de ce ghetto s'est achevée par l'extermination de
sa population. "L'inspiration puisée aux sources" signifie-t-elle dès lors en
toute cohérence que "l'analyse et l'intégration des enseignements des batailles
passées" scelle le sort des réfugiés des camps et des habitants de la "casbah de
Naplouse" ?
Trois semaines plus tard, dès la fin février, plusieurs camps de
réfugiés ont été investis par la soldatesque israélienne. Les agences de presse
rapportent que des rafles sont opérées notamment dans la ville de Tulkarem, dans
le camp de réfugiés de Dhaishé, à Kalkilia et dans la bande de Gaza. Les
télévisions internationales montrent des militaires juchés sur des blindés
appelant par haut-parleur la population masculine " de quinze à soixante ans" à
se rendre dans les cours des écoles. La même technique avait été déjà
expérimentée notamment dans les villages libanais, lors de l'invasion de
1982.
La presse internationale rapporte également "que les soldats israéliens
avaient couvert la tête de chaque prisonnier d'un bonnet de couleur, noir pour
les membres présumés des Brigades des martyrs d'Al-Aksa (…) et rouge pour les
membres présumés des Brigades du martyr Abou-Ali Moustapha, branche armée du
Front Populaire de Libération de la Palestine". D'autres "détails" se précisent
progressivement : les prisonniers raflés apparaissent les yeux bandés, les mains
liées derrière le dos . On apprend surtout que les soldats israéliens inscrivent
à l'encre "". des numéros sur les bras des Palestiniens arrêtés
L'affaire
apparaît au grand jour et se confirme lorsque l'on apprend aussi "qu'à la
demande d'un député du parti centriste Shinoui, Tommy Lapid, un rescapé du
génocide juif, le chef d'état-major de l'armée israélienne Shaoul Mofaz a
ordonné de ne plus inscrire de numéro sur le bras des Palestiniens fait s
prisonniers".
"J'ai dit au chef d'état-major que le fait d'inscrire des
numéros sur le bras de détenus est insupportable pour quelqu'un qui a échappé à
la Shoah". Tommy Lapid a peut-être conscience de la profonde immoralité du
symbole. Mais le fond du problème demeure. Ce qui choque ce n'est pas la
brutalité coloniale du comportement israélien, ce n'est pas que "l'armée
israélienne a tué des dizaines de Palestiniens désarmés, y compris des enfants
et des personnels médicaux", comme l'en accuse B'tselem, l'organisation
israélienne des droits de l'homme, ce qui est "grave", aux yeux des responsables
gouvernementaux et militaires israéliens, ce sont les "conséquence médiatiques"
des exactions, notamment les bombardements aériens des populations civiles. S'il
faut les arrêter ce n'est pas en raison de leur sauvagerie mais, comme le dit
Shimon Peres, "parce qu'ils provoquent trop de dégâts pour…notre image de
marque". Peut-être aussi parce que le spectacle des F 16 piquant sur les villes
palestiniennes rappelle un peu trop les Stukas plongeant sur Guernica.
Dans
tous les cas, et c'est justement ce qui fait leur différence et leur gravité ,
les propos et les actes abjects ne sont pas tenus par des colons surexcités mais
par des responsables gouvernementaux. Chaque jour qui passe apporte, sous une
logique tribale, une démesure que l'on croyait indépassable la veille.
Tel
ministre du gouvernement Sharon "préconise de couper le courant pendant deux
semaines aux localités palestiniennes d'où proviennent les auteurs des
attentats" ( Guidon Ezra, vice-ministre de la sécurité intérieure ). Tel autre,
cité par France 2 ( 12.03 ) affirme sans ciller : "On ne peut pas se contenter
de tuer les moustiques un à un. Il faut assécher le marais, et le marais c'est
l'Autorité Palestinienne". Comme ceux de l'officier qui demande que l'on presse
exemple sur la Wehrmacht, ces insultes ignobles ne suscitent aucune réaction
officielle. Chaque jour apporte là aussi, et au plus haut niveau, son lot
d'infamie.
N'a-t-on pas entendu Uri Shani le directeur de cabinet d'Ariel
Sharon tourner en dérision la levée du blocus imposé à Yasser Arafat ( on sait
ce qu'il en fut depuis, puisque l'effet d'annonce servît d'écran de fumée à
l'occupation massive de Ramallah ) : "Arafat pourra passer d'une cage à l'autre,
de Ramallah à Gaza". Dans la foulée de celui dont il porte la parole, et qui
s'échine depuis le 11 septembre à comparer Arafat à Ben Laden, Shani rêve sans
doute de transporter la Palestine à Guantanamo !
L'exemple magistral de
l'abjection demeure cependant celui d'Ariel Sharon lui-même. Après avoir
publiquement regretté de ne pas avoir assassiné Arafat en 1982, il a ouvert plus
largement encore les vannes de la barbarie en affirmant ouvertement, le 5 mars
dernier, qu'Israël devait infliger aux Palestiniens "beaucoup de pertes" et des
"coups très durs". Les journées qui suivirent furent les plus sanglantes de
l'Intifada. Et dans le registre de l'ignoble le ministre de la Justice - de la
justice ! - israélien, Meir Shetrit ajouta : "J'approuve toute opération visant
à punir les Palestiniens jusqu'à ce qu'ils implorent un cessez-le-feu".
La
convergence "intellectuelle" ( dans son immense indigence ) entre les dirigeants
israéliens emmenés par Sharon et Georges W. Bush ne doit plus étonner, lui qui
traitait ses adversaires réels ou supposés de "parasites terroristes" qu'il
fallait "faire disparaître".
En Israël même, si certains anciens hauts
responsables militaires parlent " d'une stratégie stupide (…) qui ne fait que
renforcer la haine" ( Avraham Tamir), si des experts en stratégie trouvent
qu'elle "est le signe d'un certain désespoir de l'armée" ( Martin Van Creveld ),
d'autres ne craignent plus de considérer "que le faux consensus actuel et les
atrocités quotidiennes dans les Territoires Palestiniens font planer [la menace]
de la montée d'un fascisme ordinaire. (Ariel Bronfman). Haim Hanegbi de Maariv
écrit quant à lui : "Quiconque suggère d'apprendre "comment l'armée allemande a
opéré dans le ghetto de Varsovie" doit savoir que moins de deux ans plus tard,
le Reich millénaire n'était plus que cendres et poussières".
Les dirigeants
israéliens actuels sont, en fait des "calculateurs". A l'instar de cet "officier
en charge des territoires", ils se présentent, comme le général Stroop, en
"spécialistes de la solution des problèmes". Ces "spécialistes" sont mécaniques
et fonctionnels.
Hannah Arendt les décrivait en ces termes : "Les
spécialistes de la solution des problèmes n'appréciaient pas, ils calculaient.
Leur confiance en eux-mêmes n'avait même pas besoin de l'autosuggestion pour se
maintenir intacte en dépit de tant d'erreurs de jugement car elle se fondait sur
une vérité purement rationnelle et mathématique. Le malheur est que cette
"vérité" était dépourvue de tout lien avec les données du "problème" à
résoudre".
Hannah Arendt, dans une "réflexion sur les documents du Pentagone
qui menèrent les Etats-Unis au désastre vietnamien, peignait ainsi certains
aspects du mensonge et des techniques d'intoxication. Elle parlait… du
totalitarisme.
2. Kofi Annan demande le déploiement
d'une force multi-nationale
Dépêche de l'Agence France Presse du
jeudi 18 avril 2002, 17h12
NEW YORK - Le secrétaire général des
Nations Unies, Kofi Annan, a demandé jeudi devant le Conseil de sécurité des
Nations Unies le déploiement d'une force multi-nationale armée dans les
territoires palestiniens occupés.
"La situation est devenue si dangereuse que
la communauté internationale est dans l'obligation de fournir une telle
assistance", a-t-il ajouté.
M. Annan a précisé que cette force devrait avoir
l'autorisation d'employer la force pour accomplir son mandat qui, a-t-il
précisé, devrait relever du chapitre VII (Rétablissement de la paix) de la
Charte des Nations Unies.
Cette force, selon le secrétaire général, ne serait
pas constituée par les Nations Unies (Casques Bleus) mais de troupes fournies
par une coalition de pays alliés volontaires, sur le modèle notamment de la KFOR
déployée au Kosovo.
"Cette force, a encore dit M. Annan, doit être impartiale
et capable de prendre des actions décisives. Elle doit avoir une force qui la
rend crédible, un mandat robuste et être assez nombreuse pour le mettre en
oeuvre".
Un porte-parole israélien a aussitôt rejeté cet appel. "Dans la
situation actuelle, nous ne pensons pas qu'une présence internationale pourrait
être utile", a-t-il affirmé.
3. Le champ de
ruines
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du
mercredi 17 avril 2002
« Les pertes provoquées par l'offensive
militaire israélienne qui entre dans sa troisième semaine sont évaluées de 10 à
15 milliards de US$. Toute l'infrastructure a été complètement détruite et notre
économie est à zéro ». Tel est l'état de l'économie palestinienne, selon le
conseiller économique de l'ambassade palestinienne au Caire, Barakat
Al-Fera.
Le chômage est à son plus haut niveau. Actuellement, on enregistre
presque 100 % de chômage, soit les 130 000 Palestiniens qui travaillaient en
Israël et les 450 000 personnes qui travaillaient dans les territoires de
l'Autorité palestinienne. « On parle d'un peuple en entier qui n'arrive pas à
sortir de sa maison, qui ne représente guère pour lui un abri », a-t-il ajouté.
Toute l'infrastructure palestinienne a été détruite, des usines aux hôpitaux en
passant par les réseaux électriques et les routes. « Il y a une paralysie et une
destruction totale de l'économie dans tous les secteurs : c'est toute l'activité
économique qui est bloquée. Face au couvre-feu, les survivants vivent de façon
misérable. De toute façon, les ambulances n'arrivent pas à avoir accès aux
blessés », a-t-il souligné.
Autre catastrophe : les exportations sont
interrompues, rien ne passe. Il n'y a donc pas de sources de revenus pour
l'Autorité palestinienne.
Selon une étude menée par l'Institut méditerranéen
en novembre 2000, 40 % des recettes intérieures de l'Autorité palestinienne
proviennent des taxes et des impôts prélevés par l'Etat israélien pour le compte
de cette dernière. En outre, 85 % du volume des transactions se fait avec l'Etat
hébreu. L'économie palestinienne, qui ne possède pas de monnaie propre, dépend
entièrement du shekel israélien et du dinar jordanien. « Cette forte dépendance
financière et économique caractérisant la Palestine la rend très vulnérable face
aux chocs extérieurs », constate cette étude.
La destruction de
l'infrastructure est la cause première de la récession de l'économie
palestinienne au cours des derniers 18 mois. L'indicateur le plus inquiétant est
l'augmentation de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté :
l'ensemble des habitants de Gaza et de Cisjordanie ne disposent que de deux
dollars par jour, selon un rapport de la Banque mondiale.
