Point d'information Palestine > N°179 du 03/12/2001

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Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux (Trésorier)
Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
                       
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et de Marc Deroover : http://www.paix-en-palestine.org
                           
                                               
Au sommaire
                                      
Témoignages
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des citoyens de Palestine ou des observateurs. Ils sont libres de droits.
1. Kifah par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
2. Encore des morts... par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
3. Faits comme des rats ou errants comme des chiens par Chantal Abu-Eishe, citoyenne d'Hébron en Palestine
4. Envie de crier par Chantal Abu-Eishe, citoyenne d'Hébron en Palestine
                       
Dernières parutions
1. Les tagueurs de Jabalya, Chroniques d'un camp de réfugiés palestiniens par Ouzi Dekel aux éditions Syros
2. Les juifs ont-il un avenir ? de Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias aux éditions Jean-Claude Lattès
suivi d'une critique Eloge de la diaspora par Sylvain Cypel in Le Monde des livres du vendredi 9 novembre 2001
                       
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG.
1. L'Etat juif, de l'utopie au cauchemar par Michel Staszewski
2. Voyons comment les sionistes ont "sauvé les Juifs" durant la seconde guerre mondiale... par Israël Shamir in "Petite bibliothèque de Sacha Sverdlov" http://gornischt.narod.ru/shamir2.htm [traduit du russe par Marcel Charbonnier]
3. Lettre aux aveugles des Temps Modernes par Vincent Mespoulet
4. Le joueur par Uri Avnery
                                 
Revue de presse
1. La FIDH soutient la plainte déposée contre Ariel Sharon en Belgique par Sylvain Cypel in Le Monde du dimanche 2 décembre 2001
2. Une délégation française prise dans une fusillade à Gaza par Nidal al Moughrabi Dépêche de l'agence Reuters du vendredi 30 novembre 2001, 19h00
3. Arafat-Sharon : objectifs incompatibles par Gilles Paris in Le Monde du vendredi 30 novembre 2001
4. Les grandes fortunes saoudiennes et plusieurs pays du Golfe retirent leurs capitaux des Etats-Unis par Marc Roche in Le Monde du vendredi 30 novembre 2001
5. Comment la France livra l’arme atomique à Israël par Mikhaël Karpin in "Yediot Aharonot" (quotidien israélien) traduit dans Courrier International du jeudi 29 novembre 2001
6. Prochaine cible de la guerre contre le terrorisme ? Pour Bush, ça pourrait être l'Irak par Elisabeth Bumiller in The New York Times (quotidien américain) du mardi 27 novembre 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
7. La police israélienne en flagrant délit de mensonge par Alexandre Kolomea in L'Humanité du vendredi 23 novembre 2001
8. Philosophie du marché et ébranlement de la croyance en l'immunité de la mondialisation ou : Le socle de l'utopie a-t-il été fêlé par l'écroulement du World Trade Center ? par Subhi Hadidi in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 5 octobre 2001 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
9. En Irak, les CD (Compact Disks) se vendent comme des petits pains : programmes ludiques et jeux de stratégie militaire, bien loin de la censure... par Hani Ibrahim Ashur in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 5 octobre 2001 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
                                               
Témoignages

                                       
1. Kifah par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
Bethléem, le 28 novembre 2001 - Je viens de lire les dépêches d'agence de dimanche dernier. Y était mentionnée la mort d'un adolescent de 13 ans à Bethléem. Il est, ou plutôt était, du camp de Dheisheh. Il avait 13 ans. Il s'appelait Kifah, ce qui signifie «combat».
- Récit de la journée de dimanche 25 novembre 2001 :
Je donne un cours de français. Je retrouve avec grand plaisir les frimousses que j'ai connues cet été. Le cours touche à sa fin. Dans la salle, il y a une TV. Soudain, trois jeunes hommes entrent et se précipitent sur la TV. Ils mettent la chaîne locale. Ahmed, un gamin de 12 ans («et demi», s'il vous plaît...) interroge :
- «Istashad ?» (Il est mort ?)
La réponse est sur l'écran : des sous-titres défilent, annonçant que Kifah, 13 ans, a été blessé près du tombeau de Rachel au cours d'une manifestation. Il vient de décéder. Les enfants sont tous debout. Ils ont pratiquement le même âge que lui. Ils vont à l'école avec lui. Tout le monde se précipite :
- Il faut prévenir untel ! et puis untel ! et puis untel !
En quelques minutes, la nouvelle s'est répandue dans le camp comme une traînée de poudre. Les enfants me parlent de lui. Brahim me demande:
- Tu viendras demain aux funérailles ?
- Non, je ne crois pas.
- Si, si ! Il faut que tu viennes ! Même si tu ne connais pas ses parents !
Comment t'expliquer, Brahim, que ce que tu me demandes est au dessus de mes forces ? Brahim continue :
- Je le connaissais bien, tu sais. Il est du FPLP, comme moi. Tu connais Che Guevara ? Il est bien, hein ? Moi, j'ai une photo de lui chez moi. Tu l'aimes, toi, le Che ?
Brahim a 13 ans lui aussi. Ses parents militent au FPLP, comme les parents de Kifah.
Tout le monde ne parle que de ça dans le camp. Les funérailles auront lieu le lendemain, lundi. On commence à coller les premières affiches avec la photo du martyr. Une bouille d'enfant, des cheveux clairs, grand et un peu maigre. Un ado, quoi. Il a été tué d'une balle dans le dos. Il participait à une manifestation près du tombeau de Rachel. Ce tombeau est une véritable forteresse militaire à deux pas du centre de Bethléem. J'ai lu dans les dépêches qu'il participait à une manifestation du Hamas.
C'est à mon avis une grossière erreur de présenter les choses comme ça. En lisant ça, on s'imagine un gosse endoctriné dans un Islam dur, et vu la réputation de l'Islam en Occident, on se dit que certes c'est dommage qu'un gosse soit mort, mais qu'au fond...
Cette manifestation avait pour but de réagir à l'assassinat d'un des leaders du Hamas. Mais TOUS les partis politiques y participaient. Pour les manifestations et les funérailles qui s'ensuivent inévitablement, tous les partis sont là. Le vert du Hamas côtoie le rouge du FPLP. Kifah «était» du FPLP. Des gens du Hamas étaient à ses funérailles. Aux funérailles du leader Hamas, les drapeaux du Fatah et du FPLP étaient présents aussi. Ces partis sont loin d'être d'accord sur la ligne politique ou militaire à tenir. Mais quand quelqu'un meurt, il est Palestinien, avant d'appartenir à un quelconque parti.
Kifah manifestait donc. Il faut dire qu'il y en a des raisons de manifester, ces derniers temps: assassinats de leaders politiques (aux missiles...), impossibilité de quitter Bethléem (routes absolument bloquées), impossibilité de se rendre à Jérusalem pour y prier. Et chaque jour, des morts. Chaque jour un peu moins d'espoir. Et puis les avions de combat qui survolent dans un vacarme assourdissant, quotidiennement, la ville. Il jetait des pierres. Il est mort.
Lundi donc, ce sont les funérailles. Le cortège mortuaire passe devant ma maison. De loin, j'entends les coups de feu en l'air. Je sors dans le jardin. Pas un bruit dans la ville. Seulement les coups de feu. Le cortège arrive. Un petit corps recouvert du drapeau national. Dans la foule, les camarades de Kifah. Parmi eux, Ahmed, qui apprend le français. Ahmed soutient son copain de classe, Iyad, qui pleure. Au cimetière, Iyad lit un poème. Il pleure.
C'est Azem qui me raconte ce qui s'est passé au cimetière. Iyad a lu un poème. Il pleurait. Azem aussi a pleuré. Azem a 23 ans. C'est l'entraîneur de l'équipe de foot du camp. Il entraînait Kifah.
- C'était un gosse très calme, tu sais. Quand je lui faisais une remarque, il obéissait, il ne discutait pas. Et il ne manquait jamais un entraînement.
Kifah était l'aîné d'une famille de quatre enfants. Son père a été un membre actif au sein du FPLP. Ce qui lui a valu quelques années de prison pendant la première Intifada.
On me parle souvent de la première Intifada, et de la façon dont les soldats se comportaient. Avant d'aller en prison, le père de Kifah a vécu caché pendant plusieurs mois. Les soldats le recherchaient. Souvent, la nuit, ils forçaient la porte de la maison, hurlaient, et détruisaient tout ce qu'ils trouvaient. Kifah était alors un tout petit bout de chou. La violence, il y a été confronté depuis son plus jeune âge.
«Arrêt des violences pendant 7 jours», lit-on un peu partout... Hélas, elle ne date pas du 28 septembre 2000, cette violence. Dimanche dernier, un mois avant Noël, à Bethléem, Kifah est mort de cette violence.
                                                                   
2. Encore des morts... par Nathalie Laillet, citoyenne de Bethléem en Palestine
Bethléem, le 2 décembre 2001 - La semaine dernière, c'était Kifah que nous pleurions. Aujourd'hui, au moins 31 morts côté israélien et 4 côté palestinien. C'est pas beau la guerre. Je condamne ces attentats. Je ne souhaite la mort de personne. Des civils israéliens sont morts. N'oubliez pas que Kifah était, lui aussi, un civil. Les cinq gosses morts sur le chemin de leur école étaient eux aussi des civils. Les 23 morts qu'il y a eu à Bethléem pendant la période de dix jours où les tanks étaient dans la ville, étaient, pour la plupart, des civils. Tués chez eux. Parmi eux, une jeune femme chrétienne tuée dans sa maison. Parmi eux, un homme assis au milieu de ses enfants. Ils déjeunaient. Balle dans la tête. Des civils eux aussi.
Qu'est ce qu'un terroriste ? Celui qui provoque la terreur.
Les kamikazes sont des terroristes du point de vue israélien.
Les soldats israéliens, l'armée israélienne et les colons sont des terroristes du point de vue palestinien.
Pour les nazis, Jean Moulin était un terroriste.
Ne perdez jamais de vue que, quoiqu'on vous dise ou quoique vous lisiez, il y a toujours deux côtés, que tout n'est pas noir ou blanc.
C'est la même chose en Afghanistan, en Irak, en Serbie, au Rwanda ou ailleurs.
J'imagine hélas trop bien le désespoir des familles des victimes ce soir. Les pleurs des mères, je les connais. Les mères palestiniennes elles aussi pleurent.
Depuis que je suis revenue ici après mon séjour en France, je suis frappée par la violence. Rien à voir avec l'an dernier. Je sentais la catastrophe arriver. Le gouvernement Sharon a tout fait pour la provoquer: des attentats ciblés en passant par l'humiliation et les réoccupations de zones A. Arafat ne s'est pas montré très malin non plus. Nous voilà donc au bord du gouffre.
Et nous risquons de vous y entraîner.
                                      
3. Faits comme des rats ou errants comme des chiens par Chantal Abu-Eishe, citoyenne d'Hébron en Palestine
Hébron, le 29 novembre 2001 - En quatorze mois, on en a vu des bouclages durs, on en a contourné ou escaladé des talus, on en a fait des kilomètres supplémentaires pour réussir à aller travailler ou rentrer chez nous (à quand le dédommagement pour usure des semelles, des pneus, des amortisseurs, et consommation effrénée d'essence ?) mais des scènes comme aujourd'hui, pas encore...
Depuis mercredi soir, il est impossible d'entrer ou de sortir d'Hébron en voiture par une route digne de ce nom. J'ai eu la chance ce matin de pouvoir prendre place dans la voiture d'une ONG qui partait pour Jérusalem...Premier talus, première sortie, changement de véhicule : une seconde voiture de la même ONG, venue de Jérusalem nous attend de l'autre côté. Route déserte jusqu'à l'entrée de Jérusalem : pas un taxi, même les "officieux" à plaque jaune conduits par des Jérusalémites, ne passent. Des chars aux intersections, des groupes de piétons désirant traverser la route de contournement pour se rendre d'un village à l'autre sont catégoriquement refoulés par les soldats. A la hauteur du camp de réfugiés d'Al Arroub, un soldat est accroupi au milieu de la route, encadré de deux acolytes. Des  étudiants, des élèves, des gens qui doivent tout simplement aller d'un point à un autre, sont condamnés à marcher, et encore... pas n'importe où : ici, il faut grimper sur le talus qui longe la route, là, il faut marcher dans la gadoue pour contourner le barrage militaire proche du groupe de colonies de Gush Etzion.
A 13h 30, je reprends la route avec Anwar dans l'autre sens, cette fois dans notre voiture. A ce même barrage, embouteillage, d'énormes semi-remorques sont sommés de faire demi-tour, idem pour les taxis "clandestins" à plaque jaune (israélienne). Notre obstination aidant, après qu'on nous ait indiqué de façon péremptoire, avec ce geste leste de la main très expressif qu'on ne connaît que trop..., on finit par sortir notre "sésame", une carte d'immatriculation auprès du Consulat Général de France à Jérusalem. On passe donc. Et là c'est un autre sentiment que la hargne qui nous prend : LA HONTE.
Honte d'être la seule voiture sur 12 km qui dépasse certainement plus de 200 personnes de ce foutu carrefour jusqu'à l'entrée de Halhoul. On se croirait en plein exode : des travailleurs leur matériel sur le dos, des mères de famille avec des enfants dans les bras, des élèves qui rentrent de l'école, des paysans, un tracteur qui a pris en stop une huitaine de passagers, des gens âgés clopinant. Certains auront parcouru presque 30 km à pied au total depuis le matin...
Honte d'être privilégié, honte de ne pas partager le sort de ces  gens. Comme me l'a dit un jour un homme d'âge mûr : "on n'est même pas des chiens, au moins eux ils peuvent aller chercher à manger où ils veulent..." . Nos enfants nous attendent, le soir tombe vite en ce moment, et les doigts qui se lèvent à notre passage nous rendent amers. Pourquoi ne pas faire monter 4 personnes avec nous ? Parce qu'à chaque barrage "fixe" (il y en a 4 sur ces 12 km auxquels s'ajoutent les patrouilles "volantes") nos passagers seront priés de descendre...
Hargne, honte, amertume, ras le bol, colère d'être "faits comme des rats" c'est ce que nous ressentons. Quand on dit cela à nos amis ou parents palestiniens ils nous répondent : vous n'y êtes pour rien, à votre place on essaierait de passer comme vous le faites, on ne vous en veux pas...
A l'entrée de Halhoul (trois talus plus un mur de blocs de béton), pas un véhicule. "Normalement" (tiens, c'est bizarre ce mot), des dizaines de taxis attendent ceux qui auront franchi ce bel exemple de ce que peuvent faire des engins de travaux publics.
Aujourd'hui : le désert. Jusqu'au prochain barrage à l'entre suivante d'Hébron, pas UN véhicule, on se croirait sur la lune... Et puis l'ultime barrière : le soldat nous fait signe de ralentir, de nous arrêter, demande nos papiers, on lui dit qu'on va à Kyriat Gat, distante de 35 km en direction d'Ashkelon... On passe  mais les ouvertures que nous connaissons sont toutes obstruées. On finit par repérer un petit chemin de sable puis de cailloux puis de terre. On franchit un talus fraîchement rendu praticable mais au sommet du talus on ne voit plus ce qui est devant nous tellement la pente est abrupte, heureusement il n'a trop plu depuis deux jours, avec un peu d'imagination on se croirait dans Menhir Express au Parc Astérix...
Finalement on est passé, on traverse un superbe paysage "Farsh Al Hawa" (le matelas du vent), on croise quelques véhicules qui nous demandent s'il y a une issue.
Et on retrouve nos enfants qui avaient fait appeler deux fois leur grand-père pour savoir si on allait bientôt  rentrer à Hébron.
Au moment où nous arrivons ma belle-soeur part pour Jérusalem avec toute sa petite famille (10 personnes) dans un minibus familial. On essaie de la dissuader de partir, elle ne renonce pas, voulant aller voir sa mère à Jérusalem qui s'est cassé le col du fémur. Deux heures plus tard, elle est de retour : le chauffeur les a fait passer par le chemin que nous avions emprunté mais au bout du chemin ... un char, grenade lacrymogène et  ordre de faire demi-tour.
Je précise que ma belle-soeur est porteuse d'une carte de "résidente" de Jérusalem, le chauffeur du minibus aussi et que la plaque du véhicule est jaune...
A peine rentrés, un ami Jérusalémite nous dit qu'il est parti de chez lui ce matin pour venir ici, à Gush Etzion il a été refoulé aussi, bien qu'également porteur de la bonne couleur de carte d'identité, de la bonne couleur de plaque. Les soldats énervés (les pauvres...) par l'embouteillage qu'ils ont créé tirent des grenades lacrymogènes.
Même histoire avant hier à Beit Ummar, deuxième village après Hébron en direction de Jérusalem.
Dans le voiture nous avons écouté Radio Israel qui indiquait que l'armée israélienne avait eu vent de la préparation par des Hébronites d'une "opération" à Beersheva...
Si on veut trouver une explication "logique" (encore un mot bizarre) à ce qu'on voit aujourd'hui, on pourrait y croire mais alors pourquoi laisser passer les colons ? Certes ils sont tous armés !
Depuis des mois j'essaie de me mettre dans la tête qu'il n'y a pas de logique à tout ce cirque, qu'il ne faut pas essayer de trouver une réponse cartésienne au comportement des soldats, que le but est de désorganiser la vie des Palestiniens, de les abrutir en changeant trois fois dans la journée le circuit possible pour sortir de la ville. Après plus de 40 ans en France, c'est un peu dur mais je finis par y arriver...
ZOMBIES, on devient zombies, cyniques, humiliés d'être honteux, honteux de voir les autres humiliés. Le spectacle de ce début d'après-midi me fait penser à une pub d'insecticide : l'armée vaporise et les Palestiniens s'éparpillent, essayant de se mettre à l'abri....
Après avoir entendu quelques tirs et explosions, petit moment devant la télé pour écouter les dernières nouvelles : la chaîne MBC passe une pub pour le riz Oussama "le riz terroriste américain "... et d'un oeil distrait je parcours Haaretz et que lis-je ? "Humiliation is not a security necessity" (Gabi Ophir, directeur général des autorités aéroportuaires israéliennes).
                                                   
4. Envie de crier par Chantal Abu-Eishe, citoyenne d'Hébron en Palestine
Hébron, le 2 décembre 2001 - Ce matin je voulais ajouter un petit PS à mon texte du 29 novembre. Je n'ai pas eu le temps d'écrire car je devais retrouver un petit groupe de Français pour leur "montrer" Hébron, son concentré d'occupation (imaginez une zone militaire interdite à l' intérieur de la zone occupée H2, si si, je vous assure çà existe ici) et son ambiance morbide. Ce que je voulais ajouter en substance c'est que depuis le 29 le bouclage d'Hébron ne s'est pas relâché, ou si peu... Au bout d'une heure et demie de route, Anwar n'avait franchi ce matin que la moitié du chemin pour rejoindre la fac et qu'arrivé finalement à Abu Dis le couvre-feu y était instauré et l'université Al Quds vidée de ses étudiants...
Dans la soirée du 1er décembre en effet deux attentats à Jérusalem avait encore semé la mort, la panique et l'horreur. Et cet après-midi les nouvelles d'Haïfa...
ARRETEZ, ARRETEZ, voici ce que je hurle dans mon for intérieur. ARRETEZ TOUS de vous venger, sinon la scène à laquelle j'ai assisté il y a quelques jours, encore dans H2, se reproduira pendant des dizaines d'années, à savoir une gamine israélienne d'une douzaine d'années crachant à la figure d'une autre gamine, à peine plus âgée, et palestinienne. Je continuerai aussi, ou mes enfants, à recevoir un jour une bassine d'eau sale, un jour un contenu de poubelle, jetés d'une fenêtre d'une colonie juive de la vieille ville d'Hébron, parce que j'arpente les rues de ce quartier avec des témoins qui constatent, simplement, ce que signifie vivre dans cette zone.
J'ai envie de crier ARRETEZ pour que nos enfants fassent la distinction entre humilité et humiliation, puissent associer les mots "demain" et "espoir". Ma fille a dit à l'une de ses professeurs ce matin que les explosions de Jérusalem allaient encore faire des morts chez les Palestiniens. Elle a 9 ans... Quand elle m'a demandé l'autre jour en arrivant à un barrage militaire israélien d'arrêter la cassette de chansons arabes que nous écoutions dans la voiture "parce que sinon le soldat ne va pas nous laisser passer", j'ai réalisé à quel point ce climat de peur, de suspicion, d'arbitraire, polluait même les méninges de tout jeunes que nous avons pourtant tendance à considérer comme protégés de discours durs et extrêmes. Je me demande aussi si le mot "droit" aura encore une signification pour eux.
                                           
