Point d'information Palestine > N°189 du 13/02/2002

Newsletter réalisée par l'AMFP - BP 33 - 13191 Marseille FRANCE
Phone + Fax : +33 491 089 017 - E-mail :
amfpmarseille@wanadoo.fr
L'AMFP Marseille est une section de l'Association France-Palestine Solidarité
Association loi 1901 - Membre de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux (Trésorier)
Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
                                       
Si vous ne souhaitez plus recevoir (temporairement ou définitivement) nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante :
amfpmarseille@wanadoo.fr. Ce point d'information est envoyé directement à 4405 destinataires.
Consultez régulièrement les sites francophones de référence :
http://www.solidarite-palestine.org - http://www.paix-en-palestine.org
http://medintelligence.free.fr - http://www.france-palestine.org
                            
                                       
Au sommaire
                   
Témoignage
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des citoyens de Palestine ou des observateurs. Ils sont libres de droits.
"You're under arrest" par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
                                          
Rendez-vous
Retrouvez l'agenda complet des conférences, manifestations, spectacles, expositions... sur http://www.solidarite-palestine.org/evnt.html
1. Soirées de solidarité au Centre Culturel Arabe Syrien les jeudi 14 et vendredi 15 février 2002 à Paris
2. Conférence - Débat avec Ouzi Dekel le mercredi 20 février 2002 à 20h30 à Paris
3. Théâtre - "El Menfi" (L'Exilé) à la Maison du Théâtre et de la Danse d'Epinay-sur-Seine du 1er au 8 mars 2002
                           
Dernières parutions
La Porte du soleil de Elias Khoury aux Editions Actes Sud/Le Monde diplomatique
                                                             
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG.
1. "Pour une paix juste et immédiate au Proche-Orient" - Signez deux appels lancés l'un par des médecins et scientifiques et l'autre par des artistes et professionnels de la culture.
2. De Stalingrad à Bagdad par Israël Shamir (1991) [traduit du russe par Marcel Charbonnier]
3. Le grand jeu par Uri Avnery [traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
4. Un Conte de Deux Journaux - Châtrez-les ! par Israël Shamir (9 janvier 2002) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
5. C'est Sulzberger qu'il faut mettre en examen pour les crimes de guerres perpétrés à Qibya par Ahmed Amrin sur nilemedia.com (site internet d'information) du mardi 8 janvier 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                                                                                                       
Revue de presse
1. Terrorisme, mode d'emploi par Marwan Bishara in le Figaro du lundi 11 février 2002
2. Iran : le retour du temps des diatribes par Mouna Naïm in Le Monde du mardi 12 février 2002
3. Nabil Chaath demande à l'Europe d'agir par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du vendredi 8 février 2002
4. Bouclage - Arafat en son réduit par Sophie Claudet in L'Express du jeudi 7 février 2002
5. Arabes israéliens, Palestiniens d'Israël par Gilles Paris in Le Monde du dimanche 10 février 2002
6. Le silence coupable du monde arabe par Majed Nehmé in Le Nouvel Afrique-Asie du mois de février 2002
7. "Les Palestiniens ne sont pas seuls" par Jean-Simon Gagné in Le Soleil (quotidien québécois) du jeudi 31 janvier 2001
8. Cibles légales par Amira Hass in Ha'aretz (quotidien israélien) dumercredi 30 janvier 2002 [traduit de l'anglais par Marc Deroover]
9. En évoquant "l'Aliya à l'envers, dans l'élite israélienne", Yossi Beilin provoque un vif débat sur ce phénomène et ses possibles causes par Ariyé Bender in Ma'ariv (quotidien israélien) du lundi 28 janvier 2002 repris in in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 29 janvier 2002 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
                                       
Témoignage

                                               
"You're under arrest" par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
Dimanche 10 février 2002 - Bonjour à tous, il m'est arrivé une drôle d'aventure mardi dernier. En voici le récit :
Mardi 5 février. Comme tous les mardis, je n'ai pas de cours dans la journée. Je me sens donc assez «libre» d'aller ou je veux...
Et j'ai décidé d'aller rencontrer une de mes amies, française, à Jérusalem.
Taxi de chez moi jusqu'à Bab ez-Zqaq (carrefour principal de Bethléem), puis autre taxi jusqu'au check-point. Là, je constate qu'il y a peu de monde. Quelques rares voitures (moins de dix) attendent leur tour. Beaucoup d'hommes attendent, eux aussi, assis par terre, en fumant cigarette sur cigarette. Si ces hommes attendent là, c'est que le «laffe» (détour) est fermé; c'est-à-dire que des patrouilles de l'armée israélienne sont sur les petits chemins de terre environnants et qu'ils interdisent aux ouvriers palestiniens de passer. Ils font ça plusieurs fois par semaine. Mais pas tous les jours. L'économie israélienne a besoin de la main-d'œuvre palestinienne, illégale certes, mais très bon marché.
Munie de mon «sésame, ouvre-toi» (à savoir mon passeport français), je passe le check sans plus de problème que d'habitude. Le passage se passe toujours de la même façon: les soldats me crient quelque chose en hébreu (que je ne comprends pas...) Je leur demande ce qu'ils veulent (en français). Ils répètent leur demande (en arabe). Je ne comprends toujours pas... Enfin, ils me disent «passeport» et là, j'obtempère. Ils le regardent, ne trouvent jamais le visa (pourtant en page centrale), me le rendent et, d'un signe de la main, m'invitent à passer devant eux.
Je passe donc, ce fameux mardi, comme tous les autres jours. Après le check proprement dit, on se retrouve sur ce que j'appelle «le chemin de ronde», petit chemin pavé que nous devons désormais emprunter pour contourner le check (la route, la vraie, est désormais réservée aux voitures et... aux colons désireux de visiter le Tombeau de Rachel, Tombeau situé... en plein cœur d'une zone A !)
Bref, me voilà sur le chemin de ronde. Effectivement, je ne me suis pas trompée: il y a des patrouilles partout. Mon portable sonne. C'est mon amie V. Je suis un peu en retard... On discute (figurez-vous qu'elle est encore plus bavarde que moi !) Je continue à avancer. Je note qu'il n'y a pas le moindre taxi à l'horizon. Il me faudra sans doute marcher jusqu'au couvent de Mar Elias pour en trouver...
Tout d'un coup, devant moi, un groupe de personnes attire mon attention. Des soldats, dont une femme, entourent une vieille paysanne palestinienne. La vieille dame commence à crier. J'observe. La femme soldate commence à frapper la vieille dame!
Je ne réfléchis même pas, je fonce !
Je me dirige vers eux. La minette soldate pousse la vieille dame, elle essaye de faire tomber le paquet que la paysanne porte sur sa tête. Je m'adresse à la soldate (en anglais) :
- Mais enfin ! Ça ne va pas, non ? Elle pourrait être ta mère ou ta grand-mère, cette femme ! Si tu as quelque chose à lui dire, dis-le lui, mais ne la frappe pas !
La soldate me parle en hébreu, je ne pige pas, mais à son air, je suppose qu'elle m'insulte... J'ai l'habitude...
Elle continue à frapper la vieille dame, je continue à lui dire d'arrêter (en anglais et en français). Autour de nous, un groupe de cinq ou six soldats, tous armés de M16. La soldate en a un aussi. Elle est blonde, la soldate, et plus petite que moi (eh si, c'est possible!) Son fusil est presque plus gros qu'elle.
La vieille dame finit pas s'asseoir. Elle évite ainsi les coups. Le groupe de soldats essaie de la relever, mais sans succès (la vieille dame à la taille respectable d'une paysanne palestinienne nourrie de houmos, mansaf, et knafe...)
La soldate est surexcitée. Elle décide alors de passer ses nerfs sur moi. Elle prend son fusil à pleine main et marche vers moi. La tête en avant, pour m'effrayer sans doute. Elle me fait penser à un coq dans une basse-cour mais, sur le moment, je ne trouve pas ça drôle du tout. Elle cherche visiblement à me provoquer. Je ne suis pas complètement idiote. Devant elle, je recule. Elle avance, je recule.
Je suis toujours au téléphone avec mon amie...
- Hé, V. ! Il y a une soldate qui me fonce dessus avec son fusil !
- Tu recules ! Laisse tomber, elle n'en vaut pas la peine !
Je recule toujours...
Dans ma main gauche, mon portable. Dans ma main droite, mon passeport, et une cassette vidéo: Marius, de Pagnol. Je l'ai visionnée la semaine dernière avec mes étudiants, et je dois la rapporter aujourd'hui au Centre Culturel Français de Jérusalem.
Visiblement, la soldate a envie d'en découdre... elle attrape la cassette. Je n'oppose aucune résistance. Elle fait semblant de la jeter dans le ravin, je ne dis toujours rien. Finalement, elle la jette sur la route derrière elle.
Le groupe de soldats entoure toujours la vieille dame assise par terre. La soldate me parle en hébreu, et au ton de sa voix, je doute qu'il s'agisse d'amour...
Enfin, la soldate fait demi-tour, ramasse la cassette et remonte vers l'endroit où sont stationnées les jeeps.
Toujours au téléphone, j'explique à mon amie que je vais essayer de récupérer la cassette. Après tout, c'est une propriété de l'État français, et je n'ai pas perdu mes réflexes de fonctionnaire...
Je remonte donc vers les jeeps et j'attends.
De loin, je vois la vieille dame à nouveau debout, et les soldats qui lui ordonnent de retourner à Bethléem. Une veille dame de 60 ans qui va vendre sa menthe dans les rues de la Vieille Ville de Jérusalem représente donc un danger pour la sécurité de l'État israélien. Elle doit rentrer chez elle... sans l'argent de la vente. Après tout, libre à vous de continuer à croire à la stratégie sécuritaire que représentent les check-points. Pour moi, il s'agit plus sûrement de stratégie de «titillement», mais il est vrai que ça fait moins sérieux au niveau international...
J'attends donc. La soldate est hors d'elle. Elle tient la cassette dans sa main. Un autre soldat vient me demander mon passeport. Je le lui donne aussitôt, sans même me méfier.
La soldate me regarde et se met à rire. Elle a maintenant mon passeport et la cassette. J'attends toujours. On ne m'explique rien.
Une demie heure passe... V. m'appelle, puis j'appelle le consulat, histoire de les mettre au courant... Une fourgonnette de police arrive, et se gare près de moi. Trois soldats m'entourent, dont la soldate blonde.
- Monte dans la jeep !
- Quoi ?
- Monte dans la jeep !
- NON !!!
J'appelle le consulat :
- Ils veulent que je monte dans la jeep !
- Tu ne montes pas ! Tu n'as rien fait !
Les soldats continuent à me parler en même temps; ils m'ordonnent de couper mon portable. Je ne les entends même plus. Je suis bouleversée. Je ne suis jamais montée dans ce genre de véhicule, et je n'ai aucune envie de le faire maintenant! La soldate sourit de toutes ses dents. Ma détresse lui fait plaisir. Un autre soldat (qui appartenait au groupe) est un peu gêné... Mais les ordres sont les ordres, dans cette belle démocratie:
- Nathalie (eh oui, on m'appelle par mon prénom), une dernière fois, monte dans la jeep !
- Non !
- Éteins ton portable !
- Non !
- Nathalie, YOU'RE UNDER ARREST.
Deux soldats me prennent et me mettent de force dans la jeep. Coincée, entre les fusils, les casques, les soldats et les gilets pare-balles, je devine vaguement qu'on m'emmène vers Jérusalem. Mon téléphone sonne. C'est V.
- V. ! Ils m'ont arrêtée ! Ils m'emmènent !
- Ne panique pas ! On s'occupe de toi !
Après une «ballade» d'une dizaine de minutes, on arrive dans un poste de police. Je suis entourée de soldats. La soldate est toujours là. Elle rayonne.
J'ai une migraine épouvantable. Soit dit en passant, c'est ce qui va me sauver : en effet, j'ai tellement mal que je n'ai pas la force d'avoir peur...
Un soldat m'ordonne de vider le contenu de mon sac sur la table. Parmi mes affaires, il y a mon carnet d'adresses. Et entre deux pages de ce carnet, un précieux petit bout de papier... l'autographe d'Arafat. Eh oui, il y a un mois, j'ai rencontré Arafat et il m'a signé un petit bout de papier... Ce petit bout de papier est devant les soldats, à portée de main...
Parmi mes affaires aussi, des choses plus intimes. Rire gras des soldats. Je ne réagis pas. Je ne parle pas. Muette. J'obéis. J'ai mal. D'autres soldats, d'autres policiers arrivent. Dont l'un doit être le chef. À chaque fois que des nouveaux arrivent, les soldats qui étaient au check racontent l'histoire... à leur manière... Sans le savoir, ils me donnent un véritable cours d'hébreu...
Je suis muette. Le chef policier se met à hurler, à mon attention, dans la pièce (en anglais) :
- On ne crie pas dans MON poste de police !
Je continue à me taire...
Des formulaires arrivent. En hébreu. Les premières questions. En anglais.
- Ton nom ?
- Ton âge ?
- Ton statut ?
- Ton lieu de naissance ?
Ma réponse, Mortagne-au-Perche dans l'Orne, les laisse pour le moins perplexes :
- C'est en France, ça ?
- Nom de ton père ?
- Tu habites où ?
- Au consulat de France.
- Ton numéro de portable ?
J'ai peur. J'ai un portable palestinien, qui ne marche pas à Jérusalem. Dès qu'ils vont connaître le numéro, ils vont savoir que j'ai menti pour mon lieu d'habitation... Je le leur donne cependant. Et ils ne relèvent même pas le mensonge ! (Le soir même, quand j'ai raconté ça à mes amis palestiniens, ça les a fait éclater de rire !)
Formulaires remplis. D'autres arrivent. Mêmes questions. Trois fois de suite, la même chose. J'ai mal à la tête. V. m'appelle :
- Tiens bon ! Tu vas sortir ! On se boit un cognac ensemble après !
Le consulat m'appelle :
- Mais où vous ont-ils emmenée ?
- Dans le sud de Jérusalem, mais je ne sais pas où exactement. Ils refusent de me le dire.
- OK, on essaie de vous trouver. Ne vous inquiétez pas, ils veulent vous faire peur, mais ils n'ont rien contre vous. Nous, on vous croit.
Merci pour ce «on vous croit» ! Depuis quelques heures, j'hésite entre «Midnight express» et «La quatrième dimension». La soldate a raconté sa version de l'histoire. On me l'a traduite en anglais: je suis accusée d'avoir «attaqué» (to attack, me dit-on) la soldate à coup de cassette vidéo! Malgré ma peur et ma migraine j'ai failli éclater de rire! Imaginez-moi frappant une soldate armée d'un M16 et entourée de ses collègues, eux aussi armés de M16, imaginez-moi donc la frapper avec ma cassette de Pagnol! Après les pierres contre les tanks, les cigales contre les M16 !
J'avale (sans eau) un comprimé d'aspirine qui traînait dans mon sac et qui trône désormais sur le bureau. J'ai soif. L'accueil de Tsahal laisse à désirer. J'ai été arrêtée vers 10h. Il est désormais 14h. Toujours assise dans la pièce. Un soldat armé me garde. Les autres sont partis. Derrière moi, des photos de jeunes gens, visiblement arabes, avec un texte en hébreu. Une dizaine de photos. J'interroge le soldat :
- Qui sont-ils ?
- Des terroristes. Ça vous étonne ?
- Qu'ont-ils fait ?
- Kidnappé et violé des femmes. Tué des juifs (c'est lui qui emploie le mot).
- Et ma photo, vous allez l'afficher aussi sur ce tableau ?
- Pas encore...
Des policiers arrivent.
- Suis-nous !
Je les suis. Nouveau bureau, nouvelles questions. Je décline à nouveau mon identité. Une femme policier, dans un mauvais anglais, m'explique qu'elle et son collègue sont là pour faire la traduction et que je vais être interrogée par l'enquêteur. Si j'ai attendu toutes ces heures, c'est parce qu'ils ont eu du mal à trouver des gens qui parlent anglais... Quand on connaît un tant soit peu la société israélienne, ça fait sourire... Mais je n'en ai même plus la force. Bien sûr, aucun d'entre eux ne parle français.
On me répète le chef d'accusation (frapper une soldate de Tsahal avec ma cassette de Pagnol) et on me dit :
- Qu'as-tu à dire pour ta défense ? Tout ce que tu diras pourra être retenu contre toi.
Le consulat m'a dit de ne rien dire et surtout de ne rien signer. Mon instinct me souffle qu'il est dans mon intérêt d'obéir aux instances consulaires...
- Tu as frappé la soldate ?
- Je travaille pour le consulat de France. On m'a dit de ne rien dire. Je refuse de parler.
- Tu as insulté la soldate ?
- Je travaille pour le...
- OK, ça va, on a compris.
La policière qui parle mal anglais me conseille de répondre:
- Le fait que tu ne dises rien sera retenu contre toi.
Du coup, ça me fait presque rire: que je parle, ou pas, ça revient au même. Je commence à comprendre beaucoup de choses, depuis ce matin. Je commence à comprendre ce que cela fait quand on subit, pour soi, l'injustice. L'injustice, je la vois au quotidien. Elle me révolte. Mais jusqu'alors, elle n'était pas dirigée contre moi. Depuis ce matin, j'ai l'impression d'être prise au piège.
Je n'ai rien fait d'autre que de défendre une vieille femme et je me retrouve dans un poste de police menacée d'un procès! Personne n'écoute ma version des faits. Tsahal est toute puissante. Tout le monde se doute, dans le poste, que je n'ai rien à me reprocher. Mais la solidarité joue. Je ne suis pas avec eux. Je suis donc contre eux.
Un peu plus tôt, lorsque j'étais seule dans la pièce, j'ai commencé à parler avec le soldat qui me surveillait. Il était lui aussi au check. Il a vu la scène.
- Tu étais là, toi. Tu as tout vu. Tu sais que je dis la vérité.
Il m'a regardée, mal à l'aise, et ne m'a pas répondu.
Tsahal est toute puissante. La machine est bien huilée. Je repense aux dépêches d'agence que je lis tous les jours. On y trouve souvent les mots : «d'après l'armée israélienne...». Je sais maintenant qu'elle ment, cette armée. Elle ment pour la cassette, elle ment pour beaucoup d'autres choses. En toute impunité.
Finalement, et assez brusquement, l'interrogatoire se termine. Une demie heure plus tôt, ils me menaçaient d'un procès. Je suis désormais libre d'aller où je veux et même plus: ils se proposent de me raccompagner jusqu'à la prochaine station de bus! J'arrive en panier à salade, je repars en voiture...
Au moment où je me lève pour repartir, l'enquêteur s'adresse à moi... en anglais! Finalement, il le parle très bien. Je quitte le bureau. Un soldat me dit en riant:
- Au revoir, Mademoiselle.
Croyez-le si vous voulez, mais il le dit dans un français parfait...
Les pressions ont été fortes pour que je signe une déposition. J'ai tenu bon et n'ai rien signé. À chaque refus de signer, ils me menaçaient d'un procès qui conduirait inévitablement, me disaient-ils, à une condamnation et une amende de 5.000 shekels (environ 8.000 francs - désolée, je ne me suis pas encore mise à l'euro). J'ai tenu bon et j'en suis fière.
Je suis dans la rue. Pas très loin du Consulat de France. Libre. Comme un mauvais rêve. Une plaisanterie.
J'ai besoin d'un café. V. vient avec moi.
Retour chez moi, retour à Dheisheh. Mes étudiants m'attendent.
- Ben dis donc, tu as une drôle de tête !
Mon aventure fait le tour du camp. On me console. On m'entoure.
Il m'aura fallu du temps pour, non pas digérer, mais avaler, cette histoire. Environ trois jours. Trois jours pendant lesquels j'ai eu du mal à en parler, trois jours où j'avais envie de tout casser.
Jeudi soir, je donne un cours de conversation à l'un de mes meilleurs amis. Je lui raconte mon aventure. Il est allé trois fois en prison, il y a une dizaine d'années. Détention administrative. Arrêté chez lui, de nuit. En pyjama. Devant les larmes de sa mère.
- Je sais ce que tu ressens, me dit-il. Je sais les envies de meurtre que tu as en toi maintenant. Ne t'inquiète pas, tu n'es pas folle, et cette violence en toi, tu vas la transformer en force. J'ai mis presque une semaine à pouvoir vous raconter tout ça...
                               
Rendez-vous

                                        
1. Soirées de solidarité avec les enfants palestiniens au Centre Culturel Arabe Syrien
les jeudi 14 et vendredi 15 février 2002 à Paris
- Jeudi 14 février à 19h - Projection du film "Le conte des trois diamants" de Michel Khleifi
(Musique de Abed Azrié - Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 1995)
Youssef, jeune Palestinien de douze ans, est un enfant de l'Intifada - père emprisonné, frère recherché par l'armée israélienne - qui vit avec sa mère et sa soeur à Gaza. Sa vie est ponctuée par les combats et les couvre-feu. Mais son imagination lui permet de s'évader de la triste vie du camp de réfugiés : pour conquérir Aïda, la jolie gitane dont il est amoureux, il part à la recherche des trois diamants perdus d'un vieux collier rapporté d'Amérique du Sud. (...) Michel Khleifi superpose une fable enfantine - qui puise origines et symboles dans un fonds riche d'histoires et de traditions - et un quasi-reportage de guerre. (...) Bien des images du film sont peuplées du vrai peuple de Gaza, elles sont pleines d'une vie concrète, solidaire. (...) Elles cherchent le plus souvent à rendre compte des bonheurs et des amertumes d'un territoire en guerre, coincé entre désert et mer. [in Libération]
- Vendredi 15 février 2002 à 19h - "Chants populaires et contes traditionnels et modernes de Palestine" adaptés, racontés et chantés par le comédien irakien Saadi Younis Bahri
[Participation : 8 Euros - Centre Culturel Arabe Syrien - 12, avenue de Tourville - Paris 7° (M° Ecole Militaire - Bus : n° 28,80,82 et 92) Tél : 01 47 05 30 11]
                                       
2. Conférence - Débat avec Ouzi Dekel
le mercredi 20 février 2002 à 20h30 à Paris

Lieu : 21 ter, rue Voltaire - Paris 11 - Le Refus de servir dans les territoires occupés, une fissure dans la logique de guerre ? Quel impacts sur l'armée et la société israélienne.
Ouzi Dekel est un journaliste israélien, auteur de "Les tagueurs de Jabalya - Chronique d'un camps de réfugiés palestiniens" aux éditions Syros jeunesse. Il est un des fondateurs du mouvement "Yesh Gvoul" (Il y a des limites) regroupant les soldats israéliens refusant de servir dans les territoires occupés
[Organisation : Association France-Palestine Solidarité - 21 ter, rue Voltaire - 75011 Paris - Tél : 01 43 72 15 79 - Fax : 01 43 72 07 25 - E-mail : amfpafp@club-internet.fr - Site : www.france-palestine.org]
                           
3. Théâtre - "El Menfi" (L'Exilé) de Mohamed Rouabhi
à la Maison du Théâtre et de la Danse d'Epinay-sur-Seine du 1er au 8 mars 2002
Texte de Mohamed Rouabhi, mise en scène de Nadine Varoutsikos, lumières de Denis Désanglois, interprétée par des comédiens amateurs et professionnels, français et palestiniens.
France, Palestine, Beyrouth, USA,… à travers des destins individuels marqués par les guerres, la mort, l'oubli, l'exil et l'amour se croisent des personnages emblématiques d'un univers sombre et poétique autour des thèmes de la perte et de l'absence. Aux figures tutélaires du poète palestinien exilé en France, John Walid Jaber, aveugle visionnaire, et de son ange gardien mystérieux, Anissa, vient s'opposer la noirceur de Muhammad, combattant fanatique qui ne semble trouver ni sa place ni son destin. Sous nos yeux se déroulent les fils de ces vies tourmentées, dont les méandres nous font visiter des pans entiers de l'histoire, la grande et les petites, et passer de la spontanéité des rapports quotidiens à des considérations plus universelles. Que ce soit dans l'émotion ou le rire, l'écriture ciselée de Mohamed Rouabhi porte les acteurs. Les mots sont toujours justes, précis, magnifiques.
- Tarifs : 18,50 EUROS (121,35F) ; 12,50 EUROS (81,99F) (personnes de plus de 60 ans, groupes à partir de 10 personnes) ; et 9,50 EUROS (62,32F) (jeunes de moins de 25 ans, étudiants, demandeurs d'emploi, RMIstes). Navette au départ de Paris les lundi 4, jeudi 7 et vendredi 8 mars : départ de la place du Châtelet (avenue Victoria) à 19h45, retour assuré après le spectacle le dimanche 3 mars à 16h. Nous proposons aux enfants de 5 à 12 ans, dont les parents assistent à la représentation, un spectacle de contes palestiniens. Tarif : 3 EUROS (19,68F). Réservation indispensable.
[Maison du Théâtre et de la Danse - 75/81, avenue de la Marne - 93800 Epinay-sur-Seine - Réservations : 01 48 26 45 00]
                                       
Dernières parutions

                                               
La Porte du soleil de Elias Khoury
aux Editions Actes Sud/Le Monde diplomatique
[628 pages - 24,90 Euros (163,33 FF) - ISBN : 2742734376] 
"Samih parlait sans arrêt de son rêve d'écrire un livre qui n'aurait ni début ni fin. Une épopée, disait-il. L'épopée du peuple palestinien. Il commencerait par raconter les détails de la grande expulsion de 1948. Il disait toujours que nous ne connaissions pas notre Histoire, qu'il fallait réunir les histoires de chaque village afin que ce village demeure vivant dans notre mémoire."
A l'instar des contes de Shéhérazade, il est des histoires qui peuvent sauver la vie. C'est la thérapie mise en oeuvre par le narrateur pour tenter de tirer du coma son père spirituel, héros de la résistance palestinienne. Au chevet du malade dans un hôpital presque désaffecté du camp de Chatila, il raconte les événements de la guerre civile libanaise tout juste achevée, les épisodes marquants de sa propre existence et les itinéraires souvent douloureux d'une poignée d'hommes et de femmes happés par l'Histoire après leur expulsion de Galilée en 1948.
Dans sa fureur pour ranimer par le souvenir un corps végétatif, c'est tout un peuple qu'Elias Khoury fait vivre sous les yeux du lecteur, dans un roman ample et poignant, considéré unanimement comme le récit par excellence de l'exode palestinien.
Né à Beyrouth en 1948, rédacteur en chef du supplément culturel du quotidien An-Nahar, Elias Khoury est l'auteur de huit romans dont plusieurs (La Petite Montagne ; Un parfum de paradis ; Le Petit Homme et la guerre) ont été traduits en français, chez  Arléa. La Porte du soleil a obtenu le plus grand prix littéraire palestinien et vient d'être publié en hébreu.
                                   
