Point d'information Palestine > N°186 du 24/01/2002

Newsletter réalisée par l'AMFP - BP 33 - 13191 Marseille FRANCE
Phone + Fax : +33 491 089 017 - E-mail :
amfpmarseille@wanadoo.fr
L'AMFP Marseille est une section de l'Association France-Palestine Solidarité
Association loi 1901 - Membre de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux (Trésorier)
Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
                                       
Si vous ne souhaitez plus recevoir (temporairement ou définitivement) nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante :
amfpmarseille@wanadoo.fr. Ce point d'information est envoyé directement à 4150 destinataires.
Consultez régulièrement les sites de Giorgio Basile :
http://www.solidarite-palestine.org
et de Marc Deroover : http://www.paix-en-palestine.org
                            
                                                       
Deux plasticiens palestiniens présentent en ce moment leurs oeuvres à Paris
        
Mahmoud Shahin au Centre Culturel Arabe Syrien à Paris du 16 au 29 Janvier 2002
[Centre Culturel Arabe Syrien 12, avenue de Tourville - Paris 7e - Tél : 01 47 05 30 11 - M° Ecole Militaire - Entrée libre - Ouvert du lundi au vendredi de 9h à 15h et aussi de 18h15 à 20h15 du lundi au jeudi]
                       
"Dessine-moi une patrie" par Taysir Batniji à La Galerie à Paris du 16 janvier au 9 février 2002
[La Galerie - 27, rue de la Forge Royale - Paris 11e - M° Faidherbes-Chaligny / Ledru-Rollin / Charonne - Tél : 01 44 64 95 45 - Entrée libre - ouvert du mercredi au samedi de 14h30 à 19h - www.multimania.com/intermediart]
                           
Au sommaire
              
                              
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG.
1. La Palestine vue depuis les Nations premières par Doug Cuthand [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
2. Interprétabilité/interprétation et idiosyncrasie (du Coran) par Asma Barlas - Conférence donnée au Collège Ithaca (Etats-Unis), le 29 octobre 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. La grande tromperie par Geoff Bramford [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                               
Documents
Extraits de "Sous Israël, la Palestine" de Ilan Halevi, publié en 1984 aux éditions Le Sycomore
4 - Témoins têtus d'une histoire abolie. De la conquête militaire à la "légalisation" (1948-1953)
                                                                              
Revue de presse
1.Un Arabe abat deux civils israéliens et en blesse quarante autres, après la mort de quatre Palestiniens, victimes d'un raid israélien par James Bennet in The New York Times (quotidien américain) du mercredi 23 janvier 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
2. L'Europe chiffre les destructions israéliennes par Jean Quatremer in Libération du mardi 22 janvier 2002
3. L'époque américaine par Rony Brauman in Le Monde du mardi 22 janvier 2002
4. Péril en sa demeure par Christophe Ayad in Libération du vendredi 18 janvier 2002
5. Ce que l'armée dissimule à l'opinion publique par Amira Hass in Ha'aretz (quotidien israélien) du mercredi 16 janvier 2002 [traduit de l'anglais par Giorgio Basile]
6. Vous voulez la sécurité ? Arrêté l'occupation par Marwan Barghouti in The Washington Post (quotidien américain) du mercredi 16 janvier 2002 [traduit de l'anglais par Christian Chantegrel]
7. Palestine : quelle violence parle-t-on ? par Dr. Max Plantavid in Le Figaro du lundi 14 janvier 2002
                              
Réseau

                                               
1.
La Palestine vue depuis les Nations premières par Doug Cuthand
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Doug Cuthand est un journaliste et réalisateur de films de l'ethnie Cree, du Saskatchewan au Canada http://www.dougcuthand.com. Il nous livre, dans l'article ci-après, le point de vue d'un aborigène sur la question palestinienne.)
J'ai souvent l'occasion d'observer les événements de la scène mondiale sous l'angle des Nations premières (auxquelles j'appartiens, en tant qu'Indien Cree). Le conflit en cours entre Palestiniens et Israéliens s'y prête particulièrement. Qu'avons-nous devant les yeux ? Nous sommes en face d'une revendication territoriale complexe, en l'absence de toute commission (juridique) à même de démêler les revendications opposées. Le problème tourne autour du fait que l'Etat d'Israël a été créé sur une terre autrefois dénommée Palestine, dont les habitants premiers ont été chassés. Après deux mille ans de présence sur cette terre, vous penseriez que les Palestiniens ont une sacrée bonne raison d'exiger de la recouvrer, non ? Je suis certain que cette revendication tiendrait la route, si elle était prise en compte par la Commission canadienne des Réclamations indiennes...
Depuis bien des années, je n'ai pas varié dans ma position de sympathie à l'égard des Palestiniens. Je les considère comme les Indiens du Moyen-Orient.
(Leur) histoire présente (avec la nôtre) une similarité frappante. Les Palestiniens ont perdu leur terre. Ils ont été mis dans des camps tout-à-fait semblables aux réserves où on nous a cantonnés, et ils ont été colonisés et asservis par une puissance extérieure. En tant qu'aborigène du Canada, je retrouve dans une très large mesure chez les Palestiniens ce que nous avons subi.
Ici, au Canada, nous avons traversé des décennies entre traités de concessions et réclamations de terres... Si nous devions retenir une seule chose (de notre expérience), c'est que ce sont là des problèmes qui ne disparaissent pas d'eux mêmes. Si une génération ne peut négocier un règlement, la suivante sera mieux éduquée, donc mieux armée, et elle portera le problème devant les tribunaux, n'en doutez pas. Le dol ne fait que prendre de l'ampleur et enchérir à chaque génération. Il ne s'éteint pas de lui-même. Bien au contraire, il gagne en force politiquement et éthiquement, augmentant du même coup la résolution de notre peuple.
C'est la même chose, dans le cas du peuple palestinien. Le rêve d'avoir leur propre Etat n'a pas varié d'un iota depuis cinquante ans, et la répression, aussi dure soit-elle, ne pourra jamais le briser. Il en va ainsi pour tout peuple colonisé. La flamme de l'indépendance (à laquelle ils aspirent) ne fait que gagner en éclat, d'année en année.
La différence, dans notre cas, réside en ce que l'Etat canadien a reconnu les droits des aborigènes dans la Constitution et la Charte des droits et des libertés. Des mécanismes ont été mis sur pied, telle la Commission des revendications indiennes, pour trouver des solutions.
Ici, au Saskatchewan, nous avons le bureau du Commissaire du Traité, qui a négocié l'Accord d'attribution (des terres).
Les Israéliens, eux aussi, ont établi leur nation sur la terre d'un autre peuple, mais ils refusent toute manifestation de résistance, qu'ils qualifient de terrorisme. C'est là chose courante. La démonisation d'un peuple et de ses dirigeants (nationaux) est un instrument grossier utilisé de manière à mettre l'opinion publique de son côté. En tant que peuple appartenant aux Nations premières, nous avons subi les attaques dirigées contre les chefs que nous nous étions donnés par des groupes tels la Fédération des Contribuables et l'Alliance canadienne.
Ici, au Canada, nous ne sommes pas informés correctement. Les médias retiennent les informations venues des extrêmes, tels les colons et des organisations manifestement terroristes, comme le Hamas. La majorité des Palestiniens et des Israéliens, qui désirent simplement vivre en paix, n'ont pas voix au chapitre, chez nous.
Depuis de nombreuses années, les Etats-Unis soutiennent l'Etat d'Israël, ce qui a pour effet de le couper de la plus large communauté humaine du Moyen-Orient. Les médias américains et canadiens sont manifestement orientés, en faveur d'Israël, et ils n'hésitent pas à adopter des positions ouvertement racistes, dans leur manière de condamner les Palestiniens.
Dans ce climat, il n'y a pas de négociations permettant de reconnaître (la légitimité) des revendications de territoires et d'autonomie. Les colons continuent à agir à leur guise en Cisjordanie, territoire qui ne leur appartient pas en droit. Les camps palestiniens continuent à connaître la surpopulation, les gens y vivent dans la pauvreté, sans espoir en un futur meilleur. L'utilisation même du mot "colons" dénote une mentalité digne du Far West, ce qui ne peut que rapprocher nos deux peuples.
Le problème restant sans solution, et ne cessant de s'envenimer, la cause (du peuple palestinien) a été récupérée par des groupes radicaux, au Moyen-Orient. Les fondamentalistes  musulmans s'en sont emparé, en dépit du fait que de nombreux Palestiniens sont chrétiens.
Les problèmes non résolus s'exacerbent de plus en plus au fur et à mesure que les choix s'étiolent. Ici, au Canada, nous constatons que la direction politique des Nations premières de la Colombie britannique est plus radicale (que dans notre province) en raison de leur frustration au sujet de la négociation du Traité, et (nous comprenons qu'ils) réclament désormais un referendum à l'échelle de cette province canadienne. L'absence de règlement et l'intransigeance du gouvernement provincial jouent un rôle évident dans la frustration du leadership national (indien). Cette histoire, mon peuple la connaît trop bien, pour l'avoir vécue sept générations durant. C'est une histoire de problème difficile à résoudre. Mais les deux côtés doivent travailler ensemble (à rechercher une solution), dans une atmosphère de respect mutuel. Sinon, cette histoire ne finira jamais.
                                           
2. Interprétabilité/interprétation et idiosyncrasie (du Coran) par Asma Barlas
Conférence donnée au Collège Ithaca (Etats-Unis), le 29 octobre 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Mon exposé, intitulé "De l'interprétation et de l'idiosyncrasie (du Coran)" traitera tant de la manière dont la plupart des gens, aux Etats-Unis, perçoivent l'Islam, que de celle dont l'Islam en général - et en particulier, son texte sacré fondateur, le Coran - traite du concept de 'jihad'.
Etant donné qu'on ne m'a demandé de parler de l'Islam que deux ou trois fois, en dix ans d'enseignement au Collège Ithaca, il est pour moi évident que le nouvel intérêt qu'on lui porte ne résulte pas de quelque évolution positive, mais bien du désir qu'ont les gens de trouver une explication aux attentats perpétrés contre les Etats-Unis par, avance-t-on, un groupe de Musulmans ; événement qui les a laissés dans un état de choc, angoissés et en colère.
Le "hic", en la matière, c'est que se pencher sur le seul Islam ne peut apporter la réponse, ou la conclusion, auxquelles ces gens aspirent.
Comme le dit Robin Wright : "scruter le Coran pour y découvrir des citations incendiaires est essentiellement une perte de temps. Les religions évoluent, et il y a généralement assez de points ambigus dans leurs textes fondateurs pour qu'elles soient susceptibles de prendre toutes les orientations possibles et imaginables, dans leur évolution. Si Oussama Ben Laden était chrétien, et s'il voulait néanmoins détruire le World Trade Center, il citerait Jésus chassant les marchands du Temple. S'il ne voulait pas aller jusqu'à détruire le World Trade Center, il pourrait rappeler le Sermon sur la Montagne..."
Même si cette hypothèse peut choquer, il est indéniable que toute religion - ou toute idéologie laïque, d'ailleurs - offre les options entre violence et paix, entre oppression et libération, selon qui l'interprète, comment, dans quels contextes particuliers. Comme j'aime à le répéter, il y a très peu d'air de famille entre la théologie de la libération, de nos jours, et le christianisme des Croisades, de l'Inquisition ou de la Conquête (de l'Amérique)...
Et malgré tout, parce qu'ils ignorent que toute religion est ouverte à de multiples interprétation, nombreux sont ceux qui attaquent l'Islam. "On dirait qu'il y a deux versions (différentes) du Coran, quelque part... Si tel est le cas, qu'est-ce qui différencie le Coran qui fait l'ordinaire des terroristes et le Coran que le reste du monde musulman lit et respecte ? S'il est dans la salle, que le "vrai" Islam veuille bien se lever..." : telle était la question posée par un article de presse qu'un ami m'a communiqué, et dont je n'ai plus les références...
L'auteur de ce même article (qui indique qu'il est catholique), dit aussi "qu'il ne veut pas réentendre la vieille histoire des Croisades, de la politique étrangère abominable des Etats-Unis, etc... ni les comparaisons rapprochant l'Islam du Christianisme et du Judaïsme." On remarquera que l'auteur de cet article, tout en exigeant des Musulmans, dont je fais partie, qu'ils expliquent quel Coran nous lisons et quel est le véritable Islam, se dispense bien d'expliquer lui-même quelle différence il y a entre la bible que lisaient les Croisés et les Conquistadors, et celle qu'il a étudiée lui-même, pas plus d'ailleurs qu'il n'entreprend de convaincre les autres des raisons pour lesquelles son christianisme est le "vrai"...
Une telle stratégie, bien loin de seulement imposer aux Musulmans un fardeau que les croyants des autres religions refusent d'endosser eux-mêmes, obscurcit le fait que les conflits les plus sanglants, telles les deux guerres mondiales, ont eu des origines séculières et non religieuses. Même des conflits que l'on pense être de nature religieuse peuvent être facilement analysés comme découlant d'enjeux de pouvoir ou de luttes autour de certaines ressources économiques, et non de la pure idéologie. Cela n'est pas moins vrai des Croisades que ça l'est du conflit entre catholiques et protestants en Irlande, ou entre Juifs et Musulmans au Moyen-Orient, voire même en ce qui concerne les attentats anti-américains du 11 septembre 2001.
Nous pourrions, par conséquent, aller de l'avant, si nous nous efforcions de comprendre les conditions politiques et économiques qui engendrent les conflits et l'extrémisme religieux. Mais cela exige de nous que nous nous interrogions sur la nature de notre politique étrangère et aussi que nous reconnaissions la complicité de la laïcité, du capitalisme et de la démocratie libérale, dans l'apparition d'une division planétaire du travail qui, en privilégiant une minorité au détriment de l'immense majorité des gens, a fourni un terreau fertile pour la plupart des manifestations de l'extrémisme contemporain, qu'il soit religieux, ou non.
Par ailleurs, même si nous voulions détourner l'attention de l'opinion publique de la politique et de l'économie, en ne prenant en considération que la religion afin d'expliquer les événements du 11 septembre, je doute que la confusion, l'hostilité et la peur que ressentent la plupart des gens actuellement soient favorables à une meilleure compréhension de l'Islam ou à l'engagement d'un dialogue dépassionné avec les Musulmans...
De manière ironique, même des gens qui n'ont pas une animosité particulière à l'encontre de l'Islam auront bien du mal à avoir un tel dialogue (avec les musulmans), aussi longtemps qu'ils continueront à espérer que s'informer sur l'Islam les rendra capables de trouver un sens au 11 septembre, dans la mesure où cette attente découle elle-même du présupposé qu'il existe(rait) un lien entre Islam et terrorisme (ce qui est loin d'être prouvé).
C'est ce présupposé qui révèle à quel point la plupart des gens pensent que l'Islam est "unique en son genre" et, ce faisant, à porter à celui-ci une profonde atteinte épistémologique. Laissez-moi vous donner un exemple éclairant ce point.
Le terrorisme et l'exceptionnalité de l'Islam
Des formes modernes de terrorisme ont été introduites au Moyen-Orient, dans les années 1940, par des groupes activistes juifs, dans la Palestine alors sous mandat britannique. Ce sont l'Irgoun, le groupe Stern et la Hagana qui ont pris l'initiative de recourir aux attentats à la bombe dans "les lieux publics et les quartiers peuplés d'Arabes, afin de terroriser la communauté arabe" (Smith, 1992 : 19 ; 140). Le groupe Stern alla jusqu'à attaquer des banques juives, causant des "pertes en vies humaines, parmi les Juifs" (120). L'Irgoun, comme on sait, "a exterminé environ 250 victimes, hommes, femmes et enfants, dont les corps mutilés ont été précipités dans des puits", dans le village de Deir Yassin (143).
En dépit du fait que des tactiques terroristes de cette nature se sont poursuivies jusqu'à nos jours, les gens, aux Etats-Unis, n'ont jamais mis l'ensemble des Juifs, de par le monde, en demeure de leur expliquer ce que le judaïsme a à dire au sujet du massacre de civils innocents. Il est vrai que certaines personnes ont dénoncé ces groupes terroristes - considérés comme des combattants de la liberté par bien des gens - mais elles ne sont pas allées jusqu'à demander aux Juifs, en général, quelle Torah ou quel Talmud lisaient les terroristes juifs, ni à prier le "vrai" judaïsme de "bien vouloir se lever"...
Pourquoi, alors, cette injonction faite aux Musulmans d'expliquer ce que leur "bible" - c'est ainsi que ce "grand savant" qu'est la coqueluche de CNN, Larry King, appelle le Coran ! - leur enseigne en matière de violence ? (King est même allé jusqu'à importuner Hanan Ashrawi, en présumant que, palestinienne, elle était forcément musulmane, alors qu'elle est chrétienne...). Les gens qui proclament (à l'instar de l'auteur de l'article cité) qu'ils se moquent de l'Islam comme de leur première chemise, sont ceux-là mêmes qui demandent au "véritable" Islam de bien vouloir se manifester !
Dans cette ambiance détestable, où seules les musulmans sont tenus à protester inlassablement de leur humanité et à défendre leur religion, j'avais décidé - question de principes - de ne jamais m'exprimer, dans quelque réunion sur l'Islam que ce soit... Mais ma religion prône le jihad de la connaissance et ce jihad est, pour le musulman que je suis, une obligation...
C'est pourquoi je suis ici, aujourd'hui, devant vous : pour vous parler de la notion de jihad.
Le Jihâd dans le Coran
Le mot 'jihâd' signifie "lutte", ou "effort" et en aucun cas : "guerre". C'est ainsi que le Coran évoque le jihâd de l'âme, le jihâd de la langue (du discours), le jihâd du calame (de la communication écrite), le jihâd de la foi, le jihâd de la droiture, etc... Il s'agit du "grand jihâd", de cela même qui nous permet, à nous musulmans vivant aujourd'hui, d'actualiser notre identité de musulmans. 
Il y a aussi le "jihâd des armes", dont le but est de combattre pour la cause de Dieu ('Allâh). Il s'agit ici du "petit jihâd", qui autorise le combat mais uniquement défensif. Plusieurs versets du Coran évoquent cette forme (particulière) de jihâd, et j'en citerai deux, parmi les plus importants :
"La permission est donnée de combattre à ceux contre qui une guerre est injustement menée - et, en Vérité, Allâh/Dieu a certes le pouvoir de venir à leur secours - (ou à) ceux qui ont été chassés de leurs lieux de vie pour la seule raison d'avoir proclamé "nous nous en remettons à Dieu". Car si Dieu/Allâh n'avait pas autorisé les gens à se défendre les uns des autres, tous les monastères, les églises, les synagogues et les mosquées - tous lieux dans lesquels Son nom (de Dieu/Allâh) est abondamment honoré - auraient certainement été détruits, à ce jour." (Cor. 22 : 39-40). (adaptation personnelle, ndt).
Le second verset dit :
"... combattez pour la cause de Dieu contre ceux qui vous font la guerre, mais ne commettez pas l'agression - car, en vérité, Dieu/Allâh n'aime pas les agresseurs. Tuez-les partout où vous pourrez les vaincre, chassez-les des lieux d'où ils vous avaient chassés, car l'oppression est pire que la mort" (Cor. 2 : 190). (adaptation personnelle, ndt).
Bien que les allusions au fait de tuer nous fasse des frissons dans le dos, qui que nous soyons, il est important de ne pas laisser notre répulsion devenir un alibi afin de refuser d'admettre certaines réalités pourtant transparentes.
Tout d'abord, quelqu'un peut tuer un nombre incalculable de ses semblables, tout en évitant tout risque pour lui-même, et même sans combattre. Pensez aux sanctions économiques imposées à l'Irak, qui tuent en moyenne 5 000 enfants irakiens innocents chaque mois, tout cela parce que notre gouvernement est opposé à un seul homme (Saddam Husseïn, ndt). Mon propos n'est aucunement de justifier la guerre, mais d'attirer l'attention sur l'un de ses aspects - hideux - que nous avons tendance, habituellement, à ignorer.
Secondement, ce n'est pas l'Islam qui a inventé la guerre (qui existait, malheureusement, avant lui). Il se contente d'enseigner une certaine approche de celle-ci. Cette approche interdit l'agression, ou l'attaque d'un ennemi par surprise, et elle ordonne aux Musulmans de mettre fin aux hostilités dès qu'une agression contre eux cesse. Ce dernier point peut sembler de peu d'importance, tant que l'on ne souvient pas du fait que les Etats-Unis ont détruit Nagasaki et Hiroshima après que les Japonais eurent diffusé leur acte de reddition. Plus récemment, l'armée américaine a fusillé une centaine de milliers de soldats irakiens qui se retiraient du champ de bataille, durant la guerre du Golfe, opération que de hauts gradés qualifièrent de "tir au canard".
Troisièmement, ce n'est pas contre n'importe quel type d'agression que les musulmans sont sommés de résister, mais bien contre les persécutions religieuses. Ainsi, le jihâd ne saurait avoir pour motivation l'extension du territoire, la protection d'intérêts politiques ou économiques ou l'élimination de ses ennemis : toutes choses pour lesquelles toutes les nations - musulmanes comprises - font la guerre.
Quatrièmement, le Coran prône également les préceptes du pardon et de la paix. Comme il l'enseigne : "Le bien et le mal ne sachant être équivalents, repousse le mal (qui est en toi) par une action ou une pensée meilleures, et alors, celui entre lequel et toi-même il y avait de l'inimitié pourra devenir comme s'il avait toujours été pour toi un ami proche et sincère" (Cor. 41 : 34) ; et "... lorsque vous êtes accueillis par une salutation de paix, répondez-y par une salutation encore meilleure, ou tout du moins, qui ne soit pas moindre en bienveillance" (Cor. : 4 : 86) (cf. salutation islamique : "Al-salâmu 'alaykum wa rahmatu-llâhi wa barâkâtu-hu" ~ "Que la Paix soit sur vous, ainsi que la miséricorde de Dieu/Allâh et Ses bénédictions". Adaptation personnelle des citations coraniques, ndt).
Bien entendu, citer des versets choisis dans le Coran n'est pas la meilleure façon de convaincre les gens de la véracité de son argumentation, et encore moins de communiquer une compréhension holistique de ses enseignements, mais telles sont les limites des dix minutes de communication qui me sont imparties. Le point sur lequel je voudrais insister est celui-ci : le Coran nous demande de le lire pour ce qu'il contient de plus profond et il définit l'Islam comme "al-sirât al-mustaqîm", c'est à dire "la voie droite, le droit chemin", la voie de la modération, et non de l'excès.
Il est indubitable que certains musulmans sont tombés dans l'extrémisme et l'excès et il n'y a aucun doute non plus sur le fait que nous devons travailler beaucoup plus à trouver ce qui va dans le sens de la libération, dans le Coran, que nous ne l'avons fait jusqu'ici. Cela exige de nous que nous remettions en examen et que nous redéfinissions sans cesse la compréhension que nous en avons. C'est pourquoi je ne m'oppose jamais à quelqu'un qui désire savoir ce que l'Islam enseigne "réellement", étant donné que ce genre de questions sont les aiguillons qui suscitent ce travail intense de redéfinition permanente, qui n'est autre que le jihâd.
Mais malheureusement, bien des gens qui harcèlent aujourd'hui les Musulmans, les sommant de définir ce qu'est le "vrai" islam, ne sont pas vraiment intéressés à ce que nous fassions ce travail de redéfinition permanente ; en réalité, ils utilisent ce genre de questions dans le but de nous jeter la proverbiale "première pierre". A ceux-là, je répondrai qu'ils n'ont pas le droit de poser cette question avant d'avoir eux-mêmes pris la ferme résolution de se demander "quels" sont les "vrais" Etats-Unis : ceux qui se font le héraut de la liberté, des droits civiques et de la démocratie, chez eux, ou bien ceux qui guerroient, semant destructions et répression à travers le monde ? A n'en pas douter, nous aurions beaucoup à apprendre, en demandant aux "véritables" Etats-Unis : "veuillez vous lever, s'il vous plaît".
                                               
