1. Lettre ouverte au général Sharon par
Breyten Breytenbach
in La Libre Belgique (quotidien belge) du vendredi 12
avril 2002(Breyten Breytenbach est un écrivain
sud-africain (1)
membre du Parlement international des
écrivains.)Monsieur, vous ne me connaissez pas. Il n'y a aucune
raison pour cela et peu de chances que vous écoutiez ce que quelqu'un comme moi
peut avoir à dire. Je ne pense pas que vous ayez le temps de prêter attention à
des points de vue qui ne correspondent pas au vôtre. En fait, je suis persuadé
que vous n'écoutez pas ceux qui ne disent pas ce que vous souhaitez
entendre.
Au cas où cela vous intéresserait, je suis un écrivain sud-africain
et je vis et travaille à l'étranger. Il y a quelque temps, j'ai aussi vécu parmi
un peuple élu qui se conduisait comme un Herrenvolk - comme tous ceux qui
croient que la souffrance les a singularisés ou que Dieu leur a confié une
mission particulière.
Je m'excuse si mon allusion à Israël comme Herrenvolk
peut blesser à cause des échos d'un passé récent quand, en Europe, tant de Juifs
ont été les victimes de la `solution finale´. Mais comment décrire autrement le
comportement de votre armée quand l'horreur de ce que vous faites nous
submerge?
Ces équivalences brutales ne sont pas faites à la légère. En tant
qu'écrivain, je sais très bien qu'il est nécessaire de ne pas se servir des mots
pour faire naître des émotions faciles. C'est ce qu'entraînent les comparaisons
hâtives - elles annulent toute compréhension de la complexité des phénomènes
observés par la montée de la violence qui échauffe la gorge et souille
l'adversaire avec des vomissures d'une condamnation empruntée à une autre
situation. L'apartheid n'était pas le nazisme, mais le dire était un slogan
frappant. Et la politique menée actuellement par les forces israéliennes contre
le peuple palestinien ne doit pas être mise sur le même plan que l'apartheid.
Chacun de ces processus et de ces systèmes est assez mauvais pour mériter
l'analyse complète de sa singularité historique.
Et cependant, il y a des
similitudes et des différences: cette compétition aveugle de chaque camp, pour
être reconnu comme plus-victime-que-l'autre; le fait de masquer vos atrocités
avec le droit sacro-saint de légitime défense; la manipulation éhontée de la
sensibilité et du mensonge; la déshumanisation parallèle de votre propre
société; le mépris de l'humanité des Palestiniens - en fait le refus du
traitement humain le plus élémentaire d'un population civile prise au
piège.
Tout cela n'est que trop familier. Les hypothèses qui sont à la base
de vos actions, sont racistes. Comme c'était le cas avec le régime sud-africain,
les méthodes par lesquelles vous espérez soumettre l'ennemi se résument à
l'utilisation de la force, aux bains de sang et à l'humiliation. Vous pensez de
façon cynique que vous pouvez vous en tirer tant que vous allez dans le sens
supposé des intérêts vitaux des Etats-Unis. Je pense que vous vous moquez comme
d'une figue de Jaffa des intérêts des américains. Vous devez sans doute les
mépriser à cause de leur matérialisme grossier et de leur ignorance du monde.
C'est vrai, votre vendeur de voitures d'occasion, Netanyahou, a utilisé plus
ouvertement encore cette technique de propagande grossière, comme s'il avait été
un doigt sale en train de tordre le clitoris d'une opinion publique américaine
en pâmoison.
Mais vous aussi, en faisant écho de façon tout à fait
opportuniste au défi du président américain (et en reprenant ses propres mots)
qui décrit tout autre comme un terroriste, vous avez montré que vous preniez le
reste du monde pour des imbéciles. Nous ne sommes assurément pas tous d'accord
pour reconnaître que ce qu'il y a de mieux dans le monde c'est l'appétit des
Etats-Unis pour un pétrole bon marché, et pour qu'on attende de nous une
adhésion à l'inviolabilité des régimes corrompus de la région!
Il faut
analyser tout de suite une autre diversion pernicieuse. Il est bien connu que
toute critique de la politique d'Israël est l'expression d'un antisémitisme.
Cette affirmation clôt définitivement toute discussion. Bien sûr, je rejette
cette tentative de censure qui supprime toute base de débat. Aucune souffrance -
que ce soit celle des Tutsis, des Kurdes, des Arméniens, des Vietnamiens, des
Bosniaques ou des Palestiniens- n'exonère de la critique. (Et pour dire les
choses tristement, quelle que soit la persécution subie, cela ne vaccine pas un
peuple et ne l'empêche pas de perpétrer à son tour les pratiques dont il a
souffert.) Aucune référence à la soi-disant promesse par un Dieu d'une terre
sacrée ne peut justifier les exactions commises par une armée d'invasion et
d'occupation - ni les massacres d'innocents perpétrés de sang-froid, ordonnés
par des seigneurs de guerre fanatiques au nom de la résistance. Aucune référence
à quelque sacro-saint Grand Israël ne peut dissimuler que vos colonies sont des
enclaves armées construites sur une terre effrontément volée aux Palestiniens,
et qui suppurent comme des morceaux de verre plantés dans leur chair, ou des
nids de snippers dont le but est de contrecarrer et d'annuler toute possibilité
de paix par une annihilation de l'autre, comme il n'existe aucun paradis pour
les martyrs.
Je trouve cette allégation d'antisémitisme parfaitement
déplorable, en particulier quand elle vient d'intellectuels Juifs qui, si
souvent, constituent l'épine dorsale raisonnable, rationnelle et créatrice des
sociétés occidentales. Pourquoi devrions-nous être soumis à ce plaidoyer
particulier, ou détourner le regard quand Israël commet des crimes? Est-ce que
selon Yahwe, ce qui est bon pour l'un ne l'est pas pour l'autre?
Non, général
Sharon, les injustices subies dans le passé ne justifient ni n'excusent vos
actes fascistes actuels. On ne peut pas construire un Etat viable sur
l'expulsion d'un autre peuple qui a autant de droits que vous sur ce territoire.
La puissance n'est pas le droit. A long terme, votre politique immorale et à
courte vue (et en définitive stupide) ne fera qu'affaiblir un peu plus la
légitimité d'Israël en tant qu'Etat.
Récemment, j'ai eu l'occasion de visiter
les Territoires pour la première fois. (Oui, j'ai peur de dire qu'on peut
raisonnablement les décrire comme des bantoustans - car ils rappellent trop
souvent les ghettos et les camps de la misère qu'on a connus en Afrique du Sud.)
Je n'ai vu Israël que rapidement, en arrivant et en partant, après avoir passé
une nuit dans l'Hôtel Intercontinental David de Tel Aviv, luxueux mais
sombrement désert. Vous pouvez dire que j'ai une vue unilatérale. Peut-être.
Bien que, sur la rive occidentale, on ne soit jamais très loin des lignes de
démarcation israéliennes, des points de contrôle, des tanks et des avant-postes
armés.
Vos deux peuples sont-ils aussi différents, me suis-je demandé. Vous
êtes un mélange similaire de diverses cultures et origines, vous êtes tous deux
un peuple de la diaspora, vous êtes également intelligents, vous avez l'esprit
vif et vous êtes prompts à vous enflammer. Vous pouvez vous montrer courageux
dans des situations semblables. De chaque côté il y a des esprits créatifs d'une
intégrité exceptionnelle dans leur travail. De chaque côté, aussi, il y a un
nombre extraordinaire d'individus égoïstes, assoiffés de pouvoir, des fanatiques
à l'esprit obscurci par les inepties divines. Ou qui l'utilisent comme
prétexte.
En tant que provocateur - cruel et de sang-froid- vous vous
distinguez parmi vos pairs. Dans vos tentatives obstinées mais mal réfléchies
pour ruiner les accords précédents et pour saboter toute possibilité de paix
-sauf la paix des cimetières ou de l'exil, fondée sur le transfert total ou la
disparition de l'entité palestinienne- vous êtes en train de créer le désordre
dans la région. Vous l'avez sans aucun doute planifié. Il reste à voir si les
grognements de vos patrons de Washington infléchiront votre campagne de terreur
calculée et de destruction absurde -ou si ce n'est qu'un écran de fumée derrière
lequel aligner la guerre du monde libre contre le terrorisme. Et pour s'assurer
la domination des ressources et un contrôle total des marchés, du pétrole peu
cher et de la démocratie.
Les quelques jours que j'ai passés là-bas, avec la
délégation du Parlement international des écrivains, m'ont laissé un ensemble
d'impressions fortes mais contradictoires. Comme la Palestine est petite! Comme
vos deux peuples sont inextricablement mêlés! Des pierres partout. La
topographie des noms familiers venus de la Bible. La beauté de la lumière. Les
tentatives pour rendre l'endroit semblable à la Suisse en y plantant des
conifères exotiques. L'inhospitalité du pays, sauf dans les plaines côtières
luxuriantes. L'immense tristesse des villages qui ne sont pas sans rappeler les
villes apathiques et sans vie d'Allemagne de l'Est. La lumière verte des
mosquées et toutes les habitations inachevées. Partout, la laideur de
l'architecture - les immeubles de calcaire gris clair omniprésents. L'ineptie de
votre occupation - toutes ces routes de contournement très bien éclairées à
l'usage exclusif des colons et des citoyens israéliens. La mesquinerie hargneuse
de vos contrôles aux check-points, qui n'ont que peu de rapport avec la sécurité
mais qui répondent à un besoin primaire d'humilier, de frustrer, de harceler et
de rendre folle de rage une population occupée. L'extrême jeunesse de vos
soldats qui, tristement, sont des jeunes gens qui ont fait de bonnes études. La
violence avec laquelle vous détruisez une économie palestinienne possible, et
avec laquelle vous volez leurs biens. La vieille vengeance - la destruction des
maisons au bulldozer, l'arrachage des oliviers. Le spectacle primitif de
positions armées sous camouflage et de drapeaux israéliens sur des bâtiments de
commandement. Vos médias démocratiques tellement vantés qui mentent à votre
peuple, qui nient les crimes de guerre commis par vos soldats. Le mur de Berlin
autour de vos colonies de Gaza (et derrière, des universités, des instituts de
recherche, des hôtels de chaînes américaines, des terrains de golf), et les
décombres des quartiers palestiniens détruits qui ressemblent aujourd'hui au
`ground zéro´ de New York. La façon dont les gosses nous regardent droit dans
les yeux, absolument pas effrayés, mais on nous dit qu'ils sont sans doute
traumatisés non seulement par les menaces que font planer vos hélicoptères, vos
tanks préhistoriques et vos hommes en uniforme qui tirent sur tout ce qui bouge,
mais aussi par tous les adultes hyperactifs qui sont autour d'eux. Les vieilles
femmes avec un foulard dans certains camps de réfugiés, qui crient que vous,
Sharon, vous ne les ferez jamais partir, qu'elles ont chassé vos soldats `comme
des chiens´. Qui dénoncent la mollesse des Etats arabes et la lâcheté de
l'autorité palestinienne. L'extraordinaire activité des intellectuels et des
artistes pendant le siège de Ramallah - discutant, riant de leur propre
situation lamentable. La façon dont ils disaient: `Nous ne voulons pas être des
héros, nous ne voulons pas être des victimes, nous voulons seulement mener une
vie normale.´ Leur désespoir désabusé. Mahmoud Darwich: `Il y a trop d'histoire
et trop de prophètes dans ce si petit pays.´ La visite à Abou Amar, Yasser
Arafat, un renard dans son terrier, ses mains jaunes comme de la cire appelant
dans une étreinte vide une `paix des braves´ et `à la conscience de la
communauté internationale´. Une bourgeoise se lamentant sur la profanation du
paysage palestinien. Et un avocat des droits de l'homme proclamant: `Nous
remercions Ariel Sharon pour deux choses - il a uni toutes les factions
palestiniennes, et il ne nous a pas laissé d'autre choix que de résister.´ Plus
tard, le même homme, qui fume cigarette sur cigarette et qui a déjà la sueur de
la mort sur lui, remarque amèrement que maintenant les gens ont la répression
dans la peau et qu'ils n'ont plus rien d'autre pour se défendre que leur peau.
D'où les bombes humaines.
Voici quelles sont mes conclusions contrastées:
vous n'avez pas brisé l'esprit du peuple palestinien. Bien au contraire - Les
Palestiniens sont maintenant plus résolus que jamais à construire un Etat, peu
importe que vous les persécutiez. Ils ont vu le renouvellement de l'agression,
ils ont su que vous ne faisiez que du pied au général Zinni -sans doute avec
l'accord de Dick Cheney. Ils savent aussi que, puisque vous les avez rendus plus
forts, vous devrez frapper plus durement et plus profondément, parce que vous
êtes coincé dans une impasse dont vous êtes responsable. Comme Bush dans sa
croisade contre les infidèles et les désobéissants, vous devez augmenter votre
distance d'avec l'éthique publique internationale, étaler encore plus de bon
sens et jeter du bon argent moral après tant de fausses évaluations politiques.
Ils savent que rien de ce qu'ils peuvent faire n'est capable de vous apaiser.
Ils craignent que vous ayez à vous arranger avec ce crime contre l'humanité que
vous êtes en train de commettre, que vous réussissiez à briser leur espoir d'un
Etat laïc, moderne et démocratique, responsable devant sa population, et que
vous ameniez le démon parmi eux. Ils savent aussi que cette volonté divise et
affaiblit profondément Israël. Mais vous vous en moquez, n'est-ce pas ? C'est ce
qui est triste et horrible.
Traduit de l'anglais
par Jean Guiloineau. Parlement international des écrivains / nternational
Parliament of Writers Web http://www.autodafe.org(1) A passé 7 ans dans les prisons en Afrique du Sud accusé
d'acte terroriste contre l'Etat. Exilé en 1982. A écrit notamment `Confession
véridique d'un terroriste albinos´ (Stock), `Retour au paradis´ (Grasset,
1993)
2. Au-delà du massacre par Edward
Said
in Le Monde du vendredi 12 avril 2001
La fixation
incontrôlée de Sharon sur Arafat et sur le terrorisme ne fait rien d'autre que
d'accroître le prestige de son adversaire, et de mettre en lumière ce que sa
position a d'aveugle et de dément.
Quiquonque a des liens avec la Palestine
éprouve aujourd'hui colère et consternation. La guerre coloniale totale contre
le peuple palestinien dans laquelle Israël vient de se lancer avec le soutien de
George Bush, dont l'incompétence et les contradictions laissent pantois, semble
répéter ce qui s'était passé en 1982. Mais elle est bien plus grave que les
précédentes invasions de 1971 et 1982. Car, aujourd'hui, le climat politique et
moral est devenu plus brutal et plus simpliste. Les médias ont accentué leur
travail de sape en faveur de la version israélienne des choses, focalisant
l'attention sur les attentats-suicides, soigneusement isolés du contexte des
trente-cinq ans d'occupation des territoires palestiniens en violation du droit
international. La "guerre contre le terrorisme" a envahi l'actualité mondiale.
Le monde arabe est plus inconsistant et éclaté que jamais.
Tout cela, si le mot convient, n'a fait qu'exalter et déchaîner les
instincts meurtriers de Sharon. Il peut faire beaucoup plus de mal et plus
impunément qu'avant. Mais cela signifie aussi que ses entreprises sont vouées à
l'échec, et toute sa carrière politique menacée de faillite, tant il est vrai
que l'obstination dans la destruction et dans la haine ne conduit jamais ni au
succès politique ni même à la victoire militaire. Des conflits entre peuples
comme le conflit israélo-palestinien recèlent plus d'éléments déterminants qu'on
n'en peut éliminer avec des tanks et des avions, et quelle que soit l'insistance
avec laquelle Sharon continue de claironner ses incantations dénuées de sens
contre le terrorisme, une guerre contre des civils désarmés ne produira pas le
résultat politique durable dont il rêve. Les Palestiniens ne partiront pas. Et
Sharon a toutes les chances de finir honni et rejeté par son peuple. Son seul
projet est de détruire tout ce qui touche à la Palestine et aux Palestiniens. Sa
fixation incontrôlée sur Arafat et sur le terrorisme ne fait rien d'autre que
d'accroître le prestige de son adversaire, et de mettre en lumière ce que sa
position a d'aveugle et de dément.
Au bout du compte, Sharon est le problème des Israéliens, ce n'est pas le
nôtre. Ce qui nous importe avant tout, désormais, c'est de faire tout ce qui est
en notre pouvoir pour assurer la suite, en dépit de l'immensité des souffrances
et des destructions qu'une guerre criminelle nous fait subir. Quand un homme
politique, retiré des affaires, aussi connu et respecté que Zbigniew Brzezinski,
déclare à la télévision qu'Israël se comporte comme le régime raciste d'Afrique
du Sud, on peut imaginer qu'il n'est pas seul de son avis, et qu'en Amérique et
ailleurs de plus en plus de gens sont déçus et même dégoûtés de la façon dont
Israël joue les avant-postes de la puissance américaine. Les Israéliens pompent
beaucoup trop d'argent, ils isolent les Etats-Unis diplomatiquement, ils nuisent
sérieusement à la réputation morale de la nation américaine auprès de ses alliés
et de ses propres citoyens. Mais dans la détresse qui est aujourd'hui la nôtre,
la question est aussi de savoir ce que nous, Palestiniens, avec notre raison,
pouvons conclure de la crise pour en nourrir nos projets d'avenir.
Ce que je voudrais proposer maintenant n'a aucune prétention à
l'exhaustivité, mais c'est le fruit d'années d'engagement pour la cause
palestinienne, venant de quelqu'un qui appartient justement aux deux mondes : le
monde arabe et le monde occidental. Les quatre points sur lesquels je veux
insister, liés entre eux, ne couvrent pas tout. Ils sont ma modeste contribution
à notre réflexion commune dans cette heure difficile.
1. pour le meilleur et pour le pire, la cause palestinienne n'est pas
seulement une cause arabo-musulmane, elle est devenue cruciale pour plusieurs
mondes différents, mutuellement conflictuels mais entrelacés. Agir pour la
Palestine impose de prendre conscience de cette complexité et d'en réfléchir
soi-même les différents aspects. Il nous faut pour cela des dirigeants d'un haut
niveau d'instruction, de vigilance, d'intelligence, et qui jouissent d'un large
soutien démocratique. Il faut, comme Nelson Mandela ne s'est jamais lassé de le
répéter à propos de son propre combat, avoir la conscience du fait que la
Palestine est l'une des grandes causes morales de notre temps, qui exige d'être
défendue comme telle. Il ne s'agit pas de marchander, de trouver d'habiles
compromis, ou de faire carrière. Il s'agit pour les Palestiniens de se hisser à
la hauteur de leur propre cause, et de s'y maintenir.
