SOLIDARITÉ - Manifestation de soutien au peuple palestinien
ce samedi 12 janvier 2001 à 14h30 sur le Vieux-Port de Marseille
(une marche pacifique sera organisée jusqu'au Consulat général d'Israël)
                                       
                                  
Point d'information Palestine > N°183 du 10/01/2002

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Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
                                       
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Nous vous présentons nos meilleurs vœux pour l'année 2002
                        
Au sommaire
                   
Témoignage
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des citoyens de Palestine ou des observateurs. Ils sont libres de droits.
En attendant la neige...La vie continue par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
                           
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG.
1. Juive ou antisemite ? par Annie Cyngiser
2. L'Histoire oubliée... par Tarik  Tazdaït
3. "Israël doit intégrer l'Union européenne" - Interview de François Zimeray, député français du parti socialiste au Parlement européen et 1er vice-président de la délégation européenne des relations avec Israël, diffusée sur Radio judaïque (Paris 94.8) le jeudi 27 décembre 2001.
4. Déchaînement du Mal par Tanya Reinhart [traduit de l'anglais par Giorgio Basile]
5. Comment expliquer à David, à Mohammed et à Pierre par Nadia Burgrave, Alain Dufour et Vincent Mespoulet
6. Lorsque "Libération" s'égare... par Michel Barak
7. Pas de "saison" palestinienne par Uri Avnery (5 janvier 2002) [traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
8. Si j'étais Mofaz par Uri Avnery (29 décembre 2001) [traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
                          
Revue de presse
1. Sharon le serein par Sylvain Cypel in Le Monde du mardi 8 janvier 2001
2. Le kamikaze teenager de Tampa a laissé une note saluant les attentats du 11 septembre par David Firestone in The New York Times (quotidien américain) du lundi 7 janvier 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. Israël : notre part de mensonge par Schlomo Sand in Le Monde du samedi 5 janvier 2002
4. Sharon-Arafat : Jacques Chirac dénonce des "conditions irréalisables" Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 4 décembre 2002, 17h35
5. Israël - L'inflexibilité érigée en politique in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 28 décembre 2001
6. "Nous devons montrer à l'opinion occidentale le terrorisme d'Israël" - Interview de Saïd Kamal propos recueillis par Randa Achmawi in Al-Ahram Hebdo (hedbomadaire égyptien) du mercredi 26 décembre 2001
7. L'antisémitisme se répand en Europe : il faut tout faire pour s'y opposer avec force. La victoire sur Arafat permettra d'écraser la tête de ce serpent qu'est l'antisémitisme par Ouri Dan in Ma'ariv (quotidien israélien) du 20 décembre 2001 repris dans Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 21 décembre 2001 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
                                       
Témoignage

                                               
En attendant la neige...La vie continue par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
Samedi 5 janvier 2002 - Ces derniers jours, j'ai lu dans les dépêches que tout va mieux décidément en Palestine: Zinni est de retour, les chars reculent.
Bien sûr, j'ai voulu constater par moi-même. Et il est vrai que j'ai eu une surprise jeudi dernier (3 janvier) en traversant Qalandia: «Maftuh!» (ouvert)!
Du coup, on passe sans même descendre du taxi! Incroyable...! Cependant, il y a une contrepartie: l'autre check, celui qui est situé juste avant la commune de Beit Hanina, n'est, certes, pas fermé, mais les contrôles de sécurité sont plus longs que d'habitude... un petit bémol donc.
Quant aux chars, ils ont reculé (dans certains endroits seulement)... de quelques dizaines de mètres! Évidemment, si je vois un char à 250 mètres de ma maison, je suis beaucoup moins affolée que quand il se trouve à 200 mètres...
Autre check encore, et cette fois celui de Bethléem (où les orthodoxes s'apprêtent à fêter Noël. À ce sujet, j'ai appris que les Arméniens fêtaient Noël, eux, le 18 janvier... Vous avez encore le temps d'acheter vos billets pour la messe de minuit...)
Surprise! En ce jeudi matin, il n'y a pas une voiture au check! Pas de piétons non plus! Je passe et je me retrouve sur le petit chemin que je vous ai déjà décrit. De loin, adossé à la rampe, un soldat emmitouflé dans sa combinaison, un fusil mitrailleur en bandoulière.
Je me mets à marmonner dans mes moustaches (la vue d'un soldat commence à provoquer des réactions bizarres dans ma tête...) Je marmonne des choses du style: «complètement tarés!» Et je marche toujours. J'arrive près du soldat. Et je vois ce qui m'était caché par le coude que forme le chemin: une dizaine de Palestiniens, adossés au mur. Entre eux et le soldat, il n'y a pas un mètre. Ils attendent... Leurs papiers ont été confisqués. Rien à faire. Ils attendent... Ça peut durer dix minutes ou cinq heures, selon l'humeur du soldat.
Je continue à marmonner, un peu plus fort. Hélas, à part attendre avec eux (et il n'est pas certain que ça arrange les choses...) je ne peux rien faire. J'ai vu de nombreuses fois ce genre de choses. À chaque fois, je ressens le poids de mon impuissance. Et ça fait mal. Je sens aussi une colère sourde monter en moi pour ces gens qui en humilient d'autres. J'ai honte. Une fois de plus.
Mais Zinni est là. Tout va bien, donc! Dommage que Zinni n'ait pas été avec moi ce jour-là à cet endroit-là. Il en aurait appris plus qu'en allant rendre visite à je ne sais trop qui.
Ce samedi soir, je suis à Dheisheh. Il y avait un cours pour les adultes. Demain, il va peut-être neiger...
- S'il neige, on va faire un bonhomme de neige, avec des carottes et un chapeau et tout! Tu viens, hein?
- Bof, moi tu sais, la neige je connais... il y en a souvent dans le nord de la France...
- Viens quand même!
- OK.
Et j'ai donc promis de participer aux parties de boules de neige et autres réjouissances d'hiver... Je vous rappelle que je n'aime pas la neige... S'il neige, demain, les enfants s'amuseront... ce qui leur fera du bien après cette journée.
Rassurez-vous, il n'y a pas eu de mort aujourd'hui dans le camp. Mais aujourd'hui nous célébrions les «quarante jours». En Islam, quarante jours après le décès de quelqu'un, on organise une sorte de réception qui va clore la période officielle de deuil.
Il y a quarante jours mourait Kifah, d'une balle dans le dos. Je vous ai parlé de lui dans un précédent message. [Cf. Point d'information Palestine N° 179 du 03/12/2001] Il avait 13 ans. Il faisait partie de l'équipe de foot de l'association pour laquelle je travaille dans le camp. Ses amis de l'association ont organisé, aujourd'hui à 17h, une réception. Ses copains de foot et d'école portaient chacun un tee-shirt sur lequel était imprimée la photo de Kifah.
La famille de Kifah était là. Et tous ceux qui le connaissaient. Dont moi. Les enfants au tee-shirt sont montés sur la scène. Ils y ont chanté l'hymne palestinien. Je les connais, ces gosses. Parmi eux, Itham qui pleurait le jour des funérailles. Le meilleur copain de Kifah. Parmi eux encore, Ahmad, un de mes meilleurs élèves. Vif et intelligent. Il chante d'une voix forte. La main sur le cœur. Les yeux levés au ciel. Itham, lui, baisse la tête.
Les gosses chantent. Puis, des responsables politiques prennent la parole. Les enfants brandissent les objets personnels de Kifah: son maillot, son short, ses chaussures de foot, son cartable, ses cahiers, son keffieh, sa fronde (oui, il en avait une, et oui, il s'en servait). On nous passe ensuite un petit film où on nous retrace l'histoire de Kifah, de sa famille, des réfugiés, de leurs vies à eux tous ici. Un deuxième film ensuite. Ses profs nous parlent de lui. Dans son école. Ses copains de classe. J'en connais beaucoup. Itham prend la parole.
- Il adorait les blagues. Tout le camp savait qu'il adorait les blagues.
Puis Ahmad:
- Il était toujours prêt à m'aider pour mes devoirs.
Un autre encore prend la parole. Il nous dit deux mots et puis, les yeux baissés, mal à l'aise, il nous dit «bass» (ça suffit).
L'entraîneur de l'équipe de foot nous parle aussi de Kifah: «C'était un gamin obéissant.»
Derrière moi, une vieille femme pleure en répétant «la illah ha ila allah». Près de moi, Suzan, palestinienne, infirmière ici, sèche ses larmes. Sur ma gauche, Haed, 18 ans, l'un de mes étudiants. Lui aussi pleure.
Enfin, un dernier film nous le montre après qu'il a été blessé. Ses copains l'emportent vers l'ambulance. Puis son corps à l'hôpital, sa mère qui pleure, son père qui caresse son petit visage. Je pense aussitôt à ce qu'on disait en France et ailleurs sur les mères palestiniennes qui envoient leurs gosses à la mort, sur ces mères sans cœur qui ne pleurent pas leurs gosses. Du moins pas comme nous.
Enfin, les funérailles. Son père que l'on doit soutenir. Itham qui pleure dans les bras d'Ahmad.
Les gosses remontent sur scène: pour tous les Kifah, tous les Mohammad ad-Durra, tous les Faris Odeh, ils chantent, à plein poumon: «enfants de Palestine».
Itham regarde toujours par terre. Ahmad fixe toujours ce point, haut dans le ciel.
Quand il parlait de Kifah devant la caméra, Ahmad nous a dit:
- Mish moumkin nansa Kifah. (C'est pas possible qu'on oublie Kifah).
C'est pas possible.
                                                 
Réseau

                               
1. Juive ou antisemite ? par Annie Cyngiser
(Annie Cyngiser est sociologue.)
A dix ans, depuis le toit familial, je savais tout ou presque sur la vie quotidienne d'un déporté. Dehors, les visages se détournaient si on abordait le sujet. A treize, quatorze ans, j'assistais les yeux mouillés au lever du drapeau de Sion dans des camps d'ados nous préparant à une future vie en kibboutz. Des Arabes, il n'en était question que lors des jeux de nuit où l'on devait défendre les lignes de notre nouvelle patrie contre Palestiniens et armée britannique. A  dix-sept ans, je faillis être renvoyée de mon lycée pour avoir maintenu la projection de Nuit et Brouillard dans l'établissement malgré les protestations de parents juifs " du quartier " (Paris 4° !) qui ne voulaient pas que leurs enfants " découvrent de telles atrocités ". Ils menaçaient de surcroît de porter plainte contre la directrice. A vingt ans, je découvrais les bras musclés et la force de frappe du Betar (1) dans les amphithéâtres de la faculté de Censier. Ces derniers, à la différence de l'extrême droite (goy et bien française) en provenance de la fac d'Assas (comme on disait à l'époque pour désigner la faculté de droit), ne faisaient pas de détail entre filles et garçons ; les premières avaient droit au même traitement bastonné si elles s'avisaient de réclamer l'application des résolutions de l'ONU. Déjà ! Nous étions en  1967.
Depuis, j'ai eu à nouveau l'occasion d'avoir peur " en tant que juive "  : ce fut pendant la manifestation silencieuse de protestation pour Carpentras, rassemblant juifs et non juifs sur le macadam parisien. Le même Betar, n'acceptant pas d'abaisser le drapeau sioniste, tentait de charger les nombreux manifestants qui réclamaient le respect du caractère républicain et national de ce rassemblement. Et comme ma tête apparente de " gentil " ne leur convenait pas, je leur ai répondu en yiddish. Mais ils ne le comprenaient pas.
Pendant plus d'un demi-siècle, me suis-je sentie menacée en France par l'antisémitisme? Ni à la sortie de la synagogue que je fréquentais petite pour des cours d'instruction religieuse, ni  à Berck-plage, où l'OSE réunissait des enfants juifs qui avaient besoin d'air, ni en Ariège où l'on chantait " Hanoua'r , Hanoua'r Palmach ", ni dans les bistrots de France et de Navarre où il n'était pas rare d'entendre les habituelles et mauvaises plaisanteries sur les juifs et les auvergnats, ni dans les méchantes banlieues peuplées de futurs terroristes à qui je déclarais mon identité, je n'ai connu la peur ou la honte.
Me suis-je sentie menacée dans mon intégrité, dans mon identité culturelle, dans ma personne physique durant toutes ces années? Eh bien  oui, mais par des juifs ! Et récemment encore, parce que donnant mon adhésion à des associations de soutien à la cause palestinienne, signant des pétitions pour que soient reconnus leurs droits légitimes, interpellant comme beaucoup d'autres juifs la République française pour qu'elle intervienne sérieusement dans le conflit du Proche-Orient, j'ai été traitée d'antisémite, de renégate, et menacée d'éventuelles représailles...
Alors ? Alors Héraclite, depuis l'ancienne Grèce, nous avait déjà prévenus : c'est toujours et ce n'est jamais la même eau qui coule. Après une exploitation plus qu'éhontée du génocide hitlérien, succédant à trente cinq ans de silence,  après des décennies de mensonges historiques et politiques, le colonialisme sioniste -  il faut bien appeler un chat par son nom - utilise aujourd'hui à nouveau la mauvaise conscience française, qui vient à peine de regarder  " Vichy " en face. Il rejoue des traumatismes engendrés par défaut de transmission de ce qu'est l'identité juive, la réalité de la vieille émigration, la perte d'une langue, le yiddish (et ce ne sont pas les quelques cours disséminés ici-là ou le folklore en chansons qui le ressusciteront). Il fait revirer le sentiment victimaire planté au cœur de tous ceux, nombreux, qui, muets pendant des années, ont joué à fond le jeu de l'émancipation, de l'intégration française avec tous les bénéfices assemblés par la deuxième et troisième générations. Tout cela pour nous dire, nous persuader que nous sommes aujourd'hui en danger.
Eh bien, oui, je me sens en danger. En danger de honte infinie à être amalgamée à des assassins en uniforme, à des tueurs du Far West rehaussés d'une kippa qui brandissent la vieille rengaine nationaliste et celle de la conquête de l'Ouest contre les méchants Indiens pour couvrir leurs méfaits. En danger d'identité par assimilation à l'équation juif/israélite = israélien = sioniste = tout leur est permis... En danger culturel : est-ce cela que mes ancêtres m'ont transmis, cette confusion entre le public et le privé, entre le religieux et le politique, cette imposture quotidienne de la mémoire, dans les médias, dans les déclarations d'officiels juifs français ou israéliens, cette façon de raconter l'histoire de la Palestine et l'édification d'Eretz Israël, de se servir de la Bible, voire du Talmud pour " châtier les impies ", ces appels à se rassembler face à des dangers qui n'existent qu'en ricochet, et à nous démobiliser devant une menace, elle, bien réelle : la perte du sens de la judaïté, celle de la  justice, de la fidélité, de l'amour de la vie, de la simple honnêteté?
Et je sens également le peuple israélien en grave danger. Il n'y a qu'à l'écouter... Depuis la guerre du Liban, des voix en Israël se sont élevées ; des mères, des femmes ont protesté, des historiens, certains écrivains, cinéastes, rabbins, hommes de foi et de science, journalistes et d'autres plus anonymes n'ont cessé de dire stop ! Stop aux mensonges historiques et idéologiques, stop à l'occupation, stop à la barbarie, à la schizophrénie d'une société que des revanchards, des cyniques, des mégalomanes, des soudards de tout poil conduisent au suicide.
Mais ces voix juives ne doivent pas l'être assez aux yeux de l'establishment français. Tout juif antisioniste est déclaré antisémite ; un natif d'Israël qui émet des critiques est déclaré plus que douteux et stigmatisé sur le grand écran (C. Lanzmann à Roni Braumann), un Israélien, Eyal Sivan, qui tente de remettre les pendules à l'heure, est un gauchiste délirant, " en rupture de ban avec son pays " (2), et Madame Peled, mère d'une enfant morte dans un attentat en Israël, fille d'un général de Tsahal honoré par tout le pays, est dénoncée comme sorcière lorsqu'elle demande qu'on arrête le massacre... Qui n'épouse pas la cause est un traître. Je croyais que le mur de Berlin était tombé ! Suffit ! Aurai-je un Aussweis, un laissez-passer, un certificat d'authenticité que les institutions juives accepteraient de me délivrer afin de rejoindre les miens  au cimetière de Bagneux le moment venu ?
Tous ceux qui clament et réclament le respect de leur identité, leurs droits à être  ou pratiquer ici même leur judaïté, qu'ils commencent par se demandent si les Païes,  la prière et les femmes à perruque attelées à leur marmaille donnent raison au fer et au feu que des Juifs en Israël utilisent dans le plus grand arbitraire. L'éternelle psalmodie victimaire, et celle de la pseudo légitimation biblique (dénoncée par Rabin lui-même quelques temps avant son assassinat par un juif) ne garantira pas plus qu'aux temps anciens la sortie d'Egypte !
Aussi, peut-être parce que de mon père, sorti des camps de concentration, m'est venue une grande leçon, je ne me sens aujourd'hui protégée que par le respect réciproque qu'un autre, fût-il le grand étranger, et moi-même pouvons nous conférer.
Enfin, puisqu'il est enfin aujourd'hui permis de parler de Yeshayahu Leibowitz (3), que Messieurs les signataires d'articles de presse - Le Monde ou autres - veuillent bien à nouveau se pencher sur l'ensemble de ses déclarations dont une : " L'Etat d'Israël est aujourd'hui un Etat judéo-nazi ", et cela dit bien avant sa disparition, donc bien avant la présente Intifada et la répression que l'on sait dans les territoires palestiniens. Non, Leibowitz ne se serait pas promené à Aubervilliers, ni à Asnières ou à Créteil, pour la bonne raison qu'il considérait que le " joug de la Torah " est bien plus lourd que le simple port de la kippa ou d'un vêtement hérité du Moyen Age, qu'être et se sentir juif est une affaire bien plus sérieuse que de se délester de ses crises d'identité, de culpabilité ou de nostalgie à coups d'obole pour financer Tsahal à la sortie, que dis-je, au seuil même de la synagogue. Lorsque M. Szafran écrit qu'" un lieu de culte ou de culture juive serait voué à la propagande israélo-sioniste " (4), pourquoi ce conditionnel ? Ce sont des faits patents, quoi qu'il en dise. Si nous devons tout faire pour que cessent discrimination raciste et violences antisémites sur le sol républicain, il faut d'abord commencer par nettoyer devant sa porte.
La vision de Leibowitz est plus pessimiste que la mienne, mais tout en ne partageant pas sa foi, je crois comme lui que la nation israélienne, les juifs de la diaspora ne pourront faire l'économie d'une grande question : le devoir de tout juif, avant même de s'illusionner sur une sécurité éternelle que représenterait " une terre à soi " n'est-il pas de faire vivre dans chacun de ses actes un code moral et une éthique  auxquelles aucune situation politique n'autorise à déroger ?
Voilà ce que pense aujourd'hui une simple citoyenne juive de France.
- Note :
(1) Betar : association juive d'extrême droite militarisée. 
(2) " Juifs de France: la dangereuse confusion  d'Eyal Sivan ", Le Monde du 18-12-2001.
(3) Théologien et philosophe.
(4) " Diabolisation politique ", Le Monde du 18-12-2001.
                                       
