Revue de
presse
1. La FIDH
soutient la plainte déposée contre Ariel Sharon en Belgique par Sylvain
Cypel in Le Monde du dimanche 2 décembre 2001
2. Une délégation
française prise dans une fusillade à Gaza par Nidal al Moughrabi
Dépêche de l'agence Reuters du vendredi 30 novembre 2001, 19h00
3.
Arafat-Sharon : objectifs incompatibles par Gilles Paris in Le
Monde du vendredi 30 novembre 2001
4. Les grandes fortunes
saoudiennes et plusieurs pays du Golfe retirent leurs capitaux des
Etats-Unis par Marc Roche in Le Monde du vendredi 30 novembre
2001
5. Comment la France livra l’arme atomique à Israël par
Mikhaël Karpin in "Yediot Aharonot" (quotidien israélien) traduit dans Courrier
International du jeudi 29 novembre 2001
6. Prochaine cible de la
guerre contre le terrorisme ? Pour Bush, ça pourrait être l'Irak par
Elisabeth Bumiller in The New York Times (quotidien américain) du mardi 27
novembre 2001 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
7.
La police israélienne en flagrant délit de mensonge par
Alexandre Kolomea in L'Humanité du vendredi 23 novembre 2001
8.
Philosophie du marché et ébranlement de la croyance en l'immunité de la
mondialisation ou : Le socle de l'utopie a-t-il été fêlé par l'écroulement du
World Trade Center ? par Subhi Hadidi in Al-Quds Al-Arabi (quotidien
arabe publié à Londres) du vendredi 5 octobre 2001 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
9.
En Irak, les CD (Compact Disks) se vendent comme des petits pains :
programmes ludiques et jeux de stratégie militaire, bien loin de la
censure... par Hani Ibrahim Ashur in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe
publié à Londres) du vendredi 5 octobre 2001 [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
1. Kifah
par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en
Palestine
Bethléem, le 28 novembre 2001 - Je
viens de lire les dépêches d'agence de dimanche dernier. Y était mentionnée la
mort d'un adolescent de 13 ans à Bethléem. Il est, ou plutôt était, du camp de
Dheisheh. Il avait 13 ans. Il s'appelait Kifah, ce qui signifie «combat».
-
Récit de la journée de dimanche 25 novembre 2001 :
Je donne un cours de
français. Je retrouve avec grand plaisir les frimousses que j'ai connues cet
été. Le cours touche à sa fin. Dans la salle, il y a une TV. Soudain, trois
jeunes hommes entrent et se précipitent sur la TV. Ils mettent la chaîne locale.
Ahmed, un gamin de 12 ans («et demi», s'il vous plaît...) interroge :
-
«Istashad ?» (Il est mort ?)
La réponse est sur l'écran : des sous-titres
défilent, annonçant que Kifah, 13 ans, a été blessé près du tombeau de Rachel au
cours d'une manifestation. Il vient de décéder. Les enfants sont tous debout.
Ils ont pratiquement le même âge que lui. Ils vont à l'école avec lui. Tout le
monde se précipite :
- Il faut prévenir untel ! et puis untel ! et puis untel
!
En quelques minutes, la nouvelle s'est répandue dans le camp comme une
traînée de poudre. Les enfants me parlent de lui. Brahim me demande:
- Tu
viendras demain aux funérailles ?
- Non, je ne crois pas.
- Si, si ! Il
faut que tu viennes ! Même si tu ne connais pas ses parents !
Comment
t'expliquer, Brahim, que ce que tu me demandes est au dessus de mes forces ?
Brahim continue :
- Je le connaissais bien, tu sais. Il est du FPLP, comme
moi. Tu connais Che Guevara ? Il est bien, hein ? Moi, j'ai une photo de lui
chez moi. Tu l'aimes, toi, le Che ?
Brahim a 13 ans lui aussi. Ses parents
militent au FPLP, comme les parents de Kifah.
Tout le monde ne parle que de
ça dans le camp. Les funérailles auront lieu le lendemain, lundi. On commence à
coller les premières affiches avec la photo du martyr. Une bouille d'enfant, des
cheveux clairs, grand et un peu maigre. Un ado, quoi. Il a été tué d'une balle
dans le dos. Il participait à une manifestation près du tombeau de Rachel. Ce
tombeau est une véritable forteresse militaire à deux pas du centre de Bethléem.
J'ai lu dans les dépêches qu'il participait à une manifestation du
Hamas.
C'est à mon avis une grossière erreur de présenter les choses comme
ça. En lisant ça, on s'imagine un gosse endoctriné dans un Islam dur, et vu la
réputation de l'Islam en Occident, on se dit que certes c'est dommage qu'un
gosse soit mort, mais qu'au fond...
Cette manifestation avait pour but de
réagir à l'assassinat d'un des leaders du Hamas. Mais TOUS les partis politiques
y participaient. Pour les manifestations et les funérailles qui s'ensuivent
inévitablement, tous les partis sont là. Le vert du Hamas côtoie le rouge du
FPLP. Kifah «était» du FPLP. Des gens du Hamas étaient à ses funérailles. Aux
funérailles du leader Hamas, les drapeaux du Fatah et du FPLP étaient présents
aussi. Ces partis sont loin d'être d'accord sur la ligne politique ou militaire
à tenir. Mais quand quelqu'un meurt, il est Palestinien, avant d'appartenir à un
quelconque parti.
Kifah manifestait donc. Il faut dire qu'il y en a des
raisons de manifester, ces derniers temps: assassinats de leaders politiques
(aux missiles...), impossibilité de quitter Bethléem (routes absolument
bloquées), impossibilité de se rendre à Jérusalem pour y prier. Et chaque jour,
des morts. Chaque jour un peu moins d'espoir. Et puis les avions de combat qui
survolent dans un vacarme assourdissant, quotidiennement, la ville. Il jetait
des pierres. Il est mort.
Lundi donc, ce sont les funérailles. Le cortège
mortuaire passe devant ma maison. De loin, j'entends les coups de feu en l'air.
Je sors dans le jardin. Pas un bruit dans la ville. Seulement les coups de feu.
Le cortège arrive. Un petit corps recouvert du drapeau national. Dans la foule,
les camarades de Kifah. Parmi eux, Ahmed, qui apprend le français. Ahmed
soutient son copain de classe, Iyad, qui pleure. Au cimetière, Iyad lit un
poème. Il pleure.
C'est Azem qui me raconte ce qui s'est passé au cimetière.
Iyad a lu un poème. Il pleurait. Azem aussi a pleuré. Azem a 23 ans. C'est
l'entraîneur de l'équipe de foot du camp. Il entraînait Kifah.
- C'était un
gosse très calme, tu sais. Quand je lui faisais une remarque, il obéissait, il
ne discutait pas. Et il ne manquait jamais un entraînement.
Kifah était
l'aîné d'une famille de quatre enfants. Son père a été un membre actif au sein
du FPLP. Ce qui lui a valu quelques années de prison pendant la première
Intifada.
On me parle souvent de la première Intifada, et de la façon dont
les soldats se comportaient. Avant d'aller en prison, le père de Kifah a vécu
caché pendant plusieurs mois. Les soldats le recherchaient. Souvent, la nuit,
ils forçaient la porte de la maison, hurlaient, et détruisaient tout ce qu'ils
trouvaient. Kifah était alors un tout petit bout de chou. La violence, il y a
été confronté depuis son plus jeune âge.
«Arrêt des violences pendant 7
jours», lit-on un peu partout... Hélas, elle ne date pas du 28 septembre 2000,
cette violence. Dimanche dernier, un mois avant Noël, à Bethléem, Kifah est mort
de cette violence.
2. Encore des
morts... par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en
Palestine
Bethléem, le 2 décembre 2001 - La
semaine dernière, c'était Kifah que nous pleurions. Aujourd'hui, au moins 31
morts côté israélien et 4 côté palestinien. C'est pas beau la guerre. Je
condamne ces attentats. Je ne souhaite la mort de personne. Des civils
israéliens sont morts. N'oubliez pas que Kifah était, lui aussi, un civil. Les
cinq gosses morts sur le chemin de leur école étaient eux aussi des civils. Les
23 morts qu'il y a eu à Bethléem pendant la période de dix jours où les tanks
étaient dans la ville, étaient, pour la plupart, des civils. Tués chez eux.
Parmi eux, une jeune femme chrétienne tuée dans sa maison. Parmi eux, un homme
assis au milieu de ses enfants. Ils déjeunaient. Balle dans la tête. Des civils
eux aussi.
Qu'est ce qu'un terroriste ? Celui qui provoque la terreur.
Les
kamikazes sont des terroristes du point de vue israélien.
Les soldats
israéliens, l'armée israélienne et les colons sont des terroristes du point de
vue palestinien.
Pour les nazis, Jean Moulin était un terroriste.
Ne
perdez jamais de vue que, quoiqu'on vous dise ou quoique vous lisiez, il y a
toujours deux côtés, que tout n'est pas noir ou blanc.
C'est la même chose en
Afghanistan, en Irak, en Serbie, au Rwanda ou ailleurs.
J'imagine hélas trop bien le désespoir des familles des victimes ce soir.
Les pleurs des mères, je les connais. Les mères palestiniennes elles aussi
pleurent.
Depuis que je suis revenue ici après mon séjour en France, je suis frappée
par la violence. Rien à voir avec l'an dernier. Je sentais la catastrophe
arriver. Le gouvernement Sharon a tout fait pour la provoquer: des attentats
ciblés en passant par l'humiliation et les réoccupations de zones A. Arafat ne
s'est pas montré très malin non plus. Nous voilà donc au bord du gouffre.
Et nous risquons de vous y
entraîner.
3. Faits comme
des rats ou errants comme des chiens par Chantal Abu-Eishe, citoyenne
d'Hébron en Palestine
Hébron, le 29 novembre 2001 -
En quatorze mois, on en a vu des bouclages durs, on en a contourné ou escaladé
des talus, on en a fait des kilomètres supplémentaires pour réussir à aller
travailler ou rentrer chez nous (à quand le dédommagement pour usure des
semelles, des pneus, des amortisseurs, et consommation effrénée d'essence ?)
mais des scènes comme aujourd'hui, pas encore...
Depuis mercredi soir, il est
impossible d'entrer ou de sortir d'Hébron en voiture par une route digne de ce
nom. J'ai eu la chance ce matin de pouvoir prendre place dans la voiture d'une
ONG qui partait pour Jérusalem...Premier talus, première sortie, changement de
véhicule : une seconde voiture de la même ONG, venue de Jérusalem nous attend de
l'autre côté. Route déserte jusqu'à l'entrée de Jérusalem : pas un taxi, même
les "officieux" à plaque jaune conduits par des Jérusalémites, ne passent. Des
chars aux intersections, des groupes de piétons désirant traverser la route de
contournement pour se rendre d'un village à l'autre sont catégoriquement
refoulés par les soldats. A la hauteur du camp de réfugiés d'Al Arroub, un
soldat est accroupi au milieu de la route, encadré de deux acolytes. Des
étudiants, des élèves, des gens qui doivent tout simplement aller d'un point à
un autre, sont condamnés à marcher, et encore... pas n'importe où : ici, il faut
grimper sur le talus qui longe la route, là, il faut marcher dans la gadoue pour
contourner le barrage militaire proche du groupe de colonies de Gush
Etzion.
A 13h 30, je reprends la route avec Anwar dans l'autre sens, cette
fois dans notre voiture. A ce même barrage, embouteillage, d'énormes
semi-remorques sont sommés de faire demi-tour, idem pour les taxis "clandestins"
à plaque jaune (israélienne). Notre obstination aidant, après qu'on nous ait
indiqué de façon péremptoire, avec ce geste leste de la main très expressif
qu'on ne connaît que trop..., on finit par sortir notre "sésame", une carte
d'immatriculation auprès du Consulat Général de France à Jérusalem. On passe
donc. Et là c'est un autre sentiment que la hargne qui nous prend : LA
HONTE.
Honte d'être la seule voiture sur 12 km qui dépasse certainement plus
de 200 personnes de ce foutu carrefour jusqu'à l'entrée de Halhoul. On se
croirait en plein exode : des travailleurs leur matériel sur le dos, des mères
de famille avec des enfants dans les bras, des élèves qui rentrent de l'école,
des paysans, un tracteur qui a pris en stop une huitaine de passagers, des gens
âgés clopinant. Certains auront parcouru presque 30 km à pied au total depuis le
matin...
Honte d'être privilégié, honte de ne pas partager le sort de
ces gens. Comme me l'a dit un jour un homme d'âge mûr : "on n'est même pas
des chiens, au moins eux ils peuvent aller chercher à manger où ils veulent..."
. Nos enfants nous attendent, le soir tombe vite en ce moment, et les doigts qui
se lèvent à notre passage nous rendent amers. Pourquoi ne pas faire monter 4
personnes avec nous ? Parce qu'à chaque barrage "fixe" (il y en a 4 sur ces 12
km auxquels s'ajoutent les patrouilles "volantes") nos passagers seront priés de
descendre...
Hargne, honte, amertume, ras le bol, colère d'être "faits comme
des rats" c'est ce que nous ressentons. Quand on dit cela à nos amis ou parents
palestiniens ils nous répondent : vous n'y êtes pour rien, à votre place on
essaierait de passer comme vous le faites, on ne vous en veux pas...
A
l'entrée de Halhoul (trois talus plus un mur de blocs de béton), pas un
véhicule. "Normalement" (tiens, c'est bizarre ce mot), des dizaines de taxis
attendent ceux qui auront franchi ce bel exemple de ce que peuvent faire des
engins de travaux publics.
Aujourd'hui : le désert. Jusqu'au prochain barrage
à l'entre suivante d'Hébron, pas UN véhicule, on se croirait sur la lune... Et
puis l'ultime barrière : le soldat nous fait signe de ralentir, de nous arrêter,
demande nos papiers, on lui dit qu'on va à Kyriat Gat, distante de 35 km en
direction d'Ashkelon... On passe mais les ouvertures que nous connaissons
sont toutes obstruées. On finit par repérer un petit chemin de sable puis de
cailloux puis de terre. On franchit un talus fraîchement rendu praticable mais
au sommet du talus on ne voit plus ce qui est devant nous tellement la pente est
abrupte, heureusement il n'a trop plu depuis deux jours, avec un peu
d'imagination on se croirait dans Menhir Express au Parc
Astérix...
Finalement on est passé, on traverse un superbe paysage "Farsh Al
Hawa" (le matelas du vent), on croise quelques véhicules qui nous demandent s'il
y a une issue.
Et on retrouve nos enfants qui avaient fait appeler deux fois
leur grand-père pour savoir si on allait bientôt rentrer à Hébron.
Au
moment où nous arrivons ma belle-soeur part pour Jérusalem avec toute sa petite
famille (10 personnes) dans un minibus familial. On essaie de la dissuader de
partir, elle ne renonce pas, voulant aller voir sa mère à Jérusalem qui s'est
cassé le col du fémur. Deux heures plus tard, elle est de retour : le chauffeur
les a fait passer par le chemin que nous avions emprunté mais au bout du chemin
... un char, grenade lacrymogène et ordre de faire demi-tour.
Je
précise que ma belle-soeur est porteuse d'une carte de "résidente" de Jérusalem,
le chauffeur du minibus aussi et que la plaque du véhicule est jaune...
A
peine rentrés, un ami Jérusalémite nous dit qu'il est parti de chez lui ce matin
pour venir ici, à Gush Etzion il a été refoulé aussi, bien qu'également porteur
de la bonne couleur de carte d'identité, de la bonne couleur de plaque. Les
soldats énervés (les pauvres...) par l'embouteillage qu'ils ont créé tirent des
grenades lacrymogènes.
Même histoire avant hier à Beit Ummar, deuxième
village après Hébron en direction de Jérusalem.
Dans le voiture nous avons
écouté Radio Israel qui indiquait que l'armée israélienne avait eu vent de la
préparation par des Hébronites d'une "opération" à Beersheva...
Si on veut
trouver une explication "logique" (encore un mot bizarre) à ce qu'on voit
aujourd'hui, on pourrait y croire mais alors pourquoi laisser passer les colons
? Certes ils sont tous armés !
Depuis des mois j'essaie de me mettre dans la
tête qu'il n'y a pas de logique à tout ce cirque, qu'il ne faut pas essayer de
trouver une réponse cartésienne au comportement des soldats, que le but est de
désorganiser la vie des Palestiniens, de les abrutir en changeant trois fois
dans la journée le circuit possible pour sortir de la ville. Après plus de 40
ans en France, c'est un peu dur mais je finis par y arriver...
ZOMBIES, on
devient zombies, cyniques, humiliés d'être honteux, honteux de voir les autres
humiliés. Le spectacle de ce début d'après-midi me fait penser à une pub
d'insecticide : l'armée vaporise et les Palestiniens s'éparpillent, essayant de
se mettre à l'abri....
Après avoir entendu quelques tirs et explosions,
petit moment devant la télé pour écouter les dernières nouvelles : la chaîne MBC
passe une pub pour le riz Oussama "le riz terroriste américain "... et d'un oeil
distrait je parcours Haaretz et que lis-je ? "Humiliation is not a security
necessity" (Gabi Ophir, directeur général des autorités aéroportuaires
israéliennes).
4. Envie de
crier par Chantal Abu-Eishe, citoyenne d'Hébron en
Palestine
Hébron, le 2 décembre 2001 - Ce matin je
voulais ajouter un petit PS à mon texte du 29 novembre. Je n'ai pas eu le temps
d'écrire car je devais retrouver un petit groupe de Français pour leur "montrer"
Hébron, son concentré d'occupation (imaginez une zone militaire interdite à l'
intérieur de la zone occupée H2, si si, je vous assure çà existe ici) et son
ambiance morbide. Ce que je voulais ajouter en substance c'est que depuis le 29
le bouclage d'Hébron ne s'est pas relâché, ou si peu... Au bout d'une heure et
demie de route, Anwar n'avait franchi ce matin que la moitié du chemin pour
rejoindre la fac et qu'arrivé finalement à Abu Dis le couvre-feu y était
instauré et l'université Al Quds vidée de ses étudiants...
Dans la soirée du
1er décembre en effet deux attentats à Jérusalem avait encore semé la mort, la
panique et l'horreur. Et cet après-midi les nouvelles d'Haïfa...
