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croisés par Thierry Bianquis
Hier soir, 1er août 2001 sur
I-télévision (TPS), interview de Elie Barnavi, ambassadeur d'Israël en France,
un historien, qui passe pour un libéral, ami de Leïla Shahid. Cet homme n'a pas
cessé de mentir : toute la violence vient des Palestiniens, les Israéliens ne
font que se défendre préventivement, la communauté internationale doit faire
pression sur Arafat le coupable et non sur Israël qui est la victime, Barak
avait tout cédé (or, le Monde a publié par deux fois l'article de Malley, le
négociateur US aux côtés de Clinton, qui prouve scientifiquement que rien de
solide n'avait été accordé à Arafat par Barak qui l'avait mené en bateau).
Le
spectacle d'un universitaire âgé mentant délibérément face à une jeune
journaliste qui ne le croyait pas mais qui avait des ordres pour ne pas le
contredire sérieusement était horrible car derrière cela il y a un peuple que
l'on extermine.
[Thierry Bianquis est le
co-auteur avec Jean-Claude Garcin et Miche Balivet de
"Etats, sociétés
et cultures du monde musulman médiéval Xème XVème siècle" (3 Tomes) aux éditions des Presses Universitaires de France /
Tome 1 : 298.00 FRF
/ 45.43 Euros - ISBN : 2130466966 - Octobre 2000 - 704 pages /
Tome 2 : 298.00 FRF / 45.43 Euros - ISBN : 2130497829
- Août 2000 - 688 pages / Tome 3 : 198.00
FRF / 30.18 Euros - ISBN : 2130502229 - Septembre 2000 - 296
pages]
Revue de
presse
1. Une pratique contraire au droit
international par Mouna Naïm
in Le Monde du jeudi 2 août
2001
Première à condamner publiquement –et au terme d'une enquête
extrêmement documentée– les "meurtres ciblés" de Palestiniens par l'armée
israélienne, l'organisation de défense des droits de l'homme Amnesty
International n'avait pas hésité, dès le mois de janvier, à parler
d'"assassinats d'Etat". Ehoud Barak était encore premier ministre de l'Etat
juif, l'Intifada palestinienne était dans son quatrième mois et l'armée
israélienne avait déjà à son "palmarès" quelques assassinats de Palestiniens
activistes ou supposés tels. Amnesty en avait alors répertorié sept.
Depuis,
une multitude d'organisations non gouvernementales, dont la Fédération
internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) et Human Rights Watch, de
juristes et plusieurs gouvernements ont maintes fois "critiqué", "condamné", ou
"dénoncé" ces meurtres, évoqués sous des qualifications diverses, mais qui
sous-entendent toutes qu'il s'agit là d'exécutions extrajudiciaires, contraires
au droit international– en particulier la quatrième Convention de Genève sur la
protection des populations civiles en temps de guerre et la Convention des
Nations unies sur les droits civils et politiques.
Le département d'Etat
lui-même, généralement si rétif pourtant à critiquer Israël, les reproche
vivement aux autorités juives et y voit autant de "provocations" de nature à
envenimer les choses. Les Palestiniens– et plus généralement les Arabes– n'ont
cessé, de leur côté, de les dénoncer. En vain puisque, depuis le début de
l'Intifada, ce sont une cinquantaine de Palestiniens, membres ou présumés tels
du Mouvement de la résistance islamique Hamas, du Djihad islamique et du Fatah,
qui ont été ainsi "ciblés". La cadence s'est donc accélérée sous le gouvernement
d'Ariel Sharon. Les "liquidations" se sont presque toutes faites dans des
parties de la zone dite "A", c'est-à-dire sous contrôle total de l'Autorité
palestinienne.
Les derniers assassinats en date ont eu lieu mardi 31 juillet
: six responsables du Mouvement de la résistance islamique Hamas ont été tués
par des tirs de chars israéliens, qui ont visé l'immeuble abritant l'un des
bureaux dudit mouvement à Naplouse.
Deux enfants sont morts dans ce qu'on
pourrait cyniquement qualifier d'"effets collatéraux".
Loin de s'en défendre,
l'armée israélienne a justifié l'opération, au nom de sa politique dite de
prévention d'attentats anti-israéliens, tout en déplorant la mort des deux
enfants. Tsahal considère qu'elle est en situation de conflit armé, ce qui
l'autorise à attaquer ceux dont elle a exigé, sans succès, l'arrestation par
l'Autorité palestinienne.
Contrairement à d'autres gouvernements qui
démentent pratiquer des exécutions extrajudiciaires, le gouvernement israélien
ne s'en cache pas. Le 18juillet, après un attentat-suicide qui a tué deux
soldats israéliens dans la petite bourgade de Benyamina, au nord de Tel Aviv, le
cabinet de sécurité a donné le feu vert à l'armée pour continuer les
"interceptions de terroristes". Et pour mener à bien ces assassinats sélectifs,
tous les moyens sont bons, y compris les plus disproportionnés, tels les raids
d'hélicoptères ou les tirs d'obus de chars, sans parler des voitures et autres
engins piégés.
Les branches militaires du Hamas et du Djihad islamique n'ont
certes jamais hésité à revendiquer des attentats terroristes qui ont fait des
victimes civiles. Cela n'autorise pas Israël à s'arroger le droit de tuer de
manière arbitraire certains membres réels ou présumés de ces formations. Car,
outre le fait que ce genre de procédé est interdit par les conventions
internationales, les affirmations du gouvernement israélien sur les activités et
les intentions "terroristes" des Palestiniens ciblés sont par nature
invérifiables. Et, alors que l'Etat juif affirme systématiquement qu'il s'agit
de membres d'organisations militaires, dans au moins un certain nombre de cas,
ce sont bien des "politiques" qui ont été visés.
Ces pratiques entretiennent
le cycle de violences et le désir de vengeance des Palestiniens, y compris
d'ailleurs au sein même de la société palestinienne avec les liquidations et
condamnations à mort de ceux qui sont soupçonnés ou convaincus de collaboration
avec l'Etat juif. L'Autorité palestinienne a sa propre liste de responsables de
l'Etat juif suspectés de meurtre qu'elle souhaite voir arrêtés, mais Israël a
affirmé ne pas s'en préoccuper. Pis: des extrémistes palestiniens, les
Bataillons du retour du front de l'armée populaire, ont dressé leur propre liste
de trente-trois rabbins et responsables de colonies qu'ils pourraient prendre
pour cibles à tout moment.
La politique israélienne des assassinats sélectifs
n'est pas une nouveauté dans le conflit israélo-palestinien. Ce sont les moyens
qui ont changé. Lorsque Israël a occupé la totalité de la Cisjordanie et de la
bande de Gaza, après la guerre de juin 1967, la tâche d'en finir avec les
"terroristes" palestiniens fut confiée, au début des années 1970, à des unités
de l'armée dont les membres étaient déguisés en Arabes.
En 1995,
l'hebdomadaire israélien Kol Ha'ir a publié pour la première fois les
témoignages de certains de ceux qui opéraient à Gaza– l'article a été reproduit
dans un fascicule récemment publié par la Revue d'études palestiniennes sous le
titre : "Le général Sharon, éléments pour une biographie". Le principal but de
l'unité "était de capturer et d'éliminer les Palestiniens recherchés", qui
étaient classés en deux groupes : les "noirs" et les "rouges". Ces derniers
étaient recherchés pour les meurtres de civils israéliens, de soldats ou de
collaborateurs palestiniens. Ils n'étaient pas supposés être ramenés vivants.
Tous les moyens, y compris par exemple la mise en scène d'un simulacre de fuite
du Palestinien arrêté, étaient alors
tolérés.
2. Six membres du Hamas tués
dans une attaque ciblée israélienne par Catherine Dupeyron
in Le
Monde du jeudi 2 août 2001
Estimant qu'il s'agit d'une "déclaration de
guerre", l'organisation palestinienne lance à son tour un appel au meurtre de
responsables politiques de "l'ennemi". L'opération de Tsahal à Naplouse, mardi
31 juillet, dans laquelle deux enfants ont également trouvé la mort, a suscité
des condamnations énergiques dans le monde. JÉRUSALEM correspondance
La
dernière en date des attaques ciblées de l'armée israélienne, mardi 31 juillet à
Naplouse, visait d'importants dirigeants du Hamas, et la cible a été atteinte.
Cependant, des innocents ont également été tués, dont deux enfants, deux frères
de huit et dix ans. A leur sujet, les principaux responsables politiques
israéliens ont exprimé leur "profond regret".
Mardi après-midi, l'armée
israélienne a lancé trois missiles d'hélicoptères sur le troisième étage d'un
immeuble qui servait, semble-t-il, de quartier général au Hamas à Naplouse.
L'opération a tué huit personnes : cinq membres du Hamas, un journaliste
palestinien présumé membre du Hamas par les Israéliens, et les deux gamins qui
jouaient au pied de l'immeuble. Deux autres Palestiniens ont été tués dans la
bande de Gaza, ce qui porte à dix le nombre de morts pour la seule journée du 31
juillet, la plus meurtrière depuis l'attentat commis, le 1er juin, par des
Palestiniens devant une discothèque de Tel Aviv, le Dolphinarium, dans lequel 21
personnes, pour la plupart des adolescents, avaient trouvé la mort.
Tsahal a
fait part de ses doutes quant à la mort des deux enfants à Naplouse, en
soulignant que les missiles avaient explosé dans l'immeuble et n'avaient causé
aucun dommage à l'extérieur. En outre, les Palestiniens n'ont pas, comme à
l'accoutumée, publié la photo des enfants, a indiqué un officier.
L'objectif
de l'armée était d'éliminer Jamal Mansour, 41 ans, et Jamal Salim Damoni, 43
ans, membres de la branche militaire du Hamas et responsables de nombreux
attentats commis ces derniers mois, notamment celui du Dolphinarium.
D'après
les services de renseignement israéliens, cette cellule de Cisjordanie était
réunie pour organiser de prochains attentats.
Depuis quelques jours, l'armée
et la police sont en alerte maximale. Les villes palestiniennes de Ramallah,
Bethléem, Naplouse, Tulkarem sont à nouveau soumises au blocus. Les patrouilles,
dans Jérusalem notamment, sont renforcées. Des militaires ont fait leur
apparition dans des quartiers résidentiels où il est inhabituel de les voir.
Dimanche 29 juillet, une bombe avait explosé dans le parking d'un immeuble, ne
faisant par miracle aucune victime. Le lendemain, lundi 30 juillet, une petite
charge explosait dans un supermarché du centre-ville, n'entraînant que des
dégâts matériels. "Jamal Mansour n'était pas juste un homme recherché parmi
d'autres, a déclaré au quotidien Haaretz de mercredi un officier israélien
opérant en Cisjordanie , Jamal Mansour est l'activiste le plus important qui a
été tué jusqu'à présent. (…) Du point de vue palestinien, sa mort est même plus
grave que celle de Yihye Ayash, dit 'l'Ingénieur'". Jamal Salim Damoni était
également un personnage important. Les deux hommes auraient été choisis pour
cibles non parce qu'ils avaient "du sang sur les mains", mais en tant
qu'organisateurs d'attentats. Ils auraient sélectionné les candidats aux
attentats-suicides, les auraient préparés à accomplir leur mission et leur
auraient assigné leurs objectifs.
Leur élimination laisse penser à certains
que pourraient encore être visés des responsables politiques palestiniens qui
télécommandent les actions sur le terrain, comme Marwan Bargouti, du Fatah.
"Celui-ci le sait, et Jamal Mansour le savait aussi. Depuis l'attentat du
Dolphinarium, il était accompagné de gardes du corps", indique Amos Harel,
journaliste au Haaretz.
Le Hamas a annoncé une vengeance prochaine, mais les
réactions palestiniennes sur le terrain ont été immédiates. La soirée a été
ponctuée d'une vingtaine de tirs de mortier dans la bande de Gaza, de tirs sur
Gilo, banlieue de Jérusalem en territoire occupé, et d'une attaque sur les
routes de Cisjordanie qui a fait cinq blessés israéliens, dont une femme
grièvement atteinte. Nabil Shaath, ministre palestinien de la coopération
internationale, a souhaité que des observateurs internationaux soient dépêchés
dans la région le plus rapidement possible. Quant au président de l'Autorité
palestinienne, Yasser Arafat, il envisage de saisir le Conseil de sécurité des
Nations
unies.
3. Le désarroi des "indics"
palestiniens du Shin bet par Georges Malbrunot
in Le Figaro du mardi
2 août 2001
La politique de liquidation des activistes adoptée par
Tsahal place les «indics» palestiniens du Shin bet dans le collimateur. Une cour
de sûreté de l'Autorité palestinienne a condamné mardi soir trois d'entre eux à
mort pour collaboration avec Israël en vue du meurtre d'un haut responsable du
Fatah, Thabet Thabet, en décembre dernier.
Poursuivis par les Palestiniens,
abandonnés par leur ex-employeur, les mouchards à la solde de l'État hébreu sont
en plein désarroi. «Combien d'anciens agents une fois passé en Israël dorment
sous des hangars de supermarché, sans papier. Le Shin bet les connaît. Il ne
fait rien pour eux, note un expert étranger familier de la question. Mais
aujourd'hui, le vrai problème, c'est les petits collabos, restés dans les
territoires» .
Grâce aux informations qu'ils ont transmises, Tsahal a liquidé
une quarantaine d'activistes en dix mois d'Intifafa. Après chaque assassinat ou
explosion suspecte, la sécurité d'Arafat procède à une vague d'arrestations de
personnes qu'elle surveillait. Plus de 200 d'entre elles ont été mises sous les
verrous. Yasser Arafat, dans un premier temps, a montré sa poigne de fer. Deux
Palestiniens soupçonnés d'avoir renseigné Israël ont été exécutés sans procès en
février. L'exercice est à peu de frais: la population soutient que les traîtres
doivent être tués afin de restaurer l'unité nationale. Sous la pression
internationale, le chef de l'OLP avait ensuite décidé de calmer le jeu. Face aux
menaces israéliennes, il a décidé de nouveau de durcir le ton.
En Cisjordanie
et dans la bande de Gaza, une paranoïa anti-collabo s'est développée parmi la
population. Une quinzaine de Palestiniens au moins sont morts récemment dans des
conditions suspectes. Certains travaillaient pour Israël. D'autres non. «La
lutte contre les mouchards est un alibi commode, explique Mireille Widmer,
auteur d'un rapport pour le Palestinian Human Rights monitoring group, elle
justifie des règlements de comptes, d'autant que la définition de la
collaboration est vague». Elle inclut le trafiquant de drogue ou la femme qui a
eu des relations hors mariage.
En 1994, l'organisation israélienne de Défense
des droits de l'Homme B'tselem estimait à 6 000 les «collaborateurs» répertoriés
par le Shin bet. Le retrait israélien des principales villes palestiniennes n'a
pas tari le besoin d'oreilles. Au contraire. Faute de patrouiller dans les rues
de Ramallah ou Gaza, le travail du Shin bet nécessite aujourd'hui davantage
d'indics. Tous les moyens sont bons pour recruter. Un permis pour travailler en
Israël ou s'y faire soigner. Un laissez-passer pour se rendre en Jordanie.
«Israël exploite la souffrance des Palestiniens au travers des bouclages» ,
accuse Yael Stein, avocate à B'tselem. En échange du sauf-conduit, «on te donne
cette photo de X, te demande de vérifier qu'il est à tel endroit ce soir» ,
ajoute un spécialiste.
Des soit disant compagnons de cellule qui cherchent à
extorquer des informations à leurs compatriotes incarcérés, aux intermédiaires
désireux de vendre des terres arabes à des Israéliens, en passant par les
moukhtars des localités toujours sous le contrôle sécuritaire de l'État hébreu:
les candidats ne manquent pas. Ils étaient une vingtaine environ par village
durant la première intifada. Redoutant un déchaînement de violence en cas
d'échec des négociations de Camp David l'été dernier, Israël avait auparavant
intensifié son recrutement. Aujourd'hui, beaucoup d'indics ne seraient pas
activés. Ils sont infiltrés dans les universités, les hôpitaux, les syndicats et
les organisations politiques. Equipés d'une technologie avancée pour les plus
«utiles», ils surveillent les déplacements des activistes. Dans les rues ou en
prison, le collabo et son agent traitant se reconnaissent d'un signe de la main,
au nez par exemple.
Au terme de purges sanglantes, près d'un millier
d'indicateurs a été éliminé durant la première intifada entre 1987 et 1991.
Selon Freih Abou Mdein, ministre de la Justice, 60% d'entre eux n'étaient en
fait pas des collabos.
Les premiers accords israélo-palestiniens les
exemptaient de «poursuite» par l'autorité palestinienne. Estimant que seuls
étaient concernés ceux qui avaient travaillé avec Israël avant leur signature en
1994, les services de Yasser Arafat en ont arrêté environ 250, jusqu'au début de
la seconde révolte. Selon Amnesty International, une centaine croupit en prison,
sans charges, torturés le plus souvent. Les avocats refusent de les défendre.
«Ils m'ont présenté une liste de fautes, je devais choisir celle que j'étais
supposé avoir commise», reconnaît l'un d'eux. Certains hommes d'affaires ont
racheté leur trahison. D'autres suspects ont été retournés et travaillent
désormais dans la sécurité palestinienne.
