1. A Durban, le
"contre-sommet" des ONG accuse Israël de "génocide" par Fabienne
Pompey
in Le Monde du mardi 4 septembre 2001
Amnesty International,
Human Rights Watch et la FIDH se démarquent: ils ont quitté le forum.
Quelque
deux mille organisations non gouvernementales (ONG), réunies en marge de la
Conférence mondiale des Nations unies sur le racisme à Durban, en Afrique du
Sud, ont accusé, dans une déclaration commune, dimanche 2 septembre, Israël de
"racisme" et de "génocide". Ce texte a envenimé le climat à la conférence
officielle, où la délégation israélienne espère toutefois qu'un "langage commun"
pourra être trouvé.
DURBAN, de notre envoyée spéciale
"Vous entrez dans
les restaurants et jetez des bombes sur nos enfants", "c'est vous qui les
premiers avez jeté des bombes". Par petits groupes, sous l'œil des caméras, des
délégués palestiniens et israéliens au Forum des organisations non
gouvernementales (ONG), qui se tient en marge de la conférence, s'invectivent et
se bousculent. "Respectez la conférence, soyez tolérants, nous sommes ici pour
combattre la discrimination et le racisme", plaide un délégué noir américain. La
tension entre les deux communautés, perceptible depuis le début de la
conférence, s'est accrue, dimanche 2 septembre, après l'adoption par les ONG
d'une déclaration incluant plusieurs paragraphes très controversés sur la
situation au Proche-Orient.
Israël y est qualifié "d'Etat raciste" et accusé
de "crime contre l'humanité" ainsi que de "génocide". Le texte dénonce "les
actes inhumains perpétrés pour maintenir cette nouvelle forme d'apartheid,
attaques militaires, tortures, arrestations, détentions arbitraires, restriction
de mouvement et punitions collectives systématiques". Les ONG juives ont quitté
le forum ainsi que plusieurs organisations telles qu'Amnesty international,
Human Rights Watch ou la Fédération internationale des ligues des droits de
l'homme, qui récusent l'emploi du mot "génocide".
UNE GRANDE
CACOPHONIE
"C'est le pire document anti-juif depuis la fin de l'Allemagne
nazie", estime le rabbin Abraham Cooper du Centre Simon Wiesenthal. "Nous étions
venus parler de lutte contre le racisme, de tolérance.
On ne nous a jamais
laissé parler. Dans les groupes de discussions on nous a conspués, nous nous
sommes retrouvés à défendre notre droit de pratiquer notre religion", affirme,
amère, Reva Price, membre d'une ONG juive américaine. "Mais ce texte a été
adopté, alors que les participants venaient d'écouter un long et ridicule
discours de Castro, ils étaient galvanisés. Je suis sûre que beaucoup d'ONG ici
ne partagent pas ce point de vue", ajoute-t-elle.
A quelques mètres d'elle,
Salem Abu Hawash, représentant une association palestinienne pour les réfugiés,
jubile. "Ce texte reflète la souffrance du peuple, partout, pas seulement en
Palestine, il envoie un message fort aux gouvernements et aux Nations unies.
Ici, en Afrique du Sud, où l'on a combattu l'apartheid, on comprend notre
souffrance." "Trop c'est trop", a déclaré la délégation officielle israélienne
qui dénonce le "détournement" par les Palestiniens de la conférence. La
délégation, composée de diplomates, a menacé de quitter Durban, voire qu'Israël
"reconsidère ses relations avec les Nations unies". Elle a salué les efforts
fait par la France pour tenter de concilier les positions et faire "arrêter ce
langage de haine". Elle a regretté que les propos virulents de Yasser Arafat
qui, à l'ouverture de la conférence, avait prononcé un violent plaidoyer
anti-israélien aient envenimé la situation.
La focalisation des débats sur la
question israélo-palestinienne occulte presque totalement les autres sujets.
Ainsi, de la déclaration des ONG, on ne parle que des six paragraphes consacrés
aux Palestiniens sur les cent quatre-vingt que contient le texte. Plusieurs
traitent de l'antisémitisme le qualifiant de "la forme de racisme la plus
ancienne, la plus pernicieuse et la plus répandue". Témoin de l'ampleur des
divisions aux sein des ONG, un paragraphe, quelques pages avant le chapitre sur
les Palestiniens, est consacré à l'antisionisme et déplore les "accusations
fortes et inappropriées de génocide, crimes de guerre et crimes contre
l'humanité à l'égard d'Israël". Il a disparu de la dernière version.
Celle-ci
contient, en revanche, un long chapitre sur les Africains et leurs descendants,
condamnant la traite transatlantique des esclaves, mais aussi le commerce
transsaharien et dans l'Océan indien. Elle demande pour les victimes de "justes
et équitables réparations". La cause des "intouchables" indiens, celle des
Tsiganes d'Europe centrale, des peuples indigènes font l'objet de chapitres
particuliers. Pourquoi celles-là et pas d'autres ? C'est la question que se
posent de nombreuses ONG. "Ici c'est un désordre indescriptible. Je n'ai jamais
vu ça dans aucune rencontre internationale. C'est à celui qui crie le plus
fort", regrette un délégué burkinabé. La déclaration finale des ONG ne pouvait
être exhaustive et il est vrai que seules les associations qui constituaient des
groupes de pression importants ont pu se faire entendre. Le résultat a été une
grande cacophonie et une déclaration finale aussi brouillonne que
controversée.
2. Les points controversé du texte sur
Israël
Dépêche de l'Agence
France Presse du lundi 3 septembre 2001, 11h32
DURBAN (Afrique du Sud)
- Voici quelques points controversés concernant Israël du projet de déclaration
finale de la conférence de Durban (Afrique du Sud) contre le racisme. Les
passages entre crochets n'ont pas été approuvés lors des conférences
préparatoires et sont encore soumis à discussion (texte en français de
l'ONU).
32. (Les/l'(holocaustes/Holocauste) et le nettoyage ethnique de la
population arabe des terres historiques de Palestine et en Bosnie-Herzégovine et
au Kosovo ne doivent (doit) jamais être oubliés (oublié))
33. (Nous affirmons
qu'une occupation étrangère fondée sur les colonies de peuplement, avec ses lois
fondées sur la discrimination raciale afin de maintenir cette domination sur le
territoire occupé, ses pratiques consistant à renforcer un blocus militaire
total, à isoler les uns des autre les villes et villages occupés, sont en
contradiction totale avec les buts et principes de la Charte des Nations unies
et constituent une violation grave du droit international des droits de l'Homme
et du droit international humanitaire, une nouvelle forme d'apartheid, un crime
contre l'humanité et une menace grave pour la paix et la sécurité
internationale)
36. Nous saluons la mémoire de toutes les victimes du
racisme, de discrimination raciale, de la xénophobie et de l'intolérance qui y
est associée, de l'esclavage et de la traite des esclaves, du colonialisme, (des
holocaustes/de l'Holocauste), (de l'épuration ethnique de la population arabe
dans la Palestine historique) et au Kosovo, de l'apartheid et de l'occupation
étrangère, partout dans le monde et à toutes les époques)
66. (Nous exprimons
notre profonde inquiétude face à la discrimination raciale que subissent les
Palestiniens et d'autres habitants des territoires arabes occupés,
discrimination qui a des incidences sur tous les aspects de leur vie quotidienne
et les empêche de jouir de leurs droits fondamentaux; nous demanons qu'il soit
mis un terme à toutes les pratiques de discrimination raciale auxquelles sont
soumis les Palestiniens et les autres habitants des territoire arabes occupés
par Israël)
67. (Nous sommes convaincus que la lutte contre l'antisémitisme,
l'islamophobie et (les pratiques sionistes contre le sémitisme) est
indissociable du combat contre toutes les formes de racisme et nous soulignons
la nécessité d'adopter dès aujourd'hui des mesures efficaces pour résoudre le
problème de l'antisémitisme, de l'islamophobie et (des pratiques sionistes
contre le sémitisme) afin de lutter contre toutes les manifestations de ces
phénomènes)
68. (La Conférence mondiale constate avec une profonde inquiétude
la montée des pratiques racistes du sionisme et de l'antisémitisme dans diverses
régions du monde, ainsi que l'apparition de mouvements racistes et violents
reposant sur le racisme et des modes de pensée discriminatoires, en particulier
le mouvement sioniste fondé sur la supériorité
raciale)
3. Le Forum des ONG traite Israël d'Etat
raciste par Buchizya Mszeteka
Dépêche de l'agence
Reuters du dimanche 2 septembre 2001, 18h02
DURBAN, Afrique du Sud -
Le Forum des organisations non-gouvernementales (ONG), qui réunit 3.744
mouvements en marge de la conférence des Nations unies contre le racisme, a
formellement adopté un projet de déclaration condamnant Israël, qualifié d'"Etat
raciste et d'apartheid".
Dans une déclaration finale, le Forum des ONG de
Durban accuse l'Etat hébreu de "perpétration systématique de crimes racistes,
dont des crimes de guerre, des actes de génocide et des nettoyages ethniques" à
l'encontre des Palestiniens.
Des ONG comme Human Rights Watch et Amnesty
international ont toutefois émis des réserves, soulignant qu'elles n'adhéraient
pas à l'accusation de génocide.
Les ONG ont par ailleurs décidé de retirer
une clause qui condamnait les attaques contre les synagogues et des attaques
armées contre les juifs.
La déclaration, adoptée dans 44 comités distincts et
qui devait être publiée lundi, a choqué les organisations juives, qui ont quitté
les débats en signe de protestation.
Des diplomates occidentaux ont estimé
que ce vote alourdissait encore l'atmosphère de la Conférence mondiale contre le
racisme à laquelle participent 153 délégations à Durban, Afrique du Sud.
Le
ministre israélien des Affaires étrangères, Shimon Peres, a vivement dénoncé ce
texte. "C'est une explosion de haine, d'antisémitisme, d'antisionisme, sans la
moindre réflexion", a-t-il déclaré aux journalistes à Tel Aviv.
Critiques de
Mary Robinson
Le haut-commissaire de l'Onu pour les droits de l'Homme, Mary
Robinson, a assuré avoir tenté en vain de persuader le Forum des ONG de ne pas
insérer le texte sur Israël dans sa déclaration finale. Elle a jugé improbable
que la Conférence officielle de l'Onu adopte un texte d'une telle dureté.
"Je
les ai exhortés à ne pas l'adopter. Mais c'est un processus démocratique et ils
ont poursuivi leur action et l'ont adopté", a-t-elle dit à Reuters. "Mais j'ai
aussi le droit démocratique de rejeter cette déclaration au sujet
d'Israël."
Des responsables américains se sont dits "profondément attristés"
par le choix des ONG. Les Etats-Unis n'ont envoyé qu'une délégation réduite à
Durban afin de protester contre les mentions anti-israéliennes.
Le secrétaire
général de l'Onu, Kofi Annan, avait mis en garde samedi les participants contre
une controverse sur Israël susceptible de compromettre l'issue de la conférence.
Le président palestinien Yasser Arafat, intervenant vendredi à Durban, a
qualifié l'Etat hébreu de raciste en raison de son traitement des Palestiniens
dans les territoires occupés.
Le conflit israélo-palestinien a monopolisé
l'attention de la Conférence contre le racisme, dont les travaux peinaient à
avancer dimanche.
Mary Robinson a demandé aux médias de faire en sorte que
l'on ne retienne pas uniquement la controverse sur Israël de ce
rendez-vous.
"En tant que médias, vous avez un rôle à jouer, une
responsabilité à assumer afin que cette conférence ne porte pas sur un seul
sujet, le Proche-Orient. Vous devez faire en sorte que les autres sujets, tout
aussi importants, soient abordés et mis en avant lors de cette réunion",
a-t-elle dit aux milliers de journalistes présents à Durban.
"Les sujets
comme l'esclavage, les droits des minorités, la sexualité et la pauvreté sont
aussi très importants", a-t-elle
souligné.
4. Paix des
braves au Proche-Orient par Paul Chemetov (Paris)
dans la rubrique
courrier des lecteurs du quotidien Le Monde du dimanche 2 septembre
2001
Vous avez été, vous restez, M. Badinter, le héros du premier
septennat socialiste. Le courage qui assura l'abolition de la peine de mort
tranche encore avec les hésitations habiles sur le droit de vote des immigrés,
qui nous valent toujours leur éviction de la vie civique des communes qu'ils
habitent et le racisme qui s'en nourrit.
