Point d'information Palestine > N°161 du 03/07/2001

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Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
                            
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Au sommaire
           
       
Témoignage 
Hébron : La terreur au quotidien par Mireille Court, journaliste en reportage à Hébron
            
Réseau
Messages croisés par Thierry Bianquis
                  
Revue de presse
1. Une pratique contraire au droit international par Mouna Naïm n Le Monde du jeudi 2 août 2001
2. Six membres du Hamas tués dans une attaque ciblée israélienne par Catherine Dupeyron n Le Monde du jeudi 2 août 2001
3. Le désarroi des "indics" palestiniens du Shin bet par Georges Malbrunot in Le Figaro du mardi 2 août 2001
4. Le Shaykh Mansour... a réglé, puis il a transmis la facture au martyr Darruzéh par  Rawmal Shahrur al-Suwaïti in Al-Hayat Al-Jadida (quotidien palestinien) du mercredi 1er août 2001 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
5. Un document secret israélien suggère un échange "(des) territoires contre la paix" in Al-Hayat Al-Jadida (quotidien palestinien) du mercredi 1er août 2001 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
6. Dernière heure : l'occupant évacue les colons de "Gush Qatif" par Munira Abu Rizq
in Al-Hayat Al-Jadida (quotidien palestinien) du mercredi 1er août 2001 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
7. Technologie et renseignement, bases de l'efficacité des opérations spéciales Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 1er août 2001, 18h02
8. La question vitale des observateurs dans les territoires palestiniens par Ahmad Youssef Al-Qoraï in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 1er août 2001
9. La Déclaration du Caire contre le racisme par Salama A. Salama in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 1er août 2001
10. Un hôpital de campagne à Ramallah par Hervé Brezot in L'Humanité du vendredi 31 Juillet 2001
11. Une fois de plus, l'action d'Israël est dictée par une "conception" erronée par Amira Hass in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 29 juillet 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
12. Israël redoute que certains de ses ressortissants ne se voient accuser de crime contre l'humanité, à l'étranger par Ralph Atkins, de Jérusalem in Financial Times (quotidien américain) du dimanche 26 juillet 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
13. "La paix est encore possible si..." par Miguel-Angel Moratinos in Le Nouvel Observateur du dimanche 26 juillet 2001
14. Israël La démission du "camp de la paix" par Victor Cygielman in Le Nouvel Observateur du dimanche 26 juillet 2001
15. Observateurs, contrôleurs ou facilitateurs ?  René Backmann in Le Nouvel Observateur du dimanche 26 juillet 2001
16. L'échec de la recherche de la paix au Moyen-Orient : comment ? Pourquoi ? par Deborah Sontag in The New York Times (quotidien américain) du jeudi 26 juillet 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
17. Le prix de Camp David. Pourquoi Arafat a-t-il négligé les armes du faible ? par Edward Saïd in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du dimanche 19 juillet 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                   
Témoignage

                       
Hébron : La terreur au quotidien par Mireille Court, journaliste en reportage à Hébron
31/07/2001, 17h17 - Bonjour un petit texte que j'ai écrit en témoignage de ce qui s'est passé le 19 juillet. Nous avons eu beaucoup de chance de nous en tirer vivants. Amitiés. Mireille
Hébron, le jeudi 19 juillet 2001 - Nous étions venus  réaliser un documentaire sur " les hauts et les bas du processus de paix en Palestine " pour la télévision kurde, Medya TV. Un peu par hasard, nous apprenons l'existence d'une communauté kurde à Hebron, installée là depuis que l'armée de Sala'adin , kurde lui-même, avait chassé les croisés de Jérusalem. Rendez-vous pris avec une famille, nous partons pour Hebron. Nous savons que la situation y est très tendue : une colonie au cœur de la ville, 400 colons parmi les plus extrémistes, protégés par des centaines de soldats israéliens installés sur les toits du centre et sur les hauteurs dominant la ville. Nous avons emmené avec nous une jeune Française, une étudiante rencontrée au camp de réfugiés de Deheishé, qui avait eu envie de nous accompagner. Quand nous arrivons, tout est paisible. Nous réalisons une interview d'un dirigeant du FPLP, nous nous installons dans un hôtel, et nous décidons d'aller manger quelque chose avant notre rendez-vous. Les rues sont encombrées par les étalages des marchands de fruits et légumes, les habitants font leurs courses, les enfants jouent. Aucune manifestation, aucun jet de pierre, tout est tranquille.  Nous entrons dans un petit restaurant. Les deux propriétaires semblent nerveux et pour cause : au bout de quelques minutes, les premiers coups de feu commencent à claquer. Mauvais choix : le restaurant est en plein dans la ligne de tir, ils allaient fermer et regrettent de ne pas l'avoir fait. Ils ont eu le temps de rabattre un des volets mais il est trop tard pour fermer l'autre. Tir nourri, certaines balles frappent directement l'entrée. nous nous protégeons du mieux que nous pouvons. Notre jeune amie est terrifiée. Au bout de 45 minutes, entre deux rafales, les propriétaires nous font sortir ; il faut remonter la rue sur une dizaine de mètres et plonger sous un porche. A ce moment là les tireurs sont dans notre dos. Un homme a été tué la veille, d'une balle dans le dos, à cet endroit. Nous courons ; Ouf ! nous sommes passés. Mais pas encore tirés d'affaire. Nous sautons dans une cour en contrebas, une autre cour, une rue pas trop exposée à traverser et nous sommes à nouveau relativement en sécurité. Deux hommes vêtus de gilets pare-balles et de casques, portant des caméras nous rejoignent. Ce sont deux journalistes palestiniens originaires d'Hebron, Mazen et Nail, travaillant pour Reuters, ils vont nous réconforter et nous prendre sous leur aile. Ils nous expliquent qu'on ne peut  pas rester là, les chars risquent d'arriver, nous devons quitter ce secteur mais pour cela il faut traverser deux rues sous le feu. Nous voilà partis, Mazen et Nail , un civil palestinien et Chris, mon compagnon, atteignent l'autre côté sans encombre. Mais pour nous il est trop tard : les balles pleuvent à quelques centimètres de nos pieds, ils nous visent, par chance il y  a un muret , nous plongeons à l'abri. Accroupies derrière le petit mur, avec un petit Palestinien d'une dizaine d'années qui avait traversé en même temps que nous, nous sommes en mauvaise posture. Impossible de continuer, impossible de rester là, les ricochets peuvent nous atteindre à tout instant. Ma jeune compagne est blême, elle crie qu'on va mourir, je tente de la rassurer. De l'autre côté de la rue, Mazen, Nail et Chris filment toute la scène. Je remarque qu'après quelques instants les coups de feu s'espacent, puis s'arrêtent quelques secondes avant de reprendre. Le temps de recharger ? D'allumer une cigarette ? Il faut foncer dans cet intervalle. Je dis à S. qu'il faut y aller, je traverse, suivie par l'enfant. S . reste sur place, tétanisée de peur. Arrivée de l'autre côté , je réalise qu'elle n'a pas suivi. J'hésite et me fait copieusement engueuler : je suis toujours dans la ligne de tir. Finalement c'est un Palestinien qui va risquer sa vie spontanément pour aller la chercher.
La nuit ne fait que commencer. Mazen et Nail nous emmènent dans leur voiture, pied au plancher, car les soldats israéliens tirent sur tout ce qui bouge. Nous allons jusqu'à une maison qui a l'avantage de ne pas être dans la ligne de tir tout en offrant une vue panoramique sur la ville. Un journaliste palestinien travaillant pour Associated Press est déjà là. -La nuit tombe et les balles traçantes zèbrent le ciel, parfois des gros calibres. Les rares voitures qui roulent encore sont prises pour cible, nous voyons au téléobjectif  un homme sauter de sa voiture qui a été atteinte, les balles le poursuivent, il parvient à s'échapper, le tireur déçu s'acharne sur le véhicule abandonné. Les heures passent et les tirs continuent, toujours sans riposte palestinienne. Nos deux amis décident de changer d'angle et nous emmènent tous feux éteints et à une vitesse folle, dans un autre coin de la ville. Nous sommes pratiquement en face de la position précédente, mais nous n'y restons pas longtemps, Mazen vient de recevoir un appel. Une voiture d'invités à un mariage a été attaquée par des colons à un check point israélien. Les assassins se sont réfugiés en territoire sous contrôle israélien et se sont évanouis sans problème.
 Les radios affichées à l'extérieur de la salle de réanimation ne laissent guère d'espoir. Trois crânes criblés de balles,  un bras en miettes. Deux hommes, un bébé de dix semaines, Diya, tous de la même famille. Le père du jeune homme craque, c’était son fils unique 
il s'était marié la semaine dernière. Les femmes sont dehors et malgré leur désespoir, restent très dignes. Il ne faut pas pleurer, les victimes sont des martyrs, ils sont déjà au paradis.
Le lendemain, nous assistons à l'enterrement, le petit corps de Diya est enveloppé dans un drapeau palestinien, ses mèches blondes collent à son front, il a l'air de faire une longue sieste par une chaude journée d'été.
Dans l'après midi nous quittons Hebron. Immense privilège, les Palestiniens eux ne peuvent pas sortir, sauf autorisation exceptionnelle. La ville est une prison à ciel ouvert, comme toutes les villes palestiniennes. " Au moins, en prison, on nous donnait à manger, on nous battait, mais on ne nous tuait pas " commente un Palestinien. Nous avons un immense sentiment d'impuissance. Nous décidons finalement d'aller porter plainte auprès de la Ligue des droits de l'Homme palestinienne. Ils ont déjà envoyé des centaines de plaintes déposées par des civils victimes des violences et n'obtiennent jamais de réponse des autorités israéliennes nous disent-ils. Mais nous tenons à lancer notre petite pierre.
[Ce témoignage est aussi paru dans le quotidien L'Humanité du jeudi 20 août 2001.]
                   
Réseau
                                       
Messages croisés par Thierry Bianquis
Hier soir, 1er août 2001 sur I-télévision (TPS), interview de Elie Barnavi, ambassadeur d'Israël en France, un historien, qui passe pour un libéral, ami de Leïla Shahid. Cet homme n'a pas cessé de mentir : toute la violence vient des Palestiniens, les Israéliens ne font que se défendre préventivement, la communauté internationale doit faire pression sur Arafat le coupable et non sur Israël qui est la victime, Barak avait tout cédé (or, le Monde a publié par deux fois l'article de Malley, le négociateur US aux côtés de Clinton, qui prouve scientifiquement que rien de solide n'avait été accordé à Arafat par Barak qui l'avait mené en bateau).
Le spectacle d'un universitaire âgé mentant délibérément face à une jeune journaliste qui ne le croyait pas mais qui avait des ordres pour ne pas le contredire sérieusement était horrible car derrière cela il y a un peuple que l'on extermine.
[Thierry Bianquis est le co-auteur avec Jean-Claude Garcin et Miche Balivet de
"Etats, sociétés et cultures du monde musulman médiéval Xème XVème siècle" (3 Tomes) aux éditions des Presses Universitaires de France / Tome 1 : 298.00 FRF / 45.43 Euros - ISBN : 2130466966 - Octobre 2000 - 704 pages / Tome 2 : 298.00 FRF / 45.43 Euros - ISBN : 2130497829 - Août 2000 - 688 pages / Tome 3 : 198.00 FRF / 30.18 Euros - ISBN : 2130502229 - Septembre 2000 - 296 pages]
                             
Revue de presse

                             
1. Une pratique contraire au droit international par Mouna Naïm
in Le Monde du jeudi 2 août 2001

Première à condamner publiquement –et au terme d'une enquête extrêmement documentée– les "meurtres ciblés" de Palestiniens par l'armée israélienne, l'organisation de défense des droits de l'homme Amnesty International n'avait pas hésité, dès le mois de janvier, à parler d'"assassinats d'Etat". Ehoud Barak était encore premier ministre de l'Etat juif, l'Intifada palestinienne était dans son quatrième mois et l'armée israélienne avait déjà à son "palmarès" quelques assassinats de Palestiniens activistes ou supposés tels. Amnesty en avait alors répertorié sept.
Depuis, une multitude d'organisations non gouvernementales, dont la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) et Human Rights Watch, de juristes et plusieurs gouvernements ont maintes fois "critiqué", "condamné", ou "dénoncé" ces meurtres, évoqués sous des qualifications diverses, mais qui sous-entendent toutes qu'il s'agit là d'exécutions extrajudiciaires, contraires au droit international– en particulier la quatrième Convention de Genève sur la protection des populations civiles en temps de guerre et la Convention des Nations unies sur les droits civils et politiques.
Le département d'Etat lui-même, généralement si rétif pourtant à critiquer Israël, les reproche vivement aux autorités juives et y voit autant de "provocations" de nature à envenimer les choses. Les Palestiniens– et plus généralement les Arabes– n'ont cessé, de leur côté, de les dénoncer. En vain puisque, depuis le début de l'Intifada, ce sont une cinquantaine de Palestiniens, membres ou présumés tels du Mouvement de la résistance islamique Hamas, du Djihad islamique et du Fatah, qui ont été ainsi "ciblés". La cadence s'est donc accélérée sous le gouvernement d'Ariel Sharon. Les "liquidations" se sont presque toutes faites dans des parties de la zone dite "A", c'est-à-dire sous contrôle total de l'Autorité palestinienne.
Les derniers assassinats en date ont eu lieu mardi 31 juillet : six responsables du Mouvement de la résistance islamique Hamas ont été tués par des tirs de chars israéliens, qui ont visé l'immeuble abritant l'un des bureaux dudit mouvement à Naplouse.
Deux enfants sont morts dans ce qu'on pourrait cyniquement qualifier d'"effets collatéraux".
Loin de s'en défendre, l'armée israélienne a justifié l'opération, au nom de sa politique dite de prévention d'attentats anti-israéliens, tout en déplorant la mort des deux enfants. Tsahal considère qu'elle est en situation de conflit armé, ce qui l'autorise à attaquer ceux dont elle a exigé, sans succès, l'arrestation par l'Autorité palestinienne.
Contrairement à d'autres gouvernements qui démentent pratiquer des exécutions extrajudiciaires, le gouvernement israélien ne s'en cache pas. Le 18juillet, après un attentat-suicide qui a tué deux soldats israéliens dans la petite bourgade de Benyamina, au nord de Tel Aviv, le cabinet de sécurité a donné le feu vert à l'armée pour continuer les "interceptions de terroristes". Et pour mener à bien ces assassinats sélectifs, tous les moyens sont bons, y compris les plus disproportionnés, tels les raids d'hélicoptères ou les tirs d'obus de chars, sans parler des voitures et autres engins piégés.
Les branches militaires du Hamas et du Djihad islamique n'ont certes jamais hésité à revendiquer des attentats terroristes qui ont fait des victimes civiles. Cela n'autorise pas Israël à s'arroger le droit de tuer de manière arbitraire certains membres réels ou présumés de ces formations. Car, outre le fait que ce genre de procédé est interdit par les conventions internationales, les affirmations du gouvernement israélien sur les activités et les intentions "terroristes" des Palestiniens ciblés sont par nature invérifiables. Et, alors que l'Etat juif affirme systématiquement qu'il s'agit de membres d'organisations militaires, dans au moins un certain nombre de cas, ce sont bien des "politiques" qui ont été visés.
Ces pratiques entretiennent le cycle de violences et le désir de vengeance des Palestiniens, y compris d'ailleurs au sein même de la société palestinienne avec les liquidations et condamnations à mort de ceux qui sont soupçonnés ou convaincus de collaboration avec l'Etat juif. L'Autorité palestinienne a sa propre liste de responsables de l'Etat juif suspectés de meurtre qu'elle souhaite voir arrêtés, mais Israël a affirmé ne pas s'en préoccuper. Pis: des extrémistes palestiniens, les Bataillons du retour du front de l'armée populaire, ont dressé leur propre liste de trente-trois rabbins et responsables de colonies qu'ils pourraient prendre pour cibles à tout moment.
La politique israélienne des assassinats sélectifs n'est pas une nouveauté dans le conflit israélo-palestinien. Ce sont les moyens qui ont changé. Lorsque Israël a occupé la totalité de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, après la guerre de juin 1967, la tâche d'en finir avec les "terroristes" palestiniens fut confiée, au début des années 1970, à des unités de l'armée dont les membres étaient déguisés en Arabes.
En 1995, l'hebdomadaire israélien Kol Ha'ir a publié pour la première fois les témoignages de certains de ceux qui opéraient à Gaza– l'article a été reproduit dans un fascicule récemment publié par la Revue d'études palestiniennes sous le titre : "Le général Sharon, éléments pour une biographie". Le principal but de l'unité "était de capturer et d'éliminer les Palestiniens recherchés", qui étaient classés en deux groupes : les "noirs" et les "rouges". Ces derniers étaient recherchés pour les meurtres de civils israéliens, de soldats ou de collaborateurs palestiniens. Ils n'étaient pas supposés être ramenés vivants. Tous les moyens, y compris par exemple la mise en scène d'un simulacre de fuite du Palestinien arrêté, étaient alors tolérés.
                