En fait, ce n'est
pas la première fois que les Palestiniens passent par cette épreuve. Déjà lors
de la première Intifada, la situation était identique mais ici, cela va de mal
en pis.
Depuis le début de l'Intifada jusqu'à aujourd'hui, on remarque deux
phases : la première a commencé dès le début de l'Intifada jusqu'au 29 mars et
la seconde du 29 mars jusqu'à présent. Au cours de la première phase, les pertes
civiles matérielles ont atteint 8 milliards de US$ selon les estimations de la
Banque mondiale. Le secteur agricole quant à lui a subi des pertes de 500
millions de US$. Par ailleurs, les forces israéliennes ont fermé tous les accès
principaux aux villes, ce qui touche les entreprises palestiniennes,
puisqu'elles n'ont le droit ni d'importer ni d'exporter. La production
industrielle a baissé de 80 % en moyenne et les exportations qui atteignent en
temps normal 2 millions de US$ par jour ont cessé. Le secteur touristique a été
complètement paralysé et a atteint le niveau zéro.
Durant la première phase,
le taux de chômage a atteint plus de 50 %. 55 % des Palestiniens vivent en
dessous du seuil de pauvreté à Gaza et 45 % en Cisjordanie vu qu'Israël contrôle
les accès. Le PIB a atteint en 1999 4,5 milliards de US$ et a chuté en 2001 pour
arriver à 3,8. En ce qui concerne le PNB, il était de 5 milliards de US$ avant
l'Intifada et selon les prévisions aurait dû atteindre 6 milliards en 2001.
Toutefois, il est tombé à 4 milliards et cette chute devrait s'accentuer,
portant le PNB à 2 milliards de US$ en 2002.
Bref, pour les Palestiniens : ni
indépendance politique ni indépendance économique. Ils n'ont pas été les seuls à
pâtir de cette guerre déclenchée par les Israéliens. Elle a suscité la colère et
la fureur de l'Union Européenne (UE), principal donateur. En fait, l'économie
palestinienne dépend de l'aide internationale : 4,5 billions de US$ ont été
dépensés en Cisjordanie pour l'installation de l'infrastructure, la construction
des routes, des réseaux hydrauliques et électriques, pour l'installation des
écoles et enfin des hôpitaux qui sont actuellement détruits. Selon un rapport de
la Banque mondiale, c'est un désastre financier pour la communauté
internationale. En effet, les dons présentés avaient augmenté de 93 % en 2001
par rapport à 1999 pour atteindre 930 millions de US$. 80 % de ces donations
contribuaient à combler le déficit budgétaire et à financer les opérations de
secours. Les infrastructures n'ont pu obtenir en 1999 que 400 millions de US$,
ce montant a chuté en 2001 à 175. Toujours selon un rapport de la Banque
mondiale, les donateurs ont élaboré un agenda précis pour l'année 2002 qui
pourrait varier selon le scénario politique. « Si le blocus est levé, le total
des dons nécessaires à la reconstruction en Palestine est fixé à 1,1 milliard de
US$. En revanche, si la violence persiste, il faudra fournir une somme de 1,5
million de US$ à 1,7 million », souligne le rapport de la Banque mondiale. Les
donateurs doivent aussi pourvoir au financement des activités civiles. Sur ce
point notamment, il y a un déficit de 85 millions de US$ pour les ONG. Ce qui
invite également la Ligue arabe à créer des fondations pour les
Palestiniens.
Mais à supposer que les Israéliens se retirent, l'UE
continuera-t-elle ses donations pour la reconstruction de l'infrastructure
palestinienne ? En fait, cette guerre a provoqué de grands bouleversements dans
l'économie palestinienne qui a besoin de nouvelles aides et rapidement. Ce
rapport incite les pays arabes à transformer leurs déclarations généreuses en
actes. En attendant, ce sont les Palestiniens qui paient la facture. « On paiera
de toute façon à long terme les dommages et les destructions avec du temps et de
l'argent. Mais rien ne pourra compenser les pertes humaines », a conclu le
responsable palestinien.
4. Ubu est roi à Bethléem
par Cécile Feuillatre
Dépêche de l'Agence France Presse du dimanche 14 avril
2002, 14h18
BETHLEEM (Cisjordanie) - Trois dirigeables blancs flottent
gracieusement au-dessus de la basilique de la Nativité. Suspendu au bout d'une
grue devant l'église, un haut parleur géant, installé par l'armée israélienne,
émet des sirènes stridentes, suivies d'une volée de cloches ironique.
Le
bras de fer qui oppose depuis deux semaines l'armée israélienne et les
combattants palestiniens retranchés dans l'église a pris depuis quelques jours
une tournure surréaliste, guerre des nerfs dont l'issue apparaissait toujours
aussi improbable dimanche.
L'armée israélienne dit avoir tout son temps et
reconnaît mener une "guerre psychologique". Les combattants palestiniens
retranchés dans l'église affirment qu'ils résisteront jusqu'à "leur dernier
souffle", et rejettent la proposition du Premier ministre Ariel Sharon, qui ne
leur donne d'autre choix que l'exil à vie ou la prison en Israël.
Chacun
raconte une histoire diamétralement différente. Les ballons espions qui planent
au dessus de la Nativité ont filmé "des terroristes en train de bronzer et de
fumer tranquillement dans l'une des cours du complexe religieux", déclare un
porte-parole de l'armée, Olivier Rafowicz, lors d'une conférence de presse
improvisée à quelques mètres de la place de la Nativité.
A l'intérieur, les
assiégés contactés par téléphone disent ne plus avoir à manger, et décrivent une
"situation très difficile".
Les religieux - une trentaine - enfermés dans le
complexe, mais dans un autre bâtiment que celui où se trouvent les combattants,
"tiennent grâce à l'eucharistie". Le drame est toujours en embuscade. Les tirs
éclatent de temps en temps. Samedi soir, un policier palestinien retranché dans
la basilique a été tué par un tireur embusqué israélien. "Il se trouvait en
plein air dans l'enceinte du complexe", disent les Palestiniens. "Il nous visait
depuis l'hôtel Casanova (un des bâtiments du complexe)", répond Olivier
Rafowicz.
Des négociations ont été engagées depuis le début du bras de fer,
le 2 avril, entre deux équipes de négociateurs israéliens et palestiniens. Mais
il s'agit d'un dialogue de sourds. Les Israéliens estiment que la crise est
"militaire et doit se régler militairement", mais réitèrent "qu'ils ne
toucheront pas aux lieux saints". Les Palestiniens réclament que le Vatican et
le patriarche latin Mgr Michel Sabbah soient parties prenantes aux négociations.
Israël estime qu'une trentaine des assiégés sont "de dangereux terroristes"
des groupes radicaux Hamas et du Jihad islamique. "S'il y a des gens qui doivent
être jugés, ils doivent l'être par des tribunaux palestiniens", réplique l'un
des négociateurs palestiniens, Salah Al-Taamari.
En attendant, toute une
ville est sous couvre-feu et suspendue à l'issue de "la crise de la basilique de
la Nativité".
"Nous ne partirons pas tant que cette question n'aura pas été
réglée", admet M. Rafowicz, ajoutant que "la question de Bethléem est
directement liée à l'église".
Dans les rues dévastées de la vieille ville,
quelques personnes bravent le couvre-feu. Deux vieilles femmes interrogent
craintivement les journalistes: "peut-on aller par là ? est-ce qu'ils tirent ?".
A quelques mètres de la place de la Nativité, cernée par les soldats
israéliens, "Jean" --c'est le nom qu'il souhaite donner-- ouvre timidement sa
porte et échange quelques mots avec les soldats israéliens. "Il faut être poli
avec eux", dit ce chrétien palestinien, en insistant pour faire rentrer des
journalistes. "Je n'ai parlé avec personne depuis des jours, je ne peux pas
sortir", raconte-t-il.
Volets fermés, porte verrouillée, privé de radio, de
télévision et de téléphone, Jean ne sait pas ce qui se passe sur la place et
dans l'église de la Nativité, à deux pas de chez lui.
5. Sharon avance un plan en oubliant l'UE et...
Arafat par Françoise
Germain-Robin
in L'Humanité du mardi 16 avril 2002
Le Premier ministre israélien propose à Colin Powell, dont
la mission s'est étendue hier au Liban et à la Syrie, une conférence régionale
de paix.
Jérusalem, envoyée
spéciale.
Le Premier ministre israélien ne manque pas de ressources
: pressé depuis une semaine par le président Bush et l'ensemble de la communauté
internationale de retirer son armée des villes palestiniennes occupées depuis
une semaine, il a trouvé une échappatoire et le moyen de détourner l'attention
des exactions commises par l'armée à Jénine et Naplouse en proposant une
conférence régionale de paix. Cette proposition a été faite lors d'une réunion
de chefs d'entreprises de haute technologie à Tel-Aviv, dimanche soir, et Ariel
Sharon a communiqué la teneur de cette idée, qui semble lui être venue
soudainement, à Colin Powell, le secrétaire d'Etat américain, qui s'était
entretenu le matin même avec Yasser Arafat, juste avant son départ pour Beyrouth
et Damas, où il s'est rendu lundi.
La proposition d'Ariel Sharon, telle qu'il en a précisé
les contours, vise à réunir " une conférence régionale sous l'égide des
Etats-Unis avec la participation de l'Egypte, de l'Arabie saoudite, de la
Jordanie, du Maroc et de représentants palestiniens ". Il n'est même plus
question, dans la bouche d'Ariel Sharon, de l'Autorité palestinienne, qu'il a
rayée d'un trait de plume. Quant à Yasser Arafat, il l'a exclu d'office : " Je
suis contre la présence d'Arafat. Il est impossible d'arriver à un accord avec
lui et le monde entier le sait. " Il a également exclu la participation de
l'Europe à une telle conférence, parce que, a expliqué un de ses ministres, "
l'Europe est contre Israël " et il a fait savoir qu'il ne recevrait plus,
désormais, le haut représentant de la politique extérieure commune de l'UE,
Javier Solana. Autant dire que de telles propositions unilatérales n'ont aucune
chance d'être acceptées par quiconque, pas même les Américains, qui ont déjà
fait savoir qu'Arafat était à leurs yeux un interlocuteur obligé. Même au sein
du gouvernement israélien, plusieurs ministres ont fait savoir qu'il était
irréaliste d'imaginer une quelconque conférence sur la Palestine sans Arafat. De
toute façon, la Jordanie et l'Egypte ont déjà fait savoir qu'ils n'assisteraient
à aucune conférence dont le président palestinien serait exclu. Ce dernier a
fait savoir qu'il était " disposé à participer à une telle conférence et à toute
initiative de paix mais seulement une fois que l'armée israélienne se sera
retirée totalement de l'ensemble des villes occupées ".