ARRETEZ,
ARRETEZ, voici ce que je hurle dans mon for intérieur. ARRETEZ TOUS de vous
venger, sinon la scène à laquelle j'ai assisté il y a quelques jours, encore
dans H2, se reproduira pendant des dizaines d'années, à savoir une gamine
israélienne d'une douzaine d'années crachant à la figure d'une autre gamine, à
peine plus âgée, et palestinienne. Je continuerai aussi, ou mes enfants, à
recevoir un jour une bassine d'eau sale, un jour un contenu de poubelle, jetés
d'une fenêtre d'une colonie juive de la vieille ville d'Hébron, parce que
j'arpente les rues de ce quartier avec des témoins qui constatent, simplement,
ce que signifie vivre dans cette zone.
J'ai envie de crier ARRETEZ pour que
nos enfants fassent la distinction entre humilité et humiliation, puissent
associer les mots "demain" et "espoir". Ma fille a dit à l'une de ses
professeurs ce matin que les explosions de Jérusalem allaient encore faire des
morts chez les Palestiniens. Elle a 9 ans... Quand elle m'a demandé l'autre jour
en arrivant à un barrage militaire israélien d'arrêter la cassette de chansons
arabes que nous écoutions dans la voiture "parce que sinon le soldat ne va pas
nous laisser passer", j'ai réalisé à quel point ce climat de peur, de suspicion,
d'arbitraire, polluait même les méninges de tout jeunes que nous avons pourtant
tendance à considérer comme protégés de discours durs et extrêmes. Je me demande
aussi si le mot "droit" aura encore une signification pour eux.
1. Les tagueurs de Jabalya, Chroniques d'un camp de
réfugiés palestiniens par Ouzi Dekel
aux éditions Syros
[Format 11 x22 cm - 49 FF (7,50 euros)]
J'ACCUSE "Que peut craindre Israël d'Ibn Al-Muqaffa ? De Jazir
et… de Farazdaq." Cette phrase, tirée d'un poème du poète syrien
Nizar Qabbani, lue dans un café de Tel-Aviv, ravive dans le souvenir de Youval
la période de son service militaire dans le camp de réfugiés palestiniens de
Jabalya, pendant l'Intifada. Youval raconte alors l'histoire de jeunes
Palestiniens du camp qui parvinrent à se jouer de l'armée israélienne en
s'inspirant des ruse qu'enseignent les fables de Kalila et Dimna, recueil très
ancien de fables indiennes, dont Ibn Al-Muqaffa, qui vécut il y a plus de 1200
ans, adapta en arabe la version persane…
Que se passe-t-il aux barrages
dressés par l'armée, pendant le couvre-feu, lors des fouilles, dans les prisons,
quand on est torturé ou quand l'humiliation est quotidienne ?Que se passe-t-il
de l'autre côté des grillages, dans les camps de réfugiés palestiniens, chez ces
jeunes dont les parents sont nés dans les camps où leurs grands parents avaient
été chassés ? Pour la première fois, voici le témoignage d'un israélien qui
partage son expérience avec des réfugiés palestiniens.
Après une brève mission à Gaza, Ouzi Dekel, natif du kibboutz Eilon, a
refusé de servir dans les territoires palestiniens occupés. Son objection lui a
valu d'être incarcéré dans une prison militaire israélienne. Militant des
mouvements de solidarité avec le peuple palestinien, un des fondateurs du
mouvement Yesh Gvoul, regroupant des soldats israéliens refusant de servir dans
les territoires occupés, Ouzi Dekel est journaliste et vit à Paris. Marqué par
les attentats du 11septembre 2001 aux États-Unis, il lance à travers ce livre un
appel à ses concitoyens : " Il nous appartient à nous, ceux qui sont nés dans le
conflit, d'accepter ensemble le droit au retour des réfugiés palestiniens,
d'essayer de résoudre ensemble la question de leur intégration et ensemble de
bâtir une nouvelle société méditerranéenne dans laquelle le respect des droits
de l'homme et le respect de la loi internationale seraient les fondements de sa
constitution. "
Le dossier de ce titre de la collection " J'accuse !" a été réalisé en
partenariat avec l'Association France-Palestine Solidarité (AFPS), dont les
activités principales sont le soutien moral, matériel et humanitaire en faveur
des populations palestiniennes les plus défavorisées et en particulier des
réfugiés dans les camps. Elle aide au développement et la coopération dans tous
les domaines avec les organisations de la société civile palestinienne et
intervient sur tous les aspects, notamment culturels et éducatifs.
2. Les
juifs ont-il un avenir ? de Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias
aux éditions Jean-Claude Lattès
[252
pages - ISBN : 2709622564 - octobre 2001 - 118,00 FF / 17,99
Euros]
Un homme, une femme. Un couple dans la vie. Un tandem
à l'université. Deux savants, deux historiens du judaïsme et de la judéïté. Lui,
spécialiste de la période antique et médiévale. Elle, spécialiste de la période
moderne et contemporaine. Deux juifs avec leur existence, leur pensée, leur
expérience, leur quête. Et une seule question, celle de l'identité posée dans
toutes ses dimensions. Bible, talmud, temple, synagogue, Israël, diaspora, exil,
antijudaïsme, antisémitisme, sionisme, modernité, sécularisation, ashkénaze,
sépharade, religieux, laïc, shoah, holocauste, génocide, guerre, sépharade,
religieux, laïc, shoah, holocauste, génocide, guerre, singularité,
universalité... tels sont quelques-uns des termes clés d'un dialogue parfois
provocant ou paradoxal, souvent iconoclaste ou radical, toujours critique et
lumineux où sont bousculés idées reçues, concepts conformistes et discours
dominants. Un dialogue sans précédent et sans concession. Le premier grand
dialogue, peut-être, du XXIème siècle en ce qu'il clôt le précédent, le XXème,
et qu'il interroge d'un même mouvement, dans leurs fondations et leur avenir, la
culture juive et la culture européenne.
Eloge de la diaspora par Sylvain Cypel
in
Le Monde des livres du vendredi 9 novembre 2001
Sous la forme d'un
dialogue pour le moins décapant, Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias
parcourent le judaïsme et la judéité.
Les juifs ont-ils un avenir ?
Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias.
C'est à un pilpoul (débat
talmudique) que se livrent Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias, en
spécialistes savants de l'histoire juive, autour, comme il se doit, d'un
questionnement existentiel : Les Juifs ont-ils un avenir ? On devine que les
besoins marketing de l'éditeur ne doivent pas être étrangers à cet intitulé
"scandaleux". En fait, l'inquiétude est bien présente pour l'avenir d'un certain
judaïsme dont les dirigeants (en France plus qu'ailleurs, notent les auteurs) se
complaisent dans "un repli autodéfensif préoccupant", intolérants envers toute
opinion discordante, surtout si elle est issue du sein même du judaïsme. Des
dirigeants prompts à se vivre en victimes ("les médias sont contre nous") et à
s'arc-bouter sur les "deux béquilles" que sont l'Etat d'Israël et la religion.
Mais cette préoccupation ne constitue pas le cœur du livre, les auteurs montrant
au contraire un extraordinaire optimisme pour la capacité du judaïsme, maintes
fois démontrée, à se régénérer en se transformant.
L'ambition, au long d'une
longue conversation, est de questionner, pêle-mêle : l'identité et les identités
juives ("religieuse", "culturelle", "psychologique") ; les juifs dans leur
propre regard et celui des autres ; le judaïsme biblique, talmudique,
moyen-âgeux et celui des Lumières ; Israël et le rapport des juifs à l'Etat juif
; le sionisme et le post-sionisme ; les ashkénazes et les séfarades ; Jérusalem
et le mont du Temple dans la mémoire collective, et l'usage politique qui en est
fait ; la Shoah, sa "spécificité", par opposition à son "unicité", et la place
qu'elle occupe dans les identités juives actuelles ; les institutions de la
communauté juive de France ; le rôle des intellectuels juifs, l'humour juif et
la haine de soi - on en passe.
Certains s'y perdront, tant les
allers-retours d'un sujet à l'autre peuvent parfois lasser.
ICONOCLASTE
Le
débat est pourtant d'une grande richesse, et remet en cause de nombreux clichés.
Ainsi la chrétienté n'a-t-elle pas été de tout temps antijudaïque. A l'inverse,
le monde musulman n'a pas été exempt d'antisémitisme jusqu'à l'émergence du
sionisme. Le principal mérite de la discussion est de poser une série de
questions parfois anciennes : qu'est-ce qu'être juif ? ; parfois iconoclastes :
comment expliquer la phase actuelle de repli ethnocentré alors que "les juifs
ont rarement joui d'une telle liberté de revendiquer leur identité et de
l'affirmer" ? Il est, aussi, de resituer l'histoire des juifs dans ses
environnements successifs, avec ses phases glorieuses et ses tragédies, loin
d'une historiographie mythifiée qui, elle, ne retient qu'un long martyr
ininterrompu, culminant avec la Shoah. "On ne saurait, résume Jean-Christophe
Attias, réduire l'expérience juive du rapport aux nations à
l'antisémitisme."
Surtout, le livre s'inscrit dans une tendance absolument
nouvelle : la redécouverte de la diaspora par les juifs eux-mêmes. Une diaspora
qui existerait intrinsèquement, ni pour ni contre Israël, mais "hors" d'Israël,
ce référent que les notables veulent impératif et indiscuté. Cette redécouverte
va de pair, constatent les auteurs, avec un regain d'intérêt, très récent aussi,
des jeunes Israéliens pour leurs racines : celles de l'exil. De ce point de vue,
Benbassa et Attias, dans une relation qu'ils veulent dépassionnée à l'Etat
hébreu, se positionnent clairement dans une historiographie à rebrousse-poil de
sa pendante sioniste. Pour le sionisme, "le juif était tenu de faire table rase
de son passé diasporique". Or, pour eux, "ce sont l'exil et la dispersion qui
font le juif, et qui expliquent en même temps qu'il y ait tant de façons de
l'être". "L'exil, martèlent-ils, est constitutif de toute identité juive,
israélité comprise." Pour conclure que la diaspora n'existe pas uniquement par
et pour Israël : "Elle dispose, elle aussi, de ses propres forces
créatrices."
Les auteurs connaissent d'expérience la volée de bois vert à
laquelle ils s'exposent - "livre antisémite, anti-israélien, haine de soi, etc"
- et l'acceptent avec fatalisme. Leurs adversaires mettront en exergue quelques
passages iconoclastes sur la Shoah : "Si l'on ne se réfugiait pas dans ce
souvenir du génocide, existerait-on encore comme juif ?" Avec, en particulier,
cette formulation d'Esther Benbassa : "Que l'antisémitisme moderne soit racial
est incontestable. Mais la forme exterminatrice que prend l'antisémitisme dans
les années noires est aussi et avant tout une forme contextuelle, celle de la
guerre." Là, on n'est plus très loin de Nolte, cet historien allemand douteux
pour qui la Shoah s'explique non par l'essence du nazisme mais par les
conditions spécifiques de la deuxième guerre mondiale, et une réaction allemande
au phénomène des camps introduits par la Russie soviétique.
Le lecteur, moins
porté à l'anathème, lui, saura gré aux auteurs d'avoir "ouvert", et richement,
la lecture de la "question juive" contemporaine, en restituant en majesté la
place du juif de l'exil, celui qui, comme Jean-Christophe Attias, dit : "je suis
d'ici, je suis d'ailleurs." Ce qui nous remet en mémoire cette excellente blague
juive, très diasporique : "Mon père est
tailleur."
Réseau
1. L'Etat juif,
de l'utopie au cauchemar par Michel Staszewski[Michel Staszewski est professeur à l'Athénée Royale de Jette,
collaborateur scientifique de la Faculté des Sciences psychologiques et de
l'Education de l'Université Libre de Bruxelles, et un des principaux animateurs
de l'Unions des Progressistes Juifs de Belgique. Il est coauteur du
Manifeste pour un juste règlement du conflit israélo-palestinien "Des Juifs de
Belgique s'impliquent et s'expliquent" - paru dans le Point d'information
Palestine N°127 du 30/01/2001-. Le texte de ce manifeste (en français,
néerlandais et anglais) ainsi que la liste de ses signataires (246 au 1er
décembre 2001) figurent sur le site Internet www.israel-palestine.be.]
Le sionisme ou la séparation comme réponse à
l'antisémitisme
Dans le dernier quart du XIXe et au début du XXe siècle, les communautés
juives d'Europe furent victimes de nombreuses manifestations d'antisémitisme
dont les pires furent les pogroms perpétrés dans l'Empire russe qui coûtèrent la
vie à des dizaines de milliers de personnes. Contemporain de ces tragiques
événements, Théodore Herzel, journaliste autrichien, fut un témoin privilégié
des violences antisémites qui ponctuèrent, en France, l'affaire Dreyfus. Il en
conclut que si même le pays de la Déclaration des Droits de l'Homme et du
Citoyen de 1789 pouvait être touché à ce point par des manifestations de haine
antisémite, il ne restait qu'une seule solution aux Juifs pour vivre en paix :
la séparation d'avec les non-juifs par le regroupement des Juifs dans un Etat
qui leur serait propre. Le projet politique sioniste fut donc fondé sur la
conviction qu'une cohabitation harmonieuse entre les minorités juives et les
populations non-juives majoritaires dans les Etats où ils vivaient était
décidément impossible.
Jusqu'au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale,
l'idéologie sioniste resta minoritaire parmi les Juifs d'Europe orientale,
centrale et occidentale et quasi absente des autres communautés juives dont les
membres, il est vrai, vivaient généralement en bonne entente avec leurs voisins
non juifs.
Le projet de création d'un Etat juif s'inscrivait
dans le grand mouvement nationaliste qui s'était développé de par le monde dès
le début du XIXe siècle et qui, au nom du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes, visait à permettre à chaque communauté nationale de disposer d'un
Etat indépendant. Aux yeux des opinions publiques européennes cependant, ce
principe ne s'appliquait qu'aux peuples " évolués ". Nous étions en effet à
l'époque du colonialisme européen triomphant et il allait de soi que ce qui
valait pour les peuples " civilisés " ne pouvait valoir pour les peuples "
primitifs " ou " sauvages ". Est-ce pour cela que les premiers sionistes
considérèrent que la Palestine, pourtant peuplée d'un demi-million d'Arabes
était " une terre sans peuple " ?
De plus en plus de terres de Palestine réservées aux
Juifs
Pour concrétiser son rêve, le mouvement sioniste mit tous ses efforts dans
l'appropriation d'un maximum de terres, achetées à leurs riches propriétaires
souvent absents (vivant au Liban, en Syrie ou en Turquie) et livrées, selon les
contrats de vente, " libres d'habitants " [1] . Ces terres étaient dès lors
repeuplées d'immigrants juifs, de plus en plus nombreux. De 1917 à 1939, cette
politique fut incontestablement favorisée par l'autorité mandataire [2]
britannique.
A partir de 1920, cette colonisation de peuplement entraîna une série de
révoltes de la population arabe de Palestine, évincée de territoires de plus en
plus vastes.
Néanmoins, l'arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne et la politique de
plus en plus férocement antisémite menée à l'encontre des Juifs allemands puis
autrichiens, engendra une accélération du mouvement d'émigration de Juifs
européens, entre autres vers la Palestine. Après la Deuxième Guerre mondiale, la
révélation de la réalité et de l'ampleur du judéocide nazi créa les conditions
de l'acceptation par la majorité des Etats européens du principe de la création
d'un Etat juif en Palestine. Et ce fut le partage de 1947 décidé par l'Assemblée
générale de l'O.N.U. contre l'avis des Etats arabes. Il prévoyait la division de
la Palestine en trois entités : un Etat juif constitué de 55% du territoire et
peuplé de 500.000 Juifs et de 400.000 Arabes ; un Etat arabe peuplé de 700.000
Arabes et de 10.000 Juifs ; la zone de Jérusalem, sous administration de
l'O.N.U., peuplée de 100.000 Juifs et de 105.000 Arabes.
Le refus arabe de ce plan engendra la guerre de 1947-1949, guerre qui donna
l'occasion au mouvement sioniste d'étendre son contrôle territorial à 78 % de la
Palestine mandataire et d'en évincer la plupart des habitants arabes. En 1949,
de 700 à 800.000 Arabes palestiniens étaient devenus des réfugiés. 150.000
d'entre eux, demeurés dans l'Etat juif, vécurent sous un régime militaire
jusqu'en 1966.
En 1967, la " Guerre des Six Jours " permit à l'armée israélienne de
prendre le contrôle du reste de la Palestine [3] , autrement dit de
Jérusalem-est, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Ces événements
provoquèrent un nouvel exil de plusieurs centaines de milliers de Palestiniens
qui vinrent grossir les rangs des réfugiés, essentiellement en Jordanie.
L'occupation des territoires nouvellement conquis commença dès le lendemain de
cette conquête par la destruction du pâté de maisons de la vieille ville de
Jérusalem qui longeait le " Mur des Lamentations ". Depuis 1967, la colonisation
juive de ces territoires est allée sans cesse en s'accélérant, même après la
signature des accords d'Oslo en 1993, et quel que fut le gouvernement au
pouvoir.
En 1988, 68 ans après la première révolte des Arabes de Palestine contre
l'immigration juive et les acquisitions de terres par les Juifs, le Conseil
national palestinien (parlement en exil) reconnaissait le droit à l'existence de
l'Etat juif. En 1993, l'O.L.P. admettait la souveraineté de l'Etat d'Israël dans
ses frontières de 1967 (avant la Guerre des Six Jours) ; elle acceptait donc que
le futur Etat palestinien soit limité à 22 % de la Palestine mandataire,
autrement dit à la Cisjordanie et à la bande de Gaza.
Les " concessions
généreuses " de Barak
C'est dans ce contexte que le Premier ministre Ehoud Barak voulut inscrire
son nom dans l'Histoire comme celui qui aurait mis fin au conflit israélo-arabe,
vieux d'un siècle. A Camp David, en juillet 2000, il crut pouvoir faire accepter
par Yasser Arafat et son équipe de négociateurs un accord qui prévoyait la
création d'un " Etat " palestinien démilitarisé, divisé en quatre entités
séparées, dont les frontières seraient contrôlées par Israël et constitué sur
moins de 20 % de la Palestine mandataire. Selon ce plan, les principales
colonies juives de Cisjordanie devaient être annexées à Israël. A Jérusalem-est,
le Mur des lamentations et plusieurs zones désormais peuplées majoritairement de
Juifs devaient rester sous souveraineté israélienne. Il devait en être de même
pour le " Mont du Temple " (l'esplanade des mosquées) dont les Palestiniens
auraient cependant pu obtenir la " garde permanente ". Les négociateurs
israéliens refusèrent par ailleurs de reconnaître la moindre responsabilité de
leur pays concernant la question des réfugiés. Tout au plus acceptèrent-ils
l'idée du rapatriement, étalé sur dix ans de quelques milliers d'entre eux, "
pour raisons humanitaires ".