C'est par référence à ces deux
attitudes qu'on peut lire "L'angoisse et la paix" (Le Monde du 21 août),
plaidoyer univoque, qui, avec talent, donne une dimension existentielle à la
politique d'Ariel Sharon : la guerre. (...)
L'expulsion des Palestiniens en
1948, les annexions de 1967, fournissent et fourniront les troupes du désespoir.
Symétriquement, on peut porter au crédit de l'Etat d'Israël, par un effet de
bande, la disparition des communautés sépharades, quelquefois millénaires,
d'Egypte, du Moyen-Orient et du Maghreb. Voilà d'autres voyageurs sans billet de
retour. Il faut désamorcer ces bombes, vivantes. Alors que vous concluez sur
l'assassinat de Sadate, qui s'y essaya et en fut victime, vous ne dites mot de
celui de Rabin ; ce n'est pourtant pas un kamikaze arabe qui le tua ?
(...)
Vous écrivez "A quoi bon rendre les territoires, abandonner les
colonies de peuplement, reconnaître à Jérusalem-Est le statut de capitale de
l'Etat palestinien, indemniser les réfugiés palestiniens, à quoi bon tant de
concessions et de renoncements si l'on n'atteint pas le but : la paix, la vraie
paix, celle des âmes". La paix des âmes c'est le Paradis sur terre. Mais une
paix humaine suppose que les concessions que vous évoquez soient réellement
proposées dans la discussion. La paix des âmes suppose, pour y parvenir, la paix
des braves. Sauf à se satisfaire du modèle d'Hébron, où quelques centaines de
colons, sous la protection de l'armée israélienne, pourrissent la vie de cent
vingt mille personnes.
Il est vrai que ni Mendès-France, ni de Gaulle, ces
frères ennemis, n'ont aujourd'hui leur équivalent en Israël, mais on y retrouve
beaucoup de Mollet, de Laniel, de Bidault et de Bigeard. Ils sont juifs : et
alors
?
5. Mémoire et politique par Mohamed Jemal
(ElMenzah, Tunisie)
dans la rubrique courrier des lecteurs du quotidien Le
Monde du dimanche 2 septembre 2001
Les tragédies des peuples ne
disparaissent pas facilement de leur mémoire. M. Badinter en sait quelque chose.
Même le retour des réfugiés et l'arrêt des implantations de colonies ne
suffiront pas. Il ne peut y avoir de vraie paix, celle des âmes dont parle
l'ancien ministre de la justice, que s'il y a d'abord reconnaissance des erreurs
du passé.
A l'exemple des Etats européens qui s'inclinent devant Auschwitz ou
les rafles du Vel'd'Hiv' (...), Israël est-il capable de revoir son histoire et
de reconnaître parmi les massacres des civils palestiniens (Deir Yassine, Kafar
Kassem, Sabra et Chatila, et bien d'autres) ceux qui ont été perpétrés au nom de
l'Etat ?
La réconciliation n'est pas utopique. Qui aurait pensé il y a
vingt-cinq ans que l'apartheid serait aboli un jour en Afrique du Sud ? Mais,
pour ce faire, il a fallu des politiciens de grande valeur, de la stature de
Nelson Mandela. Les Israéliens ne manquent pas d'intelligence pour trouver parmi
eux des dirigeants de cette stature. Il suffirait qu'ils remettent les pieds sur
terre et qu'ils fassent preuve d'imagination. La politique de la main de fer ne
paye pas, à long terme. L'histoire l'a prouvé
ailleurs.
6. Les camps de toile se multiplient dans le sud de la
bande de Gaza
Dépêche de l'Agence
France Presse du dimanche 2 septembre 2001, 19h50
RAFAH (Bande de
Gaza) - Sur un monticule de terre retournée par les bulldozers, des familles
tentent d'arracher aux ruines quelques pauvres affaires. En moins d'une semaine,
l'armée israélienne a détruit une trentaine de maisons palestiniennes à la
frontière entre la bande de Gaza et l'Egypte.
Dans le quartier de Rafah qui
porte le nom de sa famille, près du camp de réfugiés "Brazil", Moustapha Hamdane
al-Chaer, le patriarche, découvre la vie de réfugié, depuis la funeste nuit au
cours de laquelle l'armée israélienne a rasé six habitations, dont l'immeuble où
il vivait avec son clan, à une dizaine de mètres de la frontière.
"Nous
vivons à cet endroit depuis plus de 50 ans", souligne-t-il. "Les enfants s'y
installent avec leur famille lorsqu'ils se marient. On ne quitte la maison que
pour mourir; c'est ainsi que cela se passe chez nous", explique M. Chaer, en
bordure d'un camp de tentes blanches frappées du symbole de l'UNRWA, l'agence
des Nations unies pour l'aide aux réfugiés palestiniens.
"Six bulldozers et
sept chars sont arrivés mercredi (29 août) vers minuit. Nous avons à peine eu le
temps de sortir", se souvient-il.
Tout au long de la frontière, non loin du
site de Raphia, théâtre au IIIème siècle avant JC de la plus grande bataille
d'éléphants de l'Histoire, ce scénario s'est répété avec une implacable
régularité au cours de la semaine.
Selon l'UNRWA, l'armée israélienne a
détruit dans le secteur de Rafah 27 habitations depuis le 28 août, chassant 45
familles, soit plus de 200 personnes.
L'armée a creusé un profond fossé le
long de la frontière, déjà zone d'affrontements fréquents, pour empêcher le
transit clandestin d'armes à partir de l'Egypte, par des tunnels souterrains.
Au sommet de la montagne de décombres donnant sur l'Egypte, l'épouse de M.
Chaer, Hiyam, supervise les travaux d'excavation.
"Ils ne nous ont laissé
aucune chance d'emporter nos affaires", s'insurge-t-elle, assise au milieu des
gravats, où achève de pourrir un poulet tombé du réfrigérateur et, plus loin,
gisent un narguilé tordu et des jouets cassés.
Sur des tapis de fortune, son
mari tient pourtant à offrir le thé aux visiteurs comme du temps de sa
splendeur. "C'était le plus haut immeuble de la frontière", se rappelle-t-il,
tout en dénonçant l'impuissance de l'Autorité palestinienne.
"Pour eux, on
peut bien crever ici !", s'emporte-t-il.
A Rafah, les familles chassées dans
la nuit du 28 au 29 août par une incursion israélienne qui a détruit 14 maisons
dans le camp de réfugiés de la ville, manifestent également leur impatience.
Elles ont finalement accepté dimanche de déplacer leur camp de toile d'une
vingtaine de tentes du principal carrefour du centre, où il bloquait la
circulation, une initiative destinée à alerter les autorités locales sur leur
sort, vue d'un mauvais oeil par les commerçants.
Mais elles menacent de
revenir planter leurs tentes, où chaque nuit dorment en moyenne huit personnes,
au carrefour ou devant le bureau du gouverneur.
"Que peut faire l'Autorité
si elle n'arrive même pas à nous apporter de l'eau?", s'interroge Mohammad
Mansour, dont la maison se trouvait à quelques mètres de la frontière.
"C'est toujours la même histoire", soupire ce réfugié de la région de
l'actuel Ashdod, dans le sud d'Israël, père de six enfants, chassé lors de la
création de l'Etat juif en 1948, qui doit réapprendre à vivre sous la tente.
Deux fillettes de 10 ans voient la situation différemment. "Il y a de l'air
frais le soir, c'est agréable", sourit Amina, mais sa cousine Tahrir regrette
que "les rues se vident le soir".
Sous une autre tente, Fatima Abou Jazer,
mère de neuf enfants, berce son dernier-né de deux ans et demi, harcelé par les
mouches.
"Je dois le laver sur le bitume! Est-ce que c'est un endroit pour
laver un bébé?", s'insurge-t-elle, s'étonnant du silence de la communauté
internationale sur les destructions: "Est-ce que ce qui nous arrive n'est pas
une
catastrophe?".
7. Sombre rentrée scolaire pour les enfants
palestiniens par Jamie Tarabay
Dépêche de l'agence
Associated Press du dimanche 2 septembre 2001, 15h37
KHAN YOUNIS,
Bande de Gaza - C'était la rentrée ce week-end pour les écoliers palestiniens,
en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza. Les bureaux vides des élèves tués au
cours de l'Intifida rappellent que le conflit israélo-palestinien touche toute
la population. Avant le lever du soleil samedi, les enfants palestiniens étaient
déjà debout et en route vers leurs salles de classe. Ruban blanc dans les
cheveux, les filles bras dessus bras dessous riaient alors que les adolescents
en jeans et chemise bleue avançaient à grands pas, imités par les plus jeunes.
Près d'un million d'élèves, selon les chiffres du ministère de l'Education
palestinien, rencontrent des soucis bien plus graves que de résoudre un problème
de mathématiques ou mémoriser des dates d'histoire. Une année de violences a
causé la mort d'environ 600 Palestiniens, parmi lesquels figurent de nombreux
enfants.
En retrouvant leurs salles de classe, les enfants palestiniens ont
de nouveau affronté la vision des photos et posters de leurs camarades tués lors
d'affrontements avec l'armée israélienne. Les bureaux des enfants décédés
resteront vides, a annoncé le ministère de l'Education.
Comme l'année
dernière, certains élèves ont découvert le chemin qui mène à l'école encombré de
débris. Certaines écoles ont été fermées en raison de leur proximité avec des
bases militaires israéliennes, et d'autres enfants ont dû changer
d'établissement à cause des restrictions de déplacements imposés par Israël.
En Cisjordanie, à Hébron, les soldats de Tsahal ont empêché 300 fillettes,
âgées de 6 à 12 ans, d'entrer dans leur école située à 10 mètres d'un secteur
sous contrôle israélien. Les soldats ont formé une ligne à l'entrée de l'école
primaire Al Yakoubiya afin d'éloigner les fillettes, en dépit des suppliques du
directeur de l'établissement et des professeurs de laisser les enfants rejoindre
les 100 écolières qui avaient pu entrer avant l'arrivée des soldats.
Pour
expliquer cette interdiction, Tsahal a avancé que l'école Al Yakouiya se
trouvait dans un secteur à partir duquel des Palestiniens armés tirent sur des
soldats et des colons juifs. L'école restera fermée jusqu'à ce que la sécurité
soit réévaluée.
Tenant par la main sa petite fille de huit ans, Khalil
Natche a expliqué qu'il espérait que l'armée se laisserait amadouer. ''Elle
était tellement excitée hier soir, elle avait tout préparé'', a-t-il raconté.
Plus tard dans la journée, des jeunes Palestiniens ont lancé des pierres et
des engins incendiaires contre les soldats israéliens alors que les fillettes
fuyaient en hurlant et en pleurs. Aucune enfant n'a été blessée mais un soldat
israélien a été légèrement touché.
Au total, les 24 écoles du centre
d'Hébron, fermées l'année dernière pour cause de restrictions militaires, ont
gardé portes closes, a déclaré Mohammed Kawatmi, le responsable de l'Education à
Hébron. Près de 15.000 élèves sont concernés.
A Khan Younis, dans le centre
de la Bande de Gaza, une mère palestinienne, Soumaya Shiblan, se pressait pour
inscrire ses enfants à l'école préparatoire financée par l'ONU, qui gère
plusieurs écoles dans les camps de réfugiés. Cette maman leur a également montré
le chemin pour regagner la maison en cas d'urgence.
Au cours de l'année
scolaire précédente, les écoles avaient fermé pendant les nombreuses grèves
générales décrétées par les Palestiniens. Certains enfants avaient également
séché les cours pour assister à des obsèques ou pour aller lancer des pierres
sur les Israéliens, sans la permission de leurs parents.
Pratiquement chaque
élève a été affecté par la reprise des violences en septembre 2000. ''Nous
connaissons tous quelqu'un qui a été tué'', explique Abdel Rahman, 15 ans,
accompagné de deux amis. ''Peut-être que ce sera la même chose cette année''.
La rentrée avait lieu ce dimanche pour les élèves
israéliens.
8. Un objecteur israélien : "Je refuse de participer à
des crimes" propos recueillis par Françoise Germain-Robin
in
L'Humanité du samedi 1er septembre 2001
" J'ai refusé d'aller dans les
territoires palestiniens parce que je ne veux pas risquer de participer à des
crimes de guerre ou à des crimes contre l'humanité. Tout simplement. " Soldat
dans l'armée israélienne où il effectue son service militaire, le jeune X... ne
mâche pas ses mots. Il souhaite garder l'anonymat, une précaution que l'on
comprend aisément quand on sait qu'il vient juste de purger une peine de 1 mois
de prison militaire qui lui avait été infligée en raison de son attitude. Un
refus d'obéissance qu'il partage avec quelques dizaines d'autres jeunes appelés
comme lui et avec des réservistes qui, périodiquement rappelés sous les
drapeaux, refusent eux aussi d'" aller dans les territoires casser du
Palestinien ". " La plupart de ceux qui ont, comme moi, refusé d'aller dans les
territoires occupés ont fait de la prison. Dans certains cas, surtout pour les
réservistes, le commandement a accepté de fermer les yeux et de ne pas les
sanctionner ", explique X...
