Le Collectif
pour les droits du peuple
palestinien
organise un
rassemblement de soutien au peuple
palestinien
ce
vendredi 28 septembre 2001 à 18h30 sur le Vieux-Port de
Marseille
Point d'information Palestine
> N°169 du 26/09/2001
Réalisé par
l'AMFP - BP 33 - 13191 Marseille FRANCE
Phone +
Fax : +33 491 089 017 - E-mail : amfpmarseille@wanadoo.fr
Association loi 1901 - Membre de la Plateforme des ONG françaises pour la
Palestine
Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) -
Daniel Amphoux (Trésorier)
Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par
Marcel Charbonnier
Si vous ne souhaitez plus
recevoir (temporairement ou définitivement) nos Points d'information Palestine,
ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à
l'adresse suivante : amfpmarseille@wanadoo.fr.
Ce point
d'information est envoyé directement à 3074 destinataires.
Au
sommaire
Rendez-vous
Palestine
1.
PAIX comme PALESTINE par le
Collectif pour les droits du peuple palestinien de
Marseille
2. L'agenda des initiatives autour de la
Palestine jusqu'au 8 octobre 2001
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non
publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG.
1. Interview
d'Alexandre Adler par Michel Zerbib dans l'émission "L'invité de la
rédaction" diffusée sur "Radio J" (Paris 94.8 Mzh) le jeudi 20 septembre 2001.
[retranscrit à partir de l'enregistrement par
Jacqueline Olivier]
2. Le jour où la baudruche Barak
s'est dégonflée par Uri Avnery (15 septembre 2001) [traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de
Wangen]
Revue de presse
1. Pérès et Arafat
s'engagent à tout faire pour que la trève tienne par Ibrahim Barzak
Dépêche de l'agence Associated Press du mercredi 26 septembre 2001, 13h22
2.
Le développement palestinien tué dans l'œuf par Marwa Hussein
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 26 septembre 2001
3.
Les aides étrangères au secours d'Israël par Salma Hussein in
Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 26 septembre 2001
4.
Incident entre la police israélienne et l'entourage de Védrine
Dépêche de l'Agence France Presse du mardi 25 septembre 2001,
10h57
5. M. Straw suscite l'indignation en Israël avant son arrivée à
Jérusalem par Charly Wegman Dépêche de l'Agence France Presse du mardi
25 septembre 2001, 10h23
6. Eric Rouleau : "Une grande méconnaissance
de la réalité de la planète" entretien réalisé par Jacques Coubard in
L'Humanité du mardi 25 septembre 2001
7. L'Irak essuie encore les
plâtres par Jean-Pierre Léonardini in L'Humanité du mardi 25 septembre
2001
8. Le cas Ariel Sharon
par Pierre Marcelle
in Libération du mardi 25 septembre
2001
9. Les
Fedayin concèdent une trêve à Arafat par Didier François
in Libération du lundi 24 septembre
2001
10. Les
larmes s'arrêteront-elles jamais de couler ? par John Gerassi in Z
Magazine (e-magazine américain) du dimanche 23 septembre 2001 (http://www.zmag.org)
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
11.
Comment les Etats-Unis ont-ils le cœur à envisager de bombarder ces
pauvres gens ? par Robert Fisk in Z Magazine (e-magazine américain) du
dimanche 23 septembre 2001 (http://www.zmag.org) [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
12. "Justice (double bémol : américaine) Absolue"
par Abdel Bari Atwan in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du
vendredi 21 septembre 2001 [traduit de l'arabe par
Marcel Charbonnier]
13. La
facture de l'Intifada est élevée pour l'économie israélienne Dépêche de
l'Agence France Presse du vendredi 21 septembre 2001, 11h53
14. Les conseillers de Bush divisés sur l'étendue de la
riposte par Patrick E. Tyler et Elaine Sciolino in The New York Times
(quotidien américain) du jeudi 20 septembre 2001 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
15. Appel à un
changement de politique in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du
mercredi 19 septembre 2001
16. Les Arabes
dans le collimateur par Salama Ahmed Salama in Al-Ahram Hebdo
(hebdomadaire égyptien) du mercredi 19 septembre 2001
17. Ce qui va
changer au Proche-Orient par Ahmed Loutfi et Samar Al-Gamal in Al-Ahram
Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 19 septembre 2001
18. Bush prêt à tomber dans le piège par Robert Fisk
in The Independent (quotidien britannique) du dimanche 16 septembre 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Rendez-vous Palestine
1. PAIX comme
PALESTINE par le Collectif pour les droits du peuple palestinien de
Marseille
Notre condamnation des attentats injustifiables qui viennent de se
produire aux Etats Unis, ne doit pas nous faire oublier le douloureux premier
anniversaire de l'Intifada II. Cette résistance courageuse du peuple palestinien
à 53 ans d'occupation militaire israélienne, a un coût effrayant : en un an plus
de 684 palestiniens assassinés et 20.000 blessés !
Elle ne doit pas non plus nous faire oublier tous ceux qui sont morts
depuis 1948, les millions de réfugiés qui croupissent toujours dans des camps,
les villages et les maisons rasés par l'armée israélienne et surtout les
massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila dont Ariel Sharon porte la
responsabilité.
Aujourd'hui encore, alors que tout le monde sait qu'aucun
groupe palestinien n'est responsable de ces attentats, le gouvernement israélien
entretient la confusion entre l'Autorité palestinienne et des groupes
terroristes intégristes. Il profite du climat ainsi créé pour renforcer son
occupation et intensifier ses attaques militaires contre la population civile
palestinienne..
Depuis le 11 septembre dernier, une trentaine de Palestiniens
ont été assassinés et de nombreux autres, blessés, dans les bombardements
effectués par la marine, l'armée de terre et l'armée de l'air israélienne.
Le
conflit israélo-palestinien, nous le répétons, a des incidences internationales
considérables.
C'est pour cela que l'ONU doit immédiatement procéder à
l'envoi d'une force de protection internationale comme le demande l'Autorité
palestinienne.
L'immobilisme de la communauté internationale, le parti pris
systématique des USA en faveur d'Israël engendrent la colère, l'humiliation, la
frustration dans l'ensemble du monde arabe et des pays du Tiers monde. C'est
entre autres sur ce terreau que se développent les intégrismes et le
fanatisme.
Il n'y aura pas de paix au Moyen Orient tant que justice
n'aura pas été rendue au Peuple palestinien. Elle passe obligatoirement par
l'application du droit international, à savoir les Résolutions des Nations unies
qui demandent :
> La création d'un Etat Palestinien indépendant et
souverain sur les territoires occupés en 1967, et donc le retrait des forces
israéliennes du territoire palestinien et le démantèlement des colonies
d'implantation,
> Le partage de la souveraineté sur Jérusalem entre
Palestiniens et Israéliens,
> Le droit au retour sur leurs terres des 4
millions de réfugiés Palestiniens.
Le Collectif pour les droits
du peuple palestinien organise un rassemblement de soutien au peuple
palestinien, ce vendredi 28 septembre 2001 à 18h30 sur le Vieux-Port de
Marseille.
- Collectif pour les droits du peuple
palestinien : constitué le 18 octobre 2000, ce collectif regroupe les
organisations suivantes : AFASPA Marseille, Aix Solidarité, AJIAL France, AMFP
Aubagne, AMFP Marseille, APF, Ballon Rouge, CIMADE, CNUC, Convergence des
Démocrates Marocains, Discrimination Zéro, Françafrique, LCR, LDH Marseille
Nord-Sud, Les Alternatifs, Les Verts, Méditerranée Solidaire(s), Mouvement de la
Paix, Mouvement des Citoyens, MRAP, PCF, RAFD, Rassemblement Franco-Palestinien
pour la Paix, Résister, Santé Sud, Témoignage Chrétien.
- Coordination
: Association Médicale Franco-Palestinienne - BP 33 - 13191 Marseille Cedex 20 -
Tél/Fax : 04 91 08 90 17 -
E-mail : amfpmarseille@wanadoo.fr
2.
L'agenda des initiatives autour de la Palestine jusqu'au 8
octobre 2001
L'Agenda des conférences, manifestations, spectacles,
expositions... sur http://www.solidarite-palestine.org/evnt.html
Mercredi
26 septembre à Bruxelles : Conférence-débat avec Alain Gresh
Vendredi 28
septembre à Poitiers : Concert de solidarité
Vendredi 28 septembre à Limoges
: Débat Public « La Palestine après un an d’Intifada »
Vendredi 28 septembre
à Bruxelles : Débat sur la Palestine
Samedi 29 septembre à Paris :
L'Intifada, un an déjà !
Samedi 29 septembre à Lyon : 1er anniversaire 2ème
Intifada
Samedi 6 octobre à Bordeaux : Rencontre sur la Palestine
Lundi
8 octobre : Rencontre avec Allegra Pacheco et Iyad Serraj
Si vous organisez une initiative sur la Palestine, n'oubliez
pas d'envoyer un communiqué à Giorgio Basile :
webmaster@solidarite-palestine.org
Réseau
1. Interview
d'Alexandre Adler par Michel Zerbib dans l'émission "L'invité de la
rédaction"
diffusée sur "Radio J" (Paris 94.8 Mzh) le jeudi 20 septembre
2001.
[retranscrit à partir de l'enregistrement
par Jacqueline Olivier]
Michel Zerbib :
Alexandre Adler, bonjour. Directeur et éditorialiste au Courrier International,
spécialiste aussi de l'ex Union Soviétique, entre autres spécificité, justement,
la question qui se pose aujourd'hui c'est : les Américains vont frapper, certes,
est-ce que selon vous, ils vont frapper fort, surtout en Afghanistan
?
Alexandre Adler : Oui. Ils vont, bien entendu, frapper fort,
mais ils vont surtout frapper longtemps. Parce que la période des
gesticulations, des pluies de missiles sans lendemain, est bien terminée. Et
qu'il s'agit maintenant moins de satisfaire l'opinion par quelques artifices
pyrotechniques, que d'infliger à un groupe terroriste qui est loin d'être une
bande armée, qui est une sorte de quasi-Etat, une défaite stratégique
définitive. Et d'ailleurs le vice-président Dick Cheney a parlé d'une guerre de
plusieurs années. C'est très exactement ce qui se produira.
MZ :
Alors cette guerre de plusieurs années, est-ce que ça fait partie aujourd'hui,
au plan de la politique à long terme des Etats-Unis, d'une forme de raison
d'être, est-ce que ça veut dire qu'ils ont décidé de mener une guerre durant de
longues années, pour rester ce qu'ils sont c'est-à-dire la grande puissance
américaine ?
AA : Il s'agit moins ici de grande puissance que
de la sécurité, des Etats-Unis d'abord, mais aussi de l'ensemble du monde
développé, car Oussama Ben Laden présente de nombreux points de comparaison avec
Hitler, mais le plus important c'est leur génie trés particulier et qui leur est
commun : Hitler était un mauvais sujet qui avait un don extraordinaire pour
comprendre la faiblesse des autres. Il avait parfaitement vu que les Anglais le
laisseraient violer la Tchécoslovaquie sans mot dire. IL a vu que Staline ne
bougerait pas, comme un lapin hypnotisé par les phares, au printemps 1941. Là,
il a vu que les Américains étaient vulnérables. Mais comme Hitler, c'est un
homme qui ne comprend pas la puissance des démocraties. Il ne comprend que quand
une démocratie qui semble extrêment divisée, hésitante, en débat, égoïste, eh
bien quand ce même pays se rassemble, et cela arrive - et je crois qu'il vient
de réussir ce coup-là - eh bien il riposte avec une énergie trés grande. Qui
aurait pu imaginer que l'Amérique de 1941 doublerait son PIB en deux ans ? Elle
l'a fait ! Et on s'en est aperçu un peu partout dans le monde...Je pense que
l'Amérique d'aujourd'hui a des défauts, mais l'Amérique va effectivement se
mettre en face des gens qui ont commis cet acte abominable - et qui ne souffre
aucune réparation-, sur leur territoire et ils vont mener la guerre jusqu'à la
victoire.
MZ : Ils vont mener la guerre dites-vous Alexandre
Adler jusqu'à la victoire...Vous l'avez dit d'emblée, il y a eu des opérations
qui étaient un peu "des feux d'artifice" (pour utiliser des termes un peu
particuliers..),est-ce que vous avez le sentiment aujourd'hui, à l'heure où nous
parlons, qu'ils ont vraiment les moyens militaires pour mener ce genre de guerre
?
AA : Non. Pas du tout. Ils ne les ont pas.
MZ
: C'est-à-dire qu'il faut s'attendre à plusieurs mois de préparation
?
AA : Il faut s'attendre à des opérations dont certaines
seront des échecs, il faut s'attendre à des échecs cuisants. Oussama Ben Laden
marquera encore des points, exactement comme après Pearl Harbor, les Japonais
ont pris Wake, puis les Philippines, puis l'Indonésie. Et puis un beau jour, il
y aura Midway...C'est-à-dire que pour l'instant c'est Ben Laden le plus
fort...
MZ : De loin le plus fort ? Est-ce à dire que dans cet
environnement géopolitique vous pensez que par exemple les pays voisins ne vont
pas jouer le jeu qu'ils affichent aujourd'hui ?
AA :
Absolument.
MZ : Je parle notamment du
Pakistan.
AA : Mais le Pakistan a déjà dit tout ce qu'il
pensait : il accepte vaguement un survol mais il ment toutes les heures sur
l'appui qu'il va donner aux Etats-Unis. En réalité Ben Laden, son idée c'est de
financer des start-up mais il investit aussi dans de vielles sociétes et là, il
a à peu prés 40% de l'armée pakistanaise, notamment parmi les jeunes, les
officicers subalternes, les officiers de renseignements. Vous n'avez d'ailleurs
qu'à lire l'interview du général Hamid Gul, l'ancien patron des services secrets
pakistanais pendant la guerre d'Afghanistan, et vous serez édifié sur ce qu'il
pense : c'est un benladénien orthodoxe. Par conséquent, bien sûr, le Pakistan
est en guerre avec les Etats-Unis...
MZ : C'est évidemment une
information - une réalité - assez extraordinaire ! Est-ce que vous avez là aussi
le sentiment que les Américains, qui disiez-vous vont mener cette guerre, ont
les moyens de la gagner tout seuls ?
AA : Non. Mais l'Inde est
prête à aider les Américains à détruire l'armée pakistanaise...Et puis,
deuxièmement, il est clair que Ben Laden a des appuis très forts en Irak. Il a
notamment des liens étroits qui l'unissent au fils préféré de Saddam
Hussein.
MZ : Cela veut-il dire que ce que certains ont dit
d'emblée au moment où les avions rentraient sur les deux tours : "c'est une
troisième guerre de type mondial ", vous y croyez aussi ?
AA :
Oui, tout à fait. Mondial, c'est un peu beaucoup dire. Mais c'est une guerre qui
se jouera de manière manœuvrée, depuis le Maghreb jusqu'à
l'Inde.
MZ : Aujourd'hui il y a une certaine unanimité, notamment
occidentale. Est-ce que vous pensez que notamment la France va aussi jouer le
jeu à fond avec les Etats-Unis, dans tous les compartiments, pas seulement celui
de l'effort militaire...
AA : Non. Je ne le pense pas. Je pense
qu'un pays comme la France, qui est si fortement engagée derrière les
Palestiniens et les Arabes, ne jouera pas du tout le jeu de la
solidarité.
MZ : Aujourd'hui, encore très peu de voix s'élèvent
pour lézarder ce front pro-américain, et vous pensez que dans les jours qui
viennent, dans les semaines qui viennent, on va relancer la question des
Palestiniens ?
AA : Mais, écoutez, c'est évident ! La France
est partie pour cela ! Quand je dis la France, je parle du gouvernement. C'est à
l'opinion de paralyser cette réaction ; mais tout ça sera complexe.
Dans
cette affaire il y a un courant néo-vichyste puissant, mais il y a aussi
beaucoup de gens qui ont une spontanéité gaulliste. En réalité cette affaire va
diviser tous les partis, toutes les institutions. Mais nous sommes entrés dans
une phase turbulente en France sur cette question.
Si vous permettez je
voudrais dire les choses de manière plus synthétique encore : en réalité il n'y
a pas d'unanimité européenne derrière les Etats-Unis, et il n'y a pas
d'unanimité arabe et musulmane derrière Oussama Ben Laden. Ce sont deux fausses
fenêtres. La vérité c'est qu'un certain nombre de forces aujourd'hui dans le
monde arabe et dans le monde musulman sont prêtes à en finir avec les Oussama
Ben Laden et autres terroristes. Seulement ces forces sont minoritaires. Il y a
aussi en Europe des forces qui sont absolument décidées à saboter les
Américains, ces forces sont également minoritaires. Nous verrons au fur et à
mesure que la bataille prendra de l'ampleur, ces deux forces se renforcer. Je
veux dire par là que, au Maghreb, en Turquie, et même en Arabie Saoudite, nous
aurons des surprises favorables, nous aurons des musulmans qui vont s'élever
contre les Talibans et la Kaîda et tutti quanti. De la même façon qu'on a vu des
généraux algériens faire front finalement avec un courage certain à une
offensive islamiste d'une ampleur considérable. Et à l'inverse nous aurons en
France, en Allemagne, mais aussi en Angleterre, en Italie, en Espagne, l'étalage
de la bassesse et des réactions les plus viles qui soient. Ce qui donne
peut-être la possibilité de les vaincre progressivement par une bataille
politique de tous les instants, où pour la première fois depuis un certain
temps, les Juifs ne seront plus seuls..
MZ : Alors Alexandre
Adler, justement je fais allusion à un éditorial que vous avez signé il y a
plusieurs semaines et qui était assez fort, où en quelque sorte vous
jetiez les bases de nouvelles relations de la Diaspora juive
internationale, notamment les Américains, les Russes et la Communauté française,
est-ce que vous pensez qu'il est urgent aujourd'hui justement d'avoir ces
relations sur le plan international ?
AA : Moi, je pense que en
effet, Israël, qui est à la fois une très grande chose mais un petit Etat, a
besoin de se donner un effet de profondeur et une dimension nouvelle, dans un
rapport un peu transformé avec la Diaspora. Aujourd'hui, la Diaspora est
essentiellement considérée comme une réserve d'initiatives financières - et sur
ce plan la France est d'ailleurs lamentable : je profite de mon passage sur vos
ondes pour dire à tous vos auditeurs que le Fonds social unifié et
l'Appel, ça existe et qu'il faudrait peut-être y songer surtout qu'en cette
période de Nouvel An on a un peu d'argent, c'est le moment de le donner - . Mais
par ailleurs ce n'est pas cela le soutien à Israël, ce n'est pas seulement cela,
ce n'est pas seulement la Tsédaqa et l'Alya, comme le croient beaucoup
d'Israéliens. Et personnellement, pendant cette guerre, ou à l'issue de cette
guerre, je serais très favorable à l'existence d'une sorte de sénat, de deuxième
chambre à côté de la Knesset, qui serait composée d'Israéliens et de membres de
la Diaspora et qui auraient un rôle consultatif. Il faudrait des personnalités
de premier plan, moi je verrais bien un homme comme Elie Wiesel présider un tel
organisme. Je serais pour qu'il y ait un espèce d'organisme permanent qui
matérialise la solidarité de tout le peuple d'Israël. Je voudrais dire aussi
quelque chose qui me frappe énormément : je crois beaucoup qu'il existe des
tribus perdues d'Israël, et en particulier en Afghanistan où trois des grandes
tribus Pathanes, les Afridi, les Youssoufzaï et les Shinwari, sont des tribus
d'origine israélite. Elles habitent dans le même coin et sont très hostiles aux
Talibans maintenant. Le rabbin Israël est allé les voir à plusieurs reprises et
je suis persuadé qu'il y a quelque chose à faire aussi pour ces lointains
parents, abandonnés maintenant et qui se trouvent au cœur du cyclone..Ca serait
très intéressant si Israël envoyait des émissaires à l'issue de cette guerre, ou
pendant cette guerre, pour essayer de prendre contact avec ces lointains parents
oubliés, mais qui gardent comme une fierté leur origine israélite, qui en sont
persuadés.
MZ : Vous pensez les faire venir en Israël ? Non ? Pas
nécessairement ?
AA : On ne sait jamais. On ne sait pas ce
qu'il peut résulter d'une telle situation. Mais si certains voulaient s'établir
en Israël, moi je pense que ce serait une chose extraordinaire
!