Les négociateurs palestiniens refusèrent ces " offres généreuses " et le
désespoir et la colère s'installèrent auprès des leurs. Quelques semaines plus
tard, Ehoud Barak autorisa Ariel Sharon, alors principal leader de l'opposition
à aller " visiter " le " Mont du Temple ", accompagné d'une très imposante
escorte armée. De jeunes Palestiniens manifestèrent leur indignation ; ils se
heurtèrent à une répression des plus brutales : en 3 jours l'armée israélienne
abattit 30 personnes et fit 500 blessés. L'"Intifada d'El Aqsa " avait commencé.
Des négociations reprirent cependant à Taba (Egypte) en janvier 2002 entre les
représentants israéliens et palestiniens, sous l'égide de l'administration
Clinton finissante ; elles laissèrent entrevoir la possibilité de sérieuses
avancées mais Ehoud Barak avait perdu sa majorité au parlement israélien et
beaucoup de sa légitimité auprès de la majorité de l'opinion publique
israélienne, comme allait le démontrer le résultat des élections de février
2001. C'est en effet le " faucon " Ariel Sharon qui fut élu Premier ministre
d'Israël par une confortable majorité des électeurs juifs. Et les avancées de
Taba restèrent lettre morte.
Le sort actuel des Palestiniens
Dans quelles conditions vivent aujourd'hui (décembre 2001) les
Palestiniens ?
Le million de ceux qui sont citoyens israéliens sont les moins mal lotis.
Ils continuent cependant à être régulièrement victimes de discriminations. Cela
se marque par exemple, par la répartition très inégale des fonds publics entre
les localités selon qu'il s'agit de communes peuplées de Juifs ou d'Arabes (il
n'existe pratiquement pas de villes ou de villages " mixtes ") ou par la
non-reconnaissance de l'existence même de cent-cinquante villages et hameaux
regroupant environ 75.000 habitants, ce qui a pour conséquence que ces localités
sont privées de tout service public ( pas de connexion aux réseaux
d'électricité, d'eau ou de téléphone ; interdiction d'ouvrir de nouvelles
écoles, …) ; leurs habitants se voient interdire toute construction de bâtiment
ou de voirie [4] . Beaucoup plus insidieuse est la suspicion dont sont
systématiquement victimes les Arabes israéliens, ce qui les exclut de quantité
d'emplois et en fait les victimes de contrôles policiers systématiques.
Les Palestiniens vivant en dehors du territoire de la Palestine mandataire
sont actuellement près de trois millions [5] . Leurs conditions de vie sont très
variables : si une petite minorité sont devenus des citoyens à part entière de
leur pays d'accueil, la grande majorité d'entre eux restent des réfugiés, même
s'ils ne vivent plus tous dans des camps [6] . Et c'est sans doute au Liban que,
victimes de multiples mesures de ségrégation, ils vivent le plus mal.
Les Palestiniens des territoires occupés [7] connaissent, quant à
eux, depuis 1967, une interminable descente aux enfers. Leurs conditions de vie
n'ont cessé de se dégrader, particulièrement, il faut le souligner, depuis
l'entrée en application des accords d'Oslo (1994-1995). Les colonies de
peuplement juif en Cisjordanie et à Gaza sont actuellement plus de 160 et
regroupent environ 400.000 habitants [8] . Les zones autonomes palestiniennes
qui recouvrent environ les deux tiers de la bande de Gaza et moins de 18% de la
Cisjordanie sont complètement isolées les unes des autres. La circulation entre
les différentes localités palestiniennes, déjà extrêmement problématique avant
l'embrasement de fin septembre 2000, est devenue presque impossible. Le "
bouclage " est tel que de nombreux élèves et étudiants ne peuvent, la plupart du
temps, se rendre dans leurs établissements scolaires ni les adultes exercer
leurs activités professionnelles. Plusieurs personnes sont mortes faute de soins
pour avoir été empêchées de rejoindre un hôpital. Depuis le début de l'actuelle
intifada, environ 800 Palestiniens des territoires occupés dont 200 enfants ont
été tués. Les blessés sont plus de 30.000. Plus de 2.000 Palestiniens, dont 350
sont des mineurs d'âge, sont détenus dans les prisons israéliennes. De nombreux
cas de mauvais traitements, voire de torture y sont avérés. Depuis l'arrivée au
pouvoir du gouvernement dirigé par Ariel Sharon, les incursions de l'armée
israélienne dans les zones autonomes palestiniennes se multiplient. Plus de
5.000 bâtiments ont été détériorés et 800 entièrement détruits du fait de ces
opérations militaires. Des milliers d'hectares de terres agricoles ont été
ravagés et des dizaines de milliers d'arbres arrachés.
Un gouffre, typique d'une situation coloniale, et qui ne cesse de
s'élargir, sépare les conditions de vie des colons israéliens de celles des
Palestiniens. Tandis que ces derniers vivent une situation de précarité extrême,
les colons, dont la liberté de circulation entre leurs colonies et l'Etat
d'Israël reste entière, s'approprient toujours plus de terres et ont accaparé la
plupart des ressources en eau [9] .
Une politique illégale et sans issue … mais soutenue par la
majorité des citoyens israéliens
En regard du droit international, cette politique fait d'Israël un Etat
hors-la-loi. Elle est en effet contraire aux résolutions de l'assemblée générale
et du Conseil de Sécurité de l'O.N.U. et les moyens mis en œuvre pour la mener
sont contraires à toutes les conventions sur le droit de la guerre. Elle ne
conduira pas à une solution du conflit. Elle engendre une situation économique
et financière de plus en plus mauvaise pour l'Etat israélien lui-même. Et jamais
les Israéliens, qui ont tout de même eu environ 200 morts à déplorer depuis le
début de cette intifada, n'ont vécu autant en état d'insécurité qu'actuellement.
Pourtant, d'après plusieurs sondages réalisés ces derniers temps en Israël,
plus des deux tiers de la population israélienne soutient la politique du
gouvernement d'Ariel Sharon.
Comment expliquer ce paradoxe ?
Le " complexe de Massada "
Beaucoup de gens sous-estiment les effets à long terme que peuvent générer
des persécutions graves visant une communauté humaine tout entière. Le
ralliement à l'idéologie sioniste de la majorité des Juifs européens au
lendemain de la Deuxième Guerre mondiale s'explique avant tout par une vision du
monde transformée par l'expérience traumatisante du judéocide. Et ces
traumatismes transmettent une partie de leurs effets aux générations suivantes :
tout Juif dont les parents ou les grands-parents ont vécu la guerre sous le joug
nazi est, d'une manière ou d'une autre, psychologiquement " marqué " par cet
atavisme. Ce qui explique, au moins en partie, pourquoi la vision sioniste du
monde est encore dominante aujourd'hui dans la diaspora européenne ou
d'origine européenne. Le " complexe de Massada " [10] ou de la " citadelle
assiégée " est caractéristique de cette vision du monde : les Juifs ne
pourraient compter que sur eux-mêmes pour se défendre contre des populations non
juives généralement hostiles. C'est ainsi que L'Etat moderne d'Israël est
considéré par de nombreux Juifs de la diaspora comme " le dernier refuge ", le
lieu où l'on pourrait se réfugier " au cas ou … ". D'où l'importance vitale, à
leurs yeux de le préserver en tant qu'Etat juif, ce qui implique que les Juifs y
restent, à tout prix, majoritaires.
Ceci permet de comprendre pourquoi la majorité des Israéliens et un grand
nombre de Juifs de la diaspora, pourtant partisans inconditionnels du " droit au
retour " en Israël pour les Juifs du monde entier, s'opposent avec force à la
revendication palestinienne du droit au retour des exilés palestiniens victimes
des guerres successives ayant opposé Juifs et Arabes en Palestine-Israël depuis
1947. Le fait que les représentants palestiniens se déclarent depuis longtemps
prêts à négocier la mise en œuvre de ce principe [11] n'y change
rien.
En réalité, depuis sa création, Israël est le pays où les Juifs sont le
moins en sécurité. Ce constat ne semble pas ébranler la conviction qu'il
constitue un refuge pour les Juifs. C'est même le contraire qui se produit :
plus la politique de l'Etat juif se heurte à la résistance des Palestiniens et à
la réprobation de l'opinion publique internationale, plus la majorité de
l'opinion publique juive israélienne et diasporique, confortée dans le sentiment
que les Juifs sont encore et toujours les victimes de l'hostilité des non juifs,
se raidit dans une attitude intransigeante. Ce qui favorise le développement,
chez les Palestiniens, de sentiments de colère, d'humiliation voire de haine et
de désespoir, ce désespoir qui amène de plus en plus de jeunes
Palestiniens, ne trouvant plus de sens à leur vie, à chercher à en donner un à
leur mort, en perpétrant des attentats-suicides au cœur d'Israël. Nous sommes là
dans un tragique cercle vicieux.
Mais aujourd'hui les descendants des victimes du judéocide nazi sont
devenus minoritaires parmi les Juifs israéliens. Il reste donc à expliquer
pourquoi le raidissement décrit ci-avant concerne l'écrasante majorité de la
population juive d'Israël.
Dans son livre Le Septième Million, l'historien israélien Tom Segev
nous donne la clé de cette énigme. Il y montre comment, depuis la naissance de
l'Etat juif, les dirigeants israéliens ont utilisé la mémoire du judéocide nazi
pour façonner une identité collective israélienne [12] . Dès leur plus jeune
âge, les enfants israéliens, quelle que soit l'histoire de leurs ancêtres, sont
élevés dans le souvenir et le culte du passé tragique des communautés juives
européennes. C'est donc l'ensemble de la population juive israélienne qui porte
le poids du passé, qui se voit transmettre le traumatisme et ses effets
secondaires, à commencer par le " complexe de Massada ".
Séparation unilatérale
A la lumière de ce qui précède, on comprend mieux pourquoi un certain
nombre de dirigeants politiques et d'intellectuels israéliens renommés, y
compris des membres ou des proches du parti travailliste, considérant que Juifs
et Arabes ne parviendront jamais à s'entendre, défendent aujourd'hui très
sérieusement l'idée de la " séparation unilatérale " comme solution au conflit.
Il s'agirait concrètement de séparer les Juifs des Arabes par un " rideau de fer
" tel que l'Europe l'a connu durant la Guerre froide. Dans un article intitulé
Un remède miracle [13] , Uri Avnery, figure marquante du " Bloc de la paix "
israélien, a qualifié ce projet de " nouveau pas dans la marche de la folie ".
Il y démontrait qu'il ne pourrait déboucher que sur une guerre sans fin dans la
mesure ou l'emplacement de ce " rideau " n'aurait pas fait l'objet d'un accord
et que, de toute façon, l'imbrication des populations juives et arabes est tel
qu'il faudrait soit construire des " rideaux " un peu partout, le territoire de
la Palestine historique étant dès lors transformé en une multitude de ghettos
invivables tant du point de vue économique que du point de vue humain, soit
procéder à de nouveaux déplacements forcés de populations de manière à obtenir
deux entités " homogènes ".
Diabolisation des Palestiniens
La paranoïa collective dont sont victimes la majorité des Israéliens les
aveuglent : ils ne voient pas que les actes de violence auxquels se livrent les
Palestiniens s'expliquent essentiellement par les conditions de plus en plus
insupportables dans lesquelles ils vivent, par l'oppression et les humiliations
continuelles qu'ils subissent de la part de l'armée israélienne. Pour eux la
violence des Palestiniens s'explique par leur antisémitisme [14] qui
serait entretenu et renforcé par une éducation à la haine dont ils seraient les
victimes depuis des générations. Cette haine antisémite les aurait
collectivement déshumanisés. C'est ainsi que beaucoup d'Israéliens croient
sincèrement que de nombreux parents palestiniens envoient délibérément leurs
enfants risquer leur vie en jetant des pierres sur les soldats israéliens ou les
encouragent à devenir des " martyrs ".
Cette vision déshumanisée des Palestiniens touche même les plus hautes
sphères du parti travailliste israélien. C'est ainsi que le 2 août dernier sur
la chaîne de télévision américaine ABC, le journaliste Chris Bury posait la
question suivante à Avraham Burg, un des principaux dirigeants de ce parti
et président du parlement israélien : " Israël se vante d'être une nation
démocratique fondée sur les règles du droit. Alors comment peut-on justifier des
assassinats lorsque les forces de sécurité sont, en l'occurrence, tout à la fois
jury, juge et bourreau ? " Réponse d'Avraham Burg : " Il ne fait aucun doute que
dans le monde occidental et le système de valeurs dans lesquels nous vivons,
l'agneau a en général de bonnes chances de se défendre avant que le loup le
dévore. Au Proche-Orient les règles sont quelque peu différentes. (…) Nous
vivons dans un autre hémisphère, fait d'islamistes fondamentalistes, de bombes
humaines, d'un peuple suicidaire, de tueurs, de kidnappeurs, de gens auxquels
vous ne voudriez pas marier votre fille. N'essayez pas d'exiger de moi que je me
comporte vis-à-vis de mon voisin non humain de la même manière que les
Scandinaves se comportent vis-à-vis des Suédois. " [15] Sans
commentaire.
L'écrasante responsabilité du monde occidental
Il ne fait aucun doute qu'Israéliens et Palestiniens ne s'en sortiront pas
tout seuls. Face au " nain " palestinien, L'Etat d'Israël est un " géant "
surarmé, convaincu qu'il est entouré d'ennemis et que son seul salut réside dans
un rapport de force militaire à son avantage. A la paranoïa collective de la
majorité des Israéliens et des dirigeants qu'ils se sont choisis, répond la
folie meurtrière d'une frange, heureusement encore très minoritaire, d'une
population palestinienne de plus en plus désespérée.
Les Etats d'Europe occidentale et les Etats-Unis d'Amérique portent, à plus
d'un titre, une responsabilité écrasante dans cette interminable descente aux
enfers. Sans leur appui résolu, l'injustice qu'a constitué la création, en
Palestine, d'un Etat destiné à accueillir les Juifs du monde entier aux dépens
des populations non juives de ce territoire n'aurait pas été possible. Par leur
soutien économique et militaire quasi inconditionnel à l'Etat d'Israël malgré
son non-respect systématique des résolutions de l'Assemblée Générale et du
Conseil de Sécurité de l'O.N.U. ainsi que des conventions internationales
régissant le droit des populations vivant sous occupation étrangère, ils ont
permis qu'une situation d'oppression et de déni du droit international et des
Droits de l'Homme se perpétue et s'aggrave durant plus d'un demi-siècle.
Aujourd'hui encore, alors que des victimes tombent quasi tous les jours, ils
refusent de répondre positivement à la demande répétée de l'Autorité
palestinienne qu'une force d'interposition internationale sous mandat de
l'O.N.U. vienne mettre fin au carnage, sous le prétexte que cela ne serait pas
réalisable sans un accord des deux parties. La présidence belge de l'Union
européenne, incarnée par le Premier Ministre Guy Verhofstadt et par le Ministre
des Affaires étrangères Louis Michel, au lieu de se faire la défenderesse du
Droit international, a prétendu mené une politique " d'équidistance " entre les
deux parties … avec l'insuccès que l'on sait.
Par leur appui quasi inconditionnel à la politique de l'Etat d'Israël ou
par leur passivité, les Etats occidentaux sont les principaux responsables de la
perpétuation de l'impasse tragique dans laquelle se sont engouffrés les
dirigeants sionistes, dans laquelle ils ont entraîné la société juive
israélienne mais dont la victime principale est le peuple palestinien.
Le rêve sioniste s'est concrétisé en un interminable cauchemar. Les Juifs
israéliens, pétris de cette idéologie qui les a conduits à soutenir une
politique d'apartheid de la pire espèce, sont en train de " perdre leur âme "
dans un conflit sans fin et de plus en plus meurtrier avec leurs voisins
palestiniens. La " désionisation " des esprits, absolument nécessaire pour
qu'une véritable réconciliation [16] entre Juifs israéliens et
Palestiniens, puisse advenir, prendra du temps. Il n'est ni moralement, ni
politiquement défendable de subordonner une solution au conflit à l'évolution de
cet état d'esprit. La communauté internationale doit intervenir d'urgence,
d'abord pour que soit mis fin à la mortelle étreinte dans laquelle sont enlacés
les peuples israélien et palestinien, puis pour imposer une paix durable basée
sur le respect du Droit international et des Droits de l'Homme.
Mais pour que
cela advienne, il est nécessaire que, partout dans le monde, les opinions
publiques se mobilisent pour pousser leurs représentants politiques à agir afin
qu'entre Méditerranée et Jourdain, le règne de la loi du plus fort cède enfin la
place à celui de l'égalité des droits entre les hommes et entre les
peuples.
Michel Staszewski (décembre 2001)
- NOTES :
[1]
Depuis un siècle, le Keren Kayemeth Leisraël (Fonds Unifié pour Israël), est
chargé de récolter des fonds auprès des Juifs du monde entier pour l'achat de
terres en Palestine, terres ne pouvant être occupées et exploitées que par des
Juifs. Depuis 1967, le K.K.L. a étendu ses activités aux territoires occupés
suite à la Guerre des Six Jours (cf. GOLDMAN, H., Le KKL " trace les
frontières d'Israël ", in Points Critiques. Le Mensuel, n° 221,Bruxelles,
décembre 2001, pp. 19 et 20).
[2] En 1922, le Royaume-Uni obtint de la
Société des nations un mandat de protectorat sur la Palestine, ancienne province
ottomane. En fait l'occupation britannique dura de 1917 à 1948.
[3] Ainsi que
du plateau syrien du Golan et du désert égyptien du Sinaï.
[4] Cf. WAJNBLUM,
H., Des villages bien réels mais officiellement inexistants… Les villages arabes
israéliens " non reconnus ", in Points Critiques n° 61, Bruxelles, mai 1998, pp.
19-27.
[5] Chiffres de l'UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations
Unies pour les réfugiés de Palestine). Selon des sources palestiniennes, ils
seraient nettement plus nombreux mais une grande partie d'entre eux ne seraient
pas recensés comme tels par cet office des Nations Unies.
