"La pluie est un bon présage", estimait, mercredi 14 novembre, George W. Bush, en accueillant Vladimir Poutine dans son ranch au Texas, où le détenu Jeffrey Tucker, dont l'exécution avait été reportée le 11 septembre en raison des attentats, venait d'être mis à mort par injection.
in Le Monde du vendredi 16 novembre 2001
                                   
   
Point d'information Palestine > N°178 du 27/11/2001

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L'AMFP Marseille est une section de l'Association France-Palestine Solidarité
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Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux (Trésorier)
Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
                       
Si vous ne souhaitez plus recevoir (temporairement ou définitivement) nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante : amfpmarseille@wanadoo.fr. Ce point d'information est envoyé directement à 3693 destinataires.
Consultez régulièrement les sites de Giorgio Basile : http://www.solidarite-palestine.org
et de Marc Deroover : http://www.paix-en-palestine.org
                           
                                               
Au sommaire
                                      
Témoignage
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des citoyens de Palestine ou des observateurs. Ils sont libres de droits.
Force et mensonge... par Claude Abou-Samra, citoyenne de Ramallah en Palestine
                       
Dernière parution
- Le bûcheron et la petite fève de Mohamed Saleh khalil aux éditions Syros, Collection "Albums"
- Un monde palestinien direction artistique d'Antonin Louchard et Katy Couprie aux éditions Thierry Magnier
Ces deux livres font l'objet d'une "Opération de solidarité" avec les enfants palestiniens, relayée par le quotidien français "L'Humanité" - 32, rue Jean Jaures - 93200 Saint-Denis - Tél. 01 49 22 72 72 - Fax. 01 49 22 72 51
- Un pont littéraire entre France et Palestine par Jacques Moran in L'Humanité du vendredi 23 novembre 2001
- Un imagier, un conte - Les dons de l'imaginaire palestinien pour la paix par Bernard Epin in L'Humanité du vendredi 23 novembre 2001
- Un livre pour vous, un livre pour les enfants de Palestine in L'Humanité du vendredi 23 novembre 2001
                       
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG.
1. Un pays où les petites filles sont battues et emprisonnées et battues encore... par le Defence For Children International / Palestine Section
2. Des torpilles contre un porte-avions par Uri Avnery (24 novembre 2001) [traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
3. La Sainte Alliance par Uri Avnery (17 novembre 2001) [traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
                                 
Revue de presse
1. L'armée israélienne en position d'accusée après la mort de cinq enfants par Gilles Paris in Le Monde du dimanche 25 novembre 2001
2. A la suite du 11 septembre, montée des discriminations sur le lieu de travail par Pam Belluck in The New York Times (quotidien américain) du dimanche 25 novembre 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. Avec leur nouvelle alliance musulmane, les Etats-Unis courent le risque d'une instabilité accrue par Marwan Bishara in The International Herald Tribune (quotidien international publié à Paris) du samedi 24 novembre 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
4. L'Europe taxe les exportations israéliennes en provenance des colonies in Le Soir (quotidien belge) du samedi 24 novembre 2001
5. Ici Tel-aviv - Haro sur la musique grecque par Serge Dumont in Le Soir (quotidien belge) du samedi 24 novembre 2001
6. Une Israélienne chez les Palestiniens : Amira Hass par Agnès Rotivel in La Croix du samedi 24 novembre 2001
7. Marwan Barghouti : "Il faut combattre et négocier en même temps" propos recueillis à Ramallah par Pierre Prier in Le Figaro du vendredi 23 novembre 2001
8. Visite dans les dédales d'Aïn el-Héloué - Poudrière sous surveillance in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 23 novembre 2001
9. Mounir Maqdah, chef de la milice de Fatah : "Les opérations ne cesseront pas avant la défaite d'Israël" in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 23 novembre 2001
10. L'Etat palestinien et la déclaration "Bushlour" ! par le Dr. As'ad Abd Al-Rahman in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du jeudi 22 novembre 2001 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
11. Union Européenne - Note à titre consultatif sur les droits de douane par Herb Keinon in The Jérusalem Post (quotidien israélien) du jeudi 22 novembre 2001 [traduit de l'anglais par la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine]
12. Ottawa "déplore" la détention, durant 57 jours, d'un Arabe réfugié au Canada par Bill Schiller in The Toronto Star (quotidien canadien) du jeudi 22 novembre 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
13. Proche, orientale [un portrait de Leïla Shahid] par Anne Diatkine in Libération du mercredi 21 novembre 2001
14. Le lieu de baptême du Christ aurait été identifié en Jordanie par Stéphane Foucart in Le Monde du mercredi 21 novembre 2001
15. L'Irak n'est jamais sorti de la ligne de mire de l'administration américaine par Mouna Naïm in Le Monde du mercredi 21 novembre 2001
16. Décervelage à l'américaine par Herbert I. Schiller in Le Monde Diplomatique du mois d'août 1999
                                               
Témoignage

                                       
Force et mensonge... par Claude Abou-Samra, citoyenne de Ramallah en Palestine
Aujourd'hui ce n'est pas l'humiliation à un point de contrôle ou la confrontation lors d'une manifestation non-violente (non violente du côté palestinien il s'entend ...) à un autre barrage qui me pousse à écrire . C'est la première page du journal Al-'Ayyam de ce samedi 24 novembre.  Au-dessous du titre en blanc sur fond rouge "sept martyrs et des dizaines de blessés lors de ce vendredi sanglant" une photo m'interpelle : les corps des cinq enfants enveloppés dans le drapeau palestinien, sanglés sur des brancards que des jeunes portent sur leurs épaules. Je ne me suis jamais habituée aux funérailles des martyrs et supporte mal de voir les corps emportés par une foule souvent débordante. Mais sur cette photo, la scène est étrangement digne et calme . Les corps sont portés, l'un à côté de l'autre, enfants de la même famille, frères et cousins, comme s'ils étaient sagement en rang pour entrer dans leur école. Dans le journal d'hier, à la même place, étaient leurs photos d'identité placées les unes à côté des autres. Aujourd'hui les visages ont disparu, pulvérisés par l'engin qui les a déchiquetés sur le chemin de l'école.
La journée de deuil décrétée pour les 13 martyrs de ces deux derniers jours n'est pas propice à l'oubli. Rien à faire si ce n'est ressasser ses sentiments. Jeudi, jour du drame, les informations israéliennes annoncent que "de source palestinienne" il est fait état à Khan Yunès de 5 enfants tués et un grièvement blessé dans l'explosion d'un engin qu'ils manipulaient. Un peu plus tard," il s'agissait peut-être d'un obus qui n'avait pas explosé au moment de son tir, mais les forces de défense israélienne n'avaient fait aucun tir à cet endroit". C'est ce que les médias internationaux reprenaient dans leurs infos. L'émotion suscitée par la mort de ces enfants sur le chemin de l'école conduit malgré tout à une enquête de laquelle il ressort que l'engin qui a tué les enfants a été déposé par une unité spéciale israélienne en territoire palestinien. Cet engin "devait exploser au passage de terroristes" qui, comme chacun le sait, peuplent les territoires palestiniens. On a vu qui sont les terroristes. Mais la première info est passée, il y a eu l'Afghanistan et ses horreurs, on a oublié la mort de cinq enfants palestiniens sur le chemin de l'école. D'autant plus que le jour même des funérailles de ces enfants, l'armée israélienne tue - ou liquide - sept autres Palestiniens. Parmi eux, des "activistes du Hamas recherchés, n° 1 sur la liste des hommes à abattre, responsables de tant et tant d'attentats, prêts à en commettre d'autres encore plus sanglants demain". C'est ce que les médias reprennent, sans oublier les "appels à la vengeance de 50.000 Palestiniens lors des funérailles". Et les enfants ? On a oublié, on ne sait plus ce qui leur est arrivé. Israël et les Américains regrettent, mais ils sont noyés dans le lot. On regrette pour eux, donc pas pour les autres, donc si ceux-là ne devaient pas être tués les autres devaient l'être ...
La soirée où nous devions aller étant annulée en raison du deuil, j'essaie de me distraire avec les journaux reçus de France. Mais la lecture de l'excellent document "la plainte contre Ariel Sharon" dans le numéro d'automne de la Revue d'Etudes Palestiniennes ou du très bon article d'Amnon Kapeliouk dans le Monde Diplomatique de novembre, s'ils me rassurent par la qualité de l'information, ne calment pas ma colère. On sait. Tout le monde sait que "Sharon est un assassin, animé par la haine contre les Palestiniens" (déclaration de M. Philip Habib, médiateur américain en 1982, citée par A. Kapeliouk). Les dirigeants du monde entier le savent et laissent faire ... Jusqu'à quand ?
Finalement c'est avec une certaine nostalgie que j'ouvre un livre que des amis viennent de nous offrir : "Naïm Khader [1], prophète foudroyé du peuple palestinien" [2]. Peut-être vais-je retrouver dans le récit de sa vie cette espérance que nous partagions quand je l'ai rencontré en Belgique avec un groupe de chrétiens pour la paix il y a vingt cinq ans ?
La lecture de la préface écrite à Jérusalem le 15 avril 2001, par un autre Palestinien, ami très proche de Naïm Khader,  Monseigneur Michel Sabbah, Patriarche Latin de Jérusalem, répondra à mon angoisse. En voici quelques extraits  :
"Le drame palestinien est l'un des plus tragiques des temps modernes ... et des plus méconnus, sinon des plus déformés. Personne ne peut imaginer la marche infernale du peuple palestinien tout au long de son histoire moderne. Il a été continuellement victime de la force et du mensonge, un mensonge au service de la force, et une force au service du mensonge" (...)
"Le peuple palestinien est en train de traverser une nuit tragique, où la force et le mensonge continuent à aller bon train semant la souffrance et la mort. La deuxième Intifada est la conséquence directe d'une situation qui devenait de plus en plus invivable. Il est temps d'ouvrir une brèche dans ce système de mensonge et de force qui n'aboutira à rien sinon à semer la mort et le désespoir nous entraînant tous vers une catastrophe dont personne ne peut prévoir les conséquences.(...) A cette heure des ténèbres, Naïm nous manque terriblement. Mais on ne peut hésiter à dire qu'il est là. Malgré toutes ses souffrances, le peuple palestinien ne cesse de regarder vers l'avenir.(...) Comme Naïm, les Palestiniens aiment la vie. Le peuple qui a donné Naïm Khader est un peuple qui ne mourra pas."
Même dans les moments les plus sombres on ne s'endort pas sans avoir retrouvé l'espoir. C'est la seule force du peuple palestinien contre la force et le mensonge.
[1] - Naïm Khader était le représentant de l'OLP en Belgique. Il a été assassiné le 1er juin 1981 devant son domicile à Bruxelles.
[2] - Robert Verdussen a sorti pour le 20ème anniversaire de sa mort une biographie intitulée "Naïm Khader, Prophète foudroyé du peuple palestinien" aux éditions Le Cri [138,00 FRF / 21,04 euros - ISBN : 2871062811 - Parution en août 2001].
                          
Dernière parution

                                   
Le bûcheron et la petite fève de Mohamed Saleh khalil
aux éditions Syros, Collection "Albums"
[32 pages - 78,70 FF (12,00 euros) - Format 23 x 23 cm - Album bilingue français-arabe, à partir de 5 ans]
L'auteur, peintre et dessinateur, Mohamed Saleh khalil, est diplômé en gravure et lithographie de l'Académie des Arts de Dresde (Allemagne). Les illustrations à la gouache de Mohamed Saleh Khalil sont complétées par quelques calligraphies de Talal Siam. Ce conte palestinien sortira en librairie ce 29 novembre 2001.
Un homme d'une grande pauvreté, exerçant le métier de bûcheron, mangeait des fèves pour le déjeuner. Il fit tomber une de ces denrées précieuses dans un puits. L'homme fut atterré qu'une fève lui ait échappé. Il supplia le puit enchanté de lui rendre son bien. Les génies du puits réalisèrent son souhait en lui octroyant un baquet magique qui permettait au bûcheron de manger avec abondance. Un jour, le bûcheron décida de partir quelques jours et confia son baquet à une famille voisine. Les voisins mal intentionnés décidèrent d'effectuer un échange entre un banal baquet et ce plat magique. Une fois de retour, le bûcheron s'aperçut très rapidement de la supercherie et décida de se venger grâce à un bâton magique. Il récupéra son baquet et son moulin magique. Il mangea donc à sa fin pendant longtemps.
                                   
Un monde palestinien direction artistique d'Antonin Louchard et Katy Couprie
aux éditions Thierry Magnier
[128 pages - 91,76 FF (14,00 euros) - Format 15 x 15 cm - ISBN : 2-84420-141-5 - de 0 à 6 ans et plus...]
Cet album est un enchaînement d'images, des associations d'idées, de forme, de couleurs pour raconter la culture et le quotidien de la Palestine. Près de quarante-cinq artistes palestiniens, une multiplicité d'expressions plastiques (peinture, photographie, dessin, textile) offrant un panorama de la création palestinienne contemporaine. Pour que leur pays existe. Cet imagier est le fruit d'une collaboration entre les éditions Thierry Magnier, le Centre de promotion du livre de jeunesse de Seine-Saint-Denis, le service culturel de l'Ambassade de France à Jérusalem et l'Autorité Palestinienne. La direction artistique est assurée par Katy Couprie, illustratrice avec Antonin Louchard de Tout un monde… L'ouvrage, qui se lit de droite à gauche, est diffusé à la fois en France et en Palestine.
                                
Ces deux livres font l'objet d'une "Opération de solidarité" avec les enfants palestiniens, relayée par le quotidien français "L'Humanité" - 32, rue Jean Jaures - 93200 Saint-Denis - Tél. 01 49 22 72 72 - Fax. 01 49 22 72 51
                               
Un pont littéraire entre France et Palestine par Jacques Moran
in L'Humanité du vendredi 23 novembre 2001
Palestine - Pourquoi l'Humanité s'associe au Salon du livre de jeunesse de Montreuil pour la diffusion de deux livres coédités entre les deux pays.
Les lecteurs sont invités à acheter deux exemplaires de chacun des ouvrages "Le bûcheron et la petite fève" et "Un monde palestinien", dont l'un des exemplaires sera diffusé en Palestine.
La présence de la Palestine est un des moments forts du Salon du livre de jeunesse de Montreuil qui ouvrira ses portes mercredi 28 novembre. Avec ses auteurs, ses illustrateurs, ses poètes et notamment Mahmoud Darwich. Il s'agit tout autant d'un processus de découverte d'une littérature peu connue de nos concitoyens que d'un véritable processus d'échange et de coopération. C'est le sens de la sortie de deux ouvrages, le Bûcheron et la Petite Fève, de Mahmoud Shuqair illustré par Mohammad Saleh Khalil et Un monde palestinien où 45 artistes croisent leurs regards sur la Palestine. Deux ouvrages qui ont été présentés publiquement hier avant le Salon par Sylvie Vassalo, directrice du Salon en présence de Leïla Shahid, déléguée de l'Autorité palestinienne en France, des représentants des conseils généraux de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, de l'Institut du monde arabe, de la CCAS et de l'Humanité, partenaires de l'opération de diffusion des deux livres dans les écoles, les bibliothèques de plusieurs villes palestiniennes jumelées avec des villes françaises.
Au cours de cette manifestation, Leïla Shahid a d'abord dénoncé la campagne de désinformation sur les livres scolaires en Palestine qui les présentait comme des ouvrages prônant l'intolérance et l'antisémitisme : " Nous sommes incapables de répondre à cette campagne. Mais des spécialistes israéliens de Jérusalem y ont répondu en déclarant qu'au contraire l'enseignement en Palestine avait fait un pas en avant énorme par rapport aux anciens ouvrages égyptiens et jordaniens utilisés pendant trente-quatre ans. " Leïla Shahid a salué l'initiative de coédition du Centre de promotion du livre de jeunesse de Seine-Saint-Denis qui montre après les événements du 11 septembre que le monde arabe n'est pas un monde sans imaginaire et sans poésie, refermé sur lui-même. La diffusion concomitante de ces livres en France et en Palestine est un exemplaire d'une francophonie intelligente " par le bas ". " Les Français doivent savoir que la Palestine est un pays francophile qui veut devenir francophone ", a-t-elle ajouté. " Il existe des enseignements en français et en arabe dans les écoles palestiniennes. " Le bilinguisme du Bûcheron et la Petite Fève est un enrichissement merveilleux pour l'enfant a dit Françoise Mateu des éditions Syros Jeunesse : " Les jeunes Français et Palestiniens vont prendre conscience qu'il existe d'autres codes de lecture. " L'Humanité, partenaire de l'opération, diffuse dès aujourd'hui un bon de commande incitant les lecteurs à acheter deux exemplaires de chaque livre, le deuxième exemplaire étant mis à disposition des élèves palestiniens des trois villes - Djénine, Qalqiya et Tulkarem - jumelées avec des villes de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Pour Pierre Laurent, directeur de la rédaction, l'opération est à la croisée de trois passions du journal : le livre et la création, les droits de l'enfance et les droits du peuple palestinien.
                                       