Malgré certains dérapages, les deux
camps se sont arrangés pour conclure une sorte d'accord tacite afin d'alléger le
fardeau. Israël n'avait nullement envie de reloger 6000 Palestiniens et leur
famille sur son territoire. De fait, seul un millier, les gros poissons, a
réussi à trouver refuge, le plus souvent dans les quartiers pauvres des villes
arabes, où ils sont ostracisés par leurs «frères».
En échange d'une lutte
accrue contre les opposants islamistes à la paix, l'État hébreu fermait les yeux
sur les arrestations conduites par les services palestiniens à Jérusalem-est.
Jusqu'où est allée cette coopération, sur le dos d'indics embarrassants? Selon
nos informations, Allan Bani Oudeh, exécuté à Naplouse mi-janvier pour avoir
fourni des informations sur son cousin, un islamiste tué dans l'explosion de sa
voiture, a été arrêté en Israël - et non pas en Cisjordanie - par les services
de la sécurité préventive palestinienne, à une période où le bouclage des
territoires était pourtant particulièrement hermétique.
4. Le Shaykh Mansour... a
réglé, puis il a transmis la facture au martyr Darruzéh par
Rawmal Shahrur al-Suwaïti
in Al-Hayat Al-Jadida (quotidien palestinien) du
mercredi 1er août 2001
[traduit de l'arabe par
Marcel Charbonnier]
(Créé en 1995 et publié à Ramallah, Al-Hayat Al-Jadida
(“la Vie nouvelle”) tire quotidiennement à 6000 exemplaires :
http://www.alhayat-j.com)
Notre
journal, Al-Hayat al-Jadidah, a rencontré les dirigeants du Hamas, à Naplouse,
peu de temps avant leur assassinat.
Naplouse - Deux heures avant le raid de
l'aviation israélienne contre le bureau où travaillaient Jamal Mansour et Jamal
Salim, les deux responsables politiques du Hamas, attaque qui a causé la mort
des deux responsables ainsi que celle de quatre de leurs collègues, auxquelles
il faut encore ajouter deux enfants, qui passaient dans la rue, et qui ont été
tués eux aussi, deux heures, donc, avant cette attaque traitresse, le sort a
voulu que je sois passé les voir, à leur bureau, afin de percevoir le règlement
d'avis de décès de membres de leur mouvement, le Hamas, que notre journal avait
publiés peu avant.
Quand je suis rentré dans le bureau, Mansour et son fidèle
second, le Shaykh Salim, étaient au travail. L'un écrivait, tandis que l'autre
tapait un texte à l'ordinateur. Leur bureau était spécialisé dans les questions
de communication et dans diverses études et recherches.
Mansour
m'accueillit, comme à son habitude, avec son sourire bienveillant : "Bienvenue à
al-Hayat al-Jadidah!" Je lui dis que je ne resterais pas longtemps. Il me
répondit : "pas de problème". Je lui ai alors remis les factures (pour les
avis de décès) du martyr Salah al-Din Darruzéh "Abu al-Nur", ainsi que d'un
autre martyr. J'en avais reçu le paiement de la main même du martyr Abu
al-Nur... J'ai alors dit au martyr Mansour ce qu'il en était de cette facture
(pour ce paiement pour le moins peu banal). Il me répondit, en plaisantant :
"O.K., je la remettrai moi-même en main propre à Abu al-Nur, au
cimetière..."
Puis il se leva et vint près de Mansour, le Shaykh Salim "Abu
Mujahid", auquel je dis en plaisantant que j'étais bédouin - bien que je
ressemble à un paysan - que lui était un réfugié, et qu'il ne manquait plus à
notre petit groupe qu'un "citadin". Il me dit alors : "je réunis toutes ces
qualités. J'étais paysan, dans mon village de Damoun, en Palestine, avant
l'occupation de 1948. Puis je suis devenu réfugié après 1948, et aujourd'hui, je
vis à Naplouse, alors : ne suis-je pas aussi un citadin ?" Il ajouta
(sérieusement, cette fois) : "mais nous sommes avant tout musulmans, arabes et
palestiniens, en fin de compte, n'est-ce pas ?"
Après avoir perçu l'argent
des avis de décès de la main du martyr Jamal Mansour, ce dernier me dit :
"voilà, maintenant, le Hamas ne doit plus rien au journal al-Hayat al-Jadidah",
ajoutant "le martyr est libéré de toute dette, sauf la dette d'argent... C'est
pourquoi il faut régler (nos) dettes d'argent le plus vite possible..."
Puis
j'ai quitté le bureau d'information (du Hamas). Deux heures plus tard, environ,
j'entendis le fracas de l'explosion qui se produisit à l'endroit où je me
trouvais si peu de temps auparavant... C'était le drame, la catastrophe. "Nous
appartenons à Dieu et c'est à Lui que nous
retournons".
5. Un document secret israélien suggère un
échange "(des) territoires contre la paix"
in Al-Hayat Al-Jadida (quotidien palestinien)
du mercredi 1er août 2001
[traduit de l'arabe par
Marcel Charbonnier]
Un document du ministère des
affaires étrangères israélien, "sorti" des bureaux à la suite d'une "fuite",
comporte une proposition consistant à remettre aux Palestiniens des superficies
"généreuses" de territoires afin d'"inciter" le président Yasser Arafat à
abandonner la voie de la violence au profit des négociations de paix.
Ce
document - ultra-confidentiel - préparé par la section du renseignement au
ministère et que le radio israélienne a révélé, ne fait pas de la fin des
violences palestiniennes une condition préalable à des négociations,
contrairement aux exigences du premier ministre, Ariel Sharon. Ce document n'a
pas été présenté au conseil des ministres israéliens hebdomadaire, qui s'est
tenu hier, dimanche, mais il n'en révèle pas moins ce qui semble bien être des
dissensions entre Sharon et son ministre des affaires étrangères, Shimon Pérès,
sur les modalités permettant de mettre un terme à l'intifada.
Pérès était en
visite officielle en Amérique du Sud lorsque le document a été dévoilé, et il
n'a fait aucun commentaire sur ce document qui semble bien être le reflet des
positions de certains membres éminents du parti travailliste. Des sources
politiques (israéliennes) ont informé notre agence (Reuters) du fait que ce
document comporte une analyse de la personnalité et du comportement du président
Arafat. D'après le document, Israël pourrait regagner la confiance d'Arafat en
octroyant aux Palestiniens "une grande superficie des territoires" tout en
prenant des mesures immédiates permettant d'améliorer les conditions de vie des
Palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Ce document suggère
également une initiative consistant à réunir des fonds internationaux et arabes
destinés à remettre sur pied l'économie palestinienne, pratiquement anéantie par
dix mois d'affrontements.
"Le but de l'initiative israélienne est d'aboutir à
diminuer les motifs qu'Arafat a de se plaindre et de regagner sa confiance
vis-à-vis des intentions israéliennes. Cette initiative sera un gage donné à
Arafat qu'Israël recherche un accord de paix solide." On peut lire, plus loin,
dans le document subtilisé au ministère israélien des affaires étrangères :
"(notre) initiative ne pourra qu'encourager les éléments pragmatiques de
l'entourage d'Arafat et au sein du peuple palestinien, tout en aidant de manière
concomitante à mobiliser les sphères arabe et internationale à exercer des
pression sur Arafat."
"Parallèlement à notre proposition, il faut continuer
sans relâche à faire miroiter à Arafat que l'alternative serait, le cas échéant,
une détérioration de la situation allant jusqu'au point où son Autorité et sa
stature (internationale) seraient menacées." Bien que le gouvernement israélien
n'ait pas discuté de ce document qui pourrait constituer la base d'une
proposition sérieuse pour la relance des négociations, il y a fait allusion. On
rapporte que Sharon aurait déclaré à ses ministres : "nous devons répéter tous
les jours qu'il ne saurait y avoir de négociations tant qu'il y aurait des
tirs."
Alon Lil, ancien directeur général du ministère israélien des affaires
étrangères à déclaré à la radio israélienne que ce type de documents est
généralement rédigé par des chercheurs, après avoir colligé toutes les données,
secrètes comme publiques, réunies par les différents services du ministère. Il a
ajouté que le document en question a été "exfusé" par une personne qui avait un
intérêt personnel à ce qu'il soit rendu public. Lil a poursuivi, disant :
"chaque matin, des dizaines de documents de ce type sont déposés sur le bureau
du premier ministre et sur celui du ministre des affaires étrangères... Il n'est
pas rare qu'ils soient contradictoires les uns avec les autres, d'ailleurs... La
question est de savoir qui avait un intérêt quelconque à dévoiler ce document,
en particulier ?" Bien que les propositions contenues dans ce document ne
reflètent pas la position officielle du gouvernement, elles ont immédiatement
fait l'objet de tiraillements entre les ministres de la coalition
gouvernementale présidée par Sharon., et composée de divers partis, de droite et
de gauche.
Le ministre israélien du tourisme, Rahba'am Z'evi, a déclaré à la
radio israélienne : "(cette fuite) est très embarrassante pour le gouvernement
Sharon... ce que nous devons faire, c'est récupérer ce que nous avons (déjà)
donné (aux Palestiniens! ndt) et (certainement pas) donner des territoires
supplémentaires". Mais le ministre de la culture et des sports, Matan Vilna'i,
membre du parti travailliste, s'est montré très favorable à l'initiative
proposée par le document, dans laquelle il voit une chance de pouvoir retourner
s'asseoir à la table des négociations. Il a déclaré à la radio israélienne :
"plus vite nous irons nous asseoir à cette table, mieux ce
sera".
6. Dernière heure : l'occupant évacue les colons de
"Gush Qatif" par Munira Abu Rizq
in Al-Hayat Al-Jadida (quotidien palestinien)
du mercredi 1er août 2001
[traduit de l'arabe par
Marcel Charbonnier]
Gaza - Des témoins oculaires ont
rapporté avoir constaté que les forces d'occupation ont entrepris, tôt ce matin,
d'évacuer les colons des implantations de Gush Qatif, au sud de Gaza, ajoutant
que l'armée a fermé les routes principales conduisant aux colonies, notamment la
voie Salah ed-Din, la route principale (parcourant la bande de Gaza du nord au
sud, ndt). Par ailleurs, six autobus pleins à craquer de colons ont été vus, ce
matin, quittant la colonie, en direction de la "ligne verte" (frontière
israélienne, ndt).
7. Technologie et renseignement, bases de l'efficacité
des opérations spéciales
Dépêche de l'Agence France Presse du
mercredi 1er août 2001, 18h02
PARIS - L'association des technologies
les plus modernes aux méthodes plus traditionnelles de renseignement est à la
base de l'efficacité des opérations spéciales des armées modernes, du genre de
celle que les forces israéliennes ont lancé lancée mardi à Naplouse, en
Cisjordanie.
Cette attaque par hélicoptère qui a fait huit morts - six
membres du mouvement radical palestinien Hamas et deux enfants - a été qualifiée
par le Premier ministre Ariel Sharon, cité mercredi par le quotidien Maariv, de
"l'une des plus réussies" de l'armée israélienne.
"Toutes les armées au
monde se targuent de ce genre de capacité", relève un spécialiste civil des
opérations spéciales. "L'armée israélienne, elle, les met en oeuvre de manière
quasi-routinière et une opération comme celle de Naplouse apparaît, après
d'autres, comme exemplaire".
Le missile - une roquette - qui a explosé dans
la pièce où se trouvaient les membres du Hamas, entrant au bon étage par la
bonne fenêtre, a vraisemblablement été dirigé par laser : la cible étant
"illuminée", sans doute par une équipe au sol.
L'"illumination" de
l'objectif - par un faisceau de lumière invisible à l'oeil nu - aurait pu,
remarque un militaire au fait de ces opérations, être effectuée depuis un autre
appareil, mais une telle présence diminue la discrétion de l'action.
Elle
aurait pu également être assurée par l'hélicoptère qui a lancé la roquette, mais
cela suppose que l'appareil reste sur place jusqu'à l'impact et l'explosion
alors qu'une illumination indépendante lui donne la possibilité de "tirer et
oublier", c'est-à-dire de partir immédiatement.
L'identification de la cible
elle-même ainsi que celle - fondamentale - du moment propice à l'intervention
repose sur un travail antérieur que les militaires appellent "phase de
renseignement avant action".
Les spécialistes préfèrent rester discrets sur
les performances des matériels dont ils disposent, mais on connaît les jumelles
permettant de voir la nuit, soit par détection de chaleur soit par amplification
de brillance. Une bonne pratique permet d'agir comme en plein jour.
Des
caméras pas plus grosses qu'une tête d'épingle peuvent transmettre des images en
temps réel, ainsi que des conversations. Et même celles qui se déroulent dans
une pièce peuvent être captées jusqu'à au moins 500 mètres par des "canons
acoustiques". "La qualité permet d'identifier les personnes qui participent à la
conversation", affirme un connaisseur militaire du sujet qui, comme toutes les
autres personnes interrogées, n'a accepté de parler que sous le couvert de
l'anonymat.
Outre cette technologie, les Israéliens disposent, notent les
spécialistes, de "ressources humaines" : agents infiltrés et informateurs
disposant de moyens de communications sophistiquées, y compris satellitaires,
qui leur assurent une "parfaite connaissance du milieu général et une grande
facilité à acquérir les informations désirées".
Toutes les données sont
traitées par des logiciels sophistiqués d'aide à la décision qui permettent
notamment de présenter, en temps réel, les différentes possibilités et les
conséquences de chaque choix, risques d'incidents et de bavures inclus.
De
par leur nature et leurs risques, les opérations spéciales s'inscrivent dans un
cadre politique sensible qui n'est pas seulement militaire. L'image d'Israël a
été ainsi affectée par l'opération de Naplouse, a reconnu à la radio publique
israélienne un responsable du ministère des Affaires étrangères. Mais, a-t-il
ajouté, "c'est le prix qu'il faut payer si l'on veut se défendre".
Ce genre
d'opération ne fait cependant pas l'unanimité, même en Israël. Quant à Amnesty
International, elle les qualifie, comme de nombreuses autres organisations de
défense des droits de l'Homme, "d'exécutions extra-judiciaires".
8. La
question vitale des observateurs dans les territoires palestiniens par
Ahmad Youssef Al-Qoraï
in
Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 1er août
2001
Depuis l'accession au pouvoir du premier ministre israélien,
Ariel Sharon, la situation dans les territoires palestiniens occupés connaît une
escalade inédite. Les meurtres, les détentions, la démolition des maisons et la
liquidation des activistes de l'Intifada sont devenus monnaie courante. Sans
oublier le fait que Sharon s'est désengagé de tous les accords déjà conclus avec
les Palestiniens sous l'égide des Américains.
Partant, il est nécessaire
d'assurer au peuple palestinien désarmé une protection internationale et
d'envoyer des observateurs dont la mission serait la mise à exécution des
recommandations du rapport Mitchell, qui appelle à la cessation immédiate de la
violence, l'arrêt des colonisations et au retour à la table des
négociations.
L'envoi des observateurs est devenu, de fait, une nécessité
pour maintes raisons. Israël est allé très loin dans sa politique d'oppression
contre les Palestiniens désarmés. Il va jusqu'à bombarder les villes et les
villages palestiniens avec les F16 et les hélicoptères et à lancer des missiles
contre les civils et les activistes sans distinction. Ainsi, le nombre des
victimes palestiniennes s'est-il élevé à 737 martyres et 12 000 blessés. Les
forces de l'occupation ne sont plus les seules à commettre les actes de violence
et de terrorisme contre les Palestiniens. Ces actes sont désormais commis par
les colons israéliens également au vu et au su de l'armée israélienne et avec
l'approbation de Sharon. Cette violence a eu des impacts sur l'économie
palestinienne. Les revenus de l'Autorité palestinienne baissent de 45 millions
de dollars mensuellement. Les pertes économiques, selon les rapports, ont
atteint en moyenne 51 % du PNB palestinien.
La question de l'envoi
d'observateurs internationaux a été soulevée il y a longtemps, notamment en
octobre 2000 lorsque la violence israélienne contre les Palestiniens s'est
accrue. Mais le Conseil de sécurité a échoué 3 fois à adopter une résolution la
concernant. Cet échec était dû en premier lieu au veto américain. Il prouve
l'incapacité du conseil à assumer son rôle dans le maintien de la paix et de la
sécurité dans le monde. Il prouve de même qu'on ne peut pas compter sur lui pour
faire prévaloir la justice. Ce conseil n'est d'ailleurs actif que lorsqu'il
s'agit de causes qui sont dans l'intérêt des Etats-Unis et de l'Etat
hébreu.
Pour ce qui est des pays arabes et musulmans, ils se sont contentés
de condamner la politique israélienne et de réclamer l'envoi d'observateurs
internationaux pour protéger les Palestiniens.
Récemment, les leaders du G8,
réunis à Gênes, ont exprimé leur inquiétude vis-à-vis de la situation dans les
territoires occupés et ont invité Israéliens et Palestiniens à accepter les
observateurs internationaux pour aider à la mise à exécution d'un plan de paix.
Les pays membres du G8, qui craignent une escalade plus accrue de la violence,
trouvent que le plan Mitchell est le seul moyen à même de débloquer la situation
et de garantir la paix.
Face à ces pressions, Israël a accepté l'envoi
d'observateurs mais à condition qu'ils soient membres de la CIA.
S'il existe
une nouveauté dans la position internationale, c'est que pour une fois ces
leaders se sont tous mis d'accord sur la nécessité d'un envoi rapide des
observateurs sans attendre un accord politique comme le réclamait l'Etat hébreu.
Ceci signifie que le monde est maintenant conscient du danger de la
détérioration actuelle de la situation.
