"Quand nous cherchons à livrer à l'Irak des camions anti-incendie ou des pièces détachées pour réparer une usine de sucre, les bureaucrates de New York ont le culot de nous demander à quoi servent ces matériels !"
            
Dominique Lanta, PDG de la Société Transumed
in Marianne du lundi 17 septembre 2001
         
   
Point d'information Palestine > N°168 du 20/09/2001

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Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux (Trésorier)
Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
                       
Si vous ne souhaitez plus recevoir (temporairement ou définitivement) nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante : amfpmarseille@wanadoo.fr. Ce point d'information est envoyé directement à 3039 destinataires.
Consultez régulièrement le site de Giorgio Basile : http://www.solidarite-palestine.org
                           
                
Au sommaire
        
Télévision
Citizen Bishara réalisé par Simone Bitton sur Planète le mercredi 26 septembre 2001 à 20h30
                                               
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG.
1. Robin des Bois par Jean-Michel Staebler in Med Intelligence, e-magazine bi-mensuel d'informations de géopolitique et d'économie de la Méditerranée, du Maghreb et du Machrek, N° 44 du 15 septembre au 28 septembre 2001 - http://medintelligence.free.fr
2. Orient Express par Israël Shamir sur http://shamir.mediamonitors.net/archive.html le jeudi 13 septembre 2001 [traduit de l'anglais par Christian Chantegrel]
3. Qu'y a-t-il de mal dans un tribunal ? de John-Paul Leonard [traduit de l'anglais par Christian Chantegrel]
                                        
Revue de presse
1. Je ne me sens pas américaine par Marie-José Mondzain in Le Monde du mercredi 19 septembre 2001
2. Le rôle public des écrivains et des intellectuels par Edward Saïd in The Nation (hebdomadaire américain) du lundi 17 septembre 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. Anniversaire du massacre de Sabra et Chatila - Israël refuse d’arrêter la tuerie in Libération (quotidien marocain) du lundi 17 septembre 2001
4. La Palestine au coeur par Françoise Germain-Robin in l'Humanité du lundi 17 septembre 2001
5. Soheib Bencheikh : "Déjouer le piège que nous tendent les terroristes" entretien réalisé par Marc Leras in l'Humanité du lundi 17 septembre 2001
6. Le secret enfoui des humiliés par Guy Sitbon in Marianne du lundi 17 septembre 2001
7. Effondrement des trois piliers du pouvoir aux Etats-Unis. Bush constitue une alliance destinée à pourchasser un terroriste dont l'identité et le lieu où il se trouve sont inconnus ! par Salim Nassar in Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du samedi 15 septembre 2001 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
8. Un appel musulman à la raison par El Hassan bin Talal in Le Monde du samedi 15 septembre 2001
9. Israël tente de placer Yasser Arafat dans le camp des parias mondiaux par Luis Lema in Le Temps (quotidien suisse) du samedi 15 septembre 2001
10. Arabes et musulmans lancent un appel à la tolérance par Jeanne Corriveau et Stéphanie Tremblay Le Devoir (quotidien québécois) du vendredi 14 septembre 2001
11. Paris réaffirme sa solidarité et sa libre appréciation Dépêche de l'agence Reuters vendredi 14 septembre 2001, 18h33
12. Arabes et musulmans multiplient les mises en garde contre les amalgames et les accusations hâtives par Mouna Naïm in Le Monde vendredi 14 septembre 2001
13. Les responsables palestiniens s'efforcent de montrer leur solidarité par Bruno Philip in Le Monde vendredi 14 septembre 2001
14. Les Palestiniens sous le feu israélien par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du vendredi 14 septembre 2001
15. Les Palestiniens victimes des retombées par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du jeudi 13 septembre 2001
16. Les USA et le terrorisme international - A trop vouloir jouer avec le feu... par Hassan Moali in Liberté (quotidien algérien) du jeudi 13 septembre 2001
17. A propos de la position de Jospin sur Durban ! par Mohamed Salmawy in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 12 septembre 2001
18. Les ONG plus fortes que les gouvernements par Samar Al-Gamal et Aliaa Al-Korachi in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 12 septembre 2001
                        
Télévision

                         
Citizen Bishara réalisé par Simone Bitton
sur Planète le mercredi 26 septembre 2001 à 20h30
(Documentaire français inédit de 55 minutes - 2001)
Azmi Bishara est le premier palestinien de nationalité israélienne à avoir brigué, en 1999, la fonction de Premier ministre. Lors des élections anticipées de 1999 pour le renouvellement de la Knesset, Azmi Bishara a été le seul candidat israélien d'origine arabe à déposer sa candidature. Son objectif : incarner la «conception d'un Etat qui ne se définisse pas comme juif, mais simplement comme citoyen». L'avant-gardisme de ses positions fait de lui, dans les coulisses mouvementées de la vie politique en Israël, un guide exceptionnel.
              
Réseau

                
1. Robin des Bois par Jean-Michel Staebler
in Med Intelligence, e-magazine bi-mensuel d'informations de géopolitique et d'économie de la Méditerranée, du Maghreb et du Machrek, N° 44 du 15 septembre au 28 septembre 2001 -
http://medintelligence.free.fr
Trop d'innocents sont morts ! Le terrorisme est une horreur qui frappe aveuglément. La violence prend le dessus depuis la chute du mur. Mais la violence est partagée. Il y a celle de l'Occident triomphant. Il y a celle des pauvres, celle des deux tiers de l'humanité. Celle de tous les frustés qui aimeraient participer au progrès, celle de ceux qui n'ont que la rancoeur de leurs mains nues, celle de ceux des camps de réfugiés et des bidonvilles.
L'émotion ne doit pas envahir la politique, mais il n'est plus possible d'ignorer ces deux tiers de l'humanité. C'est le sens qu'il faut donner à la déclaration de guerre faite aux Etats-Unis, faute de quoi nos sociétés s'enfonceront dans un totalitarisme pour riches et bien-pensants. Déjà, en Amérique, des cités protégées prospèrent, où les barrières et la surveillance remplacent la citoyenneté. C'est une véritable régression. Une régression qui nous ramène au Moyen-âge où les seigneurs féodaux assuraient la protection des plus faibles. Aujourd'hui, la sécurité est l'apanage des nantis.
Il faut pleurer les morts de l'Amérique, une grande nation qui, par deux fois, a sacrifié ses enfants pour la liberté de l'Europe. Mais il faut aussi se souvenir des gamins qui meurent de malnutrition en Irak ou qui sont exclus des soins et de l'éducation, quand ils ne tombent pas sous les bombes anglo-saxonnes, alors qu'ils ne sont nullement responsables de leur régime. Il faut aussi comprendre les réactions de joie dans les camps de réfugiés palestiniens, en Cisjordanie ou à Gaza alors que depuis un an, les jeunes et les moins jeunes, les responsables, ceux qui aspirent à un Etat national, tombent sous les coups d'armes, Apaches ou F-16, fournis par la puissance américaine. Il faut imaginer l'immense frustration des Palestiniens qui ont cru toucher au but avec le processus de paix, mais se sont sentis floués par les Israéliens et le parrain américain. Il faut admettre le ressentiment des masses arabes, soumises à de mauvaises gouvernances soutenues par les Etats-Unis, malgré leurs beaux discours, pour de sordides intérêts pétroliers. Pour tous ces gens, Ben Laden, c'est un peu Robin des Bois.
On parle beaucoup de représailles américaines, mais celles-ci ne mettront pas un terme au terrorisme tant qu'une réponse politique ne sera pas apportée pour résoudre les véritables problèmes des masses arabes et / ou musulmanes. Les Etats-Unis et d'une manière générale les grands pays industrialisés ne peuvent plus se contenter de pratiquer une realpolitik cyniquement habillée de grands principes moralisateurs. On ne peut invoquer les droits humains et la loi internationale en fermant les yeux sur ceux qui les violent, on ne peut en un mot pratiquer une politique de deux poids, deux mesures. Notre sécurité et par là-même notre liberté a un prix, celui du courage qui consiste à reconsidérer un système qui permet au tiers de l'humanité de dominer les deux autres tiers. Les représailles tueront sans doute quelques terroristes, Ben Laden y perdra peut-être la vie, mais si elle ne sont pas accompagnées d'une politique lucide, d'autres Robin des Bois surgiront demain.
                   
2. Orient Express par Israël Shamir
sur
http://shamir.mediamonitors.net/archive.html le jeudi 13 septembre 2001
[traduit de l'anglais par Christian Chantegrel]

Comme les quatre Chevaliers de l'Apocalypse, les kamikaze inconnus ont précipité leurs vaisseaux géants sur les deux symboles visibles de la domination mondiale américaine, Wall Street et le Pentagone. Ils ont disparu dans les flammes et la fumée, et nous ne savons toujours pas qui ils étaient. Théoriquement, ils pourraient être à peu près n'importe qui : nationalistes américains, communistes américains, chrétiens fondamentalistes américains, anarchistes américains, n'importe qui rejetant les dieux jumeaux du dollar et du M-16, haïssant la bourse des valeurs et des interventions à l'étranger, rêvant de l'Amérique pour les américains, ne voulant pas soutenir la course à la domination mondiale. Ils pourraient être des amérindiens revenant à Manhattan, ou des afro-américains n'ayant toujours pas reçu de compensation pour l'esclavage.
Ils pourraient être des étrangers d'à peu près n'importe quelle origine, puisque Wall Street et le Pentagone ont ruiné la vie d'une multitude de gens dans le monde entier. Les allemands peuvent se souvenir du terrible holocauste de Dresde avec ses centaines de milliers de réfugiés inoffensifs que l'U.S. Air Force a anéantis. Les japonais n'oublieront pas l'holocauste nucléaire d'Hiroshima. Le monde arabe constate chaque jour l'holocauste rampant en Iraq et en Palestine. Les russes et les européens de l'Est peuvent considérer Belgrade vengée de sa honte. Les latino-américains pensent aux invasions U.S. du Panama et de Grenade, au Nicaragua détruit et à la Colombie défoliée. Les asiatiques comptent par millions leurs morts de la guerre du Vietnam, des bombardements au Cambodge, des opérations de la CIA au Laos. Même un présentateur de la TV russe pro-américain n'a pu s'empêcher de dire, 'maintenant les américains commencent à comprendre les sentiments de Bagdad et Belgrade'.
Les Chevaliers pourraient être n'importe qui, des citoyens à qui les banques ont pris leur maison, ou que l'on a chassé de leur emploi et qui sont devenus chômeurs permanents, ou qui ont été déclarés Untermensch (être inférieur) par le nouvel Herrenvolk (race des seigneurs). Ils pourraient être russes, malais, mexicains, indonésiens, pakistanais, congolais, brésiliens, vietnamiens, puisque leurs économies ont été ruinées par Wall Street et le Pentagone. Ils pourraient être n'importe qui, et ils sont tout le monde. Leur identité n'est pas vraiment importante, car leur message est plus important que leur personnalité, et leur message s'affiche clairement et fermement de par le choix de leurs cibles. Je me demande si les quatre Chevaliers auraient visé Hollywood ou le Washington Post ?
Leur identité n'est pas vraiment importante pour une raison supplémentaire, les élites juives ont déjà décidé : ce ne peut être que des arabes. Après l'attentat en Oklahoma, on aurait pu penser que nous serions moins hâtifs dans nos conclusions. Mais mes compatriotes, les politiciens israéliens, sont des garçons impatients. Les flammes de Manhattan n'étaient pas encore éteintes, qu'ils commençaient à en récolter le bénéfice politique. M Ehud Barak est venu en personne sur la BBC, et a parlé d'Arafat au cours de ses trois minutes d'intervention. Sur CNN, son jumeau Bibi Natanyahu a jeté le blâme sur les arabes, les musulmans et les palestiniens. Shimon Peres, un vieux sorcier assagi, s'est exprimé contre le suicide comme un conseiller psychiatrique, rappelant ainsi à son auditoire les attaques de palestiniens. Il semblait inquiet : il est difficile d'asservir des gens qui n'ont pas peur de mourir. Cet ancien tueur de Kana a même évoqué les Gospels. La densité d'israéliens sur les ondes a approché le point de saturation. Ils ont insinué et incité, imposant leur liste des commissions à la face blafarde d'une Amérique clouée par les bombes : s'il vous plait, détruisez l'Iran ! et l'Irak ! et la Libye, siou plait !
Les premières vingt-quatre heures d'exposition maximale ont été utilisées au mieux par la machine de propagande juive. Pas un seul fait n'était encore établi, que la calomnie raciste anti-arabe était déjà un lieu commun. Alors que nous les juifs, condamnons à juste titre toute référence à la judéité d'un mauvais gars, cela ne nous gêne pas de produire nous-même des radotages racistes révoltants. Un bon militant juif-américain, James Jordan, a averti dans al-Awda : "Faire des déclarations générales ou des insinuations à propos des "juifs" discrédite et marginalise complètement une organisation". Mais comment se fait-il que le flot continu de 'généralités et insinuations' sur 'les arabes' n'a pas 'complètement marginalisé et discrédité' les organisations juives et les media qui en font usage ? Apparemment, c'est un droit réservé aux juifs de décider qui sera marginalisé en Amérique et qui ne le sera pas.
L'association était faite, dans les esprits, car Israël ne représente qu'un modèle réduit de leur meilleur des mondes globalisé. Comme il n'y avait pas de fait avéré contre les palestiniens, les israéliens et leurs agents dans les réseaux médiatiques de l'Occident ont fait de leur mieux avec les scènes de joie filmées à Jérusalem Est. C'est une grave distorsion de la réalité. Personne ne célèbre la mort cruelle de civils innocents, alors que les gens peuvent se réjouir de la chute du symbole haï. L'Amérique a célébré le jour de sa victoire, pas la mort d'allemands et de japonais. Quand les américains se réjouissaient des frappes chirurgicales de leurs missiles à Bagdad en 1991, ils célébraient leur réussite, et ne se réjouissaient pas de l'odeur agréable de la chair humaine brûlée. Les soit-disant réjouissances palestiniennes sont donc un horrible moyen de lavage de cerveau, venu directement de la boîte à propagande des nazis. Cela rappelle la dernière invention des juifs à propos des palestiniens qui envoient leurs enfants mourir pour en tirer bénéfice. Les deux mensonges sont si inhumains, si choquants, qu'ils disent tout de ceux qui les formulent. Je suis désolé pour les palestiniens, les gens les plus diabolisés sur terre, je suis encore plus désolé pour les américains qui absorbent le poison de leur media. Ils ne voient pas que les agents d'Israël essaient d'utiliser chaque victime américaine. Oublier les palestiniens, il y avait un trop grand élan de par le monde.
Dans le Meurtre de l'Orient Express d'Agatha Christie, son détective favori M. Poireau fait face à une difficulté inhabituelle ; tous les passagers du train avaient une bonne raison d'assassiner l'antipathique veille dame. Mes chers amis américains, vos dirigeants ont mis votre grand pays dans la peau de la vieille dame.
Les israéliens ont utilisé l'événement au maximum. Ils ont même tué une vingtaine de palestiniens dont une fillette de neuf ans, il ont envahi Jenine et Jericho, et détruit des Goyish houses (maisons de gentils) dans Jérusalem. Les communiqués étaient assez joyeux, dans le style 'on vous l'avait bien dit', et les experts de la télévision israélienne on conclu, avant une heure, que l'attaque 'était une bonne chose pour les juifs'. Pourquoi ? Parce que cela allait renforcer le soutien des Etats-Unis à Israël.
L'attaque kamikaze pourrait en effet avoir cette conséquence. L'Amérique pourrait inaugurer un nouveau cycle de violence dans ses difficiles relations avec le monde. La vengeance suivra la vengeance, jusqu'à ce que l'un des deux camps soit anéanti par une explosion nucléaire. Il semble que le président Bush préfère cette voie. Il a déclaré la guerre à ses adversaires et à ceux d'Israël. Bush n'a même pas compris qu'il y a plusieurs années que la guerre a été déclarée par les Etats-Unis, ce n'est que maintenant qu'elle débarque chez lui. Tant de personnes sont écœurées par l'approche brutale de l'Amérique, que le compte à rebours de la prochaine attaque a déjà commencé.
Ou bien, l'Amérique pourrait voir ce coup douloureux porté à sa Wall Street et son Pentagone, comme un dernier appel au repentir. Il lui faudrait changer de conseillers, et construire de nouvelles relations avec le monde, sur une base d'égalité. Elle aurait probablement à maîtriser les élites de Wall Street et des media, partisanes de la suprématie juive, obsédées par la domination, et en partie associées avec l'apartheid israélien. Elle pourrait alors redevenir l'Amérique aimée universellement, l'Amérique plutôt provinciale de Walt Whitman et Thomas Edison, de Henry Ford et Abe Lincoln.
Maintenant le Président Bush a le choix entre le chemin de la vengeance du Vieux Testament et l'esprit d'amour du Nouveau Testament.
                
3. Qu'y a-t-il de mal dans un tribunal ? de John-Paul Leonard
[traduit de l'anglais par Christian Chantegrel]

(John-Paul Leonard est un journaliste free-lance qui contribue régulièrement à Media Monitors Network - MMN.)
Ai-je raté un épisode, ou ai-je raison de penser que l'expression "déclarer la guerre à un individu" est un absurde contre-sens?
J'ai toujours pensé que les nations ne déclaraient pas la guerre à des individus suspects, ni ne bombardaient les pays où ils résident. Elles demandent leur extradition.
Dans la demande d'extradition, elles fournissent des preuves de l'accusation, il y a alors un procès équitable mené par la justice du pays de résidence. J'ai donc été frappé de lire ceci dans le Times de Los Angeles :
"Depuis que Ben Laden est le suspect des attentats contre l'ambassade, les talibans disent que les Etats-Unis devraient apporter leurs preuves devant un tribunal musulman, et si ces preuves étaient suffisantes, Ben Laden leur serait livré. Washington a invariablement rejeté cette offre." (http://www.latimes.com/news/nationworld/nation/la-091801paki.story )
Mais pourquoi ? Est-ce que les talibans ne disent pas tout simplement que nous devrions entamer une procédure d'extradition ? Alors, que trouve-t-on à redire ?
En refusant de soumettre nos preuves aux tribunaux du pays, ne nous plaçons-nous pas au-dessus des lois ? N'agissons-nous pas comme des nervis et des miliciens à grande échelle ?
Si je pense qu'un invité accueilli chez mon voisin est coupable d'un meurtre dans ma maison, alors je dois appeler la police pour l'arrêter, n'est ce pas ? Je ne peux pas tout simplement menacer le voisin, puis mettre le feu à sa maison, et aussi aux maisons de ses amis, n'est ce pas?
On nous a dit combien le FBI est certain de la culpabilité de Ben Laden dans les attentats de l'ambassade et du World Trade Center. Bien. S'ils sont si certains, pourquoi aucun document n'a été montré ni au public ni aux talibans ? Jusqu'à présent, toutes les preuves ne sont que des ouïe-dires.
Quand j'étais à Vienne, j'ai entendu une curieuse histoire sur le meurtre qui a déclenché la première guerre mondiale - vous savez, l'assassinat de François-Ferdinand de Habsbourg à Sarajevo, cause de l'ultimatum humiliant à la Serbie. Beaucoup de viennois pensent maintenant que ce n'était pas l'œuvre des serbes, mais celle des services secrets prussiens, avec qui l'assassin avait des liens. Motif : les prussiens voulaient établir leur suprématie dans les pays germanophones et toute l'Europe, en provoquant une guerre qui donnerait le champ libre à leur puissante militaire.
Aujourd'hui, ce scénario pourrait être celui de l'armée américaine, ou pas. Il a été dit que le FBI avait été prévenu, et connaissait certains des prétendus pirates. Est-ce que notre gouvernement voulait que tout cela se produise ? S'il le voulait, il le dissimulera, donc comment pouvons-nous écarter un tel scénario aussi vite ? Voyez le temps qu'il a fallu pour enquêter sur l'assassinat de Kennedy, et on n'est jamais arrivé à une conclusion.
Ce qui, aujourd'hui, rappelle tant les événements d'après Sarajevo en 1914, c'est la vitesse à laquelle nous sommes embarqués dans la guerre. Quelqu'un veut qu'on tire d'abord, et qu'on laisse les historiens poser les question après. Longtemps après que les faits aient été changés sur le terrain.
Il y a eu beaucoup de grands discours à propos de la défense de la liberté et de la démocratie. C'est beaucoup de bruit pour couvrir une attaque frontale contre le principe sacré de la présomption d'innocence. Est-ce que quelques jeunes experts radicaux de l'autre côté de la terre doivent risquer leur peau pour nous enseigner à nouveau TOUT CELA ?
              
