Point d'information Palestine > N°187 du 31/01/2002

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Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
                                       
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Au sommaire
                   
Témoignage
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des citoyens de Palestine ou des observateurs. Ils sont libres de droits.
- Hébron, un jour de couvre-feu par Caroline Damiens
                                          
Rendez-vous
Retrouvez l'agenda complet des conférences, manifestations, spectacles, expositions... sur http://www.solidarite-palestine.org/evnt.html
1. Colloque "l'Europe, la France et le conflit israélo-palestinien" les 8 et 9 février 2002 à l'Institut du Monde Arabe à Paris
2. Rencontre avec Azmi Bishara à Saint-Denis le jeudi 14 février 2002 à 19h
                           
Dernières parutions
1. Revue d'études palestiniennes n° 82 - Hiver 2001 [Editions de Minuit - 160 pages - 13,72 euros - ISBN : 2707317772]
2. Confluences Méditerranée n°40 - hiver 2001 : "La Méditerranée à l'épreuve du 11 septembre" [Edit° l'Harmattan]
                                                             
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG.
1. Apartheid or not apartheid par Annie Cyngiser
2. Napoléon aux portes de Ramallah par Uri Avnery [traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
3. Ne jouez pas avec l'antisémitisme ! par Pierre Stambul
4. Conséquences des récentes destructions de maisons à Rafah par le Comité international de la Croix-Rouge
5. Le gouvernement israélien refuse de communiquer des informations sur les "biens meubles" des réfugiés palestiniens par le Centre Juridique pour les Droits de la Minorité Arabe - Adalah [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                               
Documents
Extraits de "Sous Israël, la Palestine" de Ilan Halevi, publié en 1984 aux éditions Le Sycomore
5 - Nous devrons discuter de la Galilée avec le monde entier. Une minorité majoritaire (1976)
                                          
Revue de presse
1. Quelles alternatives, pour l'Autorité palestinienne ? par le Dr. Khalid Abdallah in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 29 janvier 2002 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
2. Un groupe de ses amis apportent leur témoignage sur l'écrivain français Jean Genet par Mustafa Edjmahiri in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 29 janvier 2002 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
3. Quand Tsahal détruit ce que le contribuable européen a financé in Le Monde du mardi 29 janvier 2002
4. Un journal israélien appelle à la castration des Arabes israéliens comme moyen de lutte anti-terroriste par Lily Galili in Ha'Aretz (quotidien israélien) du lundi 28 janvier 2002 [traduit de l'anglais par David Torres]
5. Le président (Bush) tarabuste le dirigeant palestinien (Arafat) au sujet du bateau d'armement par Todd S. Purdum in The New York Times (quotidien américain) du samedi 26 janvier 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
6. Les palestiniens sont près à endurer l'occupation par Valérie Féron in La Croix du jeudi 24 janvier 2002
7. La télé égyptienne s’invite en Israël par Abdalla F. Hassan in Cairo Times traduit dans Courrier International du jeudi 24 janvier 2002
8. Non, il ne faut pas désespérer Gaza par Daniel Bensaïd, Rony Brauman, Nahal Chahal, Gisèle Halimi, Mohammed Harbi, Bachir Hilal, Marcel-Francis Kahn, Pierre Khalfa et Fayez Malas in Libération du mercredi 23 janvier 2002
9. Où il est question, à nouveau, du terrorisme par Azmi Bishara in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 17 janvier 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                                       
Témoignage

                                               
Hébron, un jour de couvre-feu par Caroline Damiens
(Caroline Damien a été enseignante de français à Hébron durant trois mois à la fin de l'année 2001, dans le cadre de l'Association d'Echanges Culturels France Hébron de Chantal et Anwar Abu Eishe.)
Jeudi 4 octobre 2001 - Il doit être aux alentours de 10h du matin. A Bab El Zawiah, dans le centre d'Hébron, le souk bat son plein. Il faut se frayer un chemin entre les innombrables passants et les marchands entassés les uns contre les autres. Chaque stand offre au regard un spectacle différent. On passe instantanément d'une montagne de goyaves à un empilement de soutien-gorges aux couleurs franches, d'une campagnarde assise par terre qui vend son raisin, à l'étalage d'un bazar qui propose toutes sortes d'objets issus de toutes sortes de plastique. Pas le temps pour l'œil de se reposer, ni pour l'oreille d'ailleurs, les bonimenteurs s'en donnent à plein poumon pour vendre leur production et l'odorat est attiré par les divers parfums qui envahissent la rue. Les cinq sens ne savent plus où donner de la tête... Soudain, des blocs de béton gros d'un mètre cube environ stoppent notre avancée. De l'autre côté, la rue est déserte. Les volets des commerces sont fermés. Le silence résonne. C'est H2. Le consul de France adjoint, venu tout exprès de Jérusalem avec ses divers assistants et stagiaires pour se rendre compte par lui-même de la situation, ravale sa salive, respire un grand coup et pénètre dans la zone interdite. Le petit groupe d'officiels français est guidé par Anwar, français d'origine palestinienne, et sa femme Chantal, française elle aussi. Ils vivent à Hébron mais sont détenteurs d'un passeport français car H2 (Hébron 2) est aujourd'hui cité interdite aux Palestiniens. La sécurité israélienne a décrété le couvre-feu. Seuls les non-Palestiniens peuvent circuler à l'intérieur de la ville occupée. La situation d'Hébron est en effet unique, c'est la seule ville palestinienne à avoir des colonies israéliennes en son sein. Pour assurer la sécurité des 160 colons (c'est le chiffre de 400 qui est le plus souvent annoncé. Cependant, 400 représente les colons résidants à Hébron, plus les étudiants inscrits à l'école religieuse juive mais qui en réalité vivent ailleurs.), Israël déploie une force armée permanente de 2000 soldats et contrôle une partie de la ville (20% du territoire et de la population) pourtant placée sous autorité autonome palestinienne (zone A) depuis janvier 1997. Cela donne la situation unique d'une ville pas vraiment coupée en deux mais relevant de deux autorités. H1, zone A, sous contrôle palestinien, comptant 160 000 habitants, et H2, où 40 000 Palestiniens vivent sous contrôle total israélien, une zone C qui s'étend sur un périmètre comprenant la vieille ville autour du Tombeau des Patriarches, la Grotte de Makhpela pour les Juifs, la Mosquée d'Abraham pour les Musulmans.
Passé les blocs de béton et l'ambiance est radicalement différente. Seuls des chats qui surgissent des poubelles surchargées donnent un semblant de vie au quartier. Les rues sont vides. Le bruit a disparu. La station-service semble fermée depuis des années. La cabine de téléphone n'a plus ni vitre, ni combiné. Les murs portent encore les cicatrices de la guerre qui, ici, continue par intermittence. Des traces de suie comme des blessures qu'on aurait oublié de panser, témoignent d'une violence récente. Des impacts de balles sont gravés sur les façades comme autant de bas-reliefs retraçant l'épopée de l'Intifada. Une ville fantôme. Pourtant derrière les façades meurtries, cachées derrière les volets fermés, des familles vivent. Les habitants palestiniens de H2, enfermés chez eux par le couvre-feu. Pour la première année de l'Intifada, la ville a subi 200 jours de couvre-feu. Et ici, le couvre-feu, c'est toute la journée, pas seulement la nuit. A partir du moment où les soldats ordonnent, on n'a plus le droit de circuler jusqu'à ce qu'ils lèvent l'interdiction. Cela peut prendre plusieurs jours.
Très vite, au détour d'une rue, le premier poste de contrôle israélien. Un soldat, vêtu d'un gilet pare-balle et ostensiblement armé, discute avec un colon. Il ne peut pas ne pas nous voir. Il nous a vus. Il nous fait signe de s'approcher. Nous obéissons. Le colon s'avance vers nous et nous demande nos papiers. De quel droit ? Il n'est ni soldat ni policier. Je n'ai rien à lui montrer. Et je repense à ces colons que j'ai vus sur la route de Jérusalem, postés le long de la route, armés jusqu'aux dents. Sans aucune légitimité, ces combattants de la cause sioniste espèrent faire la loi, et avec plus de zèle que les soldats.
Le soldat du check-point, lui, ne montre aucun empressement à nous contrôler. C'est le consul adjoint qui ira jusqu'à lui pour lui présenter son passeport diplomatique. Il ne peut pas nous empêcher d'être là. Il nous retient cependant quelques minutes, le temps d'appeler du renfort. Il estime que nous avons besoin d'une escorte. Quatre soldats en arme, âgés d'à peine plus de 20 ans arrivent en traînant le pas. Ils vont accompagner notre visite dans le but "d'assurer notre sécurité".
De l'autre côté de la rue, une femme passe, un bébé dans un bras et un enfant dans l'autre main. Elle brave le couvre-feu. Un soldat l'interpelle. Elle n'a pas le droit d'être ici, dans sa rue, dans sa ville.
"Doctor, doctor", clame-t-elle en ajustant son voile.
D'un geste de la main, le soldat lui permet de passer. Il sait que ce n'est probablement qu'un prétexte mais aujourd'hui, il la laisse partir. Notre présence peut-être ? Ou plus sûrement sa lassitude du service militaire ?
Nous démarrons notre visite, flanqués de quatre soldats. Les ruelles enchevêtrées de la vieille ville historique sont désespérément mortes et tristes. Avant l'Intifada, c'est dans ces rues que se tenait le marché. C'est ici que les marchands vantaient leurs produits colorés. Désormais seule l'odeur entêtante des ordures non ramassées permet  d'attester de la présence d'habitants. Ici, ce bâtiment neuf abrite une colonie. Juste en dessous, réside une famille palestinienne. Un épais grillage sépare les deux maisons. La situation est ubuesque et si elle n'était pas tragique, on en rirait.
Plus loin, une place vide. Pourtant, derrière les murets, des enfants. Ils ont fui à notre arrivée. Ils sont sortis jouer quand même, peut-être ont-ils essayé d'aller à l'école. (Chaque établissement de H1 a reçu la consigne d'accepter tous les enfants de H2 qui se présenteraient.) Le couvre-feu n'est pas hermétique.
Nous continuons notre triste tour. Parfois, derrière les barreaux des fenêtres, des visages d'enfants se montrent pour nous regarder passer. Leur maison est devenue leur prison.
Nous arrivons à la Mosquée d'Abraham. Elle aussi est bien gardée par des soldats en arme. Nos quatre soldats, plus embêtés de nous suivre qu'autre chose, nous lâchent sans mot dire. On nous interdit l'accès à la mosquée. Aujourd'hui est l'un des onze jours réservés aux Juifs. C'est la fête juive de Sukkot. Une fête juive dans une mosquée ? Le lieu est en effet saint pour les deux religions. C'est ici que, d'après la légende, Abraham, père à la fois des Juifs et des Musulmans par ses deux femmes et ses deux fils Isaac et Ismael, a enterré sa femme Sarah. Il acheta une caverne pour la transformer en tombeau. C'est ici qu'il sera inhumé ainsi que ses descendants et leurs épouses. Autour s'est lentement érigée la ville d'Hébron, sur une tombe. Une autre légende identifie le lieu comme étant la sépulture d'Adam et Eve devant l'entrée du Paradis dont ils furent chassés, au pied de la porte du Jardin d'Eden fermée pour toujours. C'est le seul lieu du monde où cohabitent une synagogue et une mosquée. C'est également la seule synagogue du monde à abriter des morts. Certains Juifs, il y a longtemps, s'étaient d'ailleurs opposés à un lieu de culte à cet endroit impur car abritant des tombes. Le premier bâtiment fut érigé par Hérode en 28 av. JC. Les Chrétiens Byzantins agrandirent l'édifice dont ils firent une église. Le lieu alternera les confessions, notamment pendant les Croisades. Saladin en reprenant la ville aux Croisés en fera une mosquée, ce qu'elle restera jusqu'en 1967, date de l'occupation israélienne qui fait suite à la guerre des Six Jours. C'est à cette date que les colons installèrent une synagogue à l'intérieur même du monument musulman. Aujourd'hui, 80% de la mosquée appartient aux colons.
A cet endroit, la ville a changé de figure. La rue est animée. Aucun Arabe, bien sûr. Que des colons. Les plus acharnés et les plus extrémistes de tout Israël résident ici. En plein cœur d'une ville palestinienne. Des sionistes radicaux qui traitent les soldats israéliens de nazis parce qu'ils ne sont pas assez agressifs avec les Palestiniens. Dès après l'occupation d'Hébron en 1967, les premiers colons sont arrivés dans la ville. En effet, en 1968, un groupe de religieux orthodoxes ultranationalistes d'extrême droite louent un hôtel d'Hébron pour célébrer la Pâque juive. Ils ne repartiront plus. Ils prônent "le retour des Juifs à Hébron". Malgré l'illégalité de cet acte, le gouvernement israélien cède : six mois plus tard, il décide la création de la colonie de Kiryat Arba accolée à la ville arabe. 250 appartements qui comptent officiellement 5000 habitants. Mais ce que les colons de Kiryat Arba veulent, c'est transformer la ville arabe d'Hébron en ville juive. En avril 1979, un groupe de colons composé de 13 femmes et de 40 enfants s'introduit en pleine nuit dans un bâtiment de la vieille ville arabe. Ils spéculent sur le fait que l'armée et le gouvernement n'oseront pas les déloger. Effectivement, ils ne seront pas expulsés. Un an plus tard, le gouvernement autorise l'occupation de ce bâtiment. C'est le début de la colonisation de la ville même. Aujourd'hui, il y a cinq colonies à l'intérieur d'Hébron : Avraham Avinou, Beit Hadassah, Tell Romeida, Beit Schneersohn et Beit Romano.
Les soldats au moins répondent à des ordres, les colons sont incontrôlables et dangereux. L'un d'entre eux, Baruch Goldstein, le 25 février 1994, a quitté son domicile de la colonie Kiryat Arba pour venir massacrer une trentaine de Musulmans en prière dans la Mosquée d'Abraham, cette même mosquée juste derrière nous, aujourd'hui interdite aux fidèles. Goldstein a commis son geste dans le but avoué d'interrompre le processus de paix dont les accords venaient d'être signés. Aujourd'hui, il existe un monument sur la tombe du tueur et les partisans de l'extrême droite viennent s'y recueillir. A la suite de ce massacre, l'armée décréta 30 jours consécutifs de couvre-feu pour la population palestinienne.
Nous continuons notre route en contournant la colonie, nous dirigeant vers une hauteur. Au sommet de la colline, un char monte la garde. Derrière l'engin, une maison dont le toit a été investi par l'armée. La famille propriétaire de la maison vit toujours à l'intérieur dans une improbable cohabitation avec les soldats. Le père nous invite pour une tasse de café. Mais d'abord il doit demander l'autorisation aux soldats. Ces derniers hésitent, puis finalement nous laissent entrer. Ils n'ont aucune raison valable pour nous refuser l'accès.
Nous faisons connaissance avec la famille d'Abu Rami. L'armée utilise leur terrasse comme base de tirs. La maison étant située sur une colline, elle présente un point de vue privilégié sur l'ensemble de la ville. Des occupations d'habitations palestiniennes à des points culminants comme celle-ci, il y en a plusieurs à Hébron. On les voit de loin et on les reconnaît facilement au drapeau israélien planté encore une fois abusivement. Non seulement l'armée occupe le toit d'Abu Rami, mais elle empêche les membres de la famille de sortir tous en même temps redoutant une attaque palestinienne si elle était privée de ses précieux otages. Leur enfermement dure depuis 14 mois ! L'armée leur a coupé le téléphone et le câble de la télévision. Comme si ce n'était pas suffisant, les soldats s'acharnent sur eux à coup d'insultes et de vexations continuelles, comme d'uriner sur le linge qui sèche ou dans les escaliers quand ce n'est pas dans les réservoirs d'eau... Abu Rami ne peut plus aller travailler et il s'est endetté. Les enfants sont empêchés d'aller à l'école. Et la situation dure ! Sa maison est comme une métaphore de la Palestine.
Nous quittons Abu Rami et les siens et redescendons vers H1, abasourdis par ce que nous avons vu et entendu.
Le soldat du check point rechigne à nous laisser sortir. Je ne comprends pas pourquoi. On ne veut pas rentrer, on veut sortir. Mais, dans ce pays, il n'y a pas de logique, et encore moins de droit. Finalement, nous retraversons les blocs de béton qui marquent la frontière. Les bruits de klaxon de Bab El Zawiah nous souhaitent la bienvenue dans H1. Nous retrouvons la foule du marché et les embouteillages avec un certain soulagement.
Quelques minutes après notre passage, des tirs lancés contre les colonies videront le souk. Une colonne israélienne mourra dans l'après-midi. La nuit suivante, en représailles, l'armée envahira deux quartiers de H1, délogeant des familles dans leur sommeil pour transformer leur maison en poste militaire. Dans l'attaque, six palestiniens seront tués et des dizaines seront blessés.
                               