MZ : Merci beaucoup Alexandre Adler. On est à la veille du
Nouvel An juif de Roch Hachana, est-ce que vous avez envie de formuler des vœux
dans une situation aussi compliquée ? Est-ce que vous êtes totalement
pessimiste, ou est-ce qu'on peut entrevoir finalement quelques raisons d'espérer
?
AA : Mais nous devons espérer ! Dieu ne nous abandonnera pas,
il ne nous a jamais abandonnés ! Et n'oublions pas quand même que finalement
[petit rire] le pire moment ça a été l'Intifada des mosquées, ce moment où
Israël s'est trouvé tout seul face à sa volonté de paix, et devant un complot
ramifié du nationalisme Arabe pour faire sauter le processus d'Oslo. Aujourd'hui
la situation est bien changée ! J'ai passé le pire Kippour de ma vie l'année
dernière, j'espère passer un meilleur kippour cette année et je pense - comme
tous les juifs- que par ce rassemblement qui se fait dans les mois de tichri,
que par l'intensité de notre prière et de notre amour d'Israël nous repousserons
l'arrêt mortel et que nous aurons une meilleure année. Je suis persuadé pour ma
part que, même si cette guerre est dure, même si elle est difficile, Israël
n'est plus seul ! Et Israël n'a pas pour vocation d'être seul: je ne suis pas
dans l'esprit de Massada, je suis au contraire justement dans l'esprit avec les
Nations qui nous a toujours permis de siècle en siècle, de survivre jusqu'à ces
moments que nous vivons maintenant.
2. Le jour où la
baudruche Barak s'est dégonflée par Uri Avnery (15 septembre
2001)
[traduit de l'anglais par R. Massuard
et S. de Wangen]
Si un étudiant avait eu à se
présenter devant le professeur Schlomo Ben Ami avec le texte paru sous la
signature de ce dernier dans le supplément du quotidien Ha'aretz du 14 septembre
2001, le professeur le lui aurait rendu avec le commentaire suivant : " Note :
5/10. Nombreuses lacunes dans l'argumentation. Nombreuses contradictions
internes. Aucune connexion entre les faits et les conclusions. Rien pour
soutenir l'argument principal. A revoir ! "
L'article, présenté sous forme
d'interview, doit être lu plusieurs fois avant que les faiblesses apparaissent.
Comme il s'étend sur huit longues pages, on peut supposer que la plupart des
lecteurs se sont contentés des titres et des extraits mis en exergue lesquels
sont exprimés comme des slogans électoraux. Ainsi, Ben Ami amplifie encore les
dégâts que Barak et lui ont provoqués quand leur courte et catastrophique
période au pouvoir a lamentablement pris fin.
A travers les lignes, une
certaine vérité se dégage de certains propos épars. Ben Ami dit de lui-même et
de Barak : " Nous n'étions pas vraiment membres du cercle strict de la gauche.
Ni l'un ni l'autre n'étions membres de l'industrie de la paix. Ni l'un ni
l'autre n'étions de véritables industriels de la paix. " Ces mots, sous leur
intention ironique, peuvent être traduits plus simplement : Ni l'un ni l'autre
ne connaissions quoique ce soit des Palestiniens, de leurs traumatismes, du
déroulement de leur histoire, des craintes et des ambitions du partenaire
désigné. Ben Ami et Barak avaient en commun l'incroyable audace d'aborder la
tâche historique de construction de la paix avec pour tout bagages l'ignorance
et d'arrogance - bravade militaire dans le cas de Barak, vanité intellectuelle
dans celui de Ben Ami.
L'ignorance a joué contre eux parce qu'ils ne
comprenaient pas le code interne des Palestiniens et étaient totalement
emprisonné dans le nôtre. D'où, ils ne comprenaient absolument pas l'autre
partie. Toutes les positions de cette dernière étaient incompréhensibles et ses
actions imprévisibles. Ceux qui comprennent le projet palestinien, qui ont passé
de longues années à étudier le sujet, et des milliers d'heures de dialogue
personnel, avec un certain degré d'empathie, avec les Palestiniens, n'ont été
surpris par aucune de leurs démarches. (Permettez-moi de vous rappeler que
j'avais moi-même prédit et publié par avance la plupart des pas accomplis par
les Palestiniens).
L'histoire et les proches élections
La principale conclusion de Ben Ami est : " Pour Arafat, Oslo a été une
énorme diversion qui lui a permis de cacher la pression politique et les actions
terroristes qu'il mettait en œuvre pour saper l'idée de deux pays pour deux
nations. " Je serais prêt à donner une prime substantielle à quiconque peut
trouver une démonstration probante de cette affirmation dans les 8 pages de son
article. L'illustre professeur présente son opinion personnelle comme une
conclusion basée sur des preuves factuelles. Or, il diabolise le dirigeant de
l'autre nation d'une manière grossière afin de justifier son échec monumental et
lui faire endosser la responsabilité du désastre.
Il est vrai qu'Arafat et Barak sont très différents, aussi différents l'un
de l'autre, que David Ben Gourion l'était d'Avram Burg. Comme le dit le dicton
américain : " Un homme d'Etat pense aux prochaines générations ; un politicien
pense aux prochaines élections. " Arafat est un dirigeant historique qui a mené
son peuple des marges d'une totale annihilation aux marges d'un Etat indépendant
(quoique encore non visible). Barak, tel que Ben Ami le décrit, ne se
préoccupait que des prochaines élections. Le troisième homme dans ce jeu,
Clinton, ne pouvait pas être réélu mais il était beaucoup plus préoccupé par la
réélection de Barak et par la bataille électorale de son épouse dans la plus
grande ville juive du monde.
Arafat n'a rien cédé
Deux faits vraiment cruciaux, qui jettent une ombre sur Barak et Ben Ami,
manquent manifestement dans l'article de Ben Ami :
(a) Israël a refusé de
remplir ses obligations découlant d'un accord signé et concernant la troisième
phase du désengagement supposé comprendre toute la Cisjordanie, à l'exception de
quelques bases militaires spécifiques, et
(b) tout au long de la
négociation, Barak a continué d'agrandir les colonies et de construire des
routes de contournement à un rythme accru.
A ceci les Palestiniens ont
répondu : " Alors que vous discutez avec nous de la manière de partager la
pizza, vous êtes en train de la manger. "
Ce qu'affirme principalement Ben Ami est que, à chaque étape de la
négociation, de Stockholm au printemps 2000 à Taba au début 2001, Arafat n'a
accepté aucun compromis. La partie israélienne a donné, donné, " kvetsch après
kvetsch " dans le Yiddish de Ben Ami (qui est né à Tanger, au Maroc), et Arafat
n'a jamais présenté aucune proposition. Selon Ben Ami : " Arafat n'a pas joué le
jeu "
Cette description n'est pas étayée par les faits que Ben Ami lui-même
présente. Ceux-ci montrent
(a) qu'Arafat a eu une position claire tout au
long du processus de négociation et,
(b) qu'Arafat a, au-delà de cette
position, présenté des compromis à long terme.
Dès le début, l'approche israélienne et américaine a été basée sur une
supposition erronée, qui est résultat du refus d'écouter (ou de la
sous-estimation) de l'autre partie. Ils voyaient le compromis en termes de
marché : l'acheteur offre 10 dollars, le vendeur en demande 20 et ils transigent
à 15. L'acheteur (Israël) a offert 11, puis 12, puis 13. Le vendeur (les
Palestiniens) a insisté sur 20 et, avec réticence, a accepté 19,50. D'après Ben
Ami, cela revient à prouver qu'il veut détruire Israël.
L'interprétation palestinienne est très différente. Ils ont fait leur
compromis historique à Oslo quand ils ont officiellement abandonné 78% de leur
patrie qui leur avait été prise par les Israéliens en 1948, et accepté de ne
garder que les 22% restants. Les Israéliens (aidés par les Américains) demandent
maintenant des concessions sur ces 22%. Pour les Palestiniens, c'est hors de
question.
Ben Ami prétend : " Ils refusent de nous donner quelque indice que
ce soit sur la fin de leurs demandes...un trou noir d'une demande suivie d'une
autre demande, avec aucune vue claire sur la ligne d'arrivée. " Mais en réalité
problème était la difficulté d'écoute du professeur lui-même. Si seulement
l'arrogant duo Barak-Ben Ami avait écouté ce que " ce caractère " (dixit Barak)
répétait encore et toujours, ils auraient su qu'il y avait une ligne d'arrivée
claire. Elle avait tout le temps été sur la table : l'établissement d'un Etat
palestinien dans tous les territoires occupés au-delà de la ligne verte et la
signature d'une paix réelle entre Israël et la Palestine. Nous avons entendu
cette position cent fois au cours des années. Il n'y a pas le moindre élément
qui permette de réfuter sa sincérité. Elle est stable et solide par rapport à la
suite interminable de sophistiques produites par Ben Ami et Beilin et qualifiées
de " nouvelles offres ".
Entre parenthèses, s'il pouvait y avoir une once de
vérité dans les affirmations israéliennes que les Palestiniens utilisent la "
méthodes des tranches " (prenez ce que l'on vous offre et demandez plus jusqu'à
ce qu'Israël soit détruit), Arafat aurait certainement saisi des deux mains "
l'offre généreuse " de Barak et laissé la demande pour le plus à ses héritiers.
Le fait qu'Arafat ait refusé les offres prouve sa sincérité. Il considérait
l'accord comme " la fin du conflit " et par conséquent demandait le minimum
nécessaire aux Palestiniens pour établir un Etat indépendant. C'est précisément
cette insistance des Palestiniens qui a tant irrité Ben Ami, insistance qui
montre leur volonté de reconnaître Israël et à mettre fin au conflit.
Même d'après Ben Ami, Arafat a en fait accepté des concessions à long terme
dans la perspective palestinienne. Parmi celles-ci :
a) Il a accepté des changements dans la ligne verte et l'annexion par
Israël de 2 à 3,5% de territoire.
b) Il a théoriquement été d'accord pour des
blocs de colonies, qui sont un anathème pour les Palestiniens.
c) Il a
accepté l'annexion par Israël des zones juives de Jérusalem-est qui, pour les
Palestiniens, sont, à tous points de vue, des colonies installées sur des terres
prises par Israël en 1967.
d) Il a été d'accord pour donner à Israël le Mur
occidental et le quartier juif de la Vieille ville.
e) Il a été d'accord pour
abandonner la revendication historique des réfugiés à retourner dans leurs
foyers et accepté, en principe, qu'Israël permette le retour pour seulement un
nombre limité après accord commun.
Quiconque connaît même très peu de chose
sur la question palestinienne, sait que cela représente des concessions
importantes. Comment cela peut-il conduire à la conclusion qu'ils veulent
détruire Israël ?
Camp David : un comportement de déséquilibré
Voyons maintenant les faits, (je ne compare pas la description de Ben Ami à
celle des Palestiniens, mais je me réfère seulement à la description de Ben Ami
elle-même) :
Quand Barak s'est présenté au début de 2001, il a offert aux
Palestiniens 65% des territoires (ce qui représente 14,5% du Grand Israël sous
mandat).
Au printemps 2000, quand les négociations ont commencé à Stockholm,
les Israéliens demandaient 12% des territoires (sans échange de terres) en plus
de " positions de sécurité " dans la vallée du Jourdain (en fait une annexion de
10% supplémentaires et un contrôle israélien sur les rives du Jourdain (coupant
effectivement la Cisjordanie du Jourdain). Barak s'est refusé à toute discussion
sur Jérusalem et a refusé de seulement mentionner Jérusalem comme sujet de
discussion. Le raffiné Abu-Ala a dit à Ben Ami : " Shlomo, remportez les cartes
".
L'étape suivante a été Camp David en juillet 2000. Nous savons, par Robert
Malley, l'assistant de Clinton, qu'Arafat a été contraint, contre sa volonté,
d'y aller. Il croyait, à juste titre, qu'il s'engageait dans un piège. Barak et
Clinton étaient comme les deux branches d'un casse-noisettes ayant l'intention
de l'écraser (comme je l'ai écrit à l'époque). Le seul but d'Arafat était de
s'en sortir indemne et entier. Barak, dont le gouvernement avait déjà commencé à
se désagréger, avait l'intention d'obliger Arafat à signer un accord qui lui
permettrait d'être réélu. Clinton voulait aider son épouse qui attendait depuis
longtemps son élection au Sénat avec les votes juifs.
Les Israéliens ont mis
sur la table l'annexion à 12% de la carte. Oralement, ils laissaient entendre
qu'ils étaient prêts à descendre à 8-10%, en plus de leur demande de contrôle "
temporaire " sur la vallée du Jourdain. Les Palestiniens avaient déjà appris la
valeur des promesses orales depuis le " troisième désengagement " qui, pour
l'heure, n'avait pas encore eu lieu.
Petit à petit, Jérusalem a fait surface
en tant que question centrale. L'offre de Barak était très différente de
l'impression créée en Israël. Il voulait concéder aux Palestiniens le contrôle
seulement sur la " ceinture extérieure " (Abu Dis qu'il avait déjà promis de
donner sans jamais le faire, El-Azariah, Beit-Anina, etc.) Mais il avait
l'intention de conserver les quartiers arabes de Jérusalem-même (Sheikh-Jarah,
Abu-Joz, Ras-El-Amud, Silwan, etc.). Il était prêt à donner aux Palestiniens la
" garde permanente " sur le Mont du Temple mais insistait pour qu'Israël
conserve la souveraineté sur lui. Aucun responsable arabe ou musulman au monde
n'aurait pu accepter une telle offre " généreuse ".
Les comptes en
pourcentages de l'annexion ne reflètent pas la réalité. La localisation des
dunams était plus importante que leur nombre. La carte israélienne divisait en
fait la Cisjordanie en trois enclaves séparées, chacune d'elles étant entourée
de colonies et de soldats. La fragile continuité territoriale montrée sur la
carte ne change pas cette réalité.
Quand les Palestiniens ont rejeté cette
offre, Barak en a fait une dépression - d'après Ben Ami. Pendant deux jours il
n'a pas adressé la parole à ses assistants. Au cours d'un dîner officiel, il est
resté figé " comme une statue de sel ". Il a évité Arafat tout au long de la
rencontre. Quiconque connaît l'homme Arafat sait que le contact personnel est
très important pour lui. Peut-être le contact n'aurait-il pas changé la
substance des entretiens mais il aurait pu prévenir des crises évitables. Le
refus de Barak de parler directement avec lui et de le reconnaître aux dîners
officiels a certainement confirmé ses pires soupçons. Ben Ami attribue ce
comportement pathologique de Barak à une " logique cartésienne " (logique pure,
d'après le philosophe français René Descartes). Arafat n'étant qu'un Arabe ne
pouvait pas atteindre une qualité aussi élevée. " Ils (les Palestiniens) ne
possèdent pas la grandeur qui existe chez Ehud " s'enthousiasma le
professeur.
Les descriptions de Ben Ami sont remplies de réflexions
psychologiques sur Arafat tel qu'il apparaît dans l'imagination de ce professeur
d'histoire espagnole moderne. Quiconque connaît Arafat sait bien qu'il n'y a
rien de commun entre " ce caractère " et l'homme réel. Seulement Ben Ami n'a
aucune notion ce qui il est. A croire que ceux qui étudient Descartes ne
pourraient pas franchir le fossé culturel et simplement comprendre le langage du
dirigeant palestinien. Ce phénomène existe aussi dans les relations entre
Américains et Japonais, pour prendre un exemple. Quand Arafat exprima poliment
un refus, dans un langage qui serait clair pour n'importe quel Arabe, ils
comprirent qu'il avait accepté et furent choqués de découvrir le jour suivant
qu'il avait dit " non ".
L'ignorance de Ben Ami atteint un sommet quand il
dit : " A ce moment-là (le moment n'a aucune importance) j'ai compris qu'ils
(les Palestiniens) n'étaient pas Sadate. " Sadate ? Le dirigeant égyptien a
demandé et obtenu la restitution de chaque parcelle de son territoire, le
démantèlement de toutes les colonies qui s'y trouvaient, y compris la ville de
Yamit. Il n'aurait jamais été d'accord avec les sortes de concessions faites par
Arafat.
Taba : le dernier alibi
Après l'échec de Camp David suite à ce qui apparaissait aux Palestiniens
comme les offres humiliantes de Barak et son mépris pour les concessions à long
terme qu'ils avaient faites et mises sur la table, l'intifada s'est déclenchée.
Cela a complètement changé les règles du jeu. Néanmoins, Clinton a présenté son
propre plan. Il lui restait moins d'un mois de présence au pouvoir et aucun
moyen de s'assurer que les Israéliens respecteraient la partie les concernant de
ses propositions.
Que proposait-il ? Annexion par Israël de 2 à 3 % de la
Cisjordanie en échange d'un territoire israélien égal à 1% de la Cisjordanie.
Alternativement, annexion de 6% par Israël contre 3%. Division de Jérusalem :
tout ce qui est juif à Israël, tout ce qui est arabe à la Palestine. Le Mur
occidental et le Saint des Saints (en d'autres termes le Mont du Temple) à
Israël. Le retour d'un nombre minimum de réfugiés en Israël, " en accord avec le
droit israélien ". Contrôle militaire de la vallée du Jourdain pendant trois
ans, présence militaire pendant trois années supplémentaires.
Les deux
parties ont présenté plusieurs pages de réserves. Avec une grande agilité
verbale, Ben Ami prétend que les Palestiniens ont en réalité refusé l'offre et
que les Israéliens l'ont en fait acceptée. Rien de tout cela ! Barak a persisté
avec ses demandes totalement inacceptables que la Cisjordanie soit coupée du
Jourdain et qu'Israël conserve la souveraineté sur le Mont du Temple. Les
Palestiniens, évidemment, ont rejeté l'idée du Saint des Saints et présenté
leurs propres demandes.
Puis il y a eu Taba. C'est le dernier alibi de Ben
Ami. Le mythe des " offres généreuses " de Barak a été à découvert à la suite
des révélations de l'Américain Robert Malley et d'autres. Un nouveau mythe est
né : bien qu'aucune " offre généreuse " n'ait été faite à Camp David, à Taba
tout a été offert aux Palestiniens et ils ont refusé. Ceci prouve
que...etc.
A Taba, il y a eu, bien sûr, des progrès significatifs. Le
principe que le nombre de réfugiés autorisés à rentrer en Israël serait limité
par un accord a été accepté. Cela représentait un compromis palestinien et
israélien significatif. Il restait la question du nombre : les Palestiniens ont
ouvert les négociations avec 150.000 par an pendant 10 ans. D'après Ben Ami,
Yossi Beilin a proposé 40.000 (par an ? au total ?). La délégation israélienne a
présenté une nouvelle carte avec l'annexion de 5,5% par Israël. Les blocs de
colonies à conserver ont été réduits en taille et la question de l'échange de
territoires a été soulevée. La question des emplacements n'a pas été
discutée.
Pour la première fois, reconnaît Ben Ami, les Palestiniens ont
présenté une contre-proposition de carte qui abandonnait 2,34% et leur laissait
les colonies importantes et les routes de contournement mais sans les villages
palestiniens autour.
Les Palestiniens savaient déjà à ce stade qu'il
n'existait pas de soutien à l'offre israélienne étant donné que les élections
devaient avoir lieu en Israël dans les jours suivants et que, d'après tous les
sondages, Barak était sur le point de subir une défaite colossale. Mais ils
n'ont pas rejeté les offres israéliennes, comme le prétend Ben Ami. Au
contraire, puisqu'ils insistent pour que toute négociation reprenne là où Taba
en est resté.
Ben Ami ne prend pas la peine de rappeler à ses lecteurs la
façon dont les négociations se sont achevées à Taba : Barak a donné des
instructions pour qu'elles s'arrêtent et que toutes les offres soient retirées.
Cela n'empêche pas Barak de dire, depuis lors, qu'il avait retourné toutes les
pierres et tout offert tandis que le mauvais Arafat avait répondu par la
guerre.
La route de l'enfer et les bonnes intentions
La route de l'enfer est quelquefois pavée de bonnes intentions. Il n'y a
pas de doute que Ben Ami a de bonnes intentions mais il nous a conduits à
l'enfer actuel.