Revue de presse

                            
1. Je ne me sens pas américaine par Marie-José Mondzain
in Le Monde du mercredi 19 septembre 2001
(Marie-José Mondzain est directrice de recherche au CNRS.)
Depuis le 11 septembre, il nous est demandé d'être américains. Personnellement, aujourd'hui, je ne me sens pas du tout américaine, mais je sens au contraire redoubler en moi toutes les raisons de condamner un monde qui fait chorus avec un président catastrophique, celui qui défend la peine de mort et qui n'a que mépris pour le Moyen-Orient. L'horreur de ce qui vient d'arriver nous plonge tous dans la tristesse et dans l'effroi. De telles émotions ne doivent en aucun cas paralyser la pensée et nous priver de tout jugement.
L'analyse des images qui nous submergent est mythologique-ment claire. Le symbole d'un em- pire économique s'écroule, rien ne manque aux emblèmes, ni la tour babélienne, ni la foudre divine, ni, surtout, le discours qui retourne la guerre sainte des uns en justification de la sainte guerre des autres. Des hommes et des femmes succombent ensemble, bourreaux et victimes indistinctement. Et le deuil ne se prend qu'en cantiques et drapeaux. Dies Irae ! La planète est en prière, et l'Amérique est sûre que Dieu va exprimer sa colère et son désir de juste vengeance contre les pieux impies.
Les morts ne sont que des chiffres, ils s'appellent "disparus", ceux qui sont absents de toutes les images. Jamais on n'a tant parlé de Dieu. La vraie victime n'est pas de chair, elle n'est pas humaine, mais symbolique. Voilà ce qu'il nous faut croire. La confusion est devenue totale entre bourreaux et victimes, mais aussi entre réalité du deuil et fiction des drapeaux, entre symbole de béton et vie humaine.
Certains ont pu parler des dangers d'un abus des images de "la mort en direct", d'autres ont évoqué la lourde analogie cinématographique avec les films-catastrophes. Il n'en est rien. Le passage en boucle d'une dizaine d'images obsédantes et répétitives de deux tours qui s'effondrent n'a pas le moindre rapport avec le direct d'une temporalité, qu'elle soit réelle ou narrative. Bien au contraire, elle fait basculer le spectateur dans la répétition hallucinatoire d'un clip-cauchemar, c'est-àdire d'un mauvais rêve empruntant le rythme publicitaire.
La déréalisation opère dans la fascination de l'effroi, et nous attendons le réveil salvateur. On nous hypnotise, on nous maintient dans la stupeur. Il faut que l'imprévu entre dans l'impensable. J'entends une radio dire : "L'impensable est arrivé." Cette situation informative est d'une grande violence et nous prépare à la violence impensée des réponses qui se préparent.
Soyons clairs à notre tour. Comme dans tout scénario meurtrier, la question de l'enquêteur est : à qui profite le crime ? Aux Palestiniens ? Certainement pas : Sharon a enfin les mains libres. Il ose dire qu'Arafat est son Ben Laden et il va continuer sa politique aveugle face aux nations tétanisées ! Aux Afghans écrasés par les talibans ? Non plus : les voilà menacés de disparaître demain sous les bombes américaines. Aux pauvres ? Aux opprimés ? Pas le moins du monde. Si Ben Laden est bien en cause, il est le fils traître des Etats-Unis, leur ancien élève, l'outil stratégique de naguère ; sa richesse est américaine.
A présent, dans le monde entier, les Arabes sont montrés du doigt comme des monstres programmés religieusement. Halte à l'amalgame, dit-on. L'amalgame est fait, voilà la triste vérité.
Non. Ceux qui se dressent plus arrogants et plus forts que jamais sont Bush, Poutine et Sharon. Quelle réussite ! Bush devient un immense héros à la fois tragique et vengeur, et Poutine peut en finir avec les Tchétchènes...
Maintenant, regardons de plus près : voilà un pays, le plus puissant du monde, qui ne vous laisse pas entrer chez lui avec un camembert, un chien non vacciné ou une carte du Parti communiste même périmée, mais où vous pouvez, en tant que citoyen d'un pays arabe appartenant à des réseaux terroristes, entrer avec un faux passeport, apprendre à piloter, vous équiper d'armes blanches sans faire l'objet du moindre soupçon, de la plus petite surveillance. N'est-ce pas étrange ? Vous pouvez même faire savoir qu'il se prépare quelque chose de fort méchant, on ne vous croit pas.
Ces mêmes Arabes sont si stupides qu'ils circulent encore deux jours après l'attentat dans un aéroport avec des armes blanches, des consignes de pilotage ; d'autres laissent une voiture avec le Coran et un manuel de pilotage dans un parking. Suivez la trace, c'est simple, le lendemain. La CIA et le FBI, avant-hier encore impuissants, deviennent d'une efficacité stupéfiante. Tout cela est si invraisemblable qu'on ne peut pas ne pas se poser des questions graves.
Je ne suppose aucun grand complot machiavélique, mais je constate que la stratégie confusionniste des informations vise à produire un chaos ténébreux dans l'esprit de chacun. Si nous ne savons plus quoi penser, quelle aubaine pour ceux qui pensent à notre place et qui prendront des décisions terribles sans que nous ayons pu exprimer nos doutes, nos interrogations, nos analyses. Le prix payé par les vraies victimes de cet effroyable carnage est démesuré. Encore faut-il que les vies humaines aussi, en Occident, aient autant de prix qu'on nous le dit. L'histoire de notre XXe siècle nous permet d'en douter.
Tout ce que je souhaite, c'est que nos gouvernements occidentaux ne s'engouffrent pas tête baissée dans un inextricable écheveau d'intérêts économiques dont la population civile de la planète entière est en train de devenir l'otage. Nous devons tous résister au désir de vengeance aveugle qui ouvre à nouveau les vannes au racisme, au fanatisme religieux de tous les camps, et qui nous ferait oublier de remonter aux véritables causes économiques et politiques d'un si grand désastre.
                   
2. Le rôle public des écrivains et des intellectuels par Edward Saïd
in The Nation (hebdomadaire américain) du lundi 17 septembre 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