Réseau

                                               
1. "Pour une paix juste et immédiate au Proche-Orient" - Signez deux appels lancés l'un par des médecins et scientifiques et l'autre par des artistes et professionnels de la culture.
                                      
Nous, médecins et scientifiques, sommes bouleversés et indignés par les développements chaque jour plus dramatiques de la situation  en Israël et  dans les territoires palestiniens occupés par Israël. L'idée de paix entre Palestiniens et Israéliens, qui avait émergé entre 1993 et 2000, ne semble plus être aujourd'hui qu'un souvenir. Par la force, le gouvernement et l'armée d'Israël imposent chaque jour des conditions d'existence plus inhumaines aux Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie. Le Premier Ministre israélien Ariel Sharon  en est le principal responsable, lui qui parle du processus d'Oslo comme de " la pire catastrophe " qui soit arrivée à Israël. Cette politique est également criminelle vis-à-vis du peuple israélien, qui paye le prix de l'occupation par la mort de civils innocents, car les Israéliens ne peuvent espérer vivre dans la paix et la sécurité en conduisant un peuple au désespoir. Nous sommes  de plus inquiets des retombées néfastes de ce conflit sur les relations entre Français juifs et arabes au sein de la République française. Pour notre part, nous voulons montrer l'exemple du dialogue et de l'échange, surtout aux jeunes, en les mobilisant par un combat citoyen commun contre toutes les formes de racisme. De même que nous disons aux Français d'origine arabe ou musulmane que leurs concitoyens d'origine juive ne sont pas  responsables des malheurs des Palestiniens,  nous disons aux Français d'origine juive, et plus généralement à l'ensemble de l'opinion publique,  que critiquer la politique israélienne n'est pas faire preuve d'antisémitisme.
Nous en appelons :
- A tous les membres des sociétés israélienne et palestinienne qui ont su faire entendre leurs aspirations à la paix ces dernières années sur la scène internationale,
- A tous les Français amis des peuples palestinien et israélien désireux de voir la paix s'installer au Proche-Orient.
Nous demandons :
- Le respect des principes et résolutions des Nations-Unies, ainsi que des Conventions de Genève,
- Une force d'interposition internationale,
- Le démantèlement des implantations de colons israéliens et le retrait immédiat de l'armée  israélienne des territoires occupés en 1967,
- L'établissement d'un Etat palestinien à côté de l'Etat d'Israël, dans le respect mutuel des droits et des aspirations légitimes des deux peuples.
Ni le peuple de France, ni ses dirigeants, ne peuvent rester indifférents au drame qui se passe de l'autre côté de la Méditerranée. Les signataires de cet appel ne manqueront pas d'interpeller tous les candidats à la prochaine élection présidentielle en France sur leur soutien à ces propositions.
Les signatures de soutien à cet appel sont à adresser à : mediscience.pales.isra@wanadoo.fr
PREMIERS SIGNATAIRES : HENRI KORN (NEUROBIOLOGISTE, PARIS),  BERTRAND BLOCH (MEDECIN-BIOLOGISTE, UNIVERSITE DE BORDEAUX),  MARCEL-FRANCIS KAHN (PROFESSEUR DE MEDECINE PARIS), LYDIE KOCH- MIRAMOND (ASTROPHYSICIENNE, SACLAY) , RONY BRAUMAN (MEDECIN, ANCIEN PRESIDENT DE MSF), LEON SCHWARTZENBERG (CANCEROLOGUE, PARIS), SONIA DAYAN-HERZBRUN (SOCIOLOGUE, PARIS VII), ROGER SALAMON (PROFESSEUR DE SANTE PUBLIQUE, INSERM, BORDEAUX), GERARD TOULOUSE (PHYSICIEN, ENS, PARIS), FRANÇOIS KOURILSKY (IMMUNOLOGISTE, ANCIEN DIRECTEUR GENERAL DU CNRS),  MIREILLE MENDES-FRANCE (CONSULTANTE EN EDUCATION ET FORMATION, PARIS), PAUL KESSLER (PHYSICIEN, PARIS),  BORIS CYRULNIK (NEUROLOGUE, PSYCHIATRE, LA SEYNE-SUR-MER), JOSEPH PARISI (PHYSICIEN, ORSAY) , ERIC GUICHARD (INFORMATIQUE DES SCIENCES HUMAINES, ENS, PARIS), ABDELKADER BOUDEROUA (EPIDEMIOLOGISTE), ELIE ARIE (CARDIOLOGUE, PARIS), YVES GUNDER (MEDECIN DU TRAVAIL), TOURYA HARFAOUI-LASSEGUE (MEDECIN), YVES BORDE (PSYCHOLOGUE), NATHALIE LEBON (PROFESSEUR DE SOCIOLOGIE), NICOLAS BORENSTEIN (CHERCHEUR), EMMANUELLE PINEAU (CHIRURGIENNE), BEATRICE LEBON-LABICHE ( PEDIATRE), CECILE BREYTON (CNRS UMR7099), JEAN LASSEGUE (CHERCHEUR CNRS) , GILLES CORCOS (PHYSIQUE ET INGENIERIE, BERKELEY, CA), YANNICK COMENGE (MICROBIOLOGISTE, PARIS 7), DROR WARSCHAWSKI (CHERCHEUR, CNRS UMR 7099), BENEDICTE BERTIN-MOUROT (SOCIOLOGUE, CNRS), JACQUES GAUTRAT-MOTHE (SOCIOLOGUE, CNRS),  RENAUD SAINSAULIEU (PROF. DES UNIVERSITES, SOCIOLOGIE, IEP),  CONSTANTIN YANICOSTAS (CHERCHEUR BIOLOGIE-GENETIQUE MOLECULAIRE, CNRS),  GEORGES RIPKA (PHYSICIEN, CEA),  GILLES MERCIER (CHERCHEUR U 488 INSERM), MARC LACHIEZE-REY  (DIRECTEUR DE RECHERCHES, CNRS, SACLAY),  SOPHIE BANCQUART  (PDG DES EDITIONS LE POMMIER),  JEAN-LUC POPOT (BIOCHIMISTE, CNRS UMR 7099), NICOLAS TSAPIS (DEAS, HARVARD UNIVERSITY), SOPHIE CRIBIER (PROFESSEUR DE PHYSIQUE, UNIVERSITE PIERRE ET MARIE CURIE), FRANCINE CARPON (PHOTO EDITEUR, PARIS), DELPHINE CHARVOLIN (CHERCHEUR, INGENIEUR, PARIS), PIERRE LENEL (SOCIOLOGUE, PARIS), REGINE MARTIN (PSYCHOLOGUE, PARIS), CLAUDE TAIEB (PHYSICIEN, PARIS), CLAIRE GAILLARD (CHERCHEUR CNRS),  HANI-JEAN TAWIL (CHIRURGIEN, ORSAY),  THIERRY GRANGE (BIOLOGISTE, CNRS),  ROSINE HAGUENAUER (BIOLOGISTE, PARIS),  MELANIE PRUVOST (INSTITUT JACQUES MONOD),  FRANÇOIS STRAUSS (CHERCHEUR CNRS), MARIE-CLAUDE GENDRON (IR CNRS), MARIE-ANNE FELIX (BIOLOGISTE, PARIS),  JEROME COLLIGNON (GENETICIEN, PARIS), JEN-PIERRE BAZIN (INGENIEUR INSERM U494), MORDI ABDELKADER (CHIRURGIEN, CHATEAUROUX),  VERONIQUE NAHOUM-GRAPPE (CHERCHEUR EN SCIENCES SOCIALES, PARIS EHESS),  EMMANUEL LESUISSE (CHERCHEUR AU CNRS), EVA-MARIA GEIGL (BIOLOGISTE, PARIS), DELPHINE GENTIL-PROD'HOMME ( CHEURCHEUR VIROLOGIE MOLECULAIRE), ALI ALOLAIWY (ORTHODONTISTE, CHU D'ANGERS), MOHAMMED SAOUDI (RADIOLOGUE, EPERNAY), FRANÇOISE BLUM (INGENIEUR CNRS, PARIS) ; MICHEL BILIS (DIRECTEUR D'HOPITAL), JACQUES MOREAU (EMBRYOLOGISTE, CNRS, PARIS) , DOMINIQUE AUNIS (NEUROBIOLOGISTE, STRASBOURG), REMY COUDERC (MEDECIN, BIOCHIMISTE, PARIS), ABDELHADI SAOUDI (INSERM, TOULOUSE), FADY RAMMAL (MEDECIN, COMPIEGNE), MARIO OPEDA-URIBE (HEMATOLOGUE, MULHOUSE), DIAA ALEXANDRE ZERIE (INGENIEUR, PARIS), ALAIN DALLEAC (MEDECIN, BIOLOGISTE, SAINT-QUENTIN) , JB DUFOURCQ (MEDECIN, SERVICE DES ENFANTS BRULES, PARIS), LYNDA SALMI-ZERGUINI (MEDECIN ANESTHESISTE, PARIS), NAJIB AKESBI (ECONOMISTE, RABAT) , PHILIPPE MOKRANI (INGENIEUR, PARIS) , ARIANE MONNERON (CHERCHEUR SCIENTIFIQUE, PARIS), AUDE SIGNOLES (CHERCHEUR, PARIS), CLAUDE KOCH (INGENIEUR, PARIS),  J-M DELABAR (BIOLOGISTE, CNRS PARIS), MICHEL RENARD (PSYCHIATRE),  JACQUES NEVOUX (PSYCHIATRE, GUADELOUPE),  AMINE BENYAMINA (PSYCHIATRE, PARIS), PR MICHEL FONTES (INSERM U491, MARSEILLE),  MARIE-ODILE PERRIN (ENSEIGNANT CHERCHEUR, NANCY, DIDIER DEBAISE (PHILOSOPHE, UNIVERSITE DE BRUXELLES), YARA MASSARANI (CH-DENTISTE, MONTREUIL), MICHEL REVEL (PROFESSEUR DE MEDECINE, PARIS), GISELLE DONNARD (HISTORIENNE, PARIS), SUZANNE GOUYET (PROFESSEUR, LAKANAL), JEAN-FRANÇOIS GOUYET (PHYSICIEN, POLYTECHNIQUE), MARIANNE ROBERT (PSYCHIATRE, PARIS), REGINE DHOQUOIS-COHEN (JURISTE, UNIV. PARIS 7), JACQUELINE BARRA (BIOLOGISTE, INSTITUT PASTEUR, PARIS), FREDERIC SERROR (PHILOSOPHE, PARIS), MARC MEZARD (PHYSICIEN, CNRS, UNIV PARIS SUD, ORSAY), RAOUL SALTI ( UROLOGUE, CHAMBERY), HABIB MOUFFOKES (MEDECIN), CHRISTOPHE SPADONE (MEDECIN HOSPITALIER, PARIS), VINCENT FLURIN (MEDECIN, CH LE MANS - SEC. GAL DU GROUPE FRANCOPHONE DE REANIMATION ET URGENCES PEDIATRIQUES), BRIGITTE BORNEMANN- BLANC (CONSULTANTE EN COMMUNICATION SCIENTIFIQUE, PARIS), MARCEL SPECTOR (ENSEIGNANT, CHERCHEUR, UNIV PARIS 6), AXEL KAHN (DIRECTEUR DE L'INSTITUT COCHIN), MARCEL GOLDBERG (PROFESSEUR DE SANTE PUBLIQUE, INSERM, PARIS), RICHARD D'ARI (DIRECTEUR DE RECHERCHE CNRS, INSTITUT JACQUES MONOD),  JEAN WILS ( CHARGE DES DROITS DES USAGERS A L'HOPITAL, PARIS), GERARD LAMBERT (MEDECIN-JOURNALISTE, PARIS), ALFRED SPIRA (UNIV. PARIS SUD, INSERM), HANI EL HABIB (GENETICIEN, INSERM, MONTPELLIER), DOMINIQUE BATAILLE (DIRECTEUR DE RECHERCHE INSERM, MONTPELLIER), JEAN EISENSTAEDT (HISTORIEN DES SCIENCES, OBSERVATOIRE DE PARIS, CNRS), YVES FRANGIN (PROFESSEUR DES UNIVERSITES, CHIMIE,TOURS), PIERRE SCHAPIRA (PROFESSEUR DE MATHEMATIQUES, UNIV PARIS 6), PIERRE LARMANDE (BIOINFORMATICIEN, CIRAD, MONTPELLIER), JEAN HARB (BIOLOGISTE, INSERM, NANTES), JEAN CARTAUD (BIOLOGISTE, INSTITUT JACQUES MONOD, PARIS), ISABELLE KRZYWKOWSKI (MAITRE DE CONF EN LITTERATURE COMPAREE, UNIV DE REIMS), NICOLE BEAURAIN (SOCIOLOGUE, PARIS), THIERRY DOBLER (PSYCHIATRE, VAL-DE-MARNE), JEAN-FRANÇOIS LEBAS (PROFESSEUR DE MEDECINE, GRENOBLE), GENEVIEVE DUMAY (PSYCHOLOGUE CLINICIENNE, PARIS), XAVIER GUEDEL (MEDECIN GENERALISTE, CHAMBERY), VERONIQUE JOMAIN-GUEDEL (MEDECIN REEDUCATION FONCTIONNELLE, CHAMBERY), LAURENCE MEYER (EPIDEMIOLOGISTE, INSERM U292, PARIS), MOHAMED CHIKRI (BIOLOGISTE, INSTITUT PASTEUR, LILLE), DR HABIB EL HANI (INSERM U376, MONTPELLIER), ABDERRAHMANE TADJEDDINE (DIRECTEUR RECHERCHE CNRS, ORSAY), SYLVIE CAMALON (INSERM 254, MONTPELLIER), FLORENCE GUERILLON (INTERNE OPHTALMOLOGIE LYON), DR GISELE ALCARAZ (INSERM U464, MARSEILLE), DR VALERIE URBACH (INSERM U454), ODILE XAMBEU (ENSEIGNANTE EN BIOLOGIE, ANNEMASSE), HERVE LE MAREC (CARDIOLOGUE), NICOLE VENOT (INGENIEUR CNRS, MARSEILLE), MICHEL RAUCH (INSERM, RENNES), DR N. HAIDAR (ORTHOPEDISTE, CH CALAIS), LOUP VERLET (CHERCHEUR, ORSAY), JEAN-PAUL BLONDEAU (DIRECTEUR INSERM U486 PHARMACOLOGIE, CHATENAY-MALABRY), JEAN-CLAUDE BESNARD (PROFESSEUR DE MEDECINE, TOURS), ALAIN SAND-ZANTMAN (PROFESSEUR DE SCIENCES ECONOMIQUES, LYON 3), JEAN IMBERT (BIOLOGISTE MOLECULAIRE, INSERM U119, MARSEILLE),  PAUL MANGEAT (PR, BIOLOGIE CELLULAIRE, UMR CNRS 5539, MONTPELLIER), BERTRAND CROZATIER (CARDIOLOGUE, CHERCHEUR CNRS INSERM), BRIGITTE ZEIN (GESTIONNAIRE U533 INSERM, NANTES), JEAN-NOËL BIDARD (BIOCHIMISTE, U470 INSERM, NICE), LAURENCE TIRET (INSERM U525, GENETICIENNE, PARIS), FRANÇOISE FERRE (BIOLOGISTE, PARIS), BERNARD JEGOU (BIOLOGISTE, DIRECTEUR INSERM U435, RENNES), SAFWAN QASEM (DOCTEUR EN INFORMATIQUE), ABDALLAH MOUSTEAU (GYNECOLOGUE-OBSTETRICIEN, ALENÇON), JEAN-CLAUDE MELCHIOR, ALAIN PROCHIANTZ (BIOLOGISTE, CNRS/ENS), PR CLAUDE GIBERT (ANES-REA, PITIE-SALPETRIERE, PARIS), JEAN-FRANÇOIS PAYEN (PROFESSEUR DE MEDECINE, ANES-REA, GRENOBLE), PATRICE MARCHE (IMMUNOLOGISTE, DIRECTEUR INSERM U548, GRENOBLE), NICOLETTE FARMAN (DIRECTEUR INSERM U478, PARIS X), BACHAR NAAMANI (CHIRURGIEN ORTHOPEDISTE, PARIS), IRENE DUNIA (CNRS), JEAN-NOËL BIDARD (BIOCHIMISTE, NICE), REGIS CHAMBERT (BIOLOGISTE, PARIS 7), ANNETTE LECLERC (EPIDEMIOLOGISTE, INSERM), GERARD PANCZER (ENSEIGNANT CHERCHEUR, LYON), PHILIPPE TALON (PEDIATRE HOSPITALIER), STANISLAS MORAND (ETUDIANT INSERM U486), LUISA HIRSCHBEIN (GENETICIENNE, PARIS), JACQUELINE CERNOGORA (PHYSICIENNE, PARIS), ANNE STRAUSS (RECHERCHE EN IMAGERIE BIOMEDICALE, UNIV PIERRE ET MARIE CURIE), PIERRE BOISSEAU (GENETICIEN, NANTES), LAROUSSI AMRI (SOCIOLOGUE, UNIV. TUNIS), HAMID CHORFA (STATISTICIEN-DEMOGRAPHE, POLITOLOGUE, PARIS), BRIGITTE SAFAR (ENSEIGNANT CHERCHEUR, INFORMATIQUE, PARIS XI), BRIGITTE ROZOY (INFORMATIQUE PARIS XI, ORSAY)...
                                        
