Point d'information Palestine > N°196 du 13/04/2002

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Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux (Trésorier)
Association loi 1901 - Membre de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
Rédaction : Pierre-Alexandre Orsoni et Marcel Charbonnier
                                       
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Nous prions l'ensemble de nos destinataires de bien vouloir nous excuser pour ces deux semaines d'interruption de service, liés à une multiplication de problèmes techniques aujourd'hui résolus. La Rédaction
                                   
Au sommaire
                               
Témoignages
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des citoyens de Palestine ou des observateurs. Ils sont libres de droits.
1. On repart pour un tour par David Torres, citoyen de Gaza en Palestine
2. Coupables... par Anwar Abu-Eisheh, citoyen d'Hébron en Palestine

3. Nouvelles de Ramallah assiégée par Myriam Abou Samra et Micaël Nègre, citoyens de Ramallah en Palestine
4. Jeudi Saint... par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethlehem en Palestine

 
Rendez-vous
Pour retrouver l'ensemble des rendez-vous en Europe, consultez l'agenda sur : http://www.solidarite-palestine.org/evnt.html
1. Palestine - Israël et l'Union européenne une rencontre à Marseille le mardi 16 avril 2002 à 18h30 au Grand amphithéâtre de la Faculté Saint-Charles
2. Rencontre / Débat avec Elias Sanbar à Marseille le vendredi 26 avril 2002 à 18h30 à la Faculté de sciences économiques et de gestion
       
Dernière parution
- Question sur les Palestiniens de Jocelyn Grange et Guillemette de Véricourt aux éditions Milan
               
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG.
1. Lettre au Président George W. Bush par Adila Laïdi [traduit de l'anglais par Danièle Ouanès]
2. Protestation contre le caractère scandaleux de l'émission "Mots croisés" par  Rudolf el Kareh
3. Le Parlement européen adopte le mercredi 10 avril 2002 une résolution qui soutient la suspension immédiate des accords d'association Union européenne / Israël
4. Une lettre de Mohammad Al-Said, Secrétaire général, de la Patient’s Friend Society, Hôpital Al-Amal de Jenin [traduit de l'anglais par Francoise Diehlmann]
5. Un sermon de Richard Wertenschlag, Grand Rabbin de Lyon, au début de l'année 2002
                                       
Revue de presse
1. Lettre ouverte au général Sharon par Breyten Breytenbach in La Libre Belgique (quotidien belge) du vendredi 12 avril 2002
2. Au-delà du massacre par Edward Said in Le Monde du vendredi 12 avril 2001
3. Des lendemains difficiles pour l'image d'Israël par Sylvain Cypel in Le Monde du vendredi 12 avril 2001
4. L’armée israélienne s’apprête à enterrer les morts du camp de réfugiés palestiniens de Jenin dans une fosse commune provisoire par Amos Harel & Amira Hass in Ha’Aretz (quotidien israélien) du lundi 11 avril 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
5. Pressions européennes croissantes sur Israël par Todd S. Purdum in The New York Times (quotidien américain) du lundi 11 avril 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
6. Le devoir du plus fort par Axel Kahn in Le Monde Diplomatique du mois d'avril 2002
7. La longue marche des Palestiniens, une interview de Nadine Picaudou réalisée par François Schlosser in Le Nouvel Observateur du jeudi 11 avril 2002
8. Ne nous trompons pas de combat in Le Monde du mercredi 10 avril 2002
9. Ilan Halévi, conseiller politique du Président palestinien, dénonce un cercle vicieux : "Si Arafat survit, ce sera lui le vainqueur" par Jean-Pierre Perrin in Libération du mercredi 10 avril 2002
10. Sur fond de légalisation de l’impotence, la nécessité que se poursuive l’Intifada arabe par le Dr. Abdel-Wahhab Al Effendi in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 9 avril 2002 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
11. Proche-Orient : la France doit agir par Jean-Pierre Chevènement in Libération du lundi 8 avril 2002
12. De retour de Ramallah, les "résistants" aubagnais sont accueillis en héros par Romain Luongo in La Provence du dimanche 7 avril 2002
13. Soutenir Israël ? Pas en notre nom ! in Le Monde du mercredi 6 avril 2002
14. Edward Saïd : “En ce moment, nous nous retrouvons tous derrière Arafat” par Mohammed Bakrim in Libération (quotidien marocain) du samedi 6 avril 2002
15. Soutenir la résistance est préférable à une guerre qui offrirait l’opportunité de l’écraser. Alors, arrêtons de geindre... Et réjouissons-nous de la victoire palestinienne : elle est proche par Wahid Abdel Majid in Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 4 avril 2002 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
16. Des Européens et Américains à Ramallah pour soutenir les Palestiniens par Calin Neacsu Dépêche de l'Agence France Presse du jeudi 28 mars 2002, 17h40
17. Le prix Nobel, taxé d'antisémite pour avoir comparé Israël et les nazis de Saramago par John Carlin in El Païs (quotidien espagnol) du jeudi 28 mars 2002 [traduit de l'espagnol par Michel Gilquin]
18. Le fer et le sang par Baltasar Porcel in La Vanguardia, (quotidien espagnol) du jeudi 14 mars 2002 [traduit de l'espagnol par Michel Gilquin]
                                                           
Témoignages

                                  
1. On repart pour un tour par David Torres, citoyen de Gaza en Palestine

Gaza, le lundi 8 avril 2002 - L'attente. Depuis une semaine. La pesante et corrosive attente du pire qui torture les âmes enfermées dans la petite cage de Gaza. Impossible de fuir l'horreur qui se prépare lentement là-bas, pas un coin de la souricière ou se sentir en sécurité, quant à se défendre, les moyens sont tellement dérisoires... Depuis Gaza ont suit les progrès du destructeur en Cisjordanie ; la gigantesque rafle de Ramallah, les hommes jeunes ou vieux concentrés dans les écoles, puis selon leur destin fixé par Dieu sait qui, les uns iront sur la table de travail du bourreau sioniste, d'autres seront exécutés, quelques une seront enfin relâchés. Triste sort que celui des policiers originaires de Gaza. Seuls, loin de leur famille, ils sont massacrés par paires ou plus par les soldats qui ensuite se prennent en photo avec leurs cadavres. En voyant les images de la capture des jeunes réfugiés dans l'immeuble du centre culturel français de Ramallah ma main se crispe. Là, allongé sur le sol, en sous-vêtement, le garçon qui livrait café ou thé a tout l'immeuble. Son corps infirme, déformé par les coups reçus alors qu'il était enfant, presque nu dans le froid, devant les soldats, ses yeux plein de terreur… et puis ceux que je n'ai pas vu, le sérieux Mounir, et le jeune Abdallah, de Gaza, engagé dans la police parce qu'il faut bien travailler, blond comme le soleil de sa ville natale et toujours plus occupé à regarder les filles en souriant qu'a rester a son poste… ou sont-ils ? Les nouvelles qui nous parviennent de Ramallah occupée sont terribles. L'armée israélienne se livre à un pillage en règle de la ville, l'or, l'argent, appareils vidéos, les économies laissées au fond d'un placard. Les soldats qui s'installent chez vous en proclamant qu'ils ont tous les droits, qu'ils sont chez eux, qu'ici c'est Israël, ils en disent long sur la volonté de paix de l'état hébreu. Cet adolescent pressé d'aller aux toilettes dans sa maison pleine de soldats, la dispute, cette mère qui se déchire le ventre impuissante devant son enfant broyé par les bottes et les crosses des soldats, ces enfants qui ont vu leur frère battu a mort par un groupe de soldat, dans la maison familiale… avant hier, les soldats ont levé le couvre feu pour quelques instants, le temps pour les gens d'amener les blesses a l'hôpital, le temps pour l'hôpital de vider la morgue, pleine de cadavres, et de les enterrer dans une fosse commune dans le jardin même de l'hôpital. Pas de cérémonie funèbre pour ceux-la, les snipers israéliens se remettent a tirer sur la foule qui s'affole et encore ces enfants qui hurlent de terreur... depuis une semaine les Israéliens ont carte blanche a Ramallah pour "tuer le plus possible de palestiniens" (dixit le Premier ministre et expert en viande palestinienne Sharon), et le monde laisse faire, toujours hypnotisé par le mystérieux pouvoir des sionistes… la vie d'un palestinien n'est pas chère en ce moment a Ramallah ou à Bethlehem, les ricanements des soldats qui attachent des hommes et s'amusent avec leurs victimes avant de leur donner le coup de grâce me remplissent d'une colère qui n'est pas seulement dirigée contre les bouchers de Tel-Aviv. Mais l'homme ne leur suffit pas,  ils visent plus haut. A Bethlehem ce n'est pas une église que les soldats ont pris pour cible, c'est ce que des milliards de chrétiens de par le monde considèrent comme le berceau du Christ que les sicaires israéliens se sont amusés à bombarder, blessant prêtre et religieuses dans les sanctuaires de la ville, brûlant une mosquée sur la place de la basilique. Quelle guerre mènent les sionistes ? contre qui ? jusqu'où iront-ils ? Au début de l'Intifada j'étais plutôt pessimiste. Je me disais qu'il faudrait que les israéliens commettent un massacre pour émouvoir les consciences occidentales et enfin stopper la folie sioniste. Apres les massacres de Balata, Abassan, Ramallah, je laisse tomber. Ils jouent avec nos nerfs, comme avec des rats de laboratoire. 6 avril 2002 - Encore une journée qui se termine. Une de plus. Comme les précédentes, elle n'a pas été bien chargée. Je suis allé voir l'école Slimane Sultan, une école primaire de garçons. Les deux professeurs habitent la ville de Gaza, ils sont donc présents. Le problème c'est que dans cette école il manque une demi-douzaine de profs, alors en français on prend parfois double classe, et on se retrouve à 75 dans la salle. Bon, cette fois-ci non, c'est une classe de 6ème, une seule, et puisque tous les parents n'osent pas laisser sortir les enfants de la maison (crainte de bombardements, d'invasion, et que les enfants soient coincés à l'école s'ils imposent un couvre-feu, il y a aussi les tirs aveugles depuis les hélicoptères…) la classe n'est pleine qu'aux deux tiers. Sous la lumière clignotante des néons (l'électricité est coupée plusieurs fois par heure) le professeur parle aujourd'hui de grenouilles dans les bois et de bougies sur un gâteau. Il m'avait dit avant de rentrer en cours qu'il n'avait pas vraiment préparé sa séance, mais bon, il s'en tire quand même pas trop mal et puis je lui donne un coup de main (j'ai vu des grenouilles par dizaines !), on n'est plus a ça près ! Dans la classe c'est la foire. Les enfants sont plutôt dissipés, il y en a qui parlent, d'autre jouent avec des élastiques ou des papiers pliés, l'ambiance est loin de la concentration nécessaire dans une salle de classe, mais que faire ? Qui peut dire où seront ces enfants dans quelques jours ? Qui peut m'assurer qu'ils seront tous même en vie et en bonne santé ? Depuis plusieurs jours leurs parents vivent dans une angoisse terrible, attendant l'armée israélienne, les rafles, les massacres, les coups, les morts. A l'école même ambiance. Alors on libère les enfants et les profs plus tôt, pour pouvoir rentrer à la maison, regarder les nouvelles (décidément chaque jour plus mauvaises, plus de morts, des cadavres pleins les rues du camps de Jenine qui résiste depuis 4 jours à l'armée israélienne, et puis tu as vu, ils ont même osé lancer l'assaut à la basilique de la Nativité !). La discussion dans le bureau du directeur, où se retrouvent tous les profs avant de partir est pleine du seul sujet qui occupe les esprits à Gaza. Et puis il y a Hassan qui ne pense qu'à ses papiers qu'il n'a jamais obtenus. Comme beaucoup de Palestiniens débarqués au pays dans l'euphorie trompeuse d'Oslo il s'est retrouvé sans pièce d'identité, la seule autorité compétente en la matière restant encore et toujours Israël. Le problème c'est qu'en Cisjordanie les Palestiniens sans-papiers ont été parmi les premières victimes des rafles. Alors depuis plusieurs jours Hassan a beaucoup de mal a préparer ses cours. Il pense à ses papiers… Mais tous ceux qui peuvent encore travailler sont présents. Malgré l'attente, malgré les longues nuits à chasser le sommeil en regardant la télévision, malgré cette boule dans le ventre qui ne veut pas partir. Voilà, tout le monde a signé, les enfants sont partis, on va fermer les portes. Aujourd'hui seulement 4 heures d'école au pays de Kafka, mais c'est mieux que rien.

                                  

2. Coupables… par Anwar Abu-Eisheh, citoyen d'Hébron en Palestine

Hébron, le vendredi 5 avril 2002 - C'est bien la première fois que j’ai envie de témoigner par écrit, je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que j'ai commis la faute d'aller à l'hôpital AI Ahli il y a quelques heures pour rendre visite à mon oncle Kamal (85 ans), blessé à l'oreille et aux bras par des roquettes tirées d'un hélicoptère... La personne, visée avait arrêté sa voiture pour faire des courses dans une épicerie, elle n'a pas été touchée mais l'épicier a eu les intestins déchiquetés et mon oncle qui ne sort qu'une fois par semaine pour aller prier à la mosquée, a quelques blessures légères mais c'est surtout cet enfant  de 8 ans, brûlé à 100% et que mes amis médecins m'ont montré spontanément parce que je suis un ami et qu’il est en train de mourir au moment où j'écris.

Ce matin c’était le ras-le-bol pour ma femme française  qui vit sa première guerre », départ éventuel pour Jérusalem, peur pour les enfants, et s'il arrivait quelque chose et si les chars arrivent  et si et si… Et si elle savait que c'est ainsi que les Palestiniens qui ont pris la fuite en 1948, sont toujours en diaspora et qu'on les appelle aujourd'hui "réfugiés" et ceux qui ont cédé à la peur pendant la guerre de 1967 vivent toujours en exil.

Au même moment le portable tombe en panne, le téléphone fixe est cassé, le téléphone sans fil en brouillé, le micro-onde marche mais ne chauffe plus, le téléviseur n'a plu d'images, l'ordinateur ne fonctionne plus, sans raison apparente... Certainement un brouillage qui a sans doute pour effet de vous faire péter les plombs…

Heureusement, tout s'est mis à remarcher sans aucune intervention, sauf le portable qui va se taire jusqu'à ce qu'on aille à Jérusalem pour le faire dépanner et ce n'est pas demain la veille ! En tout cas et une fois pour toute, je suis chez moi, je reste.

Il est vrai que lorsque les balles ont  explosé sur les murs de notre logement j'ai eu peur pour nos enfants, c'était terrorisant et les enfants ont soit pleuré en murmurant "j'ai peur", ce n'est pas la première fois et c'est  inoubliable. Combien de choses restent inoubliables dans la vie d'un Palestinien  ! Même les images des innocents israéliens victimes de la violence palestinienne contre laquelle je travaille depuis très longtemps. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser aux enfants israéliens qui ont subi le même sort que Mohammad Zughait, cet enfant palestinien brûlé en train de mourir...

Tout le monde, les bonnes âmes, les politiciens, les pacifistes, les gauches, les droites et d'autres encore, disent sincèrement et moins sincèrement : Assez !

Oui, assez, bien sûr, d'accord. A ceux-là je dis simplement, vous avez raison d'être du côté de la justice, des droits humains  et nous avons encore un long chemin à faire pour ressayer d'effacer les cicatrices de la terreur pratiquée pu le gouvernement israélien à l'égard. de la population palestinienne et surtout pour essayer de tuer les tendances à la violence qui naissent actuellement dans les têtes des enfants  palestiniens qui subissent actuellement l'emprisonnement à la maison, les bombardements, la faim, l'humiliation de leurs aînés, la peur 24h sur 24, l'inquiétude, bref, la terreur !

Ce "Assez" s'adresse à tous ceux qui n'arrêtent pas de m'ulcérer par des déclarations "équilibrées" et renvoient dos à dos Israéliens et Palestiniens - autrement dit  l'occupant et l'occupé  - genre  candidat à la présidentielle, élu de zones où les communautés juives sont influentes, ou encore les intellectuels qui se qualifient de "juifs" donc forcément porteur des "plus parfaites  valeurs au monde", les cheikhs professionnels qui ont comme priorité de garder leur poste pour le salaire à la fin du mois, et ne parlons pas des hauts fonctionnaires internationaux ou nationaux qui choisissent avec tant de soin leurs mots ayant comme premier souci de monter dans la hiérarchie. Deux poids, deux mesures, encore et toujours. Assez  d'hypocrisie.

J'ai l'impression que la seule  personne à qui on ne peut en vouloir est Bush, car le Pauvre, il a tant de mal à comprendre, entre son arrogance justifiée, il est le maître du monde et ses adversaires qui ne font pas le poids et sa satisfaction d'être ignorant  (il a atteint le sommet, s'il l'apprenait il tomberait !) il peut se permettre de dire n'importe quoi comme par exemple exiger d'Arafat de faire plus contre le "terrorisme" alors que ce dernier est encerclé par l'armée israélienne dans quelques mètres carrés sans électricité, ni eau, ni téléphone... Les collaborateurs  du Grand Maître ont oublié de le mettre au courant... Le pauvre, il a une bonté débordante... qui déborde toujours du mauvais côté du vase...

Vous, politiciens et personnalités calculatrices, vous êtes Coupables car vous encouragez Sharon et parce que vous avez les moyens de l'empêcher de détruire les Palestiniens, comme vous avez pu vaincre le régime d'apartheid en Afrique du Sud et par les mêmes moyens, mais vous ne le faites pas, pour des raisons  différentes, pourtant nous vivons ici un apartheid plus grave encore (et je me permets de le dire car des sud-africains eux-mêmes le disent).

Non seulement vous êtes Coupables actuellement parce que vous ne faites rien pour empêcher l'anéantissement du peuple palestinien mais vous l'étiez déjà avant parce que vous fermiez les yeux lorsqu'il s'agissait de la colonisation des terres palestiniennes par les gouvernements israéliens successif... Lors des accord d'Oslo en 1993 vous avez tous applaudi en public et vous vous êtes félicités partout de la paix qui arrive - moi aussi...

Mais vous savez (en tout cas vous aviez les moyens de savoir) que depuis ces accords les gouvernements d'Israël :

- ont continué de construire de nouvelles colonies et d'élargir  des  colonies déjà existantes et qui s'est     traduit par la confiscations de larges superficies de terre. Plus qu'en 27 ans d'occupation,

- ont installé un système de séparation entre communes palestiniennes, une banthoustanisation forcée. Aucune continuité territoriale depuis Oslo,

- ont diminué et même interdit la plupart du temps la liberté de circulation entre villes et villages et Jérusalem,

- ont gardé le contrôle total des importations, exportations, départs, retours, de tout ce qui est administratif au point d'être seuls compétents pour  attribuer  des cartes  d'identité aux Palestiniens,

- ont étranglé la Palestine, peuple et autorité, économiquement, notamment par la diminution puis l'interdiction faite aux Palestiniens de travailler en en Israël et de les remplacer par des asiatiques et d'autres...

Et surtout, ils ont interdit l'émergence de la moindre apparence d'indépendance comme le port ou l'aéroport, etc...  et cerise sur le gâteau, le mépris qu'a montré Sharon à l'égard des Palestiniens en se rendant sur l'esplanade des Mosquées. Opération qui a constitué l'humiliation collective et a abouti à l'Intifada , laquelle ne prendra fin que par une solution politique même si l'armée israélienne réoccupe toutes les localités palestiniennes. Je disais à tous ceux à qui je faisais visiter Hébron depuis Oslo et jusqu'au début de l'Intifada qu'étant donné les exactions israéliennes, "cela pètera  bientôt" malheureusement j'ai eu raison.

Aujourd'hui tout Palestinien, quelle que soit son appartenance a politique, se sent humilié par ce que Sharon est en train d'infliger à notre Président élu par les Palestiniens de la diaspora et de l'intérieur notre Arafat, que nous aimons et critiquons tous pour une chose ou une autre, chacun à sa manière. La frustration est à son comble et il ne faut pas être très intelligents pour savoir que l'humiliation et la frustration ne peuvent que pousser vers la violence qui risque fort de ronger la société palestinienne mais aussi la société israélienne.

Vous pouvez toujours condamner la violence ou approuver le dialogue et des accords de paix si cela vous fait plaisir, ou même prêcher toutes sortes de bonnes paroles, je n'ai rien contre, mais pour l'amour de Dieu, Faites, Faites, pour mettre fins à l'occupation et à la violence et venez avec des ballons, des jouets pour rendre le sourire aux enfants ! Presque personne ne rie plus ici depuis de longs mois, voire même des années.  Faites l'effort de venir voir sur le terrain.

Savez-vous qu'il y a à Hébron 12000 enfants qui ont subi presque quinze mois de couvre-feu (interdiction de sortir 24h/24) depuis septembre 2000. Ils ne vont presque pas à l'école et ont souvent faim. […]

Mon sentiment est qu'il est très tard mais peut-être, pas encore trop tard, pour faire quelque chose pour que les Israéliens et les Palestiniens vivent en Paix...

                                  
3. Nouvelles de Ramallah assiégée par Myriam Abou Samra et Micaël Nègre, citoyens de Ramallah en Palestine
Jeudi 28 mars 2002 - La rumeur de l'invasion a couru, les gens se sont précipités dans les magasins et avec le recul on se dit qu'on a bien fait d'en faire autant. On entame aujourd'hui le sixième jour de siège, mais chaque jour arrive avec son lot de surprises.
Vendredi on ne faisait qu'apercevoir les chars dans notre rue, le soir ils étaient stationnés à la porte de l'immeuble et les soldats avaient installé leur quartier général dans notre immeuble -entre autres-. Leur arrivée à été d'une brutalité indescriptible, nous n'avons même pas eu la possibilité d'aller leur ouvrir la porte d'en bas qu'ils pillonnaient à la mitrailleuse lourde. Une fois cette porte ouverte ils ont continué à tirer dans la cage d'escaliers avant de procéder à une fouille systématique de tous les appartements. Les hommes (Micaël et mon père exeptés, passeports aidant) ont été amenés à l'exterieur M16 sur la nuque et mains en l'air. Les soldats hurlaient et on a vite compris qu'on ne pourrait pas les empêcher de s'installer dans l'immeuble. Quand ils ont voulu monter à l'étage on leur a expliqué que les deux apparts étaient innoccupés mais ils voulaient quand même y entrer. Les tirs dans la porte ont donc repris de plus belle, puis ça a été le tour de la massue.. S'ils n'avaient pas réussi à exploser les portes du haut ils se seraient installer chez nous et nous aurions tous dû nous regrouper sous leur bonne garde dans le même appart. Nous avons au moins pu éviter ça. Le temps qu'ils étaient là on devait obéir à leurs ordres, par exemple interdit d'aller parler aux voisins sans leur présence, voisins à qui nous devions parler en anglais pour qu'ils comprennent. Bref, occupation militaire de notre appart, blindés en nombre dans la rue, interdit de regarder par les fenêtres, d'ouvrir la porte quand ils avaient décidé qu'elle devait être fermée -et vis versa- mais surtout interdit de monter à l'étage pour essayer de les empêcher de piller les deux appart qu'ils occupaient.
Toute la journée de samedi et de dimanche nous sommes restés cloîtrés à la maison, sans éléctricité mais tout de même satisfaits d'avoir pû rester dans notre appart sachant que ce n'était pas le lot de tous. On était coupés de l'info, des coups de fil nous tenaient au courant, on essayait d'associer les explosions entendues aux faits relatés par téléphone. On sait que la ville a été pillée, de nombreux magasins brûlés mais on sait aussi qu'il y a eu une trentaine de morts, hommes, femmes, enfants, parmi lesquels des executions sommaires. Les soldats sont chez nous on ne peut pas sortir, les gens se font massacrés on ne peut rien faire. C'est finalement cette impuissance qui est la plus difficile à vivre.
Lundi matin c'est la délivrance, on ne les entend plus en haut et timidement chacun sort de son appartement. On monte à l'étage pour constater les dégats... quelle surprise !  Heureusement qu'ils nous avaient promis de ne rien casser, de ne rien voler, de ne rien salir. Les cuisines et les salles de bains sont dans un état de crasse indescriptible, les meubles sont sans dessous dessus, troués par les balles, les vitres cassées.. Sans parler du vol: argent, alcool, disque dur, etc... L'immeuble d'en face a aussi été occupé, même constat que chez nous avec en prime les crucifixs retournés. On ne peut toujours pas sortir, les chars faisant des tours dans le quartier, il parait qu'il y a également des snippers. C'est dans la nuit de lundi à mardi que l'assault est donné sur la localité de Beitounia, on entend les chars et les hélicos pendant douze heures d'affilée. La panique est de plus en plus présente, on apprend qu'il y a 400 personnes dans le bâtiment et on craint vraiment un massacre.. on repense tous à Sabra et Chatila.
Mardi on a de l'éléctricité mais plus d'eau!! Toujours cloîtrés à la maison, on n'a pas mis le nez dehors depuis 5 jours. A 15 heures on apprend par la BBC qu'il va y avoir une levée de couvre feu pour permettre aux ambulanciers d'aller chercher les morts et les blessés. Au même moment on voit passer dans la rue une vingtaine d'hommes, mains attachées derrière le dos, suivis d'un char. Cependant, les magasins entrouvrent leurs portes, on a tous peur de sortir mais quel soulagement! Tout le monde dans la rue se parle, on va constater les dégâts chez les voisins, enfin on peut exprimer notre solidarité.. et quelle joie. Tout ça pour une permission de deux heures, comme quoi on peut se satisfaire de peu. Pour certains les courses, maman elle a été emmener un homme de 74 ans à l'hopital, deux jours qu'il était blessé (par balle alors qu'il était dans son lit !) et aucune ambulance n'a eu le droit d'aller le chercher. Au retour de l'hopital elle nous raconte les enterrements, ils ont creusés deux fosses communes, une pour les hommes l'autre pour les femmes et doivent enterrer les morts de ces cinq derniers jours pour vider la morgue. Une heure pour enterrer nos morts et sous les tirs en plus! Et oui, car malgré la levée du couvre feu les snippers sont restés en place et s'amusent à tirer sur les gens. A l'hopital on enterrait les morts dans le jardin mais on soignait également les blessés, beaucoup de cas d'hypothermie vu que les blessés ont été laissés dans la rue sous la pluie. Elle ramène tout de même deux bonnes nouvelles: les journalistes étaient nombreux à l'hopital et les médecins affirment que le bombardement sur Beitounia a été moins sanglant que ce que nous imaginions.
Mercredi 3 avril, le quartier est calme et il pleut toujours. D'après le consulat ils ont détruit le théatre/cinéma Al-Qasaba qui était un important lieu de la vie Ramallienne. Sans doute n'ont ils pas apprécié que ce théatre accueille le parlement international des écrivains venu exprimé sa solidarité au peuple palestinien. Nous verrons ce que le reste de la journée nous apportera...
Si vous vous sentez solidaires du peuple palestinien, si vous voulez que ce massacre cesse, que les attentats quotidiens en Israel cessent, il faut que vous dénonciez cette occupation, il faut lutter pour que les palestiniens obtiennent leur indépendance après cinquante ans d'exil et trente-cinq années d'occupation. De nombreuses manifestations sont organisées en France et si les autorités ne bougent pas c'est bien au peuple de le faire. Vous pouvez bien entendu envoyer ce mail à toutes vos connaissances.
                                   
