Samedi 3 novembre 2001 à
Marseille : "Paix comme Palestine"
une journée
d'information et de solidarité avec le peuple palestinien au Théâtre
Toursky
en présence de Leïla Shahid,
Déléguée générale de Palestine en France
Point d'information Palestine
> N°173 du 29/10/2001
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réalisée par l'AMFP - BP 33 - 13191 Marseille
FRANCE
L'AMFP
Marseille est une section de l'Association France-Palesine
Solidarité
Association loi 1901 - Membre
de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
Pierre-Alexandre Orsoni
(Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux
(Trésorier)
Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par
Marcel Charbonnier
Si vous ne souhaitez plus
recevoir (temporairement ou définitivement) nos Points d'information Palestine,
ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à
l'adresse suivante : amfpmarseille@wanadoo.fr.
Ce point
d'information est envoyé directement à 3289 destinataires.
Cher(e)s
abonné(e)s,
Nous tenons à nous
excuser pour le retard pris dans l'envoi de ce Points d'information Palestine.
Notre participation au Forum Civil Euromed de Bruxelles les 19
et 20 octobre derniers [Cf. dans ce numéro, la résolution "Palestine,
Agir Maintenant !" : Réseau § 1], ainsi que la préparation
de "Paix comme
Palestine", une journée d'information
et de solidarité avec le peuple palestinien, au Théâtre Toursky à Marseille qui
se déroulera ce samedi 3 novembre 2001, ont considérablement retardé la
réalisation de ce 173ème PiP. Nous vous remercions de votre confiance et de
votre compréhension.
Pierre-Alexandre Orsoni
Au
sommaire
Témoignages
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des
citoyens de Palestine ou des observateurs. Ils sont libres de
droits.
1. Informer ! par Stéphanie David, citoyenne de
Ramallah (Palestine) - Lundi 22 octobre
2001
2. Courrier de Bethléem par Julien Salingue -
Dimanche 21
octobre 2001
3. Chronique de Cisjordanie par Nathalie Laillet,
citoyenne de Bethlehem (Palestine) - Samedi 20
octobre 2001
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non
publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG.
1.
IMPORTANT - Palestine,
Agir Maintenant ! Résolution adoptée au Forum Civil Euromed -
(Bruxelles - 19/20 octobre 2001)
2. Silence ! On tire ! par Ury Avnery (lundi
22 octobre 2001) [traduit de l'anglais
par Marcel Charbonnier]
3. Le renversement de la République
américaine : Les Commissaires à l'anthrax par Sherman H. Skolnick (12
octobre 2001) [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
4. Le déclin
et la chute de la gauche israélienne par Ilan Pappé (mercredi 3 octobre
2001) [traduit de l'anglais par Christian
Chantegrel]
5. Interdiction à Kol Israel de diffuser des
interviews en direct de leaders palestiniens Communiqué de Reporters
sans frontières - www.rsf.org
Revue de presse
1. Leïla
Shahid : "Rien ne justifie le silence de la communauté internationale"
in Le Monde du vendredi 26 octobre 2001
2.
La France demande ''l'arrêt immédiat'' des incursions israéliennes en
Cisjordanie Dépêche de l'agence Associated Press du jeudi 25 octobre
2001, 14h45
3. Les tanks... et un appel
téléphonique à trois heures du matin par Amira Hass in Ha'Aretz
(quotidien israéllien) du jeudi 25 octobre 2001 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
4. Sanglant huis-clos en
Cisjordanie par Alexandra Schwartzbrod in
Libération du jeudi 25 octobre 2001
5.
On est en train de nous ré-occuper par Mustafa Barghouthi
in The Guardian (quotidien britanique) du mardi 23
octobre 2001 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
6. Dans la ville
autonome de Jénine, le blocus se précise et gagne en sophistication par
Gilles Paris in Le Monde du mardi 23 octobre 2001
7.
Droit de réponse / Le syndrome de Ben Ami, syndrome de
l'occupation par Hasan Asfour in Ha'Aretz (quotidien israélien) du
samedi 20 octobre 2001 [traduit de l'anglais par
Marcel Charbonnier]
8. Les
fabricants de désespoir entretien avec Günter Grass réalisé par Holger
Kulick pour le quotidien allemand "Spiegel", traduit par Bruno Odent in
L'Humanité du vendredi 19 octobre 2001
9. Le Parlement européen sur la piste
des textes antisémites de l'Autorité palestinienne par Herb Keinon in
The Jerusalem Post (quotidien israélien) du mardi 16 octobre 2001 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
10.
Israël face au grand virage américain par Luis Lema, Jérusalem
in Le Temps (quotidien suisse) du lundi 15 octobre 2001
11. Riccardo Bocco : "Je m'attends à une pluie de
dollars sur la région" propos recueillis par Luis Lema
in Le Temps (quotidien suisse) du lundi 15 octobre
2001
12. Maroc : "S'ils tuent Ben Laden, il
sera notre Che Guevara !" par Frédéric Ploquin in Marianne du lundi 15 octobre 2001
13. Israël a peur de
rester seul face à "l'ennemi" par Avigdor Ben Asher in Expresso (hebdomadaire portugais) du samedi 13 septembre 2001
[traduit du portugais par
Christian Chantegrel]
1. Informer ! par Stéphanie David,
citoyenne de Ramallah (Palestine)
Lundi 22 octobre 2001
Bonjour ! Je suis une citoyenne française (selon la
formule consacrée) vivant à Ramallah depuis deux ans et j'ai vraiment envie
pousser un coup de gueule, un de plus mais qui sera peut-être un moyen de me
sentir moins impuissante face à tout ce qui se passe.
Un coup de gueule
contre les media qui couvrent ou plutôt ne couvrent plus le conflit au
Proche-Orient.
Nul besoin de polémiquer sur l'objectivité de la presse. Il
convient plutôt de s'arrêter sur le fait que la presse n'est plus sur le
terrain.
En effet, depuis trois jours l'armée israélienne a réinvesti les
territoires Palestiniens, ce qui signifie concrètement que les tanks sont entrés
(et sont restés) en zone dite "autonome", PARTOUT sauf à Jericho et Hébron (mais
ces villes sont toujours assiégées) et peu nombreux sont les journalistes qui
viennent s'y aventurer.
Vivant moi-même à Ramallah, j'ai pu constaté que les
reporters ne se bousculaient pas aux "portillons" de l'entrée nord de la ville
transformée en zone de guerre depuis jeudi dernier et ou des dizaines de
familles sont isolées, prisonnières de leurs appartements, par la force de chars
et autres blindés dissuadant tout individu qui s'aventurerait à mettre un pied
hors de son immeuble.
Dans quelques heures, ces personnes n'auront plus de
quoi nourrir et changer leurs enfants si cette situation perdure.
Qui en
parle ?
Qui montre ce qui se passe ?
Personne. Ou presque. Quelques
reporters photographes sont venus tenter le coup, conscients de faire quelques
clichés de plus qui iront alimenter un fonds d'archives d'agence avec l'espoir
bien mince de trouver sa place dans un magazine d'actualité.
L'Intifada
n'intéresse plus. Elle ne fait plus vendre. Elle a fini par lasser ceux qui
l'observent de loin.
Ce n'est tout simplement plus le sujet du moment. Une
autre guerre se déroule un peu plus loin et le quidam occidental est pris dans
la tourmente des bombardiers américains autant que dans la psychose de la
maladie du charbon.
Alors les envoyés spéciaux ont quitté leur terrain de jeu
palestinien laissant aux correspondants "sur place" le soin de suivre les
affaires courantes. Fort bien. Encore faudrait-il que ceux-ci assument la tâche
qui leur revient, celle d'INFORMER en appliquant quelques règles de base : se
déplacer (c'est-à-dire sortir de Jérusalem), observer, montrer,
rapporter.
Qu'ils montrent, qu'ils disent et qu'ils écrivent ce qu'ils voient
! Cette situation infernale qui les exaspère en privé, mais dont ils ne laissent
rien transparaître dans leurs supports médiatiques respectifs !
Nous
n'attendons pas des reporters qui traitent ce conflit qu'ils soient objectifs,
comment le pourraient-ils ?
Nous attendons d'eux qu'ils fassent leur travail
de reportage sans tomber dans le travers de la désinformation.
Ce qui se
passe dans cette région est complexe, nous le savons bien.
Les rédacteurs en
chef des journaux TV partent certainement du principe que le téléspectateur
moyen n'est ni un spécialiste de géopolitique ni un fin connaisseur du monde
arabe. Ils ont raison.
Cependant, ce n'est pas une raison pour faire gober à
cette audience tout et n'importe quoi.
Le danger de la télévision, c'est
précisément de faire passer l'information par l'image essentiellement. Les
commentaires que l'on y adjoint n'ont que peu d'impact. Pourtant lorsqu'ils sont
prononcés par certains journalistes, ces commentaires peuvent vider
l'information de sa substance ou au contraire lui donner un sens tout à fait
contraire à la réalité. Ainsi, en ce dimanche soir, le journal de la deuxième
chaîne de TV française (retransmis sur TV5) nous a-t-il fourni un résumé pour le
moins consternant des événements qui se sont déroulés au cours de la
journée.
L'info tenait en peu de mots: "Les chars israéliens sont toujours
dans Bethlehem et Beit Jala (pas un mot sur les autres villes de Cisjordanie
soumises au même régime), les palestiniens ont tiré les premiers et les
israéliens ont riposté. On déplore deux blessés parmi ces derniers."
Ce que
montraient les images n'était malheureusement qu'un léger aperçu de la situation
réelle.
La riposte ne se résumait pas à quelques balles finissant leur
course contre la façade d'un immeuble désaffecté.
Non. Les charges étaient
lourdes, les obus ont succédé aux tirs et la population est effrayée. Vingt
palestiniens ont trouvé la mort en trois jours. Parmi eux, une jeune femme
enceinte, une fillette de 10 ans et combien d'autres innocents qui se trouvaient
au mauvais endroit au mauvais moment, victimes d'une guerre qui se caractérise
décidément par la règle du "deux poids - deux mesures". Des être humains, tués
dans l'indifférence.
2. Courrier de Bethléem par Julien
Salingue
Dimanche 21 octobre 2001
Dimanche 21 octobre. 17 heures - La
situation sur l'ensemble de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza est grave. La
situation dans le secteur de Bethléem est très grave. Je reviens de l'hôpital où
les ambulances se succèdent à un rythme effréné. Depuis hier à 17 heures, au
moins 6 morts et plusieurs dizaines de blessés dans le secteur. C'est la panique
là-bas, une partie des blessés ne peut pas être transportée à l'hôpital car les
Israéliens tirent sur les ambulances ou les empêchent de passer. Les nouvelles
tombent toutes les dix minutes, un blessé ici, un mort là, des maisons
détruites...
C'est une atmosphère indescriptible.
Plus précisément, un
rappel des faits :
Avant-hier (Jeudi), trois Palestiniens (dont un
responsable d'un groupe arme, très connu ici) meurent dans la mystérieuse (hum!)
explosion de leur voiture. La colère monte et des Palestiniens vont tirer sur la
colonie de Gilo, au nord-ouest de Bethléem (juste un détail, étant donné les
armes qu'utilisent les tireurs palestiniens, ils n'ont aucune chance de faire
quoi que ce soit en tirant sur Gilo. Mais la «réponse» de l'armée israélienne va
être cinglante: vendredi matin, vers 4 ou 5 heures, les chars investissent la
partie nord de Bethléem, ils vont avancer assez loin dans la ville avant de
reculer et de s'installer, dans le secteur nord donc. Ils installent des camps
dans des hôtels (c'est haut, ça permet de tirer loin et de voir tout).
Parallèlement ils rentrent dans le camp de réfugiés d'Aïda, qui jouxte Bethléem
et le village de Beit Jala, faisant pas mal de dégâts car un tank, ça va tout
droit et ça démolit tout sur son passage. Ils investissent une maison dans le
centre du camp, mais ils la quitteront quelques heures plus tard, perdant au
passage un soldat. Et un véhicule blindé, semble-t-il.
Dans la journée de
vendredi, l'essentiel des tirs israéliens sont à destination du camp d'Aïda,
dont les issues sont bouclées par des tanks. Les tirs ne vont pas s'arrêter un
seul instant pendant toute la journée, certains tirs viennent du camp, bien sûr,
faut bien se défendre, mais les quelques tireurs palestiniens et leurs armes ne
font pas le poids devant l'artillerie développée par les Israéliens. C'est dans
ce camp que nous décidons de nous rendre avec mon père. Il est alors environ 14
heures. Si nous décidons d'aller là-bas, ce n'est pas parce que nous sommes à la
recherche du grand frisson. Sinon on serait allé faire un saut à l'élastique.
C'est parce que nous connaissons des gens là-bas, que nous savons qu'aucun
journaliste n'a tenté de rentrer dans le camp, et tout simplement parce que
c'est là-bas que les choses se passent et que nous sommes là pour voir les
choses, les vivre avec les Palestiniens et pouvoir les raconter ou les montrer
grâce à la vidéo ou les photos...
On se rend là-bas à pied (pas de taxi) en
passant par Bethléem où une vingtaine de gamins sont en train de lancer des
pierres sur des tanks qu'ils n'atteignent jamais (et même s'ils les
atteignaient...), tanks qui sont stationnés dans la rue principale de Bethléem,
la rue... Yasser Arafat. Là, pour le coup, il y a des journalistes, plusieurs
équipes télés, car ça ils aiment, les mômes qui jettent des pierres, c'est pas
trop dangereux et ça fait de bonnes images. On reste quelques minutes et on
continue vers Aïda. On arrive à l'entrée du camp et il y a un tank. On se
regarde quelques instants, il y a quelques mômes qui nous ont suivi et qui font
demi-tour en voyant le tank... Et puis on se lance. Et on passe. Nous voilà dans
le camp, on fait un petit tour avec un habitant qu'on connaît bien, on voit les
dégâts occasionnés par les chars, la maison qu'ils ont occupée et dans laquelle
ils ne sont plus... Il n'y a plus d'électricité dans le camp. Ça tire partout
autour, de temps en temps juste au dessus de nos têtes, mais nous sommes à
l'abri des maisons, on aperçoit un tank à une des sorties du camp, il semble
être en panne et est peut-être abandonné, mais on n'ira pas vérifier... Puis on
se pose pour boire un thé, ça tire toujours de partout, on reconnaît sans
problème les bruits des armes palestiniennes, bien léger comparé à celui des
machines israéliennes. Les hélicos tournent au-dessus, ambiance.
Puis l'un
des habitants nous propose de nous rendre dans sa maison, depuis laquelle on
peut apercevoir un des hôtels que les Israéliens ont investi et depuis lequel
ils tirent sans arrêt. On le suit, notre ami a filmé depuis cette maison
quelques heures plus tôt. On monte au deuxième étage. Il y a deux pièces,
chacune avec une fenêtre par laquelle on aperçoit l'hôtel et les tanks. Je
«prends» une fenêtre et mon père en prend une autre. Au bout de vingt secondes,
ils tirent. Je me rends compte en entendant le coup de feu que c'est pour nous.
Mais je ne sens rien. Je comprends que c'est mon père qu'ils ont dû avoir. Je
gueule «t'es touché?» en courant vers lui, et il est déjà par terre au moment ou
il me répond «oui» en se tenant le ventre.
Tout va aller très vite après.
J'essaie de descendre par les escaliers pour aller chercher du secours, mais une
partie des escaliers est dans la ligne de mire et ils n'arrêtent plus de tirer.
Un des gamins qui est dans les escaliers au dessus de moi prend une balle dans
le genou. Un deuxième en prend une dans l'épaule. Tout le monde crie de partout,
dans les escaliers, dans la maison, dans la rue... Ils tirent sur tout ce qui
bouge. Au moment ou je me décide à tenter le coup quand même, un jeune décide de
monter pour aller chercher un des gamins blessés. Je descends, il monte, on se
retrouve face à face. Et à ce moment-là une rafale. Il en prend plusieurs dans
le ventre et une dans la tête. Il s'écroule à mes pieds. Mort. J'ai tout juste
le temps de reculer pour me remettre à l'abri. Après je ne sais plus trop. On
réussit à évacuer les deux gamins qui tiennent à peu près debout mais on ne peut
pas sortir mon père. Notre ami va lui administrer les premiers soins. Il est
touché au ventre et au bras. On ne peut pas sortir et on attend. Ça tire
toujours. Les pots de fleurs explosent à côté de nous. Mais on est
temporairement à l'abri. Il faudra au moins une demi heure pour que les
ambulanciers puissent atteindre la maison et évacuer mon père vers l'hôpital de
Beit Jala, en évitant les balles.
Bilan de cette fusillade sur le camp
d'Aïda. Un mort, au moins trois blessés par balle et quelques blessés légers qui
ont reçu des éclats. Pourquoi? Parce qu'ils se sont trouvés dans le champ de tir
de soldats d'une armée d'occupation dirigée par des généraux et un gouvernement
sanguinaires. Aucune des victimes n'était armée. Ils étaient là, tout
simplement. Et l'un d'entre eux y est resté.
J'ai rejoint mon père a
l'hôpital en contournant de nouveau les tanks. J'y suis resté une partie de la
soirée. Le temps de voir arriver des dizaines de blessés, venant de Beit Jala,
d'Aïda ou de El-Khader, un village juste à côté. Et trois autres morts. Deux à
El-Khader et un à Beit Jala. Celui-ci était allongé sur son lit dans sa chambre
et il a pris une balle en pleine tête. Je crois qu'il avait seize ans. Mort sur
le coup. Des scènes difficiles à supporter mais je pense que vous voyez de quoi
je parle, ça aussi ça passe souvent a la télé, les cris, les larmes, les gens
qui se roulent par terre...
À l'heure où je vous écris? le bilan continue de
s'alourdir. J'étais à l'hôpital ce matin et ça a continué. Deux autres morts. Et
plusieurs dizaines de blessés. Une partie des blessés de Beit Jala ne peuvent
pas être transportés à l'hôpital, car les ambulances sont bloquées. Donc le
bilan est encore très provisoire. Et je crois que ce n'est pas près de
s'arrêter, j'entends les tirs au loin (je suis au sud de Bethléem actuellement,
donc à un ou deux kilomètres des tirs), y compris des tirs de chars. On ne sait
pas quoi faire pour arrêter le carnage.
Je ne sais pas si vous pouvez faire
quelque chose. Mais ce qu'ils sont en train de faire est monstrueux, inhumain.
Et pas que dans le secteur de Bethléem, Beit Jala et Aïda Camp. À Jenine aussi,
dans le nord. On y était encore hier matin. Ils ont tiré sur une école de
filles, à 7 heures du matin, juste avant le début des cours. Elles n'étaient pas
encore rentrées en classe, elles attendaient dans la cour et devant l'école. Une
est morte. Dix ans. Une autre est en passe de mourir. Elle a pris une balle dans
la tête. Elle est peut-être morte, je n'ai pas de nouvelles. Plusieurs blessées.
Ce n'est pas une bavure, ils voyaient très bien sur quoi ils tiraient. Comme
avec nous à Aïda.
Bien sûr je suis encore sous le coup de la colère. Mais je
pense très sérieusement qu'un nouveau pas a été franchi. Ils attaquent le
secteur de Bethléem, mais aussi en ce moment Jénine, et ils encerclent Ramallah
(un mort hier). 4 morts aujourd'hui à Qalqilya, dans le nord. Et la fête se
poursuit à Gaza. J'ai appelé le Consulat de France hier. Ils ont essayé de
venir. L'armée leur a ordonné de faire demi-tour. Ce matin aussi. Ils ne veulent
pas que des officiels voient ce qui se passe. On ne sait pas quand ça va
s'arrêter...Je ne sais pas ce que vous pouvez faire en France. Mais essayez
quand même de le faire, chacun à votre niveau...Je ne peux pas vous en dire
beaucoup plus pour l'instant mais j'essaierai de vous donner des nouvelles
bientôt. De toutes façons je ne peux pas, pour l'instant, m'avancer plus, car on
ne sait pas ce qui va se passer. Mais il semble qu'ils ne soient pas décidés à
partir même si les pressions des États-Unis doivent être fortes...
En ce qui
nous concerne nous, mais ce n'est pas le plus important :
Mon père va bien,
il a pris la balle dans le ventre mais rien de trop grave. Il a également été
touché au bras. De plus, des éclats ont volé dans son pouce et donc il a des
fractures. C'est con à dire mais c'est le plus douloureux... Il est toujours à
l'hôpital, a priori ils vont encore le garder cette nuit. À moins qu'ils le
sortent faute de place... Au moment où je suis parti, ils commençaient à
installer des lits dans le hall et dans la cour tellement il y a de victimes. Et
ça n'arrête pas... Donc lui ça va, ça a été très douloureux sur le coup, mais il
n'a pas perdu connaissance. Et il se remet tranquillement.
