Point d'information Palestine > N°166 du 04/09/2001

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Association loi 1901 - Membre de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux (Trésorier)
Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
                       
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Au sommaire
        
Témoignage
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des citoyens de Palestine ou des observateurs. Ils sont libres de droits.
Qui sont ces gens ? C'est ça, mon peuple ? par Rebecca Elswit, étudiante juive américaine en Israël [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
 
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG.
1. Discours de Hanan Ashraoui devant la Conférence mondiale sur le racisme à Durban en Afrique du Sud, le 28 août 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
2. La paix de qui ? par Mumia Abu-Jamal [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. Réponse à M. Robert Badinter par Georges Labica, Président du Comité de vigilance pour une paix réelle au Proche-Orient (CVPR)
4. Lettre ouverte à M. Badinter par Christian Chantegrel
5. Lettre ouverte de l'Union Générale des Femmes Palestiniennes (General Union of Palestinian Women [traduit de l'anglais par Christian Chantegrel]
Revue de presse
1. A Durban, le "contre-sommet" des ONG accuse Israël de "génocide" par Fabienne Pompey in Le Monde du mardi 4 septembre 2001
2. Les points controversé du texte sur Israël Dépêche de l'Agence France Presse du lundi 3 septembre 2001, 11h32
3. Le Forum des ONG traite Israël d'Etat raciste par Buchizya Mszeteka Dépêche de l'agence Reuters du dimanche 2 septembre 2001, 18h02
4. Paix des braves au Proche-Orient par Paul Chemetov (Paris) dans la rubrique courrier des lecteurs du quotidien Le Monde du dimanche 2 septembre 2001
5. Mémoire et politique par Mohamed Jemal (ElMenzah, Tunisie) dans la rubrique courrier des lecteurs du quotidien Le Monde du dimanche 2 septembre 2001
6. Les camps de toile se multiplient dans le sud de la bande de Gaza Dépêche de l'Agence France Presse du dimanche 2 septembre 2001, 19h50
7. Sombre rentrée scolaire pour les enfants palestiniens par Jamie Tarabay Dépêche de l'agence Associated Press du dimanche 2 septembre 2001, 15h37
8. Un objecteur israélien : "Je refuse de participer à des crimes" propos recueillis par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du samedi 1er septembre 2001
9. Huissiers belges contre colonies par Agnès Gorissen in Le Soir (quotidien belge) du samedi 1er septembre 2001
10. L'engrenage fatal par Michèle Manceaux in Le Monde du vendredi 31 août 2001
11. Est-il interdit de critiquer Israël  ? par Pascal Boniface in Le Monde du vendredi 31 août 2001
12. Après deux jours d'occupation, l'armée israélienne se retire de Beit Jala (Cisjordanie) par Clyde Haberman in The New York Times (quotidien américain) du jeudi 30 août 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
13. Combattre Israël par des voies pacifiques : un entretien avec  Iyad As-Sarraj in Amin traduit dans Courrier Interbational du jeudi 30 juillet 2001
14. Autour de Jérusalem, la vie à l'heure du "mahsom"… par Philippe Broussard in Le Monde du jeudi 30 août 2001
15. Chef de la délégation égyptienne à la conférence préparatoire de Genève contre le racisme (30 juillet - 10 août), l'ambassadeur Fayza Aboul-Naga révèle la stratégie du Caire et des autres pays arabes lors de la conférence - "La priorité est d'arrêter les violations israéliennes des droits de l'homme" propos recueillis par Hicham Mourad in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 29 juillet 2001
16. Volontaires de la mort : les raisons de l'absurde par François Géré in Libération du mercredi 29 août 2001
17. Amira Hass : La vie sous occupation israélienne par une Israélienne par Robert Fisk in The Independent (quotidien britanique) du dimanche 26 août 2001 [traduit de l'anglais par Rosine Longuet]
18. Un sociologue israélien met en évidence la droitisation de la rue israélienne et redoute son influence sur la jeune génération - Des enfants israéliens parlant des Palestiniens : "Ce sont des êtres mauvais assoiffés de sang... Le mieux, c'est qu'ils crèvent du sida..." in Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du samedi 25 août 2001 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
19. Les écoles arabes en Israël entament une grève d'avertissement de trois jours in Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du samedi 25 août 2001 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
                 
      
Témoignage

                         
Qui sont ces gens ? C'est ça, mon peuple ? par Rebecca Elswit, étudiante juive américaine en Israël
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Mardi 31 juillet 2001 - Hello ! Je pense que je ressors indemne (physiquement, c'est sûr, moralement, je ne dirais pas la même chose...) de ce qui restera - du moins, je l'espère -  l'après-midi le plus dur de toute ma vie.
J'écris ce que je vois. Et si cela semble partial, eh bien, c'est tout simplement parce que le conflit est inégal. Les Palestiniens sont un peuple occupé, et ils mènent une lutte de résistance contre l'une des armées les plus puissantes (et aussi les plus subventionnées) du monde. Je n'ai pas l'intention de me faire la thuriféraire d'Israël simplement pour rendre mes pensées, mes sentiments, mais aussi, plus important, mon témoignage, plus "buvables" pour les autres (pour vous tous, là-bas, aux Etats-Unis), pour lesquels le statu quo n'est pas neutre, mais pro-israélien. Je ne peux écrire au sujet des deux parties avec le même esprit critique, la même condamnation, la même sympathie et la même empathie, parce que les parties ne sont pas sur un pied d'égalité. Oui, je pense qu'il est absolument stupide, de la part de tireurs palestiniens, de tirer à partir de zones résidentielles, ce qu'ils font pourtant, mais je ne pense pas que cela justifie en quoi que ce soit la punition collective qui leur est infligée. Et, bien évidemment (la simple idée de devoir préciser même ça me rend malade), je condamne les attentats-suicides. Israël est un occupant puissant. Il y a un énorme déséquilibre entre les pouvoirs et, oserai-je dire, entre les souffrances. J'en appelle à votre sens de l'humanité, à vous tous. Et je ne pense pas que le sens de l'humanité dépende des options politiques, il en va de même pour les droits de l'Homme.
Vous êtes bien entendu libres de penser ce que vous voulez, sur le plan politique. Mais les droits de l'Homme doivent être universels, c'est-à-dire qu'on ne devrait les dénier à aucun peuple, à aucun individu, et aussi qu'on ne devrait pas pouvoir les galvauder pour les mettre au service d'objectifs politiques. Mais voilà : ici, ils sont déniés. Je critique Arafat, aussi, et la direction palestinienne. Mais pour moi, il est beaucoup plus intéressant de partager l'histoire des gens que j'ai été amenée à rencontrer, des gens que je connais, des personnes qui m'ont émue. De toute manière, vous en savez à satiété sur les gouvernements, il vous suffit de lire la presse bien pensante.
Ainsi, ce jour-là, c'était jour de jeûne, le 9 du mois de Ab. J'avais faim. Il faisait chaud. Tout le monde s'attendait à un grand rassemblement dans le quartier du Mur des Lamentation/Esplanade des Mosquées. J'ai presque tout raté, apparemment. Mais j'en ai assez vu. J'ai raté les Palestiniens en train de jeter des pierres depuis le haut du Mur occidental (des Lamentations, ndt), (Stefan, un journaliste, m'a dit qu'il s'agissait d'une trentaine de pierres, tout au plus), et j'ai raté les grenades paralysantes, les gaz lacrymogènes et les balles revêtues de caoutchouc qui s'en sont ensuivies (un homme a été atteint à l'oeil, un autre a reçu une balle dans la tête). Mais je suis arrivée sur place après les événements (non comme photographe ou comme journaliste, voyez-vous, mais tout simplement pour venir prier au pied du Mur). Mais c'est alors que j'entendis quelques explosions ("ce sont des grenades immobilisantes", pensai-je immédiatement), et quelques tirs. Je ne sais pas ce que la police et l'armée peuvent bien dire quant à leur facteur déclenchant. Puis j'ai vu des Palestiniens en train d'être "escortés" vers des véhicules de la police. Il y avait quelques gamins (entre dix et quinze ans) puis, plus tard, de tous jeunes hommes, âgé d'à peine quelques années de plus. Les véhicules de la police étaient "idéalement" stationnés sur l'esplanade du Mur des Lamentations, si bien que les Palestiniens devaient passer à travers une foule de Juifs (hostile, est-il besoin de le préciser ?) Je prenais des photos. Je ne sais pas si elles seront "réussies" ; tout le monde jouait des coudes pour s'approcher. Des journalistes, avec des caméras, des policiers les repoussant, des Juifs (parmi lesquels, à l'évidence, beaucoup d'Américains) hurlant "à mort, les Arabes!". J'ai vu un garçon s'écrouler. Il venait du côté de la mosquée Al-Aqsa. J'ai vu les soldats le tirer par les pieds vers un fourgon de police. Lorsqu'ils sont arrivés sur l'esplanade du Mur, j'ai vu le sang qui lui coulait de la bouche, et aussi de derrière la nuque. Il n'avait certainement pas besoin d'une ballade en panier à salade ; ce qui lui fallait, d'urgence, c'était une ambulance, toutes sirènes hurlantes ! Mais ne rêvons pas : il a été balancé, violemment, au fond du fourgon. 
J'ai vu la peur dans les yeux d'un autre garçon, comme jamais je ne l'avais encore vue. La terreur à l'état pur : yeux exorbités, bouche ouverte, hurlant. Il était maigre, hâlé par le soleil, avait les yeux et les cheveux foncés. Il était très jeune, il était terrorisé. L'ayant vu dans cet état, j'ai éclaté en sanglots.
Ils continuaient à arriver ; je ne sais combien de personnes ont été arrêtées exactement ; je n'ai pas pu continuer à compter, et cet après-midi fut le plus long que j'aie jamais vécu. Certains boitaient, beaucoup saignaient déjà. La police, les soldats et tout le toutim laissaient libre cours à leur brutalité : ils les poussaient dans les fourgons, comme s'il se fût agi de poupées ou de pantins. Avec des animaux, ils auraient certainement été plus prévenants.
Les Juifs criaient : "Mort aux Arabes ! A mort, les Arabes !" Ils hurlaient cela à la face de ces gens que l'on traînaient jusqu'aux fourgons de la police. En pleine face. Les soldats tentaient de s'interposer, mais ils n'y parvenaient pas complètement. Un type a même donné un coup de pied à un Palestinien, à l'abdomen, tandis qu'on l'emmenait.
Puis ils amenèrent un autre gamin. Ils lui tordaient le bras (je ne sais pas qui sont ces "ils" : la police, l'armée ? Dans mes souvenirs, tout cela s'emmêle). Ils lui tordaient le bras, ils tordaient, ils tordaient... et le pauvre gamin hurlait. Mais ils continuaient à lui tordre le bras, jusqu'à ce qu'il casse. Il eut alors le bras comme enroulé derrière son dos, et pendant du côté opposé de son cou. Le garçon s'arrêta de crier, net. C'est moi qui me mis à hurler. Je me mis à hurler : "Mais que faites-vous donc là ? Mais arrêtez !", quelque chose dans le genre. Très très fort. Je ne voulais pas crier. C'est venu tout seul. Alors ils m'ont repoussée en me hurlant dessus de circuler et de quitter les lieux. Je réussis à me calmer, un peu, c'est alors qu'un Juif religieux me dit : "Baruch hashem, ken ?", ce qui signifie, en gros : "Grâce à Dieu, non ?" Alors je l'ai regardé, à mon tour, et je lui ai dit, en hébreu : "ce sont aussi des êtres humains". Alors lui s'est mis à hurler, comme un fou : "vous vous rendez compte : elle pense que ce sont des êtres humains comme nous !?". Alors un attroupement se forma autour de moi, hurlant ses protestations : "comment je pouvais penser une chose pareille ?" "Mort aux Arabes!", et d'autres trucs que je n'ai (heureusement ?) pas compris.
Quand j'ai pu enfin m'éloigner, une femme religieuse est venue vers moi et elle m'a demandé si j'avais l'intention d'écrire ce que j'avais vu (elle devait croire  que j'étais journaliste, parce qu'il n'y a que les journalistes et les extrémistes qui soient assez fous pour assister à des choses pareilles). "Oui", ai-je répondu. Alors, la femme : "dites la vérité". "J'écrirai ce que j'ai vu", lui ai-je répondu. Et elle, de me demander : "Et qu'avez-vous vu ?"
"J'ai vu la police casser le bras d'un garçon".
"C'était peut-être celui qui a tué mon fils, il y a cinq ans", avança-t-elle. "C'était peut-être celui qui lançait des pierres, ce matin..."
"Je suis désolée pour votre fils", lui dis-je. "Je suis absolument désolée."
... "Mais vous n'allez rien écrire sur mon fils, ah çà, non...  : vous allez écrire des choses contre notre police, qui est là pour nous protéger contre ces animaux", dit-elle.
"Je suis désolée pour votre fils", répétai-je.
Quelque chose en moi me disait que je serais capable de digérer çà, capable d'observer la violence en action. J'ai grandi aux Etats-Unis, et nous avions la télévision, à la maison... Mais c'est différent, quand cela se passe sous vos yeux. Quand vous pouvez voir la vraie peur, quand vous êtes presque assez proche pour vous pencher à l'oreille de quelqu'un et lui dire : cela va aller. Même si cela n'"ira" pas. Lorsque les paniers à salade furent pleins, ils ne sont pas partis tout de suite (je ne sais pas pourquoi). Je leur ai envoyé un baiser de la main, puis je me suis détournée et je suis partie. C'était si facile, pour moi, de tourner le dos, de retourner à mon monde d'universitaires et de crèmes glacées... Mais les gens, ici, les Palestiniens et les Israéliens, ils ne peuvent pas tourner la page. J'ai du bol, moi.
Certains ne sont pas aussi chanceux. Nichola a cinq ans. Il n'a qu'un bras, parce que l'autre a été arraché, le six mai dernier, par un projectile tiré d'un tank. Il était devant sa maison lorsqu'ils ont commencé à bombarder Beit Jala, ostensiblement parce que des gens avaient tiré depuis Beit Jala contre Gilo, que l'on a pris l'habitude d'appeler un "faubourg de Jérusalem". Alors que c'est un quartier arabe annexé par Israël. Mais il faut préciser qu'il a été pris, en 1967, aux habitants de Beit Jala, qui avaient leurs vergers, en cet endroit. Vous voyez, le problème, c'est que la maison de Nichola n'est en rien située à proximité de Gilo. Et que bombarder toute la ville n'est pas nécessairement ce qui fera que vous "aurez" les snipers. Par contre, ce que cela fera, c'est que cela induira encore plus de haine contre Israël, encore plus de douleur, encore plus d'extrémisme, et encore plus de résistance.
Nichola demande tous les jours à sa grand-tante (auprès de laquelle je suis restée quelques jours, dans le cadre d'une action humanitaire) : "Tatie, quand est-ce que j'aurai mon nouveau bras ? Les docteurs, à l'hôpital Hadassah, ont dit qu'ils m'apporteraient un nouveau bras. Où il est, mon nouveau bras ? Ils vont peut-être me l'apporter demain, dis ?" Quelqu'un avait offert à Nichola un petit appareil à faire des bulles, quand il était à l'hôpital (il y est resté un mois), et quand on faisait des bulles pour lui, pour le distraire, il aimait bien çà. Alors il voulait jouer à faire des bulles tout seul, mais il ne pouvait pas ouvrir le bouchon, avec un seul bras... Alors il s'est mis à essayer à l'ouvrir avec les dents, mais il n'y parvenait pas, le plastique était trop dur. Finalement, il cessa ses tentatives, frustré, et il ne répondait rien à ceux qui lui proposaient d'ouvrir le bouchon pour lui. Il refusait, parce qu'il ne pouvait pas le faire lui-même. Quand on l'a emmené pour une petite promenade, avec sa famille, hier, il a ouvert ce qu'il pouvait ouvrir tout seul, pour voir, avec les dents et son unique main, la main droite. Mais il était gaucher, ce qui ne simplifie évidemment pas les choses. J'ai vu tellement de gens abattus, finis, qui semblaient suer la désespérance, que j'ai tenu à vous donner ce petit Nichola en partage, parce qu'il a de la force et de l'espoir, même si son avenir est dramatiquement compromis.
"Qui sont ces gens ? C'est çà, mon peuple ?" Cela me fait tellement mal de voir une telle brutalité. Puis, avec le temps, je suis retournée prier. Je suis allée à l'hôtel, devant le Mur, je suis restée debout, le visage appuyé contre la pierre brûlante : je ne ressentais que vide et douleur. Et je me demande comment on peut délibérément, en toute connaissance de cause, casser les os de quelqu'un d'autre sans que cela fasse réagir quiconque. Je me demande comment des Juifs peuvent faire çà. N'avons-nous donc rien appris ? Alors je me mis à réciter la prière des morts, le Kaddish, parce que ce jour est un jour de deuil, parce que cette vie est une vie de deuil et que je suis en deuil pour toute mort et toute destruction et que je suis en deuil pour l'éloignement du peuple juif des valeurs juives de compassion et de justice. Je me demande si cela aurait été plus facile pour moi de voir quelqu'un d'autre, et non un Juif, hurler une telle haine contre quelqu'un d'autre. Peut-être...
Fatin vit à Beit Jala. J'ai dîné avec elle avant-hier et elle m'a demandé pourquoi j'étais venue chez elle, pourquoi je participais à cette action (un groupe de personnes de différentes nationalités restant chez les habitants dont les maisons ont été bombardées). Alors je me suis mis à lui expliquer. Et l'une des premières choses que je lui aie dites, c'est que je suis juive. Cela l'a surprise. Elle m'a dit : "raison de plus : pourquoi es-tu venue ici ?" Je lui ai dit : "vous pouvez bien être Juifs, Chrétiens, Musulmans, Bouddhistes, Hindouistes, ou Zoroastriens : je m'en fous ! Vous pouvez être Palestiniens, Israéliens, Américains, Mongols ou Français : je m'en contre-fous aussi. Ce dont je ne me fous pas, c'est que vous êtes des êtres humains !" Alors, elle m'a pris par le cou et elle m'a embrassée : "Ca, c'est parce que tu est juive". Puis elle m'a embrassée sur l'autre joue : "Et ça, c'est parce que tu es humaine". Alors je me suis mise à chialer comme une Madeleine (ça m'arrive souvent, ces jours-ci).
Ca va. Pour ceux qui pourraient s'inquiéter de savoir si je m'accorde des loisirs, je les rassure : sachez que j'ai pris mon vendredi et que je suis allée à Tel Aviv. J'ai dormi sur la plage, je suis allée faire quelques brasses dans la mer à sept heures du matin, avant de revenir faire ma tournée des camps de réfugiés.
Paix, justice et beaucoup, beaucoup d'amour. Votre Rebecca, qui porte le monde entier dans son coeur.
                                           
