Revue de
presse
1. Quelles alternatives, pour l'Autorité palestinienne
? par le Dr. Khalid Abdallah
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe
publié à Londres) du mardi 29 janvier 2002
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
(Le Dr. Khalid Abdallah est
ancien président du bureau de la Ligue arabe à Washington.)
A chaque
apparition d'un responsable palestinien sur les télévisions satellitaires arabes
ou autres, on rebat les oreilles des téléspectateurs avec l'idée convenue que
Sharon n'aurait pas de programme politique, et que la seule option qui lui
resterait serait l'option militaire. Cette affirmation entraîne la déduction
qu'il faudrait être bien peu avisé et avoir la vue bien courte pour tomber dans
le piège de ses provocations. Il est heureux que certains des tenants de cette
idée n'aient pas succombé à la tentation de demander aux Palestiniens d'élever
des drapeaux blancs au-dessus de leurs maisons et de leurs immeubles officiels,
concrètement et non pas seulement métaphoriquement, comme on a pu le leur
suggérer dans le quotidien israélien Ha'Aretz "afin de faire tomber Sharon et
d'obtenir leur Etat indépendant"... Mais à l'examen, on est frappé par la
nullité de cette "grande idée" tant sur le plan de la forme que du
fond.
Sharon A un programme politique, et la puissance militaire qu'il
utilise, fût-ce sur une échelle différente, nouvelle, n'est pas autre chose que
la continuation de la méthode fondamentale d'Israël pour atteindre ses buts.
Israël a imposé son existence, puis il a parachevé son occupation et son
hégémonie sur la Palestine et d'autres contrées arabes grâce à sa puissance
militaire, et non pas grâce à la puissance de son économie, de sa diplomatie, ou
de sa propagande. Il s'agit, pour ces derniers points forts, d'éléments qui ont
boosté sa puissance militaire, en même temps qu'ils ont servi à "légitimer"
l'occupation et à la pérenniser. Mais, pour Israël, la puissance militaire a, de
tout temps, été fondamentale. Dire que Sharon n'a pas de programme politique
risque de contribuer à faire oublier le fait qu'Israël est, dans sa globalité,
un camp militaire aux tanks chenillés, et pourrait amener à croire qu'il y
aurait des différences entre les gouvernements israéliens successifs -
différences démenties par les faits et contredites par les réalités. En effet,
le briseur d'os d'enfants Rabin et le boucher de Cana Pérès (tous deux,
"pourtant" travaillistes) se sont illustrés dans l'utilisation de la force
armée. Tout au plus, ce qui a plaidé en leur faveur dans les médias, est leur
grand sens des relations publiques. L'appartenance du parti Travailliste
israélien à l'Internationale socialiste a joué, par ailleurs, un rôle non
négligeable dans l'apaisement des critiques des forces de gauche européennes
vis-à-vis de ce parti, certains des partis socialistes européens ne se
contentant pas de fermer les yeux, allant même jusqu'à soutenir le dit parti
Travailliste...
Le programme de Sharon est celui de tous les gouvernements
israéliens, tant travaillistes que Likoud. Mais ce programme (fondamentalement
israélien) unique et constant a été présenté au monde comme susceptible
d'apparaître sous deux formes différentes : une version travailliste et une
version Likoud. Les médias occidentaux ont fermé les yeux, dans leur grande
majorité, sur les similitudes fondamentales entre les deux formations (et les
deux versions DU programme) en ce qui concerne Jérusalem, le droit au retour des
réfugiés palestiniens et le concept de souveraineté palestinienne. Ils ont
insisté sur des différences de seconde importance (entre elles), telle la
divergence sur la superficie des terres qui seraient rétrocédées aux
Palestiniens ou le distinguo entre colonies politiques et colonies sécuritaires,
alors que tout le monde sait pertinemment que toutes les colonies sont avant
tout sécuritaires, tout au moins selon la définition qu'Israël donne de ce
concept... L'équipe d'Oslo a œuvré, dans le monde arabe, avant même l'"éclosion"
des accords d'Oslo, à faire oublier la similarité/identité entre les deux
alternatives, exagérant les différences micrométriques supposées les "séparer",
afin de préparer la suite. La brutalité de Sharon, ses diktats qu'il sème en
n'oubliant pas de semer, en même temps, les raisons de leur échec, ont pour lui
un sens. Sharon vise, à travers eux, un objectif, même s'il se délecte
visiblement du fait même de pouvoir les imposer et même s'il se repaît de leur
impitoyable cruauté. Son but, c'est d'imposer LE programme israélien, sous la
forme clintonienne ou sous la forme sharonienne, voire sous la forme de tous les
dosages entre les deux. Le paysage international de l'après onze septembre
représente pour lui un riche pâturage où il peut évoluer à sa guise, sans même
se faire réprimander. Il a même acquis de nouveaux alliés, convaincus, intimidés
ou terrorisés. L'Amérique républicaine lui a donné, dès ses débuts, le feu vert
: il a la permission de tenter sa chance et d'essayer d'imposer sa (la)
solution. Puis les événements ont amené Washington a lui laisser la bride sur le
cou : elle s'est mise à le défendre face aux critiques dont il est l'objet,
après s'être contentée de le protéger contre toute condamnation... L'identité
des positions entre travaillistes et Likoud, cessant d'être discrète, est
devenue criante. Certains gouvernements arabes sont passés de la
pratique-amateur de la médiation à un grand professionnalisme dans l'exercice de
la pression politique : d'aucuns (particulièrement zélés) semblent prêts à
déclarer la guerre aux Palestiniens... La clique d'Oslo s'est employée à
appeler à faire ce que réclame Sharon sous couvert de lui "casser la barraque",
alors qu'en réalité, affolée à l'idée de perdre ses sinécures récoltées dans les
vergers d'Oslo, elle salive à la perspective des parts du butin qu'elle pourrait
recevoir d'un Etat palestinien "à la Sharon".
La stratégie de Sharon est
transparente pour qui craint Dieu en la déchiffrant et lisible pour qui ne perd
pas son peuple de vue. Elle consiste à imposer la solution israélo-américaine,
i.e. la guerre civile intra-palestinienne.
De là, le danger du discours
officiel palestinien, selon lequel Sharon n'a(urait) pas de programme politique.
En effet, faire face à une campagne militaire dont les objectifs sont
précisément définis exige une stratégie qui diffère radicalement de celle que
requiert la confrontation avec un boucher massacrant à l'aveugle, sans savoir où
il va. C'est pourquoi se tourner vers l'Amérique est aussi une démarche vaine et
quelque peu stupide, étant donné que le rôle américain est partie constituante
de la stratégie sharonienne. Cela revient à danser au rythme du tango israélien.
Ce discours a renforcé le rôle arabe négatif dès lors que l'Autorité
palestinienne, tout au moins certaines de ses composantes, s'est mise depuis
quelque temps à prier les instances arabes et islamiques d'exiger d'elle
(d'elle-même !) un cessez-le-feu ! Cela n'a pu qu'inciter certains partenaires
arabes à afficher l'ignorance dans laquelle elles tiennent l'intifada
palestinienne, voire leur opposition à celle-ci.
Se retourner vers
l'Europe revient à tirer une flèche du même carquois, celui de ce même discours
qui cherche à s'abriter du mal en demandant de l'aide à ses instruments.