3. La grande tromperie par Geoff Bramford
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

("Geoff Bamford, poète anglais, ami de la Palestine et de l'égalité entre les hommes, appartient à la communauté spirituelle de la Troisième Colombe, celle des descendants des Juifs qui refusent de jouer le jeu de la domination et aiment leurs frères humains. Il relève l'influence extraordinaire qui est celle d'Israël et de ses soutiens à travers le monde : il y voit l'origine de la Grande Tromperie contemporaine. De nombreux penseurs ont relevé l'ambiguïté du discours pro-israélien (parmi eux, le philosophe israélien Adi Ofir). Mais Geoff va plus loin, il affirme que ce "double langage" a entraîné à sa suite une "pensée duplice". En homme familier des mots, il démantibule le Grand Mensonge concocté par les suprématistes juifs et il proclame la nécessité - pressante - de "revenir au réel", c'est-à-dire de mettre fin à l'apartheid et de donner la liberté à tous les habitants de Palestine/Israël. Ce changement ne pourrait que faire miracle en Occident aussi, car le paradigme de la suprématie deviendrait dès lors obsolète, laissant place à l'idée de fraternité." Israël Shamir)
- Soyons réalistes
 Plus nous sommes forts, plus nous avons besoin de réinterpréter la réalité, tout en niant le faire. Regardez les relations palestino-israéliennes. L'Etat d'Israël en est arrivé au point de dominer les relations politiques et sociales, tant dans sa propre zone géographique que sur la scène internationale, à un degré inouï. Les Israéliens en supportent les conséquences. Tout comme ils ont envahi le territoire des autres, leurs esprits ont été envahis.
- Nous aimons jouer sur les mots
Israël règne depuis longtemps sur des populations palestiniennes et des territoires conquis par la guerre. Cela est-il mal ? Cela doit-il cesser ?
Ce n'est pas ce que pensent les décideurs israéliens.
Toute personne dotée de raison et informée ne devrait pas le penser non plus, d'après eux.
Toutefois, des gens apparemment sensés le pensent bel et bien. Comment est-ce possible ?
Nombreux sont les Israéliens à y voir de la malignité ("antisémitisme" ou, variante, lorsqu'il s'agit de Juifs : "haine de soi"). Ou bien alors, de la tromperie. Cette malignité et cette tromperie semblent largement répandues aujourd'hui. Pourquoi ? Une des raisons pourrait en être, en toute hypothèse, la propagande palestinienne.
D'après cette thèse séduisante, les Palestiniens ne veulent pas reconnaître la responsabilité de leurs actes. Ils se réfugient dans un fantasme de victimisation collective. Ils y sont tellement profondément plongés qu'ils sont capables d'y entraîner autrui. Cela a amené la communauté internationale à adopter de nombreuses résolutions défectueuses, pour tout dire : malveillantes. Ainsi, les résolutions de l'ONU persistent-elles à présenter Israël comme un Etat belligérant occupant les territoires palestiniens. C'est à croire que les Palestiniens ont réussi à contaminer le droit international !
L'élite israélienne, toutefois, à l'instar de la plupart des gens puissants, se console en faisant toute confiance à sa maîtrise de la communication et des relations publiques. La diffusion d'une novlangue, susceptible de donner une ossature à son monde virtuel, ne lui fait pas peur. Alors : elle la diffuse...
Prenons l'exemple de Jérusalem. La version officielle est qu'Israël a libéré Jérusalem en 1967, et qu'il garantit la liberté totale d'accès à la ville. Si tel était le cas, les fidèles des trois religions monothéistes devraient avoir le droit d'aller y prier.
En réalité, Jérusalem Est est une ville assiégée. Elle est interdite à tous les Palestiniens, chrétiens comme musulmans, qui n'auraient pas le laisser-passer requis, l'obtention duquel dépend totalement du bon vouloir des autorités israéliennes.
Même les heureux titulaires du laisser-passer requis sont susceptibles de voir leur droit d'accéder à la ville conditionné à des critères de sexe et d'âge. Ainsi, seuls les hommes - âgés de plus de quarante ans, de surcroît - peuvent pénétrer dans la mosquée Al-Aqsa.
Les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza ne peuvent pas plus prier dans les églises ou dans les mosquées de Jérusalem qu'aller... nager librement dans la mer. Ils sont en permanence exclus du centre culturel et cultuel ancestral de leur peuple.
Voilà donc ce qu'on appelle "tolérance" et "liberté". Saluons la performance : détourner le sens des mots à ce point n'est pas donné au premier venu.
Seigneur, protège-nous de la défensive !
Prenons cette fois la notion de défense. Lorsque les Israéliens réduisent des maisons palestiniennes en gravats, c'est de l'auto-défense.
"Cela ne se produit que si des Palestiniens ont tiré à partir de ces maisons, ou en se cachant derrière". Bien entendu, il semble très rarement nécessaire aux autorités israéliennes de donner plus de preuves au sujet de ces fameux "tirs". Toute exigence trop insistante de preuves ne pourrait que dénoter un préjugé défavorable profondément ancré... Il en va de même pour toute suspicion que ceux-là mêmes qui affirment (?) avoir été pris pour cibles, pourraient avoir, eux-mêmes, tiré les premiers...
Il y a tellement de reportages mensongers, à ce sujet ! En dépit de tous les efforts des autorités, les médias insistent souvent, par exemple, à parler de maisons démolies. Eh bien, voyez-vous, il faut bien que quelques constructions illégales soient détruites... C'est une nécessité imposée par la sécurité d'Israël. C'est là tâche toute indiquée pour les Forces Israéliennes de Défense (c'est même écrit sur leurs tanks... ndt).
De même, les civils déchiquetés par les roquettes tirées depuis les hélicoptères Apache ou les tanks israéliens ne sont pas assassinées. Elles sont simplement éliminées, dans le cadre d'une politique raisonnable et modérée d'auto-défense active. Aussi il est tout-à-fait déplacé de parler, à ce sujet, d'"exécutions extra-judiciaires", voire, encore pire, de  "crimes"...
Autre exemple : les villages et les villes palestiniennes ancestrales n'ont pas besoin de terrain pour assurer leur croissance. Cela ne ferait que compliquer la (nécessaire) défense d'Israël. C'est pourquoi on peut très bien leur refuser cette extension, fût-ce sur des terrains qui leur appartiendraient déjà. Mais des faubourgs juifs, paisibles et vulnérables (ne dites jamais "implantations" ni "colonies"), méritent protection. Et pour leur croissance naturelle, il leur faut toujours plus de terrain... pris aux Palestiniens...
Israël n'assiège jamais les territoires palestiniens, pas plus qu'il ne transforme les villages et les villes palestiniens en camps d'internement. Non. Les territoires sont tout simplement fermés, de façon à défendre ces pauvres Israéliens, continuellement assiégés par les Palestiniens (quand ce n'est pas, parfois, tous les Arabes en général). Comme tout le monde ne le sait pas assez, Israël est un pays assiégé...
Certains journalistes (oh, pas nombreux) semblent avoir une certaine difficulté à conserver ces vérités pourtant simples à l'esprit. Mais, à la fin des fins, la ligne officielle israélienne s'impose, dans la plupart des cas.
Et c'est très bien ainsi : c'est même vital. Ce n'est qu'à ce prix que le peuple israélien peut être contraint à supporter les souffrances que la politique actuelle continuera inexorablement à lui imposer. L'Etat d'Israël, dans sa forme actuelle, dépend de manière vitale de ce processus de persuasion. Et cela ne pourra marcher avec les Israéliens eux-mêmes qu'à la condition qu'ils restent capables de vendre leur propagande à grande échelle. 
Aussi, il est intéressant d'étudier comment ils procèdent. Certains des axiomes du mode de pensée israélien entrent en résonance avec des attitudes profondément ancrées dans le "monde développé". Vous n'avez qu'à voir le discours sur les attentats-suicides.
L'armée israélienne est plus puissante que toutes les armées des pays voisins mises ensemble. Elle exerce un contrôle absolu sur le territoire et la vie des Palestiniens. Dans le conflit en cours entre les deux peuples, les Palestiniens meurent en beaucoup plus grand nombre. Mais des Palestiniens choisissent, parfois, de se faire sauter au milieu de leurs homologues israéliens. Ceci justifie toute mesure jugée appropriée par Israël.
En effet, comment comprendre le comportement d'un kamikaze ? Cela reflète-t-il, par exemple, leur désespoir ?
Absolument pas ! Après tout, Monsieur ou Madame Consommateur Occidental, vous avez un certain nombre de problèmes à régler, dans votre propre vie, non ? Mais vous imagineriez-vous faisant une chose pareille ? Jamais !
Et pourquoi non ? C'est pourtant évident : parce que vous êtes rationnel(le). Cela guide votre comportement.
Ces gens, en revanche, ne sont pas soumis, à l'évidence, à de tels garde-fou. Ils ne sont pas rationnels, comme vous et moi avons la chance de l'être.
Le phénomène des attentats-suicide résulte de la nature même des Palestiniens, d'une manière générale. Tout ce groupe humain est dépourvu de raison.
C'est d'ailleurs bien pourquoi nous ne saurions leur faire confiance. Tout acte d'un Palestinien non stipulé à l'avance par des gens civilisé - en l'occurrence, les Israéliens - doit être considéré comme un acte menaçant. Tout comportement israélien, en revanche, quelque grand que puisse être le dommage qu'il inflige à des Palestiniens, est considéré comme légitime et ressortissant à l'autodéfense.
Etres humains et terroristes :
On voit, à ce point de notre exposé, que la notion d'être humain n'est pas la même, dans le cas présent. Dans le discours interne israélien, le terme d'être humain ne s'applique pratiquement pas aux Palestiniens. Ils ont été qualifiés, encore récemment, de vipères, de cancrelats, de crocodiles, de malédiction, etc...
Mais cela ne convient pas à la consommation mondiale. C'est pourquoi, le terme favori pour désigner les Palestiniens est, bien entendu, celui de 'terroriste'.
Les terroristes ne sont pas - comme on l'entend dire ici et là - des gens ordinaires qui réagiraient à des pressions extrêmes et humainement insupportables. Non. Ce sont des criminels, doublés de fous. Leur comportement ne reflète pas les circonstances externes dans lesquels ils vivent, mais bien leurs tares intrinsèques.
S'ajoute à cela que le terrorisme palestinien fait en permanence la une des informations. Tout cela aboutit à ce que les Palestiniens, en général, sont considérés comme des terroristes. Ainsi, nous n'avons pas affaire, dans ce domaine, à un groupe d'être humains ordinaire, de nature nationale ou culturelle. Ce groupe a bien une prédisposition innée à la violence.
Ce qui est inné doit être nécessairement d'ordre génétique. Si un groupe humain est globalement de nature terroriste, il s'assimile à une espèce (biologique) différente.
Evidemment, à ce compte-là, les Palestiniens sont inéligibles aux droits de l'homme. Ils méritent amplement toute forme de répression à laquelle Israël pourrait être contraint de recourir afin d'assurer sa sécurité. Il s'agit là, tout au plus, de simple discipline.
La situation ressemble à celle qui prévalait en Irlande du Nord avant que le pouvoir et la conscience ne basculent. Celui qui tient le haut du pavé, qu'il soit protestant, dans le cas de l'Irlande, ou juif, dans le cas qui nous occupe, revendique la légitimité démocratique. Ses services gouvernementaux peuvent faire absolument tout ce qu'ils veulent, dès lors qu'un gouvernement élu a adopté des lois qui les y autorisent. La démocratie ne doit-elle pas se défendre contre le terrorisme ?
Bien entendu, l'Etat a été défini de manière à exclure du processus démocratique une grande partie de la population qu'il contrôle. Mais cela n'a pas d'importance. Pouvons-nous réécrire l'histoire ?
Ainsi, le fait qu'Israël prive les Palestiniens qu'il tient prisonniers de tous droits n'est que l'expression de la démocratie, sacrée et indivisible. Si l'Etat israélien tue le dirigeant d'un parti politique palestinien, c'est par mesure de sécurité.
Si certains militants de ce parti palestinien tuent à leur tour le dirigeant d'un parti israélien, par contre, c'est du terrorisme. Le premier crime qui a motivé le crime en représailles ne doit absolument pas être mentionné dans un même paragraphe. Que le dirigeant israélien en question ait traité les Palestiniens de "poux", voilà qui est absolument hors sujet.
Finalement, toutes les apparences sont réunies que les Palestiniens présentent une forme quelconque de déficience biologique constitutive. Peut-être leur manque-t-il le gène de l'affect parental ? Comment, autrement, expliquer leur comportement ? Ils s'entêtent à mettre leurs enfants sur la trajectoire des balles et des bombes israéliennes ! Ils transforment d'une manière absolument cynique leurs rejetons en boucliers humains. C'est toujours ainsi que les faits sont présentés, même lorsque des enfants sont tués dans les bras de leur mère, même lorsque des enfants sont tués sur le chemin de l'école ou en revenant de faire les courses, ou encore dans la cour de leur maison ou de leur école, au beau milieu d'une partie de foot, voire, dans leur lit, en plein sommeil...
Reste que, concluent les Israéliens, ce comportement est peut-être, fût-ce d'une manière étrange, compréhensible. Ces Palestiniens seraient bien capables de faire n'importe quoi, afin de salir la réputation du pauvre petit Israël. En fait, cette soi-disant nation n'est pas autre chose qu'une conspiration visant à détruire Israël, et le moyen qu'elle a choisi, c'est de procréer...
Ils se multiplient comme des lapins, c'est archi-connu. C'est sans doute pour ça qu'il doivent trouver coûte que coûte un moyen de se débarrasser des gamins qu'ils ne peuvent nourrir...
Comme les catholiques d'Irlande du Nord, je vous dis !
Ainsi, les soldats et les colons israéliens ne tuent pas, en réalité, des centaines d'enfants palestiniens au cours d'une seule année. Non. Ce sont les Palestiniens qui déploient leurs boucliers (in)humains et leurs stratagèmes de propagande (dont leurs propres enfants sont les instruments), afin de toujours plus retourner le monde entier contre un Israël calomnié comme jamais.
Qu'est-il en train de se passer ? Clairement, le double-langage est devenu une nécessité politique permanente.
Pas de problème : les Israéliens, comme autrefois, les Britanniques impériaux de l'époque de nos grands-parents, ont développé les compétences nécessaires. Seulement voilà : le double-langage induit la double-pensée. Et cela pervertit l'esprit. Une fois pris dans l'engrenage, il est difficile d'arrêter : les contradictions deviennent un mode de vie.
Observez à quel point le discours officiel opère le distinguo, constamment, entre Palestiniens et Israéliens. Tout Palestinien est une bombe à retardement. L'assassiner est une sorte d'exercice impersonnel : cela équivaut à désamorcer un engin explosif. Et pourtant, lorsqu'Israël publie des listes de Palestiniens à éliminer, les cibles sont désignées de leur nom personnel, de ceux de leur père, de leur grand-père, de leur famille, on précise même parfois le nom de leur tribu - ce qui semblerait dénoter, quelque part, une certaine continuité biologique et humaine, non ?
En revanche, tous les Israéliens sont des civils. Cette notion englobe les colons armés jusqu'aux dents, susceptibles de harceler des villages palestiniens entiers, bien souvent sous l'oeil bienveillant et protecteur de l'armée israélienne...
- Pas de justice = pas de paix
Des distorsions de sens de cette nature sont utiles, (mais seulement) à court terme. Elles permettent d'avoir l'opinion publique de son côté, là où cela importe : en Amérique et en Europe. Elles entretiennent le moral à l'intérieur d'Israël, en emmagasinant la peur et l'apitoiement sur soi-même afin de soutenir la capacité de l'élite à dominer.
Mais l'auto-suggestion génère des stratégies d'échec. Afin de justifier leur comportement (passé et actuel), les Israéliens en sont amenés à se comporter d'une manière qui ne peut que produire à l'avenir des résultats dont ils seront les premiers à pâtir.
Le mythe tient bon, qui veut que les immigrants juifs, et plus tard, les Israéliens, se sont toujours comportés correctement, depuis les années 1920. Mais il y a eu des problèmes entre les deux communautés pratiquement en permanence depuis lors. Il en découle nécessairement que ce sont les Palestiniens qui se sont mal comportés tout au long ! Aussi leurs récriminations ne sauraient être fondées... Aussi il ne faut jamais croire ce qu'ils racontent. Aussi ne peuvent-ils jamais être traités avec un minimum de considération : sinon, ils en profiteraient, aussi sec, pour prendre le dessus...
Il y a sécurité, et sécurité.
Bref, les Israéliens ont beaucoup de difficulté à reconnaître le vécu des Palestiniens. Alors, en lieu et place, ils mélangent leurs propres vision qu'ils ont de leur propre situation à leur perception qu'ils ont de la situation qu'ils imposent aux Palestiniens, ce qui ne manque pas de les amener, très rapidement, à lever les bras au ciel, d'impuissance.
Cependant que les Palestiniens ne sont absolument pas fondés à se sentir en insécurité lorsqu'on fait sauter leurs maisons, lorsque leurs enfants sont massacrés, lorsque leurs récoltes et leurs vergers sont arrachés, leurs terres volées, leurs vies détruites, leurs libertés déniées ou leurs vies "visées". Après tout, la vie sous un gouvernement arabe est, par définition, épouvantable, non ? Aussi, l'alternative de vivre sous la loi israélienne est forcément géniale. L'occupation n'est ni cruelle ni provocante. Elle est inoffensive, rassurante, normale et même plaisante, si, si... C'est presque une faveur que les Israéliens font là, aux Palestiniens...
