1.
Euro-Méditerranée : Un partenariat, pas une chimère… par Rudolf
El-Kareh
in Arabies (mensuel français) du mois d'octobre
2001
[Rudolf El-Kareh, universitaire et
écrivain, ancien secrétaire général de MEDEAS (Association pour la Coopération
et le Dialogue Scientifique Euro-Arabe et méditerranéen) est, entre autre,
l'auteur d'un ouvrage à paraître en 2002 "L'Américanisation du Monde" aux
éditions Solin / Actes Sud, 2002]
Les discours élégiaques
dédiés, à l'orée des années quatre vingt-dix à la déesse Méditerranée
n'auraient-ils été, en définitive que des boniments ? Cinq années après la
Conférence de Barcelone, le "partenariat euro-méditerranéen" ne serait-il
qu'un serpent de mer, et les mythes fabuleux ressuscités, des affabulations
mystificatrices et sordides ? L'interrogation peut paraître brutale. Elle est
légitime. Les ministres des Affaires Etrangères de l'Union Européenne et leurs
homologues des pays du Sud et de l'Est méditerranéen qui se réuniront en
novembre à Bruxelles ne pourront plus esquiver la question. Le malaise entourant
le processus de Barcelone avait été déjà manifeste lors de la réunion de
novembre 2000, à Marseille. Les effets de la guerre d'usure lancée par le
gouvernement israélien contre les Palestiniens n'en étaient pas la seule cause.
La pusillanimité de la "politique étrangère" des Européens, divisés, confondant
l'objectivité avec une équidistance formelle factice à l'égard des protagonistes
proche-orientaux, non plus.
Le processus de Barcelone souffre de maux plus
profonds.
Sous l'effet d'une double dynamique, la "philosophie" de la
Conférence de Barcelone, le "développement solidaire" des pays des deux rives de
la Méditerranée, n'est plus en réalité qu'un souvenir. Initié dans le sillage de
la guerre du Golfe et de l'effondrement du bloc soviétique, puis de la
Conférence de Madrid, le "partenariat euro-méditerranéen" devait être un projet
fondamentalement politique permettant une réorganisation plus équitable des
échanges au sein de l'ensemble constitutif de la "Cité" euro-méditerranéenne.
Les échanges commerciaux n'en étaient pas l'exclusivité.
Cet "esprit
initial" s'est vu progressivement substituer un nouveau contenu, sous
l'effet des nouveaux rapports de force issus d'une "globalisation" de plus en
plus soumise aux mécanismes débridés de la financiarisation des économies, et à
l'emprise des Etats-Unis tentés encore une fois par les rêves hégémoniques, à
mesure que les principes et les méthodes instituées par les pères fondateurs de
l'Europe se transformaient en documents d'archives.
Ces mutations mettaient
en évidence le non-dit du "partenariat" : celui d'un mécanisme permettant de
contrebalancer les effets déstabilisants de l'émergence de l'ALENA, le traité de
libre-échange associant autour des Etats-Unis, le Canada et le Mexique, mais que
Washington n'a de cesse, depuis une décennie, de vouloir étendre à l'ensemble de
l'Amérique Latine. Y compris, au prix humainement exorbitant, de la dislocation
structurelle des sociétés du sous-continent façonnées par l'Histoire, ( dont la
disparition des classes moyennes n'est pas la moindre des conséquences ), et de
la destruction des outils pertinents de coopération de proximité, tels que le
Mercosur. Réalité géopolitique, ce "non-dit" pouvait être transcendé par
l'invention conjointe d'un réel partenariat. Cela n'a pas été, hélas, le cas.
Le commissaire européen au commerce a vendu la mèche. Ainsi le "partenariat
euro-méditerranéen" serait la réponse au "défi" du "récent sommet des Amériques
à Québec [qui] a confirmé l'objectif des 34 pays des Amériques d'établir une
zone de libre-échange pour 2005". La "Méditerranée", dénomination d'ailleurs
fourre-tout, permettant d'occulter la cohérence solidaire de plusieurs de ses
riverains historiques réels ( arabes en dépit des éparpillements actuels,
mais aussi balkaniques, au delà de la dislocation conjoncturelle ) serait alors
"un espace" dont l'exploitation des "atouts économiques (…), abondance de main
d'œuvre qualifiée et à coûts compétitifs (…)disponibilité des ressources
naturelles"…, permettrait "l'intégration Europe-Méditerranée". Comment ? Par un
"alignement" et une "convergence" des "cadres législatifs, des normes
industrielles, des règles de concurrences" sur "le cadre européen, évidemment le
plus commode" (sic). On cherche en vain un quelconque intérêt pour les sociétés
et les pays concernés. Et le propos rappelle étrangement les discours
tenus ici et là sur l'élargissement des droits de l'Homme qui se révèlent être
des élargissements des parts de marché au détriment des droits humains. Cet
n'est pas là l'esprit de Barcelone. Les pays méditerranéens et notamment les
pays arabes devraient s'en souvenir et s'organiser, cesser d'imaginer le
partenariat comme un grappillage conjoncturel d'aides financières éphémères et
penser en commun leur propre conception de l'échange. L'Union Européenne devrait
se souvenir, elle, qu'à trop courir derrière une Méditerranée chimérique, c'est
l'Europe elle-même qui se risque à devenir une chimère.
2. "La vengeance
est mienne" dit l'armée israélienne par Gideon Levy
in Ha'Aretz
(quotidien israélien) du dimanche 28 octobre 2001
[traduit de l'anglais par Mimi Tal]
Pas
besoin d'attendre Dieu pour venger le sang du ministre assassiné Rehavam Zeevi
..
L'armée israélienne (IDF) l'a déjà fait en son nom. La demande d'un fils
sur la tombe de son père n'a probablement jamais auparavant été satisfaite de
façon aussi expéditive et efficace que celle de Yiftah Palmach Zeevi, demande
qu'il a faite au premier ministre à l'enterrement de son père : "Arik"
(diminutif de Ariel, prénom de Sharon) venges toi de la façon dont "Gandhi"
(surnom donné à Zeevi) l'aurai fait" et "Arik" a effectivement fait ce que
"Gandhi" aurait fait, et la doctrine des représailles de Zeevi a été appliquée.
Même l'effroyable souhait du journaliste Ronel Fisher diffusé sur le
programme culturel de radio 8, appelant Israël a tuer 50 palestiniens pour
chaque juif tué, a été réalisé. Plus de 40 palestiniens, à peu près la moitié
d'entre eux des civils - parmi eux 4 femmes et 4 enfants - ont déjà été
tués au cours de la campagne lancée par l'armée israélienne (IDF) à la suite de
l'assassinat. Des douzaines ont été blessés, des maisons ont été démolies,. Des
voitures ont été aplaties et des milliers de personnes ont été emprisonnes
dans la terreur, sous une occupation cruelle.
C'est le prix que l'on fait
payer aux palestiniens pour l'assassinat du ministre - un meurtre qui a été
perpétré par un petit groupe. Les 186 victimes juives de l'actuelle Intifada ,
précédant l'assassinat de Zeevi, incluant les victimes - parmi elles
des enfants - des attaques majeures dans les centres des villes, n'avaient
pas amené le gouvernement a s'embarquer dans des campagnes punitives
de l'ampleur de celle conduite après le meurtre de l'un de ses membres. Ceci,
aussi doit être signalé.
L'invasion israélienne de 6 villes de Cisjordanie,
peut être décrite primitivement comme une mission de vengeance, parce qu'il est
clair qu'il n'y a pas de lien entre la capture à Beit Rima et Azariya, de ceux
qui ont commis cet assassinat et la réoccupation des faubourgs de
Bethlehem et Jenin. Nul n'a besoin d'être un grand expert en matière de
terrorisme pour comprendre que, d'une part l'on ne chasse pas les terroristes
avec des tanks et que d'autre part le terrorisme ne peut être éradiqué avec des
blindes (APC). Dans l'esprit d'une autre campagne de vengeance - pas moins
cruelle - que les Etats Unis conduisent en Afghanistan, et qui a aussi peu de
chose a voir avec l'élimination du terrorisme, l'armée israélienne a pénétré
profondément en zones résidentielles, dont les habitants n'ont rien a voir avec
le terrorisme, et impose un régime de tanks et blindés (APC).