L'Europe n'est pas la concurrente des Etats-Unis dans le monde que l'on dit :
certainement pas, en tous les cas, au Moyen-Orient. Elle ne représente pas plus
qu'une zone de libre-échange qui a abandonné la région moyen-orientale au bon
vouloir des Américains. Et bien, qu'elle ne soit pas la concurrente des
Etats-Unis, elle n'adopte pas pour autant nécessairement toutes les positions
prises par les Américains, ou en tous les cas, elle n'en adopte pas
systématiquement tous les détails. Ces deux positionnements entraînent pour elle
deux rôles clairement définis. L'absence de concurrence implique la
complémentarité entre Europe et Etats-Unis, et la non adoption systématique des
mêmes positions par les deux blocs appelle l'intervention (de l'Europe, auprès
des Etats-Unis, ou vice-versa) à des fins de modération et d'édulcoration des
positions adoptées par ceux-ci. Ainsi, lorsque l'Amérique durcit sa position,
nous voyons une Europe suiviste exercer des pressions, comme cela s'est passé
récemment, afin d'imposer la vision américaine des choses. Mais lorsque l'Europe
se rend compte que la politique américaine est susceptible de susciter des
troubles, elle s'empresse de sauver les meubles et de calmer le jeu. Dans les
deux cas de figure, elle ne peut outrepasser les frontières de la politique
américaine.
Même si elle a pu paraître absorber les chocs reçus d'Israël, la
politique de l'Autorité palestinienne se conforme aux lois sharoniennes. Si son
objectif est d'éviter l'invasion israélienne que les Israéliens veulent faire
passer pour imminente, elle permet à Sharon d'accumuler les succès dans le long
terme. Cela est devenu patent, les nouvelles conditions de l'ultimatum israélien
correspondant au niveau où en étaient arrivées celles de l'ultimatum israélien
précédent. De même, la communauté internationale se mêle ouvertement de ce que
l'Autorité palestinienne doit faire au lieu de se contenter de réfléchir au
fondement du problème et aux moyens d'y trouver une solution, absolument
nécessaire. Cette alternative a fini par conduire à la mise en prison de la
direction palestinienne et à son humiliation, auxquelles elle a elle-même
participé. Elle aboutira au rejet de celle-ci par son peuple. La direction
palestinienne ne devrait pas s'illusionner en voyant le peuple resserrer les
rangs autour d'elle : ce "soutien populaire" ne vise, en tout et pour tout, qu'à
une seule chose : défier Israël. Bien plus : la seule planche de salut pour
cette direction (tout du moins, sur le plan moral) réside en une politique
contredisant totalement ce à quoi elle a été habituée et ce qu'elle a appliqué
jusqu'ici. L'option alternative actuelle, centrée essentiellement sur le pari
sur l'Amérique, l'Europe et leurs alliés arabes, ne donnera à l'autorité
palestinienne, en matière de récolte, que les chardons et les cactus du
programme de Sharon. A cette échéance, le président palestinien se sera
condamné, et pas seulement moralement. Israël n'aura plus besoin de lui, la
clique d'Oslo ne verra plus d'intérêt à son maintien au pouvoir, car sa mise à
l'écart lui permettra de recueillir les fruits de l'étape nouvelle.
Quelle
alternative ? En existe-t-il une ? Ce n'est certainement pas de déclarer la
guerre à Israël, car cela est au-dessus des forces de la direction
palestinienne. L'alternative, c'est une résistance refondée, ce qui nécessite la
réunion de plusieurs conditions. La première est une direction palestinienne qui
soit composée de toutes les factions palestiniennes, réunies dans le but de la
poursuite de l'Intifada, selon des règles qui prennent en considération celles
qui régissent la nouvelle scène internationale. Deuxième condition : que cette
confédération trouve sa traduction dans le cadre de l'Autorité, ce qui implique
la mise à la retraite de la clique d'Oslo. Troisième condition, que tous les
services de sécurité soient fondus en un appareil de sécurité unifié qui reflète
lui-même la nature de la nouvelle union. Quatrième condition, qu'un programme
politique soit adopté par acclamation et proclamé à la face du monde, qui
affirme le respect de la légalité internationale, en particulier le droit au
retour des réfugiés. Cinquièmement, faire endosser aux gouvernements arabes leur
responsabilités, en toute clarté. Ils pourront manifester leur irritation, dans
un premier temps, mais ils ne tarderont pas à comprendre les dangers qu'il y
aurait à persister à les ignorer, dans une région sous laquelle bouillonne la
lave, dont on ignore en quel point particulièrement fragile de la croûte
terrestre elle est susceptible de faire irruption. Il y a d'autres conditions
encore, avec leurs alternatives respectives, mais toutes reviennent,
fondamentalement, à la nécessité de faire le ménage dans la maison Palestine.
Cette alternative n'entraînera pas d'autres victimes que les individus et les
institutions qui ont contribué à faire du peuple palestinien une victime.
L'autre sacrifice qu'elle implique découle du fait que la direction
palestinienne devra se débarrasser de ses mauvaises habitudes en matière de
nomination d'hommes douteux et de consécration de la corruption.
Le ménage
dans la maison Palestine a un but précis : celui de poursuivre une Intifada
cohérente. L'attention portée à l'Intifada ne découle pas du fait qu'on la
considérerait comme un but en soi. Non. Mais bien du fait que la fin de
l'occupation ne saurait être une aumône que l'on reçoit, mais une conquête que
l'on arrache, et aussi du fait que l'Intifada est un mode de compensation en
l'absence de toute autre alternative. Egalement parce qu'elle est efficace dans
l'opposition au discours sioniste. Celui-ci veille à conserver le monopole de
l'avantage d'être la supposée éternelle et exclusive victime au moins autant
qu'il veille à mettre en exergue le caractère "hautement" civilisé de l'Etat
d'Israël, deux exclusivités constituant les pierres angulaires du discours
sioniste, mais aussi piédestaux sérieusement ébranlés tant par la première
Intifada que par la seconde. De là découle le soin apporté par Israël à
représenter le conflit actuel comme un conflit entre deux entités, ainsi qu'à
caricaturer l'Intifada. La remise en ordre de la maison Palestine aura pour
effet de permettre un afflux permanent d'idées créatives qui permettront de
diriger l'Intifada entre les écueils en vue de la libération du pays, de la mise
d'un terme à une situation dans laquelle elle est devenue l'otage de manœuvres
politiques mesquines et des nécessités du moment.
2. Un groupe de ses amis apportent leur témoignage sur
l'écrivain français Jean Genet par Mustafa Edjmahiri
in Al-Quds
Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 29 janvier
2002
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
(Mustafa Edjmahiri est un
écrivain marocain.)
L'écrivain français Jean Genet, né en 1910, nous
a été enlevé par un cancer du larynx en avril 1986. Il repose dans le cimetière
espagnol d'Al-Ara'ish, en face de la mer, tout près de la maison où il avait
habité, dans la famille d'un ami marocain. Depuis sa plus tendre enfance, Jean
Genet connut une vie instable. Abandonné très jeune par sa mère, il avait été
pris en charge par l'Assistance publique et confié quelque temps à une famille
adoptive française. Mais il n'a jamais goûté à la quiétude, et la vie d'errance
qu'il a dû affronter le conduisit jusqu'en prison. Cette histoire personnelle
l'a maintenu jusqu'au bout en marge d'une société française qui n'a su lui
assurer ni avenir, ni insertion.