[The Nation est un hebdomadaire publié aux Etats-Unis. Fondé en 1865, il tire à 97 000 exemplaires. Résolument à gauche, il fustige les tares politiques et économiques de l'Amérique. Parmi les principaux actionnaires depuis 1995, l'acteur Paul Newman et l'écrivain E. L. Doctorow : http://www.thenation.com]
Dans l'usage courant, et dans les langues et cultures dans lesquelles j'ai une certaine aisance, un "écrivain" est une personne qui produit de la littérature - c'est-à-dire, un romancier, un poète, un dramaturge. Je pense qu'il est généralement avéré que dans toutes les cultures, les écrivains occupent une place à part, peut-être encore plus honorifique, que les "intellectuels" ; l'aura de la créativité et une capacité presque surnaturelle à l'originalité sont attribuées à des écrivains d'une manière que l'on ne rencontre absolument pas dans le cas des intellectuels, qui appartiennent, en regard de la littérature, à la catégorie quelque peu illégitime et parasitaire des "critiques". Mais il n'en reste pas moins qu'à la veille du vingt-et-unième siècle, l'écrivain assume de plus en plus certaines des contributions rédhibitoires de l'intellectuel à des activités telles que dire la vérité aux pouvoirs en place, être le témoin de persécutions et de souffrances et faire entendre une voix dissidente, en conflit avec l'autorité. A titre d'exemple de cette absorption de l'un par l'autre, on pourrait citer le cas Salman Rushdie, dans toutes ses ramifications ; la formation de nombreux parlements et congrès d'écrivains consacrés à des problèmes tels l'intolérance, le dialogue interculturel, les conflits inter ethniques (comme en Bosnie et en Algérie), la liberté d'expression et la censure, l'énonciation de la vérité et la réconciliation (comme en Afrique du Sud, en Argentine, en Irlande et ailleurs) ; et le rôle symbolique particulier de l'écrivain, intellectuel attestant de l'expérience d'un pays ou d'une région, en lui donnant un caractère public à jamais inscrit à l'ordre du jour discursif. La meilleure manière de le démontrer, c'est tout simplement d'établir la liste des noms de certains lauréats récents du Prix Nobel (pas tous, de toute évidence), puis à laisser chacun de ces noms évoquer dans notre esprit une région (géographique) emblématique, qui pourra être vue, à son tour, comme une sorte de plate-forme ou de tremplin pour l'activité ultérieure de cet écrivain, telle son intervention dans des débats qui peuvent se tenir en des lieux fort éloignés du monde littéraire. Ainsi de Nadine Gordimer, Kenzaburo Oe, Derek Walcott, Wole Soyinka, Gabriel Garcia Marquez, Octavio Paz, Elie Wiesel, Bertrand Russell, Günter Grass, Rigoberta Menchu, parmi bien d'autres.
Il n'en reste pas moins vrai, comme Pascale Casanova l'a brillamment démontré dans sa somme "La République mondiale des lettres", qu'il semble bien qu'un système global de littérature se soit mis en place, tout au long des cent cinquante années passées, un système complet, avec son ordre propre de littérarité, son tempo, ses canons, son internationalisme et ses valeurs de marché. L'efficacité de ce système réside en ce qu'il semble bien avoir généré les types d'écrivains que P. Casanova étudie en tant que ressortissant à des catégories aussi différentes entre elles que les profils assimilé, dissident et transposé, toutes étant, en même temps, individualisées et classifiées dans ce qu'elle démontre être un système hautement efficient, globalisé, quasi-marchand. Ce qui donne à son argumentation sa portée, c'est le fait qu'elle démontre que ce système puissant et totipotent peut aller jusqu'à stimuler une sorte d'indépendance de lui-même, comme dans les cas d'écrivains tels Joyce et Beckett, dont (même) le langage et l'orthographe échappent aux lois imposées tant par l'Etat que par le système.
Pour autant que je l'admire, le succès global de l'ouvrage de P. Casanova n'en comporte pas moins des contradictions. Elle semble dire que la littérature, en tant que système globalisé, comporte en elle même une sorte d'autonomie intégrale qui la place, dans une grande mesure, juste après les réalités premières des institutions et du discours publics, notion qui n'est pas dépourvue d'une certaine plausibilité théorique dès lors qu'elle la formule comme "un espace littéraire international", avec ses propres lois d'interprétation, sa propre dialectique de travail individuel et collectif, ses problématiques spécifiques de nationalisme et de langues nationales. Mais elle ne va pas aussi loin qu'Adorno qui avance, comme je serais enclin à le faire moi-même, que l'un des sceaux de la modernité est la manière dont, à un niveau très sous-jacent, l'esthétique est le besoin social d'être maintenu en un état de tension irréconciliable. De même, elle ne consacre pas assez de temps à discuter les manières dont la littérature, ou l'écrivain, est encore impliqué - et en réalité, fréquemment, mobilisé pour les besoins de la cause - dans les grandes controverses entre les configurations politiques altérées du monde de l'après-guerre froide.
Vu sous cet angle, par exemple, le débat autour de Salman Rushdie n'a jamais réellement tourné autour des attributs littéraires des Versets Sataniques, mais bien plutôt autour de la question de savoir s'il pourrait y avoir un traitement littéraire d'un sujet religieux qui ne suscitât pas des passions religieuses d'une manière aussi publique, en vérité exacerbée. Je ne pense pas qu'une telle possibilité existât puisque, dès lors qu'une fatwa a été prononcée et diffusée dans le monde entier par l'Ayatollah Khomeiny, le roman, son auteur et ses lecteurs étaient placés d'emblée dans un environnement qui ne laissait aucune place à autre chose qu'un débat intellectuel politisé autour de problèmes aussi socio-religieux que le blasphème, les dissensions séculières et les menaces extra-territoriales d'assassinat. Même le fait d'affirmer que la liberté d'expression de Rushdie, en tant que romancier, ne pouvait pas être limitée - comme nous avons été nombreux, dans le monde musulman, à l'affirmer - revenait en fait à débattre du sujet de la liberté littéraire d'écrire à l'intérieur d'un discours qui avait d'ores et déjà entièrement phagocyté et occupé (dans le sens géographique du terme) le caractère à-part de la littérature.
Dans ce cadre plus large, alors, le distinguo de base entre écrivains et intellectuels n'a pas de raison d'être. Pour autant qu'ils agissent l'un comme l'autre dans la nouvelle sphère publique dominée par la globalisation (dont l'existence est présumée y compris par les adhérents à la fatwa de Khomeïny), leur rôle public en tant qu'écrivains et en tant qu'intellectuels peut être discuté et analysé conjointement. En d'autres termes, nous devrions nous focaliser sur ce qu'écrivains et intellectuels ont en commun lorsqu'ils interviennent dans la sphère publique.
Au préalable, nous devons prendre note des caractéristiques techniques de l'intervention des intellectuels, de nos jours. Afin de se faire une idée spectaculairement frappante de la rapidité avec laquelle la communication s'est accélérée au cours de la dernière décennie, je voudrais mettre en contraste la conscience que pouvait avoir un Jonathan Swift d'intervenir de manière effective dans la sphère publique, au début du dix-huitième siècle, avec celle qui peut être la nôtre aujourd'hui. Swift était, sans conteste, le pamphlétaire le plus iconoclaste de son temps et, durant sa campagne contre le Duc de Marlborough, en 1711-1712, il avait été capable de mettre 11 000 exemplaires de son pamphlet "La Conduite des Alliés" sur le marché. Ceci avait eu pour effet de faire tomber le Duc de son éminent piédestal, sans néanmoins que cela changeât quoi que ce soit à l'impression pessimiste qui hantait Swift (depuis son "Récit d'une Baignoire", 1704), qui était que ses écrits étaient fondamentalement temporaires, bons seulement pour la courte période où le public se les arrachait. Il avait à l'esprit, bien entendu, la querelle qui faisait rage entre les anciens et les modernes, dans laquelle des écrivains vénérables tels Homère et Horace avaient l'avantage sur des personnages contemporains tels Dryden, en vertu de leur antiquité et de l'authenticité de leurs ambitions de longévité, voire même de permanence.
A l'âge des médias électroniques, de telles considérations n'ont, pour la plupart, aucun sens, dès lors qu'il est loisible à tout un chacun, pour peu qu'il dispose d'un ordinateur et d'un accès quelque peu efficace au réseau Internet, de toucher un nombre de personnes "x" fois plus important que Swift ne pouvait le faire et, de surcroît, de mémoriser l'écrit au-delà de toute mesure concevable. Nos idées contemporaines de discours et d'archives doivent être radicalement modifiées et ne peuvent plus être définies comme Foucault s'était échiné à les décrire il y a seulement une vingtaine d'années. Même si l'on écrit pour un journal ou une revue, les chances de reproduction digitale et (au minimum, conceptuellement) une durée de conservation illimitée ont totalement bouleversé l'idée d'une audience réelle, par opposition à une audience virtuelle. Ces données viennent certainement poser des limites aux pouvoirs qu'ont les régimes de censurer ou d'interdire ce qui est considéré dangereux, même s'il existe des moyens des plus triviaux d'arrêter, de censurer ou d'interdire la possibilité technique, libertaire, de l'impression en ligne. Jusqu'à très récemment, l'Arabie Saoudite et la Syrie, par exemple, ont réussi à interdire Internet et même les télévisions par satellite. Ces deux pays tolèrent maintenant un accès limité à Internet, même s'ils ont installé tous deux des protocoles de limitation sophistiqués et, à long terme, d'un coût rédhibitoire, afin de maintenir leur contrôle.
En l'état actuel des choses, un article que j'écrirais, disons, à New York, pour un journal britannique, a de grandes chances de réapparaître sur des sites Internet personnels, ou via la messagerie électronique (e-mail) sur les écrans des ordinateurs aux Etats-Unis, au Japon, au Pakistan, au Moyen-Orient et en Afrique du Sud et, pourquoi pas ? en Australie... Les auteurs et les éditeurs n'ont que très peu de maîtrise sur ce qui est réimprimé et remis en circulation. Cela me surprend toujours (je ne sais pas si je dois en prendre ombrage ou en tirer vanité) lorsque que quelque chose que j'ai écrit ou dit quelque part réapparaît presque instantanément aux antipodes. Pour qui quelqu'un écrit-il donc lorsqu'il est devenu tellement difficile de situer son audience avec une précision quelconque ? La plupart des gens, je pense, se focalisent sur le débouché qui a commissionné le document ou sur les lecteurs putatifs que nous aimerions atteindre. L'idée d'une communauté imaginaire a acquis soudain une dimension totalement littérale, bien que virtuelle. Certainement, comme j'en ai fait l'expérience lorsque j'ai commencé, il y a dix ans, à écrire dans une publication arabe pour un public d'Arabes, on s'efforce de créer, de donner une forme, de se référer à un public particulier. Cela s'impose de nos jours, beaucoup plus qu'à l'époque de Swift, qui avait pu tout naturellement supposer que le personnage qu'il appelait "un homme de l'Eglise Anglicane" était en réalité son minuscule auditoire, réel et très stable.
Chacun d'entre nous devrait, dès lors, oeuvrer aujourd'hui avec, présente à l'esprit, une certaine notion que nous serons vraisemblablement à même de toucher des auditoires beaucoup plus larges, et de très loin, que tout ce que nous aurions pu imaginer ne serait-ce qu'il y a dix ans, même si les chances de fidéliser cet auditoire sont, dans une mesure équivalente, des plus hasardeuses. Ce n'est pas là simple question d'optimisme et de volonté : c'est dans la nature même de l'acte d'écriture, de nos jours. Cela rend très difficile, pour les écrivains, de considérer comme implicites certaines évidences tacites partagées entre eux-mêmes et leurs publics ou de présumer que les références ou les allusions vont être comprises immédiatement. Mais écrire dans ce nouvel espace élargi a aussi, étrangement, des conséquences plus lointaines et inhabituellement dangereuses : être encouragé à dire des choses qui sont soit complètement opaques soit complètement transparentes (et si vous avez un quelconque sens de vocation politique et/ou intellectuelle, il s'agira bien entendu plus de la deuxième variante que de la première).
D'un côté, nous avons une demi-douzaines de multinationales énormes, présidées par une poignée d'hommes, qui contrôlent la quasi-totalité de la fourniture d'images et d'informations au monde entier. De l'autre, les intellectuels indépendants forment en réalité une communauté naissante, ils sont séparés les uns des autres physiquement, mais ils sont reliés de différentes manières à un grand nombre de communautés militantes, ignorées par les grands médias, mais disposant de nouvelles versions de ce que Swift appelait de manière sarcastique les machines oratoires. Pensez à l' impressionnante variété d'opportunités et de possibilités offerte par l'estrade du conférencier, le tract, la radio, les journaux alternatifs, les interviews, les meetings, les tribunes des églises et Internet, pour n'en nommer que certaines. C'est vrai, c'est un inconvénient majeur de devoir prendre conscience que l'on a bien peu de chances d'être invité sur le plateau des infos de PBS ou des émissions du soir d'ABC et que, dût ce grand jour arriver, cela ne serait, dans le meilleur des cas, que pour une exceptionnelle minute d'antenne, trop vite écoulée. Mais il faut dire que d'autres occasions peuvent alors se présenter de s'exprimer non plus en style télégraphique, mais en disposant de temps de parole plus étendus.
Ainsi, on le voit, la rapidité est une arme à double tranchant. Il y a la rapidité du style "slogannesquement" réducteur, qui est le trait dominant du discours de l'"expert", discours "à-propos", rapide, affectionnant les formules, pragmatique en apparence - et il y a la rapidité de réponse et le format extensible que les intellectuels et aussi la majorité des citoyens peuvent exploiter afin de présenter des expressions plus riches et plus complètes d'un point de vue alternatif. Je suggère par là qu'en tirant avantage de ce qui existe, sous la forme de nombreuses plate formes (ou de scènes itinérantes, pour reprendre une autre expression swiftienne), d'une détermination créative et vive des intellectuels à les exploiter (c'est-à-dire, des plate formes qui, soit ne sont pas disposées à accueillir un présentateur-vedette de la télévision, un expert ou un politique candidat à une élection, soient sont snobées par ces types de personnalités) on rend possible l'initialisation d'une discussion plus large.
Le potentiel émancipateur (et les menaces qui le guettent) de cette nouvelle situation ne doit pas être sous-estimé. Laissez-moi vous donner un exemple très évocateur de ce que j'avance. Il y a environ quatre millions de réfugiés palestiniens répartis dans le monde entier, dont un nombre significatif vivent dans de grands camps de réfugiés au Liban (où se sont produits les massacres de Sabra et Chatila, en 1982), en Jordanie, en Syrie, dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. En 1999, un groupe de réfugiés, jeunes, éduqués et entreprenants, vivant dans le camp de Dheisheh, près de Bethlehem, en Cisjordanie, ont créé le Centre Ibdaa, dont le projet principal était intitulé "A travers les Frontières". Il s'agissait d'une manière révolutionnaire de relier entre eux les réfugiés vivant dans la plupart des principaux camps, séparés géographiquement et politiquement par des barrière pratiquement infranchissables. Pour la première fois depuis la dispersion dans l'exil de leurs parents, en 1948, des réfugiés palestiniens de la seconde génération, à Beyrouth ou à Amman, purent communiquer avec leurs homologues à l'intérieur de la Palestine. Certaines des choses réalisées par les participants au projet furent tout-à-fait remarquables. Aussi, lorsque les bouclages israéliens se furent quelque peu desserrés, les résidents du camp de Dheisheh allèrent visiter leurs anciens villages en Palestine, puis ils décrivirent leurs émotions et ce qu'ils avaient vu à d'autres réfugiés qui en avaient entendu parler mais n'avaient jamais pu avoir accès à ces endroits. En l'espace de quelques semaines seulement, une solidarité remarquable se fit jour en des temps où, coïncidence, les soi-disant négociations sur le statut définitif entre l'OLP et Israël commençaient à aborder la question des réfugiés et du droit au retour, qui constitua, avec celle de Jérusalem, le noyau indépassable du processus de paix bloqué. Dès lors, pour certains réfugiés palestiniens, leur existence, leur présence et leur volonté politique se voyaient inscrites dans la réalité, pour la première fois, ce qui leur donnait un statut différent, qualitativement, du statut passif d'objets qui avait été le leur durant un demi-siècle.
Le 26 août 2000, tous les ordinateurs, à Dheisheh, furent détruits au cours d'une action de vandalisme politique qui n'a laissé aucun doute sur le fait que les réfugiés devaient rester des réfugiés, ce qui revient à dire qu'ils étaient censés ne pas déranger le status quo qui avait si longtemps considéré leur silence pour chose acquise. Il ne serait pas difficile d'établir la liste des suspects probables, mais il est difficilement imaginable qu'un seul d'entre eux soit dénoncé et a fortiori arrêté. Quoi qu'il en soit, les habitants du camp de Dheisheh s'attelèrent immédiatement à la restauration du Centre Ibdaa, et il semble qu'ils y aient réussi, dans une certaine mesure. Poser la question de savoir "pourquoi" des individus et des groupes préfèrent écrire et parler au silence revient à spécifier ce à quoi les intellectuels et les écrivains sont confrontés dans la sphère publique. L'existence d'invidus ou de groupes en quête de justice sociale et d'égalité économique - et qui comprennent, au sens de la formulation d'Amartya Sen, que la liberté doit inclure le droit à tout un ensemble de choix permettant le développement culturel, politique, intellectuel et économique - conduira d'elle-même à un désir d'expression plus que de mutisme. Il va pratiquement sans dire que pour l'intellectuel américain, la responsabilité est plus grande, les ouvertures nombreuses, le défi très ardu. Les Etats-Unis, après tout, sont la seule puissance mondiale ; ils interviennent pratiquement partout et leurs ressources permettant d'assurer leur domination sont certes très grandes, mais elles sont très loin, cependant, d'être illimitées.
Le rôle de l'intellectuel est généralement celui de découvrir et d'élucider la question, de défier et de défaire tant un silence imposé que la quiétude normalisée d'un pouvoir invisible, où et quand cela est possible. En effet, il existe une équivalence sociale et intellectuelle entre cette masse d'intérêts collectifs autoritaires et le discours utilisé afin de justifier, de déguiser ou de mystifier leurs actes tout en évitant, en même temps, les objections ou les défis qui pourraient leur être opposés. Aujourd'hui, et pratiquement partout, des expressions telles "le marché", "privatisation", "moins de gouvernement" etc... constituent l'orthodoxie de la globalisation (mondialisation), elles en sont, en quelque sorte les universaux contrefaits. Ce sont des "scies" du langage dominant (staples, en anglais = litt. : des agrafes), destinées à créer le consentement et l'approbation tacite. C'est de ce noyau qu'émanent ces fabrications idéologiques de bas de gamme : "l'Occident", le "clash des civilisations", "les valeurs traditionnelles" et "identité" (qui sont sans doute les mots les plus ressassés du vocabulaire contemporain). Si l'on fait étalage de tous ces termes, ce n'est pas pour ce qu'ils semblent être, parfois - des incitations à débattre - mais bien, tout à fait au contraire, afin d'étouffer, de préempter et d'écraser toute contestation en tant que de besoin, c'est-à-dire lorsque les faux universaux se voient opposer une résistance ou une mise en question.
L'objet principal du discours dominant en question est de conformer la logique impitoyable du profit des sociétés par actions et du pouvoir politique à une normalité. Derrière le show d'un débat animé entre Puch et Judy, sur l'Occident face à l'Islam, par exemple, toutes les ficelles antidémocratiques, paternalistes et aliénantes (la théorie du Grand Satan ou celles de l'état-voyou et du terrorisme) sont là, toutes prêtes à servir, c'est-à-dire à contribuer à faire diversion sur des dépossessions économiques et sociales qui se produisent, elles, dans la réalité. Ici, Hashemi Rafsanjani exhorte le Parlement iranien à entériner de nouvelles avancées dans le sens de l'islamisation en guise de défense face à l'Amérique ; ailleurs, Bush, Blair et leurs partenaires falots préparent leurs citoyens à une guerre aux contours des plus flous contre le terrorisme, les états voyous et le reste... Le réalisme et le pragmatisme, qui ne vient jamais très loin derrière, sont détournés de leur contexte philosophique réel, celui qu'ils ont dans les oeuvres de Pierce, Dewey et James, et assignés aux travaux forcés dans les salles de conseil d'administration, là où, selon Gore Vidal, les réelles décisions, en matière de gouvernement et de candidatures aux présidentielles, sont prises. Tout aussi désirables soient les élections, il est aussi une réalité amère : c'est celle que des élections ne produisent pas automatiquement la démocratie ou des résultats démocratiques. Posez donc la question au premier habitant de la Floride venu... L'intellectuel, en revanche, peut proposer un exposé dépassionné de la manière dont l'identité, la tradition et la nation sont des entités construites, le plus souvent sous la forme d'oppositions binaires qui se traduisent quasi-inévitablement sous la forme d'attitudes hostiles envers l'Autre. Pierre Bourdieu et ses collègues ont suggéré, de manière fort intéressante, que le néo-libéralisme blairo-clintonien (ne voyez dans "blairo" aucun jeu de mots douteux de ma part, Ndt), qui s'est bâti sur le démantèlement conservateur des grandes réalisations sociales (dans les domaines de la santé, de l'éducation, du travail, de l'assurance sociale) de l'Etat-providence (welfare state) au cours de la période thatchéro-reaganienne, que ce néo-libéralisme, donc, a élaboré une doxa paradoxale, une contre-révolution symbolique qui inclut cette sorte d'auto-glorification nationale que j'ai mentionnée un peu plus haut. (Cette politique), écrit Bourdieu, est "conservatrice, mais elle se présente comme progressiste ; elle vise à la restauration de l'ordre ancien dans certains mêmes de ses aspects les plus archaïques (en particulier, en ce qui concerne les relations économiques), mais cela n'empêche qu'elle veut faire passer des régressions, des retours en arrière, des capitulations, pour des réformes visionnaires, voire des révolutions censées mener à tout un Age Nouveau (New age) d'abondance et de liberté (ainsi du langage propre à la soi-disant "nouvelle" économie et le discours d'auto-célébration entourant les entreprises "en réseau" et l'internet.)"
En rappel du dommage d'ores et déjà causé par ce retournement (des réalités), Bourdieu et ses collègues ont produit une oeuvre collective intitulée "La misère du monde" (la traduction anglaise, publiée en 1999, porte le titre suivant : The Weight of the World : Social Suffering in Contemporary Society : Le poids du monde : Souffrance sociale dans la société contemporaine), dont le but était d'attirer l'attention des politiciens sur ce que l'optimisme trompeur du discours public avait abouti à dissimuler, dans la société française. Ce genre d'ouvrages, par conséquent, joue une sorte de rôle intellectuel, mais en négatif, dont le but est, pour citer encore une fois Bourdieu, "de produire et de disséminer des instruments de mise en garde et de défense contre la domination symbolique qui s'autorise de manière croissante de l'autorité de la science", ou contre l'expertise ou les appels à l'union nationale, à la fierté, à la tradition, qui visent à forcer, sous le matraquage, le peuple à se soumettre. De toute évidence, le Brésil et l'Inde sont différents de l'Angleterre et des Etats-Unis ; mais les disparités entre cultures et économies, souvent si frappantes, ne devraient pas dissimuler les similarités encore beaucoup plus frappantes, qui peuvent être constatées entre certaines des techniques, et très souvent, les buts, de la dépossession et de la répression qui poussent un peuple à avancer, soumis. Je dois aussi ajouter qu'il n'est pas toujours besoin de présenter une théorie exhaustive et détaillée de la justice avant de partir en guerre intellectuellement contre l'injustice, étant donné que nous disposons aujourd'hui d'un riche arsenal international de conventions, de protocoles, de résolutions et de chartes auxquels les autorités nationales n'ont plus qu'à se conformer, si telle est leur inclination. A ce même propos, j'ai tendance à penser qu'il serait quelque peu stupide d'adopter une posture ultra-postmoderne (à l'instar d'un Richard Rorty se battant contre son ombre : une vague chose qu'il désigne avec une certaine agressivité comme étant la "gauche universitaire") et de dire - alors que nous sommes confrontés au nettoyage ethnique, ou au génocide tel qu'il se produit aujourd'hui en Irak, ou à l'un quelconque de ces maux majeurs que sont la torture, la censure, la famine, l'ignorance (la plupart résultant de l'action délibérée des hommes et ne relevant nullement d'actes divins) - que les droits de l'Homme sont une "notion culturelle" (donc, contingente, Ndt), si bien que lorsqu'ils sont violés, ils n'ont pas réellement le statut que leur accordent des principalistes aussi mal dégrossis que je le suis moi-même, pour qui les droits de l'homme sont aussi réels que n'importe quoi d'autre que nous pourrions rencontrer chemin faisant.
Tous les intellectuels sont porteurs peu ou prou de quelque compréhension pratique ou de quelque schème du système global (dans une large mesure, grâce à des historiens mondialistes et régionalistes tels Emmanuel Wallerstein, Anouar Abdel-Malek, J.M. Blaut, Janet Abu-Lughod, Peter Gran, Alin Mazrui, William McNeil) ; mais c'est dès lors que telle ou telle géographie ou telle ou telle configuration, sont réunies, que les défis sont lancés (comme à Seattle et à Gênes) et, peut-être même que ces défis sont (considérés comme) gagnables. On trouvera une chronique admirable de ce que je vise ici dans les différents essais de Bruce Robbin, publiés sous le titre : "Se sentir mondialisé : L'internationalisme au désarroi" (1999) (Feeling Global : Internationalism in Distress), ou Timothy Brennan, dans son ouvrage : "Chez soi, dans le monde entier : le cosmopolitisme aujourd'hui" (1997) (At Home in the World : Cosmopolitanism Now), ou encore Neil Lazarus, avec "Nationalisme et pratique culturelle dans le monde post-colonial" (1999) (Nationalism and Cultural Practice in the Postcolonial World), tous ouvrages dont les textures tant territoriales/conscientes d'elles-mêmes que hautement entrelacées sont en réalité la projection du sens critique (et combatif) qu'ont les intellectuels du monde dans lequel nous vivons de nos jours, considéré comme des épisodes, voire des fragments d'un tableau plus vaste, que leur travail et celui d'autres (auteurs) est en train de compléter. Ce qu'ils suggèrent, c'est une cartographie d'expériences qui auraient été indiscernables, voire même invisibles, deux décennies en arrière, mais qui, dans la période de retombées de cet écroulement des empires classiques que représentèrent, tout à la fois la fin de la guerre froide, l'effondrement des blocs socialiste et non-aligné, les dialectiques émergentes entre Nord et Sud à l'ère de la globalisation, ne sauraient être exclues ni du champ des études culturelles ni des sphères quelque peu éthérées des sciences humaines. Si j'ai cité quelques noms, ce n'est pas à seule fin de mentionner au passage à quel point je considère leurs contributions comme importantes, mais aussi de m'en servir afin d'effectuer un "du coq à l'âne" (un "saut de grenouille", écrit E. Saïd) me permettant de passer directement à certaines aires concrètes de préoccupation collective où, pour citer Bourdieu une dernière fois, il existe une possibilité d'"invention collective". Bourdieu relève que "l'ensemble de l'édifice de la pensée critique est, par tant, en attente de reconstruction. Ce travail de reconstruction ne peut être effectué, comme d'aucuns pouvaient le penser, par un seul grand intellectuel, un maître-penseur muni des seules ressources de son intellect individuel, ni par le porte-parole autorisé d'un groupe ou d'une institution présumés s'exprimer au nom des sans-voix, d'un groupement, d'un syndicat, etc. C'est en cela que l'intellectuel collectif (nom que Bourdieu donne à l'ensemble des individus dont la somme des recherches et des contributions personnelles sur des sujets communs constitue une sorte de collectif ad hoc) peut jouer son rôle irremplaçable, en contribuant à créer les conditions sociales de la production collective d'utopies réalistes."
Ma citation vise à mettre l'accent sur l'absence de tout plan directeur, de tout calque ou de toute grande théorie de ce que les intellectuels peuvent faire, ainsi que l'absence, aujourd'hui, de toute téléologie utopiste vers laquelle l'histoire humaine peut être décrite comme en mouvement. Par tant, chacun invente - au sens littéral du mot latin "inventio", employé par les rhétoriciens afin de distinguer le fait de trouver à nouveau ou de remettre ensemble à partir de performances passées, par opposition à l'usage romantique de ce terme d"invention" en tant que chose que vous pouvez créer ex nihilo - des buts de manière "prédatrice", c'est-à-dire : faire l'hypothèse d'une situation plus favorable à partir de l'histoire connue et des faits de société constatés.
Ainsi, ceci autorise effectivement des réalisations intellectuelles sur plusieurs fronts, dans plusieurs endroits, dans plusieurs styles, qui maintiennent en état de marche tant le sens d'opposition que celui de participation engagée. De là découle que le cinéma, la photographie et même la musique, ainsi que tous les arts de l'écrit, peuvent être (différents) aspects de cette activité. Une partie de ce que nous faisons, en tant qu'intellectuels, n'est pas seulement de définir la situation (donnée), mais aussi de discerner les possibilités d'une intervention active, que nous prenions nous-mêmes ces potentialités en charge ou que nous les reconnaissions chez d'autres qui nous ont précédés ou sont déjà à l'oeuvre, auquel cas nous sommes des intellectuels-vigies. Le provincialisme du vieux souverain - je rappelle que je suis un littéraire spécialiste de l'Angleterre du début du dix-septième siècle - se disqualifie de lui-même et semble, à franchement parler, inintéressant et ne même pas mériter d'être disqualifié. L'axiome de départ doit être que même si l'on ne peut tout faire ni même tout connaître, il doit toujours être possible de discerner les éléments d'une lutte, d'une tension ou d'un problème, à portée de la main, qu'il est possible d'élucider de manière dialectique, et aussi d'avoir la perception que d'autres personnes ont un enjeu et une même tâche à accomplir (que vous-même) dans un projet commun.
J'ai trouvé un parallèle brillamment évocateur de ce que je veux signifier ici dans le livre récent d'Adam Phillips, "Darwin Worms" (Les vers de Darwin), dans lequel l'attention constante, durant toute son existence, que Darwin a pu apporter au plus vil (en apparence) des vers de terre a révélé la capacité de cette créature à exprimer la variabilité et le dessein de la nature sans nécessairement qu'il ait eu à observer la totalité de tel ou tel de ces vers, et, par conséquent, a permis de remplacer, dans son travail sur les vers de terre, "le mythe de la création par le mythe d'une maintenance séculaire." Y a-t-il une manière non triviale de généraliser sur les lieux où - et les modalités avec lesquelles - de telles luttes sont en train de se dérouler actuellement ? Je me limiterai à évoquer seulement trois d'entre elles, dont chacune est profondément éligible à intervention et élaboration intellectuelles.
La première occurrence est celle de la défense contre - et la prévention de - la disparition du passé, qui, dans un contexte de changement rapide, de reformulation de la tradition et de construction de versions expurgées de l'histoire, se trouve placée au coeur même de la lutte décrite par Benjamin Barber (même si ce fut trop incidemment) comme celle du "Jihad versus McWorld" (on pourrait dire aussi : Jihad contre World Company...). Le rôle de l'intellectuel est (ici), tout d'abord, de présenter des récits (discours) alternatifs et d'autres perspectives historiques que celles fournies par les combattants à la solde de la mémoire officielle et de l'identité nationale - qui tendent à travailler en termes d'unités (de mesure) falsifiées, de manipulation de représentations démonisées ou distordues de populations indésirables et/ou exclues, et la propagation d'hymnes héroïques entonnés dans le but de tout balayer devant eux. Depuis Nietzsche, au moins, l'écriture de l'histoire et les accumulations de mémoire ont été regardées, à bien des égards, comme l'une des fondations essentielles du pouvoir, guidant ses stratégies et consignant ses réalisations. Voyez, par exemple, l'exploitation effroyable de souffrances passées décrite dans les comptes rendus que font des (différentes) utilisations de l'Holocauste (les historiens) Tom Segev, Peter Novick et Norman Finkelstein ou, pour rester dans l'aire de la restitution historique et de la réparation, la défiguration, le démembrement et la démémorisation d'expériences historiques fondamentales qui n'ont pas (à leur disposition) à l'heure actuelle de lobbies suffisamment puissants et qui "méritent" (amplement), par conséquent, d'être écartées ou minimisées. Ce qui est requis, aujourd'hui, ce sont des historiographies désintoxiquées, sobres, qui rendent évidentes la multiplicité et la complexité de l'histoire sans que cela autorise pour autant quiconque à exciper que celle-ci va de l'avant de manière désincarnée, en fonction exclusivement de lois déterminées soit par le divin, soit par la puissance (politico-stratégique).
Ensuite, il convient de construire des champs de coexistence plus que des champs de bataille, en aval du travail intellectuel. Il y a de grandes leçons à apprendre de la décolonisation : d'abord, qu'aussi noble eussent été ses objectifs libérateurs, elle n'a pas souvent su prévenir l'émergence de succédanés nationalistes répressifs aux régimes coloniaux ; ensuite, que ce processus lui-même a été presque immédiatement l'otage de la guerre froide, en dépit des efforts rhétoriques du mouvement des non-alignés ; et, enfin, qu'il a été miniaturisé et même rendu trivial par une petite industrie académique qui en a fait tout simplement une sorte de compétition ambiguë entre opposants ambivalents.
Enfin, dans les différents conflits au sujet de la justice et des droits de l'homme, que nous sommes si nombreux à croire que nous les avons conquis, il faut que notre engagement ait une composante qui insiste sur la nécessité de la redistribution des richesses, et cela plaide en faveur de l'impératif théorique faisant opposition aux accumulations énormes de pouvoir et de capital qui défigurent la vie humaine de la manière que l'on sait. La paix ne saurait exister sans l'égalité : il s'agit là d'une valeur intellectuelle qui doit être répétée sans relâche, qui doit être démontrée, qui doit être affirmée. La séduction du mot lui-même - la paix - est d'être entouré par, on pourrait même dire, trempée dans, les cajoleries de l'approbation, le panégyrique unanime, l'adhésion affective. Les médias internationaux (comme on a pu le voir récemment avec les guerres "autorisées" en Irak et au Kosovo) amplifient de manière impavide, embellissent, transmettent tout ceci sans se poser de questions à de vastes audiences pour lesquelles la paix comme la guerre sont des spectacles destinés à une jouissance et une consommation immédiates. Il faut beaucoup - énormément - plus de courage, de travail et de connaissances pour faire l'analyse élémentaire de mots tels "guerre" et "paix", pour récupérer ce qui a survécu de processus de paix déterminés au départ par les puissants, puis pour replacer cette actualité manquante au centre des choses, qu'il n'en faut pour écrire des articles normatifs à destination de "libéraux" à la Michael Ignatieff, qui plaident pour plus de destructions et de mort infligées à des civils lointains. L'intellectuel est peut-être bien une sorte de contre-mémoire, mettant en avant son propre contre-discours, qui ne permettra pas à la conscience de détourner les yeux ou de tomber endormie. Le meilleur correctif est, comme l'a dit le Dr. Johnson, d'imaginer la personne dont vous dissertez - en l'occurrence, la personne sur laquelle les bombes vont tomber - en train de disserter, sur votre compte, et en votre présence.
Reste que, de même que l'histoire ne saurait être finie ni complète, il s'avère également que certaines oppositions dialectiques sont irréconciliables, non transcendables, non réellement susceptibles d'être englobées dans une sorte de synthèse plus élevée et indubitablement plus noble. L'exemple le plus proche que je puisse trouver est la lutte pour la Palestine qui, je le pense depuis toujours, ne saurait réellement être simplement résolue par quelque réarrangement technique - au bout du compte, faisable pour un concierge - de la géographie, accordant aux Palestiniens dépossédés le droit (c'est exactement ce qui se passe actuellement) de vivre sur environ 20% de leur territoire, qui serait totalement encerclé par - et totalement dépendant d' - Israël. Pas plus qu'il ne serait acceptable moralement, d'un autre côté, d'exiger que les Israéliens se retirent de la totalité de la Palestine historique, devenue aujourd'hui Israël, (ce qui les amènerait à) devenir des réfugié, tout comme les Palestiniens, dispersés partout (à travers le monde) à nouveau. Quelque acharnée qu'ait été la manière avec laquelle j'ai cherché une solution à cette impasse, je n'en ai pas trouvé, car il ne s'agit pas là d'un cas facile opposant un droit à un autre. Il ne saurait être légal de priver un peuple entier de sa terre et de son patrimoine, de l'étouffer et de le massacrer, comme continue à le faire continûment Israël, en sa trente-quatrième année d'occupation. Mais les Juifs constituent aussi ce que j'ai pu appeler "une communauté de souffrance", et ils ont amené avec eux un héritage de tragédie grandiose. Toutefois, contrairement à Zeev Sternhell, je ne peux admettre que la conquête de la Palestine eût été une conquête nécessaire - cette simple idée offense le sentiment de la réelle douleur palestinienne, qui n'est pas moins tragique, à sa manière propre.
Des expériences superposées mais néanmoins inconciliables exigent de l'intellectuel le courage de dire la situation qui est devant nous, presque de la même façon qu'Adorno, tout au long de ses écrits sur la musique, a insisté (sur le fait que) la musique moderne ne saurait être réconciliée avec la société qui l'a produite ; mais, dans sa forme et dans son contenu intensément et bien souvent désespérément artificiels, la musique peut agir à la manière d'un silence témoin de l'inhumanité circonstante. Toute assimilation d'une oeuvre musicale (intrinsèquement) individuelle à son contexte social serait, affirme Adorno, fallacieuse. Je conclus avec la pensée que la demeure provisoire de l'intellectuel doit être le domaine d'un art exigeant, résistant, intransigeant, domaine dans lequel, hélas, on ne peut ni se retirer ni se mettre en quête de solutions. Mais ce n'est que dans ce royaume d'exil précaire que l'on peut véritablement saisir la difficulté de ce qui ne peut être saisi, pour ensuite aller plus loin, et essayer quand même.
                   