Pour masquer son terrible échec, il a créé la légende selon
laquelle il n'y a personne à qui parler, que les Palestiniens avaient
l'intention de détruire Israël, que " pour eux la négociation ne se terminera
qu'avec la chute d'Israël ". Ceci est dit alors qu'Israël emploie la force
oppressive brutale dans les territoires occupés, tue des militants palestiniens
et refuse de geler la construction des colonies.
La présence de Ben Ami comme
ministre de la police nous a conduits à la catastrophe d'octobre 2000 (quand la
police a tué 11 citoyens arabes) qui a ruiné, peut-être pour des générations,
les bonnes relations entre Juifs et Arabes en Israël. Le peu de temps où il a
été ministre des affaires étrangères s'est terminé par un désastre qui a détruit
de larges couches du camp de la paix israélien et a assuré la victoire de
Sharon.
De tels résultats pourraient conduire tout autre homme à exprimer
des regrets et à un certain degré d'humilité. Pas Ben Ami qui, à ses propres
yeux, est un génie politique.
Quelqu'un a donné pour titre à l'interview avec
lui : " Le jour où la paix est morte ". Ce titre aurait dû être : " Le jour où
nous avons tué la paix ".
Revue de presse
1. Pérès et
Arafat s'engagent à tout faire pour que la trève tienne par Ibrahim
Barzak
Dépêche de l'agence Associated Press du mercredi 26 septembre 2001,
13h22
AEROPORT INTERNATIONAL DE GAZA, Bande de Gaza - Longtemps
attendue, maintes fois reportée, la rencontre entre Shimon Pérès et Yasser
Arafat a enfin eu lieu, à la demande pressante des Etats-Unis, mercredi matin à
l'aéroport de Gaza. A cette occasion, le ministre israélien des Affaires
étrangères et le président de l'Autorité palestinienne se sont engagés à tout
faire pour que le cessez-le-feu tienne et à mettre en oeuvre des mesures de
rétablissement de la confiance.
Mais au même moment, soulignant la fragilité
de toute trève, à cinq kilomètres de là, un Palestinien de 14 ans était tué et
onze autres blessés dans un affrontement entre soldats de Tsahal et lanceurs de
pierres. Trois jeunes blessés sont dans un état grave.
Juste auparavant,
trois soldats israéliens avaient eux été blessés dans un attentat à bombe contre
un poste militaire à la frontière israélo-égyptienne dans le sud de la Bande de
Gaza. En riposte, les chars israéliens sont entrés brièvement dans le camp de
réfugiés de Rafah et ont ouvert le feu, endommageant plusieurs maisons mais sans
faire de victime.
La rencontre Pérès-Arafat a duré deux heures et demie, et
s'est achevée par la lecture, par le négociateur palestinien Saeb Erekat, du
texte du communiqué conjoint. Les parties s'y engagent à respecter toutes leurs
obligations précédemment prises en matière de sécurité. Quant au gouvernement
israélien, il commencera à lever les restrictions en vigueur dans les
territoires palestiniens et à redéployer ses forces. Aucune date ni précision
n'est donnée.
Les parties promettent donc d'''exercer les efforts maximum en
vue de faire respecter le cessez-le-feu décrété'' la semaine dernière et à
''reprendre une pleine coopération en matière de sécurité'' sur la base de
l'accord négocié par le directeur de la CIA George Tenet en juin dernier.
Laquelle trève n'avait pas tenu plus de quelques jours...
Israël et les
Palestiniens, qui ''réaffirment leur plein engagement envers la mise en oeuvre
des recommandations de la commission Mitchell et l'accord Tenet'', décident à
cette fin la création d'une ''commission conjointe de hauts représentants afin
de régler toute question qui pourrait découler de (leur) application''.
En
mai, la Commission Mitchell avait recommandé que les Palestiniens fassent ''100%
d'efforts'' pour arrêter les opérations terroristes et punir leurs auteurs.
Israël pour sa part devait, entre autres, lever le blocus.
MM. Arafat et
Pérès se reverront dans une semaine environ, poursuit le communiqué, s'achevant
par des remerciements à ''tous les pays et dirigeants qui ont encouragé et
oeuvré à la relance du processus de paix''.
Allusion au forcing américain de
ces derniers jours: le secrétaire d'Etat Colin Powell n'avait cessé de
téléphoner à Arafat et au Premier ministre israélien Ariel Sharon pour les
exhorter à progresser dans leurs pourparlers. Ce dernier a annulé à deux
reprises la rencontre Pérès-Arafat, estimant que le leader palestinien ne
faisait pas suffisamment d'effort pour contenir la violence.
Les Etats-Unis
espèrent obtenir le retour au calme au Proche-Orient, jugeant que les violences
actuelles entravent les efforts de Washington en vue de mettre sur pied une
coalition internationale antiterroriste.
De plus, les divergences sur
l'opportunité de cette rencontre ont mis Sharon et Pérès à deux doigts de la
rupture, qui ferait éclater la coalition au pouvoir en Israël. Le Premier
ministre subit la pression de ses ''ultras'', qui refusent toute concession aux
Palestiniens, et ces derniers craignent que le modéré Pérès n'ait pas
suffisament de marge de manoeuvre.
Seul espoir, le fait que ni Sharon ni
Arafat veulent se mettre les Etats-Unis à dos en cette période de tension
internationale et de préparatifs de riposte militaire aux attentats du 11
septembre.
Le cessez-le-feu subira vendredi son premier test important: en
ce jour de prière, les Palestiniens comptent commémorer par de nombreuses
manifestations le premier anniversaire du déclenchement de la deuxième intifada.
On craint affrontements et débordements dès la sortie des mosquées.
2. Le
développement palestinien tué dans l'œuf par Marwa Hussein
in Al-Ahram Hebdo
(hebdomadaire égyptien) du mercredi 26 septembre 2001
« On s'attendait
à ce que l'an 2000 soit l'année de la relance de l'économie palestinienne. Le
PIB devait atteindre 6,5 milliards de dollars et le taux de croissance devait
dépasser les 8 %. Mais le bouclage israélien a supprimé en un an les efforts de
longues années », commente Barakat Al-Farra, conseiller économique à l'ambassade
de Palestine en Egypte. Le ministère palestinien des Finances a estimé les
pertes de l'économie depuis le déclenchement de l'Intifada le 28 septembre 2000
à 7 milliards de US$. Soit l'équivalent de plus d'un an de PIB !
Les pertes
ont touché tous les secteurs de l'économie, mais celui de l'agriculture est le
plus affecté. Les forces israéliennes ont arraché près de 250 000 arbres
fruitiers et oliviers. De plus, des centaines de serres dont le prix est estimé
entre 25 et 30 000 dollars ont été détruites. Sans compter l'érosion des terres
et les puits bouchés. En conséquence, les exportations du secteur ont baissé de
30 % et les pertes du secteur sont estimées à 7,3 millions de US$ par
jour.
Quant à l'industrie, elle souffre comme le commerce du manque de
matières premières à cause du sévère contrôle exercé par Israël sur tout ce qui
rentre ou sort des territoires palestiniens. De 696 millions de US$ en 1999, les
exportations palestiniennes sont tombées à 425 millions en 2000. Les prévisions
pour 2001 estiment qu'elles baisseront de 50 %. Tandis que les importations
étaient de quelque 2 milliards en 2000, contre plus de 3 milliards en 1999. Ce
secteur devait en fait connaître un vrai réveil en 2000/2001. « Les cinq années
qui ont précédé l'Intifada ont vu le début d'un épanouissement de l'économie
palestinienne. Les investissements ont atteint 1,2 milliard de US$ en 1999 et
deux zones industrielles ont été construites dans la bande de Gaza et en
Cisjordanie. Elles avaient à peine commencé leur production quand l'Intifada
s'est déclenchée, ce qui a arrêté toute activité », rappelle Barakat.
Actuellement 220 usines ont fermé dans le nord du pays et les pertes
quotidiennes sont de 4,3 millions de US$.
D'autre part, deux gisements de gaz
naturel découverts dans la Méditerranée, près de Gaza, devaient commencer leur
production cette année. L'Egypte était responsable de l'exportation de ce gaz et
la Palestine devait faire partie du réseau de gaz naturel reliant les pays
arabes et la Turquie.
Le tourisme, le secteur le plus rentable et le plus
propice au développement, s'est complètement arrêté à cause du bombardement
continu. 800 000 touristes visitaient Bethléem chaque année. Le pays se
préparait à fêter le millénaire dans la ville, des hôtels avaient été construits
spécialement, mais tous ces hôtels sont complètement vides aujourd'hui. La
situation est la même à Gaza et Jéricho. Une récente annonce du ministère de
l'Habitat a affirmé que ce secteur a perdu plus de 10 millions de US$.
Cette
destruction a eu ses effets sur le peuple ainsi que sur l'Autorité
palestinienne. Les revenus de cette dernière qui provenaient initialement des
tarifs douaniers et des taxes se limitent actuellement à 17 millions de US$ par
mois, contre 90 auparavant. « Actuellement, nous recevons un prêt mensuel de 45
millions de US$ de la Banque islamique de Djeddah qui ne suffit même pas au
versement des salaires qui atteint les 70 millions », explique Barakat.
L'Autorité, en plus, est maintenant chargée de payer à Israël la facture
d'électricité pour les citoyens qui sont devenus incapables de la payer. Alors
qu'Israël a gelé le remboursement de 250 millions de US$ de taxes perçues par
l'Etat hébreu sur les importations palestiniennes transitant par les ports et
aéroports israéliens.
La moitié en dessous du seuil de
pauvreté
Les conséquences sociales sont également lourdes. 120 000
ouvriers qui travaillaient en Israël sont au chômage. Leur revenu quotidien
représentait entre 2,5 et 3 millions de US$. D'autres ne peuvent plus aller à
leur travail à cause du bouclage des Territoires. Ainsi, le nombre de chômeurs a
dépassé les 350 000, soit plus de 50 % de la population active, contre 13 %
avant le bouclage.
55 % de la population de Gaza et 45 % en Cisjordanie
vivent en dessous du seuil de pauvreté, contre 22 et 17 % respectivement avant
l'Intifada. « Des familles palestiniennes ne peuvent plus fournir qu'un seul
repas à leurs enfants par jour et les gens se trouvent obligés de vendre leurs
propriétés. Les indemnités des fonds des pays arabes ne représentent que 10 %
des pertes », explique Barakat.
« L'économie palestinienne est proche de
l'effondrement en raison du bouclage israélien », avait affirmé le coordinateur
spécial de l'Onu pour le Proche-Orient, Terje Roed-Larsen. Après la bataille,
les Palestiniens auront donc à reconstruire leur économie à partir de zéro. Pour
une nouvelle bataille, celle du
développement.
3. Les aides étrangères au secours d'Israël par Salma
Hussein
in Al-Ahram Hebdo
(hebdomadaire égyptien) du mercredi 26 septembre 2001
L'économie
israélienne n'arrive pas à se réveiller du cauchemar de l'Intifada, déclenchée
en septembre 2000. Elle est, en effet, passée d'une croissance forte à une
véritable crise à long terme. Causant ainsi des pertes estimées entre 2 et 3
milliards de dollars, selon les économistes israéliens. Le taux de croissance —
qui a atteint 6 % en 2000 du PIB — sera en 2001 de 1 %. Ce qui signifie, en
fait, une baisse du PIB par individu de -1,5 %, vu le taux de croissance de la
population de 2,5 %.
Cette chute est la conséquence des baisses de régime des
secteurs de la technologie et du tourisme. En effet, ces deux derniers ont
représenté ensemble les moteurs de la croissance pendant plusieurs années.
Cependant, il semble que les sept vaches grasses seront suivies par sept vaches
maigres. Bien que la Banque d'Israël ait baissé les taux d'intérêt, comme
tentative pour freiner la récession, « les investisseurs s'enfuient », comme
l'indique le ministre des Finances. A son avis, les entreprises américaines
craignent d'investir en Israël, à cause des événements au Proche-Orient. Par
exemple, la coopérative des industriels s'attend à une chute du taux de
croissance dans le secteur de la technologie à 10-15 %, contre 45 % en 1999.
Pour sa part, le ministre du Tourisme, Rehavam Zeevi, prédit que « l'impact des
événements s'étendra non seulement dans les mois prochains, mais pour des années
à venir ».
En premier lieu, les pertes des revenus touristiques s'élèvent, à
elles seules, à 0,75 milliard de dollars. Le nombre de touristes a chuté de
moitié, après le déclenchement de l'Intifada à 870 000. Il y a eu dans ce
secteur 28 000 licenciements en un an parmi lesquels 12 000 travaillant dans
l'hôtellerie, et 3 000 chambres ont été fermées. A Nazareth, la plus affectée
des villes touristiques, 100 % des hôtels ont fermé. Par ailleurs, le ministre
du Tourisme a averti le gouvernement que « la crise du tourisme pourrait avoir
un effet boule de neige et entraîner dans sa chute le reste de l'économie.
Surtout que plusieurs industries et services y sont liés ».
Quant au secteur
de la technologie, il représente 15 % du PIB. Ce qui rend l'économie israélienne
la plus dépendante de ce secteur au monde. Il a aussi contribué au taux de
croissance en 1999, estimé à 6 % pour les deux tiers. Cette année, les choses
vont changer. Le financement injecté dans les start-up du secteur va baisser de
60 %. Celui-ci a atteint un record de 3,1 milliards de dollars, au début de
2000. Zeev Holtzman, PDG de GIZA, un fonds de capital, risque, résume l'état
désastreux : « L'année dernière nous financions une nouvelle entreprise par
mois. Actuellement le taux est à une tous les six mois ». Pour lui, la chute du
Nasdaq a énormément amplifié les effets négatifs de l'Intifada. Ainsi, 60
entreprises ont fait faillite. 10 000 employés ont été licenciés, dès le début
de 2001. 300 autres entreprises ne pourront pas survivre à la crise, selon un
analyste du secteur.
Le politique d'abord
Conséquence,
le nombre de demandes d'emplois a augmenté pendant les 4 premiers mois de 2001,
atteignant un chiffre record de 179 100. Les études officielles prévoient un
taux de chômage de 9-9,5 % à la fin de 2001, contre 6,8 % à la fin du premier
quart de l'année. Pour des économistes indépendants, ce taux s'élève à 17
%.
Le directeur du Syndicat israélien des chambres de commerce, qualifie les
pertes de l'économie de « considérables ». Et, le bureau central de statistiques
a annoncé que le premier trimestre de 2001 a connu une diminution du
remboursement des dettes de 30-40 % du secteur de commerce et des services, un
secteur qui fournit 59 % du PIB. Or, il semble que ces pertes ne sont pas
suffisantes pour convaincre les décideurs israéliens de changer leur politique
d'agression contre les civils palestiniens. « Bien que les tensions dans les
territoires occupés soient considérablement nuisibles à l'économie, cela n'est
pas le facteur décisif de la politique israélienne. Ce sont plutôt les facteurs
politiques et sécuritaires qui comptent », estime Ahmad Al-Naggar, chercheur
économique au Centre d'Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d'Al-Ahram. « En
revanche, le flux des aides internationales ne leur manquera pas. Celui-ci
dépasse 2,5 milliards de dollars annuellement, en provenance des Etats-Unis, des
juifs de la diaspora et de l'Allemagne.»
4. Incident entre
la police israélienne et l'entourage de Védrine
Dépêche de l'Agence
France Presse du mardi 25 septembre 2001, 10h57
JERUSALEM - La police
israélienne a pénétré mardi matin dans un hôtel de Jérusalem-est où le chef de
la diplomatie française Hubert Védrine discutait avec des personnalités
palestiniennes et a confisqué l'accréditation d'un garde du consulat de France,
a constaté un journaliste de l'AFP.
Trois ou quatre policiers israéliens en
uniforme ont fait irruption dans l'hôtel et essayé d'entrer dans le salon situé
au premier étage de l'hôtel où M. Védrine rencontrait un groupe de huit
personnalités palestiniennes de Jérusalem, parmi lesquelles Hanane Achraoui,
porte-parole de Ligue arabe et membre du Conseil législatif (parlement)
palestinien.
Un garde de sécurité du consulat de France et plusieurs
diplomates français se sont alors interposés pour les empêcher de pénétrer dans
la salle.
Une bousculade s'est ensuivie, les policiers faisant appel à des
renfort au milieu des éclats de voix et dans une ambiance de tension
croissante.
La police est finalement repartie sans être entrée dans le salon
où se trouvait M. Védrine, mais après avoir confisqué la carte d'accréditation
du garde de sécurité et avoir tenté, en vain, de confisquer celle du
consul-adjoint, a ajouté ce correspondant de l'AFP.
L'hôtel, l'American
Colony, se trouve tout près de la Maison d'Orient, siège officieux de l'OLP à
Jérusalem-est, fermée par le gouvernement d'Ariel Sharon dans la nuit du 9 au 10
août, après un attentat suicide palestinien qui avait tué 15 personnes, en plus
de son auteur, dans une pizzeria du centre de Jérusalem-ouest.
Une dizaine
d'institutions palestiniennes de Jérusalem-est ou des environs avaient avaient
été fermées à cette occasion sur ordre du Premier ministre israélien Ariel
Sharon.
A l'issue de la rencontre, qui a duré environ une heure, M. Védrine,
sorti en compagnie de Mme Achraoui, a appelé à la réouverture de la Maison
d'Orient, sans faire mention de l'incident.
"Comme tous les Européens, nous
condamnons l'occupation et la prise de contrôle de la Maison d'Orient", a-t-il
déclaré à la presse.
"Nous en demandons la restitution aux Palestiniens,
ainsi que la restitution du très important fond documentaire qui leur
appartient", a-t-il ajouté.
Pour sa part, Mme Achraoui a indiqué que les
entretiens avec le ministre avaient porté sur le statut de Jérusalem et "les
pratiques israéliennes" et a également demandé la réouverture des institutions
palestiniennes fermées après l'attentat du 9 août.
La partie orientale
(arabe) de la Ville sainte a été conquise et annexée par l'Etat juif en 1967.
Depuis lors, Israël considère Jérusalem réunifiée comme sa capitale indivisible,
mais la communauté internationale n'a jamais reconnu l'annexion de la partie est
de la ville.
Avant l'occupation et la fermeture de la Maison d'Orient, les
personnalités étrangères y étaient reçues par les Palestiniens, à la colère des
Israéliens.
Dans ce contexte, l'incident de mardi matin est perçu comme une
manifestation de la volonté du gouvernement de M. Sharon de rappeler à la
communauté internationale, et en particulier aux Européens, qu'il ne fera pas de
concession sur le statut de Jérusalem et que la situation actuelle est
irréversible.
M. Védrine, qui avait auparavant effectué une visite éclair au
lycée français de Jérusalem, situé dans la partie-ouest de la ville (et en face
duquel un palestinien s'était donné la mort en blessant treize personne, le 4
septembre dans un attentat suicide) est ensuite allé à Abou Dis, un quartier
arabe limitrophe de Jérusalem-est, pour s'y entretenir avec le président du
Conseil législatif palestinien , Ahmed Qoreï (Abou Alaa).
Le chef de la
diplomatie français a entamé dimanche une tournée de trois jours en Israël et
dans les Territoires palestiniens.
Il doit repartir pour Paris dans
l'après-midi.
5. M. Straw suscite l'indignation en Israël avant son
arrivée à Jérusalem par Charly Wegman
Dépêche de l'Agence France
Presse du mardi 25 septembre 2001, 10h23
JERUSALEM - Israël a annulé
mardi une rencontre entre le Premier ministre Ariel Sharon et le secrétaire au
Foreign Office Jack Straw dont des propos sur le terrorisme ont déplu, tandis
qu'un incident avec la police israélienne a perturbé la visite du chef de la
diplomatie française Hubert Védrine.
Les dirigeants israéliens se sont
déclarés indignés par M. Straw, attendu en fin d'après-midi à Jérusalem, à la
suite de propos publiés dans la presse iranienne où il affirme "comprendre le
terrorisme en Palestine".
Le bureau du Premier ministre Ariel Sharon a argué
de "problèmes de calendrier" pour annuler une rencontre prévue le jour même avec
M. Straw. Le président de l'Etat hébreu Moshé Katzav a lui-aussi décidé de
boycotter le ministre britannique, ses services parlant de "raisons
techniques".
Dans la matinée, un incident entre la police israélienne et
l'entourage de M. Védrine a eu lieu dans le secteur de Jérusalem-est où le
ministre français rencontrait des personnalités palestiniennes.