Rendez-vous

                                               
1. Colloque "l'Europe, la France et le conflit israélo-palestinien"
les 8 et 9 février 2002 à l'Institut du Monde Arabe à Paris
[Institut du Monde Arabe - Salle du Haut Conseil - 1 rue des Fossés Saint-Bernard - 75005 Paris]
La cessation du conflit armé et l'établissement d'une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens exigent une implication déterminante de l'Europe et singulièrement de la France. Le Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient (CVPR) organise un colloque pour permettre à des acteurs de la vie politique d'exposer, après un bilan historique, leurs analyses et leurs engagements, à la veille d'importantes élections nationales en France.
>> Vendredi 8 février : Regards sur une histoire
- 14h : Ouverture du colloque :
Camille CABANA, Président de l'Institut du Monde Arabe,
Georges LABICA, Professeur émérite, Président du CVPR,
- 14h30 : Modérateur : José PAOLI, Ancien ambassadeur, Vice-Président du CVPR,
Camille MANSOUR, Professeur de droit, Directeur adjoint de la Revue d'Etudes Palestiniennes,
Youssef BOUSSOUMAH, Chercheur : "La France et la création de l'Etat d'Israël,
Farouk MARDAM-BEY, Ecrivain, Historien : "La France et le conflit israélo-arabe : constantes et variables",
Nabil EL-HAGGAR, Vice-Président de l'Université de Lille I : "Les vérités écartées",
Bernard RAVENEL, Président de France-Palestine Solidarité : "Le projet euro-méditerranée et la Palestine".
- 17h30 : Clôture de la séance
>> Samedi 9 février matin : L'Europe, bilan et perspectives
- 9h30 : Modératrice : Ghaïss JASSER, Vice-Présidente du CVPR,
Un représentant de la Présidence de l'Union Européenne,
Luisa MORGANTINI, Député au Parlement européen,
Claude CHEYSSON, ancien Ministre des Relations Extérieures, ancien Commissaire européen,
Rudolf EL-KAREH, Professeur de sociologie : "Pour une politique européenne rénovée au Proche-Orient",
Bichara KHADER, Professeur à l'Université de Louvain-la-Neuve : "De Venise à Valence : le processus européen de politique étrangère face à la question israélo-palestinienne".
- 13h : Pause
>> Samedi 9 février après-midi : La position des formations politiques françaises
- 14h30 : Modérateur : Maurice BUTTIN, Avocat, Vice-Président délégué du CVPR,
Alain CHENAL, Parti socialiste,
Bernard DREANO, Les Verts,
Jacques FATH : Parti communiste,
Jacques MYARD, député-maire : RPF,
Christian PICQUET : Ligue Communiste Révolutionnaire,
Intervenants à confirmer pour Lutte Ouvrière, Mouvement des Citoyens, RPF et UDF,
Conclusion : Jacques MILLIEZ, Professeur au C.H.U de Saint-Antoine, Président d'Honneur du CVPR.
- 18h : Clôture du colloque
[Renseignement : CVPR - BP 8 - 92292 Châtenay-Malabry - Tél/Fax : 01 39 58 68 03]
                                   
2. Rencontre avec Azmi Bishara à Saint-Denis
le jeudi 14 février 2002 à 19h

[à la Bourse du travail - 9/11, rue Génin - 93200 Saint Denis]
Une réunion publique de solidarité et débat avec le député Azmi Bishara, actuellement poursuivi devant les tribunaux israéliens après sa levée d'immunité parlementaire, organisée par le Comité pour la défense d'Azmi Bishara, de la LDH, de la FIDH, du MRAP et de l'association France-Palestine Solidarité.
Avec la participation de :
Azmi Bishara,
Patrick Braouezec, député-maire de Saint-Denis,
Leïla Shahid, déléguée générale de Palestine en France,
Michel Tubiana, président de la Ligue des Droits de l'Homme,
Mouloud Aounit, secrétaire général du MRAP,
Isabelle Avran, vice-présidente de France Palestine Solidarité.
[Comité pour la défense d'Azmi Bishara (section France) Tél/Fax : 01 44 83 00 05 - E-amail : comitebishara@yahoo.fr - Site international : www.comitebishara.org]
                                       
Dernières parutions

                                               
1. Revue d'études palestiniennes n° 82 - Hiver 2001
[Editions de Minuit - 160 pages - 13,72 euros - ISBN : 2707317772]
Sommaire
EDITORIAL La politique du pire
Un entretien d'Hubert Védrine à France Inter : " Une fuite en avant dans la folie "
L'lmperium américain, le monde, le chaos par Rudolf EI-Kareh
Opération "Infinite Bullshit" par Daniel Bensaïd
Une vitalité désespérée par Jack Ralite
Médias en guerre par Henri Maler
Et maintenant, quitter la Palestine ? par Sophie Claudet
L'islam politique palestinien, un obstacle ô la paix ? par Mohamed El Battiui
Les manuels scolaires palestiniens sont-ils antisémites ? par Fouad Moughrabi
L'islam de six écrivains par Hassan Chami, Boutros Hallaq, Kadhim Jihad, Elias Khoury, Farouk Mardam-Bey et Youssef Seddik
Le rôle des Palestiniens dans le secteur financier au Liban (1948-1967) par Fériel Ben Mahmoud
LETTRES ARABES Un battement de paupières par Saïd al-Kafrawi
CHRONIQUES I. Halevi, R. EI-Kareh, D. Eddé, J.-C. Pans, S. Biffon, E, Suleiman, S. Claudet
NOTES DE LECTURE R. EI-Kareh, S. Ben Abda, K. Jihad, M. S. E. El Yamani
L'OBSERVATOIRE DE LA COLONISATION par Geoffrey Aronson
La littérature arabe contemporaine traduite en français par Farouk Mardam-Bey
                               
2. Confluences Méditerranée n°40 - hiver 2001 : "La Méditerranée à l'épreuve du 11 septembre"
[aux Editions de l'Harmattan]

SOMMAIRE
Hommage à Hamadi Essid par Théo Klein et Bénédicte Muller
DOSSIER
Introduction : Stratégies aveugles par Jean-Paul Chagnollaud
L’instantané terroriste par Nilüfer Göle
Réflexions sur le 11 septembre et ses suites par Michel Wieviorka
El Qaïda, internationale islamiste ? par Abderrahim Lamchichi
Après le 11 septembre : bloquer l’engrenage par Robert Bistolfi
Un certain anti-américanisme : un racisme certain par Guy Dhoquois et Régine Dhoquois-Cohen
Recherche ennemi désespérément… Réponse à Samuel Huntington par Dario Battistella
Les mots de l’islam par Paul Balta
L’islamisme n’est pas monolithique par Abderrahim Lamchichi
Islam et terrorisme : de l’origine de la violence dans les pays musulmans par Burhan Ghalioun
La stratégie américaine en Méditerranée par Sami Makki
Une guerre froide en Méditerranée orientale ? par Pierre Blanc
Israël-Palestine : chronique d’une agression annoncée par Jean-Paul Chagnollaud
La perception des attentats du 11 septembre dans le monde arabe et musulman par Lahouari Addi
La Tunisie après le 11 septembre par Olfa Lamloum
Impressions et réactions des Français musulmans par Michel Morineau
Les Européens entre leur Ouest et leur Sud par Dominique David
L’enjeu euro-méditerranéen après le 11 septembre par Bernard Ravenel
DOCUMENT POUR L'HISTOIRE
Algérie, décembre 1991 : "Il fallait arrêter le processus électoral" Entretien avec Ali Haroun
                                   
Réseau

                                               
1. Apartheid or not apartheid par Annie Cyngiser
(Annie Cyngiser est sociologue.)
Les signataires de l'article " Durban-sur-Seine " dans Le Monde du 22 janvier nous exhortent à la " décence ". Soyons donc décents, et parlons, ainsi qu'ils nous le recommandent, de la " souffrance des israéliens " et non pas seulement de celle qu'éprouve le peuple palestinien. 
Le mal est en effet grave. La société israélienne connaît, ces derniers temps, une sérieuse crise économique, un état de panique quasi quotidienne - lié aux attentats suscités par une politique coloniale ultra répressive - et, aussi invraisemblable que cela puisse paraître,  des troubles identitaires liés à la perte du sens de leur judaïté. A quoi s'ajoutent d'anciens clivages socioculturels (que seul le sentiment d'insécurité nationale laisse sous le boisseau) pour le profit d'une extrême droite qui joue de la schizophrénie ambiante pour continuer à falsifier les faits présents et passés conduisant principalement à la négation de l'autre. Qui ne voudrait pas se sortir d'une pareille impasse ?
Le peuple israélien aspire à la paix. Certes ! On ne ferait pas moins après 54 ans passés à conquérir terre et légitimité politique, après avoir continuellement crié " au loup " tout en détruisant au fur et à mesure les moyens d'une réelle coexistence avec le peuple palestinien et ses voisins des pays arabes !
Nos signataires se sentent " blessés " par les termes employés par François Maspero pour parler de la réalité et coloniale et raciste que subissent les palestiniens! Qu'ils se rassurent : ils ne sont tout de même pas, eux,  atteint par les balles "aveugles " ou les missiles de Tsahal ! Ni même par les bombes des terroristes palestiniens que subit effectivement la société israélienne et qu'elle subira tant qu'elle ne reconnaîtra pas dans les faits, les droits légitimes d'un peuple qu'elle a longtemps voulu ignorer, puis qu'elle a méprisé, pour finir par chercher à le détruire.
Car, faut-il le rappeler à des intellectuels dont les titres honorifiques  (universitaires, juristes...) semblent indiquer qu'ils ont les outils nécessaires pour ne pas l'ignorer : le terme de génocide ne s'applique pas qu'à la seule extermination nazie. Des formes " plus douces ", plus sophistiquées ou déguisées ont été longuement pratiquées au cours de l'Histoire et très récemment, à nos portes, dans l'ex-Yougoslavie sous le vocable " d'épuration ethnique "! Bien sûr, il n'y a pas de charniers au Proche-Orient, à moins que Sabra et Chatila...
Mais nous pouvons compter sur le grand savoir politique des divers gouvernements israéliens, travaillistes compris, pour planifier en douce une lente mais inexorable expulsion-déportation des Palestiniens hors de la " terre biblique  ".
Et puisqu'il est question pour les défenseurs de la paix et de la sécurité d'Israël de ne pas " gommer, vicier, falsifier les références historiques ", il leur suffit de consulter les cartes de géographie en ce qui concerne notamment les colonies d'implantations et l'encerclement de Jérusalem, surtout depuis les accords d'Oslo. Ces cartes parlent bien, elles, d'une réalité qui reproduit la configuration des Bantoustans d'Afrique du Sud. Que ces messieurs daignent les consulter. Les missions civiles de protection du peuple palestinien, certaines missions diplomatiques, ces derniers mois, ont daigné, elles, se rendre et dans les territoires occupés et en Israël ! Leurs comptes-rendus accablants confirment celui de F. Maspero. Mais tout ceci est balayé d'un trait de plume dès lors que l'on a " de la sympathie " pour un peuple que l'on a l'indignité de trouver opprimé, dès lors qu'on ose " délégitimer Israël "  en lui demandant de respecter les lois internationales !
Nous comprenons qu'elle leur est infiniment lourde à supporter " la disqualification de l'Etat d'Israël... sa mise au ban des nations " . Puissent-ils dire vrai sur ce chapitre les " sympathisants " inconditionnels de la politique de l'Etat sioniste! Car, contrairement à leurs allégations, la communauté internationale ne bouge pas ou insuffisamment alors même que nous sommes en présence d'une forme particulière d'épuration et de discrimination !
Messieurs-les-signataires-prêts-à-entendre-toute-critique-justifiée-de-la-politique-israélienne se disent " naïfs ". Plutôt amnésiques ! Toujours, entre autre, la fable de l'accord réalisé à Camp David ! C'est six mois plus tard à Taba qu'on a frôlé un accord, accord que Barak, en fin de mandat et largement distancé sur le plan électoral par Sharon, n'a pas proposé à la signature.
Naïve cette scandaleuse équation : si l'on " jette l'opprobre sur Israël " on " vilipende et outrage le monde juif " ? Soyons donc effectivement décents, et pratiquons un minimum de rigueur et d'honnêteté intellectuelle Quand cessera cette assimilation abusive du " monde juif " à la politique de l'Etat d'Israël ? Combien de morts faudra-t-il de part et d'autres au Proche-Orient, combien d'écoles ou de synagogues devront-elles brûler  en France pour l'on accepte de regarder la réalité en face ? Pour que la confusion- au sein de la communauté musulmane en France, voire chez bien des chrétiens- entre judaïsme et sionisme, entre "  juif " et israélien cesse et que l'on puisse traiter des problèmes politiques sur le terrain politique ?
Faut-il l'écrire en clair ? Qui a intérêt à la montée d'une vague d'antisémitisme ou pour parler  à la mode du jour " de judéophobie ? " Qui ?  Les " Arabes " ? Une certaine " gauche juive française qui dilue l'antisémitisme dans les problèmes de banlieue " (1) ? Qui agite cet épouvantail parfois dangereux, toujours odieux, pour des fins  elles aussi parfaitement claires : recréer une nouvelle d'émigration de Français juifs pour poursuivre le travail de conquête coloniale de la Palestine d'une part et justifier d'autre part l'arbitraire absolu de l'armée israélienne, la position hors du Droit de l'Etat d'Israël?
Devons-nous rappeler une fois encore qu'il existe, en France, de très nombreux citoyens juifs qui sont exaspérés par l'assimilation juif = sionisme et douloureusement attristés par la superposition de problèmes identitaires, religieux et culturels avec des questions de politique internationale ?
S'il y a un moyen pour Israël de trouver la paix et la sécurité, c'est avec le retrait des forces d'occupation, l'arrêt des incursions militaires et des bombardements, le démantèlement des colonies et la création d'un Etat palestinien viable qu'elle pourra se construire  Il est vrai que cette paix-là suppose, comme l'a récemment dit un journaliste palestinien, que " l'on exerce sur soi-même une violence intérieure, " que l'on puisse, comme a répondu,  en écho, un représentant d'association israélienne, " commencer par considérer l'autre, " l'Arabe " (!) comme une réalité, même si elle fait mal ! "
                                           
2. Napoléon aux portes de Ramallah par Uri Avnery
[traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]

26.01.2002 - Dans son roman épique " Guerre et paix ", Tolstoï décrit la bataille de Borodino, une des plus cruelles dans l'histoire, par laquelle Napoléon a ouvert la route de Moscou. Au milieu de la terrible bataille, le héros du livre cherche le commandant russe Koutousov. Il le trouve assis sur une chaise au sommet d'une colline, observant calmement la bataille sans rien  faire.
Le héros est bien entendu étonné par cette inactivité, jusqu'à ce que le général russe explique qu'à ce stade il n'a rien de mieux à faire. La bataille oppose deux grandes masses humaines et la masse la plus forte et la plus déterminée gagnera.
Je me suis souvenu de la scène du livre cette semaine quand j'ai rendu visite à Yasser Arafat à Ramallah. Son bureau était tranquille, l'activité au plus bas. Le responsable palestinien était calme, plus calme que je ne l'avais vu depuis longtemps. Le tremblement de ses membres avait disparu, de même que son air fatigué. Il me rappelait une de nos premières rencontres dans Beyrouth assiégée, en juillet 1982, en pleine bataille. Il était d'une humeur joviale quand il nous a amenés à la fenêtre et nous a montré les tanks israéliens stationnés à une centaine de mètres, leurs canons pointés sur lui.
Quelques-uns des journalistes importants qui accompagnaient notre délégation de Gush Shalom ont eu l'impression qu'il était vaincu, qu'il " s'était résigné lui-même à son sort ". S'ils avaient rencontré Koutousov dans cette bataille-là, ils auraient probablement dit qu'il était fini comme un général battu résigné à la défaite.
La guerre israélo-palestinienne, vieille de 120 ans maintenant, approche de l'une de ses phases décisives. Deux grandes masses se confrontent l'une à l'autre : une force irrésistible et un objet inamovible.
Le commandant israélien, Ariel Sharon, sait exactement ce qu'il veut. Tous les chroniqueurs qui disent à l'opinion qu'il temporise, qu'il ne sait pas ce qu'il veut, qu'il n'a aucun plan, etc., ne connaissent pas l'homme. Une personne normale comme Yossi Beilin est tout à fait incapable de saisir sa façon de penser.
Sharon agit d'une manière cohérente, déterminée et logique pour exécuter son plan. Pendant des décades il a pensé qu'il était désigné par l'Histoire pour appliquer le vrai sionisme - celui qui a pour but de conquérir tout Eretz Israël, pour le nettoyer de la population locale et le couvrir de colonies.
En poursuivant cette mission historique, Sharon est brutal et sans pitié. Des rivières de sang ne l'arrêtent pas, le nombre des blessés (les leurs et les nôtres) n'est qu'un élément dans ses calculs. Il agit prudemment, utilise des ruses et ne recule pas devant les crimes de guerre.
Il sait qu'il ne lui reste pas beaucoup de temps, et qu'il doit l'utiliser pour détruire le peuple palestinien en tant que facteur politique. Pour y parvenir, il doit détruire sa direction, vaincre ses forces armées, anéantir sa volonté et sa capacité de résistance.
Quel est le but final ?
Au minimum : Emprisonner les Palestiniens dans plusieurs enclaves, chacune coupée des autres et du monde, chacune entourée par des colonies, des routes de contournement et par l'armée. Dans ces grandes prisons, les Palestiniens auront le droit de " s'occuper de leurs propres affaires ", fournissant une main-d'œuvre à bon marché et un marché captif. Peu importe si on les appelle " Etat palestinien ".
Au maximum : Exploiter une situation de guerre ou une crise mondiale pour expulser du pays tous les Palestiniens (y compris ceux qui sont citoyens israéliens). Sharon est tout à fait capable de provoquer une guerre pour créer une telle occasion. Il n'a que du mépris pour les gens qui l'entourent, qui sont incapables de penser à cette échelle historique.
Sous la direction de Sharon, cette grande masse est confrontée à la masse opposée - les Palestiniens. Ceux-ci ne peuvent se mesurer à la force attaquante dans aucun domaine sauf un : la capacité d'encaisser les coups. La stratégie nationale palestinienne se résume en un mot : Summud, ténacité. Après la terrible leçon de 1948, les Palestiniens savent que c'est un combat pour la vie - la vie du peuple palestinien et la vie de chaque Palestinien et de chaque Palestinienne. Ceci génère une force de résistance qui étonne les généraux de Sharon, de la même façon que la résistance russe étonnait les maréchaux de Napoléon.
Yasser Arafat symbolise cette faculté plus que quiconque. Même ces Palestiniens qui ont l'habitude de critiquer ce style de direction (surtout les membres de l'intelligentsia éduqués à l'occidentale) savent qu'il n'y a personne d'autre que lui dans une crise existentielle. L'homme assis à Ramallah face aux tanks est la personnification de la détermination des Palestiniens à défendre leur existence nationale dans leur patrie, quel que soit le prix.
Le Napoléon israélien ne comprend pas les Palestiniens, pas plus que le vrai Napoléon ne comprenait les Russes. Lui et ses partisans croient qu'Arafat est un personnage isolé, bloqué, " hors jeu ". Ils ne peuvent comprendre que, précisément dans une telle situation, Arafat est plus fort et plus influent que jamais.
Quant au vrai Napoléon, il a gagné la bataille de Borodino et en entré à Moscou en glorieux vainqueur. Mais quelques semaines plus tard, le même Koutousov l'a définitivement vaincu. Napoléon a dû rentrer chez lui, laissant derrière lui les restes d'une armée battue, mourant de faim et de froid.
                               