3. Anniversaire du massacre de Sabra et Chatila - Israël refuse d’arrêter la tuerie
in Libération (quotidien marocain) du lundi 17 septembre 2001

[Libération est un quotidien marocain qui tire à 10 000 exemplaires. Il est l'organe de l’Union socialiste des forces populaires (USFP). C’est le porte-parole de l’opposition socialiste.]
Israël continue ses agressions contre les Palestiniens et multiplie les incursions dans les territoires sous contrôle de l’Autorité de Yasser Arafat. De nouveau, dans la nuit de samedi à dimanche, Tsahal a effectué une incursion sans précédent à Ramallah en Cisjordanie, l’un des principaux symboles de l’Autorité palestinienne. Cette incursion, durant laquelle Israël a eu recours à tous les moyens, s’est soldée par un mort et une trentaine de blessés du côté palestinien. On signale aussi le décès par crise cardiaque d’une septuagénaire palestinienne quand les chars israéliens ont commencé à tirer contre son domicile. Cette attaque confirme l’attitude belliqueuse et criminelle de Sharon et vient après une autre opération de grande envergure contre plusieurs localités à Gaza. Samedi dernier, Tsahal avait en effet lancé des attaques simultanées, aviation, armée de terre et marine, contre la bande de Gaza occasionnant d’énormes dégâts matériels et une dizaine de blessés. De nouveau, la barbarie israélienne s’en est prise aux symboles de l’Autorité de M. Arafat et notamment les quartiers généraux des forces de police palestiniennes.
Durant le même samedi, l’armée israélienne s’est également attaquée à plusieurs localités palestiniennes autonomes en Cisjordanie faisant une quinzaine de blessés. Autre fait gravissime, Tsahal, qui a pris l’habitude de n’épargner les secouristes palestiniens au mépris de toutes les conventions internationales, a assassiné un ambulancier à Bethléem pendant qu’il portait secours à des blessés. Les tirs assassins avaient visé dans la nuit de samedi à dimanche l’ambulance qu’il conduisait.
Ces attaques sans précédent contre les Palestiniens ont été perpétrées au moment où tout le monde dans la région et un peu partout à travers le monde tablait sur une rencontre entre M. Arafat et Shimon Pérès, le ministre des Affaires étrangères d’Israël.
Cette dernière rencontre n’avait jusque-là pas pu se tenir en raison de l’opposition de Sharon. Elles étaient intervenues pour maintenir la tension et profiter de l’“inattention” du monde entier pour continuer les graves agressions contre les Palestiniens.
Finalement, Sharon a dû se plier devant les pressions internationales et la crainte d’une crise gouvernementale notamment après les vives critiques de Pérès. Le boucher de Sabra et Chatilla a finalement donné son aval à une telle initiative à condition, a-t-il déclaré, d’un “calme absolu” de 48 heures. La réplique de M. Arafat n’a pas tardé et au dirigeant palestinien de déclarer à l’issue d’une rencontre avec Moratinos, l’émissaire européen dans la région, qu’un cessez-le-feu était déjà en vigueur.
Cette rencontre ne devait de ce fait pas tarder à se tenir surtout que M. Pérès s’est déclaré favorable à cette initiative n’importe où et n’importe quand. Ces développements interviennent alors que Sharon continue de qualifier M. Arafat de Ben Laden d’Israël et aussi au moment où l’on commémore les massacres de Sabra et Chatilla commis entre les 16 et 18 septembre 1982 sous la direction et avec la bénédiction de Sharon, le criminel de guerre aux commandes aujourd’hui de la sale guerre faite aux civils palestiniens.
                        
4. La Palestine au coeur par Françoise Germain-Robin
in l'Humanité du lundi 17 septembre 2001

Il fallait s'y attendre : l'espace débat du village du monde était bien trop exigu pour tous ceux et celles qui voulaient participer au débat sur la situation au Proche-Orient. Ceux qui ont réussi à s'y glisser n'ont pas été déçus. Les participants étaient de qualité : Leïla Chahid, déléguée générale de Palestine en France, dont l'arrivée fut ovationnée, Yossi Katz, député travailliste israélien, Issam Mahoul, député communiste à la Knesset, Michel Warchawski, journaliste israélien, militant de toujours de la paix, Pierre Barbancey, grand reporter à l'Humanité. Bruno Odent, qui animait ce dialogue contradictoire, leur avait demandé quelles seraient les répercussions des attentats de New York et Washington sur le conflit israélo-palestinien. Leïla Chahid a mis en garde contre l'utilisation inconsidérée de mots comme " vengeance " et " terrorisme ". " Attention, a-t-elle dit, à la faveur de ce séisme à ne pas lancer une croisade contre le monde musulman. Certains, comme Sharon, y voient un chèque en blanc pour finir le boulot contre le peuple palestinien. Le fait qu'Ariel Sharon ait interdit à Shimon Pérès de rencontrer Yasser Arafat est un signe très grave. "
Pour Issam Mahoul, " la leçon principale que nous devons tirer est qu'il faut redistribuer les cartes du monde et rendre leurs prérogatives aux organisations internationales. Bush parle de nouvelle guerre, comme s'il n'y avait pas d'autre solution. Il faut que la France, l'Europe et d'autres pays trouvent les moyens d'arrêter cette guerre. Il ne faut pas laisser le gouvernement israélien utiliser le sang américain contre le peuple palestinien ". Michel Warchawski estime, lui, " qu'il n'y aurait pas de croisade contre l'islam mais contre tous ceux qui remettent en cause la nouvelle religion de la mondialisation ".
Pierre Barbancey a témoigné " des souffrances et de la colère du peuple palestinien qui vit reclus dans 60 cantons séparés les uns des autres ", estimant que " le fond du problème, ce sont les colonies ".
Yossi Katz s'est défini d'emblée comme " un optimiste qui croit que le processus d'Oslo n'est pas mort " et " un ami très proche du peuple palestinien ". Selon lui, " les deux parties ont fait beaucoup d'erreurs et portent à égalité la responsabilité de la situation ". Une affirmation rejetée par Leïla Chahid pour laquelle on " ne peut pas mettre sur le même plan ceux qui occupent et ceux qui subissent ". Contrairement au député travailliste pour qui " il faut attendre que Sharon dévoile ses cartes pour que le Parti travailliste décide de quitter le gouvernement ", elle estime que " Sharon s'est dévoilé depuis longtemps, et il est temps de lui dire ça suffit ". Mais rejoignant les préoccupations du député israélien, elle a ajouté, en forme d'autocritique : " Si nous, Palestiniens, réaffirmions avec force le droit d'Israël d'exister en sécurité dans ses frontières de 1967, on aurait 80 % d'Israéliens qui seraient pour les négociations et contre Sharon. Ce qui bloque, c'est qu'il n'y a plus de foi en la paix. "
                          
5. Soheib Bencheikh : "Déjouer le piège que nous tendent les terroristes" entretien réalisé par Marc Leras
in l'Humanité du lundi 17 septembre 2001

Pour le grand mufti de Marseille, l'islamisme est un système politico-religieux qui veut imposer l'Etat musulman des voies fascistes, et ce sont les musulmans eux-mêmes qui en sont les premières victimes.
Auteur de "Marianne et le prophète", Soheib Bencheikh est le grand mufti de Marseille. Il fait partie des responsables religieux musulmans à plaider pour un islam moderne et compatible avec la République et la laïcité. Selon lui, seules l'intégration et la reconnaissance de la culture islamique peuvent éviter la tentation extrémiste nourrie par les différentes frustrations que connaissent les musulmans dans le monde.
- Alors que certains montrent du doigt la communauté musulmane mondiale depuis le 11 septembre, que vous inspirent les attentats américains ?
- Soheib Bencheikh. Ma première réaction a été de m'incliner devant les victimes de ce meurtre massif d'innocents. Je condamne avec fermeté ces actes barbares qui ne servent aucune cause, et ma condamnation est double si les auteurs sont effectivement des musulmans qui se revendiquent de l'islam. Mais, une fois l'émotion passée, il faut analyser ce qui s'est déroulé. Cet événement va pousser tout le monde à réfléchir d'une manière plus profonde. Cet acte ignoble traduit la frustration devant une injustice et une inégalité de traitement de la part d'un Etat qui se pensait à l'abri des soubresauts du monde qu'il dirige.
- C'est-à-dire ?
- Soheib Bencheikh. Le peuple américain, très dépolitisé par rapport aux populations européennes, est innocent. Mais, la politique étrangère américaine a protégé les idéologies les plus dangereuses et les plus extrémistes du temps de la lutte contre l'Union soviétique. Oussama Ben Laden, qui a une vision bédouiniste et obscurantiste de l'islam, était un de leur protégé durant la guerre d'Afghanistan et les Etats-Unis ont armé et financé non seulement les taliban dans ce pays, mais aussi les groupes du FIS et du GIA en Algérie. Nous, les musulmans, avons toujours vécu cette politique comme un mépris. L'inégalité flagrante de traitement des deux parties dans le conflit israélo-palestinien n'a fait qu'envenimer les choses. Mais, il est vrai qu'aujourd'hui la destruction du mythe d'un Etat intouchable me laisse pensif et inquiet.
- D'autant que la religion musulmane est aujourd'hui mise en accusation ?
- Soheib Bencheikh. Je déplore fortement l'amalgame entre les termes, amalgame qui a été propagé par les médias les jours qui ont suivi les attentats. Il y a une différence entre le mot islamisme, créé par le chercheur Bruno Etienne pour décrire les intégristes, et le terme islamique qui a un rapport avec tous les aspects de la civilisation musulmane. L'islamisme est un système politico-religieux qui veut imposer de force, et par des voies fascistes, l'Etat musulman. Or, les premières victimes de cet islamisme sont les musulmans eux-mêmes, dans les pays où les intégristes sont au pouvoir. Pourtant, aux Etats-Unis, ces nuances semblent bien lointaines. J'espère que les Américains, et notamment le président George W. Bush, sont sous l'effet de la tragédie lorsqu'ils parlent du combat du bien contre le mal. Les Etats-Unis, mais aussi la France, doivent à tout prix éviter la logique de face-à-face, qui est exactement celle des terroristes et celle qu'ils cherchent à imposer. Ce manichéisme n'aide pas à comprendre ce qui se passe, car l'islamisme politique est le contraire de l'islam.
- Justement, pour vous quelles sont les solutions pour sortir de cette spirale guerrière ?
- Soheib Bencheikh. Le rêve de tout musulman est que son patrimoine, son histoire, sa culture si riche et qui a été si brillante, trouve sa place dans l'ordre international. Il n'y a que par cette reconnaissance que l'on pourra avancer. Aujourd'hui, dans notre monde, les frontières des religions ne correspondent plus aux frontières des Etats. La France, avec l'harmonie qui règne entre les différentes communautés, est un pays qui peut servir d'exemple et qui peut exporter cette réussite. Les musulmans français gèrent leur double appartenance, nationale et spirituelle.
- Pourtant, même en France des problèmes se posent ?
- Soheib Bencheikh. Il est vrai que j'ai été très gêné par des manifestations de joie ici ou là après les attentats de Washington et de New York. Mais, si l'on compare l'attitude de la communauté musulmane en France pendant la guerre du Golfe et aujourd'hui, l'amélioration est nette. L'inquiétude est moins grande. Ma crainte vient du fait que beaucoup de jeunes qui vivent l'exclusion s'abritent derrière l'islam et s'en servent comme un palliatif identitaire, sans s'intéresser aux causes réelles de leurs problèmes. Or, ces cas doivent se régler non pas de manière religieuse, mais socialement, politiquement et économiquement. C'est exactement ce que l'on nomme intégration. Si l'intégration ne fonctionne pas et n'est pas soutenue, des gens comme Ben Laden pourront effectivement représenter un idéal pour beaucoup de jeunes, ce qui portera tort à l'ensemble des musulmans.
            
6. Le secret enfoui des humiliés par Guy Sitbon
in Marianne du lundi 17 septembre 2001
Nous habitons désormais une nouvelle terre. Et, si ce feu venu du ciel possède un sens, c'est celui-ci : l'Amérique doit se mobiliser pour gagner la paix au Proche-Orient.
Pétrifié. L'homme changé en statue de sel. Est-ce un cauchemar ? Ou est-ce la vraie vie devenue cauchemar ? Rêve et réalité ne font plus qu'un, la nuit et le jour se sont fondus. Sous  nos yeux, la fin du monde. C'était à nous, c'était à notre temps de vivre la fin des temps.
D. est unique. D. est le plus grand. Voici venue l'heure de la dernière prière.
On ne nous l'a pas dit, nous l'avons vu. La Tour s'embrase comme s'Il avait frotté une allumette, elle vacille, râle puis s'affaisse, s'écroule et s'effondre engloutie dans un Déluge de cendres. Et sa jumelle. Et le Pentagone. Et l'Amérique fauchée à l'heure où la vie commence. Apocalypse. Now.
Le métro et les ponts sont coupés, on ne peut plus sortir de Manhattan. Manhattan souffre comme Ramallah, comme n'importe quel village palestinien. Les ruines habitent le Pentagone, les mêmes qu'au quartier général de Gaza bombardé hier encore. L'Amérique a été punie. Ainsi la Palestine fut punie. Ainsi l'Irak est puni depuis plus de dix ans. Car l'Amérique n'a pas été attaquée, elle a été châtiée. Comme elle le fait depuis dix ans. L'injuste retour des choses prend un visage satanique lorsque c'est en pleine poitrine, la nôtre, que le bâton revient.
A cette minute qui durera en nous à tout jamais, ma fille travaillait dans une tour de Manhattan, le téléphone était coupé, plus mort que vif, j'étais, jusqu'à ce que j'entende sa voix. Qu'on ne se demande pas où bat mon coeur. D'autant que je sais désormais que Tel-Aviv est à un cheveu du même sort, on ne voit pas quel miracle pourrait l'en épargner. Car voilà, nous tous, candides passagers des avions de ligne, avons été métamorphosés, par une géniale alchimie du mal, en bombes plus précises et plus meurtrières que tout ce que l'esprit malin avait conçu à ce jour. A tout instant, plus de 10 000 appareils volent au-dessus de nos têtes. Plus un seul désormais n'est innocent. Chaque bruissement du ciel est la bombe que j'attends. La vie est descendue en enfer. La gorgone règne sans partage. La laissera-t-on aux commandes ?
Il faut que vous sachiez, car on ne vous le dira pas, c'est un secret plus enfoui que le nom du coupable, qu'en regardant les tours flambées et les Américains paniqués, des centaines de millions, peut-être des milliards, aussi horrifiés que nous, ont festoyé dans leur tréfonds, dans les catacombes de leur conscience. Quel fatal aveuglement serait de croire que seuls ont jubilé quelques gamins filmés à Jérusalem ! L'Islam, les Arabes et, plus loin, tous ceux qui confusément se pensent victimes de l'arrogance occidentale, sans croire que justice a été faite, se sont sentis vengés. Vengés, les réfugiés palestiniens, vengés les bombardements de Bagdad, d'Hanoï et d'ailleurs, vengée la queue pour le visa devant le consulat, vengés les refoulés à la frontières mexicaine et les noyés de Gibraltar, vengé même le prix du pain. Cette passion primaire, sous-animale, qui depuis ce mardi, 8h50, hante les Occidentaux (Get the bastards, attrapez-moi ces salauds) a pour patrie l'âme même de tous les humiliés et offensés de notre terre. Ah! Ils sont riches et nous dans des bidonvilles, regardez! Wall Street flambe, Wall Street n'existe plus. La Morgan Bank s'est désintégrée d'un seul souffle. Leurs bombardiers à 15 000 pieds sèment la terreur au sol dans une guerre (pour eux) à zéro mort ? Des milliers de morts en plein Manhattan, ça vous va ? L'offense de sang est lavée dans le sang. La mère ne pleure plus son fils, elle a quitté sa robe de deuil, le coupable a payé. Et il paiera encore, car ses crimes, D. même ne les compte plus. Voilà où l'on en est.
On ne saura jamais qui a voulu tuer l'Amérique, il est peut-être mort dans l'un des avions, mais on sait de quel mal le monde souffre. Qui a frappé ? Impossible de le trouver et ce n'est peut-être pas le plus important. Pourquoi ? Nous le savons tous. Et d'abord, il y a des guerres au Moyen-Orient. Il faut qu'elles prennent fin. A n'importe quel prix. Peut-être même au prix des colonies israéliennes.
Si l'Amérique mobilise tous les peuples et les Etats à construire la paix comme elle l'a fait pour la guerre du Golfe, aucun Sharon ni Arafat ne pourront lui résister. Nous sommes aujourd'hui les survivants d'un monde disparu par ses fautes. Nous habitons une nouvelle terre. Si nous, Occidentaux, ne discernons pas dans le feu venu du ciel le sens inavouable de ses flammes, nous ne ferons que creuser notre Tour. Il y a mort parce qu'il y a guerre. Avec la paix, la vie. Soyons-en sûr, pas avant !
                