Pourtant, ceci n'est pas suffisant
car le fait que l'envoi d'observateurs soit conditionné par une acceptation
préalable de la part d'Israël nous fait revenir à la case départ. De fait,
Israël refuse avec acharnement leur déploiement de crainte qu'ils ne soient
témoins de ses crimes. Il pose comme condition qu'ils soient membres de la CIA
uniquement. Mais dans ce cas, ceci ne changera rien à la situation car les
services de renseignements américains n'ont pas quitté la région pour y revenir.
Et en leur qualité d'observateurs, ils ne feront rien de nouveau.
La position
israélienne est ainsi basée sur le refus d'observateurs partant du fait que les
accepter mènerait à l'internationalisation du conflit arabo-israélien. Ainsi,
l'Etat hébreu a-t-il posé comme condition préalable la nécessité de parvenir à
un accord de paix. Sinon, il s'agirait d'une force de gestion du conflit et non
pas d'une force de maintien de paix. Pour Israël, la priorité est de pousser
Arafat à faire les pas nécessaires pour arrêter ceux qui appellent à la violence
dans les territoires palestiniens. Passons à la position égyptienne. La dernière
visite de Moubarak en Italie après le sommet de Gênes a confirmé la nécessité de
l'envoi d'observateurs. De fait, l'Egypte ne cesse de rappeler qu'Israël se
comporte exclusivement comme une force d'occupation. Et qu'un peuple soumis à
l'occupation est en droit de résister selon le droit international.
Le refus
de la demande palestinienne d'une protection internationale soulève de
nombreuses interrogations. Le Conseil de sécurité et les Nations-Unies ont été
incapables de protéger le peuple palestinien désarmé et sujet à toutes sortes
d'oppression, de torture et d'extermination. Jusqu'à présent, le conseil n'a pas
réussi à publier ne serait-ce un communiqué condamnant la violence israélienne.
A cet égard, les Etats-Unis ont joué un grand rôle. Ils ont exercé des pressions
sur les membres du Conseil de sécurité pour les empêcher de soutenir la demande
palestinienne.
Les Etats-Unis, qui ont refusé l'envoi d'observateurs, n'ont
pas présenté d'autres alternatives pour arrêter la violence israélienne. Cette
position négative a encouragé Israël à aller plus loin dans sa politique sauvage
contre les Palestiniens. Cette opposition qu'affichent les Etats-Unis est une
atteinte aux notions et aux règles du droit international. Une atteinte au
traité de Genève de 1949 concernant la protection des civils en temps de guerre
ainsi que la Convention de la Haye de 1907 et la charte des Nations-Unies qui
incrimine la modification de par la force de l'occupation de la nature
géographique et humaine des territoires occupés. Le veto américain nuit
également à la position de l'Administration Bush dans le monde arabe.
D'autre
part, la condition selon laquelle un Etat accepte le déploiement d'observateurs
sur son territoire qui a été approuvée par l'Onu en 1956, concerne les pays qui
ont une souveraineté totale sur leurs territoires et non pas les Etats qui
occupent des territoires. L'envoi des observateurs est donc une nécessité
légale, morale et
humaine.
9. La Déclaration du Caire
contre le racisme par Salama A. Salama
in Al-Ahram Hebdo
(hebdomadaire égyptien) du mercredi 1er août 2001
A l'issue de la
Conférence de Madrid il y a dix ans, une vague d'optimisme a envahi participants
et observateurs du conflit au Proche-Orient. Cela fut unanimement considéré
comme un nouveau tournant de la part d'Israël, vers la paix, basé sur les
résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité et du principe de la terre contre
la paix. Ont alors commencé entre Israël et les parties arabes, palestiniennes
en premier lieu, des négociations-marathon et épuisantes sous le parrainage et
l'appui du « frère aîné » : les Etats-Unis.
A commencé aussi dans ce contexte
une vaste opération de désintégration organisée, de tout ce qui était considéré
comme un obstacle à la paix, sous prétexte de lever les barrières du doute et
d'établir la confiance entre Israéliens et Arabes.
C'est ainsi que l'une des
plus importantes résolutions de l'Onu, celle qui mettait sur un pied d'égalité
le sionisme et le racisme, a été annulée. L'annulation de cette décision fut
considérée par Israël et bien entendu par les Etats-Unis comme une victoire.
Aujourd'hui, alors que la réalité raciste du sionisme israélien de caractère
colonialiste est mise à nu, certains Arabes tentent de remettre les pendules à
l'heure, de se débarrasser des illusions et de dévoiler les pratiques racistes
de l'Etat israélien, essentiellement fondé sur la discrimination et le
fanatisme.
C'est alors que fut tenue dernièrement au Caire la conférence
arabe antiracisme avec la collaboration de 65 organisations non
gouvernementales, arabes, internationales, africaines et asiatiques. C'est en
fait une rencontre préparatoire de la conférence mondiale qui sera tenue à
Durbin en Afrique du Sud. La conférence du Caire donna lieu à « la déclaration
antiraciste » qui réclame une prise de position plus ferme de la part de la
communauté internationale vis-à-vis d'Israël, et un soutien à la lutte
palestinienne.
La déclaration a également critiqué la politique de deux
poids, deux mesures des superpuissances qui accordent une immunité aux
Israéliens quels que soient leurs crimes contre les Palestiniens.
La
déclaration renferme également un certain nombre de points au sujet de la
discrimination dans le monde arabe qui peuvent ne pas plaire à certains Etats
arabes, surtout en ce qui concerne la femme, les minorités et les apatrides.
Elle a aussi appuyé la position des Etats africains au sujet des demandes de
compensation de l'esclavage et de la servitude imposées durant la période
coloniale.
Nul besoin de signaler que la Déclaration du Caire qui fait du
sionisme israélien une forme de racisme et lui retire ses masques, suscite la
colère des Etats-Unis. C'est probablement la raison pour laquelle ils ont décidé
de boycotter la conférence. Quant à la Ligue et les pays arabes, ils n'ont
aucune excuse d'avoir été
absents.
10. Un hôpital de
campagne à Ramallah par Hervé Brezot
in L'Humanité du vendredi
31 Juillet 2001
Correspondance particulière.
"Notre hôpital français a servi au
Liban, en Sierra Leone et lors d'une prise d'otage sur l'aéroport d'Aman. Il est
installé ici à Ramallah depuis fin octobre, un mois après le début de l'Intifada
Al Aqsa." Le Dr Beano Mustapha, anesthésiste, est le responsable de l'équipe des
" jordanian doctors ", seize médecins, infirmiers ou laborantins, envoyés par
leur pays, la Jordanie, pour soigner les blessés du nouveau soulèvement
palestinien.
L'hôpital français désigne un hôpital
de campagne : sur un terrain de foot à l'abandon, une dizaine de tentes kaki,
achetées à l'armée française, abritent ici une salle de consultation, là une
salle pour les opérations " minimes ", et là-bas un bloc opératoire. " Nous
sommes équipés pour recevoir les soins d'urgence, craniotomies, anesthésies
générales, amputations, etc. ", liste le Dr Beano, qui ajoute : " Les onze
premiers jours, nous avons pris en charge 120 blessés, victimes de balles
réelles ou en caoutchouc, d'inhalation de gaz. Mais depuis quelques mois, c'est
calme, nous n'accueillons que des patients qui viennent consulter gratuitement
pour des maladies bénignes, surtout de jeunes enfants. "
Le dernier blessé de l'Intifada a été
accueilli ici le 3 mai. Le jeune homme avait reçu les éclats d'une grenade dans
le visage. Combien de temps resteront les médecins ? " Personne ne sait comment
va évoluer la situation, répond Nidal, le laborantin, même si ce n'est pas une
guerre déclarée, c'est une guerre tout de même. " Les quelques blessés de ces
derniers mois sont soignés par l'hôpital de Ramallah, la situation d'engorgement
des services d'urgence palestiniens n'est plus celle de l'automne dernier.
Alors, en attendant, le gynécologue et
le chirurgien de l'équipe font office de généralistes, le laborantin oriente les
patients. Siham, une jeune mère palestinienne, est venue avec son fils, Ahmad,
neuf ans. Il a une malformation cardiaque et ne mange pas bien ces derniers
temps. Ils viennent de Jéricho en ambulance. Ils ont mis près de trois heures
pour parcourir à peine 50 kilomètres, dont une heure et demie d'attente au
check-point : les routes principales reliant les villes palestiniennes sont sous
contrôle de l'armée israélienne qui en interdit, sinon en limite l'accès.
Pourquoi se donner tant de mal, alors
que Jéricho dispose d'un hôpital ? " Ici, c'est gratuit et ma sour qui habite
Ramallah peut m'accueillir. " Fadwa, elle, vient d'un des trois camps de
réfugiés, situé dans Ramallah, celui de Qalandya. Sa petite fille, Misa, a de la
fièvre, elle tousse. Elle vient ici parce qu'elle n'a pas d'assurance santé et
le dispensaire du camp géré par l'Unrwa (Agence des Nations unies pour les
réfugiés) est surchargé. Son mari travaillait " au noir " en Israël, dans le
bâtiment, il n'a plus de travail depuis plusieurs semaines. " Tous les jours,
mes enfants me demandent pourquoi papa reste à la maison, pourquoi l'armée nous
tire dessus, pourquoi ils ont tué leur oncle. Pendant la nuit, lorsqu'ils
entendent les bombardements, ils pleurent, ils ont peur que la maison ne
s'écroule sur eux. "
Derrière les petits maux des enfants
transparaît la dure réalité des conditions de vie du peuple palestinien auquel
les " jordanian doctors " se sont attachés. " Tout le monde arabe devrait se
mobiliser comme eux, pour nous aider ", veut espérer Ram, jeune Palestinien de
Jérusalem, sans travail depuis des semaines, venu jusqu'ici pour soigner un mal
de gorge. Le Dr Beano sourit : " Aider les Palestiniens, concrètement, sur le
terrain, voilà notre satisfaction. La politique de notre pays est de calmer la
situation, même si Israël dépasse souvent les limites acceptables, nous ne
souhaitons pas la guerre. " La relève devait arriver le lendemain, " si cela
s'envenime ici, je reviendrais ".
11.
Une fois de plus, l'action d'Israël est dictée par une "conception"
erronée par Amira Hass
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi
29 juillet 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Le Dr. Salah Abdel Jawad,
professeur de sciences politiques à l'Université de Bir Zeit affirme qu'Ehud
Barak espérait acculer les Palestiniens à une guerre totale.
Pour de
nombreux Palestiniens, ce ne sont pas les agences d'information palestiniennes
qui représentent leur source principale de nouvelles, mais bien les agences
israéliennes et les agences étrangères. La société israélienne, dit le Dr. Salah
Abdel Jawad, professeur de sciences politiques à l'université de Bir Zeit, est
beaucoup plus accessible au public palestinien que les Israéliens ne sont
compris par la société palestinienne. Les Palestiniens, en effet, regardent la
télévision israélienne et ils écoutent la radio israélienne. Ils lisent la
demi-douzaine de recueils d'articles de journaux israéliens traitant des
événements actuels, traduits en arabe et qu'ils font circuler parmi eux.
Mais, au cours des mois derniers, Jawad, à l'instar de la plupart des
Palestiniens, a été choqué par ce qu'il a pu voir sur les médias israéliens. Ces
médias, dit-il, que l'on appréciait pour leur professionnalisme et leur
pluralisme, se sont mis soudain à chanter à l'unisson, à ne donner qu'"un seul
son de cloche". Ils donnent au public israélien une information fausse sur la
société palestinienne, en général, et plus particulièrement sur le conflit et la
crise actuels. Bref : du lavage de cerveau.
"Mais les Palestiniens sont aussi
responsables (de cet état de choses) et ils méritent d'être blâmés", dit Jawad.
"Nous n'avons jamais su comment faire passer un message correctement. Nos médias
sont des plus médiocres, aussi bien en tant que moyens de transmission de
l'information qu'en tant qu'instruments de propagande. Ils ouvrent les
programmes de la Télévision palestinienne en hébreu sur les photos d'un garçon
arrachant un drapeau israélien... Vous me direz que c'est le drapeau du bastion
des Forces israéliennes de défense à Netzarim, d'accord, mais il n'en reste pas
moins que, si vous voulez atteindre le public israélien, ce n'est certainement
pas l'image adéquate pour ouvrir les émissions en hébreu..."
Il avait déjà
écrit une critique semblable en octobre 2000 dans le journal (palestinien)
Al-Ayyam, et son avis est admis, aujourd'hui, comme une forme d'autocritique
acceptable et d'ailleurs entendue dans de nombreux milieux
palestiniens.
Jawad "zappe" les différentes chaînes que lui procure une
"assiette" réceptrice de télévisions par satellite, particulièrement fournie et
variée. Des villes assiégées, des routes coupées, des barrages de terre et des
tranchées infranchissables ont isolé les Palestiniens, rendant les émissions des
télévisions par satellites populaires dans l'ensemble de la société
palestinienne, pratiquement cloîtrée à domicile.
La conversation avec Jawad
passe sans cesse des critiques à l'adresse de la société palestinienne à celles
concernant la société israélienne, si bien qu'il est difficile de les sérier. Ce
sens critique à double détente est le pain quotidien de ceux qui croient qu'à la
fin du processus (de paix) la lutte des Palestiniens conduira inévitablement les
parties à la table des négociations et finira par faire de l'occupant un voisin
- "dans deux Etats différents, ou dans un même Etat binational, ou bien encore
avec l'annexion totale des territoires (occupés) (mais) avec des droits civiques
pleins et entiers (pour les Palestiniens)". Il s'agit là d'une opinion qui n'est
pas exprimée que par les seuls intellectuels. On l'entend autour l'étal des
marchands de légumes, lors des manifestations, au cours de chaque conversation
de tous les jours - c'est une opinion partagée non par quelques-uns, mais par
une majorité des gens.
La connexion entre information, connaissance,
franchise, compréhension et changement est le fil conducteur de la conversation
sur l'intifada que l'on peut avoir avec Jawad. Il est connu, dans la société
palestinienne, pour se consacrer aux problèmes posés par les tactiques de la
lutte, et aux moyens susceptibles de les rendre plus efficaces.
Au cours d'un
débat public, à Ramallah, devant des centaines de personnes, il a notamment
déclaré (c'était en novembre dernier) : "(généralement), les gens acquièrent des
connaissances à travers l'expérience et ils internalisent cette connaissance
sans qu'il aient besoin de (faire) des expériences supplémentaires. Mais
malheureusement, cela n'est jamais le cas, en ce qui concerne le mouvement
national palestinien... Nous savons tous quel fut le comportement discutable de
l'OLP en Jordanie et au Liban... Dans les deux cas, les gouvernements jordanien
et libanais se sont servis du comportement de l'OLP comme d'une excuse afin
d'éliminer la présence "importune" des Palestiniens (chez eux). Néanmoins, en
dépit de cette expérience palestinienne accumulée, nous voyons répéter les mêmes
erreurs au cours de l'Intifada actuelle."
Le Hamas répète les erreurs
de l'OLP
Cette critique de Jawad fut publiée dans un article
fondateur, écrit durant la deuxième semaine de l'intifada. Faisant référence à
la militarisation de la lutte, il avait mis en garde contre le fait que les tirs
des Palestiniens étaient non seulement totalement inefficaces, mais qu'ils
allaient donner à Israël un prétexte de frapper les Palestiniens en retour, avec
une force démesurée. Il avait dit, alors - et il l'a répété plusieurs fois,
depuis : "nous ne devons pas donner aux Israéliens l'opportunité de créer (chez
eux) un consensus national (dirigé) contre nous".
Observer rigoureusement la
moralité de la lutte, c'est-à-dire se faire un devoir absolu de ne pas s'en
prendre à des civils - des deux côtés - n'est pas seulement respecter une valeur
humaine en soi, dit-il, mais c'est (choisir) la chose correcte, en raison de son
efficacité. Le débat interne, chez les Israéliens, sur la nature des relations
(à avoir) avec les Palestiniens est important pour la lutte (que nous menons)
contre l'occupation. En général, ajoute Jawad, le militarisme a des conséquences
négatives sur la totalité d'une société qui s'y adonne.
"Nous autres
Palestiniens", a-t-il dit au cours du débat de Ramallah, "nous ne faisons pas
retour sur notre expérience et nos connaissances accumulées". Ainsi, tout au
long de la lutte pour l'indépendance, de nouveaux groupes ont répété encore et
encore les erreurs du passé, à l'instar du Hamas répétant les erreurs de l'OLP
(en recourant à la lutte armée au début de la première intifada).
Il y a un
autre problème encore, a-t-il ajouté, c'est que la connaissance accumulée, on ne
s'en sert pas. La présence d'hommes masqués, lors des manifestations de la
première intifada, avait donné aux Israéliens l'idée (diabolique) d'envoyer des
soldats grimés en hommes (palestiniens) masqués au milieu des Palestiniens et
d'y procéder à l'arrestation (ou à l'assassinat) de personnes
recherchées.
"Ça fait rien", "on répète les mêmes imbécillités au cours des
funérailles et des manifestations, aujourd'hui, où des hommes masqués tirent des
coups de feu en l'air... Ces tirs n'ont pas de sens et les masques - en
particulier ceux qui se veulent effrayants - ne font qu'augmenter le risque que
des soldats (israéliens) se mêlent à la foule et n'aboutissent qu'à détourner
l'attention du monde du problème central, en opérant une diversion vers un
problème marginal, non-représentatif, dont le seul résultat ne peut être que le
renforcement du préjugé qui voudrait que les Palestiniens soit un 'peuple
terroriste'".
