Point d'information Palestine > N°188 du 08/02/2002

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Au sommaire
                   
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG.
1. Image et réalité : le rôle des Etats-Unis au Moyen-Orient par Hanane Ashrawi sur le site du Miftah - www.miftah.org [traduit de l'anglais par Claude Zurbach pour l'AFPS]
2. Frapper à la tête par Uri Avnery [traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
3. Communiqué de l'association "Pour Jérusalem"
                    
Documents
Extraits de "Sous Israël, la Palestine" de Ilan Halevi, publié en 1984 aux éditions Le Sycomore
6. Ce qui est pris est pris ? Après Koenig, et maintenant.
                                          
Revue de presse
1. Au sommet économique mondial, de nombreux dirigeants exhortent les Etats-Unis à s'occuper du Moyen-Orient bille en tête par Todd S. Purdum in The New York Times (quotidien américain) du lundi 4 février 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
2. La conception palestinienne de la Paix par Yasser Arafat in The New York Times (quotidien américain) du dimanche 3 février 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. Chaher Sae'd : "Justice pour la Palestine" le cri d'alarme d'un syndicaliste palestinien propos recueillis par Jean Wolf in La Revue du Liban (hebdomadaire libanais) du samedi 2 février 2002
4. Ça suffit, maintenant, Shimon : dis-nous la vérité ! par Gideon Levy in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 1er février 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
5. "Israël-Palestine", Canal+ donne la parole aux enfants Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 1er février 2002, 08h48
6. On serre encore un peu plus la vis par Edward Said in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 31 janvier 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
7. Face à la force, le droit international par Monique Chemillier-Gendreau in Le Monde Diplomatique du mois de janvier 2002
8. Promotion Palestine par Pierre Marcelle in Libération du jeudi 31 janvier 2002
9. "Ceux qui veulent détruire l'Autorité palestinienne et Arafat commettent une erreur grossière" Déclaration de Jean Brétéché, Chef de délégation de la Commission européenne pour la Cisjordanie et la Bande de Gaza propos recueillis par Sanad Sahiliyéh in Al-Quds (quotidien palestinien) du lundi 28 janvier 2002 [traduit par Marcel Charbonnier de la version anglaise réalisée par FBIS]
10. Demi-vérités et double langage par Sara Leibovich Dar in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 25 janvier 2002
[traduit de l'anglais par Mimi Tal]
                           
Réseau

                                                                           
1. Image et réalité : le rôle des Etats-Unis au Moyen-Orient par Hanane Ashrawi
sur le site du Miftah - www.miftah.org
[traduit de l'anglais par Claude Zurbach pour l'AFPS]
28 décembre 2001 - La courte vue et l'unique prise en compte des intérêts à court terme manifestées par les responsables de la politique américaine, n'ont eu, à aucun moment de l'Histoire un effet aussi dévastateur sur les réalités du monde Arabe et sur le Moyen-Orient, et par extension sur les intérêts nationaux et le statut de l'Amérique.
Sans revenir aux origines des gaffes américaines répétées dans la région, il est temps de mettre en évidence les dangereuses implications de l'actuelle politique américaine, et sa capacité à générer une forte instabilité et un conflit.
La faute la plus aveuglante est avant tout liée à la totale soumission des prises de décisions américaines, aux priorités et règles du gouvernement israélien - un gouvernement qui réussit à être le plus extrémiste, le plus idéologique, le plus dur [" hard line " N.d.T], le plus militariste et irresponsable depuis la création de l'état d'Israël (lire à ce propos l'article de Georgie Anne Geyer : " Faltering U.S policy in the Middle East ", Washington Times, 20 Déc 2001).
Que ce soit le résultat de leur crédulité, de leurs penchants inhérents (stratégiques), ou qu'il s'agisse d'éviter volontairement toute confrontation avec la direction de la communauté juive ainsi qu'avec les lobbies pro-israéliens et les financiers des campagnes électorales, autant le pouvoir exécutif américain que le pouvoir législatif paraissent résolus à persévérer dans cette attitude, ce qui menace non seulement de ravager la région mais revient aussi à abandonner tout espoir de sauver l'image, l'influence et les intérêts des Etats-Unis dans cette partie du monde.
Plutôt que d'envoyer des charlatans et fabriquants d'images "hollywodiens", il incombe à l'administration US de réexaminer son vocabulaire et ses actes (aussi bien ses silences et son inaction) lorsqu'ils ont affaire aux Palestiniens, aux Israéliens et au Monde Arabe.
L'opinion publique du Monde Arabe, grossièrement ignorée par les administrations américaines successives, perçoit les Etats-Unis en fonction de son rôle et de l'impact de celui-ci dans les questions fondamentales qui touchent à la région - l'expression la plus visible, la plus émouvante et la plus contraignante étant la question de la Palestine.
Après 50 années de dépossession et de déplacement, après 30 années d'occupation militaire, après une dizaine d'années d'implication américaine dans le " processus de paix ", les Palestiniens apparaissent plus que jamais comme les victimes, avec chaque jour des pertes de vies humaines, la perte de leurs droits, de leurs terres, et même de la plus élémentaire considération humaine.
A travers toutes les occasions, les Etats-Unis sont apparus comme l'allié le plus fidèle d'Israël, lui fournissant des milliards de dollars (un total de 92 à la date d'aujourd'hui) , lui fournissant un armement sophistiqué (utilisé pour bombarder, assassiner, et tuer chaque jour des Palestiniens), et ceci avec une couverture politique qui tient de l'aveuglement (24 vetos à ce jour au Conseil de Sécurité de l'ONU).
Restant aveugle face aux activités israéliennes de colonisation, illégales et extrêmement provocatrices, les Etats-Unis ont aussi " sponsorisé " un processus de paix qui a eu pour effet de donner à Israël toute liberté pour acquérir plus de terre palestinienne et mener des " actions unilatérales " en toute impunité (particulièrement dans l'annexion illégale de Jerusalem Est occupé).
Avec chaque accord renégocié, modifié, ou même nié dans les faits, les protecteurs américains ont excusé toutes les violations et abus de la part d'Israël, tout en exerçant une intolérable pression sur le côté le plus faible, c'est-à-dire le côté palestinien, afin qu'il fasse preuve de " flexibilité " et de sérieux dans ses intentions.
Un processus de paix aussi " punitif " [punitive, N.d.T] est devenu un exercice abstrait de politique, sans légalité, sans substance ou relation avec les comportements sur le terrain. Ignorant délibérément l'augmentation de la souffrance des Palestiniens et l'escalade de la cruauté de l'occupation israélienne, les Etats-Unis ont démontré une inquiétante insensibilité face aux victimes et une totale collusion avec les occupants, amenant en définitive à la tragique rupture du 28 Septembre, connu sous le nom de seconde Intifada.
Le fait que tous les signes étaient en place, que tous les symptômes en étaient visibles, a été nié par le " sponsor " totalement inconscient, lequel n'a pas su prendre en considération la plus élémentaire composante humaine de son " processus politique ".
Ceci a été l'aspect le plus évident du reproche permanent fait aux Etats-Unis d'adopter un système de deux poids-deux mesures, de nier l'humanité des Palestiniens, et leur doute ou leur refus quant à l'application de la loi internationale et de la légalité à la situation des Palestiniens.
L'unique expression américaine de regret, de peine ou d'offense face à la perte de vies humaines se manifeste lorsque les victimes sont israéliennes, alors que des milliers de Palestiniens sont blessés ou assassinés par l'occupant israélien avec une totale impunité et un total manque d'humanité.
Par-dessus tout, le processus négocié a ignoré la possibilité d'appliquer les résolutions de nations Unies, l'asymétrie du rapport de forces qui requérait une protection pour les Palestiniens et l'obligation de rendre des comptes pour les Israéliens (au moins par rapport au respect de la Quatrième Convention de Genève et la loi internationale dans le domaine humanitaire), et un système effectif de médiation et d'arbitrage afin de résoudre les litiges de façon décisive et objective.
Prenant en plus en compte le pouvoir et l'influence disproportionnés et d'Israël dans son propre domaine [domestic area - N.d.T], la politique des Etats-Unis est devenu l'otage des pressions énormes et de l'influence de la direction d'un groupe spécial d'intérêt - le lobby pro-israélien et ses institutions aux Etats-Unis.
Avec une attitude aussi biaisée et aussi unilatérale dans les politiques mises en œuvre dans la région et dans la poursuite du processus de paix, les Etats-Unis ont exclu tout autre partenaire, y compris les Nations Unies, l'Europe, la majorité des pays arabes (sans oublier leurs propres alliés), et quiconque d'autre aurait montré des velléités de s'investir dans la construction de la paix ou aurait pu contester le total unilatéralisme des américains - même pour son propre compte.
Par conséquent, Israël finit par multiplier les coups, non seulement comme pouvoir occupant exerçant sa force contre les Palestiniens, mais aussi comme inspirateur de la politique américaine (parfois directement par le biais de son lobby américain et les institutions qui y sont liées) et finalement de celle du monde en entier.
Le dernier " triomphe " en date est l'adoption par les représentants de l'Europe et des Nations Unies de l'essentiel du vocabulaire politique et des paramètres de l'alliance américano-israélienne pour définir leurs rôles et activités dans la région. Israël devint le guichetier du processus de paix, et tous attendait en ligne la permission de jouer un rôle et d'exprimer leur bonne volonté d'en payer le prix.
Le résultat logique fut un processus de paix batard, des accords sans obligation, sans possibilité d'application sur le terrain et sans légitimité, en confortant la persécution des Palestiniens.
Maintenant que tous ces défauts ont produit leurs effets, amenant la rupture tragique et l'Intifada de Septembre 2000, il est temps d'apprendre des erreurs du passé.
Le monde qui succède au 11 Septembre a marqué une fin à l'isolationnisme américain et à ses interventions sélectives sans conséquences. La question de la " responsabilité du pouvoir " est devenu plus contraignante.
Cependant, le danger inhérent à ce concept est son interprétation exclusive dans le cadre militaire ou en intervention négative, en s'arrogeant uniquement à soi-même le droit de redéfinir l'ami et l'adversaire, l'allié et l'ennemi, en concordance avec des critères subjectifs temporaires et subjectifs.
C'est là que réside la différence entre " responsabilité " et " arrogance du pouvoir ".
L'impératif moral [incombant aux Etats-Unis - N.d.T] tient dans une intervention positive, constructive et pacifique se focalisant sur une sécurité humaine plutôt que militaire.
Dans le contexte palestino-israélien, cela requiert une initiative de paix " interventionniste " rapide et effective pour remplacer la dynamique meurtrière d'aujourd'hui et proposer aux parties en présence une alternative politique.
Avant tout, ceci devrait se traduire par une " séparation " des parties en levant le siège et les blocages des territoires palestiniens par les israéliens, et par un coup d'arrêt aux brutales agressions israéliennes contre les Palestiniens.
Plutôt que d'utiliser le qualificatif de " terroriste " et de répéter le leitmotiv " arrêter la violence ", les Etats-Unis sont appelés, plus que jamais, à faire la preuve de leur objectivité et à établir une aussi claire séparation avec le langage, la politique, la brutalité, l'extrémisme et les violations de l'occupation israélienne.
Israël a la plus grande part de responsabilité dans le discrédit qui touche les Etats-Unis et dans la dégradation de leur image et de leur réputation, non seulement dans la région mais aussi dans le monde entier.
Une courageuse prise de distance (ainsi qu'une attitude critique) devient essentielle si les Etats-Unis prétendent s'en prendre aux causes en adoptant une stratégie responsable et à long terme.
Maintenir les Palestiniens dans un état de soumission, ou délégitimer leurs dirigeants ou nier leur humanité servira uniquement à attiser les flammes et à discréditer encore plus les Etats-Unis.
Ramener la confiance et l'espoir implique que les Etats-Unis mette en jeu tout leur prestige et tout leur crédit au profit d'une offensive politique en faveur de la paix.
Sharon doit comprendre qu'il n'a pas la propriété de l'agenda, mais que les peuples de la région sont en possession de leur propre futur avec une alternative légitime que seuls les Etats-Unis peuvent mettre en œuvre pour mettre fin à l'offensive guerrière israélienne.
Une claire mise en œuvre des objectifs doit suivre le discours de Powell (19 Novembre 2001) : mettre fin à l'occupation, ramener Israël aux frontières du 4 Juin 1967, supprimer les colonies, établir un Etat Palestinien indépendant et viable, et trouver une solution équitable et juste au problème des réfugiés - toutes ces solutions devant se baser sur les résolutions de l'ONU et le principe de " la terre contre la paix ".
Le " plan de route " doit inclure l'application immédiate de toutes les recommandations des plans Mitchell et Tenet, et sans préconditions ni obligation de séquencement.
Des négociations sans préalables doivent être aussi entamées immédiatement avec une pleine participation et les garanties d'une troisième partie, incluant les Etats-Unis, l'Europe, les Nations Unies, des pays Arabes, la Russie, la Norvège.. parmi d'autres.
Les mécanismes d'une intervention et d'un arbitrage équitables doivent être mis en place avec le consentement préalable des parties pour en garantir l'application.
Sur le terrain, des agents internationaux doivent créer les conditions de cessez-le-feu et de tranquillité nécessaires à la conduite des pourparlers.
Simultanément doit débuter la reconstruction de tout ce qui a été détruit par Israël, en même temps que les Palestiniens entameront leur processus de construction d'une nation, lequel garantira une authentique démocratie avec le plein respect du rôle de la loi et le plein respect des droits de l'homme, et disposant d'institutions compétentes et rendant compte.
Clairement, il n'y a pas la nécessité de réinventer la roue. Toutes les éléments permettant d'arriver à la paix ont été identifiés et sont accessibles. Le vrai besoin est dans l'engagement politique des Etats-Unis et de la communauté internationale afin de mettre le processus en marche.
Ceci implique nécessairement de tenir tête à Israël et de libérer la politique internationale du militarisme, de l'avidité, de l'obstination, de l'arrogance et des abus du gouvernement Sharon.
Ceci serait déjà en soi une bonne chose, avec une valeur intrinsèque.
La réalisation de la paix serait du point de vue de son impact sans mesure, sur la Palestine et sur Israël, ainsi que sur l'image et la crédibilité des Etats-Unis.
                                       
2. Frapper à la tête par Uri Avnery
[traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]

2 février 2002 - Il y a de nombreuses années, je me suis intéressé à un domaine de l'activité militaire appelé guerre psychologique, dans lequel toutes les armées du monde investissent des ressources considérables.
La guerre psychologique est à l'opposé de la propagande. La propagande essaie de convaincre l'autre partie que nous avons raison. La guerre psychologique n'essaie de convaincre personne, c'est un instrument de guerre comme l'aviation ou l'artillerie. Elle a pour but de briser l'ennemi et de le contraindre à se soumettre à notre volonté. Si la propagande est du miel, la guerre psychologique est de l'acide prussique.
Pour atteindre son but, elle utilise des moyens psychologiques pour mettre l'ennemi en lambeaux et susciter suspicion et méfiance dans ses rangs. L'objectif principal est de détruire le dirigeant de la partie ennemie, c'est-à-dire toucher la tête : saper la confiance en lui et conduire ses combattants, ses partisans et le monde entier à le haïr.
Comment le faire ? Les manuels décrivent les méthodes :
Le chef de la partie ennemie est corrompu. Il envoie ses combattants à la mort tandis que lui profite de la vie. Il vole l'argent du peuple et le met dans des comptes bancaires à l'étranger. Ses hommes de main sont une bande de voleurs qui mènent une vie de luxe dans les grands hôtels pendant que les gens du peuple ont faim. Le chef est un personnage méprisable, brutal, efféminé, tyrannique et ridicule.
Ces affirmations sont répétées des milliers de fois, elles sont fournies aux médias étrangers " neutres " pour qu'elles reviennent comme provenant de sources " objectives ".
Est-ce que cela vous rappelle rien ?
Si, bien sûr. Depuis de nombreuses années déjà, presque tous les médias et porte-parole israéliens sont mobilisés pour diaboliser une personne : Yasser Arafat. Tous les trucs classiques de la guerre psychologique, de même que certaines inventions spécifiquement israéliennes sont utilisés pour atteindre ce but principal. Pas contre le peuple palestinien, même pas contre la direction palestinienne, mais contre Arafat en personne.
Ceux qui conduisent cette campagne se moquent totalement du fait qu'Arafat soit gentil ou méchant, beau ou laid, pacifiste ou guerrier, super-honnête ou bandit de grand chemin. Il est tout à fait possible que Sharon lui-même l'admire en secret. (En 1976, il m'a demandé d'organiser une rencontre avec lui afin de lui proposer de devenir le président d'un Etat palestinien à l'est du Jourdain.) Cela ne l'a pas empêché de déclarer la semaine dernière qu'il regrettait de ne pas avoir réussi à le tuer à Beyrouth.
Arafat n'est visé que pour une seule raison : d'être le chef du peuple palestinien combattant contre l'occupation. Frapper à la tête signifie frapper l'ensemble de la structure du combat palestinien. Au cours d'une guerre, en particulier une guerre de libération, la confiance dans le chef est essentielle pour une résistance inébranlable contre une force écrasante. Sans lui, le mouvement se scindera en mille morceaux. Aucune quantité de missiles ne peut rivaliser avec cela.
Dans les sphères israélienne et internationale, cette campagne a connu un succès considérable. L'histoire d'Arafat corrompu, dirigeant une " autorité corrompue " et entourée par une bande de voleurs a été martelée à travers le monde, jusqu'à ce que les mots " Autorité palestinienne ", " Arafat " et " corrompu " soient devenus synonymes. Ces jours-ci, on peut en mesurer le succès : si Arafat avait été emprisonné à Ramallah il y a 10 ans, il y aurait eu des manifestations violentes dans toutes les capitales européennes, avec des portraits d'Arafat brandis à côté de ceux de Che Guevara et de Mandela. Où sont ces manifestants maintenant ?
En Israël même, le succès est encore plus grand. La haine d'Arafat unit toutes les composantes de la société, de l'extrême droite à la gauche classique. Des études montrent que, sur 300 articles publiés par des " gens de gauche " à propos du problème palestinien, 284 contenaient des remarques injurieuses à propos d'Arafat. Comme les chrétiens se signent quand ils entrent dans une église, un " homme de gauche " israélien doit dire quelque chose du genre : " Je suis pour la paix avec les Palestiniens, mais je ne peux pas supporter le corrompu Arafat " ou : " Je suis contre l'occupation, mais la bande corrompue d'Arafat doit être éliminée ", comme pour se gagner l'opinion publique. Les gens qui écrivent cela n'ont pas conscience, bien sûr, qu'ils servent la campagne de guerre psychologique visant à toucher le peuple palestinien à l'endroit décisif.
On peut voir Arafat positivement ou négativement. Il peut être critiqué à plus d'un titre. Il n'est pas une figure romantique comme Che Guevara (qui est mort d'une façon ridicule) ou Nelson Mandela (dont la tâche était incomparablement plus facile que celle d'Arafat), pas plus qu'il n'est une star de la télévision. Il n'est que le chef du peuple palestinien, élu par une immense majorité dans des élections démocratiques (sous la contrôle de Jimmy Carter). La corruption dans l'Autorité palestinienne n'est pas pire qu'en Egypte ou en Jordanie, et elle est moindre qu'aux Etats-Unis (l'affaire Enron), en France (les affaires d'Elf-Aquitaine), en Allemagne (l'affaire Kohl) ou en Israël (Shass). Au milieu d'un combat à mort de libération nationale, le traitement de ce mal peut certainement être remis à plus tard.
Les Palestiniens eux-mêmes le comprennent bien. Dans ce domaine - la cible principale de la guerre psychologique d'Israël - la campagne, on le voit maintenant, a complètement échoué. Sharon croyait qu'en enfermant Arafat à Ramallah, il le ridiculiserait et montrerait qu'il n'est plus du tout " pertinent " pour installer une bande de collaborateurs à sa place. C'est exactement le contraire qui s'est passé, bien sûr : du cheikh Yassine du Hamas fondamentaliste à la gauche du Front populaire, le peuple palestinien a serré les rangs derrière Arafat à ce moment de suprême danger pour son existence même. Même le flot de critiques de certains intellectuels palestiniens - qui ont été exploités à leur insu par la guerre psychologique israélienne - a cessé.
Ces méthodes ont été utilisées contre Churchill, de même que contre Castro. En vain. Elles ne réussiront probablement pas non plus contre Arafat.
                           