Nous, artistes et professionnels de la culture, sommes bouleversés par les développements chaque jour plus dramatiques de la situation dans les territoires palestiniens occupés par Israël. L'idée de paix entre Palestiniens et Israéliens, qui avait émergé entre 1993 et 2000, ne semble plus être aujourd'hui qu'un souvenir. Par la force, le gouvernement et l'armée d'Israël,  imposent chaque jour des conditions d'existence plus inhumaines aux Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie. Le Premier Ministre Ariel Sharon en est le principal responsable, lui qui parle du processus d'Oslo comme de " la pire catastrophe " qui soit arrivée à Israël. Cette politique est également criminelle vis-à-vis du peuple israélien, qui paye le prix de l'occupation par la mort de civils innocents, car un peuple qui en opprime un autre ne peut espérer vivre lui-même en paix et en sécurité. Nous sommes  de plus très inquiets des retombées néfastes de ce conflit sur les relations entre Français juifs et arabes au sein de la République. Pour notre part, nous voulons montrer l'exemple, surtout aux jeunes, en les mobilisant par un combat citoyen commun contre toutes les formes de racisme. De même que nous disons aux Français d'origine arabe ou musulmane que leurs concitoyens d'origine juive ne sont pas responsables des malheurs des Palestiniens, nous disons aux Français d'origine juive que critiquer la politique israélienne n'est pas faire preuve d'antisémitisme.
Nous demandons :
- Une force d'interposition internationale,
- Le retrait immédiat de l'armée israélienne des territoires occupés en 1967 et le démantèlement des implantations de colons israéliens,
- L'établissement d'un Etat palestinien à côté de l'Etat d'Israël.
Enfin, ni le peuple de France, ni ses dirigeants, ne peuvent rester indifférents au drame qui se passe de l'autre côté de la Méditerranée. C'est pourquoi, les signataires de cet appel ne manqueront pas d'interpeller tous les candidats à la prochaine élection présidentielle en France sur le problème. Le " devoir d'ingérence ",  prôné par nos dirigeants notamment au Kosovo,  doit ainsi s'appliquer sans plus tarder à la Palestine.
Les signatures de soutien à cet appel sont à adresser à : art.pales.isra@wanadoo.fr
PREMIERS SIGNATAIRES : YAMINA BENGUIGUI (CINEASTE) ; SAPHO (CHANTEUSE, ECRIVAIN) ; TAHAR BEN JELLOUN (ECRIVAIN) ; JEAN-PIERRE GATTEGNO (ECRIVAIN) ; SIMONE BITTON (CINEASTE) ; ZINEDINE SOUALEM (COMEDIEN) ; DENIS AMAR (CINEASTE) ; HODA BARAKAT (ECRIVAIN) ; EYAL SIVAN (CINEASTE) ; JEAN-PIERRE-BACRI (COMEDIEN) ; SMAÏN (COMEDIEN) ; CLAUDIA CARDINALE (COMEDIENNE) ; FELLAG (COMEDIEN) ; GUY BEDOS (COMEDIEN) ; HIAM ABBASS (COMEDIENNE ET REALISATRICE) ; RICHARD COPANS (CINEASTE) ; REGINE DEFORGES (ECRIVAIN) ; ROSCHDY ZEM (COMEDIEN) ; MARCEL BLUWAL (CINEASTE) ; DAN FRANCK (ECRIVAIN) ; GILLES MERCIER (MUSICIEN) ; MARTINE SCHOUMAN (MUSICIENNE) ; MOULOUD HOUSSAIN (ECRIVAIN) ; GUILLEMETTE DE VERICOURT (ECRIVAIN) ; TAYEB BELMIHOUB (COMEDIEN) ; FREDERIC LORIN (PRODUCTEUR) ; SINE (DESSINATEUR) ; THIBAUT DECORDAY ; CHARLES CASTELLA (CINEASTE) ; AURELIE TYSZBLAT (SCENARISTE) ; CHRISTOPHE OTZENBERGER (CINEASTE) ; FRANK ESKENAZI (PRODUCTEUR) ; ARIEL CAMACHO ; AGNES GUERIN (CHARGEE DE PROGRAMMES A ARTE FRANCE) ; CATHERINE BOSKOWITZ (METTEUR EN SCENE) ; OLIVIER LANDAU (PRODUCTEUR MULTIMEDIA) ; SOPHIE BESSIS (ECRIVAIN) ; ANTOINE LEONARD-MAESTRATI (CINEASTE) ; GERARD POITOU-WEBER (CINEASTE) ; CHRISTOPHE RIZZO (DIRECTEUR ARTISTIQUE) ; YVES BILLY (REALISATEUR) ; JEAN-PIERRE MABILLE (PRODUCTEUR INA) ; NICOLE SCHNITZER-TOULOUSE (CHANTEUSE LYRIQUE) ; JEAN-MICHEL ROLLAND (ARTISTE DE RUE) ; GERARD RAYNAL (CINEASTE) ; JEAN-LOUIS COMOLLI (CINEASTE) ; JEROME BORENSTEIN (ASSISTANT-REALISATEUR) ; EDMEE MILLOT (PRODUCTRICE DE DOCUMENTAIRES) ; JEAN-BERNARD EMERY ; PHILIPPE BOUDIN ; CAROL LECACHEUR (ASSISTANT MISE EN SCENE) ; CHRISTOPHE GALLAZ (ECRIVAIN) ; PATRICK HEPNER (GRAPHISTE) ; MARC AYBES (INFOGRAPHISTE) ; PHILIPPE CHATEAU ; GILLES BUDIN (DECORATEUR) ; MICHEL BERETTI (DRAMATURGE) ; SANDRINE AGEORGES (DIRECTRICE DE PRODUCTION) ; FRANÇOIS EDE (REALISATEUR) ; ROBERT SCEMLA (PLASTICIEN) ; FREDERIC LE DIEU LA VILLE (REALISATEUR) ; FRANÇOIS CAMPANA (ENSEIGNANT THEATRE) ; HERVE NISIC (REALISATEUR) ; CAROLE SANDREL (JOURNALISTE) ; GUY COSSON ; MARIE MARTIN-PECHEUX (ECRIVAINE) ; REMI JULLIEN ; MARIE-PIERRE JODON (EDUCATRICE) ; FABRICE GODARD (RESTAURATEUR D'ARCHIVES) ; NADIA CHETTAB (SCRIPTE) ; CORINNE SOURIAC (ILLUSTRATRICE) ; JACQUES CLAUDE ; FABIAN GASTELLIER (ECRIVAIN) ; ANTOINE AYBES-GILLE (ETUDIANT EN CINEMA) ; ALI CHERKAOUI (ASSISTANT-REALISATEUR) ; SYLVIA WETZ (COMEDIENNE) ; JEAN JOUVE ; PASCAL SALAFA (ASSISTANT-REALISATEUR) ; ROBERT AROUETE (RETRAITE) ; SOULEYMANE KOLY (METTEUR EN SCENE) ; GISELE DIDI (PHOTOGRAPHE) ; ANDREE DAVANTURE (CHEF MONTEUSE) ; CLAIRE DAVANTURE (DIRECTRICE DE PRODUCTION) ; JEAN-PIERRE CRIVELLARI (CARTOGRAPHE) ; CATHERINE SINET (PRODUCTRICE, JOURNALISTE) ; DOMINIQUE DOLMIEU (EDITEUR, METTEUR EN SCENE) ; CELINE SABATIER (GRAPHISTE) ; ISABELLE DENISE ; SABRINE AL'RASSACE ; LEILA SEBBAR (ECRIVAIN) ; MARIE-CLAIRE VALLAUD ; PHILIPPE CARLES (JOURNALISTE) ; LAURENCE ZUFIC ; MICHEL GUERIN (ECRIVAIN) ; ABDELLATIF LAABI (ECRIVAIN) ; BERNARD STIEGLER (ECRIVAIN, PHILOSOPHE) ; LAURENT BILLARD (REALISATEUR) ; JEAN BIGOT (PRODUCTEUR) ; ARMELLE LABORIE (PRODUCTRICE) ; FRANCK CAUQUIL (MUSICIEN) ; CLAUDE GUISARD (PRODUCTEUR) ; CHRISTOPHE LAJARIGE (CHANTEUR DE RUE) ; CAMILIA ORSONI-JIKHLEB (COMEDIENNE, CHANTEUSE) ; PHILIPPE NIORTHE (PLASTICIEN, PEINTRE) ; ARNAUD PONS (POETE, TRADUCTEUR) ; BENOIT LABOURDETTE (CINEASTE) ; VERONIQUE ESTEL (COMEDIENNE) ; LATUFF (VIDEASTE, BRESIL) ; GUILLAUME TEL4 (PEINTRE, SCULPTEUR) ; PATRICK LAROCHE (CINEASTE) ; NOËL MEUNIER (CARTOGRAPHE) ; MAYA CYPEL (MONTEUSE CINEMA) ; SYLVIE JEZEQUEL (PRODUCTRICE TV) ; MICHEL TOUZET (EMPLOYE DE LIBRAIRIE) ; ELIANE PETIT (JOURNALISTE) ; FABRICE ESTEVE (PRODUCTEUR) ; FRANÇOISE GAZIO (PRODUCTRICE) ; DANIEL GIGANT (MUSICIEN) ; ALIMA BOUMEDIENNE-THIERY (DEPUTEE AU PARLEMENT EUROPEEN) ; FABIENNE SERVAN-SCHREIBER (PRODUCTRICE) ; MARKUS HANSEN (PLASTICIEN) ; PIERRE NICOLAS ; ALAIN WODRASCKA (AUTEUR COMPOSITEUR) ; JEAN-REMI DELEAGE (PRODUCTEUR, JOURNALISTE) ; NICOLAS IMBERT (WEBCHRONIQUEUR) ; VIRGINIE HEITZ (JOURNALISTE) ; BALTHAZAR GIBIAT (JOURNALISTE) ; SOPHIE DELVALLEE (SCRIPTE) ; CHRISTIAN BAUTE (PRODUCTEUR) ; JACQUES GAUDIN (OPERATEUR CINEMA) ; DIMITRI KOGAN (MANAGER ARTISTES) ; DOROTHEE CAILLEAUX (CHARGEE DE PRODUCTION) ; ANNE-MARIE CAMPS (PHOTOGRAPHE) ; CLAUDE-DANIELLE MORLET (COMEDIENNE) ; CHRISTIAN GENEVIER (JOURNALISTE) ; NADIA HASNAOUI (PRODUCTRICE) ; LOÏC KERVARREC (MANAGER ARTISTES) ; DANIEL KARLIN (REALISATEUR TV) ; SEBASTIEN BUCLET (GRAPHISTE) ; MICHEL KHLEIFI (CINEASTE) ; RUBEN KORENFELD (PRODUCTEUR) ; JACQUES HEBERT ; MEHDI CHAREF (CINEASTE) ; FARID LAHOUASSA (CINEASTE), SABINE BAIL (COMEDIENNE) ; ALAIN LAME (AUTEUR, REALISATEUR) ; GERALDINE BEIGBEDER (AUTEUR, REALISATRICE) ; CLAUDE OTZENBERGER ; BORIS HUGUENARD (ARTISAN) ; MURIEL MODR (PLASTICIENNE) ; ANNE-MARIE CAMPS (PHOTOGRAPHE) ; VONICK LAUBRETON (PEINTRE) ; MARIE-HELENE YESSAYAN, JEAN-PIERRE GARNIER (METTEUR EN SCENE) ; PAUL-EMMANUEL ODIN (PHOTOGRAPHE) ; PHILIPPE BELLAICHE (CHEF-OPERATEUR) ; RADHIA DZIRI (CHARGEE D'ACTIONS CULTURELLES) ; MALIK CHIBANE (REALISATEUR) ; SARAH LAMY ; ISABELLE SYLVESTRE (REALISATRICE) ; SIMONE AUDISSOU (JOURNALISTE) ; JEAN-CHRISTOPHE CHARRON (JOURNALISTE) ; MARC LACREUSE (DIRECTEUR DE LA CULTURE, BLANC-MESNIL), VALERE STARASELSKI (ECRIVAIN) ; PEDRO LINO (PLASTICIEN) ; MAGALI MAGNE (COMEDIENNE) ; MURIEL MODR (PLASTICIENNE) ; MARIE-LISE FAYET (DIRECTRICE DE THEATRE) ; CATHERINE BERNAD (METTEUR EN SCENE) ; PEDRO VIANNA (METTEUR EN SCENE, COMEDIEN) ; JEROME OUDIN-LIBERMANN (GRAPHISTE) ; HAMZA SOILHABOUD (ECRIVAIN) ; MARIE-CLAUDE SCHULTZ (JOURNALISTE) ; CHRISTIAN JACQUIAU (ECRIVAIN) ; EMMANUEL DE VERICOURT (DIRECTEUR ARTISTIQUE) ; THIERRY KÜBLER (DOCUMENTARISTE) ; ASSOCIATION EXTERIEUR NUIT (MARSEILLE) ; JEAN-CLAUDE PERRON (AUTEUR, REALISATEUR) ; STEPHANE MERCURIO (CINEASTE) ; MARIO BELTRAMIN (PRESIDENT D'ASSOCIATION CULTURELLE) ; CHANTAL GALIANA (CHANTEUSE) ; LAURENT LEDERER-ROZENBLATT (COMEDIEN) ; YOURA MARCUS (MUSICIEN) ; MANAR HAMMAD (ARCHITECTE), PATRICE FORGET (REALISATEUR) ; KAZEM SHARYARI (POETE, DRAMATURGE) ; BRANKA BALEVIC (PIANISTE) ; GERARD GASPARIAN (PIANISTE) ; MICHEL VALETTE (COMEDIEN) ; LEVANAH LEIBMANN (MUSICIENNE) ; FRANÇOIS DUCONSEILLE (SCENOGRAPHE) ; LAURENT CONTAMIN (COMEDIEN) ; ANNE BITRAN (COMEDIENNE) ; FRANÇOIS TANGUY (METTEUR EN SCENE) ; LAURENCE CHABLE (COMEDIENNE) ; FRODE BJORNSTAD (COMEDIEN) ; JEAN-LOUIS MANCEAU (RESPONSABLE DU CINE-POCHE) ; FRANCK LEJUSTE (COMPTABLE THEATRE) ; FRANÇOISE FURCY (ADMINISTRATICE THEATRE) ; VIRGINIE MALET (ADMINISTRATRICE THEATRE)...
                               