"Et puis, il y a aussi le problème de la connaissance et de la
franchise", a-t-il ajouté, au cours du même débat. "Lorsque Mahmoud al-Amousi
(un homme du Fatah, tué à Bitounya) et deux autres Palestiniens sont tombés en
martyrs, on nous a dit que les Israéliens les avaient abattus à un barrage de
contrôle militaire. Mais ce n'est pas vrai. La vérité, c'est que, deux jours
auparavant, ces trois hommes avaient tiré contre un autobus israélien auquel ils
avaient tendu une embuscade. Ils avaient voulu répéter l'opération deux jours
après... Mais, cette fois-là, ce sont les Israéliens qui leur avaient tendu une
embuscade, et ils ont été tués. Il est très important que l'information soit
donnée au peuple : c'est la seule façon d'empêcher d'autres jeunes gens de faire
les mêmes erreurs (parfois fatales)".
Les obstructions qu'Israël s'inflige
lui-même à la connaissance et à l'information opèrent d'une manière différente,
à des niveaux autres, plus profonds et stratégiques. Jawad est convaincu du fait
que les services de renseignement israéliens ont une connaissance précise des
Palestiniens - "sinon, comment expliquer leur capacité d'abattre autant de
militants, dans nos rangs ?"
Mais lorsqu'il entend la version des services
israéliens sur ce qui est en train de se passer, cela suscite de sa part ce
commentaire : "c'est comme en 1973, quand les services de renseignement
israéliens avaient arrêté un concept définitif et qu'en dépit de toutes les
informations qu'ils recueillaient ou qui leur parvenaient, ils refusaient de
modifier ce concept en quoi que ce soit..."
Il poursuit : "En 1973, le credo
(israélien) était que les Arabes avaient peur : ce concept s'est écroulé de la
manière que l'on sait. Il ne s'agissait pas d'un échec dû à un manque
d'information. C'est la même chose aujourd'hui : les Israéliens sont prisonniers
de leurs conceptions erronées sur l'Autorité palestinienne et le peuple
palestinien. Il y a eu des dizaines d'années de démonisation des Palestiniens,
et Oslo n'y a pas changé grand-chose. Ils n'ont pas renoncé à leur mentalité de
conquérant dominant le peuple conquis, ils ont gardé la vision du colonisateur.
Voilà pourquoi ils ont tout faux, sur toute la ligne, au niveau
stratégique."
Bien loin de se contenter d'être dans le faux, les services de
renseignement israéliens induisent (les gens) en erreur, dit Jawad. "Le public
israélien est victime des médias, qui ont devancé l'appel et propagé sans
pratiquement aucune discussion la version gouvernementale des choses, cachant au
public les activités et les intentions du gouvernement Barak qui ont porté un
tort immense aux chances de paix".
Nul raison de s'étonner, dès lors, si une
majorité d'Israéliens ont cru aux protestations de générosité de Barak, à Camp
David. "Si la partie palestinienne n'a pas publié sa version de ce qui s'est
passé à Camp David c'est, je pense, tout simplement parce qu'elle ne pouvait pas
avouer, à ce stade, et publiquement, à quel point nous étions prêts à faire des
concessions..."
"La politique de Barak ne correspondait pas point pour point
avec celle du parti travailliste", ajoute-t-il. "C'est un problème, dans la
politique israélienne... Il n'y a jamais une unité dans les intentions. Il est
connu qu'en fin de compte, Barak était opposé aux accords d'Oslo. Il a été le
premier Premier ministre à avoir réussi à éviter de mettre en application l'un
quelconque des accords qu'Israël avait pourtant signés. Je pense que Barak
voulait que les Palestiniens se montrent récalcitrants à Camp David, afin de
pouvoir (enfin) torpiller le processus de paix. Quand il a formulé les exigences
d'Israël sur le Haram al-Sharif (l'Esplanade des Mosquées/le Mont du Temple), il
savait pertinemment qu'Arafat ne pourrait les accepter et, en tous les cas,
certainement pas dans le contexte d'un ensemble ("package") de concessions
faites par les Palestiniens dans d'autres domaines."
L'objectif :
détruire l'OLP
Jawad pense que Barak espérait acculer les
Palestiniens à la guerre totale, "mais les Palestiniens ne se sont pas prêtés à
son jeu. Ils n'ont pas été entièrement piégés par une guerre à outrance qui
aurait permis à Israël de faire un usage illimité de sa puissance militaire. La
tactique palestinienne est une tactique à bas bruit, qui n'aide pas du tout les
Israéliens à atteindre leurs objectifs." Et l'objectif suprême, en particulier
pour ce qui concerne le gouvernement Sharon, est rien moins que "la destruction
totale de l'Autorité palestinienne et de tout le processus d'Oslo... puisqu'ils
ne veulent pas payer le prix de la paix : l'évacuation des colonies", dit Jawad.
L'ignorance israélienne de la vie des Palestiniens, avant l'intifada, est
une autre caractéristique du problème. Durant des années, dit Jawad, Israël a
ignoré royalement les petits détails de (la vie sous l') occupation, tous ces
petits détails qui, mis bout à bout, finissent par donner une vie suffocante,
une vie insupportable.
"La plupart des Israéliens - sionistes comme non
sionistes - sont des êtres humains (comme vous et moi)", ajoute Jawad. "S'ils
connaissaient - et, donc, pouvaient comprendre - la situation, ils
n'accepteraient jamais ce qui est en train de se passer. Il n'a été donné à
aucun Israélien de se faire une représentation complète du tableau, même pas le
soldat, sur son barrage militaire. Les terres expropriées, l'eau dont nous
manquons et dont les colonies disposent en abondance, les laissez-passer que
nous devons obtenir pour voyager et que, bien souvent, nous n'obtenons pas,
l'interdiction qui nous est faite d'aller à Jérusalem... Et c'est comme ça, tous
les jours que le Bon Dieu fait, mois après mois, année après année. Les
Israéliens n'ont pas conscience de l'omniprésence insupportable de l'occupation.
Notre vie quotidienne est pire que celle des Français - les Juifs mis à part,
bien sûr - du temps de l'occupation de la France par les Nazis. C'est difficile
à admettre ; c'est pourtant la vérité. Et cela semble appelé à continuer
toujours. "Les Israéliens sont enclins à croire qu'ils sont les perpétuelles
victimes. En dépit de leur pouvoir, des longues années de leur occupation, ils
sont persuadés que chaque épisode de leur vie est un nouveau chapitre à ajouter
à la longue histoire de la persécution des Juifs. Lorsqu'ils disent cela, ils
sont parfaitement sérieux. Ce n'est pas de la manipulation. Et je pense que
s'ils étaient mieux informés, au moins comprendraient-ils pourquoi nous faisons
ce qu'ils nous contraignent à faire... Peut-être ne l'accepteront-ils jamais",
s'empresse-t-il d'ajouter ; "mais au moins, une chose est sure : ils
comprendront."
Une connaissance plus approfondie changera certainement
quelque chose chez les Israéliens, pense-t-il, et peut-être cela exercera-t-il
une certaine influence sur d'autres encore. "Après tout, la majorité des
Israéliens ne sont pas en contact quotidien avec l'occupation. Ils vivent leur
vie de leur côté et ce n'est qu'à travers les médias qu'ils savent ce qu'ils
savent."
Ces médias, ajoute-t-il, qui ont à peine fait allusion à ce qui
s'était passé, un certain jour où les Forces israéliennes de défense avaient
tiré sur des civils palestiniens, tuant dix d'entre eux.
"Ce sont des médias
qui donnent l'impression fausse qu'Israël pratique la "retenue".
"Et le
public israélien n'a aucune idée de ce qui se passe réellement, sur le terrain.
Ils ne comprennent pas à quel point la population souffre, ni le caractère
impitoyable du système de répression mis en place par l'armée israélienne.
Résultat des courses : une épée de Damoclès suspendue au-dessus du gouvernement
israélien, étant donné qu'une majorité d'Israéliens sont mécontents, ont le
sentiment que l'armée n'en fait pas assez, que le gouvernement n'est pas capable
de prendre les bonnes décisions, pas assez agressif, ne conduit pas la politique
conforme au mandat que le peuple lui a confié."
Cette ignorance, dit notre
politologue, amène à une chute de la confiance placée par le peuple dans le
gouvernement, ce qui ne manque pas de se refléter dans les résultats électoraux,
par la suite.
Il pense que les services de renseignement israéliens, ainsi
que l'opinion publique israélienne, abreuvés d'une mauvaise information, sont
pleins de mépris pour la résilience des Palestiniens face aux souffrances et
pour leur capacité à résister, malgré la répression. Les autorités israéliennes
d'occupation, dit-ils, ont peut-être retenu les leçons des erreurs commises par
d'autres régimes coloniaux mais, ajoute-t-il, "c'est purement technique. Ils ont
adopté des méthodes de contrôle supérieurement sophistiquées, qui ont un effet
destructeur cumulatif sur le tissu social palestinien, mais qui sont moins
perçues par l'opinion publique mondiale, parce qu'elles sont pratiquées "au
compte-gouttes", tandis que concomitamment, les Palestiniens ont su développer
une capacité stupéfiante à demeurer impassibles."
C'est lorsque les F-16
bombardèrent Ramallah que Jawad décida d'arrêter d'avoir peur. "J'ai pris
conscience du fait qu'il n'y avait absolument rien que nous ayons pu faire,
contre les avions. J'ai alors compris, pour la première fois comment une nation
entière atteint le point à partir duquel la mort cesse d'être une menace, pour
devenir plus facile, presque acceptable. Il est frappant de constater comment
les Israéliens - jusqu'à l'intifada - ont réussi à créer chez nous un sentiment
d'impuissance et de totale résignation/capitulation - jusqu'à ce qu'ils aient
fini par nous pousser dans une impasse saturée de peur, conduisant à
l'explosion.
"Et c'est alors que nous avons pu, en quelques semaines
seulement, réunir la société tout entière autour de l'Intifada et en arriver au
choix stratégique de la poursuivre : de toute façon, nous avons eu tellement de
pertes, alors : continuons la lutte et soyons patients, continuons à ployer sous
le fardeau."
12.
Israël redoute que certains de ses ressortissants ne se voient accuser
de crime contre l'humanité, à l'étranger par Ralph Atkins, de
Jérusalem
in Financial Times (quotidien américain) du dimanche 26 juillet
2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Le ministère israélien des affaires
étrangères est en train de préparer des parades à des menaces judiciaires
dirigées contre certains de ses ressortissants à l'étranger, après que son
nouvel ambassadeur au Danemark ait failli être arrêté pour atteinte aux droits
de l'homme à cause de son action (passée), au sein des services de sécurité
israéliens.
Le gouvernement israélien est préoccupé par l'éventualité que
des militants des droits de l'homme, en Europe, n'entreprennent d'ester en
justice contre un certain nombre de personnes - et pas seulement d'Israéliens
ayant un profil patent dans le conflit en cours avec les Palestiniens.
Des
investigations plus poussées en ce sens ont fait suite à une polémique née
autour de la nomination de Carmi Gillon au poste d'ambassadeur d'Israël à
Copenhague. M. Gillon, ancien chef du service de sécurité Shin Bet, a admis
avoir autorisé la torture de suspects arabes et avait été menacé d'arrestation
en application de la convention contre la torture des Nations Unies jusqu'à ce
que le ministère danois des affaires étrangères n'eût fini par décider que le
statut diplomatique avait la précellence.
Au même moment, Ariel Sharon,
premier ministre d'Israël, encourrait une inculpation, en Belgique, pour son
rôle (réputé) indirect dans des massacres de civils palestiniens, commis en 1982
par les milices chrétiennes (libanaises) alliées d'Israël dans les camps de
réfugiés de Sabra et Shatila, à Beyrouth.
Le ministère israélien des affaires
étrangères a dû s'employer à contacter certains pays, non précisés, dont les
lois protègent les non-résidents ainsi que les responsables d'actes
(potentiellement répréhensibles) commis en-dehors de leur propre territoire
"afin d'éviter une politisation indue du droit criminel
international"...
Yehuda Blum, ancien ambassadeur d'Israël à l'ONU et
professeur de droit international, a déclaré : "c'est une situation cocasse : il
faudrait se poser la question de savoir pourquoi personne n'a jamais soulevé la
question des agents de l'OLP, qui circulent pourtant dans le monde entier..."
Mais Aeyal Gross, président de l'Association pour les Droits Civiques en
Israël, a cité la destruction des maisons et les exécutions extra-judiciaires de
ceux qu'Israël considère être des "terroristes" comme des actes de nature à
créer des difficultés potentielles dans les relations avec certains pays.
L'intensification du conflit entre Israël et les Palestiniens a coïncidé avec
une tendance à l'extension des juridictions pour les crimes de guerre et les
crimes contre l'humanité. Certains spécialistes du droit humanitaire ont fait
savoir que le précédent avait été établi par Israël lui-même, qui avait jugé
(condamné à mort et exécuté ndt) Adolf Eichmann, un criminel de guerre nazi, en
1961, pour des crimes commis avant même la création que l'Etat d'Israël
existât...
13.
"La paix est encore possible si..." par Miguel-Angel
Moratinos
in Le Nouvel Observateur du dimanche 26 juillet 2001
On a
coutume de dire que la vérité est la première victime de la guerre.
L'observateur le moins averti de la crise israélo-palestinienne ne démentira
pas, même s'il ne s'agit pas d'une guerre au sens traditionnel du terme. Ici
aussi, la vérité est maltraitée, cachée, déguisée. D'ailleurs, la première
contrevérité consiste à dire que cette crise n'est qu'une guerre.
Comme
témoin privilégié de cet interminable conflit, obligation m'est faite de dire ma
vérité qui ne sera pas, on s'en doute, une vérité absolue. En révélant, à ma
façon, les vérités et les contrevérités de la crise israélo-palestinienne, je
crois faire oeuvre utile au bénéfice de ceux qui pensent que la paix est
toujours possible.
Ma première affirmation est claire : la paix était et
continue d'être possible. C'est un mensonge que de dire qu'elle n'aura été qu'un
songe. En achevant leurs négociations à Taba, en janvier 2001, les deux camps
ont voulu que l'Union européenne et son représentant spécial soient les témoins
des progrès qui ont marqué cette rencontre en terre égyptienne. De l'examen
minutieux de leurs positions, je peux dire qu'Israéliens et Palestiniens se sont
rapprochés comme jamais. Taba n'a pas été un exercice stérile. Taba ne pourra
pas être jeté aux poubelles de l'Histoire. Le temps et la conviction ont manqué
aux deux délégations, mais l'avenir leur rendra justice.
Ma deuxième
affirmation concerne le précédent Premier ministre israélien. Ehoud Barak a
fait, à Camp David, à l'été 2000, plus de propositions qu'aucun autre Premier
ministre israélien n'en a jamais fait dans des négociations. Mais il est faux de
prétendre que ces concessions étaient suffisantes et qu'elles étaient
acceptables par le président Arafat. Comment peut-on imaginer qu'un dirigeant
musulman ait pu donner son accord aux propositions qui lui étaient faites sur
Jérusalem ?
Il est vrai qu'après Camp David les deux parties ont continué à
négocier et à rapprocher leurs positions sur plusieurs des points qui les
opposaient, comme, par exemple, la question des réfugiés palestiniens. Cette
question a été âprement négociée autour de concepts tels que le droit au retour
ou la responsabilité historique. Il s'en est fallu de peu qu'un terrain commun
soit trouvé qui n'a rien à voir avec un retour massif de 4 millions de
personnes. On peut en dire autant de la question territoriale ou de celle de
Jérusalem. On a bien vu alors qu'un accord était possible.
Il est vrai que
la classe politique et la société israéliennes ont perdu foi et confiance envers
l'Autorité palestinienne et envers Arafat. La violence des derniers mois les a
désorientées. Mais c'est une erreur de dire que l'on pourra sortir de la crise
ou parvenir à un accord final sans la participation du président Arafat ou en
affaiblissant l'Autorité palestinienne. C'est une idée contraire qu'il faut
défendre : une direction palestinienne renforcée est la meilleure solution pour
prendre des décisions difficiles et assumer des compromis historiques.
Pour
qui examine le processus de paix depuis ses débuts, il est évident que la
violence n'apporte pas de solution. Ceci étant dit, il est tout aussi évident
que l'arrêt de la violence ne peut, à lui seul, entraîner une sortie de la
crise. C'est d'une solution politique que les belligérants ont besoin.
La
vérité, c'est qu'aujourd'hui il n'y a que deux hommes capables de faire la paix
: Ariel Sharon et Yasser Arafat. C'est à eux qu'il revient d'agir vite.
Temporiser ne fera qu'aggraver la situation. Ce sont eux qui doivent trouver les
moyens de rétablir un climat de confiance, faire montre de volonté politique et
reprendre la négociation sur le statut permanent des territoires palestiniens.
Il est certain que les accords d'Oslo ont été positifs et ont atteint certains
de leurs objectifs. Mais on ne doit pas pour autant les sacraliser. Depuis la
Conférence de Madrid, en 1991, ils ont permis de donner une impulsion aux
négociations israélo-palestiniennes. Certes, le processus de négociations a été
affaibli sous les coups de boutoir venus des deux camps. L'oeuvre est inachevée.
Mais la mémoire de ce qui a été obtenu doit être entretenue.