4. Jeudi Saint... par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethlehem en Palestine
Jeudi 28 mars 2002 - Récit des dernières heures. Hier après-midi, j'ai repris les cours avec les enfants à Deheishe. J'ai revu Maram, Hanin, Mohammad et les autres, dont je n'avais pas de nouvelles depuis plus d'un mois. Ils vont bien, du moins en apparence, en "surface" allais-je dire. Rawan passe le cours collée à moi. Je constate avec surprise, et soulagement, qu'ils n'ont pas tout oublié en français. On y va doucement pour ce premier cours. On parle, je les fait parler avec les quelques structures grammaticales qu'ils connaissent. Tout va bien pendant quarante à quarante-cinq minutes. Et puis tout d'un coup ça déborde. On se met a parler en arabe :
- "Ils sont rentrés dans notre maison. Ils ont cassé toute les fenêtres. Papa n'était pas là, et Maman avait peur."
- "Et toi Rawan, tu as eu peur ?"
- "Moi ? Non !"
Voilà ce qui me frappe depuis une semaine (seulement ?) que l'armée israélienne s'est retirée des villes palestiniennes : Les gosses affirment haut et fort qu'ils n'ont pas eu peur, les shebabs et les adultes au contraire fondent en larmes au souvenir des 12 jours de présence militaire israélienne dans le camp.
Le cours est terminé. J'en ai un autre avec les plus grands dans quelques heures. En attendant je discute avec Ali, à peine 20 ans, qui travaille "illégalement" à Jérusalem, y compris en ce moment.
-"Nathalie ! Ce matin, ils m'ont attrapé et ils m'ont tabassé !"
- "Où ?"
- "Ils m'ont attrapé au check de Bethlehem ! Regarde mon dos !"
Des marques bleues un peu partout. Il poursuit :
- "Tu sais, à côté du check, il y a des étrangers qui ont installé une tente. La bas, il y a des gens, des étrangers, qui ne mangent plus. Ça s'appelle "siam li salam" (jeune pour la paix)."
C'est ainsi que j'apprends que des étrangers ont entame une grève de la faim. Shadi, un copain d'Ali, se joint a la conversation :
-"Ah c'est ça la tente ? Moi ce matin en allant à Jérusalem j'ai cru que c'était un nouveau poste militaire, alors du coup j'ai fait un super détour pour l'éviter !"
Ali reprend :
- "Dis, Nathalie, tu veux aller les voir ?"
Et c'est parti ! Avec mes deux guides, nous allons au check, on prend le "laffé" (détour). Il fait presque nuit et je ne peux m'empêcher de demander :
- "Euhh... Si il y a l'armée ?"
Mes deux compagnons me regardent malicieusement :
- "Ne t'inquiète pas... C'est le matin ou a 4h de l'après-midi qu'ils tirent... Pas a 17h30..."
Inutile de vous dire à quel point je suis rassurée... Mais, vaillamment, je les suis. On arrive sous la tente. J'ai la surprise d'y trouver une adorable dame qui vit en Palestine depuis 35 ans, qui est à la retraite et qui est française. Elle habite dans un village proche de Jérusalem. "A l'époque ou je suis
arrivée, c'était en Jordanie", me dit-elle avec un petit sourire.
- "Pourquoi cette grève de la faim ?"
- "Parce que" me repond elle, "je ne peux pas rester à rien faire quand je vois les gens s'entre tuer."
Soixante ans passés, des cheveux blancs bouclés et une douceur infinie dans la voix. J'ai oublié de lui demander son prénom.
Retour a Deheishe avec mes deux compagnons, toujours par le "laffé". Cette fois, il fait nuit noire.
-" Tiens, regarde, c'est la qu'ils m'ont attrape ce matin ! Ils m'ont mis contre le mur avec quatre autres et ils nous ont tabassés !
- "Et apres qu'est ce que tu as fait ?"
- "Ben je suis allé bosser, quelle question !"
Shadi ajoute:
- "Tu vois les oliviers la bas? C'est là que je passe le matin. Je cours d'olivier en olivier. Je me cache. Ça marche. En général, ils ne tirent pas trop, mais on a des gaz lacrymogènes."
A Deheishe, mes étudiants sont là. Cours un peu perturbé par la présence dans le bâtiment d'une trentaine d'Italiens particulièrement bavards...
Apres le cours, Shadi m'invite à un narguilé au restaurant de l'association. Ali nous accompagne. J'en profite pour manger un morceau. Jihad, qui vient de m'offrir un portrait du "Che", nous rejoint et se refait expliquer certains point de grammaire française.
Dans un coin du restaurant, l'équipe de basket se fait remonter les bretelles par l'entraîneur qui n'est autre que le directeur de l'association. On discute. Le talkie-walkie du directeur grésille :
- "Fi amalliye fi Netanya !" (Attentat à Netanya !)
Aussitôt, on allume la télévision. Il y a des infos sur Al Manar, en attendant les infos de la grande chaîne arabe, Al Jezirah. On apprend les morts, 10 puis 15 puis 18. On apprend les blesses, 50 puis 80 puis plus de 100. Aucun de ceux présents autour de moi ne se réjouit. On ne parle que de ca, de ce qui va se passer maintenant.
- "Haram", me dit Shadi. "On n'a pas le droit de tuer des civils. C'est pas bien."
-  "Mais", l'interrompt Ali, "eux ils tuent aussi des civils !"
- Ce n'est pas parce qu'ils font des choses pas bien qu'on doit en faire autant ! Moi, je ne veux pas que des gens de ma famille meurent. Et s'ils meurent, je vais détester les Israéliens. Apres ce genre d'attentat, c'est normal  qu'ils nous détestent. Il ne faut pas tuer de civils. Les soldats et les colons, ce n'est pas la même chose."
Contrairement à ce que vous pensez sans doute, le discours de Shadi est représentatif d'une très forte majorité de l'opinion palestinienne. Une question revient sans cesse :
- "Il est d'où le terroriste ?"
Important ça. On sait que la ville dont il est originaire va être particulièrement frappée. On en viendrait presque à soupirer de soulagement quand on apprend qu'il est de Tulkarem....
Le narguilé est fini, et puis on n'a plus guère envie de discuter. Je rentre chez moi, sous la pluie, en tentant d'élaborer des hypothèses pour les prochains jours.
Jeudi matin. Je suis censée me rendre à Jérusalem pour y retrouver des amis. Mais le check est fermé. Un ami palestinien me dit que Bethlehem est déclarée zone militaire, tout comme Ramallah d'ailleurs. Le check de Qalandia est lui aussi fermé. Je reste chez moi.
Les rumeurs les plus folles circulent : les étrangers doivent évacuer, certains pays ont commencé à évacuer leurs ressortissants, etc... Difficile de faire la  part des choses.
On passe la journée au téléphone, entre français des différentes villes de Palestine pour tenter d'y voir clair et aussi pour se remonter le moral mutuellement.
A chaque fois, c'est le même genre de discours :
- "Fait des courses, reste chez toi et on se rappelle de toute façon dans quelques heures. Bien sûr, si tu as du nouveau avant, tu appelles !"
A Deheishe, les Palestiniens semblent surpris de me voir :
- "La télévision a annoncé que les étrangers évacuaient. Tu es toujours là ?"
Et moi d'expliquer qu'apparemment, il ne s'agit que de rumeurs...
Il est 16h30 ici à Bethlehem. On ne sait pas trop ce qui va se passer dans les heures qui vont venir.
Ici, dans la salle informatique à Deheishe, l'ambiance est tendue. Personne ne rit, personne ne se réjouit de ce qui s'est passe a Netanya. Le groupe d'Italiens envoie des mails un peu partout, sans doute pour raconte la même chose que moi.
On attend donc. On ne sait pas quand "ça" va arriver. On ne sait même pas ce qui va arriver. On tressaille au moindre bruit. On attend.
Je condamne fermement cet attentat. Côté israélien, on parle "d'acte de guerre". Bien sur que c'en est un ! Israël, tout comme les Etats-Unis, ne peut pas penser pouvoir faire la guerre à une partie du monde sans qu'à un moment, le boomerang ne lui revienne dans la figure.
Cet attentat est un acte de guerre, oui, le vendredi 9 mars, 50 Palestiniens ont été tués, sans parler des blessés. Parmi eux, une grande majorité de civils. Ca aussi c'est un acte de guerre. Le 29 septembre 2000, sur l'esplanade des mosquées de Jérusalem, il s'agissait aussi d'un acte de guerre.
La barbarie n'est pas le fait d'une seule partie. La barbarie est peut être, hélas, la chose la mieux partagée au monde.
Shimon Perez m'a fait sortir de mes gonds ce matin. Shimon Perez a déclaré que les responsables de cet attentat (dernier bilan : 20 morts), "n'ont pas une once d'humanité." Effectivement. Mais Monsieur Perez me semble bien mal placé pour parler "d'humanité". Monsieur Perez a tué 100 civils à Cana au Liban en 1996. Il l'a sans doute oublié. Moi, je n'ai jamais ôté la vie à qui que ce soit (a l'exception d'un petit chat malade) et vous ne valez pas mieux, Monsieur Perez, tout Prix Nobel de la Paix que vous êtes, vous ne valez pas mieux à mes yeux que le responsable de l'attentat de Netanya.
Il parait qu'aujourd'hui c'est le Jeudi Saint (les chrétiens d'ici aussi s'apprêtent à fêter la  Pâque). Alors, Joyeuses Pâques à tous !
                                       
Rendez-vous

                                         
1. Palestine - Israël et l'Union européenne une rencontre à Marseille
le mardi 16 avril 2002 à 18h30 au Grand amphithéâtre de la Faculté Saint-Charles
Grand amphithéâtre de la Faculté Saint-Charles - 3, Place Victor Hugo - Marseille 3ème
Une rencontre autour de Samia Y.Bamieh (Palestine) Directrice du département Nations Unies et Organisations Internationales de l¹Autorité palestinienne, Debby Lerman (Israël) Responsable ‘’ Beit Shalom ‘’et ‘’Femmes en Noir’’ et Dorothée Schmid (France) Doctorante de l¹Institut d’études politiques de Paris organisée par Méditerranée Solidaire(s), Attac Marseille, Union juive française pour la paix et le Collectif pour le respect des droits du peuple palestinien.
"Etablir une zone de paix et de prospérité partagée." C’est ainsi qu’en 1995 à Barcelone l’Union Européenne a défini sa politique méditerranéenne avec les modalités suivantes : … Constitution d’une zone de libre échange économique d’ici 2010 … Construction d¹un espace commun de paix et de stabilité … Développement des ressources humaines favorisant la compréhension entre les cultures. Cette politique s’est matérialisée par la signature d’accords d’association signés à ce jour par tous les pays du bassin méditerranéen sauf la Syrie (la Libye étant exclue du processus). A Valencia (Espagne) se tiendra mi avril la 6ème Conférence Euro-méditerranéenne des pays de l’Union Européenne et des douze pays du Sud. Aujourd’hui le bilan de cette politique est négatif pour les pays du sud et dramatique au Moyen-Orient. L'économie de guerre israélienne bénéficie d’une intégration économique croissante avec l'Europe qui est son principal partenaire commercial. Les grandes entreprises européennes s'implantent en Israël où elles contribuent à la réalisation des objectifs de la politique coloniale. Quant aux investissements européens en Palestine, soit ils sont bloqués par Israël, soit ils sont méthodiquement détruits par les offensives militaires. Pourquoi l’Union Européenne n’intervient-elle pas concrètement alors que l’un des états du partenariat (Israël) usant de sa forte militarisation colonise son voisin (la Palestine) et y impose un état de guerre ? Où est la paix ? Où est la prospérité partagée ? Où sont les objectifs déclarés de l’Union Européenne
1er partenaire économique de la région ? Comme des milliers de voix le reprenaient lors de L’autre sommet que nous organisions il y dix huit mois a Marseille : la Méditerranée a besoin d¹un autre partenariat. L’Union Européenne doit assumer et assurer ses responsabilités de paix et de justice entre ses partenaires en  Méditerranée.
 
                                                                   
2. Rencontre / Débat avec Elias Sanbar à Marseille
le vendredi 26 avril 2002 à 18h30 à la Faculté de sciences économiques et de gestion
Faculté de sciences économiques et de gestion - 14, rue Puvis de Chavannes (Halle Pierre Puget) - Marseille 1er
L'association "Lectures du Monde" organise une rencontre avec Elias Sanbar, écrivain, historien et directeur de la Revue d’études palestiniennes, autour de ses livres, "Le bien des Absents" et "Le Droit au Retour" publiés chez Actes Sud, avec la participation (sous réserve) de Farouk Mardam-Bey, directeur de la collection Sindbad aux éditions Actes Sud. [Lectures du Monde - 11 A, rue Lafayette - 13001 Marseille - Tél : 04 91 08 48 99]
                                               
Dernière parution

                                        
Question sur les Palestiniens de Jocelyn Grange et Guillemette de Véricourt
aux éditions Milan

[63 pages - 4 euros / 26,24FF - mars 2002 - ISBN : 274590468X]
Peuple invisible pour les premiers sionistes arrivés en Palestine et qui lançaient le slogan "Un peuple sans terre pour une terre sans peuple", les Palestiniens n'ont cessé de se battre pour faire reconnaître leur existence et leurs droits. Pourtant leur histoire reste encore en grande partie inconnue en Europe et les injustices qu'ils ont subies et continuent de subir pour un crime - le génocide juif - qu'ils n'ont pas commis, passablement ignorées. Tantôt on les confond avec leurs voisins arabes, tantôt on ne les voit qu'à travers le regard de leurs adversaires, les Juifs d'Israël. Cet ouvrage tente de dresser un état des lieux en répondant à des questions aussi cruciales que "Comment ont-ils perdu leur terre natale ?" "Pourquoi la première Intifada ?" ou encore "Sont-ils condamnés aujourd'hui à la dispersion ?"  
                                             
Réseau

                                       
1. Lettre au Président George W. Bush par Adila Laïdi
[traduit de l'anglais par Danièle Ouanès]

(Adila Laïdi est la directrice du Centre culturel Khalil Sakakini de Ramallah.http://www.sakakini.org)
Monsieur le Président - Maison Blanche - 1600 Pennsylvania Avenue - Washington DC USA
Le 3 avril 2002 - Monsieur le Président,
Je vous écris du Moyen-Orient, d'une petite ville appelée Ramallah (aussi grosse que Georgetown DC où j'ai étudié et travaillé pendant cinq ans), dans un pays qui, nous l'espérons, s'appellera un jour Palestine.
Depuis vendredi 29 mars 2002 (il y a six jours aujourd'hui) ni mon mari ni moi n'avons pu aller au travail. Ma fille de trois ans n'est pas allée à son jardin d'enfants. Il n'y a plus de ramassage d'ordures dans ma ville. Les soldats ont fait irruption dans la maison de mon voisin, ils ont détruit le mobilier et volé 2.500 $ US en espèces. Mon beau-frère a vécu pendant 5 jours sans électricité, chauffage ni téléphone. Le frère d'une de mes collègues de travail au petit centre culturel que je dirige a été arrêté en pleine nuit par les soldats en pleine nuit. Il avait 20 ans et a été emmené vers une destination inconnue. Leur maison a été pillée. De toutes façons, son frère est en compagnie de 700 autres jeunes gens qui ont été arrêtés de cette manière, et ce, seulement pour ma ville. Le mari d'une autre collègue de travail a aussi été arrêté, mais il est revenu et leur a raconté qu'il était resté 13 heures, menotté et les yeux bandés, dans le froid et la pluie, qu'on l'avait battu et qu'on urinait sur lui. Au fait, il a été arrêté parce qu'il empêchait les soldats de battre son fils adolescent qui s'était faufilé dehors par la porte d'entrée.
Pour dépasser le cercle de mes parents et amis, je mentionnerai les 29 corps des hommes tués de sang froid au cours des 5 derniers jours, qui se sont entassés dans la morgue de l'hôpital de ma ville, à raison de 2 par compartiment. Étant donné qu'il y avait d'autres corps qui arrivaient, le personnel de l'hôpital les a enterrés hier après-midi dans la cour de l'hôpital. On a fait venir un tracteur qui a détruit l'asphalte et qui a recouvert de terre le trou peu profond. C'était une fosse commune pour des gens que leurs parents n'ont pas embrassés dans leur cercueil. Cela s'est produit parce que certains de ces mêmes soldats qui avaient assassiné auparavant ces 29 hommes bloquaient aussi toutes les sorties de cet hôpital. Soit dit en passant, le chef librement élu de mon peuple est coupé du monde extérieur et encerclé depuis 6 jours. Enfin, dans une autre petite ville appelée Bethléem, où Jésus Christ est né il y a 2002 ans, des dizaines de civils, des prêtres et des évêques ont été encerclés pendant deux jours dans l'Église de la Nativité. À quelques mètres de là, les cadavres de deux hommes tués par une canonnade gisent à leur domicile, au milieu des membres de leur famille, qui ne peuvent pas les sortir pour les enterrer.
Ce ne sont pas des scènes d'un film post-apocalyptique du genre de «Mad Max», il s'agit de la vraie vie, au troisième mois de la troisième année du 21ème siècle, et ces scènes se déroulent devant les caméras de CNN, Fox News, ABC, CBS, NBC, etc. Je vous écris de Palestine, autrefois terre de paix, et désormais le lieu d'une chaîne de ghettos, dont les habitants font régulièrement l'objet de répressions, tueries, exil et emprisonnement, jusqu'à ce qu'ils deviennent la dernière tribu à la dérive de ce nouveau siècle.
Je vous écris, Monsieur le Président, pour vous demander pourquoi des centaines de pays sur notre globe, les pays africains, arabes, asiatiques, européens, latino-américains, etc., ont tous tort quand ils disent que nous devrions vraiment obtenir ce que nous voulons: premièrement la levée du siège imposé à nos villes (que je viens de décrire) et finalement, la possibilité de mener une vie normale et libre, dans la dignité, dans notre pays. Je vous pose cette question, Monsieur Bush, parce que vous dirigez le seul pays au monde que les soldats qui sont dans mon quartier, ceux qui entourent l'hôpital de ma ville et ceux qui les ont envoyés ici au cours des 17 derniers mois, écouteront. Les gens de ma ville et les autres personnes comme eux ne bombardent la maison de personne avec des avions supersoniques, ils n'assiègent le domicile de personne et ils n'ont pas chassé toute une population civile il y a un demi-siècle. Même si, après 53 ans et 17 mois de répression, les plus désespérés d'entre nous commettent des actes de destruction suicidaires, nous voulons tous tout simplement être en mesure de mener une vie normale, simple, paisible et libre. Nous voulons pouvoir rouler pendant des kilomètres sur des routes sans obstacles, aller au concert dans une autre ville, oublier la politique, avoir des plans de carrière et des régimes de retraite, et célébrer dans la joie la fête de l'indépendance. Au lieu de me demander si ma fille ne va pas grandir et dire un jour: j'aurai pu être Palestinienne.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l'expression de ma très haute considération.
                               
2. Protestation contre le caractère scandaleux de l'émission "Mots croisés" par  Rudolf el Kareh
Jeudi 11 avril 2002 - A l'attention de Madame Geneviève Guicheney, Mediatrice de France Télévision <mediatrice@francetv.fr>
Chère Madame - Je me permets de vous écrire afin de vous faire part de mes sentiments et de mes observations à propos de l'émission "Mots Croisés" du 8 avril 2002, présentée par Mme. Arlette Chabot.
Universitaire, sociologue et écrivain, spécialiste notamment des medias, téléspectateur attentif, j'ai été extrêmement choqué à la fois par le contenu et par l'architecture de cette émission, ainsi que par l'ampleur des amalgames dont elle a été le support.
Ceci sans compter les propos insultants qui y ont été proférés sans vergogne et sans retenue, par une partie des invités. Ces derniers se sont trouvés confortés en fin de parcours par un véritable sentiment d'impunité assurés de ne trouver aucun contradicteur à leur mesure.
D'où vient ce sentiment d'avoir assisté à la mise en scène scandaleuse d'une représentation caricaturale de la réalité ?
D'une intime relation pervertie entre la forme et le fond, dans la construction même de l'émission. C'est dans cette relation que réside la source du malaise. Il y a beaucoup à dire sur la question. Je me limiterai aux observations suivantes :
Il est inadmissible de mettre "en balance" un plateau si outrageusement déséquilibré : MM Cukierman, Lévy et Arcady d'un côté, MM.Benazzi, Boutih et l'imam de Mantes la Jolie de l'autre.
Soit, d'une part, un philosophe de scène rompu à l'acrobatie télévisuelle, le représentant officiel de la communauté juive, et un cinéaste fortement engagé dans la défense de la politique israélienne.
Et, d'autre part, un rugbyman sympathique et fort sensé au demeurant, un militant intervenant non en tant qu'acteur politique et social, ce qui, au demeurant également, est fort légitime, mais l'est moins comme référent éthique et moral. Enfin un imam autoproclamé défenseur, "comme musulman", de la cause palestinienne. Au nom de quoi ? Au terme de quel mandat ? Et en vertu de quel principe l'identification des citoyens français se fait-elle, en l'occurrence, en fonction de leur appartenance religieuse et/ou de leur matrice communautaire ?
Laisser croire, ce qui fut le cas tout au long de l'émission (reportages superficiels à l'appui) que le débat politique à propos du Proche-Orient peut se résumer à un antagonisme communautaire primaire est proprement odieux. Il fait fi de toutes les diversités qui s'expriment de part et d'autre. Il assimile le soutien à la cause palestinienne à une sorte de "frustration des banlieues". Il occulte, surtout, la présence de tous les citoyens français qui se sont exprimés le 6 avril, pour défendre des valeurs universelles de droit et de justice, et non des crispations de type tribal.
Je me limiterai ici à ces deux observations, en espérant être en mesure de les développer d'abord avec vous puis dans le cadre de l'autorité de médiation qui est la vôtre. J'ajouterai simplement pour terminer, sans conclure, que les amalgames inadmissibles dont cette émission s'est faite, hélas, l'instrument, sont ceux-là et eux seuls, qui alimentent l'incendie des esprits. En vous priant d'agréer mes meilleurs sentiments.
                           
3. Le Parlement européen adopte le mercredi 10 avril 2002 une résolution qui soutient la suspension immédiate des accords d'association Union européenne / Israël
La résolution suivante sur le Moyen-Orient a été adoptée par le Parlement européen le mercredi 10 avril 2002, par 269 voix pour, 208 voix contre et 22 abstentions.
Le Parlement européen, vu sa recommandation au Conseil du 13 décembre 2001 ainsi que sa résolution du 7 février 2002 sur le Moyen-Orient et sa résolution du 20 mars 2002 sur le Conseil européen de Barcelone,
A. profondément choqué par la spirale de la tragédie humaine vécue par les populations israélienne et palestinienne,
B. convaincu que seul un retour à la table des négociations permettra de rétablir la perspective de la coexistence de deux États, Israël et la Palestine, dans un climat de paix et de sécurité,
C. gravement préoccupé par les affrontements qui ont lieu à la frontière avec le Liban et qui pourraient s'étendre à la région tout entière,
D. considérant que la poursuite du conflit au Moyen-Orient est une source de tension grandissante dans les pays arabes et entraîne une détérioration de la situation politique et économique internationale,
1. appuie les résolutions 1397, 1402 et 1403 du Conseil de sécurité de l'ONU demandant le retrait de l'armée israélienne des territoires palestiniens, y compris Ramallah; exige leur mise en œuvre complète et immédiate et l'arrêt de toute violence;
2. condamne vigoureusement tous les attentats-suicides aveuglément perpétrés par des terroristes palestiniens contre Israël; demande à l'Autorité palestinienne de redoubler d'efforts pour prévenir les actes de terrorisme;
3. condamne l'escalade militaire du gouvernement Sharon, qui viole les lois internationales et humanitaires et qui n'apportera aucune solution réelle aux attaques terroristes, et condamne l'oppression de la population civile palestinienne par l'armée israélienne ainsi que la destruction systématique des infrastructures en Cisjordanie;
4. signifie au gouvernement israélien que M. Arafat, le président démocratiquement élu de l'Autorité nationale palestinienne, doit pouvoir bénéficier de la liberté de mouvement et juge inacceptable l'assignation à résidence dont il est de facto l'objet;
5. condamne le refus du Premier ministre Sharon de permettre à une délégation de haut niveau de l'Union européenne de rencontrer le Président Arafat et est d'avis que le gouvernement israélien devrait tirer profit des efforts déployés sincèrement par l'Europe pour trouver une solution à la crise, y compris à la question du terrorisme; considère que le traitement injurieux réservé à la délégation de l'Union européenne marque un tournant dans les relations entre Israël et l'Union européenne;
6. souligne l'importance de la réunion, à Madrid, entre l'Union européenne, les États-Unis, la Russie et le Secrétaire général des Nations unies pour discuter de la situation actuelle et se félicite de l'initiative de la Présidence du Conseil; demande que des mesures soient envisagées en ce qui concerne l'envoi d'une force internationale d'interposition et d'observation dans la région sous l'égide des Nations unies; demande aux États membres, dès à présent, de préparer leur contribution à cette force;
7. demande au Conseil d'instaurer un embargo sur les livraisons d'armes en Israël et en Palestine;
8. demande au Conseil et à la Commission de convoquer d'urgence le Conseil d'association UE-Israël pour transmettre sa position au gouvernement israélien en lui demandant de respecter les dernières résolutions de l'ONU et de réagir positivement aux efforts déployés actuellement par l'UE pour parvenir à une solution pacifique au conflit; demande à la Commission et au Conseil, dans ce contexte la suspension de l'Accord d'association euroméditerranéen UE-Israël;
9. souligne la responsabilité spéciale des États-Unis dans la crise, essentiellement en raison de l'influence qu'ils exercent sur la politique israélienne et appuie la décision d'envoyer une délégation américaine de haut niveau dans la région en vue de rétablir les pourparlers entre les deux parties et de mettre un terme à la violence;
10. se félicite de l'acceptation par la Ligue arabe de la proposition saoudienne qui devrait constituer une base de discussion pour un accord de paix durable entre Israël et la Palestine, et invite le gouvernement israélien à reconnaître ce revirement dans l'attitude des États arabes à l'égard du conflit;
11. condamne vivement les actes d'antisémitisme récemment perpétrés en Europe, tels ceux commis contre des synagogues, des écoles et des cimetières juifs;
12. exprime son entier soutien aux Israéliens, aux Palestiniens et aux organisations internationales qui œuvrent pour la paix à tout niveau possible, y compris les réservistes israéliens qui refusent de servir dans les territoires occupés, et exprime en particulier sa sympathie et son soutien aux coalitions israélo-palestiniennes en faveur de la paix;
13. demande à Israël de garantir le libre-accès des médias aux territoires occupés et de permettre aux autorités diplomatiques et consulaires de l'Union européenne de prendre contact avec les ressortissants de l'Union dans la région;
14. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, au gouvernement et au Parlement d'Israël, au Président de l'Autorité nationale palestinienne et au Conseil législatif palestinien, au Secrétaire général des Nations unies, au Président et au Congrès des États-Unis ainsi qu'au Secrétaire général de la Ligue arabe.
                                   