L'horreur qui
saisit les habitants de Beit Jala et leurs enfants quand un char israélien ou un
blinde (APC) roule dans un grondement à travers leurs rues doit être vue pour en
saisir le choc. Et quelle faute faire payer aux habitants de Ramallah, qui sont
maintenant prisonniers dans leurs propres maisons, beaucoup d'entre eux manquant
de nourriture et de médicaments ? Ils n'ont rien a voir avec l'assassinat de
Rehavam Zeevi, et il y en a certainement parmi eux qui sont contre ce type
d'actions.
Mais les campagnes de vengeance ont leur propre dynamique :
"l'entourage de l'homme mauvais" est aussi puni, comme Zeevi lui même le
disait au cours de l'une de ces dernières interviews, en réponse a une question
posée sur l'assassinat d'un bébé fille tuée par une bombe tirée par l'armée
israélienne sur sa maison à Gaza. Raniya Haroufi,24ans , une mère de deux
enfants, a été tuée la semaine dernière alors qu'elle fuyait une zone de combat.
Ayasha Abu Oudeh une mère de huit enfants, a été tuée alors qu'elle allait
rendre visite a sa famille.
Elles et bien d'autres, étaient d'innocentes
victimes, et aux yeux des palestiniens elles étaient des victimes du
terrorisme.
La campagne de vengeance du gouvernement ne s'est pas limitée à
la profondeur des incursions israéliennes en territoires palestiniens. Elle
s'est accompagnée cette fois par des actes particulièrement brutaux, par
exemple, l'armée israélienne (IDF) a tiré sur l'hôpital Al Hussein de Beit Jala
- le seul hopital dans la région de Bethleem. L'hôpital a dû publier une annonce
informant que quiconque blessé dans les affrontements de cette journee devait
rester à l'écart de l'institution a cause des tirs. Un jeune homme a été tue et
un autre blesse juste devant les urgences de l'hôpital.
La présidente des
médecins pour les droits humains, le docteur Ruhama Martoun, qui visitait
l'hôpital, a rapporté qu'elle a clairement vu les dommages causes par les tirs
et bombardements sur les murs de l'institution et les ambulances garées à
proximité. L'armée israélienne (IDF) a également bombardé une maternité a
Bethlehem. Apres que l'hôpital ait endure deux jours de blocage, le
service des prématurés a été évacué. Même pendant les jours
les plus sombres de l'Intifada précédente, l'armée israélienne (IDF) n'avait pas
ouvert le feu sur les hôpitaux.
Il y a eu également des actes de vengeance
prives de plus petite envergure, par exemple, les voitures garées dans les rues
de Beit Jala ont été aplaties par les tanks qui se déplaçaient dans le village.
Qu'est ce que cela a à voir avec la guerre contre le terrorisme ? La même
question peut être posée concernant les poteaux de téléphone qui ont été
détruits par les tanks, coupant des quartiers entiers du monde extérieur, au
beau milieu d'une période de peur et d'anxiété. Les poteaux ne gênaient
pas les tanks - les rues sont suffisamment larges - de même que les voitures
garées n'avaient pas a être écrasées par les chenilles des tanks. Leur
destruction intentionnelle était uniquement un acte de vengeance punitif , et
peut être même était-ce pour réaliser le désir de "récompense" des
soldats. Cependant, pendant ce temps, ces actions sèment plus de haine dans les
cœurs des habitants.
Regardez les photos exaspérantes dans l'édition de
vendredi du journal à grand tirage Yedioth Ahronoth - le soldat souriant étalé
sur un lit dans un hôtel de Bethlehem, les soldats assis gloussant de
satisfaction dans les fauteuils d'un salon d'une maison palestinienne près de
Tulkarem.
"Le pire c'est que ce n'est même pas complètement clair pourquoi
tout ceci a été fait" a confie jeudi un officier supérieur au correspondant
militaire de Ha'Aretz Amos Harel " chacun sait qu'à la fin, nous partirons la
queue entre les jambes… alors qu'avons nous gagné, et qu'est ce que nous
espérons obtenir par la suite ?"
Les réponses aux questions de l'officier
supérieur sont en fait très claires : la semaine dernière l'armée israélienne
(IDF) a lancé une campagne de vengeance sur ordre du gouvernement israélien, et
ceci dans l'esprit des infamants raids de représailles de l'Unité
101 (sous le commandement d'Ariel Sharon) des années 50. Cette fois,
aussi, la mission a été exécutée avec sucez et le but entièrement atteint. Les
forces de défense israéliennes sont devenues, tout du moins la semaine dernière,
les forces de vengeance israéliennes.
3. L'indépendance
palestinienne ne peut être un cadeau par Miguel Angel Bastenier
in
Le Monde du samedi 27 octobre 2001
Même s'il s'agit d'une
manifestation d'opportunisme, il faut espérer que Bush le Jeune a fait un choix
d'avenir en sortant d'un tiroir de son bureau, comme s'il se souvenait d'un coup
qu'il l'avait gardé là, un plan pour l'indépendance de la Palestine. Il avait
déjà averti le premier ministre israélien Ariel Sharon qu'il ne le laisserait
pas confondre dans une même condamnation le leader palestinien Yasser Arafat et
le terroriste saoudien Oussama Ben Laden ; il avait aussi, de fait, reconnu que
la victoire à long terme sur le terrorisme international passait par la solution
du contentieux du Proche-Orient. Dans un paysage politique qui, sur le fond,
demeure le même, s'est donc entrebâillée une "window of opportunity", une
fenêtre donnant sur la paix, mais si fragilement entrouverte que, déjà,
l'assassinat du ministre israélien du tourisme risque d'en provoquer la
fermeture.
Certes, le contentieux israélo-palestinien ne saurait justifier
l'existence de Ben Laden, mais il faut bien constater que, sans une Palestine
ensanglantée, le chef d'Al-Qaida n'aurait pas la même capacité à promouvoir
l'emploi du terrorisme au sein du monde islamique. Lorsque les deux avions ont
détruit, le 11 septembre, les tours jumelles de Manhattan, des réfugiés
palestiniens ont d'ailleurs fêté l'atroce événement avec une joie
obscène.
Faut-il croire pour autant que ces damnés de leur propre terre
portent la semence du mal dans leur sein ? Que la haine est sécrétée dans la
matrice des mères palestiniennes ? Il semble bien plus qu'une grande partie de
ce peuple de réfugiés n'a connu d'autre monde que celui qui les voue à un désir
de vengeance sinistre mais cohérent avec le sort dans lequel Israël, l'Occident
et certains Etats arabes l'ont condamné à vivre. Peut-on exiger foi, espoir et
charité de ceux qui n'ont connu qu'expatriation, violation de leurs droits et un
permanent jeu de deux poids et deux mesures ? Les colons sionistes se sont-ils
toujours abstenus de se réjouir des crimes commis par des civils ou des
militaires israéliens ? La haine est une plante qui croît sans peine au
Proche-Orient.
Il y a peu, l'ancien ministre des affaires étrangères
d'Israël, Shlomo Ben Ami, affirmait dans les pages du Monde que Yasser Arafat ne
voulait pas faire la paix avec Israël, comme le prouvait son refus, en juillet
2000, à Camp David, de l'offre du premier ministre de l'époque, le travailliste
Ehoud Barak.
Le péché du leader palestinien était, semble-t-il, de
repousser la meilleure proposition de retrait partiel des territoires occupés
jamais faite par un chef de gouvernement israélien. Autant dire que, puisqu'il
ne pouvait rien obtenir de mieux, il était du devoir d'Arafat d'accepter ce qui,
à ses yeux et à ceux de son peuple, restait largement insuffisant.
DIVIDENDES
DE LA GUERRE
Qui pourrait croire que si le gouvernement britannique offrait
au gouvernement espagnol de recouvrer les trois quarts de Gibraltar - territoire
qu'il détient depuis 1704 - en échange d'un renoncement formel à récupérer le
dernier quart, Madrid consentirait ? C'est une situation de cet ordre dans
laquelle est pris le leader palestinien : il ne peut rien accepter qui
n'implique la restitution de la totalité des territoires occupés - Jérusalem-Est
inclus -, sur lesquels Ehoud Barak n'offrait, selon Richard Malley,
fonctionnaire du département d'Etat présent à Camp David, pas même un partage de
la souveraineté sur les Lieux saints.