3. Communiqué de l'association "Pour Jérusalem"
Paris, le 6 février 2002 - L'Association " Pour Jérusalem " s'élève contre la décision d'Ariel Sharon, Premier ministre israélien, d'approuver un plan de sécurité pour Jérusalem, visant à isoler la ville du reste de la Cisjordanie.
Ce dispositif de sécurité consisterait en une série d'ouvrages défensifs : tranchées, remblais de terre, clôtures, tours de guet, sur un périmètre de 54km, au nord, à l'est et au sud de la Ville. Deux murailles d'environ 10 kilomètres chacune devraient renforcer ce dispositif au nord et au sud de Jérusalem. Il serait complété ponctuellement par des systèmes de surveillance électronique.
Ces mesures ne feront qu'augmenter les difficultés des Palestiniens à circuler, à se rendre à leur travail, à se soigner, à maintenir des relations familiales ou amicales entre eux. Ce plan reviendrait à faire de Jérusalem une ville interdite pour les Palestiniens.
En fait, le Gouvernement israélien vise à conforter un " Grand Jérusalem ", comprenant les colonies israéliennes construites sur les territoires de Cisjordanie et annexant certains faubourgs palestiniens, notamment le secteur où se trouve le siège du Conseil législatif palestinien. Il veut affirmer ainsi le caractère israélien de la Ville, contrairement au Droit international et aux résolutions des Nations Unies.
Loin d'établir une sécurité commune, ce dispositif ne ferait que susciter de nouveaux actes de désespoir. L'occupation des territoires et la poursuite de la colonisation ont été clairement désignées comme causes de la violence. Au niveau international, le rapport du sénateur américain Mitchell les a nettement identifiées. En Israël, les forces de paix et le Président de la Knesset ont fait de même. Pourtant, Ariel Sharon et son gouvernement persistent dans une politique d'engrenage tragique dont le résultat ne fera qu'engendrer plus de misère et plus de haine. Avec la population palestinienne, c'est aussi la population israélienne qui en paieront les conséquences.
De notre côté, l'Association " Pour Jérusalem " persiste à croire que Jérusalem, dont le nom évoque la paix, sera un jour une ville ouverte à tous, la capitale de deux Etats avec Jérusalem-Ouest capitale d'Israël, Jérusalem-Est capitale de la Palestine. C'est pourquoi nous nous élevons contre un tel projet et apportons notre plus vif soutien à tous ceux qui oeuvrent en Israël et en Palestine pour aboutir à une solution pacifique, seule porteuse de l'intérêt des deux peuples.
[Association "Pour Jérusalem" - Présidente : Danielle Bidard, Sénateur - Vice-Présidents : André Dulait, Sénateur, Claude Estier, Sénateur et Daniel Goulet, Sénateur - Siège social : Mairie de Pantin - 45, avenue du Général Leclerc - 93500 Pantin  - Tél : 01.49.15.41.82 - Fax : 01.48.44.03.46]
                                   
Documents

                                               
Extraits de "Sous Israël, la Palestine" de Ilan Halevi, publié en 1984 aux éditions Le Sycomore
[Ilan Halevi est représentant du Fatah auprès de l'Internationale Socialiste et conseiller politique du Ministère palestinien de la Coopération Internationale. Sixième et dernier extrait du passionnant ouvrage de Ilan Halevi que nous remercions encore de nous avoir autorisé à publié dans le Point d'information Palestine, quelques extraits de son livre, hélas épuisé.]
                                   
