6. Apocalypse Now par Israël
Shamir
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
L'histoire a ses carrefours : ce sont des temps de grande
instabilité. Dans ces périodes particulières, l'action de l'homme, fût cette
action modeste et l'homme isolé, est susceptible de changer l'ordre des
choses.
1er février 2002 - Un vieux clochard erre sur les pelouses
verdoyantes de Hyde Park, traînant une pancarte écornée : "La Fin du Monde est
Proche". Cela fait des années et des années qu'il hante les lieux, s'il s'agit
bien du même clochard que j'avais remarqué, dans le même parc, il y a environ
trente ans. Mais une horloge cassée finit par indiquer l'heure juste, tôt ou
tard... et si l'heure fatidique était déjà là ? Le pentagramme magique a été
révélé et la Tour de Babel s'est effondrée, le onze septembre. Les Juifs règnent
sur la Terre Sainte. Le dollar est au plus haut, mais la créativité de la
Chrétienté est tarie. Ses magasins regorgent de marchandises, mais ses églises
sont vides ; les dealers, les brokers et les brasseurs de fric abondent, mais il
n'y a plus aucun nouvel artiste, plus aucun nouveau poète, plus aucun nouveau
saint.
Inondations et sécheresses, neige en été et canicule en hiver,
rivières empoisonnées et lacs asséchés nous rappellent s'il en était besoin que
notre Mère, la Terre, est très, très malade. "L'Apocalypse, c'est maintenant",
ont été très nombreux à penser, très fortement, les gens, ces derniers mois. La
semaine dernière, Justin Raimondo a écrit un de ces articles dont il a le
secret, dans le Weekly World News, "ce magazine de caniveau, si ridiculement
sinistre que personne n'avouerait le lire même en faisant la queue à la caisse
d'un supermarché", sous un titre étrangement prémonitoire : "Le Visage de Satan
a été Photographié Au-dessus du Capitole !" Il y avait même une photo
dégoulinante de pure malveillance : perçant de derrière un nuage sombre et
menaçant, un visage effilé et sardonique, au regard dément de braise, la bouche
tordue en un rictus satanique. Le Weekly cite les déclarations d'un "retraité de
la CIA qui a tenu à garder l'anonymat" : "Cette apparition était une incarnation
du terrorisme bien plus terrible que tout ce que nous avons connu jusqu'ici dans
ce pays. S'agit-il d'un phénomène surnaturel ? De quelque manifestation vitale
inconnue ? Est-ce - et puis, merde, tant pis, je pose la question - est-ce Satan
en personne ?" [1]
Cette impression, jadis privilège unique des personnes
imaginatives et ultrasensibles - ou encore des lecteurs assidus du Weekly World
News - éclabousse désormais tous les carreaux de l'échiquier social. A Moscou
comme à New York, à Jérusalem comme à Bagdad, à Paris comme à Berlin, les gens,
qu'ils soient religieux pratiquants ou laïques purs et durs, se saluent de la
question : "Est-ce la fin du monde ?"
- "Oui", a répondu à cette question un
grand penseur américain, Immanuel Wallerstein. Mais il a pris la précaution
d'ajouter une réserve prudente au titre d'un de ses ouvrages, très justement
intitulé "La Fin du monde telle que nous le connaissons" [2]. Le philosophe en
est arrivé à la conclusion qu'une très longue période de l'histoire de
l'Humanité est parvenue à un terme imminent et néanmoins imprévisible. Le monde
que nous avons - ou que nos parents et grands-parents ont - connu est, en effet,
sur le point de s'achever.
Pour Wallerstein, "le monde tel que nous le
connaissons est apparu, il y a environ cinq cents ans, en Europe occidentale et
c'est aux Etats-Unis qu'il a atteint son apogée. Il se caractérise par une
aberration spécifique du développement humain, appelée "Progrès". Wallerstein a
refusé, courageusement, l'axiome de "l'inéluctabilité du développement positif"
et a établi qu'il ne s'agissait pas nécessairement d'un progrès, mais même, le
cas échéant, d'un processus régressif. En d'autres termes, ce développement est
la célébration d'une tendance à la domination et à une avidité sans borne, un
reniement tout à la fois de Dieu et de l'Homme.
Cette forme de développement
a entraîné la grande destruction de la nature et de la société des hommes. Elle
a accompli son destin en nous amenant au bord de l'abîme. Nous serions
vraisemblablement parvenus depuis fort longtemps au point où nous en sommes
aujourd'hui si nous étions restés sous le Talon de Fer de l'oligarchie, comme
l'avait pressenti Jack London en 1910. Mais la Révolution russe de 1917 a
suffisamment secoué le monde pour offrir une alternative à sa toute-puissance,
écrit Wallerstein. C'est pourquoi les peuples de l'Europe occidentale et de
l'Amérique du Nord ont eu la possibilité d'édifier leur société de bien-être,
caractérisée par une classe moyenne prépondérante et des travailleurs plutôt
satisfaits de leur sort, tandis que le Tiers-Monde se voyait accorder un répit -
relatif - dans les expéditions punitives et les conquêtes coloniales dont il
était auparavant la victime. Avant 1917, l'Angleterre n'avait pas hésité à
bombarder la ville japonaise de Shimonoseki au simple motif de l'assassinat d'un
diplomate britannique, imputé à un Japonais. Avant 1917, les disparités sociales
étaient aussi importantes, dans la société européenne, que celles que l'on
constate aujourd'hui dans le Tiers Monde. Mais après l'écroulement du système
socialiste, c'en était terminé de ce grand répit historique. Pour Wallerstein,
nous sommes en 1914.
Il est possible, bien entendu, de voir les événements
mondiaux sous un angle bien différent. Avec tout le respect dû à la Révolution
russe, il faut tenir compte d'un autre acteur, puissant, qui a changé de bord,
sur ces entrefaites. Une nouvelle force spirituelle et sociale est apparue, au
début du vingtième siècle. Dans un de mes précédents articles [3], j'ai
appelé cette force "les Mammonites", les adorateurs de Mammon. Ces Mammonites
ont combattu les anciennes élites, partout dans le monde. En Russie, ils ont
exterminé et envoyé en exil les élites russes traditionnelles. En Angleterre et
en Scandinavie, les anciennes élites ont perdu leur pouvoir après l'ascension de
la social-démocratie. L'Allemagne et l'Italie, quant à elles, ont vu leurs
élites respectives détruites par la seconde guerre mondiale. Tant que les élites
anciennes existaient encore, les Mammonites se faisaient les promoteurs de
l'égalité sociale, prônant le transfert des ressources de ces anciennes élites
vers le peuple en général.
C'était le temps des grands espoirs. La puissance
énorme de la richesse et du réseau d'influence des Mammonites soutenait les
forces favorables à l'égalité, et peu nombreux (pas assez nombreux...) furent
ceux qui se posèrent la question de savoir quels étaient les plans véritables de
ces puissants "grands frères". Aussi longtemps que les banquiers, les juristes
et les propriétaires de journaux de New York continuèrent à soutenir un vaste
programme d'action (en apparence) humaniste, on pouvait se permettre d'ignorer
leurs visées profondes.
Après la révolution manquée de 1968, les Mammonites,
atteignant leur but, parvinrent à s'intégrer aux anciennes élites. Ensuite, une
fois dans la place, ils grattèrent le vernis gentillet de l'égalité et des
droits civiques, adoptant un programme (en apparence) nouveau : l'asservissement
de l'homme, de la même manière que les bourgeois avaient su détourner à leur
profit la puissance et la colère des classes inférieures qui avaient déclenché
la Révolution française de 1789. Les ouvriers et les paysans français avaient
alors renversé les vieilles élites aristocratiques, et les nouvelles élites
bourgeoises n'avaient pas tardé à les évincer, s'emparant du pouvoir grâce au
génie militaire de Napoléon. Après 1968, implacable, l'Histoire refait passer le
même plat...