Réseau

                        
1. Discours de Hanan Ashraoui devant la Conférence mondiale sur le racisme à Durban en Afrique du Sud, le 28 août 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Chères soeurs, chers frères,
C'est depuis Jérusalem que je suis venue me joindre à vous aujourd'hui ; depuis le coeur de la Palestine, cette terre assiégée et continuellement violée par une occupation militaire des plus brutales : celle d'Israël. C'est à partir du coeur du peuple de Palestine, une nation martyrisée, coupable de sa seule aspiration jamais démentie à la paix, à la dignité et à l'indépendance, que je suis venue me joindre à vous aujourd'hui. Je représente une saga faite d'exclusion, de déni, de racisme et de persécution nationale, mais je viens aussi apporter ici un message d'espoir, de renouveau et de revendication nationale incarnée dans l'esprit et la volonté d'un peuple qui a refusé de succomber devant les forces coalisées de l'oppression, de la violence, de la cruauté et de l'injustice.
Par votre réunion elle-même, vous êtes l'incarnation authentique du courage, en tenant tête aux forces de domination, d'asservissement.
Nous sommes côte à côte, ensemble, aujourd'hui, afin de lancer un mot d'ordre véritablement global de prise de notre destin en main et de solidarité, afin de donner une voix à ceux à qui l'on impose le silence, de donner réalité aux "invisibles", de donner reconnaissance aux "déniés" et de donner une écoute aux victimes.
Dans les moments d'adversité, durant les nuits les plus sombres pour notre âme, nous nous tournons vers vous afin de rechercher auprès de vous initiative et action en tant qu'antidotes à l'échec des systèmes de pouvoir établi, et notamment les gouvernements, cet échec qui se caractérise par l'intérêt égoïste primant tout, la politique politicienne, l'absence de volonté réelle et l'impuissance. Je saisis l'opportunité que me donne cette tribune pour rendre hommage devant vous à ces hommes et à ces femmes courageux qui ont laissé derrière eux, aux Etats-Unis et en Europe, le confort de leur foyer afin de venir chez nous, en Palestine, y assurer une protection populaire, un "bouclier humain" face aux exactions israéliennes, à la violence et aux violations des droits commis à l'encontre du peuple palestinien.
Je vous rejoins ici, aujourd'hui, le coeur lourd de devoir laisser une nation captive, otage d'une Nakba qui n'en finit pas, sous la forme de la manifestation parmi les plus complexes et les plus insidieuses qui soient, d'un colonialisme obstiné, de l'apartheid, du racisme et du crime.
Voilà plus d'un demi-siècle (cinquante trois ans, pour être précise), les Palestiniens ont été voués, en tant que peuple, à l'anéantissement national. Ils ont été rejetés hors de l'histoire, leur identité a été déniée et leur réalité humaine et culturelle elle-même supprimée. Nous sommes devenus les victimes du mythe d'"une terre sans peuple pour un peuple sans terre", mythe grâce auquel l'Occident cherchait à soulager sa conscience de la culpabilité des crimes dus à son horrible antisémitisme, fût-ce au prix de l'assassinat'une nation entière. Le sionisme cherchait à imposer son programme d'éviction et de domination exclusive en usurpant non seulement les terres et les droits des Palestiniens, mais aussi en confisquant leur cri et en déformant leur histoire nationale.
En 1948, nous fumes victimes d'une grave injustice historique qui se traduisit par une double stigmatisation : d'un côté, l'injustice de la dépossession, de la dispersion, d'un exil imposé par la force des armes à une population civile qui allait être connue comme constituant le "problème des réfugiés" (problème qui concerne aujourd'hui plus de cinq millions de Palestiniens) et de l'autre, ceux des Palestiniens qui sont restés ont été soumis à l'oppression systématique et à la brutalité d'une occupation inhumaine qui les a privés de tous leurs droits et libertés, jusqu'à y compris leur identité nationale, sur leur propre terre !
La création de l'Etat d'Israël n'a rien de l'épopée historique et édifiante forgée par la version de l'histoire répandue pro domo par les conquérants eux-mêmes. Il est temps de faire tomber le masque, d'examiner les faits en eux-mêmes et de prendre toute la mesure du prix terrifiant payé par une nation innocente pour son simple tort d'exister et à cause de l'avidité et de l'aveuglement moral d'autres qu'elle-même.
Le temps du déni doit finir. Le peuple palestinien a droit à sa place au soleil comme un peuple parmi les autres peuples, comme un tribut à la commune Humanité, apport qui ne saurait être remis en question.
En tant que Palestinienne, en tant que femme, et aussi au nom de mon peuple, je m'adresse à vous aujourd'hui afin de revendiquer mon/notre humanité. De Palestiniens inexistants ("Il n'y a pas de Palestiniens ; ils n'ont jamais existé", avait déclaré Golda Meir, en 1969), nous avons subi une métamorphose, qui nous a été imposée délibérément par le diktat et les politique israéliennes discriminatoires, qui nous ont traités de qualificatifs aussi choisis et variés que "vermines à deux pattes", "cancrelats", "bêtes de somme marchant sur deux pattes", "sauterelles à écraser d'un coup de talon", "crocodiles" et "vipères". (Nous tenons à votre disposition une liste exhaustive, illustrée d'exemples représentatifs).
"Il n'y a pas d'alternative : les Arabes doivent faire de la place aux Juifs en Eretz Yisraël. Si on a pu déplacer les peuples baltes, on peut déplacer aussi les Arabes palestiniens (Vladimir Jabotinsky, 1939).
"La colonisation sioniste doit être soit arrêtée maintenant, soit menée à son terme contre la volonté de la population autochtone... Il est important de parler hébreu, certes. Mais il est encore plus important d'être capable de tirer - sans quoi, cela reviendrait à jouer la colonisation à pile ou face" (Vladimir Jabotinsky, 1939).
"Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir afin de nous assurer qu'ils ne reviendront jamais. Les vieux mourront. Quant aux jeunes : ils oublieront." Toutefois, pour ceux qui allaient rester en dépit de la coercition militaire israélienne et des tentatives de les expulser par la force, d'autres plans, tout aussi sinistres, étaient en préparation. "Nous réduirons les Arabes à l'état de communauté de bûcherons et de porte-faix." (David Ben Gurion).
Pour le reste du monde, nous avons été réduits à une dualité aristotélicienne de pitié et de peur : la pitié inspirée par les réfugiés, la peur des "terroristes" impitoyables. Mais nous n'avons jamais été perçus ni considérés dans l'intégrité de notre humanité.
Aujourd'hui, les Palestiniens continuent à être en but à des formes et des expressions multiples de racisme, d'exclusion, d'oppression, de colonialisme, d'apartheid et de déni de l'appartenance nationale. Notre droit à décider nous-mêmes de notre sort et, par tant, notre droit à la souveraineté et à la possession d'un Etat, a été suspendu par la force militaire et soumis à l'approbation de notre oppresseur. Les populations réfugiées, composées pour la plupart de "gens sans Etat", sont privés des droits civiques, humains, politiques et nationaux élémentaires, abandonnés à la merci de pays "hôtes" qui voient en eux, quand ce n'est pas une menace démographique : des importuns, dans le meilleur des cas. Alors qu'Israël a adopté une "loi du retour" afin d'amener à l'intérieur de la Palestine historique des Juifs du monde entier, il persiste à rejeter le "Droit au Retour" des réfugiés et à refuser de se conformer à la résolution 194 des Nations Unies, engagement légal que la communauté internationale était supposée garantir et mettre en application.
Les Palestiniens restés dans ce qui est devenu Israël sont confrontés, à l'intérieur même de leur patrie historique, au pire système d'apartheid, d'exclusion, de discrimination raciale : leurs villes et villages sont soit entièrement annexés, soit transformés en ghettos et en enclaves réservés à la population "non juive" d'Israël. Nombreux sont ceux à être encore de nos jours des "personnes déplacées" sur leur propre terre, témoins vivants de la destruction de leurs villages. Plus de cinq cents villages ont été rasés au sol au cours de la campagne de purification ethnique originelle qui a accompagné la naissance de l'Etat d'Israël. Ceux d'entre nous qui se sont retrouvés occupés en 1967 ont tenté de survivre en Cisjordanie, à Jérusalem et dans la bande de Gaza, sous une combinaison sans précédent d'occupation militaire, de colonisation de peuplement et d'oppression systématique.
Rarement esprit humain a inventé des moyens aussi variés, divers et néanmoins globaux de brutalité et de persécution à grande échelle. Depuis 1967, la terre palestinienne a été confisquée à un rythme sans cesse accéléré, tandis que des populations juives entières y ont été amenées, dans le cadre d'un plan soigneusement préparé de colonisation de peuplement. A travers tout le territoire, un réseau artificiel et purement colonial d'infrastructures a été artificiellement imposé à notre réalité de terrain afin de créer une superstructure insidieuse au service des seuls colons, destinée à permettre des incursions démographiques, géographiques et extra territoriales à l'intérieur de la Palestine.
Les routes dites "de contournement", à l'usage exclusif des colons juifs illégaux, déchirent le tissu du pays palestinien, afin d'éluder les réalités palestiniennes et d'inscrire dans les réalités du terrain une politique se caractérisant par un racisme inouï. Dans le même temps, des colons d'avant-garde donnent régulièrement libre cours à leurs débordements d'extrémisme et de violence, menant à bien des campagnes de terreur contre des villages palestiniens ou des familles palestiniennes isolées, tout aussi désarmés les uns que les autres. Le terrorisme d'état d'Israël est pratiqué tant par l'armée que par les colons avec une impunité politique totale, fille de la duplicité des autorités israéliennes.
Une autre manifestation, unique en son genre, du racisme israélien est la politique scandaleuse et sinistre d'"ingénierie démographique". Afin de maintenir le "caractère juif", autrement dit, la "pureté" de l'Etat d'Israël, les Palestiniens ont été présentés et traités à l'instar d'une "menace démographique". Les "remèdes" proposés sont allés jusqu'à inclure des appels à l'imposition d'un contrôle des naissances et d'une "gestion de la population", afin de "transférer" et d'expulser des communautés humaines entières, en application du schéma raciste et répressif de la "séparation unilatérale" si souvent évoquée depuis quelques mois.
A Jérusalem, les expropriations, les confiscations de cartes d'identité, les démolitions de maisons, la non-délivrance délibérée de permis de construire et l'importation de colons installés dans des implantations à l'intérieur et autour de la ville : voilà quels sont les éléments constants de la politique d'"ingénierie démographique" d'Israël, menée à bien grâce à l'épuration ethnique.
Si Jérusalem est en état de siège, c'est aussi afin de tenter de l'isoler de son contexte et de son environnement palestiniens, et de l'extirper du coeur de la Palestine, alors que Jérusalem est le centre même de l'activité politique, culturelle, économique, sociale et éducative de la Palestine et la future capitale de notre Etat. De telles mesures unilatérales, de la part d'Israël, visent à consolider l'annexion illégale de Jérusalem occupée et à imposer une domination exclusivement juive sur une ville palestinienne qui a toujours été pluraliste et tolérante. Les agressions contre les lieux saints musulmans et chrétiens ainsi que contre les institutions caritatives de ces deux confessions, tandis que l'on interdit aux fidèles palestiniens d'aller prier sur leurs lieux saints, voilà qui traduit une politique délibérée d'intolérance et une violation de la liberté religieuse.
L'état de siège n'est pas imposé aux seules Cisjordanie et Gaza, mais aussi à l'intérieur de ces territoires mêmes, afin de transformer chaque hameau, chaque village, chaque ville, en un camp de rétention isolé , au prix de la destruction de tous les aspects d'une vie authentiquement humaine : la cohésion économique, éducative, sanitaire, sociale, dans une tentative destinée à lacérer le tissu d'une vie normale. Les troupes d'occupation israéliennes, en recourant aux tanks, aux mitrailleuses héliportées, aux avions de combat F-16, aux véhicules blindés et à l'imposition de multiples barrages militaires, ne se contentent pas de retenir l'ensemble de la population palestinienne captive dans soixante-quatre bantoustans isolés les uns des autres : elles bombardent des habitations palestiniennes, elles assassinent des militants et des dirigeants palestiniens, elles détruisent des récoltes et des champs, elles se livrent à l'assassinat de sang froid d'enfants et de bien d'autres innocents tout en mettant en pratique une politique d'humiliation systématique et d'étouffement, à travers la multitude de barrages dont elles hérissent le pays.
L'occupation israélienne a eu aussi pour effet de détourner (au sens du détournement-prise d'otage) le concept de "sécurité", en le rendant applicable aux seuls Israéliens tout en déniant aux Palestiniens tous les aspects de leur sécurité personnelle, politique, légale, territoriale, historique, culturelle, économique et même vitale. Afin de couvrir ses abus systématiques, Israël a aussi détourné l'essence du concept, l'exploitant à la seule fin de parvenir à l'effacement de toute mention de l'occupation, et en revendiquant le "droit" extravagant de pouvoir mener une politique d'occupation militaire "sure" - pourquoi pas : sans risque et plaisante ? - alors que l'occupation militaire est, en tant que telle, l'antithèse même de la paix, de la sécurité et des droits de l'Homme...
Sous les yeux du monde entier, Israël a réussi à mettre en oeuvre et à imposer une nouvelle tromperie à grande échelle, sous la forme d'une torsion de la réalité officielle qui non seulement déshumanise et diabolise les Palestiniens, mais aussi tente de "blâmer la victime" et de remettre au goût du jour des insultes qui nous représentent sous les traits caricaturaux d'une espèce infra-humaine et de "terroristes" portant la violence dans leurs gènes et par conséquent indignes d'un quelconque traitement humain. Dans le meilleur des cas, une fausse symétrie est établie entre occupant et occupé, oppresseur et opprimé (comme on peut le constater dans l'appel lancé aux deux parties à "arrêter la violence"), dont l'objectif ultime est d'éradiquer l'horreur de l'occupation, tout en déniant aux victimes leur droit à la résistance. Etant donné le déséquilibre de pouvoir, l'insistance américaine sur une "solution bilatérale" ne sert qu'à donner à Israël carte blanche pour tirer profit du déséquilibre flagrant entre les forces en présence (en sa faveur) et pour perpétuer sa politique visant à imposer la soumission à une nation entière et à imposer une solution aussi injuste qu'unilatérale.
La solution israélienne est fermement ancrée dans la mentalité perverse qui voit dans l'occupation la licité de dicter par la force des armes des réalités illégales et répressives qui ne pourraient qu'exacerber le conflit à l'avenir ainsi que les souffrances du peuple palestinien. Le refus d'intervention des Etats-Unis et, d'une manière générale, de la communauté internationale, représente un véritable feu vert donné à Israël pour continuer à agir en toute impunité et immunité comme un pays au-dessus des lois et auquel on ne saurait demander de comptes, tandis que les Palestiniens continuent à être privés de la protection pourtant garantie par la légalité internationale et les impératifs minimaux de la morale et de la décence humaines. Nous continuons à revendiquer un état de droit global qui sanctionnerait l'agression du puissant et mettrait un terme à la déshumanisation en cours du peuple palestinien. Une telle absence de volonté et une telle ignorance de ses responsabilités de la part de la communauté internationale n'a pas seulement permis la perpétuation de la "Nakba" et prolongé les souffrances et la sujétion du peuple palestinien, elles ont contribué, par le passé - et contribuent encore, aujourd'hui - à miner la recherche (et les chances) d'une paix dans l'ensemble de la région.
Lorsque nous avons décidé de rejoindre le processus de paix lancé à Madrid, en 1991, nous l'avons fait en gage de bonne volonté, en nous engageant à rechercher une solution pacifique au conflit dans le but de mettre un terme à l'occupation de 22% de la Palestine historique et d'établir notre Etat indépendant sur les territoires occupés par Israël en 1967. Nous, les victimes, nous avons fait l'effort de nous élever au-dessus de la douleur que nous ressentions alors durement, et nous avons fait un geste en direction de nos occupants afin de détourner le cours de l'histoire d'un conflit inéluctable, pour l'orienter vers une réconciliation fondée sur la justice et la parité. Confortés par la confiance dans la volonté de notre peuple de tenir bon et de résister à l'oppression, volonté manifestée avec combien de force par l'intifada de 1987, nous avons offert à Israël et au monde une opportunité unique de légitimiser une recherche audacieuse de la paix et d'accumuler les atouts d'une solution équitable. Malheureusement, le processus de paix est devenu un processus de rétorsion mis par Israël au service de ses politiques expansionnistes, de nettoyage ethnique, de colonialisme et de domination du plus faible par la force armée. Cela servit par la suite de prétexte à théoriser la séparation du peuple de sa terre et à fragmenter tant le peuple que cette dernière, transformant les territoires palestiniens occupés en une série de réserves isolées, de bantoustans, tout en assurant l'hégémonie et le contrôle direct et ubiquiste d'Israël. Tout en cherchant à créer de toutes pièces une légitimité rétroactive sur les colonies israéliennes illégales et sur l'annexion de Jérusalem par la force, ce processus (perverti) s'est employé à nier le droit au retour des réfugiés palestiniens et, par voie de conséquence, à dénier l'essence même de la paix, en en mettant à bas les fondements.
La soi-disant "offre généreuse" de Barak a été éventée pour ce qu'elle était en réalité : une version de l'occupant du "c'est bon pour les sauvages du coin", uniquement basée sur "ce qui est bon pour Israël", et par là même pérennisant les conflits et l'instabilité à venir, bien loin de cimenter une solution juste et durable; Etant historiquement les victimes des guerres, par le passé, et du conflit en cours, par-dessus le marché, nous nous retrouvions encore une fois victimes : d'un processus de paix biaisé et injuste, cette fois-ci...
L'incursion de Sharon sur l'Esplanade des Mosquées, à Jérusalem, le 28 septembre dernier, n'était que l'étincelle sciemment calculée afin de mettre le feu au baril de poudre d'ores et déjà en place, résultat des iniquités du processus lui-même. Le recours à des tirs à balles réelles et à la "force létale" contre les manifestants palestiniens désarmés a déchaîné des torrents de brutalité horrible, d'hostilité, de racisme, de violence orchestrée contre un peuple palestinien prisonnier chez lui. L'intensification continue des mesures répressives envoie un  message insidieux et sombre de brutalité, symptomatique de la régression vers le sionisme fondamentaliste déjà constatée durant les bains de sang perpétrés durant les années quarante. En clamant qu'il s'agit là de "la continuation de la Guerre d'Indépendance d'Israël", Sharon envoie un message au peuple palestinien - mais pas seulement à lui : au monde entier - et ce message, c'est que la purification ethnique et la volonté d'éradication totale de la nation palestinienne, à l'oeuvre à l'époque de la Nakba de 1948, sont toujours d'actualité.
Le gouvernement actuel d'Israël incarne la combinaison la plus mortelle qui puisse être d'idéologie politique d'extrême-droite, de fondamentalisme et de zèle religieux (juifs) et de militarisme débridé, avec un soupçon - trompeur - de "façade civilisée" apporté par le parti travailliste. Sharon est bien le même général d'armée qui a commis des crimes contre l'humanité au cours d'atrocités telles que le massacre de Qibya, en 1953, le "nettoyage" de Gaza, en 1973, l'invasion du Liban et les massacres de Sabra et Chatila, en 1982. Tout à sa carrière sanglante et à la répétition sempiternelle des mêmes erreurs historiques, Sharon n'a pas appris qu'aucune accumulation de brutalité, de cruauté et de violence, aussi grandes soient-elles, ne saurait casser la volonté d'un peuple déterminé à recouvrer sa liberté, sa dignité et son indépendance. Sharon ne donne aucun signe de tirer les conclusions historiques avérées, qui sont que le colonialisme est, par nature, une forme d'esclavage qui ne saurait durer qu'un temps et qu'un peuple colonisé ne saurait être maintenu à genoux par l'aggravation indéterminée des mesures de répression et de contrôle prises par le colonisateur à son encontre.
Chères soeurs et chers frères, je vous appelle aujourd'hui à remettre les Palestiniens, qui en sont aujourd'hui écartés,  à l'ordre du jour de l'humanité, à valider notre existence et nos droits, à reconnaître les souffrances de notre nation martyrisée, afin de les soulager et à donner une reconnaissance à la mémoire des souffrances des Palestiniens, trop longtemps étouffée. Vous êtes la seule source de pouvoir pour un peuple qui se sent abandonné et impuissant, mais qui n'a jamais perdu sa confiance dans la solidarité humaine ni sa vision partagée du combat pour la liberté.
Je vous appelle, comme je l'ai souvent fait à l'égard des gouvernements et des aréopages internationaux, à ne pas adopter l'attitude de "la neutralité pleutre" car, dans la lutte contre l'oppression, l'injustice, le racisme, l'intolérance, le colonialisme et l'exclusion, il ne saurait y avoir une quelconque neutralité. Nous sommes tous exhortés à prendre partie pour la victime, l'enchaîné, l'opprimé et à faire barrage à la vague du mal et à faire en sorte que les forces des ténèbres ne l'emportent pas. En la matière, il n'y a pas de veto américain qui puisse nous dénier protection et garantie de nos droits, il n'y a pas non plus de censure, ni de chantage qui puisse chercher à intimider des gouvernements sous l'empire de leur seul intérêt égoïste.
Faites que votre réunion rayonne de la lumière pure de l'esprit humain, qui ne peut être cachée ou contenue. Notre passage vers le futur doit être basé sur la rédemption du passé et de l'histoire, libérés des scories d'iniquités reçues en lourd héritage. Notre loyauté envers le futur doit se fonder sur la guérison des plaies héritées du passé.
Chères soeurs et chers frères, jamais par le passé une armée d'occupation n'avait imposé un siège aussi total et asphyxiant contre l'ensemble d'une population tenue en otage, cette armée étant même passée au bombardement des maisons, à la destruction des infrastructures, à l'assassinat de ses militants et de ses dirigeants, à l'arrachage de ses cultures et de ses vergers, au meurtre délibéré de civils, à l'expropriation de ses terres et, à tout cela, il faut ajouter par-dessus le marché qu'on demande à ses victimes d'acquiescer, comme des moutons, aux agissements du bourreau. Jamais auparavant avait-on vu dénier aux victimes le droit de formuler, puis de se voir reconnues, les atrocités horrifiantes commises contre elles en application d'une politique délibérée, tandis qu'elles étaient elles-mêmes stigmatisées du simple fait qu'elles étaient les victimes.
Le mantra souvent répété qu'"Israël ne négociera jamais sous le feu (de l'ennemi)" ne s'applique qu'au "feu" des Palestiniens, ou plutôt : à leurs tentatives de se défendre eux-mêmes. Tandis qu'il faudrait laisser Israël mener à bien en toute tranquillité sa politique du "tire, bombarde et assassine" à volonté, les Palestiniens doivent maintenir un niveau de "violence zéro" conduisant à une "période d'apaisement", qui devrait préparer le terrain pour des "mesures de rétablissement de la confiance" et, enfin, valoir aux Palestiniens la "récompense" convoitée de reprendre les négociations avec leurs occupants.
Au nom du peuple palestinien, je vous exhorte à avoir le courage d'intervenir, de vous assurer que l'oppresseur est tenu pour comptable de ses exactions et la victime - protégée, de mettre en vigueur ces principes et ces valeurs qui non seulement épargnent des vies, mais qui donnent à la vie les qualités humaines qui la rendent digne d'être vécue. Malgré nos immenses souffrances, nous ne nous sommes pas rendus aux forces de l'occupation, de la colonisation, du racisme et de la déshumanisation - de même, nous n'avons pas intégré les distorsions morales qu'elles ne manquent pas d'induire. Je vous demande de ne pas céder, et au contraire, de soutenir et de revivifier la lutte pour la dignité, l'égalité, la liberté et la justice, comme un acte d'affirmation collective, au nom de l'Humanité toute entière.
                      