2. La puissance a plusieurs formes, et la forme militaire n'est que l'une
d'entre elles. Si l'Etat d'Israël a pu faire ce qu'il a fait aux Palestiniens
depuis cinquante-quatre ans, c'est grâce à une campagne d'opinion permanente,
scientifiquement organisée, destinée à légitimer les actes des Israéliens, tout
en noircissant et en occultant les actes des Palestiniens. Il ne s'agit pas ici
de l'entretien d'une puissante armée, mais du conditionnement de l'opinion
publique, en particulier aux Etats-Unis et en Europe occidentale. Un tel pouvoir
a été acquis par un travail de longue haleine, portant méthodiquement sur les
points qui permettent de favoriser l'identification avec les positions
israéliennes et de présenter les Palestiniens comme des gens dangereux et
répugnants, qui menacent Israël et qui par conséquent "nous" menacent. Depuis la
fin de la guerre froide, l'importance de l'Europe en termes de formation de
l'opinion par l'image et par les idées est devenue pratiquement insignifiante.
C'est l'Amérique qui est le champ de bataille (hors de la Palestine elle-même).
Or nous n'avons tout simplement jamais compris l'importance d'un travail
politique de masse, systématiquement organisé, dans ce pays, en sorte que par
exemple l'Américain moyen cesse de penser immédiatement "terrorisme" quand le
mot "Palestinien" est prononcé. Pourtant, seul ce type de travail protégerait,
au sens strict du terme, les victoires que nous remportons sur le terrain dans
notre résistance à l'occupation israélienne.
Ce qui a assuré l'impunité à l'Etat d'Israël, c'est donc le fait qu'aucun
mouvement d'opinion pour notre défense ne soit en mesure d'arrêter Sharon au
moment de commettre ses crimes de guerre sous le prétexte de "combattre le
terrorisme". Quand on voit la puissance insidieuse et universelle qu'exercent
les émissions diffusées par CNN, par exemple, dans lesquelles l'expression
"attentat-suicide" répétée des centaines de fois par heure glace d'effroi le
consommateur et contribuable américain, on se dit que c'est une négligence
impardonnable de ne pas avoir demandé à des gens comme Hanane Ashraoui, Leïla
Shahid, Ghassan Khatib ou Afif Safié, pour n'évoquer qu'un petit groupe
d'intellectuels palestiniens, de s'installer à Washington et d'y être prêts à
venir sur CNN ou sur d'autres chaînes pour raconter l'histoire de la Palestine,
restituer le contexte et les éléments de compréhension nécessaires, et nous
assurer une présence morale, un poids de récit qui nous valorise au lieu de nous
dévaloriser sans cesse - rien de plus, mais rien de moins. Dans l'avenir, il
nous faudra des dirigeants qui comprennent cette leçon élémentaire de la
politique moderne à l'âge des mass media audiovisuels. Ils ne l'ont pas compris
et cela fait partie de la tragédie actuelle.
3. Dans un monde que domine une seule superpuissance, les Etats-Unis
d'Amérique, on ne peut agir politiquement de façon responsable si on n'a pas une
profonde intelligence de ce qu'est cette superpuissance, si on ne connaît pas
bien son histoire, ses institutions, ses luttes politiques, sa culture. Et
surtout si on ne maîtrise pas bien sa langue. A entendre nos porte-parole et
ceux des autres nations arabes énoncer les pires âneries sur l'Amérique et se
placer eux-mêmes à sa merci, tantôt la couvrant d'anathèmes, tantôt l'appelant
au secours, toujours dans un anglais trébuchant et déficient, c'est à pleurer
devant tant d'incompétence. L'Amérique n'est pas tout d'une pièce. Nous y avons
des amis, ou des amis en puissance. Nous pouvons cultiver, mobiliser nos
communautés et les communautés proches de nous pour en faire un moyen de notre
politique de libération, comme firent les Sud- Africains dans le monde, ou les
Algériens en France pendant leur guerre de libération. Il nous faut des plans,
de la discipline, de l'organisation. Nous n'avons rien compris à la politique de
la non- violence. Et nous avons moins compris encore le pouvoir que nous
conférerait le fait de nous adresser directement aux Israéliens, comme l'ANC
s'est adressée aux colons blancs d'Afrique du Sud, dans un langage d'acceptation
et de respect mutuels. A la politique d'exclusion et de guerre des Israéliens,
il nous faut répondre par une politique de coexistence. Il n'y a là aucune
reculade, mais un effort pour créer des solidarités, pour isoler les
purificateurs, les racistes, les intégristes au sein de leur propre
peuple.
4. La plus importante des leçons que nous devons tirer de la tragédie pour
nous-mêmes, c'est ce qu'Israël est en train de faire dans les territoires
occupés qui nous l'enseigne. Le fait est que nous sommes bel et bien un peuple,
une société, et malgré les attaques sauvages de l'Etat d'Israël contre
l'Autorité palestinienne cette société n'est pas morte. Nous sommes un peuple
parce que notre société continue de vivre, comme elle a continué de vivre depuis
cinquante-quatre ans, malgré toutes les violences, toutes les vicissitudes
cruelles de l'Histoire, tous les revers de fortune, toutes les tragédies
auxquelles notre peuple a été exposé. C'est là notre plus grande victoire sur
Sharon : lui et ses semblables sont incapables de le voir, c'est pourquoi ils
sont condamnés en dépit de leur puissance et de leur inhumanité. Nous avons
surmonté le souvenir des tragédies de notre passé, à la différence d'Israéliens
comme Sharon. Il mourra comme un massacreur d'Arabes, comme un politicien failli
qui n'a su apporter à son peuple qu'un surcroît d'insécurité et de danger, là où
l'honneur d'un dirigeant politique est de transmettre à ses successeurs des
acquis sur lesquels les nouvelles générations puissent construire. Sharon, Mofaz
et les autres organisateurs de cette campagne sadique d'intimidation et de
carnage n'auront laissé que des tombes. Le néant engendre le néant.
En tant que Palestiniens nous pouvons dire, je crois, que nous laissons
derrière nous un espoir et une société qui auront survécu à toutes les
tentatives de les tuer. Ce n'est pas rien. A la génération de nos enfants
maintenant - les miens, les vôtres - d'aller au-delà, avec esprit critique, avec
raison, avec espoir, avec endurance.
[Traduit de l'anglais par Etienne Balibar. Cet article
est paru dans "Al-Ahram Weekly".]
3. Des lendemains difficiles pour l'image
d'Israël par Sylvain Cypel
in Le Monde du vendredi 12 avril 2001
Les images
montrant la dimension des destructions et le nombre des victimes civiles
palestiniennes feront bientôt le tour du monde. Alors, craint "Yédiot Aharonot",
Israël risque de se retrouver au banc des accusés.
Depuis le début de
l'opération "Mur de protection", l'opinion publique israélienne, exaspérée par
la multiplication des attentats-suicides palestiniens, a, dans son immense
majorité, soutenu la décision du premier ministre Ariel Sharon d'investir les
territoires occupés dans le but de "se débarrasser des infrastructures du
terrorisme".
Dans un vaste élan de patriotisme, de très nombreux citoyens se sont portés
volontaires, qui pour rejoindre une unité de réserve combattante, qui pour
"aider", d'une manière ou d'une autre, au succès de la campagne militaire.
Reflets de cette opinion, quand ils ne la précédaient pas, les médias
radiotélévisés israéliens publics et les quotidiens populaires ont rivalisé de
patriotisme, acceptant sans regimber la décision de Tsahal d'éloigner
journalistes et cameramen des villes investies, décrétées "zones militaires
fermées". Mardi 9 avril, trois faits ont commencé de faire tourner le vent.
D'abord, l'intensité exceptionnelle des frappes sur le camp de réfugiés de
Jénine. Ensuite, la mort de treize réservistes, tombés d'un coup dans une
embuscade meurtrière. Enfin, le soir, pour la première fois, la télévision a
montré au pays des images, terribles, des destructions dans la ville de
Naplouse.
Mercredi matin, les éditorialistes du quotidien Yédiot Aharonot ont, pour
la première fois également, manifesté quelques inquiétudes. Ainsi Alex Fishman,
le spécialiste militaire du journal, a-t-il exprimé l'inquiétude que le
secrétaire d'Etat américain "Colin Powell reparteen nous laissant seuls avec les
chèques en blanc que distribuera Arafat et avec le nouveau mythe du Jéninegrad.
Ce mythe va nous coûter cher, dès les jours à venir, lorsque les images des
destructions dans le camp de réfugiés commenceront d'être diffusées dans le
monde entier".
Sa consœur Sima Kadmon, qui est éditorialiste politique, se montre encore
plus catégorique. "Pendant que l'on comptera nos morts, les Palestiniens
montreront au monde entier les images de leurs morts à eux. Et si, jusqu'à
présent, nous n'avons entendu parler que de grands succès, à partir de
maintenant nous allons aussi entendre parler de nos bavures", a-t-elle écrit. Et
de poursuivre : "Le sentiment difficile quant au nombre de morts, les photos
aériennes des camps de réfugiés surpeuplés [bombardés], les images et les
rapports qui nous attendent nous ramèneront à une autre époque." Laquelle ?
Celle du Liban, bien sûr, en 1982, la précédente "guerre" dont le général Sharon
avait été le grand ordonnateur.
LE PRÉCÉDENT LIBANAIS
Le Liban, tel est aussi le souvenir, avec l'épisode cauchemardesque du
massacre des camps palestiniens de Sabra et de Chatila, commis par les milices
chrétiennes alliées de l'Etat hébreu, qu'agite Nahoum Barnéa, principal
éditorialiste de Yédiot.
"Lorsque l'armée sortira des villes, les Palestiniens chercheront à en
faire payer le prix à Israël. Ils ont l'intention, pronostique-t-il, de
rassembler les corps de leurs morts et de les ensevelir dans des fosses
communes, pour les présenter comme les victimes d'un massacre de masse, du type
de Sabra et Chatila. Leurs regards sont tournés vers Jénine. Ils sont convaincus
qu'ils vont y trouver, sous l'œil des caméras, des centaines de cadavres. Et
Israël sera montrée dans le monde entier comme un criminel de guerre de la
dimension des Serbes en Bosnie."
M. Barnéa explique ainsi que "la hiérarchie militaire israélienne a
commencé à discuter de cet inquiétant problème. Sa conclusion générale est qu'il
faut absolument que ces cadavres soient ramenés en territoire israélien. Si
Israël ne trouve pas le moyen de les enterrer honorablement, ce sont ces
cadavres qui nous enterreront".
4. L’armée israélienne s’apprête à enterrer les morts
du camp de réfugiés palestiniens de Jenin dans une fosse commune
provisoire par Amos Harel & Amira Hass
in Ha’Aretz (quotidien
israélien) du lundi 11 avril 2002
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
Les Forces
Israéliennes “de Défense” ont décidé d’enterrer les morts palestiniens, tués au
cours de l’opération contre le camp de réfugiés de Jenin, dans une fosse commune
provisoire. Des estimations avancent que quelque 200 Palestiniens auraient été
tués au cours du ratissage de ce camp par Israël, bien qu’il soit impossible de
savoir, pour l’heure, combien de cadavres ont déjà été enlevés.
Un
porte-parole de l’armée israélienne a indiqué que la raison qui a présidé à
cette décision est double. Il s’agirait tout d’abord d’empêcher les Palestiniens
d’utiliser les corps à des fins de propagande. Deuxième raison : certains des
cadavres sont encore étendus dans les venelles et les ruelles du camp, et il
faut (n’est-ce pas... ndt) éviter la propagation de possibles épidémies. Au
cours des derniers jours, des ONG étrangères travaillant en Israël ont reçu des
informations selon lesquelles l’armée israélienne utilise des bulldozers pour
évacuer les corps des rues. Pour la première fois, mercredi, la télévision a
diffusé des vues montrant la destruction du camp de réfugiés de Jenin, mais sans
qu’un seul cadavre ne soit montré. Un porte-parole de l’armée israélienne a
déclaré mercredi que l’évacuation des cadavres n’avait pas encore
commencé.
Mission accomplie
Le responsable des opérations de
l’armée israélienne dans le camp de réfugiés de Jenin, le brigadier-général Eyal
Shlein (retenez le nom de ce candidat à La Haye, ndt) a tenu un briefing,
mercredi, pour les journalistes, au cours duquel il a indiqué qu’Israël avait
rempli ses objectifs en pénétrant dans ce camp. Shlein a déclaré aux
correspondants de guerre : “l’armée israélienne a entièrement rempli son contrat
- la destruction de l’infrastructure terroriste dans le camp et la capture de
centaines de suspects figurant sur notre liste de terroristes recherchés, parmi
lesquels des terroristes de première bourre.”. Shlein a souligné que les
opérations israéliennes à Jenin et ailleurs se poursuivaient.
“Durant nos
opérations dans le camp de réfugiés de Jenin”, a expliqué Shlein, “la plupart
des terroristes figurant sur notre liste d’appel se sont soit rendus, soit ont
été capturés ou tués. DE plus, nous avons découvert d’énormes quantités d’armes,
de munitions, d’explosifs et de bombes, tant passées en contrebande que
fabriqués artisanalement. L’armée israélienne a découvert des dizaines de
laboratoires permettant de fabriquer des explosifs, et elle a découvert que des
enfants ont été utilisés pour confectionner les engins (explosif)”, a-t-il
ajouté.
“Nous avons arrêté plussieurs kamikazes en puissance (!), qui
avaient d’ores et déjà enregistré leurs messages d’adieu-vidéo, qui auraient dû
être diffusés après leur mort, et nous avons éliminé plusieurs personnes
responsables d’avoir apporté une aide logistique aux kamikazes”, a déclaré le
commandant.
Shein a ajouté : “nous allons continuer à ratisser le camp afin
de neutraliser toutes les mines abandonnées. Des dizaines, voire des centaines,
d’engins explosifs ont été abandonné sur le terrain, et de nombreuses maisons
sont piégées.”
Shein a déclaré également que des terroristes “utilisaient des
habitants du camp - parfois pris en otages - qui ne voulaient pas participer aux
combats, et ont utilisé aussi leurs maisons comme bunkers piégés.”
Un “dangereux” activiste islamiste se rend
Un membre
dirigeant du mouvement islamiste Jihad, Sheikh Ali Sfouri, s’est livré mercredi
matin à l’armée israélienne, dans le camp de Jenin, théâtre de l’une des plus
féroces batailles de toute l’”Opération Bouclier Défensif”, lancée il y a
désormais presque deux semaines par Israël avec l’objectif proclamé d’éradiquer
l’infrastructure terroriste dans les territoires.
Selon les responsables de
l’armée israélienne, Sfouri était engagé dans la préparation de nombreux
attentats contre des Israéliens. Les Palestiniens, toutefois, ont fait savoir
que cet homme avait été tué par l’armée israélienne, dans le camp.
L’armée
israélienne a reçu des rapports contradictoires relatifs au sort de Sfouri et de
Mohammed Twalba, autre dirigeant actif du Jihad islamique à Jenin. Certaines
sources palestiniennes ont fait état de la mort d’au moins un des deux hommes.
Des militants de son organisation ont même prononcé le martyrologe de
Twalba.
Twalba est l’un des hommes les plus recherchés de toute la
Cisjordanie, il est présumé responsable d’avoir envoyé au minimum dix kamikazes
en mission contre des cibles israéliennes. Parmi les attaques terroristes dont
il serait responsable figurent les deux attentats-suicides de Wadi Ara, qui ont
causé la mort de dix Israéliens.
De sources palestiniennes, on apprend que le
dernier groupe d’hommes armés, dans le camp de réfugiés de Jenin, s’est rendu
aux forces israéliennes de “défense”, mercredi. Ce groupe, comportant deux
dirigeants de milices locales, ont déposé les armes à l’aube et sont sortis des
deux bâtiments où ils s’étaient repliés, a indiqué un combattant relevant du
mouvement Fatah, du dirigeant palestinien Yasser Arafat.
Plus de 1 000
Palestiniens se sont rendus mercredi à l’armée israélienne, dans le camp de
Jenin. L’armée israélienne a mené à bien son assaut contre les dernières poches
de résistances dans ce camp, mais des commandants du champ de bataille pensent
que beaucoup de Palestiniens recherchés ont trouvé des cachettes de fortune et
son encore susceptible d’attaquer les soldats présents sur place.
5. Pressions européennes croissantes sur
Israël par Todd S. Purdum
in The New York Times (quotidien
américain) du lundi 11 avril 2002
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
C’est une Europe
ulcérée par les incursions israéliennes en territoires palestiniens qui a remis
un message à double-tranchant au Secrétaire d’Etat Colin L. Powell, aujourd’hui,
associant à un langage très dur sur des sanctions commerciales et l’embargo des
armements sur Israël une adhésion totale aux efforts de paix au Moyen-Orient
entrepris par celui-ci.
Plus de dix ans après que la conférence de paix de
Madrid eût ouvert une ère de diplomatie prometteuse, le Secrétaire d’Etat Powell
a rencontré ici les ministres (européens) des affaires étrangères afin de mettre
un terme au bain de sang en cours et de sauver les derniers fils subsitant des
négociations de paix en lambeaux.
L’Union européenne, la Russie et l’ONU ont
répondu en soutenant ses objectifs, en exigeant le retrait des forces
israéliennes, la fin des attentats terroristes palestiniens et un “cessez-le feu
immédiat et solide”.
Le Parlement européen, réuni à Strasbourg, a adopté à
269 voix contre 208 une résolution très ferme exigeant des quinze pays membres
de l’Union européenne de suspendre le traitement préférentiel dont bénéficient
les exportations d’Israël vers l’Europe, lesquelles représentent 27 % des
exportations totales de ce pays.
Les gouvernements européens sont divisés sur
la question de savoir s’ils doivent mettre en application ces sanctions
commerciales. Des officiels tant américains qu’européens ont minimisé la
possibilité qu’ils aient recours à de telles mesures. Le Secrétaire Powell a
indiqué que ce sujet n’avait pas été discuté durant ses conversations de la
matinée et qu’il était prématuré de spéculer sur ce que pourrait être la
position retenue par Washington.
Le ministre des A.E. espagnol, Josep Piqué,
dont le pays assure la présidence tournante de l’Union, a déclaré qu’à son sens
toute prédiction était prématurée. “Ce que nous devons faire, c’est nous
concentrer ce à quoi nous sommes présentement atelés” : à savoir, chercher à
obtenir le retrait (d’Israël), un cessez-le-feu, et la reprise des négociations
de paix, a-t-il dit.
Powell avait prévu de faire une escale ici à Madrid afin
de d’y rencontrer des officiels européens avant même que le président Bush ne
l’envoie en mission au Moyen-Orient, et il s’attendait à un flot de critiques
européennes sur une multitude de sujets, allant de la situation au Moyen-Orient
aux taxes sur l’acier récemment imposées par M. Bush, en passant par les plans
américains visant l’Irak.