Les Mammonites n'ont plus besoin de la démocratie ou du 'welfare
state' (société de bien-être 'social-démocrate'). Ce dont ils ont besoin,
aujourd'hui, c'est d'un Napoléon qui leur permette d'imposer définitivement leur
pouvoir. C'est pourquoi, après le onze septembre, les forces oligarchiques
s'emploient à effacer le Bill of Rights, les libertés démocratiques, la charte
des Nations Unies et les accords internationaux, afin de créer un monde nouveau
aux mains d'une poignée de milliardaires, avec une classe moyenne pressurée, des
ouvriers paupérisés, une armée et une police pléthoriques et surpuissantes. Ils
mettent tout en oeuvre afin d'émerger comme les maîtres d'une position
imprenable, une fois la tempête passée. Mais cette heure, des plus sombres, est
aussi un temps pour l'espoir.
Demain est dissimulé à nos yeux, pour une
raison bien simple : nous sommes arrivés aujourd'hui à la grande bifurcation de
l'histoire, nous dit Wallerstein, à un carrefour historique, l'un de ces
instants décisifs qui n'adviennent qu'une fois au maximum au cours d'un même
millénaire. Par définition, cette bifurcation s'accompagne d'instabilité. C'est
le temps où l'action, même modeste, d'un homme, fût-il seul, est susceptible de
changer le destin. Dans les périodes de stabilité, même des efforts énormes ne
changent pas grand-chose. Durant une petite centaine d'années, les gens ont cru
en une issue prédestinée et inéluctable de l'histoire : le rêve marxiste, le
welfare state, le Second Règne. Ces temps de certitude sont révolus. Nous
pouvons verser dans les Nouveaux Siècles d'Obscurité, dans l'une ou l'autre des
mornes anti-utopies, et dans ce cas nos enfants ne nous pardonneront jamais
notre passivité. Ou bien nous pouvons continuer à lutter, tout en espérant des
jours meilleurs.
Une blague juive met en scène deux hommes qui ne réussissent
pas à déplacer une armoire, car ils poussent et tirent, successivement, dans des
directions opposées. Il est bien évident qu'il faut savoir quand, et dans quelle
direction, tirer et pousser, sinon l'armoire reste là où elle est. C'est
pourquoi je propose ici un mode de pensée et d'action constructif. Le
bombardement par les Américains de la télévision Al-Jazira, peu après celui de
la télévision serbe, est une preuve supplémentaire que les mots sont importants.
Jadis, Marx a décrit l'histoire humaine comme une histoire de lutte des classes,
pour la propriété des moyens de production. Je la décrirais, pour ma part, comme
une guerre des idées.
Nous pouvons imaginer deux grands protagonistes,
semblables, pour nous faire une idée, à ceux que l'on voit dans le Livre de Job,
jouant avec des idées nouvelles sur un grand échiquier. Satan pourrait pervertir
toutes les idées de Dieu ; Dieu pourrait transformer toute idée de Satan en
quelque chose de merveilleux. Ainsi, l'amour pour le pays du Christ a causé les
meurtrières Croisades, mais le communisme matérialiste a entraîné un grand
enthousiasme libérateur. Les joueurs n'ont pas de mains, et il nous incombe, à
nous, les humains, de déplacer les pièces sur l'échiquier à leur place, de faire
les bons choix, d'aider Dieu à gagner la partie. Les guerriers prétentieux
d'autrefois s'écriaient "Dieu est avec nous". Humbles penseurs du présent, nous
devrions simplement dire : "nous sommes avec Dieu".
II - Wallerstein a déployé des efforts héroïques,
incomplètement couronnés de succès, afin de décrire la fin du monde en termes
matérialistes. Je ne suis pas certain que cela soit possible. Notre monde, d'une
manière générale, élude ce genre de descriptions. De plus, je ne pense pas que
cela soit souhaitable, pour les raisons que je vais exposer ci-après. Nous
sommes conditionnés à n'admettre de raisonnement que matérialiste, et nous
rejetons les explications qui en réfèrent à des forces situées sur un plan
différent. Une part importante de l'aberration dans laquelle nous nous débattons
découle du fait que les gens en viennent la plupart du temps à rejeter les
composantes spirituelles de l'univers. Jusqu'à l'instauration de la présente
Aberration, l'idée même d'un monde totalement matérialiste, explicable au moyen
de lois purement matérialistes, aurait semblé étrange. La vision que l'Homme a
de l'univers a varié au cours des temps et elle varie selon les lieux où il vit.
Mais jamais n'aura-t-elle été aussi purement et exclusivement
matérialiste.
Les anciens penseurs voyaient le monde comme à la fois
spirituel et matériel, comme un continuum à plusieurs strates, dans lequel les
forces du Bien et du Mal, les Vertus et les Péchés, les Nations et les Idées
menaient leur existence propre et semi-indépendante. Parfois, ces forces étaient
décrites comme étant des dieux, des anges, ou des démons. Le Nouveau Testament
parle du Prince de l'Univers et d'autres forces maléfiques pour l'Homme. Saint
Paul était conscient des dangers à venir, lorsqu'il avertissait que "notre
combat n'est pas contre la chair et le sang, mais contre les pouvoirs maléfiques
agissant en ce sombre bas-monde et contre les forces spirituelles du mal, dans
le royaume des cieux." [4]
Leur vision me semble mieux adaptée à la réalité
(que celle qui prévaut actuellement). Il est plus facile d'expliquer les
calamités et le salut, les catastrophes et la prospérité par une interaction
entre diverses Forces Supérieures, que par des facteurs purement matériels ou
par les changements d'humeur du bon Dieu. Il est plus facile d'expliquer
pourquoi la guerre de Troie dura plus de dix interminables années en mettant en
cause les querelles mettant aux prises les Dieux pro-Troyens et les Dieux
pro-Grecs, en tenant compte bien sûr de la beauté d'Hélène et d'intérêts
commerciaux divergents entre les deux provinces. La Guerre froide pourrait être
vue comme une lutte opposant l'Esprit Communautariste Russe au Mammon américain.
Un esprit religieux peut voir, de même, dans la Troisième guerre mondiale qui
s'annonce contre les peuples du Tiers-monde, un "Armageddon".
Serge
Averintsev, un penseur russe contemporain de tout premier plan, nous rappelle le
paradoxe de la foi biblique et demande : "Comment Dieu, omniprésent,
transcendant et spirituel (comme il est affirmé qu'il l'est) pourrait-il bénir
de Sa Présence un lieu spécifique, qu'il s'agît du Saint des Saints, du ventre
de Marie, du corps de Jésus fait Homme ou du pain et du vin de l'Eucharistie ?"
Il fait remarquer qu'il s'agit pourtant là d'un des fondements de la foi. "Je
résiderai parmi les Israélites" [5], dit le Dieu de l'Ancien Testament, et le
même verbe est utilisé à nouveau dans les Evangiles : "Le Verbe se fit Chair et
descendit parmi nous" [6]. Averintsev nous révèle une pensée inspirée par Dieu :
"Le Prince de l'Univers [7], c'est à dire, la force hostile à la Présence
divine, s'efforce de séparer le Transcendant de l'Immanent, de refermer les
portes de la Création au visage du Créateur et, ce faisant, de 'purifier' la
Nature de tout ce qui est Surnaturel. Il est secondé en cela par un allié
involontaire : le rationalisme théologique zélé qui s'efforce d'éliminer toutes
traces des croyances populaires ou de la pluralité ésotérique, afin d'atteindre
au pur transcendantalisme [8]". Retenons cette idée puissante : Satan soutient
(quand il ne les génère pas) les idées qui excluent la Grâce divine de notre
existence.
Revenant à l'image de nos deux protagonistes penchés sur
l'échiquier, nous pouvons dire : Satan gagne (Que Dieu nous vienne en aide !)
dès lors que toute trace de la Présence divine est éliminée de notre monde.
Toutefois, quelque chose a semble-t-il échappé à Averintsev. La nature est
source d'inspiration divine et Dieu, Qui a habité sous les tentes des Israélites
et dans le sein de Marie, réside aussi dans la source qui jaillit au creux du
sanctuaire des montagnes des Highlands. Cela rend la tâche de Satan encore plus
immense, mais il ne recule pas devant ce défi. Il a deux options : détruire la
Nature, ou bien détruire la capacité de l'Homme à dialoguer avec la Nature. Mais
il préfère encore recourir aux deux à la fois.