La grande majorité de l'opinion
publique palestinienne rejette l'offre faite par Barak pour une série de raisons
:
1) plusieurs résolutions de l'ONU (242 et 338) énoncent l'obligation du
repli d'Israël de tous les territoires - Cisjordanie, Gaza, Jérusalem-Est, et le
Golan syrien, conquis en 1967 -, et Arafat aurait bien du mal à expliquer à son
peuple pourquoi il doit s'arranger d'une moindre part ;
2) Anouar el Sadate,
le président égyptien, avait obtenu la restitution de l'intégralité du Sinaï
(1979-1982), en échange d'un traité de paix en bonne et due forme avec Israël
;
3) Israël s'est replié du Liban sud sans aucun accord ni compensation
politique ;
4) enfin, la vie d'Arafat n'aurait servi à rien - y compris à ses
propres yeux - s'il avalisait un accord qui pourrait s'expliquer seulement comme
une récompense d'Israël pour ses prouesses sur les champs de bataille. Les
dividendes de la guerre, en quelque sorte.
Il faut cesser de parler de
pourcentages : ni 90 % ni 95 % ; ni même 98 % de repli d'Israël des territoires
occupés ne sont des concessions. C'est seulement après un retrait total d'Israël
que la discussion peut et doit se centrer sur l'organisation de la paix, avec
des garanties militaires accordées aux deux peuples. Soit le sionisme se résigne
à une paix sans annexions ; soit les annexions empêcheront la paix.
Il y a
peu, dans Le Monde également, Illan Greilsammer, remarquable historien
israélien, s'étonnait de voir comment Arafat, ayant, selon lui, déclenché
l'Intifada des Mosquées, faisait le jeu de l'extrémiste Sharon contre Barak. Il
était évident, écrivait l'historien, que la victoire prévisible du leader du
Likoud dans les élections de février dernier serait nuisible pour les
Palestiniens, et néanmoins Arafat persistait dans son erreur.
Ce qui étonne
dans ce propos, c'est que des Israéliens cultivés, vivant aux côtés des
Palestiniens, ne remarquent pas qu'il n'y a pour ces derniers aucune différence
entre une personne qui donne 90 % de ce qu'on demande et celle qui offre 40 %,
dès lors que 100 % constitue le minimum acceptable. Au-dessous du minimum,
presque tout et presque rien ne sont pas différents. Il est vrai que même si les
deux parties parvenaient à surmonter leurs différends sur la restitution des
terres prises aux Palestiniens, il resterait le problème du retour, demandé par
Arafat, toujours à Camp David, de près de quatre millions de réfugiés à
l'intérieur du territoire d'Israël d'avant 1967.
Il faudrait être naïf pour
ignorer qu'Israël ne manque pas de raisons pour refuser cette paix des braves.
La première est l'accumulation de la haine en Palestine. Est-elle déjà trop
forte pour que l'Etat sioniste soit un jour accepté par ses voisins ? Si c'est
le cas, tout accord, même fondé sur le droit et non sur un cadeau, ne pourra que
rester lettre morte, au nom de ce que répètent un nombre croissant de juifs
israéliens : "Les Palestiniens attendront jusqu'à ce qu'ils aient l'occasion de
nous détruire."
4. Etat de siège
en Palestine par Hanna Nasir
in The International Herald Tribune
(quotidien international publié à Paris) du vendredi 26 octobre
2001
[traduit de l'anglais par Christian
Chantegrel]
(Hanna Nasir est le président de
l'université palestinienne de Birzeit.)
Par sa récente politique de
blocus et d'incursions étendues dans les territoires sous contrôle de l'Autorité
Palestinienne, le gouvernement israélien dirigé par le premier ministre Ariel
Sharon a placé toute la société civile palestinienne en état de siège.
Plus
de 450 organisations non gouvernementales, huit universités, et nombre d'autres
institutions éducatives, civiques, sociales, de développement et de santé, ont
non seulement été empêchées de travailler et de rendre les services
indispensables à la population, mais ont aussi fait face aux intimidations,
blessures et destructions de leurs biens durant l'exercice de leurs
fonctions.
De nombreux civils, y compris des enfants, ont été tués. Plus de
soixante-dix mille étudiants et membres du personnel ont été empêchés de
rejoindre leurs universités ; il n'a pas été possible aux personnels médicaux de
remplir leur devoir ; les mosquées, les églises et les hôpitaux ont été pris
pour cibles.
Les actions du gouvernement israélien ne sont pas seulement
abjectes et inacceptables moralement comme internationalement, elles incarnent
aussi une menace, dans le présent et dans l'avenir, à l'ouverture démocratique
de la société civile palestinienne. Ces actes sont des menaces radicales contre
la paix globale, la tolérance et la sécurité. S'il existe une leçon à tirer de
l'attaque tragique sur les tours jumelles à New York, c'est bien que la vie des
civils et des personnes innocentes doit être respectée et préservée.
La
situation en Palestine est devenue très grave. L'assassinat d'un ministre
israélien (un acte condamné par l'Autorité Palestinienne) ne doit pas servir de
prétexte pour justifier les actions israéliennes actuelles contre la population
civile.
Même si les violations israéliennes des droits humains ne datent pas
de l'assassinat du ministre - par exemple, l'assassinat ciblé des dirigeants
palestiniens a été une politique israélienne officielle et déclarée depuis le
début de l'Intifada actuelle - les violations de ces jours-ci représentent une
dramatique escalade.
Pour que la paix et la sécurité règnent sur la région,
il faut mettre fin à la politique israélienne de blocus et d'incursions
militaires ; ceci devant être considéré comme une première étape vers la fin de
l'occupation elle-même. En attendant, il faut mettre en place un dispositif
immédiat qui protège effectivement le peuple palestinien sous
occupation.
Cette responsabilité devrait être assumée par la communauté
internationale, en particulier par les pays occidentaux qui se disent les
meilleurs défenseurs de la liberté et de la justice.
5. Nous sommes tout seuls par Thomas L.
Friedman
in The New York Times (quotidien américain) du vendredi 26 octobre
2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Bien. Laissez-moi voir si j'ai bien tout
compris, à ce stade : le Pakistan va nous autoriser à utiliser ses bases les
lundis, les mercredis et les vendredis - à la condition expresse que nous ne
bombardions que les Talibans prénommés Omar et n'ayant pas de petit-cousin dans
les services secrets du Pakistan. L'Inde est avec nous, les mardis et les
vendredis, à condition qu'elle puisse bombarder les positions pakistanaises au
Cashemire tout le reste de la semaine. L'Egypte est avec nous les dimanches, à
condition qu'on ne le dise à personne et que nous ne mentionnions en aucun cas
que nous lui donnons 2 milliards de dollars d'aide chaque année. Yasser Arafat
est avec nous, les jours de la semaine, mais seulement après 22 heures, une fois
que les Palestiniens, fatigués d'avoir dansé de joie, dans les rues, au
spectacle de l'écroulement du World Trade Center, sont allés faire dodo.
L'Alliance du Nord est avec nous, à condition que nous achetions à tous ses
hommes des sandales neuves et que nous décernions des passeports américains aux
mille premiers à être entrés à Kaboul.
Israël est avec nous, tant que nous ne
posons pas de questions sur la folie de 7 000 colons israéliens vivant au milieu
d'un million de Palestiniens, dans la bande de Gaza. Le Kuwaït aimerait bien
être avec nous - s'il le pouvait, il le ferait, c'est sûr, étant donné que nous
avons sauvé ce pays de l'occupation irakienne - mais, voilà : deux députés
islamistes, au parlement koweïtien, se sont prononcés contre la guerre, si bien
que l'Emir se tient à carreau. Vous comprenez, n'est-ce pas ? Les Saoudiens,
bien entendu, veulent être avec nous, mais la guerre, les combats, tout ça,
c'est pas leur truc... C'est pourquoi ils ne contribueront qu'à l'intendance. Ne
vous en faites pas. Le Prince Al-Walid a promis de mettre à notre disposition
des soldats bengalis par l'intermédiaire d'une entreprise de travail temporaire
saoudienne, à un tarif très concurrentiel.