2. L'Histoire oubliée... par Tarik  Tazdaït
(Tarik  Tazdaït est Maître de Conférences en économie à l'Université de Marne La Vallée.)
Cela fait maintenant un peu plus d'an que la seconde Intifada bat son plein, suivie de son cortège de funérailles qui, de part et d'autre, renforcent les convictions les plus folles. Personne ne semble en voir l'issue, au point que les commentateurs télé et radio ne trouvent pas mieux que réduire leurs interventions aux quelques secondes nécessaires au décompte journalier des victimes. Il leur est impossible de nous livrer plus d'information tant il leur est difficile de se défaire des rituels de l'audimat. Aucune analyse ne nous est fournie, uniquement des chiffres sans vie pour des corps que la vie a abandonné.
Mais ce n'est là qu'un constat, et d'un constat il n'est pas possible de retirer la moindre perspective, en témoigne le cinglant échec des propositions de la commission Mitchell. Pour éviter le pire, et surtout pour envisager le meilleur, nous nous devons de dépasser ce stade intermédiaire et toucher du doigt aux véritables enjeux, ce qui nécessite une mise à plat du problème. Malheureusement, cela est loin d'être acquis comme en témoigne le propos d'Arno Klarsfeld [Le Monde du 5 décembre], propos qui brille beaucoup plus par ses omissions que par son contenu, révélant l'emprise de vieux slogans que l'on croyait pourtant définitivement battus en brèche. On pouvait l'espérer compte tenu des précisions introduites par ce qu'il est convenu d'appeler les "nouveaux" historiens. Sous la plume de Benny Morris, Ilan Pappe, Gershon Shafir et bien d'autres, nombre de faits jusque là ignorés ont été mis à jour, donnant un nouvel éclairage de la tragédie palestinienne.
Reprenons le rappel historique effectué par A. Klarsfeld. Oui, la déclaration de Balfour du 2 novembre 1917 a marqué un grand pas en avant en officialisant le nécessaire établissement en Palestine d'un "foyer national juif". Oui, il était légitime de donner une réponse adéquate à un exil qui n'avait que trop duré. Cependant cette déclaration n'est pas exempte de critiques. Il ne faut pas oublier qu'elle a été impulsée par l'Angleterre, pour très vite être reconnue par la France. Ainsi les puissances coloniales de l'époque se sont permises de sceller le destin de la Palestine, mais sans pour autant consulter la population arabe palestinienne. Seuls des membres de la communauté juive européenne l'ont été, alors même qu'en 1917 les juifs de Palestine ne représentaient que 7% de la population totale. C'est là que réside l'une des causes de l'intransigeance arabe, tout simplement dans l'expropriation de la parole du peuple palestinien. Certains se sont donnés le droit de parler en son nom (pour ne pas dire de l'empêcher de parler), mais personne ne lui a accordé ce droit. Quand on sait la représentation que les puissances coloniales se faisaient des peuples qu'elles tenaient sous leur joug, on devine aisément la perception qu'elles pouvaient avoir des arabes palestiniens. Ce n'est pas un hasard si le slogan sioniste d'une terre sans peuple a longtemps résonné comme une vérité. La force de son écho est à trouver dans la manière dont les puissances coloniales ont traité les arabes palestiniens, les réduisant à quantité négligeable. Dans la mesure où ils ne sont rien, la terre ne pouvait être que sans peuple.
Chercher dans un tel contexte à déceler la moindre trace d'une responsabilité arabe dans la Shoah, c'est faire le jeu des quelques jusqu'au-boutistes qui ne voient dans la Shoah qu'un simple outil de propagande. Rappelons que de 1922 à 1931, l'importance de l'émigration juive en Palestine s'est traduite par un doublement de sa population. Ce flux migratoire s'accompagnant d'un doublement de la superficie des terres acquises par le Fonds National Juif, organisme lié à l'Organisation Sioniste Mondiale. Or, le FNJ ne s'est pas privé de rendre effective une pratique douteuse, source de bien des réactions de la part des arabes palestiniens. Ses statuts prévoyaient que toute parcelle de terre achetée ne pouvait être ni revendue, ni louée, ni même sous-louée, à un non-juif. Etait-il légitime qu'un arabe palestinien ne puisse louer un lopin de terre sous le seul prétexte qu'il n'était pas juif ? Le comble, c'est que cela avait lieu sur une terre peuplée en majorité d'arabes, et ce depuis plus d'un millénaire. D'ailleurs Sir John Hope Simpson ne s'y trompe lorsqu'il affirme en mai 1930 pour le Colonial Office : "le résultat de l'achat de terres en Palestine par le Fonds National Juif est que celles-ci sont maintenant dans une situation d'extraterritorialité. Elles cessent d'être des terres d'où les arabes peuvent tirer, aujourd'hui ou demain, une subsistance quelconque". Toujours est il qu'il en a résulté une hostilité croissante à l'égard de la communauté juive, hostilité accentuée au fur et à mesure de l'immigration. La révolte a gagné le pays, les arabes s'opposant directement à l'autorité anglaise, mandataire du territoire. Après avoir violemment réprimé la révolte de 1939 (qui a vu la mort de près de 3000 arabes et 300 juifs), l'Angleterre a pris la décision de limiter l'immigration juive, quand les Etats-Unis l'ont pour leur part stoppé sur leur propre territoire. Cherchez l'erreur ! Il est donc vain dans le paroxysme des passions de l'époque de vouloir culpabiliser une population arabe, essentiellement paysanne, que l'on peut sans peine imaginer analphabète et sans connaissance des tragiques évènements qui touchaient au même moment l'Europe. L'histoire aurait pu connaître un autre cours si l'Angleterre n'avait soufflé le chaud et le froid de façon inconsidérée, promettant aux uns ce qu'elle promettait aux autres. Elle n'a jamais été à la hauteur de ses responsabilités, de même que le discours sioniste dominant ne cherchait nullement à favoriser l'intégration des juifs mais plutôt la colonisation, de même aussi que les arabes palestiniens n'ont pas réalisé la chance inouïe qu'offrait la venue d'une communauté qui avait beaucoup à leur apprendre. Pourquoi les puissances coloniales ne se sont pas données les moyens d'amener les deux parties à privilégier le dialogue ? Elles étaient pourtant les mieux placées pour le faire, et si elles l'avaient vraiment voulu il en aurait été autrement.
En ces années troubles, le paroxysme était à son comble et les propos racistes étaient légions. On les retrouvait chez les arabes comme chez les juifs, mais pas seulement : certains dirigeants arabes n'avaient guère de mot tendre à l'égard des palestiniens, de même que certains sionistes ashkénazes à l'égard des séfarades. Cela n'excuse pas pour autant la haine affichée du mufti de Jérusalem, autorité morale qui se devait de donner l'exemple. Recherché par les autorités anglaises après la révolte de 1939, il n'a pas trouvé mieux que s'en tenir à l'adage "l'ennemi de mon ennemi est mon ami", se réfugiant inévitablement en Allemagne. En acceptant d'être le pantin d'un macabre guignol, il a fait le choix de se discréditer. Peut-être que les évènements de l'époque l'ont dépassé, peut-être que non. Toujours est-il que son attitude a été lâche et son discours inadmissible. Sur ce point il n'y a rien à redire sinon que tout a été dit.
Finalement, pour résoudre le problème, un plan de partage a été voté par l'ONU en 1947 : 54% du territoire revenait aux 32% de juifs et 46% aux 62% d'arabes. Si l'ONU cherchait à déclencher la guerre, elle ne pouvait pas mieux s'y prendre. Comme à l'accoutumé les voix arabes n'avaient pas d'autre droit que celui de prêcher dans le désert.
La défaite des armées arabes a vu le territoire d'Israël s'accroître tout en se vidant de la presque totalité de sa population arabe palestinienne. Pour certains, l'exode fut guidé par la peur, avec néanmoins l'intime conviction de pouvoir revenir une fois les combats finis. Pour d'autres, l'exode fut le résultat d'une marche forcée répondant à une politique d'expulsion. En effet, ce qu'A. Klarsfeld ne précise pas c'est que la notion de "transfert" était, en partie, intrinsèque au projet sioniste. On en trouve la trace jusque dans les carnets du père fondateur du sionisme, Théodor Herzl, qui n'hésitait pas à écrire dès 1895 : "nous nous efforcerons de transférer les populations pauvres, sans grand bruit, au-delà de leurs frontières, en leur y procurant du travail ; mais sur nos terres nous le leur refuserons". Bien que le "sans bruit" de Herzl était significatif d'un certain malaise, Yossef Weitz (l'un des leaders actifs du FNJ) ne s'est pas perdu en question existentielle, se faisant à la fois le théoricien et l'artisan des transferts, avec l'aval du premier ministre David Ben Gourion. Il suffit de relire le mémorandum rédigé en 1941 par Ben Gourion en personne ("Objectifs de la politique sioniste"), pour voir combien les transferts ne posaient aucun problème moral. Les évoquant dans le cas des palestiniens, Ben Gourion précisait : "Le fait qu'un transfert majeur soit possible par la force a été démontré par le transfert de la population grecque de Turquie, après la dernière guerre [la première guerre mondiale] ; et il s'agissait de millions de personnes profondément enracinées dans leur territoire natal. Dans la guerre actuelle [la seconde guerre mondiale] l'idée de transferts de populations devient de plus en plus acceptable comme la solution la meilleure et la plus efficace au problème aigu et dangereux des minorités nationales". Comme le souligne Benny Morris, durant les années 1930-40 les discussions allaient bon train au sein du mouvement sioniste quant aux transferts, mais (je cite) : "il ne fallait pas en parler, et surtout pas en public". Etant donné l'état actuel des connaissances, il ne fait plus aucun doute que les expulsions manu militari ont été orchestrées avec pour seul souci de jeter sur les routes l'ensemble des arabes palestiniens, de sorte à faciliter le peuplement du pays par les immigrants juifs d'Europe et du Monde Arabe. Ce n'est donc pas un hasard si une commission de transfert a vu le jour à la création de l'Etat d'Israël. A. Klarsfeld semble ignorer ce pan de l'histoire, aucune ligne ne lui étant consacrée.
En revanche, reprenant à son compte la position officielle des premiers dirigeants de l'Etat d'Israël, il nous apprend que : "les dirigeants arabes et l'élite palestinienne ont appelé la population palestinienne à fuir dans les pays avoisinants". Or, cet argument a été balayé par les recherches d'Erskine Childers. Sur la base des archives de la BBC, il a passé au peigne fin tous les enregistrements radiophoniques des pays du Moyen-Orient sur la période de la guerre. Aucune trace de ce type d'appel n'a été découvert. Il n'en a pas été de même lorsque son attention s'est portée sur les radios israéliennes. Nombre de menaces ont été révélées, notamment sur les ondes de "La Voix de Galilée". Il est dommageable que sur un sujet aussi sensible on en vienne encore à s'en tenir aux vieux slogans usagés, pétris de propagande.
Quelles conclusions en tirer ? On pourrait éventuellement le demander à ceux qui ont pâti de cette situation.
Dans les faits, expropriations et destructions de villages arabes ont fait figure de routine : selon Israël Shahak, sur les 475 villages arabes existant avant 1948, 385 ont été détruits et vidés de leurs habitants. Les massacres de populations civiles furent réduits à de simples malentendus, bafouant par là même la mémoire collective palestinienne. Deir Yassine en est devenu le symbole évocateur, prédisant ceux à suivre. Pour dissuader les arabes palestiniens de revenir, une loi a été adoptée en 1950, la loi dite "des propriétaires absents". Il n'est pas nécessaire de s'attarder sur son orientation, on devine aisément ce qu'elle spécifie. L'arsenal juridique d'expropriations est riche de plusieurs articles de loi et touche également ceux qui n'ont pas fui le pays, afin de les inciter à le quitter. D'après le rapport 1997-98 du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, entre 700000 et 800000 palestiniens durent quitter le pays ; seuls 150000 y resteront. Tout s'est déroulé comme s'il y avait eu un passage de témoin entre les anciennes puissances coloniales et Israël dans la façon de considérer les palestiniens. Il est vrai que sous la direction de Dinur Ben Zion, l'école historique de Jérusalem a réécrit l'histoire, associant le début de l'exil juif à l'invasion arabe du 7ème siècle, et non à la destruction du premier temple de Salomon. La croyance en cette contre-vérité ne suffit pourtant pas à expliquer un tel acharnement.
D'autres aspects ont été abordés par A. Klarsfeld, avec plus ou moins de simplifications. Parmi ceux-ci il en est un, et non des moindres, qui mérite une attention toute particulière, celui du droit au retour : son application rendrait les juifs minoritaires en Israël. Dans son texte, ce point est analysé d'entrée de jeu. Il est clair que plus vite la question est éludée, plus il devient facile de soutenir la perspective d'une séparation claire et nette entre israéliens et palestiniens. Dans la mesure où le droit au retour se trouve être à l'origine de l'échec des dernières négociations de Camp David, son enjeu est plus que crucial, d'où l'intérêt de clore ces commentaires sur les perspectives sous-jacentes à ce principe source de bien d'espoir, et pourtant si critiqué. 
Le droit au retour rime-t-il avec légitimité ou calcul stratégique ? Compte tenu de la position d'A. Klarsfeld, il semble encore utile, aujourd'hui, de rappeler que le droit au retour des réfugiés palestiniens a été proclamé, pour la première fois, le 16 septembre 1948 par le comte Bernadotte, médiateur de l'ONU. Celui-ci en a d'ailleurs payé le prix fort : il a été assassiné par des extrémistes sionistes du mouvement Stern pour empêcher la remise de son rapport. Mais son engagement ne fut pas vain car, trois mois après sa disparition, l'ONU consacra le droit au retour par la résolution 194 (III), le réaffirmant à maintes reprises dans des résolutions qui n'ont pas encore été appliquées. Israël ne peut être sourde à cette revendication puisque son admission dans les instances de l'ONU s'est elle-même accompagnée de sa reconnaissance d'un droit au retour. Il paraît donc immoral et déplacé de chercher à délégitimer les réparations dues aux palestiniens. Immoral, car près de 40% des émigrés russes d'Israël ne sont en rien de confession juive ; tout être humain serait donc autorisé à s'y installer, à la condition qu'il ne soit pas un de ces arabes palestiniens que l'Etat d'Israël a exproprié. Déplacé, car Israël n'a eu de cesse, en revanche, de démembrer les territoires autonomes en favorisant l'implantation de colonies, et cela au mépris même de ses propres engagements dûment signés.
Après le mépris des puissances coloniales, les pratiques discriminatoires du FNJ, les transferts, les expropriations, les résolutions de l'ONU jamais appliquées et les accords de gel des colonies non respectés d'Israël on voudrait, pour boucler la boucle, revenir sur un principe du droit international, le droit au retour.
Regardons les choses en face. Les palestiniens ont suffisamment porté le fardeau de l'injustice et il est temps aujourd'hui d'y mettre un terme. Défendre le droit au retour, c'est restaurer la dignité perdue des populations civiles palestiniennes en leur permettant, notamment, de se réapproprier leur histoire, leur culture et leur identité si longtemps niés. C'est aussi tourner définitivement la page des camps de réfugiés pour aborder l'avenir sous de nouveaux auspices. Faisant état de cette situation, certains ont préféré parler de la "question palestinienne". "Question" peut-être mais qui, comme toute question, attend sa réponse, aujourd'hui encore.
Abdiquer sur le droit au retour c'est faire du drame palestinien une parenthèse de l'histoire, et cela on ne peut l'accepter. Les pays arabes ont beau être des pays frères, la question palestinienne ne peut trouver de réponse arabe, mais une réponse israélo-palestinienne qui passe par un mea culpa des dirigeants sionistes.
L'évidence s'impose à nous : le sionisme a représenté une incroyable force d'appel, unifiant une grande partie du peuple juif autour d'un ambitieux projet politique. Aussi, je comprends l'engouement qu'il suscite pour un grand nombre de juifs. Je ne peux le leur reprocher. Néanmoins, du point de vue des palestiniens, et des arabes en général, le sionisme a offert un visage loin d'être enviable et source de trop de discriminations. C'est pourquoi ils le combattent. Cette opposition entre les deux camps est à mon sens dépassée, mais elle perdure parce qu'aucun mea culpa n'est venu guérir la douleur palestinienne. La seule proposition que l'on ose leur faire, après tout ce qu'ils ont enduré, c'est celle de continuer à renoncer à leurs droits, et au premier d'entre eux, celui du retour. Si le sionisme veut gagner en reconnaissance, il doit savoir qu'elle se mérite. C'est à lui qu'il revient de prouver qu'il est autre chose que l'humiliation du palestinien.
Pour ma part, j'en reste profondément convaincu : le droit au retour adopté, la raison finira par évincer la passion, tarissant par là même le désespoir de la Naqba pour en faire une véritable force de proposition. L'interdépendance des économies et sociétés israéliennes et palestiniennes feront alors le reste : des projets communs naîtront et un dialogue entre les populations civiles verra le jour. Cette perspective favorisera la pleine intégration d'Israël au Proche-Orient, aux côtés de ces pays arabes qui ont énormément perdu de leur crédibilité à ne pas ouvrir leur cœur à la tragédie de l'Holocauste. Ainsi, en plus d'être légitime, le droit au retour s'avère être une nécessité : seule son application peut permettre à toutes ces communautés de se libérer de ce voile d'ignorance qui les étouffe. Qui plus est, il en ressortira une redéfinition du statut des colonies qui permettra l'insertion et la participation de leurs habitants dans la vie locale : les palestiniens ont autant leur place en Israël que les juifs dans la future Palestine.
En définitive, n'est-il pas temps de cesser de perdre son temps à emprunter les voies sans issue du statu-quo ? Encore faut-il en être convaincu.
                              