Comment ce jeune homme, habitant Jérusalem, en
est-il arrivé au refus de faire la guerre aux Palestiniens ?
" C'est très
simple, ajoute-t-il, je refuse d'aller dans les territoires palestiniens parce
que j'estime que nous n'avons rien à y faire. Je crois en une armée de défense
d'Israël (1), pas en une armée d'occupation. J'ai été élevé dans une famille de
gauche, très ouverte et qui passe pour pro-palestinienne. Cela a sans doute joué
dans ma prise de conscience. Mes parents sont très engagés politiquement. Mon
père a des amis palestiniens, ma mère a milité dans une organisation, " Les
nouvelles de l'Intérieur ", qui s'efforce de favoriser les contacts entre
Israéliens et Palestiniens. Malheureusement, je n'ai pas moi-même d'amis
palestiniens parce que c'est devenu très difficile ces dernières années en
Israël. Nous sommes complètement séparés les uns des autres. C'est une situation
affreuse, déshumanisante pour les Palestiniens comme pour nous. Mais j'estime
que c'est nous, Israéliens, qui en sommes responsables, parce que c'est nous qui
sommes les plus forts, nous qui avons toutes les cartes en main. Nous pourrions,
si nous le voulions vraiment, résoudre ce problème. Mais dans cette histoire,
nous sommes dans le rôle des mauvais, car nous refusons de voir les souffrances
que nous infligeons aux Palestiniens et d'en tenir compte. "
X... a bien
conscience que sa lucidité et sa générosité sont loin d'être partagées par ses
compatriotes. " Je sais que très peu de gens pensent comme moi, dit-il, mais ce
qui me désole, c'est que même ceux qui se disent de gauche ne croient pas
vraiment à la possibilité de vivre côte à côte avec les Palestiniens. Ils
veulent de plus en plus de séparation. La plupart des gens ne songent qu'à en
découdre. Ils croient tout ce que leur racontent les leaders politiques, à ce
que dit la presse et, franchement, à l'exception de quelques journalistes comme
Amira Hass ou Gideon Levy, ce n'est pas brillant. Pourtant, il faudra bien
arriver à une solution. On ne peut pas vivre indéfiniment dans un si petit Etat
si on n'a pas la paix. La situation en Israël est horrible : on vit dans les
meurtres, les enterrements, la peur et la haine. Si on avait seulement le
courage de regarder les choses en face, de voir la faiblesse et les souffrances
de notre ennemi, on pourrait tout changer. "
(1) Tsahal, le nom donné en
hébreu à l'armée israélienne, correspond en fait aux initiales de " Armée de
défense d'Israël ".
9. Huissiers
belges contre colonies par Agnès Gorissen
in Le Soir (quotidien
belge) du samedi 1er septembre 2001
La Commission européenne critique
la commercialisation de produits interdits. A-t-on tenté de tuer Abou Leila ?
L'Etat hébreu écoule sur le marché européen des produits estampillés « made
in Israel », mais fabriqués en réalité dans les colonies juives de Cisjordanie
et de Gaza. C'est-à-dire dans les territoires palestiniens, occupés
illégalement. En violation de la règle d'origine définie dans l'accord
d'association Union européenne-Israël, qui offre des tarifs préférentiels aux
produits venant de l'Etat hébreu.
L'information n'est pas nouvelle. Mais,
après un an et demi de travail, le Comité de coordination européen des ONG sur
la question de la Palestine (ECCP) est en mesure de fournir des précisions. Lors
des réunions techniques entre fonctionnaires européens et israéliens, note ainsi
Pierre Galand, président de l'ECCP, en se basant sur les informations fournies
par les douanes, 4.500 constats de violations des règles d'origine ont été
transmis aux Israéliens.
Il n'est de toute façon pas difficile de se rendre
compte de ces violations : un simple petit tour en grande surface suffit. En
Belgique, on peut trouver dans les supermarchés GB et Delhaize des produits
alimentaires comme les barres Halva ou des sachets de pretzels, fabriqués dans
les colonies. L'affaire a d'ailleurs été constatée par huissier de justice - la
même démarche a été entreprise en Espagne, en Italie, en Grande-Bretagne, en
Hollande et en France. Et les consommateurs ne sont pas forcément d'accord avec
cet état de fait : plus de 4.500 pétitions de clients ont été remises vendredi
aux directeurs des ventes de Delhaize et GB-Carrefour.
La Commission
européenne elle-même commence à bouger. Le commissaire Chris Patten, en charge
des relations extérieures, a dénoncé publiquement au Parlement européen l'aspect
illégal de l'entrée de ces produits sur le sol de l'Union.
Des boucliers
humains ?
Et si on ne le fait pas pour des raisons commerciales, il existe
une autre raison de le faire, souligne l'ECCP : l'accord d'association Union
européenne-Israël comporte une clause très claire concernant le respect des
droits de l'homme. Or, l'Etat hébreu ne remplit pas cette obligation, et encore
moins depuis qu'a éclaté l'intifada, fin septembre 2000.
La situation est
même tellement grave que, pour le Comité, l'urgence immédiate est de protéger la
population palestinienne. En envoyant des observateurs internationaux. L'Union
européenne doit « se mouiller » politiquement pour ça, estime l'ECCP. Et pas
seulement pour des raisons morales : la quatrième Convention de Genève, sur la
protection des civils en temps de guerre, lui en fait quasiment obligation.
Les sympathisants de la cause palestinienne sont prêts à aller loin pour
obliger les Quinze à agir. Jusqu'à se rendre eux-mêmes sur le terrain pour
servir de boucliers humains aux civils palestiniens.
10. L'engrenage
fatal par Michèle Manceaux
in Le Monde du vendredi 31 août
2001
(Michèle Manceaux est journaliste et
écrivain.)
Le point de vue de Robert Badinter "L'angoisse et la
paix" (Le Monde du 21 août) m'a choquée. Comment peut-il, lui, juriste éminent,
penser que l'angoisse donne des droits ? Puisqu'il fait l'analogie entre les
peuples et les individus, je me permets d'évoquer en deux mots mon histoire.
J'ai été une jeune juive angoissée. Cela ne m'a donné aucun droit. Plutôt une
grave névrose. Des années de psychanalyse m'ont été nécessaires pour me libérer
de l'empreinte du passé et me trouver moi-même.
Ainsi Israël ne trouvera sans
doute sa paix que lorsque le souvenir de la Shoah auquel Robert Badinter
attribue la cause de l'angoisse de ce pays ne sera plus qu'une blessure du passé
comme nous en avons subies tous dans nos vies. Ainsi Israël ne doit plus
chercher dans la Shoah une raison à sa peur. Tout visiteur de ce pays en ressent
la constante paranoïa. Peut-être faut-il que de nouvelles générations prennent
en main leur destin pour qu'Israël échappe enfin à la schizophrénie qui, hélas,
saisit le pays et parvient aujourd'hui à son comble lorsqu'il se donne un chef
assassin.
Je pleure comme Robert Badinter de voir Israël en sang et en
guerre, mais son analyse du rapport de forces entre les Israéliens et les
Palestiniens n'apporte aucun espoir de paix.
Israël ne peut survivre qu'en
reconnaissant l'Etat palestinien (comme, à Sarajevo, la paix est passée par la
reconnaissance de chaque confession). Robert Badinter trace de l'histoire
d'Israël un tableau qui tronque la vérité. Si l'Etat hébreu fut créé sur une
terre occupée par les Palestiniens, il eût été juste qu'un Etat palestinien fût
institué en même temps. On a confondu "palestinien" et "bédouin", oubliant
qu'une société palestinienne cultivée habitait ces terres depuis plusieurs
générations et à Jérusalem même.
Les Palestiniens ne constituent pas
l'ensemble des Etats arabes qui, d'ailleurs, prouvent leur indépendance en
n'intervenant dans le conflit actuel que par des déclarations.
Robert
Badinter dit : "Israël est né de la Shoah. Il ne faut jamais l'oublier."
Justement, il faut l'oublier et ne pas pardonner aux Israéliens de se croire
tout permis. A Genève, depuis longtemps, ils méprisent les avis de la Commission
des droits de l'homme, se désignant comme un pays "à part". Avec la complicité
des Etats-Unis, Israël s'arroge le droit d'échapper aux conventions des droits
de l'homme en tirant sur les enfants (ce ne sont pas "des balles perdues") et en
se livrant contre les Palestiniens à des exactions que des juifs entendus par
moi en Israël qualifient eux-mêmes de fascistes.
Quelle tragédie pour les
juifs de s'appuyer sur le souvenir de la Shoah pour infliger à un autre peuple
les exactions ignobles qu'ils ont eux-mêmes subies. Cette folie qui s'empare des
esprits au Proche-Orient, mais aussi des esprits dans le monde entier dès qu'il
s'agit du désastre actuel, serait-elle l'ultime avatar de la folie hitlérienne ?
De cette damnation à laquelle le peuple élu n'échapperait pas ? Contrairement à
ce que pense Robert Badinter, il faut résister à la Shoah pour récupérer la
raison et la dignité.
Sinon Israël est perdu. Déjà le fanatisme s'étend des
deux côtés. Les Palestiniens, qui espéraient la paix depuis les accords d'Oslo,
n'avaient eu aucun geste guerrier et Arafat, quoi qu'on en dise, jugulait le
fanatisme. Entre 1993 et 2000, les Palestiniens ont attendu la paix dans le
calme. De promesses non tenues en conférences inabouties, on les a fait
lanterner. De Camp David à Taba, on a fait croire au monde entier que des
propositions sérieuses étaient apportées par Barak à Arafat. On sait aujourd'hui
officiellement par les témoins américains qu'il n'en a rien été et que, pendant
des années, les colonies se sont multipliées.
Le marché de dupes offert aux
Palestiniens les a poussés à bout, à cette horreur de voir des hommes se faire
eux-mêmes exploser. Désespoir total. Ces attentats présagent le pire, une guerre
de religions, un fanatisme général dans la région, dont Israël paiera le
prix.
Robert Badinter justifie - je le cite : "Le recours à la force qui
assure le statu quo qui permet au moins de rassurer (...) les esprits. Jusqu'au
prochain attentat, jusqu'au prochain mort." Mais c'est là où lui-même est pris
dans cet engrenage fatal qui lui fait perdre sa lucidité. Il sait pourtant que
ce recours à la force ne peut rien, absolument rien. Les Palestiniens ne veulent
pas la mort de l'Etat hébreu. Ils veulent un Etat palestinien à côté. Ils
veulent leur part de Jérusalem. Et ils y ont droit, même s'ils n'ont pas été
victimes de la Shoah qui, d'après lui, donne tous les droits.
Il parle
d'homme providentiel, un Sadate, pour résoudre un conflit psychologique ! Cela
semble bien léger. N'est-ce pas un juif qui a tué Rabin ? Au lieu d'en appeler à
un homme, ne faut-il pas, avant qu'il ne soit trop tard, que la communauté
internationale intervienne vite et sans appel ? Le rapport Mitchell est
inapplicable quand Sharon refuse même une commission d'observateurs.
Tant
qu'une instance internationale n'empêchera pas Sharon de conduire les
événements, Israël ira à sa perte. Et vous, Robert Badinter, comme moi, nous
serons encore plus tristes qu'aujourd'hui.
11. Est-il interdit de critiquer Israël
? par Pascal Boniface
in Le Monde du vendredi 31 août
2001
(Pascal Boniface est directeur de l'Institut de relations
internationales et stratégiques - IRIS.)
En m'exprimant sur le
conflit israélo-palestinien (Le Monde du 4 août), je savais que je défiais les
lois de la prudence, qui conseillent d'éviter, si l'on n'y a pas un intérêt
personnel, de traiter un sujet aussi passionnel. Je ne suis ni juif ni arabe ou
musulman. Je ne suis pas non plus spécialiste de la région. Je pense tout
simplement, d'un point de vue moral, que les principes universels ne doivent pas
être appliqués de façon sélective et, d'un point de vue réaliste, qu'aucune paix
durable ne peut être établie sur la négation des droits d'un peuple. J'estime
que le droit légitime d'Israël à la sécurité n'est pas incompatible avec celui
des Palestiniens à l'autodétermination.