6. Ce qui est pris est pris ? Après Koenig, et maintenant.
Le gouvernement israélien, interpellé au Parlement par les partis politiques au sujet du rapport Koenig, ne consentit à en débattre, tardivement, qu'à contre-coeur. Et lorsqu'il lui fallut se prononcer sur ce qui devenait une nouvelle "affaire" [1] ce fut pour décréter un non-lieu : le rapport Koenig, fut-il déclaré, est ce qu'on appelle un "document administratif" ; il n'a pas de caractère officiel et n'a pas été entériné par le ministre de l'Intérieur, sur la table duquel il avait ét édéposé six mois avant sa scandaleuse publication. Le document n'engage donc pas la responsabilité du gouvernement, qui se trouve du même coup dégagé de l'obligation de prendre position.
Formellement, la position du gouvernement israélien se fondait alors sur le fait que le rapport, rédigé bénévolement par un employé dévoué pour attirer l'attention du ministère public sur une situation particulière, du point de vue de "l'intérêt national juif" - c'est-à-dire, en Israël, de l'intérêt dit "public" - n'avait, depuis sa rédaction, fait l'objet d'aucune réaction. Apparemment, le ministère n'avait pas donné suite à ce texte ; peut-être même n'avait-il pas été lu. C'est le Mapam, la "gauche" de la coalition gouvernementale travailliste alors au pouvoir, qui avait décidé, en septembre 1976, d'en divulguer le contenu dans le quotidien officiel du parti, Al Ha-Mishmar.
Tandis que la presse de l'opposition de droite fustigeait le Mapam, organisateur de la fuite et bénéficiaire de l'opération, le gouvernement resta donc silencieux. Mais Koenig, préposé du ministère de l'Intérieur puor la région Nord [2], c'est-à-dire l'équivalent d'un préfet, restait enplace. Une campagne s'organisa, sous la houlette de la "gauche" sioniste, pour exiger sa démission.
La campagne ne dura pas. Koenig fut confirmé dans ses fonctions, et dans son droit "démocratique" d'écrire des rapports racistes qui n'engagent pas la responsabilité du gouvernement qui l'emploi. A sa place, ce fut Shmouel Toledano, conseiller depuis douze ans du gouvernement aux Affaires arabes, qui démissionna.
Juif sépharade du vieux Yishouv, Palestinien de souche, Toledano représentait ce que Koenig tentait de décrire quand il dénonçait avec mépris "les affinités et la ressemblance" qui unissent la population arabe et "ceux qui ont eu la charge de cette population". C'est avec lui que Koenig identifie le système, à son avis déplorable, d'alliance avec la direction traditionnelle de la société arabe, le système de manipulation des relations familiales et claniques au profit de divers partis sionistes, de la "vente" des terres et de la collaboration politico-policière. C'est bien sa politique qui est mise en question dans le rapport du préfet de la région Nord.
Dans une longue interview publiée le 28 janvier par le quotidien "libéral" Ha'aretz, Toledano expose "sa" conception du problème. Déjà, à la veille de la guerre de 1967, il avait déclaré : "Il n'existe pas de solution au problème national des Arabes d'Israël, et leur identification avec les buts nationaux juifs de l'Etat est impossible." Pour Toledano, seul un règlement global du conflit avec les Arabes - dont il ne voit guère les prémices - pourrait créer les conditions d'un espoir. En attendant : "Ce problème n'a aucune solution qui soit meilleure qu'une autre, mais il y a des solutions qui sont moins mauvaises que d'autres. Je peux, par exemple, concevoir dix raisons pour lesquelles le fait que les Arabes vivent en Israël dans des concentrations séparées est mauvais. Mais je peux concevoir onze raisons pour lesquelles la vie commune dans des villes mixtes serait encore pire. La même chose est vraie pour l'éducation, et tous les autres domaines. (...) Aussi loin que nous puissions imaginer, ils" (les Arabes en Israël) "ne seront jamais intégrés dans la société juive, même pas autant que les Noirs l'ont été dans la société américaine. Et la solution actuelle, où ils n'ont ni toutse les obligations, ni tous les droits d'un citoyen, est un mal nécessaire."
Toledano considère le rapport Koenig comme un document grave et nuisible. Sa démission fut explicitement motivée par le refus du gouvernement de désavouer Koenig. Mais on aurait tort de se méprendre sur le sens de cette démission. Ce qui est en jeu entre Koenig et Toledano, ce sont les méthodes. Pas les buts. Au journaliste qui lui demandait pourquoi un Arabe ne pourrait pas occuper le poste de conseiller aux Affaires arabes, il répond : "Je ne pense pas qu'un Arabe puisse envisager une échelle de priorités où les intérêts de la population arabe soient secondaires par rapport aux intérêts de l'Etat. Je vous donne un exemple : pendant le conflit avec la Direction des terres d'Israël, au sujet des expropriations en Galilée, , j'ai réussi à repousser celles-ci de neuf mois. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour que ces terres ne soient pas confisquées. Mais quand je suis allé sur le terrain, je me suis rendu compte que Karmiel, et les autres colonies de Galilée ne pouvaient pas se développer, ou, en d'autres termes, qu'on ne pouvait amener plus de Juifs en Galilée, sans exproprier ces terres. Si un Arabe avait été à ma place, il n'aurait pas pu le faire ! La seconde raison, c'est qu'une telle personne doit être en contact constant avec les divers ministères, afin d'obtenir des choses pour les Arabes. Et j'ai bien vu comment mon assistant, qui est arabe, est reçu dans ces ministères... Un conseiller arabe ne pourrait avoir aucun des accès qu'un Juif a aux centres juifs de pouvoir."
Et, remarquant au passage qu'il "est assez ironique que nous, qui avons été une minorité pendant deux mille ans, ayons hérité, en notre sein, du plus insoluble problème de minorité qui ait jamais existé", il conclut : "Je ne voudrais en aucun cas être à la place d'un Arabe israélien aujourd'hui."
Pour le Mapam ("gauche"), par contre, ce n'est pas une situation objective que reflète le rapport Koenig, mais seulement ses propres conceptions obscurantistes. Koenig est, dans le discours du Mapam, coupable avant tout d'une erreur d'analyse. Tout en fait va très bien en Galilée, où Juifs et Arabes, à part quelques cas marginaux, s'aiment et s'entr'aident comme dans le catéchisme du Jeune gardien (mouvement de jeunesse lié au Mapam). Dans leur grande majorité, disent les porte-parole de la "gauche" sioniste, les Arabes d'Israël sont des citoyens loyaux. C'est en fonction de ce fait qu'il convient, non de les parquer sous bonne garde comme le propose Koenig, mais de les intégrer davantage, sur le plan économique, c'est-à-dire de les faire profiter du "développement de la Galilée".
Sur le plan de la logique formelle, l'argumentation est typique de ce que Yossef Weitz appelait avec sarcasme "la dialectique" du Mapam. Pour ces "marxistes-sionistes" uniques en leur genre, c'est, bien sûr, l'"économie" qui explique tout. C'est ainsi que Ya'acov Hazan expliquait en 1948 que les Arabes ne voudraient pas quitter la Palestine à cause de la prospérité apportée par les Juifs au pays ! Non parce que les paysans sont enracinés dans leur terroir, ni parce qu'ils sont animés de sentiments nationaux. Ces données participent alors, aux yeux du "matérialiste" Hazan, de la "psychologie bourgeoise" la plus misérable. Sachant bien, ou en tout cas s'imaginant savoir, à quelles sources s'abreue la conscience nationale, Hazan propose en 1976 d'assurer la loyauté des Arabes d'Israël en les intégrant économiquement. On aura noté au pasage que les rôles se sont renversés. Koenig, membre du Parti national religieux, défend les intérêts des petits et moyens colons contre la concurrence arabe, tandis que le Mapam, dont les kibboutzim de Galilée et d'ailleurs sont devenus de gros employeurs de main-d'oeuvre arabe, défend aujourd'hui, le capitalisme arabe (inféodé) et l'intégration économique.
Economique seulement. Parti sioniste, fer de lance de la colonisation et de la "judaïsation", en Galilée comme dans les territoires occupés, le Mapam ne propose pas d'étendre cette intégration à tous les domaines. Culturellement, politiquement, socialement, les Arabes d'Israël doivent, dans cette vision, continuer de constituer une entité distincte de "la société juive". Intégration économique (c'est-à-dire "travail arabe", et même, s'il se peut, un peu de "capital arabe") et séparation sociale. C'est la réalité de l'apartheid israélien. 'Separate, but equal' [3], disaient, à la fin de la guerre civile américaine, les partisans de la ségrégation raciale, présentée comme un compromis entre l'abolitionnisme et les exigences racistes de la population blanche des Etats du Sud. C'est la seule réponse que la "gauche sioniste", face à la menace nationaliste arabe qui s'exprime dans la poussée du Parti communiste, comme face à l'agressivité paranoïaque de Koenig, puisse élaborer. Car elle cherche une "solution" au "problème arabe" dans le cadre même du projet sioniste d'Etat juif : elle ne peut donc se proposer la solution démocratique, c'est-à-dire la désionisation de l'Etat, sa transformation en Etat laïque, sans discrimination confessionnelle. Car l'Etat juif est structurellement, sur le plan de son idéologie comme de ses institutions, incompatible avec ce type de transformation, qui en ferait, dans n'importe quelles frontières, l'Etat de ses habitants, arabes et juifs. Et c'est pourquoi la gauche sioniste, qui insiste sur ce que l'écrivain israélien A.B. Yehoshu'a appelle, avec un humour qui lui échappe, "le droit des peuples à vivre tout seuls" [4], ne peut que proposer une formule utopique de coexistence étanche et "pacifique", où les Arabes consentiraient de leur plein gré à l'inégalité et à l'absence de réciprocité.
En fait, comme bien souvent par le passé, la discussion n'a plus rien à voir avec son objet propre. Les grands débats stratégiques au sein du gouvernement sioniste, qui impliquent des choix pratiques divergents par rapport aux Arabes, ne proviennent que rarement d'une différence de principe concernant les objectifs. Il s'agit plutôt, comme nous l'avons vu tout au long de l'histoire de la colonisation, d'une évaluation différente des rapports de forces et des possibilités, mettant en cause des attitudes qui tiennent de la psychologie, de l'esthétique (du style) et de l'idéologie, plus que de la pratique politique. En 1920, alors que les "révisionnistes" considéraient inévitable le heurt avec les Arabes, les "socialistes" pensaient que ceux-ci s'en iraient peut-être de leur plein gré. Les modérés sont des optimistes, et ceux qui sont sans illusions, des extrémistes. Les premiers, inspirés par leur idéal, recréent dans leur tête et dans leurs discours une réalité fantasmagorique ou qui s'harmonise avec leur "modération" ; les seconds, qui ont les pieds sur terre, sont "réalistes". Inaugurant à Jérusalem, en 1970, le cinquantenaire de la Histadrouth (syndicat), son secrétaire général de l'époque, Yitzhak Ben-Aharon, rendait hommage à "la puissance de la vision de ces pionniers, qui osèrent faire abstraction des conditions qui les entouraient". Car l'idéologie sioniste, qui cimentait le mouvement d'immigration et de colonisation juive en Palestine avant la création de l'Etat d'Israël, se présentait comme une utopie pratique où le volontarisme le plus échevelé était imbriqué dans le pragmatisme le plus froid. Tant et si bien que réalisme et volontarisme s'entre-croisent et se chevauchent, engendrait tantôt la modération et la recherche du compromis, tantôt l'intransigeance et la détermination à l'affrontement. Ce schéma réapparaît aujourd'hui dans toute discussion publique, en Israël, sur la question du rapport aux Arabes : deux espèces contradictoires de "réalistes" s'affrontent. Ceux qui admettent, à la rigueur, que le sionisme constitue une injustice à l'égard des Arabes, mais se réfugient derrière la loi de la jungle et l'égoïsme sacré de l'espèce, sont les "durs". Face à eux les "réalistes" montrent du doigt les rapports de forces régionaux et surtout internationaux, et en concluent qu'un compromis est nécessaire. Enfin, insensibles (du moins en théorie) à ces contingences hostiles, les "idéalistes", les naïfs, les vertueux, qu'ils nient purement et simplement l'existence de droits arabes, ou que la colonisation les ait en rien bafoués.
Le Mapam, aile dite marxiste du sionisme ouvrier, appartient à cette dernière catégorie. Dès les années 1930, Ha-Shomer Ha-Tsaïr, le mouvement dont le Mapam est issu, "théorise" cette attitude. Alors même que la colonisation "ouvrière", urbaine ou agricole, frappe de plein fouet les fellahs et les paysans sans terre, tandis que les "féodaux" et les grands propriétaires terriens (arabes) font des affaires avec les spéculateurs, Ha-Shomer Ha-Tsaïr enseigne qu'il n'y a aucune contradiction entre le sionisme "ouvrier" et les "vrais" intérêts des masses arabes. Le conflit, dans cette perspective, oppose le "socialisme" des colons au "féodalisme réactionnaire" des dirigeants arabes. A la limite peut-on admettre que la "droite" sioniste, les capitalistes privés employeurs de main-d'oeuvre arabe, soient des "ennemis de classe" de leurs journaliers. Que ces derniers rejoignent donc, s'ils le veulent, les rangs du Mapam, qui les défendra !
C'est que pour le Mapam, comme l'expliquait Dov Bar-Nir [5], le sionisme n'est pas seulement "le mouvement national du peuple juif", mais la "solution marxiste de la question juive" : d'où il découle que tout Arabe "vraiment" marxiste doit être lui-même partisan du sionisme. D'où il découle aussi que le conflit avec les Arabes n'a pas de véritable base objective, et ne peut s'expliquer que par la haine chauvine et antisémite des Arabes (sublimation des intérêts réactionnaires des "féodaux") ou par des manipulations de type politico-policier.
Ce qui caractérise ces fables auto-satisfaisantes, c'est le racisme conceptuel qui prive les Arabes, et, en particulier les Arabes de Palestine, de cette dimension - la conscience nationale - que les sionistes ne cessent d'encenser chez eux-mêmes. Le nationalisme arabe prend figure de maladie mentale, tandis que tout s'explique par l'intérêt économique. Les "aspirations" juives, par contr, sont tout à la fois matériellement fondées et moralement sublimes. Si bien qu'on peut se demander si cette mythologie paternaliste et bienveillante "vaut mieux" que le bellicisme cynique et proclamé des "durs". Qui méprise le plus les Arabes de Galilée : Koenig, qui alerte son ministre sur la montée d'un nationalisme qu'il considère fondé sur des données objectives, ou le Mapam, qui brandit une fiction de propagande plus misérable encore, selon laquelle les Arabes d'Israël, loyaux citoyens de l'Etat juif, sont dans leur grande majorité satisfaits, et que seuls les parano-ségrégationnistes du genre Koenig les poussent dans les bras du Parti communiste ? Question sans réponse. Mais il faut souligner que pas un des détracteurs sionistes de Koenig n'a remis en question les prémisses de son argumentation, à savoir que la Galilée est et doit rester "juive", c'est-à-dire à "majorité juive". C'est sur l'opportunité d'un diagnostic, et d'une série de propositions concrètes, que porte la discussion, et non sur leur finalité.
N'y a-t-il donc, derrière la campagne menée par la "gauche" sioniste, Mapam en tête, contre le préfet de la Galilée, que la logique formelle d'une réthorique d'école ? Sans doute pas. Derrière cette querelle, surgit le vieil antagonisme entre "travail arabe" et "travail hébreu", la vieille discussion entre les capitalistes coloniaux, exploiteurs de la main-d'oeuvre indigène, et les colons-travailleurs, expulseurs d'autochtones. Il est significatif que le Mapam, dont la base sociale et électorale est à 95 % celle du mouvement "kibboutzique", endosse aujourd'hui le programme des premiers. Les ouvriers immigrants des années 1920 et 1930, qui luttaient contre la concurrence arabe sur le marché du travail où ils venaient louer leurs bras, sont devenus les propriétaires-coopérateurs de grosses entreprises agricoles et industrielles employant des milliers de salariés, juifs et arabes, et ils ont aujourd'hui des plans pour prolétariser la population arabe dont ils ont pris les terres : les rapports de forces ont changé, les lignes de clivage aussi.
Les signes sont nombreux, dans le paysage social de la Galilée de ces dernières années, de cette remise en question pratique de la conception traditionnelle du "sionisme ouvrier".
Ainsi, par exemple, la pratique, révélée au grand jour par la presse à la fin de l'année 1975, qui consiste pour des "collectivités agricoles" juives, kibboutzim ou moshavim, à louer, à affermer, ou à mettre en métayage - chez des Arabes - une partie de "leurs" trop vastes terres. Les institutions sionistes centrales, alertées, tinrent contre les quelque douze colonies impliquées dans ce "scandale" une sorte de procès disciplinaire assorti d'amendes [6], tandis que les dirigeants de l'Agence juive, indignés, soulignaient que "le pire, c'est que ces terres étaient parfois louées à des Arabes qui en étaient, avant 1948, les propriétaires légaux !" Scandale, non pas bien sûr à cause de l'humiliante absurdité du rapport social et humain impliqué ; scandale parce que "par ce biais" des Arabes, qui ont précédemment été expropriés, "reviennent". Des divergences de vue peuvent exister concernant l'avenir, la stratégie et la tactique, l'analyse et le vocabulaire. Mais une exigence de principe, aujourd'hui en Galilée comme en 1948 autour du Comité du transfert rétroactif, unit toutes les ailes du mouvement sioniste : le fait accompli est sacré, ce qui est pris est pris, ceux qui sont partis ne doivent pas revenir, et les terres confisquées ne seront pas rendues.
On l'a bien vu en 1972, alors que les réfugiés des villages d'Ikrit et de Bir'em, sous la houlette de leur curé, exigèrent poliment mais fermement, le respect de leurs droits. La frange des sionistes "de gauche", qui soutint la légitimité de leur désir de réintégrer leurs foyers, prétextait d'une spécificité de Bir'em et Ikrit par rapport à l'ensemble des villages palestiniens détruits ou vidés de leurs habitants (ce sont des chrétiens, ils sont loyaux à l'Etat, et la Cour suprême les a justifiés en 1953 !). La "gauche" sioniste ne proposait pas de rendre les terres, en tous cas pas les terres exploitées par les colonies juives de la région, et surtout pas celles occupées par le kibboutz Bar'am (du Mapam). Le gouvernement de golda Meïr et Moshé Dayan répondit à l'époque  "Il n'y a aucune différence entre Ikrit, Bir'em, et tous les autres villages arabes. Si nous laissons ceux-ci rentrer, il faudra les laisser tous revenir." Le gouvernement accepta de débattre de la question, et une décision fut prise : les réfugiés d'Ikrit et de Bir'em ne rentreraient pas.
Mais s'il est facile à l'Etat sioniste d'empêcher une poignée de villageois pacifiques de reconstruire leurs maisons bombardées, il est moins aisé de barrer la route aux processus économiques.
A Nazareth-Illit, par exemple, l'année 1975 fit apparaître au grand jour cette contradiction. Construite au début des années 1960, sur les terres confisquées des villages arabes entourant la ville arabe de Nazareth, Nazareth-la-haute était une ville "de développement" : entendez une ville où, pour des raisons de colonisation, l'Etat sioniste veut attirer des juifs, nouveaux immigrants et citoyens israéliens. L'Etat investit donc, à perte, pour créer (au milieu du désert du Néguev ou au centre de la Galilée et de sa dense population arabe) l'infrastructure d'une ville. Et pour que cette ville soit "juive", il suffit d'en confier la totalité de la gestion immobilière à l'Agence juive, de la même manière que la gestion foncière des terres confisquées est confiée au Fonds national juif. Des facilités fiscales et de crédit sont ouvertes aux Juifs qui veulent bien s'installer dans ces villes nouvelles, tandis que les industriels sont invités à y employer, avec des profits garantis par l'Etat, les ouvriers auxquels on vend, à des conditions de crédit tout à fait avantageuses, des appartements qui valent le dixième de leur équivalent à Tel-Aviv ou dans n'importe quelle autre "vraie" ville (où la propriété immobilière est privée, et obéit aux lois universelles de l'offre et de la demande). Ces "villes de développement", colonies urbaines, sont donc destinées à judaïser, soit des régions désertiques, soit ce que Weitz appelait un "désert humain" - entendez une région où les juifs sont peu nombreux. Telle était Nazareth-la-haute, conçue comme sa soeur jumelle Karmiel, pour "équilibrer" la démographie galopante des Arabes au coeur de cette Galilée dont Yadin et Weitz prévoyaient déjà, en 1948, que la concentration de population arabe allait y créer un problème insoluble pour l'Etat juif.
A Karmiel déjà, en février 1942, le quotidien Ha'aretz relatait l'incident suivant :
"Muhammad Ma'arouf", un ex-officier druze du corps des garde-frontières d'Israël, "s'adressa au conseil municipal en suggérant la fondation d'une usine de briques qui emploierait de cinquante à soixante ouvriers, et dans laquelle il était prêt à investir un million et demi de livres israéliennes. Petit à petit, la rumeur commença à se répandre en ville : les Arabes arrivent, les Arabes arrivent ! Ouvriers, dirigeants, fonctionnaires et simples employés de l'Administration levèrent l'étendard de la révolte, accusant des personnalités locales de saboter le Plan de judaïsation de la Galilée."
Muhammad Ma'arouf, pourtant, collaborateur professionnel, à la carrière passée dans la répression au service de l'Etat sioniste, présentait toutes les garanties de "sécurité" possibles et imaginables. Rien n'y fit. Les autorités, c'est-à-dire en dernier ressort l'Agence juive, le F.N.J., la Direction des terres d'Israël et le gouvernement, cédant, non seulement à l'exigence de cohérence idéologique et institutionnelle, décidèrent que Muhammad Ma'arouf n'avait pas le droit d'ouvrir une affaire à Karmiel, ville de développement, parce qu'il n'était pas juif. Collaborateur certes, mais non-juif néanmoins. Lorsque la colonisation est en jeu, toutes les divisions confessionnelles et communautaires institutionnalisées par l'Etat sioniste au sein de la population palestinienne tombent. Les druzes, secte musulmane devenue communauté, Arabes enracinés depuis plusieurs siècles au Liban, en Syrie et en Palestine, séparés des "autres" communautés confessionnelles arabes par la loi qui les soumet à la conscription obligatoire (alors que les musulmans sunnites ou chi'ites en sont exempts), sont "bons pour le service", mais pas pour habiter à Karmiel ou à Kiriat-Gat, dans le désert du Néguev, ou à Ramat-Eshkol, dans la banlieue de Jérusalem-Est, ou dans n'importe quelle autre "ville de développement". On proposa à Ma'arouf un compromis : il pourrait installer son affaire, à la lisière extérieure de la municipalité de Karmiel.
Nazareth-la-haute (Illit), dans cette perspective, est un modèle. Surplombant la ville arabe, où le Parti communiste devait "prendre" la municipalité en décembre 1975, la ville haute se glorifie d'être entièrement 'araber-rein', vide d'Arabes. Certes, des Arabes y travaillent ; mais ils viennent le matin et rentrent le soir chez eux. Bien sûr, les Juifs aussi descendent faire des emplettes dans la ville arabe, aussi vivante, ancienne et diverse que l'autre est morne, géométrique et monotone. Ce qui ne va pas toujours sans heurts. Ainsi, un jour de 1972, un groupe de nouveaux immigrants, fraîchement débarqués de Géorgie soviétique et installés à Nazareth-Illit, se promènent dans la ville arabe, lorsqu'ils voient une femme de leur clan, une Juive géorgienne qu'ils connaissent, assise seule dans une voiture avec un Arabe. Sans autre forme de procès, ils tuent l'homme et rasent la femme. "Affaire" ? Pas vraiment. L'opinion "comprend" qu'il s'agit de Géorgiens, de "primitifs". Et puis l'honneur des femmes est un sujet chatouilleux qui aurait tendance à unifier juifs et Arabes plus qu'à les diviser. Le scandale arrive ailleurs, plus tard, à propos de sujets vraiment cruciaux : la propriété, la terre, et l'espace.
Car en 1975, on apprend que plus de 15 % des appartements de Nazareth-Illit ont été loués, ou vendus, par des Juifs sans conscience, à... des Arabes de Nazareth ! On révéla que des habitants arabes de la basse-ville avaient payé des prix exhorbitants, allant jusqu'au triple du cours normal de l'immobilier, pour le privilège de posséder un logement dans la nouvelle cité de l'apartheid qui défigure le paysage confisqué.
Instantanément, tous les projets de transformation de la ville de développement en ville tout court, destinés à permettre, par "l'unification", la liquidation de la municipalité arabe de Nazareth, sont bazardés. Déjà, les habitants de Nazareth-la-haute, sous la conduite de leur maire, se sont organisés en Comité de défense du caractère juif de la ville et menacent de passer à l'action violente directe "si les autorités ne font rien pour barrer la voie à la pénétration arabe !"
C'est que l'apartheid - nécessité idéologique pour le sionisme, mais aussi exigence des petits colons - est le seul compromis possible entre les deux limites de la situation coloniale que celle-ci ne peut jamais atteindre sans s'abolir elle-même : l'expulsion (ou l'extermination) qui élimine l'indigène de la dynamique sociale, et l'assimilation-intégration, qui le transforme en fonction indispensable dans le système de production.
Ainsi peut-on lire, en avril 1977, que Haïm Bar-Lev, ministre israélien du Commerce et de l'Industrie [7] et lui-même lié à ce qu'on appelle en Israël "la nouvelle bourgeoisie", avait proposé "d'encourager la construction de logements pour les minorités" (entendez les Arabes) "dans les villes de développement". Suggestion immédiatement dénoncée par les instances "colonisatrices" - Agence juive, F.N.J., etc. -, promptes à mobiliser le chauvinisme paranoïaque du petit colon de base. Mais l'enjeu de ce conflit dépasse le simple cadre des villes de développement. Plusieurs dizaines de milliers de travailleurs des territoires occupés, et en particulier de la bande de Gaza (elle-même peuplée de réfugiés de la guerre de 1948) travaillent quotidiennement à Tel-Aviv. Ali sans-terre [jeune Arabe venu "vivre" à Tel-Aviv, sujet d'une enquête sociologique évoquée dans le premier chapitre de l'ouvrage d'Ilan Halevy : Sous Israël, la Palestine, dont est extrait ce texte], dans son récit, illustre suffisamment les difficultés de logement d'un Arabe "israélien", à Tel-Aviv. Mais les travailleurs de Gaza, s'ils n'ont pas de permis du gouvernement militaire - qui n'en délivre que sur la demande d'un employeur israélien prêt à supporter des charges salariales (40 % du montant du salaire !) -, doivent travailler au noir. Pour éviter qu'ils ne se fassent arrêter la nuit (ce qui signifie que la matinée suivante doit être "gaspillée" à les dédouaner), leurs employeurs les enferment dans les locaux où ils dorment, hangars, débarras, cagibis, etc. "Comme cela", explique l'un de ces employeurs "je les ai sous la main lorsque j'arrive le matin". Le journal Yedioth Aharonoth du 18 février 1976 raconte comment trois jeunes ouvriers arabes de la bande de Gaza sont morts dans un incendie, parce que leur employeur israélien les avait purement et simplement bouclés.
C'est le dilemme dont parlait Toledano, comparant les démérites de l'habitat "mixte" et des ghettos. Car de la même façon que les Arabes sont partout présents en Galilée, le travail arabe, même minoritaire, se rencontre partout. Pas une ville de développement, pas une colonie agricole qui ne soit, au moins partiellement, dépendante du travail salarié arabe. L'enjeu n'est donc pas la présence réelle des Arabes dans le paysage économique, mais bien le degré de légitimation qu'il convient de conférer à cette présence.
Tel est le dilemme, telle est la physionomie actuelle du "problème arabe" en Galilée, dans le Triangle, dans le Néguev, dans les villes "mixtes". Pour un ensemble de raisons qui trouvent leur source dans les origines idéologiques du sionisme, et interdisent le développement d'un nationalisme israélien, "cananéen" [8], dissocié du judaïsme et de son exclusivisme tribal, la solution de l'intégration conséquente (y compris à l'armée) a été rejetée par principe, et le problème est devenu insoluble dans les conditions actuelles du conflit. Que va-t-il donc se passer ?
Les élections législatives du 17 mai 1977, en amenant au pouvoir le Likoud de Menahem Begin - la "vieille droite" de l'aile "révisionniste" du mouvement sioniste -, vont reposer la question en des termes sensiblement nouveaux. Car les nouveaux dirigeants et leurs alliés "nationaux-religieux" du parti de Koenig ne laissent plus subsister, dans leurs discours, la moindre ambiguïté quant à leurs projets. Affirmant publiquement que les territoires occupés en 1967 ont été "libérés" à jamais, Begin déclare : "Nous pouvons coexister en paix avec les Arabes de Judée et de Samarie [Cisjordanie], ainsi que nous coexistons avec les Arabes de Galilée [Israël "de 1948"] depuis vingt-neuf ans." Et c'est ainsi que les territoires occupés depuis 1948 vont rivaliser avec les territoires conquis en 1967 dans l'illustration de cette "coexistence pacifique" aux couleurs de l'expropriation permanente : confiscations, répression, discrimination. Au cours de l'été 1977, une nouvelle politique, qui constitue une mise en application partielle des recommandations de Koenig, commence d'être mise en oeuvre. Elle concerne ce que le nouveau ministre de l'Agriculture, le fameux général Arik Sharon, définit, dans une interview donnée le 9 septembre 1977, comme "l'occupation illégale des terres de l'Etat par les Arabes". Il s'agit de détruire toutes les "constructions illégales" des citoyens arabes. Par définition, sont illégales toutes les constructions, ou parties de constructions qui n'ont pas été spécifiquement permises. Evidemment, les autorités sont lentes, et souvent réticentes, à délivrer les permis de construire. Lorsqu'il s'agit de citoyens arabes qui demandent à construire dans des régions où existent des plans de confiscations et de "judaïsation", c'est-à-dire toutes celles, comme le faisait remarquer Koenig, dont la démographie arabe menace le "caractère juif" de l'Etat, les permis sont purement et simplement refusés.
Les villageois privés d'espace, souffrant de la surpopulation, alors qu'ils sont entourés de vastes terres passées, pour la plupart par la force en 1948, aux mains des colonies juives avoisinantes, finissent par construire "illégalement", des maisons. Au bout d'un délai variable de procédure, vient alors l'exécution : les bulldozers des entrepreneurs détruisent les constructions "sauvages". Au cours de la seule année 1977, plus de huit cents maisons d'habitation arabes sont ainsi détruites, sous le simple prétexte d'application des règlements concernant l'octroi des permis de construire.
Mieux encore, cette politique de persécution est mise en oeuvre à l'encontre des bédouins jusque dans les dunes et les montagnes de pierres du désert du Néguev. Au cours du mois de septembre 1977, des dizaines de "bâtiments illégaux", érigés par des bédouins, sont rasés. Une "patrouille verte", unité spécialement conçue par les autorités à cet effet, est chargée d'exercer sur les contrevenants éventuels une surveillance incessante. Et le général Avraham Yaffé, commandant la région Sud, tient aux cheikhs bédouins, qu'il a réunis pour la circonstance, cet éloquent discours : "Les contrôleurs" (équipés d'hélicoptères) "seront comme des aigles sur vos têtes" [9]. Et ainsi peut-on lire [10] : "Deux bédouins arrêtés : ils sont soupçonnés d'avoir planté leur tente sans permis."
Mais, plus d'un an après le Jour de la terre, ces pratiques ne "passent" plus sans susciter de réaction chez les victimes. Tandis que les cheikhs bédouins annoncent solennellement qu'ils ne se laisseront pas intimider, qu'ils ne bougeront pas de leurs terres, et qu'"aucune patrouille verte ne pourra nous empêcher de vivre dans notre patrie" [11], les habitants des villages de Galilée commencent à résister, localement, aux destructions de maisons. Le 7 novembre 1977, à Majd-el-Kurum, en Galilée occidentale, c'est l'émeute : le village tout entier s'oppose à la démolition d'une maison où vit une famille entière. La police, venue en force (un détachement de cent policiers armés accompagne le bulldozer), tire dans le tas : un mort, plusieurs dizaines de blessés. En Galilée, la colonisation continue de tuer. Ceux qui se berçaient de l'illusion que les violences du Jour de la terre constituaient un épisode isolé doivent se rendre à l'évidence : la "judaïsation" se heurte à une résistance croissante.
Le 23 septembre 1977, la totalité de la population de la bourgade d'Oumm elFahm, d'où est parti le mouvement des Fils du pays, observe une grève générale pour protester contre le manque d'eau. Une manifestation monstre, à laquelle tous participent, se déroule sans incident, la police ayant préféré éviter l'affrontement. Le lendemain, ce sont tous les écoliers, élèves et étudiants qui se mettent en grève pour exiger l'ouverture de classes secondaires dans le village. Simultanément, la police arrête, dans le nord de la Galilée, un groupe de jeunes druzes : ils sont accusés d'avoir occupé, "illégalement", et même d'avoir commencé à labourer, des terres déjà confisquées et promises à la colonisation juive.
C'est que depuis le 30 mars 1976, et plus encore depuis la publication du rapport Koenig, quelque chose a changé chez les Arabes de l'intérieur. Tout l'édifice d'hypocrisie construit sous l'administration Toledano, ce double langage dans lequel la judaïsation s'appelait développement, s'est effondré. Rien ne sera jamais plus comme avant. Désormais, des deux côtés, et en dépit des tentatives de le vêtir à nouveau, le roi est nu.
Le rapport Koenig, consécration logique de cent ans de colonisation, a levé devant les Arabes d'Israël l'équivoque concernant la vraie nature de leur "citoyenneté" dans l'Etat juif. Et d'ores et déjà, l'essentiel des cartes a été mis sur la table, et la partie engagée.
Il s'agit cependant de comprendre son enjeu.
Car ce qui est en question, en Galilée et ailleurs, partout où vivent des Arabes à l'intérieur de l'Etat d'Israël, n'est rien moins que le "caractère juif" de l'Etat, c'est-à-dire son caractère sioniste.
Rien ne permet jamais d'affirmer que l'avenir ressemblera au passé. Cent ans de colonisation ne prouvent rien sinon la tradition, la trajectoire, l'histoire et les habitudes des hommes qui dirigent Israël aujourd'hui. Cette histoire n'est pas une fatalité immuable, elle n'est pas non plus une simple péripétie. Dans d'autres circonstances, dans d'autres rapports de forces, dans le cadre d'autres structures de pouvoir que celles qui existent aujourd'hui en Israël, une dé-colonisation est théoriquement possible, qui définirait pour Israël des "buts nationaux", non pas "des buts nationaux juifs auxquels des Arabes ne sauraient en aucun cas s'identifier", mais des buts humains. Ce n'est pas nier cette possibilité que de constater que telle n'est pas la direction suivie, ni même l'intention proclamée d'aucune des factions qui se partagent le pouvoir aujourd'hui.
Alors, la paix ?
La liquidation du conflit israélo-arabe ne constitue-t-elle pas la clef d'une problématique qui n'en est qu'un contre-coup ? Grande est la tentation de le croire. D'imaginer qu'avec la résorption de la guerre israélo-arabe, le sort de la minorité arabe palestinienne au sein de l'Etat sioniste, le sort de ces otages, changera.
Cet embryon d'étude démontre le contraire : les rapports qui se sont établis entre Juifs et Arabes, entre Israéliens et Palestiniens à l'intérieur même de l'Etat sioniste ne sont pas l'effet de la guerre et du conflit. Ils découlent directement - ainsi que nous avons tenté de l'illustrer - de la nature même du projet sioniste, de ses fondements idéologiques et de ses implications pratiques. Non pas contre-coup, mais racine même du conflit.
Ceci jette un jour singulier sur la nature de la paix mise à l'ordre du jour, des Grands et de la plupart des régimes de la région. Cette "paix" - dont la formule a été à nouveau précisée par l'Assemblée générale des Nations Unies au cours de l'été 1976 - suppose le "règlement du problème palestinien" sur la base de la coexistence de deux Etats : l'Etat sioniste, réduit à ses frontières du 4 juin 1967, et un Etat palestinien. C'est, avec quarante ans de retard, le Plan de partage de la Palestine qu'il s'agit d'appliquer, dans des limites territoriales qui entérinent les annexions de 1948-1949.
Outre que cette "paix négociée" suppose l'évacuation israélienne des territoires occupés au cours de la guerre dite des six jours ; outre qu'elle suppose la résolution du problème de la représentativité palestinienne dans la négociation ; outre qu'elle implique un contexte international, et régional, favorable au succès d'une telle négociation, le problème des Arabes d'Israël (aujourd'hui un demi-million, dans dix ans un million de Palestiniens), reste entier.
Car 'pax americana', conférence de Genève ou pas, Plan Rogers ou mini-Etat, les Arabes de Tel-Aviv et de Haïfa, de Ramleh et de Dir-Hanna resteront dans un Etat qui trouvera dans le partage, ainsi que l'exposait Ben Gourion en 1937, la justification de son "caractère juif" et du principe de transfert. La sous-citoyenneté des non-juifs dans l'Etat juif exprime la réalité du transfert innaccompli, inachevé, imparfait. "On ne fait pas toujours ce qu'on veut..."
Il est vrai que les Nations Unies ne parlent pas seulement de partage (en l'occurrence d'évacuation israélienne des territoires occupés en 1967). Elles parlent aussi de "retour des réfugiés dans leurs foyers". Mais l'ennui, c'est que dans bien des cas, "leurs foyers" n'existent plus. A leur place s'élèvent des villes, des villages, des fermes, des usines, ou vivent et travaillent des gens - des Israéliens, fils de colons juifs d'Europe ou d'immigrants juifs du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord.
L'ennui est que cette clause concernant le retour des réfugiés est destinée à rester lettre morte tant que le sionisme est l'idéologie officielle et effective de l'Etat d'Israël. La question est bien, ainsi qu'aiment à le répéter les sionistes, celle du "caractère juif de l'Etat". La question n'est pas celle des frontières mais celle des rapports sociaux et politiques entre juifs et non-juifs dans l'Etat d'Israël. Car même si la Galilée, le Triangle, où les Arabes constituent, aujourd'hui déjà, la majorité de la population, pouvaient être détachés d'Israël et rattachés à l'Etat palestinien projeté, la question subsisterait. Elle subsisterait, non seulement à cause des réfugiés de Beersheva, d'Ashkelon, de Jaffa et de Lod, mais aussi à cause de la petite minorité arabe restée dans ces villes, à cause de ceux "qui ne partiront pas" [12].
La question est celle de l'Etat juif. Tant qu'en Israël on "sauve" la terre quand on la "judaïse", tant que juif et non-juif constituent des catégories sociales étanches, fondamentales pour le régime, Koenig continuera de ne choquer que les naïfs et les tartuffes ; le retour des réfugiés - même dans d'autres foyers que les leurs, disparus - restera un voeu pieux ; la question restera béante, et le "problème arabe" de l'Etat juif un problème sans solution.
Le fameux partage dont on parle depuis 1937, risque, s'il voit le jour, de ne servir qu'à déplacer le centre de gravité du conflit, sans pour autant le désamorcer, sans pour autant en éteindre le foyer. Et au lendemain de ce partage imparfait, Israël deviendrait un nouvel Ulster, où la Galilée jouerait le rôle des comtés catholiques, et les quartiers arabes des grandes villes israéliennes celui des ghettos de Belfast.
C'est pourquoi il convient de bien lire les pages qui précèdent. Car déjà maintenant, après le 30 mars 1976, après les heurts violents qui se sont produits, le 30 mars 1977, dans les villages de Baq'a elGharbiyyé et Jatt, et le 8 novembre 1977 à Majd elKurum dans le Triangle ; après les victoires électorales du Parti communiste au sein d'une population dominée pandant plusieurs décennies par le collaborationisme le plus éhonté ; après cet extraordinairement "relèvement de la tête", on s'interroge : comment donc ? Les Arabes d'Israël bougent ? Comme c'est curieux... Mais bah ! c'est le nationalisme...
Non. C'est le prolongement direct d'une histoire centenaire. Koenig peut se tromper ici et là dans son évaluation : il surestime le P.C., et lui prête des intentions qu'il n'a pas. Il sous-estime l'impact des liens économiques qui font dépendre la population arabe de l'économie "juive", et il ignore absolument la problématique d'une identité nationale déchirée entre l'arabisme et le "palestinisme". Mais il ne se trompe pas sur la direction générale : les processus engagés au sein de la population arabe d'Israël sont destinés à remettre en cause, tôt ou tard, la souveraineté de l'Etat sioniste sur des régions particulières, et notamment dans le nord du pays où les Arabes constituent la majorité de la population.
Un plan de paix qui se borne à un ensemble de recommandations territoriales, laissant subsister le régime sioniste (dans n'importe quelles frontières) en tant que régime fondé sur la discrimination institutionnelle entre juif et non-juif, ne peut constituer une base de paix durable. Non parce qu'un tel plan est immoral, mais parce qu'il est irréaliste, et somme toute naïf, de croire qu'il pourrait faire plus que de repousser de quelques années une confrontation dont les racines plongent - par-delà les vagues de confiscation de terres, d'humiliation et de répression - dans l'histoire centenaire de la colonisation.
- Notes :
[1] : La société israélienne est périodiquement secouée par des "affaires" (cf. l'affaire Lavon). La publication du rapport Koenig, entre deux scandales financiers et un suicide de ministre, en fut une.
[2] : Qui déborde la Galilée.
[3] : "Séparés, mais égaux". La formule étaitde Booker T. Washington, ancien esclave devenu dirigeant, et ancêtre du "développement séparé".
[4] : Zkhout Ha'Amim lishkon Baddad, littéralement, "le droit des peuples à résider solitairement". Telles sont les limites politiques de A.B. Yehoshu'a, certainement le meilleur, sinon le seul grand écrivain israélien de ces dernières années. Descendant du "vieux Yishouv", A.B. Yehoshu'a, dont l'oeuvre romanesque dépasse de très loin la timidité de la démarche politique, est militant du "camp de la paix" sioniste.
[5] : In Les Temps Modernes, juin 1967.
[6] : Les "amendes" infligées consistent en "contributions" versées à un fonds géré par le FNJ et l'Agence juive, à des fins qui restent à dterminer. Ces "contributions" sont évidemment déduites des profits imposables, ce qui rend l'opération relativement peu coûteuse.
[7] : Et auteur-concepteur, en tant que chef d'état-major, de la fameuse ligne fortifiée du Sinaï, dont l'humour populaire disait, au lendemain de la guerre d'octobre 1973, que tout ce qui en reste ce sont les villas des entrepreneurs qui ont fait leur beurre en la construisant.
[8] : Le courant dit "cananéen" prit une certaine importance dans la colonie juive de Palestine au cours des années 1930. Porteur de la conception d'un nationalisme israélien laïque, le "canaanisme" rejette l'identification avec le monde juif hors de Palestine, et exalte l'idée d'une "nouvelle nation" orientale, "cananéenne", à la construction de laquelle les Arabes palestiniens sont invités à participer.
Courant idéologico-politique condamné à la marginalité par le poids écrasant, physique et politique, du "monde juif" dans la société israélienne en cours de constitution, le canaanisme des années 1930, comme certains secteurs du courant révisionniste, est plutôt fascisant, attiré par le modèle italien. Mais sa base reste la distinction entre hébreu, ou israélien, et juif. Le premier cananéen fut, dit-on, à la fin du XIXème siècle, Yitamar Ben Avi, dont le père, Eliezer Ben Yehuda, renouvela et modernisa, à la tête du "cercle de Jérusalem", la langue hébreue. Yitamar, né à Jérusalem et élevé dans la seule connaissance de la langue hébreue, déclarait volontiers que cette barrière de langue, et de mentalité, entre lui et "les juifs", fondait, en ce qui le concernait, une identité nouvelle, cananéenne. Des courants néo-cananéens devaient se faire jour vers la fin des années 1950, avec l'émergence du courant dit de l'Action sémitique, dominé par le journaliste Ouri Avneri. Il ne devait pas survivre à l'épreuve de 1967 : Avneri retourna dans le giron du "sionisme modéré", tandis que les franges radicales du mouvement passaient au socialisme révolutionnaire (Matzpen).
[9] : Al Ha-Mishmar (quotidien du Mapam), le 17 octobre 1977.
[10] : Ha'aretz (quotidien "libéral"), le19 octobre 1977.
[11] : Zo Ha-Derekh (hebdomadaire hébreu du P.C. israélien), le 17 octobre 1977.
[12] : "Nous ne partirons pass", leit-motiv d'un des plus célèbres poèmes du député-maire de Nazareth, Tawfiq Ziyad.
                                                   