Recréer un
climat de confiance, cicatriser les blessures et reconstituer de nouveaux
mécanismes de négociation, cela prendra du temps. On ne peut imaginer instituer
un nouveau processus intérimaire sans fixer de date-limite. Les étapes
intérimaires appartiennent au passé. La rue palestinienne et la direction
politique arabe exigent une négociation finale. La société israélienne réclame
la fin du conflit. Les accords intérimaires n'apportent que l'insécurité. La
meilleure garantie de sécurité pour Israël est de parvenir à la paix définitive
avec ses voisins arabes et palestiniens.
Il est vrai que toute solution ne
sera obtenue que lorsque les deux camps auront décidé d'assumer, eux mêmes,
leurs propres responsabilités historiques et de prendre les difficiles décisions
qui s'imposent. Mais il est faux de dire que la communauté internationale ne
peut ni ne doit intervenir pour les assister. L'intervention européenne est une
impulsion et un accompagnement. Elle est aussi observation et suivi. L'Europe ne
peut que contester toute action unilatérale qui changerait le statut quo des
territoires. Il faut, notamment, mettre fin à la politique de colonisation.
C'est l'une des conditions qui doit être satisfaite pour qu'une solution
politique soit envisagée.
Il est vrai que les Etats-Unis sont les principaux
acteurs dans la région mais il est faux de croire qu'ils peuvent, seuls,
apporter une solution définitive. Il est faux de dire que l'Union européenne
n'est que le banquier de la zone et qu'elle n'est qu'un nain politique. Son haut
représentant, Javier Solana, et son envoyé spécial sont chaque jour plus
impliqués dans les étapes du processus politique. Leur rôle est reconnu. Mieux :
il est sollicité. On l'a bien vu ces dernières semaines et, notamment, lors de
la réunion du G8. S'agissant du conflit israélo-arabe, Européens, Américains et
Russes (plus, bien entendu, le Japon et le Canada) s'y sont accordés pour
proposer un « mécanisme » destiné à faciliter la mise en oeuvre des
recommandations du rapport Mitchell, recommandations qui ne relèvent pas toutes,
comme certains tentent de le faire croire, de l'ordre sécuritaire mais aussi de
l'économie, des droits de l'homme...
En Europe, on ne peut accepter de
renoncer ou de reporter à plus tard la recherche d'une formule globale qui
assurerait la paix entre Israël, les Palestiniens, les Syriens et les Libanais.
Il ne suffit pas de maintenir en vie le processus de paix, il faut l'inscrire
dans un cadre temporel. Quand le bruit des armes et de la violence empoisonne
l'atmosphère, il faut se souvenir que le processus de paix est assis sur deux
principes clairs : le dialogue comme moyen de parvenir à une solution ; les
résolutions des Nations unies comme cadre légal et légitime offert aux
négociateurs. Telles sont les références uniques qu'il convient de rappeler à
chaque instant.
14. Israël La démission du "camp de la paix"
par Victor Cygielman
in Le Nouvel Observateur du dimanche 26 juillet
2001
Contre la politique de Sharon, aujourd'hui approuvée par 74% des
Israéliens, les dirigeants de l'opposition de gauche estiment qu'ils n'ont plus
aujourd'hui qu'une seule arme : dire la vérité au pays. Pour eux, la véritable
cause des malheurs d'Israël n'est pas l'Intifada, ni l'entêtement d'Arafat,
c'est une occupation qui dure depuis trente-quatre ans...
Face à la déprime
générale dans laquelle a sombré Israël, le quotidien populaire « Yediot Aharonot
» a décidé de consacrer la totalité de son supplément de vendredi dernier aux «
bonnes nouvelles ». On y apprend par exemple que Bella Tzur, paralysée depuis
l'âge de 2 ans par la poliomyélite, a réussi à devenir danseuse de ballet dans
une chaise roulante ou que Carmela Yona, énergique grand-mère de plus de 70 ans,
membre de la garde civile, patrouille les rues de son quartier, le soir, arme à
l'épaule lorsqu'elle n'est pas occupée à nourrir un groupe de vieillards en
détresse...
Cette initiative suffira-t-elle à remonter le moral des
Israéliens ? On peut en douter. Car les raisons d'être pessimiste ne manquent
pas. L'Intifada palestinienne se poursuit, les attentats meurtriers continuent
et les ripostes même sanglantes de l'armée israélienne n'y changent rien. Face
au terrorisme palestinien vient d'apparaître un terrorisme juif : 3 Palestiniens
dont un bébé de 5 mois ont été tués la semaine dernière, près d'Hébron, par un
commando de colons israéliens. L'effondrement du cessez-le-feu - d'ailleurs très
approximatif depuis son instauration le 13 juin - a encore aggravé la crise
économique qui frappe Israël : depuis le début de la nouvelle Intifada, fin
septembre, le climat d'insécurité et d'instabilité a chassé les investisseurs et
les touristes étrangers.
Mais la chute de la Bourse à Tel-Aviv n'empêche pas
la cote de Sharon de monter. La semaine dernière, 74% des Israéliens se
déclaraient satisfaits de sa politique. Malgré les promesses électorales non
tenues (« seul Sharon peut amener la paix et la sécurité »), malgré la menace
d'une nouvelle guerre, malgré l'absence de toute perspective politique, malgré
les difficultés sociales et économiques croissantes.
Et ce n'est pas tout.
Une enquête menée par l'institut Dahaf révèle que les Israéliens sont plus
nombreux que jamais à réclamer une politique dure face aux Palestiniens. Bien
que la rogne et la grogne se soient dernièrement multipliées parmi les
militaires de réserve - qui formeraient le gros des effectifs de l'armée en cas
d'offensive massive contre l'Autorité palestinienne -, 92% des rappelés
potentiels se disent prêts à participer à ce combat. La même étude montre que
61% des réservistes ne voient pas de différence entre la défense d'une petite
colonie de quelques familles en Cisjordanie et la défense de Tel-Aviv. En
d'autres termes, l'Intifada armée des Palestiniens a renforcé la solidarité des
Israéliens avec les colons au lieu d'accroître l'isolement de ces derniers.
En fait, ce glissement des Israéliens vers la droite nationaliste et
religieuse n'est pas uniquement la conséquence de la révolte palestinienne. Il
est dû aussi à l'érosion de l'espoir de paix qui a suivi l'échec des
négociations Barak-Arafat, à Camp David, en août 2000. Echec imputé totalement à
Arafat par Barak et aussi par Clinton, qui croyait ainsi - à tort - pouvoir
sauver Barak d'une défaite électorale face à Sharon. Un an plus tard, les
révélations de plusieurs participants américains, israéliens et palestiniens à
ce sommet incitent à une analyse plus nuancée des responsabilités de l'échec.
Reste que la campagne de dénigrement menée alors contre Arafat n'aida pas Barak
et fit au contraire le lit de Sharon, qui n'avait cessé de dénoncer les accords
d'Oslo et de tourner en ridicule les espoirs placés par les travaillistes dans
les négociations de paix avec Yasser Arafat et la direction de l'OLP. En
répétant sur tous les tons - comme il l'a fait encore ces jours-ci - qu'Arafat
n'est pas un partenaire pour faire la paix, Barak reprenait au fond les vieilles
thèses du Likoud et de Sharon. Résultat : le gros de ce qu'on appelle le « camp
de la paix » israélien, né d'une alliance entre les travaillistes, la gauche
sioniste du Meretz et d'autres mouvements modérés favorables à un compromis
honorable avec les Palestiniens, a été désorienté par le discrédit jeté sur
Arafat, et ne sait plus aujourd'hui que répéter comme une litanie : « Il n'y a
personne avec qui parler... »
Comment s'étonner, dans ces conditions, que la
grande majorité des Israéliens ait préféré faire confiance à Sharon et continue
à le soutenir face à la démission des travaillistes, qui - Shimon Peres en tête
- ont rejoint un gouvernement dominé par la droite nationaliste et religieuse ?
Comment sortir l'opinion de son apathie ? Comment réveiller les Israéliens,
apparemment résignés soit à un coup de massue brutal de Sharon qui ferait couler
beaucoup de sang sans rien résoudre, soit au maintien du statu quo, qui entraîne
des pertes humaines plus limitées mais qui n'offre aucune perspective de pouvoir
déboucher un jour sur une solution pacifique et mutuellement acceptable ?
Autrement dit, comment ranimer l'espoir de paix ? C'est la grande question
d'aujourd'hui.
« Il faut commencer par dire la vérité aux Israéliens »,
affirment des hommes comme Yossi Beilin, ancien ministre travailliste, et le
député Yossi Sarid, leader du Meretz, qui dirigent aujourd'hui l'opposition de
gauche face au gouvernement Sharon-Peres. Et quelle est cette « vérité » ? Cette
vérité inavouable, c'est que la cause des malheurs israéliens, ce n'est pas
l'Intifada, ni tel ou tel entêtement d'Arafat, mais une occupation qui dure
depuis plus de trente-quatre ans, la domination d'un autre peuple - les
Palestiniens -, auquel Israël a imposé des colonies juives qui le privent de
terres et de ressources en eau qui lui reviennent de droit. Il faut dire que la
présence même des colonies en Cisjordanie et à Gaza empêche la création d'un
Etat palestinien viable aux côtés de l'Etat d'Israël et qu'il n'y aura pas de
tranquillité - sans parler de paix - aussi longtemps que les Palestiniens
n'auront pas recouvré leur liberté et acquis une vie digne et indépendante. Il
faut dire aussi qu'Israël doit cesser de biaiser, de tourner autour du pot,
qu'un accord avec le peuple palestinien n'est possible que sur la base des
frontières du 4 juin 1967 et qu'il ne s'agit pas là d'une concession
israélienne, mais d'une concession palestinienne, vu que l'Etat palestinien
s'étendrait seulement sur 22% de la Palestine mandataire d'avant 1948, le reste
- 78% - étant aux mains d'Israël. Il faut dire que Jérusalem-Ouest sera la
capitale d'Israël et Jérusalem-Est, la capitale de la Palestine. « Il faut dire
aux Israéliens qu'il vaut mieux avoir une capitale reconnue par le monde entier
et par le monde arabe à Jérusalem-Ouest seulement, plutôt que de s'accrocher à
la fiction d'une ville "unifiée" englobant Jérusalem-Est, où plus de 200 000
Palestiniens ne veulent pas de nous, affirme Yossi Beilin. Il faut aussi trouver
une formule conciliant l'impossibilité pour les Palestiniens de renoncer au
"droit au retour" pour les réfugiés, sans trahir les fondements éthiques de leur
nationalisme, et l'impossibilité pour Israël d'accepter ce "droit au retour", si
nous voulons sauvegarder le caractère juif de notre Etat. »
Seulement voilà
: une voix comme celle de Yossi Beilin est aujourd'hui dramatiquement isolée. Et
il y a peu de chances pour que cela change aussi longtemps que les deux tiers
des travaillistes soutiendront l'alliance Sharon-Peres. Peu de chances pour que
le mouvement La Paix maintenant, où l'influence travailliste demeure forte,
sinon prépondérante, sorte de sa léthargie actuelle et répercute dans une
campagne de masse les propos d'un Beilin. Et cela parce que ces propos osent
contredire les thèses classiques des leaders travaillistes israéliens, qui de
Golda Meir à Ehoud Barak ont cru que la supériorité militaire d'Israël
permettrait d'imposer aux Palestiniens une solution où priment les intérêts et
les aspirations d'Israël sans tenir compte des intérêts et des aspirations
légitimes de l'autre partie.
15. Observateurs, contrôleurs ou facilitateurs
? René Backmann
in Le Nouvel Observateur du dimanche 26
juillet 2001
L'armée israélienne est-elle réellement sur le point de
lancer une offensive massive contre l'Autorité palestinienne, comme l'affirment
depuis plusieurs semaines certains « experts » militaires ? L'entourage d'Ariel
Sharon fait-il délibérément circuler ces bruits menaçants pour mieux souligner
le caractère « limité » des opérations militaires actuelles ? Alors que les
mouvements de troupes et de blindés, à Gaza et en Cisjordanie, n'apportent pas
pour l'instant de réponse plus claire à ces questions que les propos du Premier
ministre israélien, la communauté internationale semble se résigner au pire.
C'est-à-dire à demeurer passive face à l'aggravation possible d'un conflit qui a
déjà fait près de 650 morts - 517 Palestiniens et 126 Israéliens - en dix mois.
Réclamé par l'Autorité palestinienne et la Ligue arabe, recommandé par la
commission Mitchell, chargée de déterminer l'origine des violences, souhaité par
les chefs d'Etat et de gouvernement du G8, le déploiement sur le terrain d'un
corps d'observateurs internationaux se heurte toujours au refus du gouvernement
israélien. Hostiles par principe à toute présence internationale, même en nombre
réduit et même non armée, les dirigeants israéliens estiment qu'elle « ne
contribuerait pas à l'accalmie sur le terrain mais au contraire créerait le
sentiment, parmi les Palestiniens, qu'ils disposent d'un bouclier derrière
lequel ils pourraient continuer à se livrer à la violence et au terrorisme ».
Les Palestiniens jugent de leur côté qu'une telle présence permettrait
d'identifier clairement les responsables des actes de violence - comme le
réclame le rapport Mitchell - et surtout qu'elle constituerait une protection
pour la population civile.
Il y a quelques semaines, trois pays européens,
la France, la Grande-Bretagne et l'Espagne, ont tenté une première expérience en
chargeant un groupe d'officiers de sécurité appartenant au personnel de leurs
ambassades à Tel-Aviv de se rendre sur plusieurs points sensibles, notamment au
sud de Jérusalem et à Gaza. Il a également été question d'étendre le mandat des
120 membres de la Présence internationale temporaire à Hébron (TIPH), déployés
depuis 1997. Le projet s'est heurté à un refus israélien et à des réticences de
l'Autorité palestinienne, qui juge les membres de la TIPH incapables d'assurer
la sécurité des habitants face à l'armée israélienne et aux colons juifs. « Pour
nous, le déploiement d'un corps d'observateurs est vital si nous voulons éviter
une dégradation supplémentaire de la situation, dit un diplomate européen. Mais
comment le faire accepter aux Israéliens ? Si nous parlons d'observateurs, ils
refusent. Contrôleurs, ils refusent également. Dans le cadre de l'application du
rapport Mitchell, nous avançons désormais le terme "facilitateurs". » Pour
l'instant, même ces « facilitateurs » se heurtent à un refus israélien. La seule
présence jugée « acceptable » par le gouvernement Sharon serait celle d'une
dizaine d'agents de la CIA, qui ne seraient pas autorisés à patrouiller mais
chargés d'enregistrer les plaintes des deux parties. « Israël est prêt à
accepter seulement des observateurs américains, a déclaré dimanche le ministre
de la Défense, Benyamin Ben Eliezer. Des hommes de la CIA sur lesquels nous
pourrions compter. »
16.
L'échec de la recherche de la paix au Moyen-Orient : comment ? Pourquoi
? par Deborah Sontag
in The New York Times (quotidien américain) du
jeudi 26 juillet 2001
[traduit de l'anglais par
Marcel Charbonnier]
Jérusalem -- Quelques jours avant
l'éruption de l'insurrection palestinienne, en septembre dernier, le premier
ministre israélien Ehud Barak et Yasser Arafat s'étaient retrouvés, tête à tête,
au cours d'un dîner inhabituellement chaleureux, à Kochav Yair, domicile privé
de l'homme d'état israélien.
Dans la conversation, M. Barak en était même
venu au point de téléphoner au président Clinton, pour lui annoncer, deux mois
après l'échec de Camp David, que M. Arafat et lui-même seraient désormais les
deux partenaires ultimes de la paix israélo-palestinienne. En présence du
responsable palestinien - qui pouvait entendre ce que Barak disait à Clinton au
téléphone, d'après un participant israélien au dîner - Barak annonça, sur un ton
solennel : "Je serai le partenaire de cet homme (Arafat) encore plus que ne
l'était Rabin lui-même", faisant allusion à feu Yitzhak Rabin, son prédécesseur
au poste de premier ministre...
Cet instant semble incroyable,
rétrospectivement, alors que M. Barak se répand, actuellement, pour dire qu'il
aurait révélé le "véritable visage d'Arafat" et qu'Ariel Sharon, actuel premier
ministre, qualifie de manière routinière le leader palestinien "d'éminence grise
du terrorisme"...
Mais des partisans de la paix, des universitaires et des
diplomates ont entrepris "d'exhumer" des scories d'une recherche d'un
cessez-le-feu, encore largement infructueuse aujourd'hui au Moyen-Orient, des
instants privilégiés de cette sorte, un peu à la manière d'archéologues, afin de
dégager ce qui peut en être retenu, en matière de diplomatie, juste avant et
juste après l'explosion de violence. Leur hypothèse étant que toute reprise des
négociations, quelque éloignée que celle-ci puisse paraître aujourd'hui, devra
prendre l'ère Barak-Clinton ; pour point de départ, ou pour objet d'étude -
voire, les deux.
Dans le maelström d'une violence qui consume tout, bien des
choses n'ont été ni révélées ni étudiées. Bien loin de là : au contraire, c'est
un discours dominant simplificateur qui s'est emparé de l'arène politique en
Israël et, dans une certaine mesure, aux Etats-Unis aussi. En substance : M.
Barak a offert la lune à M. Arafat, à Camp David, l'été dernier... M. Arafat a
dédaigné le présent, puis il a "appuyé sur le bouton" (de l'Intifada),
choisissant la voie de la violence. Le conflit israélo-palestinien est
insoluble, tout du moins dans un futur prévisible...