Le manque de docilité des Palestiniens est par conséquent motif à surprise et à déception. Ils sont incapables de reconnaître la bonté d'Israël ! Cela montre à quel point leurs mentalités sont retorses.
A l'évidence, Israël doit se protéger. Il doit exiger des garanties de loyauté de la population occupée. Aucun signe de rébellion n'est tolérable. Ne parlons pas de représailles ! Les services de l'Etat israélien, d'autre part, doivent être laissés libres d'agir comme ils l'entendent. La simple suggestion que cette liberté devrait être d'une quelconque manière entravée représente une agression délibérée et malveillante envers les victimes permanentes de l'histoire que sont les Juifs.
C'est le dernier arrivé qui est le brave gars ?
Tout cela se tient, parce que l'opinion publique israélienne ne peut admettre que c'est l'occupation-même qui est à l'origine de toute l'insécurité politique qui règne en Palestine/Israël. Cette éventualité est écartée d'entrée de jeu. Par conséquent, le problème doit être du côté de la population occupée, nécessairement irrationnelle et/ou manipulée.
Les Israéliens sont en état de dépendance par rapport à leurs mensonges. Les abandonner causerait pour eux un profond désarroi. C'est pourquoi la politique doit s'en faire le reflet.
C'est le problème colonial classique. Les indigènes sont incroyablement rétifs à reconnaître les bienfaits de la civilisation. Il faut leur donner une bonne leçon. Nous faisons tout notre possible pour eux, mais apprendront-il un jour ? C'est le fardeau de l'Homme Blanc...
Dans un contexte tel que celui-là, il est inévitable que les choses tournent mal. Etre gentil ne sert pas à grand-chose.
Camp David : moment de vérité :
Prenons les négociations israélo-palestiniennes, en 2000. Dans son immense générosité, nous dit l'histoire (officielle), Ehud Barak a fait des concessions absolument sans précédent.
Difficile d'expliquer pourquoi. L'influence du cadre pastoral de Camp David, sans doute. Le charme de Bill Clinton ? En quelque sorte, Barak avait tout balancé sur la table.
Oui, mais voilà : les Palestiniens n'ont rien trouvé de mieux que de mordre la main qui les nourrissait. Ils ne voulaient pas du morcellement de la Cisjordanie par les colonies israéliennes. Ils insistaient sur la continuité territoriale, telle que prévue par les accords d'Oslo. Ils invoquaient la légalité internationale et les résolutions de l'ONU. Ils ont refusé de renoncer au droit des réfugiés à retourner chez eux. Ils ont refusé d'oublier tout simplement Jérusalem occupée...
Ils se sont montrés irréalistes et inflexibles. Après tout, Barak savait bien, lui, ce qui était bon pour eux. Il essayait seulement de leur inculquer quelques bons principes de base de gouvernance. Mais ils ont quitté la table en hurlant !
C'est simple : vous n'avez qu'à regarder Arafat : vous aurez devant vous l'archétype du félon. Il n'a jamais été de bonne foi, de toute évidence. Il n'a jamais cessé de conspirer afin de détruire Israël. Il n'a jamais été réellement un partenaire de paix, il est même toujours resté le terroriste que l'on sait. Sinon, pourquoi rejetterait-il une offre tellement généreuse ?
Vous êtes au fond du trou ? Arrêtez de creuser ! Mais voilà : creuser peut devenir une sale habitude...
Ici, nous voyons bien le danger qu'il y a à parvenir à se tromper soi-même, tout en trompant ses propres partisans. Les événements refusent de se dérouler comme on voudrait qu'ils se déroulassent. Il devient de plus en plus difficile de maintenir une logique distordue. Vous n'avez pas d'autre choix que de redoubler la distorsion.
Ainsi, Arafat n'a pas eu seulement une divergence d'opinion avec Barak. Non. Il a, au contraire, révélé sa véritable nature : irrationnel, non civilisé, infra-humain, voire même démoniaque.
La politique israélienne n'a pas échoué. L'occupation n'est ni brutale ni contre-productive, pas plus pour Israël que pour qui que ce soit d'autre. Honte à cette idée ! Non. Israël a été trahi - une fois de plus.
Les Israéliens ont profondément ressenti cette "trahison".
Tant individuellement que collectivement, les gens ont été choqués, en Israël, par la stupidité et la perversité des Palestiniens.
Ce délire s'est emparé de l'ensemble de la société. Le "camp de la paix" l'a fait sien avec un enthousiasme désolant, de manière à couvrir son trouble.
Cela a donné un répit nécessaire. Cela signifiait que personne n'aurait à reconnaître en quoi résidait la véritable trahison. L'idée que l'offre finale d'Israël était une parodie de justice fut occultée.
Non. L'échec était entièrement imputable aux Palestiniens. Lorsqu'on leur présentait cette fameuse solution, la seule correcte, ils ne surent sauter sur l'occasion.
Il en découle que toute négociation est inenvisageable, à l'avenir. La seule solution, c'est : Ariel Sharon.
Et si cela ne plaît pas à la communauté internationale, qu'elle aille se faire pendre.
Israël a reconnu le choix qu'on lui imposait. La paix ayant été rejetée sans raison, Israël choisira la guerre.
Ainsi, confrontée à ses propres limites, la société israélienne a choisi de les ignorer. C'est ce qui se passe, généralement, lorsque quelqu'un obtient toujours tout pendant trop de temps...
- Pas de paix = pas de raison
Le déni, se nourrissant de lui-même entraîne un état de dépendance, à la manière d'un stupéfiant. Nous mettons le monde cul par-dessus tête, dans nos esprits, et il ne peut répondre à nos attentes. Alors, nous attelons de nouveau, avec une vigueur renouvelée, à notre tâche nécessaire : reconformer le monde, encore une fois, mais encore bien plus à fond.
Ainsi, ce n'est pas la nation palestinienne qui a rejeté le marché de Camp David. Dire cela impliquerait qu'il y ait une divergence d'opinions entre deux partenaires égaux.
Non : voilà la vérité : les Palestiniens n'ont pas étudié l'offre israélienne, et ils ne l'ont pas trouvé insuffisante. Non. Ils ont été incapable d'apprécier à quel point cette proposition était généreuse, tant leur direction est incapable. Les bonnes intentions de la communauté internationale, au coeur de laquelle, Israël, ont été frustrées par l'incapacité toute arabe des Palestiniens de sécréter des structures gouvernementales potables. On dirait des enfants turbulents, à dire le vrai. C'est pourquoi il est impossible de négocier sérieusement avec eux.
Le problème, c'est la légitimité.
C'est pourquoi le débat, en Israël, dévia. La question devint : que faire d'Arafat ? La réponse extrême était : le tuer. Les modérés continuaient à s'accrocher, en revanche, à l'idée qu'il faudrait l'amener à changer d'attitude...
Cette dispute fut menée en langage crypté. En surface, il s'agissait de trouver la manière susceptible d'aider les Palestiniens à retrouver la raison. Cela pouvait-il être fait si l'OLP demeurait une force de pouvoir ? Arafat était-il un dirigeant palestinien adéquat, légitime ?
Ainsi, on voit que Dieu a chargé le pauvre Israël du fardeau consistant à devoir déterminer non pas seulement la territorialité des Palestiniens, mais même, en plus, leur direction politique. Les occupés ont besoin que leurs occupants choisissent leurs dirigeants à leur place. Dingue, non ?
Bien entendu, il peuvent, éventuellement, rejeter ce genre de choix (faits pour eux en leur lieu et place). Cela reviendrait pour eux, de toute évidence, à être reconnaître leur incapacitéà décider où est leur intérêt bien senti. Ils ne savent pas ce qu'ils veulent. Ils ont besoin de conseils...
Comme toujours, la parade à une situation insatisfaisante, c'est de la redéfinir. Seulement voilà : à partir du moment où nous nous permettons d'écarter ce qui se profile devant nous si cela ne nous convient pas, comment savoir, à la fin, ce qui est réel ?
Cela devient très difficile. Cette difficulté, à son tour, doit être abolie. La seule façon pour ce faire est de concilier plusieurs versions de la réalité, nécessairement contradictoires entre elles (et toutes aussi absurdes les unes que les autres).
Dans le cas d'Israël, aujourd'hui, ces versions de la réalité sont, notamment :
- Arafat a les rênes en main. Quoi qu'il arrive, ça ne peut être que sous sa responsabilité. Les Palestiniens obéissent mécaniquement à son ascendant démoniaque. Sur un claquement de doigt, ils se déchaînent. La violence et le terrorisme dépendent entièrement et uniquement de sa volonté. C'est là son programme secret, qu'il a toujours eu. Il faut le virer.
- Arafat prétend être aux manettes. Il devrait y être. Mais il n'y est pas. Il ne peut pas donner l'ordre à son peuple de cesser la violence. Par conséquent, soit :
= Il faut l'écarter et mettre à sa place un autre dirigeant plus flexible et plus raisonnable. Les nouveaux dirigeants feront la démonstration de leur pragmatisme en coopérant avec Israël et en forçant leur peuple à obéir.
= Il faut le renforcer face à ses opposants radicaux qui rejettent toute forme de paix. De cette manière, il pourra signer, et nous l'y contraindrons.
= Il faut l'affaiblir, jusqu'à ce qu'il sente son autorité tellement menacée qu'il accepte n'importe quoi pour restaurer son pouvoir : en l'occurrence, la version israélienne de la réalité. Ceci une fois fait, il pourra signer, et nous l'y contraindrons.
Les indigènes se révoltent.
C'est la logique du colonialisme. Les colonialistes doivent absolument maintenir un contrôle total (si nécessaire à travers leurs agents, les dirigeants locaux). Il faut mettre un terme rapide et total à toute dérogation à cette obligation absolue.
Le peuple colonisé peut, en tout état de cause, être amené à résipiscence, pour peu que la violence nécessaire soit utilisée. A chaque nouveau problème, les occupants doivent avoir recours à un niveau de violence supérieur. Voilà qui donnera une bonne leçon aux populations assujetties. Cela les mettra à genoux, suppliant qu'on les épargne.
Cela encouragera, aussi, les plus responsables d'entre eux. Car certains sont, tout au moins parfois, susceptibles d'admettre les réalités pour ce qu'elles sont.
Après tout, les colonisateurs n'occupent pas un pays par accident. Ils le conquièrent, parce qu'ils sont les meilleurs. Leurs attitudes, leurs comportements, sont supérieurs. L'Histoire elle-même s'est prononcée en ce sens, lorsqu'elle leur a donné la victoire. C'est la raison pour laquelle les colonisés doivent abandonner leurs moeurs d'origine et assimiler la culture de leurs dominateurs...
Bien entendu, ils ne pourront jamais être intégrés à cette culture. Mais, au moins pourront-ils  s'élever un peu de leur dégradation originelle...
Non sans aide, sans doute. Mais ils peuvent apprendre à rechercher une orientation. Il faut leur l'enseigner. C'est l'un de ces cas où il faut savoir être cruel pour être gentil.
C'est cette psychologie qui préside à la perception qu'ont les Israéliens de leurs voisins palestiniens. Les Palestiniens ne représentent pas une nation aux droits inaliénables. Non. Les Palestiniens sont seulement les "habitants des territoires". Des signes apparents d'autonomie n'indiquent pas qu'ils exercent on ne sait quelle souveraineté, mais seulement leur nature communautaire déficiente. Ce sont des indigènes turbulents, que les militaires doivent combattre sans relâche afin d'en conserver la maîtrise.
Cessez quel feu  ?
Certains peuples colonisés ont fini par être purement et simplement exterminés. A part ces cas, la violence et l'oppression n'ont jamais permis d'amener un peuple à se mettre à genoux, à renoncer à sa liberté et à sa dignité. Cette approche a seulement permis de provoquer des troubles ultérieurs, beaucoup plus violents.
C'est là une réalité historique. Mais des gens qui se trompent eux-mêmes ne sont pas susceptibles de tirer profit des leçons de l'histoire. Ainsi, Israël persiste, avec de moins en moins de succès, à perpétuer sa politique de soumission des Palestiniens par la force.
Le problème se manifeste sous une forme politique - et physique. Mais ses origines sous-jacentes sont de nature psychologique. Entre ce qui est et ce qui est retenu par auto-suggestion comme devant être, le gap ne cesse de s'élargir. Les dirigeants israéliens actuels sont déconnectés de la réalité, à un degré stupéfiant.
L'instabilité au Moyen-Orient, proclament-ils, n'a rien à voir avec le comportement d'Israël. Israël n'occupe pas la Palestine - ce sont les Palestiniens qui attaquent Israël. On a offert la paix à Arafat et il a choisi la guerre. Donc les Palestiniens sont des combattants en puissance, et des cibles légitimes pour les assassinats "ciblés". S'il y a la guerre, Israël n'est pas près de la perdre !
La seule issue tenable est un état de non-belligérance, dans lequel les Palestiniens ne manifestent aucune hostilité vis-à-vis de leurs occupants et se réconcilient avec l'idée du maintien indéfini du status quo. Voilà ce que l'expression "cessez-le-feu" a fini par vouloir dire !
Israël est un Etat. Les Etats sont souverains. Ils ont le droit de se défendre. Donc, toute violence israélienne est de l'auto-défense légitime.
Les Palestiniens n'ont pas d'Etat. Donc toute résistance palestinienne est du terrorisme.
C'est pourquoi les Palestiniens doivent maintenir une situation de "zéro violence". Ceci amènera à une période d'accalmie, préparant le terrain à des mesures permettant de restaurer la confiance. D'ici là, toutefois, Israël doit être autorisé à tirer à volonté.
Durant une période variable, dont la durée sera exclusivement déterminée par le gouvernement israélien, les Palestiniens doivent subir en silence la violence israélienne sans y répliquer. Ce n'est qu'ensuite qu'Israël les récompensera (pour leur 'patience') : les Palestiniens seront (nous nous y engageons) autorisés à reprendre les négociations avec leurs occupants, aux conditions de ceux-ci.
C'est la seule manière raisonnable de procéder. Après tout, Israël est la partie lésée, la victime...
- Prêchez, prêchez !
L'histoire est jonchée de ce genre d'aberrations. Mais les tromperies coloniales se sont faites plus rares, ces derniers temps, en particulier, sur une aussi vaste échelle. Mais jamais leurs répercussions potentielles n'ont été aussi problématique.
Nous avons bâti le monde grâce à une structure commune d'institutions et de principes - l'ONU, les droits de l'homme, etc. Ce qui est en train de se passer en Israël/Palestine tourne en dérision toutes nos aspirations et tous nos efforts.
Le gouvernement Sharon est absolument invraisemblable. C'est pourquoi les Occidentaux, qui aiment leur confort, choisissent de ne pas croire qu'il est ce qu'il est.
Du même coup, l'élite israélienne s'en tire à bon compte. Ses caciques redéfinissent leur crime et en font une raison légitime. Et on continue à les croire.
En Amérique, les médias répètent comme des perroquets les positions officielles israéliennes sans se poser beaucoup de questions. La Grande Bretagne et le reste de l'Europe ne sont que très marginalement logés à meilleure enseigne. Que vaut la liberté de parole quand les propriétaires (des trusts médiatiques) ont choisi leur camp ?
Tel est le phénomène du Giga-Mensonge. Les petits mensonges finissent par être éventés. Un énorme mensonge, dès lors qu'on y a cru ne serait-ce qu'un court moment, est extrêmement difficile à démonter.
C'est le danger auquel Israël est confronté. Et nous aussi.
Nous, en Occident, avons toujours été enclins à continuer comme ça, comme s'il n'y avait pas de problème, comme si nous n'avions rien à objecter à l'Etat israélien, c'est-à-dire, comme si les Palestiniens n'étaient pas vraiment des êtres humains. Lorsque nous reconnaissons notre erreur, nous sommes pétrifiés de honte. C'est horriblement douloureux. Alors nous tentons de nier notre responsabilité. Nous cherchons quelqu'un d'autre, sur qui rejeter notre faute. Dans le cas présent, c'est facile. Nous pouvons voir chez les Israéliens, ou chez les Juifs, en général, des défauts semblables à ceux que nous attribuions jusqu'alors (à mauvais escient, précisons-le) aux seuls Palestiniens.
Mais la question n'est pas que des groupes humains pris dans leur ensemble seraient globalement mauvais. En aucun cas.
Nous devons les aider à entrevoir que la situation est susceptible de s'améliorer. Le monde n'est pas nécessairement à leur trousses.
Ils ne font de bien, à long terme, ni à eux-mêmes, ni à personne d'autre. Voilà qui est une meilleure proposition.
Dans le cas d'espèce, ce qui est préférable pour tous - les Palestiniens, les Israéliens, et tout le monde, en définitive - c'est un Etat unitaire et laïque, établi sur l'ensemble de la Palestine historique, qui garantisse des droits civiques et politiques égaux à tous. C'est la solution adoptée en Irlande du Nord, mutatis mutandis.
Tout le monde le sait : la solution à deux Etats n'est pas viable. L'OLP y a consenti uniquement en raison de considérations tactiques. Les Israéliens, eux aussi, savent pertinemment que cela ne tient pas debout. C'est la raison pour laquelle les cinglés poussent de plus en plus loin à marcher dans les brisées d'Hitler. C'est aussi la raison pour laquelle les plus clairvoyants, dans cette communauté troublée, se sont rendu compte depuis longtemps que la solution originelle de l'OLP était la meilleure. (Faites une recherche sur Internet à 'Israël Shamir'). Admettre la vérité sera une libération. Oeuvrons à mieux la connaître. Exposons la aussi précisément et aussi souvent que nous pouvons le faire. C'est la contribution que, tous, nous pouvons apporter à la paix.
                                 