3. "Israël doit intégrer l'Union européenne" - Interview de François Zimeray, député français du parti socialiste au Parlement européen et 1er vice-président de la délégation européenne des relations avec Israël, diffusée sur Radio judaïque (Paris 94.8) le jeudi 27 décembre 2001.
- François Zimeray, pouvez-vous nous parler de l'amendement 177 que vient de voter le Parlement européen ?
- L'amendement 177 est un amendement qui subordonne toutes les aides à l'Autorité palestinienne aux respect des droits fondamentaux par cette Autorité palestinienne. Cela veut dire qu'on ne peut pas donner de l'argent à l'Autorité palestinienne si cet argent n'est pas utilisé de façon conforme aux Droits de l'Homme, aux droits fondamentaux tels que l'Europe les a définis récemment, et en particulier dans le cadre de l'éducation palestinienne. Cet amendement fait référence au système éducatif palestinien dont on sait qu'il est un système qui enseigne la haine, incite au martyre, et ce, financé par l'Union européenne, ce qui est me semble-t-il contraire à ce que doit être le message européen.
- Est-ce que cela veut dire que l'argent est contrôlé ?
- Cela veut dire que l'argent sera désormais beaucoup mieux contrôlé qu'il ne l'a été dans le passé. J'ai pu vérifier personnellement qu'il n'y avait pas de contrôle, en particulier de la pédagogie dispensés dans les Territoires palestiniens. L'Union européenne finance les enseignants, finance leurs salaires, finance les écoles, toutes les infrastructures de l'éducation, mais jusqu'à présent ne finançait pas les livres eux-mêmes et fermait les yeux sur le contenu pédagogique de cet enseignement. Et je considère qu'on ne peut pas continuer durablement  à fermer les yeux sur ce contenu pédagogique, que ça n'a aucun sens de financer un système éducatif si on ne regarde pas ce qui est enseigné. Et que , en réalité, ce qui a été enseigné depuis les Accords d'Oslo est une éducation à la haine, à la violence, et également au martyre ! D'un certain point de vue, c'est plus grave que la violence elle-même cela, parce que c'est la violence de demain. Quand on considère que les jeunes gens qui se font sauter, qui se transforment en bombes humaines, qui ont entre 18 et 25 ans, ont tous reçu cette éducation, on voit les dégâts que cela a causé. Et moi je considère encore une fois que c'est une atteinte à l'âme européenne, à ce que doit apporter l'Europe dans cette région : elle doit apporter le bénéfice de son expérience, et son expérience c'est la réconciliation entre les peuples, c'est l'Office franco-allemand pour la jeunesse, c'est tout ce qui s'est fait pour que, au-delà d'une union politique, il y ait un vrai désir d'union entre les peuples. Et ça a marché. Cela a marché depuis 50 ans.
- François Zimeray, qui est à l'initiative de cet amendement ? Et est-ce qu'il était obligatoire d'attendre bientôt 2002 pour que cet amendement soit enfin adopté ?
- Non, c'est l'achèvement, c'est un panier ( ?) dans un long combat parlementaire que nous avons mené avec quelques parlementaires de plusieurs pays. Mais nous sommes fondamentalement minoritaires - il faut le dire - à soutenir Israël bec et ongles dans ce parlement…
- Pourquoi François Zimeray, pourquoi ?
- Oh ça tient à la sensibilité du corps politique, à l'air du temps…Je pense qu'on assiste à une réprobation massive d'Israël dans le monde, à laquelle les parlementaires européens ne sont pas insensibles. Je pense qu'il y a aussi une remontée de l'antisémitisme et malheureusement je crois que ça n'épargne personne. Il y a également une sensibilité à l'émergence d'un nouvel électorat, qui est l'électorat musulman, dans beaucoup de pays d'Europe, qui fait que les politiques y sont de plus en plus sensibles. Tout cela fait que ceux qui défendent Israël dans ces périodes troublées sont assez isolés. Je dois dire également qu'on assiste à une sorte de perte de statut moral d'Israël, qui est très préoccupant, une délégitimation d'Israël dans le discours, qui atteint évidemment le Parlement européen comme toutes les autres institutions politiques.
- Alors quand est-ce qu'entrera en œuvre officiellement cet amendement 177 ? Et ma dernière question sera : quelle est la prochaine priorité, en ce qui concerne le Proche-Orient, pour l'Union européenne ?
- Cet amendement, il entre en vigueur dès maintenant puisqu'il fait corps avec le budget de l'Union européenne. Donc c'est un point très important : toutes les aides données par l'Union européenne doivent être conformes, doivent respecter cet amendement. Et nous veillerons évidemment à ce qu'il soit appliqué, ça vous pouvez évidemment compter sur nous. Je crois que maintenant, si l'Union européenne veut jouer un rôle efficace au Moyen-Orient, elle doit être un interlocuteur crédible et je cois que - et c'est en ce qui me concerne le combat que je vais mener avec quelques amis - il faut tendre une main vers Israël. Et qui soit beaucoup plus  qu'un discours soi-disant équilibré auquel les chancelleries nous ont habitués. Je crois que nous devons maintenant dire, alors que l'Europe va faire face à son principal défi qui est l'élargissement de l'Union européenne dans quelques années, l'Europe  doit dire maintenant qu'Israël doit intégrer l'Union européenne. En tout cas, je ne sais pas si Israël choisira de le faire, ce sera son libre choix, mais je crois que l'Europe a la responsabilité historique et morale de le proposer à Israël. Israël remplit les critères de Maastricht, Israël à certains égards est une petite Europe, et il n'y a aucune raison de ne pas proposer à Israël d'intégrer l'Union européenne, qui est un espace de paix depuis 50 ans.
                                   