Mais nombreux sont les
diplomates et les responsables gouvernementaux à penser que la dynamique était
bien plus complexe que cela et que M. Arafat n'endosse pas, à lui seul, la
responsabilité de l'échec du processus de paix.
Les faux pas et les succès,
au cours de plus de sept années de négociations, entre l'accord intérimaire
d'Oslo (1993) et les dernières réunions tenues à Taba, en Egypte, en janvier,
ont été enregistrés aussi bien chez les Israéliens, que chez les Palestiniens et
les Américains.
Non, M. Barak n'a pas offert la lune à M. Arafat, à Camp
David. Il a brisé les tabous israéliens rendant inconcevable le partage de
Jérusalem, et il a esquissé une offre qui était effectivement, sur le plan
politique, courageuse, en particulier de la part d'un leader israélien dont la
coalition qui le soutenait était en train de se défaire. Mais les Palestiniens
ne pouvaient pas croire que cette proposition les amènerait un jour à disposer
d'un Etat viable. Et même si M. Barak a répété qu'aucun responsable israélien (à
sa place) ne pourrait jamais aller plus loin (dans ses propositions), il allait
lui-même faire des avancées considérables sur ses propres positions à Camp
David, six mois plus tard...
"Dire qu'Arafat, et Arafat seul, a causé cet
échec catastrophique est une terrible mystification", a déclaré à des
journalistes Terje Roed-Larsen, l'envoyé spécial des Nations Unies dans la
région. "Les trois parties ont fait des erreurs, je dis bien : les trois. Dans
des négociations aussi complexes, nul ne saurait les en blâmer. En tout cas,
aucune des trois parties n'est à blâmer seule"...
M. Arafat est quasi
unanimement blâmé pour son refus obstiné de reconnaître publiquement qu'il y eût
jamais une quelconque évolution dans la position israélienne et, plus tard, de
saisir rapidement l'opportunité contenue dans le "paquet" de propositions de la
onzième heure présenté par M. Clinton à la fin du mois de décembre.
M. Arafat
a, finalement, bien autorisé ses négociateurs à engager des pourparlers à Taba,
fondés sur les propositions de Clinton. En dépit des rapports publiés en Israël
disant le contraire, toutefois, M. Arafat n'a jamais repoussé l'offre des "97%de
la Cisjordanie", à Taba, comme l'affirment nombre d'Israéliens. Les négociations
ont été suspendues par Israël, parce que les élections législatives y étaient
imminentes et parce que "la pression de l'opinion publique israélienne contre
les négociations était irrésistible", a déclaré Shlomo Ben-Ami, alors ministre
des affaires étrangères.
Il n'en reste pas moins qu'à Taba, les détails pour
un accord de paix définitif étaient plus clairs qu'ils ne l'avaient jamais été,
ont déclaré la plupart des participants à ces négociations. C'est d'ailleurs la
raison pour laquelle, par la suite, les diplomates de l'ONU et de l'Union
européenne se sont décarcassés afin d'organiser une conférence au sommet à
Stockholm. Là, pensaient-ils, M. Arafat - connu pour ne prendre de décision que
sous la pression extrême d'une date butoir indépassable - aurait été prêt à
faire une concession décisive, permettant d'avancer, sur la question centrale du
sort des réfugiés palestiniens. De plus, un compromis était possible, sur
Jérusalem.
Pour diverses raisons, le sommet de Stockholm n'a jamais eu lieu.
M. Barak, après un échec retentissant aux législatives tenues en février 2001 en
Israël, remit le pouvoir à M. Sharon. C'est alors que les avancées vers la paix
ont été gelées, et non pas à Camp David, six mois auparavant (comme on l'a
beaucoup entendu)...
Après Camp David : beaucoup de choses se sont
passées, en coulisses...
Nous avons interrogé beaucoup de négociateurs clés,
israéliens et palestiniens, ainsi que plusieurs diplomates américains et
européens très concernés par les pourparlers de paix de l'ère Clinton-Barak, en
vue de cet article. M. Arafat nous a accordé, lui aussi, une interview. M. Barak
s'est récusé ; Gadi Baltiansky, son ancien porte-parole, nous a dit que l'ancien
premier ministre, qui n'a jamais dérogé à son attitude "profil bas" depuis sa
défaite électorale, ne désirait faire aucune déclaration...
Rares sont les
Israéliens, les Palestiniens ou les Américains à imaginer à quel train d'enfer
se sont poursuivies les activités diplomatiques après que le sommet de Camp
David se soit avéré comme apparemment improductif. En se basant sur ce qui
s'était avéré être une base (de discussion) solide, les négociateurs israéliens
et palestiniens ont tenu plus de cinquante réunions au cours des mois d'août et
de septembre, la plupart d'entre elles, clandestinement, à l'Hôtel King David de
Jérusalem.
Il y eut aussi quelques visites sur le terrain afin d'étudier la
faisabilité de diverses manières de partager Jérusalem - certaines si
compliquées que Nabil Shaath, haut responsable palestinien, plaisantait en
disant qu'il faudrait équiper les chaussures des résidents de Jérusalem de
systèmes de localisation par satellite, qui feraient s'allumer des voyants de
différentes couleurs afin de leur indiquer sur quel territoire ils étaient en
train de marcher...
Un jour, Saeb Eirekat, haut responsable palestinien lui
aussi, accompagnait un responsable israélien de la sécurité, de haut rang, au
cours de ce qui aurait dû être une visite tranquille des alentours de la Cité de
David, extra-muros, où des familles juives se sont implantées, dans le quartier
palestinien de Silwan, notamment.
L'officiel israélien avait offert à M.
Ereikat une casquette publicitaire d'une entreprise de peinture israélienne, et
le négociateur palestinien, un homme à la forte charpente, passant difficilement
inaperçu, avait enlevé ses lunettes et s'était habillé très simplement,
revêtant le costume de Monsieur Tout- le monde... Il croyait être
irreconnaissable, a-t-il dit plus tard, mais un jeune garçon palestinien, qui
passait à bicyclette, s'était penché à la vitre de la voiture (banalisée) des
services secrets israéliens, s'écriant : "Salut, comment allez-vous, Dr. Saeb
?!"
Au cours des mois d'août et septembre, M. Ereikat et Gilead Sher,
un négociateur israélien éminent, avaient mis au point deux chapitres d'un
accord de paix définitif, qui furent gardés secrets, "même des autres
négociateurs", a dit M. Ereikat, seuls les deux leaders nationaux en étant
informés.
Au même moment, des médiateurs américains mettaient au point la
proposition de M. Clinton pour un traité de paix définitif. Cette proposition
fut rendue publique en décembre mais Martin Indyk, ancien ambassadeur américain
en Israël, a révélé récemment que les négociateurs américains étaient prêts à la
présenter aux deux parties dès août/septembre.
Ce sont tous ces mouvements
dans les coulisses qui ont trouvé leur reflet dans l'atmosphère particulière qui
avait entouré le dîner chez M. Barak. Le premier ministre, qui avait refusé de
parler directement au leader palestinien à Camp David, lui faisait maintenant sa
cour. M. Ben -Ami, alors ministre des affaires étrangères israélien, a rapporté
avoir dit à son épouse, après ce dîner, que M. Barak, qu'il décrit comme
"daltonien en matière de nuances culturelles", était si emporté par sa furie
d'accord de paix qu'il semblait déterminé à changer "non seulement de politique,
mais même de personnalité"...
Mais les Palestiniens avaient d'autres pensées
en tête, sur le chemin du retour, après cette soirée chez Barak : la visite
prévue de M. Sharon sur ce que les Musulmans appellent le Noble Sanctuaire et
les Juifs le Mont du Temple. M. Arafat a déclaré, au cours d'une interview,
qu'il s'était isolé, sur le balcon, avec M. Barak et l'avait imploré de contrer
la machination de M. Sharon. Mais le gouvernement de M. Barak considérait la
visite planifiée de M. Sharon, alors leader de l'opposition, comme une affaire
relevant des affaires intérieures et de la vie politique israéliennes, et en
l'occurrence, qu'il s'agissait surtout d'une tentative de M. Sharon pour
détourner l'attention du retour - attendu - à la vie politique de son rival de
droite : Benjamin Netanyahu, ancien premier ministre.
La visite sur
l'esplanade de la mosquée Al-Aqsa d'un Sharon lourdement escorté, afin de
démontrer la souveraineté juive sur le Mont du Temple déclencha d'autant plus
les manifestations de protestation des Palestiniens, ulcérés, qu'elle suivait
immédiatement des prises de bec particulièrement inextricables, sur le statut
futur des lieux saints de la Vieille Ville, à Camp David. Les Israéliens eurent
recours à une répression allant jusqu'aux tirs réels pour (tenter d'y) mettre un
terme. C'est ainsi que commença le cycle des violences, qui ne fit que
s'aggraver jusqu'à atteindre un pic entre la mi-mai et le premier juin 2001,
jour où les Israéliens utilisèrent des avions de combat F-16 à Naplouse, pour
arriver à l'apothéose de l'attentat terroriste suicide contre une discothèque de
Tel Aviv.
En juin et au début juillet, un accord de cessez-le-feu proposé par
les Américains, et qui trouva une concrétisation fluctuante sur le terrain,
relança les déclaration des diplomates au sujet de qu'ils présentaient comme
étant resté leur objectif inchangé : ramener les parties aux négociations sur le
"statut final". Mais tous reconnaissaient que la distance entre ce qui était
réalisable à la table des négociations et ce qui était admissible pour les
opinions publiques tant israélienne que palestinienne ne faisait qu'augmenter
avec chaque nouveau mois de violence.
Certains Israéliens et certains
Palestiniens pensent, en réalité, que l'horloge a été ramenée des décennies en
arrière et remettent en question jusqu'à la solution à deux Etats, objectif des
accords d'Oslo.
Nombreux sont les Israéliens à considérer désormais que M.
Arafat a perdu tout crédit en tant que "partenaire de paix" et qu'il n'y a pas
lieu de négocier d'autres accords avec lui. Ils sont convaincus qu'il a eu
délibérément recours à la violence afin de forcer Israël, par la pression ainsi
exercée, à lui donner ce qu'il n'avait pas pu obtenir à Camp David. Et un nombre
encore plus important d'Israéliens croient qu'Arafat est à nouveau - une fois de
plus - obnubilé par son idée fixe, qui serait de "détruire Israël"...
Pendant
ce temps, nombreux sont les Palestiniens à avoir été amenés à croire que les
Israéliens sont capables du pire. Ils sont très nombreux à redouter que
l'inclusion de partis d'extrême-droite dans la coalition gouvernementale de M.
Sharon soit le signal, en Israël, d'une nouvelle respectabilité de la vision
extrémiste selon laquelle les Palestiniens devraient être "transférés" vers des
pays arabes voisins. Au cours des dix mois écoulés, leur frustration est devenue
désespoir, haine et, dans certains cas, désir - suicidaire tout autant
qu'homicide - de vengeance.
Des deux côtés, pour les deux "camps de la paix",
le rosier a perdu ses boutons et les temps sont durs. "L'idée de paix dans le
style Woodstock - avez-vous donné l'accolade à votre Palestinien, aujourd'hui ?
- c'est fini", a déclaré Avraham Burg, le porte-parole du parlement israélien,
bien placé pour devenir le leader du parti travailliste, après les élections
internes de ce parti, en septembre prochain.
Dans la même veine, le
négociateur palestinien, M. Eirekat a dit "La paix en rose, c'est terminé.
Tout ce que je veux, c'est mon Etat... et en finir avec eux (les
Israéliens)".
Il y a encore relativement peu d'Israéliens, de Palestiniens ou
d'observateurs à penser qu'il puisse y avoir une solution militaire au conflit -
ou qu'une solution puisse être imposée. Par conséquent, il faudra bien que les
deux parties retournent, en fin de compte, à ce qui ressemblerait peu ou prou à
une quelconque forme de négociations...
"Pour nous, qui vivons ici, nous
n'avons pas d'alternative, à long terme, à un accord de paix définitif", a
déclaré M. Sher, négociateur israélien. "Ce qui se profile à l'horizon, c'est
que nous allons devenir la minorité sur les territoires situés à l'Ouest du
Jourdain. Et sans frontières cohérentes et reconnues, nous devrons vivre une
période encore bien pire que celle que nous traversons
aujourd'hui".
Le progrès "pouce par pouce" : le processus de
paix confronté à un désintérêt croissant
Dans les accords d'Oslo, signés en 1993, Israël et
l'Organisation de Libération de la Palestine sont convenus de reconnaître
mutuellement leur légitimité et d'entrer dans une phase de transition au cours
de laquelle serait négocié un accord définitif de paix tandis qu'Israël
remettrait progressivement les territoires de Cisjordanie et de la bande de Gaza
à la nouvelle Autorité autonome palestinienne.
En réalité, dans le "processus
de paix", il allait s'avérer y avoir beaucoup plus de "processus" que de
"paix"... Il n'en reste pas moins que les médiateurs américains croyaient que le
processus était vraisemblablement irréversible et qu'il finirait par atteindre
son objectif : deux Etats voisins. Les médiateurs se sont entièrement dévoués à
faire avancer le processus, centimètre après centimètre, tandis que la région
connaissait sont lot d'assassinats, d'attentats terroristes et d'innombrables
crises politiques.
L'avancée pas à pas, qui produisit plusieurs accords
intérimaires, se poursuivit durant plus de sept années, toutefois, et les
grandes questions de l'accord définitif - Jérusalem, réfugiés palestiniens,
colonies juives et frontières futures - furent perpétuellement remises à plus
tard. M. Shaath, ministre de facto des affaires étrangères palestiniennes, a
déclaré : "le marchandage, au cours de toutes ces années, n'a fait que porter
sur 2% du territoire là, 3% là-bas... Relâchez vingt prisonniers aujourd'hui, et
relâchez-en trente la semaine prochaine... Ouvrez cette route non-goudronnée...
ce n'était fait que de bric et broc. Cela n'a pas créé, à dire le moins, une
compréhension profonde entre les deux parties sur les questions
primordiales..."
Bien des Israéliens n'étaient pas très pressés de finir la
partie. Tout ce qu'ils voulaient, c'est que le terrorisme s'arrête. Des
politiciens israéliens de droite se plaignirent du fait que la direction
palestinienne n'éduquait pas son peuple à la paix, ne confisquait pas les armes
illégalement détenues et n'agissait pas afin de faire taire la propagande
provocatrice à l'encontre d'Israël. Mais tout aussi nombreux étaient les
Israéliens à insister, en revanche, sur le calme relatif dont ils avaient fini
par jouir à la suite du succès de la coordination israélo-palestinienne en
matière de sécurité...
Les Palestiniens, toutefois, alors même qu'ils étaient
au début du processus d'édification de leur Etat, finirent par perdre la foi
devant les renvois à plus tard, perpétuels, des transferts de territoire, et
parce qu'ils constataient qu'on les cantonnait au rôle de gendarmes de la
Cisjordanie et de Gaza, territoires par ailleurs "saucissonnés" par les routes
de contournement et l'expansion des colonies juives. La population de ces
dernières augmenta de 80 000 personnes entre 1992 et 2001. Les dividendes
économiques de la paix, attendus, ne se sont pas concrétisés : le niveau de vie
des Palestiniens s'est effondré, chutant de 20%. L'Autorité palestinienne a été
de plus en plus affectée par des scandales relatifs à la corruption.
L'opposition palestinienne - tant les mouvements islamistes qui considéraient
les négociations comme une trahison que les autres mouvements, essentiellement
ulcérés par la corruption de la direction palestinienne - ont recruté de
nombreux nouveaux militants plus que prêts à reprendre la rue au cas où le
processus de paix échouerait (je devrais écrire : "quand le processus de paix
aurait définitivement échoué").
Regardant en arrière, Dennis B. Ross,
médiateur américain de longue date, a déclaré récemment au Jérusalem Post :
"l'une des leçons que j'en retiens est que vous ne pouvez pas avoir un certain
environnement à la table des négociations et une réalité complètement
différente, sur le terrain".
Yossi Beilin, ancien architecte israélien du
processus de paix, s'est fait l'écho de cette conviction. Dans une interview, à
Tel Aviv, il a déclaré que les partisans israéliens d'une paix négociée, les
gens que l'on connaît comme le "camp de la paix", ne s'étaient pas opposés avec
suffisamment de détermination à l'expansion des colonies et n'avaient pas su se
montrer assez persuasifs auprès des Palestiniens afin de les amener à réduire
les incitations à la violence anti-israélienne venue de leurs propres
rangs.
Rob Malley, expert du Conseil de Sécurité National sur le
Moyen-Orient, sous le mandat de M. Clinton, a ajouté que les Américains ne
s'étaient pas montrés assez durs vis-à-vis d'un camp comme de l'autre.
S'exprimant au cours d'un colloque tenu à Washington, au printemps dernier, M.
Malley a déclaré : "Si l'équation fondamentale devait bien être "terre contre
paix", comme pouvait-elle avoir un quelconque sens et une quelconque pertinence
tandis que, d'une part la terre était confisquée quotidiennement et que, d'autre
part, la paix était bafouée tout aussi quotidiennement ?" ....
Joseph Alpher,
expert israélien du conflit, qui était le conseiller de M. Barak à Camp David,
argue du fait que l'Intifada, l'insurrection palestinienne, aurait été provoquée
par les échecs de la période intérimaire de sept ans, plus que par l'impasse de
Camp David.
