Point d'information Palestine > N°167 du 11/09/2001

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Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
                       
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Consultez régulièrement le site de Giorgio Basile : http://www.solidarite-palestine.org
                           
                
Au sommaire
        
Témoignages
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des citoyens de Palestine ou des observateurs. Ils sont libres de droits.
1. C'est la vie... par Gaëlle Dessus, citoyenne de Al-Quds  (Jérusalem)
2. Retour de Palestine par Claudine et Christian Chantegrel
                   
Télévison
1. Henri Curiel sur La Cinquième, le dimanche 16 septembre 2001 à 16h00
2. Israéliens, Palestiniens : la guerre de l'ombre sur France 2, le dimanche 16 septembre 2001 à 22h35
                           
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG.
1.Commentaires sur l’article "Y a-t-il une vie après Oslo ?", d’Emmanuel Navon, publié dans "Outre-Terre", revue française de géopolitique (N°1 janvier/mars 2001) par Marcel Charbonnier
2. Appel urgent de l'Université de Birzeit (8 septembre 2001) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. Un échec ? Quel échec ? (ou le succès du forum des ONG de Durban) par Marwan Bishara publié dans le Point d'information n° 82, du The Center for Policy Analysis on Palestine, 7 septembre 2001 [traduit de l'anglais par Annie Coussemant]
                    
Revue de presse
1.Les colonies : un mécanisme de ségrégation par Jean Chatain in L'Humanité du lundi 10 septembre 2001
2. La plainte contre Sharon suspendue par Jean-Pierre Borloo in Le Soir (quotidien belge) du samedi 8 septembre 2001
3. Le monde arabe traversé par un anti-américanisme virulent par Mouna Naïm in Le Monde du samedi 8 septembre 2001
4. La Palestine au désespoir selon l'ONU par Alexandra Schwartzbrob in Libération du vendredi 7 septembre 2001
5. Les enfants perdus de l'Intifada par Vincent Hugeux in L'Express du jeudi 6 septembre 2001
6. Ariel Sharon et l'honneur d'Israël par Théo Klein in Le Monde du jeudi 6 septembre 2001
7. Il n'y a pas d'avenir pour nous sous l'occupation par Mohamed Moustapha in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 5 septembre 2001
8. D'où vient le sionisme ? par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du mardi 4 septembre 2001
9. Séparés et inégaux en Cisjordanie par Amira Hass in The New York Times du dimanche 2 septembre 2001 [traduit de l'anglais par Giorgio Basile]
10. Propagande et guerre par Edward Said in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 30 août 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                        
     
Témoignages

                         
1. C'est la vie... par Gaëlle Dessus, citoyenne de Al-Quds  (Jérusalem)
Mardi 4 septembre 2001 - Nous étions à 300 mètres de l'école lorsqu'elle a explosée. Juste devant le Lycée français. Par chance personne de notre école n'a été touché et pourtant c'était l'heure de la rentrée du matin.
Confusion des sentiments. Sommes-nous maintenant plus en danger ? Ce danger est maintenant palpable, il est devenu réalité et non plus abstrait via télé interposée.
Après coup, il n'en reste que pitié et désolation. Pitié pour ce pauvre homme qui s'est fait explosé, tristesse pour sa famille. Désolation pour cet Etat et surtout ce peuple israélien qui aura encore besoin de combien de morts pour comprendre ? Une première Intifada de 5 ans n'a pas suffit. Cette fois il faut encore plus de morts. La haine n'appelle que la haine. L'opprimé doit résister, le fort doit aider.
Espoir tu es là en chacun de nous. Mais aujourd'hui tu es tout petit.
                     
2. Retour de Palestine par Claudine et Christian Chantegrel
Nous étions en Palestine du 17 au 23 août, dans le cadre d'une mission civile de protection du peuple palestinien.
Composée de citoyens français de diverses origines et sensibilités, dont Mgr Gaillot (1), cette mission avait trois objectifs principaux :
- Observation et témoignage,
- Protection du peuple palestinien et solidarité active,
- Pression sur les gouvernements occidentaux pour l'envoi d'observateurs officiels et d'une force de protection internationale.
Nous avons le devoir de témoigner de la situation vécue par le peuple palestinien. Avant ce voyage, nous nous croyions personnellement informés, mais la réalité dépasse l'entendement.
On ne peut, en quelques pages, exposer dans le détail tout ce que nous avons vu. Nous allons essayer de décrire quelques événements qui nous semblent significatifs : la manifestation à la Maison d'Orient, celle au check-point de Bethléem, la rencontre avec Yasser Arafat, et le temps passé au camp de Dheisheh.
Nous voulons tout de même ne serait-ce qu'évoquer d'autres points qui nous ont marqués :
- L'arrivée à l'aéroport de Tel-Aviv, avec fouille et intimidation, risque d'expulsion immédiate, interventions du consulat, des médias, et même du Patriarche de Jérusalem... 
- Puis l'accueil chaleureux des militants juifs et arabes, la première soirée de fête dans un village-fantôme de Galilée, un village arabe en territoire israélien sans existence légale, sans route, sans électricité ni service public et qui n'existe encore que par la force de ses habitants et la solidarité (villages alentour, militants pacifistes, palestiniens, israéliens et étrangers...).
-  Le réseau de colonies, de routes de contournement et de positions militaires qui contrôlent, encerclent, étouffent chaque ville, chaque village et même Jérusalem. 
- L'approvisionnement en eau et électricité des zones d'habitations palestiniennes dépendant d'Israël. Les restrictions d'eau constatées à Yatta, petite ville au sud d'Hébron, et le contraste avec les colonies verdoyantes qui entourent l'agglomération.
- Les bédouins harcelés par l'armée et les colons, alors que la Cour Suprême a reconnu leur droit à vivre sur cette terre. Leurs abris ont été détruits et leurs puits condamnés, tout est fait pour qu'ils partent.
- A Jérusalem, les zones industrielles en construction aux abords des zones palestiniennes, viviers de main d'œuvre à bon marché. Cette vision constitue un argument magistral sur le terrain pour les militants d'une PAIX JUSTE. Il s'agit de veiller à la création d'un état souverain et viable et non pas un ensemble de bantoustans.
- A Shuafat, dans la banlieue de Jérusalem, la détresse de cette femme qui nous montre les ruines de sa maison, le désespoir de ces familles qui nous reçoivent et nous demandent de les aider à protéger leurs habitations menacées. Ces démolitions sont d'autant plus scandaleuses qu'il est pratiquement impossible de construire, même pour le propriétaire d'un terrain : le seul dépôt d'une demande de permis coûte une somme colossale (de 100 000 à 300 000 FF !) et ce permis est très rarement délivré. Des milliers de familles palestiniennes ont reçu un mandat de démolition qui peut se produire d'un jour à l'autre. Les bulldozers arrivent et détruisent tout. Pour tenter d'empêcher la démolition de 9 maisons à Shuafat (plus de 100 personnes jetées à la rue), nous sommes allés devant le tribunal, nous comptions assister au jugement, nous avions prévu de dormir dans les maisons menacées. Le procès a alors été reporté (la présence de délégations étrangères aurait-t-elle dérangé ? ) mais jusqu'à quand ?...
- A Beït Jala, la visite des maisons bombardées, les discussions avec les habitants, chrétiens et musulmans qui vivent sous la menace constante des tirs en provenance de Gilo. La visite sera d'ailleurs écourtée. Il faut faire vite, car les risques sont accrus à la tombée de la nuit. La colonie de Gilo, construite sur des terres confisquées, occupe, face à la ville, une position dominante. Au pied des constructions neuves semblables à des fortifications, on aperçoit un tank... Sensation désespérée, les gens nous disent l'importance de notre témoignage de retour chez nous, leur vie est intenable. Depuis, Beït Jala a fait la une des informations, l'armée a occupé la ville, puis en est partie, laissant derrière elle des blessés et des dommages matériels importants...
Dès le samedi 18, nous sommes à Jérusalem. La violence ici s'exerce de toutes les façons possibles, et les symboles sont lourds de signification : la "maison de Sharon" à quelques mètres de la porte de Damas, sur le chemin de l'Esplanade des Mosquées, les provocations grinçantes des drapeaux israéliens immenses, les civils israéliens portant pistolets à la ceinture ou mitraillette en bandoulière et déambulant dans la vieille ville arabe,  l'impossibilité pour les visiteurs (même musulmans) de s'approcher des lieux saints, l'occupation de la Maison d'Orient... Est-il besoin de rappeler l'importance de ce dernier lieu, seule porte ouverte vers le monde extérieur permettant aux palestiniens d'y rencontrer israéliens et étrangers ?...
La manifestation à la Maison d'Orient : A l'appel d'un groupe palestinien, nous avons participé à la manifestation prévue devant la Maison d'Orient. Les forces de l'ordre avaient bouclé le quartier, nous sommes allés jusque devant le barrage policier qui obstruait la rue menant à la Maison d'Orient (nous ne verrons même pas le bâtiment). Par petits groupes, des palestiniens sont arrivés, des pacifistes israéliens, américains, et de différentes nationalités. Les media, en grand nombre pour couvrir l'événement, ont interviewé Jacques Gaillot, mais aussi d'autres personnes. Nos pancartes et nos slogans dénonçaient l'occupation illégale et demandaient le respect des droits humains en Palestine. L'ambiance était à la fois tendue et animée. Sous un soleil brûlant, les participants ne ménageaient pas leur peine pour exprimer leur indignation. Les interventions orales individuelles alternaient avec les slogans clamés en groupe, et tout cela en français, en anglais et en arabe. Au moment où l'énergie commençait à faiblir et où nous allions mettre fin au rassemblement, un car entier de palestiniens est arrivé et a relancé notre ardeur.
Les soldats impassibles attendaient que ça passe, ils ont ensuite semblé surpris que cela dure autant, ils ont même été obligés, à un moment donné de faire circuler des juifs extrémistes qui venaient provoquer la manif par derrière. Un groupe de soldats a finalement bloqué une rue de plus (pour ne pas laisser les colons ou autres sionistes approcher...). Le seul incident notoire fût créé par le chef des flics qui a soudain fendu la foule pour venir inquiéter une jeune israélienne. Il l'a menacée de l'arrêter si elle répétait son slogan, "Sharon Assassin !"
Les habitants de Jérusalem et autres palestiniens profitaient de la protection (toute relative) fournie par la présence d'étrangers et des médias, pour s'exprimer librement sur la politique coloniale de l'état d'Israël.
En fin de compte, nous sommes restés plus de 2 heures, et cela est important dans la mesure où c'est la première fois, depuis l'occupation de la Maison d'Orient, qu'une manifestation n'a pas été violemment dispersée en 10 mn...
Plus tard, nous avons rencontré la délégation italienne, emmenée par Mme Luisa Morgantini, député européenne. Il y avait aussi des anglaises, des américains et d'autres personnes venant à titre individuel. Pour préparer l'action suivante, en fin d'après-midi, à Bethléem...
La manif au check-point de Bethléem : Les check-points, ce sont les points de contrôle. Ils sont très nombreux. Pas question de circuler librement d'un point à un autre. L'entrée de Jérusalem, par exemple, est strictement contrôlée, les palestiniens des territoires n'ont pas le droit d'entrer (sauf permis spéciaux...). Le premier check-point que nous verrons, c'est celui de Bethléem. On nous dit que ce n'est pas le pire. En effet nous aurons l'occasion d'en voir d'autres. Un vieux monsieur nous montre la petite église sur la colline, de l'autre côté, et nous dit : "c'est là que je priais quand j'étais petit, voilà dix ans que je n'ai pas pu y aller"... Un camion est arrêté là, toute la marchandise est déchargée sur le bas-côté et attend d'être contrôlée, sous un soleil de plomb. Il y a, entre autres, des caisses de fruits et de légumes, il y a même des sacs de glaçons... Et cela peut durer des heures... Des hommes sont accroupis contre un mur. Ils attendent que l'un des jeunes soldats veuille bien leur rendre leur permis. Pourront-ils passer aujourd'hui ? C'est le règne de l'arbitraire le plus total...
Le but de la manif était "d'ouvrir", symboliquement, le passage à la libre circulation des personnes. Le rassemblement, arborant drapeaux palestiniens et banderoles, qui s'est présenté au check-point était formé de quelques dizaines de palestiniens entourés d'une chaîne de citoyens étrangers destinée à les protéger d'éventuelles arrestations. En tête, Jacques Gaillot, Luisa Morgantini et quelques autres formaient le "groupe de contact" chargé de négocier avec les soldats.
Evidemment, les soldats ne voulaient pas négocier. Ils se contentaient de dire que l'on ne pouvait pas passer, que c'était les ordres, etc...
N'empêche que, contre toute attente, on réussissait à avancer, mètre par mètre, en débordant un peu par ici, en poussant un peu par là... Les soldats ne savaient pas trop comment réagir, à la fois impressionnés par le calme olympien de Jacques et l'autorité inflexible de Luisa, mais aussi peut-être, à cause de la conscience de la gravité d'une bavure en de telles circonstances.
Les véhicules blindés arrivaient de plus en plus nombreux et des deux côtés de la soit-disant "frontière", manœuvraient de façon désordonnée, déchargeaient leurs troupes de soldats plus effrayants que les jeunes appelés du check-point. Il y avait parmi eux la police des frontières, parce que l'armée n'a pas le droit d'arrêter des étrangers.
Pourtant, le cortège avançait toujours, lentement mais inexorablement, et la tension montait proportionnellement. Les cris indignés de "No Violence !!!" scandés par tous lorsque les soldats faisaient mine de nous repousser alternaient avec des phrases individuelles courtoises, presque amicales du style, "You don't need to be afraid, we won't hurt you, just let our people go..." Des phrases aussi qui expliquaient le droit international et l'illégalité des check-points. Tout en gagnant quelques centimètres à chaque mot.
Les négociations ont fini par aboutir à l'accord suivant : l'armée nous laissait passer, mais sans les drapeaux. Quelques secondes pour faire passer le mot, puis les palestiniens (dont des vieillards) ont refusé tout net. C'est en tant que palestiniens qu'ils voulaient passer, avec leur drapeau sinon, rien ! L'ordre de la retraite a donc été donné, mais c'est avec un sentiment de victoire que le cortège a rebroussé chemin, lentement, dignement, banderoles et drapeaux au vent et en chantant des chants révolutionnaires. Comme on approchait de Bethléem, des habitants nous ont rejoints, donnant une image de fraternisation très forte et très émouvante.
La rencontre avec Yasser Arafat : A l'invitation du Président Yasser Arafat, les délégations françaises et italiennes se sont rendues à Ramallah. Cette rencontre n'était pas prévue. Pour nous, elle montrait l'importance accordée par l'Autorité Palestinienne à notre démarche citoyenne. Arafat nous a remerciés de notre présence et exposé la situation dramatique actuelle, son discours était interrompu par le téléphone qui lui annonçait des destructions de maisons non loin de là, à Beit Hanina. Il a conclu en nous disant "we don't ask for the moon" et en nous demandant de faire campagne pour l'envoi d'observateurs internationaux. Nos portes-parole ont expliqué les motivations de notre présence, et se sont engagé à relayer le message en Europe, à témoigner de la situation vécue par le peuple palestinien, enfin à continuer à assurer la présence de missions internationales, dans l'attente de l'envoi d'observateurs officiels. Nous sommes partis avec un sentiment écrasant de responsabilité et d"impuissance, un mélange d'espoir et de désespoir.
L'accueil à Dheisheh : L'accueil qui nous a été réservé par le centre Ibdaa au camp de réfugiés de Dheisheh, nous a permis de vivre cette semaine dans les meilleures conditions. Nous passons brièvement sur les conditions impeccables d'hébergement, la disponibilité de nos hôtes, et la gentillesse de tous. Mais ce qui nous a beaucoup apporté fut ce souci constant de nous entourer, de nous exposer leurs actions, nous montrer le fonctionnement de leurs organismes démocratiques, malgré les difficultés dues au "bouclage". Nous avons côtoyé des dizaines de personnes qui, malgré le harcèlement de l'armée et des conditions économiques tragiques, travaillent à une solution politique, défendent une action non-violente.
Comment trouver les mots pour témoigner de la dignité, la patience, la détermination et le degré de conscience des palestiniens rencontrés. Tous ou presque ont passé des mois ou des années dans les prisons israéliennes. Toutes ces personnes oeuvrant pour une résistance citoyenne, nous racontent patiemment les difficultés quotidiennes, évoquent les risques encourus, les espoirs déçus. Tous nous ont remerciés d'être là, simplement, nous disant l'importance d'un soutien moral, nous demandant de témoigner de leur situation, de lancer un appel à la communauté internationale.
Nous tenons aussi à saluer le courage et la clairvoyance des pacifistes juifs israéliens ou étrangers qui n'hésitent pas à dénoncer l'occupation et l'injustice et militent aux côtés des palestiniens pour une paix juste.
Nous n'avons pas vu le fanatisme décrit dans les media, mais nous avons vu les citernes d'eau sur les toits que les israéliens prennent régulièrement pour cible. Nous avons vu les 50% de chômage, nous avons senti la tension permanente, nous avons entendu le tir des chars sur El Khader, tout proche. Tout ceci pousse plus certainement aux actes désespérés que n'importe quel endoctrinement. Et d'ailleurs, ce qui a fini par nous étonner, comme l'a dit Mgr Gaillot à la fin du séjour, c'est "qu'il n'y ait pas plus de terrorisme, vue la situation".
En une semaine, nous avons vu tous les jours la situation insupportable imposée à tout un peuple par une occupation coloniale. Nous avons compris pourquoi Israël s'obstine à refuser la présence d'observateurs internationaux.
Mais comment peut-on justifier ce refus ? Qu'attend-on pour imposer l'application des résolutions successives de l'ONU ? A l'heure où les puissances occidentales prétendent tout mettre en oeuvre pour la défense des droits humains, il est une région où les droits les plus élémentaires sont bafoués tous les jours.
Nous exhortons toutes les personnes attachées au respect de la dignité humaine à s'informer plus précisément (2), à refuser la désinformation criminelle, à participer aux campagnes de soutien, et si possible, à participer aux futures missions civiles de protection du peuple palestinien (3). Chaque citoyen étranger présent sur place peut mettre un frein, à sa mesure, aux exactions commises.
(1) Composition de cette mission : Samir Abdallah, cinéaste - Mohamed Badiche, directeur adjoint de la Maison du Maroc à Paris - Joy Banerjee, Journaliste Reporter d'Images - Youssef Boussoumah, enseignant - Anne-Marie Camps, photographe - Christian Chantegrel, enseignant - Claudine Chaouiya-Chantegrel, universitaire - Jocelyne Dray, photographe - Robert Edme, photographe - Eric Fonvielle, étudiant - Chiraz Gafsia, étudiante - Jacques Gaillot, évêque de Parténia - Didier Inowlocki, cinéaste - Frigga Karl, cinéaste - Jérôme Lallemand, informaticien - Anne-Marie Latrémolière, graphiste - Iniaki Lekuona, journaliste rédacteur - Fatiha Mlati, responsable associative - Wafaa Ouachekradi, animatrice - Michèle Sibony, enseignante - Laurent de Wangen, enseignant - Patrick Watkins, cinéaste.
(2) "Point d'information Palestine" (Newsletter hebdomadaire gratuite, réalisée par l'AMFP Marseille) Inscription :
amfpmarseille@wanadoo.fr
Site "Solidarité Palestine" http://www.solidarite-palestine.org
Site "Alternative Information Center" : http://www.alternativenews.org
(3) Appel à l'envoi de missions civiles de protection du peuple palestinien : http://www.solidarite-palestine.org/ads003.html
                                           
Télévision

                                   
1. Henri Curiel
sur La Cinquième, le dimanche 16 septembre 2001 à 16h00
Henri Curiel par Y.-M. L.
in Le Monde Télévision du 10 septembre 2001
Il était né en Egypte dans une famille de grands propriétaires terriens. Sensible à la détresse des fellahs, il comprit l'urgence d'agir. Tiers-mondiste avant l'heure, Henri Curiel, "homme à part", selon le titre de la biographie que lui consacra Gilles Perrault (Ed. Barrault, 1984), était aussi communiste, mais d'une fidélité un peu abstraite à l'URSS. Fondateur du Mouvement égyptien de libération nationale, il aida la France libre puis les réseaux du FLN, avant de créer Solidarité, une internationale de l'entraide, faite de bénévolat et d'idéalisme efficaces. Il fut le premier à croire au dialogue entre Israéliens et Palestiniens, organisé en secret à son domicile. Henri Curiel fut assassiné en 1978. Ses meurtriers n'ont jamais été trouvés. Diffusé sur le réseau câble et satellite de La Cinquième (et rediffusé sur le réseau hertzien le dimanche 16 septembre à 16 heures), HenriCuriel, Itinéraire d'un combattant de la paix et de la liberté, de Mehdi Lallaoui, raconte sans fioritures ce parcours d'un juste.
                
2. Israéliens, Palestiniens : la guerre de l'ombre
sur France 2, le dimanche 16 septembre 2001 à 22h35
Trente ans de conflit en coulisses. L'histoire sous un autre angle par Francis Cornu,
in Le Monde Télévision du 10 septembre 2001
C'est dit froidement : "neutraliser", "liquider", "éliminer", "tuer". Ces Israéliens et Palestiniens, qui commencent aujourd'hui à raconter la guerre secrète et sans merci à laquelle ils se sont livrés pendant près de trente ans - des lendemains de la guerre de six jours (1967) aux premiers accords de paix (1993) -, le font presque sans haine, avec même, parfois, de l'estime.
Leur travail consistait souvent à s'entretuer, mais, agents anonymes ou chefs de services, ils emploient un langage technique, professionnel, beaucoup moins passionné, voire vengeur, que celui des politiques à l'époque, sans parler de celui des foules - souvent haineux, lui. Sur le devant de la scène, l'Etat d'Israël et l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) ont lnogtemps prétendu nier jusqu'à l'existence de l'"autre", mais quand, en coulisses, il a fallu se rendre à l'évidence et établir de très discrets contacts préliminaires (à Paris, à lafin des années 1980), dans la perspective de pourparlers éventuels, c'est à ces "tueurs", ces hommes de sang-froid que l'on a confié cette tâche. Ces gens de renseignement se connaissaient, dans une certaine mesure, car c'est le b.a.-ba du métier. Ils allaient être les premiers à se "reconnaître" et plus tard à collaborer.
Cette démonstration, faite en ne donnant la parole qu'aux hommes de l'ombre des deux bords, constitue l'un des grands intérêts de ce long documentaire de François Rabaté. Au moment où tout paraît à nouveau remis en cause entre Israéliens et Palestiniens, l'autre intérêt majeur est de passer en revue de détail, sous un angle singulier - celui des coulisses et des secrets à peine voilés - trois décennies de l'histoire complexe et tragique du Proche-Orient. Toutefois, on ne peut manquer de comparer cette enquête ambitieuse à un document assez similaire, plus modeste mais plus abouti : La Liste Golda, diffusé au printemps par France 3.
Arnaud Hamelin et Emmanuel François n'avaient retenu que quelques-uns des multiples règlements de comptes israélo-palestiniens, mais avaient davantage "fouillé" chaque cas. Ils avaient déjà recueilli les confidences d'Abou Daoud, le "terroriste" le plus traqué par le Mossad, et les Israéliens de l'ombre étaient mieux représentés : le général Aharon Yariv, Ehoud Barak. Dans l'ensemble, les différents interlocuteurs se montraient plus précis. Avec François Rabaté, on constate que, s'ils parlent à visage découvert, les anciens agents secrets savent rester évasifs.
             