Revue de presse

                                               
1. Au sommet économique mondial, de nombreux dirigeants exhortent les Etats-Unis à s'occuper du Moyen-Orient bille en tête par Todd S. Purdum
in The New York Times (quotidien américain) du lundi 4 février 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Que ce soit dans des discours, au cours de forums et ou bien encore lors des multiples rencontres qui ont meublé quatre jours d'une intense activité diplomatique privée, les dirigeants du monde entier réunis à Manhattan pour le Sommet Economique Mondial ont mis en garde de manière répétée l'administration Bush contre l'illusion qu'elle nourrirait à penser remporter la guerre mondiale menée actuellement contre le terrorisme sans s'occuper dès maintenant du problème du Moyen-Orient. Par ailleurs, en dépit de certains signes d'une reprise du dialogue entre Israël et les Palestiniens, le progrès vers la paix demeure extrêmement ténu.
Le premier ministre israélien Ariel Sharon étant annoncé à la Maison Blanche mercredi prochain, le président Bush est confronté à de nouvelles pressions des alliés européens et moyen-orientaux de Washington, en vue d'une percée, fût-elle modeste, susceptible d'apaiser la récente vague de violence et de polémique très dure, qui a placé Yasser Arafat, le dirigeant palestinien, dans un isolement encore plus impitoyable et rendu l'administration Bush plus intimement alignée que jamais sur l'approche jusqu'au-boutiste de M. Sharon.
"Notre objectif est - il doit être - de trouver une solution juste au conflit central qui a abouti au blocage des avancées au Moyen-Orient, et qui a répandu le terrorisme partout dans le monde", a déclaré hier après-midi le roi de Jordanie, Abdullah II, devant plus de deux mille hautes personnalités politiques, responsables économiques et universitaires. "La communauté internationale doit s'employer sans délai à trouver une solution au conflit arabo-israélien".
Les observations du souverain jordanien ont été largement commentées autour de l'hôtel Waldorf-Astoria, durant tout le week-end, et pas toujours en des termes aussi choisis et aussi policés que le furent les siens...
Durant un débat sur la menace de terrorisme chimique ou biologique ou de prolifération nucléaire, un aréopage à forte participation arabe a conclu que "le sabre israélo-palestinien" devait être rengainé au fourreau et que "les colonies israéliennes devaient être démantelée "si l'on ne voulait pas créer un degré de frustration qui rendrait des attentats terroristes inévitables à l'avenir", pour reprendre la formulation lapidaire de l'un des participants.
Le ministre turc des Affaires étrangères, Ismail Cem, a déclaré très simplement, durant un séminaire tenu vendredi dernier : "il semble que nous soyons confrontés à une sorte de suicide mutuel, à un processus suicidaire pour les deux nations."
Javier Solana, directeur de la politique étrangère et de la sécurité de l'Union européenne, a évoqué "notre frustration, notre tristesse" devant le blocage du processus de paix, ajoutant que la communauté internationale a(vait) le devoir "de s'engager et de s'engager même très rapidement. Non seulement immédiatement : de s'engager de manière intensive". Il a déclaré que l'Autorité palestinienne "doit faire tout son possible afin de mettre un terme à la violence". Mais il a ajouté : "le gouvernement israélien doit s'engager sans tarder, en ayant en vue quelque perspective politique."
Les récentes critiques formulées par M. Bush à l'égard de M. Arafat, et son adoption quasi-publique de la position de M. Sharon selon laquelle le dirigeant palestinien ne saurait être cru sur paroles ont causé quelques murmures irrités parmi les participants au sommet.
Mais on y reconnaissait également que seuls les Etats-Unis ont le pouvoir leur permettant d'inciter les deux parties à progresser. Il en découlait que les appels à passer à l'action visaient de façon très claire l'administration Bush et personne d'autre.
Hubert Védrine, le ministre français des Affaires étrangères, fréquemment critique vis-à-vis de la politique américaine, a rendu hommage aux efforts , au Moyen-Orient, du Secrétaire d'Etat Colin L. Powell et de M. Solana, qu'il a qualifiés d'"inlassables", mais il a ajouté : "Si nous voulons que les autorités palestiniennes responsables s'engagent à fond dans la lutte contre le terrorisme - lequel est aussi notre ennemi - il faut leur redonner un espace politique suffisant, de l'oxygène politique, une perspective politique. Si vous vous entêtez à répéter que vous n'entendez pas reprendre le processus de paix avant que le terrorisme ait été définitivement vaincu, les terroristes auront gagné avant vous."
En coulisses, dans les couloirs et les suites des grands hôtels, une intense activité diplomatique accompagnait ces déclarations inquiètes. Le Secrétaire d'Etat Powell a rencontré en privé le ministre israélien des Affaires étrangères, Simon Pérès, qui a rencontré, à son tour, deux heures après, environ, le porte-parole du Parlement palestinien, Ahmed Qure'ï. Et celui-ci a rencontré, à son tour, le Secrétaire d'Etat Powell, à Washington, aujourd'hui.
Mais à peine M. Pérès avait-il informé les journalistes, à New York, de ses entretiens avec M. Qore'ï, que lui parvenait d'Israël l'information selon laquelle M. Sharon avait indiqué lors d'une réunion du cabinet tenue la veille, qu'il continuait à s'opposer à ce que MM. Pérès et Qure'ï envisagent de reprendre des négociations, chose qu'il avait signifiée de vive voix à M. Qure'ï lors de leur rencontre, la semaine dernière.
M. Pérès a déclaré qu'il pensait que les Palestiniens veulent un cessez-le-feu qui constituerait le moyen de trouver une solution politique, et qu'ils "étaient prêts" à démanteler les organisations violentes alliées à l'Autorité palestinienne. Si cela était acquis, a dit M. Pérès, chaque partie pourrait reconnaître le droit de son partenaire à avoir un Etat, et des négociations en détail pourraient s'ensuivre, sur les problèmes des frontières et sur celui de Jérusalem. "D'une manière générale, je pense qu'il vaut mieux discuter que se tirer dessus, mais (même) si vous ne pouvez arrêter de tirer, vous ne devez jamais arrêter de parler", a dit M. Pérès au cours d'une rencontre avec les journalistes, samedi dernier. Mais même lui, M. Pérès, ancien premier ministre israélien et colombe du gouvernement actuel, a rejeté catégoriquement l'allégation selon laquelle le conflit en cours (au Moyen-Orient) représenterait un obstacle aux efforts déployés à l'échelle mondiale afin de vaincre le terrorisme.
Dans son discours, hier, le roi Abdallah avait fait allusion à l'"injustice criante en Palestine". Il avait ajouté : "la situation actuelle, dans la région palestinienne, est très dangereuse. Elle requiert une intervention internationale immédiate afin d'éloigner les deux parties du bord du gouffre."
Hier toujours, la conseillère spéciale du président Bush pour les questions de sécurité, Condoleezza Rice, ainsi que le Secrétaire d'Etat Powell et d'autres hauts responsables de l'administration américaine ont réaffirmé leur position, consistant à dire que M. Arafat devait prendre des mesures plus radicales afin de mettre hors d'état de nuire les militants violents qui s'abritent sous le parapluie palestinien, et reconnaître le rôle assumé par les Palestiniens dans l'affaire des cinquante tonnes d'armement fourni par l'Iran et interceptées par Israël, le mois dernier.
"Nous ne pensons pas pouvoir dire que nous avons constaté des efforts à cent pour cent de leur part", a déclaré (en parlant des Palestiniens) Mme Rice, dimanche dernier, sur "Fox News Sunday" (bulletin d'information récapitulant les faits marquants de la semaine, sur la chaîne Fox).
Le Secrétaire d'Etat, Powell, s'exprimant au cours de l'émission politique de CBS "Rencontres avec la Nation", a déclaré : "le Président Arafat doit agir. Il doit faire beaucoup plus afin de contrôler la violence et de convaincre le peuple palestinien et toutes ces organisations palestiniennes qu'ils sont en train de détruire la perspective (de l'établissement) d'un Etat palestinien, par leurs actes violents."
Mais les officiels américains affirment que M. Bush a rassuré le Roi Abdullah de Jordanie, au cours d'une rencontre à la Maison Blanche, vendredi dernier, sur le fait que Washington n'avait nulle intention de couper totalement les ponts avec M. Arafat.
                           
2. La conception palestinienne de la Paix par Yasser Arafat
in The New York Times (quotidien américain) du dimanche 3 février 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Yasser Arafat, Président - élu en 1996 - de l'Autorité palestinienne, est également le secrétaire général de l'Organisation pour la Libération de la Palestine - OLP.)
Ramallah - Depuis seize mois, les Israéliens et les Palestiniens sont enfermés dans un cycle de violence catastrophique, et ce cercle vicieux ne saurait promettre autre chose qu'encore plus de sang versé et de peur. Il a conduit beaucoup de personnes à conclure que la paix est impossible : ce mythe découle de l'ignorance qu'elles ont de la position palestinienne. Le temps est venu, pour les Palestiniens, d'affirmer clairement - et le temps est venu, pour le monde, d'entendre clairement - la conception que les Palestiniens ont de cette paix tant espérée.
Mais avant cela, permettez-moi d'être très clair. Je condamne de manière catégorique les attentats perpétrés par des groupes terroristes contre des civils israéliens. Ces groupes ne représentent ni le peuple palestinien, ni ses aspirations légitimes à la liberté. Ce sont (pour moi) des organisations terroristes, je le répète, et je suis déterminé à mettre un terme à leurs agissements.
La vision palestinienne de la paix est celle d'un Etat palestinien indépendant et viable (établi) sur les territoires occupés par Israël en 1967, vivant en voisin (loyal et) égal aux côtés d'Israël dans la paix et la sécurité pour les deux peuples, israélien et palestinien. En 1988, le Conseil National Palestinien a adopté une résolution historique appelant à la mise en application des résolutions des Nations Unies pertinentes, et en particulier les résolutions 242 et 338. Les Palestiniens ont reconnu le droit d'Israël à exister sur 78% de la superficie du territoire de la Palestine historique, en indiquant que nous serions autorisés à vivre libres sur les 22% restants de ce territoire, sous occupation israélienne depuis 1967. Notre engagement vis-à-vis de cette solution à deux Etats reste inchangé. Malheureusement, il reste aussi à sens unique.
Nous aspirons à une indépendance réelle et à une pleine souveraineté : le droit à contrôler notre propre espace aérien, nos ressources hydrauliques et nos frontières ; à développer notre propre économie ; à avoir des relations commerciales normales avec nos voisins et à voyager librement. En bref ; nous ne demandons que ce à quoi le monde libre a droit de nos jours et pas davantage que ce qu'Israël exige pour lui-même : le droit à contrôler notre propre destin et à prendre notre place parmi les nations libres (du monde).
De plus, nous recherchons une solution juste et équitable au calvaire des réfugiés palestiniens, qui n'ont pas été autorisés, depuis 54 ans, à revenir chez eux. Nous comprenons les préoccupations démographiques d'Israël et nous sommes conscients du fait que le droit au retour des réfugiés palestiniens - garanti par le droit international et la résolution 194 des Nations Unies - doit être appliqué de manière à tenir compte de ces préoccupations. Toutefois, de la même manière que nous, Palestiniens, devons être réalistes vis-à-vis des préoccupations démographiques d'Israël, Israël doit être réaliste lui aussi et comprendre qu'il ne saurait y avoir de solution au conflit israélo-palestinien si les droits légitimes de ces civils innocents continuent à être ignorés. Laissé sans solution, le problème des réfugiés est susceptible de saper tout accord de paix définitif entre Palestiniens et Israéliens. Comment un réfugié ou une réfugiés palestinien(ne) pourrait-il comprendre que son droit au retour ne serait pas garanti, dès lors que les Albanais du Kosovo, les Afghans et les Timorais de l'Est se sont/seraient vu garantir ce droit ?
Il y a des gens qui affirment que je ne suis pas un partenaire de paix. En réponse, je dirai que le partenaire de paix d'Israël est - comme cela a toujours été le cas - le peuple palestinien, uniquement le peuple palestinien, mais tout le peuple palestinien. La paix, ce n'est pas un accord conclu entre des individus, c'est la réconciliation entre deux peuples. Deux peuples ne sauraient se réconcilier si l'un d'entre eux revendique d'exercer son contrôle sur son partenaire, refusant de le traiter en égal pour faire la paix, en usant d'une logique de la puissance plutôt que de la puissance de la logique. Il reste encore une chose à comprendre à Israël : il ne pourra jamais vivre en paix tout en continuant à dénier la justice. Aussi longtemps que continuera l'occupation des territoires palestiniens, aussi longtemps que les Palestiniens se verront dénier leur liberté, le chemin vers la "paix des braves" que j'ai emprunté avec mon regretté partenaire de paix Yitzhak Rabin restera jonché d'obstacles.
Le peuple palestinien se voit dénier sa liberté depuis trop longtemps ; il est le seul peuple au monde à vivre encore sous occupation étrangère. Comment le monde entier peut-il admettre cette oppression, cette discrimination, cette humiliation ? Les accords d'Oslo, de 1993, signés sur la pelouse de la Maison Blanche, promettaient aux Palestiniens la liberté aux environs de mai 1999. Cependant, depuis 1993, le peuple palestinien a subi un doublement du nombre de colons israéliens, l'expansion des colonies israéliennes illégales au détriment des territoires palestiniens et l'aggravation des entraves opposées à sa liberté de se déplacer. Comment puis-je convaincre mon peuple qu'Israël désire sincèrement la paix, alors que son gouvernement a intensifié, au cours des dix années écoulées, la colonisation du territoire palestinien, d'où il faisait montre de s'engager à se retirer ?
Mais aussi grave soit l'oppression, aussi profond soit le désespoir, cela ne peut en aucun cas "justifier" que l'on tue des civils innocents. Je condamne le terrorisme. Je condamne le fait de tuer des civils innocents, qu'ils soient Israéliens, Américains ou Palestiniens ; peu importe qu'ils aient été tués par des extrémistes palestiniens, des colons ou le gouvernement israélien. Mais les condamnations ne mettent pas, en elles-mêmes, un terme au terrorisme. Pour mettre un terme au terrorisme, il faut comprendre que le terrorisme n'est qu'un symptôme, et qu'il n'est pas, en lui-même, la maladie.
Les attaques qui sont dirigées contre ma personne, en recrudescence ces jours derniers, peuvent être très efficace afin de donner aux Israéliens un alibi apparent leur permettant d'ignorer leur propre rôle dans la situation actuelle. Mais ces attaques ne sont d'aucune aide lorsqu'il s'agit de faire avancer le processus de paix et, en réalité, elles ne sont pas faites pour cela. Nombreux sont ceux qui croient que le premier ministre israélien, Ariel Sharon, dont on connaît l'opposition à tous les traités de paix signés jusqu'à ce jour par Israël, jette de l'huile sur le feu afin de repousser aux calendes grecques le retour à la table des négociations. Malheureusement, le premier ministre israélien a fait bien peu pour les démentir. Les pratiques du gouvernement israélien, en matière de construction de colonies, de destruction de maisons, d'assassinats politiques, de bouclages de territoires et de silence honteux face aux exactions des colons israéliens et d'autres humiliations quotidiennes ne contribuent en rien au retour du calme dans la région.
Les Palestiniens ont une vision de la paix : il s'agit d'une paix fondée sur la fin totale de l'occupation et le retour d'Israël aux frontières de 1967, le partage de l'ensemble de Jérusalem dont on ferait une ville ouverte et la capitale de deux Etats, la Palestine et Israël. C'est une paix cordiale, entre deux partenaires égaux jouissant d'une coopération bénéfique à l'un comme à l'autre, sur les plans économique et social. Malgré la répression brutale à laquelle les Palestiniens ont été soumis durant les quarante années écoulées, je suis convaincu que - dès lors que les Israéliens verraient dans les Palestiniens leurs égaux et non plus un peuple soumis par la force auquel ils peuvent imposer leur volonté à leur guise - cette vision pourra devenir réalité. Non seulement elle le pourra : il le faut.
Les Palestiniens sont prêts à mettre fin au conflit. Nous sommes d'ores et déjà disposés à nous réunir avec tout responsable israélien, quel qu'en soit le passé, afin de négocier la liberté pour les Palestiniens, un terme définitif à l'occupation, la sécurité pour Israël et des solutions créatives au calvaire des réfugiés, qui prennent en considération les inquiétudes d'Israël sur le plan démographique. Mais ce n'est qu'en qualité d'égaux que nous nous assiérons à la même table, et non en tant que quémandeurs ; en partenaires, et non en sujets ; en responsables en quête d'une solution juste et pacifique, et non en nation vaincue forcément reconnaissante des miettes qu'on voudrait bien nous jeter. Car, quelque écrasante que soit la supériorité militaire d'Israël, nous possédons une force incommensurablement plus puissante : la justice.
                                   