Je me doutais bien que, d'une façon
ou d'une autre, mon intervention allait susciter approbations chez les uns (et
notamment de nombreux juifs français), critiques chez les autres, et aussi
insultes, promesses de rétorsions professionnelles et menaces anonymes sur ma
personne. Je n'ai pas été déçu sur ce dernier point.
Je pouvais m'attendre,
pour la partie du texte qui critiquait le gouvernement actuel d'Israël, à ne pas
recevoir l'approbation de ses représentants. Je ne m'attendais pas à ce que
l'actuel ambassadeur d'Israël en France, Elie Barnavi, intellectuel réputé et
qui a joué un rôle incontestable dans la recherche de la paix, écrive (Le Monde
du 8 août) non pas une réponse à mon point de vue, mais une réaction d'une
virulence qui a étonné jusqu'à ceux qui ne partagent pas mon analyse, allant
jusqu'à instruire contre moi un procès d'antisémitisme et de haine
anti-israélienne.
Cela prouve que ce débat est encore plus exacerbé et la
situation plus dégradée que je ne le pensais.
Elie Barvani, tout en se
plaignant amèrement du parti pris anti-israélien de la presse française en
général et du Monde en particulier, peut tranquillement me désigner comme
l'adversaire d'Israël, m'accuser d'antisémitisme sans, bien sûr, apporter aucun
fondement à ces graves accusations. Il le fait, de surcroît, en faisant croire
que, parallèlement au point de vue modéré que Le Monde a publié, je suis
l'auteur d'un pamphlet d'une rare violence, non public, mais qu'il se garde bien
de citer.
Comment qualifier cette méthode qui, dans un climat passionné,
laisse supposer le pire, sans étayer, car cela lui serait bien évidemment
impossible, ces insinuations ? Effectivement, j'ai envoyé une note à quelques
dirigeants socialistes en avril dernier, dont le texte publié reprend les
arguments. J'y indiquais en outre qu'on ne peut pas se dire aujourd'hui de
gauche et accepter le sort fait aux Palestiniens, fût-ce pour d'illusoires
raisons électorales.
En souhaitant faire publier une "Lettre à un ami
israélien", je ne voulais pas utiliser une rhétorique cachant des sentiments
d'hostilité mais poursuivre publiquement un débat que j'ai eu à partir de cette
note avec des Israéliens et des membres de la communauté juive française.
Je
l'ai fait en raison des inquiétudes que fait naître en moi la situation
actuelle, faite d'affaiblissement du camp de la paix en Israël et de montée des
extrémistes chez les Palestiniens.
J'ai toute ma vie combattu le racisme,
sous toutes ses formes ; je défie quiconque de trouver une seule ligne raciste
ou antisémite sur les centaines de milliers que j'ai pu écrire. Cela va
totalement à l'encontre de ma pensée et de mes convictions les plus profondes.
Je trouve inadmissible le terrorisme intellectuel consistant à accuser
d'antisémitisme toute personne qui critique le gouvernement israélien,
accusation d'ailleurs qui devrait s'appliquer aux pacifistes israéliens et aux
juifs français qui partagent ce point de vue.
Je crois au contraire qu'à
certains moments de l'histoire, ceux qui s'opposent à un gouvernement servent
mieux sa nation et les valeurs qu'elle incarne. Pour en rester au seul cadre
français, ce fut le cas des résistants sous Vichy et des opposants à la guerre
d'Algérie. Me faut-il répéter que, pour moi, le droit à l'existence d'Israël de
vivre en paix et en sécurité dans des frontières reconnues, celles d'avant le
conflit de 1967, est une évidence absolue ? Que les attentats terroristes qui
frappent Israël doivent être condamnés fermement, car ils sont à la fois
moralement criminels (ils ne peuvent que frapper des innocents) et politiquement
néfastes (ils éloignent les perspectives de paix) ? Que les communautés juives
vivant en dehors d'Israël doivent pouvoir vivre en sécurité et dans le respect
de leur identité ?
Mais tout cela n'empêche pas pour autant de dire que le
sort fait aujourd'hui aux Palestiniens est immoral, illégal et, par ailleurs,
contraire aux intérêts à long terme des deux peuples.
On me reproche de faire
un amalgame pour l'ensemble de la communauté juive française. Je dis au
contraire que ses représentants les plus lucides et les plus courageux sont les
premiers à critiquer le gouvernement Sharon et l'impasse dans laquelle il
conduit son pays. Je n'ai évidemment jamais voulu justifier la résurgence
éventuelle de l'antisémitisme que la communauté juive, dont je connais la
diversité et l'absence de caractère monolithique, devrait subir du fait de sa
fidélité à Israël. Je redoute au contraire les conséquences d'une situation où
la logique des extrêmes l'emporterait. Je pense que ce conflit est un conflit de
nature politique et qu'il faut combattre toute tentative d'explication
communautaire et/ou religieuse.
Cependant pourquoi Israël serait-il le seul
Etat au monde dont il serait interdit de critiquer le gouvernement sauf à être
accusé de racisme et à recevoir de lourdes menaces de représailles ?
Pourquoi
le Proche-Orient serait-il la seule région où les choses sont tellement
compliquées qu'il conviendrait de ne pas s'exprimer ? A-t-on appliqué le même
raisonnement aux Balkans, à la Tchétchénie, au Tibet, à l'Afrique des Grands
Lacs ?
Elie Barnavi dit que le gouvernement israélien reconnaît lui aussi le
droit aux Palestiniens d'avoir un Etat. Mais alors, pourquoi ne pas mettre ce
principe en application ? Si cela est impossible, faut-il en conclure que les
Palestiniens en sont congénitalement incapables ou que tous les efforts
possibles n'ont pas été faits en ce sens du côté d'Israël ? Après trente-quatre
ans d'occupation, comment expliquer que les gouvernements israéliens successifs
n'aient pas trouvé d'interlocuteurs dignes de ce nom ? Et comment auraient réagi
les dirigeants juifs si, après plusieurs années ou même plusieurs décennies
d'une approbation de principe de la création d'un Etat d'Israël, la Palestine
était toujours occupée militairement par la Grande-Bretagne ?
Comment ne pas
voir - ce qui était parfaitement prévisible - que, contrairement à ses
promesses, Sharon n'a pas apporté la sécurité à son peuple et risque de
déstabiliser plus encore la région, que la politique actuelle du gouvernement
israélien affaiblit chez les Palestiniens les modérés pour renforcer les ultras
?
La situation, comme toute situation stratégique, est certes très
compliquée. Mais le problème principal réside bien dans le fait qu'un peuple est
occupé militairement et qu'il ne l'accepte pas. L'évidence que toute l'histoire
stratégique nous apprend, c'est que l'on peut conquérir et occuper des
territoires, jamais un peuple.
Il n'y a bien sûr pas de solution idéale au
Proche-Orient. Il convient de choisir la moins mauvaise. L'établissement d'un
Etat palestinien dans ses frontières de 1967 est certes un risque pour Israël.
Il y a en effet moins de probabilités aujourd'hui qu'il y a dix ans que cet Etat
palestinien fournisse au monde arabe le modèle démocratique dont il aurait
besoin, tout simplement parce que les extrémistes sont plus forts aujourd'hui
qu'hier. Mais ils le seront encore plus demain si l'actuelle politique est
poursuivie.
Quels sont les choix d'Israël ? Evacuer les Palestiniens des
territoires ? C'est impensable. Etablir un régime d'apartheid ? Ça l'est
également. Espérer que les Palestiniens se découragent et acceptent la paix aux
seules conditions israéliennes ? C'est impossible. Alors, l'évacuation militaire
des territoires occupés et la création d'un Etat palestinien ne sont-ils pas la
moins mauvaise solution ?
Aujourd'hui, tout débat sur le Proche-Orient
s'arrête au fait que trop de gens pensent que ce qui sera donné à l'un (en
l'occurrence les Palestiniens) sera pris à l'autre, comme dans les jeux à somme
nulle.
C'est vrai territorialement, ce n'est pas vrai politiquement. Ces deux
peuples ont à gagner ensemble à l'établissement de la paix. Et j'ose espérer
qu'en France le débat reste possible, y compris pour le Proche-Orient, sans
recourir à la diabolisation de ceux qui redoutent tout autant les extrémistes et
le terrorisme que vous, Elie Barnavi. Mais sachez que le maintien du statu quo,
loin d'affaiblir extrémistes et terrorisme, ne fait que les renforcer.
12. Après deux jours d'occupation, l'armée israélienne
se retire de Beit Jala (Cisjordanie) par Clyde Haberman
in The New
York Times (quotidien américain) du jeudi 30 août 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
L'armée israélienne a retiré ses tanks et
ses troupes tôt ce matin de la localité de Beit Jala, en Cisjordanie, mettant un
terme à la plus longue incursion israélienne en zone sous souveraineté
palestinienne - un peu plus de deux jours.
Israël a accepté de se tenir à
l'extérieur de la ville, qui jouxte Jérusalem, au sud, tant que les Palestiniens
armés qui y ont pris position ne recommenceraient pas à tirer sur Gilo, un
quartier israélien situé à la périphérie sud de Jérusalem, qui s'est retrouvé
sous le feu (palestinien) de manière répétée depuis plusieurs mois. On rapporte
que les échanges de tirs, à Beit Jala, ont cessé aux environs de minuit et que
les forces israéliennes ont commencée à sortir de la ville environ quatre heures
après leur cessation, soit juste avant l'aube.
L'armée israélienne a confirmé
ce retrait. Mais la radio israélienne a indiqué que des officiels
gouvernementaux israéliens ont averti que les tanks prendraient de nouvelles
positions pas très éloignées et que, si les tirs reprenaient, ils
réinvestiraient Beit Jala "de manière encore plus massive".
L'incursion à
Beit Jala, mardi dernier, pour une durée non précisée, et qui n'a fait
qu'approfondir la crise moyen-orientale, visait à assurer la sécurité des
résidents du quartier juif de Gilo. Israël a justifié son opération militaire en
la qualifiant d'acte d'autodéfense, mais les Palestiniens l'ont dénoncée, voyant
en elle un premier jalon dans la voie de la réoccupation des territoires
(palestiniens) qui constituent leur zone autonome (par Israël). Les Etats-Unis
et d'autres pays ont manifesté leur désapprobation pour ce qui allait s'avérer
la plus longue incursion jamais encore effectuée par Israël dans une zone sous
souveraineté palestinienne.
Toute la journée de mercredi, des diplomates et
des officiels des deux parties se sont efforcés de convenir d'une trêve. Un
accord a finalement été rendu possible grâce à la contribution des Etats-Unis et
de l'Union européenne, notamment l'intervention du secrétaire d'Etat américain
Colin L. Powell. De son côté, le ministre israélien des affaires étrangères,
Shimon Pérès, a eu plusieurs conversations téléphoniques avec le président de
l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, afin de discuter des moyens de ramener
le calme après cette phase critique d'un conflit entré désormais dans son
onzième mois.
Toutefois, un retrait convenu pour la nuit de mercredi avait
connu un échec, car les tirs contre Gilo avaient repris, ainsi que les combats à
l'intérieur de Beit Jala, où des soldats (israéliens) ont pris possession de
plusieurs maisons ainsi que d'un complexe autour d'une église luthérienne,
pendant quelques heures, afin de déloger des tireurs palestiniens qui s'étaient
emparés des rues.
Mais le calme revint. Après une réunion de trois heures
avec les membres de son cabinet, le premier ministre israélien, Ariel Sharon a
donné son accord au retrait des soldats israéliens pour autant que la situation
ne dégénère pas. Un membre du cabinet, Dan Meridor, a déclaré que la seule
alternative au retrait aurait été de rester à Beit Jala, et d'y maintenir une
présence militaire "encore plus massive".
Certains des conseillers de M.
Sharon ont fait part de leur scepticisme quant au respect de la trêve par M.
Arafat. Mais des conseillers de M. Pérès, "plus colombe", ont déclaré qu'ils
espéraient qu'un accord sur Gilo et Beit Jala pourrait servir de précédent
permettant de mettre fin aux combats ailleurs en Cisjordanie et dans la bande de
Gaza.
L'accord pourrait aussi avoir redonné un nouveau souffle aux tentatives
de ménager une rencontre entre MM. Pérès et Arafat afin de discuter les
modalités de la mise sur pied d'un cessez-le-feu digne de ce nom entre Israël et
les territoires palestiniens, depuis le début du conflit, voici bientôt un an.