Réseau

                        
1. Commentaires sur l’article "Y a-t-il une vie après Oslo ?", d’Emmanuel Navon, publié dans "Outre-Terre", revue française de géopolitique (N°1 janvier/mars 2001) par Marcel Charbonnier
[Marcel Charbonnier vous propose une lecture critique de cet article d'Emmanuel Navon, docteur en sciences politiques... En italique, le texte d'Emmanuel Navon, en bleu, les commentaires de Marcel Charbonnier.]
"Guerre civile en Israël ? Le ‘mur d’airain", projet géopolitique du sionisme. Israël veut depuis toujours se séparer, autant que faire se peut, des Palestiniens. Réalistes et rêveurs : le tournant d’une partie des travaillistes. Oslo en sous-main. Les Arabes ne veulent pas la paix. La solution : une action unilatérale. L’Intifada d’al-Aqsa a pris Israël par surprise en septembre 2000 et fait peser de sérieux doutes sur la possibilité de mettre une fin pacifique, par le processus d’Oslo, au conflit qui oppose le monde arabe au sionisme depuis un siècle. En ouvrant le feu contre l’Etat hébreu alors que le Premier ministre Barak acceptait de transférer 90% des territoires et Jérusalem-est à la Palestine en gestation tout en renonçant à une souveraineté israélienne sur le Mont du Temple, Arafat portait un coup mortel au présupposé de la paix : Israël et les Palestiniens, par l’abandon respectif de revendications nationales, allaient pouvoir coexister, précisément, pacifiquement."
>>> D’après l’auteur, l’intifada est première, elle n’est pas provoquée par la violation par Israël de la légalité internationale et des accords déjà signés dans le cadre du processus (dit ‘de paix’) d’Oslo, et encore moins par l’incursion de Sharon sur le "Mont du Temple" (j’utilise à dessein les définitions géographiques de l’auteur, il faut bien qu’il s’y retrouve). Remarquons le caractère sournois d’une insurrection par définition non-spontanée (a-t-on déjà beaucoup vu, dans l’histoire, des "insurrections sur commande" ?), mais suffisamment discrète pour prendre un Etat qui n’est pourtant pas tombé de la dernière pluie en matière de renseignement, Israël, "par surprise"... Mais tout bon raciste anti-arabe sait bien que la sournoiserie, chez les Arabes, n’est pas le dernier défaut de ces cousins sémites des Juifs.
Heureusement, cette "intifada fait peser de sérieux doutes sur la possibilité de mettre une fin pacifique au conflit"... L’objet de l’article d’Emmanuel Navon étant de démontrer, comme nous le verrons plus tard, que toute solution pacifique au conflit est impossible, Navon Emmanuel est-il tout à fait étranger au déclenchement de l’Intifada al-Aqsa ? Grave question.
Veuillez noter que c’est Arafat qui a ouvert le feu contre l’Etat hébreu, et cela au moment même où Barak lui faisait ses propositions d’une extraordinaire "générosité". Jusqu’à présent, on reprochait à Arafat son ingratitude et son jusqu’au-boutisme face à la générosité israélienne, mais là, c’est pire : Barak tend ses "cadeaux" à Arafat sur un plateau d’argent et que fait Arafat ? ... Il le flingue !
Notons aussi que ce qui était au principe même du processus d’Oslo, c’était l’"abandon respectif de revendications nationales", permettant la coexistence pacifique. Admirons le souffle de Navon : il en paraîtra encore plus admirable lorsque nous aurons rappelé que les Palestiniens ont réduit leurs "revendications nationales" à 22% de la superficie de la Palestine historique ! On est bien dans la disposition d’esprit classique des sionistes : "tout ce qui est à moi est à moi, tout ce qui est à vous se discute..."

"La gauche israélienne, cependant, renâcle à admettre l’échec d’Oslo. Bien que l’OLP ait libéré des terroristes du Hamas (mouvement dit de la résistance islamique, né en 1988, qui combat pour la destruction de l’Etat d’Israël et la création d’un Etat palestinien islamique) et du Jihad islamique, qu’elle coordonne avec ces organisations des attaques contre des citoyens et soldats israéliens. Les militaires entrés par erreur à Ramallah n’ont-ils pas été lynchés alors qu’Oslo prévoyait une liberté de circulation pour les Israéliens dans les villes palestiniennes ? L’antique synagogue de Jéricho et la tombe de Joseph n’ont-elles pas été profanées et détruites par les Palestiniens alors qu’Oslo était censé protéger nos droits à prier dans les cités des Palestiniens ?
Il reste assez surprenant que les Israéliens de gauche se veuillent, dans pareil contexte, les garants du réalisme politique dans le pays."