Dernières parutions

                                   
1. Les tagueurs de Jabalya, Chroniques d'un camp de réfugiés palestiniens par Ouzi Dekel
aux éditions Syros
[Format 11 x22 cm - 49 FF (7,50 euros)]
J'ACCUSE "Que peut craindre Israël d'Ibn Al-Muqaffa ? De Jazir et… de Farazdaq." Cette phrase, tirée d'un poème du poète syrien Nizar Qabbani, lue dans un café de Tel-Aviv, ravive dans le souvenir de Youval la période de son service militaire dans le camp de réfugiés palestiniens de Jabalya, pendant l'Intifada. Youval raconte alors l'histoire de jeunes Palestiniens du camp qui parvinrent  à se jouer de l'armée israélienne en s'inspirant des ruse qu'enseignent les fables de Kalila et Dimna, recueil très ancien de fables indiennes, dont Ibn Al-Muqaffa, qui vécut il y a plus de 1200 ans, adapta en arabe la version persane…
Que se passe-t-il aux barrages dressés par l'armée, pendant le couvre-feu, lors des fouilles, dans les prisons, quand on est torturé ou quand l'humiliation est quotidienne ?Que se passe-t-il de l'autre côté des grillages, dans les camps de réfugiés palestiniens, chez ces jeunes dont les parents sont nés dans les camps où leurs grands parents avaient été chassés ? Pour la première fois, voici le témoignage d'un israélien qui partage son expérience avec des réfugiés palestiniens.
Après une brève mission à Gaza, Ouzi Dekel, natif du kibboutz Eilon, a refusé de servir dans les territoires palestiniens occupés. Son objection lui a valu d'être incarcéré dans une prison militaire israélienne. Militant des mouvements de solidarité avec le peuple palestinien, un des fondateurs du mouvement Yesh Gvoul, regroupant des soldats israéliens refusant de servir dans les territoires occupés, Ouzi Dekel est journaliste et vit à Paris. Marqué par les attentats du 11septembre 2001 aux États-Unis, il lance à travers ce livre un appel à ses concitoyens : " Il nous appartient à nous, ceux qui sont nés dans le conflit, d'accepter ensemble le droit au retour des réfugiés palestiniens, d'essayer de résoudre ensemble la question de leur intégration et ensemble de bâtir une nouvelle société méditerranéenne dans laquelle le respect des droits de l'homme et le respect de la loi internationale seraient les fondements de sa constitution. "
Le dossier de ce titre de la collection " J'accuse !" a été réalisé en partenariat avec l'Association France-Palestine Solidarité (AFPS), dont les activités principales sont le soutien moral, matériel et humanitaire en faveur des populations palestiniennes les plus défavorisées et en particulier des réfugiés dans les camps. Elle aide au développement et la coopération dans tous les domaines avec les organisations de la société civile palestinienne et intervient sur tous les aspects, notamment culturels et éducatifs.
                                               
2. Les juifs ont-il un avenir ? de Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias
aux éditions Jean-Claude Lattès

[252 pages - ISBN : 2709622564 - octobre 2001 - 118,00 FF / 17,99 Euros]
Un homme, une femme. Un couple dans la vie. Un tandem à l'université. Deux savants, deux historiens du judaïsme et de la judéïté. Lui, spécialiste de la période antique et médiévale. Elle, spécialiste de la période moderne et contemporaine. Deux juifs avec leur existence, leur pensée, leur expérience, leur quête. Et une seule question, celle de l'identité posée dans toutes ses dimensions. Bible, talmud, temple, synagogue, Israël, diaspora, exil, antijudaïsme, antisémitisme, sionisme, modernité, sécularisation, ashkénaze, sépharade, religieux, laïc, shoah, holocauste, génocide, guerre, sépharade, religieux, laïc, shoah, holocauste, génocide, guerre, singularité, universalité... tels sont quelques-uns des termes clés d'un dialogue parfois provocant ou paradoxal, souvent iconoclaste ou radical, toujours critique et lumineux où sont bousculés idées reçues, concepts conformistes et discours dominants. Un dialogue sans précédent et sans concession. Le premier grand dialogue, peut-être, du XXIème siècle en ce qu'il clôt le précédent, le XXème, et qu'il interroge d'un même mouvement, dans leurs fondations et leur avenir, la culture juive et la culture européenne. 
                                            
Eloge de la diaspora par Sylvain Cypel
in Le Monde des livres du vendredi 9 novembre 2001

Sous la forme d'un dialogue  pour le moins décapant, Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias parcourent le judaïsme et la judéité.
Les juifs ont-ils un avenir ? Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias.
C'est à un pilpoul (débat talmudique) que se livrent Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias, en spécialistes savants de l'histoire juive, autour, comme il se doit, d'un questionnement existentiel : Les Juifs ont-ils un avenir ? On devine que les besoins marketing de l'éditeur ne doivent pas être étrangers à cet intitulé "scandaleux". En fait, l'inquiétude est bien présente pour l'avenir d'un certain judaïsme dont les dirigeants (en France plus qu'ailleurs, notent les auteurs) se complaisent dans "un repli autodéfensif préoccupant", intolérants envers toute opinion discordante, surtout si elle est issue du sein même du judaïsme. Des dirigeants prompts à se vivre en victimes ("les médias sont contre nous") et à s'arc-bouter sur les "deux béquilles" que sont l'Etat d'Israël et la religion. Mais cette préoccupation ne constitue pas le cœur du livre, les auteurs montrant au contraire un extraordinaire optimisme pour la capacité du judaïsme, maintes fois démontrée, à se régénérer en se transformant.
L'ambition, au long d'une longue conversation, est de questionner, pêle-mêle : l'identité et les identités juives ("religieuse", "culturelle", "psychologique") ; les juifs dans leur propre regard et celui des autres ; le judaïsme biblique, talmudique, moyen-âgeux et celui des Lumières ; Israël et le rapport des juifs à l'Etat juif ; le sionisme et le post-sionisme ; les ashkénazes et les séfarades ; Jérusalem et le mont du Temple dans la mémoire collective, et l'usage politique qui en est fait ; la Shoah, sa "spécificité", par opposition à son "unicité", et la place qu'elle occupe dans les identités juives actuelles ; les institutions de la communauté juive de France ; le rôle des intellectuels juifs, l'humour juif et la haine de soi - on en passe. 
Certains s'y perdront, tant les allers-retours d'un sujet à l'autre peuvent parfois lasser.
ICONOCLASTE
Le débat est pourtant d'une grande richesse, et remet en cause de nombreux clichés. Ainsi la chrétienté n'a-t-elle pas été de tout temps antijudaïque. A l'inverse, le monde musulman n'a pas été exempt d'antisémitisme jusqu'à l'émergence du sionisme. Le principal mérite de la discussion est de poser une série de questions parfois anciennes : qu'est-ce qu'être juif ? ; parfois iconoclastes : comment expliquer la phase actuelle de repli ethnocentré alors que "les juifs ont rarement joui d'une telle liberté de revendiquer leur identité et de l'affirmer" ? Il est, aussi, de resituer l'histoire des juifs dans ses environnements successifs, avec ses phases glorieuses et ses tragédies, loin d'une historiographie mythifiée qui, elle, ne retient qu'un long martyr ininterrompu, culminant avec la Shoah. "On ne saurait, résume Jean-Christophe Attias, réduire l'expérience juive du rapport aux nations à l'antisémitisme."
Surtout, le livre s'inscrit dans une tendance absolument nouvelle : la redécouverte de la diaspora par les juifs eux-mêmes. Une diaspora qui existerait intrinsèquement, ni pour ni contre Israël, mais "hors" d'Israël, ce référent que les notables veulent impératif et indiscuté. Cette redécouverte va de pair, constatent les auteurs, avec un regain d'intérêt, très récent aussi, des jeunes Israéliens pour leurs racines : celles de l'exil. De ce point de vue, Benbassa et Attias, dans une relation qu'ils veulent dépassionnée à l'Etat hébreu, se positionnent clairement dans une historiographie à rebrousse-poil de sa pendante sioniste. Pour le sionisme, "le juif était tenu de faire table rase de son passé diasporique". Or, pour eux, "ce sont l'exil et la dispersion qui font le juif, et qui expliquent en même temps qu'il y ait tant de façons de l'être". "L'exil, martèlent-ils, est constitutif de toute identité juive, israélité comprise." Pour conclure que la diaspora n'existe pas uniquement par et pour Israël : "Elle dispose, elle aussi, de ses propres forces créatrices."
Les auteurs connaissent d'expérience la volée de bois vert à laquelle ils s'exposent - "livre antisémite, anti-israélien, haine de soi, etc" - et l'acceptent avec fatalisme. Leurs adversaires mettront en exergue quelques passages iconoclastes sur la Shoah : "Si l'on ne se réfugiait pas dans ce souvenir du génocide, existerait-on encore comme juif ?" Avec, en particulier, cette formulation d'Esther Benbassa : "Que l'antisémitisme moderne soit racial est incontestable. Mais la forme exterminatrice que prend l'antisémitisme dans les années noires est aussi et avant tout une forme contextuelle, celle de la guerre." Là, on n'est plus très loin de Nolte, cet historien allemand douteux pour qui la Shoah s'explique non par l'essence du nazisme mais par les conditions spécifiques de la deuxième guerre mondiale, et une réaction allemande au phénomène des camps introduits par la Russie soviétique.
Le lecteur, moins porté à l'anathème, lui, saura gré aux auteurs d'avoir "ouvert", et richement, la lecture de la "question juive" contemporaine, en restituant en majesté la place du juif de l'exil, celui qui, comme Jean-Christophe Attias, dit : "je suis d'ici, je suis d'ailleurs." Ce qui nous remet en mémoire cette excellente blague juive, très diasporique : "Mon père est tailleur."
                                                        
