Le Collectif pour les droits du peuple palestinien
organise un rassemblement de soutien au peuple palestinien
ce vendredi 28 septembre 2001 à 18h30 sur le Vieux-Port de Marseille
                 
   
Point d'information Palestine > N°169 du 26/09/2001

Réalisé par l'AMFP - BP 33 - 13191 Marseille FRANCE
Phone + Fax : +33 491 089 017 - E-mail : amfpmarseille@wanadoo.fr
Association loi 1901 - Membre de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux (Trésorier)
Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
                       
Si vous ne souhaitez plus recevoir (temporairement ou définitivement) nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante : amfpmarseille@wanadoo.fr. Ce point d'information est envoyé directement à 3074 destinataires.
Consultez régulièrement le site de Giorgio Basile : http://www.solidarite-palestine.org
                           
                
Au sommaire
                                               
Rendez-vous Palestine
1. PAIX comme PALESTINE par le Collectif pour les droits du peuple palestinien de Marseille
2. L'agenda des initiatives autour de la Palestine jusqu'au 8 octobre 2001
             
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG.
1. Interview d'Alexandre Adler par Michel Zerbib dans l'émission "L'invité de la rédaction" diffusée sur "Radio J" (Paris 94.8 Mzh) le jeudi 20 septembre 2001. [retranscrit à partir de l'enregistrement par Jacqueline Olivier]
2. Le jour où la baudruche Barak s'est dégonflée par Uri Avnery (15 septembre 2001) [traduit de l'anglais par  R. Massuard et S. de Wangen]
                                                
Revue de presse
1. Pérès et Arafat s'engagent à tout faire pour que la trève tienne par Ibrahim Barzak Dépêche de l'agence Associated Press du mercredi 26 septembre 2001, 13h22
2. Le développement palestinien tué dans l'œuf par Marwa Hussein in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 26 septembre 2001
3. Les aides étrangères au secours d'Israël par Salma Hussein in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 26 septembre 2001
4. Incident entre la police israélienne et l'entourage de Védrine Dépêche de l'Agence France Presse du mardi 25 septembre 2001, 10h57
5. M. Straw suscite l'indignation en Israël avant son arrivée à Jérusalem par Charly Wegman Dépêche de l'Agence France Presse du mardi 25 septembre 2001, 10h23
6. Eric Rouleau : "Une grande méconnaissance de la réalité de la planète" entretien réalisé par Jacques Coubard in L'Humanité du mardi 25 septembre 2001
7. L'Irak essuie encore les plâtres par Jean-Pierre Léonardini in L'Humanité du mardi 25 septembre 2001
8. Le cas Ariel Sharon par Pierre Marcelle in Libération du mardi 25 septembre 2001 
9. Les Fedayin concèdent une trêve à Arafat par Didier François in Libération du lundi 24 septembre 2001
10. Les larmes s'arrêteront-elles jamais de couler ? par John Gerassi in Z Magazine (e-magazine américain) du dimanche 23 septembre 2001 (http://www.zmag.org) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
11. Comment les Etats-Unis ont-ils le cœur à envisager de bombarder ces pauvres gens ? par Robert Fisk in Z Magazine (e-magazine américain) du dimanche 23 septembre 2001 (http://www.zmag.org) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
12. "Justice (double bémol : américaine) Absolue" par Abdel Bari Atwan in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 21 septembre 2001 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
13. La facture de l'Intifada est élevée pour l'économie israélienne Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 21 septembre 2001, 11h53
14. Les conseillers de Bush divisés sur l'étendue de la riposte par Patrick E. Tyler et Elaine Sciolino in The New York Times (quotidien américain) du jeudi 20 septembre 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
15. Appel à un changement de politique in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 19 septembre 2001
16. Les Arabes dans le collimateur par Salama Ahmed Salama in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 19 septembre 2001
17. Ce qui va changer au Proche-Orient par Ahmed Loutfi et Samar Al-Gamal in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 19 septembre 2001
18. Bush prêt à tomber dans le piège par Robert Fisk in The Independent (quotidien britannique) du dimanche 16 septembre 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
            
Rendez-vous Palestine

          
1. PAIX comme PALESTINE par le Collectif pour les droits du peuple palestinien de Marseille
Notre condamnation des attentats injustifiables qui viennent de se produire aux Etats Unis, ne doit pas nous faire oublier le douloureux premier anniversaire de l'Intifada II. Cette résistance courageuse du peuple palestinien à 53 ans d'occupation militaire israélienne, a un coût effrayant : en un an plus de 684 palestiniens assassinés et 20.000 blessés !
Elle ne doit pas non plus nous faire oublier tous ceux qui sont morts depuis 1948, les millions de réfugiés qui croupissent toujours dans des camps, les villages et les maisons rasés par l'armée israélienne et surtout les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila dont Ariel Sharon porte la responsabilité.
Aujourd'hui encore, alors que tout le monde sait qu'aucun groupe palestinien n'est responsable de ces attentats, le gouvernement israélien entretient la confusion entre l'Autorité palestinienne et des groupes terroristes intégristes. Il profite du climat ainsi créé pour renforcer son occupation et intensifier ses attaques militaires contre la population civile palestinienne..
Depuis le 11 septembre dernier, une trentaine de Palestiniens ont été assassinés et de nombreux autres, blessés, dans les bombardements effectués par la marine, l'armée de terre et l'armée de l'air israélienne.
Le conflit israélo-palestinien, nous le répétons, a des incidences internationales considérables.
C'est pour cela que l'ONU doit immédiatement procéder à l'envoi d'une force de protection internationale comme le demande l'Autorité palestinienne.
L'immobilisme de la communauté internationale, le parti pris systématique des USA en faveur d'Israël engendrent la colère, l'humiliation, la frustration dans l'ensemble du monde arabe et des pays du Tiers monde. C'est entre autres sur ce terreau que se développent les intégrismes et le fanatisme.
Il n'y aura pas de paix au Moyen Orient tant que justice n'aura pas été rendue au Peuple palestinien. Elle passe obligatoirement par l'application du droit international, à savoir les Résolutions des Nations unies qui demandent :
> La création d'un Etat Palestinien indépendant et souverain sur les territoires occupés en 1967, et donc le retrait des forces israéliennes du territoire palestinien et le démantèlement des colonies d'implantation,
> Le partage de la souveraineté sur Jérusalem entre Palestiniens et Israéliens,
> Le droit au retour sur leurs terres des 4 millions de réfugiés Palestiniens.
Le Collectif pour les droits du peuple palestinien organise un rassemblement de soutien au peuple palestinien, ce vendredi 28 septembre 2001 à 18h30 sur le Vieux-Port de Marseille.
- Collectif pour les droits du peuple palestinien : constitué le 18 octobre 2000, ce collectif regroupe les organisations suivantes : AFASPA Marseille, Aix Solidarité, AJIAL France, AMFP Aubagne, AMFP Marseille, APF, Ballon Rouge, CIMADE, CNUC, Convergence des Démocrates Marocains, Discrimination Zéro, Françafrique, LCR, LDH Marseille Nord-Sud, Les Alternatifs, Les Verts, Méditerranée Solidaire(s), Mouvement de la Paix, Mouvement des Citoyens, MRAP, PCF, RAFD, Rassemblement Franco-Palestinien pour la Paix, Résister, Santé Sud, Témoignage Chrétien.
- Coordination : Association Médicale Franco-Palestinienne - BP 33 - 13191 Marseille Cedex 20 -
Tél/Fax : 04 91 08 90 17 - E-mail : amfpmarseille@wanadoo.fr
                             
2. L'agenda des initiatives autour de la Palestine jusqu'au 8 octobre 2001
L'Agenda des conférences, manifestations, spectacles, expositions... sur http://www.solidarite-palestine.org/evnt.html
Mercredi 26 septembre à Bruxelles : Conférence-débat avec Alain Gresh
Vendredi 28 septembre à Poitiers : Concert de solidarité
Vendredi 28 septembre à Limoges : Débat Public « La Palestine après un an d’Intifada »
Vendredi 28 septembre à Bruxelles : Débat sur la Palestine
Samedi 29 septembre à Paris : L'Intifada, un an déjà !
Samedi 29 septembre à Lyon : 1er anniversaire 2ème Intifada
Samedi 6 octobre à Bordeaux : Rencontre sur la Palestine
Lundi 8 octobre : Rencontre avec Allegra Pacheco et Iyad Serraj
Si vous organisez une initiative sur la Palestine, n'oubliez pas d'envoyer un communiqué à Giorgio Basile :
webmaster@solidarite-palestine.org
          
Réseau

                
1. Interview d'Alexandre Adler par Michel Zerbib dans l'émission "L'invité de la rédaction"
diffusée sur "Radio J" (Paris 94.8 Mzh) le jeudi 20 septembre 2001.
[retranscrit à partir de l'enregistrement par Jacqueline Olivier]

Michel Zerbib : Alexandre Adler, bonjour. Directeur et éditorialiste au Courrier International, spécialiste aussi de l'ex Union Soviétique, entre autres spécificité, justement, la question qui se pose aujourd'hui c'est : les Américains vont frapper, certes, est-ce que selon vous, ils vont frapper fort, surtout en Afghanistan ?
Alexandre Adler : Oui. Ils vont, bien entendu, frapper fort, mais ils vont surtout frapper longtemps. Parce que la période des gesticulations, des pluies de missiles sans lendemain, est bien terminée. Et qu'il s'agit maintenant moins de satisfaire l'opinion par quelques artifices pyrotechniques, que d'infliger à un groupe terroriste qui est loin d'être une bande armée, qui est une sorte de quasi-Etat, une défaite stratégique définitive. Et d'ailleurs le vice-président Dick Cheney a parlé d'une guerre de plusieurs années. C'est très exactement ce qui se produira.
MZ : Alors cette guerre de plusieurs années, est-ce que ça fait partie aujourd'hui, au plan de la politique à long terme des Etats-Unis, d'une forme de raison d'être, est-ce que ça veut dire qu'ils ont décidé de mener une guerre durant de longues années, pour rester ce qu'ils sont c'est-à-dire la grande puissance américaine ?
AA : Il s'agit moins ici de grande puissance que de la sécurité, des Etats-Unis d'abord, mais aussi de l'ensemble du monde développé, car Oussama Ben Laden présente de nombreux points de comparaison avec Hitler, mais le plus important c'est leur génie trés particulier et qui leur est commun : Hitler était un mauvais sujet qui avait un don extraordinaire pour comprendre la faiblesse des autres. Il avait parfaitement vu que les Anglais le laisseraient violer la Tchécoslovaquie sans mot dire. IL a vu que Staline ne bougerait pas, comme un lapin hypnotisé par les phares, au printemps 1941. Là, il a vu que les Américains étaient vulnérables. Mais comme Hitler, c'est un homme qui ne comprend pas la puissance des démocraties. Il ne comprend que quand une démocratie qui semble extrêment divisée, hésitante, en débat, égoïste, eh bien quand ce même pays se rassemble, et cela arrive - et je crois qu'il vient de réussir ce coup-là - eh bien il riposte avec une énergie trés grande. Qui aurait pu imaginer que l'Amérique de 1941 doublerait son PIB en deux ans ? Elle l'a fait ! Et on s'en est aperçu un peu partout dans le monde...Je pense que l'Amérique d'aujourd'hui a des défauts, mais l'Amérique va effectivement se mettre en face des gens qui ont commis cet acte abominable - et qui ne souffre aucune réparation-, sur leur territoire et ils vont mener la guerre jusqu'à la victoire.
MZ : Ils vont mener la guerre dites-vous Alexandre Adler jusqu'à la victoire...Vous l'avez dit d'emblée, il y a eu des opérations qui étaient un peu "des feux d'artifice" (pour utiliser des termes un peu particuliers..),est-ce que vous avez le sentiment aujourd'hui, à l'heure où nous parlons, qu'ils ont vraiment les moyens militaires pour mener ce genre de guerre ?
AA : Non. Pas du tout. Ils ne les ont pas.
MZ : C'est-à-dire qu'il faut s'attendre à plusieurs mois de préparation ?
AA : Il faut s'attendre à des opérations dont certaines seront des échecs, il faut s'attendre à des échecs cuisants. Oussama Ben Laden marquera encore des points, exactement comme après Pearl Harbor, les Japonais ont pris Wake, puis les Philippines, puis l'Indonésie. Et puis un beau jour, il y aura Midway...C'est-à-dire que pour l'instant c'est Ben Laden le plus fort...
MZ : De loin le plus fort ? Est-ce à dire que dans cet environnement géopolitique vous pensez que par exemple les pays voisins ne vont pas jouer le jeu qu'ils affichent aujourd'hui ?
AA : Absolument.
MZ : Je parle notamment du Pakistan.
AA : Mais le Pakistan a déjà dit tout ce qu'il pensait : il accepte vaguement un survol mais il ment toutes les heures sur l'appui qu'il va donner aux Etats-Unis. En réalité Ben Laden, son idée c'est de financer des start-up mais il investit aussi dans de vielles sociétes et là, il a à peu prés 40% de l'armée pakistanaise, notamment parmi les jeunes, les officicers subalternes, les officiers de renseignements. Vous n'avez d'ailleurs qu'à lire l'interview du général Hamid Gul, l'ancien patron des services secrets pakistanais pendant la guerre d'Afghanistan, et vous serez édifié sur ce qu'il pense : c'est un benladénien orthodoxe. Par conséquent, bien sûr, le Pakistan est en guerre avec les Etats-Unis...
MZ : C'est évidemment une information - une réalité - assez extraordinaire ! Est-ce que vous avez là aussi le sentiment que les Américains, qui disiez-vous vont mener cette guerre, ont les moyens de la gagner tout seuls ?
AA : Non. Mais l'Inde est prête à aider les Américains à détruire l'armée pakistanaise...Et puis, deuxièmement, il est clair que Ben Laden a des appuis très forts en Irak. Il a notamment des liens étroits qui l'unissent au fils préféré de Saddam Hussein.
MZ : Cela veut-il dire que ce que certains ont dit d'emblée au moment où les avions rentraient sur les deux tours : "c'est une troisième guerre de type mondial ", vous y croyez aussi ?
AA : Oui, tout à fait. Mondial, c'est un peu beaucoup dire. Mais c'est une guerre qui se jouera de manière manœuvrée, depuis le Maghreb jusqu'à l'Inde.
MZ : Aujourd'hui il y a une certaine unanimité, notamment occidentale. Est-ce que vous pensez que notamment la France va aussi jouer le jeu à fond avec les Etats-Unis, dans tous les compartiments, pas seulement celui de l'effort militaire...
AA : Non. Je ne le pense pas. Je pense qu'un pays comme la France, qui est si fortement engagée derrière les Palestiniens et les Arabes, ne jouera pas du tout le jeu de la solidarité.
MZ : Aujourd'hui, encore très peu de voix s'élèvent pour lézarder ce front pro-américain, et vous pensez que dans les jours qui viennent, dans les semaines qui viennent, on va relancer la question des Palestiniens ?
AA : Mais, écoutez, c'est évident ! La France est partie pour cela ! Quand je dis la France, je parle du gouvernement. C'est à l'opinion de paralyser cette réaction ; mais tout ça sera complexe.
Dans cette affaire il y a un courant néo-vichyste puissant, mais il y a aussi beaucoup de gens qui ont une spontanéité gaulliste. En réalité cette affaire va diviser tous les partis, toutes les institutions. Mais nous sommes entrés dans une phase turbulente en France sur cette question.
Si vous permettez je voudrais dire les choses de manière plus synthétique encore : en réalité il n'y a pas d'unanimité européenne derrière les Etats-Unis, et il n'y a pas d'unanimité arabe et musulmane derrière Oussama Ben Laden. Ce sont deux fausses fenêtres. La vérité c'est qu'un certain nombre de forces aujourd'hui dans le monde arabe et dans le monde musulman sont prêtes à en finir avec les Oussama Ben Laden et autres terroristes. Seulement ces forces sont minoritaires. Il y a aussi en Europe des forces qui sont absolument décidées à saboter les Américains, ces forces sont également minoritaires. Nous verrons au fur et à mesure que la bataille prendra de l'ampleur, ces deux forces se renforcer. Je veux dire par là que, au Maghreb, en Turquie, et même en Arabie Saoudite, nous aurons des surprises favorables, nous aurons des musulmans qui vont s'élever contre les Talibans et la Kaîda et tutti quanti. De la même façon qu'on a vu des généraux algériens faire front finalement avec un courage certain à une offensive islamiste d'une ampleur considérable. Et à l'inverse nous aurons en France, en Allemagne, mais aussi en Angleterre, en Italie, en Espagne, l'étalage de la bassesse et des réactions les plus viles qui soient. Ce qui donne peut-être la possibilité de les vaincre progressivement par une bataille politique de tous les instants, où pour la première fois depuis un certain temps, les Juifs ne seront plus seuls..
MZ : Alors Alexandre Adler, justement je fais allusion à un éditorial que vous avez signé il y a plusieurs semaines et qui était assez fort, où en quelque sorte vous jetiez  les bases de nouvelles relations de la Diaspora juive internationale, notamment les Américains, les Russes et la Communauté française, est-ce que vous pensez qu'il est urgent aujourd'hui justement d'avoir ces relations sur le plan international ?
AA : Moi, je pense que en effet, Israël, qui est à la fois une très grande chose mais un petit Etat, a besoin de se donner un effet de profondeur et une dimension nouvelle, dans un rapport un peu transformé avec la Diaspora. Aujourd'hui, la Diaspora est essentiellement considérée comme une réserve d'initiatives financières - et sur ce plan la France est d'ailleurs lamentable : je profite de mon passage sur vos ondes pour dire à tous vos auditeurs  que le Fonds social unifié et l'Appel, ça existe et qu'il faudrait peut-être y songer surtout qu'en cette période de Nouvel An on a un peu d'argent, c'est le moment de le donner - . Mais par ailleurs ce n'est pas cela le soutien à Israël, ce n'est pas seulement cela, ce n'est pas seulement la Tsédaqa et l'Alya, comme le croient beaucoup d'Israéliens. Et personnellement, pendant cette guerre, ou à l'issue de cette guerre, je serais très favorable à l'existence d'une sorte de sénat, de deuxième chambre à côté de la Knesset, qui serait composée d'Israéliens et de membres de la Diaspora et qui auraient un rôle consultatif. Il faudrait des personnalités de premier plan, moi je verrais bien un homme comme Elie Wiesel présider un tel organisme. Je serais pour qu'il y ait un espèce d'organisme permanent qui matérialise la solidarité de tout le peuple d'Israël. Je voudrais dire aussi quelque chose qui me frappe énormément : je crois beaucoup qu'il existe des tribus perdues d'Israël, et en particulier en Afghanistan où trois des grandes tribus Pathanes, les Afridi, les Youssoufzaï et les Shinwari, sont des tribus d'origine israélite. Elles habitent dans le même coin et sont très hostiles aux Talibans maintenant. Le rabbin Israël est allé les voir à plusieurs reprises et je suis persuadé qu'il y a quelque chose à faire aussi pour ces lointains parents, abandonnés maintenant et qui se trouvent au cœur du cyclone..Ca serait très intéressant si Israël envoyait des émissaires à l'issue de cette guerre, ou pendant cette guerre, pour essayer de prendre contact avec ces lointains parents oubliés, mais qui gardent comme une fierté leur origine israélite, qui en sont persuadés.
MZ : Vous pensez les faire venir en Israël ? Non ? Pas nécessairement ?
AA : On ne sait jamais. On ne sait pas ce qu'il peut résulter d'une telle situation. Mais si certains voulaient s'établir en Israël, moi je pense que ce serait une chose extraordinaire !
MZ : Merci beaucoup Alexandre Adler. On est à la veille du Nouvel An juif de Roch Hachana, est-ce que vous avez envie de formuler des vœux dans une situation aussi compliquée ? Est-ce que vous êtes totalement pessimiste, ou est-ce qu'on peut entrevoir finalement quelques raisons d'espérer ?
AA : Mais nous devons espérer ! Dieu ne nous abandonnera pas, il ne nous a jamais abandonnés ! Et n'oublions pas quand même que finalement [petit rire] le pire moment ça a été l'Intifada des mosquées, ce moment où Israël s'est trouvé tout seul face à sa volonté de paix, et devant un complot ramifié du nationalisme Arabe pour faire sauter le processus d'Oslo. Aujourd'hui la situation est bien changée ! J'ai passé le pire Kippour de ma vie l'année dernière, j'espère passer un meilleur kippour cette année et je pense - comme tous les juifs- que par ce rassemblement qui se fait dans les mois de tichri, que par l'intensité de notre prière et de notre amour d'Israël nous repousserons l'arrêt mortel et que nous aurons une meilleure année. Je suis persuadé pour ma part que, même si cette guerre est dure, même si elle est difficile, Israël n'est plus seul ! Et Israël n'a pas pour vocation d'être seul: je ne suis pas dans l'esprit de Massada, je suis au contraire justement dans l'esprit avec les Nations qui nous a toujours permis de siècle en siècle, de survivre jusqu'à ces moments que nous vivons maintenant.
                  