2. Six membres du Hamas tués dans une attaque ciblée israélienne par Catherine Dupeyron
in Le Monde du jeudi 2 août 2001

Estimant qu'il s'agit d'une "déclaration de guerre", l'organisation palestinienne lance à son tour un appel au meurtre de responsables politiques de "l'ennemi". L'opération de Tsahal à Naplouse, mardi 31 juillet, dans laquelle deux enfants ont également trouvé la mort, a suscité des condamnations énergiques dans le monde. JÉRUSALEM correspondance
La dernière en date des attaques ciblées de l'armée israélienne, mardi 31 juillet à Naplouse, visait d'importants dirigeants du Hamas, et la cible a été atteinte. Cependant, des innocents ont également été tués, dont deux enfants, deux frères de huit et dix ans. A leur sujet, les principaux responsables politiques israéliens ont exprimé leur "profond regret".
Mardi après-midi, l'armée israélienne a lancé trois missiles d'hélicoptères sur le troisième étage d'un immeuble qui servait, semble-t-il, de quartier général au Hamas à Naplouse. L'opération a tué huit personnes : cinq membres du Hamas, un journaliste palestinien présumé membre du Hamas par les Israéliens, et les deux gamins qui jouaient au pied de l'immeuble. Deux autres Palestiniens ont été tués dans la bande de Gaza, ce qui porte à dix le nombre de morts pour la seule journée du 31 juillet, la plus meurtrière depuis l'attentat commis, le 1er juin, par des Palestiniens devant une discothèque de Tel Aviv, le Dolphinarium, dans lequel 21 personnes, pour la plupart des adolescents, avaient trouvé la mort.
Tsahal a fait part de ses doutes quant à la mort des deux enfants à Naplouse, en soulignant que les missiles avaient explosé dans l'immeuble et n'avaient causé aucun dommage à l'extérieur. En outre, les Palestiniens n'ont pas, comme à l'accoutumée, publié la photo des enfants, a indiqué un officier.
L'objectif de l'armée était d'éliminer Jamal Mansour, 41 ans, et Jamal Salim Damoni, 43 ans, membres de la branche militaire du Hamas et responsables de nombreux attentats commis ces derniers mois, notamment celui du Dolphinarium.
D'après les services de renseignement israéliens, cette cellule de Cisjordanie était réunie pour organiser de prochains attentats.
Depuis quelques jours, l'armée et la police sont en alerte maximale. Les villes palestiniennes de Ramallah, Bethléem, Naplouse, Tulkarem sont à nouveau soumises au blocus. Les patrouilles, dans Jérusalem notamment, sont renforcées. Des militaires ont fait leur apparition dans des quartiers résidentiels où il est inhabituel de les voir. Dimanche 29 juillet, une bombe avait explosé dans le parking d'un immeuble, ne faisant par miracle aucune victime. Le lendemain, lundi 30 juillet, une petite charge explosait dans un supermarché du centre-ville, n'entraînant que des dégâts matériels. "Jamal Mansour n'était pas juste un homme recherché parmi d'autres, a déclaré au quotidien Haaretz de mercredi un officier israélien opérant en Cisjordanie , Jamal Mansour est l'activiste le plus important qui a été tué jusqu'à présent. (…) Du point de vue palestinien, sa mort est même plus grave que celle de Yihye Ayash, dit 'l'Ingénieur'". Jamal Salim Damoni était également un personnage important. Les deux hommes auraient été choisis pour cibles non parce qu'ils avaient "du sang sur les mains", mais en tant qu'organisateurs d'attentats. Ils auraient sélectionné les candidats aux attentats-suicides, les auraient préparés à accomplir leur mission et leur auraient assigné leurs objectifs.
Leur élimination laisse penser à certains que pourraient encore être visés des responsables politiques palestiniens qui télécommandent les actions sur le terrain, comme Marwan Bargouti, du Fatah. "Celui-ci le sait, et Jamal Mansour le savait aussi. Depuis l'attentat du Dolphinarium, il était accompagné de gardes du corps", indique Amos Harel, journaliste au Haaretz.
Le Hamas a annoncé une vengeance prochaine, mais les réactions palestiniennes sur le terrain ont été immédiates. La soirée a été ponctuée d'une vingtaine de tirs de mortier dans la bande de Gaza, de tirs sur Gilo, banlieue de Jérusalem en territoire occupé, et d'une attaque sur les routes de Cisjordanie qui a fait cinq blessés israéliens, dont une femme grièvement atteinte. Nabil Shaath, ministre palestinien de la coopération internationale, a souhaité que des observateurs internationaux soient dépêchés dans la région le plus rapidement possible. Quant au président de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, il envisage de saisir le Conseil de sécurité des Nations unies.
                   
3. Le désarroi des "indics" palestiniens du Shin bet par Georges Malbrunot
in Le Figaro du mardi 2 août 2001

La politique de liquidation des activistes adoptée par Tsahal place les «indics» palestiniens du Shin bet dans le collimateur. Une cour de sûreté de l'Autorité palestinienne a condamné mardi soir trois d'entre eux à mort pour collaboration avec Israël en vue du meurtre d'un haut responsable du Fatah, Thabet Thabet, en décembre dernier.
Poursuivis par les Palestiniens, abandonnés par leur ex-employeur, les mouchards à la solde de l'État hébreu sont en plein désarroi. «Combien d'anciens agents une fois passé en Israël dorment sous des hangars de supermarché, sans papier. Le Shin bet les connaît. Il ne fait rien pour eux, note un expert étranger familier de la question. Mais aujourd'hui, le vrai problème, c'est les petits collabos, restés dans les territoires» .
Grâce aux informations qu'ils ont transmises, Tsahal a liquidé une quarantaine d'activistes en dix mois d'Intifafa. Après chaque assassinat ou explosion suspecte, la sécurité d'Arafat procède à une vague d'arrestations de personnes qu'elle surveillait. Plus de 200 d'entre elles ont été mises sous les verrous. Yasser Arafat, dans un premier temps, a montré sa poigne de fer. Deux Palestiniens soupçonnés d'avoir renseigné Israël ont été exécutés sans procès en février. L'exercice est à peu de frais: la population soutient que les traîtres doivent être tués afin de restaurer l'unité nationale. Sous la pression internationale, le chef de l'OLP avait ensuite décidé de calmer le jeu. Face aux menaces israéliennes, il a décidé de nouveau de durcir le ton.
En Cisjordanie et dans la bande de Gaza, une paranoïa anti-collabo s'est développée parmi la population. Une quinzaine de Palestiniens au moins sont morts récemment dans des conditions suspectes. Certains travaillaient pour Israël. D'autres non. «La lutte contre les mouchards est un alibi commode, explique Mireille Widmer, auteur d'un rapport pour le Palestinian Human Rights monitoring group, elle justifie des règlements de comptes, d'autant que la définition de la collaboration est vague». Elle inclut le trafiquant de drogue ou la femme qui a eu des relations hors mariage.
En 1994, l'organisation israélienne de Défense des droits de l'Homme B'tselem estimait à 6 000 les «collaborateurs» répertoriés par le Shin bet. Le retrait israélien des principales villes palestiniennes n'a pas tari le besoin d'oreilles. Au contraire. Faute de patrouiller dans les rues de Ramallah ou Gaza, le travail du Shin bet nécessite aujourd'hui davantage d'indics. Tous les moyens sont bons pour recruter. Un permis pour travailler en Israël ou s'y faire soigner. Un laissez-passer pour se rendre en Jordanie. «Israël exploite la souffrance des Palestiniens au travers des bouclages» , accuse Yael Stein, avocate à B'tselem. En échange du sauf-conduit, «on te donne cette photo de X, te demande de vérifier qu'il est à tel endroit ce soir» , ajoute un spécialiste.
Des soit disant compagnons de cellule qui cherchent à extorquer des informations à leurs compatriotes incarcérés, aux intermédiaires désireux de vendre des terres arabes à des Israéliens, en passant par les moukhtars des localités toujours sous le contrôle sécuritaire de l'État hébreu: les candidats ne manquent pas. Ils étaient une vingtaine environ par village durant la première intifada. Redoutant un déchaînement de violence en cas d'échec des négociations de Camp David l'été dernier, Israël avait auparavant intensifié son recrutement. Aujourd'hui, beaucoup d'indics ne seraient pas activés. Ils sont infiltrés dans les universités, les hôpitaux, les syndicats et les organisations politiques. Equipés d'une technologie avancée pour les plus «utiles», ils surveillent les déplacements des activistes. Dans les rues ou en prison, le collabo et son agent traitant se reconnaissent d'un signe de la main, au nez par exemple.
Au terme de purges sanglantes, près d'un millier d'indicateurs a été éliminé durant la première intifada entre 1987 et 1991. Selon Freih Abou Mdein, ministre de la Justice, 60% d'entre eux n'étaient en fait pas des collabos.
Les premiers accords israélo-palestiniens les exemptaient de «poursuite» par l'autorité palestinienne. Estimant que seuls étaient concernés ceux qui avaient travaillé avec Israël avant leur signature en 1994, les services de Yasser Arafat en ont arrêté environ 250, jusqu'au début de la seconde révolte. Selon Amnesty International, une centaine croupit en prison, sans charges, torturés le plus souvent. Les avocats refusent de les défendre. «Ils m'ont présenté une liste de fautes, je devais choisir celle que j'étais supposé avoir commise», reconnaît l'un d'eux. Certains hommes d'affaires ont racheté leur trahison. D'autres suspects ont été retournés et travaillent désormais dans la sécurité palestinienne.
Malgré certains dérapages, les deux camps se sont arrangés pour conclure une sorte d'accord tacite afin d'alléger le fardeau. Israël n'avait nullement envie de reloger 6000 Palestiniens et leur famille sur son territoire. De fait, seul un millier, les gros poissons, a réussi à trouver refuge, le plus souvent dans les quartiers pauvres des villes arabes, où ils sont ostracisés par leurs «frères».
En échange d'une lutte accrue contre les opposants islamistes à la paix, l'État hébreu fermait les yeux sur les arrestations conduites par les services palestiniens à Jérusalem-est. Jusqu'où est allée cette coopération, sur le dos d'indics embarrassants? Selon nos informations, Allan Bani Oudeh, exécuté à Naplouse mi-janvier pour avoir fourni des informations sur son cousin, un islamiste tué dans l'explosion de sa voiture, a été arrêté en Israël - et non pas en Cisjordanie - par les services de la sécurité préventive palestinienne, à une période où le bouclage des territoires était pourtant particulièrement hermétique.
              
4. Le Shaykh Mansour... a réglé, puis il a transmis la facture au martyr Darruzéh par  Rawmal Shahrur al-Suwaïti
in Al-Hayat Al-Jadida (quotidien palestinien) du mercredi 1er août 2001
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

(Créé en 1995 et publié à Ramallah, Al-Hayat Al-Jadida (“la Vie nouvelle”) tire quotidiennement à 6000 exemplaires :
http://www.alhayat-j.com)
Notre journal, Al-Hayat al-Jadidah, a rencontré les dirigeants du Hamas, à Naplouse, peu de temps avant leur assassinat.
Naplouse - Deux heures avant le raid de l'aviation israélienne contre le bureau où travaillaient Jamal Mansour et Jamal Salim, les deux responsables politiques du Hamas, attaque qui a causé la mort des deux responsables ainsi que celle de quatre de leurs collègues, auxquelles il faut encore ajouter deux enfants, qui passaient dans la rue, et qui ont été tués eux aussi, deux heures, donc, avant cette attaque traitresse, le sort a voulu que je sois passé les voir, à leur bureau, afin de percevoir le règlement d'avis de décès de membres de leur mouvement, le Hamas, que notre journal avait publiés peu avant.
Quand je suis rentré dans le bureau, Mansour et son fidèle second, le Shaykh Salim, étaient au travail. L'un écrivait, tandis que l'autre tapait un texte à l'ordinateur. Leur bureau était spécialisé dans les questions de communication et dans diverses études et recherches.
Mansour m'accueillit, comme à son habitude, avec son sourire bienveillant : "Bienvenue à al-Hayat al-Jadidah!" Je lui dis que je ne resterais pas longtemps. Il me répondit  : "pas de problème". Je lui ai alors remis les factures (pour les avis de décès) du martyr Salah al-Din Darruzéh "Abu al-Nur", ainsi que d'un autre martyr. J'en avais reçu le paiement de la main même du martyr Abu al-Nur... J'ai alors dit au martyr Mansour ce qu'il en était de cette facture (pour ce paiement pour le moins peu banal). Il me répondit, en plaisantant : "O.K., je la remettrai moi-même en main propre à Abu al-Nur, au cimetière..."
Puis il se leva et vint près de Mansour, le Shaykh Salim "Abu Mujahid", auquel je dis en plaisantant que j'étais bédouin - bien que je ressemble à un paysan - que lui était un réfugié, et qu'il ne manquait plus à notre petit groupe qu'un "citadin". Il me dit alors : "je réunis toutes ces qualités. J'étais paysan, dans mon village de Damoun, en Palestine, avant l'occupation de 1948. Puis je suis devenu réfugié après 1948, et aujourd'hui, je vis à Naplouse, alors : ne suis-je pas aussi un citadin ?" Il ajouta (sérieusement, cette fois) : "mais nous sommes avant tout musulmans, arabes et palestiniens, en fin de compte, n'est-ce pas ?"
Après avoir perçu l'argent des avis de décès de la main du martyr Jamal Mansour, ce dernier me dit : "voilà, maintenant, le Hamas ne doit plus rien au journal al-Hayat al-Jadidah", ajoutant "le martyr est libéré de toute dette, sauf la dette d'argent... C'est pourquoi il faut régler (nos) dettes d'argent le plus vite possible..."
Puis j'ai quitté le bureau d'information (du Hamas). Deux heures plus tard, environ, j'entendis le fracas de l'explosion qui se produisit à l'endroit où je me trouvais si peu de temps auparavant... C'était le drame, la catastrophe. "Nous appartenons à Dieu et c'est à Lui que nous retournons".
                  