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1. L'Etat juif, de l'utopie au cauchemar par Michel Staszewski
[Michel Staszewski est professeur à l'Athénée Royale de Jette, collaborateur scientifique de la Faculté des Sciences psychologiques et de l'Education de l'Université Libre de Bruxelles, et un des principaux animateurs de l'Unions des Progressistes Juifs de Belgique. Il est coauteur du Manifeste pour un juste règlement du conflit israélo-palestinien "Des Juifs de Belgique s'impliquent et s'expliquent" - paru dans le Point d'information Palestine N°127 du 30/01/2001-. Le texte de ce manifeste (en français, néerlandais et anglais) ainsi que la liste de ses signataires (246 au 1er décembre 2001) figurent sur le site Internet www.israel-palestine.be.]
Le sionisme ou la séparation comme réponse à l'antisémitisme
Dans le dernier quart du XIXe et au début du XXe siècle, les communautés juives d'Europe furent victimes de nombreuses manifestations d'antisémitisme dont les pires furent les pogroms perpétrés dans l'Empire russe qui coûtèrent la vie à des dizaines de milliers de personnes. Contemporain de ces tragiques événements, Théodore Herzel, journaliste autrichien, fut un témoin privilégié des violences antisémites qui ponctuèrent, en France, l'affaire Dreyfus. Il en conclut que si même le pays de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 pouvait être touché à ce point par des manifestations de haine antisémite, il ne restait qu'une seule solution aux Juifs pour vivre en paix : la séparation d'avec les non-juifs par le regroupement des Juifs dans un Etat qui leur serait propre. Le projet politique sioniste fut donc fondé sur la conviction qu'une cohabitation harmonieuse entre les minorités juives et les populations non-juives majoritaires dans les Etats où ils vivaient était décidément impossible.
Jusqu'au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, l'idéologie sioniste resta minoritaire parmi les Juifs d'Europe orientale, centrale et occidentale et quasi absente des autres communautés juives dont les membres, il est vrai, vivaient généralement en bonne entente avec leurs voisins non juifs.  
Le projet de création d'un Etat juif s'inscrivait dans le grand mouvement nationaliste qui s'était développé de par le monde dès le début du XIXe siècle et qui, au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, visait à permettre à chaque communauté nationale de disposer d'un Etat indépendant. Aux yeux des opinions publiques européennes cependant, ce principe ne s'appliquait qu'aux peuples " évolués ". Nous étions en effet à l'époque du colonialisme européen triomphant et il allait de soi que ce qui valait pour les peuples " civilisés " ne pouvait valoir pour les peuples " primitifs " ou " sauvages ".  Est-ce pour cela que les premiers sionistes considérèrent que la Palestine, pourtant peuplée d'un demi-million d'Arabes était " une terre sans peuple " ?
De plus en plus de terres de Palestine réservées aux Juifs
Pour concrétiser son rêve, le mouvement sioniste mit tous ses efforts dans l'appropriation d'un maximum de terres, achetées à leurs riches propriétaires souvent absents (vivant au Liban, en Syrie ou en Turquie) et livrées, selon les contrats de vente, " libres d'habitants " [1] . Ces terres étaient dès lors repeuplées d'immigrants juifs, de plus en plus nombreux. De 1917 à 1939, cette politique fut incontestablement favorisée par l'autorité mandataire [2]  britannique.
A partir de 1920, cette colonisation de peuplement entraîna une série de révoltes de la population arabe de Palestine, évincée de territoires de plus en plus vastes.
Néanmoins, l'arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne et la politique de plus en plus férocement antisémite menée à l'encontre des Juifs allemands puis autrichiens, engendra une accélération du mouvement d'émigration de Juifs européens, entre autres vers la Palestine. Après la Deuxième Guerre mondiale, la révélation de la réalité et de l'ampleur du judéocide nazi créa les conditions de l'acceptation par la majorité des Etats européens du principe de la création d'un Etat juif en Palestine. Et ce fut le partage de 1947 décidé par l'Assemblée générale de l'O.N.U. contre l'avis des Etats arabes. Il prévoyait la division de la Palestine en trois entités : un Etat juif constitué de 55% du territoire et peuplé de 500.000 Juifs et de 400.000 Arabes ; un Etat arabe peuplé de 700.000 Arabes et de 10.000 Juifs ; la zone de Jérusalem, sous administration de l'O.N.U., peuplée de 100.000 Juifs et de 105.000 Arabes.
Le refus arabe de ce plan engendra la guerre de 1947-1949, guerre qui donna l'occasion au mouvement sioniste d'étendre son contrôle territorial à 78 % de la Palestine mandataire et d'en évincer la plupart des habitants arabes. En 1949, de 700 à 800.000 Arabes palestiniens étaient devenus des réfugiés. 150.000 d'entre eux, demeurés dans l'Etat juif, vécurent sous un régime militaire jusqu'en 1966.
En 1967, la " Guerre des Six Jours " permit à l'armée israélienne de prendre le contrôle du reste de la Palestine [3] , autrement dit de Jérusalem-est, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Ces événements provoquèrent un nouvel exil de plusieurs centaines de milliers de Palestiniens qui vinrent grossir les rangs des réfugiés, essentiellement en Jordanie. L'occupation des territoires nouvellement conquis commença dès le lendemain de cette conquête par la destruction du pâté de maisons de la vieille ville de Jérusalem qui longeait le " Mur des Lamentations ". Depuis 1967, la colonisation juive de ces territoires est allée sans cesse en s'accélérant, même après la signature des accords d'Oslo en 1993, et quel que fut le gouvernement au pouvoir.
En 1988, 68 ans après la première révolte des Arabes de Palestine contre l'immigration juive et les acquisitions de terres par les Juifs, le Conseil national palestinien (parlement en exil) reconnaissait le droit à l'existence de l'Etat juif. En 1993, l'O.L.P. admettait la souveraineté de l'Etat d'Israël dans ses frontières de 1967 (avant la Guerre des Six Jours) ; elle acceptait donc que le futur Etat palestinien soit limité à 22 % de la Palestine mandataire, autrement dit à la Cisjordanie et à la bande de Gaza.
Les " concessions généreuses " de Barak
C'est dans ce contexte que le Premier ministre Ehoud Barak voulut inscrire son nom dans l'Histoire comme celui qui aurait mis fin au conflit israélo-arabe, vieux d'un siècle. A Camp David, en juillet 2000, il crut pouvoir faire accepter par Yasser Arafat et son équipe de négociateurs un accord qui prévoyait la création d'un " Etat " palestinien démilitarisé, divisé en quatre entités séparées, dont les frontières seraient contrôlées par Israël et constitué sur moins de 20 % de la Palestine mandataire. Selon ce plan, les principales colonies juives de Cisjordanie devaient être annexées à Israël. A Jérusalem-est, le Mur des lamentations et plusieurs zones désormais peuplées majoritairement de Juifs devaient rester sous souveraineté israélienne. Il devait en être de même pour le " Mont du Temple " (l'esplanade des mosquées) dont les Palestiniens auraient cependant pu obtenir la " garde permanente ". Les négociateurs israéliens refusèrent par ailleurs de reconnaître la moindre responsabilité de leur pays concernant la question des réfugiés. Tout au plus acceptèrent-ils l'idée du rapatriement, étalé sur dix ans de quelques milliers d'entre eux, " pour raisons humanitaires ".
Les négociateurs palestiniens refusèrent ces " offres généreuses " et le désespoir et la colère s'installèrent auprès des leurs. Quelques semaines plus tard, Ehoud Barak autorisa Ariel Sharon, alors principal leader de l'opposition à aller " visiter " le " Mont du Temple ", accompagné d'une très imposante escorte armée. De jeunes Palestiniens manifestèrent leur indignation ; ils se heurtèrent à une répression des plus brutales : en 3 jours l'armée israélienne abattit 30 personnes et fit 500 blessés. L'"Intifada d'El Aqsa " avait commencé. Des négociations reprirent cependant à Taba (Egypte) en janvier 2002 entre les représentants israéliens et palestiniens, sous l'égide de l'administration Clinton finissante ; elles laissèrent entrevoir la possibilité de sérieuses avancées mais Ehoud Barak avait perdu sa majorité au parlement israélien et beaucoup de sa légitimité auprès de la majorité de l'opinion publique israélienne, comme allait le démontrer le résultat des élections de février 2001. C'est en effet le " faucon " Ariel Sharon qui fut élu Premier ministre d'Israël par une confortable majorité des électeurs juifs. Et les avancées de Taba restèrent lettre morte. 
Le sort actuel des Palestiniens
Dans quelles conditions vivent aujourd'hui (décembre 2001) les Palestiniens ?
Le million de ceux qui sont citoyens israéliens sont les moins mal lotis. Ils continuent cependant à être régulièrement victimes de discriminations. Cela se marque par exemple, par la répartition très inégale des fonds publics entre les localités selon qu'il s'agit de communes peuplées de Juifs ou d'Arabes (il n'existe pratiquement pas de villes ou de villages " mixtes ") ou par la non-reconnaissance de l'existence même de cent-cinquante villages et hameaux regroupant environ 75.000 habitants, ce qui a pour conséquence que ces localités sont privées de tout service public ( pas de connexion aux réseaux d'électricité, d'eau ou de téléphone ; interdiction d'ouvrir de nouvelles écoles, …) ; leurs habitants se voient interdire toute construction de bâtiment ou de voirie [4] . Beaucoup plus insidieuse est la suspicion dont sont systématiquement victimes les Arabes israéliens, ce qui les exclut de quantité d'emplois et en fait les victimes de contrôles policiers systématiques. 
Les Palestiniens vivant en dehors du territoire de la Palestine mandataire sont actuellement près de trois millions [5] . Leurs conditions de vie sont très variables : si une petite minorité sont devenus des citoyens à part entière de leur pays d'accueil, la grande majorité d'entre eux restent des réfugiés, même s'ils ne vivent plus tous dans des camps [6] . Et c'est sans doute au Liban que, victimes de multiples mesures de ségrégation, ils vivent le plus mal.
Les Palestiniens des territoires occupés [7]  connaissent, quant à eux, depuis 1967, une interminable descente aux enfers. Leurs conditions de vie n'ont cessé de se dégrader, particulièrement, il faut le souligner, depuis l'entrée en application des accords d'Oslo (1994-1995). Les colonies de peuplement juif en Cisjordanie et à Gaza sont actuellement plus de 160 et regroupent environ 400.000 habitants [8] . Les zones autonomes palestiniennes qui recouvrent environ les deux tiers de la bande de Gaza et moins de 18% de la Cisjordanie sont complètement isolées les unes des autres. La circulation entre les différentes localités palestiniennes, déjà extrêmement problématique avant l'embrasement de fin septembre 2000, est devenue presque impossible. Le " bouclage " est tel que de nombreux élèves et étudiants ne peuvent, la plupart du temps, se rendre dans leurs établissements scolaires ni les adultes exercer leurs activités professionnelles. Plusieurs personnes sont mortes faute de soins pour avoir été empêchées de rejoindre un hôpital. Depuis le début de l'actuelle intifada, environ 800 Palestiniens des territoires occupés dont 200 enfants ont été tués. Les blessés sont plus de 30.000. Plus de 2.000 Palestiniens, dont 350 sont des mineurs d'âge, sont détenus dans les prisons israéliennes. De nombreux cas de mauvais traitements, voire de torture y sont avérés. Depuis l'arrivée au pouvoir du gouvernement dirigé par Ariel Sharon, les incursions de l'armée israélienne dans les zones autonomes palestiniennes se multiplient. Plus de 5.000 bâtiments ont été détériorés et 800 entièrement détruits du fait de ces opérations militaires. Des milliers d'hectares de terres agricoles ont été ravagés et des dizaines de milliers d'arbres arrachés.
Un gouffre, typique d'une situation coloniale, et qui ne cesse de s'élargir, sépare les conditions de vie des colons israéliens de celles des Palestiniens. Tandis que ces derniers vivent une situation de précarité extrême, les colons, dont la liberté de circulation entre leurs colonies et l'Etat d'Israël reste entière, s'approprient toujours plus de terres et ont accaparé la plupart des ressources en eau [9] .  
Une politique illégale et sans issue … mais soutenue par la majorité des citoyens israéliens
En regard du droit international, cette politique fait d'Israël un Etat hors-la-loi. Elle est en effet contraire aux résolutions de l'assemblée générale et du Conseil de Sécurité de l'O.N.U. et les moyens mis en œuvre pour la mener sont contraires à toutes les conventions sur le droit de la guerre. Elle ne conduira pas à une solution du conflit. Elle engendre une situation économique et financière de plus en plus mauvaise pour l'Etat israélien lui-même. Et jamais les Israéliens, qui ont tout de même eu environ 200 morts à déplorer depuis le début de cette intifada, n'ont vécu autant en état d'insécurité qu'actuellement.
Pourtant, d'après plusieurs sondages réalisés ces derniers temps en Israël, plus des deux tiers de la population israélienne soutient la politique du gouvernement d'Ariel Sharon.
Comment expliquer ce paradoxe ?
Le " complexe de Massada "
Beaucoup de gens sous-estiment les effets à long terme que peuvent générer des persécutions graves visant une communauté humaine tout entière. Le ralliement à l'idéologie sioniste de la majorité des Juifs européens au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale s'explique avant tout par une vision du monde transformée par l'expérience traumatisante du judéocide. Et ces traumatismes transmettent une partie de leurs effets aux générations suivantes : tout Juif dont les parents ou les grands-parents ont vécu la guerre sous le joug nazi est, d'une manière ou d'une autre, psychologiquement " marqué " par cet atavisme. Ce qui explique, au moins en partie, pourquoi la vision sioniste du monde est encore  dominante aujourd'hui dans la diaspora européenne ou d'origine européenne. Le " complexe de Massada " [10]  ou de la " citadelle assiégée " est caractéristique de cette vision du monde : les Juifs ne pourraient compter que sur eux-mêmes pour se défendre contre des populations non juives généralement hostiles. C'est ainsi que L'Etat moderne d'Israël est considéré par de nombreux Juifs de la diaspora comme " le dernier refuge ", le lieu où l'on pourrait se réfugier " au cas ou … ". D'où l'importance vitale, à leurs yeux de le préserver en tant qu'Etat juif, ce qui implique que les Juifs y restent, à tout prix, majoritaires.
Ceci permet de comprendre pourquoi la majorité des Israéliens et un grand nombre de Juifs de la diaspora, pourtant partisans inconditionnels du " droit au retour " en Israël pour les Juifs du monde entier, s'opposent avec force à la revendication palestinienne du droit au retour des exilés palestiniens victimes des guerres successives ayant opposé Juifs et Arabes en Palestine-Israël depuis 1947. Le fait que les représentants palestiniens se déclarent depuis longtemps prêts à négocier la mise en œuvre de ce principe [11]  n'y change rien.
En réalité, depuis sa création, Israël est le pays où les Juifs sont le moins en sécurité. Ce constat ne semble pas ébranler la conviction qu'il constitue un refuge pour les Juifs. C'est même le contraire qui se produit : plus la politique de l'Etat juif se heurte à la résistance des Palestiniens et à la réprobation de l'opinion publique internationale, plus la majorité de l'opinion publique juive israélienne et diasporique, confortée dans le sentiment que les Juifs sont encore et toujours les victimes de l'hostilité des non juifs, se raidit dans une attitude intransigeante. Ce qui favorise le développement, chez les Palestiniens, de sentiments de colère, d'humiliation voire de haine et de  désespoir, ce désespoir qui amène de plus en plus de jeunes Palestiniens, ne trouvant plus de sens à leur vie, à chercher à en donner un à leur mort, en perpétrant des attentats-suicides au cœur d'Israël. Nous sommes là dans un tragique cercle vicieux.
Mais aujourd'hui les descendants des victimes du judéocide nazi sont devenus minoritaires parmi les Juifs israéliens. Il reste donc à expliquer pourquoi le raidissement décrit ci-avant concerne l'écrasante majorité de la population juive d'Israël.
Dans son livre Le Septième Million, l'historien israélien Tom Segev  nous donne la clé de cette énigme. Il y montre comment, depuis la naissance de l'Etat juif, les dirigeants israéliens ont utilisé la mémoire du judéocide nazi pour façonner une identité collective israélienne [12] . Dès leur plus jeune âge, les enfants israéliens, quelle que soit l'histoire de leurs ancêtres, sont élevés dans le souvenir et le culte du passé tragique des communautés juives européennes. C'est donc l'ensemble de la population juive israélienne qui porte le poids du passé, qui se voit transmettre le traumatisme et ses effets secondaires, à commencer par le " complexe de Massada ". 
Séparation unilatérale
A la lumière de ce qui précède, on comprend mieux pourquoi un certain nombre de dirigeants politiques et d'intellectuels israéliens renommés, y compris des membres ou des proches du parti travailliste, considérant que Juifs et Arabes ne parviendront jamais à s'entendre, défendent aujourd'hui très sérieusement l'idée de la " séparation unilatérale " comme solution au conflit. Il s'agirait concrètement de séparer les Juifs des Arabes par un " rideau de fer " tel que l'Europe l'a connu durant la Guerre froide. Dans un article intitulé Un remède miracle [13] , Uri Avnery, figure marquante du " Bloc de la paix " israélien, a qualifié ce projet de " nouveau pas dans la marche de la folie ". Il y démontrait qu'il ne pourrait déboucher que sur une guerre sans fin dans la mesure ou l'emplacement de ce " rideau " n'aurait pas fait l'objet d'un accord et que, de toute façon, l'imbrication des populations juives et arabes est tel qu'il faudrait soit construire des " rideaux " un peu partout, le territoire de la Palestine historique étant dès lors transformé en une multitude de ghettos invivables tant du point de vue économique que du point de vue humain, soit procéder à de nouveaux déplacements forcés de populations de manière à obtenir deux entités " homogènes ". 
Diabolisation des Palestiniens
La paranoïa collective dont sont victimes la majorité des Israéliens les aveuglent : ils ne voient pas que les actes de violence auxquels se livrent les Palestiniens s'expliquent essentiellement par les conditions de plus en plus insupportables dans lesquelles ils vivent, par l'oppression et les humiliations continuelles qu'ils subissent de la part de l'armée israélienne. Pour eux la violence des Palestiniens s'explique par leur antisémitisme [14]  qui serait entretenu et renforcé par une éducation à la haine dont ils seraient les victimes depuis des générations. Cette haine antisémite les aurait collectivement déshumanisés. C'est ainsi que beaucoup d'Israéliens croient sincèrement que de nombreux parents palestiniens envoient délibérément leurs enfants risquer leur vie en jetant des pierres sur les soldats israéliens ou les encouragent à devenir des " martyrs ".
Cette vision déshumanisée des Palestiniens touche même les plus hautes sphères du parti travailliste israélien. C'est ainsi que le 2 août dernier sur la chaîne de télévision américaine ABC, le journaliste Chris Bury posait la question suivante à Avraham Burg, un des principaux dirigeants de ce parti et  président du parlement israélien : " Israël se vante d'être une nation démocratique fondée sur les règles du droit. Alors comment peut-on justifier des assassinats lorsque les forces de sécurité sont, en l'occurrence, tout à la fois jury, juge et bourreau ? " Réponse d'Avraham Burg : " Il ne fait aucun doute que dans le monde occidental et le système de valeurs dans lesquels nous vivons, l'agneau a en général de bonnes chances de se défendre avant que le loup le dévore. Au Proche-Orient les règles sont quelque peu différentes. (…) Nous vivons dans un autre hémisphère, fait d'islamistes fondamentalistes, de bombes humaines, d'un peuple suicidaire, de tueurs, de kidnappeurs, de gens auxquels vous ne voudriez pas marier votre fille. N'essayez pas d'exiger de moi que je me comporte vis-à-vis de mon voisin non humain de la même manière que les Scandinaves se comportent vis-à-vis des Suédois. " [15]   Sans commentaire.
L'écrasante responsabilité du monde occidental
Il ne fait aucun doute qu'Israéliens et Palestiniens ne s'en sortiront pas tout seuls. Face au " nain " palestinien, L'Etat d'Israël est un " géant " surarmé, convaincu qu'il est entouré d'ennemis et que son seul salut réside dans un rapport de force militaire à son avantage. A la paranoïa collective de la majorité des Israéliens et des dirigeants qu'ils se sont choisis, répond la folie meurtrière d'une frange, heureusement encore très minoritaire, d'une population palestinienne de plus en plus désespérée. 
Les Etats d'Europe occidentale et les Etats-Unis d'Amérique portent, à plus d'un titre, une responsabilité écrasante dans cette interminable descente aux enfers. Sans leur appui résolu, l'injustice qu'a constitué la création, en Palestine, d'un Etat destiné à accueillir les Juifs du monde entier aux dépens des populations non juives de ce territoire n'aurait pas été possible. Par leur soutien économique et militaire quasi inconditionnel à l'Etat d'Israël malgré son non-respect systématique des résolutions de l'Assemblée Générale et du Conseil de Sécurité de l'O.N.U. ainsi que des conventions internationales régissant le droit des populations vivant sous occupation étrangère, ils ont permis qu'une situation d'oppression et de déni du droit international et des Droits de l'Homme se perpétue et s'aggrave durant plus d'un demi-siècle. Aujourd'hui encore, alors que des victimes tombent quasi tous les jours, ils refusent de répondre positivement à la demande répétée de l'Autorité palestinienne qu'une force d'interposition internationale sous mandat de l'O.N.U. vienne mettre fin au carnage, sous le prétexte que cela ne serait pas réalisable sans un accord des deux parties. La présidence belge de l'Union européenne, incarnée par le Premier Ministre Guy Verhofstadt et par le Ministre des Affaires étrangères Louis Michel, au lieu de se faire la défenderesse du Droit international, a prétendu mené une politique " d'équidistance " entre les deux parties … avec l'insuccès que l'on sait.
Par leur appui quasi inconditionnel à la politique de l'Etat d'Israël ou par leur passivité, les Etats occidentaux sont les principaux responsables de la perpétuation de l'impasse tragique dans laquelle se sont engouffrés les dirigeants sionistes, dans laquelle ils ont entraîné la société juive israélienne mais dont la victime principale est le peuple palestinien.
Le rêve sioniste s'est concrétisé en un interminable cauchemar. Les Juifs israéliens, pétris de cette idéologie qui les a conduits à soutenir une politique d'apartheid de la pire espèce, sont en train de " perdre leur âme " dans un conflit sans fin et de plus en plus meurtrier avec leurs voisins palestiniens. La " désionisation " des esprits, absolument nécessaire pour qu'une véritable réconciliation [16]  entre Juifs israéliens et Palestiniens,  puisse advenir, prendra du temps. Il n'est ni moralement, ni politiquement défendable de subordonner une solution au conflit à l'évolution de cet état d'esprit. La communauté internationale doit intervenir d'urgence, d'abord pour que soit mis fin à la mortelle étreinte dans laquelle sont enlacés les peuples israélien et palestinien, puis pour imposer une paix durable basée sur le respect du Droit international et des Droits de l'Homme.
Mais pour que cela advienne, il est nécessaire que, partout dans le monde, les opinions publiques se mobilisent pour pousser leurs représentants politiques à agir afin qu'entre Méditerranée et Jourdain, le règne de la loi du plus fort cède enfin la place à celui de l'égalité des droits entre les hommes et entre les peuples.
Michel Staszewski (décembre 2001)
- NOTES :
[1] Depuis un siècle, le Keren Kayemeth Leisraël (Fonds Unifié pour Israël), est chargé de récolter des fonds auprès des Juifs du monde entier pour l'achat de terres en Palestine, terres ne pouvant être occupées et exploitées que par des Juifs. Depuis 1967, le K.K.L. a étendu ses activités aux territoires occupés suite à la Guerre des Six Jours  (cf. GOLDMAN, H., Le KKL " trace les frontières d'Israël ", in Points Critiques. Le Mensuel, n° 221,Bruxelles, décembre 2001, pp. 19 et 20).
[2] En 1922, le Royaume-Uni obtint de la Société des nations un mandat de protectorat sur la Palestine, ancienne province ottomane. En fait l'occupation britannique dura de 1917 à 1948.
[3] Ainsi que du plateau syrien du Golan et du désert égyptien du Sinaï.
[4] Cf. WAJNBLUM, H., Des villages bien réels mais officiellement inexistants… Les villages arabes israéliens " non reconnus ", in Points Critiques n° 61, Bruxelles, mai 1998, pp. 19-27.
[5] Chiffres de l'UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine). Selon des sources palestiniennes, ils seraient nettement plus nombreux mais une grande partie d'entre eux ne seraient pas recensés comme tels par cet office des Nations Unies.
[6] L'UNRWA  estime que sur les 3.700.000 réfugiés recensés, environ 1.200.000 habitent encore aujourd'hui dans des camps, ce chiffre comprenant les habitants des camps de Cisjordanie et de la bande de Gaza.
[7] Les Palestiniens de Cisjordanie, de Jérusalem-est et de Gaza sont aujourd'hui 2.700.000 dont 1.400.000 de réfugiés. Parmi ces derniers, 600.000 vivent encore actuellement dans des camps.
[8] Ce nombre comprend les habitants juifs de Jérusalem-est, territoire conquis par l'armée israélienne en 1967.
[9] Selon la Banque mondiale, 90 % des ressources en eau de la Cisjordanie sont utilisées au profit d'Israël.
[10] En 70 après J.C., après la chute de Jérusalem, un important groupe de révoltés juifs se réfugièrent dans la forteresse de Massada bâtie sur un éperon rocheux dominant la rive ouest de la Mer morte. Après avoir défié les armées romaines durant plus de deux années, sur le point d'être vaincus, les derniers combattants juifs et leurs familles se suicidèrent plutôt que de se rendre.
[11] " Les Palestiniens sont prêts à envisager ce droit au retour de manière flexible et créative dans sa réalisation matérielle. Dans nombre de discussions avec Israël, les problèmes posés par la mise en œuvre du droit au retour, tant en ce qui concerne les réfugiés qu'en ce qui concerne les conséquences pour l'Etat hébreu, ont été identifiés et des solutions détaillées ont été avancées. " ( extrait du Mémorandum de l'équipe palestinienne de négociation à Bill Clinton, 1er janvier 2001, cité in Les Cahiers de l'U.P.J.B., n°2, Bruxelles, Mars 2001, p. 59)
[12] " Le Septième Million traite de la manière dont les amères vicissitudes du passé continuent à modeler la vie d'une nation. Si le Génocide a imposé une identité collective posthume à six millions de victimes, il a aussi façonné l'identité collective de ce nouveau pays, non seulement pour les survivants arrivés après la guerre, mais pour l'ensemble des Israéliens, aujourd'hui comme hier. " ( SEGEV, T., Le Septième Million, Editions Liana Levi, Paris, 1993, p. 19).
[13] Cet article, paru en hébreu et en anglais sur le site Internet de Gush Shalom (le " Bloc de la Paix " ) le 25 août 2001, peut être lu, dans sa traduction française, sur le site
www.solidarite-palestine.org
[14] Dont beaucoup de Juifs croient qu'il a toujours existé.
[15] Cité in Points Critiques. Le Mensuel, n° 218, Bruxelles, septembre 2001, p. 14.
[16] La réconciliation passe par la reconnaissance intégrale de l'égalité fondamentale de l'autre, de son entière humanité.
                                           