2. Le jour où la baudruche Barak s'est dégonflée par Uri Avnery (15 septembre 2001)
[traduit de l'anglais par  R. Massuard et S. de Wangen]

Si un étudiant avait eu à se présenter devant le professeur Schlomo Ben Ami avec le texte paru sous la signature de ce dernier dans le supplément du quotidien Ha'aretz du 14 septembre 2001, le professeur le lui aurait rendu avec le commentaire suivant : " Note : 5/10. Nombreuses lacunes dans l'argumentation. Nombreuses contradictions internes. Aucune connexion entre les faits et les conclusions. Rien pour soutenir l'argument principal. A revoir ! "
L'article, présenté sous forme d'interview, doit être lu plusieurs fois avant que les faiblesses apparaissent. Comme il s'étend sur huit longues pages, on peut supposer que la plupart des lecteurs se sont contentés des titres et des extraits mis en exergue lesquels sont exprimés comme des slogans électoraux. Ainsi, Ben Ami amplifie encore les dégâts que Barak et lui ont provoqués quand leur courte et catastrophique période au pouvoir a lamentablement pris fin.
A travers les lignes, une certaine vérité se dégage de certains propos épars. Ben Ami dit de lui-même et de Barak : " Nous n'étions pas vraiment membres du cercle strict de la gauche. Ni l'un ni l'autre n'étions membres de l'industrie de la paix. Ni l'un ni l'autre n'étions de véritables industriels de la paix. " Ces mots, sous leur intention ironique, peuvent être traduits plus simplement : Ni l'un ni l'autre ne connaissions quoique ce soit des Palestiniens, de leurs traumatismes, du déroulement de leur histoire, des craintes et des ambitions du partenaire désigné. Ben Ami et Barak avaient en commun l'incroyable audace d'aborder la tâche historique de construction de la paix avec pour tout bagages l'ignorance et d'arrogance - bravade militaire dans le cas de Barak, vanité intellectuelle dans celui de Ben Ami.
L'ignorance a joué contre eux parce qu'ils ne comprenaient pas le code interne des Palestiniens et étaient totalement emprisonné dans le nôtre. D'où, ils ne comprenaient absolument pas l'autre partie. Toutes les positions de cette dernière étaient incompréhensibles et ses actions imprévisibles. Ceux qui comprennent le projet palestinien, qui ont passé de longues années à étudier le sujet, et des milliers d'heures de dialogue personnel, avec un certain degré d'empathie, avec les Palestiniens, n'ont été surpris par aucune de leurs démarches. (Permettez-moi de vous rappeler que j'avais moi-même prédit et publié par avance la plupart des pas accomplis par les Palestiniens).
L'histoire et les proches élections
La principale conclusion de Ben Ami est : " Pour Arafat, Oslo a été une énorme diversion qui lui a permis de cacher la pression politique et les actions terroristes qu'il mettait en œuvre pour saper l'idée de deux pays pour deux nations. " Je serais prêt à donner une prime substantielle à quiconque peut trouver une démonstration probante de cette affirmation dans les 8 pages de son article. L'illustre professeur présente son opinion personnelle comme une conclusion basée sur des preuves factuelles. Or, il diabolise le dirigeant de l'autre nation d'une manière grossière afin de justifier son échec monumental et lui faire endosser la responsabilité du désastre.
Il est vrai qu'Arafat et Barak sont très différents, aussi différents l'un de l'autre, que David Ben Gourion l'était d'Avram Burg. Comme le dit le dicton américain : " Un homme d'Etat pense aux prochaines générations ; un politicien pense aux prochaines élections. " Arafat est un dirigeant historique qui a mené son peuple des marges d'une totale annihilation aux marges d'un Etat indépendant (quoique encore non visible). Barak, tel que Ben Ami le décrit, ne se préoccupait que des prochaines élections. Le troisième homme dans ce jeu, Clinton, ne pouvait pas être réélu mais il était beaucoup plus préoccupé par la réélection de Barak et par la bataille électorale de son épouse dans la plus grande ville juive du monde.
Arafat n'a rien cédé
Deux faits vraiment cruciaux, qui jettent une ombre sur Barak et Ben Ami, manquent manifestement dans l'article de Ben Ami :
(a) Israël a refusé de remplir ses obligations découlant d'un accord signé et concernant la troisième phase du désengagement supposé comprendre toute la Cisjordanie, à l'exception de quelques bases militaires spécifiques, et
(b) tout au long de la négociation, Barak a continué d'agrandir les colonies et de construire des routes de contournement à un rythme accru.
A ceci les Palestiniens ont répondu : " Alors que vous discutez avec nous de la manière de partager la pizza, vous êtes en train de la manger. "
Ce qu'affirme principalement Ben Ami est que, à chaque étape de la négociation, de Stockholm au printemps 2000 à Taba au début 2001, Arafat n'a accepté aucun compromis. La partie israélienne a donné, donné, " kvetsch après kvetsch " dans le Yiddish de Ben Ami (qui est né à Tanger, au Maroc), et Arafat n'a jamais présenté aucune proposition. Selon Ben Ami : " Arafat n'a pas joué le jeu "
Cette description n'est pas étayée par les faits que Ben Ami lui-même présente. Ceux-ci montrent
(a) qu'Arafat a eu une position claire tout au long du processus de négociation et,
(b) qu'Arafat a, au-delà de cette position, présenté des compromis à long terme.
Dès le début, l'approche israélienne et américaine a été basée sur une supposition erronée, qui est résultat du refus d'écouter (ou de la sous-estimation) de l'autre partie. Ils voyaient le compromis en termes de marché : l'acheteur offre 10 dollars, le vendeur en demande 20 et ils transigent à 15. L'acheteur  (Israël) a offert 11, puis 12, puis 13. Le vendeur (les Palestiniens) a insisté sur 20 et, avec réticence, a accepté 19,50. D'après Ben Ami, cela revient à prouver qu'il veut détruire Israël.
L'interprétation palestinienne est très différente. Ils ont fait leur compromis historique à Oslo quand ils ont officiellement abandonné 78% de leur patrie qui leur avait été prise par les Israéliens en 1948, et accepté de ne garder que les 22% restants. Les Israéliens (aidés par les Américains) demandent maintenant des concessions sur ces 22%. Pour les Palestiniens, c'est hors de question.
Ben Ami prétend : " Ils refusent de nous donner quelque indice que ce soit sur la fin de leurs demandes...un trou noir d'une demande suivie d'une autre demande, avec aucune vue claire sur la ligne d'arrivée. " Mais en réalité problème était la difficulté d'écoute du professeur lui-même. Si seulement l'arrogant duo Barak-Ben Ami avait écouté ce que " ce caractère " (dixit Barak) répétait encore et toujours, ils auraient su qu'il y avait une ligne d'arrivée claire. Elle avait tout le temps été sur la table : l'établissement d'un Etat palestinien dans tous les territoires occupés au-delà de la ligne verte et la signature d'une paix réelle entre Israël et la Palestine. Nous avons entendu cette position cent fois au cours des années. Il n'y a pas le moindre élément qui permette de réfuter sa sincérité. Elle est stable et solide par rapport à la suite interminable de sophistiques produites par Ben Ami et Beilin et qualifiées de " nouvelles offres ".
Entre parenthèses, s'il pouvait y avoir une once de vérité dans les affirmations israéliennes que les Palestiniens utilisent la " méthodes des tranches " (prenez ce que l'on vous offre et demandez plus jusqu'à ce qu'Israël soit détruit), Arafat aurait certainement saisi des deux mains " l'offre généreuse " de Barak et laissé la demande pour le plus à ses héritiers. Le fait qu'Arafat ait refusé les offres prouve sa sincérité. Il considérait l'accord comme " la fin du conflit " et par conséquent demandait le minimum nécessaire aux Palestiniens pour établir un Etat indépendant. C'est précisément cette insistance des Palestiniens qui a tant irrité Ben Ami, insistance qui montre leur volonté de reconnaître Israël et à mettre fin au conflit.
Même d'après Ben Ami, Arafat a en fait accepté des concessions à long terme dans la perspective palestinienne. Parmi celles-ci :
a) Il a accepté des changements dans la ligne verte et l'annexion par Israël de 2 à 3,5% de territoire.
b) Il a théoriquement été d'accord pour des blocs de colonies, qui sont un anathème pour les Palestiniens.
c) Il a accepté l'annexion par Israël des zones juives de Jérusalem-est qui, pour les Palestiniens, sont, à tous points de vue, des colonies installées sur des terres prises par Israël en 1967.
d) Il a été d'accord pour donner à Israël le Mur occidental et le quartier juif de la Vieille ville.
e) Il a été d'accord pour abandonner la revendication historique des réfugiés à retourner dans leurs foyers et accepté, en principe, qu'Israël permette le retour pour seulement un nombre limité après accord commun.
Quiconque connaît même très peu de chose sur la question palestinienne,  sait que cela représente des concessions importantes. Comment cela peut-il conduire à la conclusion qu'ils veulent détruire Israël ?
Camp David : un comportement de déséquilibré
Voyons maintenant les faits, (je ne compare pas la description de Ben Ami à celle des Palestiniens, mais je me réfère seulement à la description de Ben Ami elle-même) :
Quand Barak s'est présenté au début de 2001, il a offert aux Palestiniens 65% des territoires (ce qui représente 14,5% du Grand Israël sous mandat).
Au printemps 2000, quand les négociations ont commencé à Stockholm, les Israéliens demandaient 12% des territoires (sans échange de terres) en plus de " positions de sécurité " dans la vallée du Jourdain (en fait une annexion de 10% supplémentaires et un contrôle israélien sur les rives du Jourdain (coupant effectivement la Cisjordanie du Jourdain). Barak s'est refusé à toute discussion sur Jérusalem et a refusé de seulement mentionner Jérusalem comme sujet de discussion. Le raffiné Abu-Ala a dit à Ben Ami : " Shlomo, remportez les cartes ".
L'étape suivante a été Camp David en juillet 2000. Nous savons, par Robert Malley, l'assistant de Clinton, qu'Arafat a été contraint, contre sa volonté, d'y aller. Il croyait, à juste titre, qu'il s'engageait dans un piège. Barak et Clinton étaient comme les deux branches d'un casse-noisettes ayant l'intention de l'écraser (comme je l'ai écrit à l'époque). Le seul but d'Arafat était de s'en sortir indemne et entier. Barak, dont le gouvernement avait déjà commencé à se désagréger, avait l'intention d'obliger Arafat à signer un accord qui lui permettrait d'être réélu. Clinton voulait aider son épouse qui attendait depuis longtemps son élection au Sénat avec les votes juifs.
Les Israéliens ont mis sur la table l'annexion à 12% de la carte. Oralement, ils laissaient entendre qu'ils étaient prêts à descendre à 8-10%, en plus de leur demande de contrôle " temporaire " sur la vallée du Jourdain. Les Palestiniens avaient déjà appris la valeur des promesses orales depuis le " troisième désengagement " qui, pour l'heure, n'avait pas encore eu lieu.
Petit à petit, Jérusalem a fait surface en tant que question centrale. L'offre de Barak était très différente de l'impression créée en Israël. Il voulait concéder aux Palestiniens le contrôle seulement sur la " ceinture extérieure " (Abu Dis qu'il avait déjà promis de donner sans jamais le faire, El-Azariah, Beit-Anina, etc.) Mais il avait l'intention de conserver les quartiers arabes de Jérusalem-même (Sheikh-Jarah, Abu-Joz, Ras-El-Amud, Silwan, etc.). Il était prêt à donner aux Palestiniens la " garde permanente " sur le Mont du Temple mais insistait pour qu'Israël conserve la souveraineté sur lui. Aucun responsable arabe ou musulman au monde n'aurait pu accepter une telle offre " généreuse ".
Les comptes en pourcentages de l'annexion ne reflètent pas la réalité. La localisation des dunams était plus importante que leur nombre. La carte israélienne divisait en fait la Cisjordanie en trois enclaves séparées, chacune d'elles étant entourée de colonies et de soldats. La fragile continuité territoriale montrée sur la carte ne change pas cette réalité.
Quand les Palestiniens ont rejeté cette offre, Barak en a fait une dépression - d'après Ben Ami. Pendant deux jours il n'a pas adressé la parole à ses assistants. Au cours d'un dîner officiel, il est resté figé " comme une statue de sel ". Il a évité Arafat tout au long de la rencontre. Quiconque connaît l'homme Arafat sait que le contact personnel est très important pour lui. Peut-être le contact n'aurait-il pas changé la substance des entretiens mais il aurait pu prévenir des crises évitables. Le refus de Barak de parler directement avec lui et de le reconnaître aux dîners officiels a certainement confirmé ses pires soupçons. Ben Ami attribue ce comportement pathologique de Barak à une " logique cartésienne " (logique pure, d'après le philosophe français René Descartes). Arafat n'étant qu'un Arabe ne pouvait pas atteindre une qualité aussi élevée. " Ils (les Palestiniens) ne possèdent pas la grandeur qui existe chez Ehud " s'enthousiasma le professeur.
Les descriptions de Ben Ami sont remplies de réflexions psychologiques sur Arafat tel qu'il apparaît dans l'imagination de ce professeur d'histoire espagnole moderne. Quiconque connaît Arafat sait bien qu'il n'y a rien de commun entre " ce caractère " et l'homme réel. Seulement Ben Ami n'a aucune notion ce qui il est. A croire que ceux qui étudient Descartes ne pourraient pas franchir le fossé culturel et simplement comprendre le langage du dirigeant palestinien. Ce phénomène existe aussi dans les relations entre Américains et Japonais, pour prendre un exemple. Quand Arafat exprima poliment un refus, dans un langage qui serait clair pour n'importe quel Arabe, ils comprirent qu'il avait accepté et furent choqués de découvrir le jour suivant qu'il avait dit " non ".
L'ignorance de Ben Ami atteint un sommet quand il dit : " A ce moment-là (le moment n'a aucune importance) j'ai compris qu'ils (les Palestiniens) n'étaient pas Sadate. " Sadate ? Le dirigeant égyptien a demandé et obtenu la restitution de chaque parcelle de son territoire, le démantèlement de toutes les colonies qui s'y trouvaient, y compris la ville de Yamit. Il n'aurait jamais été d'accord avec les sortes de concessions faites par Arafat.
Taba : le dernier alibi
Après l'échec de Camp David suite à ce qui apparaissait aux Palestiniens comme les offres humiliantes de Barak et son mépris pour les concessions à long terme qu'ils avaient faites et mises sur la table, l'intifada s'est déclenchée. Cela a complètement changé les règles du jeu. Néanmoins, Clinton a présenté son propre plan. Il lui restait moins d'un mois de présence au pouvoir et aucun moyen de s'assurer que les Israéliens respecteraient la partie les concernant de ses propositions.
Que proposait-il ? Annexion par Israël de 2 à 3 % de la Cisjordanie en échange d'un territoire israélien égal à 1% de la Cisjordanie. Alternativement, annexion de 6% par Israël contre 3%. Division de Jérusalem : tout ce qui est juif à Israël, tout ce qui est arabe à la Palestine. Le Mur occidental et le Saint des Saints (en d'autres termes le Mont du Temple) à Israël. Le retour d'un nombre minimum de réfugiés en Israël, " en accord avec le droit israélien ". Contrôle militaire de la vallée du Jourdain pendant trois ans, présence militaire pendant trois années supplémentaires.
Les deux parties ont présenté plusieurs pages de réserves. Avec une grande agilité verbale, Ben Ami prétend que les Palestiniens ont en réalité refusé l'offre et que les Israéliens l'ont en fait acceptée. Rien de tout cela ! Barak a persisté avec ses demandes totalement inacceptables que la Cisjordanie soit coupée du Jourdain et qu'Israël conserve la souveraineté sur le Mont du Temple. Les Palestiniens, évidemment, ont rejeté l'idée du Saint des Saints et présenté leurs propres demandes.
Puis il y a eu Taba. C'est le dernier alibi de Ben Ami. Le mythe des " offres généreuses " de Barak a été à découvert à la suite des révélations de l'Américain Robert Malley et d'autres. Un nouveau mythe est né : bien qu'aucune " offre généreuse " n'ait été faite à Camp David, à Taba tout a été offert aux Palestiniens et ils ont refusé. Ceci prouve que...etc.
A Taba, il y a eu, bien sûr, des progrès significatifs. Le principe que le nombre de réfugiés autorisés à rentrer en Israël serait limité par un accord a été accepté. Cela représentait un compromis palestinien et israélien significatif. Il restait la question du nombre : les Palestiniens ont ouvert les négociations avec 150.000 par an pendant 10 ans. D'après Ben Ami, Yossi Beilin a proposé 40.000 (par an ? au total ?). La délégation israélienne a présenté une nouvelle carte avec l'annexion de 5,5% par Israël. Les blocs de colonies à conserver ont été réduits en taille et la question de l'échange de territoires a été soulevée. La question des emplacements n'a pas été discutée.
Pour la première fois, reconnaît Ben Ami, les Palestiniens ont présenté une contre-proposition de carte qui abandonnait 2,34% et leur laissait les colonies importantes et les routes de contournement mais sans les villages palestiniens autour.
Les Palestiniens savaient déjà à ce stade qu'il n'existait pas de soutien à l'offre israélienne étant donné que les élections devaient avoir lieu en Israël dans les jours suivants et que, d'après tous les sondages, Barak était sur le point de subir une défaite colossale. Mais ils n'ont pas rejeté les offres israéliennes, comme le prétend Ben Ami. Au contraire, puisqu'ils insistent pour que toute négociation reprenne là où Taba en est resté.
Ben Ami ne prend pas la peine de rappeler à ses lecteurs la façon dont les négociations se sont achevées à Taba : Barak a donné des instructions pour qu'elles s'arrêtent et que toutes les offres soient retirées. Cela n'empêche pas Barak de dire, depuis lors, qu'il avait retourné toutes les pierres et tout offert tandis que le mauvais Arafat avait répondu par la guerre.
La route de l'enfer et les bonnes intentions
La route de l'enfer est quelquefois pavée de bonnes intentions. Il n'y a pas de doute que Ben Ami a de bonnes intentions mais il nous a conduits à l'enfer actuel.
Pour masquer son terrible échec, il a créé la légende selon laquelle il n'y a personne à qui parler, que les Palestiniens avaient l'intention de détruire Israël, que " pour eux la négociation ne se terminera qu'avec la chute d'Israël ". Ceci est dit alors qu'Israël emploie la force oppressive brutale dans les territoires occupés, tue des militants palestiniens et refuse de geler la construction des colonies.
La présence de Ben Ami comme ministre de la police nous a conduits à la catastrophe d'octobre 2000 (quand la police a tué 11 citoyens arabes) qui a ruiné, peut-être pour des générations, les bonnes relations entre Juifs et Arabes en Israël. Le peu de temps où il a été ministre des affaires étrangères s'est terminé par un désastre qui a détruit de larges couches du camp de la paix israélien et a assuré la victoire de Sharon.
De tels résultats pourraient conduire tout autre homme à exprimer des regrets et à un certain degré d'humilité. Pas Ben Ami qui, à ses propres yeux, est un génie politique.
Quelqu'un a donné pour titre à l'interview avec lui : " Le jour où la paix est morte ". Ce titre aurait dû être : " Le jour où nous avons tué la paix ".
                    