Un imagier, un conte - Les dons de l'imaginaire palestinien pour la paix par Bernard Epin
in L'Humanité du vendredi 23 novembre 2001
Parmi toutes les initiatives marquant la présence de la littérature arabe dans le Salon, deux livres placent dans la durée l'engagement de divers partenaires en faveur d'une action de paix directement accessible aux enfants. Au départ, la priorité affirmée par le ministre palestinien de la Culture au développement du livre et à la lecture en direction de la jeunesse. Une priorité dont on imagine avec peine comment elle peut se concrétiser dans le déferlement des violences, les droits élémentaires bafoués, les espoirs de paix et d'indépendance constamment remis à l'arrière du point zéro.
L'idée est donc belle - et bonne - de s'être appuyé sur un travail de formation mené depuis plusieurs années en Cisjordanie et à Gaza par l'artiste enseignant, Daniel Maja, pour rassembler les énergies au plus haut niveau (consulat de France à Jérusalem, Autorité palestinienne) en vue de coéditer des livres pour la jeunesse permettant l'échange des cultures et le développement de plusieurs projets éditoriaux. En collaboration avec l'éditeur palestinien Le Petit Shourouk de Ramallah, deux maisons françaises ont été sollicitées : Syros, pour un conte traditionnel en édition bilingue : le Bûcheron et la Petite Fève, texte de Mahmoud Shuqair, illustrations de Mohammad Saleh Khalil pour le réalisme originel. Un de ces contes peuplés d'objets magiques, de forces maléfiques dans leur affrontement avec la ruse populaire, comme il en est dans tous les folklores et dont l'édition souligne bien les particularismes ethniques.
Thierry Magnier qui, avec le concours de Katy Couprie pour la coordination artistique, renoue avec la formule qui a fait le succès d'un précédent imagier (Tout un monde). Pour celui-ci, Un monde palestinien, 45 artistes de Palestine croisent leurs regards sur la vie quotidienne et ses détails significatifs, loin du cliché touristique, à travers photos, aquarelles, peintures faisant l'objet d'un montage qui favorise les associations d'idées pour un parcours imaginaire.
Diverses institutions (conseils généraux du 93 et du 94, Institut du monde arabe, CCAS, Cités unies) sont parties prenantes de ce projet (y compris dans l'achat de livres), que l'Humanité a également tenu à parrainer. On aura saisi l'urgence des enjeux. 
                                           
Un livre pour vous, un livre pour les enfants de Palestine
in L'Humanité du vendredi 23 novembre 2001
L'édition palestinienne, cela ne surprendra personne, est sinistrée. Pourtant, les créateurs, écrivains, illustrateurs, photographes, ne manquent pas. Et les besoins sont immenses. Aider à la renaissance de l'édition palestinienne est une tâche de première urgence à laquelle vous pouvez, avec votre journal, vous associer. Deux éditeurs français, Syros et Thierry Magnier, avec l'éditeur palestinien, Le Petit Shourouk de Ramallah, ont concocté à l'intention des enfants des deux pays deux magnifiques ouvrages qui permettront aux enfants de France de découvrir le monde et l'imaginaire des enfants palestiniens et à ceux ci de se les réapproprier au travers de témoignages de la vitalité de leurs éditeurs et de la solidarité des enfants du monde. Le Bûcheron et la Petite Fève (Syros) est un conte, où les textes en français et en arabe se répondent sous les illustrations. Un monde palestinien est un imagier un de ces livres sans textes mais pas sans paroles, où l'image fait naître, entre l'adulte et l'enfant, l'acte de nommer.
Comment faire ?
Chacun des deux livres, au choix, s'achètera par paire, avec une légère réduction (loi Lang oblige), sur le stand de l'Humanité ou celui des éditeurs. Vous partirez avec le vôtre et son double ira en Palestine rejoindre l'enfant auquel il est destiné. Un bon de commande sera publié dans l'Humanité pendant toute l'opération, qui s'achèvera à la fin du Salon, le 3 décembre. Votre livre vous sera dans ce cas adressé par la poste. Vous aurez ainsi fait au moins deux heureux.
- Le bûcheron et la petite fève, aux éditions Syros, 137,10 F les 2 exemplaires.
- Un monde palestinien, aux éditions Thierry Magnier, 174, 50 F les 2 exemplaires.

Ont rendu possible cette opération : Le conseil général de la Seine-Saint-Denis, Le conseil général du Val-de-Marne, l'Institut du monde arabe, la CCAS, Cités-Unies France, en collaboration avec le ministère palestinien de la Culture, le consulat général de France à Jérusalem et le service culturel, le Centre Wasiti de Jérusalem, le Centre de promotion du livre de jeunesse de Seine-Saint-Denis.
                            
Réseau

                         
1. Un pays où les petites filles sont battues et emprisonnées et battues encore... par le Defence For Children International / Palestine Section
Ceci est l'histoire d'une petite palestinienne de 14 ans qui s'appelle Sausan. Sausan Abu Turki vient d'Hebron, une ville de Cisjordanie dans les Territoires Occupés.
Sausan a 14 ans. Sausan est détenue depuis le 6 septembre à la prison pour femmes Ramle en Israël. Elle est accusée d'avoir attaqué un soldat israëlien avec un couteau…une accusation formellement démentie par sa famille.
Sausan a 14 ans. Mais ceci n'est pas le début de la torture de Sausan.
Sausan a 14 ans. En juin 2001, Sausan a été attaquée par un colon israëlien à Hebron, qui a lancé son chien sur Sausan.
Sausan a 14 ans. Le 5 juillet 2001, alors que Sausan rentrait chez elle après avoir rendu visite à sa soeur qui venait juste d'accoucher, elle a été agressé par quatre soldats à un check-point militaire israëlien. Elle a perdu connaissance à la suite de cette brutale attaque. Hospitalisée durant 5 jours, sa vue est désormais affaiblie suite aux coups qu'elle a reçus à l'arrière de la tête. Depuis cette agression, Sausan souffre de problèmes psychologiques et de cauchemars récurrents. Elle s'est complètement renfermée sur elle-même et manifeste des tendances suicidaires.
Sausan a 14 ans. Ni la police ni l'armée israëlienne n'a mené aucune enquête sur cette attaque.
Sausan a 14 ans. Sausan est épileptique. Elle a besoin de soins médicaux et psychologiques. Malgré les appels d'un médecin palestinien et d'un avocat, on lui a refusé tout traitement. Le cas est "en cours de réexamination" (15 novembre).
Sausan a 14 ans. D'après les témoignages de notre avocat et d'une co-détenue libérée depuis, Sausan a été victime de mauvais traitements, au moins une fois : début octobre, on lui a lié les poignets et les chevilles et on lui a bandé les yeux. Son visage était couvert de bleus et ses pieds étaient en sang.
Sausan a 14 ans. Toujours d'après sa co-détenue (âgée elle aussi de 14 ans), Sausan pleure souvent et est très perturbée par sa détention. D'après notre avocat, désormais interdit d'accès en Israël, Sausan est constamment raillée par les officiers de la prison. Elle ne peut sortir de sa cellule qu'une heure par jour au lieu des trois réglementaires.
Sausan a 14 ans. Les parents de Sausan n'ont pas le droit de voir leur fille. Imaginez leur souffrance. Et pour l'instant, personne ne sait combien de temps cette détention va durer...
Dans un sens, Sausan n'est pas seule : à notre connaissance, 160 mineurs sont détenus dans les prisons israëliennes.
Oh Israël, où même les petites filles sont battues et emprisonnées et battues encore.
Exigez la LIBERATION IMMEDIATE de Sausan et celle de TOUS les enfants prisonniers politiques palestiniens.
- Contactez une émission de radio, vos médias nationaux, votre Ministre des Affaires Etrangères.
- Visitez notre site Web pour plus d'informations et de conseils : www.dci-pal.org
Faites quelque chose pour Sausan, une petite fille, une victime de plus de l'occupation israëlienne, traumatisée, malade et qui a seulement 14 ans.
[Defence For Children International / Palestine Section - PO Box: 55201 - Jerusalem - Tél : 972-2-2-2407537 / 2407530 - Fax : 972-2-2-2407018 - E-mail: dcipal@palnet.com]
                                             
2. Des torpilles contre un porte-avions par Uri Avnery (24 novembre 2001)
[traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
Israël ressemble à un hors-bord. Il se déplace rapidement et vire facilement. Les Israéliens sont fiers de leur talent pour l'improvisation, qui va de paire avec une incapacité à planifier quoi que ce soit. Ce sont les deux faces d'une même médaille.
Les Etats Unis ressemblent à un porte-avions géant. Il se déplace lentement et ne peut tourner que dans un large cercle. Il ne peut pas improviser et doit tout planifier méticuleusement.
Le lendemain de l'attaque terroriste contre les Tours Jumelles, il était clair que la politique de Bush au Moyen-Orient devait changer de direction. Le slogan " Laissons-les saigner " (nous et les Palestiniens) avait disparu. Les Etats Unis doivent résoudre le conflit israélo-palestinien qui engendre des tonnes de haine et de colère contre l'Amérique. C'est ce que nous avons dit immédiatement après la catastrophe, mais les semaines ont passé et rien n'est arrivé. C'est du moins ce qu'il semblait.
Mais le porte-avions est en train de tourner, très lentement, avec un mouvement presque imperceptible. Au 67e jour après l'horreur terroriste, Colin Powell était prêt à délivrer son message précisant la nouvelle politique américaine.
Il était clair que le secrétaire d'Etat devait répondre aux énormes pressions exercées sur lui. Ses phrases étaient choisies avec soin, avec un maximum d'effort pour satisfaire les deux parties, à la fois sur le fond et émotionnellement. Il y a des passages univoques, quelques-uns pro-palestiniens, beaucoup plus pro-israéliens. Au dernier moment, Powell a même été obligé d'insérer de nouvelles phrases, qui ne figuraient pas dans le texte distribué à l'avance, pour satisfaire le lobby pro-israélien.
Si nous enlevons les fioritures et mettons à nu le squelette du plan, nous trouvons que celui-ci est logique et raisonnable. En voici les grandes lignes :
- La solution des deux Etats : la paix sera fondée sur l'existence de deux Etats, " Israël et Palestine ". Les termes ont été choisis avec soin : pour la première fois, le nom Palestine a été prononcé au lieu du terme moins explicite " Etat palestinien ". Nous, à Gush Shalom, c'est ce que nous faisons depuis longtemps.
- Les deux Etats auront " des frontières sûres et reconnues ". Il n'y aura plus d'Israël sans frontières fixes, ni de Palestine sans frontières.
- La Ligne Verte (d'avant 1967) n'est pas mentionnée spécifiquement, mais Powell dit que les frontières seront basées sur les résolutions 242 et 338 du Conseil de Sécurité, qui découlent du concept " terre contre paix ". Bien sûr la résolution 242 mentionne explicitement " l'inadmissibilité de l'acquisition de territoires par la guerre ".
- L'occupation doit cesser. Le passage dans lequel Powell décrit la souffrance des Palestiniens sous occupation est l'un des plus convaincants de son discours. Les Palestiniens " ont grandi avec les barrages, les attaques et les insultes... Trop souvent ils ont vu leurs écoles démolies et leurs parents humiliés...Trop de Palestiniens innocents, y compris des enfants, ont été tués et blessés... ". Ces mots contrebalancent le passage sur la violence palestinienne : " le lynchage de soldats israéliens...l'assassinat du ministre ...la terreur dirigée contre Israël... "
- " L'activité de colonisation doit s'arrêter ". Cette déclaration interdit non seulement l'installation de nouvelles colonies mais toute activité de colonisation quelle qu'elle soit, y compris la construction de maisons dans des colonies existantes.
- Le futur Etat palestinien doit être " viable ". Ce qui signifie : pas une série d'enclaves telles que dessinées par Barak et Sharon, mais un Etat continu avec une base économique réelle. Les Etats Unis promettent de renforcer son économie.
- En retour, les Palestiniens doivent " accepter la légitimité d'Israël en tant qu'Etat juif ". Ceci est juste. Nous Israéliens pouvons débattre entre nous de ce que sera notre Etat, basé sur l'ethnicité ou sur la citoyenneté, un Etat juif ou hébreu ou israélien - mais ceci est un débat interne. Il ne concerne ni l'Amérique, ni la Palestine. Les Palestiniens doivent reconnaître le principe " Deux Etats pour deux peuples " - ce qui veut dire un Etat israélien représentant la personnalité du peuple israélien. (Le statut national des citoyens arabes d'Israël est également un sujet de controverses internes.)
- Il n'est pas dit explicitement que Jérusalem sera la capitale des deux Etats mais il précisé que la solution doit " prendre en compte les préoccupations religieuses et politiques " des deux parties. Cela semble signifier une ville partagée.
- Aucun plan détaillé pour la solution du problème des réfugiés n'est mis en avant, mais il est dit que " les deux parties doivent œuvrer pour une solution juste qui soit à la fois équitable et réaliste ", une formule qui répète presque mot pour mot ce que Gush Shalom dit dans ses " 80 thèses pour la paix " : " la solution pratique du problème viendra d'un accord basé sur des considérations justes, équitables et pratiques. "
En effet, les paroles de Powell évoquent extraordinairement les principes de Gush Shalom (mais sans les détails et sans les échéances). Il s'ensuit, par conséquent, que chaque partie du plan est en contradiction totale avec les desseins d'Ariel Sharon. D'où il ressort que ce dernier fera tout pour le torpiller, et il a plusieurs torpilles en réserve : les lobbies juif et chrétien fondamentaliste, les deux chambres du Congrès et les amis dans les médias américains.
Un hors-bord peut-il faire couler un porte-avions ? Nous verrons bien.
                                   
3. La Sainte Alliance par Uri Avnery (17 novembre 2001)
[traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
Au bureau d'accueil de la Coalition Guerre-Contre-Terreur, on trouve un questionnaire pour les nouveaux partenaires. Après avoir porté ses nom, pays et fonction (roi/président/émir/dictateur/tyran), le candidat est invité à répondre à la question : " Avez-vous chez vous des opposants que vous souhaitez voir considérer comme des terroristes et traiter comme tels ? "
Jusqu'à maintenant, presque tous les candidats ont répondu à cette question avec beaucoup d'enthousiasme. Vladimir Poutine a désigné les rebelles tchétchènes, l'Espagne a mentionné l'ETA basque, la Turquie les Kurdes, l'Inde les Cachemiriens, pour n'en citer que quelques-uns d'une longue liste. En bref, chaque potentat, grand ou petit, a montré du doigt les gens qu'il opprime, espérant que les Etats Unis l'aideraient à le débarrasser de leur guerre de libération. " Envoyez les grosses bombes " réclament-ils, " et envoyez ces affreux terroristes au diable ! "
Cela rappelle aux étudiants en histoire les événements d'il y a 200 ans. Après la chute de Napoléon, le tyran qui a promu la liberté à travers l'Europe, les souverains du continent ont décidé de dresser un mur infranchissable à toute nouvelle aspiration de libération nationale et sociale. " Toutes ces histoires de démocratie, liberté, égalité et constitutions doivent cesser une bonne fois pour toutes " se sont-ils dit les uns aux autres.
Et ainsi, en 1815, le tsar de toutes les Russies, l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse ont signé un accord, qu'ils ont appelé la Sainte Alliance, pour instituer la règle de Dieu en Europe. Utilisant abusivement le nom du gentil et vaguement socialiste roi de Nazareth, ils créèrent en réalité une mafia internationale à la poigne de fer. Lorsqu'un peuple opprimé osait dresser la tête en se rebellant, tous les souverains d'Europe se groupaient - un pour tous, tous pour un - pour voler au secours de leur collègue menacé. Les Russes, par exemple, envoyèrent leurs troupes pour écraser les rébellions hongroise et italienne contre l'Autriche ; Les services secrets de tous coopérèrent contre les socialistes et les anarchistes.
Presque tous les souverains du continent ont rejoint l'Alliance, comme l'a fait l'Angleterre sans que ce soit de façon formelle. Le Pape, vicaire du Christ, ne l'a pas fait, de même que le Sultan ottoman, lequel, n'étant pas un Chrétien, a dû oppresser de nombreux peuples sans aide extérieure.
Henry Kissinger, une des admirateurs modernes de l'alliance et de son principal homme d'Etat, le prince autrichien Metternich, porte au crédit de l'Alliance le maintien de l'ordre en Europe pendant de nombreuses décennies. Des historiens moins handicapés moralement pourraient faire ressortir que cette alliance contre nature de princes réactionnaires a freiné le progrès de l'Europe au 19e siècle, en privant de liberté beaucoup de gens et en permettant à des rois et des aristocrates bornés de maintenir leurs privilèges au détriment de forces sociales beaucoup plus productives et progressistes. Rien de très saint la-dedans.
Sous le parapluie de la Guerre Contre Terreur, une nouvelle Sainte Alliance est en train de se construire. Georges W. Bush est maintenant le juge suprême qui décide qui est terroriste et qui ne l'est pas, comme à une époque un maire de Vienne décidait qui est juif. (Karl Luegger, qui fut élu en 1897 sur un programme anti-sémite, saluait un jour une équipe viennoise à un match de football contre les Hongrois. A quelqu'un qui lui dit que l'équipe viennoise était juive, il répondit : " Qu'est-ce que ça peut faire, c'est moi qui décide qui est juif ! ")
Le danger de cette situation est que la nouvelle alliance repoussera la réforme la plus nécessaire du 21e siècle : la réduction du fossé entre le Nord et le Sud, les nations riches et les nations pauvres. Les actes abominables d'Oussama Ben Laden et de ses semblables peuvent être considérés, dans le futur , comme la première manifestation du combat à venir des multitudes d'humains démunis et opprimés contre les quelques privilégiés qui, presque littéralement, se noient dans leur propre graisse. La reconnaissance en temps voulu du problème, et des efforts déterminés pour le résoudre pendant qu'il en est encore temps, peut éviter un désastre imminent d'ampleur mondiale. Le combat pour l'hégémonie occidentale illimitée et le monopole des riches du monde, camouflés en anti-terroristes, conduira à une catastrophe mondiale.
En attendant, Georges W. et ses conseillers, femelle et mâle, doivent décider si Arafat est un terroriste ou un allié dans la nouvelle équation. Ariel Sharon, un membre de la coalition non officiel (" Ne m'appelez pas, je vous appellerai ") insiste pour que, comme Poutine, il ait le droit d'appeler ses ennemis des terroristes, de façon à pouvoir bombarder les Palestiniens jusqu'à les renvoyer à l'Age de pierre dans quelques Bantoustans séparés.
Le Pentagone et Condoleeza Rice sont d'accord, le Département d'Etat ne l'est pas. Les intérêts nationaux des Etats Unis montrent clairement la reconnaissance de la Palestine comme une pierre angulaire de la paix et de la stabilité au Moyen-Orient. La politique intérieure va dans la direction opposée
Reste à savoir si l'expression de Kissinger selon laquelle " Israël n'a pas de politique étrangère, seulement une politique intérieure " s'applique aussi aux Etats Unis.
                               
