SOLIDARITÉ - Manifestation de soutien au peuple
palestinien
ce samedi
12 janvier 2001 à 14h30 sur
le Vieux-Port de Marseille
(une marche pacifique
sera organisée jusqu'au Consulat général d'Israël)
Point d'information Palestine
> N°183 du 10/01/2002
Newsletter réalisée par l'AMFP -
BP 33 - 13191 Marseille FRANCE
Phone + Fax : +33 491 089 017 - E-mail :
amfpmarseille@wanadoo.frL'AMFP Marseille est une section de l'Association
France-Palestine Solidarité
Association loi 1901 - Membre de la Plateforme
des ONG françaises pour la Palestine
Pierre-Alexandre Orsoni (Président) -
Daniel Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux (Trésorier)
Sélections,
traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel
Charbonnier
Nous vous présentons nos meilleurs vœux pour l'année 2002
Au
sommaire
Témoignage
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des citoyens de
Palestine ou des observateurs. Ils sont libres de
droits.
En attendant la neige...La vie continue
par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
Réseau
Cette rubrique regroupe des
contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués
d'ONG.
1. Juive ou
antisemite ? par Annie Cyngiser
2. L'Histoire
oubliée... par Tarik Tazdaït
3. "Israël doit intégrer
l'Union européenne" - Interview de François Zimeray, député français du parti
socialiste au Parlement européen et 1er vice-président de la délégation
européenne des relations avec Israël, diffusée sur Radio judaïque (Paris 94.8)
le jeudi 27 décembre 2001.
4. Déchaînement du Mal par Tanya Reinhart
[traduit de l'anglais par Giorgio
Basile]
5. Comment expliquer à David, à Mohammed et à
Pierre par Nadia Burgrave, Alain Dufour et Vincent Mespoulet
6.
Lorsque "Libération" s'égare... par Michel Barak
7.
Pas de "saison" palestinienne par Uri Avnery (5 janvier 2002)
[traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de
Wangen]
8. Si j'étais Mofaz par Uri Avnery (29
décembre 2001) [traduit de l'anglais par R. Massuard
et S. de Wangen]
Revue de
presse
1. Sharon le serein par
Sylvain Cypel in Le Monde du mardi 8 janvier 2001
2. Le kamikaze
teenager de Tampa a laissé une note saluant les attentats du 11
septembre par David Firestone in The New York Times (quotidien
américain) du lundi 7 janvier 2002 [traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. Israël : notre
part de mensonge par Schlomo Sand in Le Monde du samedi 5 janvier
2002
4. Sharon-Arafat : Jacques Chirac dénonce des
"conditions irréalisables" Dépêche de l'Agence France Presse du
vendredi 4 décembre 2002, 17h35
5. Israël - L'inflexibilité érigée en
politique in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 28
décembre 2001
6. "Nous devons montrer à l'opinion occidentale le
terrorisme d'Israël" - Interview de Saïd Kamal propos recueillis par
Randa Achmawi in Al-Ahram Hebdo (hedbomadaire égyptien) du mercredi 26 décembre
2001
7. L'antisémitisme se répand en Europe : il faut tout faire
pour s'y opposer avec force. La victoire sur Arafat permettra d'écraser la tête
de ce serpent qu'est l'antisémitisme par Ouri Dan in Ma'ariv (quotidien
israélien) du 20 décembre 2001 repris dans Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe
publié à Londres) du vendredi 21 décembre 2001 [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Témoignage
En attendant la
neige...La vie continue par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en
Palestine
Samedi 5 janvier 2002 - Ces derniers jours, j'ai lu dans les
dépêches que tout va mieux décidément en Palestine: Zinni est de retour, les
chars reculent.
Bien sûr, j'ai voulu constater par moi-même. Et il est vrai
que j'ai eu une surprise jeudi dernier (3 janvier) en traversant Qalandia:
«Maftuh!» (ouvert)!
Du coup, on passe sans même descendre du taxi!
Incroyable...! Cependant, il y a une contrepartie: l'autre check, celui qui est
situé juste avant la commune de Beit Hanina, n'est, certes, pas fermé, mais les
contrôles de sécurité sont plus longs que d'habitude... un petit bémol
donc.
Quant aux chars, ils ont reculé (dans certains endroits seulement)...
de quelques dizaines de mètres! Évidemment, si je vois un char à 250 mètres de
ma maison, je suis beaucoup moins affolée que quand il se trouve à 200
mètres...
Autre check encore, et cette fois celui de Bethléem (où les
orthodoxes s'apprêtent à fêter Noël. À ce sujet, j'ai appris que les Arméniens
fêtaient Noël, eux, le 18 janvier... Vous avez encore le temps d'acheter vos
billets pour la messe de minuit...)
Surprise! En ce jeudi matin, il n'y a pas
une voiture au check! Pas de piétons non plus! Je passe et je me retrouve sur le
petit chemin que je vous ai déjà décrit. De loin, adossé à la rampe, un soldat
emmitouflé dans sa combinaison, un fusil mitrailleur en bandoulière.
Je me
mets à marmonner dans mes moustaches (la vue d'un soldat commence à provoquer
des réactions bizarres dans ma tête...) Je marmonne des choses du style:
«complètement tarés!» Et je marche toujours. J'arrive près du soldat. Et je vois
ce qui m'était caché par le coude que forme le chemin: une dizaine de
Palestiniens, adossés au mur. Entre eux et le soldat, il n'y a pas un mètre. Ils
attendent... Leurs papiers ont été confisqués. Rien à faire. Ils attendent... Ça
peut durer dix minutes ou cinq heures, selon l'humeur du soldat.
Je continue
à marmonner, un peu plus fort. Hélas, à part attendre avec eux (et il n'est pas
certain que ça arrange les choses...) je ne peux rien faire. J'ai vu de
nombreuses fois ce genre de choses. À chaque fois, je ressens le poids de mon
impuissance. Et ça fait mal. Je sens aussi une colère sourde monter en moi pour
ces gens qui en humilient d'autres. J'ai honte. Une fois de plus.
Mais Zinni
est là. Tout va bien, donc! Dommage que Zinni n'ait pas été avec moi ce jour-là
à cet endroit-là. Il en aurait appris plus qu'en allant rendre visite à je ne
sais trop qui.
Ce samedi soir, je suis à Dheisheh. Il y avait un cours pour
les adultes. Demain, il va peut-être neiger...
- S'il neige, on va faire un
bonhomme de neige, avec des carottes et un chapeau et tout! Tu viens, hein?
-
Bof, moi tu sais, la neige je connais... il y en a souvent dans le nord de la
France...
- Viens quand même!
- OK.
Et j'ai donc promis de participer
aux parties de boules de neige et autres réjouissances d'hiver... Je vous
rappelle que je n'aime pas la neige... S'il neige, demain, les enfants
s'amuseront... ce qui leur fera du bien après cette journée.
Rassurez-vous,
il n'y a pas eu de mort aujourd'hui dans le camp. Mais aujourd'hui nous
célébrions les «quarante jours». En Islam, quarante jours après le décès de
quelqu'un, on organise une sorte de réception qui va clore la période officielle
de deuil.
Il y a quarante jours mourait Kifah, d'une balle dans le dos. Je
vous ai parlé de lui dans un précédent message. [Cf. Point d'information
Palestine N° 179 du 03/12/2001] Il avait 13 ans. Il faisait partie de l'équipe
de foot de l'association pour laquelle je travaille dans le camp. Ses amis de
l'association ont organisé, aujourd'hui à 17h, une réception. Ses copains de
foot et d'école portaient chacun un tee-shirt sur lequel était imprimée la photo
de Kifah.
La famille de Kifah était là. Et tous ceux qui le connaissaient.
Dont moi. Les enfants au tee-shirt sont montés sur la scène. Ils y ont chanté
l'hymne palestinien. Je les connais, ces gosses. Parmi eux, Itham qui pleurait
le jour des funérailles. Le meilleur copain de Kifah. Parmi eux encore, Ahmad,
un de mes meilleurs élèves. Vif et intelligent. Il chante d'une voix forte. La
main sur le cœur. Les yeux levés au ciel. Itham, lui, baisse la tête.
Les
gosses chantent. Puis, des responsables politiques prennent la parole. Les
enfants brandissent les objets personnels de Kifah: son maillot, son short, ses
chaussures de foot, son cartable, ses cahiers, son keffieh, sa fronde (oui, il
en avait une, et oui, il s'en servait). On nous passe ensuite un petit film où
on nous retrace l'histoire de Kifah, de sa famille, des réfugiés, de leurs vies
à eux tous ici. Un deuxième film ensuite. Ses profs nous parlent de lui. Dans
son école. Ses copains de classe. J'en connais beaucoup. Itham prend la
parole.
- Il adorait les blagues. Tout le camp savait qu'il adorait les
blagues.
Puis Ahmad:
- Il était toujours prêt à m'aider pour mes
devoirs.
Un autre encore prend la parole. Il nous dit deux mots et puis, les
yeux baissés, mal à l'aise, il nous dit «bass» (ça suffit).
L'entraîneur de
l'équipe de foot nous parle aussi de Kifah: «C'était un gamin
obéissant.»
Derrière moi, une vieille femme pleure en répétant «la illah ha
ila allah». Près de moi, Suzan, palestinienne, infirmière ici, sèche ses larmes.
Sur ma gauche, Haed, 18 ans, l'un de mes étudiants. Lui aussi pleure.
Enfin,
un dernier film nous le montre après qu'il a été blessé. Ses copains l'emportent
vers l'ambulance. Puis son corps à l'hôpital, sa mère qui pleure, son père qui
caresse son petit visage. Je pense aussitôt à ce qu'on disait en France et
ailleurs sur les mères palestiniennes qui envoient leurs gosses à la mort, sur
ces mères sans cœur qui ne pleurent pas leurs gosses. Du moins pas comme
nous.
Enfin, les funérailles. Son père que l'on doit soutenir. Itham qui
pleure dans les bras d'Ahmad.
Les gosses remontent sur scène: pour tous les
Kifah, tous les Mohammad ad-Durra, tous les Faris Odeh, ils chantent, à plein
poumon: «enfants de Palestine».
Itham regarde toujours par terre. Ahmad fixe
toujours ce point, haut dans le ciel.
Quand il parlait de Kifah devant la
caméra, Ahmad nous a dit:
- Mish moumkin nansa Kifah. (C'est pas possible
qu'on oublie Kifah).
C'est pas possible.
1. Juive ou antisemite ? par Annie
Cyngiser
(Annie Cyngiser est
sociologue.)
A dix ans, depuis le toit familial, je savais tout ou
presque sur la vie quotidienne d'un déporté. Dehors, les visages se détournaient
si on abordait le sujet. A treize, quatorze ans, j'assistais les yeux mouillés
au lever du drapeau de Sion dans des camps d'ados nous préparant à une future
vie en kibboutz. Des Arabes, il n'en était question que lors des jeux de nuit où
l'on devait défendre les lignes de notre nouvelle patrie contre Palestiniens et
armée britannique. A dix-sept ans, je faillis être renvoyée de mon lycée
pour avoir maintenu la projection de Nuit et Brouillard dans l'établissement
malgré les protestations de parents juifs " du quartier " (Paris 4° !) qui ne
voulaient pas que leurs enfants " découvrent de telles atrocités ". Ils
menaçaient de surcroît de porter plainte contre la directrice. A vingt ans, je
découvrais les bras musclés et la force de frappe du Betar (1) dans les
amphithéâtres de la faculté de Censier. Ces derniers, à la différence de
l'extrême droite (goy et bien française) en provenance de la fac d'Assas (comme
on disait à l'époque pour désigner la faculté de droit), ne faisaient pas de
détail entre filles et garçons ; les premières avaient droit au même traitement
bastonné si elles s'avisaient de réclamer l'application des résolutions de
l'ONU. Déjà ! Nous étions en 1967.
Depuis, j'ai eu à nouveau l'occasion d'avoir peur " en
tant que juive " : ce fut pendant la manifestation silencieuse de
protestation pour Carpentras, rassemblant juifs et non juifs sur le macadam
parisien. Le même Betar, n'acceptant pas d'abaisser le drapeau sioniste, tentait
de charger les nombreux manifestants qui réclamaient le respect du caractère
républicain et national de ce rassemblement. Et comme ma tête apparente de "
gentil " ne leur convenait pas, je leur ai répondu en yiddish. Mais ils ne le
comprenaient pas.
Pendant plus d'un demi-siècle, me suis-je sentie menacée en
France par l'antisémitisme? Ni à la sortie de la synagogue que je fréquentais
petite pour des cours d'instruction religieuse, ni à Berck-plage, où l'OSE
réunissait des enfants juifs qui avaient besoin d'air, ni en Ariège où l'on
chantait " Hanoua'r , Hanoua'r Palmach ", ni dans les bistrots de France et de
Navarre où il n'était pas rare d'entendre les habituelles et mauvaises
plaisanteries sur les juifs et les auvergnats, ni dans les méchantes banlieues
peuplées de futurs terroristes à qui je déclarais mon identité, je n'ai connu la
peur ou la honte.
Me suis-je sentie menacée dans mon intégrité, dans mon
identité culturelle, dans ma personne physique durant toutes ces années? Eh
bien oui, mais par des juifs ! Et récemment encore, parce que donnant mon
adhésion à des associations de soutien à la cause palestinienne, signant des
pétitions pour que soient reconnus leurs droits légitimes, interpellant comme
beaucoup d'autres juifs la République française pour qu'elle intervienne
sérieusement dans le conflit du Proche-Orient, j'ai été traitée d'antisémite, de
renégate, et menacée d'éventuelles représailles...
Alors ? Alors Héraclite, depuis l'ancienne Grèce, nous
avait déjà prévenus : c'est toujours et ce n'est jamais la même eau qui coule.
Après une exploitation plus qu'éhontée du génocide hitlérien, succédant à trente
cinq ans de silence, après des décennies de mensonges historiques et
politiques, le colonialisme sioniste - il faut bien appeler un chat par
son nom - utilise aujourd'hui à nouveau la mauvaise conscience française, qui
vient à peine de regarder " Vichy " en face. Il rejoue des traumatismes
engendrés par défaut de transmission de ce qu'est l'identité juive, la réalité
de la vieille émigration, la perte d'une langue, le yiddish (et ce ne sont pas
les quelques cours disséminés ici-là ou le folklore en chansons qui le
ressusciteront). Il fait revirer le sentiment victimaire planté au cœur de tous
ceux, nombreux, qui, muets pendant des années, ont joué à fond le jeu de
l'émancipation, de l'intégration française avec tous les bénéfices assemblés par
la deuxième et troisième générations. Tout cela pour nous dire, nous persuader
que nous sommes aujourd'hui en danger.
Eh bien, oui, je me sens en danger.
En danger de honte infinie à être amalgamée à des assassins en uniforme, à des
tueurs du Far West rehaussés d'une kippa qui brandissent la vieille rengaine
nationaliste et celle de la conquête de l'Ouest contre les méchants Indiens pour
couvrir leurs méfaits. En danger d'identité par assimilation à l'équation
juif/israélite = israélien = sioniste = tout leur est permis... En danger
culturel : est-ce cela que mes ancêtres m'ont transmis, cette confusion entre le
public et le privé, entre le religieux et le politique, cette imposture
quotidienne de la mémoire, dans les médias, dans les déclarations d'officiels
juifs français ou israéliens, cette façon de raconter l'histoire de la Palestine
et l'édification d'Eretz Israël, de se servir de la Bible, voire du Talmud pour
" châtier les impies ", ces appels à se rassembler face à des dangers qui
n'existent qu'en ricochet, et à nous démobiliser devant une menace, elle, bien
réelle : la perte du sens de la judaïté, celle de la justice, de la
fidélité, de l'amour de la vie, de la simple honnêteté?
Et je sens également
le peuple israélien en grave danger. Il n'y a qu'à l'écouter... Depuis la guerre
du Liban, des voix en Israël se sont élevées ; des mères, des femmes ont
protesté, des historiens, certains écrivains, cinéastes, rabbins, hommes de foi
et de science, journalistes et d'autres plus anonymes n'ont cessé de dire stop !
Stop aux mensonges historiques et idéologiques, stop à l'occupation, stop à la
barbarie, à la schizophrénie d'une société que des revanchards, des cyniques,
des mégalomanes, des soudards de tout poil conduisent au suicide.
Mais ces
voix juives ne doivent pas l'être assez aux yeux de l'establishment français.
Tout juif antisioniste est déclaré antisémite ; un natif d'Israël qui émet des
critiques est déclaré plus que douteux et stigmatisé sur le grand écran (C.
Lanzmann à Roni Braumann), un Israélien, Eyal Sivan, qui tente de remettre les
pendules à l'heure, est un gauchiste délirant, " en rupture de ban avec son pays
" (2), et Madame Peled, mère d'une enfant morte dans un attentat en Israël,
fille d'un général de Tsahal honoré par tout le pays, est dénoncée comme
sorcière lorsqu'elle demande qu'on arrête le massacre... Qui n'épouse pas la
cause est un traître. Je croyais que le mur de Berlin était tombé ! Suffit !
Aurai-je un Aussweis, un laissez-passer, un certificat d'authenticité que les
institutions juives accepteraient de me délivrer afin de rejoindre les
miens au cimetière de Bagneux le moment venu ?
Tous ceux qui clament et réclament le respect de leur
identité, leurs droits à être ou pratiquer ici même leur judaïté, qu'ils
commencent par se demandent si les Païes, la prière et les femmes à
perruque attelées à leur marmaille donnent raison au fer et au feu que des Juifs
en Israël utilisent dans le plus grand arbitraire. L'éternelle psalmodie
victimaire, et celle de la pseudo légitimation biblique (dénoncée par Rabin
lui-même quelques temps avant son assassinat par un juif) ne garantira pas plus
qu'aux temps anciens la sortie d'Egypte !
Aussi, peut-être parce que de mon
père, sorti des camps de concentration, m'est venue une grande leçon, je ne me
sens aujourd'hui protégée que par le respect réciproque qu'un autre, fût-il le
grand étranger, et moi-même pouvons nous conférer.