Revue de presse

                            
1. Pérès et Arafat s'engagent à tout faire pour que la trève tienne par Ibrahim Barzak
Dépêche de l'agence Associated Press du mercredi 26 septembre 2001, 13h22

AEROPORT INTERNATIONAL DE GAZA, Bande de Gaza - Longtemps attendue, maintes fois reportée, la rencontre entre Shimon Pérès et Yasser Arafat a enfin eu lieu, à la demande pressante des Etats-Unis, mercredi matin à l'aéroport de Gaza. A cette occasion, le ministre israélien des Affaires étrangères et le président de l'Autorité palestinienne se sont engagés à tout faire pour que le cessez-le-feu tienne et à mettre en oeuvre des mesures de rétablissement de la confiance.
Mais au même moment, soulignant la fragilité de toute trève, à cinq kilomètres de là, un Palestinien de 14 ans était tué et onze autres blessés dans un affrontement entre soldats de Tsahal et lanceurs de pierres. Trois jeunes blessés sont dans un état grave.
Juste auparavant, trois soldats israéliens avaient eux été blessés dans un attentat à bombe contre un poste militaire à la frontière israélo-égyptienne dans le sud de la Bande de Gaza. En riposte, les chars israéliens sont entrés brièvement dans le camp de réfugiés de Rafah et ont ouvert le feu, endommageant plusieurs maisons mais sans faire de victime.
La rencontre Pérès-Arafat a duré deux heures et demie, et s'est achevée par la lecture, par le négociateur palestinien Saeb Erekat, du texte du communiqué conjoint. Les parties s'y engagent à respecter toutes leurs obligations précédemment prises en matière de sécurité. Quant au gouvernement israélien, il commencera à lever les restrictions en vigueur dans les territoires palestiniens et à redéployer ses forces. Aucune date ni précision n'est donnée.
Les parties promettent donc d'''exercer les efforts maximum en vue de faire respecter le cessez-le-feu décrété'' la semaine dernière et à ''reprendre une pleine coopération en matière de sécurité'' sur la base de l'accord négocié par le directeur de la CIA George Tenet en juin dernier. Laquelle trève n'avait pas tenu plus de quelques jours...
Israël et les Palestiniens, qui ''réaffirment leur plein engagement envers la mise en oeuvre des recommandations de la commission Mitchell et l'accord Tenet'', décident à cette fin la création d'une ''commission conjointe de hauts représentants afin de régler toute question qui pourrait découler de (leur) application''.
En mai, la Commission Mitchell avait recommandé que les Palestiniens fassent ''100% d'efforts'' pour arrêter les opérations terroristes et punir leurs auteurs. Israël pour sa part devait, entre autres, lever le blocus.
MM. Arafat et Pérès se reverront dans une semaine environ, poursuit le communiqué, s'achevant par des remerciements à ''tous les pays et dirigeants qui ont encouragé et oeuvré à la relance du processus de paix''.
Allusion au forcing américain de ces derniers jours: le secrétaire d'Etat Colin Powell n'avait cessé de téléphoner à Arafat et au Premier ministre israélien Ariel Sharon pour les exhorter à progresser dans leurs pourparlers. Ce dernier a annulé à deux reprises la rencontre Pérès-Arafat, estimant que le leader palestinien ne faisait pas suffisamment d'effort pour contenir la violence.
Les Etats-Unis espèrent obtenir le retour au calme au Proche-Orient, jugeant que les violences actuelles entravent les efforts de Washington en vue de mettre sur pied une coalition internationale antiterroriste.
De plus, les divergences sur l'opportunité de cette rencontre ont mis Sharon et Pérès à deux doigts de la rupture, qui ferait éclater la coalition au pouvoir en Israël. Le Premier ministre subit la pression de ses ''ultras'', qui refusent toute concession aux Palestiniens, et ces derniers craignent que le modéré Pérès n'ait pas suffisament de marge de manoeuvre.
Seul espoir, le fait que ni Sharon ni Arafat veulent se mettre les Etats-Unis à dos en cette période de tension internationale et de préparatifs de riposte militaire aux attentats du 11 septembre.
Le cessez-le-feu subira vendredi son premier test important: en ce jour de prière, les Palestiniens comptent commémorer par de nombreuses manifestations le premier anniversaire du déclenchement de la deuxième intifada. On craint affrontements et débordements dès la sortie des mosquées.
                  
2. Le développement palestinien tué dans l'œuf par Marwa Hussein
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 26 septembre 2001
« On s'attendait à ce que l'an 2000 soit l'année de la relance de l'économie palestinienne. Le PIB devait atteindre 6,5 milliards de dollars et le taux de croissance devait dépasser les 8 %. Mais le bouclage israélien a supprimé en un an les efforts de longues années », commente Barakat Al-Farra, conseiller économique à l'ambassade de Palestine en Egypte. Le ministère palestinien des Finances a estimé les pertes de l'économie depuis le déclenchement de l'Intifada le 28 septembre 2000 à 7 milliards de US$. Soit l'équivalent de plus d'un an de PIB !
Les pertes ont touché tous les secteurs de l'économie, mais celui de l'agriculture est le plus affecté. Les forces israéliennes ont arraché près de 250 000 arbres fruitiers et oliviers. De plus, des centaines de serres dont le prix est estimé entre 25 et 30 000 dollars ont été détruites. Sans compter l'érosion des terres et les puits bouchés. En conséquence, les exportations du secteur ont baissé de 30 % et les pertes du secteur sont estimées à 7,3 millions de US$ par jour.
Quant à l'industrie, elle souffre comme le commerce du manque de matières premières à cause du sévère contrôle exercé par Israël sur tout ce qui rentre ou sort des territoires palestiniens. De 696 millions de US$ en 1999, les exportations palestiniennes sont tombées à 425 millions en 2000. Les prévisions pour 2001 estiment qu'elles baisseront de 50 %. Tandis que les importations étaient de quelque 2 milliards en 2000, contre plus de 3 milliards en 1999. Ce secteur devait en fait connaître un vrai réveil en 2000/2001. « Les cinq années qui ont précédé l'Intifada ont vu le début d'un épanouissement de l'économie palestinienne. Les investissements ont atteint 1,2 milliard de US$ en 1999 et deux zones industrielles ont été construites dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Elles avaient à peine commencé leur production quand l'Intifada s'est déclenchée, ce qui a arrêté toute activité », rappelle Barakat. Actuellement 220 usines ont fermé dans le nord du pays et les pertes quotidiennes sont de 4,3 millions de US$.
D'autre part, deux gisements de gaz naturel découverts dans la Méditerranée, près de Gaza, devaient commencer leur production cette année. L'Egypte était responsable de l'exportation de ce gaz et la Palestine devait faire partie du réseau de gaz naturel reliant les pays arabes et la Turquie.
Le tourisme, le secteur le plus rentable et le plus propice au développement, s'est complètement arrêté à cause du bombardement continu. 800 000 touristes visitaient Bethléem chaque année. Le pays se préparait à fêter le millénaire dans la ville, des hôtels avaient été construits spécialement, mais tous ces hôtels sont complètement vides aujourd'hui. La situation est la même à Gaza et Jéricho. Une récente annonce du ministère de l'Habitat a affirmé que ce secteur a perdu plus de 10 millions de US$.
Cette destruction a eu ses effets sur le peuple ainsi que sur l'Autorité palestinienne. Les revenus de cette dernière qui provenaient initialement des tarifs douaniers et des taxes se limitent actuellement à 17 millions de US$ par mois, contre 90 auparavant. « Actuellement, nous recevons un prêt mensuel de 45 millions de US$ de la Banque islamique de Djeddah qui ne suffit même pas au versement des salaires qui atteint les 70 millions », explique Barakat. L'Autorité, en plus, est maintenant chargée de payer à Israël la facture d'électricité pour les citoyens qui sont devenus incapables de la payer. Alors qu'Israël a gelé le remboursement de 250 millions de US$ de taxes perçues par l'Etat hébreu sur les importations palestiniennes transitant par les ports et aéroports israéliens.
La moitié en dessous du seuil de pauvreté
Les conséquences sociales sont également lourdes. 120 000 ouvriers qui travaillaient en Israël sont au chômage. Leur revenu quotidien représentait entre 2,5 et 3 millions de US$. D'autres ne peuvent plus aller à leur travail à cause du bouclage des Territoires. Ainsi, le nombre de chômeurs a dépassé les 350 000, soit plus de 50 % de la population active, contre 13 % avant le bouclage.
55 % de la population de Gaza et 45 % en Cisjordanie vivent en dessous du seuil de pauvreté, contre 22 et 17 % respectivement avant l'Intifada. « Des familles palestiniennes ne peuvent plus fournir qu'un seul repas à leurs enfants par jour et les gens se trouvent obligés de vendre leurs propriétés. Les indemnités des fonds des pays arabes ne représentent que 10 % des pertes », explique Barakat.
« L'économie palestinienne est proche de l'effondrement en raison du bouclage israélien », avait affirmé le coordinateur spécial de l'Onu pour le Proche-Orient, Terje Roed-Larsen. Après la bataille, les Palestiniens auront donc à reconstruire leur économie à partir de zéro. Pour une nouvelle bataille, celle du développement. 
                  
3. Les aides étrangères au secours d'Israël par Salma Hussein
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 26 septembre 2001
L'économie israélienne n'arrive pas à se réveiller du cauchemar de l'Intifada, déclenchée en septembre 2000. Elle est, en effet, passée d'une croissance forte à une véritable crise à long terme. Causant ainsi des pertes estimées entre 2 et 3 milliards de dollars, selon les économistes israéliens. Le taux de croissance — qui a atteint 6 % en 2000 du PIB — sera en 2001 de 1 %. Ce qui signifie, en fait, une baisse du PIB par individu de -1,5 %, vu le taux de croissance de la population de 2,5 %.
Cette chute est la conséquence des baisses de régime des secteurs de la technologie et du tourisme. En effet, ces deux derniers ont représenté ensemble les moteurs de la croissance pendant plusieurs années. Cependant, il semble que les sept vaches grasses seront suivies par sept vaches maigres. Bien que la Banque d'Israël ait baissé les taux d'intérêt, comme tentative pour freiner la récession, « les investisseurs s'enfuient », comme l'indique le ministre des Finances. A son avis, les entreprises américaines craignent d'investir en Israël, à cause des événements au Proche-Orient. Par exemple, la coopérative des industriels s'attend à une chute du taux de croissance dans le secteur de la technologie à 10-15 %, contre 45 % en 1999. Pour sa part, le ministre du Tourisme, Rehavam Zeevi, prédit que « l'impact des événements s'étendra non seulement dans les mois prochains, mais pour des années à venir ».
En premier lieu, les pertes des revenus touristiques s'élèvent, à elles seules, à 0,75 milliard de dollars. Le nombre de touristes a chuté de moitié, après le déclenchement de l'Intifada à 870 000. Il y a eu dans ce secteur 28 000 licenciements en un an parmi lesquels 12 000 travaillant dans l'hôtellerie, et 3 000 chambres ont été fermées. A Nazareth, la plus affectée des villes touristiques, 100 % des hôtels ont fermé. Par ailleurs, le ministre du Tourisme a averti le gouvernement que « la crise du tourisme pourrait avoir un effet boule de neige et entraîner dans sa chute le reste de l'économie. Surtout que plusieurs industries et services y sont liés ».
Quant au secteur de la technologie, il représente 15 % du PIB. Ce qui rend l'économie israélienne la plus dépendante de ce secteur au monde. Il a aussi contribué au taux de croissance en 1999, estimé à 6 % pour les deux tiers. Cette année, les choses vont changer. Le financement injecté dans les start-up du secteur va baisser de 60 %. Celui-ci a atteint un record de 3,1 milliards de dollars, au début de 2000. Zeev Holtzman, PDG de GIZA, un fonds de capital, risque, résume l'état désastreux : « L'année dernière nous financions une nouvelle entreprise par mois. Actuellement le taux est à une tous les six mois ». Pour lui, la chute du Nasdaq a énormément amplifié les effets négatifs de l'Intifada. Ainsi, 60 entreprises ont fait faillite. 10 000 employés ont été licenciés, dès le début de 2001. 300 autres entreprises ne pourront pas survivre à la crise, selon un analyste du secteur.
Le politique d'abord
Conséquence, le nombre de demandes d'emplois a augmenté pendant les 4 premiers mois de 2001, atteignant un chiffre record de 179 100. Les études officielles prévoient un taux de chômage de 9-9,5 % à la fin de 2001, contre 6,8 % à la fin du premier quart de l'année. Pour des économistes indépendants, ce taux s'élève à 17 %.
Le directeur du Syndicat israélien des chambres de commerce, qualifie les pertes de l'économie de « considérables ». Et, le bureau central de statistiques a annoncé que le premier trimestre de 2001 a connu une diminution du remboursement des dettes de 30-40 % du secteur de commerce et des services, un secteur qui fournit 59 % du PIB. Or, il semble que ces pertes ne sont pas suffisantes pour convaincre les décideurs israéliens de changer leur politique d'agression contre les civils palestiniens. « Bien que les tensions dans les territoires occupés soient considérablement nuisibles à l'économie, cela n'est pas le facteur décisif de la politique israélienne. Ce sont plutôt les facteurs politiques et sécuritaires qui comptent », estime Ahmad Al-Naggar, chercheur économique au Centre d'Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d'Al-Ahram. « En revanche, le flux des aides internationales ne leur manquera pas. Celui-ci dépasse 2,5 milliards de dollars annuellement, en provenance des Etats-Unis, des juifs de la diaspora et de l'Allemagne.»
                    
4. Incident entre la police israélienne et l'entourage de Védrine
Dépêche de l'Agence France Presse du mardi 25 septembre 2001, 10h57

JERUSALEM - La police israélienne a pénétré mardi matin dans un hôtel de Jérusalem-est où le chef de la diplomatie française Hubert Védrine discutait avec des personnalités palestiniennes et a confisqué l'accréditation d'un garde du consulat de France, a constaté un journaliste de l'AFP.
Trois ou quatre policiers israéliens en uniforme ont fait irruption dans l'hôtel et essayé d'entrer dans le salon situé au premier étage de l'hôtel où M. Védrine rencontrait un groupe de huit personnalités palestiniennes de Jérusalem, parmi lesquelles Hanane Achraoui, porte-parole de Ligue arabe et membre du Conseil législatif (parlement) palestinien.
Un garde de sécurité du consulat de France et plusieurs diplomates français se sont alors interposés pour les empêcher de pénétrer dans la salle.
Une bousculade s'est ensuivie, les policiers faisant appel à des renfort au milieu des éclats de voix et dans une ambiance de tension croissante.
La police est finalement repartie sans être entrée dans le salon où se trouvait M. Védrine, mais après avoir confisqué la carte d'accréditation du garde de sécurité et avoir tenté, en vain, de confisquer celle du consul-adjoint, a ajouté ce correspondant de l'AFP.
L'hôtel, l'American Colony, se trouve tout près de la Maison d'Orient, siège officieux de l'OLP à Jérusalem-est, fermée par le gouvernement d'Ariel Sharon dans la nuit du 9 au 10 août, après un attentat suicide palestinien qui avait tué 15 personnes, en plus de son auteur, dans une pizzeria du centre de Jérusalem-ouest.
Une dizaine d'institutions palestiniennes de Jérusalem-est ou des environs avaient avaient été fermées à cette occasion sur ordre du Premier ministre israélien Ariel Sharon.
A l'issue de la rencontre, qui a duré environ une heure, M. Védrine, sorti en compagnie de Mme Achraoui, a appelé à la réouverture de la Maison d'Orient, sans faire mention de l'incident.
"Comme tous les Européens, nous condamnons l'occupation et la prise de contrôle de la Maison d'Orient", a-t-il déclaré à la presse.
"Nous en demandons la restitution aux Palestiniens, ainsi que la restitution du très important fond documentaire qui leur appartient", a-t-il ajouté.
Pour sa part, Mme Achraoui a indiqué que les entretiens avec le ministre avaient porté sur le statut de Jérusalem et "les pratiques israéliennes" et a également demandé la réouverture des institutions palestiniennes fermées après l'attentat du 9 août.
La partie orientale (arabe) de la Ville sainte a été conquise et annexée par l'Etat juif en 1967. Depuis lors, Israël considère Jérusalem réunifiée comme sa capitale indivisible, mais la communauté internationale n'a jamais reconnu l'annexion de la partie est de la ville.
Avant l'occupation et la fermeture de la Maison d'Orient, les personnalités étrangères y étaient reçues par les Palestiniens, à la colère des Israéliens.
Dans ce contexte, l'incident de mardi matin est perçu comme une manifestation de la volonté du gouvernement de M. Sharon de rappeler à la communauté internationale, et en particulier aux Européens, qu'il ne fera pas de concession sur le statut de Jérusalem et que la situation actuelle est irréversible.
M. Védrine, qui avait auparavant effectué une visite éclair au lycée français de Jérusalem, situé dans la partie-ouest de la ville (et en face duquel un palestinien s'était donné la mort en blessant treize personne, le 4 septembre dans un attentat suicide) est ensuite allé à Abou Dis, un quartier arabe limitrophe de Jérusalem-est, pour s'y entretenir avec le président du Conseil législatif palestinien , Ahmed Qoreï (Abou Alaa).
Le chef de la diplomatie français a entamé dimanche une tournée de trois jours en Israël et dans les Territoires palestiniens.
Il doit repartir pour Paris dans l'après-midi.
               