Saëb Erekat, ministre de l'Autorité palestinienne et l'un
des principaux négociateurs d'Oslo, a fait savoir pour sa part qu'il considérait
une telle conférence comme " une perte de temps inutile et un retour en arrière
" puisqu'il s'agit en fait de revenir à ce que fut la conférence de Madrid il y
a onze ans. Il a rappelé l'existence d'un " plan de paix arabe " adopté le 27
mars par le sommet de la Ligue arabe qu'il suffirait qu'Israël accepte pour
mettre fin à cinquante-quatre années de conflit israélo-arabe et assurer la paix
dans la région.
Un point de vue défendu hier par le président libanais
Lahoud devant le secrétaire d'Etat américain. Ce dernier, inquiet du
réchauffement du front entre Israël et le Liban ces derniers jours, est allé
demander aux dirigeants libanais d'" agir immédiatement pour stopper les actions
agressives, afin d'éviter que le conflit ne passe les frontières et contamine la
région ". " C'est notre message à tous les pays de la région et c'est celui que
je porte aussi à Damas ", a-t-il ajouté.
Il a également indiqué que le plan de paix arabe "
correspondait à la vision américaine d'une paix globale, incluant la Syrie et le
Liban sur la base des résolutions 242 et 338 et des autres résolutions
pertinentes de l'ONU ". " Il s'agit pour commencer, a-t-il ajouté, de mettre fin
à l'incursion israélienne et le président Arafat doit mettre fin aux attentats
terroristes. En même temps, il faut mettre en route un processus de paix qui
donne une réalité à notre vision. " Colin Powell doit revenir à Jérusalem mardi
pour de nouvelles rencontres avec Sharon et Arafat.
6. Un profond mépris
par Amira Hass
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du
lundi 15 avril 2002
[traduit de l'anglais par La
Paix Maintenant]
Aux yeux des Israéliens, le Président de l'Autorité
palestinienne est un super-chef. Voici plus de quinze jours qu'il est retenu
prisonnier dans son bureau. Tous les bâtiments relevant de son autorité, y
compris les prisons et ceux de son appareil de sécurité, sont détruits, saccagés
et vides de toute présence humaine. Tous ses fidèles sont dispersés et se
cachent. Ses liaisons téléphoniques dépendent du bon vouloir de Tsahal, et de
son matériel de cryptage. L'eau courante a été coupée, et ni son statut, ni son
âge, ni le grand nombre de personnes rassemblées autour de lui ne sont des
raisons suffisantes pour réparer les dégâts causés par les tanks et les
bulldozers de Tsahal au système d'approvisionnement en eau dans la zone de son
quartier général.
Et néanmoins, il est encore responsable des deux attentats
mortels commis récemment, l'un par un groupe d'opposition islamique, et l'autre
par les Brigades des Martyrs d'El-Aqsa, liées au Fatah. En d'autres termes,
selon Israël, s'il l'avait vraiment voulu, il aurait pu les éviter.
Une telle perception du chef palestinien n'aurait pas pu
prendre racine de cette façon sans une attitude de mépris envers les
Palestiniens, sans l'hypothèse selon laquelle ils ne sont qu'un troupeau à la
recherche d'un berger et de sa houlette. Ce profond mépris s'est exprimé
régulièrement cette semaine à travers les déclarations des porte-parole de
l'armée, qui ont prétendu que c'étaient les Palestiniens qui avaient refusé
d'évacuer les corps de leurs morts du camp de réfugiés de Jénine (et d'apporter
leur aide aux blessés), et ce pour des raisons de propagande à usage
externe.
Une telle affirmation se fonde sur deux hypothèses
concernant les Palestiniens: les personnels médicaux palestiniens, médecins,
infirmiers, ambulanciers, font peu de cas de leur serment et de leur obligation
de sauver des vies; ils ne se soucient pas de leurs proches (après tout,
nombreux sont ceux qui ont de la famille et des amis dans le camp de Jénine, et
partout ailleurs en Cisjordanie, ou l'assistance médicale n'est pas arrivée à
temps).
Les équipes médicales palestiniennes, selon les
déclarations de Tsahal, n'ont pas à craindre de critiques pour ne pas avoir fait
leur travail, ni de la société, ni de leurs familles, et n'ont pas à tenir
compte de ces critiques, ni de leurs propres sentiments. Après tout, elles
étaient guidées par de savantes «considérations de propagande» pour après la
guerre. Selon Tsahal, les Palestiniens n'ont aucun respect non plus pour la
tradition musulmane d'enterrer les morts immédiatement.
La Croix Rouge, l'UNWRA (Agence de l'ONU pour les réfugiés
palestiniens), les représentants de l'UNSCOT (Coordinateur Spécial de l'ONU dans
les Territoires Occupés), le représentant de la Banque Mondiale, tous ont des
preuves conséquentes des efforts répétés des équipes médicales d'obtenir la
permission, pour eux et pour les ambulances du Croissant Rouge, de pénétrer dans
le camp (comme dans la vieille ville de Naplouse, ou dans le QG
d'Arafat).
Mais sur le terrain, même après concertation à un haut
niveau, des tirs depuis des positions de Tsahal ont empêché les ambulances
d'approcher, et des missions de sauvetage urgentes ont été avortées du fait de
la détention de l'équipe ambulancière, qui n'a été libérée qu'après plusieurs
heures.
La semaine dernière, Israël a évoqué des mesures
humanitaires et morales prises au cours de la guerre dans le camp de réfugiés de
Jénine, pour éviter de frapper des civils. La preuve: les soldats qui sont
tombés à Jénine ne seraient pas morts si Tsahal avait largué une ou deux bombes
sur le camp, pour en finir.
Cette déclaration contient une autre hypothèse à propos
des Palestiniens: ils ne se font pas tuer par des missiles ordinaires lancés
depuis des hélicoptères, ni par des obus de tank ordinaires, ni par des tirs
ordinaires de fusils mitrailleurs, et ils n'en ont pas peur. Ils ne se font
tuer, ils n'ont peur que des bombes larguées par des avions, et Tsahal n'en a
pas larguées.
Environ 13.000 personnes vivent dans le camp, dont la
superficie est d'1 km² à peu près, 42% sont des enfants, 4,5% sont des personnes
de plus de 65 ans. Même si l'on suppose qu'il n'y a pas eu 90 missiles tirés sur
le camp chaque jour pendant une semaine, mais «seulement» 20, et même si l'on
suppose qu'il n'y a pas eu 10 tanks tirant et bombardant simultanément, mais
seulement deux, n'est-il pas raisonnable de penser que des civils ont été tués,
et pas seulement des «poches de résistance terroristes»?
Tsahal n'a pas filmé les effets des bombardements et des
tirs, et n'a pas permis qu'ils soient filmés. Ce que les photographes et les
cameramen des chaînes de télévision étrangères ont réussi à filmer les
cadavres (surtout à Naplouse), la douleur des proches de ceux qui sont morts,
les nombreux blessés, les civils tués à l'entrée de leurs maisons, les
ambulances trouées par les balles n'est de toute façon pas diffusé ici, ou
bien évacué en quelques secondes.
Un chef tout-puissant, même s'il vit assiégé dans des
conditions très précaires, entouré de fidèles résistants-snipers, des équipes
médicales trahissant constamment leur mission: voilà l'image que les
porte-parole militaires et politiques ont soigneusement donnée à l'opinion
israélienne.
Pour réussir une campagne militaire et politique, il faut
connaître l'ennemi, ses forces et ses faiblesses, ses qualités et ses défauts,
ses joies et ses peines. Au lieu de cela, l'ennemi n'est présenté que comme une
masse indifférenciée, ignorante et manquant de sentiments comme de pensées. Il
est possible que les mensonges diffusés à propos des Palestiniens pendant ces
jours de guerre ne font qu'exprimer le mépris des autorités israéliennes envers
leur propre opinion publique, et l'hypothèse implicite qu'elle continuera à les
avaler. Qu'elle ne s'occupera que d'analyses faites par les services de
renseignement, en évitant les analyses sociologiques et historiques, et ainsi ne
se posera pas la question de savoir pourquoi tant de Palestiniens souhaitent se
faire exploser en en entraînant d'autres dans la mort, et comment des centaines
de milliers de Palestiniens supportent des conditions de vie intolérables, avec
bombardements, couvre-feu continu, sans eau, ni électricité, ni
nourriture.
7. Les chrétiens
palestiniens dans la ligne de mire d'Israël par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du lundi 15 avril 2002
Bethléem, ville morte
Bethléem, envoyée
spéciale
Bethléem, ville symbole pour toute la chrétienté, est une
ville morte, déserte, comme frappée par un mal terrible qui aurait, d'un seul
coup, effacé ses habitants. Toutes les maisons sont hermétiquement closes. Aucun
signe de vie. Les rues totalement désertes sont sillonnées par les Jeeps et les
chars de l'armée israélienne. Bethléem est " zone militaire fermée " depuis deux
semaines, ce qui signifie que l'accès en est totalement interdit, y compris aux
journalistes. On ne passe pas aux barrages. En fait, on peut passer en faisant
le détour par Beit Jala, autre ville chrétienne palestinienne, elle aussi
soumise au couvre-feu, mais où quelques chauffeurs de taxis audacieux - le sigle
TV collé sur leur pare-brise - attendent les clients derrière une butte et les
conduisent jusqu'à l'hôpital de la ville, en serpentant dans les petites rues
pour éviter les patrouilles. De l'hôpital, il faut ensuite monter à pied vers
Bethléem. Le moment délicat est la traversée de la grande route de Jérusalem
transformée en champ de manouvre des chars israéliens. " C'est là, raconte
Francisca, une jeune volontaire suisse venue pour aider les Palestiniens
assiégés, qu'on a failli se faire tuer il y a deux jours par un snipper. On se
dirigeait vers le camp de réfugiés de Daisheh qui est à deux kilomètres d'ici
dans la direction d'Hébron. La balle a sifflé à mes oreilles, nous stoppant net.
Aussitôt, deux chars sont arrivés, nous ont barré la route et ont dirigé leurs
canons vers nous. C'était très impressionnant. Ils nous ont obligés à faire
demi-tour, les mains en l'air ."
Les volontaires des missions civiles de protection du
peuple palestinien sont les seuls étrangers - avec les journalistes - à prendre
le risque de pénétrer dans la ville pendant le couvre-feu. Celui-ci n'est levé
que pour deux heures tous les trois jours pour permettre l'approvisionnement de
la population. Mais pas pour ceux qui vivent dans un rayon de quatre cents
mètres autour de la basilique de la Nativité, où sont retranchés plus de 200
Palestiniens assiégés par l'armée, en compagnie de 26 religieux et quatre
sours.