"Remettre sans cesse (à plus tard) la discussion (et
l'aplanissement) des contradictions (existant) entre les positions les plus
fondamentales des Israéliens et des Palestiniens a permis que la dynamique
israélo-palestinienne soit envahie par un virus qui a fini par la paralyser,
aujourd'hui", a-t-il écrit récemment, dans une étude que lui avait demandée la
Fondation Bertelsmann.
Le jeu du "à qui la faute" : pour quoi les
discussions ont-elles fini par échouer ?
Reprenant le flambeau après M. Rabin, M. Barak est entré
en fonction en juillet 1999, en trompetant sa détermination à mettre un terme au
conflit avec les Palestiniens au plus tôt. Mais, fait nouveau, il choisit de
focaliser son énergie à la recherche d'une paix avec les Syriens, ignorant les
Palestiniens suffisamment longtemps pour que leur suspicion soit mise en éveil.
Il a aussi fait entrer les représentants des colons, le Parti National
Religieux, dans sa coalition, en leur confiant le Ministère du Logement, ce qui
ne pouvait qu'aboutir à une expansion significative des implantations.
Avec
quatre ans de retard sur le calendrier du processus de paix prévu, les premières
négociations substantielles portant sur l'accord définitif débutèrent à la fin
du mois de mars 2000, après l'échec des négociations israélo-syriennes. "Tout a
commencé trop tard et sur un mauvais pied", a déclaré M. Larsen, envoyé des
Nations-Unies.
En signe de bonne volonté, M. Barak a promis de transférer aux
Palestiniens trois villages de la périphérie de Jérusalem, cette promesse ayant
été transmise à M. Arafat par l'intermédiaire de M. Clinton. M. Barak avait même
obtenu l'assentiment du Parlement pour ce faire. Mais, le jour du vote, une
intense convulsion de violence éclata en Cisjordanie, prémonitoire, on n'allait
pas tarder à s'en rendre compte, de ce qui allait suivre.
M. Barak ne cessa
de renvoyer à plus tard le transfert promis, invoquant la "violence". Tant M.
Arafat que M. Clinton (d'après les déclarations de M. Malley) allaient déclarer
plus tard qu'ils se sentaient compromis par la promesse non tenue de M.
Barak.
Néanmoins, ce qui allait être connu plus tard sous le nom de "piste de
Stockholm" consista en quinze réunions substantielles, culminant au cours de
trois longs week-ends, deux en Suède et un en Israël. Les Israéliens et les
Palestiniens qui y prirent part déclarent aujourd'hui que les négociations
avançaient et que l'atmosphère était positive. Ils ont fait des progrès notables
sur les questions des territoires, des frontières, de la sécurité et, même, sur
celle des réfugiés, bien que sur chaque sujet il y ait eu des avancées et des
reculs.
A la mi-mai, le fait même de leur tenue, ainsi que la teneur des
discussions ont fait l'objet de "fuites" en direction des journaux israéliens,
et les informations que ces derniers ont publiées, au sujet de possibles
concessions, ont causé de graves problèmes politiques tant à M. Barak qu'à M.
Arafat. Cela a en effet amené à un rapide blocage des négociations, tout en
poussant M. Barak à rechercher activement la tenue d'un sommet avant même que
les Palestiniens eussent considéré que le travail préparatoire comme mené à
bien.
"Stockholm est mort dès sa naissance annoncée", a déclaré M. Indyk,
l'ancien ambassadeur américain, au cours d'une interview, en juin dernier. "Si
(le processus de) Stockholm avait continué, il aurait pu mener à une meilleure
préparation de Camp David. Mais Barak était persuadé que les "fuites" auraient
entraîné la rupture de sa coalition (gouvernementale) et qu'il n'aurait jamais
pu "tenir" jusqu'à la fin de la partie".
M. Ben-Ami a déclaré que les
négociateurs avaient apporté leur soutien à M. Barak lorsqu'il avait décidé de
pousser dans le sens d'un sommet sous la houlette américaine, lorsque la
situation en était arrivée à ce point (de blocage).
"Nous pension que nous
n'avions aucune raison d'"en rabattre" encore sur les positions qui étaient les
nôtres alors même qu'un sommet était en vue, où nous aurions dû concéder encore
plus de choses", a-t-il déclaré.
Pour d'autres raisons, toutefois, .M Ben-Ami
a confié qu'il considérait regrettable, rétrospectivement, que la piste de
Stockholm ait avorté. Faisant référence à Abu Ala, il a dit notamment "Le
négociateur palestinien là-bas (à Stockholm, ndt) était un homme
extraordinairement doué et compétent, qui bénéficiait de la totale confiance du
président (de l'Autorité palestinienne, ndt). De plus, c'était un homme qui
appréciait les négociations menées dans la discrétion. Dès que celles-ci eurent
avorté, il devint un ennemi (de l'ensemble) du processus. Il pensait que Camp
David, c'était du cinéma."
La mauvaise humeur, palpable, de M. Abu Ala (dont
le vrai nom est Ahmad Qure'i), à Camp David, avait été considérée par beaucoup
comme ayant contribué à l'échec des discussions - dans l'exacte mesure avec
laquelle son rôle dirigeant, plus tard, à Taba, a pu passer pour avoir contribué
à quelque succès, dit-on.
M. Abu Ala a dit, pour sa part, que M. Barak avait
condamné Camp David lorsqu'il avait décidé de couper court à la phase
préparatoire. "Nous l'avions mis en garde contre le fait que, sans préparation,
nous allions à la catastrophe. Maintenant : la catastrophe, nous la vivons...",
a-t-il déclaré lors d'une interview, à Abu Dis, son village natal de
Cisjordanie. "Deux semaines avant Camp David, nous avons rencontré Clinton à la
Maison Blanche, Arafat et moi. A un Arafat qui lui demandait encore
quelque temps, Clinton avait répondu : 'Président Arafat, venez et faites pour
le mieux. Si cela ne réussit pas, je ne vous en blâmerai pas'. Mais c'est
pourtant exactement ce qu'il a fait..."
Les Palestiniens sont allés à Camp
David en traînant tellement des pieds que l'échec des conversations était
prévisible, disent beaucoup de commentateurs, aujourd'hui (après coup... ndt).
"L'échec de Camp David était une prophétie qui comportait en elle-même le
"miracle" de son inscription dans les faits, et Jérusalem ou le droit au retour
des réfugiés" n'ont rien eu à voir là-dedans, a dit M. Beilin.
M. Larsen
acquiesce : "Ce (Camp David) fut plus un échec de la psychologie et de la
méthodologie qu'un échec dû au contenu (des discussions) lui-même".
Les
Palestiniens avaient le sentiment d'être traînés jusqu'aux collines verdoyantes
du Maryland pour y être soumis à la pression conjointe d'un premier ministre
israélien et d'un président américain lesquels, en raison de leurs calendriers
politiques respectifs et des soucis que leur causaient, à l'un comme à l'autre,
leurs successions respectives, étaient poussés par un sentiment personnel qu'il
y avait urgence en la matière.
Les Palestiniens ont dit que les Américains
leur avaient répété à moult reprises que la coalition du dirigeant israélien
était menacée ; après quelque temps, disaient-ils, il semblait que l'objectif de
la rencontre au sommet était plus de sauver M. Barak (politiquement s'entend)
que de faire la paix... En même temps, ajoutent-ils, les Américains ne
semblaient pas prendre au sérieux les pressions exercées sur M. Arafat par
l'opinion publique palestinienne et le monde musulman. A l'instar de M. Barak,
M. Arafat est allé à Camp David, poussé par des sondages de popularité
domestique en chute libre...
M. Indyk, qui envisage d'écrire un livre sur le
processus de paix qu'il intitulera vraisemblablement "Conséquences inattendues",
a dit que l'exigence formulée par M. Barak que Camp David aboutisse à une fin
formelle au conflit a mis une pression insupportable sur cette rencontre au
sommet.
Les discussions, sur certains sujets à l'ordre du jour, ont même en
fait abouti à un recul, au cours des deux (seules) journées qu'a duré Camp
David, ont indiqué MM. Sher et Ben-Ami. M. Sher a ajouté que c'était dû au fait
que les négociateurs palestiniens avaient tenu M. Arafat dans l'ignorance de
certains points-clés des conversations de Stockholm, ce que ces derniers
dénient. Il a ajouté que M. Ben-Ami et lui-même s'étaient rendus à Naplouse, en
Cisjordanie, pour y rencontrer le leader palestinien, peu de temps avant Camp
David, et qu'ils avaient été stupéfaits de découvrir que M. Arafat ne savait pas
précisément ce qui avait été discuté.
Les Israéliens et les Américains
évoquent une "psychose obsidionale" ("bunker mentality") du côté des
Palestiniens, à Camp David. Comme en écho, les Palestiniens révèlent qu'à un
certain moment, M. Barak n'est pas sorti de son bungalow, le Dogwood, durant
deux jours d'affilée et qu'il a refusé systématiquement de rencontrer M. Arafat
en personne, à l'unique exception d'un thé partagé avec lui...
"Il y a eu
aussi un dîner au cours du quel Barak était assis à la droite de Clinton, Arafat
étant à sa gauche", a rapporté M. Shaath, qui a ajouté, faisant allusion à la
fille de M. Clinton : "... mais Chelsea, qui était assise à la droite de Barak,
a fait l'objet de son attention exclusive. Pourquoi diable a-t-il tellement
insisté pour qu'il y ait un sommet s'il avait l'intention de ne pas adresser la
parole à son partenaire, ne fût-ce qu'une minute ?..."
Des diplomates
occidentaux, ici, à Jérusalem, disent que les Palestiniens étaient persuadés
qu'ils faisaient l'objet d'une manipulation de la part des Américains. Ils ont
dit que les officiels américains avaient fait une erreur fatale en s'efforçant
de nourrir des relations privilégiées avec deux responsables palestiniens de la
nouvelle génération, qu'ils considéraient comme pragmatiques : Muhammad Rashid,
le conseiller économique de M. Arafat, d'origine kurde, et Muhammad Dahlan le
chef de la sécurité préventive de Gaza. Ce faisant, ils ont ulcéré les
négociateurs palestiniens ayant "de la bouteille" ("the veterans" ndt),
disent-ils, qui eurent le sentiment que les Américains voulaient diviser leurs
rangs afin de les affaiblir.
Au beau milieu de Camp David, l'un des
négociateurs, Abu Mazen, reprit l'avion pour le Moyen-Orient afin d'assister au
mariage de son fils. Il était très remonté contre les tactiques des Américains,
a révélé un diplomate européen, et il a averti que Camp David ne marcherait
jamais si ces petits jeux continuaient et qu'il saurait utiliser le problème des
réfugiés pour finir de le faire capoter, si besoin était.
D'après M. Sher,
les Palestiniens n'auraient jamais mis en avant aucune contre-proposition aux
suggestions avancées par les Israéliens. Ils se seraient toujours contentés de
dire "non", a-t-il soutenu. M. Malley, qui a assisté à Camp David, a écrit, dans
une tribune libre publiée par le New York Times à la mi-juillet, que les
médiateurs américains étaient "frustrés presque jusqu'au désespoir devant la
passivité et l'incapacité à saisir l'occasion qui s'offrait à eux des
Palestiniens".
Les deux parties avaient discuté des échanges territoriaux, à
Stockholm, par lesquels les Palestiniens auraient cédé une partie de la
Cisjordanie (quelques pour-cent de la superficie totale des territoires) en
faveur de blocs de colonies israéliennes, en échange d'autres territoires (cédés
par Israël). Elles ont continué leurs pourparlers (en ce sens) à Camp David.
Mais M. Abu Ala a indiqué que les Israéliens avaient évoqué un "troc inégal"
consistant à annexer environ 9 pour cent de la Cisjordanie contre la "cession"
aux Palestiniens de l'équivalent d'à peu près un pour cent ailleurs...
"J'ai
dit : 'Shlomo, (dans ces conditions,) je ne veux même pas regarder les cartes :
replie-les', a rapporté avoir dit M. Abu Ala, au cours d'une conversation avec
M. Ben-Ami. Il avait déclaré qu'il ne discuterait que des frontières de 1967.
"Clinton m'en voulait à mort et il m'a dit qu'il me tenait personnellement
responsable de l'échec du sommet. Je lui ai alors dit que, dût l'occupation
perdurer encore 500 ans, nous ne céderions pas."
Mais, à Taba, les
Palestiniens ne se le sont pas faire dire deux fois, lorsqu'il s'est agi
d'examiner les cartes. Voilà que les Israéliens parlaient d'annexer environ 6%
de la Cisjordanie en échange contre des territoires, ailleurs, équivalent à 3%
de cette dernière. Cela aurait abouti à ce que les Palestiniens reçoivent
quelque 97% de la superficie totale de la Cisjordanie, ce qui était - de
beaucoup - bien plus proche de leur objectif de longue date : voir les
Israéliens rendre tous les territoires conquis en 1967.
A Camp David, a
indiqué M. Ben-Ami, les Israéliens ont découvert, sur le tard, alors que la
partie était depuis longtemps engagée, à quel point les deux parties avaient une
conception différente d'un accord définitif.
"Que les Palestiniens doivent
accepter moins que cent pour cent des territoires, c'était l'axiome de la
politique israélienne depuis 1993", a-t-il indiqué.
D'après M. Sher, la
plupart des membres de la direction palestinienne "savaient et convenaient du
fait qu'il s'agit là d'un compromis historique, qui exige des Palestiniens
qu'ils cèdent sur certains points. La plupart des leaders, pour ne pas dire
"tous", à l'exception d'un seul : un certain Yasser Arafat..:"
A la fin de
Camp David, les trois parties tombèrent d'accord sur le fait que l'alchimie
n'avait pas fonctionné. C'était bien la seule chose sur laquelle ils fussent
d'accord, d'ailleurs. Les Américains étaient complètement écœurés, bien que M.
Clinton, quelques mois après, ait qualifié Camp David "d'événement
transformateur", parce qu'il avait contraint les deux parties à se confronter
aux besoins vitaux de leur contre-partie respective en leur permettant
d'entr'apercevoir les délinéaments potentiels d'une paix définitive.
A la fin
juillet 2000, toutefois, les Israéliens avaient le sentiment que leur générosité
avait été repoussée du revers de la main. Et les Palestiniens avaient, de leur
côté, le sentiment qu'on leur offrait un Etat qui n'aurait pas été viable -
"moins qu'un bantoustan, pour vous donner une idée de ce dont il s'agit", avait
dit Arafat au cours d'une interview récente.
"Ils veulent contrôler la vallée
du Jourdain, avec cinq stations d'alerte avancée", avait expliqué alors M.
Arafat. "Ils veulent contrôler l'espace aérien, au-dessus de nos têtes, les
nappes phréatiques, sous nos pieds, la mer et les frontières... Il
"doivent" diviser la Cisjordanie en trois cantons. Ils en gardent dix pour cent
du territoire pour des colonies, leurs routes (de contournement) et leurs forces
armées. Pas de souveraineté sur le Haram al-Sharif (l'Esplanade des Mosquées,
ndt) (pour nous). Quant aux réfugiés, nous n'avons pas eu de discussion
approfondie à leur sujet..."
M. Ben-Ami a indiqué avoir passé un temps
considérable, après Camp David, afin de tenter d'expliquer aux Israéliens que
les Palestiniens avaient en réalité fait des concessions majeures sur ce qui
était leur position de départ. "Ils ont admis la souveraineté d'Israël sur les
quartiers juifs de Jérusalem-Est, sur onze de ces quartiers, pour être précis",
a-t-il dit, ajoutant : "Ils ont admis l'idée que les trois blocs de
colonies auxquels ils étaient résolument opposés pourraient rester en place et
que le Mur Occidental (Mur des Lamentations, ndt) et le Quartier juif (de
Jérusalem intra-muros, ndt) pourraient demeurer sous souveraineté
israélienne".
M. Malley a ajouté, pour sa part, que les Palestiniens avaient
accepté de négocier une solution au problème des réfugiés qui ne risquerait pas
de remettre en cause la majorité juive d'Israël. "Aucun autre partenaire arabe
ayant négocié avec Israël - ni l'Egyptien Anwar al-Sadat, ni le Jordanien
Husseïn, pour ne pas parler du Syrien Hafez al-Assad - n'était jamais arrivé si
près ne serait-ce que de l'idée même d'envisager des compromis de cette nature",
a-t-il commenté.
Dans les analyses rendues publiques, le sommet aurait échoué
à cause d'une dissension amère sur la manière de partager - ou de diviser -
Jérusalem. M. Clinton a indiqué, récemment, que c'est le problème des réfugiés
qui a entraîné l'échec. Mais M. Malley, parmi d'autres participants aux
discussions, a dit que des dissensions existaient sur toutes les questions à
l'ordre du jour.
Mais, vers la fin, M. Clinton avait rendu hommage au courage
(politique) et à la clairvoyance de M. Barak, décrétant que M. Arafat n'avait
pas déployé un effort équivalent.
M. Shaath a indiqué avoir supplié le
président Clinton, personnellement : "Je vous en conjure, ne prenez pas votre
g... des grands jours et ne dites pas au monde entier que c'est un échec. Je
vous en prie, dites que nous avons brisé des tabous, que nous nous sommes
attaqués au coeur du problème et que nous allons continuer..."
"Mais le
Président (américain) a commencé à distribuer les mauvais points, et il a envoyé
Arafat au piquet"... a ajouté M. Shaath.