Revue de presse

                                                          
1. L'armée israélienne en position d'accusée après la mort de cinq enfants par Gilles Paris
in Le Monde du dimanche 25 novembre 2001

Jérusalem de notre correspondant
Trois jours avant l'arrivée de deux émissaires américains en Israël et dans les territoires palestiniens, l'armée israélienne a tué, vendredi 23 novembre, un responsable de l'aile militaire du Mouvement de la résistance islamique (Hamas), Mahmoud Abou Hanoud, près de Naplouse. Le véhicule dans lequel il avait pris place avec deux autres personnes a été pulvérisé par des missiles tirés par des hélicoptères.
Ces morts se sont ajoutées à quatre autres décès palestiniens. A Gaza, les funérailles des cinq enfants palestiniens tués la veille par l'explosion d'un engin piégé, à Khan Younis, ont ainsi été marquées par la mort d'un adolescent abattu par l'armée israélienne au cours d'une fusillade. L'enterrement des victimes avait été suivi par une foule en colère estimée à 30 000 personnes, alors que les conditions de leur mort ont placé les forces israéliennes en position d'accusé. Dans un premier temps, la thèse de la détonation d'un obus qui n'avait pas explosé avait semblé l'emporter. La violence de l'explosion avait cependant suscité des doutes.
Dans son édition de vendredi matin, où il évoquait une " bavure", le quotidien israélien Maariv, citant des sources militaires anonymes, avait présenté une autre version de l'affaire. Selon ces sources, l'engin qui avait tué ces enfants, tous frères ou cousins et âgés de six à quatorze ans, avait été placé intentionnellement par une unité spéciale de l'armée israélienne dans le but de tuer les miliciens palestiniens qui viennent régulièrement lâcher des rafales d'armes automatiques ou tirer au mortier sur la colonie de Nezer Hazani qui jouxte Khan Younis, ainsi que sur les positions militaires qui la protègent. L'explosif avait été placé sur un tas d'immondices près duquel les enfants étaient passés sur le chemin de leur école.
OUVERTURE D'UNE ENQUÊTE
Interrogé à ce sujet, un porte-parole de l'armée israélienne s'était refusé, vendredi, à commenter des "allégations". Le ministre israélien de la défense, le travailliste Benyamin Ben Eliezer, a en revanche exprimé ses "regrets" pour cette "tragédie qui a causé la mort de victimes innocentes" et annoncé l'ouverture d'une enquête. "La mort de cinq enfants n'est pas une mince affaire. Il va de soi qu'une enquête s'impose et qu'il faut obtenir des explications de l'armée", a commenté le ministre israélien des transports, le travailliste Ephraïm Sneh, ajoutant que "quelqu'un devra sans doute rendre des comptes. L'enquête doit être menée courageusement et sans faux- fuyant".Le chef de l'opposition, le responsable du parti de gauche Meretz, Yossi Sarid, a par ailleurs accusé l'armée d'avoir tenté de "masquer les faits"en ayant indiqué, dans un premier temps, qu'aucun obus n'avait été tiré jeudi dans le secteur du drame.
Les investigations menées par une organisation pacifiste israélienne, B'tselem, à propos de la mort d'un enfant palestinien, le 7 juillet, et publiées le 13 novembre ont récemment jeté le trouble sur le comportement de l'armée. Le jeune garçon, âgé de onze ans, avait été tué vraisemblablement à la suite d'une erreur de tirs provenant de la mitrailleuse d'un blindé israélien, alors qu'il venait de disputer une partie de football avec d'autres enfants. Le porte-parole de l'armée avait assuré que la vie des soldats avait "été mise en danger par des douzaines d'émeutiers palestiniens", ajoutant que les manifestants avaient été "dispersés par des moyens anti-émeutes" et que les soldats avaient fait preuve de "retenue". B'tselem a montré que l'enquête interne de l'armée n'a débouché sur aucune mise en cause.
Par ailleurs, la Knesset examine actuellement un projet de loi assurant une manière d'immunité pour l'armée. Ce texte, présenté il y a quatre ans par le gouvernement de Benyamin Nétanyahou et enterré provisoirement par celui d'Ehoud Barak, a pour but de rendre impossible tout dépôt de plainte à la suite d'erreurs avérées de l'armée, dont les activités seraient ainsi couvertes par un statut exorbitant du droit commun.
                                                   
2. A la suite du 11 septembre, montée des discriminations sur le lieu de travail par Pam Belluck
in The New York Times (quotidien américain) du dimanche 25 novembre 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Les plaintes affluent des quatre coins du pays et de personnes travaillant dans tous les secteurs - depuis le mécanicien aviation du Texas jusqu'à l'agent d'accueil d'un centre commercial Wal-Mart de Virginie.
Depuis le 11 septembre, des groupes d'Américains d'origine arabe signalent que des centaines de personnes leur ont fait état de discriminations sur leur lieu de travail dont ils se disent victimes, en raison de leur nationalité ou de leur religion.
Près d'une centaine de personnes ont déposé des plaintes auprès de la Commission Fédérale pour l'Egalité d'Accès au Travail, d'autres ont décidé de porter plainte en justice contre ce qu'ils perçoivent comme un effet en retour (des attentats) contre les personnes d'origine arabe. Leurs avocats disent que le nombre de plaintes déposées devant la Commission seraient encore plus important si les Arabes et les Arabo-américains avaient réellement confiance dans le gouvernement fédéral américain.
Au sujet des plaintes enregistrées, Reginald Welch, porte-parole de la commission a déclaré : "Ces personnes disent avoir été 'repérées' et soumises à des vexations, ont été victimes de harcèlement, ou licenciées. Quelque chose s'est produit, dans leur travail, dont ils pensent qu'elle ne se serait pas manifestée sans les attentats du 11 septembre et si on n'avait pas décelé leurs origines moyen-orientales."
Mais un examen d'un certain nombre de ces plaintes suggère que les circonstances peuvent être plus obscures, dans certains cas. Des entreprises dénient pratiquer une quelconque discrimination, de manière véhémente. Certaines avancent l'argument que le coupable est le ralentissement économique, qui les a contraintes à 'débarquer' de nombreux employés, et pas seulement ceux d'entre eux qui seraient d'origine moyen-orientale. D'autres encore disent que leurs employés ont été remerciés en raison de leur comportement ou de problèmes de rendement à leur poste.
Dans au moins deux cas, il s'avère que les tensions nées des attentats terroristes pourraient avoir entraîné le licenciement du plaignant, mais les employés et leurs employeurs ont une version divergente des faits...
Fatmah Anabtawi, d'Island Park (Etat de New York) dit qu'elle a été licenciée de la laverie Laundromat d'Island Park parce qu'elle est musulmane. Madame Anabtawi, 44 ans, Américaine née en Jordanie, a déclaré que le propriétaire de la laverie en libre service lui avait signifié, le 14 septembre, que les clients avaient 'peur d'elle'.
"Il m'a dit : 'ils ont peur que vous mettiez une bombe dans mon magasin', rapporte Mme Anabtawi, qui travaillait à mi-temps dans cette blanchisserie, où ses taches consistaient à surveiller le lavage, le séchage et le pliage du linge.
Le propriétaire, John Weber, a déclaré qu'il avait licencié Mme Anabtawi à cause de commentaires qu'elle aurait fait, après le 11 septembre, qui, d'après lui, étaient de nature à amener certains clients à boycotter le magasin.
"Elle m'a dit : 'L'Amérique a eu ce qu'elle méritait', a rapporté M. Weber. "Je lui ai dit : 'Vous savez, Fatmah, j'ai mes raisons. Ce commentaire de votre part m'a offensé. Je ne veux pas que vous disiez quoi que ce soit à un quelconque de nos clients'. Cette semaine, j'ai reçu des plaintes de mes clientes, d'époux de mes clientes, de commerçants du quartier. Elle est là, dans mon magasin, dans la boîte que j'ai montée moi-même, et elle n'arrête pas de chanter les louanges de Saddam Husseïn. Elle a été virée, mais elle l'a bien cherché."
A Ashburn (Virginie), Ossama Elkoshairi, 66 ans, a déclaré que la discrimination (raciale) lui avait coûté son emploi. Il était agent d'accueil au Wal-Mart de Fairfax. M. Elkoshairi a dit qu'il avait été en butte à deux employés qui ne cessaient de le montrer du doigt et de dire : 'c'est lui qui a fait le coup' et que l'un avait même brandi un portrait d'Osama bin Laden.
M. Elkoshairi, citoyen américain d'origine égyptienne, a déclaré avoir été convoqué dans le bureau du directeur et questionné deux heures durant par des responsables de la chaîne Wal-Mart et même un agent du FBI au sujet de son comportement et de ses opinions sur l'Afghanistan et sur les bombardements américains. Puis il a été 'viré'. Il a précisé qu'on lui avait formellement interdit de pénétrer, à l'avenir, dans un quelconque magasin Wal-Mart ou Sam's Club...
Tom Williams, porte-parole de la maison Wal-Mart, a refusé de donner des explications, mais il a indiqué que terme avait été mis au contrat de M. Elkoshairi pour 'conduite inadmissible'.
Dans plusieurs autres cas, des entreprises ont déclaré que les licenciements de personnels d'origine arabe n'avaient aucun rapport avec les attentats du 11 septembre.
Mamdouh Bayoumy, Egyptien de 47 ans, a déposé plainte auprès de la Commission contre une compagnie de services à l'aviation d'Amarillo (Texas), où il avait été engagé en qualité de mécanicien, le 10 septembre... M. Bayoumy a déclaré avoir été licencié le 17 septembre, sans explication. C'est pourquoi il en a déduit que cela était sans doute en lien avec sa nationalité et sa religion.
Mike Manclark, président de la compagnie, Leading Edge Aviation, conteste cette interprétation.
"Il a été viré du jour au lendemain parce que c'est un piètre mécanicien", a indiqué M. Manclark. "C'était insupportable. Une tâche prenant normalement une heure, il en fallait huit à ce Monsieur pour en venir à bout."
M. Manclark a marqué un point en mentionnant qu'un de ses directeurs était d'origine moyen-orientale, et que M. Bayoumi avait reçu toutes les explications requises en ce qui concerne les raisons de son licenciement. "Il peut venir d'où il veut, je m'en fous", a déclaré M. Manclark. "Le gars qui est capable de tourner une manivelle, il peut être violet de peau, ça m'est complètement égal. Ce gars ne fait que se servir des événements. Il essaye d'en tirer du fric."
M. Bayoumy a déposé une autre plainte, pour une affaire disjointe. Il a déclaré qu'un bureau de recrutement de San Antonio lui avait promis un travail chez Boeing, mais l'avait ensuite informé que l'affaire serait sans suite, son profil ayant dissuadé Boeing de l'engager.
La société d'intérim, On Site Companies, fait état de plusieurs appels téléphoniques auprès du constructeur Boeing. Un porte-parole de l'avionneur, Paul Guse, s'est refusé à tout commentaire sur des cas nominatifs, mais il a indiqué que sa compagnie utilisait des procédures de recrutement très strictes de manière à éviter toute discrimination.
Des responsables d'amicales d'arabo-américains indiquent que certaines plaintes mettent en cause des collègues de travail ou des supérieurs hiérarchiques.
"Des gens qui avaient l'habitude de se 'taper sur les cuisses' avec eux répondaient plus à leur salut, du jour au lendemain", a dit ainsi Hodan Hassan, coordinateur en matière de droits civiques auprès du Conseil pour les relations Américano-islamiques, groupe de soutien à la communauté musulmane aux Etats-Unis. "Certains disent que leurs messages électroniques (e-mail) ne recevaient plus de réponse. Certaines de leurs collègues ont aussi parfois tenu des conversations hostiles à l'Islam et aux musulmans entre eux, à voix suffisamment haute, afin qu'ils les entendent, proférant des propos aussi aimables que 'tous les Musulmans devraient être exilés'."
Les avocats pensent qu'il y a plus de cas de discrimination que de plaintes auprès de la Commission en faisant état, car la méfiance à l'égard du gouvernement fédéral américain est forte chez certains Arabes et Arabo-américains. Adele Rapport, avocate générale pour la Commission à Detroit, a dit qu'elle pensait que là était la raison pour laquelle seulement neuf plaintes ont été déposées à son bureau, parmi lesquelles une plainte déposée par un homme dont son collègue le suivait partout, y compris aux toilettes, avait-il déclaré.
Mais, dans plusieurs cas dans lesquels les employés se plaignaient de licenciement discriminatoire, leurs entreprises rejetaient la responsabilité sur la conjoncture économique. Sofy Moussa, une américaine d'origine égyptienne d'Ashburn (Virginie) a déclaré avoir perdu son emploi à la compagnie BDM Corporation, qui fournit de la logistique et de l'entraînement à des militaires, à cause de ses origines.
Tom Fintel, directeur de BDM, une filiale de TRW, a déclaré que le contrat de Mme Moussa était arrivé à son terme et que pratiquement tous les employés de son service avaient été 'remerciés'.
Arsalaan Siddiqi, un Pakistanais de 27 ans vivant à Herndon (Virginie), a déclaré que son employeur, Veres Consulting, s'était rétracté de son engagement à lui procurer un visa lui permettant de travailler aux Etats-Unis, ajoutant qu'on lui avait dit : "notre devoir patriotique exige de nous que nous engagions un citoyen américain"...
John Burnham, cadre supérieur chez Veres, cabinet qui effectue des études pour des associations humanitaires, a déclaré que les raisons de cette attitude étaient économiques. Il a ajouté que des entreprises peuvent sponsoriser des demandeurs de visa de travail (étrangers) seulement si elles ne peuvent trouver un Américain qualifié pour le poste vacant et que le ralentissement économique rendait la plainte de M. Siddiqi indéfendable.
"Je ne serais pas autrement surpris s'il partageait cet avis lui-même", a dit M. Burnham au sujet du plaignant, M. Siddiqi". Arsalaan est quelqu'un d'épatant. Je suis vraiment désolé que cette sale histoire lui soit arrivé, à lui..."
                               
3. Avec leur nouvelle alliance musulmane, les Etats-Unis courent le risque d'une instabilité accrue par Marwan Bishara
in The International Herald Tribune (quotidien international publié à Paris) du samedi 24 novembre 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(L'auteur de cet article est chargé de conférence à l'Université américaine de Paris. Il est l'auteur de l'ouvrage "Palestine/Israël : la paix ou l'apartheid" aux éditions La Découverte.)
Tout en visant le régime islamiste des Taliban avec ses missiles, l'administration Bush fait pleuvoir généreusement son aide militaire et financière sur les pouvoirs islamistes voisins de l'Afghanistan. Washington semble sortir de la voie dans laquelle elle s'était engagée, laquelle voie laissait accroire qu'il y aurait 'choc entre les civilisations'. Mais la voie alternative qu'elle s'est choisie pourrait bien s'avérer non moins dangereuse, à terme.
Les Etats-Unis comptent sur le Pakistan, l'Arabie saoudite et la Turquie pour les aider à contenir la montée du fondamentalisme islamique dans la région, en particulier dans les anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale.
L'administration Bush a d'ores et déjà offert plus d'un milliard de dollars afin de coopter le Pakistan. Des juristes américains ont appelé à l'effacement d'une dette militaire de 5 milliards de dollars en faveur de la Turquie et ils ont encouragé le Fonds Monétaire International (FMI) à offrir 19 milliards de dollars en nouveaux projets d'aide (à ces pays). Le rôle de l'Arabie saoudite, berceau de l'islam et principal allié des Etats-Unis dans la région arabe, n'est pas moins important.
Cette sorte de 'coin' stratégique, intelligemment placé entre la Chine et la Russie, pourrait faciliter la projection à long terme des forces et de l'influence américaines dans cette région tout à la fois riche en ressources énergétiques et politiquement instable. Il permettra d'éviter la re-émergence d'un Irak fort et contrebalancera le poids régional de l'Iran, dont on connaît les relations spéciales avec la Syrie.
Moscou n'est pas moins enthousiaste devant cette nouvelle configuration géopolitique, qui transforme, comme par un coup de baguette magique la Russie, 'berceau d'instabilité' en oasis de quiétude. De la Turquie et du Pakistan on attend qu'aidés par l'Ouzbékistan ils bloquent tout soutien extérieur aux extrémistes islamistes dans les provinces de la Fédération de Russie, en particulier la Tchétchénie, ainsi que dans les pays limitrophes.
En apparence, ceci semble être l'alliance géopolitique idéale : des intérêts et des objectifs communs, avec des moyens militaires, financiers et diplomatiques pour atteindre ceux-ci. Mais, en réalité, les fondations socio-politiques solides dont l'absence même a conduit à la crise actuelle lui font cruellement défaut.
Tout d'abord, les membres de cette alliance non-écrite sont des régimes non démocratiques qui violent grossièrement les droits de l'homme. Pactiser avec eux serait répéter les erreurs de l'alliance avec le Shah d'Iran, dans les années soixante-dix, du soutien apporté à Saddam Husseïn dans les années quatre-vingt, et du recrutement d'Oussama bin Laden accompagné du fiinancement généreux des Taliban, dans les années quatre-vingt dix. De tels régimes ne sauraient produire une stabilité sur le long-terme ; ils sont éminemment temporaires et ne peuvent que susciter opposition violente à leur dictature impitoyable et hostilité envers l'Amérique.
La mutation de la géographie de la violence, à l'ère de la globalisation, ne mérite pas moins qu'une véritable révolution dans la politique étrangère américaine. L'accent doit être mis, à l'avenir, sur la pensée économique et politique, beaucoup plus que sur la pensée militaire. A défaut, les relations entre d'un côté un Occident puissant mais angoissé et, de l'autre, un Sud appauvri et ségrégué ne pourront conduire qu'à une instabilité généralisée.
Bien que le nouvel équilibre du pouvoir, vu par Washington, soit supposé désamorcer l'"équilibre de la terreur" 'à la' Bin Laden, il n'en projette pas moins un surcroît de puissance et un déficit d'équilibre en Asie centrale. Au fur et à mesure que le crédit initial de l'Amérique, acquis 'grâce au' désastre du 11 septembre se consumera, la Chine, qui manifeste un intérêt croissant pour les pays de la région dotés de riches ressources énergétiques, sera de plus en plus hostile à la nouvelle alliance. Ce n'est pas une moindre hostilité qu'il faut attendre de la part de l'Inde, qui voit d'un très mauvais oeil une alliance qui renforce le Pakistan, tandis que le chaudron de la violence continue à bouillonner au Kashmir.
La nouvelle Pax Americana ne pourra aussi que s'aliéner et déstabiliser un monde arabe déjà passablement faible et divisé. Tous les dix ans, environ, Israël et les Etats-Unis choisissent un acteur régional afin de le démoniser - Nasser d'Egypte dans les années cinquante, Arafat à la fin des années soixante et durant les années soixante-dix, Khomeini durant les années quatre-vingt, Saddam Husseïn durant la décennie quatre-vingt dix - après quoi, ils demandent aux peuples de la région de choisir entre le 'bon camp' ou être mis au ban des nations et se retrouver prisonnier d'un nouveau conflit, aussi interminable que coûteux.
L'instabilité dans le monde arabe, causée par l'humiliation infligée par Israël, le 'deux poids-deux mesures' américain et les régimes corrompus, est depuis longtemps un moteur d'agitation. Poussée plus loin, la polarisation du monde arabe, au prisme de la nouvelle alliance conclue par les Etats-Unis avec la Turquie, le Pakistan et l'Arabie saoudite, ne pourrait que faire régresser les réformes en cours dans des pays arabes-clés et causer une césure, à l'intérieur du monde musulman, entre pays arabes et pays non-arabes.
La recherche de la paix entre Israël et ses voisins n'en souffrirait pas moins. Aucun des contractants de la nouvelle alliance n'a un quelconque intérêt 'au ras des pâquerettes' (le seul genre d'intérêt qui vaille, à leurs yeux) à une solution juste de la question palestinienne, n'étaient-ce les lieux saints musulmans et une vague notion d'Etat palestinien, que l'on évoque de temps en temps, sans trop y penser.
Il est grand temps pour l'Occident d'apporter son soutien aux réformes démocratiques, à la promotion des droits de l'homme et des libertés économiques, ainsi qu'à la fin de l'occupation étrangère, tout particulièrement en Palestine, avec la détermination dont il a su faire preuve lorsqu'il était question de combattre le terrorisme.
                                   