Jean Genet s'était attaché au monde arabe,
particulièrement au Maroc où il a passé une période relativement longue de son
existence. Le monde arabe a constitué l'axe central de son intérêt. Il faut
noter que sa relation avec le monde arabe remontait aux années de son engagement
volontaire dans l'armée française. Pour lui, ce monde arabe représentait une
grande histoire d'amour, qu'il a exprimée dans nombre de ses œuvres, parmi les
plus célèbres, qui ont fait de lui un écrivain en même temps en vogue et
irritant, en raison de ses prises de position courageuses et de sa défense
acharnée des valeurs de liberté, de justice et de démocratie.
Jean Genet a
évoqué dans ses œuvres les malheureux écrasés, les couches marginalisées, les
gens simples. Ne se contentant pas d'immortaliser ces couches sociales réputées
"inférieures" dans ses œuvres, il a joint les actes à la parole, participant à
nombre de manifestations et de marches en soutien aux droits des ouvriers
immigrés en France, aux côtés d'écrivains brillants tels Michel Foucault,
Marguerite Duras et Jean-Paul Sartre.
C'est afin de rendre hommage à cet
écrivain unique sur la scène culturelle que l'Institut français de Casablanca a
organisé, dernièrement, une rencontre qui a réuni un petit groupe de ses amis,
écrivains marocains, arabes et étrangers, qui ont eu la chance insigne de
parcourir avec lui un bout de chemin, de prendre part à l'un de ses projets
culturels ou de partager avec lui les préoccupations intellectuelles qui ont
marqué les années soixante et soixante-dix du siècle passé. C'est Marie Rodoni,
responsable de la direction du livre à l'ambassade de France au Maroc qui a
animé le débat au cours de cette soirée à laquelle a assisté un public de
qualité composé d'intellectuels et de personnes en quête de savoir. Y ont
participé Leïla Shahid, déléguée de Palestine en France, le docteur Abdel Kabir
Khatibi, directeur de l'Institut universitaire de la recherche scientifique
(Maroc), l'écrivain Mohamed Berrada, le romancier Edmond Umran Elmaléh, Anis
Blafreidj, l'écrivain espagnol établi au Maroc Juan Goytisolo, ainsi que
l'écrivain palestinien Elias Sanbar, directeur de la Revue des Etudes
palestiniennes.
La radicalité chez Jean Genet
La rencontre débuta avec le témoignage d'un cinéaste, ami de Jean Genet :
le réalisateur français Antoine Boursiez, qui a passé son enfance au Maroc. Il a
présenté un documentaire, de courte durée, présentant le regretté Jean Genet au
temps de sa jeunesse. Le réalisateur a expliqué que ce film devait s'insérer
dans une série de documentaires consacrés à Jean Genet et aux villes auxquelles
il était attaché et dans lesquelles il a vécu, telles Al-Araïsh, Beyrouth,
Paris, et d'autres encore. Mais ce projet n'a pu être mené à bien.
Ensuite,
le célèbre écrivain espagnol Juan Goytisolo a livré à l'assistance son
témoignage sur le grand écrivain disparu, mentionnant notamment leur première
rencontre. C'était en 1957. Juan Goytisolo n'avait alors que vingt trois ans.
Pour lui, la caractéristique principale et incontestée de Jean Genet était sa
radicalité. Il n'était pas homme à apprécier les réceptions et les ronds de
jambe. Fauché, il n'éprouvait aucune gêne à passer contrat avec des éditeurs,
s'engageant à leur remettre non seulement des œuvres inachevées, mais même
certaines œuvres qu'il n'avait pas encore commencé d'écrire. Cette attitude,
chez lui, découlait de la piètre estime dans laquelle il tenait la gent
éditoriale, en laquelle il ne voyait que commerçants intéressés mangeant la
laine sur le dos des auteurs. Sur le plan politique, il était connu pour une
égale tendance aux positions très tranchées, dont Goytisolo nous confia qu'il ne
les partageait pas toujours, ou pas complètement...
Anis Belafreidj a
raconté, dans son témoignage, les circonstances de sa première rencontre avec
Genet, loin du Maroc, dans la capitale française, puis les rencontres
ultérieures, au Maroc, après une période passée en prison par l'écrivain
rebelle. Belafreidj a insisté sur le fait que la période durant laquelle ils ont
eu l'occasion de se rencontrer était extrêmement critique, à tous points de vue,
en particulier pour la cause palestinienne.
Pour Anis Belafreidj, il est sûr
que l'engagement de Genet pour la cause palestinienne était un engagement
tout-à-fait extraordinaire, dépassant l'intérêt que d'autres intellectuels lui
vouaient. L'intervenant a ajouté qu'il voyait entre Genet et lui-même un point
commun important : tous deux ont connu l'amertume de la captivité et la dureté
des conditions de vie faites au prisonnier. Ils ont souvent parlé en tête à tête
de leur expérience carcérale et des difficultés que l'on rencontre lorsqu'on est
derrière les barreaux. Mais même leurs échanges à ce sujet douloureux, nous
rassura Belafreidj, ne quittaient pas le terrain de l'humour et de la
taquinerie. Il précisa également que l'intérêt de Genet pour la cause
palestinienne ne faisant que croître et occuper ses pensées, il l'évoquait de
plus en plus dans ses écrits, jusqu'à ce qu'il décide d'entreprendre le voyage
au Moyen-Orient afin de voir par lui-même de près la situation qui y régnait.
Parmi les anecdotes dont Anis Belafreidj nous a fait la confidence, nous
retiendrons celle ci : un jour, ils étaient à Rabat, en voiture. Genet lui
demanda de s'arrêter, car il voulait lui raconter le projet qu'il avait formé,
pour un nouveau livre. Anis Belafreidj s'exécuta volontiers, bien sûr... Ils
sortirent de la voiture et restèrent debout, au bord de la route, deux heures
durant, Genêt le tenant en haleine par son récit...
Intervenant, pour
témoigner à son tour, Leïla Shahid, déléguée de l'Autorité palestinienne en
France, mentionna en tout premier lieu la puissance créatrice exceptionnelle de
Jean Genet. Celui-ci lui demandait souvent s'il verrait un jour ses livres
traduits en arabe et publiés dans un pays arabe. Pleinement conscient de
l'audace de son style, il avait quelque doutes, mêlés de regret, à ce sujet...
cette audace n'étant pas appréciée dans certains cercles. Son attachement à la
cause palestinienne, a rappelé Leïla Shahid, était sans équivoque. Elle se
remémora pour nous l'époque où le représentant (assassiné) de l'OLP à Paris,
Mahmoud Al-Hamshari, l'avait invité en Jordanie, où Genet eut ainsi l'occasion
de passer plusieurs mois, dans les camps de réfugiés palestiniens mêmes, ce qui
lui permit de vivre la condition des Palestiniens de manière concrète, on ne
saurait de plus près. C'est dans ce contexte qu'il écrivit ses "Quatre heures
pour Chatila". A la même époque, le général Sharon ayant tiré profit du contexte
international et régional pour venir assiéger Beyrouth, Jean Genet revint à
Al-Araïsh. "Durant ces jours terribles, nous ressentions tous une impuissance
accablante devant la situation dramatique des Palestiniens" a rappelé Leïla
Shahid, qui a rapproché la situation d'alors de celle, préoccupante, que nous
connaissons aujourd'hui. Elle a conclu son témoignage en évoquant le voyage
qu'ils ont effectué ensemble, à Beyrouth, en 1982, Genet ayant fini par obtenir,
très difficilement, un visa de l'ambassadeur de Syrie à Paris.