2. La paix de qui ? par Mumia Abu-Jamal
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Mercredi 8 août 2001 - Des millions de personnes regardent la situation, dans cette région appelée "Moyen-Orient". Ils regardent ce qui se passe, et ils lèvent les bras au ciel, comme s'ils étaient impuissants à faire quoi que ce soit. Certains disent : "c'est une guerre de religion !". D'autres se lamentent : "Cela fait des millénaires qu'ils se battent ! Cela fait si longtemps, on ne peut rien y faire !"
C'est bien là l'argument type pour ne pas s'en mêler, ce genre d'arguments promus par l'éminemment suspect attachement de l'Amérique à la Bible, considérée comme une sorte de manuel d'histoire abrégé. Cette présomption si largement répandue en Amérique est bien plus qu'un simple prétexte pour ne rien faire ; c'est un argument pour pérenniser le statu quo.
Ce qui est plus étonnant, dans cette perception distordue de l'opinion publique, c'est le fait que les Etats-Unis (en exceptant, peut-être, la Grande-Bretagne) sont vraisemblablement le premier responsable de l'établissement de (l'Etat d') Israël, et à coup sûr, de sa pérennité. L'Etat d'Israël est l'une des plus jeunes nations dans le monde, il remonte seulement à 1948. Au minimum un tiers de tous les Américains vivant actuellement (et peut-être pas loin de la moitié d'entre eux) étaient déjà là lorsque cet Etat a déclaré son émancipation de ses racines britanniques, territoriales et coloniales. Le fait que des millions d'Américains pensent (à propos d'Israël) en millénaires, et non en décennies, est significatif du mode de fonctionnement tant de l'enseignement que des grands trusts médiatiques américains.
Le conflit israélo-palestinien ne découle pas d'une inimitié religieuse, mais d'un différend politique et territorial très profond. Lorsque les "Anglos" sont venus, depuis la Grande-Bretagne, aux Etats-Unis (pour être précis, je corrige : avant qu'il y ait ce qu'on appelle les Etats-Unis), ils considérèrent certainement les "naturels", les "indigènes" comme des sauvages païens, mais là n'était pas la source du conflit qui les mit aux prises avec eux. Les Blancs convoitaient les terres sur lesquelles vivaient ces "païens". Et, de fait, les Indiens, une fois convertis, par milliers, et par conséquent n'étant plus des "païens", mais des coreligionnaires et des "Frères en Christ", n'en ont pas moins continué à être éradiqués sans pitié de la terre de leurs ancêtres et envoyés, en une forme d'exil intérieur, sur les terres arides et ingrates de ce que l'on a appelé les "réserves". Ainsi des Cherokees, qui ont été chassés manu militari de la région correspondant de nos jours à l'Etat de Géorgie, il y a environ cent cinquante ans. Ils ont appelé cette déportation, au cours de laquelle des milliers de pauvres gens sont morts de froid, de faim, et/ou le cœur brisé : "la Traînée de Larmes".
L'enjeu central du conflit qui fait rage là-bas (au Moyen-Orient), c'est la terre.
Certains de demander : "Bon, d'accord... Mais pourquoi tant de haine ? Pourquoi cette inimitié irrémissible ?" La réponse, là encore, peut être tirée de l'examen de l'histoire américaine, dont le peuple indigène, aborigène, était là bien avant que les Européens ne jettent leur dévolu sur ce qu'ils ont appelé le "Nouveau Monde" (quelle ironie!). Quand Christophe Colomb (que je rebaptiserai "Cristobal le Colon") accosta sa caravelle sur une plage de ce que nous appelons depuis lors les Indes Occidentales, il en décrivit les habitants comme "accueillants", "affables", etc... En moins d'un siècle, ce sont des rapports ne faisant état que de "sauvages", de "païens" et de "barbares" qui ont pourtant été envoyés en Europe.
Un écrivain israélien, Israël Shamir, a fait état, récemment, des résultats d'un sondage effectué pour un journal israélien au sujet des sentiments des lecteurs vis-à-vis des Palestiniens :
"Le quotidien israélien d'expression russe, "Discours direct", publié à Jérusalem, a demandé à plusieurs centaines de Juifs russes ce qu'ils ressentaient à l'égard des Palestiniens. Les réponses types furent : "J'aimerais tuer tous les Arabes", "il faudrait tous les éliminer", "il faut expulser les Arabes", "un Arabe, cela reste un Arabe : il faut tous les liquider." Je ne suis pas certain qu'un sondage réalisé dans la rue, à Berlin, en 1938, aurait donné des résultats plus horrifiants, car le projet nazi de Solution Finale n'a pas fait surface antérieurement à 1941." (Shamir, Israël., "The Failed Test", in Socialist Viewpoint, juin 2001, pp. 31-32 [Marcel Charbonnier nous a proposé une traduction de ce texte d'Israël Shamir dans le 125ème "Point d'information Palestine" du 18 janvier 2001, sous le titre "L'épreuve à la pierre de touche n'a servi à rien"])
Le fait que certaines des personnes interrogées, qui s'exprimaient en ces termes choisis, aient été des immigrants tout frais débarqués de la Russie (ce pays n'ayant pratiquement laissé émigrer personne jusqu'à il y a environ une vingtaine d'années), est d'autant plus alarmant. Toutefois, leurs propos reflètent un état d'esprit qui n'est pas étranger à des millions d'Américains. Si vous avez un doute à ce sujet, faisons notre propre test :
Remplissez, s'il vous plaît, le blanc :
"Le seul Indien valable est ________" Si vous êtes Américain (peu importe votre origine), vous connaissez la réponse, qui vous vient immédiatement à l'esprit. C'est pas jo-jo.
Les bulldozers, les snipers, les F-16, les tanks, les mitraillettes Uzi ; toute l'armada de l'Etat israélien est déployée afin d'achever ce que chacun connaît pour être ni plus ni moins un lebensraum, même si l'on n'ose pas l'appeler encore ouvertement ainsi. Le lebensraum, c'est le "living room", l'espace vital...
Les Arabes, même si eux-mêmes et leurs ancêtres ont vécu là, sous l'Empire ottoman, durant plus d'un millénaire, sont vus de la même manière que les colons blancs voyaient les Cherokees, en Géorgie, en 1880 : superflus.
Telle est la source du conflit, de la haine, du mépris.
Et l'Amérique qui finance surabondamment l'une des partie, en ignorant royalement l'autre, ne pourra jamais être un médiateur honnête à quelque table de négociations que ce soit. Car les Américains voient dans l'une des parties l'émule juvénile de ce qu'ils sont eux-mêmes. Et ils voient l'autre partie comme des Indiens, comme "les autres" (les aliens ?) par excellence.
Devinez qui les Américains vont-ils favoriser, comme çà, au hasard ?
Quand ils disent "Paix", ils veulent dire : "Silence!". Le silence de la Traînée de Larmes...
Copyright 2001, by Mumia Abu-Jamal.
[MUMIA ABU-JAMAL est un journaliste, écrivain et prisonnier politique américain, surnommé la "Voix des sans-voix" pour ses écrits prenant fait et cause pour les minorités. En 1981, il a été accusé sans preuve du meurtre d'un policier de Philadelphie. En 1982, il est condamné à mort par onze jurés blancs au terme d'un procès inique, présidé par un juge qui détient le record des condamnations à mort et lié à la même association de police d'extrème-droite que l'agent assassiné. Depuis, Mumia se bat pour ce à quoi il a droit : un nouveau procès. Depuis sa cellule il continue d'écrire, il est l'auteur de trois livres, dont deux ont été traduits en français : "En Direct du Couloir de la Mort" et "La Mort en Fleurs". Devenu la figure emblématique de la lutte contre la peine de mort, ses articles paraissent dans diverses publications, aux États-Unis comme en Europe. Ancien membre des Black Panthers, Mumia Abu-Jamal était président de l'Association des Journalistes Noirs de Philadelphie à l'époque de son incarcération.
- Pour plus de renseignements : Comité de Soutien à Mumia Abu-Jamal CO/ Viretto & Dieudonné - 18, Place Jean Jaurès - 13001 Marseille - FRANCE - Tél/Fax : +33 (0) 491 429 847 - E-mail :
mumia.marseille@free.fr]

                      
3. Réponse à M. Robert Badinter par Georges Labica, Président du Comité de vigilance pour une paix réelle au Proche-Orient (CVPR)
(Réponse à l'article de Robert Badinter intitulé, "L'angoisse et la paix", publié dans Le Monde du 21 août 2001. Cf. Point d'information Palestine N° 165)
Monsieur Robert Badinter plaide en faveur d'Israël. C'est son droit. Qu'il mette son talent de maître du barreau et son image de grand humaniste à défendre la cause de la paix au Proche-Orient, c'est tout à son honneur. Qu'il ait recours toutefois à de prétendues préoccupations psychologico-éthiques, invoquant "l'esprit", "l'imagination et le coeur", afin de présenter à une opinion déjà passablement
désorientée, un argumentaire que ne renierait pas l'orthodoxie sioniste la plus radicale, voilà qui ne peut être accepté sans indignation.
Je me bornerai à une simple énumération, pour le lecteur trop pressé ou d'avance trop acquis à la "défense":
1.Les morts ne pèsent pas le même poids: les Palestiniens l'emportent en médiatisation, mais les Israéliens ont pour eux l'Histoire (le grand père "rescapé d'Auschwitz"). C'est le zéro et l'infini. Et l'on ne saurait comparer le "sans pareil" à l'ordinaire.
2.Les enfants israéliens assassinés "incarnent le malheur d'Israël", à la différence, sans doute, des enfants palestiniens, tout aussi assassinés, qui n'ont rien à incarner, malgré leur nombre et à cause de leur anonymat.
3.Les kamikazes ne sont pas des jeunes gens jetés au bout de la désespérance, ils sont guidés par le "fanatisme".
4.Les Palestiniens ne sont victimes que de "balles perdues" et de "missiles aveugles".
5.Les Etats arabes n'ont jamais voulu d'un Etat hébreu, pourtant "né de la Shoah" et n'ayant rien à voir avec "l'impérialisme colonial". A noter que l'origine de cet Etat suffit encore à sacraliser sa politique actuelle.
6.Il n'a jamais existé d'Etat palestinien.
7.En dépit des victoires de "Tsahal" et de "l'appui inconditionnel des Etats-Unis, superpuissance du monde et gardien ultime de l'ordre international" (on ne peut, en effet, si bien dire), les Israéliens,-car telle est la thèse centrale de l'article, demeurent persuadés que "leurs adversaires veulent la mort de l'Etat hébreu". De cette "angoisse existentielle", sont seuls responsables les Arabes et singulièrement les Palestiniens ("A lire les manuels...").
8.Par voie de conséquence, il ne servirait à rien et surtout pas à la paix de faire les "concessions" auxquelles "la plupart des Israéliens sont prêts" ("A quoi bon rendre les territoires, abandonner les colonies..."). C'est tout bénéfice, car ainsi le problème est réglé et l'on n'a plus besoin de se demander qui a élu Sharon et pourquoi faire.
9.Enfin, un nouveau Sadate serait le bienvenu. Hélàs il n'y a plus de volontaire,-Arafat, moins que quiconque.
Chacun de ces points assurément mériterait débat, mais leur ensemble établit une
logique qui dispense de toute polémique.
A l'ultime question : comment les Israéliens vont-ils "mettre un terme, sans différer, aux souffrances et aux humiliations subies par les Palestiniens"?, Monsieur Robert Badinter sait également quoi répondre : cela dépend d'eux, i.e.[c'est à dire] des Palestiniens. Quant à nous, -et nous ne le constatons pas sans quelque tristesse, nous sommes éclairés, la conscience morale de notre grand humaniste se limite décidément au seul cas Papon.
                     
4. Lettre ouverte à M. Badinter par Christian Chantegrel
(Réponse à l'article de Robert Badinter intitulé, "L'angoisse et la paix", publié dans Le Monde du 21 août 2001. Cf. Point d'information Palestine N° 165)
Arrivé jeudi 23 août d'un voyage d'observation en Palestine qui m'a profondément bouleversé, je tombe, vendredi matin, sur un article dans Le Monde, signé de votre main. Si je me permets de vous interpeller à ce propos, c'est non seulement parce que cet article donne une image totalement fausse de la réalité, mais aussi parce que son auteur est un de nos plus ardents défenseurs des droits humains.
Il m'est impossible de passer en revue tout ce qui m'a choqué dans l'article, mais je me souviens par exemple d'une phrase disant que le fait que le terroriste se tue avec ses victimes montre son degré de fanatisme... Cette idée ne vient que si l'on se contente de regarder la surface des choses.
Vous avez peut-être, depuis pris connaissance de ce reportage fait à Gaza et passé sur RFI à 7h30, samedi 25/08, où l'on entend des femmes Palestiniennes dire qu'elles aussi veulent devenir des martyrs parce qu'il n'est plus possible de vivre dans les conditions actuelles.
Et moi qui en reviens, je vous assure que c'est bien cela que nous avons pu observer. Les actes de violences désespérés viennent bien du désespoir et non du fanatisme. Combien de palestiniens désespérés nous ont demandé, "que doit-on faire ?"
Je tiens d'ailleurs à vous signaler que Mgr Gaillot, présent lors de ce voyage, remarquait à la fin du séjour, "Ce qui est étonnant, c'est qu'il n'y ait pas plus de terrorisme, vue la situation."
Je vous rappelle, si besoin est, que les résolutions successives de l'ONU sont restées lettre morte à ce jour. Liberté, propriété, sûreté et résistance à l'oppression, aucun de ces quatre droits fondamentaux posés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, sur laquelle est fondée notre Républiquen n'est respecté en Palestine. Quelle liberté face aux check-points ? Quel droit à la propriété face aux démolitions de maisons ? Quelle sûreté face à une armée sur-puissante, qui n'hésite pas à employer ses armes contre des civils ? Ne croyez surtout pas que ce sont des balles perdues qui ont tué plus de 500 personnes depuis le mois d'octobre. De quel moyen de résistance à l'oppression dispose le peuple palestinien ? Croyez-vous sincèrement qu'Israël respecte le Préambule de la Déclaration Universelle de l'ONU : "il est essentiel que les droits de l'homme soient protégés par un régime de droit pour que l'Homme ne soit pas contraint, suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l'oppression" ?
J'ose croire que vous tenez plus que tout autre à ce que la paix puisse s'installer en Palestine, mais le contenu de votre article laisse craindre que vous n'ayez entendu qu'un seul "son de cloche", celui de ceux qui se disent pour la paix, mais refusent la présence de tout observateur étranger. Ce refus ne vous interpelle-t-il pas ? Qui peut être assez habile dans le maniement du sophisme pour justifier ce refus digne du pire des états totalitaires ?
Une campagne mensongère est en train de faire passer pour de la simple auto-défense une  vulgaire et sanglante répression coloniale aux yeux des gouvernements et des opinions publiques du monde entier.
Vous qui êtes un monument dans le combat mondial contre la peine de mort, vous ne pouvez rester de marbre devant les agissements d'un Etat qui l'applique en dehors même de la loi. Sur la base de simples soupçons, tout palestinien peut être condamné et exécuté par "la sécurité israélienne" ! "L'état hébreu fait assassiner des individus sans présenter la moindre preuve de leur culpabilité, en niant totalement les droits de la défense. Or, les exécutions extrajudiciaires sont interdites en toutes circonstances par le droit international." [Bulletin d'information d'Amnesty International N°134/01 du 1er août 2001]
Il est important que vous ayez une vision objective de la situation. Votre argument concernant la menace de destruction d'Israël me fait penser à une réaction passionnelle et non réfléchie. Certes la propagande en Israël entretient et utilise cette peur de l'autre qui cimente si facilement toute société. Si, dans la Déclaration de principes signée en 1993, on parle de reconnaissance mutuelle, on ne peut que constater que la proclamation de l'état palestinien n'est pas à l'ordre du jour... Je ne vous ferai pas l'affront de vous rappeler les promesses non tenues, les résolutions de l'ONU simplement méprisées, les déclarations de mauvaise foi évidente, les provocations grinçantes. Allez voir les constructions actuelles des colonies autour de Jérusalem par exemple. Serez-vous convaincu que ces milliers de nouveaux logements sont le produit d'une simple croissance naturelle ? Avez-vous vu la "maison de Sharon", à quelques mètres de la porte de Damas, dans la vieille ville de Jérusalem ? Avez-vous entendu parler de la cérémonie de la pose de la première pierre du troisième temple ?
Sur place, et avec d'autres témoins, j'ai pu constater que le peuple palestinien vit sous le joug de l'arbitraire le plus total :
- ses terres sont morcelées, divisées, encerclées, contrôlées, finalement confisquées et immédiatement occupées par des colonies surarmées,
- ses maisons sont détruites. Avec ou sans jugement, les bulldozers arrivent un jour et démolissent en quelques heures ce qu'une famille endettée a mis plusieurs années à construire,
- ses droits élémentaires de circulation sont bafoués, par la mise en place de points de contrôle, de routes de contournement, de systèmes de permis, de couvre feu...
- son accès aux ressources vitales (eau, électricité) est iniquement contrôlé et limité,
- ses chefs sont assassinés,
- ses citoyens et même ses enfants sont abattus chaque jour dans les rues.
Je suis certes un citoyen ordinaire et il peut vous paraître présomptueux que je vous conseille d'approfondir votre réflexion sur le sujet. Peut-être pourriez-vous rencontrer Mgr Gaillot, l'évêque français le plus engagé sur le respect des droits de l'homme ou la député européenne italienne, Luisa Morgantini de retour elle aussi d'une mission d'observation, voire de simples citoyens israéliens animés d'un réel désir d'une paix juste et fidèles au respect de la dignité humaine…
Peut-être pourraient-ils vous convaincre de vous déplacer vous aussi jusqu'à cette terre que l'on dit sainte.
                  