Une chose est sure : si M. Powell a lu les
journaux, il aura été édifié. Il aura pu y découvrir, notamment, des
informations sur l’embargo imposé par l’Allemagne sur des ventes d’armes (déjà
commandées) à Israël, bien que les autorités allemandes se soient refusées à
tout commentaire.
Mais aujourd’hui, à Madrid, Powell a seulement entendu une
déclaration publique d’alliés soutenant énergiquement une intervention
américaine au Moyen-Orient qu’ils appellent de leurs voeux depuis des semaines.
Un haut responsable américain a commenté en disant que ce soutien permettait au
Secrétaire d’Etat “d’aller dans la région, avec tous les gars derrière
lui...”
“Ma mission n’est absolument pas compromise”, a insisté Powell au
cours d’une conférence de presse tenue ici à Madrid, cet après-midi, peu après
que le Premier ministre israélien, Ariel Sharon, ait déclaré que l’offensive
militaire israélienne en Cisjordanie continuerait après un nouvel
attentat-suicide, en dépit des très fortes objections américaines.
Bien qu’on
fît état, aujourd’hui, de propos de M. Sharon selon lequels la rencontre de M.
Powell avec Yasser Arafat serait “une erreur tragique”, le Secrétaire d’Etat a
réaffirmé que cette rencontre était indispensable car (M. Arafat) “est le
dirigeant du peuple palestinien, et je pense que le peuple palestinien et les
dirigeants arabes que j’ai rencontrés au cours des jours écoulés sont convaincus
que M. Arafat est le partenaire avec lequel Israël devra traiter, tôt ou
tard.”
Faisant apparemment allusion à une attaque contre des soldats
israéliens à Jenin, un journaliste a demandé à M. Powell s’il considérait la
violence, dans les territoires occupés, contre des soldats israéliens - et non
des civils - comme du terrorisme. Powell a retourné la question, disant : “la
violence, quelle qu’en soit la forme, que l’on puisse la qualifier de terrorisme
ou d’action de résistance, est dans la situation actuelle contre-productive”,
ajoutant : “Ce à quoi nous devons veiller, maintenant, c’est à une fin de la
violence : quelque intitulé que vous lui donniez, la violence reste la violence,
et elle déstabilise totalement la région.”
A l’ONU, le Conseil de Sécurité a
une nouvelle fois renvoyé un vote sur une résolution formulée par les pays
arabes, renouvelant l’exigence d’un retrait israélien immédiat et appelant à
l’envoi d’une force internationale d’observation.
Auparavant, le Secrétaire
Général, Kofi Annan, avait lu une résolution adoptée par l’Union européenne, la
Russie et l’ONU elle-même, exhortant Israël et l’Autorité palestinienne à
“coopérer pleinement” avec la mission du Secrétaire d’Etat Powell, ainsi qu’avec
les “efforts visant à rétablir le calme et à une reprise du processus
politique.”
M. Annan a ajouté : “Nous appelons à un cessez-le-feu immédiat et
significatif, ainsi qu’au retrait immédiat d’Israël des villes
palestiniennes.”
Powell a déclaré que lui-même et ses collègues diplomates,
dont M. Piqué, le ministre des AE de Russie, Igor S. Ivanov et Javier Solana,
chef de la diplomatie de l’Union européenne, “exploraient différentes
possibilités” susceptible d’amener à une reprise des négociations politiques
parallèlement à leurs efforts en vue d’un cessez-le-feu. Mais il a précisé qu’il
ne savait pas dans le détail quelle forme ces initiatives pourraient
prendre.
“Je dois parler longuement avec les partenaires dans la région afin
de voir comment ils perçoivent ces suggestions et comment nous pouvons aller de
l’avant”, a indiqué le Secrétaire d’Etat, qui a ajouté : “je suis persuadé que
le moment viendra où nous serons à même de faire savoir au monde entier quelle
est la meilleure façon de sortir de la crise à laquelle nous serons
parvenus.”
Même s’il appelait à un retrait israélien, la résolution
communiquée par M. Annan exigeait aussi de M. Arafat qu’il fasse le nécessaire
afin de mettre un terme aux attentats contre Israël. “Nous exhortons le
Président Arafat, en sa qualité de dirigeant élu et reconnu du peuple
palestinien à entreprnere immédiatement le maximum d’efforts afin de mettre un
terme aux attentats terroristes contre les civils israéliens innocents”, énonce
le communiqué.
M. Annan a publié une demande impérieuse exigeant d’Israël
qu’il honore ses engagements vis-à-vis du droit international à protéger les
civils et à laisser les secours intervenir. “Le respect du droit international
humanitaire et des organisations humanitaires est le minimum requis de toute
nation qui se réclame de la démocratie et de son appartenance à la communauté
internationale”, a-t-il rappelé avec force.
Le groupement de pays cité plus
haut a également fait état de sa “grave préoccupation” au sujet de la situation
instable au nord d’Israël, à la frontière du Liban, où le Hizbollah soutenu par
la Syrie et l’Iran a lancé des attaques par roquettes, s’attirant les répliques
d’Israël.
La Syrie bénéficie désormais d’une admission temporaire au Conseil
de Sécurité, et M. Annan a fait état de ses conversations avec des responsables
syriens et israéliens, qui l’ont assuré de leur “disposition à faire tout ce qui
est en leur pouvoir.”
Dans un rappel à la Syrie de ses obligations, il a
mentionné notamment que des attaques par-dessus la frontière violeraient les
résolutions du Conseil de Sécurité, rappelant que “le respect des décisions du
Conseil de Sécurité est le minimum requis pour prétendre à la légimité
internationale.”
Un haut responsable américain a ensuite déclaré que les
Etats-Unis n’étaient pas convaincus du fait que la Syrie avait fait tout son
possible afin d’obtenir un arrêt de ces attaques. “Nous affirmons que la Syrie a
une responsabilité dans cette affaire et qu’elle doit user de son influence”,
a-t-il notamment déclaré.
Ce responsable a indiqué que la situation au nord
(d’Israël) serait “un autre point à examiner” au cours des entretiens que M.
Powell doit entamer en Israël vendredi prochain, après s’être entretenu jeudi en
Jordanie avec le Roi Abdullah II.
6. Le devoir du plus fort par Axel Kahn
in
Le Monde Diplomatique du mois d'avril 2002
C’était un soir d’été au
mont des Oliviers, en 1974, lors de ma première visite en Israël. L’éclat et les
reflets du soleil couchant accentuaient le rose de la pierre des murailles de
Saladin. Elles scintillaient, illustrant l’évidence : Jérusalem est un joyau. Le
regard était à la fête, ne sachant même plus où se poser. Il remontait à
contre-courant l’ombre des murs qui se déversait immensément, sautait en ville,
était attiré par l’or de la mosquée d’Omar, se muait en oiseau - les Dieux
fassent qu’il s’agisse d’une colombe - capable d’observer d’en haut les ruelles
enchevêtrées et leur grouillement multiconfessionnel.
Et puis, hop, le mur
enjambé, la vallée aussi, les oliviers du Mont, une paix incroyable, limpide.
L’oeil s’abaissait alors, se dirigeant à nouveau vers la ville, en épousant
cette fois tous les accidents du terrain. Entre le mont des Oliviers et
Jérusalem, une courte vallée sépare les deux collines. Ses pentes sont des
cimetières millénaires, l’un juif et l’autre musulman, en un face-à-face
paisible par lequel s’établit la continuité historique de ces lieux. Les morts
ne se mélangent guère, semble-t-il, mais ils s’admettent, et paraissent même se
donner la main pour parvenir à la Ville sainte.
Alors, la paix entre Juifs et
Arabes, entre Israéliens et Palestiniens, entre fidèles des trois grandes
religions monothéistes qui ont ici leur berceau ne peut-elle qu’être celle des
morts ? L’histoire des lieux nous dit que non. Ce sont les croisés qui, après la
prise de Jérusalem, firent un horrible massacre des juifs de la ville, pas les
troupes de Saladin lorsqu’ils la reprirent. C’est donc une Jérusalem libérée et
apaisée que connut le médecin et théologien juif Maïmonide. Né et formé dans
l’Andalousie maure, il la quitta lorsque déclina l’esprit de tolérance qui y
régnait, et se réfugia à Fez, puis dans les terres du sultan Saladin. C’est là
qu’il acheva ses travaux et qu’il mourut en 1204, au Caire. En fait, depuis
l’Empire romain, au temps des croisades comme au vingtième siècle, c’est
l’Occident, fort de sa trop bonne ou de sa trop mauvaise conscience, qui sema
là-bas les germes du malheur.
Le succès du sionisme, à la fin du dix-neuvième
siècle et entre les deux guerres mondiales, dut en effet beaucoup au
développement de l’antisémitisme et aux pogroms en Europe centrale et en Russie.
L’inconcevable de la Shoah fit le reste. Par deux fois donc, la chrétienté
chassa les juifs vers le sud : avec l’Inquisition espagnole en 1492, puis le
spectre des massacres perpétrés aux temps modernes. C’est ainsi que se
retrouvèrent, sur la terre minuscule de Palestine, des communautés de
laissés-pour-compte, de victimes niées, dominées, méprisées, colonisées,
égorgées... des juifs de partout, et les Palestiniens.
Ces derniers, conquis
par les Turcs, colonisés par un Empire britannique trahissant la parole de
Lawrence d’Arabie, étaient considérés au mieux avec dédain, au pire comme de la
chair à canon pour des dynasties ou des dictatures arabes n’obéissant qu’à leurs
intérêts, celui des dollars et de leur propre gloire. Depuis que l’écriture peut
en garder la trace, l’histoire nous enseigne combine il est aisé de conduire les
malheureux à s’affronter, voire même de les instrumentaliser pour qu’ils se
fassent des guerres par procuration, au nom de leurs puissants soutiens et
douteux amis qui se trouvent ainsi dispensés d’avoir ouvertement à recruter des
mercenaires chargés de faire leur sale boulot. Voilà donc deux peuples, ou au
moins deux communautés, pour une terre, et quelle terre ! Elle est sainte pour
chacun des protagonistes, mais aussi pour les puissances d’ailleurs, celles dont
les conflits et les exactions ont créé cette poudrière.
Par conséquent, à la
lutte pour la terre, pour la reconnaissance et la dignité, pour l’exorcisme du
malheur, est venue s’ajouter la drogue hallucinogène du fanatisme, le crack des
peuples pour paraphraser le petit père Staline. Les ingrédients sont alors au
complet pour que, dans l’infernal chaudron, bouillonne la potion amère de toutes
les angoisses, toutes les frustrations, toutes les haines, les spoliations, les
meurtres et les vengeances.
Schizophrénie collective
Tout a déjà été dit, maintes
fois dénoncé de part et d’autre. D’un côté, les survivants des camps et des
pogroms, forts de la légitimité que leur confère leur souffrance, leur énergie
décuplée par l’évidence que la défaite leur est interdite, qui l’emportent donc
et deviennent oppresseurs. Puisqu’il faut d’abord vaincre, qu’importe comment,
avec qui. Et ce sont alors ces coalitions dans lesquelles le peuple juif perd
son âme, hier avec l’Afrique du Sud de l’apartheid, les troupes coloniales
françaises et britanniques dans l’incertaine et douteuse épopée de Suez en 1956,
le rôle assumé de garde avancée des intérêts américains dans la région, depuis.
De l’autre côté, un peuple désespéré passant du joug des uns à celui des autres,
mis en demeure d’assumer à lui tout seul le rôle du bouc émissaire, chargé du
poids de tous les crimes commis en Occident contre les Juifs.
Ce qui se passe
depuis quelques semaines démontre même que le pire n’avait peut-être pas encore
été atteint, que l’engrenage implacable peut mener toujours plus loin dans
l’absurde et le drame, si on ne le désamorce pas à temps. Résumons. Tout
s’enchaîne en effet mécaniquement... La frustration du peuple palestinien déçu
par le blocage du processus d’Oslo. Une provocation d’Ariel Sharon sur le mont
du Temple, s’ajoutant à celle, permanente, que constituent les centaines de
colonies juives en territoire palestinien, toujours plus nombreuses, toujours
plus peuplées. L’Intifada, la répression, le blocage des territoires, le
chômage, la misère, un désespoir dépassant les limites du supportable, terreau
fertile pour le terrorisme et la culture de mort. A vingt ans, quand on est
palestinien, que l’on ne perçoit plus aucun avenir, aucune perspective
terrestreet que l’on vous fait miroiter la grandeur de l’héroïsme et la
magnificence du paradis d’Allah, comment ne serait-on pas sensible à la solution
d’un sacrifice de soi cruel pour l’ennemi ? Des bombes humaines dans des cafés,
des discothèques, des jeunes de l’autre bord déchiquetés, oeil pour oeil, dent
pour dent, les chars, les bulldozers, les assassinats... Une schizophrénie
collective. Quelle folie, en effet.
Reconnaissance mutuelle
Cela dure depuis plus de
cinquante ans. Il est si fréquent que les enfants battus et martyrisés
deviennent des adultes violents, des pères mal-traitants. Alors, peut-être,
retrouverons-nous encore, dans cinquante ans, l’opposition frontale des mêmes
certitudes, les mêmes dénonciations réciproques, le même cycle de la terreur,
des représailles, des contre-représailles, des vengeances, et ainsi de
suite.
A moins que les uns et les autres, ceux qui tuent et ceux qui
souffrent - ce sont souvent les mêmes -, ceux qui les soutiennent, qui les
manipulent, qui délèguent à ces combattants lointains et désespérés la charge de
les absoudre de leur propre vie confortable et opulente, s’accordent pour dire
l’évidence. Tous ont souffert, tous ont des raisons de lutter, mais nul ne peut
l’emporter.
Quels que soient les fanatismes des plus extrémistes des groupes
islamistes, les juifs ne seront pas rejetés à la mer, l’Etat d’Israël ne sera
pas anéanti. Pour d’évidentes raisons historiques et psychologiques, quel qu’en
soit le prix, les peuples d’Occident ne l’accepteront jamais. N’en déplaise aux
nostalgiques du “Grand Israël”, il n’y aura pas d’Etat juif durable des rives du
Jourdain aux frontières du Sinaï. La démographie, le droit et, là encore, la
mauvaise conscience des nations occidentales, symétrique de leur engagement
pro-israélien, s’y opposeront.
Un jour, dans deux ans, dans vingt ans ou dans
cent ans, les deux peuples qui vivent sur la terre de Palestine auront chacun
leur Etat. Il y faudra deux mille, vingt mille ou cent mille morts. Juifs et
Arabes, dont les défunts se partagent déjà le vallon entre Jérusalem et le mont
des Oliviers, devront bien également faire de cette ville leurs deux
capitales.
La responsabilité de l’Occident - de l’Europe et des Etats-Unis -
est telle dans la création du maelström israélo-arabe que leur bonne parole ne
saurait suffire. La solidarité, la responsabilité, n’est plus d’empêcher la
disparition des protagonistes, mais de réparer, de construire, d’imposer quand
c’est indispensable, tout en s’efforçant de convaincre, toujours.
Bien sûr,
la méfiance, voire la haine, seront durables, mais il n’est pas indispensable de
s’aimer pour coexister : il suffit de se persuader que c’est là l’unique
solution, et puis le pire n’est jamais sûr. L’hostilité violente entre ces deux
communautés, nous l’avons vu, n’est pas si ancienne. Alors, la paix maintenant,
puisque demain la facture sera encore plus lourde. Tous ceux qui s’évertuent à
la rendre improbable trahissent leur peuple. Pour qu’un petit enfant né là-bas
ait d’autres perspectives que la terreur et la vengeance, l’exaltation du
sacrifice et de la mort, il faut naturellement que les colonies soient
démantelées, il faut naturellement que l’Etat d’Israël jouisse de frontières
sûres, il faut naturellement que l’Etat palestinien en soit un à part entière,
viable, reconnu et respecté.
Je me rappelle qu’adolescent, une jeune fille de
mes amis, militante dans un mouvement sioniste, me convia un soir à une fête
dans un local de son mouvement. Je vois encore ces affiches sur les murs :
“Israël vaincra, dans la paix si Dieu le veut, par la guerre s’il le faut.” La
guerre ? Un Dieu peut-il vraiment la vouloir ? Et, de toute façon elle
n’assurera pas l’existence durable d’Israël. Seule la paix et la reconnaissance
mutuellele peuvent. Quels seront les vrais héros d’Israël que retiendra la
postérité ? Rabin et Sadate, ou Sharon et le Sheikh Yassine, l’espoir incertain
ou le malheur assuré ? La question se pose-t-elle vraiment ?
7. La longue marche des Palestiniens, une interview de
Nadine Picaudou réalisée par François Schlosser
in Le Nouvel
Observateur du jeudi 11 avril 2002
(Nadine Picaudou est
historienne, maître de conférence à l’Inalco, spécialiste du Proche-Orient; a
publié «les Palestiniens. Un siècle d’histoire» Editions
Complexe.)
Le refus du partage de leur terre avec les juifs, décidé par l’ONU en
1947, et l’épreuve de l’exil ont entraîné l’émergence d’une nation dont la lutte
pour l’existence dans un Etat indépendant a marqué, dans le sang, ces cinquante
dernières années
Le Nouvel Observateur – Le conflit qui oppose aujourd’hui
Israéliens et Palestiniens a connu tout au long du siècle dernier des
rebondissements souvent sanglants. Quelle est l’origine exacte de cette guerre
de cent ans?
Nadine Picaudou – Il est difficile d’indiquer une date
précise. Il y a eu dès la fin du XIXe siècle des incidents provoqués localement
par des paysans arabes, en raison de l’acquisition de terres par les premiers
pionniers juifs venus d’Europe pour s’installer dans la Palestine, qui faisait
alors partie de l’Empire ottoman. Les élites intellectuelles et les notables
arabes de Palestine ont tenté d’attirer l’attention des autorités ottomanes sur
les dangers que pouvait représenter l’arrivée des pionniers. Il y a un premier
tournant en 1908 lorsque les «jeunes Turcs», officiers et fonctionnaires
modernistes, arrivent au pouvoir en Turquie. Ils sont bien accueillis dans un
premier temps par les élites nationalistes dans l’ensemble de l’empire mais, en
Palestine, on redoute les liens présumés entre jeunes Turcs et sionistes. Quoi
qu’il en soit le nouveau pouvoir est avant tout soucieux de sauver un empire
déjà chancelant et ne souhaite en aucun cas la naissance d’un nouveau conflit
national.