Force de la personnalité de Genet et indépendance inflexible de ses
prises de position
Ensuite, le critique Mohamed Berrada prit la parole, indiquant qu'il a
rencontré Jean Genet en 1987. La première chose qui l'ait frappé chez lui,
c'était une vitalité hors du commun, son éloquence puissante et sa vivacité lors
des débats. Cette vitalité, précisa Mohamed Berrada, ne se manifestait pas
seulement lorsque Genet développait son discours politique très direct, qu'il
rehaussait toujours d'une touche de froide ironie, mais aussi lorsqu'il entamait
le dialogue avec les gens les plus simples.
La force de son caractère permit
à l'écrivain de conserver une indépendance totale. Cette indépendance était une
qualité rare, dans une époque où les intellectuels européens papillonnaient
d'une prise de position à une autre, sans réelle cohérence et sans engagement
clair. Une autre indication fondamentale fut ensuite donnée à l'auditoire par M.
Berrada, lorsqu'il insista sur le fait que Genet refusait la société de son
époque, dans son cadre culturel exclusivement tourné vers l'Occident. Il n'a
jamais caché son ambition d'exercer sur elle une influence, par ses prises de
position, par son écriture aussi, en partant du principe que l'absence de toute
concession dans ses œuvres rendait cela possible.
L'écrivain palestinien
Elias Sanbar intervint à son tour, pour nous confier qu'il avait rencontré Genet
à Beyrouth, en 1971. Pour lui, le plus beau livre que Genet ait dédié au peuple
palestinien est son "Captif amoureux". Elias Sanbar ajouta qu'il considère cette
œuvre comme le plus beau présent qu'un mouvement de libération arabe ait jamais
reçu, et aussi comme l'une des plus belles à avoir été publiées au vingtième
siècle. Il conclut son intervention en témoignant du sentiment partagé qu'en
dépit du fait que Jean Genet nous ait quittés, il est présent à nos côtés, comme
sont présents parmi nous son amitié, ses pensées et ses sentiments impétueux.
Intervinrent aussi au cours de cette soirée en hommage à Jean Genet le Dr.
Abdelkébir Khatibi, qui côtoya le grand écrivain en 1974, ainsi que l'écrivain
marocain Edmond Umran Elmaléh, qui évoqua avec émotion l'amitié qui le liait à
Genet, sur l'œuvre duquel nous savons qu'il fut le premier écrivain marocain à
écrire, après que Jean Genet nous ait quittés, nous laissant la consolation de
ses œuvres immortelles.
3. Quand Tsahal détruit ce que le contribuable
européen a financé
in Le Monde du mardi 29 janvier
2002
Les quinze ministres des affaires étrangères de l'Union
européenne devaient examiner, lundi 28 janvier, à Bruxelles, la question de
l'envoi à Tel-Aviv de la liste des dommages infligés aux équipements
palestiniens financés par les contribuables européens.
L'UE se bornerait,
soit à adresser un bilan comptable aux Israéliens, soit à assortir ce courrier
d'une protestation en bonne et due forme. Il n'est pas question à ce stade de
revendiquer le moindre remboursement de la part de l'Etat
hébreu.
Les Quinze sont en effet désarmés,
dans la mesure où les infrastructures palestiniennes n'appartiennent plus aux
Européens. Si remboursement il devait y avoir, il ne pourrait se faire qu'au
profit de l'Autorité palestinienne, ce qui paraît assez
improbable.
Voici le détail de ces dix-sept infrastructures dont le
montant total s'élève à 17,29 millions d'euros :
- Aéroport
international de Gaza à Rafah : 9,3 millions d'euros (donateurs : Espagne,
Allemagne, Suède, Commission européenne)
- Radio Voix de la Palestine à
Ramallah : 3,3 millions d'euros (Allemagne, Danemark, télévision française,
Commission européenne)
- Camps de la police civile dans la bande de Gaza :
2,05 millions d'euros (Commission européenne)
- Hôtel Intercontinental Jacir
Palace à Bethléem : 758 000 euros (Banque européenne d'investissement)
-
Laboratoire médico-légal à Gaza-Ville : 700 000 euros (Commission européenne,
France, Grèce, Suède)
- Port de Gaza : 335 000 euros (France, Pays-Bas,
Banque européenne d'investissement)
- Bureau central des statistiques à
Ramallah : 300 000 euros (Allemagne, Suède, Commission européenne)
- Matériel
de la police antiémeute dans la bande de Gaza : 300 000 euros (Pays-Bas)
-
Reboisement à Beit Lahia (bande de Gaza) : 53 000 euros (Pays-Bas)
-
Déchetterie à Deir Al-Balah (bande de Gaza) : 40 000 euros (Allemagne)
-
Secrétariat du projet de coopération pacifique à Jénine : 38 000 euros
(Commission européenne, Allemagne)
- Infrastructures municipales à Qalqilya :
38 000 euros (Grèce)
- Tout-à-l'égout à Al-Bireh : 24 000 euros
(Allemagne)
- Ecoles à Tulkarem et Jénine : 23 000 euros (Commission
européenne)
- Résidence à Khan Younès (bande de Gaza) : 11 000 euros
(Autriche)
- Route de Halhoul près d'Hébron : 11 000 euros (Italie)
-
Systèmes d'irrigation à Jéricho : 11 000 euros (Belgique)
4. Un journal israélien appelle à la castration des
Arabes israéliens comme moyen de lutte anti-terroriste par Lily
Galili
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du lundi 28 janvier
2002
[traduit de l'anglais par David
Torres]
Un article appelant à la castration des Arabes
israéliens comme moyen pour combattre le terrorisme a été publié la semaine
dernière dans le principal quotidien israélien-russe Novosti. L'article,
intitulé "Comment les forcer à partir" et écrit par Marian Belenki, un des
journalistes en vue du journal, indique que la menace de castration peut être
assez forte pour encourager les Arabes à quitter le pays. L'auteur a aussi
proposé que la méthode chinoise pour baisser les taux de natalité soit mise en
oeuvre en Israël contre la population arabe pour faire baisser leurs taux de
natalité. Selon cette méthode, les gens qui ont plus d'un enfant sont privés
d'aides diverses, perdent leurs emplois et sont sous la menace de l'exil. On
fournira aussi des sommes en liquide pour les jeunes hommes qui se soumettraient
volontairement à la castration, selon la méthode proposée. Le rédacteur en chef
du journal, Leonid Petorkovsky, a dit que la publication de l'article était une
erreur grave, expliquant que les rédacteurs ont laissé échapper le contenu de
l'article et n'ont vérifié seulement que la grammaire et l'orthographe. Il a
ajouté qu'après la publication de l'article, le journal a publié une
condamnation du papier et a suspendu le rédacteur responsable pendant trois
mois. Cependant, ce qui est encore plus surprenant que le fait que le papier ait
été publié, c'est que ce dernier n'ait pas reçu de réponses de lecteurs ou des
représentants publics de la communauté russe. Il est à noter que le journal est
l'un des deux quotidiens principaux de la communauté russe en Israël.
5. Le président (Bush) tarabuste le dirigeant
palestinien (Arafat) au sujet du bateau d'armement par Todd S.
Purdum
in The New York Times (quotidien américain) du samedi 26 janvier
2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Le président Bush a émis l'idée, hier,
que le dirigeant palestinien "encourageait le terrorisme", à propos du
chargement d'armes de contrebande destinées à être utilisées contre Israël, en
utilisant le ton le plus dur jamais employé jusqu'ici à son encontre et, cela, à
l'issue d'une réunion du président avec ses plus hauts conseillers, destinée à
étudier les moyens d'isoler et M. Arafat et de le sanctionner.