Si nous voulons comprendre les
événements et ce qui en résultera, nous devons franchir un pas audacieux, un pas
qu'on nous a enseigné à ne jamais franchir, sous aucun prétexte. Durant plus de
cinq cents ans, la recherche scientifique et la quête spirituelle ont été
séparées et nous avons été endoctrinés à les maintenir hermétiquement séparées.
Cette façon admise d'envisager la réalité n'est pas l'approche dualiste du
Manichéisme remise au goût du jour par les propagandistes de la Troisième Guerre
mondiale Apocalyptique. Il y a de nombreux dégradés de gris entre le blanc et le
noir purs d'une image par trop simplifiée. Efforçons-nous donc d'intégrer ces
deux contours, immanent et transcendent, afin de tracer un portrait complet du
monde dans lequel nous vivons.
Nous découvrirons, à notre grande surprise,
que ces deux lignes sont parallèles, comme s'il s'agissait de deux langues
différentes décrivant une même réalité. Ainsi, l'amour redécouvert, moderne, de
la nature, improprement nommé "environnementalisme" ou désigné comme par un code
de couleur par le (mouvement écologique) "vert", pourrait être traduit, dans le
monde chrétien, par "amour de la Vierge Marie." Et en effet, Dostoïevski a
établi l'identité entre Notre Mère la Terre avec la Mère de Dieu. La destruction
de la nature pourrait alors être associée au rejet de la Vierge. Lorsqu'il
évoque "toutes les traces de croyances populaires ou de pluralité ésotérique",
il fait allusion aux esprits locaux qui sont encore de nos jours révérés par la
partie la moins matérialiste de l'humanité.
Le Nouvel Ordre Mondial est, en
termes religieux, le commencement du Royaume de l'Antéchrist, fondé sur
l'élimination des éléments spirituels de notre existence. Sur le plan pratique,
il s'agit d'une tentative ambitieuse d'asservissement total de l'Homme.
III - Mais cela n'est pas aussi simple qu'il y paraît.
Tout homme est relié à ce bas-monde par quatre liens : il a des racines dans le
sol natal, il appartient à sa famille, à sa communauté territoriale, et à Dieu.
Tant que ces liens subsistent, un homme ne peut être asservi. Ces quatre points
cardinaux forment l'image ancestrale de la Croix, telle qu'elle a été tracée par
les ancêtres des Palestiniens actuels sur des rochers et sur des murs. Bien
avant son utilisation comme instrument de torture et d'exécution capitale, la
Croix était un grand signe mystique venu des temps les plus anciens, et
inaccessible au profane. Ce signe était connu de Moïse, qui avait tracé le signe
de la croix sur le front des enfants de son peuple, tandis que l'ange de la mort
rôdait autour de leurs maisons. On retrouve le symbole de la croix dans les
couches archéologiques les plus anciennes, dans les fouilles effectuées en
Palestine et en Egypte.
A l'âge chalcolithique, plus de cinq mille ans avant
Jésus Christ, les anciens Palestiniens, troglodytes habitant les grottes de Tel
Abu Matar, près de Beersheva, ont tracé le symbole de la croix à l'aide de
petits galets blancs, dont chacun est lui-même gravé de ce même symbole. "La
marque cruciforme était perçue comme un signe servant à repousser le mal et à
assurer protection", a écrit le grand archéologue Jack Finnegan [9]. Aux temps
bibliques, la croix était appelée "tau". Les Grecs l'appelèrent, eux, "xhi". Le
Roi David traçait le signe de la Croix (Tau) lorsqu'il était en danger [10]. Le
Prophète Ezekiel [11] promit le salut aux hommes bons qui se lamenteraient des
injustices commises (par Sharon et Olmert ?) à Jérusalem. Ces hommes pieux
auraient le front marqué du signe salvateur de la Croix (ceci est encore
pratiqué de nos jours par les Chrétiens d'Egypte et d'Ethiopie).
Les
Esséniens des Evangiles de Damas citaient ces propos d'Ezekiel, car apparemment
ils connaissaient ce "signe de protection, de délivrance et de salut" [12]. Cela
était compris des Pères de l'Eglise, Origène et Tertullien, qui pouvaient
interroger à ce sujet leurs contemporains en Palestine. Les prêtres du Temple de
Jérusalem étaient consacrés au moyen de croix tracées sur leur front avec une
huile d'olive particulièrement pure [13], comme si le nom du Christ, symbolisé
par son initiale grecque "Khi" était ainsi inscrit sur leur personne. Le choix
de la Croix pour la mise à mort du Christ était, dès lors, chargé de sens : ses
ennemis voulaient discréditer et mettre en doute l'idée même du salut. Mais les
disciples du Christ relevèrent le défi et firent de ce signe secret un symbole
public. Ils le tracèrent sur leurs fronts : "C'est une tradition reçue des
Apôtres", dirent les Chrétiens palestiniens, d'origine juive, à Basile de
Césarée, en l'an 375. Les gnostiques retinrent cette information dans leurs
textes.
La signification spirituelle de la Croix, nous l'avons dit, était la
symbolisation des quatre attachements fondamentaux qui caractérisent l'Homme. Un
homme est lié à la terre, à sa famille, à son peuple et à Dieu. Aussi longtemps
qu'un homme conserve ne serait-ce qu'un seul de ces liens, il ne peut être
totalement suborné, totalement corrompu, totalement asservi. Mais l'homme a
besoin des quatre attachements, et dans un équilibre convenable. S'il s'occupe
de sa famille au point de négliger sa communauté ; s'il aime Dieu mais néglige
sa terre, et vice versa, il sera damné, à long terme.
Les nouveaux suppôts du
vieux paradigme de la domination aspirent à accomplir l'oeuvre de Satan et à
priver le monde où nous vivons de la Présence Divine. C'est pourquoi ils
combattent la Foi, ils détruisent la Nature, ils déracinent l'Homme en brisant
ses liens territoriaux, sociaux et familiaux. Ils accomplissent cette oeuvre
destructrice partout, du Vermont à l'Afghanistan. Mais la Palestine représente
le projet-pilote pour le nouvel ordre mondial (qu'ils veulent instaurer), comme
l'Espagne, en 1936, était le projet-pilote pour l'instauration du fascisme
montant.
Ils font cela en Terre Sainte pour une bonne raison, qui est que le
peuple palestinien est profondément enraciné dans son sol et que ses enfants
sont les témoins quotidiens (de la présence) de Dieu. La Sainteté de cette terre
n'est pas le résultat d'une coïncidence historique. Elle est un trait de son
paysage unique et de son peuple. C'est au pied de cette colline, auprès de cette
source, sous ce vieil arbre (et nulle part ailleurs) que les héros palestiniens
Abraham, David et Jésus ont fait Un avec Dieu. Les villages des hauts plateaux
de la Palestine sont les mouillages de l'espèce humaine : sans ces points
d'ancrage, nous serons précipités sur les récifs et nous nous y
fracasserons.
IV - Les hommes luttent contre le déracinement, mais leurs
défenses sont souvent mal conçues et erronées. Le nationalisme moderne est un
mécanisme de défense contre le déracinement, mais ce bouclier est aberrant.
Lorsque le vrai attachement, fait d'amour pour sa propre communauté humaine et
son terroir, a disparu, lui est substituée la fiction chimérique d'une nation.
Le nationalisme allemand nous en fournit un bon cas d'étude.
Tant que la
société germanique a su conserver ses racines, les Allemands aimaient leurs
villes et leurs villages, leurs petits royaumes et leurs duchés. Ils écoutaient
Beethoven et Bach, ils dégustaient leurs "wurst mit sauerkraut"
(saucisses-choucroute), ils avaient un esprit de clocher bienveillant et bon
enfant. Une fois ce tissu sociétal endommagé, les Allemands choisirent
malencontreusement le fantasme du patriotisme germanique comme baume apaisant.
Le peintre viennois du nom d'Aldolf Hitler était un immigré, déraciné en
Allemagne, un homme qui avait coupé les liens avec son pays natal et sa
communauté d'origine, avec sa famille et avec son Eglise. Pire, il n'avait pas
conscience de son énorme préjudice. Son amour pour l'Allemagne et pour le peuple
allemand excluait le paysage, le sol de l'Allemagne, ne les prenant en aucune
manière en considération. C'est pourquoi il rêva de conquérir l'Europe orientale
et la Russie, de façon à créer sur ces terres un nouvel Empire de la Race des
Seigneurs Aryens, tout comme les Anglo-saxons avaient créé les Etats-Unis sur
les terres des natifs Américains. Il ne comprit pas que les Allemands arrachés
au sol Allemand perdraient toutes les qualités qu'il admirait sans doute
sincèrement. Pour un peuple, l'expansion à l'extérieur de son paysage naturel
est une aventure mortelle.