4. L'Europe taxe les exportations israéliennes en provenance des colonies
in Le Soir (quotidien belge) du samedi 24 novembre 2001
Les produits fabriqués dans les territoires occupés par Israël ne sont pas des produits israéliens. Par conséquence, ces produits ne peuvent pas profiter des tarifs douaniers préférentiels dont bénéficie Israël, a fait savoir, vendredi, la Commission européenne aux importateurs de ces produits.
Ce dossier crée des tensions entre Israël et l'Union européenne depuis plusieurs années déjà. Un accord n'a pas pu être dégagé cette semaine lors de nouvelles négociations. Aux termes de l'accord d'association UE-Israël, les produits exportés par Israël entrent libres de droits dans l'Union européenne, mais ceux venant des colonies juives sont en revanche imposés, car l'Union se base sur les frontières d'avant 1967.
A Jérusalem, le ministère israélien des Affaires étrangères a déploré cet avertissement que la Commission européenne a adressé aux importateurs européens de produits venus d'Israël. Nous sommes peinés par cette mesure, d'autant plus qu'elle a été prise alors qu'Israël a suggéré des moyens de régler le contentieux, a déclaré un porte-parole du ministère des Affaires étrangères.
Selon des experts économiques israéliens, les exportations venant des colonies ne dépassent pas 30 millions de dollars alors que, en l'an 2000, les exportations israéliennes vers l'UE ont atteint 8 milliards de dollars.
                                           
5. Ici Tel-aviv - Haro sur la musique grecque par Serge Dumont
in Le Soir (quotidien belge) du samedi 24 novembre 2001

L'intifada ? Quelle intifada ? Il a suffi que les violences quotidiennes dans les territoires autonomes palestiniens perdent de leur intensité pendant quelques jours pour que les Israéliens de la rue passent à d'autres sujets de préoccupation. On tire toujours en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, mais cela ne passionne plus la presse. Et encore moins les Tel-Aviviens qui préfèrent focaliser leurs conversations de comptoir sur les bombardements américains en Afghanistan (qu'ils soutiennent sans retenue), sur la détérioration de la situation économique (qui se manifeste par une augmentation dramatique du nombre de chômeurs âgés de plus de 50 ans), mais aussi - et surtout - sur des événements anodins qui prennent chez eux une importance souvent disproportionnée.
En témoigne, l'audience accordée au concert d'identification à la cause palestinienne qui se déroulera la semaine prochaine à Athènes en présence de plusieurs gloires locales du showbiz. Partout ailleurs qu'en Israël, une telle manifestation de solidarité avec l'intifada aurait peut-être attiré l'attention polie de quelques critiques en mal de sujets plus importants, mais sans plus. En revanche, à Tel-Aviv comme dans le reste de l'Etat hébreu où un jour sans stress est un jour perdu, ce concert est considéré comme un événement anti-israélien de première importance. Donc, comme une source potentielle de danger pour le pays. Le voici donc propulsé en première page des quotidiens.
Sous le titre La taverne de la honte, le « Yediot Aharonot » (le principal quotidien israélien dont le tirage du week-end atteint les deux cent cinquante mille exemplaires) dénonce vertement la manière dont les promoteurs du concert s'y prennent pour l'annoncer (les affiches représentent un enfant palestinien catapultant une pierre sur à un char israélien). Amos Oren, l'auteur de l'article au picrate, attaque nommément la vedette grecque Yourgo Dlaras, qui sera l'invité d'honneur du plateau, mais il encense Glykeria, la Dalida des îles, qui refuse, elle, de participer à cette opération de propagande. Un refus fort compréhensible si l'on sait que la reine de la chanson bouzouki - feta - zaziki vend la plus grande partie de ses disques dans l'Etat hébreu, où elle se produit d'ailleurs régulièrement.
Vendredi matin, reflétant l'émoi que provoque l'organisation de ce concert de la haine dans les cercles politico-artistiques de l'Etat hébreu, Kol Israël (la radio publique) n'a pas consacré moins de quatre séquences différentes à cette affaire. Yourgo Dlaras est un gauchiste anti-américain, a ainsi affirmé le chroniqueur Yaron Enoch. Il a déjà chanté en Syrie et à Belgrade lorsque Milosevic était encore au pouvoir et que l'Otan lui avait déclaré la guerre. Selon Enoch, qui passe pour un fin connaisseur de la Grèce ainsi que de sa musique, ce concert attirera de nombreux jeunes Athéniens car ceux-ci sont anti-occidentaux, anti-américains et ils ont trouvé dans l'intifada une cause à laquelle ils peuvent s'identifier.
Une réaction excessive ? La musique grecque est fort populaire en Israël où les centaines de tavernes hellénisantes refusent souvent du monde durant le week-end. Dans les quartiers populaires de Tel-Aviv, les copies pirates des disques de Dlaras se vendent comme des petits pains, à même le trottoir, et au dixième du prix de l'édition originale. Là, les chanteurs grecs ne sont pas seulement des stars : ce sont des idoles auxquelles on lance des pétales de fleurs lorsqu'ils sont sur scène. Voilà qui explique la déception du public israélien. Et celle de Shimon Parnass, le très populaire présentateur de « Hataverna » (La taverne) - un programme hebdomadaire de varitétés grecques -, qui menace de ne plus serrer la main de Dlaras lorsqu'il le rencontrera.
                                       
6. Une Israélienne chez les Palestiniens : Amira Hass par Agnès Rotivel
in La Croix du samedi 24 novembre 2001

La première journaliste juive à vivre dans les Territoires palestiniens, correspondante du journal israélien " Haaretz ", publie en français " Boire la mer à Gaza ". Une chronique des Palestiniens.
Octobre 2000. Dans l'obscurité du café Kan Bata Zaman, rendez-vous de la jeunesse branchée de Ramallah, toutes les discussions tournent autour des affrontements avec l'armée israélienne alors que l'Intifada al-Aqsa vient d'éclater dans les territoires palestiniens. De jeunes chebab rentrent boire un café avant de retourner sur le terrain lancer des pierres aux soldats israéliens. En ces premiers jours d'Intifada, c'est encore l'euphorie de la révolte. A l'une des tables, Amira Hass est en pleine discussion avec des correspondants européens. La journaliste revient de la ligne de confrontation et commente les événements de la rue. Dehors, les cris, les explosions se font entendre. L'Intifada, la révolte contre l'occupation israélienne après l'échec du sommet de Camp David, se répand progressivement dans tous les Territoires. Amira Hass s'exprime en anglais. Son fort accent hébreu ne surprend aucunement les habitués du café. La journaliste juive est connue à Ramallah, capitale de la Cisjordanie où elle vit parmi les Palestiniens depuis janvier 1997.
Quelques heures plus tard, Amira Hass se rend au bureau du Parti communiste palestinien afin d'obtenir un manifeste signé par des intellectuels et hommes politiques palestiniens. Elle s'exprime cette fois en arabe. Son interlocuteur est sur ses gardes. Il a noté son accent hébreu. Un moment de tension et aussitôt, Amira Hass embraie : " Je suis journaliste pour le quotidien Haaretz, je suis juive et israélienne. " Le Palestinien est visiblement surpris mais se détend. Travailler et vivre en tant qu'Israélienne en territoire palestinien ne va pas de soi dans ces moments de tension. " Mon comportement est toujours le même, ne rien cacher et poser d'emblée que je suis juive. "
II en faudrait plus pour décourager Amira Hass de passer et repasser du territoire palestinien en territoire israélien, au volant de sa voiture alors que l'Intifada précipite déjà la séparation physique et géographique des deux peuples. Aux barrages israéliens, les soldats de l'Etat hébreu n'apprécient pas. Ils lui font des réflexions, ne comprennent pas qu'une Israélienne dise vouloir rentrer chez elle, le soir, à Ramallah !
Amira Hass est la première journaliste juive et israélienne à vivre chez les Palestiniens. Et il n'y a qu'elle en Israël pour trouver cela normal. " Comment, sinon, comprendre une société et comment écrire sur elle ? N'est-ce pas ce que fait n'importe quel journaliste envoyé comme correspondant à l'étranger ? " dit-elle aujourd'hui.
En 1990, la journaliste israélienne découvre à Gaza un peuple chaleureux
L'aventure commence en 1990. Militante de la gauche israélienne, membre de l'association "Une ligne (téléphonique) pour les travailleurs " (chargée de défendre les ouvriers des territoires occupés dans leurs conflits avec leurs employeurs), Amira se rend pour la première fois à Gaza.
" A cette époque, à l'inverse de la Cisjordanie, ce territoire était complètement ignoré de la presse israélienne. " En fait, pour l'ensemble des Israéliens, c'était " l'enfer ". " Si seulement la bande de Gaza pouvait sombrer dans la mer ", avait lâché le premier ministre israélien Yitzhak Rabin, juste avant de signer les accords d'Oslo, " Bien avant de m'y installer, j'avais eu l'occasion de remarquer à quel point les Israéliens en ont une image déformée : sauvage, violente et hostile aux juifs. " Or, c'est un peuple chaleureux qu'elle découvre. " II m'est souvent arrivé de dormir chez l'un ou l'autre quand les nuits étaient encore soumises au couvre-feu et aux patrouilles israéliennes. " " Que feront tes hôtes si des militants découvrent qu'ils hébergent une juive ? " lui demande à Tel-Aviv un homme connu pour être un arabisant éclairé. Amira dit ne s'être pas posé la question, ni ses amis, d'ailleurs. " Grâce à eux, j'ai appris à voir Gaza à travers les yeux de ses habitants et non par la fenêtre d'une jeep de l'armée, d'une salle d'interrogatoire ou dans les documents du Shinj3eth, le service de renseignement intérieur israélien. "
Amira tombe amoureuse de ce petit bout de terre bordé à l'ouest par la Méditerranée, à l'est par la frontière grillagée de l'État d'Israël. " Soixante-dix pour cent de la population est réfugiée. C'est peut-être pour cela qu'il y a une telle chaleur dans les contacts humains ! " Elle y retrouve des images de son enfance en Israël. " Les eucalyptus plantés du temps du mandat britannique, les bougainvillées. Ça me touche parce que ça évoque pour moi la Palestine, l'innocence d'avant 1948, d'avant la Naqba (2) palestinienne. Un terme qui, précise-t-elle, " se traduit en hébreu par Shoah " !
À l'automne, lorsqu'est signée la déclaration de principes qui accorde aux Palestiniens une autonomie limitée à Gaza et Jéricho, elle saute le pas, prend un appartement dans la ville de Gaza d'où elle envoie ses premiers articles pour Haaretz.
Son objectif : témoigner pour comprendre "jusque dans ses moindres détails, une réalité dont, pour autant que je sache, Israël est responsable de bout en bout ". " Gaza., poursuit-elle, représente la contradiction essentielle de l'Etat d'Israël - démocratie pour certains, dépossession pour d'autres. C'est notre nerf à vif. Il me fallait connaître ces gens dont les parents, réfugiés, avaient été chassés de leurs villages en 1948 et dont les vies avaient été bouleversées pour toujours par la société et l'histoire dont je suis issue. ". Alors Amira raconte régulièrement dans ses chroniques à'Haaretz la vie quotidienne des petites gens de Gaza. Sous sa plume, les Palestiniens acquièrent un visage, une histoire qui leur est propre. Ils rient, ils souffrent, ils s'emportent contre leur Autorité palestinienne, ils se révoltent, bref, ils existent. Elle prend aussi des risques en dénonçant la corruption palestinienne, les abus de pouvoir. On lui fait comprendre qu'elle devrait quitter Gaza, mais elle reste, forte de son droit, de la justesse de son combat. Elle rassemble ses chroniques palestiniennes dans un livre aujourd'hui publié en français Boire la mer à Gaza (1).
Dénonçant la politique de l'État hébreu, elle  provoque de violentes réactions en Israël
En 1994, Amira Hass est la première journaliste israélienne à obtenir une interview d'un dirigeant islamiste, Hani Abed. " On monte dans un taxi, il me dit : " Auriez-vous imaginé vous retrouver un jour assise près d'un chef du Hamas ?" Je  lui rétorque : " Et vous, direz-vous à votre épouse  que vous avez fait le trajet près d'une autre  femme, une Israélienne, une athée en plus ? Le  diable, quoi !" Il a éclaté de rire ", se souvient-elle.
Ses articles provoquent, de violentes réactions  en Israël, d'autant qu'elle dénonce la politique  d'expansion territoriale de l'État hébreu. " Ce sont les colonies juives du Grand Israël (Eretz Israël) qui doivent définir les frontières de l'État : c'était la tactique d'avant 1848; et il s'avère que c'est aussi la tactique qui a régi le processus de  paix ". Et de domination: " Au cours de la " décennie de la paix " inaugurée par la conférence de Madrid et les accords d'Oslo, écrit-elle encore, Israël a élaboré à Gaza un nouveau modèle de domination sur les Palestiniens, par des moyens à la fois techniques et bureaucratiques. En contrôlant absolument leur liberté de mouvement, Israël retirait aux Palestiniens l'un des éléments les plus importants et les plus fondamentaux de la vie humaine : le temps."
Certains la traitent " d'incorrigible naïve ". Pour d'autres, Amira Hass serait atteinte du "syndrome des diplomates", "à force de vivre chez les Palestiniens, sa vision est déformée", dit un journaliste israélien qui loue toutefois sa démarche courageuse. Elle riposte : " Je suis juive et israélienne. " Et poursuit : " Nous sommes liés. On ne peut pas penser aux intérêts palestiniens sans penser aux intérêts israéliens et vice-versa. " Amira Hass dérange. A cause de ses articles sur la vie des Palestiniens dans les Territoires, jugés "compatissants", son journal perd des abonnés, des pressions sont exercées à haut niveau, mais elle continue à publier ses articles dans la rubrique opinion. " La vraie gauche sincère, elle, lit ses articles dans Haaretz ", explique un. Militant de " La paix maintenant ". " Ce qu'elle écrit est important, mais ce n'est pas facile à digérer. " "Elle éveille la mauvaise conscience, ça ne peut pas être bien vu ", dit un cinéaste israélien qui ajoute : " J'ai peur pour sa vie, les colons et l'armée ne l'ont pas à la bonne. " En revanche, la majorité reste indifférente, sourde, voire hostile. " Pour beaucoup, c'est trop difficile d'admettre que ce qu'elle décrit existe, qu'il y a un réel problème. " Et ce militant compare avec ce qui s'est passé pendant la guerre d'Algérie. " Les Français aussi ne voulaient pas lire à l'époque le récit des exactions de leur armée. " L'un de ses articles publié pendant l'Intifada al-Aqsa fait frémir. Il s'agit d'une longue interview d'un soldat israélien intitulée : " Attention : ces tirs à balles réelles sont interdits aux moins de 12 ans. " Pourtant, son travail sur la Palestine est couronné par l'attribution, en mai 2000, du prix de la Liberté de la presse, décerné par un jury américain.
Elle revendique l'héritage familial. le destin des juifs d'Europe centrale dans les années 1940
Cette énergie qui la pousse:à braver au mieux l'indifférence, au pire les sarcasmes de ses compatriotes, Amira la trouve dans, l'héritage familial. Qu'elle revendiqué intégralement. Celui de parents juifs d'Europe de l'Est, résistants communistes. Avraham, son père, roumain, a survécu à quatre années passées dans le ghetto de Transnistrie ; sa mère, Hanna, juive de Sarajevo, a été déportée au camp de Bergen-Belsen. Ses parents se rencontrent en Israël où, chacun de leur côté, ils décident de vivre car ils ne supportent plus de ressentir en Europe " ce vide " causé par la mort de six millions de juifs. Son enfance est ainsi nourrie de cette résistance à l'injustice, du courage de se dresser et d'élever la voix. " Mais de tous les souvenirs que je me suis appropriés, il en est un plus vif que tous les autres. Un jour d'été 1944, on fit descendre ma mère, avec tout le reste d'un convoi, du wagon à bestiaux qui les avait transportés de Belgrade au. camp de concentration de Bergen-Belsen. Elle aperçut un groupe de femmes allemandes, certaines a pied, d'autres à bicyclette, qui ralentissaient pour contempler l'étrange procession avec une expression de curiosité indifférente. A mes yeux, ces femmes sont devenues le symbole détestable de ceux qui regardent depuis le bord du chemin et, très tôt, j'ai décidé que ma place n'était pas parmi les badauds."
Amira porte sur ses épaules le poids du drame de l'Holocauste, auquel s'ajoute celui du présent des Palestiniens. Lourd fardeau ! Et si, dans son appartement de Ramallah, entre la colonie juive de Psagot et la base militaire israélienne de Beit El, Amira Hass vit le même confinement que les Palestiniens elle est bien décidée, quoiqu'il lui en coûte, à poursuivre sa quête de vérité.
(1) La Fabrique Éditions, 583 pages, 150,00 FF.
(2) Naqba et Shoah signifient l'une et l'autre "désastre" ou "catastrophe".
                                                                      