– Comment les Arabes de Palestine ont-ils réagi à la
déclaration Balfour de 1917 par laquelle les Britanniques promettaient au
mouvement sioniste l’établissement d’un «foyer national juif en
Palestine»?
– En Palestine, on assiste après 1908 aux premières
véritables manifestations de ce que l’on peut appeler un nationalisme arabe de
Palestine. Le problème de l’accaparement foncier est clairement posé dans les
journaux qui naissent alors. A la fin de la Première Guerre mondiale et après
l’effondrement de l’Empire ottoman – auquel les Arabes avaient contribué avec
l’aide de la Grande-Bretagne –, se développe dans toute la région un grand
ressentiment sur le thème des «promesses non tenues» puisque, au lieu d’obtenir
l’indépendance, les peuples arabes tombent sous le régime du mandat, à la fois
français et anglais. Pour les Arabes de Palestine, la frustration est double,
puisqu’ils se trouvent confrontés à deux promesses contradictoires: celle de
l’indépendance espérée pour tous les Arabes, et celle d’un foyer national pour
les juifs sur le territoire palestinien même. Le texte de la déclaration Balfour
ne sera d’ailleurs publié en Palestine qu’en 1920. Les élites arabes de
Palestine dénoncent l’absence de fondement juridique de la déclaration Balfour
et entament le premier des nombreux combats qu’elles vont mener tout au long du
siècle, à l’intérieur et sur la scène internationale…
– Y a–t-il,
dans les élites de la Palestine, une opposition unanime à l’arrivée des juifs
sionistes?
– Il y aura tout au long du mandat une opposition nette
et affirmée à toute collaboration avec les autorités britanniques et aux
institutions qui sont proposées pour faire pendant à l’institutionnalisation de
la présence juive. Les Arabes de Palestine considèrent qu’ils sont sur leur
terre propre et qu’ils n’ont pas à être mis sur le même plan que les sionistes
minoritaires qui arrivent de l’extérieur.
Mais les positions sont
ambivalentes. Les élites qui organisent les premières formes de résistance au
sein des Comités islamo-chrétiens restent en contact avec les autorités
mandataires et ne perdent pas l’espoir de pouvoir infléchir la politique
britannique.
– Y a-t-il sur ce sujet de véritables lignes de partage
au sein de la société palestinienne?
– L’une des faiblesses
majeures du mouvement national palestinien avant 1948, c’est le «factionnalisme»
fondé sur des clivages familiaux et claniques. En simplifiant, on peut
distinguer deux grands blocs: celui qui est dirigé par la famille Husseini,
notables issus de l’époque ottomane qui dominent à Jérusalem, et celui des
familles regroupées autour des Nachachibi qui s’élèvent contre la prédominance
des Husseini et fondent notamment leur puissance sur la grande production
d’agrumes pour l’exportation. Ses membres sont plus proches de la dynastie
hachémite de Transjordanie, plus proches aussi des autorités du mandat et prêts
à un compromis avec les sionistes, même s’ils tiennent souvent un discours de
refus identique à celui de leurs adversaires.
– Pendant toute cette
première période, tout en menant un combat rhétorique contre le mouvement
sioniste, des Arabes de Palestine vendent des terres aux acquéreurs juifs.
Pourquoi?
– Jusqu’aux années 20, ce sont de grands propriétaires
fonciers de l’époque ottomane – Palestiniens, Libanais, etc. –, essentiellement
absentéistes, qui vendent. Sont vendues également les possessions domaniales de
la dynastie ottomane. Avec la hausse du prix des terres, ce sont ensuite des
petits et moyens propriétaires qui vendent. Les élites ne se mobiliseront que
tardivement sur le sujet. En revanche, la grande révolte de 1936-1939 est un
soulèvement rural dirigé à la fois contre le mandat et contre l’arrivée massive
de colons juifs tout en revêtant des aspects de guerre sociale inter
palestinienne.
– Pourquoi le mouvement national palestinien s’est-il
radicalisé à partir du début des années 30?
– D’abord parce que, au
tournant des années 1929-30, après la crise qui avait éclaté – symboliquement –
autour du contrôle du mur des Lamentations, on assiste à l’émergence d’une
nouvelle génération de dirigeants nationalistes, issue des élites mais également
des nouvelles classes moyennes. Le mouvement, qui s’est mieux structuré, se
radicalise et lance en 1936 une grève qui dure plusieurs mois. Elle est suivie
par la grande révolte rurale qui se prolongera jusqu’en 1939 et sera réprimée
dans le sang. Des deux côtés, on assiste alors à une militarisation du conflit.
Les colons juifs forment des groupes armés, la Haganah, l’Irgoun, etc., et les
affrontements militaires se multiplient. Le Palestinien Ezzedine el-Qassam
prêche la lutte armée à la fois contre le mandat et contre les implantations
sionistes, et il la déclenche à l’occasion d’une livraison d’armes arrivées à
Haïfa et destinées aux milices juives. Les Palestiniens voient en lui le premier
héros et martyr de la résistance.
L’écrasement de cette révolte, considérée
par les Palestiniens comme leur première guerre d’indépendance, aura une
conséquence désastreuse pour eux puisqu’il conduit à l’élimination ou à la
dispersion de presque tous les dirigeants du mouvement national.
–
Comment la Seconde Guerre mondiale, qui éclate alors, va-t-elle changer la
donne?
– D’abord par le fait massif et terrible que constitue le
génocide des juifs d’Europe. La Shoah impose l’idée qu’un Etat-refuge est devenu
indispensable pour les juifs persécutés et pour les déplacés de la guerre en
Europe. Et, il faut le dire aussi, parce que l’Amérique et les pays européens ne
sont pas pressés de les accueillir. Ensuite, il y a l’attitude nouvelle de la
Grande-Bretagne, qui entame le décolonisation de son empire, en Inde et
ailleurs. Londres n’a plus qu’une idée: mettre fin au mandat sur la Palestine et
confier le dossier à l’ONU.
– En 1947, l’ONU décide d’un plan de
partage: pourquoi les Palestiniens ne l’acceptent-ils pas?
– Ce
partage est évidemment une victoire pour le mouvement sioniste, même si tous ne
l’acceptent pas avec enthousiasme: il lui garantit un statut étatique, reconnu
par la communauté internationale. D’autre part, sur le plan territorial, le
partage est, proportionnellement à la démographie, très favorable à la
population juive, même si le territoire qui lui est attribué est discontinu. Les
Palestiniens, de leur côté, estiment qu’ils ont tout à perdre dans cette
solution puisqu’on leur demande d’accepter l’amputation de ce qu’ils considèrent
comme leur terroir natal, sans tenir compte de leur histoire propre et des
droits spécifiques qui en résultent.
En réalité, le véritable partage avait
eu lieu quelques mois plus tôt, entre le mouvement sioniste et le royaume de
Transjordanie, sous la houlette des Britanniques, comme cela a été mis en
lumière par la suite, notamment par les historiens israéliens. Les Britanniques
voulaient, en fait, que l’Etat attribué aux Arabes de Palestine ne fasse qu’un
avec la Transjordanie. Celle-ci, qui se trouvait également sous mandat
britannique, venait d’accéder à l’indépendance.
– Comment la guerre
israélo-arabe de 1948 a-t-elle transformé une grande partie de la population de
Palestine en exilés, réfugiés à l’extérieur?
– Il y a eu plusieurs
guerres de 1948. Dès le lendemain du partage, on est entré dans une phase
d’affrontements violents entre les Arabes de Palestine et les juifs, qui ne sont
pas encore «Israéliens» puisque l’Etat d’Israël ne sera proclamé que le 14 mai
1948. Les élites arabes des villes et la bourgeoisie côtière commencent à mettre
leurs familles à l’abri dans les pays voisins, en attendant que passe l’orage.
C’est une première vague de départs. A partir de janvier 1948, commence la série
des offensives militaires de ce qui sera bientôt l’armée israélienne et dont
l’objectif est d’établir une continuité territoriale et un élargissement de la
partie des terres attribuées au mouvement sioniste par le partage. Commence
alors un exode de villageois arabes qui fuient la guerre. Les nouveaux
historiens israéliens ont désormais établi qu’il n’y avait jamais eu d’appel au
départ lancé par les dirigeants arabes, contrairement à ce qui a été longtemps
affirmé. Il y a eu en revanche des expulsions forcées, notamment à l’occasion de
la mise en application du plan Dalet. Il faut à cet égard examiner les
événements région par région et il est clair, par exemple, que l’on a ménagé les
Arabes chrétiens de Galilée.
Au lendemain de la proclamation de l’Etat
hébreu, le 15 mai 1948, les armées arabes attaquent. En fait, il y a des
rivalités et les pays arabes sont restés longtemps réticents. Leur entrée en
guerre n’a pas tant pour but d’aider les Palestiniens que de s’emparer de ce qui
reste de la Palestine. La légion arabe jordanienne avance rapidement selon un
scénario plus ou moins mis au point auparavant. La guerre va se terminer par une
série de cessez-le-feu entre Etats arabes et Israéliens. L’Egypte va garder le
contrôle de Gaza, et la Jordanie, en 1950, va annexer la
Cisjordanie.
– La «solution jordanienne», qui est revenue
périodiquement sur le tapis pour résoudre le conflit israélo-palestinien, a donc
été envisagée dès cette époque?
– Beaucoup d’hommes politiques
israéliens ont effectivement répété au fil des années qu’il existe déjà un Etat
palestinien: la Jordanie, dont la majorité de la population est d’origine
palestinienne. Certains considèrent encore aujourd’hui que ce serait une
solution, quitte à procéder, d’une manière ou d’une autre, à une large expulsion
ou à un transfert massif de populations palestiniennes vers la Jordanie, afin
qu’Israël puisse garder la Cisjordanie.
– Les dirigeants israéliens
ont longtemps nié l’existence d’une identité palestinienne propre, et reproché
aux réfugiés «arabes» de ne pas s’être installés définitivement dans les pays
arabes limitrophes. Comment se fait-il que les réfugiés aient pu rester pendant
près de cinquante ans si «palestiniens»?
– Le combat national a
développé tout au long de ce siècle une identité palestinienne. Aujourd’hui,
elle est peut-être plus forte que celle qui soude d’autres peuples arabes au
sein de leurs nouveaux Etats, nés après la fin de l’Empire ottoman. Il est vrai
qu’il y a eu une ambiguïté dans la mesure où, pendant les années 50 et 60, le
combat palestinien s’est inscrit dans l’idéologie qui mobilisait alors
l’ensemble de la région, celle de l’unité de la nation arabe. Ce fut assez
rapidement un échec, et il existe aujourd’hui avant tout des Jordaniens, des
Syriens, des Egyptiens, des Irakiens, etc. Les raisons d’Etat se sont imposées,
et les sociétés des différents Etats arabes ont évolué différemment, même s’il
existe une solidarité fondée sur une langue et une culture communes.
D’autre
part, les réfugiés qui sont partis en 1948-49 étaient persuadés qu’ils allaient
rentrer très rapidement. Ce sentiment du provisoire a duré, et ils n’ont pas
voulu, dans l’ensemble, chercher à s’intégrer dans les pays d’accueil. Les
régimes arabes n’ont pas tenu particulièrement à les intégrer, bien que les
situations soient très différentes selon les pays: la Jordanie a accordé la
nationalité à tous, ce que le Liban, par exemple, a toujours refusé. Mais il
faut dire que le refus de s’établir vient principalement des exilés palestiniens
eux-mêmes. De son côté, le mouvement national palestinien a fait du droit au
retour un thème mobilisateur et il a même donné, dans la charte de l’OLP de
1968, une définition généalogique précise de l’identité palestinienne: «Toute
personne née de parents palestiniens, soit en Palestine, soit hors de Palestine,
est palestinienne», ce qui inclut clairement les Palestiniens de la diaspora, à
commencer par les réfugiés.
– Il y a une longue période entre ce que
les Palestiniens appellent la «catastrophe» de 1948 et la naissance de l’OLP en
1964, pendant laquelle le mouvement national palestinien semble avoir presque
disparu. Pourquoi?
N. Picaudou . – Cette période a été mal étudiée.
Elle correspond à l’époque où l’on disait que «la libération de la Palestine
n’est qu’un aspect de la libération de la nation arabe». Les militants
palestiniens en exil sont alors actifs dans les partis politiques nationalistes
et nassériens des pays arabes d’accueil. Mais il y a dès le début des années 50
de nombreuses tentatives d’infiltration, souvent isolées et individuelles, aux
frontières d’Israël, ainsi que des coups de main armés et même de véritables
combats, comme à Gaza en 1955, où apparaissent les premiers fedayin. Lorsque
l’OLP est créée, en 1964, elle est entièrement sous la coupe de l’Egypte. Mais
de jeunes militants, et parmi eux Yasser Arafat, qui ne croient plus à la
libération par les pays arabes, ont préparé le terrain et mis sur pied des
commandos militaires, notamment par la création du Fatah. Après la défaite arabe
de 1967, qui annonce le début de la fin du rêve nassérien d’unité arable, ils
vont progressivement prendre le contrôle de l’OLP en 1968-69. On assiste alors à
la vraie naissance d’un deuxième mouvement national palestinien.
–
Pourquoi les Palestiniens ont-ils alors recours à la pratique du terrorisme
international, qui va permettre d’accoler durablement l’étiquette de
«terroriste» à la cause palestinienne?
– La stratégie terroriste a
été initialement utilisée non par le Fatah de Yasser Arafat mais par le FPLP
(Front populaire de Libération de la Palestine) de Georges Habache, à la fois
nationaliste arabe et marxisant. L’objectif est alors d’attirer l’attention du
monde sur le sort fait aux réfugiés. Les passagers des avions que le FPLP a
détournés vers le désert jordanien en 1970 sont reçus dans les camps dans
l’espoir qu’ils vont témoigner. Cela n’excuse évidemment pas l’acte mais la
logique était celle-là. On sait comment le roi de Jordanie a réagi à ce qui
était évidemment une atteinte grave à la souveraineté jordanienne. Il a saisi
l’occasion pour régler leur compte aux commandos palestiniens établis sur son
territoire. L’élimination sanglante de la résistance palestinienne en Jordanie a
aussi pour but de mettre fin à la rivalité qui oppose le roi de Jordanie à
Arafat sur la question de savoir qui représente réellement les Palestiniens de
Cisjordanie, l’OLP ou le trône jordanien. Après sa défaite en Jordanie le
mouvement palestinien est exsangue, menacé dans sa survie même. C’est ce qui
explique sans doute que le Fatah de Yasser Arafat s’engage à son tour dans le
terrorisme extérieur, à travers le groupe de Septembre noir, responsable en
particulier de l’assassinat des athlètes israéliens à Munich en 1972. Par la
suite, un certain nombre d’attentats vont être commis par des groupes comme
celui d’Abou Nidal, directement manipulés par des services de divers Etats
arabes.
– En dépit de ces actes terroristes, l’OLP commence à jouir
de la reconnaissance internationale, et en 1974 Arafat peut s’adresser à
l’Assemblée générale de l’ONU. Pourquoi?
– C’est la conséquence
directe de la guerre d’octobre 1973: les pays arabes et en particulier l’Egypte,
considèrent qu’ils l’ont gagnée, et que de toute manière elle doit être la
dernière guerre israélo-arabe. L’Egypte s’apprête à faire la paix avec Israël,
soutenue par Washington. C’est sous la pression arabe – et américaine – que
l’OLP prépare, au niveau de ses élites, une inflexion stratégique qui, à terme,
doit amener le mouvement à accepter la revendication d’un Etat non plus sur tout
l’ancien territoire palestinien, mais en Cisjordanie et à Gaza seulement. Cette
évolution est également voulue par les populations de «l’intérieur», notamment
en Cisjordanie où a été créé en 1973 un Front national. Cette coalition de
partis de l’intérieur pousse l’OLP au compromis. Cela assurera aux dirigeants
palestiniens une place de plus en plus solide sur le plan international, malgré
les divisions qui en résultent au sein du mouvement.
– Pourtant
l’OLP de Yasser Arafat risque une nouvelle fois de disparaître, à la suite de la
guerre du Liban, en 1982?
– En tout cas l’OLP, après sa défaite au
Liban, doit changer de stratégie et abandonner la lutte armée, pour la simple
raison que les résistants sont désormais dispersés et n’ont plus accès à la
frontière israélienne. Arafat est complètement isolé à Tunis: c’est la traversée
du désert. Il va être en quelque sorte sauvé par la première Intifada, qui
éclate en Cisjordanie en 1987, et dont l’OLP réussit à prendre la direction même
si quelques membres du Fatah et du Front démocratique y ont sans doute joué un
rôle dès le début. Mais cette révolte a été précédée d’un long travail en
profondeur des Frères musulmans, autour de Cheik Yassine, encouragés par les
Israéliens qui pensaient que l’islamisme serait le meilleur antidote au
nationalisme. Les Frères musulmans n’étaient pas engagés dans la lutte nationale
mais concentraient leurs efforts sur l’action sociale, culturelle et religieuse.
Seule une faction dissidente, le Djihad islamique, mène alors la lutte armée. Le
mouvement des Frères musulmans et Cheik Yassine finissent par se rallier à
l’action violente par crainte d’être marginalisés et ils créent le Hamas. De son
côté, l’OLP est considérablement renforcée par l’Intifada et peut imposer, en
1988-89, le geste qui l’ancrera durablement dans la communauté internationale:
la reconnaissance d’Israël. C’est un grand tournant dans l’histoire du mouvement
palestinien qui renonce ainsi aux trois quarts du territoire de la Palestine du
mandat, et se rallie ainsi au partage de la terre.
– Ces changements
ont ouvert la voie aux négociations commencées au lendemain de la guerre du
Golfe, sous la houlette américaine, et qui ont abouti aux accords d’Oslo.
Comment, en partant de là, en est-on arrivé au désastre
d’aujourd’hui?
– Les événements d’aujourd’hui pourraient
malheureusement donner raison aux Cassandre qui avaient prédit l’échec du
processus d’Oslo, même s’ils n’avaient guère d’alternative à proposer. Ils
expliquaient que les Israéliens n’avaient aucune intention de laisser s’établir
un jour une véritable souveraineté palestinienne et que l’Autorité nationale
risquait d’être un simple agent de sécurité de l’Etat d’Israël. En acceptant de
repousser la négociation des dossiers sensibles à la fin de la période
intérimaire, les dirigeants palestiniens avaient accepté, en fait, de renégocier
la résolution 242, fondée sur le principe de droit international selon lequel
les territoires occupés doivent être évacués. La poursuite, puis l’accélération
de la colonisation des territoires par les Israéliens après les accords d’Oslo
confortent cet argumentaire. A Camp David, en juillet 2000, Arafat a essayé de
sortir de la logique d’Oslo et de recadrer les positions palestiniennes sur le
socle de la résolution 242. De toute manière, le cadre d’Oslo a pris fin en mai
1999.