Ses idées nationalistes, Hitler les avait
empruntées à l'arsenal intellectuel de la pensée juive. L'idée de la supériorité
raciale, de la Race des Seigneurs et de son inverse, le sous-homme "Untermench",
pouvaient être trouvée facilement dans plus d'un enseignement exalté de la
religion juive. Le génocide est autorisé - que dis-je : ordonné - par l'Ancien
Testament, et le commandement "Tu extermineras la nation d'Amalech" porte encore
aujourd'hui le numéro 604 dans la liste des 613 commandements du judaïsme
orthodoxe. Récemment, le rabbin orthodoxe de l'Université Bar Ilan a publié un
traité concis intitulé le Commandement du Génocide dans la Torah, dans lequel il
explicite et élève le concept de génocide au rang d'un commandement positif pour
les croyants. (Nous n'entrerons pas ici dans la question toute autre de la
praxis, de la mise en application concrète des théories). Comme bien des
plagiaires, Hitler n'a pas vu une différence fondamentale [14] entre lui-même et
ceux qu'il copiait. Les Juifs appartiennent à un groupe non-territorial, tandis
que les Allemands ont été formés par leur territoire, sur lequel leur
civilisation est fondée. Un peuple attaché à son territoire n'a aucun motif à
s'étendre au-delà des limites naturelles de celui-ci. Bien plus, il ne peut
exister en dehors de ces limites. La preuve en a été apportée par les
descendants des Allemands émigrés en Pennsylvanie et ailleurs aux Etats-Unis :
ils ont perdu leur ethnicité et sont devenus des Américains. On peut comprendre
l'erreur commise par Hitler. Il était horrifié par le succès des Juifs, par
l'"ascension des Juifs", alors il a décidé de singer la stratégie juive. Son
boycott des commerces et des entreprises juives était une reprise du boycott des
entreprises des Gentils et des employés Gentils, pratiqué par les Juifs
sionistes, dans la Palestine de l'époque. Son idée d'expulsion massive des Juifs
copiait le concept du transfert des Palestiniens, tel que les sionistes
l'avaient prôné continûment depuis Théodore Herzel, et qu'ils ont fini par
mettre en pratique en 1948.
Un psychanalyste américain, Kevin McDonald, a
décrit ainsi la doctrine nazie : "c'est l'image inversée, comme reflétée dans un
miroir, de la stratégie juive" et, par tant, la plus grande menace contre les
Juifs. Il avait prédit qu'à l'avenir, les Gentils, européens et américains,
inquiets de "l'ascension des Juifs", "imiteraient certains aspects du Judaïsme
en recourant à des idéologies et à des organisations sociales collectivistes et
opportunistes [15]". McDonald ne croyait pas si bien dire lorsqu'il affirmait
que "cela représentera un grand impact du Judaïsme en tant que stratégie
évolutive de groupe sur le développement des nations occidentales". Sa
conclusion est profondément pessimiste : la stratégie juive est vouée au succès,
qu'elle soit développée par les Juifs eux-mêmes, ou par les nations dont ils
sont les hôtes.
Pour un suprématiste blanc, cette conclusion est une
invitation à mettre en pratique la stratégie juive au profit des nations-hôtes.
Pour un suprématiste juif, en revanche, la stratégie juive ne doit être mise en
application que par les seuls Juifs, et à leur seul profit. Mais pour nous, qui
sommes anti-racistes, la stratégie juive est mauvaise en soi, qu'elle soit mise
en application par des Allemands, des Juifs ou des WASPs ("élite" bourgeoisie
blanche urbaine protestante américaine ~ les bo-bos parisiens). En effet, la
possibilité d'une réponse totalement différente, non-juive, existe. Alors que
copier servilement la stratégie d'autrui est autodestructeur, d'autres
stratégies, basées sur des concepts (intrinsèquement) non-judaïques de
territorialité et de contenu local sont possibles. Un Anglais totalement
enraciné (dans son ambitus) n'a aucun besoin du nationalisme anglais,
puisqu'aussi bien, l'Angleterre, pour ainsi dire, il la respire. Il est en
quelque sorte un récipient plein de richesse/satisfaction locale, où il n'y a
plus aucune place pour le placebo de l'"anglitude". Lorsqu'en revanche un
Anglais ressent avoir perdu une partie de ses liens, il s'efforce de compenser
(cette perte) en chérissant l'idée d'une Angleterre idéalisée. Le nationalisme
pousse sur les décombres des enracinements locaux. Lorsque les liens qu'un homme
peut avoir avec la Toscane, le Kent ou la Bourgogne se distendent, cet homme a
besoin d'y substituer les ersatz que sont l'Italiiiie, la Fraaaance,
l'Angleteeerre. En bout de course, le nationalisme se mue en chauvinisme et
finit par oublier tout-à-fait sa propre inscription locale.
Les
super-patriotes que sont les Américains néoconservateurs sont totalement exempts
de réel attachement/contenu national américain. Leur agitation chauviniste des
"stars and stripes" est un succédané d'amour de l'Amérique réelle et des vrais
Américains. Ils soutiennent une immigration illimitée aux Etats-Unis, le cadet
de leur souci étant ce qu'en pensent leurs supposés "compatriotes" (d'ailleurs,
si, pour eux, ces derniers existaient, penseraient-ils ?) Ils ne se soucient pas
plus du reste de l'humanité, d'ailleurs, ce qui fait qu'ils vitrifieraient
volontiers l'Irak, patrie d'Abraham, pour les beaux yeux d'Israël. Les gens à
juste titre horrifiés par l'agressivité cyclopéenne de cette secte sont les
victimes désignées (à leur insu) d'un programme politique anti-national,
universaliste et cosmopolite. Est-il Dieu possible que nous soyons condamnés de
la sorte à n'avoir le choix qu'entre l'anonymat et le chauvinisme ?
Non, il y
a une réelle alternative à ces deux maladies, le Scylla du nationalisme, et la
Charybde de l'absence universelle de racines : l'amour de sa propre région, de
son propre village. L'amour de Faulkner pour Yoknapatawpha et celui de Barth
pour le Maryland, l'obsession de Joyce pour Dublin, la passion de Romain Rolland
pour la Bourgogne, le monde florentinocentriste de Dante et de Botticelli, nous
donnent la clé de la nature humaine universelle. En effet, le
contenu/enracinement local existe dans la réalité, il est l'exact opposé des
généralisations abstraites.
Les dirigeants sionistes, avec leurs sophismes à
quatre francs six sous, avaient l'habitude de clamer qu'"il n'y a pas de peuple
palestinien." Comme n'importe quel sophiste, ils disaient une partie de la
vérité, mais certainement pas toute la vérité. L'attachement local des
Palestiniens était si riche qu'ils n'avaient strictement rien à faire du
nationalisme, propre à l'homme déraciné. Les Palestiniens appartiennent à leurs
villages. Pour eux, leurs Jifna, Taïbé, Nazareth ou Bar'am... sont absolument
irremplaçables. Nous pourrons nous faire une représentation de cette notion en
nous souvenant de cette plaque, apposée sur la Croix : "Jésus de
Nazareth".
C'est là une des nombreuses choses que les Palestiniens ont à nous
apprendre. L'amour de nos communautés territoriales, de nos villages, de nos
villes et bien entendu de leurs habitants, en lieu et place d'on ne sait quelle
idéalisation glorieuse (?) de notre N(?)ation et de notre E(?)tat... Dans le
contexte américain, cela signifie donner la prépondérance aux droits des Etats
et non au pouvoir fédéral, la primauté aux autorités du comté sur celles de
l'Etat, subventionner les villages avant de subventionner le comté. On a de
bonnes choses à copier sur les Suisses : il est impossible d'immigrer en Suisse
avant d'avoir été accepté par une communauté territoriale, à quelque niveau
qu'elle se situe. C'est justice : si une poignée de libéraux et de
néoconservateurs richissimes sont favorables à l'immigration, qu'on les oblige à
accueillir les immigrés dans leurs quartiers chics et à les intégrer en voisins.