La famille régnante saoudienne
serait ravie de coopérer en nous refilant les fiches de police des quinze
Saoudiens impliqués dans les détournements d'avions-suicides, mais cela
représenterait une violation de sa souveraineté et, voilà... vous savez, bien
sûr, à quel point les Saoudiens respectent la souveraineté : comme, par exemple,
lorsque l'ambassade saoudienne à Washington a aidé tous les proches d'Osama bin
Laden à se tirer discrètement des Etats-Unis après les attentats du 11 septembre
à bord d'un jet saoudien privé, avant que le FBI n'ait eu le temps de les
importuner avec ses questions par trop indiscrètes.
Et puis, il y a ça,
encore : c'est ce que je préfère : tous nos alliés arabo-musulmans aimeraient
bien que nous capturions Bin Laden au plus vite, mais le mois musulman sacré du
Ramadan approche à grands pas et la "rue" musulmane ne tolérera pas que l'on
combattît durant le Ramadan. Dites-moi, vous vous souvenez de la guerre de 1973,
au Moyen-Orient, déclenchée par la Syrie et l'Egypte contre Israël ? Vous savez
comment on appelle cette guerre, dans le monde arabe ? "La guerre du Ramadan"
[C'est faux, le monde arabe appelle cette guerre la "guerre d'octobre" ou, à la
rigueur, "guerre du Kippour", mais jamais "guerre du Ramadan". Reste à vérifier
à quelle époque de l'année "tombait" le Ramadan en 1973... Ndt]- parce que
c'est, comme par hasard, à ce moment-là qu'elle a commencé. O.K. J'en déduis que
le monde arabe doit pouvoir déclencher sans problème une guerre pendant le
Ramadan, mais pas y être exposé...
Mes chers compatriotes américains, cela me
fait mal de vous le dire mais, les vieux Brits mis à part, nous sommes tout
seuls. Et, à la fin des fins, ce sont les troupes U.S. et British qui devront y
aller, sur le terrain, et (tâcher d') éliminer Bin Laden.
Ah, me
demanderez-vous, pourquoi donc avions-nous tellement d'alliés dans la guerre
contre l'Irak ? C'est parce que les Saoudiens et les Koweïtiens avaient acheté
leur ralliement. Ils ont acheté l'armée syrienne à coups de millions de dollars
envoyés à Damas. Ils nous ont achetés, ainsi que les Européens, à coups de
promesses d'énormes contrats de reconstruction et de couverture totale de tous
nos frais. Et en effet, avec ce que le Japon a versé, nous avons fait du profit,
avec la guerre du Golfe : Coalitions "R"Us. (Les coalitions, c'est notre job...
; allusion à une marque de jouets : Toys "R"Us ~ "Les jouets, c'est notre
rayon")
Cette fois-ci, nous devrons payer notre ticket, et aussi payer pour
les autres. Malheureusement, tuer 5 000 Américains innocents à New York ne
mobilise pas tant que ça le reste du monde. Nous en sommes, en partie,
responsables. Le message unilatéral envoyé par l'équipe Bush dès son premier
jour après sa prise de fonctions : mettez le traité sur le climat de Tokyo à la
corbeille à papiers, oubliez le traité sur la diversité biologique, ne me parlez
plus du contrôle des armements et si le monde entier n'aime pas çà, c'est très
vilain - voilà que ce message est revenu nous hanter.
Et qui pourrait
critiquer d'autres pays de vouloir pressurer les contribuables américains quand
Dick Armey et sa bande avide de conseillers républicains font la même chose - en
défendant un projet de loi fiscale avec encore plus d'exonérations pour les
riches, les lobbyistes et les syndicats, n'accordant que des clopinettes aux
travailleurs américains qui vont mener cette guerre ?
Un conseil : essayez de
ne pas vous focaliser sur aucune des choses que je viens de vous dire.
Concentrez-vous, plutôt, sur les pompiers qui se sont précipités à l'intérieur
des gratte-ciel du World Trade Center sans poser la question : "et la paye ?".
Pensez aux milliers de réservistes américains qui ont laissé leur travail et
leur famille pour aller combattre en Afghanistan sans demander : "qu'est-ce que
cela me rapportera ?" Contrairement aux out-siders, dans notre coalition, ces
jeunes Américains savent que le 11 septembre est pour nous un jour sacré - le
premier jour d'une guerre juste pour préserver notre société libre, notre
pluralité religieuse et notre démocratie. Et peu m'importe que cette guerre
coïncide avec le Ramadan, Noël, Hanukkah ou la naissance du Bouddha - la chose
la plus respectueuse et la plus spirituelle que nous pouvons faire, maintenant,
c'est de la mener jusqu'à ce que justice soit faite.
6. Amnon Kapeliouk : les relations
américano-israéliennes se tendent propos recueillis par Françoise
Germain-Robin
in L'Humanité du vendredi 26 octobre 2001
Journaliste
célèbre en Israël, éditorialiste du Yediot Aharonot, auteur de nombreux ouvrages
dont un sur le massacre de Sabra et Chatila au Liban, Amnon Kapeliouk estime que
" la lutte contre le terrorisme ne sera pas complète si on ne s'attaque pas à
ses causes profondes ", parmi lesquelles figure en premier lieu la persistance
du conflit israélo-palestinien. Il voit beaucoup de similitudes entre l'attitude
des Etats-Unis en Afghanistan et celle d'Israël.
" Il ne faut pas oublier que
ce sont les Etats-Unis qui ont créé ce golem qu'est devenu Ben Laden. Ils n'ont
pas été les seuls à utiliser ce genre de politique. L'autre exemple, c'est
Israël qui a créé le Hamas à la fin des années soixante-dix dans les territoires
occupés et surtout à Gaza avec l'espoir que ce mouvement islamiste lutterait
contre l'OLP. Cela a marché au début, mais le Hamas a vite compris qu'il avait
un plus grand ennemi que l'OLP : Israël. "
Selon lui, la comparaison faite
par Ariel Sharon entre Ben Laden et Arafat est totalement irrecevable : " Ben
Laden lutte contre " les mécréants, les croisés et les juifs " alors que Yasser
Arafat n'a jamais utilisé la religion dans la lutte de libération menée par
l'OLP, qui se veut une organisation laïque. La façon dont Ben Laden s'est mis à
utiliser la cause palestinienne dans sa rhétorique constitue une imposture
dangereuse pour l'avenir. Il n'avait jamais parlé de la Palestine avant les
attentats du 11 septembre, mais le danger serait qu'il fasse des émules. Ce qui
rend d'autant plus urgent de résoudre un conflit qui est pour beaucoup dans la
vision négative qu'on a des Etats-Unis bien au-delà du monde arabe. Rien que
dans la dernière période, les Etats-Unis ont opposé leur veto à l'envoi
d'observateurs internationaux demandé par la Ligue arabe et ils ont quitté la
conférence de Durban pour protester contre l'emploi du terme " apartheid " pour
caractériser la situation des Palestiniens dans les territoires occupés. La
définition de l'apartheid, c'est une situation où, sur un même territoire, un
peuple a tous les droits et un autre aucun. C'est exactement ce qui se passe.
"
En ce qui concerne l'évolution de la position américaine, Amnon Kapeliouk
voit des " signes encourageants " dans les pressions exercées ces derniers jours
sur le gouvernement d'Ariel Sharon pour qu'il retire l'armée des villes
réoccupées. Mais il estime que ce changement d'attitude de l'administration Bush
est encore " timide " : " Au lendemain des attentats du 11 septembre, Sharon a
cru que c'était pour lui l'occasion de donner un coup mortel à l'Autorité
palestinienne. Le 12, ses chars entraient dans Jénine, où ils ont bombardé
pendant neuf jours. Ils ont recommencé il y a une semaine, cette fois dans six
villes : ils entrent, occupent les maisons, jettent les gens dehors, cassent
tout, tuent, arrêtent, exécutent. Sharon croit qu'il peut tout se permettre en
raison de sa victoire éclatante aux élections. Mais les dernières interventions
de Bush montrent qu'il n'est pas prêt à tout accepter et que les relations se
tendent. " Je n'aimerais pas que vous soyez le premier à refuser de m'aider ",
lui a dit Bush. Il y a là une menace que Sharon ne peut se permettre d'ignorer.
Je pense que les Américains vont entrer plus profondément dans la recherche
d'une solution politique. Ce peut être soit une solution totalement imposée,
soit une solution négociée entre les deux parties avec l'aide de la communauté
internationale."