Moi je suis
toujours un peu secoué. On savait que ça pouvait arriver, en partant pour Aïda
hier on savait que ça ne serait pas une partie de plaisir... Mais quand ça
arrive ça fait un choc. Et voir ce jeune mec mourir à mes pieds ça n'a rien
arrangé. En plus, l'ambiance de l'hôpital, déjà en général un hôpital c'est pas
très gai mais alors là... Mais bon. C'est la triste et dure réalité. Je n'ai pas
encore réussi à reprendre ma camera. Je l'ai avec moi mais je n'arrive pas.
Peut-être que mes images de l'occupation du secteur de Bethléem se limiteront à
celles que j'ai tournées hier à Aïda: un hôtel occupé, des tanks, et puis un
coup de feu et boum dans la pièce à côté. Et c'est tout.
Mais ça va, j'ai
repris mes esprits, je n'ai pas beaucoup dormi cette nuit mais ça va. Je n'ai
pas le moral dans les chaussettes. Disons juste que j'ai quelques images qui
restent dans ma tête... Ce qui est chiant aussi c'est qu'on ne peut pas
atteindre notre maison. Je plaisante. Mais ce que je n'arrive pas encore à
comprendre, c'est ce qu'ils cherchent ici. Vraiment. Car tuer une dizaine de
personnes et en blesser peut-être une centaine (et malheureusement, et c'est ce
qui m'inquiète le plus pour les gens d'Aïda et de Beit Jala notamment, ce n'est
pas fini) pour soi-disant protéger une colonie qui, comme toutes les colonies,
est illégale, ça ne tiendra pas la route longtemps. Je ne sais pas. Et les gens
se posent pas mal de questions aussi ici. Mais à part ça, comme je vous le
disais, ça va. Même si la journée d'hier laissera des traces... Mais ça continue
et il ne faut pas rester bloqué là-dessus...
Voila ce que je peux vous dire
pour le moment.
Je pense qu'il était important que je vous donne des
nouvelles de nous mais le plus important, c'est la situation générale ici.
Parlez-en autour de vous et n'oubliez pas que les éternels oubliés, les
réfugiés, sont une nouvelle fois parmi les plus touchés. Je pense que la
situation la pire, c'est celle du camp de réfugies d'Aïda, ou ça tire sans arrêt
depuis hier matin. Ainsi qu'à Beit Jala. Mais la situation évolue très vite et
ça peut changer... Pour nous ça va. Mais pour eux
non.
[Sur le site Solidarité-Palestine : Chronique
d'un séjour en Palestine. Pierre-Yves et Julien Salingue présentent un reportage
bouleversant, illustré de 59 photographies comme on a rarement l'occasion d'en
voir. Solidarité-Palestine publie intégralement ce témoignage en 14 parties
sur http://www.solidarite-palestine.org/rep01a.html]
3. Chronique de Cisjordanie par Nathalie Laillet,
citoyenne de Bethlehem (Palestine)
Samedi 20
octobre 2001
En ce samedi 20 octobre, me voici de passage à
Jérusalem. Allez, je vous raconte les jours précédents...
Mercredi matin,
branle bas de combat dès 7 heures du matin : aujourd'hui je déménage ! Je quitte
Naplouse pour aller m'installer à Bethlehem. J'ai commande un taxi, un taxi a
plaques d'immatriculation jaunes, ce qui me permet de passer les check point, du
moins en théorie... (Jaune ca veut dire que son propriétaire est de Jérusalem,
qu'il a un statut particulier et qu'il a le droit de circuler à peu près
librement. Les palestiniens des territoires ont des plaques vertes qui les
confinent dans leurs villes respectives).
Mon souci a moi, c'est de faire
rentrer mon chat dans sa boite... En bonne Gazawoui [habitant de Gaza, ndlr] qui
se respecte, elle donne de la voix...
Bref, le taxi arrive, le chat miaule et
nous voilà parti ! Toutes les routes pour Naplouse sont désormais fermées. Y
compris la fameuse route de Tell, celle qu'on emprunte depuis septembre, celle
ou il faut marcher sur 2 km entre 2 buttes de terre.
Tout le monde depuis
dimanche doit donc passer par le check point. Si on a une autorisation, on
passe. Sinon on reste. Quelques fois, même avec une autorisation, on ne passe
pas... La décision appartient au soldat boutonneux au casque trop grand, au
fusil pointe.
Moi je suis une veinarde : je suis française ! Je passe donc,
ainsi que le chauffeur qui a une carte d'identité de Jérusalem. Bien sur, on
fait la queue. Faut pas être pressé ces derniers temps, en
Palestine...
Devant nous un camion de légumes. La porte est ouverte. et tout
d'un coup j'aperçois le chauffeur. Un jean, un tee shirt noir. Il n'a pas 25
ans. Jambes écartées, bras levés. Il se tient comme ca, au beau milieu. Depuis
quand ? Près de lui, un soldat au fusil pointe. Les yeux du jeune chauffeur.
l'humiliation. Et la haine, inévitable, qu'elle engendre. On passe. Lui non.
Combien d'heures attendra-t-il ? Passera-t-il ?
On continue. Le chat miaule.
Notre plaque jaune nous donne un privilège extraordinaire : on a le droit
d'emprunter la route des colons, c'est a dire la route directe reliant Naplouse
a Ramallah ! Des mois que je ne l'ai pas utilisée ! Quel bonheur ! on va vite,
il n'y a personne ! On croise quelques voitures de la Croix rouge et c'est tout.
Au détour d'un virage, un check point ou l'on ne nous arrête même pas (les
plaques nous font passer pour des colons). Au détour d'un autre virage, des
chars. Stationnes dans un village, tout près de l'école. Des maisons arabes
réquisitionnées. Les fenêtres sont bouchées avec des sacs de sable, le drapeau
israélien flotte. Ou sont les habitants de la maison ? Difficile de savoir...
Quand des journalistes ou des ONG posent un peu trop de questions, Israël
déclare la zone "zone de sécurité militaire". Personne n'a alors le droit d'y
entrer.
On continue toujours. On arrive au check point de Qalandia. On file
sur Jérusalem.
Le portable du chauffeur de taxi sonne. Un ministre israélien
a été abattu. On ne sait ni qui, ni par qui. On se regarde. "Ca va être chaud ce
soir".
On file sur Bethlehem. Encore un check point. Là ça se complique. Le
soldat refuse de laisser passer le taxi. Moi je peux, pas lui. J'ai tous mes
cartons de déménagements... Difficile d'attendrir un soldat des IDF... [IDF en
anglais = Tsahal, acronyme en hébreu de : Armée de Défense d'Israël, ndlr]
Pourtant les miaulements apeurés de mon chat y parviennent ! Je me garde bien de
dire que le chat est de Gaza, ça pourrait tout changer !
Et nous voilà à
Bethlehem. Il y a bien longtemps que le chauffeur n'est pas venu là. Pas depuis
le début de l'Intifada. Il file. Et on se retrouve en pleine zone militaire ! Il
ne savait pas qu'il était désormais interdit a toute personne non juive de
passer à côté du tombeau de Rachel (tombeau situe au milieu de Bethlehem).
fusils pointes sur nous, on recule... Rachel est bien gardée. On fait un détour
pour contourner le tombeau et la zone militaire. Et me voici enfin chez moi
!
Je m'installe, discute avec mes propriétaires, contemple, ravie, les
oliviers du jardin. Il fait beau.
Dans l'après-midi, un petit tour au camp de
Deheishe, histoire de voir les copains.
Les nouvelles tombent : meurtre
revendiqué par le FPLP, le meurtrier a réussi a regagner Ramallah. Va y avoir de
l'action...
Première nuit dans ma nouvelle maison.
Jeudi matin, réunion à
Deheishe. J'apprends les chars a Ramallah, dans la ville même. Je téléphone à
mes amis: ils vont bien , ils n'iront pas bosser ce matin.
Et moi non plus je
n'irai pas bosser. Vu la situation, mon employeur ne tient pas a me voir faire
la route... Ok. Du coup, je suis libre et il ne se passe rien a Bethlehem. Un de
mes amis palestiniens bosse à Jérusalem. On se donne rendez vous a la porte de
Damas. On déjeunera ensemble.
J'arrive a l'heure dite au rendez vous. Lui
aussi. Désole, me dit il. Il faut que je parte sur Ramallah pour le boulot. On
pourra discuter en route... Je n'ai rien de spécial à faire a Ramallah, ni même
à Jérusalem ou Bethlehem. J'accepte donc. Et nous voilà partis. Il habite
Jérusalem, il a donc, lui aussi des plaques jaunes.
- Ça passe a Qalandia
?
- J'espère, me répond il. J'ai dormi la nuit dernière à Jérusalem. Je n'ai
pas fait la route depuis deux jours. On verra bien
On y va donc. Aucun
contrôle ! Les 2 check point avant Qalandia sont déserts. A Qalandia, on sort
nos papiers... Pour rien ! On passe !
On se regarde. Ben ça alors ! C'est la
première fois qu'on passe aussi vite Qalandia.
Nous voilà A Ramallah. Il file
au boulot et moi je rejoins une amie. Apres une tasse de thé, on décide
d'aller se balader. Histoire de voir où sont les tanks. On nous a dit du côté de
Birzeit. On y va. Ambulances. Rafales de fusils mitrailleurs. On approche
entre les rafales. On se protège derrière les voitures, sous les porches de
magasins. Tout d'un coup on les voit. Pas les tanks qu'on est habitues à voir
aux check point. Non. Des tanks énormes. Avec un immense canon. Deux. Deux
tanks. Il bloquent la route (une 2 fois 2 voies). A 200 mètres devant, des
adolescents palestiniens les narguent. Ils ne lancent pas de pierres. A quoi ça
pourrait servir ?
Quelques soldats de l'Autorité palestinienne sont là. Armes
de vieilles kalashnikov. Aussi des Tanzims. Au total, pas plus de 30 hommes,
dont seulement la moitié sont armés. A côté d'une cabine téléphonique, une
dizaine de sac de sable. Derrière un soldat palestinien. Ni casque, ni gilet
pare balles. Il est face a 2 tanks. Il défend son pays . Il me fait pitié. Un
futur martyr. Que peut il faire pour les empêcher d'avancer ?
Les tanks ont
très nettement pénètres dans la ville. Ils ont dépassé le Best Eastern Hôtel.
Ils sont à 500 mètres du QG d'Arafat. Entre eux et le QG, 30 hommes en armes.
Inutile de dire que des qu'ils le voudront...
Des rafales. D'instinct, on se
baisse, on court avec les shebabs. On revient. On recourt.
A deux pas de la,
Marwan Barghouti se fait interviewer.
Sirène des ambulances.
On rentre. On
va boire un verre et fumer un narguilé dans le centre ville. On choisit un café
bruyant. Pour ne plus entendre les tirs. Les rues de la ville sont désertes. Les
portables ne marchent pas. Le réseau Jawwal, réseau palestinien, est bloqué.
Impossible de joindre les gens qui se trouvent à Ramallah. En revanche, pas de
problème si on veut appeler Gaza ou la
France...
On rentre chez mon amie.
Au passage, on achète un verre de sahlab [préparation à base de lait, ndlr]. Mon
portable sonne ! Miracle ! C'est un ami de Bethlehem :
- Un missile vient de
tuer 3 hommes dans une voiture ! Surtout reste où tu es !
Fatiguée, je ne
tarde pas a m'endormir. Réveillée vers 5h du matin. Rafales. Tirs d'obus. Ils
semblent si proches. Je me blottis sous ma couverture. Peine perdue. Je les
entends toujours. Sirènes des ambulances.
Petit déjeuner triste vers 8h. Bruit des tirs.
Soupirs. On écoute la radio et la télévision : 20 chars à Bethlehem. Merde !
Comment je rentre chez moi, moi ? Soupirs. Enervements. Migraine. Envie de
vomir.
Dans la matinée les tirs se calment un peu, on en profite pour aller
voir ce qui se passe du côté de Birzeit. Personne. les chars sont toujours la.
face a eux, une dizaine d'hommes. un ou deux armes.
- Ne restez pas là les
filles ! Planquez vous ! Un jeune homme est mort ici même. Ce matin même
!
Sur le trottoir, des gouttes de sang. Une tache plus grosse. de minuscules
bout de chairs.
- Il avait 25 ans. Il appartenait aux forces
17.
Nausée.
- Pour eux, notre sang ne compte pas, continue notre
interlocuteur, un homme d'une bonne trentaine d'année. Le sang palestinien,
c'est comme de l'eau, le sang israélien, par contre, c'est cher.
- Et toi,
que fais tu ici ?
Pour toute réponse, il appuie sur une gâchette
invisible.
- Mais mon copain est parti avec le fusil. Je l'attends. On n'a
qu'un fusil pour 2...
On augmente notre collection de douilles en tout
genres. On rentre.
Mes amis a Bethlehem m'appellent : Ne rentre pas ! Reste
où tu es ! L'armée est dans la ville ! Il y a des tanks ! On verra
demain.
Journée de vendredi a Ramallah donc. Au milieu des bruits de la
guerre. Arafat a interdit la manifestation du vendredi. Pour éviter le carnage.
Désespoir des gens.
Les tanks sont rentres dans les villes. Et la communauté
internationale n'a pas réagi. Trop occupées a faire la guerre aux Afghans (j'ai
bien dit aux Afghans, et non aux Tabilans : les "dommages collateraux" sont
afghans, n'en déplaise au camp des "gentils" auquel j'ai honte
d'appartenir).
Samedi donc. Je vais essayer de rentrer chez moi. On verra
bien J'ai hâte de retrouver ma nouvelle maison dans laquelle je n'ai dormi
qu'une nuit...
Un ministre a été tue. Je le déplore. Depuis, 16 palestiniens
et un israélien ont trouve la mort. Vous pensez pas que ça suffit ?
Parmi ces
16 palestiniens, une gamine de 10 ans qui était à l'école. Vous n'avez pas vu sa
photo sans doute. A la une du journal, un tableau noir, avec les lettres "A,O,U"
écrites a la craie blanche.
Au pied du tableau, une chaussure. Et une mare de
sang.
Vendredi, Un ami du camp de réfugiés de Khan Younes m'a appelé. Un
gosse de 13 ans a été tue. Un des voisins de Tareq.
Le sang d'un gosse a, à
mes yeux, la même valeur que celui d'un ministre. Le FPLP a revendiqué
l'attentat. Vous avez peut être oublié que le chef du
FPLP, Abou Ali
Moustapha, a été assassiné par un missile en août dernier. Ses amis n'ont pas
oublie.
Les obsèques du ministre ont été retransmises sur la BBC. Pas celle
d'Abou Ali Moustapha. Pas celle du gosse de Khan Younes ou de la fillette de
Jenine.
Une vie est une vie. Après plus d'un an d'Intifada, près de 200
israéliens sont morts. Apres plus d'un an d'Intifada, près de 800 palestiniens
sont morts. Qui doit arrêter les violences et respecter le cessez le feu
?
Réseau
1. IMPORTANT - Palestine, Agir Maintenant
!
Résolution adoptée au Forum Civil Euromed - (Bruxelles -
19/20 octobre 2001)
[Le 19 et 20 octobre 2001 s'est tenu à
Bruxelles, en Belgique, un nouveau Forum Civil Euromed en amont d'une rencontre
ministérielle du partenariat sous la présidence belge de l'Union Européenne.
Nous vous invitons à prendre connaissance sans retard de la résolution
concernant le conflit israélo-palestinien : "Palestine, Agir Maintenant !" et à
la faire connaître aux autorités de votre pays qui participeront à la réunion
interministérielle EUROMED des 5 et 6 novembre prochain à Bruxelles. Pour
consulter l'ensemble des résolutions adoptées lors du Forum Civil Euromed de
Bruxelles, consultez le site : http://www.forumcivileuromed.org/indexfr.htm]
> Document de travail adopté par l'atelier et amendé lors de la
séance plénière du 20 octobre 2001.
"Il y a un an, le Forum Civil Euromed à Marseille a adopté, à l'unanimité,
une résolution soutenant le combat légitime du peuple Palestinien pour son
indépendance, dénonçant le caractère illégal de l'occupation israélienne (y
compris le Golan en Syrie) et exigeant qu'on mette fin à la répression. De même,
cette résolution demandait que l'Union européenne prenne des mesures immédiates
pour atteindre ces objectifs.
Un an a passé et aucun de ces objectifs n'a
été réalisé. Que du contraire : les derniers treize mois ont été les plus
terribles des 34 années d'occupation israélienne de la Cisjordanie et de la
bande de Gaza:, des centaines d'hommes et de femmes assassinés - la plupart
d'entre eux étaient des adolescents et des enfants - des milliers de blessés,
des destructions massives de maisons, des déracinements d'oliviers etc…
Plus
d'un an d'état de siège a détruit l'infrastructure de la société palestinienne,
altéré son économie et fait de la vie de millions d'hommes , de femmes et
d'enfants, un combat héroïque quotidien pour une survie collective et
individuelle.
Des crimes de guerre sont commis chaque jour en violation du
droit international et de la quatrième Convention de Genève, y compris des
assassinats extra-judiciaires de plus de 60 activistes et des sanctions
collectives ; de même, la continuation des constructions de colonies qui
s'apparente au colonialisme , l'état de siège, les bombardements de populations
civiles, la spoliation des ressources naturelles, qu'il s'agisse de l'eau ou de
la terre ainsi que toutes autres pratiques racistes, sont monnaie courante pour
le peuple palestinien.
Il va sans dire qu'il n'y a aucune tentative de la
part du gouvernement israélien quelle qu'elle soit de mettre en place un
cessez-le-feu et de résoudre le conflit israélo-palestinien sur la base de la
légalité internationale et en accord avec l'accomplissement des résolutions
appropriées des Nations Unies.
La conférence du Forum Civil Euromed qui a eu
lieu à Bruxelles les 19 et 20 octobre 2001, réaffirme les lignes générales et
les demandes exprimées dans la résolution de Marseille :"Palestine: agir
maintenant". Par ailleurs, elle réitère que le peuple palestinien a le droit
légitime de résister à l'occupation israélienne et de dénoncer toute tentative
qui consiste à cataloguer son combat de terroriste, comme énoncé dans la charte
des Nations Unis.
Vu le manque ou l'incapacité de la communauté
internationale à prendre ses responsabilités et de l'Union européenne à
appliquer ses propres résolutions, le Forum Civil Euromed a décidé de s'adresser
aux sociétés civiles de la région euro-méditerranéenne de façon à organiser une
campagne internationale massive qui comprendrait les trois volets suivants :
mettre fin à l'occupation israélienne, mettre en place une protection
internationale et appliquer toutes les résolutions des Nations Unies qui
demandent la réalisation des droits inaliénables du peuple palestinien - droit à
l'auto-détermination, droit au retour et à l'établissement d'un Etat indépendant
avec Jérusalem-Est comme Capitale.
Le soutien au peuple palestinien devrait
comprendre les points suivants :
1) Une campagne d'information globale,
coordonnée et visant le long terme, de façon à contrer les masses d'informations
venant des principaux médias des pays occidentaux. Cette campagne fournirait de
la sorte au grand public, une image réelle de l'agression israélienne et de la
légitimité de la résistance palestinienne face à l'occupation.
2) Un lobby
pour les institutions d'état et de l'Union européenne afin de demander :
- Un
embargo immédiat sur les armes et l'équipement militaire de et vers Israël;
-
La suspension de l'Accord d'Association entre Israël et l'Union européenne, tant
que les droits des Palestiniens sont dénigrés;
- Le boycott des produits
venant des colonies israéliennes;
- La traduction en justice des criminels de
guerre israéliens devant une court pénale internationale.
3) Une campagne
visant à demander la suspension des accords de coopération avec Israël dans les
domaines techniques, culturels et de l'éducation, aussi longtemps que les crimes
de guerre sont commis contre le peuple palestinien dans les Territoires Occupés
et en Israël. Ceci ne concernant pas les institutions palestiniennes et les
organisations citoyennes en Israël.
4) Soutenir les ONG Palestiniennes
travaillant pour la société civile et dans le domaine de l'aide
humanitaire.
5) Soutenir l'émergence d'une économie palestinienne
indépendante.
6) Garantir l'accès à l'éducation, tant universitaire que
scolaire, en toute sécurité, ainsi que l'accès aux soins médicaux.