7. Marwan Barghouti : "Il faut combattre et négocier en même temps" propos recueillis à Ramallah par Pierre Prier
in Le Figaro du vendredi 23 novembre 2001
Les services de renseignements israéliens voit en Marwan Barghouti, Secrétaire général du Fatah de Y. Arafat pour la Cisjordanie, l'un des principaux organisateurs de l'intifada. L'analyste palestinien Shikaki le considère comme l'étoile montante de la «jeune garde» palestinienne. Il chercherait à supplanter la «vieille garde» désireuse de négocier.
- LE FIGARO - Vous êtes dans votre bureau, que tout le monde connaît. Votre crainte d'être assassiné a-t-elle disparu ?
- Marwan BARGHOUTI - Je ne suis pratiquement pas venu à mon bureau depuis trois mois. C'est la première fois. J'essaie de varier mes horaires...
- Le gouvernement israélien s'est réjoui de la position adoptée par les États-Unis dans le discours du secrétaire d'État Colin Powell. Etes-vous déçu ?
- Il a employé des mots nouveaux, c'est déjà cela. C'est la première fois qu'un officiel américain de haut niveau demande la fin de l'«occupation» israélienne. Il a aussi demandé qu'Israël mette fin aux souffrances des Palestiniens, à leur humiliation, au meurtre d'enfants palestiniens. Il a demandé l'arrêt de la colonisation et employé comme George W. Bush l'expression «État de Palestine». Mais Colin Powell n'a annoncé ni mécanisme ni calendrier pour le retrait des troupes israéliennes. Ce dont nous avons besoin, ce n'est pas d'une description de la situation, mais des moyens pour y remédier.
- Dans son discours, Colin Powell a surtout fait porter la pression sur les Palestiniens. Il exige un arrêt complet de la violence contre Israël. Allez-vous lui donner satisfaction ?
- Malheureusement, en effet, les États-Unis restent jusqu'ici fidèles à leur ligne pro-israélienne. Depuis dix ans, ils se sont comportés en arbitre injuste et déséquilibré en faveur d'Israël. Les Palestiniens réagissent contre l'occupation israélienne, qui est une forme de terrorisme. Si le discours de Colin Powell vise seulement à exiger la fin de l'intifada, les Palestiniens ne le croiront pas.
- Donc, vous ne mettrez pas fin à l'intifada ?
- Non, pas tant que les Américains n'offriront pas au minimum un calendrier pour le retrait total des territoires occupés par Israël. Mais dès qu'on annoncera ce calendrier, même s'il s'étale sur des mois entiers, l'état d'esprit des Palestiniens changera complètement.
- Mais Ariel Sharon ne veut pas négocier sous la pression de la violence.
- Nous avons essayé pendant cent ans de combattre sans négocier, puis pendant dix ans de négocier sans combattre. Nous n'arriverons à rien si nous marchons sur une seule jambe. L'intifada a remis le processus sur ses deux jambes: il faut combattre et négocier en même temps. Les Israéliens veulent continuer l'occupation, garder les colonies, refuser le droit au retour de réfugiés, garder tout Jérusalem, et en même temps avoir la sécurité. Dans ce cas, ils ne l'auront pas. Ils ne seront pas en sécurité un seul moment.
- Les Israéliens disent qu'ils ne pourront jamais accepter le droit au retour des réfugiés, car l'arrivée de quelque 4 millions de réfugiés et descendants de réfugié signifierait la fin du caractère juif de l'État.
- Ce que les réfugiés veulent, c'est un accord écrit disant qu'ils ont le droit de rentrer chez eux. Il est très important pour nous que les Israéliens reconnaissent leur responsabilité historique et morale. On pourra négocier à partir de là. Je ne trouverai rien à redire si des réfugiés préfèrent à la place des compensations, ou s'installer en Europe, aux États-Unis ou dans l'État palestinien.
- Sur le terrain, vous avez joué un grand rôle dans l'alliance entre tous les mouvements, y compris les islamistes, désignés comme terroristes par les États-Unis. Comptez-vous maintenir cette alliance ?
- Je préfère parler d'«unité». Il est vrai que nous nous réunissons régulièrement. Et cela va continuer. Premièrement, le Hamas et le Djihad islamique font partie du mouvement de libération national palestinien. Deuxièmement, ils jouent un rôle important dans le combat. Troisièmement, notre stratégie, au Fatah, est de concentrer nos activités sur les territoires occupés. Les islamistes, en particulier, ont une autre opinion, et je peux le comprendre.
Les Israéliens ont franchi toutes les lignes rouges. Ils entrent constamment dans les zones A, théoriquement sous contrôle palestinien, ils y tuent des hommes, des femmes, des enfants, ils démolissent des maisons, ils arrachent des arbres. Ce n'est pas juste de demander aux Palestiniens de respecter Tel-Aviv si les Israéliens ne respectent pas Ramallah. Ce n'est pas juste de demander aux Palestiniens de respecter les civils israéliens s'ils ne respectent pas les nôtres.
- Cette position vous met en contradiction avec l'Autorité, qui a ordonné des arrestations de responsables du Hamas et d'autres mouvements radicaux.
- Je sais. Je désapprouve ces arrestations. Je demande la libération des militants emprisonnés.
- Il y a donc un conflit à l'intérieur du camp palestinien ?
- La situation est compliquée. Quand la Sécurité préventive a arrêté à Jénine Mohammed Tawalbe, un haut responsable du Djihad, il y a eu des émeutes. Et la plupart des manifestants appartenaient au Fatah. J'ai fait ce que j'ai pu pour empêcher les choses d'aller trop loin.
- On dit aussi que certains hauts responsables veulent arrêter l'intifada.
- Il y a un vaste consensus dans le peuple pour la continuer. Mais dans la direction palestinienne, certains n'ont pas de sympathie pour l'intifada, et ce depuis ses premières semaines. La raison, c'est qu'ils ont peur de perdre leurs privilèges.
- On parle d'un conflit entre les jeunes dirigeants comme vous, issus de la première intifada, et les plus âgés, venus de Tunis.
- Le conflit se joue plutôt entre deux visions. Il y a ceux qui pensent que nous n'obtiendrons jamais l'indépendance sans combattre, tout en négociant. Et ceux, nombreux dans les institutions de l'Autorité palestinienne, qui pensent que nous ne pourrons jamais infliger une défaite à Israël et ne voient que la négociation comme solution.
- Et Yasser Arafat, quel camp a-t-il choisi ?
- Le président est le président. A la fin, c'est lui qui décide. Personnellement, je pense qu'il nous soutient. 
                                                           
8. Visite dans les dédales d'Aïn el-Héloué - Poudrière sous surveillance
in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 23 novembre 2001
L'ultimatum de l'armée libanaise, précédé par l'apparition de certaines formations palestiniennes sur la liste des organisations terroristes, a remis le camp d'Aïn el-Héloué au premier plan. Comment y maintenir l'ordre sans que le Liban soit obligé de pénétrer dans le camp ? Quelle ambiance y règne-t-il ?
Reportage
Alors que l'on s'attendait à un climat tendu dans le camp des réfugiés palestiniens d'Aïn el-Héloué, on y découvre des rues qui grouillent de vie. Les soldats libanais et les miliciens du Kifah Moussallah (la police du camp) ne donnent aucun signal d'alerte. A peine répondent-ils aux saluts des passants. Aux barrages de contrôle, les militaires semblent peu concernés par l'ultimatum lancé par l'armée libanaise comme par les informations faisant état de la classification par les Etats-Unis de certaines formations palestiniennes sur la liste des organisations terroristes.
L'ultimatum de l'armée qui a suivi l'explosion de deux grenades près d'un barrage militaire a rouvert le dossier des camps des réfugiés palestiniens au Liban. Ces camps qui jouissent d'une certaine immunité n'obéissent à aucun protocole ou accord entre l'Etat libanais et les comités qui représentent les formations palestiniennes, l'accord du Caire ayant été aboli il y a plusieurs années.
Dispositif allégé
Les habitants du camp que nous rencontrons révèlent que le dispositif de sécurité de l'armée a été allégé. Se contentant de se présenter, Abou Ahmad, un quinquagénaire mal rasé, relate les derniers incidents: «Deux explosions à proximité du barrage installé par la troupe à l'entrée principale ont secoué le camp. Les unités de l'armée ont immédiatement décrété l'état d'alerte. Des soldats, armés jusqu'aux dents, se sont déployés dans la région. Un climat de tension a régné à l'intérieur et aux abords du camp. Mais le dispositif de l'armée a été réduit par la suite.»
Une source palestinienne nous a expliqué que les formations palestiniennes qui avaient tout de suite publié un communiqué stigmatisant l'agression contre le barrage de l'armée avaient entamé «une série de contacts avec les parties influentes en vue d'alléger les dispositifs militaires. Des délégués de la coalition et des forces islamiques ont rencontré des responsables sécuritaires libanais et syriens. Les représentants de l'Organisation de la libération de Palestine (OLP) se sont réunis avec les mêmes personnes mais séparément. Depuis, les concertations se poursuivent sans relâche entre Palestiniens, d'une part, et Palestiniens et Libanais, d'autre part, en vue d'aboutir à une meilleure organisation des camps palestiniens au Liban».
Etat des lieux
Magazine s'est rendu à Aïn el-Héloué le mardi 20 novembre. Les représentants de la coalition des forces palestiniennes, du Front populaire, du Front démocratique et des formations islamiques palestiniennes se réunissent pour la troisième journée consécutive, au siège de la Saïka, une formation palestinienne paramilitaire d'obédience syrienne. Ils tentent de former un comité qui représente le camp d'Aïn el-Héloué afin de négocier avec les autorités libanaises les moyens d'organiser les relations entre les deux parties. Les représentants de l'OLP boycottent les réunions. Un malentendu sur la composition du comité représentatif en est la raison. Les cadres du Front populaire, du Front démocratique et de certaines formations islamistes essayent de jouer le rôle de médiateur entre l'OLP et la coalition des forces palestiniennes.
Selon des sources proches de la coalition, les représentants de l'OLP n'acceptent pas la formule suggérée par elle et qui prévoit la représentation de l'OLP, de la coalition et des formations islamiques par trois personnes chacune et la représentation des deux Fronts populaire et démocratique par une seule personne chacun. Puis la coalition suggère la formation d'un comité restreint formé par quatre délégués: celui de l'OLP, celui de la coalition, celui des forces islamiques et un seul pour des deux fronts. Le comité restreint aurait pour mission d'établir les contacts avec les autorités libanaises.
L'OLP rejette la suggestion de la coalition des forces palestiniennes. Elle propose en contrepartie la représentation de toutes les forces et partis palestiniens par d'autres personnes en ne se contentant pas de la présence de délégués des formations politiques. Cela signifie que le conseil des représentants devra être formé de 30 à 40 membres. La coalition estime qu'avec un tel nombre de personnes, il est impossible d'aboutir à des résultats concrets. Cependant, toutes les organisations, sans exception, réclament un protocole ou un accord politique pour gérer les relations entre l'Etat libanais et le peuple palestinien réfugié au Liban.
Les observateurs estiment que le Liban n'est pas vraiment embarrassé par le désordre qui règne dans les camps palestiniens, notamment dans ceux qui se trouvent au sud du pays. Car cela constitue un défi permanent à Israël qui craint le retour des fedayin si l'expérience de l'Etat palestinien devait échouer. Par conséquent, le dossier des réfugiés palestiniens ne serait pas réglé aux dépens du Liban et des Palestiniens. Le désordre dans les camps palestiniens pourrait également servir à faire taire l'opposition qui réclame le retrait des troupes syriennes du Liban.
Les habitants du camp d'Aïn el-Héloué rôdent sur la route principale en jetant des regards curieux du côté du siège de Saïka. «Nous sommes concernés par tout ce qui se passe. Nous n'avons ni travail ni occupation. Nous nous mêlons tous de politique. Il ne faut pas que l'OLP, ou n'importe quelle autre partie, ignore Osbat el-Ansar. Cette organisation devient très présente. Moi, je n'en fais pas partie mais je sais qu'elle offre beaucoup de services aux personnes démunies», explique Jaafar.
Quelque 80000 Palestiniens sont réfugiés à Aïn el-Héloué, dont 45000 sont initialement résidents dans ce camp. Les autres sont des déplacés des camps de Sabra, Nabatiyé ou Tell el-Zaatar. Tout ce monde se tasse sur une superficie de 2 kilomètres. Des informations non officielles affirment que le taux de chômage se situe entre 70 et 80%. 72 métiers au Liban sont interdits aux réfugiés palestiniens.
La majorité des habitants du camp ne connaissent pas la Palestine. Les générations nées sur la terre des pères disparaissent lentement et laissent en héritage le rêve du retour. Des jeunes de 15 ans décrivent à leurs interlocuteurs les détails de leurs villages d'origine en Palestine occupée en 1948 et que leurs propres pères n'ont pas connus. Les rites, les contes, la vie quotidienne de leurs grands-parents en Palestine, tout cela est désormais légendaire et appartient à la mémoire collective du peuple déraciné il y a déjà 53 ans.
                                           
9. Mounir Maqdah, chef de la milice de Fatah : "Les opérations ne cesseront pas avant la défaite d'Israël"
in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 23 novembre 2001
Magazine a rencontré à Aïn el-Héloué le colonel Mounir Maqdah, responsable des milices de Fatah au Liban, et l'a interrogé sur les derniers développements:
- Pourquoi les organisations palestiniennes au Liban conservent-elles des armes contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays arabes ?
- Le Liban est différent de tous les autres pays arabes. Au Liban, il y a une résistance contre l'occupant israélien qui menace quotidiennement l'espace et la mer du Liban. Les camps palestiniens sont aussi menacés par les Israéliens. Les armes dans les camps sont réservées à la résistance et au soutien de l'intifada en Palestine.
- Mais concrètement, la résistance palestinienne a cessé depuis l'invasion israélienne de 1982...
- Les opérations ne cesseront pas avant la défaite des Israéliens.
- A quoi servent vos armes depuis le retrait israélien ?
- Quand nous retournerons dans notre terre et dans nos maisons en Palestine, nous n'aurons plus besoin de nos armes. Il n'est pas nécessaire de rendre public tout ce que nous faisons.
- Pourquoi évoque-t-on de temps à autre la sécurité des camps palestiniens ?
- Je crois que le taux de criminalité dans les camps palestiniens est le plus bas au Liban. La sécurité des camps palestiniens est évoquée souvent par les pro-américains et pro-israéliens au Liban, alors que la position officielle libanaise est pour le droit au retour de tous les Palestiniens à leur pays d'origine.
                                   