Gageons que cette mesure mettrait un terme immédiat et quasi total à
l'immigration...
La valeur locale est réelle, par opposition à l'abstraction
de la nation. Elle assure, de plus, une protection sûre contre la peste
aliénante et réductrice de la mondialisation. Je suis d'accord avec les
critiques du nationalisme et de l'Etat-nation : le nationalisme a lamentablement
échoué partout dans le monde, de l'Italie au Japon, de la Serbie en Israël.
Cette invention du dix-neuvième siècle a entraîné des fleuves de sang versé,
créé des structures quasi-maffieuses, opprimé les liberté et suscité les haines.
Mais quelle alternative ? S'agit-il du super-état mammonite qui s'élève
aujourd'hui sur les ruines de la Pax Americana ? Du plagiat de la stratégie
juive propre à des groupes nationaux déracinés dans une société multiculturelle
? Non. L'alternative se trouve dans le caractère unique de nos villages et de
nos cités. Le pouvoir devrait être dévolu de plus en plus près du terrain, vers
le niveau des communautés locales. A ce niveau, il n'y aura jamais place pour la
bureaucratie et la "démocratie" manipulatrice. Cela sauvera les gens comme vous
et moi de la dictature des experts rusés et des gros bonnets opulents [16] Nous
devrions apprendre auprès de nos frères palestiniens à aimer nos villages et nos
villes, à les rendre aussi uniques que le sont Jifna et Florence. Personne ne
saurait être un authentique patriote attaché à sa terre s'il n'aime d'abord
et avant toute autre chose sa propre ville. Ce n'est pas un hasard, si
Ulysse soupire après son Ithaque natale, et non pas après la Grèce en sa
totalité...
V - Nombreux sont les gens de bien à rejeter le
sionisme et à le comparer aux mouvements prônant la colonisation de peuplement
ou avec le national-socialisme allemand. Il est vrai que l'action du sionisme a
abouti à défigurer l'aimable paysage de la Palestine et qu'il a servi de
puissant instrument de concentration du pouvoir entre les mains des dirigeants
juifs suprématistes, en Amérique et ailleurs. Toutefois, le sionisme avait ses
raisons propres qui ne sauraient, hélas, être explicitées en notre ère du
Politiquement Correct. Mais courage : osons. Et disons quelles sont ces raisons.
Le sionisme et l'antisémitisme ne se sont pas contentés de se renforcer
mutuellement et de se nourrir l'un de l'autre, comme les antisionistes aiment à
le rappeler à juste titre. Les premiers sionistes pensaient que certaines
qualités propres aux Juifs étaient détestables et que, par tant, il fallait
éradiquer ces "tares". De préférence en transplantant les Juifs dans les
environnements hostiles de la Palestine ou de l'Ouganda. Les sionistes
appelaient la mentalité juive traditionnelle "Galutiyut" (mentalité
"diasporique"), mais la vision qu'ils avaient de celle-ci ne différait en rien
de celle que s'en formaient les antisémites.
Récemment, le Juif antisioniste
(et avisé) Lenni Brenner, a commenté une lettre de Chaim Weizmann, écrite en
1914. Weizmann, dirigeant sioniste et futur premier Président de la république
d'Israël, venait d'avoir une conversation décisive avec Lord Balfour (oui, le
Balfour de la fameuse déclaration...) et celui-ci lui avait confié qu'il
"partageait beaucoup des idées développées par les antisémites"... Weizmann lui
fit savoir que les sionistes étaient "d'accord, eux aussi, avec les antisémites
"culturels""... Brenner conclut, triomphant : "en anglais de tous les jours, et
non plus diplomatique, il ne restait plus à Balfour qu'à remercier Weizmann pour
l'approbation qu'il venait de lui manifester à propos de son antisémitisme..."
Cela semblera peut-être étrange à de jeunes lecteurs accoutumés à la
littérature juive adulatrice, mais les premiers sionistes étaient très durs avec
les Juifs de leur temps. Pour eux, la pléthore d'avocats, de pornographes, de
changeurs de monnaie, d'activistes des lobbies les plus divers, de banquiers, de
magnats de la presse, de gros bonnets de l'immobilier, de journalistes
libéraux... juifs était "un phénomène indésirable et démoralisant", pour
reprendre la version soft d'un Weizmann, voire "le dépotoir de la planète", pour
reprendre le langage fleuri d'un David Ben Gourion. Le sionisme faisait sien le
fonds de commerce de l'antisémitisme, (mais) pour en proposer le remède : une
rééducation "façon Mao (Tsé-Toung)", dans un paysage isolé et
relégué.
Toutefois, l'Histoire en a décidé différemment. La Galutiyut, la
Judéïté (de la Diaspora) finit par s'avérer porteuse d'une stratégie gagnante
pour l'Occident adorateur de Mammon. Les avocats et les magnats de la presse
mentionnés plus haut ont captivé l'esprit de l'Amérique et sont devenus des
modèles à imiter pour beaucoup d'Américains, Juifs comme Gentils. Le sionisme
israélien a perdu son esprit originel, dégradé qu'il est en totalitarisme
militaire ne survivant plus que sur les subsides prodigués par une Amérique
hypnotisée. Mais cela ne signifie pas que les diatribes "antisémites" des
premiers sionistes étaient entièrement dépourvues de fondement : le succès à
l'échelle mondiale ne saurait être, en effet, le nec plus ultra, l'unique aune à
laquelle devrait être mesurée toute chose.
Un des traits de la mentalité
juive de la diaspora était particulièrement étrange et unique en son genre.
Lorsque des enfants de bonnes familles juives russes fin-de-siècle (le
dix-neuvième...) quittèrent la vie douillette de leurs communautés juives pour
s'intégrer au monde des Gentils, ils prirent (soudain) conscience d'un élément
tragique de l'existence des Juifs : leur divorce quasi-total d'avec la Nature.
Les Juifs ne s'intéressaient absolument pas à la nature, ils ne la décrivaient
jamais dans leur poésie ou dans leur prose, ils ne la peignaient pas, ils
n'avaient aucun lien avec elle ; ils n'apportaient aucun intérêt au paysage, en
dehors de leur schtetl. Des jeunes hommes et des jeunes femmes pensèrent que
cela devait changer, à l'avenir, et qu'on allait voir ce qu'on allait voir.
Certains d'entre eux allèrent en Argentine, où le Baron Hirsch essaya de créer
un attachement des Juifs à la terre. D'autres établirent des colonies en Crimée,
ou en Palestine.
Ils avaient l'intention de se débarrasser de leur judéïté.
Ils se moquaient bien du nom qu'on leur donnerait (bon, d'accord, il y en a eu
quelques-uns, qui demandèrent à être appelés qui Israéliens, qui Hébreux, qui
Canaanites). Non, ce qui les préoccupait au plus haut point, c'était les
particularités "du Juif", dont ils voulaient se débarrasser coûte que coûte, et
se réconcilier avec la Nature. N'étant pas sionistes de stricte obédience, nous
nous autoriserons à signaler que certaines personnes d'origine juive ont
parfaitement réussi à se défaire de ces particularités sans pour autant aller
vivre en Palestine (peut-être ces personnes seraient-elles qualifiées plus
exactement de "descendants de Juifs", plutôt que de "Juifs" elles-mêmes). La
majorité des Juifs israéliens ont échoué de la belle manière à s'enraciner dans
le territoire de la Palestine, chose qui était difficilement réalisable sans
fusionner avec la population locale.
La raison du divorce des Juifs d'avec la
Nature a été expliquée au moyen de différentes théories, qui toutes convergent
vers un même constat, par un historiographe russe, le "Toynbee russe", Lev
Gumilev. Il appelle "ethnos" un groupe humain attaché à son cadre de vie. Une
ethnie, par conséquent, ne saurait exister en l'absence d'une niche écologique
qui lui soit propre. Gumilev a défini les Juifs ("les Juifs de la diaspora non
reconstruite", dirait un sioniste), comme le peuple d'un ambitus anthropogénique
(façonné par l'homme). C'est ce qui explique pourquoi il est extrêmement facile,
pour un Juif, de changer de cadre de vie : il ignore la nature, et l'on sait que
les villes modernes sont toutes identiques les unes aux autres. C'est pourquoi
un Juif jouit d'un avantage précieux dans la lutte pour la vie : alors que la
mentalité anglaise, pour prendre un exemple, renvoie aux compétences
indispensables pour vivre dans l'environnement propre aux Iles britanniques
(façonné dans une grande mesure par la rigueur des éléments), la mentalité juive
est admirablement adaptée, de manière, pourrait-on dire, anticipatrice, à un
environnement façonné par l'homme.