2. Voyons comment les sionistes ont "sauvé les Juifs" durant la seconde guerre mondiale... par Israël Shamir
in "Petite bibliothèque de Sacha Sverdlov"
http://gornischt.narod.ru/shamir2.htm
[traduit du russe par Marcel Charbonnier]
Année après année, les journées de juin ramènent à ma mémoire les souvenirs de la guerre. Pour le peuple juif, la guerre a représenté une terrible tragédie - un tiers des Juifs sont morts, des communautés entières, des plus ancestrales et des plus riches de traditions, ont été anéanties. Pourquoi cela s'est-il produit ? Pourquoi ce peuple, généralement plutôt énergique, n'a-t-il pu éviter cela ? Par-delà les responsables directs, évidents - les nazis - il y eut aussi d'autres coupables, qui ont contribué à rendre cette tragédie possible ; les uns par ignorance, d'autres par indifférence à l'égard de la vie d'autrui, d'autres encore pour des raisons idéologiques.
On raconte une anecdote qui met en scène un pauvre petit moineau bien près de mourir de froid, mais sauvé par la chaleur du fumier des vaches, et finalement dévoré par le chat ! Moralité : "Tous ceux qui te dégoûtent ne sont pas forcément tes ennemis, tous ceux qui te tirent de la m... ne sont pas nécessairement tes amis..." : cette historiette me revient à l'esprit tandis que je m'apprête à raconter les étranges relations bilatérales entre les Juifs et le mouvement sioniste.
Avant d'aller plus loin, formulons un reproche fondamental à l'encontre du sionisme : ce mouvement a vu le jour, initialement, pour protéger et sauver des Juifs (menacés), en tout premier lieu les Juifs d'Europe orientale. Mais, par la suite, il s'est fixé pour mission essentielle la création et la pérennisation d'un Etat juif en Palestine. Afin d'atteindre ce but, le mouvement sioniste était prêt - et il le reste, jusqu'à ce jour - à sacrifier les intérêts des juifs. C'est ce qui s'est passé, y compris durant la seconde guerre mondiale.
Pour des habitants de l'Union soviétique, cette accusation n'avait rien de surprenant. Le sionisme était, en effet, le contemporain du bolchévisme et, comme lui, il s'était développé sous le mot-d'ordre "On ne saurait couper la forêt sans que volent les copeaux". Mais voilà la différence : pour les bolchéviques, l'objectif était universel : l'édification du socialisme en Russie, la réalisation du bonheur pour tous. Tandis que pour les sionistes, il s'agissait de fonder un état puissant au Moyen-Orient, qui prenne la succession de l'empire du Roi Salomon. Et pour mener à bien cette 'noble' tâche, tous les moyens étaient bons...
Sabbataï Beit-Tsvi, un vieux juif russe, avait travaillé toute sa vie aux archives de l'Agence juive à Tel Aviv. Une fois à la retraite, il avait "publié", en 1977, un 'samizdat' ('à compte d'auteur'), épais de quelque 500 page au format in IV°, sous le titre-fleuve et quelque peu nébuleux "La crise du sionisme post-ougandais aux jours de la catastrophe des années 1938-1945". Cet ouvrage était resté inaperçu d'un grand nombre de lecteurs et son introduction, ainsi que sa conclusion - horrifiantes - consacrées au rôle joué par le mouvement sioniste dans la tragédie des Juifs d'Europe finirent par produire l'effet d'une bombe il y a tout juste six ans, lorsqu'elles furent citées par l'historien israélien (tout ce qu'il y a de plus officiel et unaniment reconnu) Dina Porat. Depuis lors, son travail a été utilisé à maintes reprises par des historiens qui n'ont pas toujours eu la délicatesse élémentaire de s'en référer à notre retraité, qui végète depuis belle lurette retiré aux regards du monde.
Sans me perdre dans les arcanes de ce passé lointain, je dirai qu'en utilisant l'expression "sionisme post-ougandais", Beit-Tsvi avait en vue le mouvement sioniste tel qu'il s'était formé alors que le vingtième siècle en était encore à ses premiers balbutiements, c'est-à-dire que le sionisme dont il est question est bien le sionisme proprement dit, le sionisme du vingtième siècle. D'après Beit Tsvi, le sionisme connaît alors une grave crise : il se divise sur la question de savoir s'il fallait - ou non - accepter la proposition de l'Angleterre : créer un état juif en Ouganda. Ceux qui avaient le souci du sort du peuple juif étaient favorables au projet ougandais (c'étaient les 'minoritaires'), mais les 'palestinocentristes' ('majoritaires') l'emportèrent et s'attelèrent sans plus traîner à construire un état juif en Palestine à tout prix, fût-ce au détriment du peuple juif. En particulier, ceci se fit sentir aux jours du triomphe du nazisme, lorsque le peuple juif ne put sauver un tiers des siens de l'extermination, pour la simple raison que sauver des Juifs, était bien le dernier souci des sionistes, si les rescapés n'émigraient pas en Palestine. Par contre, il n'existait pas encore à proprement parler de mouvement juif non-sioniste (un petit noyau, embryonnaire, existait, mais il ne jouissait d'aucune influence notable).
"En décembre 1942, lorsque le caractère massif de l'extermination des Juifs d'Europe devint patent (écrit Beit-Tsvi), l'homme qui allait devenir le deuxième président de la République d'Israël, Chazar, formula la question purement rhétorique suivante : 'pourquoi, nous, (mouvement sioniste), n'avons-nous pas su ? Pourquoi les nazis ont-ils pu nous prendre au dépourvu ?' Tandis qu'un autre participant à la même réunion des dirigeants du mouvement sioniste, Moshé Aram, déclarait de son côté : 'Nous avons été des complices involontaires du massacre' (parlant de ceux qui savaient, mais n'avaient rien fait)."
"L'organisation sioniste a réussi le tour de force de 'ne rien savoir' de la catastrophe jusqu'à l'automne 1942 et si ce tour de force, elle l'a réalisé, c'est pour la simple raison qu'elle ne voulait rien savoir", poursuit Beit-Tsvi.
Puis il détermine à quel moment les nazis ont décidé de procéder à l'élimination systématique des Juifs : à l'évidence, ce fut en été 1941, à telle enseigne que le premier document d'archive relatif à cette décision est daté du 31 juin 1941. L'éradication projetée des Juifs était un secret absolu et si les pays ennemis de l'Allemagne en avaient eu connaissance, ils auraient pu stopper ou tout au moins ralentir ou dénoncer la mise en pratique de l'ordre non-écrit d'Hitler. Mais le mouvement sioniste n'était pas intéressé par la publicité, et il se comporta de façon totalement irresponsable : alors que la seconde guerre mondiale n'avait pas encore éclaté, en 1939, lors du 21ème congrès du mouvement sioniste réuni à Genève, un cacique du sionisme (il s'agissait du futur premier président de la République d'Israël, Chaïm Weizman) avait déclaré la guerre à l'Allemagne, (rien que çà), non pas au nom des Juifs de Palestine, ni même au nom du sionisme, mais au nom de l'ensemble du peuple juif... Le 21 août 1939, cette 'déclaration de guerre' fut rendue publique, ce qui permit aux nazis de dire, par la suite, que "les Juifs sont les fauteurs de guerre". Du point de vue de (notre) Beit-Tsvi, ceci traduisait avec éloquence la position égocentrique des sionistes, qui faisaient prévaloir en permanence leur propre point de vue sur celui de l'ensemble du peuple juif, se souciant (du sort) du peuple (juif), en réalité, comme d'une guigne...
La presse pro-sioniste obtempéra aux consignes de ses dirigeants, et même lorsque parurent dans les journaux, le 16 mars 1942 - en se fondant sur une lettre du commissaire national soviétique Molotov - les premiers témoignages d'exterminations massives de Juifs, après qu'eurent été perpétrés Babi Yar et d'autres massacres, dès le lendemain, 17 mars 1942, on pouvait lire dans les journaux hébreux publiés en Palestine, un démenti officiel, selon lequel les nouvelles faisant état de centaines de milliers de Juifs tués étaient 'des mensonges et des exagérations'. Molotov faisait état de 52 000 Juifs massacrés à Kiev : le journal sioniste 'Davar' reprend ses propos, avec une réserve d'importance : 'selon nos propres données, la majorité des personnes mortes à Kiev n'étaient absolument pas juives.' Dans d'autres journaux, on ne reprit pas non plus telles quelles les informations données par Molotov et on en avança d'autres, 'de première main', notamment : "à Kiev, ce sont en réalité 'seulement' un millier de Juifs qui ont été tués". Beit-Tsvi cite des dizaines de journaux sionistes, et dans tous, sans exception, revient le même leit-motiv : il n'y a pas connaissance d'un quelconque génocide ; tout cela, ce ne sont que des mensonges. "Il faut se garder de propager des rumeurs', écrivait, le lendemain, le journal Ha-Tsofé, 'le peuple d'Israël a déjà tellement de péchés sur le dos : inutile d'y ajouter le mensonge, par-dessus le marché !" Mais le coupable, ce n'était pas la presse, écrit Beit-Tsvi : la communauté juive de Palestine ne voulait pas entendre des nouvelles désagréables venues d'Europe. Alors, "toute une armée d'écrivains, de commentateurs, d'éditorialistes abreuva les lecteurs d'articles lénifiants et d'explications 'au tilleul'." Seule le mouvement d'opposition 'Brit Shalom', regroupant des partisans de la paix avec les Arabes, apporta foi à la missive de Molotov, mais personne ne l'écouta...
A la même époque, poursuit Beit-Tsvi, les dirigeants sionistes connaissaient quelle était la véritable situation. Ils savaient, mais cela ne les intéressait pas - et pas seulement en Palestine, mais, aussi bien, à Londres et à New York. Il ne fallait pas s'attendre à une quelconque sympathie de leur part : certains, comme Ben Gourion, n'avaient absolument rien à cirer des Juifs d'Europe, d'autres s'insurgeaient, suggérant que les Juifs "allaient à l'abattoir comme des moutons" et "ne se battaient pas comme l'auraient fait les héros légendaires des temps bibliques... "
Ce silence était motivé par des questions de gros sous. Beit-Tsvi raconte en détail comment les sionistes se sont opposés aux efforts visant à consacrer des moyens financiers importants de l'organisation sioniste (et donc du peuple juif) au sauvetage des Juifs (menacés).
Le 18 janvier 1943, les nouvelles au sujet des tueries de Juifs avaient pris une telle ampleur, sans commune mesure, qu'il était devenu impossible de les occulter et qu'il fallait en débattre. Au cours d'une réunion tenue par les dirigeants sionistes, la position qui l'emporta fut celle d'Yitzhak Grinbaum : ne pas donner un seul centime ('un kopek, écrit I. Shamir, ndt) pour le sauvetage des Juifs, et tout faire pour empêcher la collecte de moyens consacrés à cette fin. "Cela est dangereux pour le sionisme, nous ne pouvons pas donner de l'argent prélevé dans les caisses du mouvement sioniste (Keren Ga-esod) fût-ce pour sauver des Juifs. Nous aurions assez d'argent pour ce faire, mais nous devons garder ces moyens financiers pour notre (propre) lutte. Le sionisme passe avant tout : voilà quelle est notre réponse à ceux qui s'aviseraient de s'écarter de notre mission première afin de sauver les Juifs d'Europe". Au cours de la même séance (mémorable), Yitzhak Grinbaum était élu 'ministre du sauvetage des Juifs européens"...
Ainsi, le mouvement sioniste se tint pratiquement totalement à l'écart des tracas que représentait (pour lui) le sauvetage des gens en train de mourir. Beit-Tsvi cite des dizaines de déclarations et de procès-verbaux de l'époque : "En mai 1942, le chef des sionistes américains, Abba Hillel Silver, définit les deux missions fondamentales auxquelles les sionistes des Etats-Unis étaient confrontés : l'éducation nationale (nationaliste ?) et la popularisation de l'idée d'un état juif indépendant. Sur le sauvetage (des Juifs en cours d'extermination) : pas un mot. En octobre 1942, Ben Gourion définit les trois tâches fondamentales du sionisme : la lutte contre les entraves à l'immigration des Juifs (en Palestine), la constitution de forces armées juives et la création d'un Etat juif en Palestine, une fois la guerre terminée. Sur le sauvetage des Juifs (en cours d'extermination) : pas un mot."
Mais le mouvement sioniste ne se contenta pas d'être totalement indifférent à la (nécessité) de sauver les Juifs (menacés d'extermination) : il s'ingénia à faire échouer tous les plans de sauvetage (mis sur pied dans le cadre) de la conférence d'Evian. Beit-Tsvi consacre un chapitre entier de son livre à ce sabotage, et il démontre l'influence absolument illimitée des sionistes sur la grande presse ainsi que leur capacité à se rendre maîtres des opinions. La conférence d'Evian avait été convoquée en mars 1938 à l'initiative du président américain Roosevelt, afin d'aider les Juifs à quitter l'Allemagne, qui venait d'annexer l'Autriche. Au début, le monde juif manifesta un grand enthousiasme pour cette initiative et il baptisa même cette conférence "Conférence de la conscience mondiale". Le mouvement sioniste nourrissait l'espoir que la conférence accorderait la Palestine au peuplement juif, et qu'y serait prise une  résolution enjoignant à la Grande-Bretagne - puissance mandataire en Palestine - d'y accueillir les réfugiés juifs.
Mais tel ne fut pas le cas. La conférence d'Evian se consacra à l'élaboration de plans pour le sauvetage des Juifs, et non pas à un quelconque plan de peuplement de la Palestine. Tous les représentants des différents pays participant à la conférence évoquèrent la possibilité d'accueillir des réfugiés sur leur territoire respectif, et ils se gardèrent bien d'exercer une quelconque pression (forcément vexatoire) sur l'Angleterre. "C'est alors que l'avis des sionistes sur cette conférence changea du tout au tout, écrit Beit-Tsvi, - la colère prit la place de l'enthousiasme et les espoirs se métamorphosèrent en déception. L'intervention du dirigeant du mouvement sioniste mondial, Chaïm Weitzman, fut remarquée : "si la conférence ne se met pas d'accord sur la résolution du problème des Juifs une bonne fois pour toutes au moyen de leur transfert en Eretz Israël- inutile de se fatiguer." Immédiatement, toute la presse sioniste lança une campagne hystérique, écrivant : "nous sommes rejetés et personne ne nous réconforte : le monde a perdu toute conscience."
Mais les observateurs non-sionistes étaient optimistes : la conférence avait suscité l'espoir de voir tous les émigrants (juifs) potentiels admis dans les différents pays participants. Cet espoir était fondé, et c'est précisément la raison pour laquelle les sionistes s'ingénièrent de toutes leurs forces à le torpiller (avec succès). Beit-Tsvi cite la lettre d'un dirigeant sioniste, George Landauer à un de ses homologues, Stiven Weiz : "Ce que nous (sionistes) redoutons, par-dessus tout, c'est que la conférence (d'Evian) n'incite les organisations juives à rassembler des fonds afin de financer la réinstallation des réfugiés juifs (dans les pays participants), ce qui obérerait gravement notre propre collecte de fonds destinés à nos propres objectifs". Beit Tsvi résume les propos du chef des sionistes Haïm Weissman :  "Pour (financer) la venue des réfugiés juifs dans d'autres pays, il faudra beaucoup d'argent, ce qui signifie que les finances sionistes seront ruinées. Si la conférence est couronnée de succès (c'est-à-dire, si elle permet aux Juifs persécutés de s'enfuir de l'Allemagne nazie), elle portera un préjudice irrémédiable au sionisme. Ce qu'à Dieu ne plaise : que les pays participants à la conférence (d'Evian) proclament leur générosité et qu'ils invitent les Juifs d'Allemagne à venir se réfugier sur leurs territoires respectifs, et c'en serait fini du projet (sioniste) en Palestine : (il y aurait un éparpillement) entre (une multitude) d'autres pays d'accueil, les Juifs ne (nous) donneraient pas d'argent, et les Anglais n'accorderaient pas l'autorisation d'immigrer en Palestine !"
D'ailleurs, d'autres dirigeants du sionisme s'"intéressèrent" à l'idée de sauver les Juifs (à la conférence de la toute-puissance Agence Juive, tenue le 26 juin 1938) : Grinbaum évoqua l'"horrible danger d'Evian", et David Ben Gourion en personne déclara qu'en cas de succès, la conférence porterait un coup terrible au sionisme. La mission première des sionistes, ajouta-t-il, est de dénigrer la bonne image produite par la conférence et de s'efforcer de la saboter, de ne pas lui permettre d'adopter une résolution (exécutive).
C'est ce qu'ils firent : une délégation de sous-fifres se rendit à la conférence et, en substance, dissuada les délégués des autres pays, en leur sussurant : "mais pourquoi, grands dieux, avez-vous (absolument) besoin d'immigrants juifs chez vous, qu'allez-vous en faire ?"
L'histoire n'a conservé que le point de vue des sionistes. Mais il est certain qu'ils étaient fort dépités de voir que la conférence n'ait manifesté aucune velléité d'exercer des pressions sur la Grande-Bretagne et que le transfert des Juifs en Palestine n'ait pas prévalu. Les sionistes sabotèrent les tentatives déployées par tous les pays occidentaux en vue de sauver les Juifs (des persécutions) de l'Allemagne nazie : il était préférable qu'ils disparaissent à Dachau, plutôt qu'ils aillent dans un quelconque pays, autre, bien entendu que (le futur) Israël. Evidemment, à cette époque, en 1938, personne n'envisageait la possibilité d'une extermination de masse, néanmoins, lourde est la responsabilité des sionistes d'avoir saboté la conférence (d'Evian), contribuant ainsi, de manière objective, à ce que des milliers (de Juifs) soient exterminés. En réalité, les nazis voulaient seulement 'se débarrasser' des Juifs, les déporter : mais où ? Les Juifs d'Allemagne, à la notable différence de bien des Juifs soviétiques d'aujourd'hui, étaient patriotes et très attachés à leur pays : ils ne voulaient pas l'abandonner, même dans les pires épreuves. En dépit des lois de Nuremberg, des pogroms, de la discrimination, le nombre annuel des Juifs émigrant tomba, atteignant un étiage de 20 000 personnes. Au total, de 1933 à 1938, ce sont seulement 137 000 Juifs qui quittèrent l'Allemagne. Ce rythme, trop lent, à leurs yeux, irrita les nazis, désireux de se 'débarrasser' des Juifs au plus vite. La Conférence d'Evian avait pour objectif de résoudre ce problème : les Juifs chassés (d'Allemagne) devaient avoir où aller.
Il existait une possibilité de s'entendre : l'Allemagne avait accepté de ne pas chasser 200 000 Juifs âgés, et (en contre-partie) les autres pays étaient prêts à recevoir environ un demi-million de personnes sur une période de trois ou quatre ans. Parmi ceux-ci : les Etats-Unis (100 000) ; le Brésil (40 000) ; la République dominicaine (100 000), etc.. Beit-Tsvi relate en détail comment les sionistes ont fait échouer tous les plans d'émigration des Juifs, le plan Rabli comme les autres. Le futur ministre des Affaires étrangères israélien Israël Moshé Sharett (Tchertok), déclara, lors du comité de direction du mouvement sioniste, le 12 novembre 1938, (deux jours après la Nuit de Cristal, pogrom de masse de Juifs, en Allemagne) : "l'Agence juive ne doit pas être complice de l'émigration des Juifs vers d'autres pays." Yitzhak Grinbaum, 'ministre du sauvetage des Juifs' (rappelons-le...) s'exprima en des termes encore plus brutaux : "Il faut tout faire pour empêcher l'émigration organisée hors d'Allemagne et déclencher une guerre ouverte contre ce pays, sans se préoccuper du sort des Juifs allemands. Bien sûr, les Juifs d'Allemagne seront ceux qui paieront : mais que faire ?"
Beit-Tsvi considère la déclaration, par les sionistes, de la 'guerre contre l'Allemagne' comme une erreur funeste. Pour lui, tout était encore négociable, il était encore possible d'aplanir les tensions et ne pas s'engager dans l'engrenage (infernal) des blocus, boycott, isolement de l'Allemagne. Il aurait été possible, ce faisant, d'éviter que soient prises bien des mesures anti-juives.
Ainsi, les sionistes ont saboté toutes les tentatives déployées en vue de sauver des Juifs (en les mettant à l'abri) ailleurs qu'en Palestine. Les peuples du monde voulaient sauver les Juifs, mais pas sur les ruines des villages palestiniens, pas au prix du génocide des Palestiniens. Cela n'arrangeait pas les sionistes. Ils ont donc saboté le plan d'installation des fugitifs sur l'île de Mindanao, aux Philippines, solution à laquelle avait travaillé d'arrache-pied le président Roosevelt, ainsi que d'autres projets, en Guyane Britannique, en Australie, etc... Lorsque Chamberlain proposa de donner refuge et possibilité de s'installer aux réfugiés juifs au Tanganyka (aujourd'hui, la Tanzanie, en Afrique orientale), le dirigeant des sionistes d'Amérique, Steven Weiss, poussa des hauts-cris : "Puissent mes frères juifs d'Allemagne mourir, plutôt qu'aller vivre dans les anciennes colonies allemandes". Certes, Weiss n'imaginait pas que la mort attendait déjà, bel et bien, les Juifs d'Allemagne : pour lui, tout cela n'était que des 'on-dit'...
Mais, même par la suite, écrit Beit-Tsvi, les sionistes s'en prirent durement au peuple juif. Ainsi, en avril 1942, alors que les nouvelles de l'extermination des Juifs s'étaient déjà largement répandues à travers le monde, le 'ministre des affaires étrangères' du mouvement sioniste déclara : "il ne faut pas perdre notre temps à sauver des Juifs, s'ils ne sont pas destinés à immigrer en Palestine." A la même époque, Chaïm Weissman est 'heureux' de constater qu'on n'ait pu trouver de refuge pour les Juifs. Le chef du mouvement sioniste américain, Steven Weiss, donna l'ordre qu'on arrêtât d'envoyer des colis alimentaires aux Juifs qui étaient en train de mourir de faim dans le ghetto de Varsovie...
Beit-Tsvi analyse dans le détail la proposition du président de la République Dominicaine, Trujillo, consistant à accueillir 100 000 réfugiés juifs (afin d'accroître la population blanche, introduire des capitaux et améliorer les relations de la République avec les Etats-Unis). Et même là, (à l'autre bout du monde), les sionistes se chargèrent de la faire échouer. Quelques dizaines de familles, seulement, vinrent s'installer à Saint-Domingue. La voie fut barrée aux autres par les efforts déployés par l'organisation sioniste dans tous les domaines : les financiers ne donnèrent pas d'argent, les moralistes avertirent qu'à Saint-Domingue, les Noirs étaient opprimés, les puristes écrirent que là-bas, les mariages mixtes étaient pratiquement inévitables... Si bien qu'au début 1943, Chaïm Weissman put dire avec une satisfaction évidente que ce plan était définitivement enterré...
Un des récits les plus cauchemardesques, dans le livre de Beit-Tsvi, a trait aux navires "Patria" et "Struma". Durant des années, voire des décennies, la propagande sioniste a raconté que les réfugiés Juifs à bord de ces deux bateaux avaient préféré mourir, après qu'on leur eût interdit de débarquer dans ce qui allait devenir Israël et qu'ils avaient décidé de se faire sauter. La propagande sioniste la plus haineuse accusa les Anglais de tout et n'importe quoi, jusques et y compris d'avoir soi-disant miné le "Patria" et torpillé le "Struma". Les paroles de Ben Gourion, en mai 1942, avaient été prises au pied de la lettre : "Israël ou la mort". Ceci signifiait en fait que les sionistes ne laissaient aux Juifs d'Europe d'autre choix que de mourir ou d'immigrer (en Palestine).
A bord du "Patria", il y avait pas moins de deux mille fugitifs, pour l'essentiel des Juifs de Tchécoslovaquie et d'Allemagne, le navire mouillait au port de Haïfa, en novembre 1940, avant de mettre le cap vers l'île de Mavriki. L'Angleterre, puissance exerçant la souveraineté en Palestine, ne pouvait laisser entrer un tel nombre d'immigrants illégaux contre la volonté du peuple palestinien, mais elle ne voulait pas, pour autant, que les Juifs mourûssent, c'est pourquoi elle décida de déporter les réfugiés sur une île de l'Océan indien, en attendant la fin de la guerre. Mais le commandement de la Hagana, organisation illégale de combattants juifs, qui deviendra par la suite l'armée israélienne, décida d'empêcher par tous les moyens cette 'déportation' (terme plus approprié : transfert), et à cette fin, elle recourut aux mines pour couler le "Patria". La décision avait été approuvée par le 'ministre des affaires étrangères' de la communauté juive Tchertok-Sharett, en réponse à la proposition de Shaul Avigur, qui dirigera plus tard les services secrets israéliens. Meir Mardor installa la mine dans la cale du bateau, et déclencha l'explosion à environ neuf heures du matin. Le vaisseau coula en une dizaine de minutes, entraînant dans la mort deux cent cinquante fugitifs.
Sans un enchaînement de circonstances, il y aurait eu encore plus de victimes. La Hagana voulait utiliser une mine beaucoup plus puissante, mais elle ne put l'acheminer à bord du "Patria", à cause de la surveillance intensive du port par l'armée anglaise. Ils ne purent pas non plus faire exploser la mine en pleine nuit, sinon il n'y aurait eu vraisemblablement aucun survivant. "En respect de la solidarité nationale, les (sionistes) opposés à cette mesure gardèrent le silence", écrit Beit-Tsvi, même lorsque les sionistes essayèrent d'en faire retomber la responsabilité sur... les Anglais, qui avaient sauvé avec une abnégation incroyable les (malheureux) passagers du "Patria"...
On ne connaît pas avec précision le sort du "Struma", car il y eut un seul rescapé. Mais Beit-Tsvi pense que dans ce cas là, aussi, le sabotage est hautement probable. (De nos jours, on raconte généralement que ce navire aurait été torpillé par erreur par un sous-marin soviétique...). La direction sioniste prit très calmement la nouvelle de la disparition tragique des réfugiés du "Patria" : "Ils ne sont pas morts en vain", déclara Eliahu Golomb. Toutefois, il convient de préciser qu'il ne s'agissait pas de leur belle mort, mais qu'on les avait 'fortement aidés' à mourir. "Le jour (de la déportation des réfugiés) à bord de l'"Atlantique", ajouta le même, traduisant scrupuleusement le crédo sioniste, fut plus noir encore que celui où moururent les réfugiés du "Patria". Mieux vaut, tout compte fait, que les Juifs meurent, si on ne peut les importer en Israël."
Beit-Tsvi retrace ensuite les efforts déployés par les Juifs orthodoxes américains, en octobre 1943, auprès du président Roosevelt et à Washington, afin de solliciter de l'aide en vue de sauver les Juifs d'Europe en danger de mort. Ces efforts furent sabotés par les sionistes, qui firent tout pour dissuader Roosevelt de recevoir la délégation des Juifs orthodoxes, afin de n'avoir à partager avec nul autre l'influence et la confiance dont ils jouissaient auprès du président américain.
C'est poussé par des événements plus contemporains que Beit-Tsvi s'est attelé à l'écriture de son ouvrage, en 1975. A cette époque, Israël et l'establishment sioniste menaient une guerre acharnée pour l'ouverture des portes de l'Amérique aux Juifs soviétiques candidats à l'émigration ; guerre qui ne fut finalement couronnée de succès qu'en octobre 1989. Comme aux jours de la seconde guerre mondiale, les sionistes déniaient aux Juifs le droit de choisir : ils devaient obligatoirement venir vivre en Israël. A cette fin, ils ne reculaient devant absolument rien : ni devant l'attisement des braises de l'antisémitisme dans des pays où vivaient des communautés juives, ni devant le harcèlement des états qui se seraient montrés enclins à accueillir des émigrants juifs sur leur territoire...
Ce court article aura deux conclusions. Le premier sera consacré au problème plus général de la relations historique entre les sionistes et les nazis. Le sionisme, en particulier son aile droitière (celle qui gouverne, actuellement, en Israël) a toujours su trouver un terrain d'entente avec le fascisme. Au cours des dernières décennies, cela s'est manifesté à travers l'assistance militaire et technologique apportée par Israël aux régimes militaro-fascistes d'Amérique Latine, du chilien Pinochet jusqu'aux coupe-jarrets du Salvador, ou, un peu avant, son union d'action avec Jacques Soustelle et l'OAS, qui fut à l'origine du divorce entre les sionistes et la France de de Gaulle. Notons que jusqu'à la seconde guerre mondiale, les membres des organisations sionistes de droite étaient des admirateurs de Mussolini, auquel ils avaient offert leur assistance dans sa guerre contre l'Angleterre.
Avec les nazis d'Hitler, les sionistes ne trouvèrent pas de terrain d'entente, et l'histoire n'a pas encore établi l'existence éventuelle de contacts entre les sionistes et les hitlériens, à la notable exception des exploits célèbres de Kastner et Brand, deux émissaires sionistes en Hongrie, qui passaient du bon temps en compagnie d'Eichman et Vislitsen. Et bien qu'ils aient fait objectivement le jeu des nazis, en convenant avec eux de passer sous silence l'extermination des Juifs de Hongrie, en échange de promesses mensongères d'Eichman et de nombreuses autorisations de sorties pour leurs proches, ils ne se sentaient pas, bien entendu, subjectivement nazis. Dans les années soixante, le Dr Kastner intenta un procès contre un journaliste israélien qui l'avait démasqué et dénoncé, mais le procès ne fit que confirmer la véridicité de cette dénonciation et un Juif hongrois le dessouda en pleine rue. (L'affaire Kastner donna la trame d'une pièce anglaise qui fit sensation. Cette pièce prenait pour cadre le ghetto. Elle suscita des débats judiciaires en Angleterre, où elle fut interdite de scène finalement, sous la pression des sionistes. Elle ne put être que publiée, et encore, "à compte d'auteur"...
Toutefois, ce dont Beit-Tsvi accuse les sionistes, c'est d'indifférence envers les victimes, et (certainement) pas de liens directs avec les nazis, liens dont certains propagandistes de l'antisionisme soutiennent qu'ils ont existé.
Le seconde conclusion a trait à l'histoire des Juifs d'Irak, qui démontre que même durant les années d'après-guerre, les sionistes n'ont reculé devant rien afin d'atteindre leurs buts et n'ont pas épargné 'leur propre peuple'. Cette histoire est décrite en détail par un journaliste israélien célèbre, du nom de Tom Segev, dans son ouvrage intitulé "1949", auquel il faut ajouter le livre "Le Fusil et le rameau d'olivier ", écrit par le correspondant au Moyen-Orient du journal britannique 'Guardian', David Cherst (éditions Faber & Faber, 1977).
L'émigration en masse des Juifs d'Irak avait été obtenue par le recours à une escalade d'explosions de plus en plus puissantes dans les synagogues de Bagdad. Avec le temps, il s'avéra que les attentats étaient réalisés par des agents des services de renseignement israéliens. Un autre facteur puissant avait été une campagne de communiqués incessants publiés dans la presse américaine pro-sioniste au sujet "des pogroms menaçants" en Irak (cela évoque puissamment les discours sur les pogroms imminents, en Russie, en 1990 !). Sasson Kadduri, grand rabbin d'Irak, a écrit dans ses mémoires : "Vers la mi-1949, une guerre de communiqués se déchaîna en Amérique, et ce n'était pas une plaisanterie. Les dollars américains devaient sauver les Juifs irakiens, sans égard à la question de savoir s'ils avaient besoin d'être sauvés... Tous les jours, il y avait des pogroms, certes, mais... uniquement dans les pages du New York Times, dans les dépêches provenant de Tel Aviv ! Pourquoi ne nous a-t-on jamais rien demandé ? Nous leur aurions dit, nous ! En Irak, des agents sionistes commencèrent à se manifester, suscitant des tensions dans le pays et promettant monts et merveilles aux Juifs irakiens. Des efforts en vue d'obtenir l'autorisation d'une émigration massive commencèrent à être déployés, on commença aussi à accuser le gouvernement irakien de 'persécuter les Juifs'.
Finalement, sous la pression des manifestations et du boycott commercial, le gouvernement irakien capitula et publia un décret autorisant une émigration massive des Juifs, ce qui revenait pratiquement à les chasser du pays. Inutile de dire qu'en Israël, les Juifs irakiens ne trouvèrent pas les merveilles qu'on leur avait fait miroiter, mais une situation sociale difficile." Ainsi, le sionisme avait démontré, une fois de plus, son visage brutal, conclut David Cherst.
Ainsi, il est toujours intéressant de se remémorer l'histoire, en ces journées de juin, et il est encore beaucoup plus important encore de rafraîchir la mémoire de ceux qui auraient une (fâcheuse) tendance à l'oublier...
                                           