"Je suis déçu
par M. Arafat", a déclaré M. Bush à des journalistes au cours d'une visite à
Portland (Maine) où il s'était rendu après cette réunion. "Il doit faire un
maximum d'efforts de façon à éradiquer le terrorisme au Moyen-Orient. En passant
commande d'armes qui ont été interceptées sur un bateau qui se dirigeait vers
cette partie du monde, il ne faisait pas autre chose qu'encourager le
terrorisme, et nous ne saurions cacher que nous sommes déçus par ce
comportement."
Cette déclaration représente la critique la plus directe et la
plus explicite jamais encore formulée à l'encontre de M. Arafat. Il semble
également que c'était là la première fois où le président ou une quelconque
autre personnalité officielle américaine, ait accusé le dirigeant palestinien de
participation directe à l'opération d'acheminement par bateau d'un chargement de
cinquante tonnes d'armes, qu'Israël a saisi, il y a trois semaines, accusant les
Palestiniens de vouloir acheminer clandestinement ces armes depuis
l'Iran.
Jusqu'à ce jour, les officiels de l'administration américaine
s'étaient contenté de dire que les hauts responsables de l'Autorité
palestinienne (de M. Arafat) étaient au courant de ce chargement d'armes, et que
celui-ci avait le pouvoir et le devoir de mettre un terme à ce genre
d'activités.
Un haut responsable de la Maison Blanche avait, plus récemment,
insisté sur le fait que M. Bush n'avait pas eu l'intention, pour l'heure, de
mettre M. Arafat personnellement en cause, relevant que "les constatations
faites (sur le bateau) montrent que cette opération a été supervisée au plus
haut niveau de l'Autorité palestinienne. Qu'Arafat ait été au courant ou non, il
doit de toute manière frapper un grand coup contre le terrorisme. Or (son)
Autorité palestinienne a passé commande de ces armes, c'est tout ce que l'on
peut dire."
Des officiels au parfum de la réunion de la Maison Blanche
d'aujourd'hui ont indiqué que l'administration était encore en train d'examiner
un panel d'options en ce qui concerne M. Arafat, allant de la fermeture du
bureau de l'OLP à Washington jusqu'à la rupture des négociations avec le
dirigeant palestinien.
S'adressant à des journalistes au Département d'Etat,
le Secrétaire Colin L. Powell s'est contenté de déclarer qu'Arafat "sait ce
qu'il a à faire", afin de pouvoir s'acheminer vers un cessez-le-feu et une
reprise des négociations.
Afin de laisser entendre que l'administration
américaine n'était pas disposée à couper tout contact, M. Powell a fait
remarquer qu'il avait eu une longue conversation téléphonique avec M. Arafat
mercredi dernier, ajoutant : "j'espère que j'aurai le plaisir de lui parler à
l'avenir, et de constater ce dont il est capable et quel progrès nous pouvons
accomplir (ensemble)."
Des officiels ont indiqué qu'il était improbable que
l'administration américaine coupe tous les ponts avec l'OLP ou avec M. Arafat,
ne serait-ce que parce que cela ne déboucherait sur rien de préférable. Mais ils
ont dit qu'il était par contre envisageable que l'envoyé spécial américain, le
Général Anthony C. Zinni, ne retourne pas rapidement dans la région,
contrairement à la demande pressante de M. Arafat.
L'un d'entre eux, très
haut placé, a notamment déclaré : "le fait que nous n'envisagions même pas cela
vous montre à quel point le crédit que nous lui accordions s'est effondré. Mais
son cahier des charges est toujours le même..."
L'un dans l'autre, les
commentaires de l'administration traduisent un nouveau froid dans les relations
avec M. Arafat, relations qui n'ont jamais cessé d'être marquées au coin d'un
certain scepticisme, que les dénégations répétées d'une complicité palestinienne
dans l'affaire du chargement d'armes n'ont fait que renforcer.
"Ils
s'accrochent à leur idée de le mettre sous pression, mais je ne pense pas qu'ils
y croient encore", a déclaré Martin Indyk, qui était ambassadeur américain en
Israël du temps de l'administration Clinton, et qui est actuellement un associé
de la Brookings Institution. "La manière avec laquelle il (=Y. Arafat) a répondu
à leurs questions au sujet des chargements d'armements a été véritablement la
goutte qui a fait déborder le vase..."
M. Indyk a indiqué que la
sophistication et le pouvoir destructif des armes anti-blindage, des missiles et
des explosifs saisis sur le bateau, ainsi que les indices montrant qu'ils
avaient été chargés à bord en Iran, ont porté à un niveau supérieur les
préoccupations de l'administration américaine en matière de violence
palestinienne.
"L'Intifada, du point de vue de l'administration Bush, est un
conflit local", a dit M. Indyk. "Des Arabes et des Juifs y perdent la vie, mais
cela n'affecte pas les intérêts stratégiques de l'Amérique. Mais si elle devait
exploser au point d'impliquer d'autres parties dans la région, créant un conflit
plus étendu, cela aura un impact sur nos intérêts vitaux en matière de stabilité
régionale, en particulier dans la période extrêmement délicate que nous
traversons, tandis que nous sommes encore aux trousses d'Al-Qa'ida et que nos
'affectueuses pensées' vont vers l'Irak".
Des officiels ont indiqué que les
armes ont été chargées (sur le bateau arraisonné) avec l'aide du Hezbollah, un
groupe de guérilleros qui mènent une guerre de basse intensité contre Israël
depuis le Liban. L'attaché de presse de la Maison Blanche, Ari Fleischer, a dit
aujourd'hui que l'administration est "outrée de la part prise par l'Iran et le
Hezbollah dans l'opération en question".
M. Bush a envoyé des messages, la
semaine dernière, aux dirigeants d'Arabie Saoudite, de Jordanie et d'Egypte,
dans lesquels il soulignait la complicité évidente des Palestiniens dans le
complot visant à faire passer des armes en contrebande, en leur demandant
d'exercer leur influence sur M. Arafat afin que celui-ci procède aux
arrestations (de son point de vue nécessaires).
Cette affaire d'armes est
embarrassante pour les Saoudiens, qui avaient pressé Washington, l'année
dernière, d'intensifier les efforts en vue d'une solution diplomatique au
conflit israélo-palestinien, ainsi que pour les Egyptiens. En effet, les
contrebandiers agissaient dans la zone territoriale égyptienne, en Mer rouge, et
leur plan de navigation allaient nécessairement les amener à passer par le canal
de Suez.
Le blocage créé par l'affaire du bateau et la violence qui en est la
conséquence, dans la région, ont accru l'isolement de M. Arafat, qui est
virtuellement en état de consignation domiciliaire dans son quartier général de
Cisjordanie. Mercredi, la Maison Blanche, complètement hors d'elle-même après
avoir reçu une lettre de M. Arafat déniant pour la énième fois toute
responsabilité dans l'affaire du chargement d'armes, a déclaré comprendre les
raisons qui amènent Israël à maintenir M. Arafat en quarantaine au moyen d'un
barrage de tanks...
"On dirait presque que l'administration a adopté la
perception que les Israéliens ont d'Arafat", a déclaré un diplomate israélien.
"La question posée, maintenant, est donc celle de savoir de quelle manière cela
affecte-t-il sa politique ?"