10. L'Etat palestinien et la déclaration "Bushlour" ! par le Dr. As'ad Abd Al-Rahman
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du jeudi 22 novembre 2001
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

(Le Dr. As'ad Abd Al-Rahman est un écrivain et chercheur palestinien.)
Un de mes interlocuteurs, qui est aussi un ami, un vieux militant arabe qui a connu les époques héroïques, voulait de moi que j'écrive quelque chose sur les significations et les répercussions des déclarations de Mister Tony Blair, premier ministre britannique, au sujet de l''Etat palestinien'. Ces déclarations, Mister Blair les avait faites au cours de la visite du président palestinien Yasser Arafat au Royaume-Uni, la semaine dernière. Mon ami avait ajouté, très pince-sans-rire, que les déclarations de Blair pouvait être "assimilées" à une sorte de "déclaration Blour" (et non pas de "déclaration Blair", vous l'aurez remarqué), car il avait créé pour les besoins de la cause une sorte d'hybride entre 'Blair' et Lord 'Balfour', célèbre auteur de la promesse faite aux sionistes d'un "foyer national juif", en 1917. Mais, en m'attelant à l'écriture de cet article, je me suis souvenu, par "scrupule scientifique", de mon devoir de relier tout cela avec les déclarations faites par le président Bush junior, chef du monde libre (et même non-libre) - bien qu'obscures, ces déclarations étaient absolument sans précédant - au sujet de l'Etat palestinien et, cela, quelques jours avant les déclarations de Blair ! Je déclare avoir pleine conscience que le fait que les noms de famille d'Arthur Balfour, George W. Bush et Anthony Blair commencent tous trois par la lettre "B" relève de la pure coïncidence et n'a par conséquent aucune espèce de rapport avec la théorie du "beau rêve devenu réalité" ni, encore moins, avec celle du "complot historique" ! Mais tout ceci m'a amené à "étendre" la dénomination proposée par mon ami, qui a fini par devenir "la promesse Bushlour", et non plus seulement "la promesse Blour", car j'ai tenu en quelque sorte à réunir les noms des trois preux chevaliers (Bush, Blair et Balfour, successivement), dans un même néologisme...
Voilà pour le nom et l'aspect formel de la question, qui n'est pas le plus important, vous vous en doutez bien. Qu'en est-il du sens et des conséquences de ces déclarations, aspects bien plus importants, sans comparaison aucune ?
Au début, j'étais sceptique, même méfiant, vis-à-vis de la déclaration américaine sur un Etat palestinien, en raison du calendrier de cette annonce, qui me paraissait 'opportuniste' (au beau milieu des efforts visant à la constitution d'une 'coalition internationale anti-terroriste'), certes, mais aussi à cause de son manque de clarté, sur nombre de points ! Mais ma position a évolué (elle n'a pas changé du tout au tout), après avoir observé de plus près ce qui m'était apparu d'emblée comme une 'remise de chèque' (le 'chèque' étant l'Etat palestinien) par les Etats-Unis à la Grande-Bretagne ! En effet, nombreux sont les indices, apparus à l'occasion de transitions décisives, suggérant que les Etats-Unis ont souvent, par le passé, délégué certaines missions particulières, faisant de la Grande-Bretagne leur fer de lance, en Europe et ailleurs. (Ce phénomène s'est renforcé avec la consolidation de l''alliance stratégique' américano-britannique, tout du moins depuis le règne de la 'Dame de fer', Margaret Thatcher, ancien premier ministre du Royaume-Uni). A cela, plusieurs raisons stratégiques et tactiques, au premier rang desquelles, vraisemblablement, le 'rationalisme' et l'expérience européenne en matière de colonialisme, sans équivalent, emmagasinée depuis fort longtemps par la Grande-Bretagne, qui avait créé, et conservé jusqu'à il y a relativement peu de temps, un empire sur lequel 'le soleil ne se couchait jamais', empire qui englobait jusqu'à certaines parties des Etats-Unis, dont des Etats entiers ont été, jadis, ne l'oublions pas, des colonies britanniques ! Ce qui s'est passé, de manière essentielle, et en résumé, c'est (pour reprendre les termes de mon ami) un 'mariage' entre les muscles américains et le cerveau britannique ou, si l'on veut, le prêt des gros bras américain, mis à la disposition de la ruse britannique 'mobilisée', peu ou prou, au service des intérêts communs américano-britanniques, soit, bien évidemment, surtout au service des intérêts américains... Mais pas seulement : en effet, la Grande-Bretagne reçoit toujours sa part du gâteau dans cette heureuse union ! Ainsi, l'invitation en Grande-Bretagne du président Arafat (après un long refus, puis une longue hésitation du gouvernement britannique, en mimétisme avec la position de la nouvelle administration américaine) est la mission impartie au premier ministre britannique, pour de nombreuses raisons, entre autres, la marge de liberté (et, par tant, de manoeuvre) de l'Angleterre, marge confortable qui lui offre plus de possibilités d'agir, non seulement à elle-même, Grande-Bretagne, mais aussi au deus ex-machina américain. Tout ceci, évidemment, si nous leur accordons la bonne foi et si nous faisons l'hypothèse que les Etats-Unis sont tout-à-fait sérieux lorsqu'ils proposent la création d'un Etat palestinien 'viable et durable' pour reprendre les termes de Blair, qui venaient 'dissiper' en quelque sorte le brouillard entourant la déclaration américaine ! Ce dernier point est important, et il convient de l'expliciter.
* * *
Ainsi, le Royaume-Uni, pays où le lobby sioniste n'est pas absolument tout-puissant (à la différence des Etats-Unis) a joué, par le passé, et continue à jouer actuellement, le rôle d'une sorte d'éponge politique' ! Ainsi, l'invitation faite à Arafat est un message indirect (ou plus exactement : apparemment indirect) adressée à Israël, tout en étant par ailleurs une mesure permettant d'amortir les réaction israélo-sionistes prévisibles lors d'une visite du président palestinien aux Etats-Unis en vue d'y rencontrer le président Bush (ne serait-ce qu'en marge des réunions de l'ONU). Ainsi, les éclaircissements britanniques apportés au contenu d'un Etat palestinien, d'une manière générale, ne sauraient représenter autre chose qu'une introduction à ce qui ne manquera pas de venir du côté américain, à savoir l''extension' du propos afin qu'il concerne cette fois 'un Etat (palestinien) raisonnable', soit tout-à-fait autre chose que l'"Etat" auquel Sharon pense depuis longtemps ! A ce propos, il convient de bien noter les propos de Mister Blair : "le but est : 'l'établissement d'un Etat palestinien, doté de toutes ses prérogatives, dans le cadre d'un règlement en cours de négociation et d'adoption, et avec des garanties quant à la paix et à la sécurité d'Israël'". "Notre but est qu'il y ait un Etat palestinien viable, dans le cadre d'un accord garantissant la paix et la sécurité pour Israël". Le point le plus important, dans ces déclarations (mis à part leur contenu, plus explicite que la position américaine), est sans doute le désir insistant d'avancer, d'aller vite, en quelque sorte : 'de battre le fer tant qu'il est chaud' ! La déclaration de Blair à laquelle nous avons fait allusion a été complétée par la bouche de Blair, qui a dit : "Nous sommes entièrement d'accord entre nous (c-à-d : le président palestinien et le premier britannique) sur le fait qu'il est grand temps de relancer le processus de paix". Il a appuyé ces propos en encourageant tant Arafat que Sharon à "reprendre les négociations sans attendre". Naturellement, personne ne parle, en l'occurrence, de solution magique et instantanée, de lapin tiré du chapeau ! Dans ce contexte, le ministre des affaires étrangères britannique, Jack Straw, s'est chargé d'"expliciter" le sujet, en déclarant notamment : "la reconnaissance de l'Etat palestinien doit s'inscrire dans le cadre d'un processus au long cours en vue de la recherche de la paix", processus passant par "l'application des recommandations Mitchell, paraphées par l'Autorité palestinienne et le gouvernement israélien."
* * *
Sommes-nous, réellement, en face d'une "promesse Balfour", mais de facture américano-britannique cette fois, et adressée - changement notable - aux Palestiniens ? Si cela est bien le cas, il s'agit d'une "promesse" capitale (nous avons choisi de l'appeler, en l'occurrence, 'promesse Bushlour'), dont il importe que nous mettions l'accent sur sa double origine, puisqu'elle résulte d'une position conjointe de deux Etats et non plus d'un seul, puisqu'elle représente (pour poursuivre notre analogie historique) la conjonction de vues concordantes entre le "nouvel Empire" (américain) allié à l'"ancien Empire" (britannique) ?! En conclusion, nous dirons, en résumé et en toute franchise, que tout ce qui a pu être dit en fait de "bon augure" à tirer de cette promesse repose entièrement sur la crédibilité... des Etats-Unis ! (C'est dire...) Alors, permettez-nous d'attendre un peu... (Wait and see...) En effet : qui attend un peu... voit mieux !
                               
11. Union Européenne - Note à titre consultatif sur les droits de douane par Herb Keinon
in The Jérusalem Post (quotidien israélien) du jeudi 22 novembre 2001
[traduit de l'anglais par la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine]

L'Union Européenne a annoncé hier qu'elle allait publier une " note à titre consultatif " adressée aux importateurs européens de produits d'Israël fabriqués au-delà de la Ligne Verte, leur disant qu'ils risquent d'avoir dans le futur à s'acquitter de droits de douane rétroactifs sur ces produits.
L'Union Européenne s'est arrêtée avant de lever dès maintenant unilatéralement des droits de douane sur ces produits, ou de porter le problème devant une instance d'arbitrage, deux sortes d'actions auxquelles Israël s'est catégoriquement opposé. Au lieu de cela, l'Union Européenne a accepté la requête de renvoyer le problème devant un comité qui cherche une " solution technique " au problème.
L'Allemagne et la Grande-Bretagne furent les deux seuls pays qui se sont rangés du côté d'Israël dans l'Union Européenne et qui ont poussé à ce que le problème aille devant un comité technique. Aucune date n'a été fixée pour la réunion du comité sur ce sujet.
Le directeur-général, ministre des Affaires Etrangères Avi Gil, qui représentait Israël à la réunion de l'Association Union Européeene-Israel, hier à Bruxelles, où le problème a été discuté, dit qu'Israël est " attristé et profondément déçu " par la décision de publier cette note. Le Ministère des Affaires Etrangères notait, cependant, que l'UE avait clairement dit que des droits de douane ne seraient pas levés si une solution pouvait être trouvée au comité technique.
Un officiel de l'UE en Israël a dit que le fait que l'UE n'a pas imposé immédiatement de droits de douane ou n'ait renvoyé le problème pour arbitrage montre qu'elle fait tous les efforts possibles - dans le cadre de ses obligations légales - pour essayer de satisfaire Israël sur ce sujet. Il dit, cependant, que l'UE est obligée légalement d'informer les importateurs que les droits de douane peuvent être imposés.
Cet officiel a convenu que la décision de reporter, sur le fond, la question a été prise pour ne pas provoquer un affrontement avec Israël à un moment où l'Europe veut être considérée comme un " courtier honnête " dans la région.
Tous les produits d'Israël, y compris ceux des colonies, de Jérusalem-Est et des Hauteurs du Golan, ont bénéficié jusqu'ici d'un statut d'exemption de droits de douane en Europe depuis plus de 25 ans. La tendance à remettre en cause ce statut-tendance dont les deux parties admettent qu'il a des conséquences politiques significatives se prépare depuis 1998.
Un officiel du Ministère des Affaires Etrangères dit qu'Israël ne compte sur aucune annulation immédiate de contrats avec des firmes israéliennes d'au-delà de la Ligne Verte, mais néanmoins cette note est un signal clair de ce que les Européens se dirigent vers le fait de retirer à ces produits leur statut privilégié.
                                                  
12. Ottawa "déplore" la détention, durant 57 jours, d'un Arabe réfugié au Canada par Bill Schiller
in The Toronto Star (quotidien canadien) du jeudi 22 novembre 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

[The Toronto Star tire à 460 000 exemplaires. Créé en 1893, ce quotidien, plus gros tirage du pays, se situe au centre de l'échiquier politique canadien. http://www.thestar.com]
Un arabe, incarcéré à Toronto, dans le cadre des 'retombées' des attentats du 11 septembre, a été remis en liberté conditionnelle hier, après qu'un responsable de l'Office pour l'Immigration et les Réfugiés ait qualifié la manière dont le gouvernement avait géré cette affaire de 'déplorable'.
Le plaignant, Ribhi Jamel Sheikha, réfugié palestinien, avait été 'retenu' pendant 57 jours (dont 23 jours en cellule d'isolement). Hier, Dennis Paxton, un des responsables de l'Office pour l'Immigration et les Réfugiés a ordonné qu'il soit relâché, en expliquant que le gouvernement avait été incapable d'établir les motifs de son arrestation.
Au cours de la même audience, un responsable du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration a révélé que les autorités de l'immigration ont reçu une liste spéciale de pays, du CSIS. Il s'agit de  "pays qui ont été identifiés comme donnant refuge à des terroristes".
Maria Perreault, chargée des affaires juridiques de Citoyenneté et Immigration a déclaré qu'après le 11 septembre, il était requis des responsables de l'immigration "qu'ils examinent scrupuleusement", voire "détiennent" des gens provenant de ces pays. Hors tribunal, elle a déclaré avoir pris connaissance de la liste en question, qui, a-t-elle dit, "inclut des pays tels l'Arabie Saoudite, la Palestine, l'Irak (peut-être l'Iran), ainsi que d'autres... "
Danielle Sarazin, porte-parole de Citoyenneté et Immigration, refuse de confirmer l'existence de cette liste. "Nous n'avons pas l'intention de polémiquer sur les stratégies mises en oeuvre par notre pays afin de dissuader les terroristes d'y venir", a-t-elle dit. Les personnes solidaires avec M. Sheikha affirment qu'il a été arrêté pour le simple 'tort d'être arabe'.
Ils disent que sa détention est une preuve supplémentaire du fait que les Arabes, depuis le 11 septembre, font l'objet de discriminations, qui ont pour résultat de les exposer aux brutalités des autorités d'immigration sur la seule base de leur appartenance ethnique.
"Je pense que les autorités canadiennes réagissent de façon inconsidérée et que leur zèle est tout-à-fait excessif", les a accusées Rashad Salah, président de la Maison Palestinienne, centre de réunion pour la communauté palestinienne locale.
"Il est devenu tout-à-fait clair que le gouvernement vise ou fiche les Arabes portant des noms musulmans". Sheikha, un Palestinien âgé de 35 ans, avait été arrêté le 27 septembre à l'aéroport Pearson où il était arrivé à bord d'un vol Le-Al en provenance d'Israël.
Il était monté à bord, à Tel Aviv, muni d'un passeport palestinien en règle et d'une pièce d'identité israélienne. Mais il avait aussi sur lui une fausse "Carte verte" américaine l'autorisant à pénétrer au Canada. Une fois sur le sol canadien, il avait détruit cette "carte verte" et avait demandé le statut de réfugié.
Il avait alors été alors interrogé, puis arrêté.
Mais sa mise en état d'arrestation, théoriquement suspensive 48 heures après son arrestation, n'avait toujours pas été suspendue, au bout de 19 jours... Mme Perreault ne pouvait pas donner d'explications.
Ce n'est pas tout : en effet, l'interrogatoire de 48 heures n'était qu'une irrégularité supplémentaire parmi une litanie d'irrégularités relevées dans le cas Sheikha.
Citoyenneté et Immigration a admis que M. Sheikha, ainsi qu'un autre Palestinien arrivé par le même avion, ont été interrogés - non pas séparément, mais ensemble - par des responsables de l'immigration à l'aéroport Pearson.
"Première anomalie", a déclaré Mme Perreault, représentant le ministre de l'immigration à l'audience.
"Qui que ce soit qui ait pris cette décision, elle n'aurait pas dû être prise."
Un officier de l'immigration, dont l'identité n'a pas été précisée, qui avait constitué le dossier, avait visé, dans les documents - non pas une seule fois, mais à trois reprises - des chapitres non pertinents de l'Acte d'Immigration, dans sa demande de mise en détention de Sheikha.
"Il s'agissait, une fois encore, d'erreurs évidentes", a indiqué Mme Perreault, qui poursuivit : "Je ne m'explique pas comment des erreurs aussi grossières ont pu être commises..."
Plus tard, elle a dit que les empreintes digitales de Sheikha avait été communiquées au RCMP d'Ottawa mais, qu'ayant contacté l'officier chargé de l'affaire, celui -ci lui avait dit "ne pas savoir exactement où ces empreintes digitales se trouvaient."
M. Sheikha a pu assister à cette audience (qui a duré une journée entière) grâce à une vidéo-conférence depuis son centre de détention, près de Peterborough. Son visage, tendu, apparaissait sur un monitor télévision grand écran, installé dans la salle.
Paxton était assis, calme, dans la petite salle d'audience,  au cinquième étage d'un immeuble de bureaux, situé sur la rue Victoria, dans le centre de Toronto. La litanie des erreurs et anomalies en chaîne une fois égrenée, il secoua la tête :
"Franchement ! Je ne sais pas quoi dire...", intervint-il, n'y tenant plus. "Comme çà, nous sommes enfermés ici, pour tirer tout cela au clair ?", demanda-t-il à Mme Perreau. "Sauf votre respect, c'est vraiment déplorable."
Puis il demanda à se retirer un moment, "pour pouvoir remettre de l'ordre dans ses idées".
A son retour, il conclut : "il est très difficile de trouver sur quelle base légale les responsables du ministère ont requis l'arrestation de Sheikha."
Tentant le tout pour le tout afin d'éviter la relaxe de Sheikha, Mme Perreault dit alors : "Je ne dis pas que cet homme est ou n'est pas un terroriste...  La seule chose qui compte c'est, que précisément à ce moment, nous avons des préoccupations, depuis ce qui s'est passé le 11 septembre, au sujet de personnes venant de pays qui accordent leur hospitalité à des terroristes".
L'avocate de M. Sheikha, Lisa Witer-Card, a plaidé que son client était une victime innocente d'une procédure très mal engagée. "Il est resté en prison durant 57 jours, la plupart de cette période, en isolement total, sans que les autorités de la prison ne lui aient jamais donné la moindre explication à ce sujet (en particulier, en ce qui concerne les mesures d'isolement).
Elle a indiqué que la seule chose qu'ait faite M. Sheikha qui aurait pu, à l'extrême rigueur, susciter des craintes quant à la sécurité, avait été de tenter d'entrer au Canada et d'y réclamer le statut de réfugié "après le 11 septembre."
Elle a concédé aux Canadiens la légitimité de leurs préoccupations en matière de sécurité, mais en précisant qu'ils doivent "s'attacher au moins autant" à faire garantir les libertés civiques, conformément à la Charte des Droits et des Libertés.
M. Sheikha a été remis en liberté après le versement d'une caution de 1 500 dollars, et sous certaines conditions, notamment : conserver la même adresse et répondre à toutes les convocations du bureau de l'immigration.
A l'annonce de cette décision, c'est un M. Sheikha souriant qui demandait la parole, par l'intermédiaire d'un interprète. "Merci. Je veux remercier le gouvernement canadien et le système judiciaire canadien."
Paxton hocha la tête, depuis son bureau, concluant, dépité : "Pas la peine d'en rajouter..."
                                   