5. Lettre ouverte de l'Union Générale des Femmes Palestiniennes (General Union of Palestinian Women
[traduit de l'anglais par Christian Chantegrel]
16 août 2001 - Combien d'enfants encore les femmes palestiniennes devront enterrer avant que le silence du monde soit rompu ?
Combien de maisons encore devront être démolies avant que les larmes incessantes de notre peuple soient entendues ?
Combien encore de jeunes âmes palestiniennes révoltées devront embrasser la mort avant que leur peuple ne connaisse la liberté, la sécurité et la paix ?
Combien encore d'appels et d'alertes devront nous adresser aux oreilles absentes de ceux qui sont au pouvoir, avant qu'ils veuillent bien écouter et agir ?
Combien encore de crimes de guerre devront nous endurer avant que les auteurs n'arrêtent leurs agressions impunies.
Combien encore de conventions et résolutions internationales devront être violées avant que l'Organisation des Nations Unies et ses instances respectables n'agissent et ne rétablissent leur crédibilité aux yeux attentifs des millions d'opprimés dans le monde.
Alors que les femmes palestiniennes, comme tous les leurs, sont soumises à une escalade quotidienne d'horreurs indicibles, elles ont pleinement conscience que l'occupation israélienne s'attache à éteindre la flamme d'espoir et la détermination qui poussent le peuple à poursuivre la lutte pour l'indépendance, la liberté et ses droits inaliénables.
Israël ne recule devant aucun moyen pour transformer la réalité des agressions sur le terrain, et pour forcer le monde à accepter sa propre version falsifiée de l'histoire et de la vérité. Israël semble ne pas se rendre compte que la force des armes peut tuer les gens, dévaster les terres et démolir les habitations, mais ne peut en aucun cas briser l'esprit des êtres humains luttant pour leur liberté et leur dignité. Plus vite Israël se rendra à cette évidence historiquement prouvée, plus vite cesseront les souffrances de tous ceux concernés.
Par conséquent, nous demandons à la communauté internationale, et à tous ceux qui se sentent concernés, de travailler à mettre un terme à l'escalade des mesures répressives contre notre peuple sans défense, car ces mesures ne peuvent qu'aggraver la situation et faire de la paix un rêve inaccessible.
1) Occupation et colonies.
La dépossession des palestiniens de leurs terres est la cause première du conflit dans la région. Tant que dureront l'occupation militaire et la colonisation des terres palestiniennes, la paix ne pourra être établie.
2) L'occupation de la Maison d'Orient et autres institutions palestiniennes à Jérusalem.
En dépit des lois internationales, Jérusalem, cœur de la Palestine et de tout le monde arabe, est un territoire occupé, et il est réellement inquiétant que la communauté internationale n'ait pas le courage de défendre ses propres résolutions sur la question.
3) L'état de siège et le blocage des routes qui rend tous les aspects de la vie intolérables.
Les palestiniens n'ont plus de vie à cause du blocage des routes. Les institutions palestiniennes, en particulier les écoles et les universités, ne peuvent plus fonctionner à cause de l'état de siège. Ces procédés ne sont-ils pas appropriés pour cultiver la frustration dans le cœur des jeunes, avec de terribles conséquences pour leur croissance et leur futur ?
4) Les assassinats et les bombardements des villes et des camps de réfugiés, créant un état de terreur dans la population jeune et âgée ne peuvent continuer à être négligés ou justifiés.
La loi doit s'appliquer à tous les peuples et à tous les états de la même manière. Le terrorisme d'état d'Israël doit cesser. Israël ne peut continuer à jouir de l'impunité alors qu'il commet des crimes de guerre honteux, y compris sur des populations civiles.
5) Des négociations entre deux partenaires inégaux ne peuvent que prolonger le conflit. Un peuple colonisé et sans défense ne peut attendre aucune justice quand il négocie avec la puissance d'occupation qui brandit et emploie sur le terrain son arsenal militaire le plus sophistiqué pour renforcer les conquêtes et  alourdir les dévastations de la guerre.
                   
Revue de presse

                            
1. A Durban, le "contre-sommet" des ONG accuse Israël de "génocide" par Fabienne Pompey
in Le Monde du mardi 4 septembre 2001

Amnesty International, Human Rights Watch et la FIDH se démarquent: ils ont quitté le forum.
Quelque deux mille organisations non gouvernementales (ONG), réunies en marge de la Conférence mondiale des Nations unies sur le racisme à Durban, en Afrique du Sud, ont accusé, dans une déclaration commune, dimanche 2 septembre, Israël de "racisme" et de "génocide". Ce texte a envenimé le climat à la conférence officielle, où la délégation israélienne espère toutefois qu'un "langage commun" pourra être trouvé.
DURBAN, de notre envoyée spéciale
"Vous entrez dans les restaurants et jetez des bombes sur nos enfants", "c'est vous qui les premiers avez jeté des bombes". Par petits groupes, sous l'œil des caméras, des délégués palestiniens et israéliens au Forum des organisations non gouvernementales (ONG), qui se tient en marge de la conférence, s'invectivent et se bousculent. "Respectez la conférence, soyez tolérants, nous sommes ici pour combattre la discrimination et le racisme", plaide un délégué noir américain. La tension entre les deux communautés, perceptible depuis le début de la conférence, s'est accrue, dimanche 2 septembre, après l'adoption par les ONG d'une déclaration incluant plusieurs paragraphes très controversés sur la situation au Proche-Orient.
Israël y est qualifié "d'Etat raciste" et accusé de "crime contre l'humanité" ainsi que de "génocide". Le texte dénonce "les actes inhumains perpétrés pour maintenir cette nouvelle forme d'apartheid, attaques militaires, tortures, arrestations, détentions arbitraires, restriction de mouvement et punitions collectives systématiques". Les ONG juives ont quitté le forum ainsi que plusieurs organisations telles qu'Amnesty international, Human Rights Watch ou la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, qui récusent l'emploi du mot "génocide".
UNE GRANDE CACOPHONIE
"C'est le pire document anti-juif depuis la fin de l'Allemagne nazie", estime le rabbin Abraham Cooper du Centre Simon Wiesenthal. "Nous étions venus parler de lutte contre le racisme, de tolérance.
On ne nous a jamais laissé parler. Dans les groupes de discussions on nous a conspués, nous nous sommes retrouvés à défendre notre droit de pratiquer notre religion", affirme, amère, Reva Price, membre d'une ONG juive américaine. "Mais ce texte a été adopté, alors que les participants venaient d'écouter un long et ridicule discours de Castro, ils étaient galvanisés. Je suis sûre que beaucoup d'ONG ici ne partagent pas ce point de vue", ajoute-t-elle.
A quelques mètres d'elle, Salem Abu Hawash, représentant une association palestinienne pour les réfugiés, jubile. "Ce texte reflète la souffrance du peuple, partout, pas seulement en Palestine, il envoie un message fort aux gouvernements et aux Nations unies. Ici, en Afrique du Sud, où l'on a combattu l'apartheid, on comprend notre souffrance." "Trop c'est trop", a déclaré la délégation officielle israélienne qui dénonce le "détournement" par les Palestiniens de la conférence. La délégation, composée de diplomates, a menacé de quitter Durban, voire qu'Israël "reconsidère ses relations avec les Nations unies". Elle a salué les efforts fait par la France pour tenter de concilier les positions et faire "arrêter ce langage de haine". Elle a regretté que les propos virulents de Yasser Arafat qui, à l'ouverture de la conférence, avait prononcé un violent plaidoyer anti-israélien aient envenimé la situation.
La focalisation des débats sur la question israélo-palestinienne occulte presque totalement les autres sujets. Ainsi, de la déclaration des ONG, on ne parle que des six paragraphes consacrés aux Palestiniens sur les cent quatre-vingt que contient le texte. Plusieurs traitent de l'antisémitisme le qualifiant de "la forme de racisme la plus ancienne, la plus pernicieuse et la plus répandue". Témoin de l'ampleur des divisions aux sein des ONG, un paragraphe, quelques pages avant le chapitre sur les Palestiniens, est consacré à l'antisionisme et déplore les "accusations fortes et inappropriées de génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité à l'égard d'Israël". Il a disparu de la dernière version.
Celle-ci contient, en revanche, un long chapitre sur les Africains et leurs descendants, condamnant la traite transatlantique des esclaves, mais aussi le commerce transsaharien et dans l'Océan indien. Elle demande pour les victimes de "justes et équitables réparations". La cause des "intouchables" indiens, celle des Tsiganes d'Europe centrale, des peuples indigènes font l'objet de chapitres particuliers. Pourquoi celles-là et pas d'autres ? C'est la question que se posent de nombreuses ONG. "Ici c'est un désordre indescriptible. Je n'ai jamais vu ça dans aucune rencontre internationale. C'est à celui qui crie le plus fort", regrette un délégué burkinabé. La déclaration finale des ONG ne pouvait être exhaustive et il est vrai que seules les associations qui constituaient des groupes de pression importants ont pu se faire entendre. Le résultat a été une grande cacophonie et une déclaration finale aussi brouillonne que controversée.
                 
2. Les points controversé du texte sur Israël
Dépêche de l'Agence France Presse du lundi 3 septembre 2001, 11h32
DURBAN (Afrique du Sud) - Voici quelques points controversés concernant Israël du projet de déclaration finale de la conférence de Durban (Afrique du Sud) contre le racisme. Les passages entre crochets n'ont pas été approuvés lors des conférences préparatoires et sont encore soumis à discussion (texte en français de l'ONU).
32. (Les/l'(holocaustes/Holocauste) et le nettoyage ethnique de la population arabe des terres historiques de Palestine et en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo ne doivent (doit) jamais être oubliés (oublié))
33. (Nous affirmons qu'une occupation étrangère fondée sur les colonies de peuplement, avec ses lois fondées sur la discrimination raciale afin de maintenir cette domination sur le territoire occupé, ses pratiques consistant à renforcer un blocus militaire total, à isoler les uns des autre les villes et villages occupés, sont en contradiction totale avec les buts et principes de la Charte des Nations unies et constituent une violation grave du droit international des droits de l'Homme et du droit international humanitaire, une nouvelle forme d'apartheid, un crime contre l'humanité et une menace grave pour la paix et la sécurité internationale)
36. Nous saluons la mémoire de toutes les victimes du racisme, de discrimination raciale, de la xénophobie et de l'intolérance qui y est associée, de l'esclavage et de la traite des esclaves, du colonialisme, (des holocaustes/de l'Holocauste), (de l'épuration ethnique de la population arabe dans la Palestine historique) et au Kosovo, de l'apartheid et de l'occupation étrangère, partout dans le monde et à toutes les époques)
66. (Nous exprimons notre profonde inquiétude face à la discrimination raciale que subissent les Palestiniens et d'autres habitants des territoires arabes occupés, discrimination qui a des incidences sur tous les aspects de leur vie quotidienne et les empêche de jouir de leurs droits fondamentaux; nous demanons qu'il soit mis un terme à toutes les pratiques de discrimination raciale auxquelles sont soumis les Palestiniens et les autres habitants des territoire arabes occupés par Israël)
67. (Nous sommes convaincus que la lutte contre l'antisémitisme, l'islamophobie et (les pratiques sionistes contre le sémitisme) est indissociable du combat contre toutes les formes de racisme et nous soulignons la nécessité d'adopter dès aujourd'hui des mesures efficaces pour résoudre le problème de l'antisémitisme, de l'islamophobie et (des pratiques sionistes contre le sémitisme) afin de lutter contre toutes les manifestations de ces phénomènes)
68. (La Conférence mondiale constate avec une profonde inquiétude la montée des pratiques racistes du sionisme et de l'antisémitisme dans diverses régions du monde, ainsi que l'apparition de mouvements racistes et violents reposant sur le racisme et des modes de pensée discriminatoires, en particulier le mouvement sioniste fondé sur la supériorité raciale)
                   
3. Le Forum des ONG traite Israël d'Etat raciste par Buchizya Mszeteka
Dépêche de l'agence Reuters du dimanche 2 septembre 2001, 18h02
DURBAN, Afrique du Sud - Le Forum des organisations non-gouvernementales (ONG), qui réunit 3.744 mouvements en marge de la conférence des Nations unies contre le racisme, a formellement adopté un projet de déclaration condamnant Israël, qualifié d'"Etat raciste et d'apartheid".
Dans une déclaration finale, le Forum des ONG de Durban accuse l'Etat hébreu de "perpétration systématique de crimes racistes, dont des crimes de guerre, des actes de génocide et des nettoyages ethniques" à l'encontre des Palestiniens.
Des ONG comme Human Rights Watch et Amnesty international ont toutefois émis des réserves, soulignant qu'elles n'adhéraient pas à l'accusation de génocide.
Les ONG ont par ailleurs décidé de retirer une clause qui condamnait les attaques contre les synagogues et des attaques armées contre les juifs.
La déclaration, adoptée dans 44 comités distincts et qui devait être publiée lundi, a choqué les organisations juives, qui ont quitté les débats en signe de protestation.
Des diplomates occidentaux ont estimé que ce vote alourdissait encore l'atmosphère de la Conférence mondiale contre le racisme à laquelle participent 153 délégations à Durban, Afrique du Sud.
Le ministre israélien des Affaires étrangères, Shimon Peres, a vivement dénoncé ce texte. "C'est une explosion de haine, d'antisémitisme, d'antisionisme, sans la moindre réflexion", a-t-il déclaré aux journalistes à Tel Aviv.
Critiques de Mary Robinson
Le haut-commissaire de l'Onu pour les droits de l'Homme, Mary Robinson, a assuré avoir tenté en vain de persuader le Forum des ONG de ne pas insérer le texte sur Israël dans sa déclaration finale. Elle a jugé improbable que la Conférence officielle de l'Onu adopte un texte d'une telle dureté.
"Je les ai exhortés à ne pas l'adopter. Mais c'est un processus démocratique et ils ont poursuivi leur action et l'ont adopté", a-t-elle dit à Reuters. "Mais j'ai aussi le droit démocratique de rejeter cette déclaration au sujet d'Israël."
Des responsables américains se sont dits "profondément attristés" par le choix des ONG. Les Etats-Unis n'ont envoyé qu'une délégation réduite à Durban afin de protester contre les mentions anti-israéliennes.
Le secrétaire général de l'Onu, Kofi Annan, avait mis en garde samedi les participants contre une controverse sur Israël susceptible de compromettre l'issue de la conférence. Le président palestinien Yasser Arafat, intervenant vendredi à Durban, a qualifié l'Etat hébreu de raciste en raison de son traitement des Palestiniens dans les territoires occupés.
Le conflit israélo-palestinien a monopolisé l'attention de la Conférence contre le racisme, dont les travaux peinaient à avancer dimanche.
Mary Robinson a demandé aux médias de faire en sorte que l'on ne retienne pas uniquement la controverse sur Israël de ce rendez-vous.
"En tant que médias, vous avez un rôle à jouer, une responsabilité à assumer afin que cette conférence ne porte pas sur un seul sujet, le Proche-Orient. Vous devez faire en sorte que les autres sujets, tout aussi importants, soient abordés et mis en avant lors de cette réunion", a-t-elle dit aux milliers de journalistes présents à Durban.
"Les sujets comme l'esclavage, les droits des minorités, la sexualité et la pauvreté sont aussi très importants", a-t-elle souligné. 
                    
4. Paix des braves au Proche-Orient par Paul Chemetov (Paris)
dans la rubrique courrier des lecteurs du quotidien Le Monde du dimanche 2 septembre 2001
Vous avez été, vous restez, M. Badinter, le héros du premier septennat socialiste. Le courage qui assura l'abolition de la peine de mort tranche encore avec les hésitations habiles sur le droit de vote des immigrés, qui nous valent toujours leur éviction de la vie civique des communes qu'ils habitent et le racisme qui s'en nourrit.
C'est par référence à ces deux attitudes qu'on peut lire "L'angoisse et la paix" (Le Monde du 21 août), plaidoyer univoque, qui, avec talent, donne une dimension existentielle à la politique d'Ariel Sharon : la guerre. (...)
L'expulsion des Palestiniens en 1948, les annexions de 1967, fournissent et fourniront les troupes du désespoir. Symétriquement, on peut porter au crédit de l'Etat d'Israël, par un effet de bande, la disparition des communautés sépharades, quelquefois millénaires, d'Egypte, du Moyen-Orient et du Maghreb. Voilà d'autres voyageurs sans billet de retour. Il faut désamorcer ces bombes, vivantes. Alors que vous concluez sur l'assassinat de Sadate, qui s'y essaya et en fut victime, vous ne dites mot de celui de Rabin ; ce n'est pourtant pas un kamikaze arabe qui le tua ? (...)
Vous écrivez "A quoi bon rendre les territoires, abandonner les colonies de peuplement, reconnaître à Jérusalem-Est le statut de capitale de l'Etat palestinien, indemniser les réfugiés palestiniens, à quoi bon tant de concessions et de renoncements si l'on n'atteint pas le but : la paix, la vraie paix, celle des âmes". La paix des âmes c'est le Paradis sur terre. Mais une paix humaine suppose que les concessions que vous évoquez soient réellement proposées dans la discussion. La paix des âmes suppose, pour y parvenir, la paix des braves. Sauf à se satisfaire du modèle d'Hébron, où quelques centaines de colons, sous la protection de l'armée israélienne, pourrissent la vie de cent vingt mille personnes.
Il est vrai que ni Mendès-France, ni de Gaulle, ces frères ennemis, n'ont aujourd'hui leur équivalent en Israël, mais on y retrouve beaucoup de Mollet, de Laniel, de Bidault et de Bigeard. Ils sont juifs : et alors ?
                              
5. Mémoire et politique par Mohamed Jemal (ElMenzah, Tunisie)
dans la rubrique courrier des lecteurs du quotidien Le Monde du dimanche 2 septembre 2001

Les tragédies des peuples ne disparaissent pas facilement de leur mémoire. M. Badinter en sait quelque chose. Même le retour des réfugiés et l'arrêt des implantations de colonies ne suffiront pas. Il ne peut y avoir de vraie paix, celle des âmes dont parle l'ancien ministre de la justice, que s'il y a d'abord reconnaissance des erreurs du passé.
A l'exemple des Etats européens qui s'inclinent devant Auschwitz ou les rafles du Vel'd'Hiv' (...), Israël est-il capable de revoir son histoire et de reconnaître parmi les massacres des civils palestiniens (Deir Yassine, Kafar Kassem, Sabra et Chatila, et bien d'autres) ceux qui ont été perpétrés au nom de l'Etat ?
La réconciliation n'est pas utopique. Qui aurait pensé il y a vingt-cinq ans que l'apartheid serait aboli un jour en Afrique du Sud ? Mais, pour ce faire, il a fallu des politiciens de grande valeur, de la stature de Nelson Mandela. Les Israéliens ne manquent pas d'intelligence pour trouver parmi eux des dirigeants de cette stature. Il suffirait qu'ils remettent les pieds sur terre et qu'ils fassent preuve d'imagination. La politique de la main de fer ne paye pas, à long terme. L'histoire l'a prouvé ailleurs.
             