3. Ne jouez pas avec l'antisémitisme ! par Pierre Stambul
Ce texte doit paraître dans la revue L'Ecole Emancipée N°7 du mois de février 2002. L'Ecole Emancipée est une revue syndicale et pédagogique paraissant depuis 1910.
(Pierre Stambul est professeur de mathématiques en lycée et à l'IUFM à Marseille.)
Les exactions incessantes commises contre la population civile palestinienne ont fortement atteint la " popularité " de la politique du gouvernement israélien dans les opinions publiques des différents pays
du monde. Or cette " popularité " est indispensable car c'est elle qui permet le soutien inconditionnel américain ou les accords commerciaux qui sont vitaux pour Israël.
Un lobbying dangereux
Comment " vendre " à l'étranger une politique de plus en plus clairement belliciste, qui nie les droits fondamentaux et qui repose sur l'annexion rampante de nouveaux territoires et le fait accompli ? D'abord il s'agit de provoquer parmi tous les Juifs une solidarité inconditionnelle avec la politique israélienne. Toutes les " institutions " juives, religieuses ou culturelles sont mises à contribution. Toute forme de doute ou de critique est interdite. Tout Juif qui ne se situe pas dans cette optique de soutien inconditionnel au
seul État Juif est forcément un mauvais Juif et il est supposé " non représentatif " de la " communauté ". Ce mélange des genres entre " Juif " et Sioniste " est terriblement dangereux. Il a pour but de pouvoir
automatiquement taxer d'antisémitisme quiconque s'aventure à critiquer la politique israélienne. On en arrive au point où moi, parce que je suis fils de déporté, je peux m'autoriser à faire une critique radicale du sionisme (je serai quand même traité de " Juif antisémite " par les plus fous) mais un " goy " qui partage mes idées n'osera rien dire ou écrire de peur d'être accusé. Cette absurdité repose sur la réécriture de l'Histoire entreprise par le Sionisme. Dans cette vision névrotique qui est malheureusement celle qu'on enseigne dans les écoles israéliennes, Israël est l'État de tous les Juifs, le Monde est partagé en deux : Israël et ses alliés face à tous les antisémites, les Palestiniens ont pris la suite des Nazis dans
la persécution des Juifs etc.
L'antisémitisme en France
Pierre-André Taguieff (que nous avons critiqué dans cette revue à l'occasion de ses ambiguïtés face au Front National) n'y va pas de main morte. Il parle de " judéophobie " (difficile d'utiliser le mot antisémitisme puisque les " Arabes " sont des Sémites) venant de plus en plus des jeunes des banlieues. Il décrit les sentiments pro palestiniens comme un effet de mode et s'en prend à l'extrême gauche qui diffamerait l'État d'Israël.
Tout est faux dans cette analyse. Décrire les Juifs ou Israël comme des victimes permanentes ne tient pas la route. Et puis Taguieff mélange consciemment tout : quand les " institutions juives " se transforment en outil de propagande de la politique de Sharon, il est logique qu'elles provoquent des réactions de colère. Est-ce de la " judéophobie " ? C'est toujours la même histoire. Quand M. Rajsfus rappelle que le CRIF est l'héritier de l'UGIF (qui sous Pétain a collaboré en allant jusqu'à livrer ses listings), on ne peut pas le traiter d'antisémite. Mais si des médias relatent la réalité de ce que vivent les territoires palestiniens, ils sont taxés de " judéophobes ".
Il faut condamner bien sûr les crétins imbéciles qui s'en prennent à des synagogues. Mais il faut dire avec netteté que l'engagement idéologique en faveur d'une politique détestable expose les auteurs de cet
engagement à des critiques radicales. Et du coup, la stratégie sioniste qui consiste à " mouiller " tous les Juifs dans le soutien à Israël est très dangereuse.
Quand on examine l'histoire de l'antisémitisme, que constate-t-on ? Au début, il y a eu un antijudaïsme virulent et meurtrier, surtout en pays chrétien, qui était essentiellement religieux. Cet antijudaïsme a été
moins virulent dans les pays musulmans où les religions minoritaires ont eu un " statut " qui les protégeait quelque peu. L'antisémitisme moderne naît avec la sortie du ghetto. Il ne s'adresse pas au " Juif visible " qui est " en dehors du monde " mais au Juif intégré dans sa nouvelle " patrie " (la diaspora), qui partage la culture, le mode de vie et les valeurs de tous, mais qui est " impur " parce que " cosmopolite ", "
multiculturel " etc. Quand on lit les délires antisémites de Céline, de Drieu la Rochelle ou de Barrès, l'image insupportable pour eux du Juif, c'est davantage ce qu'ont été Marx, Freud, Rosa Luxembourg ou Einstein que l'image du tankiste israélien qui ne dérange pas leur vision d'un " ordre pur ".
Bref, parler d'antisémitisme ou de judéophobie parce que quelques beurs excités ont lancé des pierres contre une synagogue est purement propagandiste. Il y a beaucoup trop de racistes en France. Les premières victimes sont les Maghrébins, les Africains, les Tsiganes. Il y a une tradition antisémite en France, toujours vivante dans l'extrême droite.
On peut même considérer que l'antisémitisme est un élément fondamental et fondateur du fascisme. Mais les petits incidents de Sarcelles ou Créteil n'ont rien à voir avec l'antisémitisme. Et si l'État d'Israël
focalise tant de critiques, ce n'est pas parce que ses citoyens sont Juifs. C'est parce qu'il viole quotidiennement les droits élémentaires à un point tel qu'on a du mal à comprendre pourquoi la " communauté internationale " laisse faire.
Une campagne dangereuse
L'Agence Juive, relayée par plusieurs journaux et par le CRIF, décrit la France comme un pays dangereux pour les Juifs. Pourquoi cette campagne ?
Il y a en France 500.000 Juifs (probablement plus mais les Juifs laïques ou athées sont difficiles à recenser). Depuis des années, le chiffre de ceux qui émigrent vers Israël est stable : un millier par an (et
certains d'entre eux qui ont gardé la double nationalité reviennent). La campagne actuelle a pour but évident de faire augmenter très sensiblement ce chiffre. Un pactole est proposé aux candidats à l'immigration (On notera au passage que la somme proposée aux Juifs
Argentins est sensiblement supérieure). Les dirigeants israéliens ne s'en cachent pas : moins de 40 % des Juifs du monde entier vivent en Israël, ils veulent que ce chiffre dépasse rapidement les 50 %, voire
plus. Avec un programme pareil, on comprend pourquoi la paix n'est pas à l'ordre du jour. Pour installer autant de monde, il faut annexer de nouveaux territoires.
Il est temps d'affirmer avec force que le sionisme est une idéologie nationaliste dangereuse et que les Juifs, comme les autres peuples, peuvent déraper massivement dans un nationalisme qui exclut l'autre. Il
est temps de dire que l'antisémitisme est un crime trop grave et qu'il est insupportable de voir ce crime récupéré à des fins qui n'ont rien à voir avec la lutte antiraciste.
                                       
4. Conséquences des récentes destructions de maisons à Rafah par le Comité international de la Croix-Rouge
(CICR News 02/04 - 24 janvier 2002)
Assis dans la lumière jaune qui filtre à travers la toile de sa tente à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, Atef Al Najjar, 41 ans, raconte l'horreur qu'il a ressentie quand il a été réveillé, aux premières heures du 10 janvier, par les bruits des bulldozers qui écrasaient les murs de la maison voisine. «Nos maisons sont situées dans la troisième rangée d'habitations à partir de la frontière avec l'Égypte», explique-t-il à deux visiteurs ainsi qu'à un groupe d'autres personnes, en dessinant des lignes dans le sable avec le doigt. «Tout le monde s'est précipité dehors quand on a entendu les engins arriver, et les enfants ont couru de porte en porte pour réveiller ceux qui dormaient encore.»
Cette nuit là, pas moins de 100 familles se sont retrouvées à la rue quand les Forces de défense israéliennes ont détruit des dizaines de maisons, dégageant une bande de terre le long de la frontière. Les Forces de défense israéliennes prétendent en effet que des Palestiniens armés les prenaient régulièrement pour cible depuis ces maisons groupées et couvertes de graffiti qui constituent le camp de réfugiés de Rafah.
Au moins, Atef est parvenu à faire sortir les 14 membres de sa famille au sens large, avant que la maison ne soit démolie par les bulldozers. Celle-ci, sauf une petite partie, a été rasée. «Nous avons réussi à sauver quelques-uns de nos biens», ajoute-t-il, montrant le petit fauteuil roulant de son neveu handicapé. D'autres n'ont pas eu cette chance.
La tente se remplit maintenant de monde. Cette tente a été fournie après les événements du 10 janvier, dans le cadre du programme d'assistance du CICR en faveur des personnes dont les maisons ont été détruites. Depuis le début de la deuxième Intifada il y a 15 mois, près de 6000 sans-abri ont bénéficié d'une aide. Chaque famille reçoit des couvertures, un assortiment d'articles d'hygiène, un jerrycan et d'autres articles pour le ménage, dont une lampe à gaz qui peut être utilisée pour cuisiner mais fournit aussi de la chaleur et de la lumière.
Pour les personnes (elles sont près de 600) qui ont perdu leur maison dans cette dernière opération – la plus importante du genre dans la bande de Gaza –, l'aide d'urgence, même si elle est la bienvenue, n'est pas suffisante. Certains ont aussi reçu de l'argent de diverses sources et l'utilisent pour louer provisoirement un endroit où vivre. Plusieurs hommes ont envoyé femmes et enfants chez des amis ou dans la famille et dorment quant à eux dans les tentes qui leur ont été données. Celles-ci ont été plantées pêle-mêle sur les bas-côtés sablonneux de la rue principale de Rafah.
                                          
5. Le gouvernement israélien refuse de communiquer des informations sur les "biens meubles" des réfugiés palestiniens par le Centre Juridique pour les Droits de la Minorité Arabe - Adalah
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

28 janvier 2002 - Le 21 janvier, l'avocat de notre organisation - Adalah - a écrit à l'Avocat général israélien Elyakim Rubinstein afin de lui demander de reconsidérer sa décision de ne pas intervenir auprès de l'Hypothèque des Biens des (propriétaires) Absents afin de lui enjoindre de (nous) communiquer les informations en sa possession au sujet des biens meubles (mis sous séquestre) des réfugiés palestiniens. L'Avocat général a repoussé la demande d'Adalah en prétextant que fournir ces informations serait, d'une part, susceptible de porter atteinte aux relations extérieures d'Israël et que, d'autre part, la satisfaction de cette demande d'informations exigerait un temps très long et entraînerait des coûts exorbitants. Adalah a rejeté ces prétextes et a formulé une nouvelle demande de communication d'informations.
Des centaines de milliers de Palestiniens avaient été contraints d'abandonner leurs maisons (et propriétés) par les forces armées israéliennes, au cours de la guerre de 1948. En dépit du fait que nombreux sont les "absents", (puisque c'est ainsi que l'on désigne ces personnes juridiquement), vivant encore de nos jours en Israël, la plupart sont des réfugiés et vivent en dehors du pays. Entre 1948 et 1960, la Knesset a adopté une série de lois qui placent les propriétés des réfugiés sous séquestre de l'Etat. L'une de ces lois, intitulée "Absentee's Property Act" (décret sur la propriété des "absents"), adoptée en 1951, créa la fonction de Garde des propriétés des absents afin de contrôler ce que ces "absents" avaient laissé derrière eux, c'est-à-dire tant leurs propriétés "immobilières" (terrains, bâtiments, etc.) que leurs "biens meubles" (comptes en banque, bijoux, etc.) (Cet équivalent de la Caisse de Consignations française) a transféré la plus grande partie des biens immobiliers à une agence quasi-gouvernementale, l'Autorité de Développement. Cette dernière, à son tour, a transféré la propriété de ces biens à l'Etat, qui les a utilisés principalement afin d'y établir des implantations juives, dont la plupart sont bâties sur des terrains habités, auparavant, par des Palestiniens. Les biens meubles étaient restés, quant à eux, sous la bonne garde de l'instance des hypothèques.
En 1991, un rapport du Contrôleur d'Etat (israélien) a confirmé l'existence de biens meubles de (propriétaires) absents, notamment d'importantes actions boursières, de dépôts bancaires, de placements financiers et d'objets précieux (bijoux). Ce rapport accuse la Caisse de consignation de mauvaise gestion des actions, dont le montant global, d'après une enquête menée dans cinq compagnies dont ces "absents" détiennent des actions, se compte en "dizaines de millions de shekels, au minimum". Beaucoup des actions recensées dans de précédents rapports d'activité annuels des compagnies concernées n'y figurent plus dans les rapports les plus récents et, cependant, la Caisse des consignations s'est avérée incapable d'en expliquer l'évaporation au fil des années. Le rapport indique qu'il est de la responsabilité de la Caisse des consignations non seulement d'assurer la garde des biens des "absents", mais aussi d'en préserver la valeur.
Adalah s'est adressé pour la première fois à la Caisse de consignation des biens des absents le 27 juillet 1998, en lui demandant de fournir toute information sur les biens meubles des réfugiés placés sous son contrôle, en invoquant le caractère public de cette information. En Août 1998, la Caisse opposait un refus. En janvier 1999, Adalah s'adressait à l'Avocat général, lui demandant d'intervenir auprès de la Caisse afin de lui rappeler l'obligation qui lui est faite par la loi de communiquer les informations (publiques) qu'elle détient. Depuis janvier 1999, Adalah est revenu à la charge à quinze reprises auprès de l'Avocat général, afin de s'enquérir des suites données à sa demande d'information. Au début, celui-ci affirma que le problème faisait l'objet d'une enquête. Plus tard, il précisait qu'une information conséquente serait prochainement rendue publique, et demandait à Adalah de s'abstenir d'engager l'action qu'elle disait envisager afin de réclamer l'application du Décret sur la liberté de l'information (1998). Finalement, toutefois, il se rangea à la décision du gouvernement et refusa de déclencher des poursuites afin d'obtenir (de la Caisse des consignations) la publication des informations recherchées.
Par un courrier envoyé le 21 janvier dernier, Adalah conteste la position de l'Avocat général. En ce qui concerne l'argument (invoqué) des relations extérieures d'Israël, Adalah fait valoir que le rapport publié en 1991 faisait déjà état de l'existence des biens en question. A l'argument du temps très long nécessaire et des sommes importantes à engager, Adalah a opposé le fait que sa prise de contact avec la Caisse de consignation remonte à il y a plus de trois ans (1998) et que cette dernière ne s'était jamais réfugiée derrière les prétextes de manquer de temps ou de moyens pour réunir l'information demandée. De plus, comme le rapport de 1991 l'indique, la Caisse de consignation est légalement responsable de la gestion des propriétés dont elle a la garde et donc de la mise à jour régulière des informations les concernant, sans égard au temps nécessaire et aux investissements entraînés par cette obligation. Enfin, Adalah a informé l'Avocat général de son intention d'ester en justice au cas ou celui-ci ne reviendrait pas sur son refus (d'intervenir).
                           
Documents

                                               
Extraits de "Sous Israël, la Palestine" de Ilan Halevi, publié en 1984 aux éditions Le Sycomore
[Ilan Halevi est représentant du Fatah auprès de l'Internationale Socialiste et conseiller politique du Ministère palestinien de la Coopération Internationale.]
                                   
5 - Nous devrons discuter de la Galilée avec le monde entier. Une minorité majoritaire (1976)
C'est sur la Galilée que devaient, au lendemain de la guerre d'octobre 1973, se reporter les efforts des responsables de la colonisation. Déjà avant la guerre, Golda Meïr, qui s'était toujours distinguée par sa science du mot juste, avait confié à la presse israélienne que la démographie galopante des Arabes d'Israël lui donnait des insomnies. Au nombre d'un demi-million aujourd'hui (1978), les Arabes citoyens de l'Etat juif seront un million dans dix ans, et des myriades de petits bébés arabes portant keffieh surpeuplent les nuits blanches de la mère du sionisme. Devant l'éventualité menaçante d'un règlement négocié qui inclurait la reconnaissance de la personnalité politique palestinienne, la question de la minorité arabe en Israël devait revenir au premier plan des préoccupations officielles. Ra'anan Weitz, fils et héritier de Yossef, et aujourd'hui directeur du Département de la colonisation de l'Agence juive, devait déclarer, en mars 1974, dans le journal pro-gouvernemental Davar :
"Si, dans cinq ans, nous ne sommes pas parvenus à créer en Galilée une majorité juive, nous devrons discuter de la Galilée avec le monde entier !"
D'où un nouveau plan de confiscation de terres, et la remise à l'ordre du jour du projet toujours inachevé de "judaïsation de la Galilée". D'où lalutte engagée par la population arabe d'Israël, dont le point culminant fut le Jour de la terre.
Mais bien avant que la Conférence nationale pour la défense des terres arabes n'ait lancé, fin 1975, son premier appel, un haut fonctionnaire zélé, Israël Koenig, préfet de la Galilée, avait entrepris d'alerter les autorités sur la gravité d'une situation dont il résume l'essentiel par ces données statistiques :
"Au centre de la Galilée, les Arabes constituent déjà une majorité de 60 à 65 % de la population ; en 1978, les Arabes représenteront plus de 51 % de toute la population de la région nord du pays."
Se croyant protégé par l'intimité et le secret du circuit administratif, Israël Koenig, employé modèle qui écrit des rapports alarmistes alors que d'autres ne pensent qu'à s'en mettre plein les poches, rédigea un document volumineux qu'il déposa sur le bureau du ministre de l'Intérieur. Sa divulgation, en septembre, par le quotidien du Mapam Al Ha-Mishmar, devait provoquer en Israël un véritable scandale, mais pas la moindre réaction officielle. M. Koenig n'a pas été suspendu de ses fonctions, ni même désavoué, et la presse s'est surtout attachée à dénoncer les organisateurs de la "fuite".
Il convient de lire attentivement le "rapport Koenig" - fenêtre ouverte sur l'intérieur de la tête d'un administrateur colonial israélien, modèle 1976.
                           
LE  RAPPORT  KOENIG
INTRODUCTION  GENERALE
1 - Jusqu'à une époque toute récente, les gens chargés de l'administration de la population arabe en Israël étaient généralement d'accord pour penser que les Arabes avaient pris définitivement leur parti de l'établissement de l'Etat, et se trouvaient, dans leur grande majorité, en bonne voie d'identification avec lui et d'intégration dans ses diverses institutions. C'est ainsi, du moins, que les choses étaient présentées par les responsables et ceux qui sont proches des milieux arabes en Israël.
2 - Dernièrement, certains événements sont venus jeter un doute sur ces allégations, et mettre en question le loyalisme d'une partie importante de la population arabe à l'égard de l'Etat - au niveau de son existence même.
Il est vrai que des doutes avaient déjà été formulés, il y a plusieurs années et pour les raisons exposées plus loin, quant à cette analyse de la situation et à la manière de traiter les Arabes. Mais ces opinions étaient en contradiction avec celle des "arabistes" et ne furent pas retenues.
Il nous semble évident aujourd'hui qu'il y a lieu de discuter sérieusement des axiomes admis, tout récemment encore, comme données de base.
3 - Après la fondation de l'Etat, ce qui restait sur le territoire de population arabe, se trouvait pratiquement sans leadership. Une minorité se trouvait ainsi constituée qui devait s'adapter à la réalité de l'Etat juif - lequel était alors en état de guerre, et de guerre victorieuse, contre les Etats voisins.
Le gouvernement militaire,chargé du contrôle de cette population, fonda sa domination sur des "notables" et pénétra par leur intermédiaire dans la structure de la société arabe, basée sur les clans familiaux. L'abolition du gouvernement militaire eut pour effet d'affaiblir l'autorité de ces notables et de ceux qu'ils représentaient. La disparition progressive de la dépendance de l'individu à l'égard de l'institution (...) a permis à la jeune génération de prendre conscience de sa force, dans le cadre d'une société démocratique et dans une période de mutation où la société arabe passait du modèle agricole à celui d'une société industrielle, avec toutes les conséquences que cela implique sur le plan social.
De plus, la "révolte" de la jeune génération a souvent obligé la génération précédente à rejoindre le camp des rebelles, et c'est l'Etat qui est devenu la cible de leurs attaques, étant donné que rien n'avait été prévu pour assurer de façon adéquate leur dépendance vis-à-vis de la société juive. Il faut dire également que nous avons nous-mêmes encouragé cette tendance, par nos efforts pour attirer, par divers moyens, les rebelles de notre côté.
Au cours des années 1950, la société arabe était totalement dépendante de l'économie juive, qui dut s'ouvrir largement aux Arabes à cause du manque de travailleurs manuels juifs. Il en résultat la création d'une couche de population économiquement solide, sur laquelle reposent maintenant dans une certaine mesure, l'économie et le fonctionnement du pays.
4 - Au moment où fut aboli le gouvernement militaire, l'Etat confia l'administration de la population arabe à des fonctionnaires parlant l'arabe, et choisit comme leaders, pour elle, des gens souvent brutaux, qui assuraient leur situation par leur capacité à obtenir des faveurs pour eux-mêmes et leurs proches. Ce faisant, nous avons négligé de nous occuper des problèmes sociaux qui se posaient dans le secteur arabe, et de prévoir un plan à long terme susceptible de transformer les Arabes en citoyens loyaux.
Le critère adopté pour choisir ceux qui avaient à s'occuper des affaires arabes à tous les niveaux - politique, militaire, policier et civil - était basé sur leur affinité avec la mentalité arabe. Ils ne furent pas toujours distingués pour leur efficacité et leur intelligence - qui était souvent inférieure à celle des gens dont ils avaient la charge - et n'ont pas su garder l'indépendance d'esprit qui leur eût permis d'analyser correctement les symptômes inquiétnts d'une part et de résoudre d'autre part les problèmes de façon objective dans l'intérêt à long terme de la nation juive.
5 - Le district nord, où se trouve concentrée la majeure partie des Arabes d'Israël, apporte, du fait des relations de voisinage et l'imbrication des deux populations, une illustration des problèmes qui se posent aujourd'hui, et des perspectives d'avenir - proche et lointain. L'un des phénomènes les plus inquiétants est l'absence de tolérance manifestée par le Juif moyen à l'égard du citoyen arabe ; dans certains cas, cela peut aller jusqu'à une véritable haine qu'une excitation quelconque peut à tout moment faire déboucher sur une explosion incontrôlée des deux côtés, avec toutes les conséquences néfastes que cela suppose, dans le pays même comme à l'étranger.
Un facteur déterminant de la cristallisation de cet état d'esprit passionnel dans la population juive a été la rupture, dans les régions du Nord, de l'équilibre démographique au profit des Arabes - ce que chaque Juif ressent individuellement, avec une sorte d'angoisse.
Nous nous proposons ici d'aborder les points suivants :
1 - Le problème démographique et les diverses expressions du nationalisme arabe.
2 - La nature du leadership arabe et ses conséquences.
3 - L'économie et l'emploi.
4 - L'éducation.
5 - L'application de la loi.
                                   