– Est-ce que le «droit au retour», dont il a été beaucoup
question après l’échec de Camp David, peut être un obstacle décisif à tout
accord?
– En tout cas pas pour les raisons qui ont été avancées.
Les autorités palestiniennes, qui demandent la reconnaissance de principe du
droit au retour en s’appuyant notamment sur la résolution 194 de l’ONU, ont
depuis longtemps indiqué que les modalités d’application du droit au retour
seraient négociables. Ce qui est en jeu, en réalité, du point de vue des
Palestiniens, c’est la reconnaissance de la responsabilité historique de l’Etat
d’Israël dans l’injustice qui leur a été faite. Et c’est pour eux la condition
d’une véritable réconciliation. Le drame est que cette reconnaissance est
inacceptable pour la conscience israélienne car ce serait marquer d’un stigmate
originel la réalisation du projet national sioniste après l’Holocauste.
8. Ne nous trompons pas de
combat
in Le Monde du mercredi 10 avril 2002
En tant
qu'Arabes, nous affirmons que les actes anti-juifs qui ont lieu en France depuis
quelque temps sont intolérables. La colère et la rage que nous inspirent les
crimes de Sharon ne doivent et ne peuvent, en aucun cas, justifier les amalgames
et les dérives. En attendant l'issue des enquêtes menées par les autorités
françaises sur les auteurs de ces agressions odieuses, et quel qu'en soit le
résultat, nous appelons les communautés moyen-orientales et maghrébines de
France à une extrême vigilance, et souhaitons rappeler, à tous, un certain
nombre d'évidences :
La communauté juive n'est pas identifiable au peuple israélien.
Le peuple israélien n'est pas non plus - loin de là - à l'image de Sharon.
Les nombreux Israéliens que la peur et l'insécurité rangent aujourd'hui à ses
côtés prendront mieux conscience de leur aveuglement et de leur fourvoiement si
nous savons les convaincre de notre absence d'animosité à leur égard, en tant
que communauté et en tant qu'hommes.
Nos partenaires et nos partisans les plus précieux sont les Israéliens et
les juifs qui œuvrent, aux côtés des Palestiniens, contre l'occupation, la
répression, la colonisation et pour la coexistence de deux Etats souverains,
palestinien et israélien.
Un grand nombre d'entre eux ont une histoire
familiale tragique, marquée par l'holocauste. A nous de leur rendre hommage et
de les rejoindre sur cette ligne de crête qui consiste à savoir quitter la tribu
quand il s'agit de défendre des droits et des libertés universels.
Ne tombons pas dans le piège de Sharon. Ne nous trompons pas de combat.
L'insulte contre un juif ou un arabe, c'est la même. Elle ne profite, dans les
deux cas, qu'à l'extrémisme fasciste dont se réclament Sharon et les siens.
Qualifiant les attaques contre les synagogues et les commerces juifs de "crimes
contre les Palestiniens", Leïla Shahid ne pouvait mieux dire. Ecoutons son
appel.
- Ce texte est cosigné par : Adonis,
Ahmad Abodehman, Abdel Hamid Akkar, Malek Alloula, Khalil Al Nouaymi, Salwa Al
Nouaymi, Mohammad Bahjaji, Hoda Barakat, Jamel Eddine Bencheikh, Tahar Ben
Jelloun, Fathi Ben Slama, Karima Berger, Mohamed Berrada, Hassan Chami, Mohammed
Choukri, Dominique Eddé, Wafa El Amrani, Zeynab El Aouaj, Asmahan El Batraoui,
Ibrahim El Khalib, Kadhim Jihad, Mohammad Kacimi, Elias Khoury, Idriss Khoury,
Rachid Koreichi, Abdellatif Laâbi, Wassini Laaraj, Issa Makhlouf, Fayez Malas,
Alia Mamdouh, Farouk Mardam Bey, Hassan Nejmi, Hachem Saleh, Mayssoun Sakr,
Elias Sanbar, Mary Seurat, Abdel Jabar Shimi, Gilbert Sinoué, Habib Tengour,
écrivains ;
Yto Barrada, Randa Chahal, Fouad El Koury, Safa Fathi, Najib
Gouiaa, Joana Hadjithomas, Khalil Joreige, Dina Kamel, Nadia Kamel, Michel
Khleifi, Ibrahim Khill, Mohamad Malass, Yousry Nasrallah, Mohammad Qassimi,
Ghassan Salhab, Elia Suleiman, cinéastes, photographes, peintres ;
Sidi
Mohammed Barkat, Hamid Barrada, Marwan Bechara, Elmostafa Ben Boucetta, Mohammad
Enkheira, Ali Ben Saad, Claude Brahimi, Faouzia Charfi, Mohamed Charfi, Khedija
Cherif, Iarbi Choulkha, Hicham Djaït, Anne-Marie Eddé, Rudolf El Kareh, Borhan
Ghalioun, Sabri Hafez, Abdallah Hamoudi, Mohammad Harbi, Bachir Hilal, Mahmoud
Hussein, Adil Jazouli, Rashid Khalidy, Walid Khalidy, Bassma Kodmani, Hala
Kodmani, Khadija Mohsen-Finan, Lotfi Madani, Ilham Marzouki, Camille Mansour,
Ouardia Oussedik, Hamadi Redissi, Moustapha Safouan, Houari Touati, chercheurs,
professeurs des universités, éditeurs.
9. Ilan Halévi, conseiller politique du Président
palestinien, dénonce un cercle vicieux : "Si Arafat survit, ce sera lui le
vainqueur" par Jean-Pierre Perrin
in Libération du mercredi 10 avril 2002
Ilan Halévi, juif israélien, conseiller politique de Yasser Arafat, et
son représentant à l'Internationale socialiste, se trouvait hors de Palestine au
moment de l'offensive israélienne contre les territoires autonomes. Depuis
Paris, il explique pourquoi l'escalade ris que de se poursuivre.
- Vous habitez Ramallah, avez-vous des nouvelles ?
- Je sais que les soldats israéliens ont fait sauter à l'explosif la porte
de mon appartement avant de le fouiller. Ils l'ont fait pour chaque appartement
où on ne leur a pas ouvert. A Ramallah, ils ont fouillé chaque maison pour faire
en sorte que personne ne passe à travers les mailles du filet. Il n'y a pas un
Palestinien qui n'ait été brutalisé. La pratique qui consiste à considérer toute
une population mâle entre 10 ans et 50 ans comme coupable de terrorisme n'est
pas nouvelle. Les Israéliens ont agi de la même façon en 1948, en 1967, au
Liban... Ce qui est nouveau, c'est de le faire à une aussi large échelle.
- Les brutalités de l'armée israélienne semblent souvent gratuites.
Ont-elles un but ?
- Ces brutalités massives, il faut les décrypter. Elles ne visent pas
seulement à intimider les Palestiniens, mais aussi à faire que les Israéliens se
sentent vainqueurs. D'où l'importance des images. Sharon veut que se dégage une
impression globale de brutalité tout en excluant les témoins, les journalistes.
Il en a besoin pour des raisons de politique interne face à la menace
représentée par Netanyahou (son rival au Likoud, ndlr) et pour récupérer
l'extrême droite israélienne, comme le Parti national religieux.
- Face au terrorisme, ce type de politique est-il payant
?
- Non, car les gens que l'on rafle sont de simples citoyens. Ils sont
restés dans les villes en pensant n'avoir rien à craindre. Les terroristes, eux,
ont pu s'échapper. C'est pour cela que Sharon dit qu'il n'a pas fini son boulot.
Mais cela amène la population palestinienne à souhaiter la poursuite des
attentats. Sinon, cela voudrait dire que la politique de Sharon a porté ses
fruits, qu'il a gagné. C'est un cercle totalement vicieux.
- Et Yasser Arafat, comment va-t-il sortir de l'épreuve
?
- Il y a deux possibilités. Soit il survit politiquement, soit non. On sait
qu'il ne va ni abdiquer, ni émigrer. Tant que les Israéliens ne l'auront pas
liquidé, il sera là. Mais s'il survit à cet épisode, ce sera lui le vainqueur.
Sa popularité sera totale, non seulement chez les Palestiniens mais aussi dans
tout le monde arabe. Fait sans précédent : il y a une quinzaine de jours, les
Syriens ont autorisé une manifestation de Palestiniens où l'on brandissait son
portrait (...). Si les Israéliens étaient arrivés à le tuer, ils en auraient
fait un héros à la Salvador Allende (1). Mais ils ont raté l'occasion. Il faut
rendre hommage au petit groupe des militants de la paix qui ont joué à ce
moment-là un rôle crucial dans sa protection.
- Dans la situation actuelle, y a-t-il une autre issue que
l'escalade ?
- On n'en voit pas. C'est ce qui rend totalement indispensable
l'intervention de la communauté internationale. Sans celle-ci, la situation
actuelle va durer et empirer. Mais jusqu'à quel point de barbarie devra-t-on
arriver pour que les Etats-Unis ou l'ONU disent à Sharon : «ça suffit !» ? Pour
le moment, l'actuelle complaisance de la communauté internationale à l'égard
d'Israël apporte beaucoup d'eau au moulin des islamistes.
- Quelles seraient pour les Palestiniens les conditions d'un
cessez-le-feu ?
- Pas de cessez-le-feu avant la reprise de négociations, tant qu'il n'y a
pas une perspective claire offerte à la rue palestinienne. Or, Américains et
Israéliens nous ont fait savoir que l'arrêt des opérations (de terrorisme, ndlr)
ne les intéressait pas. Ce qu'ils veulent, c'est la mort des opérateurs. Pas
d'islamistes assagis, mais sous les verrous. Or, lors du dernier cessez-le-feu
ordonné par l'Autorité palestinienne et que le Hamas a respecté, c'est le Fatah
qui a tiré sur une colonie juive. Cela ne témoignait pas d'une duplicité de sa
part mais d'une incapacité à arrêter ces opérations sans contrepartie. Dès lors,
tout scénario qui serait seulement fondé sur l'arrêt de l'occupation israélienne
n'est pas réaliste. Il faudrait un enchaînement très rapide entre retrait et
négociations pour que cela ait une chance de marcher. Le problème, c'est que
l'acharnement des Israéliens sur l'Autorité fait qu'il n'y a plus de noyau
exécutif pour empêcher ce genre d'opération.
- On remarque que Sharon prend soin de circonscrire le conflit à la
Palestine, qu'il évite toute surenchère face au Hezbollah.
- Mais ce que veut Sharon, c'est attirer les autres pays dans l'actuel
conflit. Il veut ainsi essayer d'établir une connexion de type terroriste entre
les Palestiniens et le Hezbollah, alors que celle-ci n'existe pas et n'existera
jamais. Déjà que les Palestiniens n'ont jamais eu vraiment de liens avec les
Frères musulmans jordaniens, a fortiori avec le Hezbollah qui est un parti
chiite... En réalité, Sharon aimerait qu'il y ait des incursions de Palestiniens
depuis la Jordanie, et on ne peut pas les exclure même si les gouvernements
arabes évitent de tomber dans des provocations. Mais ce qui est très dangereux,
c'est un dérapage des manifestations populaires en Egypte et en Jordanie qui
pourraient déboucher sur une situation d'instabilité, laquelle serait exploitée
par Israël.
- Jusqu'où peut conduire la politique de Sharon ?
- Je suis entré en politique en 1967 et, depuis cette date, je n'ai jamais
été confronté à tant d'incertitudes. On ne voit pas comment Sharon pourra
s'arrêter sans avoir fini le boulot, comme il dit, car cela provoquerait une
crise interne dans son gouvernement. La politique de Sharon ouvre sur deux
hypothèses très contradictoires. Soit ce sont les derniers soubresauts avant un
retour aux négociations. Soit c'est une bataille historique perdue (pour les
Palestiniens, ndlr), ce qui aurait des conséquences totalement
incalculables.
(1) Président de gauche du Chili,
victime le 11 septembre 1973 du coup d'Etat du général
Pinochet.
10. Sur fond de légalisation de l’impotence, la
nécessité que se poursuive l’Intifada arabe par le Dr. Abdel-Wahhab Al
Effendi
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du
mardi 9 avril 2002
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
(Dr. Abdel-Wahhab Al Effendi est un écrivain soudanais vivant à
Londres.)
Ce n’est pas sous l’effet d’on ne sait quelle inspiration descendue des
cieux que le président américain George Bush a changé du tout au tout de
discours politique, en l’espace de quelques jours. Après avoir déclaré qu’Israël
était dans son droit en razziant les territoires palestiniens déjà soumis, qui
plus est, à l’occupation et que, ce faisant, ce pays exerçait son droit à
l’auto-défense, il exige - quatre jours après - qu’Israël se retire, mette un
terme à la colonisation et satisfasse, en quelque sorte, à toutes les exigences
des Palestiniens en matière de cessation de l’occupation et d’établissement de
leur Etat souverain... L’éveil de Bush, en dépit de toutes ses imperfections,
répond à celui de la nation arabe, cette Belle au bois dormant... La jeunesse et
les anciens, les hommes et les femmes, les intellectuels et les citoyens
“ordinaires” se sont redressés, dans cette nation, de l’Océan au Golfe : ils ont
rappelé à qui aurait tendance à l’oublier que cette nation existe, et qu’elle a
une voix.
L’intifada, dans sa forme actuelle, est plus un problème qu’une
solution, et pas seulement du point de vue de George Bush ou des dirigeants
arabes eux-mêmes. L’intifada, c’est la décision prise par le peuple de s’occuper
lui-même de son destin. En cela, c’est le seul phénomène social qui mérite le
beau nom de révolution. Il est caractéristique qu’on ne lui connaisse pas de
direction préétablie ou centralisée : bien loin de là, elle accouche d’elle-même
ses dirigeants. Dans des révolutions de cette nature, l’explosion se produit en
premier et, ensuite, seulement, émergent des leaders. Ce fut le cas de la
révolution française, à la différence de la révolution qui l’avait précédée en
Angleterre. Ce ne fut le cas ni aux Etats-Unis, ni en Russie.
Ces explosions
(historiques) sont avant tout et par-dessus tout l’expression d’un désespoir, en
particulier lorsque le peuple désespère de ses dirigeants. La première intifada
palestinienne avait éclaté en 1987 en réponse à la fin de la période combattante
de l’Organisation de Libération de la Palestine, laquelle avait été évacuée du
Liban et s’était transformée, à Tunis, en appareil étatique officiel, à l’instar
de tous les autres gouvernements arabes, sauf qu’il s’agissait, en l’occurrence,
d’un appareil bureaucratique entravé par la combinaison de deux chaînes : celle
de sa propre impéritie et celle des immixions des gouvernements (arabes) qui lui
liaient les mains et lui interdisaient toute initiative. Le citoyen palestinien,
sous le joug de l’occupation, a compris alors que ni les gouvernements (arabes)
pacifiques et soumis, ni l’OLP entravée et doublement prisonnière ne le
sauveraient de la prison où l’occupation le maintenait. Il a décidé alors de
s’en remettre au destin et de prendre en mains les rênes de l’initiative. Cela
produisit la lutte héroïque que l’on sait. La même chose se répète depuis un an
et demi, après qu’il fût avéré que le processus d’Oslo était dans
l’impasse.
A l’instar de toutes les explosions historiques similaires,
l’intifada est un processus que personne ne peut contrôler, une fois enclenché.
Elle se transforme en incendie qui consume tout ce qui se trouve sur son chemin
et n’épargne aucun de ceux qu’elle y rencontre, dont elle alimente son brasier.
L’explosion résulte de l’accumulation d’une énorme quantité de colère, cette
colère qui sans cela serait destructrice pour soi-même et pour les autres. Cette
explosion est dépourvue de toute stratégie qui pourrait en guider la
progression. Elle sait ce qu’elle fuit, mais sans savoir où trouver un refuge.
Toute tentative pour contrôler la direction de la coulée de lave de ce volcan
serait de nature à créer des conflits périphériques hautement
destructeurs.
Parmi les dons de Sharon, qui semblent s’être mués en atout
pour les Arabes et en malédiction pour son peuple, on trouve celui d’avoir été
le parrain de l’intifada arabe. En déferlant sur le Liban, il a donné aux Arabes
trois victoires. La première est celle d’avoir réuni les conditions qui ont
abouti à l’éclatement de la première intifada ; la seconde victoire donnée par
Sharon aux Arabe est d’avoir ramené le président Arafat et son organisation dans
son pays, la Palestine, au lieu de l’exiler au Kamtchatka, retour auquel Arafat
n’aurait jamais osé rêver. Enfin, il a donné aux Arabes leur première victoire
militaire, claire et sans ambiguïté aucune, au sud-Liban.
Les bienfaits de
Sharon ne s’arrêtent pas là : il est celui qui a fait éclater la seconde
intifada en souillant l’Esplanade des Mosquées (AlHaram al-Sharif) de par sa
présence criminelle et provocante en ces lieux. C’est lui, aussi, qui a entraîné
l’éclatement de l’intifada arabe généralisée à laquelle nous assistons
actuellement, en commettant les crimes horribles que l’on sait au su et au vu
d’une nation arabe dont les dirigeants ne bougent pas le petit doigt.
L’intifada arabe actuelle est une intifada attendue depuis fort longtemps,
une intifada à laquelle les derniers événements n’ont pas permis d’attendre
davantage pour exploser. Ces événements ont montré l’impuissance absolue des
régimes arabes en place, impuissance avouée par les dirigeants arabes eux-mêmes.
Le fait que les peuples arabes regardent leurs dirigeants du moment avec le
mépris qu’ils méritent n’est en rien une nouveauté, puisqu’aussi bien on n’a
jamais vu, dans l’Histoire, d’autre nation gouvernée par des régimes tirant leur
légitimité de l’aveu de leur incapacité à faire quoi que ce soit, mise à part la
nation arabe. Ce qui est piquant, c’est que ces régimes, bien loin de chercher à
pallier cette impuissance, en tirent leur raison d’exister et en tirent argument
pour étayer leur légitimité plus que contestable, quand elle n’est pas
totalement inexistante. Ces régimes avouent à leurs peuples respectifs qu’ils
sont incapables de faire face à l’arrogance d’Israël, que ce soit en faisant la
guerre ou en faisant la paix, et ils considèrent que cette réponse est de nature
à intimer le silence à ceux qui exigent d’eux qu’ils fassent quelque chose. Peu
importe quoi, mais : quelque chose... Ils préviennent Washington et les autres
puissances qui garantissent leur existence de leur incapacité à contenir la
colère de leurs peuples et mettent en avant cette situation, aussi, pour
apitoyer Washington et obtenir, ce faisant, des aides et un soutien accrus.