Certains responsables gouvernementaux ont évoqué une possible rencontre entre
les deux hommes la semaine prochaine, peut-être en Europe, et M. Pérès a évoqué
le sujet au cours de conversations avec des membres de son parti, le parti
travailliste, mercredi soir.
"Si les choses se déroulent comme elle le
devraient, la semaine prochaine, nous devrions être en mesure d'engager les
discussions les plus sérieuses qui n'aient jamais encore eu lieu afin de mettre
un point final aux affrontements", a-t-il dit.
Gilo et Beit Jala ont connu
une situation si préoccupante qu'en dépit d'un nombre heureusement peu important
de victimes durant ces deux derniers jours, les événements qui s'y sont produits
ont éclipsé la violence "ordinaire" qui a abouti à encore de nouvelles victimes,
aujourd'hui.
Un chauffeur de camion israélien et un ouvrier palestinien ont
été tué au cours d'embuscades en Cisjordanie.
Le camionneur israélien, Oleg
Sudnikov, 35 ans, était entrain de livrer du fuel à un village palestinien
proche de Tulkarm quand il a été blessé par balle dans la cabine de son camion,
tiré sur la route, encore vivant, puis criblé de balles afin de l'achever. Cette
attaque a été revendiquée par des hommes armés du mouvement de M. Arafat, le
Fatah.
L'ouvrier palestinien, quant à lui, Haydar Canaan, 27 ans, a été tué
dans sa voiture près d'un camp de réfugiés situé au nord de Jérusalem,
vraisemblablement par des Israéliens.
13. Combattre
Israël par des voies pacifiques : un entretien avec Iyad
As-Sarraj
in Amin traduit dans Courrier Interbational du jeudi 30
juillet 2001[Amin est un site web
palestinen, fondé en 1993 grâce à la Fondation Soros et à Internews-
Moyen-Orient, une ONG américaine qui aide des centaines de médias indépendants
dans les pays qui s'ouvrent sur la démocratie, "Amin" propose une sélection
d'articles en arabe et en anglais sur Israël, la Palestine et la Jordanie.
http://www.amin.org]Le célèbre militant palestinien des droits de
l’homme Iyad As-Sarraj évoque l’avenir du conflit. Selon lui, la société
palestinienne doit sortir du “tribalisme” et cesser de tuer des civils
israéliens.
- Que se passe-t-il actuellement en Palestine ? Comment
expliquer qu’en un jour des Palestiniens aient tué neuf de leurs frères et en
aient blessé des dizaines d’autres ?
- IYAD AS-SARRAJ La société
palestinienne vit encore à l’heure de ce qu’on appelait jadis “l’ère tribale”.
Les individus sont enclins à recourir à la solidarité clanique comme seul moyen
de défendre leur personne, leurs biens et leurs proches. Au moment de sa
constitution, l’Autorité palestinienne n’a pas saisi l’occasion de faire évoluer
la société palestinienne d’un Etat tribal à un Etat citoyen qui applique le
droit, la justice et le respect des droits de l’homme. Par ailleurs, les
difficultés économiques oppressent la vie quotidienne des gens et ravivent leur
nervosité. L’homme qui ne sait plus nourrir ses enfants ni vivre avec dignité
est un homme enragé et aigri.
- Mais quelles sont donc les raisons
qui poussent les Palestiniens à s’armer ?- Les enfants sont les
premiers influencés. Sous le joug de la colonisation et durant des générations,
l’Israélien a été considéré comme la force suprême, qui détient des armes avec
lesquelles il menace le père impuissant à protéger sa famille. Les enfants ne
cessent d’inciter leurs parents à s’armer. Leur argument est simple, ils
demandent : “Comment vas-tu me protéger, père, alors que tu n’as pas d’armes ?”
L’homme armé devient ainsi un véritable héros aux yeux des enfants et des
jeunes. Pour briser ce cycle de violence, nous devons rénover sans délai la
structure économique locale afin que les nôtres puissent assumer leur devenir.
D’autre part, nous devons rallier l’opinion internationale à notre cause,
sous-tendue par l’une des plus grandes catastrophes humanitaires du
monde.
- Comment faire avec la mainmise persistante de l’Etat hébreu
sur les médias ?- Aujourd’hui, dans l’opinion internationale,
quelque chose de fondamental a changé vis-à-vis de la cause palestinienne. Nous
devons exploiter ce changement et faire en sorte qu’il se développe jusqu’à ce
que le monde reconnaisse clairement qui est la véritable victime de ce conflit.
Malheureusement, le discours de certains officiels palestiniens se résume à des
répétitions ennuyeuses de slogans vides de sens. Il faudrait que les
Palestiniens se dotent de responsables capables de mener des discussions
concluantes. Ensuite, nous devrions toujours insister sur le caractère raciste
de l’occupation israélienne. Il faut sans cesse réclamer l’arrêt de l’occupation
et la liberté, et pas seulement l’application des recommandations de la
commission Mitchell ni la nomination de missions d’observation. Les Palestiniens
devraient cesser de demander la reprise des négociations et plutôt insister sur
la fin de l’occupation. Enfin, il est temps de se rendre compte que le véritable
héroïsme relève d’un comportement exemplaire, lequel ne consiste pas à se
laisser entraîner à des réactions violentes contre des civils israéliens. Ces
agissements affaiblissent notre cause plus qu’autre chose. Nous devons arrêter
les démonstrations armées. J’irai même jusqu’à dire que je suis en faveur de la
collecte d’armes au sein de la société civile. Nous pourrions collecter toutes
les armes qui circulent et déclarer publiquement que nous n’en voulons plus, que
nous réclamons simplement notre terre et notre liberté.
- Que peut-on
dire du contexte palestinien lui-même ?- Les familles
palestiniennes ont été exposées à de nombreuses crises très graves, depuis leur
déracinement en passant par l’occupation et les différentes formes d’oppression
menées par Israël. Puis a éclaté la première Intifada, qui a montré
l’extraordinaire capacité du peuple palestinien à défendre sa cause.
Malheureusement, la mainmise des organisations armées a voué ce premier
mouvement à l’échec. Ensuite, les accords d’Oslo ont tenté d’imposer un certain
équilibre entre l’oppresseur et l’opprimé. Cette période fut caractérisée par
l’injustice tant au niveau des droits que des finances publiques, ce qui fit
croître la frustration et l’amertume... Et la nouvelle Intifada a éclaté en
réaction à cette frustration. Ce nouveau soulèvement interpelle tous les
protagonistes, y compris le pouvoir et ses détenteurs, et les oblige à revoir
les modalités des accords, à garantir les droits des citoyens et le respect des
personnes. Il réclame la transparence de l’administration et la poursuite des
contrevenants à la loi. Toutes ces revendications ne peuvent se concrétiser que
par la voie de la démocratie et par l’organisation de nouvelles élections
législatives et municipales afin que puissent émerger de nouveaux
dirigeants.
- Et Israël, va-t-il nous laisser en paix ?-
Sharon a des objectifs bien précis. Nous devrions passer outre et nous unir aux
promoteurs de la justice, de la paix et des droits de l’homme qui se trouvent en
Israël, ainsi qu’aux opposants au racisme. Nous devons également poursuivre
notre résistance pacifique contre l’occupation israélienne. Il faut que les
Palestiniens combattent l’injustice armés de la seule force de la justice. Plus
que jamais, le monde est prêt à nous soutenir, tout comme il est parvenu à
désintégrer la structure raciste de l’Afrique du Sud. Mais toutes ces actions
dépendent d’abord et avant tout des Palestiniens eux-mêmes.
14. Autour de
Jérusalem, la vie à l'heure du "mahsom"… par Philippe Broussard
in
Le Monde du jeudi 30 août 2001
QALANDIYA de notre envoyé spécial
Le
barrage militaire de Qalandiya ne figure pas sur les cartes routières
israéliennes et n'y figurera sans doute jamais. A quoi bon signaler quelques
blocs de béton, des barbelés rouillés, deux guérites de surveillance et une
demi-douzaine de soldats en armes suant à grosses gouttes sous leurs gilets
pare-balles? Les alentours présentent guère plus d'intérêt: à gauche, s'étire la
piste d'un aéroport abandonné ; à droite, un terrain rocailleux, où seuls les
moutons trouvent encore leur bonheur. C'est pourtant ici, entre Jérusalem et
Ramallah, que le blocus israélien des territoires palestiniens prend tout son
sens. Bien sûr, il existe des dizaines d'autres "check-points", dont
l'importance varie en fonction du lieu et des tensions du moment. Mais celui de
Qalandiya, porte d'accès aux faubourgs nord de la ville sainte, fait figure de
symbole. Pour la population arabe, c'est un lieu d'impatience et d'humiliation.
L'armée israélienne, elle, y voit un outil antiterroriste. Deux logiques, un
seul nom : Qalandiya.
En théorie, seuls les Palestiniens détenteurs de cartes
de résidents ont le droit de pénétrer à Jérusalem. Les autres, à commencer par
ceux de Cisjordanie, seront refoulés. Peut-être pas ici, où les soldats
effectuent avant tout un préfiltrage, mais sûrement au barrage suivant, à Ram.
Dans tous les cas, Qalandiya est un point de passage obligé pour les personnes
–et elles sont plusieurs dizaines de milliers dans les environs– disposant des
papiers appropriés. Ce "check-point" perturbe tant la vie quotidienne que le
terme hébreu mahsom (barrage) est désormais connu de tous les Arabes. Même les
anciens l'emploient, jusqu'à l'obsession, jusqu'à la haine. Trois heures pour
rallier la mosquée Al-Aqsa? La faute au mahsom. Une heure de retard au bureau?
Le mahsom. Des embouteillages, la fatigue, un malaise? Le mahsom, le mahsom, le
mahsom…
Dès le début de la matinée, Qalandiya s'anime. Voitures et camions
s'alignent en plein soleil, pare-chocs contre pare-chocs. Parfois, lorsque les
soldats ont décidé de prendre leur temps ou reçu des consignes de vigilance,
l'attente peut durer plusieurs heures dans la puanteur des gaz
d'échappement.
Des milliers de candidats au passage préfèrent donc aller à
pied. Ils se font déposer en taxi, empruntent un chemin de sable, sans être
contrôlés –ce qui autorise à s'interroger sur l'utilité du dispositif– et
parviennent de l'autre côté, où ils montent dans un autre taxi collectif, qui
les conduira à destination, à condition, évidemment, de franchir le barrage de
Ram. Matin et soir, dans un sens puis dans l'autre, défilent ainsi des femmes
hors d'âge, le front en sueur; des gamins exténués; des maçons avec leurs sacs
de plâtre ou de ciment; des vendeurs de tout et de rien (chaussettes, légumes,
crayons de couleur…); des étudiants pressés; des vieillards impotents; des
ménagères aux bras chargés de sacs…
POUR SE RENDRE À L'HÔPITAL...
"Les
gens en viennent à louer un logement à Jérusalem pour ne plus avoir à passer par
là", assure un commerçant. "C'est invivable, confirme Leila, employé à la
municipalité de la ville sainte. Ma mère de soixante-quinze ans devait se rendre
à l'hôpital pour un problème cardiaque. Comme c'était embouteillé, l'ambulance
est restée bloquée. Il a fallu porter maman de l'autre côté et prendre une
deuxième ambulance! Au barrage suivant, nous avons dû recommencer et appeler une
troisième ambulance. Quatre heures pour faire quinze kilomètres!" Nafez, un
enseignant d'une quarantaine d'années, assure que "les Israéliens plantent la
haine dans le cœur de nos enfants". Et la situation devrait empirer le 1er
septembre, jour de la rentrée scolaire. "Il faudra lever les gosses à 5 heures
du matin!", s'inquiète par avance une mère de famille.
Au sud de Jérusalem,
un autre mahsom barre l'accès aux Palestiniens venant de Bethléem et des
communes voisines, où les échanges de tirs se sont multipliés ces dernières
semaines. Au moins l'endroit est-il bien aménagé: les piétons empruntent un
passage spécial et doivent tous présenter leurs papiers. Ceux qui n'en ont pas
tenteront peut-être leur chance par le terrain vague d'à côté, mais il leur
faudra marcher vite, car la police veille.