La police a
pénétré dans les salons d'un hôtel où M. Védrine rencontrait ces personnalités,
parmi lesquelles Mme Hanane Acharaoui, et a confisqué la carte d'accréditation
d'un agent de sécurité du consulat de France, a constaté le correspondant de
l'AFP.
En marge de la visite en Israël de M. Straw qui s'annonce mouvementée,
le président palestinien Yasser Arafat a, de son côté, décidé in extremis mardi
d'annuler son voyage le même jour à Damas après une décision de la Syrie de la
reporter.
Tous les journaux israéliens ont rapporté mardi les déclarations de
M. Straw affirmant que "l'un des facteurs qui aident à nourrir le terrorisme est
la colère que de nombreux peuples de la région éprouvent à cause des évènements
en Palestine depuis des années".
Le chef de la diplomatie israélienne Shimon
Peres a indiqué à la radio publique israélienne: "Nous avons des relations avec
la Grande-Bretagne, et mon rôle est d'expliquer à son représentant combien il se
trompe".
Le directeur général de son ministère, Avi Guil, a fait part à
l'ambassadeur de Grande-Bretagne en Israël, Sherard Cowper-Cales, de son
"inquiétude pour les propos de M. Straw exprimant de la compréhension pour le
terrorisme dont les civils d'Israël sont victimes".
"Cette approche (de M.
Straw) peut encourager le terrorisme au lieu de le réduire, d'autant qu'elle a
été formulée en Iran, pays qui soutient le terrorisme et exige officiellement la
destruction d'Israël", a ajouté M. Guil.
Pour Mme Limor Livnat, ministre de
l'Education, du parti Likoud (droite), les déclarations de M. Straw sont
"grossières". Elle a pressé M. Peres de le rencontrer "uniquement pour lui
exprimer son indignation".
La presse israélienne a rapporté ces derniers
jours d'autres propos d'un important officiel du Foreign Office qui, s'exprimant
sous couvert d'anonymat dans le Gardian de Londres, avait qualifié M. Sharon de
"cancer".
Tout aussi ulcéré, le ministre des Transports Ephraïm Sneh s'est
élevé contre "un coup de couteau dans le dos d'Israël" porté par M. Straw.
Il
a souligné que l'Iran, ennemi juré d'Israël depuis deux décennies, "fournit des
centaines de millions de dollars et des milliers de bombes à des groupes
terroristes, dont il encourage les attentats suicide".
M. Straw est arrivé
dans la nuit de lundi à mardi à Téhéran, devenant le premier secrétaire du
Foreign Office à se rendre en Iran depuis la révolution islamique de
1979.
Selon le quotidien Haaretz, qui cite des hauts responsables des
renseignements, "la Grande Bretagne et Israël risquent fort de servir de cibles
aux prochains attentats de ben Laden", le milliardaire d'origine saoudienne que
les Américains accusent d'avoir fomenté les attentats du 11 septembre aux
Etats-Unis.
6. Eric Rouleau :
"Une grande méconnaissance de la réalité de la planète" entretien
réalisé par Jacques Coubard
in L'Humanité du mardi 25 septembre
2001
Eric Rouleau connaît bien les Etats-Unis. Il y enseigne
depuis deux ans dans des Universités. Il était à Princeton dernièrement. Il a
sillonné le pays d'Est en Ouest depuis trente ans, participé à de nombreux
débats, écrits des livres. · Paris, aux journaux américains qui encombrent son
bureau, il ajoute les versions Internet, le regard fixé sur l'écran, jour et
nuit depuis le 11 septembre. Avec une double réflexion sur ce qui se passe, car
il fut, journaliste au Monde, pendant trois décennies un spécialiste du
Moyen-Orient, des pays arabes dont il parle la langue. Il fut ambassadeur de
France à Tunis, puis à Ankara, avant de repartir pour les Etats-Unis. Il répond
aux questions de l'Humanité.
- Pourquoi, à votre avis, les Américains ne semblent pas entendre
les appels à la raison, les critiques visant une opération de guerre qui risque
de les plonger et de plonger le monde dans de dangereuses turbulences sans
éradiquer le terrorisme ?
- Eric Rouleau. D'une manière générale les Américains sont des gens peu
politisés. Ils n'ont pas, ou on ne leur confie pas, une connaissance suffisante
pour pouvoir se poser des questions sur la réalité du monde. Si en Europe on
raisonne entre droite, gauche, centre, aux Etats-Unis la culture dominante est
plutôt de droite. Il y a une sorte de foi indiscutée dans l'économie de marché,
la libre entreprise, les vertus de la concurrence.
- Pourtant les Etats-Unis ont connu de grands mouvements de
contestation, précisément contre la guerre.
- Eric Rouleau. Je me souviens qu'à la fin des années soixante,
soixante-dix, l'Amérique avait un autre visage. Il y avait des mouvements
contestataires nombreux et puissants : contre la guerre au Vietnam, pour
l'égalité des Noirs. Les syndicats étaient actifs. Aujourd'hui, les
minoritaires, les Noirs, les laissés-pour-compte, les syndicats ne pèsent pas
autant qu'auparavant. La société américaine vit en vase clos. Les Etats-Unis
sont un immense continent. Et les gens ont le sentiment, et ils ont raison en un
sens, qu'ils sont autosuffisants, qu'ils n'ont besoin de personne et que le
reste du monde est très loin. Une des conséquences est qu'il y a une grande
méconnaissance de la réalité de la planète. Tout le monde se souvient lorsque,
pendant la campagne électorale, Bush a été interrogé sur la politique étrangère
il n'était pas capable d'identifier les pays, de les localiser, de connaître
leurs capitales, leurs chefs d'Etat. Les Américains ne s'en sont pas offusqués.
De ce fait il existe également une énorme méconnaissance de la politique
étrangère du gouvernement. La plupart des gens ignore pourquoi les Etats-Unis
sont impopulaires dans une grande partie du monde. Ils pensent que c'est une
terrible injustice. Parce qu'ils sont persuadés que leur gouvernement ne fait
que du bien à l'étranger. La presse est pleine d'articles sur l'aide économique,
financière que les Etats-Unis accordent. Mais ils ne savent pas les conditions
politiques et autres qui sont attachés à cet aide. Pour eux, leur gouvernement
lutte contre les injustices à travers le monde. Pour mettre un terme à la guerre
en Somalie, pour libérer le Koweït, contre la dictature de Milosevic.
- Donc pour vous quand Bush dit que l'Amérique part en croisade du
bien contre le mal, il apparaît convaincant ?
- Eric Rouleau. Tout à fait. Il n'a pas besoin d'en dire plus. La
méconnaissance des Américains est très grande aussi sur le terrorisme en
général, sur sa définition. Ils ne font pas de distinction entre un homme qui
prend les armes pour libérer sa patrie, comme les Palestiniens par exemple, et
des gens qui jettent des bombes parmi les civils et qui tuent des innocents.
Cela tient aussi à la dépolitisation.
- Mais pouvait-on ignorer aux Etats-Unis le soutien apporter aux
taliban, à leur formation ?
- Eric Rouleau. Aucun journal américain à ma connaissance, n'a rappelé
d'une manière détaillée que les moudjahidin qui s'étaient battus contre
l'occupation soviétique avaient été armés, financés par la CIA. Personne n'a
mentionné que Ben Laden est l'enfant de la CIA qu'il s'est organisé avec le
soutien américain. Quand les Soviétiques se sont retirés, des milliers de
moudjahidin (venus d'autres pays pour soutenir par les armes les islamistes
afghans- NDLR), ont cherché à rentrer chez eux. Or, les gouvernements de ces
pays ont refusé. Ils ont eu peur de ces fondamentalistes. Les Etats-Unis ont
fait pression sur ces gouvernements pour qu'ils délivrent des passeports à ces "
soldats de la foi ". Et nous en connaissons les conséquences en Algérie, au
Yémen, en Egypte. Ils ont repris le combat contre leurs propres
gouvernements.
On peut citer le cas frappant du cheikh Omar Abdel Rahman. Il a été l'allié
des Etats-Unis en Afghanistan. On savait qu'auparavant, il avait télécommandé
l'assassinat de Sadate. Il avait dû fuir son pays et il s'est présenté à
l'ambassade américaine à Khartoum. Non seulement on lui a donné un visa pour les
Etats-Unis mais aussi la " green card ", pour une résidence permanente. Ce qui
est assez exceptionnel. Et quelques années plus tard, il s'est avéré que le
commanditaire d'un attentat contre le World Trade Center - déjà - était le
cheikh Abdel Rahman. Il a été condamné à plusieurs dizaines années de prison.
Mais la majorité des Américains ignorent tout de son passé réel.
Le régime des taliban, que tout le monde vomit aujourd'hui, a été établi
par le Pakistan, allié des Etats-Unis, avec lesquels ils étaient tout à fait
disposés à avoir des relations normales et même cordiales puisqu'ils voulaient
construire à travers l'Afghanistan un pipe-line pour faire passer du pétrole. Ça
aussi la société américaine ne le sait pas.
- Mais comment expliquez-vous que des services de renseignements
aussi puissants que ceux des Etats-Unis n'aient pas vu arriver le danger venant
de gens qu'ils connaissaient si bien ?
- Eric Rouleau. Il y a des gens qui pensent que la passivité américaine
était due à deux raisons. D'abord, en effet, ils connaissent les terroristes,
ils les ont formés et ils avaient tendance à ne pas prendre des mesures trop
radicales soit parce qu'ils pensaient qu'ils pouvaient redevenir leurs alliés,
être utiles à nouveau, soit parce qu'il n'était pas nécessaire de s'en
préoccuper puisqu'on les connaissait, or ceux qui ont commis les attentats
récents étaient des nouveaux et ils ne les connaissaient pas. Les moudjahidin
ont fait des petits. Il y a trois gouvernements dans le monde qui ont reconnu le
régime des taliban. Le Pakistan, les Emirats arabes unis et l'Arabie saoudite.
Deux des trois sont des alliés proches des Etats-Unis et ce n'est pas un
hasard.
Les Américains ignorent tout de cet arrière-plan. Ils s'imaginent comme
leur président qu'il suffirait de supprimer Ben Laden, de liquider le régime des
taliban pour que le terrorisme soit vaincu. Personne ne pose la question de
savoir si cela y mettrait réellement fin. Le gouvernement américain dit que
c'est une lutte qui pourrait durer dix ans. Si les Etats-Unis se donnent cette
mission sacrée au nom de Dieu, de la civilisation, ils s'engagent à mon avis
dans une nouvelle ère.
Cette croisade est d'ores et déjà très sélective puisqu'il y a quelques
jours, Colin Powell a fait l'éloge de deux pays qui jusqu'à ce jour sont
inscrits sur la liste des Etats terroristes dressée à Washington : la Syrie et
l'Iran. Plusieurs organisations jugées terroristes par les Etats-Unis se
trouvent à Damas, y compris le Djihad islamique. Mais les dirigeants américains
savent qu'on ne peut se passer de la Syrie pour un règlement politique au
Proche-Orient. Pour l'Iran, ils se sont rendu compte qu'ils avaient commis une
erreur politique majeure en se coupant de Téhéran, quand ils ont vu les
Européens entrer en force sur le marché iranien riche en pétrole. Ils savent
aussi que tous les Iraniens qui sont chiites, qu'ils soient de droite ou de
gauche, sont très hostiles aux taliban sunnites et Washington pense que le
moment est venu de normaliser les relations avec Téhéran. Ce n'est donc pas une
guerre totale contre tous les terroristes et contre les problèmes qui ont fait
surgir le terrorisme, c'est une guerre contre tous les adversaires des intérêts
américains. Ce qui ne présage rien de bon pour ceux qui mettent en cause
l'hégémonie américaine dans le monde. C'est une ère très délicate qui s'ouvre
devant nous et je ne sais pas si les Européens sont conscients des risques de
cette croisade.
7. L'Irak essuie encore les plâtres par
Jean-Pierre Léonardini
in L'Humanité du mardi 25 septembre 2001
Ne
sachant où donner de la tête, les Etats-Unis sur le pied de guerre mettent leur
armada en ordre de marche. On a donc droit à des images que l'opération "
Tempête du désert " dans le Golfe avait répandues à satiété ; porte-avions avec
" jets " qui décollent et atterrissent, adieux des marins à leur femme avec
baisers de cinéma, des enfants joufflus dans leurs bras, boys body-buildés
effectuant le parcours du combattant, bref le " remake " d'un film de propagande
inauguré durant la Seconde Guerre mondiale avec " Pourquoi nous combattons ".
Impression de déjà-vu, préparation visuelle au conflit par l'effet
d'accoutumance. Cela fait partie du spectacle du jeu lugubre dont les pions
s'installent sur l'échiquier du Moyen-Orient.
On ne l'a pas vu à la
télévision, mais la partie est engagée depuis jeudi dernier. Ce jour-là, des
avions de combat britanniques et américains ont attaqué des systèmes de défense
antiaérienne du sud de l'Irak. Cela fait dix ans que ce pays, dont le peuple
manque de tout, est soumis à la routine quasi quotidienne des bombardements.
Cette fois, les autorités américaines ont argué que c'était " en réponse à des
menaces hostiles, mais que ce n'est pas lié aux attaques terroristes du 11
septembre ".
Les Irakiens ont sûrement apprécié cette argutie de procédure
martiale à sa juste valeur. Prendre des bombes sur la gueule pour de prétendues
menaces, c'est peut-être moins déprimant que de les avoir méritées pour s'être
rendu coupable d'actes terroristes. La raison du plus fort est toujours la
pire.
8. Le cas Ariel
Sharon par Pierre
Marcelle
in Libération du mardi 25 septembre
2001
Ce serait comme un gag, une mauvaise blague à force d'être
récurrente: tous les matins, au réveil et à l'écoute des ondes, entre la douche
et le café (ou le contraire), on se demande quel prétexte va nous avancer le
chef du cabinet israélien pour surseoir à la rencontre nécessaire entre son
ministre des Affaires étrangères, le travailliste Shimon Pérès, et Yasser
Arafat. Huit jours que ça dure, avec un cynisme qui constitue aussi une forme de
terrorisme. Est-ce à dire qu'à l'homme qui, de Beyrouth à l'esplanade des
Mosquées en passant par Sabra et Chatila, fut de tous les mauvais coups contre
les Palestiniens en général et contre l'hypothèse de la paix en particulier, et
suggère qu'Arafat est le Ben Laden d'Israël, il faille renvoyer le compliment?
Peut-être, hélas! Ce propos aura beau s'énoncer avec toutes les nuances,
prudence et «précautions nécessaires», comme on dit, il passera pour
provocateur. N'empêche. Si, pas plus qu'Arafat, Sharon n'«est» Ben Laden, la
stratégie qui l'inspire dans l'occasion qu'il croit (ou fait semblant de croire)
venue d'en finir enfin avec «ses» Palestiniens - de même que Poutine avec «ses»
Tchétchènes et Bouteflika avec «ses» GIA - a ceci de commun avec le terrorisme
«aveugle» qu'elle prétend fermer toutes les portes. La farce, ici, serait que le
patron du Likoud, bien persuadé que Washington le retiendra toujours in extremis
de «faire un malheur», ne bricole que des affaires intérieures. C'est qu'il est
taquin, Ariel Sharon, et embrouilleur en diable! Il faudrait bien, pourtant, tôt
ou tard et avant qu'il meure, parler avec Arafat - le plus tard étant évidemment
le mieux. Lundi, à 9 h 28, c'était non; à 9 h 57, c'était peut-être, et non à
nouveau à 11 h 34, selon l'AFP. Ce serait peut-être oui le soir, et derechef non
dans la nuit. Ou les deux. Va savoir... Les pas de deux de Shimon Pérès, éternel
démissionnaire potentiel, s'accordent trop exactement avec les calculs minables
du Premier ministre, et sa patience est
infinie.
9. Les
Fedayin concèdent une trêve à Arafat par Didier
François
in Libération du lundi 24 septembre
2001
Gaza envoyé
spécial
Pistolets et mitraillettes encombrent les
banquettes. Grenades et chargeurs dégorgent des vide-poches. Un gilet
pare-balles trône à l'emplacement du siège bébé. Chef d'un groupe clandestin de
la résistance palestinienne, Fouad a transformé sa limousine familiale en
arsenal mobile. Seule détonne, dans ce capharnaüm guerrier, une enveloppe
bariolée, arrivée le jour même de Tel-Aviv. Le combattant l'a décachetée avec
d'infinies précautions pour découvrir un jeu d'albums à colorier, cadeau d'un
ami israélien à ses enfants. Avec émotion, le Palestinien relit la carte en
hébreu qui l'accompagne. "Puissent ton fils et ta fille garder foi en l'avenir à
travers ces épreuves." Fouad esquisse un sourire fatigué. "Ce sont ces petits
riens qui empêchent de basculer totalement dans la folie." Nouveau soupir.
Quelques heures auparavant, il menait un coup de main contre un poste de
contrôle militaire, à l'entrée de la colonie juive de Kfar Darom, au centre de
la bande de Gaza. Explosion, rafales. Bilan: cinq jeunes soldats blessés. Et un
sérieux accroc au cessez-le-feu décrété par le président de l'Autorité
palestinienne Yasser
Arafat.
Réalisme et fidélité. Pour autant, les militants des
groupes armés ne rejettent pas la trêve. Incidents et échanges de tirs ont
drastiquement décru depuis l'appel au calme du vieux dirigeant nationaliste. Au
sein même du groupe de Fouad, deux activistes auraient refusé de prendre part à
l'attaque sur la position israélienne. "Nous avons intégré la nouvelle donne
internationale, assure le commandant, après les attentats contre les Etats-Unis,
nous devons faire baisser la tension sur le terrain. Il ne faut donner aucun
prétexte au gouvernement d'Ariel Sharon qui essaie de nous assimiler à des
terroristes. Mais arrêter d'un seul coup toutes nos opérations serait une façon
de reconnaître que Yasser Arafat contrôle totalement la résistance. De plus,
l'occupation israélienne se poursuit et nous n'avons toujours pas obtenu la
reprise des négociations à un niveau politique. Aussi, tant que les discussions
ne porteront que sur les questions de sécurité, nous devrons maintenir un
certain niveau de pression sur les Israéliens, en limitant nos actions aux
cibles militaires et aux colons dans les territoires palestiniens, à l'exclusion
de tout attentat en Israël."
L'adhésion subite de Yasser Arafat à la coalition
que les Etats-Unis veulent mettre sur pied pour une guerre de longue haleine
contre le terrorisme d'inspiration islamiste, semble ne pas trop perturber les
fedayin palestiniens, pourtant peu enclins à des sympathies américaines. D'abord
parce que tous ont conscience que le rapport de forces leur serait par trop
défavorable s'ils s'enfermaient dans un superbe isolationnisme au nom d'une
solidarité arabe qui leur a toujours fait défaut. Ensuite, parce que la grande
majorité des cadres de la résistance clandestine, issus du Fatah d'Arafat, sont
souvent très intégrés à l'appareil de sécurité de l'Autorité palestinienne et
restent, à ce titre, foncièrement fidèles à leur vieux président. Les liens
qu'ils ont développés dans la lutte armée avec les autres groupes, plus radicaux
ou islamistes, auraient plutôt redoré leur blason terni par les années de
collaboration sécuritaire avec Israël dans la foulée des accords de paix d'Oslo,
ce qui leur donne aujourd'hui une certaine légitimité à proposer des compromis
tactiques avec l'ennemi.
Déclarations contradictoires. Dans les structures de
coordination de la résistance, les tractations sont d'ailleurs allées bon train
entre représentants des tendances nationalistes et dirigeants de la mouvance
islamiste. Les cadres du Fatah jurent qu'ils ont convaincu les émirs des
brigades Ezzedine al-Qassem de se joindre discrètement à la trêve. En dépit de
déclarations publiques parfois contradictoires, la branche armée du Hamas
devrait donc retenir ses bombes humaines, le temps que s'amorcent des
pourparlers entre l'Autorité et le gouvernement d'Israël, quand les porte-parole
de l'organisation islamique s'abstiendront de critiques trop virulentes à
l'encontre de la décision d'Arafat d'adhérer à la coalition américaine.
Un doute subsiste, en revanche, sur l'attitude du
Jihad, engagé depuis quelques semaines dans un bras de fer avec certains
services de sécurité palestiniens. "A la différence du Hamas, solidement
implanté dans la population et qui comprend l'importance d'une certaine
souplesse, le Jihad reste un groupuscule sans réelle base sociale, craint Fouad.