[6] L'UNRWA
estime que sur les 3.700.000 réfugiés recensés, environ 1.200.000 habitent
encore aujourd'hui dans des camps, ce chiffre comprenant les habitants des camps
de Cisjordanie et de la bande de Gaza.
[7] Les Palestiniens de Cisjordanie,
de Jérusalem-est et de Gaza sont aujourd'hui 2.700.000 dont 1.400.000 de
réfugiés. Parmi ces derniers, 600.000 vivent encore actuellement dans des camps.
[8] Ce nombre comprend les habitants juifs de Jérusalem-est, territoire
conquis par l'armée israélienne en 1967.
[9] Selon la Banque mondiale, 90 %
des ressources en eau de la Cisjordanie sont utilisées au profit
d'Israël.
[10] En 70 après J.C., après la chute de Jérusalem, un important
groupe de révoltés juifs se réfugièrent dans la forteresse de Massada bâtie sur
un éperon rocheux dominant la rive ouest de la Mer morte. Après avoir défié les
armées romaines durant plus de deux années, sur le point d'être vaincus, les
derniers combattants juifs et leurs familles se suicidèrent plutôt que de se
rendre.
[11] " Les Palestiniens sont prêts à envisager ce droit au retour de
manière flexible et créative dans sa réalisation matérielle. Dans nombre de
discussions avec Israël, les problèmes posés par la mise en œuvre du droit au
retour, tant en ce qui concerne les réfugiés qu'en ce qui concerne les
conséquences pour l'Etat hébreu, ont été identifiés et des solutions détaillées
ont été avancées. " ( extrait du Mémorandum de l'équipe palestinienne de
négociation à Bill Clinton, 1er janvier 2001, cité in Les Cahiers de l'U.P.J.B.,
n°2, Bruxelles, Mars 2001, p. 59)
[12] " Le Septième Million traite de la
manière dont les amères vicissitudes du passé continuent à modeler la vie d'une
nation. Si le Génocide a imposé une identité collective posthume à six millions
de victimes, il a aussi façonné l'identité collective de ce nouveau pays, non
seulement pour les survivants arrivés après la guerre, mais pour l'ensemble des
Israéliens, aujourd'hui comme hier. " ( SEGEV, T., Le Septième Million, Editions
Liana Levi, Paris, 1993, p. 19).
[13] Cet article, paru en hébreu et en
anglais sur le site Internet de Gush Shalom (le " Bloc de la Paix " ) le 25 août
2001, peut être lu, dans sa traduction française, sur le site www.solidarite-palestine.org
[14] Dont beaucoup de Juifs croient qu'il a toujours
existé.
[15] Cité in Points Critiques. Le Mensuel, n° 218, Bruxelles,
septembre 2001, p. 14.
[16] La réconciliation passe par la reconnaissance
intégrale de l'égalité fondamentale de l'autre, de son entière
humanité.
2. Voyons comment
les sionistes ont "sauvé les Juifs" durant la seconde guerre
mondiale... par Israël Shamir
in "Petite bibliothèque de Sacha
Sverdlov" http://gornischt.narod.ru/shamir2.htm[traduit du russe par Marcel
Charbonnier]Année après année, les journées de juin ramènent
à ma mémoire les souvenirs de la guerre. Pour le peuple juif, la guerre a
représenté une terrible tragédie - un tiers des Juifs sont morts, des
communautés entières, des plus ancestrales et des plus riches de traditions, ont
été anéanties. Pourquoi cela s'est-il produit ? Pourquoi ce peuple, généralement
plutôt énergique, n'a-t-il pu éviter cela ? Par-delà les responsables directs,
évidents - les nazis - il y eut aussi d'autres coupables, qui ont contribué à
rendre cette tragédie possible ; les uns par ignorance, d'autres par
indifférence à l'égard de la vie d'autrui, d'autres encore pour des raisons
idéologiques.
On raconte une anecdote qui met en scène un pauvre petit
moineau bien près de mourir de froid, mais sauvé par la chaleur du fumier des
vaches, et finalement dévoré par le chat ! Moralité : "Tous ceux qui te
dégoûtent ne sont pas forcément tes ennemis, tous ceux qui te tirent de la m...
ne sont pas nécessairement tes amis..." : cette historiette me revient à
l'esprit tandis que je m'apprête à raconter les étranges relations bilatérales
entre les Juifs et le mouvement sioniste.
Avant d'aller plus loin, formulons
un reproche fondamental à l'encontre du sionisme : ce mouvement a vu le jour,
initialement, pour protéger et sauver des Juifs (menacés), en tout premier lieu
les Juifs d'Europe orientale. Mais, par la suite, il s'est fixé pour mission
essentielle la création et la pérennisation d'un Etat juif en Palestine. Afin
d'atteindre ce but, le mouvement sioniste était prêt - et il le reste, jusqu'à
ce jour - à sacrifier les intérêts des juifs. C'est ce qui s'est passé, y
compris durant la seconde guerre mondiale.
Pour des habitants de l'Union
soviétique, cette accusation n'avait rien de surprenant. Le sionisme était, en
effet, le contemporain du bolchévisme et, comme lui, il s'était développé sous
le mot-d'ordre "On ne saurait couper la forêt sans que volent les copeaux". Mais
voilà la différence : pour les bolchéviques, l'objectif était universel :
l'édification du socialisme en Russie, la réalisation du bonheur pour tous.
Tandis que pour les sionistes, il s'agissait de fonder un état puissant au
Moyen-Orient, qui prenne la succession de l'empire du Roi Salomon. Et pour mener
à bien cette 'noble' tâche, tous les moyens étaient bons...
Sabbataï
Beit-Tsvi, un vieux juif russe, avait travaillé toute sa vie aux archives de
l'Agence juive à Tel Aviv. Une fois à la retraite, il avait "publié", en 1977,
un 'samizdat' ('à compte d'auteur'), épais de quelque 500 page au format in IV°,
sous le titre-fleuve et quelque peu nébuleux "La crise du sionisme
post-ougandais aux jours de la catastrophe des années 1938-1945". Cet ouvrage
était resté inaperçu d'un grand nombre de lecteurs et son introduction, ainsi
que sa conclusion - horrifiantes - consacrées au rôle joué par le mouvement
sioniste dans la tragédie des Juifs d'Europe finirent par produire l'effet d'une
bombe il y a tout juste six ans, lorsqu'elles furent citées par l'historien
israélien (tout ce qu'il y a de plus officiel et unaniment reconnu) Dina Porat.
Depuis lors, son travail a été utilisé à maintes reprises par des historiens qui
n'ont pas toujours eu la délicatesse élémentaire de s'en référer à notre
retraité, qui végète depuis belle lurette retiré aux regards du monde.
Sans
me perdre dans les arcanes de ce passé lointain, je dirai qu'en utilisant
l'expression "sionisme post-ougandais", Beit-Tsvi avait en vue le mouvement
sioniste tel qu'il s'était formé alors que le vingtième siècle en était encore à
ses premiers balbutiements, c'est-à-dire que le sionisme dont il est question
est bien le sionisme proprement dit, le sionisme du vingtième siècle. D'après
Beit Tsvi, le sionisme connaît alors une grave crise : il se divise sur la
question de savoir s'il fallait - ou non - accepter la proposition de
l'Angleterre : créer un état juif en Ouganda. Ceux qui avaient le souci du sort
du peuple juif étaient favorables au projet ougandais (c'étaient les
'minoritaires'), mais les 'palestinocentristes' ('majoritaires') l'emportèrent
et s'attelèrent sans plus traîner à construire un état juif en Palestine à tout
prix, fût-ce au détriment du peuple juif. En particulier, ceci se fit sentir aux
jours du triomphe du nazisme, lorsque le peuple juif ne put sauver un tiers des
siens de l'extermination, pour la simple raison que sauver des Juifs, était bien
le dernier souci des sionistes, si les rescapés n'émigraient pas en Palestine.
Par contre, il n'existait pas encore à proprement parler de mouvement juif
non-sioniste (un petit noyau, embryonnaire, existait, mais il ne jouissait
d'aucune influence notable).
"En décembre 1942, lorsque le caractère massif
de l'extermination des Juifs d'Europe devint patent (écrit Beit-Tsvi), l'homme
qui allait devenir le deuxième président de la République d'Israël, Chazar,
formula la question purement rhétorique suivante : 'pourquoi, nous, (mouvement
sioniste), n'avons-nous pas su ? Pourquoi les nazis ont-ils pu nous prendre au
dépourvu ?' Tandis qu'un autre participant à la même réunion des dirigeants du
mouvement sioniste, Moshé Aram, déclarait de son côté : 'Nous avons été des
complices involontaires du massacre' (parlant de ceux qui savaient, mais
n'avaient rien fait)."
"L'organisation sioniste a réussi le tour de force de
'ne rien savoir' de la catastrophe jusqu'à l'automne 1942 et si ce tour de
force, elle l'a réalisé, c'est pour la simple raison qu'elle ne voulait rien
savoir", poursuit Beit-Tsvi.
Puis il détermine à quel moment les nazis ont
décidé de procéder à l'élimination systématique des Juifs : à l'évidence, ce fut
en été 1941, à telle enseigne que le premier document d'archive relatif à cette
décision est daté du 31 juin 1941. L'éradication projetée des Juifs était un
secret absolu et si les pays ennemis de l'Allemagne en avaient eu connaissance,
ils auraient pu stopper ou tout au moins ralentir ou dénoncer la mise en
pratique de l'ordre non-écrit d'Hitler. Mais le mouvement sioniste n'était pas
intéressé par la publicité, et il se comporta de façon totalement irresponsable
: alors que la seconde guerre mondiale n'avait pas encore éclaté, en 1939, lors
du 21ème congrès du mouvement sioniste réuni à Genève, un cacique du sionisme
(il s'agissait du futur premier président de la République d'Israël, Chaïm
Weizman) avait déclaré la guerre à l'Allemagne, (rien que çà), non pas au nom
des Juifs de Palestine, ni même au nom du sionisme, mais au nom de l'ensemble du
peuple juif... Le 21 août 1939, cette 'déclaration de guerre' fut rendue
publique, ce qui permit aux nazis de dire, par la suite, que "les Juifs sont les
fauteurs de guerre". Du point de vue de (notre) Beit-Tsvi, ceci traduisait avec
éloquence la position égocentrique des sionistes, qui faisaient prévaloir en
permanence leur propre point de vue sur celui de l'ensemble du peuple juif, se
souciant (du sort) du peuple (juif), en réalité, comme d'une guigne...
La presse pro-sioniste obtempéra aux
consignes de ses dirigeants, et même lorsque parurent dans les journaux, le 16
mars 1942 - en se fondant sur une lettre du commissaire national soviétique
Molotov - les premiers témoignages d'exterminations massives de Juifs, après
qu'eurent été perpétrés Babi Yar et d'autres massacres, dès le lendemain, 17
mars 1942, on pouvait lire dans les journaux hébreux publiés en Palestine, un
démenti officiel, selon lequel les nouvelles faisant état de centaines de
milliers de Juifs tués étaient 'des mensonges et des exagérations'. Molotov
faisait état de 52 000 Juifs massacrés à Kiev : le journal sioniste 'Davar'
reprend ses propos, avec une réserve d'importance : 'selon nos propres données,
la majorité des personnes mortes à Kiev n'étaient absolument pas juives.' Dans
d'autres journaux, on ne reprit pas non plus telles quelles les informations
données par Molotov et on en avança d'autres, 'de première main', notamment : "à
Kiev, ce sont en réalité 'seulement' un millier de Juifs qui ont été tués".
Beit-Tsvi cite des dizaines de journaux sionistes, et dans tous, sans exception,
revient le même leit-motiv : il n'y a pas connaissance d'un quelconque génocide
; tout cela, ce ne sont que des mensonges. "Il faut se garder de propager des
rumeurs', écrivait, le lendemain, le journal Ha-Tsofé, 'le peuple d'Israël a
déjà tellement de péchés sur le dos : inutile d'y ajouter le mensonge,
par-dessus le marché !" Mais le coupable, ce n'était pas la presse, écrit
Beit-Tsvi : la communauté juive de Palestine ne voulait pas entendre des
nouvelles désagréables venues d'Europe. Alors, "toute une armée d'écrivains, de
commentateurs, d'éditorialistes abreuva les lecteurs d'articles lénifiants et
d'explications 'au tilleul'." Seule le mouvement d'opposition 'Brit Shalom',
regroupant des partisans de la paix avec les Arabes, apporta foi à la missive de
Molotov, mais personne ne l'écouta...
A la même époque, poursuit Beit-Tsvi,
les dirigeants sionistes connaissaient quelle était la véritable situation. Ils
savaient, mais cela ne les intéressait pas - et pas seulement en Palestine,
mais, aussi bien, à Londres et à New York. Il ne fallait pas s'attendre à une
quelconque sympathie de leur part : certains, comme Ben Gourion, n'avaient
absolument rien à cirer des Juifs d'Europe, d'autres s'insurgeaient, suggérant
que les Juifs "allaient à l'abattoir comme des moutons" et "ne se battaient pas
comme l'auraient fait les héros légendaires des temps bibliques... "
Ce
silence était motivé par des questions de gros sous. Beit-Tsvi raconte en détail
comment les sionistes se sont opposés aux efforts visant à consacrer des moyens
financiers importants de l'organisation sioniste (et donc du peuple juif) au
sauvetage des Juifs (menacés).
Le 18 janvier 1943, les nouvelles au sujet des
tueries de Juifs avaient pris une telle ampleur, sans commune mesure, qu'il
était devenu impossible de les occulter et qu'il fallait en débattre. Au cours
d'une réunion tenue par les dirigeants sionistes, la position qui l'emporta fut
celle d'Yitzhak Grinbaum : ne pas donner un seul centime ('un kopek, écrit I.
Shamir, ndt) pour le sauvetage des Juifs, et tout faire pour empêcher la
collecte de moyens consacrés à cette fin. "Cela est dangereux pour le sionisme,
nous ne pouvons pas donner de l'argent prélevé dans les caisses du mouvement
sioniste (Keren Ga-esod) fût-ce pour sauver des Juifs. Nous aurions assez
d'argent pour ce faire, mais nous devons garder ces moyens financiers pour notre
(propre) lutte. Le sionisme passe avant tout : voilà quelle est notre réponse à
ceux qui s'aviseraient de s'écarter de notre mission première afin de sauver les
Juifs d'Europe". Au cours de la même séance (mémorable), Yitzhak Grinbaum était
élu 'ministre du sauvetage des Juifs européens"...
Ainsi, le mouvement
sioniste se tint pratiquement totalement à l'écart des tracas que représentait
(pour lui) le sauvetage des gens en train de mourir. Beit-Tsvi cite des dizaines
de déclarations et de procès-verbaux de l'époque : "En mai 1942, le chef des
sionistes américains, Abba Hillel Silver, définit les deux missions
fondamentales auxquelles les sionistes des Etats-Unis étaient confrontés :
l'éducation nationale (nationaliste ?) et la popularisation de l'idée d'un état
juif indépendant. Sur le sauvetage (des Juifs en cours d'extermination) : pas un
mot. En octobre 1942, Ben Gourion définit les trois tâches fondamentales du
sionisme : la lutte contre les entraves à l'immigration des Juifs (en
Palestine), la constitution de forces armées juives et la création d'un Etat
juif en Palestine, une fois la guerre terminée. Sur le sauvetage des Juifs (en
cours d'extermination) : pas un mot."
Mais le mouvement sioniste ne se
contenta pas d'être totalement indifférent à la (nécessité) de sauver les Juifs
(menacés d'extermination) : il s'ingénia à faire échouer tous les plans de
sauvetage (mis sur pied dans le cadre) de la conférence d'Evian. Beit-Tsvi
consacre un chapitre entier de son livre à ce sabotage, et il démontre
l'influence absolument illimitée des sionistes sur la grande presse ainsi que
leur capacité à se rendre maîtres des opinions. La conférence d'Evian avait été
convoquée en mars 1938 à l'initiative du président américain Roosevelt, afin
d'aider les Juifs à quitter l'Allemagne, qui venait d'annexer l'Autriche. Au
début, le monde juif manifesta un grand enthousiasme pour cette initiative et il
baptisa même cette conférence "Conférence de la conscience mondiale". Le
mouvement sioniste nourrissait l'espoir que la conférence accorderait la
Palestine au peuplement juif, et qu'y serait prise une résolution
enjoignant à la Grande-Bretagne - puissance mandataire en Palestine - d'y
accueillir les réfugiés juifs.
Mais tel ne fut pas le cas. La conférence
d'Evian se consacra à l'élaboration de plans pour le sauvetage des Juifs, et non
pas à un quelconque plan de peuplement de la Palestine. Tous les représentants
des différents pays participant à la conférence évoquèrent la possibilité
d'accueillir des réfugiés sur leur territoire respectif, et ils se gardèrent
bien d'exercer une quelconque pression (forcément vexatoire) sur l'Angleterre.
"C'est alors que l'avis des sionistes sur cette conférence changea du tout au
tout, écrit Beit-Tsvi, - la colère prit la place de l'enthousiasme et les
espoirs se métamorphosèrent en déception. L'intervention du dirigeant du
mouvement sioniste mondial, Chaïm Weitzman, fut remarquée : "si la conférence ne
se met pas d'accord sur la résolution du problème des Juifs une bonne fois pour
toutes au moyen de leur transfert en Eretz Israël- inutile de se fatiguer."
Immédiatement, toute la presse sioniste lança une campagne hystérique, écrivant
: "nous sommes rejetés et personne ne nous réconforte : le monde a perdu toute
conscience."