3. Chaher Sae'd : "Justice pour la Palestine" le cri d'alarme d'un syndicaliste palestinien propos recueillis par Jean Wolf
in La Revue du Liban (hebdomadaire libanais) du samedi 2 février 2002
 
La Confédération européenne des syndicats, groupant soixante-quatorze fédérations syndicales nationales de trente pays et représentant la voix de 60 millions de travailleuses et travailleurs, a invité à Bruxelles et Strasbourg, Chaher Sae’d, secrétaire général de la fédération palestinienne des syndicats, venu lancer un cri d’alarme et exprimer l’épuisement mais, aussi, la colère de tout un peuple écrasé. Voici son témoignage.
“Le blocus féroce, auquel nous sommes soumis depuis l’instauration du gouvernement actuel a, pour nous, la signification d’une mort lente. Pour répondre à l’invitation de la Confédération et venir vous parler, j’ai dû véritablement m’évader, traverser à pied une chaîne de montagne, marcher sur 50 km, parfois au risque de ma vie en des zones interdites où circulent jour et nuit des nuées de policiers surarmés, pour arriver finalement à un point de contact où m’attendait un taxi israélien, mais, heureusement, conduit par un Arabe”, explique Chaher Sae’d à son auditoire d’une cinquantaine de journalistes.
“Mais ma petite expérience personnelle ne représente rien en comparaison de tout le reste”, poursuit le jeune dirigeant syndicaliste palestinien. “Cette immobilisation implacable de tous ceux qui vivent sur le territoire palestinien provoque des conséquences catastrophiques, voulues par l’occupant et spécialement par Ariel Sharon qui semble vouloir à tout prix notre perte. Car aucun déplacement n’est plus possible: les services publics sont réduits à leur plus bas niveau, les routes ont été défoncées, les autobus ne circulent plus, les hôpitaux, auxquels ne parviennent plus les médicaments indispensables, ne sont plus accessibles à la plupart des malades, même atteints des maux les plus graves et des dizaines d’entre eux ont ainsi décédé en cours de route, dans les ambulances stoppées par des patrouilles obéissant à des consignes idiotes (qui révoltent de plus en plus de nombreux conscrits de l’armée israélienne), sous prétexte de “sécurité”. Aucun secours pour les femmes enceintes qui ont dû accoucher au bord de la route, même sous les intempéries, dont les enfants étaient mort-nés dans les bras de leurs mères épuisées.
“Vous savez déjà que plus de 850 Palestiniens ont été assassinés depuis le début de l’actuelle Intifada. Parmi eux, 35% de travailleurs. On dénombre 37.000 blessés, 1.650 citoyens emprisonnés et très souvent torturés. Le blocage systématique, dont nous sommes victimes, a provoqué le licenciement de 45.000 ouvriers, car la plupart des usines ont dû fermer leurs portes. Tous les autres secteurs ont été ainsi pénalisés, à commencer par celui du bâtiment, avec 85% d’immobilisation. Toutes les matières premières sont interdites d’entrée aux frontières, paralysant ainsi l’ensemble de notre industrie. 200.000 arbres fruitiers ont été déracinés. 7.000 maisons ont été éventrées par les bombardements ou, sauvagement, démolies pierre par pierre. Notre seul aéroport, celui de Ramallah, dont la construction avait été financée par l’Union européenne (ainsi que le port de Gaza, aujourd’hui fermé et d’autres bâtiments d’utilité nationale), a été détruit, en même temps que la piste d’atterrissage et les deux hélicoptères du chef de l’Autorité palestinienne, lui-même étant interdit de tout déplacement depuis le 3 décembre. Faute d’approvisionnement, les petits commerces ferment les uns après les autres. Deux millions de Palestiniens s’efforcent de survivre, au seuil de la pauvreté, sous une étouffante oppression armée. Le coût de l’existence a augmenté de 200 à 300% depuis quatorze mois. Au total, sur 500.000 travailleurs, 400.000 subissent un chômage illimité. Dans son ensemble, notre économie a perdu plus de 6 milliards de dollars en une année, ce qui, pour nous, représente un véritable désastre. Aucun contact n’est permis entre la Cisjordanie et la bande de Gaza. Il existe dix-mille points de contrôle entre villes et villages palestiniens ou sur les routes vers Israël, dont les accès sont surveillés et même interdits la plupart du temps. Rien qu’à Gaza, sur un territoire de 364 km2, il y a douze bandes de séparation, empêchant toutes communications d’un point à l‘autre. Il nous est impossible de nous rendre en Egypte ou en Cisjordanie. La colonisation de nos terres ne cesse de se poursuivre systématiquement avec l‘“évacuation” obligée de ses propriétaires légitimes. Le parlement israélien, pour l’année 2002, vient de voter un budget de 500.000.000 de sheckels (55 millions de dollars) rien que pour la protection des colons qui ont volé nos territoires avec la protection du gouvernement. La situation est claire: on veut arrêter le rythme de toute vie matérielle et intellectuelle.
“Malgré ce traitement, pire que ne le fut l’Apartheid sud-africain et qui représente, sans doute, la dernière colonisation existant dans un monde civilisé, au XXIème siècle, notre peuple espère une paix juste et globale, nous rendant Jérusalem-Est et nos territoires d’avant le 4 juin 1967, suivant les décisions du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Nous voulons avant tout qu’on nous restitue notre dignité, en même temps que notre liberté. Nous demandons à l’Union européenne de jouer un rôle plus important pour qu’on mette fin à l’impensable occupation de nos territoires, qu’on mette enfin un terme à une occupation inhumaine, que l’on déracine une violence abjecte. Nous demandons la solidarité totale de tous les travailleurs européens, afin qu’ils augmentent leurs efforts déjà méritoires, en vue d’un soutien efficace dans notre combat désespéré pour notre droit d’exister, pour une justice élémentaire et pour la protection de l’avenir de nos enfants”.
                           
4. Ça suffit, maintenant, Shimon : dis-nous la vérité ! par Gideon Levy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 1er février 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Depuis vingt-quatre ans qu'on se connaît, dont quatre années durant lesquelles j'ai été ton assistant, c'est la troisième fois que je t'écris une lettre ouverte. En 1989 - tu étais alors ministre des finances du gouvernement Shamir, et la première Intifada faisait rage - j'avais choisi ces mêmes colonnes pour t'écrire ma "Lettre à un ancien patron". Je te disais alors que "pour la première fois dans ta vie, tu n'as plus rien à perdre - à part la perspective de disparaître dans le néant." C'était après que tu soies resté obstinément silencieux face au comportement de l'armée israélienne dans la répression de l'intifada, à la poursuite de l'occupation et au refus obstiné d'Israël de reconnaître l'OLP en tant que représentant légitime des Palestiniens. A l'époque, je croyais que tu ne raisonnais pas comme Yitzhak Shamir et Yitzhak Rabin (connu alors comme le "briseur d'os"), mais que tu n'étais pas assez courageux pour oser protester.
Onze ans plus tard, en 2000, je t'ai écrit une deuxième lettre ouverte. C'était après la signature d'Oslo et l'assassinat de Rabin, après aussi que tu aies perdu une élection - cette fois, la présidentielle. Alors, je te disais : "Nombreux sont les Israéliens à te voir sous un jour différent désormais. Pour eux, tu représentes l'espoir de quelque chose de nouveau, d'autre." Et voilà qu'aujourd'hui je t'écris à nouveau. Et ce que je veux te dire, c'est que tu ne représentes plus aucun espoir dans quelque domaine que ce soit.
Le gouvernement dont tu es l'un des plus hauts responsables - ministre des affaires étrangères, rien que ça... - n'est plus simplement un gouvernement de la dernière chance parmi les gouvernements de la dernière heure qui abondent dans notre histoire ; ce gouvernement est un gouvernement criminel. Participer à ce crime est un problème en soi. Il n'est plus possible de t'absoudre, de te laisser l'initiative pour Oslo, de comprendre que tu souffres de ce qui se passe, et de penser que tu es sans doute même sur le point d'éclater de rage devant les événements et que tu te retiens pour ne pas hurler ta colère, t'exprimer, et par-dessus tout ne pas agir, simplement à cause de considérations tactiques, que toi seul comprendrais mieux que personne.
Non : ton silence et ton inaction ne peuvent être justifiés plus longtemps : Shimon, tu es complice d'un crime. Le fait que tu sois capable d'en être conscient à l'intérieur de toi-même et, de temps en temps, te fendre de quelques faibles paroles de condamnation, le fait que tu ne sois pas premier ministre et que l'Amérique vous donne carte blanche en ce moment, le fait que la plupart des gens pensent différemment et que quitter le gouvernement et "poursuivre un journaliste d'Ha'Aretz", comme tu le dis, serait inutile : toutes ces excuses ne font rien à l'affaire. Tu continues à servir dans un gouvernement qui a du sang sur les mains, encore occupé à tuer, à emprisonner et à humilier, et tu es un partenaire de tous ses agissements, y compris les pires. Tu appartiens au régime de Sharon comme le ministre taliban des affaires étrangères appartient à leur régime. Ta responsabilité n'est pas moins grande que celle du chef du gouvernement, dont tu critiques les actes en privé. Toujours en privé. Seulement en privé.
Tu déclares avoir entendu annoncer à la radio l'assassinat de Ra'ed Karmi, après trois semaines de calme du côté palestinien. De ton point de vue, cela suffit à t'exonérer de la responsabilité de ce crime, et même d'avoir à le critiquer ouvertement. Quand l'armée israélienne était en train de réoccuper Tulkarem, tu étais en compagnie de Bill Clinton. A une question à ce sujet, tu as marmonné des propos incohérents. Après les démolitions de maisons à Rafah, tu t'es mordu la lèvre et tu as gardé le silence. On peut aisément présumer que la destruction de la radio palestinienne n'était pas réellement ta tasse de thé, non plus. Mais tu endosses la terrible responsabilité de tous ces agissements, de tous ces crimes qui ne peuvent être qualifiés autrement que de crimes de guerre.
Demande à ton beau frère, le professeur Rafi Walden, chirurgien-chef au centre médical de Sheba, qui se rend parfois dans les territoires comme volontaire pour Médecins en faveur des Droits de l'homme : il te dira ce à quoi tu participes. Il te parlera des femmes enceintes en travail - non pas une ou deux, cela n'a rien d'exceptionnel - et qui ne peuvent être transportées à l'hôpital à cause de la cruauté de l'armée israélienne, cette armée dont tu étais jadis si fier, et les bébés de ces femmes meurent à la naissance. Il te racontera les patients souffrant d'un cancer que l'on empêche d'aller suivre leur traitement en Jordanie. Non : ils ne peuvent même pas aller se faire soigner en Jordanie - "pour des raisons de sécurité" !
Il te parlera des hôpitaux de Bethlehem bombardés par l'armée. Il te racontera les médecins et les infirmières obligés d'y dormir parce qu'ils ne peuvent rentrer chez eux. Il te parlera de ces dialysés obligés d'être trimballés durant des heures sur des routes chaotiques trois fois par semaine afin d'essayer désespérément d'atteindre les appareils de dialyses dont dépend leur survie. Il te fera part de ces patients auxquels on doit refuser un traitement médical crucial à cause des bouclages et aussi des ambulances auxquelles on refuse le franchissement des checkpoints, même lorsqu'elles transportent des malades dans un état critique. Il t'informera des gens qui sont morts aux barrages et de ceux qui sont morts chez eux parce qu'ils n'ont pas eu le courage de s'approcher de ces barrages, constitués désormais de tanks menaçants, en travers de la route, ou de monceaux de terre et de blocs de ciment inamovibles - même pour laisser passer un malade à l'article de la mort.
Tu as emprisonné un peuple entier pendant plus d'un an, faisant preuve d'un degré de cruauté sans précédent dans toute l'histoire de l'occupation israélienne. Ton gouvernement écrase trois millions de personnes, les privant de tout semblant de vie normale. Impossible pour eux d'aller au marché, au travail, à l'école, de rendre visite à un oncle malade. Rien. Tout est interdit. Interdit d'aller où que ce soit, de revenir d'où que ce soit. De jour comme de nuit. Le danger est tapi partout, partout il y a encore un autre barrage, qui suffoque toute forme de vie.
Une nation entière nous a tendu les mains pour faire la paix, tout autant que nous l'avons fait nous-mêmes - cela, tu le sais très bien. Elle a son compte de souffrance, depuis la Nakba de 1948, en passant par l'occupation de 1967, pour finir par l'état de siège de 2002. Elle veut exactement la même chose que ce que les Israéliens désirent pour eux-mêmes : un minimum de calme, de sécurité et une goutte de légitime fierté nationale. A cause d'un homme, ce peuple entier se lève désormais chaque matin pour retrouver un abîme béant de désespoir, de chômage et de privations - avec, aujourd'hui, les tanks stationnés au bout de la rue, par dessus le marché.
On t'a toujours pardonné, malgré tout ça. Mais c'est terminé. Quelqu'un qui est le partenaire d'un gouvernement qui sabote systématiquement tous les efforts des Palestiniens pour ramener le calme, qui humilie délibérément leurs dirigeants, pour lequel la vengeance est le seul mobile, qui exploite cyniquement l'aveuglement et la stupidité de l'après onze septembre afin d'agir à sa guise, ne saurait être pardonné. C'est vrai, tu n'es pas d'accord avec tout ce que fait ce gouvernement, mais qu'est-ce que cela peut bien faire ? Tu y es, tu es dans ce gouvernement, tu en es complice, comme dans n'importe quelle autre espèce de crime. Parfois, je te vois répondre aux questions de tel ou tel journaliste au sujet du dernier exploit lamentable de ton gouvernement. Ton visage (et Dieu sait si j'en connais les expressions par coeur, après toutes ces années) trahit ton embarras, voire ton dégoût. Alors tu délivres une de tes réponses évasives, lourdes de sous-entendus et peu franches, pour tout dire. Tu marmonnes quelque chose pour tenter de te tirer d'affaire par quelque jeu de mot tiré par les cheveux. C'est ce qui s'est produit, pas plus tard que la semaine dernière, lorsque tu étais assis à côté de Clinton et qu'on t'a interrogé sur la réoccupation de Tulkarem. Tu n'as rien répondu - rien - tu t'es contenté de laisser passer la question, et d'attendre qu'on te fiche la paix afin de te remettre à discourir tranquillement de paix et de visions d'avenir grandioses.
Interrogé au sujet des assassinats programmés, des démolitions, de l'humiliation d'Arafat et de son assignation à résidence scandaleuse, de la destruction de l'aéroport de Dahaniya ou de la foire-exposition aux munitions du bateau, à Eilat, tu fronces les sourcils et tu t'esquives. Mais cela ne marche plus.
Maintenant, il faut que tu donnes une réponse directe, honnête et véridique - sinon : rien. Le temps est venu pour toi de dire que l'occupation de Tulkarem était une décision folle, que l'assassinat de Ra'ed Karmi avait pour objectif de relancer la violence et que la destruction des maisons de Rafah est un crime de guerre - sinon, tu es un Ariel Sharon bis. Ce n'est pas le moment d'aligner des subtilités, des sous-entendus : un désastre terrifiant est en train d'être commis, un grand vent mauvais souffle recouvrant de cendres tout, absolument tout.
Veux-tu un exemple ? Il y a quelques jours, on a rapporté des propos que tu aurais tenus (toujours en privé), selon lesquels il était difficile pour toi de critiquer la politique du gouvernement alors que les Etats-Unis ne le font pas... Mais qu'est-ce que c'est que cette excuse pathétique ? Qu'est-ce que le fait qu'il y ait une administration prédatrice aux Etats-Unis qui n'est contrebalancée par aucun autre pouvoir dans le monde, qui agit selon son bon plaisir et qui laisse faire Israël ce qu'il veut, a à voir avec tes positions de principe ? Qu'est-ce que tout cela a à voir avec le bien d'Israël ? Qu'est-ce que cela a à voir avec les principes fondamentaux de la justice et de la morale ?
Peut-être devrais-tu prendre ne serait-ce qu'un jour de congé, chose que tu fais si rarement, pour aller visiter les territoires occupés. As-tu seulement, une fois dans ta vie, vu le checkpoint de Qalandiyah ? As-tu vu ce qui s'y passe ? Penses-tu être capable de faire convenablement ton boulot sans avoir vu le barrage routier de Qalandiyah ? Ne comprends-tu pas que tu es responsable de ce qui se passe là-bas ? Ne comprends-tu pas que tout ministre des affaires étrangères d'un état qui érige ce genre de contrôles routiers est responsable de leur existence ?
Ensuite, tu pourrais aller au village de Yamoun et y rencontrer Kheira Abu Hassan et Amiya Zakin, qui ont perdu leur bébé, il y a trois semaines, quand les soldats israéliens ont refusé de laisser leur ambulance franchir le barrage, alors qu'elles avaient des contractions et qu'elles perdaient beaucoup de sang. Ecoute leur récit : il est insoutenable. Et que vas-tu leur répondre ? Que tu es désolé ? Que ça n'aurait pas dû arriver ? Que c'est la dure rançon de la guerre contre le terrorisme ? Que c'est choquant ? Que c'est peut-être la faute de Shaul Mofaz, mais certainement pas la tienne ? Le porte-parole de l'armée n'a même pas daigné exprimer des regrets pour ces deux cas terrifiants, et ne parlons pas d'enquête criminelle. Il s'est contenté de confirmer que l'un des deux cas s'est bien produit, et qu'il "n'avait pas de détails suffisants" sur le deuxième !
Tout aussi important : que vas-tu dire sur nos soldats qui se sont conduits ainsi ? Que c'est à cause de la sécurité d'Israël ? Que les fautifs, ce sont les Palestiniens ? Ou Arafat ? La vérité, Shimon, c'est que tu es responsable de la mort de ces deux bébés. Parce que tu es resté silencieux. Parce que tu es resté au gouvernement.
Nous vivons des temps terribles. Mais le pire est devant nous. Le cycle de violence et de haines est bien loin d'avoir atteint son apogée. Toutes les injustices, tout le mal faits aux Palestiniens finiront par nous sauter à la figure. Un peuple maltraité de la sorte pendant des années ne pourra qu'exploser un jour, dans une furie dévastatrice, bien pire que ce que nous voyons aujourd'hui. En attendant, nos soldats pénètrent dans les locaux de la radio palestinienne, y installent des charges explosives et font tout sauter car tels sont les ordres, sans s'arrêter une minute en chemin pour demander : pourquoi ?
Ces soldats sont porteurs d'un avenir funeste, non seulement pour leurs victimes, mais aussi pour ceux qui les envoient. Des soldats qui détruisent des dizaines de pauvres maisons appartenant à des réfugiés, avec tous leurs maigres biens à l'intérieur, sans une seconde d'hésitation, et bien entendu sans opposer le moindre refus de mettre à exécution des ordres aussi scandaleusement illégaux, ne sont pas des bons soldats, même pour leur propre pays. Des pilotes qui bombardent des cibles situées au coeur de villes surpeuplées, des opérateurs de tanks qui pointent leur canon sur des femmes qui tentent de rejoindre une maternité pour y accoucher en pleine nuit et des officiers de la police des frontières qui brutalisent des femmes et des jeunes n'augurent rien de bon pour l'avenir. Ils sont tous des témoins vivants d'un délitement de la retenue qui découle d'une total désarroi.
Oui, cette année, nous avons perdu notre chemin. Tu as apporté tes voix à un premier ministre qui est le vétéran des fauteurs de guerre en Israël, et personne ne peut dire avec quelque certitude quelles sont tes intentions. Avec un peuple qui a subi un lavage de cerveau et qui s'exprime avec une unanimité effrayante, tu as partie gagnée. Dès lors qu'un autre membre de ton parti, Ehud Barak, a tout fait, de manière délibérée, afin de faire éclater le camp de la paix, tu as eu les coudées franches pour faire ce qui te plaisait. L'armée n'enquête plus désormais sur un quelconque crime de guerre et le système judiciaire avalise n'importe quelle injustice dès lors qu'elle est enveloppée dans le manteau de la sacro-sainte sécurité. Le monde entier est fort occupé à lutter contre le terrorisme, la presse se voile la face et l'opinion publique se bouche les oreilles, ferme les yeux, et ne veut rien savoir. Elle ne veut qu'une chose : se venger. Sous couvert de cette obscurité et avec le soutien d'un personnage de ton envergure, l'occupation est devenue l'instrument du crime et du mal.
Bien sûr, je sais. Tu vas me demander : "Que puis-je faire ? Je n'ai pas été élu premier ministre. Je n'ai pas été élu secrétaire du parti travailliste. Je ne suis même pas ministre de la défense..." C'est vrai : dans ce gouvernement, tu ne peux absolument rien faire, et d'ailleurs tu ne fais rien. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle tu n'aurais jamais dû accepter d'en faire partie. Tu vas me dire que tu y exerces une certaine influence, que tu retiens un peu les choses, que tu es une force modératrice, que tu fais ce que tu peux... Tout ça c'est du vent. Ça ne peut pas être pire que maintenant, alors, dis-moi un peu où, au juste, tu as exercé ton influence et qu'est-ce que tu as bien pu éviter ? Aurais-tu envisagé faire quelque moment partie d'un gouvernement qui réoccuperait des parties de la zone A sans que personne ne fasse rien pour l'en empêcher ?
Pense une minute à ce qui se serait passé si tu t'étais levé et si tu avais démissionné à grand bruit de ce gouvernement, en disant au monde entier ce que tu as (peut-être) sur le coeur ? Cela aurait été la parole du lauréat du Prix Nobel contre les crimes du gouvernement Sharon. Imagine si tu étais allé à Ramallah, rencontrer Yasser Arafat qui y est assiégé, et si vous étiez sortis tous deux dans la rue, affrontant les tanks israéliens et exigeant leur retrait et un cessez-le-feu. Bien sûr, le ciel ne serait pas tombé sur nos têtes, l'occupation n'aurait pas pris fin comme par enchantement et le bouclage de Jénin n'aurait pas été levé. Mais de réelles fissures auraient été ouvertes dans le piédestal moral, politique et international de ce gouvernement apparemment intouchable. Imagine, si tu avais dit : "Oui, les démolitions de maisons sont un crime de guerre. Oui, un Etat qui a des listes d'hommes à abattre n'est pas un Etat de droit. Oui, installer un barrage routier qui cause des morts de civils est un acte terroriste. Non, les Palestiniens ne sont pas les seuls responsables de cette orgie de sang versé. Oui, nous avons un chef de gouvernement qui représente un grave danger pour la démocratie. Oui, nous avons un ministre de la défense (qui est aussi le chef du parti travailliste) qui ne veut entendre parler que d'occupation, de représailles, d'assassinats, d'expulsions, de démolitions, d'arrachages de cultures, et qui n'a absolument aucune autre espèce d'idée en tête.
C'est bien ce que tu penses, n'est-ce pas ? Alors, dans ce cas : dis-le, pour l'amour du Ciel ! Et si ce n'est pas le cas, alors tu es bien là où tu es, dans ce gouvernement, et nous qui avions confiance en toi nous sommes terriblement trompés. Je t'en prie, ne nous raconte pas que l'on fait de toi, encore une fois, un punching ball... Ce n'est pas vrai. Depuis Oslo, tu as toujours incarné nos espérances. Et ces espoirs ont été déçus.
Il n'y a plus beaucoup de temps, Shimon. Pas seulement pour toi, mais aussi pour nous. Nous sommes au bord du précipice. Si tu attends que Benjamin Ben-Eliezer, Ephraim Sneh, Ra'anan Cohen, Dalia Itzik et consorts viennent présenter un énième marché de démission-du-gouvernement-afin-d'organiser-de-nouvelles-élections, tu finiras par être poussé dans les oubliettes par les mêmes. Tu sais très bien qu'il leur démange de se débarrasser de ta personne, depuis un certain temps désormais. Même si tu te prononçais aujourd'hui, il est peut-être déjà trop tard. Tout le monde a peut-être déjà trop perdu confiance en toi et il est peut-être d'ores et déjà impossible de redresser les ruines causées par Sharon.
Mais la seule façon pour toi d'ajouter un autre acquis significatif à ta déjà riche biographie, c'est de ne pas te contenter de te lever là, maintenant, et de démissionner de ce gouvernement, chose que tu seras sans doute amené à faire un jour ou l'autre, de toute manière, mais de le faire en parlant haut et clair, afin de dire aux Israéliens tout ce que tu penses sur tout ce qui est en train de se passer, en particulier au sujet du mal que nous sommes en train de perpétrer de nos propres mains. Une fois de plus, dans ta vie, essaie de construire quelque chose de nouveau - non pas une centrale nucléaire ou une usine aéronautique, car nous en avons à revendre. Non, dès maintenant, contre vents et marée, essaie de construire un camp de la paix radical, de tirer quelque chose du néant. Est-il trop tiré par les cheveux de penser que tu vois encore les choses différemment du reste de tes collègues au gouvernement ? Dis-nous la vérité, Shimon.
                               