1 - PROBLEME DEMOGRAPHIQUE ET EXPRESSIONS DU NATIONALISME ARABE
1 - Le taux de croissance de la population arabe en Israël est de 5,9 %, tandis qu'elle est de 1,5 % pour la population juive.
Le problème se pose avec une particulière acuité dans la région Nord, où se trouve concentrée une grande partie de la population arabe. Vers le milieu de 1975, cette population comptait dans cette région 250 000 âmes, tandis que la population juive se montait à 269 000 personnes. Un examen détaillé de ces données, par circonscription, montre que les Arabes représentent en Galilée occidentale 67 % de la population totale, et 48 % dans la vallée de Jézréel. (Les deux communautés se sont accrues dans ces régions, pour l'année 1974, de 759 personnes du côté juif, et de 9 035 du côté arabe.)
A un tel rythme de croissance, les Arabes peuvent constituer en 1978 plus de 51 % de la population de cette région.
Face à cette situation, les nationalistes arabes ont l'impression - et c'est aussi la mienne - que leur taux de croissance en Galilée est une menace pour notre capacité à contrôler la région, et ouvre des possibilités de pénétration éventuelle à des forces militaires venues du Nord, en même temps qu'il renforce le nationalisme des Arabes d'Israël.
2 - Cette vague de nationalisme dans la population arabe israélienne date de la guerre des six jours. La politique d'échanges avec la Cisjordanie, de ponts ouverts avec la Jordanie, a favorisé les contacts entre les Arabes de Judée et de Samarie, les Palestiniens de Transjordanie et les Arabes d'Israël, ce qui les incite à relever l'échine et à se rassembler autour de slogans nationalistes dirigés contre Israël. Ce processus, qui était inévitable, a encore été renforcé par le résultat de la guerre du Kippour et les événements qui ont suivi, et se sont traduits par la reconnaissance de l'OLP comme porte-drapeau de la lutte en ce qui concerne le problème palestinien. Récemment, on a même commencé à évoquer la résolution de l'O.N.U. de 1947, concernant les frontières d'Israël, et selon laquelle une grande partie de la région Nord n'était pas incluse dans les limites de l'Etat.
L'Arabe israélien a cessé d'être passif : il est passé à un stade du nationalisme qui s'est exprimé, de façon surtout verbale, dans des occasions telles que :
- la visite du Premier ministre à Nazareth, il y a environ un an ;
- l'adoption de slogans exprimant l'identification avec l'OLP, au cours de manifestations étudiantes et en d'autres occasions ;
- la prise de position des étudiants arabes dans les universités à propos de la question des tours de garde ;
- les manifestations nationalistes au moment des élections municipales à Nazareth ;
- la mobilisation exceptionnelle et imprévue des habitants de Nazareth pour payer leurs arriérés d'impôts locaux afin d'aider le Rakah dans sa gestion de la ville ;
- le meeting de protestation organisé dans le village de Sakhnine, le 14 février 1975, au cours duquel le président du conseil local de Tamra a déclaré qu'Israël "avait lieu de craindre les Arabes d'Israël plus encore que ceux de l'extérieur" ;
- les décisions adoptées au cours d'un meeting à Nazareth, le samedi 6 mars 1975 :
a) proclamation d'une grève générale de toute la population arabe d'Israël pendant une journée intitulée "journée de la Terre",
b) appel à la population arabe, lui enjoignant de ne pas se contenter d'une protestation passive, mais de "protester en luttant, et de ne cesser la lutte qu'une fois la victoire acquise",
c) grève de la faim devantle siège des Nations Unies, comme certains le font à propos des Juifs d'URSS,
d) déclaration selon laquelle "le gouvernement est dans une maison de verre et nous serons les premiers à jeter des pierres pour la briser",
e) déclaration du président du conseil local de Me'iliyye, Mass'ad Qassis, pourtant considéré comme un élement positif, et qui avait été élu sur une liste apparentée au Parti du travail : "De quel droit le gouvernement peut-il se prévaloir pour confisquer des terres dans une région qui, selon le Plan de partage de l'O.N.U. en 1947, ne faisait pas partie du territoire israélien ?"
Ce sont là les signes d'une évolution relativement récente, qui reflètent la volonté d'une partie déterminante de la population arabe de manifester contre l'establishment et l'administration israélienne, fût-ce verbalement - et qui marquent une aggravation certaine en regard du comportement de cette population par le passé.
Les victoires internationales des Palestiniens et les progrès du nationalisme arabe en Israël même, soulignent la nécessité de prendre à bras-le-corps le problème arabe, qui ne cessera de s'aggraver tant que le Rakah sera le seul parti à canaliser l'opposition à l'establishment. (Il faut se souvenir que le mot "Israël" ne figure pas dans le sigle du Rakah, et ce n'est pas le fait du hasard).
PREVISIONS
a) La croissance rapide de la population arabe (qui est passée de 150 000 en 1948 à 430 000 en 1975) renforce ce nationalisme et donne aux Arabes l'impression que le temps travaille pour eux. C'est le cas en particulier dans le nord du pays, où leur présence physique s'impose avec continuité sur de larges zones.
b) La conquête par le Rakah d'institutions "para-gouvernementales" telles que les conseils locaux confère une base légale à une activité politique nationaliste, qui est menée ouvertement et clandestinement, selon les méthodes qui étaient en usage parmi les colons juifs avant la création de l'Etat, ou les méthodes communistes éprouvées dans le monde entier. En fait, bien que le Rakah soit en mesure de contrôler dès à présent un certain nombre de conseils locaux, il se garde délibérément de faire valoir son pouvoir, faute de cadres et d'organisation suffisants. A notre avis, les étudiants originaires des villages du Nord, qui, de plus en plus nombreux, vont faire leurs études dans les pays d'Europe orientale avec des bourses du Rakah, sont destinés à devenir ces futurs cadres.
c) Il existe un danger sérieux que, dans la décennie à venir, les Arabes prennent le contrôle, démographiquement et politiquement, de St-Jean d'Acre et de la région de Nazareth.
d) Il faut envisager la possibilité de voir, à un certain stade de cette activité politique hostile à l'Etat, surgir la revendication d'un référendum dans le nord du pays où la population arabe est majoritaire. Cette action serait téléguidée de l'extérieur, mais elle pourrait être soutenue par des gauchistes nationalistes au sein de la population juive elle-même.
e) On peut également s'attendre à ce qu'à un moment donné, le Rakah ou les nationalistes se livrent à des provocations, dans le but de susciter une explosion de la part d'éléments juifs incontrôlés et de créer ainsi une situation qui introduise le problème de la situation des Arabes en Israël dans les forums internationaux, et oblige les éléments arabes modérés à s'identifier aux extrémistes, à l'intérieur et à l' extérieur de l'Etat.
f) On peut déjà discerner une action concertée des Arabes pour l'achat de biens immobiliers dans la région Nord. Le fait est flagrant à Nazareth-la-haute (Nazareth Ilith) et à St-Jean d'Acre, et des signes inquiétants existent dans la vallée de Jézréel.
PROPOSITIONS
a) Elargir et intensifier la colonisation juive dans toutes les régions où la population arabe est installée d'une manière continue, et examiner les possibilités de clairsemer les concentrations arabes déjà existantes. Une attention toute particulière doit être apportée en ce domaine aux zones qui jouxtent la frontière nord-ouest et à la région de Nazareth. Parallèlement, il importe d'appliquer rigoureusement les lois qui peuvent empêcher l'établissement de colonies arabes dans diverses parties du pays.
b) Dans le même temps, mettre en place, à St-Jean d'Acre et à Nazareth-la-haute (Ilith), un leadership juif capable de faire face aux développements inquiétants que nous venons d'exposer.
c) Instaurer une politique de récompense et de sanctions (dans le cadre de la loi) à l'égard des responsables et des localités qui manifesteraient, d'une manière ou d'une autre, leur hostilité à l'égard de l'Etat ou du sionisme.
d) Pour retirer des mains du Rakah le monopole de la lutte nationale et de la représentation des Arabes d'Israël, et pour donner aux hésitants un moyen d'expression, il faut créer un parti, qui serait le symétrique du Parti du travail, et insisterait sur les notions d'égalité, d'humanisme, de culture et de langue, et de la paix au Moyen-Orient. Les institutions israéliennes doivent se préparer à exercer une présence occulte et le contrôle dans ce parti.
e) Etablir et maintenir une coordination constante et absolue entre les divers ministères, la Histadrouth et les autorités locales, en particulier à l'échelon opérationnel sur le terrain, et appliquer les décisions prises d'une manière implacable.
f) Déployer tous les efforts possibles pour amener tous les partis sionistes à s'entendre sur un consensus national au sujet des Arabes d'Israël, afin de les exclure des conflits politiques internes.
2 - NATURE DU LEADERSHIP ARABE ET SES CONSEQUENCES
1 - La population arabe qui est restée dans le pays après la création de l'Etat s'est trouvée transportée au sein d'une société juive démocratique et ouverte, mais elle ne s'y est pas intégrée, en ce qui concerne les modes de pensée, les coutumes et l'ouverture vers l'extérieur. Ceux des Juifs à qui fut confiée la charge de cette population, dans le but de lui inculquer la loyauté à l'égard de la société juive, échouèrent dans leur tâche. Tout semble au contraire indiquer qu'on a maintenu cette population dans une situation isolée et marginale, tout en sollicitant, d'une manière "sélective", ses attentions et ses bonnes grâces.
Mais dans le même temps, on parlait du matin au soir d'égalité et d'intégration : un langage qui était contredit par les actes. Une telle politique ne tenait pas compte du caractère arabe, levantin et superficiel, qui ne va pas au fond des choses, et dans lequel l'imagination joue un rôle plus important que l'exercice de la raison.
Cette politique ambiguë et contradictoire a trouvé son expression la plus frappante dans la manière de nommer les représentants et les dirigeants de cette population. On n'a vu jusqu'ici aucune personnalité arabe positive accéder à un poste qui dépasse le niveau local.
La société arabe en Israël, aux prises avec un processus laborieux de mutation qui fait passer au stade industriel cette société de type agricole, était hiérarchisée depuis des générations. Et dans le même temps, elle voit se désintégrer ses structures familiales, religieuses et sociales, et subit les difficultés qui se posent à l'échelon national.
Cette incertitude est grave, et elle place chaque individu devant des options qui peuvent être d'une importance cruciale. Une société en pareille mutation a besoin de dirigeants qui sachent donner l'exemple, et soient capables de répondre à ceux qui se posent des questions, et de les orienter vers des solutions raisonnables, sur le plan de la vie publique comme sur celui de la vie personnelle.
Or jusqu'ici, nous l'avons déjà dit, tels n'étaient pas les critères utilisés pour choisir ces dirigeants, et c'est souvent aux gens les plus brutaux, les plus "forts en gueule" et parfois les moins honnêtes qu'on a confié le soin de représenter les Arabes d'Israël.
2 - La seconde génération, qui a grandi dans la société israélienne et qui tente, même de façon superficielle, d'adopter le mode de vie israélien, ne peut que rejeter de tels dirigeants. Des indices de cette attitude étaient déjà perceptibles il y a dix ans, et il eût alors été du devoir des "préposés" de dégager des personnalités qui soient à la fois acceptables pour cette jeune génération, et loyales à l'égard de l'Etat. Qu'une telle négligence soit le fait d'une incapacité ou d'un calcul, ses conséquences risquent d'être catastrophiques. Le dégoût qu'inspirent les gens choisis pour être des leaders est l'un des facteurs principaux de la détérioration que nous constatons aujourd'hui (voir les élections de Nazareth).
PREVISIONS
a) Le conflit entre ceux qui détiennent les titres de toutes sortes et la génération rebelle ira en s'approfondissant, tandis que les premiers tenteront de s'accrocher à l'establishment, à la Histadrouth et aux partis.
b) Il en résultera que la lutte pour le pouvoir et le prestige se transformera en lutte contre le régime et l'Etat, la majorité des Arabes passant de plus en plus dans le camp de la rébellion.
c) Les éléments hostiles exploiteront au maximum cette crise interne ; ils s'appuieront sur elle pour mener leur combat, et on en verra les répercussions dans les divers forums, en Israël et à l'étranger, où elle sera présentée comme une lutte sociale et nationale.
d) A notre avis, si cette détérioration se poursuit, au rythme actuel, le Rakah pourra gagner dix sièges aux prochaines élections à Nazareth.
PROPOSITIONS
a) Agir avec audace, et écarter la plupart de ceux qui sont actuellemetn chargés des affaires arabes, dans l'appareil d'Etat, la police et les partis, y compris au niveau des centres de décision politique.
b) Se débarrasser des actuels leaders arabes, qui ne représentent pas authentiquement la population arabe, et insister sur le fait que l'establishment ne s'identifie pas à eux.
c) Ceux qui seront chargés des affaires arabes devront se mettre immédiatement à la tâche, pour trouver de nouvelles personnalités, d'un niveau intellectuel convenable, qui soient honnêtes, et douées de qulaités charismatiques. Ils devront les aider à mettre sur pied le parti arabe mentionné plus haut.
d) Charger une équipe spéciale (Services de renseignements généraux) de faire des enquêtes sur la vie personnelle des dirigeants du Rakah et autres éléments négatifs, et porter à la connaissance des électeurs le résultat de ces enquêtes.
e) Prendre des mesures individuelles contre toute personnalité négative, à tous les niveaux et dans toutes les institutions.
3 - ECONOMIE ET EMPLOI
1 - La population arabe n'a pas été laissée à l'écart du développement et de la prospérité croissante dont jouit la population israélienne depuis la création de l'Etat. L'amélioration de la situation pour les Arabes est d'autant plus sensible que ce sont les plus pauvres qui sont généralement restés sur le territoire israélien après les hostilités de 1948-1949. Le fossé qui existe entre l'offre et la demande de main-d'oeuvre dans toutes les branches de l'économie - surtout dans le bâtiment, les garages, et les métiers manuels en général - et la dépendance où se trouve le pays à l'égard de cette main-d'oeuvre, ont suscité chez les Arabes un sentiment de leur puissance qui a utilisé par les éléments hostiles au régime.
2 - L'entraide qui unit les différents membres d'une famille, et le peu d'intérêt manifesté par les Arabes pour des investissements productifs une fois qu'ils ont atteint un niveau de vie moyen, sont des facteurs qui ont contribué à l'accumulation entre leurs mains d'un surplus de capital liquide considérable, qui est généralement dissimulé aux autorités fiscales.
Il faut souligner ceci : alors que la population arabe en Israël constitue aujourd'hui 14 % de la population totale, et qu'elle n'est pas touchée par l'interruption de travail consécutive au service militaire de trois ans, le total des impôts qu'elle paye ne dépasse pas 1,5 % du total des impôts perçus en Israël.
La composition de cette population par couche d'âge est également importante : plus de la moitié est composée de jeunes en âge de travailler. Il faut ajouter à ces facilités les allocations de l'Etat aux familles de plus de deux enfants, ce qui est le cas de 95 % des familles arabes en Israël.
3 - Un autre sujet d'inquiétude existe dans la région Nord, en raison de la grande concentration de population arabe : les usines construites à l'aide d'investissements énormes de l'Etat, afin d'accroître la population juive dans cette région, emploient en fait une proportion de 25 à 50 % d'Arabes.
Les diverses assurances, économiques et sociales, qui libèrent l'individu et la famille du souci de la subsistance et des pressions quotidiennes, donnent aux Arabes le loisir de se livrer à des réflexions sociales et nationalistes qui sont exploitées par les éléments hostiles à des fins d'agitation, en même temps qu'elles leur confèrent un sentiment de puissance qui augmente leurs velléités de révolte.
PREVISIONS
a) La concentration de capital - généralement "noir" - détenu par les Arabes, et que l'on peut évaluer à plusieurs centaines de millions de livres israéliennes, porte un préjudice à l'économie tout entière, mais il risque en plus de fournir une réserve pour les collectes de fonds qui pourront être effecutées un jour, par des organisations hostiles (nous avons déjà mentionné l'auto-mobilisation des habitants de Nazareth pour aider la nouvelle municipalité).
b) La proportion croissante d'ouvriers arabes dans les usines risque d'accentuer la tension entre Juifs et Arabes, et de déboucher sur des incidents violents et incontrôlables. Il existe également une possibilité que le Rakah prenne le contrôle des comités d'entreprise.
c) Ce contrôle arabe renforcé sur certaines branches de l'économie augmente les possibilités de grèves, de refus de coopérer, qui présentent pour l'Etat un sérieux danger, à la fois économique et politique.
d) On peut s'attendre à des difficultés grandissantes dans le recrutement de la main-d'oeuvre juive, spécialement dans le Nord, où existe le plus impérieux des besoins d'accroître la population juive de toutes catégories sociales.
PROPOSITIONS
a) Chercher à conclure, dans les régions névralgiques, des accords adéquats avec les dirigeants des entreprises répondant aux normes fixées par la loi sur les investissements de capitaux, afin d'obtenir d'eux qu'ils limitent le nombre total des travailleurs arabes dans leurs entreprises à 30 % au maximum.
b) Que les autorités locales prennent des mesures énergiques et immédiates pour renforcer leurs moyens de contrôle et de perception des impôts, sans dérogation.
c) Parvenir à un accord avec les principaux agents de distribution de différents produits, pour neutraliser les distributeurs arabes (surtout dans le Nord), et rendre cette activité plus difficile d'accès pour eux, afin d'éviter que la population juive ne dépende d'eux, surtout en période de tension et dans une situation d'urgence.
d) Le gouvernement doit trouver le moyen de réduire le montant des allocations familiales aux familles nombreuses arabes, soit en indexant ces allocations sur les situations particulières, soit en retirant le soin de les distribuer aux services de l'Assurance nationale pour le confier à l'Agence juive et à l'Organisation sioniste mondiale, qui les réserveraient exclusivement aux familles juives.
e) Faire en sorte que les institutions centrales donnent toujours la préférence aux Juifs sur les Arabes, qu'il s'agisse de groupes organisés ou d'individus.
4 - EDUCATION
1- Les changements les plus voyants et les plus décisifs interenus dans la mentalité et le comportement des Arabes sont le résultat de l'extension du système d'éducation à cette population.
L'amélioration de la situation économique, ainsi que les garanties sociales octroyées aux individus et aux familles ont en effet favorisé un accroissement du nombre d'élèves arabes dans les lycées et les établissements d'enseignement supérieur. Ce processus a lui-même stimulé l'application du régime de remboursement graduel des frais d'études (jusqu'à 66 %) dans les lycées. La politique d'aide financière et d'attribution de bourses d'études aux étudiants des universités a eu pour effet de mettre à la disposition des mouvements nationalistes, comme éléments activistes, des jeunes possédant une certaine instruction - même superficielle et provinciale. Nous en avons eu la preuve avec les événements récemment survenus dans les universités. Les responsables de ce secteur auraient dû prévoir cette éventualité. Il importe aujourd'hui de coordonner de façon rigoureuse l'action des diverses institutions et d'envisager les mesures à prendre à l'égard des candidats aux différents diplômes.
2 - L'adoption de critères de faveur pour l'admission des étudiants arabes dans les établissements d'enseignement supérieur, et l'orientation qui leur est donnée le plus souvent (sciences humaines, sciences politiques et sociales), jointes à un manque de prévision, quant aux difficultés pour la plupart d'entre eux de trouver un emploi, ont créé un large secteur d'"intellectuels" frustrés, qui éprouvent un grand besoin affectif de s'exprimer, et qui le font en s'opposant à l'Etat et à l'establishment israélien.
C'est là un problème d'autant plus sérieux que le nombre des diplômés d'universités dépasse 5 700, et que plus de 2 500 étudiants arabes sont actuellement dans les établissements d'enseignement supérieur.
PREVISIONS
a) La difficulté de reconnaître l'infériorité professionnelle accentuera ce sentiment de frustration, tandis que le nombre des étudiants arabes augmentera à un rythme de plus en plus rapide.
b) Etant donné le caractère levantin des Arabes et la dynamique sociale que nous venons d'évoquer, on peut s'attendre à ce que cette société passe du stade de l'intériorisation à celui de la manifestation extérieure, et de là à la violence. Les premiers signes de cette évolution sont déjà visibles.
c) On verra alors se lever l'étendard de la lutte sociale et nationaliste, avec la proclamation d'une identification à l'OLP, et même à des organisations plus extrémistes.
d) Certains de ces éléments, issus de la société locale la plus évoluée, qui ont grandi en son sein et possèdent des qualités de chefs, ont toutes les chances de s'imposer.
e) Il ne faut pas se dissimuler que l'Etat éprouvera de grandes difficultés avec eux dans les périodes critiques, étant donné leur prestige personnel.
PROPOSITIONS
a) Adopter les mêmes critères pour les Juifs et les Arabes, à la fois pour l'admission dans les lycées et les universités, et pour l'attribution des bourses d'études. L'application de ces normes, à elle seule, constituera une forme de sélection naturelle, qui diminuera sensiblement le nombre des étudiants arabes. Il en résultera une diminution du nombre de diplômés de bas niveau, et il sera plus facile de les intégrer sur le marché du travail à la fin de leurs études...
b) Il faut favoriser l'orientation des élèves arabes vers les études techniques, les sciences exactes et les sciences naturelles. Ce genre d'études laisse moins de temps et de loisir pour un engagement au service de la cause nationaliste, et un grand nombre d'entre eux abandonneraient leurs études en cours de route.
c) Il faut encourager ceux qui partent faire leurs études à l'étranger, et augmenter pour eux les difficultés à rentrer et à trouver du travail en Israël. Cette politique est susceptible de favoriser leur émigration.
d) Prendre des mesures rigoureuses - de diverse nature - contre tous les agitateurs qui sévissent dans les universités.
e) Prévoir des débouchés pour la majorité de ceux qui sortiront des écoles, en fonction de leurs capacités. On peut commencer à y penser, étant donné le délai de plusieurs années qui sera nécessaire pour élaborer cette politique et l'appliquer dans ses différentes étapes.
5 - L'APPLICATION DE LA LOI
1 - D'une façon générale, l'application de la loi a pour but de faire prévaloir l'intérêt général sur celui des individus. Dans le domaine qui nous occupe, le souci de la sécurité intérieure du pays et de tout ce qui s'y rattache constitue l'intérêt national majeur pour les Juifs.
La mise en vigueur des lois de l'Etat dans une société en formation comme celle d'Israël demande de la souplesse, de la prudence et du bon sens. Mais il faut, en même temps, que l'exécutif chargé de l'application des lois dans le secteur arabe remplisse sa tâche de façon à éviter une dégradation de la situation.
Nous avons déjà mentionné la façon dont on a traité jusqu'ici cette population, et l'ambivalence des mesures prises en ce domaine. Les Arabes ont pris conscience, à partir de faits concrets, qu'il est possible de contourner la loi en Israël, à condition d'avoir de bonnes relations avec les gens bien placés. Un tel comportement représente certes un grave préjudice pour l'intérêt public ; mais en plus, les Arabes voient le signe d'un affaiblissement du régime dans le fait qu'il soit amené à faire des concessions quand les pressions s'exercent sur lui de façon continue (on pourrait citer de nombreux exemples).
2 - Il est difficile d'obtenir une explication raisonnable sur le bas pourcentage des impôts de toutes natures prélevés sur la population arabe. La même situation se retrouve dans le domaine de la construction, où la non-application de la loi peut entraîner une grave menace pour la sécurité dans de larges zones au nord et dans le centre du pays.
Il faut tirer les leçons des expériences faites dans d'autres pays où vivent des minorités nationales : un libéralisme incontrôlé produit le résultat inverse de celui qu les "libéraux" recherchent. Cette règle s'applique tout particulièrement à une population comme la minorité arabe d'Israël.
PREVISIONS
a) Dans une société qui repose sur la loi, la non-application de celle-ci par les autorités introduit une dynamique de la délinquance qu'il est très difficile d'enrayer par la suite.
b) Il faut prendre garde à l'éventualité que, dans l'avenir, de nombreux Juifs puissent, pour des raisons diverses, soutenir la population coupable d'infractions, et dénoncer comme "oppression" les tentatives de remettre la loi en vigueur.
c) Il faut être attentif au fait que le pourcentage de la population arabe (14 %) peut transformer la portée de simples contraventions en véritable rébellion.
d) Des éléments qui nous sont hostiles ne manqueront pas de présenter comme des actes d'oppression nationale l'application de la loi.
PROPOSITIONS
a) Expliquer clairement à ceux qui seront chargés de l'administration du secteur arabe qu'ils ne doivent pas fermer les yeux sur les transgressions de la loi.
b) Prendre des mesures judiciaires contre les fonctionnaires et les institutions qui ne font pas leur devoir en appliquant les lois.
c) Ouvrir des instructions, et faire passer quelques jugements par les tribunaux, en particulier dans le domaine du prélèvement de l'impôt et de la construction illégale, afin de dissuader la population de chercher à tourner la loi.
d) Intensifier la présence des forces de police et de sécurité de toute nature dans le secteur arabe, afin d'intimider les extrémistes et les hésitants qui risquent de se laisser entraîner à des actions de rébellion et des manifestations.
                                                   