Mais les observateurs non-sionistes
étaient optimistes : la conférence avait suscité l'espoir de voir tous les
émigrants (juifs) potentiels admis dans les différents pays participants. Cet
espoir était fondé, et c'est précisément la raison pour laquelle les sionistes
s'ingénièrent de toutes leurs forces à le torpiller (avec succès). Beit-Tsvi
cite la lettre d'un dirigeant sioniste, George Landauer à un de ses homologues,
Stiven Weiz : "Ce que nous (sionistes) redoutons, par-dessus tout, c'est que la
conférence (d'Evian) n'incite les organisations juives à rassembler des fonds
afin de financer la réinstallation des réfugiés juifs (dans les pays
participants), ce qui obérerait gravement notre propre collecte de fonds
destinés à nos propres objectifs". Beit Tsvi résume les propos du chef des
sionistes Haïm Weissman : "Pour (financer) la venue des réfugiés juifs
dans d'autres pays, il faudra beaucoup d'argent, ce qui signifie que les
finances sionistes seront ruinées. Si la conférence est couronnée de succès
(c'est-à-dire, si elle permet aux Juifs persécutés de s'enfuir de l'Allemagne
nazie), elle portera un préjudice irrémédiable au sionisme. Ce qu'à Dieu ne
plaise : que les pays participants à la conférence (d'Evian) proclament leur
générosité et qu'ils invitent les Juifs d'Allemagne à venir se réfugier sur
leurs territoires respectifs, et c'en serait fini du projet (sioniste) en
Palestine : (il y aurait un éparpillement) entre (une multitude) d'autres pays
d'accueil, les Juifs ne (nous) donneraient pas d'argent, et les Anglais
n'accorderaient pas l'autorisation d'immigrer en Palestine !"
D'ailleurs,
d'autres dirigeants du sionisme s'"intéressèrent" à l'idée de sauver les Juifs
(à la conférence de la toute-puissance Agence Juive, tenue le 26 juin 1938) :
Grinbaum évoqua l'"horrible danger d'Evian", et David Ben Gourion en personne
déclara qu'en cas de succès, la conférence porterait un coup terrible au
sionisme. La mission première des sionistes, ajouta-t-il, est de dénigrer la
bonne image produite par la conférence et de s'efforcer de la saboter, de ne pas
lui permettre d'adopter une résolution (exécutive).
C'est ce qu'ils firent :
une délégation de sous-fifres se rendit à la conférence et, en substance,
dissuada les délégués des autres pays, en leur sussurant : "mais pourquoi,
grands dieux, avez-vous (absolument) besoin d'immigrants juifs chez vous,
qu'allez-vous en faire ?"
L'histoire n'a conservé que le point de vue des
sionistes. Mais il est certain qu'ils étaient fort dépités de voir que la
conférence n'ait manifesté aucune velléité d'exercer des pressions sur la
Grande-Bretagne et que le transfert des Juifs en Palestine n'ait pas prévalu.
Les sionistes sabotèrent les tentatives déployées par tous les pays occidentaux
en vue de sauver les Juifs (des persécutions) de l'Allemagne nazie : il était
préférable qu'ils disparaissent à Dachau, plutôt qu'ils aillent dans un
quelconque pays, autre, bien entendu que (le futur) Israël. Evidemment, à cette
époque, en 1938, personne n'envisageait la possibilité d'une extermination de
masse, néanmoins, lourde est la responsabilité des sionistes d'avoir saboté la
conférence (d'Evian), contribuant ainsi, de manière objective, à ce que des
milliers (de Juifs) soient exterminés. En réalité, les nazis voulaient seulement
'se débarrasser' des Juifs, les déporter : mais où ? Les Juifs d'Allemagne, à la
notable différence de bien des Juifs soviétiques d'aujourd'hui, étaient
patriotes et très attachés à leur pays : ils ne voulaient pas l'abandonner, même
dans les pires épreuves. En dépit des lois de Nuremberg, des pogroms, de la
discrimination, le nombre annuel des Juifs émigrant tomba, atteignant un étiage
de 20 000 personnes. Au total, de 1933 à 1938, ce sont seulement 137 000 Juifs
qui quittèrent l'Allemagne. Ce rythme, trop lent, à leurs yeux, irrita les
nazis, désireux de se 'débarrasser' des Juifs au plus vite. La Conférence
d'Evian avait pour objectif de résoudre ce problème : les Juifs chassés
(d'Allemagne) devaient avoir où aller.
Il existait une possibilité de
s'entendre : l'Allemagne avait accepté de ne pas chasser 200 000 Juifs âgés, et
(en contre-partie) les autres pays étaient prêts à recevoir environ un
demi-million de personnes sur une période de trois ou quatre ans. Parmi ceux-ci
: les Etats-Unis (100 000) ; le Brésil (40 000) ; la République dominicaine (100
000), etc.. Beit-Tsvi relate en détail comment les sionistes ont fait échouer
tous les plans d'émigration des Juifs, le plan Rabli comme les autres. Le futur
ministre des Affaires étrangères israélien Israël Moshé Sharett (Tchertok),
déclara, lors du comité de direction du mouvement sioniste, le 12 novembre 1938,
(deux jours après la Nuit de Cristal, pogrom de masse de Juifs, en Allemagne) :
"l'Agence juive ne doit pas être complice de l'émigration des Juifs vers
d'autres pays." Yitzhak Grinbaum, 'ministre du sauvetage des Juifs'
(rappelons-le...) s'exprima en des termes encore plus brutaux : "Il faut tout
faire pour empêcher l'émigration organisée hors d'Allemagne et déclencher une
guerre ouverte contre ce pays, sans se préoccuper du sort des Juifs allemands.
Bien sûr, les Juifs d'Allemagne seront ceux qui paieront : mais que faire
?"
Beit-Tsvi considère la déclaration, par les sionistes, de la 'guerre
contre l'Allemagne' comme une erreur funeste. Pour lui, tout était encore
négociable, il était encore possible d'aplanir les tensions et ne pas s'engager
dans l'engrenage (infernal) des blocus, boycott, isolement de l'Allemagne. Il
aurait été possible, ce faisant, d'éviter que soient prises bien des mesures
anti-juives.
Ainsi, les sionistes ont saboté toutes les tentatives déployées
en vue de sauver des Juifs (en les mettant à l'abri) ailleurs qu'en Palestine.
Les peuples du monde voulaient sauver les Juifs, mais pas sur les ruines des
villages palestiniens, pas au prix du génocide des Palestiniens. Cela
n'arrangeait pas les sionistes. Ils ont donc saboté le plan d'installation des
fugitifs sur l'île de Mindanao, aux Philippines, solution à laquelle avait
travaillé d'arrache-pied le président Roosevelt, ainsi que d'autres projets, en
Guyane Britannique, en Australie, etc... Lorsque Chamberlain proposa de donner
refuge et possibilité de s'installer aux réfugiés juifs au Tanganyka
(aujourd'hui, la Tanzanie, en Afrique orientale), le dirigeant des sionistes
d'Amérique, Steven Weiss, poussa des hauts-cris : "Puissent mes frères juifs
d'Allemagne mourir, plutôt qu'aller vivre dans les anciennes colonies
allemandes". Certes, Weiss n'imaginait pas que la mort attendait déjà, bel et
bien, les Juifs d'Allemagne : pour lui, tout cela n'était que des
'on-dit'...
Mais, même par la suite, écrit Beit-Tsvi, les sionistes s'en
prirent durement au peuple juif. Ainsi, en avril 1942, alors que les nouvelles
de l'extermination des Juifs s'étaient déjà largement répandues à travers le
monde, le 'ministre des affaires étrangères' du mouvement sioniste déclara : "il
ne faut pas perdre notre temps à sauver des Juifs, s'ils ne sont pas destinés à
immigrer en Palestine." A la même époque, Chaïm Weissman est 'heureux' de
constater qu'on n'ait pu trouver de refuge pour les Juifs. Le chef du mouvement
sioniste américain, Steven Weiss, donna l'ordre qu'on arrêtât d'envoyer des
colis alimentaires aux Juifs qui étaient en train de mourir de faim dans le
ghetto de Varsovie...
Beit-Tsvi analyse dans le détail la proposition du
président de la République Dominicaine, Trujillo, consistant à accueillir 100
000 réfugiés juifs (afin d'accroître la population blanche, introduire des
capitaux et améliorer les relations de la République avec les Etats-Unis). Et
même là, (à l'autre bout du monde), les sionistes se chargèrent de la faire
échouer. Quelques dizaines de familles, seulement, vinrent s'installer à
Saint-Domingue. La voie fut barrée aux autres par les efforts déployés par
l'organisation sioniste dans tous les domaines : les financiers ne donnèrent pas
d'argent, les moralistes avertirent qu'à Saint-Domingue, les Noirs étaient
opprimés, les puristes écrirent que là-bas, les mariages mixtes étaient
pratiquement inévitables... Si bien qu'au début 1943, Chaïm Weissman put dire
avec une satisfaction évidente que ce plan était définitivement enterré...
Un
des récits les plus cauchemardesques, dans le livre de Beit-Tsvi, a trait aux
navires "Patria" et "Struma". Durant des années, voire des décennies, la
propagande sioniste a raconté que les réfugiés Juifs à bord de ces deux bateaux
avaient préféré mourir, après qu'on leur eût interdit de débarquer dans ce qui
allait devenir Israël et qu'ils avaient décidé de se faire sauter. La propagande
sioniste la plus haineuse accusa les Anglais de tout et n'importe quoi, jusques
et y compris d'avoir soi-disant miné le "Patria" et torpillé le "Struma". Les
paroles de Ben Gourion, en mai 1942, avaient été prises au pied de la lettre :
"Israël ou la mort". Ceci signifiait en fait que les sionistes ne laissaient aux
Juifs d'Europe d'autre choix que de mourir ou d'immigrer (en Palestine).
A
bord du "Patria", il y avait pas moins de deux mille fugitifs, pour l'essentiel
des Juifs de Tchécoslovaquie et d'Allemagne, le navire mouillait au port de
Haïfa, en novembre 1940, avant de mettre le cap vers l'île de Mavriki.
L'Angleterre, puissance exerçant la souveraineté en Palestine, ne pouvait
laisser entrer un tel nombre d'immigrants illégaux contre la volonté du peuple
palestinien, mais elle ne voulait pas, pour autant, que les Juifs mourûssent,
c'est pourquoi elle décida de déporter les réfugiés sur une île de l'Océan
indien, en attendant la fin de la guerre. Mais le commandement de la Hagana,
organisation illégale de combattants juifs, qui deviendra par la suite l'armée
israélienne, décida d'empêcher par tous les moyens cette 'déportation' (terme
plus approprié : transfert), et à cette fin, elle recourut aux mines pour couler
le "Patria". La décision avait été approuvée par le 'ministre des affaires
étrangères' de la communauté juive Tchertok-Sharett, en réponse à la proposition
de Shaul Avigur, qui dirigera plus tard les services secrets israéliens. Meir
Mardor installa la mine dans la cale du bateau, et déclencha l'explosion à
environ neuf heures du matin. Le vaisseau coula en une dizaine de minutes,
entraînant dans la mort deux cent cinquante fugitifs.
Sans un enchaînement de
circonstances, il y aurait eu encore plus de victimes. La Hagana voulait
utiliser une mine beaucoup plus puissante, mais elle ne put l'acheminer à bord
du "Patria", à cause de la surveillance intensive du port par l'armée anglaise.
Ils ne purent pas non plus faire exploser la mine en pleine nuit, sinon il n'y
aurait eu vraisemblablement aucun survivant. "En respect de la solidarité
nationale, les (sionistes) opposés à cette mesure gardèrent le silence", écrit
Beit-Tsvi, même lorsque les sionistes essayèrent d'en faire retomber la
responsabilité sur... les Anglais, qui avaient sauvé avec une abnégation
incroyable les (malheureux) passagers du "Patria"...
On ne connaît pas avec
précision le sort du "Struma", car il y eut un seul rescapé. Mais Beit-Tsvi
pense que dans ce cas là, aussi, le sabotage est hautement probable. (De nos
jours, on raconte généralement que ce navire aurait été torpillé par erreur par
un sous-marin soviétique...). La direction sioniste prit très calmement la
nouvelle de la disparition tragique des réfugiés du "Patria" : "Ils ne sont pas
morts en vain", déclara Eliahu Golomb. Toutefois, il convient de préciser qu'il
ne s'agissait pas de leur belle mort, mais qu'on les avait 'fortement aidés' à
mourir. "Le jour (de la déportation des réfugiés) à bord de l'"Atlantique",
ajouta le même, traduisant scrupuleusement le crédo sioniste, fut plus noir
encore que celui où moururent les réfugiés du "Patria". Mieux vaut, tout compte
fait, que les Juifs meurent, si on ne peut les importer en Israël."
Beit-Tsvi retrace ensuite les efforts déployés par les Juifs orthodoxes
américains, en octobre 1943, auprès du président Roosevelt et à Washington, afin
de solliciter de l'aide en vue de sauver les Juifs d'Europe en danger de mort.
Ces efforts furent sabotés par les sionistes, qui firent tout pour dissuader
Roosevelt de recevoir la délégation des Juifs orthodoxes, afin de n'avoir à
partager avec nul autre l'influence et la confiance dont ils jouissaient auprès
du président américain.
C'est poussé par des événements plus contemporains
que Beit-Tsvi s'est attelé à l'écriture de son ouvrage, en 1975. A cette époque,
Israël et l'establishment sioniste menaient une guerre acharnée pour l'ouverture
des portes de l'Amérique aux Juifs soviétiques candidats à l'émigration ; guerre
qui ne fut finalement couronnée de succès qu'en octobre 1989. Comme aux jours de
la seconde guerre mondiale, les sionistes déniaient aux Juifs le droit de
choisir : ils devaient obligatoirement venir vivre en Israël. A cette fin, ils
ne reculaient devant absolument rien : ni devant l'attisement des braises de
l'antisémitisme dans des pays où vivaient des communautés juives, ni devant le
harcèlement des états qui se seraient montrés enclins à accueillir des émigrants
juifs sur leur territoire...
Ce court article aura deux conclusions. Le
premier sera consacré au problème plus général de la relations historique entre
les sionistes et les nazis. Le sionisme, en particulier son aile droitière
(celle qui gouverne, actuellement, en Israël) a toujours su trouver un terrain
d'entente avec le fascisme. Au cours des dernières décennies, cela s'est
manifesté à travers l'assistance militaire et technologique apportée par Israël
aux régimes militaro-fascistes d'Amérique Latine, du chilien Pinochet jusqu'aux
coupe-jarrets du Salvador, ou, un peu avant, son union d'action avec Jacques
Soustelle et l'OAS, qui fut à l'origine du divorce entre les sionistes et la
France de de Gaulle. Notons que jusqu'à la seconde guerre mondiale, les membres
des organisations sionistes de droite étaient des admirateurs de Mussolini,
auquel ils avaient offert leur assistance dans sa guerre contre l'Angleterre.
Avec les nazis d'Hitler, les sionistes ne trouvèrent pas de terrain
d'entente, et l'histoire n'a pas encore établi l'existence éventuelle de
contacts entre les sionistes et les hitlériens, à la notable exception des
exploits célèbres de Kastner et Brand, deux émissaires sionistes en Hongrie, qui
passaient du bon temps en compagnie d'Eichman et Vislitsen. Et bien qu'ils aient
fait objectivement le jeu des nazis, en convenant avec eux de passer sous
silence l'extermination des Juifs de Hongrie, en échange de promesses
mensongères d'Eichman et de nombreuses autorisations de sorties pour leurs
proches, ils ne se sentaient pas, bien entendu, subjectivement nazis. Dans les
années soixante, le Dr Kastner intenta un procès contre un journaliste israélien
qui l'avait démasqué et dénoncé, mais le procès ne fit que confirmer la
véridicité de cette dénonciation et un Juif hongrois le dessouda en pleine rue.
(L'affaire Kastner donna la trame d'une pièce anglaise qui fit sensation. Cette
pièce prenait pour cadre le ghetto. Elle suscita des débats judiciaires en
Angleterre, où elle fut interdite de scène finalement, sous la pression des
sionistes. Elle ne put être que publiée, et encore, "à compte
d'auteur"...
Toutefois, ce dont Beit-Tsvi accuse les sionistes, c'est
d'indifférence envers les victimes, et (certainement) pas de liens directs avec
les nazis, liens dont certains propagandistes de l'antisionisme soutiennent
qu'ils ont existé.
Le seconde conclusion a trait à l'histoire des Juifs
d'Irak, qui démontre que même durant les années d'après-guerre, les sionistes
n'ont reculé devant rien afin d'atteindre leurs buts et n'ont pas épargné 'leur
propre peuple'. Cette histoire est décrite en détail par un journaliste
israélien célèbre, du nom de Tom Segev, dans son ouvrage intitulé "1949", auquel
il faut ajouter le livre "Le Fusil et le rameau d'olivier ", écrit par le
correspondant au Moyen-Orient du journal britannique 'Guardian', David Cherst
(éditions Faber & Faber, 1977).
L'émigration en masse des Juifs d'Irak
avait été obtenue par le recours à une escalade d'explosions de plus en plus
puissantes dans les synagogues de Bagdad. Avec le temps, il s'avéra que les
attentats étaient réalisés par des agents des services de renseignement
israéliens. Un autre facteur puissant avait été une campagne de communiqués
incessants publiés dans la presse américaine pro-sioniste au sujet "des pogroms
menaçants" en Irak (cela évoque puissamment les discours sur les pogroms
imminents, en Russie, en 1990 !). Sasson Kadduri, grand rabbin d'Irak, a écrit
dans ses mémoires : "Vers la mi-1949, une guerre de communiqués se déchaîna en
Amérique, et ce n'était pas une plaisanterie. Les dollars américains devaient
sauver les Juifs irakiens, sans égard à la question de savoir s'ils avaient
besoin d'être sauvés... Tous les jours, il y avait des pogroms, certes, mais...
uniquement dans les pages du New York Times, dans les dépêches provenant de Tel
Aviv ! Pourquoi ne nous a-t-on jamais rien demandé ? Nous leur aurions dit, nous
! En Irak, des agents sionistes commencèrent à se manifester, suscitant des
tensions dans le pays et promettant monts et merveilles aux Juifs irakiens. Des
efforts en vue d'obtenir l'autorisation d'une émigration massive commencèrent à
être déployés, on commença aussi à accuser le gouvernement irakien de
'persécuter les Juifs'.
Finalement, sous la pression des manifestations et
du boycott commercial, le gouvernement irakien capitula et publia un décret
autorisant une émigration massive des Juifs, ce qui revenait pratiquement à les
chasser du pays. Inutile de dire qu'en Israël, les Juifs irakiens ne trouvèrent
pas les merveilles qu'on leur avait fait miroiter, mais une situation sociale
difficile." Ainsi, le sionisme avait démontré, une fois de plus, son visage
brutal, conclut David Cherst.
Ainsi, il est toujours intéressant de se
remémorer l'histoire, en ces journées de juin, et il est encore beaucoup plus
important encore de rafraîchir la mémoire de ceux qui auraient une (fâcheuse)
tendance à
l'oublier...