5. Un document secret israélien suggère un échange "(des) territoires contre la paix"
in Al-Hayat Al-Jadida (quotidien palestinien) du mercredi 1er août 2001
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Un document du ministère des affaires étrangères israélien, "sorti" des bureaux à la suite d'une "fuite", comporte une proposition consistant à remettre aux Palestiniens des superficies "généreuses" de territoires afin d'"inciter" le président Yasser Arafat à abandonner la voie de la violence au profit des négociations de paix.
Ce document - ultra-confidentiel - préparé par la section du renseignement au ministère et que le radio israélienne a révélé, ne fait pas de la fin des violences palestiniennes une condition préalable à des négociations, contrairement aux exigences du premier ministre, Ariel Sharon. Ce document n'a pas été présenté au conseil des ministres israéliens hebdomadaire, qui s'est tenu hier, dimanche, mais il n'en révèle pas moins ce qui semble bien être des dissensions entre Sharon et son ministre des affaires étrangères, Shimon Pérès, sur les modalités permettant de mettre un terme à l'intifada.
Pérès était en visite officielle en Amérique du Sud lorsque le document a été dévoilé, et il n'a fait aucun commentaire sur ce document qui semble bien être le reflet des positions de certains membres éminents du parti travailliste. Des sources politiques (israéliennes) ont informé notre agence (Reuters) du fait que ce document comporte une analyse de la personnalité et du comportement du président Arafat. D'après le document, Israël pourrait regagner la confiance d'Arafat en octroyant aux Palestiniens "une grande superficie des territoires" tout en prenant des mesures immédiates permettant d'améliorer les conditions de vie des Palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Ce document suggère également une initiative consistant à réunir des fonds internationaux et arabes destinés à remettre sur pied l'économie palestinienne, pratiquement anéantie par dix mois d'affrontements.
"Le but de l'initiative israélienne est d'aboutir à diminuer les motifs qu'Arafat a de se plaindre et de regagner sa confiance vis-à-vis des intentions israéliennes. Cette initiative sera un gage donné à Arafat qu'Israël recherche un accord de paix solide." On peut lire, plus loin, dans le document subtilisé au ministère israélien des affaires étrangères : "(notre) initiative ne pourra qu'encourager les éléments pragmatiques de l'entourage d'Arafat et au sein du peuple palestinien, tout en aidant de manière concomitante à mobiliser les sphères arabe et internationale à exercer des pression sur Arafat."
"Parallèlement à notre proposition, il faut continuer sans relâche à faire miroiter à Arafat que l'alternative serait, le cas échéant, une détérioration de la situation allant jusqu'au point où son Autorité et sa stature (internationale) seraient menacées." Bien que le gouvernement israélien n'ait pas discuté de ce document qui pourrait constituer la base d'une proposition sérieuse pour la relance des négociations, il y a fait allusion. On rapporte que Sharon aurait déclaré à ses ministres : "nous devons répéter tous les jours qu'il ne saurait y avoir de négociations tant qu'il y aurait des tirs."
Alon Lil, ancien directeur général du ministère israélien des affaires étrangères à déclaré à la radio israélienne que ce type de documents est généralement rédigé par des chercheurs, après avoir colligé toutes les données, secrètes comme publiques, réunies par les différents services du ministère. Il a ajouté que le document en question a été "exfusé" par une personne qui avait un intérêt personnel à ce qu'il soit rendu public. Lil a poursuivi, disant : "chaque matin, des dizaines de documents de ce type sont déposés sur le bureau du premier ministre et sur celui du ministre des affaires étrangères... Il n'est pas rare qu'ils soient contradictoires les uns avec les autres, d'ailleurs... La question est de savoir qui avait un intérêt quelconque à dévoiler ce document, en particulier ?" Bien que les propositions contenues dans ce document ne reflètent pas la position officielle du gouvernement, elles ont immédiatement fait l'objet de tiraillements entre les ministres de la coalition gouvernementale présidée par Sharon., et composée de divers partis, de droite et de gauche.
Le ministre israélien du tourisme, Rahba'am Z'evi, a déclaré à la radio israélienne : "(cette fuite) est très embarrassante pour le gouvernement Sharon... ce que nous devons faire, c'est récupérer ce que nous avons (déjà) donné (aux Palestiniens! ndt) et (certainement pas) donner des territoires supplémentaires". Mais le ministre de la culture et des sports, Matan Vilna'i, membre du parti travailliste, s'est montré très favorable à l'initiative proposée par le document, dans laquelle il voit une chance de pouvoir retourner s'asseoir à la table des négociations. Il a déclaré à la radio israélienne : "plus vite nous irons nous asseoir à cette table, mieux ce sera".
                   
6. Dernière heure : l'occupant évacue les colons de "Gush Qatif" par Munira Abu Rizq
in Al-Hayat Al-Jadida (quotidien palestinien) du mercredi 1er août 2001
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Gaza - Des témoins oculaires ont rapporté avoir constaté que les forces d'occupation ont entrepris, tôt ce matin, d'évacuer les colons des implantations de Gush Qatif, au sud de Gaza, ajoutant que l'armée a fermé les routes principales conduisant aux colonies, notamment la voie Salah ed-Din, la route principale (parcourant la bande de Gaza du nord au sud, ndt). Par ailleurs, six autobus pleins à craquer de colons ont été vus, ce matin, quittant la colonie, en direction de la "ligne verte" (frontière israélienne, ndt).
                
7. Technologie et renseignement, bases de l'efficacité des opérations spéciales
Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 1er août 2001, 18h02

PARIS - L'association des technologies les plus modernes aux méthodes plus traditionnelles de renseignement est à la base de l'efficacité des opérations spéciales des armées modernes, du genre de celle que les forces israéliennes ont lancé lancée mardi à Naplouse, en Cisjordanie.
Cette attaque par hélicoptère qui a fait huit morts - six membres du mouvement radical palestinien Hamas et deux enfants - a été qualifiée par le Premier ministre Ariel Sharon, cité mercredi par le quotidien Maariv, de "l'une des plus réussies" de l'armée israélienne.
"Toutes les armées au monde se targuent de ce genre de capacité", relève un spécialiste civil des opérations spéciales. "L'armée israélienne, elle, les met en oeuvre de manière quasi-routinière et une opération comme celle de Naplouse apparaît, après d'autres, comme exemplaire".
Le missile - une roquette - qui a explosé dans la pièce où se trouvaient les membres du Hamas, entrant au bon étage par la bonne fenêtre, a vraisemblablement été dirigé par laser : la cible étant "illuminée", sans doute par une équipe au sol.
L'"illumination" de l'objectif - par un faisceau de lumière invisible à l'oeil nu - aurait pu, remarque un militaire au fait de ces opérations, être effectuée depuis un autre appareil, mais une telle présence diminue la discrétion de l'action.
Elle aurait pu également être assurée par l'hélicoptère qui a lancé la roquette, mais cela suppose que l'appareil reste sur place jusqu'à l'impact et l'explosion alors qu'une illumination indépendante lui donne la possibilité de "tirer et oublier", c'est-à-dire de partir immédiatement.
L'identification de la cible elle-même ainsi que celle - fondamentale - du moment propice à l'intervention repose sur un travail antérieur que les militaires appellent "phase de renseignement avant action".
Les spécialistes préfèrent rester discrets sur les performances des matériels dont ils disposent, mais on connaît les jumelles permettant de voir la nuit, soit par détection de chaleur soit par amplification de brillance. Une bonne pratique permet d'agir comme en plein jour.
Des caméras pas plus grosses qu'une tête d'épingle peuvent transmettre des images en temps réel, ainsi que des conversations. Et même celles qui se déroulent dans une pièce peuvent être captées jusqu'à au moins 500 mètres par des "canons acoustiques". "La qualité permet d'identifier les personnes qui participent à la conversation", affirme un connaisseur militaire du sujet qui, comme toutes les autres personnes interrogées, n'a accepté de parler que sous le couvert de l'anonymat.
Outre cette technologie, les Israéliens disposent, notent les spécialistes, de "ressources humaines" : agents infiltrés et informateurs disposant de moyens de communications sophistiquées, y compris satellitaires, qui leur assurent une "parfaite connaissance du milieu général et une grande facilité à acquérir les informations désirées".
Toutes les données sont traitées par des logiciels sophistiqués d'aide à la décision qui permettent notamment de présenter, en temps réel, les différentes possibilités et les conséquences de chaque choix, risques d'incidents et de bavures inclus.
De par leur nature et leurs risques, les opérations spéciales s'inscrivent dans un cadre politique sensible qui n'est pas seulement militaire. L'image d'Israël a été ainsi affectée par l'opération de Naplouse, a reconnu à la radio publique israélienne un responsable du ministère des Affaires étrangères. Mais, a-t-il ajouté, "c'est le prix qu'il faut payer si l'on veut se défendre".
Ce genre d'opération ne fait cependant pas l'unanimité, même en Israël. Quant à Amnesty International, elle les qualifie, comme de nombreuses autres organisations de défense des droits de l'Homme, "d'exécutions extra-judiciaires".
                     
8. La question vitale des observateurs dans les territoires palestiniens par Ahmad Youssef Al-Qoraï
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 1er août 2001
Depuis l'accession au pouvoir du premier ministre israélien, Ariel Sharon, la situation dans les territoires palestiniens occupés connaît une escalade inédite. Les meurtres, les détentions, la démolition des maisons et la liquidation des activistes de l'Intifada sont devenus monnaie courante. Sans oublier le fait que Sharon s'est désengagé de tous les accords déjà conclus avec les Palestiniens sous l'égide des Américains.
Partant, il est nécessaire d'assurer au peuple palestinien désarmé une protection internationale et d'envoyer des observateurs dont la mission serait la mise à exécution des recommandations du rapport Mitchell, qui appelle à la cessation immédiate de la violence, l'arrêt des colonisations et au retour à la table des négociations.
L'envoi des observateurs est devenu, de fait, une nécessité pour maintes raisons. Israël est allé très loin dans sa politique d'oppression contre les Palestiniens désarmés. Il va jusqu'à bombarder les villes et les villages palestiniens avec les F16 et les hélicoptères et à lancer des missiles contre les civils et les activistes sans distinction. Ainsi, le nombre des victimes palestiniennes s'est-il élevé à 737 martyres et 12 000 blessés. Les forces de l'occupation ne sont plus les seules à commettre les actes de violence et de terrorisme contre les Palestiniens. Ces actes sont désormais commis par les colons israéliens également au vu et au su de l'armée israélienne et avec l'approbation de Sharon. Cette violence a eu des impacts sur l'économie palestinienne. Les revenus de l'Autorité palestinienne baissent de 45 millions de dollars mensuellement. Les pertes économiques, selon les rapports, ont atteint en moyenne 51 % du PNB palestinien.
La question de l'envoi d'observateurs internationaux a été soulevée il y a longtemps, notamment en octobre 2000 lorsque la violence israélienne contre les Palestiniens s'est accrue. Mais le Conseil de sécurité a échoué 3 fois à adopter une résolution la concernant. Cet échec était dû en premier lieu au veto américain. Il prouve l'incapacité du conseil à assumer son rôle dans le maintien de la paix et de la sécurité dans le monde. Il prouve de même qu'on ne peut pas compter sur lui pour faire prévaloir la justice. Ce conseil n'est d'ailleurs actif que lorsqu'il s'agit de causes qui sont dans l'intérêt des Etats-Unis et de l'Etat hébreu.
Pour ce qui est des pays arabes et musulmans, ils se sont contentés de condamner la politique israélienne et de réclamer l'envoi d'observateurs internationaux pour protéger les Palestiniens.
Récemment, les leaders du G8, réunis à Gênes, ont exprimé leur inquiétude vis-à-vis de la situation dans les territoires occupés et ont invité Israéliens et Palestiniens à accepter les observateurs internationaux pour aider à la mise à exécution d'un plan de paix. Les pays membres du G8, qui craignent une escalade plus accrue de la violence, trouvent que le plan Mitchell est le seul moyen à même de débloquer la situation et de garantir la paix.
Face à ces pressions, Israël a accepté l'envoi d'observateurs mais à condition qu'ils soient membres de la CIA.
S'il existe une nouveauté dans la position internationale, c'est que pour une fois ces leaders se sont tous mis d'accord sur la nécessité d'un envoi rapide des observateurs sans attendre un accord politique comme le réclamait l'Etat hébreu. Ceci signifie que le monde est maintenant conscient du danger de la détérioration actuelle de la situation.
Pourtant, ceci n'est pas suffisant car le fait que l'envoi d'observateurs soit conditionné par une acceptation préalable de la part d'Israël nous fait revenir à la case départ. De fait, Israël refuse avec acharnement leur déploiement de crainte qu'ils ne soient témoins de ses crimes. Il pose comme condition qu'ils soient membres de la CIA uniquement. Mais dans ce cas, ceci ne changera rien à la situation car les services de renseignements américains n'ont pas quitté la région pour y revenir. Et en leur qualité d'observateurs, ils ne feront rien de nouveau.
La position israélienne est ainsi basée sur le refus d'observateurs partant du fait que les accepter mènerait à l'internationalisation du conflit arabo-israélien. Ainsi, l'Etat hébreu a-t-il posé comme condition préalable la nécessité de parvenir à un accord de paix. Sinon, il s'agirait d'une force de gestion du conflit et non pas d'une force de maintien de paix. Pour Israël, la priorité est de pousser Arafat à faire les pas nécessaires pour arrêter ceux qui appellent à la violence dans les territoires palestiniens. Passons à la position égyptienne. La dernière visite de Moubarak en Italie après le sommet de Gênes a confirmé la nécessité de l'envoi d'observateurs. De fait, l'Egypte ne cesse de rappeler qu'Israël se comporte exclusivement comme une force d'occupation. Et qu'un peuple soumis à l'occupation est en droit de résister selon le droit international.
Le refus de la demande palestinienne d'une protection internationale soulève de nombreuses interrogations. Le Conseil de sécurité et les Nations-Unies ont été incapables de protéger le peuple palestinien désarmé et sujet à toutes sortes d'oppression, de torture et d'extermination. Jusqu'à présent, le conseil n'a pas réussi à publier ne serait-ce un communiqué condamnant la violence israélienne. A cet égard, les Etats-Unis ont joué un grand rôle. Ils ont exercé des pressions sur les membres du Conseil de sécurité pour les empêcher de soutenir la demande palestinienne.
Les Etats-Unis, qui ont refusé l'envoi d'observateurs, n'ont pas présenté d'autres alternatives pour arrêter la violence israélienne. Cette position négative a encouragé Israël à aller plus loin dans sa politique sauvage contre les Palestiniens. Cette opposition qu'affichent les Etats-Unis est une atteinte aux notions et aux règles du droit international. Une atteinte au traité de Genève de 1949 concernant la protection des civils en temps de guerre ainsi que la Convention de la Haye de 1907 et la charte des Nations-Unies qui incrimine la modification de par la force de l'occupation de la nature géographique et humaine des territoires occupés. Le veto américain nuit également à la position de l'Administration Bush dans le monde arabe.
D'autre part, la condition selon laquelle un Etat accepte le déploiement d'observateurs sur son territoire qui a été approuvée par l'Onu en 1956, concerne les pays qui ont une souveraineté totale sur leurs territoires et non pas les Etats qui occupent des territoires. L'envoi des observateurs est donc une nécessité légale, morale et humaine. 
                   