Documents

                                               
Extraits de "Sous Israël, la Palestine" de Ilan Halevi, publié en 1984 aux éditions Le Sycomore
[Ilan Halevi est représentant du Fatah auprès de l'Internationale Socialiste et conseiller politique du Ministère palestinien de la Coopération Internationale. Nous avons sélectionné six extraits de cet ouvrage remarquable mais hélas épuisé. Les trois premiers extraits sont disponibles dans le 185ème Point d'information Palestine, les deux derniers seront reproduits dans les 187 et 188ème PiP à venir. Nous remercions Ilan Halevi - que nous avons joint par téléphone dans Ramallah assiégée - qui nous a donné son accord pour la reproduction d'extraits de son livre.]
                                   
4 - Témoins têtus d'une histoire abolie. De la conquête militaire à la "légalisation" (1948-1953)
L'expulsion transformée en transfert rétroactif, il s'agissait maintenant de transformer le vol des terres en fait légal également rétroactif. Les accords d'armistice signés à Rhodes en 1949 étaient censés constituer le préambule d'un traité de paix, qui remplacerait par des "frontières sûres et reconnues" les lignes de cessez-le-feu provisoires que les hasards de la guerre avaient imposées. La paix n'ayant pas suivi l'armistice, l'Etat d'Israël ne "revint" jamais aux frontières du partage de 1947, et ne mit jamais en pratique les résolutions internationales établissant l'obligation pour l'Etat juif de permettre le retour des réfugiésd dans leurs foyers.
Nous avons vu combien, dans l'esprit des dirigeants sionistes, tout "retour en arrière" était inconcevable. Afin d'aller de l'avant, il fallait aussi consolider, et exploiter au maximum, les potentialités colonisatrices nées de la victoire. Toute une législation vit ainsi le jour, destinée à systématiser le processus d'expropriation de la population arabe.
Tout d'abord, on décida de maintenir sur les zones arabes - dont l'essentiel était situé hors des limites de l'Etat juif prévu par le plan de partage de l'O.N.U. en 1947 - un régime d'occupation dépourvu de la moindre prétention démocratique : le régime du "gouvernement militaire".
Alors, comme aujourd'hui encore dans les territoires occupés, c'était l'état d'urgence qui en constituait la justification idéologique. Certes, les dirigeants de l'Etat d'Israël avaient, le jour de sa naissance, prononcé des discours éloquents devant les assemblées internationales, promettant de donner l'exemple d'une conduite internationale irréprochable. Certes, ils avaient signé [1] la fameuse déclaration d'indépendance, dans laquelle ils s'engageaient solennellement à respecter les droits et la propriété des citoyens 'sans distinction de race ni de religion'. Mais en l'absence d'une "paix", que les dirigeants sionistes ne concevaient que sur la base de la reconnaissance de la totalité des faits accomplis, les belles promesses démocratiques étaient destinées à rester lettre morte : un voeu pieux pour certains, un discours de convenance pour beaucoup d'autres. Considérés comme des étrangers indésirables, réduits à l'état d'une minorité dominée, les Arabes restés sur place en 1949 [2], si peu nombreux fussent-ils, étaient encore de trop. On décréta qu'ils constituaient - indépendamment de leur propre volonté individuelle ou collective - une "cinquième colonne", et qu'il convenait donc de les parquer sous bonne surveillance. Mais derrière les considérations et les mesures entourées de l'aura sacro-sainte de la "sécurité", se cachaient les considérations et les mesures inspirées par la volonté de coloniser, de "judaïser", de "transférer", bref de "transformer", comme le disait Moshé Dayan en 1972, "un pays arabe en pays juif". Colonisation et sécurité devenaient ainsi, comme toujours et pour longtemps, les deux termes fondamentaux de la pratique de l'Etat juif à l'égard de la minorité arabe vivant en son sein, l'un servant sans cesse d'alibi à l'autre.
Répression politique, discrimination légale, déni des droits civiques : ceci pour la sécurité. Déni des droits civiques, expulsions, expropriations : cela pour la colonisation. Le gouvernement militaire fixait le cadre de cette politique, en fournissait les instruments. Une gigantesque entreprise d'appropriation d'un espace, rendue possible par l'exode massif de 1948, butait sur cette "séquelle", ces "reste" [3], ces témoins têtus d'une histoire abolie. Il convenait de tout leur prendre, et de les réduire au silence. Ensuite, on verrait bien. De 1949 à 1953, les faits accomplis ne cessèrent de se transformer, selon la méthode de la rétroactivité chère à Yossef Weitz, en faits légaux, tandis que "les droits et les statuts acquis" de la population "non-juive" se transformaient en non-entités juridiques.
En ce qui concerne la répression politique, le législateur israélien n'a pas eu besoin de faire preuve d'imagination. Les Defence (Emergency) Regulations, 1945, promulguées par les autorités militaires du mandat britannique en Palestine à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, étaient là, il suffisait d'en hériter. En fait, point n'était besoin de prendre acte officiellement de cette adoption ; il suffisait de ne pas les abolir.
Lorsque le 14 mai 1948, David Ben Gourion proclama devant une foule enthousiaste, à Tel-Aviv, l'établissement de l'Etat juif, il fit suivre la déclaration d'indépendance de "voeux" divers, puis d'un "message" du gouvernement provisoire. Quand il arriva au deuxième paragraphe qui annule les dispositions du livre blanc britannique, il sembla que le public retenait son souffle et une tempête d'applaudissements se déchaîna... "Nous ordonnons l'abolition des décrets suivants, parmi les Defence (Emergency) Regulations, 1945..." [4]. Les décrets pris par les Britanniques, à l'encontre des sionistes, et portant spécifiquement sur l'immigration juive et la libre vente des terres, furent ainsi théâtralement abolis. Mais les décrets qui portaient les numéros 108, 109, 110, et au-delà, c'est-à-dire les décrets établissant l'autorité du gouvernement militaire et définissant ses pouvoirs spéciaux ne furent abrogés, ni ce jour-là, ni aucun autre jour.
Les lois d'urgence britanniques de 1945 étaient, au moment de leur promulgation, une nouvelle version de celles de 1936, destinées à donner à l'autorité occupante les moyens légaux de réprimer la révolte arabe. Mais en 1945, c'était surtout contre les organisations sionistes, et en particulier contre leurs branches clandestines politico-militaires, que cette législation était dirigée. Elle permettait alors la déportation des membres du Stern et de l'Irgoun en Afrique orientale, ainsi que les fouilles et perquisitions dans les colonies juives.
Monument d'arbitraire colonial, l'ensemble de ces décrets définit un régime d'occupation militaire tout entier tourné vers la répression, non seulement du "terrorisme", mais en fait de toute activité politique organisée. En février 1946, à Tel-Aviv, se tint le congrès des quatre cents membres de l'Association des juristes juifs en Palestine, réuni en session extraordinaire à seule fin de protester contre ces "lois", dontles avocats sionistes les plus éminents de l'époque, qui devaient peu de temps après se transformer en hauts dignitaires de l'Etat d'Israël, proclamèrent qu'elles étaient "une violation flagrante des principes fondamentaux de la légalité, de la justice, de la discipline, (...). Elles dépouillent les citoyens de leurs droits et confèrent aux autorités un pouvoir illimité." [5]
Le docteur Bernard Joseph qui, sous le nom de Dov Yosef, devait plus tard devenir ministre de la Justice de l'Etat d'Israël et, de ce fait, entériner l'utilisation de ces lois à l'encontre de la minorité arabe, disait alors :
"Le citoyen n'a aucune garantie contre une arrestation à vue sans jugement, aucune garantie de liberté individuelle. Il n'existe pas de possibilités de recours contre les actes du commandement ni d'appel devant une haute cour de justice... Les autorités ont toute latitude de déporter un citoyen quand bon leur semble. Il n'est même pas nécessaire qu'un délit soit réellement commis. Il suffit qu'une décision soit prise dans un de ces bureaux, et le destin d'un homme est fixé...
(...) Quand les autorités elles-mêmes inspirent la haine, la répulsion et la méfiance à l'égard des lois, on ne peut guère s'attendre à ce que la loi soit respectée. On ne peut demander au citoyen de se plier à une législation qui le met hors-la-loi."
Quant à Y.S. Shapira, qui devait succéder à Dov Yosef au ministère israélien de la Justice, après avoir été longtemps procureur général de l'Etat d'Israël, son éloquence au cours de cette conférence s'exprima avec éclat. Fustigeant les lois d'urgence, qui plus de trente ans plus tard ne sont toujours pas abolies, et servent quotidiennement, en Israël et dans les territoires occupés, il dit alors :
"Le régime instauré par la promulgation des Defence Regulations et Palestine n'ason équivalent dans aucun pays civilisé. Même en Allemagne nazie il n'existait pas de telles lois ; ce qui se passait à Maïdanek et ailleurs était contraire à la lettre écrite de la loi. Un seul type de régime se conçoit dans de telles circonstances - celui d'un pays occupé. On nous console en faisant valoir que ces ordonnances ne visent que les criminels et non pas tous les citoyens. Le gouverneur nazi d'Oslo occupée avait lui aussi déclaré qu'aucun mal ne serait fait au citoyen vaquant à ses affaires...
Nous devons déclarer à la face du monde : les lois d'urgence du gouvernement mandataire minent les fondements mêmes de la loi."
"Les Defence Regulations - cent soixante-dix en tout - sont réparties en quinze chapitres. Elles réglementent, entre autres choses, la liberté de circulation, de parole et de presse ; instaurent la censure, l'inspection des véhicules, l'inspection des armes à feu, etc. L'application de ces lois implique aussi la constitution de tribunaux militaires où sont jugés les contrevenants à ces dispositions. Elles donnent le pouvoir au ministre de la Défense de nommer des commandants (gouverneurs) militaires pour des régions que le ministre juge nécessaire de placer sous régime militaire. Un tel gouverneur, une fois nommé, devient automatiquement l'autorité habilitée à mettre en vigueur, sans en référer à personne, toutes les dispositions contenues dans les Defence Regulations."
"Les articles 109 et 110 octroient au gouvernement militaire le pouvoir de placer, par mesure administrative, une personne quelconque sous surveillance policière ; de lui interdire tel ou tel lieu ; de l'obliger à notifier ses déplacements à la police ; d'interdire à quelqu'un la détention de ses biens ou leur utilisation ; de lui interdire les contacts avec d'autres personnes ; de le limiter dans ses possibilités de travail et dans l'exercice de la profession de journaliste (diffusion de nouvelles et d'idées) ; de l'assigner à résidence dans un lieu ou une région déterminés sans qu'il puisse en sortir ; de lui interdire le changement de domicile ou le départ de son village ou de sa ville ; de l'obliger à notifier constamment à la police son lieu de résidence ; de se présenter au poste de police le plus proche chaque fois que cela lui sera demandé ; de rester enfermé chez lui pendant la nuit, la police pouvant opérer une vérification à tout moment."
(...) "L'article 111 permet la détention administrative de toute personne que les autorités du gouvernement militaire décident de détenir, pour une raison ou pour une autre, et de faire durer la détention indéfiniment, sans jugement, sans inculpation même." (...)
"L'article 112 donne au gouvernement militaire la possibilité d'expulser toute personne à l'étranger, par un décret pris à ce sujet ; de la déporter et de lui interdire le retour au pays.
L'article 119 octroie au gouvernement militaire le droit de confisquer ou de détruire des bâtiments, si le commandant militaire soupçonne que des tirs en sont provenus ou que des bombes ont été lancées à partir de ces bâtiments.
L'article 120 permet au gouvernement militaire d'ordonner aux habitants d'un lieu ou d'un village déterminé de fournir gratuitement à la police qui y sera envoyée, les approvisionnements et logements considérés comme nécessaires par les autorités militaires, et pour la période qui convient.
L'article 124 donne la possibilité au gouvernement militaire d'imposer un couvre-feu complet ou partiel dans un village déterminé ou dans tout autre région" [6].
"Il suffit qu'une décision soit prise dans un de ces bureaux, et le destin d'un homme est fixé..."
Pour fixer le destin, non seulement d'un homme, mais d'un peuple, l'ordonnance n° 125 est particulièrement utile :
"Le commandant militaire est autorisé à déclarer par décret tout territoire ou endroit zone close pour l'application de la présente ordonnance. Tout individu qui entre dans le territoire ou l'endroit, ou qui en sort durant la période pendant laquelle un tel décret est en vigueur dans le territoire ou l'endroit en question, sans être muni d'un permis écrit délivré par le commandant militaire ou sur l'ordre de ce dernier, sera accusé de contravention aux lois."
C'est l'usage extensif de cet article 125 qui allait permettre, dès les premières années du gouvernement militaire imposé aux zones arabes du pays, de "vider" des régions entières de toute trace de population arabe, d'interdire aux survivants de la guerre et aux rescapés de l'exode de 1948 de retourner sur l'emplacement de leurs maisons détruites, de s'approcher de leurs villages rasés ("améliorés", dans le jargon de Yossef Weitz et de ses acolytes du comité du transfert rétroactif !), de cultiver leurs champs, de monter sur leurs terres, de faire paître leurs troupeaux sur leurs prés. C'est cet article qui permettra l'expulsion massive de villageois, prélude à leur expropriation.
Cependant, pour se réapproprier les biens de la minorité arabe, il fallut bien que le législateur israélien innovât, les occupants britanniques, dans leur délire despotique et colonisateur, n'ayant pas légalisé la rapine individuelle, respectueux qu'ils étaient des principes de la propriété privée. Les "socialistes" sionistes, par contre, n'étaient pas retenus par ce sentimentalisme "bourgeois" : ils produisirent donc toute une série de lois, votées entre 1949 et 1953 par la Knesseth, destinées à légaliser le vol des terres.
La première de ces lois, votée en 1949, concerne les "absents", et accessoirement, cette catégorie juridique toute particulière, et hautement paradoxale, que la législation israélienne nomme "les présents-absents". Selon cette loi, "toute personne qui dans la période séparant le 29 novembre 1947 (date du vote de l'O.N.U. sur le Partage) du 19 mai 1948 (date de la proclamation de l'indépendance), étant propriétaire d'une parcelle de terre située en Israël, était citoyen ou résident du Liban, de l'Egypte, de la Syrie, de l'Arabie Saoudite, de la Jordanie, de l'Irak ou du Yémen ; ainsi que toute personne qui, dans la même période, a quitté son lieu de résidence pour s'installer dans une région tenue par des forces qui ont lutté contre l'établissement de l'Etat d'Israël", est décrétée "absente" : ses biens sont confisqués, ses droits civiques abolis. Comme aimait à l'expliquer Ben Gourion, "en quittant leurs maisons, les Arabes ont d'eux-mêmes renoncé à leurs droits."
Aux termes de la loi sur les absents, soixante-quinze mille personnes, soit un tiers de la population arabe de l'Etat d'Israël au lendemain de son établissement, furent ainsi transformées en fantômes légaux : on les appela, officiellement, les "présents-absents".
Mais les terres des absents-présents, additionnées aux terres des absents-absents, ne suffisaient pas encore à l'Etat sioniste. "Une minorité arabe, grande ou petite, est dangereuse pour nous en temps de guerre comme en temps de paix", avait dit Yigal Yadin pendant la guerre de 1948. Il s'agissait maintenant de réduire cette minorité par tous les moyens. Rétroactivement, tous les moyens devenaient légaux.
La loi sur les "zones de sécurité" de 1949 légalisait rétroactivement l'expulsion des villageois des zones devenues frontalières. Elle permettait également de déclarer "fermée" toute zone sur laquelle le gouvernement, en coordination avec l'Agence juive et le Fonds national juif, et sous couvert du ministère de la Défense, avait jeté son dévolu. Ainsi la vallée de Bet-Netofa, au centre de la Galilée, et de nombreux autres territoires, furent-ils déclarés "zones fermées" et "zones de sécurité" - ce qui interdisait aux paysans l'accès de leurs terres, et bien souvent de leurs points d'eau.
A ce stade du processus, le gouvernement fit intervenir une vieille loi datant de l'époque ottomane, conservée par les autorités du mandat, et remise au goût du jour par le Parlement de l'Etat d'Israël nouveau-né : la "loi sur les terres incultes", prévoyant la nationalisation (l'appropriation par l'Etat) des terres non cultivées. Tant et si bien que les terres des zones "interdites", ou des territoires "fermés" par l'armée, qui restaient forcément incultes, étaient ensuite déclarés non-cultivées par le ministère de l'Agriculture, qui en assumait aussitôt la gestion, et les louait à des collectivités agricoles (des colonies) juives, par le biais du Fonds national juif. A cet effet, l'armée levait aussitôt les interdits "de sécurité" : car la composition démographique d'une région constituait bien évidemment un critère décisif pour évaluer son importance ou sa vulnérabilité sur le plan de la "sécurité" de l'Etat juif.
Ainsi la terre des présents passait-elle de mains (arabes) en mains (juives), le plus "légalement" du monde, et conformément à ce que S.H. Bergmann appelait "les impératifs du développement national."
Récapitulant, dans une série d'articles publiés en juillet 1976, ce qu'il intitule "la douloureuse affaire des confiscations de terres", le journaliste israélien Ran Kislev écrit [7] :
"... Le 10 mars 1953, la Knesseth approuva une des lois qui fondent l'ensemble de la politique de l'Etat dans la question des terres : la "Loi sur l'acquisition des terres (autorisation des opérations et indemnités)". Cette loi autorisait le ministre des Finances, pendant une année à dater de la publication de la loi, à confisquer toute terre qui, à la date du 1er avril 1952, n'était pas détenue par son (ses) propriétaire(s) ; a servi ou a été affectée, pendant la période écoulée entre l'établissement de l'Etat et cette date, aux besoins du développement, de la colonisation et de la sécurité, "et qui est encore nécessaire à l'un quelconque de ces besoins". Les indemnités à payer aux propriétaires des terres confisquée furent fixées, on ne sait pourquoi, non pas au prix réel de la terre au moment de la confiscation, mais en fonction du prix des terres au 1er janvier... 1950!"
(...) "On ne peut obtenir de données précises concernant la quantité de terres ainsi confisquées, en vertu de diverses dispositions légales, et on ne peut donc avancer de chiffre global et définitif. Aux mains de la direction des terres d'Israël, seule institution qui centralise cette information, ces données n'existent pas. Le seul nombre avancé par la D.T.I. est celui de 1 220 174 dunoms. (...) Mais les chiffres, si impressionnants soient-ils, ne peuvent traduire la réalité de ce qui s'est fait sur le terrain pendant ces années. Afin de concrétiser ce qu'il convient d'entendre par "opérations", il faut présenter au moins deux exemples tout à fait typiques.
Ikrit : l'Armée de défense d'Israël occupa le village d'Ikrit en octobre 1948, alors que la presque totalité de ses habitants - cinq cents chrétiens maronites - était restée sur place. Au bout de quelques jours, les autorités militaires s'adressèrent aux habitants d'Ikrit et leur demandèrent d'évacuer le village "pour une ou deux semaines seulement", pour des raisons de sécurité. Les habitants d'Ikrit ne discutèrent pas, laissèrent derrière eux dans le village soixante gardiens, le curé en tête, pour surveiller leurs biens, et se transportèrent au village voisin de Rama. Les deux semaines se prolongèrent indéfiniment, et au bout de six mois, on expulsa aussi les gardiens, de force, leur curé en tête.
Ceci devait sonner, pour les habitants d'Ikrit, le signal du début de la lutte, qui n'a cessé jusqu'à ce jour. Tous leurs appels aux institutions, et en particulier au président et au Premier ministre restèrent vains. Les villageois s'adressèrent à la Cour suprême et attaquèrent en justice le ministre de la Défense et le gouverneur militaire. Le 31 juillet 1951, la Cour suprême statua sur l'affaire et décréta que l'expulsion des habitants d'Ikrit de leur village n'était pas légale, et que "le gouvernement militaire, en fonction des éléments existants, n'avait pas le droit d'empêcher leur retour". Deux mesures furent aussitôt prises pour modifier les "éléments existants" : les autorités proclamèrent Ikrit zone fermée, et interdirent aux villageois l'accès de leur village. Et la nuit de Noël - justement cette nuit-là - les bulldozers de l'armée israélienne se lancèrent sur le village et en détruisirent toutes les maisons, sauf l'église et la maison du curé. Plus tard, toutes les terres du village furent confisquées en vertu de la loi sur l'acquisition des terres (opérations et indemnités), 1953."
Le deuxième exemple fourni par Ran Kislev de "la réalité de ce qui se passait sur le terrain" est celui du village de Bir'em (Bar'am), proclamé "zone interdite" en vertu de l'article 125 des lois d'urgence de 1945. "Ses habitants s'étant adressés à la Cour suprême, un jugement fut prononcé contre le gouverneur militaire, début septembre 1953. Une grande nervosité s'empara alors des autorités : l'infanterie et l'aviation attaquèrent Bir'em le 16 septembre 1953, ne laissant après leur passage qu'un village entièrement détruit et dévoré par les flammes. Les terres frappées par ce décret furent remises aux colonies juives de la région" [8].
Ikrit, Bir'em, Ghabsiyye, et des dizaines d'autres villages. En février 1949, la moitié de la population du village d'Ennan est expulsée en Jordanie, où la rejoignent, quinze jours plus tard, sept cents réfugiés de villages détruits qui avaient trouvé abri à Kafr Yassif. En juin 1949, trois villages sont attaqués et leurs habitants refoulés. En janvier 1950, l'armée notifie aux habitants de Ghabsiyye l'ordre d'évacuer le village dans les quarante-huit heures. En mars 1950, c'est au tour des habitants de Betat. En juillet de la même année, deux cents habitants du village d'Abou Gosh (dont le 'mukhtar' avait collaboré avec les sionistes pendant la guerre de 1948) sont expulsés. En août 1950, ce sont les habitants de Majdal devenue depuis une ville juive sous le nom de Migdal, qui sont "transférés" en masse vers la bande de Gaza. En février 1951, les habitants de treize villages de la région de Wadi 'Ara, dans le Triangle, sont expulsés vers la Jordanie, et leurs maisons rasées. Le village de AlBuyshath devait suivre, ne novembre de la même année. En septembre 1953, l'armée détruit le village côtier d'Oumm elFarj, près de la frontière libanaise, entièrement vidé de ses habitants. En octobre 1953, passant outre à une décision de la Cour suprême, sept familles sont expulsées du village de Rehaniyye. Etc, etc.
L'historien palestinien Arel elAref, décédé en 1975 dans les territoires occupés, a établi une liste comparative montrant que sur 375 villages qui existaient avant 1947, il n'en restait plus, après 1953, que 85 : 290 avaient été rasés, détruits, recouverts. Comme le cimetière musulman de Jaffa a été recouvert par l'hôtel Hilton, comme le village de Cheikh Munis par l'université de Tel-Aviv.
Parfois, les villes et les villages "vidés" n'ont pas été détruits, mais "repeuplés" de Juifs. Ce fut le cas des villes telles que Lydda et Ramleh, Askalan et Majdal, Safed et Jaffa ; ce fut le cas des quartiers arabes des grandes villes "mixtes" : Haïfa et Jérusalem ; ce fut le cas de villages tels que Tantura, vidé et transformé en "village d'artistes", et rebaptisé Ein Hod, ou tels que Ein Karem, et Malha, aux alentours immédiats de la Jérusalem occidentale.
L'affaire d'Ikrit et de Bir'em, cependant, avait agité pendant quelque temps l'opinion publique israélienne. C'est alors, en décembre 1953, que le ministre israélien de la Défense, à l'époque Pinhas Lavon, avait justifié le dynamitage des maisons de Bir'em par cette formule éloquente :
"On ne peut accomplir une oeuvre révolutionnaire de colonisation si l'on doit préserver tous les faits établis depuis des générations."
Les terres d'Ikrit et de Bir'em, aux termes de la loi de 1953, finirent par être distribuées aux kibboutzim de la région, tous engagés, bien évidemment, dans cette "révolution" colonisatrice. Est-ce paradoxal, dans ces conditions si c'est du côté de la "droite" libérale, de l'aile "bourgeoise" du mouvement sioniste (qui ne partageait pas avec les social-colonialistes du Mapaï et du Mapam le mépris "révolutionnaire" de la propriété privée), que provint à l'époque la protestation la plus véhémente ? Dans un éditorial publié en 1953 par le quotidien Ha'Aretz, après la publication de la loi sur l'acquisition des terres, on lit :
"Cette loi ne révèle ni générosité à l'égard du vaincu, ni intelligence politique. La Knesseth devrait démontrer avec éclat sa volonté d'aider ceux des Arabes qui ont été atteints dans leur situation économique à la suite de mesures arbitraires. Cette loi ne comprend pas que la confiscation des biens de la minorité risque de miner les fondements sacrés de la propriété privée."
Azriel Carlibach, rédacteur en chef du quotidien de droite Ma'ariv, écrivit même, sous le pseudonyme de Rabbi Ipkha Mistabra [9], ce long article que nous avons traduit intégralement.
                       