Ses décisions n'obéissent pas toujours à la logique de la lutte nationale. Or,
un seul de leurs attentats-suicides pourrait détruire tous nos efforts. A nous
de leur faire comprendre les risques qu'ils prendraient à rompre l'unité
établie."
L'enseignement de la guerre du Golfe. En révisant, à
chaud, sa stratégie, l'Autorité de Yasser Arafat tente un pari sur l'avenir.
"Les Palestiniens font face à un moment critique de leur histoire, explique un
officier des services de renseignements extérieurs. Lors de la guerre du Golfe,
nous nous sommes rangés aux côtés de l'Irak. Nous en payons encore le prix.
Cette fois-ci, nous nous devions d'être plus intelligents. Après les attentats
contre le World Trade Center, je craignais que les Israéliens en profitent pour
éradiquer l'Autorité. Mais la décision du président de soutenir la coalition
américaine a changé les données du problème. Les Etats-Unis ont besoin de geler
la crise palestinienne pour gagner l'adhésion des pays arabes. Et c'est
Washington qui détient les clés de notre conflit avec Israël. Bien sûr, nous
n'avons reçu aucune promesse concrète, mais en leur apportant notre caution,
nous pouvons espérer que les Américains s'appliquent sérieusement à résoudre la
question palestinienne à l'issue de leur campagne militaire."
Incertitudes. Tous, néanmoins, ne partagent pas un
tel optimisme. "Pour l'heure, chaque Palestinien comprend qu'une accalmie
s'impose, admet ce responsable de la puissante sécurité intérieure, ce serait
une folie de provoquer les Etats-Unis qui seuls ont le pouvoir de museler
Israël. Pour autant, rien n'indique que l'administration Bush soit prête à
régler au fond le problème palestinien en imposant au gouvernement Sharon de
négocier une solution politique avec Arafat, et elle ne s'engagera certainement
pas dans un tel chantier avant d'avoir remporté quelques succès dans sa lutte
antiterroriste. Or, ce conflit va durer des mois. Pendant ce temps, notre
adhésion à l'alliance occidentale n'apportera aucun bénéfice tangible à la
population palestinienne qui continuera à subir l'occupation israélienne, le
bouclage des territoires. De plus, dans les camps de réfugiés, les gens simples
ne connaissent des Etats-Unis que leur soutien à Israël, leurs fournitures
d'armes qui servent à détruire leurs maisons. Dès les premiers bombardements,
leurs réactions seront antiaméricaines. Il faut s'attendre à des manifestations
où fleuriront les portraits d'Oussama ben Laden, considéré comme un héros par
nombre des plus pauvres dans le monde arabe. Le cessez-le-feu, admis
aujourd'hui, pourrait alors être dénoncé comme une capitulation.".
10. Les larmes
s'arrêteront-elles jamais de couler ? par John Gerassi
in Z Magazine
(e-magazine américain) du dimanche 23 septembre 2001 (http://www.zmag.org)
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Je ne peux m'empêcher de pleurer. Dès que
je vois quelqu'un, à la télé, raconter l'histoire déchirante du sort tragique de
son/sa cher/chère disparu/e dans la catastrophe du World Trade Center, je ne
peux contrôler mes larmes. Mais c'est alors, aussi, que je me souviens ne pas en
avoir versé une seule, de larme, lorsque nos troupes ont "balayé" quelque 5 000
pauvres malheureux dans la banlieue El-Chorillo de Panama, en les envoyant "ad
patres", avec comme excuse qu'elles "recherchaient Noriega, mort ou vif". Nos
dirigeants savaient pertinemment que c'était ailleurs qu'il se cachait, mais ils
avaient détruit El-Chorillo quand même... parce que les gens qui vivaient là
étaient des nationalistes qui voulaient débarrasser le Panama des Américains,
jusqu'au dernier.
Pire : pourquoi donc n'ai-je pas pleuré lorsque nous avons
tué deux millions de Vietnamiens - des paysans innocents, pour la plupart - au
cours d'une guerre dont le chef d'orchestre, le Secrétaire à la Défense Robert
McNamara, savait pertinemment que nous ne pourrions jamais la gagner ? Lorsque
je suis allé donner mon sang, l'autre jour, j'ai remarqué un Cambodgien qui
faisait de même, trois personnes après moi, sur le même rang, et cela m'a
rappelé : pourquoi-donc n'ai-je pas pleuré, quand nous avons aidé Pol Pot à
martyriser un petit million supplémentaire d'innocents qui n'en pouvaient
mais, en lui donnant des armes et du fric, simplement parce qu'il était opposé à
"notre ennemi" (qui, quant à lui, mit finalement fin aux massacres). Oui :
pourquoi ?
Déterminé à rester éveillé et néanmoins à ne pas pleurer, cet
après-midi là, j'ai décidé d'aller au cinetoche. J'ai opté pour le film
"Lumumba", au cinéma Film Forum, et... horreur : je me suis rendu compte que
j'avais omis de pleurer quand notre gouvernement a fomenté l'assassinat du seul
dirigeant correct du Congo, qui allait être remplacé par le Général Mobutu, ce
dictateur avide, vicieux, sanguinaire... Que n'avais-je pleuré lorsque la CIA a
manigancé le renversement du président de l'Indonésie, Sukarno, qui avait
combattu les envahisseurs japonais de la deuxième guerre mondiale et établi un
état indépendant et libre, avant d'être supplanté par un autre général, Suharto,
cette fois (la différence des deux lettres k/h-n/t est loin d'être mince...,
ndt) qui avait collaboré de manière éhontée avec les Jap's et avait vaillamment
exterminé, au bas mot, un demi-million de "Marxistes" (dans un pays où, si
quelqu'un a jamais entendu parler d'un Marx, c'était, dans le meilleur des cas,
de Groucho!) ?
J'ai re-regardé la télé, hier soir, et je me suis mis à
pleurer "again" en voyant la photo de ce merveilleux père, désormais manquant,
jouant avec son bébé de deux mois. Mais, lorsque je me suis souvenu du massacre
de milliers de Salvadoriens, décrit de manière si graphique par Ray Bonner dans
le Times, et les viols suivis d'assassinat de ces nonnes et soeurs hospitalières
américaines, dans le même pays, tous commis, du premier au dernier, par des
assassins formés et rémunérés par la CIA, j'ai dû me rendre à l'évidence : je
n'y étais pas allé de ma larmette, à l'époque. J'ai même pleuré quand j'ai
entendu à quel point avait été courageuse Barbara Olson, l'épouse du Procureur
général, dont je détestais pourtant les opinions politiques. Mais je n'avais pas
pleuré, quand les Etats-Unis avaient envahi ce merveilleux petit bijou de pays
qu'est la nation caribéenne de la Grenade, y tuant des citoyens innocents qui
espéraient améliorer leur existence en construisant un aéroport touristique, que
mon gouvernement avait déclaré preuve irréfutable qu'une base soviétique était
en cours de construction, ce qui ne l'avait nullement empêché d'en achever la
construction, notez-bien, l'île une fois revenue dans le giron
américain...
Et pourquoi diable n'avais-je pas pleuré, quand Ariel Sharon,
aujourd'hui premier ministre d'Israël, a planifié, puis ordonné, le massacre de
deux mille pauvres Palestiniens, dans les camps de réfugiés de Sabra et Shatila,
ce même Sharon qui, à l'instar de tels ou tels terroristes des groupes
terroristes Stern ou Irgoun (pas de différence : du pareil au même...), devenus
par la suite premiers ministres d'Israël également, tels Begin et Shamir, avait
tué les épouses et les enfants d'officiers britanniques en faisant sauter
l'hôtel King David où ils logeaient (ce qu'ils savaient pertinemment) ?
Je
pense qu'en fait on ne pleure que sur soi-même. Mais est-ce une raison pour
vouloir se venger de quiconque pourrait ne pas être d'accord avec nous ? C'est
(pourtant) ce que semblent vouloir les Américains. C'est certainement ce que
veut notre gouvernement, et aussi ce que veulent la plupart de nos médias.
Croyons-nous réellement que nous avons le droit d'exploiter les pauvres gens
dans le monde entier pour notre plus grand profit, parce que nous prétendons
être libres et qu'eux ne le seraient pas ?
Ainsi, aujourd'hui, nous nous
préparons à aller à la guerre. Nous sommes certainement fondés à partir en
guerre contre ceux qui ont tué autant de nos frères et soeurs innocents. Et nous
gagnerons, bien sûr. Contre Bin Laden. Contre les Taliban. Contre l'Irak. Contre
tout le monde et pour n'importe quoi. Dans l'opération, nous allons tuer
quelques enfants innocents de plus, à mettre à notre "actif". Des enfants qui
n'ont pas de vêtements, à l'approche du prochain hiver. Pas de maison, où
s'abriter. Et pas d'écoles où apprendre pourquoi ils sont coupables, eux qui ont
quatre ou cinq ans... Peut-être les Evangélistes Falwell et Robertson vont-ils
proclamer "juste" leur mort, parce qu'ils n'étaient pas chrétiens. Et peut-être
quelque porte-parole de quelque ministère va-t-il annoncer au monde entier
qu'ils étaient tellement pauvres, de toutes les façons, qu'ils sont bien mieux
là où ils sont maintenant... dans l'Au-delà !
Et après ça : quoi ?
Serons-nous bientôt à même de diriger le monde comme nous l'entendons ? Avec
toute un nouvel arsenal législatif établissant une surveillance massive sur vous
comme sur moi, nos dirigeants seront certainement heureux d'anticiper le moment
où les gens osant manifester contre la globalisation seront définitivement
domptés. Plus de troubles à Seattle, au Québec, ni à Gênes. La paix, enfin...
Jusqu'à la prochaine fois. Qui sera-ce ? Un enfant échappé au massacre, par
nous perpétré, de ses parents innocents à El-Chorillo, devenu adulte ? Une fille
nicaraguayenne ayant appris que sa mère, médecin, et son père ont été assassinés
par une bande de gangsters que nous appelions les "contras" démocratiques qui
apprenaient dans le manuel de la CIA que la meilleure manière de détruire le
seul gouvernement qui oserait tenter d'améliorer le sort des pauvres du pays
était d'en assassiner méthodiquement les enseignants, le personnel de santé et
les paysans des fermes nationalisées ? Ou peut-être sera-ce un Chilien aigri,
convaincu que toute sa famille a été liquidée sur l'ordre du Secrétaire d'Etat
de Nixon, un certain Kissinger, Dear Henry, Riri pour les intimes, qui ne voyait
absolument aucune différence entre un socio-démocrate, voire même un
nationaliste, et un "Kommuniste" ?
Quand apprendrons-nous, nous autres
Américains, que tant que nous persisterons à tenter de diriger le monde dans
l'intérêt de la ligne comptable du profit brut d'exploitation, nous aurons à
pâtir de la revanche de quelqu'un ? Aucune guerre ne mettra jamais un quelconque
terme au terrorisme, dès lors que nous avons recours au terrorisme pour notre
propre pomme. C'est pourquoi j'ai décidé de fermer la télé, et d'arrêter, du
même coup, de chialer,. Je suis allé me balader. Je n'ai pas dépassé le
cinquième pâté de maison depuis chez moi. Une foule était rassemblée pour
déposer des fleurs et allumer des bougies devant la caserne de pompiers de notre
quartier. Elle était fermée. Elle était restée fermée depuis un certain mardi
(11 septembre) parce que les soldats du feu, une équipe de gars merveilleux et
incroyablement sympas, qui avaient toujours salué les gens du coin, le sourire
aux lèvres et des encouragements toujours corroboratifs, s'étaient précipités si
vite au secours des victimes de la première tour qu'ils avaient péri avec elles
quand le gratte-ciel s'était effondré. Et c'était reparti : je me suis remis à
pleurer...
Alors, je me suis dit comme ça, en écrivant cela : non, ne
l'envoie pas, n'envoie pas cet article ; certains de tes étudiants, de tes
collègues ou des voisins vont te haïr, et peut-être même te faire du mal. Mais
c'est alors que j'ai rallumé la télé : le Secrétaire d'Etat Colin Powell
m'expliquait que c'était OK, qu'il n'y avait pas de problème, qu'on pouvait
aller faire la guerre à ces enfants, ces pauvres hères, ces haïsseurs de
yankees, parce que nous, nous sommes civilisés et qu'eux, ils ne le sont pas...
Alors j'ai pris le risque. Le jeu en vaut peut-être la chandelle :
peut-être qu'ayant lu cet article, une autre personne se posera-t-elle la
question que, personnellement, je me pose : "Pourquoi y a-t-il, de par le vaste
monde, tant de gens prêts à mourir juste pour nous donner un aperçu de ce que
nous leur faisons subir
?"...
11. Comment les Etats-Unis
ont-ils le cœur à envisager de bombarder ces pauvres gens ? par Robert
Fisk
in Z Magazine (e-magazine américain) du dimanche 23 septembre 2001
(http://www.zmag.org)
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Cette semaine, nous sommes les témoins de
l'un des événements les plus épiques depuis la seconde guerre mondiale, et à
coup sûr, depuis le Vietnam. Je ne fais pas allusion aux ruines du World Trade
Center, à New York, ni aux scènes dantesques auxquelles nous avons assisté le 11
septembre dernier : une atrocité, que j'ai qualifiée, la semaine dernière, de
crime contre l'humanité. Non, je fais ici allusion à des préparatifs
extraordinaires, quasi incroyables, d'ores et déjà en cours, ceux de la nation
la plus puissante à avoir jamais existé sur la Terre de Dieu, efforts déployés
en vue d'aller bombarder le pays le plus dévasté, le plus ravagé, le plus affamé
et le plus tragique qui soit au monde. L'Afghanistan, violé et éviscéré par
l'armée russe dix années durant, abandonné par ses amis - nous, évidemment - une
fois les Russes partis, est à la veille d'être attaqué par l'unique
superpuissance survivante.
J'observe ces développements, incrédule, pas tant
parce que j'ai été témoin de l'invasion et de l'occupation russes. Fallait voir
comme ils se sont battus pour nous, ces Afghans, comment ils nous ont crus sur
parole. Comment ils avaient ajouté foi à ce que leur avait dit le président
Carter, lorsqu'il leur avait promis le soutien de l'Occident. J'ai même
rencontré l'homme de la CIA à Peshawar, qui brandissait les papiers d'identité
d'un pilote soviétique abattu avec l'un de nos missiles - qui avait été extrait
des débris de son Mig. "Pauvre gars", avait dit l'homme de la CIA, avant de nous
montrer un film sur des GIs en train de zapper du Vietcong, dans sa salle de
projection privée. Et aussi, oui : je me rappelle ce que m'avaient dit les
officiers soviétiques qui m'avaient mis en état d'arrestation à Salang. En
Afghanistan, ils faisaient "leur devoir internationaliste", qu'ils m'avaient
dit... Ils "punissaient les terroristes" qui voulaient renverser le gouvernement
afghan (communiste) et "détruire le peuple afghan". Cela ne vous rappelle rien
?
En 1980, j'étais reporter au Times, et j'avais couvert une histoire tout ce
qu'il y a de dérangeant, qui s'était déroulée juste au sud de Kaboul. Un groupe
de combattants religieux, les mujahidin, avaient attaqué une école parce que le
régime communiste avait forcé les filles à être éduquées en même temps que les
garçons. Alors ils avaient bombardé l'école, assassiné la femme du directeur et
coupé la tête du mari. Tout ça, c'était vrai. Mais lorsque The Times a publié le
reportage, le Foreign Office (ministère des affaires étrangères de
Grande-Bretagne) protesta auprès de la rédaction internationale de ce grand
quotidien, disant en substance que "mon reportage apportait de l'eau au moulin
des Russes". Ben voyons... Et pourquoi cela ? Eh bien, parce que les combattants
afghans étaient les gentils. Parce qu'Osama bin Laden était un de nos bons
petits gars. Charles Douglas-Home, éditeur du Times, à l'époque, insistait
toujours sur l'obligation qu'il nous faisait d'appeler les guérilleros afghans
"combattants de la liberté" dans les gros titres : avec les mots, vous pouvez
refaire le monde...
Il en va de même aujourd'hui. Le président Bush menace,
cette fois, ces obscurantistes, ces ignorants, ces ultra-conservateurs de
Talibans de la même punition, dans sa détermination à atteindre de ses foudres
bin Laden. Bush, au début, a parlé de "justice et châtiment", puis d'"amener
devant la justice" les auteurs des atrocités. Mais ce n'est pas des pandores,
qu'il envoie au Moyen-Orient : ce sont des B-52, des F-16, des avions Awacs et
des hélicoptères Apache. Nous n'allons pas arrêter bin Laden. Nous allons le
détruire. Et tant mieux si c'est lui le coupable. Mais les B-52 ne font pas la
différence entre ceux qui portent le turban et ceux qui ne le portent pas, entre
hommes et femmes, ni entre femmes et enfants.
La semaine dernière, j'ai
évoqué la culture de la censure, qui est sur le point, aujourd'hui, de nous
étouffer, ainsi que les attaques personnelles auxquelles doit faire face tout
journaliste osant se poser la question des racines de la crise actuelle. La
semaine dernière encore, dans un journal européen d'envergure nationale, j'ai eu
un nouvel exemple, révélateur de ce que cela signifie. J'y étais accusé d'être
anti-américain, et avisé que cet anti-américanisme équivalait à de
l'antisémitisme. Vous suivez mon regard, bien sûr... Je ne suis pas certain de
savoir ce qu'est l'anti-américanisme. Mais oser critiquer les Etats-Unis,
équivaut moralement, aujourd'hui, à haïr les Juifs. Il est normal de titrer sur
la "terreur islamiste" - ou, comme mon exemple français favori, sur "les fous de
Dieu" - mais il est tout-à-fait déplacé de poser la question de savoir pourquoi
les Etats-Unis sont-ils tellement détestés par tant de Musulmans arabes au
Moyen-Orient. Nous pouvons donner aux criminels une identité musulmane : nous
pouvons même montrer du doigt le Moyen-Orient dans le cas du présent crime, mais
nous ne saurions nous permettre de suggérer que ce crime pût avoir un quelconque
mobile...
Mais faisons retour sur ce mot : "justice". A re-regarder cette
pornographie de meurtre de masse, à New York, il doit y avoir bien des gens qui
partagent mon opinion, à savoir qu'il s'agissait là d'un crime contre
l'humanité. Plus de 6 000 morts : voilà qui vaut bien un Srebrenica. Même les
Serbes avaient épargné la plupart des femmes et des enfants, lorsqu'ils
assassinaient leurs concitoyens. Les morts de Srebrenica méritent amplement - et
d'ailleurs, il l'obtiennent - la justice internationale, à La Haye. Aussi, ce
dont nous avons besoin, pas de doute là-dessus, c'est d'une Cour Criminelle
Internationale qui se charge du genre d'assassins qui ont dévasté New York un
certain 11 septembre. Et pourtant, "crime contre l'humanité" n'est pas le genre
d'expression que nous entendons, chez les Américains. Ils préfèrent multiplier
les références à l'expression "atrocité terroriste", qui est pourtant
incontestablement moins forte.
Pourquoi, je vous le demande ? Parce que
parler d'un crime terroriste contre l'humanité serait une tautologie ? Ou bien,
parce que les Etats-Unis sont contre l'idée d'une justice internationale ? Ou
bien encore,parce qu'ils se sont opposés officiellement à la création d'une cour
internationale, de crainte que leurs propres citoyens ne puissent un jour être
assignés devant icelle...
Le problème, c'est que l'Amérique veut sa propre
version de la justice, concept plongeant ses racines, semble-t-il, dans le Far
West et la version hollywoodienne de la Deuxième guerre mondiale. Le président
Bush parle de "les débusquer", il évoque les vieilles affiches qui ornaient
jadis les murs de Dodge City "Wanted, Dead or Alive" ("Recherché(e),
mort(e) ou vif(ve)"). Aujourd'hui, Tony Blair nous dit que nous devons nous
tenir au côté de l'Amérique comme l'Amérique s'est tenue à notre côté durant le
deuxième conflit mondial. Certes, c'est vrai, l'Amérique nous a aidés à libérer
l'Europe de l'Ouest. Mais les USA ont décidé d'intervenir dans les deux
conflits mondiaux après une longue période - longue, et très profitable, dans le
cas de la Deuxième guerre mondiale - de neutralité.