7. Néo-colonialisme par Mumia Abu-Jamal
in
Workers World (Etats-Unis) le jeudi 25 octobre 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
[http://www.workers.org/ww/2001/mumia1025.php]
"Ce
n'est pas parce qu'on les a déclarées indépendantes que les colonies cessent
d'être des colonies..." Benjamin Disraeli, homme politique britannique.
Les
informations selon lesquelles des responsables politiques américains sont en
négociations intenses avec le roi déchu d'Afghanistan donnent une claire
indication que les Etats-Unis sont en train de tenter d'imposer un souverain à
un autre peuple.
Il y a quelque chose, là-dedans, qui ne tourne pas rond,
vous ne trouvez pas ?
Comment expliquer qu'une nation qui se fait le champion
de la démocratie impose, avec ses canons et toute la puissance de son armada,
une maison royale à un autre peuple ?
Muhammad Zahir Shah, octogénaire
renversé du trône d'Afghanistan en 1973, vit à Rome depuis lors. On le pomponne,
actuellement, pour sa ré-intronisation à Kaboul, par le gouvernement américain.
Alors que cet homme a quitté son pays il y a presque trente ans (28,
exactement), pourquoi les Américains veulent-ils donc le faire asseoir sur le
trône, alors que le peuple afghan n'a jamais manifesté un quelconque intérêt
notable pour son retour et, cela, plus de trente ans durant ?
Il est
difficile de ne pas céder à la tentation de voir dans ces manoeuvres la volonté
des Etats-Unis de mettre en scène un pantin qu'ils pourront manipuler, contrôler
et au moyen duquel ils pourront, en réalité, gouverner. Ce qui semble clair,
c'est que les Etats-Unis sont en train de faire, cette fois par les moyens
militaires, ce qu'ils ont déjà fait auparavant, dans cette région, au moyen de
leurs espions. Dans les années 50, la CIA a manigancé la mise à l'écart du
pouvoir du premier ministre iranien Muhammad Mossadegh, afin de remettre le Shah
sur le trône, ce qui a placé, à son tour, le pays sur une voie qui a transformé
l'Iran en dictature répressive, afin de conserver le contrôle de l'Occident sur
le pétrole. Les Afghans sont-ils, quelque part, trop primitifs (aux yeux des
Américains) pour apprécier le fait que cette tentative d'installer un potentat
n'est autre chose que la traduction d'une réalité : celle que les Américains se
soucient de la démocratie comme d'une guigne ?
Presque tous les Etats de la
région que les Etats-Unis appellent "alliés" sont aussi éloignés de la
démocratie que la Terre peut l'être de la Lune. Si les Etats-Unis se souciaient
réellement de la démocratie, pourquoi la politique extérieure américaine
a-t-elle consisté, durant toute la seconde moitié du siècle dernier, à protéger,
soutenir et armer des dictateurs ennemis jurés de la démocratie ? Depuis Marcos,
aux Philippines, Suharto en Indonésie, les Duvalier en Haïti, jusqu'à Mobutu, au
Zaïre, etc. etc.. Mais en fait, nous n'avons pas besoin d'aller chercher si
loin.
Les dernières élections, en Floride, qui ont fait apparaître des
différenciations ethniques entre électeurs noirs, haïtiens et juifs, et par
conséquent leur déniant l'opportunité de contribuer de manière significative à
la démocratie américaine grâce à leur vote, prouvent que les Américains n'ont
nul besoin d'aller à l'étranger pour protéger ou promouvoir la démocratie. Il y
a quelque invraisemblance à voir une nation qui a vu le jour en déclarant son
indépendance d'un roi oeuvrer à installer de force un souverain à un peuple
étranger. La démocratie, comme la charité bien ordonnée, commence par
soi-même.
8. Enseigner l'islam à l'école par Henri Tincq
in Le
Monde du mercredi 24 octobre 2001
Comment s'étonner que l'islam soit
si mal connu, alors qu'il est si peu enseigné ? L'Occident aurait-il oublié que
l'islam est aussi une source de sa modernité ? "Sait-on en France que nous,
musulmans, avons des philosophes aussi importants que Montaigne et Aristote ?",
s'interroge un intellectuel inquiet. Il aurait pu ajouter ceci : le jeune
Français qui entend à la télévision des appels à la "guerre sainte", voit des
corans dressés comme des armes et des poings, assiste au bûcher de drapeaux
américains ou israéliens, sait-il que des savants comme Avicenne, Averroès ou
Ghazali ont inspiré des monuments de la pensée chrétienne ou juive, comme Thomas
d'Aquin ou Maimonide ? Que notre algèbre, notre géométrie, notre médecine en
partie, viennent des pays arabes ? Que, si une centaine de versets du Coran sont
à forte teneur juridique et dogmatique, sept cents autres sont des appels à la
prière, à la réflexion, à la méditation, à la connaissance ?
Parler pour
démystifier, apprendre pour comprendre, enseigner pour faire reculer stéréotypes
et clichés : l'actuelle crise internationale donne raison à des personnalités
universitaires comme Jean Baubérot, Mohammed Arkoun, Bruno Etienne, qui, depuis
le milieu des années 1980, appellent de leurs vœux un enseignement historique
des religions, de l'islam en particulier, dans l'espace laïque français.
Sans
doute l'idée a-t-elle progressé dans l'opinion, des équipes d'enseignants se
mobilisent-elles déjà avec passion, des adjonctions ont-elles été faites aux
programmes et manuels scolaires, mais l'enseignement des matières religieuses
n'a guère dépassé le stade de "l'informel", estime Jean Baubérot, président de
la section des sciences religieuses à l'Ecole pratique des hautes études. Un
jugement confirmé par la décision des autorités éducatives, en 1996, de ne pas
créer de discipline spécifique, mais corrigé par l'invitation alors adressée aux
professeurs d'histoire, de philosophie, de beaux-arts, de lettres, de prendre
davantage en compte la dimension religieuse, et par la demande forte de
formation continue, en ce domaine, du corps enseignant.
"CULTUREL" OU
"CONVICTIONNEL"
C'est face aux situations d'urgence qu'apparaît, une fois de
plus, la pertinence d'un enseignement culturel et historique des faits
religieux.
On objectera qu'il n'est pas possible de parler de religion
de façon historique et neutre. Confrontés à la curiosité de leurs élèves,
conscients du déficit de leur formation en ce domaine, les professeurs se
montrent hésitants à cette frontière du "culturel" et du "convictionnel" et on
les comprend. Comment parler du siècle de l'hégire sans parler de... l'hégire,
c'est-à-dire de la vie de Mahomet, de la Révélation divine, des hadiths du
prophète qui, pour les trois écoles sunnites, se limitent à quelques centaines
et qui, pour la tradition wahhabite puritaine, seraient au nombre de 28 000
!
Face à ces querelles exégétiques, les professeurs feraient-ils preuve de
courage ou d'inconscience qu'ils seraient rappelés à l'ordre par les autorités
doctrinales : on ne peut pas réduire les religions à de simples phénomènes
historiques ni faire l'impasse sur une révélation divine. Le Vatican a déjà fait
savoir son hostilité à un enseignement culturel de la religion catholique et
exprimé sa préférence pour des professeurs compétents, c'est-à-dire sortis des
rangs de l'Eglise. Et il n'est pas rare que des imams exercent localement des
pressions sur les enseignants. Nos voisins européens n'ignorent pas ces
hésitations. La place de l'enseignement des religions y dépend de la
reconnaissance du fait religieux. Elle existe en Allemagne où, malgré l'absence,
comme en France, d'un collège musulman représentatif, une part est faite, par
exemple en Rhénanie-Westphalie, à l'enseignement de l'islam. Elle existe aussi
en Belgique, où le culte musulman est organisé et l'islam enseigné, aux
Pays-Bas, en Espagne, où une convention a été signée, en 1996, entre les
autorités éducatives et des représentants musulmans qui ont le droit d'envoyer
des professeurs de religion dans des établissements publics. A chaque fois,
l'exigence est la même - l'enseignement dans la langue locale, non en arabe - et
des compromis, parfois difficiles, liés à la tradition de chaque pays et à
l'état des demandes, sont trouvés.
En France aussi, le compromis devra
prévaloir, dans l'esprit, par exemple, de ce nouveau pacte laïque signé en 1989
par la Fédération protestante de France et la Ligue de l'enseignement, ouverte à
l'apprentissage de la matière religieuse dans le strict respect de la laïcité.