6. Les camps de toile se multiplient dans le sud de la bande de Gaza
Dépêche de l'Agence France Presse du dimanche 2 septembre 2001, 19h50
RAFAH (Bande de Gaza) - Sur un monticule de terre retournée par les bulldozers, des familles tentent d'arracher aux ruines quelques pauvres affaires. En moins d'une semaine, l'armée israélienne a détruit une trentaine de maisons palestiniennes à la frontière entre la bande de Gaza et l'Egypte.
Dans le quartier de Rafah qui porte le nom de sa famille, près du camp de réfugiés "Brazil", Moustapha Hamdane al-Chaer, le patriarche, découvre la vie de réfugié, depuis la funeste nuit au cours de laquelle l'armée israélienne a rasé six habitations, dont l'immeuble où il vivait avec son clan, à une dizaine de mètres de la frontière.
"Nous vivons à cet endroit depuis plus de 50 ans", souligne-t-il. "Les enfants s'y installent avec leur famille lorsqu'ils se marient. On ne quitte la maison que pour mourir; c'est ainsi que cela se passe chez nous", explique M. Chaer, en bordure d'un camp de tentes blanches frappées du symbole de l'UNRWA, l'agence des Nations unies pour l'aide aux réfugiés palestiniens.
"Six bulldozers et sept chars sont arrivés mercredi (29 août) vers minuit. Nous avons à peine eu le temps de sortir", se souvient-il.
Tout au long de la frontière, non loin du site de Raphia, théâtre au IIIème siècle avant JC de la plus grande bataille d'éléphants de l'Histoire, ce scénario s'est répété avec une implacable régularité au cours de la semaine.
Selon l'UNRWA, l'armée israélienne a détruit dans le secteur de Rafah 27 habitations depuis le 28 août, chassant 45 familles, soit plus de 200 personnes.
L'armée a creusé un profond fossé le long de la frontière, déjà zone d'affrontements fréquents, pour empêcher le transit clandestin d'armes à partir de l'Egypte, par des tunnels souterrains.
Au sommet de la montagne de décombres donnant sur l'Egypte, l'épouse de M. Chaer, Hiyam, supervise les travaux d'excavation.
"Ils ne nous ont laissé aucune chance d'emporter nos affaires", s'insurge-t-elle, assise au milieu des gravats, où achève de pourrir un poulet tombé du réfrigérateur et, plus loin, gisent un narguilé tordu et des jouets cassés.
Sur des tapis de fortune, son mari tient pourtant à offrir le thé aux visiteurs comme du temps de sa splendeur. "C'était le plus haut immeuble de la frontière", se rappelle-t-il, tout en dénonçant l'impuissance de l'Autorité palestinienne.
"Pour eux, on peut bien crever ici !", s'emporte-t-il.
A Rafah, les familles chassées dans la nuit du 28 au 29 août par une incursion israélienne qui a détruit 14 maisons dans le camp de réfugiés de la ville, manifestent également leur impatience.
Elles ont finalement accepté dimanche de déplacer leur camp de toile d'une vingtaine de tentes du principal carrefour du centre, où il bloquait la circulation, une initiative destinée à alerter les autorités locales sur leur sort, vue d'un mauvais oeil par les commerçants.
Mais elles menacent de revenir planter leurs tentes, où chaque nuit dorment en moyenne huit personnes, au carrefour ou devant le bureau du gouverneur.
"Que peut faire l'Autorité si elle n'arrive même pas à nous apporter de l'eau?", s'interroge Mohammad Mansour, dont la maison se trouvait à quelques mètres de la frontière.
"C'est toujours la même histoire", soupire ce réfugié de la région de l'actuel Ashdod, dans le sud d'Israël, père de six enfants, chassé lors de la création de l'Etat juif en 1948, qui doit réapprendre à vivre sous la tente.
Deux fillettes de 10 ans voient la situation différemment. "Il y a de l'air frais le soir, c'est agréable", sourit Amina, mais sa cousine Tahrir regrette que "les rues se vident le soir".
Sous une autre tente, Fatima Abou Jazer, mère de neuf enfants, berce son dernier-né de deux ans et demi, harcelé par les mouches.
"Je dois le laver sur le bitume! Est-ce que c'est un endroit pour laver un bébé?", s'insurge-t-elle, s'étonnant du silence de la communauté internationale sur les destructions: "Est-ce que ce qui nous arrive n'est pas une catastrophe?". 
                       
7. Sombre rentrée scolaire pour les enfants palestiniens par Jamie Tarabay
Dépêche de l'agence Associated Press du dimanche 2 septembre 2001, 15h37
KHAN YOUNIS, Bande de Gaza - C'était la rentrée ce week-end pour les écoliers palestiniens, en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza. Les bureaux vides des élèves tués au cours de l'Intifida rappellent que le conflit israélo-palestinien touche toute la population. Avant le lever du soleil samedi, les enfants palestiniens étaient déjà debout et en route vers leurs salles de classe. Ruban blanc dans les cheveux, les filles bras dessus bras dessous riaient alors que les adolescents en jeans et chemise bleue avançaient à grands pas, imités par les plus jeunes.
Près d'un million d'élèves, selon les chiffres du ministère de l'Education palestinien, rencontrent des soucis bien plus graves que de résoudre un problème de mathématiques ou mémoriser des dates d'histoire. Une année de violences a causé la mort d'environ 600 Palestiniens, parmi lesquels figurent de nombreux enfants.
En retrouvant leurs salles de classe, les enfants palestiniens ont de nouveau affronté la vision des photos et posters de leurs camarades tués lors d'affrontements avec l'armée israélienne. Les bureaux des enfants décédés resteront vides, a annoncé le ministère de l'Education.
Comme l'année dernière, certains élèves ont découvert le chemin qui mène à l'école encombré de débris. Certaines écoles ont été fermées en raison de leur proximité avec des bases militaires israéliennes, et d'autres enfants ont dû changer d'établissement à cause des restrictions de déplacements imposés par Israël.
En Cisjordanie, à Hébron, les soldats de Tsahal ont empêché 300 fillettes, âgées de 6 à 12 ans, d'entrer dans leur école située à 10 mètres d'un secteur sous contrôle israélien. Les soldats ont formé une ligne à l'entrée de l'école primaire Al Yakoubiya afin d'éloigner les fillettes, en dépit des suppliques du directeur de l'établissement et des professeurs de laisser les enfants rejoindre les 100 écolières qui avaient pu entrer avant l'arrivée des soldats.
Pour expliquer cette interdiction, Tsahal a avancé que l'école Al Yakouiya se trouvait dans un secteur à partir duquel des Palestiniens armés tirent sur des soldats et des colons juifs. L'école restera fermée jusqu'à ce que la sécurité soit réévaluée.
Tenant par la main sa petite fille de huit ans, Khalil Natche a expliqué qu'il espérait que l'armée se laisserait amadouer. ''Elle était tellement excitée hier soir, elle avait tout préparé'', a-t-il raconté.
Plus tard dans la journée, des jeunes Palestiniens ont lancé des pierres et des engins incendiaires contre les soldats israéliens alors que les fillettes fuyaient en hurlant et en pleurs. Aucune enfant n'a été blessée mais un soldat israélien a été légèrement touché.
Au total, les 24 écoles du centre d'Hébron, fermées l'année dernière pour cause de restrictions militaires, ont gardé portes closes, a déclaré Mohammed Kawatmi, le responsable de l'Education à Hébron. Près de 15.000 élèves sont concernés.
A Khan Younis, dans le centre de la Bande de Gaza, une mère palestinienne, Soumaya Shiblan, se pressait pour inscrire ses enfants à l'école préparatoire financée par l'ONU, qui gère plusieurs écoles dans les camps de réfugiés. Cette maman leur a également montré le chemin pour regagner la maison en cas d'urgence.
Au cours de l'année scolaire précédente, les écoles avaient fermé pendant les nombreuses grèves générales décrétées par les Palestiniens. Certains enfants avaient également séché les cours pour assister à des obsèques ou pour aller lancer des pierres sur les Israéliens, sans la permission de leurs parents.
Pratiquement chaque élève a été affecté par la reprise des violences en septembre 2000. ''Nous connaissons tous quelqu'un qui a été tué'', explique Abdel Rahman, 15 ans, accompagné de deux amis. ''Peut-être que ce sera la même chose cette année''.
La rentrée avait lieu ce dimanche pour les élèves israéliens.
                        
8. Un objecteur israélien : "Je refuse de participer à des crimes" propos recueillis par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du samedi 1er septembre 2001

" J'ai refusé d'aller dans les territoires palestiniens parce que je ne veux pas risquer de participer à des crimes de guerre ou à des crimes contre l'humanité. Tout simplement. " Soldat dans l'armée israélienne où il effectue son service militaire, le jeune X... ne mâche pas ses mots. Il souhaite garder l'anonymat, une précaution que l'on comprend aisément quand on sait qu'il vient juste de purger une peine de 1 mois de prison militaire qui lui avait été infligée en raison de son attitude. Un refus d'obéissance qu'il partage avec quelques dizaines d'autres jeunes appelés comme lui et avec des réservistes qui, périodiquement rappelés sous les drapeaux, refusent eux aussi d'" aller dans les territoires casser du Palestinien ". " La plupart de ceux qui ont, comme moi, refusé d'aller dans les territoires occupés ont fait de la prison. Dans certains cas, surtout pour les réservistes, le commandement a accepté de fermer les yeux et de ne pas les sanctionner ", explique X...
Comment ce jeune homme, habitant Jérusalem, en est-il arrivé au refus de faire la guerre aux Palestiniens ?
" C'est très simple, ajoute-t-il, je refuse d'aller dans les territoires palestiniens parce que j'estime que nous n'avons rien à y faire. Je crois en une armée de défense d'Israël (1), pas en une armée d'occupation. J'ai été élevé dans une famille de gauche, très ouverte et qui passe pour pro-palestinienne. Cela a sans doute joué dans ma prise de conscience. Mes parents sont très engagés politiquement. Mon père a des amis palestiniens, ma mère a milité dans une organisation, " Les nouvelles de l'Intérieur ", qui s'efforce de favoriser les contacts entre Israéliens et Palestiniens. Malheureusement, je n'ai pas moi-même d'amis palestiniens parce que c'est devenu très difficile ces dernières années en Israël. Nous sommes complètement séparés les uns des autres. C'est une situation affreuse, déshumanisante pour les Palestiniens comme pour nous. Mais j'estime que c'est nous, Israéliens, qui en sommes responsables, parce que c'est nous qui sommes les plus forts, nous qui avons toutes les cartes en main. Nous pourrions, si nous le voulions vraiment, résoudre ce problème. Mais dans cette histoire, nous sommes dans le rôle des mauvais, car nous refusons de voir les souffrances que nous infligeons aux Palestiniens et d'en tenir compte. "
X... a bien conscience que sa lucidité et sa générosité sont loin d'être partagées par ses compatriotes. " Je sais que très peu de gens pensent comme moi, dit-il, mais ce qui me désole, c'est que même ceux qui se disent de gauche ne croient pas vraiment à la possibilité de vivre côte à côte avec les Palestiniens. Ils veulent de plus en plus de séparation. La plupart des gens ne songent qu'à en découdre. Ils croient tout ce que leur racontent les leaders politiques, à ce que dit la presse et, franchement, à l'exception de quelques journalistes comme Amira Hass ou Gideon Levy, ce n'est pas brillant. Pourtant, il faudra bien arriver à une solution. On ne peut pas vivre indéfiniment dans un si petit Etat si on n'a pas la paix. La situation en Israël est horrible : on vit dans les meurtres, les enterrements, la peur et la haine. Si on avait seulement le courage de regarder les choses en face, de voir la faiblesse et les souffrances de notre ennemi, on pourrait tout changer. "
(1) Tsahal, le nom donné en hébreu à l'armée israélienne, correspond en fait aux initiales de " Armée de défense d'Israël ".
                    
9. Huissiers belges contre colonies par Agnès Gorissen
in Le Soir (quotidien belge) du samedi 1er septembre 2001

La Commission européenne critique la commercialisation de produits interdits. A-t-on tenté de tuer Abou Leila ?
L'Etat hébreu écoule sur le marché européen des produits estampillés « made in Israel », mais fabriqués en réalité dans les colonies juives de Cisjordanie et de Gaza. C'est-à-dire dans les territoires palestiniens, occupés illégalement. En violation de la règle d'origine définie dans l'accord d'association Union européenne-Israël, qui offre des tarifs préférentiels aux produits venant de l'Etat hébreu.
L'information n'est pas nouvelle. Mais, après un an et demi de travail, le Comité de coordination européen des ONG sur la question de la Palestine (ECCP) est en mesure de fournir des précisions. Lors des réunions techniques entre fonctionnaires européens et israéliens, note ainsi Pierre Galand, président de l'ECCP, en se basant sur les informations fournies par les douanes, 4.500 constats de violations des règles d'origine ont été transmis aux Israéliens.
Il n'est de toute façon pas difficile de se rendre compte de ces violations : un simple petit tour en grande surface suffit. En Belgique, on peut trouver dans les supermarchés GB et Delhaize des produits alimentaires comme les barres Halva ou des sachets de pretzels, fabriqués dans les colonies. L'affaire a d'ailleurs été constatée par huissier de justice - la même démarche a été entreprise en Espagne, en Italie, en Grande-Bretagne, en Hollande et en France. Et les consommateurs ne sont pas forcément d'accord avec cet état de fait : plus de 4.500 pétitions de clients ont été remises vendredi aux directeurs des ventes de Delhaize et GB-Carrefour.
La Commission européenne elle-même commence à bouger. Le commissaire Chris Patten, en charge des relations extérieures, a dénoncé publiquement au Parlement européen l'aspect illégal de l'entrée de ces produits sur le sol de l'Union.
Des boucliers humains ?
Et si on ne le fait pas pour des raisons commerciales, il existe une autre raison de le faire, souligne l'ECCP : l'accord d'association Union européenne-Israël comporte une clause très claire concernant le respect des droits de l'homme. Or, l'Etat hébreu ne remplit pas cette obligation, et encore moins depuis qu'a éclaté l'intifada, fin septembre 2000.
La situation est même tellement grave que, pour le Comité, l'urgence immédiate est de protéger la population palestinienne. En envoyant des observateurs internationaux. L'Union européenne doit « se mouiller » politiquement pour ça, estime l'ECCP. Et pas seulement pour des raisons morales : la quatrième Convention de Genève, sur la protection des civils en temps de guerre, lui en fait quasiment obligation.
Les sympathisants de la cause palestinienne sont prêts à aller loin pour obliger les Quinze à agir. Jusqu'à se rendre eux-mêmes sur le terrain pour servir de boucliers humains aux civils palestiniens.
                    
10. L'engrenage fatal par Michèle Manceaux
in Le Monde du vendredi 31 août 2001

(Michèle Manceaux est journaliste et écrivain.)
Le point de vue de Robert Badinter "L'angoisse et la paix" (Le Monde du 21 août) m'a choquée. Comment peut-il, lui, juriste éminent, penser que l'angoisse donne des droits ? Puisqu'il fait l'analogie entre les peuples et les individus, je me permets d'évoquer en deux mots mon histoire. J'ai été une jeune juive angoissée. Cela ne m'a donné aucun droit. Plutôt une grave névrose. Des années de psychanalyse m'ont été nécessaires pour me libérer de l'empreinte du passé et me trouver moi-même.
Ainsi Israël ne trouvera sans doute sa paix que lorsque le souvenir de la Shoah auquel Robert Badinter attribue la cause de l'angoisse de ce pays ne sera plus qu'une blessure du passé comme nous en avons subies tous dans nos vies. Ainsi Israël ne doit plus chercher dans la Shoah une raison à sa peur. Tout visiteur de ce pays en ressent la constante paranoïa. Peut-être faut-il que de nouvelles générations prennent en main leur destin pour qu'Israël échappe enfin à la schizophrénie qui, hélas, saisit le pays et parvient aujourd'hui à son comble lorsqu'il se donne un chef assassin.
Je pleure comme Robert Badinter de voir Israël en sang et en guerre, mais son analyse du rapport de forces entre les Israéliens et les Palestiniens n'apporte aucun espoir de paix.
Israël ne peut survivre qu'en reconnaissant l'Etat palestinien (comme, à Sarajevo, la paix est passée par la reconnaissance de chaque confession). Robert Badinter trace de l'histoire d'Israël un tableau qui tronque la vérité. Si l'Etat hébreu fut créé sur une terre occupée par les Palestiniens, il eût été juste qu'un Etat palestinien fût institué en même temps. On a confondu "palestinien" et "bédouin", oubliant qu'une société palestinienne cultivée habitait ces terres depuis plusieurs générations et à Jérusalem même.
Les Palestiniens ne constituent pas l'ensemble des Etats arabes qui, d'ailleurs, prouvent leur indépendance en n'intervenant dans le conflit actuel que par des déclarations.
Robert Badinter dit : "Israël est né de la Shoah. Il ne faut jamais l'oublier." Justement, il faut l'oublier et ne pas pardonner aux Israéliens de se croire tout permis. A Genève, depuis longtemps, ils méprisent les avis de la Commission des droits de l'homme, se désignant comme un pays "à part". Avec la complicité des Etats-Unis, Israël s'arroge le droit d'échapper aux conventions des droits de l'homme en tirant sur les enfants (ce ne sont pas "des balles perdues") et en se livrant contre les Palestiniens à des exactions que des juifs entendus par moi en Israël qualifient eux-mêmes de fascistes.
Quelle tragédie pour les juifs de s'appuyer sur le souvenir de la Shoah pour infliger à un autre peuple les exactions ignobles qu'ils ont eux-mêmes subies. Cette folie qui s'empare des esprits au Proche-Orient, mais aussi des esprits dans le monde entier dès qu'il s'agit du désastre actuel, serait-elle l'ultime avatar de la folie hitlérienne ? De cette damnation à laquelle le peuple élu n'échapperait pas ? Contrairement à ce que pense Robert Badinter, il faut résister à la Shoah pour récupérer la raison et la dignité.
Sinon Israël est perdu. Déjà le fanatisme s'étend des deux côtés. Les Palestiniens, qui espéraient la paix depuis les accords d'Oslo, n'avaient eu aucun geste guerrier et Arafat, quoi qu'on en dise, jugulait le fanatisme. Entre 1993 et 2000, les Palestiniens ont attendu la paix dans le calme. De promesses non tenues en conférences inabouties, on les a fait lanterner. De Camp David à Taba, on a fait croire au monde entier que des propositions sérieuses étaient apportées par Barak à Arafat. On sait aujourd'hui officiellement par les témoins américains qu'il n'en a rien été et que, pendant des années, les colonies se sont multipliées.
Le marché de dupes offert aux Palestiniens les a poussés à bout, à cette horreur de voir des hommes se faire eux-mêmes exploser. Désespoir total. Ces attentats présagent le pire, une guerre de religions, un fanatisme général dans la région, dont Israël paiera le prix.
Robert Badinter justifie - je le cite : "Le recours à la force qui assure le statu quo qui permet au moins de rassurer (...) les esprits. Jusqu'au prochain attentat, jusqu'au prochain mort." Mais c'est là où lui-même est pris dans cet engrenage fatal qui lui fait perdre sa lucidité. Il sait pourtant que ce recours à la force ne peut rien, absolument rien. Les Palestiniens ne veulent pas la mort de l'Etat hébreu. Ils veulent un Etat palestinien à côté. Ils veulent leur part de Jérusalem. Et ils y ont droit, même s'ils n'ont pas été victimes de la Shoah qui, d'après lui, donne tous les droits.
Il parle d'homme providentiel, un Sadate, pour résoudre un conflit psychologique ! Cela semble bien léger. N'est-ce pas un juif qui a tué Rabin ? Au lieu d'en appeler à un homme, ne faut-il pas, avant qu'il ne soit trop tard, que la communauté internationale intervienne vite et sans appel ? Le rapport Mitchell est inapplicable quand Sharon refuse même une commission d'observateurs.
Tant qu'une instance internationale n'empêchera pas Sharon de conduire les événements, Israël ira à sa perte. Et vous, Robert Badinter, comme moi, nous serons encore plus tristes qu'aujourd'hui.
                        