9. La Déclaration du Caire contre le racisme par Salama A. Salama
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 1er août 2001
A l'issue de la Conférence de Madrid il y a dix ans, une vague d'optimisme a envahi participants et observateurs du conflit au Proche-Orient. Cela fut unanimement considéré comme un nouveau tournant de la part d'Israël, vers la paix, basé sur les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité et du principe de la terre contre la paix. Ont alors commencé entre Israël et les parties arabes, palestiniennes en premier lieu, des négociations-marathon et épuisantes sous le parrainage et l'appui du « frère aîné » : les Etats-Unis.
A commencé aussi dans ce contexte une vaste opération de désintégration organisée, de tout ce qui était considéré comme un obstacle à la paix, sous prétexte de lever les barrières du doute et d'établir la confiance entre Israéliens et Arabes.
C'est ainsi que l'une des plus importantes résolutions de l'Onu, celle qui mettait sur un pied d'égalité le sionisme et le racisme, a été annulée. L'annulation de cette décision fut considérée par Israël et bien entendu par les Etats-Unis comme une victoire. Aujourd'hui, alors que la réalité raciste du sionisme israélien de caractère colonialiste est mise à nu, certains Arabes tentent de remettre les pendules à l'heure, de se débarrasser des illusions et de dévoiler les pratiques racistes de l'Etat israélien, essentiellement fondé sur la discrimination et le fanatisme.
C'est alors que fut tenue dernièrement au Caire la conférence arabe antiracisme avec la collaboration de 65 organisations non gouvernementales, arabes, internationales, africaines et asiatiques. C'est en fait une rencontre préparatoire de la conférence mondiale qui sera tenue à Durbin en Afrique du Sud. La conférence du Caire donna lieu à « la déclaration antiraciste » qui réclame une prise de position plus ferme de la part de la communauté internationale vis-à-vis d'Israël, et un soutien à la lutte palestinienne.
La déclaration a également critiqué la politique de deux poids, deux mesures des superpuissances qui accordent une immunité aux Israéliens quels que soient leurs crimes contre les Palestiniens.
La déclaration renferme également un certain nombre de points au sujet de la discrimination dans le monde arabe qui peuvent ne pas plaire à certains Etats arabes, surtout en ce qui concerne la femme, les minorités et les apatrides. Elle a aussi appuyé la position des Etats africains au sujet des demandes de compensation de l'esclavage et de la servitude imposées durant la période coloniale.
Nul besoin de signaler que la Déclaration du Caire qui fait du sionisme israélien une forme de racisme et lui retire ses masques, suscite la colère des Etats-Unis. C'est probablement la raison pour laquelle ils ont décidé de boycotter la conférence. Quant à la Ligue et les pays arabes, ils n'ont aucune excuse d'avoir été absents. 
                   
10. Un hôpital de campagne à Ramallah par Hervé Brezot
in L'Humanité du vendredi 31 Juillet 2001
Correspondance particulière.
"Notre hôpital français a servi au Liban, en Sierra Leone et lors d'une prise d'otage sur l'aéroport d'Aman. Il est installé ici à Ramallah depuis fin octobre, un mois après le début de l'Intifada Al Aqsa." Le Dr Beano Mustapha, anesthésiste, est le responsable de l'équipe des " jordanian doctors ", seize médecins, infirmiers ou laborantins, envoyés par leur pays, la Jordanie, pour soigner les blessés du nouveau soulèvement palestinien.
L'hôpital français désigne un hôpital de campagne : sur un terrain de foot à l'abandon, une dizaine de tentes kaki, achetées à l'armée française, abritent ici une salle de consultation, là une salle pour les opérations " minimes ", et là-bas un bloc opératoire. " Nous sommes équipés pour recevoir les soins d'urgence, craniotomies, anesthésies générales, amputations, etc. ", liste le Dr Beano, qui ajoute : " Les onze premiers jours, nous avons pris en charge 120 blessés, victimes de balles réelles ou en caoutchouc, d'inhalation de gaz. Mais depuis quelques mois, c'est calme, nous n'accueillons que des patients qui viennent consulter gratuitement pour des maladies bénignes, surtout de jeunes enfants. "
Le dernier blessé de l'Intifada a été accueilli ici le 3 mai. Le jeune homme avait reçu les éclats d'une grenade dans le visage. Combien de temps resteront les médecins ? " Personne ne sait comment va évoluer la situation, répond Nidal, le laborantin, même si ce n'est pas une guerre déclarée, c'est une guerre tout de même. " Les quelques blessés de ces derniers mois sont soignés par l'hôpital de Ramallah, la situation d'engorgement des services d'urgence palestiniens n'est plus celle de l'automne dernier.
Alors, en attendant, le gynécologue et le chirurgien de l'équipe font office de généralistes, le laborantin oriente les patients. Siham, une jeune mère palestinienne, est venue avec son fils, Ahmad, neuf ans. Il a une malformation cardiaque et ne mange pas bien ces derniers temps. Ils viennent de Jéricho en ambulance. Ils ont mis près de trois heures pour parcourir à peine 50 kilomètres, dont une heure et demie d'attente au check-point : les routes principales reliant les villes palestiniennes sont sous contrôle de l'armée israélienne qui en interdit, sinon en limite l'accès.
Pourquoi se donner tant de mal, alors que Jéricho dispose d'un hôpital ? " Ici, c'est gratuit et ma sour qui habite Ramallah peut m'accueillir. " Fadwa, elle, vient d'un des trois camps de réfugiés, situé dans Ramallah, celui de Qalandya. Sa petite fille, Misa, a de la fièvre, elle tousse. Elle vient ici parce qu'elle n'a pas d'assurance santé et le dispensaire du camp géré par l'Unrwa (Agence des Nations unies pour les réfugiés) est surchargé. Son mari travaillait " au noir " en Israël, dans le bâtiment, il n'a plus de travail depuis plusieurs semaines. " Tous les jours, mes enfants me demandent pourquoi papa reste à la maison, pourquoi l'armée nous tire dessus, pourquoi ils ont tué leur oncle. Pendant la nuit, lorsqu'ils entendent les bombardements, ils pleurent, ils ont peur que la maison ne s'écroule sur eux. "
Derrière les petits maux des enfants transparaît la dure réalité des conditions de vie du peuple palestinien auquel les " jordanian doctors " se sont attachés. " Tout le monde arabe devrait se mobiliser comme eux, pour nous aider ", veut espérer Ram, jeune Palestinien de Jérusalem, sans travail depuis des semaines, venu jusqu'ici pour soigner un mal de gorge. Le Dr Beano sourit : " Aider les Palestiniens, concrètement, sur le terrain, voilà notre satisfaction. La politique de notre pays est de calmer la situation, même si Israël dépasse souvent les limites acceptables, nous ne souhaitons pas la guerre. " La relève devait arriver le lendemain, " si cela s'envenime ici, je reviendrais ".
                                   