3. Lettre aux aveugles des Temps Modernes par
Vincent Mespoulet
[Vincent Mespoulet est
professeur d'histoire-géographie à Manosque. Il est spécialiste des Technologies
de l'Information et de la Communication dans l'Enseignement. Créateur de la
liste de diffusion ecjs (Education Civique Juridique et Sociale), il a été
formateur associé à l'IUFM d'Aix-en-Provence.]
Depuis
plusieurs mois, les membres du comité de rédaction de la revue Les Temps
Modernes se livrent à une offensive éditoriale généralisée, faite
essentiellement de prises de position en apparence très diverses, relayée et
diffusée en général dans les colonnes Horizons du Monde et les pages Rebonds de
Libération. En médiologues avertis, ils ont parfaitement assimilé les règles
du débat médiatique, à coup d'invectives, d'anathèmes et d'amalgames sur
fond de polémique.
Qu'il s'agisse de la mémoire de la Shoah, du négationnisme via son
retraitement islamiste, du conflit israélo-palestinien, de l'avenir de l'école
républicaine, de l'internet, de l'émergence en France de mouvements sociaux
autour d'Attac ou de syndicats alternatifs (Confédération Paysanne, Groupe des
Dix), l'équipe des Temps Modernes fait preuve d'une belle vitalité critique. La
dernière cible en date (et peut-être la goutte d'eau qui fait déborder le vase
de cette logorrhée) est l'appel des 123. L'article de Robert Redeker sur la
cécité volontaire des intellectuels signataires, paru dans le Monde du 22
novembre dernier, vient ponctuer dangereusement une série d'interventions
précédentes d'une autre membre des Temps Modernes, Liliane Kandel, qui avait
suivi elle même une autre contribution de Claude Lanzmann. Ce qui pousse à
réagir, ce n'est pas tant le caractère grotesque et difficilement acceptable de
la démonisation de l'Islam proposée par l'auteur de l'article et de
l'assimilation ignoble des signataires à des adeptes du pacifisme intégral
comprenant les analogies douteuses avec l'esprit munichois d'avant-guerre, que
les ravages provoqués par ce genre de propos, dans le milieu enseignant
notamment. Le dévoiement du pro-israélisme traditionnel des Temps Modernes
qui se transforme à l'occasion des bouleversements consécutifs au 11 septembre
en un véritable haro sur l'Islam a des répercussions insoupçonnées et
préoccupantes. Ainsi, à titre d'exemple, un professeur de philosophie, assesseur
au Tribunal pour Enfants de Périgueux, en vient à parler de " délinquance
musulmane ", sur une liste de diffusion pédagogique regroupant plusieurs
centaines de professeurs d'histoire-géographie, de philosophie et de sciences
économiques et sociales, dans une association des termes tendancieuse voire
délictueuse...
En fait, il existe une cohérence profonde dans cette avalanche de
polémiques suscitées par l'équipe des Temps Modernes, qu'il convient de
décrypter avant d'en proposer une interprétation.
Il y a un an environ, toujours dans les colonnes du Monde, Claude Lanzmann
et son équipe avaient fustigé Georges Bensoussan, historien reconnu de la Shoah,
qui effectue un travail remarquable au Centre de Documentation Juive
Contemporaine en direction de certain Instituts Universitaires de Formation des
Maîtres pour donner aux professeurs d'histoire-géographie, de lettres et de
philosophie un matériau conceptuel et scientifique basé sur le renouvellement
historiographique de la question. Or, pour Claude Lanzmann, " Shoah " est une
marque de fabrique. Il ne lui suffisait pas de réaliser un chef-d'œuvre
unanimement reconnu ; il lui a fallu, avec succès d'ailleurs, imposer
mondialement le terme de " Shoah " pour désigner la destruction des juifs
d'Europe pendant la Seconde Guerre Mondiale, ensuite en revendiquer le monopole
exclusif. Autant la substitution de Shoah à Holocauste a été
salutaire vu la détestable connotation sacrificielle de ce terme essentiellement
anglo-saxon, autant désormais Shoah , par l'appropriation rageuse qu'en exige
Claude Lanzmann, devient à son tour un mot qui obscurcit le sens historique
qu'il convient de donner à cet événement. D'où la critique, parfois excessive,
qui est faite en retour de voir en Claude Lanzmann un " théologien de la Shoah
". Là non plus, ce n'est pas le desbat médiatique qui nous interroge, mais bien
plutôt ses incidences : le danger provient de la volonté nettement affirmée par
Claude Lanzmann de faire de son film le pivot incontournable de l'enseignement
de la Shoah au sein de l'Education Nationale, d'où la véhémence du discours très
homogène des Temps Modernes où la destruction des juifs d'Europe doit être
traitée de façon univoque philosophiquement, et non historiquement.
En ce qui concerne le négationnisme, c'est le documentaire réalisé par le
sociologue Jacques Tarnéro, intitulé Autopsie d'un mensonge, qui a servi
récemment de pivot au discours lanzmannien de l'équipe des Temps Modernes. Dans
ce documentaire, la complaisance avec laquelle l'auteur a reproduit le discours
dominant de l'internet-poubelle est particulièrement évocatrice. En
filmant (sans évidemment livrer les clés de compréhension au public) les
écrans du principal site-portail islamiste et négationniste francophone
d'un Marocain réfugié politique en Suède, Ahmed Rami, images susceptibles de
scandaliser et donc d'attirer le chaland, Jacques Tarnéro a pris comme Robert
Redeker le risque de faire l'amalgame entre Islam et islamisme. En
n'interviewant quasiment que des membres de l'équipe des Temps Modernes
(Lanzmann, Redeker) ou leur
relais très contestable dans l'Education
Nationale (Jean-François Forges, auteur d'un curieux Eduquer contre Auschwitz,
il a proposé une version encore très univoque du problème qu'il prétendait
soulever. Or ce qu'il convient de savoir, c'est que le site raciste et
négationniste d'Ahmed Rami a pu être fermé grâce au courage de quelques
informaticiens pionniers du web conscients du problème, avec l'appui de Pierre
Vidal-Naquet (un des " 123 " signataires), de Nadine Fresco, de Valérie igounet,
tou(te)s historien(ne)s dont les travaux sont incontestables, en faisant jouer
auprès de l'hébergeur la violation illicite du droit d'auteur dont étaient
victimes ces historiens. En passant, c'est la participation avérée de Serge
Thion à ce site, qui a aussi joué un grand rôle dans la révocation du CNRS de ce
" chercheur " dont l'anticolonialisme a conduit à des formes extrêmes
d'antisionisme, puis d'antijudaïsme. On l'aura compris, d'un côté il y a les
boutefeux hystériques qui occupent le champ médiatique pour crier " au loup " et
trouver une tribune et un écho disproportionné à l'insignifiance de leur propos,
de l'autre des acteurs discrets de l'internet qui loin du battage insensé
provoqué par l'affaire Yahoo ont agi avec succès pour éliminer un site qui
contrevenait aux lois françaises de la liberté d'expression et du droit
d'auteur.
Car l'un des combats des rédacteurs des Temps Modernes, aidés en cela par
des alliés de circonstance, tels Alain Finkielkraut, consiste à vomir
indistinctement sur les Technologies de l'Information et de la Communication
(TIC). Prolongeant et dénaturant les critiques désormais bien connues de Virilio
et de Wolton, il s'agit d'assimiler cette technologie à un vulgaire tuyau où
l'instantanéité et la désinformation discréditent à l'avance tout usage de ce
medium. Ces critiques, souvent justifiées, dépassent leur objet par le goût
totalitaire de l'anathème, quand elles sont manipulées par des intellectuels
dont la réflexion est sur le sujet très lacunaire. Un petit livre fort bien fait
de Mona Chollet La guerre de l'internet, journaliste à Charlie Hebdo avait
pourtant le mérite de présenter clairement les termes du débat. Las ! Les
déclarations tonitruantes et univoques des intellectuels médiatisés empêchent
encore une fois de faire entendre les contre-discours nécessaires pour sortir
définitivement du faux-débat opposants techno-béats et technophobes.
Le dernier terrain à examiner, et qui a une importance considérable en
cette année pré-électorale est celui de l'Ecole. Nous retrouvons les mêmes
acteurs, Robert Redeker ; Alain Finkielkraut et parfois les mêmes thèmes, comme
dans le Une voix vient de l'autre rive de ce dernier. Cette fois, il s'agit de
faire obstacle aux nécessaires réformes de l'Education Nationale. Là aussi, le
succès a été garanti puisque, devant le succès populiste du néologisme
pédagogo inventé par Finkielkraut et la bronca organisée contre
Meirieu, Jack Lang a reculé sur tous les fronts : nouveaux
programmes de philosophie stoppés, réforme des IUFM reculée, réforme des
collèges bâclée, introduction ratée des Technologies de l'Information et de la
Communication dans l'Enseignement (Tice) par l'immixtion de la sphère marchande
dont le récent Salon de l'Education présente une caricature effrayante. Tout
part de la confusion mentale générée par le mouvement anti-Allègre qui a mélangé
allègrement les discours oppositionnels légitimes de la base des enseignants
ayant débordé les syndicats, les discours réactionnaires des antipédagogistes
réunis le plus souvent dans des associations telles que Sauver les
Lettres ou Reconstruire l'Ecole animé par un professeur
de philosophie, René Chiche, et les discours novateurs proposés par des
enseignants soucieux de changer l'Ecole mais pas à la sauce Allègre. Là aussi,
les critiques se sont concentrées sur les Tice et sur les nouveaux objets
d'enseignement introduits dans l'enseignement secondaire (mise en place de
l'Education Civique, Juridique et Sociale qui est une véritable ouverture à la
citoyenneté et à la chose politique, des Travaux Personnels Encadrés dans les
lycées) susceptibles de favoriser la codisciplinarité et de décloisonner
les savoirs strictement disciplinaires, qui sont les véritables obstacles sur
lesquels bute toute velléité de réforme. Le même procédé aveugle d'amalgame a pu
se donner libre cours : ainsi, par exemple, l'action de l'Aped (Appel Pour une
Ecole Démocratique) impulsée par le syndicaliste belge Nico Hirtt, qui propose
une critique fine et intelligente de la marchandisation et de la privatisation
de l'Ecole au niveau européen via les TIC, est détournée de son but pour servir
la cause de la vision de l'Ecole la plus régressive qui soit, proposée par
Robert Redeker dans de nombreux textes disponibles, ô ironie, sur... l'internet
!
Comment trouver alors une cohérence dans ce champ multiple d'interventions
? Il y a plusieurs pistes à proposer. Le point commun réside sans doute dans
cette méthode si particulière de s'approprier le terrain critique. Appropriation
de la Shoah, confiscation de l'éducation civique que ces tenants de la morale
civique version IIIème République souhaitent réserver aux professeurs de
philosophie, appropriation de l'expression d' " Ecole de la
République ", comme si ces intellectuels en étaient les détenteurs exclusifs.
Vision a-historique des événements tragiques qui secouent le monde. Ce qui est
patent, c'est le monopole de la médiatisation concentrée dans les mains de la
corporation des philosophes. La nature ayant horreur du vide, l'absence de
répondant de la part d'intellectuels des autres champs du savoir en est
responsable. Pourquoi n'entend-on pas par exemple le sociologue Olivier Roy
s'exprimer sur le Moyen-Orient et ses bouleversements, réfuter les amalgames qui
font naître dans l'opinion les pires des fantasmes ? Comment se fait-il que le
politologue Alain Dieckhoff ne soit pas plus sollicité pour dissocier
clairement sionisme et israélisme ? Pourquoi Michel Warshawski, citoyen
israélien, n'a-t-il pas l'occasion d'exprimer son point de vue sur la
construction d'un Etat binational à l'heure où Ariel Sharon massacre les
Palestiniens dans l'indifférence générale ? Les spécialistes de la
pédagogie et de la didactique sont-ils muselés et affaiblis au point de ne plus
réagir à ces incantations antipédagogistes primaires, répétées jusqu'à la nausée
et répercutées dans la presse faisant de la " pédagogie " un gros mot,
caricaturant les apports de chacun en fabriquant artificiellement deux camps
opposés, celui des détenteurs d'un savoir versus celui des pédagolâtres ignares
? Il y a derrière cette entreprise de déconstruction systématique de la
pluralité des points de vue quelque chose de plus inquiétant qui se profile à
l'horizon : la matrice idéologique de ce mouvement se lit dans la
mésinterprétation d'un livre excellent de Pierre-André Taguieff, L'effacement de
l'avenir, un monument d'érudition où se concentre la critique de la notion de
Progrès issue des Lumières. Dans le travestissement systématique des idées qui
s'opère au sein de l'équipe rédactionnelle des Temps Modernes, le " bougisme "
dénoncé à juste titre par Taguieff devient l'éloge de l'immobilisme, voire de la
régression. Comme la plupart de ces intellectuels sont en train, par désespoir
ou par défaut, de se rallier derrière la candidature de Jean-Pierre Chevènement,
on peut se demander, si la recherche du troisième homme susceptible
d'animer médiatiquement la non-campagne présidentielle ne va pas se transformer
dans la promotion d'une idéologie de troisième voie, rassemblant les
souverainistes de gauche et les éléments les plus réactionnaires de la droite
musclée, dans une recomposition contre-nature dont la France a déjà connu
plusieurs accès au cours de son histoire contemporaine.
4. Le joueur par Uri Avnery
1er décembre 2001 - Anthony Zini a adressé une requête à
Ariel Sharon : S'il vous plaît, arrêtez d'étendre les colonies. Au moins pour un
certain temps. Est-ce que ça vous dérange ?
Zinni est un général américain
venant des Marines dont la façon de penser est stricte et logique. Il est
difficile pour lui de comprendre pourquoi Sharon n'accède pas à cette demande. A
quoi cela rime-t-il ? Quelques maisons ici et là. Cela vaut-il la peine de tuer
tant d'êtres humains, tant d'enfants, Israéliens et Palestiniens, juste pour
cela ? Quelle est cette folie ?
D'autant plus que la vie des colons
eux-mêmes s'est transformée en enfer. Ils ne peuvent plus se déplacer sans
risquer leur vie. Les colonies sont devenues leur prison. Le monde est
bouleversé quand un kamikaze se fait sauter à Tel-Aviv, mais il ne l'est pas
quand les colons se font tirer dessus. Ils sont considérés comme partie
intégrante de l'occupation et par conséquent comme des cibles légitimes pour la
résistance du peuple occupé.
De très nombreux colons - peut-être la majorité
- seraient sans aucun doute plus que désireux de retourner en Israël maintenant.
Ceux qui cherchaient une " qualité de vie " dans un paysage pittoresque, et se
sont rendu compte que le paysage pittoresque engendre principalement des
kamikazes désespérés, rêvent maintenant d'une maison tranquille à Ra'anana, la
banlieue riche près de Tel-Aviv. Mais à qui vendre une villa avec des tuiles
rouges et un beau jardin qui peut à tout moment être atteinte par un obus de
mortier ? Seul le gouvernement peut acheter, et le gouvernement ne le veut
pas.
C'est plus facile pour les entreprises industrielles. Leurs
propriétaires ont été incités par les gouvernement successifs (y compris ceux de
Rabin, Pérès et particulièrement Barak) à vendre leurs installations coûteuses
dans les villes et à acquérir à la place, pour presque rien, des terrains dans
les zones industrielles des colonies où ils pourraient exploiter le travail
palestinien à bon marché. Pas de salaire minimum, pas de charges sociales. Les
propriétaires ont aussi bénéficié de toutes sortes de subventions, d'exemptions
fiscales, etc. Maintenant ils s'esquivent, tranquillement, l'un après l'autre.
Fournisseurs, conducteurs, techniciens ne viennent plus dans ces endroits.
Contrairement aux combattants du Hamas, ils ne sont pas candidats au
suicide.
Tout ceci est bien connu des conseillers du général Zinni. Ils ont
de bons yeux qui regardent des cieux. Par conséquent, ils ne comprennent pas,
avec leur simple bon sens américain, pourquoi Sharon est si obstiné.
Ils
comprennent, évidemment, qu'il y a des pressions politiques. Les Américains
comprennent les pressions politiques, après tout. Eux aussi en subissent. Sharon
doit tenir compte de ses partenaires d'extrême droite et aussi du lobby des
colons fanatiques. Mais ceci n'explique pas l'intransigeance de son opposition.
Alors qu'en est-il au fond ?
Il vaudrait la peine pour le général Zinni
(comme pour ses prédécesseurs et ses successeurs) d'étudier un peu d'histoire
sioniste. Ils découvriraient que les colonies font partie du code génétique du
mouvement depuis le jour où il est né, il y a 104 ans. En fait, depuis le
commencement, quand l'ovule juif a été fécondé par le sperme nationaliste
européen.
Ce code génétique demande au mouvement de s'installer dans tout le
pays pour en faire une patrie sioniste. Il a commencé lentement, " mètre carré
après mètre carré ". Le rythme s'est accéléré au cours des années 30. Pendant la
guerre de 1948, dans laquelle les colonies ont joué un rôle important, Israël a
conquis 78% du pays. Après cela, quelque 500 villages arabes ont été rasés et
des colonies ont été construites à leur place. Aussitôt ce travail terminé, la
guerre de 1967 a été déclenchée ; Israël a conquis le reste de la Palestine et a
commencé tout de suite à y implanter des colonies. Quel que fût le pouvoir - les
Travaillistes ou le Likoud, Begin ou Peres, Netanyahou ou Barak - l'activité de
colonisation a continué sans répit.
Les Goys peuvent dire ce qu'ils veulent
- que les colonies sont immorales, un obstacle à la paix, illégales, et en fin
de compte qu'elles sont un crime de guerre. Mais l'action continue. Dans l'année
au cours de laquelle Barak a négocié la " fin du conflit ", l'activité de
construction de colonies a atteint un niveau inégalé jusqu'alors.
Sharon est
fils de colon, il a été élevé dans une colonie, les colonies sont l'essence même
de sa vie. Tout au long de sa carrière en dents de scie, quel que soit son
emploi à un moment donné, il a consacré son énergie d'abord et avant tout à la
construction de colonies. Mais même s'il avait été le fils de nouveaux
immigrants du Maroc, il aurait fait la même chose. Parce que le mouvement de
colonisation n'est pas une affaire personnelle, il est dicté par le code
génétique collectif.