4. Déchaînement du Mal par Tanya Reinhart
[traduit de l'anglais par Giorgio Basile]

(Tanya Reinhart enseigne la linguistique à l'université de Tel Aviv.)
19 décembre 2001 - Dans le discours politique dominant, les atrocités commises récemment par Israël sont présentées comme des «mesures de représailles» - en réponse à la dernière vague d'attaques terroristes visant des civils israéliens. Mais en fait, cette politique de «représailles» avait été soigneusement préparée de longue date. Déjà en octobre 2000, au début du soulèvement palestinien, les milieux militaires tenaient prêts des plans opérationnels détaillés en vue de renverser Arafat et l'Autorité Palestinienne. C'était avant que les attaques terroristes palestiniennes ne commencent. (La première attaque touchant des civils israéliens s'est produite le 3 novembre 2000 sur un marché de Jérusalem.) Un document élaboré par les services de sécurité à la demande d'Ehoud Barak, alors premier ministre, affirme le 15 octobre 2000 que «la personne d'Arafat constitue une grave menace pour la sécurité de l'État [d'Israël] et le préjudice que causera sa disparition est moindre que celui causé par son existence». (Des extraits de ce document ont été publiés par le quotidien Ma'ariv en date du 6 juillet 2001.) Le plan opérationnel, connu sous le nom de code «Chemins d'épines», remonte à 1996, et a été actualisé pendant l'Intifada. (Amir Oren, Ha'aretz, 23 novembre 2001). Ce plan comprend tout ce qu'Israël a mis à exécution par la suite, et plus [1].
L'échelon politique (l'entourage de Barak) a, quant à lui, travaillé à préparer l'opinion publique au renversement d'Arafat. Le 20 novembre 2000, Nahman Shai, alors coordinateur des affaires publiques du gouvernement Barak, rendit public au cours d'une conférence de presse un document de 60 pages intitulé «Non-conformité de l'Autorité Palestinienne... Un catalogue de mauvaise foi et de mauvaise gestion». Le document, connu familièrement sous le nom de «Livre Blanc», a été préparé par l'assistant de Barak, Danny Yatom [2]. Selon le «Livre Blanc», le crime actuel d'Arafat - celui d'«orchestrer l'Intifada» - n'est que le dernier d'une longue liste de preuves montrant qu'il n'a jamais abandonné l'«option de la violence et de la 'lutte'». «Déjà, le discours d'Arafat sur le gazon de la Maison Blanche le 13 septembre 1993, portait à croire que pour lui, la Déclaration de Principes ne signifiait pas nécessairement la fin du conflit. À aucun moment il n'a renoncé à son uniforme, symbole de son statut de commandant révolutionnaire.» (Section 2). Cet uniforme, soit dit en passant, est la seule «indication» que fournisse le rapport sur les intentions cachées d'Arafat, à cette occasion.
Une section importante du document est consacrée à établir l'«ambivalence et l'acquiescement» d'Arafat concernant le terrorisme. «En mars 1997 on peut déceler une nouvelle fois plus qu'une allusion à un 'feu vert' d'Arafat au Hamas, peu avant l'attentat à la bombe de Tel Aviv... Cela ressort implicitement d'une déclaration faite par Imad Faluji, un membre du cabinet d'Arafat affilié au Hamas, à un quotidien américain (Miami Herald, 5 avril 1997).» Aucune autre indication n'est fournie sur le lien que cela permettrait d'établir entre Arafat et l'attentat de Tel Aviv, mais c'est le thème du «feu vert au terrorisme» que les services de renseignement de l'armée (Ama"n) ont défendu depuis 1997, lorsque leur orientation anti-Oslo s'est renforcée. Depuis lors, ce thème a été rabâché tant et plus par les milieux militaires, et a fini par devenir un mantra de la propagande israélienne - Arafat est toujours un terroriste, et sa responsabilité personnelle est engagée pour toute action de tout groupe, du Hamas et du Jihad islamique au Hezbollah.
Dans son numéro du 12 juillet 2001, le Foreign Report (Jane's Information) révélait que l'armée israélienne (sous le gouvernement Sharon) avait réactualisé ses plans en vue d'un «assaut total pour détruire l'Autorité Palestinienne, éliminer son dirigeant Yasser Arafat, et tuer ou faire prisonnier son armée». Le plan, intitulé «Destruction de l'Autorité Palestinienne et désarmement de toutes les forces armées», a été présenté le 8 juillet au gouvernement israélien par le chef d'état-major Shaul Mofaz. L'assaut devait être donné, à la discrétion du gouvernement, à la suite d'un attentat-suicide de grande ampleur en Israël, causant de nombreux morts et blessés, ce bain de sang constituant une justification.
Nombreux en Israël sont ceux qui soupçonnent que l'assassinat du terroriste du Hamas Mahmoud Abu Hanoud, survenant précisément alors que le Hamas respectait depuis deux mois son engagement envers Arafat de ne mener aucune action à l'intérieur d'Israël, était conçu pour entraîner le «bain de sang justificatif», à la veille de la visite de Sharon aux États-Unis (Alex Fishman - correspondant en chef pour la sécurité du Yediot Aharonot - observait que «quiconque a décidé la liquidation d'Abu Hanoud savait d'avance quel en serait le prix. La question a été discutée en profondeur tant dans les milieux militaires israéliens qu'à l'échelon politique, avant de donner le feu vert à cette liquidation.» (Yediot Aharonot, 25 novembre 2001))
La démarche d'Israël en vue de détruire l'Autorité Palestinienne ne doit donc pas être considérée comme un «acte de représailles» spontané. C'est un plan calculé, élaboré de longue date. Son exécution exige, tout d'abord, d'affaiblir la résistance des Palestiniens, ce à quoi Israël s'emploie systématiquement depuis octobre 2000, par les massacres, le bombardement des infrastructures, l'emprisonnement des gens dans leurs propres cités, en les conduisant au bord de la famine. Tout cela en attendant que les conditions internationales «mûrissent» assez que pour autoriser les étapes les plus hardies du plan.
Maintenant, les conditions paraissent avoir «mûri». Dans l'atmosphère politique qui règne aux États-Unis, ivre de puissance, tout est permis. S'il semblait au premier abord que les États-Unis chercheraient à mettre le monde arabe de leur côté par quelques signes de persuasion, comme ils l'avaient fait pendant la guerre du Golfe, il est clair aujourd'hui qu'ils s'en fichent pas mal. La «victoire» écrasante en Afghanistan a envoyé au tiers-monde le message clair que rien ne peut empêcher les États-Unis de prendre une nation pour cible jusqu'à l'anéantissement. Ils semblent croire que les armes les plus sophistiquées du vingt-et-unième siècle, combinées à une absence totale de considération envers les principes moraux, les lois internationales et l'opinion publique, les autorisent à régner à jamais sur le monde. À partir de maintenant, la peur devrait être une condition suffisante d'obédience.
Les faucons américains, qui poussent à étendre la guerre à l'Iraq et au-delà, voient en Israël un atout - il existe peu de régimes dans le monde qui, comme Israël, soient aussi impatients de risquer la vie de leurs citoyens dans quelque nouvelle guerre régionale. Comme le professeur Alain Joxe, président du CIRPES (Centre interdisciplinaire de recherches sur la paix et d'études stratégiques), l'observait dans Le Monde, «le leadership américain [est] actuellement modulé par une extrême droite sudiste assez dangereuse, qui cherche à instrumentaliser Israël comme un outil offensif, déstabilisateur de toute la région sud-méditerranéenne.» (17 décembre 2001). Les mêmes faucons parlent aussi d'étendre le futur théâtre d'opérations à des cibles figurant au programme d'Israël, comme le Hezbollah ou la Syrie.
Dans ces circonstances, Sharon a obtenu le feu vert de Washington. Comme ne cessent de le mentionner avec enthousiasme les médias israéliens, «Bush en a assez de son caractère [à Arafat]», «Powell a déclaré qu'Arafat devait en finir avec ses mensonges» (Barnea et Schiffer, Yediot Aharonot, 7 décembre 2001). Tandis qu'Arafat est retranché dans son bunker, que les bombardiers F-16 israéliens sillonnent le ciel, et que la brutalité d'Israël engendre, chaque jour, de nouvelles bombes humaines désespérées, les États-Unis, accompagnés pendant un temps par l'Union Européenne, continuent de presser Arafat à «agir».
Mais sur quel raisonnement se fonde ce besoin systématique d'Israël d'éliminer l'Autorité Palestinienne et de défaire les accords d'Oslo? Certainement pas sur une «déception» à propos des résultats obtenus par Arafat, comme on le prétend généralement. Le fait est que, dans la perspective des intérêts d'Israël à poursuivre l'occupation, Arafat a répondu aux attentes d'Israël tout au long de ces dernières années.
En ce qui concerne la sécurité d'Israël, rien n'est plus éloigné de la vérité que les fausses accusations du «Livre Blanc», ou de la propagande israélienne qui s'en est ensuivie. Pour ne prendre qu'un exemple, en 1997 - l'année mentionnée dans le «Livre Blanc» comme l'un des cas de «feu vert au terrorisme» de la part d'Arafat - un «accord de sécurité» était signé entre Israël et l'Autorité Palestinienne, sous les auspices du chef de l'antenne de la CIA à Tel Aviv, Stan Muskovitz. L'accord confiait à l'Autorité Palestinienne une participation active à la sécurité d'Israël - pour combattre «les terroristes, les bases terroristes, et les conditions environnementales menant au soutien du terrorisme», en coopération avec Israël, y compris sous la forme d'«échange mutuel d'informations, d'idées, et de coopération militaire» (Clause 1). [Traduit du texte hébreu paru dans Ha'aretz, 12 décembre 1997]. Les services de sécurité d'Arafat se sont acquittés fidèlement de cette tâche, par l'assassinat de terroristes du Hamas (déguisés en «accidents»), et l'arrestation de dirigeants politiques du Hamas. [3]
Des informations ont été amplement publiées dans les médias israéliens à propos de ces activités, et les «sources de sécurité» étaient pleines de louanges pour les accomplissements d'Arafat. Par exemple, Ami Ayalon, alors à la tête des services secrets israéliens (Shab"ak), annonça au cours d'une réunion du gouvernement en date du 5 avril 1998, qu'«Arafat fait son travail - il combat le terrorisme et pèse de tout son poids contre le Hamas» (Ha'aretz, 6 avril 1998). Le taux de réussite des services de sécurité israéliens en matière de réduction du terrorisme n'avait jamais été aussi élevé que celui obtenu par Arafat; en réalité, nettement moindre.
Au sein de la gauche et des milieux d'opposition, on peine à trouver de la compassion pour le destin personnel d'Arafat (au contraire de la tragédie du peuple palestinien). Comme David Hirst l'écrit dans le Guardian, lorsqu'Arafat est retourné dans les Territoires occupés en 1994, «il venait en collaborateur tout autant qu'en libérateur. Pour les Israéliens, la sécurité - la leur, pas celle des Palestiniens - était le but suprême d'Oslo. Sa mission était de la leur fournir en leur nom. Mais il ne pouvait jouer ce rôle de collaborateur que s'il gagnait le quiproquo politique qui, par le biais d'une série d'«accords intérimaires», était sensé aboutir. Il n'a jamais pu... [Tout au long de la route], il a acquiescé, en accumulant les concessions qui ne faisaient qu'élargir le fossé entre ce qu'il accomplissait réellement, et ce qu'il promettait à son peuple qui serait accompli, à la fin, grâce à cette méthode. Il était toujours Monsieur Palestine, avec un charisme et une légitimité historique qui n'appartenaient qu'à lui. Mais il s'est avéré qu'il manquait cruellement à cette autre tâche importante et complémentaire, celle de construire son État en devenir. La misère économique, la corruption, les violations des droits humains, la création d'un vaste appareil répressif - tout cela découlait, en tout ou en partie, de l'Autorité qu'il présidait.» (Hirst, «Arafat's last stand?», The Guardian, 14 décembre 2001).
Mais dans la perspective de l'occupation israélienne, tout ceci indique que le processus d'Oslo était, pour l'essentiel, un succès. Arafat parvint à contenir, par le biais de sévères mesures d'oppression, la frustration de son peuple, et à garantir la sécurité des colons, pendant qu'Israël poursuivait imperturbablement la construction de nouvelles colonies et l'appropriation de plus de terres palestiniennes. L'appareil oppressif - les diverses forces de sécurité d'Arafat -, étaient formé et entraîné en collaboration avec Israël. Beaucoup d'énergie et de ressources ont été consacrées à l'édification de ce complexe appareil d'Oslo. Il est généralement admis que les forces de sécurité israéliennes ne peuvent prévenir le terrorisme mieux qu'Arafat n'y parvient. Pourquoi, alors, les échelons militaire et politique étaient-ils si déterminés à détruire tout cela, dès octobre 2000, avant même que ne commencent les vagues de terrorisme? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de revenir en arrière.
Dès le début du processus d'Oslo, en septembre 1993, deux conceptions s'affrontaient dans les milieux politiques et militaires israéliens. L'une d'elles, conduite par Yossi Beilin, s'efforçait de mettre en œuvre une version du plan Alon, que le parti travailliste avait défendu pendant des années. Le plan d'origine prévoyait l'annexion à Israël d'environ 35% des territoires, et une juridiction jordanienne, ou quelque forme de juridiction autonome pour le reste - la terre sur laquelle vivent actuellement les Palestiniens. Aux yeux de ses promoteurs, ce plan représentait un compromis nécessaire, comparé aux alternatives qui soit restituaient l'ensemble des territoires, soit conduisaient à un bain de sang sans issue (comme nous le voyons aujourd'hui). Il semble bien que Rabin était prêt à suivre cette ligne, du moins au début, et qu'en retour à l'engagement d'Arafat de contrôler la frustration de son peuple et de garantir la sécurité d'Israël, il permettrait à l'Autorité Palestinienne de gouverner les enclaves dans lesquelles les Palestiniens continuent aujourd'hui d'habiter, jouissant d'une certaine forme d'autonomie qui pourrait même être qualifiée d'«État» palestinien.
Mais l'autre tendance s'opposait à tant de concessions. C'était particulièrement notable dans les cercles militaires, dont le porte-parole le plus énergique dans les premières années d'Oslo était Ehoud Barak, alors chef de l'état-major. Un autre centre d'opposition était, bien sûr, Sharon et l'extrême-droite, qui s'opposaient depuis le début au processus d'Oslo. Cette affinité entre les milieux militaires et Sharon est évidemment sans surprise. Sharon - le dernier des dirigeants de la «génération 1948», était une figure légendaire dans l'armée, et nombre de généraux furent ses disciples, comme Barak. Comme l'écrivait Amir Oren, «L'admiration profonde et constante de Barak pour les idées militaires d'Ariel Sharon est une autre indication de ses opinions; Barak et Sharon appartiennent tous deux à une lignée de généraux politiques qui a commencé avec Moshe Dayan.» (Ha'aretz, 8 janvier 1999).
Cette race de généraux a été élevée dans le mythe de la rédemption du pays. Une interview de Sharon par Ari Shavit offre un aperçu de cette vision du monde (Ha'aretz, supplément du week-end, 13 avril 2001). Tout y est emmêlé dans un cadre romantique: les champs, les vergers en fleurs, les labours et les guerres. Le cœur de cette idéologie est constitué par le caractère sacré de la terre. Dans une interview de 1976, Moshe Dayan, qui avait été ministre de la défense en 1967, expliquait ce qui avait mené, à l'époque, à la décision d'attaquer la Syrie. Dans la conscience collective israélienne de cette période, la Syrie était considérée comme une menace grave pour la sécurité d'Israël, et l'instigatrice d'agressions constantes contre les habitants du nord d'Israël. Mais selon Dayan, c'est de la «foutaise» - la Syrie ne constituait pas une menace avant 1967: «Laissez tomber... Je sais comment au moins 80% de tous les incidents avec la Syrie ont commencé. Nous envoyions un tracteur dans une zone démilitarisée et nous savions que les Syriens allaient tirer.» Selon l'interview, il avouait quelques regrets. Ce qui a poussé Israël à provoquer la Syrie de cette manière, c'était l'appât de la terre - l'idée qu'il est possible «d'accaparer une parcelle de terre et de la garder, jusqu'à ce que l'ennemi soit fatigué et nous l'abandonne». (Yediot Aharonot, 27 avril 1997)
À la veille d'Oslo, la société israélienne dans sa majorité était fatiguée des guerres. À ses yeux, les combats pour la terre et les ressources naturelles étaient dépassés. La plupart des Israéliens pensaient que la guerre d'indépendance de 1948, avec ses conséquences horribles pour les Palestiniens, avait été nécessaire pour établir un État pour les Juifs, hantés par la mémoire de l'Holocauste. Mais maintenant qu'ils avaient un État, ils aspiraient à mener tout simplement une vie normale avec ce qu'ils avaient. Cependant, l'idéologie de la rédemption de la terre ne s'est jamais éteinte au sein de l'armée, ni dans le cercle des «généraux politiques», qui passaient de l'armée au gouvernement. À leurs yeux, l'alternative de Sharon, de combattre les Palestiniens jusqu'au bout et d'imposer un nouvel ordre régional - comme il l'avait tenté au Liban en 1982 - pouvait avoir échoué en raison de la faiblesse d'une société israélienne gâtée. Mais, compte tenu de la nouvelle philosophie de guerre instaurée en Iraq, au Kosovo et en Afghanistan, ils pensent qu'avec la supériorité massive de la force aérienne israélienne, il reste toujours possible de gagner cette bataille dans le futur.
Alors que le parti de Sharon était dans l'opposition à l'époque d'Oslo, Barak, au titre de chef de l'état-major, participa aux négociations et y joua un rôle crucial dans la formulation des accords, et dans l'attitude adoptée par Israël à l'égard de l'Autorité Palestinienne. Je cite un article que j'écrivais en février 1994, parce qu'il reflète ce que quiconque lit attentivement les médias israéliens pouvait voir à l'époque: «Depuis le début, il est possible d'identifier deux conceptions qui sous-tendent le processus d'Oslo. L'une est que cela va permettre de réduire le coût de l'occupation, par le biais d'un régime palestinien d'influence, avec Arafat comme flic en chef, responsable de la sécurité d'Israël. L'autre est que le processus devrait mener à l'effondrement d'Arafat et de l'OLP. L'humiliation d'Arafat, et l'amplification de sa capitulation, conduira progressivement à la perte de tout soutien populaire. En conséquence de quoi l'OLP s'effondrera, ou s'engagera dans la voie des conflits pour le pouvoir. Dès lors, la société palestinienne perdra ses dirigeants laïques et ses institutions. Dans l'esprit de logique de pouvoir de ceux qui ont envie de poursuivre l'occupation israélienne, l'effondrement du pouvoir laïque constitue un aboutissement, parce qu'il faudra longtemps à la société palestinienne pour se réorganiser à nouveau et que, de toute façon, il est bien plus aisé de justifier les pires actes d'oppression lorsque l'ennemi est une organisation islamiste fanatique. Très probablement, le confit entre ces deux conceptions en compétition n'est pas encore réglé, mais pour l'instant, la seconde semble plus dominante: afin que la première l'emporte, le statut d'Arafat aurait dû être renforcé, avec quelques réalisations qui pourraient entraîner le soutien des Palestiniens, au lieu de la politique actuelle d'Israël, faite d'humiliation constante et de manquement aux promesses.» [4]
Néanmoins, le scénario de l'effondrement de l'Autorité Palestinienne ne s'est pas concrétisé. Une fois de plus, la société palestinienne a eu recours à sa merveilleuse stratégie de «Sumud» - s'accrocher à la terre et supporter la pression. Depuis le début, la direction politique du Hamas, et d'autres, mettaient en garde contre les tentatives d'Israël de mener les Palestiniens vers une guerre civile, dans laquelle la nation s'anéantirait elle-même. Toutes les fractions de la société ont coopéré en vue de prévenir ce danger, et de calmer les conflits dès qu'ils dégénéraient en combats armés. Elles sont aussi parvenues, en dépit du gouvernement tyrannique d'Arafat, à mettre en place un ensemble impressionnant d'institutions et d'infrastructures. L'Autorité Palestinienne ne consiste pas seulement en dirigeants corrompus et en diverses forces de police. Le Conseil législatif palestinien, élu, qui fonctionne en dépit de restrictions sans fin, continue d'être un cadre politique représentatif, la base pour les institutions démocratiques du futur. Pour ceux qui se donnaient pour but la destruction de l'identité palestinienne et la rédemption finale de leur pays, Oslo aura été un échec.
En 1999, l'armée est revenue au pouvoir, par le biais des «généraux politiques» - Barak d'abord, Sharon ensuite. (Ils ont collaboré, lors des dernières élections, pour faire en sorte qu'aucun autre candidat, civil, ne puisse les emporter.) La route s'est ouverte pour corriger ce qu'ils considéraient comme la grande erreur d'Oslo. Pour y parvenir, il était d'abord nécessaire de convaincre la société israélienne gâtée que les Palestiniens ne veulent pas vivre en paix et menacent notre existence même. Sharon seul n'aurait sans doute pu y parvenir, mais Barak a réussi, grâce à son escroquerie des «offres généreuses». Après un an d'attaques terroristes horribles, jointes à une propagande massive et mensongère, Sharon et l'armée estiment que rien ne peut les arrêter sur la voie de l'exécution totale.
Pourquoi est-il si urgent de renverser Arafat? Shabtai Shavit, ancien chef des forces de sécurité («Mossad»), qui n'est pas lié par la retenue imposée aux sources officielles, l'explique ouvertement: «Dans les quelque trente années qu'il [Arafat] a été au pouvoir, il est parvenu à remporter quelques véritables succès dans la sphère politique et internationale... Il a obtenu le prix Nobel de la paix, et sur un simple appel téléphonique, il peut obtenir une rencontre avec n'importe quel dirigeant dans le monde. Dans ce contexte international, il n'existe personne de sa pointure dans le monde politique palestinien. S'ils [les Palestiniens] perdent cet atout, cela représente pour nous une avancée énorme. La question palestinienne disparaîtra des agendas.» (interview dans le supplément week-end du Yediot Aharonot, 7 décembre 2001).
Leur objectif immédiat étant de faire disparaître les Palestiniens de l'agenda international, le massacre, la famine, l'évacuation forcée et la «migration» peuvent se poursuivre imperturbablement, aboutissant si possible à la vision à long terme de Sharon, concrétisée dans les plans militaires. L'objectif immédiat de quiconque se sent concerné par l'avenir du monde, doit être de faire cesser ce processus de déchaînement du mal. Comme l'écrivait Alain Joxe en conclusion de son article dans Le Monde: «Il serait donc temps pour les opinions publiques occidentales de reprendre le contrôle de ce débat et d'obliger les gouvernements à plus de conscience morale et politique, face au désastre qui se précise, à savoir un état de guerre permanent contre les peuples et les nations arabes et musulmanes, la réalisation du double fantasme de Ben Laden et de Sharon.» (17 décembre 2001).
- Notes :
1. Pour les détails de ce plan opérationnel, consulter Anthony Cordesman, «Peace and War: Israel versus the Palestinians A second Intifada?» Center for Strategic and International Studies (CSIS), décembre 2000, et le résumé par Shraga Eilam, «Peace With Violence or Transfer», Between The Lines, décembre 2000.
2. Ce document peut être consulté sur
http://www.gamla.org.il/english/feature/intro.htm.
3. Pour une vue d'ensemble sur les assassinats de terrosistes du Hamas par l'Autorité Palestinienne, lire mon article «The A-Sherif affair», Yediot Aharonot, 14 avril 1998, et
http://www.tau.ac.il/~reinhart/political/A_Sharif.html.
4. L'article (en hébreu) peut être consulté sur
http://www.tau.ac.il/~reinhart/political/01GovmntObstacleToPeace.doc.
                           
5. Comment expliquer à David, à Mohammed et à Pierre par Nadia Burgrave, Alain Dufour et Vincent Mespoulet
(Nadia Burgrave est enseignante en lycée en Bretagne, Alain Dufour ce enseignant en lycée professionnel en Basse-Normandie et Vincent Mespoulet est enseignant en collège en Provence, président d'EduFIP.)
Dans l'irruption médiatique du thème de la nouvelle judéophobie en France, la contribution de Philippe Gumplowicz, Marc Lefèvre et Pierre-André Taguieff (Libération du 4 janvier 2002) a le mérite de placer le débat sur un terrain très sensible, celui de l'Ecole. C'est un sujet grave qui préoccupe les enseignants plus que ne le pensent les auteurs de l'article, en taxant injustement l'institution scolaire d'"aveuglement" et d' "angélisme". Pierre-André Taguieff nous parle de la nouvelle judéophobie. Dans le prolongement de
ses travaux récents, axés sur la critique du "bougisme" (voir son livre L'effacement de l'avenir), Pierre-André Taguieff aurait pourtant dû se méfier de ce qui lui apparaît comme nouveau. Un autre chercheur, l'historien Georges Bensoussan, avait depuis longtemps tiré la sonnette d'alarme dans un petit livre fort bien fait (Auschwitz en héritage, d'un bon usage de la mémoire, 1998), où il s'inquiétait déjà de la montée de formes d'antijudaïsme dans une partie de la jeunesse française d'origine maghrébine, lorsqu'elle était confrontée à l'histoire de la Shoah que nous enseignons.
La nouveauté à l'évidence, pour Pierre-André Taguieff, tient aux répercussions en France de l'Intifada Al-Aqsa, déclenchée à l'automne 2000, dont le petit David est effectivement une victime indirecte. Or, ce phénomène, bien présent dans les collèges et les lycées est très difficilement mesurable. Sans entrer dans une comptabilité stupidement comparative, force est cependant de constater que fleurissent encore essentiellement sur les murs de nos écoles des inscriptions telles que " Mort aux Arabes ", sans que cela suscite d'émois particuliers.
Et étrangement, ce qui affaiblit singulièrement la portée du cri d'alarme de nos trois auteurs, c'est qu'ils auraient dû appliquer leur effort d'explication conjointement à David, touché dans sa judéité, Mohammed dans son arabité, et Pierre dans sa laïcité. Ou mieux encore, ils auraient pu se placer justement dans un cadre strictement laïque, en refusant de confessionaliser/ethniciser à leur tour le débat et en s'adressant indistinctement en tant que " Français " à David, Mohammed et Pierre, au lieu de faire de David la victime, Mohammed le bourreau et Pierre le spectateur indifférent. Quel est le souci d'un enseignant confronté à ce problème ? Il est justement de ne pas faire de la cour de récréation un lieu d'affrontement. Le seul moyen de sortir des amalgames juifs-israéliens et beurs-palestiniens dénoncé par les auteurs, c'est de faire de la salle de classe, face à ce problème, un lieu de construction du savoir, un lieu de réflexion et de débat. Or, que constatons-nous ? Ce type de dérive n'est gérée - sanctionnée ou camouflée - que d'une façon disciplinaire par la Vie Scolaire, sous le chapitre des incivilités ou du vandalisme. Nous, enseignants, souhaitons placer la question sur le terrain de l'apprentissage de la citoyenneté. Nous venons de créer dans cette optique une association " Education France-Israël-Palestine " (EduFIP) qui se propose à la fois d'élaborer un travail pédagogique sur les modalités de l'enseignement du conflit israélo-palestinien dans nos trois pays, et de tisser des liens étroits entre enseignants européens, israéliens et palestiniens. En ce qui concerne la France, le conflit israélo-palestinien entre programmatiquement dans l'enseignement de l'histoire en Troisième et en Terminale. Mais la sous-formation des enseignants en ce domaine et l'examen attentif (en fait assez consternant) des manuels de collèges, de lycées d'enseignement général ou professionnels, démontrent qu'il y a autant de chemin à faire qu'il y a vingt ans pour d'autres enseignements problématiques comme l'histoire de la Shoah ou de la guerre d'Algérie. Un indice de cette sous-évaluation réside dans l'absence systématique de sujet spécifique sur le conflit israélo-arabe et sur le Proche-Orient au baccalauréat. Surtout, l'enseignement de l'éducation civique en collège et de l'ECJS en lycée ont aussi leur place dans une démarche d'appréhension rationnelle et historique du conflit.
Enfin, une crainte subsiste, à la lecture de cet article. C'est de voir la lutte légitime contre cette judéophobie se transformer imperceptiblement, pour des raisons idéologiques, en islamophobie ou en arabophobie. Les nombreux articles polémiques et nettement islamophobes de trois membres du comité de rédaction des Temps Modernes, publiés coup sur coup après le 11 septembre, puis après l'appel des 124, ne laissent pas d'inquiéter.
Rien n'est pire que l'instrumentalisation politique des enfants. Elle s'opère malheureusement, dans le champ éducatif, à la fois en Israël, en Palestine et. en France ! Un fait-divers révélateur, hors du champ scolaire cette fois et relaté dans les colonnes de Libération et du Monde à la mi-décembre : l'annulation du visionnage dans un cinéma de Paris du film Harry Potter à une centaine d'enfants juifs, manifestation organisée par le KKL, est devenue un indice de l'antijudaïsme en France. A aucun moment dans ces articles, il n'a été signalé aux lecteurs que le KKL finançait par ce type de manifestation la construction de crèches ou d'écoles à Gilo, implantation illégale israélienne dans les Territoires Occupés. Une de ces implantations qui sont les véritables obstacles à toute résolution de paix. Au même moment, des milliers d'élèves palestiniens ne pouvaient plus se rendre à l'école à cause des bombardements israéliens et cinq enfants palestiniens explosaient sur des mines israéliennes placées sur le chemin de l'école. Et l'on a bien entendu sur les ondes de France Inter une institutrice israélienne de Gilo dire que les Arabes se conduisaient comme des animaux. Dans ce contexte, toute explication déséquilibrée, où Yasser Arafat est rendu responsable de l'échec du processus de Camp David, et où la réalité des violences commises en Cisjordanie et dans la bande de Gaza par les forces israéliennes en emprisonnant tout un peuple, est passée sous silence, ne fait que participer à des vues partisanes.
Dernière source de préoccupation sur laquelle nous travaillons : la télévision et l'internet, médias par lesquels nos enfants fabriquent leurs représentations faussées. Nous aimerions que Marc Knobel combatte avec la même énergie déployée contre les sites néo-nazis (voir Affaire Yahoo !) les sites extrémistes pro-israéliens français incitant à la haine. Il suffit de jeter un coup d'oil par exemple sur le site Am Israël Haï (diffamation à l'égard de notre ministre des Affaires Etrangères, insulte contre notre ambassadeur de France au Royaume-Uni, rewriting tendancieux et illégal de dépêches AFP) pour se rendre compte des dégâts. Il suffit de regarder les émissions télévisuelles de divertissement dans lesquelles Michel Boujenah, au début de l'intifada) où Patrick Bruel (il y a quelques semaines en brandissant le dossier de l'Express consacré à ce sujet) répètent la même antienne désinformatrice sur des mères palestiniennes envoyant leurs enfants en sacrifice jeter des cailloux sur les forces israéliennes d'occupation .
Tout cela a un impact sur nos enfants, qu'ils s'appellent David, Pierre ou Mohammed, et explique en grande partie les tensions actuelles dans l'Ecole en France. Le très beau texte de l'historien israélien Schlomo Sand dans Le Monde daté du 5 janvier, en réponse à la vision instrumentalisée de l'histoire d'Israël de Limor Livnat, ministre israélienne de l'Education Nationale, montre comment le devoir d'histoire est la véritable garantie dans nos écoles de notre triptyque républicain.
                               