7)
L'envoi dans les Territoires Occupés de missions civiles internationales pour la
protection du peuple palestinien et la coordination de ces missions à un niveau
international. Le rôle de ces missions devraient combiner :
- Une série de
témoignages sur les réalités de l'occupation israélienne ;
- Fournir, lorsque
c'est possible et en coordination avec les organisations palestiniennes, une
solidarité active et une protection concrète pour les populations civiles
-
Des témoignages lorsque les personnes seront de retour dans leur pays d'origine
et, en particulier, demander aux gouvernements d'envoyer une force de protection
en Palestine sous l'égide des Nations Unies. Il s'agirait également de demander
la libération de tous les prisonniers politiques et de défendre les droits de la
population palestinienne de Jérusalem et de ses institutions politiques,
nationales et sociales
Il faudrait souligner particulièrement le sort des
femmes, adolescents et enfants palestiniens qui paient le prix le plus élevé de
la répression israélienne, tout comme la population palestinienne d'Israël qui a
été, durant l'année dernière, la cible d'une nouvelle vague de répression contre
ses droits civiques et nationaux.
8) Le soutien des efforts des activistes de
paix israéliens qui se battent dans des conditions extrêmement difficiles afin
de gagner l'appui de l'opinion publique israélienne pour que les droits des
palestiniens à la liberté, à l'indépendance et au retour soient respectés.
9)
Soutenir les initiatives de la société civile de défense des droits humains des
réfugiés, quel que soit l'endroit où ils se trouvent, et avant tout les actions
de lobbying pour leur droit au retour, la restitution et la
compensation.
L'aptitude à atteindre ces objectifs dépendra de notre capacité
à élargir le mouvement de solidarité aux mouvements sociaux, aux réseaux qui
travaillent sur les problèmes de la mondialisation de même que les organisations
politiques, et d'ouvrir un vrai dialogue entre les organisations du Forum Civil
et de ces forces sociales et politiques.
Pour remplir ces tâches de la façon
la plus efficace, le Forum Civil Euromed a décidé :
1. D'établir un comité de
suivi pour être sûr que ces propositions seront mises en oeuvre de la meilleure
manière possible
2. D'établir une liaison permanente entre le Forum Civil et
l'Union européenne
3. De demander l'organisation d'une réunion d'urgence avec
la Présidence de l'Union européenne pour lui faire part de ses préoccupations et
décisions avant d'envoyer la mission de la Présidence en Israël et dans les
Territoires Occupés palestiniens."
2. Silence ! On
tire ! par Ury Avnery (lundi 22 octobre 2001)
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
J'ai quelque honte à l'admettre : cette guerre n'est pas sans me procurer
un certain plaisir.
Jusqu'à ce qu'elle n'éclate, je pensais que nos médias
étaient les pires du monde occidental. Depuis le premier jour de l'Intifada, nos
médias ne parlaient plus que d'une seule et unique voix, répétant à la manière
d'un perroquet fidèle le discours officiel, ne posant aucune question
pertinente, se dispensant bien de toute critique réelle. Barak avait "retourné
toutes les pierres" (à la recherche d'une solution). Il était "allé plus loin
qu'aucun premier ministre avant lui". Il avait tout donné, tout, et Arafat
"avait décliné ses offres généreuses". Nous n'avions pas de partenaire, etc.
etc. Ad nauseam... Aucune investigation conséquente, aucun examen quelque peu
sérieux des faits, aucun enregistrement des témoignages de tous les
protagonistes, pas de comparaisons, pas de conclusions constructives.
Une
blague juive raconte qu'après la mort d'un notable, dans une petite ville, on ne
trouve personne pour faire son éloge funèbre ; personne qui ait quelque chose à
dire de lui, en bien. Finalement, quelqu'un se propose : "Il est très vrai que
ce Monsieur était une quintessence de salaud cruel et repoussant, mais, comparé
à son fils, c'était un ange..."
Nous pouvons dire la même chose de nos
médias. "Il est vrai que les médias ont trahi la confiance que nous leur
manifestions, qu'ils se sont faits les porte-parole du gouvernement et nous ont
fait un lavage de cerveau. Mais, comparés aux médias américains, les nôtres sont
super !"
Le 11 septembre, dans les premières heures qui suivirent l'horreur,
il y eut des gens pour critiquer le comportement du Président (américain). En
cette journée historique, son entourage l'avait déplacé de lieu secret en lieu
secret, aux quatre coins de l'Amérique, l'avait caché aux yeux indiscrets dans
quelque bunker souterrain indécelable et enfin - très tard, dans la nuit -
ramené à la Maison Blanche. Ceci contraignit les médias à poser les vraies
questions en temps réel. Mais voilà que, Bush rentré à Washington, ils se
turent. Depuis l'après-midi de ce jour là, jusqu'à maintenant, les médias, en
Amérique, marchent au pas cadencé, comme un bataillon de "Marines". Les réseaux
de télévision par câble, les stations de radio, les journaux de renom - tous
chantent les laudes du brillantissime Président, tous battent le tambour et tous
se rangent derrière la règle d'or du : "Silence ! On tire !"
Alors, voilà que
comme ça, nous ne sommes plus les pires. Quel soulagement ! Mais lorsque les
chiens de garde de la démocratie viennent au renfort de la meute de loups, le
pays est en danger. Et lorsque une telle chose advient dans le pays qui dirige
le monde, dont le sort nous affecte tous, cela devient une menace pour chacun
d'entre nous.
Les médias américains sont en train de prêcher une foi aveugle
en leur Président et ses conseillers. Ils n'osent pas poser la question qui
pourtant devrait préoccuper quiconque prétend se forger une opinion personnelle.
Est-ce avisé ? Cette approche des choses peut-elle permettre d'atteindre le but
proclamé ou n'est-elle qu'un dérivatif pour la colère (justifiée) de l'opinion
publique ?
L'objectif déclaré, c'est de mettre un terme au terrorisme
international, en particulier (aux activités d') Osama bin Laden et de son
organisation. Question : l'assassinat ou la capture de cet homme sont-ils
susceptibles d'entraîner la fin de son organisation ?
Un cynique pourrait
mettre en doute l'importance de cet homme (universellement recherché) qui est
actuellement en train de cabotiner à la télé. Généralement, les chefs
d'organisations clandestines ne recherchent pas une telle publicité. Ils se
cachent aux yeux du public. (J'ai été personnellement membre d'une organisation
clandestine, Etz'le, durant plusieurs années, et à l'époque, je n'ai jamais rien
su de l'identité de ses dirigeants). Bin Laden ressemble plutôt à un acteur
d'Hollywood envoyé par le "service central des castings" afin de remplacer la
vedette au pied levé. Il convient trop bien au rôle imparti : élancé, forte
prestance, belle barbe, éloquence.... Je dirais presque : trop bien pour faire
vrai. Il est loisible de supposer que les vrais commanditaires restent, quant à
eux, dans l'anonymat.
Mais supposons que cet homme endosse réellement le rôle
qui lui est imputé. Question : "Et alors ?" S'il est tué ou capturé, cela
mettra-t-il un terme aux activités des organisations terroristes
fondamentalistes ? Les Anglais, en abattant Abraham Stern ("Yair"), auraient-ils
du même coup détruit l'organisation Le'chi ? Généralement, c'est le contraire
qui se passe : faire d'un dirigeant un martyr encourage ses partisans et c'est
une personne plus dure, plus aguerrie, qui le remplace.
Un deuxième objectif
de l'opération, c'est de renverser le gouvernement afghan (actuel) des Taliban,
qui (parce qu'il) abrite Bin Laden. C'est là un objectif très difficile à
atteindre. Aucune nation n'est encline à admettre qu'un occupant étranger
choisisse pour elle ses dirigeants. Question : et si (les Américains)
réussissent, à quoi cela servira-t-il ? Une organisation terroriste peut fort
bien se passer de sanctuaire territorial. C'est bien, pour elle, d'en avoir un,
mais c'est en quelque sorte un luxe. Les organisations fondamentalistes sont
réparties partout dans le monde arabe et dans le monde musulman. Elles ont des
branches en Europe et (jusqu') en Amérique. Il pourrait bien s'avérer qu'au
contraire l'élimination de leur sanctuaire afghan leur profite et finisse par
accroître leur capacité de nuisance.
Le président Bush est un peu comme
quelqu'un qui chasse les mouches avec un canon. Il n'y a pratiquement aucune
proportionnalité entre l'objectif déclaré et les moyens utilisés. Les Etats-Unis
ont une armée rutilante, équipée de la technologie dernier-cri. Il est tout
naturel que ses généraux veuillent s'en servir, n'est-ce pas là ce pour quoi ils
se sont entraînés pratiquement toute leur vie durant ? C'est bien pourquoi
l'Afghanistan a été choisi pour cible. Ce pays constitue une cible géographique
idéale, contre laquelle une armée régulière peut combattre et expérimenter tout
son équipement tout neuf. Mais (question) : cela sera-t-il de nature à réduire
au silence les terroristes à Boston, à Berlin, au Caire et à Aden ? Tuer les
mouches au canon, c'est dingue ; mais tuer les mouches tout court, c'est déjà
parfaitement inutile. De nouvelles mouches, des nuées, viendront remplacer les
congénères tuées. Pour se débarrasser des mouches, il faut assécher le marécage
où elles prospèrent.
Il est possible, il est vital, de conduire une campagne
difficile, quotidienne et frustrante, pour débusquer les cellules terroristes et
prévenir leurs attaques. Mais il s'agit d'une action sur le court terme. La
campagne principale doit être essentiellement politique et idéologique.
Plus
on avance dans la crise actuelle, plus il est clair que les Etats-Unis et
l'ensemble du monde prennent conscience que le problème palestinien, oublié dans
un coin depuis une génération, est l'une des clés primordiales à la solution du
problème (posé au monde). Voilà que la caillasse remisée sur le tas de gravats
redevient la pierre angulaire. Il est possible que cette cause ne soit utilisée
par Bin Laden que comme un moyen pour lui de se gagner le soutien du monde
arabe. Mais pour de très nombreux Arabes, il s'agit d'une plaie béante qui
suscite haine et colère contre l'Amérique. Cette plaie doit être soignée et se
cicatriser, une bonne fois, d'une manière qui soit acceptable pour la majorité
des Palestiniens modérés et du monde arabo-musulman. Il faut le proclamer à
haute et intelligible voix : quiconque s'oppose à cette cicatrisation fait
obstacle à l'élimination du terrorisme dans le monde.
Le monde commence à
comprendre cela. On dirait qu'il suit une session de rattrapage à la formation
accélérée. Question : le monde s'est-il imprégné de cette vérité première, à ce
jour ? Est-il prêt à s'engager sur cette route et à faire le voyage, jusqu'au
bout ?
Dans notre intérêt à tous, c'est ce que
j'espère.
3. Le renversement de la République
américaine : Les Commissaires à l'anthrax par Sherman H. Skolnick (12
octobre 2001)
[traduit de l'anglais
par Marcel Charbonnier]
[Depuis 1958, Mr. Skolnick agit dans le domaine de la réforme de
la justice. Depuis 1963, il s'efforce, en tant que secrétaire/fondateur du
Comité Citoyen pour le Nettoyage des Tribunaux (Citizen's Committee to Clean Up
the Courts), de révéler certaines occurrences de détournement de la justice et
d'assassinats politiques. Depuis 1991, il fait partie des journalistes TV (et,
depuis 1995, il est l'animateur-modérateur) d'une émission d'une heure,
hebdomadaire, sur la télévision par câble. Cette émission, intitulée
"Broadsides" ("Feux croisés") est diffusée par Cablecast sur le canal 21, à 9
heures du soir, tous les lundis, à Chicago.]
En se prévalant d'une autorité proche des pleins
pouvoirs du temps de guerre, la Maison Blanche de Baby Bush a ordonné la censure
sur certaines informations sous prétexte de colmater des fuites de soi-disant
"secrets militaires". Les détails.
Durant un certain nombre d'années, l'Etat
du Michigan, à travers l'Université de l'Etat du Michigan, a possédé et géré
l'Institut Michiganais des Produits Biologiques. Ils avaient un contrat
d'exclusivité avec le Département de la Défense, afin (entre autres choses) de
développer et de produire un vaccin contre l'anthrax (connu en France sous le
nom de "maladie du charbon", il s'agit d'une maladie bactérienne non
contagieuse, Ndt). Un groupe étrange, mystérieux, a acheté cet institut d'Etat,
en 1998, l'entité privée prenant le nom de BioPort Corporation. Le Département
(Ministère) de la Défense est devenu son unique client.
"Cette acquisition
est en elle-même considérée par d'aucuns comme suspecte. 'La compagnie a acquis
l'Institut Michiganais des Produits Biologiques aux fins expresses d'en prendre
le contrôle, ce qui lui permettait d'acquérir un contrat lucratif avec l'armée',
a indiqué un expert en guerre biologique qui a demandé à ce que son nom ne soit
pas dévoilé, accusant la compagnie de 'PROFITS DE GUERRE'" (c'est nous qui
soulignons).
"Pourquoi le vaccin contre l'anthrax manque-t-il
?", par Kristen Philipkoski, Wirdenews, mis on-ligne le 10.10.2001. L'histoire
continue : "la FDA (Food and Drug Administration) a pincé à plusieurs reprises
BioPort, aux cours de diverses inspections, en 1999 et 2000, à cause de
contaminations et de changements frauduleux apportés à des dates de préemption.
L'agence (sanitaire) a interdit à cette compagnie de commercialiser l'un
quelconque des vaccins produits, à la suite de ces inspections". Nous avons
appris ensuite qu'un audit de l'inspecteur général du Pentagone, effectué sur
cette compagnie en Avril 2000, a établi que BioPort avait dépensé plusieurs
millions de dollars à des fins injustifiées, et payé des prestations fictives à
des "consultants".
Wirednews (agence d'information) a établi, ensuite que "le
vaccin contre l'anthrax faisait l'objet de controverses avant même d'être
l'objet d'une telle demande (comme actuellement, Ndt). Quelque 400 soldats ont
préféré être sanctionnés plutôt que se faire vacciner, à cause d'effets
secondaires indésirables dont certains avaient la réputation d'être très
sérieux."
Le conseil d'administration de BioPort incluait l'Amiral William J.
Crowe Jr, ancien secrétaire des Chefs d'Etat-Major Interarmées et ex-secrétaire
du Bureau de Conseil en matière de Renseignement, placé auprès du Président
américain. Crowe est membre du Conseil des Relations Etrangères (CFR : Council
on Foreign Relations), cénacle où règne en permanence une atmosphère de
conspiration, et secrétaire du groupe du Nouvel Ordre Mondial, Bureau des
Conseillers En chef pour les Options Globales (penser à
"globalisation-mondialisation", Ndt). Ce groupe comporte cinq autres membres du
CFR, tels l'ex-directeur de la CIA, R. James Woolsey. Les administrations de
Jimmy Carter, de Bush l'Ancien, de Bill Clinton et de Baby Bush étaient - est
encore (pour l'actuelle) - infestées de missi-dominici de ce CFR.
Les
actionnaires de la compagnie BioPort sont les suivants (pense-t-on) :
- Le Groupe Carlyle, qui inclut d'anciens membres
de cabinet de la Maison Blanche de Bush l'Ancien ainsi que d'autres monopoleurs
du pétrole, tels James A. Baker III, jadis Secrétaire d'Etat (= ministre des
affaires étrangères, je le rappelle, Ndt). D'aucuns avancent que Baker a
contribué à apporter les 40 millions de dollars issus d'un butin secret,
résultant du pillage de saisies de drogues, utilisé aux fins de corrompre les
Démocrates, en Floride, le but étant de les persuader d'arrêter le re-comptage
des bulletins de vote avant même que le "Gang des Cinq" de la Cour Suprême des
Etats-Unis ne rentre en scène pour imposer George W. Bush comme "occupant" et
"résident" ("légitime" ?) de la Maison Blanche... Les 40 millions de dollars
provenaient, dit-on de fonds résultant du trafic de drogue du Cartel
(américano-colombien) de Medellin, co-fondé par Carlos Lehder.
D'après
certains officiels (en activité et à la retraite) de l'administration de lutte
anti-drogue, qui n'ont pas la langue dans leur poche, Lehder est le partenaire
"number one" des affaires privées de la Famille Bush. Bien qu'extradé vers les
Etats-Unis, jugé et condamné à 55 ans d'emprisonnement aux Etats-Unis, ce Lehder
a disparu comme par enchantement des registres du Système Carcéral
Fédéral.
C'est Chandra Levy qui a révélé ces détails (croustillants).
(Consultez sur notre site web : "The Chandra Levy Affair", deuxième partie. Voir
aussi mes différents récits sur les élections présidentielles américaines de
l'an 2000 ). L'histoire de ce Carlos Lehder pourrait mettre certains membres de
la Famille Bush derrière les barreaux de quelques prisons fédérales et ce, pour
pas mal de temps...
Le Groupe Carlyle (dont le siège social est sis à
Washington) est spécialisé dans la prise de contrôle de sous-traitants en
difficulté dans les secteurs de l'aérospatiale et de la défense, et dans le
harcèlement - d'aucuns parlent de chantage - du Département de la Défense
américain, afin de lui extorquer des contrats. Un des investisseurs de ce Groupe
Carlyle n'est autre qu'un certain George Herbert Walker Bush. (C'est le nom
complet de George "Deubeuliou" Bush... Ndt). Bush l'Ancien avait été consultant
rémunéré par le Groupe Bin Laden, auquel il apportait une aide précieuse de par
son entregent à la CIA. Bush avait contribué à créer Osama bin Laden, soi-disant
"terroriste" acheté et payé par la CIA américaine, qualifié à l'origine de
"combattant de la liberté" lorsqu'il s'agissait de mener une guerre d'usure
contre les Soviétiques durant leur guerre prolongée en Afghanistan, qui dura de
1979 à 1989. La presse monopolistique allègue faussement qu'Osama est en
délicatesse avec sa amille, alors que celle-ci est soupçonnée de verser des
dizaines de millions de dollars à Osama par l'intermédiaire de banques telle
l'Algemene Bank Nederland, appelée aujourd'hui ABN-AMRO, par l'intermédiaire,
notamment, de son porte-coton américain, la banque La Salle National Bank, basée
à Chicago. [Nous mentionnons, au passage, avoir décelé que cette banque, La
Salle, tient aussi des comptes bancaires secrets pour acheter des juges de
divers Etats américains, ainsi que des juges fédéraux.] Afin d'éviter que leurs
petites histoires ultra-secrètes de liens avec Osama ne soient révélés, la
Maison Blanche de Baby Bush refuse tout simplement de geler de nombreux comptes
et transferts électroniques opérés par Osama, notamment à travers la banque
ABN-AMRO.
Le Groupe Carlyle, à son tour, est possédé et contrôlé par une
blanchisserie d'argent sale du Gouvernement Mondial, de réputation planétaire :
le Groupe Blackstone.
- Un autre actionnaire de BioPort Corporation est
le Groupe Bin Laden, de la famille duquel 24 membres ont été chassés des
Etats-Unis pour des raisons de "sécurité", par la police politique secrète, le
FBI, à la suite des attentats du 11 septembre dernier. Par l'intermédiaire de la
Banque Nationale du Commerce d'Arabie Saoudite, le Groupe Bin Laden continue,
dit-on, à envoyer des sommes énormes directement à Osama, ainsi qu'à des
intermédiaires, véritables "sacs à fric" saoudiens, qui sont néanmoins
anti-américains et soutiennent Osama bin Laden. (Subtilités de l'Orient ? Ndt)
- Le P.D.G. de BioPort, actionnaire assez
important, directement et comme prête-nom à des entreprises saoudiennes et
moyen-orientales, dont plusieurs sont réputées soutenir Osama bin Laden, est un
certain Fuad alHibri.
Faisant mine d'invoquer des mesures exceptionnelles
dans le cadre de l'urgence nationale, George W. Bush a ordonné à des sentinelles
de la Garde nationale de surveiller les locaux de BioPort à Lansing (Michigan).
Bush a donné l'ordre, sous prétexte d'assurer la "sécurité de la nation"que les
employés et les responsables de BioPort refusent tout contact avec des
reporters, des commentateurs et des chercheurs, au sujet de la composition du
capital de BioPort Corporation. Ceci, afin d'empêcher que des informations
concernant cette entreprise privée puissent être livrées au public. L'édit
présidentiel a été publié, calmement, juste avant le début des bombardements
américains en Afghanistan.
En dépit de ce black-out sur toute divulgation,
certains employés de BioPort, de vrais patriotes ceux-là, ont informé des
commentateurs à l'esprit indépendant de la composition supposée du capital de
BioPort et des détails de ses opérations (financières).
Dans le cadre de ce
qui est apparemment une opération de chantage contre la Maison Blanche de Baby
Bush, le Washington Post a commencé une enquête sur une partie de la composition
du capital et sur d'autres détails concernant les activités de BioPort, que nous
avons rappelées plus haut. Sommé de "la fermer" par George W. Bush en personne a
été, en particulier, le responsable de ce journal, un certain Bob Woodward.