5. M. Straw suscite l'indignation en Israël avant son arrivée à Jérusalem par Charly Wegman
Dépêche de l'Agence France Presse du mardi 25 septembre 2001, 10h23

JERUSALEM - Israël a annulé mardi une rencontre entre le Premier ministre Ariel Sharon et le secrétaire au Foreign Office Jack Straw dont des propos sur le terrorisme ont déplu, tandis qu'un incident avec la police israélienne a perturbé la visite du chef de la diplomatie française Hubert Védrine.
Les dirigeants israéliens se sont déclarés indignés par M. Straw, attendu en fin d'après-midi à Jérusalem, à la suite de propos publiés dans la presse iranienne où il affirme "comprendre le terrorisme en Palestine".
Le bureau du Premier ministre Ariel Sharon a argué de "problèmes de calendrier" pour annuler une rencontre prévue le jour même avec M. Straw. Le président de l'Etat hébreu Moshé Katzav a lui-aussi décidé de boycotter le ministre britannique, ses services parlant de "raisons techniques".
Dans la matinée, un incident entre la police israélienne et l'entourage de M. Védrine a eu lieu dans le secteur de Jérusalem-est où le ministre français rencontrait des personnalités palestiniennes.
La police a pénétré dans les salons d'un hôtel où M. Védrine rencontrait ces personnalités, parmi lesquelles Mme Hanane Acharaoui, et a confisqué la carte d'accréditation d'un agent de sécurité du consulat de France, a constaté le correspondant de l'AFP.
En marge de la visite en Israël de M. Straw qui s'annonce mouvementée, le président palestinien Yasser Arafat a, de son côté, décidé in extremis mardi d'annuler son voyage le même jour à Damas après une décision de la Syrie de la reporter.
Tous les journaux israéliens ont rapporté mardi les déclarations de M. Straw affirmant que "l'un des facteurs qui aident à nourrir le terrorisme est la colère que de nombreux peuples de la région éprouvent à cause des évènements en Palestine depuis des années".
Le chef de la diplomatie israélienne Shimon Peres a indiqué à la radio publique israélienne: "Nous avons des relations avec la Grande-Bretagne, et mon rôle est d'expliquer à son représentant combien il se trompe".
Le directeur général de son ministère, Avi Guil, a fait part à l'ambassadeur de Grande-Bretagne en Israël, Sherard Cowper-Cales, de son "inquiétude pour les propos de M. Straw exprimant de la compréhension pour le terrorisme dont les civils d'Israël sont victimes".
"Cette approche (de M. Straw) peut encourager le terrorisme au lieu de le réduire, d'autant qu'elle a été formulée en Iran, pays qui soutient le terrorisme et exige officiellement la destruction d'Israël", a ajouté M. Guil.
Pour Mme Limor Livnat, ministre de l'Education, du parti Likoud (droite), les déclarations de M. Straw sont "grossières". Elle a pressé M. Peres de le rencontrer "uniquement pour lui exprimer son indignation".
La presse israélienne a rapporté ces derniers jours d'autres propos d'un important officiel du Foreign Office qui, s'exprimant sous couvert d'anonymat dans le Gardian de Londres, avait qualifié M. Sharon de "cancer".
Tout aussi ulcéré, le ministre des Transports Ephraïm Sneh s'est élevé contre "un coup de couteau dans le dos d'Israël" porté par M. Straw.
Il a souligné que l'Iran, ennemi juré d'Israël depuis deux décennies, "fournit des centaines de millions de dollars et des milliers de bombes à des groupes terroristes, dont il encourage les attentats suicide".
M. Straw est arrivé dans la nuit de lundi à mardi à Téhéran, devenant le premier secrétaire du Foreign Office à se rendre en Iran depuis la révolution islamique de 1979.
Selon le quotidien Haaretz, qui cite des hauts responsables des renseignements, "la Grande Bretagne et Israël risquent fort de servir de cibles aux prochains attentats de ben Laden", le milliardaire d'origine saoudienne que les Américains accusent d'avoir fomenté les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis.
                  
6. Eric Rouleau : "Une grande méconnaissance de la réalité de la planète" entretien réalisé par Jacques Coubard
in L'Humanité du mardi 25 septembre 2001

Eric Rouleau connaît bien les Etats-Unis. Il y enseigne depuis deux ans dans des Universités. Il était à Princeton dernièrement. Il a sillonné le pays d'Est en Ouest depuis trente ans, participé à de nombreux débats, écrits des livres. · Paris, aux journaux américains qui encombrent son bureau, il ajoute les versions Internet, le regard fixé sur l'écran, jour et nuit depuis le 11 septembre. Avec une double réflexion sur ce qui se passe, car il fut, journaliste au Monde, pendant trois décennies un spécialiste du Moyen-Orient, des pays arabes dont il parle la langue. Il fut ambassadeur de France à Tunis, puis à Ankara, avant de repartir pour les Etats-Unis. Il répond aux questions de l'Humanité.
- Pourquoi, à votre avis, les Américains ne semblent pas entendre les appels à la raison, les critiques visant une opération de guerre qui risque de les plonger et de plonger le monde dans de dangereuses turbulences sans éradiquer le terrorisme ?
- Eric Rouleau. D'une manière générale les Américains sont des gens peu politisés. Ils n'ont pas, ou on ne leur confie pas, une connaissance suffisante pour pouvoir se poser des questions sur la réalité du monde. Si en Europe on raisonne entre droite, gauche, centre, aux Etats-Unis la culture dominante est plutôt de droite. Il y a une sorte de foi indiscutée dans l'économie de marché, la libre entreprise, les vertus de la concurrence.
- Pourtant les Etats-Unis ont connu de grands mouvements de contestation, précisément contre la guerre.
- Eric Rouleau. Je me souviens qu'à la fin des années soixante, soixante-dix, l'Amérique avait un autre visage. Il y avait des mouvements contestataires nombreux et puissants : contre la guerre au Vietnam, pour l'égalité des Noirs. Les syndicats étaient actifs. Aujourd'hui, les minoritaires, les Noirs, les laissés-pour-compte, les syndicats ne pèsent pas autant qu'auparavant. La société américaine vit en vase clos. Les Etats-Unis sont un immense continent. Et les gens ont le sentiment, et ils ont raison en un sens, qu'ils sont autosuffisants, qu'ils n'ont besoin de personne et que le reste du monde est très loin. Une des conséquences est qu'il y a une grande méconnaissance de la réalité de la planète. Tout le monde se souvient lorsque, pendant la campagne électorale, Bush a été interrogé sur la politique étrangère il n'était pas capable d'identifier les pays, de les localiser, de connaître leurs capitales, leurs chefs d'Etat. Les Américains ne s'en sont pas offusqués. De ce fait il existe également une énorme méconnaissance de la politique étrangère du gouvernement. La plupart des gens ignore pourquoi les Etats-Unis sont impopulaires dans une grande partie du monde. Ils pensent que c'est une terrible injustice. Parce qu'ils sont persuadés que leur gouvernement ne fait que du bien à l'étranger. La presse est pleine d'articles sur l'aide économique, financière que les Etats-Unis accordent. Mais ils ne savent pas les conditions politiques et autres qui sont attachés à cet aide. Pour eux, leur gouvernement lutte contre les injustices à travers le monde. Pour mettre un terme à la guerre en Somalie, pour libérer le Koweït, contre la dictature de Milosevic.
- Donc pour vous quand Bush dit que l'Amérique part en croisade du bien contre le mal, il apparaît convaincant ?
- Eric Rouleau. Tout à fait. Il n'a pas besoin d'en dire plus. La méconnaissance des Américains est très grande aussi sur le terrorisme en général, sur sa définition. Ils ne font pas de distinction entre un homme qui prend les armes pour libérer sa patrie, comme les Palestiniens par exemple, et des gens qui jettent des bombes parmi les civils et qui tuent des innocents. Cela tient aussi à la dépolitisation.
- Mais pouvait-on ignorer aux Etats-Unis le soutien apporter aux taliban, à leur formation ?
- Eric Rouleau. Aucun journal américain à ma connaissance, n'a rappelé d'une manière détaillée que les moudjahidin qui s'étaient battus contre l'occupation soviétique avaient été armés, financés par la CIA. Personne n'a mentionné que Ben Laden est l'enfant de la CIA qu'il s'est organisé avec le soutien américain. Quand les Soviétiques se sont retirés, des milliers de moudjahidin (venus d'autres pays pour soutenir par les armes les islamistes afghans- NDLR), ont cherché à rentrer chez eux. Or, les gouvernements de ces pays ont refusé. Ils ont eu peur de ces fondamentalistes. Les Etats-Unis ont fait pression sur ces gouvernements pour qu'ils délivrent des passeports à ces " soldats de la foi ". Et nous en connaissons les conséquences en Algérie, au Yémen, en Egypte. Ils ont repris le combat contre leurs propres gouvernements.
On peut citer le cas frappant du cheikh Omar Abdel Rahman. Il a été l'allié des Etats-Unis en Afghanistan. On savait qu'auparavant, il avait télécommandé l'assassinat de Sadate. Il avait dû fuir son pays et il s'est présenté à l'ambassade américaine à Khartoum. Non seulement on lui a donné un visa pour les Etats-Unis mais aussi la " green card ", pour une résidence permanente. Ce qui est assez exceptionnel. Et quelques années plus tard, il s'est avéré que le commanditaire d'un attentat contre le World Trade Center - déjà - était le cheikh Abdel Rahman. Il a été condamné à plusieurs dizaines années de prison. Mais la majorité des Américains ignorent tout de son passé réel.
Le régime des taliban, que tout le monde vomit aujourd'hui, a été établi par le Pakistan, allié des Etats-Unis, avec lesquels ils étaient tout à fait disposés à avoir des relations normales et même cordiales puisqu'ils voulaient construire à travers l'Afghanistan un pipe-line pour faire passer du pétrole. Ça aussi la société américaine ne le sait pas.
- Mais comment expliquez-vous que des services de renseignements aussi puissants que ceux des Etats-Unis n'aient pas vu arriver le danger venant de gens qu'ils connaissaient si bien ?
- Eric Rouleau. Il y a des gens qui pensent que la passivité américaine était due à deux raisons. D'abord, en effet, ils connaissent les terroristes, ils les ont formés et ils avaient tendance à ne pas prendre des mesures trop radicales soit parce qu'ils pensaient qu'ils pouvaient redevenir leurs alliés, être utiles à nouveau, soit parce qu'il n'était pas nécessaire de s'en préoccuper puisqu'on les connaissait, or ceux qui ont commis les attentats récents étaient des nouveaux et ils ne les connaissaient pas. Les moudjahidin ont fait des petits. Il y a trois gouvernements dans le monde qui ont reconnu le régime des taliban. Le Pakistan, les Emirats arabes unis et l'Arabie saoudite. Deux des trois sont des alliés proches des Etats-Unis et ce n'est pas un hasard.
Les Américains ignorent tout de cet arrière-plan. Ils s'imaginent comme leur président qu'il suffirait de supprimer Ben Laden, de liquider le régime des taliban pour que le terrorisme soit vaincu. Personne ne pose la question de savoir si cela y mettrait réellement fin. Le gouvernement américain dit que c'est une lutte qui pourrait durer dix ans. Si les Etats-Unis se donnent cette mission sacrée au nom de Dieu, de la civilisation, ils s'engagent à mon avis dans une nouvelle ère.
Cette croisade est d'ores et déjà très sélective puisqu'il y a quelques jours, Colin Powell a fait l'éloge de deux pays qui jusqu'à ce jour sont inscrits sur la liste des Etats terroristes dressée à Washington : la Syrie et l'Iran. Plusieurs organisations jugées terroristes par les Etats-Unis se trouvent à Damas, y compris le Djihad islamique. Mais les dirigeants américains savent qu'on ne peut se passer de la Syrie pour un règlement politique au Proche-Orient. Pour l'Iran, ils se sont rendu compte qu'ils avaient commis une erreur politique majeure en se coupant de Téhéran, quand ils ont vu les Européens entrer en force sur le marché iranien riche en pétrole. Ils savent aussi que tous les Iraniens qui sont chiites, qu'ils soient de droite ou de gauche, sont très hostiles aux taliban sunnites et Washington pense que le moment est venu de normaliser les relations avec Téhéran. Ce n'est donc pas une guerre totale contre tous les terroristes et contre les problèmes qui ont fait surgir le terrorisme, c'est une guerre contre tous les adversaires des intérêts américains. Ce qui ne présage rien de bon pour ceux qui mettent en cause l'hégémonie américaine dans le monde. C'est une ère très délicate qui s'ouvre devant nous et je ne sais pas si les Européens sont conscients des risques de cette croisade.
                  
7. L'Irak essuie encore les plâtres par Jean-Pierre Léonardini
in L'Humanité du mardi 25 septembre 2001

Ne sachant où donner de la tête, les Etats-Unis sur le pied de guerre mettent leur armada en ordre de marche. On a donc droit à des images que l'opération " Tempête du désert " dans le Golfe avait répandues à satiété ; porte-avions avec " jets " qui décollent et atterrissent, adieux des marins à leur femme avec baisers de cinéma, des enfants joufflus dans leurs bras, boys body-buildés effectuant le parcours du combattant, bref le " remake " d'un film de propagande inauguré durant la Seconde Guerre mondiale avec " Pourquoi nous combattons ". Impression de déjà-vu, préparation visuelle au conflit par l'effet d'accoutumance. Cela fait partie du spectacle du jeu lugubre dont les pions s'installent sur l'échiquier du Moyen-Orient.
On ne l'a pas vu à la télévision, mais la partie est engagée depuis jeudi dernier. Ce jour-là, des avions de combat britanniques et américains ont attaqué des systèmes de défense antiaérienne du sud de l'Irak. Cela fait dix ans que ce pays, dont le peuple manque de tout, est soumis à la routine quasi quotidienne des bombardements. Cette fois, les autorités américaines ont argué que c'était " en réponse à des menaces hostiles, mais que ce n'est pas lié aux attaques terroristes du 11 septembre ".
Les Irakiens ont sûrement apprécié cette argutie de procédure martiale à sa juste valeur. Prendre des bombes sur la gueule pour de prétendues menaces, c'est peut-être moins déprimant que de les avoir méritées pour s'être rendu coupable d'actes terroristes. La raison du plus fort est toujours la pire.
                       
8. Le cas Ariel Sharon par Pierre Marcelle
in Libération du mardi 25 septembre 2001 
Ce serait comme un gag, une mauvaise blague à force d'être récurrente: tous les matins, au réveil et à l'écoute des ondes, entre la douche et le café (ou le contraire), on se demande quel prétexte va nous avancer le chef du cabinet israélien pour surseoir à la rencontre nécessaire entre son ministre des Affaires étrangères, le travailliste Shimon Pérès, et Yasser Arafat. Huit jours que ça dure, avec un cynisme qui constitue aussi une forme de terrorisme. Est-ce à dire qu'à l'homme qui, de Beyrouth à l'esplanade des Mosquées en passant par Sabra et Chatila, fut de tous les mauvais coups contre les Palestiniens en général et contre l'hypothèse de la paix en particulier, et suggère qu'Arafat est le Ben Laden d'Israël, il faille renvoyer le compliment? Peut-être, hélas! Ce propos aura beau s'énoncer avec toutes les nuances, prudence et «précautions nécessaires», comme on dit, il passera pour provocateur. N'empêche. Si, pas plus qu'Arafat, Sharon n'«est» Ben Laden, la stratégie qui l'inspire dans l'occasion qu'il croit (ou fait semblant de croire) venue d'en finir enfin avec «ses» Palestiniens - de même que Poutine avec «ses» Tchétchènes et Bouteflika avec «ses» GIA - a ceci de commun avec le terrorisme «aveugle» qu'elle prétend fermer toutes les portes. La farce, ici, serait que le patron du Likoud, bien persuadé que Washington le retiendra toujours in extremis de «faire un malheur», ne bricole que des affaires intérieures. C'est qu'il est taquin, Ariel Sharon, et embrouilleur en diable! Il faudrait bien, pourtant, tôt ou tard et avant qu'il meure, parler avec Arafat - le plus tard étant évidemment le mieux. Lundi, à 9 h 28, c'était non; à 9 h 57, c'était peut-être, et non à nouveau à 11 h 34, selon l'AFP. Ce serait peut-être oui le soir, et derechef non dans la nuit. Ou les deux. Va savoir... Les pas de deux de Shimon Pérès, éternel démissionnaire potentiel, s'accordent trop exactement avec les calculs minables du Premier ministre, et sa patience est infinie.
                    
9. Les Fedayin concèdent une trêve à Arafat par Didier François
in Libération du lundi 24 septembre 2001
Gaza envoyé spécial
Pistolets et mitraillettes encombrent les banquettes. Grenades et chargeurs dégorgent des vide-poches. Un gilet pare-balles trône à l'emplacement du siège bébé. Chef d'un groupe clandestin de la résistance palestinienne, Fouad a transformé sa limousine familiale en arsenal mobile. Seule détonne, dans ce capharnaüm guerrier, une enveloppe bariolée, arrivée le jour même de Tel-Aviv. Le combattant l'a décachetée avec d'infinies précautions pour découvrir un jeu d'albums à colorier, cadeau d'un ami israélien à ses enfants. Avec émotion, le Palestinien relit la carte en hébreu qui l'accompagne. "Puissent ton fils et ta fille garder foi en l'avenir à travers ces épreuves." Fouad esquisse un sourire fatigué. "Ce sont ces petits riens qui empêchent de basculer totalement dans la folie." Nouveau soupir. Quelques heures auparavant, il menait un coup de main contre un poste de contrôle militaire, à l'entrée de la colonie juive de Kfar Darom, au centre de la bande de Gaza. Explosion, rafales. Bilan: cinq jeunes soldats blessés. Et un sérieux accroc au cessez-le-feu décrété par le président de l'Autorité palestinienne Yasser Arafat.
Réalisme et fidélité. Pour autant, les militants des groupes armés ne rejettent pas la trêve. Incidents et échanges de tirs ont drastiquement décru depuis l'appel au calme du vieux dirigeant nationaliste. Au sein même du groupe de Fouad, deux activistes auraient refusé de prendre part à l'attaque sur la position israélienne. "Nous avons intégré la nouvelle donne internationale, assure le commandant, après les attentats contre les Etats-Unis, nous devons faire baisser la tension sur le terrain. Il ne faut donner aucun prétexte au gouvernement d'Ariel Sharon qui essaie de nous assimiler à des terroristes. Mais arrêter d'un seul coup toutes nos opérations serait une façon de reconnaître que Yasser Arafat contrôle totalement la résistance. De plus, l'occupation israélienne se poursuit et nous n'avons toujours pas obtenu la reprise des négociations à un niveau politique. Aussi, tant que les discussions ne porteront que sur les questions de sécurité, nous devrons maintenir un certain niveau de pression sur les Israéliens, en limitant nos actions aux cibles militaires et aux colons dans les territoires palestiniens, à l'exclusion de tout attentat en Israël."
L'adhésion subite de Yasser Arafat à la coalition que les Etats-Unis veulent mettre sur pied pour une guerre de longue haleine contre le terrorisme d'inspiration islamiste, semble ne pas trop perturber les fedayin palestiniens, pourtant peu enclins à des sympathies américaines. D'abord parce que tous ont conscience que le rapport de forces leur serait par trop défavorable s'ils s'enfermaient dans un superbe isolationnisme au nom d'une solidarité arabe qui leur a toujours fait défaut. Ensuite, parce que la grande majorité des cadres de la résistance clandestine, issus du Fatah d'Arafat, sont souvent très intégrés à l'appareil de sécurité de l'Autorité palestinienne et restent, à ce titre, foncièrement fidèles à leur vieux président. Les liens qu'ils ont développés dans la lutte armée avec les autres groupes, plus radicaux ou islamistes, auraient plutôt redoré leur blason terni par les années de collaboration sécuritaire avec Israël dans la foulée des accords de paix d'Oslo, ce qui leur donne aujourd'hui une certaine légitimité à proposer des compromis tactiques avec l'ennemi.
Déclarations contradictoires. Dans les structures de coordination de la résistance, les tractations sont d'ailleurs allées bon train entre représentants des tendances nationalistes et dirigeants de la mouvance islamiste. Les cadres du Fatah jurent qu'ils ont convaincu les émirs des brigades Ezzedine al-Qassem de se joindre discrètement à la trêve. En dépit de déclarations publiques parfois contradictoires, la branche armée du Hamas devrait donc retenir ses bombes humaines, le temps que s'amorcent des pourparlers entre l'Autorité et le gouvernement d'Israël, quand les porte-parole de l'organisation islamique s'abstiendront de critiques trop virulentes à l'encontre de la décision d'Arafat d'adhérer à la coalition américaine.
Un doute subsiste, en revanche, sur l'attitude du Jihad, engagé depuis quelques semaines dans un bras de fer avec certains services de sécurité palestiniens. "A la différence du Hamas, solidement implanté dans la population et qui comprend l'importance d'une certaine souplesse, le Jihad reste un groupuscule sans réelle base sociale, craint Fouad. Ses décisions n'obéissent pas toujours à la logique de la lutte nationale. Or, un seul de leurs attentats-suicides pourrait détruire tous nos efforts. A nous de leur faire comprendre les risques qu'ils prendraient à rompre l'unité établie."
L'enseignement de la guerre du Golfe. En révisant, à chaud, sa stratégie, l'Autorité de Yasser Arafat tente un pari sur l'avenir. "Les Palestiniens font face à un moment critique de leur histoire, explique un officier des services de renseignements extérieurs. Lors de la guerre du Golfe, nous nous sommes rangés aux côtés de l'Irak. Nous en payons encore le prix. Cette fois-ci, nous nous devions d'être plus intelligents. Après les attentats contre le World Trade Center, je craignais que les Israéliens en profitent pour éradiquer l'Autorité. Mais la décision du président de soutenir la coalition américaine a changé les données du problème. Les Etats-Unis ont besoin de geler la crise palestinienne pour gagner l'adhésion des pays arabes. Et c'est Washington qui détient les clés de notre conflit avec Israël. Bien sûr, nous n'avons reçu aucune promesse concrète, mais en leur apportant notre caution, nous pouvons espérer que les Américains s'appliquent sérieusement à résoudre la question palestinienne à l'issue de leur campagne militaire."
Incertitudes. Tous, néanmoins, ne partagent pas un tel optimisme. "Pour l'heure, chaque Palestinien comprend qu'une accalmie s'impose, admet ce responsable de la puissante sécurité intérieure, ce serait une folie de provoquer les Etats-Unis qui seuls ont le pouvoir de museler Israël. Pour autant, rien n'indique que l'administration Bush soit prête à régler au fond le problème palestinien en imposant au gouvernement Sharon de négocier une solution politique avec Arafat, et elle ne s'engagera certainement pas dans un tel chantier avant d'avoir remporté quelques succès dans sa lutte antiterroriste. Or, ce conflit va durer des mois. Pendant ce temps, notre adhésion à l'alliance occidentale n'apportera aucun bénéfice tangible à la population palestinienne qui continuera à subir l'occupation israélienne, le bouclage des territoires. De plus, dans les camps de réfugiés, les gens simples ne connaissent des Etats-Unis que leur soutien à Israël, leurs fournitures d'armes qui servent à détruire leurs maisons. Dès les premiers bombardements, leurs réactions seront antiaméricaines. Il faut s'attendre à des manifestations où fleuriront les portraits d'Oussama ben Laden, considéré comme un héros par nombre des plus pauvres dans le monde arabe. Le cessez-le-feu, admis aujourd'hui, pourrait alors être dénoncé comme une capitulation.".
              