4. Une lettre de Mohammad Al-Said, Secrétaire général, de la Patient’s Friend Society, Hôpital Al-Amal de Jenin
[traduit de l'anglais par
Francoise Diehlmann]
Le 7 avril 2002 - Chers amis, nous souhaitons ainsi vous dresser un tableau de la situation de Jénine, notre ville. Comme vous le savez notre ville, Jénine, et son camp sont attaqués depuis plusieurs jours par l’horrible armée et occupation israélienne. Toutes les institutions médicales et de santé dans notre ville vivent une situation tragique et difficile. Toutes ces institutions médicales manquent d’équipements médicaux, de médicaments et de nourriture. Beaucoup de maisons dans notre ville ont été pratiquement détruites ou incendiées. Même notre institution médicale « Al-Amal Hospital » a été attaquée sur ses parties Sud et Est par l’armée israélienne. Cette attaque a conduit à la destruction des canalisations d’eau et de salles dans l’hôpital, y compris le bloc opératoire. En dépit de la situation politique difficile, le personnel et els équipes médicales sont prêts à toutes les situations d’urgence 24 heures sur 24. Une personne de notre équipe qui est une infirmière-sage femme a été blessée et tuée le premier jour de l’attaque, le mercredi 3 avril durant son activité dans un dispensaire mobile « une de nos unités d’urgence ». Elle s’apelle Fadwa Janmal. Elle est de Toulkarem, du camp de Nour-shams. Cette occupation provoque un grand nombre de morts et de blessés qui ne cesse d’augmenter, car l’armée israélienne n’autorise pas les ambulances à aider les blessés dont la majorité sont dans la rue à même le sol en train de mourir dans aide. Il est difficile de trouver les mots pour décrire la situation ici dans la ville et le camp de Jénine, beaucoup de gens meurent sous les décombes de leurs maisons. Comme l’armée israélienne trouve qu’arrêter les ambulances qui viennent en aide aux blessés ne suffit pas, elle attaque et brûle les magasins et les maisons. Pendant que je vous écris cette lettre, je viens d’apprendre que l’armée israélienne vient d’autoriser aux ambulances du croissant de transporter les blessés et les morts du camp de Jénine vers les hôpitaux, mais sous certaines conditions :
1. Toutes les ambulances doivent être contrôlées par l’armées israélienne avant d’entrer et de sortir du camp de Jénine
2. Chaque mort et blessé recherché doit être remis à l’armée israélienne
3. Une liste comportant les noms des morts et des blessés doit être remise à l’armée israélienne.
Si les ambulances n’acceptent pas ces conditions, l’armée israélienne ne les autorisera pas à aider les gens. Dans le même temps, elle ne permettra pas aux ambulances qui ne remplissent pas ces trois conditions de faire leur travail. Finalement, nous aimerions dire que dans le passé, nous étions terrifier à l’idée d’entendre le son des ambulances. Mais aujourd’hui, au contraire nous sommes heureux de les entendre, car cela signifie qu’elles répondent aux cris d’appel. Nous voulons envoyer à tous nos frères de par le monde un appel à l’aide et espérons qu’ils nous enverront toute l’aide possible.
Sincèrement,
[Mohammad Al-Said - Contact : Tél  : 00 972 4 2503732 / 2502121 (fax également) Mobile : 00 972 59 202929 E-mail : pfsjenin@pfsjenin.org]
                                       
5. Un sermon de Richard Wertenschlag, Grand Rabbin de Lyon, au début de l'année 2002
“Le vin est en deuil, la vigne est contristée, tous ceux qui avaient le coeur joyeux soupirent. Adieux les gais tambourins, adieu la joie bruyante de ceux qui s’amusaient, adieu le plaisir de la harpe ! On ne boit plus de vin, en chantant, les liqueurs fortes ont un goût amer pour les buveurs. Elle est brisée, la cité promise au désordre, toute demeure est close, rendue inaccessible. Tout plaisir est voilé de tristesse, la gaîté est bannie de la Terre. Dans la ville, il ne reste que la désolation, les portes sont fracassées et réduites en ruines.” Paroles du prophète Isaïe (24, 7-13). Le Midrash de commenter [citation en hébreu] pourquoi le texte biblique n’emploie pas le terme usuel la joie ‘a cessé’ [verbe hébreu] mais la joie ‘a sombré dans l’obscurité’ la plus compacte, à l’image d’une nuit sans la moindre lumière, sans le moindre éclairage, sans la moindre éclaircie [citation en hébreu].
Nous sommes dans cet état d’esprit. Au lendemain de la création de l’Etat juif, après cinq guerres de défense menées victorieusement, après la construction prodigieuse d’un pays né d’un désert, nous étions heureux, fiers de ses résultats extraordinaires. Il avait rejoint les pays les plus développés de la Planète, au niveau de sa technologie, de son armement de pointe, de son agriculture, un modèle du genre. Ses kiboutznikim, ses paysans, ses soldats valeureux avaient fait l’admiration du monde entier et balayaient d’un seul coup les préjugés antisémites séculaires. Ses villes, ses autoroutes en faisaient un coin d’Amérique au Proche-Orient. Tout ce beau rêve qui se réalisait sous nos yeux allait subitement être souillé par le venin des nations. La source de notre fierté devenait de plus en plus la source de notre opprobre. Le cultivateur talentueux et efficace était présenté désormais comme un colon nanti, voleur de terres, au milieu de populations indigènes vouées à la misère. Le jeune soldat patriote prenait les traits d’une brute dotée d’un armement suréquipé, assassinant des gamins ne disposant comme seules armes que de pierres. Les kamikazes devenaient des héros, des despérados, donnant leur vie pour la création de leur futur Etat.
Tous nos arguments ne sont plus pris en compte. Ils ont des oreilles et n’entendent plus. Ils ont des yeux et ne voient plus. Ils ne veulent plus s’apitoyer sur nos drames, sur nos malheurs, sur nos victimes innocentes, tuées ou mutilées, jour après jour. Israël était prêt à consentir des sacrifices énormes pour faire la paix avec ses voisins. Personne ne veut s’en souvenir. Mais ceux-ci n’ont donné comme seule réponse que le massacre quotidien d’un maximum de Juifs sur la terre d’Israël. Depuis des décennies, nous avions crû que c’était le seul pays au monde où nous étions définitivement à l’abri de toute agression. Aujourd’hui, même ses chars surpuissants ne sont plus à l’abri d’attentats. Nous n’aurions pas dû nous en étonner depuis les événements du 11 septembre qui nous auront appris l’extrême vulnérabilité de nos remparts, y compris ceux du Pentagone.
Tous les jours, nous nous réveillons en nous demandant que va-t-il encore tomber sur nos têtes. Quelles mauvaises nouvelles devrons-nous affronter ? Des frères, des soeurs, des enfants, des vieillards déchiquetés en un instant, un trépas rencontré brutalement au coin d’une rue, à la sortie d’une synagogue de Méa Shéarim, au milieu des danses d’une discothèque, ou dans une salle de mariages ou de barmitzva, en voiture sur une route d’Israël, dans un autobus en plein centre, dans une cafétéria d’une rue piétonne, ou dans une école ? Des vies fauchées, des blessures et des handicaps jamais cicatrisés, laissant des familles dans l’affliction et dans un malheur que plus rien ne pourra faire oublier. Sur qui pouvons-nous compter ? Où sont les gardiens de nos cités ? Pourquoi n’ont-ils pas pu prévenir ces drames ? Et pourtant, combien d’autres innombrables ont été évités sans que nous le sachions. Combien de miracles ont sauvé de vies humaines ! Que devons-nous faire pour sortir de ce cauchemar et ne plus compter sur la chance et les miracles quotidiens ? Lorsque Jacob sortit à la rencontre d’Esaü, il envisagea trois moyens pour venir à bout de son adversaire : les cadeaux, la guerre et la prière. Israël a offert sans la moindre gratitude l’autonomie à ses adversaires, s’est séparée de villes bibliques si chères à sa mémoire, de Jéricho à Hébron, et de Bethléem à Sichem, l’actuelle Naplouse. La guerre, à travers ses expéditions punitives, au lieu de réduire les foyers terroristes, a eu comme résultat de radicaliser davantage les populations, devenues, si elles ne l’étaient déjà, de plus haineux vis-à-vis de l’Etat juif ? Quel recours nous reste-t-il, la prière ? Nos certitudes sont ébranlées. Nous sommes conduits à constater que nous ne pouvons compter comme seul appui, et Il est de taille, Avinou Chébachamaym, notre Père céleste, le Rocher et gardien éternel d’Israël. Nous sommes comme devant un malade gravement atteint. Tous les remèdes, toutes les opérations sont sans résultats. Le médecin se tourne vers le rabbin. La balle est dans votre camp. Nous avons la conviction qu’à l’image de l’époque de Mardochée et d’Esther, votre jeûne, vos prières et vos bonnes actions pourront aider à changer le cours de l’Histoire.
Depuis la destruction du Temple de Jérusalem, la véritable allégresse a disparu de toute la terre. Mais lorsque le S. béni soit-Il reconstruira Jérusalem (bientôt, nous l’espérons). Il ramènera la joie en son sein. “Ainsi l’Et. A consolé Sion, a consolé toutes ses ruines ; il a transformé son désert en Eden, sa solitude en jardin divin. Dans son sein règneront la joie et l’allégresse, les actions de grâce et la voix des cantiques.” (Isaïe 51,3).
Cette vision de consolation nous donne cette force d’espérer en des lendemaines radieux et lumineux, où l’ennemi ne nous forcera plus jamais à (le - mot effacé) tuer, même au nom de la légitime défense, pour sauver notre propre vie. Il acceptera enfin notre droit à l’existence, y compris sur la terre de nos ancêtres, sur les traces de nos Patriarches, les Avot.
                                   
Revue de presse 
                                           
1. Lettre ouverte au général Sharon par Breyten Breytenbach
in La Libre Belgique (quotidien belge) du vendredi 12 avril 2002

(Breyten Breytenbach est un écrivain sud-africain (1) membre du Parlement international des écrivains.)
Monsieur, vous ne me connaissez pas. Il n'y a aucune raison pour cela et peu de chances que vous écoutiez ce que quelqu'un comme moi peut avoir à dire. Je ne pense pas que vous ayez le temps de prêter attention à des points de vue qui ne correspondent pas au vôtre. En fait, je suis persuadé que vous n'écoutez pas ceux qui ne disent pas ce que vous souhaitez entendre.
Au cas où cela vous intéresserait, je suis un écrivain sud-africain et je vis et travaille à l'étranger. Il y a quelque temps, j'ai aussi vécu parmi un peuple élu qui se conduisait comme un Herrenvolk - comme tous ceux qui croient que la souffrance les a singularisés ou que Dieu leur a confié une mission particulière.
Je m'excuse si mon allusion à Israël comme Herrenvolk peut blesser à cause des échos d'un passé récent quand, en Europe, tant de Juifs ont été les victimes de la `solution finale´. Mais comment décrire autrement le comportement de votre armée quand l'horreur de ce que vous faites nous submerge?
Ces équivalences brutales ne sont pas faites à la légère. En tant qu'écrivain, je sais très bien qu'il est nécessaire de ne pas se servir des mots pour faire naître des émotions faciles. C'est ce qu'entraînent les comparaisons hâtives - elles annulent toute compréhension de la complexité des phénomènes observés par la montée de la violence qui échauffe la gorge et souille l'adversaire avec des vomissures d'une condamnation empruntée à une autre situation. L'apartheid n'était pas le nazisme, mais le dire était un slogan frappant. Et la politique menée actuellement par les forces israéliennes contre le peuple palestinien ne doit pas être mise sur le même plan que l'apartheid. Chacun de ces processus et de ces systèmes est assez mauvais pour mériter l'analyse complète de sa singularité historique.
Et cependant, il y a des similitudes et des différences: cette compétition aveugle de chaque camp, pour être reconnu comme plus-victime-que-l'autre; le fait de masquer vos atrocités avec le droit sacro-saint de légitime défense; la manipulation éhontée de la sensibilité et du mensonge; la déshumanisation parallèle de votre propre société; le mépris de l'humanité des Palestiniens - en fait le refus du traitement humain le plus élémentaire d'un population civile prise au piège.
Tout cela n'est que trop familier. Les hypothèses qui sont à la base de vos actions, sont racistes. Comme c'était le cas avec le régime sud-africain, les méthodes par lesquelles vous espérez soumettre l'ennemi se résument à l'utilisation de la force, aux bains de sang et à l'humiliation. Vous pensez de façon cynique que vous pouvez vous en tirer tant que vous allez dans le sens supposé des intérêts vitaux des Etats-Unis. Je pense que vous vous moquez comme d'une figue de Jaffa des intérêts des américains. Vous devez sans doute les mépriser à cause de leur matérialisme grossier et de leur ignorance du monde. C'est vrai, votre vendeur de voitures d'occasion, Netanyahou, a utilisé plus ouvertement encore cette technique de propagande grossière, comme s'il avait été un doigt sale en train de tordre le clitoris d'une opinion publique américaine en pâmoison.
Mais vous aussi, en faisant écho de façon tout à fait opportuniste au défi du président américain (et en reprenant ses propres mots) qui décrit tout autre comme un terroriste, vous avez montré que vous preniez le reste du monde pour des imbéciles. Nous ne sommes assurément pas tous d'accord pour reconnaître que ce qu'il y a de mieux dans le monde c'est l'appétit des Etats-Unis pour un pétrole bon marché, et pour qu'on attende de nous une adhésion à l'inviolabilité des régimes corrompus de la région!
Il faut analyser tout de suite une autre diversion pernicieuse. Il est bien connu que toute critique de la politique d'Israël est l'expression d'un antisémitisme. Cette affirmation clôt définitivement toute discussion. Bien sûr, je rejette cette tentative de censure qui supprime toute base de débat. Aucune souffrance - que ce soit celle des Tutsis, des Kurdes, des Arméniens, des Vietnamiens, des Bosniaques ou des Palestiniens- n'exonère de la critique. (Et pour dire les choses tristement, quelle que soit la persécution subie, cela ne vaccine pas un peuple et ne l'empêche pas de perpétrer à son tour les pratiques dont il a souffert.) Aucune référence à la soi-disant promesse par un Dieu d'une terre sacrée ne peut justifier les exactions commises par une armée d'invasion et d'occupation - ni les massacres d'innocents perpétrés de sang-froid, ordonnés par des seigneurs de guerre fanatiques au nom de la résistance. Aucune référence à quelque sacro-saint Grand Israël ne peut dissimuler que vos colonies sont des enclaves armées construites sur une terre effrontément volée aux Palestiniens, et qui suppurent comme des morceaux de verre plantés dans leur chair, ou des nids de snippers dont le but est de contrecarrer et d'annuler toute possibilité de paix par une annihilation de l'autre, comme il n'existe aucun paradis pour les martyrs.
Je trouve cette allégation d'antisémitisme parfaitement déplorable, en particulier quand elle vient d'intellectuels Juifs qui, si souvent, constituent l'épine dorsale raisonnable, rationnelle et créatrice des sociétés occidentales. Pourquoi devrions-nous être soumis à ce plaidoyer particulier, ou détourner le regard quand Israël commet des crimes? Est-ce que selon Yahwe, ce qui est bon pour l'un ne l'est pas pour l'autre?
Non, général Sharon, les injustices subies dans le passé ne justifient ni n'excusent vos actes fascistes actuels. On ne peut pas construire un Etat viable sur l'expulsion d'un autre peuple qui a autant de droits que vous sur ce territoire. La puissance n'est pas le droit. A long terme, votre politique immorale et à courte vue (et en définitive stupide) ne fera qu'affaiblir un peu plus la légitimité d'Israël en tant qu'Etat.
Récemment, j'ai eu l'occasion de visiter les Territoires pour la première fois. (Oui, j'ai peur de dire qu'on peut raisonnablement les décrire comme des bantoustans - car ils rappellent trop souvent les ghettos et les camps de la misère qu'on a connus en Afrique du Sud.) Je n'ai vu Israël que rapidement, en arrivant et en partant, après avoir passé une nuit dans l'Hôtel Intercontinental David de Tel Aviv, luxueux mais sombrement désert. Vous pouvez dire que j'ai une vue unilatérale. Peut-être. Bien que, sur la rive occidentale, on ne soit jamais très loin des lignes de démarcation israéliennes, des points de contrôle, des tanks et des avant-postes armés.
Vos deux peuples sont-ils aussi différents, me suis-je demandé. Vous êtes un mélange similaire de diverses cultures et origines, vous êtes tous deux un peuple de la diaspora, vous êtes également intelligents, vous avez l'esprit vif et vous êtes prompts à vous enflammer. Vous pouvez vous montrer courageux dans des situations semblables. De chaque côté il y a des esprits créatifs d'une intégrité exceptionnelle dans leur travail. De chaque côté, aussi, il y a un nombre extraordinaire d'individus égoïstes, assoiffés de pouvoir, des fanatiques à l'esprit obscurci par les inepties divines. Ou qui l'utilisent comme prétexte.
En tant que provocateur - cruel et de sang-froid- vous vous distinguez parmi vos pairs. Dans vos tentatives obstinées mais mal réfléchies pour ruiner les accords précédents et pour saboter toute possibilité de paix -sauf la paix des cimetières ou de l'exil, fondée sur le transfert total ou la disparition de l'entité palestinienne- vous êtes en train de créer le désordre dans la région. Vous l'avez sans aucun doute planifié. Il reste à voir si les grognements de vos patrons de Washington infléchiront votre campagne de terreur calculée et de destruction absurde -ou si ce n'est qu'un écran de fumée derrière lequel aligner la guerre du monde libre contre le terrorisme. Et pour s'assurer la domination des ressources et un contrôle total des marchés, du pétrole peu cher et de la démocratie.
Les quelques jours que j'ai passés là-bas, avec la délégation du Parlement international des écrivains, m'ont laissé un ensemble d'impressions fortes mais contradictoires. Comme la Palestine est petite! Comme vos deux peuples sont inextricablement mêlés! Des pierres partout. La topographie des noms familiers venus de la Bible. La beauté de la lumière. Les tentatives pour rendre l'endroit semblable à la Suisse en y plantant des conifères exotiques. L'inhospitalité du pays, sauf dans les plaines côtières luxuriantes. L'immense tristesse des villages qui ne sont pas sans rappeler les villes apathiques et sans vie d'Allemagne de l'Est. La lumière verte des mosquées et toutes les habitations inachevées. Partout, la laideur de l'architecture - les immeubles de calcaire gris clair omniprésents. L'ineptie de votre occupation - toutes ces routes de contournement très bien éclairées à l'usage exclusif des colons et des citoyens israéliens. La mesquinerie hargneuse de vos contrôles aux check-points, qui n'ont que peu de rapport avec la sécurité mais qui répondent à un besoin primaire d'humilier, de frustrer, de harceler et de rendre folle de rage une population occupée. L'extrême jeunesse de vos soldats qui, tristement, sont des jeunes gens qui ont fait de bonnes études. La violence avec laquelle vous détruisez une économie palestinienne possible, et avec laquelle vous volez leurs biens. La vieille vengeance - la destruction des maisons au bulldozer, l'arrachage des oliviers. Le spectacle primitif de positions armées sous camouflage et de drapeaux israéliens sur des bâtiments de commandement. Vos médias démocratiques tellement vantés qui mentent à votre peuple, qui nient les crimes de guerre commis par vos soldats. Le mur de Berlin autour de vos colonies de Gaza (et derrière, des universités, des instituts de recherche, des hôtels de chaînes américaines, des terrains de golf), et les décombres des quartiers palestiniens détruits qui ressemblent aujourd'hui au `ground zéro´ de New York. La façon dont les gosses nous regardent droit dans les yeux, absolument pas effrayés, mais on nous dit qu'ils sont sans doute traumatisés non seulement par les menaces que font planer vos hélicoptères, vos tanks préhistoriques et vos hommes en uniforme qui tirent sur tout ce qui bouge, mais aussi par tous les adultes hyperactifs qui sont autour d'eux. Les vieilles femmes avec un foulard dans certains camps de réfugiés, qui crient que vous, Sharon, vous ne les ferez jamais partir, qu'elles ont chassé vos soldats `comme des chiens´. Qui dénoncent la mollesse des Etats arabes et la lâcheté de l'autorité palestinienne. L'extraordinaire activité des intellectuels et des artistes pendant le siège de Ramallah - discutant, riant de leur propre situation lamentable. La façon dont ils disaient: `Nous ne voulons pas être des héros, nous ne voulons pas être des victimes, nous voulons seulement mener une vie normale.´ Leur désespoir désabusé. Mahmoud Darwich: `Il y a trop d'histoire et trop de prophètes dans ce si petit pays.´ La visite à Abou Amar, Yasser Arafat, un renard dans son terrier, ses mains jaunes comme de la cire appelant dans une étreinte vide une `paix des braves´ et `à la conscience de la communauté internationale´. Une bourgeoise se lamentant sur la profanation du paysage palestinien. Et un avocat des droits de l'homme proclamant: `Nous remercions Ariel Sharon pour deux choses - il a uni toutes les factions palestiniennes, et il ne nous a pas laissé d'autre choix que de résister.´ Plus tard, le même homme, qui fume cigarette sur cigarette et qui a déjà la sueur de la mort sur lui, remarque amèrement que maintenant les gens ont la répression dans la peau et qu'ils n'ont plus rien d'autre pour se défendre que leur peau. D'où les bombes humaines.
Voici quelles sont mes conclusions contrastées: vous n'avez pas brisé l'esprit du peuple palestinien. Bien au contraire - Les Palestiniens sont maintenant plus résolus que jamais à construire un Etat, peu importe que vous les persécutiez. Ils ont vu le renouvellement de l'agression, ils ont su que vous ne faisiez que du pied au général Zinni -sans doute avec l'accord de Dick Cheney. Ils savent aussi que, puisque vous les avez rendus plus forts, vous devrez frapper plus durement et plus profondément, parce que vous êtes coincé dans une impasse dont vous êtes responsable. Comme Bush dans sa croisade contre les infidèles et les désobéissants, vous devez augmenter votre distance d'avec l'éthique publique internationale, étaler encore plus de bon sens et jeter du bon argent moral après tant de fausses évaluations politiques. Ils savent que rien de ce qu'ils peuvent faire n'est capable de vous apaiser. Ils craignent que vous ayez à vous arranger avec ce crime contre l'humanité que vous êtes en train de commettre, que vous réussissiez à briser leur espoir d'un Etat laïc, moderne et démocratique, responsable devant sa population, et que vous ameniez le démon parmi eux. Ils savent aussi que cette volonté divise et affaiblit profondément Israël. Mais vous vous en moquez, n'est-ce pas ? C'est ce qui est triste et horrible.
Traduit de l'anglais par Jean Guiloineau. Parlement international des écrivains / nternational Parliament of Writers Web http://www.autodafe.org
(1) A passé 7 ans dans les prisons en Afrique du Sud accusé d'acte terroriste contre l'Etat. Exilé en 1982. A écrit notamment `Confession véridique d'un terroriste albinos´ (Stock), `Retour au paradis´ (Grasset, 1993)
                       