3. Lettre aux aveugles des Temps Modernes par Vincent Mespoulet
[Vincent Mespoulet est professeur d'histoire-géographie à Manosque. Il est spécialiste des Technologies de l'Information et de la Communication dans l'Enseignement. Créateur de la liste de diffusion ecjs (Education Civique Juridique et Sociale), il a été formateur associé à l'IUFM d'Aix-en-Provence.]
Depuis plusieurs mois, les membres du comité de rédaction de la revue Les Temps Modernes se livrent à une offensive éditoriale généralisée, faite essentiellement de prises de position en apparence très diverses, relayée et diffusée en général dans les colonnes Horizons du Monde et les pages Rebonds de Libération. En médiologues avertis, ils ont parfaitement assimilé les règles du  débat médiatique, à coup d'invectives, d'anathèmes et d'amalgames sur fond de polémique.
Qu'il s'agisse de la mémoire de la Shoah, du négationnisme via son retraitement islamiste, du conflit israélo-palestinien, de l'avenir de l'école républicaine, de l'internet, de l'émergence en France de mouvements sociaux autour d'Attac ou de syndicats alternatifs (Confédération Paysanne, Groupe des Dix), l'équipe des Temps Modernes fait preuve d'une belle vitalité critique. La dernière cible en date (et peut-être la goutte d'eau qui fait déborder le vase de cette logorrhée) est l'appel des 123. L'article de Robert Redeker sur la cécité volontaire des intellectuels signataires, paru dans le Monde du 22 novembre dernier, vient ponctuer dangereusement une série d'interventions précédentes d'une autre membre des Temps Modernes, Liliane Kandel, qui avait suivi elle même une autre contribution de Claude Lanzmann. Ce qui pousse à réagir, ce n'est pas tant le caractère grotesque et difficilement acceptable de la démonisation de l'Islam proposée par l'auteur de l'article et de l'assimilation ignoble des signataires à des adeptes du pacifisme intégral comprenant les analogies douteuses avec l'esprit munichois d'avant-guerre, que les ravages provoqués par ce genre de propos, dans le milieu enseignant notamment. Le dévoiement du  pro-israélisme traditionnel des Temps Modernes qui se transforme à l'occasion des bouleversements consécutifs au 11 septembre en un véritable haro sur l'Islam a des répercussions insoupçonnées et préoccupantes. Ainsi, à titre d'exemple, un professeur de philosophie, assesseur au Tribunal pour Enfants de Périgueux, en vient à parler de " délinquance musulmane ", sur une liste de diffusion pédagogique regroupant plusieurs centaines de professeurs d'histoire-géographie, de philosophie et de sciences économiques et sociales, dans une association des termes tendancieuse voire délictueuse...
En fait, il existe une cohérence profonde dans cette avalanche de polémiques suscitées par l'équipe des Temps Modernes, qu'il convient de décrypter avant d'en proposer une interprétation.
Il y a un an environ, toujours dans les colonnes du Monde, Claude Lanzmann et son équipe avaient fustigé Georges Bensoussan, historien reconnu de la Shoah, qui effectue un travail remarquable au Centre de Documentation Juive Contemporaine en direction de certain Instituts Universitaires de Formation des Maîtres pour donner aux professeurs d'histoire-géographie, de lettres et de philosophie un matériau conceptuel et scientifique basé sur le renouvellement historiographique de la question. Or, pour Claude Lanzmann, " Shoah " est une marque de fabrique. Il ne lui suffisait pas de réaliser un chef-d'œuvre unanimement reconnu ; il lui a fallu, avec succès d'ailleurs, imposer mondialement le terme de " Shoah "  pour désigner la destruction des juifs d'Europe pendant la Seconde Guerre Mondiale, ensuite en revendiquer le monopole exclusif. Autant la substitution de Shoah  à  Holocauste  a été salutaire vu la détestable connotation sacrificielle de ce terme essentiellement anglo-saxon, autant désormais Shoah , par l'appropriation rageuse qu'en exige Claude Lanzmann, devient à son tour un mot qui obscurcit le sens historique qu'il convient de donner à cet événement. D'où la critique, parfois excessive, qui est faite en retour de voir en Claude Lanzmann un " théologien de la Shoah ". Là non plus, ce n'est pas le desbat médiatique qui nous interroge, mais bien plutôt ses incidences : le danger provient de la volonté nettement affirmée par Claude Lanzmann de faire de son film le pivot incontournable de l'enseignement de la Shoah au sein de l'Education Nationale, d'où la véhémence du discours très homogène des Temps Modernes où la destruction des juifs d'Europe doit être traitée de façon univoque philosophiquement, et non historiquement.
En ce qui concerne le négationnisme, c'est le documentaire réalisé par le sociologue Jacques Tarnéro, intitulé  Autopsie d'un mensonge, qui a servi récemment de pivot au discours lanzmannien de l'équipe des Temps Modernes. Dans ce documentaire, la complaisance avec laquelle l'auteur a reproduit le discours dominant de l'internet-poubelle  est particulièrement évocatrice. En filmant (sans évidemment livrer les clés de compréhension au public) les  écrans du principal site-portail islamiste et négationniste  francophone d'un Marocain réfugié politique en Suède, Ahmed Rami, images susceptibles de scandaliser et donc d'attirer le chaland, Jacques Tarnéro a pris comme Robert Redeker le risque de faire l'amalgame entre Islam et islamisme. En n'interviewant quasiment que des membres de l'équipe des Temps Modernes (Lanzmann, Redeker) ou leur
relais très contestable dans l'Education Nationale (Jean-François Forges, auteur d'un curieux Eduquer contre Auschwitz, il a proposé une version encore très univoque du problème qu'il prétendait soulever. Or ce qu'il convient de savoir, c'est que le site raciste et négationniste d'Ahmed Rami a pu être fermé grâce au courage de quelques informaticiens pionniers du web conscients du problème, avec l'appui de Pierre Vidal-Naquet (un des " 123 " signataires), de Nadine Fresco, de Valérie igounet, tou(te)s historien(ne)s dont les travaux sont incontestables, en faisant jouer auprès de l'hébergeur la violation illicite du droit d'auteur dont étaient victimes ces historiens. En passant, c'est la participation avérée de Serge Thion à ce site, qui a aussi joué un grand rôle dans la révocation du CNRS de ce "  chercheur " dont l'anticolonialisme a conduit à des formes extrêmes d'antisionisme, puis d'antijudaïsme. On l'aura compris, d'un côté il y a les boutefeux hystériques qui occupent le champ médiatique pour crier " au loup " et trouver une tribune et un écho disproportionné à l'insignifiance de leur propos, de l'autre des acteurs discrets de l'internet qui loin du battage insensé provoqué par l'affaire Yahoo ont agi avec succès pour éliminer un site qui contrevenait aux lois françaises de la liberté d'expression et du droit d'auteur.
Car l'un des combats des rédacteurs des Temps Modernes, aidés en cela par des alliés de circonstance, tels Alain Finkielkraut, consiste à vomir indistinctement sur les Technologies de l'Information et de la Communication (TIC). Prolongeant et dénaturant les critiques désormais bien connues de Virilio et de Wolton, il s'agit d'assimiler cette technologie à un vulgaire tuyau où l'instantanéité et la désinformation discréditent à l'avance tout usage de ce medium. Ces critiques, souvent justifiées, dépassent leur objet par le goût totalitaire de l'anathème, quand elles sont manipulées par des intellectuels dont la réflexion est sur le sujet très lacunaire. Un petit livre fort bien fait de Mona Chollet La guerre de l'internet, journaliste à Charlie Hebdo avait pourtant le mérite de présenter clairement les termes du débat. Las ! Les déclarations tonitruantes et univoques des intellectuels médiatisés empêchent encore une fois de faire entendre les contre-discours nécessaires pour sortir définitivement du faux-débat opposants techno-béats et technophobes.
Le dernier terrain à examiner, et qui a une importance considérable en cette année pré-électorale est celui de l'Ecole. Nous retrouvons les mêmes acteurs, Robert Redeker ; Alain Finkielkraut et parfois les mêmes thèmes, comme dans le Une voix vient de l'autre rive de ce dernier. Cette fois, il s'agit de faire obstacle aux nécessaires réformes de l'Education Nationale. Là aussi, le succès a été garanti puisque, devant le succès populiste du néologisme pédagogo  inventé par Finkielkraut  et la bronca organisée contre Meirieu,  Jack Lang a reculé sur tous les fronts : nouveaux programmes  de philosophie stoppés, réforme des IUFM reculée, réforme des collèges bâclée, introduction ratée des Technologies de l'Information et de la Communication dans l'Enseignement (Tice) par l'immixtion de la sphère marchande dont le récent Salon de l'Education présente une caricature effrayante. Tout part de la confusion mentale générée par le mouvement anti-Allègre qui a mélangé allègrement les discours oppositionnels légitimes de la base des enseignants ayant débordé les syndicats, les discours réactionnaires des antipédagogistes réunis le plus souvent dans des associations telles que  Sauver les Lettres   ou  Reconstruire l'Ecole  animé par un professeur de philosophie, René Chiche, et les discours novateurs proposés par des enseignants soucieux de changer l'Ecole mais pas à la sauce Allègre. Là aussi, les critiques se sont concentrées sur les Tice et sur les nouveaux objets d'enseignement introduits dans l'enseignement secondaire (mise en place de l'Education Civique, Juridique et Sociale qui est une véritable ouverture à la citoyenneté et à la chose politique, des Travaux Personnels Encadrés dans les lycées)  susceptibles de favoriser la codisciplinarité et de décloisonner les savoirs strictement disciplinaires, qui sont les véritables obstacles sur lesquels bute toute velléité de réforme. Le même procédé aveugle d'amalgame a pu se donner libre cours : ainsi, par exemple, l'action de l'Aped (Appel Pour une Ecole Démocratique) impulsée par le syndicaliste belge Nico Hirtt, qui propose une critique fine et intelligente de la marchandisation et de la privatisation de l'Ecole au niveau européen via les TIC, est détournée de son but pour servir la cause de la vision de l'Ecole la plus régressive qui soit, proposée par Robert Redeker dans de nombreux textes disponibles, ô ironie, sur... l'internet !
Comment trouver alors une cohérence dans ce champ multiple d'interventions ? Il y a plusieurs pistes à proposer. Le point commun réside sans doute dans cette méthode si particulière de s'approprier le terrain critique. Appropriation de la Shoah, confiscation de l'éducation civique que ces tenants de la morale civique version IIIème République souhaitent réserver aux professeurs de philosophie, appropriation de l'expression d'  " Ecole de  la République ", comme si ces intellectuels en étaient les détenteurs exclusifs. Vision a-historique des événements tragiques qui secouent le monde. Ce qui est patent, c'est le monopole de la médiatisation concentrée dans les mains de la corporation des philosophes. La nature ayant horreur du vide, l'absence de répondant de la part d'intellectuels des autres champs du savoir en est responsable. Pourquoi n'entend-on pas par exemple le sociologue Olivier Roy s'exprimer sur le Moyen-Orient et ses bouleversements, réfuter les amalgames qui font naître dans l'opinion les pires des fantasmes ? Comment se fait-il que le politologue Alain Dieckhoff  ne soit pas plus sollicité pour dissocier clairement sionisme et israélisme ? Pourquoi Michel Warshawski, citoyen israélien,  n'a-t-il pas l'occasion d'exprimer son point de vue sur la construction d'un Etat binational à l'heure où Ariel Sharon massacre les Palestiniens  dans l'indifférence générale ? Les spécialistes de la pédagogie et de la didactique sont-ils muselés et affaiblis au point de ne plus réagir à ces incantations antipédagogistes primaires, répétées jusqu'à la nausée et répercutées dans la presse faisant de la " pédagogie " un gros mot, caricaturant les apports de chacun en fabriquant artificiellement deux camps opposés, celui des détenteurs d'un savoir versus celui des pédagolâtres ignares ? Il y a derrière cette entreprise de déconstruction systématique de la pluralité des points de vue quelque chose de plus inquiétant qui se profile à l'horizon : la matrice idéologique de ce mouvement se lit dans la mésinterprétation d'un livre excellent de Pierre-André Taguieff, L'effacement de l'avenir, un monument d'érudition où se concentre la critique de la notion de Progrès issue des Lumières. Dans le travestissement systématique des idées qui s'opère au sein de l'équipe rédactionnelle des Temps Modernes, le " bougisme " dénoncé à juste titre par Taguieff devient l'éloge de l'immobilisme, voire de la régression. Comme la plupart de ces intellectuels sont en train, par désespoir ou par défaut, de se rallier derrière la candidature de Jean-Pierre Chevènement, on peut se demander, si la recherche du  troisième homme  susceptible d'animer médiatiquement la non-campagne présidentielle ne va pas se transformer dans la promotion d'une idéologie de troisième voie, rassemblant les souverainistes de gauche et les éléments les plus réactionnaires de la droite musclée, dans une recomposition contre-nature dont la France a déjà connu plusieurs accès au cours de son histoire contemporaine.
                       
4. Le joueur par Uri Avnery
1er décembre 2001 - Anthony Zini a adressé une requête à Ariel Sharon : S'il vous plaît, arrêtez d'étendre les colonies. Au moins pour un certain temps. Est-ce que ça vous dérange ?
Zinni est un général américain venant des Marines dont la façon de penser est stricte et logique. Il est difficile pour lui de comprendre pourquoi Sharon n'accède pas à cette demande. A quoi cela rime-t-il ? Quelques maisons ici et là. Cela vaut-il la peine de tuer tant d'êtres humains, tant d'enfants, Israéliens et Palestiniens, juste pour cela ? Quelle est cette folie ?
D'autant plus que la vie des colons eux-mêmes s'est transformée en enfer. Ils ne peuvent plus se déplacer sans risquer leur vie. Les colonies sont devenues leur prison. Le monde est bouleversé quand un kamikaze se fait sauter à Tel-Aviv, mais il ne l'est pas quand les colons se font tirer dessus. Ils sont considérés comme partie intégrante de l'occupation et par conséquent comme des cibles légitimes pour la résistance du peuple occupé.
De très nombreux colons - peut-être la majorité - seraient sans aucun doute plus que désireux de retourner en Israël maintenant. Ceux qui cherchaient une " qualité de vie " dans un paysage pittoresque, et se sont rendu compte que le paysage pittoresque engendre principalement des kamikazes désespérés, rêvent maintenant d'une maison tranquille à Ra'anana, la banlieue riche près de Tel-Aviv. Mais à qui vendre une villa avec des tuiles rouges et un beau jardin qui peut à tout moment être atteinte par un obus de mortier ? Seul le gouvernement peut acheter, et le gouvernement ne le veut pas.
C'est plus facile pour les entreprises industrielles. Leurs propriétaires ont été incités par les gouvernement successifs (y compris ceux de Rabin, Pérès et particulièrement Barak) à vendre leurs installations coûteuses dans les villes et à acquérir à la place, pour presque rien, des terrains dans les zones industrielles des colonies où ils pourraient exploiter le travail palestinien à bon marché. Pas de salaire minimum, pas de charges sociales. Les propriétaires ont aussi bénéficié de toutes sortes de subventions, d'exemptions fiscales, etc. Maintenant ils s'esquivent, tranquillement, l'un après l'autre. Fournisseurs, conducteurs, techniciens ne viennent plus dans ces endroits. Contrairement aux combattants du Hamas, ils ne sont pas candidats au suicide.
Tout ceci est bien connu des conseillers du général Zinni. Ils ont de bons yeux qui regardent des cieux. Par conséquent, ils ne comprennent pas, avec leur simple bon sens américain, pourquoi Sharon est si obstiné.
Ils comprennent, évidemment, qu'il y a des pressions politiques. Les Américains comprennent les pressions politiques, après tout. Eux aussi en subissent. Sharon doit tenir compte de ses partenaires d'extrême droite et aussi du lobby des colons fanatiques. Mais ceci n'explique pas l'intransigeance de son opposition. Alors qu'en est-il au fond ?
Il vaudrait la peine pour le général Zinni (comme pour ses prédécesseurs et ses successeurs) d'étudier un peu d'histoire sioniste. Ils découvriraient que les colonies font partie du code génétique du mouvement depuis le jour où il est né, il y a 104 ans. En fait, depuis le commencement, quand l'ovule juif a été fécondé par le sperme nationaliste européen.
Ce code génétique demande au mouvement de s'installer dans tout le pays pour en faire une patrie sioniste. Il a commencé lentement, " mètre carré après mètre carré ". Le rythme s'est accéléré au cours des années 30. Pendant la guerre de 1948, dans laquelle les colonies ont joué un rôle important, Israël a conquis 78% du pays. Après cela, quelque 500 villages arabes ont été rasés et des colonies ont été construites à leur place. Aussitôt ce travail terminé, la guerre de 1967 a été déclenchée ; Israël a conquis le reste de la Palestine et a commencé tout de suite à y implanter des colonies. Quel que fût le pouvoir - les Travaillistes ou le Likoud, Begin ou Peres, Netanyahou ou Barak - l'activité de colonisation a continué sans répit.
Les Goys peuvent dire ce qu'ils veulent - que les colonies sont immorales, un obstacle à la paix, illégales, et en fin de compte qu'elles sont un crime de guerre. Mais l'action continue. Dans l'année au cours de laquelle Barak a négocié la " fin du conflit ", l'activité de construction de colonies a atteint un niveau inégalé jusqu'alors.
Sharon est fils de colon, il a été élevé dans une colonie, les colonies sont l'essence même de sa vie. Tout au long de sa carrière en dents de scie, quel que soit son emploi à un moment donné, il a consacré son énergie d'abord et avant tout à la construction de colonies. Mais même s'il avait été le fils de nouveaux immigrants du Maroc, il aurait fait la même chose. Parce que le mouvement de colonisation n'est pas une affaire personnelle, il est dicté par le code génétique collectif.
S'il n'y avait eu aucune résistance, le mouvement de colonisation aurait continué jusqu'à ce que toute la Cisjordanie et la Bande de Gaza soient couvertes de colonies jusqu'au dernier mètre carré. A partir de là, il se serait propagé à l'est du Grand Israël, " Eastern Eretz Israël " (comme la Jordanie est appelée dans les cours de géographie), et même à tous les autres pays voisins qui sont inclus dans la promesse généreuse faite par Dieu dans la Bible. L'armée aurait conquis, les colons se seraient installés.
Cela n'arrivera pas, car l'action provoque la réaction. Le mouvement irrépressible rencontre un objet inamovible : le peuple palestinien. La guerre entre les deux peuples a atteint maintenant un niveau inégalé au cours des 104 dernières années (sauf, peut-être, en 1948). La poursuite de l'activité de colonisation peut provoquer un désastre pour l'entreprise dans son ensemble.
La littérature classique connaît le personnage du joueur invétéré. Il a un jour de chance, il gagne et gagne, un immense tas de jetons s'accumule devant lui. Il pourrait s'arrêter à tout moment, changer ses jetons contre de l'argent et vivre heureux avec.
Il pourrait, mais il ne le peut pas. La passion ne le quitte pas. Il continue à jouer, perd et perd, jusqu'à ce que son dernier jeton soit ramassé par le croupier.
Dans les histoires classiques, le joueur se lève, blanc comme un linge, titube vers la porte, met un revolver sur sa tempe et se tue.
La question est de savoir si nous sommes condamnés à agir comme lui ou à nous dire : ça suffit ! Nous changeons notre code génétique. Il est temps de changer le code en implantant un nouveau gêne de vie saine, débarrassé de tout vice ancien. Rendons les colonies au-delà de la Ligne verte aux réfugiés palestiniens et ramenons les colons sains et saufs en Israël.
Voilà l'histoire, mon général. C'est tout notre problème. Mais peut-être pouvez-vous nous aider un peu, mon général.
                                                       