10. Les larmes s'arrêteront-elles jamais de couler ? par John Gerassi
in Z Magazine (e-magazine américain) du dimanche 23 septembre 2001 (
http://www.zmag.org)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Je ne peux m'empêcher de pleurer. Dès que je vois quelqu'un, à la télé, raconter l'histoire déchirante du sort tragique de son/sa cher/chère disparu/e dans la catastrophe du World Trade Center, je ne peux contrôler mes larmes. Mais c'est alors, aussi, que je me souviens ne pas en avoir versé une seule, de larme, lorsque nos troupes ont "balayé" quelque 5 000 pauvres malheureux dans la banlieue El-Chorillo de Panama, en les envoyant "ad patres", avec comme excuse qu'elles "recherchaient Noriega, mort ou vif". Nos dirigeants savaient pertinemment que c'était ailleurs qu'il se cachait, mais ils avaient détruit El-Chorillo quand même... parce que les gens qui vivaient là étaient des nationalistes qui voulaient débarrasser le Panama des Américains, jusqu'au dernier.
Pire : pourquoi donc n'ai-je pas pleuré lorsque nous avons tué deux millions de Vietnamiens - des paysans innocents, pour la plupart - au cours d'une guerre dont le chef d'orchestre, le Secrétaire à la Défense Robert McNamara, savait pertinemment que nous ne pourrions jamais la gagner ? Lorsque je suis allé donner mon sang, l'autre jour, j'ai remarqué un Cambodgien qui faisait de même, trois personnes après moi, sur le même rang, et cela m'a rappelé : pourquoi-donc n'ai-je pas pleuré, quand nous avons aidé Pol Pot à martyriser un petit million  supplémentaire d'innocents qui n'en pouvaient mais, en lui donnant des armes et du fric, simplement parce qu'il était opposé à "notre ennemi" (qui, quant à lui, mit finalement fin aux massacres). Oui : pourquoi ?
Déterminé à rester éveillé et néanmoins à ne pas pleurer, cet après-midi là, j'ai décidé d'aller au cinetoche. J'ai opté pour le film "Lumumba", au cinéma Film Forum, et... horreur : je me suis rendu compte que j'avais omis de pleurer quand notre gouvernement a fomenté l'assassinat du seul dirigeant correct du Congo, qui allait être remplacé par le Général Mobutu, ce dictateur avide, vicieux, sanguinaire... Que n'avais-je pleuré lorsque la CIA a manigancé le renversement du président de l'Indonésie, Sukarno, qui avait combattu les envahisseurs japonais de la deuxième guerre mondiale et établi un état indépendant et libre, avant d'être supplanté par un autre général, Suharto, cette fois (la différence des deux lettres k/h-n/t est loin d'être mince..., ndt) qui avait collaboré de manière éhontée avec les Jap's et avait vaillamment exterminé, au bas mot, un demi-million de "Marxistes" (dans un pays où, si quelqu'un a jamais entendu parler d'un Marx, c'était, dans le meilleur des cas, de Groucho!) ?
J'ai re-regardé la télé, hier soir, et je me suis mis à pleurer "again" en voyant la photo de ce merveilleux père, désormais manquant, jouant avec son bébé de deux mois. Mais, lorsque je me suis souvenu du massacre de milliers de Salvadoriens, décrit de manière si graphique par Ray Bonner dans le Times, et les viols suivis d'assassinat de ces nonnes et soeurs hospitalières américaines, dans le même pays, tous commis, du premier au dernier, par des assassins formés et rémunérés par la CIA, j'ai dû me rendre à l'évidence : je n'y étais pas allé de ma larmette, à l'époque. J'ai même pleuré quand j'ai entendu à quel point avait été courageuse Barbara Olson, l'épouse du Procureur général, dont je détestais pourtant les opinions politiques. Mais je n'avais pas pleuré, quand les Etats-Unis avaient envahi ce merveilleux petit bijou de pays qu'est la nation caribéenne de la Grenade, y tuant des citoyens innocents qui espéraient améliorer leur existence en construisant un aéroport touristique, que mon gouvernement avait déclaré preuve irréfutable qu'une base soviétique était en cours de construction, ce qui ne l'avait nullement empêché d'en achever la construction, notez-bien, l'île une fois revenue dans le giron américain...
Et pourquoi diable n'avais-je pas pleuré, quand Ariel Sharon, aujourd'hui premier ministre d'Israël, a planifié, puis ordonné, le massacre de deux mille pauvres Palestiniens, dans les camps de réfugiés de Sabra et Shatila, ce même Sharon qui, à l'instar de tels ou tels terroristes des groupes terroristes Stern ou Irgoun (pas de différence : du pareil au même...), devenus par la suite premiers ministres d'Israël également, tels Begin et Shamir, avait tué les épouses et les enfants d'officiers britanniques en faisant sauter l'hôtel King David où ils logeaient (ce qu'ils savaient pertinemment) ?
Je pense qu'en fait on ne pleure que sur soi-même. Mais est-ce une raison pour vouloir se venger de quiconque pourrait ne pas être d'accord avec nous ? C'est (pourtant) ce que semblent vouloir les Américains. C'est certainement ce que veut notre gouvernement, et aussi ce que veulent la plupart de nos médias. Croyons-nous réellement que nous avons le droit d'exploiter les pauvres gens dans le monde entier pour notre plus grand profit, parce que nous prétendons être libres et qu'eux ne le seraient pas ?
Ainsi, aujourd'hui, nous nous préparons à aller à la guerre. Nous sommes certainement fondés à partir en guerre contre ceux qui ont tué autant de nos frères et soeurs innocents. Et nous gagnerons, bien sûr. Contre Bin Laden. Contre les Taliban. Contre l'Irak. Contre tout le monde et pour n'importe quoi. Dans l'opération, nous allons tuer quelques enfants innocents de plus, à mettre à notre "actif". Des enfants qui n'ont pas de vêtements, à l'approche du prochain hiver. Pas de maison, où s'abriter. Et pas d'écoles où apprendre pourquoi ils sont coupables, eux qui ont quatre ou cinq ans... Peut-être les Evangélistes Falwell et Robertson vont-ils proclamer "juste" leur mort, parce qu'ils n'étaient pas chrétiens. Et peut-être quelque porte-parole de quelque ministère va-t-il annoncer au monde entier qu'ils étaient tellement pauvres, de toutes les façons, qu'ils sont bien mieux là où ils sont maintenant... dans l'Au-delà !
Et après ça : quoi ? Serons-nous bientôt à même de diriger le monde comme nous l'entendons ? Avec toute un nouvel arsenal législatif établissant une surveillance massive sur vous comme sur moi, nos dirigeants seront certainement heureux d'anticiper le moment où les gens osant manifester contre la globalisation seront définitivement domptés. Plus de troubles à Seattle, au Québec, ni à Gênes. La paix, enfin...
Jusqu'à la prochaine fois. Qui sera-ce ? Un enfant échappé au massacre, par nous perpétré, de ses parents innocents à El-Chorillo, devenu adulte ? Une fille nicaraguayenne ayant appris que sa mère, médecin, et son père ont été assassinés par une bande de gangsters que nous appelions les "contras" démocratiques qui apprenaient dans le manuel de la CIA que la meilleure manière de détruire le seul gouvernement qui oserait tenter d'améliorer le sort des pauvres du pays était d'en assassiner méthodiquement les enseignants, le personnel de santé et les paysans des fermes nationalisées ? Ou peut-être sera-ce un Chilien aigri, convaincu que toute sa famille a été liquidée sur l'ordre du Secrétaire d'Etat de Nixon, un certain Kissinger, Dear Henry, Riri pour les intimes, qui ne voyait absolument aucune différence entre un socio-démocrate, voire même un nationaliste, et un "Kommuniste" ?
Quand apprendrons-nous, nous autres Américains, que tant que nous persisterons à tenter de diriger le monde dans l'intérêt de la ligne comptable du profit brut d'exploitation, nous aurons à pâtir de la revanche de quelqu'un ? Aucune guerre ne mettra jamais un quelconque terme au terrorisme, dès lors que nous avons recours au terrorisme pour notre propre pomme. C'est pourquoi j'ai décidé de fermer la télé, et d'arrêter, du même coup, de chialer,. Je suis allé me balader. Je n'ai pas dépassé le cinquième pâté de maison depuis chez moi. Une foule était rassemblée pour déposer des fleurs et allumer des bougies devant la caserne de pompiers de notre quartier. Elle était fermée. Elle était restée fermée depuis un certain mardi (11 septembre) parce que les soldats du feu, une équipe de gars merveilleux et incroyablement sympas, qui avaient toujours salué les gens du coin, le sourire aux lèvres et des encouragements toujours corroboratifs, s'étaient précipités si vite au secours des victimes de la première tour qu'ils avaient péri avec elles quand le gratte-ciel s'était effondré. Et c'était reparti : je me suis remis à pleurer...
Alors, je me suis dit comme ça, en écrivant cela : non, ne l'envoie pas, n'envoie pas cet article ; certains de tes étudiants, de tes collègues ou des voisins vont te haïr, et peut-être même te faire du mal. Mais c'est alors que j'ai rallumé la télé : le Secrétaire d'Etat Colin Powell m'expliquait que c'était OK, qu'il n'y avait pas de problème, qu'on pouvait aller faire la guerre à ces enfants, ces pauvres hères, ces haïsseurs de yankees, parce que nous, nous sommes civilisés et qu'eux, ils ne le sont pas... Alors j'ai pris le risque.  Le jeu en vaut peut-être la chandelle : peut-être qu'ayant lu cet article, une autre personne se posera-t-elle la question que, personnellement, je me pose : "Pourquoi y a-t-il, de par le vaste monde, tant de gens prêts à mourir juste pour nous donner un aperçu de ce que nous leur faisons subir ?"...
                  
11. Comment les Etats-Unis ont-ils le cœur à envisager de bombarder ces pauvres gens ? par Robert Fisk
in Z Magazine (e-magazine américain) du dimanche 23 septembre 2001 (
http://www.zmag.org)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Cette semaine, nous sommes les témoins de l'un des événements les plus épiques depuis la seconde guerre mondiale, et à coup sûr, depuis le Vietnam. Je ne fais pas allusion aux ruines du World Trade Center, à New York, ni aux scènes dantesques auxquelles nous avons assisté le 11 septembre dernier : une atrocité, que j'ai qualifiée, la semaine dernière, de crime contre l'humanité. Non, je fais ici allusion à des préparatifs extraordinaires, quasi incroyables, d'ores et déjà en cours, ceux de la nation la plus puissante à avoir jamais existé sur la Terre de Dieu, efforts déployés en vue d'aller bombarder le pays le plus dévasté, le plus ravagé, le plus affamé et le plus tragique qui soit au monde. L'Afghanistan, violé et éviscéré par l'armée russe dix années durant, abandonné par ses amis - nous, évidemment - une fois les Russes partis, est à la veille d'être attaqué par l'unique superpuissance survivante.
J'observe ces développements, incrédule, pas tant parce que j'ai été témoin de l'invasion et de l'occupation russes. Fallait voir comme ils se sont battus pour nous, ces Afghans, comment ils nous ont crus sur parole. Comment ils avaient ajouté foi à ce que leur avait dit le président Carter, lorsqu'il leur avait promis le soutien de l'Occident. J'ai même rencontré l'homme de la CIA à Peshawar, qui brandissait les papiers d'identité d'un pilote soviétique abattu avec l'un de nos missiles - qui avait été extrait des débris de son Mig. "Pauvre gars", avait dit l'homme de la CIA, avant de nous montrer un film sur des GIs en train de zapper du Vietcong, dans sa salle de projection privée. Et aussi, oui : je me rappelle ce que m'avaient dit les officiers soviétiques qui m'avaient mis en état d'arrestation à Salang. En Afghanistan, ils faisaient "leur devoir internationaliste", qu'ils m'avaient dit... Ils "punissaient les terroristes" qui voulaient renverser le gouvernement afghan (communiste) et "détruire le peuple afghan". Cela ne vous rappelle rien ?
En 1980, j'étais reporter au Times, et j'avais couvert une histoire tout ce qu'il y a de dérangeant, qui s'était déroulée juste au sud de Kaboul. Un groupe de combattants religieux, les mujahidin, avaient attaqué une école parce que le régime communiste avait forcé les filles à être éduquées en même temps que les garçons. Alors ils avaient bombardé l'école, assassiné la femme du directeur et coupé la tête du mari. Tout ça, c'était vrai. Mais lorsque The Times a publié le reportage, le Foreign Office (ministère des affaires étrangères de Grande-Bretagne) protesta auprès de la rédaction internationale de ce grand quotidien, disant en substance que "mon reportage apportait de l'eau au moulin des Russes". Ben voyons... Et pourquoi cela ? Eh bien, parce que les combattants afghans étaient les gentils. Parce qu'Osama bin Laden était un de nos bons petits gars. Charles Douglas-Home, éditeur du Times, à l'époque, insistait toujours sur l'obligation qu'il nous faisait d'appeler les guérilleros afghans "combattants de la liberté" dans les gros titres : avec les mots, vous pouvez refaire le monde...
Il en va de même aujourd'hui. Le président Bush menace, cette fois, ces obscurantistes, ces ignorants, ces ultra-conservateurs de Talibans de la même punition, dans sa détermination à atteindre de ses foudres bin Laden. Bush, au début, a parlé de "justice et châtiment", puis d'"amener devant la justice" les auteurs des atrocités. Mais ce n'est pas des pandores, qu'il envoie au Moyen-Orient : ce sont des B-52, des F-16, des avions Awacs et des hélicoptères Apache. Nous n'allons pas arrêter bin Laden. Nous allons le détruire. Et tant mieux si c'est lui le coupable. Mais les B-52 ne font pas la différence entre ceux qui portent le turban et ceux qui ne le portent pas, entre hommes et femmes, ni entre femmes et enfants.
La semaine dernière, j'ai évoqué la culture de la censure, qui est sur le point, aujourd'hui, de nous étouffer, ainsi que les attaques personnelles auxquelles doit faire face tout journaliste osant se poser la question des racines de la crise actuelle. La semaine dernière encore, dans un journal européen d'envergure nationale, j'ai eu un nouvel exemple, révélateur de ce que cela signifie. J'y étais accusé d'être anti-américain, et avisé que cet anti-américanisme équivalait à de l'antisémitisme. Vous suivez mon regard, bien sûr... Je ne suis pas certain de savoir ce qu'est l'anti-américanisme. Mais oser critiquer les Etats-Unis, équivaut moralement, aujourd'hui, à haïr les Juifs. Il est normal de titrer sur la "terreur islamiste" - ou, comme mon exemple français favori, sur "les fous de Dieu" - mais il est tout-à-fait déplacé de poser la question de savoir pourquoi les Etats-Unis sont-ils tellement détestés par tant de Musulmans arabes au Moyen-Orient. Nous pouvons donner aux criminels une identité musulmane : nous pouvons même montrer du doigt le Moyen-Orient dans le cas du présent crime, mais nous ne saurions nous permettre de suggérer que ce crime pût avoir un quelconque mobile...
Mais faisons retour sur ce mot : "justice". A re-regarder cette pornographie de meurtre de masse, à New York, il doit y avoir bien des gens qui partagent mon opinion, à savoir qu'il s'agissait là d'un crime contre l'humanité. Plus de 6 000 morts : voilà qui vaut bien un Srebrenica. Même les Serbes avaient épargné la plupart des femmes et des enfants, lorsqu'ils assassinaient leurs concitoyens. Les morts de Srebrenica méritent amplement - et d'ailleurs, il l'obtiennent - la justice internationale, à La Haye. Aussi, ce dont nous avons besoin, pas de doute là-dessus, c'est d'une Cour Criminelle Internationale qui se charge du genre d'assassins qui ont dévasté New York un certain 11 septembre. Et pourtant, "crime contre l'humanité" n'est pas le genre d'expression que nous entendons, chez les Américains. Ils préfèrent multiplier les références à l'expression "atrocité terroriste", qui est pourtant incontestablement moins forte.
Pourquoi, je vous le demande ? Parce que parler d'un crime terroriste contre l'humanité serait une tautologie ? Ou bien, parce que les Etats-Unis sont contre l'idée d'une justice internationale ? Ou bien encore,parce qu'ils se sont opposés officiellement à la création d'une cour internationale, de crainte que leurs propres citoyens ne puissent un jour être assignés devant icelle...
Le problème, c'est que l'Amérique veut sa propre version de la justice, concept plongeant ses racines, semble-t-il, dans le Far West et la version hollywoodienne de la Deuxième guerre mondiale. Le président Bush parle de "les débusquer", il évoque les vieilles affiches qui ornaient jadis les murs de Dodge City  "Wanted, Dead or Alive" ("Recherché(e), mort(e) ou vif(ve)"). Aujourd'hui, Tony Blair nous dit que nous devons nous tenir au côté de l'Amérique comme l'Amérique s'est tenue à notre côté durant le deuxième conflit mondial. Certes, c'est vrai, l'Amérique nous a aidés à libérer l'Europe de l'Ouest. Mais les USA ont décidé d'intervenir  dans les deux conflits mondiaux après une longue période - longue, et très profitable, dans le cas de la Deuxième guerre mondiale - de neutralité.
Les morts de Manhattan ne méritent-ils pas mieux que cela ? Il n'y a même pas encore trois ans, nous lancions une attaque avec 200 missiles Cruise contre l'Irak qui avait osé mettre à la porte les inspecteurs de l'ONU chargés du désarmement. Inutile de préciser que cela n'a servi à rien. D'autres Irakiens furent tués, et les inspecteurs de l'ONU ne sont jamais retournés en Irak. Les sanctions ont été maintenues et les enfants irakiens ont continué à mourir. Pas de politique, pas de prospective. De l'action, mais pas de mots, (pas de réflexion).
Et c'est exactement là où nous en sommes aujourd'hui. Au lieu d'aider l'Afghanistan, au lieu de déverser notre aide dans ce pays, il y a dix ans, afin de reconstruire ses villes, sa culture et de créer un nouveau centre politique qui aurait permis de dépasser un peu le tribalisme, nous l'avons laissé pourrir. Sarajevo serait reconstruite. Pas Kaboul. La démocratie, ou quelque chose d'approchant, serait instaurée en Bosnie. Pas en Afghanistan. Des écoles pourraient rouvrir à Tuzla et à Travnik. Pas à Jalalabad. Quand les Talibans sont arrivés, pendant tous les opposants aux lampadaires, coupant un bras aux voleurs, lapidant les femmes accusées d'adultère, les Etats-Unis considérèrent ces démonstrations de terreur comme une promesse de stabilité (bienvenue) après les années d'anarchie.
Les menaces de Bush ont effectivement contraint tous les travailleurs humanitaires occidentaux à quitter l'Afghanistan. D'ores et déjà, des Afghans meurent à cause de leur absence. La sécheresse et la famine continuent à tuer des milliers de personnes - j'y insiste : des dizaines de milliers - et de vingt à vingt-cinq Afghans sont déchiquetés chaque jour par quelques-unes des dix millions de mines laissées derrière eux par les Russes. Evidemment, les Russes ne sont jamais revenus les éliminer. Je suppose que les bombes lâchées par les
B-52 en feront exploser quelques-unes. Ce serait bien là la seule action humanitaire que nous pourrions leur voir accomplir, dans un futur pas très éloigné.
Regardez l'image la plus frappante de cette semaine. Le Pakistan a fermé sa frontière avec l'Afghanistan. L'Iran, itou. Les Afghans doivent rester dans leur prison. A moins qu'ils réussissent la belle à travers le Pakistan pour finir, rejetés sur quelque plage de France ou dans les eaux territoriales de l'Australie, ou s'infiltrant dans le tunnel sous la Manche, ou détournant un avion sur la Grande-Bretagne, histoire de se retrouver face à la colère de notre ministre de l'intérieur (Home Secretary). Auquel cas il faudra les renvoyer : "refusés, retour à l'expéditeur". Terrible est l'ironie qui veut que le seul homme que nous aimerions recevoir d'Afghanistan est celui dont on nous dit qu'il est le génie malfaisant à avoir manigancé le plus grand massacre commis dans toute l'histoire de l'Amérique : Bin Laden. Les autres ? Qu'ils restent chez eux, là-bas, en Afghanistan. Ils peuvent même y crever...
                  