2. Au-delà du massacre par Edward Said
in Le Monde du vendredi 12 avril 2001
La fixation incontrôlée de Sharon sur Arafat et sur le terrorisme ne fait rien d'autre que d'accroître le prestige de son adversaire, et de mettre en lumière ce que sa position a d'aveugle et de dément.
Quiquonque a des liens avec la Palestine éprouve aujourd'hui colère et consternation. La guerre coloniale totale contre le peuple palestinien dans laquelle Israël vient de se lancer avec le soutien de George Bush, dont l'incompétence et les contradictions laissent pantois, semble répéter ce qui s'était passé en 1982. Mais elle est bien plus grave que les précédentes invasions de 1971 et 1982. Car, aujourd'hui, le climat politique et moral est devenu plus brutal et plus simpliste. Les médias ont accentué leur travail de sape en faveur de la version israélienne des choses, focalisant l'attention sur les attentats-suicides, soigneusement isolés du contexte des trente-cinq ans d'occupation des territoires palestiniens en violation du droit international. La "guerre contre le terrorisme" a envahi l'actualité mondiale. Le monde arabe est plus inconsistant et éclaté que jamais.
Tout cela, si le mot convient, n'a fait qu'exalter et déchaîner les instincts meurtriers de Sharon. Il peut faire beaucoup plus de mal et plus impunément qu'avant. Mais cela signifie aussi que ses entreprises sont vouées à l'échec, et toute sa carrière politique menacée de faillite, tant il est vrai que l'obstination dans la destruction et dans la haine ne conduit jamais ni au succès politique ni même à la victoire militaire. Des conflits entre peuples comme le conflit israélo-palestinien recèlent plus d'éléments déterminants qu'on n'en peut éliminer avec des tanks et des avions, et quelle que soit l'insistance avec laquelle Sharon continue de claironner ses incantations dénuées de sens contre le terrorisme, une guerre contre des civils désarmés ne produira pas le résultat politique durable dont il rêve. Les Palestiniens ne partiront pas. Et Sharon a toutes les chances de finir honni et rejeté par son peuple. Son seul projet est de détruire tout ce qui touche à la Palestine et aux Palestiniens. Sa fixation incontrôlée sur Arafat et sur le terrorisme ne fait rien d'autre que d'accroître le prestige de son adversaire, et de mettre en lumière ce que sa position a d'aveugle et de dément.
Au bout du compte, Sharon est le problème des Israéliens, ce n'est pas le nôtre. Ce qui nous importe avant tout, désormais, c'est de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour assurer la suite, en dépit de l'immensité des souffrances et des destructions qu'une guerre criminelle nous fait subir. Quand un homme politique, retiré des affaires, aussi connu et respecté que Zbigniew Brzezinski, déclare à la télévision qu'Israël se comporte comme le régime raciste d'Afrique du Sud, on peut imaginer qu'il n'est pas seul de son avis, et qu'en Amérique et ailleurs de plus en plus de gens sont déçus et même dégoûtés de la façon dont Israël joue les avant-postes de la puissance américaine. Les Israéliens pompent beaucoup trop d'argent, ils isolent les Etats-Unis diplomatiquement, ils nuisent sérieusement à la réputation morale de la nation américaine auprès de ses alliés et de ses propres citoyens. Mais dans la détresse qui est aujourd'hui la nôtre, la question est aussi de savoir ce que nous, Palestiniens, avec notre raison, pouvons conclure de la crise pour en nourrir nos projets d'avenir.
Ce que je voudrais proposer maintenant n'a aucune prétention à l'exhaustivité, mais c'est le fruit d'années d'engagement pour la cause palestinienne, venant de quelqu'un qui appartient justement aux deux mondes : le monde arabe et le monde occidental. Les quatre points sur lesquels je veux insister, liés entre eux, ne couvrent pas tout. Ils sont ma modeste contribution à notre réflexion commune dans cette heure difficile.
1. pour le meilleur et pour le pire, la cause palestinienne n'est pas seulement une cause arabo-musulmane, elle est devenue cruciale pour plusieurs mondes différents, mutuellement conflictuels mais entrelacés. Agir pour la Palestine impose de prendre conscience de cette complexité et d'en réfléchir soi-même les différents aspects. Il nous faut pour cela des dirigeants d'un haut niveau d'instruction, de vigilance, d'intelligence, et qui jouissent d'un large soutien démocratique. Il faut, comme Nelson Mandela ne s'est jamais lassé de le répéter à propos de son propre combat, avoir la conscience du fait que la Palestine est l'une des grandes causes morales de notre temps, qui exige d'être défendue comme telle. Il ne s'agit pas de marchander, de trouver d'habiles compromis, ou de faire carrière. Il s'agit pour les Palestiniens de se hisser à la hauteur de leur propre cause, et de s'y maintenir.
2. La puissance a plusieurs formes, et la forme militaire n'est que l'une d'entre elles. Si l'Etat d'Israël a pu faire ce qu'il a fait aux Palestiniens depuis cinquante-quatre ans, c'est grâce à une campagne d'opinion permanente, scientifiquement organisée, destinée à légitimer les actes des Israéliens, tout en noircissant et en occultant les actes des Palestiniens. Il ne s'agit pas ici de l'entretien d'une puissante armée, mais du conditionnement de l'opinion publique, en particulier aux Etats-Unis et en Europe occidentale. Un tel pouvoir a été acquis par un travail de longue haleine, portant méthodiquement sur les points qui permettent de favoriser l'identification avec les positions israéliennes et de présenter les Palestiniens comme des gens dangereux et répugnants, qui menacent Israël et qui par conséquent "nous" menacent. Depuis la fin de la guerre froide, l'importance de l'Europe en termes de formation de l'opinion par l'image et par les idées est devenue pratiquement insignifiante. C'est l'Amérique qui est le champ de bataille (hors de la Palestine elle-même). Or nous n'avons tout simplement jamais compris l'importance d'un travail politique de masse, systématiquement organisé, dans ce pays, en sorte que par exemple l'Américain moyen cesse de penser immédiatement "terrorisme" quand le mot "Palestinien" est prononcé. Pourtant, seul ce type de travail protégerait, au sens strict du terme, les victoires que nous remportons sur le terrain dans notre résistance à l'occupation israélienne.
Ce qui a assuré l'impunité à l'Etat d'Israël, c'est donc le fait qu'aucun mouvement d'opinion pour notre défense ne soit en mesure d'arrêter Sharon au moment de commettre ses crimes de guerre sous le prétexte de "combattre le terrorisme". Quand on voit la puissance insidieuse et universelle qu'exercent les émissions diffusées par CNN, par exemple, dans lesquelles l'expression "attentat-suicide" répétée des centaines de fois par heure glace d'effroi le consommateur et contribuable américain, on se dit que c'est une négligence impardonnable de ne pas avoir demandé à des gens comme Hanane Ashraoui, Leïla Shahid, Ghassan Khatib ou Afif Safié, pour n'évoquer qu'un petit groupe d'intellectuels palestiniens, de s'installer à Washington et d'y être prêts à venir sur CNN ou sur d'autres chaînes pour raconter l'histoire de la Palestine, restituer le contexte et les éléments de compréhension nécessaires, et nous assurer une présence morale, un poids de récit qui nous valorise au lieu de nous dévaloriser sans cesse - rien de plus, mais rien de moins. Dans l'avenir, il nous faudra des dirigeants qui comprennent cette leçon élémentaire de la politique moderne à l'âge des mass media audiovisuels. Ils ne l'ont pas compris et cela fait partie de la tragédie actuelle.
3. Dans un monde que domine une seule superpuissance, les Etats-Unis d'Amérique, on ne peut agir politiquement de façon responsable si on n'a pas une profonde intelligence de ce qu'est cette superpuissance, si on ne connaît pas bien son histoire, ses institutions, ses luttes politiques, sa culture. Et surtout si on ne maîtrise pas bien sa langue. A entendre nos porte-parole et ceux des autres nations arabes énoncer les pires âneries sur l'Amérique et se placer eux-mêmes à sa merci, tantôt la couvrant d'anathèmes, tantôt l'appelant au secours, toujours dans un anglais trébuchant et déficient, c'est à pleurer devant tant d'incompétence. L'Amérique n'est pas tout d'une pièce. Nous y avons des amis, ou des amis en puissance. Nous pouvons cultiver, mobiliser nos communautés et les communautés proches de nous pour en faire un moyen de notre politique de libération, comme firent les Sud- Africains dans le monde, ou les Algériens en France pendant leur guerre de libération. Il nous faut des plans, de la discipline, de l'organisation. Nous n'avons rien compris à la politique de la non- violence. Et nous avons moins compris encore le pouvoir que nous conférerait le fait de nous adresser directement aux Israéliens, comme l'ANC s'est adressée aux colons blancs d'Afrique du Sud, dans un langage d'acceptation et de respect mutuels. A la politique d'exclusion et de guerre des Israéliens, il nous faut répondre par une politique de coexistence. Il n'y a là aucune reculade, mais un effort pour créer des solidarités, pour isoler les purificateurs, les racistes, les intégristes au sein de leur propre peuple.
4. La plus importante des leçons que nous devons tirer de la tragédie pour nous-mêmes, c'est ce qu'Israël est en train de faire dans les territoires occupés qui nous l'enseigne. Le fait est que nous sommes bel et bien un peuple, une société, et malgré les attaques sauvages de l'Etat d'Israël contre l'Autorité palestinienne cette société n'est pas morte. Nous sommes un peuple parce que notre société continue de vivre, comme elle a continué de vivre depuis cinquante-quatre ans, malgré toutes les violences, toutes les vicissitudes cruelles de l'Histoire, tous les revers de fortune, toutes les tragédies auxquelles notre peuple a été exposé. C'est là notre plus grande victoire sur Sharon : lui et ses semblables sont incapables de le voir, c'est pourquoi ils sont condamnés en dépit de leur puissance et de leur inhumanité. Nous avons surmonté le souvenir des tragédies de notre passé, à la différence d'Israéliens comme Sharon. Il mourra comme un massacreur d'Arabes, comme un politicien failli qui n'a su apporter à son peuple qu'un surcroît d'insécurité et de danger, là où l'honneur d'un dirigeant politique est de transmettre à ses successeurs des acquis sur lesquels les nouvelles générations puissent construire. Sharon, Mofaz et les autres organisateurs de cette campagne sadique d'intimidation et de carnage n'auront laissé que des tombes. Le néant engendre le néant.
En tant que Palestiniens nous pouvons dire, je crois, que nous laissons derrière nous un espoir et une société qui auront survécu à toutes les tentatives de les tuer. Ce n'est pas rien. A la génération de nos enfants maintenant - les miens, les vôtres - d'aller au-delà, avec esprit critique, avec raison, avec espoir, avec endurance.
[Traduit de l'anglais par Etienne Balibar. Cet article est paru dans "Al-Ahram Weekly".]
                                       
3. Des lendemains difficiles pour l'image d'Israël par Sylvain Cypel
in Le Monde du vendredi 12 avril 2001
Les images montrant la dimension des destructions et le nombre des victimes civiles palestiniennes feront bientôt le tour du monde. Alors, craint "Yédiot Aharonot", Israël risque de se retrouver au banc des accusés.
Depuis le début de l'opération "Mur de protection", l'opinion publique israélienne, exaspérée par la multiplication des attentats-suicides palestiniens, a, dans son immense majorité, soutenu la décision du premier ministre Ariel Sharon d'investir les territoires occupés dans le but de "se débarrasser des infrastructures du terrorisme".
Dans un vaste élan de patriotisme, de très nombreux citoyens se sont portés volontaires, qui pour rejoindre une unité de réserve combattante, qui pour "aider", d'une manière ou d'une autre, au succès de la campagne militaire. Reflets de cette opinion, quand ils ne la précédaient pas, les médias radiotélévisés israéliens publics et les quotidiens populaires ont rivalisé de patriotisme, acceptant sans regimber la décision de Tsahal d'éloigner journalistes et cameramen des villes investies, décrétées "zones militaires fermées". Mardi 9 avril, trois faits ont commencé de faire tourner le vent. D'abord, l'intensité exceptionnelle des frappes sur le camp de réfugiés de Jénine. Ensuite, la mort de treize réservistes, tombés d'un coup dans une embuscade meurtrière. Enfin, le soir, pour la première fois, la télévision a montré au pays des images, terribles, des destructions dans la ville de Naplouse.
Mercredi matin, les éditorialistes du quotidien Yédiot Aharonot ont, pour la première fois également, manifesté quelques inquiétudes. Ainsi Alex Fishman, le spécialiste militaire du journal, a-t-il exprimé l'inquiétude que le secrétaire d'Etat américain "Colin Powell reparteen nous laissant seuls avec les chèques en blanc que distribuera Arafat et avec le nouveau mythe du Jéninegrad. Ce mythe va nous coûter cher, dès les jours à venir, lorsque les images des destructions dans le camp de réfugiés commenceront d'être diffusées dans le monde entier".
Sa consœur Sima Kadmon, qui est éditorialiste politique, se montre encore plus catégorique. "Pendant que l'on comptera nos morts, les Palestiniens montreront au monde entier les images de leurs morts à eux. Et si, jusqu'à présent, nous n'avons entendu parler que de grands succès, à partir de maintenant nous allons aussi entendre parler de nos bavures", a-t-elle écrit. Et de poursuivre : "Le sentiment difficile quant au nombre de morts, les photos aériennes des camps de réfugiés surpeuplés [bombardés], les images et les rapports qui nous attendent nous ramèneront à une autre époque." Laquelle ? Celle du Liban, bien sûr, en 1982, la précédente "guerre" dont le général Sharon avait été le grand ordonnateur.
LE PRÉCÉDENT LIBANAIS
Le Liban, tel est aussi le souvenir, avec l'épisode cauchemardesque du massacre des camps palestiniens de Sabra et de Chatila, commis par les milices chrétiennes alliées de l'Etat hébreu, qu'agite Nahoum Barnéa, principal éditorialiste de Yédiot.
"Lorsque l'armée sortira des villes, les Palestiniens chercheront à en faire payer le prix à Israël. Ils ont l'intention, pronostique-t-il, de rassembler les corps de leurs morts et de les ensevelir dans des fosses communes, pour les présenter comme les victimes d'un massacre de masse, du type de Sabra et Chatila. Leurs regards sont tournés vers Jénine. Ils sont convaincus qu'ils vont y trouver, sous l'œil des caméras, des centaines de cadavres. Et Israël sera montrée dans le monde entier comme un criminel de guerre de la dimension des Serbes en Bosnie."
M. Barnéa explique ainsi que "la hiérarchie militaire israélienne a commencé à discuter de cet inquiétant problème. Sa conclusion générale est qu'il faut absolument que ces cadavres soient ramenés en territoire israélien. Si Israël ne trouve pas le moyen de les enterrer honorablement, ce sont ces cadavres qui nous enterreront".
Sur Internet : www.ynet.co.il
                               
4. L’armée israélienne s’apprête à enterrer les morts du camp de réfugiés palestiniens de Jenin dans une fosse commune provisoire par Amos Harel & Amira Hass
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du lundi 11 avril 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Les Forces Israéliennes “de Défense” ont décidé d’enterrer les morts palestiniens, tués au cours de l’opération contre le camp de réfugiés de Jenin, dans une fosse commune provisoire. Des estimations avancent que quelque 200 Palestiniens auraient été tués au cours du ratissage de ce camp par Israël, bien qu’il soit impossible de savoir, pour l’heure, combien de cadavres ont déjà été enlevés.
Un porte-parole de l’armée israélienne a indiqué que la raison qui a présidé à cette décision est double. Il s’agirait tout d’abord d’empêcher les Palestiniens d’utiliser les corps à des fins de propagande. Deuxième raison : certains des cadavres sont encore étendus dans les venelles et les ruelles du camp, et il faut (n’est-ce pas... ndt) éviter la propagation de possibles épidémies. Au cours des derniers jours, des ONG étrangères travaillant en Israël ont reçu des informations selon lesquelles l’armée israélienne utilise des bulldozers pour évacuer les corps des rues. Pour la première fois, mercredi, la télévision a diffusé des vues montrant la destruction du camp de réfugiés de Jenin, mais sans qu’un seul cadavre ne soit montré. Un porte-parole de l’armée israélienne a déclaré mercredi que l’évacuation des cadavres n’avait pas encore commencé.
Mission accomplie
Le responsable des opérations de l’armée israélienne dans le camp de réfugiés de Jenin, le brigadier-général Eyal Shlein (retenez le nom de ce candidat à La Haye, ndt) a tenu un briefing, mercredi, pour les journalistes, au cours duquel il a indiqué qu’Israël avait rempli ses objectifs en pénétrant dans ce camp. Shlein a déclaré aux correspondants de guerre : “l’armée israélienne a entièrement rempli son contrat - la destruction de l’infrastructure terroriste dans le camp et la capture de centaines de suspects figurant sur notre liste de terroristes recherchés, parmi lesquels des terroristes de première bourre.”. Shlein a souligné que les opérations israéliennes à Jenin et ailleurs se poursuivaient.
“Durant nos opérations dans le camp de réfugiés de Jenin”, a expliqué Shlein, “la plupart des terroristes figurant sur notre liste d’appel se sont soit rendus, soit ont été capturés ou tués. DE plus, nous avons découvert d’énormes quantités d’armes, de munitions, d’explosifs et de bombes, tant passées en contrebande que fabriqués artisanalement. L’armée israélienne a découvert des dizaines de laboratoires permettant de fabriquer des explosifs, et elle a découvert que des enfants ont été utilisés pour confectionner les engins (explosif)”, a-t-il ajouté.
“Nous avons arrêté plussieurs kamikazes en puissance (!), qui avaient d’ores et déjà enregistré leurs messages d’adieu-vidéo, qui auraient dû être diffusés après leur mort, et nous avons éliminé plusieurs personnes responsables d’avoir apporté une aide logistique aux kamikazes”, a déclaré le commandant.
Shein a ajouté : “nous allons continuer à ratisser le camp afin de neutraliser toutes les mines abandonnées. Des dizaines, voire des centaines, d’engins explosifs ont été abandonné sur le terrain, et de nombreuses maisons sont piégées.”
Shein a déclaré également que des terroristes “utilisaient des habitants du camp - parfois pris en otages - qui ne voulaient pas participer aux combats, et ont utilisé aussi leurs maisons comme bunkers piégés.”
Un “dangereux” activiste islamiste se rend
Un membre dirigeant du mouvement islamiste Jihad, Sheikh Ali Sfouri, s’est livré mercredi matin à l’armée israélienne, dans le camp de Jenin, théâtre de l’une des plus féroces batailles de toute l’”Opération Bouclier Défensif”, lancée il y a désormais presque deux semaines par Israël avec l’objectif proclamé d’éradiquer l’infrastructure terroriste dans les territoires.
Selon les responsables de l’armée israélienne, Sfouri était engagé dans la préparation de nombreux attentats contre des Israéliens. Les Palestiniens, toutefois, ont fait savoir que cet homme avait été tué par l’armée israélienne, dans le camp.
L’armée israélienne a reçu des rapports contradictoires relatifs au sort de Sfouri et de Mohammed Twalba, autre dirigeant actif du Jihad islamique à Jenin. Certaines sources palestiniennes ont fait état de la mort d’au moins un des deux hommes. Des militants de son organisation ont même prononcé le martyrologe de Twalba.
Twalba est l’un des hommes les plus recherchés de toute la Cisjordanie, il est présumé responsable d’avoir envoyé au minimum dix kamikazes en mission contre des cibles israéliennes. Parmi les attaques terroristes dont il serait responsable figurent les deux attentats-suicides de Wadi Ara, qui ont causé la mort de dix Israéliens.
De sources palestiniennes, on apprend que le dernier groupe d’hommes armés, dans le camp de réfugiés de Jenin, s’est rendu aux forces israéliennes de “défense”, mercredi. Ce groupe, comportant deux dirigeants de milices locales, ont déposé les armes à l’aube et sont sortis des deux bâtiments où ils s’étaient repliés, a indiqué un combattant relevant du mouvement Fatah, du dirigeant palestinien Yasser Arafat.
Plus de 1 000 Palestiniens se sont rendus mercredi à l’armée israélienne, dans le camp de Jenin. L’armée israélienne a mené à bien son assaut contre les dernières poches de résistances dans ce camp, mais des commandants du champ de bataille pensent que beaucoup de Palestiniens recherchés ont trouvé des cachettes de fortune et son encore susceptible d’attaquer les soldats présents sur place.
                                   
5. Pressions européennes croissantes sur Israël par Todd S. Purdum
in The New York Times (quotidien américain) du lundi 11 avril 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

C’est une Europe ulcérée par les incursions israéliennes en territoires palestiniens qui a remis un message à double-tranchant au Secrétaire d’Etat Colin L. Powell, aujourd’hui, associant à un langage très dur sur des sanctions commerciales et l’embargo des armements sur Israël une adhésion totale aux efforts de paix au Moyen-Orient entrepris par celui-ci.
Plus de dix ans après que la conférence de paix de Madrid eût ouvert une ère de diplomatie prometteuse, le Secrétaire d’Etat Powell a rencontré ici les ministres (européens) des affaires étrangères afin de mettre un terme au bain de sang en cours et de sauver les derniers fils subsitant des négociations de paix en lambeaux.
L’Union européenne, la Russie et l’ONU ont répondu en soutenant ses objectifs, en exigeant le retrait des forces israéliennes, la fin des attentats terroristes palestiniens et un “cessez-le feu immédiat et solide”.
Le Parlement européen, réuni à Strasbourg, a adopté à 269 voix contre 208 une résolution très ferme exigeant des quinze pays membres de l’Union européenne de suspendre le traitement préférentiel dont bénéficient les exportations d’Israël vers l’Europe, lesquelles représentent 27 % des exportations totales de ce pays.
Les gouvernements européens sont divisés sur la question de savoir s’ils doivent mettre en application ces sanctions commerciales. Des officiels tant américains qu’européens ont minimisé la possibilité qu’ils aient recours à de telles mesures. Le Secrétaire Powell a indiqué que ce sujet n’avait pas été discuté durant ses conversations de la matinée et qu’il était prématuré de spéculer sur ce que pourrait être la position retenue par Washington.
Le ministre des A.E. espagnol, Josep Piqué, dont le pays assure la présidence tournante de l’Union, a déclaré qu’à son sens toute prédiction était prématurée. “Ce que nous devons faire, c’est nous concentrer ce à quoi nous sommes présentement atelés” : à savoir, chercher à obtenir le retrait (d’Israël), un cessez-le-feu, et la reprise des négociations de paix, a-t-il dit.
Powell avait prévu de faire une escale ici à Madrid afin de d’y rencontrer des officiels européens avant même que le président Bush ne l’envoie en mission au Moyen-Orient, et il s’attendait à un flot de critiques européennes sur une multitude de sujets, allant de la situation au Moyen-Orient aux taxes sur l’acier récemment imposées par M. Bush, en passant par les plans américains visant l’Irak.
Une chose est sure : si M. Powell a lu les journaux, il aura été édifié. Il aura pu y découvrir, notamment, des informations sur l’embargo imposé par l’Allemagne sur des ventes d’armes (déjà commandées) à Israël, bien que les autorités allemandes se soient refusées à tout commentaire.
Mais aujourd’hui, à Madrid, Powell a seulement entendu une déclaration publique d’alliés soutenant énergiquement une intervention américaine au Moyen-Orient qu’ils appellent de leurs voeux depuis des semaines. Un haut responsable américain a commenté en disant que ce soutien permettait au Secrétaire d’Etat “d’aller dans la région, avec tous les gars derrière lui...”
“Ma mission n’est absolument pas compromise”, a insisté Powell au cours d’une conférence de presse tenue ici à Madrid, cet après-midi, peu après que le Premier ministre israélien, Ariel Sharon, ait déclaré que l’offensive militaire israélienne en Cisjordanie continuerait après un nouvel attentat-suicide, en dépit des très fortes objections américaines.
Bien qu’on fît état, aujourd’hui, de propos de M. Sharon selon lequels la rencontre de M. Powell avec Yasser Arafat serait “une erreur tragique”, le Secrétaire d’Etat a réaffirmé que cette rencontre était indispensable car (M. Arafat) “est le dirigeant du peuple palestinien, et je pense que le peuple palestinien et les dirigeants arabes que j’ai rencontrés au cours des jours écoulés sont convaincus que M. Arafat est le partenaire avec lequel Israël devra traiter, tôt ou tard.”
Faisant apparemment allusion à une attaque contre des soldats israéliens à Jenin, un journaliste a demandé à M. Powell s’il considérait la violence, dans les territoires occupés, contre des soldats israéliens - et non des civils - comme du terrorisme. Powell a retourné la question, disant : “la violence, quelle qu’en soit la forme, que l’on puisse la qualifier de terrorisme ou d’action de résistance, est dans la situation actuelle contre-productive”, ajoutant : “Ce à quoi nous devons veiller, maintenant, c’est à une fin de la violence : quelque intitulé que vous lui donniez, la violence reste la violence, et elle déstabilise totalement la région.”
A l’ONU, le Conseil de Sécurité a une nouvelle fois renvoyé un vote sur une résolution formulée par les pays arabes, renouvelant l’exigence d’un retrait israélien immédiat et appelant à l’envoi d’une force internationale d’observation.
Auparavant, le Secrétaire Général, Kofi Annan, avait lu une résolution adoptée par l’Union européenne, la Russie et l’ONU elle-même, exhortant Israël et l’Autorité palestinienne à “coopérer pleinement” avec la mission du Secrétaire d’Etat Powell, ainsi qu’avec les “efforts visant à rétablir le calme et à une reprise du processus politique.”
M. Annan a ajouté : “Nous appelons à un cessez-le-feu immédiat et significatif, ainsi qu’au retrait immédiat d’Israël des villes palestiniennes.”
Powell a déclaré que lui-même et ses collègues diplomates, dont M. Piqué, le ministre des AE de Russie, Igor S. Ivanov et Javier Solana, chef de la diplomatie de l’Union européenne, “exploraient différentes possibilités” susceptible d’amener à une reprise des négociations politiques parallèlement à leurs efforts en vue d’un cessez-le-feu. Mais il a précisé qu’il ne savait pas dans le détail quelle forme ces initiatives pourraient prendre.
“Je dois parler longuement avec les partenaires dans la région afin de voir comment ils perçoivent ces suggestions et comment nous pouvons aller de l’avant”, a indiqué le Secrétaire d’Etat, qui a ajouté : “je suis persuadé que le moment viendra où nous serons à même de faire savoir au monde entier quelle est la meilleure façon de sortir de la crise à laquelle nous serons parvenus.”
Même s’il appelait à un retrait israélien, la résolution communiquée par M. Annan exigeait aussi de M. Arafat qu’il fasse le nécessaire afin de mettre un terme aux attentats contre Israël. “Nous exhortons le Président Arafat, en sa qualité de dirigeant élu et reconnu du peuple palestinien à entreprnere immédiatement le maximum d’efforts afin de mettre un terme aux attentats terroristes contre les civils israéliens innocents”, énonce le communiqué.
M. Annan a publié une demande impérieuse exigeant d’Israël qu’il honore ses engagements vis-à-vis du droit international à protéger les civils et à laisser les secours intervenir. “Le respect du droit international humanitaire et des organisations humanitaires est le minimum requis de toute nation qui se réclame de la démocratie et de son appartenance à la communauté internationale”, a-t-il rappelé avec force.
Le groupement de pays cité plus haut a également fait état de sa “grave préoccupation” au sujet de la situation instable au nord d’Israël, à la frontière du Liban, où le Hizbollah soutenu par la Syrie et l’Iran a lancé des attaques par roquettes, s’attirant les répliques d’Israël.
La Syrie bénéficie désormais d’une admission temporaire au Conseil de Sécurité, et M. Annan a fait état de ses conversations avec des responsables syriens et israéliens, qui l’ont assuré de leur “disposition à faire tout ce qui est en leur pouvoir.”
Dans un rappel à la Syrie de ses obligations, il a mentionné notamment que des attaques par-dessus la frontière violeraient les résolutions du Conseil de Sécurité, rappelant que “le respect des décisions du Conseil de Sécurité est le minimum requis pour prétendre à la légimité internationale.”
Un haut responsable américain a ensuite déclaré que les Etats-Unis n’étaient pas convaincus du fait que la Syrie avait fait tout son possible afin d’obtenir un arrêt de ces attaques. “Nous affirmons que la Syrie a une responsabilité dans cette affaire et qu’elle doit user de son influence”, a-t-il notamment déclaré.
Ce responsable a indiqué que la situation au nord (d’Israël) serait “un autre point à examiner” au cours des entretiens que M. Powell doit entamer en Israël vendredi prochain, après s’être entretenu jeudi en Jordanie avec le Roi Abdullah II.
                                   