11. Une fois de plus, l'action d'Israël est dictée par une "conception" erronée par Amira Hass
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 29 juillet 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Le Dr. Salah Abdel Jawad, professeur de sciences politiques à l'Université de Bir Zeit affirme qu'Ehud Barak espérait acculer les Palestiniens à une guerre totale.
Pour de nombreux Palestiniens, ce ne sont pas les agences d'information palestiniennes qui représentent leur source principale de nouvelles, mais bien les agences israéliennes et les agences étrangères. La société israélienne, dit le Dr. Salah Abdel Jawad, professeur de sciences politiques à l'université de Bir Zeit, est beaucoup plus accessible au public palestinien que les Israéliens ne sont compris par la société palestinienne. Les Palestiniens, en effet, regardent la télévision israélienne et ils écoutent la radio israélienne. Ils lisent la demi-douzaine de recueils d'articles de journaux israéliens traitant des événements actuels, traduits en arabe et qu'ils font circuler parmi eux.
Mais, au cours des mois derniers, Jawad, à l'instar de la plupart des Palestiniens, a été choqué par ce qu'il a pu voir sur les médias israéliens. Ces médias, dit-il, que l'on appréciait pour leur professionnalisme et leur pluralisme, se sont mis soudain à chanter à l'unisson, à ne donner qu'"un seul son de cloche". Ils donnent au public israélien une information fausse sur la société palestinienne, en général, et plus particulièrement sur le conflit et la crise actuels. Bref : du lavage de cerveau.
"Mais les Palestiniens sont aussi responsables (de cet état de choses) et ils méritent d'être blâmés", dit Jawad. "Nous n'avons jamais su comment faire passer un message correctement. Nos médias sont des plus médiocres, aussi bien en tant que moyens de transmission de l'information qu'en tant qu'instruments de propagande. Ils ouvrent les programmes de la Télévision palestinienne en hébreu sur les photos d'un garçon arrachant un drapeau israélien... Vous me direz que c'est le drapeau du bastion des Forces israéliennes de défense à Netzarim, d'accord, mais il n'en reste pas moins que, si vous voulez atteindre le public israélien, ce n'est certainement pas l'image adéquate pour ouvrir les émissions en hébreu..."
Il avait déjà écrit une critique semblable en octobre 2000 dans le journal (palestinien) Al-Ayyam, et son avis est admis, aujourd'hui, comme une forme d'autocritique acceptable et d'ailleurs entendue dans de nombreux milieux palestiniens.
Jawad "zappe" les différentes chaînes que lui procure une "assiette" réceptrice de télévisions par satellite, particulièrement fournie et variée. Des villes assiégées, des routes coupées, des barrages de terre et des tranchées infranchissables ont isolé les Palestiniens, rendant les émissions des télévisions par satellites populaires dans l'ensemble de la société palestinienne, pratiquement cloîtrée à domicile.
La conversation avec Jawad passe sans cesse des critiques à l'adresse de la société palestinienne à celles concernant la société israélienne, si bien qu'il est difficile de les sérier. Ce sens critique à double détente est le pain quotidien de ceux qui croient qu'à la fin du processus (de paix) la lutte des Palestiniens conduira inévitablement les parties à la table des négociations et finira par faire de l'occupant un voisin - "dans deux Etats différents, ou dans un même Etat binational, ou bien encore avec l'annexion totale des territoires (occupés) (mais) avec des droits civiques pleins et entiers (pour les Palestiniens)". Il s'agit là d'une opinion qui n'est pas exprimée que par les seuls intellectuels. On l'entend autour l'étal des marchands de légumes, lors des manifestations, au cours de chaque conversation de tous les jours - c'est une opinion partagée non par quelques-uns, mais par une majorité des gens.
La connexion entre information, connaissance, franchise, compréhension et changement est le fil conducteur de la conversation sur l'intifada que l'on peut avoir avec Jawad. Il est connu, dans la société palestinienne, pour se consacrer aux problèmes posés par les tactiques de la lutte, et aux moyens susceptibles de les rendre plus efficaces.
Au cours d'un débat public, à Ramallah, devant des centaines de personnes, il a notamment déclaré (c'était en novembre dernier) : "(généralement), les gens acquièrent des connaissances à travers l'expérience et ils internalisent cette connaissance sans qu'il aient besoin de (faire) des expériences supplémentaires. Mais malheureusement, cela n'est jamais le cas, en ce qui concerne le mouvement national palestinien... Nous savons tous quel fut le comportement discutable de l'OLP en Jordanie et au Liban... Dans les deux cas, les gouvernements jordanien et libanais se sont servis du comportement de l'OLP comme d'une excuse afin d'éliminer la présence "importune" des Palestiniens (chez eux). Néanmoins, en dépit de cette expérience palestinienne accumulée, nous voyons répéter les mêmes erreurs au cours de l'Intifada actuelle."
Le Hamas répète les erreurs de l'OLP
Cette critique de Jawad fut publiée dans un article fondateur, écrit durant la deuxième semaine de l'intifada. Faisant référence à la militarisation de la lutte, il avait mis en garde contre le fait que les tirs des Palestiniens étaient non seulement totalement inefficaces, mais qu'ils allaient donner à Israël un prétexte de frapper les Palestiniens en retour, avec une force démesurée. Il avait dit, alors - et il l'a répété plusieurs fois, depuis : "nous ne devons pas donner aux Israéliens l'opportunité de créer (chez eux) un consensus national (dirigé) contre nous".
Observer rigoureusement la moralité de la lutte, c'est-à-dire se faire un devoir absolu de ne pas s'en prendre à des civils - des deux côtés - n'est pas seulement respecter une valeur humaine en soi, dit-il, mais c'est (choisir) la chose correcte, en raison de son efficacité. Le débat interne, chez les Israéliens, sur la nature des relations (à avoir) avec les Palestiniens est important pour la lutte (que nous menons) contre l'occupation. En général, ajoute Jawad, le militarisme a des conséquences négatives sur la totalité d'une société qui s'y adonne.
"Nous autres Palestiniens", a-t-il dit au cours du débat de Ramallah, "nous ne faisons pas retour sur notre expérience et nos connaissances accumulées". Ainsi, tout au long de la lutte pour l'indépendance, de nouveaux groupes ont répété encore et encore les erreurs du passé, à l'instar du Hamas répétant les erreurs de l'OLP (en recourant à la lutte armée au début de la première intifada).
Il y a un autre problème encore, a-t-il ajouté, c'est que la connaissance accumulée, on ne s'en sert pas. La présence d'hommes masqués, lors des manifestations de la première intifada, avait donné aux Israéliens l'idée (diabolique) d'envoyer des soldats grimés en hommes (palestiniens) masqués au milieu des Palestiniens et d'y procéder à l'arrestation (ou à l'assassinat) de personnes recherchées.
"Ça fait rien", "on répète les mêmes imbécillités au cours des funérailles et des manifestations, aujourd'hui, où des hommes masqués tirent des coups de feu en l'air... Ces tirs n'ont pas de sens et les masques - en particulier ceux qui se veulent effrayants - ne font qu'augmenter le risque que des soldats (israéliens) se mêlent à la foule et n'aboutissent qu'à détourner l'attention du monde du problème central, en opérant une diversion vers un problème marginal, non-représentatif, dont le seul résultat ne peut être que le renforcement du préjugé qui voudrait que les Palestiniens soit un 'peuple terroriste'".
"Et puis, il y a aussi le problème de la connaissance et de la franchise", a-t-il ajouté, au cours du même débat. "Lorsque Mahmoud al-Amousi (un homme du Fatah, tué à Bitounya) et deux autres Palestiniens sont tombés en martyrs, on nous a dit que les Israéliens les avaient abattus à un barrage de contrôle militaire. Mais ce n'est pas vrai. La vérité, c'est que, deux jours auparavant, ces trois hommes avaient tiré contre un autobus israélien auquel ils avaient tendu une embuscade. Ils avaient voulu répéter l'opération deux jours après... Mais, cette fois-là, ce sont les Israéliens qui leur avaient tendu une embuscade, et ils ont été tués. Il est très important que l'information soit donnée au peuple : c'est la seule façon d'empêcher d'autres jeunes gens de faire les mêmes erreurs (parfois fatales)".
Les obstructions qu'Israël s'inflige lui-même à la connaissance et à l'information opèrent d'une manière différente, à des niveaux autres, plus profonds et stratégiques. Jawad est convaincu du fait que les services de renseignement israéliens ont une connaissance précise des Palestiniens - "sinon, comment expliquer leur capacité d'abattre autant de militants, dans nos rangs ?"
Mais lorsqu'il entend la version des services israéliens sur ce qui est en train de se passer, cela suscite de sa part ce commentaire : "c'est comme en 1973, quand les services de renseignement israéliens avaient arrêté un concept définitif et qu'en dépit de toutes les informations qu'ils recueillaient ou qui leur parvenaient, ils refusaient de modifier ce concept en quoi que ce soit..."
Il poursuit : "En 1973, le credo (israélien) était que les Arabes avaient peur : ce concept s'est écroulé de la manière que l'on sait. Il ne s'agissait pas d'un échec dû à un manque d'information. C'est la même chose aujourd'hui : les Israéliens sont prisonniers de leurs conceptions erronées sur l'Autorité palestinienne et le peuple palestinien. Il y a eu des dizaines d'années de démonisation des Palestiniens, et Oslo n'y a pas changé grand-chose. Ils n'ont pas renoncé à leur mentalité de conquérant dominant le peuple conquis, ils ont gardé la vision du colonisateur. Voilà pourquoi ils ont tout faux, sur toute la ligne, au niveau stratégique."
Bien loin de se contenter d'être dans le faux, les services de renseignement israéliens induisent (les gens) en erreur, dit Jawad. "Le public israélien est victime des médias, qui ont devancé l'appel et propagé sans pratiquement aucune discussion la version gouvernementale des choses, cachant au public les activités et les intentions du gouvernement Barak qui ont porté un tort immense aux chances de paix".
Nul raison de s'étonner, dès lors, si une majorité d'Israéliens ont cru aux protestations de générosité de Barak, à Camp David. "Si la partie palestinienne n'a pas publié sa version de ce qui s'est passé à Camp David c'est, je pense, tout simplement parce qu'elle ne pouvait pas avouer, à ce stade, et publiquement, à quel point nous étions prêts à faire des concessions..."
"La politique de Barak ne correspondait pas point pour point avec celle du parti travailliste", ajoute-t-il. "C'est un problème, dans la politique israélienne... Il n'y a jamais une unité dans les intentions. Il est connu qu'en fin de compte, Barak était opposé aux accords d'Oslo. Il a été le premier Premier ministre à avoir réussi à éviter de mettre en application l'un quelconque des accords qu'Israël avait pourtant signés. Je pense que Barak voulait que les Palestiniens se montrent récalcitrants à Camp David, afin de pouvoir (enfin) torpiller le processus de paix. Quand il a formulé les exigences d'Israël sur le Haram al-Sharif (l'Esplanade des Mosquées/le Mont du Temple), il savait pertinemment qu'Arafat ne pourrait les accepter et, en tous les cas, certainement pas dans le contexte d'un ensemble ("package") de concessions faites par les Palestiniens dans d'autres domaines."
L'objectif : détruire l'OLP
Jawad pense que Barak espérait acculer les Palestiniens à la guerre totale, "mais les Palestiniens ne se sont pas prêtés à son jeu. Ils n'ont pas été entièrement piégés par une guerre à outrance qui aurait permis à Israël de faire un usage illimité de sa puissance militaire. La tactique palestinienne est une tactique à bas bruit, qui n'aide pas du tout les Israéliens à atteindre leurs objectifs." Et l'objectif suprême, en particulier pour ce qui concerne le gouvernement Sharon, est rien moins que "la destruction totale de l'Autorité palestinienne et de tout le processus d'Oslo... puisqu'ils ne veulent pas payer le prix de la paix : l'évacuation des colonies", dit Jawad.
L'ignorance israélienne de la vie des Palestiniens, avant l'intifada, est une autre caractéristique du problème. Durant des années, dit Jawad, Israël a ignoré royalement les petits détails de (la vie sous l') occupation, tous ces petits détails qui, mis bout à bout, finissent par donner une vie suffocante, une vie insupportable.
"La plupart des Israéliens - sionistes comme non sionistes - sont des êtres humains (comme vous et moi)", ajoute Jawad. "S'ils connaissaient - et, donc, pouvaient comprendre -  la situation, ils n'accepteraient jamais ce qui est en train de se passer. Il n'a été donné à aucun Israélien de se faire une représentation complète du tableau, même pas le soldat, sur son barrage militaire. Les terres expropriées, l'eau dont nous manquons et dont les colonies disposent en abondance, les laissez-passer que nous devons obtenir pour voyager et que, bien souvent, nous n'obtenons pas, l'interdiction qui nous est faite d'aller à Jérusalem... Et c'est comme ça, tous les jours que le Bon Dieu fait, mois après mois, année après année. Les Israéliens n'ont pas conscience de l'omniprésence insupportable de l'occupation. Notre vie quotidienne est pire que celle des Français - les Juifs mis à part, bien sûr - du temps de l'occupation de la France par les Nazis. C'est difficile à admettre ; c'est pourtant la vérité. Et cela semble appelé à continuer toujours. "Les Israéliens sont enclins à croire qu'ils sont les perpétuelles victimes. En dépit de leur pouvoir, des longues années de leur occupation, ils sont persuadés que chaque épisode de leur vie est un nouveau chapitre à ajouter à la longue histoire de la persécution des Juifs. Lorsqu'ils disent cela, ils sont parfaitement sérieux. Ce n'est pas de la manipulation. Et je pense que s'ils étaient mieux informés, au moins comprendraient-ils pourquoi nous faisons ce qu'ils nous contraignent à faire... Peut-être ne l'accepteront-ils jamais", s'empresse-t-il d'ajouter ; "mais au moins, une chose est sure : ils comprendront."
Une connaissance plus approfondie changera certainement quelque chose chez les Israéliens, pense-t-il, et peut-être cela exercera-t-il une certaine influence sur d'autres encore. "Après tout, la majorité des Israéliens ne sont pas en contact quotidien avec l'occupation. Ils vivent leur vie de leur côté et ce n'est qu'à travers les médias qu'ils savent ce qu'ils savent."
Ces médias, ajoute-t-il, qui ont à peine fait allusion à ce qui s'était passé, un certain jour où les Forces israéliennes de défense avaient tiré sur des civils palestiniens, tuant dix d'entre eux.
"Ce sont des médias qui donnent l'impression fausse qu'Israël pratique la "retenue".
"Et le public israélien n'a aucune idée de ce qui se passe réellement, sur le terrain. Ils ne comprennent pas à quel point la population souffre, ni le caractère impitoyable du système de répression mis en place par l'armée israélienne. Résultat des courses : une épée de Damoclès suspendue au-dessus du gouvernement israélien, étant donné qu'une majorité d'Israéliens sont mécontents, ont le sentiment que l'armée n'en fait pas assez, que le gouvernement n'est pas capable de prendre les bonnes décisions, pas assez agressif, ne conduit pas la politique conforme au mandat que le peuple lui a confié."
Cette ignorance, dit notre politologue, amène à une chute de la confiance placée par le peuple dans le gouvernement, ce qui ne manque pas de se refléter dans les résultats électoraux, par la suite.
Il pense que les services de renseignement israéliens, ainsi que l'opinion publique israélienne, abreuvés d'une mauvaise information, sont pleins de mépris pour la résilience des Palestiniens face aux souffrances et pour leur capacité à résister, malgré la répression. Les autorités israéliennes d'occupation, dit-ils, ont peut-être retenu les leçons des erreurs commises par d'autres régimes coloniaux mais, ajoute-t-il, "c'est purement technique. Ils ont adopté des méthodes de contrôle supérieurement sophistiquées, qui ont un effet destructeur cumulatif sur le tissu social palestinien, mais qui sont moins perçues par l'opinion publique mondiale, parce qu'elles sont pratiquées "au compte-gouttes", tandis que concomitamment, les Palestiniens ont su développer une capacité stupéfiante à demeurer impassibles."
C'est lorsque les F-16 bombardèrent Ramallah que Jawad décida d'arrêter d'avoir peur. "J'ai pris conscience du fait qu'il n'y avait absolument rien que nous ayons pu faire, contre les avions. J'ai alors compris, pour la première fois comment une nation entière atteint le point à partir duquel la mort cesse d'être une menace, pour devenir plus facile, presque acceptable. Il est frappant de constater comment les Israéliens - jusqu'à l'intifada - ont réussi à créer chez nous un sentiment d'impuissance et de totale résignation/capitulation - jusqu'à ce qu'ils aient fini par nous pousser dans une impasse saturée de peur, conduisant à l'explosion.
"Et c'est alors que nous avons pu, en quelques semaines seulement, réunir la société tout entière autour de l'Intifada et en arriver au choix stratégique de la poursuivre : de toute façon, nous avons eu tellement de pertes, alors : continuons la lutte et soyons patients, continuons à ployer sous le fardeau."
                 
12. Israël redoute que certains de ses ressortissants ne se voient accuser de crime contre l'humanité, à l'étranger par Ralph Atkins, de Jérusalem
in Financial Times (quotidien américain) du dimanche 26 juillet 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Le ministère israélien des affaires étrangères est en train de préparer des parades à des menaces judiciaires dirigées contre certains de ses ressortissants à l'étranger, après que son nouvel ambassadeur au Danemark ait failli être arrêté pour atteinte aux droits de l'homme à cause de son action (passée), au sein des services de sécurité israéliens.
Le gouvernement israélien est préoccupé par l'éventualité que des militants des droits de l'homme, en Europe, n'entreprennent d'ester en justice contre un certain nombre de personnes - et pas seulement d'Israéliens ayant un profil patent dans le conflit en cours avec les Palestiniens.
Des investigations plus poussées en ce sens ont fait suite à une polémique née autour de la nomination de Carmi Gillon au poste d'ambassadeur d'Israël à Copenhague. M. Gillon, ancien chef du service de sécurité Shin Bet, a admis avoir autorisé la torture de suspects arabes et avait été menacé d'arrestation en application de la convention contre la torture des Nations Unies jusqu'à ce que le ministère danois des affaires étrangères n'eût fini par décider que le statut diplomatique avait la précellence.
Au même moment, Ariel Sharon, premier ministre d'Israël, encourrait une inculpation, en Belgique, pour son rôle (réputé) indirect dans des massacres de civils palestiniens, commis en 1982 par les milices chrétiennes (libanaises) alliées d'Israël dans les camps de réfugiés de Sabra et Shatila, à Beyrouth.
Le ministère israélien des affaires étrangères a dû s'employer à contacter certains pays, non précisés, dont les lois protègent les non-résidents ainsi que les responsables d'actes (potentiellement répréhensibles) commis en-dehors de leur propre territoire "afin d'éviter une politisation indue du droit criminel international"...
Yehuda Blum, ancien ambassadeur d'Israël à l'ONU et professeur de droit international, a déclaré : "c'est une situation cocasse : il faudrait se poser la question de savoir pourquoi personne n'a jamais soulevé la question des agents de l'OLP, qui circulent pourtant dans le monde entier..."
Mais Aeyal Gross, président de l'Association pour les Droits Civiques en Israël, a cité la destruction des maisons et les exécutions extra-judiciaires de ceux qu'Israël considère être des "terroristes" comme des actes de nature à créer des difficultés potentielles dans les relations avec certains pays. L'intensification du conflit entre Israël et les Palestiniens a coïncidé avec une tendance à l'extension des juridictions pour les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. Certains spécialistes du droit humanitaire ont fait savoir que le précédent avait été établi par Israël lui-même, qui avait jugé (condamné à mort et exécuté ndt) Adolf Eichmann, un criminel de guerre nazi, en 1961, pour des crimes commis avant même la création que l'Etat d'Israël existât...
                   