5. "Israël-Palestine", Canal+ donne la parole aux enfants
Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 1er février 2002, 08h48

PARIS - Au moment où la situation au Proche-Orient ne cesse de se dégrader, Canal+ diffuse le 12 février à 20H45 "Israël-Palestine, paroles d'enfants", un documentaire de B.Z. Goldberg, Justine Shapiro et Carlos Bolado qui donne la parole à des enfants israéliens et palestiniens.
Tourné entre 1997 et 2000 pendant une période de relative accalmie, le film analyse la complexité de la situation à travers la parole de sept enfants de 9 à 13 ans, avant la reprise de la "deuxième Intifada" qui a entraîné un nouveau cycle de violences.
La caméra prend le temps de faire connaissance avec chacun de ces enfants qui vivent à vingt minutes les uns des autres mais grandissent dans des mondes cloisonnés.
Moishe, qui habite dans une colonie juive proche de Jérusalem, rêve de faire "déguerpir les Arabes" et de reconstruire le Temple. Schlomo est juif ultra-orthodoxe et futur rabbin, Mahmoud est palestinien et partisan du Hamas et du Hezbollah, Faraj vit dans un camp de réfugiés palestiniens, les jumeaux israéliens laïcs Yarko et Daniel habitent dans le quartier juif de Jérusalem Ouest et la petite Sanabel, fille d'un journaliste emprisonné par les Israéliens, vit dans une famille arabe non pratiquante. Deux fois par mois, ils peuvent visiter le prisonnier une demi-heure.
Sur trois ans, on voit les enfants s'interroger, réfléchir, évoluer et pour certains d'entre eux réussir à prendre contact par téléphone, communiquer et même se rencontrer. D'un côté comme de l'autre, ils vivent avec la violence, la peur de l'attentat, le poids des préjugés de leurs parents.
L'un des jumeaux résume la situation: "C'est leur terre. Mais c'est mon pays, je suis né et j'ai grandi ici (...) Des deux côtés on meurt. Des deux côtés on perd".
Daniel et Yarko, après avoir franchi les barrages, se rendent au camp où vit Faraj et sont reçus chez lui. Les graffitis du Hamas les mettent mal à l'aise, mais "ils comprennent".
Ce film, produit par l'organisation américaine à but non lucratif "The promises Film Project" qui a pour but d'informer sur le processus de paix au Proche-Orient, a été maintes fois primé par le public et la critique lors de nombreux festivals (notamment prix du public au festival international du film de Rotterdam). Il figure parmi les 10 finalistes pour l'Oscar du documentaire 2002.
                                   
6. On serre encore un peu plus la vis par Edward Said
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 31 janvier 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Il incombe à la victime de montrer de nouvelles voies de résistance.
L'histoire est sans pitié. En elle, aucune loi ne bannit la souffrance et la crauté, aucune balance interne ne redonne à un peuple auquel on a beaucoup porté atteinte la place à laquelle il a droit, dans le monde. Les conceptions cycliques de l'histoire m'ont toujours semblé déficientes pour cette même raison : on dirait qu'elles considèrent que le serrage de vis maintenant signifie que le mal enduré actuellement pourrait se transmuer en  bien ultérieurement. Absurde. Serrer la vis aux gens qui souffrent signifie simplement qu'ils continueront à souffrir, ce qui ne représente en aucun cas une promesse de salut. Toutefois, la chose la plus frustrante qui soit, en matière de science historique, c'est que beaucoup de choses, dans cette discipline échappe à la fois au langage, à l'attention et à la mémoire. Les historiens ont eu recours aux métaphores et aux figures poétiques afin de remplir les vides, c'est pourquoi le premier grand historien, Hérodote, était connu également sous le nom de Père des Mensonges. Il y a tellement de ses écrits qui embellissent - et aussi, dans une large mesure, dissimulent - la vérité que son art d'immense écrivain doit plus à son imagination qu'à la profusion des faits qu'il a exposés.
Vivre aux Etats-Unis, actuellement, est une terrible expérience. Tandis que les principaux médias et le gouvernement se font écho entre eux au sujet du Moyen-Orient, on ne peut trouver des opinions alternatives que grâce à Internet, au téléphone, aux canaux satellites et à la presse locale arabe et juive. Néanmoins, toute information immédiatement accessible à l'Américain moyen étant noyé dans un maelström d'images et de reportages médiatiques pratiquement entièrement expurgés de toute information de politique étrangère qui ne reflèterait pas la ligne patriotique fixée par le gouvernement, le pays produit de lui-même une image stupéfiante. L'Amérique pourchasse les démons terroristes. L'Amérique est généreuse ; quiconque n'est pas d'accord avec sa politique est mauvais et anti-américain. La résistance contre l'Amérique, sa politique, ses armes et ses idées ? Rien moins que du terrorisme ! Ce que je trouve tout aussi stupéfiant est de voir les analystes de la politique étrangère américaine les plus influents et, à leur manière, les plus sophistiqués, persister à affirmer qu'ils ne comprennent pas pour quelle raison le monde entier (et en particulier les Arabes et les musulmans) s'entêtent à ne pas faire leur le message de l'Amérique, et pourquoi le reste du monde, y compris l'Europe, l'Asie, l'Afrique et l'Amérique latine, persiste à critiquer la politique américaine en Afghanistan, ainsi que la dénonciation unilatérale, par les Etats-Unis, de six traités internationaux, leur soutien total, inconditionnel à Israël, leur traitement extraordinairement rétrograde des prisonniers de guerre. La différence entre les réalités telles que les perçoivent les Américains, d'une part, et le reste du monde, d'autre part, est si énorme et si irrémédiable qu'elle défie la description.
Les mots, à eux seuls, sont incapables d'expliquer pourquoi un Secrétaire d'Etat, que l'on supposerait disposer de toutes les informations possibles sur un claquement de doigts, est capable d'accuser, sans rire, le dirigeant palestinien Yasser Arafat de ne pas sévir assez énergiquement contre le terrorisme et d'avoir acheté cinquante tonnes d'armes afin de défendre son peuple... Ce, alors qu'au même moment, on fournit à Israël tout ce qu'il y a plus de mortellement sophistiqué dans l'arsenal américain sans qu'il ait à dépenser le moindre dollar. (Il faut dire, au passage, que la gestion de l'incident du Karine A par l'OLP a démontré une incompétence et une lourdeur qui ont dépassé, et de loin, son déjà pitoyable palmarès). Et pendant ce temps-là, Israël s'emploie à ce qu'Arafat soit enfermé dans son Q. G. de Ramallah ; son peuple, totalement captif ; ses dirigeants, assassinés ; des innocents, affamés ; les malades, mourants ; la vie, totalement paralysée. Et malgré tout ça, ce sont les Palestiniens que l'on continue à accuser de terrorisme ! L'idée - et surtout la réalité - de trente cinq années d'occupation militaire a tout simplement échappé tant aux médias qu'au gouvernement américain. Ne soyez donc pas surpris si, demain, Arafat et son peuple sont accusés d'assiéger Israël, tandis que celui-ci continuera à assiéger leurs citoyens et leurs localités. Non : ce que vous voyez là, ce ne sont pas des avions israéliens en train de bombarder Tulkarem et Jénine. Non : ce sont des terroristes palestiniens... il a dû leur pousser des ailes... Et ces villes, que l'on bombarde ? Mais oui, c'est bien ce que je redoutais : ce sont des villes israéliennes...
Quant à Israël, dans les médias américains, ses porte-parole sont tellement entraînés à mentir, à créer des fausses nouvelles à la manière dont le charcutier fabrique ses chapelets de saucisses, que rien, absolument rien, ne leur fait peur. Hier, j'ai entendu un officiel du ministère israélien de la Défense (rien que cet intitulé me reste en travers de la gorge), qui répondait aux questions d'un journaliste américain au sujet de destructions de maisons à Rafah : ces maisons étaient vides, expliquait-il sans se démonter ; des terroristes en avaient fait des repères pour aller assassiner des citoyens israéliens ; nous devons défendre les citoyens israéliens contre le terrorisme palestinien. Le journaliste ne fit pas la moindre allusion à l'occupation, ni au fait que les "citoyens" en question étaient des colons. Quant aux centaines de malheureux Palestiniens sans toit dont les images apparurent fugitivement dans les médias américains après que les bulldozers (made in USA) aient accompli leur oeuvre, ils étaient déjà loin : complètement sortis de la mémoire et de la conscience.
Quant à la non-réponse arabe, elle dépasse en ignominie et en disgrâce les records abyssaux déjà battus par nos gouvernements au cours des cinquante dernières années. Un tel silence obstiné, une telle servilité et une telle balourdise de leur part, devant les Etats-Unis et Israël, sont aussi stupéfiantes et inacceptables, à leur manière, que ce dont Sharon et Bush sont capables. Les dirigeants arabes ont-ils une telle peur d'offenser les Etats-Unis qu'ils en viennent à accepter non seulement l'humiliation des Palestiniens mais aussi la leur propre ? Et pour quel objectif, en fin de compte ? Tout simplement pour qu'on les laisse poursuivre leur corruption, leur médiocrité, leur oppression. Quel vil marché ils ont conclu entre la continuation de leurs intérêts étriqués et la bienveillance américaine ! Il n'est pas étonnant, dès lors, qu'il n'y ait pratiquement pas un seul Arabe vivant aujourd'hui pour qui le mot "régime" signifie autre chose qu'irritation incrédule, amertume à l'état pur et (mis à part le petit cercle des conseillers et des adulateurs) aliénation haineuse. Au moins, avec la récente conférence de presse de hauts dirigeants saoudiens critiquant la politique américaine vis-à-vis d'Israël, nous avons assisté à une rupture bienvenue du silence. Hélas, le désarroi et la confusion autour du prochain sommet arabe continuent à alimenter notre placard déjà pourtant bien rempli d'incidents mal gérés qui étalent aux yeux de tous une désunion et un sens du vaudeville dont on pourrait avantageusement se passer.
Je pense que l'adjectif "retors" est celui qui s'applique le mieux au traitement que l'on inflige à la vérité des souffrances imposées par Sharon aux populations de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Le fait que cela ne puisse être décrit ou raconté de façon satisfaisante, le fait que les Arabes ne disent et ne fassent rien afin de soutenir la lutte, le fait que les Etats Unis soient si terriblement hostiles, que les Européens soient tellement inutiles (mise à part leur récente déclaration, qui ne comportait aucun protocole pour sa mise en application) : tout cela a conduit beaucoup d'entre nous au désespoir, je le sais, et à une sorte de frustration résignée qui est l'un des résultats escomptés par les officiels israéliens et leurs homologues américains. Réduire les gens à un renoncement tel qu'il se mue en indifférence, rendre la vie misérable au point qu'il semble n'y avoir d'autre réponse que renoncer à la vie elle-même : tout cela constitue l'état de désespérance que Sharon recherche manifestement. C'est ce pourquoi il a été élu et c'est ce qui, si sa politique échoue, va lui faire perdre le pouvoir. Après quoi Netanyahu sera appelé à le remplacer afin de parachever la même tâche horrifiante et inhumaine (mais néanmoins, en fin de compte, suicidaire).
Face à une situation de cette nature, la passivité et la haine désespérée - et même une sorte de fatalisme amer - sont, je le pense sincèrement, des réponses intellectuelles et politiques inadaptées. Les contre-exemples en sont encore nombreux. Les Palestiniens n'ont ni été intimidés ni réduits à résipiscence et ils ont fait, en cela, la démonstration d'une indéfectible volonté et d'une grande lucidité. De ce point de vue, toutes les mesures de punition collective d'Israël et l'humiliation permanente qu'il veut infliger aux Palestiniens ont fait la démonstration de leur inefficacité ; comme l'a dit un de ses généraux, vouloir arrêter la résistance en assiégeant les Palestiniens revient à vouloir boire la mer avec une petite-cuillère. C'est tout simplement impossible. Mais ayant noté cela, je pense néanmoins fermement que nous devons dépasser la résistance obstinée pour passer à une résistance créative, dépasser les vieilles méthodes éculées qui permettent de défier les Israéliens, certes, mais pas de faire avancer suffisamment les intérêts palestiniens lorsqu'on le fait. Prenez par exemple le processus de prise de décision. C'est parfait, pour Arafat, de jouer les captifs à Ramallah et de répéter inlassablement qu'il veut négocier : cela ne constitue pas un programme politique, pas plus que le caractère personnel de ce programme ne saurait suffire à mobiliser son peuple et ses alliés. Il est certes satisfaisant de relever la déclaration de soutien à l'Autorité palestinienne de l'Union européenne, mais il est autrement plus important de parler des réservistes israéliens qui refusent de servir en Cisjordanie et à Gaza. Tant que nous ne chercherons pas à repérer la résistance israélienne à l'oppression israélienne et à établir une collaboration avec elle, nous resterons bloqués à la case "départ".
Il est une certitude : chaque tour de vis aggravant la cruauté des châtiments collectifs crée dialectiquement un nouvel espace pour de nouvelles formes de résistance, dont les attentats-suicides ne font en aucun cas pas plus partie que n'est nouveau le style personnel d'Arafat en matière de défi (qui nous remémore par trop ce qu'il disait, il y a vingt ou trente ans, à Amman, à Beyrouth et à Tunis). Ce n'est pas nouveau, et ce n'est pas à la hauteur de ce que font actuellement les opposants à l'occupation militaire israélienne tant en Palestine qu'en Israël. Pourquoi ne pas consacrer un effort tout particulier à l'identification des groupes et associations israéliens qui se sont opposés à la destruction de maisons, à la discrimination, aux assassinats ciblés ou à toutes les formes sans foi ni loi de démonstration de la brutalité israélienne ? L'occupation ne sera en aucun cas vaincue tant que les efforts des Palestiniens et des Israéliens ne convergeront pas afin de mettre un terme à cette occupation, en recourant à des moyens spécifiques et concrets. Ceci signifie, par tant, que les groupes palestiniens (avec la supervision de l'Autorité palestinienne ou sans elle) doivent prendre des initiatives qui sollicitent et impliquent la résistance israélienne, et également la résistance européenne, arabe et américaine. En d'autres termes, avec l'écroulement du processus d'Oslo, la société civile palestinienne a été libérée de cet ersatz frelaté de processus de paix, et cette nouvelle reprise en main d'une forme de pouvoir signifie qu'il est possible d'aller chercher des interlocuteurs au-delà des interlocuteurs aussi traditionnels que le désormais totalement discrédité parti travailliste israélien et ses obligés, en s'adressant à des tendances plus courageuses, innovantes et sincèrement hostiles à l'occupation. Si l'Autorité palestinienne veut s'entêter à exhorter Israël à revenir à la table des négociations, libre à elle, bien entendu, pour peu qu'il y ait des Israéliens prêts à aller s'asseoir à cette fameuse table en face d'elle. Mais cela ne saurait vouloir dire que les ONG palestiniennes doivent répéter le même refrain, ou qu'elles doivent continuer à se préoccuper de normalisation, puisqu'il ne s'agissait en fait que de se normaliser vis-à-vis de l'Etat israélien, et non pas vis-à-vis des courants et les groupes progressistes de la société civile israélienne qui soutiennent une réelle autodétermination palestinienne et la fin de l'occupation, des colonies et des punitions collectives.
Certes, la vis tourne, mais cela ne signifie pas uniquement : répression accrue. Cela révèle aussi de nouvelle opportunités pour l'ingéniosité et la créativité des Palestiniens. Il y a d'ores et déjà des signes considérables de progrès accomplis dans la société civile palestinienne : y apporter plus d'importance s'impose, tout particulièrement au moment où les fissures de la société israélienne laissent entrevoir une populace apeurée, recluse et horriblement inquiète, qui a le plus grand besoin de se réveiller. Il incombe toujours à la victime, et non pas à qui l'opprime, d'indiquer les nouvelles voies de la résistance, et tout indique que la société civile palestinienne commence à prendre l'initiative. Voilà qui est d'excellent augure en cette période de découragement  et de régression instinctive.
                               
7. Face à la force, le droit international par Monique Chemillier-Gendreau
in Le Monde Diplomatique du mois de janvier 2002
(Monique Chemillier-Gendreau est professeur à l'université Paris-VII-Denis-Diderot.)
Par son soutien à l'offensive israélienne contre l'Autorité palestinienne, M. George W. Bush s'associe à une violation du droit international, dont il tente de bloquer l'application en faisant usage de son droit de veto au Conseil de sécurité.
Dominée par des économies militarisées, la société internationale est engagée dans une phase régressive du point de vue des fondements juridiques et politiques de ce qui aurait pu être une communauté internationale. Son attitude dans le conflit israélo-palestinien est emblématique de cette situation.
Dès 1945 ont été posés des principes relatifs aux droits de la personne, d'autres assurant le maintien de la paix et garantissant les droits des peuples et, plus récemment, une amorce de droit pénal international pour éviter l'impunité. Ces éléments sont ignorés par les gouvernements israéliens successifs, avec le renfort de l'administration américaine.
La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 (sans valeur obligatoire, mais fortement symbolique), les pactes internationaux de 1966 sur les droits civils et politiques et sur les droits économiques et sociaux et bien d'autres textes, parmi lesquels les conventions de Genève sur le droit humanitaire en cas de conflit armé, la convention contre la torture ou la convention sur les droits de l'enfant (ensemble à caractère contraignant), représentent les valeurs communes de la société mondiale, en situation de paix comme de guerre.
Depuis ses origines, l'Etat d'Israël bafoue ces conventions. En son sein même, les Arabes sont victimes de multiples discriminations qui sont autant de violations du principe d'égalité. Dans les territoires occupés, la torture est couramment pratiquée. Il ne s'agit pas de cas exceptionnels. Avalisée officiellement pendant une période, cette pratique n'a pas cessé. Elle s'exerce y compris sur des enfants qui sont nombreux à être détenus (1).
Le refus du droit de libre circulation et de tous les droits reconnus dans les pactes est dénoncé par tous les organismes, y compris israéliens, préoccupés des droits de la personne (2).
Ces violations sont autant de dénis des droits généraux, et plus particulièrement des garanties inscrites dans les conventions de Genève. Les déplacements forcés de population, les implantations de colonies de peuplement de l'occupant, les destructions de maisons, arrachages de plantations, arrestations arbitraires, assassinats programmés, mesures de nature à affamer la population, à détruire son économie, à entraver la possibilité de relations avec l'extérieur, sont systématiques. Des pratiques qui déshonorent leurs auteurs se multiplient, comme celles des colons d'Hébron qui répandent leurs déchets sur les maisons palestiniennes placées en contrebas, au point qu'il a fallu tendre des filets de protection au-dessus de la ville arabe.
Les fondements du maintien de la paix ont été piétinés. L'nterdiction du recours à la force et des acquisitions territoriales qui en résultent, respect de l'intégrité territoriale et de l'indépendance politique des autres peuples, sont ignorés.
L'autre moitié de la Palestine
Ainsi le droit des peuples est-il dénié au peuple palestinien, non seulement dans son exercice, mais dans son principe. Ce droit affirmé et garanti par le pacte de la Société des nations (SDN), renforcé par la charte des Nations unies, qui le définit comme un de ses buts, avait été accordé au peuple palestinien en même temps qu'il était réduit à une moitié du territoire. Israël et ses alliés, au lieu d'amener par la négociation et la persuasion le peuple auquel on demandait cette mutilation à l'accepter, ont voulu passer en force et au-delà. Oubliant le sacrifice demandé aux Palestiniens, l'Etat d'Israël s'est lancé par étapes dans la conquête de l'autre moitié de la Palestine, celle pourtant réservée à un Etat palestinien.
Extensions lors de la guerre de 1948-1950, puis lors de celle de 1967, annexion de Jérusalem-Est, emprise militaire sur ce qui restait de territoires palestiniens, contrôles incessants sur la partie que l'on disait pourtant autonome (suite aux accords d'Oslo de 1993), l'avancée d'Israël sur la Palestine n'a jamais cessé. Que le projet soit celui de la droite n'a pas empêché la gauche d'y participer activement. Les colonies de peuplement ont été étendues sous les gouvernements travaillistes, sensibles à la terreur que font régner des colons illuminés. La négociation pour la paix n'a jamais été placée sous l'exigence de reconnaissance intégrale des droits de la personne et des peuples. Et les nuances mises au soutien américain, selon qu'il s'agissait de gouvernements républicains ou démocrates, n'ont pas conduit à des limites clairement imposées à Israël.
Aujourd'hui, l'objectif politique de M. Ariel Sharon apparaît bien comme l'écrasement du peuple palestinien, le déni de son droit à l'autodétermination. On discute entre Jérusalem et Washington du point de savoir s'il faut garder M. Yasser Arafat ou l'éliminer comme on discutait à l'époque coloniale du remplacement d'un gouverneur. Les attentats du Hamas sont une réponse monstrueuse, mais, en refusant aux Palestiniens tous les moyens pacifiques de résistance, les Israéliens mettent en péril leur propre sécurité.
Enfin, la responsabilité pénale des dirigeants israéliens est écartée. Blanchiment de M. Sharon par une commission nationale pour les massacres de Sabra et Chatila, refus de la Cour pénale internationale, reconnaissance publique des assassinats dits « ciblés » de responsables palestiniens, sans qu'il puisse être question de poursuivre ceux qui ont programmé et commis ces crimes,voilà ce qu'il faudra que la conscience nationale israélienne assume devant l'histoire. La parenthèse des négociations pour la paix, en se fracassant, est apparue pour ce qu'elle a été : une démarche dans laquelle les principes de justice n'ont pas réussi à triompher des arrière-pensées. Et les témoignages directs (y compris américains) sur les négociations au sommet de Camp David entre M. William Clinton, M. Ehoud Barak et M. Yasser Arafat en juillet 2000 démentent l'idée que l'accord était proche. A Taba, en revanche, en janvier 2001, des compromis s'esquissèrent entre Israéliens et Palestiniens, mais il était déjà trop tard, les élections israéliennes trop proches (3).
La question palestinienne ne peut pas être dissociée de la politique internationale dans son ensemble. Les mêmes procédés unissent désormais Israël, les Etats-Unis mais aussi la Russie, chacun en charge de la répression sur les peuples qui sont dans leur ligne de mire : les Tchétchènes, les Palestiniens, les Irakiens et une liste complémentaire encore imprécise dans le projet américain. Qualifiés de «terroristes» ou d' « Etats-voyous », selon les cas, ces peuples subissent un terrorisme d'Etat d'autant plus puissant qu'il est le fait de gouvernements disposant d'une écrasante supériorité militaire. Tous sont sommés de respecter des règles dont les maîtres du monde s'exonèrent en permanence.
Ceux qui se barricadent dans le protectionnisme rappellent sans cesse aux autres les obligations du libre-échange. Les Etats-Unis rejettent le protocole de Kyoto, après avoir tenté d'imposer aux pays non développés les limitations d'émissions de gaz à effet de serre. Les sanctions sont maintenues contre l'Irak, soupçonné de détenir des armes biologiques, mais les Etats-Unis refusent le protocole prévoyant un contrôle de ces armes (4). Et un projet de loi américain prévoit d'appliquer des contre-mesures aux Etats qui s'engageraient sur la voie de la justice pénale internationale.
Israël somme l'Autorité palestinienne d'arrêter les auteurs d'attentats et de les lui livrer, alors que les attaques israéliennes visent précisément les locaux et les personnels de la police palestinienne, rendant toute action massive impossible. Et si d'aventure (mais qui oserait le faire ?) M. Yasser Arafat ou d'autres dirigeants demandaient à M. Sharon de poursuivre et d'extrader vers les tribunaux palestiniens les auteurs, parfaitement connus, des meurtres ciblés de dirigeants palestiniens, l'indignation serait à son comble.
Les gouvernements successifs d'Israël (que l'on ne saurait assimiler à tout le peuple israélien) bénéficient dans le monde d'appuis importants. Ces pro-Israéliens font preuve d'un activisme considérable dans le soutien à la politique d'Israël et n'hésitent pas à manier les intimidations et les menaces contre tous ceux qui demandent qu'Israël se plie aux obligations du droit international. Ils n'hésitent pas à accuser d'antisémitisme ceux qui s'aventurent à critiquer la politique anti-palestinienne des gouvernements israéliens.
Comment sortir de l'ornière ? Les risques ne concernent pas seulement le peuple palestinien ou les autres peuples victimes d'une répression comparable, russe ou américaine. Ils sont beaucoup plus larges. Les pays du Sud dans leur ensemble, et notamment ceux du monde arabo-musulman, ignorent pour la plupart la démocratie et ne connaissent pas la liberté ni son prix. Que les Etats les plus puissants affichent à ce point leur mépris des règles du droit international et du principe d'égalité souveraine des Etats, qui est la pierre angulaire d'une démocratie internationale tout entière encore à construire, voilà qui ne peut qu'encourager les gouvernements des sociétés en développement à renforcer leur autoritarisme. Il ne reste aux populations que le désespoir, aliment de tous les fanatismes.
Passer outre le veto américain
Lourde est la responsabilité des pays d'Europe, qui ont été le berceau des valeurs actuellement bafouées dans un grand mouvement régressif. Leur prudence devant le spectacle des souffrances endurées par les peuples en cause, et plus particulièrement par le peuple palestinien, confine à la lâcheté.
Trois mesures seraient pourtant de nature à modifier la situation. La première est l'envoi d'une force d'interposition. Elle peut être onusienne. Le veto américain ne serait un obstacle que pour ceux qui ne veulent rien faire. En effet, lorsque le Conseil de sécurité est bloqué par un veto, l'Assemblée générale peut se substituer à lui. Elle l'a fait dans le passé, sur l'initiative des Etats-Unis.
Cette réhabilitation du rôle de l'Assemblée générale serait très féconde pour l'avenir de l'ONU, menacée de naufrage par son impuissance. A défaut, une force européenne serait une belle occasion de doter les Quinze de cette politique extérieure et de défense commune dont elle a tant besoin. Dans un cas comme dans l'autre, il faudrait assumer l'opposition des Etats-Unis et naturellement d'Israël. Mais il s'agit bien d'entrer en résistance devant un péril qui nous concerne tous, et la résistance est toujours onéreuse.
La seconde mesure est d'ordre économique. Il s'agit de refuser l'entrée dans l'Union européenne aux produits israéliens provenant des colonies de peuplement, pour marquer ainsi le caractère illégal de ces implantations. Mais il faut aller plus loin et refuser à Israël toute aide financière européenne aussi longtemps que sa politique ne s'alignera pas sur les prescriptions complètes du droit international.
Enfin la dernière mesure concerne la reconnaissance de l'Etat de Palestine. Tous les gouvernements se sont permis la facilité de dire qu'ils étaient en faveur de la création de cet Etat. Qu'à cela ne tienne. La reconnaissance est à portée de leur main. La Palestine s'était déjà proclamée comme Etat en 1988. Bien des Etats l'ont reconnue. L'Union européenne et ses membres peuvent s'ajouter à la liste. A supposer que l'on estime nécessaire une nouvelle proclamation, il est facile d'encourager M. Arafat à y procéder alors que l'on n'a cessé de l'en dissuader. Ne pas prendre ces mesures, ce serait être complice de ce qui s'accomplit.
- Notes :
(1) « Enfants palestiniens détenus par Israël : exigez le respect de leurs droits », plate-forme des ONG françaises pour la Palestine, novembre 2001
(2) Lire les rapports d'Amnesty International, de Human rights Watch et de l'association israélienne de défense des droits humains B'Tselem
(3) Lire notamment Robert Malley, « Quelques légendes sur l'échec de Camp David », Le Monde, 17 juillet 2001, et Alain Gresh, « Proche-Orient, la paix manquée », Le Monde diplomatique, septembre 2001
(4) Lire Susan Wright, « Double langage et guerre bactériologique »,
Le Monde diplomatique, novembre 2001.
                                           