>>> Après avoir constaté que M. Navon n’est sans doute pas de gauche (il doit être de droite, alors ?), tremblons à l’idée que les Israéliens de gauche ne sont pas les garants du réalisme politique dans leur pays. Il doit bien falloir qu’il y ait des garants du réalisme politique en Israël. S’ils ne sont pas trouvables à gauche, rendons-nous à l’évidence, ils sont de droite, et leur modèle est M. Shavon, non, Naron, non... Navon (excusez-moi). Bigre !
Monsieur Sharon, qu’on ne saurait soupçonner d’être de gauche, a donc certainement admis, avec son réalisme politique légendaire, que le processus d’Oslo a échoué. Que Monsieur Navon soit un peu moins dur avec la gauche israélienne : la simple présence de M. Pérès aux côtés de Sharon, dans son gouvernement qui plus est, montre qu’il y a au moins un homme de gauche en Israël qui s’y porte garant du réalisme politique. Et il n’est pas l’unique exception qui confirmerait la règle, puisque dans ce gouvernement d’"union nationale", on trouve aussi un autre gauchiste impénitent : Benyamin Eliezer, ministre de la défense...
Incontestablement, les deux soldats israéliens appartenant aux "musta’ribin", en mission, et démasqués par la foule, ont bien été lynchés. Mais si vous apparteniez aux musta’ribin de l’armée israélienne, iriez-vous faire du tourisme à Ramallah, en pleine intifada, alors même que les rues sont encore pleines de la foule des manifestants ayant accompagné vers leur dernière demeure plusieurs de vos victimes, que vous venez d’envoyer dans l’autre monde de la manière la plus abjecte : en vous déguisant afin de déjouer leur vigilance ?
Décidément, ces Israéliens sont vraiment très très pieux. Le principal point des accords d’Oslo, c’est qu’ils devaient "protéger leurs droits à prier dans les cités des Palestiniens"... Amis de la Garenne-Bezons : êtes-vous bien surs que l’HLM où vous habitez n’a pas été construite sur les vestiges d’une synagogue antique ?
"Les sources de la nation - Vladimir Jabotinsky, le leader du sionisme "révisionniste" historique, pensait que jamais les Arabes n’accepteraient volontairement la transformation de la Palestine du Mandat en un Etat juif ; il s’opposait aux idéalistes selon lesquels un fort développement économique les convaincrait de se rendre aux arguments du sionisme. Dans ces conditions, les Juifs n’avaient d’autre choix que de leur imposer le projet par la force et de protéger le territoire de l’Etat hébreu à venir par un mur d’airain. La gauche juive avait beau dénoncer le caractère "immoral" de ces conceptions, Jabotinsky ne décrivait pas les Arabes comme il souhaitait qu’ils fussent, il reconnaissait leurs sentiments pour ce qu’ils étaient. D’où encore le régime d’autonomie qu’il était prêt à accorder à la minorité arabe vivant dans le pays d’Israël à venir. D’où enfin son aptitude à reconnaître les limites de l’entreprise sioniste : l’importance par exemple du soutien britannique (adresse à des membres du parlement en juillet 1937, qui présentait l’Etat juif en gestation comme un atout pour Londres) ; certains documents prouvant qu’il était prêt à accepter le projet de partition de la même année dans un cadre territorial un peu modifié."
>>> Ici apparaissent les deux grandes "tendances" du sionisme : les "révisionnistes", guidés par leur grand chef spirituel Vladimir Jabotinsky, prônent l’établissement d’une forteresse juive (d’où on aurait chassé au préalable les Arabes, bien entendu), entourée d’un "mur d’airain"... On retrouve encore une fois toute la quincaillerie folklorico-moyenâgeuse et grandiloquente de l’"épopée" sioniste, avec force noms mythologiques, tels Tsahal, alya, sabra... (à croire, que comme un autre mouvement nationaliste célèbre, que je ne citerai pas, il se reconnaîtra, le sionisme trouve son inspiration dans les grandes fresques teutones à la Wagner, compositeur qui, bien loin d’être banni en Israël, devrait en être la mascotte) et, c’est nouveau, ça vient de sortir, le "mur d’airain"... On peut se demander si ce "mur d’airain" est bien à même, sur le long terme, de protéger le "colosse aux pieds d’argile" (pour poursuivre encore un peu dans l’ambiance "Armaggedon") ?
Contrairement à la gôche sioniste (oximoron, sortez des rangs!) juive qui, en dénonçant le caractère "immoral" de la conception jabotinskienne, voulait sans doute et avant toute chose s’auto-décerner un label "moral" (?), Jabotinsky est, lui, réaliste : il voit les Arabes tels qu’ils sont, et non tels que les rêveurs de gôche eussent souhaité qu’ils fussent... Pour tout projet à venir de colonisation inspirée du sionisme, et compte tenu des leçons des guerres coloniales, en général, on ne saurait trop conseiller aux candidats colonisateurs de procéder au préalable à un radio-trottoir parmi les indigènes dont ils convoitent le territoire, afin de sonder leurs états d’âme. Ca peut aider...
"Certes, Menahem Begin s’était ouvertement opposé au pragmatisme et au réalisme de Jabotinsky lors du troisième congrès mondial du Betar (mouvement de jeunesse de l’aile droite du sionisme révisionniste) en 1938. Cela ne l’empêche pas de s’y rallier partiellement quand il devient Premier ministre en 1977. Pour lui, le traité de paix avec l’Egypte qui reconnaît désormais l’existence d’Israël après avoir compris que l’Etat hébreu ne saurait être détruit, constitue justement l’illustration parfaite de la théorie du mur d’airain. Mustafa Khalil, secrétaire général du parti socialiste au pouvoir, n’exprime-t-il pas brutalement les raisons qui poussent Sadate à faire la paix : "nous savons ne pas avoir la moindre chance de gagner une guerre contre vous et devons rechercher une autre solution ; et puis, vous avez la bombe atomique"; Begin suit encore Jabotinsky avec son plan d’autonomie pour les Arabes de Judée-Samarie (Cisjordanie) : abolition du gouvernement militaire d’occupation, élection par les résidents d’un conseil pour administrer leur vie quotidienne : sécurité et ordre public sous la responsabilité d’Israël ; droit aux habitants de la Judée-Samarie et Gaza d’opter librement pour la nationalité israélienne ou jordanienne. En somme, ce n’est pas de gaieté de coeur que Begin restituait le Sinaï aux Egyptiens et qu’il acceptait de restreindre la souveraineté d’Israël sur la Judée-Samarie ; il avait tout simplement pris acte des limites imposées au contrôle militaire sur les Territoires et l’impossibilité, sur le long terme, de le maintenir. C’est pourquoi Moshe Arens, ministre des Affaires étrangères de 1988 à 1990, essaie d’établir un dialogue avec les Palestiniens modérés de Judée-Samarie et d’organiser des élections locales ; en émergeraient des leaders avec lesquels négocier un statut intérimaire dans le cadre des accords de Camp David."
>>> Menahem Begin avait osé s’opposer au "réalisme" de Jabotinsky en... 1938. Mais il a fini par corriger cette "erreur de jeunesse" en 1977, en y adhérant, une fois devenu premier ministre... Mais son véritable baptême jabotinskien ne sera effectif qu’après qu’il eût été trempé dans les eaux lustrales du "traité de paix" de Camp David, conclu avec l’Egypte sadatienne.
On voit au passage à quel point cette paix (largement bricolée par les Américains) était prometteuse, puisque la séparation jabotinskienne commençait à se mettre en place et que commençait à s’édifier le mur d’airain salvateur (autour d’Israël). Car, comme chacun sait, Israël aspire à une "normalisation" et à être intégré au Moyen-Orient, c’est-à-dire à être reconnu et admis par les pays arabes voisins. Et il est bien évident que lorsque vous voulez vivre en bonne intelligence et dialoguer et coopérer avec vos voisins, la première chose à faire est de vous empresser de vous claquemurer dans une enceinte hermétique. Et pas bâtie avec n’importe quoi, s’il vous plaît : le mieux étant l’airain... Cet alliage de cuivre, d’étain et d’argent est très coûteux, mais sa résistance est légendaire... (murs d’airain en kit chez tous les concessionnaires BHV)
Une fois Israël "chez lui" et l’Egypte "chez elle", Menahem Begin put apporter tous ses soins aux Palestiniens des territoires occupés (et même dans la diaspora...) Il est vrai que son faible pour ce peuple ne datait pas d’hier, puisque sa compassion l’amenait à achever de sa propre main, au poignard, les survivants provisoires du massacre de Deïr Yassin...
On ne connaîtra jamais quel succès auraient eu les démarches de Moshé Arens visant à établir un dialogue avec les Palestiniens modérés de Judée-Samarie (traduction : les collaborateurs de Cisjordanie), puisque la Guerre du Golfe salvatrice est venue bouleverser cette bluette attendrissante, permettant aux Américains, dans le cadre du "nouvel ordre mondial", de faire régner leur nouvel impérialisme, sur un scenario écrit dans les studios de la CNN, certes, mais non pas à Washington, non : à Tel-Aviv et Jérusalem. En effet, les Américains ont toujours eu le respect des "populations locales" (pour en être convaincu, il suffit de constater qu’ils n’ont pas massacré tous les Indiens d’Amérique : ils en ont conservé quelques milliers pour leurs musées ethnographiques en plein air, les "réserves"). Or pour les Américains, qui ont de la géographie la connaissance que l’on sait (George Bush junior est le "fort en thème" de l’Amérique, en la matière), les "autochtones" du Moyen-Orient, ce sont les... Israéliens. (C’est normal pour les habitants d’un pays où l’on trouve, dans le tiroir du haut de la commode de toute chambre d’hôtel, à côté des instructions sur la conduite à tenir en cas d’incendie... la Bible !)
"L’OLP fait alors tout son possible pour prévenir, à partir de Tunis, ces efforts et Yasser Arafat menace de cribler de balles quiconque parlera de mettre un terme à la violence. De fait, le maire de Naplouse, Zafer al-Masri, qui avait plaidé pour des négociations directes entre ses représentants locaux et Israël sera exécuté par elle. Itzhak Shamir, ancien membre du Lehi (Combattants pour la Liberté d’Israël), appartient à la branche radicale de la droite israélienne et récuse au contraire de Begin et d’Arens le plan d’autonomie, prenant ainsi le risque de devoir négocier avec une délégation non élue qui posera la question de l’OLP et de Jérusalem-est. Pire, il s’accommode du fait que le statu quo menace, sur la longue durée, de miner les fondements juifs et démocratiques de l’Etat d’Israël. Chez lui prime la volonté de puissance qui s’oppose au réalisme prôné historiquement par Jabotinsky et à Camp David par Begin."
>>> Evoquer l’assassinat du maire de Naplouse, Zafer al-Masri, que l’auteur attribue à l’OLP, lui évite d’évoquer la destitution de la plupart des maires élus en Cisjordanie et à Gaza (la population palestinienne ayant saisi l’opportunité des élections municipales à la mode israélienne pour élire des représentants nationalistes), ainsi que l’attentat qui blessa grièvement un autre maire de Naplouse, dont les Israéliens avaient piégé la voiture (il perdit les deux jambes dans l’attentat).
Ce pauvre Itzhak Shamir se doutait-il qu’en "récusant le plan d’autonomie" (des territoires occupés), il "prenait le risque de devoir négocier avec une délégation non élue qui posera(it) la question de l’OLP et de Jérusalem-est" ? Sans doute pas, sinon il aurait au contraire accéléré la mise en application d’un "plan d’autonomie" dont les Palestiniens des territoires occupés, à part les "maires collabos désignés" ne voulaient pas entendre parler. Mais était-ce un problème ? Est-ce qu’on leur demandait leur avis, à ceux-là ? Non ! Bon, alors ?
Et, ce qui est encore bien pire, "Shamir s’accommode du fait que le statu quo menace, sur la longue durée, de miner les fondements juifs et démocratiques de l’Etat d’Israël"... Il faudrait consacrer plusieurs volumes à l’exposé des mille feux qu’envoie cette phrase-gemme, ce Koh-i-Nur de l’idéologie sioniste. Notons tout d’abord que l’on prête à Shamir une noirceur d’âme supplémentaire, que nous ne lui connaissions pas : celle qui lui a fait prendre des risques insensés pour "les fondements juifs et démocratiques" (oxymoron) de l’Etat d’Israël, alors que ces "risques" ne se sont concrétisés qu’au fil de nombreuses années et que les Israéliens de toutes tendances ont mis fort longtemps à admettre qu’ils existassent, fût-ce potentiellement : il est un peu facile à l’historien de faire retomber sur un dirigeant, aussi exécrable soit-il, les conséquences de ses décisions à long terme. L’historien sait, lui, ce qui s’est passé, alors que Shamir, qui avait beaucoup de défauts, en avait un, que nous ne lui connaissions pas encore, mais néanmoins impardonnable : celui de pas être Madame Irma et de ne pas disposer d’une boule de cristal... L’auteur n’aime pas Shamir, qu’il accuse d’être responsable, rétroactivement, de l’intifada al-Aqsa (septembre 2000), qu’il attribue à sa "volonté de puissance". La critique est extrêmement cruelle, car la "volonté de puissance" est en général, chez le dirigeant israélien, la qualité des qualités...
"De la droite à la gauche - Comme la droite israélienne, la gauche est elle aussi divisée entre les réalistes et les rêveurs. Mais alors qu’à droite on rêve de pouvoir ignorer les réalités, à gauche il y a ceux qui pensent que prêcher le moralisme et le pacifisme suffit à changer le Moyen-Orient. L’intelligentsia d’Eretz Israel, avant l’instauration de l’Etat hébreu, abhorrait l’idée qu’un peuple qui retournait à une terre habitée par d’autres devrait le faire par la force. On s’était convaincu qu’un Etat binational constituerait une alternative acceptable pour le monde arabe et que la coopération économique suffirait à établir des relations pacifiques entre les deux communautés. Au centre des représentations de cette gauche universitaire, l’idée que le fédéralisme et la supranationalité permettraient, au lendemain de la seconde guerre mondiale, de dépasser le nationalisme et la souveraineté. Le mouvement Ihud, lui-même héritier d’associations pacifistes comme Brith Shalom, Kedma Mizraha et la ligue pour le rapprochement et la coopération judéo-arabe, tracera le cadre auquel se réfère aujourd’hui le "camp de la paix" : malgré la révolte arabe de 1936 et l’opposition farouche des Arabes au sionisme, l’immigration juive dans le pays en Palestine devait pouvoir se poursuivre sous les auspices - Deus ex machina - de la coexistence pacifique."
>>> Si les "sionistes de gauche" optaient pour une solution de coexistence évoquant la Palestine binationale, démocratique et laïque de l’OLP d’avant 1974, qui aurait - théoriquement - évité bien des drames, leur volonté de créer un Etat d’Israël, fondement même de leur engagement nationaliste, rentrait en contradiction avec ce rêve idyllique. Mais pour l’auteur, l’obstacle principal fut... la révolte arabe de 1936 : voilà qui lui permet, faisant d’une pierre deux coups, de ridiculiser la position des sionistes de gauche et de faire retomber la responsabilité de l’écroulement de la coexistence un instant rêvée sur les seuls Arabes, comme si le projet d’établissement d’un Etat d’Israël, nécessairement sur les terres d’un peuple légitime de par son antériorité, les Arabes (Palestiniens), n’était pas ontologiquement la cause première d’une situation de conflit créée de toute pièce et absolument inévitable...
"Judah Magnes, le leader d’Ihud, récusait toute partition de la Palestine, il s’opposait à l’établissement d’un Etat juif qui altérerait la pureté du judaïsme et irait à contresens de la communauté fédérale des nations, du sens de l’Histoire ; au contraire, il avait soutenu la mise en place de la Ligue arabe qui lui semblait correspondre au nouveau monde à venir."
>>> Retenons le nom du leader du mouvement Ihud, qui avait eu la clairvoyance d’analyser le caractère anachronique de toute nouvelle aventure colonialiste : en l’occurrence, celle de la création de l’Etat d’Israël. On constate que sa clairvoyance allait jusqu’à envisager favorablement une certaine forme d’unité du monde arabe, puisque la création de la Ligue arabe correspondait, en partie, à cet objectif, n’eussent été son instrumentalisation par le colonialisme britannique et son dévoiement par les régimes arabes bourgeois.
"Au contraire, David Ben Gourion et le Mapai socialiste reconnaissaient et acceptaient le fait que le sionisme, après les révoltes arabes de 1929 et de 1936 et dès lors que Londres prenait graduellement ses distances quant aux engagements envers le foyer national juif, devrait imposer son projet par la force. "De la puissance, il nous faut de la puissance!" clamait Ben Gourion en février 1937. Et plus loin : "malheureux peuple que nous sommes, nous pataugeons en Pologne et baignons ici dans notre sang : en quoi le sort des Arabes me concerne-t-il ?"
>>> La deuxième citation de Ben Gourion devrait ouvrir les yeux des gens de bonne volonté qui ont pu être séduits par l’"épopée" de la création de l’Etat d’Israël. Les malheurs d’un peuple quel qu’il soit, fût-il juif, ne sauraient justifier de quelconques exactions à l’encontre d’un peuple tiers, a fortiori si cet autre peuple, bien loin d’être seulement totalement étranger aux persécutions subies (de la part du même oppresseur : l’Occident impérialiste et antisémite), est même victime du même bourreau... Mais sans doute les Arabes étaient-ils pour l’Occident un peuple plus "paria" - et de loin - que les Juifs, fort introduits auprès du gouvernement britannique, notamment.
"C’est par réalisme qu’il concédait une partition temporaire de la Palestine : "dès que nous serons devenus puissants, une fois notre Etat établi, nous l’annulerons et nous nous étendrons sur tout le territoire d’Israël". Mais quant aux Arabes, la situation était claire : "eux et nous voulons la même chose, la Palestine : voilà le point fondamental de conflit!" Ben Gourion et Jabotinsky en étaient arrivés à une conclusion identique : seule l’élévation d’Israël à la puissance militaire plongerait les Arabes dans le désespoir et les contraindrait à accepter un Etat juif en Palestine, à se rendre à une évidence abhorrée, à négocier avec l’ennemi par excellence. Une différence, cependant, entre les deux hommes : Ben Gourion ne refusait pas le compromis territorial provisoire alors que Jabotinsky lui était opposé ; mais quand le cabinet israélien repoussa d’une voix, le 26 septembre 1948, le projet de s’emparer de la Cisjordanie, le premier n’en vit pas moins dans cette décision une cause d’affliction pour les générations à venir."
>>> L’"avenir a prouvé", à partir de 1967, combien Ben Gourion avait raison. Il est évident, n’est-ce pas, que ce qui manquait à la joie du peuple israélien, c’était la Cisjordanie ?!? Il est sans doute utile de rappeler la citation de Ben Gourion ("eux et nous veulent la même chose, la Palestine : voilà le point fondamental de conflit!") à tous les rêveurs qui pensent encore qu’une solution au Moyen-Orient est possible avec le maintien d’un Etat d’Israël sous ses formes actuelles. Remarquons au passage que le terme géographique utilisé par Ben Gourion pour désigner le territoire faisant l’objet de ses convoitises et de la lutte des Palestiniens afin de le conserver est bel et bien celui de "Palestine", notion que les détracteurs sionistes de la légitimité de la lutte du peuple palestinien ne cessent pourtant de déclarer "vide de sens", ainsi que tous ses dérivés, au premier rang desquels, celui de "Palestiniens" désignant le peuple "indigène" vivant légitimement sur ce territoire avant d’en être déraciné, et qui doit le réintégrer au plus vite, après avoir été dûment indemnisé par les commanditaires des Sionistes : les puissances occidentales colonialistes et l’URSS de Joseph Staline.
"Ben Gourion avait parmi ses protégés et héritiers spirituels deux hommes qui allaient faire carrière : Yitzhak Rabin et Shimon Peres. Le premier, qui va devenir Premier ministre en juin 1974, se préoccupe essentiellement de la sécurité de l’Etat ; il nomme ministre des Affaires étrangères son ancien aide de camp à la Haganah (force de défense juive) Yigal Allon. En tant qu’ex-officier du Palmah (troupes d’élite), ce dernier veut conquérir tout le territoire de la Palestine occidentale du Mandat dont l’ONU avait recommandé la partition et juge l’entreprise aussi désirable que réalisable. Il pense qu’Israël, en 1949, a gagné la guerre mais perdu la paix, que la carte de l’époque sera source de maintes guerres. Après la guerre des Six-Jours, Allon soumet au gouvernement le plan qui portera son nom : annexion du désert de Judée, du "bloc d’Etzion", et de l’environnement nord de Jérusalem ; le statut d’autonomie au reste de la Cisjordanie où sont concentrées les populations arabes sera négocié avec celles-ci. Tout comme Allon, Rabin voit dans le Jourdain une ligne vitale de frontière mais juge insupportable l’intégration d’un million d’Arabes supplémentaires à l’intérieur de l’Etat juif. Du moment où les frontières de l’armistice de 1949, indéfendables, invitent à l’agression, il conviendra de faire passer environ un tiers de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, dans le cadre d’un traité de paix, sous souveraineté israélienne. Partenaire souhaité par Rabin quant aux négociations sur les territoires dont se retirera Israël, leur ancien propriétaire, la Jordanie. L’OLP, organisation terroriste créée par la Ligue arabe trois ans avant la guerre des Six-Jours avec pour objectif la destruction d’Israël - les assassins de Kiryat Shmonah et de Ma’alot - n’entre pas en ligne de compte. Dès lors que le roi Hussein annonce qu’il rompt les liens avec la Cisjordanie, l’option jordanienne, en 1988, ne peut qu’être écartée. Rabin, ministre de la Défense de 1984 à 1990 dans les deux cabinets d’union nationale, plaide maintenant, soutenu par Arens, pour des négociations avec des leaders palestiniens de Cisjordanie élus. Ce sera sa politique jusqu’à Oslo, la sécurité primant dans son esprit sur la paix."
>>> Ce passage est très important, car il montre que le désengagement de la Jordanie en matière de Cisjordanie met un terme aux velléités israéliennes de "solution jordanienne". On voit comment l’option de Rabin-Arens, basée sur des négociations avec des leaders palestiniens de Cisjordanie "élus", est une option en faveur de la sécurité (d’Israël) qui tourne le dos à la paix. Ceci n’est pas sans intérêt pour la situation présente, où on ne cesse d’associer la paix à l’impérieuse nécessité de la sécurité pour l’Etat d’Israël. Ce serait donc ça, la révolution copernicienne d’Oslo ?
"Ce qui vaut également pour Peres, fervent supporter du mur d’airain version Ben Gourion jusqu’au tournant à la fin des années 80. N’écrit-il pas dans son livre La Nouvelle Etape de 1965 que la colonisation juive tempère l’ardeur guerrière des Arabes, que ceux-ci ne perçoivent pas comme preuve de droiture les déclarations israéliennes de paix mais y voient un signe de faiblesse, que le réalisme consiste à s’appuyer sur sa propre force ? Ministre de la Défense de 1974 à 1977, Peres est considéré comme le faucon du cabinet. Il s’oppose totalement à des négociations avec l’OLP, une organisation qui touche des millions de dollars à partir des pays arabes pour assassiner indistinctement des hommes, femmes et enfants juifs, civils et militaires. Quand Sadate annonce spectaculairement en novembre 1977 son intention de venir à la Knesset pour y discuter de paix avec Israël, Peres y voit pure tactique à ne pas prendre au sérieux. Premier ministre en 1984, il confirme sa volonté de négocier avec la Jordanie et non avec l’OLP et les terroristes. Sa conviction : l’OLP ne peut ni ne veut négocier un compromis sur les bases de la résolution 242 du Conseil de Sécurité de l’ONU parce que ses dirigeants ne sont pas nés dans les Territoires et ne les représentent pas ; la plupart d’entre eux viennent de territoires faisant aujourd’hui partie d’Israël ; l’OLP constitue l’obstacle majeur à une solution du problème palestinien ; le roi Hussein, lui-même, n’a-t-il pas taxé Arafat, revenu sur une promesse d’accepter la résolution 242, de menteur dans son discours à la nation de février 1986 ?"
>>> Pérès va-t-en guerre jusqu’au-boutiste et Husseïn de Jordanie : même combat ! On connaît les critiques contre les "Palestiniens de Tunis". Elles ont en Peres un précurseur, puisqu’il reproche aux fondateurs et membres de l’OLP de "ne pas être nés dans les Territoires (occupés par Israël) et de ne pas les représenter " parce que "venant, pour la plupart, de territoire faisant aujourd’hui partie d’Israël" ! C’est curieux, n’est-ce pas, qu’il y ait des Palestiniens assez ingrats pour rentrer dans la résistance à Israël bien qu’ils aient eu l’immense "avantage" d’être originaires de territoires placés sous la gestion "démocratique" d’Israël. Arrive-t-il parfois à Shimon Peres de s’écouter parler ?
"Quatorze mois après ces accusations jordaniennes, Peres et Hussein paraphent l’accord secret de Londres : négociations sur la Cisjordanie mais sans l’OLP, que Shamir rejettera - Peres a agi de son propre chef pour ne pas parler d’aval - et qui sera par la suite désavoué par Hussein en mai 1987. Deux mois après, Shamir et Hussein se rencontrent à nouveau secrètement à Londres; en septembre, le secrétaire d’Etat américain George Shultz suggère aux deux parties de négocier le statut de la Cisjordanie consécutivement à une rencontre symbolique avec des délégués syriens, égyptiens et libanais sous les auspices des USA et de l’URSS. Cette fois, c’est Shamir qui accepte et Hussein qui refuse parce qu’il n’a aucune confiance dans le partenaire. Trois mois plus tard éclate l’Intifada et Hussein renonce officiellement en juillet 1988 à toutes revendications sur la Cisjordanie, reconnaissant l’OLP comme unique représentation des Palestiniens. Les travaillistes, privés de l’option jordanienne, avaient le choix entre deux solutions : adopter les thèses de la droite Likud sur l’autonomie ou négocier avec l’OLP. Rabin adopta la première position, Peres la seconde. Dès lors que l’administration Reagan décide en novembre 1988 d’entamer un dialogue nourri avec des représentants de l’OLP, Rabin comprend qu’il doit agir rapidement. Lui et Moshe Arens, le ministre Likud des Affaires étrangères, formulent ce qui allait devenir l’Initiative israélienne de Paix, approuvée par le cabinet le 14 mai 1989 et qui appelait à des élections en Judée-Samarie et à Gaza ainsi qu’à la mise en oeuvre des accords de Camp David. Les deux hommes font alors une tournée des capitales européennes et tentent de convaincre leurs interlocuteurs dirigeants, parmi les Palestiniens, de résister aux menaces de l’OLP et d’accepter l’autonomie. Or, la gauche travailliste a déjà initié un dialogue avec l’OLP et milite pour un départ du gouvernement d’union nationale. Arens se plaint alors amèrement auprès de Rabin quant aux méthodes subversives - discussions avec les Egyptiens, contacts avec l’OLP, exfiltration de documents réservés aux médias - de Peres et de ses jeunes disciples ; sans que le second discute."
>>> Ce passage met en évidence un paradoxe, mais si l’on suit la chronologie, ce paradoxe n’apparaît pas encore clairement. En effet, les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, avec lesquels Rabin veut "négocier" et auxquels il désire voir accorder une "autonomie" qui lui permettrait de dégager les troupes d’occupation israéliennes de ce qui est déjà en train de s’annoncer comme un bourbier (et à défaut de pouvoir les "refiler" à Hussein de Jordanie), sont présentés ici comme les Palestiniens "conciliants" et prêts à dialoguer avec Israël, par opposition aux "terroristes" de l’OLP manipulés par des dirigeants "planqués" à Tunis... Or il suffit de reprendre l’état des lieux en Palestine dans les premiers mois qui ont suivi la conférence de Madrid... Il convient de se souvenir du fait que les délégués palestiniens étaient alors des négociateurs habitant les territoires occupés (Hanan Ashrawi, Haydar Abdel Shafi et, sauf erreur de ma part, Fayçal Husseïni) et que ceux-ci avaient été assez cavalièrement (pour ne pas dire brutalement) écartés de la délégation palestinienne par des caciques de l’appareil tuniso-arafatien (qui ne tardèrent pas à faire leur "come back" à Jéricho dans les valises de Yasser Arafat) bien que ceux-ci eussent été, horresco referens, considérés comme "personae non gratae" par les Américains (et on pourrait le supposer, par Israël aussi) pour avoir pris le parti du Satan de l’Amérique, du Hitler de Mésopotamie, du Boucher de Bagdad, alias... Saddam Husseïn... Jusqu’ici, rien de paradoxal. Il faut attendre le bain révélateur du déclenchement de la première intifada pour voir le paradoxe apparaître, c’est bien l’intifada, en effet, qui le révèle. Ce paradoxe consiste en ceci que les Palestiniens des Territoires, que l’on supposait, de par leurs "contacts" avec les réalités israéliennes, beaucoup plus conciliants et beaucoup plus favorablement disposés à l’égard d’Israël, se sont révélés être beaucoup plus radicaux que les "Tunisiens" de l’OLP... Il est vrai que quiconque connaît un peu Israël (et notamment le comportement des colons et de l’armée de ce pays) sait bien que plus on s’en éloigne, plus on l’apprécie... Donc, lorsqu’on est Palestinien, on peut envisager de venir négocier avec le gouvernement israélien quand on a oublié ses bombardements sur Beyrouth (ce qui est déjà un tour de force, mais si on est un aventurier militaire ou un dirigeant peu rétif à la corruption, cela aide) et que l’on a été mis à l’abri à Tunis par la marine militaire française, mais lorsqu’on vit quotidiennement les vexations des forces d’occupation israéliennes en Palestine d’avant 1948 ou en Palestine d’après 1967, on est d’autant moins enclin à négocier pour négocier, et on a d’autant plus d’exigences concrètes en matière de respect des droits du peuple sous occupation et de légalité internationale. Ajoutons que l’on est plus formé à la dialectique politique, que l’on a plus songé à développer des structures démocratiques (qui deviendront vitales pour la population durant l’intifada), bref, que l’on a plus le sens de l’Etat, dans le deuxième cas. Et, ajouterai-je à titre personnel, que l’on a sans doute plus un avenir national devant soi... Idéalement, et bien que je n’aie aucun conseil à donner à qui que ce soit, je verrais bien les leaders qui ont su agir sur le terrain et qui connaissent leur peuple (à l’instar de Haydar Abdel-Shafi ou de Hanan Ashrawi, et du regretté, à de multiples titres, Fayçal Husseïni) finir par prendre un rôle démocratiquement dirigeant dans les instances étatiques palestiniennes. Et mon conseil, c’est qu’ils devraient ne pas insister sur le retour de tous les réfugiés palestiniens en Palestine, car l’intégration dans cette société en voie de redressement de personnages peu recommandables ayant vécu, certes, en combattants, mais essentiellement en exil, exigerait sans doute une réinsertion dont le succès serait difficilement vérifiable. Au moins, que les personnes qui ont ce profil soient tenues à l’écart des responsabilités jusqu’à ce qu’ils aient fait leurs preuves sur le terrain...
"Les "jeunes disciples" sont des gens comme Yossi Beilin et Uri Savir qu’on a pu qualifier de "génies autoproclamés" ayant décidé unilatéralement une "transsubstanciation" des Palestiniens"
>>> Je ne souligne pas ce passage pour l’expliciter, je ne ferai pas l’insulte au lecteur de supposer qu’il n’aurait pas compris ce dont il s’agit ici, mais je le cite comme très représentatif d’un racisme qui se veut "subtil" des sionistes. Des intellectuels qui, jusqu’à plus ample informé, me semblent avoir, pour ce qu’on en dit ici, en France, donné des gages de leur honnêteté intellectuelle, sont anathémisés et qualifiés de "génies autoproclamés", puisqu’ils ont l’idée baroque de "transsubstancier" les Palestiniens. Il faut comprendre que cette opération a ceci de commun avec la recherche de la pierre philosophale qui aurait permis la transmutation du plomb en or (cette substance a été recherchée (vainement, bien sûr) par les alchimistes du Moyen-Age, jusqu’au XVIème siècle) qu’elle est strictement impossible. Pourquoi ? Mais parce que les Palestiniens sont "intrinsèquement, ontologiquement et irréversiblement mauvais", bien sûr... ! La suite montre que Beilin est un renégat : il a tourné le dos à la théorie du mur d’airain : c’est dire ! Or vous connaissez la punition du parjure. Dans les religions dites du "Livre", ça ne pardonne généralement pas. (Sauf dans certaines religions authentiquement chrétiennes, bien que le problème ne soit apparemment pas posé. Notons toutefois que, si la conversion d’un catholique au protestantisme ne semble pas poser problème, il semble bien difficile, par contre, à un néo-protestant de se parjurer et de se reconvertir au catholicisme, car cela reviendrait à abandonner la "vraie foi". Connaissant les avantages divers qui lui sont attachés (par le biais d’une certaine appartenance sociale à une minorité influente), il faut être un peu maso sur les bords pour ce faire ou/et réellement désintéressé et authentiquement en recherche "spirituelle". En effet, autour de l’ecclesia protestante, il faut qu’il y ait aussi un sérieux "mur d’airain". (Je lance ici une piste pour un chercheur en histoire de la sociologie des religions sur le sujet suivant : "Le mur d’airain dans l’Ancien Testament et ses avatars historiques"... Que l’éventuel lecteur protestant ne se braque pas, je l’invite, si ce n’est déjà fait, à s’interroger sur la prégnance du sionisme aux Etats-Unis, et dans une certaine société protestante ailleurs, comme ici, en France. Résumé de ma question : la lecture de l’"Ancien Testament" est-elle réellement sans danger, surtout pour des enfants ?
"Beilin a tourné le dos à la théorie du mur d’airain et s’est converti après la guerre de Yom Kippur en 1973, comme il l’explique lui-même, découvrant à quel point les espaces colonisés étaient dérisoires et se convainquant de rejoindre le parti travailliste pour y renforcer le camp de la paix. Tournant décisif donc : pour le Yossi Beilin nouveau, les Palestiniens, une fois récupérés les territoires conquis par Israël en 1967 au sein d’un Etat à eux, accepteraient de vivre en paix avec le voisin. Une représentation tout-à-fait opposée à celle du mur d’airain selon laquelle les Arabes ne se résoudraient que contraints par la force à l’existence d’Israël."
>>> Traduction concrète de la loi de fer du "mur d’airain" : ne cessez pas de taper sur les Arabes, car c’est la seule manière de leur faire admettre l’existence d’Israël. Je renvoie ici à ce que propose Sharon (en petit comité) : aboutir à une souveraineté des Palestinienne sur le mouchoir de poche qui leur est dévolu, et les bombarder dès- (et autant de fois -) que nécessaire s’ils s’avisent de se constituer une force armée quelle qu’elle soit (en dehors d’une police pléthorique nécessaire pour mater le peuple aussi souvent que nécessaire, sur les directives venues directement du cabinet de Sharon, bien évidemment). Corollaire de cette vision sioniste des Arabes : la latitude totale d’effectivement leur taper dessus, en expliquant à l’opinion publique mondiale que "de toutes manières, ils ne comprennent que la force". Mais il y a un hic : il faut quand même s’attendre, même quand on s’appelle Israël, à une réponse, sous une forme ou une autre...Tapez, tapez sur les Palestiniens : vous finirez bien par avoir un attentat à Tel-Aviv... De plus, vous ferez d’une pierre deux coups, car vous finirez par susciter "objectivement" l’apitoiement, ô combien justifié, de l’opinion publique mondiale sur les victimes innocentes de cet attentat et vous diaboliserez les Arabes. Mais pour un temps, seulement pour un temps... Ayez garde que l’opinion mondiale n’établisse un parallèle entre le jeune kamikaze palestinien, qui meurt en faisant sauter sa bombe ("pour rien", écrit le Monde, quand l’attentat "échoue" : quelle horreur !) et un Sharon balançant ses tonnes de bombes au phosphore et à implosion sur Beyrouth, sans prendre aucun risque, ou un Barak, ce "yuppie" émoulu des universités américaines, ce "fort en thème", qui se déguise en femme pour aller liquider à la mitraillette des intellectuels palestiniens au Liban...La comparaison ne ferait pas nécessairement pencher la balance du côté des édiles du Peuple Elu claquemuré derrière son mur d’airain...Je rappelle, mais est-ce bien utile, que, pour ce qui le concerne, l’auteur de l’article ne jure que par la Religion du "Mur d’Airain", la Seule, la Vraie.
"Beilin initie des contacts avec l’OLP dès le début des années 80 ; il est assisté par Yair Hirschfeld, professeur à l’université de Haïfa, ami de Bruno Kreisky, le chancelier autrichien qui a reçu Yasser Arafat comme un chef d’Etat à Vienne en juillet 1979. Beilin s’oppose farouchement à ce que passe la loi "la plus réactionnaire et la plus honteuse de l’histoire d’Israël", en 1986, qui interdit aux citoyens israéliens des contacts avec des représentants de l’OLP. Il est l’un des rares hommes politiques du pays à se louer du tournant de l’administration Reagan sur le dialogue avec l’OLP et fait tout ce qu’il peut pour saboter les efforts de Rabin et Arens quand ceux-ci veulent organiser des élections en Judée-Samarie et à Gaza. Alors que Peres lui-même a rejeté la suggestion du ministre néerlandais des Affaires étrangères, Max van der Stuhl, d’établir un canal secret de négociations avec l’OLP aux Pays-Bas, en mars 1989, Beilin part trois mois plus tard pour La Haye négocier une déclaration de principes avec Afif Safieh, le représentant de l’organisation en Hollande ; il se met en août 1990 d’accord avec des leaders de l’OLP à Jérusalem sur un cadre de négociations à venir ; il maintiendra cette position, malgré l’intervention avortée de terroristes sur une plage israélienne le 30 mai 1990 et l’appui enthousiaste apporté par Arafat à Saddam Hussein durant la guerre du Golfe."
>>> C’est là où il faut s’accrocher aux branches, les gars : la tempête (intellectuelle) forcit. L’OLP devient l’horreur de l’abomination, parce qu’elle a fricoté avec Saddam. (Ici, il faut tenir le plus grand compte de la chronologie, car il a bien fallu la Guerre du Golfe pour que l’irrémédiable et impardonnable faute d’Arafat ait été commise). Si je comprends bien, sans ce têtu (ce pelé, ce galeux, ce "transsubstanciateur de Palestiniens") de Beilin, il n’y aurait pas eu de négociations du tout, alors ? Déjà que, sans la guerre du Golfe, non plus... Il faudra songer à édifier une statue à ce Beilin quand tout aura été aplani...
"Quatre jours avant les élections législatives de juin 1992 en Israël, Beilin définit secrètement avec le Palestinien Fayçal Husseini un ordre du jour de négociations. Après les élections, Rabin se résout bon gré mal gré à la nomination du "caniche de Peres" en qualité de numéro deux des Affaires étrangères. Et premier engagement de celui-ci sitôt entré en fonctions : il milite pour que soit abrogée la loi de 1986, ce qui se produit de fait en janvier 1993 sans que Rabin, hostile, ait cependant pris part au vote.
>>> Alors, ré-énumérons les qualités de Beilin : têtu, pelé, galeux, "transsubstanciateur de Palestiniens" et maintenant : ... caniche de Peres. Comme quoi le chien peut être plus intelligent que le maître !
Faisons le point : si la religion dont on ne saurait déroger est bien la loi du "mur d’airain", son antithèse proprement diabolique est la suppression de la loi (israélienne) de 1986 qui interdit tout contact d’un Israélien avec l’OLP ! C’est cohérent, ça tourne : eût la loi du mur d’airain été strictement observée, il n’y aurait jamais eu d’infraction à la loi de 1986, donc aucun contact d’aucun Israélien avec aucun responsable national(iste) palestinien, et donc... aucun accord d’aucune sorte que ce fût. L’idéal aurait été que les Palestiniens se livrassent à la pitrerie des élections dans les territoires occupés (pardon, "libérés", je parle depuis le point de vue israélien, j’oubliais...) et à la mascarade de l’"autonomie" royalement concédée par MM. Rabin et Peres (mais avec les timbres-poste israéliens, tout de même : il faut savoir ne pas aller trop loin...)