Revue de presse

                                     
1. La FIDH soutient la plainte déposée contre Ariel Sharon en Belgique par Sylvain Cypel
in Le Monde du dimanche 2 décembre 2001

LA FÉDÉRATION internationale des droits de l'homme (FIDH) a étudié, l'été dernier, l'éventualité de se joindre à la plainte déposée, à Bruxelles, contre le premier ministre israélien, Ariel Sharon, par vingt-trois survivants ou membres de familles de disparus du massacre de Sabra et Chatila, à Beyrouth, en septembre 1982. M. Sharon était alors ministre israélien de la défense. La FIDH a finalement décidé de ne pas s'y associer, à cause des écueils juridiques qu'une telle action aurait dû surmonter en Belgique.     
Comme pour bien signifier que l'attitude de la FIDH n'était dictée par aucun autre motif, Me Patrick Baudouin, son président d'honneur, a indiqué, lors d'une conférence de presse, vendredi 30 novembre, qu'il apportait "tout son soutien" à la plainte contre M. Sharon, la FIDH étant "engagée depuis longtemps dans la lutte contre l'impunité".
"L'EXEMPLARITÉ BELGE"
Répondant implicitement à Ariel Sharon, qui avait estimé que le procès concernait "le peuple juif tout entier", Me Baudouin a indiqué que, malgré "l'émotion"soulevée par l'affaire, il était essentiel de s'en tenir à ses seuls aspects juridiques. "C'est un homme qui est poursuivi, (...) ce n'est pas le peuple israélien", a-t-il déclaré, citant en exemple les poursuites engagées à titre individuel par d'autres juridictions contre des chefs d'Etat, tels le Yougoslave Slobodan Milosevic ou le Tchadien Hissène Habré.
A ceux qui cherchent à faire amender ou abroger la loi belge de 1993 portant sur la "compétence universelle" de ses tribunaux, ou ceux qui craignent, au vu de la trentaine d'actions intentées en Belgique depuis que celle contre Ariel Sharon a été jugée recevable, que les tribunaux soient vite incapables de faire face à un afflux de plaintes, le président de la FIDH a rétorqué qu'il fallait au contraire applaudir à "l'exemplarité de la Belgique" et exiger des autres Etats membres de l'Union européenne qu'ils adoptent une loi similaire, afin de pouvoir juger tout auteur présumé de "crimes de guerre", de "crimes contre l'humanité"ou d'actes de "génocide". Récusant l'argument parfois entendu de "partialité politique"de la plainte, qui se concentre sur Ariel Sharon alors que les exécutants libanais présumés du massacre de Sabra et Chatila (Elias Hobeika, principal agent de liaison avec les Israéliens, ainsi que les chefs des milices chrétiennes, Emile Id, Michel Zouein, Dib Anastase, Maroun Michalani et d'autres) ne sont pas spécifiquement désignés par les plaignants, leur défenseur, Me Luc Walleyme, a rappelé que la plainte était déposée contre "Ariel Sharon, -le général israélien- Amos Yaron et autres", sans limitation. Il a ajouté qu'au vu des preuves amassées les plaignants se sont, il y a deux semaines, "constitués partie civile" contre Elias Hobeika (qui fut ministre au Liban de 1991 à 1998). Autre défenseur, Me Michael Verhaeghe a dévoilé avoir reçu "de source anonyme, mais sans doute de l'intérieur, copie de documents et de notes du Mossad -services de renseignement israélien- qui font ressortir" le contrôle qu'exerçait l'armée israélienne sur les milices chrétiennes "avant, pendant et après le massacre" et rendent le système de défense d'Ariel Sharon "pas crédible".
Me Baudouin et les avocats belges ont enfin exprimé l'espoir que l'enquête judiciaire sur les responsabilités d'Ariel Sharon permettrait de faire toute la lumière sur les "disparus" des camps de Sabra et Chatila. Hormis 800 victimes identifiées, le sort de 1 000 à 2 000 réfugiés du camp n'a jamais été élucidé. La chambre de mise en accusation de Bruxelles devrait prononcer le 23 janvier 2002 son arrêt sur la validité de l'instruction (les défenseurs d'Ariel Sharon invoquent à la fois l'immunité et la prescription des faits) et l'ouverture d'une enquête sur les responsabilités dans ce massacre.
                                                  
2. Une délégation française prise dans une fusillade à Gaza par Nidal al Moughrabi
Dépêche de l'agence Reuters du vendredi 30 novembre 2001, 19h00

GAZA - Des membres d'une délégation française de 155 élus locaux et intellectuels sympathisants de la cause palestinienne accusent l'armée israélienne d'avoir tenté de les intimider par des tirs au moment où ils visitaient le camp de réfugiés de Khan Younès, à Gaza.
Un porte-parole de Tsahal a qualifié de "complètement fausses" ces accusations.
Selon Fernand Tuil, chef de la délégation, des coups de feu ont été tirés d'une position israélienne proche au moment où les délégués français visitaient dans le camp les ruines de maisons détruites par des bulldozers lors d'une incursion de Tsahal en zone autonome.
"Nous étions venus ici à Khan Younès pour constater ce qui s'y passe et parler avec les habitants de leur misère, des fusillades et des destructions de maisons. Nous nous trouvions près de ruines d'habitations lorsque des tirs ont éclaté du point de passage israélien d'à côté. Je crois qu'il s'agissait de tirs d'intimidation pour nous inciter à partir", a déclaré à Reuters l'élu de Montataire, dans le nord de la France.
Ranoua Ostfane, une journaliste française membre du groupe, rapporte avoir vu les soldats tirer au-dessus de la tête des délégués - une version contestée par le commandant Assaf Librati, porte-parole de Tsahal, qui précise en revanche que l'armée avait parfaitement connaissance de la visite.
Selon lui, "les seuls coups de feu qui ont été tirés, et que les délégués n'ont pas manqué d'entendre, provenaient d'un groupe d'hommes qui se trouvaient près d'eux à Khan Younès et nous visaient. Les soldats n'ont pas riposté par crainte de blesser des délégués", a-t-il assuré.
Tuil a déclaré qu'il allait élever une plainte auprès des autorités israéliennes et le consulat de France à Jérusalem a annoncé qu'il tenterait d'élucider les circonstances de l'incident, qui n'a fait ni victime ni dégâts.
                                                           
3. Arafat-Sharon : objectifs incompatibles par Gilles Paris
in Le Monde du vendredi 30 novembre 2001

Une partie délicate s'engage avec l'arrivée de Bill Burns et d'Anthony Zinni en Israël et dans les territoires occupés ou autonomes palestiniens. Chargés de prêcher la bonne parole délivrée, le 19 novembre, par le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, les deux émissaires américains, qui doivent personnifier le retour des Etats-Unis dans leur pré carré oriental après une absence préjudiciable de plusieurs mois, ont été gratifiés d'une mission improbable. Il leur revient de trouver un terrain d'entente entre deux ennemis irréductibles que tout oppose, la longévité mise à part, Ariel Sharon et Yasser Arafat.
Arrivé au pouvoir à la faveur d'une erreur d'analyse de son prédécesseur travailliste Ehoud Barak, qui comptait sur un face-à-face électoral pour retrouver un second souffle politique, le premier ministre israélien, Ariel Sharon, à soixante-treize ans, occupe pour la première et sans doute la dernière fois le devant de la scène. Minoritaire dans un parti dévoué à Benyamin Nétanyahou, il dirige une coalition aussi large qu'hétéroclite qui ne tient que par l'Intifada palesti nienne. L'opinion israélienne fait confiance au premier ministre dans une lutte quotidienne. Elle approuve l'usage des assassinats extrajudiciaires inaugurés par M. Barak, les incursions massives de l'armée israélienne dans les zones autonomes palestiniennes et les opérations de commando "va-et-vient" qui se développent depuis quelques semaines et qui permettent des rafles plus ciblées et plus discrètes.
Ces techniques permettent de contenir le soulèvement, mais pas de le briser. L'insécurité n'a pas baissé depuis l'arrivée au pouvoir de M. Sharon. Les incidents sanglants continuent de se multiplier, jusqu'en Israël, comme en témoigne le récent attentat perpétré par des Palestiniens à Afoula, dans le nord du pays. Les responsables des services de sécurité israéliens ne cessent d'ailleurs de se montrer alarmistes, annonçant en même temps la réussite d'opérations militaires, le démantèlement de "cellules terroristes" et de nouvelles vagues d'attentats.
Mais le premier ministre est parvenu à imposer un agenda strictement sécuritaire et de très court terme : sept jours de calme total, suivis d'une période de réduction des tensions étirée sur six semaines, avant toute reprise d'un dialogue sérieux avec les Palestiniens. Ce programme assure un consensus minimum au sein de sa coalition. 
Personne ne saurait dénoncer un tel objectif, même s'il est probablement impossible à atteindre après quatorze mois de guérilla et près de mille morts, en majorité palestiniens.
M. Sharon a tout à gagner au statu quo qui force le ralliement à sa personne. Militairement, les performances de Tsahal lui assurent la reconnaissance de l'opinion. L'extrême médiocrité de l'opposition armée palestinienne, même si elle se montre ponctuellement meurtrière, le sert, de même que chaque recours à des actes de terrorisme.
Politiquement, M. Nétanyahou, malgré ses critiques récurrentes, ne peut décemment laisser libre court à un appétit de pouvoir retrouvé. Enfin, le Parti travailliste, qui n'est pas même parvenu à se doter d'un chef de bureau depuis le départ de M. Barak, se tient, depuis dix mois, au garde-à-vous devant le premier ministre. M. Sharon a, au contraire, tout à perdre à un début de processus politique avec ses adversaires palestiniens. Retirer l'armée sur les positions occupées à la veille de l'Intifada, desserrer le blocus des agglomérations palestiniennes, lever les innombrables check-points, pour ne pas parler d'un gel de la colonisation – autrement dit, appliquer les recommandations du rapport de la commission internationale, présidée par l'ancien sénateur américain George Mitchell – serait dénoncé par son propre camp comme autant de victoires du "terrorisme".
TRAHISON OU SUPERCHERIE
Même s'il s'est déclaré il y a plus d'un mois en faveur d'un Etat palestinien devant un auditoire du Likoud stupéfait, M. Sharon n'est prêt ni fondamentalement ni tactiquement à la moindre concession territoriale significative, étant entendu par ailleurs que la question de Jérusalem et des réfugiés resterait taboue. Quand il ne rêve pas tout haut de la dissolution de l'Autorité palestinienne au profit de barons enfermés dans de petits fiefs autonomes, M. Sharon ne conçoit un Etat palestinien qu'épousant la carte des colonies de Gaza et de Cisjordanie et de leurs réseaux routiers, et limité pour l'essentiel aux zones d'autonomie déjà existantes. Cet Etat a minima serait pourtant considéré comme une trahison par sa droite, alors que sa gauche dénoncerait une supercherie.
Son contemporain, M. Arafat, se trouve aujourd'hui dans une situation inverse. Son crédit ne cesse de s'user au fur et à mesure que l'Intifada se prolonge. Il pâtit de l'inefficacité de l'appareil de l'Autorité palestinienne, miné depuis longtemps par les accusations fondées de corruption, et de son identification à un processus de paix mort et enterré. Certes, M. Arafat n'est pas seulement le chef de l'Autorité. Il personnifie aussi, dans l'imaginaire collectif palestinien, les grands mythes du combat national. Ce statut d'icône le met à l'abri, et pour longtemps, de toute contestation sérieuse. Mais la poursuite du soulèvement le pénalise plus qu'elle ne le sert.
Le chef de l'Autorité palestinienne ne peut prendre la tête de cette Intifada sans perdre son crédit international, le dernier apport encore efficient de la signature des accords d'Oslo. Il ne peut pas non plus en décréter la fin sans risquer, au mieux, le ridicule. Déjà, ses services de sécurité ont de plus en plus de mal à procéder à des arrestations parmi les miliciens du Fatah, du Mouvement de la résistance islamique (Hamas) ou du Djihad islamique. M. Arafat ne peut maîtriser le soulèvement qu'en produisant des résultats politiques : de moins mauvaises conditions de vie, une pression militaire israélienne moins forte, moins de morts palestiniens. Ceux-ci lui permettraient de gagner du temps pour espérer aller encore plus loin : le troisième retrait israélien de Cisjordanie, jamais effectué par M. Barak, un gel véritable de la colonisation, voire une reprise des discussions. M. Arafat a besoin de perspectives pour "vendre" un cessez-le-feu aux miliciens comme à l'opinion.
"La solution est de prendre Sharon au mot et de conclure un marché avec les milices. L'Autorité peut imposer un cessez-le-feu à deux conditions : qu'il soit présenté comme une trêve et non comme la fin de l'Intifada, et qu'elle n'ait pas à répondre aux moindres exigences des Israéliens pour le faire respecter. Si le calme revenait, la pression glisserait des épaules d'Arafat sur celles de Sharon", estime le politologue Ali Jarbawi. Entre le mouvement indispensable au chef de l'Autorité palestinienne et l'immobilisme qui sert le premier ministre israélien, les émissaires américains seront soumis à des pressions contradictoires. Peut-être auront-ils en mémoire l'issue des dernières élections étudiantes organisées le 12 novembre à l'université Al-Najah de Naplouse. Dans ce bastion du nationalisme palestinien, le camp islamiste a littéralement écrasé le Fatah, la formation de M. Arafat. Un tel résultat est-il de nature à satisfaire les Etats-Unis ?
                                       
4. Les grandes fortunes saoudiennes et plusieurs pays du Golfe retirent leurs capitaux des Etats-Unis par Marc Roche
in Le Monde du vendredi 30 novembre 2001

Londres de notre correspondant à la City
La guerre en Afghanistan et ses retombées en matière de lutte contre la filière financière terroriste ont provoqué un mouvement de retrait de fonds arabes des Etats-Unis. Inquiets des menaces de gel des avoirs, les grosses fortunes saoudiennes et des pays du Golfe auraient transféré une partie non négligeable de leurs actifs nord-américains en Europe ou au Proche-Orient.
"Complètement paranos, les banques américaines harcèlent les riches clients arabes pour connaître non seulement l'origine de leur fortune mais l'utilisation faite des fonds. Ces derniers ne comprennent pas ces soudaines chicaneries administratives et se sentent humiliés" : heureux et pas bégueule, ce financier genevois se déclare optimiste en ces temps que l'on pensait ardus. Et pour cause, depuis les funestes événements du 11 septembre, les grosses fortunes saoudiennes ou du Golfe auraient retiré une partie de leurs économies placées aux Etats-Unis dans des fonds mutuels, des véhicules de placement privés ou auprès des compagnies d'assurance pour les mettre à l'abri en Europe, voire les rapatrier.
Le gel des avoirs d'hommes d'affaires saoudiens soupçonnés de complicité avec le réseau Al-Qaida a choqué les grosses fortunes proche-orientales qui critiquent l'absence de preuves à l'appui de ce blocage. La promulgation, début novembre, par le président Bush d'une nouvelle loi anti-blanchiment particulièrement musclée s'appliquant aux banques comme aux courtiers, a accentué le malaise de ces richissimes familles. Aux yeux de la clientèle arabe, la multiplication des déclarations de soupçon des établissements new-yorkais à leur encontre participerait d'un racisme anti-musulman latent.
Par ailleurs, le refus, dans un premier temps, par la mairie de New York du chèque de 10 millions de dollars, à l'ordre du fonds en faveur des familles des policiers et pompiers tués ou portés disparus dans l'attentat, offert par le prince saoudien Al-Walid Ben Talal, a été perçu comme un véritable camouflet. 
Après tout, les investissements aux Etats-Unis de ce membre de la famille royale, l'un des hommes d'affaires les plus riches du monde, sont estimés à quatorze milliards de dollars ! "En réclamant une politique plus équilibrée des Etats-Unis à l'égard des Palestiniens, le neveu du roi Fahd n'a fait que refléter le point de vue des grands entrepreneurs de la région", insiste un observateur de la scène financière du Proche-Orient.
Londres et Genève seraient les principaux bénéficiaires de ce flux d'investissements, essentiellement en liquide et en obligations. La capitale britannique, première place boursière européenne, attire les capitaux arabes pour des raisons historiques.
LOGIQUE FINANCIÈRE
Quant à la cité de Calvin, haut lieu de la banque privée, elle sait gérer les avoirs d'autrui avec mesure, prudence et discernement. Hors dollar, le franc suisse et la livre sterling sont de traditionnels refuges des avoirs fuyant les vicissitudes politico-sociales de la région.
Des fonds placés aux Etats-Unis seraient ainsi transférés à Genève ou Zurich pour être bonifiés depuis Londres, qui bénéficie d'un savoir-faire au moins égal à celui de New York dans le domaine de la gestion de patrimoine. Aussi, après des années d'engouement pour l'immobilier new-yorkais, les investisseurs arabes privilégieraient désormais les achats de bureaux londoniens, actuellement bon marché (les étrangers ne peuvent pas acheter de biens immobiliers en Suisse).
Les places financières du Proche-Orient, en particulier Beyrouth et Bahrain où les opérations restent foncièrement libres, tireraient également profit de ce phénomène. La modernisation de l'infrastructure bancaire, le lancement de produits financiers plus sophistiqués, la modernisation des Bourses locales et les programmes de privatisation partielle, notamment en Arabie saoudite, offrent bien des opportunités.
Le réseau bancaire islamiste, actuellement dans le collimateur des Etats-Unis pour être le véhicule de premier choix pour les opérations de blanchiment d'argent, semble également bénéficier de ce reflux. Les institutions appliquant la charia, la loi islamique, constitueraient un pôle d'attraction puissant pour les plus pieux.
Cette protestation politique rejoint en l'occurrence la logique financière et même la logique tout court. A la lumière des taux d'intérêt historiquement bas aux Etats-Unis, le meilleur placement n'est-il pas de protéger ses économies là ou le loyer de l'argent est plus rémunérateur ?
"Il est exact que nos clients arabes se plaignent d'être constamment montrés du doigt par les autorités américaines, mais les établissements britanniques ou helvétiques sont tout autant sourcilleux en matière de surveillance. Les Etats-Unis sont un pays dont les financiers arabes sont sûrs qu'il restera longtemps encore le bastion du capitalisme": ce banquier de la City s'efforce toutefois de dédramatiser ce mouvement de retrait. La marge de manœuvre des riches du Golfe qui ont investi dans des actions américaines, est en effet plus limitée que celle des Saoudiens aux placements plus liquides, insiste-t-il. Le rendement et les services offerts par les banques islamiques laisseraient à désirer. Et les Bourses proche-orientales comme Beyrouth et Bahrain sentiraient par trop le soufre pour ces investisseurs prudents et généralement intéressés par le long terme.
                                       