Distribution sous les balles
Ils sont environ 2 000 habitants à se trouver dans cette
zone extrêmement chaude où sont concentrés les chars et les unités d'élite qui
cernent la Basilique. Samedi, les volontaires avaient décidé de tenter une
distribution de nourriture à ces isolés. L'UNRWA (Agence des Nations unies pour
les réfugiés de Palestine) apporte bien des vivres pour la ville, mais n'est pas
autorisée à approcher de la Basilique. Ce sont les volontaires étrangers qui
s'en chargent, souvent au péril de leur vie, comme ce fut le cas samedi. Le
climat était, ce jour-là, extrêmement tendu. De fortes explosions, suivies de
lourds panaches de fumée noire, avaient retenti peu après 10 heures non loin du
Star Hôtel où sont regroupés les journalistes. Nous tentons alors une sortie,
mais sommes refoulés cent mètres plus loin par une patrouille israélienne : "
You leave now ! ", ordonne l'officier. Nous étions à deux pas de l'Eglise
attaquée jeudi dernier par les soldats et dont le pasteur, un Palestinien, avait
été sérieusement molesté. " Si je n'avais pas été au téléphone avec lui au
moment où ils ont investi l'Eglise, ils l'auraient tué ", nous avait confié
l'évêque luthérien, Munib Younan. " J'ai appelé toutes les chancelleries, remué
ciel et terre et ils l'ont finalement lâché au bout de deux heures. " Nous
voulions lui rendre visite, mais les officiers israéliens ne sont pas aussi
conciliants que Georges Bush vis-à-vis de Sharon. Quand ils disent " Partez
immédiatement ", il n'est pas question de mégoter et ils nous ont suivis avec
leur Jeep pour s'assurer de notre obéissance.
Une heure plus tard, un petit groupe d'une dizaine de
personnes portant des sacs de boîtes de conserve, pâtes, riz et sucre ainsi que
du lait en poudre pour les enfants tente à son tour une sortie. Progressant avec
précaution à travers les rues en forte pente, jonchées de douilles et de débris,
nous commençons la distribution, accueillis à bras ouverts par les Palestiniens
qui, tout à coup, surgissent des maisons fermées à double tour : " J'ai trois
enfants en bas âge, dont un bébé, je vous en prie, donnez-moi du lait pour eux
", supplie une femme sur son seuil, en longue robe traditionnelle. La ville
morte s'anime soudain. Les gens ouvrent les fenêtres pour crier " Take care "
(attention) et " Choukran " (merci). Les enfants sortent et courent vers les
volontaires. Ces derniers n'iront malheureusement pas très loin : à un coin de
rue, soudain, trois voitures dont les tôles tordues et fumantes barrent le
passage. Les explosions de tout à l'heure, c'était ça. Pourquoi ? " Pour nous
faire peur, montrer qu'ils veulent nous détruire ", explique un Palestinien à sa
fenêtre. Une autre explosion, très forte, retentit. Un nuage noir s'élève au
bout de la rue. Une odeur âcre nous prend à la gorge. Les volontaires crient
pour se signaler, agitent un drapeau blanc. Peine perdue. Une rafale éclate. On
ne voit pas les tireurs, mais c'est le groupe qui est visé. L'une des jeunes
femmes est légèrement blessée au cuir chevelu et saigne. Avec sang-froid, les
volontaires donnent leurs derniers sacs, font signe aux enfants de rentrer chez
eux avant de se replier eux-mêmes en bon ordre, drapeau blanc bien visible. Une
femme les suit, bravant le danger pour dire sa détresse : elle manque de lait
pour son bébé. Kate, une Américaine, lui explique qu'on ne pouvait en apporter
davantage par manque de bras, mais qu'ils essaieront de revenir l'après-midi. Au
péril de leur vie, avec le courage que leur donne le sentiment de compenser un
peu l'injustice dont sont victimes les Palestiniens. Ceux de Bethléem et tous
les autres.
La communauté chrétienne en
danger
Mais avec la conscience très forte qu'à Bethléem, c'est
autre chose qui se joue ces jours-ci : la survie d'une communauté chrétienne
palestinienne que les malheurs des temps et l'indifférence du monde ont réduit
comme peau de chagrin. Si les chrétiens sont devenus des cibles, c'est que,
comme le souligne le père anglican Yazeed Saîd, " ils font partie du peuple
palestinien, et donc de la résistance nationale ". " Nous voulons,
souligne-t-il, que le christianisme demeure présent dans la culture nationale
palestinienne et nous nous battons pour ne pas disparaître. "
Les chefs des 13 communautés chrétiennes de Terre sainte
qui ont rencontré, samedi après-midi, Colin Powell ont souligné devant lui ce
danger terrible : " Nous lui avons demandé, explique le père Bastistelli, un
franciscain, qui dirige la Custodie (1), de prendre en considération la présence
chrétienne sur cette terre. Il doit comprendre que cette présence a une identité
et que cette identité est palestinienne. Il y a les juifs et les musulmans, mais
aussi les chrétiens, dont 99 % sont Palestiniens. Ils veulent avoir leur mot à
dire. "
Les chefs des Eglises, dont trois - le catholique, le
luthérien et l'anglican - sont des Palestiniens, ne sont pas loin de penser que
l'opération lancée contre la Basilique de la Nativité fait partie d'un plan pour
terroriser les chrétiens. " La situation est tragique à l'intérieur de la
Basilique, explique le père Batistelli. Il y a là 26 religieux dont 14 jeunes
franciscains qui sont des étudiants en théologie et philosophie de diverses
nationalités et quatre sours. La plupart des Palestiniens qui sont réfugiés là
sont des policiers qui assuraient la sécurité autour de la Basilique, plus
quelques hommes armés qui ont forcé la porte quand l'armée israélienne a envahi
la ville. Vous pouvez imaginer la situation sanitaire après plus de deux
semaines, avec en plus le cadavre d'un jeune qui est sorti éteindre un incendie
allumé par les Israéliens la semaine dernière et qu'ils ont tué. Depuis, la
situation s'est tendue. L'incendie a résulté d'une tentative d'infiltration de
"Golanis", une unité d'élite israélienne qui a même laissé du matériel derrière
elle. Ils ont peur que cela recommence. Il y a un ballon et des caméras espions
en permanence au-dessus de l'Eglise. Israël nous a promis de ne pas attaquer,
mais on ne sait jamais. Ils veulent la reddition des Palestiniens, ce qui est
hors de question. Nous avons demandé pour eux une garantie d'immunité, mais ils
refusent. Une solution serait qu'ils soient remis à une tierce partie, un pays
européen par exemple. Nous l'avons proposée aux deux parties mais il y a
urgence, cela ne peut plus durer. "
(1) La Custodie est chargée
depuis 900 ans de la protection des lieux saints chrétiens de ce qu'on appelle "
la Terre sainte ", c'est-à-dire la Palestine historique.
8. Verbicide par Christian Salmon
in Libération du lundi 15 avril
2002
(Christian Salmon est directeur du Parlement
international des écrivains.)
Comment qualifier ce qui s'est passé à Jénine ? Voilà un
camp de réfugiés d'un kilomètre carré, pilonné par les chars pendant plusieurs
jours. Soumis à une pluie de missiles, plus de 400 dit-on, lancés des
hélicoptères. Plusieurs centaines de morts. Des habitants ensevelis sous les
décombres de leurs maisons détruites par les bulldozers. Des milliers de blessés
privés de secours. Des enfants qui errent dans les rues, pris sous le feu des
chars. Et combien de soldats israéliens brisés par l'épreuve, obligés non
seulement de tuer des civils mais d'enterrer les morts loin des regards de la
presse internationale, semblables à ces suppliciés qu'on attachait jadis à un
cadavre ? Combien d'âmes mortes à Jénine ?
Il y a deux semaines, nous étions une dizaine d'écrivains
et d'artistes des cinq continents à nous rendre en Palestine au nom du Parlement
international des écrivains (1). Non pas pour jouer les Casques bleus mais
simplement pour rencontrer Mahmoud Darwich, encerclé à Ramallah et qui à deux
reprises avait été empêché de retrouver certains d'entre nous à New York (lire
aussi page suivante). Nous voulions écouter et faire entendre d'autres voix dans
le fracas de la guerre, celle des écrivains, des artistes, des universitaires,
de tous ceux qui préparent l'avenir en dehors des partis. Opposer à la logique
de la guerre, non pas une force d'«interposition» mais des forces
d'«interprétation»... Jamais dans un conflit les écrivains n'avaient été aussi
nécessaires. A condition qu'ils soient capables d'une certaine éthique du
langage. D'une certaine prudence verbale. Et pourquoi pas d'une certaine
abstinence médiatique. Loin de tout esprit de polémique, je précise au passage
que tous les membres de notre délégation ont rejeté fermement les outrances qui
furent prononcées en marge de ce voyage, qu'elles viennent d'un Saramago, qui
compara Ramallah à Auschwitz, ou de l'ambassadeur d'Israël, qui qualifia ici
même de «fascistes» les pacifistes européens qui, en marchant face aux barrages
militaires, ont ouvert la voie des ambulances et leur ont permis de sauver des
vies.
Au cours de ce séjour en Palestine, j'ai compris à quel
point les mots pouvaient être assiégés par d'autres mots. J'ai vu la souffrance
que font lever les analogies stupides et j'ai vu l'appétit des médias pour ces
souffrances. La douleur, c'est du langage effondré. Auschwitz en Palestine ! La
nuit de Cristal. Arafat-Hitler. L'étoile de David accolée à la croix gammée sur
les murs des camps de réfugiés détruits. Stupide télescopage. Mutisme de mort.
Un ballet de spectres. La rage imbécile de tout rendre illisible à tout jamais.
L'intouchable de tous côtés.
«Les guerres, disait Koestler, sont menées pour des mots
sur un terrain sémantique.» Et cette guerre ne fait pas exception. Mais cette
fois on entendrait presque distinctement le bruit des mots que l'on broie.
Verbicide, cette guerre ne l'est pas seulement en raison du délitement du
langage des propagandes. Il n'y pas que le signifié qui soit mis à mal. Il
suffit d'y prêter l'oreille ; les souffrances des populations s'enfoncent dans
l'épaisseur de la mémoire. Elles affectent l'imagination. Au centre culturel de
Ramallah, un poète palestinien nous parla des méfaits de la guerre sur la
syntaxe. «Notre langue est sclérosée. Le poème est écrasé tout autant que nos
rues. Nous sommes constamment obligés de dramatiser la poésie. Il nous faut
résister à la métrique militaire, trouver une cadence qui ne soit pas celle des
tambours.» Avant de conclure avec une ironie lasse : «Quand nous regardons les
étoiles, nous voyons des hélicoptères. La seule chose postmoderne ici... c'est
l'armée israélienne !» Et je pensai à cette phrase courageuse de Darwich disant,
il y a quelques mois : «Je ne serai vraiment libre comme poète que quand mon
peuple sera libre. Quand je serai libéré de la Palestine.» Je m'étonnai que des
Palestiniens en guerre aient gardé cette liberté. Ce rapport vrai à eux-mêmes et
à leur langue. La résistance du langage ! Plutôt que le langage de la
résistance. Quelques jours plus tard, j'entendis le même constat à Tel-Aviv de
la bouche d'un philosophe israélien, Amnon Raz. «Depuis l'échec de Camp David,
nous n'avons plus de vocabulaire. Pour négocier, pour faire la paix, il nous
faut un nouveau langage.»