Revue de presse

                                               
1. Quelles alternatives, pour l'Autorité palestinienne ? par le Dr. Khalid Abdallah
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 29 janvier 2002
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

(Le Dr. Khalid Abdallah est ancien président du bureau de la Ligue arabe à Washington.)
A chaque apparition d'un responsable palestinien sur les télévisions satellitaires arabes ou autres, on rebat les oreilles des téléspectateurs avec l'idée convenue que Sharon n'aurait pas de programme politique, et que la seule option qui lui resterait serait l'option militaire. Cette affirmation entraîne la déduction qu'il faudrait être bien peu avisé et avoir la vue bien courte pour tomber dans le piège de ses provocations. Il est heureux que certains des tenants de cette idée n'aient pas succombé à la tentation de demander aux Palestiniens d'élever des drapeaux blancs au-dessus de leurs maisons et de leurs immeubles officiels, concrètement et non pas seulement métaphoriquement, comme on a pu le leur suggérer dans le quotidien israélien Ha'Aretz "afin de faire tomber Sharon et d'obtenir leur Etat indépendant"... Mais à l'examen, on est frappé par la nullité de cette "grande idée" tant sur le plan de la forme que du fond.
Sharon A un programme politique, et la puissance militaire qu'il utilise, fût-ce sur une échelle différente, nouvelle, n'est pas autre chose que la continuation de la méthode fondamentale d'Israël pour atteindre ses buts. Israël a imposé son existence, puis il a parachevé son occupation et son hégémonie sur la Palestine et d'autres contrées arabes grâce à sa puissance militaire, et non pas grâce à la puissance de son économie, de sa diplomatie, ou de sa propagande. Il s'agit, pour ces derniers points forts, d'éléments qui ont boosté sa puissance militaire, en même temps qu'ils ont servi à "légitimer" l'occupation et à la pérenniser. Mais, pour Israël, la puissance militaire a, de tout temps, été fondamentale. Dire que Sharon n'a pas de programme politique risque de contribuer à faire oublier le fait qu'Israël est, dans sa globalité, un camp militaire aux tanks chenillés, et pourrait amener à croire qu'il y aurait des différences entre les gouvernements israéliens successifs - différences démenties par les faits et contredites par les réalités. En effet, le briseur d'os d'enfants Rabin et le boucher de Cana Pérès (tous deux, "pourtant" travaillistes) se sont illustrés dans l'utilisation de la force armée. Tout au plus, ce qui a plaidé en leur faveur dans les médias, est leur grand sens des relations publiques. L'appartenance du parti Travailliste israélien à l'Internationale socialiste a joué, par ailleurs, un rôle non négligeable dans l'apaisement des critiques des forces de gauche européennes vis-à-vis de ce parti, certains des partis socialistes européens ne se contentant pas de fermer les yeux, allant même jusqu'à soutenir le dit parti Travailliste...
Le programme de Sharon est celui de tous les gouvernements israéliens, tant travaillistes que Likoud. Mais ce programme (fondamentalement israélien) unique et constant a été présenté au monde comme susceptible d'apparaître sous deux formes différentes : une version travailliste et une version Likoud. Les médias occidentaux ont fermé les yeux, dans leur grande majorité, sur les similitudes fondamentales entre les deux formations (et les deux versions DU programme) en ce qui concerne Jérusalem, le droit au retour des réfugiés palestiniens et le concept de souveraineté palestinienne. Ils ont insisté sur des différences de seconde importance (entre elles), telle la divergence sur la superficie des terres qui seraient rétrocédées aux Palestiniens ou le distinguo entre colonies politiques et colonies sécuritaires, alors que tout le monde sait pertinemment que toutes les colonies sont avant tout sécuritaires, tout au moins selon la définition qu'Israël donne de ce concept... L'équipe d'Oslo a œuvré, dans le monde arabe, avant même l'"éclosion" des accords d'Oslo, à faire oublier la similarité/identité entre les deux alternatives, exagérant les différences micrométriques supposées les "séparer", afin de préparer la suite. La brutalité de Sharon, ses diktats qu'il sème en n'oubliant pas de semer, en même temps, les raisons de leur échec, ont pour lui un sens. Sharon vise, à travers eux, un objectif, même s'il se délecte visiblement du fait même de pouvoir les imposer et même s'il se repaît de leur impitoyable cruauté. Son but, c'est d'imposer LE programme israélien, sous la forme clintonienne ou sous la forme sharonienne, voire sous la forme de tous les dosages entre les deux. Le paysage international de l'après onze septembre représente pour lui un riche pâturage où il peut évoluer à sa guise, sans même se faire réprimander. Il a même acquis de nouveaux alliés, convaincus, intimidés ou terrorisés. L'Amérique républicaine lui a donné, dès ses débuts, le feu vert : il a la permission de tenter sa chance et d'essayer d'imposer sa (la) solution. Puis les événements ont amené Washington a lui laisser la bride sur le cou : elle s'est mise à le défendre face aux critiques dont il est l'objet, après s'être contentée de le protéger contre toute condamnation... L'identité des positions entre travaillistes et Likoud, cessant d'être discrète, est devenue criante. Certains gouvernements arabes sont passés de la pratique-amateur de la médiation à un grand professionnalisme dans l'exercice de la pression politique : d'aucuns (particulièrement zélés) semblent prêts à déclarer la guerre aux Palestiniens...  La clique d'Oslo s'est employée à appeler à faire ce que réclame Sharon sous couvert de lui "casser la barraque", alors qu'en réalité, affolée à l'idée de perdre ses sinécures récoltées dans les vergers d'Oslo, elle salive à la perspective des parts du butin qu'elle pourrait recevoir d'un Etat palestinien "à la Sharon".
La stratégie de Sharon est transparente pour qui craint Dieu en la déchiffrant et lisible pour qui ne perd pas son peuple de vue. Elle consiste à imposer la solution israélo-américaine, i.e. la guerre civile intra-palestinienne.
De là, le danger du discours officiel palestinien, selon lequel Sharon n'a(urait) pas de programme politique. En effet, faire face à une campagne militaire dont les objectifs sont précisément définis exige une stratégie qui diffère radicalement de celle que requiert la confrontation avec un boucher massacrant à l'aveugle, sans savoir où il va. C'est pourquoi se tourner vers l'Amérique est aussi une démarche vaine et quelque peu stupide, étant donné que le rôle américain est partie constituante de la stratégie sharonienne. Cela revient à danser au rythme du tango israélien. Ce discours a renforcé le rôle arabe négatif dès lors que l'Autorité palestinienne, tout au moins certaines de ses composantes, s'est mise depuis quelque temps à prier les instances arabes et islamiques d'exiger d'elle (d'elle-même !) un cessez-le-feu ! Cela n'a pu qu'inciter certains partenaires arabes à afficher l'ignorance dans laquelle elles tiennent l'intifada palestinienne, voire leur opposition à celle-ci. 
Se retourner vers l'Europe revient à tirer une flèche du même carquois, celui de ce même discours qui cherche à s'abriter du mal en demandant de l'aide à ses instruments. L'Europe n'est pas la concurrente des Etats-Unis dans le monde que l'on dit : certainement pas, en tous les cas, au Moyen-Orient. Elle ne représente pas plus qu'une zone de libre-échange qui a abandonné la région moyen-orientale au bon vouloir des Américains. Et bien, qu'elle ne soit pas la concurrente des Etats-Unis, elle n'adopte pas pour autant nécessairement toutes les positions prises par les Américains, ou en tous les cas, elle n'en adopte pas systématiquement tous les détails. Ces deux positionnements entraînent pour elle deux rôles clairement définis. L'absence de concurrence implique la complémentarité entre Europe et Etats-Unis, et la non adoption systématique des mêmes positions par les deux blocs appelle l'intervention (de l'Europe, auprès des Etats-Unis, ou vice-versa) à des fins de modération et d'édulcoration des positions adoptées par ceux-ci. Ainsi, lorsque l'Amérique durcit sa position, nous voyons une Europe suiviste exercer des pressions, comme cela s'est passé récemment, afin d'imposer la vision américaine des choses. Mais lorsque l'Europe se rend compte que la politique américaine est susceptible de susciter des troubles, elle s'empresse de sauver les meubles et de calmer le jeu. Dans les deux cas de figure, elle ne peut outrepasser les frontières de la politique américaine.
Même si elle a pu paraître absorber les chocs reçus d'Israël, la politique de l'Autorité palestinienne se conforme aux lois sharoniennes. Si son objectif est d'éviter l'invasion israélienne que les Israéliens veulent faire passer pour imminente, elle permet à Sharon d'accumuler les succès dans le long terme. Cela est devenu patent, les nouvelles conditions de l'ultimatum israélien correspondant au niveau où en étaient arrivées celles de l'ultimatum israélien précédent. De même, la communauté internationale se mêle ouvertement de ce que l'Autorité palestinienne doit faire au lieu de se contenter de réfléchir au fondement du problème et aux moyens d'y trouver une solution, absolument nécessaire. Cette alternative a fini par conduire à la mise en prison de la direction palestinienne et à son humiliation, auxquelles elle a elle-même participé. Elle aboutira au rejet de celle-ci par son peuple. La direction palestinienne ne devrait pas s'illusionner en voyant le peuple resserrer les rangs autour d'elle : ce "soutien populaire" ne vise, en tout et pour tout, qu'à une seule chose : défier Israël. Bien plus : la seule planche de salut pour cette direction (tout du moins, sur le plan moral) réside en une politique contredisant totalement ce à quoi elle a été habituée et ce qu'elle a appliqué jusqu'ici. L'option alternative actuelle, centrée essentiellement sur le pari sur l'Amérique, l'Europe et leurs alliés arabes, ne donnera à l'autorité palestinienne, en matière de récolte, que les chardons et les cactus du programme de Sharon. A cette échéance, le président palestinien se sera condamné, et pas seulement moralement. Israël n'aura plus besoin de lui, la clique d'Oslo ne verra plus d'intérêt à son maintien au pouvoir, car sa mise à l'écart lui permettra de recueillir les fruits de l'étape nouvelle.
Quelle alternative ? En existe-t-il une ? Ce n'est certainement pas de déclarer la guerre à Israël, car cela est au-dessus des forces de la direction palestinienne. L'alternative, c'est une résistance refondée, ce qui nécessite la réunion de plusieurs conditions. La première est une direction palestinienne qui soit composée de toutes les factions palestiniennes, réunies dans le but de la poursuite de l'Intifada, selon des règles qui prennent en considération celles qui régissent la nouvelle scène internationale. Deuxième condition : que cette confédération trouve sa traduction dans le cadre de l'Autorité, ce qui implique la mise à la retraite de la clique d'Oslo. Troisième condition, que tous les services de sécurité soient fondus en un appareil de sécurité unifié qui reflète lui-même la nature de la nouvelle union. Quatrième condition, qu'un programme politique soit adopté par acclamation et proclamé à la face du monde, qui affirme le respect de la légalité internationale, en particulier le droit au retour des réfugiés. Cinquièmement, faire endosser aux gouvernements arabes leur responsabilités, en toute clarté. Ils pourront manifester leur irritation, dans un premier temps, mais ils ne tarderont pas à comprendre les dangers qu'il y aurait à persister à les ignorer, dans une région sous laquelle bouillonne la lave, dont on ignore en quel point particulièrement fragile de la croûte terrestre elle est susceptible de faire irruption. Il y a d'autres conditions encore, avec leurs alternatives respectives, mais toutes reviennent, fondamentalement, à la nécessité de faire le ménage dans la maison Palestine. Cette alternative n'entraînera pas d'autres victimes que les individus et les institutions qui ont contribué à faire du peuple palestinien une victime. L'autre sacrifice qu'elle implique découle du fait que la direction palestinienne devra se débarrasser de ses mauvaises habitudes en matière de nomination d'hommes douteux et de consécration de la corruption.
Le ménage dans la maison Palestine a un but précis : celui de poursuivre une Intifada cohérente. L'attention portée à l'Intifada ne découle pas du fait qu'on la considérerait comme un but en soi. Non. Mais bien du fait que la fin de l'occupation ne saurait être une aumône que l'on reçoit, mais une conquête que l'on arrache, et aussi du fait que l'Intifada est un mode de compensation en l'absence de toute autre alternative. Egalement parce qu'elle est efficace dans l'opposition au discours sioniste. Celui-ci veille à conserver le monopole de l'avantage d'être la supposée éternelle et exclusive victime au moins autant qu'il veille à mettre en exergue le caractère "hautement" civilisé de l'Etat d'Israël, deux exclusivités constituant les pierres angulaires du discours sioniste, mais aussi piédestaux sérieusement ébranlés tant par la première Intifada que par la seconde. De là découle le soin apporté par Israël à représenter le conflit actuel comme un conflit entre deux entités, ainsi qu'à caricaturer l'Intifada. La remise en ordre de la maison Palestine aura pour effet de permettre un afflux permanent d'idées créatives qui permettront de diriger l'Intifada entre les écueils en vue de la libération du pays, de la mise d'un terme à une situation dans laquelle elle est devenue l'otage de manœuvres politiques mesquines et des nécessités du moment.
                                   