Et puis ce mahsom n'a pas très
bonne réputation. L'autre jour, un soldat a stoppé un vieillard sur son âne. "Je
ne suis jamais monté sur une bestiole comme ça, lui a-t-il lancé, je vais
essayer." Il a ensuite enfourché la bête, rigolant comme un bienheureux sous le
regard du vieil homme. Le lendemain, quatre prêtres catholiques n'ont pas été
mieux traités. "Vous êtes des curés? leur a demandé un militaire, d'un ton
moqueur. Vous voulez qu'on vous trouve des filles?"
"FATIGUE ET
HUMILIATION"
En ce vendredi matin, il n'y a pas foule à ce barrage-là. Deux
parachutistes d'une vingtaine d'années, mitraillettes en main, inspectent les
voitures. L'un d'eux se réjouit de voir arriver un camion conduit par un
Palestinien. "C'est mon ami!", assure-t-il en serrant la main du conducteur.
"Nous voulons la paix, n'avons rien contre le peuple, promet-il. Seulement
contre les terroristes." De fait, les deux soldats sont sympathiques. "Il n'y a
pas que des mauvais gars, confirme un Palestinien de Beit Jala, près de
Bethléem. Pour eux, c'est une corvée. Parfois, aussi, ils ont peur. Mais les
gens en ont assez. Il faut avoir assisté aux contrôles de vieilles femmes,
pleines de fatigue et d'humiliation, pour le comprendre…"
Après onze mois de
blocus, ces barrages cristallisent les tensions. Une soixantaine de femmes
israéliennes ont constitué une association (Mahsom Watch) pour s'en indigner et
veiller, sur le terrain, au respect des droits de l'homme. "Tout cela n'a rien à
voir avec la sécurité, il s'agit en fait de rabaisser les Palestiniens", accuse
Judith Keshet, la présidente de cette association. Les autorités militaires lui
opposent un argument de poids: les attentats-suicides. Soucieuse de son image et
consciente de certaines dérives, l'armée a tout de même annoncé qu'au moins un
officier et un représentant de l'administration civile seraient dorénavant
présents à chaque barrage, pour limiter les risques de dérapage.
15. Chef de la
délégation égyptienne à la conférence préparatoire de Genève contre le racisme
(30 juillet - 10 août), l'ambassadeur Fayza Aboul-Naga révèle la stratégie du
Caire et des autres pays arabes lors de la conférence - "La priorité est
d'arrêter les violations israéliennes des droits de l'homme" propos
recueillis par Hicham Mourad
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du
mercredi 29 juillet 2001
— Al-Ahram Hebdo : Les Etats-Unis et
les pays européens ont demandé aux Etats arabes de renoncer à leur volonté
d'inscrire à l'ordre du jour de la Conférence de Durban une disposition
assimilant le sionisme au racisme. Quelle était la réaction des gouvernements
arabes ?
— Fayza Aboul-Naga : Il faut constater que les deux
dernières conférences sur le racisme ont été tenues alors que la résolution de
l'Assemblée générale de l'Onu, adoptée en 1975, assimilant le sionisme au
racisme, était toujours en vigueur. Mais la Conférence de Durban se tient 10 ans
après l'annulation de cette résolution en 1991. Partant, les organisations
sionistes mondiales ont lancé une grande campagne médiatique soutenant que les
pays arabes provoqueraient l'échec de la Conférence de Durban en insistant à
inscrire la question du sionisme à l'ordre du jour. Et par conséquent, ils
doivent en porter la responsabilité. Mais en réalité, les documents de la
conférence ne comprennent aucune mention traduisant une volonté de faire revivre
la résolution déjà mentionnée.
L'Egypte croit que la question d'Israël et de
la situation dans les territoires palestiniens occupés peut être abordée à la
Conférence de Durban à partir de deux axes se rapportant aux droits de l'homme,
ceux du passé et du présent.
D'abord, il est à noter que la conférence traite
avec le passé, le présent et l'avenir. Et la question palestinienne est tout à
fait conforme à cette optique. Car il s'agit d'un peuple qui souffre de
l'occupation israélienne depuis plus d'un demi-siècle. Cette occupation, qui
dure, se caractérise par des pratiques sauvages et des politiques agressives et
discriminatoires. Partant, la position de l'Egypte et des pays arabes, soutenus
par les membres de l'Organisation de la conférence islamique, est basée sur le
fait que tant l'Occident et l'Etat hébreu insistent à ce que les documents de la
conférence qui se rapportent au passé fassent référence à l'holocauste et à
l'antisémitisme, il est nécessaire qu'il y ait un certain équilibre. Et par
conséquent, nous insistons à faire référence aux courants hostiles à l'islam et
aux Arabes ainsi qu'aux massacres perpétrés par Israël contre les Palestiniens
depuis 1948.
Pour ce qui est du présent, la position prise par l'Egypte est
tout à fait claire. Elle a été confirmée à maintes reprises par le ministre des
Affaires étrangères, Ahmad Maher. D'après cette position, il est impossible
qu'une conférence concernée par les droits de l'homme telle la conférence de
Durban, qui se tient en vue de lutter contre le racisme et la discrimination
raciale, ignore les pratiques israéliennes sauvages et agressives auxquelles
sont soumis les Palestiniens quotidiennement d'une manière inacceptable pour la
conscience mondiale et humaine. Sinon ce serait ridicule. Mais les Etats-Unis,
l'Europe et, bien entendu, Israël s'opposent à ceci et considèrent que toutes
allusions dans le cadre de cette conférence à Israël est une tentative de faire
revivre l'ancienne résolution de l'Assemblée générale qui assimile le sionisme
au racisme.
— Y aurait-il des divergences entre les gouvernements
arabes et les pays en voie de développement, notamment les Etats africains,
concernant l'introduction d'une clause assimilant le sionisme au racisme
?
— Il n'existe pas de différences entre la position de l'Egypte
quant à l'assimilation du sionisme au racisme et celle des autres pays en voie
de développement ou celle des Etats africains. Car tous ces Etats n'ont pas
cherché à présenter, lors de la conférence préparatoire de Genève, des formules
rendant le sionisme équivalent au racisme. Ces Etats ne font pas non plus de
cette question une priorité lors de la Conférence mondiale contre le racisme à
Durban. Mais, je tiens ici à faire la distinction entre la question
d'assimilation du sionisme au racisme et celle des politiques israéliennes et de
la situation déplorable dans les territoires palestiniens occupés ainsi que des
violations continues des droits du peuple et de l'homme palestiniens qui doivent
être abordées à la conférence.
— Quelle est la position de l'Egypte
et des autres pays arabes quant aux demandes de réparations formulées par les
Etats africains aux pays responsables de la période d'esclavage ?
—
L'Egypte fait partie intégrante de l'Afrique. Par conséquent, elle, ainsi que
tous les pays arabes, soutient les demandes des pays africains qui réclament des
réparations aussi bien que des excuses aux Etats responsables de la période de
l'esclavage. Nous constatons que la position des pays africains en ce qui
concerne la question de réparations est devenue plus souple. Le groupe des pays
africains trouve que ces réparations ne doivent pas nécessairement prendre une
forme matérielle. Elles peuvent être un engagement à soutenir les Etats
africains dans leurs plans de développement. Et ce, dans le cadre de « la
nouvelle initiative africaine » approuvée par le sommet de l'Organisation de
l'unité africaine à Lusaka en juillet 2001 et qui avait été lancée par cinq
chefs d'Etat africains, à savoir les présidents égyptien Hosni Moubarak,
sud-africain Thabo Mbeki, nigérian Olusegun Obasanjo, sénégalais Abdulaye Wade
et algérien Abdelaziz Bouteflika.
— Avez-vous discuté de compromis
sur les deux questions controversées, l'assimilation du sionisme au racisme et
les réparations demandées par les Etats africains, permettant la réussite de la
conférence de Durban ?
— La question de l'assimilation du sionisme
au racisme n'a pas été abordée au cours de la conférence préparatoire de Genève.
Car l'Egypte ainsi que la plupart des pays arabes ont fait clairement savoir que
leur priorité lors de la conférence de Durban est que les documents de celle-ci
doivent faire mention claire des pratiques sauvages israéliennes contre le
peuple palestinien.
Quant à la question des réparations pour la période de
l'esclavage, les pays africains, comme nous l'avons déjà dit, ont fait montre
d'une grande souplesse. Pourtant, ni les Etats-Unis, ni les pays européens n'ont
accepté de faire référence à des réparations ou à des excuses dans les documents
finaux de la Conférence de Durban. Ils ont également refusé de faire référence à
Israël. C'est cette position qui a fait que la conférence de Genève ne soit pas
parvenue à un accord concernant ces questions. Celles-ci seront portées devant
la Conférence de Durban.
— Les Etats-Unis ont menacé de boycotter la
conférence de Durban si les Etats arabes et africains insistent à inclure ces
deux questions dans les documents de la conférence. Quels pourraient être les
effets d'un tel boycottage ?
— L'Egypte tient à ce que les
Etats-Unis participent à la Conférence de Durban. Pourtant, la décision de
participer ou de ne pas participer revient aux seuls Etats-Unis. L'Egypte ne
pense pas que le boycott américain de la conférence de Durban signifie sa fin,
bien que ceci ait certainement des impacts sur l'efficacité de ses résolutions.
Les Etats-Unis et l'Etat hébreu avaient déjà boycotté les deux anciennes
conférences mondiales contre le racisme tenues respectivement en 1978 et
1983.
Nous devons prendre en considération également que les Etats-Unis, en
tant qu'unique superpuissance au monde à l'heure actuelle et étant donné qu'ils
prennent des positions et des décisions concernant la protection des droits de
l'homme, doivent jouer un rôle actif dans la Conférence de Durban et par
conséquent, leur absence ne servira en rien leurs principes et ôtera de la
crédibilité à leurs positions.
— L'Egypte a-t-elle préparé un plan
visant à réconcilier les points de vue divergents ?
— L'Egypte —
dans le cadre du groupe islamique — a préparé un papier à négocier qui fait
référence aux pratiques illégales et sauvages d'Israël contre le peuple
palestinien et appelle la communauté internationale à assurer une protection
internationale au peuple palestinien. Nous nous sommes déclarés prêts à négocier
ces formules avec les autres Etats et groupes d'Etats, lors de la conférence
préparatoire de Genève. Mais les délégations des Etats-Unis et d'Israël n'ont
pas fait preuve de souplesse.
— Quelle sera donc la stratégie de
l'Egypte, et des pays arabes, à la conférence de Durban ?
— D'après
une lecture pratique et objective des positions des Etats membres des
Nations-Unies, nous devons comprendre que la priorité — en ce qui concerne
l'action diplomatique menée sur le plan international — doit être donnée à
révéler et à dénoncer les pratiques israéliennes au sein des diverses instances
internationales. Et ce, afin de parvenir à un résultat qui sert la cause
palestinienne et contribue à mettre fin à la souffrance du peuple palestinien et
à l'occupation israélienne. Cela étant, il faut assurer le soutien international
nécessaire pour de tels efforts. C'est ce que l'Egypte et les pays arabes
tentent de faire partout, y compris à la Conférence de Durban. Car pour accéder
au soutien international, il faut qu'il y ait un travail et un effort continus,
notamment à la lumière des pressions intensives et continues qu'exercent les
pays qui soutiennent Israël.
16. Volontaires de la mort : les raisons de
l'absurde par François Géré
in Libération du mercredi 29 août
2001
(François Géré est directeur scientifique de la Fondation
pour la recherche stratégique.)
Dans un article de Libération des 11
et 12 août 2001, Jean-Pierre Perrin a attiré l'attention sur un point capital de
la guerre actuelle : la préparation des volontaires de la mort (VM)
palestiniens.
Tout comme le furent Français et Américains, d'abord au
Viêt-nam, puis au Liban, les Israéliens semblent également désemparés tant dans
leur riposte que dans l'analyse qu'ils font du phénomène. Après avoir cru, l'an
passé, pouvoir le maîtriser par des représailles efficaces, économiques et
militaires, ils en sont à constater l'irrépressible développement d'une pratique
guerrière certes exceptionnelle, mais fort ancienne. Elle se retrouve au fil des
siècles, à travers le monde: sectes de tueurs comme les Ashishin en Syrie au
XIVe siècle, au Japon, au Viêt-nam, nihilistes russes, à l'heure actuelle, les
commandos tamouls au Sri Lanka.
La «fabrication» d'un VM fait appel à des
techniques connues et éprouvées. L'isolement du candidat de son milieu familial
et social et son agrégation à un groupe «sublime» où se confondent les classes
sociales, le niveau d'instruction, les aptitudes physiques. Toutes les
inégalités sont dépassées par le culte d'une idée fixe: la mort pour la cause,
dont le responsable politico-religieux entretient constamment les futurs élus.