13. "La paix est encore possible si..." par Miguel-Angel Moratinos
in Le Nouvel Observateur du dimanche 26 juillet 2001

On a coutume de dire que la vérité est la première victime de la guerre. L'observateur le moins averti de la crise israélo-palestinienne ne démentira pas, même s'il ne s'agit pas d'une guerre au sens traditionnel du terme. Ici aussi, la vérité est maltraitée, cachée, déguisée. D'ailleurs, la première contrevérité consiste à dire que cette crise n'est qu'une guerre.
Comme témoin privilégié de cet interminable conflit, obligation m'est faite de dire ma vérité qui ne sera pas, on s'en doute, une vérité absolue. En révélant, à ma façon, les vérités et les contrevérités de la crise israélo-palestinienne, je crois faire oeuvre utile au bénéfice de ceux qui pensent que la paix est toujours possible.
Ma première affirmation est claire : la paix était et continue d'être possible. C'est un mensonge que de dire qu'elle n'aura été qu'un songe. En achevant leurs négociations à Taba, en janvier 2001, les deux camps ont voulu que l'Union européenne et son représentant spécial soient les témoins des progrès qui ont marqué cette rencontre en terre égyptienne. De l'examen minutieux de leurs positions, je peux dire qu'Israéliens et Palestiniens se sont rapprochés comme jamais. Taba n'a pas été un exercice stérile. Taba ne pourra pas être jeté aux poubelles de l'Histoire. Le temps et la conviction ont manqué aux deux délégations, mais l'avenir leur rendra justice.
Ma deuxième affirmation concerne le précédent Premier ministre israélien. Ehoud Barak a fait, à Camp David, à l'été 2000, plus de propositions qu'aucun autre Premier ministre israélien n'en a jamais fait dans des négociations. Mais il est faux de prétendre que ces concessions étaient suffisantes et qu'elles étaient acceptables par le président Arafat. Comment peut-on imaginer qu'un dirigeant musulman ait pu donner son accord aux propositions qui lui étaient faites sur Jérusalem ?
Il est vrai qu'après Camp David les deux parties ont continué à négocier et à rapprocher leurs positions sur plusieurs des points qui les opposaient, comme, par exemple, la question des réfugiés palestiniens. Cette question a été âprement négociée autour de concepts tels que le droit au retour ou la responsabilité historique. Il s'en est fallu de peu qu'un terrain commun soit trouvé qui n'a rien à voir avec un retour massif de 4 millions de personnes. On peut en dire autant de la question territoriale ou de celle de Jérusalem. On a bien vu alors qu'un accord était possible.
Il est vrai que la classe politique et la société israéliennes ont perdu foi et confiance envers l'Autorité palestinienne et envers Arafat. La violence des derniers mois les a désorientées. Mais c'est une erreur de dire que l'on pourra sortir de la crise ou parvenir à un accord final sans la participation du président Arafat ou en affaiblissant l'Autorité palestinienne. C'est une idée contraire qu'il faut défendre : une direction palestinienne renforcée est la meilleure solution pour prendre des décisions difficiles et assumer des compromis historiques.
Pour qui examine le processus de paix depuis ses débuts, il est évident que la violence n'apporte pas de solution. Ceci étant dit, il est tout aussi évident que l'arrêt de la violence ne peut, à lui seul, entraîner une sortie de la crise. C'est d'une solution politique que les belligérants ont besoin.
La vérité, c'est qu'aujourd'hui il n'y a que deux hommes capables de faire la paix : Ariel Sharon et Yasser Arafat. C'est à eux qu'il revient d'agir vite. Temporiser ne fera qu'aggraver la situation. Ce sont eux qui doivent trouver les moyens de rétablir un climat de confiance, faire montre de volonté politique et reprendre la négociation sur le statut permanent des territoires palestiniens. Il est certain que les accords d'Oslo ont été positifs et ont atteint certains de leurs objectifs. Mais on ne doit pas pour autant les sacraliser. Depuis la Conférence de Madrid, en 1991, ils ont permis de donner une impulsion aux négociations israélo-palestiniennes. Certes, le processus de négociations a été affaibli sous les coups de boutoir venus des deux camps. L'oeuvre est inachevée. Mais la mémoire de ce qui a été obtenu doit être entretenue.
Recréer un climat de confiance, cicatriser les blessures et reconstituer de nouveaux mécanismes de négociation, cela prendra du temps. On ne peut imaginer instituer un nouveau processus intérimaire sans fixer de date-limite. Les étapes intérimaires appartiennent au passé. La rue palestinienne et la direction politique arabe exigent une négociation finale. La société israélienne réclame la fin du conflit. Les accords intérimaires n'apportent que l'insécurité. La meilleure garantie de sécurité pour Israël est de parvenir à la paix définitive avec ses voisins arabes et palestiniens.
Il est vrai que toute solution ne sera obtenue que lorsque les deux camps auront décidé d'assumer, eux mêmes, leurs propres responsabilités historiques et de prendre les difficiles décisions qui s'imposent. Mais il est faux de dire que la communauté internationale ne peut ni ne doit intervenir pour les assister. L'intervention européenne est une impulsion et un accompagnement. Elle est aussi observation et suivi. L'Europe ne peut que contester toute action unilatérale qui changerait le statut quo des territoires. Il faut, notamment, mettre fin à la politique de colonisation. C'est l'une des conditions qui doit être satisfaite pour qu'une solution politique soit envisagée.
Il est vrai que les Etats-Unis sont les principaux acteurs dans la région mais il est faux de croire qu'ils peuvent, seuls, apporter une solution définitive. Il est faux de dire que l'Union européenne n'est que le banquier de la zone et qu'elle n'est qu'un nain politique. Son haut représentant, Javier Solana, et son envoyé spécial sont chaque jour plus impliqués dans les étapes du processus politique. Leur rôle est reconnu. Mieux : il est sollicité. On l'a bien vu ces dernières semaines et, notamment, lors de la réunion du G8. S'agissant du conflit israélo-arabe, Européens, Américains et Russes (plus, bien entendu, le Japon et le Canada) s'y sont accordés pour proposer un « mécanisme » destiné à faciliter la mise en oeuvre des recommandations du rapport Mitchell, recommandations qui ne relèvent pas toutes, comme certains tentent de le faire croire, de l'ordre sécuritaire mais aussi de l'économie, des droits de l'homme...
En Europe, on ne peut accepter de renoncer ou de reporter à plus tard la recherche d'une formule globale qui assurerait la paix entre Israël, les Palestiniens, les Syriens et les Libanais. Il ne suffit pas de maintenir en vie le processus de paix, il faut l'inscrire dans un cadre temporel. Quand le bruit des armes et de la violence empoisonne l'atmosphère, il faut se souvenir que le processus de paix est assis sur deux principes clairs : le dialogue comme moyen de parvenir à une solution ; les résolutions des Nations unies comme cadre légal et légitime offert aux négociateurs. Telles sont les références uniques qu'il convient de rappeler à chaque instant.
                 
14. Israël La démission du "camp de la paix" par Victor Cygielman
in Le Nouvel Observateur du dimanche 26 juillet 2001
Contre la politique de Sharon, aujourd'hui approuvée par 74% des Israéliens, les dirigeants de l'opposition de gauche estiment qu'ils n'ont plus aujourd'hui qu'une seule arme : dire la vérité au pays. Pour eux, la véritable cause des malheurs d'Israël n'est pas l'Intifada, ni l'entêtement d'Arafat, c'est une occupation qui dure depuis trente-quatre ans...
Face à la déprime générale dans laquelle a sombré Israël, le quotidien populaire « Yediot Aharonot » a décidé de consacrer la totalité de son supplément de vendredi dernier aux « bonnes nouvelles ». On y apprend par exemple que Bella Tzur, paralysée depuis l'âge de 2 ans par la poliomyélite, a réussi à devenir danseuse de ballet dans une chaise roulante ou que Carmela Yona, énergique grand-mère de plus de 70 ans, membre de la garde civile, patrouille les rues de son quartier, le soir, arme à l'épaule lorsqu'elle n'est pas occupée à nourrir un groupe de vieillards en détresse...
Cette initiative suffira-t-elle à remonter le moral des Israéliens ? On peut en douter. Car les raisons d'être pessimiste ne manquent pas. L'Intifada palestinienne se poursuit, les attentats meurtriers continuent et les ripostes même sanglantes de l'armée israélienne n'y changent rien. Face au terrorisme palestinien vient d'apparaître un terrorisme juif : 3 Palestiniens dont un bébé de 5 mois ont été tués la semaine dernière, près d'Hébron, par un commando de colons israéliens. L'effondrement du cessez-le-feu - d'ailleurs très approximatif depuis son instauration le 13 juin - a encore aggravé la crise économique qui frappe Israël : depuis le début de la nouvelle Intifada, fin septembre, le climat d'insécurité et d'instabilité a chassé les investisseurs et les touristes étrangers.
Mais la chute de la Bourse à Tel-Aviv n'empêche pas la cote de Sharon de monter. La semaine dernière, 74% des Israéliens se déclaraient satisfaits de sa politique. Malgré les promesses électorales non tenues (« seul Sharon peut amener la paix et la sécurité »), malgré la menace d'une nouvelle guerre, malgré l'absence de toute perspective politique, malgré les difficultés sociales et économiques croissantes.
Et ce n'est pas tout. Une enquête menée par l'institut Dahaf révèle que les Israéliens sont plus nombreux que jamais à réclamer une politique dure face aux Palestiniens. Bien que la rogne et la grogne se soient dernièrement multipliées parmi les militaires de réserve - qui formeraient le gros des effectifs de l'armée en cas d'offensive massive contre l'Autorité palestinienne -, 92% des rappelés potentiels se disent prêts à participer à ce combat. La même étude montre que 61% des réservistes ne voient pas de différence entre la défense d'une petite colonie de quelques familles en Cisjordanie et la défense de Tel-Aviv. En d'autres termes, l'Intifada armée des Palestiniens a renforcé la solidarité des Israéliens avec les colons au lieu d'accroître l'isolement de ces derniers.
En fait, ce glissement des Israéliens vers la droite nationaliste et religieuse n'est pas uniquement la conséquence de la révolte palestinienne. Il est dû aussi à l'érosion de l'espoir de paix qui a suivi l'échec des négociations Barak-Arafat, à Camp David, en août 2000. Echec imputé totalement à Arafat par Barak et aussi par Clinton, qui croyait ainsi - à tort - pouvoir sauver Barak d'une défaite électorale face à Sharon. Un an plus tard, les révélations de plusieurs participants américains, israéliens et palestiniens à ce sommet incitent à une analyse plus nuancée des responsabilités de l'échec. Reste que la campagne de dénigrement menée alors contre Arafat n'aida pas Barak et fit au contraire le lit de Sharon, qui n'avait cessé de dénoncer les accords d'Oslo et de tourner en ridicule les espoirs placés par les travaillistes dans les négociations de paix avec Yasser Arafat et la direction de l'OLP. En répétant sur tous les tons - comme il l'a fait encore ces jours-ci - qu'Arafat n'est pas un partenaire pour faire la paix, Barak reprenait au fond les vieilles thèses du Likoud et de Sharon. Résultat : le gros de ce qu'on appelle le « camp de la paix » israélien, né d'une alliance entre les travaillistes, la gauche sioniste du Meretz et d'autres mouvements modérés favorables à un compromis honorable avec les Palestiniens, a été désorienté par le discrédit jeté sur Arafat, et ne sait plus aujourd'hui que répéter comme une litanie : « Il n'y a personne avec qui parler... »
Comment s'étonner, dans ces conditions, que la grande majorité des Israéliens ait préféré faire confiance à Sharon et continue à le soutenir face à la démission des travaillistes, qui - Shimon Peres en tête - ont rejoint un gouvernement dominé par la droite nationaliste et religieuse ? Comment sortir l'opinion de son apathie ? Comment réveiller les Israéliens, apparemment résignés soit à un coup de massue brutal de Sharon qui ferait couler beaucoup de sang sans rien résoudre, soit au maintien du statu quo, qui entraîne des pertes humaines plus limitées mais qui n'offre aucune perspective de pouvoir déboucher un jour sur une solution pacifique et mutuellement acceptable ? Autrement dit, comment ranimer l'espoir de paix ? C'est la grande question d'aujourd'hui.
« Il faut commencer par dire la vérité aux Israéliens », affirment des hommes comme Yossi Beilin, ancien ministre travailliste, et le député Yossi Sarid, leader du Meretz, qui dirigent aujourd'hui l'opposition de gauche face au gouvernement Sharon-Peres. Et quelle est cette « vérité » ? Cette vérité inavouable, c'est que la cause des malheurs israéliens, ce n'est pas l'Intifada, ni tel ou tel entêtement d'Arafat, mais une occupation qui dure depuis plus de trente-quatre ans, la domination d'un autre peuple - les Palestiniens -, auquel Israël a imposé des colonies juives qui le privent de terres et de ressources en eau qui lui reviennent de droit. Il faut dire que la présence même des colonies en Cisjordanie et à Gaza empêche la création d'un Etat palestinien viable aux côtés de l'Etat d'Israël et qu'il n'y aura pas de tranquillité - sans parler de paix - aussi longtemps que les Palestiniens n'auront pas recouvré leur liberté et acquis une vie digne et indépendante. Il faut dire aussi qu'Israël doit cesser de biaiser, de tourner autour du pot, qu'un accord avec le peuple palestinien n'est possible que sur la base des frontières du 4 juin 1967 et qu'il ne s'agit pas là d'une concession israélienne, mais d'une concession palestinienne, vu que l'Etat palestinien s'étendrait seulement sur 22% de la Palestine mandataire d'avant 1948, le reste - 78% - étant aux mains d'Israël. Il faut dire que Jérusalem-Ouest sera la capitale d'Israël et Jérusalem-Est, la capitale de la Palestine. « Il faut dire aux Israéliens qu'il vaut mieux avoir une capitale reconnue par le monde entier et par le monde arabe à Jérusalem-Ouest seulement, plutôt que de s'accrocher à la fiction d'une ville "unifiée" englobant Jérusalem-Est, où plus de 200 000 Palestiniens ne veulent pas de nous, affirme Yossi Beilin. Il faut aussi trouver une formule conciliant l'impossibilité pour les Palestiniens de renoncer au "droit au retour" pour les réfugiés, sans trahir les fondements éthiques de leur nationalisme, et l'impossibilité pour Israël d'accepter ce "droit au retour", si nous voulons sauvegarder le caractère juif de notre Etat. »
Seulement voilà : une voix comme celle de Yossi Beilin est aujourd'hui dramatiquement isolée. Et il y a peu de chances pour que cela change aussi longtemps que les deux tiers des travaillistes soutiendront l'alliance Sharon-Peres. Peu de chances pour que le mouvement La Paix maintenant, où l'influence travailliste demeure forte, sinon prépondérante, sorte de sa léthargie actuelle et répercute dans une campagne de masse les propos d'un Beilin. Et cela parce que ces propos osent contredire les thèses classiques des leaders travaillistes israéliens, qui de Golda Meir à Ehoud Barak ont cru que la supériorité militaire d'Israël permettrait d'imposer aux Palestiniens une solution où priment les intérêts et les aspirations d'Israël sans tenir compte des intérêts et des aspirations légitimes de l'autre partie.
                