6. Lorsque "Libération" s'égare... par Michel Barak
(Michel Barak est un historien et universitaire français.)
Monsieur Le Rédacteur en Chef du journal "Libération" - Lecteur assidu de votre journal, je parcours avec étonnement, sous la plume d'universitaires supposés vérifier leurs sources, l'article publié en chronique "Rebonds" dans votre édition du vendredi 4 janvier.
Tout le raisonnement sur l'impossibilité d'expliquer ce qui se passe au Proche-Orient au petit David repose sur cette contre-vérité : "Si l'évacuation des implantations israéliennes avait été l'objectif politique des Palestiniens, il aurait été déjà atteint via les négociations de camp David et de Taba. Ehud Barak avait fait tomber les tabous." Or, un négociateur américain Robert Malley a publié un compte- rendu des négociations de Camp David qui contredit complètement la thèse officielle israélienne ici reprise.
Son article, résumé et publié dans Le Monde du 25 juillet 2001, a été édité aux Etats-Unis dans la New York Review of Books. Il dit clairement qu'il n'y eut jamais " stricto sensu " d'offre israélienne à Camp David "et évidemment la meilleure preuve en est que six mois plus tard à Taba de nouvelles négociations attestent d'une évolution sérieuse des positions israéliennes. Mais Barak n'était plus en mesure de proposer un texte à la signature étant distancé de 20 points par Ariel Sharon pour les élections à venir quelques jours plus tard (Cf. le dossier du Monde Diplomatique de septembre 2001).
Le Monde ajoutait que contrairement à ce qui est écrit dans l'article de Rebonds, l'Intifada n'a pas été déclenchée par un Arafat presse bouton, à qui est prêté plus de pouvoir qu'il n'en a, mais a éclaté à la suite de la visite provocatrice de Sharon sur l'esplanade des mosquées, autorisée par Barak et escorté par sa police, qui, le lendemain tuait des citoyens arabes israéliens.
Il est en effet de plus en plus difficile d'expliquer tout cela à des enfants comme à des adultes juifs ou pas. Comment expliquer - ce dont ne parlent pas les auteurs - l'occupation, les contrôles permanents, les
checks points, les blindés, les bulldozers qui détruisent maisons et champs d'agrumes ou d'oliviers, fabriquant des générations de désespérés, futurs kamikazes dont l'action est totalement condamnable, les F16, les hélicoptères d'attaques, etc... Mais ce sont "des images trompeuses" !
On peut rappeler que chaque fois qu'il y a eu un espoir, une perspective politique, une amélioration de la vie quotidienne du peuple palestinien, les attentats aveugles, les actions extrémistes ont diminué, voire disparu. Alors si les revendications palestiniennes sont à ce point admises par les gouvernants israéliens, pourquoi tous ces chars et pourquoi pas un retrait immédiat ? Chiche !
                                   
7. Pas de "saison" palestinienne par Uri Avnery (5 janvier 2002)
[traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
"Vous n'êtes pas sérieux" disaient les Algériens aux responsables de l'OLP. "Vous devez tuer vos opposants !"
C'était il y a des années. Les responsables de l'OLP avaient demandé leur avis à leurs frères victorieux, les vétérans du Front algérien de Libération Nationale (FLN). Ceux-ci ont prodigué généreusement leurs conseils : " Vous ne pouvez pas mener une guerre de libération s'il y a des différends internes. Il ne peut y avoir qu'un seul parti. Il n'y a pas de place pour une opposition interne. Les opposants doivent être liquidés. "
Ils donnaient comme exemple un de leurs équipements sur la frontière algéro-tunisienne. C'était une maison de trois pièces, dans laquelle les opposants à la direction étaient amenés. Dans la première pièce se déroulait leur procès, dans la seconde le jugement était prononcé, et dans la troisième ils étaient exécutés. L'ensemble du processus ne durait que quelques heures. Ils ne sortaient de cette maison que les pieds devant.
Cette histoire m'a été racontée cette semaine par un officiel palestinien important. " Nous, les Palestiniens, avons écouté et nous nous sommes dit : Cela n'arrivera jamais dans notre mouvement ! "
Et en fait, pour comprendre ce qui se passe maintenant dans les territoires palestiniens, il faut savoir qu'il existe une résolution nationale unanime : éviter à tout prix une guerre civile.
Cette résolution vient d'un traumatisme palestinien. En 1936, la " Rébellion Arabe " (en jargon sioniste " les événements ") est survenue. L'immigration juive avait fortement augmenté après la venue au pouvoir d'Hitler en Allemagne, les Arabes avaient le sentiment que la terre leur était retirée sous les pieds. Dans une tentative désespérée pour sauver leur existence nationale, ils ont déclenché une grève générale, qui s'est transformée en rébellion armée. Elle était conduite par Haj Amin al-Husseini, le grand mufti de Jérusalem.
Le mufti a saisi l'occasion pour éliminer tous ses opposants de l'intérieur. Au cours du bain de sang, presque tous les responsables palestiniens qui n'acceptaient pas inconditionnellement son autorité ont été assassinés. Quand le moment de vérité est venu à la fin de 1947 (après la résolution de partage de l'ONU), le peuple palestinien n'avait aucune direction nationale sur laquelle s'appuyer.
Maintenant Ariel Sharon veut contraindre Arafat à déclencher une guerre civile. C'est ce que signifie sa demande à Arafat de liquider les dirigeants du Hamas et du Djihad et de détruire leurs institutions. Il espère que le Hamas et le Djihad décideront alors de se venger et de tuer les chefs de l'Autorité palestinienne. La tuerie mutuelle mettrait fin à la lutte palestinienne, peut-être pour toujours.
Ni Arafat ni ses opposants n'ont l'intention de combler l'espoir de Sharon. Dans son discours à la nation, Arafat a déclaré que les attaques continuelles contre les Israéliens desservent les intérêts nationaux du peuple palestinien. La plupart des Palestiniens pensent qu'Arafat a raison. Le Hamas et le Djihad ne sont pas d'accord, mais ne veulent pas être entraînés dans une guerre civile. Par conséquent, on assiste à une " baisse importante du nombre des attaques " d'après les responsables israéliens de la Sécurité.
Tout ceci rappelle un épisode semblable dans notre propre histoire. Après l'assassinat de Lord Moyne par le Lehi (initiales hébraïques de " Combattants de la liberté d'Israël ", appelés par les anglais " le Groupe Stern "), Ben Gourion a décidé de livrer les " dissidents " à la police britannique, qui les a torturés et envoyés dans un camp en Afrique. Certains des combattants de l'Irgoun (Irgoun - abréviation pour Organisation nationale militaire, un autre groupe clandestin) ont été kidnappés par la Palmah (" troupes de choc ") de Ben Gourion et livrés aux Anglais, d'autres ont été arrêtés par les Anglais eux-mêmes d'après une liste de 700 suspects que leur avait donnée Ben Gourion. Cet épisode a été appelé " la Saison " (prononcé à la française), signifiant la saison de la chasse.
Si à cette époque une guerre civile sanglante ne s'est pas produite, c'est grâce à Menahem Begin, le commandant de l'Irgoun, qui était déterminé à empêcher à tout prix une guerre fratricide. Les combattants de l'Irgoun ont reçu l'ordre de ne pas tirer sur les membres de la Palmah qui venaient pour les kidnapper. (Le responsable du Lehi, Nathan Yellin-Mor, en a décidé autrement. Comme il me l'a déclaré des années plus tard : " Je suis allé à une réunion avec les chefs de la Haganah. J'ai mis un pistolet chargé en face de moi sur la table. J'ai dit : 'chaque combattant du Lehi utilisera cette arme pour se défendre'. Il en est résulté qu'aucun de nos hommes n'a été kidnappé ").
Ben Gourion jouait un jeu complexe. A un certain  moment, il ordonnait la " saison ", à un autre, il mettait sur pied le " Mouvement de la Rébellion hébraïque " qui coordonnait les actions de sa propre Haganah, de l'Irgoun et du Lehi. Il utilisait alternativement la diplomatie et la violence, à doses variées. En fait il utilisait les actions de l'Irgoun et du Lehi pour ses propres objectifs.
Arafat est en train de faire exactement la même chose. Quand il y a un espoir d'aboutir à un Etat palestinien par des moyens pacifiques et qu'une confrontation avec les Américains doit être évitée, il empêche les actions des " dissidents ". Quand cet espoir s'évanouit, il leur donne le feu vert.
Tout ceci est fait par consensus. Contrairement à son image créée en Israël, Arafat n'est pas un dictateur brutal. Au contraire, certains de ses conseillers l'accusent d'être trop indulgent, de ne pas se venger de ceux qui le trahissent et de ne pas punir ceux qui portent atteinte à la cause palestinienne. Il se conforme à une ancienne tradition arabe : la " Ijmaa ", décision par accord général. (Les aînés de la tribu s'assoient et discutent d'un problème controversé jusqu'à ce que chacun des présents soit convaincu et soutienne la décision proposée, la rendant unanime.)
 Cela est une manière de stopper la violence. Le peuple palestinien ne commettra pas un suicide par la guerre civile. Il ne sera convaincu d'arrêter la lutte violente que lorsqu'il constatera que son existence nationale peut être assurée par des moyens pacifiques. Et en même temps, il collectera des armes, pour faire face à toute éventualité.
                               
8. Si j'étais Mofaz par Uri Avnery (29 décembre 2001)
[traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
Si j'étais Shaul Mofaz, je me ferais vraiment du souci en ce moment.
En Belgique, Ariel Sharon est en procès pour son rôle dans les évènements de Sabra et Shatila il y a 19 ans. Il a d'abord traité cela comme une simple plaisanterie. Maintenant, il dépense une fortune (de notre argent) pour ce procès.
L'accusation affirme que Sharon, alors ministre de la Défense, responsable pour Beyrouth occupé, a permis à une poignée d'assassins notoires de pénétrer dans les camps de réfugiés sans défense, où ils ont tué sans discrimination hommes et femmes, vieillards et enfants. La commission d'enquête israélienne a ordonné sa démission et l'a accusé de " responsabilité indirecte ". Les procureurs belges cherchent à l'accuser de responsabilité directe.
Il se peut que le procès soit abandonné et que Sharon ne soit pas reconnu coupable. Mais s'il est reconnu coupable, un mandat d'arrêt international sera lancé pour son arrestation et il risquera d'être arrêté dès qu'il mettra le pied en Europe.
Ceci n'est qu'un début. La campagne internationale contre les crimes de guerre progresse rapidement. Une Cour internationale permanente pour les crimes de guerre est sur le point d'être créée. Après la Belgique, d'autres pays vont voter des lois pour le jugement de criminels de guerre étrangers devant leurs tribunaux. La définition de crimes de guerre sera élargie, de même que la coopération entre les Etats, particulièrement en Europe.
Le procès d'un chef de gouvernement en activité accusé de crimes de guerre commis il y a 19 ans constitue un précédent important. Non moins importante est la décision transmise cette semaine par la Cour suprême israélienne, déniant à Ehoud Yatom le droit d'occuper un poste important dans les services de sécurité. Yatom a tué de sang froid, de ses mains, deux prisonniers enchaînés. Ceci s'est passé il y 17 ans, alors qu'il était un responsable de haut rang dans les services de sécurité du Shin-Beth. Il a déclaré pour sa défense qu'il n'avait fait qu'obéir aux ordres et agi en accord les " normes " existantes (paroles terribles pour une oreille juive). A l'époque, il avait demandé et obtenu la grâce, ce qui pratiquement revenait à tolérer un acte ignoble.
(C'était dans le cadre de la tristement célèbre " affaire du bus de la ligne 300 " de 1984, la prise d'un bus par quatre adolescents palestiniens sans armes. Deux ont été tués lors de l'assaut du bus, les deux autres ont été tués après leur capture. Le magazine Haolam Hazeh, dont j'étais directeur à l'époque, avait joué un rôle important dans la découverte du crime.)
L'été prochain, Shaul Mofaz doit prendre sa retraite. Ce sera la fin de sa carrière militaire. Vraiment la fin ?
Dans un an, cinq ans ou 20 ans, quelqu'un peut poursuivre Mofaz à la Haye, à Bruxelles ou ailleurs pour des actes commis sous son commandement. Par exemple : les " liquidations ".
Dans ce cas, Mofaz devra expliquer aux juges étrangers pourquoi il a décidé et ordonné le meurtre de personnalités palestiniennes y compris de hauts responsables politiques. Les procureurs vont probablement prétendre que c'était des exécutions extra-judiciaires dans lesquelles Mofaz et ses officiers étaient à la fois procureurs, juges et bourreaux.
Il en est de même pour les prétendus " crimes de fait" (viduh harigah en hébreu), c'est-à-dire les assassinats par non assistance à ennemis blessés. Sur cet acte indigne flotte le " drapeau noir ", même selon la loi israélienne. Au cours de la carrière militaire de Mofaz (et même avant) ceci est devenu la norme.
Quiconque obéit à de tels ordres (voir Ehud Yatom) exécute un " ordre manifestement illégal ", c'est-à-dire un ordre que toute personne normale, aussi primaire soit elle, sait illégal. (Ainsi défini par le juge Benjamin Halevy, présidant la Cour martiale, dans son fameux jugement " drapeau noir " condamnant les auteurs du massacre de Kufr Kassem en 1956.) Il s'ensuit que la menace de poursuites plane sur nombreux officiers et soldats, du général au simple soldat qui ont donné ou exécuté un tel ordre.
Si l'un d'eux croit que c'est un danger abstrait, quelque chose de simplement théorique ou spéculatif, il pourra tôt ou tard s'apercevoir qu'il s'est bien trompé. Le jour n'est peut-être pas loin où un officier qui a ordonné une action de " liquidation ", le pilote d'hélicoptère qui l'a exécutée, le lieutenant qui a ordonné un acte de " crime de fait" et le simple soldat qui a obéi, seront tous poursuivis par la peur quand ils se rendront à l'étranger. Et si les lois israéliennes changent lors de l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement différent, comme cela se produira sûrement un de ces jours, ils vivront dans l'inquiétude même en Israël.
Souvenez-vous en : il n'y a pas limite de temps. Un grand-père jouant avec ses petits-enfants peut être poursuivi pour des crimes de guerre qu'il a commis quand il était jeune. Et il n'y a aucune exception en raison du grade - l'épée de la justice peut s'abattre de la même façon sur un simple soldat et sur le ministre de la Défense.
Le trio aujourd'hui responsable de tout ce qui se passe dans les territoires occupés - Shaul Mofaz, Benjamin Ben-Eliezer et Ariel Sharon - seraient bien inspirés de regarder les photos de Slobodan Milosevic à La Haye. Il y a peu, celui-ci était un dirigeant tout puissant, qui pouvait d'un simple battement de cils, autoriser le meurtre de milliers d'hommes (y compris de jeunes gens) ou le viol de milliers de femmes (y compris des jeunes filles). Il est maintenant à La Haye.
La route pourrait être plus courte qu'il ne semble.
                                   