5. Comment la France livra l’arme atomique à Israël par Mikhaël Karpin
in "Yediot Aharonot" (quotidien israélien) traduit dans Courrier International du jeudi 29 novembre 2001

Dans les années 50, le destin de l’Etat hébreu était l’une des priorités du pouvoir français. Une politique d’aide militaire, secrètement élaborée au ministère de la Défense, aboutit à un accord nucléaire jamais avoué.
Abel Thomas, 90 ans, habite le quartier de la Défense, à Paris. Haut fonctionnaire et personnage très influent de la politique française de défense de l’après-1945, il est l’homme qui a livré le programme nucléaire français à Israël. Dans les années 50, il était le chef de cabinet du ministre de la Défense, Maurice Bourgès-Maunoury. Tous deux étaient de fervents partisans d’une France forte et libérée du parrainage américain, ce qui passait à leurs yeux par la possession de l’arme nucléaire. De nombreux politiques et militaires français, socialistes pour la plupart, entretenaient alors avec Israël une véritable passion romantique, et Abel Thomas joua le rôle le plus décisif dans la participation de la France à l’option nucléaire de David Ben Gourion.
“C’est l’oeuvre de ma vie. Pour moi, le destin d’Israël fut vital dès sa création, entre autres parce que mon frère, résistant, avait été déporté et assassiné même s’il n’était pas juif.” Shimon Pérès avait ses entrées au ministère. Il rappelle qu’à cette époque, les Français s’identifiaient totalement aux victimes juives. “Cela répondait à un profond sentiment de honte après l’écrasement de la France par l’Allemagne. Beaucoup de Français avaient fait l’expérience des camps d’extermination. Il faut garder ce contexte en mémoire, sous peine de ne rien comprendre à cette aventure.”
Cette identification allait de pair avec des considérations politiques. La France et Israël avaient un ennemi commun : l’Egypte de Gamal Abdel Nasser qui soutenait le FLN algérien et armait les fedayin [palestiniens]. L’armée française avait besoin à tout prix de renseignements en provenance du monde arabe. Israël avait besoin d’armes : depuis la guerre de libération [guerre d’indépendance de 1948], la plupart des sources d’approvisionnement s’étaient taries. A l’époque, Israël n’avait le choix qu’entre deux types d’“assurance-vie” : un accord militaire avec les Etats-Unis ou l’acquisition de l’arme de dissuasion ultime. Washington faisant la sourde oreille, l’option nucléaire fut choisie par Ben Gourion fin 1954.
Des Mystère et des blindés disparaissent des registres
En septembre 1955, on apprit la livraison par la Tchécoslovaquie à l’Egypte d’armes modernes de fabrication soviétique. En octobre 1955, Nasser ferma le canal de Suez à la navigation israélienne. Ben Gourion sut alors qu’Israël devrait entrer en guerre contre l’Egypte avant que celle-ci n’en prenne l’initiative. Il chargea le jeune vice-ministre de la Défense Shimon Pérès de demander à Paris la livraison de 270 avions de combat et de plusieurs centaines de chars. Abel Thomas se remémore la rencontre en ces termes : “Israël était en danger de mort et la France ne pouvait abandonner une deuxième fois les Juifs à leur sort.”
Le hic, c’est que le ministère de la Défense français avait besoin de l’aval de celui des Affaires étrangères et, à l’époque, “ce ministère était occupé par des diplomates proarabes, qui n’autorisèrent la livraison que de... 9 avions de combat”. Quelques jours plus tard, des avions Mystère décollèrent de Paris, transitèrent par l’Italie et poursuivirent leur vol plus au sud. Ils ne revinrent jamais vers leur base et le ministère les effaça des effectifs officiels, sans en informer les Affaires étrangères. Le même jour, un envoi de blindés à destination de l’Egypte était annulé, toujours sans que le Quai d’Orsay n’en ait vent.
Mi-juillet 1956, Nasser nationalisa le canal de Suez. L’opération franco-anglo-israélienne fut-elle conditionnée par la promesse française de livrer la bombe aux Israéliens ? Pérès et Thomas nient catégoriquement tout lien, soutenus en cela par l’historien Jean Lacouture qui, dans les années 50, était correspondant du "Monde" au Caire. Pour lui, le transfert de la technologie nucléaire française aux Israéliens n’était qu’une dimension parmi d’autres de l’amitié franco-israélienne de l’époque.
Un rapprochement accéléré par la crise de Suez
Le 29 octobre 1956, Israël envahit le Sinaï et s’empara de la rive est du canal. Selon le plan prévu avec Moshe Dayan [le ministre de la Défense israélien] et Shimon Pérès, la France et le Royaume-Uni exigèrent qu’Israël et l’Egypte retirent leurs forces du canal. Israël accepta et, de manière prévisible, l’Egypte refusa, déclenchant ainsi l’intervention franco-britannique. Mais, tandis que les Etats-Unis s’en prenaient au Royaume-Uni, l’URSS lança un ultimatum à la France et à Israël, les menaçant de recourir à l’arme atomique. La France et le Royaume-Uni se retirèrent, Israël quitta le Sinaï et Gaza quelques semaines plus tard.
Cette guerre fut bénéfique à Israël. Le ministre des Affaires étrangères français, Christian Pinault, qui avait jusqu’alors observé une attitude bienveillante à l’égard de l’Egypte, s’était senti humilié par Nasser. Il restait à surmonter les réticences du Premier ministre Guy Mollet. C’est ce à quoi, sous la pression d’Abel Thomas et de Shimon Pérès, parvint un autre personnage clé de l’affaire, François Perrin, le patron du Commissariat à l’énergie atomique français (CEA).
En octobre 1957, Israël et la France signèrent un accord diplomatique et une série d’accords techniques. La France s’engagea à fournir la pile atomique qui allait être réalisée à Dimona [dans le désert du Néguev], de l’uranium enrichi et, selon diverses sources étrangères, le matériel nécessaire pour la fission du plutonium. Si l’accord portait officiellement sur une pile atomique d’une puissance de 24 mégawatts, les sources américaines et françaises l’estimèrent à 150 mégawatts. De son côté, Israël s’engagea à n’utiliser ces installations qu’à des fins civiles.
Pour le journaliste français Pierre Péan, “le plus étonnant n’est pas que l’histoire de la bombe française et celle de la bombe israélienne soient à ce point liées, mais que les Français aient aussi rapidement livré un programme nucléaire à peine sorti des fonts baptismaux”. Quarante-cinq ans après les faits, Abel Thomas ne peut cacher son émotion : “A l’époque, on aurait pu croire que la coopération franco-israélienne serait éternelle...”
                                       
6. Prochaine cible de la guerre contre le terrorisme ? Pour Bush, ça pourrait être l'Irak par Elisabeth Bumiller
in The New York Times (quotidien américain) du mardi 27 novembre 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Le président Bush a mis en garde Saddam Husseïn aujourd'hui : s'il n'admet pas le retour des inspecteurs de l'ONU chargés de vérifier si l'Irak développe ou non des armes nucléaires, chimiques ou biologiques, il aura à en supporter les conséquences.
M. Bush s'est refusé, pour l'instant, à dire quelles elles pourraient être. "Il verra bien", s'est-il contenté d'indiquer, laconiquement.
En formulant cette menace, le président semblait donner au 'terrorisme' un sens plus large que la définition qu'il en avait donnée jusqu'ici. Ce 'terrorisme' pourrait inclure la mise au point d'armes de nature à 'terroriser des nations', ce qui correspond à un glissement notionnel notable par rapport à la définition dont il a usé lors de son discours au Congrès, au mois de septembre, au sujet des buts de la guerre.
"Si quiconque abrite un terroriste, ils sont un terroriste" (authentique!), a déclaré M. Bush ce jour. "S'ils financent un terroriste, ils sont un terroriste. S'ils abritent des terroristes, ils sont terroristes. J'veux dire : j'peux pas être plus clair pour d'autres nations autour du monde : s'ils développent des armes de destruction massive, ça sera utilisé pour terroriser les nations, ils seront tenus pour redevables" (re-sic !)
Le secrétaire d'Etat Colin L. Powell a déclaré ce soir que M. Husseïn devrait entendre les propos de M. Bush comme "un message très concis, de nature à faire froid dans le dos" (...). Invité du 'talk-show' de la CNN, 'Larry King Live', le secrétaire d'Etat a ajouté : "de multiples options s'offrent à la communauté internationale et au Président."
Les observations de M. Bush ont été diffusées alors que son administration poursuit en interne un débat sur la phase à venir de la guerre, y compris sur la question de savoir si elle va prendre des mesures militaires destinées à chasser M. Husseïn. M. Bush a été critiqué par les Républicains conservateurs (bigre... ndt) de ne pas agir assez énergiquement à l'encontre de M. Husseïn, accusé d'avoir ourdi un complot destiné à assassiner le père de M. Bush et dont la survie (celle de M. Husseïn...) continue de causer des tracas à Washington, dix ans après la guerre du Golfe.
De son côté, M. Bush a insisté sur le fait qu'il n'avait en rien élargi la définition de ce que son administration considère être le 'terrorisme', même s'il n'avait pas mentionné les armes de destruction massive lors de son discours au Congrès. "Aurais-je en quoi que ce soit élargi la définition ?" s'est interrogé M. Bush, à haute voix. "J'ai toujours eu cette définition, en ce qui me concerne."
M. Bush a fait ses remarques au cours d'une séance de questions-réponses face aux journalistes, après une cérémonie dans la roseraie de la Maison Blanche en l'honneur de deux volontaires d'une association charitable américaine chrétienne, secourues par les forces de l'armée américaine, en Afghanistan.
Le président, en qui l'une de ces missionnaires, Heather Mercer, a reconnu "un homme du Bon Dieu comme il y en a peu" (re-re-sic), a recouru au langage très dur qu'il avait utilisé la semaine dernière dans son discours destiné à 'regonfler à bloc' les hommes de la 101ème division aéroportée stationnée à Fort Campbell (Kentucky).
"L'Afghanistan n'est encore que le tout début" de la guerre contre le terrorisme, a déclaré M. Bush aujourd'hui, mettant l'accent sur le fait que des Américains mourraient là-bas.
"Ça va arriver", a-t-il dit. "Je l'ai déjà dit, au début de la campagne militaire : l'Amérique doit être prête à connaître des pertes en vies humaines. Je suis persuadé que le peuple américain comprend que nous avons une giga-lutte sur les bras (sic) et qu'il y aura des sacrifices."
M. Bush a ajouté : "quant à M. Husseïn, il 'a besoin de laisser revenir' les inspecteurs dans son pays, afin de nous montrer qu'il n'est pas en train de développer des armes de destruction massive."
A part cet avertissement, le président n'a livré aucune indication supplémentaire sur le cours que pourrait prendre la guerre, notamment sur la question de savoir si Oussama bin Laden devait être capturé ou tué et son réseau en Afghanistan, Al-Qa'ida, détruit.
L'Irak est l'exemple le plus éloquent d'un pays qui a été (ou est actuellement) suspecté de développer des armes nucléaires, biologiques ou chimiques, mais ce n'est pas le seul. M. Bush a aussi indiqué, aujourd'hui : "nous voulons que la Corée du Nord autorise l'entrée d'inspecteurs sur son territoire, de manière à déterminer si elle développe des armes nucléaires, ou non".
Un bras de fer avec la Corée du Nord, en 1994, avait amené les Etats-Unis à renforcer ses troupes dans la péninsule. La crise avait été partiellement résolue par un accord gelant l'activité nucléaire de la Corée du Nord en la réduisant à un unique site important, mais l'administration Bush soupçonne l'existence de sites dissimulés susceptibles de produire des armes nucléaires.
Les Etats-Unis ont déclaré également suspecter fortement l'Iran, la Libye et la Syrie de développer des armes biologiques. Dans le cas de chacun de ces pays, la Maison Blanche semble être en train, actuellement, de déblayer le terrain en prévision d'une demande des Etats-Unis (auprès de l'ONU) en matière d'inspections internationales. Quel serait le des officiels de l'administration Bush si l'ONU refusait, ce n'est pas clair.
L'Irak a refusé d'admettre sur son territoire des inspecteurs depuis 1998, année où l'administration Clinton et les forces britanniques avaient répondu par quatre nuits de bombardements par missiles terre-terre et air-terre contre plus d'une centaine d'objectifs, parmi lesquels des quartiers généraux de l'armée irakienne et des bases de défense anti-aérienne. Mais M. Husseïn n'avait pas été ébranlé de son fauteuil présidentiel.
Durant la campagne présidentielle de 2000, M. Bush et ses conseillers ont appelé à affronter M. Husseïn avec plus d'agressivité que ne l'avait fait M. Clinton. De manière significative, ces conseillers incluaient le secrétaire d'Etat, Powell et le vice-président américain, Dick Cheney, qui avaient aidé M. Bush père à sortir les forces irakiennes du Koweït, au cours de la guerre du Golfe (en 1991).
En février dernier, après à peine un mois passé 'aux manettes', M. Bush a donné l'ordre de lancer des raids aériens, avec la Grande-Bretagne, contre des stations radar irakiennes et des centres de commandement aérien, qualifiant cette action de 'réponse nécessaire à des provocations irakiennes.'
Depuis le 11 septembre, un groupe de jusqu'au-boutistes de l'administration avait poussé à la roue pour des mesures plus énergiques contre l'Irak, mais le secrétaire d'Etat Powell a déclaré qu'il n'y avait pas de lien évident entre M. Husseïn et les attaques terroristes du 11 septembre, et que la coalition anti-terroriste ne tiendra pas si Washington passe à l'action contre l'Irak.
Le secrétaire d'Etat a déclaré, ce soir, sur CNN, qu'il travaillait avec la Russie à un compromis sur ce que l'administration appelle "des actions intelligentes" contre l'Irak, qui sont supposées laisser entrer dans ce pays des biens (d'importation) à usage civil, à l'exclusion des produits d'importation à usage militaire.
"Ce que nos ne voulons pas voir rentrer, ce sont des équipements qui peuvent être utilisés afin de mettre au point des armes de destruction massive", a dit le Secrétaire Powell. "Nous ne le faisons pas seulement pour protéger l'Amérique, nous le faisons pour protéger la région."
M. Bush semble jusqu'ici adhérer aux vues de M. Powell, et le président a redit aujourd'hui qu'il restait focalisé sur la guerre en Afghanistan. "Nous allons nous assurer que nous menons à bien jusqu'au bout chacune des missions à laquelle nous nous attelons", a dit M. Bush. "Les premières choses en premier" (sic).
Bien que M. Bush se soit attiré les critiques de certains conservateurs (Républicains de droite : aïe aïe aïe...), à cause de ce qu'ils considèrent comme son hésitation à l'égard de M. Husseïn, le sénateur John W. Warner (de Virginie), Républicain éminent dirigeant la Commission des Services armés, a mis en garde, aujourd'hui, contre toute ouverture d'un second front.
"L'objectif principal doit être de mener à bien la mission présente et d'en remplir tous les objectifs", a déclaré M. Warner au cours d'une conférence de presse au Capitole. Avant de s'occuper du terrorisme dans un nouveau pays ou une nouvelle région, a ajouté M. Warner, l'administration devrait mener à bien "une réévaluation complète à la lumière du soutien (que nous apporte) la coalition."
                                   
7. La police israélienne en flagrant délit de mensonge par Alexandre Kolomea
in L'Humanité du vendredi 23 novembre 2001

Une enquête officielle retentissante met en lumière les causes de la mort de treize Arabes israéliens tués par les forces de l'ordre lors d'une manifestation. Ehud Barak et Schlomo Ben Ami, premier ministre et ministre de l'Intérieur à l'époque, affirment n'avoir été au courant de rien.
La police israélienne mentait lorsqu'elle affirmait avoir été contrainte d'ouvrir le feu sur des manifestants arabes israéliens pour défendre la vie de ses hommes. Elle mentait lorsqu'elle prétendait qu'on lui tirait dessus. Elle mentait lorsqu'elle affirmait n'avoir pas tiré à balles réelles mais seulement à balles caoutchoutées, d'ailleurs mortelles à courte distance.
Les Arabes israéliens et une partie de l'opinion le savaient, avant même la constitution d'une commission d'Etat chargée d'enquêter sur la mort de treize Arabes israéliens tombés dans des manifestations - violentes mais non armées - de soutien à l'Intifada en octobre 2000. Ce qu'on ne savait pas, c'est à quel point la machine policière était gangrenée par la désinformation. Il aura fallu douze mois et plus de cinquante audiences pour s'en faire une idée. C'est long, surtout pour les familles des victimes qui réclament des comptes, même si, dans d'autres pays, les tueries policières prennent parfois des dizaines d'années avant d'être reconnues.
Le témoignage, lundi et mardi, de l'ex-ministre de la Sécurité intérieure, le député travailliste Shlomo Ben Ami, est à ce titre fort éclairant, même s'il constitue une justification a posteriori, et si son plaidoyer est destiné à préserver l'avenir politique d'un homme qui, paradoxalement appartient au camp des " colombes ". Ben Ami a accusé le commandement supérieur de la police de n'avoir pas suivi les consignes de retenue qu'il lui a données ou de lui avoir carrément menti. La police, selon lui, ne l'a même pas informé de la mort des manifestants et il l'a appris par des militants de gauche. Il affirme avoir donné, début octobre 2000, des consignes explicites de laisser des manifestants bloquer des voies de circulation jugées non essentielles, dans la mesure où leur dispersion entraînerait des effusions de sang. Mais la police n'en a pas tenu compte, d'autant que le premier ministre, Ehud Barak, a proclamé le 2 octobre au matin qu'il faut absolument ouvrir les routes et annoncé à la radio " avoir donne son feu vert pour toute action nécessaire ".
Plus grave, la police a déployé des tireurs d'élite qui vont tuer par balles des manifestants. Or, aussi bien Ben Ami, que Barak, que l'ancien chef de la police Yehuda Wilk n'ont, a leurs dires, autorisé ces tirs. Ben Ami affirme ne l'avoir appris " qu'après la création de la commission d'enquête ". Barak dit n'en avoir eu vaguement connaissance que le 9 octobre. Le commandant Wilk a lui même témoigné que l'ordre de poster des tireurs d'élite a été donné à son insu par le commandant de la région nord, Alik Ron. Cet officier avait pris avant les événements des positions publiques violemment hostiles à la minorité arabe (un million de personnes, 18,6 % de la population globale). Cela lui avait valu d'être réprimandé par Ben Ami, mais le ministre n'avait pu obtenir sa mutation.
La commission a permis d'établir qu'un officier de police avait lui même tiré sur son poste à Misgav, en Galilée, pour faire croire à une attaque armée d'Arabes israéliens. L'homme qui a ensuite tiré sur des manifestants a été démis de ses fonctions, placé quelques jours aux arrêts mais, jusqu'à ce jour, pas condamné.
En fait, la commission d'enquête, présidée par le juge Théodor Or, formée sous la pression des Arabes israéliens et d'associations des droits de l'homme, ne peut pas infliger de sanctions. De par la loi, elle peut juste faire des recommandations. C'est ainsi qu'en février 1983, la commission Kahane reconnut qu'Ariel Sharon avait une " responsabilité personnelle " mais indirecte dans les massacres des camps de réfugiés de Sabra et Chatila, commis par des miliciens chrétiens libanais alliés d'Israël.
Cela lui fit perdre à l'époque le poste de ministre de la Défense. Mais ne l'empêcha pas dix-huit ans plus tard de devenir premier ministre.
Dans ces conditions, la minorité arabe risque d'être déçue. Ses élus demandent que les responsables politiques de l'époque soient sanctionnés. " La responsabilité de la répression incombe en premier lieu aux responsables politiques ", a déclaré à la presse le maire de Nazareth, Rames Jerais, qui dit avoir à trois reprises téléphoné à Ben Ami pour le conjurer d'ordonner aux policiers de ne plus tirer a balles réelles. · chaque fois, il s'est entendu dire que " selon les rapports que lui avaient été transmis la police n'avait pas ouvert le feu ".
" Barak, reconnais donc ta responsabilité ! " a crié mardi à la face de l'ancien premier ministre, Djamala Asli, la mère d'un jeune tué par la police en Galilée. Mais Ehud Barak est resté imperturbable. " Je comprends la douleur et la frustration de cette femme ", a-t-il dit, ajoutant aussitôt qu'en règle générale la police n'avait pas d'autre choix face à la violence des émeutes. Pas un regret, pas même pour avoir autorisé la visite provocatrice d'Ariel Sharon sur l'Esplanade des mosquées de Jérusalem, visite qui allait mettre le feu aux poudres le lendemain, lorsque la police tira sur des manifestants, en tuant sept personnes dont un premier Arabe israélien.
                                               
8. Philosophie du marché et ébranlement de la croyance en l'immunité de la mondialisation ou : Le socle de l'utopie a-t-il été fêlé par l'écroulement du World Trade Center ? par Subhi Hadidi
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 5 octobre 2001
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