15. Observateurs, contrôleurs ou facilitateurs ?  René Backmann
in Le Nouvel Observateur du dimanche 26 juillet 2001

L'armée israélienne est-elle réellement sur le point de lancer une offensive massive contre l'Autorité palestinienne, comme l'affirment depuis plusieurs semaines certains « experts » militaires ? L'entourage d'Ariel Sharon fait-il délibérément circuler ces bruits menaçants pour mieux souligner le caractère « limité » des opérations militaires actuelles ? Alors que les mouvements de troupes et de blindés, à Gaza et en Cisjordanie, n'apportent pas pour l'instant de réponse plus claire à ces questions que les propos du Premier ministre israélien, la communauté internationale semble se résigner au pire. C'est-à-dire à demeurer passive face à l'aggravation possible d'un conflit qui a déjà fait près de 650 morts - 517 Palestiniens et 126 Israéliens - en dix mois. Réclamé par l'Autorité palestinienne et la Ligue arabe, recommandé par la commission Mitchell, chargée de déterminer l'origine des violences, souhaité par les chefs d'Etat et de gouvernement du G8, le déploiement sur le terrain d'un corps d'observateurs internationaux se heurte toujours au refus du gouvernement israélien. Hostiles par principe à toute présence internationale, même en nombre réduit et même non armée, les dirigeants israéliens estiment qu'elle « ne contribuerait pas à l'accalmie sur le terrain mais au contraire créerait le sentiment, parmi les Palestiniens, qu'ils disposent d'un bouclier derrière lequel ils pourraient continuer à se livrer à la violence et au terrorisme ». Les Palestiniens jugent de leur côté qu'une telle présence permettrait d'identifier clairement les responsables des actes de violence - comme le réclame le rapport Mitchell - et surtout qu'elle constituerait une protection pour la population civile.
Il y a quelques semaines, trois pays européens, la France, la Grande-Bretagne et l'Espagne, ont tenté une première expérience en chargeant un groupe d'officiers de sécurité appartenant au personnel de leurs ambassades à Tel-Aviv de se rendre sur plusieurs points sensibles, notamment au sud de Jérusalem et à Gaza. Il a également été question d'étendre le mandat des 120 membres de la Présence internationale temporaire à Hébron (TIPH), déployés depuis 1997. Le projet s'est heurté à un refus israélien et à des réticences de l'Autorité palestinienne, qui juge les membres de la TIPH incapables d'assurer la sécurité des habitants face à l'armée israélienne et aux colons juifs. « Pour nous, le déploiement d'un corps d'observateurs est vital si nous voulons éviter une dégradation supplémentaire de la situation, dit un diplomate européen. Mais comment le faire accepter aux Israéliens ? Si nous parlons d'observateurs, ils refusent. Contrôleurs, ils refusent également. Dans le cadre de l'application du rapport Mitchell, nous avançons désormais le terme "facilitateurs". » Pour l'instant, même ces « facilitateurs » se heurtent à un refus israélien. La seule présence jugée « acceptable » par le gouvernement Sharon serait celle d'une dizaine d'agents de la CIA, qui ne seraient pas autorisés à patrouiller mais chargés d'enregistrer les plaintes des deux parties. « Israël est prêt à accepter seulement des observateurs américains, a déclaré dimanche le ministre de la Défense, Benyamin Ben Eliezer. Des hommes de la CIA sur lesquels nous pourrions compter. »
               