2. De Stalingrad à Bagdad par Israël Shamir (1991)
[traduit du russe par Marcel Charbonnier]
("Petite bibliothèque de Sacha Sverdlov" - http://gornischt.narod.ru)
L'image sans doute la plus effrayante que nous ayons vu sur nos écrans au début de la guerre contre l'Irak n'était pas celle des victimes. Non, ce n'était pas les bombardements... C'était la foule en liesse des traders américains, à la bourse de New York. Chaque goutte de sang arabe se transformait, pour eux, en dollars. Nous était donnée à voir l'exaltation de vampires assoiffés de sang frais. Le 'Dow Jones', tonus vital fluctuant des gens amorphes, s'envolait. Les actions et les dollars atteignaient des sommets, et avec eux les dettes du tiers-monde et de l'Union soviétique. Les prix des armes américaines, qui avaient fait la démonstration de leur puissance contre les civils de Bagdad, s'envolaient. Les prix des armements soviétiques, de leur côté, chutaient vertigineusement : après la défaite de l'Irak, seul un  Landsbergis pourrait être preneur, et encore...
La guerre d'Irak est une véritable tragédie. Une tragédie, au premier chef, pour les Irakiens, qui, visiblement, ont été décimés, chose pour laquelle une place est déjà réservée à George Bush (père) en enfer, à côté d'autres scélérats patentés. C'est une tragédie pour le Moyen-Orient et l'ensemble du tiers-monde, réduits pour encore dix ou vingt ans à l'état de colonies américano-israéliennes. C'est une tragédie pour les Américains honnêtes, qui n'ont pu qu'assister, impuissants, à la transformation de leur peuple en une nation de vampires. Mais, pour l'Union soviétique, c'est une triple tragédie : la guerre contre l'Irak a mis un terme à l'existence de l'URSS en tant que grande puissance, elle lui a interdit toute possibilité de se ressaisir, elle l'a placée dans le sillage de la politique américaine et, comme l'ont montré les événements de Lituanie, elle l'a isolée comme jamais par le passé, la laissant seule, sans amis véritables et sans associés. Ses nouveaux "amis" ne sont à ses côtés qu'à la condition expresse qu'elle se range aux consignes reçues de Washington.
La bataille du Koweït est un substitut de troisième guerre mondiale. Actuellement, sur Bagdad pleuvent les bombes qui avaient été préparées pour pleuvoir sur Moscou. Regan avait rêvé de ce jour, lorsque, essayant les micros avant une interview dans un studio de radio à Washington, il avait déclaré : "dans une demi-heure, nous commençons à bombarder Moscou !" Ce n'est pas une demi-heure qui s'est écoulée, ce sont sept années... et à la place de Moscou, il a été donné à son successeur Bush de déverser ses bombes sur Bagdad. Tout s'est déroulé devant nos yeux, comme dans une pièce de Tchekhov : à l'acte I, les fusils sont accrochés au râtelier. Au dernier acte : ils tirent.
Tom Clancy, équivalent américain de Youlian Semenov et acteur préféré de Reagan, a décrit dans un roman la troisième guerre mondiale. L'intrigue est étrangement semblable à ce qui s'est passé dans le cas de l'Irak : technique dernier cri, résolution affichée, avions "furtifs", tapis de bombes de B-52, désunion dans le camp adverse... résultat des courses : l'assujettissement de l'ennemi en jouant de ses dissensions internes.
Le malheur, c'est que désormais personne n'arrêtera les Américains. Après ceux, attendus, à l'encontre de Vilnius ou de Riga, voici en langage courant l'ultimatum lancé à l'Union soviétique : "fous le camp, sinon..." L'armement soviétique a perdu son potentiel dissuasif à la lumière de la guerre du Golfe et l'Union soviétique, inévitablement, ne sera plus qu'un obstacle aisément écarté, tôt ou tard, du chemin de l'Amérique vers la suprématie mondiale.
Rappelons qu'Hitler avait lui aussi des raisons sérieuses d'attaquer la Russie : lui, il avait libéré, non pas le Koweït, mais les Pays baltes et l'Ukraine des "mauvais traitements des bolcheviques"... Lui, il avait défendu "l'Europe et le marché libre". Autre similitude : l'URSS avait déjà été exclue de la Ligue des Nations après son agression contre la Finlande... Si le führer n'avait pas attaqué la France et l'Angleterre, s'en tenant à son agression contre la Russie, il aurait sans doute reçu, lui aussi (comme aujourd'hui les Américains, ndt) mandat de l'ONU de l'époque, la Ligue des Nations. Mais reste qu'en nous remémorant Stalingrad, nous savons de quel côté penche notre coeur...
Inutile d'accuser quiconque d'autre : l'Union soviétique est la seule responsable de la perte de ses alliés, de ses revenus et de sa réputation. Aujourd'hui il est parfaitement clair que, n'eût le représentant soviétique levé lamain, à l'ONU, le 29 novembre, pour voter la funeste résolution en faveur de la guerre, rien de tout cela ne serait advenu : l'Amérique n'aurait jamais osé prendre le risque de partir en guerre, le monde arabe verrait toujours en la Russie comme par le passé son défenseur et son sauveur, et des centaines de milliers d'Irakiens seraient encore en vie.
Le 29 novembre est un jour noir pour le Moyen-Orient. C'est à deux reprise un 19 novembre que l'Amérique et Moscou ont conclu un pacte contre les intérêts vitaux de notre région. (Ainsi, on dirait que la magie des chiffres et la conjonction des planètes suggère l'existence d'un lien les conflits palestinien et koweïtien, lien qui est aujourd'hui rejeté d'un revers de la main par les pouvoirs suprêmes.)
La première fois, c'était le 29 novembre 1947, lorsque l'inventeur du Goulag et l'assassin d'Hiroshima adoptèrent à l'ONU la résolution de partage de la Palestine. Il ne se passa pas une année avant que trois quarts de million de paysans palestiniens perdent leurs maisons, leur pays, leur lopin de terre, au nom de la mise en application de cette résolution. Quatre cents villages furent rayés de la carte et des communautés humaines entières furent réduites à la survie dans des camps de réfugiés. Les conséquences furent tragiques pour les Juifs aussi : les communautés ancestrales d'Irak disparurent avec toute leur culture, ainsi que celles du Yémen, celles du Maghreb, et leurs membres furent considérés, selon les mots-mêmes de Ben Gourion comme "poussière humaine", qui allait devenir... matériau de construction bon marché pour le chantier sioniste !
Et le 29 novembre 1990, l'Amérique et Moscou se mirent à nouveau d'accord, toujours à l'ONU, et déclarèrent légal l'assassinat de masse de centaines de milliers d'êtres humains. Il ne s'agit de rien de moins que cela : les bombardements des tous premiers jours de la guerre ont équivalu à deux 'Hiroshimas'. On avait réservé à l'auguste Bagdad, ancestrale capitale du califat des Abbassides, le sort de Minsk et de Dresde...
L'URSS a abandonné l'ensemble de sa politique, édifiée pierre à pierre au cours de plusieurs décennies. Elle s'est dessaisie des fruits des efforts infinis consentis par ses citoyens, rayant d'un trait de plume toutes ses avancées au Moyen-Orient. Et tout cela : pourquoi ? Pour une aide (extérieure), pour des colis humanitaires ? N'allez pas imaginer cela. Au nom de la solidarité avec l'Occident ? Mais l'Occident, ce n'est pas seulement George Walker Bush, Olivier Nort et Margaret Thatcher... L'Occident, c'est aussi la social-démocratie européenne, les mouvements radicaux américains, les mouvements de libération du Tiers-monde. Le fait que les progressistes occidentaux, tels l'anglais Tony Benn, Daniel Ortega du Nicaragua, Gandhi, Willy Brandt, Niéréré, Mandela, ou l'Américain Jesse Jackson, se soient unis dans la lutte pour la défense de la paix dans la région du Golfe et pour exiger le retrait des troupes américaines, ce fait ne doit rien au hasard.
Mais, en URSS, la quasi-totalité des journaux se livrent à une âpre concurrence entre eux, à qui servira le mieux les intérêts américains. Ils parlent d'agression odieuse, noircissent des colonnes interminables pour comparer Saddam Husseïn à Hitler, traitent à longueur de pages d'un Koweït démocratique et prospère, écrasé sous les chenilles des tanks - soviétiques ! - de l'agresseur irakien... 
Précisons sans plus tarder que le Koweït n'était pas plus démocratique que l'Irak. Un quart, seulement, de ses ressortissants, y jouissaient de la pleine citoyenneté et bénéficiaient du partage des richesses. Les droits élémentaires étaient déniés aux trois quarts restants, qui vivaient dans une situation similaire à celle des couches paupérisées de Moscou. Pire : le sous-prolétariat koweïtien était privé des choses les plus fondamentales et élémentaires. Les autorités n'autorisaient pas leurs épouses à venir les y rejoindre. (L'écrivain indien, prix Nobel de littérature) Naipaul, évoque cette société insensée, dans laquelle des Pakistanais et des Yéménites ne peuvent rêver, tout au plus, que d'une poupée gonflable...
Et voilà, à nouveau, le lien avec la Palestine : la majorité des classes pauvres du Koweït est constituée de réfugiés palestiniens. Eux non plus, bien que vivant au Koweït depuis 1948, ainsi que leurs enfants et petits-enfants, n'étaient pas pleinement citoyens du "Koweït démocratique". On voit donc qu'il s'agissait d'une "démocratie" correspondant en tout point à la représentation que l'on se fait, peut-être, de la démocratie en Estonie ou en Lituanie, mais, je le crains, nulle part ailleurs... Quarante ans sans passeport et sans perspectives. Bien entendu, être prolétaire au Koweït vaut mille fois mieux qu'être prolétaire dans les territoires occupés, mais le clan des Al-Sabah au pouvoir ne méritait en rien la loyauté des Palestiniens. Il faut bien dire que, sous Saddam, ces habitants autrefois de seconde zone se sont vu accorder des droits égaux à ceux des autres Koweïtiens. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les termes de la résolution de l'ONU, évoquant le "gouvernement légitime du Koweït" sonnent tellement faux : le Koweït n'avait pas de gouvernement légitime et il n'y avait pas dans ce pays d'état de droit. La majorité de sa population n'y jouissait d'aucune forme de droit que ce soit.
Le Koweït s'était constitué grâce au soutien britannique, puis américain, en guise de puits de pétrole de secours (pour eux). Seuls des journaux soviétiques 'éminemment soupçonnables' de sympathies avec Israël pouvaient admirer ce pays, afin d'"équilibrer" quelque peu leur position : (pour paraître crédible), il ne faut pas taper en permanence sur les seuls Arabes, n'est-ce pas ? Ainsi, le jour même de l'invasion irakienne du Koweït, l'hebdomadaire (satirique) Ogonëk avait consacré un long reportage aux charmes et délices du Koweït, écrivant en conclusion: "Bien entendu, les Koweïtis ont aussi leurs problèmes, mais, comme on dit :' ah, si seulement nous (les Russes) pouvions avoir leurs soucis...'" ('petite phrase' que je considère, je dois le reconnaître, comme la meilleure de l'année). Eh bien, le même hebdomadaire publie dans son dernier numéro, publié (juste) avant le déclenchement de la guerre (du Golfe), une "lettre d'enfants koweïtiens", particulièrement baveuse, bien dans la tradition de l'époque stalinienne, lettre dans laquelle (on veut nous faire croire que) les dits "enfants" se lament(erai)ent parce qu'on leur a enlevé le portrait de leur leader bien-aimé, "Papy Chaykh Sabah", que l'on a remplacé par un autre : celui de l'ogre Saddam...
Le soutien américain (au Koweït) contre Saddam a joué le rôle d'un papier-tournesol qui a révélé la division du monde - et l'éclatement de la société soviétique. Ce n'est pas par hasard que même des soldats estoniens, "occupés" jusqu'alors à planter des bornes-frontières dans la région de Pskof, se sont d'ores et déjà déclaré prêts à se mobiliser sans délai afin d'aller aider l'Amérique à écraser l'insurrection des immigrés du Koweït... Plus un journal ou une formation politique est à droite (je ne peux me résoudre à employer cette terminologie orwellienne, selon laquelle des anticommunistes, chauds partisans du 'capitalisme pur' et adorateurs du dieu dollar devraient être qualifiés "de gauche", honneur que je ne veux en aucun cas leur faire) plus elle s'empresse d'emboîter le pas aux Américains. On ne pouvait s'attendre à moins de la part de la Literaturnaïa Gazeta, qui avait publié en son temps une véritable philippique contre le Nicaragua, ou de l'ultra-sioniste Novoe Vremia (Temps Nouveaux), qui avait publié quant à lui une (célèbre) photographie montrant le mufti de Palestine en compagnie d'un dirigeant nazi (en compagnie duquel, précisons-le, avaient été également photographiés les premiers ministres anglais et français...) (Mais ces clichés sont beaucoup moins répandus, ndt). Il est par contre extrêmement regrettable que même la "Pravda" ait commis des écrits du même acabit, publiant notamment les articles larmoyants d'une Ioula Drunina, dans lesquels elle ose comparer les fugitifs du Koweït - titulaires de dépôts bancaires en millions de dollars dans les banques occidentales - avec les réfugiés palestiniens, indigents et hyper-exploités...
On eût souhaité que la "Pravda" (la "Vérité" : importance des guillemets ! Ndt) - ainsi que, d'une manière générale, le parti communiste soviétique - se fussent souvenu des paroles de l'Evangile : "Vous êtes le sel de la terre. Si (même) le sel devient fade, il ne servira plus à rien à personne et on le jettera sous les pieds des passants." (Mathieu, 5,13). Si la Pravda ne prend pas, en toute logique, des positions de gauche, alors à quoi - et à qui - peut-elle encore bien servir ?
De plus, même si nous faisions abstraction, pour un bref instant, de l'idéologie et de la conscience, l'Union Soviétique n'avait aucune raison de s'en faire pour les intérêts américains dans le Golfe persique. L'Amérique est partie en guerre dans le Golfe en raison de considérations intéressées qui lui sont propres, et il ne s'agissait pas seulement du pétrole. Avec la disparition de l'"ennemi soviétique", le complexe militaro-industriel américain se trouvait dans une situation difficile : on aurait pu décréter qu'on n'avait plus besoin de lui... On pouvait (légitimement) s'attendre à une réduction des dépenses pour la défense et en être réduit, aux Etats-Unis, comme c'était le cas en URSS, à transformer les tanks en tracteurs agricoles... C'est la raison pour laquelle les militaires américains ont déclenché une campagne hystérique afin de se créer un nouvel ennemi sur commande, dans le Golfe persique. Ils y ont, ma foi, assez bien réussi : ils ont obtenu l'assistance financière du Japon et de l'Allemagne, des contrats de ventes d'armes à l'Arabie Saoudite et aux Emirats arabes unis... Mais, pour autant, tout le monde n'aspirait pas à la guerre, aux Etats-Unis, loin s'en faut : les forces de gauche s'opposaient à ce que le sang soit versé pour du pétrole, et pas seulement les forces de gauche, d'ailleurs. Et là encore, on trouve un lien avec la Palestine. En effet, jusqu'à l'invasion du Koweït (par l'Irak), le Ministère américain des affaires étrangères (Secrétariat d'Etat) n'avait pas une position très précise en ce qui concerne la défense du Koweït, mais bien plutôt le contraire : la plupart des déclarations du Secrétaire d'Etat et des dirigeants ministériels donnaient à entendre que les Etats-Unis n'interviendraient pas... Quelque chose a donc changé. Quoi ? Tout simplement : Israël, puissant facteur de la politique intérieure américaine (et soviétique), a décidé que le moment idéal était venu d'en finir avec l'Irak, par procuration...
Le commentateur notoirement de droite Patrick Buchanan (qui écrivait autrefois les discours du président Reagan) ne nous révèle aucunement un secret, lorsqu'il écrit dans sa tribune publiée dans "Pamyat" que seul le lobby israélien et les sionistes américains veulent la guerre au Moyen-Orient. Pour ceux-ci, l'invasion du Koweït n'est qu'un prétexte pour se débarrasser - par procuration, les Américains s'en chargeant - d'un adversaire dangereux. Et en effet, des sionistes connus, comme Rosenthal, ancien rédacteur en chef du New York Times et Foxman, directeur de la Ligue anti-diffamation (l'organisation maçonnique et sioniste Bnei Brit), se prononcent en faveur de la guerre, tout en taxant Buchanan d' "antisémitisme" (Newsweek, 01.10.1990, p. 39). Pour Israël, l'anéantissement de l'Irak est un objectif primordial, étant donné que ce dernier représente le seul pays puissant et riche au Moyen-Orient à ne pas s'être placé dans le sillage de la politique américano-israélienne. C'est pourquoi, les jours suivants, se sont multipliés les propos (y compris dans la presse soviétique) selon lesquels chasser les armées irakiennes du Koweït ne suffisait pas : il fallait encore totalement désarmer l'Irak. En Amérique, il existe des gens qui s'élèvent contre la soumission de la politique américaine aux diktats israéliens, notamment Gore Vidal. Mais en URSS, de telles voix sont pratiquement inaudibles...
C'est pourquoi Israël et son lobby aux Etats-Unis font, en permanence, tout leur possible afin de faire capoter toutes les tentatives de négociation. A peine le communiqué conjoint soviéto-américain consécutif à la visite du nouveau ministre des Affaires étrangères soviétique, M. Besmertnikh, à Washington, eût-il fait une simple allusion à la possibilité de trouver un règlement à la question palestinienne, que les hauts-cris s'élevèrent, à Jérusalem. Et le président Bush fit très rapidement bande à part, "précisant la position des Etats-Unis" : a) aucun règlement du problème du Moyen-Orient - b) le diktat américano-israélien - c) rien que le diktat américano-israélien...
Dès les premiers bombardements américains, l'objectif de la guerre était évident (l'objectif premier, s'entend) : l'anéantissement de l'Irak. Mais l'objectif supérieur que les Etats-Unis convoitaient, c'était l'hégémonie mondiale.
Les Américains nourrissaient cette ambition déjà avant la guerre du Golfe. Mais il y avait encore un trou dans l'Oekoumène (internationale) : la sphère d'influence de l'Union soviétique et du camp socialiste. Désormais, ce trou est en train de se réduire, et la bannière étoilée flotte sur la planète entière...
Inutile de nous opposer le caractère inadmissible de l'agression irakienne : la non moins brutale agression américaine contre Panama, quelques mois seulement auparavant, n'avait entraîné la prise d'aucune sorte de sanctions contre Washington, ni l'imposition d'un blocus contre l'Amérique, ni même le déversement d'un torrent d'articles courroucés dans les journaux soviétiques... Autre exemple, encore plus significatif : l'agression de l'Indonésie contre le minuscule Timor. Timor avait obtenu l'indépendance après la révolution ("des oeillets") au Portugal. Des forces de gauche y avaient pris le pouvoir. A la suite de quoi, ce pays fut occupé par l'Indonésie, pro-américaine et anticommuniste, sous prétexte d'un contentieux remontant non pas à soixante ans - comme dans le cas de l'Irak et du Koweït - mais à quatre siècles en arrière. Les Indonésiens exterminèrent la moitié de la population de Timor, puis ils entassèrent les rescapés du massacre dans des camps de concentration, installant à leur place, dans leurs villages, des Javanais...
La question de Timor a été soulevée régulièrement à l'ONU, depuis quinze ans, mais personne ne parle d'imposer un quelconque embargo à l'Indonésie...
Peut-on parler (à propos de l'Irak au Koweït) d'occupation inadmissible, alors que la Palestine, le Sud Liban et le Golan sont occupés depuis tant d'années grâce à l'armement américain ? Pourtant, l'Amérique a rejeté la proposition irakienne liant le retrait de ses forces armées du Koweït à la libération de la Palestine, et on peut le déplorer. Je me souviens combien nous nous étions - doublement - réjouis à l'annonce de l'échange de Vladimir Bukovski contre Luis Corvalan. De tels échanges de victimes-otages sont tout-à-fait remarquables. Dans le cas qui nous occupe, le lien était évident : l'Union soviétique aurait dû, en toute logique, soutenir l'idée de ce lien (entre le retrait de l'Irak du Koweït et le retrait de l'armée israélienne des territoires occupés, ndt).
Venons-en aux otages. A en juger à la lecture de la presse soviétique, la majorité des citoyens soviétiques résidant en Irak ne voulaient absolument pas quitter ce pays. Quant au fait de placer des citoyens américains et britanniques dans des lieux stratégiques irakiens, on peut dire qu'il s'agissait d'une mesure de bon sens : les Américains et les Anglais ont une fâcheuse propension raciste à bombarder les "moins que rien" : on a pu le constater à de multiples reprises, à commencer par Hiroshima, pour finir à Tripoli de Libye, en passant par Hanoï. Sans ces otages, les Américains auraient envoyé des milliers d'Irakiens rejoindre les houris au Paradis. "Un homme a autant de valeur que le monde entier", nous ont enseigné nos sages anciens  : chaque homme, tous les hommes - et non pas chaque Américain : même les "bougnoules"...
Et c'est pourquoi je suis heureux que les corps blancs ('normaux' Ndt...) d'Américains aient protégé (ne fût-ce que jusqu'à Noël) les Irakiens de bombardements dévastateurs et sanguinaires. J'aurais été encore plus satisfait, si les corps à la peau blanche de délinquants de guerre américains - pour ne pas les qualifier de criminels de guerre - qui ont exterminé des populations pacifiques depuis une altitude de trente mille pieds - avaient protégé ne serait-ce que quelques Irakiens supplémentaires, une fois cette guerre sans issue déclenchée.
A l'évidence, Saddam Husseïn n'est pas quelqu'un de recommandable. Mais Allende ou Bhutto étaient des gens tout-à-fait comme il faut, ce qui ne les a nullement mis à l'abri des tueurs de la CIA. Rappelons-nous les propos de Kennedy au sujet des services américains : "Ce sont des fils de pute, mais ce sont NOS fils de pute". Mais il semble que la Russie ait une fâcheuse tendance à oublier cette maxime.
Alors, allez-vous me demander, pourquoi donc est-ce que je "soutiens" l'Irak ? En 1968, j'ai écrit "Bas les pattes de Tchécoslovaquie" sur les murs de ma ville natale, en Union soviétique. En 1973, j'ai été pris sous le feu d'une batterie irakienne, à trente kilomètres de Damas. Je n'ai donc aucune raison personnelle d'être pour l'agression militaire en général ou de soutenir l'Irak, en particulier. Mais l'Irak est la première puissance indépendante au Moyen-Orient, depuis l'époque de Saladin. Notre région a été trop longtemps et trop mal administrée de l'extérieur : d'abord, les Turcs ; puis les Anglais et les Français ; et, maintenant : la toile d'araignée du néocolonialisme tissée par l'Amérique et ses vassaux... Bien sûr, Saddam Husseïn, c'est fort possible, n'est pas un homme bon. Mais, d'évidence, Ivan Kalita et Staline n'étaient pas des anges, non plus, à l'époque de la Seconde guerre mondiale. Le Moyen-Orient a besoin d'un "fédérateur", susceptible, avec le temps, de résister au néocolonialisme. Mais le partage des territoires, que nous connaissons, au Moyen-Orient, qui a abouti à ce que le pétrole et les richesses demeurent entre les mains d'une bande de chaïkhs corrompus, ne profite qu'au seul néocolonialisme. 
Il y a une deuxième raison : la fin de la structure alternative, socialiste, du monde. Nous entrons dans l'ère de l'hégémonie américaine unilatérale et monolithique. Pour sûr, après l'Irak viendra le tour de Cuba, et, j'en ai peur, dans deux ou trois ans, même Moscou risque de ne pas échapper au sort de Bagdad.
Il y a, enfin, une troisième raison, israélo-israélienne. L'Irak est indispensable au Moyen-Orient, ne serait-ce qu'en raison de la banqueroute des "colombes" israéliens et de l'effondrement de toutes les initiatives de paix en Palestine. Actuellement, des commentateurs pro-israéliens (tel Avneri, dans la revue ouvertement sioniste "Novoe Vremia") répètent souvent que les efforts de règlement ont échoué par la faute de Saddam. J'ai le regret de leur dire que c'est un gros mensonge.
Il n'y a eu aucun effort de règlement, et il ne pouvait y en avoir : Israël est en position de force, et il est bien résolu à ne rien lâcher du tout. Le gouvernement d'Yitzhak Shamir a littéralement torpillé toutes les initiatives de paix. Les discours à leur sujet ont pu fonctionner, durant un certain temps, un peu à la manière d'une poignée de foin que l'on aurait attachée aux brancards de la charrette, hors de portée des dents de l'âne qui la tire. Mais l'âne assez stupide pour tirer la charrette à la seule vue du foin, perpétuellement, n'est pas encore né...
- Le prix de la retenue
A peine la fumée opaque des puits de pétrole en flammes s'était-elle dissipée au-dessus de l'Irak que se dessinaient les contours de l'un des principaux vainqueurs de la guerre : Israël. On peut discuter des mérites et des défauts d'Israël, mais il n'en reste pas moins certain que ce pays est insurpassable dans l'art de se faire de l'auto-publicité (et même de la vendre), auto-promotion que l'on nomme "relations publiques" en Occident. Chaque jour qui passe, ce sont des milliers de tonnes de bombes qui se déversent sur l'Irak et le bilan des victimes arabes dépasse vraisemblablement la centaine de milliers : tout cela, pour les beaux yeux d'Israël. Et pendant ce temps-là, avec une belle unanimité, l'Occident lui tresse des couronnes de fleurs ... pour sa "retenue".
Il est de fait qu'Israël n'a pas lancé ses avions de chasse, ni ses bombardiers, contre l'Irak... Mais pour une raison bien simple : ses amis font ce travail pour lui. Si vous envoyez un tueur à gage occire votre ennemi, et que vous réprimez votre simple envie de coller un marron à celui-ci, vous en remettant les yeux fermés au surin et au professionnalisme de votre "employé", il est peu probable que le tribunal du coin vous décernera une médaille pour votre "retenue" et la "grande maîtrise" que vous avez de vous-même...
C'est pourtant exactement cette "logique" qui préside à la presse pro-américaine, tant occidentale que soviétique.
"Malekhet tsadikim naaset be-yadeï 'akherim", énonce le verset talmudique, c'est à dire : "l'action des Justes est accomplie par d'autres mains". Suivant cet adage, Israël est un "Juste" à cent pour cent, puisqu'aussi bien sa "tâche", consistant à anéantir son ennemi le plus menaçant, est menée à bien par la docile Amérique et ses vassaux...
Le gouvernement israélien le comprend parfaitement bien - dès que pointe à l'horizon le moindre danger d'un accord, au Moyen-Orient, il s'emploie à le torpiller, avec l'assistance de ses agents en Amérique - et désormais, aussi, en Union soviétique. C'est ce qui s'est produit après les conversations entre Besmertnikh et Baker, conversations au cours desquelles se fit entendre une voix (certes hésitante) plaidant en faveur de l'indispensable règlement du problème palestinien : le premier ministre israélien, Yitzhak Shamir, désapprouva immédiatement cette déclaration et le président Bush s'empressa de désavouer les deux ministres des Affaires étrangères, déclarant que rien n'avait changé dans la politique des Etats-Unis au Moyen-Orient... Le nouveau ministre soviétique, Besmertnikh, ne réagit même pas à ce véritable camouflet.
C'est pour la même raison que le plan de paix soviétique avait été rejeté : l'Amérique ne pouvait l'adopter sans avoir reçu le "nihil obstat" de Tel-Aviv, mais on sait qu'Israël ne fait jamais de concessions, tant qu'il se trouve en position de force. Quant à l'unique puissance arabe qui aurait pu lui faire contre-poids, elle venait d'être anéantie par les bombes américaines avec la connivence d'Edouard Chévardnadzé. La ligne de Chévardnadzé, consistant en une  politique de soumission totale aux desiderata de Washington et de Tel-Aviv, est toujours en vigueur aujourd'hui : d'après les informations d'une radio occidentale, le second de Gorbatchev, Grigorjev, a déclaré que l'instauration d'un monde stable exigeait que l'Irak soit complètement désarmé...
L'Amérique de George Bush avait des motifs supplémentaires de repousser le plan soviétique. "Ils battent le chat, et accusent la bru", dit le proverbe. La grande ville de Basra complètement dévastée, voilà qui était un sacré coup sur les doigts de Moscou, et aussi de tous les autres pays, de telle sorte que, pour la première fois depuis l'empire carolingien, il n'y a qu'un seul maître à bord, qui ne se contente pas d'imposer ses diktats seulement à la Grenade et au Panama. Je pense que le prochain ultimatum américain (contre Cuba ? le Yémen ? Moscou, au motif de la Lituanie ?) verra sa victime ne pas s'en sortir à si bon compte que Saddam, et de très loin.
Dans le monde "nouveau", construit conformément aux plans américains, il ne peut y avoir qu'un seul patron. C'est justement la raison pour laquelle Bush n'a pu se résoudre à accorder à Gorbatchev ne serait-ce qu'une modeste victoire diplomatique : la place de l'Union soviétique, dans la Pax Americana, est celle d'un paria éperdu de gratitude pour son maître qui lui donne ses vieilles boîtes de conserves, et non pas celle d'un participant à part entière aux conversations diplomatiques au niveau mondial.
Un commentateur écrit (le 26 février 1991) dans la Komsomolskaïa Pravda qu'"en effectuant des attaques massives par bombardements aériens et missiles sur le territoire de l'Irak, Washington a porté des coups également aux forces démocratiques de notre pays. En effet, la voie suivie par Chéverdnadzé, en étroite collaboration avec les Américains, s'était gagné la faveur des "démocrates" (russes). Mais aujourd'hui, les "conservateurs" disposent d'un nouveau motif, s'il en était besoin, de critiquer la politique de Chéverdnadzé et, d'une manière générale, les "forces démocratiques"".
Cette conclusion est plausible, mais elle n'est insuffisamment réfléchie : les bombes et les missiles ont simplement démontré ce qui était déjà évident pour les "conservateurs", mais que les honnêtes "démocrates" se refusaient à admettre : la position de la Sovietskaïa Rossija s'avéra, pour ainsi dire, plus adéquate et réaliste que celle de la "Komsomolskaïa Pravda".
Pendant ce temps-là, en Israël se produisaient des changements véritablement lugubres : un général à la retraite fut nommé au gouvernement : un certain Ze'evi, en comparaison duquel Ostachvili semble un libéral-démocrate mou. C'est Ezer Weïssman qui lui a facilité la tâche, lui qui était, il n'y a pas si longtemps à Moscou, en qualité de membre honoraire de l'Académie des Sciences, lui qui résidait à l'hôtel du Comité central du PC de l'Union soviétique, l'"Oktiabraskaïa", lui, enfin, que la presse pro-occidentale faisait passer pour un grand libéral et un grand démocrate...
Ze'evi s'est présenté aux élections, et il a été élu, avec un slogan tout simple : "Expulsons tous les Palestiniens !" Chez nous, en Israël, les chemins de fer sont peu développés. C'est pourquoi Ze'evi et ses amis ne rêvent pas à des convois de wagons, mais à des camions, pour transporter les habitants originels des territoires occupés de Palestine vers l'exil, au-delà du Jourdain. Des Palestiniens sont assassinés tous les jours, et déjà, les geôles et les camps de concentrations étant bondés, c'est toute la Palestine qui est transformée en une grande zone d'occupation : il n'est permis de sortir de chez soi que deux heures, une fois tous les deux jours. Un pas de côté est considéré comme une tentative d'évasion et les patrouilles ouvrent le feu sans sommations.
Il est intéressant de relever qu'aucun piaillement de protestation ne s'est élevé des cercles luttant contre Ostachvili et le parti "Pamyat", bien que de nombreux partisans d'"Aprijel" (Avril) se rendent régulièrement en Israël et s'en fassent les propagandistes. Malheureusement, car la voix de la communauté juive et de l'intelligentsia libérale aurait pu jouer un rôle positif dans le débat interne à Israël. Mais ils sont trop occupés par leur lutte contre des hooligans à moitié fous pour apporter une quelconque attention aux véritables auteurs de pogroms qui opèrent en Israël.
Des commentaires intéressants de A. Vassiliev ont paru dans la "Komsomolskaïa" : ils décrivent de quelle manière a été prise la décision cruciale de soutenir l'Amérique dans le conflit du Koweït : cela s'est passé au cours d'une réunion à huis clos de hauts fonctionnaires du Ministère soviétique des Affaires étrangères, réunion à laquelle n'assistèrent que des membres du cabinet de Chéverdnadzé. Combien la Russie a encore peu évolué, depuis cette année 1979 de triste mémoire, où fut prise la résolution d'envoyer des forces armées soviétiques en Afghanistan... : à cette époque-là, seul un cercle étroit de personnalités décidaient. Mais le changement s'est fait dans le sens du pire : cette fois, les décisions ne furent même pas prises au plus haut niveau de la hiérarchie de l'Etat ! En cas de règlement de comptes avec la Géorgie, la Russie pourra exiger des compensations pour les pertes que lui a causées non seulement Yossif Djugachvili (Joseph Staline), mais aussi Edouard Chéverdnadzé ! Au demeurant, en attendant (ce jour là), le ministre des Affaires étrangères depuis longtemps à la retraite aura certainement fondé son propre ministère parallèle, l'Association de politique intérieure, soutenue par les banques, Aéroflot, Intourist, et à laquelle un palais consulaire aura été offert avec empressement.
Il est bien difficile de prédire l'avenir du Proche-Orient. Mais certaines conséquences possibles de la victoire israélienne sont déjà patentes. Les expulsions de Palestiniens vont se multiplier : il faut absolument les chasser, pour faire de la place aux immigrants venus d'Union soviétique. L'influence de l'Union soviétique dans notre région sera réduite à sa plus simple expression. L'Irak sera affaibli et partagé entre sphères d'influence : la Turquie s'arrogeant Mossoul, les Américains occupant Basra. D'ici deux ou trois ans, Israël bombardera la Syrie, si celle-ci persiste à soutenir les Palestiniens. (En participant à la "coalition" derrière les Etats-Unis, ndt) le rusé Hafez elAsad, à l'évidence, s'est joué un bon tour à lui-même... En Egypte, le gouvernement pro-américain de Moubarak sera renversé et les religieux fondamentalistes s'empareront du pouvoir. Les forces américaines stationneront dans la région du Golfe et prendront une part active à la répression des révolutions éclatant dans les monarchies pétrolières. Au Yémen, la guerre civile se rallumera, alimentée par les fonds saoudiens. Avant dix ans éclatera une nouvelle guerre israélo-arabe.
On peut imaginer les conséquences, aussi, pour d'autres régions : d'ici deux ans, les Américains peuvent s'emparer de Cuba et les forces de l'OTAN entrer en Pologne, en Tchécoslovaquie et peut-être même dans les pays baltes. Dans l'arène soviétique, les agents américains peuvent parvenir à créer rapidement une division entre les populations musulmanes et européennes de l'Union. Ainsi les idéologues sionistes verraient encore un de leurs rêves se concrétiser : entraîner la Russie dans une guerre contre l'islam, dans le plus grand intérêt de l'Etat hébreu. Mikhaïl Agourski, bien connu des lecteurs soviétiques, a écrit un article sur ce thème dans le quotidien israélien Jerusalem Post.
Aux forfaitures les plus manifestes et les plus sanglantes du sionisme, ces dernières années, vient s'en ajouter une nouvelle : une campagne anti-musulmane enragée, d'un racisme incroyable, au tout premier chef en Amérique, mais aussi dans le reste du monde. Le sentiment anti-musulman, profondément enfoui dans le monde occidental depuis la bataille de Lépante, a été réanimé par les idéologues sionistes. C'est ainsi que Léon Uris, auteur du roman de propagande Exodus, dans lequel les Arabes sont représentés sous les traits de lâches assoiffés de sang et rêvant de violer des femmes juives européennes, a écrit, "pour les besoins de la cause", un autre roman, "Hajj", encore plus ignoble, et qu'on ne peut comparer qu'avec les écrits du journal hitlérien "Chturmer" (sauf que dans le cas d'espèce, la charge est dirigée contre les Arabes, et non contre les Juifs, bien évidemment). Il n'est pratiquement pas un livre, ni un film, produits de nos jours avec la participation des sionistes, qui ne contienne un message raciste, antimusulman et antiarabe. Actuellement, cette propagande est sur le point de pénétrer jusqu'en Union soviétique.
Cela atteint le plus haut comique : dans l'un des derniers films de James Bond sortis à Moscou, "Ne parle jamais", on peut voir une bande d'Arabes sauvages, cupides, d'une laideur monstrueuse et... trafiquants d'héroïne. Si un producteur arabe avait représenté des Juifs de la sorte, son film aurait été certainement boycotté, et il n'aurait même pas pu être projeté. Mais le producteur sioniste n'a pas reculé devant cette caricature d'Arabe et la presse, docile, "n'a pas été spécialement frappée" par le racisme véhiculé par ce film, qui a été projeté partout dans le monde "blanc", y renforçant les pires stéréotypes racistes.
Pour qui connaît les relations étroites et multiséculaires entres les Juifs et le monde musulman, il y a là chose bien pire qu'une déformation funeste de la réalité : de l'ingratitude.
Aujourd'hui, les décennies de propagande sioniste anti-arabe portent leurs fruits : grâce à elles, il est plus facile pour Bush de tuer des centaines de milliers d'Irakiens.
En ce qui concerne l'URSS, l'objectif de cette propagande est de semer la haine entre les musulmans et les orthodoxes, afin de mieux miner la puissance du pays. Il faut se souvenir, à ce sujet, des propos remarquables rapportés par L. N. Gumiljev dans la revue Drujba Narodof (Amitiés internationales), avant 1990. Il les avait entendus au cours de quelque "table ronde" fastidieuse. Ces propos, au milieu des idées rebattues et des raisonnements laborieux des auteurs habituellement cités dans cette publication, rayonnaient d'invraisemblance et d'autosuggestion. D'après ce Gumiljev, donc, des nomades asiates seraient arrivés à Paris et à Berlin avec l'armée russe et leur sang aurait donné aux Russes de la bravoure et de l'intrépidité. Il en découlait qu'une union avec ces Asiates, basée sur le respect et l'amitié réciproque, et non sur l'assimilation et l'absorption était tout aussi nécessaire à l'avenir...
Mais il n'en reste pas moins que les Juifs russes s'entendent très bien avec les orthodoxes et les musulmans : les communautés juives de Moscou et de Boukhara en sont la confirmation. Cette amitié est tout-à-fait dans l'intérêt des Juifs. Seulement voilà : elle contredit carrément, à l'évidence, les plans des sionistes, tels que Mikhaïl Agurskij les expose franchement.
Mais ce n'est pas là le seul argument : les intérêts véritables des Juifs (y compris des Juifs israéliens) et ceux des sionistes s'opposent absolument en tous points.
- Les Juifs russes et la guerre du Golfe
L'une des premières victimes de la guerre contre l'Irak, en Israël, fut un vieux juif soviétique du nom de Moldavanskij, sauf erreur de ma part. Il est mort, en fait, d'un infarctus causé par la déflagration d'un missile irakien à Tel Aviv, et non d'une atteinte directe.  On peut penser qu'il n'est pas le seul ex-citoyen soviétique à avoir perdu la vie au cours de ce conflit, qui a certes commencé comme une guerre pour la libération du Koweït, mais qui s'est rapidement mué en cinquième guerre israélo-arabe. Bien entendu, c'est triste, pour Moldavanskij et les autres, tombés sous les coups des "Scuds" irakien : ces gens étaient totalement innocents.
Mais la question n'est pas de savoir si c'est regrettable ou non. Il s'agit de savoir qui est responsable. Les responsables, au premier chef, c'est le gouvernement israélien, et ensuite le mouvement sioniste et ses alliés. Le gouvernement Shamir est le gouvernement le plus à droite, le plus réactionnaire de toute l'histoire d'Israël. Il a fait absolument tout ce qui était en son pouvoir afin de torpiller tous les efforts de règlement au Moyen-Orient et afin de provoquer l'effrayante guerre actuelle. Il est clair qu'il est le seul vainqueur dans ce conflit. Israël ne pouvait pas venir à bout de l'Irak à lui tout seul, et c'est l'Amérique, aux ordres du lobby sioniste, qui tire pour lui les marrons du feu. Une place est d'ores et déjà réservée à George Bush, en enfer, pour les massacres de masse commis en son nom actuellement dans le malheureux pays qu'est l'Irak, mais ceux qui l'ont poussé à agir ainsi, à Tel Aviv et à Washington, devront payer un strapontin à ses côtés.
Les missiles sur Tel Aviv sont un coup porté contre le véritable fauteur de la guerre dans le Golfe. Mais, de plus, Israël est responsable de l'interminable massacre qu'il commet dans les territoires occupés, au Liban et en Tunisie - partout où vivent et meurent les Palestiniens. Les guerres, au Proche-Orient, se produisent une fois tous les dix ans, c'est-à-dire chaque fois qu'une nouvelle promotion de soldats est formée. La guerre actuelle n'est pas la première et elle ne sera pas la dernière. La raison commune à tous ces conflits est le refus d'Israël de permettre aux Palestiniens de vivre en paix. Cette raison ne disparaîtra pas comme par enchantement dans les années à venir et cela signifie que la prochaine guerre sera, une fois encore, inévitable.
Les citoyens soviétiques qui ont émigré en Israël savaient cela parfaitement. La Russie aussi, si l'on veut, peut être tenue pour responsable de l'agression contre Saddam Husseïn, car le plus grand facteur de déstabilisation du Moyen-Orient est lié à (la politique de) l'Union soviétique : il s'agit du transfert massif de populations soviétiques en Israël, commencé il y a un an. Ce transfert a enfoncé le dernier clou dans le cercueil des initiatives de paix. Ni Yitzhak Shamir, ni Shimon Pérès ne peuvent faire une quelconque concession aux Palestiniens dans ce contexte de fuite massive des ressources humaines de la Russie. Cette immigration a soulevé chez les Arabes un très fort sentiment d'incertitude, de déception et d'abattement et elle a conduit, entre autres choses, à l'occupation du Koweït.
Le gouvernement soviétique a défendu cette émigration massive en faisant référence aux droits de l'homme. Mais un citoyen soviétique de Kiev ou de Moscou a-t-il plus de droits sur les terres du village de Lift, que n'en a un Palestinien originaire de ce même village ? Voyez-vous, ces gens n'atterrissent pas dans le vide, mais dans les ruines de villages palestiniens (détruits). Bien entendu, il n'a jamais été question d'un droit général de sortie : le citoyen soviétique ne peut aller nulle part à l'étranger, sauf... en Israël. Il est miraculeux, dans de telles conditions, qu'au moins dix millions de citoyens soviétiques ne soient pas d'ores et déjà venus s'installer chez nous...
Disons-le sans équivoque : les Juifs, parmi tous les immigrants qui viennent chez nous, sont la minorité. Un solide gaillard de Zaporojé, ukrainien à cent pour cent, est venu me trouver et m'a confié son projet d'immigrer en Israël : "on ne nous autorise à aller nulle part ailleurs, alors..." On m'a raconté les différentes filières permettant de se procurer des documents certifiant que vous êtes juif. J'ai connu des familles russes particulièrement étendues, pour lesquelles une belle-mère juive tenait lieu, en quelque sorte, de locomotive !
Je citerai à titre d'exemple de cette propagande effrénée à l'usage de l'étranger un extrait d'article de presse : "Et, bien entendu, en Occident, vous trouverez un niveau de vie est incomparablement plus élevé... Pouvons-nous (nous=les Russes, ndt) seulement imaginer, par exemple, les lunchs gratuits offerts quotidiennement, où sont présentés toute l'année durant des fraises fraîches, des salades de légumes et de fruits du jour ?" (Literaturnaïa Gazeta, 28.11.1990) ainsi que l'absence totale d'informations objectives, en raison de la censure qui s'exerce sur ce qui se passe en réalité en Israël. Seul un personnage aussi peu recommandable que Saddam Husseïn était de taille à prévenir une avalanche encore plus massive de citoyens soviétiques ; et c'est ce qu'il a effectivement fait. Au cours des trois premières semaines de la nouvelle année, l'émigration en Israël a chuté jusqu'à 25 % seulement du niveau atteint avant le déclenchement de la guerre du Golfe. Il est vrai que ceux qui quittent la Russie ne se heurtent pas à une quelconque réprobation morale : on les "comprend". Mais nous parlons, en l'occurrence, de la participation directe de citoyens soviétiques à l'agression, et ceux-ci endossent la responsabilité de l'agression menée contre le peuple palestinien. Au demeurant, la société envisage avec indifférence même l'émigration dans les territoires occupés, bien que les immigrants potentiels comprennent très clairement que, si on les appelle, c'est afin d'évincer une autre population.
Quelques mois avant le déclenchement de la guerre, j'avais écrit : "Je connais beaucoup de gens qui partent, et je les plains sincèrement. Ce sont des gens honnêtes et en Israël ils seront appréciés de tous. Mais ils y joueront un rôle terrifiant, et je redoute qu'ils ne soient promis à un sort funeste. On aimerait les dissuader, mais comment ? Il n'y a pratiquement pas une publication soviétique de quelque importance qui soit prête à écrire ne serait-ce qu'un article objectif sur cette question." C'est effectivement ce qui s'est produit : il s'est avéré impossible de publier ces lignes dans une publication soviétique de grande diffusion. Elles furent considérées "antisémites" et "odieuses"... C'est pourquoi aucun appel mettant sans ambigüité en garde les candidats à l'émigration n'a trouvé d'écho dans la presse soviétique.
J'ajoute qu'il n'y a rien de préoccupant à ce qu'un soviétique ou un autre, qu'il soit russe, juif ou kazakhe, tombe amoureux des pierres de la Terre Sainte et se rende en Israël/Palestine pour y vivre : ce n'est pas d'hier que des gens sont venus nous y rejoindre. Mais la réinstallation de populations entières, voilà qui est une tout autre question.
En ce qui concerne la responsabilité du mouvement sioniste, je pense au premier chef au mythe incroyablement amplifié autour du mouvement "Pamyat". Quelques mois seulement après mon arrivée en URSS, j'ai écrit dans un journal étranger (il était en effet impossible de publier de telles choses en URSS) :
"Pour moi, Pamyat n'existe pas... Je m'explique : ses membres sont moins nombreux que ceux de l'association des partisans de la Terre plate ou que les abonnés à la philarmonie d'Afula, voire même de Little Rock. Ils existent d'autant moins que la publicité dont ils bénéficient s'étend à travers le monde entier - et que celle-ci est, bien entendu, totalement déchaînée. A peine un des  "partisans" de Pamyat se prononce-t-il contre l'antisémitisme ou les pogroms que la presse le passe aux oubliettes et s'oriente vers un autre "militant" plus véhément. C'est ce qui s'est produit avec Vassiliev, que j'ai interviewé l'été dernier : bien que l'on ne puisse reprocher non plus à ce dernier une affection débordante pour les enfants d'Israël, il est tombé dans l'oubli. Aujourd'hui, tout le monde écrit des pages et des pages au sujet de Süychev, dirigeant d'une autre fraction, plus active contre les Juifs.
Régulièrement des Juifs viennent me voir, à pied ou en voiture, pour me parler du mouvement "Pamyat" et des pogroms annoncés pour le 25 août, le cinq décembre, le trois mars, ou la semaine des quatres jeudis. C'est étrange : si on avait promis à ces gens le retour du communisme ou la réalisation de tous les objectifs fixés par le plan, ils n'y croiraient pas. Par contre, aux pogroms : ils y croient... Je les tranquillise, je leur certifie qu'il n'y aura pas de pogroms, puis le jour dit arrive, (il ne se passe rien) et ces Juifs sont terriblement désappointés.
Il n'y a aucune raison pour qu'il y ait des pogroms, je le dis carrément. Les Juifs travaillent dans le commerce et dans bien des secteurs, où s'affrontent les possédants et les gens indigents. Il en reste peu, la migration des Juifs à partir des provinces occidentales de la Russie est terminée depuis longtemps, le reflux des Juifs se poursuit. Toutefois, les rumeurs ont leurs fondements et qui les propage, suivant le principe "à qui profite le crime ?" Et cela sert les intérêts, au premier chefs, des initiateurs du départ et de ceux qui partent eux-mêmes, qui trouvent de cette manière un magnifique alibi pour s'en aller. On peut évoquer à ce sujet la vague de rumeurs en tout point semblables qui avait précédé les émigrations massives du Maroc et d'Irak, il y a quarante ans de cela : ces rumeurs avaient été propagées dans ces pays par les agents du Mossad, chose que les documents d'époque ont confirmée.
Mais il n'est pas exclu que ces rumeurs absurdes, fondées sur nulle réalité, ne puissent entraîner une modification de la réalité. S'il est possible d'instiller chez les gens des idées de pogroms, il est tout aussi possible de les en convaincre, la rumeur devenant ainsi une "prophétie se réalisant du fait même d'exister" (self fulfilling prophecy).
Ainsi, dans la pièce japonaise que je préfère, "Adatchigakhara", un ermite rencontre un monstre anthropophage, qui a pris les traits d'une vieille bonne femme. L'ermite indique à la vieillarde démoniaque le chemin de la vérité, et elle reprend son aspect originel, oublie sa nature première démoniaque et devient douée d'âme et honnête. Mais le serviteur de l'ermite la voit alors, qui connaît sa nature intrinsèquement démoniaque : il pousse un cri de terreur. Elle comprend immédiatement qu'elle est découverte et redevient un monstre effrayant. Il est possible que les Juifs de Russie commettent une grave erreur, en s'efforçant à faire en sorte de ne pas mettre le doigt sur le cannibalisme du loup garou dont ils croisent le chemin."
Et c'est ainsi que des gens qui fuyaient des pogroms imaginaires sont devenues des victimes. Ils sont à plaindre, mais tel est le prix à payer pour l'absence de scrupules moraux. Ils n'ont pas compris que Bakou et Fergana peuvent sembler des paradis, à côté de ce qui les attend. Pour l'instant, l'establishment israélien leur propose de se joindre au camp des progromtchiks (auteurs de pogroms, ndt), alors que depuis trois ans - et à dire vrai depuis, au total, quarante ans - Israël dirige un pogrom ininterrompu contre les Palestiniens. Mais les rôles, dans ce jeu-là, peuvent aussi changer, et ce jour-là, les bourreaux d'aujourd'hui auront beaucoup de mal à se faire passer pour des victimes innocentes.
Il est important, il est nécessaire de parler de l'amoralité de l'occupation, et à fortiori de la déportation. [...] Le poète russe Bulat Okudjava a eu assez de courage et de générosité pour exhorter la foule de ses auditeurs qui se pressaient dans un auditorium de Tel-Aviv, à "ne pas bâtir leur bonheur sur le malheur des autres."
N'oublions pas que les idées les plus délirantes du mouvement extrémiste "Pamyat" sont déjà mises en pratique en Israël, à l'égard des Palestiniens : elles comportent entre autres des quotas de population, les interdictions professionnelles, le blocus économique. Ainsi, récemment, le juge de la Cour Suprême d'Israël a ordonné l'interdiction de tout parti qui défendrait l'égalité des droits (authentique) entre Juifs et non-Juifs, car une telle égalité est attentatoire aux fondements d'Israël en tant qu'Etat juif.
Ce n'est certainement pas avec la satisfaction cruelle de celui qui se rengorge en assénant : "Nous vous l'avions pourtant dit..." que l'opposition de gauche israélienne voit ce qui se passe, mais bien le coeur lourd. En effet, des innocents perdent la vie. Mais la faute en incombe à ceux qui ont poussé le peuple juif dans cette impasse sanglante.
                                       