2. Un groupe de ses amis apportent leur témoignage sur l'écrivain français Jean Genet par Mustafa Edjmahiri
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 29 janvier 2002
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

(Mustafa Edjmahiri est un écrivain marocain.)
L'écrivain français Jean Genet, né en 1910, nous a été enlevé par un cancer du larynx en avril 1986. Il repose dans le cimetière espagnol d'Al-Ara'ish, en face de la mer, tout près de la maison où il avait habité, dans la famille d'un ami marocain. Depuis sa plus tendre enfance, Jean Genet connut une vie instable. Abandonné très jeune par sa mère, il avait été pris en charge par l'Assistance publique et confié quelque temps à une famille adoptive française. Mais il n'a jamais goûté à la quiétude, et la vie d'errance qu'il a dû affronter le conduisit jusqu'en prison. Cette histoire personnelle l'a maintenu jusqu'au bout en marge d'une société française qui n'a su lui assurer ni avenir, ni insertion.
Jean Genet s'était attaché au monde arabe, particulièrement au Maroc où il a passé une période relativement longue de son existence. Le monde arabe a constitué l'axe central de son intérêt. Il faut noter que sa relation avec le monde arabe remontait aux années de son engagement volontaire dans l'armée française. Pour lui, ce monde arabe représentait une grande histoire d'amour, qu'il a exprimée dans nombre de ses œuvres, parmi les plus célèbres, qui ont fait de lui un écrivain en même temps en vogue et irritant, en raison de ses prises de position courageuses et de sa défense acharnée des valeurs de liberté, de justice et de démocratie.
Jean Genet a évoqué dans ses œuvres les malheureux écrasés, les couches marginalisées, les gens simples. Ne se contentant pas d'immortaliser ces couches sociales réputées "inférieures" dans ses œuvres, il a joint les actes à la parole, participant à nombre de manifestations et de marches en soutien aux droits des ouvriers immigrés en France, aux côtés d'écrivains brillants tels Michel Foucault, Marguerite Duras et Jean-Paul Sartre.
C'est afin de rendre hommage à cet écrivain unique sur la scène culturelle que l'Institut français de Casablanca a organisé, dernièrement, une rencontre qui a réuni un petit groupe de ses amis, écrivains marocains, arabes et étrangers, qui ont eu la chance insigne de parcourir avec lui un bout de chemin, de prendre part à l'un de ses projets culturels ou de partager avec lui les préoccupations intellectuelles qui ont marqué les années soixante et soixante-dix du siècle passé. C'est Marie Rodoni, responsable de la direction du livre à l'ambassade de France au Maroc qui a animé le débat au cours de cette soirée à laquelle a assisté un public de qualité composé d'intellectuels et de personnes en quête de savoir. Y ont participé Leïla Shahid, déléguée de Palestine en France, le docteur Abdel Kabir Khatibi, directeur de l'Institut universitaire de la recherche scientifique (Maroc), l'écrivain Mohamed Berrada, le romancier Edmond Umran Elmaléh, Anis Blafreidj, l'écrivain espagnol établi au Maroc Juan Goytisolo, ainsi que l'écrivain palestinien Elias Sanbar, directeur de la Revue des Etudes palestiniennes.
La radicalité chez Jean Genet
La rencontre débuta avec le témoignage d'un cinéaste, ami de Jean Genet : le réalisateur français Antoine Boursiez, qui a passé son enfance au Maroc. Il a présenté un documentaire, de courte durée, présentant le regretté Jean Genet au temps de sa jeunesse. Le réalisateur a expliqué que ce film devait s'insérer dans une série de documentaires consacrés à Jean Genet et aux villes auxquelles il était attaché et dans lesquelles il a vécu, telles Al-Araïsh, Beyrouth, Paris, et d'autres encore. Mais ce projet n'a pu être mené à bien.
Ensuite, le célèbre écrivain espagnol Juan Goytisolo a livré à l'assistance son témoignage sur le grand écrivain disparu, mentionnant notamment leur première rencontre. C'était en 1957. Juan Goytisolo n'avait alors que vingt trois ans. Pour lui, la caractéristique principale et incontestée de Jean Genet était sa radicalité. Il n'était pas homme à apprécier les réceptions et les ronds de jambe. Fauché, il n'éprouvait aucune gêne à passer contrat avec des éditeurs, s'engageant à leur remettre non seulement des œuvres inachevées, mais même certaines œuvres qu'il n'avait pas encore commencé d'écrire. Cette attitude, chez lui, découlait de la piètre estime dans laquelle il tenait la gent éditoriale, en laquelle il ne voyait que commerçants intéressés mangeant la laine sur le dos des auteurs. Sur le plan politique, il était connu pour une égale tendance aux positions très tranchées, dont Goytisolo nous confia qu'il ne les partageait pas toujours, ou pas complètement...
Anis Belafreidj a raconté, dans son témoignage, les circonstances de sa première rencontre avec Genet, loin du Maroc, dans la capitale française, puis les rencontres ultérieures, au Maroc, après une période passée en prison par l'écrivain rebelle. Belafreidj a insisté sur le fait que la période durant laquelle ils ont eu l'occasion de se rencontrer était extrêmement critique, à tous points de vue, en particulier pour la cause palestinienne.
Pour Anis Belafreidj, il est sûr que l'engagement de Genet pour la cause palestinienne était un engagement tout-à-fait extraordinaire, dépassant l'intérêt que d'autres intellectuels lui vouaient. L'intervenant a ajouté qu'il voyait entre Genet et lui-même un point commun important : tous deux ont connu l'amertume de la captivité et la dureté des conditions de vie faites au prisonnier. Ils ont souvent parlé en tête à tête de leur expérience carcérale et des difficultés que l'on rencontre lorsqu'on est derrière les barreaux. Mais même leurs échanges à ce sujet douloureux, nous rassura Belafreidj, ne quittaient pas le terrain de l'humour et de la taquinerie. Il précisa également que l'intérêt de Genet pour la cause palestinienne ne faisant que croître et occuper ses pensées, il l'évoquait de plus en plus dans ses écrits, jusqu'à ce qu'il décide d'entreprendre le voyage au Moyen-Orient afin de voir par lui-même de près la situation qui y régnait. Parmi les anecdotes dont Anis Belafreidj nous a fait la confidence, nous retiendrons celle ci : un jour, ils étaient à Rabat, en voiture. Genet lui demanda de s'arrêter, car il voulait lui raconter le projet qu'il avait formé, pour un nouveau livre. Anis Belafreidj s'exécuta volontiers, bien sûr... Ils sortirent de la voiture et restèrent debout, au bord de la route, deux heures durant, Genêt le tenant en haleine par son récit...
Intervenant, pour témoigner à son tour, Leïla Shahid, déléguée de l'Autorité palestinienne en France, mentionna en tout premier lieu la puissance créatrice exceptionnelle de Jean Genet. Celui-ci lui demandait souvent s'il verrait un jour ses livres traduits en arabe et publiés dans un pays arabe. Pleinement conscient de l'audace de son style, il avait quelque doutes, mêlés de regret, à ce sujet... cette audace n'étant pas appréciée dans certains cercles. Son attachement à la cause palestinienne, a rappelé Leïla Shahid, était sans équivoque. Elle se remémora pour nous l'époque où le représentant (assassiné) de l'OLP à Paris, Mahmoud Al-Hamshari, l'avait invité en Jordanie, où Genet eut ainsi l'occasion de passer plusieurs mois, dans les camps de réfugiés palestiniens mêmes, ce qui lui permit de vivre la condition des Palestiniens de manière concrète, on ne saurait de plus près. C'est dans ce contexte qu'il écrivit ses "Quatre heures pour Chatila". A la même époque, le général Sharon ayant tiré profit du contexte international et régional pour venir assiéger Beyrouth, Jean Genet revint à Al-Araïsh. "Durant ces jours terribles, nous ressentions tous une impuissance accablante devant la situation dramatique des Palestiniens" a rappelé Leïla Shahid, qui a rapproché la situation d'alors de celle, préoccupante, que nous connaissons aujourd'hui. Elle a conclu son témoignage en évoquant le voyage qu'ils ont effectué ensemble, à Beyrouth, en 1982, Genet ayant fini par obtenir, très difficilement, un visa de l'ambassadeur de Syrie à Paris.
Force de la personnalité de Genet et indépendance inflexible de ses prises de position
Ensuite, le critique Mohamed Berrada prit la parole, indiquant qu'il a rencontré Jean Genet en 1987. La première chose qui l'ait frappé chez lui, c'était une vitalité hors du commun, son éloquence puissante et sa vivacité lors des débats. Cette vitalité, précisa Mohamed Berrada, ne se manifestait pas seulement lorsque Genet développait son discours politique très direct, qu'il rehaussait toujours d'une touche de froide ironie, mais aussi lorsqu'il entamait le dialogue avec les gens les plus simples.
La force de son caractère permit à l'écrivain de conserver une indépendance totale. Cette indépendance était une qualité rare, dans une époque où les intellectuels européens papillonnaient d'une prise de position à une autre, sans réelle cohérence et sans engagement clair. Une autre indication fondamentale fut ensuite donnée à l'auditoire par M. Berrada, lorsqu'il insista sur le fait que Genet refusait la société de son époque, dans son cadre culturel exclusivement tourné vers l'Occident. Il n'a jamais caché son ambition d'exercer sur elle une influence, par ses prises de position, par son écriture aussi, en partant du principe que l'absence de toute concession dans ses œuvres rendait cela possible.
L'écrivain palestinien Elias Sanbar intervint à son tour, pour nous confier qu'il avait rencontré Genet à Beyrouth, en 1971. Pour lui, le plus beau livre que Genet ait dédié au peuple palestinien est son "Captif amoureux". Elias Sanbar ajouta qu'il considère cette œuvre comme le plus beau présent qu'un mouvement de libération arabe ait jamais reçu, et aussi comme l'une des plus belles à avoir été publiées au vingtième siècle. Il conclut son intervention en témoignant du sentiment partagé qu'en dépit du fait que Jean Genet nous ait quittés, il est présent à nos côtés, comme sont présents parmi nous son amitié, ses pensées et ses sentiments impétueux.
Intervinrent aussi au cours de cette soirée en hommage à Jean Genet le Dr. Abdelkébir Khatibi, qui côtoya le grand écrivain en 1974, ainsi que l'écrivain marocain Edmond Umran Elmaléh, qui évoqua avec émotion l'amitié qui le liait à Genet, sur l'œuvre duquel nous savons qu'il fut le premier écrivain marocain à écrire, après que Jean Genet nous ait quittés, nous laissant la consolation de ses œuvres immortelles.
                                       
3. Quand Tsahal détruit ce que le contribuable européen a financé
in Le Monde du mardi 29 janvier 2002

Les quinze ministres des affaires étrangères de l'Union européenne devaient examiner, lundi 28 janvier, à Bruxelles, la question de l'envoi à Tel-Aviv de la liste des dommages infligés aux équipements palestiniens financés par les contribuables européens.
L'UE se bornerait, soit à adresser un bilan comptable aux Israéliens, soit à assortir ce courrier d'une protestation en bonne et due forme. Il n'est pas question à ce stade de revendiquer le moindre remboursement de la part de l'Etat hébreu.     
Les Quinze sont en effet désarmés, dans la mesure où les infrastructures palestiniennes n'appartiennent plus aux Européens. Si remboursement il devait y avoir, il ne pourrait se faire qu'au profit de l'Autorité palestinienne, ce qui paraît assez improbable.
Voici le détail de ces dix-sept infrastructures dont le montant total s'élève à 17,29 millions d'euros :
- Aéroport international de Gaza à Rafah : 9,3 millions d'euros (donateurs : Espagne, Allemagne, Suède, Commission européenne)
- Radio Voix de la Palestine à Ramallah : 3,3 millions d'euros (Allemagne, Danemark, télévision française, Commission européenne)
- Camps de la police civile dans la bande de Gaza : 2,05 millions d'euros (Commission européenne)
- Hôtel Intercontinental Jacir Palace à Bethléem : 758 000 euros (Banque européenne d'investissement)
- Laboratoire médico-légal à Gaza-Ville : 700 000 euros (Commission européenne, France, Grèce, Suède)
- Port de Gaza : 335 000 euros (France, Pays-Bas, Banque européenne d'investissement)
- Bureau central des statistiques à Ramallah : 300 000 euros (Allemagne, Suède, Commission européenne)
- Matériel de la police antiémeute dans la bande de Gaza : 300 000 euros (Pays-Bas)
- Reboisement à Beit Lahia (bande de Gaza) : 53 000 euros (Pays-Bas)
- Déchetterie à Deir Al-Balah (bande de Gaza) : 40 000 euros (Allemagne)
- Secrétariat du projet de coopération pacifique à Jénine : 38 000 euros (Commission européenne, Allemagne)
- Infrastructures municipales à Qalqilya : 38 000 euros (Grèce)
- Tout-à-l'égout à Al-Bireh : 24 000 euros (Allemagne)
- Ecoles à Tulkarem et Jénine : 23 000 euros (Commission européenne)
- Résidence à Khan Younès (bande de Gaza) : 11 000 euros (Autriche)
- Route de Halhoul près d'Hébron : 11 000 euros (Italie)
- Systèmes d'irrigation à Jéricho : 11 000 euros (Belgique)
                                   
4. Un journal israélien appelle à la castration des Arabes israéliens comme moyen de lutte anti-terroriste par Lily Galili
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du lundi 28 janvier 2002
[traduit de l'anglais par David Torres]

Un article appelant à la castration des Arabes israéliens comme moyen pour combattre le terrorisme a été publié la semaine dernière dans le principal quotidien israélien-russe Novosti. L'article, intitulé "Comment les forcer à partir" et écrit par Marian Belenki, un des journalistes en vue du journal, indique que la menace de castration peut être assez forte pour encourager les Arabes à quitter le pays. L'auteur a aussi proposé que la méthode chinoise pour baisser les taux de natalité soit mise en oeuvre en Israël contre la population arabe pour faire baisser leurs taux de natalité. Selon cette méthode, les gens qui ont plus d'un enfant sont privés d'aides diverses, perdent leurs emplois et sont sous la menace de l'exil. On fournira aussi des sommes en liquide pour les jeunes hommes qui se soumettraient volontairement à la castration, selon la méthode proposée. Le rédacteur en chef du journal, Leonid Petorkovsky, a dit que la publication de l'article était une erreur grave, expliquant que les rédacteurs ont laissé échapper le contenu de l'article et n'ont vérifié seulement que la grammaire et l'orthographe. Il a ajouté qu'après la publication de l'article, le journal a publié une condamnation du papier et a suspendu le rédacteur responsable pendant trois mois. Cependant, ce qui est encore plus surprenant que le fait que le papier ait été publié, c'est que ce dernier n'ait pas reçu de réponses de lecteurs ou des représentants publics de la communauté russe. Il est à noter que le journal est l'un des deux quotidiens principaux de la communauté russe en Israël.
                                   