7. Effondrement des trois piliers du pouvoir aux Etats-Unis. Bush constitue une alliance destinée à pourchasser un terroriste dont l'identité et le lieu où il se trouve sont inconnus ! par Salim Nassar
in Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du samedi 15 septembre 2001
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

(Salim Nassar est un écrivain et journaliste libanais.)
Peu après l'annonce de l'assassinat du général Ahmad Shah Mas'ud, en Afghanistan, les informations faisaient état d'une série d'opérations-suicides effectuées au moyen d'avions civils ayant frappé les bâtiments du Centre mondial du commerce (World Trade Center) à New-York ainsi que le bunker du Pentagone, à Washington.
Les commentateurs ont établi un rapprochement entre les deux événements, quasi-simultanés, bien que très éloignés géographiquement, ainsi qu'entre les messages politiques que le "cerveau" de l'opération aurait voulu envoyer tant à la Russie qu'aux Etats-Unis. Le président Vladimir Poutine a estimé que l'élimination du général Mas'ud de la scène de la partie du territoire afghan insurgée contre le pouvoir des "taliban" paverait la voie devant un règlement dont pourraient profiter les insurgés tchétchènes. Au même moment, le coup multiple porté à la plus grande puissance mondiale prenait l'ampleur d'un coup de grâce, puisque ce sont les trois centres de pouvoir sur lesquels repose la grandeur de l'empire américain qui étaient atteints. En effet, le World Trade Center, à New York, incarnait le centre de la puissance économique (des Etats-Unis), dans la mesure où cette véritable ville verticale renfermait dans ses banques, ses institutions et ses sièges sociaux des capitaux équivalant au tiers de l'ensemble des budgets des états du monde entier réunis, à quoi s'ajoute le fait qu'ils canalisaient 40% des mouvements d'investissement sur les marchés monétaires mondiaux. C'est sans doute pourquoi le président George W. Bush n'a cessé de répéter son mantra, selon lequel son pays ne permettra pas une répétition de cette "nakba". Par ces propos, le président Bush veut rassurer les pays étrangers, inquiets au sujet de la solidité de l'économie américaine, sur le fait que son pays, les Etats-Unis, représente toujours le havre sûr par excellence pour les dépôts et les capitaux entassés dans les coffres forts des banques new yorkaises, ce qui n'empêche aucunement les experts de penser que le marché européen tirera le plus grand profit des ennuis de l'Amérique...
En ce qui concerne, cette fois, le Pentagone, le fait qu'il ait été pris pour cible est hautement symbolique de la volonté de porter atteinte au centre nerveux de la puissance militaire américaine, étant donné tout ce que cette institution représente en matière de pilotage des flottes de guerre américaines tant navales qu'aériennes, de commande des missiles nucléaires ou non, et du "bouclier stratégique". Cette frappe magistrale représente une humiliation publique, administrée devant le monde entier, en réponse à toute la fanfaronnade des différents ministres de la défense américains successifs, qui se sont répandus sur la sécurité -pour tout dire  : l'inviolabilité - d'un espace aérien - comme qui dirait - "blindé" contre les missiles de croisière intercontinentaux(!)... Elle représente aussi une énorme raclée infligée aux pays du pacte atlantique (OTAN) qui ont dû admettre, à leur corps défendant, que le pacte d'assistance mutuelle n'était rien d'autre qu'un parapluie (militaire) troué, avec lequel il serait bien difficile de se mettre (et de se sentir) à l'abri. On peut déduire de la répétition de la proclamation par l'Europe de son soutien à toute décision que pourrait bien prendre l'administration Bush, que Washington a décidément bien besoin d'un réconfort moral après la paralysie dont ses institutions vitales ont été frappées, et que les Etats-Unis voient dans la participation (acquise) des pays alliés à l'opération punitive qu'elle appelle de ses voeux une sorte de chèque en blanc leur assurant que ces pays leur apporteront une couverture politique bien utile dans le cas où cette expédition dépasserait les limites fixées (par la décence), mettant les petits pays à l'abri des débordements des grandes puissances. C'est d'ailleurs pourquoi Pékin a proclamé sa condamnation des opérations terroristes, mais en prenant grand soin de demander à Washington de le consulter préalablement, au sujet de l'expédition punitive, de peur que Washington ne commette des bêtises inconsidérées, qui seraient de nature à compromettre gravement la réputation de la Chine, ainsi que son rôle de puissance régionale en Asie.
Une troisième frappe, programmée, aurait dû viser le président Bush lui-même et les membres de son administration à la Maison Blanche. Il semble que cette troisième opération ait échoué en raison d'une rixe entre les pirates de l'air et les passagers de l'avion, qui aurait abouti à la chute de l'appareil et à son "crash" dans l'ouest de l'Etat de Pennsylvanie.
La rumeur a couru, à Washington, que la directrice de la sécurité nationale, Condolezza Rice aurait insisté sur la nécessité, pour le président américain, de rester en Floride, car elle aurait eu la quasi-certitude que le quatrième avion était destiné à servir de projectile pour une quatrième opération-suicide similaire à celle qui avait pris pour cible le Pentagone. Son argumentation repose sur le fait qu'il était dans la logique du plan (terroriste) qu'y figure en bonne place l'élimination de la direction politique du pays afin que s'installe l'anarchie et de faire des Etats-Unis un pays paralysé, lobotomisé, dépourvu d'orientation et de direction. C'est ce qui aurait pu se produire après l'assassinat du président John Kennedy, n'eût été l'extrême diligence de son substitut, Lyndon Johnson, à prêter serment et à prendre les rênes du pouvoir, alors même qu'il était à bord de l'avion présidentiel. L'importance apportée à la présidence, aux Etats-Unis, n'est pas surfaite, elle résulte de l'ampleur des missions suprêmes qui lui sont confiées, au premier chef desquelles, la responsabilité de déclarer la guerre nucléaire. Pour ces raisons, et d'autres, la destruction ne serait pas complète si le centre nerveux de la décision politique n'était pas paralysé, à l'instar des centres de décision financier et militaire. C'est à cette condition seulement que l'on pourrait qualifier l'exécution du plan (destructeur) d'achevée et réalisée à la perfection, les trois piliers du pouvoir -économie, défense, décision politique - étant ensevelis sous les décombres (des palais nationaux).
Les journaux américains ont qualifié la journée du mardi 11 septembre de jour historique tant elle rappelle aux Américains le massacre de Pearl Harbor, qui s'était produit durant la seconde guerre mondiale. La comparaison porte sur le mode d'action des terroristes suicidaires de New York et de Washington avec les kamikazes japonais qui avaient précipité leurs avions transformés en bombes volantes contre les bateaux de guerre de la flotte américaine. Les journaux britanniques (du moins, certains d'entre eux) ont poussé l'exagération jusqu'à qualifier les opérations contre le Pentagone et le World Trade Center de déclaration de la troisième guerre mondiale sur le sol américain. Ils ont tenté - labo-rieusement - de justifier ces propos alarmistes en expliquant que toutes les guerres menées par les forces américaines au cours du siècle dernier se sont déroulées à l'extérieur des Etats-Unis, soit : en Europe, en Corée, au Vietnam, en Asie ou au Moyen-Orient. Certes, des ambassades américaines ont été attaquées, par le passé, des diplomates américains ont été enlevés ou assassinés... Mais il est vrai, également, que les ambassades sont, par définition, des centres bâtis sur des territoires fort éloignés des Etats-Unis. C'est la raison pour laquelle leur territoire représentait pour les Américains le concept même de la protection et du refuge dans un abri sûr, séparé des autres pays par une distance aussi considérable que l'étendue de l'Océan atlantique. Et soudain, ce sentiment s'est évanoui, il a cédé la place à un sentiment de peur et d'impuissance terrorisée, étant donné que les derniers attentats se sont produits dans leur propre pays, dans leurs propres villes pourtant ceinturées de bases de missiles balistiques et nucléaires.
Reste une question lancinante, à laquelle il a été "répondu" par des conjectures et l'intuition : qui est l'ennemi qui a asséné aux Etats-Unis ce coup de poing douloureux, en pleine poire ?
Immédiatement après que les deux avions se soient encastrés dans les tours jumelles du World Trade Center, les commentateurs américains se sont précipités devant les micros et les caméras afin d'accuser Usama Bin Laden d'être derrière cette déclaration de guerre. Les analystes européens les ont critiqués, leur reprochant leur précipitation à tirer des conclusions hâtives, leur rappelant les accusations qui avaient été lancées contre le shaykh (homme de religion musulman, ndt) aveugle égyptien, Umar Abdel Rahman, après l'explosion qui avait détruit un immeuble à Oklahoma City. Il allait s'avérer par la suite que l'auteur de l'attentat était un citoyen américain du nom de Timothy McFay. Mais cette explication n'a pas eu le don de convaincre le bureau fédéral des investigations (FBI) qui a décidé de retenir la piste d'Usama Bin Laden en se fondant sur plusieurs recoupements : les enquêtes menées après les attaques contre deux ambassades américaines, au Kénya et en Tanzanie, et contre le cuirassier Cole, ont permis de retrouver les "empreintes" d'Usama Bin Laden, dans les trois cas. Par ailleurs, les centres d'entraînement situés dans les montagnes afghanes, où se cache Bin Laden, n'abritent que des fondamentalistes convaincus de la justesse d'une guerre sainte allant jusqu'au sacrifice suprême (le martyre, le suicide). L'opération aux multiples objectifs à laquelle nous avons assisté nécessitait de réunir au minimum une vingtaine de fida'iyy (dix-huit ont été tués). D'autre part, la nature même de l'opération confirme qu'Usama Bin Laden est derrière la préparation des éléments suicidaires et la mise au point de leur entraînement et de leur vie clandestine dans plusieurs villes américaines. Autre élément : en 1993, Ramzi Yusuf (un disciple de Bin Laden) a réalisé un attentat contre le World Trade Center ; il a reconnu, au cours d'un interrogatoire, que cet attentat avait échoué en raison de la mauvaise qualité de l'explosif utilisé. Mais il a aussi passé des aveux inquiétants au sujet d'un plan, qu'il préparait avec ses camarades, afin de détourner douze avions de ligne et de les précipiter sur l'immeuble des bureaux de la CIA à Langley, en Virginie. Ces précédents correspondant avec la nature des derniers attentats réalisés avec le succès qu'on sait, qui sont venus achever ce que Ramzi avait prévu, il était logique que les enquêteurs mettent en cause Bin Laden et ses partisans. Ajoutons à cela que le représentant du mouvement des talibans (d'Afghanistan) à Islamabad (au Pakistan) Abdel-Salam Zueïf, s'est déclaré prêt à examiner une demande d'extradition de Bin Laden à la condition expresse que lui soient fournies des preuves irréfutables de l'implication de celui-ci dans les derniers attentats. Par ailleurs, Usama Bin Laden a nié personnellement toute responsabilité dans les opérations terroristes, mais il a fait les louanges des jeunes musulmans qui ont fait serment de sacrifier jusqu'à leur propre vie dans le jihad (effort personnel et/ou combat sacré) sur la voie d'Allah (Dieu, chez les Musulmans). 
Les répercussions de ces opérations-suicides ont causé une faille supplémentaire, s'il en était besoin, dans les relations arabo-américaines en raison de la vague de colère populaire (dans les territoires palestiniens, notamment, se traduisant par quelques scènes de réjouissance tout à fait aisément explicables, mais jugées indécentes en Occident) qui ont été utilisées par les dirigeants israéliens afin d'attiser le sentiment de vengeance (des Américains) à l'égard des citoyens américains d'origine arabe. Dans ses déclarations faites à la télévision, Netanyahu a insisté sur la nécessité de réunir une coalition occidentale, dont Israël serait un membre actif, de manière à ce que l'on se préoccupe de soutenir l'institution qu'il a créée à Washington, en 1990 dont la raison d'être est de lutter contre le "terrorisme islamiste". A cette fin, il a écrit à Georges Bush une lettre comportant les points suivants :
1 - nécessité d'imposer un embargo sur les livraisons de technologies avancées aux pays qui entretiennent le terrorisme ; 2 - déclaration d'un blocus diplomatique, économique et militaire à l'encontre des pays terroristes  3 - gel des dépôts bancaires auprès des banques des pays occidentaux s'il s'avère qu'ils financent des régimes et/ou des organisations terroristes ; 4 - imposition de réglementations draconiennes afin de limiter l'immigration en Europe et aux Etats-Unis et d'oeuvrer à expulser les immigrés susceptibles d'avoir prêté main forte au terrorisme ; 5 - information du public et entraînement des citoyens aux méthodes de lutte anti-terroriste.
Ehud Barak lui a apporté son soutien dans ce sens, en faisant appel à l'administration américaine afin qu'elle fasse pression sur les pays musulmans et les pays arabes, dans l'espoir de mettre un terme au terrorisme et aux opérations-suicides. Barak a pris l'intifada comme exemple des causes entraînant la ruine du processus de paix, prétendant qu'Arafat se serait engagé, à Oslo, à geler les activités du "Hamas" et du "Jihad islamique".
Rafy Eytan s'est prévalu de ses états de service au Mossad afin de rappeler aux Américains qu'il est à même d'organiser une opération visant à capturer Bin Laden en Afghanistan, comme il avait réussi à enlever Adolf Eichman, en Argentine. De même, les organisations sionistes aux Etats-Unis ont proposé de sauter sur l'occasion pour fabriquer ("vite fait, sur le gaz") un nouveau concept correspondant aux élucubrations abracadabrantesques de Samuel Huttington, exposées dans son ouvrage "Le choc des civilisations", en l'occurrence, rien de moins que la mise sur pied d'un pool mondial regroupant les Etats convaincus de démocratie et qui ne sauraient isolément tenir en respect un terrorisme alimenté par les Etats tyranniques.
Il est certain que la prise de parti éhontée des moyens d'information a trouvé un écho auprès du peuple américain traumatisé et en colère, écho qui a trouvé une traduction des plus négatives pour les membres des communautés arabes et musulmanes (aux Etats-Unis, en particulier). De nombreux immigrés et réfugiés, parmi lesquels de nombreux étudiants, ont été en butte à des intimidations et des agressions racistes qui ont amené le président Bush à intervenir et à adresser un message d'apaisement en direction d'une population (américaine) avide de revanche. Le premier ministre britannique Blair en a fait de même, lorsqu'il a découvert l'ampleur d'une campagne de provocation xénophobe ouverte dans les moyens d'information, à l'encontre des communautés musulmanes en Angleterre, qui auraient pu en arriver à des affrontements, localement. Il a été soutenu, dans son appel à la raison, par des écrivains et des commentateurs qui ont exhorté l'administration américaine à procéder à la nécessaire révision de ses prises de positions provocatrices et entrant en totale contradiction avec le rôle qu'elle devrait assumer en tant que grande puissance mondiale. Plusieurs grands quotidiens britanniques ont publié des articles fustigeant la logique de domination sans âme que pratique Washington sur la société internationale et les Nations Unies. L'un de ces analystes a écrit que la politique américaine, depuis l'entrée de l'acteur de films de série B, Ronald Reagan, à la Maison Blanche, est sortie de sa voie traditionnelle, pour trouver son inspiration dans les films de Rambo, ajoutant que l'étalage de la force militaire ne servira à rien si elle ne devait pas être dirigée par une pensée mûrie et un esprit modéré et équilibré. Le journaliste a donné plusieurs exemples des causes ayant entraîné l'écroulement de différents empires, mettant en garde contre l'écroulement de l'"empire américain" s'il devait s'avérer incapable de prendre rapidement conscience des dangers mortels qui le guettent, comparant sa situation à celle des dinosaures, ces animaux préhistoriques qui ont disparu du fait que leur minuscule cerveau avait été incapable de s'adapter à de nouvelles conditions climatiques.
Reste une dernière question : quelles initiatives militaires l'administration Bush va-t-elle prendre afin de sortir de sa (triple) crise économique, politique et sécuritaire ?
Dans sa dernière conférence de presse, le Secrétaire d'Etat Colin Powell a déclaré que son pays se préparait à mettre sur pied une union internationale, sur le modèle de la coalition formée par George Bush Père, en 1990, afin d'expulser les troupes d'occupation de Saddam Husseïn du Koweït. Etant donné qu'il serait quelque peu humiliant de mettre toutes les armées de l'OTAN aux trousses d'une seule personne, fût cette personne un certain Usama Bin Laden, une frappe militaire contre l'Afghanistan serait peut-être le prix du défoulement à payer, à condition que le Pakistan accepte d'intervenir ultérieurement afin d'oeuvrer à une solution acceptable. Sous réserve que les enquêtes en cours ne révèlent pas, d'ici là, que c'est la mafia colombienne qui est responsable de cet attentat si précisément programmé et exécuté...
Après la destruction de l'immeuble d'Oklahoma City, le FBI avait demandé le retrait des librairies d'un livre intitulé "Mémoires de Turner", d'Andrew McDonald. La raison de cette censure était que l'auteur avéré de l'attentat, Timothy McFay, avait reconnu s'être inspiré de la description d'un attentat dans ces "Mémoires", description dont il s'était inspiré afin de mener à bien son attentat grandeur nature.  A la page 202 de ce livre, Turner dit, dans ses mémoires : "Ce jour, 9 novembre 1993, je suis aux commandes d'un jet et je dirige le nez de l'avion que je viens de détourner sur le siège du Pentagone. Peut-être un missile téléguidé va-t-il me descendre si je perds trop d'altitude. Peu importe : je tente le coup..."
Usama Bin Laden a-t-il lu ce roman ? Un groupe d'opposants extrémistes américains, émules de Timothy, a-t-il mis sept ans afin de mettre en application le plan prémonitoire de Turner ?
           