Gumilev théorise la dichotomie Juifs vs.
Gentils en une autre : ethnie de paysage anthropogénique vs. ethnie(s)
d'écosystème(s) naturel(s). Cette opposition pertinente ne coïncide pas avec
l'opposition pertinente ville/village, un citadin pouvant être considéré partie
constituante du paysage de sa ville. Ce genre d'hommes vivent dans de vieilles
cités magnifiques, telles Florence ou Oxford, Jérusalem ou La Mekke, Suzdal' ou
Leon. Ces cités ont grandi, telles des fleurs rares, dans leur cadre naturel.
Elles ont créé des merveilles artistiques, érigé des cathédrales et des mosquées
; elles sont à la fois uniques, locales et universelles. Il y a aussi place,
parmi elles, pour les grandes métropoles du monde, Paris, Londres, New York,
Bombay, Shanghaï : ce sont les lieux de rendez-vous des civilisations.
Toutefois, les villes modernes entièrement créées par l'homme, telles Milton
Keynes, Luton, St-Denis (Canada), la ceinture de la banlieue de New Jersey, nos
Holon et Afula (à nous, Israéliens), sont sans personnalité, toutes semblables
les unes aux autres, dépourvues de la moindre trace de culture.
Un ethnos
réussit dans sa propre niche écologique. Dans une niche écologique étrangère, il
échoue. Afin de l'emporter, dans la compétition avec d'autres groupes ethniques,
un ethnos essaie de s'adapter à l'environnement ou, à l'inverse, d'adapter
l'environnement à ses besoins. Nous pouvons observer le même phénomène lorsque
nous essayons de pêcher un gros poisson : en se débattant, il essaiera de tirer
le pêcheur dans son propre environnement - l'eau - car il pense, à bon escient,
que c'est dans cet environnement naturel qu'il est susceptible d'avoir le
dessus. Le pêcheur, à l'inverse, essaie de tirer le poisson dans son propre
environnement - le plancher des vaches - où il est certain de l'emporter (en
asphyxiant son adversaire).
C'est la raison pour laquelle les Juifs (de la
diaspora) sont enclins à détruire le paysage naturel qui leur est par essence
étranger (pour eux, non pour les autres) et à le remplacer par un paysage créé
par l'homme, dans lequel ils savent comment développer leur stratégie. Il s'agit
d'une disposition aussi instinctive que celle qui dicte au poisson de tirer le
pêcheur à l'eau. Un exemple d'une stratégie de cette nature est fourni par la
dynastie juive canadienne des Reichmann.
Cette famille de pieux Juifs
orthodoxes était active dans l'immobilier au Canada, en Angleterre et ailleurs
dans le monde. Ils avaient immigré au Canada depuis l'Autriche, durant les
années noires du pouvoir d'Hitler, et, dans les années quatre-vingt, leurs
avoirs étaient estimés à 40 milliards de dollars. Les Reichmann ont inventé le
centre commercial (shopping mall), un pattern de design urbanistique qui a
changé la vie des gens partout sur la planète. Les centres commerciaux ont miné
des centres villes jadis socialement intégrés, décimé les petits commerces
traditionnels, dévasté les artisanats, servi de support aux publicités pour les
marques, pour le plus grand profit des grandes compagnies, encouragé les achats
d'automobiles, la vie dans les banlieues lointaines et la désintégration sociale
qui en a résulté.
Les centres commerciaux ont évincé les avantages naturels
des produits et des producteurs locaux, au profit de produits importés ou
fabriqués par des entreprises hyperconcentrées, étant donné que dans ces
"shopping malls", il n'y a ni boutique ni boutiquier traditionnels, ni artisanat
appuyé sur la maîtrise d'un métier acquis au cours de toute une
existence.
Les "malls" ont rendu les Reichmanns immensément riches, et les
Canadiens ont l'habitude de dire : "il y a les riches, il y a les super-riches,
et puis... il y a les Reichmann." Ils ont financé diverses associations
caritatives juives et des projets en Israël, claqué un fric monstrueux pour
l'immigration russe en Israël (vous vous rappelez : l'immigration des "Juifs"
russes... ?). Mais ils ont fait plus de mal que de bien à la société israélienne
naissante. Leurs centres commerciaux ont dévasté Tel Aviv et Jérusalem Ouest,
les acheteurs relativement aisés y prenant leurs habitudes, désertant les
boutiques locales, puis les cafés et autres lieux de rencontre, qui finirent par
perdre toute clientèle. La société israélienne, naguère relativement cohérente,
s'est désintégrée, ne formant plus qu'une juxtaposition hétérogène de groupes
divers. Les enfants d'immigrants, avec leur lien plus que balbutiant et vague au
paysage, ne jouent désormais plus sur les pentes des collines de Judée : ils
tuent l'ennui en glandouillant dans les centres commerciaux, s'imprégnant d'un
paysage urbain entièrement artificiel et n'ont plus que le "shopping" (on
parlerait plus proprement de lèche-vitrine) en guise de distraction. Les enfants
des centres commerciaux peuvent passer sans anicroche d'un mall à Jérusalem à un
autre mall identique à Toronto : ils y retrouveront exactement les mêmes
fringues de marque, dans des centres commerciaux bâtis par exactement les mêmes
Reichmann... C'est pourquoi l'inclination naturelle des Juifs de la diaspora a
réussi à miner tout aussi bien l'utopie sioniste que la vie sociale et les
traditions, dans maint pays, de par le vaste monde.
VI - Un Mall, ça ne pousse pas comme un champignon dans
quelque terrain vague. Les clients des futurs malls ont grandi dans des blocs
d'habitation standardisés, construits après la Seconde guerre mondiale. Inspirés
par les Gropius, Le Corbusier, Niemeyer, ils sont basiquement les mêmes dans le
monde entier, jusques et y compris à Novossibirsk, ma ville natale. Ces blocs
d'habitation nous ont placés, tous autant que nous sommes, dans un environnement
artificiel, coupé de tout contenu/valeur locale, de toute tradition nationale et
de tout environnement naturel. Les villes sans caractère, reconstruites après
les énormes destructions de la guerre, sont particulièrement déprimantes. Mais
même des villes indemnes des folies guerrières ont bien souvent été ruinées par
la tendance "moderniste".
Les Suédois ont invité chez eux Oscar Niemeyer,
fils d'un immigré brésilien, disciple de Lucio Costa et de Gregory Warszawchik,
afin qu'il contribue à l'embellissement de Stockholm. Il proposa de démolir le
centre médiéval de Gamla Stan, la Vieille Ville, et de construire à la place un
alignement impeccable de blocs cubiques... Ce projet fut (heureusement) écarté.
Mais, comme "compensation", on lui permit de raser le quartier central
d'Hotorget, avec ses belles demeures du dix-neuvième siècle, qu'il eut la joie
de remplacer par ses obsessionnelles boîtes à chaussures. Ce sont les mêmes
blocs de béton qui ont été construits (je devrais écrire "posés") sur le site du
magnifique quartier dix-huitième siècle de l'Arbat, à Moscou. Un ami de l'Union
soviétique, Niemeyer, est à l'origine de gigantesques programmes de construction
de HLM dans la Russie post-stalinienne, qui ont fait de millions de Russes des
hommes façonnés par un paysage artificiel.