Au sein de ce groupe forclos, l'émulation joue un rôle essentiel par la
pratique d'exercices physiques et spirituels communs où chacun s'exalte à
prétendre faire mieux que les autres le jour venu. Le recours à certaines
drogues euphorisantes peut aider. Toutefois, on ne les utilise qu'avec
modération. Certes, il faut parfois inhiber certains obstacles physiologiques:
aucun corps humain n'est spontanément disposé à sa destruction; en dépit de la
volonté, l'instinct de conservation doit être parfois «endormi». Nous ne savons
d'ailleurs rien de tous ceux qui ont dû «craquer» au dernier moment. Mais, pour
l'essentiel, il importe que le guerrier dispose de la plus grande lucidité lors
de l'accomplissement de son acte. Voilà pour la technique.
D'un point de vue
purement opérationnel, en dehors de toute considération morale, l'action des
volontaires de la mort appelle trois remarques:
1. Convenablement préparé,
le volontaire de la mort représente la meilleure de toutes les armes, précise et
intelligente, parce que c'est un vrai cerveau humain, capable de produire ce
qu'aucun missile de croisière, aucun ordinateur, aucune intelligence
artificielle ne saurait apporter. Il est précis dans l'espace et dans le temps.
2. Le recours aux VM constitue une tactique de guerre asymétrique: face au
fort puissamment armé, disposant d'une véritable armée dotée d'une écrasante
supériorité technologique, le faible recourt à l'arme suprême: l'homme.
3.
Les VM n'utilisent pas d'armes de destruction massive. L'explosif ordinaire, les
rafales de balles produisent l'effet de destruction et de terreur voulu,
nécessaire et suffisant. Une arme chimique ou biologique, ne parlons même pas du
nucléaire, présente une trop grande complexité. En outre, l'incertitude sur les
modalités de la dispersion ne convient pas dans un environnement où voisinent
amis et ennemis.
Ceci posé, la somme de ces problèmes techniques et
tactiques ne vaudrait pas grand-chose si elle ne relevait d'un ordre infiniment
supérieur. Le volontariat de la mort ne peut en effet exister et se développer
efficacement que s'il s'appuie sur un système de croyances (une symbolique) et
une cause (une finalité politique) suffisamment puissantes pour que des
individus choisissent d'entrer dans ces confréries fatales où ils seront
entraînés à mourir glorieusement.
On utilise souvent la référence au
kamikaze japonais. Elle n'est que partiellement exacte. Comme l'a indiqué
Maurice Pinguet, dans son extraordinaire ouvrage la Mort volontaire au Japon
(Gallimard), le kamikaze obéit à un devoir symbolique et non à une conviction
politique. D'admirables recueils de lettres écrites par «ceux qui vont mourir
pour l'Empereur» exposent l'horreur profonde de jeunes hommes qui acceptent le
sacrifice en sachant combien il est inutile et qui ne manifestent pas la moindre
adhésion à l'égard de la politique de leur gouvernement.
L'efficacité
actuelle des volontaires de la mort palestiniens vient de la conjonction
exceptionnelle du symbolique et du politique. C'est cela que les sociétés
occidentales, ne disposant plus que d'une symbolique appauvrie, ne comprennent
plus, tant leur rapport à la mort s'est totalement transformé. La relation
d'échange (que seuls prennent encore en compte les psychanalystes et les apôtres
de René Girard) est tarie.
Là-bas, dans la logique du djihad, celui qui va
mourir non seulement souscrit à un impératif, mais il se sait déjà riche des
justes rétributions du pieux sacrifice de lui-même.
Ici, dans le monde
occidental, ce don de la vie a perdu et sens et valeur. Aucune compensation
crédible, même plus de culpabilité. Les fantômes qui réclamaient leur dû ont
quitté les vivants occidentaux. On meurt gratuitement, par libre exercice de sa
bêtise et de son irresponsabilité. Si bien qu'un week-end de Pentecôte sur les
routes de France n'est pas moins meurtrier qu'un mois d'affrontements en
Cisjordanie.
L'État hébreu n'échappe pas à la règle. Démocratique,
permissive, foncièrement matérialiste et mécréante, la société israélienne
s'engage imprudemment dans un bras de fer sans en avoir les ressorts spirituels.
Il se peut que cela soit encore vrai dans l'esprit de M. Sharon (et de ses
anciens compagnons d'armes). Mais son époque est révolue, en raison même de la
mutation de la société qu'il dirige aujourd'hui. Il semble ne pas avoir pris
conscience que le principe du «zéro mort» et le refus des pertes guident
l'engagement des forces de son propre pays.
La seconde et ultime raison,
tout à fait réelle, de la puissance des VM, c'est qu'il existe bel et bien une
cause politique palestinienne, faite de sang versé, de strates d'humiliations,
de frustrations déposées sur quatre générations (le renouvellement des
générations est très court chez les Palestiniens) et qu'il est impossible
d'échapper à son traitement politique.
La nature de la société israélienne
est devenue telle qu'elle ne peut pas espérer gagner sur le terrain symbolique.
Nul ne pourra restaurer ce temps biblique où, au cœur de la bataille, se
sacrifièrent les frères Maccabées. Quel que soit son gouvernement, Israël n'a
donc qu'à s'engager plus résolument que jamais sur le terrain politique, là où
il peut encore marquer des points et désamorcer efficacement les bombes
vivantes. Ironiquement, c'est une question de survie.
17. Amira Hass :
La vie sous occupation israélienne par une Israélienne par Robert
Fisk
in The Independent (quotidien britanique) du dimanche 26 août
2001
[traduit de l'anglais par Rosine
Longuet]
Lorsque Amira Hass essaie d'expliquer sa
vocation de journaliste, elle évoque un moment crucial de la vie de sa mère. Par
une journée d'été 1944, Hannah Hass fut amenée dans des wagons à bestiaux au
camp de concentration de Bergen-Belsen. «Elle a voyagé avec d'autres femmes
pendant dix jours dans ce train venant de Yougoslavie. Certaines étaient
malades, d'autres mourantes. Ma mère a alors vu ces femmes allemandes regardant
passer les prisonnières, sans faire autre chose que de les regarder. Cette image
a été au centre de mon éducation, cette attitude méprisable qui consiste à
"regarder passer". C'est comme si je m'étais trouvée là et que je les aie vues
moi-même.» Amira Hass vous regarde droit dans les yeux au travers de ses fines
lunettes lorsqu'elle parle, afin de s'assurer que vous avez bien compris
l'importance de l'Holocauste dans sa vie.
Dans son livre "Boire la mer à
Gaza", Amira Hass explique clairement pourquoi elle, journaliste israélienne,
est venue s'installer dans le minuscule État de Yasser Arafat, jonché de
détritus. «Au bout du compte», écrit-elle, «mon désir de vivre à Gaza n'est pas
dû à un goût de l'aventure ou à la folie, mais à cette peur de n'être qu'une
spectatrice, à mon besoin de comprendre jusqu'au plus infime détail, un monde
qui pour moi, politiquement et historiquement, est une création israélienne.
Pour moi, Gaza résume l'histoire de tout le conflit israélo-palestinien; elle
représente le nœud de la contradiction de l'État d'Israël - démocratie pour les
uns, dépossession pour les autres; c'est notre talon d'Achille.»
Elle vit à
présent dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie - avec les Palestiniens que
beaucoup d'Israéliens considèrent comme des «terroristes», écoutant les
malédictions des Palestiniens contre «les Juifs» qui les ont dépossédés de leurs
terres qu'ils ont confisquées, contre les escadrons de la mort et les colonies -
Amira Hass fait partie des reporters les plus courageux. Elle met dans sa
chronique quotidienne dans Ha'aretz toute son indignation sur la manière dont
son propre pays, Israël, traite et tue les Palestiniens. Ce n'est cependant que
lorsque vous la rencontrez que vous mesurez l'intensité - la passion - qu'elle
met dans son travail. «On se trompe en pensant qu'un journaliste peut être
objectif», dit-elle en me fixant à nouveau droit dans les yeux pour s'assurer
que je comprends bien. «Les Palestiniens disent que je suis objective. Je
considère que c'est important, puisque je suis Israélienne. Mais il y a une
différence entre être juste et être objectif. Le rôle du journaliste, en fait,
est de surveiller le pouvoir et les centres de décision.»
Chaque jour, Amira
Hass écrit un essai sur le désespoir; il s'agit d'une narration chronologique
qu'elle poursuit en parlant de sa vie propre et de celle de ses parents: sa
mère, Juive de Sarajevo qui a rejoint les partisans de Tito et a été obligée de
se rendre aux Nazis lorsqu'ils ont menacé de tuer toutes les femmes de la ville
de Cetinje, au Monténégro; son père Avraham qui a passé quatre ans dans le
ghetto de Transnistrie, échappant à une épidémie de typhus pour y perdre ses
orteils gelés.
Il est essentiel de connaître l'histoire d'Hannah et d'Avraham
pour comprendre Amira. «Mes parents sont venus s'installer naïvement en Israël.
On leur a donné une maison dans Jérusalem, mais ils l'ont refusée. Ils ont dit:
"Nous ne pouvons pas prendre la maison d'autres réfugiés." Il voulaient parler
des Palestiniens. Vous voyez, ce n'est pas si étonnant que j'écrive comme je le
fais, que je vive parmi les Palestiniens.» Amira Hass est devenue journaliste
par hasard. Elle a fait mille petits boulots pour survivre - même femme de
ménage - et est allée en Hollande. «Là, j'ai ressenti l'absence de réalité
juive. Et cela m'a appris beaucoup de choses, plus particulièrement sur mon
attitude face à Israël, ou comment ne pas être sioniste. Israël, c'est l'endroit
auquel j'appartiens, la langue, les gens, la culture, les couleurs...»
Amira
Hass a laissé tomber l'Université Hébraïque où elle faisait des recherches sur
l'histoire des Nazis et l'attitude de l'Europe face à l'Holocauste. «Je ne
pouvais pas faire autrement. Lorsque la première Intifada a éclaté, je n'avais
pas l'intention de rester assise à faire des recherches avec tous ces
événements. J'ai utilise le "wasta" - vous connaissez ce mot arabe? - pour
obtenir un boulot de secrétaire de rédaction dans le service des informations de
Ha'aretz en 89.» Wasta signifie «piston» ou «influence». Ha'aretz est un journal
libéral, libre penseur, le plus proche en Israël de ce qu'est The Independent.
Lorsque la révolution a éclaté en Roumanie, Amira Hass a demandé à y être
envoyée afin de couvrir l'événement - elle y avait de nombreux contacts depuis
une visite à Bucarest en 1977 - et à sa grande surprise, Ha'aretz a accepté,
alors qu'elle n'était au journal que depuis trois mois.
«Lorsque j'étais
allée en Roumanie auparavant, j'ai eu le sentiment que j'avais la responsabilité
philosophique de ressentir la vie sous ce régime socialiste», dit-elle. «C'était
mille fois pire que ce que j'avais imaginé. Il y avait cette terrible pression -
la vie sous l'occupation Israélienne est moins dure que celle dans la Roumanie
de Ceausescu. L'oppression y était incroyable. J'ai donc couvert la révolution
pendant deux semaines et je suis revenue au journal. Ha'aretz ne savait pas si
je savais écrire - moi, si. Mais je savais également ne pas regarder ce que les
autres journalistes recherchent.»
En 1990, avec les encouragements de ses
parents, elle a rejoint un groupe appelé Workers' Hotline, qui aide les
Palestiniens abusés par leurs employeurs israéliens. «Pendant la guerre du
Golfe, je suis arrivée à Gaza sous le couvre-feu - j'étais venue remettre à des
Palestiniens des chèques de leurs employeurs israéliens. C'est là qu'a commencé
mon histoire d'amour avec Gaza. Aucun journaliste israélien ne connaissait ou ne
couvrait Gaza. Mon chef de rédaction a été très compréhensif. Lors du "processus
de paix" en 1993 (Amira Hass demande que cette expression soit mise entre
guillemets), Ha'aretz m'a proposé de couvrir Gaza. L'un des secrétaires de
rédaction m'a dit: "On ne vous demande pas de vivre à Gaza." J'ai su
immédiatement que c'était là que je voulais vivre.»