Les morts de Manhattan
ne méritent-ils pas mieux que cela ? Il n'y a même pas encore trois ans, nous
lancions une attaque avec 200 missiles Cruise contre l'Irak qui avait osé mettre
à la porte les inspecteurs de l'ONU chargés du désarmement. Inutile de préciser
que cela n'a servi à rien. D'autres Irakiens furent tués, et les inspecteurs de
l'ONU ne sont jamais retournés en Irak. Les sanctions ont été maintenues et les
enfants irakiens ont continué à mourir. Pas de politique, pas de prospective. De
l'action, mais pas de mots, (pas de réflexion).
Et c'est exactement là où
nous en sommes aujourd'hui. Au lieu d'aider l'Afghanistan, au lieu de déverser
notre aide dans ce pays, il y a dix ans, afin de reconstruire ses villes, sa
culture et de créer un nouveau centre politique qui aurait permis de dépasser un
peu le tribalisme, nous l'avons laissé pourrir. Sarajevo serait reconstruite.
Pas Kaboul. La démocratie, ou quelque chose d'approchant, serait instaurée en
Bosnie. Pas en Afghanistan. Des écoles pourraient rouvrir à Tuzla et à Travnik.
Pas à Jalalabad. Quand les Talibans sont arrivés, pendant tous les opposants aux
lampadaires, coupant un bras aux voleurs, lapidant les femmes accusées
d'adultère, les Etats-Unis considérèrent ces démonstrations de terreur comme une
promesse de stabilité (bienvenue) après les années d'anarchie.
Les menaces de
Bush ont effectivement contraint tous les travailleurs humanitaires occidentaux
à quitter l'Afghanistan. D'ores et déjà, des Afghans meurent à cause de leur
absence. La sécheresse et la famine continuent à tuer des milliers de personnes
- j'y insiste : des dizaines de milliers - et de vingt à vingt-cinq Afghans sont
déchiquetés chaque jour par quelques-unes des dix millions de mines laissées
derrière eux par les Russes. Evidemment, les Russes ne sont jamais revenus les
éliminer. Je suppose que les bombes lâchées par les
B-52 en feront exploser
quelques-unes. Ce serait bien là la seule action humanitaire que nous pourrions
leur voir accomplir, dans un futur pas très éloigné.
Regardez l'image la plus
frappante de cette semaine. Le Pakistan a fermé sa frontière avec l'Afghanistan.
L'Iran, itou. Les Afghans doivent rester dans leur prison. A moins qu'ils
réussissent la belle à travers le Pakistan pour finir, rejetés sur quelque plage
de France ou dans les eaux territoriales de l'Australie, ou s'infiltrant dans le
tunnel sous la Manche, ou détournant un avion sur la Grande-Bretagne, histoire
de se retrouver face à la colère de notre ministre de l'intérieur (Home
Secretary). Auquel cas il faudra les renvoyer : "refusés, retour à
l'expéditeur". Terrible est l'ironie qui veut que le seul homme que nous
aimerions recevoir d'Afghanistan est celui dont on nous dit qu'il est le génie
malfaisant à avoir manigancé le plus grand massacre commis dans toute l'histoire
de l'Amérique : Bin Laden. Les autres ? Qu'ils restent chez eux, là-bas, en
Afghanistan. Ils peuvent même y
crever...
12. "Justice (double bémol :
américaine) Absolue" par Abdel Bari Atwan
in Al-Quds Al-Arabi
(quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 21 septembre
2001
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Le fait que le président George Bush ait
déclaré irrecevable la fatwa publiée par les ulémas afghans, demandant à
l'opposant saoudien Usama Bin Laden de quitter leur pays de son propre gré,
n'est pas faite pour nous étonner. En effet, la décision de la guerre a été
d'ores et déjà prise, la mobilisation des troupes bat son plein, l'heure H du
déclenchement de l'offensive (punitive) est d'ores et déjà fixée. Il ne reste
plus qu'à déclencher un torrent de fer et de feu sur l'Afghanistan et tout ce
que l'on pourra atteindre par la même occasion en matière de pays musulmans
accusés de terrorisme ou de recel de terrorisme ou les deux à la fois.
Les
responsables des pays européens ont décidé d'une rencontre au sommet entre eux,
dans les plus brefs délais, afin d'étudier les conséquences de la nouvelle
guerre américaine pour leur économie et la sécurité de leurs ressortissants.
Pendant ce temps, on voit que les chefs d'Etat arabes ne considèrent pas qu'il y
ait péril en la demeure, et que la situation ne vaut pas les fatigues du voyage.
C'est pourquoi ils ont préféré multiplier leurs conversations téléphoniques afin
que les services américains d'écoute en profitent bien et soient parfaitement au
courant de tout ce qu'ils se racontent, dans le cadre de la "transparence" dont
ils ne se départiraient pour rien au monde vis-à-vis de la nouvelle
administration américaine...
Le prince Saud al-Fayçal, ministre saoudien des
affaires étrangères, dont le pays sera le participant musulman le plus important
dans la nouvelle coalition en train de se mettre en place, a présenté les
condoléances de l'Arabie à l'administration américaine et affirmé sa totale
coopération à ses projets belliqueux. Il a mentionné la nécessité que Bin Laden
soit extradé et livré à la justice, mais il n'a pas levé la langue sur le
terrorisme israélien : rien, aucune allusion, même des plus succinctes. On sait
qu'il est peu loquace mais, tout de même : laisser passer pareille
occasion...
Des manifestations au Pakistan, des réunions d'hommes de religion
venus des différentes provinces de l'Afghanistan, des manifestations de
protestation devant les ambassades américaines dans plusieurs pays d'Europe,
d'un côté... et, de l'autre : une rue arabe plongée dans une douce torpeur,
savourant son ignorance et son insouciance.
L'Iran, ce pays qui a eu à
souffrir du feu de l'extrémisme talibanien s'est avéré bien plus clairvoyant que
ses voisins arabes, en annonçant qu'il ne laissera jamais les avions américains
utiliser son espace aérien dans le cadre de l'expédition de Bush contre
l'Afghanistan voisin, réaffirmant sa neutralité dans cette crise, neutralité qui
représente le moins qu'il puisse faire.
Les pays arabes se sont précipités
afin de s'enrôler dans la coalition, proposant leur collaboration, l'un après
l'autre. Certains l'ont fait de leur plein gré, sans que personne ne le leur
demande, par peur du gros bâton américain ou par convoitise de la carotte
américaine, ou encore pour les deux raisons à la fois...
L'explication est
simple : les pays arabes ne jouissent pas d'une réelle souveraineté, ils ne
peuvent adopter le même type de position que l'Iran (qui est lui,
authentiquement indépendant), car leurs gouvernements sont corrompus, ne
gouvernent que par la répression, la terreur et la crainte qu'ils inspirent à
leurs peuples, qu'ils ne respectent nullement. C'est pourquoi l'administration
américaine les traite de la même façon, leur dictant ce qu'ils doivent faire,
convaincue d'avance qu'ils sont bien trop faibles pour lui refuser quoi que ce
soit.
Il est pour le moins paradoxal que l'administration du président Bush,
au moment même où elle mobilise les flottilles, les porte-avions, les blindés et
des centaines de milliers de soldats, afin de les envoyer en toute quiétude dans
le golfe arabique, ait choisi de baptiser "Justice Absolue" sa nouvelle
expédition militaire. Cette dénomination manque, à dire le moins, de tact et de
mesure. Ne rêvons pas : cette "justice absolue" ne s'arrêtera pas, au passage,
dans la bande de Gaza ni en Cisjordanie afin de faire cesser l'oppression contre
le peuple palestinien, elle n'ira pas faire un petit détour en Irak, sur son
chemin en ligne directe vers le "nid du terrorisme", l'Afghanistan, afin de
mettre un terme aux souffrances de vingt millions de personnes soumises à un
embargo impitoyable.
Il ne s'agit certainement pas là d'une "justice"
"absolue", mais bien d'une "justice" tordue et bigleuse, dont il ne saurait
découler autre chose qu'encore plus d'iniquité, de destructions, de souffrances,
de sacrifice de vies d'innocents, d'extension de la zone d'instabilité dans le
monde musulman, d'enfoncement de ses populations dans une paupérisation
croissante.
C'est une "justice" américaine qui ne voit les Arabes (et le
monde entier, du reste), qu'avec l'oeil israélien : telle est bien l'origine des
multiples anomalies qui affectent les relations arabo-américaines, terreau
fertile pour l'apparition de mouvements assez extrémistes pour ne pas reculer,
ne serait-ce que pour un instant de réflexion, devant des opérations-suicides
désespérées, afin de se venger.
Et voilà que les milieux israéliens
s'emploient sans plus tarder à diffuser des "informations" sur une implication
irakienne dans les attaques contre le Pentagone et le World Trade Center de New
York, allégeant que des contacts auraient eu lieu entre le capitaine Muhammad
Ata, accusé du détournement du premier avion de ligne américain qui a été
précipité sur la première des deux tours jumelles et des officiers des services
de renseignement irakiens : ces "fuites" n'ont d'autre but que d'apporter sur un
plateau une argumentation supplémentaire "autorisant" une nouvelle agression
américaine contre l'Irak, permettant aux Etats-Unis de terminer le boulot -
laissé en suspens - de la "Tempête du Désert".
Israël offre une couverture
juridique pour une nouvelle agression contre l'Irak (allant jusqu'à la conquête
de ce pays ?), tandis que l'Arabie Saoudite, le Pakistan, la plupart des pays
arabes, dont ceux du Golfe, fournissent une couverture légale, d'un point de vue
musulman, afin d'écraser les Taliban et de ramener l'Afghanistan à un stade
antérieur à l'apparition de l'homme sur Terre.
Nous sommes à la veille d'une
guerre dévastatrice, fondatrice d'un terrorisme sans précédent et d'une anarchie
rarement connue dans l'histoire. Nulle surprise si nous nous retrouvons, une
fois la poussière des combats retombée, confrontés à une nouveau monde arabe,
différent de celui que nous connaissons, et bien malin celui qui nous dira quel
il sera.
Voilà. Tel est le (sombre) tableau, à ce
jour...
13. La facture de l'Intifada est élevée pour
l'économie israélienne
Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 21 septembre
2001, 11h53
JERUSALEM - Des hôtels et des restaurants vides, des
plages désertées par des touristes qui préférent des destinations moins
périlleuses: les conséquences de l'Intifada sur l'économie israélienne sont
toujours bien visibles, un an après son déclenchement.
Et le marasme mondial
provoqué par les attentats terroristes du 11 septembre aux Etats-Unis ne va
certainement rien arranger.
Comme toutes les autres bourses du monde, celle
de Tel-Aviv a ainsi perdu beaucoup de terrain depuis ces attentats, alors que le
shekel continuait sa baisse.
Avant cela, le soulèvement palestinien avait
asséné un coup d'autant plus dur à l'économie israélienne que les émeutes ont
débuté au moment même où la crise de la haute technologie, qui servait de
locomotive à la croissance, provoquait une chute du Nasdaq, le temple de la
"nouvelle économie", où plus d'une centaine de sociétés israéliennes sont
cotées.
"Nous avons joué de malchance", souligne Danny Catarivas, directeur
général adjoint du ministère des Finance. Selon lui, les dégâts dus à l'Intifada
ont toutefois été limités "pour le moment à certains secteurs sinistrés tels que
le tourisme, l'agriculture ou le bâtiment".
Il admet toutefois que "plus
l'Intifada se poursuit, plus l'économie d'Israël, redevenue malheureusement un
pays à risques, va souffrir".
Les principaux indicateurs sont pour la plupart
passés au rouge. La croissance du Produit intérieur brut, qui avait culminé à
5,9% l'an dernier, devrait être inférieure à 1% en 2001, selon les dernières
estimations du Trésor.
Au deuxième trimestre, le PIB a même reculé de 0,6%
par rapport à la même période de l'an dernier.
La population commence elle
aussi à payer le prix fort de ce coup de frein qui prend des allures de
récession. Le PIB par tête d'habitant, qui mesure le niveau de vie des
Israéliens, a ainsi reculé de 2,7% au premier semestre.
La chute a été
beaucoup plus brutale dans le tourisme, entraînant des milliers de
licenciements. Le nombre de visiteurs étrangers a diminué de moitié au premier
semestre et le manque à gagner pour l'ensemble de l'année devrait atteindre 1,2
milliard de dollars, selon les estimations du ministère du Tourisme.
Les
investissements étrangers, qui avaient connu un boom sans précédent dans la
haute technologie en l'an 2000, ont fondu. Ils ont ainsi reculé de moitié au
premier semestre, passant de 7 à 3,4 milliards de dollars, selon la Banque
d'Israël.
L'absence des quelque 120.000 travailleurs palestiniens interdits
de séjour en Israël en raison du bouclage imposé depuis le début de l'Intifada a
également provoqué de sérieux problèmes dans le bâtiment et l'agriculture, qui
employaient respectivement 30 et 12% de Palestiniens.
Sur le front
budgétaire, la poursuite des violences a contraint le gouvernement à débloquer
des rallonges pour l'armée et la police, qui s'élèvent à 500 millions de dollars
depuis le début de l'année.
Résultat: le déficit, qui s'est également creusé
en raison de la baisse des recettes fiscales due au ralentissement économique,
devrait atteindre 3,5% du PNB, deux fois plus que prévu, selon le Trésor.
La
défense devrait représenter à elle seule 23,7% des dépenses du gouvernement et
absorber cette année 7,2 milliards de dollars, selon les Finances.
"Au total,
l'Intifada a dû nous coûter environ 1 à 1,5 point de croissance cette année",
estime M. Catarivas.
L'impact des attentats de New York et Washington n'a pas
encore été chiffré.
14. Les conseillers de Bush
divisés sur l'étendue de la riposte par Patrick E. Tyler et Elaine
Sciolino
in The New York Times (quotidien américain) du jeudi 20 septembre
2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
L'administration Bush est au prise avec
sa première querelle au sommet au sujet de l'étendue et du timing de sa réponse
militaire à l'attaque (terroriste) contre les Etats-Unis, ont indiqué des
officiels gouvernementaux.
Certains hauts responsables de l'administration,
avec à leur tête Paul D. Wolfowitz, vice-secrétaire d'Etat à la défense et I.
Lewis Libby, chef de cabinet du vice-président Dick Cheney font pression en
faveur d'une campagne militaire des plus rapprochées et vastes que possible, non
seulement contre le réseau d'Usama Bin Laden en Afghanistan, mais aussi contre
d'autres bases terroristes présumées en Irak et dans la Bekaa libanaise.
Ces
officiels recherchent les moyens permettant d'inclure l'Irak dans la liste des
cibles, avec pour objectif le renversement du président irakien Saddam Husseïn,
mesure prônée depuis bien longtemps par les Conservateurs (= les Républicains),
avec le soutien de M. Bush.
Un certain nombre de Conservateurs ont fait
circuler une lettre ouverte, ce matin, appelant le président à "déployer des
efforts déterminés visant à écarter Saddam Husseïn du pouvoir" même s'il est
impossible d'établir un lien entre lui et les terroristes qui ont frappé New
York et Washington, la semaine dernière.
En réponse à ces efforts, le
Secrétaire d'Etat (= ministre des affaires étrangères) Colin L. Powell a défendu
l'argument, au cours de différentes rencontres avec M. Bush, durant le week-end
passé, selon lequel l'administration doit prendre son temps pour mener à bien le
travail diplomatique préparatoire à une action militaire américaine, qui
concernerait dans un premier temps l'Afghanistan, en consultant les alliés et en
échafaudant une argumentation permettant de justifier des initiatives
américaines, dans le cadre de la légalité internationale. "Nous ne pouvons pas
tous résoudre d'un coup de baguette magique", a indiqué un officiel de
l'administration américaine qui a assisté le Secrétaire d'Etat Powell au cours
de ces concertations au sommet.
Mais, aujourd'hui, au Pentagone, M. Wolfowitz
à répondu, à la question de savoir s'il y avait une quelconque connexion
irakienne en rapport avec les attaques (terroristes anti-américaines) : "Je
pense que le président a été très clair, aujourd'hui : il s'agit de bien plus
qu'une simple organisation (clandestine), cela est beaucoup plus grave qu'un
simple événement sans suite."
"Je pense que nous devons tous nous pencher sur
ce problème avec un regard entièrement nouveau, et sous un éclairage entièrement
nouveau également."
M. Wolfowitz n'a pas répondu à notre appel téléphonique
de ce soir. Nous ne savons pas quelle position les Chefs d'Etat-major conjoint
ont adoptée au sujet de l'ampleur d'une possible opération de représailles. Le
Département d'Etat s'est refusé à tout commentaire.
Le choc des attaques de
mardi dernier et l'ampleur du défi qu'elle doit relever afin de trouver une
réponse adaptée ont, dans une certaine mesure, uni et galvanisé l'équipe
nationale pour la sécurité réunie par Bush.
Mais on note certaines tensions.
Elles découlent, pour partie, d'un conflit entre prérogatives : le Secrétaire
d'Etat Powell doit faire face au travail concret que représente la mise sur pied
d'une coalition et doit faire preuve de beaucoup de diplomatie vis-à-vis des
alliés, qui prendraient des risques significatifs à apporter leur soutien aux
Etats-Unis alors que la politique de ce pays, au Moyen-Orient focalise tellement
de ressentiment, voire de haine.
Le Pentagone étudie les scénarios d'une
cohorte d'options militaires aussi peu "sexy" les unes que les autres, tandis
que des responsables de la présidence s'efforce de satisfaire les attentes tant
du Président que de l'opinion publique, impatients d'une riposte rapide et
décisive.
Il y a aussi des divergences idéologiques, voire de vieux conflits
de personnes hérités de la première administration Bush (père), voire même des
administrations Reagan et Ford, qui scindent un groupe de responsables
confrontés à une crise des plus pressantes.
Aujourd'hui, le président Bush et
ses conseillers n'ont pu que suivre avec une certaine inquiétude le discours
adressé par le président pakistanais, le Général Pervez Musharraf, à son peuple
afin de tenter de le persuader d'apporter son soutien à la réponse des
Etats-Unis (aux attaques dont ils ont été victime la semaine dernière).
"Beaucoup, parmi nous, craignent que Musharraf pourrait bien ne pas survivre
politiquement (à cette prise de position)", a confié un haut
fonctionnaire.
M. Bush et le Secrétaire d'Etat Powell ont rencontré le
ministre russe des affaires étrangères, Igor D. Ivanov, qui a exprimé la
préoccupation de la Russie au sujet du recours à la force militaire en Asie
centrale, autrefois contrôlée par l'URSS. Les Russes fournissent d'ores et déjà
du renseignement et M. Ivanov a plaidé dans le sens d'un élargissement de la
coopération (russo-américaine).
Au cours d'un week-end qui a connu une mise
en place intensive de mesures de sécurité au plan national, le Secrétaire d'Etat
C. Powell a appelé à la prudence, à plusieurs reprises, ont indiqué plusieurs
officiels de l'administration Bush. M. Powell a insisté sur le fait
qu'entreprendre une campagne militaire de grande envergure, surtout si cette
campagne doit inclure l'Irak - dont la population civile fait l'objet d'une
énorme sympathie, au Moyen-Orient, en raison des souffrances qu'elle endure
depuis 1991 - serait de nature à saper le soutien dont M. Bush a aujourd'hui le
plus grand besoin.
Dimanche dernier, le Vice-président Dick Cheney semblait
se rallier aux vues du Secrétaire d'Etat : il a, en effet, déclaré au cours
d'une interview télévisée, que l'administration ne disposait d'aucune preuve
permettant d'établir une participation de Saddam Husseïn aux attaques essuyées
par les Etats-Unis, la semaine dernière.
Le secrétaire d'Etat à la défense,
Donald H. Rumsfeld, aurait rejoint la position, faisant l'objet d'un consensus,
prônant l'exclusion de l'Irak des cibles que comportait ses plans initiaux,
ainsi que d'autres pays. "Rumsfeld a décidé, pour une raison ou une autre, que
l'Irak pouvait "attendre"", a indiqué un officiel, ajoutant : "mais cela veut
sans doute dire, pour Rumsfeld, que l'"Irak ne perd rien pour
attendre"..."