Enfin, puisqu'il est enfin aujourd'hui permis de parler de
Yeshayahu Leibowitz (3), que Messieurs les signataires d'articles de presse - Le
Monde ou autres - veuillent bien à nouveau se pencher sur l'ensemble de ses
déclarations dont une : " L'Etat d'Israël est aujourd'hui un Etat judéo-nazi ",
et cela dit bien avant sa disparition, donc bien avant la présente Intifada et
la répression que l'on sait dans les territoires palestiniens. Non, Leibowitz ne
se serait pas promené à Aubervilliers, ni à Asnières ou à Créteil, pour la bonne
raison qu'il considérait que le " joug de la Torah " est bien plus lourd que le
simple port de la kippa ou d'un vêtement hérité du Moyen Age, qu'être et se
sentir juif est une affaire bien plus sérieuse que de se délester de ses crises
d'identité, de culpabilité ou de nostalgie à coups d'obole pour financer Tsahal
à la sortie, que dis-je, au seuil même de la synagogue. Lorsque M. Szafran écrit
qu'" un lieu de culte ou de culture juive serait voué à la propagande
israélo-sioniste " (4), pourquoi ce conditionnel ? Ce sont des faits patents,
quoi qu'il en dise. Si nous devons tout faire pour que cessent discrimination
raciste et violences antisémites sur le sol républicain, il faut d'abord
commencer par nettoyer devant sa porte.
La vision de Leibowitz est plus
pessimiste que la mienne, mais tout en ne partageant pas sa foi, je crois comme
lui que la nation israélienne, les juifs de la diaspora ne pourront faire
l'économie d'une grande question : le devoir de tout juif, avant même de
s'illusionner sur une sécurité éternelle que représenterait " une terre à soi "
n'est-il pas de faire vivre dans chacun de ses actes un code moral et une
éthique auxquelles aucune situation politique n'autorise à déroger
?
Voilà ce que pense aujourd'hui une simple citoyenne juive de France.
- Note :
(1) Betar :
association juive d'extrême droite militarisée.
(2) " Juifs de France:
la dangereuse confusion d'Eyal Sivan ", Le Monde du 18-12-2001.
(3)
Théologien et philosophe.
(4) " Diabolisation politique ", Le Monde du
18-12-2001.
2. L'Histoire oubliée... par
Tarik Tazdaït
(Tarik Tazdaït est Maître de
Conférences en économie à l'Université de Marne La Vallée.)
Cela
fait maintenant un peu plus d'an que la seconde Intifada bat son plein, suivie
de son cortège de funérailles qui, de part et d'autre, renforcent les
convictions les plus folles. Personne ne semble en voir l'issue, au point que
les commentateurs télé et radio ne trouvent pas mieux que réduire leurs
interventions aux quelques secondes nécessaires au décompte journalier des
victimes. Il leur est impossible de nous livrer plus d'information tant il leur
est difficile de se défaire des rituels de l'audimat. Aucune analyse ne nous est
fournie, uniquement des chiffres sans vie pour des corps que la vie a abandonné.
Mais ce n'est là qu'un constat, et d'un constat il n'est pas possible de
retirer la moindre perspective, en témoigne le cinglant échec des propositions
de la commission Mitchell. Pour éviter le pire, et surtout pour envisager le
meilleur, nous nous devons de dépasser ce stade intermédiaire et toucher du
doigt aux véritables enjeux, ce qui nécessite une mise à plat du problème.
Malheureusement, cela est loin d'être acquis comme en témoigne le propos d'Arno
Klarsfeld [Le Monde du 5 décembre], propos qui brille beaucoup plus par ses
omissions que par son contenu, révélant l'emprise de vieux slogans que l'on
croyait pourtant définitivement battus en brèche. On pouvait l'espérer compte
tenu des précisions introduites par ce qu'il est convenu d'appeler les
"nouveaux" historiens. Sous la plume de Benny Morris, Ilan Pappe, Gershon Shafir
et bien d'autres, nombre de faits jusque là ignorés ont été mis à jour, donnant
un nouvel éclairage de la tragédie palestinienne.
Reprenons le rappel
historique effectué par A. Klarsfeld. Oui, la déclaration de Balfour du 2
novembre 1917 a marqué un grand pas en avant en officialisant le nécessaire
établissement en Palestine d'un "foyer national juif". Oui, il était légitime de
donner une réponse adéquate à un exil qui n'avait que trop duré. Cependant cette
déclaration n'est pas exempte de critiques. Il ne faut pas oublier qu'elle a été
impulsée par l'Angleterre, pour très vite être reconnue par la France. Ainsi les
puissances coloniales de l'époque se sont permises de sceller le destin de la
Palestine, mais sans pour autant consulter la population arabe palestinienne.
Seuls des membres de la communauté juive européenne l'ont été, alors même qu'en
1917 les juifs de Palestine ne représentaient que 7% de la population totale.
C'est là que réside l'une des causes de l'intransigeance arabe, tout simplement
dans l'expropriation de la parole du peuple palestinien. Certains se sont donnés
le droit de parler en son nom (pour ne pas dire de l'empêcher de parler), mais
personne ne lui a accordé ce droit. Quand on sait la représentation que les
puissances coloniales se faisaient des peuples qu'elles tenaient sous leur joug,
on devine aisément la perception qu'elles pouvaient avoir des arabes
palestiniens. Ce n'est pas un hasard si le slogan sioniste d'une terre sans
peuple a longtemps résonné comme une vérité. La force de son écho est à trouver
dans la manière dont les puissances coloniales ont traité les arabes
palestiniens, les réduisant à quantité négligeable. Dans la mesure où ils ne
sont rien, la terre ne pouvait être que sans peuple.
Chercher dans un tel
contexte à déceler la moindre trace d'une responsabilité arabe dans la Shoah,
c'est faire le jeu des quelques jusqu'au-boutistes qui ne voient dans la Shoah
qu'un simple outil de propagande. Rappelons que de 1922 à 1931, l'importance de
l'émigration juive en Palestine s'est traduite par un doublement de sa
population. Ce flux migratoire s'accompagnant d'un doublement de la superficie
des terres acquises par le Fonds National Juif, organisme lié à l'Organisation
Sioniste Mondiale. Or, le FNJ ne s'est pas privé de rendre effective une
pratique douteuse, source de bien des réactions de la part des arabes
palestiniens. Ses statuts prévoyaient que toute parcelle de terre achetée ne
pouvait être ni revendue, ni louée, ni même sous-louée, à un non-juif. Etait-il
légitime qu'un arabe palestinien ne puisse louer un lopin de terre sous le seul
prétexte qu'il n'était pas juif ? Le comble, c'est que cela avait lieu sur une
terre peuplée en majorité d'arabes, et ce depuis plus d'un millénaire.
D'ailleurs Sir John Hope Simpson ne s'y trompe lorsqu'il affirme en mai 1930
pour le Colonial Office : "le résultat de l'achat de terres en Palestine par le
Fonds National Juif est que celles-ci sont maintenant dans une situation
d'extraterritorialité. Elles cessent d'être des terres d'où les arabes peuvent
tirer, aujourd'hui ou demain, une subsistance quelconque". Toujours est il qu'il
en a résulté une hostilité croissante à l'égard de la communauté juive,
hostilité accentuée au fur et à mesure de l'immigration. La révolte a gagné le
pays, les arabes s'opposant directement à l'autorité anglaise, mandataire du
territoire. Après avoir violemment réprimé la révolte de 1939 (qui a vu la mort
de près de 3000 arabes et 300 juifs), l'Angleterre a pris la décision de limiter
l'immigration juive, quand les Etats-Unis l'ont pour leur part stoppé sur leur
propre territoire. Cherchez l'erreur ! Il est donc vain dans le paroxysme des
passions de l'époque de vouloir culpabiliser une population arabe,
essentiellement paysanne, que l'on peut sans peine imaginer analphabète et sans
connaissance des tragiques évènements qui touchaient au même moment l'Europe.
L'histoire aurait pu connaître un autre cours si l'Angleterre n'avait soufflé le
chaud et le froid de façon inconsidérée, promettant aux uns ce qu'elle
promettait aux autres. Elle n'a jamais été à la hauteur de ses responsabilités,
de même que le discours sioniste dominant ne cherchait nullement à favoriser
l'intégration des juifs mais plutôt la colonisation, de même aussi que les
arabes palestiniens n'ont pas réalisé la chance inouïe qu'offrait la venue d'une
communauté qui avait beaucoup à leur apprendre. Pourquoi les puissances
coloniales ne se sont pas données les moyens d'amener les deux parties à
privilégier le dialogue ? Elles étaient pourtant les mieux placées pour le
faire, et si elles l'avaient vraiment voulu il en aurait été autrement.
En
ces années troubles, le paroxysme était à son comble et les propos racistes
étaient légions. On les retrouvait chez les arabes comme chez les juifs, mais
pas seulement : certains dirigeants arabes n'avaient guère de mot tendre à
l'égard des palestiniens, de même que certains sionistes ashkénazes à l'égard
des séfarades. Cela n'excuse pas pour autant la haine affichée du mufti de
Jérusalem, autorité morale qui se devait de donner l'exemple. Recherché par les
autorités anglaises après la révolte de 1939, il n'a pas trouvé mieux que s'en
tenir à l'adage "l'ennemi de mon ennemi est mon ami", se réfugiant
inévitablement en Allemagne. En acceptant d'être le pantin d'un macabre guignol,
il a fait le choix de se discréditer. Peut-être que les évènements de l'époque
l'ont dépassé, peut-être que non. Toujours est-il que son attitude a été lâche
et son discours inadmissible. Sur ce point il n'y a rien à redire sinon que tout
a été dit.
Finalement, pour résoudre le problème, un plan de partage a été
voté par l'ONU en 1947 : 54% du territoire revenait aux 32% de juifs et 46% aux
62% d'arabes. Si l'ONU cherchait à déclencher la guerre, elle ne pouvait pas
mieux s'y prendre. Comme à l'accoutumé les voix arabes n'avaient pas d'autre
droit que celui de prêcher dans le désert.
La défaite des armées arabes a vu
le territoire d'Israël s'accroître tout en se vidant de la presque totalité de
sa population arabe palestinienne. Pour certains, l'exode fut guidé par la peur,
avec néanmoins l'intime conviction de pouvoir revenir une fois les combats
finis. Pour d'autres, l'exode fut le résultat d'une marche forcée répondant à
une politique d'expulsion. En effet, ce qu'A. Klarsfeld ne précise pas c'est que
la notion de "transfert" était, en partie, intrinsèque au projet sioniste. On en
trouve la trace jusque dans les carnets du père fondateur du sionisme, Théodor
Herzl, qui n'hésitait pas à écrire dès 1895 : "nous nous efforcerons de
transférer les populations pauvres, sans grand bruit, au-delà de leurs
frontières, en leur y procurant du travail ; mais sur nos terres nous le leur
refuserons". Bien que le "sans bruit" de Herzl était significatif d'un certain
malaise, Yossef Weitz (l'un des leaders actifs du FNJ) ne s'est pas perdu en
question existentielle, se faisant à la fois le théoricien et l'artisan des
transferts, avec l'aval du premier ministre David Ben Gourion. Il suffit de
relire le mémorandum rédigé en 1941 par Ben Gourion en personne ("Objectifs de
la politique sioniste"), pour voir combien les transferts ne posaient aucun
problème moral. Les évoquant dans le cas des palestiniens, Ben Gourion précisait
: "Le fait qu'un transfert majeur soit possible par la force a été démontré par
le transfert de la population grecque de Turquie, après la dernière guerre [la
première guerre mondiale] ; et il s'agissait de millions de personnes
profondément enracinées dans leur territoire natal. Dans la guerre actuelle [la
seconde guerre mondiale] l'idée de transferts de populations devient de plus en
plus acceptable comme la solution la meilleure et la plus efficace au problème
aigu et dangereux des minorités nationales". Comme le souligne Benny Morris,
durant les années 1930-40 les discussions allaient bon train au sein du
mouvement sioniste quant aux transferts, mais (je cite) : "il ne fallait pas en
parler, et surtout pas en public". Etant donné l'état actuel des connaissances,
il ne fait plus aucun doute que les expulsions manu militari ont été orchestrées
avec pour seul souci de jeter sur les routes l'ensemble des arabes palestiniens,
de sorte à faciliter le peuplement du pays par les immigrants juifs d'Europe et
du Monde Arabe. Ce n'est donc pas un hasard si une commission de transfert a vu
le jour à la création de l'Etat d'Israël. A. Klarsfeld semble ignorer ce pan de
l'histoire, aucune ligne ne lui étant consacrée.
En revanche, reprenant à son
compte la position officielle des premiers dirigeants de l'Etat d'Israël, il
nous apprend que : "les dirigeants arabes et l'élite palestinienne ont appelé la
population palestinienne à fuir dans les pays avoisinants". Or, cet argument a
été balayé par les recherches d'Erskine Childers. Sur la base des archives de la
BBC, il a passé au peigne fin tous les enregistrements radiophoniques des pays
du Moyen-Orient sur la période de la guerre. Aucune trace de ce type d'appel n'a
été découvert. Il n'en a pas été de même lorsque son attention s'est portée sur
les radios israéliennes. Nombre de menaces ont été révélées, notamment sur les
ondes de "La Voix de Galilée". Il est dommageable que sur un sujet aussi
sensible on en vienne encore à s'en tenir aux vieux slogans usagés, pétris de
propagande.
Quelles conclusions en tirer ? On pourrait éventuellement le
demander à ceux qui ont pâti de cette situation.
Dans les faits,
expropriations et destructions de villages arabes ont fait figure de routine :
selon Israël Shahak, sur les 475 villages arabes existant avant 1948, 385 ont
été détruits et vidés de leurs habitants. Les massacres de populations civiles
furent réduits à de simples malentendus, bafouant par là même la mémoire
collective palestinienne. Deir Yassine en est devenu le symbole évocateur,
prédisant ceux à suivre. Pour dissuader les arabes palestiniens de revenir, une
loi a été adoptée en 1950, la loi dite "des propriétaires absents". Il n'est pas
nécessaire de s'attarder sur son orientation, on devine aisément ce qu'elle
spécifie. L'arsenal juridique d'expropriations est riche de plusieurs articles
de loi et touche également ceux qui n'ont pas fui le pays, afin de les inciter à
le quitter. D'après le rapport 1997-98 du Haut Commissariat des Nations Unies
pour les Réfugiés, entre 700000 et 800000 palestiniens durent quitter le pays ;
seuls 150000 y resteront. Tout s'est déroulé comme s'il y avait eu un passage de
témoin entre les anciennes puissances coloniales et Israël dans la façon de
considérer les palestiniens. Il est vrai que sous la direction de Dinur Ben
Zion, l'école historique de Jérusalem a réécrit l'histoire, associant le début
de l'exil juif à l'invasion arabe du 7ème siècle, et non à la destruction du
premier temple de Salomon. La croyance en cette contre-vérité ne suffit pourtant
pas à expliquer un tel acharnement.
D'autres aspects ont été abordés par A.
Klarsfeld, avec plus ou moins de simplifications. Parmi ceux-ci il en est un, et
non des moindres, qui mérite une attention toute particulière, celui du droit au
retour : son application rendrait les juifs minoritaires en Israël. Dans son
texte, ce point est analysé d'entrée de jeu. Il est clair que plus vite la
question est éludée, plus il devient facile de soutenir la perspective d'une
séparation claire et nette entre israéliens et palestiniens. Dans la mesure où
le droit au retour se trouve être à l'origine de l'échec des dernières
négociations de Camp David, son enjeu est plus que crucial, d'où l'intérêt de
clore ces commentaires sur les perspectives sous-jacentes à ce principe source
de bien d'espoir, et pourtant si critiqué.
Le droit au retour
rime-t-il avec légitimité ou calcul stratégique ? Compte tenu de la position
d'A. Klarsfeld, il semble encore utile, aujourd'hui, de rappeler que le droit au
retour des réfugiés palestiniens a été proclamé, pour la première fois, le 16
septembre 1948 par le comte Bernadotte, médiateur de l'ONU. Celui-ci en a
d'ailleurs payé le prix fort : il a été assassiné par des extrémistes sionistes
du mouvement Stern pour empêcher la remise de son rapport. Mais son engagement
ne fut pas vain car, trois mois après sa disparition, l'ONU consacra le droit au
retour par la résolution 194 (III), le réaffirmant à maintes reprises dans des
résolutions qui n'ont pas encore été appliquées. Israël ne peut être sourde à
cette revendication puisque son admission dans les instances de l'ONU s'est
elle-même accompagnée de sa reconnaissance d'un droit au retour. Il paraît donc
immoral et déplacé de chercher à délégitimer les réparations dues aux
palestiniens. Immoral, car près de 40% des émigrés russes d'Israël ne sont en
rien de confession juive ; tout être humain serait donc autorisé à s'y
installer, à la condition qu'il ne soit pas un de ces arabes palestiniens que
l'Etat d'Israël a exproprié. Déplacé, car Israël n'a eu de cesse, en revanche,
de démembrer les territoires autonomes en favorisant l'implantation de colonies,
et cela au mépris même de ses propres engagements dûment signés.
Après le
mépris des puissances coloniales, les pratiques discriminatoires du FNJ, les
transferts, les expropriations, les résolutions de l'ONU jamais appliquées et
les accords de gel des colonies non respectés d'Israël on voudrait, pour boucler
la boucle, revenir sur un principe du droit international, le droit au retour.
Regardons les choses en face. Les palestiniens ont suffisamment porté le
fardeau de l'injustice et il est temps aujourd'hui d'y mettre un terme. Défendre
le droit au retour, c'est restaurer la dignité perdue des populations civiles
palestiniennes en leur permettant, notamment, de se réapproprier leur histoire,
leur culture et leur identité si longtemps niés. C'est aussi tourner
définitivement la page des camps de réfugiés pour aborder l'avenir sous de
nouveaux auspices. Faisant état de cette situation, certains ont préféré parler
de la "question palestinienne". "Question" peut-être mais qui, comme toute
question, attend sa réponse, aujourd'hui encore.
Abdiquer sur le droit au
retour c'est faire du drame palestinien une parenthèse de l'histoire, et cela on
ne peut l'accepter. Les pays arabes ont beau être des pays frères, la question
palestinienne ne peut trouver de réponse arabe, mais une réponse
israélo-palestinienne qui passe par un mea culpa des dirigeants sionistes.
L'évidence s'impose à nous : le sionisme a représenté une incroyable force
d'appel, unifiant une grande partie du peuple juif autour d'un ambitieux projet
politique. Aussi, je comprends l'engouement qu'il suscite pour un grand nombre
de juifs. Je ne peux le leur reprocher. Néanmoins, du point de vue des
palestiniens, et des arabes en général, le sionisme a offert un visage loin
d'être enviable et source de trop de discriminations. C'est pourquoi ils le
combattent. Cette opposition entre les deux camps est à mon sens dépassée, mais
elle perdure parce qu'aucun mea culpa n'est venu guérir la douleur
palestinienne. La seule proposition que l'on ose leur faire, après tout ce
qu'ils ont enduré, c'est celle de continuer à renoncer à leurs droits, et au
premier d'entre eux, celui du retour. Si le sionisme veut gagner en
reconnaissance, il doit savoir qu'elle se mérite. C'est à lui qu'il revient de
prouver qu'il est autre chose que l'humiliation du palestinien.