13. Proche, orientale [un portrait de Leïla Shahid] par Anne Diatkine
in Libération du mercredi 21 novembre 2001
Leila Shahid, 52 ans. Déléguée générale de la Palestine en France. Se bat depuis 1967 pour l'émergence d'un Etat autonome.
- Leila Shahid en 8 dates :
- 13 juillet 1949 : Naissance à Beyrouth.
- 1969 : Rencontre Yasser Arafat à Aman.
- 1974 : Quitte Beyrouth pour Paris. Commence un doctorat à l'Ecole des hautes études en sciences sociales sur le camp de Chatila.
- 1976 : Elue présidente de l'Union des étudiants palestiniens en France. Travaille avec Ezzedin Kallak, représentant de l'OLP, assassiné à Paris en août 1978, par le groupe Abou Nidal. 
- 1977 : Epouse l'écrivain marocain Mohamed Berrada. Vit au Maroc jusqu'en 1986.
- 1989 : Représentante de l'OLP en Irlande.
- 1990 : Représentante de l'OLP aux Pays-Bas puis au Danemark.
- Depuis 1993 : Déléguée générale de la Palestine en France.
Le contrôleur s'approche, il tend à Leila Shahid l'autobiographie de Chet Baker, et la déléguée générale de la Palestine en France la lui dédicace à sa manière, en remplissant entièrement la page de garde. Elle lui dit: «J'aimerais bien vous envoyer un livre. Politique ou littéraire?» «Littéraire». Leila Shahid lui adressera un recueil du poète palestinien Mahmoud Darwich «sans hésitation». Inévitablement, le contrôleur du train lui demande son avis sur le processus de paix bloqué. S'il n'était de service, il s'assiérait pour discuter. En dépit de ses «deux anges gardiens», qui ne la quittent jamais même lorsqu'elle descend acheter son poisson, Leila Shahid a un contact immédiat avec ses interlocuteurs, parce qu'elle s'intéresse à leur écoute, qu'elle aime convaincre, et que sa parole redessine à chaque fois son sujet, dans tous ses méandres. Elle mime des dialogues ou un événement, et, tout d'un coup, on a une foule devant soi, et qui plus est celle cosmopolite de la Jérusalem du début du vingtième siècle.
Leila Shahid est, depuis 1993, l'ambassadrice en France d'un Etat qui n'existe pas encore, d'un peuple exilé ou «bouclé dans une immense prison», et elle n'a rien de la retenue que l'on présuppose à la diplomatie. Son premier signe particulier, c'est sa voix. Des intonations virevoltantes qui changent de gamme en un quart de seconde, un débit rapide, peu à peu ralenti par la fatigue au bout d'une quinzaine d'heures. Une conteuse qui relate sans fin l'histoire de la «Naqba» (l'engloutissement de la Palestine alors sous mandat britannique, et l'exil des deux tiers de la population, en 1948) ou qui décrit avec effroi les ravages du communautarisme israélien. «Actuellement, en Israël, le seul endroit où le melting-pot existe, c'est l'armée. C'est le seul lieu de cohésion nationale. La plupart des Russes ont, par exemple, renoncé à parler l'hébreu; ils ont deux chaînes de télé et quatre quotidiens dans leur langue. Comment voulez-vous qu'une force de paix réémerge, si tout est recherche de privilèges communautaires?» De 1967 jusqu'aux accords d'Oslo, il était interdit à Leila Shahid de revenir dans les territoires. Depuis, elle s'y rend «dès que possible», tous les deux mois, avec un visa de touriste, seule possibilité pour les réfugiés de 1949 de visiter leur pays. Sur Yasser Arafat, elle répète qu'il est «celui qui a rassemblé le corps désintégré de la Palestine». Elle est en contact permanent avec lui.
Aujourd'hui, elle est dans un train pour Saint-Nazaire, s'émerveille de la lumière de novembre, et des performances de son portable qui lui permet d'envoyer des textos à Gaza. Depuis le 11 septembre, Leila Shahid parcourt la France, accepte la plupart des invitations des municipalités et d'associations, pour répondre, parfois en duo avec un intellectuel juif, aux questions d'un public très divers, et aussi pour en poser. «C'est ainsi que je sauve mon humanité» dit-elle. «Comment en tant d'années pourrais-je ne pas être prise de découragement total sur l'utilité de mon travail, s'il n'y avait des rencontres impromptues ?» Elle ajoute: «Et puis c'est mon côté anthropologue, j'aime bien rencontrer les Français !»
Ce qui étonne dans le discours-fleuve et érudit de Leila Shahid, c'est qu'il porte, bien sûr, les interrogations et le désespoir des Palestiniens, mais qu'il témoigne aussi d'une connaissance jamais rassasiée d'Israël. Michel Warschawski, directeur du Centre d'information alternative, un organisme israélo-palestinien à Jérusalem, le confirme: «Elle peut appeler à n'importe quelle heure pour demander qu'on lui faxe un article du Haaretz. Elle s'est entre autre intéressée aux nouveaux historiens israéliens, bien avant qu'ils ne soient à la mode. De tous les politiques palestiniens, elle est celle qui s'est le plus identifiée à l'objectif d'une réconciliation, avec toute la souffrance que cela implique lorsqu'elle est impossible.» Comme si, en exil depuis sa naissance, «comme quatre millions de Palestiniens», elle avait choisi de transporter dans sa mémoire la culture de son peuple, mais aussi celle des hommes qui vivent ou ont vécu en Terre sainte. Un savoir toujours disponible, énonçable. Nul besoin de notes pour parler. «Je ne peux pas écrire, dit-elle. Car, lorsque j'écris, trois langues me viennent: celle de l'éducation (le français), des émotions et de l'enfance (l'arabe), et de la diplomatie (l'anglais).»
Elle a été conçue au Liban, en 1948, quand le nom de son pays était effacé de toutes les cartes du monde. Son père, professeur de médecine, a été élève chez les jésuites, tandis que sa mère, exilée au Liban à 18 ans, a fait ses études chez les quakers américains, bien qu'ils soient tous les deux musulmans. Sa mère aide les réfugiés qui viennent de Galilée. Son statut de privilégiée ne met pas fin au sentiment d'être exilée. «Lorsque j'étais enfant, ma mère pleurait tout le temps. J'ai grandi avec le sentiment d'être dépossédée de l'histoire de mes parents, tout en intériorisant leur nostalgie et en ayant la certitude que nous allions retourner vivre en Palestine.» Jérusalem, c'est aussi la ville dont son arrière-grand-père paternel a été maire, dans les années 1920: «Musulmans, chrétiens et juifs siégeaient au conseil municipal.» Durant toute son enfance et adolescence, Leila Shahid perçoit Israël comme un pays sans légitimité. «Il a fallu des voyages en Europe, pour qu'on intègre la réalité du génocide.» Cependant, son premier contact personnel avec des Israéliens date de ses 16 ans, dans une pension à Londres où logeaient également deux jeunes filles israéliennes. L'une chante l'hymne national israélien dès que Leila apparaissait et, «à ma stupéfaction, j'ai noué une amitié avec la seconde. Elle allait faire son armée, et, grâce à elle, j'ai compris qu'il y avait des soldats israéliens qui n'avaient pas envie de l'être.»
En 1989, Leila Shahid devient la seule représentante féminine de l'OLP, d'abord en Irlande, puis au Danemark, et aux Pays-Bas, et enfin à Paris. Une «ambassade» qui n'emploie que quelques cadres. «Pendant la première Intifada, Arafat a pensé qu'il devait traduire l'apparition des femmes dans la résistance, en les nommant à des postes importants. Je suis la seule qui ait accepté!» Et Leila Shahid d'expliquer le statut particulier des femmes dans la société palestinienne par rapport à d'autres pays arabo-musulmans.Et de se souvenir que son ami Jean Genet, qui lui a dédié le texte «Quatre heures à Chatila», a été sensibilisé au peuple palestinien par les femmes, «non par les hommes». Et d'offrir son savoir et ses interrogations, sans cacher qu'elle peut se terrer chez elle, en larmes, quand elle apprend que le président Bush refuse de recevoir Arafat, «alors qu'ils sont le même jour, à la même heure, dans le même bâtiment, destiné à concevoir la paix». Elle n'a pas d'enfant. Aujourd'hui, elle vit enfin avec son mari, l'écrivain marocain Mohamed Berrada, qui enseignait à Rabat et l'a rejointe depuis qu'il a pris sa retraite. Même si l'un de ses prédécesseurs, Ezzedin Kallak, s'est fait assassiner, elle ne se sent «ni plus ni moins en danger que n'importe quel Palestinien, lorsqu'il y a des tirs et que je suis sur place». Lorsqu'elle a du temps, elle va à des expositions d'art contemporain - «je préfère découvrir ce que je connais mal» -, visite des musées. «Pour le silence, aussi.»
                                                
14. Le lieu de baptême du Christ aurait été identifié en Jordanie par Stéphane Foucart
in Le Monde du mercredi 21 novembre 2001

Une équipe d'archéologues jordaniens présente le site de Wadi el-Kharrar, à proximité du Jourdain, comme le lieu de baptême du Christ. Une thèse que confirment tant l'évangile selon saint Jean que des récits anciens de voyageurs et qu'a confortée la visite du pape Jean Paul II en 2000. Sur place, de nombreux vestiges récemment mis au jour montrent que, dès le Ier  siècle, Wadi el-Kharrar serait devenu un lieu de pèlerinage des premiers chrétiens, comme l'atteste la présence de bassins baptismaux, d'une église de saint Jean-Baptiste plusieurs fois reconstruite au même endroit et d'un monastère. L'émergence de ce site a suscité quelques tensions entre la Jordanie, d'une part, et Israël et l'Autorité palestinienne, d'autre part, qui assurent que le Christ a été baptisé en Cisjordanie, à Qasr el-Yahoud.
WADI EL-KHARRAR (Jordanie) notre envoyé spécial
Au nord de la mer Morte, le Wadi el-Kharrar serpente sur quelque 2 kilomètres pour déboucher sur la rive orientale du Jourdain. Tout proche du fleuve biblique, ce petit oued (wadi) est, depuis 1998, présenté par le département jordanien des antiquités comme le lieu du baptême du Christ. Et, alors qu'à quelques kilomètres des fouilles archéologiques la construction d'un complexe touristique vient de s'achever, le site s'ouvre progressivement aux visiteurs.
Les Evangiles restent vagues sur la localisation du baptême du Messie. Seul l'évangéliste Jean donne un nom au lieu où "Jean prêchait et baptisait". Jean situe l'événement à "Béthanie, au-delà du Jourdain" (Jean 1, 28), c'est-à-dire, dans la terminologie des Evangiles, sur la rive orientale du fleuve. C'est, précisément, le lieu qu'affirme avoir découvert, le long du Wadi el-Kharrar, une équipe d'archéologues jordaniens dirigée par Mohammed Wahib. Une théorie à laquelle la visite du pape Jean Paul II sur le site, en mars 2000, a contribué à donner quelque crédit.
Les premiers récits de pèlerinage en Terre sainte concordent, il est vrai, de façon troublante avec les découvertes des chercheurs jordaniens. A l'extrémité du wadi, à quelque 50 mètres du cours actuel du Jourdain, les archéologues ont ainsi mis au jour les restes de trois églises superposées, dont la plus ancienne remonte au début du VIe siècle. Pour Mohammed Wahib, il ne fait aucun doute qu'il s'agit là de "l'église de saint Jean-Baptiste" décrite par les premiers pèlerins venus aux abords du Jourdain commémorer le baptême du Messie. "A l'endroit où le Seigneur a été baptisé (...) se trouve l'église de saint Jean-Baptiste, construite par l'empereur Anastase", écrit notamment, vers 530, le patriarche d'Alexandrie Théodose, à l'issue de son voyage en Terre sainte. Une église que Théodose situe bien sur la rive orientale du Jourdain. Deux siècles auparavant, certaines relations de voyage, comme celle de l'anonyme Pèlerin de Bordeaux, autour de l'an 330, situent également le baptême sur la rive orientale, "à 5 milles romains" (un peu plus de 7 kilomètres) au nord de la mer Morte. A cette époque, on ne trouve pas mention d'une église.
"La première église était bâtie sur des arches, à environ 6 mètres au-dessus du sol, en raison des fortes crues du fleuve, avance Rustom Mkhjian, architecte, responsable de la restauration du site.
Elle s'est probablement effondrée à la suite d'un tremblement de terre, à une date qu'il est difficile de déterminer avec précision. Toujours est-il qu'elle a été reconstruite deux fois, au niveau du sol, les architectes byzantins espérant ainsi que les séismes futurs resteraient sans effet sur l'édifice." L'affaissement des fondations montre que les deux églises ont tour à tour été victimes de crues particulièrement importantes. Surtout, explique M. Mkhjian, les constructions successives – probablement opérées sur une durée de deux siècles – de lieux de culte sur le même emplacement témoignent de l'importance particulière conférée à cet endroit précis. Au sol, près de l'autel, des fragments de mosaïque sont encore visibles.
Cet été, un escalier partiellement effondré, menant de l'autel de l'église à une dizaine de mètres en contrebas, a été mis au jour. Selon Rustom Mkhjian, cet escalier, qui s'achève par une rampe de pierre, devait permettre aux pèlerins, à l'issue de l'office, d'entrer dans les eaux du fleuve. Aujourd'hui, les marches ne mènent plus au Jourdain, qui coule à une quarantaine de mètres plus à l'ouest. Son cours, estiment les archéologues, s'est quelque peu infléchi depuis le Ve siècle. Une supposition que confirme une étude géologique menée par l'université de Jordanie sur le site.
COLONNE VOTIVE
Tout à côté de l'endroit où les premières marches devaient pénétrer dans les eaux du fleuve, un bloc de pierre d'environ 2 mètres de côté a été dégagé. Il pourrait s'agir, selon M. Mkhjian, du socle d'une colonne votive mentionnée par plusieurs pèlerins. L'évêque franc Arculphe, vers 670, décrit ainsi une "colonne de marbre surmontée d'une croix", supposée marquer l'endroit exact du baptême du Christ. De nouvelles découvertes jugées "très importantes" par Michele Piccirillo, archéologue et professeur d'histoire et de géographie biblique. Ce franciscain, qui a "redécouvert" le site de Wadi el-Kharrar en 1995, un an après la signature du traité de paix israélo-jordanien, rappelle que le wadi semble avoir été occupé dès le Ier siècle. En témoignent des tessons et des monnaies de la période romaine, retrouvés au cours des premières fouilles.
Celles-ci avaient également permis l'identification, le long de la vallée, de cinq vastes bassins baptismaux, attestant que le rite du baptême a, ici, été pratiqué à grande échelle. Deux de ces bassins, selon les archéologues, ont été creusés vers le Ier siècle, pour être ensuite consolidés, probablement entre le Ve et le VIe siècle. De plus, sur le tertre surplombant l'entrée du wadi, à quelque 2 kilomètres du Jourdain, les vestiges d'un monastère, contemporain de la première église de saint Jean-Baptiste, ont été également dégagés. Selon les archéologues, l'édifice aurait été bâti sur un site plus ancien, remontant probablement au début de notre ère.
TRAVERSÉE PÉRILLEUSE
Une telle concentration de vestiges atteste de l'importance accordée au site, aux toutes premières heures du christianisme. Toutefois, à compter du VIIe et du VIIIe siècle, les pèlerins cessent progressivement de franchir le Jourdain pour commémorer le baptême du Messie. L'émergence de l'islam, sans doute, dissuade les chrétiens d'entreprendre une traversée jugée périlleuse. Peu à peu, Wadi el-Kharrar s'efface des mémoires au profit de Qasr el-Yahoud, sur la rive occidentale du fleuve, plus facile d'accès aux pèlerins venant de Jérusalem.
Les deux sites revendiquent aujourd'hui la même importance historique et religieuse, ce qui a suscité quelques tensions entre Israël et l'Autorité palestinienne, d'une part, et la Jordanie, d'autre part. Les dernières excavations opérées à Wadi el-Kharrar donnent cependant au site jordanien une sérieuse prééminence sur son rival cisjordanien. Même si, comme le regrettent certains archéologues, aucune publication scientifique complète n'a à ce jour été produite par l'équipe de M. Wahib. Une publication qui, assurent les archéologues jordaniens, ne saurait tarder.
                                               
15. L'Irak n'est jamais sorti de la ligne de mire de l'administration américaine par Mouna Naïm
in Le Monde du mercredi 21 novembre 2001