8. Un appel musulman à la raison par El Hassan bin Talal
in Le Monde du samedi 15 septembre 2001

(Le prince El Hassan Bin Talal est le frère de feu le roi Hussein de Jordanie. Traduit de l'anglais par Sylvette Gleize.)
Ce n'est pas au titre de président de la Conférence mondiale sur la religion et la paix ni de musulman descendant directement du prophète Mahomet, mais en tant qu'être humain, que je souhaite présenter mes plus profondes condoléances aux familles, amis et collègues qui ont perdu des êtres chers dans les odieux attentats de New York, de Washington et ailleurs aux Etats-Unis, le 11 septembre.
J'exprime aussi ma plus grande sympathie au peuple des Etats-Unis, à tous ceux qui partout sont inquiets et au président George W. Bush. Les croyants du monde entier sont atterrés devant cette tragédie qui a frappé des gens ordinaires de toutes nationalités et de toutes confessions vivant dans ce pays, et je condamne sans équivoque cet outrage à l'humanité.
Le respect du caractère sacré de la vie est la pierre angulaire de toutes les grandes religions.
De tels actes d'une extrême violence, dans lesquels des êtres innocents - hommes, femmes, enfants - servent à la fois de cibles et de pions, sont totalement inexcusables. Aucune tradition religieuse ne peut ni ne veut tolérer un tel comportement, et toutes le condamnent vigoureusement. Le terrorisme, par nature, frappe sans discrimination, tuant des civils de tous âges, de toutes couleurs de peau, de toutes convictions. Il intimide individus et communautés en tous lieux. Son existence même dépend de sa capacité à entretenir la peur. Il est peut-être l'instrument le plus redoutable utilisé pour exprimer la violence.
La prolifération de cellules terroristes qui opèrent partout dans le monde est un défi pour nous tous - les gouvernements en particulier. Au cours de ce XXIe siècle, ils devront faire face à ces provocations à tous les niveaux.
Une réponse au coup par coup ne conviendra pas. Pas plus qu'une réaction reposant sur des suppositions quant aux coupables. En des temps comme ceux-là, il est tentant d'agir immédiatement et de ne réfléchir vraiment aux questions qu'une fois prises des décisions irrévocables.
J'exhorte donc les Etats-Unis et la communauté internationale à faire preuve de retenue face à ces intimidations.
Et je conseille vivement de considérer le problème dans son ensemble, car le terrorisme touche toutes les nations, grandes et petites.
J'incite aussi tous les hommes de bonne volonté à se rappeler les sages paroles de Martin Luther King pour qui la haine, comme un cancer, "engendre la haine, et la violence engendre la violence dans un cycle sans fin de destruction".
Après ce crime exécrable, le risque existe que certaines communautés, comme les musulmans, aient à faire face à des réactions violentes. L'islamophobie n'est pas, hélas, une forme rare de xénophobie et d'intolérance. Il faut, en conséquence, faire savoir que tous les musulmans ordinaires condamnent ces actes de terreur.
Les sociétés musulmanes contemporaines ont été largement modelées par le legs récent de la sujétion coloniale. Pourtant, en dépit de sa souvent triste réalité sociale, le musulman ordinaire, qu'il soit homme, femme, enfant, déteste ceux qui veulent user de la violence pour se faire entendre.
Musulmans, chrétiens et juifs partagent la même histoire. Il ne faut pas permettre à la politique au Proche-Orient de détruire l'aptitude naturelle qu'ont les croyants à vivre et à travailler ensemble. Accrochons-nous aux valeurs morales de notre héritage commun, malgré des droits en contradiction et les injustices comparables qui nous séparent encore. Verser le sang n'est pas une solution.
Les événements tragiques du 11 septembre nous rappellent que le monde est aujourd'hui de plus en plus interconnecté. Tandis que les frontières perdent leur sens, plus aucune nation ne peut se permettre l'isolement. Nous allons vers un monde unique mû par un unique programme d'action, et ce programme doit viser à la réconciliation et à la compréhension.
Si les mesures de représailles peuvent parfois séduire à court terme, nous savons au Proche-Orient qu'elles ne font que bafouer toutes les tentatives pour parvenir à une paix véritable - entre les traditions, entre les nations, entre les civilisations, entre semblables. Nous n'avons pas réussi, pour notre part, à trouver au désaccord un cadre civilisé. Nous rejetons aussi parfois les processus internationaux qui nous permettraient peut-être justement de trouver le moyen d'aller de l'avant. C'est une erreur, et elle ne doit pas se reproduire dans le contexte de la lutte contre le terrorisme. Un consensus est à trouver afin de renforcer les résolutions du Conseil de sécurité de l'Organisation des nations unies qui encouragent la coopération internationale dans le combat contre les activités terroristes.
Notre objectif sera de resserrer le nœud coulant autour des réseaux terroristes et de leurs soutiens. Les dirigeants de la planète et les représentants de la foi doivent aussi faire passer ce message clair que le terrorisme est anathème dans toutes les religions et doit en être isolé.
Réfléchissant, au cours des jours et des semaines à venir, aux terribles images de dévastation désormais gravées dans nos mémoires et partageant la douleur de nos voisins, les Etats-Unis, nous chercherons aussi d'autres voies pour renforcer l'humanité qu'ensemble nous partageons et découvrir nos peurs communes.
Car ne nous y trompons pas : les récents attentats visaient un seul monde composé de nombreuses nations, et non pas l'une d'entre elles.
                 
9. Israël tente de placer Yasser Arafat dans le camp des parias mondiaux par Luis Lema
in Le Temps (quotidien suisse) du samedi 15 septembre 2001

Devant l'ambassade de France à Tel-Aviv, la manifestation réunissait aussi bien des militants de droite que de gauche. Tous étaient venus vendredi clamer leur indignation devant les propos de l'ambassadeur français, Jacques Hutzinger. Signe que les nerfs sont à vif, ces paroles ont été à deux doigts de provoquer un grave incident diplomatique. La veille, il avait refusé de comparer les circonstances qui règnent en Israël avec les attentats qui ont ensanglanté l'Amérique. «Ce n'est pas la même situation, précisait l'ambassade après le déchaînement de réactions hostiles qui a parcouru Israël. Nous sommes ici dans une situation particulièrement compliquée, qui est celle de l'affrontement israélo-palestinien, dans laquelle il convient de rouvrir le chemin du dialogue.»
«Chacun son Ben Laden»
De fait, ces propos ont été d'autant moins bien acceptés que le gouvernement de droite israélien semble avoir fait son choix. «Chacun a son Ben Laden. Arafat est notre Ben Laden.» La formule, utilisée mercredi par le premier ministre Ariel Sharon lors d'une conversation avec l'Américain Colin Powell, ne peut être plus transparente. Pour lui, il s'agit de tirer avantage de la situation et de faire l'amalgame entre la menace terroriste palestinienne, bien réelle, et les scènes d'apocalypse vécues par les Américains.
L'Etat hébreu le sait: la série d'attentats aux Etats-Unis et les suites militaires que décidera d'y donner Washington seront bénéfiques pour la relation déjà très étroite qui unit les deux pays. De par sa longue expérience en la matière, l'Etat hébreu bénéficie d'informations et de réseaux sans équivalent au sein des mouvances intégristes islamiques. Alors que les services secrets américains ont été surpris en flagrant délit d'incompétence, c'est là un avantage de situation qu'Israël ne va pas manquer d'exploiter. Des informations semblaient indiquer que le Mossad israélien avait alerté Washington sur les risques d'un attentat imminent. Et les responsables de la sécurité israélienne s'emploient à qui mieux mieux à détailler quels sont les moyens mis en œuvre depuis longtemps ici pour éviter une catastrophe similaire à celle du World Trade Center.
Il y a dix ans, lorsque l'Irak envahissait le Koweït, l'Etat hébreu avait été laissé à l'écart de la coalition mondiale qui s'était formée autour des Etats-Unis contre Saddam Hussein. Israël veut éviter qu'une telle situation se répète. Etre à même d'intégrer les rangs des Etats victimes du terrorisme (peut-être aux côtés de certains pays arabes) serait perçu comme une victoire diplomatique majeure.
A ces avantages, de nombreux Israéliens souhaitent en ajouter d'autres, sur le terrain. «Israël a maintenant une rare occasion de retourner l'opinion publique mondiale en sa faveur et de prendre des actions diplomatiques et militaires, dont il s'est jusqu'ici privé, craignant des réactions internationales», relevait un commentateur du journal Maariv.
De fait, ces conseils sont déjà largement appliqués, puisque l'armée a lancé des actions extrêmement dures sur au moins deux villes palestiniennes, Djénine et Jéricho. Vingt Palestiniens auraient été tués et des dizaines d'autres blessés. Comme l'affirme sans détours la presse israélienne, les Etats-Unis, autrefois arbitre de la question proche-orientale, sont aujourd'hui devenues victimes et donc parties prenantes du combat «mondial» qui s'annonce. «Il faudra être avec nous ou contre nous», résumait l'éditorial du journal Haaretz, pourtant à gauche, dans une mise en garde à Yasser Arafat.
Face à ce qui apparaît comme une radicalisation générale, l'écrivain israélien de gauche Amos Oz est parmi les rares à vouloir calmer les esprits, exhortant ses concitoyens à éviter de diaboliser les Arabes et les musulmans. «N'oublions pas, disait-il, que le fanatisme religieux croît aussi dans certaines parties du monde chrétien, ainsi que parmi nous. Même au sein de la nation juive.»
Autre personnalité bien isolée, le ministre des Affaires étrangères, Shimon Peres, tentait de son côté de tirer parti de l'embarras de l'Autorité palestinienne pour obtenir une rencontre avec Yasser Arafat ce dimanche. Les Américains verraient d'un bon œil une telle réunion qui apaiserait un peu la région et leur permettrait de concentrer leurs efforts du côté de l'Afghanistan. Mais plusieurs ministres de droite ont exigé d'Ariel Sharon qu'il pose un veto absolu à la rencontre. Face à une pression considérable, Peres tranchait hier: oui à des discussions, mais à condition qu'Arafat prenne des mesures pour faire stopper le terrorisme en Israël. Soit, en clair, qu'il arrête tous ceux que l'Etat hébreu soupçonne de préparer des attentats.
                    
10. Arabes et musulmans lancent un appel à la tolérance par Jeanne Corriveau et Stéphanie Tremblay
Le Devoir (quotidien québécois) du vendredi 14 septembre 2001

Depuis les attentats de New York et Washington, mardi, Arabes et musulmans, tant au Québec qu'aux États-Unis, subissent de nombreuses manifestations de colère et de haine à leur endroit. Refusant d'être ainsi associés à des actes de terrorisme qu'ils condamnent, ils lancent un appel à la population afin qu'elle cesse de les accuser collectivement d'un crime perpétré par des fanatiques.
Deux heures après l'attentat au World Trade Center, Giulia Eldardiry, 21 ans, étudiante en anthropologie à l'université McGill, a essuyé de premières injures verbales. Ce n'était qu'un début puisque les insultes adressées aux Arabes et aux musulmans se sont multipliées sur les campus universitaires et dans la rue depuis mardi.
L'hostilité est telle que Solidarité pour les droits humains des Palestiniens (SDHP), une organisation qui compte des membres dans les quatre universités montréalaises, a lancé un appel à l'ensemble de la population pour mettre un terme à ces manifestations xénophobes. «Les gestes commis par une minorité ne correspondent pas à ce que pense la majorité», a indiqué Mme Eldardiry.
Depuis mardi, de nombreux incidents ont été signalés sur les campus des universités McGill et Concordia. «Ce qu'on nous dit, ce sont des choses comme "Retournez dans votre pays", "Vous êtes tous des terroristes" ou "C'est pour ça qu'on ne devrait pas vous laisser entrer au Canada"», relate-t-elle. Aucune agression physique n'aurait été rapportée mais les injures répétées suffisent à alimenter la peur dans la communauté. «La réaction contre les Arabes est plus violente que jamais. Oui, je me sens menacée. Mes amis me disent de ne pas sortir seule», confie-t-elle.
En conférence de presse hier, les porte-parole du SDHP ont invité les victimes d'agressions verbales à adresser leurs plaintes à la police et à signaler les incidents à l'association étudiante de l'université Concordia.
Ils ont de plus été outrés par le traitement des médias qui, dès les premiers instants, ont dirigé leurs soupçons vers des terroristes arabes avant même que les enquêteurs américains n'aient pu rassembler des preuves suffisantes. Cette situation n'est pas sans rappeler l'ostracisme qu'avait subi la communauté musulmane à la suite de l'attentat à Oklahoma City avant que les véritables coupables, des Blancs, n'aient été identifiés. Helen Hudson, du Groupe de recherche d'intérêt public, s'inquiète pour sa part de l'appel à la vengeance véhiculé non seulement aux États-Unis mais partout dans le monde.
Compte tenu des circonstances et par crainte de nouveaux incidents, le SDHP a décidé d'annuler la marche prévue demain dans les rues de Montréal à la mémoire des victimes du massacre de Sabra et Chatila, en 1982, au Liban.
Agressions aux États-Unis
Aux États-Unis, le président George W. Bush a lui-même demandé hier aux Américains de ne pas prendre pour cible leurs compatriotes d'origine arabe et musulmane après les attentats de mardi, réclamant qu'on leur assure «le respect qui leur est dû».
Une coalition formée de plusieurs associations américaines représentant les communautés arabes et musulmanes a émis un communiqué hier dénonçant l'attentat du World Trade Center. La coalition a aussi remercié plusieurs membres du gouvernement américain d'avoir émis des mises en garde visant à éviter de stigmatiser ou de condamner les Arabes et les musulmans américains.
«Nous demandons à nos compatriotes américains, au gouvernement et aux médias de suivre leur exemple et de ne pas assigner de culpabilité collective contre toute une communauté pour les crimes de quelques individus», conclut le communiqué émis par la coalition.
Cela n'a cependant pas empêché certains membres des communautés arabes et musulmanes des États-Unis d'être victimes d'agressions, et ce, à divers endroits sur le territoire américain.
Jointe à Washington, Leila Al Qatami, qui travaille pour l'American-Arab Anti-Discrimination Committee (ADC), a affirmé que son organisation a reçu un certain nombre d'appels relatant des agressions subies par des membres de la communauté arabe. Au moment où l'organisation a été jointe, des chiffres précis sur le nombre et la nature des actes commis n'étaient pas disponibles.
Aussi à Washington, Faisel Gill, de l'American Muslim Council, a confirmé avoir lui aussi reçu plusieurs rapports d'agressions commises dans plusieurs États américains. «Un certain nombre de mosquées ont été vandalisées et des fenêtres ont été brisées», explique-t-il. L'une de ces mosquées se trouverait près de l'aéroport Dulles, à Washington, et un centre islamique de San Francisco aurait aussi été vandalisé. À New York, Faisel Gill affirme que des incidents ont été rapportés dans le Bronx, où plusieurs magasins auraient été vandalisés.
Hier après-midi, dans le centre-ville de New York, tout était très calme et aucun incident à caractère raciste n'a pu être observé. Cependant, à Union Square, maintenant tapissé de grandes feuilles de papier recouvertes de mots d'encouragement écrits par des passants, il était possible de lire quelques commentaires racistes.
             
11. Paris réaffirme sa solidarité et sa libre appréciation
Dépêche de l'agence Reuters vendredi 14 septembre 2001, 18h33

PARIS - Les ministres français des Affaires étrangères et de la Défense réaffirment la solidarité de la France avec les Etats-Unis, tout en soulignant que Paris entendait conserver sa "libre appréciation" sur de possibles ripostes américaines aux attentats de mardi.
Hubert Védrine et Alain Richard faisaient écho aux propos tenus un peu plus tôt par le Premier ministre devant son cabinet et les membres du secrétariat du gouvernement.
"La solidarité humaine, politique, fonctionnelle" vis-à-vis des Etats-Unis "ne nous prive pas de notre libre appréciation et de notre souveraineté", avait déclaré Lionel Jospin.
Jeudi, Jacques Chirac avait souligné sur CNN que la France serait "totalement solidaire" des Etats-Unis en ce qui concerne les représailles américaines.
"Chaque partie déterminera les actions précises qu'elle juge nécessaires, y compris l'emploi de la force armée, s'il le faut", a déclaré Hubert Védrine, qui s'exprimait lors d'une réunion conjointe des commissions des Affaires étrangères et de la Défense de l'Assemblée nationale.
"Le moment venu, le président de la République et le gouvernement apprécieront comment doit se traduire cette solidarité que nous avons immédiatement proclamée", a ajouté le ministre des Affaires étrangères devant quelque 160 députés réunis dans une salle du Palais-Bourbon.
Leila Shahid, la représentante de l'OLP à Paris, était présente dans le public.
"Les décisions qui peuvent être prises dans le cadre de l'Alliance (atlantique) sont des décisions nationales", a souligné pour sa part le ministre de la Défense, Alain Richard.
Cette position a été partagée par la plupart des députés qui ont pris la parole au cours de cette réunion extraordinaire, comme l'ancien Premier ministre RPR Edouard Balladur.
"Nous souhaitons que la riposte soit modulée en fonction des objectifs, ce qui n'exclut rien à priori mais ce qui ne doit pas tout permettre automatiquement", a-t-il dit.
Les ministres et plusieurs députés ont également mis en garde contre tout amalgame entre terrorisme et islam.
Refus de tout amalgame
"Prenons garde (...) à ne pas confondre terrorisme fondamentaliste et islam", a déclaré Daniel Vaillant, le ministre de l'Intérieur.
"Il faut tout faire pour éviter que ce soit un choc de civilisation. Il ne faut pas confondre les fanatiques terroristes avec les groupes religieux ou nationaux dont ils sont issus", a estimé Edouard Balladur.
"Il ne s'agit pas d'un combat du Bien contre le Mal ou des Occidentaux contre les musulmans", a déclaré Paul Quilès, le président socialiste de la commission de la Défense de l'Assemblée.
"Il ne saurait être question de se lancer dans une quelconque croisade qui provoquerait une nouvelle fracture planétaire", a averti Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste.
Au nom du groupe UDF, Renaud Donnedieu de Vabres a stigmatisé "les amalgames pour le moins hâtifs entre quelques fanatiques assoiffés de sang et de puissance et la communauté musulmane dans son ensemble".
Enfin, plusieurs intervenants ont plaidé en faveur de la recherche de solutions aux conflits régionaux, notamment celui du Proche-Orient. "Je souhaite une très forte pression de la communauté internationale pour imposer des solutions et une paix durable", a dit Edouard Balladur.
"La France doit faire tout ce qui est en son pouvoir au sein des instances européennes et de l'Onu, dont il faut renforcer l'autorité, pour créer les conditions de régler les conflits, notamment au Proche-Orient", a dit Alain Bocquet, le président du groupe communiste.
Paul Quilès a pour sa part rappelé que le terrorisme, "qui est une forme d'action politique, a besoin pour se développer d'un terreau de haines, de frustrations et de destructuration sociale dont l'origine est toujours, en dernière analyse, politique".
Les trois ministres, qui étaient accompagnés de leur collègue chargé des Relations avec le Parlement, Jean-Jack Queyranne, se sont rendus ensuite devant la commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat pour faire également le point de la situation, trois jours après les attentats de New York et Washington.
                 
12. Arabes et musulmans multiplient les mises en garde contre les amalgames et les accusations hâtives par Mouna Naïm
in Le Monde vendredi 14 septembre 2001

La tragédie américaine incite les dirigeants arabes et les autorités religieuses musulmanes à fermement condamner les attentats commis sur le sol des Etats-Unis.
Les dirigeants arabes et certaines des plus hautes autorités religieuses musulmanes ont multiplié, mercredi 12 septembre, les mises en garde contre les dérives et les amalgames consécutifs à l'offensive terroriste dont les Etats-Unis ont été la cible. Gare à la désignation hâtive et sans preuve des coupables au sein de la mouvance islamiste en général et palestinienne en particulier; gare à la confusion primaire et si commode entre islam et extrémisme activiste musulman, ont-ils prévenu, sans se priver de reprocher aux Etats-Unis leur politique au Proche-Orient. Mais leur mise en garde s'adressait aussi indirectement à leurs ouailles, après certaines manifestations de joie, ici et là, à l'annonce de la vague d'attentats qui a frappé NewYork et Washington.
L'Organisation de la Conférence islamique "condamne les actes sauvages (les attentats anti-américains) que banissent toutes les conventions et les valeurs humaines, ainsi que les religions monothéistes, en tête desquelles l'islam", a déclaré le secrétaire général de l'Organisation, Abdel Wahad Belkaziz. "L'islam valorise la vie humaine et considère quiconque tue une seule personne comme un criminel contre l'humanité", a ajouté le représentant de cette organisation qui regroupe cinquante-sept pays.
Dans le même ordre d'idées, cheikh Mohammad Sayed Tantaoui, l'imam d'Al Azhar, la plus haute instance de l'islam sunnite, a affirmé que "l'islam refuse de tels actes.     
Tuer des hommes, des femmes et des enfants innocents est un acte horrible et hideux, qu'aucune religion monothéiste n'approuve et que rejette tout esprit saint."
L'Arabie saoudite, dont le monarque porte le titre de "serviteur" des deux premiers lieux saints de l'Islam, rappelle elle aussi que le terrorisme "contrevient aux valeurs religieuses et aux principes de l'humanité". Riyad "s'emploie, avec la communauté internationale, à lutter contre le terrorisme qu'il condamne fermement", a déclaré un porte-parole officiel. La presse saoudienne comme celle des autres monarchies pétrolières de la région est sur la même longueur d'onde. Ils n'épargnent pas pour autant une administration américaine qui a adopté "une position totalement partisane, pro-israélienne", dont la conséquence est une "grande injustice à l'égard des Arabes et des Palestiniens en particulier" (dixit le quotidien Arab Times du Koweït).
La confrérie des Frères musulmans en Egypte s'est dite "horrifiée par les meurtres, les explosions, la destruction et les agressions contre des civils innocents" et affirmé son "hostilité à toute agression contre les vies humaines, la liberté des peuples et la dignité humaine dans le monde entier".
CONDAMNATION DES ATTENTATS
Côté chiite, l'ayatollah Mohammad Hussein Fadlallah, le guide spirituel du Hezbollah libanais, s'est dit "horrifié" par les attentats dont les Etats-Unis ont été la cible, "bien que, a-t-il rappelé, nous soyons hostiles à la politique suivie par les Etats-Unis, notamment envers le peuple palestinien et les peuples arabe et musulman. Aucune religion au monde ne saurait cautionner" de tels attentats. "Nous rejetons ces méthodes, quel qu'en soit l'auteur. La Charia (la loi musulmane) n'autorise pas de tels actes et aucune personne sensée ne peut accepter qu'un peuple subisse ce que vient de subir le peuple américain", a ajouté Cheikh Fadlallah.
L'unique fausse note est venue du chef d'une organisation extrémiste musulmane, Al Mouhajiroun (les exilés). "Pour le monde musulman, aujourd'hui est un jour de fête", a déclaré Omar Bakri au quotidien italien la Repubblica. "Seul Oussama Ben Laden (l'islamiste d'origine saoudienne considéré par les Etats-Unis comme leur ennemi numéro un) peut disposer de cette puissance de feu pour frapper l'Amérique et seul le mouvement islamique qui croit dans le djihad peut avoir mené cette attaque sans précédent grâce à la foi des martyrs (…) Pour la première fois l'Amérique est frappée à tous les niveaux (…) Pour la première fois l'Amérique est à genoux (…) C'est une leçon qui va changer le cours de l'Histoire."
La fermeté des condamnations, leur répétition sur tous les tons, le rappel de l'attachement aux fondements de l'islam et aux principes les plus élémentaires d'humanité visent à empêcher, en Occident, une assimilation de l'islam à l'extrémisme. Mais elles s'adressent aussi aux populations arabes et musulmanes dont certaines – auCaire, dans des camps de réfugiés palestiniens au Liban et dans la ville autonome palestinienne de Naplouse en Cisjordanie – ont donné, mardi, libre cours à leur joie de voir les Etats-Unis frappés au cœur. Il n'est peut-être pas anodin, à cet égard, de constater qu'aucune manifestation du genre n'a eu lieu mercredi. L'ampleur du désastre dont des civils américains ont payé très cher le prix a sans doute contribué à l'éveil des esprits et à la décence.
                        