12. "Justice (double bémol : américaine) Absolue" par Abdel Bari Atwan
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 21 septembre 2001
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Le fait que le président George Bush ait déclaré irrecevable la fatwa publiée par les ulémas afghans, demandant à l'opposant saoudien Usama Bin Laden de quitter leur pays de son propre gré, n'est pas faite pour nous étonner. En effet, la décision de la guerre a été d'ores et déjà prise, la mobilisation des troupes bat son plein, l'heure H du déclenchement de l'offensive (punitive) est d'ores et déjà fixée. Il ne reste plus qu'à déclencher un torrent de fer et de feu sur l'Afghanistan et tout ce que l'on pourra atteindre par la même occasion en matière de pays musulmans accusés de terrorisme ou de recel de terrorisme ou les deux à la fois.
Les responsables des pays européens ont décidé d'une rencontre au sommet entre eux, dans les plus brefs délais, afin d'étudier les conséquences de la nouvelle guerre américaine pour leur économie et la sécurité de leurs ressortissants. Pendant ce temps, on voit que les chefs d'Etat arabes ne considèrent pas qu'il y ait péril en la demeure, et que la situation ne vaut pas les fatigues du voyage. C'est pourquoi ils ont préféré multiplier leurs conversations téléphoniques afin que les services américains d'écoute en profitent bien et soient parfaitement au courant de tout ce qu'ils se racontent, dans le cadre de la "transparence" dont ils ne se départiraient pour rien au monde vis-à-vis de la nouvelle administration américaine...
Le prince Saud al-Fayçal, ministre saoudien des affaires étrangères, dont le pays sera le participant musulman le plus important dans la nouvelle coalition en train de se mettre en place, a présenté les condoléances de l'Arabie à l'administration américaine et affirmé sa totale coopération à ses projets belliqueux. Il a mentionné la nécessité que Bin Laden soit extradé et livré à la justice, mais il n'a pas levé la langue sur le terrorisme israélien : rien, aucune allusion, même des plus succinctes. On sait qu'il est peu loquace mais, tout de même : laisser passer pareille occasion...
Des manifestations au Pakistan, des réunions d'hommes de religion venus des différentes provinces de l'Afghanistan, des manifestations de protestation devant les ambassades américaines dans plusieurs pays d'Europe, d'un côté... et, de l'autre : une rue arabe plongée dans une douce torpeur, savourant son ignorance et son insouciance.
L'Iran, ce pays qui a eu à souffrir du feu de l'extrémisme talibanien s'est avéré bien plus clairvoyant que ses voisins arabes, en annonçant qu'il ne laissera jamais les avions américains utiliser son espace aérien dans le cadre de l'expédition de Bush contre l'Afghanistan voisin, réaffirmant sa neutralité dans cette crise, neutralité qui représente le moins qu'il puisse faire.
Les pays arabes se sont précipités afin de s'enrôler dans la coalition, proposant leur collaboration, l'un après l'autre. Certains l'ont fait de leur plein gré, sans que personne ne le leur demande, par peur du gros bâton américain ou par convoitise de la carotte américaine, ou encore pour les deux raisons à la fois...
L'explication est simple : les pays arabes ne jouissent pas d'une réelle souveraineté, ils ne peuvent adopter le même type de position que l'Iran (qui est lui, authentiquement indépendant), car leurs gouvernements sont corrompus, ne gouvernent que par la répression, la terreur et la crainte qu'ils inspirent à leurs peuples, qu'ils ne respectent nullement. C'est pourquoi l'administration américaine les traite de la même façon, leur dictant ce qu'ils doivent faire, convaincue d'avance qu'ils sont bien trop faibles pour lui refuser quoi que ce soit.
Il est pour le moins paradoxal que l'administration du président Bush, au moment même où elle mobilise les flottilles, les porte-avions, les blindés et des centaines de milliers de soldats, afin de les envoyer en toute quiétude dans le golfe arabique, ait choisi de baptiser "Justice Absolue" sa nouvelle expédition militaire. Cette dénomination manque, à dire le moins, de tact et de mesure. Ne rêvons pas : cette "justice absolue" ne s'arrêtera pas, au passage, dans la bande de Gaza ni en Cisjordanie afin de faire cesser l'oppression contre le peuple palestinien, elle n'ira pas faire un petit détour en Irak, sur son chemin en ligne directe vers le "nid du terrorisme", l'Afghanistan, afin de mettre un terme aux souffrances de vingt millions de personnes soumises à un embargo impitoyable.
Il ne s'agit certainement pas là d'une "justice" "absolue", mais bien d'une "justice" tordue et bigleuse, dont il ne saurait découler autre chose qu'encore plus d'iniquité, de destructions, de souffrances, de sacrifice de vies d'innocents, d'extension de la zone d'instabilité dans le monde musulman, d'enfoncement de ses populations dans une paupérisation croissante.
C'est une "justice" américaine qui ne voit les Arabes (et le monde entier, du reste), qu'avec l'oeil israélien : telle est bien l'origine des multiples anomalies qui affectent les relations arabo-américaines, terreau fertile pour l'apparition de mouvements assez extrémistes pour ne pas reculer, ne serait-ce que pour un instant de réflexion, devant des opérations-suicides désespérées, afin de se venger.
Et voilà que les milieux israéliens s'emploient sans plus tarder à diffuser des "informations" sur une implication irakienne dans les attaques contre le Pentagone et le World Trade Center de New York, allégeant que des contacts auraient eu lieu entre le capitaine Muhammad Ata, accusé du détournement du premier avion de ligne américain qui a été précipité sur la première des deux tours jumelles et des officiers des services de renseignement irakiens : ces "fuites" n'ont d'autre but que d'apporter sur un plateau une argumentation supplémentaire "autorisant" une nouvelle agression américaine contre l'Irak, permettant aux Etats-Unis de terminer le boulot - laissé en suspens - de la "Tempête du Désert".
Israël offre une couverture juridique pour une nouvelle agression contre l'Irak (allant jusqu'à la conquête de ce pays ?), tandis que l'Arabie Saoudite, le Pakistan, la plupart des pays arabes, dont ceux du Golfe, fournissent une couverture légale, d'un point de vue musulman, afin d'écraser les Taliban et de ramener l'Afghanistan à un stade antérieur à l'apparition de l'homme sur Terre.
Nous sommes à la veille d'une guerre dévastatrice, fondatrice d'un terrorisme sans précédent et d'une anarchie rarement connue dans l'histoire. Nulle surprise si nous nous retrouvons, une fois la poussière des combats retombée, confrontés à une nouveau monde arabe, différent de celui que nous connaissons, et bien malin celui qui nous dira quel il sera.
Voilà. Tel est le (sombre) tableau, à ce jour...
            
13. La facture de l'Intifada est élevée pour l'économie israélienne
Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 21 septembre 2001, 11h53
JERUSALEM - Des hôtels et des restaurants vides, des plages désertées par des touristes qui préférent des destinations moins périlleuses: les conséquences de l'Intifada sur l'économie israélienne sont toujours bien visibles, un an après son déclenchement.
Et le marasme mondial provoqué par les attentats terroristes du 11 septembre aux Etats-Unis ne va certainement rien arranger.
Comme toutes les autres bourses du monde, celle de Tel-Aviv a ainsi perdu beaucoup de terrain depuis ces attentats, alors que le shekel continuait sa baisse.
Avant cela, le soulèvement palestinien avait asséné un coup d'autant plus dur à l'économie israélienne que les émeutes ont débuté au moment même où la crise de la haute technologie, qui servait de locomotive à la croissance, provoquait une chute du Nasdaq, le temple de la "nouvelle économie", où plus d'une centaine de sociétés israéliennes sont cotées.
"Nous avons joué de malchance", souligne Danny Catarivas, directeur général adjoint du ministère des Finance. Selon lui, les dégâts dus à l'Intifada ont toutefois été limités "pour le moment à certains secteurs sinistrés tels que le tourisme, l'agriculture ou le bâtiment".
Il admet toutefois que "plus l'Intifada se poursuit, plus l'économie d'Israël, redevenue malheureusement un pays à risques, va souffrir".
Les principaux indicateurs sont pour la plupart passés au rouge. La croissance du Produit intérieur brut, qui avait culminé à 5,9% l'an dernier, devrait être inférieure à 1% en 2001, selon les dernières estimations du Trésor.
Au deuxième trimestre, le PIB a même reculé de 0,6% par rapport à la même période de l'an dernier.
La population commence elle aussi à payer le prix fort de ce coup de frein qui prend des allures de récession. Le PIB par tête d'habitant, qui mesure le niveau de vie des Israéliens, a ainsi reculé de 2,7% au premier semestre.
La chute a été beaucoup plus brutale dans le tourisme, entraînant des milliers de licenciements. Le nombre de visiteurs étrangers a diminué de moitié au premier semestre et le manque à gagner pour l'ensemble de l'année devrait atteindre 1,2 milliard de dollars, selon les estimations du ministère du Tourisme.
Les investissements étrangers, qui avaient connu un boom sans précédent dans la haute technologie en l'an 2000, ont fondu. Ils ont ainsi reculé de moitié au premier semestre, passant de 7 à 3,4 milliards de dollars, selon la Banque d'Israël.
L'absence des quelque 120.000 travailleurs palestiniens interdits de séjour en Israël en raison du bouclage imposé depuis le début de l'Intifada a également provoqué de sérieux problèmes dans le bâtiment et l'agriculture, qui employaient respectivement 30 et 12% de Palestiniens.
Sur le front budgétaire, la poursuite des violences a contraint le gouvernement à débloquer des rallonges pour l'armée et la police, qui s'élèvent à 500 millions de dollars depuis le début de l'année.
Résultat: le déficit, qui s'est également creusé en raison de la baisse des recettes fiscales due au ralentissement économique, devrait atteindre 3,5% du PNB, deux fois plus que prévu, selon le Trésor.
La défense devrait représenter à elle seule 23,7% des dépenses du gouvernement et absorber cette année 7,2 milliards de dollars, selon les Finances.
"Au total, l'Intifada a dû nous coûter environ 1 à 1,5 point de croissance cette année", estime M. Catarivas.
L'impact des attentats de New York et Washington n'a pas encore été chiffré.
             
14. Les conseillers de Bush divisés sur l'étendue de la riposte par Patrick E. Tyler et Elaine Sciolino
in The New York Times (quotidien américain) du jeudi 20 septembre 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

L'administration Bush est au prise avec sa première querelle au sommet au sujet de l'étendue et du timing de sa réponse militaire à l'attaque (terroriste) contre les Etats-Unis, ont indiqué des officiels gouvernementaux.
Certains hauts responsables de l'administration, avec à leur tête Paul D. Wolfowitz, vice-secrétaire d'Etat à la défense et I. Lewis Libby, chef de cabinet du vice-président Dick Cheney font pression en faveur d'une campagne militaire des plus rapprochées et vastes que possible, non seulement contre le réseau d'Usama Bin Laden en Afghanistan, mais aussi contre d'autres bases terroristes présumées en Irak et dans la Bekaa libanaise.
Ces officiels recherchent les moyens permettant d'inclure l'Irak dans la liste des cibles, avec pour objectif le renversement du président irakien Saddam Husseïn, mesure prônée depuis bien longtemps par les Conservateurs (= les Républicains), avec le soutien de M. Bush.
Un certain nombre de Conservateurs ont fait circuler une lettre ouverte, ce matin, appelant le président à "déployer des efforts déterminés visant à écarter Saddam Husseïn du pouvoir" même s'il est impossible d'établir un lien entre lui et les terroristes qui ont frappé New York et Washington, la semaine dernière.
En réponse à ces efforts, le Secrétaire d'Etat (= ministre des affaires étrangères) Colin L. Powell a défendu l'argument, au cours de différentes rencontres avec M. Bush, durant le week-end passé, selon lequel l'administration doit prendre son temps pour mener à bien le travail diplomatique préparatoire à une action militaire américaine, qui concernerait dans un premier temps l'Afghanistan, en consultant les alliés et en échafaudant une argumentation permettant de justifier des initiatives américaines, dans le cadre de la légalité internationale. "Nous ne pouvons pas tous résoudre d'un coup de baguette magique", a indiqué un officiel de l'administration américaine qui a assisté le Secrétaire d'Etat Powell au cours de ces concertations au sommet.
Mais, aujourd'hui, au Pentagone, M. Wolfowitz à répondu, à la question de savoir s'il y avait une quelconque connexion irakienne en rapport avec les attaques (terroristes anti-américaines) : "Je pense que le président a été très clair, aujourd'hui : il s'agit de bien plus qu'une simple organisation (clandestine), cela est beaucoup plus grave qu'un simple événement sans suite."
"Je pense que nous devons tous nous pencher sur ce problème avec un regard entièrement nouveau, et sous un éclairage entièrement nouveau également."
M. Wolfowitz n'a pas répondu à notre appel téléphonique de ce soir. Nous ne savons pas quelle position les Chefs d'Etat-major conjoint ont adoptée au sujet de l'ampleur d'une possible opération de représailles. Le Département d'Etat s'est refusé à tout commentaire.
Le choc des attaques de mardi dernier et l'ampleur du défi qu'elle doit relever afin de trouver une réponse adaptée ont, dans une certaine mesure, uni et galvanisé l'équipe nationale pour la sécurité réunie par Bush.
Mais on note certaines tensions. Elles découlent, pour partie, d'un conflit entre prérogatives : le Secrétaire d'Etat Powell doit faire face au travail concret que représente la mise sur pied d'une coalition et doit faire preuve de beaucoup de diplomatie vis-à-vis des alliés, qui prendraient des risques significatifs à apporter leur soutien aux Etats-Unis alors que la politique de ce pays, au Moyen-Orient focalise tellement de ressentiment, voire de haine.
Le Pentagone étudie les scénarios d'une cohorte d'options militaires aussi peu "sexy" les unes que les autres, tandis que des responsables de la présidence s'efforce de satisfaire les attentes tant du Président que de l'opinion publique, impatients d'une riposte rapide et décisive.
Il y a aussi des divergences idéologiques, voire de vieux conflits de personnes hérités de la première administration Bush (père), voire même des administrations Reagan et Ford, qui scindent un groupe de responsables confrontés à une crise des plus pressantes.
Aujourd'hui, le président Bush et ses conseillers n'ont pu que suivre avec une certaine inquiétude le discours adressé par le président pakistanais, le Général Pervez Musharraf, à son peuple afin de tenter de le persuader d'apporter son soutien à la réponse des Etats-Unis (aux attaques dont ils ont été victime la semaine dernière). "Beaucoup, parmi nous, craignent que Musharraf pourrait bien ne pas survivre politiquement (à cette prise de position)", a confié un haut fonctionnaire.
M. Bush et le Secrétaire d'Etat Powell ont rencontré le ministre russe des affaires étrangères, Igor D. Ivanov, qui a exprimé la préoccupation de la Russie au sujet du recours à la force militaire en Asie centrale, autrefois contrôlée par l'URSS. Les Russes fournissent d'ores et déjà du renseignement et M. Ivanov a plaidé dans le sens d'un élargissement de la coopération (russo-américaine).
Au cours d'un week-end qui a connu une mise en place intensive de mesures de sécurité au plan national, le Secrétaire d'Etat C. Powell a appelé à la prudence, à plusieurs reprises, ont indiqué plusieurs officiels de l'administration Bush. M. Powell a insisté sur le fait qu'entreprendre une campagne militaire de grande envergure, surtout si cette campagne doit inclure l'Irak - dont la population civile fait l'objet d'une énorme sympathie, au Moyen-Orient, en raison des souffrances qu'elle endure depuis 1991 - serait de nature à saper le soutien dont M. Bush a aujourd'hui le plus grand besoin.
Dimanche dernier, le Vice-président Dick Cheney semblait se rallier aux vues du Secrétaire d'Etat : il a, en effet, déclaré au cours d'une interview télévisée, que l'administration ne disposait d'aucune preuve permettant d'établir une participation de Saddam Husseïn aux attaques essuyées par les Etats-Unis, la semaine dernière.
Le secrétaire d'Etat à la défense, Donald H. Rumsfeld, aurait rejoint la position, faisant l'objet d'un consensus, prônant l'exclusion de l'Irak des cibles que comportait ses plans initiaux, ainsi que d'autres pays. "Rumsfeld a décidé, pour une raison ou une autre, que l'Irak pouvait "attendre"", a indiqué un officiel, ajoutant : "mais cela veut sans doute dire, pour Rumsfeld, que l'"Irak ne perd rien pour attendre"..."
Mais M. Wolfowitz, influent vice-président du Pentagone, est un penseur conservateur qui a souvent croisé le fer, par le passé, avec le Secrétaire d'Etat Powell et le Département d'Etat. Il a poussé, avec constance, dans le sens d'une campagne militaire contre l'Irak qui non seulement punirait M. Husseïn pour son soutien passé au terrorisme, chez lui et à l'extérieur, mais aussi éliminerait le danger qu'il représente pour Israël et l'Occident, de part son obstination à obtenir des armes de destruction massive.
Un compte-rendu des discussions privées entre M. Bush et ses plus proches conseillers, le week-end dernier, montrait que des échanges très tendus avaient eu lieu après la suggestion faite par M. Wolfowitz d'une campagne de grande envergure et sans délai, comportant des bombardements de l'Irak. Le secrétaire d'Etat a répliqué que viser l'Irak et Saddam Husseïn aurait pour effet de "naufrager" la coalition.
M. Wolfowitz s'est déclaré "plus soucieux de bombarder l'Irak que de bombarder l'Afghanistan", a indiqué un haut responsable de l'administration Bush.
Un autre officiel, proche de M. Wolfowitz, a commenté ces divergences en disant : "La position de Paul, très réfléchie, est d'examiner tout çà d'une manière exhaustive."
Lundi dernier, le Secrétaire d'Etat Powell a trahi sa propre irritation face à l'assertion de M. Wolfowitz (ce dernier l'a retirée, par la suite), selon lequel il était du devoir de l'administration (américaine actuelle) d'"achever les Etats" qui soutiennent le terrorisme.
"Ce que nous recherchons, c'est à mettre un terme au terrorisme", a indiqué le Secrétaire d'Etat, à qui l'on avait demandé ce qu'il pensait de la formule-choc de M. Wolfowitz. "... et s'il y a des Etats, des régimes, des nations, qui apportent un soutien au terrorisme, nous espérons parvenir à les convaincre qu'il est de leur intérêt d'arrêter de le faire. Mais je pense qu'"achever le terrorisme" me suffirait amplement, et je laisse à M. Wolfowitz la responsabilité de ses propos."
                    