(Subhi Hadidi est un écrivain, journaliste et chercheur syrien vivant à Paris.)
Aujourd'hui, il est exigé de nous que nous vivions la période post-11 septembre, exactement de la même manière qu'il avait été exigé de nous de vivre les époques 'post-' quelque-chose, par le passé : l'époque post-guerre froide ; la post-modernité ; la post-ère industrielle ; la post-idéologie ; le post-communisme ; la post-historicité ; la post-fin du politique...
C'est un peu comme si nous vivions, en ce moment, une situation similaire à celle qui prévalait à la veille de la chute du mur de Berlin, identique quant à l'unipolarité d'un monde caractérisé par sa conformité, son identification et son auto-reproduction, sa reconduction autonome et égocentrée, à un point tel qu'il est/était devenu impossible - voire, pire : inconvenant - de parler de l'"avant", de l'"ante"-quelque chose, ce quelque chose étant le phénomène que vous voudrez. Comme si toute configuration du monde, absolument toute, surgissait de l'immédiateté, du rien, pour reprendre l'étonnement (feint) du chercheur américain David Grace, dans son ouvrage passionnant 'Le drame de l'identité occidentale' : le monde se dépouille de ses oripeaux l'un après l'autre, se débarrassant du rationalisme, puis du romantisme et du révolutionnarisme, passant par le libéralisme, le capitalisme, le socialisme et le communisme, pour en arriver à ce qui semble lui rester sur le dos : la réaction, l'idolâtrie et le conservatisme.
Mais s'il faut vraiment que nous vivions désormais le 'post-onzeseptembrisme', pourquoi faudrait-il absolument que cette ère nouvelle soit celle du bien contre le mal, de la civilisation contre la barbarie, de la tolérance contre le fondamentalisme (excusez du peu !), baignés dans ces doublets manichéens superficiels et nébuleux, surnageant à la surface des phénomènes et des apparences ? Pourquoi faudrait-il que nous vivions cette nouvelle ère comme si rien n'était intervenu brusquement (au cours de l'instruction) des dossiers des autres époques (attention : les grands... grands dossiers !) tels la mondialisation, la victoire définitive de l'économie de marché, le rétrécissement du monde à la taille du 'village planétaire' ? Et pourquoi le post-onzeseptembrisme ne serait-il pas lourd (lui aussi) des prémisses d'autres 'post'-trucmuches, concernant ces canons dont l'Occident nous bassine jour après jour : la mondialisation, l'économie de marché, le village planétaire ... ?
Nous ne sommes pas, nous les fils de l'Orient, que l'on peut accuser à juste titre d'avoir une imagination débridée à laquelle les garde-fou de la rationalité ne sauraient résister, les seuls à envisager que les attaques-suicides de New York et de Washington soient susceptibles de marquer le déclenchement d'un compte à-rebours pour des phénomènes et des manifestations dont on avait imaginé, au moment de la chute du mur de Berlin, qu'ils s'étaient produits pour rester éternellement présents, de phénomènes , de plus, ayant toujours existé par le passé, cosmiques, irrésistibles, inévitables quelles que fussent les géographies, les histoires et les cultures, les sociétés, les régimes politiques et les économies, ici comme là-bas, tôt ou tard...
Ainsi, prenez par exemple l'article publié par John Grey, il y a quelques jours, dans la revue britannique 'New Statesman', sous le titre 'Fin de la mondialisation', dans lequel l'auteur montre que le communisme ayant échoué, l'économie de marché a essayé d'imposer son propre modèle utopique à l'humanité. Mais ce qui s'est passé en Amérique, un certain 11 septembre, équivaut à l'annonce de la fin de cette croisade. Pourquoi ? Tout simplement parce que les certitudes qui ont littéralement 'fait' la décennie écoulée (sur la fin de l'histoire, la montée du libéralisme et du libre-échange commercial dans le cadre d'une expansion à laquelle aucune nation, aucun marché, aucune culture ni aucune philosophie ne sauraient résister) ont été ébranlées dans leurs fondements-mêmes devant le spectacle de l'écroulement, comme un château de cartes, des tours jumelles du 'Centre mondial du commerce' (World Trade Center) et qu'il est devenu somme toute naturel que la foi absolue des marchés en la totale immunité de la mondialisation soit ébranlée à son tour.
Afin de prémunir Gray contre le soupçon qu'il ait été, en toute hypothèse, victime du stress de l'événement présent et qu'il ait succombé à une flambée d'emballement intellectuel bien vite retombée, cet emballement qui a inspiré quatre-vingt dix pour cent des commentaires comme cela arrive généralement dans les temps de crise, les tournants historiques, les événements sortant totalement de l'ordinaire, indiquons simplement que notre homme avait exprimé des vues semblables bien longtemps avant notre entrée dans l'ère 'postonzeseptembriste'.
En effet, dans un sien ouvrage, visionnaire mais longuement peaufiné, publié il y a deux ans en Grande-Bretagne, sous le titre 'L'aube trompeuse : l'errance du capitalisme mondialisé', le maître incontesté de la pensée occidentale, à l'Ecole de Londres ('Mecque' de l'économie) considérait que la démocratie et l'économie de marché sont entre elles dans une relation de concurrence et non de symbiose, et que les expérience en matière d'économie de marché, présentes et passées, ont montré - en particulier, lors des crises - que l'utopie rendait les armes devant la politique réelle ('real politics') imposée par les intérêts et les 'agendas' (politiques) secrets et non pas par l'investissement, la libre concurrence et les lois du marché, comme nous sommes priés de le croire.
Bien sûr, ce n'est pas là le catéchisme des missionnaires professant que la victoire des valeurs occidentales, lors de la chute du mur de Berlin, était en même temps la victoire de l'unique utopie restant à la disposition de l'humanité, l'utopie supérieure, extrême et ultime, prenant la forme du 'sceau parachevant l'humanité', cette utopie prêchée par un Fukuyama et dont on exige de nous que nous admettions sans discussion qu'elle est vaccinée contre toute crise, toute secousse, toute déformation. Comme si l'histoire n'avait pas enregistré les périodes de stagnation du capitalisme triomphant, comme si l'économie de marché, en Angleterre (berceau de cette économie et premier terrain d'expérience pour son application généralisée) n'avait pas produit les souffrances indicibles de la vie quotidienne sous la chape de politiques paupérisantes et socialement iniques, de Palmerston à Thatcher...
En effet, aux yeux de ces missionnaires, non seulement l'invention (occidentale) du capitalisme, de la science et de la démocratie libérale a apporté la preuve de son succès inouï, mais ce système s'étend, lentement mais sûrement, afin de régner tant sur le Monde ancien que sur le Nouveau, avant comme après la guerre froide, avant comme après la modernité, avant comme après l'histoire. Plus, ils n'ont pas hésité une seconde à affirmer de manière péremptoire que le vingt et-unième siècle sera le premier d'une infinie succession de siècles capitalistes à l'état pur, cent pour cent 'pur sucre', en nous souvenant bien que le vingtième de la série avait été affecté par quelques 'imperfections' non négligeables, telles le communisme, le nazisme, le fascisme, le fondamentalisme ! Qu'ont-ils à nous dire, aujourd'hui, ces missionnaires, après que (un an seulement après le début de son nouveau siècle) cette nouvelle ère ait été gravement affectée par l'entrée en action d'une poignée d'hommes déterminés au suicide collectif, et non par celle d'armées surpuissantes, de bombes nucléaires, ni même de places boursières géantes ?
Maintenant, si l'on veut bien détacher les yeux de l'horizon (rose) des châteaux en Espagne idylliques du monde à venir (annoncé par ces missionnaires) pour les porter ne serait-ce qu'un bref instant sur ce qui se passe aujourd'hui même aux Etats-Unis et en Europe, la civilisation occidentale triomphante semble surtout triomphante parce que bardée d'armes, de munitions, d'argent et de marchés (captifs), bien loin d'une civilisation triomphante et sereine. En effet, au coeur de l'Europe, dans les Balkans, berceau des guerres et donc de la paix, se déroulent des péripéties dont l'une ne s'apaise pas avant que n'en débute une nouvelle, des guerres ethniques et idéologique, dont on nous avait assuré que la 'fin de l'histoire' y avait mis un terme définitif. C'est là, essentiellement et profondément, le contre-modèle scandaleux donné par une civilisation occidentale certes gorgée de technologie, de science et de libéralisme, mais néanmoins cernée par les cortèges de réfugiés, d'indigents, de victimes de conflits ethniques et confessionnels, à l'exact opposé de l'esprit des Lumières, de la raison et de la société civile.
Pour remonter un peu dans l'ère "pré-onzeseptembrienne", chose que l'on voudrait nous interdire, bien entendu, puisque toute nouvelle ère est supposée inaugurale, le triste spectacle des tentes des camps de réfugiés, en Albanie, en Macédoine, au Montenegro ne semble-t-il pas faire voler en éclats, tout simplement, la civilisation occidentale contemporaine, flottant insouciante dans un univers feutré de confort, de stabilité, de science, de technologie, bref de libéralisme universel, apte à traverser les cultures et les nations comme la lame du couteau dans le beurre ? Ces spectacles attristants ne semblent-ils pas constituer un 'remake', copie conforme de toutes les périodes 'ante-quelque chose' dans les grands récits fondateurs de la civilisation occidentale, depuis la Grèce et la Rome antiques, les découvertes de Christophe Colomb, en passant par le Siècle des Lumières, pour finir par la 'modernité' ?
Nous voici donc, à nouveau, confrontés à l'ébranlement de la scène occidentale toute entière, en particulier dans cette vision qui s'est imposée et qui repose sur trois principes fondamentaux : le capitalisme, l'économie de marché et les droits de l'homme, dans la mesure où ces principes sont compatibles, nécessairement, avec la forme européo-américaine de la démocratie laïque et avec le cadre de l'Etat-nation, seule forme d'identité admise et reconnue dans l'arène des relations internationales. Or ces principes n'ont précisément jamais cessé de prendre une forme totalement différente dans le cas des sociétés et des cultures non-occidentales, état de choses qui ne manque pas de donner libre cours aux spéculations sur le 'choc des civilisations', pour reprendre la formule - qui a fait florès - de Samuel Huntington, ou de tension 'helléno-asiatique', selon la théorie de Bernard Lewis, ou bien encore de la naissance de l''idéologie suivante' à la mode de Graham Fuller, telle qu'il l'a exposée dans son ouvrage célèbre : 'La démocratie face aux pièges du monde, après la guerre froide'.
Ainsi, le 'post-', c'est aussi ce réveil de la barbarie, cet effondrement du principe du repos stratégique du guerrier des temps révolus, cette excursion inopinée dans les provinces de guerres tristement connues dont on nous avait affirmé qu'on ne les verrait plus jamais, ou de guerres d'un type autre, entièrement nouveau, dont l'esprit humain se refusait à envisager jusqu'aux scénarios, sauf peut-être dans les romans de science-fiction et les films-catastrophes. Il s'agit aussi de la conséquence/sanction de l'incapacité de certaines sociétés post-guerre froide à se conformer aux principes fondamentaux occidentaux victorieux, puis de l'effort déployé par ces mêmes sociétés afin de créer leurs propres principes fondamentaux propres, qui ne pouvaient qu'entrer en conflit de grande envergure (et aux conséquences abominables) avec les valeurs promues par des états, des sociétés et des régimes politico-économiques 'investis' du fardeau de gérer l'univers et d'en alléger les drames, les souffrances, les fractures, les guerres et les famines. Graham Fuller n'a laissé aucune place au doute quant au fait que l'idéologie future auquel l'Occident sera confronté ne sera pas un substitut alternatif, évident et total, mais un compromis entre refus de la 'modernisation' dans l'acception occidentale du terme et confirmation des failles politiques, sociales, économiques et culturelles. Le scénario catastrophe, dans son optique, serait l'accession des adeptes de cette idéologie à une position d'où ils seraient susceptible de revendiquer la direction du monde (ou de la part qui leur en échoit) en évinçant le centre (de direction) occidental qui dirige, coordonne et assure (encore actuellement) la continuité des grands équilibres mondiaux.
Serait-ce là la teneur du message aux multiples facettes délivré par les attaques suicides de New York et de Washington ? Pourquoi non, si nous n'écartons pas la version cauchemardesque du scénario tracé par Fuller lui-même, celui qui comporte d'autres centres, dans ce qui subsiste encore d'un tiers-monde (en voie de 'résorption'), centres qui resteront, à moyen et long termes, porteurs du germe du passé et des pressions engrangées résultant de tout un siècle de refus de la modernité ? Ceci signifierait que les succès (occidentaux) ne suffiraient pas à maîtriser les 'intifadas noires' et que les casse-tête démographiques viendraient ajouter leurs effets aux casse-tête migratoires et à la paupérisation croissante, à la désertification, aux famines, tout ceci se traduisant en discours fondamentalistes s'élevant et enflant, se répandant sur un terrain propice, dans une émotivité collective blessée et encline à les recevoir et à les adopter.
Fuller ne manque pas de faire allusion à la menace pour les cultures nationales résultant de la généralisation forcée des valeurs occidentales, et de moyens d'échange auxquels ces sociétés n'ont jamais réussi à résister efficacement. Mais la nature et l'ampleur de cette menace ne peuvent être perçues qu'en étudiant de manière approfondie les modalités de l'exportation à la fois tentaculaire et massive des biens culturels (livre, film, chanson, nourriture, vêtements, médicaments) ainsi que l'industrie du symbolisme culturel, qui frise le légendaire dans ces divers secteurs. Ainsi, le hamburger 'Big Mac' acquiert le statut de symbole de l'hégémonie politico-économico-militaire de l'Amérique, non seulement dans un pays tel la Malaisie, par exemple, mais même dans un pays comme la France. Tout le monde n'est-il pas peu ou prou convaincu du fait que les attaques suicides récentes visaient à détruire les symboles de la puissance américaine, et que la chute de ces symboles a représenté une atteinte gravissime portée à l'inviolabilité, à l'immunité et à la sécurité de l'appareil même pérennisant cette hégémonie, sur le plan économique tout d'abord (compagnies aériennes, bourse, climat des affaires, entreprises et emplois), militaire ensuite - et ensuite, seulement (pour ainsi dire : dans la foulée) ?
Aujourd'hui, à l'ère 'post-onzeseptembrienne', comme au moment de l'effondrement du mur de Berlin, les hypothèses restent largement ouvertes quant à l'avenir, sans écarter celles qu'évoquent un Daniel Grace, un John Gray ou un Graham Fuller. Encore une fois, comme lors du dernier précédent en date - la 'Tempête dans le désert' (guerre du Golfe) - , l'Occident va entrer dans une phase de remise en cause radicale de lui-même et de son identité, bien plus douloureuse que toute remise en cause concomitante dans le tiers-monde. Le plus probable est que l'Occident traditionnel, qui avait remporté une victoire sur lui-même après l'écroulement du mur de Berlin (film, en fin de compte, produit quasi-exclusivement en Occident), ne pourra pas se reconstruire sous une forme mondialisée, avec la main gauche occupée à ouvrir les portes de l'économie de marché tout en ayant la main droite occupée à les fermer afin de déjouer les menées des "fonds terroristes". La confrontation globale réelle se produit sur toute l'étendue de la planète, jour après jour, autour de myriades de dossiers, chacun géré en fonction de règles froidement inhumaines et totalement autonomes, loin de la césure traditionnelle entre Occident et Orient. Dans le cas où le World Trade Center, à l'instar du 'Big Mac', devrait demeurer plus prégnant dans l'ordre du jour (du futur) que toute idéologie alternative inédite, (il convient de ne pas oublier que) ce centre d'affaires (aujourd'hui en ruines) et ce hamburger sont bel et bien soumis aux tribulations dialectiques de l'historicité, tant dans l''ante-' que dans le 'post-'...
                                           
9. En Irak, les CD (Compact Disks) se vendent comme des petits pains : programmes ludiques et jeux de stratégie militaire, bien loin de la censure... par Hani Ibrahim Ashur
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 5 octobre 2001
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Bagdad. En dépit de consignes et de règlements qui encadrent les boutiques de location des films vidéo et des CD en Irak, à commencer par la patente qui en permet l'exploitation, pour finir par l'observation de l'ordre public, les 'descentes' des services de la censure se multiplient, ainsi que des fermetures administratives de boutiques, ici et là, et l'imposition d'amendes pour contraventions diverses. Mais cela n'empêche nullement la multiplication des boutiques de location, bien souvent sans patente, jusque dans les quartiers populaires. On y observe une circulation intense de cassettes et de CD, qui échappe le plus souvent à la censure.
Ces boutiques sont devenues un véritable phénomène social depuis environ un an. A Bagdad, on en estime le nombre à plus de cent : elles vendent ou louent des CD, les dupliquent et les emballent. Ce phénomène a suivi de près l'arrivée dans le pays d'un nombre important d'ordinateurs neufs importés des Emirats Unis, dans le cadre de l'accord 'pétrole contre nourriture'. Il semble que l'activité soit rentable pour les investisseurs-tenanciers, la clientèle affluant dans leur boutique étant manifestement juvénile.
Dans une seule avenue d'un quartier de Bagdad, plusieurs épiceries se sont transformées, du jour au lendemain, en boutiques de location et de vente de CD. Le va-et-vient des jeunes et des collégiens y est permanent. Ceux-ci y dépensent leurs économies du jour, durement gagnées en travaillant. Mais ils y trouvent évasion et distraction, à regarder des films d'action, souvent non dépourvus de violence, et des comédies musicales sirupeuses, le plus souvent turques, dont le public irakien est très friand mais dont il était privé depuis longtemps, en raison du blocus et du manque cruel d'ordinateurs... Au centre de Bagdad, dans le quartier de Bâb Sharqiyy, se tient chaque semaine, le vendredi matin, un grand marché où l'on vend et échange des CD. Des milliers de jeunes gens s'y pressent pour découvrir cette technique qui n'a envahi leur pays que depuis peu de temps. L'activité y est si intense que les prix sont devenus très compétitifs ; le prix d'un CD étant, sur ce marché, de l'ordre d'un demi-dollar. Les agents des renseignements généraux ont ce marché à l'oeil, surtout depuis l'apparition d'un jeu vidéo (américain) intitulé 'Guerre du Golfe'. Deux armées s'y affrontent, avec des blindés : il s'agit bien évidemment des armées américaine et irakienne... Au début du jeu, un tankiste américain attaque une colonne irakienne, détruit des tanks et des fortins irakiens surmontés du drapeau irakien... Le jeu se poursuit jusqu'à ce que le tankiste américain (et donc le joueur...) ait fini par vaincre totalement. C'est alors que la bannière étoilée envahit toute la largeur de l'écran !
Si le joueur est par trop maladroit, le tankiste américain est vaincu. Apparaît alors le visage d'un général américain qui ordonne de fournir de nouveaux tanks à son subordonné. Si celui-ci est 'vaincu' à nouveau, le généreux général impassible lui re-fournit du matériel et des hommes... Le scénario se renouvelle trois fois... Et si finalement, le joueur n'est vraiment pas doué, le tank américain explose : le général américain refait alors apparition et, fixant le joueur empoté droit dans les yeux, il lui dit, sur un ton sans appel : "tu n'es pas à la hauteur, mon gars !"
Des journaux irakiens se sont insurgés contre ce 'jeu', demandant à ce qu'il soit interdit.
Dans un tout autre genre, on constate un engouement des jeunes pour les peplums historiques islamiques. Grâce à ces films qui retracent l'épopée de l'expansion de l'Islam, ils désirent combler les lacunes de leur culture historique et religieuse. Mais cela n'est nullement au détriment des films... d'horreur, ni de la variété turque.
Les jeunes qui ne peuvent acquérir un ordinateur en louent un pour la nuit : ils regardent leurs films et leurs jeux vidéo de dix heures du soir à dix heures du lendemain matin... pour quelques dizaines de milliers de dinars. Un boutiquier m'explique que cette politique de location de matériel lui permet d'amortir les frais d'achat d'appareils coûteux (de duplication notamment), de location et de décoration de sa boutique, de couvrir ses frais généraux, le tout s'élevant à des millions de dinars.
Les médias irakiens, en particulier la presse, commentent abondamment le phénomène de société que représente cet engouement. Souvent, ils réclament plus de contrôle, surtout depuis que les boutiques se multiplient (illégalement) dans les quartiers populaires. Mais les sociologues et les éducateurs y voient un phénomène normal et positif : pour eux, le progrès technologique ne peut que s'imposer et il s'agit là d'un support de connaissance et de culture. Mais ils n'ont de cesse de mettre en garde contre un usage incontrôlé et un manque d'encadrement des jeunes 'accros' à la vidéo. Ils incitent les parents à surveiller discrètement leurs rejetons 'enfants ou adolescents) et à ne pas leur laisser une autonomie totale en la matière, en leur expliquant que les marchés à la sauvette se répandent dans tous les quartiers des grandes villes, que les jeunes peuvent se procurer des CD très facilement, et que les parents ne peuvent compter sur la vigilance de la censure, à laquelle ce marché totalement spontané échappe dans une très large mesure...
Mentionnons pour conclure que ce phénomène trouve un écho jusque dans le théâtre irakien. Les spectateurs de Bagdad peuvent aller voir actuellement une comédie intitulée "Farhan CD". (l'équivalent de ce titre pourrait être ~ "Félix CD", si l'on se souvient que Félix veut dire Heureux, en latin... Je pense qu'il y a, de plus, un jeu de mot avec CD, qui se prononce "Sidi", à l'anglaise, ce qui signifie, en arabe : "Monsieur"... Ndt).