"Beilin n’informe d’ailleurs pas Peres et Rabin des négociations qui ont commencé à Oslo en décembre 1992 entre Yair Hirschfeld, Ron Pundak et Abu Ala, car il sait bien que Rabin aurait interrompu le processus avant même qu’il ne débute. En février 1993, les trois négociateurs se mettent d’accord sur des principes de base et Beilin en informe Peres, abasourdi, qui traite Hirschfeld et Pundak de fous et transmet l’information à Rabin. Ce dernier estime d’abord que ces conversations peuvent faire avancer les négociations de Washington entre Israéliens et Jordano-Palestiniens, mais ne prend pas Oslo au sérieux. Quand on lui demandera plus tard pourquoi il n’avait partagé le secret avec personne de son entourage proche, il répondra franchement qu’il avait des doutes sur un quelconque résultat. Mais Oslo place Rabin devant un dilemme : d’une part, il est hostile à des négociations avec l’OLP ; d’autre part, il sait que son engagement électoral à trouver un accord avec les Palestiniens d’ici mars 1993 n’était pas réaliste. Au même moment, Hirschfeld et Pundak n’attendent que son aval pour trouver un agrément avec Abu Ala. En mai, Rabin se décide à envoyer le directeur général des Affaires étrangères, Uri Savir, à Oslo. Mais il expédie tout de suite après une lettre exaspérée à Peres, lui reprochant le fait que les négociations secrètes aient été initiées sans qu’il en soit informé, sans consulter l’armée et accusant l’OLP de manipuler Israël à Oslo de façon à saboter les négociations de Washington. Il y avait là un revirement de Rabin que Beilin ne parvenait pas à s’expliquer. Or, le premier était déchiré : Oslo signifiait une révolte contre la théorie du mur d’airain à laquelle il avait adhéré toute sa vie ; mais Oslo offrait un moyen de composer avec les Palestiniens. Il y aura néanmoins dans cette affaire une ruse de l’Histoire : Israël allait ressusciter une OLP défaite et ruinée dès lors que les Etats-Unis avaient interrompu le dialogue avec cette organisation et finalement accepté la position israélienne selon laquelle l’organisation de Tunis ne représentait pas les Palestiniens de Judée-Samarie et de Gaza. Le secrétaire d’Etat James Baker n’admettait-il pas à propos de l’Intifada que l’autorité de l’OLP, au cas où les Palestiniens de l’intérieur décideraient d’agir par eux-mêmes, s’en trouverait diminuée ? Et l’ambassadeur US Martin Indyk n’avait-il pas publié en 1991 un article intitulé Peace without the PLO, soutenant qu’une combinaison du recul de l’OLP et de l’impact de l’Intifada pouvait avoir pour effet un déplacement du pouvoir de Tunis aux leaders locaux, plus sensibles aux problèmes des populations."
>>> Rabin n’a pas pu empêcher les négociations d’Oslo d’avoir lieu, en secret. Le fait de se dérouler en secret est le propre des négociations secrètes... On a vu plus haut que les négociateurs israéliens ne pouvaient pas négocier au grand jour sans s’exposer aux graves sanctions de la loi israélienne de 1986, qui prévoit de donner un grand coup de règle sur les doigts du chenapan qui oserait passer la tête au-delà du mur d’airain (qui n’a pas d’ouvertures, ou bien : en a-t-il ?). Rabin finit par être déstabilisé : il a du mal à renoncer à la loi de fer du mur d’airain, à laquelle il a adhéré toute sa vie, mais "Oslo lui offrait un moyen de composer avec les Palestiniens". Discuter avec les Palestiniens, ou ne pas discuter avec les Palestiniens, That is The Question ! Il faut bien comprendre que sans l’intifada, cette question ne se pose pas réellement. De même : Discuter avec les Arabes, ou pas discuter avec les Arabes, That is The Question ! est une grave question qui s’est posée, surtout, avec l’enlisement de "Tsahal" dans le bourbier libanais... Comme quoi, tout se résume à un rapport de force. C’est là, aussi, une "Big Question" : quelque épais que soit votre mur d’airain, vous n’êtes pas invincibles. Les Américains, au Vietnam, s’étaient enfermés, eux, dans une bulle d’airain : encore mieux ! On sait ce qu’il en est advenu. (Et puis, à titre de plaisanterie, que m’inspire l’un des dessins du remarquable caricaturiste palestinien Bukhari, je dirai ceci aux Israéliens : prenez bien garde qu’une brave mère de famille palestinienne ne vienne marteler votre mur d’airain avec son pilon en airain, lui aussi, (qui lui sert ordinairement à piler l’ail) : vous pourriez bien, comme le petit personnage Abu al-Abed, son mari, finir par devenir dingues...)
"Rabin finit par souscrire à Oslo, mais on peut douter que ce Premier ministre qui a immédiatement campé le tableau après son élection en juin 1992 - élections dans les Territoires, négociations sur l’autonomie palestinienne conformément aux accords de Camp David, statut final reposant sur les principes du plan Allon, ait pleinement apprécié le caractère subversif d’Oslo. Le processus contredit Camp David sur quatre points : abandon du pilier de la politique israélienne depuis 1967, soit la distinction entre l’OLP de Tunis et les Palestiniens de Judée-Samarie et de Gaza ; Jérusalem incluse dans les négociations ; référence à un problème général des réfugiés, donc incluant ceux de 1948 et non simplement les personnes déplacées de 1967 ; reconnaissance du droit des Palestiniens à une autonomie territoriale et non plus simplement fonctionnelle. Il y a là une contradiction avec tous les principes de Rabin, exposés en juillet 1992 : Jérusalem non négociable, pas de contacts avec l’OLP en tant qu’organisation. Ses déclarations confuses sur le conflit israélo-arabe entre Oslo et sa mort tragique ne parviennent pas à nous éclairer."
>>> Le sort de Rabin était scellé dès lors qu’on abandonnait Camp David (I, bien sûr) pour résoudre le problème du Moyen-Orient y compris dans sa dimension palestinienne (oh, excusez-moi, j’avais oublié que la dimension palestinienne n’existe pas, pour le Rabin de l’époque : je corrige : dans sa dimension judéo-samaritaine...) pour adopter Oslo. En effet, avec Oslo, le ver était dans le fruit : regardez donc tous les sujets qui fâchent que contenait ce projet : Jérusalem, le "problème général des réfugiés, y compris ceux de 1948" (ah bon, Monsieur Navon, parce qu’en 1948, il y a eu des réfugiés ? Je le note...). Donc l’adoption d’Oslo était l’erreur fatale à ne pas commettre. Et en effet, les événements ont montré que, même si les Israéliens ont été très très forts pour faire traîner les choses en matière de mise en application d’Oslo, tout en faisant exactement le contraire de ce que cet accord préconisait pour des territoires (occupés) qui devaient être rendus par Israël à leur propriétaire légitime (les colonies...), eh bien, malgré tout ça, on a l’impression qu’il faudra qu’à un moment ou à un autre, tôt ou tard, les Israéliens s’exécutent... Il faudra combien d’intifadas, pour çà ?
Bien sûr, on ne peut pas revenir en arrière et réécrire l’histoire. Mais est-ce si sûr que çà ? Et si le régime jordanien, menacé et destabilisé comme on le sait, finissait par opter, à son tour, pour un "retour" à l’option rabinienne antéosloïque, celle de la dimension "palestinienne" (je conserve ce qualificatif pour l’aisance de la démonstration, pardon, Yitzhaq) de Camp David I ? Est-il sûr que cela ne s’inscrirait pas dans les faits ?
Cela serait, CQFD, un retour au respect de la loi du "mur d’airain", et les Palestiniens seraient le plus heureux des peuples, puisqu’ils sauraient d’avance que toute tentative de bâtir les symboles et les moyens d’une véritable souveraineté serait immédiatement anéantie par les bombardements ciblés des drones co-produits par les technologies aéronautiques israélienne et... française (voir, ces jours-ci, le salon du Bourget... Ca discute ferme...) Cela leur permettrait de réaliser de sérieuses économies budgétaires. D’autant que, par esprit pratique, ils n’imprimeraient pas non plus leurs manuels scolaires, qui leur seraient fournis par le Ministère israélien de l’éducation...
Mais c’est ce vers quoi on s’achemine, forcément, puisque c’est le retour dans le droit chemin de la loi du mur d’airain de Monsieur Navon, qui n’est ni un caniche ni un génie autoproclamé, puisqu’il n’a jamais pris les Palestiniens pour autre chose que ce qu’ils sont : des salauds à surveiller constamment depuis la voie des airs, et à bombarder avant qu’ils n’aient eu le temps de lever le petit doigt.
"Peres, au contraire, fournira un exposé détaillé. Il n’a pas initié Oslo, mais l’a pleinement assumé. Le processus, idéaliste, s’oppose au principe du mur d’airain qui avait guidé toute sa carrière. Il avance cependant audacieusement, admet avoir changé et décide d’expliquer ce revirement dans son Nouveau Moyen-Orient, le livre qu’il publie après la signature des accords d’Oslo. Il aurait réalisé qu’il vivait dans un monde nouveau et serait du même coup devenu un homme nouveau : ce n’est pas lui qui a d’abord changé mais le monde. Et dans le monde nouveau de Peres, au-delà des idéologies, les rivalités économiques ont pris la place de la confrontation militaire ; le sionisme était l’affaire d’un autre âge, de l’ancien monde et Israël doit apprendre à s’adapter aux conditions historiques : déclin progressif des nationalismes, effacement graduel des frontières, de la puissance militaire, de la souveraineté nationale. Cercle vertueux de Peres au Moyen-Orient : la prospérité entraînera la démocratie qui à son tour conduira à la paix. En somme : il nous demande de signer des accords avec des dictatures tout en admettant que la paix ne peut s’établir qu’entre Etats démocratiques. En conclusion : la gauche israélienne, de tourner le dos au mur d’airain, a perdu le droit de parler au nom d’un quelconque réalisme."
>>> Ouf ! Cher lecteur, je pense que vous êtes rassuré. On aurait pu croire, dans un instant de faiblesse, que Peres aurait choisi d’abandonner son credo de jeunesse en la loi du mur d’airain pour les bonnes raisons. Mais non : il n’a fait qu’écouter son économisme néolibéral globalisé... Mais ; quelle frayeur, non ? Quel farceur, ce Peres...
Mais justement, la géostratégie est affaire sérieuse : la gauche israélienne est disqualifiée : "en tournant le dos au mur d’airain, elle a perdu le droit de parler au nom d’un quelconque réalisme" (fût-il pérèsien...). Donc : revenons aux choses sérieuses. A la droite. Et au mur d’airain...
Il n’y aura donc pas d’ouverture vers un avenir possible avant que Monsieur Navon n’ait accédé aux plus hautes destinées de l’Empire israélien du Moyen-Orient...
Suspense...
"Il faut revenir au Mur d’Airain - Sept ans après la signature de la Déclaration de Principes entre Israël et l’OLP, avec les architectes d’Oslo dans des fonctions éminentes au gouvernement travailliste, le pays se trouve embourbé dans une guérilla avec l’OLP à l’intérieur de ses propres frontières ; il n’y a plus d’ambassadeur égyptien ou jordanien à Tel-Aviv ; les relations économiques avec le Maroc, la Tunisie, Oman et le Qatar ont été interrompues ; Israël se trouve aussi isolé dans le monde qu’avant la Conférence de Madrid en octobre 1991 ; et le Moyen-Orient est à l’aube d’une nouvelle guerre régionale. Un fiasco, la substitution au mur d’airain du Nouveau Moyen-Orient."
>>> Quelle objectivité ! C’est le processus d’Oslo en lui-même (et Dieu sait s’il présentait des failles, mais opposées à celles qu’invoque M. Navon) qui est responsable du marasme dans lequel se trouve Israël actuellement (qui lui fait dire que tout ce processus est un fiasco et qu’il faut revenir à quoi ? ... mais : au mur d’airain, bien sûr!) et non pas sa non-application systématique par la partie israélienne. Il est exigeant, ce Navon. Rabin, Netanyahu et Barak lui sabotent le processus d’Oslo dans lequel ils se sont engagés de la manière insincère que l’on sait, mais ils ne le sabotent pas assez. D’ailleurs, ils auraient dû le refuser purement et simplement dès le départ. Or si processus il y a, n’est-ce pas parce que les Américains considéraient - à juste titre (pour une fois) - qu’il s’agissait de la seule "solution" au Moyen-Orient leur permettant de sauvegarder leur porte-avion arrimé en Méditerrannée : Israël ?
"D’ailleurs, si les conquêtes de 1967 avaient été la raison du conflit israélo-arabe, pourquoi le monde arabe réclamait-il la destruction d’Israël avant la guerre des Six-Jours ? Pour la gauche, la Syrie ne veut que le Golan, l’OLP ne veut que la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-est, le Hizbollah ne voulait que le Sud-Liban ; dès lors qu’ils auront récupéré tous ces territoires, Israël pourra vivre en paix. Mais s’il en est ainsi, pourquoi Assad a-t-il repoussé l’offre de Barak qui lui proposait 99% du Golan ? Pourquoi Arafat a-t-il refusé 90% de la Cisjordanie et Jérusalem-est ? Pourquoi le Hizbollah continue-t-il de nous combattre alors que nous nous sommes retirés de notre zone de sécurité au sud-Liban ?"
>>> Rappelons qu’en juin 1967, c’est Israël qui a déclenché sa "guerre préventive"... ("pour sa survie", pleurnichaient en choeur les radios, à l’époque). Personne n’a jamais prétendu que les conquêtes d’Israël étaient le seul motif de la Guerre des Six Jours, puisqu’elles sont bien, logiquement, la conséquence (inespérée) d’un conflit lancé par un frêle petit pays démocratique assiégé au Peuple Elu duquel la main de Dieu a donné le coup de pouce que l’on sait... Mais M. Navon n’est jamais gêné lorsqu’il s’agit d’attribuer des propos délirants à ses "adversaires" dans la polémique, puisque cela lui permet d’"étayer" ses propres contre-vérités tout en discréditant ses interlocuteurs.
Enfin, j’aimerais pouvoir rencontrer M. Navon pour lui apporter une réponse simple à ses interrogations inquiètes sur les différents ennemis d’Israël qui, nous dit-il, refusent de recevoir, pour les plus chanceux, 99% seulement de leur territoire conquis par Israël : "ils en veulent 100%, banane !"
"Les architectes d’Oslo se trompent à deux égards. Ils croient qu’Israël fera pleinement partie du Moyen-Orient quand nous aurons abandonné chaque pouce de territoire conquis en 1967 ; ils pensent que l’OLP a changé. Prenons l’exemple de la paix avec l’Egypte. Comme s’en souvient Moshe Arens, il était difficile de comprendre, en Israël, pourquoi Le Caire, après avoir récupéré le Sinaï, faisait une histoire formidable pour Taba, ce kilomètre carré autrefois désertique et désormais partie de la station touristique d’Eilath et restitué sur arbitrage international en 1988 ; on y criait de fait "à Taba aujourd’hui, demain en Palestine!" Durant les deux décennies de paix avec l’Egypte, Le Caire a rappelé deux fois son ambassadeur à Tel-Aviv : pendant la guerre du Liban et l’Intifada d’al-Aqsa : le gouvernement égyptien n’a jamais tenté de modérer les médias du pays dans leur propagande anti-israélienne ; la coopération économique entre Israël et l’Egypte ne s’est jamais concrétisée ; Le Caire n’a jamais renoncé - 12 milliards par an pour la défense - à sa doctrine d’achats massifs d’armes, alors que le pays n’est en rien menacé. Tout ce qu’Israël peut attendre de l’Egypte, c’est un statut précaire de non-belligérance."
>>> Ah bon, l’Egypte aurait réussi à récupérer son Sinaï avant de se claquemurer elle aussi - c’était bien son tour - dans sa muraille d’airain ? Qu’à Taba, les Egyptiens aient "crié" : "aujourd’hui Taba, demain la Palestine", cela n’a pas laissé des souvenirs impérissables. Mais de toute manière, il ne suffit pas de se contenter de crier...
"Sadate avait signé la paix pour récupérer le Sinaï, mais l’Egypte ne souhaite pas ouvrir son économie à la mondialisation qui finirait par miner son gouvernement autoritaire. De même pour la Syrie qui n’a pas l’intention de céder aux sirènes de la démocratisation. Le président Bashar al-Asad n’a-t-il pas accusé Israël, lors de la conférence islamique du Qatar, en novembre 2000, de nazisme! Même le journal Ha’Aretz, à tendance de gauche, admet que ce discours d’Assad nous ramenait à l’Ancien Moyen-Orient. Assad n’a aucun intérêt à la pacification de la région, il a besoin de chimères comme l’unité du monde arabe et la menace sioniste pour faire tenir son régime."
>>> Nous voilà prévenus : un triomphe du libéralisme sous sa forme mondialisée serait aussi le triomphe d’Israël. On comprend mieux les raisons profondes de la pensée unique dont on nous bassine. (Ce n’est pas un hasard, non plus, si, ce jour, José Bové se fait arrêter par la police israélienne alors qu’il manifestait devant une colonie pour dénoncer la politique de colonisation du gouvernement israélien, cet obstacle majeur à la paix au Moyen-Orient). M. Navon, ou alors est-ce son traducteur, utilise un terme, pour désigner l’établissement de la paix au Moyen-Orient - la "pacification" - qui a des connotations, dans la France d’Aussaresses, qui en rendent le maniement assez délicat...
"Et puis l’OLP aurait changé. Cette organisation créée en 1964 par la ligue arabe non pas pour exécuter le plan de partition de l’ONU sur les bases des frontières de l’armistice de 1949 mais dans le but de détruire Israël, comme l’affirmait d’ailleurs clairement sa charte. "Des cessez-le-feu peut-être, mais jamais la paix", comme le clamait un des dirigeants de l’OLP, Amar Mubari Jamal, en 1986. Ou bien une paix de Saladin, dans les termes d’Arafat en 1989, soit un agrément temporaire destiné à faciliter à terme l’expulsion des sionistes de Palestine."
>>> On peut penser qu’Arafat faisait allusion à la tolérance (religieuse) de Saladin, entrée dans la légende après la reconquête de Jérusalem par les Musulmans et non d’un Saladin retors qui ne se serait montré clément envers les Croisés que pour avoir le plaisir de les mettre à la porte de la Palestine bien des années plus tard... Mais il est vrai que ce Yasser Arafat est un filou. Il serait pas un peu Kurde sur les bords, comme Saladin ?
"Objectif stratégique du leader de l’OLP, une guerre régionale au Moyen-Orient qui permettrait aux forces arabes unies de combattre et battre Israël. Voilà qui doit encore guérir le monde arabe de ses maux internes. Arafat a tenté de prendre toute sa part à l’entreprise par la formation d’un Etat (palestinien) dans l’Etat de Jordanie jusqu’à son élimination par Hussein en septembre 1971 puis au Liban d’où l’armée israélienne le chassa en 1982. Le dirigeant du Fatah Abu Ayad ne faisait pas mystère en 1985 des intentions de l’OLP : récupérer toute la Palestine occupée. Et Faruk Kadumi la même année : le droit des Palestiniens à libérer les territoires perdus en 1967 et en 1948. Dès lors que Hussein avait renoncé en juillet 1988 à ses droits sur la Cisjordanie et Gaza, Arafat lança une offensive diplomatique destinée à lui redonner une légitimité, mais il savait qu’il lui fallait pour cela reconnaître Israël et accepter les résolutions 242 et 338 du Conseil de Sécurité ; il déclara donc devant le parlement européen le 13 septembre 2000 que l’OLP était prête à accepter ces résolutions mais dans le cadre d’autres résolutions adoptées par les Nations Unies, soit entre autres celle du 10 novembre 1975 qui plaçait sionisme et nazisme sur un même plan ou celle du 24 novembre 1976 fondant la solution au problème palestinien sur la charte de l’OLP, sans compter les innombrables résolutions appelant au retour des réfugiés en Israël et déniant à l’Etat hébreu toute souveraineté sur Jérusalem. Dans sa déclaration officielle à Genève du 13 décembre 1988, Arafat condamnait le terrorisme mais précisait aussitôt qu’il entendait par terrorisme l’exécution de Palestiniens par Israël et saluait la mémoire des "martyrs" comme Abu Jyad, responsable d’attaques terroristes contre Israël en 1974, 1978 et 1985. Appelé à clarifier sa pensée, le leader palestinien renonçait le lendemain au terrorisme et reconnaissait le droit à toutes les parties, l’Etat de Palestine, Israël - et non l’Etat d’Israël - et les Etats voisins à vivre dans la paix et la sécurité. Shimon Peres lui-même, ne réagira-t-il pas à ces déclarations en notant que cette "clarification" continuait à plaider, dans l’ambiguïté et le double langage, pour la violence ? Les preuves, au demeurant, se multiplient. Salim Zanun, porte-parole du Conseil national palestinien, le 23 décembre 1988 : le combat contre l’ennemi sioniste et ses alliés se poursuit. Abu Ayad, lieutenant d’Arafat le 13 janvier 1990 : l’OLP ne s’est jamais engagée à cesser le combat armé. Nayif Hawatmé, leader du Front Populaire pour la Libération de la Palestine, le 19 avril 1989 : la révolution palestinienne s’est engagée à libérer le pays de la mer au Jourdain, du sud au nord. Rien d’étonnant à ce que l’OLP ait revendiqué l’attaque terroriste avortée contre des citoyens israéliens le 30 mai 1990. De même pour la "reconnaissance" d’Israël. Abu Ayad, le 1 février 1989 : nous n’avons pas reconnu Israël ; ni à Alger, ni par le discours d’Arafat à Genève. Et Arafat confirme en janvier 1990 : l’Etat d’Israël est une conséquence de la seconde guerre mondiale et il est appelé à disparaître tout comme le mur de Berlin. D’où la stratégie des étapes approuvée par le Conseil national palestinien en 1974, telle que la définit Abu Ayad en janvier 1988 : établir un Etat palestinien d’abord en Cisjordanie et à Gaza et mobiliser ensuite cet Etat en avant-poste contre Israël. Arafat corrobore cette approche après la signature de la Déclaration de Principes en 1993 : nous continuerons la marche jusqu’à ce que le drapeau de la Palestine flotte sur Jérusalem."
>>> Tout ça montre bien que, si discussion et négociations il doit y avoir, une chose ne se discute pas : la légitimité d’Israël à exercer sa souveraineté sur la totalité de Jérusalem (entre autres). M. Navon, qui considère que le processus d’Oslo était une erreur, qui s’est soldée par un fiasco (moi aussi, pour les raisons inverses), pense-t-il que l’Intifada d’al-Aqsa a bien eu lieu, qu’il s’agit d’un événement non sans importance, ou bien considère-t-il qu’Ariel Sharon s’en est d’ores et déjà rendu maître et qu’elle ne fait même plus partie du passé, totalement éradiquée qu’elle est (grâce à la reprise en main des médias pilotée depuis... Israël) ?
"D’où les constantes violations des accords d’Oslo par l’OLP. Même le gouvernement Barak l’admet dans le Livre Blanc publié en novembre 2000. Usage de la violence, coopération avec le Hamas, utilisation d’armes illégales, incitation à la haine, établissement d’une police bien plus importante que les accords avec Israël ne le prévoyaient, activité des Palestiniens au-delà des territoires soumis à leur juridiction, importation d’armes par l’aéroport de Gaza, relations diplomatiques avec d’autres pays, refus d’expulser des touristes présents sur le territoire palestinien sans visa israélien, ignorance des accords économiques signés à Paris en avril 1994, vol de voitures privées et non paiement des impôts sur les véhicules, non protection des lieux saints du judaïsme tels la tombe de Joseph et l’antique synagogue de Jéricho. Et le point d’orgue : le lancement de l’Intifada d’al-Aqsa en septembre 2000. Non seulement l’OLP a utilisé les armes que lui a fournies Israël pour tirer sur des citoyens israéliens mais elle a libéré dans leur majorité les terroristes du Hamas qu’elle détenait. Comme par exemple Mohammad Deff, dirigeant militaire du Hamas, responsable d’une série d’attentats-suicide à la bombe à Jérusalem et Tel-Aviv en février-mars 1996 ainsi que du kidnapping et de l’assassinat d’un certain nombre de soldats israéliens, qui a pu s’échapper le 7 décembre 2000. L’Autorité palestinienne, censée coopérer avec Israël à l’arrestation des activistes du Hamas, condamne à mort des Palestiniens qui fournissent des informations sur cette organisation aux services de sécurité israéliens. Et Arafat fait tout pour empêcher que se développe un contexte de voisinage pacifique entre Israéliens et Palestiniens : il a interrompu les matchs de football Arab-Efrat, empêché que se mette en place une clinique à corps médical palestinien subventionnée par des donateurs américains et laminé une école palestinienne destinée à enseigner la coexistence pacifique aux élèves. Arafat continue à cultiver son image de combattant de la liberté, ne quitte jamais son uniforme et a circulé le 5 décembre 2000, lors de son retour à Gaza, une mitraillette à la main. Il est surprenant, compte tenu des déclarations constantes du leader palestinien, qu’Israël n’ait pas demandé la démilitarisation des territoires retournés à l’OLP comme dans le cas du Sinaï mais fourni au contraire des armes à cette organisation."
>>> Si le Livre Blanc du gouvernement Barak dénonce les "constantes violations des accords d’Oslo par l’OLP", alors, on ne peut que s’incliner... Et admettre que l’échec du processus - honni par M. Navon - d’Oslo est dû à ces violations constantes de l’OLP... M. Navon va-t-il rejoindre bientôt un camp d’entraînement dans la Bekaa libanaise pour rejoindre une formation militaire de l’OLP qui, à la différence des gouvernements israéliens successifs, a réussi - elle, au moins - à faire capoter Oslo ?
"Il n’est que de consulter les manuels publiés en septembre 2000 par l’Autorité palestinienne à l’intention des six premières classes pour comprendre ses orientations. Bilan d’un sondage conduit par l’université de Bir Zeit en Cisjordanie et dans la bande de Gaza : 74,3% des personnes interrogées ne sont pas prêtes à accepter une souveraineté israélienne sur Jérusalem-ouest même si la partie orientale devenait la capitale d’un Etat palestinien à venir ; 91,5% considèrent que la paix ne sera pas possible si Israël ne reconnaît pas aux Palestiniens le droit au retour ; 6,2% ne croient pas à une chance de coexistence pacifique entre Israéliens et Palestiniens ; 64,8% ne considéreraient pas sous un angle positif une relation amicale des deux parties même en cas d’établissement d’un Etat palestinien.
Donc, un Etat juif en Palestine restera objet d’anathème non pas seulement aux yeux des militants du Hamas, mais pour tous les Palestiniens. Azmi Bishara, membre de la Knesset, estime que toute la Palestine est occupée et voilà une illustration parfaite de l’erreur commise par la gauche sioniste : elle parle des événements de 1967 comme si ceux de 1948 n’avaient pas eu lieu. Quel que soit le compromis adopté, il ne mettra pas fin au conflit qui oppose Israéliens et Palestiniens et le combat antisioniste des Arabes se poursuivra. D’où le raisonnement de Bishara selon lequel l’affaire ne pourra se conclure qu’avec une désionisation d’Israël, ce qui veut dire que l’Etat juif lui-même n’est pas légitime pour cet Arabe israélien ; les Juifs devraient en finir avec cette bizarre histoire de sionisme! Qu’ils renoncent à la Loi du retour (pour tout Juif de la diaspora), à l’Agence juive et au Fonds national juif, qu’ils reconnaissent par contre le droit aux réfugiés palestiniens de rentrer au pays dans ses frontières d’avant 1967, qu’ils abandonnent enfin l’idée même d’un Etat juif et la paix sera possible. En somme, Bishara perçoit Israël comme une forme moderne d’Etat croisé, mais se refuse à attendre un siècle la venue d’un autre Saladin. Ce n’est pas un terroriste du Hamas dont il s’agit ici, mais d’un titulaire de Ph. D. Et d’un membre de la Knesset ; la différence entre lui, d’une part, l’OLP et le Hamas, d’autre part, c’est que les seconds souhaitent détruire Israël par la guerre, alors que lui en envisage la fin par la désionisation. Il n’est que de lire les déclarations de l’actuel membre Likud de la Knesset et ancien militant de la Paix maintenant Yuval Steinitz pour comprendre son amère désillusion : avoir défilé des années durant en revendiquant un Etat à chaque peuple et s’entendre dénier ce droit à l’Etat juif par certains de ses ex-camarades !"