S'il n'y avait eu aucune résistance, le mouvement de
colonisation aurait continué jusqu'à ce que toute la Cisjordanie et la Bande de
Gaza soient couvertes de colonies jusqu'au dernier mètre carré. A partir de là,
il se serait propagé à l'est du Grand Israël, " Eastern Eretz Israël " (comme la
Jordanie est appelée dans les cours de géographie), et même à tous les autres
pays voisins qui sont inclus dans la promesse généreuse faite par Dieu dans la
Bible. L'armée aurait conquis, les colons se seraient installés.
Cela
n'arrivera pas, car l'action provoque la réaction. Le mouvement irrépressible
rencontre un objet inamovible : le peuple palestinien. La guerre entre les deux
peuples a atteint maintenant un niveau inégalé au cours des 104 dernières années
(sauf, peut-être, en 1948). La poursuite de l'activité de colonisation peut
provoquer un désastre pour l'entreprise dans son ensemble.
La littérature
classique connaît le personnage du joueur invétéré. Il a un jour de chance, il
gagne et gagne, un immense tas de jetons s'accumule devant lui. Il pourrait
s'arrêter à tout moment, changer ses jetons contre de l'argent et vivre heureux
avec.
Il pourrait, mais il ne le peut pas. La passion ne le quitte pas. Il
continue à jouer, perd et perd, jusqu'à ce que son dernier jeton soit ramassé
par le croupier.
Dans les histoires classiques, le joueur se lève, blanc
comme un linge, titube vers la porte, met un revolver sur sa tempe et se
tue.
La question est de savoir si nous sommes condamnés à agir comme lui ou à
nous dire : ça suffit ! Nous changeons notre code génétique. Il est temps de
changer le code en implantant un nouveau gêne de vie saine, débarrassé de tout
vice ancien. Rendons les colonies au-delà de la Ligne verte aux réfugiés
palestiniens et ramenons les colons sains et saufs en Israël.
Voilà
l'histoire, mon général. C'est tout notre problème. Mais peut-être pouvez-vous
nous aider un peu, mon général.
Revue de presse
1. La FIDH
soutient la plainte déposée contre Ariel Sharon en Belgique par Sylvain
Cypel
in Le Monde du dimanche 2 décembre 2001
LA FÉDÉRATION
internationale des droits de l'homme (FIDH) a étudié, l'été dernier,
l'éventualité de se joindre à la plainte déposée, à Bruxelles, contre le premier
ministre israélien, Ariel Sharon, par vingt-trois survivants ou membres de
familles de disparus du massacre de Sabra et Chatila, à Beyrouth, en septembre
1982. M. Sharon était alors ministre israélien de la défense. La FIDH a
finalement décidé de ne pas s'y associer, à cause des écueils juridiques qu'une
telle action aurait dû surmonter en Belgique.
Comme pour bien signifier que l'attitude de la FIDH n'était dictée par aucun
autre motif, Me Patrick Baudouin, son président d'honneur, a indiqué, lors d'une
conférence de presse, vendredi 30 novembre, qu'il apportait "tout son soutien" à
la plainte contre M. Sharon, la FIDH étant "engagée depuis longtemps dans la
lutte contre l'impunité".
"L'EXEMPLARITÉ BELGE"
Répondant implicitement à
Ariel Sharon, qui avait estimé que le procès concernait "le peuple juif tout
entier", Me Baudouin a indiqué que, malgré "l'émotion"soulevée par l'affaire, il
était essentiel de s'en tenir à ses seuls aspects juridiques. "C'est un homme
qui est poursuivi, (...) ce n'est pas le peuple israélien", a-t-il déclaré,
citant en exemple les poursuites engagées à titre individuel par d'autres
juridictions contre des chefs d'Etat, tels le Yougoslave Slobodan Milosevic ou
le Tchadien Hissène Habré.
A ceux qui cherchent à faire amender ou abroger la
loi belge de 1993 portant sur la "compétence universelle" de ses tribunaux, ou
ceux qui craignent, au vu de la trentaine d'actions intentées en Belgique depuis
que celle contre Ariel Sharon a été jugée recevable, que les tribunaux soient
vite incapables de faire face à un afflux de plaintes, le président de la FIDH a
rétorqué qu'il fallait au contraire applaudir à "l'exemplarité de la Belgique"
et exiger des autres Etats membres de l'Union européenne qu'ils adoptent une loi
similaire, afin de pouvoir juger tout auteur présumé de "crimes de guerre", de
"crimes contre l'humanité"ou d'actes de "génocide". Récusant l'argument parfois
entendu de "partialité politique"de la plainte, qui se concentre sur Ariel
Sharon alors que les exécutants libanais présumés du massacre de Sabra et
Chatila (Elias Hobeika, principal agent de liaison avec les Israéliens, ainsi
que les chefs des milices chrétiennes, Emile Id, Michel Zouein, Dib Anastase,
Maroun Michalani et d'autres) ne sont pas spécifiquement désignés par les
plaignants, leur défenseur, Me Luc Walleyme, a rappelé que la plainte était
déposée contre "Ariel Sharon, -le général israélien- Amos Yaron et autres", sans
limitation. Il a ajouté qu'au vu des preuves amassées les plaignants se sont, il
y a deux semaines, "constitués partie civile" contre Elias Hobeika (qui fut
ministre au Liban de 1991 à 1998). Autre défenseur, Me Michael Verhaeghe a
dévoilé avoir reçu "de source anonyme, mais sans doute de l'intérieur, copie de
documents et de notes du Mossad -services de renseignement israélien- qui font
ressortir" le contrôle qu'exerçait l'armée israélienne sur les milices
chrétiennes "avant, pendant et après le massacre" et rendent le système de
défense d'Ariel Sharon "pas crédible".
Me Baudouin et les avocats belges ont
enfin exprimé l'espoir que l'enquête judiciaire sur les responsabilités d'Ariel
Sharon permettrait de faire toute la lumière sur les "disparus" des camps de
Sabra et Chatila. Hormis 800 victimes identifiées, le sort de 1 000 à 2 000
réfugiés du camp n'a jamais été élucidé. La chambre de mise en accusation de
Bruxelles devrait prononcer le 23 janvier 2002 son arrêt sur la validité de
l'instruction (les défenseurs d'Ariel Sharon invoquent à la fois l'immunité et
la prescription des faits) et l'ouverture d'une enquête sur les responsabilités
dans ce
massacre.
2. Une délégation
française prise dans une fusillade à Gaza par Nidal al Moughrabi
Dépêche de l'agence Reuters du vendredi 30 novembre 2001,
19h00
GAZA - Des membres d'une délégation française de 155 élus locaux
et intellectuels sympathisants de la cause palestinienne accusent l'armée
israélienne d'avoir tenté de les intimider par des tirs au moment où ils
visitaient le camp de réfugiés de Khan Younès, à Gaza.
Un porte-parole de
Tsahal a qualifié de "complètement fausses" ces accusations.
Selon Fernand
Tuil, chef de la délégation, des coups de feu ont été tirés d'une position
israélienne proche au moment où les délégués français visitaient dans le camp
les ruines de maisons détruites par des bulldozers lors d'une incursion de
Tsahal en zone autonome.
"Nous étions venus ici à Khan Younès pour constater
ce qui s'y passe et parler avec les habitants de leur misère, des fusillades et
des destructions de maisons. Nous nous trouvions près de ruines d'habitations
lorsque des tirs ont éclaté du point de passage israélien d'à côté. Je crois
qu'il s'agissait de tirs d'intimidation pour nous inciter à partir", a déclaré à
Reuters l'élu de Montataire, dans le nord de la France.
Ranoua Ostfane, une
journaliste française membre du groupe, rapporte avoir vu les soldats tirer
au-dessus de la tête des délégués - une version contestée par le commandant
Assaf Librati, porte-parole de Tsahal, qui précise en revanche que l'armée avait
parfaitement connaissance de la visite.
Selon lui, "les seuls coups de feu
qui ont été tirés, et que les délégués n'ont pas manqué d'entendre, provenaient
d'un groupe d'hommes qui se trouvaient près d'eux à Khan Younès et nous
visaient. Les soldats n'ont pas riposté par crainte de blesser des délégués",
a-t-il assuré.
Tuil a déclaré qu'il allait élever une plainte auprès des
autorités israéliennes et le consulat de France à Jérusalem a annoncé qu'il
tenterait d'élucider les circonstances de l'incident, qui n'a fait ni victime ni
dégâts.
3. Arafat-Sharon
: objectifs incompatibles par Gilles Paris
in Le Monde du vendredi
30 novembre 2001
Une partie délicate s'engage avec l'arrivée de Bill
Burns et d'Anthony Zinni en Israël et dans les territoires occupés ou autonomes
palestiniens. Chargés de prêcher la bonne parole délivrée, le 19 novembre, par
le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, les deux émissaires américains,
qui doivent personnifier le retour des Etats-Unis dans leur pré carré oriental
après une absence préjudiciable de plusieurs mois, ont été gratifiés d'une
mission improbable. Il leur revient de trouver un terrain d'entente entre deux
ennemis irréductibles que tout oppose, la longévité mise à part, Ariel Sharon et
Yasser Arafat.
Arrivé au pouvoir à la faveur d'une erreur d'analyse de son
prédécesseur travailliste Ehoud Barak, qui comptait sur un face-à-face électoral
pour retrouver un second souffle politique, le premier ministre israélien, Ariel
Sharon, à soixante-treize ans, occupe pour la première et sans doute la dernière
fois le devant de la scène. Minoritaire dans un parti dévoué à Benyamin
Nétanyahou, il dirige une coalition aussi large qu'hétéroclite qui ne tient que
par l'Intifada palesti nienne. L'opinion israélienne fait confiance au premier
ministre dans une lutte quotidienne. Elle approuve l'usage des assassinats
extrajudiciaires inaugurés par M. Barak, les incursions massives de l'armée
israélienne dans les zones autonomes palestiniennes et les opérations de
commando "va-et-vient" qui se développent depuis quelques semaines et qui
permettent des rafles plus ciblées et plus discrètes.
Ces techniques
permettent de contenir le soulèvement, mais pas de le briser. L'insécurité n'a
pas baissé depuis l'arrivée au pouvoir de M. Sharon. Les incidents sanglants
continuent de se multiplier, jusqu'en Israël, comme en témoigne le récent
attentat perpétré par des Palestiniens à Afoula, dans le nord du pays. Les
responsables des services de sécurité israéliens ne cessent d'ailleurs de se
montrer alarmistes, annonçant en même temps la réussite d'opérations militaires,
le démantèlement de "cellules terroristes" et de nouvelles vagues
d'attentats.
Mais le premier ministre est parvenu à imposer un agenda
strictement sécuritaire et de très court terme : sept jours de calme total,
suivis d'une période de réduction des tensions étirée sur six semaines, avant
toute reprise d'un dialogue sérieux avec les Palestiniens. Ce programme assure
un consensus minimum au sein de sa coalition.
Personne ne saurait
dénoncer un tel objectif, même s'il est probablement impossible à atteindre
après quatorze mois de guérilla et près de mille morts, en majorité
palestiniens.
M. Sharon a tout à gagner au statu quo qui force le ralliement
à sa personne. Militairement, les performances de Tsahal lui assurent la
reconnaissance de l'opinion. L'extrême médiocrité de l'opposition armée
palestinienne, même si elle se montre ponctuellement meurtrière, le sert, de
même que chaque recours à des actes de terrorisme.
Politiquement, M.
Nétanyahou, malgré ses critiques récurrentes, ne peut décemment laisser libre
court à un appétit de pouvoir retrouvé. Enfin, le Parti travailliste, qui n'est
pas même parvenu à se doter d'un chef de bureau depuis le départ de M. Barak, se
tient, depuis dix mois, au garde-à-vous devant le premier ministre. M. Sharon a,
au contraire, tout à perdre à un début de processus politique avec ses
adversaires palestiniens. Retirer l'armée sur les positions occupées à la veille
de l'Intifada, desserrer le blocus des agglomérations palestiniennes, lever les
innombrables check-points, pour ne pas parler d'un gel de la colonisation –
autrement dit, appliquer les recommandations du rapport de la commission
internationale, présidée par l'ancien sénateur américain George Mitchell –
serait dénoncé par son propre camp comme autant de victoires du
"terrorisme".
TRAHISON OU SUPERCHERIE
Même s'il s'est déclaré il y a plus
d'un mois en faveur d'un Etat palestinien devant un auditoire du Likoud
stupéfait, M. Sharon n'est prêt ni fondamentalement ni tactiquement à la moindre
concession territoriale significative, étant entendu par ailleurs que la
question de Jérusalem et des réfugiés resterait taboue. Quand il ne rêve pas
tout haut de la dissolution de l'Autorité palestinienne au profit de barons
enfermés dans de petits fiefs autonomes, M. Sharon ne conçoit un Etat
palestinien qu'épousant la carte des colonies de Gaza et de Cisjordanie et de
leurs réseaux routiers, et limité pour l'essentiel aux zones d'autonomie déjà
existantes. Cet Etat a minima serait pourtant considéré comme une trahison par
sa droite, alors que sa gauche dénoncerait une supercherie.
Son contemporain,
M. Arafat, se trouve aujourd'hui dans une situation inverse. Son crédit ne cesse
de s'user au fur et à mesure que l'Intifada se prolonge. Il pâtit de
l'inefficacité de l'appareil de l'Autorité palestinienne, miné depuis longtemps
par les accusations fondées de corruption, et de son identification à un
processus de paix mort et enterré. Certes, M. Arafat n'est pas seulement le chef
de l'Autorité. Il personnifie aussi, dans l'imaginaire collectif palestinien,
les grands mythes du combat national. Ce statut d'icône le met à l'abri, et pour
longtemps, de toute contestation sérieuse. Mais la poursuite du soulèvement le
pénalise plus qu'elle ne le sert.
Le chef de l'Autorité palestinienne ne peut
prendre la tête de cette Intifada sans perdre son crédit international, le
dernier apport encore efficient de la signature des accords d'Oslo. Il ne peut
pas non plus en décréter la fin sans risquer, au mieux, le ridicule. Déjà, ses
services de sécurité ont de plus en plus de mal à procéder à des arrestations
parmi les miliciens du Fatah, du Mouvement de la résistance islamique (Hamas) ou
du Djihad islamique. M. Arafat ne peut maîtriser le soulèvement qu'en produisant
des résultats politiques : de moins mauvaises conditions de vie, une pression
militaire israélienne moins forte, moins de morts palestiniens. Ceux-ci lui
permettraient de gagner du temps pour espérer aller encore plus loin : le
troisième retrait israélien de Cisjordanie, jamais effectué par M. Barak, un gel
véritable de la colonisation, voire une reprise des discussions. M. Arafat a
besoin de perspectives pour "vendre" un cessez-le-feu aux miliciens comme à
l'opinion.
"La solution est de prendre Sharon au mot et de conclure un marché
avec les milices. L'Autorité peut imposer un cessez-le-feu à deux conditions :
qu'il soit présenté comme une trêve et non comme la fin de l'Intifada, et
qu'elle n'ait pas à répondre aux moindres exigences des Israéliens pour le faire
respecter. Si le calme revenait, la pression glisserait des épaules d'Arafat sur
celles de Sharon", estime le politologue Ali Jarbawi. Entre le mouvement
indispensable au chef de l'Autorité palestinienne et l'immobilisme qui sert le
premier ministre israélien, les émissaires américains seront soumis à des
pressions contradictoires. Peut-être auront-ils en mémoire l'issue des dernières
élections étudiantes organisées le 12 novembre à l'université Al-Najah de
Naplouse. Dans ce bastion du nationalisme palestinien, le camp islamiste a
littéralement écrasé le Fatah, la formation de M. Arafat. Un tel résultat est-il
de nature à satisfaire les Etats-Unis ?
4. Les grandes
fortunes saoudiennes et plusieurs pays du Golfe retirent leurs capitaux des
Etats-Unis par Marc Roche
in Le Monde du vendredi 30 novembre
2001
Londres de notre correspondant à la City
La guerre en
Afghanistan et ses retombées en matière de lutte contre la filière financière
terroriste ont provoqué un mouvement de retrait de fonds arabes des Etats-Unis.
Inquiets des menaces de gel des avoirs, les grosses fortunes saoudiennes et des
pays du Golfe auraient transféré une partie non négligeable de leurs actifs
nord-américains en Europe ou au Proche-Orient.
"Complètement paranos, les
banques américaines harcèlent les riches clients arabes pour connaître non
seulement l'origine de leur fortune mais l'utilisation faite des fonds. Ces
derniers ne comprennent pas ces soudaines chicaneries administratives et se
sentent humiliés" : heureux et pas bégueule, ce financier genevois se déclare
optimiste en ces temps que l'on pensait ardus. Et pour cause, depuis les
funestes événements du 11 septembre, les grosses fortunes saoudiennes ou du
Golfe auraient retiré une partie de leurs économies placées aux Etats-Unis dans
des fonds mutuels, des véhicules de placement privés ou auprès des compagnies
d'assurance pour les mettre à l'abri en Europe, voire les rapatrier.
Le gel
des avoirs d'hommes d'affaires saoudiens soupçonnés de complicité avec le réseau
Al-Qaida a choqué les grosses fortunes proche-orientales qui critiquent
l'absence de preuves à l'appui de ce blocage. La promulgation, début novembre,
par le président Bush d'une nouvelle loi anti-blanchiment particulièrement
musclée s'appliquant aux banques comme aux courtiers, a accentué le malaise de
ces richissimes familles. Aux yeux de la clientèle arabe, la multiplication des
déclarations de soupçon des établissements new-yorkais à leur encontre
participerait d'un racisme anti-musulman latent.
Par ailleurs, le refus, dans
un premier temps, par la mairie de New York du chèque de 10 millions de dollars,
à l'ordre du fonds en faveur des familles des policiers et pompiers tués ou
portés disparus dans l'attentat, offert par le prince saoudien Al-Walid Ben
Talal, a été perçu comme un véritable camouflet.
Après tout, les
investissements aux Etats-Unis de ce membre de la famille royale, l'un des
hommes d'affaires les plus riches du monde, sont estimés à quatorze milliards de
dollars ! "En réclamant une politique plus équilibrée des Etats-Unis à l'égard
des Palestiniens, le neveu du roi Fahd n'a fait que refléter le point de vue des
grands entrepreneurs de la région", insiste un observateur de la scène
financière du Proche-Orient.
Londres et Genève seraient les principaux
bénéficiaires de ce flux d'investissements, essentiellement en liquide et en
obligations. La capitale britannique, première place boursière européenne,
attire les capitaux arabes pour des raisons historiques.