Pour ma
part, j'en reste profondément convaincu : le droit au retour adopté, la raison
finira par évincer la passion, tarissant par là même le désespoir de la Naqba
pour en faire une véritable force de proposition. L'interdépendance des
économies et sociétés israéliennes et palestiniennes feront alors le reste : des
projets communs naîtront et un dialogue entre les populations civiles verra le
jour. Cette perspective favorisera la pleine intégration d'Israël au
Proche-Orient, aux côtés de ces pays arabes qui ont énormément perdu de leur
crédibilité à ne pas ouvrir leur cœur à la tragédie de l'Holocauste. Ainsi, en
plus d'être légitime, le droit au retour s'avère être une nécessité : seule son
application peut permettre à toutes ces communautés de se libérer de ce voile
d'ignorance qui les étouffe. Qui plus est, il en ressortira une redéfinition du
statut des colonies qui permettra l'insertion et la participation de leurs
habitants dans la vie locale : les palestiniens ont autant leur place en Israël
que les juifs dans la future Palestine.
En définitive, n'est-il pas temps de
cesser de perdre son temps à emprunter les voies sans issue du statu-quo ?
Encore faut-il en être convaincu.
3. "Israël doit intégrer l'Union
européenne" - Interview de François Zimeray, député français du parti socialiste
au Parlement européen et 1er vice-président de la délégation européenne des
relations avec Israël, diffusée sur Radio judaïque (Paris 94.8) le jeudi 27
décembre 2001.
- François Zimeray, pouvez-vous nous parler de
l'amendement 177 que vient de voter le Parlement européen ?
-
L'amendement 177 est un amendement qui subordonne toutes les aides à l'Autorité
palestinienne aux respect des droits fondamentaux par cette Autorité
palestinienne. Cela veut dire qu'on ne peut pas donner de l'argent à l'Autorité
palestinienne si cet argent n'est pas utilisé de façon conforme aux Droits de
l'Homme, aux droits fondamentaux tels que l'Europe les a définis récemment, et
en particulier dans le cadre de l'éducation palestinienne. Cet amendement fait
référence au système éducatif palestinien dont on sait qu'il est un système qui
enseigne la haine, incite au martyre, et ce, financé par l'Union européenne, ce
qui est me semble-t-il contraire à ce que doit être le message
européen.
- Est-ce que cela veut dire que l'argent est contrôlé
?
- Cela veut dire que l'argent sera désormais beaucoup mieux
contrôlé qu'il ne l'a été dans le passé. J'ai pu vérifier personnellement qu'il
n'y avait pas de contrôle, en particulier de la pédagogie dispensés dans les
Territoires palestiniens. L'Union européenne finance les enseignants, finance
leurs salaires, finance les écoles, toutes les infrastructures de l'éducation,
mais jusqu'à présent ne finançait pas les livres eux-mêmes et fermait les yeux
sur le contenu pédagogique de cet enseignement. Et je considère qu'on ne peut
pas continuer durablement à fermer les yeux sur ce contenu pédagogique,
que ça n'a aucun sens de financer un système éducatif si on ne regarde pas ce
qui est enseigné. Et que , en réalité, ce qui a été enseigné depuis les Accords
d'Oslo est une éducation à la haine, à la violence, et également au martyre !
D'un certain point de vue, c'est plus grave que la violence elle-même cela,
parce que c'est la violence de demain. Quand on considère que les jeunes gens
qui se font sauter, qui se transforment en bombes humaines, qui ont entre 18 et
25 ans, ont tous reçu cette éducation, on voit les dégâts que cela a causé. Et
moi je considère encore une fois que c'est une atteinte à l'âme européenne, à ce
que doit apporter l'Europe dans cette région : elle doit apporter le bénéfice de
son expérience, et son expérience c'est la réconciliation entre les peuples,
c'est l'Office franco-allemand pour la jeunesse, c'est tout ce qui s'est fait
pour que, au-delà d'une union politique, il y ait un vrai désir d'union entre
les peuples. Et ça a marché. Cela a marché depuis 50 ans.
- François
Zimeray, qui est à l'initiative de cet amendement ? Et est-ce qu'il était
obligatoire d'attendre bientôt 2002 pour que cet amendement soit enfin adopté
?
- Non, c'est l'achèvement, c'est un panier ( ?) dans un long
combat parlementaire que nous avons mené avec quelques parlementaires de
plusieurs pays. Mais nous sommes fondamentalement minoritaires - il faut le dire
- à soutenir Israël bec et ongles dans ce parlement…
- Pourquoi
François Zimeray, pourquoi ?
- Oh ça tient à la sensibilité du corps
politique, à l'air du temps…Je pense qu'on assiste à une réprobation massive
d'Israël dans le monde, à laquelle les parlementaires européens ne sont pas
insensibles. Je pense qu'il y a aussi une remontée de l'antisémitisme et
malheureusement je crois que ça n'épargne personne. Il y a également une
sensibilité à l'émergence d'un nouvel électorat, qui est l'électorat musulman,
dans beaucoup de pays d'Europe, qui fait que les politiques y sont de plus en
plus sensibles. Tout cela fait que ceux qui défendent Israël dans ces périodes
troublées sont assez isolés. Je dois dire également qu'on assiste à une sorte de
perte de statut moral d'Israël, qui est très préoccupant, une délégitimation
d'Israël dans le discours, qui atteint évidemment le Parlement européen comme
toutes les autres institutions politiques.
- Alors quand est-ce
qu'entrera en œuvre officiellement cet amendement 177 ? Et ma dernière question
sera : quelle est la prochaine priorité, en ce qui concerne le Proche-Orient,
pour l'Union européenne ?
- Cet amendement, il entre en vigueur dès
maintenant puisqu'il fait corps avec le budget de l'Union européenne. Donc c'est
un point très important : toutes les aides données par l'Union européenne
doivent être conformes, doivent respecter cet amendement. Et nous veillerons
évidemment à ce qu'il soit appliqué, ça vous pouvez évidemment compter sur nous.
Je crois que maintenant, si l'Union européenne veut jouer un rôle efficace au
Moyen-Orient, elle doit être un interlocuteur crédible et je cois que - et c'est
en ce qui me concerne le combat que je vais mener avec quelques amis - il faut
tendre une main vers Israël. Et qui soit beaucoup plus qu'un discours
soi-disant équilibré auquel les chancelleries nous ont habitués. Je crois que
nous devons maintenant dire, alors que l'Europe va faire face à son principal
défi qui est l'élargissement de l'Union européenne dans quelques années,
l'Europe doit dire maintenant qu'Israël doit intégrer l'Union européenne.
En tout cas, je ne sais pas si Israël choisira de le faire, ce sera son libre
choix, mais je crois que l'Europe a la responsabilité historique et morale de le
proposer à Israël. Israël remplit les critères de Maastricht, Israël à certains
égards est une petite Europe, et il n'y a aucune raison de ne pas proposer à
Israël d'intégrer l'Union européenne, qui est un espace de paix depuis 50
ans.
4. Déchaînement du Mal par
Tanya Reinhart
[traduit de l'anglais par Giorgio
Basile]
(Tanya Reinhart enseigne la
linguistique à l'université de Tel Aviv.)
19 décembre 2001 - Dans le
discours politique dominant, les atrocités commises récemment par Israël sont
présentées comme des «mesures de représailles» - en réponse à la dernière vague
d'attaques terroristes visant des civils israéliens. Mais en fait, cette
politique de «représailles» avait été soigneusement préparée de longue date.
Déjà en octobre 2000, au début du soulèvement palestinien, les milieux
militaires tenaient prêts des plans opérationnels détaillés en vue de renverser
Arafat et l'Autorité Palestinienne. C'était avant que les attaques terroristes
palestiniennes ne commencent. (La première attaque touchant des civils
israéliens s'est produite le 3 novembre 2000 sur un marché de Jérusalem.) Un
document élaboré par les services de sécurité à la demande d'Ehoud Barak, alors
premier ministre, affirme le 15 octobre 2000 que «la personne d'Arafat constitue
une grave menace pour la sécurité de l'État [d'Israël] et le préjudice que
causera sa disparition est moindre que celui causé par son existence». (Des
extraits de ce document ont été publiés par le quotidien Ma'ariv en date du 6
juillet 2001.) Le plan opérationnel, connu sous le nom de code «Chemins
d'épines», remonte à 1996, et a été actualisé pendant l'Intifada. (Amir Oren,
Ha'aretz, 23 novembre 2001). Ce plan comprend tout ce qu'Israël a mis à
exécution par la suite, et plus [1].
L'échelon politique (l'entourage de
Barak) a, quant à lui, travaillé à préparer l'opinion publique au renversement
d'Arafat. Le 20 novembre 2000, Nahman Shai, alors coordinateur des affaires
publiques du gouvernement Barak, rendit public au cours d'une conférence de
presse un document de 60 pages intitulé «Non-conformité de l'Autorité
Palestinienne... Un catalogue de mauvaise foi et de mauvaise gestion». Le
document, connu familièrement sous le nom de «Livre Blanc», a été préparé par
l'assistant de Barak, Danny Yatom [2]. Selon le «Livre Blanc», le crime actuel
d'Arafat - celui d'«orchestrer l'Intifada» - n'est que le dernier d'une longue
liste de preuves montrant qu'il n'a jamais abandonné l'«option de la violence et
de la 'lutte'». «Déjà, le discours d'Arafat sur le gazon de la Maison Blanche le
13 septembre 1993, portait à croire que pour lui, la Déclaration de Principes ne
signifiait pas nécessairement la fin du conflit. À aucun moment il n'a renoncé à
son uniforme, symbole de son statut de commandant révolutionnaire.» (Section 2).
Cet uniforme, soit dit en passant, est la seule «indication» que fournisse le
rapport sur les intentions cachées d'Arafat, à cette occasion.
Une section
importante du document est consacrée à établir l'«ambivalence et
l'acquiescement» d'Arafat concernant le terrorisme. «En mars 1997 on peut
déceler une nouvelle fois plus qu'une allusion à un 'feu vert' d'Arafat au
Hamas, peu avant l'attentat à la bombe de Tel Aviv... Cela ressort implicitement
d'une déclaration faite par Imad Faluji, un membre du cabinet d'Arafat affilié
au Hamas, à un quotidien américain (Miami Herald, 5 avril 1997).» Aucune autre
indication n'est fournie sur le lien que cela permettrait d'établir entre Arafat
et l'attentat de Tel Aviv, mais c'est le thème du «feu vert au terrorisme» que
les services de renseignement de l'armée (Ama"n) ont défendu depuis 1997,
lorsque leur orientation anti-Oslo s'est renforcée. Depuis lors, ce thème a été
rabâché tant et plus par les milieux militaires, et a fini par devenir un mantra
de la propagande israélienne - Arafat est toujours un terroriste, et sa
responsabilité personnelle est engagée pour toute action de tout groupe, du
Hamas et du Jihad islamique au Hezbollah.
Dans son numéro du 12 juillet 2001,
le Foreign Report (Jane's Information) révélait que l'armée israélienne (sous le
gouvernement Sharon) avait réactualisé ses plans en vue d'un «assaut total pour
détruire l'Autorité Palestinienne, éliminer son dirigeant Yasser Arafat, et tuer
ou faire prisonnier son armée». Le plan, intitulé «Destruction de l'Autorité
Palestinienne et désarmement de toutes les forces armées», a été présenté le 8
juillet au gouvernement israélien par le chef d'état-major Shaul Mofaz. L'assaut
devait être donné, à la discrétion du gouvernement, à la suite d'un
attentat-suicide de grande ampleur en Israël, causant de nombreux morts et
blessés, ce bain de sang constituant une justification.
Nombreux en Israël
sont ceux qui soupçonnent que l'assassinat du terroriste du Hamas Mahmoud Abu
Hanoud, survenant précisément alors que le Hamas respectait depuis deux mois son
engagement envers Arafat de ne mener aucune action à l'intérieur d'Israël, était
conçu pour entraîner le «bain de sang justificatif», à la veille de la visite de
Sharon aux États-Unis (Alex Fishman - correspondant en chef pour la sécurité du
Yediot Aharonot - observait que «quiconque a décidé la liquidation d'Abu Hanoud
savait d'avance quel en serait le prix. La question a été discutée en profondeur
tant dans les milieux militaires israéliens qu'à l'échelon politique, avant de
donner le feu vert à cette liquidation.» (Yediot Aharonot, 25 novembre
2001))
La démarche d'Israël en vue de détruire l'Autorité Palestinienne ne
doit donc pas être considérée comme un «acte de représailles» spontané. C'est un
plan calculé, élaboré de longue date. Son exécution exige, tout d'abord,
d'affaiblir la résistance des Palestiniens, ce à quoi Israël s'emploie
systématiquement depuis octobre 2000, par les massacres, le bombardement des
infrastructures, l'emprisonnement des gens dans leurs propres cités, en les
conduisant au bord de la famine. Tout cela en attendant que les conditions
internationales «mûrissent» assez que pour autoriser les étapes les plus hardies
du plan.
Maintenant, les conditions paraissent avoir «mûri». Dans
l'atmosphère politique qui règne aux États-Unis, ivre de puissance, tout est
permis. S'il semblait au premier abord que les États-Unis chercheraient à mettre
le monde arabe de leur côté par quelques signes de persuasion, comme ils
l'avaient fait pendant la guerre du Golfe, il est clair aujourd'hui qu'ils s'en
fichent pas mal. La «victoire» écrasante en Afghanistan a envoyé au tiers-monde
le message clair que rien ne peut empêcher les États-Unis de prendre une nation
pour cible jusqu'à l'anéantissement. Ils semblent croire que les armes les plus
sophistiquées du vingt-et-unième siècle, combinées à une absence totale de
considération envers les principes moraux, les lois internationales et l'opinion
publique, les autorisent à régner à jamais sur le monde. À partir de maintenant,
la peur devrait être une condition suffisante d'obédience.
Les faucons
américains, qui poussent à étendre la guerre à l'Iraq et au-delà, voient en
Israël un atout - il existe peu de régimes dans le monde qui, comme Israël,
soient aussi impatients de risquer la vie de leurs citoyens dans quelque
nouvelle guerre régionale. Comme le professeur Alain Joxe, président du CIRPES
(Centre interdisciplinaire de recherches sur la paix et d'études stratégiques),
l'observait dans Le Monde, «le leadership américain [est] actuellement modulé
par une extrême droite sudiste assez dangereuse, qui cherche à instrumentaliser
Israël comme un outil offensif, déstabilisateur de toute la région
sud-méditerranéenne.» (17 décembre 2001). Les mêmes faucons parlent aussi
d'étendre le futur théâtre d'opérations à des cibles figurant au programme
d'Israël, comme le Hezbollah ou la Syrie.
Dans ces circonstances, Sharon a
obtenu le feu vert de Washington. Comme ne cessent de le mentionner avec
enthousiasme les médias israéliens, «Bush en a assez de son caractère [à
Arafat]», «Powell a déclaré qu'Arafat devait en finir avec ses mensonges»
(Barnea et Schiffer, Yediot Aharonot, 7 décembre 2001). Tandis qu'Arafat est
retranché dans son bunker, que les bombardiers F-16 israéliens sillonnent le
ciel, et que la brutalité d'Israël engendre, chaque jour, de nouvelles bombes
humaines désespérées, les États-Unis, accompagnés pendant un temps par l'Union
Européenne, continuent de presser Arafat à «agir».
Mais sur quel raisonnement
se fonde ce besoin systématique d'Israël d'éliminer l'Autorité Palestinienne et
de défaire les accords d'Oslo? Certainement pas sur une «déception» à propos des
résultats obtenus par Arafat, comme on le prétend généralement. Le fait est que,
dans la perspective des intérêts d'Israël à poursuivre l'occupation, Arafat a
répondu aux attentes d'Israël tout au long de ces dernières années.
En ce qui
concerne la sécurité d'Israël, rien n'est plus éloigné de la vérité que les
fausses accusations du «Livre Blanc», ou de la propagande israélienne qui s'en
est ensuivie. Pour ne prendre qu'un exemple, en 1997 - l'année mentionnée dans
le «Livre Blanc» comme l'un des cas de «feu vert au terrorisme» de la part
d'Arafat - un «accord de sécurité» était signé entre Israël et l'Autorité
Palestinienne, sous les auspices du chef de l'antenne de la CIA à Tel Aviv, Stan
Muskovitz. L'accord confiait à l'Autorité Palestinienne une participation active
à la sécurité d'Israël - pour combattre «les terroristes, les bases terroristes,
et les conditions environnementales menant au soutien du terrorisme», en
coopération avec Israël, y compris sous la forme d'«échange mutuel
d'informations, d'idées, et de coopération militaire» (Clause 1). [Traduit du
texte hébreu paru dans Ha'aretz, 12 décembre 1997]. Les services de sécurité
d'Arafat se sont acquittés fidèlement de cette tâche, par l'assassinat de
terroristes du Hamas (déguisés en «accidents»), et l'arrestation de dirigeants
politiques du Hamas. [3]
Des informations ont été amplement publiées dans les
médias israéliens à propos de ces activités, et les «sources de sécurité»
étaient pleines de louanges pour les accomplissements d'Arafat. Par exemple, Ami
Ayalon, alors à la tête des services secrets israéliens (Shab"ak), annonça au
cours d'une réunion du gouvernement en date du 5 avril 1998, qu'«Arafat fait son
travail - il combat le terrorisme et pèse de tout son poids contre le Hamas»
(Ha'aretz, 6 avril 1998). Le taux de réussite des services de sécurité
israéliens en matière de réduction du terrorisme n'avait jamais été aussi élevé
que celui obtenu par Arafat; en réalité, nettement moindre.
Au sein de la
gauche et des milieux d'opposition, on peine à trouver de la compassion pour le
destin personnel d'Arafat (au contraire de la tragédie du peuple palestinien).