5. Le président (Bush) tarabuste le dirigeant palestinien (Arafat) au sujet du bateau d'armement par Todd S. Purdum
in The New York Times (quotidien américain) du samedi 26 janvier 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Le président Bush a émis l'idée, hier, que le dirigeant palestinien "encourageait le terrorisme", à propos du chargement d'armes de contrebande destinées à être utilisées contre Israël, en utilisant le ton le plus dur jamais employé jusqu'ici à son encontre et, cela, à l'issue d'une réunion du président avec ses plus hauts conseillers, destinée à étudier les moyens d'isoler et M. Arafat et de le sanctionner.
"Je suis déçu par M. Arafat", a déclaré M. Bush à des journalistes au cours d'une visite à Portland (Maine) où il s'était rendu après cette réunion. "Il doit faire un maximum d'efforts de façon à éradiquer le terrorisme au Moyen-Orient. En passant commande d'armes qui ont été interceptées sur un bateau qui se dirigeait vers cette partie du monde, il ne faisait pas autre chose qu'encourager le terrorisme, et nous ne saurions cacher que nous sommes déçus par ce comportement."
Cette déclaration représente la critique la plus directe et la plus explicite jamais encore formulée à l'encontre de M. Arafat. Il semble également que c'était là la première fois où le président ou une quelconque autre personnalité officielle américaine, ait accusé le dirigeant palestinien de participation directe à l'opération d'acheminement par bateau d'un chargement de cinquante tonnes d'armes, qu'Israël a saisi, il y a trois semaines, accusant les Palestiniens de vouloir acheminer clandestinement ces armes depuis l'Iran.
Jusqu'à ce jour, les officiels de l'administration américaine s'étaient contenté de dire que les hauts responsables de l'Autorité palestinienne (de M. Arafat) étaient au courant de ce chargement d'armes, et que celui-ci avait le pouvoir et le devoir de mettre un terme à ce genre d'activités.
Un haut responsable de la Maison Blanche avait, plus récemment, insisté sur le fait que M. Bush n'avait pas eu l'intention, pour l'heure, de mettre M. Arafat personnellement en cause, relevant que "les constatations faites (sur le bateau) montrent que cette opération a été supervisée au plus haut niveau de l'Autorité palestinienne. Qu'Arafat ait été au courant ou non, il doit de toute manière frapper un grand coup contre le terrorisme. Or (son) Autorité palestinienne a passé commande de ces armes, c'est tout ce que l'on peut dire."
Des officiels au parfum de la réunion de la Maison Blanche d'aujourd'hui ont indiqué que l'administration était encore en train d'examiner un panel d'options en ce qui concerne M. Arafat, allant de la fermeture du bureau de l'OLP à Washington jusqu'à la rupture des négociations avec le dirigeant palestinien.
S'adressant à des journalistes au Département d'Etat, le Secrétaire Colin L. Powell s'est contenté de déclarer qu'Arafat "sait ce qu'il a à faire", afin de pouvoir s'acheminer vers un cessez-le-feu et une reprise des négociations.
Afin de laisser entendre que l'administration américaine n'était pas disposée à couper tout contact, M. Powell a fait remarquer qu'il avait eu une longue conversation téléphonique avec M. Arafat mercredi dernier, ajoutant : "j'espère que j'aurai le plaisir de lui parler à l'avenir, et de constater ce dont il est capable et quel progrès nous pouvons accomplir (ensemble)."
Des officiels ont indiqué qu'il était improbable que l'administration américaine coupe tous les ponts avec l'OLP ou avec M. Arafat, ne serait-ce que parce que cela ne déboucherait sur rien de préférable. Mais ils ont dit qu'il était par contre envisageable que l'envoyé spécial américain, le Général Anthony C. Zinni, ne retourne pas rapidement dans la région, contrairement à la demande pressante de M. Arafat.
L'un d'entre eux, très haut placé, a notamment déclaré : "le fait que nous n'envisagions même pas cela vous montre à quel point le crédit que nous lui accordions s'est effondré. Mais son cahier des charges est toujours le même..."
L'un dans l'autre, les commentaires de l'administration traduisent un nouveau froid dans les relations avec M. Arafat, relations qui n'ont jamais cessé d'être marquées au coin d'un certain scepticisme, que les dénégations répétées d'une complicité palestinienne dans l'affaire du chargement d'armes n'ont fait que renforcer.
"Ils s'accrochent à leur idée de le mettre sous pression, mais je ne pense pas qu'ils y croient encore", a déclaré Martin Indyk, qui était ambassadeur américain en Israël du temps de l'administration Clinton, et qui est actuellement un associé de la Brookings Institution. "La manière avec laquelle il (=Y. Arafat) a répondu à leurs questions au sujet des chargements d'armements a été véritablement la goutte qui a fait déborder le vase..."
M. Indyk a indiqué que la sophistication et le pouvoir destructif des armes anti-blindage, des missiles et des explosifs saisis sur le bateau, ainsi que les indices montrant qu'ils avaient été chargés à bord en Iran, ont porté à un niveau supérieur les préoccupations de l'administration américaine en matière de violence palestinienne.
"L'Intifada, du point de vue de l'administration Bush, est un conflit local", a dit M. Indyk. "Des Arabes et des Juifs y perdent la vie, mais cela n'affecte pas les intérêts stratégiques de l'Amérique. Mais si elle devait exploser au point d'impliquer d'autres parties dans la région, créant un conflit plus étendu, cela aura un impact sur nos intérêts vitaux en matière de stabilité régionale, en particulier dans la période extrêmement délicate que nous traversons, tandis que nous sommes encore aux trousses d'Al-Qa'ida et que nos 'affectueuses pensées' vont vers l'Irak".
Des officiels ont indiqué que les armes ont été chargées (sur le bateau arraisonné) avec l'aide du Hezbollah, un groupe de guérilleros qui mènent une guerre de basse intensité contre Israël depuis le Liban. L'attaché de presse de la Maison Blanche, Ari Fleischer, a dit aujourd'hui que l'administration est "outrée de la part prise par l'Iran et le Hezbollah dans l'opération en question".
M. Bush a envoyé des messages, la semaine dernière, aux dirigeants d'Arabie Saoudite, de Jordanie et d'Egypte, dans lesquels il soulignait la complicité évidente des Palestiniens dans le complot visant à faire passer des armes en contrebande, en leur demandant d'exercer leur influence sur M. Arafat afin que celui-ci procède aux arrestations (de son point de vue nécessaires).
Cette affaire d'armes est embarrassante pour les Saoudiens, qui avaient pressé Washington, l'année dernière, d'intensifier les efforts en vue d'une solution diplomatique au conflit israélo-palestinien, ainsi que pour les Egyptiens. En effet, les contrebandiers agissaient dans la zone territoriale égyptienne, en Mer rouge, et leur plan de navigation allaient nécessairement les amener à passer par le canal de Suez.
Le blocage créé par l'affaire du bateau et la violence qui en est la conséquence, dans la région, ont accru l'isolement de M. Arafat, qui est virtuellement en état de consignation domiciliaire dans son quartier général de Cisjordanie. Mercredi, la Maison Blanche, complètement hors d'elle-même après avoir reçu une lettre de M. Arafat déniant pour la énième fois toute responsabilité dans l'affaire du chargement d'armes, a déclaré comprendre les raisons qui amènent Israël à maintenir M. Arafat en quarantaine au moyen d'un barrage de tanks...
"On dirait presque que l'administration a adopté la perception que les Israéliens ont d'Arafat", a déclaré un diplomate israélien. "La question posée, maintenant, est donc celle de savoir de quelle manière cela affecte-t-il sa politique ?"
Le représentant du dirigeant palestinien aux Etats-Unis, Hasan Abdel Rahman, a déclaré qu'il "avait les plus grands doutes" sur le fait que l'administration américaine était prête à couper les ponts avec l'OLP.
"Ces communiqués ne représentent pas, jusqu'à plus ample informé, la politique du gouvernement des Etats-Unis. J'espère qu'ils n'en deviendront pas la politique", a-t-il dit. "Cela ne ferait que verser de l'eau au moulin de Sharon, qui n'est en rien engagé vis-à-vis du processus de paix et cela ne pourrait, en réalité, que retirer l'option négociée de la table, créant un vide qui serait inéluctablement investi par l'autre option, celle de la violence et de la tension."
                                       
6. Les palestiniens sont près à endurer l'occupation par Valérie Féron
in La Croix du jeudi 24 janvier 2002

Depuis le début décembre, l'étau se resserre de jour en jour autour de la ville de Ramallah où plusieurs quartiers de la ville sont sous couvre-feu, leurs habitants se retrouvant dans la même situation que  leur président Yasser Arafat : avec  soldats chars et blindés israéliens sous leurs fenêtres. Dans le centre-ville la vie continue, magasins et cafés internet étant ouverts, et chacun vaque à ses occupations. Parfois au bruit des rafales de tirs, venus du quartier présidentiel ou des zones proches des colonies, dans une ambiance presque normale. Car derrière ce calme apparent la tension est à son comble.  Depuis la place al Manara dans le centre-ville,  que l'on prenne les directions de Naplouse, Bir Zeit ou de Beitounia et la ville basse de l'autre côté à un quart d'heure de marche on tombe systématiquement sur des chars israéliens.  Et jour après jour on se rend par petits groupes, parfois en famille près du quartier présidentiel, situé sur la route menant à l'université de Bir Zeit. Et on reste là, à l'entrée des bureaux de Yasser Arafat, à faire face aux  chars et blindés israéliens installés de l'autre côté de la rue, à quelques mètres. Des poignées de jeunes s'approchent  régulièrement des chars et leur jettent des pierres manifestant ainsi  " leur colère et leur refus de l'occupation ". Mohammed qui vit près du quartier Al Tireh un des quartiers réoccupés par l'armée israélienne explique : " Au début je pensais quitter ma maison car j'avais peur et  après réflexion je me suis dis  que quoi qu'il arrive je resterais ! J'ai toujours été très critique vis-à-vis de l'Autorité nationale palestinienne dans le passé, mais croyez moi, à présent je ne supporte plus la moindre remarque contre Abou Ammar (Yasser Arafat). La situation est très dangereuse, cela n'a rien à voir avec la première Intifada ".  Un sentiment partagé par Fathi, père de deux enfants de 16 et 17ans qui s'exprime dans un français parfait : " lors de la première Intifada, il s'agissait d'une occupation. Aujourd'hui les Israéliens entrent dans les zones autonomes pour tuer, pas simplement pour nous occuper ". Fathi habite al Bireh, localité jouxtant Ramallah, juste en face de la colonie de Psagot, un secteur où les tirs sont quotidiens. " Avant l'Intifada, cette colonie que je voyais tous les matins représentait une sorte de corps étranger mais je ne pressentais pas toute l'agression qu'elle pouvait signifier. Depuis le début de l'Intifada j'ai l'impression de vivre en face d'un baril de poudre, car les Israéliens tirent avec des armes beaucoup plus sophistiquées que ce que j'imaginais depuis ces positions qui ressemble beaucoup plus à des  forteresses militaires qu'à de simples zones d'habitations pour  des civils  israéliens comme ils tentent de le faire croire ". Chaque soir on s'attend à ce que les chars avancent en direction du centre ville. Bravant les incertitudes on stipule sur l'avenir, affirmant que  si les Israéliens réoccupent toute la ville " cela n'aura rien de nouveau ", que " l'occupation on connaît " depuis 1967, dont Oslo n'apparaît plus au mieux que comme une simple parenthèse.   Pourtant, cette fois, signe que les temps ont bel et bien  changé, Abou Ammar (Yasser Arafat) est au milieu d'eux. Une situation qui renforce les convictions. Certains prédisent même que si les Israéliens tentent de réoccuper toute la ville, cela risque d'être le début d'une sorte de guérilla urbaine. Et dans le contexte actuel en l'absence de réaction de la Communauté internationale, et de perspectives politiques sérieuses qui mettent fin à l'occupation et à la colonisation des territoires palestiniens depuis 1967, l'avenir ne ressemble plus qu'à un tunnel sans fin :  " Sharon n'a pas de plan de paix, son seul plan est de nous faire plier, ajoute Mohammed. Mais que peut il faire ? nous réoccuper ? bon et après ? tout détruire ? il ne fera que renforcer les actes de vengeances d'individus de notre société qui n'ont rien à voir avec le Hamas mais  dont le désespoir  est tellement fort qu'ils deviennent incontrôlables. Mais ensuite ? que se passera t-il ? ". Une certitude cependant : que " la lutte  pour l'indépendance continuera " marquée par un symbole, La Voix de la Palestine, la radio télévision nationale dont les locaux de Ramallah ont été détruit samedi dernier par l'armée israélienne et qui continue tant bien que mal d'émettre, même si les programmes en anglais hébreu et français ont dû être suspendus pour des raisons techniques. " Nous continuerons notre travail de journaliste, promet Awad, et s'il le faut nous irons crier les nouvelles directement dans la rue ! ".
                               
7. La télé égyptienne s’invite en Israël par Abdalla F. Hassan
in Cairo Times traduit dans Courrier International du jeudi 24 janvier 2002

En lançant des programmes en hébreu, la chaîne Nile TV entend offrir une autre vision de l’actualité au public israélien. Une initiative qui s’inscrit dans la guerre des ondes que se livrent radios et télés au Proche-Orient.
Depuis janvier 2002, Nile TV diffuse en anglais, en français et en hébreu. Les programmes en langue étrangère de la chaîne, qui sont diffusés par satellite ou par réseau câblé, ont à présent pour cible le public israélien. Après six mois de préparation, l’année 2002 s’est ouverte sur deux heures de programmes en hébreu diffusés l’après-midi et constitués de bulletins d’information, d’émissions politiques et culturelles, de documentaires et de téléfilms. “C’est un début”, lance Mounir Mahmoud Salah Eddin, journaliste à la section hébreu de Nile TV. “Si l’essai est concluant, le temps d’antenne pourrait s’étendre au-delà de deux heures.”
Pour les responsables de la chaîne, il s’agit d’une étape logique. “Israël diffuse en arabe, pourquoi ne pourrions-nous pas le faire en hébreu ? Nous pourrons ainsi répondre à des sujets abordés uniquement en Israël”, explique Hala Hashish, vice-président de Nile TV International. “Ils n’entendent qu’un seul point de vue. En disposant des deux, le public israélien - non seulement les politiciens aguerris mais aussi le grand public - pourra acquérir une meilleure compréhension des différents sujets.”
La programmation comprend des talk-shows, des débats sur l’actualité, des revues de presse israéliennes, égyptiennes et internationales, des téléfilms sous-titrés en hébreu, des documentaires sur la culture et la civilisation égyptienne, des programmes économiques et des clips de musique arabe. En plus des bulletins d’information et des analyses politiques, les dirigeants de la chaîne affirment leur volonté de ne pas éviter les sujets politiques controversés qui touchent au conflit israélo-palestinien, et comptent même envoyer un correspondant de Nile TV à Gaza qui fera ses reportages en hébreu. Jusqu’à présent, la politique de Nile TV interdisait la présence d’invités israéliens dans les débats et pour l’instant ce nouveau programme ne devrait pas déroger à la règle.
“Israël n’est pas un pays isolé. Il vit au milieu des pays arabes et a affaire aux Palestiniens qui sont proches. Les Israéliens ont besoin de connaître la perspective arabe, c’est évident. Mais nous ne parlerons pas que de politique. On ne peut pas faire passer un certain message politique sans proposer d’autres programmes intéressants”, poursuit Hala Hashish. Le responsable du bureau de presse de l’ambassade israélienne, Ayellet Yehiav, est favorable au projet, mais ces efforts, selon lui, seront inutiles si les programmes égyptiens en hébreu éreintent Israël comme la presse égyptienne a l’habitude de le faire. “S’ils adoptent la même attitude envers Israël que les journaux égyptiens, le public israélien ne suivra pas”, explique-t-il. Cependant, pour une part importante des Israéliens, certains aspects de la culture arabe sont familiers. Hala Hashish a passé quinze jours à Tel-Aviv en 1997 pour couvrir un accord entre Israël et les Palestiniens pour Nile TV. “Je m’attendais à devoir parler anglais la plupart du temps, se souvient-il. Mais je me suis aperçu que les chauffeurs de taxi et les commerçants parlaient arabe. De nombreux Israéliens d’origine arabe adorent Oum Kalsoum, Farid al-Atrash, Abdel Wahab et nos chanteurs.” Les deux principales chaînes publiques israéliennes diffusent quotidiennement une à deux heures de programmes en arabe, en plus de programmes sous-titrés dans cette langue. La deuxième chaîne privée israélienne diffuse également des émissions sous-titrées et un bulletin d’information en langue arabe le vendredi.
L’organisme d’Etat réglementant l’audiovisuel a également annoncé son projet de lancer une chaîne par satellite en arabe et en anglais destinée à l’Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Au départ, cette chaîne devrait diffuser six à huit heures de programmes quotidiens puis émettre 24 heures sur 24. “Il s’agira d’une chaîne publique accessible dans les pays arabes par le réseau audiovisuel ordinaire”, annonce Ayellet Yehiav. A l’heure où la télévision est devenue une force puissante qui modèle l’opinion publique nationale et internationale, qu’il s’agisse des images de Mohammed Dourra mourant dans les bras de son père ou du carnage après un attentat-suicide à Jérusalem, Israël et l’Etat palestinien se préparent à intensifier leur propagande au-delà des frontières de leur pays.
Le conflit israélo-arabe sur le front audiovisuel
Lors de la 34e session du conseil des ministres de l’Information arabes à Beyrouth, en juin dernier, les 22 participants ont souligné la nécessité de contrecarrer la propagande israélienne dans le cadre des conflits israélo-arabes et le processus de paix au Moyen-Orient. Pour remédier à ce déséquilibre, le conseil a proposé la création d’une chaîne arabe par satellite qui diffuserait en anglais et en hébreu et présenterait la position arabe à un public international.
Selon les dirigeants de Nile TV, les nouveaux programmes en hébreu participent à une meilleure compréhension entre Israéliens et Egyptiens, avec comme objectif la diminution des tensions entre les habitants de la région. “A l’heure du satellite et de la domination de la télévision, nous avons besoin d’un programme télévisé à destination du peuple israélien pour les informer de la perspective égyptienne sur la situation au Moyen-Orient”, insiste Hassan Ali Hassan, directeur adjoint des programmes étrangers, qui supervise la station de radio égyptienne Voice of Peace [La Voix de la paix] et les programmes en hébreu de Nile TV. “En ces temps d’intense compétition, une chaîne diffusée en hébreu est une idée géniale, d’autant plus qu’une chaîne par satellite israélienne va être lancée en riposte à Al Jazira et autres chaînes satellites arabes”, estime Yahya Abdallah, professeur de langue et de littérature hébraïques à l’université Mansoura, et qui participe également aux programmes radios en hébreu de Voice of Peace.
Ce programme radio a débuté sous le nom de Voice of Cairo en 1954 et diffuse en hébreu depuis plus de trente ans. A la suite de l’accord de paix entre Israël et l’Egypte, la station de radio a été rebaptisé Voice of Peace. Elle consacre cinq heures par jour à des programmes en hébreu (de 19 heures à minuit) et propose également une heure de programmes en russe, quarante minutes en anglais et vingt minutes en français. Pour l’instant, la station n’émet pas dans tout Israël. Même si les chiffres d’audience ne sont pas disponibles, le public de Voice of Peace est restreint, reconnaît Salah Eddin, pigiste pour la radio mais également guide et traducteur en hébreu au Centre Al Ahram d’études politiques et stratégiques. “La télévision a beaucoup plus d’influence que la radio, cela ne fait aucun doute”, note-t-il. Il reste à voir comment cette nouvelle expérience audiovisuelle égyptienne qui dépasse les frontières et les cultures sera perçue. Les dirigeants de Nile TV restent prudents quant aux perspectives d’avenir. “Nous avançons en terrain presque inconnu et nous connaissons mal nos futurs téléspectateurs”, admet Hala Hashish. “Mais je ne vois pas pourquoi ce qui nous intéresse ne les intéresserait pas.”
                                   