Elle se souvient que dès
le début «les Palestiniens ont eu une attitude très chaleureuse; ils cultivaient
le sens de l'humour malgré ces conditions pénibles.» Lorsque je lui ai suggéré
que c'est peut-être un caractère commun avec les Juifs, elle a immédiatement
acquiescé. «Bien sûr. Je suis Juive d'Europe de l'Est, et je porte en moi la vie
du shtetl. Il me semble qu'à Gaza j'ai retrouvé un shtetl. Je me souviens avoir
rencontré des réfugiés du camp de Jabalya assis sur une plage. Je leur ai
demandé ce qu'ils faisaient. L'un d'entre eux m'a répondu qu'il attendait
d'avoir 40 ans; il serait alors suffisamment âgé pour avoir le droit de
travailler en Israël. C'était une vraie blague juive.»
Toutefois, Amira Hass
n'a trouvé aucun humour dans la politique israélienne de «bouclage» et de siège
des villes palestiniennes, d'étranglement de leur économie et de leur
population. «J'ai senti, dès 1991, que la politique de "bouclage" était une
mesure très habile du système d'occupation israélien, une sorte de frappe
préventive», dit-elle. «La manière dont elle débilite toute action et toute
réaction palestinienne est surprenante. Les "bouclages" avaient également un
objectif: la séparation démographique, par laquelle les Juifs avaient le droit
de se déplacer dans tout le territoire de la Palestine mandataire. La politique
de "bouclage" a permis de mener ce système vers sa perfection.»
Amira Hass a
été choquée par la différence entre l'image des Palestiniens et la réalité.
«Leurs villes étaient décrites dans la presse israélienne comme des "nids de
frelons". Mais je souhaitais ressentir réellement ce que cela signifiait de
vivre sous occupation, avec le couvre-feu, la peur des soldats. Je voulais
savoir ce que c'était qu'être Israélienne sous l'occupation israélienne.» Elle a
utilisé à nouveau le mot «ressentir», comme lors de sa description de la
Roumanie sous la dictature. Elle déclare penser encore au voyage de sa mère
jusqu'à Belsen. «C'était cette idée de non-intervention, d'immobilisme. Et j'ai
eu la chance de pouvoir la faire passer dans le journalisme.» Amira Hass est
persuadée que le changement ne peut provenir que de mouvements sociaux et de
leur interaction avec la presse; une idée étrange, qui paraît quelque peu
illogique.
Cependant, sa vocation est nettement affirmée. Selon elle, «Israël
est réellement le centre décisionnel qui régit la vie des Palestiniens. En tant
qu'Israélienne, mon devoir de journaliste est de surveiller le pouvoir. Je suis
officiellement correspondante pour les affaires palestiniennes. Mais il serait
plus juste de dire que je suis experte pour les questions concernant
l'occupation israélienne.» Israël réagit violemment à son encontre. «Je reçois
des messages me disant que je dois avoir été un kapo [un surveillant juif de
camp pour le compte des Nazis] dans une précédente incarnation. J'ai même reçu
un e-mail disant: "Bravo, vous avez écrit un article formidable - Heil Hitler!"
Quelqu'un m'a souhaité d'attraper un cancer du sein. "Tant que nous n'aurons pas
chassé tous les Palestiniens, il n'y aura pas de paix", disent certains. Je ne
peux pas leur répondre, car je reçois des milliers de messages de ce
type.»
Cependant, nombreux sont les Israéliens qui demandent à Amira Hass de
continuer à écrire. «Les gens se sont trompés en croyant qu'avec Oslo il
s'agissait d'un processus de paix, et ils ont été extrêmement furieux contre les
Palestiniens. Une partie de leur colère s'est reportée sur moi. Les Israéliens
ne vont pas dans les Territoires occupés. Ils ne voient pas avec leurs propres
yeux. Ils ne voient pas un village palestinien avec une colonie sur ses terres,
un village qui n'a pas d'eau et qui a besoin de la permission du gouvernement
pour planter un arbre, sans parler de la construction d'une école. Les gens ne
comprennent pas comment la dissémination des colonies juives permet à Israël de
contrôler le territoire palestinien.»
Lorsque sa mère était mourante, au
printemps dernier, Amira a eu peur d'être prise au piège par le siège israélien
de Ramallah - où elle vit actuellement - et elle a passé des heures à parcourir
les quelques kilomètres menant à Jérusalem. À présent, elle est seule. La femme
qui lui a appris à mépriser ceux qui «regardent passer» est morte il y a deux
mois.
18. Un sociologue
israélien met en évidence la droitisation de la rue israélienne et redoute son
influence sur la jeune génération - Des enfants israéliens parlant des
Palestiniens : "Ce sont des êtres mauvais assoiffés de sang... Le mieux, c'est
qu'ils crèvent du sida..."
in Al-Hayat (quotidien arabe publié à
Londres) du samedi 25 août 2001
[traduit de
l'arabe par Marcel Charbonnier]
Nazareth - Asi
Sha'rabi, ancien officier dans l'unité de "lutte anti-terroriste" de l'armée
israélienne, qui étudie actuellement la psychologie sociale dans une université
londonienne, avoue qu'il n'aurait jamais osé imaginer, même dans ses pires
cauchemars, l'étendue de la haine raciste que les enfants israéliens nourrissent
à l'encontre des enfants palestiniens de leur âge, "même si j'avais déjà pleine
conscience de l'évolution droitière en cours au sein du peuple israélien, depuis
le déclenchement de l'Intifada".
M. Sha'rabi a préparé une thèse consacrée à
la vision que des enfants juifs israéliens de huit à dix ans ont des enfants
palestiniens de leur génération, ainsi que l'étendue de leur compréhension du
conflit israélo-palestnien. A cette fin, il a interrogé un échantillon de
quatre-vingt quatre enfants israéliens, après l'attentat (suicide) contre une
discothèque de Tel Aviv. Il a demandé à chacun de ces enfants d'envoyer une
lettre à un enfant palestinien, en l'accompagnant de dessins exprimant ce qui
lui passe par la tête. Le résultat, a indiqué Shar'abi au journal israélien (en
hébreu) Ma'ariv, a été que "la haine enflamme d'une manière effrayante le cœur
des enfants juifs, qui ont représenté les enfants palestiniens de leur âge comme
portant de longues chevelures hirsutes et munis de grandes canines acérées, (des
êtres qu'ils préféreraient voir) mourir du sida ou brûler dans les bûchers
éternels de l'enfer". Le fait est que la description revenant le plus souvent
chez les enfants israéliens en ce qui concerne les Arabes (des "êtres mauvais,
repoussants, assoiffés de sang") montre que ces enfants reçoivent une éducation
basée sur des préjugés racistes. Les livres scolaires ne sont pas exempts des
poisons de la vision sioniste impitoyable pour l'homme palestinien et arabe, en
général, rejeté pour la simple raison qu'il est palestinien ou arabe. La
"nourriture spirituelle" (des jeunes Israéliens) ne se cantonne pas aux seuls
manuels scolaires, mais elle est prégnante également dans les matériels
didactiques et les livres d'enfants les plus populaires, qui développent chez
leurs jeunes lecteurs une haine aveugle à l'encontre des Arabes, un déni total
de leur parole et de leur intelligence, auxquels s'ajoute le déni de leur droit
au pays et la nécessité de les liquider physiquement ou de les nettoyer
ethniquement.
D'après Shar'abi, qui ne cache pas sa stupéfaction attristée
devant les constats de son étude, et qui a ressenti une certaine pudeur et une
grande gêne lorsqu'est arrivé le moment de les présenter à son directeur de
thèse, professeur dans une université britannique, relève aussi que les enfants
qui y ont participé ont évoqué leur aspiration à la paix. Mais il s'agit d'une
paix "creuse", selon ses propres termes. Il a ajouté que "la paix, aux yeux des
enfants (israéliens), est possible avec les Arabes, mais cela ne signifie pas
pour autant qu'il ne faille pas les tuer et les exterminer jusqu'au dernier"...
Le chercheur attire l'attention sur le fait que les enfants citadins se sont
révélés généralement plus extrémistes que ceux des colonies et des kibbutz. A
leurs yeux, "un bon Arabe, c'est un Arabe mort".
Parmi les exemples cités par
l'auteur de la thèse, une fillette juive a écrit à son hypothétique petite
correspondante palestinienne : "je te souhaite la mort à la suite d'une maladie.
J'attends (avec impatience) ta mort et je te la souhaite, à toi et à tous les
membres de ta famille". Une autre écrit ( "à la sale Arabe") : "... Je n'aime
pas du tout ce que vous nous faites. Nous (vous) le rendrons au centuple jusqu'à
ce que vous arrêtiez de tirer. Je souhaite que vous creviez tous".
La
majorité des enfants (juifs) renouvellent leurs "souhaits de mort". L'un d'entre
eux a dessiné un enfant palestinien portant la barbe, avec des dents acérées
apparentes. Les qualificatifs de "puant, sale, assassin, meurtrier, fou,
arriéré..." reviennent dans la plupart de leurs lettres.
Le chercheur cite la
transcription d'un débat entre cinq enfants qui discutent des moyens de mettre
un terme au conflit actuel. L'un des enfants propose des négociations en vue de
réaliser la paix, un deuxième lui oppose la nécessité de "faire sauter tous ces
salauds de Palestiniens", un troisième propose de bombarder les villes
palestiniennes, tandis que le quatrième tente de convaincre ce dernier de la
nécessité de négocier avec le président palestinien et que le cinquième conclut
en hurlant d'une voix suraigüe son exigence que les mosquées et les maisons
(palestiniennes) soient réduites en cendres par les bombardements. Le sociologue
retire de l'analyse de ce mini débat que les propos qu'avancent les enfants
reflètent exactement ceux que les Israéliens adultes échangent entre eux au
cours de leurs conversations, chez eux, au salon, qui reflètent de manière
concrète l'atmosphère droitiste qui domine dans la société israélienne et qui ne
peut qu'être renforcée par les positions officielles des gouvernants actuels
d'Israël.
19. Les écoles arabes en Israël entament une grève
d'avertissement de trois jours
in Al-Hayat (quotidien arabe publié à
Londres) du samedi 25 août 2001
[traduit de
l'arabe par Marcel Charbonnier]
La commission
supérieure de suivi de la condition des Palestiniens de 1948 (en Israël) a
décrété une grève d'avertissement de trois jours dans tous les établissements
scolaires arabes, motivée par l'absence de réponse du gouvernement israélien aux
demandes accrues en matière de budgets pour le système éducatif arabe et en
protestation contre les déclarations racistes de la ministre israélienne de
l'éducation nationale, Limor Livnat, qui avait conditionné l'attribution de
moyens financiers aux écoles arabes au degré de loyauté à l'égard d'Israël des
écoliers arabes qui les fréquentent.
La ministre avait notamment déclaré que
"quiconque entretient le souvenir de la Nakba (terme désignant pour les Arabes
la catastrophe qu'a représenté pour eux (seulement ?ndt) la création de l'Etat
d'Israël, en 1948) dans son école ne saurait se voir allouer un quelconque
budget."
La commission chargée des questions d'éducation a considéré ces
déclarations comme "amorales" et dénotant la mentalité arrogante et hautaine de
l'usurpateur du droit (des autres), qui considère les citoyens arabes
(d'Israël), enfants du peuple palestinien, comme une minorité négligeable et
dépourvue de droits, facile à domestiquer et à soumettre".
Cette commission a
ajouté, dans un communiqué, qu'elle persistera à offrir un programme éducatif
national aux étudiants arabes, insistant sur ses dimensions nationale
(pan-arabe, qawmiyy), individuelle, sociale et humaniste.
Par ailleurs, Mme
Livnat a décidé, par une mesure raciste, encore une fois, de procéder à la
remise de la carte d'identité israélienne, à laquelle accède tout Israélien de
seize ans accomplis, dans les écoles - arabes comme juives - au cours de
cérémonies officielles qui prendraient le caractère de "prestation de serment
d'allégeance" à l'Etat (israélien) pour les impétrants. La ministre a même prévu
les menus cadeaux symboliques qui seraient remis à cette occasion aux jeunes
citoyens : une partition de "l'hymne national israélien" ("pompé" sur "Ma Vlast
- La Moldau" de Bjedrish Smetana, musicien tchèque, ndt), pour les Juifs, et une
copie de la "Déclaration d'Indépendance" pour les Arabes... (ne remuons pas le
couteau dans la plaie... ndt)
La ministre s'était distinguée, il y a quelque
temps, en déclarant qu'elle avait l'intention de donner des consignes aux
établissements scolaires leur enjoignant l'ordre de scander chaque fin de
semaine en faisant entonner aux élèves "l'hymne national" (du pauvre Bjedrish
qui n'en peut mais, ndt), afin "d'entretenir la flamme du sionisme dans le cœur
des générations
montantes".