Comme David Hirst l'écrit dans le Guardian, lorsqu'Arafat est retourné dans les
Territoires occupés en 1994, «il venait en collaborateur tout autant qu'en
libérateur. Pour les Israéliens, la sécurité - la leur, pas celle des
Palestiniens - était le but suprême d'Oslo. Sa mission était de la leur fournir
en leur nom. Mais il ne pouvait jouer ce rôle de collaborateur que s'il gagnait
le quiproquo politique qui, par le biais d'une série d'«accords intérimaires»,
était sensé aboutir. Il n'a jamais pu... [Tout au long de la route], il a
acquiescé, en accumulant les concessions qui ne faisaient qu'élargir le fossé
entre ce qu'il accomplissait réellement, et ce qu'il promettait à son peuple qui
serait accompli, à la fin, grâce à cette méthode. Il était toujours Monsieur
Palestine, avec un charisme et une légitimité historique qui n'appartenaient
qu'à lui. Mais il s'est avéré qu'il manquait cruellement à cette autre tâche
importante et complémentaire, celle de construire son État en devenir. La misère
économique, la corruption, les violations des droits humains, la création d'un
vaste appareil répressif - tout cela découlait, en tout ou en partie, de
l'Autorité qu'il présidait.» (Hirst, «Arafat's last stand?», The Guardian, 14
décembre 2001).
Mais dans la perspective de l'occupation israélienne, tout
ceci indique que le processus d'Oslo était, pour l'essentiel, un succès. Arafat
parvint à contenir, par le biais de sévères mesures d'oppression, la frustration
de son peuple, et à garantir la sécurité des colons, pendant qu'Israël
poursuivait imperturbablement la construction de nouvelles colonies et
l'appropriation de plus de terres palestiniennes. L'appareil oppressif - les
diverses forces de sécurité d'Arafat -, étaient formé et entraîné en
collaboration avec Israël. Beaucoup d'énergie et de ressources ont été
consacrées à l'édification de ce complexe appareil d'Oslo. Il est généralement
admis que les forces de sécurité israéliennes ne peuvent prévenir le terrorisme
mieux qu'Arafat n'y parvient. Pourquoi, alors, les échelons militaire et
politique étaient-ils si déterminés à détruire tout cela, dès octobre 2000,
avant même que ne commencent les vagues de terrorisme? Pour répondre à cette
question, il est nécessaire de revenir en arrière.
Dès le début du processus
d'Oslo, en septembre 1993, deux conceptions s'affrontaient dans les milieux
politiques et militaires israéliens. L'une d'elles, conduite par Yossi Beilin,
s'efforçait de mettre en œuvre une version du plan Alon, que le parti
travailliste avait défendu pendant des années. Le plan d'origine prévoyait
l'annexion à Israël d'environ 35% des territoires, et une juridiction
jordanienne, ou quelque forme de juridiction autonome pour le reste - la terre
sur laquelle vivent actuellement les Palestiniens. Aux yeux de ses promoteurs,
ce plan représentait un compromis nécessaire, comparé aux alternatives qui soit
restituaient l'ensemble des territoires, soit conduisaient à un bain de sang
sans issue (comme nous le voyons aujourd'hui). Il semble bien que Rabin était
prêt à suivre cette ligne, du moins au début, et qu'en retour à l'engagement
d'Arafat de contrôler la frustration de son peuple et de garantir la sécurité
d'Israël, il permettrait à l'Autorité Palestinienne de gouverner les enclaves
dans lesquelles les Palestiniens continuent aujourd'hui d'habiter, jouissant
d'une certaine forme d'autonomie qui pourrait même être qualifiée d'«État»
palestinien.
Mais l'autre tendance s'opposait à tant de concessions. C'était
particulièrement notable dans les cercles militaires, dont le porte-parole le
plus énergique dans les premières années d'Oslo était Ehoud Barak, alors chef de
l'état-major. Un autre centre d'opposition était, bien sûr, Sharon et
l'extrême-droite, qui s'opposaient depuis le début au processus d'Oslo. Cette
affinité entre les milieux militaires et Sharon est évidemment sans surprise.
Sharon - le dernier des dirigeants de la «génération 1948», était une figure
légendaire dans l'armée, et nombre de généraux furent ses disciples, comme
Barak. Comme l'écrivait Amir Oren, «L'admiration profonde et constante de Barak
pour les idées militaires d'Ariel Sharon est une autre indication de ses
opinions; Barak et Sharon appartiennent tous deux à une lignée de généraux
politiques qui a commencé avec Moshe Dayan.» (Ha'aretz, 8 janvier
1999).
Cette race de généraux a été élevée dans le mythe de la rédemption du
pays. Une interview de Sharon par Ari Shavit offre un aperçu de cette vision du
monde (Ha'aretz, supplément du week-end, 13 avril 2001). Tout y est emmêlé dans
un cadre romantique: les champs, les vergers en fleurs, les labours et les
guerres. Le cœur de cette idéologie est constitué par le caractère sacré de la
terre. Dans une interview de 1976, Moshe Dayan, qui avait été ministre de la
défense en 1967, expliquait ce qui avait mené, à l'époque, à la décision
d'attaquer la Syrie. Dans la conscience collective israélienne de cette période,
la Syrie était considérée comme une menace grave pour la sécurité d'Israël, et
l'instigatrice d'agressions constantes contre les habitants du nord d'Israël.
Mais selon Dayan, c'est de la «foutaise» - la Syrie ne constituait pas une
menace avant 1967: «Laissez tomber... Je sais comment au moins 80% de tous les
incidents avec la Syrie ont commencé. Nous envoyions un tracteur dans une zone
démilitarisée et nous savions que les Syriens allaient tirer.» Selon
l'interview, il avouait quelques regrets. Ce qui a poussé Israël à provoquer la
Syrie de cette manière, c'était l'appât de la terre - l'idée qu'il est possible
«d'accaparer une parcelle de terre et de la garder, jusqu'à ce que l'ennemi soit
fatigué et nous l'abandonne». (Yediot Aharonot, 27 avril 1997)
À la veille
d'Oslo, la société israélienne dans sa majorité était fatiguée des guerres. À
ses yeux, les combats pour la terre et les ressources naturelles étaient
dépassés. La plupart des Israéliens pensaient que la guerre d'indépendance de
1948, avec ses conséquences horribles pour les Palestiniens, avait été
nécessaire pour établir un État pour les Juifs, hantés par la mémoire de
l'Holocauste. Mais maintenant qu'ils avaient un État, ils aspiraient à mener
tout simplement une vie normale avec ce qu'ils avaient. Cependant, l'idéologie
de la rédemption de la terre ne s'est jamais éteinte au sein de l'armée, ni dans
le cercle des «généraux politiques», qui passaient de l'armée au gouvernement. À
leurs yeux, l'alternative de Sharon, de combattre les Palestiniens jusqu'au bout
et d'imposer un nouvel ordre régional - comme il l'avait tenté au Liban en 1982
- pouvait avoir échoué en raison de la faiblesse d'une société israélienne
gâtée. Mais, compte tenu de la nouvelle philosophie de guerre instaurée en Iraq,
au Kosovo et en Afghanistan, ils pensent qu'avec la supériorité massive de la
force aérienne israélienne, il reste toujours possible de gagner cette bataille
dans le futur.
Alors que le parti de Sharon était dans l'opposition à
l'époque d'Oslo, Barak, au titre de chef de l'état-major, participa aux
négociations et y joua un rôle crucial dans la formulation des accords, et dans
l'attitude adoptée par Israël à l'égard de l'Autorité Palestinienne. Je cite un
article que j'écrivais en février 1994, parce qu'il reflète ce que quiconque lit
attentivement les médias israéliens pouvait voir à l'époque: «Depuis le début,
il est possible d'identifier deux conceptions qui sous-tendent le processus
d'Oslo. L'une est que cela va permettre de réduire le coût de l'occupation, par
le biais d'un régime palestinien d'influence, avec Arafat comme flic en chef,
responsable de la sécurité d'Israël. L'autre est que le processus devrait mener
à l'effondrement d'Arafat et de l'OLP. L'humiliation d'Arafat, et
l'amplification de sa capitulation, conduira progressivement à la perte de tout
soutien populaire. En conséquence de quoi l'OLP s'effondrera, ou s'engagera dans
la voie des conflits pour le pouvoir. Dès lors, la société palestinienne perdra
ses dirigeants laïques et ses institutions. Dans l'esprit de logique de pouvoir
de ceux qui ont envie de poursuivre l'occupation israélienne, l'effondrement du
pouvoir laïque constitue un aboutissement, parce qu'il faudra longtemps à la
société palestinienne pour se réorganiser à nouveau et que, de toute façon, il
est bien plus aisé de justifier les pires actes d'oppression lorsque l'ennemi
est une organisation islamiste fanatique. Très probablement, le confit entre ces
deux conceptions en compétition n'est pas encore réglé, mais pour l'instant, la
seconde semble plus dominante: afin que la première l'emporte, le statut
d'Arafat aurait dû être renforcé, avec quelques réalisations qui pourraient
entraîner le soutien des Palestiniens, au lieu de la politique actuelle
d'Israël, faite d'humiliation constante et de manquement aux promesses.»
[4]
Néanmoins, le scénario de l'effondrement de l'Autorité Palestinienne ne
s'est pas concrétisé. Une fois de plus, la société palestinienne a eu recours à
sa merveilleuse stratégie de «Sumud» - s'accrocher à la terre et supporter la
pression. Depuis le début, la direction politique du Hamas, et d'autres,
mettaient en garde contre les tentatives d'Israël de mener les Palestiniens vers
une guerre civile, dans laquelle la nation s'anéantirait elle-même. Toutes les
fractions de la société ont coopéré en vue de prévenir ce danger, et de calmer
les conflits dès qu'ils dégénéraient en combats armés. Elles sont aussi
parvenues, en dépit du gouvernement tyrannique d'Arafat, à mettre en place un
ensemble impressionnant d'institutions et d'infrastructures. L'Autorité
Palestinienne ne consiste pas seulement en dirigeants corrompus et en diverses
forces de police. Le Conseil législatif palestinien, élu, qui fonctionne en
dépit de restrictions sans fin, continue d'être un cadre politique
représentatif, la base pour les institutions démocratiques du futur. Pour ceux
qui se donnaient pour but la destruction de l'identité palestinienne et la
rédemption finale de leur pays, Oslo aura été un échec.
En 1999, l'armée est
revenue au pouvoir, par le biais des «généraux politiques» - Barak d'abord,
Sharon ensuite. (Ils ont collaboré, lors des dernières élections, pour faire en
sorte qu'aucun autre candidat, civil, ne puisse les emporter.) La route s'est
ouverte pour corriger ce qu'ils considéraient comme la grande erreur d'Oslo.
Pour y parvenir, il était d'abord nécessaire de convaincre la société
israélienne gâtée que les Palestiniens ne veulent pas vivre en paix et menacent
notre existence même. Sharon seul n'aurait sans doute pu y parvenir, mais Barak
a réussi, grâce à son escroquerie des «offres généreuses». Après un an
d'attaques terroristes horribles, jointes à une propagande massive et
mensongère, Sharon et l'armée estiment que rien ne peut les arrêter sur la voie
de l'exécution totale.
Pourquoi est-il si urgent de renverser Arafat? Shabtai
Shavit, ancien chef des forces de sécurité («Mossad»), qui n'est pas lié par la
retenue imposée aux sources officielles, l'explique ouvertement: «Dans les
quelque trente années qu'il [Arafat] a été au pouvoir, il est parvenu à
remporter quelques véritables succès dans la sphère politique et
internationale... Il a obtenu le prix Nobel de la paix, et sur un simple appel
téléphonique, il peut obtenir une rencontre avec n'importe quel dirigeant dans
le monde. Dans ce contexte international, il n'existe personne de sa pointure
dans le monde politique palestinien. S'ils [les Palestiniens] perdent cet atout,
cela représente pour nous une avancée énorme. La question palestinienne
disparaîtra des agendas.» (interview dans le supplément week-end du Yediot
Aharonot, 7 décembre 2001).
Leur objectif immédiat étant de faire disparaître
les Palestiniens de l'agenda international, le massacre, la famine, l'évacuation
forcée et la «migration» peuvent se poursuivre imperturbablement, aboutissant si
possible à la vision à long terme de Sharon, concrétisée dans les plans
militaires. L'objectif immédiat de quiconque se sent concerné par l'avenir du
monde, doit être de faire cesser ce processus de déchaînement du mal. Comme
l'écrivait Alain Joxe en conclusion de son article dans Le Monde: «Il serait
donc temps pour les opinions publiques occidentales de reprendre le contrôle de
ce débat et d'obliger les gouvernements à plus de conscience morale et
politique, face au désastre qui se précise, à savoir un état de guerre permanent
contre les peuples et les nations arabes et musulmanes, la réalisation du double
fantasme de Ben Laden et de Sharon.» (17 décembre 2001).
- Notes :
1. Pour les détails de ce plan
opérationnel, consulter Anthony Cordesman, «Peace and War: Israel versus the
Palestinians A second Intifada?» Center for Strategic and International Studies
(CSIS), décembre 2000, et le résumé par Shraga Eilam, «Peace With Violence or
Transfer», Between The Lines, décembre 2000.
2. Ce document peut être
consulté sur http://www.gamla.org.il/english/feature/intro.htm.
3. Pour une vue d'ensemble sur les
assassinats de terrosistes du Hamas par l'Autorité Palestinienne, lire mon
article «The A-Sherif affair», Yediot Aharonot, 14 avril 1998, et
http://www.tau.ac.il/~reinhart/political/A_Sharif.html.
4. L'article (en hébreu) peut être
consulté sur http://www.tau.ac.il/~reinhart/political/01GovmntObstacleToPeace.doc.
5. Comment expliquer à David, à
Mohammed et à Pierre par Nadia Burgrave, Alain Dufour et Vincent
Mespoulet
(Nadia Burgrave est enseignante en lycée en
Bretagne, Alain Dufour ce enseignant en lycée professionnel en Basse-Normandie
et Vincent Mespoulet est enseignant en collège en Provence, président
d'EduFIP.)
Dans l'irruption médiatique du thème de la nouvelle
judéophobie en France, la contribution de Philippe Gumplowicz, Marc Lefèvre et
Pierre-André Taguieff (Libération du 4 janvier 2002) a le mérite de placer le
débat sur un terrain très sensible, celui de l'Ecole. C'est un sujet grave qui
préoccupe les enseignants plus que ne le pensent les auteurs de l'article, en
taxant injustement l'institution scolaire d'"aveuglement" et d' "angélisme".
Pierre-André Taguieff nous parle de la nouvelle judéophobie. Dans le
prolongement de
ses travaux récents, axés sur la critique du "bougisme" (voir
son livre L'effacement de l'avenir), Pierre-André Taguieff aurait pourtant dû se
méfier de ce qui lui apparaît comme nouveau. Un autre chercheur, l'historien
Georges Bensoussan, avait depuis longtemps tiré la sonnette d'alarme dans un
petit livre fort bien fait (Auschwitz en héritage, d'un bon usage de la mémoire,
1998), où il s'inquiétait déjà de la montée de formes d'antijudaïsme dans une
partie de la jeunesse française d'origine maghrébine, lorsqu'elle était
confrontée à l'histoire de la Shoah que nous enseignons.
La nouveauté à
l'évidence, pour Pierre-André Taguieff, tient aux répercussions en France de
l'Intifada Al-Aqsa, déclenchée à l'automne 2000, dont le petit David est
effectivement une victime indirecte. Or, ce phénomène, bien présent dans les
collèges et les lycées est très difficilement mesurable. Sans entrer dans une
comptabilité stupidement comparative, force est cependant de constater que
fleurissent encore essentiellement sur les murs de nos écoles des inscriptions
telles que " Mort aux Arabes ", sans que cela suscite d'émois
particuliers.
Et étrangement, ce qui affaiblit singulièrement la portée du
cri d'alarme de nos trois auteurs, c'est qu'ils auraient dû appliquer leur
effort d'explication conjointement à David, touché dans sa judéité, Mohammed
dans son arabité, et Pierre dans sa laïcité. Ou mieux encore, ils auraient pu se
placer justement dans un cadre strictement laïque, en refusant de
confessionaliser/ethniciser à leur tour le débat et en s'adressant
indistinctement en tant que " Français " à David, Mohammed et Pierre, au lieu de
faire de David la victime, Mohammed le bourreau et Pierre le spectateur
indifférent. Quel est le souci d'un enseignant confronté à ce problème ? Il est
justement de ne pas faire de la cour de récréation un lieu d'affrontement. Le
seul moyen de sortir des amalgames juifs-israéliens et beurs-palestiniens
dénoncé par les auteurs, c'est de faire de la salle de classe, face à ce
problème, un lieu de construction du savoir, un lieu de réflexion et de débat.
Or, que constatons-nous ? Ce type de dérive n'est gérée - sanctionnée ou
camouflée - que d'une façon disciplinaire par la Vie Scolaire, sous le chapitre
des incivilités ou du vandalisme. Nous, enseignants, souhaitons placer la
question sur le terrain de l'apprentissage de la citoyenneté. Nous venons de
créer dans cette optique une association " Education France-Israël-Palestine "
(EduFIP) qui se propose à la fois d'élaborer un travail pédagogique sur les
modalités de l'enseignement du conflit israélo-palestinien dans nos trois pays,
et de tisser des liens étroits entre enseignants européens, israéliens et
palestiniens. En ce qui concerne la France, le conflit israélo-palestinien entre
programmatiquement dans l'enseignement de l'histoire en Troisième et en
Terminale. Mais la sous-formation des enseignants en ce domaine et l'examen
attentif (en fait assez consternant) des manuels de collèges, de lycées
d'enseignement général ou professionnels, démontrent qu'il y a autant de chemin
à faire qu'il y a vingt ans pour d'autres enseignements problématiques comme
l'histoire de la Shoah ou de la guerre d'Algérie. Un indice de cette
sous-évaluation réside dans l'absence systématique de sujet spécifique sur le
conflit israélo-arabe et sur le Proche-Orient au baccalauréat. Surtout,
l'enseignement de l'éducation civique en collège et de l'ECJS en lycée ont aussi
leur place dans une démarche d'appréhension rationnelle et historique du
conflit.
Enfin, une crainte subsiste, à la lecture de cet article. C'est de
voir la lutte légitime contre cette judéophobie se transformer
imperceptiblement, pour des raisons idéologiques, en islamophobie ou en
arabophobie. Les nombreux articles polémiques et nettement islamophobes de trois
membres du comité de rédaction des Temps Modernes, publiés coup sur coup après
le 11 septembre, puis après l'appel des 124, ne laissent pas
d'inquiéter.
Rien n'est pire que l'instrumentalisation politique des enfants.