15. Appel à un changement de politique
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 19 septembre 2001

A l'exception de l'Iraq, les régimes arabes ont unanimement condamné la plus importante offensive terroriste jamais lancée qui a frappé la semaine dernière des lieux symboles de l'hégémonie américaine à New York et Washington. Tout en dénonçant ces actes, les pays du Moyen-Orient ont multiplié les mises en garde aux Etats-Unis contre toute croisade anti-arabe et appelé Washington à reconsidérer sa politique au Proche-Orient. Ils se sont mis d'accord sur le droit des Etats-Unis de punir les auteurs des attentats à condition d'avoir des preuves irréfutables.
Au Caire, le président Hosni Moubarak a qualifié les attaques sur le World Trade Center et le Pentagone " d'inimaginables " et " horribles " et s'est déclaré profondément attristé. M. Moubarak a souligné lors d'un appel téléphonique avec le secrétaire général de l'Onu, Kofi Annan, " l'importance de réactiver son initiative pour la tenue d'une conférence internationale de la lutte contre le terrorisme ". Quant au chef de la diplomatie égyptienne, Ahmad Maher, il a appelé mercredi à ne pas " anticiper les résultats des enquêtes " sur les attentats aux Etats-Unis, après les déclarations de responsables israéliens mettant en cause les extrémistes musulmans. Tout en se déclarant disposé à coopérer avec Washington dans sa lutte antiterroriste, Le Caire a averti que toute riposte militaire doit se faire dans le cadre des Nations-Unies.
Cinq monarchies du Golfe - l'Arabie saoudite, le Koweït, le Qatar, les Emirats arabes unis, Oman -, considérées comme proches des Etats-Unis, ont aussi dénoncé les attaques et souligné leur opposition " au terrorisme ". Elles ont appelé la communauté internationale à coordonner ses efforts pour lutter contre le terrorisme. Riyad aussi bien qu'Abou-Dhabi ont affirmé leur disposition à coopérer pleinement avec les Etats-Unis dans le cadre de l'enquête. Le prince héritier saoudien, Abdallah bin Abdel-Aziz, a toutefois appelé M. Bush " à faire face à toutes les tentatives " visant à associer Arabes et musulmans aux actes de terrorisme, faisant ainsi allusion aux accusations portées contre certains de leurs ressortissants. " Les Arabes, les musulmans et toutes les personnes qui ont foi en Dieu sont au-dessus de ces actes de terrorisme ", a-t-il déclaré. Le prince héritier a attiré l'attention sur le fait que de nombreuses personnes aux Etats-Unis incitent à la haine contre les Arabes et les musulmans résidant dans le pays. 
Eviter l'amalgame
La Libye et la Syrie, pourtant accusées par Washington de soutenir le terrorisme, ont de même condamné les attentats. A Tripoli, le dirigeant Moammar Kadhafi a qualifié de " terribles " les attentats, affirmant que son pays était prêt à fournir une aide au peuple américain malgré les " différends politiques " opposant les deux pays. A Damas, une source autorisée a condamné les " attaques destructrices ayant visé des innocents aux Etats-Unis " et a " exprimé sa sympathie avec le peuple américain ". Deux organisations radicales de l'OLP basées en Syrie, les Fronts populaire et démocratique de Libération de la Palestine, ont également rejeté toute implication. Néanmoins, la Syrie a exprimé sa propre inquiétude après l'annonce américaine de la mise en chantier d'une coalition antiterroriste mondiale pour répondre aux attentats, invitant les Occidentaux à ne pas établir d'amalgame entre terrorisme et " résistance légitime " contre l'occupation israélienne.
Les organisations arabes ont également dénoncé les attentats. Le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, les a qualifiés de " regrettables " et a également demandé à M. Powell de ne pas tirer de conclusions hâtives qui aboutiraient à des résultats ayant des répercussions dangereuses. L'Organisation de la Conférence Islamique (OCI), qui représente 57 pays musulmans, a dans des termes clairs jugé que les attentats sanglants perpétrés à New York et Washington étaient contraires à l'islam. " Nous condamnons ces actes criminels sauvages que bannissent toutes conventions et valeurs humaines et les religions monothéistes, en tête desquelles l'islam ", a dit le secrétaire général de l'OCI, Abdel-Wahad Belkaziz.
Si les régimes arabes ont stigmatisé le terrorisme, ils y ont cependant vu la conséquence de la politique américaine au Proche-Orient. La Jordanie, dont le roi Abdallah II a annulé une visite aux Etats-Unis, a jugé ces attentats en contradiction avec toutes les valeurs religieuses et humaines. " Si les Etats-Unis avaient réglé les problèmes du Proche-Orient, notamment la question-clé israélo-palestinienne, je doute fort que les attentats auraient eu lieu ", a-t-il déclaré mercredi. Il a estimé que ces attentats sont " un rappel pour tous les membres de la communauté internationale, de la nécessité de travailler ensemble pour assurer un arrêt de la violence et ramener les parties à la table des négociations, car le vide permet aux extrémistes (...) de tenter des opérations comme celles qui ont eu lieu ". La Jordanie a aussi souhaité que l'intérêt accordé à la lutte contre le terrorisme après les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis n'occulte pas le processus de paix au Proche-Orient.
De même, les mouvements radicaux palestiniens, le Hamas et le Djihad islamique, qui ont affirmé n'avoir aucun lien avec les attentats, les ont imputés à la politique américaine. L'Autorité palestinienne, qui a condamné ces attentats, a accusé Israël d'en profiter pour multiplier ses incursions en zones sous contrôle total palestinien, en violation des accords d'autonomie. De même, le mouvement chiite libanais, le Hezbollah, a exprimé sa crainte que la situation aux Etats-Unis n'occulte les " agressions israéliennes contre le peuple palestinien qui paie le prix fort ". Selon lui, " la cause palestinienne (...) risque de s'affaiblir à l'ombre des nouvelles alliances mondiales et de la nouvelle guerre " qui se profilent. 
                     

16. Les Arabes dans le collimateur par Salama Ahmed Salama
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 19 septembre 2001

Les campagnes d'hostilité, d'attaque et de provocation dirigées contre les Arabes et les musulmans aux Etats-Unis et dans la plupart des pays occidentaux sont de plus en plus importantes. Il est certain que dès que les Etats-Unis commenceront leurs opérations militaires de représailles  - ce qui ne devrait pas tarder - nous serons confrontés à une discrimination raciale. Elle visera tous ceux qui ont des traits arabes ou orientaux, dans les aéroports, les rues, les universités. Les mosquées et les centres islamiques et arabes deviendront l'objet d'attaques et de provocations.
Il y a quelques jours, j'ai reçu un appel téléphonique de la part d'un journaliste arabe résidant à Berlin, et non aux Etats-Unis. Selon lui, de nombreux Arabes résidant dans cette ville commencent à recevoir des e-mails où ils sont menacés de meurtre. D'autre part, certaines femmes et jeunes filles originaires des pays arabes sont humiliées et insultées. Il y a eu effectivement des cas d'attaques et des tentatives d'incendier certaines mosquées et centres islamiques au Texas, au Canada et en Australie. Outre ce qui se passe dans les aéroports et les compagnies aériennes, où tous ceux qui possèdent un passeport arabe ou proche-oriental sont suspectés.
 Un grand nombre de dirigeants dont Bush, Blair, Schroeder et Jospin ont lancé des appels pour empêcher que cette hostilité se développe, mais c'est en vain, car les médias et les chaînes de télévision en particulier insistent sur le " terrorisme islamique " et diffusent un message hostile aux Arabes " barbares " qui veulent anéantir la civilisation occidentale. Les commentateurs ou présentateurs des télévisions occidentales ne cessent d'ajouter le qualificatif d'" islamique " ou " arabe " à tout crime, criminels ou inculpés. Dans l'unique objectif de mobiliser l'opinion publique européenne et occidentale en un élan de solidarité envers les Etats-Unis. Plus question d'objectivité, et il ne reste plus qu'à dresser le portrait-robot de l'affreux ennemi " arabe musulman ".
On peut même s'attendre à une escalade de la situation aux Etats-Unis. A la suite de Pearl Harbor, les autorités américaines avaient arrêté des dizaines de milliers d'Américains innocents, mais d'origine japonaise. Ils avaient été mis dans les camps d'incarcération après des investigations dirigées par les appareils fédéraux comme celles que subissent aujourd'hui des dizaines d'Arabes et de musulmans. Ils n'avaient été libérés qu'après la fin de la seconde guerre mondiale quand le Japon avait annoncé qu'il se rendait.
 La question qui se pose maintenant est quel est le rôle des ambassades et des représentations diplomatiques arabes aux Etats-Unis, au Canada, en Australie et en Europe ? Pourquoi ne protestent-elles pas unanimement contre ces agressions et ces procédures abusives ? Garder le silence et présenter un profil bas, c'est faire preuve de faiblesse. Ceci encourage les autres à aller encore plus loin. 
                       
17. Ce qui va changer au Proche-Orient par Ahmed Loutfi et Samar Al-Gamal
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 19 septembre 2001

George Bush senior avait constitué une coalition contre Saddam Hussein lors de la guerre du Golfe. Bill Clinton l'avait fait contre Slobodan Milosevic lors des guerres des Balkans. Après les attaques meurtrières du 11 septembre dernier, à Washington et New York, c'est au tour de George W. Bush junior de partir en guerre, mais cette fois-ci contre un ennemi à mille visages, " un fantôme ", selon les termes des responsables américains et qui n'est autre que le terrorisme mondial. Le premier suspect pour les Etats-Unis est l'insaisissable Ossama bin Laden, ce milliardaire d'origine saoudienne qui serait responsable de plusieurs attentats, notamment contre les intérêts des Etats-Unis et qui est recherché depuis plusieurs années par les pays occidentaux. Proche du pouvoir à Kaboul, il est réputé passer l'essentiel de son temps à Kandahar, ville du sud de l'Afghanistan où réside également le chef suprême des Talibans, mollah Mohamad Omar.
Si donc c'est l'Afghanistan qui est dans le collimateur des Etats-Unis, pour mener cette guerre il leur faudra " rassembler le monde entier ", comme l'a dit le chef de l'exécutif américain. Pour les Etats-Unis, il n'y a qu'une alternative : tous ceux qui ne seront pas avec eux seront contre eux. " Chacun doit choisir son camp ", a expliqué un haut responsable de l'Administration américaine. Ceci implique également les Arabes. La tâche américaine sera plus délicate dans la mesure où le monde arabe déplore le soutien massif accordé par Washington à la politique d'Ariel Sharon.
Le président égyptien Hosni Moubarak a bien souligné que la violence au Proche-Orient est " l'une des causes des attentats aux Etats-Unis et reproche aux Américains leurs accusations contre les Arabes et les musulmans ". Il a refusé d'approuver les accusations américaines contre le terroriste présumé Bin Laden. " Il ne s'agit que d'hypothèses ", a-t-il déclaré dans une interview accordée à la télévision américaine NBC, ajoutant : " Qu'allez-vous faire s'il est prouvé par la suite que les responsables étaient des Américains ? ". Le président Moubarak a par ailleurs estimé " impossible de lancer une guerre conventionnelle contre le terrorisme ". " Il ne faut pas punir tout un peuple innocent pour la faute de 50 ou 100 terroristes ", a-t-il estimé.
De toute façon, le chef de l'Etat a exprimé ouvertement l'opposition de l'Egypte à toute coalition antiterroriste qui serait constituée en dehors du cadre de l'Onu. " Le terrorisme devrait être considéré comme un crime organisé qui vise à mettre en danger la sécurité et la paix internationales et à semer la terreur parmi les populations civiles ". A cet égard il a réitéré son appel à la tenue d'une conférence de l'Onu contre le terrorisme. L'Egypte avait été frappée par une vague de violences islamistes au cours des années 1990 et avait appelé à plusieurs reprises à une conférence pour lutter contre le terrorisme en mettant l'accent sur le caractère international du phénomène. La demande égyptienne n'a jamais eu d'échos auprès des pays occidentaux.
" Lorsqu'en 1991 nous avons invité à cette conférence, on nous a accusés de vouloir réunir un tel forum juste pour régler des problèmes internes ", affirme le général Ahmad Abdel-Halim, directeur du Centre d'études du Proche-Orient. " Pourtant, nous avions expliqué qu'il s'agissait d'un phénomène mondial où les planificateurs sont dans un lieu, les bailleurs de fonds dans un autre et les exécutants dans un troisième lieu ".
Avertissements multiples
Face à cette situation, un seul Etat ne peut pas combattre le terrorisme. George Bush semble s'être rendu à cette évidence, un peu tard d'ailleurs. " Un pays à lui seul, même les Etats-Unis, ne peut lutter contre le terrorisme ", a avoué le président américain. Au Caire, on ne cesse de rappeler que les autorités égyptiennes avaient récemment mis en garde l'Administration américaine contre des actes terroristes dirigés contre eux si elle persistait à ne pas s'impliquer plus directement dans le conflit au Proche-Orient. " Si les Etats-Unis ne poussent pas pour trouver une solution à la violence, celle-ci pourrait se transformer en terrorisme ", avait prévenu en juin dernier le président égyptien. " Il faut qu'il y ait une action américaine, car les Etats-Unis ont beaucoup d'intérêts dans la région ", avait-il ajouté.
Si le président Moubarak a affirmé que l'Egypte " soutiendra les Etats-Unis dans de rigoureuses mesures contre le terrorisme ", il reste que la position du Caire est de placer cette lutte sous les auspices des Nations-Unies. Même son de cloche dans les autres pays arabes où l'on craint un amalgame entre terrorisme et résistance contre Israël. Ainsi le Maroc et la Jordanie ont exprimé implicitement leurs réserves quant à un engagement militaire, alors qu'aucun autre pays arabe ne s'est déclaré disposé à s'associer à une action militaire. La majorité des pays arabes qui s'étaient engagés il y a 10 ans dans la coalition anti-iraqienne semblent aujourd'hui privilégier les négociations sur une démarche antiterroriste. " Lors de la guerre du Golfe, il s'agissait de récupérer la souveraineté d'un pays (le Koweït) qui avait été effacé de la carte par un autre pays. Mais aujourd'hui, les Arabes ne peuvent pas faire partie d'une coalition dont les objectifs ne sont pas clairs et alors qu'Israël tente d'inclure les organisations de résistance comme le Hamas et le Djihad ou le Hezbollah libanais dans la liste des groupes terroristes ", explique Abdel-Halim.
Le monde arabe craint en outre que cette coalition souhaitée par le président Bush ne se transforme en une sorte de nouvelles croisades contre l'islam. Ce que dénonce même le ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fisher, " le pire serait que l'Occident s'attaque de front au monde musulman. C'est le but de ces criminels de provoquer une guerre entre civilisations. Nous ne devons pas acculer l'islam à la terreur, car cela ne peut qu'empirer les choses ". D'autre part, les dirigeants arabes préfèrent se garder de s'enliser dans une campagne militaire américaine d'autant qu'ils craignent les tentatives israéliennes de récupérer les attentats du 11 septembre.
C'est contre ce genre d'opinion que les Etats-Unis tentent de rassurer les pays arabes et de démontrer qu'ils ne font pas cet amalgame et que même ils vont aussi " travailler sur la situation au Proche-Orient ", comme l'a dit le secrétaire d'Etat, Colin Powell. Ainsi les Arabes s'attendent à une meilleure compréhension américaine de leurs exigences quant au conflit arabo-israélien.
Un nouveau langage américain
Le président américain George W. Bush a demandé au premier ministre israélien, Ariel Sharon, de nouveaux efforts pour obtenir l'arrêt des violences avec les Palestiniens et entamer la mise en œuvre du rapport Mitchell. Dans un entretien téléphonique, le chef de l'exécutif américain est allé jusqu'à " exhorter le premier ministre israélien à poursuivre ses efforts en utilisant les canaux existants entre le chef de la diplomatie israélienne, Shimon Pérès, et le président Yasser Arafat pour accomplir des progrès sur l'arrêt des violences ". Cette intervention est d'autant plus remarquable qu'elle cite nommément le président de l'Autorité palestinienne Yasser Arafat que la Maison Blanche ignorait complètement depuis l'avènement de George W. Bush. De plus, l'Administration américaine a poussé ainsi Israël à mettre en œuvre l'idée d'une rencontre Pérès-Arafat, ce que rejetait fermement le premier ministre israélien qui, au lendemain des attentats, affirmait : " Arafat est notre Bin Laden ". Pour la première fois, le chef de l'exécutif américain, qui prenait toujours ses distances face au conflit arabo-israélien, intervient personnellement de cette manière qualifiée d'énergique. " C'est un langage incisif et fort ", relève Ahmad Abdel-Halim, directeur du Centre d'études du Moyen-Orient. Ces attaques qui ont visé le dogme et la puissance de l'oncle Sam ont-elles poussé les Etats-Unis à modifier leur politique vis-à-vis du Proche-Orient ? Pour Abdel-Halim, c'est plutôt un " léger changement " mais qui ne manque pas de compter. En fait, les pires scénarios étaient élaborés en ce qui concerne le monde arabe et islamique montré du doigt après les attentats. Allait-il basculer définitivement dans " l'empire du mal ", celui que Bush est résolu à combattre en mobilisant tous ses alliés ?
Les desseins israéliens déjoués
Israël, en premier, voulait profiter des regards braqués sur Washington et New York pour intensifier sa répression des Palestiniens. Par terre, air, mer, l'armée israélienne a attaqué massivement la bande de Gaza du nord au sud. Non seulement Israël voulait mettre à profit cette situation de préoccupation, mais espérait aussi légitimer la lutte contre les Palestiniens au titre de contribution, aux côtés des Américains, dans la lutte contre le terrorisme. C'est " la liberté d'action de ceux qui combattent le terrorisme qui va devenir pratiquement absolue ", écrivait l'éditorialiste de Yediot Aharonot. Mais il semble que ce scénario rêvé par Israël ne soit pas celui des Américains et que l'Etat hébreu ne doive surtout pas perturber. La nouvelle politique américaine consiste à pousser ses alliés de la guerre du Golfe à afficher leur solidarité et à se joindre à une coalition pour combattre le terrorisme. Cette stratégie doit se dérouler en deux temps, selon Abdel-Halim. " Au cours d'une première étape, il s'agit d'allier certains pays pour attaquer l'Afghanistan. Le Pakistan est en tête de ces pays sollicités. Lors de la deuxième, à plus long terme, un combat plus général contre le terrorisme. Ce que l'Egypte refuse, souhaitant une lutte sous l'égide de l'Onu et dans le cadre d'une conférence internationale qui en délimiterait les modalités ". Le chef de l'Etat égyptien a déclaré d'ailleurs : " Il ne faut pas former une coalition regroupant un certain nombre de pays, car cela ne permettra pas une action internationale collective et décisive contre le terrorisme ". Quoi qu'il en soit, les attaques terroristes contre des objectifs américains vont modifier pour toujours la façon dont les Etats-Unis voient leur rôle à l'échelle de la planète et en matière de sécurité, a affirmé Condoleezza Rice, conseillère pour la sécurité nationale auprès de Bush. " C'est un événement qui va profondément changer les choses pour nous tous, pour le pays (...) et pour le président des Etats-Unis ", a déclaré Mme Rice qui est l'un des plus proches collaborateurs de George W. Bush.
L'aide des pays islamiques sollicitée
Pour ce faire, les Etats-Unis ont besoin d'un soutien de la part des pays arabes et islamiques qui nécessite qu'ils leur offrent quelque chose en contrepartie. Si la première réaction mondiale a placé le monde arabe sur la défensive, aujourd'hui, il n'en est pas le cas. Plus personne ne peut parler de la guerre des civilisations comme d'aucuns l'ont fait au lendemain des attaques. Mohamad Qadri Saïd, directeur de l'unité militaire du Centre d'Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d'Al-Ahram, souligne : " De prime abord, toute la région semblait être désignée comme coupable étant donné sa religion dominante et sa culture (...). Ce qui aurait pu avoir des répercussions négatives sur les relations politiques, économiques et sécuritaires entre les Etats-Unis et les pays de la région ", explique le chercheur. Mais il ajoute que les Etats-Unis se sont trouvés obligés de changer leur discours médiatique " pour ne pas susciter la colère des peuples arabes et musulmans et garantir leur coopération. Et chose importante, pour la première fois, les Etats-Unis se trouvent contraints de remplacer leur allié traditionnel, Israël, par les pays arabes pour accomplir une mission touchant la région ", poursuit Saïd.
De plus, selon ce chercheur, pour Washington, c'est la conception même du terrorisme qui a changé. " Il n'est plus question d'un terrorisme d'Etats comme la Libye, le Soudan et l'Iran, mais plutôt d'une nébuleuse comprenant une ou plusieurs organisations, le terrorisme international en quelque sorte ". Le président George Bush lui-même affirme que les Etats-Unis " affrontent un ennemi différent ". Un ennemi sans face, même s'il porte un nom, celui de Bin Laden et son état-major. Ce sentiment de vulnérabilité éprouvé par les Etats-Unis les poussera à redéfinir leur politique moyen-orientale, estime Qadri Saïd.
Ainsi, les observateurs, tout en craignant le pire lors des prochaines frappes américaines et à l'occasion d'une politique contre le terrorisme beaucoup plus musclée qui pourrait affecter certains pays arabes, considèrent que la conjoncture peut être favorable du moins en ce qui concerne le dossier palestino-israélien. Ainsi, les Arabes, notamment les pays modérés qui se plaignaient du désengagement américain dans la région, trouvent à présent que l'occasion est propice à une reformulation de l'attitude américaine dans la région. Que ce soit le président Moubarak ou Abdallah II de Jordanie, le langage est le même : " Si vous (les Etats-Unis) aviez réglé les problèmes du Proche-Orient, notamment la question-clé palestino-israélienne, je doute fort que ceux-ci (les attentats) auraient eu lieu ", a déclaré le souverain hachémite.
Les Arabes jouent le jeu
Yasser Arafat, de son côté, examine avec d'autres dirigeants arabes la possibilité que le monde arabe se joigne à la campagne internationale contre le terrorisme, a déclaré le porte-parole de la Ligue arabe, Hanane Achrawi, qui est membre du Conseil législatif palestinien. Un responsable palestinien avait déclaré au quotidien Le Monde que " face à la coalition internationale qui se lève contre le terrorisme, il ne faudrait pas commettre la même erreur que lors de la guerre du Golfe ", quand l'OLP avait soutenu Saddam Hussein.
La Syrie qui avait joint le " bon camp " lors de cette guerre le ferait une deuxième fois, estime Ahmad Abdel-Halim. Mais le tout à condition que les Arabes ne soient pas lâchés par les Etats-Unis, par la suite, comme cela s'est passé.
Il faudra jouer serré afin de prendre Israël en vitesse. Tout compte fait, certains indices plaident en faveur d'un changement survenu. Sharon a accepté une rencontre Pérès-Arafat, " s'il y a 48 heures de calme absolu ". Sharon a d'autre part proposé l'arrêt des attaques de l'armée israélienne dans les territoires palestiniens si Arafat décrète un cessez-le-feu. Ce sont sans doute les pressions américaines qui sont à l'origine de ces changements. Les Etats-Unis sont conscients du fait que l'animosité qu'ils suscitent dans le monde, et notamment au Proche-Orient, s'explique par le fait qu'ils voyaient tout avec le prisme israélien. Peut-être que Washington commence à s'interroger sur cette catastrophe qui a touché tous ses symboles. Pour y riposter, " ils ont besoin de coopération humaine et non plus de traiter avec arrogance comptant sur leur suprématie technique, militaire et sécuritaire. Ce mythe est celui qui s'est écroulé avec le World Trade Center et le Pentagone ", dit Ahmad Abdel-Halim. L'essentiel est que les Etats-Unis aient tiré les leçons de ce carnage et profitent du fait que le Proche-Orient est prêt pour un nouveau départ.
               