M. Ben-Ami a exprimé un sentiment
similaire. "A la fin de Camp David, nous avions le sentiment que le "paquet" (de
propositions, "package", ndt) en tant que tel contenait pas mal de substance et
qu'il fallait continuer", a-t-il dit. "Mais Clinton nous a laissé nous
débrouiller tout seuls, après avoir commencé à distribuer les mauvais points. Il
s'efforçait de donner un coup de pouce à Barak, car il savait qu'il aurait à
faire face à de graves problèmes politiques s'il rentrait chez lui les mains
vides, avec ses concessions, en plus, livrées en pâture à l'opinion publique par
les médias. Mais ce faisant, il a créé les problèmes avec l'autre partie".
M. Arafat est "rentré chez lui sur un cheval blanc", a dit M. Shaath,
parce qu'il a su montrer aux Palestiniens qu'"il avait toujours le souci de
Jérusalem et des réfugiés". Il passait pour avoir tenu tête face à une
formidable double pression : celle des Américains ajoutée à celle des
Israéliens...
Néanmoins, M. Ereikat a indiqué avoir pris son bâton de pèlerin
de Bethlehem à Gaza afin de prêcher que "Camp David était bien, Camp David
représentait une avancée". Il a toutefois précisé que M. Arafat avait fait des
commentaires allant dans ce même sens. Mais s'il les a faits, il a été
extrêmement discret...
Mais après Camp David, les négociateurs se
replongèrent dans leurs travaux, à l'Hôtel King David de Jérusalem. Les
résultats furent assez positifs pour que M. Barak et M. Arafat tiennent un dîner
de discussions assez chaleureux, et pour que l'administration Clinton convoque
les négociateurs à Washington, le 27 septembre. Le 28, M. Sharon effectua sa
visite sur le Mont du Temple. Et, le 29, la situation commença à se désintégrer
avec la rapidité que l'on sait, laissant tout le monde en état de
choc...
Chaque camp blâma l'adversaire. Le gouvernement israélien a déclaré
que les Palestiniens "avaient déclenché" l'insurrection afin de contraindre les
Israéliens à leur donner ce qu'ils n'avaient pu obtenir (d'eux) à Camp David. M.
Arafat déclara, lors d'une interview, que M. Barak avait conspiré, en réalité,
avec M. Sharon, "afin de porter un coup fatal au processus de paix", après qu'il
se soit rendu compte qu'il ne réussirait jamais à persuader les Palestiniens
d'accepter ses propositions. M. Arafat qualifia la visite de M. Sharon "de
prétexte pour lancer ce qu'ils ont décidé (ensemble) : l'action
militaire".
Une commission d'enquête internationale, présidée par
l'ex-sénateur américain George J. Mitchell, ne se contentant pas de déclarer
seulement les deux parties responsables de l'échec, décrivit la dynamique
mortelle qui s'était développée sur le terrain, à partir du comportement des
deux camps et qui avait fini par acquérir son auto-existence destructrice. Plus
de 650 victimes sont à déplorer, depuis le 29 septembre 2000, la grande majorité
d'entre eux étant des Palestiniens.
"Trop tard" à Taba : Certains regardent encore
vers une paix à venir
Les deux parties, dans des déclarations récentes, se sont
posées tout haut la question de savoir pourquoi M. Clinton n'avait pas présenté
sa proposition de solution finale à Camp David ou immédiatement après ? En
décembre dernier, lorsqu'il se décida enfin à le faire, le calendrier était
vraiment extrêmement serré. M. Clinton devait quitter la présidence le 20
janvier, et M. Barak affrontait les électeurs le 6 février...
La proposition
(Clinton) offrait aux Palestiniens plus que ce qui était "sur la table" à Camp
David, mais ils n'en répondirent pas moins avec beaucoup de scepticisme. Le plan
(proposé) était trop vague, dirent-ils alors. Une fois de plus, pris dans
l'engrenage d'une relation faite de violence avec Israël, ils n'étaient pas
disposés, sur le plan émotionnel, à observer les agendas politiques des autres
et à se ruer tête baissée dans un marchandage nébuleux, expliquent-ils.
Un
diplomate européen a indiqué que les Palestiniens n'auraient pas compris
l'imminence et les implications d'une victoire de M. Sharon ; d'autres disent
qu'ils ne voulaient pas continuer à perdre leur temps avec un Barak promis à la
défaite.
Il n'en reste pas moins qu'en janvier 2001, M. Arafat rendit visite
à M. Clinton, à la Maison Blanche. Au cours d'une interview, immédiatement après
cette visite, il indiqua avoir suggéré au Président américain de convoquer sans
plus tarder les négociateurs israéliens et palestiniens pour des
négociations-marathon. M. Arafat a révélé avoir dit à M. Clinton qu'il était
persuadé qu'il était possible d'atteindre un accord après une quinzaine de jours
de négociations.
Mais il en advint autrement. Les négociateurs se réunirent,
plus tard dans le mois, sans les Américains et en l'absence de leurs dirigeants,
à l'Hôtel Taba Hilton, sur la Mer Rouge. A l'exception de M. Sher, pour qui Taba
s'est caractérisé par une "bonne ambiance", sans plus, la plupart des Israéliens
et des Palestiniens qui ont participé à ces négociations en ont retiré le
sentiment qu'il s'agissait d'une session extrêmement positive.
"La paix
semblait à portée de la main, à Taba", a déclaré M. Ben-Ami. Monsieur Abu Ala
déclara, quant à lui : "A Taba, nous avons effectué des avancées réelles,
tangibles, vers un accord définitif".
A Taba, ce fut une première, les
Israéliens acceptèrent le principe (palestinien) du retour aux frontières de
1967, ont indiqué les Palestiniens. Sur la foi de quoi les Palestiniens ont
admis la conservation par Israël des blocs de colonies, à la condition qu'ils
soient échangés contre des territoires de même qualité, cédés par Israël aux
Palestiniens. M. Shaath a indiqué que ces derniers se seraient retrouvés, eût
cette décision été prise, avec dix pour cent de territoires de plus que ce
qu'ils auraient dû céder, dans un premier temps...
17. Le prix de Camp David. Pourquoi
Arafat a-t-il négligé les armes du faible ? par Edward Saïd
in
Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du dimanche 19 juillet
2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Il y a un an, Bill Clinton avait mis sur
pied une rencontre entre les dirigeants israéliens et palestiniens, dans la
résidence présidentielle de Camp David, afin de finaliser un accord de paix dont
il pensait qu'ils étaient prêts à le ratifier. Je mets l'accent sur le rôle joué
par Clinton dans cette histoire, parce qu'il est de la plus haute signification
que ce soit cet homme dans lequel les Palestiniens avaient placé leurs espoirs,
qu'ils avaient accueilli en héros à Ramallah et à Gaza et à l'opinion duquel ils
s'étaient rangés à tout propos (et hors de propos), qui ait emballé en toute
hâte, dans un même paquet, les deux protagonistes qui avaient été des décennies
durant entièrement occupés par une lutte aux multiples péripéties, dans le seul
but de pouvoir se targuer, à des fins purement narcissiques, d'avoir (enfin) été
capable de concocter une avancée historique...
Yasser Arafat (faisait la
tête, il aurait voulu) ne pas y aller. Si Ehud Barak y était, c'était avant tout
dans l'optique d'arracher aux Palestiniens la promesse qu'ils mettraient fin au
conflit et -plus important - qu'ils abandonneraient toute récrimination
palestinienne à l'encontre d'Israël (y compris le droit au retour pour les
réfugiés), une fois l'accord d'Oslo signé.
Clinton a toujours été, avant
tout, un opportuniste, en second lieu ; un sioniste et, en troisième lieu : un
politicien maladroit. Les Palestiniens représentaient les faibles, dans cette
affaire ; ils étaient piètrement dirigés et très sommairement préparés. Clinton
a excipé de la fin prochaine de son propre mandat (ainsi que de celui de Barak),
qu'il lui serait loisible de mettre en scène une cérémonie de signature basée
sur le scénario de la capitulation palestinienne : une cérémonie (fastueuse) qui
resterait gravée à jamais sur la stèle à la gloire de sa Présidence, tout en
permettant d'effacer la mémoire d'une certaine Monica (Lewinsky) et le scandale
de l'amnistie accordée à Marc Rich, scandale qui ne faisait que commencer à
enfler, à l'époque... Ce projet grandiose, bien entendu, fit un "flop"
complet. Même des sources américaines récemment rendues publiques sont venues
corroborer l'argument des Palestiniens, selon lequel l'"offre généreuse" de
Barak n'était en fait ni un offre, ni donc encore moins on ne sait quelle "offre
généreuse"... Robert Malley, membre du Conseil National de Sécurité, qui a ses
quartiers rien moins qu'à la Maison Blanche de Clinton, rien de moins, a publié
un rapport sur ce qui s'est passé et, même s'il se montre critique vis-à-vis de
la tactique de négociation adoptée par les Palestiniens au cours du sommet de
Camp David, ce rapport établit clairement qu'Israël était très loin d'offrir ce
que les aspirations nationales légitime des Palestiniens exigeaient. Mais Malley
n'a craché le morceau qu'en juillet 2001 ; il lui a fallu un an après le sommet
de Camp David pour ce faire, bien après que la machine bien huilée de la
propagande israélienne ait eu le temps de lancer le chœur des pleureuses
désormais archi-connu, selon lequel Arafat aurait méchamment rejeté la meilleure
proposition qu'Israël eût jamais pu faire... Ce chœur a été renforcé par
l'affirmation, rabâchée par Clinton, que tandis que Barak s'était montré
courageux, Arafat avait été tout simplement décevant. Ainsi, la Thèse s'est
inscrite dans le discours public, depuis lors, à l'immense détriment de la
Palestine. Il n'est pas jusqu'à la remarque d'un laquais de l'information
israélienne selon laquelle, après Camp David et Taba, aucun Palestinien n'avait
joué un rôle conséquent dans la dissémination d'une version palestinienne de la
débâcle (palestinienne) qui n'ait passé inaperçue. Ainsi, Israël a eu l'espace
pour lui tout seul, avec des résultats littéralement incalculables, en termes
d'exploitation (de la fausse information) et d'effet retard de "retour de
manivelle" (dans leur propre figure)...
J'étais parfaitement conscient du
tort porté à l'Intifada par l'opération consistant à se présenter, pour les
Israéliens, comme des amoureux de la paix éconduits, au cours de l'automne et de
l'hiver passés. J'ai téléphoné à des membres de l'entourage d'Arafat afin de les
conjurer de convaincre leur leader de prendre conscience d'à quel point Israël
profitait du silence des Palestiniens, dont Israël allait rapidement faire
l'équivalent linguistique de la violence palestinienne. J'ai eu vent qu'Arafat
était intraitable, qu'il refusait de s'adresser à son peuple, aux Israéliens ou
au monde, espérant sans doute que le sort ou sa propre capacité,
quasi-miraculeuse, à ne pas communiquer, affecterait (et dérangerait) la
campagne israélienne de désinformation. Quoi qu'il en soit, mes exhortations
n'ont servi absolument à rien. Arafat et ses innombrables laquais demeurèrent
oisifs, n'entravant "couic" et, bien entendu, par-dessus tout :
silencieux...
Nous ne devons nous en prendre qu'à nous mêmes, en premier. Ni
nos dirigeants, ni nos intellectuels ne semblent avoir saisi que même une
insurrection anti-coloniale courageuse ne peut pas s'expliquer elle-même par
elle-même, et que ce que nous (les Palestiniens, et les autres Arabes)
considérons comme notre droit à résister peut être présenté à Israël comme le
terrorisme ou la violence les plus dénués de principes. Dans le même temps,
Israël a réussi à persuader le monde d'oublier sa propre occupation violente et
ses propres châtiments collectifs terroristes - pour ne rien dire de son
nettoyage ethnique que rien, apparemment, ne peut arrêter - à l'encontre du
peuple palestinien.
En fait, nous avons encore rendu les choses pires
nous-mêmes en permettant à un Arafat, qui n'est décidément pas à sa place,
d'évoluer tout à sa guise, entre avancées et reculs, sur la question de la
violence. Tout texte sur les droits de l'homme à avoir jamais été publié à ce
jour reconnaît le droit légitime d'un peuple qui résiste contre une occupation
militaire, contre la destruction de (ses) maisons et biens, contre
l'expropriation de terrains en vue de la construction de colonies (par
l'occupant). Arafat et ses conseillers ne semblent pas avoir compris qu'en
entrant aveuglément dans la dialectique israélienne, unilatérale, de la violence
et de la terreur - au niveau du discours - ils avaient renoncé par essence à
leur droit à la résistance. Bien loin de rendre clair (pour tout le monde) qu'à
toute baisse d'un degré dans la résistance devait correspondre nécessairement un
retrait d'Israël et/ou une baisse équivalente dans (la dureté de) son
occupation, la direction palestinienne a exposé son (propre) peuple aux
accusations de terrorisme et de violence. Dès lors, tout ce qu'Israël a commis
l'a été au titre des "représailles". En revanche, tout ce que les Palestiniens
faisaient, c'était de la "violence" ou du "terrorisme", ou (plus généralement)
les deux à la fois... Le spectacle en résultant, d'un criminel de guerre comme
Sharon dénonçant la "violence" palestinienne a été tout ce qu'il y a de plus
révoltant, au sens premier du terme (= quelque chose qui vous "retourne"
l'estomac...).
Une autre conséquence de l'impéritie palestinienne a été
qu'elle a mis les soi-disant militants israéliens de la paix hors course,
faisant de cette affligeante cohorte de compagnons de route des alliés
silencieux et consentants du déplorable gouvernement Sharon, aux affaires
actuellement en Israël. Quelques Israéliens courageux et dotés de principes,
tels certains des Nouveaux Historiens - Jeff Halper, Michel Warschavsky, et
d'autres groupes - sont l'exception. Combien de fois n'avons-nous pas entendu
les jérémiades des "peaceniks" patentés au sujet de leur "déception" face à
l'"ingratitude" et à la "violence" des Palestiniens ? Combien de fois leur
a-t-on dit que leur rôle était de faire pression sur leur gouvernement afin de
mettre un terme à l'occupation et non ( comme ils l'ont toujours fait) de donner
des leçons à un peuple soumis à occupation, sur leur magnanimité et leurs
espoirs déçus ? Qui, à part les Français les plus réactionnaires de 1944, aurait
toléré les exhortations des Allemands à se montrer "raisonnables" vis-à-vis de
l'occupation de la France par l'Allemagne ? Personne, naturellement. Mais nous
tolérons que les hérauts israéliens impavides de la "paix" continuent à se
répandre sur la "générosité" de Barak, sans que nous leur rappelions que chacun
de leurs leaders, je dis bien : tous, sans aucune exception, s'est fait un jour
ou l'autre l'assassin ou l'oppresseur des Arabes, depuis 1948, jusqu'à nos
jours.
Ben-Gurion a présidé à la Nakba (défaite des Arabes en 1948,
"catastrophe" pour les Palestiniens, ndt) ; Eshkol aux conquêtes israéliennes de
1967 ; Begin aux massacres de Deïr Yassin et à l'invasion du Liban (en 1982,
assortie de ses massacres elle aussi, ndt) ; Rabin au brisage des os (des jeunes
manifestants) lors de la première Intifada et, avant ça, à l'évacuation de plus
de 60 000 civils sans défense de Ramleh et de Lydda, en 1948 ; Pérès, à la
destruction de Qana (au Liban : tir "par erreur" contre un poste de l'ONU où des
civils avaient trouvé refuge, plus de cent morts, ndt) ; Barak a pris part en
personne à l'assassinat de dirigeants palestiniens ; Sharon a dirigé le massacre
de Qibya et il est le responsable des massacres de Sabra et Shatila. Le rôle
premier du camp de la paix israélien est de faire ce qu'il n'a jamais
sérieusement fait : reconnaître toutes ces atrocités et empêcher de nouveaux
outrages infligés par l'armée de terre et l'aviation israéliennes à un peuple
dépossédé et apatride, et non pas prodiguer à tout va des conseils aux
Palestiniens ni d'exprimer les espoirs ou les déceptions que lui procurerait un
peuple continûment oppressé par Israël depuis plus d'un demi-siècle...
Mais
dès lors que la direction palestinienne a abdiqué de ses principes et a prétendu
être une grande puissance capable de jouer dans la cour des grandes nations,
elle a endossé le sort qui échoit aux nations faibles, sans avoir ni la
souveraineté ni le pouvoir qui lui permettraient de soutenir ses gesticulations
ou ses tactiques. Si hypnotisé est M. Arafat par sa supposée stature de
président, passant - de Paris à Londres, de Pékin au Caire... - d'une visite
d'Etat insensée à l'autre, qu'il en a oublié que les armes dont les faibles et
les apatrides ne peuvent jamais se séparer sont leurs principes et leur peuple.
C'est de tenir, et de défendre à jamais le terrain de la hauteur morale ; de
répéter sans se lasser la vérité et de rappeler au monde l'ensemble de ce qui
s'est historiquement passé ; de ne jamais se départir du droit légitime à la
résistance et à la restitution ; de mobiliser les gens, partout dans le monde,
et non pas d'apparaître aux côtés de types aussi douteux que Chirac ou Blair ;
de ne dépendre ni des médias ni des Israéliens, mais de soi-même, pour proclamer
la vérité. Voilà ce que les dirigeants palestiniens ont oublié à Oslo, et à
nouveau, à Camp David. Quand assumerons-nous, en tant que peuple, la
responsabilité qui, après tout, est la nôtre seule, et quand arrêterons-nous de
remettre notre sort entre les mains de leaders qui n'ont plus la moindre idée de
ce qu'ils sont en train de fabriquer
?