"Pleure, ô pays bien-aimé"
in Ma'ariv, 25 février 1953
Viens avec moi, petite fille, allons en Galilée, j'ai quelque chose d'urgent à te montrer là-bas.
Tu n'as pas encore dix ans et tu ne comprendras pas. Et pourtant, il faut que tu regards et il faut que tu voies. Et lorsque tu grandiras, quand tu auras vingt ou trente ans, cela ne sera toujours pas clair. Peut-être oublieras-tu tout cela. Mais un jour viendra où tu te souviendras de tout ce que tu vas voir ; et alors cela te touchera et te fera très mal...
Ce jour-là - je ne serai pas ici pour le voir - tu me demanderas avec douleur et avec colère : "Toi, mon père ? Toi, tu as fait cela ?".
Je veux te montrer les montagnes, ma fille, la haute et la basse Galilée. La région de Nazareth, de Tsippori et de Bar'am. De grandes terres, certaines fertiles, certaines stériles, sur les collines et les vallées, plusieurs millions de dunoms, au total.
Ce pays appartenait aux Arabes en des jours dont tu ne te souviens pas. A eux étaient les villages, à eux les champs. Aujourd'hui tu ne les vois plus. De florissantes colonies juives ont pris leur place (fasse le Seigneur qu'elles se multiplient!). Car un miracle a été opéré pour nous ; un jour, ces Arabes se sont levés, ils se sont enfuis loin de nous et nous avons pris leurs terres et les avons cultivées. Les anciens propriétaires s'en sont allés s'installer dans d'autres pays.
Ici et là, on peut toujours voir des villages arabes. Ils appartiennent au petit nombre qui est resté parmi nous. Personne ne sait pourquoi ils sont restés. Peut-être n'ont-ils pas eu le temps de partir, ou peut-être espéraient-ils que leurs terres ne feraient pas partie de l'Etat juif. Peut-être espéraient-ils que, même au cas où elles seraient annexées, on ne leur ferait aucun mal, car c'était bien là ce que les Juifs avaient promis. Quoi qu'il en soit, ils devinrent citoyens du pays et restèrent.
- Où sont leurs champs ? Demandes-tu. Que leur est-il arrivé ?
- C'est tout simple : nous les avons pris.
- Comment ? Comment peut-on prendre la terre qui appartient à quelqu'un d'autre, à quelqu'un qui vit parmi nous, qui habite sur sa terre et la cultive ?
- Aucun problème, ma fille. Tout ce qu'il faut pour cela, c'est le pouvoir. Si tu as le pouvoir de la loi derrière toi, tu annonces par exemple que ces champs constituent un "territoire fermé". Tu interdis à toute personne d'y pénétrer sans permis. Tu ne délivres les permis qu'à tes amis, les membres des kibboutzim du voisinage qui louchent depuis longtemps sur ces terres. Tu ne donnes pas de permis aux Arabes qui possèdent la terre. Tout cela est très simple...
- N'y a-t-il pas de loi ? N'y a-t-il pas de juges en Israël ?
- Oui, c'est vrai, il y avait ce petit obstacle technique. Les Arabes se rendirent à nos tribunaux et exigèrent que les voleurs leur restituent leurs terres. Les juges décidèrent que les Arabes étaient les propriétaires légaux, puisqu'ils avaient travaillé ces champs depuis des générations ; même les gens de la Sûreté ne pouvaient avoir aucune raison de les empêcher de labourer et de récolter ici. Les kibboutzim avoisinants n'avaient donc aucun droit de s'approprier ces terres qu'ils n'avaient ni achetées, ni obtenues contre compensation. Toutes ces terres appartenaient aux Arabes et devaient donc leur être rendues.
- Eh bien ! Alors si les juges en ont ainsi décidé... ! l'Etat fera appliquer la loi... !
- Non, ma fille. Il n'en est pas ainsi. Si la loi est contre le voleur, et que le voleur est assez fort, il fait une loi qui répond à ses besoins.
- Comment ?
- Tous ceux qui participent au vol - et qui n'y participe pas ? - se rassemblent au Parlement. Ces 300 000 dunoms ont été pris par le gouvernement, par le Mapaï, par le Mapam, par les partis religieux, par tous. Ils disent : "Nous nous sommes habitués à ces terres. Nous les aimons. Nous ne voulons pas que les juges nous empêchent de les garder. Faisons donc une loi qui maintiendra les terres entre nos mains."
- Mais comment ? Comment écrit-on une loi contre la loi ?
- Tu es encore très jeune, ma fille. Quand tu grandiras, tu verras comme c'est facile. Ils ont simplement écrit qu'il n'y avait pas de lois concernant ces terres. Ils ont écrit que les propriétaires de ces terres ne sont pas autorisés à se rendre au tribunal.
- Très bien. Mais... à quoi cela servira-t-il puisque c'est enregistré quelque part que les Arabes sont les propriétaires ; il y a un cadastre...
- Bon, la propriété terrienne est enregistrée - et alors ? Ils ont écrit dans la loi que l'enregistrement devait être gommé. Le nom du propriétaire arabe doit être raturé et un nom juif doit le remplacer.
- Comme cela ?
- Pas tout à fait, mais je veux te montrer maintenant de quelle façon c'est fait.
Cette loi qui va à l'encontre du précepte : "Tu ne voleras point" a été votée il y a maintenant neuf mois, mais aujourd'hui, maintenant, ils commencent à l'appliquer. Maintenant, ils ont établi les bureaux du vol officiel là où...
Non, ma fille, j'ai changé d'avis, nous n'irons pas là-bas. Je ne te montrerai pas. Je ne peux pas. Peut-être ne verras-tu rien là-bas. A part un employé misérable et sous-payé. Une table de bureau, quelques papiers, et rien d'autre. Pas un spectacle déchirant. Tu est une 'sabra' et tu as l'habitude de telles choses, pour toi, il est tout naturel que le monde soit divisé en deux : vainqueurs et vaincus, l'homme du dessus et l'homme du dessous. Mais moi, je suis un Juif, je vois là un employé du royaume d'Espagne assis et écrivant sur un parchemin "leurs propriétés seront confisquées par l'Etat" pour punir mes ancêtres parce qu'ils ne croyaient pas au dieu de justice crucifié de la reine Isabelle ; je vois un employé allemand écrivant et tamponnant : "Toute propriété juive légalement obtenue en vertu de la loi d'acquisition des biens des non-aryens..." Pardonne-moi, ma fille, ce sont mes yeux qui me rendent comme ivre. Ils ne veulent pas voir l'Etat juif sous ce jour, ils luttent contre cela de toutes leurs forces, ils se défendent douloureusement contre cette vision, contre ces comparaisons... Et ils croient profondément que tel n'est pas Israël et que tels ne sont pas les Juifs, et que seule une folie passagère s'est emparé de quelques-uns qui sont saouls de puissance et d'avidité. Ils prient pour que ces chefs soient pardonnés, car leurs coeurs ne savent pas ce que font leurs mains, ils sont tellement novices dans l'usage du pouvoir, que dans leur hâte ils ne peuvent pas voir les fruits de leurs actions... Et ils sont certains, ces yeux, que cette vue s'évanouira comme un nuage, un cauchemar...
- Mais maintenant ?
- Maintenant, pour le moment, c'est la réalité. La procédure mise en oeuvre par les autorités est simple et comprend deux éléments.
Le premier est très actif. Le premier est constitué de ceux qui souhaitent transformer le vol en opération légale. A cet effet, le voleur doit seulement produire un document ministériel attestant trois choses, conformément à la loi : premièrement, que la terre a été prise durant les quatre premières années de l'existence de l'Etat d'Israël, entre 1948 et 1952, sous n'importe quel prétexte - sécurité, ou colonisation ou "développement". Deuxièmement, que les propriétaires véritables, les Arabes, n'avaient pas été autorisés à retourner sur leurs terres en avril 1952. Troisièmement, qu'un Juif exprime le désir de garder cette terre. Alors, la terre devient la propriété de l'Agence pour le développement, "libre de toute obligation et immédiatement" et est enregistrée en tant que telle au cadastre. Les Juifs concernés sont maintenant affairés dans la préparation de tels documents. C'est là le premier élément de la procédure.
- Et le deuxième élément ?
- C'est l'Arabe. C'est lui le précédent propriétaire de la terre à qui on en a refusé l'accès, depuis qu'on a décrété la fin du colonialisme dans ce pays, la fin des lois racistes sur la propriété des terres, la fin de la discriminatin, le commencement des droits humains et de la démocratie sacrée. Lui, l'Arabe, l'ancien propriétaire de la terre, doit lui-même donner son consentement et confirmer le fait que sa terre lui a été prise tout-à-fait légalement. Et les Arabes évidemment ne sont pas aussi empressés à soutenir les autorités. Ils ne se précipitent pas en foule dans les bureaux pour "arranger les choses".
- Mais alors, si les Arabes ne coopèrent pas et s'ils ne signent pas, toute la transaction n'est-elle pas nulle et non avenue ?
- Non. La loi n'est pas assez naïve pour prendre les Arabes en considération. La loi prend la terre sans que l'Arabe l'ait donnée. La loi l'indemnise même sans qu'il... reçoive quoi que ce soit.
- Tu veux plaisanter, mon père. Comment cela se peut-il ?
- Cela n'est pas une plaisanterie - sinon d'un genre sinistre - et cela se peut tout-à-fait. Cela se peut parce que c'est l'Arabe qui doit fournir la preuve de sa propriété sur la terre. Non pas le Juif qui l'a prise, mais l'Arabe auquel elle a été prise. Une espèce de version contraire de la règle : "C'est au plaignant de fournir ses preuves." On sait bien comme il est difficile de prouver la propriété terrienne dans ce pays, et en particulier pour une famille arabe disloquée et éparpillée par les guerres.
Mais même s'il a des preuves, elles ne lui serviront à rien. Car il ne peut pas faire appel aux tribunaux pour vérifier la véracité de ses preuves. Il n'y a pas de tribunal consacré à cet effet, mais seulement un fonctionnaire qui décide à qui donner et à qui ne pas donner d'indemnité. Il décide : je suis convaincu que tu es le propriétaire et je te paierai. Ou il détermine : je ne suis pas convaincu et je ne paiera pas. L'accusé statue sur les droits effectifs du plaignant !
Même si le fonctionnaire reconnaît que cet Arabe a été par le passé le propriétaire de la terre, l'Arabe ne peut toujours pas exiger qu'on lui restitue son bien. La loi stipule que s'il demande de l'argent, il ne peut pas recevoir l'équivalent de la valeur de sa terre mais seulement l'équivalent de la valeur qu'elle avait... il y a trois ans, au 1er janvier 1950. Comme s'il n'y avait pas eu et comme s'il ne devait pas y avoir d'inflation. Comme si le ministre des Finances ou le ministre du Développement ou n'importe qui dans le pays acceptait de recevoir le même salaire qu'il y a trois ans. Un type qui est payé aujourd'hui la somme de vingt livres par dunom peut-il s'acheter avec cela un tiers ou un quart ou même un cinquième de dunom ?
- Mais que se passe-t-il s'il refuse l'argent ?
- Attends donc, ma fille, nous sommes un peuple sage et intelligent. Nous avons prévu cela aussi.
Cela ne lui servira à rien de ne pas accepter l'argent. S'il ne l'accepte pas... l'argent sera déposé au tribunal (pour cette fin, nous nous en référons soudainement aux institutions judiciaires) et restera là. Que l'Arabe le retire ou non n'a aucune importance puisque sa terre est "légalement" passée entre nos mains...
Mais pourquoi - demandes-tu - aurait-il besoin d'argent ? C'est un fermier et c'est de la terre qu'il veut !
C'est vrai, et la loi a prévu cela aussi. La loi reconnaît que, dans certains cas, un fermier sera habilité à recevoir de la terre si celle qu'on lui a pris était : a) utilisée au fermage, b) sa principale source de revenus, ou c) s'il ne possède aucune autre terre pour assurer sa subsistance. Si un tel cas existait, le plaignant devrait apporter la preuve qu'il n'a aucun moyen de subsistance et que depuis six ans, il meurt de faim ou aurait dû mourir de faim, alors...
- Alors un des kibboutzim juifs qui a pris des dizaines de milliers de dunoms lui donnera son propre petit lot de terre en retour, enfin ?
- Non. Tout ce qu'ils doivent faire, c'est lui offrir une autre terre. Et non pas nécessairement la lui remettre. Il se peut qu'ils la lui louent ! Et non pas en proportion de la valeur de tout ce qu'on lui a pris ; une "partie" suffit. Et ils ne sont pas obligés de lui donner ce qu'il veut, mais seulement de proposer.
- Mais si on lui propose et qu'il n'a pas d'autres moyens de subsistance, il acceptera, n'est-ce pas ?
- Oui, c'est là ce que je voulais te montrer, ma fille, en Galilée, sur les montagnes de laquelle les justes prophètes d'Israël ont marché, sur les rives de cette mer où nacquit la doctrine du faux amour que nous - un peuple saint - avons rejetée avec mépris et dérision. C'est là ce que je voulais te montrer.
Oui, ici et là, il y a des Arabes qui ne peuvent plus tenir le coup. On leur a pris leurs champs il y a de nombreuses années. Appauvris, ils occupent de tout petits lopins de terre. Maintenant s'ils coopèrent, avec cette loi sur "l'achat" des terres, ils pourront obtenir, loin de leur domicile, une toute petite parcelle. Et il y en a parmi eux qui viennent s'enquérir de ce qu'ils peuvent obtenir ainsi.
A présent, on leur offre des terres qu'ils ne peuvent pas accepter. On leur offre des marrons encore dans le feu. On leur offre des terres qui appartiennent à d'autres Arabes. Les terres de leurs frères qui ont traversé la frontière. Et bien sûr, les Arabes disent : "Cette terre ? Elle n'est pas à vous. Comment pouvez-vous nous la proposer ? Elle appartient à nos frères arabes. Espérez-vous rendre votre vol légal en nous forçant à voler nos frères ? Que dirons-nous à leurs familles qui vivent encore parmi nous ? S'ils entendent parler de cela ils se vengeront sur nous ! Que ferons-nous s'ils reviennent ? Participerons-nous et prêterons-nous la main à cette spoliation de la chair de notre chair, des os de nos os, et est-ce là la réparation que vous nous offrez ?"
Donc les Arabes refusent d'accepter de telles terres. Mais nous et notre loi ne nous en soucions guère. Il nous suffit de proposer. S'ils n'acceptent pas, c'est leur faute et nous nous en lavons les mains. Nous leur avons permis de recevoir le prix de ce que nous leur avons pris. Nous sommes absolument irréprochables...
Peut-être vaut-il mieux que nous n'allions pas en Galilée, ma fille ?
Car j'ai un peu peur. J'ai peur de passer sur la route et de les rencontrer, alors qu'ils marchent derrière leurs maigres troupeaux. Et lorsque notre voiture passera, ils lèveront les yeux vers nous et nous regarderont avec une haine brûlante... J'ai peur de les regarder dans les yeux, parce que j'ai honte. Eux, cette poussière humaine, sont les seules personnes au monde dont je ne puisse soutenir le regard. Je n'ai pas peur de les rencontrer sur le champ de bataille. Je n'ai pas peur d'être leur ennemi ou de me défendre contre eux. Je n'ai pas honte d'être un adversaire, un fugitif, un mendiant ou quoi que ce soit... Mais un voleur ? Un voleur dans la nuit, je ne veux pas être.
Je n'ai pas peur pour ma peau. Nous sommes forts. Notre voiture les croisera à toute vitesse, fièrement. Humblement ils se rangeront sur le côté. Tout se passera comme il faut. Ils sont la minorité. L'opération réussira et tout sera légalement enristré en notre nom...
Mais ce n'est pas la fin, ce n'est que le commencement de cette histoire. La grande dispute avec eux n'est pas finie, elle vient seulement de commencer. J'ai peur pour toi, ma fille, car je crains que lorsque tu grandiras, il te faudra payer pour tout cela. Je ne sais pas comment, ou quand, ou avec quoi. J'ose espérer que l'argent suffira, mais il se peut qu'il faille payer avec du sang, lorsque toi ou ton fils irez à la guerre. Tôt ou tard, c'est difficile à dire. L'Orient est endormi et se réveille tardivement mais soudainement. Un jour, d'une manière ou d'une autre, il nous frappera. Car c'est un monde qui connaît les réparations. Il y a des nations qui doivent venir un jour, la conscience sombre et les mains souillées, se confesser et payer... Il y a des ministres qui doivent signer des documents publics disant : "Nous avons péché, c'est notre faute, et ceci est notre expiation..." Nous au moins, croyons ceci. Nous sommes le peuple qui a enfanté l'idée que le destin d'une nation n'est que le miroir de sa justice, de la justice par laquelle elle se tient debout ou tombe...
Nous savons que telle est l'épreuve : notre comportement à l'égard d'une faible minorité dans toute sa faiblesse. Nous avons ressenti dans notre propre chair, depuis deux mille ans, que tel était le signe de la maturité ou de la pourriture d'un Etat  l'usage qu'il fait ou non du pouvoir de son règne pour dérober l'agneau du pauvre ou de l'étranger.
Si on nous convoque devant le trône de l'Histoire pour répondre de notre comportement à l'égard des pays arabes voisins, nous saurons quoi répondre. Si on nous demande des comptes sur notre réaction à l'égard des terroristes, sur les mesures de sécurité, même si elles sont excessives, et sur le gouvernement militaire et les restrictions de la liberté de mouvement, nous pourrons fournir une réponse et nous pourrons regarder le monde entier la tête haute.
Mais si on nous demande : "Deviez-vous, dans tout ce large pays riche en nombreux déserts et pauvre en fermiers juifs, deviez-vous tourner en dérision vos propres serments, devant vous-mêmes et devant le conseil des nations ? Deviez-vous trahir toutes les prophréties de vos prophètes qui avaient prévu le retour du peuple à sa terre ? Deviez-vous profaner toute loi et toute justice à seule fin de voler quelques milliers de dunoms à une poignée de misérables villageois arabes ... ?"
Lorsqu'on nous demandera cela, nous ne pourrons pas garder la tête haute.
Viens, ma fille, allons visiter une des fermes érigées sur cette terre volée. Viens dans la salle de concert qui porte en sa mémoire le nom d'un de nos premiers pionniers, venu à ce peuple en portant la bannière de la fraternité des nations. Ce soir, ils feront là une conférence sur un sujet beaucoup plus populaire que celui que ton père a choisi aujourd'hui. Ils parleront d'un courageux écrivain, qui a élevé la voix contre l'oppression des Noirs par les Blancs dans son pays - bien que lui-même soit blanc. Et ils parleront noblement et dénonceront le vol des terres indigènes dans l'Afrique lointaine...
Alors, cesse d'écouter les beaux discours, et écoute la terre bien-aimée sur laquelle ces choses-là sont dites.
Et entends : notre pays bien-aimé pleure lui aussi.
Et quand tu grandiras, tu redresseras les torts et feras taire ses pleurs.
- Notes :
[1] : La déclaration d'indépendance, contresignée par tous les membres du gouvernement provisoire, porte la signature de Meïr Vilner, chef du Parti communiste palestinien devenu Parti communiste israélien. Les promesses démocratiques contenues dans la déclaration, contradictoires avec la notion d'"Etat juif en terre d'Israël" qui y est proclamée, n'ont jamais été tenues.
[2] : Auxquels vinrent s'ajouter, au terme des accords de Rhodes en janvier 1949, quelques milliers de réfugiés réintégrés dans le cadre de la "réunification des familles".
[3] : Auxquels convient bien l'expression hébreue biblique (d'ordinaire employée pour désigner les Juifs restés en Terre sainte pendant les siècles de dispersion) Sh'érith Ha-pleitah, que l'on traduit littéralement par "le reste de l'exode".
[4] : Relaté dans Les Arabes en Israël, par Sabri Geries, Tel-Aviv, 1965, Paris, Maspéro éd., 1969, p. 98.
[5] : In Ha-Praklith, revue des avocats juifs de Palestine. Tel-Aviv, 1946. Cité par Sabri Geries, op. cit., p. 97.
[6] : Sabri Geries, op. cit., pp. 101-103.
[7] : in Ha'Aretz, quotidien du matin, le 9 juillet 1976.
[8] : Sabri Geries, page 118.
[9] : Jeu de mots araméen qui désigne le déguisement de l'anagramme. Littéralement, Apkha Mistabra peut signifier "le sens est à l'envers".