18. Bush prêt à tomber dans le piège par Robert Fisk
in The Independent (quotidien britannique) du dimanche 16 septembre 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Les représailles sont un piège. Dans un monde supposé avoir assimilé que la loi doit toujours prévaloir sur la revanche, le Président Bush semble bien se diriger exactement vers le piège qu'Osama bin Laden lui a tendu. N'ayons aucun doute sur ce qui s'est passé à New York et à Washington, la semaine dernière : c'était un crime contre l'humanité. Nous ne parvenons pas à comprendre le besoin qu'aurait l'Amérique de se venger si nous n'admettions pas cette réalité  horrible, lugubre. Mais il faut ouvrir les yeux : ce crime a bel et bien été perpétré - cela devient de plus en plus clair - afin de provoquer les Etats-Unis et de les inciter à asséner le coup aveugle et arrogant que l'armée US est en train de mettre au point.
Monsieur bin Laden - dont la culpabilité devient, avec chaque jour qui passe, de plus en plus claire - m'a décrit de quelle manière il souhaite renverser les régimes pro-américains du Moyen-Orient, à commencer par l'Arabie Saoudite, pour finir par l'Egypte, en passant par la Jordanie et les Emirats du Golfe. Dans un monde arabe plongé jusqu'au cou dans la corruption et les dictatures - soutenues à bout de bras, pour la plupart d'entre elles, par l'Occident - le seul acte qui pourrait amener les Musulmans à s'en prendre à leurs propres dirigeants serait que les Etats-Unis lancent un assaut brutal et irréfléchi. M. bin Laden n'est pas très au fait des questions de diplomatie, semble-t-il, mais il est un élève très brillant en art et horreurs de la guerre. Il a parfaitement su combattre les Russes en Afghanistan, ce monstre russe qui avait jugé bon de se venger sur ses adversaires afghans courageux mais illettrés, jusqu'à ce que, confrontée à une guerre sans fin, l'Union soviétique toute entière commençât à s'écrouler.
Les Tchétchènes en ont retenu la leçon. Et l'homme responsable pour une bonne partie du bain de sang en Tchétchénie - le carriériste du KGB dont l'armée est en train de continuer à violer et à assassiner la population musulmane sunnite insurgée de Tchétchénie - est en train d'être recruté par M. Bush pour sa "guerre contre un peuple". Vladimir Putin, car c'est de lui qu'il s'agit, est certainement doté d'un solide sens de l'humour, pour apprécier pleinement l'ironie cruelle de ce qui est en train de se passer... Toutefois, je doute qu'il informera M. Bush de ce qui arrive quand vous décidez de lancer une guerre de représailles : votre armée - comme c'est le cas des forces russes en Tchétchénie - se retrouve empêtrée dans une guerre de positions contre un ennemi qui se révèle toujours plus impitoyable, toujours plus diaboliquement malin.
Mais les Américains n'ont pas besoin d'aller si loin : qu'il leur suffise de prendre en considération la guerre totalement inutile d'Ariel Sharon contre les Palestiniens pour comprendre la folie des représailles. Au Liban, la même chose ne cessait de se répéter, inlassablement. Un homme du Hizbollah tue un soldat israélien occupant, et les Israéliens tirent, en représailles, contre un village dans lequel un civil est tué. Le Hizbollah réplique par une attaque au missile Katyusha par-dessus la frontière israélienne, et les Israéliens répliquent à leur tour en bombardant le sud-Liban. Résultat des courses : le Hizbollah - ce "centre du terrorisme mondial", selon M. Sharon - obtient qu'Israël se retire du Liban.
En Israël/Palestine, même histoire. Un soldat israélien tire sur un lanceur de pierre palestinien. Les Palestiniens répliquent en tuant un colon. Les Israéliens se vengent, alors, en envoyant un escadron de la mort tuer un tireur palestinien. Que font les Palestiniens ? Ils répliquent en envoyant un kamikaze dans une pizzeria. Après quoi les Israéliens envoient des avions de combat (américains, ndt) F-16 bombarder un commissariat de la police palestinienne. Les représailles entraînent des représailles, qui entraînent à leur tour encore plus de représailles. La guerre. Sans fin.
Et, tandis que M. Bush - et peut-être aussi M. Blair - fourbissent leurs armes et préparent leurs forces, ils expliquent sans vergogne qu'il s'agit d'une guerre pour "la démocratie et la liberté", que ce dont il s'agit, c'est d'aller se battre contre des hommes qui "s'en prennent à la civilisation elle-même". "L'Amérique a fait l'objet de cette attaque", nous expliquait M. Bush vendredi dernier, "parce que nous sommes le phare le plus brillant signalant le havre de la liberté et de l'opportunité (de faire du business, ndt) dans le monde entier." Mais ce n'est pas la vraie raison pour laquelle l'Amérique a été frappée. Si ce qui s'est passé a été une sorte d'apocalypse arabo-musulmane, c'est bien parce que cela est en rapport étroit avec des événements (se déroulant) au Moyen-Orient ainsi qu'avec la manière et la manie qu'ont les Etats-Unis de "gérer" cette région. On pourrait ajouter, ici, que les Arabes aimeraient bien avoir un peu de cette démocratie et de cette liberté dont M. Bush ne cesse de les entretenir. Mais hélas, ce qu'ils ont, c'est un président qui remporte 98% des voix aux élections (M. Mubarak, l'ami de Washington), ou une police palestinienne, formée par la CIA, qui torture - et, parfois, tue - ses propres ressortissants embastillés. Les Syriens aimeraient bien, eux aussi, bénéficier d'un petit peu de cette fameuse démocratie. Les Saoudiens itou. Mais leurs souverains fantoches sont tous des amis de l'Amérique...
Je me rappellerai toute ma vie comment le président Clinton annonça que Saddam Husseïn - encore une de nos créature grotesques - doit être renversé afin que le peuple irakien puisse choisir ses propres dirigeants. Mais dût cela se produire, cela aurait été la toute première fois dans l'histoire du Moyen-Orient où des Arabes auraient été autorisés à en user ainsi. Non, ce dont M. Bush et M. Blair sont en train de parler, c'est de "notre" démocratie, de "notre" liberté, de notre sanctuaire occidental assiégé, et non de ce vaste espace abandonné au règne absolu de l'injustice et de la terreur qu'est aujourd'hui le Moyen-Orient.
Laissez-moi expliquer. Il y a exactement dix-neuf ans aujourd'hui, le plus grand acte de terrorisme - en utilisant la propre définition qu'Israël donne de ce mot tellement galvaudé - a été posé dans l'histoire du Moyen-Orient contemporain. Quelqu'un se souvient-il de cet anniversaire, en Occident ? Combien de lecteurs de cet article s'en souviennent-ils ? Je vais prendre un risque bien mince, en affirmant qu'aucun autre journal britannique - et certainement aucun journal américain - ne rappellera le fait que le 16 septembre 1982, la milice des Phalangistes, alliés d'Israël ont entrepris leur orgie de viols et de meurtres parachevés à l'arme blanche (qui a duré trois jours durant), dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Shatila : (on estime que) cette orgie a coûté la vie à 1 800 personnes. Elle faisait suite à une invasion israélienne du Liban - invasion destinée à chasser l'OLP de ce pays, avec le feu vert du Secrétaire d'Etat américain de l'époque, Alexander Haig - qui a coûté la vie à 17 500 Palestiniens et Libanais : des civils, pour la plupart. C'est sans doute trois fois le bilan des vies fauchées au World Trade Center (de New York). Toutefois, j'ai le regret de vous dire que je n'ai jamais vu ni veillée, ni messes de requiem ni bougies allumée ce jour-là, en Amérique.
Non, Israël ne doit pas être accusé de ce qui s'est passé la semaine dernière. Les coupables étaient des Arabes, pas des Israéliens. Mais l'échec de l'Amérique à agir honorablement au Moyen-Orient, ses ventes compromettantes de missiles à ceux qui les utilisent contre des civils, son ignorance cynique de la mort de dizaines de milliers d'enfants irakiens victimes de sanctions dont Washington est le principal artisan - tous ces éléments sont intimement liés à la société qui a "produit" les Arabes qui ont (décidé de) plonger l'Amérique dans une apocalypse de feu, la semaine dernière.
Le nom "Amérique" est, au sens physique du terme, imprimé sur les missiles envoyés par Israël sur les immeubles de Gaza et de Cisjordanie. Il y a un mois, seulement, j'ai identifié l'un de ces projectiles pour être un missile air-sol AGM 114-D, fabriqué par Boeing et Loockheed-Martin, dans leur usine située - Etat américain entre mille - en Floride, cet Etat où certains des kamikazes ont appris à piloter...
Le même type de missiles avait été tiré depuis des hélicoptères Apache (made in America, of course) durant l'invasion du Liban par Israël, en 1982, au cours de laquelle des centaines de bombes à fragmentation ont été balancées sur les quartiers résidentiels de Beyrouth par les Israéliens en contravention totale des garanties données aux Etats-Unis quand à leur usage. La plupart des bombes portaient le logo de la marine américaine. L'Amérique décida alors de suspendre la livraison d'une cargaison de bombardiers destinés à Israël. Pour moins de deux mois...
Le même modèle de missiles - cette fois un AGM 114-C - "made in Georgia" - a été tiré par les Israéliens sur l'arrière d'une ambulance, près du village libanais de Mansori, tuant deux femmes et quatre enfants. J'ai ramassé les morceaux de missile, parmi lesquels sa carte de programmation informatique, j'ai pris l'avion pour la Géorgie et j'ai montré ces éclats aux fabricants, à l'usine Boeing. Vous savez ce que l'ingénieur-développement qui a mis au point et peaufiné ce missile m'a dit, quand je lui ai montré des photos des enfants tués par son missile chéri ? "Ecrivez ce que vous voulez", qu'il m'a dit, "mais surtout ne me citez pas comme ayant formulé une quelconque critique sur la politique d'Israël"...
Je suis certain que le père de ces enfants, qui conduisait l'ambulance (bombardée), aurait été horrifié par les événements de la semaine passée (aux Etats-Unis). Mais je doute, étant donné le sort de sa propre épouse - l'une des deux femmes tuées - qu'il ait été d'humeur à envoyer des condoléances à qui que ce soit. Tous ces faits, bien sûr, doivent être oubliés, maintenant...
Tout sera fait, absolument tout, dans les jours à venir, pour "débrancher" la question du "pourquoi ?" et se focaliser uniquement sur le "qui, quoi et comment ?" CNN et la plupart des médias mondiaux se plient d'ores et déjà (perinde ac cadaver) à cette nouvelle règle de guerre. J'ai déjà pu observer ce qu'il advient quand on s'avise de passer outre. Quand The Independent a publié mon article sur le lien entre l'injustice du Moyen-Orient et l'holocauste de New York, la chaîne d'information en continu de la BBC (télévision britannique) a fait venir un commentateur américain, qui a fait remarquer que "Robert Fisk a remporté haut la main le prix du mauvais goût". Lorsque j'ai développé la même argumentation, au cours d'un débat, sur une radio irlandaise, un autre invité (du même bord, cela semble inévitable), un juriste de Harvard, m'a dénoncé, me qualifiant de bigot, de menteur, d'"homme dangereux" et - bien entendu - potentiellement antisémite. Les Irlandais lui ont coupé le micro (et rabattu le caquet...).
Nul étonnement à ce que nous devions en permanence qualifier les terroristes d'"insensés". En effet, si nous omettions de le faire, nous devrions tenter d'expliquer ce qui a bien pu passer par ces esprits-là. Mais cette vaine tentative de censurer les réalités de la guerre qui a d'ores et déjà commencé ne devrait pas pouvoir perdurer. Regardez comme c'est logique. Le Secrétaire d'Etat américain Colin Powell insistait, vendredi dernier, sur le fait que son message aux Taliban est simple et clair : ils doivent assumer leur responsabilité, celle de servir d'abri à M. bin Laden. "Vous ne pouvez pas séparer vos activités de celles des responsables", a-t-il averti (et menacé). Mais les Américains refusent catégoriquement d'associer leur réplique à la responsabilité qui est la leur, du fait de leurs activités douteuses au Moyen-Orient. Nous sommes supposés la fermer, même lorsqu'Ariel Sharon - un homme dont le nom sera à jamais associé aux massacres de Sabra et Shatila - annonce qu'Israël est désireux, lui aussi, de se joindre à la bataille contre "le terrorisme mondial".
Pas étonnant que les Palestiniens aient peur. Durant ces quatre derniers jours, 23 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie et à Gaza, un chiffre effrayant qui aurait fait la une des journaux si l'Amérique n'avait pas fait l'objet du blitz que l'on sait. Si Israël s'engage dans les représailles, les Palestiniens - en continuant à se battre contre les Israéliens - deviendront, du même coup, partie constitutive du "terrorisme mondial", contre lequel M. Bush est supposé partir en guerre. Il ne faut pas chercher plus loin la raison pour laquelle M. Sharon a clamé que Yasser entretiendrait des relations avec Osama bin Laden.
Je le redis : ce qui s'est passé à New York est un crime contre l'humanité. Cela implique des policiers, des arrestations, une justice, une nouvelle cour internationale à La Haye, consacrée à cela, si nécessaire. Mais pas des missiles de croisière, des bombes "chirurgicales" ni des vies de Musulmans bousillées pour venger des vies occidentales. Mais le piège est dressé. M. Bush - et nous avec lui, peut-être, hélas - nous y dirigeons tout droit.