>>> Eh oui, le Saladin des temps modernes, ce n’est pas Arafat : c’est Azmi Bishara. Il faudra bien que Monsieur Navon s’y fasse : n’est pas Saladin qui veut, et il n’y en eut qu’un : se méfier des contre-façons..
"Le retour au réalisme - Il y a une alternative à Oslo : le retour au réalisme du mur d’airain. Etre réaliste, cela veut dire affronter deux faits concomitants et difficiles à admettre : d’une part, les Arabes aspireront toujours à la destruction de l’Etat d’Israël, quelles qu’en soient les frontières ; d’autre part, l’intégration des deux millions d’Arabes qui peuplent la Judée et la Samarie équivaudrait à un suicide démographique. Il convient donc d’appliquer unilatéralement et par la force une version révisée du plan Allon. Par la force, du moment où Israël ne saurait se dégager par des négociations du bourbier palestinien : le roi Hussein avait en son temps refusé de négocier le plan Allon parce qu’il craignait pour sa vie. L’autonomie projetée par Begin fut rejetée par le monde arabe parce qu’elle annulait tout retour de leurs troupes en Cisjordanie. Arafat, quant à lui, a repoussé l’offre de Barak parce qu’accepter moins de 100% du territoire équivalait à abandonner la stratégie des étapes. Il y a donc nécessité pour Israël de concrétiser à lui seul le principe du plan Allon : un maximum de territoire avec un minimum de populations arabes à l’intérieur de ses frontières. La carte d’Oslo II indique d’ailleurs clairement que c’est le plan Allon que les négociateurs israéliens avaient alors en tête : vallée du Jourdain, partie orientale du désert de Judée et bloc d’Etzion sont encore entre nos mains ; en annexant ces espaces plus d’autres fractions de zone C (sous contrôle israélien) et B (sous juridiction civile palestinienne), Israël imposera sa souveraineté sur un territoire qui n’est pas densément peuplé d’Arabes, qui présente une valeur stratégique et fait partie de notre héritage historique. Cette solution aura le mérite de maintenir sous notre autorité la majorité des colonies juives et des sites historiques de la région ainsi qu’une continuité territoriale entre les zones restant sous le contrôle des Palestiniens, même si elle implique malheureusement le démontage de colonies mineures situées en plein coeur des territoires arabes."
>>> Voilà qui éclaire bien des choses. Les "propositions extrêmement généreuses" de Barak à Camp David II ne sont pas autre chose que les attendus du plan Allon. Au cas où nous n’aurions pas été convaincus de l’extrémisme de M. Navon, sa phrase sur le "malheur" que représente "le démantèlement de colonies mineures situées en plein coeur des territoires arabes" serait là pour nous en apporter la preuve.
"Les Palestiniens conserveront quelque 50% de la Cisjordanie et leur territoire se divisera en deux blocs : le nord en Samarie, relié par un corridor au Jourdain ; le sud en Judée. Deux blocs qui seront reliés l’un à l’autre par une route. Une fois accompli ce projet, Israël bombardera régulièrement les infrastructures militaires que l’OLP aménagera dans les territoires restés sous sa souveraineté. Nous nous serons en quelque sorte libérés des Palestiniens tout en gardant à peu près la moitié de la Judée-Samarie et en restant conformes à la résolution 242 des Nations unies (qui stipule selon Israël - version anglaise - un retrait de et non des territoires occupés)."
>>> M. Navon emploie ici le futur, car il ne fait qu’énoncer ce que sera la région dans quelques années, lorsque son plan aura été mis en application. Or, c’est le plan israélien. Ce chapitre a donc la valeur d’une prophétie. Israël aura la paix, derrière son mur d’airain, il n’aura concédé que la moitié de la Judée-Samarie (lire : des territoires occupés), tout en respectant parfaitement la légalité internationale... dans sa version anglaise ! (qui stipule un retrait "de" territoires occupés, et non "des" territoires occupés : la nuance est effectivement de taille). Le seul inconvénient que les Palestiniens présenteront désormais pour les Israéliens : la nécessité pour ces derniers de les bombarder périodiquement, dès qu’ils risqueraient d’être en passe d’établir le début d’une défense nationale...
"Pour résumer : il demeure improbable que les Arabes se rendent jamais à la légitimité de l’Etat d’Israël. Seule notre supériorité militaire peut les dissuader de déclencher d’autres guerres contre nous. Comme le disait l’ancien ministre des Affaires étrangères Abba Eban, au terme d’une longue carrière : les guerres et rivalités internationales ne trouveront probablement pas de fin, mais on peut raisonnablement espérer en restreindre l’importance ; il y a déjà dans la prévention de la guerre une forme de paix, peut-être la seule que les nations connaîtront jamais. Le postsionisme du Nouveau Moyen-Orient prétendu a démontré qu’il était aussi désespéré et désastreux que l’assimilation dans l’Europe de l’après 1789. Il nous reste à conserver foi en la mission historique d’Israël et dans les droits du peuple juif sur sa terre tout en faisant des compromis avec les réalités. C’est en ce sens qu’il y aura une vie après Oslo."
>>> Voilà. Tout est dit. Il n’y a rien à ajouter. Ah !... si... : "Merci, Monsieur Navon !"
                      
2. Appel urgent de l'Université de Birzeit (8 septembre 2001)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Levez le siège empêchant l'université de Birzeit de mener son action éducatrice et ouvrez la route vers la Paix, à travers des actions concrètes pour la protection de la population et de la vie civiles en Palestine.
Le 15 septembre prochain, plus de 5000 étudiants et plus de 350 membres du corps universitaire et du personnel entameront une nouvelle année à l'Université de Birzeit, en devant faire face à un trajet difficile, humiliant et trop souvent dangereux, à pied, à franchir deux barrages militaires israéliens pour venir rejoindre leur campus, leurs salles de cours, leurs bureaux et leurs laboratoires.
Depuis mars dernier, étudiants et enseignants ont dû supporter les difficultés causées par la fermeture de la route reliant Birzeit à Ramallah, qui est en temps normal le principal et, en la circonstance, l'unique accès vital à l'Université. Durant l'été, la situation a encore empiré et le harcèlement et les difficultés ont été "institutionnalisés" tant pour l'Université de Birzeit que pour les habitants de trente-cinq villages qui utilisent cette route, vitale pour eux, car elle leur permet de se rendre à Ramallah où se trouvent les principaux services, les approvisionnements essentiels et souvent, aussi, les emplois.
Mais ce ne sont pas les difficultés supportées par les étudiants et les enseignants, en tant qu'individus, ni même le dommage causé à l'une des institutions éducatives de pointe en Palestine, qui amènent l'Université de Birzeit à (vous) lancer cet appel urgent. Il s'agit certes, de difficultés très lourdes ; nous sommes témoins quotidiennement d'étudiants et d'enseignants contraints à escalader des tranchées, à devoir se mettre à l'abri pour échapper aux tirs, aux bombes paralysantes ou aux gaz lacrymogènes utilisés par l'armée israélienne, ou délibérément humiliés et, parfois même, arrêtés. Le dommage causé à la vie académique, aux programmes de formation à la gestion des services publics, à la recherche et au développement même de l'Université n'est que trop réel. Toutefois, c'est le fait que ces événements regrettables fassent partie d'une nouvelle "normalité" instaurée, faite de bouclages et de mise en état de siège de la population civile palestinienne par Israël, en violation totale du droit international, qui nous préoccupe par-dessus tout, et réclame une intervention réelle et effective de la communauté internationale. Aucune paix ne saurait être construite sur la destruction et la ruine d'un autre peuple, de sa vie civile, de son développement, de sa société et de ses moyens de vivre.
La communauté de Birzeit a agi, pacifiquement, dans l'unité et la dignité, contre le bouclage et pour le droit à l'éducation, à la liberté de se déplacer et au respect des personnes. Durant les derniers mois écoulés, des manifestations pacifiques, organisées par l'Université et ses amis, ont permis de reboucher les tranchées que les bulldozers de l'armée israélienne avaient creusées dans la route, au début du mois de mars. Toutefois, des protestations pacifiques menées depuis lors contre le bouclage qui continue à travers le maintien du barrage israélien -  protestations comportant notamment l'information des soldats de garde de la nature illégale aux yeux de la légalité internationale de leur mission et de leurs actes - n'ont pas eu de résultats durables.
Le bouclage de la route de Birzeit contredit les prétextes sécuritaires utilisés par Israël dans la plupart de ses agissements illégaux dans les territoires palestiniens occupés. La route Ramallah-Birzeit ne passe auprès d'aucune agglomération ou colonie israélienne. En revanche, les barrages militaires représentent les instruments d'une politique systématique et officielle d'intimidation, visant à institutionnaliser les souffrances des civils palestiniens, dans l'optique de briser leur volonté et de semer la désolation dans leur société et leur nation.
C'est pourquoi nous appelons la communauté internationale à défendre les droits de l'Homme en agissant immédiatement contre ce bouclage, qui viole de manière patente la Quatrième Convention de Genève, dont Israël est un pays signataire, ainsi que la Déclaration universelle des droits de l'Homme et les autres textes sauvegardant les droits de l'Homme. Il est urgent et impératif que les Hautes parties contractantes à la Convention se mobilisent et exercent leurs prérogatives conformément à la légalité internationale. Mais, parallèlement à ces initiatives globales, nous exhortons la communauté internationale à agir dès lors que les conditions de la paix et de la sécurité sont violées et à prendre des mesures concrètes afin de garantir ces conditions. Nous affirmons que la réouverture de l'accès à l'Université de Birzeit est un geste indispensable pour avancer en direction d'une paix juste et équitable.
- Vous êtes prié de contacter l'Ambassade d'Israël de votre pays et d'envoyer vos protestations au Gouvernement israélien :
Benjamin Beneliazer, ministre israélien de la défense, à l'adresse :
sar@mod.gov.il
Voici également les coordonnées de responsables internationaux à contacter utilement :
H.E. Mr. Kofi Annan Secretary General United Nations - Fax : +212 963-2155 - Email :
ecu@un.org
Mr. Terje Rod Larsen Personal Representative of the Secretary General to the United Nations in Palestine
Tél : +972 8 282 2914 - Fax : +972 8 282 0966 - Email : unsco@palnet.com
Mr. Romano Prodi President, European Union - Email : romano.prodi@cec.eu.int
Mr. Koichiro Matsuura Director General UNESCO - 7, place de Fontenoy - 75352 Paris 07 SP - Fax : +33 1 45 67 16 90
[Pour plus d'information sur l'Université de Birzeit, consultez notre site : http://www.birzeit.edu]
                     
3. Un échec ? Quel échec ? (ou le succès du forum des ONG de Durban) par Marwan Bishara
publié dans le Point d'information n° 82, du The Center for Policy Analysis on Palestine, 7 septembre 2001
[traduit de l'anglais par Annie Coussemant]