Alors que ce Bob Woodward n'a pas d'expérience en matière de journalisme, ses
histoires sur Watergate et assimilés lui ont été remises sur un plateau d'argent
par les milieux des services secrets afin d'entraîner la destitution de Nixon,
pour haute trahison, ce qui est quand même plus propre que l'assassinat
politique. La formation d'espion de Woodward est mentionnée dans l'ouvrage
"Silent Coup" (Coup d'Etat silencieux) (voir sur mon site web : "Le dernier
grand Dragon du Washington Post" - "The Late Grand Dragon of the Washington
Post").
Dans une tentative ratée d'empêcher les médias de continuer à
l'interpeller au sujet de Watergate, Nixon avait menacé de poursuivre certaines
des plus grandes sources d'information au titre de violation de la loi contre
les ententes illicites (Anti-Trust). Il en va de même avec la Maison Blanche de
Baby Bush, qui veut dissuader les putes ("whores" dans le texte, excusez-moi,
Ndt) de la presse de poser les vraies questions sur le vaccin anti-anthrax et la
société BioPort, et qui brandit lui aussi, dans les coulisses, des menaces de
poursuivre les six "majors" de l'information au titre de contravention à la loi
sur les monopoles.
Etant elles-mêmes des adeptes du chantage, les majors de
la presse monopoliste ne sont pas très enclines à attirer le scandale sur la
Famille Bush à cause des manipulations exposées ici et d'autres, de même nature,
dans d'autres secteurs. La presse britannique, toutefois, a fait part de son
intérêt pour une enquête sur BioPort. Après tout, les British se lèchent les
babines à l'idée d'envoyer par le fond une présidence américaine fautrice de
guerre et très souvent criminelle, excellent moyen pour détruire la République
américaine. Depuis la guerre de 1812, les Brits ne se sont-ils pas juré d'en
quelque sorte récupérer notre Continent pour en faire une colonie à leur merci
et de réduire les soi-disant "Américains" à de simples sujets, dociles, de la
Couronne Britannique ?
[L'un des détails privés auxquels la Maison Blanche de
Baby Bush est prête à avoir recours afin de "clouer le bec" à Bob Woodward qui
en dit trop sur BioPort et l'affaire des Commissaires de l'anthrax est un sujet
qu'il n'est généralement pas recommandé d'utiliser en matière de scandale. Pour
d'aucuns, il s'agit en effet d'un sujet tabou, mais d'autres y voient un sujet
de plaisanterie ; c'est au choix. La première épouse de Woodward, autrefois
secrétaire d'un correspondant de presse attaché durant de nombreuses années à la
Maison Blanche, aurait divorcé de Woodward à cause de dispositions perverses de
celui-ci, dans la vie privée. Des journaleux grivois de certains magazines de la
presse de caniveau pourraient qualifier un tel (mauvais) mari de "rudoyeur
d'épouse". Que Bob Woodward soit un mari violent, ou non, peu importe. Ce qui
est sûr, c'est qu'il est vraisembablement un "reporter" véreux, que George W.
Bush n'aura aucune difficulté à attacher à la laisse préparée pour Woodward
Bob.]
Le Révérend Jesse Jackson participe lui
aussi, dit-on, aux affaires de BioPort
[Des cyniques se posent la
question de savoir si l'adresse de cette firme est bien raisonnable :
3500
N. Martin Luther King, Jr. Blvd., Lansing, Michigan 48906 ; tél. : (517)
327-1500, fax : (517) 327-1501)]. Quoi qu'il en soit, que ce soit le fait du
hasard ou pas, c'est l'adresse idéale. Maître-chanteur réputé et virtuose de
l'extorsion de fonds, le Révérend a réussi à se frayer un chemin en jouant des
coudes dans l'étrange marché de l'anthrax. Les simples citoyens étant interdits,
de par la loi fédérale, de s'immiscer dans la politique étrangère des
Etats-Unis, quelqu'un, à la Maison Blanche, a dû rappeler à Jesse de se tenir à
l'écart du problème de l'Afghanistan, dans lequel il avait pourtant essayé de
mettre le nez. S'arroger un rôle dans les affaires du monde est tout dans l'art
de ce sacré Jesse. [voir sur notre site : "L'affaire Jesse
Jackson".]
Fouiller dans le foutoir des Commissaires de l'Anthrax, tels le
Groupe Carlyle, le Groupe Blackstone, la Famille Bush, l'Amiral Crowe et autres,
pourrait rappeler bien des tragédies plus anciennes. Avant la formation de
BioPort, un soi-disant vaccin contre l'anthrax (appelons ça "substance
bizarroïde") avait été administré - sous la contrainte - aux hommes de l'armée
américaine (mais pas aux gros bonnets de l'Etat-major...), durant la guerre du
Golfe. Certains avancent que ce prétendu "vaccin" n'avait pas reçu
l'autorisation de la FDA (Food and Drug Administration) lorsqu'il fut administré
et qu'il serait, au moins en partie, responsable du syndrome de la Guerre du
Golfe. Sur un champ de bataille en grandeur réelle, l'Armée s'attend à des
pertes de l'ordre de vingt pour cent des hommes engagés. Ce sont près de 15 000
GI qui sont morts prématurément après la Guerre du Golfe, et quelque 85 000
autres sont gravement malades, certains dans un état désespéré, ainsi même que
leurs épouses, leurs enfants, (et jusqu'à leurs chiens et chats). Des 500 000
Américains qui ont servi lors de cette guerre, ceci signifie que les Etats-Unis
ont subi 100 000 pertes, ce que le Département de la Défense nie carrément ou
tente d'occulter, comme si la Guerre du Golfe avait été une guerre typique,
classique, à la mode de papy...
Au moment où j'écris ces lignes, nous
autres, les Américains ordinaires, sommes assaillis de déclarations des
dictateurs de Washington selon lesquelles une attaque "terroriste" à l'anthrax
nous pend au nez. S'agit-il simplement d'utiliser une peur incontrôlable afin de
faire la promotion du business des Commissaires de l'Anthrax, y compris la
Famille Bush ?
À suivre. Restez à l'écoute.
4. Le déclin et la chute de la gauche
israélienne par Ilan Pappé (mercredi 3 octobre 2001)
[traduit de l'anglais par Christian
Chantegrel]
Quiconque visitait l'académie israélienne au milieu des années 90 devait
sentir un vent frais d'ouverture et de pluralisme soufflant dans les couloirs
d'une institution jusqu'alors figée, douloureusement loyale à l'idéologie
sioniste dans tous les domaines de la recherche touchant à la réalité d'Israël,
passée ou présente. Cette atmosphère nouvelle a permis aux chercheurs de revoir
l'histoire de 1948, et d'admettre certaines des affirmations palestiniennes à
propos de la guerre. Elle a mis à jour certaines connaissances qui ont changé,
de façon spectaculaire, l'image historiographique des débuts d'Israël. Dans les
milieux de la nouvelle recherche, l'Israël d'avant 1967 n'était plus un petit
pays sur la défensive et le seul état démocratique du Moyen Orient ; il était
alors décrit comme une puissance qui opprimait sa minorité palestinienne,
discriminait ses citoyens juifs arabes et menait une politique d'agression
envers les états voisins de la région. La critique universitaire transcendait
les tours d'ivoire pour atteindre d'autre media, culturels comme le théâtre, le
cinéma, la littérature, la poésie, et même des documentaires télévisés ainsi que
des manuels du système scolaire officiel.
De nos jours, il faudrait au visiteur, beaucoup d'imagination et de
détermination, pour trouver la moindre trace de cette ouverture ou de ce
pluralisme parmi les principales conséquences ou, devrions-nous dire, victimes,
de la dernière Intifada en Israël. Le déclin de ce qui fut appelé un jour la
"gauche israélienne" a fait partie des répercussions immédiates de l'Intifada.
La "gauche" était la partie de l'opinion publique juive qui, à différents degrés
de conviction et d'honnêteté, défendait des positions pacifistes sur la question
de la Palestine. Depuis 1967, ses membres déclaraient être partisans du retrait
des territoires occupés ; ils acceptaient, aux côtés d'Israël, un état
palestinien, avec pour capitale Jérusalem-est, et ils parlaient de la nécessité
de garantir les droits civiques de la minorité palestinienne en Israël
même.
Nombreux sont ceux qui, dans ce groupe, à la veille de la présente
Intifada, ont confessé publiquement et en privé combien ils avaient eu tort de
faire confiance aux palestiniens et sans hésitation ont voté Sharon aux
élections de février (soit en votant directement pour lui, soit en bloquant une
troisième candidature à la place de Barak, qui lui, avait promis de se joindre
au gouvernement d'unité nationale de Sharon après les élections). Les principaux
"gourous" et dirigeants de ce groupe ont exprimé leur "déception" quant aux
citoyens palestiniens d'Israël -- avec qui, disent-ils, ils avaient conclu une
"alliance historique". Le boycott des élections de février 2001 par les
palestiniens israéliens, a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase de ce
"pacte historique."
La dessiccation de la scène israélienne, sur le plan culturel, intellectuel
et académique d'une part, et la disparition d'une voix politique morale qui
accepte au moins le droit palestinien à l'indépendance et l'égalité, sinon le
droit au retour, d'autre part, ont été deux processus simultanés et extrêmement
rapides. On aurait pu s'attendre à un lent processus de réflexion et de
déduction, surtout dans les cercles universitaires et intellectuels. Mais ce qui
s'est passé ressemble plutôt à une ruée frénétique, accompagnée de bruyants
soupirs de soulagement, pour se débarrasser des quelques minces couches de
démocratie, moralité et pluralisme qui avaient recouvert l'idéologie et les
pratiques sionistes au cours des ans. Le retrait hâtif de la terminologie
pacifique et morale du discours public et la disparition de toute vision
alternative éloignée du consensus sioniste sur la question palestinienne -- tout
met en lumière l'aspect superficiel du discours et la faiblesse du camp de la
paix israélien avant l'intifada.
Les analystes israéliens attribuent à un traumatisme authentique le
phénomène dont nous sommes témoins. L'origine du choc a été attribuée à trois
facteurs : l'insistance d'Arafat sur le droit au retour, le rejet par l'Autorité
Palestinienne des offres généreuses de Barak à Camp David et le soulèvement
violent. Mais ces explications ne sont pas valables, comme le reconnaîtrait
nombre de ceux qui les mettent en avant. Arafat n'a jamais renoncé au droit du
retour -- de fait, il ne le pouvait pas, même s'il avait désiré le faire. Il a
ouvertement et constamment insisté sur ce point depuis les accords d'Oslo. Quant
à la fable des offres généreuses faites à Camp David, il semble, comme Shlomo
Ben Ami et Yossi Beilin l'ont admis récemment, que de telles offres n'aient été
faites qu'à Taba, et encore, du bout des lèvres, puisque toutes les parties
concernées savaient que Barak était "plombé" et n'avait aucun pouvoir pour les
appliquer. De plus, de nombreux israéliens "de gauche" ayant lu les rapports
américains sur Camp David, traduits en hébreu dans le journal Haaretz, savaient
qu'à Camp David on a présenté à Arafat un dictat qu'il ne pouvait accepter en
aucun cas. Les a-t-il réellement déçus par son incapacité à s'opposer, dans les
territoires occupés, à la colère populaire due à l'impasse dans laquelle les
deux parties avaient été acculées, et qui, pour les palestiniens signifiait la
continuation de l'occupation ?
Les grands prophètes de ce camp, A B Yehoshua et Amos Oz, ont averti
longtemps avant le soulèvement que si la paix n'aboutissait pas à Camp David,
alors la guerre s'installerait. Il n'y a pas eu d'élément de surprise ; les
références à une déception viennent du fait que les gens de gauche se sont
empressés de rejoindre le centre ou la droite, où ils ont été reçus à bras
ouverts comme des enfants égarés revenant d'un long exil, avant même de se
donner le temps d'examiner le déroulement des faits.
Il apparaît maintenant que ceux qui, comme l'auteur de cet article, avaient
signalé que les accord d'Oslo n'étaient rien de plus qu'un arrangement politique
et militaire visant à remplacer l'occupation israélienne par une autre forme de
contrôle, avaient raison.
Oslo n'a apporté aucun changement significatif dans
les interprétations israéliennes (de gauche et de droite) du passé, du présent
et du futur de la Palestine. Aux vues de la gauche comme de la droite, la
majeure partie de la Palestine revenait à Israël et il n'y avait pas de droit au
retour -- tout l'unique espoir de survie des juifs résidait dans un état
sioniste, sur la plus grande partie possible de la Palestine, avec aussi peu que
possible de palestiniens. La discussion se situait au niveau de la tactique, pas
des buts. La tactique "modérée" a été présentée aux palestiniens à Oslo comme
une proposition "à prendre ou à laisser", en échange de quoi les palestiniens
étaient supposés abandonner toute velléité de revendication supplémentaire. Cela
n'a pas marché. Pour un temps, on a pu croire que cela fonctionnait, étant
données l'implication importante du président Clinton, les impressions données
par les dirigeants palestiniens qu'ils s'agissait bien d'un processus de paix,
enfin la somnolence du monde arabe. Israël a récolté les dividendes sans rien
payer en retour.
Le "camp de la paix" en Israël avait des ennemis : ceux qui, à droite, et
particulièrement les colons, trouvaient même cette tentative superflue. Au nom
de dieu et de la nation, ils préféraient utiliser la force brutale pour imposer
la réalité sioniste à toute la Palestine. Du fait de ces opposants et de leur
violence, le camp d'Oslo a eu son martyr (Yitzhak Rabin) ; fort de ses victimes,
ses partisans ont été convaincus qu'ils se battaient pour la paix. En fait, ce
pourquoi ils se battaient était la création d'un Bantoustan, un protectorat sur
la plus grande partie de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. En retour, ils
ont voulu obtenir des palestiniens une déclaration de "fin du conflit". Tout
cela n'a pas exigé une réaffirmation du rôle et de la responsabilité d'Israël
dans le nettoyage ethnique opéré en 1948, ni une révision des politiques de
terreur dans les territoires occupés, ni la remise en question de son refus
d'accorder aux palestiniens un état pleinement souverain sur au moins 22% de la
Palestine (la Cisjordanie et la bande de Gaza dans leur totalité).
Cela a aussi donné l'illusion que la gauche israélienne avait obtenu la
"sionisation" de la minorité palestinienne en Israël, comme faisant partie de
l'accord global. Il a fallu du temps à la minorité palestinienne et à ses
dirigeants pour comprendre qu'un plan de paix final impliquait la continuation,
sinon l'aggravation, des politiques et pratiques discriminatoires contre la
minorité dans l'état juif. De même que les palestiniens à Camp David ont été
poussés à accepter "la mère de toutes les conciliations" -- ce qui signifiait ne
plus avoir aucune demande dans le futur -- les palestiniens citoyens d'Israël
devaient abandonner toute aspiration à transformer Israël en un état pour tous
ses citoyens ainsi que tout espoir de le "dé-sioniser."
Quand l'Intifada a éclaté dans les territoires occupés et dans la
communauté palestinienne à l'intérieur d'Israël, on a pu voir les limites très
étroites du camp juif véritablement pour la paix. Il avait toujours été
restreint, mais avec l'aide des media internationaux, du discours de paix
américain et du fanatisme de la droite israélienne, il avait semblé assez
important pour justifier des espoirs d'une solution juste et complète pour tout
le Moyen Orient.
Cette illusion a fait long feu. Maintenant, le temps est venu d'évaluer à
nouveau, de façon beaucoup plus sobre et réaliste, comment le camp véritable de
la paix dans la société juive peut se regrouper et avoir un impact sur la
question palestinienne. Il devrait permettre aux rares personnes engagées de
parler plus ouvertement de leur soutien à la lutte palestinienne pour
l'indépendance -- même si, de nos jours, un pareil soutien passe pour de la
trahison aux yeux de la plupart des israéliens. Il devrait énoncer ouvertement
la nécessaire dé-sionisation d'Israël comme seul moyen d'arriver à la paix et à
la réconciliation avec le peuple palestinien. Il devrait non seulement soutenir
le droit au retour des palestiniens, mais aussi proposer des moyens pratiques de
le mettre en oeuvre. Il devrait abandonner les dissensions et disputes mesquines
qui caractérisent les mouvements de gauche, et réaliser que la tache principale
est d'empêcher les israéliens de faire un massacre, à la fois chez les
palestiniens des territoires occupés et chez ceux qui vivent en Israël. Enfin,
il devrait produire et publier de nouvelles idées audacieuses sur comment
construire, dans le futur, une structure politique pour une situation qui rend
inadaptée l'idée de deux états, étant donnée la distribution démographique des
palestiniens et des juifs entre le Jourdain et la Méditerranée. Ces nouvelles
structures pourraient prendre la forme d'un état bi-national, ou séculier
démocratique, ou quelque chose dans ce genre.
Tout ceci peut se révéler trop difficile, mais chacune des propositions
ci-dessus est une priorité et la tache de convaincre autant de juifs que
possible à suivre de telles directions, à la fois pour des raisons
fonctionnelles et morales, peut être accomplie uniquement de l'intérieur de la
communauté juive. L'urgence d'écarter certains risques est telle que, en
attendant, la gauche israélienne non sioniste devrait pousser la communauté
internationale à intervenir pour protéger du danger l'existence des
palestiniens, dans les territoires occupés et dans Israël. Pour le moment, ce
groupe, malgré toute sa bonne volonté, n'a pas le pouvoir d'agir
ainsi.
5. Interdiction à Kol Israel de diffuser des
interviews en direct de leaders palestiniens
Communiqué de Reporters
sans frontières - www.rsf.org23 octobre 2001 - Dans une lettre adressée au
ministre Raanan Cohen, Reporters sans frontières (RSF) a protesté contre
l'interdiction faite à la radio Kol Israel de diffuser des interviews en direct
de militants palestiniens. "En ces temps d'escalade de la violence, les
auditeurs israéliens et palestiniens devraient avoir accès à une information
plurielle", a déclaré Robert Ménard, secrétaire général de l'organisation. "Nous
craignons que cette mesure n'entraîne une reprise en main, par l'Etat, de la
ligne éditoriale de la radio. Nous vous demandons la levée de cette directive",
a-t-il ajouté.
Selon les informations recueillies par RSF, le 22 octobre
2001, Raanan Cohen, ministre en charge de la loi sur la radiodiffusion, a
adressé une lettre aux directeurs de la radio d'Etat Kol Israel, leur demandant
de ne plus diffuser en direct les interviews de militants palestiniens. Il leur
a rappelé les règles en vigueur, qui interdisent l'usage de la radio d'Etat pour
servir la propagande ennemie. Cette directive est intervenue après la diffusion
dimanche d'un entretien en direct avec Hussein al Sheikh, un des responsables
palestinien en Cisjordanie. Lors d'une réunion du Cabinet ministériel, la
ministre de l'Education Limor Livnat, mentionnant l'interview avec Hussein al
Sheikh, s'était plainte que la radio "lui ait donné l'opportunité de répandre
ses mensonges".
Revue de presse
1. Leïla Shahid : "Rien ne justifie le
silence de la communauté internationale"
in Le Monde du vendredi 26
octobre 2001
"Rien en justifie le silence de la communauté
internationale", a affirmé, mercredi soir 24 octobre, la déléguée générale de
Palestine en France, Leïla Shahid, sur RFI, commentant l'une des journées les
plus sanglantes dans les territoires palestiniens depuis le début de l'Intifada.
"C'est la troisième fois que les Américains demandent un retrait israélien des
territoires palestiniens. (…) Est-ce qu'on va continuer ainsi, ou la communauté
internationale va-t-elle assumer ses responsabilités pour assurer une protection
à la population palestinienne!", s'est-elle exclamée.
"Il faut faire très
vite. (…) Ce qui s'est passé aujourd'hui est très très grave. (…) Il ne faut
plus faire de déclarations, il faut aujourd'hui assurer une sécurité, une
protection à la population" palestinienne, a ajouté MmeShahid.
Selon
elle, "la responsabilité incombe en particulier au Conseil de sécurité qui a le
devoir d'envoyer des forces de protection", et la communauté internationale "ne
doit pas accepter le terrorisme d'Etat d'Ariel Sharon", premier ministre
israélien, qu'elle a qualifié de "criminel de guerre".
"COMPLICE D'ARIEL
SHARON"
Elle a affirmé que "si la communauté internationale continue de
traiter la population palestinienne comme si elle était de la chair à canon,
sans droit à la protection et à la justice, on va tomber dans le jeu de Ben
Laden. Et le monde arabe et musulman tout entier aura l'impression qu'il n'y a
pas d'autre moyen que d'avoir recours aux plus extrémistes".