Aujourd'hui, en effet, la laïcité de combat a fait place à une
laïcité-neutralité, gardienne des libertés de conscience. La République finance
depuis longtemps l'enseignement des faits religieux au niveau universitaire.
Elle entretient à ce titre des équipes entières du CNRS. "Avec les médiations
pédagogiques et les systèmes d'encadrement qui existent aujourd'hui, pourquoi ne
pas être plus audacieux au niveau des collèges et des lycées ?", interroge
Jean-Paul Willaime, directeur du Groupe de sociologie des
religions.
MÉCONNAISSANCE
Le risque d'une exclusion du fait religieux de
l'enseignement public est de le reléguer vers des officines privées de moins en
moins contrôlables. Déjà, les cours d'arabe et les écoles coraniques poussent
comme des champignons, ainsi que des cycles de conférences et des cursus
universitaires spécialisés.
La très grande majorité d'entre eux font un
excellent travail de formation mais, observe un intellectuel musulman comme
Tariq Ramadan, "les écoles islamiques risquent de devenir la panacée, des
écoles-ghettos pensées avec l'idée de l'éloignement, du rejet, de
l'enfermement".
C'est la méconnaissance qui produit l'intolérance et la
diabolisation. En France aujourd'hui, il y a plus d'arabisants et d'islamologues
qui partent chaque année à la retraite que de jeunes spécialistes recrutés,
estime Malek Chebel, qui, comme d'autres universitaires musulmans, souhaite la
réintroduction de chaires de civilisation islamique, de chaires d'arabe, de
cours de langues dans les grands lycées ou l'ouverture de bibliothèques
spécialisées. A quelque niveau que ce soit, pour le très large public de jeunes
sans religion comme pour ceux de confession chrétienne, juive ou musulmane, une
meilleure intelligence des faits religieux fera reculer les
sectarismes.
9. Jusqu'ici, les
interpellations n'ont pas abouti à grand-chose par Von Van Natta
in
The New York Times (quotidien américain) du dimanche 21 octobre
2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
(Cet article est la synthèse, réalisée
par M. Van Natta, de reportages effectués par Christopher Drew, Jo Thomas et Don
Van Natta.)
Vingt jours après le début d'une enquête criminelle la plus
agressive jamais enregistrée dans l'histoire américaine, la police judiciaire a
arrêté 830 personnes, mais elle n'a pas pu établir de preuves qu'une seule des
personnes actuellement retenues en garde à vue ait été l'un des conspirateurs
des attentats terroristes du 11 septembre dernier.
Bien que plus de 365 000
"tuyaux" donnés (anonymement) par le public aient fait l'objet d'investigations,
les plus hauts responsables de l'enquête, aux Etats-Unis, ont reconnu que la
plupart de leurs pistes prometteuses, dont on espérait qu'elles conduiraient à
la découverte de complices, n'ont conduit à rien. Il en va de même, ce qui est
plus grave, pour les suspicions entretenues au sujet de certains des suspects
présumés.
Par ailleurs, aucune des quelque cent personnes activement
recherchées par le FBI (Bureau Fédéral des Investigations) n'est tenue pour
suspect majeur, ont indiqué les responsables de la police judiciaire. "Dans
cette petite compagnie, il n'y a personne dont j'admettrais, sans faire la
gueule, qu'on me réveille à trois heures du matin pour m'en parler", a indiqué
un responsable gouvernemental.
Pour les enquêteurs, le dernier espoir
d'effectuer une percée a été déçu, ces jours derniers, à Chicago. Le 11 octobre,
les arrestations de neuf Egyptiens résidant à Evansville (Indiana) avaient mis
en émoi les milieux de la P.J. Deux officiers supérieurs ont fait état de
spéculations selon lesquelles ces hommes auraient appartenu à une cellule de
l'organisation Al-Qa'ida, et qu'ils auraient été en train de préparer un nouvel
attentat.
Les autorités fédérales ont appris que l'un de ces Egyptiens avait
pris, récemment, des cours de pilotage aérien et qu'il vivait avec ses
concitoyens dans l'Indiana, d'où il envoyait de l'argent chez lui, en Egypte, a
indiqué un officier de la P.J. Ces hommes ont été déférés à Chicago pour
interrogatoire mais, jeudi soir, les suspicions des enquêteurs s'étant
évanouies, sept parmi les neuf ont été relâchés. Un autre était encore en garde
à vue et le neuvième, dont les papiers n'étaient pas en règle, se voyait accusé
de contravention aux règlements de l'immigration.
L'un de ces Egyptiens
relâchés, Tarek Al-Basti, 29 ans, copropriétaire du restaurant Tomates'Folies
(The Crazy Tomato) à Evansville, avait été arrêté tandis qu'il préparait un plat
de spaghetti pour le "coup de feu" du soir. Il s'est avéré que ses cours de vol
qui en avaient fait un suspect n'étaient autre chose qu'un cadeau de son
beau-père, un avocat et ex-diplomate américain, amateur de pilotage
d'avions.
Les arrestations à grande échelle avaient commencé le jour même des
attentats, et le nombre des suspects interrogés ne faisait que croître tandis
que les agents de la P.J. suivaient les pistes de suspects potentiels en
analysant les numéros mémorisés dans les téléphones portables des auteurs des
attentats, grâce à des enquêtes de voisinage et à des "tuyaux" reçus par
téléphone ou sur le site web du FBI. Mais aucune des personnes arrêtées n'a été
accusée d'avoir joué un rôle dans la logistique des détournements-attentats. La
plupart sont retenus pour le chef de violations des lois sur l'immigration, pour
contravention au code de la route ou falsification de documents (pièces
d'identité), ces charges ayant fait l'objet de dépôts de plaintes de la part
d'avocats des associations de protection des droits civils et des
immigrés.
Mais ces arrestations visent plus loin que les enquêtes sur les
attentats du 11 septembre : il s'agit d'en prévenir d'autres, qui peuvent
toujours survenir. Sur ce plan, les officiels disent que ces arrestations
préventives n'ont pas été vaines.
Des hauts fonctionnaires du gouvernement
ont déclaré qu'au moins une dizaine de membres d'Al-Qa'ida, le réseau d'Osama
bin Laden, ont été arrêtés, qui sont susceptibles d'avoir été mêlés à la
préparation de nouveaux attentats par d'autres cellules du dit réseau. Alors
qu'il n'y a pas de preuve effective que des attentats précis aient été déjoués,
un officiel de la police judiciaire a indiqué : "une chose est sûre : nous avons
réussi à faire changer l'atmosphère".
Des officiels disent, également qu'ils
pensent que des arrestations effectuées dans d'autres pays, depuis le 11
septembre, ont permis de déjouer des attentats déjà planifiés.
Les enquêteurs
indiquent qu'ils détiennent les preuves du soutien financier apporté aux
terroristes (tués dans les attentats) par un petit groupe de lieutenants
d'Al-Qa'ida opérant à l'extérieur des Etats-Unis et que, de ce fait, l'enquête
s'est de plus en plus orientée vers des investigations à l'étranger, de l'autre
côté de l'Atlantique. Mais un haut responsable gouvernemental a déclaré : "nous
n'avons aucun indice de l'existence d'un grand réseau structuré, qui les ait
véritablement secondés".
La recherche de conspirateurs potentiels, ici, aux
USA, s'est focalisée sur une vingtaine de témoins à charge que l'on suppose
détenir des informations capitales et qui ont été transférés à la prison de
Manhattan. Mais, au cours des dernières semaines, neuf d'entre eux au moins ont
été élargis, ont indiqué les officiels, et ceux qui restent en garde à vue ne
sont pas du tout coopératifs.
"Nous nous acheminons vers le temps des "feux
croisés de questions", a indiqué un haut responsable de la police judiciaire.
"Nous allons les amener devant des grands juries et les confronter à des
enregistrements de mouvements financiers et des facturations téléphoniques, et
là, on verra : finie, la rigolade : certains auront sans doute beaucoup plus de
difficulté à nous répondre "ptêt ben qu'oui, ptêt ben qu'non"".