13. Les responsables palestiniens s'efforcent de montrer leur solidarité par Bruno Philip
in Le Monde vendredi 14 septembre 2001
RAMALLAH de notre envoyé spécial
Responsables de l'Autorité palestinienne et intellectuels se sont efforcés, mercredi 12 septembre, de réparer les dommages médiatiques causés par les images de certains de leurs concitoyens se réjouissant, la veille, des attentats aux Etats-Unis. Ces mêmes responsables soutiennent que l'ampleur de ces manifestations a été exagérée, et affirment qu'Israël en a profité pour exploiter à son profit ces démonstrations d'indécence. Deux constatations s'imposent en tout cas : d'abord, il est exact de dire que les Palestiniens qui ont défilé dans les rues de Naplouse et de Jérusalem-Est, mardi soir, n'étaient qu'une poignée et que les images de la télévision ont sans aucun doute donné à l'événement une dimension disproportionnée. Il n'y a eu d'ailleurs aucun défilé, aucune autre manifestation dans le reste de la Cisjordanie et à Gaza. En revanche, même si la plupart des rues palestiniennes sont restées calmes, la plupart des personnes rencontrées se réjouissaient sans vergogne de cette Amérique plongée dans le malheur.
"Nous avons tellement souffert, nous les Palestiniens, comment pourrait-on se réjouir du malheur des autres ?", s'interroge pourtant Moustapha Barghouti, une personnalité communiste de Ramallah ; "les gens qui ont défilé dans les rues, ce n'étaient que des cas isolés, je condamne sans appel ce genre d'attitude." Hanan Ashraoui, célèbre député du Conseil législatif palestinien, fait écho à ces propos en affirmant un peu plus tard, au cours d'une conférence de presse : "Il y a un consensus chez les Palestiniens, dans les partis, dans l'Autorité palestinienne et dans la société civile, pour condamner les attentats aux Etats-Unis.     
Il est nécessaire à ce stade d'envoyer un message clair : (les manifestations de joie) sont totalement contre-productives."
"TOUT LE MONDE EST CHOQUÉ"
Pour Bassam Abou Sharif, un conseiller de Yasser Arafat et vieux militant de la cause palestinienne, l'affaire est entendue : "Il n'y a, à mon avis, aucune relation entre ce qui se passe au Moyen-Orient et les attentats ; par contre, il faut souligner à quel point Israël utilise le fait que les Américains et les Européens sont occupés, pour attaquer, notamment autour de la ville de Jénine, en Cisjordanie, où onze Palestiniens ont déjà été tués ces dernières vingt-quatre heures". M. Sharif ajoute avoir été en contact avec Yasser Arafat "jusqu'à trois heures du matin mercredi". "Le président Arafat m'a dit que ce qui a eu lieu à NewYork et Washington était un “crime sans précédent” et il a envoyé une lettre de condoléances au président Bush et décidé d'annuler toutes ses activités officielles." Et les manifestations dans Jérusalem ? "Vous avez vu les images ? Il y avait cinq enfants !"
Professeurs de sciences politiques à l'université de Bir Zeit, Saleh Abdel Jawad s'insurge à la pensée que des Palestiniens aient pu se réjouir de la tragédie américaine : "Des gens sont venus chez moi regarder la télévision ; j'ai vu une femme pleurer devant l'écran. Non, tout le monde est choqué, croyez-moi ! Mais, même si les Palestiniens ne sont pas, en soi, anti-Américains, il est vrai que la politique de Washington à l'égard d'Israël fait que nombreux sont ceux ici qui se sont sentis trahis." Et de conclure, en élargissant le champ politique de sa réflexion : "Après cette tragédie, il y a deux solutions en ce qui concerne l'attitude américaine à l'égard du Proche-Orient : les Etats-Unis vont ils continuer à jouer les dinosaures ou se conduire en sages ?"
                      
14. Les Palestiniens sous le feu israélien par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du vendredi 14 septembre 2001

L'armée israélienne a profité du nouveau climat créé par les attentats anti-américains pour accentuer son offensive contre les Palestiniens. Des chars et des véhicules blindés appuyés par des hélicoptères ont investi dans la nuit de mardi à mercredi la ville de Jéricho - première en Cisjordanie à avoir accédé à l'autonomie en 1994. Elle s'est retirée de la ville au matin après avoir détruit une route, des pylônes électriques et dynamité une maison, laissant sept blessés palestiniens, dont un grave.
Elle a également pris le contrôle de Jenine, complètement encerclée par les blindés depuis trois jours, et détruit un quartier général de la Force 17 (garde du président Arafat) et des renseignements généraux palestiniens. Trois Palestiniens ont été tués et 13 blessés. Des attaques contre des postes de police palestiniens ont également eu lieu à Qalkilia et Salfit.
Toutes ces agressions se déroulent dans un silence international assourdissant, que le gouvernement d'Ariel Sharon entend bien mettre à profit pour faire avancer sa stratégie. Selon la radio israélienne, Ariel Sharon a fait savoir au président palestinien par l'intermédiaire de Shimon Peres et du chef du Shin Beth qu'il devait " mettre fin au terrorisme, faute de quoi il s'exposerait à des réactions sévères d'Israël ". Le premier ministre israélien aurait même, hier matin, qualifié Yasser Arafat de " Ben Laden ". " Chacun a son Ben Laden (...), le nôtre s'appelle Yasser Arafat ", a-t-il déclaré au téléphone au secrétaire d'Etat américain Colin Powell.
Ce dernier a confirmé qu'il avait appelé les dirigeants de la région pour souligner l'urgence d'une solution du conflit israélo-palestinien. " J'ai encouragé toutes les parties à faire tout ce qui est possible pour que démarre ce processus de réunions que nous attendons tous ", a-t-il dit, appelant à hâter une rencontre Arafat-Peres. Elle pourrait, selon la radio israélienne, avoir lieu dimanche prochain sur l'aéroport de Gaza.
Colin Powell a rejeté devant la presse les analyses selon lesquelles les Etats-Unis auraient aggravé les tensions au Proche-Orient et attisé les risques d'attentats en se montrant trop favorables à Israël. Il a estimé " infondées " les accusations du roi Abdallah II de Jordanie, qui affirmait mercredi que " ces attentats n'auraient pas eu lieu si les Etats-Unis avaient fait davantage d'efforts pour régler les problèmes du Proche-Orient ". Un point de vue repris hier par la monarchie saoudienne.
" Certaines organisations que nous avons vues à l'ouvre au fil des ans mènent des activités terroristes contre les Etats-Unis, que le processus de paix avance ou pas ", a affirmé Colin Powell. Mais, pour Shibley Telhamy, expert de l'université du Maryland, " la chasse aux responsables des attentats va devenir la première priorité de la politique étrangère américaine dans les mois à venir. Et les Etats-Unis risquent de regarder la question israélo-palestinienne au travers du prisme de cette politique ".
                   
15. Les Palestiniens victimes des retombées par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du jeudi 13 septembre 2001

On peut déjà être assurés d'une chose : les Palestiniens seront les premiers à pâtir du choc considérable provoqué par les attentats de New York et Washington. L'aggravation du climat, déjà extrêmement dur, était perceptible dès hier. Comme si le carnage provoqué par le terrorisme aux Etats-Unis lui donnait de nouvelles raisons de tuer des Palestiniens, l'armée israélienne a fait dès hier usage délirant de ses armes de guerre. Onze Palestiniens ont été tués dans la seule matinée d'hier, dont neuf dans la région de Jenine, encerclée depuis deux jours par les chars et où l'armée israélienne a mené une nouvelle incursion censée " détruire des bases terroristes ". Au cours de cette opération, l'armée a détruit des postes et des positions de la police palestinienne ainsi que plusieurs maisons appartenant à des activistes du Djihad islamique, procédant à des arrestations. Il ne fait pas de doute, pour les Palestiniens, que les attaques de mardi risquent de changer la donne et laisser davantage de marge de manouvre à Israël, allié stratégique des Etats-Unis qui risque de montrer désormais une tolérance zéro à l'égard de tout ce qui pourrait, de près ou de loin, s'apparenter au terrorisme. " Les Palestiniens entrent maintenant dans l'une des périodes les plus sombres de leur histoire ", commentait d'ailleurs dès hier un éditorialiste du quotidien israélien Haaretz.
"A partir de maintenant, le monde sera divisé entre ceux qui soutiennent le terrorisme et ceux qui s'y opposent, et il n'y a aucune différence entre une personne qui percute un avion dans le World Trade Center et quelqu'un qui mène une attaque suicide à Tel-Aviv ", estimait pour sa part le Yédiot Aharonot. Tous les commentateurs estimaient que les images de Palestiniens célébrant les attentats, qui ont passé et repassé sur les télévisions du monde entier, montrant toujours le même petit groupe de gamins manifestant, allaient causer un tort formidable à la cause palestinienne. " Les Américains ne sont pas prêts d'oublier ces images, qui ont sans doute plus fait pour la cause d'Israël que toutes les campagnes de propagande ", déclarait hier un journaliste palestinien.
Ce changement d'atmosphère a tout de suite été mis à profit par la droite israélienne. Plusieurs députés d'extrême droite ont ainsi suggéré d'en profiter pour régler son compte à l'Autorité palestinienne. " Le monde comprendra ", a commenté l'un d'eux, Zvi Hendel.
C'est ce qui inquiète les Palestiniens. Imitant leur président, les responsables de tous les groupes et institutions ont multiplié les condamnations sans réserve des attentats et les expressions de sympathie à l'égard des Etats-Unis.
Yasser Arafat, qui avait été l'un des premiers à traiter les attaques terroristes contre les Etats-Unis de " crimes contre l'humanité " a annoncé le report de la visite qu'il devait effectuer mercredi et jeudi à Damas.
Selon Ghassan Khattib, du Jérusalem Media Center, l'une des raisons de l'annulation de ce voyage est la crainte que les Israéliens ne profitent de la situation pour tenter de se débarrasser de l'Autorité palestinienne et de son président, un rêve que Sharon caresse depuis longtemps mais auquel se sont opposés jusqu'ici les dirigeants américains. Les Palestiniens craignent, a-t-il dit " que les attaques terroristes massives contre New York et Washington n'érodent la réprobation américaine ".
En Israël, où une journée de deuil national a été décrétée, les drapeaux sur les édifices publics ont été mis en berne et les enfants ont eu droit dans leurs écoles à un cours spécial sur les attentats de mardi. Le Magen David Adom, l'équivalent de la Croix-Rouge israélienne, a appelé à des dons de sang pour les victimes américaines. Le président Moshé Katzav devait lui-même donner son sang en début d'après-midi.
L'espace aérien israélien a été fermé aux avions étrangers, de même que les frontières avec l'Egypte et la Jordanie. Le ministre de la Défense, Binyamin Ben Eliezer, a ordonné à tous les services de sécurité israéliens de " coopérer totalement " avec les Etats-Unis dans l'enquête lancée pour retrouver les responsables des attentats.
                  
16. Les USA et le terrorisme international - A trop vouloir jouer avec le feu... par Hassan Moali
in Liberté (quotidien algérien) du jeudi 13 septembre 2001

[Liberté est un quotidien algérien qui tire 50 000 exemplaires. Profitant de la parenthèse démocratique, au cours de laquelle la liberté de la presse a été introduite dans la Constitution de 1989, "Liberté" a fait son apparition dans les kiosques algériens en juin 1992. Ce journal francophone, indépendant et libéral, est proche des milieux patronaux. Républicain, démocrate et anti-islamiste, le journal, à cause de son engagement en faveur de la libre expression, a subi le courroux des pouvoirs publics et des extrémistes, lesquels ont menacé à plusieurs reprises son existence. http://www.liberte-algerie.com]
Ayant longtemps joué avec le feu des mentors des terroristes, les Américains ont fini par se brûler les doigts.
Faut-il vraiment s'étonner de la terrible catastrophe qui a frappé les Etats-Unis, au-delà de la compassion strictement humanitaire due au peuple américain, victime des erreurs stratégiques de ses dirigeants ? Cette question pour cynique qu'elle apparaît n'en est pas moins pertinente, tant les USA, c'est connu, sont les principaux sponsors du terrorisme international de ces dernières années. C'est un secret de Polichinelle de dire que tous les mentors de ce réseau mondial ont été formés dans les laboratoires de la CIA et financés par le gouvernement américain. Y compris le redoutable Ben Laden, qui hante les esprits des responsables US au point de devenir leur principale obsession. En Afghanistan comme au Proche-Orient et dans d'autres régions encore, les Américains ont, de tout temps, soutenu les activistes islamistes qu'ils ont entraînés, armés, financés et hébergés pour atteindre leurs objectifs stratégiques liés à leurs intérêts. Les accointances en tre les fers de lance du terrorisme international et les dirigeants des Etats-Unis remontent à l'époque de la guerre froide, plus exactement au début du conflit en Afghanistan en 1979, entre le régime communiste mené par Najibullah et l'opposition islamiste, que dirigeaient alors les moudjahidine afghans. Cette guerre, qui aura duré près d'une décade, a été déclenchée et entretenue par les Américains et l'URSS, qui se livraient à une bataille à distance à travers leurs alliés respectifs qu'ils alimentaient en armes ultrasophistiquées. Dix années durant, les Américains débourseront des sommes mirobolantes au profit des "combattants afghans". On parle de la coquette somme de cinq milliards de dollars que la CIA a dépensés pour entraîner et équiper les "moudjahidine". Pis, des hauts responsables de la sécurité des USA reconnaissent avoir étroitement collaboré avec les islamistes depuis le conflit en Afghanistan et les avoir dotés d'armes sophistiquées. Le comble est qu'une bonne partie de ces vétérans du conflit afghan a réussi à s'établir aux Etats-Unis, avec la bénédiction des responsables de ce pays. Il convient de souligner que même Ben Laden a été encouragé par la CIA, qui voulait "l'investir" avec les "moudjahidine" contre l'avancée du communisme soviétique, dans le cadre de la prévention du "péril rouge", avant qu'il ne devienne l'ennemi numéro un des Américains. D'autres activistes islamistes bénéficieront de l'hospitalité américaine, sans qu'ils rendent un quelconque "service" à ce pays. Bien au contraire. Le cas de Anouar Haddam, qui a revendiqué depuis Washington l'attentat contre le boulevard Amirouche (Alger), est à cet égard édifiant. L'on se souvient : les autorités des USA étaient quasiment favorables à l'accession du FIS dissous au pouvoir. Ayant eu des "garanties" que leurs intérêts pétroliers allaient être sauvegardés, les diplomates américains soutenaient presque ouvertement le parti de Abassi Madani. C'est dire que les Américains ont entretenu des rapports privilégiés avec les extrémistes de tous bords qu'ils utilisent dans leurs différentes zones d'influence, moyennant asile et fonds. Mais les stratèges de la Maison-Blanche et du Pentagone étaient loin de se douter qu'ils étaient en train de fabriquer le "fascisme vert" qui allait immanquablement se retourner contre eux. La preuve : depuis près d'une décennie, les Etats-Unis sont régulièrement ciblés par des attentats meurtriers revendiqués par les mentors de l'internationale islamiste, qui a tissé une véritable toile d'araignée au pays de l'Oncle Sam. Et ce triple attentat, unique en son genre, qui a ciblé les points névralgiques des USA à Washington et New York, vient de fournir une preuve, une autre, que les responsables américains, qui ont trop joué avec le feu, ont fini par se brûler les doigts.
La bombe islamiste qu'ils tripotaient depuis longtemps déjà a fini par leur exploser entre les mains. Moralité : les terroristes n'ont pas d'amis, fussent-ils des Américains, qui se voient ainsi arrosés après avoir longtemps arrosé ces bandes de criminels en armes et en argent.
               