"Par son
incapacité d'assurer une protection à la population civile palestinienne, la
communauté internationale devient complice d'Ariel Sharon", a-t-elle d'autre
part déclaré à l'AFP.
"Dans ces massacres de Palestiniens, a-t-elle
poursuivi, il y a une tentative d'obliger l'Autorité palestinienne de casser le
cessez-le-feu qu'elle essaie de maintenir avec beaucoup d'efforts depuis le 11
septembre, et de créer ainsi une situation de guerre qui sabotera la coalition
internationale qui lutte contre le terrorisme." Mme Shahid s'est également
interrogée sur le silence du "monde chrétien alors que Bethléem a été
bombardée". "A part le pape, on n'a pas l'impression d'avoir entendu le reste du
monde chrétien", a-t-elle dit.
2. La France demande ''l'arrêt immédiat'' des incursions
israéliennes en Cisjordanie
Dépêche de l'agence Associated Press du
jeudi 25 octobre 2001, 14h45
PARIS - Les actions militaires
israéliennes en Cisjordanie ''doivent cesser'', a déclaré jeudi le porte-parole
du Quai d'Orsay, François Rivasseau, considérant que, par ces incursions, Tsahal
viole le droit humanitaire international.
Le ministère français des Affaires
étrangères a marqué sa ''vive préoccupation pour la situation des populations
palestiniennes placées depuis six jours dans une situation intolérable de siège
militaire, en violation des dispositions du droit humanitaire international.''
Il a notamment dénoncé les tirs de chars israéliens auxquels a été exposé un
hôpital de Bethléem.
''Une protestation a été élevée auprès de l'ambassadeur
d'Israël'' jeudi matin, a ajouté François Rivasseau.
Une quinzaine de
Palestiniens ont trouvé la mort depuis mercredi lors des affrontements qui ont
suivi les incursions israéliennes dans les territoires autonomes.
3. Les tanks... et un appel téléphonique à trois
heures du matin par Amira Hass
in Ha'Aretz (quotidien israéllien)
du jeudi 25 octobre 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Un correspondant, au téléphone, en
pleine nuit, très agité, annonce à Amira Hass que son village est en train
d'être attaqué par les Forces israéliennes de défense, que des gens ont été
abattus et que personne n'est autorisé à approcher des blessés. Un nouvel
article dans une série de reportages, depuis El
Bireh.
Les tanks se sont chargés de jouer le rôle de
réveils-matin aux environs de 3 heures. Pour une raison inconnue, à en juger à
l'oreille, hier, il y en avait plus que d'habitude. Ils ont fait le tour du
quartier, leurs tourelles inspectant le moindre recoin. C'était peut-être une
question de relève, allez savoir ? Ou bien alors, ils partaient - après tout,
hier, les informations ont bien indiqué qu'il y avait eu une sorte de pression
américaine, non ?... Serait-ce l'explication de l'augmentation du trafic
?
La sonnerie du téléphone, à environ 3 heures et
quart du matin, était presque rendue inaudible par le vacarme venu de la rue.
C'était A., qui m'appelait de Beit Rima, si perturbé qu'il en oublia de
s'excuser pour cette heure indue : "les Forces israéliennes de défense sont en
train d'attaquer notre village, il est situé à l'est de la colonie d'Halamish.
C'est en zone A. Le village voisin, Nabi Salah, est déjà en zone B..." Mon
correspondant pouvait juste me dire qu'ils avaient attaqué et investi le poste
de police local, et qu'ils s'apprêtaient à arrêter des gens.
Il parle à toute
vitesse, et me fait part de son angoisse : "Ils ont pris mon frère, G., pour
escorter les soldats qui procèdent aux arrestations : ils s'en servent de
bouclier humain." Comment le savez-vous ? "Ils ont fait irruption chez nous, ils
m'ont donné l'ordre de venir avec eux... ils ont vu que j'étais pieds nus. Mon
frère avait ses chaussures, alors ils ont immédiatement changé d'idée et c'est à
lui qu'ils ont donné l'ordre de les suivre, sans même lui demander sa carte
d'identité. Ils ont besoin que quelqu'un vienne avec eux pour qu'on ne leur tire
pas dessus lors de leurs déplacements".
Son frère est infirmier, il travaille
dans un hôpital de Jérusalem. A., lui, travaille dans un bureau, à Ramallah.
Depuis que les quartiers d'AlBaloua et AlArsal ont été occupés, ils n'ont pu
quitter leur village pour aller à Ramallah, la grande ville de la région, il en
va de même pour les habitants de trente cinq autres villages. Jusqu'à il y a une
semaine - cela duret depuis un an - ils persévéraient, il continuaient à aller à
leur travail par des routes étroites et tortueuses. Ils devaient changer de taxi
une fois, parfois deux, et aussi parcourir deux ou trois kilomètres à pied.
Actuellement, le village de Sudra - le seul passage resté franchissable - est
bloqué, à cause de la prise du faubourg d'AlBaloua et du couvre-feu.
Un peu
avant 7 heures du matin, A. me rappelle : son frère, G., n'est pas encore
rentré." Des gens sont coincés chez eux et je ne sais pas ce qui se passe, mais
il se dit qu'il y a eu plusieurs blessés du fait des tirs des Forces
israéliennes de défense (Israel Defence Forces = IDF). Ils ont tiré depuis des
hélicoptères et des tanks", me dit-il. "On dit que le bâtiment de la police a
été démoli. L'IDF ne laisse pas les équipes médicales approcher des blessés qui
se vident de leur sang. Le nombre de blessés et la gravité de leurs blessures ne
sont pas connus", me dit A. Quand tout le monde est séquestré chez soi, les
rumeurs se répandent.
Le Dr. Bassam Rimawi, directeur au Ministère
palestinien de la Santé et résidant à Beit Rima confirme à notre journal
(Ha'Aretz) qu'il a tenté de quitter son domicile pour se rendre là où il pensait
qu'il pouvait y avoir des blessés et qu'une unité des IDF l'en a empêché. Il a
rapporté également que deux ambulances avaient dû attendre durant trois heures
(depuis quatre heures du matin) aux deux entrées du village et qu'on ne les
autorisait (toujours) pas à y pénétrer.
Une ambulance, qui avait emprunté une
route détournée depuis Salfit, était restée bloquée à l'entrée du village de
Nabi Salah, qui jouxte (la colonie) d'Halamish. Une seconde ambulance qui était
arrivée d'ElBireh et avait elle aussi pris une route détournée (à cause des
barrages sur les routes) était retenue près du village de Kafr Ein, au nord.
Certains disaient qu'il y avait quatre blessés, d'autres qu'ils étaient plus
nombreux. Certains disaient que deux des blessés étaient morts. C'est très
difficile de le savoir, puisque la permission de se rendre auprès d'eux est
refusée.
Le Dr. Mustafa Barghouhi, directeur des Comités du Secours Médical -
large réseau de cliniques palestiniennes non-gouvernementales - a téléphoné à
des membres de l'Association des Médecins pour les Droits de l'Homme, tôt ce
matin. Quand une association israélienne intervient, l'armée prête un peu plus
l'oreille. L'information est aussi parvenue à l'avocate générale Tamar Peleg, du
Centre Hamoked pour la défense des Personnes. Elle téléphone au vice-conseiller
juridique des IDF en Cisjordanie.
Aux environs de 8 heures du matin, les
médecins militaires (israéliens) seraient en train de soigner les blessés, selon
une information reçue du côté israélien. A en croire une autre source
d'informations, le Dr. Rimawi devait accompagner des gens du bureau du
Coordinateur des Activités dans les Territoires et rechercher les blessés.
Finalement, il s'avère que ce n'est qu'aux environs de huit heures du matin que
les médecins militaires sont effectivement arrivés (sur les lieux) et que les
ambulances palestiniennes ont reçu l'autorisation de poursuivre leur chemin
jusqu'aux blessés. Le Dr. Barghouthi a fait état d'une personne blessée à la
poitrine, que l'on a laissée perdre son sang durant cinq heures...
Y a-t-il
eu réellement combat ? A. Pense que les Palestiniens, bien qu'armés, n'ont pas
eu la possibilité de se battre : il y a eu des tirs contre les soldats
israéliens et ces tirs ont été réduits au silence par un mitraillage massif. Les
gens du village ont fait état d'un grand nombre d'arrestations, notamment celle
d'un garçon de 14-15 ans dont l'oncle était apparemment actif au FPLP (Front
Populaire de Libération de la Palestine). Des membres du Front Populaire et du
Fatah ont été arrêtés. Il a été dit à la radio qu'un membre des forces de
sécurité préventives (palestiniennes) avait été arrêté, également.
Les
méthodes utilisées pour faire respecter le couvre-feu à AlBaloua semblent
efficaces. Dès huit heures du matin, on rappelle à la population qu'il y a
couvre-feu, à la différence de ce qui se passait les premiers jours. Les tanks
passent dans les rues plus rapidement que les premiers jours et les gens sont
écartés du chemin sans ménagements. Le haut-parleur annonçant le couvre-feu est
plus puissant, la voix est plus pressante et répète l'annonce à plusieurs
reprises : "partez! partez!" répète-t-elle de manière insistante aux
gens.
Les tanks et les habitants "jouent" au chat et à la souris; Quand
un tank se profile, les gens disparaissent. Quand le tank s'éloigne, ils
s'emparent de la rue à nouveau. Il y a de moins en moins de taxis qui tentent
leur chance et tous partent du haut du coteau. Des piétons, de plus en plus
nombreux, escaladent la colline pour rejoindre le barrage routier suivant : un
tas de terre, au milieu de la route non goudronnée, juste au nord de Baloua. A
partir de là, ils prennent un sentier à flanc de colline et prennent les taxis
pour Jalazun. A environ 300 mètres plus à l'est, il y a l'ancienne route
goudronnée qui reliait Ramallah à Jalazun et les villages de Jifna, Dura, AlKara
et Ein Yabrud. Cette route longe la colonie de BeitEl. Pour la sécurité des
résidents de cette colonie, elle est interdite aux Palestiniens.
En tout,
cela fait une distance d'un kilomètre et demi à parcourir à pied, en forte
pente, entre la ligne de crête séparant la "partie libérée" de la "partie
occupée" d'AlBaloua et le barrage de terre. Il y a en permanence des caravanes
de piétons. De jeunes hommes au pas agile, de jeunes femmes marchant en groupes,
des enfants qui leur dament le pion à tous et aussi des personnes âgées.
Certains, le dos courbé, s'appuient sur une canne, d'autres sont aidés par des
jeunes plus attentionnés que d'autres. Ainsi de cette femme de Jalazun, âgée de
près de soixante dix ans, vêtue de son costume villageois traditionnel, qui a
escaladé pendant une demie heures les murettes des jardins en terrasses
(véritable monument commémoratif du passé agricole de la région) sur un tiers du
chemin à faire pour atteindre le sommet de la colline escarpée, où l'on trouve
la première route goudronnée. Deux jeunes gens la soutenaient, portaient ses
bagages et grimpaient en sa compagnie. Arrivée en haut, elle s'affala sur le
bord de la route, couverte de sueur, ayant de la difficulté à reprendre son
souffle.
Une voiture individuelle, venue du voisinage, décida de défier le
couvre-feu et prit à bord cette femme et ces deux jeunes gens : ils devront à
nouveau l'aider à franchir à pied les deux cent mètres restants, que l'on ne
peut parcourir en voiture, entre la piste et le tas de terre, puis ils seront
encore là pour l'aider à prendre un taxi... La dame s'affala sur la banquette et
se mit à sangloter, sans un mot.
4. Sanglant huis-clos en
Cisjordanie par Alexandra Schwartzbrod
in Libération du jeudi 25 octobre
2001
Au moins six Palestiniens tués à Beit Rima, malgré l'exigence de
Washington d'un retrait des territoires.
Sourda, Bir Zeit,
Ramallah
Envoyée spéciale
Ces cailloux
partout: petits sur les collines de ce coin de Cisjordanie truffé de colonies
juives, énormes en travers des chaussées pour bloquer les accès aux localités
palestiniennes. Et des chars tapis au creux des vallées, glissant lourdement sur
les chemins de pierre dans des nuages de poussière, indifférents aux hommes et
aux femmes qui marchent, inlassablement, d'un check point à un autre, sacs de
provisions à la main.
Angoisse. Hier, Beit Rima était plus que jamais coupé
du monde. Déclaré "zone militaire fermée" par Tsahal, ce village palestinien des
environs de Ramallah comptait silencieusement ses morts, interdit d'images,
interdit de paroles. Au moins six Palestiniens y ont été tués dans la nuit par
l'armée israélienne, qui y traquait les assassins de Rehavam Zeevi, le ministre
israélien du Tourisme, tué la semaine dernière par un commando du Front
populaire de libération de la Palestine (FPLP).
Au moins six mais peut-être
plus, nul ne le sait. Pour la première fois depuis très longtemps, ambulanciers
et journalistes se sont vu refuser hier l'accès à une zone de combat, Beit Rima.
"Ce sont les ordres, personne ne passe", déclaraient obstinément les jeunes
soldats israéliens postés derrière les barrages de pierre ou de ciment.
Pourquoi? "Pour des raisons de sécurité et des choix opérationnels", affirmait
hier soir le porte-parole de l'armée, en précisant que l'"opération" était
toujours en cours. Les ambulances bloquées aux barrages? "Pour des raisons de
sécurité aussi", maintenait-il. De quoi alimenter l'angoisse des Palestiniens,
qui, tout au long de la journée, ont crié au massacre.
"Des atrocités ont
été commises là-bas cette nuit. Mais nous n'en connaissons pas encore l'ampleur.
Les Israéliens empêchent nos ambulances d'y aller", s'indigne Younes el-Khatib,
président de la société palestinienne du Croissant-Rouge, debout devant le check
point d'Atara, qui bloque l'accès au village. Les ambulances palestiniennes ont
pu récupérer des corps, mais ils leur ont été livrés au check point, comme des
bidons d'eau, ainsi que deux Palestiniens sérieusement blessés, envoyés à
l'hôpital de Ramallah.
Grande ampleur. Il était un peu plus de 2 heures du
matin quand de très nombreux soldats israéliens (plusieurs centaines selon les
habitants) ont envahi Beit Rima, une localité de 4 000 âmes en zone
palestinienne, appuyés par des chars et des hélicoptères, détruisant des maisons
et terrorisant la population. Une attaque de grande ampleur organisée, selon
l'armée israélienne, "sur la base de renseignements faisant état de la présence
de nombreux terroristes". Selon des habitants, les victimes auraient été
abattues, certaines par des hélicoptères d'assaut, alors qu'elles tentaient de
fuir le village. Une dizaine de personnes auraient été arrêtées, et l'armée
israélienne affirme que deux d'entre eux font partie du commando qui a tué
Rehavam Zeevi.
"Les Israéliens sont des menteurs!", nous a affirmé hier
soir, dans ses bureaux de Ramallah, Jibril Rajoub, le chef de la sécurité
préventive de la Cisjordanie. "Ils n'ont arrêté personne qui ait la moindre
connexion avec le meurtre de Zeevi, ils essaient juste de justifier leur
massacre." Comment peut-il être si sûr que les assassins de Rehavam Zeevi ne
figurent pas parmi les hommes arrêtés? Il soulève quelques papiers. "Parce qu'on
a leurs noms. Deux ont été arrêtés la semaine dernière, les deux autres n'ont
toujours pas été trouvés." L'oreille collée à une vieille radio, Jibril Rajoub
martèle: "L'Autorité palestinienne a déclaré hors la loi la branche militaire du
FPLP. Si nous retrouvons les meurtriers manquants, nous les arrêterons et nous
les jugerons. Ils ont fait beaucoup de mal à la cause palestinienne en
assassinant Zeevi. Mais jamais nous ne les extraderons en Israël. Jamais!"
"Une seule option". Après que George Bush, mardi soir, a personnellement
demandé à Israël de se retirer des territoires, l'armée israélienne a donc tué,
dans la seule journée d'hier, au moins onze Palestiniens dans toute la
Cisjordanie: au moins six à Beit Rima, trois à Tulkarem, un à Bethléem, un près
de Jérusalem-Est. Et les soldats ne sont pas les seuls à tirer. Près d'Hébron,
dans le sud de la Cisjordanie, six Palestiniens qui se trouvaient dans un taxi
collectif ont été blessés par balles par des colons juifs. "Ariel Sharon se
moque de tout le monde: George Bush, les Européens, la Russie. Cela montre bien
qu'il n'a qu'une seule option: la guerre", analyse Rajoub.
A Jérusalem,
Sharon a justifié ces opérations militaires en affirmant devant la Knesset que
l'armée avait procédé dans la nuit à "des arrestations très importantes qui vont
influer sur la capacité des organisations terroristes de continuer à nous
attaquer". Il a réaffirmé qu'il n'avait "aucune intention" de maintenir l'armée
israélienne dans ces zones autonomes palestiniennes, mais n'a pas précisé quand
elle les quitterait. Selon un sondage publié hier par le Yedioth Aharonot, près
de sept Israéliens sur dix se prononcent contre un retrait de Tsahal des
territoires palestiniens.
5. On est en train de nous ré-occuper par Mustafa
Barghouthi
in The Guardian (quotidien britanique) du mardi 23 octobre
2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
(Mustafa Barghouthi est le
président de l'Union des Comités de Secours Médical Palestinien. Il a été
délégué de Palestine à la Conférence de paix de Madrid.)
Le
gouvernement d'Ariel Sharon a fini par dévoiler sa véritable nature de cabinet
de guerre. Depuis son élection, nous autres, en Palestine, nous n'avons eu de
cesse de mettre en garde sur son comportement violent et agressif et nous avons
redouté qu'il ne se déchaîne contre les Palestiniens et contre les Israéliens.
Maintenant, ses véritables intentions - détruire un processus de paix auquel il
n'a jamais adhéré - sont démasquées.
Sharon utilise la situation
internationale actuelle afin de porter atteinte de manière irréparable au
travail accompli au cours des dix années écoulées, qui avait pourtant amené les
peuples israélien et palestinien plus près d'une solution de paix qu'ils ne
l'avaient jamais été auparavant. Le Sharon qui a déclaré, après l'assassinat du
ministre israélien (du tourisme) Rehavam Ze'evi qu'"à partir d'aujourd'hui, plus
rien ne sera comme avant", est le même qui a supervisé, au cours des quatre
derniers jours, une incursion militaire israélienne sur les communes de
Ramallah, Jenin, Bethlehem, Beit Jala, Beit Sahour, Qalqiliya et Tulkarem. Au
même moment, des tanks et des troupes sont concentrés aux limites d'autres
villes, dont Naplouse et Hébron.
Ainsi a débuté la ré-occupation progressive
des régions palestiniennes par l'armée israélienne, étendant l'occupation
israélienne à l'intérieur même des ridicules 18% de la Cisjordanie et de Gaza
sous contrôle de l'Autorité palestinienne. Ce sont d'ores et déjà 26 personnes
qui ont perdu la vie durant ces invasions israéliennes, dont Riham Abu Ward, une
fillette de onze ans, de Jenin, qui a été tuée par un tir israélien, alors
qu'elle était en classe. Et ce sont environ deux cent cinquante personnes qui
ont été blessées.
En ré-occupant, Sharon semble espérer balayer l'Autorité
palestinienne et détruire l'entité politique représentative du peuple
palestinien, tout en anéantissant la volonté des Palestiniens de résister à
l'occupation. Ces incursions détruisent aussi des habitations, des écoles, des
bâtiments, des routes - c'est-à-dire : l'infrastructure développée depuis les
accords d'Oslo.
Ce faisant, le potentiel d'un Etat palestinien futur est en
train d'être détruit, lui aussi, et avec ce potentiel, la potentialité d'une
paix et d'une coexistence. Et, en dépit de l'horreur ressentie par les
Israéliens à l'assassinat de leur propre ministre du tourisme, le gouvernement
Sharon continue à recourir aux assassinats ("ciblés"). Au cours des huit
derniers mois, 63 Palestiniens ont été tués dans le cadre de cette politique
israélienne d'éliminations ('extra-judiciaires'), au nombre desquels on notera
22 passants ('dommages collatéraux'), dont trois sont morts dans les douze
heures consécutives à l'assassinat de Ze'evi.
Les dernières quarante-huit
heures ont été le théâtre d'une détérioration dangereuse de la situation
humanitaire dans les villes palestiniennes de Beit Jala, Bethlehem et Ramallah.
Des milliers d'habitants sont sous couvre-feu, pour la cinquième journée
consécutive aujourd'hui. Ils ne peuvent se procurer ni soins médicaux, ni
médicaments, ni aliments, ni lait pour leurs enfants.