Elle s'opère malheureusement, dans le champ éducatif, à la fois en Israël, en
Palestine et. en France ! Un fait-divers révélateur, hors du champ scolaire
cette fois et relaté dans les colonnes de Libération et du Monde à la
mi-décembre : l'annulation du visionnage dans un cinéma de Paris du film Harry
Potter à une centaine d'enfants juifs, manifestation organisée par le KKL, est
devenue un indice de l'antijudaïsme en France. A aucun moment dans ces articles,
il n'a été signalé aux lecteurs que le KKL finançait par ce type de
manifestation la construction de crèches ou d'écoles à Gilo, implantation
illégale israélienne dans les Territoires Occupés. Une de ces implantations qui
sont les véritables obstacles à toute résolution de paix. Au même moment, des
milliers d'élèves palestiniens ne pouvaient plus se rendre à l'école à cause des
bombardements israéliens et cinq enfants palestiniens explosaient sur des mines
israéliennes placées sur le chemin de l'école. Et l'on a bien entendu sur les
ondes de France Inter une institutrice israélienne de Gilo dire que les Arabes
se conduisaient comme des animaux. Dans ce contexte, toute explication
déséquilibrée, où Yasser Arafat est rendu responsable de l'échec du processus de
Camp David, et où la réalité des violences commises en Cisjordanie et dans la
bande de Gaza par les forces israéliennes en emprisonnant tout un peuple, est
passée sous silence, ne fait que participer à des vues partisanes.
Dernière
source de préoccupation sur laquelle nous travaillons : la télévision et
l'internet, médias par lesquels nos enfants fabriquent leurs représentations
faussées. Nous aimerions que Marc Knobel combatte avec la même énergie déployée
contre les sites néo-nazis (voir Affaire Yahoo !) les sites extrémistes
pro-israéliens français incitant à la haine. Il suffit de jeter un coup d'oil
par exemple sur le site Am Israël Haï (diffamation à l'égard de notre ministre
des Affaires Etrangères, insulte contre notre ambassadeur de France au
Royaume-Uni, rewriting tendancieux et illégal de dépêches AFP) pour se rendre
compte des dégâts. Il suffit de regarder les émissions télévisuelles de
divertissement dans lesquelles Michel Boujenah, au début de l'intifada) où
Patrick Bruel (il y a quelques semaines en brandissant le dossier de l'Express
consacré à ce sujet) répètent la même antienne désinformatrice sur des mères
palestiniennes envoyant leurs enfants en sacrifice jeter des cailloux sur les
forces israéliennes d'occupation .
Tout cela a un impact sur nos enfants,
qu'ils s'appellent David, Pierre ou Mohammed, et explique en grande partie les
tensions actuelles dans l'Ecole en France. Le très beau texte de l'historien
israélien Schlomo Sand dans Le Monde daté du 5 janvier, en réponse à la vision
instrumentalisée de l'histoire d'Israël de Limor Livnat, ministre israélienne de
l'Education Nationale, montre comment le devoir d'histoire est la véritable
garantie dans nos écoles de notre triptyque républicain.
6. Lorsque "Libération"
s'égare... par Michel Barak
(Michel Barak est un
historien et universitaire français.)
Monsieur Le Rédacteur en Chef
du journal "Libération" - Lecteur assidu de votre journal, je parcours avec
étonnement, sous la plume d'universitaires supposés vérifier leurs sources,
l'article publié en chronique "Rebonds" dans votre édition du vendredi 4
janvier.
Tout le raisonnement sur l'impossibilité d'expliquer ce qui se passe
au Proche-Orient au petit David repose sur cette contre-vérité : "Si
l'évacuation des implantations israéliennes avait été l'objectif politique des
Palestiniens, il aurait été déjà atteint via les négociations de camp David et
de Taba. Ehud Barak avait fait tomber les tabous." Or, un négociateur américain
Robert Malley a publié un compte- rendu des négociations de Camp David qui
contredit complètement la thèse officielle israélienne ici reprise.
Son
article, résumé et publié dans Le Monde du 25 juillet 2001, a été édité aux
Etats-Unis dans la New York Review of Books. Il dit clairement qu'il n'y eut
jamais " stricto sensu " d'offre israélienne à Camp David "et évidemment la
meilleure preuve en est que six mois plus tard à Taba de nouvelles négociations
attestent d'une évolution sérieuse des positions israéliennes. Mais Barak
n'était plus en mesure de proposer un texte à la signature étant distancé de 20
points par Ariel Sharon pour les élections à venir quelques jours plus tard (Cf.
le dossier du Monde Diplomatique de septembre 2001).
Le Monde ajoutait que
contrairement à ce qui est écrit dans l'article de Rebonds, l'Intifada n'a pas
été déclenchée par un Arafat presse bouton, à qui est prêté plus de pouvoir
qu'il n'en a, mais a éclaté à la suite de la visite provocatrice de Sharon sur
l'esplanade des mosquées, autorisée par Barak et escorté par sa police, qui, le
lendemain tuait des citoyens arabes israéliens.
Il est en effet de plus en
plus difficile d'expliquer tout cela à des enfants comme à des adultes juifs ou
pas. Comment expliquer - ce dont ne parlent pas les auteurs - l'occupation, les
contrôles permanents, les
checks points, les blindés, les bulldozers qui
détruisent maisons et champs d'agrumes ou d'oliviers, fabriquant des générations
de désespérés, futurs kamikazes dont l'action est totalement condamnable, les
F16, les hélicoptères d'attaques, etc... Mais ce sont "des images trompeuses"
!
On peut rappeler que chaque fois qu'il y a eu un espoir, une perspective
politique, une amélioration de la vie quotidienne du peuple palestinien, les
attentats aveugles, les actions extrémistes ont diminué, voire disparu. Alors si
les revendications palestiniennes sont à ce point admises par les gouvernants
israéliens, pourquoi tous ces chars et pourquoi pas un retrait immédiat ? Chiche
!
7. Pas de "saison" palestinienne
par Uri Avnery (5 janvier 2002)
[traduit de l'anglais par R.
Massuard et S. de Wangen]
"Vous n'êtes pas sérieux" disaient les Algériens aux
responsables de l'OLP. "Vous devez tuer vos opposants !"
C'était il y a des
années. Les responsables de l'OLP avaient demandé leur avis à leurs frères
victorieux, les vétérans du Front algérien de Libération Nationale (FLN).
Ceux-ci ont prodigué généreusement leurs conseils : " Vous ne pouvez pas mener
une guerre de libération s'il y a des différends internes. Il ne peut y avoir
qu'un seul parti. Il n'y a pas de place pour une opposition interne. Les
opposants doivent être liquidés. "
Ils donnaient comme exemple un de leurs
équipements sur la frontière algéro-tunisienne. C'était une maison de trois
pièces, dans laquelle les opposants à la direction étaient amenés. Dans la
première pièce se déroulait leur procès, dans la seconde le jugement était
prononcé, et dans la troisième ils étaient exécutés. L'ensemble du processus ne
durait que quelques heures. Ils ne sortaient de cette maison que les pieds
devant.
Cette histoire m'a été racontée cette semaine par un officiel
palestinien important. " Nous, les Palestiniens, avons écouté et nous nous
sommes dit : Cela n'arrivera jamais dans notre mouvement ! "
Et en fait, pour
comprendre ce qui se passe maintenant dans les territoires palestiniens, il faut
savoir qu'il existe une résolution nationale unanime : éviter à tout prix une
guerre civile.
Cette résolution vient d'un traumatisme palestinien. En 1936,
la " Rébellion Arabe " (en jargon sioniste " les événements ") est survenue.
L'immigration juive avait fortement augmenté après la venue au pouvoir d'Hitler
en Allemagne, les Arabes avaient le sentiment que la terre leur était retirée
sous les pieds. Dans une tentative désespérée pour sauver leur existence
nationale, ils ont déclenché une grève générale, qui s'est transformée en
rébellion armée. Elle était conduite par Haj Amin al-Husseini, le grand mufti de
Jérusalem.
Le mufti a saisi l'occasion pour éliminer tous ses opposants de
l'intérieur. Au cours du bain de sang, presque tous les responsables
palestiniens qui n'acceptaient pas inconditionnellement son autorité ont été
assassinés. Quand le moment de vérité est venu à la fin de 1947 (après la
résolution de partage de l'ONU), le peuple palestinien n'avait aucune direction
nationale sur laquelle s'appuyer.
Maintenant Ariel Sharon veut contraindre
Arafat à déclencher une guerre civile. C'est ce que signifie sa demande à Arafat
de liquider les dirigeants du Hamas et du Djihad et de détruire leurs
institutions. Il espère que le Hamas et le Djihad décideront alors de se venger
et de tuer les chefs de l'Autorité palestinienne. La tuerie mutuelle mettrait
fin à la lutte palestinienne, peut-être pour toujours.
Ni Arafat ni ses
opposants n'ont l'intention de combler l'espoir de Sharon. Dans son discours à
la nation, Arafat a déclaré que les attaques continuelles contre les Israéliens
desservent les intérêts nationaux du peuple palestinien. La plupart des
Palestiniens pensent qu'Arafat a raison. Le Hamas et le Djihad ne sont pas
d'accord, mais ne veulent pas être entraînés dans une guerre civile. Par
conséquent, on assiste à une " baisse importante du nombre des attaques "
d'après les responsables israéliens de la Sécurité.
Tout ceci rappelle un
épisode semblable dans notre propre histoire. Après l'assassinat de Lord Moyne
par le Lehi (initiales hébraïques de " Combattants de la liberté d'Israël ",
appelés par les anglais " le Groupe Stern "), Ben Gourion a décidé de livrer les
" dissidents " à la police britannique, qui les a torturés et envoyés dans un
camp en Afrique. Certains des combattants de l'Irgoun (Irgoun - abréviation pour
Organisation nationale militaire, un autre groupe clandestin) ont été kidnappés
par la Palmah (" troupes de choc ") de Ben Gourion et livrés aux Anglais,
d'autres ont été arrêtés par les Anglais eux-mêmes d'après une liste de 700
suspects que leur avait donnée Ben Gourion. Cet épisode a été appelé " la Saison
" (prononcé à la française), signifiant la saison de la chasse.
Si à cette
époque une guerre civile sanglante ne s'est pas produite, c'est grâce à Menahem
Begin, le commandant de l'Irgoun, qui était déterminé à empêcher à tout prix une
guerre fratricide. Les combattants de l'Irgoun ont reçu l'ordre de ne pas tirer
sur les membres de la Palmah qui venaient pour les kidnapper. (Le responsable du
Lehi, Nathan Yellin-Mor, en a décidé autrement. Comme il me l'a déclaré des
années plus tard : " Je suis allé à une réunion avec les chefs de la Haganah.
J'ai mis un pistolet chargé en face de moi sur la table. J'ai dit : 'chaque
combattant du Lehi utilisera cette arme pour se défendre'. Il en est résulté
qu'aucun de nos hommes n'a été kidnappé ").
Ben Gourion jouait un jeu
complexe. A un certain moment, il ordonnait la " saison ", à un autre, il
mettait sur pied le " Mouvement de la Rébellion hébraïque " qui coordonnait les
actions de sa propre Haganah, de l'Irgoun et du Lehi. Il utilisait
alternativement la diplomatie et la violence, à doses variées. En fait il
utilisait les actions de l'Irgoun et du Lehi pour ses propres objectifs.
Arafat est en train de faire exactement la même chose. Quand il y a un
espoir d'aboutir à un Etat palestinien par des moyens pacifiques et qu'une
confrontation avec les Américains doit être évitée, il empêche les actions des "
dissidents ". Quand cet espoir s'évanouit, il leur donne le feu vert.
Tout
ceci est fait par consensus. Contrairement à son image créée en Israël, Arafat
n'est pas un dictateur brutal. Au contraire, certains de ses conseillers
l'accusent d'être trop indulgent, de ne pas se venger de ceux qui le trahissent
et de ne pas punir ceux qui portent atteinte à la cause palestinienne. Il se
conforme à une ancienne tradition arabe : la " Ijmaa ", décision par accord
général. (Les aînés de la tribu s'assoient et discutent d'un problème
controversé jusqu'à ce que chacun des présents soit convaincu et soutienne la
décision proposée, la rendant unanime.)
Cela est une manière de stopper
la violence. Le peuple palestinien ne commettra pas un suicide par la guerre
civile. Il ne sera convaincu d'arrêter la lutte violente que lorsqu'il
constatera que son existence nationale peut être assurée par des moyens
pacifiques. Et en même temps, il collectera des armes, pour faire face à toute
éventualité.
8. Si j'étais Mofaz par Uri
Avnery (29 décembre 2001)
[traduit de l'anglais
par R. Massuard et S. de Wangen]
Si j'étais Shaul Mofaz, je me ferais vraiment du souci en
ce moment.
En Belgique, Ariel Sharon est en procès pour son rôle dans les
évènements de Sabra et Shatila il y a 19 ans. Il a d'abord traité cela comme une
simple plaisanterie. Maintenant, il dépense une fortune (de notre argent) pour
ce procès.
L'accusation affirme que Sharon, alors ministre de la Défense,
responsable pour Beyrouth occupé, a permis à une poignée d'assassins notoires de
pénétrer dans les camps de réfugiés sans défense, où ils ont tué sans
discrimination hommes et femmes, vieillards et enfants. La commission d'enquête
israélienne a ordonné sa démission et l'a accusé de " responsabilité indirecte
". Les procureurs belges cherchent à l'accuser de responsabilité directe.
Il
se peut que le procès soit abandonné et que Sharon ne soit pas reconnu coupable.
Mais s'il est reconnu coupable, un mandat d'arrêt international sera lancé pour
son arrestation et il risquera d'être arrêté dès qu'il mettra le pied en
Europe.
Ceci n'est qu'un début. La campagne internationale contre les crimes
de guerre progresse rapidement. Une Cour internationale permanente pour les
crimes de guerre est sur le point d'être créée. Après la Belgique, d'autres pays
vont voter des lois pour le jugement de criminels de guerre étrangers devant
leurs tribunaux. La définition de crimes de guerre sera élargie, de même que la
coopération entre les Etats, particulièrement en Europe.
Le procès d'un chef
de gouvernement en activité accusé de crimes de guerre commis il y a 19 ans
constitue un précédent important. Non moins importante est la décision transmise
cette semaine par la Cour suprême israélienne, déniant à Ehoud Yatom le droit
d'occuper un poste important dans les services de sécurité. Yatom a tué de sang
froid, de ses mains, deux prisonniers enchaînés. Ceci s'est passé il y 17 ans,
alors qu'il était un responsable de haut rang dans les services de sécurité du
Shin-Beth. Il a déclaré pour sa défense qu'il n'avait fait qu'obéir aux ordres
et agi en accord les " normes " existantes (paroles terribles pour une oreille
juive). A l'époque, il avait demandé et obtenu la grâce, ce qui pratiquement
revenait à tolérer un acte ignoble.
(C'était dans le cadre de la tristement
célèbre " affaire du bus de la ligne 300 " de 1984, la prise d'un bus par quatre
adolescents palestiniens sans armes. Deux ont été tués lors de l'assaut du bus,
les deux autres ont été tués après leur capture. Le magazine Haolam Hazeh, dont
j'étais directeur à l'époque, avait joué un rôle important dans la découverte du
crime.)
L'été prochain, Shaul Mofaz doit prendre sa retraite. Ce sera la fin
de sa carrière militaire. Vraiment la fin ?
Dans un an, cinq ans ou 20 ans,
quelqu'un peut poursuivre Mofaz à la Haye, à Bruxelles ou ailleurs pour des
actes commis sous son commandement. Par exemple : les " liquidations ".
Dans
ce cas, Mofaz devra expliquer aux juges étrangers pourquoi il a décidé et
ordonné le meurtre de personnalités palestiniennes y compris de hauts
responsables politiques. Les procureurs vont probablement prétendre que c'était
des exécutions extra-judiciaires dans lesquelles Mofaz et ses officiers étaient
à la fois procureurs, juges et bourreaux.
Il en est de même pour les
prétendus " crimes de fait" (viduh harigah en hébreu), c'est-à-dire les
assassinats par non assistance à ennemis blessés. Sur cet acte indigne flotte le
" drapeau noir ", même selon la loi israélienne. Au cours de la carrière
militaire de Mofaz (et même avant) ceci est devenu la norme.
Quiconque obéit
à de tels ordres (voir Ehud Yatom) exécute un " ordre manifestement illégal ",
c'est-à-dire un ordre que toute personne normale, aussi primaire soit elle, sait
illégal. (Ainsi défini par le juge Benjamin Halevy, présidant la Cour martiale,
dans son fameux jugement " drapeau noir " condamnant les auteurs du massacre de
Kufr Kassem en 1956.) Il s'ensuit que la menace de poursuites plane sur nombreux
officiers et soldats, du général au simple soldat qui ont donné ou exécuté un
tel ordre.
Si l'un d'eux croit que c'est un danger abstrait, quelque chose
de simplement théorique ou spéculatif, il pourra tôt ou tard s'apercevoir qu'il
s'est bien trompé. Le jour n'est peut-être pas loin où un officier qui a ordonné
une action de " liquidation ", le pilote d'hélicoptère qui l'a exécutée, le
lieutenant qui a ordonné un acte de " crime de fait" et le simple soldat qui a
obéi, seront tous poursuivis par la peur quand ils se rendront à l'étranger. Et
si les lois israéliennes changent lors de l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement
différent, comme cela se produira sûrement un de ces jours, ils vivront dans
l'inquiétude même en Israël.
Souvenez-vous en : il n'y a pas limite de
temps. Un grand-père jouant avec ses petits-enfants peut être poursuivi pour des
crimes de guerre qu'il a commis quand il était jeune. Et il n'y a aucune
exception en raison du grade - l'épée de la justice peut s'abattre de la même
façon sur un simple soldat et sur le ministre de la Défense.
Le trio
aujourd'hui responsable de tout ce qui se passe dans les territoires occupés -
Shaul Mofaz, Benjamin Ben-Eliezer et Ariel Sharon - seraient bien inspirés de
regarder les photos de Slobodan Milosevic à La Haye. Il y a peu, celui-ci était
un dirigeant tout puissant, qui pouvait d'un simple battement de cils, autoriser
le meurtre de milliers d'hommes (y compris de jeunes gens) ou le viol de
milliers de femmes (y compris des jeunes filles). Il est maintenant à La
Haye.
La route pourrait être plus courte qu'il ne semble.
Revue de
presse
1. Sharon le serein par
Sylvain Cypel
in Le Monde du mardi 8 janvier 2001
En quinze mois,
Ariel Sharon, le "bulldozer", l'homme de Sabra et Chatila, est devenu un chef de
gouvernement habile, encensé par les Israéliens. Même ses ennemis admettent
qu'il a changé. En bien.
L'âge aidant, il paraît encore plus
"éléphantesque". Mais, depuis le 11 septembre, il rayonne. Ses proches
l'affirment : "Arik" dégage une sérénité dont on le croyait incapable. Même le
détesté Ouzi Benziman, auteur d'une biographie au titre savoureux – Celui qui ne
s'arrête pas au feu rouge –, contre qui Ariel Sharon a perdu son procès en
diffamation, a déclaré que l'homme, aujourd'hui, le "surprend". Comprendre : en
bien. Arik aurait évolué. Le "bulldozer" qui méprisait les "politiciens
couards"est devenu un chef de gouvernement poli avec ses ministres, attentif.