Revue de presse

                           
1. Sharon le serein par Sylvain Cypel
in Le Monde du mardi 8 janvier 2001
En quinze mois, Ariel Sharon, le "bulldozer", l'homme de Sabra et Chatila, est devenu un chef de gouvernement habile, encensé par les Israéliens. Même ses ennemis admettent qu'il a changé. En bien.
L'âge aidant, il paraît encore plus "éléphantesque". Mais, depuis le 11 septembre, il rayonne. Ses proches l'affirment : "Arik" dégage une sérénité dont on le croyait incapable. Même le détesté Ouzi Benziman, auteur d'une biographie au titre savoureux – Celui qui ne s'arrête pas au feu rouge –, contre qui Ariel Sharon a perdu son procès en diffamation, a déclaré que l'homme, aujourd'hui, le "surprend". Comprendre : en bien. Arik aurait évolué. Le "bulldozer" qui méprisait les "politiciens couards"est devenu un chef de gouvernement poli avec ses ministres, attentif. Beaucoup y voient l'influence de son fils, Omri, qui lui aurait fait comprendre que "son monde mental ne peut être bâti uniquement sur la haine qu'il éprouve pour ses ennemis et qu'il suscite chez eux". "C'est terrible à dire, note un autre, mais la disparition de sa femme [il y a deux ans] a eu un effet bénéfique." Lili, pour laquelle il a acquis un lopin afin de l'y enterrer, seule, juste devant son ranch du Néguev, sur les ruines de Kfar Houdj, un village palestinien dont la population fut expulsée en 1948. Lili qui, dit- on, attisait sa violence intérieure, "voyait des ennemis partout, lui interdisait de pardonner".
"Arik" le serein vit un rêve. Il y a quinze mois, il n'était politiquement presque plus rien. A soixante-douze ans, sa carrière derrière lui, il n'était pas certain de retrouver un ministère si "Bibi" Nétanyahou, l'homme fort de la droite israélienne, revenait au pouvoir. Alors il profite de chaque instant. Judy Shalom-Nir-Moses, la femme du ministre des finances, contre lequel il a défavorablement arbitré dans le débat budgétaire, a beau le traiter de "vieillard fatigué qui préfère caresser ses moutons dans sa ferme que manifester de la fermeté", il s'en moque. Malgré la récession économique, les sondages le créditent de 75 % d'opinions favorables. Un score jamais atteint par un premier ministre israélien après un an de pouvoir. "Regardez où en était sa légitimité internationale en février[date de son entrée en fonctions], où en était Arafat, et où ils en sont aujourd'hui. Pour Sharon, c'est un triomphe !", clame le secrétaire général du gouvernement, Gideon Saar. Aux yeux des Israéliens, Sharon cumule les réussites. Contre toute attente, il a facilement constitué un gouvernement d'union nationale et le préserve. Mieux, "son plus grand succès est d'avoir convaincu l'équipe Bush de son point de vue sur Arafat et les Palestiniens", explique son entourage. Ses services de communication s'y entendent pour forger l'image du père, du vieux sage, homme sensible en réalité. Savez-vous que depuis des années il est abonné au Philharmonique ? vous glisse-t-on incidemment.
Surtout, il gouverne. Et, selon les témoins, plutôt intelligemment. "Après les deux jeunots méprisants [Nétanyahou puis Barak, chefs du gouvernement de 1996 à 2001], quel soulagement : les débats sont préparés, fructueux, il y a un patron", dit un ministre. Même Avigdor Lieberman, l'âme damnée fascisante de Nétanyahou, en convient. Au départ, il était méfiant. Il constate que "finalement Sharon utilise bien les travaillistes pour mener une bonne politique". Même s'il lui reproche de ne pas frapper les Palestiniens comme ils devraient l'être : "pas avec deux tanks dans chaque ville, mais avec 200". Ensuite, Sharon le populiste, l'homme aux déclarations fracassantes, parle désormais peu. Gideon Saar : "Il est arrivé très mûr premier ministre. A ce poste, plus on s'exprime, plus on perd en crédibilité. Il est important de laisser les questions essentielles dans le flou." Il dit donc à chacun ce qu'il veut entendre. Pour Dan Méridor et Meïr Shitrit, ministres modérés de son parti, le Likoud, il évoque un futur Etat palestinien. A son ami Reouven Rivlin, likoudnik plus dur, il précise que "les Palestiniens pourront l'appeler leur Etat, mais personne au monde ne le considérera comme un Etat". Une version israélienne du Bophutswana, un bantoustan, en somme. Aux Lieberman, Landau et autres ultras, il répète qu'ils "n'ont pas à s'inquiéter", aucune Palestine ne verra le jour.
Seul l'ombre de Nétanyahou serait susceptible de l'angoisser. Lorsqu'on évoque "Bibi", qui l'invite à accentuer la pression sur les Palestiniens, Sharon rétorque, patelin : "Oui, Nétanyahou voudrait que je serre Arafat d'encore plus près. 
Il faut dire que lui, quand il était premier ministre, lui a serré cinquante fois la main. Moi, jamais."Beaucoup, pourtant, assurent que "Bibi", qui a la majorité du parti, trouble son sommeil. C'est autant pour le "bordurer" que pour calmer l'opinion internationale que Sharon a absolument besoin des travaillistes au gouvernement. Jusqu'ici, il n'a pas trop à craindre d'eux. Il faudrait une énorme bavure pour que Shimon Pérès claque la porte. Pourquoi donc, alors, a-t-il fallu qu'"Arik", récemment, l'humilie ? Après que l'Union européenne, le 10 décembre, eut, pour la première fois, unilatéralement vilipendé Yasser Arafat, Sharon a publiquement "remercié" Shimon Pérès pour son "excellent travail" : avoir persuadé les Européens de l'inanité du leader palestinien. Là, dans un moment d'euphorie, la nature profonde d'Ariel Sharon a semblé resurgir. Depuis qu'il a décrété Arafat "hors jeu", les médias israéliens ne cessent d'évoquer la réapparition de l'"ancien" Sharon. Le Sharon qui ne fait confiance à personne, qui masque ses intentions, concocte ses plans, se croit capable de manipuler l'opinion, le gouvernement et son propre allié américain, agit sans informer quiconque. Premier indice : le rendez-vous avec Bush, le 2 décembre ; Sharon s'y rend seul. Au retour, il informe le gouvernement succinctement. "Une rencontre importante, très fructueuse." Mais encore ? Il n'en dit pas plus.
Surtout, mille petits signes indiquent que le souvenir du Sharon de la guerre du Liban, en 1982, revient dans les têtes, celles de ses partisans, qui espèrent qu'il va "finir le boulot" - liquider l'OLP -, comme de ses adversaires, qui craignent une nouvelle "aventure calamiteuse". Lui, ses proches l'assurent, "n'y fait jamais allusion". Mais il y pense forcément, puisque tous y pensent, désormais. Le Liban, son boulet. Le plan "Grands pins", élaboré dès janvier 1982, offrait selon lui des perspectives grandioses. Un : il pulvérise l'OLP. Deux : il fait élire président libanais le chef des phalangistes chrétiens, Béchir Gémayel, qui signe la paix avec Israël. Trois : il repousse loin les forces syriennes, peut-être même hors du Liban. La fin "heureuse" espérée, plus aléatoire, était de voir les réfugiés palestiniens du Liban expulsés vers la Jordanie. Là, les Palestiniens renversaient la monarchie hachémite et instauraient leur Etat. Il ne restait qu'à officialiser le Grand Israël et inciter les Palestiniens des territoires occupés à aller dans "leur pays", de l'autre côté du Jourdain. On sait ce qui en est advenu. Au début, l'opération "Paix en Galilée" avait bien fonctionné. Mais les Européens avaient empêché Sharon d'en "finir" avec Yasser Arafat, en lui offrant une sortie vers Tunis. Puis le massacre de Sabra et Chatila (estimation moyenne : 1 000 morts, 2 000 disparus parmi les réfugiés palestiniens), préparé par les Phalanges sous supervision de Tsahal et destiné à créer la panique chez les Palestiniens, prélude à leur exode, s'était retourné contre son instigateur. Les Etats-Unis avaient "lâché" Israël, sous l'œil narquois des Syriens. Sharon s'était retrouvé l'homme le plus controversé d'Israël.
Jusqu'aujourd'hui, il souffre de ce qu'il perçoit comme une injustice, de l'image "scandaleusement erronée" qui lui est accolée. N'a-t-il pas, en vérité, "gagné" cette guerre ? Débarrassé le nord du pays de la "menace terroriste" de l'OLP ? Mieux, Sharon reste convaincu qu'il s'en est fallu de très peu pour que son plan aboutisse, auquel cas tout Israël l'aurait, comme en 1973, accueilli en héros. Au lieu de quoi 100 000 personnes l'ont conspué, à Tel-Aviv : "Sharon assassin !" Le procès pour "crimes de guerre" qui lui est intenté à Bruxelles ? Il le laisse de marbre, affirment ses proches. "Une manœuvre palestinienne misérable pour le faire tomber, parce qu'il est le rempart d'Israël." Les manifestants qui, chaque semaine désormais, scandent devant sa maison à Jérusalem "Sharon, on t'attend à La Haye" sont si peu nombreux, et lui si blindé, qu'ils ne suscitent que son mépris.
Mais la référence de plus en plus "naturelle", dans les médias, au Liban constitue un indice inquiétant. Quand Shimon Pérès dit, le 13 décembre, que "si les assassinats ciblés continuent le jour n'est pas loin où Israël sera considéré comme un Etat criminel de guerre", il touche une fibre sensible. L'image qu'il laissera à la postérité importe beaucoup à Sharon. De Golda Meïr, grande dirigeante sioniste, l'histoire, dit-il, ne retiendra que son incapacité, comme premier ministre, à prévoir l'attaque des armées arabes, en octobre 1973. Son accession au pouvoir suprême, lui, Sharon, a bien l'intention d'en user pour laisser une image de vainqueur aux seuls dont l'opinion lui importe - "les juifs, pas les goyim [gentils] " - et gommer les scories "libanaises" qui salissent injustement sa biographie. Pour y parvenir, nombreux lui prêtent aujourd'hui "un plan secret".
Gilead Sher, l'ancien proche conseiller d'Ehoud Barak, se gausse : "Sharon n'a aucun plan, pas même de stratégie."Au gouvernement, certains corroborent, en termes plus polis, cette impression. Ariel Sharon suit deux lignes de force : délégitimer Arafat pour que disparaisse toute trace de la reconnaissance mutuelle Israël-OLP, et user les Palestiniens pour parvenir à leur "capitulation". Ensuite, les options sont ouvertes. D'autres, en revanche, sont persuadés que le Sharon des "plans grandioses" est revenu. Le 8 juin, Ouzi Benziman rapportait les confidences de plusieurs ministres. Sharon, lui disaient-ils, "prépare le terrain pour le jour où il donnera l'ordre à Tsahal de pousser Arafat vers la sortie". Cela a été écrit trois mois avant les attentats du 11 septembre. Depuis, tout se déroule comme prévu. L'euphorie aidant, l'homme des grands projets se prendrait à rêver à "un nouvel ordre" au Moyen-Orient, qui le verrait non seulement y "éradiquer le terrorisme", mais redessiner sa carte politique. Et – qui sait ? – extraire définitivement l'épine palestinienne du pied d'Israël, en la ramenant à ce qu'elle n'aurait jamais du cesser d'être : "un problème arabe", qu'il revient "aux Arabes de régler".
Le journaliste Shimon Shiffer, depuis vingt-cinq ans, suit les pérégrinations des dirigeants israéliens à l'étranger et ne cache pas combien Sharon le séduit. Il raconte l'anecdote suivante : "En février 1982, Sharon était en visite en Egypte. Chaque soir, il téléphonait à sa maman. Comment va-t-elle ? Comment vont les vaches à la ferme ? Chaque fois, sa mère concluait : "Tu es encore chez les Arabes, mon fils ? Ne crois pas un mot de ce qu'ils te racontent."" Cette méfiance, inculquée dès la prime enfance, envers "les Arabes", dit Shiffer, n'a en rien été altérée. Sharon est, dit un autre proche, "convaincu que, si par malheur les Palestiniens avaient un jour un vrai Etat, ils commenceraient par abattre les avions d'El-Al". La paix ? Il faut en parler, puisque c'est ce que les Israéliens et la communauté internationale veulent entendre, mais surtout ne pas y croire. Il faut au contraire poursuivre la conquête de la terre d'Israël et imposer, par la force, des solutions qui consolident sa sécurité, puisque, très longtemps encore, Israël restera indésirable pour son environnement arabe. "Pour Sharon, la paix, dit son confident Reouven Rivlin, ministre de la communication, ce sera pour les prochaines générations."
En attendant, ajoute-t-il, "Arik pense aujourd'hui d'Arafat ce qu'il pensait en 1982. C'est un terroriste à plein temps. N'étaient les contingences internationales, il s'en serait déjà débarrassé." 1982, le Liban, Arafat, décidément ses démons le hantent toujours. Lorsqu'il a refusé au président de l'Autorité palestinienne d'accéder à la messe de Noël à Bethléem, l'analyste politique Daniel Bensimon (Haaretz) a évoqué "un règlement de comptes qui transcende la politique". "Les ministres, ajoutait-il, n'avaient jamais vu une détermination pareille. Pour Ariel Sharon, c'était une affaire personnelle qui tient à l'hostilité viscérale qu'il éprouve pour Arafat depuis des décennies."
                                       
2. Le kamikaze teenager de Tampa a laissé une note saluant les attentats du 11 septembre par David Firestone
in The New York Times (quotidien américain) du lundi 7 janvier 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Tampa (Floride) 6 janvier - L'écrasement d'un petit avion piloté par un jeune garçon de 15 ans était un acte délibéré de soutien à Oussama Ben Laden et aux kamikazes qui ont démoli le World Trade Center, a déclaré ce jour le commissaire de police principal de la ville.
Celui-ci, Bennie Holder, a déclaré que les enquêteurs ont retrouvé une lettre dans l'une des poches de Charles J. Bishop, le jeune de quinze ans qui a précipité son avion léger sur le building de la Bank of America, à hauteur du 28ème étage, samedi après-midi.
"Le jeune homme, Charles Bishop, était un garçon peu liant, appréciant la solitude", a déclaré le commissaire Holder au cours d'une conférence de presse. "Son acte nous amène à penser qu'il s'agissait d'un jeune homme très tourmenté."
Charles Bishop est mort sur le coup. Aucune autre victime à déplorer.
M. Holder n'a pas révélé le contenu de la note brève et écrite à la main, de Charles Bishop. Bien que la teneur en ait été le soutien aux terroristes, M. Holder a indiqué que cette note établissait sans ambiguïté que le jeune homme a agi seul, et qu'apparemment il n'était pas lié à une quelconque organisation terroriste. Des voisins et des camarades de classe ont décrit Charles Bishop comme un garçon brillant, mais néanmoins calme et discret. Tous se perdent en conjectures au sujet de son acte.
Un porte-parole de la Maison Blanche a déclaré hier que le FBI mène une enquête et que cet incident semble ne pas être lié au terrorisme.
Il n'en a pas moins suscité beaucoup d'inquiétude en ce qui concerne la sécurité de milliers de petits avions rattachés à une multitude d'aéroport à travers les Etats-Unis, que de nombreux d'officiels responsables de l'aviation pensent vulnérables au même type de menace. Le kamikaze était étudiant dans une école de vol située dans l'enceinte de l'aéroport international St-Petersbourg-Clearwater. Peu avant 17 heures, samedi dernier, tandis qu'un instructeur pensait qu'il ne faisait que procéder aux vérifications d'avant décollage d'un Cessna 172R (monomoteur), il fut stupéfait de voir le jeune homme sauter dans le cockpit, s'installer aux commandes et décoller sans autorisation.
Il a survolé la Baie du Vieux Tampa, ignorant les gestes que lui faisait un pilote d'hélicoptère de la Garde Côtière lui faisant des gestes désespérés lui enjoignant de se poser, puis il a mis le cap sur un groupe de tours de bureaux en bordure de la rivière Hillsborough, dans le centre-ville. Butch Wilson, enquêteur du Bureau de la Sécurité Nationale des Transports, a déclaré que le jeune homme avait une maîtrise parfaite du quadriplace et qu'il semblait savoir exactement ce qu'il faisait. Il avait refusé d'établir tout contact radio durant son vol, d'une dizaine de minutes.
Sa lettre ne dit pas si Charles Bishop a choisi à l'avance le building de 42 étages de la Banque d'Amérique, a déclaré le commissaire Holder. L'avion avait obliqué tout d'abord vers le sud, pénétrant dans l'espace aérien de la base aérienne de MacDill, qui est le QG de l'aviation américaine, d'où sont dirigés les opérations en Afghanistan. Après plusieurs boucles dans les airs, l'avion est venu s'écraser sur un angle du gratte-ciel de la banque. M. Holder a indiqué que les enquêteurs n'ont aucun doute quant au caractère délibéré de l'acte de Charles Bishop.
Les ailes du petit avions, contenant le carburant, furent détachées du fuselage dans l'accident et aucun incendie ne s'est déclaré dans les bureaux dévastés, dans lesquels il n'y avait personne lors du crash. Un film vidéo tourné par les pompiers montre le fuselage au milieu d'un monceau de cloisons écroulées, de panneaux d'isolation, de débris de verre et de mobilier. La queue de l'avion est restée suspendue au-dessus du vide durant la nuit, mais ce matin des ouvriers l'ont tirée à l'intérieur au moyen de câbles, puis ils l'ont découpée au chalumeau et l'ont évacuée.
La structure du gratte-ciel n'a subi aucun dommage. Des responsables de la municipalité de Tampa ont indiqué qu'il serait ouvert dès lundi à tous ses usagers, à l'exception des locataires des bureaux directement atteints.
Tandis que les passagers des lignes aériennes doivent se plier à l'inspection de leurs chaussures, susceptibles de contenir des explosifs, la facilité avec laquelle un jeune homme déterminé de quinze ans a pu utiliser un avion pour commettre son suicide de kamikaze a mis en évidence les standards de sécurité extrêmement variés qui président à la sécurité du système aérien général du pays, pour reprendre la terminologie des spécialistes qui désignent ainsi les avions légers et les vols charter. Hanspeter Tschupp, propriétaire d'une école de vol à voile située à quelques dizaines de mètres de l'école nationale d'aviation où le jeune homme a volé son avion, a déclaré que presque toutes les écoles de ce type permettent à leurs stagiaires de procéder aux contrôle pré-décollage, à titre d'exercice, sur le tarmac (la piste), sans qu'un instructeur soit présent.
"Bien entendu, ce ne sera plus le cas désormais", a indiqué M. Tschupp. "Dorénavant, nos instructeurs resteront à côté de leurs stagiaires en permanence."
Toutefois, il n'y a pas que les écoles de pilotage. La plupart des avions privés sont garés derrière des barrières aisément franchissables, dans les petits aéroports. Il est très facile d'entrer dans les hangars - M. Tschupp a révélé que de nombreux constructeurs d'avions ne pensent pas à doter chaque appareil d'une clé de contact différente, qu'il y a souvent un nombre limité de clés différentes pour un même modèle - et un terroriste peut sans difficulté s'emparer d'un avion privé afin de s'en servir comme arme.
"Ils sont faciles à dérober, et je n'ai pas constaté que les mesures de sécurité aient beaucoup changé depuis le 11 septembre", nous a déclaré Robert Baron, un instructeur en sécurité aérienne qui dirige une société de conseil à Fort Lauderdale (Floride). "Les gens ne se doutent pas à quel point l'aviation générale (petits avions + charters) est vulnérable, actuellement."
Le gouvernement reconnaît sans ambiguïté qu'il existe une menace potentielle, raison pour laquelle il a suspendu l'aviation générale autour des grands aéroports pour une durée de trois mois, après les attentats du 11 septembre. (Les vols privés sont toujours interdits à proximité de l'aéroport national Reagan de Washington). Mais il y a eu fort peu de changements dans la sécurité relative à l'aviation générale, et les responsables du secteur affirment que cela n'est pas nécessaire.
Warren Morningstar, vice-président de l'Association des Propriétaires d'Aéronefs et des Pilotes, la plus importante association de l'aviation civile, a relevé le fait que les dommages infligés par l'avion léger utilisé par Charles Bishop sont limités, ajoutant que l'utilisation d'un tel type d'avion à des fins de terrorisme était absolument sans aucun précédent.
"Dans la plupart des accidents de l'aviation générale, il n'y a pas d'incendie", a-t-il précisé. "Bien entendu, il est fort possible qu'il puisse y avoir quelque dégât, mais on pourrait dire la même chose dans le cas d'une personne dérangée qui s'emparerait d'un autobus ou d'un camion."
Il a indiqué que les plus petits aéroports exerçaient d'ores et déjà un contrôle beaucoup plus rapproché des gens qui effectuent des vols, ajoutant que nombreux sont les propriétaires d'avions qui équipent actuellement, et sans tarder, leurs appareils de chaînes permettant de bloquer les hélices et de verrous sur l'admission des gaz.
Néanmoins, la plupart des petits avions ne sont absolument pas sécurisés, et la capacité du jeune homme à pénétrer dans l'espace aérien de l'une des bases aériennes les plus stratégiques du pays a fait toucher du doigt le drame auquel on a échappé : quels dommages un terroriste muni d'explosifs n'aurait-il pu infliger à la base de MacDill. L'armée de l'air a envoyé deux chasseurs F-15 depuis la base aérienne de réserve de Homestead (proche de Miami), environ six minutes après le décollage de Charles Bishop, mais ils ne sont arrivés à Tampa qu'après le crash.
Le lieutenant colonel McClain, porte-parole de la base de MacDill, a indiqué qu'il ne pouvait expliquer pourquoi les avions de combat ont été dépêchés depuis Homestead et non de MacDill même. Il a indiqué que la base avait été informée par le contrôle aérien du vol de Charles bishop presque immédiatement, et qu'elle ne l'avait pas considéré menaçant. "S'il avait procédé à quelque manœuvre  menaçante, nous aurions pu le considérer comme une menace, et agir en conséquence", a-t-il ajouté.
Les responsables de la police judiciaire ne s'expliquent pas pourquoi le jeune homme avait développé une sympathie pour Oussama Ben Laden, bien qu'ils aient passé une journée entière à questionner la mère du jeune homme, Julia Bishop, dans son appartement de Palm Harbor, au nord de St-Petersburg (Floride).
Des voisins et des camarades d'école de Bishop, en Floride et dans le Massachusetts décrivent Charles comme un fils unique qui a passé le plus clair de son existence en compagnie de sa mère et, parfois, de sa grand-mère maternelle, Karen Johnson, dans les banlieues de Boston et de St. Petersbourg. Personne n'a le souvenir d'avoir connu son père.
Des camarades de classe le décrivent comme un fort en thème qui aimait sa classe et était le "chouchou" de plus d'un professeur. Il s'intéressait au journalisme et pouvait parler durant des heures d'avions, ont indiqué certains de ses camarades de classe.
Des voisins, à Norwell et à Winchester (Massachusetts), où mère et fils ont habité au début des années quatre-vingt dix, se souviennent du petit Charles comme d'un gamin comme on en voit beaucoup : il faisait du vélo et avait deux chiens. D'autres se souviennent d'un jeune garçon très sensible, en admiration devant la beauté du jardin d'un voisin. Il était calme, poli, parlait bien, avec éloquence, même, lorsqu'il exprimait ses sentiments et points de vue, ont dit certains. Pour d'autres, il était plutôt maussade et introverti.
"Il ne parlait pas à n'importe qui", a dit de lui Brit Schuther, 15 ans, un de ses voisins de Palm Harbor. "Il aimait rester seul."
Des responsables de l'Aviation civile ont indiqué qu'il avait étudié dans ce centre depuis le mois de mars, et qu'il avait enregistré six heures de vol. De temps en temps, il faisait le ménage, lavait les avions, contre quelques minutes de plus dans les airs.
                                           