8. Promotion Palestine par Pierre Marcelle
in Libération du jeudi 31 janvier 2002
Depuis que Sharon et Bush sont convenus que Yasser Arafat ferait pour Jérusalem le symétrique épouvantable de Ben Laden pour Washington, les chefs respectifs de l'OLP et d'Al-Qaeda ne font plus qu'un. Reclus, le premier a rejoint le second (mort? en fuite?), dans la confusion de tous les buts de guerre, comme l'attestait lundi Dick Cheney, le vice de W., refusant de livrer les «preuves» de l'implication du Vieux dans l'affaire des armes du Karine A (maudit navire promu Twin Towers de l'OLP pour les besoins de la cause). La comparaison se file dans le tissu du monde en guerre, et en un vertigineux flash back: vingt ans après Beyrouth, où Sharon «rata» Arafat, ce qui restait d'Oslo est broyé. Il y a du fascinant dans cette inéluctabilité, que l'Union européenne, tel un lapin pris dans le faisceau des phares de l'automobile qui va l'écraser, contemple avec un effroi passif. Tétanisée, elle ne sait comment se reprendre. Afin de se convaincre qu'elle existe, elle a poussé la semaine dernière un petit couinement plaintif, en publiant la liste des destructions, par Israël, des infrastructures palestiniennes qu'elle, l'UE, avait financées. Elle y compte ses sous perdus comme elle n'a pas compté les morts, depuis le début de la seconde Intifada: routes, port, aéroport, radio, laboratoire, école, systèmes de tout-à-l'égoût et d'irrigation, hôtel, etc. Puis, en mordillant son crayon, elle constate: «Ça nous fait donc... 17,29 millions d'euros». Il convient d'entendre, dans son épicière addition, l'expression de sa protestation.
A sa manière, l'ENA aussi a protesté, baptisant sa dernière promotion du nom de René Cassin, père de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Mieux! Selon l'AFP, il fallut dix tours de scrutin pour que Cassin l'emportât sur le score étriqué de 70 voix contre 67. Ainsi apprit-on que la promo 2001-2003 de la «prestigieuse Ecole» avait failli s'appeler Palestine. Ce qui eût constitué, paraît-il, une marque de panache. Et de beaucoup d'impuissance.
                           
9. "Ceux qui veulent détruire l'Autorité palestinienne et Arafat commettent une erreur grossière" Déclaration de Jean Brétéché, Chef de délégation de la Commission européenne pour la Cisjordanie et la Bande de Gaza propos recueillis par Sanad Sahiliyéh
in Al-Quds (quotidien palestinien) du lundi 28 janvier 2002
[traduit par Marcel Charbonnier de la version anglaise réalisée par FBIS]

Jean Brétéché, représentant de la Commission européenne en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, a condamné le siège imposé par Israël au président Yasser Arafat. Au cours d'une interview exclusive à Al-Quds, il a déclaré que les gens qui voudraient détruire l'Autorité palestinienne commettraient une erreur funeste, le choix de ses dirigeants par le peuple palestinien devant être respecté, quel qu'il soit. Il a ajouté que l'Union européenne insiste sur la levée de ce blocus, déclarant : "Quelle situation aurions-nous si l'Autorité, son président et sa direction politique, qui oeuvrent pour la paix, étaient éliminés ?"
M. Brétéché a posé la question suivante : "Comment les Israéliens peuvent-ils exiger du président (palestinien), qui a été élu par le peuple palestinien, et qui est cerné par leurs tanks, de faire ceci ou cela, de prendre telle ou telle mesure, de prendre telle ou telle décision, de contrôler les services de sécurité, alors que personne ne peut gouverner en étant en état de siège ?" ; ajoutant : "Comment l'efficacité des services de sécurité (palestiniens) pourrait-elle être renforcée alors qu'au même moment on détruit leurs bâtiments et leurs moyens ?"
M. Brétéché a indiqué que l'Union européenne veille à tenir des réunions régulières et à maintenir le contact avec le président Arafat. Il a rejeté l'idée que le siège actuel serait parvenu à couper le président Arafat du reste du monde.
Il a réfuté également l'idée qu'il y aurait eu un quelconque recul dans les positions de principe de l'Union européenne, qui affirment les droits des Palestiniens, déclarant notamment : "Notre position a été clairement définie, elle le reste. Rien n'a changé dans notre position demandant la fin de l'occupation et le retour d'Israël à l'intérieur des frontières de 1967, le respect des résolutions 242 et 338 de l'ONU, dénonçant l'illégalité de la construction d'implantations dans les territoires palestiniens, et ne reconnaissant pas l'annexion de Jérusalem Est."
Il a rappelé les nombreuses initiatives européennes, au niveau tant de l'envoyé spécial de l'Union européenne chargé du processus de paix au Moyen-Orient, M. Moratinos, que du coordinateur de la politique étrangère européenne, M. Solana et des ministres européens, ajoutant : "ces initiatives ne sont pas toutes rendues publiques ; elles n'en existent pas moins" ; ce qui était une allusion à des discussions en cours avec les Etats-Unis, la Russie et l'ONU.
Il a rejeté l'idée que les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis auraient entraîné une modification de la position de l'Union européenne vis-à-vis de la question palestinienne ; en mentionnant que la coordination actuelle entre l'Union européenne et les USA se place dans le cadre d'une volonté de créer un climat plus favorable à la réalisation de la paix non pas seulement entre les Palestiniens et Israël, mais aussi dans l'ensemble du Moyen-Orient, le conflit israélo-palestinien affectant d'autres régions et d'autres pays.
Il a déclaré : "nous aspirons à avoir, dans le bassin méditerranéen, voisin de l'Europe, une région où règnent la paix et la prospérité. D'aucuns souhaitent que nous adoptions une position plus claire, mais je vous assure que c'est ce que nous nous efforçons de faire jour après jour. Nous n'abandonnerons pas. Nous continuerons à apporter notre assistance politique et économique à cette région, et nous continuerons à soutenir l'Autorité palestinienne, légitime car élue par le peuple palestinien.
Il a précisé que bien qu'il y ait une certaine tension, actuellement, due au fait que cette aide n'est pas aussi régulière que par le passé, il souhaite personnellement continuer à aider les représentants du peuple palestinien et le président Yasser Arafat. Il a lancé un appel en vue de l'action pour l'instauration d'un climat plus favorable permettant d'avancer sur la voie de la paix. Pour lui, les Palestiniens ont le droit d'établir leur propre Etat, de décider ce qu'ils jugent bon, et de déterminer le futur de leurs enfants, comme n'importe quel autre peuple dans le monde, ajoutant que, par ailleurs "le peuple palestinien est le seul à avoir le droit de choisir ses représentants."
M. Brétéché a indiqué que l'Union européenne est impatiente de voir un Etat palestinien instauré à côté de l'Etat d'Israël, ajoutant que ces deux Etats devraient se voir accorder des chances égales en matière de paix, de prospérité et de sécurité.
Il a affirmé que la partie palestinienne déploie des efforts sincères et importants afin de mettre en application les accords conclus avec le partenaire israélien, ajoutant qu'il aimerait voir les deux parties respecter aussi scrupuleusement leurs engagements, de manière à améliorer la situation. Depuis les accords d'Oslo, les Palestiniens et les Israéliens ont conclu un accord intérimaire. La partie palestinienne était (et reste) désireuse de mettre cet accord en application, qui requiert le respect et l'engagement des deux parties.
M. Brétéché a indiqué que l'Union européenne poursuit son aide financière en direction de l'Autorité palestinienne et du peuple palestinien. De fait, cette aide financière est en augmentation. Il y a deux ans de cela, cette aide était de l'ordre de 50 millions d'Euros/an. Ce chiffre doit être comparé à celui de l'année dernière, qui a atteint 250 millions d'Euros : l'augmentation est donc d'un ordre de cinq fois supérieure. Il a précisé que cette aide inclut le soutien au budget de l'Autorité palestinienne (salaires des fonctionnaires), aux hôpitaux, aux infrastructures des agences de secours et d'assistance de l'ONU, et à d'autres secteurs, nombreux.
Il a indiqué que l'Union européenne seconde les projets d'investissement afin de créer de nouveaux emplois, tout particulièrement dans les conditions économiques difficiles que connaît actuellement le peuple palestinien. En Palestine, le chômage atteint environ 50%, et plus de la moitié de la population palestinienne vit au-dessous du seuil de pauvreté. Nous œuvrons à trouver pour eux, et nous les aidons à trouver, de meilleures opportunités dans la vie.
Il a déclaré que l'Union européenne entreprendra sans tarder des actions afin de soutenir, autant que faire se peut, le secteur privé palestinien, et non pas seulement le budget de l'Autorité. La raison pour cela étant que le secteur privé est susceptible de créer des opportunités d'emploi et faire décoller l'économie, comme cela avait pu être constaté avant le déclenchement de l'Intifada actuelle : il y avait alors beaucoup d'attentes dans la société et l'économie palestinienne. Nous nous efforcerons donc de soutenir ce secteur.
Enfin, M. Brétéché a rappelé : "en novembre dernier, nous avons pris la décision de boycotter les produits provenant des colonies. Nous avons informé tous les importateurs européens, concernés par l'importation de biens produits dans les implantations à l'intérieur des territoires palestiniens, que nous ne considérerions plus ces produits comme provenant d'Israël. Nous avons adressé une mise en garde aux importateurs, par laquelle nous les avons informés qu'ils ne bénéficieraient désormais plus de l'exemption des droits de douanes sur ces produits. Il en découle qu'ils devront déposer des fonds dans une banque à titre de garantie, et éventuellement payer des taxes, s'il est prouvé que ces produits proviennent de colonies. M. Brétéché a conclu ainsi : "bien entendu, il s'agit là d'un avertissement sérieux, qui a valeur de message politique ferme adressé à Israël."
                                    
10. Demi-vérités et double langage par Sara Leibovich Dar
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 25 janvier 2002
[traduit de l'anglais par Mimi Tal]