Beaucoup y voient l'influence de son fils, Omri, qui lui aurait fait comprendre
que "son monde mental ne peut être bâti uniquement sur la haine qu'il éprouve
pour ses ennemis et qu'il suscite chez eux". "C'est terrible à dire, note un
autre, mais la disparition de sa femme [il y a deux ans] a eu un effet
bénéfique." Lili, pour laquelle il a acquis un lopin afin de l'y enterrer,
seule, juste devant son ranch du Néguev, sur les ruines de Kfar Houdj, un
village palestinien dont la population fut expulsée en 1948. Lili qui, dit- on,
attisait sa violence intérieure, "voyait des ennemis partout, lui interdisait de
pardonner".
"Arik" le serein vit un rêve. Il y a quinze mois, il n'était
politiquement presque plus rien. A soixante-douze ans, sa carrière derrière lui,
il n'était pas certain de retrouver un ministère si "Bibi" Nétanyahou, l'homme
fort de la droite israélienne, revenait au pouvoir. Alors il profite de chaque
instant. Judy Shalom-Nir-Moses, la femme du ministre des finances, contre lequel
il a défavorablement arbitré dans le débat budgétaire, a beau le traiter de
"vieillard fatigué qui préfère caresser ses moutons dans sa ferme que manifester
de la fermeté", il s'en moque. Malgré la récession économique, les sondages le
créditent de 75 % d'opinions favorables. Un score jamais atteint par un premier
ministre israélien après un an de pouvoir. "Regardez où en était sa légitimité
internationale en février[date de son entrée en fonctions], où en était Arafat,
et où ils en sont aujourd'hui. Pour Sharon, c'est un triomphe !", clame le
secrétaire général du gouvernement, Gideon Saar. Aux yeux des Israéliens, Sharon
cumule les réussites. Contre toute attente, il a facilement constitué un
gouvernement d'union nationale et le préserve. Mieux, "son plus grand succès est
d'avoir convaincu l'équipe Bush de son point de vue sur Arafat et les
Palestiniens", explique son entourage. Ses services de communication s'y
entendent pour forger l'image du père, du vieux sage, homme sensible en réalité.
Savez-vous que depuis des années il est abonné au Philharmonique ? vous
glisse-t-on incidemment.
Surtout, il gouverne. Et, selon les témoins, plutôt
intelligemment. "Après les deux jeunots méprisants [Nétanyahou puis Barak, chefs
du gouvernement de 1996 à 2001], quel soulagement : les débats sont préparés,
fructueux, il y a un patron", dit un ministre. Même Avigdor Lieberman, l'âme
damnée fascisante de Nétanyahou, en convient. Au départ, il était méfiant. Il
constate que "finalement Sharon utilise bien les travaillistes pour mener une
bonne politique". Même s'il lui reproche de ne pas frapper les Palestiniens
comme ils devraient l'être : "pas avec deux tanks dans chaque ville, mais avec
200". Ensuite, Sharon le populiste, l'homme aux déclarations fracassantes, parle
désormais peu. Gideon Saar : "Il est arrivé très mûr premier ministre. A ce
poste, plus on s'exprime, plus on perd en crédibilité. Il est important de
laisser les questions essentielles dans le flou." Il dit donc à chacun ce qu'il
veut entendre. Pour Dan Méridor et Meïr Shitrit, ministres modérés de son parti,
le Likoud, il évoque un futur Etat palestinien. A son ami Reouven Rivlin,
likoudnik plus dur, il précise que "les Palestiniens pourront l'appeler leur
Etat, mais personne au monde ne le considérera comme un Etat". Une version
israélienne du Bophutswana, un bantoustan, en somme. Aux Lieberman, Landau et
autres ultras, il répète qu'ils "n'ont pas à s'inquiéter", aucune Palestine ne
verra le jour.
Seul l'ombre de Nétanyahou serait susceptible de l'angoisser.
Lorsqu'on évoque "Bibi", qui l'invite à accentuer la pression sur les
Palestiniens, Sharon rétorque, patelin : "Oui, Nétanyahou voudrait que je serre
Arafat d'encore plus près.
Il faut dire que lui, quand il était
premier ministre, lui a serré cinquante fois la main. Moi, jamais."Beaucoup,
pourtant, assurent que "Bibi", qui a la majorité du parti, trouble son sommeil.
C'est autant pour le "bordurer" que pour calmer l'opinion internationale que
Sharon a absolument besoin des travaillistes au gouvernement. Jusqu'ici, il n'a
pas trop à craindre d'eux. Il faudrait une énorme bavure pour que Shimon Pérès
claque la porte. Pourquoi donc, alors, a-t-il fallu qu'"Arik", récemment,
l'humilie ? Après que l'Union européenne, le 10 décembre, eut, pour la première
fois, unilatéralement vilipendé Yasser Arafat, Sharon a publiquement "remercié"
Shimon Pérès pour son "excellent travail" : avoir persuadé les Européens de
l'inanité du leader palestinien. Là, dans un moment d'euphorie, la nature
profonde d'Ariel Sharon a semblé resurgir. Depuis qu'il a décrété Arafat "hors
jeu", les médias israéliens ne cessent d'évoquer la réapparition de l'"ancien"
Sharon. Le Sharon qui ne fait confiance à personne, qui masque ses intentions,
concocte ses plans, se croit capable de manipuler l'opinion, le gouvernement et
son propre allié américain, agit sans informer quiconque. Premier indice : le
rendez-vous avec Bush, le 2 décembre ; Sharon s'y rend seul. Au retour, il
informe le gouvernement succinctement. "Une rencontre importante, très
fructueuse." Mais encore ? Il n'en dit pas plus.
Surtout, mille petits signes
indiquent que le souvenir du Sharon de la guerre du Liban, en 1982, revient dans
les têtes, celles de ses partisans, qui espèrent qu'il va "finir le boulot" -
liquider l'OLP -, comme de ses adversaires, qui craignent une nouvelle "aventure
calamiteuse". Lui, ses proches l'assurent, "n'y fait jamais allusion". Mais il y
pense forcément, puisque tous y pensent, désormais. Le Liban, son boulet. Le
plan "Grands pins", élaboré dès janvier 1982, offrait selon lui des perspectives
grandioses. Un : il pulvérise l'OLP. Deux : il fait élire président libanais le
chef des phalangistes chrétiens, Béchir Gémayel, qui signe la paix avec Israël.
Trois : il repousse loin les forces syriennes, peut-être même hors du Liban. La
fin "heureuse" espérée, plus aléatoire, était de voir les réfugiés palestiniens
du Liban expulsés vers la Jordanie. Là, les Palestiniens renversaient la
monarchie hachémite et instauraient leur Etat. Il ne restait qu'à officialiser
le Grand Israël et inciter les Palestiniens des territoires occupés à aller dans
"leur pays", de l'autre côté du Jourdain. On sait ce qui en est advenu. Au
début, l'opération "Paix en Galilée" avait bien fonctionné. Mais les Européens
avaient empêché Sharon d'en "finir" avec Yasser Arafat, en lui offrant une
sortie vers Tunis. Puis le massacre de Sabra et Chatila (estimation moyenne : 1
000 morts, 2 000 disparus parmi les réfugiés palestiniens), préparé par les
Phalanges sous supervision de Tsahal et destiné à créer la panique chez les
Palestiniens, prélude à leur exode, s'était retourné contre son instigateur. Les
Etats-Unis avaient "lâché" Israël, sous l'œil narquois des Syriens. Sharon
s'était retrouvé l'homme le plus controversé d'Israël.
Jusqu'aujourd'hui, il
souffre de ce qu'il perçoit comme une injustice, de l'image "scandaleusement
erronée" qui lui est accolée. N'a-t-il pas, en vérité, "gagné" cette guerre ?
Débarrassé le nord du pays de la "menace terroriste" de l'OLP ? Mieux, Sharon
reste convaincu qu'il s'en est fallu de très peu pour que son plan aboutisse,
auquel cas tout Israël l'aurait, comme en 1973, accueilli en héros. Au lieu de
quoi 100 000 personnes l'ont conspué, à Tel-Aviv : "Sharon assassin !" Le procès
pour "crimes de guerre" qui lui est intenté à Bruxelles ? Il le laisse de
marbre, affirment ses proches. "Une manœuvre palestinienne misérable pour le
faire tomber, parce qu'il est le rempart d'Israël." Les manifestants qui, chaque
semaine désormais, scandent devant sa maison à Jérusalem "Sharon, on t'attend à
La Haye" sont si peu nombreux, et lui si blindé, qu'ils ne suscitent que son
mépris.
Mais la référence de plus en plus "naturelle", dans les médias, au
Liban constitue un indice inquiétant. Quand Shimon Pérès dit, le 13 décembre,
que "si les assassinats ciblés continuent le jour n'est pas loin où Israël sera
considéré comme un Etat criminel de guerre", il touche une fibre sensible.
L'image qu'il laissera à la postérité importe beaucoup à Sharon. De Golda Meïr,
grande dirigeante sioniste, l'histoire, dit-il, ne retiendra que son incapacité,
comme premier ministre, à prévoir l'attaque des armées arabes, en octobre 1973.
Son accession au pouvoir suprême, lui, Sharon, a bien l'intention d'en user pour
laisser une image de vainqueur aux seuls dont l'opinion lui importe - "les
juifs, pas les goyim [gentils] " - et gommer les scories "libanaises" qui
salissent injustement sa biographie. Pour y parvenir, nombreux lui prêtent
aujourd'hui "un plan secret".
Gilead Sher, l'ancien proche conseiller d'Ehoud
Barak, se gausse : "Sharon n'a aucun plan, pas même de stratégie."Au
gouvernement, certains corroborent, en termes plus polis, cette impression.
Ariel Sharon suit deux lignes de force : délégitimer Arafat pour que disparaisse
toute trace de la reconnaissance mutuelle Israël-OLP, et user les Palestiniens
pour parvenir à leur "capitulation". Ensuite, les options sont ouvertes.
D'autres, en revanche, sont persuadés que le Sharon des "plans grandioses" est
revenu. Le 8 juin, Ouzi Benziman rapportait les confidences de plusieurs
ministres. Sharon, lui disaient-ils, "prépare le terrain pour le jour où il
donnera l'ordre à Tsahal de pousser Arafat vers la sortie". Cela a été écrit
trois mois avant les attentats du 11 septembre. Depuis, tout se déroule comme
prévu. L'euphorie aidant, l'homme des grands projets se prendrait à rêver à "un
nouvel ordre" au Moyen-Orient, qui le verrait non seulement y "éradiquer le
terrorisme", mais redessiner sa carte politique. Et – qui sait ? – extraire
définitivement l'épine palestinienne du pied d'Israël, en la ramenant à ce
qu'elle n'aurait jamais du cesser d'être : "un problème arabe", qu'il revient
"aux Arabes de régler".
Le journaliste Shimon Shiffer, depuis vingt-cinq ans,
suit les pérégrinations des dirigeants israéliens à l'étranger et ne cache pas
combien Sharon le séduit. Il raconte l'anecdote suivante : "En février 1982,
Sharon était en visite en Egypte. Chaque soir, il téléphonait à sa maman.
Comment va-t-elle ? Comment vont les vaches à la ferme ? Chaque fois, sa mère
concluait : "Tu es encore chez les Arabes, mon fils ? Ne crois pas un mot de ce
qu'ils te racontent."" Cette méfiance, inculquée dès la prime enfance, envers
"les Arabes", dit Shiffer, n'a en rien été altérée. Sharon est, dit un autre
proche, "convaincu que, si par malheur les Palestiniens avaient un jour un vrai
Etat, ils commenceraient par abattre les avions d'El-Al". La paix ? Il faut en
parler, puisque c'est ce que les Israéliens et la communauté internationale
veulent entendre, mais surtout ne pas y croire. Il faut au contraire poursuivre
la conquête de la terre d'Israël et imposer, par la force, des solutions qui
consolident sa sécurité, puisque, très longtemps encore, Israël restera
indésirable pour son environnement arabe. "Pour Sharon, la paix, dit son
confident Reouven Rivlin, ministre de la communication, ce sera pour les
prochaines générations."
En attendant, ajoute-t-il, "Arik pense aujourd'hui
d'Arafat ce qu'il pensait en 1982. C'est un terroriste à plein temps. N'étaient
les contingences internationales, il s'en serait déjà débarrassé." 1982, le
Liban, Arafat, décidément ses démons le hantent toujours. Lorsqu'il a refusé au
président de l'Autorité palestinienne d'accéder à la messe de Noël à Bethléem,
l'analyste politique Daniel Bensimon (Haaretz) a évoqué "un règlement de comptes
qui transcende la politique". "Les ministres, ajoutait-il, n'avaient jamais vu
une détermination pareille. Pour Ariel Sharon, c'était une affaire personnelle
qui tient à l'hostilité viscérale qu'il éprouve pour Arafat depuis des
décennies."
2. Le kamikaze teenager de Tampa a
laissé une note saluant les attentats du 11 septembre par David
Firestone
in The New York Times (quotidien américain) du lundi 7 janvier
2002
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Tampa (Floride) 6 janvier - L'écrasement
d'un petit avion piloté par un jeune garçon de 15 ans était un acte délibéré de
soutien à Oussama Ben Laden et aux kamikazes qui ont démoli le World Trade
Center, a déclaré ce jour le commissaire de police principal de la
ville.
Celui-ci, Bennie Holder, a déclaré que les enquêteurs ont retrouvé une
lettre dans l'une des poches de Charles J. Bishop, le jeune de quinze ans qui a
précipité son avion léger sur le building de la Bank of America, à hauteur du
28ème étage, samedi après-midi.
"Le jeune homme, Charles Bishop, était un
garçon peu liant, appréciant la solitude", a déclaré le commissaire Holder au
cours d'une conférence de presse. "Son acte nous amène à penser qu'il s'agissait
d'un jeune homme très tourmenté."
Charles Bishop est mort sur le coup. Aucune
autre victime à déplorer.
M. Holder n'a pas révélé le contenu de la note
brève et écrite à la main, de Charles Bishop. Bien que la teneur en ait été le
soutien aux terroristes, M. Holder a indiqué que cette note établissait sans
ambiguïté que le jeune homme a agi seul, et qu'apparemment il n'était pas lié à
une quelconque organisation terroriste. Des voisins et des camarades de classe
ont décrit Charles Bishop comme un garçon brillant, mais néanmoins calme et
discret. Tous se perdent en conjectures au sujet de son acte.
Un porte-parole
de la Maison Blanche a déclaré hier que le FBI mène une enquête et que cet
incident semble ne pas être lié au terrorisme.
Il n'en a pas moins suscité
beaucoup d'inquiétude en ce qui concerne la sécurité de milliers de petits
avions rattachés à une multitude d'aéroport à travers les Etats-Unis, que de
nombreux d'officiels responsables de l'aviation pensent vulnérables au même type
de menace. Le kamikaze était étudiant dans une école de vol située dans
l'enceinte de l'aéroport international St-Petersbourg-Clearwater. Peu avant 17
heures, samedi dernier, tandis qu'un instructeur pensait qu'il ne faisait que
procéder aux vérifications d'avant décollage d'un Cessna 172R (monomoteur), il
fut stupéfait de voir le jeune homme sauter dans le cockpit, s'installer aux
commandes et décoller sans autorisation.
Il a survolé la Baie du Vieux Tampa,
ignorant les gestes que lui faisait un pilote d'hélicoptère de la Garde Côtière
lui faisant des gestes désespérés lui enjoignant de se poser, puis il a mis le
cap sur un groupe de tours de bureaux en bordure de la rivière Hillsborough,
dans le centre-ville. Butch Wilson, enquêteur du Bureau de la Sécurité Nationale
des Transports, a déclaré que le jeune homme avait une maîtrise parfaite du
quadriplace et qu'il semblait savoir exactement ce qu'il faisait. Il avait
refusé d'établir tout contact radio durant son vol, d'une dizaine de
minutes.
Sa lettre ne dit pas si Charles Bishop a choisi à l'avance le
building de 42 étages de la Banque d'Amérique, a déclaré le commissaire Holder.
L'avion avait obliqué tout d'abord vers le sud, pénétrant dans l'espace aérien
de la base aérienne de MacDill, qui est le QG de l'aviation américaine, d'où
sont dirigés les opérations en Afghanistan. Après plusieurs boucles dans les
airs, l'avion est venu s'écraser sur un angle du gratte-ciel de la banque. M.
Holder a indiqué que les enquêteurs n'ont aucun doute quant au caractère
délibéré de l'acte de Charles Bishop.
Les ailes du petit avions, contenant le
carburant, furent détachées du fuselage dans l'accident et aucun incendie ne
s'est déclaré dans les bureaux dévastés, dans lesquels il n'y avait personne
lors du crash. Un film vidéo tourné par les pompiers montre le fuselage au
milieu d'un monceau de cloisons écroulées, de panneaux d'isolation, de débris de
verre et de mobilier. La queue de l'avion est restée suspendue au-dessus du vide
durant la nuit, mais ce matin des ouvriers l'ont tirée à l'intérieur au moyen de
câbles, puis ils l'ont découpée au chalumeau et l'ont évacuée.
La structure
du gratte-ciel n'a subi aucun dommage. Des responsables de la municipalité de
Tampa ont indiqué qu'il serait ouvert dès lundi à tous ses usagers, à
l'exception des locataires des bureaux directement atteints.
Tandis que les
passagers des lignes aériennes doivent se plier à l'inspection de leurs
chaussures, susceptibles de contenir des explosifs, la facilité avec laquelle un
jeune homme déterminé de quinze ans a pu utiliser un avion pour commettre son
suicide de kamikaze a mis en évidence les standards de sécurité extrêmement
variés qui président à la sécurité du système aérien général du pays, pour
reprendre la terminologie des spécialistes qui désignent ainsi les avions légers
et les vols charter. Hanspeter Tschupp, propriétaire d'une école de vol à voile
située à quelques dizaines de mètres de l'école nationale d'aviation où le jeune
homme a volé son avion, a déclaré que presque toutes les écoles de ce type
permettent à leurs stagiaires de procéder aux contrôle pré-décollage, à titre
d'exercice, sur le tarmac (la piste), sans qu'un instructeur soit
présent.
"Bien entendu, ce ne sera plus le cas désormais", a indiqué M.
Tschupp. "Dorénavant, nos instructeurs resteront à côté de leurs stagiaires en
permanence."