3. Le grand jeu par Uri Avnery
[traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]

9 février 2002 - Il y a quelques semaines, il s'est passé quelque chose de curieux : Israël a découvert que l'Iran était le Grand Satan. C'est arrivé très soudainement et n'a été précédé ni d'informations sensationnelles ni de nouvelle découverte. Comme si, sur l'ordre d'un sergent instructeur, l'ensemble de la droite politico-militaire israélienne avait changé d'orientation. Tous les politiciens, tous les généraux, tous les médias aux ordres, avec le renfort habituel des professeurs de service, - tous ont découvert du jour au lendemain que l'Iran était le véritable danger, immédiat et terrible.
Par une étonnante coïncidence, c'est arrivé exactement au moment où un navire supposé transporter des armes iraniennes pour Arafat était saisi. Et à Washington, Shimon Pérès, un homme pour toutes les saisons et serviteur de tous les maîtres, abordait tout diplomate passant par là et lui racontait des histoires à propos de milliers de missiles iraniens qui avaient été fournis au Hezbollah. Oui, oui, le Hezbollah (inscrit par le Président Bush sur la liste des " organisations terroristes ") reçoit des armes terribles de l'Iran (inscrit par le Président Bush dans " l'Axe du Mal ") pour menacer Israël, le chouchou du Congrès.
Cela est-il fou ? Pas du tout. Il y a une méthode dans cette folie.
C'est facile à expliquer. L'Amérique est toujours en rage après l'agression des Tours jumelles. Elle a remporté une victoire stupéfiante en Afghanistan, sacrifiant seulement un soldat américain. Maintenant elle se dresse, furieuse et ivre de sa victoire et ne sait pas où attaquer de nouveau. Irak ? Corée du Nord ? Somalie ? Soudan ?
Le Président Bush ne peut pas s'arrêter maintenant parce qu'une si énorme concentration de puissance ne peut pas rester inutilisée. D'autant plus que Ben Laden n'a pas été tué. La situation économique s'est détériorée, un scandale géant (Enron) secoue Washington. On ne peut pas laisser le peuple américain réfléchir là-dessus.
C'est alors qu'arrivent les responsables israéliens et les cris sur tous les toits : l'Iran est l'ennemi ! l'Iran doit être attaqué !
Qui a pris cette décision ? Quand ? Comment ? et, plus important, où ? Sûrement pas à Jérusalem, mais à Washington. Une partie importante de l'Administration des Etats-Unis a donné un signe à Israël : Lancez une offensive politique massive pour faire pression sur le Congrès, sur les médias et sur l'opinion publique américaine.
Qui sont ces gens ? Et quel est leur intérêt ? Une explication plus large est nécessaire.
La ressource la plus convoitée sur la Terre, ce sont les champs de pétrole géants dans la région de la Mer Caspienne, comparables en importance aux richesses de l'Arabie Séoudite. En 2010 on espère extraire 3,2 milliards de barils de pétrole brut par jour en plus des 4.850 milliards de pieds cubes de gaz naturel par an.
Les Etats-Unis sont déterminés : (a) à en prendre possession, (b) à éliminer tous les concurrents potentiels, (c) à protéger la zone politiquement et militairement et (d) ouvrir une route des champs de pétrole vers la mer.
Cette campagne est conduite par un groupe de gens du pétrole auquel la famille Bush appartient. Avec l'industrie de l'armement, ce groupe a obtenu que, aussi bien Bush senior que de Bush junior, soient élus. Le Président est une personne simple, son monde mental est peu profond et ses déclarations primitives, proches de la caricature comme dans un western de série B. Cela est bon pour les masses. Mais ceux qui l'influencent, eux, sont des gens très avertis. Ce sont eux qui dirigent l'Administration.
Le drame des Tours jumelles leur a rendu la tâche beaucoup plus facile. Ossama Ben Laden n'a pas réalisé que ses actions servent les intérêts américains. Si je croyais en la Théorie de la Conspiration, je penserais que Ben Laden est un agent américain. Comme ce n'est pas le cas, je ne peux que m'étonner de la coïncidence.
La " guerre au terrorisme " de Bush constitue un prétexte parfait pour la campagne planifiée par ses conseillers. Sous le couvert de cette guerre, l'Amérique a pris le contrôle total de trois petites nations musulmanes proches des réserves de pétrole : le Turkménistan, l'Ouzbékistan et le Kirghizstan. Toute la région est désormais totalement sous domination politico-militaire américaine. Tous les concurrents potentiels - y compris la Russie et la Chine - ont été évincés.
Pendant longtemps les Américains ont discuté entre eux sur la meilleure route pour transporter ce pétrole vers la mer. Les routes pouvant être sous influence russe ont été éliminées. Le XIXe siècle, qui a vu un combat à mort entre la Grande-Bretagne et la Russie, appelé alors le " Grand Jeu ", se poursuit entre l'Amérique et la Russie.
Jusqu'à récemment, la route occidentale, conduisant à la Mer Noire et à la Turquie, semblait plus pratique, mais les Américains n'y étaient pas très favorables, c'est le moins que l'on puisse dire. La Russie est beaucoup trop proche.
La meilleure route conduit au sud vers l'océan Indien. L'Iran n'était même pas pris en considération car gouvernée par des Islamistes fanatiques. Il reste donc la route alternative : de la mer Caspienne, à travers l'Afghanistan et la partie occidentale du Pakistan (appelée Béloutchistan) à l'océan Indien. C'est pourquoi les Américains ont, toujours très discrètement, poursuivi des négociations avec le régime des Talibans. Sans résultat. C'est alors que la " guerre au terrorisme " a débuté ; les Etats-Unis ont conquis tout l'Afghanistan et y ont installé leurs agents au gouvernement. Le dictateur pakistanais s'est également plié à la volonté américaine.
Si on regarde la carte des grandes bases américaines créées pour la guerre, on est frappé par le fait qu'elles suivent exactement la route du pipeline projeté vers l'océan Indien.
Cela aurait pu être la fin de l'histoire, mais l'appétit vient en mangeant. Les Américains ont tiré deux leçons de l'expérience afghane : (a) que tout pays peut être maté par des bombes sophistiquées sans mettre aucun soldat en danger, et (b) que par la puissance militaire et l'argent, l'Amérique peut installer des gouvernements à sa solde n'importe où.
Et ainsi une nouvelle idée est née à Washington : pourquoi poser un long pipeline autour de l'Iran (à travers le Turkménistan, l'Afghanistan et le Pakistan) si on peut poser un pipeline beaucoup plus court à travers l'Iran lui-même ? Il suffit d'éliminer le régime des Ayatollahs et d'installer un nouveau gouvernement pro-américain. Avant, cela semblait impossible. Maintenant, après l'épisode afghan, cela semble tout à fait faisable. Il suffit de préparer l'opinion publique américaine et d'obtenir l'accord du Congrès pour une attaque contre l'Iran.
Pour cela, les bons services d'Israël sont nécessaires. Il a une énorme influence sur le Congrès et sur les médias. Le scénario est le suivant : les généraux israéliens déclarent jour après jour que l'Iran produit des armes de destruction massive et menace l'Etat juif d'un second Holocauste. Sharon annonce que la capture du navire d'armes iranien prouve qu'Arafat est partie prenante de la conspiration iranienne. Pérès raconte à tout le monde que des missiles iraniens menacent le monde entier. Chaque jour tel ou tel journal raconte à ses lecteur que Ben Laden est en Iran ou avec le Hezbollah au Liban.
Le Président Bush sait comment récompenser ceux qui le servent bien. Sharon a obtenu carte blanche pour opprimer les Palestiniens, emprisonner Arafat, assassiner des militants et étendre les colonies. C'est un marché simple : vous m'obtenez l'appui du Congrès et des médias, je vous livre les Palestiniens sur un plateau.
Cela ne serait pas possible si l'Amérique avait encore besoin d'alliés en Europe et dans le monde arabe. Mais en Afghanistan, les Américains ont appris qu'ils n'ont plus besoin de personne. Ils peuvent cracher à la face des misérables régimes arabes qui sont toujours en train de mendier de l'argent et ignorer purement et simplement l'Europe. Qui a besoin des minables armées britannique et allemande alors que l'Amérique seule est plus puissante que toutes les armées du monde réunies ?
L'idée d'une coopération américano-israélienne contre l'Iran n'est pas nouvelle pour Sharon. Au contraire, en 1981, alors qu'il venait d'être nommé ministre de la Défense, il a proposé au Pentagone un plan audacieux : dans l'éventualité de la chute de Khomeiny, l'armée israélienne occuperait immédiatement l'Iran afin de supplanter l'Union soviétique. Les FID remettraient le pays aux Américains, tranquillement, quand ils arriveraient. Dans ce but, le Pentagone stockerait auparavant en Israël, sous contrôle américain, les armes les plus sophistiquées nécessaires à cette opération.
Le Pentagone n'a pas retenu l'idée à cette époque-là. Maintenant, le contexte étant différent, la coopération est en train de s'établir.
Quelles conclusions devrions-nous tirer de tout ceci ?
Tout d'abord, que nous serons sur la ligne de front de cette prochaine guerre. Au-delà des échanges d'imprécations entre les " deux chefs d'état-major perses " (la blague circule dans les cercles de commandement israéliens, faisant allusion au fait que Shaul Mofaz est né en Iran), une réaction iranienne à une attaque américaine pourrait nous atteindre gravement. Il y a des missiles. Il y a des armes chimiques et biologiques.
Ensuite, que ceux de nous qui désirent une paix israélo-palestinienne ne peuvent pas s'en remettre à l'Amérique. Dorénavant, tout dépend de nous seuls, les Israéliens et les Palestiniens.
Notre sang est plus précieux que le pétrole de la mer Caspienne. Du moins pour nous.
                                       