6. Le devoir du plus fort par Axel Kahn
in Le Monde Diplomatique du mois d'avril 2002
C’était un soir d’été au mont des Oliviers, en 1974, lors de ma première visite en Israël. L’éclat et les reflets du soleil couchant accentuaient le rose de la pierre des murailles de Saladin. Elles scintillaient, illustrant l’évidence : Jérusalem est un joyau. Le regard était à la fête, ne sachant même plus où se poser. Il remontait à contre-courant l’ombre des murs qui se déversait immensément, sautait en ville, était attiré par l’or de la mosquée d’Omar, se muait en oiseau - les Dieux fassent qu’il s’agisse d’une colombe - capable d’observer d’en haut les ruelles enchevêtrées et leur grouillement multiconfessionnel.
Et puis, hop, le mur enjambé, la vallée aussi, les oliviers du Mont, une paix incroyable, limpide. L’oeil s’abaissait alors, se dirigeant à nouveau vers la ville, en épousant cette fois tous les accidents du terrain. Entre le mont des Oliviers et Jérusalem, une courte vallée sépare les deux collines. Ses pentes sont des cimetières millénaires, l’un juif et l’autre musulman, en un face-à-face paisible par lequel s’établit la continuité historique de ces lieux. Les morts ne se mélangent guère, semble-t-il, mais ils s’admettent, et paraissent même se donner la main pour parvenir à la Ville sainte.
Alors, la paix entre Juifs et Arabes, entre Israéliens et Palestiniens, entre fidèles des trois grandes religions monothéistes qui ont ici leur berceau ne peut-elle qu’être celle des morts ? L’histoire des lieux nous dit que non. Ce sont les croisés qui, après la prise de Jérusalem, firent un horrible massacre des juifs de la ville, pas les troupes de Saladin lorsqu’ils la reprirent. C’est donc une Jérusalem libérée et apaisée que connut le médecin et théologien juif Maïmonide. Né et formé dans l’Andalousie maure, il la quitta lorsque déclina l’esprit de tolérance qui y régnait, et se réfugia à Fez, puis dans les terres du sultan Saladin. C’est là qu’il acheva ses travaux et qu’il mourut en 1204, au Caire. En fait, depuis l’Empire romain, au temps des croisades comme au vingtième siècle, c’est l’Occident, fort de sa trop bonne ou de sa trop mauvaise conscience, qui sema là-bas les germes du malheur.
Le succès du sionisme, à la fin du dix-neuvième siècle et entre les deux guerres mondiales, dut en effet beaucoup au développement de l’antisémitisme et aux pogroms en Europe centrale et en Russie. L’inconcevable de la Shoah fit le reste. Par deux fois donc, la chrétienté chassa les juifs vers le sud : avec l’Inquisition espagnole en 1492, puis le spectre des massacres perpétrés aux temps modernes. C’est ainsi que se retrouvèrent, sur la terre minuscule de Palestine, des communautés de laissés-pour-compte, de victimes niées, dominées, méprisées, colonisées, égorgées... des juifs de partout, et les Palestiniens.
Ces derniers, conquis par les Turcs, colonisés par un Empire britannique trahissant la parole de Lawrence d’Arabie, étaient considérés au mieux avec dédain, au pire comme de la chair à canon pour des dynasties ou des dictatures arabes n’obéissant qu’à leurs intérêts, celui des dollars et de leur propre gloire. Depuis que l’écriture peut en garder la trace, l’histoire nous enseigne combine il est aisé de conduire les malheureux à s’affronter, voire même de les instrumentaliser pour qu’ils se fassent des guerres par procuration, au nom de leurs puissants soutiens et douteux amis qui se trouvent ainsi dispensés d’avoir ouvertement à recruter des mercenaires chargés de faire leur sale boulot. Voilà donc deux peuples, ou au moins deux communautés, pour une terre, et quelle terre ! Elle est sainte pour chacun des protagonistes, mais aussi pour les puissances d’ailleurs, celles dont les conflits et les exactions ont créé cette poudrière.
Par conséquent, à la lutte pour la terre, pour la reconnaissance et la dignité, pour l’exorcisme du malheur, est venue s’ajouter la drogue hallucinogène du fanatisme, le crack des peuples pour paraphraser le petit père Staline. Les ingrédients sont alors au complet pour que, dans l’infernal chaudron, bouillonne la potion amère de toutes les angoisses, toutes les frustrations, toutes les haines, les spoliations, les meurtres et les vengeances.
Schizophrénie collective
Tout a déjà été dit, maintes fois dénoncé de part et d’autre. D’un côté, les survivants des camps et des pogroms, forts de la légitimité que leur confère leur souffrance, leur énergie décuplée par l’évidence que la défaite leur est interdite, qui l’emportent donc et deviennent oppresseurs. Puisqu’il faut d’abord vaincre, qu’importe comment, avec qui. Et ce sont alors ces coalitions dans lesquelles le peuple juif perd son âme, hier avec l’Afrique du Sud de l’apartheid, les troupes coloniales françaises et britanniques dans l’incertaine et douteuse épopée de Suez en 1956, le rôle assumé de garde avancée des intérêts américains dans la région, depuis. De l’autre côté, un peuple désespéré passant du joug des uns à celui des autres, mis en demeure d’assumer à lui tout seul le rôle du bouc émissaire, chargé du poids de tous les crimes commis en Occident contre les Juifs.
Ce qui se passe depuis quelques semaines démontre même que le pire n’avait peut-être pas encore été atteint, que l’engrenage implacable peut mener toujours plus loin dans l’absurde et le drame, si on ne le désamorce pas à temps. Résumons. Tout s’enchaîne en effet mécaniquement... La frustration du peuple palestinien déçu par le blocage du processus d’Oslo. Une provocation d’Ariel Sharon sur le mont du Temple, s’ajoutant à celle, permanente, que constituent les centaines de colonies juives en territoire palestinien, toujours plus nombreuses, toujours plus peuplées. L’Intifada, la répression, le blocage des territoires, le chômage, la misère, un désespoir dépassant les limites du supportable, terreau fertile pour le terrorisme et la culture de mort. A vingt ans, quand on est palestinien, que l’on ne perçoit plus aucun avenir, aucune perspective terrestreet que l’on vous fait miroiter la grandeur de l’héroïsme et la magnificence du paradis d’Allah, comment ne serait-on pas sensible à la solution d’un sacrifice de soi cruel pour l’ennemi ? Des bombes humaines dans des cafés, des discothèques, des jeunes de l’autre bord déchiquetés, oeil pour oeil, dent pour dent, les chars, les bulldozers, les assassinats... Une schizophrénie collective. Quelle folie, en effet.
Reconnaissance mutuelle
Cela dure depuis plus de cinquante ans. Il est si fréquent que les enfants battus et martyrisés deviennent des adultes violents, des pères mal-traitants. Alors, peut-être, retrouverons-nous encore, dans cinquante ans, l’opposition frontale des mêmes certitudes, les mêmes dénonciations réciproques, le même cycle de la terreur, des représailles, des contre-représailles, des vengeances, et ainsi de suite.
A moins que les uns et les autres, ceux qui tuent et ceux qui souffrent - ce sont souvent les mêmes -, ceux qui les soutiennent, qui les manipulent, qui délèguent à ces combattants lointains et désespérés la charge de les absoudre de leur propre vie confortable et opulente, s’accordent pour dire l’évidence. Tous ont souffert, tous ont des raisons de lutter, mais nul ne peut l’emporter.
Quels que soient les fanatismes des plus extrémistes des groupes islamistes, les juifs ne seront pas rejetés à la mer, l’Etat d’Israël ne sera pas anéanti. Pour d’évidentes raisons historiques et psychologiques, quel qu’en soit le prix, les peuples d’Occident ne l’accepteront jamais. N’en déplaise aux nostalgiques du “Grand Israël”, il n’y aura pas d’Etat juif durable des rives du Jourdain aux frontières du Sinaï. La démographie, le droit et, là encore, la mauvaise conscience des nations occidentales, symétrique de leur engagement pro-israélien, s’y opposeront.
Un jour, dans deux ans, dans vingt ans ou dans cent ans, les deux peuples qui vivent sur la terre de Palestine auront chacun leur Etat. Il y faudra deux mille, vingt mille ou cent mille morts. Juifs et Arabes, dont les défunts se partagent déjà le vallon entre Jérusalem et le mont des Oliviers, devront bien également faire de cette ville leurs deux capitales.
La responsabilité de l’Occident - de l’Europe et des Etats-Unis - est telle dans la création du maelström israélo-arabe que leur bonne parole ne saurait suffire. La solidarité, la responsabilité, n’est plus d’empêcher la disparition des protagonistes, mais de réparer, de construire, d’imposer quand c’est indispensable, tout en s’efforçant de convaincre, toujours.
Bien sûr, la méfiance, voire la haine, seront durables, mais il n’est pas indispensable de s’aimer pour coexister : il suffit de se persuader que c’est là l’unique solution, et puis le pire n’est jamais sûr. L’hostilité violente entre ces deux communautés, nous l’avons vu, n’est pas si ancienne. Alors, la paix maintenant, puisque demain la facture sera encore plus lourde. Tous ceux qui s’évertuent à la rendre improbable trahissent leur peuple. Pour qu’un petit enfant né là-bas ait d’autres perspectives que la terreur et la vengeance, l’exaltation du sacrifice et de la mort, il faut naturellement que les colonies soient démantelées, il faut naturellement que l’Etat d’Israël jouisse de frontières sûres, il faut naturellement que l’Etat palestinien en soit un à part entière, viable, reconnu et respecté.
Je me rappelle qu’adolescent, une jeune fille de mes amis, militante dans un mouvement sioniste, me convia un soir à une fête dans un local de son mouvement. Je vois encore ces affiches sur les murs : “Israël vaincra, dans la paix si Dieu le veut, par la guerre s’il le faut.” La guerre ? Un Dieu peut-il vraiment la vouloir ? Et, de toute façon elle n’assurera pas l’existence durable d’Israël. Seule la paix et la reconnaissance mutuellele peuvent. Quels seront les vrais héros d’Israël que retiendra la postérité ? Rabin et Sadate, ou Sharon et le Sheikh Yassine, l’espoir incertain ou le malheur assuré ? La question se pose-t-elle vraiment ?
                           
7. La longue marche des Palestiniens, une interview de Nadine Picaudou réalisée par François Schlosser
in Le Nouvel Observateur du jeudi 11 avril 2002

(Nadine Picaudou est historienne, maître de conférence à l’Inalco, spécialiste du Proche-Orient; a publié «les Palestiniens. Un siècle d’histoire» Editions Complexe.)
Le refus du partage de leur terre avec les juifs, décidé par l’ONU en 1947, et l’épreuve de l’exil ont entraîné l’émergence d’une nation dont la lutte pour l’existence dans un Etat indépendant a marqué, dans le sang, ces cinquante dernières années
Le Nouvel Observateur – Le conflit qui oppose aujourd’hui Israéliens et Palestiniens a connu tout au long du siècle dernier des rebondissements souvent sanglants. Quelle est l’origine exacte de cette guerre de cent ans?
Nadine Picaudou – Il est difficile d’indiquer une date précise. Il y a eu dès la fin du XIXe siècle des incidents provoqués localement par des paysans arabes, en raison de l’acquisition de terres par les premiers pionniers juifs venus d’Europe pour s’installer dans la Palestine, qui faisait alors partie de l’Empire ottoman. Les élites intellectuelles et les notables arabes de Palestine ont tenté d’attirer l’attention des autorités ottomanes sur les dangers que pouvait représenter l’arrivée des pionniers. Il y a un premier tournant en 1908 lorsque les «jeunes Turcs», officiers et fonctionnaires modernistes, arrivent au pouvoir en Turquie. Ils sont bien accueillis dans un premier temps par les élites nationalistes dans l’ensemble de l’empire mais, en Palestine, on redoute les liens présumés entre jeunes Turcs et sionistes. Quoi qu’il en soit le nouveau pouvoir est avant tout soucieux de sauver un empire déjà chancelant et ne souhaite en aucun cas la naissance d’un nouveau conflit national.
– Comment les Arabes de Palestine ont-ils réagi à la déclaration Balfour de 1917 par laquelle les Britanniques promettaient au mouvement sioniste l’établissement d’un «foyer national juif en Palestine»?
– En Palestine, on assiste après 1908 aux premières véritables manifestations de ce que l’on peut appeler un nationalisme arabe de Palestine. Le problème de l’accaparement foncier est clairement posé dans les journaux qui naissent alors. A la fin de la Première Guerre mondiale et après l’effondrement de l’Empire ottoman – auquel les Arabes avaient contribué avec l’aide de la Grande-Bretagne –, se développe dans toute la région un grand ressentiment sur le thème des «promesses non tenues» puisque, au lieu d’obtenir l’indépendance, les peuples arabes tombent sous le régime du mandat, à la fois français et anglais. Pour les Arabes de Palestine, la frustration est double, puisqu’ils se trouvent confrontés à deux promesses contradictoires: celle de l’indépendance espérée pour tous les Arabes, et celle d’un foyer national pour les juifs sur le territoire palestinien même. Le texte de la déclaration Balfour ne sera d’ailleurs publié en Palestine qu’en 1920. Les élites arabes de Palestine dénoncent l’absence de fondement juridique de la déclaration Balfour et entament le premier des nombreux combats qu’elles vont mener tout au long du siècle, à l’intérieur et sur la scène internationale…
– Y a–t-il, dans les élites de la Palestine, une opposition unanime à l’arrivée des juifs sionistes?
– Il y aura tout au long du mandat une opposition nette et affirmée à toute collaboration avec les autorités britanniques et aux institutions qui sont proposées pour faire pendant à l’institutionnalisation de la présence juive. Les Arabes de Palestine considèrent qu’ils sont sur leur terre propre et qu’ils n’ont pas à être mis sur le même plan que les sionistes minoritaires qui arrivent de l’extérieur.
Mais les positions sont ambivalentes. Les élites qui organisent les premières formes de résistance au sein des Comités islamo-chrétiens restent en contact avec les autorités mandataires et ne perdent pas l’espoir de pouvoir infléchir la politique britannique.
– Y a-t-il sur ce sujet de véritables lignes de partage au sein de la société palestinienne?
– L’une des faiblesses majeures du mouvement national palestinien avant 1948, c’est le «factionnalisme» fondé sur des clivages familiaux et claniques. En simplifiant, on peut distinguer deux grands blocs: celui qui est dirigé par la famille Husseini, notables issus de l’époque ottomane qui dominent à Jérusalem, et celui des familles regroupées autour des Nachachibi qui s’élèvent contre la prédominance des Husseini et fondent notamment leur puissance sur la grande production d’agrumes pour l’exportation. Ses membres sont plus proches de la dynastie hachémite de Transjordanie, plus proches aussi des autorités du mandat et prêts à un compromis avec les sionistes, même s’ils tiennent souvent un discours de refus identique à celui de leurs adversaires.
– Pendant toute cette première période, tout en menant un combat rhétorique contre le mouvement sioniste, des Arabes de Palestine vendent des terres aux acquéreurs juifs. Pourquoi?
– Jusqu’aux années 20, ce sont de grands propriétaires fonciers de l’époque ottomane – Palestiniens, Libanais, etc. –, essentiellement absentéistes, qui vendent. Sont vendues également les possessions domaniales de la dynastie ottomane. Avec la hausse du prix des terres, ce sont ensuite des petits et moyens propriétaires qui vendent. Les élites ne se mobiliseront que tardivement sur le sujet. En revanche, la grande révolte de 1936-1939 est un soulèvement rural dirigé à la fois contre le mandat et contre l’arrivée massive de colons juifs tout en revêtant des aspects de guerre sociale inter palestinienne.
– Pourquoi le mouvement national palestinien s’est-il radicalisé à partir du début des années 30?
– D’abord parce que, au tournant des années 1929-30, après la crise qui avait éclaté – symboliquement – autour du contrôle du mur des Lamentations, on assiste à l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants nationalistes, issue des élites mais également des nouvelles classes moyennes. Le mouvement, qui s’est mieux structuré, se radicalise et lance en 1936 une grève qui dure plusieurs mois. Elle est suivie par la grande révolte rurale qui se prolongera jusqu’en 1939 et sera réprimée dans le sang. Des deux côtés, on assiste alors à une militarisation du conflit. Les colons juifs forment des groupes armés, la Haganah, l’Irgoun, etc., et les affrontements militaires se multiplient. Le Palestinien Ezzedine el-Qassam prêche la lutte armée à la fois contre le mandat et contre les implantations sionistes, et il la déclenche à l’occasion d’une livraison d’armes arrivées à Haïfa et destinées aux milices juives. Les Palestiniens voient en lui le premier héros et martyr de la résistance.
L’écrasement de cette révolte, considérée par les Palestiniens comme leur première guerre d’indépendance, aura une conséquence désastreuse pour eux puisqu’il conduit à l’élimination ou à la dispersion de presque tous les dirigeants du mouvement national.
– Comment la Seconde Guerre mondiale, qui éclate alors, va-t-elle changer la donne?
– D’abord par le fait massif et terrible que constitue le génocide des juifs d’Europe. La Shoah impose l’idée qu’un Etat-refuge est devenu indispensable pour les juifs persécutés et pour les déplacés de la guerre en Europe. Et, il faut le dire aussi, parce que l’Amérique et les pays européens ne sont pas pressés de les accueillir. Ensuite, il y a l’attitude nouvelle de la Grande-Bretagne, qui entame le décolonisation de son empire, en Inde et ailleurs. Londres n’a plus qu’une idée: mettre fin au mandat sur la Palestine et confier le dossier à l’ONU.
– En 1947, l’ONU décide d’un plan de partage: pourquoi les Palestiniens ne l’acceptent-ils pas?
– Ce partage est évidemment une victoire pour le mouvement sioniste, même si tous ne l’acceptent pas avec enthousiasme: il lui garantit un statut étatique, reconnu par la communauté internationale. D’autre part, sur le plan territorial, le partage est, proportionnellement à la démographie, très favorable à la population juive, même si le territoire qui lui est attribué est discontinu. Les Palestiniens, de leur côté, estiment qu’ils ont tout à perdre dans cette solution puisqu’on leur demande d’accepter l’amputation de ce qu’ils considèrent comme leur terroir natal, sans tenir compte de leur histoire propre et des droits spécifiques qui en résultent.
En réalité, le véritable partage avait eu lieu quelques mois plus tôt, entre le mouvement sioniste et le royaume de Transjordanie, sous la houlette des Britanniques, comme cela a été mis en lumière par la suite, notamment par les historiens israéliens. Les Britanniques voulaient, en fait, que l’Etat attribué aux Arabes de Palestine ne fasse qu’un avec la Transjordanie. Celle-ci, qui se trouvait également sous mandat britannique, venait d’accéder à l’indépendance.
– Comment la guerre israélo-arabe de 1948 a-t-elle transformé une grande partie de la population de Palestine en exilés, réfugiés à l’extérieur?
– Il y a eu plusieurs guerres de 1948. Dès le lendemain du partage, on est entré dans une phase d’affrontements violents entre les Arabes de Palestine et les juifs, qui ne sont pas encore «Israéliens» puisque l’Etat d’Israël ne sera proclamé que le 14 mai 1948. Les élites arabes des villes et la bourgeoisie côtière commencent à mettre leurs familles à l’abri dans les pays voisins, en attendant que passe l’orage. C’est une première vague de départs. A partir de janvier 1948, commence la série des offensives militaires de ce qui sera bientôt l’armée israélienne et dont l’objectif est d’établir une continuité territoriale et un élargissement de la partie des terres attribuées au mouvement sioniste par le partage. Commence alors un exode de villageois arabes qui fuient la guerre. Les nouveaux historiens israéliens ont désormais établi qu’il n’y avait jamais eu d’appel au départ lancé par les dirigeants arabes, contrairement à ce qui a été longtemps affirmé. Il y a eu en revanche des expulsions forcées, notamment à l’occasion de la mise en application du plan Dalet. Il faut à cet égard examiner les événements région par région et il est clair, par exemple, que l’on a ménagé les Arabes chrétiens de Galilée.
Au lendemain de la proclamation de l’Etat hébreu, le 15 mai 1948, les armées arabes attaquent. En fait, il y a des rivalités et les pays arabes sont restés longtemps réticents. Leur entrée en guerre n’a pas tant pour but d’aider les Palestiniens que de s’emparer de ce qui reste de la Palestine. La légion arabe jordanienne avance rapidement selon un scénario plus ou moins mis au point auparavant. La guerre va se terminer par une série de cessez-le-feu entre Etats arabes et Israéliens. L’Egypte va garder le contrôle de Gaza, et la Jordanie, en 1950, va annexer la Cisjordanie.
– La «solution jordanienne», qui est revenue périodiquement sur le tapis pour résoudre le conflit israélo-palestinien, a donc été envisagée dès cette époque?
– Beaucoup d’hommes politiques israéliens ont effectivement répété au fil des années qu’il existe déjà un Etat palestinien: la Jordanie, dont la majorité de la population est d’origine palestinienne. Certains considèrent encore aujourd’hui que ce serait une solution, quitte à procéder, d’une manière ou d’une autre, à une large expulsion ou à un transfert massif de populations palestiniennes vers la Jordanie, afin qu’Israël puisse garder la Cisjordanie.
– Les dirigeants israéliens ont longtemps nié l’existence d’une identité palestinienne propre, et reproché aux réfugiés «arabes» de ne pas s’être installés définitivement dans les pays arabes limitrophes. Comment se fait-il que les réfugiés aient pu rester pendant près de cinquante ans si «palestiniens»?
– Le combat national a développé tout au long de ce siècle une identité palestinienne. Aujourd’hui, elle est peut-être plus forte que celle qui soude d’autres peuples arabes au sein de leurs nouveaux Etats, nés après la fin de l’Empire ottoman. Il est vrai qu’il y a eu une ambiguïté dans la mesure où, pendant les années 50 et 60, le combat palestinien s’est inscrit dans l’idéologie qui mobilisait alors l’ensemble de la région, celle de l’unité de la nation arabe. Ce fut assez rapidement un échec, et il existe aujourd’hui avant tout des Jordaniens, des Syriens, des Egyptiens, des Irakiens, etc. Les raisons d’Etat se sont imposées, et les sociétés des différents Etats arabes ont évolué différemment, même s’il existe une solidarité fondée sur une langue et une culture communes.
D’autre part, les réfugiés qui sont partis en 1948-49 étaient persuadés qu’ils allaient rentrer très rapidement. Ce sentiment du provisoire a duré, et ils n’ont pas voulu, dans l’ensemble, chercher à s’intégrer dans les pays d’accueil. Les régimes arabes n’ont pas tenu particulièrement à les intégrer, bien que les situations soient très différentes selon les pays: la Jordanie a accordé la nationalité à tous, ce que le Liban, par exemple, a toujours refusé. Mais il faut dire que le refus de s’établir vient principalement des exilés palestiniens eux-mêmes. De son côté, le mouvement national palestinien a fait du droit au retour un thème mobilisateur et il a même donné, dans la charte de l’OLP de 1968, une définition généalogique précise de l’identité palestinienne: «Toute personne née de parents palestiniens, soit en Palestine, soit hors de Palestine, est palestinienne», ce qui inclut clairement les Palestiniens de la diaspora, à commencer par les réfugiés.
– Il y a une longue période entre ce que les Palestiniens appellent la «catastrophe» de 1948 et la naissance de l’OLP en 1964, pendant laquelle le mouvement national palestinien semble avoir presque disparu. Pourquoi?
N. Picaudou . – Cette période a été mal étudiée. Elle correspond à l’époque où l’on disait que «la libération de la Palestine n’est qu’un aspect de la libération de la nation arabe». Les militants palestiniens en exil sont alors actifs dans les partis politiques nationalistes et nassériens des pays arabes d’accueil. Mais il y a dès le début des années 50 de nombreuses tentatives d’infiltration, souvent isolées et individuelles, aux frontières d’Israël, ainsi que des coups de main armés et même de véritables combats, comme à Gaza en 1955, où apparaissent les premiers fedayin. Lorsque l’OLP est créée, en 1964, elle est entièrement sous la coupe de l’Egypte. Mais de jeunes militants, et parmi eux Yasser Arafat, qui ne croient plus à la libération par les pays arabes, ont préparé le terrain et mis sur pied des commandos militaires, notamment par la création du Fatah. Après la défaite arabe de 1967, qui annonce le début de la fin du rêve nassérien d’unité arable, ils vont progressivement prendre le contrôle de l’OLP en 1968-69. On assiste alors à la vraie naissance d’un deuxième mouvement national palestinien.
– Pourquoi les Palestiniens ont-ils alors recours à la pratique du terrorisme international, qui va permettre d’accoler durablement l’étiquette de «terroriste» à la cause palestinienne?
– La stratégie terroriste a été initialement utilisée non par le Fatah de Yasser Arafat mais par le FPLP (Front populaire de Libération de la Palestine) de Georges Habache, à la fois nationaliste arabe et marxisant. L’objectif est alors d’attirer l’attention du monde sur le sort fait aux réfugiés. Les passagers des avions que le FPLP a détournés vers le désert jordanien en 1970 sont reçus dans les camps dans l’espoir qu’ils vont témoigner. Cela n’excuse évidemment pas l’acte mais la logique était celle-là. On sait comment le roi de Jordanie a réagi à ce qui était évidemment une atteinte grave à la souveraineté jordanienne. Il a saisi l’occasion pour régler leur compte aux commandos palestiniens établis sur son territoire. L’élimination sanglante de la résistance palestinienne en Jordanie a aussi pour but de mettre fin à la rivalité qui oppose le roi de Jordanie à Arafat sur la question de savoir qui représente réellement les Palestiniens de Cisjordanie, l’OLP ou le trône jordanien. Après sa défaite en Jordanie le mouvement palestinien est exsangue, menacé dans sa survie même. C’est ce qui explique sans doute que le Fatah de Yasser Arafat s’engage à son tour dans le terrorisme extérieur, à travers le groupe de Septembre noir, responsable en particulier de l’assassinat des athlètes israéliens à Munich en 1972. Par la suite, un certain nombre d’attentats vont être commis par des groupes comme celui d’Abou Nidal, directement manipulés par des services de divers Etats arabes.
– En dépit de ces actes terroristes, l’OLP commence à jouir de la reconnaissance internationale, et en 1974 Arafat peut s’adresser à l’Assemblée générale de l’ONU. Pourquoi?
– C’est la conséquence directe de la guerre d’octobre 1973: les pays arabes et en particulier l’Egypte, considèrent qu’ils l’ont gagnée, et que de toute manière elle doit être la dernière guerre israélo-arabe. L’Egypte s’apprête à faire la paix avec Israël, soutenue par Washington. C’est sous la pression arabe – et américaine – que l’OLP prépare, au niveau de ses élites, une inflexion stratégique qui, à terme, doit amener le mouvement à accepter la revendication d’un Etat non plus sur tout l’ancien territoire palestinien, mais en Cisjordanie et à Gaza seulement. Cette évolution est également voulue par les populations de «l’intérieur», notamment en Cisjordanie où a été créé en 1973 un Front national. Cette coalition de partis de l’intérieur pousse l’OLP au compromis. Cela assurera aux dirigeants palestiniens une place de plus en plus solide sur le plan international, malgré les divisions qui en résultent au sein du mouvement.
– Pourtant l’OLP de Yasser Arafat risque une nouvelle fois de disparaître, à la suite de la guerre du Liban, en 1982?
– En tout cas l’OLP, après sa défaite au Liban, doit changer de stratégie et abandonner la lutte armée, pour la simple raison que les résistants sont désormais dispersés et n’ont plus accès à la frontière israélienne. Arafat est complètement isolé à Tunis: c’est la traversée du désert. Il va être en quelque sorte sauvé par la première Intifada, qui éclate en Cisjordanie en 1987, et dont l’OLP réussit à prendre la direction même si quelques membres du Fatah et du Front démocratique y ont sans doute joué un rôle dès le début. Mais cette révolte a été précédée d’un long travail en profondeur des Frères musulmans, autour de Cheik Yassine, encouragés par les Israéliens qui pensaient que l’islamisme serait le meilleur antidote au nationalisme. Les Frères musulmans n’étaient pas engagés dans la lutte nationale mais concentraient leurs efforts sur l’action sociale, culturelle et religieuse. Seule une faction dissidente, le Djihad islamique, mène alors la lutte armée. Le mouvement des Frères musulmans et Cheik Yassine finissent par se rallier à l’action violente par crainte d’être marginalisés et ils créent le Hamas. De son côté, l’OLP est considérablement renforcée par l’Intifada et peut imposer, en 1988-89, le geste qui l’ancrera durablement dans la communauté internationale: la reconnaissance d’Israël. C’est un grand tournant dans l’histoire du mouvement palestinien qui renonce ainsi aux trois quarts du territoire de la Palestine du mandat, et se rallie ainsi au partage de la terre.
– Ces changements ont ouvert la voie aux négociations commencées au lendemain de la guerre du Golfe, sous la houlette américaine, et qui ont abouti aux accords d’Oslo. Comment, en partant de là, en est-on arrivé au désastre d’aujourd’hui?
– Les événements d’aujourd’hui pourraient malheureusement donner raison aux Cassandre qui avaient prédit l’échec du processus d’Oslo, même s’ils n’avaient guère d’alternative à proposer. Ils expliquaient que les Israéliens n’avaient aucune intention de laisser s’établir un jour une véritable souveraineté palestinienne et que l’Autorité nationale risquait d’être un simple agent de sécurité de l’Etat d’Israël. En acceptant de repousser la négociation des dossiers sensibles à la fin de la période intérimaire, les dirigeants palestiniens avaient accepté, en fait, de renégocier la résolution 242, fondée sur le principe de droit international selon lequel les territoires occupés doivent être évacués. La poursuite, puis l’accélération de la colonisation des territoires par les Israéliens après les accords d’Oslo confortent cet argumentaire. A Camp David, en juillet 2000, Arafat a essayé de sortir de la logique d’Oslo et de recadrer les positions palestiniennes sur le socle de la résolution 242. De toute manière, le cadre d’Oslo a pris fin en mai 1999.
– Est-ce que le «droit au retour», dont il a été beaucoup question après l’échec de Camp David, peut être un obstacle décisif à tout accord?
– En tout cas pas pour les raisons qui ont été avancées. Les autorités palestiniennes, qui demandent la reconnaissance de principe du droit au retour en s’appuyant notamment sur la résolution 194 de l’ONU, ont depuis longtemps indiqué que les modalités d’application du droit au retour seraient négociables. Ce qui est en jeu, en réalité, du point de vue des Palestiniens, c’est la reconnaissance de la responsabilité historique de l’Etat d’Israël dans l’injustice qui leur a été faite. Et c’est pour eux la condition d’une véritable réconciliation. Le drame est que cette reconnaissance est inacceptable pour la conscience israélienne car ce serait marquer d’un stigmate originel la réalisation du projet national sioniste après l’Holocauste.
                                   