Toutefois, il n'y a pas que les écoles de pilotage. La plupart
des avions privés sont garés derrière des barrières aisément franchissables,
dans les petits aéroports. Il est très facile d'entrer dans les hangars - M.
Tschupp a révélé que de nombreux constructeurs d'avions ne pensent pas à doter
chaque appareil d'une clé de contact différente, qu'il y a souvent un nombre
limité de clés différentes pour un même modèle - et un terroriste peut sans
difficulté s'emparer d'un avion privé afin de s'en servir comme arme.
"Ils
sont faciles à dérober, et je n'ai pas constaté que les mesures de sécurité
aient beaucoup changé depuis le 11 septembre", nous a déclaré Robert Baron, un
instructeur en sécurité aérienne qui dirige une société de conseil à Fort
Lauderdale (Floride). "Les gens ne se doutent pas à quel point l'aviation
générale (petits avions + charters) est vulnérable, actuellement."
Le
gouvernement reconnaît sans ambiguïté qu'il existe une menace potentielle,
raison pour laquelle il a suspendu l'aviation générale autour des grands
aéroports pour une durée de trois mois, après les attentats du 11 septembre.
(Les vols privés sont toujours interdits à proximité de l'aéroport national
Reagan de Washington). Mais il y a eu fort peu de changements dans la sécurité
relative à l'aviation générale, et les responsables du secteur affirment que
cela n'est pas nécessaire.
Warren Morningstar, vice-président de
l'Association des Propriétaires d'Aéronefs et des Pilotes, la plus importante
association de l'aviation civile, a relevé le fait que les dommages infligés par
l'avion léger utilisé par Charles Bishop sont limités, ajoutant que
l'utilisation d'un tel type d'avion à des fins de terrorisme était absolument
sans aucun précédent.
"Dans la plupart des accidents de l'aviation générale,
il n'y a pas d'incendie", a-t-il précisé. "Bien entendu, il est fort possible
qu'il puisse y avoir quelque dégât, mais on pourrait dire la même chose dans le
cas d'une personne dérangée qui s'emparerait d'un autobus ou d'un camion."
Il
a indiqué que les plus petits aéroports exerçaient d'ores et déjà un contrôle
beaucoup plus rapproché des gens qui effectuent des vols, ajoutant que nombreux
sont les propriétaires d'avions qui équipent actuellement, et sans tarder, leurs
appareils de chaînes permettant de bloquer les hélices et de verrous sur
l'admission des gaz.
Néanmoins, la plupart des petits avions ne sont
absolument pas sécurisés, et la capacité du jeune homme à pénétrer dans l'espace
aérien de l'une des bases aériennes les plus stratégiques du pays a fait toucher
du doigt le drame auquel on a échappé : quels dommages un terroriste muni
d'explosifs n'aurait-il pu infliger à la base de MacDill. L'armée de l'air a
envoyé deux chasseurs F-15 depuis la base aérienne de réserve de Homestead
(proche de Miami), environ six minutes après le décollage de Charles Bishop,
mais ils ne sont arrivés à Tampa qu'après le crash.
Le lieutenant colonel
McClain, porte-parole de la base de MacDill, a indiqué qu'il ne pouvait
expliquer pourquoi les avions de combat ont été dépêchés depuis Homestead et non
de MacDill même. Il a indiqué que la base avait été informée par le contrôle
aérien du vol de Charles bishop presque immédiatement, et qu'elle ne l'avait pas
considéré menaçant. "S'il avait procédé à quelque manœuvre menaçante, nous
aurions pu le considérer comme une menace, et agir en conséquence", a-t-il
ajouté.
Les responsables de la police judiciaire ne s'expliquent pas pourquoi
le jeune homme avait développé une sympathie pour Oussama Ben Laden, bien qu'ils
aient passé une journée entière à questionner la mère du jeune homme, Julia
Bishop, dans son appartement de Palm Harbor, au nord de St-Petersburg
(Floride).
Des voisins et des camarades d'école de Bishop, en Floride et dans
le Massachusetts décrivent Charles comme un fils unique qui a passé le plus
clair de son existence en compagnie de sa mère et, parfois, de sa grand-mère
maternelle, Karen Johnson, dans les banlieues de Boston et de St. Petersbourg.
Personne n'a le souvenir d'avoir connu son père.
Des camarades de classe le
décrivent comme un fort en thème qui aimait sa classe et était le "chouchou" de
plus d'un professeur. Il s'intéressait au journalisme et pouvait parler durant
des heures d'avions, ont indiqué certains de ses camarades de classe.
Des
voisins, à Norwell et à Winchester (Massachusetts), où mère et fils ont habité
au début des années quatre-vingt dix, se souviennent du petit Charles comme d'un
gamin comme on en voit beaucoup : il faisait du vélo et avait deux chiens.
D'autres se souviennent d'un jeune garçon très sensible, en admiration devant la
beauté du jardin d'un voisin. Il était calme, poli, parlait bien, avec
éloquence, même, lorsqu'il exprimait ses sentiments et points de vue, ont dit
certains. Pour d'autres, il était plutôt maussade et introverti.
"Il ne
parlait pas à n'importe qui", a dit de lui Brit Schuther, 15 ans, un de ses
voisins de Palm Harbor. "Il aimait rester seul."
Des responsables de
l'Aviation civile ont indiqué qu'il avait étudié dans ce centre depuis le mois
de mars, et qu'il avait enregistré six heures de vol. De temps en temps, il
faisait le ménage, lavait les avions, contre quelques minutes de plus dans les
airs.
3. Israël : notre part de mensonge
par Schlomo Sand
in Le Monde du samedi 5 janvier 2002
(Shlomo Sand est professeur d'histoire à
l'université de Tel-Aviv.)
Nous savons depuis le XIXe siècle avec Ernest Renan que,
pour édifier une nation, il faut non seulement se souvenir, mais aussi oublier.
Le point de vue exprimé dans Le Monde (21 décembre 2001) par Limor Livnat,
ministre israélienne de l'éducation, confirme que la négation des droits d'un
autre peuple nécessite de recourir à ce même mécanisme mental.
Israël : notre
part de mensonge, par Schlomo Sand
Nous savons depuis le XIXe siècle avec
Ernest Renan que, pour édifier une nation, il faut non seulement se souvenir,
mais aussi oublier. Le point de vue exprimé dans Le Monde (21 décembre 2001) par
Limor Livnat, ministre israélienne de l'éducation, confirme que la négation des
droits d'un autre peuple nécessite de recourir à ce même mécanisme
mental.
Au cours des dernières années, en Israël, il nous a été
donné de voir un historien (Shlomo Ben Ami) s'essayer à la politique ; nous
pouvons maintenant voir ce que donne l'écriture de l'histoire par une
politicienne. Encore faut-il souligner qu'en l'occurrence la politicienne qui a
confié à ce journal ses considérations historiographiques n'est pas n'importe
qui, puisqu'il s'agit de la ministre qui s'emploie activement à façonner la
conscience et la mémoire du passé de la jeunesse israélienne.
Limor Livnat est une adepte de l'histoire de la
"longue durée" : elle situe le commencement au XIIe siècle avant notre ère et la
fin au milieu du deuxième millénaire. L'acteur principal en est un "peuple-race"
éternel qui avait réussi à se conquérir un territoire au tout début de
l'histoire, mais qui, comme les premiers Espagnols au VIIIe siècle, avait vu sa
terre occupée par de méchants Arabes. Toutefois, tout comme les Espagnols qui
expulsèrent les Arabes après huit siècles de présence, les juifs parvinrent, eux
aussi, à se réapproprier leur terre après mille deux cents longues
années.
Durant ce très long exil, les juifs rêvèrent de regagner
leur patrie, ce qui ne fut possible qu'avec l'affaissement de l'Empire ottoman.
En 1947, la souveraineté des juifs sur leur terre fut proclamée, et, comme ils
avaient le cœur généreux, ils acceptèrent de se contenter de 10 % du territoire
de la Palestine mandataire. La guerre de 1967 leur permit d'élargir leur
territoire et d'accomplir ainsi la justice immanente de l'Histoire. Mais ne
voilà-t-il pas que resurgirent alors d'étranges Arabes, avec à leur tête un
Egyptien nommé Arafat, qui, par leurs revendications infondées, prétendirent
porter atteinte à la vision historique magnifique du retour d'un peuple sans
terre sur une terre sans peuple !
Je ne sais si la lecture d'un tel récit doit prêter à rire
ou à pleurer. Puisque Auschwitz est aussi évoqué – et comment ne le serait-il
pas ? –, il nous faut bien pleurer. Soyons juste : Limor Livnat n'est pas la
seule patriote au monde à croire à l'antériorité quasi éternelle de la nation
dont elle se revendique. Nombre de nationalistes, dans le monde entier, ont
procédé ainsi et se sont inventé un passé historique imaginaire, pas toujours
pour justifier au présent une politique cruelle.
La plupart des manuels d'enseignement en Israël regorgent
de considérations semblables à celles de Limor Livnat, qui en est elle- même
nourrie et qu'en sa qualité de ministre de l'éducation elle s'emploie de son
mieux à faire reproduire dans les cerveaux des petits et des
grands.
Les premières tentatives visant à reconsidérer cette façon
d'écrire l'histoire, apparues lors des brèves années d'Oslo, ont été réfrénées
par la ministre militante dès sa prise de fonctions. Elle avait été aidée en
cela par l'impéritie stratégique d'Ehoud Barak, qui avait préparé le terrain
pour le retour en force d'une "mémoire juive" bien aux normes.
Je recommanderais, par exemple, à Mme la ministre de lire
les études d'archéologues israéliens importants que leurs recherches ont
conduits à réfuter l'idée de la conquête de Canaan par les Hébreux et, partant,
du génocide qu'ils auraient exécuté sur instruction divine. J'imagine toutefois
que, pour Limor Livnat, la Bible est un livre d'histoire crédible et que le
cruel génocide a bien eu lieu.
J'essaierais également de convaincre Mme Livnat qu'au
VIIIe siècle il n'y avait pas encore de nation espagnole et que, précisément, la
conquête musulmane de la presqu'île ibérique apporta aux juifs un âge d'or sans
équivalent dans aucun royaume chrétien. Je crains cependant que cette version
historique ne puisse être entendue alors qu'aujourd'hui le monde occidental
tresse des couronnes à la civilisation "judéo-chrétienne" et associe l'islam à
l'intolérance et à la terreur.
Il faudrait aussi rappeler à Limor Livnat que, selon la
croyance juive millénaire, "Sion" ne constituait pas une patrie, mais un lieu
saint vers lequel il ne sera permis d'émigrer qu'après la rédemption. C'est
d'ailleurs pourquoi les juifs de Babylone, se sentant menacés, partirent vers
Bagdad et non pas à Jérusalem, bien que les deux cités appartinssent au même
royaume. Mais tout cela est peine perdue, car Limor Livnat semble trop éloignée
de la compréhension de toute religiosité juive.
Il faudrait encore attirer l'attention de Limor Livnat sur
une autre erreur : la ministre se trompe quand elle affirme que la résolution de
l'ONU de 1947 a accordé 10 % du territoire de la Palestine du Mandat aux 620 000
juifs présents. En fait, ils en obtinrent 60 %, alors que 1 300 000 Arabes
reçurent 40 % du territoire. Limor Livnat ignore apparemment les frontières de
la Palestine mandataire fixées en 1922 après la création du royaume de
Transjordanie.
Je fais partie des Israéliens qui ont cessé de revendiquer
pour eux-mêmes des droits historiques imaginaires : si l'on invoque, en effet,
des frontières ou des "droits" remontant à deux mille ans pour organiser le
monde, nous allons le transformer en un immense asile psychiatrique. De même, si
nous continuons à éduquer les enfants israéliens sur la base d'une mémoire
nationale à ce point contrefaite, nous ne parviendrons jamais à un compromis
historique durable.
Je fais mienne la métaphore de l'historien Isaac
Deutscher, qui a comparé la création de l'Etat d'Israël à la situation d'un
homme qui saute d'une maison en flammes et qui atterrit durement sur un autre
homme qui se trouve devant le seuil de la maison, et à qui, bien sûr, est causé
un dommage. Le jugement moral à porter sur l'homme qui a sauté de la maison est
relatif.
La conquête des territoires en 1967 peut donner lieu à une
autre métaphore : un autre homme descend les marches d'une maison qui ne brûle
pas et va piétiner l'homme blessé qui gît ligoté. Jusqu'en 1948, les colons
juifs peuvent être considérés comme des réfugiés apatrides. A partir de 1967,
les colons qui vont s'installer dans les territoires occupés proviennent d'un
Etat qui leur assure une souveraineté. Ce n'est pas la première fois ni,
semble-t-il, la dernière que des persécutés deviennent
persécuteurs.
Le refus de Limor Livnat de reconnaître un Etat
palestinien dans les frontières de 1967 est un appel à continuer le piétinement.
De même, son refus de reconnaître la nécessité d'une certaine réparation, dans
la mesure du possible, de l'injustice commise en 1948 empêche de progresser dans
les négociations qui sont à renouer. De ce point de vue, Ehoud Barak ne lui a
pas été vraiment supérieur : le prisonnier bénéficie aussi d'une autonomie sur
90 % du territoire de sa cellule !
En 1993, Itzhak Rabin a commencé l'évacuation des
territoires occupés. Le drapeau palestinien a flotté sur Jénine et Ramallah.
Cependant, parallèlement à ce processus politique, la plupart des historiens
israéliens n'ont pas entrepris l'œuvre de déminage de la mythologie qui a amené
beaucoup d'Israéliens à croire que ces territoires font partie intégrante de la
patrie indivisible. Par la reproduction de ces mensonges historiques, les
historiens ont aussi leur part dans la dégradation actuelle. Les politiciens de
droite et de gauche comme Mme Livnat ou M. Barak qui ont poursuivi
systématiquement une politique de colonisation dans les territoires occupés
perpétuent l'entreprise de façonnement idéologique de la mémoire.
S'il appartient aux Israéliens d'apprendre une histoire
plus crédible que celle proposée par Limor Livnat, les Palestiniens devraient
également se pénétrer de la raison douloureuse selon laquelle on ne réparera pas
une injustice historique au prix d'une nouvelle injustice. Bien que cela soit
difficile pour eux, il faut bien le dire : la proclamation du droit au retour
des réfugiés dans les territoires d'avant 1948 équivaut de fait à un refus de
reconnaître l'Etat d'Israël. Les Israéliens doivent, bien sûr, évacuer tous les
territoires conquis en 1967, y compris la partie arabe de Jérusalem, cependant
que les dirigeants palestiniens doivent formuler un projet de compromis
s'agissant des conséquences tragiques de 1948 et ne pas continuer à nourrir les
illusions de leurs compatriotes.
Comme partie du peuple occupant, il ne m'est pas aisé – et
peut-être n'en ai-je pas le droit – d'indiquer la voie au peuple occupé. Mais
plus le temps passe et plus le cauchemar s'épaissit.
James Joyce, dans Ulysse, fait dire à son personnage,
professeur d'histoire, qu'elle est un cauchemar dont il tente de se réveiller.
Il y a tout lieu de craindre que les leçons d'histoire dispensées par la
ministre israélienne de l'éducation n'empêchent à jamais le réveil. (traduit de
l'hébreu par Michel Bilis)
4. Sharon-Arafat : Jacques Chirac
dénonce des "conditions irréalisables"
Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi
4 décembre 2002, 17h35
PARIS - Le président Jacques Chirac a dénoncé
vendredi les "conditions irréalisables" exigées du président palestinien Yasser
Arafat par le Premier ministre israélien Ariel Sharon et a appelé parallèlement
l'Autorité palestinienne à "être sans faiblesse à l'égard du terrorisme".
Le
chef de l'Etat, qui recevait à l'Elysée les voeux du corps diplomatique, a
déploré qu'Israéliens et Palestiniens se soient "enfermés dans un cycle
infernal, perdant de vue l'essentiel : la sécurité pour les Israéliens, dans un
environnement pacifique, propice à la coopération; la création d'un Etat viable
pour les Palestiniens, assurant le progrès dans la dignité".
"La peur, la
frustration et la colère doivent être surmontées", a-t-il lancé. "L'Autorité
palestinienne doit être sans faiblesse à l'égard du terrorisme car il conduit la
Palestine au chaos. Israël ne doit pas affaiblir Arafat et subordonner la
reprise du dialogue à des conditions irréalisables car cela rend les extrémistes
arbitres du jeu."
M. Chirac a souhaité que, comme en 2000 à Charm-el-Cheikh
(Egypte), une "table de négociations" réunisse à nouveau les deux parties
"autour de pays amis". "Je souhaite le plein engagement des Etats-Unis, avec le
concours de l'Europe, pour imposer cette voie, car il n'y en a pas d'autre",
a-t-il ajouté.
5. Israël - L'inflexibilité érigée en
politique
in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du
vendredi 28 décembre 2001
L'interdiction par Ariel Sharon à Yasser Arafat de se
rendre à la messe de Noël à Bethléem, malgré les nombreuses médiations ou
protestations internationales, illustre l'essence de la politique israélienne:
l'inflexibilité. Allié privilégié de l'hyperpuissance américaine, toutes les
pressions semblent impuissantes à empêcher Israël de réaliser ses
objectifs.
Dans toutes les entreprises coloniales, l'humiliation des
colonisés était un élément central du dispositif général de domination des
colonisateurs. La domination dans le champ symbolique était le complément direct
et la condition d'un renforcement de la domination militaire, politique ou
économique. Ebranler l'équilibre psychologique des peuples destinés à
l'assujettissement était le moyen de briser toute volonté de résistance et faire
accepter la servitude. Le penseur algérien Malek Ben Nabi avait élaboré un
concept pour désigner l'Etat mental et psychologique produit par ces politiques
coloniales: la «colonisabilité».
Palestiniens humiliés
Dans le système
colonial israélien, le dispositif général de domination et de contrôle
«institutionnalise» l'humiliation des Palestiniens. Des «check-points» en
passant par les bouclages des villes et villages, les punitions collectives, les
arrestations arbitraires, les agressions des colons, etc. En empêchant Yasser
Arafat de se rendre à la messe de minuit à Bethléem malgré les médiations et les
protestations internationales, Ariel Sharon cherchait à signifier au peuple
palestinien tout entier que son destin collectif dépendait de son bon vouloir.
Cette politique apparaît comme la version locale de l'offensive générale lancée
par les Etats-Unis à l'échelle planétaire.