Résumé : Les délégués de quelque 3 000 ONG venues du monde entier ont qualifié leur conférence de Durban (Afrique du Sud) de succès exemplaire. La plupart des médias occidentaux n'en ont pas moins parlé " d'occasion manquée ", voire " d'échec complet ". L'absence de concordance entre ces deux évaluations ne tient pas tant aux délibérations de la conférence qu'à la manière dont elle a été couverte par les médias en question.
A l'issue de plus d'un an de préparatifs et de sept jours de débats, les délégués des ONG de 44 groupes d'intérêt régionaux ou axés sur une cause précise ont adopté la " Déclaration du forum des ONG ". Ils se sont concentrés sur des thèmes comme le traitement des réfugiés et des immigrés, l'antisémitisme, le régime de castes en Inde, le maintien du système esclavagiste en Afrique et les effets du racisme sur les individus atteints du VIH/SIDA, ainsi que sur d'autres problèmes liés aux soins de santé. Sur les centaines de paragraphes que contient la déclaration finale, très peu portent sur le thème " Israël / Palestine ".
Pour autant, les journalistes étrangers présents à Durban n'ont pas cessé de vouloir couvrir les bisbilles israélo-palestiniennes, qui se déroulaient en marge des salles de conférence. Une journaliste britannique a avoué son sentiment de frustration devant l'insistance de son journal à exiger, une fois encore et pour la troisième journée consécutive, un point sur les " engueulades " israélo-palestiniennes. Animée d'un esprit d'œcuménisme, une déléguée a perdu son sang-froid face à un journaliste américain qui, faisant l'impasse sur toutes les questions débattues, s'était contenté d'interroger sa délégation (composée de 50 membres) au sujet d'Israël.
Succès palestinien - Échec d'une conférence
Mieux organisés que les ONG pro-israéliennes, les délégués des ONG palestiniennes ont coordonné leur campagne - hors du cadre de la conférence - avec le Forum social de Durban, et le Mouvement des déshérités d'Afrique du Sud pour organiser une manifestation qui a regroupé de 30 à 40 milliers de personnes (et non 12 000  comme cela a été rapporté) scandant le " Manifeste du Peuple " devant les locaux où se déroulait la conférence officielle.
Entre-temps, sous les tentes dressées sur le stade de football de Durban, le Forum des ONG a mené ses délibérations avec le plus grand sérieux : les délégués ont débattu de centaines des questions liées au racisme jusqu'à l'aube. Bien entendu, les pays du Nord en ont entendu de toute sorte, non seulement de la part des délégués des pays en développement mais aussi des organisations occidentales de défense des droits humains et d'autres ONG. Il convient ici de souligner que l'hostilité exprimée à l'égard de l'Inde, de la Chine et du Nigeria n'a pas été moins virulente [que celle qui s'exprimait à l'égard d'Israël - NdT]. Comme dans le cas du Congrès national africain au cours de ces dernières décennies, la solidarité avec la Palestine est un sujet qui a rallié tous les suffrages et sur lequel un consensus s'est dégagé. L'occupation israélienne et, d'une manière générale, le comportement colonial d'Israël vis-à-vis des Palestiniens, ont été qualifiés de " racistes " et décrits comme " une nouvelle forme d'Apartheid ".
Isolement d'Israël lors de la Conférence
La presse israélienne a admis que l'État hébreu n'avait pas su prendre au sérieux les forums de cette nature, dépourvus qu'ils étaient de caractère officiel. Seules 12 organisations juives pro-israéliennes ont participé à la conférence. Israël était parti du principe qu'il pouvait compter sur l'appui des États-Unis et de certains pays européens pour lui garantir l'impunité dans le cadre des forums internationaux. Ce fut effectivement le cas lors que la Conférence mondiale contre le racisme (WCAR) au cours de laquelle Israël a quitté la salle en compagnie de la délégation des États-Unis. Mais, lors du Forum des ONG, les délégués pro-israéliens qui exigeaient que fussent qualifiées " d'excessives " les accusations d'antisémitisme proférées à l'endroit de leur pays ont dû quitter la salle de conférence tout seuls tandis que l'ensemble des groupes de défense se prononçaient contre le cynisme de l'emploi du terme " antisémitisme " s'agissant de la protection des émules du gouvernement Sharon.
Programme des affaires intérieures de Washington. Volant au secours d'Israël, l'Administration Bush avait décidé, bien avant la conférence, d'envoyer à Durban une délégation de niveau modeste. Elle avait formé le vœu de ne tolérer quiconque qui oserait " faire des reproches à son jeune allié ", mettant en garde contre l'assimilation du sionisme au racisme. Or, lors de la conférence, le sionisme n'était déjà plus assimilé à une forme de racisme. Le terme même ne figurait plus dans le projet de résolution élaboré au cours d'une série de conférences à Genève, préalables à Durban. D'autres paragraphes critiquant Israël avaient déjà été mis entre crochets  à Genève, avant la conférence, ce qui souligne l'absence d'accord entre les délégations. Qui plus est, le dirigeant palestinien, Yasser Arafat, avait accédé aux desiderata du Révérend Jesse Jackson, homme politique militant en faveur des droits de l'Homme, en promettant que la questions du sionisme ne serait pas abordée au cours de la conférence de l'ONU.
L'Administration Bush avait dans l'idée d'aborder d'autres thèmes que celui d'Israël. La Maison Blanche a mis à profit l'excuse israélienne pour soustraire l'Amérique aux autres obligations formulées lors de la conférence, considérant que la demande expresse de pardon pour l'esclavage, l'annulation de la dette, l'augmentation de l'aide et les réparations n'auraient pas dû figurer à l'ordre du jour. L'Administration Bush n'était pas et ne sera jamais disposée à débattre sérieusement de ces questions, surtout pas dans le cadre d'une conférence internationale organisée sous l'égide des Nations unies. Elle a fait dévier la Conférence de manière à se soustraire aux accusations racistes portées à son endroit. La droite conservatrice du parti républicain se serait désintégrée si l'Administration avait dû demander pardon pour le passé esclavagiste des États-Unis et s'engager à rapatrier les victimes, le tout dans le cadre d'un forum international parrainé par les Nations unies, ni plus ni moins. Tout compromis, même minimaliste, aurait pu être considéré comme une victoire du Mouvement des droits civiques et une avancée du Parti démocrate.
Toute éventualité de cet ordre est nulle et non avenue pour la Maison Blanche de l'ère Bush. Alors même qu'on lui rappelle constamment qu'il a perdu les dernières élections présidentielles et qu'il ne doit sa victoire qu'à un artifice technique, Bush a besoin de tout le soutien local qu'il peut obtenir. Plaire aux amis d'Israël présents sur le territoire américain ne peut que lui permettre d'engranger davantage de soutien au Congrès en faveur de son Administration. Il en va de même s'agissant de la perspective des prochaines élections. Du point de vue technique, la manœuvre a réussi dans la mesure où elle a permis d'atteindre trois objectifs à la fois alors que les États-Unis ne se retiraient que d'un seul front.
Créer des intérêts irréconciliables : avant et pendant la conférence, des amis influents des pays africains sensibles aux arguments du lobby pro-israélien avaient poussé ces derniers à laisser de côté la question palestinienne lors de la Conférence officielle comme lors du Forum des ONG, en leur proposant de les aider à soulever la question du rapatriement, ce qui créerait un conflit d'intérêt entre les tenants des deux problématiques. Certains États africains, dont le gouvernement d'Afrique du Sud, ont été séduits par cette proposition, considérant notamment l'autre terme de l'alternative, à savoir torpiller la conférence d'une manière générale. D'ailleurs, l'artifice a pris dans certains milieux, quoique de manière limitée, et les médias s'en sont fait l'écho. La cause palestinienne, et tout le battage fait à son propos, a été considérée à tort comme une " perte sèche " pour les Africains, considérant les autres thèmes importants à débattre.  Mais, dans le cadre du forum des ONG, il était hors de question de sérier les problèmes de cette manière. Les médias n'en ont pas moins évoqué un " conflit d'intérêts ", et les États-Unis ont porté l'exaspération à son comble en se retirant le troisième jour au motif que " des propos agressifs " avaient été tenus à l'endroit d'Israël. On se demande bien pourquoi le pays en question ne se retire pas des Nations Unies alors même que des propos similaires décrivant avec précision les pratiques colonialistes d'Israël y sont couramment tenus.
La Palestine et la Société civile internationale : dès le 6 septembre, Mary Robinson, Haut commissionnaire des Nations unies pour les droits humains refusait de recevoir et d'avaliser la Déclaration et le programme d'action du  Forum des ONG avant de les transmettre à la Conférence officielle. Elle-même avait critiqué certains termes utilisés pour caractériser Israël. Cependant, même si certains délégués optaient pour des termes autres que celui de " génocide " et employaient un langage plus nuancé dans le document final, ils n'entendaient pas prendre de distance par rapport à la Déclaration historique englobant toute la problématique. Pour quelles raisons Mary Robinson rejetterait-elle les résultats d'un processus aussi démocratique que transparent que celui du Forum des ONG ?
Le succès du Forum des ONG de Durban est, avant tout, une victoire de la société civile internationale. L'union qui s'est fait jour en Afrique du Sud n'est que le premier pas dans le sens d'un nouveau programme international mis au point par les organisations de la société civile et autres mouvements populaires dans un monde interdépendant où la dimension mondiale prend chaque jour un peu plus le pas sur la dimension locale. Durban a permis de recentrer l'attention sur cette réalité nouvelle et de faire le lien entre les causes à défendre à l'échelon local, s'agissant de la discrimination et du racisme, dans le cadre d'un mouvement émergent de lutte en faveur d'un monde meilleur.
Si les Palestiniens veulent voir leur cause se redynamiser et obtenir un soutien international, il leur faut poursuivre sur la voie amorcée à Durban, sortir des coulisses de la Maison Blanche pour s'inscrire au cœur du mouvement pour les droits humains et la solidarité américaine et internationale. Déjà, des préparatifs sont en train pour élaborer une stratégie de concert avec les Dalits , les mouvements de lutte contre l'Apartheid, en faveur des droits civiques et des droits de la personne. Seule la pression de l'opinion publique internationale pourra contraindre les États-Unis à mettre fin à l'impunité dont jouit Israël et permettre d'aboutir à une solution équitable au conflit israélo-palestinien. Dans ce domaine, les Palestiniens n'ont pas besoin de réinventer la roue.
[The Center for Policy Analysis on Palestine, 2425-35 Virginia Ave., NW, Washington, DC 20037 - Tél : 202.338.1290, Fax : 202.333.7742, http://www.palestinecenter.org]
                   
Revue de presse

                            
1. Les colonies : un mécanisme de ségrégation par Jean Chatain
in L'Humanité du lundi 10 septembre 2001

La politique de colonisation de la Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-Est a été amorcée par Israël immédiatement après sa victoire militaire de 1967. Officiellement au nom de la " sécurité " de ses frontières, en fait avec un but évident d'expansion territoriale. Les occupations ne cessent de se multiplier, surtout après 1977, avec l'arrivée de la droite israélienne au pouvoir. Les colons se voient alors offrir toutes les facilités pour leur installation dans les territoires occupés : des cadeaux fiscaux aux subventions pour le logement, en passant par des prêts à faible taux d'intérêt. Le tout justifié par une législation souvent plus ancienne que l'Etat d'Israël lui-même, remontant au mandat britannique, voire à l'empire ottoman.
Israël fait ainsi main basse sur près de la moitié de la bande de Gaza et sur plus des deux tiers des terres disponibles de Cisjordanie. L'annexion n'a jamais été officialisée, sauf dans le cas de Jérusalem. En Cisjordanie ou à Gaza, elle est pourtant une réalité de fait, codifiée par la pléiade de règlements, ordres et décrets adoptés par les autorités civiles et militaires afin d'aligner les prérogatives des colons sur celles des nationaux résidant à l'intérieur des frontières. Avec au bout du compte l'émergence d'un système colonial, opposant Palestiniens (soumis à la loi militaire) et colons juifs (relevant du droit commun israélien).
Quelques chiffres empruntés à la Fondation pour la paix au Moyen-Orient, installée à Washington : 400 000 colons se sont implantés dans les territoires palestiniens. Dont 200 000 en Cisjordanie, pour l'essentiel en zone C (contrôle exclusif israélien) ; 6 500 à Gaza ; 180 000 à Jérusalem-Est (dont un tiers de la superficie a été expropriée pour leur installation) ; 17 000 au Golan (contrôlant les trois quarts du plateau)...
Corollaire de la colonisation érigée en système, la déstructuration économique et sociale de tout le peuple palestinien, y compris en ce qui concerne les problèmes d'infrastructure tels ceux des communications ou de l'approvisionnement en eau. Le pire est désormais en vue, si l'on en croit Terje Roed-Larsen, coordinateur spécial de l'ONU pour le Proche-Orient. Jeudi dernier, celui-ci sonnait l'alerte, soulignant que l'économie palestinienne est proche de l'effondrement en raison du bouclage israélien. Avec cette sinistre prédiction : la moitié des Palestiniens des territoires autonomes ne disposeront plus, vers la fin de l'année, que d'un revenu inférieur à deux dollars par jour. Soit moins que le " seuil de pauvreté " défini par l'ONU.
              
2. La plainte contre Sharon suspendue par Jean-Pierre Borloo
in Le Soir (quotidien belge) du samedi 8 septembre 2001
La plainte visée par l'ordonnance du juge d'instruction Collignon (lire en première page), qui demande à la chambre des mises en accusation de se prononcer sur la validité de l'instruction belge, est celle déposée le 18 juin 2001 par 23 Libanais et relayée par les avocats Walleyn et Verhaeghe. Elle vise les massacres qui ont eu lieu dans les camps de Sabra et Chatila au Sud-Liban du 16 au 18 septembre 1982. Les plaignants, constitués partie civile, désignent personnellement Ariel Sharon et Amos Yaron, alors commandants des forces israéliennes à Beyrouth, plus d'autres responsables israéliens et libanais des massacres.
Cet été, l'Etat d'Israël, non visé par la plainte, avait désigné une avocate belge Me Michèle Hirsch, pour faire entendre sa voix. L'avocate a donc pris sa plume pour faire valoir plusieurs arguments au juge belge. Elle lui demandait notamment de se déclarer incompétent pour connaître des poursuites engagées contre le Premier ministre israélien. Ceci parce que Sharon aurait déjà été « jugé » par la Commission israélienne Kahane pour ces faits.
Même si l'Etat d'Israël n'est pas à la cause, la question était bel et bien posée suite au courrier de l'avocate qui fait désormais partie du dossier du juge. Patrick Collignon ne pouvant statuer lui-même sur sa compétence, le dossier a donc été transmis au parquet, qui en a référé au parquet général. C'est donc en vue de vider cet abcès que celui-ci a décidé de saisir la chambre des mises en accusation, organe compétent pour trancher les problèmes de procédure.
Pour pouvoir statuer sur la compétence, ou non, du juge belge, la chambre des mises en accusations pourrait entendre le juge d'instruction, les parties civiles et les inculpés que sont, techniquement parlant, Sharon et Yaron. Mais pas Me Hirsch, qui n'est pas à la cause.
Cela pourrait prendre des mois. Mais cette décision de suspendre la plainte n'indique nullement une prise de position sur le fond des doléances des plaignants libanais.
                  
3. Le monde arabe traversé par un anti-américanisme virulent par Mouna Naïm
in Le Monde du samedi 8 septembre 2001

Jamais, depuis des années, le discours anti-américain n'a été aussi virulent dans le monde arabe. La dernière illustration de cette hostilité tient dans les commentaires consécutifs au retrait de la délégation américaine de la Conférence des Nations unies sur le racisme de Durban. "La gestion du monde selon le modèle américain ne trompe plus les peuples" ; "les Etats-Unis non seulement se contentent d'observer la violence israélienne contre les Palestiniens sans réagir, mais donnent des prétextes à Israël pour continuer ses exactions inhumaines" ; "le lobby américano-sioniste s'est vu infliger le plus grand camouflet". C'est un échantillon des réflexions d'éditorialistes arabes dans des journaux de pays tels que l'Arabie saoudite ou les Emirats arabes unis, où la presse ne dispose pratiquement pas de liberté d'expression.
Ce qui veut dire que ces commentaires ont été pour le moins autorisés. Il est par ailleurs quasi certain que les pays arabes n'auraient pas été aussi intraitables à la conférence de Durban si le conflit israélo-palestinien et l'inertie américaine, perçue comme un parti pris pro-israélien, n'avaient pas touché des sommets. Farouk Al Chareh, le ministre syrien des affaires étrangères, a accusé Washington d'avoir prévu de quitter Durban "parce que les Etats-Unis approuvent les meurtres commis par Israël, qu'ils veulent voir se poursuivre".Son homologue égyptien, Ahmad Maher, a qualifié le retrait américai d'"inacceptable et incompréhensible" : c'est "une grande humiliation pour les Nations unies, pour tous ceux qui ont participé à la conférence, et pour le pays hôte, l'Afrique du Sud".
Même son de cloche de la part du secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa : "Nous avons annoncé clairement que nous acceptons la mention", dans les documents de la conférence, "de ce que les juifs ont subi dans le passé, mais il ne faut pas oublier les pratiques israéliennes actuelles contre le peuple palestinien", a-t-il dit. Oussama Al Baz, conseiller politique du président égyptien, a frappé plus fort encore. Il reproche aux Etats-Unis "non seulement de se désengager mais de protéger Israël politiquement, au niveau de la propagande et à d'autres niveaux (...)". Et d'ajouter qu'"Israël utilise des armes américaines pour terroriser les Palestiniens".
PROPOS INADMISSIBLES
Cette sévérité de ton - comme les erreurs d'appréciation de certains éditorialistes qui ont cru voir dans la conférence de Durban un soutien aux thèses arabes - traduit une montée d'adrénaline anti-américaine que l'attitude de Washington accentue au fil des semaines. Des déclarations, début août, de Dick Cheney, vice-président américain, trouvant "quelques justifications" aux "assassinats ciblés" par Israël d'activistes palestiniens, à la menace de veto qui a empêché, à la fin août, l'adoption par le Conseil de sécurité de l'ONU d'une résolution prévoyant la mise en place d'un "mécanisme de surveillance" pour aider Palestiniens et Israéliens à rétablir le calme, la coupe arabe est pleine.
"Si vous avez une organisation qui a fomenté ou est ent rain de fomenter des attentats-suicides, par exemple, et si vous savez de qui il s'agit et où ils se trouvent, je pense qu'il y a quelques justifications à essayer de se protéger en les devançant", avait déclaré Dick Cheney à la chaîne américaine Fox. Propos qui, quels qu'aient été les efforts du porte-parole de la Maison Blanche, rappelant que les Etats-Unis étaient opposés à ces meurtres, vont "attiser les suspicions dans une grande partie du monde arabe, selon lesquelles les Etats-Unis ont donné le feu vert à Israël pour assassiner des Palestiniens présumés terroristes",a prévu, quelques jours plus tard, Edwin S. Walker, le président du Middle East Institute à Washington dans un article publié par l'International Herald Tribune.
Pour cet ancien ambassadeur américain dans les Emirats arabes unis et en Egypte, les propos de M. Cheney sont d'autant plus inadmissibles que les Etats-Unis ont toujours dénoncé les assassinats ciblés quels qu'aient été les gouvernements. "Je me souviens en particulier, a-t-il rappelé, que j'ai dû sermonner dans les termes les plus sévères le recours à des meurtres extra-judiciaires par un pays arabe qui était engagé vers le milieu des années 1990 dans une lutte sanglante contre le terrorisme fondamentaliste. Et ce bien que de nombreux civils innocents mouraient aux mains des terroristes."
Quant à l'explication donnée par le représentant américain à l'ONU, James Cunningham, à la menace de veto au Conseil de sécurité de l'ONU - "une résolution ne fera pas avancer les choses et nous nous y opposerons par tous les moyens" -, elle a été jugée irrecevable par les opinions publiques et les gouvernements arabes. D'autant que Washington lie la mise en place d'un tel mécanisme à son acceptation par Israël, ce qui équivaut à une condition rédhibitoire, l'Etat juif s'y opposant obstinément. Les rappels à l'ordre réguliers et publics que le président George W. Bush adresse au président palestinien, Yasser Arafat, n'arrangent pas non plus les choses.
Les gouvernements arabes sont d'autant plus exaspérés qu'ils savent que les Etats-Unis sont le passage obligé pour aboutir à des résultats : seuls parrains du processus de paix - la Russie n'étant un coparrain que sur le papier -, ils sont aussi les seuls que l'Etat juif est disposé à écouter éventuellement. "Il est temps, en particulier pour les Etats-Unis, d'assumer leurs responsabilités pour prévenir les agressions israéliennes", déclarait récemment le chef de la diplomatie saoudienne, Saoud Al Fayçal, qui a entrepris de consulter les dirigeants arabes sur la question palestinienne et qui dit avoir déjà recueilli des "idées"pour une "vision" commune. "Les pays arabes, a-t-il ajouté,ont fait de leur mieux pour relancer le processus de paix et pris toutes les décisions nécessaires" et "l'échec du processus de paix est lié aux politiques israéliennes d'intimidation, d'agression et de renonciation à l'application des accords signés" .
A en croire des informations de presse, l'Arabie saoudite tente d'organiser une rencontre entre le président Bush et M. Arafat. Alors qu'il a déjà reçu à plusieurs reprises le premier ministre israélien, Ariel Sharon, M. Bush estime que le temps n'est toujours pas venu de recevoir le président palestinien. Ce qui ne fait qu'accentuer, aux yeux des Arabes, l'idée d'un net parti pris américain en faveur d'Israël.
                                 
4. La Palestine au désespoir selon l'ONU par Alexandra Schwartzbrob
in Libération du vendredi 7 septembre 2001
Un rapport analyse la situation économique au bout de neuf mois de crise.
Jérusalem de notre correspondante
Le bouclage de la Cisjordanie et de Gaza par l'armée israélienne ne diminue en rien le risque des attentats en Israël et aurait même tendance à l'augmenter en poussant au désespoir des Palestiniens pris à la gorge par les difficultés économiques. Tel est le constat dressé hier à Ramallah par Terje Roed-Larsen, le coordinateur spécial des Nations unies au Proche-Orient. «La situation des Palestiniens ne cesse de se détériorer et elle pourrait très vite sombrer dans le chaos si rien n'est fait pour l'améliorer», a affirmé le haut fonctionnaire de l'ONU en présentant son dernier rapport. Selon lui, au 30 juin, le coût de l'Intifada, pour les Palestiniens, représentait déjà 1,8 à 2,5 milliards de dollars (2,01 à 2,79 milliards d'euros): une estimation qui intègre la chute des revenus des Palestiniens travaillant autrefois en Israël et les pertes dues à la baisse de la production. Le chômage atteindrait un taux record de près de 40 %, en hausse de 78 % par rapport à la période du processus de paix et surtout, si l'on en croit la Banque mondiale, 50 % des Palestiniens risquent de vivre au-dessous du seuil de pauvreté d'ici à la fin de l'année. «Quatre ans de progrès économique, de baisse du chômage, d'amélioration des conditions d'éducation et de santé, ont été réduits à néant par neuf mois de crise (le rapport a été bouclé au 30 juin, ndlr). La détérioration rapide et soutenue de l'économie palestinienne laisse à penser que celle-ci ne se remettra pas si facilement, même si le conflit devait se résoudre bientôt», a résumé Terje Roed-Larsen.
Le représentant de Kofi Annan a condamné la pratique des «assassinats ciblés» israéliens alors que Tsahal venait de revendiquer la liquidation de deux activistes du Fatah par un tir de missile sur leur voiture, près de la ville palestinienne de Tulkarem. Ce nouvel assassinat pourrait relancer le cycle des représailles. Dès hier soir, un soldat israélien a été tué et une soldate grièvement blessée par des Palestiniens au nord de la ville. Loin de vouloir desserrer l'étau sur les territoires comme le recommande l'ONU, le Premier ministre israélien devait d'ailleurs réunir hier soir un cabinet de sécurité pour évoquer l'implantation de «zones tampons», des zones de sécurité militarisées à l'intérieur des territoires.
En visite en Italie, le ministre israélien des Affaires étrangères, Shimon Pérès, a annoncé hier soir qu'il rencontrerait Yasser Arafat la semaine prochaine au Proche-Orient. Cette rencontre serait la première d'une série de trois réunions qu'il espère tenir avec le dirigeant palestinien.
                         
5. Les enfants perdus de l'Intifada par Vincent Hugeux
in L'Express du jeudi 6 septembre 2001

Qu'adviendra-t-il de cette génération baignée depuis le berceau dans la violence? Le cauchemar laissera des traces
Pour eux, le quotidien garde l'âcre puanteur des pneus brûlés et des gaz lacrymogènes. La couleur du sang et du deuil. Tandis que résonnent dans les têtes les cris de haine, de douleur ou de défi, le ululement des sirènes d'ambulances, le sifflement des balles, le staccato des kalachnikovs, les sanglots stridents des mères brisées. Des semaines durant, les rebelles de Ramallah (Cisjordanie), jeune garde de l'Intifada, ont bravé l'armée d'Israël. En vertu d'un rituel éprouvé: au sortir de l'école ou de la prière, on marche à pas comptés, à découvert et souvent à l'insu des parents, sur le barrage de Tsahal; muni de pierres, d'une fronde ou d'un cocktail Molotov. Soudain claquent les tirs à hauteur d'homme, sonnant la retraite, cavalcade affolée ou repli faussement désinvolte. Parfois un compagnon tombe, aussitôt charrié vers l'arrière, là où attendent médecins et infirmiers du Croissant rouge.
Le 5 décembre 2000, Mohammed, 15 ans, a été tué d'une balle dans l'œil. La fin d'une double vie: aîné docile en famille; meneur sur le champ de bataille. Depuis, son père prend soin de ses pigeons et consigne tant bien que mal les deux fils cadets à la maison. Ahmed, le copain de toujours, a failli suivre le chef de bande dans la mort. Blessé peu après dans le dos, il se morfond entre les murs d'un hôpital jordanien, enfermé dans un mutisme rageur. Ahmed, le dur d'oreille, le souffre-douleur mué en héros sous le feu, vend du pop-corn sur les marchés, rêvant au temps où il piquait une tête tous les vendredis à la piscine Panorama. Quant à Yasser, enfant des rues et gosse de riche, il s'obstine à répéter que cette vie de captif ne vaut rien. Qu'il est mieux de mourir en martyr pour al-Qods - Jérusalem - ou la mosquée al-Aqsa. Ils sont si nombreux à vénérer le combattant fauché au champ d'honneur; à brandir l'effigie de Mohammed al-Doura, dont l'agonie télévisée dans les bras d'un père impuissant, a secoué le monde; ou à envier la destinée du kamikaze promis au paradis. Tous fous d'Allah? Pas même. Tous dingues de désespoir.
Le tribut écrasant payé par la jeunesse
Au fil des mois, le combat a changé de nature. Fini le temps des escarmouches vaines et bravaches. C'est la guerre. Place aux tirs de mortier, aux incursions armées, aux attentats-suicides, auxquels répondent les raids aériens, les roquettes des hélicoptères d'assaut ou les obus de char. Mais les mineurs, acteurs ou témoins, paient toujours à cette danse macabre un tribut écrasant. Pour s'être trouvés, parfois, au mauvais endroit au mauvais moment. Tels les deux frangins anéantis, au seuil d'un cabinet médical de Naplouse, par le missile destiné à une poignée d'islamistes du Hamas. La gamine de 6 ans et son petit frère, écrasés sous les décombres de la maison familiale de Rafah (bande de Gaza), au côté de leur père, activiste visé par un assassinat moins «ciblé» qu'on le prétend. Et le bébé de 3 mois qui n'a pas survécu à l'embuscade tendue en juillet par les colons fanatiques du «Comité pour la sécurité routière». Qu'adviendra-t-il des rescapés, de ceux qui ont vu périr un frère ou un pote? De cette génération baignée depuis le berceau dans la violence? Le cauchemar laissera des traces. Dépressions profondes, insomnies, crises d'angoisse, troubles du langage, pulsions suicidaires, accès d'hébétude ou d'agressivité: l'éternelle litanie des traumatismes guerriers. Çà et là, des médecins de l'âme tentent d'alléger le fardeau. Par la parole, le dessin ou le jeu de rôle. «Les enfants-combattants de l'Intifada, constate Christian Lachal, psychiatre en mission pour MSF, s'en tirent mieux que les autres. Du fait du prestige que leur vaut leur engagement. Mais au-delà des postures, la peur demeure. Chez eux comme chez les parents.» Quant à l'autorité du père, incapable de protéger les siens, condamné à l'oisiveté par la loi des armes et le bouclage des enclaves palestiniennes, elle s'est effritée dès la première «guerre des pierres», déclenchée en décembre 1987. A l'heure où déjà la chabiba - jeunesse - transgressait les injonctions paternelles pour aller narguer l'occupant. Une lueur de vie en cet été de cendres? Peut-être la rentrée scolaire, que les élèves attendent avec impatience. «Quitte à prendre des risques pour rejoindre la classe», souligne Christian Lachal. L'école, ultime refuge d'un semblant de normalité.
Pas de manichéisme. Ni de hiérarchie dans le dégoût. Injuste, atroce, la mort cisaille aussi les enfants juifs. Telle cette fillette de Hébron, abattue en mars de deux balles dans la tête. Ces deux adolescents, lapidés et poignardés aux abords de leur colonie. Ou cette fratrie décimée le 9 août dans une pizzeria de Jérusalem-Ouest, par l'explosion d'une bombe humaine: Raaya, 14 ans, Itzhak, 4 ans, Hemda, 2 ans. Trois des 15 civils déchiquetés lors du carnage.
Entre les uns et les autres, jamais le fossé ne fut aussi béant. Le désir de vengeance qui consume les adultes ronge tout autant l'âge que l'on dit tendre. Voilà peu, un universitaire invitait 84 écoliers israéliens à adresser une carte postale à un Palestinien imaginaire. Insultes, menaces, clichés racistes: «De quoi pleurer», confie-t-il, effaré, au quotidien Maariv. «Salut Mohammed, écrit l'un des bambins, j'aimerais que tu meures.» La première victime de la guerre, c'est paraît-il la vérité. L'enfance, à l'évidence, s'en sort à peine mieux.
                 