Le représentant du dirigeant palestinien aux
Etats-Unis, Hasan Abdel Rahman, a déclaré qu'il "avait les plus grands doutes"
sur le fait que l'administration américaine était prête à couper les ponts avec
l'OLP.
"Ces communiqués ne représentent pas, jusqu'à plus ample informé, la
politique du gouvernement des Etats-Unis. J'espère qu'ils n'en deviendront pas
la politique", a-t-il dit. "Cela ne ferait que verser de l'eau au moulin de
Sharon, qui n'est en rien engagé vis-à-vis du processus de paix et cela ne
pourrait, en réalité, que retirer l'option négociée de la table, créant un vide
qui serait inéluctablement investi par l'autre option, celle de la violence et
de la tension."
6. Les palestiniens sont près à endurer
l'occupation par Valérie Féron
in La Croix du jeudi 24 janvier
2002
Depuis le début décembre, l'étau se resserre de jour en jour
autour de la ville de Ramallah où plusieurs quartiers de la ville sont sous
couvre-feu, leurs habitants se retrouvant dans la même situation que leur
président Yasser Arafat : avec soldats chars et blindés israéliens sous
leurs fenêtres. Dans le centre-ville la vie continue, magasins et cafés internet
étant ouverts, et chacun vaque à ses occupations. Parfois au bruit des rafales
de tirs, venus du quartier présidentiel ou des zones proches des colonies, dans
une ambiance presque normale. Car derrière ce calme apparent la tension est à
son comble. Depuis la place al Manara dans le centre-ville, que l'on
prenne les directions de Naplouse, Bir Zeit ou de Beitounia et la ville basse de
l'autre côté à un quart d'heure de marche on tombe systématiquement sur des
chars israéliens. Et jour après jour on se rend par petits groupes,
parfois en famille près du quartier présidentiel, situé sur la route menant à
l'université de Bir Zeit. Et on reste là, à l'entrée des bureaux de Yasser
Arafat, à faire face aux chars et blindés israéliens installés de l'autre
côté de la rue, à quelques mètres. Des poignées de jeunes s'approchent
régulièrement des chars et leur jettent des pierres manifestant ainsi "
leur colère et leur refus de l'occupation ". Mohammed qui vit près du quartier
Al Tireh un des quartiers réoccupés par l'armée israélienne explique : " Au
début je pensais quitter ma maison car j'avais peur et après réflexion je
me suis dis que quoi qu'il arrive je resterais ! J'ai toujours été très
critique vis-à-vis de l'Autorité nationale palestinienne dans le passé, mais
croyez moi, à présent je ne supporte plus la moindre remarque contre Abou Ammar
(Yasser Arafat). La situation est très dangereuse, cela n'a rien à voir avec la
première Intifada ". Un sentiment partagé par Fathi, père de deux enfants
de 16 et 17ans qui s'exprime dans un français parfait : " lors de la première
Intifada, il s'agissait d'une occupation. Aujourd'hui les Israéliens entrent
dans les zones autonomes pour tuer, pas simplement pour nous occuper ". Fathi
habite al Bireh, localité jouxtant Ramallah, juste en face de la colonie de
Psagot, un secteur où les tirs sont quotidiens. " Avant l'Intifada, cette
colonie que je voyais tous les matins représentait une sorte de corps étranger
mais je ne pressentais pas toute l'agression qu'elle pouvait signifier. Depuis
le début de l'Intifada j'ai l'impression de vivre en face d'un baril de poudre,
car les Israéliens tirent avec des armes beaucoup plus sophistiquées que ce que
j'imaginais depuis ces positions qui ressemble beaucoup plus à des
forteresses militaires qu'à de simples zones d'habitations pour des
civils israéliens comme ils tentent de le faire croire ". Chaque soir on
s'attend à ce que les chars avancent en direction du centre ville. Bravant les
incertitudes on stipule sur l'avenir, affirmant que si les Israéliens
réoccupent toute la ville " cela n'aura rien de nouveau ", que " l'occupation on
connaît " depuis 1967, dont Oslo n'apparaît plus au mieux que comme une simple
parenthèse. Pourtant, cette fois, signe que les temps ont bel et
bien changé, Abou Ammar (Yasser Arafat) est au milieu d'eux. Une situation
qui renforce les convictions. Certains prédisent même que si les Israéliens
tentent de réoccuper toute la ville, cela risque d'être le début d'une sorte de
guérilla urbaine. Et dans le contexte actuel en l'absence de réaction de la
Communauté internationale, et de perspectives politiques sérieuses qui mettent
fin à l'occupation et à la colonisation des territoires palestiniens depuis
1967, l'avenir ne ressemble plus qu'à un tunnel sans fin : " Sharon n'a
pas de plan de paix, son seul plan est de nous faire plier, ajoute Mohammed.
Mais que peut il faire ? nous réoccuper ? bon et après ? tout détruire ? il ne
fera que renforcer les actes de vengeances d'individus de notre société qui
n'ont rien à voir avec le Hamas mais dont le désespoir est tellement
fort qu'ils deviennent incontrôlables. Mais ensuite ? que se passera t-il ? ".
Une certitude cependant : que " la lutte pour l'indépendance continuera "
marquée par un symbole, La Voix de la Palestine, la radio télévision nationale
dont les locaux de Ramallah ont été détruit samedi dernier par l'armée
israélienne et qui continue tant bien que mal d'émettre, même si les programmes
en anglais hébreu et français ont dû être suspendus pour des raisons techniques.
" Nous continuerons notre travail de journaliste, promet Awad, et s'il le faut
nous irons crier les nouvelles directement dans la rue ! ".
7. La télé égyptienne s’invite
en Israël par Abdalla F. Hassan
in Cairo Times traduit dans Courrier
International du jeudi 24 janvier 2002
En lançant des programmes en
hébreu, la chaîne Nile TV entend offrir une autre vision de l’actualité au
public israélien. Une initiative qui s’inscrit dans la guerre des ondes que se
livrent radios et télés au Proche-Orient.
Depuis janvier 2002, Nile TV
diffuse en anglais, en français et en hébreu. Les programmes en langue étrangère
de la chaîne, qui sont diffusés par satellite ou par réseau câblé, ont à présent
pour cible le public israélien. Après six mois de préparation, l’année 2002
s’est ouverte sur deux heures de programmes en hébreu diffusés l’après-midi et
constitués de bulletins d’information, d’émissions politiques et culturelles, de
documentaires et de téléfilms. “C’est un début”, lance Mounir Mahmoud Salah
Eddin, journaliste à la section hébreu de Nile TV. “Si l’essai est concluant, le
temps d’antenne pourrait s’étendre au-delà de deux heures.”
Pour les
responsables de la chaîne, il s’agit d’une étape logique. “Israël diffuse en
arabe, pourquoi ne pourrions-nous pas le faire en hébreu ? Nous pourrons ainsi
répondre à des sujets abordés uniquement en Israël”, explique Hala Hashish,
vice-président de Nile TV International. “Ils n’entendent qu’un seul point de
vue. En disposant des deux, le public israélien - non seulement les politiciens
aguerris mais aussi le grand public - pourra acquérir une meilleure
compréhension des différents sujets.”