Suite à la démolition des maisons à Rafah, la crédibilité du porte-parole de l'armée israélienne a atteint son point le plus bas. Cette fois, l'incrédulité s'est étendue bien au-delà du cercle des habituels sceptiques formés par des Palestiniens, journalistes étrangers, organisations de défense des droits de l'Homme et des gauchistes invétérés. «J'y étais», dit Hanne Foighel, reporter pour le journal danois Politiken. «J'ai parlé à un jeune homme qui essayait de récupérer les médicaments de sa grand-mère de l'une des maisons. Et maintenant je suis supposé croire le porte-parole de l'armée israélienne lorsqu'il dit que ces maisons étaient vides?» Shulamit Aloni soutient cette réflexion: «Dernièrement j'ai eu d'énormes difficultés à croire le porte-parole de l'armée israélienne. Il n'est pas crédible. Quand il dit que toutes les maisons de Rafah étaient vides et que je vois à la télévision des femmes cherchant leurs vêtements dans les décombres, comment puis-je le croire, et croire les reporters militaires comme Roni Daniel? Je crois les images et les reporters étrangers.»
Le 10 janvier au soir, l'armée israélienne a détruit des maisons à Rafah, et le communiqué du porte-parole de celle-ci avait pour but de dissimuler plus que de révéler les faits. «Ce soir, des éléments de l'armée israélienne ont mené une opération 'd'engineering' sur la frontière entre Israël et l'Égypte à Rafah, pendant laquelle un certain nombre de bâtiments qui servaient d'abris à des personnes tirant sur les forces armées israéliennes opérant dans cette zone ont été découverts. Des soupçons pesaient sur ces bâtiments, qui auraient servi à dissimuler des tunnels utilisés pour faire entrer clandestinement des armes d'Égypte à l'Autorité Palestinienne.»
Le samedi, le général de division Doron Almog, chef du commandement Sud, a commencé la valse des informations en continu, quand au cours d'une interview donnée dans le cadre du programme télévisé «Rencontre avec la presse», il a dit que les maisons qui avaient été détruites avaient été abandonnées ces trois derniers mois. Le lendemain, le premier ministre nuançait ces propos en disant que «la plupart des maisons étaient abandonnées». Ce même dimanche, des officiers de l'armée israélienne dirent au correspondant militaire de Ha'aretz Amos Harel que certaines de ces maisons étaient habitées, mais le brigadier général Yisrael Ziv, commandant de l'armée dans la bande de Gaza, continuait d'affirmer qu'elles étaient toutes abandonnées. Des soldats qui ont pris part aux démolitions ont confié au journal Maariv: «il n'y avait personne là-bas». Le mercredi matin, des responsables militaires dirent que certains bâtiments étaient habités. Selon le rapport de la brigade Sud de l'armée israélienne, publié l'après-midi du même jour, les maisons étaient vides. Tout au long de la semaine, des témoignages de Palestiniens qui vivaient dans ces maisons ont été publiés en Israël et à l'étranger.
Des informations contradictoires ont également été rapportées concernant le nombre de maisons détruites. Le communiqué du porte-parole de l'armée israélienne mentionnait «un certain nombre de maisons». Le vendredi, des responsables militaires parlaient de 14 maisons détruites. Le général de division Almog parlait lui de 21 maisons. Un communiqué de l'UNRWA (agence onusienne d'aide et de secours) faisait état de 58 maisons détruites, et dit que la plupart d'entre elles étaient habitées. L'organisation palestinienne des droits de l'homme parlait, elle, de 59 maisons détruites. L'organisation B'Tselem trouva, elle, 60 maisons détruites et 112 familles sans abri.
«En règle générale, nous ne croyons pas le porte-parole de l'armée» dit le journaliste danois Foighel. «Il nous donne le point de vue qu'il veut nous faire accepter.» Au mois de septembre, il y eut un incident à Gaza. Le commissaire de l'UNRWA Peter Hanson a été arrêté à un barrage de contrôle de l'armée. Un tank a pointé son canon sur lui et des soldats ont menacé de lui tirer dessus. Dans son communiqué, le porte-parole de l'armée n'a pas mentionné le tank. Il a dit qu'un convoi de l'UNRWA s'était approché du barrage sans faire les identifications nécessaires. «Ils ne font pas leur boulot correctement, et ensuite ils nous traitent de menteurs».
«J'étais à Rafah», dit le journaliste suisse Pierre Heumann, du journal Die Weltwoche. «J'ai parlé avec des gens qui habitaient dans ces maisons. Ou bien ce sont de très bons comédiens, ou bien ils disaient la vérité, mais pourquoi trouver une boite de fromage et un jouet d'enfant dans les décombres si personne n'habitait là? Même si je n'avais pas été là-bas, j'aurais constaté que le côté israélien voulait cacher quelque chose, à cause du nombre de versions données à cette histoire.»
Beaucoup de journalistes eurent le même sentiment le 22 novembre 2001, quand cinq enfants furent tués à Khan Younis par l'explosion d'une bombe placée là par des militaires israéliens. La première réponse donnée par le porte-parole de l'armée fut de dire «qu'une enquête menée par celle-ci suite aux revendications palestiniennes concernant les victimes de tirs à Khan Younis a conclu qu'aucune arme de quelque nature que ce soit n'avait ouvert le feu au moment de l'accident». Interrogé par des reporters militaires pour savoir si les enfants avaient été tués par une bombe ou une mine placée là par les militaires israéliens, le porte-parole de l'armée a répondu: «l'armée n'aborde pas le sujet».
Le 25 novembre, l'armée exprimait ses condoléances pour la mort des enfants dans un communiqué qui semblait faire porter une part de responsabilité à ceux-ci: «Il est possible que les enfants aient été tués en manipulant une charge explosive que des soldats israéliens ont placée au poste utilisé pour des activités terroristes contre l'armée israélienne.»
C'est seulement le 19 décembre, pratiquement un mois après l'explosion, alors que l'intérêt porté par l'opinion publique à la mort des cinq enfants avait disparu, que le porte-parole admit qu'il y avait eu un incident causé par un mélange d'erreurs professionnelles, erreurs de jugements, et d'inattention L'engin explosif n'était pas bien dissimulé, ce qui a permis aux enfants de le découvrir; les officiers impliqués n'ont pu anticiper le risque, alors que les enfants arrivaient sur la butte.
«Je viens juste de lire le dernier rapport sur l'incident de Khan Younis aujourd'hui», dit le député Ran Cohen du parti Meretz, un membre de la commission des affaires étrangères et de la défense du parlement, et il apparaît qu'à partir du moment où l'explosion s'est produite, l'armée israélienne savait que cela provenait d'un engin explosif déposé là par l'armée. Néanmoins, celle-ci a transmis une information incorrecte. C'est ce qui fait que la crédibilité du porte-parole de l'armée israélienne a été réduite à zéro. Voici un exemple plus récent. Les images prises sur les lieux de l'attaque où quatre soldats ont été tués près de Kerem Shalom, montrent un pathétique petit monticule de terre et quelques tentes de toile, appelé avant-poste, et des armes enlisées dans des flaques d'eau et de boue. Quiconque voit ceci comprend qu'il y a eu irresponsabilité et négligence de la part de l'armée. Mais le porte-parole de l'armée ne souffle mot là-dessus.
Normes Moyen-Orientales
Le 20 mai 2001, des tanks de l'armée israélienne ont tiré trois obus sur la maison de Jibril Rajoub, le chef de la sécurité préventive palestinienne à Al-Bireh en Cisjordanie. Cinq gardiens ont été blessés, le poste de garde a été détruit et la maison endommagée. L'armée a affirmé que les tirs provenaient seulement de tirs d'armes légères. C'est seulement quand les photos prouvèrent le contraire que les anciens responsables militaires confirmèrent que des tanks avaient bombardé la maison. Le porte-parole de l'armée israélienne dit que l'armée n'avait aucune intention de blesser Rajoub. Selon des sources militaires, les forces armées qui ont tiré sur la maison ne savaient pas qu'elle appartenait à Rajoub. Le ministre de la défense Benjamin Ben Eliezer fut catégorique: «Je ne peux imaginer que n'importe quel commandant de l'armée envisage de tirer sur Jibril Rajoub et sa maison.» Dans une interview le lendemain sur la radio militaire, le lieutenant colonel Erez Weiner, commandant les forces armées qui ont bombardé, révélait qu'il connaissait précisément ce qu'il bombardait: «Nos forces ont essuyé des tirs en provenance de différents endroits dont la maison de Jibril Rajoub», dit-il. «Bien sûr que nous savions (à qui était cette maison), nous n'étions pas nouvellement stationnés là.» Le lendemain, des sources militaires confiaient à Ha'aretz que le communiqué du colonel Weiner était «une erreur».
Ce n'était pas la première fois que Ron Kitrey, le porte-parole de l'armée, fournissait des communiqués faux, couvrait les bourdes de l'armée, donnait des versions contradictoires sur des événements, ou déniait que des faits violents se soient produits. Suite à plusieurs incidents, dont le kidnapping des trois soldats israéliens, la mort des cinq enfants de Khan Younis, et la mort du garçon palestinien Mohammed al-Dura au début de l'Intifada, l'armée a eu plusieurs versions différentes des faits, qui ont été relayées de différentes façons - dans les communiqués du porte-parole de l'armée, par des sources militaires anonymes, et par des officiers envoyés auprès des médias par le porte-parole de l'armée.
Plusieurs organisations, telles Reporters Sans Frontières, Médecins pour les Droits de l'Homme, et B'Tselem, ont documenté des dizaines d'incidents où des personnes ont été blessées, et que l'armée a niés. Il y a six mois, un officier de l'armée comparaissait devant la commission des affaires étrangères et de la défense, et trompait ses membres en donnant de fausses informations.
«Le porte-parole de l'armée israélienne a une crédibilité égale à zéro. Sa crédibilité est au plus bas de ce qu'elle a pu être, et elle n'était déjà pas très haute avant», selon Uzi Mahnaimi, du journal anglais le Sunday Times. «Je ne peux jamais dire si ce qu'il dit est vrai ou faux», ajoute-t-il. «Autrefois, la tradition de l'armée israélienne était de donner de vrais comptes-rendus», dit Charles Anderlin de France 2, la chaîne télé qui a filmé la mort de Mohammed al-Dura. «Le sentiment est différent aujourd'hui.»
Même le journal du Parti National Religieux, Hatzofeh, ne croit plus le porte-parole de l'armée. Le 16 août 2001, le journal publiait une clarification disant que le porte-parole de l'armée avait adopté les normes du Moyen-Orient lorsqu'il s'agit de mentir. «Il est bon de noter que les déclarations des organisations palestiniennes sont parfois plus précises», était-il notifié.
«À plusieurs reprises, j'ai reçu de fausses informations du porte-parole de l'armée», certifie Carmela Menashe, reporter militaire de Radio Israël. «Seulement quand j'insistais pour que cela soit de nouveau vérifié, revenaient-ils avec une réponse plus crédible. Cela arrive tout le temps et cela dure depuis des années. Il y a quelques années, des rapports du département scientifique du comportement montraient qu'il y avait une baisse de motivation parmi les candidats du Shin Bet. J'avais écrit le papier, tout était vérifié, mais le porte-parole de l'armée a néanmoins essayé de le nier....ils mentent vraiment sans sourciller.»
La médiation lacunaire
L'analyste militaire de Radio Israël et de la chaîne Télé 1, Ron Ben Yishai dit: «La crédibilité du porte-parole de l'armée est limitée. Non pas parce que celui-ci est un menteur, mais parce que ses communiqués sont basés sur des rapports provenant du terrain d'action qui ne sont pas crédibles. J'appelle cela la médiation lacunaire ou, pour être plus précis, médiation enjolivante. Je l'ai vu moi-même, une fois, quand le porte-parole avait annoncé que des forces de l'armée avaient tendu un piège et tué deux terroristes. J'étais sur le terrain et je savais que les terroristes avaient essayé de frapper un véhicule militaire et qu'ils étaient morts dans un 'accident de travail'.»
Nous sommes aussi à blâmer, selon un reporter militaire. «Nous pressons le porte-parole de nous donner une réponse rapide. Si nous pouvions attendre un peu plus longtemps, les réponses du porte-parole seraient plus crédibles. Plus d'une fois j'ai entendu le porte-parole de l'armée dire que les Palestiniens tués étaient armés et, le lendemain, l'armée admettait qu'ils n'étaient pas armés. Le soldat dans le tank qui leur a tiré dessus a vu des gens s'approcher et a pensé 'ils ont l'air suspects'. En fait, il s'est avéré qu'ils avaient seulement un couteau. Le porte-parole de l'armée n'avait pas menti car c'était la seule information dont il disposait sur le moment. Si nous avions été disposés à attendre quelques heures, il aurait parlé du couteau.»
Nahman Shai, qui a été porte-parole de l'armée de 1989 à 1991, dit: «Le porte-parole de l'armée est seulement un médiateur. La vraie question c'est: comment être sûr qu'il n'est pas manipulé par les officiers qui sont sur le terrain.»
Comment cela peut-il se faire ?
«J'ai gaspillé beaucoup d'énergie là-dessus. Nous ne sommes pas naïfs. La personne qui fait un rapport de terrain est un soldat. Le porte-parole doit jeter un regard journalistique critique sur l'information qui lui est donnée. Ce n'est pas facile. Il y a des dizaines d'incidents chaque jour, et l'armée ne peut pas contrôler l'information. L'épisode de Rafah en est un bon exemple. C'était différent il y a quelques années. Si le commandant sur le terrain disait qu'il n'y avait personne, tout le monde l'acceptait. L'armée était la seule source d'information. Maintenant il y a beaucoup plus de sources d'information. Il n'y a pas de secrets. Tout est exposé à la vue de tous.»
Le correspondant militaire de Télé 2, Roni Daniel, continue de faire confiance au porte-parole de l'armée. «Il ne va pas me mentir intentionnellement, parce qu'il sait que la vérité se saura. Quand les communiqués sont faux, c'est parce qu'il ne connaît pas lui-même la vérité - comme ce qui s'est passé à Rafah quand l'armée ne savait pas exactement ce qui s'était passé là-bas.» Leurs communiqués sont en majeure partie plausibles, dit Yaakov Erez, l'analyste militaire de Maariv. «Je peux leur faire confiance. Je ne me rappelle pas de cas où ils n'étaient pas crédibles.»
Des correspondants étrangers ont des souvenirs différents. Ils sont aussi beaucoup moins tolérants en ce qui concerne les annonces mensongères. Mais ils ne blâment pas les officiers et les soldats qui sont sur le terrain. Ils sont convaincus que le problème est dû à la politique gouvernementale. «J'ai couvert beaucoup de guerres. J'étais en Tchétchénie, au Kosovo, à Bagdad pendant la guerre du Golfe, et au Guatemala», dit Lee Hockstader du Washington Post. «Dans une guerre, les deux camps mentent. Il y a un cliché qui dit que la première victime de la guerre, c'est la vérité. J'ai adopté une attitude sceptique vis-à-vis des deux côtés et c'est évident pour moi que je dois mener ma propre investigation et ne pas faire confiance à l'un ou l'autre camp.»
«Ils ne fournissent pas toujours d'information précise» selon Conny Mus, de la télévision belge et hollandaise. «Il y a quelques semaines, nous étions à Ramallah quand des roquettes ont été tirées sur la ville. Le porte-parole de l'armée dit qu'il ne s'était rien passé. J'ai tenu le téléphone pour qu'ils puissent entendre et j'ai dit 'écoutez, ils tirent là-bas'. Ce n'est que six heures plus tard qu'on nous a donné une réponse crédible. Je ne crois pas les informations des Palestiniens et je ne crois pas à 100% aux communiqués du porte-parole de l'armée israélienne. Je vérifie chaque incident auprès des Nations unies, des diplomates qui sont sur le terrain, et de ce que nous voyons nous-mêmes. En tenant compte de tout ceci nous tirons une information correcte.»
Ulrich Sahm, de la télé Neue, la chaîne d'informations allemande, dit qu'il attend toujours du porte-parole de l'armée israélienne qu'il annonce le début de la guerre du Liban. «En général, les contacts que nous avons avec eux ne mènent nul part; quand ils ne répondent pas aux questions, sont évasifs, cela prouve qu'ils sont en train d'essayer de cacher quelque chose. C'est ce qui m'est arrivé avec l'affaire du Karine A. J'ai demandé au porte-parole sous quel pavillon le bateau naviguait. Ils m'ont promis cinq fois qu'ils vérifieraient et finalement ils dirent qu'ils l'avaient mentionné au cours d'une conférence de presse. Comme cela n'avait pas été fait, j'ai reposé ma question et ils m'ont répondu que c'était classé secret militaire. Le lendemain, il fut rapporté que le bateau naviguait sous le pavillon de Tonga. Ce n'était pas du tout un secret, il n'y a pas de secret dans ce pays. Quand on découvre que le porte-parole de l'armée a menti, il s'inflige à lui-même et au pays de bien plus grands dommages.»
Ran Cohen: «Ce genre de chose fait du tort à l'armée. La force de l'armée vient de sa crédibilité et de son adhésion à la vérité. J'ai grandi avec une armée pour qui la vérité était partie intégrante de ses caractéristiques. Le pouvoir de la vérité, c'est ce qui motive des jeunes gens pour être prêts à donner leurs vies. Quand les citoyens commencent à sentir que l'armée est en train de camoufler la vérité, l'armée perd son pouvoir. L'armée n'opère pas dans le vide. Quand elle perd sa crédibilité, toutes les autres valeurs positives sont touchées. Cela demande beaucoup de courage de reconnaître ses erreurs. C'est plus facile de s'en détourner, d'essayer d'éluder, mais pour l'armée c'est un désastre.»
Communiqués contradictoires
Cela s'est passé en juin 2001 au cours d'une audition du comité des affaires étrangères et de la défense du parlement sur la mort de trois femmes à Khan Younis, tuées par un obus tiré par un tank. Un officier paraissant devant le comité dit que l'obus était d'un certain type, alors qu'en fait il était d'un autre, plus meurtrier. Le porte-parole de l'armée israélienne vint immédiatement à son secours, disant que l'armée et ses officiers ne mentent pas et que le rapport provenant du terrain était incomplet et n'avait pas été suffisamment révisé.
«Je voudrais bien volontiers croire le porte-parole de l'armée israélienne», dit Yossi Sarid, un membre du comité des affaires étrangères et de la défense, qui s'est disputé avec le porte-parole au sujet de la désinformation. «Mais malheureusement sa crédibilité a été réduite à zéro cette dernière année, et maintenant, quand je l'entends lire un communiqué, je me demande s'il est juste ou pas. Quand il y a une autre information ou que le communiqué ne semble pas avoir de sens, je ne le crois pas. Nous avions coutume de nous moquer des communiqués officiels égyptiens. Actuellement nos communiqués sont du même type, et c'est une grande erreur. La vérité est très rapidement dévoilée, alors qu'avons-nous obtenu? La vérité fait surface et les dommages causés aussi.»
C'est ce qui est arrivé lors du kidnapping des trois soldats à la frontière libanaise le 7 octobre 2000. Le premier communiqué du porte-parole de l'armée israélienne était bref: «Cet après-midi, trois soldats israéliens ont été kidnappés par le Hezbollah alors qu'ils étaient engagés dans des activités opérationnelles sur la clôture frontalière dans la zone de Har Dov sur la frontière Nord.»
Trois jours plus tard, le premier rapport en provenance du chef du commandement nord, Gabi Ashkenasi, était publié. Il soulevait la question de savoir pourquoi les soldats se trouvaient aussi près de la clôture alors que les ordres l'interdisaient.
Le lendemain, le Brigadier général Zvi Gendelman, commandant de la division Ga'ash, qui comprend le bataillon d'engineering dont faisaient partie les trois kidnappés, tenait une conférence de presse. Il adhérait à la version officielle de l'armée, qui blâmait les soldats. «Nous n'avons aucune réponse à la question de savoir pourquoi ils sont descendus jusqu'à la clôture, en contradiction avec des ordres explicites», dit-il. Le même jour, le chef d'état major, Shaul Mofaz, vint renforcer ce point de vue quand il dit que les trois soldats étaient supposés s'arrêter à un poste d'observation à un kilomètre à peu près de l'endroit où ils ont été kidnappés, et étaient supposés attendre là d'être rejoints par une autre force. Si ces instructions avaient été suivies, le résultat aurait été différent.
Ces trois déclarations engendrèrent toute une série de rumeurs insinuant que les soldats étaient allés jusqu'à la clôture pour mener une affaire de drogue. Jusqu'au 16 octobre, Ron Kitrey n'a pas démenti ces rumeurs. Haim Avraham, le père de l'un des trois soldats kidnappés, dit amèrement: «Il y a eu une tentative de la part de plusieurs officiers de se blanchir et le porte-parole de l'armée n'a pas répondu en temps réel. Qui d'autre si ce n'est le porte-parole pouvait défendre l'honneur de nos fils? Mais il a préféré se cacher la tête dans le sable.»
Une semaine avant le kidnapping, Mohammed al-Dura, 12 ans, était tué à la jonction de Netzarim, quand son père et lui ont été piégés dans des tirs croisés entre soldats israéliens et des Palestiniens. L'enfant et son père essayèrent de se mettre à l'abri, mais ils furent touchés. Le garçon fut tué et le père blessé. Une équipe de télévision de France 2, avec le journaliste Talal Abu Rahma, filmèrent l'événement et conclurent que l'enfant avait été tué par le feu ouvert par les Israéliens. Charles Anderlin, le chef du bureau de la chaîne en Israël, requit une réaction. La réponse du porte-parole fut sommaire et évasive: «Depuis le matin des troubles ont débuté qui se sont transformés en tirs. Certains de ces événements ont commencé lorsque des civils palestiniens et des policiers palestiniens habillés en civil ont tiré sur des soldats israéliens. Parmi les événements de la journée, entre autres, il y a eu des tirs à la jonction de Netzarim. L'armée israélienne n'avait aucun intérêt à voir le conflit s'étendre. Notre objectif est d'éviter une escalade des incidents, de faire cesser le feu et de prévenir un bain de sang et la violence.»
«Je fais entièrement confiance à Talal, qui travaille avec nous depuis de nombreuses années», dit Anderlin. «Je n'ai aucun doute sur le fait que les tirs provenaient du poste israélien. Le porte-parole de l'armée a émis un communiqué général sans faire de vérification. J'aurai pu comprendre s'ils avaient dit qu'ils allaient enquêter sur l'affaire, mais ils n'ont même pas fait cela. Chaque camp essaie de se protéger, et je suis là à la recherche de la vérité, qui, finalement sert le camp qui y adhère. La vérité est la base de toute démocratie.»
Les images filmées par l'équipe de France 2 ont provoqué un tollé lorsqu'elles ont été diffusées dans le monde entier. Le 1er octobre, le porte-parole de l'armée divulguait un autre communiqué flou: «Les Palestiniens font un usage cynique des femmes et des enfants en les emmenant dans les zones de violence dans les Territoires. L'incident a commencé avec des tirs à balles réelles en direction des forces de l'armée israélienne, le lancement de bombes incendiaires et explosives par des Palestiniens sur les forces de l'armée israélienne et avec des centaines de manifestants chargeant en direction des postes de l'armée. De violents échanges de tirs ont suivi et la photo se concentre seulement sur l'enfant et son père piégés par les échanges de tir.» À la fin du communiqué, le porte-parole assurait que «l'origine du tir ne pouvait être identifiée».
Le 3 octobre, le général Moshe Ya'alon, l'adjoint au chef d'état major, dit qu'il apparaissait que le garçon avait été tué par le feu israélien, «bien que ce fut par erreur». La version de Ya'alon fut accréditée par le commandant général Giora Eiland, à la tête du directorat Plans et Règles. Selon lui «au mieux de notre compréhension des faits, le garçon a été touché par le feu israélien.» Le porte-parole de l'armée israélienne affirmait que ce qu'avait dit Eiland était la version donnée par l'armée de l'incident, mais le 10 novembre, il confia au magazine de l'armée Bamahaneh que c'était impossible de déterminer qui avait tiré sur le garçon. «De même qu'il y en a qui prétendent qu'il a été tué par nos forces, il y en a d'autres qui sont prêts à jurer qu'il a été tué par une balle perdue provenant de tirs croisés palestiniens.»
Démentis bizarres
L'organisation des Médecins pour les Droits de l'Homme a elle aussi remarqué l'enchaînement de cas où le porte-parole de l'armée démentait des faits qui eurent lieu.
«Nous avons communiqué des cas bien documentés et ils disent habituellement que ces revendications sont inconnues, que les soldats ont dit que rien ne s'était passé», se plaint Tomer Feffer, le directeur de l'organisation. «Apparemment c'est ce que les soldats diraient, mais c'est difficile de comprendre pourquoi le porte-parole les croit et ne lance pas d'investigation.»
Feffer cite plusieurs exemples. «Il y a trois mois, la nuit du 7 novembre 2001, un nourrisson fut amené par sa mère au barrage de Ramot, pour aller à l'hôpital Makassed. Le bébé, souffrant d'une maladie chronique, était sous surveillance médicale d'un médecin israélien. Les soldats au barrage refusèrent de laisser passer la mère et son fils. Elle essaya de nouveau le matin et quand finalement elle put atteindre l'hôpital, le bébé était dans un état critique.» Le porte-parole de l'armée dit que ces revendications sont inconnues, alors même qu'elles étaient facile à vérifier, selon Feffer.
Un autre incident s'est passé la nuit du 23 octobre, quand des ambulances du Croissant rouge essayèrent de pénétrer dans le village de Beit Rima après l'action de l'armée israélienne là-bas. «Le porte-parole de l'armée israélienne dit que les ambulances étaient en train de rentrer dans le village, alors qu'il savait que le village était fermé et que les ambulances n'étaient pas autorisées à y entrer» selon Feffer.
«Le 22 octobre, l'armée israélienne pénétrait dans Bethléem. Nous avons reçu un rapport de deux hôpitaux - Holy Family et al Hussein à Beit Jala - disant que l'armée était en train de leur tirer dessus. Le garde à Al Hussein fut tué. De mes propres yeux, j'ai vu les taches de sang, les endroits où l'immeuble a été touché, et les trous faits par les balles dans l'ambulance. À l'hôpital Holy Family, le secteur néonatal a dû déménager à cause des tirs. Le porte-parole de l'armée israélienne assura que rien de tel ne s'était passé et que l'armée israélienne est une armée humanitaire qui essaie de ne pas blesser les civils.»
L'organisation B'Tselem a rassemblé des documents identiques. Le 7 juillet 2002, un garçon de Rafah appelé Khadil Mughrabi a été tué par un obus tiré par un tank alors qu'il jouait au football. Le porte-parole de l'armée dit qu'une manifestation sauvage avait lieu et que les soldats répondaient en lançant des bombes lacrymogènes et en tirant des balles en caoutchouc. Le brigadier général Baruch Mani, le procureur du district sud, a établi que le communiqué de presse de l'armée affirmant qu'aucun tir d'arme lourde n'avait été utilisé, était incorrect.
Le 12 septembre, deux terroristes recherchés ont été abattus dans le village de Arabeh. Un autre homme et une fillette de 14 ans ont également été tués dans l'opération. Le porte-parole de l'armée israélienne dit que les forces armées israéliennes avaient essuyé des tirs de plusieurs terroristes qui avaient été tués dans des échanges de feu qui ont suivi. B'Tselem dit que ceci est un faux rapport: «Nous étions là-bas. Nous avons rassemblé des preuves et les avons vérifiées. Une fillette de 14 ans n'est pas une terroriste», dit le porte-parole de B'Tselem, Olior Yavneh.
Quand il prit en charge le poste de porte-parole de l'armée israélienne, Ron Kitrey annonça le début d'une ère d'ouverture et de transparence, et déclara qu'il allait distribuer des caméras aux soldats. Mais en septembre 2000, le porte-parole de l'armée sortit un fascicule intitulé «Règles pour paraître dans les médias»; une copie de ce fascicule est parvenue jusqu'au reporter de Kol Ha'ir, Uri Blau.
Sous l'intitulé «Interview, faire, ne pas faire», le porte-parole de l'armée donne comme instruction au soldat à qui on demande une interview: «Vous n'êtes pas obligé de dire tout ce que vous savez.»