Car cette guerre n'oppose pas seulement des droits et des
intérêts légitimes, elle a pour enjeu la crédibilité du récit des origines.
Depuis le début du siècle, ce qui s'affronte, ce ne sont pas seulement des
revendications et des droits sur la terre, mais des légendes et des récits.
C'est une guerre transfictionnelle. Avant d'être occupés, les Palestiniens ont
été effacés purement et simplement du paysage. Mythe d'une «terre sans peuple»
pour «un peuple sans terre». Les Palestiniens ? Une bande de nomades sous des
tentes qu'il suffisait de déplacer. L'exode a changé de camp. L'épopée du retour
s'est enlisée dans l'occupation. En cinquante ans, on est passé de l'utopie des
kibboutz à l'a-topie des colonies. Les Israéliens voulaient transformer le
désert en un jardin, et, il suffit de circuler dans les territoires occupés pour
en prendre la mesure, ils ont transformé le jardin biblique en un désert, un
terrain vague, voire un champ de bataille. Dans quelques années, les enfants
palestiniens ne connaîtront d'Israël que des soldats en armes qui humilient
leurs parents devant eux. Devenus adultes, ils n'auront connu que les
bombardiers qui grondent dans le ciel, les hélicoptères Apache qui crachent leur
venin de feu sur leurs villages, les bulldozers qui rasent leurs maisons... De
l'autre côté, les Israéliens n'auront d'autres images des Palestiniens que
celles des kamikazes qui se font exploser dans les cafés. La figure du kamikaze
palestinien occupe l'imaginaire israélien. L'occupant israélien bouche le
devenir palestinien. C'est une guerre agoraphobique.
Deux jours après notre départ, l'armée israélienne est
entrée dans Ramallah. De nouveau, elle a occupé tous les bâtiments publics,
posté aux étages supérieurs des immeubles des snipers pour tirer sur les
passants, comme à Sarajevo, bombardé des immeubles où s'étaient réfugiés des
civils, violé des sanctuaires religieux qui servaient de refuges depuis le Moyen
Age. Mais le pire, le voici : sur une chaîne de télévision privée dont elle
venait de prendre le contrôle, elle a interrompu tous les programmes et, sans
même s'adresser aux téléspectateurs, elle s'est mise à diffuser en boucle des
films pornographiques ! Est-ce cela l'image du «monde libre» que Sharon prétend
incarner ? Une armée qui commet de tels actes a perdu toute légitimité ; elle
n'est plus qu'une puissance d'humiliation. Pis, l'histoire coloniale l'a montré
à maintes reprises, elle a déjà perdu la guerre. La paix n'achoppe pas,
répète-t-on des deux côtés, sur des revendications inconciliables. Les
négociations multiples et nombreuses ont fait émerger des compromis viables et
praticables. Un accord plusieurs fois fut à portée de la main. Mais la paix
n'oblige pas seulement à déposer les armes mais à désarmer ses peurs. A lever
les sièges de ses représentations mentales. On voudrait nous convaincre que
cette guerre n'est pas une guerre mais un exercice d'autodéfense ! Que les
destructions de toutes les infrastructures du futur Etat palestinien sont des
mesures antiterroristes ! Que l'invasion d'un territoire souverain n'est pas une
occupation. Il n'y a pas que le bouclage des territoires qui insulte l'avenir,
il y a un bouclage rhétorique.
Lorsque l'armée israélienne est entrée dans Ramallah, que
nous venions de quitter, et qu'elle a détruit le théâtre Kassaba, qui résonnait
encore des échos de nos textes lus en neuf langues, du chinois à l'arabe, de
l'afrikaner à l'anglais, du yorouba au portugais, de l'italien à l'espagnol et
au français... et où Mahmoud Darwich avait lu son poème Etat de siège devant un
millier de spectateurs, dont certains avaient dû voyager plusieurs heures à
cause des contrôles militaires et qui acclamaient debout, non pas des fanatiques
religieux plein de haine mais des écrivains et des poètes, je me suis dit que ce
qui séparaient ces deux peuples, c'est que les Palestiniens n'avaient toujours
pas d'Etat ni de terre mais qu'ils avaient un récit, ce que l'Etat d'Israël, qui
opprimait un autre peuple, était justement en train de perdre. L'autorité sur le
récit. Non pas l'autorité politique que Sharon ou Bush pouvaient espérer
continuer quelque temps à faire respecter par les tanks et les bombes. Mais
l'autorité de la chose narrée, la résistance d'un récit qui s'obstine. On peut
être un peuple sans terre et sans Etat, mais on ne peut rester longtemps un
peuple sans récit.
C'est ce que j'ai appris en Palestine. Et cette leçon
tient en un mot : sabreen. C'est un mot qui a échappé à cette guerre verbicide,
un mot survivant sorti des camps de réfugiés. Ce mot, je ne l'ai pas trouvé dans
un livre, ni même dans un dictionnaire, mais dans les rues de Ramallah... sur le
visage des ouvriers massés aux abords des check points et sur celui des femmes
de Rafah dont les maisons venaient d'être détruites, sabreen, c'est l'histoire
de Job dans la Bible, cela veut dire : «Ceux qui ont la patience.» Et je l'ai
dit ce soir-là, au théâtre de Ramallah, aujourd'hui détruit, plongé dans le
silence et l'obscurité: «C'est parce que vous avez la patience que l'avenir vous
appartient.».
(1) Lire sur le site du PIE
(www.autodafe.org) les carnets de route de Breyten
Breytenbach, de Vincenzo Consolo, de Juan Goytisolo, de Russell Banks et de Wole
Soyinka...
9. Notre droit à une vie
normale par Mahmoud Darwich
in Libération du lundi 15 avril 2002
(Mahmoud Darwich est un poète
palestinien.)
Extrait du discours prononcé à Ramallah le 25 mars par
le poète palestinien Mahmoud Darwich à l'intention de la délégation du Parlement
international des écrivains.
(...) Je sais que les maîtres des mots n'ont nul besoin de
rhétorique devant l'éloquence du sang. C'est pourquoi nos mots seront aussi
simples que nos droits : nous sommes nés sur cette terre et de cette terre. Nous
n'avons pas connu d'autre mère, pas connu d'autre langue maternelle que la
sienne. Et, lorsque nous avons compris qu'elle porte trop d'histoire et trop de
prophètes, nous avons su que le pluralisme est un espace qui embrasse largement
et non une cellule de prison, que personne n'a de monopole sur une terre, sur
Dieu, sur la mémoire. Nous savons aussi que l'histoire ne peut se targuer ni
d'équité ni d'élégance. Notre tâche pourtant, en tant qu'humains, est
d'humaniser cette histoire dont nous sommes simultanément les victimes et le
produit.
Il n'est rien de plus manifeste que la vérité
palestinienne et la légitimité palestinienne : ce pays est le nôtre, et cette
petite partie est une partie de notre terre natale, une terre natale réelle et
point mythique. Cette occupation est une occupation étrangère qui ne peut
échapper à l'acception universelle du mot occupation, quel que soit le nombre de
titres de droit divin qu'elle invoque ; Dieu n'est la propriété personnelle de
personne.
Nous avons accepté les solutions politiques fondées sur un
partage de la vie sur cette terre, dans le cadre de deux Etats pour deux
peuples. Nous ne réclamons que notre droit à une vie normale, à l'intérieur des
frontières d'un Etat indépendant, sur la terre occupée depuis 1967, dont
Jérusalem-Est, notre droit à une solution équitable du problème des réfugiés, à
la fin de l'installation de colonies. C'est la seule voix réaliste vers la paix
qui mettra un terme au cercle vicieux du bain de sang.
L'état de nos affaires est d'une criante évidence, il ne
s'agit pas d'une lutte entre deux existences, comme aimerait le montrer le
gouvernement israélien : eux ou nous. La question est d'en finir avec une
occupation. La résistance à l'occupation n'est pas seulement un droit. C'est un
devoir humain et national qui nous fait passer de l'esclavage à la liberté. Le
chemin le plus court pour éviter d'autres désastres et accéder à la paix est de
libérer les Palestiniens de l'occupation, et de libérer la société israélienne
de l'illusion d'un contrôle exercé sur un autre peuple.
L'occupation ne se contente pas de nous priver des
conditions élémentaires de la liberté, elle va jusqu'à nous priver de
l'essentiel même d'une vie humaine digne, en déclarant la guerre permanente à
nos corps et à nos rêves, aux personnes, aux maisons, aux arbres, en commettant
des crimes de guerre. Elle ne nous promet rien de mieux que l'apartheid et la
capacité du glaive à vaincre l'âme.
Mais nous souffrons d'un mal incurable qui s'appelle
l'espoir. Espoir de libération et d'indépendance. Espoir d'une vie normale où
nous ne serons ni héros ni victimes. Espoir de voir nos enfants aller sans
danger à l'école. Espoir pour une femme enceinte de donner naissance à un bébé
vivant, dans un hôpital, et pas à un enfant mort devant un poste de contrôle
militaire. Espoir que nos poètes verront la beauté de la couleur rouge dans les
roses plutôt que dans le sang. Espoir que cette terre retrouvera son nom
original : terre d'amour et de paix. Merci pour porter avec nous le fardeau de
cet espoir.
10. Dans le QG d'Arafat : "La
ligne rouge, c'est nous" propos recueillis par Mouna
Naïm
in Le Monde du vendredi 12 avril 2002
Mercredi 10 avril semble avoir été un jour d'une
certaine solennité pour les membres de la Campagne civile internationale pour la
protection du peuple palestinien, malgré la destruction par l'armée israélienne
d'un des bâtiments du complexe présidentiel palestinien de Ramallah, où ils se
trouvent depuis treize jours. Jointe au téléphone en fin d'après-midi, Claude
Léostic, membre de France-Solidarité Palestine, raconte :
"Ce matin, vers
midi, nous étions en réunion et nous avons entendu une explosion très forte. Il
y en avait eu d'autres le matin, beaucoup moins fortes, et il était évident
qu'elles étaient extérieures au complexe. Le colonel Ismaïl, qui est le chef
d'état-major pour la Cisjordanie, m'a dit que c'est son quartier général à
l'intérieur du complexe qu'ils ont fait sauter.
" Les Israéliens disent qu'ils l'ont fait parce qu'ils y
ont trouvé des explosifs. Le bâtiment dynamité est à quelques centaines de
mètres à peine du nôtre. Je pense qu'ils vont essayer de détruire un maximum
avant de se retirer.