8. Non, il ne faut pas désespérer Gaza par Daniel Bensaïd, Rony Brauman, Nahal Chahal, Gisèle Halimi, Mohammed Harbi, Bachir Hilal, Marcel-Francis Kahn, Pierre Khalfa et Fayez Malas
in Libération du mercredi 23 janvier 2002

[Daniel Bensaïd est universitaire Paris VIII, Rony Brauman est médecin et essayiste, Nahal Chahal est écrivaine, Gisèle Halimi est avocate, Mohammed Harbi est historien, Bachir Hilal est éditeur, Marcel-Francis Kahn est professeur de médecine, Pierre Khalfa est syndicaliste et Fayez Malas est maître de conférence associé à Paris.]
Il y a un an, certains d'entre nous ont signé «en tant que juifs» un appel dans lequel nous disions: «Un pas, peut-être irréversible, est en train d'être franchi. La provocation symbolique d'Ariel Sharon [sur l'esplanade de la Mosquée Al-Aqça], en accentuant le caractère confessionnel des affrontements au détriment de leur contenu politique, favorise la montée en puissance de forces religieuses extrêmes au détriment d'une Palestine et d'un Israël laïques et démocratiques. Une course au désastre est engagée.»
Il y a un an, certains d'entre nous, «Français d'origine arabe ou Arabes résidents en France», ont signé un appel symétrique pour la Palestine, dans lequel nous saluions le texte des juifs français, dénoncions «l'entêtement suicidaire du gouvernement israélien», et condamnions «toute dérive raciste ou confessionnelle, au Proche-Orient et en France, et notamment la profanation de synagogues et les agressions contre des écoles juives».
D'autres enfin se sont joints à ces appels pour créer un collectif de soutien aux droits des Palestiniens. Ensemble, trois mois après le début de l'Intifada, nous constations «la tragique solitude des Palestiniens», et réclamions «l'application des résolutions de l'ONU, le retrait inconditionnel d'Israël des territoires occupés depuis 1967, le démantèlement des colonies d'occupation, la création d'un Etat palestinien souverain, et le droit au retour des réfugiés chassés de leur terre depuis 1947».
Nous entendions dire ainsi que le conflit du Proche-Orient est politique et non pas racial ou religieux, montrer surtout que juif et sioniste ne sont pas synonymes. Ces appels n'ont malheureusement rien perdu de leur actualité.
A écouter aujourd'hui les porte-parole des institutions communautaires juives, on croirait qu'une «vague d'antisémitisme sans précédent depuis les années 30» déferle sur la France. Nous combattrons bien évidemment tout acte antisémite. Mais la France ne vit pas à l'heure des pogroms et si une comptabilité était tenue des violences et des humiliations quotidiennes subies par des jeunes d'origine arabe, on pourrait aussi bien donner l'impression d'une déferlante raciste.
La vigilance toujours nécessaire contre l'antisémitisme ne doit pas occulter en revanche la tragédie que vivent aujourd'hui les territoires occupés. A force de répéter que judaïsme et défense inconditionnelle de la politique d'Israël ne font qu'un, les pompiers pyromanes finiront par être crus. Alors, en effet, l'antisionisme politique risque de dégénérer en racisme antisémite. Il existe un fait national israélien irréversible et une communauté nationale qui a des droits collectifs, une langue, une culture. Mais dans quel cadre? Celui d'un Etat laïque ou d'un «Etat juif»? Telle est la contradiction constitutive d'Israël: en quoi l'Etat est-il juif? Par généalogie ethnique? Par référence religieuse? L'«Etat juif» serait alors un Etat ethno-théocratique régit par le droit du sang incompatible avec l'égalité de tous les citoyens vivants sur un même sol. Imagine-t-on que l'Etat français puisse se définir comme Etat aryen ou Etat chrétien? Et que n'aurait-on entendu si la charte de l'OLP avait revendiqué une Palestine islamique au lieu d'une Palestine laïque et démocratique!
Dès lors que l'on nie la colonisation de la Cisjordanie et de Gaza, l'Intifada se réduit à l'effroyable réveil d'une «haine antisémite immémoriale». Evaporées, effacées, oubliées les colonies, les maisons dynamitées, le millier de morts et les dizaines de milliers de blessés! Si, comme Sharon le répète depuis le 11 septembre, «Arafat est notre Ben Laden», les «liquidations extrajudiciaires» deviennent les moyens ordinaires du terrorisme d'Etat. La résistance légitime à une occupation se transforme ainsi en barbarie à éradiquer, à l'instar de la «guerre sans fin» contre le terrorisme déclarée par George W. Bush.
Ministre des Questions stratégiques d'Israël, Dan Meridor s'inquiète: «Si l'on continue comme cela, sans frontière, sans partition, sans division, c'est dangereux à long terme sur le plan démographique», car si l'on arrivait à «50 % d'Arabes, ce ne serait plus un Etat juif, mais un Etat binational» (Le Monde du 1er septembre 2001). Il en déduit la nécessité de «mettre en oeuvre la séparation unilatérale»! Unilatérale? Compte tenu de l'imbrication des populations, cela signifie transferts forcés et assignation des Palestiniens à un territoire peau de chagrin, administré par un Etat croupion. Autrement dit, une réserve indienne ou un vaste camp de rétention, truffé de colonies et lacéré de routes de contournement. Certains ministres du gouvernement Sharon envisagent désormais ouvertement un transfert massif de populations. La logique de l'Etat juif et le rêve du Grand Israël trouvent dans cette expulsion leur aboutissement.
Pour le ministre de l'Intérieur Ouzi Landau, «les accords d'Oslo ne sont pas la solution, ils sont le problème [...] Jamais nous n'accepterons un Etat palestinien, ce serait une catastrophe» (Le Monde du 14 décembre 2001). Il entend ainsi effacer le principe de reconnaissance mutuelle, disant tout haut ce que vise l'entreprise de démolition de l'Autorité palestinienne: «Je préfère un Hamas sans masque à une Autorité palestinienne qui avance masquée. Alors, les choses seront claires au moins [...] Ici, ce sera une lutte à mort entre nous et les Palestiniens, car tant que les Palestiniens auront de l'espoir, la terreur ne cessera pas.» Il faudrait donc «faire venir un million de juifs supplémentaires en dix ans et continuer à progresser». Voilà qui éclaire les arrière-pensées de la campagne sur la montée de l'antisémitisme, susceptible de fournir de nouveaux candidats au peuplement des colonies! Il s'agit en fait de liquider la question palestinienne en tant que question nationale spécifique au profit d'une guerre entre deux fondamentalismes: celui du gouvernement Sharon, poursuivant coûte que coûte son projet de Grand Israël; et celui des fondamentalismes islamiques refusant toute cohabitation avec le peuple israélien. Ils s'accordent pour refuser tout processus négocié. Le terrorisme d'Etat et le terrorisme religieux s'entretiennent ainsi mutuellement pour tuer l'idée même de paix.
Il faudrait, annonce donc Ouzi Landau, désespérer Gaza, Ramallah et Bethléem! Mais désespérer Gaza, c'est aussi exaspérer les peuples arabes, excédés d'être la part maudite de l'Occident impérial triomphant.
Nous sommes choqués que si peu de voix s'élèvent contre la guerre menée par le gouvernement Sharon, contre sa politique raciste et contre les propos ahurissants de son ministre de l'Intérieur. Nous sommes inquiets de voir les dirigeants israéliens lier le sort des juifs d'Israël à la guerre illimitée annoncée par George W. Bush et à son militarisme impérial.
Nous ne dénonçons pas cette «politique du pire» seulement par souci de justice envers le peuple palestinien, mais aussi par souci de l'avenir des juifs d'Israël eux-mêmes. La contradiction sur laquelle est édifié «l'Etat juif» les enfonce dans «l'angoisse de mort» dont serait né Israël. Quel peut être l'avenir d'un peuple fuyant cette angoisse dans une escalade meurtrière? Alors qu'il était censé leur fournir un foyer sûr, Israël est aujourd'hui l'endroit du monde où les juifs sont le plus en insécurité.
Peut-être est-il déjà trop tard pour arrêter cette course au désastre. Israël multiplie les faits accomplis en soutenant l'expansion «naturelle» des colonies existantes (plus de 200 colonies et de 300 000 colons), et en réduisant d'avance un hypothétique Etat palestinien à un territoire en lambeaux, morcelé en bantoustans. La logique de guerre annoncée par Ouzi Landau est bel et bien en marche. Elle conduit deux peuples, et non un seul, à la catastrophe.
Peut-être est-il encore temps d'éviter le pire par le retrait inconditionnel de l'armée israélienne des territoires occupés y compris de Jérusalem-Est, et par le démantèlement des colonies. Il ne s'agirait même pas d'une réparation, mais d'un droit reconnu aux Palestiniens depuis trente-quatre ans par les résolutions de l'ONU qu'Israël ignore délibérément, se mettant ainsi hors la loi internationale.
                                   
9. Où il est question, à nouveau, du terrorisme par Azmi Bishara
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 17 janvier 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Azmi Bishara est un Palestinien citoyen d'Israël, député à la Knesset il a été déchu de son mandat, ndt)
En 1976, Jorge Videla s'empara du pouvoir, en Argentine, après avoir renversé Isabel Peron, au cours d'un des putschs les plus sanglants que le pays ait jamais connus. Plus de 15 000 militants des forces de gauche, des droits de l'homme et d'autres civils innocents furent tués ou disparurent. Pas une démocratie occidentale qui ne reçût son contingent de réfugiés argentins, tout comme elles avaient reçu des réfugiés du Chili, de l'Uruguay et du Guatemala, qui avaient amené dans leurs bagages leur manière de vivre, leurs chansons, leur vitalité et leur spontanéité. L'impact, sur la culture de gauche européenne fut considérable. Le mot "dictature", à l'époque, évoquait immédiatement l'Amérique du Sud, correspondance encore renforcée par l'Automne du Patriarche, de Marquez et une littérature latino-américaine prolixe qui influença également la "littérature sous l'autocratie" qui commença à apparaître, dans le monde arabe, dans les années 1980 et 1990...
C'est à cette époque que je faisais mes études à l'Université hébraïque de Jérusalem. Comme tous les gens de gauche, partout à travers le vaste monde, nous partagions le calvaire de l'Amérique latine par l'intermédiaire des posters de Che Guevara, des chansons de Victor Xara et des écrits de Régis Debray. Nous condamnions les Etats-Unis, et en priorité le Secrétaire d'Etat Kissinger, pour leur soutien éhonté aux juntes militaires assoiffées de sang, en Amérique latine.
C'est à cette période de ma maturation politique que je rencontrai les premiers réfugiés juifs venus d'Amérique latine - beaucoup avaient fui l'Argentine - en Israël. Ils étudiaient dans les universités de Haifa et de Jérusalem. C'étaient des gens de gauche, qui avaient dû fuir les persécutions contre les forces de gauche, en Amérique latine. Pour beaucoup de ces réfugiés, le sionisme ne signifiait pas grand-chose, et même rien du tout, pour certains d'entre eux. Et dès que la situation s'était améliorée dans leur pays d'origine, ils y retournaient. Une partie de ces réfugiés ne parvenaient pas à concilier leur présence dans l'Etat sioniste avec leurs convictions de gauche, alors ils émigrèrent en France. Il faut dire que Paris était, à l'époque, le point de ralliement des réfugiés de gauche sud-américains. Ceux-là avaient quitté Israël, qu'ils ne supportaient plus, sans même attendre que la situation se fût améliorée dans leur pays d'origine. Mais un troisième groupe, parmi ces étudiants, adopta le sionisme et resta en Israël, bien que l'indifférence manifestée par le gouvernement israélien au sort des jeunes progressistes juifs torturés dans les prisons des dictatures latino-américaines les indisposât.
D'une manière générale, toutefois, ces étudiants étaient plus réceptifs que d'autres au discours sur les droits usurpés, qui était le support qui nous permettait d'interpeller les étudiants juifs lorsque nous commençâmes à organiser un mouvement estudiantin arabe, en liaison avec la gauche juive universitaire. Culturellement, nous étions à mille lieues les uns des autres. Le discours du nationalisme arabe et du mouvement national palestinien était totalement étranger à leur univers intellectuel, centré exclusivement autour des débats concernant la gauche sud-américaine. Mais, une chose nous rapprochait, en revanche : notre commune détestation des Etats-Unis. Ces étudiants représentaient la seule composante de la gauche israélienne, non communiste et non pro-soviétique, opposée aux Etats-Unis. L'un de nos points de désaccord fondamentaux avec la gauche israélienne était que celle-ci était, de tous les mouvements de gauche dans le monde entier, le seul et unique à être persuadé que les relations entretenues avec les Etats-Unis par son pays étaient (on ne sait trop comment...) de nature à tempérer les injustices perpétrées par son gouvernement... Nous avions donc l'opportunité d'arguer des expériences vécues par ces étudiants (réfugiés) et de leurs positions lorsque nous débattions au sujet de la politique américaine et énumérions la litanie des crimes perpétrés par les Etats-Unis et Kissinger, le "professeur de mort", à Chypre, au Chili, en Argentine, et en bien d'autres pays... La droite arabe et la gauche sioniste, pendant ce temps-là, se moquaient allègrement de notre ardeur juvénile et de nos clichés réputés "sans fondement".
Ces jours anciens me sont revenus à l'esprit, lorsque j'ai lu les réactions à des documents du Département d'Etat américains, relatifs à l'Argentine, récemment déclassifiés et rendus publics, au moment même où Washington continuait à manigancer sa guerre contre le "terrorisme", cette guerre qui a réussi à retracer la frontière séparant le Bien du Mal, dans la culture politique dominante. Le fait que ces documents du Secrétariat d'Etat aient été rendus publics en vertu de règles de transparence démocratique ne manque pas de nous remémorer d'autres notions du bien et du mal, qui n'étaient pas toutes, loin de là, intégrées aux clichés naïfs des jeunes étudiants que nous étions alors. Au nombre des vertus (que l'on doit reconnaître aux) traditions institutionnalisées de l'Etat moderne, figure leur perpétuation sans égard à l'atmosphère politique ambiante ou aux intérêts conjoncturels. C'est animé par cette dynamique que le Secrétariat d'Etat n'a pas hésité à déclassifier ces documents, bien qu'ils contiennent des informations qui contredisent de manière flagrante l'image que les Etats-Unis essaient de se donner, dans leur croisade contre le terrorisme...
Ces documents révèlent que le Département d'Etat a soutenu à fond, sans réserve d'aucune sorte, le gouvernement putschiste de Videla, bien qu'il eût déchaîné une campagne intense de répression qui avait entraîné la disparition, la mort sous la torture et l'assassinat d'au moins quinze mille personnes. On y trouve, entre autres choses, une correspondance entre Robert Hill, ambassadeur américain en Argentine, à l'époque, et Kissinger : cette correspondance expose la complicité de celui-ci dans les crimes perpétrés par la junte de Buenos Aires ; ses rencontres avec le ministre argentin des affaires étrangères, l'Amiral Cesar Guzzetti, y sont longuement consignées. Au cours de ces multiples rencontres, Kissinger s'emploie à rassurer Guzzetti sur le fait que, pour peu que l'Argentine réussisse à régler son "problème terroriste" (expression désignant, dans le langage sui generis de la junte militaire, la répression féroce contre l'opposition, les militants des droits de l'homme et, en général, la gauche), les Etats-Unis ne soulèveraient pas la question des pratiques attentatoires aux droits de l'homme, en Argentine. L'ambassadeur Hill, dans cette correspondance, s'insurgeait contre le fait que sa hiérarchie, à Washington, s'employait à miner les efforts qu'il déployait auprès du gouvernement argentin afin de l'inciter à respecter les droits de l'homme. Il se plaignait amèrement d'avoir dû supporter le spectacle d'un Guzzetti, revenant à Buenos Aires, après ses rencontres avec les plus hauts responsables américains à Washington, en octobre 1976, "en état d'intense jubilation"...
Intéressant, non ? Important, en tout cas...
D'abord, cela nous aide à remettre les pendules à l'heure pour la gouverne de ceux qui ont toujours maintenu "mordicus" que l'intérêt américain pour les droits de l'homme était plus que relatif et que la politique étrangère américaine avait de tout temps et partout consisté à soutenir à bout de bras les atteintes aux droits de l'homme les plus atroces, partout sur la Planète... Ensuite, cela nous aide à garder à l'esprit l'inadéquation entre l'information livrée par la presse de gauche, à l'époque de la guerre froide, et les "faits bruts" relatés dans la langue propre à la diplomatie américaine, dans ses archives officielles. Il n'y a aucune raison particulière de se réjouir devant la nouvelle que l'horrible vérité a fini par être révélée, mise à part la satisfaction somme toute humaine que peut retirer tout un chacun d'être fondé à affirmer : "je vous l'avais bien dit...?!" Les Etats-Unis étaient donc bien impliqués dans le déchaînement de la terreur contre les citoyens de nombre de pays, dans leur tentative de contrer l'Union soviétique et d'en réduire l'influence. Les Etats-Unis ont poursuivi leurs stratégies de guerre froide avec plusieurs casquettes, allant de la lutte contre le terrorisme et les régimes nationaux "extrémistes" à la défense de la paix, de la sécurité et des intérêts vitaux des Etats-Unis et du monde démocratique...
Les archives récemment déclassifiées par le Secrétariat d'Etat américain ne mettent au jour qu'un tout petit coin d'une vaste tapisserie. Pour la politique étrangère américaine, la notion de "civils" ne s'applique qu'aux citoyens des Etats-Unis, des pays membres de l'OTAN et d'Israël ! (le "!" est de moi, ndt). La brutalisation, la punition et l'élimination d'autres ressortissants pour des motifs politiques n'est pas considéré comme du terrorisme. Toutefois, cet état des choses constitue une (relative) amélioration... Durant les phases les plus sombres de l'histoire américaine, le concept de citoyenneté ne s'appliquait pas aux Afro-Américains, pas, non plus, aux militants de gauche, ni même aux syndicalistes... On pouvait les réprimer sans tenir compte des codes définissant les droits et libertés, qui ne s'appliquaient qu'aux Blancs des couches moyennes et supérieures de la société.
Aujourd'hui, nous vivons dans un monde autre, dans lequel existe une conscience universelle des standards des droits de l'homme, des droits de la citoyenneté et du fait que ces droits sont indispensables au fonctionnement des différentes sociétés humaines. Dans notre monde actuel, les Etats-Unis ont fait du "terrorisme" leur casus belli, plus que jamais encore par le passé, leur permettant de viser des régimes qu'ils jugent hostiles à leurs intérêts stratégiques et matériels, tels qu'ils les conçoivent. De plus, ils en étendent indéfiniment la définition. Si, dans les années 1970, Washington qualifiait l'opposition argentine de "terroriste", aujourd'hui la Maison-Blanche va jusqu'à coller cette étiquette sur le dos des résistances palestinienne et libanaise.
Le climat politique général, aujourd'hui, n'est cependant plus celui qui prévalait dans les années cinquante, soixante et soixante-dix, décennies au cours desquelles des millions d'êtres humains, civils ou non, furent écrasés par les guerres et les coups d'Etat engendrés par la Guerre Froide et les alliances labiles dans l'un et l'autre camp. La Guerre Froide a pris fin, la culture des droits civils a atteint un statut universel, indépendamment des idéologies politiques en confrontation, ce qui revient à dire : par-delà les frontières de la question : "dans l'intérêt de qui les droits de l'homme et les droits civils de tel ou tel peuple sont-ils en train d'être bafoués ?"
Aujourd'hui, il est difficile (et pour cause...) d'accuser des "étudiants un peu trop exaltés" proclamant des slogans anti-américains de servir les intérêts de l'Union soviétique ou d'être les jouets de la propagande soviétique anti-occidentale. De plus, on peut articuler un discours basé sur des faits avérés et sur des arguments rationnels, accusant les Etats-Unis et Israël de perpétrer des actes terroristes. De là découle la nécessité de s'en référer aux documents officiels du Département d'Etat américain, qui corroborent la tradition de la politique étrangère américaine en matière de soutien aux gouvernements dictatoriaux et d'active participation aux mauvais traitement, torture et assassinats de populations civiles.
Aussi loin que nous nous efforcions d'étendre notre imagination afin de saisir l'horreur des événements qui se sont produits aux Etats-Unis le 11 septembre dernier, quelque terrifiants que soient les récits du massacre de civils innocents perpétré alors, jamais notre imagination ne pourra atteindre l'échelle de l'opération militaire la plus atroce jamais perpétrée dans l'histoire contemporaine contre une population civile. La décision prise par les Américains de lâcher la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki était un expédient de nature purement politique : il se serait agi de hâter la capitulation du gouvernement japonais, bien qu'il fût évident que le sort de la guerre était d'ores et déjà entre les mains américaines. Mais il y avait, peut-être, aussi, une autre motivation à cette décision ; celle de démontrer la puissance nucléaire de l'Amérique au monde de l'après-deuxième guerre mondiale. Cette opération militaire a constitué l'attentat terroriste le plus meurtrier de toute l'histoire et il devrait, de ce fait, figurer dans l'introduction à toute dissertation sur le terrorisme, qui ne pourrait faire à moins, une fois cet attentat inaugural rappelé, qu'évoquer chronologiquement le Vietnam, le Chili, Chypre, l'Argentine, Est-Timor, le Liban, la Palestine, l'Irak...
Il importe d'ouvrir ce débat au niveau global, en se gardant de toute exagération qui ne pourrait que discréditer l'ensemble du développement, tout en veillant à l'étayer d'exemples tirés de l'histoire. Les documents dont nous disposons pour ce faire peuvent paraître minimiser les catastrophes qui ont frappé les populations de ces pays, mais ils ne pourront que soulever mille et une questions en ce qui concerne tant la crédibilité de la "guerre contre le terrorisme" que ses motifs politiques (inavoués).