                                                   
Revue de presse

                                   
1. Un Arabe abat deux civils israéliens et en blesse quarante autres, après la mort de quatre Palestiniens, victimes d'un raid israélien par James Bennet
in The New York Times (quotidien américain) du mercredi 23 janvier 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Vêtu d'une veste bleue et muni d'un fusil semi-automatique M-16, le jeune homme aurait pu passer pour un soldat israélien en permission, mais néanmoins sur ses gardes, tandis qu'il déambulait dans un quartier commerçant très fréquenté de Jérusalem, tard dans la soirée d'hier.
Mais soudain, en s'écriant en arabe "Dieu est grand !" ("Allahu 'akbar !"), l'homme, membre d'un groupe activiste palestinien, tourna le canon de son fusil en direction des passant et tira, tuant deux femmes et blessant une vingtaine de personnes, en arrosant de balles deux abris-bus et plusieurs boutiques.
Des policiers se sont lancés à sa poursuite et l'ont abattu, sur un parking. Il s'agissait là de la première attaque menée par un activiste palestinien à Jérusalem depuis le 16 décembre, date à laquelle Yasser Arafat avait appelé à une cessation des violences anti-israéliennes. Le premier décembre, deux hommes s'étaient fait sauter avec leurs bombes, entraînant avec eux onze personnes dans la mort, à un pâté d'immeubles de la scène de la tuerie d'hier, rue Jaffa.
Après une semaine de violences croissantes, les tirs d'hier se sont produits à la fin d'une journée qui avait déjà connu mort d'homme. Avant l'aube, les forces israéliennes avaient, en effet, déjà abattu quatre activistes palestiniens, membres du groupe islamiste Hamas, au cours d'un raid mené contre ce que l'armée a qualifié de laboratoire-arsenal, dans la ville cisjordanienne de Naplouse.
Les violence d'hier matin ont donné lieu à des représailles par les deux parties, plaçant M. Arafat dans une situation particulièrement délicate. Avec l'effondrement du cessez-le-feu, il est en effet virtuellement prisonnier de l'armée israélienne, dans la ville cisjordanienne de Ramallah, et son espace de manoeuvre se réduit de plus en plus, coincé qu'il est entre les exigences d'Israël et de l'administration Bush, d'une part, et d'autre part celles des militants opposés aux négociations et d'autres Palestiniens, qui ont perdu toute foi en celles-ci.
Plus d'un millier de manifestants se sont heurtés, hier, aux forces de la police palestinienne, qui ont abattu l'un d'entre eux. Les protestataires réclamaient la libération des hommes emprisonnés par l'Autorité palestinienne (de M. Arafat) à la demande d'Israël et des Etats-Unis. L'Autorité palestinienne était incapable, aux dires des manifestants, d'assurer la protection des leaders arrêtés, en cas d'attaque israélienne.
Israël a juré de répliquer à l'opération de Jérusalem, qui a été revendiquée par un groupe lié au Fatah, la formation de M. Arafat. Des leaders du Hamas ont juré de venger la mort de ses membres.
Le premier ministre israélien, Ariel Sharon, ainsi que l'administration Bush, enjoignent à M. Arafat de faire respecter le cessez-le-feu.
L'attentat de Jérusalem a semé la panique, les passants se couchant sur la chaussée et les tenanciers de magasins cherchant à se protéger en plongeant derrière leur comptoir. Dans la rue Jaffa, où les affaires subissent déjà en temps 'normal' le marasme et où les nerfs étaient déjà à fleur de peau, l'attentat a laissé de nombreuses traces : des éclats de vitres un peu partout, ainsi que des dizaines d'impacts de balles dans les vitrines et les voitures stationnées. La police a indiqué que certains civils armés avaient répliqué aux tirs.
"C'était le Liban, en plein coeur de Jérusalem", a commenté un témoin, Yacov Cohen.
Deux personnes grièvement blessées ont expiré tôt dans la matinée, a indiqué un porte-parole de l'hôpital Hadassah Ein Kerem. Les deux femmes, âgées respectivement de 78 et 56 ans n'avaient pas encore été identifiées. Quatorze des blessés les plus atteints étaient encore hospitalisés.
Le sergent d'active Hanan Ben Naim est l'un des officiers de police qui a coincé le tireur, échangeant des tirs avec lui en se protégeant derrière des voitures en stationnement. "Il était calme", se rappelle-t-il. "Je voyais la haine dans ses yeux."
Magdolene Othman, 19 ans, du village arabe israélien d'Abu Gosh, près de Jérusalem, était en larmes en se remémorant ce qu'elle avait vécu tandis que le bus qu'elle conduisait était pris sous les tirs. "Quelqu'un m'a forcée à me coucher par terre", a-t-elle témoigné. "Je suis une Arabe, et je ne comprends pas comment des gens peuvent faire des choses aussi horribles."
Les Brigades des Martyrs d'Al-Aqsa, groupe activiste lié au Fatah de Yasser Arafat, a revendiqué cette attaque. L'assaillant a été identifié pour être Saïd Ramadan, 22 ans, policier palestinien en disponibilité. M. Ramadan était originaire du village de Tell, proche de Naplouse.
Le groupe d'Al-Aqsa ignore le cessez-le-feu théorique : il a mené plusieurs attaques qui ont entraîné la mort d'au moins neuf civils israéliens, depuis que l'un de ses dirigeants a été déchiqueté par une bombe dissimulée, le 14 janvier dernier. Les responsables israéliens ont reconnu avoir déposé la bombe, alléguant que cet homme, Ra'ed al-Karmi, préparait de nouveaux attentats contre des Israéliens.
Des affrontements opposent quotidiennement les soldats israéliens à des Palestiniens, à Ramallah, depuis que les tanks israéliens se sont approchés à moins de cent-cinquante mètres de la résidence de M. Arafat, vendredi dernier. Hier, mardi, un soldat israélien a été tué accidentellement par des tirs involontaires partis de la mitraillette d'un autre soldat, a indiqué l'armée, qui mène une enquête sur cet accident.
Les responsables israéliens disent que M. Arafat a emprisonné (seulement) quelques-uns des hommes les plus dangereux, tout en s'abstenant d'interroger ceux qu'il a déjà à sa merci. M. Arafat ne pourra échapper à son emprisonnement virtuel à Ramallah tant qu'il ne sévira pas contre un nombre plus important de "terroristes", déclarent-ils.
Mais, déjà soumis aux pressions des Israéliens, qui allèguent qu'il ne lutte pas contre le terrorisme palestinien, M. Arafat est de plus en plus confronté à l'opposition de son propre peuple. Ismaïl Abu Shanab, dirigeant important du Hamas, a déclaré qu'Israël avait de lui-même mis un terme au cessez-le-feu provisoire négocié par sa formation avec M. Arafat.
"Ce qui s'est produit en Cisjordanie représente une escalade militaire dangereuse, qui donne au Hamas le droit de répliquer", a-t-il dit avant les tirs à Jérusalem. "La coordination entre Israël et l'Autorité palestinienne, en matière de sécurité, doit cesser. Il ne devrait pas y avoir de nouvel appel à cesser le feu". Il a ajouté que l'Autorité palestinienne devrait cesser d'arrêter des militants.
A Naplouse et ailleurs, les Palestiniens sont plutôt réticents, face à ces arrestations. Mardi, des centaines de personnes sont descendues dans les rues de Naplouse. Elles ont caillassé un commissariat de police et une prison, brûlé des véhicules appartenant à la police et en ont retourné un autre, tout en exigeant de l'Autorité qu'elle libère les leaders qu'elle avait arrêtés pour complaire à Israël. Ces manifestants mettaient en garde contre le fait que ces prisonniers, véritables cibles désignées pour les bombardements et tirs israéliens, étaient promis au casse-pipe.
"Personne n'est à l'abri, ici", nous a dit une femme qui s'est présentée à nous comme la mère d'un prisonnier, Ahmad Awad. "Même les gens qui ne sont pas en prison se font tuer : comment voulez-vous que l'Autorité protège ceux qu'elle met en prison ?"
Les émeutiers ont arraché des tronçons de la barrière de chaînes cernant la prison, laissant la rue qui en fait le tour jonchée de pierres. Une partie du bâtiment du complexe central de la sécurité, à Naplouse, est toujours à l'état de monceau de gravats après le bombardement des F-16 israéliens de mai dernier. La police a répliqué aux manifestants avec des gaz lacrymogènes et des tirs à balles réelles.
Afin de calmer la foule, les autorités ont accepté de négocier avec des représentants des prisonniers et de leurs familles, nous ont indiqué des manifestants. Ces autorités ont également libéré un homme - provisoirement, a déclaré sa famille - afin de lui permettre d'assister aux obsèques de son frère, tué lors d'une attaque israélienne.
Il était environ quatre heures du matin, lorsque les soldats israéliens avaient escaladé la façade d'un immeuble d'habitation, situé à flanc de colline, à l'entrée ouest de la ville de Naplouse. L'armée israélienne a déclaré que les Palestiniens avaient tiré les premiers, lançant une bombe contre ses hommes, et qu'ensuite, un échange de tirs avait eu lieu. Quatre soldats ont été blessés au cours de cette opération, a indiqué le porte-parole de l'armée.
Mais après avoir inspecté les ruines de l'appartement, des membres des forces de sécurité palestiniennes ont affirmé que les hommes n'avaient eu aucune possibilité de répliquer.
Les officiers palestiniens de la sécurité ont indiqué que trois des hommes avaient été tués dans une chambre à coucher, dont les murs étaient criblés de dizaines d'impacts de balles, la literie étant imbibée de sang. Le quatrième était mort dans la salle de bains, dans laquelle une paire de sandales noires a été retrouvée à proximité d'une cuvette ensanglantée. La porte de la salle de bains avait été fracassée.
Mahmoud Bitar, dix-huit ans, un voisin, a déclaré avoir pénétré dans l'appartement après le départ des soldats israéliens : il a trouvé le corps de la victime tuée dans la salle de bains, revêtu de ses seuls sous-vêtements...
M. Bitar a témoigné avoir été réveillé en sursaut, aux environs de quatre heures du matin, par une explosion, suivie de tirs intenses, et d'autres explosions. "J'ai entendu l'un des quatre hommes (tués) crier : "Ils sont en haut. Ils sont en haut. Après : le silence..."
L'armée israélienne avait initialement déclaré, mardi matin, que ses hommes avaient tué cinq activistes au cours de l'attaque.
Le major général Yitzhak Eitan a qualifié cet appartement de "peut-être le plus grand" arsenal clandestin jamais découvert jusqu'ici en Cisjordanie. L'armée a indiqué que ses soldats ont découvert des ceintures explosives du type de celles qu'utilisent les kamikazes, ainsi que des explosifs, des munitions, des câbles électriques, des billes métalliques servant à augmenter l'effet des bombes, plusieurs téléphones cellulaires et beepers, qui auraient pu être utilisés comme détonateurs.
Dans la chambre à coucher dévastée, tout ce que l'on peut dire est qu'il restait l'emballage d'un téléphone portable neuf.
Des officiels israéliens ont déclaré avoir exigé des forces palestiniennes qu'elles arrêtent les quatre hommes, au cours d'une réunion de sécurité conjointe. Mais, disent-ils, les officiers palestiniens n'ont rien fait. Les Israéliens disent que les quatre hommes avaient été impliqués dans des attentats mortels contre des Israéliens.
Au moins deux, parmi les hommes tués, appartenaient aux trente-trois activistes recherchés par Israël, ont indiqué des officiels israéliens. Dans la journée de mardi, des hauts-parleurs annonçaient, dans les rues de Naplouse, que l'un des tués, Youssef Khaled Youssef Sukarji, était un des dirigeants clandestins de l'aile militaire du Hamas en Cisjordanie.
Israël avait tué son prédécesseur, Mahmoud Abu Hannoud, en tirant contre lui un missile, près de Naplouse, le 23 novembre dernier. Le mouvement Hamas avait qualifié plusieurs attentats ultérieurs, parmi lesquels les attaques-suicides à la bombe, commises ici le 1er décembre, de réplique à l'assassinat de M. Abu Hannoud.
Par l'intermédiaire des hauts-parleurs de Naplouse, hier, le Hamas réclamait de nouveau vengeance.
                                           
2. L'Europe chiffre les destructions israéliennes par Jean Quatremer
in Libération du mardi 22 janvier 2002

Les Européens commencent à trouver saumâtres les destructions menées en «représailles» par l'armée israélienne dans les territoires palestiniens. Car ces opérations touchent de plus en plus souvent des bâtiments payés par l'UE ou ses Etats membres. Cela n'a rien d'étonnant, les Quinze étant les principaux pourvoyeurs d'aide à cette région (plus de 601 millions d'euros entre 1999 et 2001). Bruxelles a donc décidé de chiffrer les principaux dégâts commis par Israël depuis août 2001 et qui visent à détruire les infrastructures palestiniennes: un tableau sera examiné aujourd'hui par le «groupe de travail sur le processus de paix au Moyen-Orient», qui réunit les fonctionnaires des Quinze chargés de la région. La liste, qu'«il faut hélas réactualiser chaque jour», comme on le regrette à la Commission, est accablante. Sans compter les destructions de ce week-end, l'immeuble de la Voix de la Palestine, rasé, et l'hôtel Intercontinental, endommagé, Israël a déjà réduit à néant pour 13,851 millions d'euros d'aides européennes. Au hasard, 9,3 millions d'euros pour la démolition presque totale de l'aéroport de Gaza, 2,05 millions d'euros pour la destruction de trois camps de la police palestinienne, 718 000 euros pour une opération de reboisement anéantie par les bulldozers de Tsahal, 700 000 euros pour le bombardement d'un laboratoire médico-légal, 335 000 euros pour l'attaque du port de Gaza, etc. Reste à savoir quelles leçons vont tirer les Quinze de ce constat: peuvent-ils continuer à laisser faire, alors même qu'ils sont le principal partenaire économique d'Israël ? Autrement dit, les Européens vont-ils enfin utiliser les moyens de pression dont ils disposent sur Jérusalem ?
                                                        