8. Ne nous trompons pas de combat
in Le Monde du mercredi 10 avril 2002
En tant qu'Arabes, nous affirmons que les actes anti-juifs qui ont lieu en France depuis quelque temps sont intolérables. La colère et la rage que nous inspirent les crimes de Sharon ne doivent et ne peuvent, en aucun cas, justifier les amalgames et les dérives. En attendant l'issue des enquêtes menées par les autorités françaises sur les auteurs de ces agressions odieuses, et quel qu'en soit le résultat, nous appelons les communautés moyen-orientales et maghrébines de France à une extrême vigilance, et souhaitons rappeler, à tous, un certain nombre d'évidences :
La communauté juive n'est pas identifiable au peuple israélien.
Le peuple israélien n'est pas non plus - loin de là - à l'image de Sharon. Les nombreux Israéliens que la peur et l'insécurité rangent aujourd'hui à ses côtés prendront mieux conscience de leur aveuglement et de leur fourvoiement si nous savons les convaincre de notre absence d'animosité à leur égard, en tant que communauté et en tant qu'hommes.
Nos partenaires et nos partisans les plus précieux sont les Israéliens et les juifs qui œuvrent, aux côtés des Palestiniens, contre l'occupation, la répression, la colonisation et pour la coexistence de deux Etats souverains, palestinien et israélien. 
Un grand nombre d'entre eux ont une histoire familiale tragique, marquée par l'holocauste. A nous de leur rendre hommage et de les rejoindre sur cette ligne de crête qui consiste à savoir quitter la tribu quand il s'agit de défendre des droits et des libertés universels.
Ne tombons pas dans le piège de Sharon. Ne nous trompons pas de combat. L'insulte contre un juif ou un arabe, c'est la même. Elle ne profite, dans les deux cas, qu'à l'extrémisme fasciste dont se réclament Sharon et les siens. Qualifiant les attaques contre les synagogues et les commerces juifs de "crimes contre les Palestiniens", Leïla Shahid ne pouvait mieux dire. Ecoutons son appel.
- Ce texte est cosigné par : Adonis, Ahmad Abodehman, Abdel Hamid Akkar, Malek Alloula, Khalil Al Nouaymi, Salwa Al Nouaymi, Mohammad Bahjaji, Hoda Barakat, Jamel Eddine Bencheikh, Tahar Ben Jelloun, Fathi Ben Slama, Karima Berger, Mohamed Berrada, Hassan Chami, Mohammed Choukri, Dominique Eddé, Wafa El Amrani, Zeynab El Aouaj, Asmahan El Batraoui, Ibrahim El Khalib, Kadhim Jihad, Mohammad Kacimi, Elias Khoury, Idriss Khoury, Rachid Koreichi, Abdellatif Laâbi, Wassini Laaraj, Issa Makhlouf, Fayez Malas, Alia Mamdouh, Farouk Mardam Bey, Hassan Nejmi, Hachem Saleh, Mayssoun Sakr, Elias Sanbar, Mary Seurat, Abdel Jabar Shimi, Gilbert Sinoué, Habib Tengour, écrivains ;
Yto Barrada, Randa Chahal, Fouad El Koury, Safa Fathi, Najib Gouiaa, Joana Hadjithomas, Khalil Joreige, Dina Kamel, Nadia Kamel, Michel Khleifi, Ibrahim Khill, Mohamad Malass, Yousry Nasrallah, Mohammad Qassimi, Ghassan Salhab, Elia Suleiman, cinéastes, photographes, peintres ;
Sidi Mohammed Barkat, Hamid Barrada, Marwan Bechara, Elmostafa Ben Boucetta, Mohammad Enkheira, Ali Ben Saad, Claude Brahimi, Faouzia Charfi, Mohamed Charfi, Khedija Cherif, Iarbi Choulkha, Hicham Djaït, Anne-Marie Eddé, Rudolf El Kareh, Borhan Ghalioun, Sabri Hafez, Abdallah Hamoudi, Mohammad Harbi, Bachir Hilal, Mahmoud Hussein, Adil Jazouli, Rashid Khalidy, Walid Khalidy, Bassma Kodmani, Hala Kodmani, Khadija Mohsen-Finan, Lotfi Madani, Ilham Marzouki, Camille Mansour, Ouardia Oussedik, Hamadi Redissi, Moustapha Safouan, Houari Touati, chercheurs, professeurs des universités, éditeurs.
                                   
9. Ilan Halévi, conseiller politique du Président palestinien, dénonce un cercle vicieux : "Si Arafat survit, ce sera lui le vainqueur" par Jean-Pierre Perrin
in Libération du mercredi 10 avril 2002
Ilan Halévi, juif israélien, conseiller politique de Yasser Arafat, et son représentant à l'Internationale socialiste, se trouvait hors de Palestine au moment de l'offensive israélienne contre les territoires autonomes. Depuis Paris, il explique pourquoi l'escalade ris que de se poursuivre.
- Vous habitez Ramallah, avez-vous des nouvelles ?
- Je sais que les soldats israéliens ont fait sauter à l'explosif la porte de mon appartement avant de le fouiller. Ils l'ont fait pour chaque appartement où on ne leur a pas ouvert. A Ramallah, ils ont fouillé chaque maison pour faire en sorte que personne ne passe à travers les mailles du filet. Il n'y a pas un Palestinien qui n'ait été brutalisé. La pratique qui consiste à considérer toute une population mâle entre 10 ans et 50 ans comme coupable de terrorisme n'est pas nouvelle. Les Israéliens ont agi de la même façon en 1948, en 1967, au Liban... Ce qui est nouveau, c'est de le faire à une aussi large échelle.
- Les brutalités de l'armée israélienne semblent souvent gratuites. Ont-elles un but ?
- Ces brutalités massives, il faut les décrypter. Elles ne visent pas seulement à intimider les Palestiniens, mais aussi à faire que les Israéliens se sentent vainqueurs. D'où l'importance des images. Sharon veut que se dégage une impression globale de brutalité tout en excluant les témoins, les journalistes. Il en a besoin pour des raisons de politique interne face à la menace représentée par Netanyahou (son rival au Likoud, ndlr) et pour récupérer l'extrême droite israélienne, comme le Parti national religieux.
- Face au terrorisme, ce type de politique est-il payant ?
- Non, car les gens que l'on rafle sont de simples citoyens. Ils sont restés dans les villes en pensant n'avoir rien à craindre. Les terroristes, eux, ont pu s'échapper. C'est pour cela que Sharon dit qu'il n'a pas fini son boulot. Mais cela amène la population palestinienne à souhaiter la poursuite des attentats. Sinon, cela voudrait dire que la politique de Sharon a porté ses fruits, qu'il a gagné. C'est un cercle totalement vicieux.
- Et Yasser Arafat, comment va-t-il sortir de l'épreuve ?
- Il y a deux possibilités. Soit il survit politiquement, soit non. On sait qu'il ne va ni abdiquer, ni émigrer. Tant que les Israéliens ne l'auront pas liquidé, il sera là. Mais s'il survit à cet épisode, ce sera lui le vainqueur. Sa popularité sera totale, non seulement chez les Palestiniens mais aussi dans tout le monde arabe. Fait sans précédent : il y a une quinzaine de jours, les Syriens ont autorisé une manifestation de Palestiniens où l'on brandissait son portrait (...). Si les Israéliens étaient arrivés à le tuer, ils en auraient fait un héros à la Salvador Allende (1). Mais ils ont raté l'occasion. Il faut rendre hommage au petit groupe des militants de la paix qui ont joué à ce moment-là un rôle crucial dans sa protection.
- Dans la situation actuelle, y a-t-il une autre issue que l'escalade ?
- On n'en voit pas. C'est ce qui rend totalement indispensable l'intervention de la communauté internationale. Sans celle-ci, la situation actuelle va durer et empirer. Mais jusqu'à quel point de barbarie devra-t-on arriver pour que les Etats-Unis ou l'ONU disent à Sharon : «ça suffit !» ? Pour le moment, l'actuelle complaisance de la communauté internationale à l'égard d'Israël apporte beaucoup d'eau au moulin des islamistes.
- Quelles seraient pour les Palestiniens les conditions d'un cessez-le-feu ?
- Pas de cessez-le-feu avant la reprise de négociations, tant qu'il n'y a pas une perspective claire offerte à la rue palestinienne. Or, Américains et Israéliens nous ont fait savoir que l'arrêt des opérations (de terrorisme, ndlr) ne les intéressait pas. Ce qu'ils veulent, c'est la mort des opérateurs. Pas d'islamistes assagis, mais sous les verrous. Or, lors du dernier cessez-le-feu ordonné par l'Autorité palestinienne et que le Hamas a respecté, c'est le Fatah qui a tiré sur une colonie juive. Cela ne témoignait pas d'une duplicité de sa part mais d'une incapacité à arrêter ces opérations sans contrepartie. Dès lors, tout scénario qui serait seulement fondé sur l'arrêt de l'occupation israélienne n'est pas réaliste. Il faudrait un enchaînement très rapide entre retrait et négociations pour que cela ait une chance de marcher. Le problème, c'est que l'acharnement des Israéliens sur l'Autorité fait qu'il n'y a plus de noyau exécutif pour empêcher ce genre d'opération.
- On remarque que Sharon prend soin de circonscrire le conflit à la Palestine, qu'il évite toute surenchère face au Hezbollah.
- Mais ce que veut Sharon, c'est attirer les autres pays dans l'actuel conflit. Il veut ainsi essayer d'établir une connexion de type terroriste entre les Palestiniens et le Hezbollah, alors que celle-ci n'existe pas et n'existera jamais. Déjà que les Palestiniens n'ont jamais eu vraiment de liens avec les Frères musulmans jordaniens, a fortiori avec le Hezbollah qui est un parti chiite... En réalité, Sharon aimerait qu'il y ait des incursions de Palestiniens depuis la Jordanie, et on ne peut pas les exclure même si les gouvernements arabes évitent de tomber dans des provocations. Mais ce qui est très dangereux, c'est un dérapage des manifestations populaires en Egypte et en Jordanie qui pourraient déboucher sur une situation d'instabilité, laquelle serait exploitée par Israël.
- Jusqu'où peut conduire la politique de Sharon ?
- Je suis entré en politique en 1967 et, depuis cette date, je n'ai jamais été confronté à tant d'incertitudes. On ne voit pas comment Sharon pourra s'arrêter sans avoir fini le boulot, comme il dit, car cela provoquerait une crise interne dans son gouvernement. La politique de Sharon ouvre sur deux hypothèses très contradictoires. Soit ce sont les derniers soubresauts avant un retour aux négociations. Soit c'est une bataille historique perdue (pour les Palestiniens, ndlr), ce qui aurait des conséquences totalement incalculables.
(1) Président de gauche du Chili, victime le 11 septembre 1973 du coup d'Etat du général Pinochet.
                                                                  
10. Sur fond de légalisation de l’impotence, la nécessité que se poursuive l’Intifada arabe par le Dr. Abdel-Wahhab Al Effendi
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 9 avril 2002
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
(Dr. Abdel-Wahhab Al Effendi est un écrivain soudanais vivant à Londres.)
Ce n’est pas sous l’effet d’on ne sait quelle inspiration descendue des cieux que le président américain George Bush a changé du tout au tout de discours politique, en l’espace de quelques jours. Après avoir déclaré qu’Israël était dans son droit en razziant les territoires palestiniens déjà soumis, qui plus est, à l’occupation et que, ce faisant, ce pays exerçait son droit à l’auto-défense, il exige - quatre jours après - qu’Israël se retire, mette un terme à la colonisation et satisfasse, en quelque sorte, à toutes les exigences des Palestiniens en matière de cessation de l’occupation et d’établissement de leur Etat souverain... L’éveil de Bush, en dépit de toutes ses imperfections, répond à celui de la nation arabe, cette Belle au bois dormant... La jeunesse et les anciens, les hommes et les femmes, les intellectuels et les citoyens “ordinaires” se sont redressés, dans cette nation, de l’Océan au Golfe : ils ont rappelé à qui aurait tendance à l’oublier que cette nation existe, et qu’elle a une voix.
L’intifada, dans sa forme actuelle, est plus un problème qu’une solution, et pas seulement du point de vue de George Bush ou des dirigeants arabes eux-mêmes. L’intifada, c’est la décision prise par le peuple de s’occuper lui-même de son destin. En cela, c’est le seul phénomène social qui mérite le beau nom de révolution. Il est caractéristique qu’on ne lui connaisse pas de direction préétablie ou centralisée : bien loin de là, elle accouche d’elle-même ses dirigeants. Dans des révolutions de cette nature, l’explosion se produit en premier et, ensuite, seulement, émergent des leaders. Ce fut le cas de la révolution française, à la différence de la révolution qui l’avait précédée en Angleterre. Ce ne fut le cas ni aux Etats-Unis, ni en Russie.
Ces explosions (historiques) sont avant tout et par-dessus tout l’expression d’un désespoir, en particulier lorsque le peuple désespère de ses dirigeants. La première intifada palestinienne avait éclaté en 1987 en réponse à la fin de la période combattante de l’Organisation de Libération de la Palestine, laquelle avait été évacuée du Liban et s’était transformée, à Tunis, en appareil étatique officiel, à l’instar de tous les autres gouvernements arabes, sauf qu’il s’agissait, en l’occurrence, d’un appareil bureaucratique entravé par la combinaison de deux chaînes : celle de sa propre impéritie et celle des immixions des gouvernements (arabes) qui lui liaient les mains et lui interdisaient toute initiative. Le citoyen palestinien, sous le joug de l’occupation, a compris alors que ni les gouvernements (arabes) pacifiques et soumis, ni l’OLP entravée et doublement prisonnière ne le sauveraient de la prison où l’occupation le maintenait. Il a décidé alors de s’en remettre au destin et de prendre en mains les rênes de l’initiative. Cela produisit la lutte héroïque que l’on sait. La même chose se répète depuis un an et demi, après qu’il fût avéré que le processus d’Oslo était dans l’impasse.
A l’instar de toutes les explosions historiques similaires, l’intifada est un processus que personne ne peut contrôler, une fois enclenché. Elle se transforme en incendie qui consume tout ce qui se trouve sur son chemin et n’épargne aucun de ceux qu’elle y rencontre, dont elle alimente son brasier. L’explosion résulte de l’accumulation d’une énorme quantité de colère, cette colère qui sans cela serait destructrice pour soi-même et pour les autres. Cette explosion est dépourvue de toute stratégie qui pourrait en guider la progression. Elle sait ce qu’elle fuit, mais sans savoir où trouver un refuge. Toute tentative pour contrôler la direction de la coulée de lave de ce volcan serait de nature à créer des conflits périphériques hautement destructeurs.
Parmi les dons de Sharon, qui semblent s’être mués en atout pour les Arabes et en malédiction pour son peuple, on trouve celui d’avoir été le parrain de l’intifada arabe. En déferlant sur le Liban, il a donné aux Arabes trois victoires. La première est celle d’avoir réuni les conditions qui ont abouti à l’éclatement de la première intifada ; la seconde victoire donnée par Sharon aux Arabe est d’avoir ramené le président Arafat et son organisation dans son pays, la Palestine, au lieu de l’exiler au Kamtchatka, retour auquel Arafat n’aurait jamais osé rêver. Enfin, il a donné aux Arabes leur première victoire militaire, claire et sans ambiguïté aucune, au sud-Liban.
Les bienfaits de Sharon ne s’arrêtent pas là : il est celui qui a fait éclater la seconde intifada en souillant l’Esplanade des Mosquées (AlHaram al-Sharif) de par sa présence criminelle et provocante en ces lieux. C’est lui, aussi, qui a entraîné l’éclatement de l’intifada arabe généralisée à laquelle nous assistons actuellement, en commettant les crimes horribles que l’on sait au su et au vu d’une nation arabe dont les dirigeants ne bougent pas le petit doigt.
L’intifada arabe actuelle est une intifada attendue depuis fort longtemps, une intifada à laquelle les derniers événements n’ont pas permis d’attendre davantage pour exploser. Ces événements ont montré l’impuissance absolue des régimes arabes en place, impuissance avouée par les dirigeants arabes eux-mêmes. Le fait que les peuples arabes regardent leurs dirigeants du moment avec le mépris qu’ils méritent n’est en rien une nouveauté, puisqu’aussi bien on n’a jamais vu, dans l’Histoire, d’autre nation gouvernée par des régimes tirant leur légitimité de l’aveu de leur incapacité à faire quoi que ce soit, mise à part la nation arabe. Ce qui est piquant, c’est que ces régimes, bien loin de chercher à pallier cette impuissance, en tirent leur raison d’exister et en tirent argument pour étayer leur légitimité plus que contestable, quand elle n’est pas totalement inexistante. Ces régimes avouent à leurs peuples respectifs qu’ils sont incapables de faire face à l’arrogance d’Israël, que ce soit en faisant la guerre ou en faisant la paix, et ils considèrent que cette réponse est de nature à intimer le silence à ceux qui exigent d’eux qu’ils fassent quelque chose. Peu importe quoi, mais : quelque chose... Ils préviennent Washington et les autres puissances qui garantissent leur existence de leur incapacité à contenir la colère de leurs peuples et mettent en avant cette situation, aussi, pour apitoyer Washington et obtenir, ce faisant, des aides et un soutien accrus.
A renforcer l’étrangeté de cette situation pervertie est le fait que les régimes arabes, venus pour la plupart au pouvoir au moyen de coups d’Etat militaires survenus au cours des cinquante années écoulées, fondaient (artificiellement) leur légitimité sur la nécessité de faire face à l’ennemi sioniste. Ces dirigeants avaient bien souvent envoyé leurs prédécesseurs à la potence, voire pire, les accusant d’incapacité à affronter le combat pour le destin (national). Ils avaient promis à Israël les pires avanies au lendemain de leur arrivée au pouvoir, ils avaient arraché le pain de la bouche des veuves et des orphelins, ils avaient étouffé les cris et les chuchotements sous le prétexte qu’”aucune voix ne devait couvrir le son du canon”.
Ils ont imposé à la nation de vivre sans pain et sans liberté, sans droits et sans dignité, afin de consacrer toutes les potentialités à la bataille. Les décennies ont passé, et nous n’avons pas entendu le moindre bruit de bataille. Il est devenu clair pour tout le monde que l’argent prélevé sur le pain du peuple n’a pas été consacré à la préparation de la bataille, loin de là : il a atterri dans les banques suisses, dans les immeubles de rapport à Paris, Londres, Genève et autres hauts-lieux de la spéculation, dans les escarcelles des danseuses et des demi-mondaines de toutes catégories. Le peu qui aurait dû financer l’armement a été dilapidé par les trafiquants d’armement, et une bonne part du restant en a été détournée par les dirigeants eux-mêmes, qui n’ont jamais été chiches avec leur parentèle et leurs obligés.
Après la révélation de ce qui s’est révélé en matière d’échec à préparer le recouvrement de la dignité de la nation arabe, ces dirigeants n’ont pas pris la décision qui s’imposait pourtant à eux : reconnaître leur échec, endosser leurs responsabilités, démissionner et rendre le pouvoir aux peuples afin qu’ils décident de faire rendre des comptes aux fautifs et de décider eux-mêmes de leur propre destin. Non, ce qu’ont fait ces dirigeants, c’est exactement le contraire : ils ont claironné à qui voulait l’entendre que leur totale impotence était inscrite dans le ciel, qu’elle ne devait rien à leur ignorance, à leur corruption, à leurs crimes. Ils ont répandu partout la billevesée selon laquelle Israël serait invincible et que la solution est entre les mains de la seule Amérique (et non pas, vous l’aurez remarqué au passage, dans la main de Dieu, qu’Il soit exalté), ils se sont empressés de signer, au nom de la nation arabe, les chèques en blanc de la reddition. Ensuite, une nouvelle fois, après avoir empoché le prix de leur trahison sous forme d’aides financières américaines exceptionnelles, ils l’ont utilisé afin de tenter de justifier leur capitulation et ils n’ont pas fait bénéficier leurs peuples de ces aides. Non. Encore une fois, ils les ont réservées à leurs descendance et à leurs hommes liges, ces hypocrites qui les entourent de leur obséquiosité, ils les ont dilapidées pour acquérir pour un prix exorbitant des systèmes de sécurité et des services secrets sophistiqués et même (aussi incroyable que cela puisse paraître), à la formation de leurs armées et à l’achat d’armes et de munitions !
Les événements, sanglants, douloureux, humiliants pour la dignité de tous les Arabes, ont fini par montrer ce qui n’était pourtant nullement caché, à savoir le fait que ces dirigeants n’ont pas une once de poids diplomatique et qu’ils ont échoué dans la paix comme ils avaient échoué dans la guerre. La révolte des populations en résulte, tout-à-fait logiquement. Elles décident de prendre en mains les rênes de l’initiative. Mais l’actuelle intifada arabe est confrontée à deux dangers. Le premier est le risque qu’elle ne soit qu’un cri donnant un exutoire à sa colère et à la crise psychologique vécue par tout un chacun, sans que cela n’aboutisse à un quelconque résultat. La frustration politique a atteint un degré tel que d’aucuns voient dans une manifestation parcourant quelques dizaines de mètres dans une grande avenue, voire même dans un sit-in dans quelque endroit fixé, un événement historique, une réalisation grandiose. Ce en quoi ils n’ont pas totalement tort, lorsqu’on sait que les gouvernements arabes, nous avons eu l’occasion de nous en apercevoir, ne tolèrent même pas de telles manifestations qui ne sauraient faire avancer quoi que ce soit en elles-mêmes, mais ont le mérite de prévenir une explosion de colère populaire dévastatrice et d’éviter certains cas graves de tachycardie et d’hypertension.
Le deuxième danger, c’est que l’intifada arabe ne s’égare et ne se transforme en un courant de colère impétueux et dévastateur, d’où pourrait découler une violence aveugle, plus néfaste que constructive. Ce n’est pas la première fois, loin de là, que la rue arabe se mobilise en soutien à la Palestine. Les volontaires arabes se sont mis en mouvement en 1936, en 1947-48. Ils se sont élancés au secours de la Terre sainte. Mais les régimes les ont trahis, doublement. D’abord, en ne leur apportant aucune aide logistique, ensuite en maltraitant ceux d’entre eux qui avaient survécu à la trahison et qui avaient pu retourner chez eux. Les régimes en ont usé de même avec la résistance palestinienne. Nous n’aurons pas la cruauté ici de détailler l’histoire amère de la trahison de la résistance par ces régimes, ou de leurs tentatives pour la domestiquer et de l’instrumentaliser pour la défense de tel ou tel d’entre eux. Qu’il nous suffise de dire qu’il n’est pas de population plus nombreuse, dans les geôles arabes, que celle des résistants palestiniens faits prisonniers ou des volontaires arabes qui s’étaient levés pour aller combattre à leurs côtés. Y a-t-il quelque chose à ajouter au fait qu’en Egypte, ces jours-ci, les tribunaux de la sécurité de l’Etat examinent les charges portées contre des jeunes emprisonnés pour avoir “tenté d’apporter un soutien” à la résistance (palestinienne)... Et encore : en paroles, non en actes !
Aujourd’hui, les plus valeureux partisans de l’intifada en paroles sont ceux qui appellent à l’ouverture des frontières et à ce qu’on les laisse passer pour aller rejoindre les insurgés, alors qu’il s’agit là d’une exigence totalement irréaliste. Premièrement, parce que les régimes n’ouvriront jamais les frontières, pour des raisons qui n’échappent à personne, secondement parce que les volontaires pour le djihad, à l’intérieur des territoires occupés, ne manquent pas. Mais ils sont pieds et poings liés en raison de l’inexistence du soutien qui leur est absolument nécessaire, nous le savons tous, en matière d’équipement. L’arrivée de volontaires arabes sur les lieux des combats ne changerait strictement rien à cette triste réalité : elle ne ferait qu’augmenter encore l’hécatombe provoquée par l’agression israélienne.
Enfin, il n’y a pas de place, dans l’époque où nous vivons, pour la lutte populaire. L’expérience de Ben Laden et des mujahidin en Afghanistan est la preuve éclatante que cette voie est sans issue et auto-destructrice. Sans compter qu’elle présente d’innombrables effets pervers. La confrontation avec Israël est une confrontation totale, elle exige une position arabe unifiée, une coordination des potentiels militaires, diplomatiques, politiques et informationnels, afin de créer une nouvelle réalité à même de rendre possible le recouvrement des droits. Cela exige des gouvernements réunissant la compétence, l’honnêteté et le désintéressement, à même de coopérer entre eux afin de bâtir leur potentiel militaire et économique, de rétablir l’équilibre perdu, d’adopter des positions décisives. Mais la situation actuelle est faite de gouvernements impuissants, incapables, vermoulus par la corruption, d’une réalité arabe déchirée, dans laquelle les dirigeants font de grands discours, le matin, en défense du droit des Arabes, et des confidences sur l’oreiller, le soir venu, à l’oreille d’Israël : “En réalité, je suis avec vous, mais vous comprendrez, bien sûr, que nous fassions semblant...” Bien loin de soutenir les potentialités des pays arabes frères, les frères arabes complotent ouvertement afin de détruire les dites potentialités et font tout ce qu’ils peuvent afin d’affaiblir leurs homologues.
L’intifada arabe actuelle doit donc continuer, avec un seul mot d’ordre : la démocratie et la possibilité donnée au peuple de décider de son destin. C’est le chemin vers la création d’une réalité arabe assainie, dans laquelle les peuples arabes pourront aider la Palestine, et non pas être pour elle un fardeau supplémentaire, après l’avoir été pour eux-mêmes. Que les jeunes Arabes, que les “shabab” abandonnent leur exigence qu’on leur laisse rejoindre la cohorte des martyrs, et qu’ils demandent à leurs gouvernants de suivre, avant toute chose, cette voie. On ne sait jamais... On peut toujours espérer...
                                   