3. Israël : notre part de mensonge par Schlomo Sand
in Le Monde du samedi 5 janvier 2002
(Shlomo Sand est professeur d'histoire à l'université de Tel-Aviv.)
Nous savons depuis le XIXe siècle avec Ernest Renan que, pour édifier une nation, il faut non seulement se souvenir, mais aussi oublier. Le point de vue exprimé dans Le Monde (21 décembre 2001) par Limor Livnat, ministre israélienne de l'éducation, confirme que la négation des droits d'un autre peuple nécessite de recourir à ce même mécanisme mental.
Israël : notre part de mensonge, par Schlomo Sand
Nous savons depuis le XIXe siècle avec Ernest Renan que, pour édifier une nation, il faut non seulement se souvenir, mais aussi oublier. Le point de vue exprimé dans Le Monde (21 décembre 2001) par Limor Livnat, ministre israélienne de l'éducation, confirme que la négation des droits d'un autre peuple nécessite de recourir à ce même mécanisme mental.
Au cours des dernières années, en Israël, il nous a été donné de voir un historien (Shlomo Ben Ami) s'essayer à la politique ; nous pouvons maintenant voir ce que donne l'écriture de l'histoire par une politicienne. Encore faut-il souligner qu'en l'occurrence la politicienne qui a confié à ce journal ses considérations historiographiques n'est pas n'importe qui, puisqu'il s'agit de la ministre qui s'emploie activement à façonner la conscience et la mémoire du passé de la jeunesse israélienne.
Limor Livnat est une adepte de l'histoire de  la "longue durée" : elle situe le commencement au XIIe siècle avant notre ère et la fin au milieu du deuxième millénaire. L'acteur principal en est un "peuple-race" éternel qui avait réussi à se conquérir un territoire au tout début de l'histoire, mais qui, comme les premiers Espagnols au VIIIe siècle, avait vu sa terre occupée par de méchants Arabes. Toutefois, tout comme les Espagnols qui expulsèrent les Arabes après huit siècles de présence, les juifs parvinrent, eux aussi, à se réapproprier leur terre après mille deux cents longues années.
Durant ce très long exil, les juifs rêvèrent de regagner leur patrie, ce qui ne fut possible qu'avec l'affaissement de l'Empire ottoman. En 1947, la souveraineté des juifs sur leur terre fut proclamée, et, comme ils avaient le cœur généreux, ils acceptèrent de se contenter de 10 % du territoire de la Palestine mandataire. La guerre de 1967 leur permit d'élargir leur territoire et d'accomplir ainsi la justice immanente de l'Histoire. Mais ne voilà-t-il pas que resurgirent alors d'étranges Arabes, avec à leur tête un Egyptien nommé Arafat, qui, par leurs revendications infondées, prétendirent porter atteinte à la vision historique magnifique du retour d'un peuple sans terre sur une terre sans peuple !
Je ne sais si la lecture d'un tel récit doit prêter à rire ou à pleurer. Puisque Auschwitz est aussi évoqué – et comment ne le serait-il pas ? –, il nous faut bien pleurer. Soyons juste : Limor Livnat n'est pas la seule patriote au monde à croire à l'antériorité quasi éternelle de la nation dont elle se revendique. Nombre de nationalistes, dans le monde entier, ont procédé ainsi et se sont inventé un passé historique imaginaire, pas toujours pour justifier au présent une politique cruelle.
La plupart des manuels d'enseignement en Israël regorgent de considérations semblables à celles de Limor Livnat, qui en est elle- même nourrie et qu'en sa qualité de ministre de l'éducation elle s'emploie de son mieux à faire reproduire dans les cerveaux des petits et des grands.
Les premières tentatives visant à reconsidérer cette façon d'écrire l'histoire, apparues lors des brèves années d'Oslo, ont été réfrénées par la ministre militante dès sa prise de fonctions. Elle avait été aidée en cela par l'impéritie stratégique d'Ehoud Barak, qui avait préparé le terrain pour le retour en force d'une "mémoire juive" bien aux normes.
Je recommanderais, par exemple, à Mme la ministre de lire les études d'archéologues israéliens importants que leurs recherches ont conduits à réfuter l'idée de la conquête de Canaan par les Hébreux et, partant, du génocide qu'ils auraient exécuté sur instruction divine. J'imagine toutefois que, pour Limor Livnat, la Bible est un livre d'histoire crédible et que le cruel génocide a bien eu lieu.
J'essaierais également de convaincre Mme Livnat qu'au VIIIe siècle il n'y avait pas encore de nation espagnole et que, précisément, la conquête musulmane de la presqu'île ibérique apporta aux juifs un âge d'or sans équivalent dans aucun royaume chrétien. Je crains cependant que cette version historique ne puisse être entendue alors qu'aujourd'hui le monde occidental tresse des couronnes à la civilisation "judéo-chrétienne" et associe l'islam à l'intolérance et à la terreur.
Il faudrait aussi rappeler à Limor Livnat que, selon la croyance juive millénaire, "Sion" ne constituait pas une patrie, mais un lieu saint vers lequel il ne sera permis d'émigrer qu'après la rédemption. C'est d'ailleurs pourquoi les juifs de Babylone, se sentant menacés, partirent vers Bagdad et non pas à Jérusalem, bien que les deux cités appartinssent au même royaume. Mais tout cela est peine perdue, car Limor Livnat semble trop éloignée de la compréhension de toute religiosité juive.
Il faudrait encore attirer l'attention de Limor Livnat sur une autre erreur : la ministre se trompe quand elle affirme que la résolution de l'ONU de 1947 a accordé 10 % du territoire de la Palestine du Mandat aux 620 000 juifs présents. En fait, ils en obtinrent 60 %, alors que 1 300 000 Arabes reçurent 40 % du territoire. Limor Livnat ignore apparemment les frontières de la Palestine mandataire fixées en 1922 après la création du royaume de Transjordanie.
Je fais partie des Israéliens qui ont cessé de revendiquer pour eux-mêmes des droits historiques imaginaires : si l'on invoque, en effet, des frontières ou des "droits" remontant à deux mille ans pour organiser le monde, nous allons le transformer en un immense asile psychiatrique. De même, si nous continuons à éduquer les enfants israéliens sur la base d'une mémoire nationale à ce point contrefaite, nous ne parviendrons jamais à un compromis historique durable.
Je fais mienne la métaphore de l'historien Isaac Deutscher, qui a comparé la création de l'Etat d'Israël à la situation d'un homme qui saute d'une maison en flammes et qui atterrit durement sur un autre homme qui se trouve devant le seuil de la maison, et à qui, bien sûr, est causé un dommage. Le jugement moral à porter sur l'homme qui a sauté de la maison est relatif.
La conquête des territoires en 1967 peut donner lieu à une autre métaphore : un autre homme descend les marches d'une maison qui ne brûle pas et va piétiner l'homme blessé qui gît ligoté. Jusqu'en 1948, les colons juifs peuvent être considérés comme des réfugiés apatrides. A partir de 1967, les colons qui vont s'installer dans les territoires occupés proviennent d'un Etat qui leur assure une souveraineté. Ce n'est pas la première fois ni, semble-t-il, la dernière que des persécutés deviennent persécuteurs.
Le refus de Limor Livnat de reconnaître un Etat palestinien dans les frontières de 1967 est un appel à continuer le piétinement. De même, son refus de reconnaître la nécessité d'une certaine réparation, dans la mesure du possible, de l'injustice commise en 1948 empêche de progresser dans les négociations qui sont à renouer. De ce point de vue, Ehoud Barak ne lui a pas été vraiment supérieur : le prisonnier bénéficie aussi d'une autonomie sur 90 % du territoire de sa cellule !
En 1993, Itzhak Rabin a commencé l'évacuation des territoires occupés. Le drapeau palestinien a flotté sur Jénine et Ramallah. Cependant, parallèlement à ce processus politique, la plupart des historiens israéliens n'ont pas entrepris l'œuvre de déminage de la mythologie qui a amené beaucoup d'Israéliens à croire que ces territoires font partie intégrante de la patrie indivisible. Par la reproduction de ces mensonges historiques, les historiens ont aussi leur part dans la dégradation actuelle. Les politiciens de droite et de gauche comme Mme Livnat ou M. Barak qui ont poursuivi systématiquement une politique de colonisation dans les territoires occupés perpétuent l'entreprise de façonnement idéologique de la mémoire.
S'il appartient aux Israéliens d'apprendre une histoire plus crédible que celle proposée par Limor Livnat, les Palestiniens devraient également se pénétrer de la raison douloureuse selon laquelle on ne réparera pas une injustice historique au prix d'une nouvelle injustice. Bien que cela soit difficile pour eux, il faut bien le dire : la proclamation du droit au retour des réfugiés dans les territoires d'avant 1948 équivaut de fait à un refus de reconnaître l'Etat d'Israël. Les Israéliens doivent, bien sûr, évacuer tous les territoires conquis en 1967, y compris la partie arabe de Jérusalem, cependant que les dirigeants palestiniens doivent formuler un projet de compromis s'agissant des conséquences tragiques de 1948 et ne pas continuer à nourrir les illusions de leurs compatriotes.
Comme partie du peuple occupant, il ne m'est pas aisé – et peut-être n'en ai-je pas le droit – d'indiquer la voie au peuple occupé. Mais plus le temps passe et plus le cauchemar s'épaissit.
James Joyce, dans Ulysse, fait dire à son personnage, professeur d'histoire, qu'elle est un cauchemar dont il tente de se réveiller. Il y a tout lieu de craindre que les leçons d'histoire dispensées par la ministre israélienne de l'éducation n'empêchent à jamais le réveil. (traduit de l'hébreu par Michel Bilis)
                           
4. Sharon-Arafat : Jacques Chirac dénonce des "conditions irréalisables"
Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 4 décembre 2002, 17h35
PARIS - Le président Jacques Chirac a dénoncé vendredi les "conditions irréalisables" exigées du président palestinien Yasser Arafat par le Premier ministre israélien Ariel Sharon et a appelé parallèlement l'Autorité palestinienne à "être sans faiblesse à l'égard du terrorisme".
Le chef de l'Etat, qui recevait à l'Elysée les voeux du corps diplomatique, a déploré qu'Israéliens et Palestiniens se soient "enfermés dans un cycle infernal, perdant de vue l'essentiel : la sécurité pour les Israéliens, dans un environnement pacifique, propice à la coopération; la création d'un Etat viable pour les Palestiniens, assurant le progrès dans la dignité".
"La peur, la frustration et la colère doivent être surmontées", a-t-il lancé. "L'Autorité palestinienne doit être sans faiblesse à l'égard du terrorisme car il conduit la Palestine au chaos. Israël ne doit pas affaiblir Arafat et subordonner la reprise du dialogue à des conditions irréalisables car cela rend les extrémistes arbitres du jeu."
M. Chirac a souhaité que, comme en 2000 à Charm-el-Cheikh (Egypte), une "table de négociations" réunisse à nouveau les deux parties "autour de pays amis". "Je souhaite le plein engagement des Etats-Unis, avec le concours de l'Europe, pour imposer cette voie, car il n'y en a pas d'autre", a-t-il ajouté.
                                       