Durant les
dix jours écoulés, deux hommes ont été accusés de mentir au jury enquêtant sur
les attentats. L'un d'entre eux avait été mis en examen à Phoenix pour fausses
déclarations aux enquêteurs fédéraux au sujet de sa fréquentation de Hani
Hanjour, le terroriste dont on pense qu'il pilotait l'avion de ligne qui a fini
sa carrière en se fracassant sur les bâtiments du Pentagone. Un Jordanien,
étudiant dans une grande école de Californie, a été accusé de fausses
déclarations lors de son interrogatoire sur ses rapports avec deux autres
terroristes ayant détourné des avions le 11.09, Nawaf al-Hazmi et Khalid
Al-Mihdhar.
Ces présomptions autorisent les autorités à maintenir les
suspects en captivité tout le temps nécessaire à l'enquête. Mais des officiels
de la police judiciaire indiquent qu'aucun de ces prévenus n'a pu être accusé de
préméditation, car aucun ne détenait (à l'avance) d'information sur les
attentats qui allaient survenir le 11 septembre. Les enquêteurs ont pu établir
des liens entre les terroristes-kamikazes et environ deux douzaines de prévenus,
bien que ces liens soient en réalité ténus et fortuits.
Peu après les
détournements d'avions, le FBI pensait avoir débusqué une cellule de jeunes
Arabes, à San Diego, qui pourraient avoir aidé deux des terroristes. Le FBI en
est arrivé à s'intéresser à au moins cinq hommes - étudiants, pour la plupart -
grâce à un fil d'Ariane ténu : le prénom et le numéro de téléphone de l'un
d'entre eux, Osama Awadallah, avaient été retrouvés sur un morceau de papier se
trouvant dans la Toyota Corolla modèle 1988 que M. Al-Hazmi avait laissée sur un
parking de l'aéroport international Dulles, en Virginie, le 11 septembre, avant
de s'embarquer sur le vol American Airlines 77, qui finit son cours en
s'écrasant sur le Pentagone.
Les agents fédéraux ont découvert que certains
de ces hommes avaient partagé l'appartement d'un activiste islamiste de San
Diego, conjointement à M. Al-Hazmi et son collègue terroriste, M. Al-Mihdhar.
Certains d'entre eux, dont M. Awadallah, avaient travaillé dans une
station-service où M. Al-Hazmi avait travaillé durant une courte période, lui
aussi, l'année dernière. Et M. Al-Hazmi, pour lui complaire, avait inscrit l'un
des étudiants (arrêtés), M. Yazeed al-Salmi, sur sa police d'assurance
automobile, durant deux mois, à la fin 2000, afin de lui permettre de s'assurer
pour moins cher.
Après avoir arrêté les cinq hommes, le FBI les a rapidement
transférés à New York où ils sont considérés comme des témoins matériels, ce qui
a motivé le dépôt d'une plainte par Randall B. Hamud, l'avocat de l'un des
trois, qui a indiqué que leur réputation avait été salie par l'accusation
d'association de malfaiteurs qui a été formulée à leur encontre.
Après plus
de quinze jours de préventive, M. Al-Salmi (23 ans), un Saoudien étudiant à
Grossmont College, à San Diego, a été élargi le 11 octobre, après témoignage
devant un jury. Mais, le vendredi suivant, M. Awadallah a été accusé de fausses
déclarations devant le grand jury : il avait déclaré ne connaître qu'un seul des
terroristes, alors que les deux avaient été en contact avec ces étudiants.
M.
Hamud a déclaré que "le gouvernement fédéral était en train d'arrêter des Arabes
partout dans le pays afin de faire croire aux gens qu'ils sont susceptibles de
faire des trucs".
Les accusations les plus sûres que le gouvernement fédéral
ait pu formuler concernent des personnages secondaires. Ainsi, Luis
Martinez-Flores a été accusé d'avoir reçu 50 dollars de chacun des deux
kamikazes, M. Hanjour et M. Al-Mihdhar, afin de les aider à se procurer des
photos d'identité à Arlington (Virginie).
Mais, comme dans bien d'autres cas,
les enquêteurs ont pensé, au début, que M. Martinez-Flores était un témoin-clé.
Il avait déclaré aux enquêteurs que les deux kamikazes étaient particulièrement
intéressés par "un immeuble très élevé, à Richmond (Virginie) et à Atlanta
(Géorgie)", d'après un rapport confidentiel du FBI. Se faisant plus précis, M.
Martinez-Flores aurait affirmé que les deux hommes "s'intéressaient visiblement
de très près à l'immeuble de la Banque Fédérale de Richmond (Virginie)".
Il a
aussi dit qu'il avait fait un tour dans leur camionnette : il y avait dans cette
dernière des containers ressemblant à des valises, lesquels containers, avait-il
déclaré "étaient très lourds et laissaient échapper une odeur
âcre".
"Martinez ayant essayé de déplacer l'un des containers, Al-Mihdhar et
Hanjour étaient devenus soudain nerveux, lui avaient pris le container des mains
et l'avaient reposé précautionneusement ailleurs dans la camionnette", a indiqué
un agent du FBI. "Martinez fut averti que ces containers devaient être manipulés
avec beaucoup de précautions". Mais, deux semaines après les dépositions, les
procureurs accusèrent M. Martinez-Flores de fausse déclaration aux enquêteurs,
au sujet de ses relations avec les deux kamikazes présumés.
Un officiel du
gouvernement s'en est plaint ouvertement : "Il y a eu un tas de cas de ce genre
: ils éveillent l'intérêt... alors, nous regardons de plus près..., et il n'y a
pas grand-chose, en fin de compte".
A plusieurs reprises, les enquêteurs ont
indiqué avoir un doute sur le fait qu'un certain Zacarias Moussaoui, un Français
d'origine marocaine, qui avait été arrêté pour situation irrégulière, le 17
août, dans le Minnesota, aurait pu être un vingtième kamikaze potentiel. Le jour
des attentats, il était "en cabane". Les enquêteurs n'ont pas établi qu'il était
supposé faire partie de la conspiration du 11 septembre, mais ils pensent qu'il
pourrait avoir un lien avec l'organisation Al-Qa'ida.
A part ce M. Moussaoui,
les enquêteurs se sont intéressés de près à trois autres personnes susceptibles
d'être liées à Al-Qa'ida : Nabil al-Marabh, ancien chauffeur de taxi de Boston,
qu'un informateur a lié à M. bin Laden, ainsi qu'Ayyub Ali Khan et Mohammed
Azmath, deux hommes qui transportaient des cutters et au moins 5 000 dollars en
coupures au moment de leur interpellation, dans un train, au Texas, le 11
septembre.
M. Khan et M. Azmath avaient pris un avion depuis Newark et
avaient atterri à St Louis. Les enquêteurs disent qu'ils s'intéressent toujours
à ces deux hommes, mais qu'ils n'ont aucune certitude qu'ils aient quelque chose
à voir avec les attentats du 11.09. La semaine dernière, des enquêteurs ont
décidé de fouiller l'appartement de Jersey City où ces deux hommes vivaient,
afin d'y rechercher des indices sur d'éventuels conspirateurs dans l'affaire de
la diffusion de la bactérie de la maladie du charbon ("anthrax", pour les
Américains - pour nous l'anthrax est une sorte de furonculose à staphylocoques,
Ndt).
Une autre cellule potentielle qui intriguait les enquêteurs semblait
concerner Chicago et Detroit. En prenant d'assaut un appartement de Detroit,
situé au 2653 Norman Street, le 17 septembre, les policiers voulaient pincer
Nabil al-Marabh pour le questionner. Son nom était sur la boîte aux lettres,
mais lui, il n'était pas là.
A la question "qui êtes-vous ?", posée à travers
la porte, on leur répondit : "Karim Koubriti". Avec cet homme âgé de 23 ans,
étaient présents Ahmed Hannan (33 ans) et Farouk Ali-Hamoud (21 ans). D'après
les informations données par Robert Pertuso, l'agent du FBI de Detroit chargé de
diligenter l'enquête, ces hommes lui ont dit qu'ils n'habitaient dans
l'appartement que depuis deux semaines et qu'il était bien possible que
l'occupant précédent ait été un certain M. Marabh.
A l'intérieur, les agents
ont trouvé des badges d'identification permettant d'accéder à l'aéroport
Skychefs Metropolitan de Détroit, aux noms de M. Hannan et M. Koubriti, qui y
avaient travaillé tous deux (ils faisaient la plonge dans un restaurant), ainsi
qu'un agenda annoté en arabe. M. Pertuso a indiqué que certaines de ces
annotations étaient relatives à une base américaine en Turquie, une autre
faisait référence à quelqu'un désigné du titre de "ministre des affaires
étrangères des Etats-Unis", et à l'aéroport Reine Alia d'Amman
(Jordanie).