11. Proche-Orient : la France doit agir par Jean-Pierre Chevènement
in Libération du lundi 8 avril 2002
(Jean-Pierre Chevènement est député-maire de Belfort, candidat à l'élection présidentielle.)
Devant la tragédie qui ensanglante le Proche-Orient, la France, l'un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, semble frappée d'impuissance, et se borne à guetter les réactions américaines. Ceux qui nous dirigent ont intériorisé depuis longtemps l'effacement de notre pays. Du septennat écoulé ne reste que le souvenir d'un Président bousculé à Jérusalem et d'un Premier ministre caillassé à Bir Zeit. Le président de la République se cache aujourd'hui derrière le plan de paix saoudien, mais ne fait rien pour le faire avancer. Le Premier ministre propose une force d'interposition militaire mais on ne sait pas au nom de quelle diplomatie. L'idée que la France pourrait s'exprimer et agir par elle-même leur a, semble-t-il, à tous les deux échappée.
L'invocation à l'Europe n'est qu'un alibi à l'impuissance nationale à laquelle ont consenti depuis longtemps ceux qui nous dirigent. Il est loin le temps où la voix forte et claire du général de Gaulle pouvait peser dans le cours des affaires du monde. Pourtant cela ne demande que de la vision et du courage.
Chacun voit bien que les parties en conflit ne pourront pas résoudre par elles-mêmes la tragédie qu'elles vivent. Une intervention extérieure est nécessaire. Les forces qui, en Israël, se sont battues après que le Premier ministre Yitzhak Rabin eut lui-même payé de sa vie son engagement pour la paix, ces forces doivent constater aujourd'hui que tous leurs efforts ont été anéantis à la fois par le refus obstiné, radical, d'une frange de la classe politique israélienne représentée par Ariel Sharon d'accepter les accords d'Oslo, et en même temps par l'incapacité de l'Autorité palestinienne à maintenir ouvertes les voies de la négociation, après les avancées méritoires accomplies à Camp David et à Tabah.
Cette spirale de violences, d'attentats aveugles frappant des innocents, de bombardements, d'occupations et d'assassinats ciblés, ne peut déboucher que sur des malheurs grandissants : élimination d'Arafat au profit du Hamas, triomphe des intégristes, déstabilisation de nombreux régimes musulmans modérés. A terme, elle conduit au fameux «choc des civilisations» qui serait un désastre pour les peuples concernés mais aussi pour l'Europe et pour la France. Ce serait la victoire a posteriori de Ben Laden : le début d'une guerre de Cent Ans.
L'intervention du président Bush du 4 avril invite à un retrait militaire israélien de Cisjordanie mais n'éclaire pas l'avenir ; elle reste marquée par les contradictions qui, ces dernières semaines, ont valu encouragement à la politique d'Ariel Sharon. Celui-ci n'en fait qu'à sa tête et Colin Powell prend son temps. Plusieurs guerres sont en gésine au Moyen-Orient dans la définition pour le moins simpliste que le président Bush a donnée de la politique américaine : lutte prioritaire contre «l'axe du Mal» au nom d'une conception extensive et dangereuse de la lutte antiterroriste.
C'est pourquoi je demande que la voix de la France se fasse clairement entendre au service d'une ligne de justice et de raison pour définir les bases d'un règlement équitable pour les deux parties.
La France doit mettre au premier plan l'intérêt des peuples israélien et palestinien.
C'est aussi notre intérêt que de mettre un terme à la cascade de guerres au Proche-Orient, qui a des conséquences redoutables, non seulement pour la stabilité de toute la région, mais également pour la France, l'Europe et l'humanité tout entière.
Membre permanent du Conseil de sécurité, la France doit proposer la réunion d'une conférence internationale.
On discerne bien les contours d'un accord politique. Ils ont d'ailleurs été esquissés à Tabah : rétrocession des colonies israéliennes en Cisjordanie, partage de Jérusalem, devenant double capitale, renonciation à l'exercice pour les Palestiniens du droit au retour dans les frontières d'Israël ­ ce qui serait la négation de son droit à l'existence ­ sous réserve d'indemnisation. Ces avancées doivent être remises au centre de la négociation. Une conférence internationale doit proposer et si nécessaire imposer une solution politique sur ces bases. Une force internationale d'interposition, à laquelle la France devrait alors participer, serait appelée à garantir la sécurité des Palestiniens aussi bien que des Israéliens. Un traité international de type Otan devrait garantir la sécurité d'Israël dans la durée.
Ne sous-estimons pas la portée historique d'une telle démarche de la France. L'administration Bush vise, à travers le Proche-Orient, d'autres objectifs qui ont plus à voir avec le pétrole qu'avec le souci de la paix et de la sécurité d'Israël. Ces ambiguïtés rendent plus nécessaire que jamais une telle initiative de la France. Elle rencontrerait de nombreux soutiens. Ceux qui, en Israël, ont pris avec le gouvernement Barak, tous les risques politiques pour aller jusqu'au bout de propositions courageuses pour la paix, éprouvent légitimement une grande amertume devant le refus final, qui a eu pour conséquence l'élection d'Ariel Sharon. Mais ils savent qu'il n'y a pas d'alternative à une reprise des pourparlers de paix, sous l'égide d'une médiation extérieure. Telle est la position des Israéliens les plus éclairés, tel l'ancien ministre des Affaires étrangères Shlomo Ben Ami. Le peuple israélien ne peut vouloir une confrontation entre l'Occident et le monde arabo-musulman dont il deviendrait l'otage et sans doute la victime. L'intérêt bien compris du monde arabe est de favoriser les facteurs de modernité en son sein, de réussir sa mutation historique et de ne pas laisser les intégristes dévoyer la colère populaire. Ces forces politiques laïques sont aujourd'hui menacées d'être balayées par le vent mauvais de la colère et du fondamentalisme. Notre devoir est de les conforter pour empêcher de nouveaux drames et l'embrasement du Proche-Orient et du Maghreb. L'OLP est le seul interlocuteur crédible et Arafat reste, quelles que soient ses indécisions, son représentant légitime. Toute tentative de bouleverser ce cadre entraînerait des violences incontrôlables et illimitées pour les prochaines années.
La France doit donc faire entendre sa voix dans les affaires du Proche-Orient. Elle sera d'autant plus forte que la voix de la République saura se faire respecter sur son sol.
Depuis des années, je mets en garde contre les risques, avec la complaisance des gouvernements successifs, d'une communautarisation de la société française. L'égal accès à la citoyenneté des jeunes issus de l'immigration n'est pas acquis, loin s'en faut. L'idéal de la citoyenneté s'efface devant l'exaltation des différences (affaire du voile, pouvoir législatif à la Corse, etc.) ; le principe de laïcité est souvent perdu de vue. Sur ce terrain miné, l'inégalité des droits sert de prétexte au repli identitaire. Des idéologies antirépublicaines, ethnicistes ou intégristes, prospèrent sur ce mauvais terreau.
Quand la confiance en la France s'étiole, la tentation surgit chez certains de s'identifier à des identités ou à des causes étrangères. Il nous faut combattre résolument cette dérive. Nul ne doit importer en France les passions et la violence qui se déchaînent au Proche-Orient. La République n'agrège pas des communautés, qui coexistent aujourd'hui avant de s'opposer demain : elle réunit des citoyens égaux en droits qui, selon la règle de laïcité, doivent garder dans la sphère privée leur foi et leurs attaches. Nulle minorité ne peut imposer sa loi particulière, ni régler sur le sol de la République des conflits qui lui sont étrangers.
Pour la première fois depuis les années 30, des synagogues sont brûlées, des insultes proférées à l'égard de nos concitoyens juifs, des écoles, des crèches sont vandalisées, des graffitis antisémites sont apposés sur nos murs. Ces actes odieux contre nos concitoyens de confession juive doivent être condamnés avec la plus grande fermeté. Ils sont d'ailleurs le plus mauvais service rendu à la cause palestinienne. Mais je me refuse à mêler ma voix à celle de ceux qui, sous le fallacieux prétexte de défendre Israël, cautionnent la politique destructrice et autodestructrice d'Ariel Sharon.
La France et la République doivent ensemble retrouver leur voix : la France pour offrir une issue de raison et de justice au conflit du Proche-Orient, la République pour faire entendre le message de la citoyenneté : les repères républicains affaiblis par la complaisance de nos gouvernements successifs doivent retrouver leur force. La République n'a pas à distinguer entre ses citoyens. A tous elle doit l'application égale et ferme de ses lois.
C'est ainsi que nous ferons reculer le spectre d'un conflit des civilisations dont chacun voit bien qu'il aurait des répercussions sur notre sol. Plus que jamais la République est la force de la France.
                                                               
12. De retour de Ramallah, les "résistants" aubagnais sont accueillis en héros par Romain Luongo
in La Provence du dimanche 7 avril 2002

Il hésite un court instant. Puis Jean-Paul Mignon finit par grimper sur les épaules des deux militants pro palestiniens qui l’attendent à sa descente du train, en provenance de Paris, sur le quai de la gare Saint-Charles à Marseille.
L’émotion et les larmes perlent sur son visage. Les doigts en "V", il traverse le groupe qui l’acclame comme un héros. La foule, quelque deux cents personnes, réserve le même accueil à son épouse Marie-Christine, restée à ses côtés et qui étreint dans ses bras leur toute jeune fille. Il est 20h30 hier soir, les cris de soutien et de remerciement à ce couple d’Aubagnais, de l’association "Ballon rouge", retentissent sous la verrière de la gare pour saluer le "courage" et le "dévouement" des deux "résistants".
Ils sont partis voilà près de 10 jours avec un groupe d’hommes et de femmes issus comme eux d’associations, tous réunis au sein du "Collectif pour le respect du peuple palestinien", dont faisait partie José Bové. Le 31- mars dernier, ils réussissent à pénétrer dans le QG de Yasser Arafat à Ramallah.
Transformés en boucliers humains, ils entendent protéger le chef de l’autorité palestinienne et témoigner de la situation sur place. Jeudi soir, encerclé par l’armée israélienne, ils finissent par obtenir le droit de quitter les bureaux d’Arafat et les territoires occupés pour rejoindre la France et raconter la guerre. C’est ce qu’ils font, quelques instants à peine après avoir touché le sol marseillais.
"Les chars terrorisent la population"
Au milieu du comité d’accueil, Jean-Paul prend la parole, pour lire un communiqué qu’il vient de préparer dans le train avec son épouse: "Nous sommes allés en Palestine pour témoigner de la guerre totale que mène Israël contre le peuple palestinien. Nous avons vu les chars terroriser la population, nous avons vu une armée bafouant les droits fondamentaux, expulser les journalistes. Et que personne ne nous dise que nous exagérons. Nous sommes allés en Palestine pour que personne ne nous dise un jour : "Je ne savais pas". Nous gouvernements ont démissionné. Alors nous devons exiger l’envoi d’une force internationale. Le peuple palestinien veut la paix. Ils ne demandent qu’un bout de terre où ils sont nés". A peine reprend-il sa respiration, que Jean-Paul Mignon veut continuer à s’exprimer, à expliquer au monde ce qu’il a vu sur place. A Paris déjà, plusieurs journalistes ont recueilli son témoignage. Mais cela ne suffit pas. Lui veut répéter son indignation, inlassablement.
"Les hôpitaux sont bloqués, les chars braquent les ambulances avec leurs canons.
L’armée empêche les médicaments d’arriver. J’ai vu tout cela. Je suis très inquiet pour les gens qui sont restés là-bas. Ils sont dans un état déplorable. C’est comme si on bombardait la Cayolle dans son état d’il y a vingt ans (une cité d’urgence des quartiers sud de Marseille, aux airs de bidonville).
Nous pensions protéger des manifestants, aider à replanter les oliveraies détruites par les bulldozers, et on s’est retrouvé au milieu d’une vraie guerre."
Même si le comité d’accueil lui a réservé une véritable ovation hier soir, le couple refuse d’être considéré comme un héros. Marie-Christine, encore très touchée, entend bien préciser son rôle: "Nous sommes des citoyens, pas des héros. On est très content d’être accueilli comme ça, mais notre mission, c’est de relayer l’information. C’est très éprouvant. Malgré tout, j’ai très envie de poursuivre la lutte". D’autres sont là pour poursuivre la mission. Dans les bureaux de Yasser Arafat, bombardé hier par "Tsahal", se trouvent encore 26 civils européens. Un couple de Marseillais est parmi eux: Claudie et Christian Chantegrelle, deux chercheurs, sont restés sur place. Un autre Marseillais, Jean Sicard, se prépare à partir ce soir de Roissy pour rejoindre Tel Aviv puis les zones sensibles. Une mission quasi impossible. Car désormais, les autorités israéliennes tamponnent les passeports des étrangers afin qu’ils ne puissent plus pénétrer dans les territoires occupés.
                                           
13. Soutenir Israël ? Pas en notre nom !
in Le Monde du mercredi 6 avril 2002
Ce texte a été co-signé par Daniel Bensaïd, Rony Brauman, Suzanne de Brunhoff, Liliane Cordova-Kaczerginsky, Marc Cramer, Joss Dray, Rachel Garbaz, Gisèle Halimi, Samuel Johsua, Marcel-Francis Kahn, Pierre Khalfa, Hubert Krivine, Isabelle Kzwykowski, Dominique Lévy, Henri Maler, Willy Rozenbaum, Nicolas Shashahani, Catherine Samary, Michèle Sibony, Pierre Vidal-Naquet et Olivia Zemor.
Solidaires des droits nationaux et démocratiques du peuple palestinien, nous refusons l'escalade guerrière.
Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) appelle à manifester le 7 avril, non seulement pour protester contre les attaques de lieux de culte, mais pour "soutenir Israël". Alors que le nettoyage militaire bat son plein dans les territoires occupés, ce soutien prend une signification bien particulière. Prétendant parler au nom des Juifs du monde entier, les dirigeants israéliens et les porte-parole communautaires usurpent la mémoire collective du judéocide et commettent un détournement d'héritage. Reprenant le mot d'ordre des opposants américains aux croisades impériales, nous répondons : "Pas en notre nom !" Ariel Sharon a en effet résolu, avec le soutien de George W. Bush, d'écraser la résistance palestinienne, de détruire ses institutions, d'humilier ses dirigeants et d'acculer leur peuple à un nouvel exode. Le jour de Pâques, les informations télévisées nous ont offert le spectacle dégoûtant d'un président "étasunien", affalé en tenue décontractée de week-end, réclamant cyniquement un surcroît d'efforts et de bonne volonté à un Yasser Arafat assiégé dans ses locaux, privé d'eau, et éclairé à la bougie ! Devant la tragique solitude du peuple palestinien, la "communauté internationale" rivalise en démissions et capitulations honteuses.
Les ministres travaillistes israéliens exécutent docilement la politique du pire ! Les dirigeants arabes ne font rien pour faire respecter les droits du peuple palestinien. Prompts à emboîter le pas aux légions impériales américaines au nom du droit international, les dirigeants européens se contentent au mieux de bonnes paroles lorsque les troupes de Sharon bafouent ouvertement les résolutions de l'ONU ! Les belles âmes intellectuelles, qui se sont émues, à juste titre, du sort des réfugiés kosovars ou des bombardements sur Grozny, se taisent sur le sort des réfugiés palestiniens et se lavent les mains devant les murs calcinés et les ruines de Ramallah !
Pleins de compassion pré-électorale envers les victimes d'actes antisémites que rien, et certainement pas le soutien au peuple palestinien, ne peut justifier, nos gouvernants deviennent pudiquement silencieux devant les crimes commis par les troupes d'occupation en Cisjordanie ! Ceux et celles qui justifient le droit au retour des juifs en Israël, au nom d'un droit du sang millénaire, refusent le droit du sol aux Palestiniens ! Les dignitaires des Nations unies s'accommodent des humiliations infligées à l'Autorité palestinienne ! Ceux qui prétendent administrer la justice universelle détournent la tête devant les "liquidations extra-judiciaires", les exécutions sommaires de prisonniers, et les crimes de guerre d'Ariel Sharon !
Reconnu par l'Autorité palestinienne et par nombre de gouvernements arabes, le fait national israélien est désormais établi de manière irréversible. Mais une paix durable exige la reconnaissance réciproque de deux peuples et leur coexistence fondée sur les droits égaux. Les Israéliens ont un Etat souverain, une armée puissante, un territoire ; les Palestiniens sont parqués dans des camps depuis un demi-siècle, soumis aux brutalités et aux humiliations, assiégés sur un territoire en peau de chagrin : grande comme un département français, la Cisjordanie est lacérée de routes stratégiques, criblée de plus de 700 check points, hérissée de colonies. Il n'y a pas symétrie entre occupants et occupés.
Le retrait inconditionnel de l'armée israélienne des territoires occupés et le démantèlement des colonies ne constitueraient même pas une réparation de l'injustice faite aux Palestiniens, mais seulement l'application d'un droit formellement reconnu depuis trente-cinq ans, des résolutions 242 et 337 de l'ONU jusqu'à la résolution 1042 du Conseil de sécurité. Bush demande au contraire toujours davantage de concessions et de gages aux victimes. Sharon séquestre leurs représentants, dynamite leurs maisons, tandis que son armée bloque les secours sanitaires. Cette politique du pire conduit tout droit à la catastrophe non seulement le peuple palestinien menacé d'un nouvel exode purificateur, mais aussi le peuple israélien entraîné dans la spirale suicidaire de ses dirigeants. Car quel peut être l'avenir d'un Etat fondé sur l'oppression, l'injustice et le crime ? Et quel peut être l'avenir d'un peuple fuyant ses malheurs et ses angoisses dans une escalade meurtrière ?
Il était prévisible qu'à force d'assimiler le judaïsme à la raison d'Etat israélienne et de présenter les institutions juives comme des ambassades officieuses d'Israël, les apprentis sorciers du Grand Israël finiraient par être pris au mot, ce qui n'en rend pas moins odieux et inadmissibles des attentats contre des synagogues et des écoles.
Nous condamnons les agressions qui visent une communauté en tant que telle et rendent les juifs collectivement responsables des exactions commises par le gouvernement israélien. Nous condamnons toute dérive antisémite de la lutte contre sa politique. Nous condamnons, pour raisons tant morales que politiques, les attentats contre les populations civiles en Israël. Les actions contre les colonies et l'armée d'occupation relèvent en revanche d'une résistance historiquement légitime et d'une défense de droits imprescriptibles. Il y a trois mois encore, le ministre israélien de l'intérieur Ouzi Landau annonçait dans Le Monde (14 décembre 2001) une "lutte à mort" contre les Palestiniens, aussi longtemps que ces derniers auraient une goutte d'espoir. Ce désespoir sciemment entretenu constitue ainsi le terreau dans lequel s'enracine la violence extrême.
Alors que Sharon avait promis la sécurité aux Israéliens, leur pays est devenu l'endroit du monde où les juifs sont le plus en insécurité. Liant le sort de son peuple à la guerre illimitée contre le terrorisme décrétée par George W. Bush, il était pourtant clair que sa politique du pire deviendrait une machine infernale à fabriquer des kamikazes. Dénonçant toute dérive raciste ou antisémite en France comme au Moyen-Orient, solidaires des droits nationaux et démocratiques du peuple palestinien, nous refusons l'escalade guerrière et sa chronique d'un désastre annoncé. Nous exigeons l'application des résolutions de l'ONU, le retrait inconditionnel d'Israël des territoires occupés, le démantèlement des colonies et la reconnaissance immédiate par l'Union européenne d'un Etat palestinien laïque et souverain.
                           