Le président irakien, Saddam Hussein, est "un homme très dangereux qui constitue une menace pour son propre peuple, une menace pour la région et une menace pour nous, en raison de sa détermination à acquérir des armes de destruction massive", déclarait, dimanche 18 novembre, Condoleezza Rice, conseillère du président George Bush pour la sécurité nationale. Saddam Hussein est l'un des "soutiens" du terrorisme, même "s'il n'est pas le seul", renchérissait le même jour le secrétaire adjoint à la défense, Paul Wolfowitz, l'un des plus ardents partisans d'une offensive contre l'Irak. Tous deux ont néamoins rappelé que la priorité pour Washington était l'Afghanistan et le démantèlement d'Al-Qaida. Certes, mais après? Après, écrivait, lundi 19 septembre, l'éditorialiste Jim Hoagland dans le Washington Post, aucun de ceux qui se sont "autoproclamés ennemis de l'Amérique" ne doit être épargné. Et, pour commencer, "l'Irak, que le monde a laissé pourrir aux mains d'une bande de psychopathes criminels qui prétendent être un gouvernement". "Quiconque cherche des liens entre le mollah Omar [l'émir des talibans] et Saddam Hussein n'a qu'à voir la manière dont chacun d'eux a brutalisé son peuple, puis proclamé qu'il utiliserait des moyens similaires pour obtenir “la destruction de l'Amérique”", ajoutait l'éditorialiste, pour qui "aucune immunité ne doit être garantie au régime terroriste irakien".
Le même jour, à l'ouverture des travaux à Genève de la cinquième conférence de révision de la convention sur les armes biologiques de 1972, le secrétaire d'Etat adjoint américain pour le contrôle des armements et la sécurité internationale, John Bolton, estimait qu'"au-delà d'Al-Qaida [le réseau terroriste d'Oussama Ben Laden], la plus sérieuse menace est l'Irak". "Le programme d'armes biologiques de l'Irak reste une menace sérieuse pour la sécurité internationale", a-t-il ajouté.
L'Irak n'est certes jamais sorti de la ligne de mire de l'administration républicaine américaine qui, dès son entrée en fonctions, a fait savoir que son objectif premier au Proche-Orient était de resserrer l'étau autour du président irakien. 
Et, bien qu'à ce jour aucun lien n'ait été établi entre Bagdad et les attentats antiaméricains du 11 septembre ou les envois de courrier à l'anthrax, les mises en garde et avertissements de différents responsables américains se sont multipliés. Parallèlement, les craintes – ou les espoirs, c'est selon– de voir l'administration américaine chercher à en découdre avec Bagdad perdurent, en dépit des conseils des pays amis et alliés de Washington – arabes, mais aussi français et britannique – qui craignent de voir s'effondrer la coalition antiterroriste en cas d'attaque américaine de l'Irak.
Une échéance approche en tout cas, qui a toutes les chances d'être l'heure de vérité. A la fin novembre, le Conseil de sécurité de l'ONU doit se prononcer sur la reconduction, la modification ou la suppression de sa résolution 986 sur l'Irak, plus connue sous l'appellation "Pétrole contre nourriture".
Début juillet, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne avaient essuyé un camouflet au Conseil, lorsque leur projet commun d'imposer des "sanctions intelligentes" au régime irakien n'avait même pas pu être mis aux voix – malgré le soutien de la France et de la Chine –, en raison d'une menace de veto russe. L'objectif de Washington et de Londres était de faciliter les importations par Bagdad de biens civils et d'installer un mécanisme de contrôle financier qui permette de mettre fin à la contrebande de pétrole et d'autres produits dont seule la nomenklatura irakienne est bénéficiaire et dont les revenus permettent au régime de reconstituer, éventuellement, son arsenal militaire. L'armement irakien est en effet à l'abri de tout contrôle depuis qu'en décembre 1998, à la veille d'une opération aérienne américano-britannique de grande envergure contre l'Irak, "Renard du désert", la commission chargée du désarmement de Bagdad, l'Unscom, s'était retirée à l'initiative de son chef, Richard Butler.
Face donc aux objections de Moscou, la formule "Pétrole contre nourriture" avait été reconduite en l'état, pour cinq mois, malgré les protestations de l'Irak, qui demandait la levée pure et simple de l'embargo commercial de l'ONU, estimant, avec le soutien de Moscou, avoir rempli les conditions requises pour cela.
C'était avant les attentats du 11 septembre et le lancement d'une coalition internationale antiterroriste à laquelle la Russie s'est ralliée, en même temps qu'elle s'est engagée avec les Etats-Unis dans une relation de "confiance", mettant fin à l'antiaméricanisme qui caractérisait sa politique étrangère. Outre ses intérêts, pétroliers et autres, bien compris en Irak, le flirt de Moscou avec Bagdad avant le 11 septembre était l'une de ses cartes face aux Etats-Unis.
Que vaut encore cette carte aujourd'hui, et Moscou continuera-t-il de s'opposer à l'ONU à un projet de résolution américano-britannique, quelle qu'en soit l'appellation? A en croire Londres, les tractations sont déjà en cours avec la Russie.
L'Irak, pour sa part, semble ne tenir aucun compte de la nouvelle donne internationale, tout en se disant convaincu d'être plus que jamais dans le collimateur de Washington. "Américains et Britanniques planifient une agression d'envergure contre notre peuple", déclarait, le 12 novembre encore, le vice-premier ministre, Tarek Aziz, se joignant au refrain que plusieurs responsables irakiens entonnaient depuis le 11 septembre. L'Irak, répètent à l'envi ses dirigeants, refuse la reconduction du programme "Pétrole contre nourriture" et continue de s'opposer à la résolution 1284 de l'ONU qui vise à assurer le retour en Irak des inspecteurs du désarmement, avec, à la clé, la promesse d'une "suspension" des sanctions si Bagdad coopère à son désarmement.
Les autorités irakiennes continuent également d'accuser Washington de bloquer arbitrairement au Comité des sanctions de l'ONU des contrats autorisés par le programme "Pétrole contre nourriture". Tout aussi régulièrement, l'Irak crie au "terrorisme d'Etat" à propos du survol du sud et du nord de son territoire par des chasseurs américains et britanniques chargés de surveiller les zones d'exclusion aériennes au nord du 26 e et au sud du 33 e parallèle. Il continue de vendre du brut en contrebande.
                                       
16. Décervelage à l'américaine par Herbert I. Schiller
in Le Monde Diplomatique du mois d'août 1999

(Herbert I. Schiller est un ancien professuer de communication à l'université de Californie à San Diego (Etats-Unis), décédé en 2000.)
Publicité omniprésente, matraquage idéologique orchestré par de multiples institutions financées par les entreprises ; méconnaissance du reste du monde ; protectionnisme culturel sans équivalent : tel est le lourd tribut que paient les Américains à l'hégémonie du business.
Depuis plus d'un demi-siècle, la scène internationale est dominée par un seul et unique acteur : les Etats-Unis d'Amérique. Cette domination suscite des réactions de plus en plus hostiles, comme le signalait l'universitaire Samuel P. Huntington, qui rapportait à cet égard les propos d'un diplomate britannique : "C'est seulement aux Etats-Unis que l'on peut lire que le monde entier aspire au leadership américain. Partout ailleurs, on parle plutôt de l'arrogance et de l'unilatéralisme américains [1]". Mais la manière dont les autres nous voient est peut-être moins révélatrice que la perception que nous, Américains, avons de nous-mêmes.
Les citoyens de ce territoire qui dicte sa loi à l'univers ont-ils tous conscience, dans leur vie quotidienne, du fardeau qu'ils imposent aux autres, et fréquemment à eux-mêmes ? S'en indignent-ils ? Lui opposent-ils la moindre résistance ? On peut en douter, tant il est vrai que le maintien du statut de suzerain planétaire requiert non pas l'indignation, mais au contraire le soutien actif ou passif des quelques 270 millions d'Américains.
Ce soutien, qui n'a jamais fait défaut, est le produit d'un système combinant un endoctrinement - à l'oeuvre dès le berceau - et une pratique de sélection ou de rétention de l'information visant à maintenir et à renforcer l'entreprise de domination planétaire des Etats-Unis. Les efforts de persuasion - intenses, bien que parfois dissimulés - vont de pair avec l'exclusion des dissidences potentielles et avec l'usage d'une panoplie de mesures coercitives allant de l'admonestation à l'incarcération : 2 millions de détenus dans les prisons américaines, soit, proportionnellement à la population, le record du monde.
Ces instruments ont permis de produire sinon des croyants enthousiastes, du moins une acceptation générale de l'appareil de contrôle américain sur les affaires du monde. En guise de justification, les dirigeatns rappellent en permanence à leurs concitoyens et au reste de la planète à quel point l'existence des Etats-Unis est une bénédiction pour tous. Le thème de la grandeur de l'Amérique est d'ailleurs récurrent dans les discours présidentiels depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Non seulement aujourd'hui, mais apparemment depuis l'époque du Néanderthal, le pays est unique en son genre. L'ex-président Clinton le décrivait même comme "la nation indispensable [2]". Comment chacun pourrait-il alors ne pas reconnaître la chance qu'il a d'y habiter ? Curieusement, beaucoup d'Américains s'y refusent encore. Pour prévenir toute défaillance de l'adhésion populaire au cours du prochain siècle, la mise au point de méthodes plus globales est donc à l'ordre du jour.
L'un des moyens de faire régner l'ordre dans les rangs est de s'assurer la maîtrise des définitions, de faire la police des idées, ce qui signifie, pour les dirigeants, être capables de formuler et de diffuser la vision de la réalité - locale et globale - qui sert leurs intérêts. Pour ce faire, l'ensemble du dispositif éducatif est mis à contribution, en même temps que les médias, l'industrie du divertissement et les mécanismes politiques. C'est l'infrastructure médiatique qui produit ainsi du sens et de la conscience (ou de l'inconscience). Quand elle fonctionne en rythme de croisière, nul besoin de consignes venues d'en haut : les Américains absorbent les images et les messages de l'ordre dominant, qui constituent leur cadre de référence et de perception. La plupart d'entre eux sont ainsi dans l'impossibilité d'imaginer quelque autre réalité sociale que ce soit.
La police des idées, c'est aussi l'art du mensonge par omission. En témoigne, entre beaucoup d'autres exemples, le numéro que l'hebdomadaire 'Time' consacra, il y a quatre ans, aux 'Américains les plus influents de 197'. On y trouvait, entre autres, un joueur de golf, un animateur de radio, un musicien pop, un gestionnaire de fonds de placements collectifs, un producteur de cinéma, un présentateur de télévision, un économiste, un érudit noir, ainsi que la secrétaire d'Etat, Mme Madeleine Albright, et le sénateur John McCain. Les deux seuls individus cités ayant des liens avec les véritables centres de pouvoir étaient un héritier de la dynastie Mellon, qui finance des causes et des organisations ultraconservatrices, et M. Robert Rubin, ancien directeur-gérant de la banque Goldman Sachs et, à l'époque, secrétaire au Trésor. Mais, dans ces deux cas, il s'agissait de personnes ayant pris des distances avec les configurations de pouvoir qui leur avaient permis de s'enrichir personnellement.
La liste de 'Time' prêtait seulement de l'autorité aux fournisseurs de services, et pas aux détenteurs de la véritable puissance. Bien plus utile, pour avoir un aperçu de la réalité du pouvoir, était le palmarès, publié un mois plus tard dans les pages financières du 'New York Times', des dix plus importantes multinationales américaines, classées par ordre de capitalisation boursière décroissante, avec, en tête, General Motors, suivie de Coca-Cola, Exxon et Microsoft. Les lecteurs de 'Times' auraient été autrement éclairés si les patrons de ces firmes avaient été placés au sommet de sa liste des Américains les plus influents. Une brève description des activités de ces sociétés, de leurs implantations, de leurs décisions en matière d'investissement et de main-d'oeuvre, et de la manière dont ces décisions affectent les gens aux Etats-Unis et dans le reste du monde, en aurait dit plus long que la liste du 'Time' sur la véritable distribution du pouvoir à l'intérieur et à l'extérieur de nos frontières.
Une information contextualisée de ce type est précisément ce que la police des idées est décidée à prévenir. Collaborent activement à cette tâche une myriade d'analystes et de producteurs d'information dont la mission est de brouiller les cartes en protégeant les détenteurs du pouvoir de l'attention du public. Il s'agit d'institutions de recherche et autres 'think tanks' (boîtes à idées) [3] qui préparent quantités d'études sur les questions juridiques, sociales et économiques dans une perspective favorable aux milieux d'affaires - qui sont par ailleurs leurs bailleurs de fonds. Ces travaux sont ensuite crédibilisés par les circuits d'information nationaux et locaux. Les 'think tankers' de droite ont leurs entrées dans les studios des radios et sur les plateaux des chaînes de télévision, et on les voit régulièrement en compagnie des élus et fonctionnaires locaux et fédéraux.
Le Manhattan Institute, à New York, est l'un de ces producteurs d'information sur mesure. Sa mission, explique son président, est "de développer des idées et de les mettre en circulation auprès du grand public" avec, précise-t-il, l'aide de la "chaîne alimentaire des médias". Ne lésinant pas sur les invitations massives de journalistes, fonctionnaires, dirigeants politiques, etc. , à ses déjeuners-débats avec un intervenant qui traite un thème choisi pour la circonstance, cet institut est de ceux, rapportait le 'New York Times', qui ont "déplacé le centre de gravité politique new-yorkais vers la droite [4]". De multiples autres organisations du même acabit - les plus fréquemment citées étant la Brookings Institution, l'Heritage Foundation, l'American Enterprise Institute et le Cato Institute - servent de vecteurs discrets à la 'voix du business', qui n'est pourtant pas spécialement privée d'accès aux médias par aillers. C'est ainsi que l'information servie au public se trouve polluée à la source.
Moins visible que ces structures de production et de diffusion de l'idéologie, la dynamique du marché contribue encore plus efficacement à assurer la police des idées, particulièrement dans les industries culturelles. Il s'agit moins ici d'analyser leur poids à l'extérieur que d'évaluer leur impact calamiteux sur la population américaine. La nation que ses dirigeants proclament 'indispensable' est aussi celle que les 'forces du marché' condamnent à ignorer les créations du reste du monde.
Alors que 96% des films que voient les Canadiens sont étrangers - et dans leur immense majorité produits par Hollywood -, que c'est aussi le cas de quatre sur cinq des magazines qu'ils lisent, ce qui ne va pas sans provoquer de fortes réactions d'Ottawa [5], les Américains 'consomment' seulement entre 1% et 2% de films et de vidéo-cassettes de cinématographies étrangères. La raison principale, mais non exclusive, est que, grâce à son marché intérieur, Hollywood écrase tous ses concurrents qui, eux, n'ont pas les moyens financiers, en termes de budgets de production et de promotion, pour accéder à un public dont les goûts sont déjà façonnés par les majors américaines. C'est ce public qui est finalement le grand perdant de l'affaire.
Ce qui est vrai du cinéma l'est aussi de la télévision et de l'édition. Il ne se traduit pas plus de 200 ou 250 livres étrangers par an aux Etats-Unis (par comparaison, 1636 droits de traduction ont été acquis, en France, en 1998), ce qui isole dramatiquement le public américain des grands courants de pensée mondiaux. Pour ne rien dire de l'information télévisée qui ne s'intéresse au reste de la planète que lorsqu'y éclatent des crises. La concentration des médias, à l'exception (provisoire ?) d'Internet, explique la connaissance microscopique que les Américains ont du monde et de ses problèmes. Larry Gelbart, cinéaste qui avait précédemment dénoncé les ravages de l'industrie du tabac dans 'Barbarians at the Gate' ('Les Barbares à nos portes'), justifie ainsi le titre, 'Weapons of Mass Destruction' ('Armes de destruction de masse'), de son film sur les médias : "Les dirigeants des industries du tabac sont seulement dangereux pour les fumeurs. Les dirigeants des médias sont bien plus dangereux, car nous fumons tous de l'information. Nous avalons la fumée de la télévision. Nous gobons tout ce qu'ils nous mettent sous les yeux [6]."
Et ce qu'ils mettent sous nos yeux, c'est une information sélectionnée en fonction de son aptitude à "faire de l'audience" pour les spots publicitaires. Même si cette situation est loin d'être spécifique aux Etats-Unis [7], c'est le pays développé où elle est la plus critique. Au point que le politologue norvégien Johann Galtung a pu parler du 'décervelage' des Américains par la télévision ('television idiotization'). Cette ignorance ne saurait seulement s'expliquer par la trivialisation et la rétention de l'information. Elle a des racines plus profondes. Le financement de la quasi-totalité des médias par ceux qui ont les moyens d'acheter de l'espace et du temps d'antenne garantit un appauvrissement culturel continu. Et ce malgré les efforts tenaces d'un petit nombre de gens de talent qui, pendant des décennies, ont tenté de promouvoir une culture non commerciale. Les 40 milliards de dollars de publicité qui se déversent sur les chaînes de télévision créent une atmosphère marchande qui imprègne tout le pays.
Ce matraquage commence dès le plus jeune âge et nul ne se soucie vraiment de ses conséquences. La situation est tellement choquante que l'hebdomadaire 'Business Week', dont l'hostilité à l'économie de marché n'est pas le trait dominant, décrivait ainsi les déprédations infligées aux Américains en bas âge : "A 1h55, ce mercredi 5 mai, une consommatrice est née. Au moment, où trois jours après, elle gagnait son foyer, quelques-unes des plus grosses entreprises de vente par correspondance des Etats-Unis étaient déjà à ses trousses avec des échantillons, coupons et autres bons d'achat gratuits. (...) Comme aucune autre génération avant elle, elle entre, pratiquement depuis sa naissance, dans une culture de la consommation, entourée de logos, de badges et de publicités. (...) A vingt mois, elle commencera à reconnaître quelques-unes des milliers de marques qui brillent sur l'écran qu'elle a en face d'elle. A sept ans, si elle a le profil typique de son âge, elle verra quelque 20 000 spots publicitaires par an. A douze ans, son nom figurera dans les bases de données géantes des entreprises de vente par correspondance [8]."
Les effets cumulatifs de cette marchandisation débridée, si difficiles qu'ilss soient à évaluer, constituent cependant l'une des clés pour comprendre ce que c'est que de vivre au coeur du système commercial planétaire. Cela ne prépare pas à comprendre le monde qui existe à l'extérieur de la galerie marchande, et encore moins à s'en soucier. C'est sur ce terrain favorable que se développent les critiques virulentes de l'extrême droite conservatrice - disposant de multiples fondations, omniprésente dans les radios et, de manière croissante, dans les télévisions - contre toute forme d'organisation de la société nationale et internationale.
L'une des cibles privilégiées de ces groupes extrémistes, c'est le gouvernement. L'Etat américain a eu beau servir loyalement la classe des dirigeants des grandes entreprises, il n'en est pas moins constamment et violemment récusé. Non pas au nom d'une position anarchiste de principe, mais, de manière à peine voilée, au profit d'une gestion du pays par les seuls intérêts privés. Exprimés chaque jour par des milliers de canaux, ces sentiments rendent impossible ne serait-ce que le début du commencement de la moindre compréhension des questions qui se posent aux échelons local, national et international.
Dans ce dernier domaine, l'opinion est sans cesse remontée contre l'idée même des Nations unies, y compris par des médias qui ne versent pas ordinairement dans l'extrémisme. Depuis des décennies, les campagnes de dénigrement se succèdent contre l'ONU, l'Unesco ou l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Certes, ces instutitions ne sont pas à l'abri de la critique. Ce n'est cependant pas leur fonctionnement qui est attaqué, mais bien leurs missions, dans la mesure où elles renvoient à des principes de solidarité internationale. Elle ne sont pas d'ailleurs les seules à pâtir de ces assauts où la mystification le dispute à la sottise. Les Américains en viennent à se détourner également de leurs concitoyens les plus pauvres et les plus faibles, et à adopter les thèses de ceux qui ne voient pas l'utilité d'un filet de protection sociale.
Malgré des poches de résistance, l'acceptation, par le reste du monde, du modèle américain consumériste et privatisé renforce l'état d'esprit dominant aux Etats-Unis. Seuls des bouleversements d'envergure affectant l'économie nationale et internationale pourraient ébranler les croyances et les valeurs présentes dans la conscience de la plupart des Américains.
- Notes :
[1] : Samuel P. Huntington, "The Lonely Superpower", Foreign Affairs, New York, mars-avril 1999.
[2] : Dans son discours au Congrès sur l'état de l'Union, le 4 février 1997.
[3] : Lire Serge Halimi, "Les 'boîtes à idées' de la droite américaine", Le Monde diplomatique, mai 1995.
[4] : "Intellectuals Who Became Influential", The New York Times, 12 mai 1997.
[5] : Lire Anthony DePalma, "US Gets Cold Shoulder at a Culture Conference", International Herald Tribune, 2 juillet 1998.
[6] : Cité dans The New York Times, 8 mai 1997.
[7] : Lire Ignacio Ramonet, La Tyrannie de la communication, Galilée, Paris, 1999.
[8] : Business Week, 30 juin 1997.