Des agents du FBI ont indiqué que M. Koubriti leur a déclaré que
ces documents, qui comportaient également des photos d'identité et des faux
papiers d'identité, appartenaient à un autre homme, Youssef Hamimsa, qui avait
vécu, lui aussi, dans l'appartement. M. Hamimsa a été arrêté dans l'Etat de
l'Iowa. Avec M. Koubriti et M. Hannan, tous trois ont été accusés de fraude et
de détournement d'identité.
Les responsables de la P.J. ont indiqué qu'ils
continuaient à mener des investigations actives sur ce groupe, tant à Detroit
qu'à Chicago.
Les arrestations de ces neuf hommes, dans l'Indiana, ont
suscité la colère de leurs familles.
Le 11 octobre, des agents sont venus au
restaurant Tomates'Folies et ont arrêté M. Al-Basti, son oncle ainsi que
d'autres hommes qui y travaillent. Ils ont été emmenés à Kentucky, puis à
Chicago, où ils ont été incarcérés au Centre de Correction métropolitain, a
indiqué vendredi dernier Mary France Baugh, la belle-mère de M.
Al-Basti.
"L'Amérique vit décidément des jours sombres", a-t-elle déclaré.
"Je ne pense pas que nous devions encore noircir le tableau en permettant que la
loi soit étirée de cette manière par le procureur général". Le traitement des
prévenus a été "légal", a conclu Mme Baugh, "mais tout juste..."
Son mari et
elle-même avaient inscrit leur gendre à des cours de pilotage à Tri-State
Aviation, en cadeau. "Quand il a eu sa licence de pilote, il a continué afin
d'obtenir son évaluation aux instruments", a indiqué Mme Baugh. "Mon mari et moi
étions tellement fiers de lui."
Le FBI est allé enquêter chez M. Al-Basti le
15 septembre, a indiqué Mme Baugh, et lui a posé des questions sur ses croyances
religieuses. "Il leur a dit qu'il y a une grosse différence entre le Coran et sa
paix et la démence d'aller faire sauter le World Trade Center", a-t-elle
rapporté.
"Je comprends quelle pression terrible est actuellement sur les
gens du FBI, parce qu'ils ont reçu l'ordre de faire qu'une telle horreur ne
puisse jamais se reproduire, jamais", a commenté Madame Baugh. "Mais,
n'empêche... Si l'Amérique n'est pas à l'abri de ses agences d'investigation
légale, si vous pouvez vous faire "cueillir" alors que vous êtes en train de
vérifier si vos spaghetti sont "al dente" et vous faire mettre au violon sans un
mot d'explication et sans pouvoir recevoir la visite de quiconque, qui, parmi
nous, peut encore se sentir en sécurité ?"
10. La politique
étrangère des Etats-Unis à la croisée des chemins par Ghassan Khatib
in Palestine Report (Palestine) le vendredi 19 septembre 2001 (vol. 8 - N°
15)
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
[http://www.jmcc.org/media/reportonline]
La
terrible tragédie infligée aux villes de New York et Washington, mardi dernier
(11.09), résulte d'une combinaison mortelle entre globalisation, haute
technologie et facilité d'accès à l'information, d'une part, pauvreté croissante
et injustice de l'autre. Aucun doute à avoir : dans le monde entier, tous les
hommes, sans exception, ont été à un niveau ou à un autre choqués par la
démonstration de haine que ces attentats ont représenté.
Ces attentats ont,
en même temps - et au même degré - révélé la profondeur de l'hostilité entourant
la politique étrangère du gouvernement des Etats-Unis ailleurs dans le monde. La
majorité de l'opinion publique non-américaine s'est identifiée avec les victimes
américaines innocentes, mais en ressentant un sentiment de malaise, cette
emathie ne pouvant occulter ce qu'il faut bien appeler une certaine satisfaction
de voir les politiques et les pratiques des Etats-Unis trouver une certaine
"réponse".
Les Palestiniens sont, de tous les peuples, celui qui a sans doute
ressenti le plus intimement la douleur des victimes américaines, étant lui-même
victime des tentatives violentes d'Israël de maintenir son occupation militaire
et agressive - illégale - de leur territoire. Cette vérité, même la propagande
israélienne de bas étage (qui a tenté de présenter les Palestiniens comme
sautant de joie à l'annonce des attentats) n'est pas parvenue à la faire
oublier.
Personne ne saurait blâmer le gouvernement américain de prendre les
mesures de sécurité qui s'imposent afin de punir les auteurs de ces attentats.
Mais ceux qui, parmi les Américains, ont su faire retour sur eux-mêmes et
constatent qu'ils ont matière à faire leur autocritique et à reprocher à leur
gouvernement de ne pas aller plus loin et de s'interroger sur l'environnement et
les causes qui ont permis que soient atteints de tels niveaux de violence et de
haine, ceux-là doivent rester attentifs.
A ce stade, la politique étrangère
américaine est la seule qui ne soit pas soumise au contrôle démocratique et qui
ne doive rendre aucun compte au peuple américain, pour la simple raison que
celui-ci s'intéresse peu aux affaires du monde, y compris au mode d'action de
leur propre gouvernement. Il en découle une politique étrangère désastreuse, y
compris - en particulier -au Moyen-Orient.
La Conférence Contre le Racisme de
Durban, qui s'est déroulée récemment dans cette ville d'Afrique du Sud, a montré
à quel point le soutien inconditionnel du gouvernement américain à Israël -
excusez du peu - peut être isolé de par le monde, où il rencontre
incompréhension et réprobation. La délégation des Etats-Unis s'est retirée en
même temps que la délégation israélienne, pitoyablement, incapable de faire face
au consensus d'une écrasante majorité des autres délégations dénonçant les
pratiques racistes des forces d'occupation israéliennes dans les territoires
palestiniens.
Un autre exemple frappant de la problématique de la politique
extérieure américaine au Moyen-Orient est la contradiction entre le soutien
américain - affiché - au droit international, et le soutien des Etats-Unis à
l'occupation israélienne, qui constitue (y compris, aux yeux de la politique
américaine officielle) une violation de ce même droit international.
On
pourrait, de même, mettre le doigt sur la contradiction existant entre le
soutien déclaré des Etats-Unis à la démocratie et aux droits de l'Homme, d'une
part, et l'amitié et le soutien manifesté par le gouvernement de ce pays à
l'égard des régimes les moins démocratiques du Moyen-Orient, d'autre part.
Les pressions exercées récemment sur Israël afin de lui demander de mettre
un terme à ses agressions en cours contre les civils palestiniens et de
reprendre les discussions politiques ont été saluées par la partie palestinienne
qui y a répondu en déclarant unilatéralement un cessez-le-feu. Les Palestiniens
ont vu dans ces pressions (indédites) un indice positif, mais le caractère
durable de leur adhésion dépendra de la manière dont les Américains vont
s'efforcer de consolider leurs relations avec les pays arabes en adoptant une
position conforme au droit international et (par conséquent) critique à l'égard
de l'occupation israélienne.
Ces nouveaux efforts résulteront-ils dans
l'adoption d'une politique américaine responsable et la fin de l'occupation
israélienne ? Pour l'instant, l'avenir des relations des Américains avec le
monde arabe dépend de deux choses : tout d'abord, une définition claire du
terrorisme, qui soit conforme au droit international, à la constitution des
Etats-Unis et aux résolutions pertinentes du Conseil de Sécurité de l'ONU et,
ensuite, l'engagement des Etats-Unis dans un (réel) processus de paix amenant à
la cessation de l'occupation israélienne, dans le cadre d'un accord de paix
global.
La politique moyen-orientale des Etats-Unis est aujourd'hui à la
croisée des chemins. Ce temps est, par excellence, celui où les Etats-Unis
doivent montrer si une politique étrangère américaine mûrement réfléchie (et
réellement souveraine) va finir par s'imposer ou bien si les accusations
d'hostilité envers les Arabes et les Musulmans, portées à l'encontre de ce pays
par les auteurs des attentats, vont finir par s'avérer
fondées.