La programmation comprend des
talk-shows, des débats sur l’actualité, des revues de presse israéliennes,
égyptiennes et internationales, des téléfilms sous-titrés en hébreu, des
documentaires sur la culture et la civilisation égyptienne, des programmes
économiques et des clips de musique arabe. En plus des bulletins d’information
et des analyses politiques, les dirigeants de la chaîne affirment leur volonté
de ne pas éviter les sujets politiques controversés qui touchent au conflit
israélo-palestinien, et comptent même envoyer un correspondant de Nile TV à Gaza
qui fera ses reportages en hébreu. Jusqu’à présent, la politique de Nile TV
interdisait la présence d’invités israéliens dans les débats et pour l’instant
ce nouveau programme ne devrait pas déroger à la règle.
“Israël n’est pas un
pays isolé. Il vit au milieu des pays arabes et a affaire aux Palestiniens qui
sont proches. Les Israéliens ont besoin de connaître la perspective arabe, c’est
évident. Mais nous ne parlerons pas que de politique. On ne peut pas faire
passer un certain message politique sans proposer d’autres programmes
intéressants”, poursuit Hala Hashish. Le responsable du bureau de presse de
l’ambassade israélienne, Ayellet Yehiav, est favorable au projet, mais ces
efforts, selon lui, seront inutiles si les programmes égyptiens en hébreu
éreintent Israël comme la presse égyptienne a l’habitude de le faire. “S’ils
adoptent la même attitude envers Israël que les journaux égyptiens, le public
israélien ne suivra pas”, explique-t-il. Cependant, pour une part importante des
Israéliens, certains aspects de la culture arabe sont familiers. Hala Hashish a
passé quinze jours à Tel-Aviv en 1997 pour couvrir un accord entre Israël et les
Palestiniens pour Nile TV. “Je m’attendais à devoir parler anglais la plupart du
temps, se souvient-il. Mais je me suis aperçu que les chauffeurs de taxi et les
commerçants parlaient arabe. De nombreux Israéliens d’origine arabe adorent Oum
Kalsoum, Farid al-Atrash, Abdel Wahab et nos chanteurs.” Les deux principales
chaînes publiques israéliennes diffusent quotidiennement une à deux heures de
programmes en arabe, en plus de programmes sous-titrés dans cette langue. La
deuxième chaîne privée israélienne diffuse également des émissions sous-titrées
et un bulletin d’information en langue arabe le vendredi.
L’organisme d’Etat
réglementant l’audiovisuel a également annoncé son projet de lancer une chaîne
par satellite en arabe et en anglais destinée à l’Afrique du Nord et au
Moyen-Orient. Au départ, cette chaîne devrait diffuser six à huit heures de
programmes quotidiens puis émettre 24 heures sur 24. “Il s’agira d’une chaîne
publique accessible dans les pays arabes par le réseau audiovisuel ordinaire”,
annonce Ayellet Yehiav. A l’heure où la télévision est devenue une force
puissante qui modèle l’opinion publique nationale et internationale, qu’il
s’agisse des images de Mohammed Dourra mourant dans les bras de son père ou du
carnage après un attentat-suicide à Jérusalem, Israël et l’Etat palestinien se
préparent à intensifier leur propagande au-delà des frontières de leur
pays.
Le conflit israélo-arabe sur le front audiovisuel
Lors de la 34e session du conseil des ministres de l’Information arabes à
Beyrouth, en juin dernier, les 22 participants ont souligné la nécessité de
contrecarrer la propagande israélienne dans le cadre des conflits israélo-arabes
et le processus de paix au Moyen-Orient. Pour remédier à ce déséquilibre, le
conseil a proposé la création d’une chaîne arabe par satellite qui diffuserait
en anglais et en hébreu et présenterait la position arabe à un public
international.
Selon les dirigeants de Nile TV, les nouveaux programmes en
hébreu participent à une meilleure compréhension entre Israéliens et Egyptiens,
avec comme objectif la diminution des tensions entre les habitants de la région.
“A l’heure du satellite et de la domination de la télévision, nous avons besoin
d’un programme télévisé à destination du peuple israélien pour les informer de
la perspective égyptienne sur la situation au Moyen-Orient”, insiste Hassan Ali
Hassan, directeur adjoint des programmes étrangers, qui supervise la station de
radio égyptienne Voice of Peace [La Voix de la paix] et les programmes en hébreu
de Nile TV. “En ces temps d’intense compétition, une chaîne diffusée en hébreu
est une idée géniale, d’autant plus qu’une chaîne par satellite israélienne va
être lancée en riposte à Al Jazira et autres chaînes satellites arabes”, estime
Yahya Abdallah, professeur de langue et de littérature hébraïques à l’université
Mansoura, et qui participe également aux programmes radios en hébreu de Voice of
Peace.
Ce programme radio a débuté sous le nom de Voice of Cairo en 1954 et
diffuse en hébreu depuis plus de trente ans. A la suite de l’accord de paix
entre Israël et l’Egypte, la station de radio a été rebaptisé Voice of Peace.
Elle consacre cinq heures par jour à des programmes en hébreu (de 19 heures à
minuit) et propose également une heure de programmes en russe, quarante minutes
en anglais et vingt minutes en français. Pour l’instant, la station n’émet pas
dans tout Israël. Même si les chiffres d’audience ne sont pas disponibles, le
public de Voice of Peace est restreint, reconnaît Salah Eddin, pigiste pour la
radio mais également guide et traducteur en hébreu au Centre Al Ahram d’études
politiques et stratégiques. “La télévision a beaucoup plus d’influence que la
radio, cela ne fait aucun doute”, note-t-il. Il reste à voir comment cette
nouvelle expérience audiovisuelle égyptienne qui dépasse les frontières et les
cultures sera perçue. Les dirigeants de Nile TV restent prudents quant aux
perspectives d’avenir. “Nous avançons en terrain presque inconnu et nous
connaissons mal nos futurs téléspectateurs”, admet Hala Hashish. “Mais je ne
vois pas pourquoi ce qui nous intéresse ne les intéresserait pas.”
8. Non, il ne faut pas
désespérer Gaza par Daniel Bensaïd, Rony Brauman, Nahal Chahal, Gisèle
Halimi, Mohammed Harbi, Bachir Hilal, Marcel-Francis Kahn, Pierre Khalfa et
Fayez Malas
in Libération du mercredi 23 janvier
2002
[Daniel Bensaïd est universitaire Paris VIII, Rony
Brauman est médecin et essayiste, Nahal Chahal est écrivaine, Gisèle Halimi est
avocate, Mohammed Harbi est historien, Bachir Hilal est éditeur, Marcel-Francis
Kahn est professeur de médecine, Pierre Khalfa est syndicaliste et Fayez Malas
est maître de conférence associé à Paris.]
Il y a un an, certains
d'entre nous ont signé «en tant que juifs» un appel dans lequel nous disions:
«Un pas, peut-être irréversible, est en train d'être franchi. La provocation
symbolique d'Ariel Sharon [sur l'esplanade de la Mosquée Al-Aqça], en accentuant
le caractère confessionnel des affrontements au détriment de leur contenu
politique, favorise la montée en puissance de forces religieuses extrêmes au
détriment d'une Palestine et d'un Israël laïques et démocratiques. Une course au
désastre est engagée.»
Il y a un an, certains d'entre nous, «Français
d'origine arabe ou Arabes résidents en France», ont signé un appel symétrique
pour la Palestine, dans lequel nous saluions le texte des juifs français,
dénoncions «l'entêtement suicidaire du gouvernement israélien», et condamnions
«toute dérive raciste ou confessionnelle, au Proche-Orient et en France, et
notamment la profanation de synagogues et les agressions contre des écoles
juives».