4. Un Conte de Deux Journaux - Châtrez-les ! par Israël Shamir (9 janvier 2002)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

"Châtrez-les !" : le vieux cri de guerre du Ku Klux Klan a repris du service dans l'Etat exclusiviste juif. L'un des plus importants quotidiens israéliens en langue russe, édité par un juif orthodoxe, a lancé hier un appel aux Juifs, leur demandant de castrer leurs prisonniers arabes. L'Etat d'Israël devrait mettre en oeuvre un programme de stérilisation massive de sa population arabe, écrit ainsi Marian Belenky, éditorialiste du Novosti Nedeli, dans un article intitulé "Ma proposition" et affublé du sous-titre : "Comment nous pouvons les forcer à s'en aller". "En gardant présente à l'esprit la mentalité arabe, les groupes de vigilance juifs pourraient obtenir des résultats considérables, sur le plan psychologique, en castrant les prisonniers arabes pris en flagrant délit. Cela causerait une grande panique dans la population arabe, chose qui ne pourrait qu'encourager les Arabes à libérer le plancher", écrit ainsi Belenky. "Nous pourrions stériliser les prisonniers arabes, ainsi que des personnes arrêtées en raison de leurs activités anti-israéliennes et de sabotage." Sans doute le Der Sturmer, organe officiel des nazis, aurait été moins direct. Mais cet appel est quelque chose de nouveau dans l'éthique juive israélienne. Feu le non-regretté "rabbin" Kahane lançait régulièrement des appels à stériliser les Arabes. Il y a quelques mois, des experts en vue - et beaucoup plus consensuels (universitaires, experts militaires, ...) -, réunis à Hertzliya, n'en avaient pas moins doctement disputé des "méthodes susceptibles de pallier à la menace démographique arabe" en des termes très approchants. Cela confirme, s'il en était besoin, la symétrie entre les nazis allemands et les suprématistes juifs : les uns et les autres représentent les deux grandes forces maléfiques (et concurrentes) du vingtième siècle. Seule différence entre elles : la seconde nommée est encore agissante.
Lorsqu'elle aura été vaincue, ce ne sont pas seulement les Palestiniens qui seront libérés, mais aussi les descendants des Juifs.
Il y a une certaine différence entre Novosti Nedeli et le New York Times, en matière tant de tirage que d'influence. Mais les deux publications servent la même cause et représentent la même menace. Ahmed Amr, un journaliste américain (non châtré) et éditorialiste de NileMedia, (sur Internet) a écrit un article indigné et passionné [voir ci-après] sur la dissimulation des crimes de Sharon. Ahmed Amr y fait référence à la sombre histoire de Qibya, un petit village palestinien dont les habitants, hommes, femmes et enfants, ont été massacrés par le Sonderkommando (Escadron de la mort, ndt) 101, dirigé par Sharon. Avec l'hypocrisie qui les caractérise, les autorités d'Israël avaient condamné le massacre et immédiatement promu ses perpétrateurs aux plus hautes fonctions. Le brillant Ahmed Amr nous rappelle que cela n'aurait pas été possible n'eût été l'assistance des médias suprématistes juifs aux Etats-Unis, au premier rang desquels le New York Times de Sulzberger. D'une manière quelque part illustrative de la démocratie américaine, Sulzberger possède, en tout et pour tout, 21 pour cent des capitaux de ce journal. Mais il détient 82 pour cent des droits de vote à son conseil d'administration, grâce à une structure du capital (totalement illégale, partout ailleurs dans le monde) qui lui permet de détenir, en réalité, les deux tiers des actions. Quand on voit à quelles fins ils emploient leurs avatages indus...
                                   
5. C'est Sulzberger qu'il faut mettre en examen pour les crimes de guerres perpétrés à Qibya par Ahmed Amrin
sur nilemedia.com (site internet d'information) du mardi 8 janvier 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Être le complice d'un criminel de guerre en série, aux Etats-Unis, voilà qui n'a rien de répréhensible. A moins que ce criminel de guerre ne s'appelle Oussama Ben Laden, Hitler ou Milosevic. En réalité, aider activement un criminel de guerre à se refaire une réputation n'y relève même pas des mauvaises manières. Dans ce qui représente pas moins que le scandale médiatique le plus inadmissible de l'histoire contemporaine du journalisme américain, un consortium de géants ultra puissants des médias, secondé par leurs équipes de journalistes et d'éditorialistes, a conspiré afin de blanchir méthodiquement le casier judiciaire du criminel de guerre Ariel Sharon. Les grands noms mouillés dans cette opération d'étouffement de la vérité prendront une place de choix dans les livres d'histoire en raison de l'ampleur inouïe de l'entreprise qu'ils ont mise sur pied, au service d'un unique bénéficiaire : une brute épaisse accusée à juste titre d'avoir personnellement massacré d'innocentes victimes, femmes et enfants compris.
L'un des principaux coordonnateurs de cette campagne visant à décaper Ariel Sharon est vraisemblablement le plus puissant magnat des médias dans le monde - un homme dont le nom est rarement cité aux informations. La plupart des Européens et des Américains ne reconnaîtraient pas sa bobine. Pourtant, on retrouve l'empreinte de cet homme dans moult actions politiques américaines qui affligent des millions d'êtres humains, du Japon à l'Argentine, et jusqu'au fin fond du plus petit village de Cisjordanie. Si vous le rencontriez dans quelque brillant raout de la jet-set, à Londres ou à Paris, son allure quelconque ne vous ferait aucune impression. Cependant, en son auguste présence, même les présidents américains se tiennent à carreau. Les "journalistes" de ce monsieur peuvent démolir à leur guise la carrière politique de n'importe quel sénateur américain qui s'aviserait de ne pas se garer du pas de leur criminel de guerre américain favori...
On aurait tendance à se dire qu'après tout cet Arthur Sulzberger, puisque c'est de lui qu'il s'agit, n'est encore qu'un de ces hommes de paille sans scrupules qui travaillent aux relations publiques d'Israël. Mais il s'agit d'un homme de paille particulièrement malfaisant, qui possède et dirige rien de moins que la New York Times Publishing Company... Lorsque ce despote intellectuel moralement handicapé donne des ordres afin qu'aucune mention de Qibya ne soit jamais faite dans son empire médiatique, le silence qu'il exige est imposé et respecté avec une sévérité digne de Staline. Si vous n'avez pas idée de ce que signifie le fait d'être compromis dans l'orchestration d'une campagne d'une telle envergure, prenez une minute de votre temps et utilisez un moteur de recherche, sur Internet. Connectez-vous à Google, et introduisez le mot-clé "Qibya". Vous trouverez une masse d'informations sur les crimes de guerre du vieil Arik. Il s'agit d'un massacre d'innocents tout aussi horrifiant que Mi Lai, Lidice ou No Gun Ri. Ensuite, faites une recherche avec les mots-clés "Thomas Friedman, Qibya". Notez combien de fois cet expert en "politique internationale" au New York Times a été sommé de s'intéresser au passé criminel de Sharon. L'histoire ne se résume pas au fait que le casier judiciaire de Sharon est laissé systématiquement au placard. Les hommes de main médiatiques de Sulzberger ont instruction de glorifier ce fou sanguinaire et d'en diffamer les victimes.
Certes, Sulzberger est à la tête de cette guerre du silence menée au profit d'un criminel de guerre multi-récidiviste. Mais il est loin d'en être le seul général en chef. Le monde médiatique américain est un panier de crabes incestueux où des Juifs ont le dernier mot : on y joue au monopoly avec de la fausse monnaie. Même Sulzberger n'aurait jamais pu poursuivre ce blitz médiatique contre la vérité et la décence s'il n'avait des complices dévoués au Washington Post, au Wall Street Journal, à Times/Warner/CNN, chez Fox, ABC, CBS et autre NBC. La conspiration de Qibya consiste en un mur de silence élevé au moyen de briques moulées dans un fumier qui a pour marques de fabrique William Safire, Thomas Friedman, Charles Krauthammer, Howard Fineman, Wolf Blitzer, Jeff Greenburg, Aaron Brown et autres Ted Koppel. La liste des participants descend jusque très bas dans les chaînes de commandement, jusqu'à pratiquement chaque "journaliste" dans chaque machine médiatique spécialiste ès embrouilles, qui produisent de la désinformation destinée à une sorte de marketing des massacres de masse "made in Israël".
Comme une meute de hyènes s'empressant autour d'Ariel Sharon afin de l'encourager à massacrer son quota quotidien de Palestiniens innocents, ces zélotes yiddish pratiquent dans la "Première Eglise d'Israël", où les prières du jour commencent par "Maudis les Palestiniens et donne-nous aujourd'hui notre morceau de leur terre quotidien". Il faut un certain niveau d'arrogance à un journaliste, pour être admis à rejoindre les brigades sanitaires d'Ariel Sharon. Chaque jour, ils prêtent leur voix et leur stylo à une action délibérée et intense toute entière tendue vers l'objectif : intimer l'ordre de la boucler quiconque oserait émettre des doutes sur l'intégrité de nos sages yiddish auto-proclamés.
A ce sujet, il convient de noter que pas une seule des principales organisations juives américaines n'a décliné l'invitation à se rallier à la cause du blanchissage de l'héritage sharonien. Cette remarquable brute israélienne a en effet un casier judiciaire assez long pour couvrir la distance entre Sabra et Chatila et Qibya ou Gaza. Mais oeuvrer aux relations publiques d'Israël est tâche courante dans nos usines à information. Il n'en demeure pas moins que faire le marketing de Sharon en le présentant comme "un homme pondéré auquel manque un partenaire de paix de bonne volonté" demande un niveau de motivation et une allocation de ressources tout-à-fait hors du commun. Une simple estimation du coût exorbitant de cette campagne publicitaire audacieuse donne le tournis.
Il faut rabattre leur caquet à ces handicapés de la vérité que sont Sulzberger et ses boys. Les phrases balancées et aisées sont pernicieuses lorsque l'objectif ultime est de dissimuler systématiquement des crimes de guerre facilement vérifiables. Mais que pourrait-on attendre d'autre de ce Quotidien du Bobard qu'est le New York Times ? Ils peuvent partir après Waldheim et orchestrer une campagne internationale contre un xénophobe tel l'Autrichien Hayder, qui, malgré ses innombrables défauts, n'a jamais commis un seul acte violent. Mais la simple présence de Hayder dans un gouvernement autrichien de coalition a suffi pour que Sulzberger exige la rupture des relations diplomatiques américaines avec l'Autriche. En accord avec le Washington Post, ils peuvent exiger d'un président américain qu'il cesse de mentir au peuple américain. Mais lorsqu'il s'agit d'un criminel de guerre israélien intouchable, ils s'inclinent respectueusement, comme des adolescents prolongés titillés par l'ambition.
Regardons les choses en face. L'équipe de Sulzberger a disposé de cinquante ans pour dénoncer les crimes commis par Sharon à Qibya. En près de vingt mille quotidiens publiés depuis le jour où ces crimes ont été perpétrés, ils ont veillé à ce que soit passé sous silence l'assassinat délibéré de soixante-six Palestiniens innocents dont les maisons ont été systématiquement dynamitées (avec eux à l'intérieur) par une horde de nervis israéliens aux ordres d'Ariel Sharon. 
Eût Sulzberger (ou son papa, avant lui) couvert l'histoire de Qibya, peut-être la nouvelle de la promotion de Sharon, par Begin, au rang de ministre de la défense aurait-elle suscité un scandale digne de "Hayder"? Peut-être les dizaines de milliers d'innocents qui ont perdu la vie durant le siège de Beyrouth et les massacres de Sabra et Chatila seraient-ils encore en vie, sains et saufs ?
Peut-être d'autres généraux israéliens auraient-ils pigé qu'assassiner des Palestiniens innocents n'est pas kascher. Peut-être la paix serait-elle déjà effective, si Sharon n'avait pas été autorisé à déclencher une énième orgie de mort et de destructions contre une population civile sans défense qui n'aspire qu'à se libérer de trente-quatre ans d'une répression impitoyable motivée par la volonté d'Israël de s'accaparer ses terres. Peut-être cet obstacle boudiné à la paix serait-il d'ores et déjà en train de croupir au fond d'une prison de La Haye, dans le box à côté de celui de Milosevic.
Peut-être les Américains n'auraient jamais eu à faire débarquer ses Marines à Beyrouth. Peut-être la lubie démente de Sharon consistant à enrôler Alexander Haig dans sa tentative de faire du Liban un état-client d'Israël n'aurait pas abouti à la mort de nombreux Marines dans la fleur de l'âge, en 1983. La liste interminable des "peut-être" nous amène à la Guerre du Golfe, aux atrocités du 11 septembre 2001 et à bien d'autres morceaux de choix de l'histoire criminelle moderne qui n'auraient sans doute pas eu lieu si des petites frappes juives à l'ethnocentrisme dément, tel Sulzberger, avaient eu des médecins traitants plus doués, qui leur eussent prescrit des pilules de vérité plus fortement dosées.
Hélas, cette meute cruelle d'aboyeurs des médias qui célèbrent chaque nouvel excès d'Israël est, au fil des jours, de plus en plus zélée, tapie qu'elle est dans l'obscurité impénétrable qu'elle s'est ingéniée à étendre durant cinq interminables décennies d'exactions israéliennes perpétrées contre le peuple originel de la Terre Sainte.
Sulzberger et la New York Times Publishing Company doivent répondre de la caution bornée qu'ils se sont employés à apporter obstinément à Sharon. S'il n'est pas possible de les assigner devant un tribunal civil ou criminel, qu'ils le soient devant celui de l'opinion publique. Pour être justes, les Levine de CNN/Time Warner et les Graham du Washington Post doivent, eux aussi, se voir réserver le même traitement - amplement mérité - que ces ordures. Tuer des civils innocents est abominable. Tout faire pour couvrir ces crimes n'est pas moins criminel.
Quelques bons signes commencent à émerger. Beaucoup de ces grossistes en bobards médiatiques sont sur la défensive. CNN diffuse des spots qui tentent d'effacer quelques-unes des taches qui commencent à s'inscruster dans leurs versions de "Thomas le menteur" que sont un Aaron Brown et un Wolf Blitzer. Brown, qui apprécie la compagnie d'hypocrites forcenés tel un Daniel Pipes, s'est vu contraint de lancer des appels publics véhiculant des choses aussi curieuses que "ce que les téléspectateurs attendent de moi, c'est que je sois précis et honnête." Encore une chose que vous devez absolument savoir : Sulzberger a acheté des temps d'antenne à des heures de grande écoute, pour nous asséner que "ce que les lecteurs attendent de lui, ce sont des informations publiables". Les Américains étant de plus en plus au courant des hauts faits de Sharon à Qibya, ils devront apprendre à en rabattre sur leurs attentes vis-à-vis tant du New York Times que de CNN. Et ils seront forcés de constater que ces trusts médiatiques corrompus décevront toujours leurs attentes minimales.
En tant qu'Américains, nous ne saurions nous contenter de geindre au sujet des commandos de Sharon au New York Times et à CNN. Pensez seulement à un seul enfant innocent, assassiné de sang froid par Sharon à Qibya, à Beyrouth, à Sabra et à Chatila ou, pas plus tôt que la semaine dernière, à Gaza, ou à Bethlehem. Puis faites ce qu'il sied de faire afin d'honorer le souvenir de cette âme innocente. Chaque fois que vous entendrez les noms de Sulzberger, de Friedman, de Graham ou de Murdoch, rappelez-vous qu'ils ont oeuvré tout à la fois à en éradiquer la mémoire et à en honorer l'assassin.
On ne saurait contenter de mépriser les scélérats que sont Sulzberger ou Thomas Friedman. Le scandale médiatique autour de Qibya n'est pas un mensonge ou un omission comme il y en a tant. C'est une symphonie de bobards orchestrée et dirigée par des partisans zélés d'Ariel Sharon. Le New York Times, le Washington Post et CNN ne se sont pas contenté de laver les mains sanglantes de Sharon. Ils ont renouvelé à Sharon son permis de conduire sa violente et vile carrière. Aussi devons-nous faire un petit peu plus que simplement montrer notre dédain aux potentats de nos mass medias.
Nous devons agir sans relâche afin d'amoindrir leur emprise sur l'arène publique. Trouver des moyens créatifs permettant de défier et de ruiner leurs monopoles médiatiques souillés de sang. Mettez au jour les mensonges qu'ils vous assènent et faites tout ce que vous pouvez afin de répandre la vérité. Un grain de vérité peut détruire une moisson entière de mensonges. Donnons à ces dégénérés une coûteuse leçon ; qu'ils voient ce qu'il en coûte, en réalité, de soutenir un criminel en série contre l'humanité de l'acabit de Sharon.
Voici ce que je propose, modestement : faire du complot médiatique autour de l'affaire "Sharon/Qibya" le legs le plus durable de Sulzberger. Lorsque nous en aurons fini avec ce dégueulis d'éditeur vermoulu, la seule chose que ses enfants sauront de leur papa sera qu'il a couvert pendant cinquante ans le bousillage d'enfants innocents. C'est en effet ce que continue à faire Sulzberger sept jours sur sept. Il est tout-à-fait normal qu'un enfant sache en quoi consiste le travail de son papa, au bureau. En particulier si celui-ci se prend pour un cabinet de l'ombre à lui tout seul. Il n'y a pas d'autre moyen, si l'on veut épargner à ces gamins de devenir comme papa, plus tard, en grandissant.
                                                   
Revue de presse

                                               
1. Terrorisme, mode d'emploi par Marwan Bishara
in le Figaro du lundi 11 février 2002

(Marwan Bishara est un écrivain et journaliste palestinien.)
On ne naît pas terroriste, on le devient. L'attaque suicide de la jeune Wafa Idriss, à la fin janvier, soulève à nouveau la question : comment fabrique-t-on un ou une kamikaze palestinien (ne) ?
La recette est simple : vous mélangez quelques onces de chair, de sang et d'os, vous saupoudrez d'un soupçon de promesse d'une vie décente. A partir de là, vous lui cassez le moral et le (la) mettez dans le désespoir total tout en distillant régulièrement des doses concentrées de morale et de racisme. Vous remuez bien le tout, vous couvrez et vous laissez mariner loin de la lumière. Enfin, vous faites bouillir dans la chaleur cuisante de l'humiliation de l'occupation. Et voilà !
Maintenant, ils sont prêts à mourir. Ils peuvent sortir et commettre des actes désespérés de leur propre initiative ou être recrutés par la résistance locale. Pire, ils peuvent devenir la proie de l'endoctrinement des fanatiques du voisinage et s'enrôler pour devenir les prochains martyrs.
Au cours de ces derniers mois, Israël a exigé de l'Autorité palestinienne qu'elle arrête « la chaîne de production des terroristes ». Mais où cette chaîne commence-t-elle ? Pour Israël, elle commence quand les terroristes sont prêts à mourir. Pour les Palestiniens, elle commence quand ils ont perdu l'espoir. Ensuite, c'est juste une question de temps et de hasard.
Il y a quelques jours, la chaîne de production du terrorisme fonctionnait à plein régime. Les militaires israéliens détruisaient au bulldozer des dizaines d'habitations dans le camp de réfugiés de Rafah dans la bande de Gaza, probablement en représailles à l'attaque par deux Palestiniens d'un poste militaire. Ces démolitions ont augmenté le nombre de familles palestiniennes sans abri : 92 familles de plus, c'est-à-dire quelques centaines d'enfants palestiniens dans la rue, selon les associations israéliennes pour les droits de l'homme. Des chiffres seulement, pas de nom, pas de visage, pas de drame.
Le lendemain, le ministre de la Défense israélien, Ben Eleizer, déclarait à une délégation japonaise qu'Israël devait tout faire pour soulager la souffrance de l'ensemble de la population palestinienne. Il faut savoir pourtant que, déplacer un réfugié, c'est comme le tuer une seconde fois. Depuis la semaine dernière, ces enfants, ces sans-toit, ces sans-école, sont prêts pour la prochaine phase : se battre pour leur « chez eux ». Ils pourront rejoindre soit les structures laïques des organisations palestiniennes, le Fatah d'Arafat ou At Tanzim, soit les mouvements intégristes du Hamas ou du Djihad qu'Israël et jusqu'à un certain point les Etats-Unis définissent comme « terroristes ».
Pour Sharon, l'Autorité palestinienne n'est pas différente des talibans, puisqu'elle « héberge des terroristes ». Implacablement, il exploite « la guerre des Etats-Unis contre le terrorisme » pour mener sa guerre contre l'Autorité palestinienne, la considérant comme « infectée » par le terrorisme. Détruire l'ennemi, ainsi défini comme une forme de maladie contagieuse, signifie tuer tous ceux qui sont suspectés de terrorisme, leurs alliés, leurs amis, tous ceux qui les soutiennent et soutiennent leur cause.
En fait, le leadership d'Arafat ­ à l'inverse de celui des talibans ­ représente les segments les plus libéraux de la société palestinienne, ceux qui sont le plus favorables à la coexistence. Arafat a, depuis des années, pris des mesures de répression très sévères contre le Hamas, limitant ses activités et emprisonnant ses leaders. Mais la permanence et la violence de l'occupation n'ont fait que renforcer la détermination du Hamas et accroître ses recrues. La destitution d'Arafat ne fera que renforcer les mouvements religieux intégristes. Et tant qu'il ne pourra pas soustraire sa population aux violences de l'occupation, recevoir des instructions d'Israël ne serait pas autre chose que collaborer.
Heureusement, Arafat n'est pas un collaborateur. C'est en cela qu'il est un leader capable de signer un compromis avec Israël pouvant conduire à une réconciliation historique et à la paix. Le discréditer et l'affaiblir ne peuvent mener qu'à davantage d'instabilité et de violence. Arafat est d'accord pour la solution de deux Etats, fondée sur les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Mais Sharon est d'accord pour quoi ? L'occupation, la colonisation, les massacres ? Pour les Palestiniens, Sharon est un autre Milosevic. En 2000, Shimon Pérès avait donné l'alerte : élire Sharon, c'était produire un autre Milosevic !
Aujourd'hui, un nombre croissant de membres du gouvernement Sharon parlent ouvertement de transférer les Palestiniens de l'autre côté des frontières. Déjà 150 000 Palestiniens, soit 10 % de la population de Cisjordanie, ont quitté les territoires occupés. Si Yasser n'a rien de commun avec le mollah Omar des talibans, Ariel est beaucoup plus intelligent que Slobodan. Il n'ira pas jusqu'à pratiquer un nettoyage ethnique de type bosniaque mais la détérioration persistante de la situation aura les mêmes répercussions tragiques sur la région.
C'est l'occupation qui est le moteur de la haine, de l'appauvrissement et de l'humiliation. Elle est la pire ennemie d'Israël. La résistance palestinienne à cette occupation se poursuivra sans aucun doute jusqu'à ce que toutes les forces israéliennes se soient retirées. On dit que le terrorisme est l'arme des faibles. Cela n'est pas vrai. La meilleure arme des faibles, c'est la légalité internationale et la justice.
L'ex-premier ministre Ehud Barak, le général israélien le plus décoré, a déclaré un jour que, s'il était né Palestinien, il aurait été un « terroriste ». Heureusement, la majorité des jeunes Palestiniens cherchent à vivre et non pas à se suicider. C'est seulement en renforçant leur espoir d'une vie décente que nous pourrons surmonter la culture de la haine et de la mort.
                                           