Les tirs de l'armée
israélienne sont aléatoires. Hier, Issa Khalil a été atteint en pleine poitrine
alors qu'il se trouvait devant l'Hôpital Hussein à Beit Jala, tandis que Johnny
Thaljiyéh était tué par des soldats israéliens sur la Place de la Crèche (Manger
Square), à Bethlehem.
Au lieu d'oeuvrer, comme l'exige la communauté
internationale, à la résolution du problème israélo-palestinien, Sharon fait
tout pour rendre la situation de plus en plus périlleuse. Shimon Pérès a promis
que l'armée ne resterait pas dans les faubourgs récemment ré-occupés. Mais c'est
exactement la même promesse que Moshe Dayan avait faite, en 1967, et cela fait
plus de 34 ans (que l'on attend sa mise en actes). Résultat : l'occupation
israélienne est en passe de battre les records mondiaux de durée d'une
occupation militaire dans l'histoire moderne.
Nous ne pouvons ignorer les
parallèles historiques. En 1982, une tentative d'assassinat sur la personne de
l'ambassadeur d'Israël à Londres avait servi de prétexte à l'invasion
israélienne du Liban, Sharon (encore lui) étant ministre de la défense. La
"simple" invasion du Liban a fait plus de 20 000 morts. Jusqu'à ce que l'armée
israélienne se retire (du Liban), l'année dernière, des milliers d'autres
victimes ont perdu la vie du fait de cette occupation, et l'histoire d'Israël a
été entachée à jamais des massacres commis à Sabra et à Shatila. Ni les
Israéliens, ni les Palestiniens, ne peuvent s'offrir le luxe d'une répétition de
telles bévues.
Pas plus que Sharon ne doit s'autoriser à penser qu'il peut se
permettre de défier l'Histoire. Les aventures coloniales ont toutes fini par
être condamnées, les peuples occupés ayant tous mené une guerre de libération.
En Algérie, il en a coûté un million de vies humaines, mais l'indépendance a
fini par être arrachée par les Algériens. Le gouvernement et le peuple
israéliens doivent se rappeler que les actes de revanche et de rétorsion -
considérés par Sharon comme des "solutions" du problème - ne font qu'augmenter
le péril pour nous tous. Ces actes ne font que masquer la vraie raison pour
laquelle nous sommes suspendus au-dessus de l'abîme : l'occupation par Israël de
la plus grande partie de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Ce n'est qu'en
s'attaquant à la résolution de ce problème fondamental que nous pourrons ménager
la voie vers un avenir exempt des horreurs de ce jour.
6. Dans la ville autonome de
Jénine, le blocus se précise et gagne en sophistication par Gilles
Paris
in Le Monde du mardi 23 octobre 2001
JÉNINE de notre envoyé
spécial
Le blindé israélien contourne à vive allure une plantation
d'oliviers, soulevant les tourbillons de poussière. Il stoppe devant l'entrée
nord de la ville autonome de Jénine. Un camion militaire vient d'acheminer sur
place la relève, qui patiente devant les monceaux de terre amassés par un
bulldozer. Une grue assemble des structures de béton destinées à abriter un
nouveau check-point israélien.
Le blocus se
prolonge et gagne en sophistication. Pas une voiture et pas un piéton ne se
hasardent sur les cinq cents mètres qui séparent la position israélienne du
coude derrière lequel disparaît la route, en direction du centre-ville. Plus
loin, la position palestinienne est déserte. Ses occupants se sont repliés à
l'ombre d'une bâtisse. Quelques soldats armés de kalachnikov et aux uniformes
fatigués. Rien qui ne puisse faire obstacle à une entrée des Israéliens dans la
zone autonome palestinienne.
Le centre de Jénine, en Cisjordanie, se devine
derrière les collines, deux kilomètres environ plus loin. Il ne laisse pourtant
rien transparaître de la situation. Les magasins accueillent leur lot de
chalands et l'activité de la gare routière fait oublier le blocus, même si les
véhicules qui parviennent à se jouer du bouclage, en serpentant dans les plis du
relief, restent rares. L'entrée sud de la ville garde d'ailleurs la trace de la
dernière incursion israélienne, au lendemain du 11 septembre. Deux larges et
profondes tranchées coupent la route de Naplouse, sanction dérisoire contre la
"capitale" des kamikazes palestiniens qui avait alors durement payé cette
réputation. Mais les allées et venues en ville ne doivent pas faire illusion.
"Dès que le jour tombe, tous les magasins ferment, c'est le couvre-feu et,
ensuite, place aux tirs", assure Samir Abou Al-Robh.
Sur tous les murs
revient le même visage. Ses traits enfantins sont ceux de Riham Nabil Younès
Ouard, une écolière de douze ans tuée le jour même du début de l'incursion
israélienne. Touchée en pleine tête par un projectile alors qu'elle se trouvait
devant sa salle de classe, la jeune fille est décédée au pied du tableau noir.
L'école des Deux Brahim, qui tient son nom de deux "martyrs", deux membres du
mouvement des Panthères noires tués pendant la première Intifada, est fermée
depuis le début de l'offensive israélienne et un drapeau noir pend au-dessus du
portail. "La balle a pénétré dans l'école par ici" , explique une secrétaire,
Izaye Atqa Ateek, montrant du doigt un accroc dans le grillage de fer qui
protège les vitres du couloir des ballons des enfants. Sous le choc, le métal a
noirci et la pierre du pilier voisin est piquetée d'impacts.
Quelques pâtés
de maisons plus loin, Fakhri Ahmad Turkam contemple sans aménité la colline qui
surplombe son quartier et sur laquelle ont pris position d'autres blindés
israéliens : "Ils sont là, à moins de cinq cents mètres, ils peuvent faire ce
qu'ils veulent." Ancien candidat aux élections pour le conseil législatif
palestinien, en 1996, ce quinquagénaire est un militant connu du Front populaire
de libération de la Palestine (FPLP), qui a revendiqué l'attentat contre le
ministre du tourisme israélien, Rehavam Zeevi, le 17 octobre. Avec philosophie,
il attend la suite. "Comme d'habitude, ils finiront bien par partir",
assure-t-il. Le chef du FPLP de Jénine, Nasser Abou Aziz, a choisi cet instant
de la journée pour présenter ses condoléances au père de la petite écolière
décédée, un militaire de haute taille, qui reçoit dans une salle de la mairie
aménagée pour la circonstance, épuisé et les yeux rougis.
Jénine attend dans
cette fausse routine, alors que tout autour une vie presque irréelle se
poursuit. A moins de cinq kilomètres de la ville assiégée, de l'autre côté de la
"ligne verte" , qui sépare Israël de la Cisjordanie, d'autres écoliers,
israéliens cette fois-ci, étaient ce jour-là en excursion dans un parc, dans un
autre monde.
7. Droit de réponse / Le
syndrome de Ben Ami, syndrome de l'occupation par Hasan Asfour
in
Ha'Aretz (quotidien israélien) du samedi 20 octobre 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Hasan Asfour, ministre du
gouvernement de l'Autorité palestinienne, était l'un des membres des principales
équipes de négociateurs palestiniens à Oslo (1993), Stockholm et Camp David
(2000) et, enfin, Taba (2001).
Shlomo Ben-Ami fait porter la responsabilité de
l'échec du processus de paix sur la direction palestinienne. Apparemment, il lui
reste encore à saisir la différence entre écrire l'histoire et la faire...
Il ne m'est jamais venu à l'esprit, jusqu'ici, d'utiliser les colonnes d'un
journal pour discuter avec les Israéliens d'un quelconque accord politique, tant
je suis conscient qu'il est bien plus difficile d'avancer vers la paix que de
ferrailler avec des mots, dans leurs acceptions littérales aussi bien que
philosophiques. C'est pourquoi j'ai longtemps balancé avant de me décider à
répondre aux déclarations publiques de certains des négociateurs israéliens,
après les "négociations" de Camp David - en particulier, de ceux qui semblaient
croire que l'histoire contemporaine était comme un pantin entre leurs mains, et
qu'eux seuls étaient capables d'en déterminer le contenu et le cours.
Mais
Shlomo Ben-Ami, qui était à la fois (ironie rare et peut-être unique) ministre
des affaires étrangères et ministre de la police, a réussi à me faire céder à la
tentation de prendre le stylo, grâce aux propos durs et néanmoins condescendants
qu'il a proférés à l'encontre du peuple palestinien, de son mouvement national
et de son dirigeant, Yasser Arafat. Il l'avait déjà fait à plusieurs reprises,
mais l'interview qu'il a accordée à Ari Sharvit (Ha'Aretz Magazine, 14.09.2001)
a été le plus insolent, méprisant et agressif de tous.
Je commencerai par des
faits évidents et fondamentaux que le philosophe-historien Shlomo Ben-Ami n'a
pas jugé bon de rappeler :
- Des négociations historiques ne sont jamais le
fruit du travail des historiographes du processus politique. Lorsque le
négociateur est entièrement absorbé par ses prises de notes personnelles en vue
de la rédaction d'un nouveau livre, les négociations s'assimilent plus à une
"séance d'enregistrement" qu'à une situation de négociation authentique.
-
L'occupation, quelles qu'en soient la forme et l'aspect - continuera à être une
occupation, et la rejeter n'est en rien rejeter une réconciliation
historique.
- Lorsque l'OLP, au nom de l'ensemble du peuple palestinien, a
reconnu le droit d'Israël à l'existence en tant qu'Etat, il ne voulait pas
signifier qu'il lui reconnaissait l'exercice de ce droit dans les frontières de
Sharon-Ze'evi-Lieberman, ni celles de l'option Barak, mais bien à l'intérieur
des frontières (internationales) existant avant le 4 juin 1967.
- Israël, de
son côté, n'a toujours pas reconnu notre droit à établir un Etat indépendant et
souverain, en fonction des frontières de juin 1967.
- La souveraineté de
toute nation doit être authentique, pratique et dotée de signification. Je doute
qu'Israël, à un quelconque moment des négociations, ait jamais accepté cette
acception communément reçue de la souveraineté.
- Le concept de souveraineté
n'est pas quelque chose qui puisse se diviser en fonction de quelque pourcentage
que ce soit.
- Le partenaire palestinien que Shlomo Ben-Ami prétend
rechercher ne saurait être trouvé nulle part en Palestine, et je doute que notre
professeur puisse trouver ce qu'il recherche même dans les livres
d'histoire.
- Notre conception stratégico-politique - l'accord historique
auquel le peuple palestinien a adhéré, basé sur un partage de la Palestine
historique entre deux nations, conformément aux résolutions de l'ONU 242 et 181
- ne ressortit en rien à un agrément ponctuel ou transitoire et, par conséquent,
on ne saurait y faire référence d'une manière aussi légère, comme s'il ne
s'agissait que de faux-semblants.
- Notre opposition aux "faits accomplis"
déclarés "intangibles" résultant de l'occupation de notre territoire en 1967 et
de la construction de colonies ne diminue en rien notre volonté de reconnaître
le droit d'Israël à exister en tant qu'Etat.
- La force, sous toutes ses
formes, ne saurait être une méthode permettant d'imposer des faits historiques.
Une telle ligne de pensée ne serait de nature à conduire, au mieux, qu'à un
cessez-le-feu (dans la mesure où il serait possible d'en conclure un) ; en aucun
cas à une réconciliation historique.
Une tentative de se gagner la
célébrité
Ce préliminaire rapide était nécessaire, en raison de la
personnalité de ce négociateur dont le principal intérêt dans les négociations
semble d'avoir pu déployer une tentative de se gagner une mention gratifiante
dans les livres d'histoire, plutôt que d'apporter une contribution réelle,
concrète, à l'écriture de l'histoire. La distance entre ces deux attitudes,
diamétralement opposées, est considérable. En lisant l'interview de Ben-Ami, en
particulier le passage concernant Camp David, on voit rapidement que son intérêt
réel ne tourne en réalité qu'autour de sa rage d'avoir "raté" le Prix Nobel
qu'il pensait, dur comme fer, lui revenir de droit. L'homme croit, à l'évidence,
que nous l'avons empêché d'obtenir ce prix : c'est pourquoi il déverse toute sa
colère contre les Palestiniens tout en ignorant totalement les intérêts réels de
ses compatriotes, les Israéliens. L'idée maîtresse de la pensée de Ben-Ami,
après Camp David, est que le partenaire palestinien ne serait pas encore "mûr"
pour un accord. Mais il ne nous a pas expliqué pourquoi, ni dans quelle mesure,
il en est ainsi. En va-t-il ainsi parce que nous avons admis l'idée d'un échange
territorial dans des pourcentages prédéterminés, même s'il ne s'agit en rien
d'un besoin pour les Palestiniens, puisqu'en réalité cela va même à l'encontre
de certains de nos intérêts nationaux, particulièrement eu égard aux localités
réclamées par Israël ?
A mon tour, je pose la question : donner son accord,
accepter d'une manière ou d'une autre l'exigence israélienne, était-ce une
erreur de la part des Palestiniens ? Ou bien la "maturité" imposait-elle
exclusivement de dire "amen" à absolument tout ce que Barak et Ben-Ami
exigeaient, tout en donnant libre cours à leur appétit sans entrave pour
(l'expansion) des colonies ?
Ben-Ami considère-t-il que la partie
palestinienne est immature simplement parce que nous avons exprimé un accord
(sans aucun précédant) conservant (à Israël) les implantations autour de
Jérusalem Est - dans le cadre d'un accord global - bien que ces implantations
soient illégales aux yeux de l'Amérique et du monde entier, et bien qu'elles
encerclent et étouffent Jérusalem de tous côtés, ne laissant qu'un corridor des
plus étroits aux liaisons entre elle et Ramallah ?
Devions-nous comprendre
que notre concession historique de 78% de la superficie de la Palestine
historique est une relique du passé et que nous devons désormais nous rendre à
une nouvelle division de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza, basée sur le
principe (consistant, pour nous, Palestiniens, à dire) "tout ce qui est à vous
est à vous et tout ce qui est à nous est, aussi, à vous" ? Est-ce là le
Partenariat dont Ben-Ami nous rebat les oreilles ?
Ainsi, nous ne sommes pas
des partenaires acceptables parce que nous avons admis l'existence de stations
radar sur notre territoire palestinien, même si nous n'en avons nul besoin et
même si nous n'en voulons pas, même si nous pensons que, d'une manière ou d'une
autre, elles représentent une atteinte à notre souveraineté ? Ou bien alors,
avons-nous cessé d'être des partenaires valables parce que nous avons évoqué des
forces internationales (voire américaines), qui seraient une garantie pour la
sécurité d'Israël face à l'"autre superpuissance" que nous sommes, nous, la
Palestine ?!? Ou bien alors, serait-ce notre bonne volonté pour discuter des
modalités pratiques pour l'application de la résolution 194 de l'ONU qui a été
interprétée comme une trahison politique ?
Se peut-il que vous ayez vu dans
notre accord de vous transférer la souveraineté du Quartier Juif (intra-muros)
et du Mur Occidental (Mur des Lamentations, Sur al-Buraq, en arabe), à Jérusalem
Est, occupée depuis 1967, un signe de l'obsession des Palestiniens pour
l'expansion territoriale et de leur déchéance du Partenariat (benamien)
?
Notre demande que la souveraineté palestinienne s'applique aussi à notre
espace aérien, avec toutes garanties données à votre sécurité et aux besoins de
vos citoyens, serait-elle de nature à nous déchoir de notre qualité de
Partenaires, en d'autre termes : le "Partenariat" tel que vous le concevez
implique-t-il que nous vous concédions la souveraineté sur notre espace aérien à
votre seul bénéfice ?
La campagne de Barak et Ben-Ami, leur manière
ostentatoire de rechercher une place prestigieuse dans l'Histoire, ont conduit
Israël et son peuple à une tragédie historique, puisque, après leurs mensonges à
propos de Camp David, ils ont pavé la voie devant Sharon et son alliance
terroriste de gouvernement. Tel est le résultat d'une campagne électorale
particulièrement fallacieuse et trompeuse, une campagne au cours de laquelle
même les proverbiaux mensonges de Benjamin "Bibi" Netanyahu à l'encontre
du partenaire palestinien ont été dépassés, et de beaucoup. Dans leurs
description de leur partenaire (palestinien), Ben-Amis comme Barak ont eu
recours à des termes qui ne laissaient pas d'autre choix aux Israéliens que de
tomber à genoux devant Sharon et de le supplier : "Sauvez-nous des Palestiniens
!"
C'est vous, vous, Barak et Ben-Ami, qui avez amené Sharon au pouvoir, en
cachant la vérité à votre peuple, cette vérité que vous auriez dû proclamer,
chose que vous n'avez pas faite, par manque de courage politique.
Encore
quelques remarques : pourquoi Ben-Ami n'a-t-il pas répondu à la question de
savoir qui avait mis un terme aux négociations de Stockholm, après avoir
lui-même admis qu'il s'agissait des plus sérieuses de toutes ? Etait-ce nous, ou
vous - en particulier, votre Premier ministre, Barak, lequel, ayant découvert le
caractère réellement décisif des discussions, a décidé d'y mettre un terme, afin
de ne pas se trouver entraîné à devoir rechercher sincèrement un accord de
règlement définitif ?
Cela est arrivé parce que vous - Barak, et vous,
Ben-Ami, qui étiez devenu son partenaire de gouvernement - n'avez pas recherché
une solution authentique. En lieu et place, vous étiez préoccupés de tactiques
politiciennes vides, d'"industrie langagière" - écriture de mémoires,
conférences, excitation du peuple israélien contre le partenaire palestinien, en
lui faisant miroiter un futur blafard s'il maintenait un quelconque lien avec
celui-ci.
De là aux préparatifs d'une campagne militaire afin d'amener les
Palestiniens à s'incliner devant le diktat politique d'Israël, il n'y avait
qu'un pas. A cet effet, je n'ai pas besoin de vous rappeler toutes les
déclarations israéliennes antérieures au 28 septembre 2000 (début de l'Intifada
al-Aqsa, Ndt). Les articles parus dans la presse israélienne
suffiront.
Pourquoi n'avez-vous pas expliqué au peuple israélien tout
simplement qui était responsable d'être allé à Camp David sans avoir mené
réellement à bien les négociations en cours ? Pourriez-vous révéler à votre
nation et à votre parti ce que vous nous avez dit à ce sujet, après que nous
vous ayons posé nous-mêmes la question ?
Etiez-vous réellement
convaincu qu'aller à Camp David de cette manière était la bonne méthode ?
Escomptiez-vous que nous pourrions résoudre un conflit historique "en quelques
jours" ?
Pourquoi n'avez-vous pas dit à votre peuple quel est le côté qui a
déployé des efforts surhumains afin d'éviter un échec total des discussions
après la première semaine, et qui a continué à y oeuvrer jusqu'au dernier
moment, même après que les valises eussent été bouclées et que les équipes de
négociateurs fussent prêts à lever l'ancre ?Si vous n'en savez rien, laissez-moi
vous suggérer d'aller le demander au Président Clinton et à l'équipe des
facilitateurs américains. Ils vous diront que ce sont les Palestiniens qui ont
eu ce comportement, ce sont eux qui ont demandé que le sommet de Camp David soit
prolongé d'une semaine !
Pourquoi n'avez-vous pas révélé à votre peuple
quelle était la position de la partie palestinienne, après Camp David, et
pourquoi n'avez-vous pas dit la vérité sur ses positions réelles dans les
négociations qui eurent lieu alors ?
Pourquoi n'expliquez-vous pas à votre
peuple pourquoi vous vous êtes dispensés de donner des ordres afin que Sharon
soit empêché de pénétrer sur l'Esplanade des Mosquées (al-Haram al-Sharif, le
Mont du Temple) ? Pourquoi vos forces de police se sont-elles permis de tuer
sept Palestiniens durant les prières qui y furent dites le lendemain
?
Pourquoi ne lui avez-vous pas dit la vérité sur les discussions de Taba, et
si c'était bien réellement la partie palestinienne qui en aurait causé l'échec ?
N'était-ce pas plutôt la partie qui voulait utiliser les élections comme un
prétexte pour s'esquiver, tant elle redoutait l'"ombre de Netanyahu" qui se
"profilait" ?
Pourquoi avez-vous rejeté l'idée d'enregistrer un "protocole
consensuel" des points acquis à Taba si vous vouliez sérieusement parvenir à une
solution définitive et à une manière historiquement novatrice de gérer le
conflit ?
Quiconque avance que l'objectif réel était de révéler le vrai
visage du partenaire démontre de manière catégorique qu'il ne recherche pas une
solution authentique, ni une négociation sérieuse, mais bien plutôt un prétexte
de s'esquiver, un désaveu du partenaire et une auto-défense en recourant à
l'accusation de l'autre côté. Rabin a-t-il fait cela ? Et Shimon Pérès ?