D'autres enfin se sont joints à ces appels pour créer un collectif
de soutien aux droits des Palestiniens. Ensemble, trois mois après le début de
l'Intifada, nous constations «la tragique solitude des Palestiniens», et
réclamions «l'application des résolutions de l'ONU, le retrait inconditionnel
d'Israël des territoires occupés depuis 1967, le démantèlement des colonies
d'occupation, la création d'un Etat palestinien souverain, et le droit au retour
des réfugiés chassés de leur terre depuis 1947».
Nous entendions dire ainsi
que le conflit du Proche-Orient est politique et non pas racial ou religieux,
montrer surtout que juif et sioniste ne sont pas synonymes. Ces appels n'ont
malheureusement rien perdu de leur actualité.
A écouter aujourd'hui les
porte-parole des institutions communautaires juives, on croirait qu'une «vague
d'antisémitisme sans précédent depuis les années 30» déferle sur la France. Nous
combattrons bien évidemment tout acte antisémite. Mais la France ne vit pas à
l'heure des pogroms et si une comptabilité était tenue des violences et des
humiliations quotidiennes subies par des jeunes d'origine arabe, on pourrait
aussi bien donner l'impression d'une déferlante raciste.
La vigilance
toujours nécessaire contre l'antisémitisme ne doit pas occulter en revanche la
tragédie que vivent aujourd'hui les territoires occupés. A force de répéter que
judaïsme et défense inconditionnelle de la politique d'Israël ne font qu'un, les
pompiers pyromanes finiront par être crus. Alors, en effet, l'antisionisme
politique risque de dégénérer en racisme antisémite. Il existe un fait national
israélien irréversible et une communauté nationale qui a des droits collectifs,
une langue, une culture. Mais dans quel cadre? Celui d'un Etat laïque ou d'un
«Etat juif»? Telle est la contradiction constitutive d'Israël: en quoi l'Etat
est-il juif? Par généalogie ethnique? Par référence religieuse? L'«Etat juif»
serait alors un Etat ethno-théocratique régit par le droit du sang incompatible
avec l'égalité de tous les citoyens vivants sur un même sol. Imagine-t-on que
l'Etat français puisse se définir comme Etat aryen ou Etat chrétien? Et que
n'aurait-on entendu si la charte de l'OLP avait revendiqué une Palestine
islamique au lieu d'une Palestine laïque et démocratique!
Dès lors que l'on
nie la colonisation de la Cisjordanie et de Gaza, l'Intifada se réduit à
l'effroyable réveil d'une «haine antisémite immémoriale». Evaporées, effacées,
oubliées les colonies, les maisons dynamitées, le millier de morts et les
dizaines de milliers de blessés! Si, comme Sharon le répète depuis le 11
septembre, «Arafat est notre Ben Laden», les «liquidations extrajudiciaires»
deviennent les moyens ordinaires du terrorisme d'Etat. La résistance légitime à
une occupation se transforme ainsi en barbarie à éradiquer, à l'instar de la
«guerre sans fin» contre le terrorisme déclarée par George W. Bush.
Ministre
des Questions stratégiques d'Israël, Dan Meridor s'inquiète: «Si l'on continue
comme cela, sans frontière, sans partition, sans division, c'est dangereux à
long terme sur le plan démographique», car si l'on arrivait à «50 % d'Arabes, ce
ne serait plus un Etat juif, mais un Etat binational» (Le Monde du 1er septembre
2001). Il en déduit la nécessité de «mettre en oeuvre la séparation
unilatérale»! Unilatérale? Compte tenu de l'imbrication des populations, cela
signifie transferts forcés et assignation des Palestiniens à un territoire peau
de chagrin, administré par un Etat croupion. Autrement dit, une réserve indienne
ou un vaste camp de rétention, truffé de colonies et lacéré de routes de
contournement. Certains ministres du gouvernement Sharon envisagent désormais
ouvertement un transfert massif de populations. La logique de l'Etat juif et le
rêve du Grand Israël trouvent dans cette expulsion leur aboutissement.
Pour
le ministre de l'Intérieur Ouzi Landau, «les accords d'Oslo ne sont pas la
solution, ils sont le problème [...] Jamais nous n'accepterons un Etat
palestinien, ce serait une catastrophe» (Le Monde du 14 décembre 2001). Il
entend ainsi effacer le principe de reconnaissance mutuelle, disant tout haut ce
que vise l'entreprise de démolition de l'Autorité palestinienne: «Je préfère un
Hamas sans masque à une Autorité palestinienne qui avance masquée. Alors, les
choses seront claires au moins [...] Ici, ce sera une lutte à mort entre nous et
les Palestiniens, car tant que les Palestiniens auront de l'espoir, la terreur
ne cessera pas.» Il faudrait donc «faire venir un million de juifs
supplémentaires en dix ans et continuer à progresser». Voilà qui éclaire les
arrière-pensées de la campagne sur la montée de l'antisémitisme, susceptible de
fournir de nouveaux candidats au peuplement des colonies! Il s'agit en fait de
liquider la question palestinienne en tant que question nationale spécifique au
profit d'une guerre entre deux fondamentalismes: celui du gouvernement Sharon,
poursuivant coûte que coûte son projet de Grand Israël; et celui des
fondamentalismes islamiques refusant toute cohabitation avec le peuple
israélien. Ils s'accordent pour refuser tout processus négocié. Le terrorisme
d'Etat et le terrorisme religieux s'entretiennent ainsi mutuellement pour tuer
l'idée même de paix.
Il faudrait, annonce donc Ouzi Landau, désespérer Gaza,
Ramallah et Bethléem! Mais désespérer Gaza, c'est aussi exaspérer les peuples
arabes, excédés d'être la part maudite de l'Occident impérial
triomphant.
Nous sommes choqués que si peu de voix s'élèvent contre la guerre
menée par le gouvernement Sharon, contre sa politique raciste et contre les
propos ahurissants de son ministre de l'Intérieur. Nous sommes inquiets de voir
les dirigeants israéliens lier le sort des juifs d'Israël à la guerre illimitée
annoncée par George W. Bush et à son militarisme impérial.
Nous ne dénonçons
pas cette «politique du pire» seulement par souci de justice envers le peuple
palestinien, mais aussi par souci de l'avenir des juifs d'Israël eux-mêmes. La
contradiction sur laquelle est édifié «l'Etat juif» les enfonce dans «l'angoisse
de mort» dont serait né Israël. Quel peut être l'avenir d'un peuple fuyant cette
angoisse dans une escalade meurtrière? Alors qu'il était censé leur fournir un
foyer sûr, Israël est aujourd'hui l'endroit du monde où les juifs sont le plus
en insécurité.
Peut-être est-il déjà trop tard pour arrêter cette course au
désastre. Israël multiplie les faits accomplis en soutenant l'expansion
«naturelle» des colonies existantes (plus de 200 colonies et de 300 000 colons),
et en réduisant d'avance un hypothétique Etat palestinien à un territoire en
lambeaux, morcelé en bantoustans. La logique de guerre annoncée par Ouzi Landau
est bel et bien en marche. Elle conduit deux peuples, et non un seul, à la
catastrophe.
Peut-être est-il encore temps d'éviter le pire par le retrait
inconditionnel de l'armée israélienne des territoires occupés y compris de
Jérusalem-Est, et par le démantèlement des colonies. Il ne s'agirait même pas
d'une réparation, mais d'un droit reconnu aux Palestiniens depuis trente-quatre
ans par les résolutions de l'ONU qu'Israël ignore délibérément, se mettant ainsi
hors la loi internationale.