5. Israël - L'inflexibilité érigée en politique
in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 28 décembre 2001
L'interdiction par Ariel Sharon à Yasser Arafat de se rendre à la messe de Noël à Bethléem, malgré les nombreuses médiations ou protestations internationales, illustre l'essence de la politique israélienne: l'inflexibilité. Allié privilégié de l'hyperpuissance américaine, toutes les pressions semblent impuissantes à empêcher Israël de réaliser ses objectifs.
Dans toutes les entreprises coloniales, l'humiliation des colonisés était un élément central du dispositif général de domination des colonisateurs. La domination dans le champ symbolique était le complément direct et la condition d'un renforcement de la domination militaire, politique ou économique. Ebranler l'équilibre psychologique des peuples destinés à l'assujettissement était le moyen de briser toute volonté de résistance et faire accepter la servitude. Le penseur algérien Malek Ben Nabi avait élaboré un concept pour désigner l'Etat mental et psychologique produit par ces politiques coloniales: la «colonisabilité».
Palestiniens humiliés
Dans le système colonial israélien, le dispositif général de domination et de contrôle «institutionnalise» l'humiliation des Palestiniens. Des «check-points» en passant par les bouclages des villes et villages, les punitions collectives, les arrestations arbitraires, les agressions des colons, etc. En empêchant Yasser Arafat de se rendre à la messe de minuit à Bethléem malgré les médiations et les protestations internationales, Ariel Sharon cherchait à signifier au peuple palestinien tout entier que son destin collectif dépendait de son bon vouloir. Cette politique apparaît comme la version locale de l'offensive générale lancée par les Etats-Unis à l'échelle planétaire.
A l'origine de l'inflexibilité israélienne et américaine dans les politiques menées vis-à-vis des pays de la région, il y a une appréciation partagée du contexte politique actuel: un alignement de la quasi-totalité des régimes arabes sur la politique américaine et une «capacité de nuisance» paralysée de la «rue arabe». S'agissant de cette fameuse «rue», Robert Malley souligne que «de son silence, semblent découler, aux Etats-Unis tout du moins, d'irrésistibles conclusions. Tout d'abord, que l'opinion publique arabe ne respecte rien tant que la force et la puissance. Un influent commentateur américain conservateur remarquait il y a peu que pour dompter la rue arabe, il fallait non pas l'apaiser, mais au contraire la faire trembler, ce à quoi deux mois de bombardements intensifs en Afghanistan... seraient largement parvenus».
Un alibi nommé antiterrorisme
La nouvelle configuration internationale est estimée plus que favorable par l'establishment politico-militaire israélien, toutes tendances politiques confondues. Ainsi, pour Ephraïm Halevy, chef du Mossad, «affronter le terrorisme n'est pas une guerre où l'on défait l'ennemi pour l'inviter à négocier la paix. Il faut détruire l'assaillant et anéantir toute forme de soutien dont il bénéficie... Les musulmans sont répandus dans le Moyen-Orient mais aussi dans le reste du monde, surtout en Europe. Cette guerre est celle de leur cœur et de leur âme». De son côté, Ehud Barak considère que «tous les derniers développements sont bons pour Israël parce que le monde a pris conscience des dangers du terrorisme». A ses yeux, comme à ceux d'une majorité de responsables politiques ou militaires israéliens, il s'agit d'une occasion sans précédent pour obtenir une caution internationale à la politique israélienne et aux pratiques de l'armée d'occupation sous couvert de lutte antiterroriste. Deux opinions se dégagent du débat en Israël quant à la stratégie à suivre et surtout un objectif à atteindre. D'une part, Sharon et ses partisans, qui préconisent une destruction méthodique de l'Autorité palestinienne et une liquidation politique de son chef Yasser Arafat.
L'objectif à atteindre est le maintien de l'occupation israélienne sur la majeure partie des territoires palestiniens et la continuation de la colonisation et de la politique d'encouragement à l'immigration des Juifs du monde vers Israël. Des émissaires du gouvernement israélien auraient été envoyés en Argentine, par exemple, pour inciter les membres de la communauté juive de ce pays à émigrer en Israël suite aux émeutes populaires qu'il a connues. D'autre part, ce qui reste du parti travailliste qui soutient la politique de Sharon tout en prônant une séparation unilatérale résultant d'un retrait israélien d'une partie des territoires palestiniens. Dans un entretien qu'il a accordé au quotidien Libération, Barak affirme que s'agissant de la gestion du conflit avec les Palestiniens, «Sharon agit tactiquement comme il le faut. Même si l'on est critiqué à l'égard de Sharon, on ne peut pas vraiment le blâmer pour la façon dont il gère la crise». Il expose ensuite sa stratégie en trois points: «D'abord, combattre la terreur par tous les moyens, assassinats ciblés, incursions... ce que fait déjà ce gouvernement. Ensuite, laisser la porte grande ouverte à la reprise des négociations n'importe quand et sans précondition sur la base de Camp David et non de Taba, qui n'était pas vraiment une négociation. Enfin, puisqu'on n'a pas trouvé de partenaire avec qui conclure un accord, je suggère que l'on relance le projet de séparation unilatérale dans les quatre ans qui viennent. Cela consisterait à ériger 800 kilomètres de barrières entre Israël et la Cisjordanie, sur le mode de ce qui a été fait autour de la bande de Gaza, afin d'empêcher les terroristes de venir perpétrer des attaques en Israël. On ne garderait que de gros blocs d'implantations, qui pourraient représenter jusqu'à 20% de la Cisjordanie. Mais je suggère que l'on ne les annexe pas formellement à Israël, afin de ne pas compromettre les chances d'une reprise des négociations. Quant aux petites implantations isolées, on ne les démantèlerait pas tout de suite, afin de ne pas donner l'impression que l'on récompense la terreur. Mais on dirait haut et fort que l'on est déterminé à le faire.» Il terminera sur une mise en garde des dangers du report de l'application de la séparation unilatérale en considérant qu'Israël se trouvera dans une situation comparable à la Bosnie ou à l'Afrique du Sud. Convergence sur la politique de répression suivie, légère nuance sur l'objectif à atteindre... le «front intérieur» est suffisamment uni pour permettre à Sharon de continuer sans craindre la moindre crise politique.
Les Palestiniens resserrent les rangs aussi. Après les craintes soulevées par les affrontements entre la police palestinienne et les partisans du Hamas et du Djihad islamique, l'annonce par ces deux organisations d'un arrêt des opérations kamikazes dans les territoires de 1948 témoigne de leur volonté de préserver l'unité nationale palestinienne dans cette période critique. L'adoption par l'ensemble des composantes du mouvement national palestinien d'une posture «défensive» concentrant la lutte contre l'armée d'occupation et les colons dans les territoires de 1967 doublée d'une offensive médiatique visant à montrer à l'opinion publique mondiale le vrai visage de l'occupation (la commémoration de la messe de Bethléem en l'absence d'Arafat, dont le fauteuil a été symboliquement recouvert d'un keffieh, est un exemple).
Abandonnés par leurs «frères» arabes, les Palestiniens continuent leur marche sur le chemin du Golgotha avec comme seule consolation l'espérance de pouvoir être libres... un jour.
                           
6. "Nous devons montrer à l'opinion occidentale le terrorisme d'Israël" - Interview de Saïd Kamal propos recueillis par Randa Achmawi
in Al-Ahram Hebdo (hedbomadaire égyptien) du mercredi 26 décembre 2001
Secrétaire général adjoint de la Ligue arabe chargé de la Palestine, Saïd Kamal évoque la politique arabe et palestinienne face à l'escalade militaire israélienne et la tentative de Tel-Aviv de discréditer et d'affaiblir le président Arafat.
—  Al-Ahram Hebdo : Comment réagissez-vous à la politique du premier ministre israélien, Ariel Sharon, qui utilise la manière forte contre l'Autorité palestinienne et ses infrastructures et ne considère plus le président Yasser Arafat comme un partenaire valable pour le processus de paix au Proche-Orient ?
— Saïd Kamal : Notre position commune, décidée lors de la dernière réunion des ministres arabes de Affaires étrangères, au Caire, est une réponse à cela. Les pays arabes ne considèrent pas non plus Sharon comme un partenaire pour le processus de paix. Ceci parce que son histoire personnelle, sa conduite et sa politique montre qu'il ne peut être un partenaire pour la paix. Il mène une politique de terrorisme d'Etat contre le peuple palestinien, sous forme d'assassinat d'activistes, de démolitions et d'expropriations de maisons ainsi que de destructions des terres agricoles palestiniennes. Sans compter la poursuite de la politique d'expansion des colonies de peuplement juives dans les territoires occupés.
Sharon est le maître du terrorisme. Il est responsable d'un ensemble de massacres de civils palestiniens innocents dans le passé, ainsi que l'assassinat du comte Bernadot. Malheureusement, l'opinion publique mondiale continue à fermer les yeux sur une vérité évidente : Sharon est le roi du terrorisme. Il est triste de constater que de nombreuses voix en Occident continuent à présenter Israël comme un Etat en situation d'autodéfense, victime du terrorisme et de la violence, et elles oublient que c'est l'Etat hébreu qui prêche et provoque la violence. C'est pour cette raison que je demande à ces voix injustes en Occident de se taire parce que l'Histoire est claire et est là pour témoigner de ses faits. Au cas où elles ne sont pas au courant de ce que je dis, nous pouvons leur envoyer des experts et les preuves irréfutables sur ceux qui ont introduit le terrorisme dans la région. Pour cela, il faudrait demander aux services de renseignements américains de faire sortir de leurs dossiers certaines vérités, comme par exemple l'évidence sur qui a été le responsable de l'attaque contre le navire Liberty en 1967.
L'Histoire nous a montré qu'Israël ne veut pas vivre en paix avec les Palestiniens. Ceci, parce qu'au moment où les Arabes ont abandonné la logique de guerre pour celle de la paix, avec le processus de paix entamé par l'Egypte, Israël s'est rendu compte que la paix n'était pas non plus dans son intérêt puisqu'elle représenterait, selon lui, un danger pour lui et ses générations futures. En vérité, les Israéliens ne veulent pas la guerre mais ne veulent pas la paix non plus. Pour cette raison, je pense que nous avons devant nous de longues batailles médiatiques pour expliquer en détail cette réalité aux responsables et aux opinions publiques en Occident. Ceci est une version des choses qu'on ne présente pas souvent au grand public.
En fait, en parlant de responsables, je pense que beaucoup d'entre eux sont conscients de cette vérité mais lorsqu'il s'agit de prendre des décisions ce sont les intérêts du lobby juif et son influence sur ces sociétés qui prennent le dessus.
— Le sommet européen de Laeken en Belgique a pourtant pris une position favorable au président Arafat, le considérant comme le seul interlocuteur de paix d'Israël ...
— Ceci est vrai et à cause de cela le communiqué final de la réunion des ministres arabes des Affaires étrangères arabes au Caire a lancé un appel aux pays de l'Union européenne ainsi qu'aux membres permanents du Conseil de sécurité des Nations-Unies pour qu'ils fassent un effort et tentent de persuader les Etats-Unis de prendre une position juste sur la question israélo-palestinienne. Nous ne sommes pas en désaccord avec la position européenne. Je dirais plutôt que nous sommes d'accord d'une manière indirecte avec les dispositions contenues dans le document émis à Laeken.
La preuve est que nous leur demandons de faire des efforts avec les autres membres du Conseil de sécurité pour persuader les Etats-Unis d'avoir une position plus juste. Ceci en faisant allusion au dernier discours prononcé par le président Arafat.
— Pensez-vous que les Etats européens et arabes parviendront à convaincre les Etats-Unis de jouer un rôle plus équitable dans le processus de paix, alors qu'ils viennent d'opposer leur veto à un projet de résolution du Conseil de sécurité exigeant l'envoi d'observateurs internationaux pour protéger les Palestiniens ?
— Ce veto n'a fait que renforcer encore plus Ariel Sharon. Les Etats-Unis ont de cette manière encouragé Sharon à poursuivre sa politique de violence féroce contre le peuple palestinien. C'est pour cela que les ministres arabes des Affaires étrangères ont fait un appel commun aux Etats-Unis pour qu'ils entreprennent des pas clairs et des mesures légales, visant à mettre en pratique les propositions émises par le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, lors de son discours.
Nous aimerions que les Etats-Unis décident finalement de jouer un rôle d'arbitre et de médiateur neutre et qu'ils revoient leur position de soutien aveugle à la politique extrémiste d'Israël. Un soutien qui s'est manifesté par leur usage du veto en faveur d'Israël lors de la dernière réunion du Conseil de sécurité des Nations-Unies.
— Que pensez-vous des dissensions inter-palestiniennes entre l'Autorité d'autonomie et le Mouvement de la résistance palestinienne (le Hamas). Pourraient-elles nuire à la cause palestinienne ?
— Nous considérons que ce qui se passe en Palestine est une question interne et qu'il ne revient pas aux pays arabes d'interférer en quoi que ne soit.
Nous sommes venus (à la conférence ministérielle de la Ligue arabe) pour manifester notre appui inconditionnel à la politique du président Arafat visant à faire face à l'occupant israélien. Notre objectif était de répondre à certaines voix qui se sont levées pour dire qu'il y avait des divergences entre les Arabes sur certains points. Il y avait par exemple des divergences sur le cessez-le-feu imposé par Abou-Ammar (nom de guerre de Yasser Arafat) dans les territoires palestiniens. Réagissant à ceux qui sont contre cette mesure, le ministre palestinien du Plan et de la Coopération internationale, Nabil Chaath, a été très clair. Il a dit que l'ancien président égyptien, Gamal Abdel-Nasser, avait imposé un cessez-le-feu en 1967 et l'ex-président syrien, Hafez Al-Assad, avait fait de même en 1974. Aucun de ces deux chefs d'Etat n'a été jugé comme un traître en raison de cette décision. Nous pensons qu'Arafat a le plein droit de gérer sa lutte contre l'occupant israélien de la manière qu'il juge adéquate, selon sa vision et ses conceptions des événements.
— Comment vous voyez l'avenir du processus de paix à la lumière de l'escalade militaire israélienne et la volonté apparente du gouvernement Sharon d'en découdre avec l'Autorité du président Arafat ?
— Malgré l'obscurité imposée aux Palestiniens par le cours des événements, la persévérance et la détermination à avoir un Etat indépendant établi dans des conditions justes finira par prendre le dessus. Le peuple palestinien sera parfaitement capable de s'organiser de façon à faire face à ces attaques dont ils sont victimes de la part de Sharon. Et j'irai jusqu'à dire que cette politique israélienne est le début de la fin de Sharon.
                                   
7. L'antisémitisme se répand en Europe : il faut tout faire pour s'y opposer avec force. La victoire sur Arafat permettra d'écraser la tête de ce serpent qu'est l'antisémitisme par Ouri Dan
in Ma'ariv (quotidien israélien) du 20 décembre 2001 repris dans Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londre) du vendredi 21 décembre 2001
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

L'ambassade des Etats-Unis à Paris ressemble à une forteresse. Pour rejoindre mon hôtel, situé derrière cette ambassade, je dois franchir les barrages de la police. Ceux-ci occasionnent des embouteillages dans ce beau quartier de la capitale française aux rues grouillantes de monde, en cette veille de Noël et de Jour de l'An.
Les autorités françaises n'épargnent aucun effort, conjointement avec leurs homologues aux Etats-Unis, afin d'assurer la sécurité après les attentats du 11 septembre. Et en particulier depuis l'arrestation par les Français de musulmans originaires d'Afrique du Nord qui préparaient un attentat contre l'ambassade américaine à Paris. Les arrestations (dans les milieux islamistes) se sont étendues à la Belgique, pays dans lequel, à l'instar de la France, se sont constituées d'importantes communautés musulmanes, dans lesquelles Oussama Ben Laden, en particulier mais, plus généralement, le phénomène du "martyre", jouissent d'un soutien non dissimulé.
Tous ces gens suspects ne parviennent pas à ternir la beauté de Paris, mais toutes les illuminations de la Ville-lumière ne parviennent pas à faire oublier la grosse tache sombre  laissée par l'antisémitisme qui s'est emparé des moyens d'information en France. Sous couvert de critiques incessantes de la politique israélienne vis-à-vis de Yasser Arafat, et de présentation d'Israël en tant que puissance occupante opprimant les "pauvres Palestiniens", c'est à une attaque en règle contre l'Etat juif, à une campagne de désinformation de nature ouvertement antisémite, que l'on assiste dans les médias français, écrits et électroniques.
Le plus grave, c'est que des écrivains juifs ou israéliens résidant en France et appartenant à la gauche-cinglée, sont les jouets de l'antisémitisme. Lorsqu'on demande (aux Français) pourquoi les articles de leurs journaux, tel Le Monde, sont à sens unique, ils marmonnent : "Que voulez-vous ? Nous avons invité un Juif français (ou un Juif israélien) à apporter une réponse, mais ce Juif s'opposait lui aussi à la politique de Jérusalem"... Inutile de tenter d'expliquer que le Juif en question appartenait lui aussi à cette gauche extrême qui hait tout ce qui est juif et/ou sioniste.
Quant aux Juifs âgés, qui ont échappé aux griffes du nazisme et de ses collaborateurs français, et qui vivent encore à Paris, les accusations lancées contre Israël par les médias français leur remémorent les libelles antisémites de régime de Vichy, sous l'Occupation.
Même chose à Bruxelles, où une campagne antisémite analogue bat son plein, si ce n'est qu'elle est encore plus virulente. Parfois, les médias belges sont plus pernicieux que leurs confrères français dans leurs attaques contre Israël et le gouvernement d'Ariel Sharon. Les journalistes de Bruxelles savent bien que leur gouvernement joue un double jeu et cela leur plaît fort.
D'un côté, le gouvernement belge, qui préside actuellement aux destinées de l'Union Européenne, prétend qu'il ne saurait exercer une quelconque autorité sur le pouvoir judiciaire chez lui, tandis que, de l'autre, des mesures juridictionnelles fallacieuses sont intentées contre Ariel Sharon afin de faire pression sur celui-ci pour qu'il se soumette aux injonctions de l'Union Européenne, au profit d'Arafat.
Il est parfaitement clair, désormais, que si le gouvernement belge était tellement soucieux de justice et d'équité, il aurait repoussé la plainte contre Ariel Sharon. Notons - coïncidence ? -qu'en Belgique aussi, les médias sollicitent abondamment les commentaires de Juifs dont certains sont des ignorants tandis que les autres sont prisonniers de la haine d'eux-mêmes.
Il y a quelque semaines, l'hebdomadaire français Nouvel Observateur a publié une fausse nouvelle empruntée à un quotidien anglais, selon laquelle les soldats de l'armée israélienne violeraient les femmes palestiniennes, moyen de provoquer leur assassinat par des membres de leur famille, "obligés" de "venger l'honneur". C'est Sarah, la fille de Jean Daniel, célèbre rédacteur en chef de l'hebdomadaire, qui a répandu ce bobard atroce. M. Daniel a présenté ses excuses, dans un long éditorial embarrassé et laborieux, au lieu de demander pardon à l'armée israélienne et au gouvernement israélien, d'une manière simple et claire, coupant court à toute ambiguïté. Mais Roger Cukierman, président du CRIF, a refusé ces excuses insincères.
Au moment où Israël mène un combat très dur, mais victorieux, contre Arafat, nous ne devons pas oublier de traiter le second front de l'antisémitisme en Europe. Ce n'est pas là une tâche à la portée des seuls hommes de loi et des seuls prédicateurs. Il faut de toute urgence mettre sur pied une instance spécialisée dans la lutte contre l'antisémitisme et que tous les Juifs y contribuent, où qu'ils se trouvent. La victoire - attendue - sur Arafat contribuera à écraser le serpent de l'antisémitisme, qui vient (malheureusement) de relever sa tête repoussante.