A l'origine de l'inflexibilité
israélienne et américaine dans les politiques menées vis-à-vis des pays de la
région, il y a une appréciation partagée du contexte politique actuel: un
alignement de la quasi-totalité des régimes arabes sur la politique américaine
et une «capacité de nuisance» paralysée de la «rue arabe». S'agissant de cette
fameuse «rue», Robert Malley souligne que «de son silence, semblent découler,
aux Etats-Unis tout du moins, d'irrésistibles conclusions. Tout d'abord, que
l'opinion publique arabe ne respecte rien tant que la force et la puissance. Un
influent commentateur américain conservateur remarquait il y a peu que pour
dompter la rue arabe, il fallait non pas l'apaiser, mais au contraire la faire
trembler, ce à quoi deux mois de bombardements intensifs en Afghanistan...
seraient largement parvenus».
Un alibi nommé antiterrorisme
La
nouvelle configuration internationale est estimée plus que favorable par
l'establishment politico-militaire israélien, toutes tendances politiques
confondues. Ainsi, pour Ephraïm Halevy, chef du Mossad, «affronter le terrorisme
n'est pas une guerre où l'on défait l'ennemi pour l'inviter à négocier la paix.
Il faut détruire l'assaillant et anéantir toute forme de soutien dont il
bénéficie... Les musulmans sont répandus dans le Moyen-Orient mais aussi dans le
reste du monde, surtout en Europe. Cette guerre est celle de leur cœur et de
leur âme». De son côté, Ehud Barak considère que «tous les derniers
développements sont bons pour Israël parce que le monde a pris conscience des
dangers du terrorisme». A ses yeux, comme à ceux d'une majorité de responsables
politiques ou militaires israéliens, il s'agit d'une occasion sans précédent
pour obtenir une caution internationale à la politique israélienne et aux
pratiques de l'armée d'occupation sous couvert de lutte antiterroriste. Deux
opinions se dégagent du débat en Israël quant à la stratégie à suivre et surtout
un objectif à atteindre. D'une part, Sharon et ses partisans, qui préconisent
une destruction méthodique de l'Autorité palestinienne et une liquidation
politique de son chef Yasser Arafat.
L'objectif à atteindre est le maintien
de l'occupation israélienne sur la majeure partie des territoires palestiniens
et la continuation de la colonisation et de la politique d'encouragement à
l'immigration des Juifs du monde vers Israël. Des émissaires du gouvernement
israélien auraient été envoyés en Argentine, par exemple, pour inciter les
membres de la communauté juive de ce pays à émigrer en Israël suite aux émeutes
populaires qu'il a connues. D'autre part, ce qui reste du parti travailliste qui
soutient la politique de Sharon tout en prônant une séparation unilatérale
résultant d'un retrait israélien d'une partie des territoires palestiniens. Dans
un entretien qu'il a accordé au quotidien Libération, Barak affirme que
s'agissant de la gestion du conflit avec les Palestiniens, «Sharon agit
tactiquement comme il le faut. Même si l'on est critiqué à l'égard de Sharon, on
ne peut pas vraiment le blâmer pour la façon dont il gère la crise». Il expose
ensuite sa stratégie en trois points: «D'abord, combattre la terreur par tous
les moyens, assassinats ciblés, incursions... ce que fait déjà ce gouvernement.
Ensuite, laisser la porte grande ouverte à la reprise des négociations n'importe
quand et sans précondition sur la base de Camp David et non de Taba, qui n'était
pas vraiment une négociation. Enfin, puisqu'on n'a pas trouvé de partenaire avec
qui conclure un accord, je suggère que l'on relance le projet de séparation
unilatérale dans les quatre ans qui viennent. Cela consisterait à ériger 800
kilomètres de barrières entre Israël et la Cisjordanie, sur le mode de ce qui a
été fait autour de la bande de Gaza, afin d'empêcher les terroristes de venir
perpétrer des attaques en Israël. On ne garderait que de gros blocs
d'implantations, qui pourraient représenter jusqu'à 20% de la Cisjordanie. Mais
je suggère que l'on ne les annexe pas formellement à Israël, afin de ne pas
compromettre les chances d'une reprise des négociations. Quant aux petites
implantations isolées, on ne les démantèlerait pas tout de suite, afin de ne pas
donner l'impression que l'on récompense la terreur. Mais on dirait haut et fort
que l'on est déterminé à le faire.» Il terminera sur une mise en garde des
dangers du report de l'application de la séparation unilatérale en considérant
qu'Israël se trouvera dans une situation comparable à la Bosnie ou à l'Afrique
du Sud. Convergence sur la politique de répression suivie, légère nuance sur
l'objectif à atteindre... le «front intérieur» est suffisamment uni pour
permettre à Sharon de continuer sans craindre la moindre crise politique.
Les
Palestiniens resserrent les rangs aussi. Après les craintes soulevées par les
affrontements entre la police palestinienne et les partisans du Hamas et du
Djihad islamique, l'annonce par ces deux organisations d'un arrêt des opérations
kamikazes dans les territoires de 1948 témoigne de leur volonté de préserver
l'unité nationale palestinienne dans cette période critique. L'adoption par
l'ensemble des composantes du mouvement national palestinien d'une posture
«défensive» concentrant la lutte contre l'armée d'occupation et les colons dans
les territoires de 1967 doublée d'une offensive médiatique visant à montrer à
l'opinion publique mondiale le vrai visage de l'occupation (la commémoration de
la messe de Bethléem en l'absence d'Arafat, dont le fauteuil a été
symboliquement recouvert d'un keffieh, est un exemple).
Abandonnés par leurs
«frères» arabes, les Palestiniens continuent leur marche sur le chemin du
Golgotha avec comme seule consolation l'espérance de pouvoir être libres... un
jour.
6. "Nous devons montrer à l'opinion occidentale le
terrorisme d'Israël" - Interview de Saïd Kamal propos recueillis par
Randa Achmawi
in Al-Ahram Hebdo (hedbomadaire égyptien) du
mercredi 26 décembre 2001
Secrétaire général adjoint de la
Ligue arabe chargé de la Palestine, Saïd Kamal évoque la politique arabe et
palestinienne face à l'escalade militaire israélienne et la tentative de
Tel-Aviv de discréditer et d'affaiblir le président Arafat.
— Al-Ahram Hebdo : Comment réagissez-vous à
la politique du premier ministre israélien, Ariel Sharon, qui utilise la manière
forte contre l'Autorité palestinienne et ses infrastructures et ne considère
plus le président Yasser Arafat comme un partenaire valable pour le processus de
paix au Proche-Orient ?
— Saïd Kamal : Notre position commune,
décidée lors de la dernière réunion des ministres arabes de Affaires étrangères,
au Caire, est une réponse à cela. Les pays arabes ne considèrent pas non plus
Sharon comme un partenaire pour le processus de paix. Ceci parce que son
histoire personnelle, sa conduite et sa politique montre qu'il ne peut être un
partenaire pour la paix. Il mène une politique de terrorisme d'Etat contre le
peuple palestinien, sous forme d'assassinat d'activistes, de démolitions et
d'expropriations de maisons ainsi que de destructions des terres agricoles
palestiniennes. Sans compter la poursuite de la politique d'expansion des
colonies de peuplement juives dans les territoires occupés.
Sharon est le
maître du terrorisme. Il est responsable d'un ensemble de massacres de civils
palestiniens innocents dans le passé, ainsi que l'assassinat du comte Bernadot.
Malheureusement, l'opinion publique mondiale continue à fermer les yeux sur une
vérité évidente : Sharon est le roi du terrorisme. Il est triste de constater
que de nombreuses voix en Occident continuent à présenter Israël comme un Etat
en situation d'autodéfense, victime du terrorisme et de la violence, et elles
oublient que c'est l'Etat hébreu qui prêche et provoque la violence. C'est pour
cette raison que je demande à ces voix injustes en Occident de se taire parce
que l'Histoire est claire et est là pour témoigner de ses faits. Au cas où elles
ne sont pas au courant de ce que je dis, nous pouvons leur envoyer des experts
et les preuves irréfutables sur ceux qui ont introduit le terrorisme dans la
région. Pour cela, il faudrait demander aux services de renseignements
américains de faire sortir de leurs dossiers certaines vérités, comme par
exemple l'évidence sur qui a été le responsable de l'attaque contre le navire
Liberty en 1967.
L'Histoire nous a montré qu'Israël ne veut pas vivre en paix
avec les Palestiniens. Ceci, parce qu'au moment où les Arabes ont abandonné la
logique de guerre pour celle de la paix, avec le processus de paix entamé par
l'Egypte, Israël s'est rendu compte que la paix n'était pas non plus dans son
intérêt puisqu'elle représenterait, selon lui, un danger pour lui et ses
générations futures. En vérité, les Israéliens ne veulent pas la guerre mais ne
veulent pas la paix non plus. Pour cette raison, je pense que nous avons devant
nous de longues batailles médiatiques pour expliquer en détail cette réalité aux
responsables et aux opinions publiques en Occident. Ceci est une version des
choses qu'on ne présente pas souvent au grand public.
En fait, en parlant de
responsables, je pense que beaucoup d'entre eux sont conscients de cette vérité
mais lorsqu'il s'agit de prendre des décisions ce sont les intérêts du lobby
juif et son influence sur ces sociétés qui prennent le dessus.
— Le
sommet européen de Laeken en Belgique a pourtant pris une position favorable au
président Arafat, le considérant comme le seul interlocuteur de paix d'Israël
...
— Ceci est vrai et à cause de cela le communiqué final de la
réunion des ministres arabes des Affaires étrangères arabes au Caire a lancé un
appel aux pays de l'Union européenne ainsi qu'aux membres permanents du Conseil
de sécurité des Nations-Unies pour qu'ils fassent un effort et tentent de
persuader les Etats-Unis de prendre une position juste sur la question
israélo-palestinienne. Nous ne sommes pas en désaccord avec la position
européenne. Je dirais plutôt que nous sommes d'accord d'une manière indirecte
avec les dispositions contenues dans le document émis à Laeken.
La preuve est
que nous leur demandons de faire des efforts avec les autres membres du Conseil
de sécurité pour persuader les Etats-Unis d'avoir une position plus juste. Ceci
en faisant allusion au dernier discours prononcé par le président
Arafat.
— Pensez-vous que les Etats européens et arabes parviendront
à convaincre les Etats-Unis de jouer un rôle plus équitable dans le processus de
paix, alors qu'ils viennent d'opposer leur veto à un projet de résolution du
Conseil de sécurité exigeant l'envoi d'observateurs internationaux pour protéger
les Palestiniens ?
— Ce veto n'a fait que renforcer encore plus
Ariel Sharon. Les Etats-Unis ont de cette manière encouragé Sharon à poursuivre
sa politique de violence féroce contre le peuple palestinien. C'est pour cela
que les ministres arabes des Affaires étrangères ont fait un appel commun aux
Etats-Unis pour qu'ils entreprennent des pas clairs et des mesures légales,
visant à mettre en pratique les propositions émises par le secrétaire d'Etat
américain, Colin Powell, lors de son discours.
Nous aimerions que les
Etats-Unis décident finalement de jouer un rôle d'arbitre et de médiateur neutre
et qu'ils revoient leur position de soutien aveugle à la politique extrémiste
d'Israël. Un soutien qui s'est manifesté par leur usage du veto en faveur
d'Israël lors de la dernière réunion du Conseil de sécurité des
Nations-Unies.
— Que pensez-vous des dissensions inter-palestiniennes
entre l'Autorité d'autonomie et le Mouvement de la résistance palestinienne (le
Hamas). Pourraient-elles nuire à la cause palestinienne ?
— Nous
considérons que ce qui se passe en Palestine est une question interne et qu'il
ne revient pas aux pays arabes d'interférer en quoi que ne soit.
Nous sommes
venus (à la conférence ministérielle de la Ligue arabe) pour manifester notre
appui inconditionnel à la politique du président Arafat visant à faire face à
l'occupant israélien. Notre objectif était de répondre à certaines voix qui se
sont levées pour dire qu'il y avait des divergences entre les Arabes sur
certains points. Il y avait par exemple des divergences sur le cessez-le-feu
imposé par Abou-Ammar (nom de guerre de Yasser Arafat) dans les territoires
palestiniens. Réagissant à ceux qui sont contre cette mesure, le ministre
palestinien du Plan et de la Coopération internationale, Nabil Chaath, a été
très clair. Il a dit que l'ancien président égyptien, Gamal Abdel-Nasser, avait
imposé un cessez-le-feu en 1967 et l'ex-président syrien, Hafez Al-Assad, avait
fait de même en 1974. Aucun de ces deux chefs d'Etat n'a été jugé comme un
traître en raison de cette décision. Nous pensons qu'Arafat a le plein droit de
gérer sa lutte contre l'occupant israélien de la manière qu'il juge adéquate,
selon sa vision et ses conceptions des événements.
— Comment vous
voyez l'avenir du processus de paix à la lumière de l'escalade militaire
israélienne et la volonté apparente du gouvernement Sharon d'en découdre avec
l'Autorité du président Arafat ?
— Malgré l'obscurité imposée aux
Palestiniens par le cours des événements, la persévérance et la détermination à
avoir un Etat indépendant établi dans des conditions justes finira par prendre
le dessus. Le peuple palestinien sera parfaitement capable de s'organiser de
façon à faire face à ces attaques dont ils sont victimes de la part de Sharon.
Et j'irai jusqu'à dire que cette politique israélienne est le début de la fin de
Sharon.
7. L'antisémitisme se répand en
Europe : il faut tout faire pour s'y opposer avec force. La victoire sur Arafat
permettra d'écraser la tête de ce serpent qu'est l'antisémitisme par
Ouri Dan
in Ma'ariv (quotidien israélien) du 20 décembre 2001 repris dans
Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londre) du vendredi 21 décembre
2001
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
L'ambassade des Etats-Unis à Paris
ressemble à une forteresse. Pour rejoindre mon hôtel, situé derrière cette
ambassade, je dois franchir les barrages de la police. Ceux-ci occasionnent des
embouteillages dans ce beau quartier de la capitale française aux rues
grouillantes de monde, en cette veille de Noël et de Jour de l'An.
Les
autorités françaises n'épargnent aucun effort, conjointement avec leurs
homologues aux Etats-Unis, afin d'assurer la sécurité après les attentats du 11
septembre. Et en particulier depuis l'arrestation par les Français de musulmans
originaires d'Afrique du Nord qui préparaient un attentat contre l'ambassade
américaine à Paris. Les arrestations (dans les milieux islamistes) se sont
étendues à la Belgique, pays dans lequel, à l'instar de la France, se sont
constituées d'importantes communautés musulmanes, dans lesquelles Oussama Ben
Laden, en particulier mais, plus généralement, le phénomène du "martyre",
jouissent d'un soutien non dissimulé.
Tous ces gens suspects ne parviennent
pas à ternir la beauté de Paris, mais toutes les illuminations de la
Ville-lumière ne parviennent pas à faire oublier la grosse tache sombre
laissée par l'antisémitisme qui s'est emparé des moyens d'information en France.
Sous couvert de critiques incessantes de la politique israélienne vis-à-vis de
Yasser Arafat, et de présentation d'Israël en tant que puissance occupante
opprimant les "pauvres Palestiniens", c'est à une attaque en règle contre l'Etat
juif, à une campagne de désinformation de nature ouvertement antisémite, que
l'on assiste dans les médias français, écrits et électroniques.
Le plus
grave, c'est que des écrivains juifs ou israéliens résidant en France et
appartenant à la gauche-cinglée, sont les jouets de l'antisémitisme. Lorsqu'on
demande (aux Français) pourquoi les articles de leurs journaux, tel Le Monde,
sont à sens unique, ils marmonnent : "Que voulez-vous ? Nous avons invité un
Juif français (ou un Juif israélien) à apporter une réponse, mais ce Juif
s'opposait lui aussi à la politique de Jérusalem"... Inutile de tenter
d'expliquer que le Juif en question appartenait lui aussi à cette gauche extrême
qui hait tout ce qui est juif et/ou sioniste.
Quant aux Juifs âgés, qui ont
échappé aux griffes du nazisme et de ses collaborateurs français, et qui vivent
encore à Paris, les accusations lancées contre Israël par les médias français
leur remémorent les libelles antisémites de régime de Vichy, sous l'Occupation.
Même chose à Bruxelles, où une campagne antisémite analogue bat son plein,
si ce n'est qu'elle est encore plus virulente. Parfois, les médias belges sont
plus pernicieux que leurs confrères français dans leurs attaques contre Israël
et le gouvernement d'Ariel Sharon. Les journalistes de Bruxelles savent bien que
leur gouvernement joue un double jeu et cela leur plaît fort.
D'un côté, le
gouvernement belge, qui préside actuellement aux destinées de l'Union
Européenne, prétend qu'il ne saurait exercer une quelconque autorité sur le
pouvoir judiciaire chez lui, tandis que, de l'autre, des mesures
juridictionnelles fallacieuses sont intentées contre Ariel Sharon afin de faire
pression sur celui-ci pour qu'il se soumette aux injonctions de l'Union
Européenne, au profit d'Arafat.
Il est parfaitement clair, désormais, que si
le gouvernement belge était tellement soucieux de justice et d'équité, il aurait
repoussé la plainte contre Ariel Sharon. Notons - coïncidence ? -qu'en Belgique
aussi, les médias sollicitent abondamment les commentaires de Juifs dont
certains sont des ignorants tandis que les autres sont prisonniers de la haine
d'eux-mêmes.
Il y a quelque semaines, l'hebdomadaire français Nouvel
Observateur a publié une fausse nouvelle empruntée à un quotidien anglais, selon
laquelle les soldats de l'armée israélienne violeraient les femmes
palestiniennes, moyen de provoquer leur assassinat par des membres de leur
famille, "obligés" de "venger l'honneur". C'est Sarah, la fille de Jean Daniel,
célèbre rédacteur en chef de l'hebdomadaire, qui a répandu ce bobard atroce. M.
Daniel a présenté ses excuses, dans un long éditorial embarrassé et laborieux,
au lieu de demander pardon à l'armée israélienne et au gouvernement israélien,
d'une manière simple et claire, coupant court à toute ambiguïté. Mais Roger
Cukierman, président du CRIF, a refusé ces excuses insincères.
Au moment où
Israël mène un combat très dur, mais victorieux, contre Arafat, nous ne devons
pas oublier de traiter le second front de l'antisémitisme en Europe. Ce n'est
pas là une tâche à la portée des seuls hommes de loi et des seuls prédicateurs.
Il faut de toute urgence mettre sur pied une instance spécialisée dans la lutte
contre l'antisémitisme et que tous les Juifs y contribuent, où qu'ils se
trouvent. La victoire - attendue - sur Arafat contribuera à écraser le serpent
de l'antisémitisme, qui vient (malheureusement) de relever sa tête
repoussante.