Un jour, j'ai accompagné la
directrice d'une chaîne de télévision russe, une belle jeune femme de Moscou,
dans une excursion dans l'oued de Ein Jedi, l'un des lieux les plus charmants et
délicieux de toute la Palestine, avec ses cascades et ses bouquetins sauvages,
sa végétation luxuriante et ses petites vasques naturelles. "Ouff...
qu'attendez-vous pour construire une réplique de ce canyon dans la piscine d'un
hôtel d'Eilat ?", se plaignit-elle, alors que nous rentrions après cette belle
ballade. Elle ne plaisantait pas : cette citadine pur sucre n'avait nul besoin
de la nature et de sa beauté fascinante. Elle est loin d'être la seule. Une
autre fois, alors que je montrais à des touristes russes de magnifiques maisons
arabes, à Jérusalem, j'entendis une remarque sceptique : "Ouaip, peut-être vous
pouvez, à la rigueur, vivre là-dedans... si vous n'avez pas le choix !..." Mais,
"heureusement", les HLM hideux des faubourgs de Jérusalem leur arrachèrent
des vivat enthousiastes !
La Russie rurale a été transformée, elle aussi,
par l'intrusion agressive d'un habitat standardisé, par la collectivisation et
un exode rural massif. En définitive, la Russie est devenue un paysage mixte, à
la fois anthropogène et naturel. Cette division est palpable dans les arts, la
littérature, la vie politique, les préférences économiques, la structure
sociale. La domination de l'artificiel s'imposa de plus en plus, au point de
devenir quasi-totale, au fur et à mesure que les dirigeants communistes
post-staliniens aspiraient de plus en plus à imiter l'Occident. L'opposition -
les "dissidents" - soutenaient, quant à eux, de manière croissante, les
politiques anthropocentrées. Les écrivains et les peintres de la nature étaient,
parallèlement, de plus en plus marginalisés.
Les conséquences pour la Russie
de cette invasion du paradigme anthropocentré furent funestes. La nature a été
détruite : rivières irrémédiablement empoisonnées par les rejets d'effluents
industriels, villages rasés car "économiquement non-viables" (!). L'année 1991 a
parachevé le transfert du pouvoir et de l'influence entre les mains
anthropocentriques, phénomène mis en évidence par l'ascension fulgurante d'une
oligarchie juive, composée d'une poignée de banquiers hyper-riches et de gros
bonnets de l'industrie.
Ce processus s'est déroulé ailleurs, aussi, et le
modèle anthopocentré (a-naturel) domine désormais le monde. Attention : je ne
pense pas que les Niemeyer, Reichmann et autres créateurs, devant l'Eternel,
d'environnements artificiels, travaillaient consciemment dans l'intérêt de la
domination de la diaspora juive sur le monde, comme les tenants du "complot"
pourraient le penser. Certains d'entre eux créaient, de manière subconsciente,
un environnement dans lequel eux-mêmes seraient susceptibles de prospérer. Et
cet environnement favorable ne pouvait être, logiquement, qu'anthropogénique...
D'autres étaient tout-à-fait imperméables à l'idée qu'un environnement
artificiel fût mortel pour l'Homme Naturel, et attribuaient la résistance du
peuple, face à leurs "créations", aux préjugés des ploucs qu'à leurs yeux ils
étaient. Affligés d'une hypertrophie de l'ego et de la volition et têtus comme
des mules, ils pensaient sincèrement bien mieux savoir que le peuple ce qui
était bon pour celui-ci. Probablement n'ont-ils même jamais compris que ce
qu'ils produisaient était, en tout et pour tout, exclusivement bon pour
eux-mêmes...
Instinctivement, comme le poisson essaie d'entraîner le pêcheur
qui l'a ferré au fond de l'eau, les propriétaires juifs de médias formèrent
l'opinion afin de lui faire adopter l'artificiel ; des financiers juifs
financèrent des projets anthropogéniques ; des agents immobiliers juifs
construisirent et vendirent des complexes d'habitation, puisqu'aussi bien leurs
élans naturels allaient au monde anthropogénique et puisqu'ils savaient
intimement que dans un tel monde, il prospéreraient. Je pense qu'il s'agit-là
d'attitudes instinctives plus que consciemment réfléchies. D'ailleurs on les
constate tout aussi bien au sein de la colonie juive en Palestine.
Indubitablement, ces hommes d'affaires avaient une profonde sympathie pour
Israël, et Niemeyer y a d'ailleurs vécu plusieurs années de sa vie. Mais (hélas)
leurs activités en Israël se sont révélées tout aussi destructrices
qu'ailleurs.
On peut comparer ce processus avec un développement similaire
des événements, qui s'était produit plus tôt, lorsque les immigrants
britanniques avaient colonisé l'Amérique du Nord. Ils devaient entrer en
compétition avec les habitants d'origine, les aborigènes Américains, qui
vivaient en symbiose parfaite avec la nature. Afin de survivre, les colons
n'avaient pas d'autre choix qu'entre changer eux-mêmes ou transformer
l'environnement (naturel). Le pionnier de Fennimore Cooper était un homme qui
savait s'adapter à la nature et adoptait les us et coutumes des Indiens
d'Amérique. Si les indigènes américains avaient été assez puissants pour bloquer
ou limiter l'immigration venue d'Europe, si les colons anglais avaient partagé
l'engouement des Français pour le Bon Sauvage, une coexistence entre eux aurait
été possible.
Hélas ! Les colonisateurs anglais, protestants fervents,
dévots de l'Ancien Testament, ont été inspirés par l'idée de leur Election, par
l'idée qu'ils représentaient une réincarnation d'Israël répétant la conquête de
Josué. Les indigènes locaux étaient, dans ce cas de figure, les "Cananéens" qui
devaient être à tout prix "dépossédés" (Ch. 33:53 et "détruits jusqu'au dernier"
Ch. 21:3)) Le modèle fourni par l'Ancien Testament (totalement contredit par le
Nouveau Testament et le Coran) est celui d'une guerre totale, de
l'anéantissement, de la dépossession et de la domination. En revenant à l'Ancien
Testament, les colonisateurs déclaraient la guerre à "moins élus" qu'eux. C'est
pourquoi il tuèrent et dépossédèrent les naturels Américains dès qu'ils en
eurent l'occasion, mais c'est aussi ce qui les amena à détruire l'environnement
: bisons éradiqués, puits empoisonnés, grande prairie détruite. La destruction
de l'environnement est l'un des modes naturels de prise de contrôle par un
groupe allogène.
VII - Les motifs de la destruction du paysage sont souvent
présentés comme étant de nature purement financière. Chaque fois qu'une belle
source est tarie, qu'une rivière déborde de rejets industriels, qu'une forêt est
rasée et une colline desséchée, nous sommes invités à blâmer la rapacité
humaine. Toutefois, on peut tout aussi bien observer ce processus en l'absence
de toute cause déclenchante imputable à la finance. Dans ma Sibérie natale, de
nombreux villages ont été détruits et des paysages entiers ruinés par la
création de lacs artificiels et de stations hydroélectriques. Dans la Sibérie
soviétique, nul profit financier ne saurait avoir servi de prétexte. Ajoutons
que les énormes quantités d'électricité ainsi produites sont, dans une large
mesure, inutilisées [17].
On pourrait citer des centaines d'exemples, dans
lesquels la destruction de la nature bat son plein sans qu'aucun profit sonnant
et trébuchant ne soit recherché, ni perçu. L'un des écrivains les plus inspirés,
sur le Web, Diane Harvey, a pu écrire, profondément abattue : "La relation de
cause à effet entre les cerveaux qui régissent la Terre et l'interminable agonie
du monde naturel est stupéfiante. Qu'est-ce qui a bien pu amener les
propriétaires-gérants de notre globe à laisser les systèmes assurant la
continuation de la vie planétaire se dégrader au point d'atteindre cet état de
choc toxique ? Les soubresauts d'agonie de la nature s'intensifient, et pourtant
les actions humaines fatalement destructrices continuent, impavides, comme si
cet état de chose n'avait rien à voir avec la pérennité de la vie humaine. Nous
devons nous demander si ces homme puissants, à la barre de ce bateau en train de
couler, responsables de l'empoisonnement d'une planète entière, n'ont pas
tout-à-fait perdu l'esprit. Nous nous interrogeons, perplexes : ces dévots
ardents de la rapacité ont-ils fini par être emportés et rendus carrément fous
par ce péché mortel ? Sommes-nous d'ores et déjà emportés dans les remous d'un
chaos démentiel, tout droit vers l'abîme ? [18].