17. A propos de la position de Jospin sur Durban ! par Mohamed Salmawy
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 12 septembre 2001

La position bizarre du premier ministre français, Lionel Jospin, au cours de la Conférence contre le racisme à Durban m'a étonné. Celui-ci a menacé d'un retrait de la France de la conférence si les délégations continueraient à vouloir assimiler le sionisme au racisme. Il a adopté ainsi une position totalement en conformité avec celle d'Israël et des Etats-Unis. J'ai été encore plus étonné que cette attitude émanant d'un pays « ami » soit passée inaperçue chez tous les gouvernements arabes. Aucun gouvernement n'a répliqué à la menace par la menace, aucun n'a fait le moindre signe de protestation et personne n'a non plus adressé d'avertissement ... Il est également probable que Jospin savait au préalable qu'aucun des Arabes n'allait lui causer des problèmes, ou même lui demander une explication sur cette surprenante position. Et ce, d'autant que le dossier du premier ministre français fait preuve d'un large registre d'hostilité envers les Arabes et d'une partialité non dissimulée vis-à-vis d'Israël. Une partialité dont l'acuité a augmenté ces derniers temps, à quelques mois du marathon des présidentielles en France. Que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de la France, tout le monde est conscient que Jospin s'emploie depuis quelque temps à remporter les prochaines présidentielles après les avoir perdues au profit de Chirac.
S'il y avait une quelconque surprise à laquelle aucun des observateurs ne s'attendait à Durban, c'est sûrement cette déclaration dont nous a gratifiés le premier ministre français au nom de l'Union européenne, en dépit du fait que la France n'est pas la présidente en exercice de l'union. Il était d'ailleurs remarquable que Jospin n'avait pas laissé le soin d'afficher cette position à la conférence au président de la délégation française, mais qu'il avait préféré l'annoncer lui-même de Paris, pour que lui revienne, à lui seul, ce mérite devant les voix juives qu'il commence à courtiser en prévision des prochaines présidentielles. Cette position relève du « show » et ne vise qu'à attirer les regards. S'il était question d'influencer la résolution finale de la conférence et d'empêcher d'insérer la partie qui assimile le sionisme au racisme, la seule voie pour parvenir à cet objectif aurait été la négociation politique avec les délégations arabes qui ont d'étroites relations d'amitié avec la France. De telles négociations sont la préoccupation majeure de toute conférence. Mais Jospin a préféré adopter une position théâtrale attirant les regards, au même titre que les délégations d'Israël et des Etats-Unis dont la position a suscité l'indignation de toutes les délégations. Elle n'a même pas échappé à la critique à l'intérieur même des Etats-Unis. J'ai devant moi un article du Washington Post rédigé par l'un des représentants des Etats-Unis auprès de la commission des droits de l'homme des Nations-Unies. Celui-ci estime que le retrait de son pays et d'Israël de la conférence est un échec des Etats-Unis dans les négociations, un manque de bonne vision des choses et une incapacité à exercer un leadership. Bref, il s'agit plutôt d'une position de gamins gâtés.
En réalité, si nous revenons au dossier de Jospin, nous verrons que la position qu'il a prise à Durban est une position de fonc de son histoire politique. La mémoire arabe indulgente se souvient très bien que le premier ministre avait visité Israël en mars de l'an dernier et y a tenu une conférence de presse à l'issue de sa visite pour qualifier de « terrorisme » les actes de résistance au Sud-Liban qui était alors sous occupation israélienne. Ainsi a-t-il repris à son compte la logique de l'occupant qui voit dans la résistance à son occupation un acte terroriste. C'est la position traditionnelle de n'importe quelle occupation étrangère tout au long de l'Histoire, y compris l'occupation nazie de la France, qui qualifiait le vaillant mouvement de résistance nationale de terrorisme et prenait ses héros pour des criminels.
La position de Jospin prise l'année dernière a eu les résultats escomptés : la partie juive n'a pas tari d'éloges à son égard à l'intérieur comme à l'extérieur de la France, à tel point que le journaliste sioniste connu pour son hostilité aux Arabes, Bernard Henri-Lévy, a écrit dans la revue Le Point que « Jospin a incarné le courage intellectuel français, il a ainsi sauvé la dignité de la France ! ». Quant à Henri Hajdenberg, président du Conseil Représentatif des Institutions juives de France (CRIF), il avait déclaré que le Hezbollah, fer de lance de la résistance au Sud-Liban, était un mouvement terroriste et que Jospin craignait que le Liban ne se trouve sous l'emprise du terrorisme. Comme si la source de danger pour le Liban n'était autre que la résistance nationale et non pas l'occupation étrangère ! Mais la tournure des événements a renversé la position de Jospin et de ses disciples parmi les présidents des groupes politiques juifs en France. Car juste quelques semaines après, le mouvement de résistance libanaise a réussi à contraindre les forces israéliennes à se retirer du sud, tout comme la résistance française avait réussi à libérer la France de l'occupation nazie.
Le dossier du premier ministre français ne comprend pas uniquement ce qui confirme qu'il considère la résistance arabe à l'occupation israélienne comme un mouvement terroriste qu'on doit condamner. Mais il comporte également des positions appuyant ouvertement les massacres israéliens dans les territoires arabes occupés. Comme ce fut le cas à Qana au Sud-Liban lorsque l'armée d'occupation israélienne a bombardé en 1996 le siège de l'Onu, tuant environ 200 civils désarmés, dont la moitié était des femmes et des enfants. Cette attaque sauvage a suscité la dénonciation du monde entier, sauf celle du secrétaire général du Parti socialiste français de l'époque, Lionel Jospin, qui a fait exception à l'unanimité internationale. Il en a au contraire appelé pour la première fois au droit de l'occupant à se défendre à l'intérieur des territoires d'autrui qu'il occupe par la force, contrairement à ce que stipulent les documents internationaux (!)
La position que le premier ministre français a tenu à afficher en personne à partir de Paris pendant la Conférence de Durban contre le racisme est en réalité une déviation de la politique étrangère française. Si nous la prenons au sérieux sans la laisser passer inaperçue comme les anciennes positions de Jospin, elle affectera sans nul doute le rôle impartial que joue la France au Proche-Orient face à la position des Etats-Unis, alliés d'Israël. Car la position constante de la France au Proche-Orient a été déterminée par le général de Gaulle juste avant la guerre de juin 1967, quand il a fait sa fameuse déclaration selon laquelle la France soutiendra l'agressé et sera contre l'agresseur. Nous serions contre celui qui tirera la première balle !, a-t-il dit. De Gaulle a tenu sa promesse et a immédiatement interdit la vente d'armes à Israël après qu'il fut prouvé qui avait déclenché cette guerre. De Gaulle était ainsi le premier président d'un Etat occidental dont la politique au Proche-Orient était basée sur les principes et non pas sur la partialité traditionnelle en faveur de l'Etat juif. Depuis ce temps, jamais la France n'a dévié de cette politique ni à l'époque de Pompidou, ni de Giscard ni de Mitterrand.
D'autre part, la position de Jospin lors de la Conférence de Durban est sortie du commun de la politique française. Il est connu que la politique étrangère en France est plutôt du ressort du président de la République et non pas du premier ministre. Malgré le fait que la Constitution française ne le stipule pas, il est de mise depuis la Ve République, instaurée par de Gaulle, que la politique étrangère est toujours faite à l'Elysée, et non pas à Matignon. Le président de la République représente la face internationale du pays. Mais on a l'impression que Lionel Jospin, qui court après le poste de président, a effectivement abandonné celui de premier ministre et a commencé à aspirer clairement à celui de l'Elysée, en s'accordant dès maintenant quelques prérogatives du président de la République, avant même que les présidentielles prévues l'an prochain ne soient lancées.
En réalité, Jospin se lancera dans les prochaines présidentielles au beau milieu de divisions dangereuses au sein de la gauche, entre le Parti socialiste d'un côté, le Parti communiste et celui des Verts de l'autre. Il semble que Jospin essaye dès maintenant de compenser cette division par le soutien qu'il peut recevoir des cercles juifs en France, grâce à ses partis pris flagrants en faveur d'Israël. Il tenait à cette position depuis sa défaite aux dernières élections. D'où sa position honteuse vis-à-vis du massacre de Qana juste un an et demi après sa défaite aux élections, suivie de son étrange appui à l'occupation israélienne au Sud-Liban, puis, cette année, sa menace sans vergogne de se retirer de la Conférence de Durban, comme les Etats-Unis et Israël, si celle-ci taxait le sionisme de racisme.
Le premier ministre français a justifié son soutien à l'occupation israélienne du Sud-Liban lorsqu'il a déclaré littéralement au Parlement français, après son retour d'Israël : « Notre politique au Proche-Orient doit reposer sur une relation privilégiée entre nous et Israël, étant donné qu'Israël participe avec nous à rehausser les valeurs démocratiques ». Telle est comme il me semble intégralement la position américaine. Cette politique dont la France a su se démarquer tout au long des dernières années, en adoptant une politique proche-orientale plus objective, tout en prenant le parti de l'ayant droit sans qu'elle ne soit ligotée par des « relations privilégiées » avec une autre partie. Mais voilà que Jospin répète la position américaine au Parlement français et le voilà maintenant qu'il suit la même lignée des Etats-Unis et d'Israël. Ce qui prouve que la position du premier ministre français, en conformité avec la position américaine, procède d'une position de principe à la limite du racisme parce qu'elle repose sur une conviction évidente chez le premier ministre selon laquelle la partie israélienne est « meilleure ». C'est pourquoi elle mérite qu'on noue avec elle une relation privilégiée, étant donné qu'elle représente la partie symbolisant le progrès et la démocratie, alors que la partie arabe est celle de l'arriération et du terrorisme. C'est une position dangereuse pour un candidat à la présidence d'un pays ami qui a été lié avec le monde arabe, tout au long d'un demi-siècle de relations basées, depuis de Gaulle et jusqu'à Chirac, sur des principes inébranlables et non pas sur une partialité raciale en faveur d'une partie.
La question qui s'impose actuellement est la suivante : quelle est la position arabe envers ce candidat qui participera sans doute aux prochaines présidentielles en France ? Quelle est l'attitude des Arabes résidant en France qui ont le droit de vote tout comme les juifs ? Quel type de coordination doit avoir lieu entre les pays arabes et les voix arabes en France, au même titre que la coordination entre Israël et les organisations juives françaises ? Quels sont les canaux qui peuvent assurer une telle coordination ? Quels sont les outils que l'on peut utiliser dans cette bataille politique qui influera sans doute nos relations avec la France ?
Y a-t-il des réponses satisfaisantes à ces questions ? Ou bien allons-nous, comme ce fut le cas avec ses précédentes positions, fermer les yeux sur la récente position du premier ministre, lui laissant ainsi l'occasion de récolter les gains auprès de l'autre partie, sans être dérangé ? ...
                   
18. Les ONG plus fortes que les gouvernements par Samar Al-Gamal et Aliaa Al-Korachi
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 12 septembre 2001

La Conférence mondiale de l'Onu contre le racisme, tenue à Durban, en Afrique du Sud, a adopté à l'arraché ses résolutions finales après des controverses houleuses sur les questions brûlantes du Proche-Orient et de l'esclavage. Le dossier régional a donné lieu à un bras de fer entre pays arabes et Etats-Unis, puis à de longues négociations avec l'Union Européenne (UE). Au final, le texte reconnaît le droit à l'autodétermination des Palestiniens et à la création d'un Etat, mais il ne mentionne pas le caractère raciste d'Israël comme le voulaient les Arabes. Voire, la déclaration finale de la conférence gouvernementale a été expurgée de toute condamnation véritable d'Israël. Ce qui explique la réaction mi-figue mi-raisin du chef de la diplomatie égyptienne : « Je ne peux pas parler d'une victoire pour les Arabes et les musulmans, mais plutôt de l'échec de ceux qui ont essayé d'entraver le succès de cette conférence et d'empêcher la mention de questions très importantes pour nous ». Tout a été prémédité pour parvenir à ce résultat, explique de son côté Emad Gad, chercheur au Centre d'Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d'Al-Ahram. Le retrait des Etats-Unis et d'Israël et les menaces de l'Europe, tout a été fait pour que l'Afrique du Sud propose un texte de compromis. D'ailleurs, Gad, qui a fait partie de la délégation de l'Union des avocats Arabes au Forum, affirme qu'on « accordait peu d'importance à la déclaration gouvernementale. Mais celle-ci n'a fait que dévoiler les divergences entre les pays arabes et montrer l'hégémonie des Etats-Unis sur ces régimes. Les pays arabes n'avaient pas une politique claire et homogène. Il y avait même des divergences entre eux sur la base de pays modérés et radicaux ».
Pourtant, les Arabes ont obtenu un succès de prestige avec les ONG. « Je considère que le succès de la conférence a été celui du communiqué des ONG. Il a été rédigé dans un langage très fort et a traité des nombreuses questions avec une très grande franchise et spontanéité. Il montre que la conscience des peuples n'est pas endormie et qu'on ne peut pas rester silencieux face à de telles injustices », affirme Mohamad Orabi, chef du cabinet du ministre égyptien des Affaires étrangères. « Israël au niveau non gouvernemental n'a aucune présence », ajoute Gad. Ce que les Israéliens ont dû avouer. Ainsi la presse israélienne considère que Durban a révélé que malgré le soutien indéfectible des Etats-Unis, « le monde entier est contre nous ».
3 500 ONG contre l'apartheid d'Israël
« Israël est un Etat raciste et d'apartheid », c'est en ces termes que quelque 3 500 Organisations Non Gouvernementales (ONG) réunies à Durban ont qualifié l'Etat hébreu. Elles ont dénoncé « les actes inhumains perpétrés pour maintenir cette nouvelle forme d'apartheid ». Dans l'article 80 de leur résolution finale, les ONG appellent « à l'arrêt immédiat des crimes racistes, systématiques commis par Israël, dont des crimes de guerre, actes de génocide et de nettoyage ethnique ». Ainsi, les ONG n'ont pas lésiné sur les termes à employer pour dénoncer les pratiques israéliennes à l'encontre des Palestiniens. Pour la première fois dans une réunion aussi élargie, Israël s'est trouvé la cible des qualifications et de critiques du même genre avec lequel il qualifie d'habitude les détracteurs de sa politique : « génocide, attaques militaires, tortures, arrestations, détention arbitraires, restrictions de mouvements et punitions collectives systématiques », un langage qui renvoie à une réalité israélienne qui se manifeste quotidiennement sur le terrain, mais dont la dénonciation en ces termes constituait un vrai tabou. Certaines ONG en tête, Human Rights Watch et Amnesty International, se sont désolidarisées du texte. Cette résolution des ONG qui a été déférée à l'Onu, même si elle n'a pas de valeur contraignante, « reste une honte qui entachera Israël à jamais. C'est une vraie catastrophe pour l'Etat hébreu que l'opinion publique, les ONG de tous les pays du monde adoptent un tel langage et assimilent le sionisme au racisme », affirme Emad Gad. « Même Israël et les Etats-Unis qui dès le départ avaient fait toutes sortes de pressions pour éviter une telle condamnation, ne s'attendaient pas à un langage aussi inédit ».
D'où la question qui se pose de savoir d'où émane la force des ONG qui leur a permis de franchir cette ligne rouge d'impunité derrière laquelle se retranche Israël et faite des réminiscences de l'holocauste et du sentiment de culpabilité ressenti par l'Occident ? Tout d'abord, les ONG se préparent à cette conférence depuis deux ans. « Les ONG étaient réparties sur 4 régions géographiques. Chaque groupe, dans chaque région, adoptait un papier. Les ONG arabes étaient fortement présentes en Afrique et en Asie, voire elles étaient les responsables de la préparation des conférences régionales », indique Mohamad Fayeq, secrétaire général de l'Organisation arabe des droits de l'homme. C'est ainsi qu'il a été possible de regrouper des témoins du racisme israélien. « Palestiniens, Syriens, Libanais et autres Arabes subissant l'occupation israélienne étaient convoqués à ces réunions pour raconter leurs souffrances », explique Fayeq. On se souvient que lors de la réunion préparatoire de la Conférence de Durban, tenue au Caire en juillet, des rescapés du massacre de Sabra et Chatila, en septembre 1982, étaient présents pour donner leur témoignage. Pour Emad Gad, d'autres facteurs s'ajoutent pour expliquer le succès des ONG qui contraste énormément avec les réserves et la retenue qui ont marqué la déclaration finale de la réunion des gouvernements. Les ONG, dit-il, avaient préparé toute une série de documents en anglais, français et arabe. Même les livrets de caricature réalisés par les dessinateurs arabes dénonçaient la politique américaine. Ce qui a constitué un autre facteur de succès pour les ONG. « Les ONG islamiques ont élargi leurs contacts et actions et ont condamné l'esclavage, des positions partagées par les Africains. Ces derniers par la suite ont soutenu les Arabes. Les efforts des deux groupes se sont ainsi conjugués pour condamner la politique colonialiste, la domination de l'Occident. Ils ont constaté que l'origine de leurs problèmes était la même : les Etats-Unis. D'où le soutien accordé à la cause palestinienne ». Les manifestations qui ont eu lieu lors de la conférence et auxquelles ont pris part 15 000 personnes toutes tendances confondues ont renforcé aussi le climat hostile aux Etats-Unis et Israël. « Communistes, musulmans, féministes, intouchables », tous ont défilé scandant leurs slogans particuliers. Ensuite, ils « lançaient des appels en faveur de la Palestine en brandissant les drapeaux de cette dernière », rapporte Gad. « Même trois rabbins venant de New York et Londres ont dénoncé la politique israélienne en affirmant que la fin de l'Etat israélien équivaut à la paix. Je suis juif et pas sioniste. Le sionisme est un Etat raciste ». Même le rabbin Ysraël David Weiss, venu de Jérusalem, du quartier orthodoxe de Mea Shearim, s'est lancé dans une longue dénonciation « de l'hérésie que constitue la création d'un Etat juif par la force » et qu'il « veut démanteler ».
L'Onu perd sa crédibilité
Les ONG israéliennes ont été prises au dépourvu par cette attitude. Elles n'ont pu que quitter le Forum. « Déjà, elles n'avaient pas de cause commune avec les autres délégations. Elles sont venues avec arrogance, sûres du soutien des Etats-Unis. Ces ONG croyaient se trouver en terrain conquis d'avance », ajoute Gad. La preuve en est que Mary Robinson, le Haut-Commissaire des Nations-Unies pour les droits de l'homme, qui s'était élevée dès le départ contre toute condamnation d'Israël, avait tenté d'ajouter une clause dite « l'article 14 » dans la déclaration des ONG. Cet article exprime l'inquiétude face « à la recrudescence de la tendance anti-sioniste et aux tentatives de priver l'Etat d'Israël de sa légitimité, à travers des accusations non-fondées, comme les crimes de guerre, le génocide, crimes contre l'humanité, épuration ethnique et apartheid. Ce qui constitue une nouvelle forme d'antisémitisme ». Pour être sûre que cet article soit voté, l'Onu a tenté d'accréditer 17 nouvelles ONG après la fin des inscriptions. Sous pressions arabes, ces ONG sionistes n'ont pu être inscrites. Par ailleurs, des ONG d'Amérique latine ont soulevé la question de cet article soumis au vote et réussi à le faire rejeter. Ceci a valu beaucoup de critiques à Robinson qui, selon les ONG, ne s'est pas limitée à son rôle en refusant de recevoir la déclaration finale des ONG, exigeant qu'elle soit modifiée. « Je ne peux pas accepter certains termes, en particulier les références au génocide », arguant du fait de l'emploi « d'un langage inacceptable et blessant qui ne devrait apparaître dans aucun document sortant de Durban ». Les ONG se sont opposées à la manœuvre. « L'attitude de Robinson était indéfendable », estime Mohamad Fayeq, tandis qu'Emad Gad renchérit : « Elle n'a pas le droit de demander une modification. Son rôle est celui d'un simple facteur ». En dépit des pressions de Robinson, le texte n'a pas changé d'un iota. « C'est un document qui laisse la parole aux peuples qui souffrent. On ne peut pas amender le témoignage d'une souffrance », a déclaré un délégué favorable au texte. C'est l'ambassadrice d'Afrique du Sud qui a reçu la déclaration finalement.
« Ce n'était pas la première gaffe de Robinson », dit Emad Gad. Déjà, elle avait critiqué : « Telle est la vérité ... le racisme du sionisme et d'Israël », un ouvrage de l'Union des avocats arabes en affirmant : « Je suis une juive ». C'est-à-dire en se mettant du côté déclaré du rejet de toute critique d'Israël. Lors de la séance de clôture du forum des ONG, le président cubain Fidel Castro a pris la parole pour s'élever contre « le génocide dont font l'objet des Palestiniens ». Une fois son discours de 3 heures terminé, Robinson lui a fait la morale : « Au lieu de nous donner des leçons théoriques, il vaut mieux que vous combattiez le racisme dans votre pays ». Les 6 000 personnes présentes ont manifesté contre elle et refusé qu'elle prenne la parole. Même l'intervention du chef de la diplomatie sud-africaine n'a pas réussi à calmer les esprits. Les ONG ont quitté la salle, laissant Robinson « s'adresser à des sièges vides », dit Gad.
Déjà, le secrétaire général de l'Onu, Kofi Annan, avait précisé lors de la cérémonie d'ouverture que deux sujets ne seraient pas au programme, l'assimilation du sionisme au racisme et les réparations pour les périodes d'esclavage. Une attitude qui n'a pas manqué de susciter l'étonnement surtout de la part d'un secrétaire général de l'Onu africain. A cet égard, le parti communiste sud-africain a organisé une manifestation à laquelle ont pris part 15 000 personnes accusant Kofi Annan d'être « un agent des Etats-Unis ». Tout ceci est « une preuve irréfutable du fait que l'Onu n'est qu'un instrument aux mains des Etats-Unis », estime Gad. Il ajoute que l'opinion publique dans la plupart des pays ne regarde plus cette organisation comme ayant un caractère international.
Cette conférence contre le racisme a aussi souligné le racisme des anciens pays colonisateurs, relève Gad. Ces pays, riches, avancés, qui parlent de démocratie, du respect des droits de l'homme, étaient incapables de rester à la table des négociations et discuter de manière civilisée. Lorsque les intérêts sont en jeu, tous les symboles tombent.