Mais M. Wolfowitz, influent vice-président du Pentagone, est un
penseur conservateur qui a souvent croisé le fer, par le passé, avec le
Secrétaire d'Etat Powell et le Département d'Etat. Il a poussé, avec constance,
dans le sens d'une campagne militaire contre l'Irak qui non seulement punirait
M. Husseïn pour son soutien passé au terrorisme, chez lui et à l'extérieur, mais
aussi éliminerait le danger qu'il représente pour Israël et l'Occident, de part
son obstination à obtenir des armes de destruction massive.
Un compte-rendu
des discussions privées entre M. Bush et ses plus proches conseillers, le
week-end dernier, montrait que des échanges très tendus avaient eu lieu après la
suggestion faite par M. Wolfowitz d'une campagne de grande envergure et sans
délai, comportant des bombardements de l'Irak. Le secrétaire d'Etat a répliqué
que viser l'Irak et Saddam Husseïn aurait pour effet de "naufrager" la
coalition.
M. Wolfowitz s'est déclaré "plus soucieux de bombarder l'Irak que
de bombarder l'Afghanistan", a indiqué un haut responsable de l'administration
Bush.
Un autre officiel, proche de M. Wolfowitz, a commenté ces divergences
en disant : "La position de Paul, très réfléchie, est d'examiner tout çà d'une
manière exhaustive."
Lundi dernier, le Secrétaire d'Etat Powell a trahi sa
propre irritation face à l'assertion de M. Wolfowitz (ce dernier l'a retirée,
par la suite), selon lequel il était du devoir de l'administration (américaine
actuelle) d'"achever les Etats" qui soutiennent le terrorisme.
"Ce que nous
recherchons, c'est à mettre un terme au terrorisme", a indiqué le Secrétaire
d'Etat, à qui l'on avait demandé ce qu'il pensait de la formule-choc de M.
Wolfowitz. "... et s'il y a des Etats, des régimes, des nations, qui apportent
un soutien au terrorisme, nous espérons parvenir à les convaincre qu'il est de
leur intérêt d'arrêter de le faire. Mais je pense qu'"achever le terrorisme" me
suffirait amplement, et je laisse à M. Wolfowitz la responsabilité de ses
propos."
15. Appel à un
changement de politique
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien)
du mercredi 19 septembre 2001
A l'exception de l'Iraq, les régimes
arabes ont unanimement condamné la plus importante offensive terroriste jamais
lancée qui a frappé la semaine dernière des lieux symboles de l'hégémonie
américaine à New York et Washington. Tout en dénonçant ces actes, les pays du
Moyen-Orient ont multiplié les mises en garde aux Etats-Unis contre toute
croisade anti-arabe et appelé Washington à reconsidérer sa politique au
Proche-Orient. Ils se sont mis d'accord sur le droit des Etats-Unis de punir les
auteurs des attentats à condition d'avoir des preuves irréfutables.
Au Caire,
le président Hosni Moubarak a qualifié les attaques sur le World Trade Center et
le Pentagone " d'inimaginables " et " horribles " et s'est déclaré profondément
attristé. M. Moubarak a souligné lors d'un appel téléphonique avec le secrétaire
général de l'Onu, Kofi Annan, " l'importance de réactiver son initiative pour la
tenue d'une conférence internationale de la lutte contre le terrorisme ". Quant
au chef de la diplomatie égyptienne, Ahmad Maher, il a appelé mercredi à ne pas
" anticiper les résultats des enquêtes " sur les attentats aux Etats-Unis, après
les déclarations de responsables israéliens mettant en cause les extrémistes
musulmans. Tout en se déclarant disposé à coopérer avec Washington dans sa lutte
antiterroriste, Le Caire a averti que toute riposte militaire doit se faire dans
le cadre des Nations-Unies.
Cinq monarchies du Golfe - l'Arabie saoudite, le
Koweït, le Qatar, les Emirats arabes unis, Oman -, considérées comme proches des
Etats-Unis, ont aussi dénoncé les attaques et souligné leur opposition " au
terrorisme ". Elles ont appelé la communauté internationale à coordonner ses
efforts pour lutter contre le terrorisme. Riyad aussi bien qu'Abou-Dhabi ont
affirmé leur disposition à coopérer pleinement avec les Etats-Unis dans le cadre
de l'enquête. Le prince héritier saoudien, Abdallah bin Abdel-Aziz, a toutefois
appelé M. Bush " à faire face à toutes les tentatives " visant à associer Arabes
et musulmans aux actes de terrorisme, faisant ainsi allusion aux accusations
portées contre certains de leurs ressortissants. " Les Arabes, les musulmans et
toutes les personnes qui ont foi en Dieu sont au-dessus de ces actes de
terrorisme ", a-t-il déclaré. Le prince héritier a attiré l'attention sur le
fait que de nombreuses personnes aux Etats-Unis incitent à la haine contre les
Arabes et les musulmans résidant dans le pays.
Eviter l'amalgame
La Libye et la Syrie, pourtant
accusées par Washington de soutenir le terrorisme, ont de même condamné les
attentats. A Tripoli, le dirigeant Moammar Kadhafi a qualifié de " terribles "
les attentats, affirmant que son pays était prêt à fournir une aide au peuple
américain malgré les " différends politiques " opposant les deux pays. A Damas,
une source autorisée a condamné les " attaques destructrices ayant visé des
innocents aux Etats-Unis " et a " exprimé sa sympathie avec le peuple américain
". Deux organisations radicales de l'OLP basées en Syrie, les Fronts populaire
et démocratique de Libération de la Palestine, ont également rejeté toute
implication. Néanmoins, la Syrie a exprimé sa propre inquiétude après l'annonce
américaine de la mise en chantier d'une coalition antiterroriste mondiale pour
répondre aux attentats, invitant les Occidentaux à ne pas établir d'amalgame
entre terrorisme et " résistance légitime " contre l'occupation
israélienne.
Les organisations arabes ont également dénoncé les attentats. Le
secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, les a qualifiés de "
regrettables " et a également demandé à M. Powell de ne pas tirer de conclusions
hâtives qui aboutiraient à des résultats ayant des répercussions dangereuses.
L'Organisation de la Conférence Islamique (OCI), qui représente 57 pays
musulmans, a dans des termes clairs jugé que les attentats sanglants perpétrés à
New York et Washington étaient contraires à l'islam. " Nous condamnons ces actes
criminels sauvages que bannissent toutes conventions et valeurs humaines et les
religions monothéistes, en tête desquelles l'islam ", a dit le secrétaire
général de l'OCI, Abdel-Wahad Belkaziz.
Si les régimes arabes ont stigmatisé
le terrorisme, ils y ont cependant vu la conséquence de la politique américaine
au Proche-Orient. La Jordanie, dont le roi Abdallah II a annulé une visite aux
Etats-Unis, a jugé ces attentats en contradiction avec toutes les valeurs
religieuses et humaines. " Si les Etats-Unis avaient réglé les problèmes du
Proche-Orient, notamment la question-clé israélo-palestinienne, je doute fort
que les attentats auraient eu lieu ", a-t-il déclaré mercredi. Il a estimé que
ces attentats sont " un rappel pour tous les membres de la communauté
internationale, de la nécessité de travailler ensemble pour assurer un arrêt de
la violence et ramener les parties à la table des négociations, car le vide
permet aux extrémistes (...) de tenter des opérations comme celles qui ont eu
lieu ". La Jordanie a aussi souhaité que l'intérêt accordé à la lutte contre le
terrorisme après les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis n'occulte pas le
processus de paix au Proche-Orient.
De même, les mouvements radicaux
palestiniens, le Hamas et le Djihad islamique, qui ont affirmé n'avoir aucun
lien avec les attentats, les ont imputés à la politique américaine. L'Autorité
palestinienne, qui a condamné ces attentats, a accusé Israël d'en profiter pour
multiplier ses incursions en zones sous contrôle total palestinien, en violation
des accords d'autonomie. De même, le mouvement chiite libanais, le Hezbollah, a
exprimé sa crainte que la situation aux Etats-Unis n'occulte les " agressions
israéliennes contre le peuple palestinien qui paie le prix fort ". Selon lui, "
la cause palestinienne (...) risque de s'affaiblir à l'ombre des nouvelles
alliances mondiales et de la nouvelle guerre " qui se
profilent.
16. Les Arabes dans le
collimateur par Salama Ahmed Salama
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire
égyptien) du mercredi 19 septembre 2001
Les campagnes d'hostilité,
d'attaque et de provocation dirigées contre les Arabes et les musulmans aux
Etats-Unis et dans la plupart des pays occidentaux sont de plus en plus
importantes. Il est certain que dès que les Etats-Unis commenceront leurs
opérations militaires de représailles - ce qui ne devrait pas tarder -
nous serons confrontés à une discrimination raciale. Elle visera tous ceux qui
ont des traits arabes ou orientaux, dans les aéroports, les rues, les
universités. Les mosquées et les centres islamiques et arabes deviendront
l'objet d'attaques et de provocations.
Il y a quelques jours, j'ai reçu un
appel téléphonique de la part d'un journaliste arabe résidant à Berlin, et non
aux Etats-Unis. Selon lui, de nombreux Arabes résidant dans cette ville
commencent à recevoir des e-mails où ils sont menacés de meurtre. D'autre part,
certaines femmes et jeunes filles originaires des pays arabes sont humiliées et
insultées. Il y a eu effectivement des cas d'attaques et des tentatives
d'incendier certaines mosquées et centres islamiques au Texas, au Canada et en
Australie. Outre ce qui se passe dans les aéroports et les compagnies aériennes,
où tous ceux qui possèdent un passeport arabe ou proche-oriental sont
suspectés.
Un grand nombre de dirigeants dont Bush, Blair, Schroeder et
Jospin ont lancé des appels pour empêcher que cette hostilité se développe, mais
c'est en vain, car les médias et les chaînes de télévision en particulier
insistent sur le " terrorisme islamique " et diffusent un message hostile aux
Arabes " barbares " qui veulent anéantir la civilisation occidentale. Les
commentateurs ou présentateurs des télévisions occidentales ne cessent d'ajouter
le qualificatif d'" islamique " ou " arabe " à tout crime, criminels ou
inculpés. Dans l'unique objectif de mobiliser l'opinion publique européenne et
occidentale en un élan de solidarité envers les Etats-Unis. Plus question
d'objectivité, et il ne reste plus qu'à dresser le portrait-robot de l'affreux
ennemi " arabe musulman ".
On peut même s'attendre à une escalade de la
situation aux Etats-Unis. A la suite de Pearl Harbor, les autorités américaines
avaient arrêté des dizaines de milliers d'Américains innocents, mais d'origine
japonaise. Ils avaient été mis dans les camps d'incarcération après des
investigations dirigées par les appareils fédéraux comme celles que subissent
aujourd'hui des dizaines d'Arabes et de musulmans. Ils n'avaient été libérés
qu'après la fin de la seconde guerre mondiale quand le Japon avait annoncé qu'il
se rendait.
La question qui se pose maintenant est quel est le rôle des
ambassades et des représentations diplomatiques arabes aux Etats-Unis, au
Canada, en Australie et en Europe ? Pourquoi ne protestent-elles pas unanimement
contre ces agressions et ces procédures abusives ? Garder le silence et
présenter un profil bas, c'est faire preuve de faiblesse. Ceci encourage les
autres à aller encore plus
loin.
17. Ce qui va changer au Proche-Orient par
Ahmed Loutfi et Samar Al-Gamal
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du
mercredi 19 septembre 2001
George Bush senior avait constitué une
coalition contre Saddam Hussein lors de la guerre du Golfe. Bill Clinton l'avait
fait contre Slobodan Milosevic lors des guerres des Balkans. Après les attaques
meurtrières du 11 septembre dernier, à Washington et New York, c'est au tour de
George W. Bush junior de partir en guerre, mais cette fois-ci contre un ennemi à
mille visages, " un fantôme ", selon les termes des responsables américains et
qui n'est autre que le terrorisme mondial. Le premier suspect pour les
Etats-Unis est l'insaisissable Ossama bin Laden, ce milliardaire d'origine
saoudienne qui serait responsable de plusieurs attentats, notamment contre les
intérêts des Etats-Unis et qui est recherché depuis plusieurs années par les
pays occidentaux. Proche du pouvoir à Kaboul, il est réputé passer l'essentiel
de son temps à Kandahar, ville du sud de l'Afghanistan où réside également le
chef suprême des Talibans, mollah Mohamad Omar.
Si donc c'est l'Afghanistan
qui est dans le collimateur des Etats-Unis, pour mener cette guerre il leur
faudra " rassembler le monde entier ", comme l'a dit le chef de l'exécutif
américain. Pour les Etats-Unis, il n'y a qu'une alternative : tous ceux qui ne
seront pas avec eux seront contre eux. " Chacun doit choisir son camp ", a
expliqué un haut responsable de l'Administration américaine. Ceci implique
également les Arabes. La tâche américaine sera plus délicate dans la mesure où
le monde arabe déplore le soutien massif accordé par Washington à la politique
d'Ariel Sharon.
Le président égyptien Hosni Moubarak a bien souligné que la
violence au Proche-Orient est " l'une des causes des attentats aux Etats-Unis et
reproche aux Américains leurs accusations contre les Arabes et les musulmans ".
Il a refusé d'approuver les accusations américaines contre le terroriste présumé
Bin Laden. " Il ne s'agit que d'hypothèses ", a-t-il déclaré dans une interview
accordée à la télévision américaine NBC, ajoutant : " Qu'allez-vous faire s'il
est prouvé par la suite que les responsables étaient des Américains ? ". Le
président Moubarak a par ailleurs estimé " impossible de lancer une guerre
conventionnelle contre le terrorisme ". " Il ne faut pas punir tout un peuple
innocent pour la faute de 50 ou 100 terroristes ", a-t-il estimé.
De toute
façon, le chef de l'Etat a exprimé ouvertement l'opposition de l'Egypte à toute
coalition antiterroriste qui serait constituée en dehors du cadre de l'Onu. " Le
terrorisme devrait être considéré comme un crime organisé qui vise à mettre en
danger la sécurité et la paix internationales et à semer la terreur parmi les
populations civiles ". A cet égard il a réitéré son appel à la tenue d'une
conférence de l'Onu contre le terrorisme. L'Egypte avait été frappée par une
vague de violences islamistes au cours des années 1990 et avait appelé à
plusieurs reprises à une conférence pour lutter contre le terrorisme en mettant
l'accent sur le caractère international du phénomène. La demande égyptienne n'a
jamais eu d'échos auprès des pays occidentaux.
" Lorsqu'en 1991 nous avons
invité à cette conférence, on nous a accusés de vouloir réunir un tel forum
juste pour régler des problèmes internes ", affirme le général Ahmad
Abdel-Halim, directeur du Centre d'études du Proche-Orient. " Pourtant, nous
avions expliqué qu'il s'agissait d'un phénomène mondial où les planificateurs
sont dans un lieu, les bailleurs de fonds dans un autre et les exécutants dans
un troisième lieu ".
Avertissements multiples
Face à
cette situation, un seul Etat ne peut pas combattre le terrorisme. George Bush
semble s'être rendu à cette évidence, un peu tard d'ailleurs. " Un pays à lui
seul, même les Etats-Unis, ne peut lutter contre le terrorisme ", a avoué le
président américain. Au Caire, on ne cesse de rappeler que les autorités
égyptiennes avaient récemment mis en garde l'Administration américaine contre
des actes terroristes dirigés contre eux si elle persistait à ne pas s'impliquer
plus directement dans le conflit au Proche-Orient. " Si les Etats-Unis ne
poussent pas pour trouver une solution à la violence, celle-ci pourrait se
transformer en terrorisme ", avait prévenu en juin dernier le président
égyptien. " Il faut qu'il y ait une action américaine, car les Etats-Unis ont
beaucoup d'intérêts dans la région ", avait-il ajouté.
Si le président
Moubarak a affirmé que l'Egypte " soutiendra les Etats-Unis dans de rigoureuses
mesures contre le terrorisme ", il reste que la position du Caire est de placer
cette lutte sous les auspices des Nations-Unies. Même son de cloche dans les
autres pays arabes où l'on craint un amalgame entre terrorisme et résistance
contre Israël. Ainsi le Maroc et la Jordanie ont exprimé implicitement leurs
réserves quant à un engagement militaire, alors qu'aucun autre pays arabe ne
s'est déclaré disposé à s'associer à une action militaire. La majorité des pays
arabes qui s'étaient engagés il y a 10 ans dans la coalition anti-iraqienne
semblent aujourd'hui privilégier les négociations sur une démarche
antiterroriste. " Lors de la guerre du Golfe, il s'agissait de récupérer la
souveraineté d'un pays (le Koweït) qui avait été effacé de la carte par un autre
pays. Mais aujourd'hui, les Arabes ne peuvent pas faire partie d'une coalition
dont les objectifs ne sont pas clairs et alors qu'Israël tente d'inclure les
organisations de résistance comme le Hamas et le Djihad ou le Hezbollah libanais
dans la liste des groupes terroristes ", explique Abdel-Halim.
Le monde arabe
craint en outre que cette coalition souhaitée par le président Bush ne se
transforme en une sorte de nouvelles croisades contre l'islam. Ce que dénonce
même le ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fisher, " le pire
serait que l'Occident s'attaque de front au monde musulman. C'est le but de ces
criminels de provoquer une guerre entre civilisations. Nous ne devons pas
acculer l'islam à la terreur, car cela ne peut qu'empirer les choses ". D'autre
part, les dirigeants arabes préfèrent se garder de s'enliser dans une campagne
militaire américaine d'autant qu'ils craignent les tentatives israéliennes de
récupérer les attentats du 11 septembre.
C'est contre ce genre d'opinion que
les Etats-Unis tentent de rassurer les pays arabes et de démontrer qu'ils ne
font pas cet amalgame et que même ils vont aussi " travailler sur la situation
au Proche-Orient ", comme l'a dit le secrétaire d'Etat, Colin Powell. Ainsi les
Arabes s'attendent à une meilleure compréhension américaine de leurs exigences
quant au conflit arabo-israélien.
Un nouveau langage
américain
Le président américain George W. Bush a demandé au
premier ministre israélien, Ariel Sharon, de nouveaux efforts pour obtenir
l'arrêt des violences avec les Palestiniens et entamer la mise en œuvre du
rapport Mitchell. Dans un entretien téléphonique, le chef de l'exécutif
américain est allé jusqu'à " exhorter le premier ministre israélien à poursuivre
ses efforts en utilisant les canaux existants entre le chef de la diplomatie
israélienne, Shimon Pérès, et le président Yasser Arafat pour accomplir des
progrès sur l'arrêt des violences ". Cette intervention est d'autant plus
remarquable qu'elle cite nommément le président de l'Autorité palestinienne
Yasser Arafat que la Maison Blanche ignorait complètement depuis l'avènement de
George W. Bush. De plus, l'Administration américaine a poussé ainsi Israël à
mettre en œuvre l'idée d'une rencontre Pérès-Arafat, ce que rejetait fermement
le premier ministre israélien qui, au lendemain des attentats, affirmait : "
Arafat est notre Bin Laden ". Pour la première fois, le chef de l'exécutif
américain, qui prenait toujours ses distances face au conflit arabo-israélien,
intervient personnellement de cette manière qualifiée d'énergique. " C'est un
langage incisif et fort ", relève Ahmad Abdel-Halim, directeur du Centre
d'études du Moyen-Orient. Ces attaques qui ont visé le dogme et la puissance de
l'oncle Sam ont-elles poussé les Etats-Unis à modifier leur politique vis-à-vis
du Proche-Orient ? Pour Abdel-Halim, c'est plutôt un " léger changement " mais
qui ne manque pas de compter. En fait, les pires scénarios étaient élaborés en
ce qui concerne le monde arabe et islamique montré du doigt après les attentats.
Allait-il basculer définitivement dans " l'empire du mal ", celui que Bush est
résolu à combattre en mobilisant tous ses alliés ?