" Aujourd'hui, les négociateurs palestiniens qui ont été
autorisés à venir voir le président Arafat sont venus en compagnie du consul de
Norvège. Après s'être entretenus avec M. Arafat, ils sont venus nous rencontrer,
nous les internationaux qui sommes ici. Il y avait Yasser Abed Rabbo [le
ministre de l'information et de la culture] Saëb Erakat [ministre des
collectivités locales] Abou Mazen [numéro deux de l'OLP] et Mohammad Dahlan [le
chef de la sécurité préventive pour la bande de Gaza].
"LE DÉSERT DES CARCASSES"
" Il y a eu un échange de discours et le consul de Norvège
a réaffirmé que son pays reconnaissait la légitimité de M. Arafat. Il a rendu
hommage à notre présence et jugé que, dans la situation dramatique actuelle,
Israël ne s'était défini aucune ligne rouge, que la ligne rouge c'est
nous.
" M. Arafat a lui aussi souligné à quel point notre
présence est importante et s'est dit convaincu que sans nous la situation aurait
été radicalement différente. Les négociateurs palestiniens nous ont dit que
Colin Powell allait venir rencontrer le président Arafat ici. Je vois à travers
les persiennes que leurs véhicules sont toujours là. Il y a aussi un chien paumé
qui erre dans le désert de carcasses de voitures aplaties par les
Israéliens.
" Ici, il n'y a aucun changement. La délégation nous a
apporté de l'eau potable, mais il n'y a toujours pas d'eau courante... Ça
devient dangereux et l'état des toilettes est apocalyptique. Les Israéliens ont
dit qu'ils acceptaient qu'une équipe de réparateurs vienne, à la condition
qu'eux-mêmes soient autorisés à prendre position sur le bâtiment. Les
Palestiniens ont évidemment refusé.
" Depuis dimanche, il n'y a pas eu de nouvel
approvisionnement en vivres. Nous savons qu'une ambulance chargée de vivres et
de vêtements attend à Ramallah une autorisation des Israéliens. En vain jusqu'à
maintenant.
" Le corps du cuisinier du complexe tué apparemment avant
le siège a été retrouvé aujourd'hui. Les Israéliens ont accepté qu'une ambulance
l'évacue, mais ils ont quand même retenu l'ambulance pendant des
heures."
11. Dans le QG d'Arafat : "Un canon
pointé sur chaque fenêtre" propos recueillis par Mouna
Naïm
in Le Monde du jeudi 11 avril
2002
Samir abdallah , cinéaste, et Cyril, qui préfère ne pas dire son
nom - "parce qu'on n'est pas dans une situation tout à fait normale ici" - et
qui, en France, dirige un centre de vacances, sont membres de la Coordination
civile internationale pour la protection du peuple palestinien. Mardi 9 avril
était leur dixième jour de présence dans le complexe présidentiel palestinien
assiégé de Ramallah.
Samir : "Il y a ici plein de gens accrochés au téléphone
pour prendre des nouvelles de ce qui se passe à Jénine et Naplouse. (...) On
nous parle de massacres, de comportements odieux. (...) Tout le monde se demande
comment les Israéliens vont pouvoir cacher cela, une fois qu'ils se seront
retirés. (...) On m'a réveillé ce matin avec une bonne nouvelle : un convoi de
vingt-huit voitures organisé par des ONG et transportant des médicaments et des
vivres est entré dans Naplouse. De même qu'une équipe de dix membres de
l'International Solidarity Movement, pour la plupart anglais et américains, qui
vont soigner les blessés.
"Ici, nous avons l'air de privilégiés par rapport à ce qui
se passe là-bas : toujours pas d'eau courante, bien qu'hier on nous l'ait
promise. La situation sanitaire est épouvantable. Nous avons quelques réserves
de vivres depuis la livraison de dimanche, mais nous nous rationnons. Dehors,
les soldats continuent leur manège. Le parking est un cimetière de voitures
aplaties par les chars. Aujourd'hui ils ont innové. Ils ont pointé le canon d'un
char sur chaque fenêtre, sans tirer. On a entendu quelques grenades
assourdissantes et des rafales (...)."
Cyril : "Ce que je souhaite ? Que Sharon lève le siège,
que nous puissions circuler à l'air libre, que les enfants se remettent à jouer.
La vie, quoi. (...) Pourquoi je suis là ? Parce que quand j'étais petit, j'avais
vu les images de la première Intifada, puis il y a eu Oslo et de nouveau des
affrontements. J'ai voulu m'informer et être utile. Avec deux collègues, nous
avons organisé une mission que des dizaines de personnes à Lyon ont financée. A
travers nous, il y a beaucoup de gens de Lyon ici.
"Aujourd'hui, nous avons écrit à José Maria Aznar, qui va
recevoir Colin Powell, pour leur demander une intervention d'urgence pour mettre
fin au nettoyage ethnique à Naplouse et Jénine, et exiger qu'Israël évacue les
zones autonomes palestiniennes. Et aussi pour l'envoi d'une force internationale
de protection des Palestiniens et le respect de Yasser Arafat, président élu du
peuple palestinien. Cette lettre sera transmise via l'organisation Via
Campesina, dont le responsable, Paul Nicolson, est avec nous ici."
12. Bouclier humain pour protéger Arafat -
Entretien avec José Bové réalisé par Maya
Al-Qalioubi
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du
mercredi 10 avril 2002
La Campagne civile de protection du peuple
palestinien, à laquelle José Bové a participé en tant que militant de la
Confédération paysanne, avait pour but avoué de soutenir et de protéger Arafat,
séquestré par Tsahal dans son QG de Ramallah. La mission, composée de 35
militants pacifistes européens, a passé le check point entre Israël et Ramallah,
dans la nuit du 28 mars dernier. Les militaires israéliens ont été pris par
surprise, et ne les ont pas arrêtés. D'autres militants italiens auront moins de
chance, une demi-heure plus tard. Après des manifestations en coordination avec
des organisations pacifistes palestiniennes, le groupe des 35 passa la nuit à la
Moqataa, formant un bouclier humain. Bové et dix autres activistes seront
arrêtés dimanche 1er avril et transférés dans un camp de l'armée israélienne,
puis dans un camp de rétention de prisonniers palestiniens. Ils seront détenus
ensuite dans le centre de rétention de l'aéroport de Tel-Aviv avant d'être
expulsés.
José Bové a fait partie de l'une
des actions civiles les plus efficaces depuis le début de la deuxième Intifada.
Il s'est laissé enfermer avec Arafat dans son QG de Ramallah avant d'être
expulsé manu militari par les Israéliens. Entretien avec ce paysan français,
chef de file de la contestation antimondialisation.
« Sharon n'acceptera
aucune solution, quelle qu'elle soit, au conflit »
Paris,
correspondance
— Al-Ahram Hebdo : Lors de la
conférence de la Campagne civile de protection du peuple palestinien, vous avez
dit que l'offensive militaire israélienne s'assimile à une guerre d'épuration
ethnique. Le confirmez-vous ?
— José Bové : Ecoutez. Ce qui continue
à se passer est très clairement la volonté du gouvernement et de l'armée
israéliens d'expulser une population de sa terre. Alors, appelez ça comme vous
voudrez, mais cela a effectivement tous les traits de ce qu'a fait Slobodan
Milosevic au Kosovo. Sharon veut un territoire uniquement contrôlé par l'armée
israélienne et le gouvernement israélien pour une population choisie par
lui.
— Pensez-vous qu'il y ait maintenant en Europe une réelle
conscience de l'urgence de la situation en Palestine ? Quelles sont vos
revendications politiques ?
— Oui, je pense qu'il y a une véritable
prise de conscience. Mais notre revendication est que les Etats européens
envoient sur place des forces de protection internationales. C'est la condition
sine qua non pour que les résolutions de l'Onu soient respectées. La politique
expansionniste d'Ariel Sharon devient de plus en plus claire pour tout le monde.
Il est tout aussi évident qu'il n'acceptera aucune solution, quelle qu'elle
soit, au conflit.
— Quels sont les pays européens impliqués dans la
Campagne civile de protection du peuple palestinien ?
— Il y a un
engagement très fort des citoyens de l'Italie, de l'Allemagne, de la
Grande-Bretagne, de l'Espagne, des Pays-Bas et de la Belgique. Mais je suis sûr
que j'en oublie. Récemment aussi, il y a eu des manifestations très importantes
en Grèce. Les citoyens veulent obliger leurs gouvernements à faire face à leurs
responsabilités et à agir. Et c'est loin d'être fini.
— Projetez-vous
d'autres actions comme celle de la Campagne civile ?
— L'action
entreprise continue. Nous continuons à donner de l'information. De nouvelles
délégations partent toutes les semaines. De plus en plus de gens témoignent.
Cela va permettre aux organisations internationales des droits de l'homme de
mener leur enquête pour qu'éclate enfin la vérité sur les fonctionnements et les
méthodes de l'armée israélienne. En ce moment même, il y a encore 35 pacifistes
à Ramallah auprès d'Arafat dans son Quartier Général.
— Avez-vous de
leurs nouvelles ?
— Oui. Leur moral est toujours excellent. Ils
continuent leur action dans le but de voir un jour une négociation en vue de
l'application des résolutions des Nations-Unies.
— Trouvez-vous qu'il
y ait une évolution positive de la situation en Palestine après les récentes
médiations politiques entreprises auprès du gouvernement israélien, notamment la
déclaration du président américain George W. Bush ?
— Non, il n'y a
pas eu d'évolution. Il n'y a que l'intensification de l'agression commise par
l'armée israélienne contre les villes palestiniennes. Il y a une incapacité de
la diplomatie à faire revenir Sharon sur ses positions. Il y a même une
aggravation de la situation, malgré les quelques tentatives de médiation
politique, entre autre celle, timide, de Bush.
— Que pensez-vous de
l'échec de la mission diplomatique européenne présidée par le chef de la
diplomatie espagnole, Josep Piqué, et le haut représentant pour la politique
étrangère et la sécurité européenne, Javier Solana ?
— Cela démontre
un mépris total envers la communauté européenne. Sharon n'a pas hésité à bafouer
la mission de la plus grande communauté internationale. Il est très clair qu'il
ne veut que Bush en tant que seul et unique allié. Refuser de rencontrer la
mission européenne montre clairement qu'il n'accepte pas d'autres missions avant
celle américaine.
— Quelles sont les retombées de l'invasion
israélienne sur les pays arabes ?
— Je pense qu'on assiste à une
très grande mobilisation de l'opinion publique arabe. Il y a des manifestations
énormes dans tous les pays arabes. Au Maroc, près d'un million de personnes ont
manifesté, dimanche dernier. Je pense qu'il existe une réelle solidarité de la
part des populations arabes. Ce que l'on peut déplorer, par contre, ce sont les
tergiversations continues des gouvernements arabes. C'est pour cette raison
d'ailleurs que le sommet de Beyrouth n'a rien
donné.