Diane Harvey, comme Immanuel
Wallerstein, déploie un effort héroïque afin de tenter d'apercevoir l'oeuvre de
la raison dans un comportement en apparence irrationnel. Et elle parvient
presque à généraliser le concept de rapacité. Elle conclut : "les structures du
pouvoir financier globalisé... ont planifié la destruction de la nature, qui
représente (pour elles) la meilleure opportunité pour faire des affaires de tous
les temps. Elles ont à l'esprit l'idée de rendre l'humanité totalement
dépendante des succédanés qu'ils veulent lui en refiler, et d'exercer sur nous
un contrôle absolu, au moyen de ces mêmes ersatz de vie naturelle qu'ils nous
contraindront à acheter au prix fort. J'affirme que les forces du totalitarisme
financier sont en train de détruire de manière délibérée le monde entier, de
façon à pouvoir nous revendre la version virtuelle qu'ils sont en train d'en
tirer, à leur plus grand profit".
Son diagnostic est certes sombre. Mais il
n'est pas encore assez sombre. Qui promet à Madame Harvey qu'on lui vendra les
ersatz d'air et d'eau, aux noirs lendemains de nos cauchemars ? Après tout, la
rapacité et le profit, même capitalisés, présupposent l'existence d'un mode
opératoire permanent. Cela exige un certain effort, de reconnaître que la
rapacité n'est ni une particule élémentaire, ni une force physique. Derrière
l'avidité, se tapit une figure plus ancienne et plus sombre : celle de
l'inclination à dominer. Pour la domination, l'avidité représente un simple
moyen pour atteindre le but. Bien sûr, il est bon et beau de vendre de l'air à
Madame Harvey et d'en tirer un profit rondelet. Mais peut-être serait-il encore
plus jouissif de refuser de lui vendre l'air, pour elle absolument vital, et de
se distraire à l'observer, en proie aux affres de l'agonie ?
Après tout, mes
ancêtres, obsédés par leur instinct dominateur, n'avaient-ils pas payé argent
comptant des prisonniers chrétiens, après la mise à sac de Jérusalem par les
Perses, et n'avaient-ils pas égorgé ces prisonniers de leurs propres mains,
refusant le prix, plus élevé car intégrant la "marge bénéficiaire", que ces
derniers leur offraient afin de racheter leur liberté ? [19] Le profit n'est pas
le fin mot ; dans l'enchaînement des péchés, le dernier maillon, c'est le désir
de dominer autrui. La cupidité ne saurait expliquer ce qui pousse un
multimilliardaire à amasser encore plus de milliards. Il joue dans une autre
catégorie : ce qui le pousse, c'est l'aspiration à dominer.
Comme nous
l'avons déjà indiqué, qui dit domination dit esclaves, or aucun homme ne saurait
être réduit en esclavage tant qu'il est encore connecté avec la nature. C'est la
raison pour laquelle il faut détruire la nature : cela est absolument nécessaire
si l'on veut réduire ne serait-ce qu'un seul homme en esclavage. Mais, par-delà
l'instinct de domination, par-delà la destruction de la nature, nous observons
quelque chose d'autre. Comme le navigateur de Christophe Colomb apercevant la
terre, nous n'en croyons pas nos propres yeux : Non, ce n'est pas possible
!
Durant deux cents ans, voire plus, la chrétienté a essayé de vivre en
ignorant Dieu. Certains niaient qu'Il existât, d'autres non, mais croyants comme
non-croyants expliquaient nos problèmes existentiels sans faire référence à la
présence de Dieu dans l'Univers. Nos bons et mauvais penchants et désirs
devraient y suffire, pensions-nous. Il existe un adage, attribué à différents
savants, selon les sources, de Newton à Einstein : "Je n'avais aucune raison
d'introduire Dieu dans mes formules". Un érudit médiéval anglais, du Surrey,
William Ockham (qui a fourni le personnage principal au roman d'aventure
d'Umberto Eco, le Nom de la rose), a formulé un principe, appelé le Rasoir
d'Ockham. Le voici : "Ne multipliez pas les paramètres si cela n'est pas
absolument nécessaire." Il voulait dire ainsi que de deux théories concurrentes
entre elles, la plus aisée à démontrer doit être retenue. C'est pourquoi nous ne
recourons pas, généralement, aux catégories spirituelles, lorsque nous
explicitons des phénomènes triviaux.
Alors que nous étions relax, dans notre
monde entièrement matériel, un autre principe de la casuistique médiévale, la
Loi de Manifestation, nous préparait un piège. Cette loi énonce : "toute entité
réellement existante finit par se manifester un jour." Une entité vouée à ne
jamais se manifester pourrait tout aussi bien être qualifiée d'inexistante, sans
dommage. De manière théorique, nous savions qu'à partir d'une certaine vitesse,
l'espace ne répond plus aux règles, remontant à des temps immémoriaux, formulées
par Euclide. Les remplacent alors les lois d'une nouvelle géométrie, fondée au
dix-neuvième siècle par le brillant rejeton d'un prêtre de Hanovre, Bernhard
Riemann. Dans la pratique, notre esprit refusa de l'admettre - jusqu'à ce que
cette géométrie riemannienne devienne une réalité.
De la même manière, en
théorie, un homme croyant devrait être préparé à observer une manifestation du
monde spirituel, de Dieu, comme des Forces succubes. En pratique, nous refusions
d'admettre qu'une telle possibilité existât. Une femme pasteur suédoise, à qui
on avait demandé ce qu'elle ferait si un jour Sainte Brigitte lui apparaissait,
répondit : "Je m'enfilerais deux demis de bière, j'expédierais un gros steak, et
si ça ne suffisait toujours pas, je traînerais mes vieux os jusqu'à un hôpital
psychiatrique." Si telle est l'approche d'une femme de religion, dites-le moi :
qu'attendre des laïques ?
En tournant systématiquement le dos à la présence
de Dieu, en veillant à Lui dissimuler constamment la vie que nous menions, nous
aidions Son adversaire, assis en face de lui, devant le grand échiquier de
l'univers. Aujourd'hui, l'influence et les plans de celui-ci sont devenus
tangibles, et il n'y a aucune montagne de steaks-frites et de bocks de bière qui
puisse y changer quoi que ce soit. Les derniers développements de l'histoire
humaine, faits de destruction gratuite de la nature et de guerre contre
l'esprit, ne sauraient être attribués de manière plausible à des causes
matérielles et rationnelles. Au-delà du visage par trop humain des grands
trusts, au-delà de l'Avidité capitalisée, au-delà du paradigme de la Domination,
le Destructeur sans visage est apparu, comme Lord Dark Vador, maître d'une
planète totalement à sa merci, dans la Guerre des Etoiles.
- NOTES :
[1] : http://www.weeklyworldnews.com/bizarre/bizarre.cfm?instanceid=10[2] : 1999, University of Minnesota Press
[3] :
On the Move
[4] : Ephésiens 6:12
[5]: Exode 29:45
[6]: Jean
1:14
[7]: Jeann 12:31, 14:30, 16:11
[8]: Serge Averintsev, Sophia-Logos,
Kiev 2001
[9] : The Archaology of New Testament, Princeton University Press,
1992
[10] : I Samuel, 21:14. Référence in Biblical Archaeology Review
1980
[11] : 9, 4:6
[12] : Finnegan, p. 334
[13] : Talmud, Horayot
12a
[14] : voir un poème amusant, en dépit de son caractère obscène, sur la
Fabrication des Gourdes, du poète afghan Rumi, sur l'échec d'un plagiaire à
observer les détails de l'action, et sur les conséquences fâcheuses que cela
s'avère avoir.
[15] : Kevin McDonald, the Culture of Critique, Praeger, 1998,
p. 330
[16] : Cette idée avait été promue par Bakunin, archi-ennemi de la
bureaucratie, et magnifiquement exprimée par Lénine dans son dernier ouvrage,
l'Etat et la révolution (1916)
[17] : Il avait fini par trouver une
utilisation dans une fonderie usine d'électrolyse de l'alumine (production
d'aluminium). Après 1991, cette usine a été privatisée. Elle appartient
aujourd'hui à un Israélien.
[18] : Global Totalitarianism And The Death Of
Nature, Diane Harvey, http://www.rense.com
[19] : voir mon article Mamilla
Pool