14. Edward Saïd : “En ce moment, nous nous retrouvons tous derrière Arafat” par Mohammed Bakrim
in Libération (quotidien marocain) du samedi 6 avril 2002

Grande figure de la recherche universitaire contemporaine, intellectuel critique, notamment à l’égard des accords d’Oslo et de l’Autorité palestinienne, Edward Saïd, Américain d’origine palestinienne, est connu pour ses positions intransigeantes sur la base de la défense de valeurs récurrentes comme le droit des peuples à l’autodétermination, la démocratie, la laïcité. Il vient de publier ses mémoires, traduites et publiées en France sous le titre A contre-voie, éditions Le serpent à plume. Ce document autobiographique se présente aussi comme une œuvre littéraire ; pour le critique Alexis Tadié, A contre-voie “loin d’être un testament, ce beau récit s’efforce de comprendre les façons dont l’enfance a pu façonner la vie entière”.
Le livre paraît à un moment crucial de l’histoire du peuple palestinien, à un moment où les chars de Sharon sont envoyés contre l’espoir de paix, contre la volonté d’un peuple de décider de son propre sort. Edward Saïd dans une interview aux Inrockuptibles refuse l’amalgame journalistique qui parle de “spirale de violence au Moyen-Orient”. Il précise en effet : “Il n’y a pas de symétrie. D’un côté, il y a un Etat qui mène une guerre coloniale et de l’autre un peuple sans Etat, sans armée, sans aviation, sans marine, et sans véritable chef puisque celui-ci n’est pas libre de ses mouvements”. Edward Saïd a dit s’opposer aux actions qui visent les civils, “c’est peut-être plus horrible, plus terrifiant de voir des jeunes tués par des bombes dans des cafés et des boîtes de nuit en Israël -et encore une fois, je m’oppose totalement à ces actions- mais, comparé à ce qui se passe dans les camps de réfugiés, aux attaques d’école et d’hôpitaux par les Israéliens depuis trente ans…Les Israéliens ont toujours pris les civils pour cible et ne s’en sont jamais excusés.”
La situation est jugée ainsi terrible. Une seule issue pour Edward Saïd, une victoire politique du camp de la paix. Pour ce faire, il appelle les Palestiniens à faire preuve de beaucoup d’imagination, la résistance à être plus créative . “La résistance doit, avant toute chose, chercher à inclure les Israéliens. S’engager avec des groupes israéliens qui sont dans le même état d’esprit est la seule solution à long terme…Notre message de paix et de coexistence, notre demande de cessation de l’occupation doit devenir l’objectif politique d’un nombre croissant d’Israéliens. On ne peut pas vivre en s’opposant perpétuellement aux Palestiniens. Il y a donc beaucoup à faire en matière d’éducation, pour combattre l’ignorance de l’autre”.
Invité à dire ce qu’il pense de la situation politique dans les territoires, Edward Saïd souligne d’abord la spécificité de l’étape actuelle marquée par la recrudescence de l’agression israélienne, “la situation aujourd’hui est un peu particulière, en ce moment nous nous retrouvons tous derrière Arafat, l’heure est davantage à la défense qu’à la construction d’un nouveau programme politique”. Quant à la mouvance islamiste, Edward Saïd reconnaît que la conjoncture actuelle favorise son maintien au niveau actuel d’influence mais pas plus, “la majorité des Palestiniens ne se reconnaissent pas dans ces courants. Les partis islamiques n’ont pas d’avenir, ils n’ont pas de projet politique. Il y a aussi beaucoup de non-musulmans et d’athées parmi les Palestiniens. Nous avons besoin d’une nouvelle génération avec de nouvelles idées.”
                               
15. Soutenir la résistance est préférable à une guerre qui offrirait l’opportunité de l’écraser. Alors, arrêtons de geindre... Et réjouissons-nous de la victoire palestinienne : elle est proche par Wahid Abdel Majid
in Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 4 avril 2002
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
(Wahid Abdel Majid est vice-président de l’institut d’études stratégiques d’Al-Ahram.)
Le peuple palestinien n’a jamais été aussi proche de l’indépendance qu’aujourd’hui. Il devient chaque jour un peu plus clair que l’intifada d’Al-Aqsa s’est muée en guerre d’indépendance menée par ce peuple en comptant sur ses seules forces, ce qui est une première historique. Sans doute les opérations-suicides, qui ont commencé il y a environ un an, ont-elles représenté le grand tournant dans cette direction nouvelle.
L’intifada d’Al-Aqsa s’est embrasée, à l’instar des autres insurrections et des autres formes connues de résistance, sous la forme d’une réaction populaire qui était en elle-même une posture défensive. Les Palestiniens, ordinairement, étaient en position de riposte et de défensive. Ce qui est nouveau, c’est qu’ils sont aujourd’hui en position d’initiative et d’offensive, et que leur résistance est désormais dotée d’une stratégie découlant de la règle qui régit le conflit, sur le terrain, dans la période présente. Cette règle veut que le camp qui tient bon l’emporte, et que le camp qui faiblit le premier subisse des pertes écrasantes.
En vertu de cette règle, il semble que les Palestiniens soient tout près de la victoire. En effet, ils ont réussi à acquérir une immunité stratégique qui découle du fait même qu’ils n’ont rien à perdre, et qu’une écrasante majorité d’entre eux en sont convaincus. Ils n’ont pas développé d’économie puissante et sophistiquée pour laquelle ils pourraient nourrir des craintes, contrairement aux Israéliens. Avec la conviction croissante que les martyrs (ne sont pas morts, mais bien) vivants, auprès de leur Seigneur, les pertes humaines deviennent un gain, en ceci qu’elles incitent de plus en plus de jeunes hommes à faire le sacrifice de leur vie. La preuve la plus éclatante en est que les opérations-kamikazes ne sont plus du seul ressort des deux mouvements fondamentalistes (musulmans) du Hamas et du Djihad, mais qu’elles sont pratiquées désormais par les légions des Martyrs d’Al-Aqsa, lesquelles englobent des formations du Fath, voire même du Front Populaire de Libération de la Palestine, mouvement lui aussi (laïc) de gauche.
C’est précisément en cela que l’ancien équilibre des forces ne permet plus de comprendre ce qui est en train de se passer. En effet, cet équilibre purement matériel reposait sur l’estimation des potentiels militaires disponibles dans les deux camps en conflit et, par tant, sur la possibilité pour chacun d’eux d’infliger au camp opposé des pertes économiques et humaines insupportables, le contraignant à reculer.
Mais la puissance militaire écrasante d’Israël ne permet pas à ce pays d’obtenir un effet de cette nature car les Palestiniens ne possèdent pas une économie qu’ils seraient susceptibles de perdre, et ils ne considèrent pas que les martyrs tombés dans leurs rangs soient tombés en pure perte. Parallèlement, la faiblesse objective des Palestiniens ne les empêche nullement de porter des coups très douloureux à Israël, dont les citoyens tiennent à la vie et à leur économie.
Dans l’ombre de cet équilibre (des forces) modifié, il était inévitable que la politique du premier ministre le plus jusqu’au-boutiste de toute l’histoire d’Israël échouât, et que les Palestiniens tinssent bon face à des opérations militaires sans précédent, tant en matière d’envergure que de nature, non seulement dans le seul conflit palestino-israélien, mais aussi dans l’histoire de l’affrontement entre le colonialisme et les mouvements de libération nationale.
Les manifestations, sur le terrain, de la réalité du nouveau rapport entre les forces antagonistes sont multiples. Comparons, par exemple, les foules palestiniennes qui honorent leurs martyrs et leurs martyres, à la terreur qui s’empare des Israéliens à chaque fois que tombe une victime, dans leurs rangs. Comparons, également, la détermination des Palestiniens à tenir bon (çumûd) au désarroi croissant des Israéliens, lequel désarroi a atteint des sommets de vaine agitation lors de l’investissement des bureaux du Président Yasser Arafat, à Ramallah ; les assaillant n’ayant aucune vision claire de ce qu’ils voulaient faire de lui, ni de ce qu’ils allaient bien pouvoir faire après...
Ariel Sharon est apparu comme un taureau dans l’arène, après les banderilles. Excité, il frappe tous azimuts. En général, cela marque le commencement de la fin, dans une corrida. C’est ce à quoi s’attendent la plupart des observateurs et des analystes israéliens qui se penchent sur le cas de Sharon. Je dois avouer ici que j’ai emprunté l’expression “le commencement de la fin” à Gideon Samet, dans un article qu’il a publié dans le quotidien Ha’Aretz, dans lequel il a qualifié la voie empruntée par Sharon et ses ministres de “non-voie”, car ils ne sauraient changer de politique, alors que sa politique a pourtant échoué, et aussi parce qu’ils n’ont pas le courage de reconnaître qu’ils ont été incapables de réaliser leur promesse de mettre l’étouffoir sur l’Intifada. Mais notre analyste israélien n’est pas allé jusqu’à attribuer l’échec de Sharon au succès des Palestiniens avec tout ce que succès comporte de mutations positives dans leur structure politico-sociale, lesquelles mutations rendent peu probable l’éventualité que leur résistance s’arrêtera au prochain remaniement ministériel (en Israël). Une mutation fondamentale s’est produite dans la relation entre l’Autorité palestinienne et les différentes factions (militaires) palestiniennes, de même qu’ont changé les relations entre elles. La création de plusieurs branches armées du mouvement Fath, sous le nom de “brigades des Martyrs d’Al-Aqsa”, a représenté un changement qualitatif très important. Tout aussi importante, la coordination de terrain entre ces brigades et entre les bras armés des autres formations, qui s’est haussée jusqu’au niveau de la planification et de la réalisation d’opérations conjointes.
La mutation qui s’est produite dans la structure de la société (palestinienne) et dans son système de valeurs, du fait de la culture du martyre, est quant à elle beaucoup plus profonde que ne le donnent à voir ses diverses manifestations. On peut en déduire que le conflit est vraisemblablement entré dans la phase du “commencement de la fin” de l’occupation, et non pas du seul Sharon.
Nous sommes, également, à la veille d’une victoire, et non pas d’une nouvelle défaite, contrairement à l’impression donnée par le spectacle dominant offert par le monde arabe : spectacle de lamentations, de plaintes, de déploration, tant dans les médias qu’au niveau populaire, voire même dans les sphères officielles.
L’opinion publique arabe s’attache, généralement, à la surface des choses, elle s’en tient à ce qu’elle voit sur les écrans de télévision : la sauvagerie israélienne. Elle ne comprend pas qu’il y a une relation directe entre l’exacerbation de cette sauvagerie et l’efficacité des coups portés à l’occupation par la résistance palestinienne.
L’opinion publique arabe, nous le savons, n’est pas politisée. Elle ne sait pas évaluer les acquis et les pertes politiques. C’est pourquoi elle est obnubilée par les sentiments et les émotions entretenus par la majorité des médias qui transmettent d’innombrables images de la barbarie sioniste et un strict minimum d’analyses objectives. S’ajoute à cela le fait que la plupart des gens, dans le monde arabe, voient, mais n’écoutent pas. Après quoi, certains s’expriment, qui s’imaginent qu’Israël a vaincu. Ces gens, tout naturellement, blâment nos dirigeants, les accusant de ne rien faire pour sauver les Palestiniens qu’ils croient vaincus. Alors que les Palestiniens, bien loin d’être vaincus, sont sans doute en train de vivre la période historique la plus favorable qu’ils aient jamais connue depuis l’époque du mandat britannique sur la Palestine.
La conséquence la plus négative de cette conscience faussée est la facilité avec laquelle l’opinion publique arabe en appelle à une guerre arabo-israélienne totale. Cette réclamation est en tous les cas malheureuse, car elle ne peut conduire qu’à la généralisation de l’abattement et ne fait que mettre en danger la victoire palestinienne.
En effet, cet appel à la guerre généralisée des Arabes contre Israël répand la frustration, car il ne peut être que répété dans le vide, sans que rien ne se passe. Non pas parce que les dirigeants arabes ne font pas face à leurs responsabilités, mais pour trois raisons objectives. La première est que l’on ne déclenche pas une guerre simplement en appuyant sur un bouton, mais qu’une guerre nécessite une longue préparation militaire et économique ainsi qu’une mobilisation politique. La seconde raison est que seule peut être victorieuse une guerre dans laquelle le camp qui veut la mener prend l’initiative, décide du moment opportun et des circonstance favorables, et non pas une guerre dans laquelle il se lancerait sous l’impulsion d’un désir de répliquer de manière instinctive et désordonnée, comme cela s’était produit en 1948 et en 1967. Aucun homme sensé ne saurait accepter la répétition de cette expérience désastreuse. Aussi grande soit la confiance dans nos forces armées, elle ne saurait justifier que nous les poussions dans une guerre dont nous ne choisirions ni le moment ni les circonstances de son déclenchement.
La troisième raison, quant à elle, est que toute guerre arabo-israélienne, dans les circonstances actuelles, n’aboutirait à aucun changement tangible dans la situation sur le terrain, car elle n’aboutirait en aucun cas à la détermination d’un vainqueur et d’un vaincu. Il n’est pas exact que les “Etats arabes du premier cercle” (de la confrontation) seraient nécessairement écrasés dût un conflit éclater entre Israël et eux, et que telle est la raison de leur inaction. La réalité est que ces pays ne seraient pas défaits militairement, mais qu’ils n’en seraient pas pour autant vainqueurs. Ce qui signifie que le seul résultat certain d’une telle guerre sur le plan régional, serait qu’elle causerait des destructions incalculables.
Mais une autre issue est possible, voire même vraisemblable, qui ferait de cette guerre une défaite sur le plan arabe, à savoir qu’elle serait susceptible de mettre gravement en danger la résistance palestinienne.
Dût une guerre régionale éclater, les regards et les médias du monde entier se détourneraient de ce qui est en train de se passer dans les territoires palestiniens, puisqu’aussi bien il est normal que l’intérêt se concentre sur le terrain des opérations, en cas de conflit ouvert. Dans une telle conjoncture, Israël peut opérer des massacres à grande échelle, chose qu’il ne peut faire actuellement, et écraser la résistance palestinienne. Ceci signifie qu’une guerre non seulement ne représenterait en rien un soutien au peuple palestinien, mais serait, bien au contraire, catastrophique pour lui.
Imaginons un instant quelle serait la situation à la fin d’une guerre, sans résultat décisif autre que celui d’avoir entraîné la fin de la résistance palestinienne, après qu’elle eût en mains les rênes de sa destinée durant ces derniers mois, qu’elle soit passée de la défensive à l’offensive, qu’elle ait porté des coups très douloureux à Israël, lui faisant perdre son équilibre et que les prémisses de sa victoire se soient profilés à l’horizon...
Ce dont cette résistance a besoin, fondamentalement, c’est de l’augmentation du soutien financier arabe qui est encore en-dessous du strict minimum, ainsi que de l’augmentation du soutien politique et moral arabe. Ce soutien, et non pas la guerre, est la clé de l’étape présente dans la lutte car il est absolument indispensable si l’on veut que le peuple palestinien tienne bon, et pour acheter des armes légères tout en développant les “ateliers” où on commence à en produire.
C’est pourquoi ceux qui appellent la guerre de leur voeux feraient bien de consacrer toutes leurs forces à faire pression sur les gouvernements arabes afin qu’ils augmentent leurs aides financières officielles et qu’ils organisent des campagnes sur une très vaste échelle, afin de recueillir les dons du public et les déposer sur le compte ouvert par la Ligue des Etats Arabes à cette fin expresse.
Cessons de geindre et de nous plaindre ! Sachons, encore une fois, définir nos priorités et choisir le chemin conduisant à la victoire.
                                   
16. Des Européens et Américains à Ramallah pour soutenir les Palestiniens par Calin Neacsu
Dépêche de l'Agence France Presse du jeudi 28 mars 2002, 17h40
RAMALLAH (Cisjordanie) - Une centaine d'Européens, notamment des Français, des Suisses et des Anglais, mais aussi quelque Américains, sont arrivés jeudi soir à Ramallah pour exprimer leur soutien aux Palestiniens qui redoutent une attaque de l'armée israélienne.
"Nous sommes arrivés hier à Jérusalem et aujourd'hui, dès que nous avons entendu que l'armée (israélienne) préparerait une attaque contre Ramallah, nous avons décidé de nous rendre sur place", a déclaré José Bové, le leader de la confédération paysanne et figure de proue française de l'anti-mondialisation.
Portant des keffieh noir et blanc sur les épaules, ces occidentaux qui appartiennent à diverses organisations non-gouvernementales (ONG) étaient rassemblées dans la soirée, Place des lions, dans le centre de Ramallah.
"Nous sommes venus à l'improviste", explique un Suisse vêtu d'un T-shirt blanc avec l'inscription "Protection du peuple palestinien".
"Nous sommes venus ici pour vous témoigner notre soutien. La politique israélienne d'occupation et de création de nouvelles colonies doit cesser", a lancé José Bové dans un haut-parleur à un petit groupe de Palestiniens présents dans le centre-ville.
Selon lui, le groupe entend passer la nuit de jeudi à vendredi à Ramallah.
"Si (le Premier ministre israélien Ariel) Sharon veut envoyer ses chars à Ramallah, il doit savoir qu'il y a des Européens dans la ville", a poursuivi M. Bové qui devait être reçu dans la soirée par le président palestinien Yasser Arafat.
"Nous allons rester ici autant qu'il faut! Le temps pour les puissances mondiales de comprendre qu'elles doivent intervenir comme elles l'ont fait dans les Balkans", a-t-il poursuivi.
Selon lui, quelque 300 Italiens devraient rejoindre le groupe qui se trouve déjà à Ramallah.
La coordinatrice des ONG palestiniennes de Ramallah (PONG), Mme Renate Kobag, en contact avec le groupe des occidentaux, a indiqué que ces Italiens s'étaient rendus au poste de contrôle de Kalandiya, à l'entrée de Ramallah, d'où ils ont été repoussés par les soldats israéliens.
Un gobelet de café à la main, moustachu, José Bové, raconte comment lui et ses camarades ont réussi à franchir dans la journée ce barrage.
"Ils nous ont dit que c'était interdit. Alors, nous sommes passés à pied et nous avons fait semblant de ne pas comprendre les injonctions des soldats", dit-il souriant.
Le syndicaliste français a souligné que d'autres "militants pour la paix" allaient se relayer dans les mois à venir pour assurer une présence "dissuasive" dans les territoires palestiniens.
Sur la Place des lions, une jeune noire Américaine s'adresse à son tour aux Palestiniens par haut-parleur. "Nous avons honte de la politique de nos gouvernements! Par votre résistance à l'occupation israélienne, vous donnez une leçon au monde entier", crie-t-elle.
De hauts responsables israéliens faisaient planer jeudi la menace d'une opération militaire à une échelle inégalée en riposte à l'attentat suicide de Netanya, près de Tel-Aviv, qui a coûté la vie à vingt Israéliens et touristes étrangers mercredi soir.
L'Autorité palestinienne a affirmé craindre une réoccupation "imminente" de Ramallah et ordonné à ses fonctionnaires d'évacuer ses bureaux dans cette ville de Cisjordanie, où le président Arafat est confiné depuis près de quatre mois.
En fin de soirée, les militants européens qui n'avaient pas prévu où loger à Ramallah, étaient invités à passer la nuit dans des familles d'accueil palestiniennes.
                               
17. Le prix Nobel, taxé d'antisémite pour avoir comparé Israël et les nazis de Saramago par John Carlin
in El Païs (quotidien espagnol) du jeudi 28 mars 2002
[traduit de l'espagnol par Michel Gilquin]
Les librairies israéliennes boycottent les romans
Jose Saramago, le prix Nobel de littérature portugais s'est lancé dans une sorte d'attaque suicide contre sa propre œuvre. A la suite d'une déclaration faite lundi en territoire palestinien, dans laquelle il avait comparé les gouvernement israélien et les génocides nazis, les ventes de ses livres en Israël ont baissé de façon notable et, dans certains cas, ont été retirés des étalages. Saramago était un des auteurs les plus vendus en Israël.
Selon le journal indépendant Yedioth Ahronoth qui rapporte le témoignage de divers libraires israéliens, José Saramago s'est fait beaucoup de mal dans un pays où il était un des écrivains internationaux les plus lus. " Il y a eu des gens qui sont venus dans ma librairie pour demander que ses ouvrages soient retirés " a déclaré un des libraires.
Son roman " Tous les noms " était à la tête des livres les plus vendus en Israël. Il est peu probable que cela perdure encore longtemps. En déclarant, comme il le fit dans une visite à Ramallah, la capitale assiégée de l'Autorité Palestinienne que " ce qui est en train de se passer ici est un crime que l'on peut comparer à Auschwitz ", le romancier portugais a non seulement violé un important tabou mais a aussi perdu le respect d'une grande partie du public israélien. Hier, un journaliste de Haaretz, Ari Shavit, a écrit que la phrase malheureuse du portugais indiquait clairement que " la blessure sombre de l'âme européenne ", l'antisémitisme, était réapparue. Shavit, tout en affirmant qu'il pouvait partager l'opinion de Saramago que l'occupation israélienne de Ramallah était une " iniquité " , a écrit que les propos du portugais ont été " un acte hideux de provocation contre les juifs ". " Si Ramallah est Auschwitz, a continué Shavit, alors Israël est le Troisième Reich et mérite la destruction. Alors, Tel-Aviv est Dresde et l'incendier ne serait pas un crime de guerre. Tuer massivement ses femmes et ses enfants serait acceptable ".  (Révélateur : nazisme et germanité sont mis sur le même plan et les tueries de Dresde légitimées ! Ndt)
Entretien annulé
Un programme de la télévision publique israélienne, " Première lecture " a annulé un entretien prévu avec Saramago, comme riposte à la comparaison qu'il a faite entre les Israéliens et les nazis. La présentatrice du programme, Abirama Golan, a déploré cette décision et déclaré que "cela aurait été l'occasion de débattre à fond de cette opinion".
Saramago qui a voyagé en Israël et dans les territoires palestiniens dans le cadre d'une délégation du Parlement International des Ecrivains (PIE) composé de huit autres auteurs de différentes nationalités, a insisté hier qu'il ne regrettait pas ses propos . " J'ai dit la vérité et je n'ai pas à me rétracter " a affirmé le Prix Nobel portugais.
Dans des déclarations ultérieures à l'agence portugaise Lusa, Saramago a ajouté que " la répression israélienne est la forme la plus perverse de l'apartheid ". Saramago a souligné l'inégalité flagrante que constitue le fait que 100.000 palestiniens se trouvent contraints de s'entasser sur 3 km² à Gaza alors que dans les colonies israéliennes "  tout est illumination, espace et confort, à côté d'étendues relativement vastes de hameaux rasés du fait de la stratégie d'expansion et de domination israélienne ". " Personne ne se rend compte de ce qui se passe ici, aussi bien informé soit-on. Tout est rasé par des excavatrices, les villages palestiniens ont été détruits et on ne peut rien cultiver " a-t-il ajouté avant de rappeler les détours imposés par les soldats israéliens aux ambulances dans lesquelles se trouvent des Palestiniennes sur le point d'accoucher. " Tout cela a un air de camp de concentration qui me rappelle Auschwitz ", a déclaré l'écrivain.
                               
18. Le fer et le sang par Baltasar Porcel
in La Vanguardia, (quotidien espagnol) du jeudi 14 mars 2002
[traduit de l'espagnol par Michel Gilquin]
Qui tue par l'épée, périra par l'épée ? Cette vieille loi que rappelle le proverbe aboutirait à un terrible fatalisme justicier si elle ne pouvait pas être contournée par l'intelligence imprégnée du sens de l'équilibre et mêlée d'une certaine dose de subtilité.
Mais Israël n'applique pas l'antidote, si tant est qu'il le connaisse, obsédé par le chapelet sans fin d'agressions et de vengeances que la Bible récapitule. Ainsi, le terrible terrorisme que lui infligent les Palestiniens est exactement semblable à celui que les colons juifs exercèrent contre la Grande-Bretagne pour aboutir à la création de l'Etat hébreu. Avec deux différences : les juifs possédaient moralement et historiquement moins de droits à cette terre que ceux qu'ont les Arabes et les Anglais, à la fin, durent partir. Sans qu'il s'agisse maintenant qu'Israël fasse ses valises et se tire,  pourquoi les palestiniens devraient-ils être condamnés à vivre dans un état plus ou moins d'esclavage politique ? La constitution de leur Etat s'impose et l'échec d'Ariel Sharon a été établi. Et si Israël défend la légalité de son Etat sur la base des résolutions des Nations Unies, les mêmes dispositions assurent également une patrie et des frontières à la Palestine.
Bien sûr, parle-t-on de terroristes arabes recourrant au suicide. Mais cette caractérisation est israélienne, occidentale, tandis que du point de vue islamique, on envisage le phénomène de façon complètement différente. Le suicide ou " qatlu nafsi-hi " n'est pas mentionné dans le Coran, mais il est interdit de façon catégorique dans les Hadith, recueil des actes et des propos que la tradition attribue à Mahomet. Laquelle exalte le " shahid " ou martyre de celui qui s'est battu et s'est sacrifié pour le " Jihad ", lutte et devoir prescrit par Dieu lui-même pour la gloire et l'extension de l'Islam. Avec les " suicidés " déments et criminels d'Israël, ceux qui l'accomplissent pour Allah sont promus au rang de " héros " suprêmes pour les Palestiniens… Dans cet abîme conceptuel, religieux, éthique, s'enracine peut-être le symbole principal de la tragédie du Moyen-Orient.
Mais Israël sait très bien tout cela… Même si ça lui convient de le travestir. Et, constatons : discuter de terminologies et de philologies peut apparaître une folie quand le sang qui coule, le désastre humain sont sans limites.
Néanmoins, il nous faut reconnaître que de façon constante on se moque de nous avec les versions réaménagées chaque jour qui cachent la réalité crue : si nous restons tous en phase avec les Etats-Unis dans son souvenir du 11 septembre, nous nous en éloignons aussi après avoir appris les épouvantables bombardements aveugles - que l'on nous a dissimulés- qui ont tué tant d'Afghans n'ayant rien à voir avec le terrorisme. Ce qu'ils prétendent poursuivre n'importe où.