13. “Un contingent européen à
Ramallah, et la guerre s’arrête !” - Interview de Claude Cheysson
propos recueillis par Hervé Bontégeat
in Le Figaro du mardi 9 avril
2002
En 1983, la France montait une opération commando pour
“exfiltrer” Yasser Arafat encerclé par l’armée israélienne à Tripoli. Claude
Cheysson était alors ministre des Relations extérieures. Il déplore la passivité
européenne dans l’actuel conflit israélo-palestinien.
Le Figaro - Aujourd’hui assiégé à Ramallah, Arafat
se trouve dans la même situation qu’en 1983. Bien que le contexte ne soit plus
du tout le même, tenteriez-vous le même coup de main si vous étiez aux affaires
?
Claude Cheysson - Je ne sais pas. A l’époque, nous avons envoyé un
bateau dans les eaux territoriales libanaises, sans demander l’avis de
quiconque, et fait débarquer un commando à Tripoli.
Ce qui est sûr, en
revanche, c’est que, sans l’ombre d’une hésitation, je militerai pour l’envoi
d’une force française ou européenne d’interposition, comme nous l’avons fait au
Liban il y a vingt ans... L’envoi d’un contingent composé initialement de
Français et d’Italiens avait d’ailleurs précipité l’intervention des Américains
sur place.
Le Figaro - Mais l’Europe, et a fortiori la
France, a-t-elle les moyens et la crédibilité requise pour “faire tampon” entre
les belligérants au Proche-Orient ?
Claude Cheysson - Les moyens de
la France sont peut-être limités, ceux de l’Europe sûrement pas. Si des soldats
européens prenaient position dans les zones de conflit, croyez-vous vraiment que
l’armée israélienne ouvrirait le feu sur eux ? L’Europe aurait le droit
international pour elle en faisant respecter l’inviolabilité de frontières
reconnues entre Israël et l’Autorité palestinienne. Tout le monde admet
aujourd’hui qu’il y a deux Etats dans la région. Si l’on envoie un contingent,
la guerre s’arrête du jour au lendemain. Des troupes françaises ou européennes
demain à Ramallah, c’est la paix sur le terrain et on peut recommencer à
discuter. C’est très facile à monter. Je ne comprends pas pourquoi on ne le fait
pas.
Le Figaro - Peut-être parce que les moyens de
pression de l’Europe sur Israël apparaissent bien ténus. Aujourd’hui, seuls les
Etats-Unis semblent être en mesure de pouvoir jouer un
rôle...
Claude Cheysson - Détrompez-vous. L’Europe n’a pas la
capacité de pression politique directe des Etats-Unis, c’est une évidence. Mais
elle en a une autre, tout aussi redoutable. Israël est beaucoup plus dépendant
de ses échanges commerciaux avec l’Europe qu’avec les Etats-Unis. Près de la
moitié des importations d’Israël proviennent de l’Union européenne, contre moins
de 20 % pour les Etats-Unis. Plus du tiers des exportations israéliennes sont à
destination de l’Union. Le pays a un besoin crucial des investissements
étrangers pour réduire le chômage, résultant notamment de la vague d’immigration
russe. L’Europe a donc là un moyen de pression considérable.
J’ai été membre
de la Commission eurorpéenne, chargé de la politique méditerranéenne et des
relations Nord-Sud. J’ai eu l’occasion alors de prendre des sanctions à
l’encontre de certains pays et je sais les conséquences terribles que cela peut
engendrer.
Le Figaro - Mais sur quel motif la Commission
pourrait-elle prendre des sanctions contre Israël ?
Claude Cheysson
- Au motif qu’elle entrave les relations commerciales avec les Palestiniens.
Israël a conclu un accord de libre-échange avec l’Union européenne. Si l’accord
est suspendu, c’est-à-dire si le marché européen lui est provisoirement fermé,
Israël ne peut pas vivre deux mois !
14. Le camp d'internement israélien
Ansar 3 réveille de vieilles blessures à Gaza par Selim Saheb
Ettaba
Dépêche de l'Agence France Presse du mardi 9 avril 2002,
12h29
GAZA - La perspective de la réouverture du camp d'internement
israélien d'Ansar 3, dans le désert du Néguev, pour y incarcérer les
Palestiniens faits prisonniers en Cisjordanie, réveille de vieilles blessures à
Gaza parmi les détenus de l'établissement pendant la première
Intifada.
"C'était l'enfer", affirme le directeur du Centre palestinien pour
les droits de l'Homme, l'avocat Raji Sourani, qui y a passé deux de ses six mois
de détention administrative, en 1988.
Les services de sécurité israéliens ont
interné pendant la première Intifada (1987-1993) des milliers de Palestiniens
dans le camp de Kséiot, véritable ville de tentes encerclée par des barbelés et
des miradors, surnommé "Ansar 3", en référence aux prisons israéliennes d'Ansar
1 au Liban sud et Ansar 2 à Gaza.
"Des préparatifs sont en cours pour la
réouverture du camp de Kséiot", a-t-on appris de sources militaires israéliennes
vendredi.
"C'était pire que Guantanamo", précise Sami Abou Samhadana, un
activiste du Fatah, le mouvement du président palestinien Yasser Arafat, en
référence à la base américaine à Cuba où sont internés des centaines de
prisonniers d'Afghanistan.
"Les températures montaient jusqu'à 42-43 degrés
le jour, et la nuit était glaciale", souligne-t-il.
"Dès le moment où nous
sommes arrivés, nous sommes rentrés dans une épreuve de force avec eux", les
géoliers israéliens, précise ce vétéran d'Ansar 3, qui se targue d'avoir
inauguré avec un groupe de 35 prisonniers en mars 1988 le camp, où il a passé au
total près de cinq ans.
Il évoque des vexations et un arbitraire
systématiques, au sujet de la permission d'aller aux toilettes la nuit, de
porter des vêtements propres, ou des conditions de visite des familles.
Entre
une vingtaine et une trentaine de prisonniers devaient se serrer sous la même
tente dans le camp, divisé en secteurs de 5 à 12 tentes chacun et organisé par
les détenus en fonction des affiliations politiques.
"Si on allait aux
toilettes la nuit, on ne retrouvait pas sa place sous la tente en revenant,
tellement c'était surpeuplé", souligne M. Abou Samhadana.
"Les mauvais
traitements étaient une pratique très courante", en particulier la nuit,
souligne M. Sourani.
"Ils (les géoliers) venaient la nuit fouiller les tentes
à la recherche d'objets interdits: radios, lacets, etc ... parce que les lacets
servaient à étrangler les collaborateurs dans la prison", raconte un journaliste
palestinien sous le couvert de l'anonymat.
"S'ils trouvaient quelque chose
d'interdit, ils tabassaient tout les occupants de la tente",
ajoute-t-il.
"J'ai été arrêté par les forces spéciales israéliennes alors que
j'écrivais sur un mur. J'avais 15 ans", explique-t-il. Il a purgé une peine d'un
an et demi.
"Ceux qui n'avouaient pas restaient en détention administrative",
indique-t-il.
Cette procédure de six mois renouvelables sans accusation se
fondait "sur des informations que l'on n'était pas autorisé à connaître",
déplore M. Sourani, soulignant que "la plupart ne savaient pas pourquoi ils
étaient là".
Un journaliste de télévision condamné à deux ans de détention
pour jets de pierre et inscriptions de slogans dit avoir seulement écrit des
graffitti, tels que: "Nous voulons un Etat palestinien. Non à Israël, oui à
l'OLP (Organisation de libération de la Palestine".
Tous pensent que les
futurs détenus d'Ansar 3 souffriront plus encore.
L'armée israélienne a
annoncé avoir fait prisonniers plus de 1.200 Palestiniens pendant son offensive
en Cisjordanie, dont une centaine étaient recherchés.
"Maintenant, ce sera
pire à cause de la situation à l'extérieur. Les conditions s'étaient améliorées
après (la conférence de paix de) Madrid", en 1991, estime M. Abou
Samhadana.
"Lorsque la télévision israélienne a fait un documentaire sur
Ansar 3 il y a trois ans, je leur ai dit: +Gardez-le, vous allez en avoir besoin
de nouveau+", raille-t-il.
15. Pérès qualifie de “massacre”
l’opération de “Tsahal” à Jenin par Aluf Benn & Amos Harel
in
Ha’Aretz (quotidien israélien) du mardi 9 avril 2002
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Le ministre des Affaires Etrangères
(israélien) Shimon Pérès est très préoccupé par les réactions internationales
qui ne manqueront pas d’être extrêmement vives dès lors que le monde aura pris
connaissance des détails de la bataille acharnée récente dans le camp de
réfugiés (palestiniens) de Jenin, bataille (non encore achevée) durant laquelle
plus de cent Palestiniens ont d’ores et déjà été tués dans des combats avec les
soldats des Forces Israéliennes de Défense (“Tsahal”). En privé, Pérès qualifie
cette bataille de “massacre”.
Des officiers de “Tsahal” ont eux aussi fait
état de leurs plus grandes réserves, hier lundi, au sujet des opérations en
cours à Jenin. “En raison du danger”, ont-ils dit, “il n’y a pratiquement aucun
soldat qui progresse à pied. Les bulldozers sont en train de “raser” les
maisons, causant des destructions inimaginables. Quand le monde découvrira le
spectacle de ce que nous aurons fait là-bas, cela nous portera un tort
écrasant.”
“Quel que soit le nombre d’hommes recherchés que nous tuions dans
(ce) camp de réfugiés, quelle que soit l’étendue de l’infrastructure
“terroriste” que nous découvrions et que nous mettions hors d’état de nuire dans
ce camp, des destructions d’une telle ampleur n’ont absolument aucune
justification.”
Pérès, qui se sent de plus en plus isolé au sein du
gouvernement (israélien actuel) - Sharon a ajouté trois ministres “ligne dure” à
son cabinet, hier lundi - pense qu’à ce stade Arafat est toujours
irremplaçable.
Il ne considère absolument pas les documents exhibés hier à la
Knesset par Sharon comme un “revolver au canon fûmant” qui prouverait qu’Arafat
aurait été directement impliqué dans les activés terroristes. Pour lui,
l’isolement d’Arafat par Israël n’a fait que rehausser le prestige du dirigeant
palestinien, faisant de lui l’acteur-clé (du conflit).
Toutefois, en dépit de
cette posture extrêmement critique, et de sa conviction que le parti
Travailliste ne saurait rester plus avant au gouvernement, Pérès veut encore
choisir le moment opportun pour en partir. Il dit à ses plus proches conseillers
que ce n’est qu’après la fin des combats et après la visite du Secrétaire d’Etat
américain Colin Powell, que la décision sera prise. Dût Powell présenter un plan
de règlement politique, le parti Travailliste serait enclin à se battre pour le
faire aboutir, au sein du gouvernement (actuel).
16. Seul le recours à la force armée
a quelque chance de succès par Benjamin Netanyahu
in The
International Herald Tribune (quotidien international publié à Paris) du samedi
6 avril 2002
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
A trop nous préoccuper du
qu’en dira-t-on international, nous n’avons récolté que des fruits
amers.