3. L'époque américaine par Rony Brauman
in Le Monde du mardi 22 janvier 2002

(Rony Brauman est médecin, ancien président de Médecins Sans Frontières (1982-1994) ; il enseigne à l'IEP de Paris. Ce texte est l'une des deux préfaces de l'édition 2002 du "Bilan du Monde".)
L'ÉPOQUE qui s'est ouverte avec les attentats du 11 septembre est celle des Etats-Unis. Rien de neuf, semble-t-il, puisque le règne de l'"hyperpuissance américaine" (selon la formule d'Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères) est déjà solidement installé depuis la disparition de l'URSS et l'écrasante mobilisation politico-militaire engagée sous le commandement de Washington dans le Golfe en 1991. Nous sommes habitués, depuis la "Tempête du désert", à voir des déploiements armés américains rythmer la vie politique internationale. Nous sommes accoutumés à subir, tout en protestant, le poids de décisions prises à la Maison Blanche et, à de rares exceptions près, imposées à l'ensemble des nations, en particulier dans les domaines de l'environnement, du commerce, de la justice internationale et de la sécurité. Nous constatons régulièrement que, depuis la fin de la guerre froide, les Etats-Unis sont le seul membre permanent du Conseil de sécurité à pouvoir faire usage de son droit de veto.
La destruction du World Trade Center n'a en rien modifié cet état de fait, comme on peut en juger par la politique américaine au Proche-Orient, ou encore par la remise en cause unilatérale du traité antimissile de 1972 et du protocole de Kyoto sur les gaz à effet de serre. Si quelque chose a changé sur la scène internationale depuis le 11 septembre 2001, ce ne sont pas tant les actes politiques des uns et des autres que le cadre dans lequel ils s'inscrivent et leur perception par les opinions publiques. C'est au moment où la puissance américaine brille d'un éclat sans précédent dans l'histoire qu'elle fait, pour la première fois, l'épreuve d'une agression et d'un crime de masse sur son propre territoire. C'est au moment où la technologie militaire est vue comme l'assurance ultime de la sécurité que son dispositif est déjoué par une poignée de terroristes armés de cutters.
Le choc provoqué par ces attentats doit sa force tout autant au spectacle effarant donné ce jour-là qu'au constat de "déréglementation du marché de la violence" (d'après le politologue en relations internationales Bertrand Badie). Ce sont bien les Etats-Unis qui avaient mis fin à la guerre civile en Bosnie et au Kosovo, s'affirmant comme seuls garants crédibles de la stabilité en Europe centrale. Ce sont les mêmes qui avaient décidé que rien ne serait fait pour mettre un terme au génocide du Rwanda de 1994. Unique pays capable de se poser en régulateur de la violence, voici qu'ils en subissent les coups, assénés qui plus est par un réseau privé dans la constitution duquel ont trempé plusieurs de leurs alliés. Ce brouillage des jeux de puissance et des frontières de la violence constitue aujourd'hui l'essentiel de l'"après-11 septembre".
Le monde occidental, lieu d'invention des droits de l'homme et de la citoyenneté, se caractérise par sa tendance historique à étendre son autorité sur le reste de la planète. 
Le passé colonial de nombre de pays européens témoigne de cette aspiration où se mêlaient de façon indissociable impérialisme et "devoir de civilisation". Relevons au passage que tout un courant du mouvement humanitaire contemporain prolonge cette tradition du "fardeau de l'homme blanc", popularisé par Kipling, sous les couleurs rajeunies du "droit d'ingérence". Mais ce sont les Etats-Unis, pouvoir militaire et économique sans rival depuis l'implosion de l'Union soviétique, qui ont désormais pris en charge ce rêve, jusqu'alors bridé par les courants isolationnistes encore influents dans ce pays. Tout semble indiquer que l'humiliation subie le 11 septembre leur a insufflé la volonté politique nécessaire pour établir concrètement leur empire universel. La "guerre à la terreur" déclarée par George Bush ne saurait en effet s'accommoder de nuances : qui n'est pas avec l'Amérique dans ce combat est contre elle. Force est de reconnaître qu'en ce début d'année 2002 les vents lui sont favorables.
Le régime tyrannique des talibans a été pulvérisé et l'intervention armée en Afghanistan constitue, au-delà de la victoire locale, un message limpide : tel sera le sort qui attend tout pays abritant des réseaux terroristes. Indiscutablement, la leçon a porté. A ce jour, pas plus d'ailleurs que pendant la guerre du Golfe et contrairement à la plupart des prédictions, on ne constate de mobilisation de la "rue arabe", à l'exception de petites manifestations localisées. De même, les déclarations et manœuvres annonçant d'éventuelles opérations militaires antiterroristes dans d'autres pays - Somalie, Irak, Philippines - n'entraînent que de timides et courtoises réserves, comme si le monde se résignait par avance à l'envoi discrétionnaire d'un corps expéditionnaire américain.
Les Etats-Unis sont une démocratie, et la vitalité de ce pays, les chances de réussite qu'il peut offrir à ses habitants continuent de fasciner. Nombre de ceux qui les vitupèrent, notamment dans les mondes arabe et latino-américain, rêvent d'y émigrer, témoignant de la force toujours vive du "rêve américain" et de la coexistence singulière d'attirance et de rejet qui caractérise les relations avec eux. Cette confusion des sentiments n'est, au fond, que l'expression de la relation complexe que les hommes entretiennent avec la puissance. Elle sert trop souvent, cependant, à disqualifier la critique politique de ce pays. Sous sa forme paroxystique, la "haine de l'Amérique" peut certes cacher la peur de la liberté et le rejet de la démocratie, mais l'emploi du mot "haine" est en lui-même une généralisation trompeuse, destinée à abaisser au rang de sentiments inavouables ce qui relève du jugement politique et de l'expérience collective.
Ce n'est pas l'Amérique qui est rejetée, mais la politique américaine, et cela explique que l'on puisse vouloir y vivre tout en la critiquant âprement. Et c'est parce que la politique américaine pèse d'un poids singulier, celui d'une "hyperpuissance", qu'elle suscite de telles passions. Chacun sait, par exemple, que l'essentiel d'une solution acceptable au conflit israélo-palestinien, c'est-à-dire la reconnaissance d'un Etat palestinien souverain et viable, se trouve entre les mains du président des Etats-Unis, lui seul étant capable d'amener Israël à se retirer des territoires occupés. Et tout le monde, ou presque, constate simultanément l'aval donné par la Maison Blanche à la colonisation et aux violences israéliennes dans les territoires, puis à une entreprise d'écrasement de l'Autorité palestinienne, sous couvert de lutte contre le terrorisme.
Si les démonstrations de joie après les attentats de septembre ont été rares, il n'était pas besoin de creuser profondément pour s'apercevoir que cette terrible jubilation était partagée par bien d'autres qui ne l'affichaient pas ouvertement. Plutôt que de renvoyer hâtivement ces réactions à un atavisme barbare ou de détourner pudiquement le regard, il faut s'interroger sur ce qui les a provoquées. Pour tous ceux qui subissent des violences perpétrées à l'ombre de la puissance américaine, ces attentats monstrueux étaient d'abord une revanche, un rééquilibrage dans la distribution inégale de la mort infligée à des innocents. Tenter de comprendre ces manifestations, ce n'est pas les justifier. C'est d'abord se souvenir, à la lumière de l'histoire et de l'actualité quotidienne, que le monde ne se divise pas en deux camps, l'un pour lequel la vie serait sacrée et l'autre pour lequel elle ne serait bonne qu'à être sacrifiée. Le monde réel ne se ramène pas à de tels simplismes idéologiques, mais c'est bien ce que la "guerre à la terreur" qui inaugure "l'époque américaine" tend à faire croire.
                                
4. Péril en sa demeure par Christophe Ayad
in Libération du vendredi 18 janvier 2002
Khalil Bachir, 50 ans, palestinien, refuse de quitter sa maison à Gaza, dont le dernier étage sert de mirador à l'armée israélienne.
Khalil Bachir en 9 dates :
- 1948 Naissance de l'Etat d'Israël et première guerre israélo-arabe. Des centaines de milliers de Palestiniens fuient vers Gaza, la Cisjordanie, la Jordanie ou le Liban.
- 1951 Naissance de Khalil à Gaza.
- 1967 La bande de Gaza est envahie par Israël.
- 1969 Des colons fondent la colonie de Kfar Darom, près de la maison de Khalil Bachir, à Deir al-Balah.
- 1987 Début de la première Intifada.
- 1992 Un colon est tué sur le terrain de Khalil Bachir.
- 1993 Accords d'Oslo.
- 1994 Début de l'autonomie palestinienne à Gaza.
- Septembre 2000 Début de la deuxième Intifada.
La maison de Khalil Bachir est comme la Palestine, en miettes. C'est même un officier israélien qui le lui a dit: «Ta maison Khalil, tu vois, c'est comme la Palestine. Elle est divisée en trois. Le rez-de-chaussée est en zone A: tu es autonome, tu peux vivre dedans, mais tu n'ouvres pas les volets. Les étages, en zone B: nous contrôlons tout. Le toit et le jardin, c'est une zone C, tu n'y mets pas les pieds.» L'officier a ajouté: «Franchement, à ta place, je déménagerais. Tu te faciliterais la vie, et la nôtre aussi.» Khalil Bachir n'est pas un activiste. Simplement, il ne veut pas déménager. «Je ne sortirai d'ici que les pieds devant.» Ce n'est pas une question de moyens, Khalil Bachir est directeur d'école, juste une question de principe: «Je ne partirai jamais. C'est ce qui nous a perdus, nous les Palestiniens, en 1948. Nous avons laissé nos maisons, nos terres et nous ne les avons jamais revues.» En décembre 2000, son frère, fatigué par les tirs incessants et les menaces, est parti de chez lui. «Les bulldozers l'ont détruite dans les vingt-quatre heures.»
Khalil Bachir est un drôle de personnage, un gentleman-farmer égaré sur un champ de bataille. Il habite une maison de deux étages entourée d'un grand jardin à Deir al-Balah, au centre de la bande de Gaza. Deir al-Balah signifie en arabe «le monastère entouré de dattiers». Mais cela fait longtemps que les palmiers ont cédé la place au béton des camps de réfugiés: avec 1,2 million d'habitants, la bande de Gaza est l'un des endroits les plus densément peuplés du monde. Khalil Bachir, lui, est un privilégié: originaire du cru, il n'a pas perdu ni sa terre ni sa maison en 1948. Il n'a pas connu une enfance de réfugié. Son coin de jardin a dû ressembler au Gaza d'antan: un portail, des oliviers, des palmiers dattiers, du blé, un puits... Son père, un riche propriétaire terrien, l'a envoyé étudier l'anglais à l'université d'Aïn Chams, au Caire, dont il est sorti diplômé en 1974. «Mon père n'a eu que quatre enfants. C'est très rare à Gaza.» A sa mort en 1979, Khalil Bachir hérite de deux maisons et d'un beau terrain qui lui rapporte des revenus rondelets. Mais c'était avant. Avant sa petite guerre personnelle avec les militaires israéliens d'en face, installés dans un mirador, à moins de vingt mètres de sa façade. La maison du paternel a été rasée, le verger saccagé, sa propre demeure criblée de balles.
Pour la famille Bachir, l'histoire se gâte à partir de 1967, lorsque l'armée israélienne envahit la bande de Gaza, chassant les Egyptiens qui administraient le territoire. Une colonie juive, Kfar Darom, s'installe en 1969 à 70 mètres de chez lui. Quelques allumés qui veulent faire revivre l'idéal sioniste en territoire palestinien. «En 1992, l'un d'entre eux a été tué alors qu'il traversait mon champ, je ne sais pas par qui. Les colons, fous de rage, sont rentrés chez moi. Ils ont tout saccagé sous la protection des soldats. Ils ont brûlé mon champ de blé, arraché mes orangers et détruit mes serres.» Fébrile, il exhibe des photos de l'époque.
L'armée israélienne a alors installé un poste d'observation sur un bout de son terrain, entre Kfar Darom et la maison, «à l'endroit même où le colon a été tué». Avec les accords d'Oslo instaurant l'autonomie palestinienne, Khalil Bachir respire. Il se dit que la paix est pour bientôt, que les colonies n'en ont plus pour longtemps et décide de bâtir deux étages au-dessus de sa maison. Avec dix enfants (cinq filles et cinq garçons âgés de 19 à 5 ans), il a besoin de place. L'armée, furieuse, tente de l'en empêcher mais il obtient gain de cause. Le poste israélien est obligé de reculer de plusieurs mètres. Les militaires ne lui pardonneront pas cet affront.
Mais le processus de paix s'enraye, les colonies s'éternisent. En 1998, l'armée saisit une partie de son terrain pour y bâtir un nouveau poste avancé. Lorsque la deuxième Intifada éclate, le 28 septembre 2000, la vie de Khalil Bachir vire au cauchemar. Le 2 octobre, sa maison est mitraillée pour la première fois. Pendant cinq mois, les tirs ne cessent pas, de nuit comme de jour, jusqu'à trois fois par jour, à l'arme légère puis à la mitrailleuse lourde. «A chaque fois, les Israéliens disent riposter à des tirs palestiniens venus de ma direction. Mais, depuis la mort du colon, je fais attention à ce que personne n'utilise ma maison ou mon jardin pour attaquer la colonie, se défend Khalil Bachir. Si j'avais fait quoi que ce soit, je serais mort depuis longtemps. Parfois, ils tirent juste pour se défouler, parce qu'une opération a eu lieu à dix kilomètres d'ici.» Son fils Yazan, 18 ans, a été touché à la cheville.
Dans la famille Bachir, la mère n'est pas voilée, les enfants sont à l'image du père, un peu excentrique, sans acrimonie. Amira, 17 ans, l'aînée des filles, collectionne les douilles de balles qu'elle aligne le long de sa tête de lit. La nuit, pendant les tirs, elle écrit des poèmes sur la paix qu'elle lit au visiteur avec un enthousiasme un peu démonstratif. Khalil Bachir, lui, travaille à sa thèse sur Margaret Olifant, une obscure écrivaine victorienne: «Depuis que je suis "emprisonné" ici, j'ai le temps.» Avec les plus jeunes de ses enfants, surtout la petite Zana, 5 ans, il joue à Roberto Benigni: «J'essaie de faire comme si tout cela était naturel, comme un jeu.» La nuit, ils dorment tous les dix sur des matelas de fortune, dans une seule pièce à l'arrière du bâtiment, pour éviter les balles perdues... Parfois, le jeu dérape et Khalil Bachir craque, comme le 28 avril dernier, lorsqu'un obus perce le mur de sa chambre, frôle sa tête allongée sur le lit et se fiche dans un placard. Parfois, il n'en mène pas large. «L'autre jour, ça a tiré toute la nuit et ma fille s'accrochait à ma jambe comme si elle voulait rentrer dans ma poche.»
La nuit, des soldats investissent les étages inoccupés et le toit d'où ils surveillent le quartier à la mitrailleuse lourde. Ils montent par une échelle de fer posée contre la façade. Khalil Bachir ne sait jamais quand ils sont là, il n'a plus la clé qui mène aux étages. Parfois, ils effectuent aussi des descentes dans la maison. «Les soldats nous enferment dans la cuisine puis la chambre à coucher, quand la nuit tombe. Pendant ce temps, ils fouillent avec des chiens.»
Les officiers israéliens reconnaissent que Khalil Bachir n'a jamais tenté de mener un attentat, mais, pour l'armée, sa maison constitue une «menace stratégique». A Deir al-Balah, il passe soit pour un fou soit pour un rêveur. Il y a ceux qui ne comprennent pas qu'il n'ait pas déménagé et ceux qui se demandent comment il n'a pas encore commis un attentat-suicide. Il n'a pas de haine: «Je suis prêt à oublier le passé, tout ce qu'on a pu me faire si c'est pour construire la paix.» Drôle d'oiseau que ce Khalil Bachir qui n'a pas d'engagement politique particulier, qui est religieux sans être islamiste, qui ne veut rien d'autre que rester dans sa maison. «J'ai moins peur des Israéliens que des questions de mes enfants, lorsqu'ils me demanderont dans plusieurs années pourquoi nous avons fui.».
                                   