Les desseins
israéliens déjoués
Israël, en premier, voulait profiter des regards
braqués sur Washington et New York pour intensifier sa répression des
Palestiniens. Par terre, air, mer, l'armée israélienne a attaqué massivement la
bande de Gaza du nord au sud. Non seulement Israël voulait mettre à profit cette
situation de préoccupation, mais espérait aussi légitimer la lutte contre les
Palestiniens au titre de contribution, aux côtés des Américains, dans la lutte
contre le terrorisme. C'est " la liberté d'action de ceux qui combattent le
terrorisme qui va devenir pratiquement absolue ", écrivait l'éditorialiste de
Yediot Aharonot. Mais il semble que ce scénario rêvé par Israël ne soit pas
celui des Américains et que l'Etat hébreu ne doive surtout pas perturber. La
nouvelle politique américaine consiste à pousser ses alliés de la guerre du
Golfe à afficher leur solidarité et à se joindre à une coalition pour combattre
le terrorisme. Cette stratégie doit se dérouler en deux temps, selon
Abdel-Halim. " Au cours d'une première étape, il s'agit d'allier certains pays
pour attaquer l'Afghanistan. Le Pakistan est en tête de ces pays sollicités.
Lors de la deuxième, à plus long terme, un combat plus général contre le
terrorisme. Ce que l'Egypte refuse, souhaitant une lutte sous l'égide de l'Onu
et dans le cadre d'une conférence internationale qui en délimiterait les
modalités ". Le chef de l'Etat égyptien a déclaré d'ailleurs : " Il ne faut pas
former une coalition regroupant un certain nombre de pays, car cela ne permettra
pas une action internationale collective et décisive contre le terrorisme ".
Quoi qu'il en soit, les attaques terroristes contre des objectifs américains
vont modifier pour toujours la façon dont les Etats-Unis voient leur rôle à
l'échelle de la planète et en matière de sécurité, a affirmé Condoleezza Rice,
conseillère pour la sécurité nationale auprès de Bush. " C'est un événement qui
va profondément changer les choses pour nous tous, pour le pays (...) et pour le
président des Etats-Unis ", a déclaré Mme Rice qui est l'un des plus proches
collaborateurs de George W. Bush.
L'aide des pays islamiques
sollicitée
Pour ce faire, les Etats-Unis ont besoin d'un soutien de
la part des pays arabes et islamiques qui nécessite qu'ils leur offrent quelque
chose en contrepartie. Si la première réaction mondiale a placé le monde arabe
sur la défensive, aujourd'hui, il n'en est pas le cas. Plus personne ne peut
parler de la guerre des civilisations comme d'aucuns l'ont fait au lendemain des
attaques. Mohamad Qadri Saïd, directeur de l'unité militaire du Centre d'Etudes
Politiques et Stratégiques (CEPS) d'Al-Ahram, souligne : " De prime abord, toute
la région semblait être désignée comme coupable étant donné sa religion
dominante et sa culture (...). Ce qui aurait pu avoir des répercussions
négatives sur les relations politiques, économiques et sécuritaires entre les
Etats-Unis et les pays de la région ", explique le chercheur. Mais il ajoute que
les Etats-Unis se sont trouvés obligés de changer leur discours médiatique "
pour ne pas susciter la colère des peuples arabes et musulmans et garantir leur
coopération. Et chose importante, pour la première fois, les Etats-Unis se
trouvent contraints de remplacer leur allié traditionnel, Israël, par les pays
arabes pour accomplir une mission touchant la région ", poursuit Saïd.
De
plus, selon ce chercheur, pour Washington, c'est la conception même du
terrorisme qui a changé. " Il n'est plus question d'un terrorisme d'Etats comme
la Libye, le Soudan et l'Iran, mais plutôt d'une nébuleuse comprenant une ou
plusieurs organisations, le terrorisme international en quelque sorte ". Le
président George Bush lui-même affirme que les Etats-Unis " affrontent un ennemi
différent ". Un ennemi sans face, même s'il porte un nom, celui de Bin Laden et
son état-major. Ce sentiment de vulnérabilité éprouvé par les Etats-Unis les
poussera à redéfinir leur politique moyen-orientale, estime Qadri
Saïd.
Ainsi, les observateurs, tout en craignant le pire lors des prochaines
frappes américaines et à l'occasion d'une politique contre le terrorisme
beaucoup plus musclée qui pourrait affecter certains pays arabes, considèrent
que la conjoncture peut être favorable du moins en ce qui concerne le dossier
palestino-israélien. Ainsi, les Arabes, notamment les pays modérés qui se
plaignaient du désengagement américain dans la région, trouvent à présent que
l'occasion est propice à une reformulation de l'attitude américaine dans la
région. Que ce soit le président Moubarak ou Abdallah II de Jordanie, le langage
est le même : " Si vous (les Etats-Unis) aviez réglé les problèmes du
Proche-Orient, notamment la question-clé palestino-israélienne, je doute fort
que ceux-ci (les attentats) auraient eu lieu ", a déclaré le souverain
hachémite.
Les Arabes jouent le jeu
Yasser Arafat, de
son côté, examine avec d'autres dirigeants arabes la possibilité que le monde
arabe se joigne à la campagne internationale contre le terrorisme, a déclaré le
porte-parole de la Ligue arabe, Hanane Achrawi, qui est membre du Conseil
législatif palestinien. Un responsable palestinien avait déclaré au quotidien Le
Monde que " face à la coalition internationale qui se lève contre le terrorisme,
il ne faudrait pas commettre la même erreur que lors de la guerre du Golfe ",
quand l'OLP avait soutenu Saddam Hussein.
La Syrie qui avait joint le " bon
camp " lors de cette guerre le ferait une deuxième fois, estime Ahmad
Abdel-Halim. Mais le tout à condition que les Arabes ne soient pas lâchés par
les Etats-Unis, par la suite, comme cela s'est passé.
Il faudra jouer serré
afin de prendre Israël en vitesse. Tout compte fait, certains indices plaident
en faveur d'un changement survenu. Sharon a accepté une rencontre Pérès-Arafat,
" s'il y a 48 heures de calme absolu ". Sharon a d'autre part proposé l'arrêt
des attaques de l'armée israélienne dans les territoires palestiniens si Arafat
décrète un cessez-le-feu. Ce sont sans doute les pressions américaines qui sont
à l'origine de ces changements. Les Etats-Unis sont conscients du fait que
l'animosité qu'ils suscitent dans le monde, et notamment au Proche-Orient,
s'explique par le fait qu'ils voyaient tout avec le prisme israélien. Peut-être
que Washington commence à s'interroger sur cette catastrophe qui a touché tous
ses symboles. Pour y riposter, " ils ont besoin de coopération humaine et non
plus de traiter avec arrogance comptant sur leur suprématie technique, militaire
et sécuritaire. Ce mythe est celui qui s'est écroulé avec le World Trade Center
et le Pentagone ", dit Ahmad Abdel-Halim. L'essentiel est que les Etats-Unis
aient tiré les leçons de ce carnage et profitent du fait que le Proche-Orient
est prêt pour un nouveau départ.
18. Bush prêt à tomber dans le
piège par Robert Fisk
in The Independent (quotidien britannique) du
dimanche 16 septembre 2001
[traduit de l'anglais
par Marcel Charbonnier]
Les représailles sont un
piège. Dans un monde supposé avoir assimilé que la loi doit toujours prévaloir
sur la revanche, le Président Bush semble bien se diriger exactement vers le
piège qu'Osama bin Laden lui a tendu. N'ayons aucun doute sur ce qui s'est passé
à New York et à Washington, la semaine dernière : c'était un crime contre
l'humanité. Nous ne parvenons pas à comprendre le besoin qu'aurait l'Amérique de
se venger si nous n'admettions pas cette réalité horrible, lugubre. Mais
il faut ouvrir les yeux : ce crime a bel et bien été perpétré - cela devient de
plus en plus clair - afin de provoquer les Etats-Unis et de les inciter à
asséner le coup aveugle et arrogant que l'armée US est en train de mettre au
point.
Monsieur bin Laden - dont la culpabilité devient, avec chaque jour qui
passe, de plus en plus claire - m'a décrit de quelle manière il souhaite
renverser les régimes pro-américains du Moyen-Orient, à commencer par l'Arabie
Saoudite, pour finir par l'Egypte, en passant par la Jordanie et les Emirats du
Golfe. Dans un monde arabe plongé jusqu'au cou dans la corruption et les
dictatures - soutenues à bout de bras, pour la plupart d'entre elles, par
l'Occident - le seul acte qui pourrait amener les Musulmans à s'en prendre à
leurs propres dirigeants serait que les Etats-Unis lancent un assaut brutal et
irréfléchi. M. bin Laden n'est pas très au fait des questions de diplomatie,
semble-t-il, mais il est un élève très brillant en art et horreurs de la guerre.
Il a parfaitement su combattre les Russes en Afghanistan, ce monstre russe qui
avait jugé bon de se venger sur ses adversaires afghans courageux mais
illettrés, jusqu'à ce que, confrontée à une guerre sans fin, l'Union soviétique
toute entière commençât à s'écrouler.
Les Tchétchènes en ont retenu la leçon.
Et l'homme responsable pour une bonne partie du bain de sang en Tchétchénie - le
carriériste du KGB dont l'armée est en train de continuer à violer et à
assassiner la population musulmane sunnite insurgée de Tchétchénie - est en
train d'être recruté par M. Bush pour sa "guerre contre un peuple". Vladimir
Putin, car c'est de lui qu'il s'agit, est certainement doté d'un solide sens de
l'humour, pour apprécier pleinement l'ironie cruelle de ce qui est en train de
se passer... Toutefois, je doute qu'il informera M. Bush de ce qui arrive quand
vous décidez de lancer une guerre de représailles : votre armée - comme c'est le
cas des forces russes en Tchétchénie - se retrouve empêtrée dans une guerre de
positions contre un ennemi qui se révèle toujours plus impitoyable, toujours
plus diaboliquement malin.
Mais les Américains n'ont pas besoin d'aller si
loin : qu'il leur suffise de prendre en considération la guerre totalement
inutile d'Ariel Sharon contre les Palestiniens pour comprendre la folie des
représailles. Au Liban, la même chose ne cessait de se répéter, inlassablement.
Un homme du Hizbollah tue un soldat israélien occupant, et les Israéliens
tirent, en représailles, contre un village dans lequel un civil est tué. Le
Hizbollah réplique par une attaque au missile Katyusha par-dessus la frontière
israélienne, et les Israéliens répliquent à leur tour en bombardant le
sud-Liban. Résultat des courses : le Hizbollah - ce "centre du terrorisme
mondial", selon M. Sharon - obtient qu'Israël se retire du Liban.
En
Israël/Palestine, même histoire. Un soldat israélien tire sur un lanceur de
pierre palestinien. Les Palestiniens répliquent en tuant un colon. Les
Israéliens se vengent, alors, en envoyant un escadron de la mort tuer un tireur
palestinien. Que font les Palestiniens ? Ils répliquent en envoyant un kamikaze
dans une pizzeria. Après quoi les Israéliens envoient des avions de combat
(américains, ndt) F-16 bombarder un commissariat de la police palestinienne. Les
représailles entraînent des représailles, qui entraînent à leur tour encore plus
de représailles. La guerre. Sans fin.
Et, tandis que M. Bush - et peut-être
aussi M. Blair - fourbissent leurs armes et préparent leurs forces, ils
expliquent sans vergogne qu'il s'agit d'une guerre pour "la démocratie et la
liberté", que ce dont il s'agit, c'est d'aller se battre contre des hommes qui
"s'en prennent à la civilisation elle-même". "L'Amérique a fait l'objet de cette
attaque", nous expliquait M. Bush vendredi dernier, "parce que nous sommes le
phare le plus brillant signalant le havre de la liberté et de l'opportunité (de
faire du business, ndt) dans le monde entier." Mais ce n'est pas la vraie raison
pour laquelle l'Amérique a été frappée. Si ce qui s'est passé a été une sorte
d'apocalypse arabo-musulmane, c'est bien parce que cela est en rapport étroit
avec des événements (se déroulant) au Moyen-Orient ainsi qu'avec la manière et
la manie qu'ont les Etats-Unis de "gérer" cette région. On pourrait ajouter,
ici, que les Arabes aimeraient bien avoir un peu de cette démocratie et de cette
liberté dont M. Bush ne cesse de les entretenir. Mais hélas, ce qu'ils ont,
c'est un président qui remporte 98% des voix aux élections (M. Mubarak, l'ami de
Washington), ou une police palestinienne, formée par la CIA, qui torture - et,
parfois, tue - ses propres ressortissants embastillés. Les Syriens aimeraient
bien, eux aussi, bénéficier d'un petit peu de cette fameuse démocratie. Les
Saoudiens itou. Mais leurs souverains fantoches sont tous des amis de
l'Amérique...
Je me rappellerai toute ma vie comment le président Clinton
annonça que Saddam Husseïn - encore une de nos créature grotesques - doit être
renversé afin que le peuple irakien puisse choisir ses propres dirigeants. Mais
dût cela se produire, cela aurait été la toute première fois dans l'histoire du
Moyen-Orient où des Arabes auraient été autorisés à en user ainsi. Non, ce dont
M. Bush et M. Blair sont en train de parler, c'est de "notre" démocratie, de
"notre" liberté, de notre sanctuaire occidental assiégé, et non de ce vaste
espace abandonné au règne absolu de l'injustice et de la terreur qu'est
aujourd'hui le Moyen-Orient.
Laissez-moi expliquer. Il y a exactement
dix-neuf ans aujourd'hui, le plus grand acte de terrorisme - en utilisant la
propre définition qu'Israël donne de ce mot tellement galvaudé - a été posé dans
l'histoire du Moyen-Orient contemporain. Quelqu'un se souvient-il de cet
anniversaire, en Occident ? Combien de lecteurs de cet article s'en
souviennent-ils ? Je vais prendre un risque bien mince, en affirmant qu'aucun
autre journal britannique - et certainement aucun journal américain - ne
rappellera le fait que le 16 septembre 1982, la milice des Phalangistes, alliés
d'Israël ont entrepris leur orgie de viols et de meurtres parachevés à l'arme
blanche (qui a duré trois jours durant), dans les camps de réfugiés palestiniens
de Sabra et Shatila : (on estime que) cette orgie a coûté la vie à 1 800
personnes. Elle faisait suite à une invasion israélienne du Liban - invasion
destinée à chasser l'OLP de ce pays, avec le feu vert du Secrétaire d'Etat
américain de l'époque, Alexander Haig - qui a coûté la vie à 17 500 Palestiniens
et Libanais : des civils, pour la plupart. C'est sans doute trois fois le bilan
des vies fauchées au World Trade Center (de New York). Toutefois, j'ai le regret
de vous dire que je n'ai jamais vu ni veillée, ni messes de requiem ni bougies
allumée ce jour-là, en Amérique.
Non, Israël ne doit pas être accusé de ce
qui s'est passé la semaine dernière. Les coupables étaient des Arabes, pas des
Israéliens. Mais l'échec de l'Amérique à agir honorablement au Moyen-Orient, ses
ventes compromettantes de missiles à ceux qui les utilisent contre des civils,
son ignorance cynique de la mort de dizaines de milliers d'enfants irakiens
victimes de sanctions dont Washington est le principal artisan - tous ces
éléments sont intimement liés à la société qui a "produit" les Arabes qui ont
(décidé de) plonger l'Amérique dans une apocalypse de feu, la semaine
dernière.
Le nom "Amérique" est, au sens physique du terme, imprimé sur les
missiles envoyés par Israël sur les immeubles de Gaza et de Cisjordanie. Il y a
un mois, seulement, j'ai identifié l'un de ces projectiles pour être un missile
air-sol AGM 114-D, fabriqué par Boeing et Loockheed-Martin, dans leur usine
située - Etat américain entre mille - en Floride, cet Etat où certains des
kamikazes ont appris à piloter...
Le même type de missiles avait été tiré
depuis des hélicoptères Apache (made in America, of course) durant l'invasion du
Liban par Israël, en 1982, au cours de laquelle des centaines de bombes à
fragmentation ont été balancées sur les quartiers résidentiels de Beyrouth par
les Israéliens en contravention totale des garanties données aux Etats-Unis
quand à leur usage. La plupart des bombes portaient le logo de la marine
américaine. L'Amérique décida alors de suspendre la livraison d'une cargaison de
bombardiers destinés à Israël. Pour moins de deux mois...
Le même modèle de
missiles - cette fois un AGM 114-C - "made in Georgia" - a été tiré par les
Israéliens sur l'arrière d'une ambulance, près du village libanais de Mansori,
tuant deux femmes et quatre enfants. J'ai ramassé les morceaux de missile, parmi
lesquels sa carte de programmation informatique, j'ai pris l'avion pour la
Géorgie et j'ai montré ces éclats aux fabricants, à l'usine Boeing. Vous savez
ce que l'ingénieur-développement qui a mis au point et peaufiné ce missile m'a
dit, quand je lui ai montré des photos des enfants tués par son missile chéri ?
"Ecrivez ce que vous voulez", qu'il m'a dit, "mais surtout ne me citez pas comme
ayant formulé une quelconque critique sur la politique d'Israël"...
Je suis
certain que le père de ces enfants, qui conduisait l'ambulance (bombardée),
aurait été horrifié par les événements de la semaine passée (aux Etats-Unis).
Mais je doute, étant donné le sort de sa propre épouse - l'une des deux femmes
tuées - qu'il ait été d'humeur à envoyer des condoléances à qui que ce soit.
Tous ces faits, bien sûr, doivent être oubliés, maintenant...
Tout sera fait,
absolument tout, dans les jours à venir, pour "débrancher" la question du
"pourquoi ?" et se focaliser uniquement sur le "qui, quoi et comment ?" CNN et
la plupart des médias mondiaux se plient d'ores et déjà (perinde ac cadaver) à
cette nouvelle règle de guerre. J'ai déjà pu observer ce qu'il advient quand on
s'avise de passer outre. Quand The Independent a publié mon article sur le lien
entre l'injustice du Moyen-Orient et l'holocauste de New York, la chaîne
d'information en continu de la BBC (télévision britannique) a fait venir un
commentateur américain, qui a fait remarquer que "Robert Fisk a remporté haut la
main le prix du mauvais goût". Lorsque j'ai développé la même argumentation, au
cours d'un débat, sur une radio irlandaise, un autre invité (du même bord, cela
semble inévitable), un juriste de Harvard, m'a dénoncé, me qualifiant de bigot,
de menteur, d'"homme dangereux" et - bien entendu - potentiellement antisémite.
Les Irlandais lui ont coupé le micro (et rabattu le caquet...).
Nul
étonnement à ce que nous devions en permanence qualifier les terroristes
d'"insensés". En effet, si nous omettions de le faire, nous devrions tenter
d'expliquer ce qui a bien pu passer par ces esprits-là. Mais cette vaine
tentative de censurer les réalités de la guerre qui a d'ores et déjà commencé ne
devrait pas pouvoir perdurer. Regardez comme c'est logique. Le Secrétaire d'Etat
américain Colin Powell insistait, vendredi dernier, sur le fait que son message
aux Taliban est simple et clair : ils doivent assumer leur responsabilité, celle
de servir d'abri à M. bin Laden. "Vous ne pouvez pas séparer vos activités de
celles des responsables", a-t-il averti (et menacé). Mais les Américains
refusent catégoriquement d'associer leur réplique à la responsabilité qui est la
leur, du fait de leurs activités douteuses au Moyen-Orient. Nous sommes supposés
la fermer, même lorsqu'Ariel Sharon - un homme dont le nom sera à jamais associé
aux massacres de Sabra et Shatila - annonce qu'Israël est désireux, lui aussi,
de se joindre à la bataille contre "le terrorisme mondial".
Pas étonnant que
les Palestiniens aient peur. Durant ces quatre derniers jours, 23 Palestiniens
ont été tués en Cisjordanie et à Gaza, un chiffre effrayant qui aurait fait la
une des journaux si l'Amérique n'avait pas fait l'objet du blitz que l'on sait.
Si Israël s'engage dans les représailles, les Palestiniens - en continuant à se
battre contre les Israéliens - deviendront, du même coup, partie constitutive du
"terrorisme mondial", contre lequel M. Bush est supposé partir en guerre. Il ne
faut pas chercher plus loin la raison pour laquelle M. Sharon a clamé que Yasser
entretiendrait des relations avec Osama bin Laden.
Je le redis : ce qui s'est
passé à New York est un crime contre l'humanité. Cela implique des policiers,
des arrestations, une justice, une nouvelle cour internationale à La Haye,
consacrée à cela, si nécessaire. Mais pas des missiles de croisière, des bombes
"chirurgicales" ni des vies de Musulmans bousillées pour venger des vies
occidentales. Mais le piège est dressé. M. Bush - et nous avec lui, peut-être,
hélas - nous y dirigeons tout droit.