LOGIQUE
FINANCIÈRE
Quant à la cité de Calvin, haut lieu de la banque privée, elle
sait gérer les avoirs d'autrui avec mesure, prudence et discernement. Hors
dollar, le franc suisse et la livre sterling sont de traditionnels refuges des
avoirs fuyant les vicissitudes politico-sociales de la région.
Des fonds
placés aux Etats-Unis seraient ainsi transférés à Genève ou Zurich pour être
bonifiés depuis Londres, qui bénéficie d'un savoir-faire au moins égal à celui
de New York dans le domaine de la gestion de patrimoine. Aussi, après des années
d'engouement pour l'immobilier new-yorkais, les investisseurs arabes
privilégieraient désormais les achats de bureaux londoniens, actuellement bon
marché (les étrangers ne peuvent pas acheter de biens immobiliers en
Suisse).
Les places financières du Proche-Orient, en particulier Beyrouth et
Bahrain où les opérations restent foncièrement libres, tireraient également
profit de ce phénomène. La modernisation de l'infrastructure bancaire, le
lancement de produits financiers plus sophistiqués, la modernisation des Bourses
locales et les programmes de privatisation partielle, notamment en Arabie
saoudite, offrent bien des opportunités.
Le réseau bancaire islamiste,
actuellement dans le collimateur des Etats-Unis pour être le véhicule de premier
choix pour les opérations de blanchiment d'argent, semble également bénéficier
de ce reflux. Les institutions appliquant la charia, la loi islamique,
constitueraient un pôle d'attraction puissant pour les plus pieux.
Cette
protestation politique rejoint en l'occurrence la logique financière et même la
logique tout court. A la lumière des taux d'intérêt historiquement bas aux
Etats-Unis, le meilleur placement n'est-il pas de protéger ses économies là ou
le loyer de l'argent est plus rémunérateur ?
"Il est exact que nos clients
arabes se plaignent d'être constamment montrés du doigt par les autorités
américaines, mais les établissements britanniques ou helvétiques sont tout
autant sourcilleux en matière de surveillance. Les Etats-Unis sont un pays dont
les financiers arabes sont sûrs qu'il restera longtemps encore le bastion du
capitalisme": ce banquier de la City s'efforce toutefois de dédramatiser ce
mouvement de retrait. La marge de manœuvre des riches du Golfe qui ont investi
dans des actions américaines, est en effet plus limitée que celle des Saoudiens
aux placements plus liquides, insiste-t-il. Le rendement et les services offerts
par les banques islamiques laisseraient à désirer. Et les Bourses
proche-orientales comme Beyrouth et Bahrain sentiraient par trop le soufre pour
ces investisseurs prudents et généralement intéressés par le long terme.
5. Comment la
France livra l’arme atomique à Israël par Mikhaël Karpin
in "Yediot
Aharonot" (quotidien israélien) traduit dans Courrier International du jeudi 29
novembre 2001
Dans les années 50, le destin de l’Etat hébreu était
l’une des priorités du pouvoir français. Une politique d’aide militaire,
secrètement élaborée au ministère de la Défense, aboutit à un accord nucléaire
jamais avoué.
Abel Thomas, 90 ans, habite le quartier de la Défense, à Paris.
Haut fonctionnaire et personnage très influent de la politique française de
défense de l’après-1945, il est l’homme qui a livré le programme nucléaire
français à Israël. Dans les années 50, il était le chef de cabinet du ministre
de la Défense, Maurice Bourgès-Maunoury. Tous deux étaient de fervents partisans
d’une France forte et libérée du parrainage américain, ce qui passait à leurs
yeux par la possession de l’arme nucléaire. De nombreux politiques et militaires
français, socialistes pour la plupart, entretenaient alors avec Israël une
véritable passion romantique, et Abel Thomas joua le rôle le plus décisif dans
la participation de la France à l’option nucléaire de David Ben
Gourion.
“C’est l’oeuvre de ma vie. Pour moi, le destin d’Israël fut vital
dès sa création, entre autres parce que mon frère, résistant, avait été déporté
et assassiné même s’il n’était pas juif.” Shimon Pérès avait ses entrées au
ministère. Il rappelle qu’à cette époque, les Français s’identifiaient
totalement aux victimes juives. “Cela répondait à un profond sentiment de honte
après l’écrasement de la France par l’Allemagne. Beaucoup de Français avaient
fait l’expérience des camps d’extermination. Il faut garder ce contexte en
mémoire, sous peine de ne rien comprendre à cette aventure.”
Cette
identification allait de pair avec des considérations politiques. La France et
Israël avaient un ennemi commun : l’Egypte de Gamal Abdel Nasser qui soutenait
le FLN algérien et armait les fedayin [palestiniens]. L’armée française avait
besoin à tout prix de renseignements en provenance du monde arabe. Israël avait
besoin d’armes : depuis la guerre de libération [guerre d’indépendance de 1948],
la plupart des sources d’approvisionnement s’étaient taries. A l’époque, Israël
n’avait le choix qu’entre deux types d’“assurance-vie” : un accord militaire
avec les Etats-Unis ou l’acquisition de l’arme de dissuasion ultime. Washington
faisant la sourde oreille, l’option nucléaire fut choisie par Ben Gourion fin
1954.
Des Mystère et des blindés disparaissent des
registres
En septembre 1955, on apprit la livraison par la Tchécoslovaquie à l’Egypte
d’armes modernes de fabrication soviétique. En octobre 1955, Nasser ferma le
canal de Suez à la navigation israélienne. Ben Gourion sut alors qu’Israël
devrait entrer en guerre contre l’Egypte avant que celle-ci n’en prenne
l’initiative. Il chargea le jeune vice-ministre de la Défense Shimon Pérès de
demander à Paris la livraison de 270 avions de combat et de plusieurs centaines
de chars. Abel Thomas se remémore la rencontre en ces termes : “Israël était en
danger de mort et la France ne pouvait abandonner une deuxième fois les Juifs à
leur sort.”
Le hic, c’est que le ministère de la Défense français avait
besoin de l’aval de celui des Affaires étrangères et, à l’époque, “ce ministère
était occupé par des diplomates proarabes, qui n’autorisèrent la livraison que
de... 9 avions de combat”. Quelques jours plus tard, des avions Mystère
décollèrent de Paris, transitèrent par l’Italie et poursuivirent leur vol plus
au sud. Ils ne revinrent jamais vers leur base et le ministère les effaça des
effectifs officiels, sans en informer les Affaires étrangères. Le même jour, un
envoi de blindés à destination de l’Egypte était annulé, toujours sans que le
Quai d’Orsay n’en ait vent.
Mi-juillet 1956, Nasser nationalisa le canal de
Suez. L’opération franco-anglo-israélienne fut-elle conditionnée par la promesse
française de livrer la bombe aux Israéliens ? Pérès et Thomas nient
catégoriquement tout lien, soutenus en cela par l’historien Jean Lacouture qui,
dans les années 50, était correspondant du "Monde" au Caire. Pour lui, le
transfert de la technologie nucléaire française aux Israéliens n’était qu’une
dimension parmi d’autres de l’amitié franco-israélienne de l’époque.
Un rapprochement accéléré par la crise de Suez
Le 29 octobre 1956, Israël envahit le Sinaï et s’empara de la rive est du
canal. Selon le plan prévu avec Moshe Dayan [le ministre de la Défense
israélien] et Shimon Pérès, la France et le Royaume-Uni exigèrent qu’Israël et
l’Egypte retirent leurs forces du canal. Israël accepta et, de manière
prévisible, l’Egypte refusa, déclenchant ainsi l’intervention
franco-britannique. Mais, tandis que les Etats-Unis s’en prenaient au
Royaume-Uni, l’URSS lança un ultimatum à la France et à Israël, les menaçant de
recourir à l’arme atomique. La France et le Royaume-Uni se retirèrent, Israël
quitta le Sinaï et Gaza quelques semaines plus tard.
Cette guerre fut
bénéfique à Israël. Le ministre des Affaires étrangères français, Christian
Pinault, qui avait jusqu’alors observé une attitude bienveillante à l’égard de
l’Egypte, s’était senti humilié par Nasser. Il restait à surmonter les
réticences du Premier ministre Guy Mollet. C’est ce à quoi, sous la pression
d’Abel Thomas et de Shimon Pérès, parvint un autre personnage clé de l’affaire,
François Perrin, le patron du Commissariat à l’énergie atomique français
(CEA).
En octobre 1957, Israël et la France signèrent un accord diplomatique
et une série d’accords techniques. La France s’engagea à fournir la pile
atomique qui allait être réalisée à Dimona [dans le désert du Néguev], de
l’uranium enrichi et, selon diverses sources étrangères, le matériel nécessaire
pour la fission du plutonium. Si l’accord portait officiellement sur une pile
atomique d’une puissance de 24 mégawatts, les sources américaines et françaises
l’estimèrent à 150 mégawatts. De son côté, Israël s’engagea à n’utiliser ces
installations qu’à des fins civiles.
Pour le journaliste français Pierre
Péan, “le plus étonnant n’est pas que l’histoire de la bombe française et celle
de la bombe israélienne soient à ce point liées, mais que les Français aient
aussi rapidement livré un programme nucléaire à peine sorti des fonts
baptismaux”. Quarante-cinq ans après les faits, Abel Thomas ne peut cacher son
émotion : “A l’époque, on aurait pu croire que la coopération franco-israélienne
serait éternelle...”
6. Prochaine
cible de la guerre contre le terrorisme ? Pour Bush, ça pourrait être
l'Irak par Elisabeth Bumiller
in The New York Times (quotidien
américain) du mardi 27 novembre 2001
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
Le président Bush a
mis en garde Saddam Husseïn aujourd'hui : s'il n'admet pas le retour des
inspecteurs de l'ONU chargés de vérifier si l'Irak développe ou non des armes
nucléaires, chimiques ou biologiques, il aura à en supporter les
conséquences.
M. Bush s'est refusé, pour l'instant, à dire quelles elles
pourraient être. "Il verra bien", s'est-il contenté d'indiquer,
laconiquement.
En formulant cette menace, le président semblait donner au
'terrorisme' un sens plus large que la définition qu'il en avait donnée
jusqu'ici. Ce 'terrorisme' pourrait inclure la mise au point d'armes de nature à
'terroriser des nations', ce qui correspond à un glissement notionnel notable
par rapport à la définition dont il a usé lors de son discours au Congrès, au
mois de septembre, au sujet des buts de la guerre.
"Si quiconque abrite un
terroriste, ils sont un terroriste" (authentique!), a déclaré M. Bush ce jour.
"S'ils financent un terroriste, ils sont un terroriste. S'ils abritent des
terroristes, ils sont terroristes. J'veux dire : j'peux pas être plus clair pour
d'autres nations autour du monde : s'ils développent des armes de destruction
massive, ça sera utilisé pour terroriser les nations, ils seront tenus pour
redevables" (re-sic !)
Le secrétaire d'Etat Colin L. Powell a déclaré ce soir
que M. Husseïn devrait entendre les propos de M. Bush comme "un message très
concis, de nature à faire froid dans le dos" (...). Invité du 'talk-show' de la
CNN, 'Larry King Live', le secrétaire d'Etat a ajouté : "de multiples options
s'offrent à la communauté internationale et au Président."
Les observations
de M. Bush ont été diffusées alors que son administration poursuit en interne un
débat sur la phase à venir de la guerre, y compris sur la question de savoir si
elle va prendre des mesures militaires destinées à chasser M. Husseïn. M. Bush a
été critiqué par les Républicains conservateurs (bigre... ndt) de ne pas agir
assez énergiquement à l'encontre de M. Husseïn, accusé d'avoir ourdi un complot
destiné à assassiner le père de M. Bush et dont la survie (celle de M.
Husseïn...) continue de causer des tracas à Washington, dix ans après la guerre
du Golfe.
De son côté, M. Bush a insisté sur le fait qu'il n'avait en rien
élargi la définition de ce que son administration considère être le
'terrorisme', même s'il n'avait pas mentionné les armes de destruction massive
lors de son discours au Congrès. "Aurais-je en quoi que ce soit élargi la
définition ?" s'est interrogé M. Bush, à haute voix. "J'ai toujours eu cette
définition, en ce qui me concerne."
M. Bush a fait ses remarques au cours
d'une séance de questions-réponses face aux journalistes, après une cérémonie
dans la roseraie de la Maison Blanche en l'honneur de deux volontaires d'une
association charitable américaine chrétienne, secourues par les forces de
l'armée américaine, en Afghanistan.
Le président, en qui l'une de ces
missionnaires, Heather Mercer, a reconnu "un homme du Bon Dieu comme il y en a
peu" (re-re-sic), a recouru au langage très dur qu'il avait utilisé la semaine
dernière dans son discours destiné à 'regonfler à bloc' les hommes de la 101ème
division aéroportée stationnée à Fort Campbell (Kentucky).
"L'Afghanistan
n'est encore que le tout début" de la guerre contre le terrorisme, a déclaré M.
Bush aujourd'hui, mettant l'accent sur le fait que des Américains mourraient
là-bas.
"Ça va arriver", a-t-il dit. "Je l'ai déjà dit, au début de la
campagne militaire : l'Amérique doit être prête à connaître des pertes en vies
humaines. Je suis persuadé que le peuple américain comprend que nous avons une
giga-lutte sur les bras (sic) et qu'il y aura des sacrifices."
M. Bush a
ajouté : "quant à M. Husseïn, il 'a besoin de laisser revenir' les inspecteurs
dans son pays, afin de nous montrer qu'il n'est pas en train de développer des
armes de destruction massive."
A part cet avertissement, le président n'a
livré aucune indication supplémentaire sur le cours que pourrait prendre la
guerre, notamment sur la question de savoir si Oussama bin Laden devait être
capturé ou tué et son réseau en Afghanistan, Al-Qa'ida, détruit.
L'Irak est
l'exemple le plus éloquent d'un pays qui a été (ou est actuellement) suspecté de
développer des armes nucléaires, biologiques ou chimiques, mais ce n'est pas le
seul. M. Bush a aussi indiqué, aujourd'hui : "nous voulons que la Corée du Nord
autorise l'entrée d'inspecteurs sur son territoire, de manière à déterminer si
elle développe des armes nucléaires, ou non".
Un bras de fer avec la Corée du
Nord, en 1994, avait amené les Etats-Unis à renforcer ses troupes dans la
péninsule. La crise avait été partiellement résolue par un accord gelant
l'activité nucléaire de la Corée du Nord en la réduisant à un unique site
important, mais l'administration Bush soupçonne l'existence de sites dissimulés
susceptibles de produire des armes nucléaires.
Les Etats-Unis ont déclaré
également suspecter fortement l'Iran, la Libye et la Syrie de développer des
armes biologiques. Dans le cas de chacun de ces pays, la Maison Blanche semble
être en train, actuellement, de déblayer le terrain en prévision d'une demande
des Etats-Unis (auprès de l'ONU) en matière d'inspections internationales. Quel
serait le des officiels de l'administration Bush si l'ONU refusait, ce n'est pas
clair.
L'Irak a refusé d'admettre sur son territoire des inspecteurs depuis
1998, année où l'administration Clinton et les forces britanniques avaient
répondu par quatre nuits de bombardements par missiles terre-terre et air-terre
contre plus d'une centaine d'objectifs, parmi lesquels des quartiers généraux de
l'armée irakienne et des bases de défense anti-aérienne. Mais M. Husseïn n'avait
pas été ébranlé de son fauteuil présidentiel.
Durant la campagne
présidentielle de 2000, M. Bush et ses conseillers ont appelé à affronter M.
Husseïn avec plus d'agressivité que ne l'avait fait M. Clinton. De manière
significative, ces conseillers incluaient le secrétaire d'Etat, Powell et le
vice-président américain, Dick Cheney, qui avaient aidé M. Bush père à sortir
les forces irakiennes du Koweït, au cours de la guerre du Golfe (en 1991).
En
février dernier, après à peine un mois passé 'aux manettes', M. Bush a donné
l'ordre de lancer des raids aériens, avec la Grande-Bretagne, contre des
stations radar irakiennes et des centres de commandement aérien, qualifiant
cette action de 'réponse nécessaire à des provocations irakiennes.'
Depuis le
11 septembre, un groupe de jusqu'au-boutistes de l'administration avait poussé à
la roue pour des mesures plus énergiques contre l'Irak, mais le secrétaire
d'Etat Powell a déclaré qu'il n'y avait pas de lien évident entre M. Husseïn et
les attaques terroristes du 11 septembre, et que la coalition anti-terroriste ne
tiendra pas si Washington passe à l'action contre l'Irak.
Le secrétaire
d'Etat a déclaré, ce soir, sur CNN, qu'il travaillait avec la Russie à un
compromis sur ce que l'administration appelle "des actions intelligentes" contre
l'Irak, qui sont supposées laisser entrer dans ce pays des biens (d'importation)
à usage civil, à l'exclusion des produits d'importation à usage
militaire.
"Ce que nos ne voulons pas voir rentrer, ce sont des équipements
qui peuvent être utilisés afin de mettre au point des armes de destruction
massive", a dit le Secrétaire Powell. "Nous ne le faisons pas seulement pour
protéger l'Amérique, nous le faisons pour protéger la région."
M. Bush semble
jusqu'ici adhérer aux vues de M. Powell, et le président a redit aujourd'hui
qu'il restait focalisé sur la guerre en Afghanistan. "Nous allons nous assurer
que nous menons à bien jusqu'au bout chacune des missions à laquelle nous nous
attelons", a dit M. Bush. "Les premières choses en premier" (sic).
Bien que
M. Bush se soit attiré les critiques de certains conservateurs (Républicains de
droite : aïe aïe aïe...), à cause de ce qu'ils considèrent comme son hésitation
à l'égard de M. Husseïn, le sénateur John W. Warner (de Virginie), Républicain
éminent dirigeant la Commission des Services armés, a mis en garde, aujourd'hui,
contre toute ouverture d'un second front.
"L'objectif principal doit être de
mener à bien la mission présente et d'en remplir tous les objectifs", a déclaré
M. Warner au cours d'une conférence de presse au Capitole. Avant de s'occuper du
terrorisme dans un nouveau pays ou une nouvelle région, a ajouté M. Warner,
l'administration devrait mener à bien "une réévaluation complète à la lumière du
soutien (que nous apporte) la coalition."