6. Ariel Sharon et l'honneur d'Israël par Théo Klein
in Le Monde du jeudi 6 septembre 2001

(Théo klein est avocat, président d'honneur du Conseil représentatif des institutions juives de France - CRIF.)
Ariel Sharon, si j'ai décidé de vous adresser publiquement, à vous, chef du gouvernement d'Israël, cette lettre par l'intermédiaire du Monde, c'est parce que je suis arrivé à la conclusion qu'il fallait dire haut et fort que la politique de réplique d'Israël a atteint son point extrême d'absurdité.
Il ne s'agit plus d'une politique - ce qui implique une pensée et un objectif reconnu possible - mais d'une bagarre tragique où, malheureusement, toutes nos valeurs morales sont en train de sombrer.
Oui, cette action est absurde parce qu'elle ne fait qu'alimenter la passion et la haine, parce qu'elle mobilise la population palestinienne autour de ceux qu'elle considère, ainsi, comme ses combattants, et parce qu'elle entretient la population israélienne dans l'illusion d'une fausse sécurité.
Quand admettrez-vous que ce sont les tanks israéliens et les missiles qui agitent le vent d'une révolte alimentée chaque jour par les barrages, les fouilles, la méfiance systématique qui donne à nos voisins le sentiment d'être à tout instant, simplement parce qu'ils ne sont pas Israéliens, soupçonnés de terrorisme ? Comment ne comprenez-vous pas que c'est finalement aussi cette action dite sécuritaire qui finit, lorsqu'elle est menée au quotidien, par être un élément d'insécurité ?
Cette action compréhensible mais menée de manière insensée - obligatoirement brutale faute de moyens et d'hommes appropriés - n'a plus d'autre objectif qu'elle-même, et sa répétition fait lever chaque jour parmi la jeunesse une volonté encore plus exacerbée de combat et de sacrifice.
Comment, nous qui avons appris par la douleur et la souffrance à survivre contre la force brutale, aurions-nous oublié qu'un peuple ne se courbe jamais sans avoir combattu ? Vous, qui vous réclamez si fortement de la tradition juive, souvenez-vous des paroles de nos prophètes : "Car ce n'est pas la force qui fait le vainqueur", disait Samuel, alors que, quelques siècles plus tard, Zacharie proclamait : "Ni par la force ni par l'armée mais par l'esprit..."
C'est à vous, qui êtes à la tête d'un Etat - fort de son histoire et de la créativité de ses citoyens -, c'est à vous de faire le geste politique qui mette fin à l'engrenage sans perspective de la violence.
Il vous incombe de prendre la difficile mais nécessaire initiative. Stefan Zweig, déjà, écrivait : "Pour les esprits intelligents, le dénouement d'un conflit par les armes ne peut jamais être moral."
Puis-je réaffirmer la conviction que j'ai eu le privilège de vous exprimer de vive voix, à la veille de votre élection : le premier pas à franchir, celui qui est à la fois une nécessité historique mais, sans doute, avant tout un impératif moral, c'est de reconnaître aux Palestiniens la liberté de proclamer leur Etat.
Il faut même aller plus loin et réclamer pour Israël le privilège d'être le premier Etat qui reconnaisse la légitimité de cet Etat de Palestine. Un Etat avec lequel Israël doit partager la terre commune.
C'est entre représentants autorisés de ces deux Etats que doit se négocier un cessez-le-feu et, plus tard, le tracé d'une frontière. La nation palestinienne est née d'un même élan que celui qui a permis la naissance de la nation israélienne. Mettre fin à cette lutte fratricide, qui oppose les deux héritiers d'une même terre, ne peut se résoudre que dans un juste partage.
Jérusalem, vers laquelle nous n'avons jamais cessé de tourner nos regards et notre nostalgie, doit devenir le symbole d'un avenir partagé. Il faut arrêter cette confrontation aveugle et nourrie de sang, de douleurs et de haines.
Aujourd'hui, vous portez volontairement sur vos seules épaules la responsabilité suprême. Votre problème n'est pas de mesurer la crédibilité du chef des Palestiniens - c'est leur affaire. Votre devoir est de leur offrir, d'égal à égal, l'ouverture d'une ère nouvelle, celle où chacun des deux peuples, dans les frontières de son Etat, puisse vivre et se développer. L'honneur d'Israël dont vous avez la charge doit être d'offrir la paix sans la soumettre ni l'abandonner au bon vouloir des extrémistes.
Et le terrorisme, me direz-vous ? Il ne peut être combattu, vous le savez, qu'à l'intérieur de chaque peuple - dès lors que celui-ci ne peut plus le considérer comme une forme de combat. Si le peuple le soutient, le terroriste devient un combattant.
Allons, vous le savez bien, imposer le retour total "au calme absolu pendant sept jours" à une autorité palestinienne dont les structures policières ont été détruites nécessite que vous reconnaissiez l'Etat dont elle doit être l'émanation.
Ce rôle historique que la démocratie israélienne vous impose, vous ne pouvez l'assumer qu'en prenant conscience de ce que la décision ne peut dépendre que de vous seul.
Vous le savez, vous me l'avez répété : ce ne sont ni les tanks ni les missiles qui apporteront la solution à ce conflit mortifère gorgé de peurs et de haines. Vous n'êtes plus le général audacieux. Vous ne traverserez pas une seconde fois le canal de Suez ! Aujourd'hui, Ariel Sharon, vous êtes en charge de l'histoire d'Israël ; c'est son honneur qui est en jeu. Abattez le mur de la haine, renversez les barrières du refus, allez offrir au peuple palestinien, au nom du peuple d'Israël, le pain et le sel de la paix et du bon voisinage.
Oui, je le reconnais, mes propos n'ont pas l'apparente solidité d'une action militaire. Ils comportent le risque d'être incompris, mais toute l'histoire de l'humanité nous enseigne que seule l'intelligence peut vaincre la violence. Soyez ferme et courageux.
               
7. Il n'y a pas d'avenir pour nous sous l'occupation par Mohamed Moustapha
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 5 septembre 2001

Gaza, de notre correspondant
Onze mois de blocus économique, de bombardement aérien et d'incursions dans les zones autonomes ont fait jusqu'à présent 674 morts parmi les Palestiniens, 25 000 blessés, des centaines de veuves et d'orphelins et des pertes qui ont frappé de plein fouet l'économie des territoires autonomes. Le chiffre est estimé à deux milliards de dollars. Une situation qui a fait que les Palestiniens n'accordent plus la moindre crédibilité au processus de paix avec Israël. Ils envisagent l'avenir avec pessimisme. Celui-ci est alimenté par un chômage qui touche 62 % des jeunes. Par ailleurs, un million et demi de Palestiniens vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Tant et si bien que la société palestinienne commence à connaître de nouveaux phénomènes. Dans chaque mosquée, se trouvent des caisses destinées à aider les familles qui ont perdu leur soutien suite à l'Intifada. Dans de nombreuses familles, les jeunes ne vont plus à l'école, leurs parents n'ayant pas les moyens de subvenir aux frais de la scolarité. Le blocus imposé par Israël sur la Cisjordanie et Gaza a privé 150 000 Palestiniens de leur travail à l'intérieur de la ligne verte. Si nous prenons en considération le fait que la famille palestinienne compte en moyenne 18 personnes, cela ferait un million de personnes se trouvant quasiment démunies.
Ahmad Auda, 20 ans, étudiant à la faculté de communication, exprime la frustration des jeunes : « Il n'y a pas d'avenir pour nous tant que se poursuit l'occupation israélienne. Il n'y a pas de perspective tant sur le plan personnel que national ». Et de souligner que des sentiments de colère l'animent. Mais il y a une chose dont il est sûr, lui et bien d'autres étudiants. « On n'a plus confiance dans le processus de paix. Cela fait sept ans, depuis que l'Autorité palestinienne a vu le jour. L'occupation n'a pas pris fin, l'indépendance est un mirage. Il y a plus de meurtres et plus d'assassinats des cadres et des symboles de notre peuple. Notre territoire est morcelé et divisé en petites entités assiégées par les chars et l'artillerie israéliens ».
Ahmad Auda n'est pas sorti de Gaza depuis 11 mois. Il craint que son nom ne figure sur la liste des personnes qui peuvent servir de cibles pour Israël. Une situation qui ne fait que confirmer en lui le désir de faire de la résistance. « Je suis prêt à tomber sur le champ d'honneur. L'occupation a fait de moi un révolutionnaire. La résistance est le seul moyen de mettre fin à l'occupation israélienne », dit-il. Mais estime-t-il que l'Autorité palestinienne en maintenant l'option des négociations trahit le peuple ? « Croyez-moi, la plupart des jeunes sont contre les négociations. Mais nous ne pouvons pas accuser l'Autorité de trahison. Elle a le droit de recourir à tous les moyens pour mettre fin à l'occupation. Ceci dit, la rue palestinienne rejette la négociation ». Voire, un des résultats de la répression israélienne a été que les Palestiniens se sentent plus attachés à l'Autorité. Auda ajoute : « Avant l'Intifada, on parlait souvent de corruption au sein de l'Autorité palestinienne. Aujourd'hui, on se rend compte qu'on est tous sur le même bateau ». 
Une nouvelle générations
Cette génération de Palestiniens croit peu à la paix. Ezzat Gouda, médecin de l'hôpital Al-Chifaa, le plus grand de Gaza, explique que les jeunes qui mènent la deuxième Intifada qui a éclaté le 28 septembre 2000, à la suite de la visite d'Ariel Sharon sur l'Esplanade des mosquées à Jérusalem, prendront le commandement dans un très proche avenir. « Ils n'auront la moindre confiance dans la paix avec Israël, ayant vécu de près les mensonges israéliens. Lors de la première Intifada en 1987, c'étaient des enfants. Mais ils se souviennent des incursions israéliennes dans leurs villages, malmenant leurs parents. Ils n'ont pas oublié que Yitzhak Rabin a dit : je souhaite en me réveillant apprendre que Gaza a été avalée par la mer. Cette génération est celle qui anime l'actuelle Intifada ».
Voire pour lui, il ne s'agit pas de seules convictions politiques. De nombreux enfants souffrent actuellement du « syndrome de l'occupation ». Le médecin souligne qu'il s'agit de « la tension, de la dépression, de l'anxiété, de l'incontinence d'urine et de la peur. Ce sont des maux dont l'origine se trouve dans les scènes quotidiennes de destruction, et d'assassinats ».
La terreur est la réponse à ceci. Canaria Al-Zaanine, 26 ans, femme au foyer, rend hommage aux kamikazes qui exécutent des opérations « qui sèment la terreur au sein de l'entité sioniste. Si l'on me demande d'exécuter une opération suicide je n'hésiterai pas à le faire », dit-elle. Pour elle, on ne peut rien attendre des Israéliens. Sharon est « un assassin sanguinaire. Tout Palestinien est prêt à mourir à n'importe quel moment. Nos enfants vivent dans le cauchemar à la suite des missiles et roquettes lancés par les forces d'occupation sur nos maisons ». La peur provoquée par cet état de choses suscite des réactions contraires chez les Palestiniens. La jeune femme affirme qu'il « est plus honorable de mourir comme des martyrs que de périr sous les décombres de nos maisons ». Elle enseigne à ses enfants que « la Palestine est notre patrie. Israël s'est emparé d'une partie d'elle et veut aujourd'hui s'approprier le reste. Si un de mes enfants meurt en martyr, j'en serais fière. J'aimerai que les gens m'appellent la mère du martyr. Nous aimons les martyrs ». 
Effet boomerang pour Israël
Cette détermination est l'effet boomerang de la répression israélienne. Tewfiq Abou-Choumer, 50 ans, analyste politique et auteur de nombreuses recherches sur le conflit arabo-israélien, estime que la situation actuelle a poussé les jeunes Palestiniens à s'attacher « à des droits qui n'étaient pas très évidents auparavant, dont le droit au retour des réfugiés. La nouvelle génération comprend pour la première fois le drame et les souffrances de leurs pères. Le droit au retour est devenu la première revendication, dépassant même les droits sur Jérusalem ». D'après lui, l'Intifada ne va pas s'arrêter même en cas de règlement définitif avec Israël. « L'histoire de la Palestine depuis 25 ans est celle d'un soulèvement continu. Tant qu'un dossier palestinien n'a pas été résolu, la rue palestinienne ne connaîtra pas le calme ».
C'est la violence extrême à laquelle a recours Israël qui explique la réaction palestinienne. Saoud Abou-Ramdane, 36 ans, journaliste palestinien à l'Agence de presse américaine UPI, affirme que les Palestiniens n'avaient jamais imaginé qu'Israël riposterait avec cette force. « L'emploi d'armes sophistiquées, le recours à tous les instruments de guerre, y compris un blocus étouffant, s'ajoutant à des bombardements quotidiens ». Mais tout ceci, y compris une campagne diplomatique tous azimuts, n'a mené à rien. « La grande surprise pour Israël a été qu'après 11 mois de guerre, le peuple palestinien n'a pas perdu sa cohésion ». Il confirme ce sentiment général des Palestiniens selon lequel il n'y a aucun espoir à fonder sur la paix. « Après Oslo, les Palestiniens rêvaient de voir leur pays devenir le Singapour du Moyen-Orient. Mais Ariel Sharon et son gouvernement ont détruit ces rêves avec la politique de la famine, de la destruction de l'infrastructure. Même le bétail, seule richesse du paysan palestinien, n'a pas échappé à la vindicte d'Israël ». En général, c'est la frustration qui règne, sans la moindre perspective d'avenir. 
                 
8. D'où vient le sionisme ? par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du mardi 4 septembre 2001

Le sionisme politique est officiellement né en 1897 au premier Congrès sioniste de Bâle, un an après la publication du livre de Théodore Herzl, l'Etat des Juifs. Herzl est correspondant à Paris du journal libéral autrichien Neue Freie Presse, au moment de l'affaire Dreyfus. Choqué par le déchaînement antisémite, il juge alors que l'assimilation des juifs dans les pays où ils résident est illusoire et que la seule solution est de les regrouper dans un " Etat juif ". Il consacre le reste de sa vie à défendre cette idée, notamment auprès des grands de ce monde, du roi de Prusse à Pie X, en passant par le gouvernement britannique et le sultan ottoman.
En réalité, l'idée sioniste au sens littéral du terme existait bien avant Herzl : le mot vient de la colline de Sion à Jérusalem. La reconstruction du Temple et de la ville est un thème constant dans la liturgie juive depuis la nuit des temps et la formule rituelle " l'an prochain à Jérusalem " répétée dans les synagogues de la terre entière. Il aura fallu la naissance de l'idée de nation en Europe dans la foulée de la Révolution française pour transformer le rêve mythique en idéologie politique.
Au XIXe siècle on assiste à de premiers achats de terres par les organisations sionistes, notamment l'Agence juive et à l'installation de colonies de plus en plus nombreuses sous les regards de plus en plus inquiets des Arabes palestiniens. Le mouvement s'accélère au début du XXe siècle avec la multiplication des pogroms en Russie. La montée du nazisme en Allemagne et la Shoah lui donnent le coup d'accélérateur décisif. C'est une justification terrible de la volonté jusqu'alors très discutée, y compris dans la communauté juive, de regrouper les juifs dans le " foyer national " promis en 1917 par lord Balfour.
Car le sionisme est loin d'être l'idéologie de tous les juifs du monde. La majorité d'entre eux sont restés dans des pays dont ils se sentent citoyens à part entière. Même aujourd'hui, où l'idée sioniste a connu sa réalisation dans la création, en 1948, de l'Etat d'Israël, 20 % seulement des juifs ont choisi d'y vivre. C'est que cette création a été marquée par la guerre, la violence et la discrimination.
Le mouvement sioniste est traversé par des idéologies, des approches politiques parfois radicalement différentes. Le clivage entre le sionisme progressiste - dont se réclament aujourd'hui encore en Israël la plupart des militants du mouvement La paix maintenant - et celui des ultras est récurrent. Mais le rêve des pionniers socialistes d'établir un Etat démocratique garantissant des droits égaux aux Juifs et aux Arabes s'est brisé sur deux écueils : le refus des Arabes palestiniens de payer pour les crimes commis contre les juifs en Europe en acceptant le partage d'un pays qu'ils considéraient comme le leur, et les surenchères de dirigeants sionistes ultras dont le but ultime était ouvertement un Etat juif débarrassé de sa population arabe. C'est eux qui parviendront à l'orchestration de la terreur et des destructions de villages menées par les forces juives en 1947-1948 pour pousser les Arabes de Palestine à l'exil. Une réalité historique désormais établie par les " nouveaux historiens " israéliens (1) et qui constitue l'un des nouds du problème du Proche-Orient. D'où la succession de guerres pour l'occupation de toute la Palestine - Eretz Israël, à laquelle n'ont pas renoncé ces ultras d'un sionisme que Maxime Rodinson définit comme " un nationalisme particulier ". D'où enfin le discrédit jeté sur une idéologie qui apparaissait comme négation des droits d'un autre peuple. Ce qui, en 1975, lui avait valu d'être assimilée par l'ONU à une forme de racisme. Cette mention devait être abolie en 1996, trois ans après les accords d'Oslo entre Israéliens et Palestiniens, alors qu'Israël commençait à se retirer des territoires qu'il occupait illégalement depuis 1967. En Israël, un débat s'engageait pour savoir si le sionisme avait encore une raison d'être et certains historiens parlaient déjà de " post-sionisme ".
Ce n'est évidemment pas un hasard si la polémique rebondit au moment où les acquis des accords d'Oslo sont violemment remis en cause par le gouvernement d'Ariel Sharon.
(1) Voir notamment les ouvrages de Benny Morris, Illan Papé, Avi Shlaim et le livre de Dominique Vidal (le Pêché originel d'Israël, Ed. de l'Atelier).
                   