Regardez leur stature politique : en sont-ils au même point où vous êtes
actuellement réduits ? Vous et Barak ? Je pose la question au peuple
israélien.
Mon cher Ben-Ami, nous pouvons nous passer de vos mémoires. Tout
ce que nous voulons, c'est vivre dans un Etat indépendant et viable, à
l'intérieur des frontières antérieures au 4 juin 1967, avec Jérusalem Est comme
capitale et la garantie des droits de nos réfugiés, à côté de l'Etat d'Israël,
dont les frontières sont d'ores et déjà ouvertement et officiellement reconnues
par nous.
Nous ne voulons pas la destruction de votre Etat ni votre
extermination. Ce que nous voulons, c'est l'établissement de notre Etat et
l'assurance de sa viabilité et de son existence. Cela ne peut advenir qu'en
abandonnant l'idée d'occupation, les attitudes arrogantes et le ton raciste qui
perce l'écorce de certaines de vos remarques. Vos manières de faire
n'apporteront à Israël ni la stabilité, ni la sécurité, et aucun cas la
victoire.
Ecoutez-moi bien : nous n'admettrons jamais l'occupation et nous ne
vivrons jamais, à aucune condition, sous son joug, quelques mielleux que soient
les termes auxquels vous pourrez bien recourir pour la décrire. Nous croyons en
une paix véritablement juste et tel est notre but.
Enfin, laissez-moi vous
rappeler, M. Ben-Ami, ce jour où vous êtes venu nous voir, tendu et mal à votre
aise. Lorsque nous vous avons demandé quel en était la cause, vous nous avez
répondu que quelques colons avaient attaqué votre maison et que vous vous
sentiez humilié. Que diriez-vous si vous étiez à la place d'un peuple entier
auquel cela arrive quotidiennement ? N'avons-nous pas quelque motif à être en
colère ?
Faire la paix exige un effort réel, et non pas quelques effets de
manche, pour la galerie. Nous devons rechercher une stabilité durable et une
réconciliation historique à même de mettre un terme aux souffrances de notre
peuple et aux alarmes constantes du vôtre.
Selon moi, ce jour approche. Je
pense qu'il peut même advenir dans quelques mois seulement, si nous savons bâtir
correctement sur les fondations de ce que nous avons réalisé à Taba (vous en
souvenez-vous encore ?) et en ayant en face de nous un partenaire qui veuille la
paix - mais en aucune manière en continuant à exercer son contrôle sur un autre
peuple.
8. Les fabricants de
désespoir entretien avec Günter Grass réalisé par Holger Kulick pour le
quotidien allemand "Spiegel" , traduit par Bruno Odent
in L'Humanité du
vendredi 19 octobre 2001
L'écrivain a soutenu les manifestations
en Allemagne contre l'intervention militaire en Afghanistan.
Dans une
interview accordée à Spiegel, Günter Grass explique en quoi la critique faite à
l'Amérique est plus que jamais nécessaire et s'apparente - à l'opposé de
l'anti-américanisme dont elle est suspectée - à un ' service rendu à un ami '.
Nous reproduisons dans nos colonnes, avec l'autorisation de l'écrivain, de très
larges extraits de cet entretien (1).
- Pensez-vous que cette guerre est
justifiée ?
- Günter Grass. Il existe un homme politique qui a
estimé, avec beaucoup d'intelligence, que la réaction d'une société civilisée
aux attentats de New York et Washington se devait d'être civilisée. C'est
Johannes Rau (l'actuel président de la République fédérale d'Allemagne - NDLR).
Et quel degré de civilisation attribuez-vous à cette intervention militaire ?
Günter Grass. Les frappes militaires ne sont jamais civilisées. Et le fait que
l'on lâche en même temps des paquets de vivres n'efface en rien cette
appréciation. Etait civilisée l'action de l'ONU avant les frappes, celle qui a
permis d'atténuer la souffrance sur place. Mais les Nations unies et les
associations humanitaires ont désormais toutes quitté le pays, par peur des
attaques et ne peuvent plus y travailler.
- Comment réagissez-vous à ce que l'on voit
sur les écrans depuis le lancement de l'attaque aérienne ?
- Günter Grass. Je suis inquiet que tout cela ne se
prolonge, comme annoncé, des années durant sous forme d'un état de guerre latent
- et pour reprendre le terme utilisé aux Etats-Unis -, de voyou à voyou, d'Etat
voyou à Etat voyou. Je n'ai aucune envie d'être solidaire de cela. Les
interventions militaires ne sont pas pour moi un instrument valable. Elles
fabriquent du désespoir. Et le désespoir renvoie toujours à un échec de la
politique. Quatre collaborateurs afghans de l'ONU ( 2 ) qui travaillaient sur
place au déminage, c'est-à-dire à évacuer les conséquences de la dernière
guerre, sont morts dans les premiers bombardements et sont aujourd'hui les
victimes d'un tel échec. Sachant qu'eux, au moins, sont des victimes dûment
nommées, respectées quand les autres sont ignorées.
- Quoi qu'il en soit l'information est
diffusée.
- Günter Grass. Mais pas sur ceux qui auparavant
déjà mouraient et aussi sur ceux qui meurent maintenant, sans être sous les
bombes. Et ce déploiement de force disproportionné, de quatre porte-avions et
d'une armada dans la région, a déjà créé avant même lesdites ripostes une
situation qui a coûté la vie à des êtres humains. Car des millions de personnes
ont pris le chemin de la fuite, des enfants, des femmes, des personnes âgées.
Les morts étaient déjà là, ce n'est pas seulement à partir de maintenant que
nous devons les craindre.
- Seulement, cette intervention militaire
est présentée comme limitée.
- Günter Grass. D'où savons nous cela ? Avec
l'intervention militaire, une déstabilisation se produit dans une région
confrontée à de graves dangers. Que provoquerait un basculement du Pakistan,
quelle sera la réaction de l'Inde dans le litige autour du Cachemire ? D'abord
j'ai cru qu'entre-temps l'on avait compris cela en Amérique, parce que ceux qui
réfléchissent, par exemple le ministre des Affaires étrangères, Powell, semblait
s'être imposé. Il a fait l'expérience des fautes commises en Irak. Mais cela
n'était que mon impression jusqu'à ce dimanche soir du déclenchement des
frappes. Désormais, je n'exclus plus une répétition des mêmes fautes.
- Mais cette intervention militaire
correspond à un objet très concret : répondre aux attentats de New York et
Washington. Les USA et leurs alliés ne sont-ils pas dans leur bon droit
?
- Günter Grass. La population américaine a été
frappée d'une façon injuste par ces actes terroristes sans pareil et il faut les
condamner sans ambiguïté. Mais la politique américaine doit cependant rester
critiquable. C'est pourquoi j'adresse toute ma compassion aux victimes de la
terreur mais personne ne peut m'obliger à ressentir de la compassion pour le
gouvernement américain - je me refuse d'ailleurs à ce type de réaction à l'égard
de tout gouvernement -, le nôtre bien compris. Il faut faire une différence.
- Que reprochez-vous donc au gouvernement
américain ?
- Günter Grass. Ben Laden a été formé par la CIA,
dont il a reçu avec d'autres moudjahidin un soutien financier. Cela, pour des
raisons de pure stratégie politique des USA, puisque cette opération était jadis
dirigée contre l'Union soviétique. Et ce ne fut pas un cas isolé. La CIA
constituait aussi, dans sa pratique, une association terroriste, y compris
capable de commettre des meurtres contre des hommes politiques. Cela, il faut le
regarder en face et cela n'a aucun sens de se contenter de pointer uniquement du
doigt d'autres personnes.
- Mais cela n'enlève rien aux dangers
actuels du terrorisme islamiste.
- Günter Grass. J'observe que le gouvernement
américain partage désormais le monde selon sa propre vision entre le bien et le
mal. En fait les Etats-Unis et l'Union soviétique étaient déjà dépassés en
termes de compétences, quand chacun d'eux jouait aux policiers du monde.
Désormais il ne reste plus qu'une super-puissance mais elle n'a - conséquence de
sa manière de se concevoir elle-même, d'affirmer son ' moi ' -, aucune idée du
reste du monde. Cela me frappe jusque dans la réaction de beaucoup de personnes
intelligentes aux USA, y compris celles avec lesquelles j'entretiens des
relations d'amitié. Ils partent de l'idée d'être la puissance mondiale qui doit
avoir tout sous contrôle. Et pour beaucoup d'Américains cela signifie, avant
tout agir, conformément à leurs intérêts - qui sont, la plupart du temps - des
intérêts économiques. Désormais cependant quelques intellectuels américains
demandent aussi après avoir formulé, à juste titre, leur condamnation la plus
totale du terrorisme : mais pourquoi nous hait-on de la sorte dans ce monde ?
- Maintenant, vous prenez le risque d'être
disqualifié (.) pour vos critiques à l'égard de George W. Bush.
- Günter Grass. Précisément, cette réaction qui
consiste à adresser des remontrances à quelqu'un à cause de sa critique à
l'Amérique est absurde. Brandir ce reproche comme une matraque à utilisation
permanente, qui amalgame chaque critique aux Etats-Unis à de l'antiaméricanisme,
n'est pas seulement délirant et diffamant, c'est aussi priver un ami du service
critique qu'on voudrait lui rendre.
- Attendez, un moment. la critique de
l'Amérique est un service rendu à un ami ?
- Günter Grass. Je me sens en relation d'amitié
avec beaucoup d'Américains et avec leur pays. Mais l'amitié réclame aussi de
tomber dans les bras d'un ami quand il est sur le point de se comporter de
mauvaise manière et quand on peut lui faire remarquer qu'il va commettre ou
répéter une faute. Exercer une telle critique ouverte est pour moi une question
de loyauté. Quand on estampille cela du sceau de l'antiaméricanisme, la
discussion cesse. La liberté ne saurait être défendue en amputant notre propre
liberté, avant tout celle de la parole.
- Ne faut-il pas cependant, dans une telle
situation de crise, se résoudre à des limitations de la liberté ?
- Günter Grass. Non, car à partir du moment où nous
commençons à limiter nos libertés, nous faisons le jeu des terroristes.
L'introduction d'un système de surveillance policière aux moyens démultipliés
constitue un tel acte disproportionné. Nous avons déjà commis cette faute du
temps de la vague terroriste de la Fraction armée rouge (la ' bande à Baader ' -
NDLR) mais les dirigeants terroristes allemands n'ont été pris qu'en raison de
leurs propres erreurs, et pas grâce à ce système policier. De telles mesures
disproportionnées révèlent en fait un manque d'assurance en soi et de confiance
dans l'état de droit. Nous avons, sous prétexte de faire face aux attaques
terroristes, créé ainsi de nouvelles situations d'injustice. Par exemple nous
avons poussé de nombreux êtres humains vers la détention dans des camps de
transit où ils attendent avant d'être expulsés du pays, des gens qui n'avaient
rien de criminel à se reprocher. Cela nous fait vivre quotidiennement en rupture
avec les droits fondamentaux garantis par notre constitution.
- L'Académie des beaux-arts de Berlin
envisage très prochainement l'organisation de forums sur le conflit Nord-Sud ;
Que doit-il en sortir ?
- Günter Grass. La réalité se venge. Pourquoi
n'a-t-on jamais voulu, par exemple, écouter Willy Brandt. Après son passage à la
chancellerie quand il fut président de la commission Nord-Sud, il avait fait
preuve d'une extraordinaire capacité à anticiper et prévoir les enjeux à venir.
Il y a rédigé deux rapports de grande importance qui furent ignorés. Brandt y
avait prévu de manière précise qu'une fois le conflit Est-Ouest surmonté, nous
serions confrontés à un conflit Nord-Sud. Il a en outre revendiqué la mise en
place d'une sorte de politique intérieure planétaire et d'un nouvel ordre
économique mondial - ce qui jusqu'à aujourd'hui n'a jamais été réellement
abordé. Il a demandé que les Etats du tiers-monde soient traités en partenaires
dotés des même droits. Mais tout cela ne s'est pas produit. Ces manques sont
autant de causes de la montée du terrorisme. Parce que dans des pays qui en fait
refusent le terrorisme, une colère a enflé contre les Etats riches et en
particulier les USA, la puissance dominante. Et la colère issue de cette
déception est justifiée.
- Considérez-vous donc Willy Brandt comme
un visionnaire oublié ?
- Günter Grass. Tout à fait. J'étais avec lui à New
York quand, pour la première fois, un chancelier allemand a parlé devant l'ONU
et dit : ' La faim aussi est une guerre. ' Cette phrase a été ponctuée par des
applaudissements ; mais personne n'en a tiré les conséquences. Pas même nous les
Allemands, avec notre pitoyable aide au développement. Cependant les Américains
expliquent qu'à côté des bombes ils lancent aussi des denrées alimentaires et
cela pour quelque 320 millions de dollars. Günter Grass. C'est une bonne chose,
mais c'est toujours beaucoup moins que ce qui était distribué précédemment et,
hélas, ils ne le font désormais que sous la contrainte d'une certaine pression.
De la même façon qu'ils commencent seulement maintenant à payer leurs dettes à
l'ONU. Comme s'il voulait mieux border leurs opérations militaires. C'est du
cynisme. J'espère cependant qu'on va être conduit à faire vraiment quelque chose
maintenant.
- Comment par exemple ?
- Günter Grass. Il serait d'une nécessité urgente
de convoquer une conférence économique mondiale, et cela sur la base du rapport
Nord-Sud de Willy Brandt et en tenant compte des conséquences de la
mondialisation. Car dans ce processus ce sont aussi les Etats du Sud qui
subissent les plus gros dégâts. Si l'on ne tient pas compte de cela dans la
réflexion, on arrivera pas à se débarrasser de ce terrorisme. On ne parviendra
pas à surmonter ce type de problèmes à coups d'intervention militaire, ni avec
les méthodes de recherche criminelle les plus sophistiquées, et encore moins
avec des système de surveillance de masse.
- Pour les terroristes qui paraissent à
l'aise au plan financier il n'est pas question de valeurs matérielles ou de
combattre la faim. Ils se réfèrent plutôt à des injustices politiques ou misent
sur la frustration des Palestiniens.
- Günter Grass.. Mais éviter une telle frustration,
ce serait une politique intelligente. Rien ne changera aussi longtemps que les
causes de la montée de la haine restent présentes, aussi longtemps que la colère
et l'indignation, justifiée en bonne partie, ne sont pas surmontées. C'est pour
cette raison qu'il faut aussi avoir le courage de conduire Israël à renoncer
enfin à sa politique d'occupation qui dure maintenant depuis des décennies. Mais
Israël ne doit pas seulement évacuer les régions occupées. La confiscation de
terres palestiniennes et la colonisation sont aussi des actes criminels. Il ne
faut pas seulement que cela cesse mais donner un caractère rétroactif au
processus, organiser la réappropriation des Palestiniens. Sinon la paix ne
reviendra pas là-bas. Car cet oil pour oil, dent pour dent de la politique
actuelle ne fait que propulser toutes les colères toujours plus haut, et
contribue à la relève de Ben Laden, à l'assurance de voir émerger de nouveaux
terroristes du même type sous d'autres noms.
- La critique à Israël est généralement
bannie en Allemagne.
- Günter Grass. C'est pour moi
aussi une preuve d'amitié à l'égard d'Israël que de me permettre de critiquer ce
pays - parce que je veux l'aider. Là dessus je suis en plein accord avec mon
collègue écrivain israélien Amos Oz et avec beaucoup d'amis qui soutiennent le
même raisonnement en Israël. Il faut cesser de disqualifier de telles critiques.
Comme il est stupide de disqualifier la critique à la guerre en Afghanistan
comme de l'antiaméricanisme. En fin de compte, l'Amérique défend la liberté. Et
la liberté commence par celle du verbe.
(1) Spiegel on
line est l'édition internet du magazine allemand Der Spiegel. Cet entretien est
disponible dans son intégralité en langue allemande sur le site :
www.spiegel.de
(2) Günter Grass fait ici allusion aux premières victimes civiles des
bombardements.
9. Le Parlement européen sur la piste des textes
antisémites de l'Autorité palestinienne par Herb Keinon
in The
Jerusalem Post (quotidien israélien) du mardi 16 octobre 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
François Zimeray, éminent juriste
français, membre du Parlement européen, enquête sur la possibilité d'attenter un
procès, en Hollande et en Finlande, contre les ministres de ces pays
responsables d'avoir financé la publication de manuels scolaires arabes
comportant des passages violemment antisémites.
"Nous avons trouvé des
manuels avec des passages tellement antisémites que, s'ils étaient publiés en
Europe, leurs éditeurs seraient lourdement pénalisés pour antisémitisme", a
indiqué M. Zimeray dans une interview, hier.
M. Zimeray, qui se trouve en
Israël pour quatre jours, afin de rencontrer des responsables israéliens, a
déclaré que s'il pouvait faire mettre en examen un ministre, cela serait de
nature à envoyer un puissant message à l'Union européenne, afin de l'inciter à
cesser le financement de l'édition de ces manuels. Il faisait allusion nommément
à des manuels palestiniens, syriens et égyptiens.
M. Zimeray a précisé qu'il
ne s'oppose en rien à ce que l'Union européenne contribue à financer le système
éducatif de l'Autorité palestinienne, mais que celle-ci se devait de promouvoir
l'éducation à la paix et non endoctriner les jeunes, les incitant à se
transformer en bombes humaines.
En même temps, M. Zimeray a déposé plainte
devant la Cour d'un pays membre de l'Union européenne contre le financement des
manuels en cause. Il a élevé une protestation auprès de M. Chris Patten,
Commissaire européen pour les relations extérieures. Celui-ci a répondu que
l'Union européenne ne finance pas ces manuels, préférant payer des enseignants
et contribuer à la construction de salles de classe et de bibliothèques.
"Ce
n'est pas sérieux", a répliqué M. Zimeray. "Même si les manuels ne sont pas
financés directement par l'Union, je pense que celle-ci devrait s'intéresser de
plus près au contenu de l'enseignement délivré par des enseignants rémunérés par
elle."
M. Zimeray a dit qu'il espère que sa plainte devant la Cour européenne
finira par convaincre l'Union européenne de la gravité du problème.
M.
Zimeray, socialiste affilié au Parti Travailliste européen, représente la
circonscription de Rouen, en Normandie. Bien que juif lui-même, il a déclaré
n'avoir qu'une teinture superficielle d'éducation juive et n'avoir jamais eu
d'accointances très étroites avec la communauté juive de France. Camp David (n°
II) et ses suites (désastreuses), a-t-il indiqué, l'ont convaincu du fait que le
conflit palestino-israélien n'est pas un conflit territorial, mais bien un
conflit religieux et idéologique.
Il s'est déclaré l'un des partisans
d'Israël, que l'on peut compter sur les doigts des deux mains (10, en tout et
pour tout) parmi les 626 membres du Parlement européen et a précisé qu'il
s'efforçait actuellement de promouvoir ce qui semble bien être, par les temps
qui courent, l'espoir extrêmement lointain qu'Israël soit jamais intégré à
l'Union européenne, en tant que pays membre.
Il partage l'affirmation de
nombre de diplomates israéliens, selon laquelle, dût l'Union européenne serrer
quelque peu les boulons et mettre réellement la pression sur Yasser Arafat, le
leader Palestinien n'aurait pas d'autre choix que celui de mettre un terme à la
violence. Interrogé sur les raisons pour lesquelles, à son sens, l'Union
européenne n'en use pas ainsi, M. Zimeray en énumère trois.
Primo, la
croissance de la communauté musulmane en Europe, et la réticence de plus en plus
marquée des hommes politiques européens à faire quoi que ce soit qui puisse être
de nature à froisser un électorat puissant. Ainsi de la France, dont les quelque
5 millions de musulmans, soit un peu moins du dixième de la population totale,
font de l'islam la seconde religion de ce pays, en terme d'ouailles.
Secundo
: l'Union européenne s'efforce de se forger une identité politique unique,
distincte de celle des Etats-Unis. Les Etats-Unis soutenant Israël à fond les
manettes, c'est quasi-automatique, l'Union européenne va soutenir les
Palestiniens, ne serait-ce que pour se démarquer de la position américaine.
"Quant à a troisième raison", a ajouté M. Zimeray "elle est plus profonde et
aussi plus sombre. L'antisémitisme n'a pas disparu avec le concile Vatican II et
l'Holocauste."
M. Zimeray s'est déclaré très préoccupé "par la réapparition
de l'antisémitisme, sous un nouveau masque : celui de l'antisionisme". Le
parlementaire européen a "révélé" que, parmi les sympathisants avec les
Palestiniens, "il y a des gens qui partagent cette option politique honnêtement,
de bonne foi et légitimement. Mais vous avez aussi des gens qui utilisent cette
cause pour masquer leur antisémitisme."