A
renforcer l’étrangeté de cette situation pervertie est le fait que les régimes
arabes, venus pour la plupart au pouvoir au moyen de coups d’Etat militaires
survenus au cours des cinquante années écoulées, fondaient (artificiellement)
leur légitimité sur la nécessité de faire face à l’ennemi sioniste. Ces
dirigeants avaient bien souvent envoyé leurs prédécesseurs à la potence, voire
pire, les accusant d’incapacité à affronter le combat pour le destin (national).
Ils avaient promis à Israël les pires avanies au lendemain de leur arrivée au
pouvoir, ils avaient arraché le pain de la bouche des veuves et des orphelins,
ils avaient étouffé les cris et les chuchotements sous le prétexte qu’”aucune
voix ne devait couvrir le son du canon”.
Ils ont imposé à la nation de vivre
sans pain et sans liberté, sans droits et sans dignité, afin de consacrer toutes
les potentialités à la bataille. Les décennies ont passé, et nous n’avons pas
entendu le moindre bruit de bataille. Il est devenu clair pour tout le monde que
l’argent prélevé sur le pain du peuple n’a pas été consacré à la préparation de
la bataille, loin de là : il a atterri dans les banques suisses, dans les
immeubles de rapport à Paris, Londres, Genève et autres hauts-lieux de la
spéculation, dans les escarcelles des danseuses et des demi-mondaines de toutes
catégories. Le peu qui aurait dû financer l’armement a été dilapidé par les
trafiquants d’armement, et une bonne part du restant en a été détournée par les
dirigeants eux-mêmes, qui n’ont jamais été chiches avec leur parentèle et leurs
obligés.
Après la révélation de ce qui s’est révélé en matière d’échec à
préparer le recouvrement de la dignité de la nation arabe, ces dirigeants n’ont
pas pris la décision qui s’imposait pourtant à eux : reconnaître leur échec,
endosser leurs responsabilités, démissionner et rendre le pouvoir aux peuples
afin qu’ils décident de faire rendre des comptes aux fautifs et de décider
eux-mêmes de leur propre destin. Non, ce qu’ont fait ces dirigeants, c’est
exactement le contraire : ils ont claironné à qui voulait l’entendre que leur
totale impotence était inscrite dans le ciel, qu’elle ne devait rien à leur
ignorance, à leur corruption, à leurs crimes. Ils ont répandu partout la
billevesée selon laquelle Israël serait invincible et que la solution est entre
les mains de la seule Amérique (et non pas, vous l’aurez remarqué au passage,
dans la main de Dieu, qu’Il soit exalté), ils se sont empressés de signer, au
nom de la nation arabe, les chèques en blanc de la reddition. Ensuite, une
nouvelle fois, après avoir empoché le prix de leur trahison sous forme d’aides
financières américaines exceptionnelles, ils l’ont utilisé afin de tenter de
justifier leur capitulation et ils n’ont pas fait bénéficier leurs peuples de
ces aides. Non. Encore une fois, ils les ont réservées à leurs descendance et à
leurs hommes liges, ces hypocrites qui les entourent de leur obséquiosité, ils
les ont dilapidées pour acquérir pour un prix exorbitant des systèmes de
sécurité et des services secrets sophistiqués et même (aussi incroyable que cela
puisse paraître), à la formation de leurs armées et à l’achat d’armes et de
munitions !
Les événements, sanglants, douloureux, humiliants pour la dignité
de tous les Arabes, ont fini par montrer ce qui n’était pourtant nullement
caché, à savoir le fait que ces dirigeants n’ont pas une once de poids
diplomatique et qu’ils ont échoué dans la paix comme ils avaient échoué dans la
guerre. La révolte des populations en résulte, tout-à-fait logiquement. Elles
décident de prendre en mains les rênes de l’initiative. Mais l’actuelle intifada
arabe est confrontée à deux dangers. Le premier est le risque qu’elle ne soit
qu’un cri donnant un exutoire à sa colère et à la crise psychologique vécue par
tout un chacun, sans que cela n’aboutisse à un quelconque résultat. La
frustration politique a atteint un degré tel que d’aucuns voient dans une
manifestation parcourant quelques dizaines de mètres dans une grande avenue,
voire même dans un sit-in dans quelque endroit fixé, un événement historique,
une réalisation grandiose. Ce en quoi ils n’ont pas totalement tort, lorsqu’on
sait que les gouvernements arabes, nous avons eu l’occasion de nous en
apercevoir, ne tolèrent même pas de telles manifestations qui ne sauraient faire
avancer quoi que ce soit en elles-mêmes, mais ont le mérite de prévenir une
explosion de colère populaire dévastatrice et d’éviter certains cas graves de
tachycardie et d’hypertension.
Le deuxième danger, c’est que l’intifada arabe
ne s’égare et ne se transforme en un courant de colère impétueux et dévastateur,
d’où pourrait découler une violence aveugle, plus néfaste que constructive. Ce
n’est pas la première fois, loin de là, que la rue arabe se mobilise en soutien
à la Palestine. Les volontaires arabes se sont mis en mouvement en 1936, en
1947-48. Ils se sont élancés au secours de la Terre sainte. Mais les régimes les
ont trahis, doublement. D’abord, en ne leur apportant aucune aide logistique,
ensuite en maltraitant ceux d’entre eux qui avaient survécu à la trahison et qui
avaient pu retourner chez eux. Les régimes en ont usé de même avec la résistance
palestinienne. Nous n’aurons pas la cruauté ici de détailler l’histoire amère de
la trahison de la résistance par ces régimes, ou de leurs tentatives pour la
domestiquer et de l’instrumentaliser pour la défense de tel ou tel d’entre eux.
Qu’il nous suffise de dire qu’il n’est pas de population plus nombreuse, dans
les geôles arabes, que celle des résistants palestiniens faits prisonniers ou
des volontaires arabes qui s’étaient levés pour aller combattre à leurs côtés. Y
a-t-il quelque chose à ajouter au fait qu’en Egypte, ces jours-ci, les tribunaux
de la sécurité de l’Etat examinent les charges portées contre des jeunes
emprisonnés pour avoir “tenté d’apporter un soutien” à la résistance
(palestinienne)... Et encore : en paroles, non en actes !
Aujourd’hui, les
plus valeureux partisans de l’intifada en paroles sont ceux qui appellent à
l’ouverture des frontières et à ce qu’on les laisse passer pour aller rejoindre
les insurgés, alors qu’il s’agit là d’une exigence totalement irréaliste.
Premièrement, parce que les régimes n’ouvriront jamais les frontières, pour des
raisons qui n’échappent à personne, secondement parce que les volontaires pour
le djihad, à l’intérieur des territoires occupés, ne manquent pas. Mais ils sont
pieds et poings liés en raison de l’inexistence du soutien qui leur est
absolument nécessaire, nous le savons tous, en matière d’équipement. L’arrivée
de volontaires arabes sur les lieux des combats ne changerait strictement rien à
cette triste réalité : elle ne ferait qu’augmenter encore l’hécatombe provoquée
par l’agression israélienne.
Enfin, il n’y a pas de place, dans l’époque où
nous vivons, pour la lutte populaire. L’expérience de Ben Laden et des mujahidin
en Afghanistan est la preuve éclatante que cette voie est sans issue et
auto-destructrice. Sans compter qu’elle présente d’innombrables effets pervers.
La confrontation avec Israël est une confrontation totale, elle exige une
position arabe unifiée, une coordination des potentiels militaires,
diplomatiques, politiques et informationnels, afin de créer une nouvelle réalité
à même de rendre possible le recouvrement des droits. Cela exige des
gouvernements réunissant la compétence, l’honnêteté et le désintéressement, à
même de coopérer entre eux afin de bâtir leur potentiel militaire et économique,
de rétablir l’équilibre perdu, d’adopter des positions décisives. Mais la
situation actuelle est faite de gouvernements impuissants, incapables, vermoulus
par la corruption, d’une réalité arabe déchirée, dans laquelle les dirigeants
font de grands discours, le matin, en défense du droit des Arabes, et des
confidences sur l’oreiller, le soir venu, à l’oreille d’Israël : “En réalité, je
suis avec vous, mais vous comprendrez, bien sûr, que nous fassions semblant...”
Bien loin de soutenir les potentialités des pays arabes frères, les frères
arabes complotent ouvertement afin de détruire les dites potentialités et font
tout ce qu’ils peuvent afin d’affaiblir leurs homologues.
L’intifada arabe
actuelle doit donc continuer, avec un seul mot d’ordre : la démocratie et la
possibilité donnée au peuple de décider de son destin. C’est le chemin vers la
création d’une réalité arabe assainie, dans laquelle les peuples arabes pourront
aider la Palestine, et non pas être pour elle un fardeau supplémentaire, après
l’avoir été pour eux-mêmes. Que les jeunes Arabes, que les “shabab” abandonnent
leur exigence qu’on leur laisse rejoindre la cohorte des martyrs, et qu’ils
demandent à leurs gouvernants de suivre, avant toute chose, cette voie. On ne
sait jamais... On peut toujours espérer...
11. Proche-Orient : la France doit
agir par Jean-Pierre Chevènement
in Libération du lundi 8 avril
2002
(Jean-Pierre Chevènement est député-maire de Belfort,
candidat à l'élection présidentielle.)
Devant la tragédie qui ensanglante le
Proche-Orient, la France, l'un des cinq membres permanents du Conseil de
sécurité de l'ONU, semble frappée d'impuissance, et se borne à guetter les
réactions américaines. Ceux qui nous dirigent ont intériorisé depuis longtemps
l'effacement de notre pays. Du septennat écoulé ne reste que le souvenir d'un
Président bousculé à Jérusalem et d'un Premier ministre caillassé à Bir Zeit. Le
président de la République se cache aujourd'hui derrière le plan de paix
saoudien, mais ne fait rien pour le faire avancer. Le Premier ministre propose
une force d'interposition militaire mais on ne sait pas au nom de quelle
diplomatie. L'idée que la France pourrait s'exprimer et agir par elle-même leur
a, semble-t-il, à tous les deux échappée.
L'invocation à l'Europe n'est qu'un alibi à
l'impuissance nationale à laquelle ont consenti depuis longtemps ceux qui nous
dirigent. Il est loin le temps où la voix forte et claire du général de Gaulle
pouvait peser dans le cours des affaires du monde. Pourtant cela ne demande que
de la vision et du courage.
Chacun voit bien que les parties en conflit ne
pourront pas résoudre par elles-mêmes la tragédie qu'elles vivent. Une
intervention extérieure est nécessaire. Les forces qui, en Israël, se sont
battues après que le Premier ministre Yitzhak Rabin eut lui-même payé de sa vie
son engagement pour la paix, ces forces doivent constater aujourd'hui que tous
leurs efforts ont été anéantis à la fois par le refus obstiné, radical, d'une
frange de la classe politique israélienne représentée par Ariel Sharon
d'accepter les accords d'Oslo, et en même temps par l'incapacité de l'Autorité
palestinienne à maintenir ouvertes les voies de la négociation, après les
avancées méritoires accomplies à Camp David et à Tabah.
Cette spirale de violences, d'attentats aveugles
frappant des innocents, de bombardements, d'occupations et d'assassinats ciblés,
ne peut déboucher que sur des malheurs grandissants : élimination d'Arafat au
profit du Hamas, triomphe des intégristes, déstabilisation de nombreux régimes
musulmans modérés. A terme, elle conduit au fameux «choc des civilisations» qui
serait un désastre pour les peuples concernés mais aussi pour l'Europe et pour
la France. Ce serait la victoire a posteriori de Ben Laden : le début d'une
guerre de Cent Ans.
L'intervention du président Bush du 4 avril invite
à un retrait militaire israélien de Cisjordanie mais n'éclaire pas l'avenir ;
elle reste marquée par les contradictions qui, ces dernières semaines, ont valu
encouragement à la politique d'Ariel Sharon. Celui-ci n'en fait qu'à sa tête et
Colin Powell prend son temps. Plusieurs guerres sont en gésine au Moyen-Orient
dans la définition pour le moins simpliste que le président Bush a donnée de la
politique américaine : lutte prioritaire contre «l'axe du Mal» au nom d'une
conception extensive et dangereuse de la lutte antiterroriste.
C'est pourquoi je demande que la voix de la France
se fasse clairement entendre au service d'une ligne de justice et de raison pour
définir les bases d'un règlement équitable pour les deux parties.
La France doit mettre au premier plan l'intérêt des
peuples israélien et palestinien.
C'est aussi notre intérêt que de mettre un terme à
la cascade de guerres au Proche-Orient, qui a des conséquences redoutables, non
seulement pour la stabilité de toute la région, mais également pour la France,
l'Europe et l'humanité tout entière.
Membre permanent du Conseil de sécurité, la France
doit proposer la réunion d'une conférence internationale.
On discerne bien les contours d'un accord
politique. Ils ont d'ailleurs été esquissés à Tabah : rétrocession des colonies
israéliennes en Cisjordanie, partage de Jérusalem, devenant double capitale,
renonciation à l'exercice pour les Palestiniens du droit au retour dans les
frontières d'Israël ce qui serait la négation de son droit à l'existence
sous réserve d'indemnisation. Ces avancées doivent être remises au centre
de la négociation. Une conférence internationale doit proposer et si nécessaire
imposer une solution politique sur ces bases. Une force internationale
d'interposition, à laquelle la France devrait alors participer, serait appelée à
garantir la sécurité des Palestiniens aussi bien que des Israéliens. Un traité
international de type Otan devrait garantir la sécurité d'Israël dans la
durée.
Ne sous-estimons pas la portée historique d'une
telle démarche de la France. L'administration Bush vise, à travers le
Proche-Orient, d'autres objectifs qui ont plus à voir avec le pétrole qu'avec le
souci de la paix et de la sécurité d'Israël. Ces ambiguïtés rendent plus
nécessaire que jamais une telle initiative de la France. Elle rencontrerait de
nombreux soutiens. Ceux qui, en Israël, ont pris avec le gouvernement Barak,
tous les risques politiques pour aller jusqu'au bout de propositions courageuses
pour la paix, éprouvent légitimement une grande amertume devant le refus final,
qui a eu pour conséquence l'élection d'Ariel Sharon. Mais ils savent qu'il n'y a
pas d'alternative à une reprise des pourparlers de paix, sous l'égide d'une
médiation extérieure. Telle est la position des Israéliens les plus éclairés,
tel l'ancien ministre des Affaires étrangères Shlomo Ben Ami. Le peuple
israélien ne peut vouloir une confrontation entre l'Occident et le monde
arabo-musulman dont il deviendrait l'otage et sans doute la victime. L'intérêt
bien compris du monde arabe est de favoriser les facteurs de modernité en son
sein, de réussir sa mutation historique et de ne pas laisser les intégristes
dévoyer la colère populaire. Ces forces politiques laïques sont aujourd'hui
menacées d'être balayées par le vent mauvais de la colère et du fondamentalisme.
Notre devoir est de les conforter pour empêcher de nouveaux drames et
l'embrasement du Proche-Orient et du Maghreb. L'OLP est le seul interlocuteur
crédible et Arafat reste, quelles que soient ses indécisions, son représentant
légitime. Toute tentative de bouleverser ce cadre entraînerait des violences
incontrôlables et illimitées pour les prochaines années.
La France doit donc faire entendre sa voix dans les
affaires du Proche-Orient. Elle sera d'autant plus forte que la voix de la
République saura se faire respecter sur son sol.
Depuis des années, je mets en garde contre les
risques, avec la complaisance des gouvernements successifs, d'une
communautarisation de la société française. L'égal accès à la citoyenneté des
jeunes issus de l'immigration n'est pas acquis, loin s'en faut. L'idéal de la
citoyenneté s'efface devant l'exaltation des différences (affaire du voile,
pouvoir législatif à la Corse, etc.) ; le principe de laïcité est souvent perdu
de vue. Sur ce terrain miné, l'inégalité des droits sert de prétexte au repli
identitaire. Des idéologies antirépublicaines, ethnicistes ou intégristes,
prospèrent sur ce mauvais terreau.
Quand la confiance en la France s'étiole, la
tentation surgit chez certains de s'identifier à des identités ou à des causes
étrangères. Il nous faut combattre résolument cette dérive. Nul ne doit importer
en France les passions et la violence qui se déchaînent au Proche-Orient. La
République n'agrège pas des communautés, qui coexistent aujourd'hui avant de
s'opposer demain : elle réunit des citoyens égaux en droits qui, selon la règle
de laïcité, doivent garder dans la sphère privée leur foi et leurs attaches.
Nulle minorité ne peut imposer sa loi particulière, ni régler sur le sol de la
République des conflits qui lui sont étrangers.
Pour la première fois depuis les années 30, des
synagogues sont brûlées, des insultes proférées à l'égard de nos concitoyens
juifs, des écoles, des crèches sont vandalisées, des graffitis antisémites sont
apposés sur nos murs. Ces actes odieux contre nos concitoyens de confession
juive doivent être condamnés avec la plus grande fermeté. Ils sont d'ailleurs le
plus mauvais service rendu à la cause palestinienne. Mais je me refuse à mêler
ma voix à celle de ceux qui, sous le fallacieux prétexte de défendre Israël,
cautionnent la politique destructrice et autodestructrice d'Ariel
Sharon.
La France et la République doivent ensemble
retrouver leur voix : la France pour offrir une issue de raison et de justice au
conflit du Proche-Orient, la République pour faire entendre le message de la
citoyenneté : les repères républicains affaiblis par la complaisance de nos
gouvernements successifs doivent retrouver leur force. La République n'a pas à
distinguer entre ses citoyens. A tous elle doit l'application égale et ferme de
ses lois.
C'est ainsi que nous ferons reculer le spectre d'un
conflit des civilisations dont chacun voit bien qu'il aurait des répercussions
sur notre sol. Plus que jamais la République est la force de la
France.
12. De retour de Ramallah, les
"résistants" aubagnais sont accueillis en héros par Romain Luongo
in
La Provence du dimanche 7 avril 2002
Il
hésite un court instant. Puis Jean-Paul Mignon finit par grimper sur les épaules
des deux militants pro palestiniens qui l’attendent à sa descente du train, en
provenance de Paris, sur le quai de la gare Saint-Charles à
Marseille.
L’émotion et les larmes perlent sur son visage. Les doigts en "V",
il traverse le groupe qui l’acclame comme un héros. La foule, quelque deux cents
personnes, réserve le même accueil à son épouse Marie-Christine, restée à ses
côtés et qui étreint dans ses bras leur toute jeune fille. Il est 20h30 hier
soir, les cris de soutien et de remerciement à ce couple d’Aubagnais, de
l’association "Ballon rouge", retentissent sous la verrière de la gare pour
saluer le "courage" et le "dévouement" des deux "résistants".