9. Séparés et inégaux en Cisjordanie par Amira Hass
in The New York Times du dimanche 2 septembre 2001
[traduit de l'anglais par Giorgio Basile]
Depuis la fenêtre de mon salon, à Ramallah, une ville palestinienne, je vois les lumières de la colonie israélienne de Pesagot installée sur la colline en face. À proximité, de l'autre côté de la rue donnant vers l'est, se trouve une base militaire israélienne, qui assure la protection d'une autre colonie, Beit El. Si je voulais, en tant que juive israélienne, née à Jérusalem-Ouest, je pourrais à tout moment déménager vers l'une ou l'autre de ces colonies. Les Palestiniens qui vivent à côté de chez moi à Ramallah, dont les grands-parents sont nés dans ce qui est aujourd'hui Israël, ne peuvent même pas songer à déménager, disons, à Tel Aviv.
Il est impossible de comprendre le soulèvement palestinien actuel sans prendre en compte la réalité morale, économique et sociale que la politique israélienne de colonisation a créée au cours des 34 dernières années.
Depuis la guerre de 1967, les gouvernements israéliens – tant les travaillistes que le Likoud – ont construit des colonies à travers toute la Cisjordanie occupée et la petite bande de Gaza, au milieu de communautés arabo-palestiniennes qui remontent à plusieurs siècles. Près de 390.000 colons vivent aujourd'hui en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et à Gaza. La construction et le développement de ces implantations ont essentiellement permis à Israël de créer l'infrastructure d'un État qui s'étend de la Méditerranée au Jourdain.
Les gouvernements israéliens ont déterminé le caractère global de ces terres et le destin de leur peuple, bien que les trois millions de Palestiniens qui y vivent, et qui paient des impôts au Trésor israélien, ne pouvaient pas élire ces gouvernements. Tandis que les juifs israéliens des colonies ont le droit de vote.
Un réseau de grandes routes bien entretenues relie maintenant les implantations israéliennes – même les plus petites et les plus lointaines d'entre elles – au territoire d'Israël même. Alors que les Israéliens peuvent à tout moment se rendre en Cisjordanie et à Gaza, les Palestiniens ne sont pas autorisés à résider légalement dans une ville ou une colonie israélienne, même si cette colonie est construite sur des terres ayant appartenu à leur famille.
Du fleuve à la mer, à l'intérieur des frontières de ce qui est maintenant de facto un État gouverné par Israël, vivent quelque quatre millions de Palestiniens. Ces gens se répartissent en trois catégories différentes: un million d'entre eux sont des citoyens israéliens, qui vivent à l'intérieur des frontières de 1967 d'Israël, et qui disposent du droit de vote. Quelque 200.000 Palestiniens résident à Jérusalem-Est, qui a été annexée en 1967 à la Jérusalem-Ouest israélienne. Ils auraient pu devenir citoyens israéliens, mais la plupart ont refusé, estimant qu'ils vivent dans un territoire occupé, et qu'ils constituent une population soumise à une autorité étrangère discriminatoire.
Enfin, il y a les 2,8 millions de Palestiniens qui vivent dans les territoires qu'Israël a conquis en 1967, auxquels Israël a consacré – quand il l'a fait – des budgets très faibles pour l'amélioration des infrastructures publiques.
Résultat : à côté des implantations juives israéliennes, florissantes, verdoyantes et en expansion continue – entretenues par les lois et la politique israéliennes – coexiste une société palestinienne soumise au régime des règlements militaires et aux restrictions, avec ses communautés densément peuplées (y compris celles de Jérusalem-Est), coincées dans des territoires réduits desservis par des routes à peine entretenues et alimentés par un réseau de distribution d'eau insuffisant.
Avec les accords d'Oslo et la mise en place de l'autonomie sous l'Autorité Palestinienne, on pouvait espérer qu'il serait remédié à ces inégalités, ou, à tout le moins, que les conditions de vie en Cisjordanie et à Gaza ne resteraient plus soumises exclusivement aux décisions d'un gouvernement d'occupation. Pourtant, au cours des sept dernières années, Israël a continué à déterminer les aspects principaux de la vie des Palestiniens, comme l'accès à la propriété et à l'eau, et la liberté de mouvement. Les enclaves autonomes palestiniennes sont entourées de vastes étendues de territoires sous contrôle israélien, et ne peuvent se développer sans permis israélien dans des domaines tels que la construction de conduites d'eau ou de nouveaux établissements scolaires, l'amélioration du réseau routier, ou la construction d'une station d'essence. À ce jour, c'est le même organisme militaire – l'administration civile, un agent appliquant les politiques gouvernementales israéliennes en Cisjordanie – qui interdit aux Palestiniens constructions et plantations, et dans le même temps poursuit le développement des implantations israéliennes, sur le même territoire.
L'accès à l'eau constitue un exemple flagrant de l'inégalité. Depuis 1967, Israël contrôle les ressources en eau et la distribution en Cisjordanie et à Gaza. Il en résulte une différence frappante de la consommation domestique par habitant entre Israéliens et Palestiniens – 280 litres en moyenne par jour, contre 60 à 90 litres par jour. Aucun colon n'a de souci à se faire concernant son approvisionnement en eau, alors que des milliers de Palestiniens, citadins et villageois, restent sans eau pendant des jours en été. Quand l'eau courante vient à manquer dans mon immeuble, je vais en voiture jusqu'à Jérusalem, y remplir des bouteilles et y faire la lessive. Pour entrer à Jérusalem, mes voisins devraient disposer d'un permis.
Tout Israélien peut se déplacer librement à tout moment – à l'étranger comme à l'intérieur de l'ensemble du pays. Tout Palestinien doit être en possession d'un permis délivré par Israël pour se rendre de Gaza vers la Cisjordanie, ou de ces territoires vers Israël. Seule une minorité bénéficie de tels permis. Et c'est aussi Israël qui décide de qui peut franchir les frontières extérieures, qu'il contrôle. Mes amis de Gaza ont raté un semestre entier d'études à l'Université de Bir Zeit, près de Ramallah, parce qu'ils n'ont pas reçu à temps leur permis de déplacement. Aucun colon de Gaza ne rencontrerait ce genre de difficultés.
Israéliens et Palestiniens constituent une entité géographique unique contrôlée par un même gouvernement, mais ils vivent sous deux systèmes juridiques et législatifs séparés et inégaux.
Les Palestiniens voulaient croire que ce régime inégal prendrait fin ou irait en diminuant avec les accords d'Oslo. Au lieu de cela, le nombre de colons en Cisjordanie (sans compter Jérusalem-Est) a doublé au cours des dix dernières années – les années du processus de paix – et la lenteur avec laquelle Israël s'est retiré de Cisjordanie (retrait qui s'est complètement arrêté pendant les années du gouvernement Barak) a maintenu les Palestiniens piégés dans de petites enclaves éparpillées, rendant pratiquement impossible tout développement urbain et rural dans les zones autonomes palestiniennes.
L'offre faite par Ehoud Barak à Camp David laissait intactes les colonies les plus vastes et le réseau des routes qui les relient. Cette offre aurait découpé les Territoires palestiniens en quatre cantons. Mes connaissances qui vivent dans un camp de réfugiés proche, à l'opposé de la colonie de Beit El, pressentaient qu'il n'y aurait là aucune fin réelle à la domination exercée par Israël sur leur vie et sur leur avenir.
La colère s'est accumulée dans le cœur de tous les Palestiniens – à propos de la rareté de l'eau, à chaque maison palestinienne démolie, à cause de l'humiliation quotidienne d'avoir à attendre qu'un officier israélien délivre un permis autorisant les déplacements. Une petite allumette suffit à faire exploser cette colère et, l'année dernière, c'est précisément ce qui s'est produit.
                     
10. Propagande et guerre par Edward Said
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 30 août 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Jamais les médias n'ont eu un tel pouvoir de décider du cours d'une guerre comme pendant l'Intifada Al-Aqsa qui, du moins pour les médias occidentaux, se résume désormais essentiellement à une bataille d'images et d'idées. Israël a d'ores et déjà consacré des centaines de milliers de dollars à ce que l'on appelle en hébreu la "hasbara", c'est-à-dire l'information en direction du monde extérieur (en clair : la propagande). Cet investissement a affecté les formes d'un panel complet d'actions diverses : dîners et voyages offerts à des journalistes influents ; séminaires pour des étudiants juifs qui sont préparés, durant une semaine entière de formation dans quelque maison de campagne coupée du monde, à "défendre" Israël sur leur campus universitaire ; bombardements de parlementaires (hommes et femmes) d'invitations et de visites ; communiqués et tracts et, plus important : contributions financières aux campagnes électorales ; incitation (ou, si besoin est, harcèlement) de photographes et de journalistes "couvrant" l'intifada en cours afin qu'ils produisent certaines images et non certaines autres ; tournées de conférences et de concerts par des Israéliens éminents ; formation de commentateurs les incitant à faire fréquemment référence à l'Holocauste, en l'associant à la mauvaise passe qu'Israël traverse aujourd'hui ; nombreux communiqués dans les journaux attaquant les Arabes et vantant les mérites d'Israël ; etc., etc... Une bonne partie des gens influents dans les médias et dans l'édition étant des supporters enthousiastes d'Israël, cela facilite bien entendu grandement la tâche.
Bien qu'il ne s'agisse là que d'une petite partie des moyens utilisés afin de chercher à atteindre les buts de tout gouvernement moderne, démocratique ou non, depuis les années trente et quarante - produire un consensus et l'approbation de la part du consommateur d'informations - aucun pays ni aucun lobby ne les ont utilisés aussi longtemps et aussi efficacement qu'Israël, aux Etats-Unis. Orwell a pu qualifier cette sorte de désinformation "novlangue de presse" ou "double pensée-double langage" : il ne s'agit de rien d'autre que de l'intention de couvrir des actes criminels, en particulier l'assassinat injuste de gens innocents, avec un vernis superficiel de justification et de raison. Dans le cas d'Israël, qui a depuis toujours eu l'intention de réduire les Palestiniens ou de les rendre invisibles tandis qu'il était en train de leur voler leurs terres, il s'est bien agi, dans les faits, d'une occultation de la vérité, ou d'une large partie de celle-ci, ainsi que d'une falsification massive de l'histoire. Ce qu'Israël a voulu, au cours des derniers mois, prouver au monde - avec succès -, c'est qu'il est la "victime innocente" d'une (prétendue) violence palestinienne, voire même d'une terreur palestinienne, et aussi que les Musulmans, à l'instar des Arabes, n'ont d'autre raison pour être en conflit avec Israël qu'une haine irréductiblement irrationnelle des Juifs. Ni plus, ni moins. Et ce qui a rendu cette campagne de propagande si efficace, c'est un sentiment de culpabilité hérité (des méfaits) de l'antisémitisme, en Occident. Pourrait-il y avoir moyen plus efficace que déplacer cette culpabilité sur un autre peuple, les Arabes et, par conséquent se sentir non seulement justifié, mais proprement apaisé, parce que quelque chose de bon a été fait en faveur d'un peuple considéré bien autrement offensé et blessé ? Défendre Israël à tout prix - même s'il occupe militairement le territoire de la Palestine, dispose d'une armée ultra-puissante, et continue à tuer et à blesser des Palestiniens dans un ratio de quatre ou cinq Palestiniens pour un Israélien - tel est le but de cette propagande. Tout ça, tout en continuant sur sa lancée (sa répression), mais en donnant l'air d'être la victime.
Sans l'ombre d'un doute, toutefois, le succès extraordinaire de cette campagne immorale et sans précédent est attribuable en grande partie, non seulement à sa planification et à son exécution extrêmement précises, mais aussi au fait que les Arabes ont été pratiquement inexistants. Quand nos historiens examinent les cinquante premières années de l'existence d'Israël, (ils constatent) qu'une énorme responsabilité historique continuera à peser sur les épaules des dirigeants arabes qui ont permis - de manière criminelle, oui : criminelle - par leur inaction, que (cette politique) continue, sans formuler ne serait-ce qu'une riposte fût-elle insuffisante et peu sincère. Non, en lieu et place, chacun de ces régimes a combattu tous les autres, ou s'est abandonné à la théorie auto-persuasive et parfaitement illusoire selon laquelle en s'efforçant d'être dans les grâces du gouvernement américain (allant parfois jusqu'à devenir des clients des Etats-Unis), ils se garantiraient à eux-mêmes la longévité de leur pouvoir, sans égard à la question de savoir si cela allait dans le sens des intérêts arabes ou non. Cette notion en est arrivée à un point d'enracinement tel que même la direction palestinienne y a adhéré, avec le résultat que tandis que l'intifada continue, l'Américain moyen n'a pas le moindre soupçon que puisse exister une histoire de souffrance et de dépossession palestinienne au moins aussi ancienne que l'histoire d'Israël même. Et pendant ce temps, les dirigeants arabes continuent à se précipiter tête baissée à Washington afin d'y quémander la protection américaine sans même comprendre que trois générations d'Américains successives ont été élevées au lait de la propagande israélienne, qui les amène à croire dur comme fer que les Arabes ne sont que des terroristes menteurs et qu'il est très mal de discuter avec eux, pour ne rien dire de l'idée saugrenue de les protéger...
Depuis 1948, les dirigeants arabes ne se sont jamais souciés de contrer la propagande israélienne aux Etats-Unis. L'énorme quantité d'argent arabe investie dans les dépenses militaires (en achat d'armes soviétiques, dans un premier temps, puis occidentales) n'a servi à rien parce que les efforts politiques arabes n'ont ni été couverts au moyen d'une communication adéquate ni explicités au moyen d'une information systématique et assidue. Le résultat en est qu'au bas mot des centaines de milliers de vies arabes perdues l'ont été pour rien, pour du beurre. Les citoyens de l'unique super-puissance mondiale ont été amenés à croire que tout ce que les Arabes font et sont est vain, violent, fanatique et antisémite. Israël est "notre" unique allié. Ainsi, 92 milliards de dollars d'aide ont été versé à l'Etat juif directement par le contribuable américain, sans que celui-ci pose la moindre question. Comme je l'ai dit plus haut, une absence totale de planification et de réflexion vis-à-vis de l'arène politique et culturelle américaine est grandement (mais non exclusivement) la cause de la quantité ahurissante de terres et de vies arabes perdues à l'avantage d'Israël (avec le sponsoring américain, en plus), depuis 1948, ce qui constitue un crime politique majeur dont, je l'espère, les dirigeants arabes devront bien répondre un jour.
Je rappelle qu'au cours du siège de Beyrouth, en 1982, un groupement non-gouvernemental d'hommes d'affaires très prospères et d'intellectuels éminents palestiniens s'était réuni à Londres afin de mettre sur pied une fondation destinée à aider les Palestiniens dans tous les domaines. Avec une OLP coincée dans Beyrouth et incapable de faire grand-chose, on pensait qu'une mobilisation de cette nature pouvait contribuer à nous aider nous-mêmes. Je me souviens aussi du fait que, tandis que des fonds étaient rassemblés avec un succès remarquablement rapide, la décision avait été retenue, après force discussions, qu'exactement la moitié de cet argent serait consacré à l'information en Occident. On pensait qu'étant donné que - comme à la triste accoutumée - les Palestiniens étaient opprimés par Israël sans qu'aucune voix, pratiquement, ne s'élève à l'Ouest, afin d'apporter un soutien aux victimes, il était impératif de consacrer de l'argent à des communiqués, des temps d'antenne, des tournées et autres... afin de rendre plus difficile de tuer et de continuer à persécuter les Palestiniens sans que s'élève la moindre plainte ou que se fasse jour une quelconque prise de conscience. Cela était particulièrement important, pensions-nous, en Amérique, où l'argent du contribuable était dépensé afin de subventionner les guerres, les colonies et les conquêtes illégales d'Israël. Durant environ deux ans, cette politique fut suivie ; puis, pour des raisons que je n'ai jamais complètement éclaircies, les efforts afin d'aider les Palestiniens, aux Etats-Unis, furent brusquement arrêtés. M'étant enquis de la raison, un gentleman palestinien qui avait fait fortune dans le Golfe me dit que "le fait de jeter ainsi l'argent par les fenêtres, aux Etats-Unis", c'était "du gaspillage". Actuellement, la philanthropie (action humanitaire) continue exclusivement en direction des territoires occupés et du Liban, où cette association fait certes beaucoup de bonnes choses, mais bien peu en comparaison avec les projets d'aide humanitaire financés par l'Union européenne et de nombreuses associations et fondations caritatives américaines.
Il y a quelques semaines, le Comité Américain contre les Discriminations anti-arabes (ADC : American Arab Anti-Discrimination Committee), de loin l'organisation arabo-américaine la plus nombreuse et la plus efficace aux Etats-Unis, a commandé un sondage d'opinion sur les perceptions actuelles du conflit palestino-israélien dans le public américain. Un panel très large et représentatif de la population a été consulté, et les résultats sont tout à fait étonnants, pour ne pas les qualifier seulement de décourageants. Les Israéliens sont toujours considérés comme un peuple de pionniers de la démocratie, même si aucun leader israélien n'a fait un tabac, dans ce sondage... Soixante-treize pour cent des Américains approuvent l'idée d'un Etat palestinien, ce qui est un résultat très surprenant. L'interprétation de ce résultat est que lorsque vous demandez à un Américain éduqué qui regarde la télévision et lit les quotidiens réservés à l'élite s'il s'identifie avec la lutte des Palestiniens pour l'indépendance et la liberté, il répondra généralement "oui". Mais si on demande à cette même personne son appréciation des Palestiniens, sa réponse sera presque à tout coup négative : violence et terrorisme. Les images (qu'ont les Américains) des Palestiniens semblent bien être celles de gens "autres", d'"aliens" intraitables et agressifs, bref : "des gens pas comme nous". Même lorsqu'on leur demande leur sentiment à propos des jeunes lanceurs de pierres, que nous considérons nous-mêmes comme des David combattant des Goliath, la plupart des Américains voient chez eux plus d'agression que d'héroïsme. Les Américains continuent à blâmer les Palestiniens de faire obstruction au processus de paix, c'est tout particulièrement le cas en ce qui concerne Camp David. Les attentats-suicides, quant à eux, sont vus comme "inhumains" et unanimement condamnés.
L'opinion des Américains sur les Israéliens est guère meilleure, mais il y a beaucoup plus d'identification avec eux, en tant que peuple. Le plus dérangeant, dans cette histoire, c'est que pratiquement aucun des Américains interrogés n'avait la moindre connaissance de l'histoire palestinienne : rien du tout : rien sur 1948... Sur l'occupation militaire illégale, par Israël, depuis trente quatre ans : double zéro... Le récit édifiant principal qui domine la "pensée" américaine en la matière semble bien être le roman Exodus, de Leon Uris (1950)... Tout aussi alarmant est le fait que les résultats les plus négatifs relevés au cours de ce sondage concernaient ce que les Américains pensent et disent de Yasser Arafat, de son uniforme (perçu comme exagérément "militant"), de son discours, de sa prestance.
Globalement, disons que les Palestiniens ne sont jamais vus sous l'angle de l'histoire qui est la leur, ni comme possédant un visage, humain, que les gens peuvent aisément reconnaître. La propagande a été si efficace qu'il semble bien que les Palestiniens n'ont que fort peu de connotations positives, si tant est qu'ils en aient encore... : ils ont été presque totalement déshumanisés.
Cinquante ans d'une propagande israélienne ne rencontrant jamais aucune opposition, en Amérique, nous ont amenés au point où nous perdons - tout simplement parce que nous ne controns ni ne contredisons ces caricatures terribles d'une quelconque manière intelligente, au moyen d'images et de messages venant de nous - des milliers de vies humaines et d'hectares de terrain sans que la conscience de quiconque n'en soit le moins du monde affectée. Le correspondant du quotidien The Independent, Phil Reeves, a écrit, avec quelle passion, le 27 août, que les Palestiniens sont en train de mourir ou d'être écrasés par Israël, tandis que le monde laisse faire, et se contente de regarder, en gardant le silence...
Il est, par conséquent, de la responsabilité des Arabes et des Palestiniens, où qu'ils se trouvent, de briser le silence, d'une manière rationnelle, organisée et efficace, et certainement pas en vociférant, en se lamentant ni en tirant des rafales en l'air. Dieu sait si nous avons des raisons de faire ce que je viens de critiquer, mais la logique froide est ce qui est à l'ordre du jour maintenant. Dans la mentalité américaine, les analogies trop appuyées avec le combat de libération de l'Afrique du Sud ou le sort horrible des Américains indigènes ne sont pas de mise. Nous devons établir ces analogies, par-dessus tout, en cherchant à nous "ré-humaniser", et par conséquent, en renversant le processus détestable, cynique, par lequel des éditorialistes américains, tels Charles Krauthammer et George Will, en viennent à lancer un appel à encore plus d'assassinats et de bombardements visant les Palestiniens, suggestion qu'ils n'oseraient jamais formuler à l'encontre d'aucun autre peuple. Pourquoi devrions-nous subir passivement le sort des mouches ou des moustiques : être tués ad libitum avec le soutien Américain, chaque fois que le criminel de guerre Sharon décide d'éliminer encore quelques-uns d'entre nous ?
A ce propos, j'ai eu le plaisir d'apprendre de la bouche du président de l'ADC, Ziad Asali, que son organisation est à la veille de lancer une campagne d'information sans précédent en direction du public, dans les mass media, afin de rétablir l'équilibre et de présenter les Palestiniens en tant qu'êtres de chair et de sang, d'être humains - l'ironie d'une telle nécessité n'est-elle pas incroyable ? - en tant que femmes qui sont enseignantes ou médecins et aussi mères de famille, qu'hommes qui travaillent au champ et sont ingénieurs nucléaires, en tant que gens qui ont subi des années et des années d'occupation militaire et qui continuent à y résister. (Incidemment, l'un des résultats, stupéfiant, du sondage, c'est que moins de trois ou quatre pour cent de l'échantillon interrogé aient eu la notion pourtant première qu'il y eût une occupation israélienne... Ainsi, constatons le : le fait primordial dans l'existence palestinienne a été totalement occulté par la désinformation israélienne). Cette action n'a jamais été entreprise jusqu'ici aux Etats-Unis : il y a eu un silence de cinquante ans, et ce silence est sur le point d'être brisé.
Même si c'est un début modeste, la campagne annoncée par l'ADC représente malgré tout un pas en avant majeur. Il faut garder à l'esprit que le monde arabe semble malheureusement être abimé dans un état de paralysie morale et politique, ses dirigeants empêtrés dans leurs liens avec Israël et, pire, les Etats-Unis, et que ses peuples sont maintenus dans un état d'anxiété et d'oppression. Comme eux mêmes et leurs valeureux camarades libanais l'avaient fait, en 1982, quand 19 000 d'entre eux avaient été tués par le pouvoir militaire israélien, les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie sont en train de mourir, non seulement parce qu'Israël a la latitude de les tuer en toute impunité, mais aussi parce que, pour la première fois dans l'histoire contemporaine, l'alliance active entre la propagande en Occident et la force militaire déployée par Israël et ses champions ont rendu possible le châtiment collectif interminable des Palestiniens grâce aux impôts américains, dont 5 milliards de dollars sont alloués, chaque année, à Israël. L'image que les médias donnent des Palestiniens les présente sans histoire et sans humanité, comme des lanceurs de pierres habités d'une seule chose : la violence. Ce sont ces représentations qui ont permis à un George Bush plus que terne intellectuellement, mais politiquement averti, de rejeter la responsabilité de la violence sur les (seuls) Palestiniens. Cette nouvelle campagne de l'ADC a pour but de rétablir leur histoire et leur humanité, de les montrer (comme ils ont toujours été) tels qu'ils sont, c'est-à-dire : des gens "comme nous" (diraient les Occidentaux), luttant pour le droit de vivre libres, d'élever leurs enfants, de mourir en paix, de leur belle mort. Dès lors que les miroitements timides de cette histoire pénétreront dans la conscience des Américains, la vérité commencera - c'est du moins ce que j'espère - à dissiper l'épaisse nuée de propagande malfaisante au moyen de laquelle Israël est parvenu (jusqu'ici) à masquer la réalité. Dès lors qu'il est établi que la campagne médiatique (israélienne) ne peut pas aller plus loin (dans l'ignominie), il reste à espérer que les Arabes américains se sentiront suffisamment armés pour entrer dans la bataille politique aux Etats-Unis afin d'essayer de briser, de modifier, ou de cisailler le lien qui lie si intimement la politique américaine à Israël. Alors, nous pourrons, de nouveau, espérer.