2. Iran : le retour du temps des diatribes par Mouna Naïm
in Le Monde du mardi 12 février 2002

On se croirait revenu des années en arrière, au temps où, dans les années 1990, l'Iran était accusé, notamment par les Etats-Unis de chercher à se doter de l'arme nucléaire et de menacer ses voisins ; au temps où les relations entre la Grande-Bretagne et la République islamique connaissaient de vives tensions ; au temps où les diatribes officielles antiaméricaines étaient un lot quasi quotidien à Téhéran.
La CIA soupçonnait alors l'Iran d'être sur le point d'acquérir l'arme nucléaire dans des délais assez courts - les estimations variaient alors entre trois et cinq ans. Les Etats-Unis, qui voulaient contenir l'Iran et l'Irak dans un "double endiguement"avaient, entre autres, interdit à leurs propres sociétés pétrolières de traiter avec Téhéran - au grand dam des intéressées qui voyaient filer les contrats au profit des Européens. Les sanctions furent ensuite étendues aux sociétés étrangères, menacées, en cas de participation à l'industrie pétrolière iranienne, d'interdiction de territoire américain - c'est la loi dite D'Amato. Et, dans les prêches du vendredi, les responsables iraniens se succédaient à la tribune pour vouer les Etats-Unis et Israël aux gémonies. Quant à la Grande-Bretagne, elle n'était représentée à Téhéran que par un chargé d'affaires, à cause de la fatwa condamnant à mort l'écrivain britannique Salman Rushdie ; fatwa qui polluait par ailleurs l'ensemble des relations irano-européennes.
Depuis quelques années, singulièrement depuis l'accession en 1997 du réformateur Mohammad Khatami à la présidence de la République iranienne, ces tensions s'étaient apaisées, à défaut d'être dissipées, une certaine méfiance réciproque étant toujours de mise, que les conflits factionnels à l'intérieur même de l'Iran ont contribué à entretenir. L'affaire afghane semble avoir réveillé les contentieux. L'Iran est en effet désormais accusé de jouer les trouble-fête dans l'Afghanistan post-taliban, de chercher à se doter de l'arme nucléaire et d'armements biologiques et chimiques, d'aider le Hezbollah libanais, de participer à un trafic d'armes à destination de la Palestine, bref, de faire partie de cet "axe du mal" qui inclut également, aux yeux du président George W. Bush, l'Irak et la Corée du Nord. 
Ces accusations émanent des Etats-Unis et d'Israël, et, au moins pour ce qui concerne de présumées turbulences en Afghanistan, certains pays européens ne lavent pas Téhéran de tout soupçon.
TENSIONS AVEC LONDRES
Côté britannique, les tensions ont recommencé à propos de la nomination d'un nouvel ambassadeur de Sa Gracieuse Majesté en Iran. Téhéran ayant refusé l'accréditation du diplomate David Reddaway, choisi par Londres pour le représenter, le Foreign Office n'a pas hésité à porter l'affaire sur la place publique et à annoncer qu'il était hors de question d'en proposer un autre. La Grande-Bretagne sera donc à nouveau représentée par un chargé d'affaires et, par mesure de réciprocité, l'ambassadeur d'Iran en Grande-Bretagne n'aura accès désormais qu'à un fonctionnaire de deuxième rang au ministère des affaires étrangères. Le gouvernement iranien s'est dit indigné de cette manière de procéder, contraire, selon lui, aux règles internationales, qui autorisent un pays à refuser l'accréditation d'un diplomate. Téhéran semble considérer que Londres a saisi cette affaire comme un prétexte pour mettre ses pas dans ceux de Washington.
Pourtant, il y a quelques jours encore, le gouvernement britannique avait pris ses distances par rapport à la théorie de "l'axe du mal"tracée par l'administration américaine et estimé qu'elle encourageait les tenants d'une ligne dure en République islamique, alors même qu'il fallait au contraire continuer d'encourager les partisans d'une ouverture et d'une libéralisation, si modestes soient-elles. Et, au début de la crise afghane, lorsque Téhéran et les pays occidentaux s'étaient retrouvés sur une même ligne antitalibane, les dirigeants britanniques n'avaient pas manqué de s'en féliciter. Le secrétaire au Foreign Office, Jack Straw, avait effectué une visite à Téhéran, et le premier ministre britannique, Tony Blair, avait eu plusieurs contacts téléphoniques avec le président Khatami. Depuis 1999, les relations entre les deux pays s'étaient normalisées, après que Téhéran se fut engagé à ne pas faire exécuter la fatwa par laquelle dix ans plus tôt, le père de la République islamique, l'ayatollah Rouhollah Khomeiny, avait condamné à mort l'auteur des Versets sataniques, jugés diffamatoires pour l'Islam.
Qu'ils soient réformateurs ou conservateurs - selon la classification désormais convenue pour désigner les deux factions adverses à Téhéran -, les responsables iraniens se sont relayés pour démentir les soupçons et accusations portés contre leur pays. Certains, tel le Guide de la République, c'est-à-dire son autorité suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, figure de proue de l'aile conservatrice, n'ont pas hésité à brandir des menaces : une éventuelle attaque contre l'Iran ne sera pas une promenade de santé pour ses auteurs, a-t-il prévenu en substance, qualifiant "le régime" américain d'"arrogant" d'"hypocrite" et d'"inhumain". Les Iraniens ont, par ailleurs, été invités à manifester leur unité et à exprimer leur rejet des accusations "américano-sio- nistes" le 11 février, date anniversaire de la proclamation de la République islamique.
Dans une démarche plus rationnelle, une délégation du Parlement iranien, à majorité réformatrice, ne s'en est pas moins rendue récemment sur la frontière avec le Pakistan et l'Afghanistan pour "vérifier sur place les allégations américaines au sujet de l'entrée de membres d'Al-Qaida en Iran", selon l'un de ses membres, Meissam Saidi, membre de la commission de la sécurité nationale du Parlement. D'après lui, "l'enquête a démontré que certains pays et services secrets étrangers chercheraient à faire transiter" par l'Iran des talibans et des membres d'Al-Qaida. "Nos services secrets sont au courant et ont réussi à arrêter jusqu'à présent plusieurs personnes qui s'étaient infiltrées en Iran", a-t-il ajouté sans identifier les pays et services secrets auxquels il faisait allusion. "La mission d'enquête a examiné de près les problèmes de sécurité dans les zones frontalières" et va remettre ses conclusions au Parlement. Le ministre des renseignements, Ali Younessi, avait rejeté jeudi les accusations américaines sur la présence de membres d'Al-Qaida en Iran, demandant au Pakistan de mieux contrôler "les frontières communes". Déclarations qui semblent autant de doigts accusateurs pointés vers le voisin pakistanais.
                                       
3. Nabil Chaath demande à l'Europe d'agir par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du vendredi 8 février 2002
Proche-Orient. Le conflit marqué par un nouvel attentat palestinien et des représailles israéliennes est au menu du Conseil de l'Union européenne.
En visite à Paris où il a eu des entretiens avec le ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine, Nabil Chaath, ministre de la Coopération internationale de l'Autorité palestinienne, disait mercredi devant des journalistes sa crainte de voir un nouvel attentat peser sur le résultat des discussions qu'ont eues jeudi à Washington George W. Bush et Ariel Sharon, le premier ministre israélien. Ce dernier a essayé de convaincre le président américain que Yasser Arafat fait partie de " l'axe du mal " et soutient le terrorisme. Comme le craignait Nabil Chaath, il n'a pas manqué de le répéter, dans l'avion qui l'emmenait à Washington, à la nouvelle de l'attaque menée mercredi soir contre la colonie juive de Hamra, dans la vallée du Jourdain, qui a fait trois morts israéliens : un soldat, une femme colon et sa fille de onze ans. " Une fois encore, Arafat est responsable ", a-t-il dit.
L'attaque, revendiquée hier auprès de la télévision du Hezbollah au Liban par la branche armée du Hamas, a été menée par un Palestinien vêtu d'un uniforme israélien et armé d'un fusil M-16. Il a été abattu par une unité de l'armée israélienne. Quelques heures plus tard, des F-16 israéliens ont bombardé les bureaux du gouverneur palestinien de Naplouse, en Cisjordanie, faisant cinq blessés palestiniens. Pourquoi Naplouse ? Sans doute parce que quelques heures plutôt l'armée israélienne avait découvert dans cette région des roquettes de fabrication artisanale dans une camionnette transportant des légumes. Dans la matinée, un autre Palestinien transportant des explosifs avait été arrêté dans un bus près de Jérusalem, et dans le sud de la bande de Gaza, un jeune Palestinien de treize ans avait été mortellement blessé par des tirs israéliens.
Ces nouveaux incidents portent à 1 184 le nombre de morts depuis le début de l'Intifada, dont 908 Palestiniens et 254 Israéliens. Ils montrent une fois encore, comme le soulignait Nabil Chaath, l'urgence d'une mobilisation de la communauté internationale pour imposer le seul chemin qui puisse conduire à la paix : la négociation. Aussi a-t-il dit apprécier les " nouvelles idées " françaises qui consistent à organiser des élections dans les territoires palestiniens pour confirmer ou non la légitimité de la direction palestinienne, mise en cause par Ariel Sharon, et de proclamer dès maintenant un Etat palestinien indépendant avant la reprise de négociations de paix sous égide internationale.
Tout en estimant que " des précisions sont nécessaires en ce qui concerne les frontières de l'Etat palestinien et les conditions dans lesquelles se dérouleraient les élections ", Nabil Chaath a souligné qu'elles avaient le mérite de " replacer le conflit sur le terrain de la politique et du droit ", et de réintroduire la communauté internationale dans la recherche d'une solution. Il a espéré que l'Union européenne se saisirait de ces idées, mais aussi des idées allemandes (organisation d'un référendum) et italienne (réunion d'une conférence internationale) pour " lancer une initiative forte ".
Le Proche-Orient figure en bonne place au menu du sommet des ministres des Affaires étrangères de l'UE, vendredi et samedi à Caceres (Espagne). L'UE devrait y réaffirmer son désaccord avec la politique israélienne, soutenue par Washington, d'isolement de Yasser Arafat et de destruction de l'Autorité palestinienne. Elle devrait aussi arrêter une position commune sur les récents avertissements de George W. Bush à l'Irak, l'Iran et la Corée du Nord, " attitude que nous ne partageons pas ", a déclaré hier la présidence espagnole.
                               
4. Bouclage - Arafat en son réduit par Sophie Claudet
in L'Express du jeudi 7 février 2002
Des fenêtres du réduit où il est confiné à Ramallah, depuis deux mois, par Ariel Sharon, Yasser Arafat aperçoit les blindés israéliens, qui montent la garde à moins de 100 mètres de là. Isolé du reste du monde et de Gaza, où il avait élu domicile depuis 1994, le vieux chef palestinien, s'il est amer, ne semble pourtant pas trop troublé par sa nouvelle vie. C'est que, comme un de ses très proches conseillers et ami de longue date le souligne: «Arafat a connu pis, à Beyrouth notamment. Le grand poète palestinien Mahmoud Darwich a justement remarqué qu'Arafat, lorsqu'il était assiégé à Tripoli en 1983, s'épanouissait en temps de crise.» Arafat, assure ce conseiller, «ressent ce siège différemment. Lorsqu'il fut expulsé du Liban, il ne savait pas où il irait ensuite. Aujourd'hui, il est chez lui, en Palestine». Puis il rapporte cette confidence récente d'Arafat: «Si Beyrouth avait été une ville palestinienne, je n'en serais jamais parti. De Palestine, jamais je ne partirai!»
Jamais la situation d'Arafat et celle de son peuple ne sont apparues aussi désespérées
Le QG où Arafat est encerclé à Ramallah (Mouqata'a en arabe) fut construit dans les années 1930 pour accueillir un commandant des forces britanniques. Il fut ensuite investi par les Jordaniens, jusqu'à ce qu'Israël occupe les territoires palestiniens en 1967. Le commandant militaire de Ramallah y habita avant que Tsahal se retire de la ville, en 1995. De l'extérieur, le Mouqata'a n'a rien d'avenant. La façade est grise et une partie des murs n'est toujours pas enduite. C'est là que sont stationnés les services de la Sécurité nationale. La prison, construite sous le mandat britannique, est encore utilisée. On y trouve enfin une piste d'atterrissage pour les hélicoptères d'Arafat. Mais ces derniers ont été détruits par Israël lors d'un raid sur Gaza, au début décembre, en représailles à des attentats suicides palestiniens. La partie ouest du complexe est plus accueillante, elle abrite les quartiers d'Arafat, les bureaux du gouverneur de Ramallah et le ministère de l'Intérieur. «Lorsque nous nous réunissons en comité restreint, Arafat nous reçoit dans un petit salon, très sobre par rapport à celui de Gaza, où il a accumulé ses souvenirs», précise un diplomate européen. Dans son bureau de Ramallah décoré d'une grande photo de l'esplanade des Mosquées, à Jérusalem, la place est comptée et seuls quelques objets kitsch sont entassés au sommet d'une armoire. Faute de pouvoir se déplacer, Yasser Arafat multiplie les coups de téléphone à sa famille, que ce soit à ses frères et soeurs à Gaza et au Caire ou à sa femme, Suha, qui l'appelle régulièrement de Paris.
Au travail jusqu'à l'aurore
Sa routine quotidienne n'a pas changé. Il se lève à 8 h 30, lit le journal puis prend son petit déjeuner à 9 heures avec ses conseillers. Sa chambre à coucher jouxte son bureau. A 9 h 30, il y lit différents rapports, surtout sur des questions sécuritaires. Des extraits de la presse arabe et internationale lui sont faxés de Gaza, où une équipe suit en permanence les informations à la télévision. Le reste de la longue journée d'Arafat est ponctué de visites: Palestiniens et étrangers se succèdent, surtout depuis le 16 décembre. Mais aussi des délégations politiques, de syndicats professionnels, d'Arabes israéliens, de femmes, d'hommes et d'enfants palestiniens... Arafat déjeune vers 13 heures, rarement seul. Son conseiller précise: «Si vous voulez conquérir Arafat, il faut lui offrir des marrons glacés, qu'il a découverts quand il était à Tunis, ou son dessert préféré, Oum Ali, une pâtisserie égyptienne qui lui rappelle son enfance... des spécialités introuvables à Ramallah!» Arafat fait la sieste de 14 h 30 à 16 h 30, puis reçoit de nouveaux visiteurs et participe à d'autres réunions au Mouqata'a ou, plus rarement, à l'extérieur, sans jamais quitter Ramallah, où Tsahal le retient. Puis, comme à son habitude, le vieux chef palestinien travaille, souvent jusqu'à l'aurore, notamment les nuits de bombardements. «Arafat est très en forme, comme si ce siège l'avait revigoré», assure ce diplomate européen néanmoins fort inquiet de voir le chef de l'Autorité palestinienne peu à peu lâché par les Etats-Unis. Car si le «vieux renard», aujourd'hui traqué à Ramallah, n'a apparemment pas perdu le moral, jamais sa situation et celle de son peuple ne sont apparues aussi désespérées.
                                       
5. Arabes israéliens, Palestiniens d'Israël par Gilles Paris
in Le Monde du dimanche 10 février 2002
Représentant déjà 20 % de la population, la minorité arabe est toujours discriminée. Elle affirme de plus en plus son indépendance.
La fracture n'a pas été réduite. Entre la majorité juive et les Arabes, chrétiens et musulmans, israéliens, l'heure est désormais à la méfiance.     
Dans les premiers jours de la deuxième Intifada, en octobre 2000, des manifestations de solidarité avec les Palestiniens des territoires avaient été brutalement réprimées par les services de sécurité. Treize Arabes israéliens avaient été abattus par les forces de sécurité à Oum Al-Fahm et à Nazareth, bastions de cette communauté. Une tragédie sans précédent, plus grave que la Journée de la terre, en 1976, organisée en protestation contre des expropriations en Galilée, qui avait fait huit morts. Pendant quelques jours, cette violence avait brusquement gommé la "ligne verte" séparant Israël des territoires palestiniens.
Les Arabes israéliens, ou les Palestiniens d'Israël, représentent déjà 20 % de la population de l'Etat, et leur taux de croissance démographique est nettement supérieur à la moyenne nationale. Elle s'accompagne depuis quelques années d'une prise d'indépendance politique. Longtemps clients captifs de la gauche travailliste, les Arabes israéliens ont pris pour la première fois leurs distances en février 2001, en s'abstenant massivement au cours de l'élection qui a vu le triomphe d'Ariel Sharon. Son concurrent travailliste, Ehoud Barak, n'aurait sans doute pas gagné avec les voix arabes, mais, sans elles, il était assuré de perdre.
Le tiraillement entre les origines communes avec les Palestiniens des territoires et le choix de rester citoyens d'Israël n'est pas nouveau. La discrimination avérée dont les Arabes israéliens sont les victimes en matière d'équipement, d'emploi ou d'éducation l'a toujours alimenté. Après la crise d'octobre 2000, la volonté d'apaisement exprimée par les responsables arabes du Haut Comité - l'interlocuteur principal des autorités israéliennes - a rapidement attesté de leur désir de ne pas remettre en cause le cadre existant. La création d'une commission d'enquête, toujours à l'œuvre, a témoigné également d'une prise relative de conscience des autorités israéliennes.
Le calme, de fait, est revenu, en dépit de l'aggravation de la situation en Cisjordanie et à Gaza. Mais les regards réciproques ont changé. Le rassemblement annuel du Mouvement islamique - que dirige Raed Salah à Oum Al-Fahm -, en septembre, a ainsi suscité des interrogations alarmistes dans la presse israélienne sur l'inéluctabilité d'un fondamentalisme qui serait le pendant du Mouvement de la résistance islamique (Hamas) palestinien. Le 9 septembre 2001, il est vrai, le premier attentat-suicide jamais perpétré par un Arabe israélien avait causé la mort de trois personnes à Nahariya.
Quant aux députés représentant la minorité arabe à la Knesset, ils mènent une incessante guérilla verbale, à l'image d'Azmi Bishara. Ce professeur de philosophie formé en Allemagne de l'Est, réputé pour sa virtuosité oratoire et son agilité intellectuelle, a longtemps été la coqueluche des médias israéliens. Il s'était porté candidat en 1999 au poste de premier ministre avant de se retirer au profit d'Ehoud Barak. Mis en cause par le procureur général de l'Etat pour des discours prononcés en Syrie et à Oum Al-Fahm, dans lesquels il célébrait la résistance des Palestiniens occupés, Azmi Bichara a été privé de son immunité parlementaire et renvoyé devant un tribunal. Son procès, qui se tiendra à la fin du mois de février, devrait lui donner l'occasion d'instruire celui de la discrimination tolérée par Israël. Il fera écho à l'analyse de l'universitaire Ilan Pappé selon laquelle les Arabes israéliens "s'israéliseraient" d'autant plus facilement si Israël, au lieu de se "judaïser", faisait de même.
                                       