Ils sont partis
voilà près de 10 jours avec un groupe d’hommes et de femmes issus comme eux
d’associations, tous réunis au sein du "Collectif pour le respect du peuple
palestinien", dont faisait partie José Bové. Le 31- mars dernier, ils
réussissent à pénétrer dans le QG de Yasser Arafat à Ramallah.
Transformés en
boucliers humains, ils entendent protéger le chef de l’autorité palestinienne et
témoigner de la situation sur place. Jeudi soir, encerclé par l’armée
israélienne, ils finissent par obtenir le droit de quitter les bureaux d’Arafat
et les territoires occupés pour rejoindre la France et raconter la guerre. C’est
ce qu’ils font, quelques instants à peine après avoir touché le sol marseillais.
"Les chars terrorisent la population"
Au milieu du comité d’accueil,
Jean-Paul prend la parole, pour lire un communiqué qu’il vient de préparer dans
le train avec son épouse: "Nous sommes allés en Palestine pour témoigner de la
guerre totale que mène Israël contre le peuple palestinien. Nous avons vu les
chars terroriser la population, nous avons vu une armée bafouant les droits
fondamentaux, expulser les journalistes. Et que personne ne nous dise que nous
exagérons. Nous sommes allés en Palestine pour que personne ne nous dise un jour
: "Je ne savais pas". Nous gouvernements ont démissionné. Alors nous devons
exiger l’envoi d’une force internationale. Le peuple palestinien veut la paix.
Ils ne demandent qu’un bout de terre où ils sont nés". A peine reprend-il sa
respiration, que Jean-Paul Mignon veut continuer à s’exprimer, à expliquer au
monde ce qu’il a vu sur place. A Paris déjà, plusieurs journalistes ont
recueilli son témoignage. Mais cela ne suffit pas. Lui veut répéter son
indignation, inlassablement.
"Les hôpitaux sont bloqués, les chars braquent
les ambulances avec leurs canons.
L’armée empêche les médicaments d’arriver.
J’ai vu tout cela. Je suis très inquiet pour les gens qui sont restés là-bas.
Ils sont dans un état déplorable. C’est comme si on bombardait la Cayolle dans
son état d’il y a vingt ans (une cité d’urgence des quartiers sud de Marseille,
aux airs de bidonville).
Nous pensions protéger des manifestants, aider à
replanter les oliveraies détruites par les bulldozers, et on s’est retrouvé au
milieu d’une vraie guerre."
Même si le comité d’accueil lui a réservé une
véritable ovation hier soir, le couple refuse d’être considéré comme un héros.
Marie-Christine, encore très touchée, entend bien préciser son rôle: "Nous
sommes des citoyens, pas des héros. On est très content d’être accueilli comme
ça, mais notre mission, c’est de relayer l’information. C’est très éprouvant.
Malgré tout, j’ai très envie de poursuivre la lutte". D’autres sont là pour
poursuivre la mission. Dans les bureaux de Yasser Arafat, bombardé hier par
"Tsahal", se trouvent encore 26 civils européens. Un couple de Marseillais est
parmi eux: Claudie et Christian Chantegrelle, deux chercheurs, sont restés sur
place. Un autre Marseillais, Jean Sicard, se prépare à partir ce soir de Roissy
pour rejoindre Tel Aviv puis les zones sensibles. Une mission quasi impossible.
Car désormais, les autorités israéliennes tamponnent les passeports des
étrangers afin qu’ils ne puissent plus pénétrer dans les territoires occupés.
13. Soutenir Israël ? Pas en notre
nom !
in Le Monde du mercredi 6 avril 2002
Ce texte a été co-signé par Daniel Bensaïd, Rony Brauman, Suzanne
de Brunhoff, Liliane Cordova-Kaczerginsky, Marc Cramer, Joss Dray, Rachel
Garbaz, Gisèle Halimi, Samuel Johsua, Marcel-Francis Kahn, Pierre Khalfa, Hubert
Krivine, Isabelle Kzwykowski, Dominique Lévy, Henri Maler, Willy Rozenbaum,
Nicolas Shashahani, Catherine Samary, Michèle Sibony, Pierre Vidal-Naquet
et Olivia Zemor.
Solidaires des droits nationaux et démocratiques du peuple palestinien,
nous refusons l'escalade guerrière.
Le Conseil représentatif des institutions
juives de France (CRIF) appelle à manifester le 7 avril, non seulement pour
protester contre les attaques de lieux de culte, mais pour "soutenir Israël".
Alors que le nettoyage militaire bat son plein dans les territoires occupés, ce
soutien prend une signification bien particulière. Prétendant parler au nom des
Juifs du monde entier, les dirigeants israéliens et les porte-parole
communautaires usurpent la mémoire collective du judéocide et commettent un
détournement d'héritage. Reprenant le mot d'ordre des opposants américains aux
croisades impériales, nous répondons : "Pas en notre nom !" Ariel Sharon a en
effet résolu, avec le soutien de George W. Bush, d'écraser la résistance
palestinienne, de détruire ses institutions, d'humilier ses dirigeants et
d'acculer leur peuple à un nouvel exode. Le jour de Pâques, les informations
télévisées nous ont offert le spectacle dégoûtant d'un président "étasunien",
affalé en tenue décontractée de week-end, réclamant cyniquement un surcroît
d'efforts et de bonne volonté à un Yasser Arafat assiégé dans ses locaux, privé
d'eau, et éclairé à la bougie ! Devant la tragique solitude du peuple
palestinien, la "communauté internationale" rivalise en démissions et
capitulations honteuses.
Les ministres travaillistes israéliens exécutent docilement la politique du
pire ! Les dirigeants arabes ne font rien pour faire respecter les droits du
peuple palestinien. Prompts à emboîter le pas aux légions impériales américaines
au nom du droit international, les dirigeants européens se contentent au mieux
de bonnes paroles lorsque les troupes de Sharon bafouent ouvertement les
résolutions de l'ONU ! Les belles âmes intellectuelles, qui se sont émues, à
juste titre, du sort des réfugiés kosovars ou des bombardements sur Grozny, se
taisent sur le sort des réfugiés palestiniens et se lavent les mains devant les
murs calcinés et les ruines de Ramallah !
Pleins de compassion pré-électorale envers les victimes d'actes antisémites
que rien, et certainement pas le soutien au peuple palestinien, ne peut
justifier, nos gouvernants deviennent pudiquement silencieux devant les crimes
commis par les troupes d'occupation en Cisjordanie ! Ceux et celles qui
justifient le droit au retour des juifs en Israël, au nom d'un droit du sang
millénaire, refusent le droit du sol aux Palestiniens ! Les dignitaires des
Nations unies s'accommodent des humiliations infligées à l'Autorité
palestinienne ! Ceux qui prétendent administrer la justice universelle
détournent la tête devant les "liquidations extra-judiciaires", les exécutions
sommaires de prisonniers, et les crimes de guerre d'Ariel Sharon !
Reconnu par l'Autorité palestinienne et par nombre de gouvernements arabes,
le fait national israélien est désormais établi de manière irréversible. Mais
une paix durable exige la reconnaissance réciproque de deux peuples et leur
coexistence fondée sur les droits égaux. Les Israéliens ont un Etat souverain,
une armée puissante, un territoire ; les Palestiniens sont parqués dans des
camps depuis un demi-siècle, soumis aux brutalités et aux humiliations, assiégés
sur un territoire en peau de chagrin : grande comme un département français, la
Cisjordanie est lacérée de routes stratégiques, criblée de plus de 700 check
points, hérissée de colonies. Il n'y a pas symétrie entre occupants et
occupés.
Le retrait inconditionnel de l'armée israélienne des territoires occupés et
le démantèlement des colonies ne constitueraient même pas une réparation de
l'injustice faite aux Palestiniens, mais seulement l'application d'un droit
formellement reconnu depuis trente-cinq ans, des résolutions 242 et 337 de l'ONU
jusqu'à la résolution 1042 du Conseil de sécurité. Bush demande au contraire
toujours davantage de concessions et de gages aux victimes. Sharon séquestre
leurs représentants, dynamite leurs maisons, tandis que son armée bloque les
secours sanitaires. Cette politique du pire conduit tout droit à la catastrophe
non seulement le peuple palestinien menacé d'un nouvel exode purificateur, mais
aussi le peuple israélien entraîné dans la spirale suicidaire de ses dirigeants.
Car quel peut être l'avenir d'un Etat fondé sur l'oppression, l'injustice et le
crime ? Et quel peut être l'avenir d'un peuple fuyant ses malheurs et ses
angoisses dans une escalade meurtrière ?
Il était prévisible qu'à force d'assimiler le judaïsme à la raison d'Etat
israélienne et de présenter les institutions juives comme des ambassades
officieuses d'Israël, les apprentis sorciers du Grand Israël finiraient par être
pris au mot, ce qui n'en rend pas moins odieux et inadmissibles des attentats
contre des synagogues et des écoles.
Nous condamnons les agressions qui visent une communauté en tant que telle
et rendent les juifs collectivement responsables des exactions commises par le
gouvernement israélien. Nous condamnons toute dérive antisémite de la lutte
contre sa politique. Nous condamnons, pour raisons tant morales que politiques,
les attentats contre les populations civiles en Israël. Les actions contre les
colonies et l'armée d'occupation relèvent en revanche d'une résistance
historiquement légitime et d'une défense de droits imprescriptibles. Il y a
trois mois encore, le ministre israélien de l'intérieur Ouzi Landau annonçait
dans Le Monde (14 décembre 2001) une "lutte à mort" contre les Palestiniens,
aussi longtemps que ces derniers auraient une goutte d'espoir. Ce désespoir
sciemment entretenu constitue ainsi le terreau dans lequel s'enracine la
violence extrême.
Alors que Sharon avait promis la sécurité aux Israéliens, leur pays est
devenu l'endroit du monde où les juifs sont le plus en insécurité. Liant le sort
de son peuple à la guerre illimitée contre le terrorisme décrétée par George W.
Bush, il était pourtant clair que sa politique du pire deviendrait une machine
infernale à fabriquer des kamikazes. Dénonçant toute dérive raciste ou
antisémite en France comme au Moyen-Orient, solidaires des droits nationaux et
démocratiques du peuple palestinien, nous refusons l'escalade guerrière et sa
chronique d'un désastre annoncé. Nous exigeons l'application des résolutions de
l'ONU, le retrait inconditionnel d'Israël des territoires occupés, le
démantèlement des colonies et la reconnaissance immédiate par l'Union européenne
d'un Etat palestinien laïque et souverain.
14. Edward Saïd : “En
ce moment, nous nous retrouvons tous derrière Arafat” par Mohammed Bakrim
in
Libération (quotidien marocain) du samedi 6 avril 2002
Grande
figure de la recherche universitaire contemporaine, intellectuel critique,
notamment à l’égard des accords d’Oslo et de l’Autorité palestinienne, Edward
Saïd, Américain d’origine palestinienne, est connu pour ses positions
intransigeantes sur la base de la défense de valeurs récurrentes comme le droit
des peuples à l’autodétermination, la démocratie, la laïcité. Il vient de
publier ses mémoires, traduites et publiées en France sous le titre A
contre-voie, éditions Le serpent à plume. Ce document autobiographique se
présente aussi comme une œuvre littéraire ; pour le critique Alexis Tadié, A
contre-voie “loin d’être un testament, ce beau récit s’efforce de comprendre les
façons dont l’enfance a pu façonner la vie entière”.
Le livre paraît à un
moment crucial de l’histoire du peuple palestinien, à un moment où les chars de
Sharon sont envoyés contre l’espoir de paix, contre la volonté d’un peuple de
décider de son propre sort. Edward Saïd dans une interview aux Inrockuptibles
refuse l’amalgame journalistique qui parle de “spirale de violence au
Moyen-Orient”. Il précise en effet : “Il n’y a pas de symétrie. D’un côté, il y
a un Etat qui mène une guerre coloniale et de l’autre un peuple sans Etat, sans
armée, sans aviation, sans marine, et sans véritable chef puisque celui-ci n’est
pas libre de ses mouvements”. Edward Saïd a dit s’opposer aux actions qui visent
les civils, “c’est peut-être plus horrible, plus terrifiant de voir des jeunes
tués par des bombes dans des cafés et des boîtes de nuit en Israël -et encore
une fois, je m’oppose totalement à ces actions- mais, comparé à ce qui se passe
dans les camps de réfugiés, aux attaques d’école et d’hôpitaux par les
Israéliens depuis trente ans…Les Israéliens ont toujours pris les civils pour
cible et ne s’en sont jamais excusés.”
La situation est jugée ainsi terrible.
Une seule issue pour Edward Saïd, une victoire politique du camp de la paix.
Pour ce faire, il appelle les Palestiniens à faire preuve de beaucoup
d’imagination, la résistance à être plus créative . “La résistance doit, avant
toute chose, chercher à inclure les Israéliens. S’engager avec des groupes
israéliens qui sont dans le même état d’esprit est la seule solution à long
terme…Notre message de paix et de coexistence, notre demande de cessation de
l’occupation doit devenir l’objectif politique d’un nombre croissant
d’Israéliens. On ne peut pas vivre en s’opposant perpétuellement aux
Palestiniens. Il y a donc beaucoup à faire en matière d’éducation, pour
combattre l’ignorance de l’autre”.
Invité à dire ce qu’il pense de la
situation politique dans les territoires, Edward Saïd souligne d’abord la
spécificité de l’étape actuelle marquée par la recrudescence de l’agression
israélienne, “la situation aujourd’hui est un peu particulière, en ce moment
nous nous retrouvons tous derrière Arafat, l’heure est davantage à la défense
qu’à la construction d’un nouveau programme politique”. Quant à la mouvance
islamiste, Edward Saïd reconnaît que la conjoncture actuelle favorise son
maintien au niveau actuel d’influence mais pas plus, “la majorité des
Palestiniens ne se reconnaissent pas dans ces courants. Les partis islamiques
n’ont pas d’avenir, ils n’ont pas de projet politique. Il y a aussi beaucoup de
non-musulmans et d’athées parmi les Palestiniens. Nous avons besoin d’une
nouvelle génération avec de nouvelles idées.”
15. Soutenir la résistance est préférable à une guerre
qui offrirait l’opportunité de l’écraser. Alors, arrêtons de geindre... Et
réjouissons-nous de la victoire palestinienne : elle est proche par
Wahid Abdel Majid
in Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 4
avril 2002
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
(Wahid Abdel Majid est vice-président de l’institut d’études
stratégiques d’Al-Ahram.)
Le peuple palestinien n’a jamais été aussi proche de l’indépendance
qu’aujourd’hui. Il devient chaque jour un peu plus clair que l’intifada
d’Al-Aqsa s’est muée en guerre d’indépendance menée par ce peuple en comptant
sur ses seules forces, ce qui est une première historique. Sans doute les
opérations-suicides, qui ont commencé il y a environ un an, ont-elles représenté
le grand tournant dans cette direction nouvelle.
L’intifada d’Al-Aqsa s’est
embrasée, à l’instar des autres insurrections et des autres formes connues de
résistance, sous la forme d’une réaction populaire qui était en elle-même une
posture défensive. Les Palestiniens, ordinairement, étaient en position de
riposte et de défensive. Ce qui est nouveau, c’est qu’ils sont aujourd’hui en
position d’initiative et d’offensive, et que leur résistance est désormais dotée
d’une stratégie découlant de la règle qui régit le conflit, sur le terrain, dans
la période présente. Cette règle veut que le camp qui tient bon l’emporte, et
que le camp qui faiblit le premier subisse des pertes écrasantes.
En vertu de
cette règle, il semble que les Palestiniens soient tout près de la victoire. En
effet, ils ont réussi à acquérir une immunité stratégique qui découle du fait
même qu’ils n’ont rien à perdre, et qu’une écrasante majorité d’entre eux en
sont convaincus. Ils n’ont pas développé d’économie puissante et sophistiquée
pour laquelle ils pourraient nourrir des craintes, contrairement aux Israéliens.
Avec la conviction croissante que les martyrs (ne sont pas morts, mais bien)
vivants, auprès de leur Seigneur, les pertes humaines deviennent un gain, en
ceci qu’elles incitent de plus en plus de jeunes hommes à faire le sacrifice de
leur vie. La preuve la plus éclatante en est que les opérations-kamikazes ne
sont plus du seul ressort des deux mouvements fondamentalistes (musulmans) du
Hamas et du Djihad, mais qu’elles sont pratiquées désormais par les légions des
Martyrs d’Al-Aqsa, lesquelles englobent des formations du Fath, voire même du
Front Populaire de Libération de la Palestine, mouvement lui aussi (laïc) de
gauche.
C’est précisément en cela que l’ancien équilibre des forces ne permet
plus de comprendre ce qui est en train de se passer. En effet, cet équilibre
purement matériel reposait sur l’estimation des potentiels militaires
disponibles dans les deux camps en conflit et, par tant, sur la possibilité pour
chacun d’eux d’infliger au camp opposé des pertes économiques et humaines
insupportables, le contraignant à reculer.
Mais la puissance militaire
écrasante d’Israël ne permet pas à ce pays d’obtenir un effet de cette nature
car les Palestiniens ne possèdent pas une économie qu’ils seraient susceptibles
de perdre, et ils ne considèrent pas que les martyrs tombés dans leurs rangs
soient tombés en pure perte. Parallèlement, la faiblesse objective des
Palestiniens ne les empêche nullement de porter des coups très douloureux à
Israël, dont les citoyens tiennent à la vie et à leur économie.
Dans l’ombre
de cet équilibre (des forces) modifié, il était inévitable que la politique du
premier ministre le plus jusqu’au-boutiste de toute l’histoire d’Israël échouât,
et que les Palestiniens tinssent bon face à des opérations militaires sans
précédent, tant en matière d’envergure que de nature, non seulement dans le seul
conflit palestino-israélien, mais aussi dans l’histoire de l’affrontement entre
le colonialisme et les mouvements de libération nationale.
Les
manifestations, sur le terrain, de la réalité du nouveau rapport entre les
forces antagonistes sont multiples. Comparons, par exemple, les foules
palestiniennes qui honorent leurs martyrs et leurs martyres, à la terreur qui
s’empare des Israéliens à chaque fois que tombe une victime, dans leurs rangs.
Comparons, également, la détermination des Palestiniens à tenir bon (çumûd) au
désarroi croissant des Israéliens, lequel désarroi a atteint des sommets de
vaine agitation lors de l’investissement des bureaux du Président Yasser Arafat,
à Ramallah ; les assaillant n’ayant aucune vision claire de ce qu’ils voulaient
faire de lui, ni de ce qu’ils allaient bien pouvoir faire après...