11. Est-il interdit de critiquer Israël  ? par Pascal Boniface
in Le Monde du vendredi 31 août 2001

(Pascal Boniface est directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques - IRIS.)
En m'exprimant sur le conflit israélo-palestinien (Le Monde du 4 août), je savais que je défiais les lois de la prudence, qui conseillent d'éviter, si l'on n'y a pas un intérêt personnel, de traiter un sujet aussi passionnel. Je ne suis ni juif ni arabe ou musulman. Je ne suis pas non plus spécialiste de la région. Je pense tout simplement, d'un point de vue moral, que les principes universels ne doivent pas être appliqués de façon sélective et, d'un point de vue réaliste, qu'aucune paix durable ne peut être établie sur la négation des droits d'un peuple. J'estime que le droit légitime d'Israël à la sécurité n'est pas incompatible avec celui des Palestiniens à l'autodétermination.
Je me doutais bien que, d'une façon ou d'une autre, mon intervention allait susciter approbations chez les uns (et notamment de nombreux juifs français), critiques chez les autres, et aussi insultes, promesses de rétorsions professionnelles et menaces anonymes sur ma personne. Je n'ai pas été déçu sur ce dernier point.
Je pouvais m'attendre, pour la partie du texte qui critiquait le gouvernement actuel d'Israël, à ne pas recevoir l'approbation de ses représentants. Je ne m'attendais pas à ce que l'actuel ambassadeur d'Israël en France, Elie Barnavi, intellectuel réputé et qui a joué un rôle incontestable dans la recherche de la paix, écrive (Le Monde du 8 août) non pas une réponse à mon point de vue, mais une réaction d'une virulence qui a étonné jusqu'à ceux qui ne partagent pas mon analyse, allant jusqu'à instruire contre moi un procès d'antisémitisme et de haine anti-israélienne.
Cela prouve que ce débat est encore plus exacerbé et la situation plus dégradée que je ne le pensais.
Elie Barvani, tout en se plaignant amèrement du parti pris anti-israélien de la presse française en général et du Monde en particulier, peut tranquillement me désigner comme l'adversaire d'Israël, m'accuser d'antisémitisme sans, bien sûr, apporter aucun fondement à ces graves accusations. Il le fait, de surcroît, en faisant croire que, parallèlement au point de vue modéré que Le Monde a publié, je suis l'auteur d'un pamphlet d'une rare violence, non public, mais qu'il se garde bien de citer.
Comment qualifier cette méthode qui, dans un climat passionné, laisse supposer le pire, sans étayer, car cela lui serait bien évidemment impossible, ces insinuations ? Effectivement, j'ai envoyé une note à quelques dirigeants socialistes en avril dernier, dont le texte publié reprend les arguments. J'y indiquais en outre qu'on ne peut pas se dire aujourd'hui de gauche et accepter le sort fait aux Palestiniens, fût-ce pour d'illusoires raisons électorales.
En souhaitant faire publier une "Lettre à un ami israélien", je ne voulais pas utiliser une rhétorique cachant des sentiments d'hostilité mais poursuivre publiquement un débat que j'ai eu à partir de cette note avec des Israéliens et des membres de la communauté juive française.
Je l'ai fait en raison des inquiétudes que fait naître en moi la situation actuelle, faite d'affaiblissement du camp de la paix en Israël et de montée des extrémistes chez les Palestiniens.
J'ai toute ma vie combattu le racisme, sous toutes ses formes ; je défie quiconque de trouver une seule ligne raciste ou antisémite sur les centaines de milliers que j'ai pu écrire. Cela va totalement à l'encontre de ma pensée et de mes convictions les plus profondes. Je trouve inadmissible le terrorisme intellectuel consistant à accuser d'antisémitisme toute personne qui critique le gouvernement israélien, accusation d'ailleurs qui devrait s'appliquer aux pacifistes israéliens et aux juifs français qui partagent ce point de vue.
Je crois au contraire qu'à certains moments de l'histoire, ceux qui s'opposent à un gouvernement servent mieux sa nation et les valeurs qu'elle incarne. Pour en rester au seul cadre français, ce fut le cas des résistants sous Vichy et des opposants à la guerre d'Algérie. Me faut-il répéter que, pour moi, le droit à l'existence d'Israël de vivre en paix et en sécurité dans des frontières reconnues, celles d'avant le conflit de 1967, est une évidence absolue ? Que les attentats terroristes qui frappent Israël doivent être condamnés fermement, car ils sont à la fois moralement criminels (ils ne peuvent que frapper des innocents) et politiquement néfastes (ils éloignent les perspectives de paix) ? Que les communautés juives vivant en dehors d'Israël doivent pouvoir vivre en sécurité et dans le respect de leur identité ?
Mais tout cela n'empêche pas pour autant de dire que le sort fait aujourd'hui aux Palestiniens est immoral, illégal et, par ailleurs, contraire aux intérêts à long terme des deux peuples.
On me reproche de faire un amalgame pour l'ensemble de la communauté juive française. Je dis au contraire que ses représentants les plus lucides et les plus courageux sont les premiers à critiquer le gouvernement Sharon et l'impasse dans laquelle il conduit son pays. Je n'ai évidemment jamais voulu justifier la résurgence éventuelle de l'antisémitisme que la communauté juive, dont je connais la diversité et l'absence de caractère monolithique, devrait subir du fait de sa fidélité à Israël. Je redoute au contraire les conséquences d'une situation où la logique des extrêmes l'emporterait. Je pense que ce conflit est un conflit de nature politique et qu'il faut combattre toute tentative d'explication communautaire et/ou religieuse.
Cependant pourquoi Israël serait-il le seul Etat au monde dont il serait interdit de critiquer le gouvernement sauf à être accusé de racisme et à recevoir de lourdes menaces de représailles ?
Pourquoi le Proche-Orient serait-il la seule région où les choses sont tellement compliquées qu'il conviendrait de ne pas s'exprimer ? A-t-on appliqué le même raisonnement aux Balkans, à la Tchétchénie, au Tibet, à l'Afrique des Grands Lacs ?
Elie Barnavi dit que le gouvernement israélien reconnaît lui aussi le droit aux Palestiniens d'avoir un Etat. Mais alors, pourquoi ne pas mettre ce principe en application ? Si cela est impossible, faut-il en conclure que les Palestiniens en sont congénitalement incapables ou que tous les efforts possibles n'ont pas été faits en ce sens du côté d'Israël ? Après trente-quatre ans d'occupation, comment expliquer que les gouvernements israéliens successifs n'aient pas trouvé d'interlocuteurs dignes de ce nom ? Et comment auraient réagi les dirigeants juifs si, après plusieurs années ou même plusieurs décennies d'une approbation de principe de la création d'un Etat d'Israël, la Palestine était toujours occupée militairement par la Grande-Bretagne ?
Comment ne pas voir - ce qui était parfaitement prévisible - que, contrairement à ses promesses, Sharon n'a pas apporté la sécurité à son peuple et risque de déstabiliser plus encore la région, que la politique actuelle du gouvernement israélien affaiblit chez les Palestiniens les modérés pour renforcer les ultras ?
La situation, comme toute situation stratégique, est certes très compliquée. Mais le problème principal réside bien dans le fait qu'un peuple est occupé militairement et qu'il ne l'accepte pas. L'évidence que toute l'histoire stratégique nous apprend, c'est que l'on peut conquérir et occuper des territoires, jamais un peuple.
Il n'y a bien sûr pas de solution idéale au Proche-Orient. Il convient de choisir la moins mauvaise. L'établissement d'un Etat palestinien dans ses frontières de 1967 est certes un risque pour Israël. Il y a en effet moins de probabilités aujourd'hui qu'il y a dix ans que cet Etat palestinien fournisse au monde arabe le modèle démocratique dont il aurait besoin, tout simplement parce que les extrémistes sont plus forts aujourd'hui qu'hier. Mais ils le seront encore plus demain si l'actuelle politique est poursuivie.
Quels sont les choix d'Israël ? Evacuer les Palestiniens des territoires ? C'est impensable. Etablir un régime d'apartheid ? Ça l'est également. Espérer que les Palestiniens se découragent et acceptent la paix aux seules conditions israéliennes ? C'est impossible. Alors, l'évacuation militaire des territoires occupés et la création d'un Etat palestinien ne sont-ils pas la moins mauvaise solution ?
Aujourd'hui, tout débat sur le Proche-Orient s'arrête au fait que trop de gens pensent que ce qui sera donné à l'un (en l'occurrence les Palestiniens) sera pris à l'autre, comme dans les jeux à somme nulle.
C'est vrai territorialement, ce n'est pas vrai politiquement. Ces deux peuples ont à gagner ensemble à l'établissement de la paix. Et j'ose espérer qu'en France le débat reste possible, y compris pour le Proche-Orient, sans recourir à la diabolisation de ceux qui redoutent tout autant les extrémistes et le terrorisme que vous, Elie Barnavi. Mais sachez que le maintien du statu quo, loin d'affaiblir extrémistes et terrorisme, ne fait que les renforcer.
                   
12. Après deux jours d'occupation, l'armée israélienne se retire de Beit Jala (Cisjordanie) par Clyde Haberman
in The New York Times (quotidien américain) du jeudi 30 août 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

L'armée israélienne a retiré ses tanks et ses troupes tôt ce matin de la localité de Beit Jala, en Cisjordanie, mettant un terme à la plus longue incursion israélienne en zone sous souveraineté palestinienne - un peu plus de deux jours.
Israël a accepté de se tenir à l'extérieur de la ville, qui jouxte Jérusalem, au sud, tant que les Palestiniens armés qui y ont pris position ne recommenceraient pas à tirer sur Gilo, un quartier israélien situé à la périphérie sud de Jérusalem, qui s'est retrouvé sous le feu (palestinien) de manière répétée depuis plusieurs mois. On rapporte que les échanges de tirs, à Beit Jala, ont cessé aux environs de minuit et que les forces israéliennes ont commencée à sortir de la ville environ quatre heures après leur cessation, soit juste avant l'aube.
L'armée israélienne a confirmé ce retrait. Mais la radio israélienne a indiqué que des officiels gouvernementaux israéliens ont averti que les tanks prendraient de nouvelles positions pas très éloignées et que, si les tirs reprenaient, ils réinvestiraient Beit Jala "de manière encore plus massive".
L'incursion à Beit Jala, mardi dernier, pour une durée non précisée, et qui n'a fait qu'approfondir la crise moyen-orientale, visait à assurer la sécurité des résidents du quartier juif de Gilo. Israël a justifié son opération militaire en la qualifiant d'acte d'autodéfense, mais les Palestiniens l'ont dénoncée, voyant en elle un premier jalon dans la voie de la réoccupation des territoires (palestiniens) qui constituent leur zone autonome (par Israël). Les Etats-Unis et d'autres pays ont manifesté leur désapprobation pour ce qui allait s'avérer la plus longue incursion jamais encore effectuée par Israël dans une zone sous souveraineté palestinienne.
Toute la journée de mercredi, des diplomates et des officiels des deux parties se sont efforcés de convenir d'une trêve. Un accord a finalement été rendu possible grâce à la contribution des Etats-Unis et de l'Union européenne, notamment l'intervention du secrétaire d'Etat américain Colin L. Powell. De son côté, le ministre israélien des affaires étrangères, Shimon Pérès, a eu plusieurs conversations téléphoniques avec le président de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, afin de discuter des moyens de ramener le calme après cette phase critique d'un conflit entré désormais dans son onzième mois.
Toutefois, un retrait convenu pour la nuit de mercredi avait connu un échec, car les tirs contre Gilo avaient repris, ainsi que les combats à l'intérieur de Beit Jala, où des soldats (israéliens) ont pris possession de plusieurs maisons ainsi que d'un complexe autour d'une église luthérienne, pendant quelques heures, afin de déloger des tireurs palestiniens qui s'étaient emparés des rues.
Mais le calme revint. Après une réunion de trois heures avec les membres de son cabinet, le premier ministre israélien, Ariel Sharon a donné son accord au retrait des soldats israéliens pour autant que la situation ne dégénère pas. Un membre du cabinet, Dan Meridor, a déclaré que la seule alternative au retrait aurait été de rester à Beit Jala, et d'y maintenir une présence militaire "encore plus massive".
Certains des conseillers de M. Sharon ont fait part de leur scepticisme quant au respect de la trêve par M. Arafat. Mais des conseillers de M. Pérès, "plus colombe", ont déclaré qu'ils espéraient qu'un accord sur Gilo et Beit Jala pourrait servir de précédent permettant de mettre fin aux combats ailleurs en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
L'accord pourrait aussi avoir redonné un nouveau souffle aux tentatives de ménager une rencontre entre MM. Pérès et Arafat afin de discuter les modalités de la mise sur pied d'un cessez-le-feu digne de ce nom entre Israël et les territoires palestiniens, depuis le début du conflit, voici bientôt un an. Certains responsables gouvernementaux ont évoqué une possible rencontre entre les deux hommes la semaine prochaine, peut-être en Europe, et M. Pérès a évoqué le sujet au cours de conversations avec des membres de son parti, le parti travailliste, mercredi soir.
"Si les choses se déroulent comme elle le devraient, la semaine prochaine, nous devrions être en mesure d'engager les discussions les plus sérieuses qui n'aient jamais encore eu lieu afin de mettre un point final aux affrontements", a-t-il dit.
Gilo et Beit Jala ont connu une situation si préoccupante qu'en dépit d'un nombre heureusement peu important de victimes durant ces deux derniers jours, les événements qui s'y sont produits ont éclipsé la violence "ordinaire" qui a abouti à encore de nouvelles victimes, aujourd'hui.
Un chauffeur de camion israélien et un ouvrier palestinien ont été tué au cours d'embuscades en Cisjordanie.
Le camionneur israélien, Oleg Sudnikov, 35 ans, était entrain de livrer du fuel à un village palestinien proche de Tulkarm quand il a été blessé par balle dans la cabine de son camion, tiré sur la route, encore vivant, puis criblé de balles afin de l'achever. Cette attaque a été revendiquée par des hommes armés du mouvement de M. Arafat, le Fatah.
L'ouvrier palestinien, quant à lui, Haydar Canaan, 27 ans, a été tué dans sa voiture près d'un camp de réfugiés situé au nord de Jérusalem, vraisemblablement par des Israéliens.
                     
13. Combattre Israël par des voies pacifiques : un entretien avec  Iyad As-Sarraj
in Amin traduit dans Courrier Interbational du jeudi 30 juillet 2001

[Amin est un site web palestinen, fondé en 1993 grâce à la Fondation Soros et à Internews- Moyen-Orient, une ONG américaine qui aide des centaines de médias indépendants dans les pays qui s'ouvrent sur la démocratie, "Amin" propose une sélection d'articles en arabe et en anglais sur Israël, la Palestine et la Jordanie. http://www.amin.org]
Le célèbre militant palestinien des droits de l’homme Iyad As-Sarraj évoque l’avenir du conflit. Selon lui, la société palestinienne doit sortir du “tribalisme” et cesser de tuer des civils israéliens.
- Que se passe-t-il actuellement en Palestine ? Comment expliquer qu’en un jour des Palestiniens aient tué neuf de leurs frères et en aient blessé des dizaines d’autres ?
- IYAD AS-SARRAJ La société palestinienne vit encore à l’heure de ce qu’on appelait jadis “l’ère tribale”. Les individus sont enclins à recourir à la solidarité clanique comme seul moyen de défendre leur personne, leurs biens et leurs proches. Au moment de sa constitution, l’Autorité palestinienne n’a pas saisi l’occasion de faire évoluer la société palestinienne d’un Etat tribal à un Etat citoyen qui applique le droit, la justice et le respect des droits de l’homme. Par ailleurs, les difficultés économiques oppressent la vie quotidienne des gens et ravivent leur nervosité. L’homme qui ne sait plus nourrir ses enfants ni vivre avec dignité est un homme enragé et aigri.
- Mais quelles sont donc les raisons qui poussent les Palestiniens à s’armer ?
- Les enfants sont les premiers influencés. Sous le joug de la colonisation et durant des générations, l’Israélien a été considéré comme la force suprême, qui détient des armes avec lesquelles il menace le père impuissant à protéger sa famille. Les enfants ne cessent d’inciter leurs parents à s’armer. Leur argument est simple, ils demandent : “Comment vas-tu me protéger, père, alors que tu n’as pas d’armes ?” L’homme armé devient ainsi un véritable héros aux yeux des enfants et des jeunes. Pour briser ce cycle de violence, nous devons rénover sans délai la structure économique locale afin que les nôtres puissent assumer leur devenir. D’autre part, nous devons rallier l’opinion internationale à notre cause, sous-tendue par l’une des plus grandes catastrophes humanitaires du monde.
- Comment faire avec la mainmise persistante de l’Etat hébreu sur les médias ?
- Aujourd’hui, dans l’opinion internationale, quelque chose de fondamental a changé vis-à-vis de la cause palestinienne. Nous devons exploiter ce changement et faire en sorte qu’il se développe jusqu’à ce que le monde reconnaisse clairement qui est la véritable victime de ce conflit. Malheureusement, le discours de certains officiels palestiniens se résume à des répétitions ennuyeuses de slogans vides de sens. Il faudrait que les Palestiniens se dotent de responsables capables de mener des discussions concluantes. Ensuite, nous devrions toujours insister sur le caractère raciste de l’occupation israélienne. Il faut sans cesse réclamer l’arrêt de l’occupation et la liberté, et pas seulement l’application des recommandations de la commission Mitchell ni la nomination de missions d’observation. Les Palestiniens devraient cesser de demander la reprise des négociations et plutôt insister sur la fin de l’occupation. Enfin, il est temps de se rendre compte que le véritable héroïsme relève d’un comportement exemplaire, lequel ne consiste pas à se laisser entraîner à des réactions violentes contre des civils israéliens. Ces agissements affaiblissent notre cause plus qu’autre chose. Nous devons arrêter les démonstrations armées. J’irai même jusqu’à dire que je suis en faveur de la collecte d’armes au sein de la société civile. Nous pourrions collecter toutes les armes qui circulent et déclarer publiquement que nous n’en voulons plus, que nous réclamons simplement notre terre et notre liberté.
- Que peut-on dire du contexte palestinien lui-même ?
- Les familles palestiniennes ont été exposées à de nombreuses crises très graves, depuis leur déracinement en passant par l’occupation et les différentes formes d’oppression menées par Israël. Puis a éclaté la première Intifada, qui a montré l’extraordinaire capacité du peuple palestinien à défendre sa cause. Malheureusement, la mainmise des organisations armées a voué ce premier mouvement à l’échec. Ensuite, les accords d’Oslo ont tenté d’imposer un certain équilibre entre l’oppresseur et l’opprimé. Cette période fut caractérisée par l’injustice tant au niveau des droits que des finances publiques, ce qui fit croître la frustration et l’amertume... Et la nouvelle Intifada a éclaté en réaction à cette frustration. Ce nouveau soulèvement interpelle tous les protagonistes, y compris le pouvoir et ses détenteurs, et les oblige à revoir les modalités des accords, à garantir les droits des citoyens et le respect des personnes. Il réclame la transparence de l’administration et la poursuite des contrevenants à la loi. Toutes ces revendications ne peuvent se concrétiser que par la voie de la démocratie et par l’organisation de nouvelles élections législatives et municipales afin que puissent émerger de nouveaux dirigeants.
- Et Israël, va-t-il nous laisser en paix ?
- Sharon a des objectifs bien précis. Nous devrions passer outre et nous unir aux promoteurs de la justice, de la paix et des droits de l’homme qui se trouvent en Israël, ainsi qu’aux opposants au racisme. Nous devons également poursuivre notre résistance pacifique contre l’occupation israélienne. Il faut que les Palestiniens combattent l’injustice armés de la seule force de la justice. Plus que jamais, le monde est prêt à nous soutenir, tout comme il est parvenu à désintégrer la structure raciste de l’Afrique du Sud. Mais toutes ces actions dépendent d’abord et avant tout des Palestiniens eux-mêmes.
                 