Le message que les terroristes palestiniens nous envoient
est clair comme de l’eau de roche : nous vous assassinerons dès que
l’opportunité s’en présentera, où que ce soit, peu importe l’heure - même aux
jours de vos fêtes les plus sacrées.
[Ce à quoi nous sommes confrontés ] - un
carnage ininterrompu, assassinant tout ce qui tombe sous la main des terroristes
palestiniens : voilà qui illustre bien la profondeur de leur haine. A
l’évidence, la seule contrainte, pour les terroristes arabes, est leur capacité
de nuire. Eussent-ils le pouvoir, ils nous détruiraient, tous, jusqu’au dernier
(bébé).
L’objectif premier du régime terroriste de Yasser Arafat n’est
nullement d’établir le vingt-deuxième Etat arabe, mais de détruire l’unique Etat
juif. Tel était le coeur du conflit. Tel il demeure.
En 1948, les Arabes ont
rejeté une résolution internationale qui aurait instauré un Etat arabe. Ils ont
préféré tenter de détruire l’Etat juif embryonnaire. Cinquante-deux ans après,
Arafat a rejeté une offre similaire et a demandé que l’on noie Israël sous des
millions de Palestiniens, mesure qui entraînerait inéluctablement la destruction
d’Israël en tant qu’Etat juif.
Il n’y a pas de place pour des négociations et
pas d’espoir d’obtenir un quelconque accord de paix durable avec un tel régime,
dont l’objectif suprême est de nous détruire et qui le poursuit en ne reculant
devant aucun moyen barbare.
Il est de fait que la solution la plus
audacieuse pour mettre un terme au conflit a été tentée, il y a deux ans, à Camp
David, et cette tentative a échoué lamentablement. Arafat a rejeté l’offre
israélienne, scandaleusement généreuse, consistant en l’établissement d’un Etat
palestinien souverain en Judée-Samarie et dans la bande de Gaza, lequel incluait
la moitié de Jérusalem. Il a préféré lancer contre Israël sa guerre terroriste,
qui se poursuit encore aujourd’hui.
Israël n’a qu’une seule option : gagner
de manière indiscutable la guerre qui lui a été imposée. Ce qui nous est
demandé, aujourd’hui, ce n’est pas de serrer les dents et de faire le dos rond
devant cette violence. Non. Nous devons rechercher une victoire militaire totale
contre un ennemi implacable, lequel mène contre nous une guerre
terroriste.
Première priorité, nous devons immédiatement démanteler
l’Autorité palestinienne et expulser Arafat.
Ensuite, nous devons encercler
les principales concentrations de population palestinienne, en épurer les
terroristes et éradiquer l’infrastructure terroriste.
Troisièmement, nous
devons établir des lignes de séparation qui permettent aux forces armées
israéliennes de pénétrer en territoire palestinien tout en empêchant les
terroristes palestiniens d’entrer dans nos villes.
Le choix auquel nous
sommes aujourd’hui confrontés n’est pas entre la victoire militaire ou la
séparation (entre les deux populations). Nous devons obtenir les deux. Ce n’est
qu’en combinant les deux que nous pourrons arrêter le terrorisme, restaurer une
dissuasion qui s’était dangereusement érodée au cours des deux années écoulées,
et permettre à une direction modérée et réaliste d’émerger parmi les
Palestiniens, avec lesquels nous pourrons [alors] rechercher une solution
politique.
A la manière d’une dose d’antibiotique insuffisante et ne
permettant pas d’éradiquer l’infection, les actes partiels du gouvernement et
les balancements intempestifs entre une politique de retenue et des actions
militaires peu enthousiastes n’ont abouti - comme on pouvait s’y attendre - à
rien. Et les fruits de notre préoccupation excessive pour le qu’en dira-t-on de
la communauté internationale sont amers. Le refus, jusqu’ici, d’Israël d’agir
comme le ferait n’importe quel Etat qui se respecte lui-même ne fait que
renforcer les doutes de nos amis quant à la justice de notre cause et encourager
nos ennemis à intensifier leur effusion de sang.
La seule manière de nous
gagner la compréhension internationale, en particulier aux Etats-Unis, est
d’affirmer sans faiblesse notre droit fondamental à nous défendre et arracher
une victoire militaire rapide et décisive qui mette un terme à l’insoutenable
massacre de nos concitoyens.
Enfin, l’argument parfois avancé selon lequel
nous aurions essayé tous les moyens militaires (sans succès) afin de mettre un
terme au terrorisme, cet argument n’est en rien fondé. Nous n’avons même pas
encore mis en action une fraction significative de notre puissance militaire, et
le peu que nous avons utilisé n’a pas été dirigé vers la bonne cible : en clair,
l’élimination du régime d’Arafat. Aujourd’hui, après dix huit mois de
terrorisme, le gouvernement (israélien) continue dans l’illusion qu’il est
possible de mettre un terme au terrorisme sans en démanteler le principal moteur
terroriste (qu’est l’Autorité palestinienne).
Une chose est absolument
claire. Nous ne pouvons pas continuer - pas un jour de plus - sur le chemin de
l’indécision, sans avoir ni objectif ni politique. Nous devons faire ce que
toute nation ferait, à notre place : nous devons arrêter de nous quereller,
mener la guerre qui nous est imposée, et défaire un ennemi déterminé à tous nous
anéantir.
[Benjamin Netanyahu est un ancien premier ministre d’Israël.
Cette contribution a été publiée par The Los Angeles Times]
17. Je proteste ! par Michel Del
Castillo
in Le Monde du mercredi 3 avril 2002
(Michel Del Castillo, né en 1933, à Madrid,
d'un père français et d'une mère espagnole, est écrivain. Il a obtenu le prix
Renaudot en 1981.)
Ce sera le cadeau empoisonné d'Ariel Sharon,
une guerre de religion larvée sur la terre de France.
Monsieur Sharon
remporte l'une de ces victoires dont il a le secret. Derrière lui, l'herbe ne
repousse pas. Après l'irruption sur l'esplanade des Mosquées, provocation qui
devait fatalement embraser la région, ce qui reste des territoires palestiniens
disparaît.
Cynique, il se présente en défenseur du monde
libre. On se demande de quelle manière il le défendait à Beyrouth, devant les
charniers où des vieillards, des femmes et des enfants agonisaient par
milliers.
On aurait souhaité qu'une voix s'élève en France
pour dénoncer l'imposture. Atterré, M. Chirac découvre qu'une tragédie se
déroule en Palestine. Il condamne - équilibre électoral oblige - le terrorisme,
injustifiable "dans tous les cas". Les Français ont-ils oublié qu'il existe des
situations (1940-1944 chez nous) où le terrorisme devient l'ultime recours des
peuples opprimés ? Se rappellent-ils que les sionistes n'hésitèrent pas
(1947-49) à recourir aux attentats sanglants ? Combien parmi nos intellectuels,
aujourd'hui révoltés par ces méthodes, les approuvaient quand le FLN les
employait dans sa lutte pour l'indépendance ? Comment, par ailleurs, mettre sur
le même pied la violence de l'armée la plus puissante de la région et les
attentats protestataires commis par un peuple déshérité, acculé au désespoir ?
Bombes humaines ? Il a fallu des décennies de parjures et d'humiliations pour
fabriquer ces desperados. Le terrorisme est la réponse inadéquate, démente et
désespérée à une situation d'impuissance et de folie. On ne combat pas le
terrorisme avec des tapis de bombes, on le combat par une analyse et des actions
politiques. On le réduit en dénouant les blocages. Accepter de chosifier le
terrorisme, d'en faire une essence maléfique, c'est renoncer à toute rationalité
politique, ce qui revient à l'encourager.
L'élection présidentielle coule dans l'impéritie
et, cependant que les candidats échangent des platitudes, la guerre se déchaîne
sous nos yeux.
Guerre fatale depuis l'assassinat de M. Rabin et
l'élection de Sharon. Non seulement la France n'a plus de voix, elle ne possède
pas non plus une âme. Cette démission a favorisé l'éclosion d'un communautarisme
qui risque maintenant de dégénérer en affrontements sanglants. Ce sera le cadeau
empoisonné d'Ariel Sharon, une guerre de religion larvée sur la terre de France.
Quand on abandonne la république pour le marché, on récolte des exécrations de
basse-cour.
On a feint de tenir pour un formidable progrès le
fait que le Conseil de sécurité de l'ONU ait voté une mention reconnaissant le
droit, pour les Palestiniens, à posséder un Etat, expression légale d'un
territoire. Faut-il rappeler que les Palestiniens ne sont pas des apatrides ?
Que, pourchassés et massacrés, ils s'accrochent à leur sol depuis plus d'un
demi-siècle ? Que ce qui a été célébré comme un tournant de la politique
américaine est en réalité une concession de façade, le prix dont M. Bush accepte
de payer la complaisance des gouvernements arabes pour sa croisade contre "l'axe
du Mal", degré zéro de la réflexion politique ?
La promesse d'un Etat palestinien est un leurre,
les territoires autonomes en sont un autre. Eclatés, séparés les uns des autres,
on les a troués de colonies, donjons d'une occupation sournoise. Quand les
Américains ont-ils protesté devant ces entorses humiliantes ? Quand ont-ils...
?
Dans le court terme, les Israéliens les plus
extrémistes exulteront ; à plus long terme, ils risquent de connaître un réveil
cruel. M. Sharon vient, pour longtemps, de rendre impossible toute
réconciliation avec les peuples arabes. Il a fondé une mémoire de la haine.
Pense-t-on que, dans cet Orient compliqué, de Gaulle eût laissé s'accomplir sans
parler ce qui est pis qu'un crime, une faute ? On m'objectera que les mots ne
guérissent pas ; ils tuent, ils réveillent parfois. Faute d'armées, la France
conservait la générosité et la chaleur du verbe.
Il n'y a plus de France, il reste des Français.
C'est à eux que je parle, à ceux du moins qui voudront bien m'entendre. Je suis
écrivain, rien qu'écrivain. Ma plume est ma seule arme.
Je proteste contre la lâcheté de nos gouvernants,
qui nous enfoncent dans la honte. Je proteste contre l'insulte faite à la
France. Je proteste contre l'idée que ces candidats d'opérette se font de leur
peuple. Nous ne méritons pas pareille indignité, nous valons mieux que leur
mépris. Nous ne sommes pas si étriqués, si égoïstes et si mesquins qu'ils le
prétendent. Nous attendons un langage de force et de vérité. Nous voulons
retrouver confiance en nous-mêmes.
Les Palestiniens ne sont en rien responsables des
crimes de Hitler, s'ils n'en finissent pas de payer le prix de notre remords. Il
est temps de leur rendre leur dignité de victimes.
"Vous vaincrez parce que vous avez la force, vous
ne convaincrez pas, car il vous manque la raison." Ces paroles, Miguel de
Unamuno les jeta, en pleine guerre civile, à la face des généraux franquistes.
Elles conservent leur pertinence, elles gardent leur
dignité.