Ariel
Sharon est apparu comme un taureau dans l’arène, après les banderilles. Excité,
il frappe tous azimuts. En général, cela marque le commencement de la fin, dans
une corrida. C’est ce à quoi s’attendent la plupart des observateurs et des
analystes israéliens qui se penchent sur le cas de Sharon. Je dois avouer ici
que j’ai emprunté l’expression “le commencement de la fin” à Gideon Samet, dans
un article qu’il a publié dans le quotidien Ha’Aretz, dans lequel il a qualifié
la voie empruntée par Sharon et ses ministres de “non-voie”, car ils ne
sauraient changer de politique, alors que sa politique a pourtant échoué, et
aussi parce qu’ils n’ont pas le courage de reconnaître qu’ils ont été incapables
de réaliser leur promesse de mettre l’étouffoir sur l’Intifada. Mais notre
analyste israélien n’est pas allé jusqu’à attribuer l’échec de Sharon au succès
des Palestiniens avec tout ce que succès comporte de mutations positives dans
leur structure politico-sociale, lesquelles mutations rendent peu probable
l’éventualité que leur résistance s’arrêtera au prochain remaniement ministériel
(en Israël). Une mutation fondamentale s’est produite dans la relation entre
l’Autorité palestinienne et les différentes factions (militaires)
palestiniennes, de même qu’ont changé les relations entre elles. La création de
plusieurs branches armées du mouvement Fath, sous le nom de “brigades des
Martyrs d’Al-Aqsa”, a représenté un changement qualitatif très important. Tout
aussi importante, la coordination de terrain entre ces brigades et entre les
bras armés des autres formations, qui s’est haussée jusqu’au niveau de la
planification et de la réalisation d’opérations conjointes.
La mutation qui
s’est produite dans la structure de la société (palestinienne) et dans son
système de valeurs, du fait de la culture du martyre, est quant à elle beaucoup
plus profonde que ne le donnent à voir ses diverses manifestations. On peut en
déduire que le conflit est vraisemblablement entré dans la phase du
“commencement de la fin” de l’occupation, et non pas du seul Sharon.
Nous
sommes, également, à la veille d’une victoire, et non pas d’une nouvelle
défaite, contrairement à l’impression donnée par le spectacle dominant offert
par le monde arabe : spectacle de lamentations, de plaintes, de déploration,
tant dans les médias qu’au niveau populaire, voire même dans les sphères
officielles.
L’opinion publique arabe s’attache, généralement, à la surface
des choses, elle s’en tient à ce qu’elle voit sur les écrans de télévision : la
sauvagerie israélienne. Elle ne comprend pas qu’il y a une relation directe
entre l’exacerbation de cette sauvagerie et l’efficacité des coups portés à
l’occupation par la résistance palestinienne.
L’opinion publique arabe, nous
le savons, n’est pas politisée. Elle ne sait pas évaluer les acquis et les
pertes politiques. C’est pourquoi elle est obnubilée par les sentiments et les
émotions entretenus par la majorité des médias qui transmettent d’innombrables
images de la barbarie sioniste et un strict minimum d’analyses objectives.
S’ajoute à cela le fait que la plupart des gens, dans le monde arabe, voient,
mais n’écoutent pas. Après quoi, certains s’expriment, qui s’imaginent qu’Israël
a vaincu. Ces gens, tout naturellement, blâment nos dirigeants, les accusant de
ne rien faire pour sauver les Palestiniens qu’ils croient vaincus. Alors que les
Palestiniens, bien loin d’être vaincus, sont sans doute en train de vivre la
période historique la plus favorable qu’ils aient jamais connue depuis l’époque
du mandat britannique sur la Palestine.
La conséquence la plus négative de
cette conscience faussée est la facilité avec laquelle l’opinion publique arabe
en appelle à une guerre arabo-israélienne totale. Cette réclamation est en tous
les cas malheureuse, car elle ne peut conduire qu’à la généralisation de
l’abattement et ne fait que mettre en danger la victoire palestinienne.
En
effet, cet appel à la guerre généralisée des Arabes contre Israël répand la
frustration, car il ne peut être que répété dans le vide, sans que rien ne se
passe. Non pas parce que les dirigeants arabes ne font pas face à leurs
responsabilités, mais pour trois raisons objectives. La première est que l’on ne
déclenche pas une guerre simplement en appuyant sur un bouton, mais qu’une
guerre nécessite une longue préparation militaire et économique ainsi qu’une
mobilisation politique. La seconde raison est que seule peut être victorieuse
une guerre dans laquelle le camp qui veut la mener prend l’initiative, décide du
moment opportun et des circonstance favorables, et non pas une guerre dans
laquelle il se lancerait sous l’impulsion d’un désir de répliquer de manière
instinctive et désordonnée, comme cela s’était produit en 1948 et en 1967. Aucun
homme sensé ne saurait accepter la répétition de cette expérience désastreuse.
Aussi grande soit la confiance dans nos forces armées, elle ne saurait justifier
que nous les poussions dans une guerre dont nous ne choisirions ni le moment ni
les circonstances de son déclenchement.
La troisième raison, quant à elle,
est que toute guerre arabo-israélienne, dans les circonstances actuelles,
n’aboutirait à aucun changement tangible dans la situation sur le terrain, car
elle n’aboutirait en aucun cas à la détermination d’un vainqueur et d’un vaincu.
Il n’est pas exact que les “Etats arabes du premier cercle” (de la
confrontation) seraient nécessairement écrasés dût un conflit éclater entre
Israël et eux, et que telle est la raison de leur inaction. La réalité est que
ces pays ne seraient pas défaits militairement, mais qu’ils n’en seraient pas
pour autant vainqueurs. Ce qui signifie que le seul résultat certain d’une telle
guerre sur le plan régional, serait qu’elle causerait des destructions
incalculables.
Mais une autre issue est possible, voire même vraisemblable,
qui ferait de cette guerre une défaite sur le plan arabe, à savoir qu’elle
serait susceptible de mettre gravement en danger la résistance
palestinienne.
Dût une guerre régionale éclater, les regards et les médias du
monde entier se détourneraient de ce qui est en train de se passer dans les
territoires palestiniens, puisqu’aussi bien il est normal que l’intérêt se
concentre sur le terrain des opérations, en cas de conflit ouvert. Dans une
telle conjoncture, Israël peut opérer des massacres à grande échelle, chose
qu’il ne peut faire actuellement, et écraser la résistance palestinienne. Ceci
signifie qu’une guerre non seulement ne représenterait en rien un soutien au
peuple palestinien, mais serait, bien au contraire, catastrophique pour lui.
Imaginons un instant quelle serait la situation à la fin d’une guerre, sans
résultat décisif autre que celui d’avoir entraîné la fin de la résistance
palestinienne, après qu’elle eût en mains les rênes de sa destinée durant ces
derniers mois, qu’elle soit passée de la défensive à l’offensive, qu’elle ait
porté des coups très douloureux à Israël, lui faisant perdre son équilibre et
que les prémisses de sa victoire se soient profilés à l’horizon...
Ce dont
cette résistance a besoin, fondamentalement, c’est de l’augmentation du soutien
financier arabe qui est encore en-dessous du strict minimum, ainsi que de
l’augmentation du soutien politique et moral arabe. Ce soutien, et non pas la
guerre, est la clé de l’étape présente dans la lutte car il est absolument
indispensable si l’on veut que le peuple palestinien tienne bon, et pour acheter
des armes légères tout en développant les “ateliers” où on commence à en
produire.
C’est pourquoi ceux qui appellent la guerre de leur voeux feraient
bien de consacrer toutes leurs forces à faire pression sur les gouvernements
arabes afin qu’ils augmentent leurs aides financières officielles et qu’ils
organisent des campagnes sur une très vaste échelle, afin de recueillir les dons
du public et les déposer sur le compte ouvert par la Ligue des Etats Arabes à
cette fin expresse.
Cessons de geindre et de nous plaindre ! Sachons, encore
une fois, définir nos priorités et choisir le chemin conduisant à la
victoire.
16. Des Européens et Américains à Ramallah pour
soutenir les Palestiniens par Calin Neacsu
Dépêche de l'Agence France Presse du jeudi 28 mars 2002,
17h40
RAMALLAH (Cisjordanie) - Une centaine d'Européens, notamment des
Français, des Suisses et des Anglais, mais aussi quelque Américains, sont
arrivés jeudi soir à Ramallah pour exprimer leur soutien aux Palestiniens qui
redoutent une attaque de l'armée israélienne.
"Nous sommes arrivés hier à
Jérusalem et aujourd'hui, dès que nous avons entendu que l'armée (israélienne)
préparerait une attaque contre Ramallah, nous avons décidé de nous rendre sur
place", a déclaré José Bové, le leader de la confédération paysanne et figure de
proue française de l'anti-mondialisation.
Portant des keffieh noir et blanc
sur les épaules, ces occidentaux qui appartiennent à diverses organisations
non-gouvernementales (ONG) étaient rassemblées dans la soirée, Place des lions,
dans le centre de Ramallah.
"Nous sommes venus à l'improviste", explique un
Suisse vêtu d'un T-shirt blanc avec l'inscription "Protection du peuple
palestinien".
"Nous sommes venus ici pour vous témoigner notre soutien. La
politique israélienne d'occupation et de création de nouvelles colonies doit
cesser", a lancé José Bové dans un haut-parleur à un petit groupe de
Palestiniens présents dans le centre-ville.
Selon lui, le groupe entend
passer la nuit de jeudi à vendredi à Ramallah.
"Si (le Premier ministre
israélien Ariel) Sharon veut envoyer ses chars à Ramallah, il doit savoir qu'il
y a des Européens dans la ville", a poursuivi M. Bové qui devait être reçu dans
la soirée par le président palestinien Yasser Arafat.
"Nous allons rester ici
autant qu'il faut! Le temps pour les puissances mondiales de comprendre qu'elles
doivent intervenir comme elles l'ont fait dans les Balkans", a-t-il
poursuivi.
Selon lui, quelque 300 Italiens devraient rejoindre le groupe qui
se trouve déjà à Ramallah.
La coordinatrice des ONG palestiniennes de
Ramallah (PONG), Mme Renate Kobag, en contact avec le groupe des occidentaux, a
indiqué que ces Italiens s'étaient rendus au poste de contrôle de Kalandiya, à
l'entrée de Ramallah, d'où ils ont été repoussés par les soldats
israéliens.
Un gobelet de café à la main, moustachu, José Bové, raconte
comment lui et ses camarades ont réussi à franchir dans la journée ce
barrage.
"Ils nous ont dit que c'était interdit. Alors, nous sommes passés à
pied et nous avons fait semblant de ne pas comprendre les injonctions des
soldats", dit-il souriant.
Le syndicaliste français a souligné que d'autres
"militants pour la paix" allaient se relayer dans les mois à venir pour assurer
une présence "dissuasive" dans les territoires palestiniens.
Sur la Place des
lions, une jeune noire Américaine s'adresse à son tour aux Palestiniens par
haut-parleur. "Nous avons honte de la politique de nos gouvernements! Par votre
résistance à l'occupation israélienne, vous donnez une leçon au monde entier",
crie-t-elle.
De hauts responsables israéliens faisaient planer jeudi la
menace d'une opération militaire à une échelle inégalée en riposte à l'attentat
suicide de Netanya, près de Tel-Aviv, qui a coûté la vie à vingt Israéliens et
touristes étrangers mercredi soir.
L'Autorité palestinienne a affirmé
craindre une réoccupation "imminente" de Ramallah et ordonné à ses
fonctionnaires d'évacuer ses bureaux dans cette ville de Cisjordanie, où le
président Arafat est confiné depuis près de quatre mois.
En fin de soirée,
les militants européens qui n'avaient pas prévu où loger à Ramallah, étaient
invités à passer la nuit dans des familles d'accueil palestiniennes.
17. Le prix
Nobel, taxé d'antisémite pour avoir comparé Israël et les nazis de
Saramago par John Carlin
in El Païs (quotidien espagnol) du jeudi 28 mars
2002
[traduit de l'espagnol par Michel
Gilquin]
Les librairies israéliennes boycottent les romans
Jose Saramago, le prix Nobel de littérature portugais s'est lancé dans une
sorte d'attaque suicide contre sa propre œuvre. A la suite d'une déclaration
faite lundi en territoire palestinien, dans laquelle il avait comparé les
gouvernement israélien et les génocides nazis, les ventes de ses livres en
Israël ont baissé de façon notable et, dans certains cas, ont été retirés des
étalages. Saramago était un des auteurs les plus vendus en Israël.
Selon le
journal indépendant Yedioth Ahronoth qui rapporte le témoignage de divers
libraires israéliens, José Saramago s'est fait beaucoup de mal dans un pays où
il était un des écrivains internationaux les plus lus. " Il y a eu des gens qui
sont venus dans ma librairie pour demander que ses ouvrages soient retirés " a
déclaré un des libraires.
Son roman " Tous les noms " était à la tête des
livres les plus vendus en Israël. Il est peu probable que cela perdure encore
longtemps. En déclarant, comme il le fit dans une visite à Ramallah, la capitale
assiégée de l'Autorité Palestinienne que " ce qui est en train de se passer ici
est un crime que l'on peut comparer à Auschwitz ", le romancier portugais a non
seulement violé un important tabou mais a aussi perdu le respect d'une grande
partie du public israélien. Hier, un journaliste de Haaretz, Ari Shavit, a écrit
que la phrase malheureuse du portugais indiquait clairement que " la blessure
sombre de l'âme européenne ", l'antisémitisme, était réapparue. Shavit, tout en
affirmant qu'il pouvait partager l'opinion de Saramago que l'occupation
israélienne de Ramallah était une " iniquité " , a écrit que les propos du
portugais ont été " un acte hideux de provocation contre les juifs ". " Si
Ramallah est Auschwitz, a continué Shavit, alors Israël est le Troisième Reich
et mérite la destruction. Alors, Tel-Aviv est Dresde et l'incendier ne serait
pas un crime de guerre. Tuer massivement ses femmes et ses enfants serait
acceptable ". (Révélateur : nazisme et germanité sont mis sur le même plan
et les tueries de Dresde légitimées ! Ndt)
Entretien
annulé
Un programme de la télévision publique israélienne, "
Première lecture " a annulé un entretien prévu avec Saramago, comme riposte à la
comparaison qu'il a faite entre les Israéliens et les nazis. La présentatrice du
programme, Abirama Golan, a déploré cette décision et déclaré que "cela aurait
été l'occasion de débattre à fond de cette opinion".
Saramago qui a voyagé en
Israël et dans les territoires palestiniens dans le cadre d'une délégation du
Parlement International des Ecrivains (PIE) composé de huit autres auteurs de
différentes nationalités, a insisté hier qu'il ne regrettait pas ses propos . "
J'ai dit la vérité et je n'ai pas à me rétracter " a affirmé le Prix Nobel
portugais.
Dans des déclarations ultérieures à l'agence portugaise Lusa,
Saramago a ajouté que " la répression israélienne est la forme la plus perverse
de l'apartheid ". Saramago a souligné l'inégalité flagrante que constitue le
fait que 100.000 palestiniens se trouvent contraints de s'entasser sur 3 km² à
Gaza alors que dans les colonies israéliennes " tout est illumination,
espace et confort, à côté d'étendues relativement vastes de hameaux rasés du
fait de la stratégie d'expansion et de domination israélienne ". " Personne ne
se rend compte de ce qui se passe ici, aussi bien informé soit-on. Tout est rasé
par des excavatrices, les villages palestiniens ont été détruits et on ne peut
rien cultiver " a-t-il ajouté avant de rappeler les détours imposés par les
soldats israéliens aux ambulances dans lesquelles se trouvent des Palestiniennes
sur le point d'accoucher. " Tout cela a un air de camp de concentration qui me
rappelle Auschwitz ", a déclaré l'écrivain.
18. Le fer et le
sang par Baltasar Porcel
in La Vanguardia, (quotidien
espagnol) du jeudi 14 mars 2002
[traduit de
l'espagnol par Michel Gilquin]
Qui tue par l'épée, périra par l'épée ?
Cette vieille loi que rappelle le proverbe aboutirait à un terrible fatalisme
justicier si elle ne pouvait pas être contournée par l'intelligence imprégnée du
sens de l'équilibre et mêlée d'une certaine dose de subtilité.
Mais Israël
n'applique pas l'antidote, si tant est qu'il le connaisse, obsédé par le
chapelet sans fin d'agressions et de vengeances que la Bible récapitule. Ainsi,
le terrible terrorisme que lui infligent les Palestiniens est exactement
semblable à celui que les colons juifs exercèrent contre la Grande-Bretagne pour
aboutir à la création de l'Etat hébreu. Avec deux différences : les juifs
possédaient moralement et historiquement moins de droits à cette terre que ceux
qu'ont les Arabes et les Anglais, à la fin, durent partir. Sans qu'il s'agisse
maintenant qu'Israël fasse ses valises et se tire, pourquoi les
palestiniens devraient-ils être condamnés à vivre dans un état plus ou moins
d'esclavage politique ? La constitution de leur Etat s'impose et l'échec d'Ariel
Sharon a été établi. Et si Israël défend la légalité de son Etat sur la base des
résolutions des Nations Unies, les mêmes dispositions assurent également une
patrie et des frontières à la Palestine.
Bien sûr, parle-t-on de terroristes
arabes recourrant au suicide. Mais cette caractérisation est israélienne,
occidentale, tandis que du point de vue islamique, on envisage le phénomène de
façon complètement différente. Le suicide ou " qatlu nafsi-hi " n'est pas
mentionné dans le Coran, mais il est interdit de façon catégorique dans les
Hadith, recueil des actes et des propos que la tradition attribue à Mahomet.
Laquelle exalte le " shahid " ou martyre de celui qui s'est battu et s'est
sacrifié pour le " Jihad ", lutte et devoir prescrit par Dieu lui-même pour la
gloire et l'extension de l'Islam. Avec les " suicidés " déments et criminels
d'Israël, ceux qui l'accomplissent pour Allah sont promus au rang de " héros "
suprêmes pour les Palestiniens… Dans cet abîme conceptuel, religieux, éthique,
s'enracine peut-être le symbole principal de la tragédie du
Moyen-Orient.
Mais Israël sait très bien tout cela… Même si ça lui convient
de le travestir. Et, constatons : discuter de terminologies et de philologies
peut apparaître une folie quand le sang qui coule, le désastre humain sont sans
limites.
Néanmoins, il nous faut reconnaître que de façon constante on se
moque de nous avec les versions réaménagées chaque jour qui cachent la réalité
crue : si nous restons tous en phase avec les Etats-Unis dans son souvenir du 11
septembre, nous nous en éloignons aussi après avoir appris les épouvantables
bombardements aveugles - que l'on nous a dissimulés- qui ont tué tant d'Afghans
n'ayant rien à voir avec le terrorisme. Ce qu'ils prétendent poursuivre
n'importe où.