14. Autour de Jérusalem, la vie à l'heure du "mahsom"… par Philippe Broussard
in Le Monde du jeudi 30 août 2001

QALANDIYA de notre envoyé spécial
Le barrage militaire de Qalandiya ne figure pas sur les cartes routières israéliennes et n'y figurera sans doute jamais. A quoi bon signaler quelques blocs de béton, des barbelés rouillés, deux guérites de surveillance et une demi-douzaine de soldats en armes suant à grosses gouttes sous leurs gilets pare-balles? Les alentours présentent guère plus d'intérêt: à gauche, s'étire la piste d'un aéroport abandonné ; à droite, un terrain rocailleux, où seuls les moutons trouvent encore leur bonheur. C'est pourtant ici, entre Jérusalem et Ramallah, que le blocus israélien des territoires palestiniens prend tout son sens. Bien sûr, il existe des dizaines d'autres "check-points", dont l'importance varie en fonction du lieu et des tensions du moment. Mais celui de Qalandiya, porte d'accès aux faubourgs nord de la ville sainte, fait figure de symbole. Pour la population arabe, c'est un lieu d'impatience et d'humiliation. L'armée israélienne, elle, y voit un outil antiterroriste. Deux logiques, un seul nom : Qalandiya.
En théorie, seuls les Palestiniens détenteurs de cartes de résidents ont le droit de pénétrer à Jérusalem. Les autres, à commencer par ceux de Cisjordanie, seront refoulés. Peut-être pas ici, où les soldats effectuent avant tout un préfiltrage, mais sûrement au barrage suivant, à Ram. Dans tous les cas, Qalandiya est un point de passage obligé pour les personnes –et elles sont plusieurs dizaines de milliers dans les environs– disposant des papiers appropriés. Ce "check-point" perturbe tant la vie quotidienne que le terme hébreu mahsom (barrage) est désormais connu de tous les Arabes. Même les anciens l'emploient, jusqu'à l'obsession, jusqu'à la haine. Trois heures pour rallier la mosquée Al-Aqsa? La faute au mahsom. Une heure de retard au bureau? Le mahsom. Des embouteillages, la fatigue, un malaise? Le mahsom, le mahsom, le mahsom…
Dès le début de la matinée, Qalandiya s'anime. Voitures et camions s'alignent en plein soleil, pare-chocs contre pare-chocs. Parfois, lorsque les soldats ont décidé de prendre leur temps ou reçu des consignes de vigilance, l'attente peut durer plusieurs heures dans la puanteur des gaz d'échappement.
Des milliers de candidats au passage préfèrent donc aller à pied. Ils se font déposer en taxi, empruntent un chemin de sable, sans être contrôlés –ce qui autorise à s'interroger sur l'utilité du dispositif– et parviennent de l'autre côté, où ils montent dans un autre taxi collectif, qui les conduira à destination, à condition, évidemment, de franchir le barrage de Ram. Matin et soir, dans un sens puis dans l'autre, défilent ainsi des femmes hors d'âge, le front en sueur; des gamins exténués; des maçons avec leurs sacs de plâtre ou de ciment; des vendeurs de tout et de rien (chaussettes, légumes, crayons de couleur…); des étudiants pressés; des vieillards impotents; des ménagères aux bras chargés de sacs…
POUR SE RENDRE À L'HÔPITAL...
"Les gens en viennent à louer un logement à Jérusalem pour ne plus avoir à passer par là", assure un commerçant. "C'est invivable, confirme Leila, employé à la municipalité de la ville sainte. Ma mère de soixante-quinze ans devait se rendre à l'hôpital pour un problème cardiaque. Comme c'était embouteillé, l'ambulance est restée bloquée. Il a fallu porter maman de l'autre côté et prendre une deuxième ambulance! Au barrage suivant, nous avons dû recommencer et appeler une troisième ambulance. Quatre heures pour faire quinze kilomètres!" Nafez, un enseignant d'une quarantaine d'années, assure que "les Israéliens plantent la haine dans le cœur de nos enfants". Et la situation devrait empirer le 1er septembre, jour de la rentrée scolaire. "Il faudra lever les gosses à 5 heures du matin!", s'inquiète par avance une mère de famille.
Au sud de Jérusalem, un autre mahsom barre l'accès aux Palestiniens venant de Bethléem et des communes voisines, où les échanges de tirs se sont multipliés ces dernières semaines. Au moins l'endroit est-il bien aménagé: les piétons empruntent un passage spécial et doivent tous présenter leurs papiers. Ceux qui n'en ont pas tenteront peut-être leur chance par le terrain vague d'à côté, mais il leur faudra marcher vite, car la police veille.
Et puis ce mahsom n'a pas très bonne réputation. L'autre jour, un soldat a stoppé un vieillard sur son âne. "Je ne suis jamais monté sur une bestiole comme ça, lui a-t-il lancé, je vais essayer." Il a ensuite enfourché la bête, rigolant comme un bienheureux sous le regard du vieil homme. Le lendemain, quatre prêtres catholiques n'ont pas été mieux traités. "Vous êtes des curés? leur a demandé un militaire, d'un ton moqueur. Vous voulez qu'on vous trouve des filles?"
"FATIGUE ET HUMILIATION"
En ce vendredi matin, il n'y a pas foule à ce barrage-là. Deux parachutistes d'une vingtaine d'années, mitraillettes en main, inspectent les voitures. L'un d'eux se réjouit de voir arriver un camion conduit par un Palestinien. "C'est mon ami!", assure-t-il en serrant la main du conducteur. "Nous voulons la paix, n'avons rien contre le peuple, promet-il. Seulement contre les terroristes." De fait, les deux soldats sont sympathiques. "Il n'y a pas que des mauvais gars, confirme un Palestinien de Beit Jala, près de Bethléem. Pour eux, c'est une corvée. Parfois, aussi, ils ont peur. Mais les gens en ont assez. Il faut avoir assisté aux contrôles de vieilles femmes, pleines de fatigue et d'humiliation, pour le comprendre…"
Après onze mois de blocus, ces barrages cristallisent les tensions. Une soixantaine de femmes israéliennes ont constitué une association (Mahsom Watch) pour s'en indigner et veiller, sur le terrain, au respect des droits de l'homme. "Tout cela n'a rien à voir avec la sécurité, il s'agit en fait de rabaisser les Palestiniens", accuse Judith Keshet, la présidente de cette association. Les autorités militaires lui opposent un argument de poids: les attentats-suicides. Soucieuse de son image et consciente de certaines dérives, l'armée a tout de même annoncé qu'au moins un officier et un représentant de l'administration civile seraient dorénavant présents à chaque barrage, pour limiter les risques de dérapage.
                
15. Chef de la délégation égyptienne à la conférence préparatoire de Genève contre le racisme (30 juillet - 10 août), l'ambassadeur Fayza Aboul-Naga révèle la stratégie du Caire et des autres pays arabes lors de la conférence - "La priorité est d'arrêter les violations israéliennes des droits de l'homme" propos recueillis par Hicham Mourad
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 29 juillet 2001

— Al-Ahram Hebdo : Les Etats-Unis et les pays européens ont demandé aux Etats arabes de renoncer à leur volonté d'inscrire à l'ordre du jour de la Conférence de Durban une disposition assimilant le sionisme au racisme. Quelle était la réaction des gouvernements arabes ?
— Fayza Aboul-Naga : Il faut constater que les deux dernières conférences sur le racisme ont été tenues alors que la résolution de l'Assemblée générale de l'Onu, adoptée en 1975, assimilant le sionisme au racisme, était toujours en vigueur. Mais la Conférence de Durban se tient 10 ans après l'annulation de cette résolution en 1991. Partant, les organisations sionistes mondiales ont lancé une grande campagne médiatique soutenant que les pays arabes provoqueraient l'échec de la Conférence de Durban en insistant à inscrire la question du sionisme à l'ordre du jour. Et par conséquent, ils doivent en porter la responsabilité. Mais en réalité, les documents de la conférence ne comprennent aucune mention traduisant une volonté de faire revivre la résolution déjà mentionnée.
L'Egypte croit que la question d'Israël et de la situation dans les territoires palestiniens occupés peut être abordée à la Conférence de Durban à partir de deux axes se rapportant aux droits de l'homme, ceux du passé et du présent.
D'abord, il est à noter que la conférence traite avec le passé, le présent et l'avenir. Et la question palestinienne est tout à fait conforme à cette optique. Car il s'agit d'un peuple qui souffre de l'occupation israélienne depuis plus d'un demi-siècle. Cette occupation, qui dure, se caractérise par des pratiques sauvages et des politiques agressives et discriminatoires. Partant, la position de l'Egypte et des pays arabes, soutenus par les membres de l'Organisation de la conférence islamique, est basée sur le fait que tant l'Occident et l'Etat hébreu insistent à ce que les documents de la conférence qui se rapportent au passé fassent référence à l'holocauste et à l'antisémitisme, il est nécessaire qu'il y ait un certain équilibre. Et par conséquent, nous insistons à faire référence aux courants hostiles à l'islam et aux Arabes ainsi qu'aux massacres perpétrés par Israël contre les Palestiniens depuis 1948.
Pour ce qui est du présent, la position prise par l'Egypte est tout à fait claire. Elle a été confirmée à maintes reprises par le ministre des Affaires étrangères, Ahmad Maher. D'après cette position, il est impossible qu'une conférence concernée par les droits de l'homme telle la conférence de Durban, qui se tient en vue de lutter contre le racisme et la discrimination raciale, ignore les pratiques israéliennes sauvages et agressives auxquelles sont soumis les Palestiniens quotidiennement d'une manière inacceptable pour la conscience mondiale et humaine. Sinon ce serait ridicule. Mais les Etats-Unis, l'Europe et, bien entendu, Israël s'opposent à ceci et considèrent que toutes allusions dans le cadre de cette conférence à Israël est une tentative de faire revivre l'ancienne résolution de l'Assemblée générale qui assimile le sionisme au racisme.
— Y aurait-il des divergences entre les gouvernements arabes et les pays en voie de développement, notamment les Etats africains, concernant l'introduction d'une clause assimilant le sionisme au racisme ?
— Il n'existe pas de différences entre la position de l'Egypte quant à l'assimilation du sionisme au racisme et celle des autres pays en voie de développement ou celle des Etats africains. Car tous ces Etats n'ont pas cherché à présenter, lors de la conférence préparatoire de Genève, des formules rendant le sionisme équivalent au racisme. Ces Etats ne font pas non plus de cette question une priorité lors de la Conférence mondiale contre le racisme à Durban. Mais, je tiens ici à faire la distinction entre la question d'assimilation du sionisme au racisme et celle des politiques israéliennes et de la situation déplorable dans les territoires palestiniens occupés ainsi que des violations continues des droits du peuple et de l'homme palestiniens qui doivent être abordées à la conférence.
— Quelle est la position de l'Egypte et des autres pays arabes quant aux demandes de réparations formulées par les Etats africains aux pays responsables de la période d'esclavage ?
— L'Egypte fait partie intégrante de l'Afrique. Par conséquent, elle, ainsi que tous les pays arabes, soutient les demandes des pays africains qui réclament des réparations aussi bien que des excuses aux Etats responsables de la période de l'esclavage. Nous constatons que la position des pays africains en ce qui concerne la question de réparations est devenue plus souple. Le groupe des pays africains trouve que ces réparations ne doivent pas nécessairement prendre une forme matérielle. Elles peuvent être un engagement à soutenir les Etats africains dans leurs plans de développement. Et ce, dans le cadre de « la nouvelle initiative africaine » approuvée par le sommet de l'Organisation de l'unité africaine à Lusaka en juillet 2001 et qui avait été lancée par cinq chefs d'Etat africains, à savoir les présidents égyptien Hosni Moubarak, sud-africain Thabo Mbeki, nigérian Olusegun Obasanjo, sénégalais Abdulaye Wade et algérien Abdelaziz Bouteflika.
— Avez-vous discuté de compromis sur les deux questions controversées, l'assimilation du sionisme au racisme et les réparations demandées par les Etats africains, permettant la réussite de la conférence de Durban ?
— La question de l'assimilation du sionisme au racisme n'a pas été abordée au cours de la conférence préparatoire de Genève. Car l'Egypte ainsi que la plupart des pays arabes ont fait clairement savoir que leur priorité lors de la conférence de Durban est que les documents de celle-ci doivent faire mention claire des pratiques sauvages israéliennes contre le peuple palestinien.
Quant à la question des réparations pour la période de l'esclavage, les pays africains, comme nous l'avons déjà dit, ont fait montre d'une grande souplesse. Pourtant, ni les Etats-Unis, ni les pays européens n'ont accepté de faire référence à des réparations ou à des excuses dans les documents finaux de la Conférence de Durban. Ils ont également refusé de faire référence à Israël. C'est cette position qui a fait que la conférence de Genève ne soit pas parvenue à un accord concernant ces questions. Celles-ci seront portées devant la Conférence de Durban.
— Les Etats-Unis ont menacé de boycotter la conférence de Durban si les Etats arabes et africains insistent à inclure ces deux questions dans les documents de la conférence. Quels pourraient être les effets d'un tel boycottage ?
— L'Egypte tient à ce que les Etats-Unis participent à la Conférence de Durban. Pourtant, la décision de participer ou de ne pas participer revient aux seuls Etats-Unis. L'Egypte ne pense pas que le boycott américain de la conférence de Durban signifie sa fin, bien que ceci ait certainement des impacts sur l'efficacité de ses résolutions. Les Etats-Unis et l'Etat hébreu avaient déjà boycotté les deux anciennes conférences mondiales contre le racisme tenues respectivement en 1978 et 1983.
Nous devons prendre en considération également que les Etats-Unis, en tant qu'unique superpuissance au monde à l'heure actuelle et étant donné qu'ils prennent des positions et des décisions concernant la protection des droits de l'homme, doivent jouer un rôle actif dans la Conférence de Durban et par conséquent, leur absence ne servira en rien leurs principes et ôtera de la crédibilité à leurs positions.
— L'Egypte a-t-elle préparé un plan visant à réconcilier les points de vue divergents ?
— L'Egypte — dans le cadre du groupe islamique — a préparé un papier à négocier qui fait référence aux pratiques illégales et sauvages d'Israël contre le peuple palestinien et appelle la communauté internationale à assurer une protection internationale au peuple palestinien. Nous nous sommes déclarés prêts à négocier ces formules avec les autres Etats et groupes d'Etats, lors de la conférence préparatoire de Genève. Mais les délégations des Etats-Unis et d'Israël n'ont pas fait preuve de souplesse.
— Quelle sera donc la stratégie de l'Egypte, et des pays arabes, à la conférence de Durban ?
— D'après une lecture pratique et objective des positions des Etats membres des Nations-Unies, nous devons comprendre que la priorité — en ce qui concerne l'action diplomatique menée sur le plan international — doit être donnée à révéler et à dénoncer les pratiques israéliennes au sein des diverses instances internationales. Et ce, afin de parvenir à un résultat qui sert la cause palestinienne et contribue à mettre fin à la souffrance du peuple palestinien et à l'occupation israélienne. Cela étant, il faut assurer le soutien international nécessaire pour de tels efforts. C'est ce que l'Egypte et les pays arabes tentent de faire partout, y compris à la Conférence de Durban. Car pour accéder au soutien international, il faut qu'il y ait un travail et un effort continus, notamment à la lumière des pressions intensives et continues qu'exercent les pays qui soutiennent Israël.
                  
16. Volontaires de la mort : les raisons de l'absurde par François Géré
in Libération du mercredi 29 août 2001

(François Géré est directeur scientifique de la Fondation pour la recherche stratégique.)
Dans un article de Libération des 11 et 12 août 2001, Jean-Pierre Perrin a attiré l'attention sur un point capital de la guerre actuelle : la préparation des volontaires de la mort (VM) palestiniens.
Tout comme le furent Français et Américains, d'abord au Viêt-nam, puis au Liban, les Israéliens semblent également désemparés tant dans leur riposte que dans l'analyse qu'ils font du phénomène. Après avoir cru, l'an passé, pouvoir le maîtriser par des représailles efficaces, économiques et militaires, ils en sont à constater l'irrépressible développement d'une pratique guerrière certes exceptionnelle, mais fort ancienne. Elle se retrouve au fil des siècles, à travers le monde: sectes de tueurs comme les Ashishin en Syrie au XIVe siècle, au Japon, au Viêt-nam, nihilistes russes, à l'heure actuelle, les commandos tamouls au Sri Lanka.
La «fabrication» d'un VM fait appel à des techniques connues et éprouvées. L'isolement du candidat de son milieu familial et social et son agrégation à un groupe «sublime» où se confondent les classes sociales, le niveau d'instruction, les aptitudes physiques. Toutes les inégalités sont dépassées par le culte d'une idée fixe: la mort pour la cause, dont le responsable politico-religieux entretient constamment les futurs élus.
Au sein de ce groupe forclos, l'émulation joue un rôle essentiel par la pratique d'exercices physiques et spirituels communs où chacun s'exalte à prétendre faire mieux que les autres le jour venu. Le recours à certaines drogues euphorisantes peut aider. Toutefois, on ne les utilise qu'avec modération. Certes, il faut parfois inhiber certains obstacles physiologiques: aucun corps humain n'est spontanément disposé à sa destruction; en dépit de la volonté, l'instinct de conservation doit être parfois «endormi». Nous ne savons d'ailleurs rien de tous ceux qui ont dû «craquer» au dernier moment. Mais, pour l'essentiel, il importe que le guerrier dispose de la plus grande lucidité lors de l'accomplissement de son acte. Voilà pour la technique.
D'un point de vue purement opérationnel, en dehors de toute considération morale, l'action des volontaires de la mort appelle trois remarques:
1. Convenablement préparé, le volontaire de la mort représente la meilleure de toutes les armes, précise et intelligente, parce que c'est un vrai cerveau humain, capable de produire ce qu'aucun missile de croisière, aucun ordinateur, aucune intelligence artificielle ne saurait apporter. Il est précis dans l'espace et dans le temps.
2. Le recours aux VM constitue une tactique de guerre asymétrique: face au fort puissamment armé, disposant d'une véritable armée dotée d'une écrasante supériorité technologique, le faible recourt à l'arme suprême: l'homme.
3. Les VM n'utilisent pas d'armes de destruction massive. L'explosif ordinaire, les rafales de balles produisent l'effet de destruction et de terreur voulu, nécessaire et suffisant. Une arme chimique ou biologique, ne parlons même pas du nucléaire, présente une trop grande complexité. En outre, l'incertitude sur les modalités de la dispersion ne convient pas dans un environnement où voisinent amis et ennemis.
Ceci posé, la somme de ces problèmes techniques et tactiques ne vaudrait pas grand-chose si elle ne relevait d'un ordre infiniment supérieur. Le volontariat de la mort ne peut en effet exister et se développer efficacement que s'il s'appuie sur un système de croyances (une symbolique) et une cause (une finalité politique) suffisamment puissantes pour que des individus choisissent d'entrer dans ces confréries fatales où ils seront entraînés à mourir glorieusement.
On utilise souvent la référence au kamikaze japonais. Elle n'est que partiellement exacte. Comme l'a indiqué Maurice Pinguet, dans son extraordinaire ouvrage la Mort volontaire au Japon (Gallimard), le kamikaze obéit à un devoir symbolique et non à une conviction politique. D'admirables recueils de lettres écrites par «ceux qui vont mourir pour l'Empereur» exposent l'horreur profonde de jeunes hommes qui acceptent le sacrifice en sachant combien il est inutile et qui ne manifestent pas la moindre adhésion à l'égard de la politique de leur gouvernement.
L'efficacité actuelle des volontaires de la mort palestiniens vient de la conjonction exceptionnelle du symbolique et du politique. C'est cela que les sociétés occidentales, ne disposant plus que d'une symbolique appauvrie, ne comprennent plus, tant leur rapport à la mort s'est totalement transformé. La relation d'échange (que seuls prennent encore en compte les psychanalystes et les apôtres de René Girard) est tarie.
Là-bas, dans la logique du djihad, celui qui va mourir non seulement souscrit à un impératif, mais il se sait déjà riche des justes rétributions du pieux sacrifice de lui-même.
Ici, dans le monde occidental, ce don de la vie a perdu et sens et valeur. Aucune compensation crédible, même plus de culpabilité. Les fantômes qui réclamaient leur dû ont quitté les vivants occidentaux. On meurt gratuitement, par libre exercice de sa bêtise et de son irresponsabilité. Si bien qu'un week-end de Pentecôte sur les routes de France n'est pas moins meurtrier qu'un mois d'affrontements en Cisjordanie.
L'État hébreu n'échappe pas à la règle. Démocratique, permissive, foncièrement matérialiste et mécréante, la société israélienne s'engage imprudemment dans un bras de fer sans en avoir les ressorts spirituels. Il se peut que cela soit encore vrai dans l'esprit de M. Sharon (et de ses anciens compagnons d'armes). Mais son époque est révolue, en raison même de la mutation de la société qu'il dirige aujourd'hui. Il semble ne pas avoir pris conscience que le principe du «zéro mort» et le refus des pertes guident l'engagement des forces de son propre pays.
La seconde et ultime raison, tout à fait réelle, de la puissance des VM, c'est qu'il existe bel et bien une cause politique palestinienne, faite de sang versé, de strates d'humiliations, de frustrations déposées sur quatre générations (le renouvellement des générations est très court chez les Palestiniens) et qu'il est impossible d'échapper à son traitement politique.
La nature de la société israélienne est devenue telle qu'elle ne peut pas espérer gagner sur le terrain symbolique. Nul ne pourra restaurer ce temps biblique où, au cœur de la bataille, se sacrifièrent les frères Maccabées. Quel que soit son gouvernement, Israël n'a donc qu'à s'engager plus résolument que jamais sur le terrain politique, là où il peut encore marquer des points et désamorcer efficacement les bombes vivantes. Ironiquement, c'est une question de survie.
                  