5. Ce que l'armée dissimule à l'opinion publique par Amira Hass
in Ha'aretz (quotidien israélien) du mercredi 16 janvier 2002
[traduit de l'anglais par Giorgio Basile]

Vendredi dernier, un autobus s'est embourbé quelque part entre Morag, une colonie de la bande de Gaza, et Rafah, sur une mauvaise route qui court entre champs et vergers, serres et maisons en pierres disséminées parmi les terres cultivées. En fait, il s'agit plutôt d'une piste que d'une route, empruntée par les voyageurs après que la route principale entre Khan Younis et Rafah ait été bloquée la veille par les Forces de Défense Israéliennes (FDI).
Une longue file de voitures s'est retrouvée enlisée derrière l'autobus. Progressivement, les conducteurs et les passagers sont sortis des voitures pour aider à pousser l'autobus. Deux jeunes commencèrent à discuter avec la seule femme qui était sortie de l'un des véhicules. Tous deux racontèrent qu'ils étaient de Tufah, dans les environs du camp de réfugiés de Khan Younis (où les FDI ont démoli des dizaines de maisons l'an dernier), et qu'ils appartenaient à la marine palestinienne. Puis vint la question inévitable, parle-t-elle hébreu? Et tout naturellement, avant même que son identité professionnelle soit connue, ils continuèrent à bavarder avec la femme israélienne, répondant à ses questions à propos de leur vie, et lui posant eux-mêmes d'autres questions. La conversation ne prit fin que parce que, finalement, l'autobus avait pu être dégagé de la boue.
Des centaines d'Israéliens qui, certainement, aimeraient faire l'expérience de tels bavardages, en auraient l'occasion si seulement l'armée israélienne n'interdisait pas aux Israéliens de pénétrer dans les territoires autonomes palestiniens (Zones 'A'). Les impératifs sécuritaires, et le besoin d'épargner des vies humaines, paraissent être des arguments très convaincants. Des Palestiniens ont assassiné plusieurs Israéliens qui avaient pénétré en Zone 'A' pour faire des achats ou aller manger dans une ville palestinienne. D'autres Israéliens ont été kidnappés au cours d'innocentes excursions, et leur libération a nécessité interventions et pressions. Malheureusement, un autre Israélien a été assassiné hier dans le secteur de Beit Sahour.
Mais ces arguments soi-disant raisonnables appellent trois commentaires :
1. Près de 200.000 Israéliens risquent quotidiennement leur vie lorsqu'ils parcourent les routes de Cisjordanie et de Gaza pour regagner leurs maisons dans les colonies. Les FDI ne leur interdisent pas de risquer leur vie et celles de leurs enfants. Bien au contraire - de jeunes soldats sont envoyés risquer leur propre vie pour assurer la protection des colons. Pendant ce temps, 3 millions de Palestiniens sont soumis à un régime de bouclage, couvre-feu et siège, incarcérés en somme pour prévenir toute possibilité de brèche dans la défense des colons.
2. Des dizaines de milliers de jeunes Israéliens risquent leur vie chaque année en partant voyager dans des contrées exotiques et dangereuses un peu partout dans le monde. Ils escaladent des montagnes enneigées, font des randonnées dans la jungle, visitent des îles ravagées par la drogue. Aucune autorité gouvernementale n'oserait leur interdire de tenter le sort dans ce genre d'aventures.
3. L'interdiction généralisée de pénétrer en Zone 'A' n'empêche pas vraiment ceux qui veulent acheter un canapé bon marché ou un peu de haschisch de le faire. Mais elle restreint des centaines, si pas des milliers, d'Israéliens qui en ont assez du filtre condescendant à sens unique par lequel les FDI font parvenir à la presse israélienne leurs déclarations cent fois rabâchées. Il y a des Israéliens qui sont convaincus que leur responsabilité morale et civique les engage à surveiller ce que manigancent leur gouvernement et leur armée.
Si ces gens pouvaient pénétrer en Zone 'A' et à Gaza, ils viendraient élargir le cercle des Israéliens qui sont prêts à entendre autre chose que l'interprétation de la réalité donnée par les FDI. Ils verraient - et expliqueraient ensuite - le véritable équilibre des forces en présence, qui est menacé, et qui exerce les menaces.
Ils verraient les dizaines de chars (chacun pesant plus de 50 tonnes) juchés au sommet des collines surplombant les quartiers habités. Ils verraient les gens forcés de franchir des fossés pour se rendre au travail ou à la maison. Ils verraient les avant-postes blindés d'où les canons de mitrailleuses dépassent de chaque meurtrière, et ils verraient les innombrables tours d'observation qui entourent les villes et les villages palestiniens.
Ils verraient de leurs propres yeux les champs et les vergers incendiés jusqu'au sol par les FDI après leur départ. Ils se rendraient là où des dizaines d'enfants palestiniens ont été tués, et ils se rendraient compte qu'aucun enfant lançant des pierres ou même un cocktail Molotov n'aurait pu menacer les soldats depuis ces endroits.
Ils entendraient, peut-être même observeraient-ils, des soldats ouvrant le feu sur des habitants, des tirs dont les porte-parole des FDI ne font jamais mention dans leurs rapports. Ils verraient comment la Cisjordanie et Gaza se sont transformées en immenses champs de forteresses et d'avant-postes, dont le seul but est de protéger les colonies.
Ces Israéliens se rendraient là pacifiquement, et ils s'en iraient pacifiquement, et ils en ramèneraient la preuve que la crainte mythique à l'égard de tous les Palestiniens est non seulement sans fondement, mais qu'elle n'est répandue qu'à des fins de pure propagande.
Plus que tout, l'interdiction de pénétrer dans les zones sous contrôle palestinien permet aux FDI de contrôler de façon absolue la perspective de la réalité qui parvient aux Israéliens. Elle permet au gouvernement de reporter indéfiniment le point au delà duquel de plus en plus de gens rejetteront inévitablement la logique de ces politiques gouvernementales.
Malheureusement, la semaine passée, la Haute Cour de Justice a coopéré avec l'armée et l'exécutif, en rejetant une pétition déposée par trois députés du Hadash, qui demandaient à la Cour de forcer les FDI à les autoriser à se rendre à Gaza. Il n'était pas question d'un quelconque danger pour leur sécurité mais, comme l'ont écrit les juges, l'«ordre public» aurait pu être perturbé.
En d'autres termes, tel est l'écran confortable derrière lequel l'armée et le gouvernement assènent à l'opinion publique une vision déformée de la réalité.
                           
6. Vous voulez la sécurité ? Arrêté l'occupation par Marwan Barghouti
in The Washington Post (quotidien américain) du mercredi 16 janvier 2002
[traduit de l'anglais par Christian Chantegrel]

(Marwan Barghouti est le secrétaire général du Fatah en Cisjordanie et a été élu au Conseil Législatif Palestinien.)
RAMALLAH - L'assassinat par Israël, du militant du Fatah Raed Karmi, lundi, était prévisible. Bien qu'Israël ait tué plus de 18 palestiniens depuis l'appel à un cessez-le-feu fait par le Président Yasser Arafat le 18 décembre, il n'y a pas eu de victime israélienne civile durant cette période. Ce qui, selon les gouvernements étrangers et la presse internationale, constituait une "accalmie dans la violence."
Mais une accalmie dans la violence est exactement ce que le premier ministre israélien, Ariel Sharon, ne peut se permettre. Il a été élu en temps de crise et il sait que sa loi n'est supportable qu'en temps de crise. Pour sa propre survie politique, il fera tout le nécessaire, et cherchera n'importe quelle excuse, pour raviver le foyer d'agitation et éviter un retour à des négociations de paix.
C'est ainsi que plus de 600 palestiniens, déjà réfugiés, se sont récemment trouvés dans une nouvelle situation de réfugiés, quand les bulldozers de Sharon ont rasé leurs maisons à Gaza. Le lendemain, des maisons palestiniennes étaient détruites dans Jerusalem-Est occupée. Enfin, Israël assassine Karmi, se donnant la certitude d'avoir suffisamment provoqué les palestiniens pour permettre un redémarrage du cycle de la violence.
Sharon justifie cette barbarie et ces mesures illégales au nom de la "sécurité." Mais, étant moi-même souvent considéré comme la cible potentielle d'un attentat israélien, je peux assurer le peuple israélien que ni mon assassinat ni aucun des 82 autres assassinats qui ont été perpétrés au cours des 15 derniers mois ne le rapprochera de la sécurité qu'il cherche et qu'il mérite.
La seule façon pour les israéliens d'avoir la sécurité est, tout simplement, de mettre un terme à l'occupation par Israël du territoire palestinien qui dure depuis 35 ans. Les israéliens doivent abandonner le mythe qu'il est possible d'avoir à la fois la paix et l'occupation, cette coexistence pacifique n'est possible qu'entre esclave et maître. Le manque de sécurité des israéliens vient du manque de liberté des palestiniens. Israël n'aura la sécurité qu'après la fin de l'occupation, pas avant.
Une fois qu'Israël et le reste du monde auront compris cette vérité fondamentale, la route sera tracée clairement : mettre un terme à l'occupation, permettre aux palestiniens de vivre en liberté et laisser les voisins indépendants et égaux d'Israël et de Palestine négocier un futur pacifique en tissant des liens étroits tant économiques que culturels.
N'oublions pas que nous, palestiniens avons reconnu Israël sur 78 % de la Palestine historique. C'est Israël qui refuse de reconnaître le droit d'exister à la Palestine sur les 22% restants du territoire occupé en 1967. Et ce sont encore les palestiniens que l'on accuse de refuser les compromis et de rater les opportunités. Franchement, nous nous lassons d'être blâmés pour l'intransigeance des israéliens alors que tout ce que nous demandons est l'application de la loi internationale.
Et nous ne faisons pas confiance aux Etats-Unis, fournisseur de milliards de dollars d'aide annuelle finançant l'expansion des colonies israéliennes illégales, "combattant du terrorisme" qui alimente Israël en F-16s et en hélicoptères de combat utilisés contre une population civile sans défense, "défenseur de la liberté et de l'opprimé " qui dorlote Sharon même lorsque celui-ci est accusé de crimes de guerre pour sa responsabilité dans le massacre de réfugiés palestiniens en 1982. Le rôle de la seule superpuissance du monde a été réduit à celui d'un simple spectateur qui n'a rien d'autre à offrir qu'un refrain fatigué réclamant "l'arrêt de la violence", sans jamais dénoncer la cause première de cette violence : le refus de la liberté aux palestiniens.
Observons l'infortuné Général Anthony Zinni qui focalise ses efforts sur la "violence" tandis que des colons juifs violent la loi internationale et même la politique américaine, en s'installant dans une nouvelle colonie illégale dans Jerusalem-Est occupée. Nous, palestiniens ne sommes pas impressionnés.
Au cours des 15 derniers mois, Israël a tué plus de 900 civils palestiniens, 25 % d'entre eux avaient moins de 18 ans. Les Etats-Unis ont tout de même l'audace d'opposer leur veto à un plan de l'ONU pour une force de protection internationale afin d'arrêter le massacre.
Donc nous nous protègerons nous-même. Si Israël se réserve le droit de nous bombarder avec des F-16s et des hélicoptères de combat, il ne devrait pas être surpris quand des palestiniens vont chercher des armes défensives pour abattre ces appareils. Et tandis que, de même que le Fatah, auquel j'appartiens, je m'oppose fermement aux attaques contre des civils à l'intérieur d'Israël, notre futur voisin, je me réserve le droit de me protéger moi-même, de résister à l'occupation israélienne de mon pays et de combattre pour ma liberté. Si l'on demande aux palestiniens de négocier sous occupation, alors il faut demander à Israël de négocier tandis que nous résistons à cette occupation.
Je ne suis pas un terroriste, mais je ne suis pas non plus un pacifiste. Je ne suis qu'un gars normal de la rue palestinienne, défendant seulement ce que toute autre personne opprimée a défendu -- le droit de me secourir moi-même en l'absence de tout autre secours.
Ce principe peut conduire à mon assassinat. Que ma position soit donc bien claire, afin que ma mort ne soit pas ignorée et classée à la légère comme simple statistique dans la "guerre contre le terrorisme" d'Israël.
Pendant six années, en tant que prisonnier politique, j'ai croupi dans les geôles israéliennes. J'étais torturé, on me pendait par les bras, un bandeau sur les yeux tandis qu'un israélien donnait des coups de bâton sur mes parties génitales. Mais depuis 1994, quand j'ai cru qu'Israël voulait sérieusement mettre fin à l'occupation, j'ai été l'avocat infatigable d'une paix basée sur la justice et l'égalité. J'ai conduit des délégations de palestiniens dans des rencontres avec des parlementaires israéliens pour favoriser la compréhension mutuelle et la coopération. Je suis toujours en quête d'une coexistence pacifique entre les pays égaux et indépendants d'Israël et de Palestine, basée sur un retrait total des territoires palestiniens occupés en 1967 et une résolution juste pour la condition des réfugiés palestiniens donnant suite aux résolutions de l'ONU. Je ne cherche pas à détruire Israël mais seulement mettre un terme à son occupation de mon pays.
                                   
7. Palestine : quelle violence parle-t-on ? par Dr. Max Plantavid
in Le Figaro du lundi 14 janvier 2002
(Dr. Max Plantavid est Secrétaire général de Médecins Du Monde, Responsable de mission Palestine.)
De retour en Palestine, le docteur Plantavid, secrétaire général de Médecins du Monde et responsable des missions en Palestine, réagit aux propos mettant en cause la seule Autorité Palestinienne dans la poursuite de la violence en Palestine et en Israël.
Il rapporte de Palestine les témoignages d'enfants souffrant de psychotraumatismes graves.
La violence des attentats, retransmise chaque soir à vingt heures, nous présente un Israël déchiré par les actes sans nom d'extrémistes déments.
Cette vision partielle ne tend-elle pas à éluder la souffrance quotidienne du peuple palestinien, infligée par l'armée israélienne dans les territoires occupés, fait d'un état démocratique, puissant et colonial ?
Cette violence est cruelle, sourde et permanente, moins visible, moins spectaculaire et donc moins médiatisée que les attentats. Il y a les morts et les blessés dont la liste s'allonge, les maisons mitraillées la nuit par des colons armés. Il y a les terres confisquées, seules ressource pour nombre de palestiniens. Il y a les assassinats d'état sans jugement ni condamnation. Il y a aussi cette impossibilité de circuler, de travailler, d'étudier, cette interdiction même de vivre.
Il y a, enfin, cette violence extrême qui ne se voit ni ne se montre : celle  exercée à l'encontre d'enfants, terrorisés par le spectacle effrayant d'un environnement quotidien qui s'effondre.
Cette population plaide sa cause auprès d'une communauté internationale qui ne se fait pas l'écho des souffrances des civils. Confrontées aux conséquences directes de cette violence quotidienne exercée à l'encontre des populations civiles, des équipes de Médecins du Monde sont présentes en Palestine pour soigner les traumatismes psychologiques que subissent les enfants. Les récits qui suivent sont le fruit du travail mené chaque jours par nos médecins, psychologues et assistants sociaux à Ramallah et Naplouse.
" Tahrîr, enfant de douze ans que nous rencontrons à l'hôpital Raffidia de Naplouse, se réveille d'une intervention chirurgicale infructueuse visant à extraire un fragment d'obus enfoncé dans la boite crânienne.
C'est un char - entré le matin à Jenine et positionné devant l'école - qui a  tiré alors que les élèves se rassemblaient pour entrer dans leur classe. Une petite fille de douze ans va mourir à côté de Tahrîr, plusieurs autres seront blessées, sa meilleure amie l'exhorte à fuir parce qu'elle " va mourir " C'est alors que Tahrîr va être touchée en plein front.
Elle raconte avec une précipitation qui dissimule son effroi qu'à cet instant elle pensait qu'elles devraient toutes s'enfermer et se cacher dans une classe, elle perçoit l'affolement autour d'elle, imagine que la directrice s'est enfuie, aperçoit les vitres brisées, les parents qui surgissent affolés, elle veut rentrer chez elle... Les bruits... les cris... Elle va perdre connaissance et sera transportée - apparemment avec retard  - à l'hôpital Raffidia de Naplouse. Cette fillette, visite après visite, va raconter, pour tenter de sortir de sa confrontation avec le réel de la mort : elle répond avec honnêteté et justesse aux incitations à dire... À dire la peur, à dire le monde qui s'écroule, les amies blessées qu'elle pense mortes, ses professeurs qui ont perdu leur statut protecteur puisque, dans l'affolement et devant le danger, ils couraient dans tous les sens.
Son sommeil est parfois troublé par le souvenir de ces moments traumatiques, elle voit des gens de Jenine rôder autour de son lit la nuit - et se rassure avec la présence de sa mère jour et nuit. Elle perd du poids au fil des jours. Son regard,  par moment, se fige, devient lointain, elle est spectatrice d'une scène qui ne peut encore se mettre en mots. Elle interrompt ce moment de sidération et de silence par un " je veux retourner à l'école "
Mata'sem, 13 ans, sur le chemin de l'école, voit un soldat israélien qui ne semble pas lui demander quoi que ce soit, quand explose une mine qui va le brûler gravement aux mains, aux bras, au dos et au visage. Il pense qu'il va mourir, veut voir sa mère, ses frères et sœurs. Quand nous le rencontrons, Mata'sem, choqué, revit sans cesse, jour et nuit, la scène où tout explose selon divers scénarios où, chaque fois, le soldat le frappe ou lui jette une bombe. Il dira sa peur, sa haine et les reviviscences de ce qui s'est passé. Enfiévré, paniqué, il vit avec effroi une explosion dans sa tête qui s'étend à tout l'hôpital, une autre qu'il identifie à l'explosion d'un camion qui passe à côté de son lit. Sa famille aura les plus grandes difficultés à lui rendre visite. Son village est non seulement sous couvre-feu mais est entouré d'une tranchée en représailles à la mort d'un colon. Il faut à son père et sa mère plusieurs heures, à pied, pour rejoindre l'hôpital, en prenant beaucoup de risques et en se cachant des soldats.
Amal est une petite fille de dix ans, la troisième de cinq enfants. Il y a quelques mois, elle voit s'écrouler à côté d'elle son ami de dix ans lui aussi. Il vient d'être tué dans un échange de tirs par les soldats israéliens chargés de protéger la colonie de Psagot, en bordure de Ramallah. Amal se réfugie chez elle, s'allonge sur un canapé qu'elle ne quittera pas durant deux mois. Elle va rester ainsi, dans un état de stupeur, sans aller à l'école, ne s'alimentant presque pas, extrêmement déprimée. Quand nous la rencontrons, Amal raconte ses cauchemars ravivés presque tous les soirs par le bruit des tirs ; elle n'accepte encore de dormir qu'auprès de ses parents. Une nuit, elle raconte qu'elle a voulu aller aux toilettes, mais s'est enfuie brutalement : les toilettes ont une fenêtre et elle a entend des coups de feu, se met une couverture sur la tête... elle restera trois jours sans y retourner..
L'histoire de Magdi est singulière. Il habite le dernier étage d'un immeuble : l'étage de tous les dangers. Les fenêtres donnent toutes sur la colonie de Psagot. Dès notre première rencontre, Magdi nous montrera les nombreux impacts de balles dans le salon. Dans sa chambre il ne reste qu'un Pokémon " l'autre a été tué par les soldats ". Une autre chambre qui a une porte-fenêtre, ne disposant d'aucune protection, a été entièrement vidée de ses meubles et n'est  plus habitée. Dans la suite de la visite, Magdi  nous indique la cachette ou il se réfugie dès qu'il entend les tirs, une cachette qui donne accès à un minuscule placard. Magdi est particulièrement perturbé depuis un incident au check point de " Kalandia " où il y a eu des tirs de gaz, son frère aîné essaie de l'entraîner, mais Magdi se sauve. Il sera retrouvé  évanoui à côté du camp de réfugiés proche du check point. Dans ses histoires il exprime des scènes de bagarre : ses chaussons sont 2 lions qui se font la guerre, puis il imite son père passant le check point comme un homme peureux qui se cache... fait un dessin d'un homme les jambes écartées " pour courir vite ", " pour s'enfuir devant les soldats " ; courir vite est une obsession dans son discours ; il ne veut pas grandir car " quand on est grand, on ne court pas vite."
Dikra, neuf ans, quatrième enfant d'une famille de cinq, timide et trop sage, elle dit que deux fois, impressionnée par des tirs proches, trop proches : " j'ai senti que là (elle désigne son estomac), ça explosait ". Ca explose en elle, elle se réfugie à la maison qui heureusement est à l'abri des balles. Depuis elle ne veut plus jouer comme avant dans la rue, et elle a accroché sa peur à un symptôme dyslexique.
Adham, trois ans, vit avec toute sa famille dans une seule pièce : quelques minutes avant le premier bombardement, Adham et ses frères jouaient dans la rue devant la maison. Quand celui-ci fut terminé, sa mère l'a retrouvé, tremblant et tétanisé. Une fois rentré à la maison il s'est calmé. Ses parents l'ont amené voir le médecin qui a confirmé que leur fils était terrorisé et lui a prescrit des tranquillisants. Avec la poursuite des bombardements, l'état d'Adham s'est détérioré, il s'est mis à avoir peur de tous, y compris des enfants de son âge. Il est devenu solitaire et renfermé, mange très peu, a de fréquents maux de tête, des vertiges, des douleurs abdominales et articulaires, une énurésie. Il ne se sent plus jamais en sécurité, ne peut plus dormir qu'avec sa mère, la lumière allumée. Il se réveille une dizaine de fois dans la nuit en sueur et effrayé.
Quand il voit à la télévision des scènes violentes, il se met à crier : " Mort ! Mort !... Sang ! Sang !... "
Quand les bombardements recommencent, Adam se jette au sol, se met à trembler et à crier jusqu'à l'évanouissement, dont il ne se réveille qu'à l'hôpital.
Le plus grand choc s'est produit le 5 juillet dernier, lorsque sous ses yeux, Nasser, un jeune père qui attendait les clés de la salle de sport, a été abattu de 11 balles par les soldats. Adham est alors tombé dans un coma de neuf jours traité à l'hôpital de Ramallah.
Le spectacle de cette violence, les conséquences psychologiques prévisibles qu'elle entraînera chez ces enfants, le constat de ces vies à jamais brisées est insupportable pour les médecins que nous sommes. S'il ne nous appartient, évidemment pas, d'y apporter une solution politique, il est de notre devoir de témoigner de cette atrocité et cette inacceptable injustice.