"Je suis très sensible aux mensonges
sémantiques", a poursuivi M. Zimeray. "J'ai lu récemment, dans un quotidien
français, que les Palestiniens seraient en quelque sorte un peuple crucifié.
Cela n'est pas innocent. Il y a une association (délibérée) entre le peuple
palestinien et le martyre du Christ, qui ne peut qu'interpeller des coeurs de
Chrétiens. Depuis Vatican II, il n'est pas possible de persécuter les Juifs en
prétextant qu'ils auraient tué Jésus, mais par les grâces du conflit actuel, les
Juifs sont le peuple qui tuent des enfants à Bethlehem, et ces enfants sont
assimilés au Christ."
L'Occident, a conclu M. Zimeray, "porte une très lourde
responsabilité depuis l'Holocauste. C'est un écrasant fardeau, et le conflit
israélo-palestinien offre une opportunité extraordinaire (à l'Occident) pour
expier cette responsabilité, et pour alléger le faix." D'après M. Zimeray, de
nombreux Européens - même pas conscients de ce qu'ils font - ont recours à la
logique suivante : "Nous ne sommes pas aussi terriblement coupables de ce que
nous avons fait aux Juifs dans le passé, après tout : il n'y a qu'à voir ce
qu'ils font endurer aux Palestiniens, aujourd'hui." "Si (d'après cette logique)
les victimes d'hier sont aujourd'hui les coupables", déduit M. Zimeray (avec le
sourire satisfait de "celui qui a tout compris" ? Ndt), "alors le coupable
d'hier se sent 'plus innocent', aujourd'hui."
10. Israël face au grand
virage américain par Luis Lema, Jérusalem
in Le Temps (quotidien
suisse) du lundi 15 octobre 2001
Le 11 septembre a-t-il vraiment changé le monde?
Après avoir tenté autant qu'il le pouvait de ne pas toucher au dossier sanglant
du conflit israélo-palestinien, le président George Bush semble désormais
déterminé à l'empoigner à pleines mains. La semaine prochaine, la Maison-Blanche
devrait ainsi dévoiler une initiative diplomatique qui pourrait concerner
plusieurs des questions les plus sensibles de la région, à l'exception toutefois
de celles de Jérusalem et des quelque 4 millions de réfugiés palestiniens.
Arafat félicité
Quelques jours à peine après les attentats contre
l'Amérique, son président surprenait le monde en assurant qu'il avait une
"vision" pour la région. Ce week-end, Bush est allé plus loin en affirmant qu'il
fallait "applaudir" Yasser Arafat pour les efforts accomplis en vue de contrôler
les islamistes. La semaine dernière, l'Autorité palestinienne a très brutalement
réprimé une manifestation antiaméricaine à Gaza, tuant au moins trois personnes.
George Bush n'a pas encore rencontré Arafat depuis son accession au pouvoir.
Ce devrait être bientôt chose faite, après que le président palestinien va être
reçu aujourd'hui par Tony Blair. D'après ce que l'on sait, les deux hommes
devraient débattre à Londres de ce nouveau plan qui dicterait plusieurs
obligations à l'Etat hébreu: d'abord, le gel des colonies dans les territoires,
qui n'a pas encore été décidé par Israël malgré les recommandations du rapport
Mitchell; ensuite, l'application des accords déjà signés avec les Palestiniens,
et notamment la "troisième phase" du retrait de Tsahal des territoires,
repoussée depuis des années par les gouvernements successifs; enfin la
reconnaissance du droit à l'existence d'un Etat palestinien.
Ariel Sharon
semble être pris de court par cet empressement américain. Il n'a pas vu venir ce
que Blair résumait hier dans un entretien à The Observer: "L'action militaire en
Afghanistan doit être compensée par des progrès dans le processus de paix
israélo-palestinien." Le premier ministre a envoyé à Washington le chef de ses
services secrets pour convaincre les Américains qu'Arafat n'est pas aussi
"blanc" qu'ils le croient. Sharon tenterait aussi d'obtenir que Washington et
l'Etat hébreu coordonnent à l'avenir leurs initiatives et leurs positions de
négociation. C'est cette même exigence qui contribua grandement, en son temps, à
faire capoter la réunion de Camp David, où Bill Clinton et Ehud Barak
défendaient des positions communes.
Face à une Intifada très fortement
ralentie (même si quelques tirs de mortier et d'autres actions violentes ont
tout de même lieu), le gouvernement israélien a accepté hier de commencer à
lever quelques-uns des 75 barrages militaires qui séparent les uns des autres
les villes et les villages de Cisjordanie. Pour Sharon, le moment s'annonce
particulièrement délicat tant le tandem Bush-Arafat le place le dos au mur. "La
raison d'être de ce gouvernement était de combattre l'Intifada, avertissait hier
un commentateur de Haaretz. Or l'opinion publique israélienne n'a pas de pitié.
Elle pourrait bientôt s'en
débarrasser."
11. Riccardo Bocco : "Je m'attends à une pluie de
dollars sur la région" propos recueillis par Luis
Lema
in Le Temps (quotidien suisse) du
lundi 15 octobre 2001
Le plan
s'accompagnera d'une aide aux Palestiniens.
Après l'irruption de l'Intifada, la DDC suisse a suivi l'impact de
l'aide économique dans les territoires. Outil pour les donateurs et pour
l'Autorité palestinienne, ses rapports réguliers, très complets, sont un
baromètre de l'opinion palestinienne. Questions à leur coordinateur, Riccardo
Bocco, politologue et directeur adjoint pour la recherche à l'Institut
universitaire d'études du développement de Genève (IUED).
- Le Temps : Le plan américain promet
d'être accompagné d'une aide importante ?
- Riccardo Bocco : Je
m'attends en effet à une pluie de dollars, dans une sorte de plan Marshall pour
la région. C'est pour cela que les leçons qu'on peut tirer de l'utilisation de
cette aide sont fondamentales. Comment les gens se l'approprient-ils
actuellement? La question est d'autant plus importante qu'ici, l'aide revêt
depuis toujours un aspect éminemment politique. Cette aide continuera
d'influencer la transformation de la société ainsi que les formes de
recomposition politique.
- Quelle évaluation faites-vous de la
manière dont l'aide a fonctionné depuis l'Intifada ?
- Par rapport
à d'autres contextes, cela se passe de manière très satisfaisante, étant donné
l'imbrication des Palestiniens dans les structures d'aide. Au sein de la seule
UNRWA (l'agence de l'ONU en charge des réfugiés, ndlr) travaillent 22 000
employés locaux (à Gaza, en Cisjordanie, au Liban, en Syrie et en Jordanie). Ils
sont en prise directe avec les problèmes que rencontre la société palestinienne.
Autre facteur: les donateurs sont ici depuis longtemps, et la coordination entre
eux est une question réglée. A l'inverse d'autres terrains en situation
d'urgence.
- L'Intifada a rendu les territoires palestiniens encore plus
dépendants de cette aide ?
- Oui, mais en filigrane, tout le
potentiel pour une réelle indépendance est là. Le problème est que le processus
d'Oslo n'a rien favorisé. La communauté internationale a failli comme médiateur
et, par crainte de s'opposer à Israël, s'est contentée d'un rôle économique.
Personne ne s'est attaché à bâtir une économie nationale viable, des
institutions publiques solides et des réseaux sociaux. Certes, le climat de
terreur soulevé par les attentats en Israël explique certaines choses, mais on
ne peut plus fermer les yeux lorsque les Israéliens changent les données du
problème en cours de processus, notamment par de nouvelles colonies. On est
passé du marché "La paix contre la terre" à celui de "La sécurité contre la
paix". Désormais, avec un Ariel Sharon qui refuse même de reconnaître
l'occupation, et qui proclame en gros "la Palestine est à nous", on ne voit plus
à quoi cela peut encore mener.
12. Maroc : "S'ils tuent Ben Laden, il sera notre
Che Guevara !" par Frédéric Ploquin
in Marianne du lundi 15 octobre 2001
[La guerre déclarée contre le terrorisme,
les Marocains n'y croient pas. Pour eux, le mal, c'est l'Amérique et son soutien
à Israël, et Ben Laden, leur sauveur.]
Un café en face de l'un des
grands marchés de Casablanca, après une nouvelle nuit de frappes aériennes sur
l'Afghanistan. Moustafa, tablier blanc de boucher sur les jambes, donne le ton :
"Evidemment qu'on est pour Ben Laden ! Comme tous les musulmans !"
Khalid,
vendeur de pièces de rechange pour téléphones portables, renchérit calmement :
"Ben Laden, c'est le défenseur de l'islam, de la Palestine et des Arabes." "Il
se bat contre le mal", dit un troisième, renvoyant la balle à George Bush.
Le
"mal" ? "L'occupation de la Terre sainte par les Américains", explique le
boucher, qui précise le contour des ennemis, l'Amérique et Israël - qui dans son
esprit ne font qu'un. "L'Amérique, dit-il, c'est le grand Israël".
"Il y a un
problème avec les Juifs, embraie Khalid. C'est qu'ils sont contre l'islam. Et
cette guerre, ce sont eux qui l'ont commencée. " Et de raconter comment les
"sionistes" auraient fomenté les attentats du 11 septembre. La preuve ? "Quatre
mille juifs n'étaient pas à leur bureau ce jour-là, dans les tours de
Manhattan", affirme Khalid, qui tient ce tuyau de la chaîne de télé la plus
regardée de Casablanca, al-Jazira (l'Ile), l'info en continu made in Qatar. Mais
encore ? "L'islam ne tolère pas la mort d'innocents", dit Moustafa. Le troisième
complète : "Ben Laden n'avait pas les moyens d'attaquer un pays qui dispose du
FBI, de la CIA et de la NSA. Et puis, si les Américains avaient les preuves de
sa culpabilité, ils les donneraient, publiquement !"
"Leur ennemi, c'est
l'islam"
N'empêche. Même s'il n'est pour rien dans la destruction des tours,
Ben Laden est leur homme. Surtout lorsqu'il s'attaque "aux Arabes qui
travaillent avec les juifs". C'est-à-dire aux dirigeants des pays arabes, "ces
agents des Etats-Unis". Parmi lesquels ils rangent les actuels responsables du
Maroc, à qui Khalid attribue un zéro pointé. A haute voix, en plein café, mais
sans omettre de préciser qu'il n'ira pas le crier dans la rue. "Trop risqué",
dit-il. Avant de revenir à la charge : "Ben Laden, c'est le deuxième après
Saddam Hussein, qui reste le number one !"
La guerre contre le terrorisme,
Moustafa, Khalid et leur compère n'y croient pas. Mais alors pas du tout. "Si
les Etats-Unis veulent vraiment combattre le terrorisme, dit Moustafa, qu'ils
s'en prennent à ce que font les Israéliens en Palestine." On y revient. Et de
moquer l'aide humanitaire, cette façon de "caresser de la main gauche après
avoir tapé avec la droite". Ils en sont convaincus : les "vraies" raisons des
frappes sont ailleurs. "Leur ennemi, c'est l'islam", affirme encore le garçon
boucher, qui prédit des attaques contre l'Irak, le Soudan et le Yémen, avec des
conséquences que les Américains n'imaginent même pas...
Dans les allées de ce
grand bazar, Ben Laden agit comme un remonte-moral. "Israël a son Sharon, il
nous faut plusieurs Ben Laden pour attaquer Israël", clame Khalid. Pas pour
éliminer les juifs de la carte, précise-t-il, non sans une pensée pour les juifs
marocains ("eux, ils sont calmes"). Simplement pour obtenir un Etat palestinien
!
"Courageux et intelligent"
Quelques heures plus tard, sur le grand
campus de Casablanca. Fatima, 21 ans, étudiante en économie, fustige l'opération
"Liberté immuable". "Un monument d'injustice", dit-elle. Ses griefs sont les
mêmes que ceux des trois commerçants : les preuves américaines sont trop floues
pour déclencher des frappes aériennes. Elle ne pense pas non plus que Ben Laden
ait détruit les tours, ce qui ne retranche rien à l'admiration qu'elle éprouve
pour cet homme "courageux et intelligent". "Les Américains mènent une guerre
contre l'islam, car cette religion les dérange", dit-elle, reprenant le refrain
que toute la capitale marocaine entonne.
Une autre étudiante, Amina, un
foulard sur les cheveux, se mêle à la conversation. "Le terrorisme vient de
l'Amérique et de la Mafia, dit-elle. Je suis contre cette guerre à 100%." Et de
revenir sur la fameuse information délivrées par Al-Jazira, selon laquelle les
tours ont été détruites alors que les juifs fêtaient leur nouvel an... D'où elle
déduit que les services secrets israéliens sont dans le coup,
forcément...
"Israéliens et Américains ont humilié les Palestiniens pendant
des années, reprend Fatima. Pour continuer, il leur fallait un ennemi. Ils ont
trouvé Ben Laden."
Les deux étudiants sont d'accord sur tout. Ce Ben Laden
est leur espoir. "Il est sérieux", dit Amina. Avant de conclure, les joues
rosies par l'émotion : "C'est un bel homme."
Tenue sobre, impact maximal. Le
loup des montagnes afghanes marque des points à chacune de ses apparitions sur
les écrans d'Al-Jazira, dont le récent passage en numérique a contraint bon
nombre de foyers marocains à dépenser 4 000 dirhams (deux fois le smic local)
pour s'équiper en décodeur. Même les mâles sont béats, comme en témoigne cette
blague rapportée par un jeune professeur de l'université.
"Une femme entre
dans un hammam et se dirige vers le coin des hommes. Le caissier l'arrête et lui
dit "Mais vous vous trompez ! Vous allez chez les hommes. - Ah, bon !
fait-elle. Ben Laden est ici ? - Non, répond le caissier. - Alors, laissez-moi
passer", dit la femme".
S'il n'en reste qu'un, ce sera donc lui : Ben Laden,
l'homme "qui fait sentir aux Américains ce que les Arabes vivent depuis un
siècle". L'homme qui redonne aux musulmans un "avenir resplendissant". L'homme
qui va "précipiter la décadence de la civilisation américaine et juive", comme
le dit cet étudiant en gestion. Il tient à citer un verset coranique : "Les
juifs ne peuvent se soulever deux fois." Et de conclure en appelant l'histoire
et le cinéma à la rescousse : "Les Américains connaissent de graves
complications psychologiques depuis la guerre du Vietnam. C'est pour cela qu'ils
sont toujours les plus forts dans les films." Sous-entendu : dans la vraie vie,
c'est une autre histoire. Surtout depuis que Ben Laden...
Tous derrière le
barbu d'origine yéménite ? On pousse sur le coup des 18 heures les portes d'un
café sélec, au pied des Twin Towers (une trentaine d'étages) de Casablanca, le
quartier du business et des costumes cravates. On avise un homme attablé
derrière un café. Il est ingénieur en aéronautique. Il a 29 ans et n'a lui aussi
que des compliments à la bouche : "Les chefs d'Etat arabes ont aligné leur
politique sur celle des Occidentaux. Nous n'avions pas de leader ni de guide
spirituel digne de ce nom." Et Ben Laden est arrivé... Les attentats du 11
septembre l'ont-ils ébranlé ? Comme les autres, il condamne, pour aussitôt
modérer : "Les Etats-Unis ont trop favorisé Israël. Il est juste qu'ils aient
été visés à leur tour."
Le fédérateur des musulmans
La nuit tombée, on se
glisse à la terrasse d'un bar plus populaire. Trois fonctionnaires partagent thé
à la menthe et cacahouètes salées. Si Mohammed, 44 ans, dit sa "révolte"
devantce qu'il appelle l'"agression de l'oppresseur américain contre
l'Afghanistan". Et de s'enflammer : "Les Américains ont mis fin au communisme en
cinq décennies, avant de se retourner contre les musulmans. Tuer, accaparer les
richesses et les terres d'autrui, tel reste leur objectif, à l'image de celui
des barbares d'autrefois. Ils veulent faire avec les musulmans ce qu'ils ont
fait avec les Indiens ! S'ils tuent Ben Laden, il deviendra le Che Guevara des
Arabes !" L'historien Mohammed Tozi disait qu'en chaque Marocain sommeillait un
Ben Laden et un New-Yorkais, mais le second est pour le moment dans le
coma...
Tout y passe. Jusqu'aux régimes antidémocratiques imposés par les
Américains aux Arabes. Jusqu'aux bombes nucléaires lâchées sur le Japon alors
que la guerre était terminée. Jusqu'à la propagande américaine, qui brandit la
menace de la guerre chimique pour larguer plus tranquillement ses bombes.
Jusqu'à ces "poltrons", qui frappent d'en haut avec des avions téléguidés... Et
toujours la Palestine, en version hard, signée Si Mohammed "Quand l'animal
attaque l'homme, c'est de la férocité, mais quand l'homme attaque l'animal,
c'est du sport." L'animal, entendez bien sûr les musulmans. "Nous", comme disent
les trois fonctionnaires, laissant à Ben Laden, homme de l'année, l'oiseau rare,
le soin de fédérer 1,2 milliards de musulmans répartis sur la planète... On
comprend que les politiques marocains se tiennent cois, les islamistes compris,
qui ne savent pas encore bien s'ils sortiront gagants du conflit. S'apprêtant à
quitter le port de Casablanca pour mener vers le nord sa lourde et bruyante
machine, un chauffeur routier philosophe : "On parle, on parle, on accuse sans
preuves, mais Dieu, là-haut, il sait la vérité." Et comme les premières pluies
viennent de tomber sur le Maroc, il a au moins une bonne raison de se
réjouir.
13. Israël a peur de rester seul face à
"l'ennemi" par Avigdor Ben Asher
in Expresso (hebdomadaire portugais) du samedi 13
septembre 2001
[traduit du portugais par
Christian Chantegrel]
"Israël ne se laissera pas sacrifier sous prétexte
que les Etats-Unis doivent se concilier les pays arabes et islamiques recrutés
pour la coalition anti-terroriste", a dit Ariel Sharon. Le premier-ministre
israélien a enjoint l'Occident à ne pas répéter l'erreur commise en 1938, quand
la Tchécoslovaquie, a été sacrifiée sur l'autel de la "conciliation" face à
Hitler. Les déclarations de Sharon ont été qualifiées "d'inacceptables" par la
Maison Blanche et ridiculisées par divers commentateurs israéliens.
"Sharon a
cédé à la panique et montre plus de faiblesse que de détermination", peut-on
lire dans le journal "Yefioth Aharonoth". Cependant, le cri de Sharon a fait
vibrer une corde sensible de la "psyché nationale" : la crainte de se retrouver
un jour seul face à l'ennemi.
Les israéliens constatent que les USA
préfèrent les voir rester en dehors de la coalition anti-terroriste et comptent
avec le soutien de la Syrie ou de l'Iran. Ils se sentent "trahis" avec la même
force que lorsqu'ils enterrent les victimes des attentats du Jihad Islamique et
du Hamas.
Même les plus pacifistes, qui s'expriment dans le quotidien modéré
"Haaretz", sont sensibles à l'inquiétude de Sharon devant le dernier revirement
de la politique nord-américaine. Bush n'est pas Clinton, dit-on à Jérusalem.
Pour l'actuel président américain, les intérêts du "big business" (pétrolier)
pèsent plus que l'amitié avec Israël.
Que se passera-t-il si les experts du
pétrole réussissent à convaincre Bush que la politique israélienne vis-à-vis des
palestiniens sabote sa coalition anti-terroriste, déstabilise l'Arabie Saoudite
et menace la liberté d'accès au pétrole pour les USA et les autres pays
occidentaux ? Le chef de la Maison Blanche, soutenu sans aucun doute par la
majorité des pays européens, pourrait alors abandonner l'état juif, dit-on à
Jérusalem. Impossible ? Impensable ? Pas forcément.
D'ores et déjà, lors de
son périple dans la région, le secrétaire de la défense, Donald Rumsfeld, a
exclu Israël de son programme, ce qui constitue une attitude inédite et un
signal inquiétant pour les israéliens.
"Il est difficile d'exiger du monde
qu'il continuer à soutenir Israël contre vents et marées, alors que le
gouvernement d'Israël ignore toutes nos demandes, persiste à créer de nouvelles
colonies juives en territoire palestinien et ôte aux palestiniens tout espoir
d'être un jour libres et indépendants", affirme un diplomate européen, connu
pour ses sentiments pro-israéliens. Et il ajoute : "Sharon veut continuer à agir
à sa manière, même si sa politique radicalise les masses arabes, affaiblit la
coalition anti-terroriste, déstabilise la région et risque -à la longue- de
priver les pays industrialisés du combustible indispensable au fonctionnement
normal de leur vie économique. Ne serait-ce pas trop demander
?"