17. Amira Hass : La vie sous occupation israélienne par une Israélienne par Robert Fisk
in The Independent (quotidien britanique) du dimanche 26 août 2001
[traduit de l'anglais par Rosine Longuet]

Lorsque Amira Hass essaie d'expliquer sa vocation de journaliste, elle évoque un moment crucial de la vie de sa mère. Par une journée d'été 1944, Hannah Hass fut amenée dans des wagons à bestiaux au camp de concentration de Bergen-Belsen. «Elle a voyagé avec d'autres femmes pendant dix jours dans ce train venant de Yougoslavie. Certaines étaient malades, d'autres mourantes. Ma mère a alors vu ces femmes allemandes regardant passer les prisonnières, sans faire autre chose que de les regarder. Cette image a été au centre de mon éducation, cette attitude méprisable qui consiste à "regarder passer". C'est comme si je m'étais trouvée là et que je les aie vues moi-même.» Amira Hass vous regarde droit dans les yeux au travers de ses fines lunettes lorsqu'elle parle, afin de s'assurer que vous avez bien compris l'importance de l'Holocauste dans sa vie.
Dans son livre "Boire la mer à Gaza", Amira Hass explique clairement pourquoi elle, journaliste israélienne, est venue s'installer dans le minuscule État de Yasser Arafat, jonché de détritus. «Au bout du compte», écrit-elle, «mon désir de vivre à Gaza n'est pas dû à un goût de l'aventure ou à la folie, mais à cette peur de n'être qu'une spectatrice, à mon besoin de comprendre jusqu'au plus infime détail, un monde qui pour moi, politiquement et historiquement, est une création israélienne. Pour moi, Gaza résume l'histoire de tout le conflit israélo-palestinien; elle représente le nœud de la contradiction de l'État d'Israël - démocratie pour les uns, dépossession pour les autres; c'est notre talon d'Achille.»
Elle vit à présent dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie - avec les Palestiniens que beaucoup d'Israéliens considèrent comme des «terroristes», écoutant les malédictions des Palestiniens contre «les Juifs» qui les ont dépossédés de leurs terres qu'ils ont confisquées, contre les escadrons de la mort et les colonies - Amira Hass fait partie des reporters les plus courageux. Elle met dans sa chronique quotidienne dans Ha'aretz toute son indignation sur la manière dont son propre pays, Israël, traite et tue les Palestiniens. Ce n'est cependant que lorsque vous la rencontrez que vous mesurez l'intensité - la passion - qu'elle met dans son travail. «On se trompe en pensant qu'un journaliste peut être objectif», dit-elle en me fixant à nouveau droit dans les yeux pour s'assurer que je comprends bien. «Les Palestiniens disent que je suis objective. Je considère que c'est important, puisque je suis Israélienne. Mais il y a une différence entre être juste et être objectif. Le rôle du journaliste, en fait, est de surveiller le pouvoir et les centres de décision.»
Chaque jour, Amira Hass écrit un essai sur le désespoir; il s'agit d'une narration chronologique qu'elle poursuit en parlant de sa vie propre et de celle de ses parents: sa mère, Juive de Sarajevo qui a rejoint les partisans de Tito et a été obligée de se rendre aux Nazis lorsqu'ils ont menacé de tuer toutes les femmes de la ville de Cetinje, au Monténégro; son père Avraham qui a passé quatre ans dans le ghetto de Transnistrie, échappant à une épidémie de typhus pour y perdre ses orteils gelés.
Il est essentiel de connaître l'histoire d'Hannah et d'Avraham pour comprendre Amira. «Mes parents sont venus s'installer naïvement en Israël. On leur a donné une maison dans Jérusalem, mais ils l'ont refusée. Ils ont dit: "Nous ne pouvons pas prendre la maison d'autres réfugiés." Il voulaient parler des Palestiniens. Vous voyez, ce n'est pas si étonnant que j'écrive comme je le fais, que je vive parmi les Palestiniens.» Amira Hass est devenue journaliste par hasard. Elle a fait mille petits boulots pour survivre - même femme de ménage - et est allée en Hollande. «Là, j'ai ressenti l'absence de réalité juive. Et cela m'a appris beaucoup de choses, plus particulièrement sur mon attitude face à Israël, ou comment ne pas être sioniste. Israël, c'est l'endroit auquel j'appartiens, la langue, les gens, la culture, les couleurs...»
Amira Hass a laissé tomber l'Université Hébraïque où elle faisait des recherches sur l'histoire des Nazis et l'attitude de l'Europe face à l'Holocauste. «Je ne pouvais pas faire autrement. Lorsque la première Intifada a éclaté, je n'avais pas l'intention de rester assise à faire des recherches avec tous ces événements. J'ai utilise le "wasta" - vous connaissez ce mot arabe? - pour obtenir un boulot de secrétaire de rédaction dans le service des informations de Ha'aretz en 89.» Wasta signifie «piston» ou «influence». Ha'aretz est un journal libéral, libre penseur, le plus proche en Israël de ce qu'est The Independent. Lorsque la révolution a éclaté en Roumanie, Amira Hass a demandé à y être envoyée afin de couvrir l'événement - elle y avait de nombreux contacts depuis une visite à Bucarest en 1977 - et à sa grande surprise, Ha'aretz a accepté, alors qu'elle n'était au journal que depuis trois mois.
«Lorsque j'étais allée en Roumanie auparavant, j'ai eu le sentiment que j'avais la responsabilité philosophique de ressentir la vie sous ce régime socialiste», dit-elle. «C'était mille fois pire que ce que j'avais imaginé. Il y avait cette terrible pression - la vie sous l'occupation Israélienne est moins dure que celle dans la Roumanie de Ceausescu. L'oppression y était incroyable. J'ai donc couvert la révolution pendant deux semaines et je suis revenue au journal. Ha'aretz ne savait pas si je savais écrire - moi, si. Mais je savais également ne pas regarder ce que les autres journalistes recherchent.»
En 1990, avec les encouragements de ses parents, elle a rejoint un groupe appelé Workers' Hotline, qui aide les Palestiniens abusés par leurs employeurs israéliens. «Pendant la guerre du Golfe, je suis arrivée à Gaza sous le couvre-feu - j'étais venue remettre à des Palestiniens des chèques de leurs employeurs israéliens. C'est là qu'a commencé mon histoire d'amour avec Gaza. Aucun journaliste israélien ne connaissait ou ne couvrait Gaza. Mon chef de rédaction a été très compréhensif. Lors du "processus de paix" en 1993 (Amira Hass demande que cette expression soit mise entre guillemets), Ha'aretz m'a proposé de couvrir Gaza. L'un des secrétaires de rédaction m'a dit: "On ne vous demande pas de vivre à Gaza." J'ai su immédiatement que c'était là que je voulais vivre.»
Elle se souvient que dès le début «les Palestiniens ont eu une attitude très chaleureuse; ils cultivaient le sens de l'humour malgré ces conditions pénibles.» Lorsque je lui ai suggéré que c'est peut-être un caractère commun avec les Juifs, elle a immédiatement acquiescé. «Bien sûr. Je suis Juive d'Europe de l'Est, et je porte en moi la vie du shtetl. Il me semble qu'à Gaza j'ai retrouvé un shtetl. Je me souviens avoir rencontré des réfugiés du camp de Jabalya assis sur une plage. Je leur ai demandé ce qu'ils faisaient. L'un d'entre eux m'a répondu qu'il attendait d'avoir 40 ans; il serait alors suffisamment âgé pour avoir le droit de travailler en Israël. C'était une vraie blague juive.»
Toutefois, Amira Hass n'a trouvé aucun humour dans la politique israélienne de «bouclage» et de siège des villes palestiniennes, d'étranglement de leur économie et de leur population. «J'ai senti, dès 1991, que la politique de "bouclage" était une mesure très habile du système d'occupation israélien, une sorte de frappe préventive», dit-elle. «La manière dont elle débilite toute action et toute réaction palestinienne est surprenante. Les "bouclages" avaient également un objectif: la séparation démographique, par laquelle les Juifs avaient le droit de se déplacer dans tout le territoire de la Palestine mandataire. La politique de "bouclage" a permis de mener ce système vers sa perfection.»
Amira Hass a été choquée par la différence entre l'image des Palestiniens et la réalité. «Leurs villes étaient décrites dans la presse israélienne comme des "nids de frelons". Mais je souhaitais ressentir réellement ce que cela signifiait de vivre sous occupation, avec le couvre-feu, la peur des soldats. Je voulais savoir ce que c'était qu'être Israélienne sous l'occupation israélienne.» Elle a utilisé à nouveau le mot «ressentir», comme lors de sa description de la Roumanie sous la dictature. Elle déclare penser encore au voyage de sa mère jusqu'à Belsen. «C'était cette idée de non-intervention, d'immobilisme. Et j'ai eu la chance de pouvoir la faire passer dans le journalisme.» Amira Hass est persuadée que le changement ne peut provenir que de mouvements sociaux et de leur interaction avec la presse; une idée étrange, qui paraît quelque peu illogique.
Cependant, sa vocation est nettement affirmée. Selon elle, «Israël est réellement le centre décisionnel qui régit la vie des Palestiniens. En tant qu'Israélienne, mon devoir de journaliste est de surveiller le pouvoir. Je suis officiellement correspondante pour les affaires palestiniennes. Mais il serait plus juste de dire que je suis experte pour les questions concernant l'occupation israélienne.» Israël réagit violemment à son encontre. «Je reçois des messages me disant que je dois avoir été un kapo [un surveillant juif de camp pour le compte des Nazis] dans une précédente incarnation. J'ai même reçu un e-mail disant: "Bravo, vous avez écrit un article formidable - Heil Hitler!" Quelqu'un m'a souhaité d'attraper un cancer du sein. "Tant que nous n'aurons pas chassé tous les Palestiniens, il n'y aura pas de paix", disent certains. Je ne peux pas leur répondre, car je reçois des milliers de messages de ce type.»
Cependant, nombreux sont les Israéliens qui demandent à Amira Hass de continuer à écrire. «Les gens se sont trompés en croyant qu'avec Oslo il s'agissait d'un processus de paix, et ils ont été extrêmement furieux contre les Palestiniens. Une partie de leur colère s'est reportée sur moi. Les Israéliens ne vont pas dans les Territoires occupés. Ils ne voient pas avec leurs propres yeux. Ils ne voient pas un village palestinien avec une colonie sur ses terres, un village qui n'a pas d'eau et qui a besoin de la permission du gouvernement pour planter un arbre, sans parler de la construction d'une école. Les gens ne comprennent pas comment la dissémination des colonies juives permet à Israël de contrôler le territoire palestinien.»
Lorsque sa mère était mourante, au printemps dernier, Amira a eu peur d'être prise au piège par le siège israélien de Ramallah - où elle vit actuellement - et elle a passé des heures à parcourir les quelques kilomètres menant à Jérusalem. À présent, elle est seule. La femme qui lui a appris à mépriser ceux qui «regardent passer» est morte il y a deux mois.
                   
18. Un sociologue israélien met en évidence la droitisation de la rue israélienne et redoute son influence sur la jeune génération - Des enfants israéliens parlant des Palestiniens : "Ce sont des êtres mauvais assoiffés de sang... Le mieux, c'est qu'ils crèvent du sida..."
in Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du samedi 25 août 2001
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Nazareth - Asi Sha'rabi, ancien officier dans l'unité de "lutte anti-terroriste" de l'armée israélienne, qui étudie actuellement la psychologie sociale dans une université londonienne, avoue qu'il n'aurait jamais osé imaginer, même dans ses pires cauchemars, l'étendue de la haine raciste que les enfants israéliens nourrissent à l'encontre des enfants palestiniens de leur âge, "même si j'avais déjà pleine conscience de l'évolution droitière en cours au sein du peuple israélien, depuis le déclenchement de l'Intifada".
M. Sha'rabi a préparé une thèse consacrée à la vision que des enfants juifs israéliens de huit à dix ans ont des enfants palestiniens de leur génération, ainsi que l'étendue de leur compréhension du conflit israélo-palestnien. A cette fin, il a interrogé un échantillon de quatre-vingt quatre enfants israéliens, après l'attentat (suicide) contre une discothèque de Tel Aviv. Il a demandé à chacun de ces enfants d'envoyer une lettre à un enfant palestinien, en l'accompagnant de dessins exprimant ce qui lui passe par la tête. Le résultat, a indiqué Shar'abi au journal israélien (en hébreu) Ma'ariv, a été que "la haine enflamme d'une manière effrayante le cœur des enfants juifs, qui ont représenté les enfants palestiniens de leur âge comme portant de longues chevelures hirsutes et munis de grandes canines acérées, (des êtres qu'ils préféreraient voir) mourir du sida ou brûler dans les bûchers éternels de l'enfer". Le fait est que la description revenant le plus souvent chez les enfants israéliens en ce qui concerne les Arabes (des "êtres mauvais, repoussants, assoiffés de sang") montre que ces enfants reçoivent une éducation basée sur des préjugés racistes. Les livres scolaires ne sont pas exempts des poisons de la vision sioniste impitoyable pour l'homme palestinien et arabe, en général, rejeté pour la simple raison qu'il est palestinien ou arabe. La "nourriture spirituelle" (des jeunes Israéliens) ne se cantonne pas aux seuls manuels scolaires, mais elle est prégnante également dans les matériels didactiques et les livres d'enfants les plus populaires, qui développent chez leurs jeunes lecteurs une haine aveugle à l'encontre des Arabes, un déni total de leur parole et de leur intelligence, auxquels s'ajoute le déni de leur droit au pays et la nécessité de les liquider physiquement ou de les nettoyer ethniquement.
D'après Shar'abi, qui ne cache pas sa stupéfaction attristée devant les constats de son étude, et qui a ressenti une certaine pudeur et une grande gêne lorsqu'est arrivé le moment de les présenter à son directeur de thèse, professeur dans une université britannique, relève aussi que les enfants qui y ont participé ont évoqué leur aspiration à la paix. Mais il s'agit d'une paix "creuse", selon ses propres termes. Il a ajouté que "la paix, aux yeux des enfants (israéliens), est possible avec les Arabes, mais cela ne signifie pas pour autant qu'il ne faille pas les tuer et les exterminer jusqu'au dernier"... Le chercheur attire l'attention sur le fait que les enfants citadins se sont révélés généralement plus extrémistes que ceux des colonies et des kibbutz. A leurs yeux, "un bon Arabe, c'est un Arabe mort".
Parmi les exemples cités par l'auteur de la thèse, une fillette juive a écrit à son hypothétique petite correspondante palestinienne : "je te souhaite la mort à la suite d'une maladie. J'attends (avec impatience) ta mort et je te la souhaite, à toi et à tous les membres de ta famille". Une autre écrit ( "à la sale Arabe") : "... Je n'aime pas du tout ce que vous nous faites. Nous (vous) le rendrons au centuple jusqu'à ce que vous arrêtiez de tirer. Je souhaite que vous creviez tous".
La majorité des enfants (juifs) renouvellent leurs "souhaits de mort". L'un d'entre eux a dessiné un enfant palestinien portant la barbe, avec des dents acérées apparentes. Les qualificatifs de "puant, sale, assassin, meurtrier, fou, arriéré..." reviennent dans la plupart de leurs lettres.
Le chercheur cite la transcription d'un débat entre cinq enfants qui discutent des moyens de mettre un terme au conflit actuel. L'un des enfants propose des négociations en vue de réaliser la paix, un deuxième lui oppose la nécessité de "faire sauter tous ces salauds de Palestiniens", un troisième propose de bombarder les villes palestiniennes, tandis que le quatrième tente de convaincre ce dernier de la nécessité de négocier avec le président palestinien et que le cinquième conclut en hurlant d'une voix suraigüe son exigence que les mosquées et les maisons (palestiniennes) soient réduites en cendres par les bombardements. Le sociologue retire de l'analyse de ce mini débat que les propos qu'avancent les enfants reflètent exactement ceux que les Israéliens adultes échangent entre eux au cours de leurs conversations, chez eux, au salon, qui reflètent de manière concrète l'atmosphère droitiste qui domine dans la société israélienne et qui ne peut qu'être renforcée par les positions officielles des gouvernants actuels d'Israël.
                     
19. Les écoles arabes en Israël entament une grève d'avertissement de trois jours
in Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du samedi 25 août 2001
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

La commission supérieure de suivi de la condition des Palestiniens de 1948 (en Israël) a décrété une grève d'avertissement de trois jours dans tous les établissements scolaires arabes, motivée par l'absence de réponse du gouvernement israélien aux demandes accrues en matière de budgets pour le système éducatif arabe et en protestation contre les déclarations racistes de la ministre israélienne de l'éducation nationale, Limor Livnat, qui avait conditionné l'attribution de moyens financiers aux écoles arabes au degré de loyauté à l'égard d'Israël des écoliers arabes qui les fréquentent.
La ministre avait notamment déclaré que "quiconque entretient le souvenir de la Nakba (terme désignant pour les Arabes la catastrophe qu'a représenté pour eux (seulement ?ndt) la création de l'Etat d'Israël, en 1948) dans son école ne saurait se voir allouer un quelconque budget."
La commission chargée des questions d'éducation a considéré ces déclarations comme "amorales" et dénotant la mentalité arrogante et hautaine de l'usurpateur du droit (des autres), qui considère les citoyens arabes (d'Israël), enfants du peuple palestinien, comme une minorité négligeable et dépourvue de droits, facile à domestiquer et à soumettre".
Cette commission a ajouté, dans un communiqué, qu'elle persistera à offrir un programme éducatif national aux étudiants arabes, insistant sur ses dimensions nationale (pan-arabe, qawmiyy), individuelle, sociale et humaniste.
Par ailleurs, Mme Livnat a décidé, par une mesure raciste, encore une fois, de procéder à la remise de la carte d'identité israélienne, à laquelle accède tout Israélien de seize ans accomplis, dans les écoles - arabes comme juives - au cours de cérémonies officielles qui prendraient le caractère de "prestation de serment d'allégeance" à l'Etat (israélien) pour les impétrants. La ministre a même prévu les menus cadeaux symboliques qui seraient remis à cette occasion aux jeunes citoyens : une partition de "l'hymne national israélien" ("pompé" sur "Ma Vlast - La Moldau" de Bjedrish Smetana, musicien tchèque, ndt), pour les Juifs, et une copie de la "Déclaration d'Indépendance" pour les Arabes... (ne remuons pas le couteau dans la plaie... ndt)
La ministre s'était distinguée, il y a quelque temps, en déclarant qu'elle avait l'intention de donner des consignes aux établissements scolaires leur enjoignant l'ordre de scander chaque fin de semaine en faisant entonner aux élèves "l'hymne national" (du pauvre Bjedrish qui n'en peut mais, ndt), afin "d'entretenir la flamme du sionisme dans le cœur des générations montantes".