6. Le silence coupable du monde arabe par Majed Nehmé
in Le Nouvel Afrique-Asie du mois de février 2002
Pourquoi ce silence assourdissant du monde arabe et islamique devant la tuerie en cours dans les territoires palestiniens occupés ? Depuis le 11 septembre 2001 et le début de l'opération "Liberté infinie", la plupart des dirigeants du Proche-Orient, tétanisés par les Etats-Unis, paniqués à l'idée d'être remplacés par leur protecteur et bienfaiteur, ne lèvent plus le petit doigt pour contrer le terrorisme d'Etat dont sont victimes les Palestiniens et leur dirigeant démocratiquement élu, Yasser Arafat.
Ces dirigeants, qui ne veulent rien voir, rien entendre, rien dire, sont de deux catégories. Il y a d'abord ceux qui souhaitent cyniquement l'élimination d'Arafat, en qui ils voient un obstacle qui gênerait leur stratégie régionale. C'est le cas de la Syrie, soutenue en sous-main par l'Iran, pris la main dans le sac dans l'affaire du bateau chargé d'armes, arraisonné par Israël en pleine mer, à 500 km des côtes israéliennes. Un acte de piraterie caractérisée que le gouvernement Sharon avait mis à profit pour essayer d'accabler l'Autorité palestinienne alors que tous les indices confondent l'Iran et le Hezbollah libanais. De même, et pendant que les chars israéliens stationnaient à quelques mètres du siège d'Arafat, les organisations palestiniennes aux ordres de Damas, vouaient, depuis la capitale syrienne, le leader palestinien aux pires gémonies.
Il y a aussi ceux qui adoptent un profil bas, très bas, pour ne pas importuner les Etats-Unis. Ils refusent de prêter secours, autre que verbal, aux Palestiniens en opérant un retrait du processus de paix, comme c'est le cas de l'Egypte, de la Jordanie et des monarchies du Golfe. C'est dans ce climat que le prochain sommet arabe prévu à Beyrouth le mois prochain se prépare. Parions dès maintenant que s'il a lieu, il accouchera d'une souris. Au pire, il va donner l'occasion d'un étalage indécent sur la scène publique des contradictions interarabes. Au mieux, il se soldera par une déclaration de principes propalestinienne pour couvrir une politique d'abandon et de lâcheté sans principes.
Reste qu'en s'en remettant, mains et poings liés, au seul parrain américain et en assistant en observateurs désarçonnés, sinon complices, à la tuerie qui se déroule au su et au vu du monde entier, les dirigeants arabes auront à rendre des comptes. Le calme apparent qui règne dans le monde arabe est trompeur. Il faut se méfier de l'eau qui dort. Le monde arabe n'a jamais été aussi profondément travaillé par les forces de la contestation et de la révolte. La tragédie palestinienne est appelée, en l'absence d'une réaction rapide de la communauté internationale pour mettre fin à cette injustice, à y jouer le rôle de déclencheur. Cette politique de non assistance à peuple en danger n'élude en rien la culpabilité israélienne.
Comment un pays qui ne cesse de se vanter d'être "la seule démocratie au Moyen-Orient" a-t-il pu faire ce choix suicidaire ? Pourquoi le 6 février 2001, les électeurs israéliens ont-ils sanctionné le piètre bilan du général Barak en s'auto-infligeant un autre général, Sharon, adepte de la politique du pire, de la terre brûlée, en tout cas l'homme qui, à partir de sa visite provocatrice sur l'Esplanade des mosquées à Jérusalem, a propulsé son pays et la région toute entière dans une véritable fuite en avant dans la folie !? Ils avaient cru - et croient toujours si l'on se fie aux derniers sondages d'opinion israéliens effectués à la veille de la célébration du premier anniversaire de son élection - à l'homme providentiel qui à la fois les débarrasserait des Palestiniens et leur donnerait la sécurité et la paix. Son programme n'est pas sans rappeler l'idéologie et la politique du tristement célèbre sioniste révisionniste Vladimir Jabotinsky qui, bien avant la création de l'Etat d'Israël en 1948, optait pour l'expulsion des Palestiniens de leur terre natale par tous les moyens.
Certes, le mythe du Grand Israël cher à ce révisionniste a vécu. Il n'en reste pas moins que ses nostalgiques disciples dont Sharon lui-même continuent à s'accrocher à l'illusion que la seule méthode qui vaille pour imposer aux Arabes un accord de paix, synonyme de capitulation, c'est la force brutale. C'est cette méthode qu'on voit aujourd'hui à l'œuvre dans les territoires occupés pour amener les Palestiniens à accepter ce qu'ils ont refusé en cent ans de conflit. Le programme électoral de Sharon prévoit en effet la fin des accords d'Oslo. Dans son esprit, Jérusalem restera juive, les colonies ne seront pas démantelées, l'Etat palestinien ressemblera à un Bantoustan s'étendant sur à peine 40% des territoires occupés et le droit au retour stipulé par plusieurs centaines de résolutions onusiennes sera jeté dans les ornières de l'histoire.
On voit aujourd'hui les limites de ce programme. La machine de guerre israélienne, armée pour l'essentiel par les Etats-Unis, ne parvient pas à éradiquer ce qu'elle appelle le "terrorisme palestinien". On ne règle pas un problème éminemment politique par la force. Tous les colonialismes qui s'y sont employés s'y sont cassés les dents. Car le premier des terrorismes, c'est l'occupation. Ariel Sharon ne le sait que trop bien. S'il ne tire pas les conclusions qui s'imposent, c'est parce qu'il estime que la paix n'est pas compatible avec le sionisme. La seule stratégie qu'il ait consiste à n'en avoir aucune, sinon celle de montrer que ce sont les Palestiniens qui refusent la paix.
C'est du moins l'implacable analyse qu'en a faite Hubert Védrine, le ministre français des Affaires étrangères, au début de décembre : "En disant que l'Autorité palestinienne est derrière le terrorisme, on fait un contresens absolument terrible dont tout le reste découle. Les actions menées contre l'Autorité palestinienne à cause de l'Intifada, depuis plusieurs mois, font que l'Autorité palestinienne est de plus en plus faible, de moins en moins capable de juguler le terrorisme, car on lui demande sans cesse de faire 100 % d'efforts, mais elle a de moins en moins de moyens car ses troupes sont désorganisées, ses chefs sont tués. On lui demande donc une sorte de preuve impossible et j'ai peur qu'il y ait une véritable politique du pire derrière cela. C'est ce que j'ai appelé une erreur fatale, consistant finalement à éliminer l'Autorité palestinienne et aboutissant à ce que Israël n'ait plus en face de lui qu'une masse de Palestiniens désespérés qui n'ont plus rien à perdre et sur lesquels le Hamas prendrait un ascendant définitif. A ce moment, certaines autorités d'Israël diront que l'on ne peut pas avoir un Etat avec ces gens-là en face de nous."
La suite des événements confirme hélas l'analyse de Védrine. L'enchaînement programmé des violences et la politique de sape systématique de l'Autorité palestinienne, qui n'a d'autorité que le nom, favorisent en effet la radicalisation des deux camps. Même le Fatah, la propre organisation de Yasser Arafat, se sent obligé de réagir aux assassinats commis de sang-froid par l'armée israélienne. On assiste ainsi à une folle course aux attentats suicides parmi toutes les organisations palestiniennes, qu'elles soient islamistes, marxistes ou nationalistes. Et à chaque attentat répliquant lui-même à une évidente provocation israélienne (assassinats de civils, de dirigeants et de cadres, destruction massive de maison…), le nombre des candidats kamikazes grimpe d'une façon vertigineuse.
Jusqu'ici, rien de nouveau. Le peuple palestinien a connu d'autres épreuves aussi redoutables l'une que l'autre sans que sa détermination soit entamée. Aujourd'hui, c'est à travers la personne de Yasser Arafat, encerclé à Ramallah, que Sharon veut humilier le peuple palestinien tout entier et le pousser dans le désespoir. Peine perdue. Les sièges, les encerclements, les massacres à répétition, il en a subi et vécu une série interminable. Lors du septembre noir à Amman, en 1970, quand près de dix mille Palestiniens furent massacrés par l'armée jordanienne avant que les dirigeants arabes n'interviennent pour permettre l'évacuation des forces de l'OLP. A Beyrouth, en 1982, quand les chars du général Sharon avaient encerclé la capitale libanaise et imposé le départ pour Tunis des combattants de l'OLP. A Tripoli, en 1983, quand l'armée syrienne et ses supplétifs encerclèrent les camps palestiniens et contraignirent Arafat, l'homme aux sept vies, à partir.
Sharon, un piètre stratège, pense-t-il qu'en éliminant ce dernier, ou tout simplement en l'obligeant à démissionner, allait-il mettre un point final à la cause palestinienne et s'en sortir aux moindres frais ? Si c'est bien son calcul politique, il ne tardera pas à déchanter. Les Etats-Unis, qui le couvrent actuellement et justifient toutes ses actions, y compris les plus abjectes, ne vont pas tarder, eux aussi, à en supporter les conséquences pour leurs intérêts stratégiques dans la région. A l'évidence, ils n'ont pas encore tiré les enseignements du 11 septembre. Le prédécesseur de Bush, Bill Clinton - le président américain qui s'est le plus impliqué dans la résolution de ce conflit - a profité d'une visite qu'il avait effectuée en janvier au Proche-Orient pour plaider en faveur d'un règlement durable dont les principales fondations ont été jetées à Camp David.
Quant à l'Union européenne, qui voit voler en éclats, sous les effets des bombardements israéliens, les infrastructures palestiniennes qu'elle avait financées aux frais des contribuables européens (notamment le port, l'aéroport, les routes, le siège de la radio-télévision à Ramallah…) se contente de simples regrets. Mais pour être crédible, elle se doit de recourir à des moyens autrement plus coercitifs que les simples regrets. Elle peut, à titre d'exemple, suspendre les échanges commerciaux et financiers, voire militaires, avec ce gouvernement qui se place délibérément hors la loi internationale.
Il faut mettre hors d'état de nuire, et sans tarder, le pyromane Sharon qui s'emploie depuis son retour aux affaires à appliquer scrupuleusement son programme qui renvoie la région à… 1948, une fois le processus de paix enterré. Sinon c'est toute la région qui sera à feu et à sang.
                                   
7. "Les Palestiniens ne sont pas seuls" par Jean-Simon Gagné
in Le Soleil (quotidien québécois) du jeudi 31 janvier 2001

La politique israélienne de bouclage et de colonisation des territoires palestiniens a été vivement dénoncée, mardi soir, au cours d'un débat organisé au Musée de la civilisation par le Centre justice et foi. « Nous voulons que les Palestiniens sachent qu'ils ne sont pas seuls », a résumé l'un des quelque 200 participants.
Tout a commencé par la projection du film Rêves d'exil, le récit poignant du quotidien de deux adolescentes dont les familles vivent dans des camps de réfugiés depuis 1948. L'une habite Chatila, au sud du Liban, sur le théâtre de l'horrible massacre de 1982. L'autre réside à Deheisheh, non loin de Bethléem. À quelques centaines de kilomètres de distance, les fillettes regardent la lentille avec le même regard délavé, dont Georges Moustaki dirait qu'il donne l'air de rêver à ces enfants même s'ils ne rêvent plus souvent. Ensemble, les deux jeunes filles incarnent toute la détresse de la Palestine des camps. Celle du chômage, de l'exil et du désespoir. Celle des fonds de ruelles qui sentent l'urine et les ordures. Celle d'une vie passée à s'accrocher à l'espoir d'une autre existence, envers et contre toute logique.
« J'aurais voulu être un oiseau, explique la première. Avant, j'aurais voulu être un papillon, mais les papillons sont si beaux que les gens les emprisonnent dans des cahiers. » « Quand on grandit, nos rêves grandissent aussi et c'est là que les choses se compliquent », ajoute la seconde. Mi-documentaire, mi-manifeste, le film du cinéaste Maï Masri ne cache pas son adhésion totale à la cause palestinienne. Il s'en dégage une sincérité qui excuse toutes les maladresses. Le point culminant est atteint lorsque des familles palestiniennes séparées depuis des années se donnent la main en pleurant à travers les barbelés marquant la frontière entre le sud-Liban et Israël. À l'heure où le gouvernement israélien d'Ariel Sharon envisage d'ériger un mur de 11 kilomètres pour séparer Jérusalem et Bethléem, l'image prend une dimension encore plus dramatique.
Auditoire gagné d'avance
Après la projection d'un film aussi chargé d'émotions, qui s'étonnera que l'auditoire ait paru gagné d'avance aux arguments des deux conférenciers venus dénoncer l'occupation israélienne ? Le politologue Jawad Skali a d'abord insisté sur le « droit au retour » des Palestiniens qui ont fui ou qui ont été expulsés de leurs terres depuis 1948. Pour lui, il s'agit de l'un des « nœuds » de la question. « Israël n'éprouve aucun problème à accueillir un million de juifs en provenance des anciennes républiques soviétiques. Pourtant, il estime que le retour de quelques centaines de milliers de Palestiniens serait impraticable, s'étonne-t-il. Désormais, le droit [au retour] ou à une juste compensation pour les réfugiés palestiniens passe pour de l'extrémisme. »
Au passage, M. Skali a ridiculisé la politique étrangère canadienne, qu'il accuse de basse servilité à l'endroit des États-Unis. « En politique étrangère aujourd'hui, le Canada possède moins d'autonomie que la Hongrie ou la Pologne du temps de l'empire soviétique, a-t-il tonné. Quand [l'ex] ministre des Affaires étrangères John Manley affirme que le vrai problème en Palestine est le terrorisme, il ne représente pas la population canadienne.
« (...) Si des gens comme lui veulent lécher les bottes des États-Unis pour en tirer des bénéfices économiques, c'est leur affaire. Mais qu'ils ne nous engagent pas sur une piste qui fera que des gens à travers le monde nous considéreront comme des ennemis. Nous ne sommes les ennemis de personne. Et nous avons vu le 11 septembre ce qui peut arriver quand des gens vous considèrent à tort comme des ennemis... »
Arbitrage
Lilian Robinson, membre de l'Alliance juive contre l'occupation des territoires palestiniens, a dénoncé l'occupation israélienne au nom de tout ce que les juifs possèdent de plus sacré. « Je trouve cela insupportable. Et c'est en temps que juive que je trouve cela insupportable », a-t-elle expliqué.
Tout comme M. Skali, Mme Robinson estime que la solution du problème passe par l'arbitrage de la communauté internationale, tellement la lutte est inégale entre l'armée israélienne et les Palestiniens. Quant aux juifs qui l'accusent d'avoir trahi son pays et de ne pas défendre « les siens », Mme Robinson leur réserve cette réponse. « Pour moi, être juive veut dire que mon peuple — mon vrai peuple —, c'est ceux qui souffrent, qui n'ont pas de terre. Parce que c'était notre situation, il n'y a pas si longtemps. Nous, les anciennes victimes, nous sommes devenues les agresseurs. »
                                   
8. Cibles légales par Amira Hass
in Ha'aretz (quotidien israélien) dumercredi 30 janvier 2002
[traduit de l'anglais par Marc Deroover]
Comme c'était frustrant, triste, et spécialement effrayant de lire le dernier supplément dominical du Yedioth Ahronoth. "Lorsqu'un tireur d'élite (sniper) d'un des postes de contrôle touche un jeune homme à une distance de 150 mètres …", raconte Shuki Sadeh, un officier de réserve des Forces de Défense d'Israël (IDF), à Haim Tal (journaliste du Yedioth Ahronoth, 25 janvier). La signification du mot "touche" n'est pas suffisamment claire à la première lecture, cependant plus loin dans l'article, il apparaît que le garçon a été tué.
"Ce qui m'a mis en colère à ce moment" raconte Sadeh, "c'est qu'à cette occasion, nos soldats ont dit "et bien, c'est un nouvel Arabe qui disparaît". Il existe une procédure à respecter pour tirer des coups d'avertissement vers des enfants palestiniens, explique Sadeh. Lorsqu'un enfant se trouve à 100 mètres du poste de contrôle, le soldat doit tirer 50m à gauche ou à droite de l'enfant. Cependant, les soldats de l'IDF ne respectent pas toujours cette procédure.
Arie Shatil, également interviewé dans l'article de Tal, est un autre réserviste qui a servi dans la bande de Gaza. Il est également un des signataires de la pétition des officiers des Forces Israéliennes de Défense qui refusent de servir dans les territoires. "Les gens disent" raconte Shatil "que les Palestiniens tirent les premiers et que nous répondons". C'est faux. Un officier dit à des soldats faisant la garde dans un des postes de contrôle: "Si les choses semblent trop calmes ou si vous ne vous sentez pas à l'aise dans la situation, tirer quelques coups". Toutes les nuits des coups sont tirés. "On devrait tirer les premiers et eux riposter".
David Sonnschein parle d'un commandant (de gauche) et d'un tireur d'élite qui avait identifié une "cible légale" (sur laquelle les soldats ont la permission de tirer) à quelque 2,5 kilomètres. "Ceux-ci ne sont pas des "cibles légales", essaie d'expliquer Sonnschein à ses collègues. "Ce sont des gens. Est-ce que cette personne présente un danger pour toi? Est-ce que tu la vois essayer de faire quelque chose? Comment peux-tu dire à un tireur d'élite, un jeune garçon comme vous et moi, de lâcher la gâchette? Après tout, tu ne sais pas exactement qui est vraiment en face."
Trois soldats, trois incidents qui ne sont pas isolés et qui font partie d'un même phénomène. Si ces incidents ne faisaient pas partie de ce phénomène, ces trois soldats ne se seraient pas rencontrés.
Quelle frustration qu'apparemment l'attention se focalise sur la légitimité du refus de servir dans l'armée. La crainte existe même que le public ou les médias ne perçoivent pas la difficulté de la situation que ces soldats soulignent: l'assassinat de ces enfants qui ne présentaient pas, et ne présentent pas, de danger pour les soldats israéliens; des tirs réalisés par L'IDF (lesquels blessent, tuent et génèrent toujours la peur) et qui ont provoqué et provoquent des tireurs palestiniens; des faux rapports disant que ce sont les Palestiniens qui ont tiré les premiers; des tireurs d'élite israéliens tirant de très loin sur des gens identifiés comme des "cibles légales" et par après "identifiés comme des terroristes".
Comme c'est triste et frustrant que ce qui précède ne soit pas un phénomène nouveau et que ces situations n'aient pas été publiées avant que les officiers israéliens ne racontent leurs histoires. Depuis les premiers jours du soulèvement palestinien actuel, on pouvait entendre les voix de ceux qui soulignaient cet état de fait: des médecins palestiniens parlent d'enfants et d'adolescents palestiniens qui avaient été touchés par des tirs dans la partie supérieure du corps et alors qu'ils ne présentaient aucun danger pour les soldats israéliens; la branche israélienne des médecins pour les Droits Humains, qui bien avant B'Tselem ont accordé attention aux témoignages palestiniens; des militants européens d'organisations non-gouvernementales ayant assisté à des événements qui n'avaient pas été relayés par les médias israéliens ou qui étaient relayés comme des échanges de tirs entre groupes de force égale; des enquêteurs d'Amnistie International qui étaient stupéfiés par l'ampleur de l'utilisation excessive de la force par les militaires israéliens contre des lanceurs de pierres; des journalistes et des correspondants internationaux qui ont été sur le ''champ de bataille'' et qui ont vu de près la topographie et la technologie utilisées pour maintenir la supériorité des Forces Israéliennes de Défense, lesquelles auraient pu éviter le meurtre de lanceurs de pierres pour autant que les intentions de la police israélienne eurent été de calmer la situation.
Comme c'est frustrant que des rapports sur ce phénomène, qui arrivent aux radios et aux salles de rédaction des journaux juste après que ces incidents surviennent, soient présentés de façon laconique et soient rangés en marge de la conscience collective israélienne, laquelle est conditionnée par la manipulation de la réalité organisée par le personnel de l'IDF, par les conseillers des services secrets de l'armée, ainsi que par les cabinets de ministres israéliens.
Cette manipulation de la réalité a tellement modifié les consciences qu'il est impossible de la corriger par la publication d'autres rapports. Cette information tronquée est devenue conviction. Conviction que le Président de l'Autorité palestinienne Yasser Arafat est responsable de tout après avoir rejeté l'offre généreuse d'Israël à Camp David; conviction que les Palestiniens ''tirent sur nos forces'' (qui sont stationnées juste au-dessus et en face des quartiers résidentiels palestiniens); conviction que chaque Palestinien mort a été tué en respect des procédures; conviction que ces procédures sont méticuleuses et strictes.
Finalement il y a la conviction inébranlable que toute attaque palestinienne est du terrorisme par essence visant à tuer des Juifs rien que parce qu 'ils sont Juifs. Comme il est triste, frustrant et effrayant de lire les mots de l'officier qui refuse de servir dans les territoires.
Effrayant parce qu'il est impossible d'analyser le phénomène croissant des attaques semant la terreur en Israël sans mettre en parallèle l'effet sur la mémoire collective palestinienne des enfants, femmes et hommes, désarmés et sans défense, qui ont été tués ou blessés durant les 16 derniers mois parce qu'aux yeux des soldats israéliens ils étaient des ''cibles légales''.
                                                       
9. En évoquant "l'Aliya à l'envers, dans l'élite israélienne", Yossi Beilin provoque un vif débat sur ce phénomène et ses possibles causes par Ariyé Bender
in Ma'ariv (quotidien israélien) du lundi 28 janvier 2002 repris in in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 29 janvier 2002
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Les déclarations de Yossi Beilin, la semaine dernière, au sujet des enfants de ministres (israéliens) qui restent à l'étranger pour de longues périodes, phénomène constaté particulièrement dans la dernière période, avec - au passage - sa remarque sur le fait que ces mêmes ministres ne leur préparent pas un pays follement accueillant, pour leur retour, semblent avoir touché un nerf extraordinairement sensible. Il visait, par ces propos, les enfants de ce qu'il est convenu d'appeler "l'élite israélienne" : les rejetons prometteurs de cette élite vont-ils tourner le dos à la société israélienne et se faire une existence dans d'autres pays ? Qu'arriverait-il, dans ce cas, à notre pays et à ceux qui y demeureront ? Et quid des valeurs éternelles, comme le sionisme et l'édification de la nation ? Y a-t-il un risque que l'élite nationale s'en détourne ?
Beilin a été soumis, hier, à un tir à boulets rouges, après ses déclarations iconoclastes. Il a déclaré à Ma'ariv qu'il ne visait pas, dans ses propos, tel ou tel ministre en particulier, précisant qu'il voulait, sans équivoque cette fois, mettre en garde contre une politique qui pourrait être susceptible d'amener des gens qui nous sont proches à quitter le pays à cause de la politique suivie par ces mêmes personnalités politiques. "Ce que je veux dire, c'est que la politique du premier ministre Sharon et d'autres ministres de son gouvernement - dont certains sont censés appartenir au même parti que moi - risque fort d'amener tous ceux qui partagent nos idées à songer à boucler leur valise", a précisé Beilin. "Je ne suis pas à l'abri, comme d'autres, de l'éventualité que mes enfants, un beau jour, prennent la décision de quitter Israël à cause du climat qui s'y développe du fait de la politique du premier ministre actuel. Je rencontre beaucoup d'amis qui me parlent de gens qui leur sont proches et qui pensent sérieusement au départ, car ils ont perdu espoir."
Même si elles ne visaient pas tel ou tel ministre en particulier, comme il nous l'a précisé, les déclarations de Yossi Beilin eurent la vertu de mettre le doigt sur un problème que l'on ne saurait ignorer plus avant ni passer sous silence : le fait que nombreux sont les membres de la jeune génération, en particulier dans les couches considérées comme constitutives de l'"élite", à quitter le pays pour de longues périodes est bien une réalité. Il est indéniable aussi que certains d'entre eux prolongent leur séjour à l'étranger indéfiniment. Bref : ils ne rentrent pas...
Le sociologue Sami Sammuha écrit : "le départ d'une partie des forces vives ne met pas Israël en danger, mais il ne faut pas sous-estimer ce problème. Il ne faut pas non plus détourner le phénomène à des fins polémiques contre l'élite gouvernementale actuelle."
Pour Sammuha, il y a réellement un phénomène de grande envergure, attribuable à la mondialisation qui continue à s'étendre. "Israël est un pays transparent pour le monde occidental, en particulier en ce qui concerne son système économique, les communications, le système juridique, la vie culturelle, et même les moeurs. Il en résulte qu'une partie des enfants des classes supérieures israéliennes, des ashkénazes (Juifs occidentaux), pour la plupart, partent d'Israël et adoptent un mode de vie syncrétique tant dans le pays qu'à l'extérieur. C'est le prix qu'Israël doit payer pour son ouverture. S'y ajoute un autre coût : le fossé s'élargissant entre les classes pauvres et les classes aisées".
"A l'intérieur des classes aisées elles-mêmes se déroule une véritable guerre culturelle entre les tenants de la culture hébraïque israélisante, attachés à la culture originelle du pays et les milieux plus attachés à la culture occidentale, qui ne se sentent pas de vivre forcément en Israël, et rien qu'en Israël. Il y a ceux, en particulier parmi les jeunes, qui rejettent la culture hébraïque et l'abandonnent définitivement. Le ministre Matan Vilnaï, par exemple, a grandi dans le pays ; il est attaché à la culture hébraïque. Mais son fils est bien différent de lui. Dans les couches supérieures de la société, le hiatus et la césure ne cessent de s'élargir (entre générations), et ils continueront à le faire aussi longtemps que s'amplifiera l'occidentalisation culturelle du pays. Ce phénomène est renforcé par un autre, de nature purement économique : plus le niveau de vie baisse en Israël, plus les gens pensent qu'il vaut mieux pour eux aller vivre ailleurs".
Les deux petits-fils du député Eliezer Tshita Cohen, du parti Israël Beitna, vivent à l'étranger. L'un d'eux, Youval, est rentré récemment en Israël après que son épouse ait été nommée maître de conférence à l'université de Haïfa. Par contre, son frère, Amir, vit toujours avec ses enfants à New York, où il fait son beurre, comme nous l'a confié son père, dans l'édition de journaux en hébreu.
Un ancien dirigeant de la compagnie aérienne israélienne ElAl, Cohen, ne voit nullement dans le fait que ses enfants et petits-enfants vivent à l'étranger un quelconque relâchement de leur attachement à Israël. Il reconnaît qu'il serait content de voir ses enfants vivre en Israël. "Le fait qu'ils vivent ailleurs porte atteinte, c'est vrai, à la valeur sioniste du retour du peuple juif en Eretz Israël", dit Cohen, "mais, que voulez-vous, il y a les nécessités de la vie, il faut bien gagner sa croûte." [...]
Un autre député, Youval Steinitz, philosophe de sa profession, partage le point de vue de Cohen : "de nombreux enfants de l'élite vivent à l'étranger, c'est indéniable. Mais cela ne diminue en rien leur attachement au sionisme." Il ajoute : "fut un temps, on considérait tout séjour à l'étranger (d'un Israélien) comme une immigration à l'envers, une fuite du pays. Mais aujourd'hui, les choses ont évolué. Il s'agit d'un phénomène tout à fait naturel dans un monde ouvert où on se déplace beaucoup. Les gens vont dans d'autres pays pour y étudier, y faire du commerce, du tourisme... puis ils rentrent chez eux. N'y a-t-il pas des universitaires qui effectuent des années sabbatiques à l'étranger ? Bill Clinton n'a-t-il pas fait ses études en Angleterre, à Oxford : cela a-t-il porté atteinte à son américanité ? Le roi Husseïn (de Jordanie) a envoyé ses enfants en Angleterre afin qu'ils y poursuivent leurs études : cela a-t-il modifié en quoi que ce soit leur attachement à la Jordanie ?"
Sur fond des propos un peu embarrassés de ceux dont les enfants vivent à l'étranger, protestant de leur bonne foi ou avançant mille explications toutes plus valables les unes que les autres, un autre politicien (dont les enfants vivent, tous, en Israël) expose le problème à la perfection. Il s'agit du député Yossif Lebed : "l'homme politique dont les enfants vivent à l'extérieur d'Israël est en situation délicate : il devrait à tout le moins se souvenir de ce fait chaque fois qu'il se prononce sur des questions qui ont un impact sur les jeunes générations." Lebed se fait plus précis : "cela ne lui interdit nullement de s'exprimer, bien entendu. Mais on est en droit d'attendre de lui qu'il ne donne pas des leçons de nationalisme aux enfants des autres, au vu de ses piètres performances dans son propre foyer. Je ne pense pas personnellement qu'il s'agisse d'un phénomène propre aux enfants d'hommes politiques. Il concerne les classes supérieures, qui font très souvent des études à l'étranger. Et qui "oublient" parfois de revenir..."