16. L'échec de la recherche de la paix au Moyen-Orient : comment ? Pourquoi ? par Deborah Sontag
in The New York Times (quotidien américain) du jeudi 26 juillet 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Jérusalem -- Quelques jours avant l'éruption de l'insurrection palestinienne, en septembre dernier, le premier ministre israélien Ehud Barak et Yasser Arafat s'étaient retrouvés, tête à tête, au cours d'un dîner inhabituellement chaleureux, à Kochav Yair, domicile privé de l'homme d'état israélien.
Dans la conversation, M. Barak en était même venu au point de téléphoner au président Clinton, pour lui annoncer, deux mois après l'échec de Camp David, que M. Arafat et lui-même seraient désormais les deux partenaires ultimes de la paix israélo-palestinienne. En présence du responsable palestinien - qui pouvait entendre ce que Barak disait à Clinton au téléphone, d'après un participant israélien au dîner - Barak annonça, sur un ton solennel : "Je serai le partenaire de cet homme (Arafat) encore plus que ne l'était Rabin lui-même", faisant allusion à feu Yitzhak Rabin, son prédécesseur au poste de premier ministre...
Cet instant semble incroyable, rétrospectivement, alors que M. Barak se répand, actuellement, pour dire qu'il aurait révélé le "véritable visage d'Arafat" et qu'Ariel Sharon, actuel premier ministre, qualifie de manière routinière le leader palestinien "d'éminence grise du terrorisme"...
Mais des partisans de la paix, des universitaires et des diplomates ont entrepris "d'exhumer" des scories d'une recherche d'un cessez-le-feu, encore largement infructueuse aujourd'hui au Moyen-Orient, des instants privilégiés de cette sorte, un peu à la manière d'archéologues, afin de dégager ce qui peut en être retenu, en matière de diplomatie, juste avant et juste après l'explosion de violence. Leur hypothèse étant que toute reprise des négociations, quelque éloignée que celle-ci puisse paraître aujourd'hui, devra prendre l'ère Barak-Clinton ; pour point de départ, ou pour objet d'étude - voire, les deux.
Dans le maelström d'une violence qui consume tout, bien des choses n'ont été ni révélées ni étudiées. Bien loin de là : au contraire, c'est un discours dominant simplificateur qui s'est emparé de l'arène politique en Israël et, dans une certaine mesure, aux Etats-Unis aussi. En substance : M. Barak a offert la lune à M. Arafat, à Camp David, l'été dernier... M. Arafat a dédaigné le présent, puis il a "appuyé sur le bouton" (de l'Intifada), choisissant la voie de la violence. Le conflit israélo-palestinien est insoluble, tout du moins dans un futur prévisible...
Mais nombreux sont les diplomates et les responsables gouvernementaux à penser que la dynamique était bien plus complexe que cela et que M. Arafat n'endosse pas, à lui seul, la responsabilité de l'échec du processus de paix.
Les faux pas et les succès, au cours de plus de sept années de négociations, entre l'accord intérimaire d'Oslo (1993) et les dernières réunions tenues à Taba, en Egypte, en janvier, ont été enregistrés aussi bien chez les Israéliens, que chez les Palestiniens et les Américains.
Non, M. Barak n'a pas offert la lune à M. Arafat, à Camp David. Il a brisé les tabous israéliens rendant inconcevable le partage de Jérusalem, et il a esquissé une offre qui était effectivement, sur le plan politique, courageuse, en particulier de la part d'un leader israélien dont la coalition qui le soutenait était en train de se défaire. Mais les Palestiniens ne pouvaient pas croire que cette proposition les amènerait un jour à disposer d'un Etat viable. Et même si M. Barak a répété qu'aucun responsable israélien (à sa place) ne pourrait jamais aller plus loin (dans ses propositions), il allait lui-même faire des avancées considérables sur ses propres positions à Camp David, six mois plus tard...
"Dire qu'Arafat, et Arafat seul, a causé cet échec catastrophique est une terrible mystification", a déclaré à des journalistes Terje Roed-Larsen, l'envoyé spécial des Nations Unies dans la région. "Les trois parties ont fait des erreurs, je dis bien : les trois. Dans des négociations aussi complexes, nul ne saurait les en blâmer. En tout cas, aucune des trois parties n'est à blâmer seule"...
M. Arafat est quasi unanimement blâmé pour son refus obstiné de reconnaître publiquement qu'il y eût jamais une quelconque évolution dans la position israélienne et, plus tard, de saisir rapidement l'opportunité contenue dans le "paquet" de propositions de la onzième heure présenté par M. Clinton à la fin du mois de décembre.
M. Arafat a, finalement, bien autorisé ses négociateurs à engager des pourparlers à Taba, fondés sur les propositions de Clinton. En dépit des rapports publiés en Israël disant le contraire, toutefois, M. Arafat n'a jamais repoussé l'offre des "97%de la Cisjordanie", à Taba, comme l'affirment nombre d'Israéliens. Les négociations ont été suspendues par Israël, parce que les élections législatives y étaient imminentes et parce que "la pression de l'opinion publique israélienne contre les négociations était irrésistible", a déclaré Shlomo Ben-Ami, alors ministre des affaires étrangères.
Il n'en reste pas moins qu'à Taba, les détails pour un accord de paix définitif étaient plus clairs qu'ils ne l'avaient jamais été, ont déclaré la plupart des participants à ces négociations. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, par la suite, les diplomates de l'ONU et de l'Union européenne se sont décarcassés afin d'organiser une conférence au sommet à Stockholm. Là, pensaient-ils, M. Arafat - connu pour ne prendre de décision que sous la pression extrême d'une date butoir indépassable - aurait été prêt à faire une concession décisive, permettant d'avancer, sur la question centrale du sort des réfugiés palestiniens. De plus, un compromis était possible, sur Jérusalem.
Pour diverses raisons, le sommet de Stockholm n'a jamais eu lieu. M. Barak, après un échec retentissant aux législatives tenues en février 2001 en Israël, remit le pouvoir à M. Sharon. C'est alors que les avancées vers la paix ont été gelées, et non pas à Camp David, six mois auparavant (comme on l'a beaucoup entendu)...
Après Camp David : beaucoup de choses se sont passées, en coulisses...
Nous avons interrogé beaucoup de négociateurs clés, israéliens et palestiniens, ainsi que plusieurs diplomates américains et européens très concernés par les pourparlers de paix de l'ère Clinton-Barak, en vue de cet article. M. Arafat nous a accordé, lui aussi, une interview. M. Barak s'est récusé ; Gadi Baltiansky, son ancien porte-parole, nous a dit que l'ancien premier ministre, qui n'a jamais dérogé à son attitude "profil bas" depuis sa défaite électorale, ne désirait faire aucune déclaration...
Rares sont les Israéliens, les Palestiniens ou les Américains à imaginer à quel train d'enfer se sont poursuivies les activités diplomatiques après que le sommet de Camp David se soit avéré comme apparemment improductif. En se basant sur ce qui s'était avéré être une base (de discussion) solide, les négociateurs israéliens et palestiniens ont tenu plus de cinquante réunions au cours des mois d'août et de septembre, la plupart d'entre elles, clandestinement, à l'Hôtel King David de Jérusalem.
Il y eut aussi quelques visites sur le terrain afin d'étudier la faisabilité de diverses manières de partager Jérusalem - certaines si compliquées que Nabil Shaath, haut responsable palestinien, plaisantait en disant qu'il faudrait équiper les chaussures des résidents de Jérusalem de systèmes de localisation par satellite, qui feraient s'allumer des voyants de différentes couleurs afin de leur indiquer sur quel territoire ils étaient en train de marcher...
Un jour, Saeb Eirekat, haut responsable palestinien lui aussi, accompagnait un responsable israélien de la sécurité, de haut rang, au cours de ce qui aurait dû être une visite tranquille des alentours de la Cité de David, extra-muros, où des familles juives se sont implantées, dans le quartier palestinien de Silwan, notamment.
L'officiel israélien avait offert à M. Ereikat une casquette publicitaire d'une entreprise de peinture israélienne, et le négociateur palestinien, un homme à la forte charpente, passant difficilement inaperçu,  avait enlevé ses lunettes et s'était habillé très simplement, revêtant le costume de Monsieur Tout- le monde... Il croyait être irreconnaissable, a-t-il dit plus tard, mais un jeune garçon palestinien, qui passait à bicyclette, s'était penché à la vitre de la voiture (banalisée) des services secrets israéliens, s'écriant : "Salut, comment allez-vous, Dr. Saeb ?!" 
Au cours des mois d'août et septembre, M. Ereikat et Gilead Sher, un négociateur israélien éminent, avaient mis au point deux chapitres d'un accord de paix définitif, qui furent gardés secrets, "même des autres négociateurs", a dit M. Ereikat, seuls les deux leaders nationaux en étant informés.
Au même moment, des médiateurs américains mettaient au point la proposition de M. Clinton pour un traité de paix définitif. Cette proposition fut rendue publique en décembre mais Martin Indyk, ancien ambassadeur américain en Israël, a révélé récemment que les négociateurs américains étaient prêts à la présenter aux deux parties dès août/septembre.
Ce sont tous ces mouvements dans les coulisses qui ont trouvé leur reflet dans l'atmosphère particulière qui avait entouré le dîner chez M. Barak. Le premier ministre, qui avait refusé de parler directement au leader palestinien à Camp David, lui faisait maintenant sa cour. M. Ben -Ami, alors ministre des affaires étrangères israélien, a rapporté avoir dit à son épouse, après ce dîner, que M. Barak, qu'il décrit comme "daltonien en matière de nuances culturelles", était si emporté par sa furie d'accord de paix qu'il semblait déterminé à changer "non seulement de politique, mais même de personnalité"...
Mais les Palestiniens avaient d'autres pensées en tête, sur le chemin du retour, après cette soirée chez Barak : la visite prévue de M. Sharon sur ce que les Musulmans appellent le Noble Sanctuaire et les Juifs le Mont du Temple. M. Arafat a déclaré, au cours d'une interview, qu'il s'était isolé, sur le balcon, avec M. Barak et l'avait imploré de contrer la machination de M. Sharon. Mais le gouvernement de M. Barak considérait la visite planifiée de M. Sharon, alors leader de l'opposition, comme une affaire relevant des affaires intérieures et de la vie politique israéliennes, et en l'occurrence, qu'il s'agissait surtout d'une tentative de M. Sharon pour détourner l'attention du retour - attendu - à la vie politique de son rival de droite : Benjamin Netanyahu, ancien premier ministre.
La visite sur l'esplanade de la mosquée Al-Aqsa d'un Sharon lourdement escorté, afin de démontrer la souveraineté juive sur le Mont du Temple déclencha d'autant plus les manifestations de protestation des Palestiniens, ulcérés, qu'elle suivait immédiatement des prises de bec particulièrement inextricables, sur le statut futur des lieux saints de la Vieille Ville, à Camp David. Les Israéliens eurent recours à une répression allant jusqu'aux tirs réels pour (tenter d'y) mettre un terme. C'est ainsi que commença le cycle des violences, qui ne fit que s'aggraver jusqu'à atteindre un pic entre la mi-mai et le premier juin 2001, jour où les Israéliens utilisèrent des avions de combat F-16 à Naplouse, pour arriver à l'apothéose de l'attentat terroriste suicide contre une discothèque de Tel Aviv.
En juin et au début juillet, un accord de cessez-le-feu proposé par les Américains, et qui trouva une concrétisation fluctuante sur le terrain, relança les déclaration des diplomates au sujet de qu'ils présentaient comme étant resté leur objectif inchangé : ramener les parties aux négociations sur le "statut final". Mais tous reconnaissaient que la distance entre ce qui était réalisable à la table des négociations et ce qui était admissible pour les opinions publiques tant israélienne que palestinienne ne faisait qu'augmenter avec chaque nouveau mois de violence.
Certains Israéliens et certains Palestiniens pensent, en réalité, que l'horloge a été ramenée des décennies en arrière et remettent en question jusqu'à la solution à deux Etats, objectif des accords d'Oslo.
Nombreux sont les Israéliens à considérer désormais que M. Arafat a perdu tout crédit en tant que "partenaire de paix" et qu'il n'y a pas lieu de négocier d'autres accords avec lui. Ils sont convaincus qu'il a eu délibérément recours à la violence afin de forcer Israël, par la pression ainsi exercée, à lui donner ce qu'il n'avait pas pu obtenir à Camp David. Et un nombre encore plus important d'Israéliens croient qu'Arafat est à nouveau - une fois de plus - obnubilé par son idée fixe, qui serait de "détruire Israël"...
Pendant ce temps, nombreux sont les Palestiniens à avoir été amenés à croire que les Israéliens sont capables du pire. Ils sont très nombreux à redouter que l'inclusion de partis d'extrême-droite dans la coalition gouvernementale de M. Sharon soit le signal, en Israël, d'une nouvelle respectabilité de la vision extrémiste selon laquelle les Palestiniens devraient être "transférés" vers des pays arabes voisins. Au cours des dix mois écoulés, leur frustration est devenue désespoir, haine et, dans certains cas, désir - suicidaire tout autant qu'homicide - de vengeance.
Des deux côtés, pour les deux "camps de la paix", le rosier a perdu ses boutons et les temps sont durs. "L'idée de paix dans le style Woodstock - avez-vous donné l'accolade à votre Palestinien, aujourd'hui ? - c'est fini", a déclaré Avraham Burg, le porte-parole du parlement israélien, bien placé pour devenir le leader du parti travailliste, après les élections internes de ce parti, en septembre prochain.
Dans la même veine, le négociateur palestinien, M. Eirekat a dit  "La paix en rose, c'est terminé. Tout ce que je veux, c'est mon Etat... et en finir avec eux (les Israéliens)".
Il y a encore relativement peu d'Israéliens, de Palestiniens ou d'observateurs à penser qu'il puisse y avoir une solution militaire au conflit - ou qu'une solution puisse être imposée. Par conséquent, il faudra bien que les deux parties retournent, en fin de compte, à ce qui ressemblerait peu ou prou à une quelconque forme de négociations...
"Pour nous, qui vivons ici, nous n'avons pas d'alternative, à long terme, à un accord de paix définitif", a déclaré M. Sher, négociateur israélien. "Ce qui se profile à l'horizon, c'est que nous allons devenir la minorité sur les territoires situés à l'Ouest du Jourdain. Et sans frontières cohérentes et reconnues, nous devrons vivre une période encore bien pire que celle que nous traversons aujourd'hui".
Le progrès "pouce par pouce" : le processus de paix confronté à un désintérêt croissant
Dans les accords d'Oslo, signés en 1993, Israël et l'Organisation de Libération de la Palestine sont convenus de reconnaître mutuellement leur légitimité et d'entrer dans une phase de transition au cours de laquelle serait négocié un accord définitif de paix tandis qu'Israël remettrait progressivement les territoires de Cisjordanie et de la bande de Gaza à la nouvelle Autorité autonome palestinienne.
En réalité, dans le "processus de paix", il allait s'avérer y avoir beaucoup plus de "processus" que de "paix"... Il n'en reste pas moins que les médiateurs américains croyaient que le processus était vraisemblablement irréversible et qu'il finirait par atteindre son objectif : deux Etats voisins. Les médiateurs se sont entièrement dévoués à faire avancer le processus, centimètre après centimètre, tandis que la région connaissait sont lot d'assassinats, d'attentats terroristes et d'innombrables crises politiques.
L'avancée pas à pas, qui produisit plusieurs accords intérimaires, se poursuivit durant plus de sept années, toutefois, et les grandes questions de l'accord définitif - Jérusalem, réfugiés palestiniens, colonies juives et frontières futures - furent perpétuellement remises à plus tard. M. Shaath, ministre de facto des affaires étrangères palestiniennes, a déclaré : "le marchandage, au cours de toutes ces années, n'a fait que porter sur 2% du territoire là, 3% là-bas... Relâchez vingt prisonniers aujourd'hui, et relâchez-en trente la semaine prochaine... Ouvrez cette route non-goudronnée... ce n'était fait que de bric et broc. Cela n'a pas créé, à dire le moins, une compréhension profonde entre les deux parties sur les questions primordiales..."
Bien des Israéliens n'étaient pas très pressés de finir la partie. Tout ce qu'ils voulaient, c'est que le terrorisme s'arrête. Des politiciens israéliens de droite se plaignirent du fait que la direction palestinienne n'éduquait pas son peuple à la paix, ne confisquait pas les armes illégalement détenues et n'agissait pas afin de faire taire la propagande provocatrice à l'encontre d'Israël. Mais tout aussi nombreux étaient les Israéliens à insister, en revanche, sur le calme relatif dont ils avaient fini par jouir à la suite du succès de la coordination israélo-palestinienne en matière de sécurité...
Les Palestiniens, toutefois, alors même qu'ils étaient au début du processus d'édification de leur Etat, finirent par perdre la foi devant les renvois à plus tard, perpétuels, des transferts de territoire, et parce qu'ils constataient qu'on les cantonnait au rôle de gendarmes de la Cisjordanie et de Gaza, territoires par ailleurs "saucissonnés" par les routes de contournement et l'expansion des colonies juives. La population de ces dernières augmenta de 80 000 personnes entre 1992 et 2001. Les dividendes économiques de la paix, attendus, ne se sont pas concrétisés : le niveau de vie des Palestiniens s'est effondré, chutant de 20%. L'Autorité palestinienne a été de plus en plus affectée par des scandales relatifs à la corruption. L'opposition palestinienne - tant les mouvements islamistes qui considéraient les négociations comme une trahison que les autres mouvements, essentiellement ulcérés par la corruption de la direction palestinienne - ont recruté de nombreux nouveaux militants plus que prêts à reprendre la rue au cas où le processus de paix échouerait (je devrais écrire : "quand le processus de paix aurait définitivement échoué").
Regardant en arrière, Dennis B. Ross, médiateur américain de longue date, a déclaré récemment au Jérusalem Post : "l'une des leçons que j'en retiens est que vous ne pouvez pas avoir un certain environnement à la table des négociations et une réalité complètement différente, sur le terrain".
Yossi Beilin, ancien architecte israélien du processus de paix, s'est fait l'écho de cette conviction. Dans une interview, à Tel Aviv, il a déclaré que les partisans israéliens d'une paix négociée, les gens que l'on connaît comme le "camp de la paix", ne s'étaient pas opposés avec suffisamment de détermination à l'expansion des colonies et n'avaient pas su se montrer assez persuasifs auprès des Palestiniens afin de les amener à réduire les incitations à la violence anti-israélienne venue de leurs propres rangs.
Rob Malley, expert du Conseil de Sécurité National sur le Moyen-Orient, sous le mandat de M. Clinton, a ajouté que les Américains ne s'étaient pas montrés assez durs vis-à-vis d'un camp comme de l'autre. S'exprimant au cours d'un colloque tenu à Washington, au printemps dernier, M. Malley a déclaré : "Si l'équation fondamentale devait bien être "terre contre paix", comme pouvait-elle avoir un quelconque sens et une quelconque pertinence tandis que, d'une part la terre était confisquée quotidiennement et que, d'autre part, la paix était bafouée tout aussi quotidiennement ?" ....
Joseph Alpher, expert israélien du conflit, qui était le conseiller de M. Barak à Camp David, argue du fait que l'Intifada, l'insurrection palestinienne, aurait été provoquée par les échecs de la période intérimaire de sept ans, plus que par l'impasse de Camp David.
"Remettre sans cesse (à plus tard) la discussion (et l'aplanissement) des contradictions (existant) entre les positions les plus fondamentales des Israéliens et des Palestiniens a permis que la dynamique israélo-palestinienne soit envahie par un virus qui a fini par la paralyser, aujourd'hui", a-t-il écrit récemment, dans une étude que lui avait demandée la Fondation Bertelsmann.
Le jeu du "à qui la faute" : pour quoi les discussions ont-elles fini par échouer ?
Reprenant le flambeau après M. Rabin, M. Barak est entré en fonction en juillet 1999, en trompetant sa détermination à mettre un terme au conflit avec les Palestiniens au plus tôt. Mais, fait nouveau, il choisit de focaliser son énergie à la recherche d'une paix avec les Syriens, ignorant les Palestiniens suffisamment longtemps pour que leur suspicion soit mise en éveil. Il a aussi fait entrer les représentants des colons, le Parti National Religieux, dans sa coalition, en leur confiant le Ministère du Logement, ce qui ne pouvait qu'aboutir à une expansion significative des implantations.
Avec quatre ans de retard sur le calendrier du processus de paix prévu, les premières négociations substantielles portant sur l'accord définitif débutèrent à la fin du mois de mars 2000, après l'échec des négociations israélo-syriennes. "Tout a commencé trop tard et sur un mauvais pied", a déclaré M. Larsen, envoyé des Nations-Unies.
En signe de bonne volonté, M. Barak a promis de transférer aux Palestiniens trois villages de la périphérie de Jérusalem, cette promesse ayant été transmise à M. Arafat par l'intermédiaire de M. Clinton. M. Barak avait même obtenu l'assentiment du Parlement pour ce faire. Mais, le jour du vote, une intense convulsion de violence éclata en Cisjordanie, prémonitoire, on n'allait pas tarder à s'en rendre compte, de ce qui allait suivre.
M. Barak ne cessa de renvoyer à plus tard le transfert promis, invoquant la "violence". Tant M. Arafat que M. Clinton (d'après les déclarations de M. Malley) allaient déclarer plus tard qu'ils se sentaient compromis par la promesse non tenue de M. Barak.
Néanmoins, ce qui allait être connu plus tard sous le nom de "piste de Stockholm" consista en quinze réunions substantielles, culminant au cours de trois longs week-ends, deux en Suède et un en Israël. Les Israéliens et les Palestiniens qui y prirent part déclarent aujourd'hui que les négociations avançaient et que l'atmosphère était positive. Ils ont fait des progrès notables sur les questions des territoires, des frontières, de la sécurité et, même, sur celle des réfugiés, bien que sur chaque sujet il y ait eu des avancées et des reculs.
A la mi-mai, le fait même de leur tenue, ainsi que la teneur des discussions ont fait l'objet de "fuites" en direction des journaux israéliens, et les informations que ces derniers ont publiées, au sujet de possibles concessions, ont causé de graves problèmes politiques tant à M. Barak qu'à M. Arafat. Cela a en effet amené à un rapide blocage des négociations, tout en poussant M. Barak à rechercher activement la tenue d'un sommet avant même que les Palestiniens eussent considéré que le travail préparatoire comme mené à bien.
"Stockholm est mort dès sa naissance annoncée", a déclaré M. Indyk, l'ancien ambassadeur américain, au cours d'une interview, en juin dernier. "Si (le processus de) Stockholm avait continué, il aurait pu mener à une meilleure préparation de Camp David. Mais Barak était persuadé que les "fuites" auraient entraîné la rupture de sa coalition (gouvernementale) et qu'il n'aurait jamais pu "tenir" jusqu'à la fin de la partie".
M. Ben-Ami a déclaré que les négociateurs avaient apporté leur soutien à M. Barak lorsqu'il avait décidé de pousser dans le sens d'un sommet sous la houlette américaine, lorsque la situation en était arrivée à ce point (de blocage).
"Nous pension que nous n'avions aucune raison d'"en rabattre" encore sur les positions qui étaient les nôtres alors même qu'un sommet était en vue, où nous aurions dû concéder encore plus de choses", a-t-il déclaré.
Pour d'autres raisons, toutefois, .M Ben-Ami a confié qu'il considérait regrettable, rétrospectivement, que la piste de Stockholm ait avorté. Faisant référence à Abu Ala, il a dit notamment  "Le négociateur palestinien là-bas (à Stockholm, ndt) était un homme extraordinairement doué et compétent, qui bénéficiait de la totale confiance du président (de l'Autorité palestinienne, ndt). De plus, c'était un homme qui appréciait les négociations menées dans la discrétion. Dès que celles-ci eurent avorté, il devint un ennemi (de l'ensemble) du processus. Il pensait que Camp David, c'était du cinéma."
La mauvaise humeur, palpable, de M. Abu Ala (dont le vrai nom est Ahmad Qure'i), à Camp David, avait été considérée par beaucoup comme ayant contribué à l'échec des discussions - dans l'exacte mesure avec laquelle son rôle dirigeant, plus tard, à Taba, a pu passer pour avoir contribué à quelque succès, dit-on.
M. Abu Ala a dit, pour sa part, que M. Barak avait condamné Camp David lorsqu'il avait décidé de couper court à la phase préparatoire. "Nous l'avions mis en garde contre le fait que, sans préparation, nous allions à la catastrophe. Maintenant : la catastrophe, nous la vivons...", a-t-il déclaré lors d'une interview, à Abu Dis, son village natal de Cisjordanie. "Deux semaines avant Camp David, nous avons rencontré Clinton à la Maison Blanche, Arafat et moi.  A un Arafat qui lui demandait encore quelque temps, Clinton avait répondu : 'Président Arafat, venez et faites pour le mieux. Si cela ne réussit pas, je ne vous en blâmerai pas'. Mais c'est pourtant exactement ce qu'il a fait..."
Les Palestiniens sont allés à Camp David en traînant tellement des pieds que l'échec des conversations était prévisible, disent beaucoup de commentateurs, aujourd'hui (après coup... ndt). "L'échec de Camp David était une prophétie qui comportait en elle-même le "miracle" de son inscription dans les faits, et Jérusalem ou le droit au retour des réfugiés" n'ont rien eu à voir là-dedans, a dit M. Beilin.
M. Larsen acquiesce : "Ce (Camp David) fut plus un échec de la psychologie et de la méthodologie qu'un échec dû au contenu (des discussions) lui-même".
Les Palestiniens avaient le sentiment d'être traînés jusqu'aux collines verdoyantes du Maryland pour y être soumis à la pression conjointe d'un premier ministre israélien et d'un président américain lesquels, en raison de leurs calendriers politiques respectifs et des soucis que leur causaient, à l'un comme à l'autre, leurs successions respectives, étaient poussés par un sentiment personnel qu'il y avait urgence en la matière.
Les Palestiniens ont dit que les Américains leur avaient répété à moult reprises que la coalition du dirigeant israélien était menacée ; après quelque temps, disaient-ils, il semblait que l'objectif de la rencontre au sommet était plus de sauver M. Barak (politiquement s'entend) que de faire la paix... En même temps, ajoutent-ils, les Américains ne semblaient pas prendre au sérieux les pressions exercées sur M. Arafat par l'opinion publique palestinienne et le monde musulman. A l'instar de M. Barak, M. Arafat est allé à Camp David, poussé par des sondages de popularité domestique en chute libre...
M. Indyk, qui envisage d'écrire un livre sur le processus de paix qu'il intitulera vraisemblablement "Conséquences inattendues", a dit que l'exigence formulée par M. Barak que Camp David aboutisse à une fin formelle au conflit a mis une pression insupportable sur cette rencontre au sommet.
Les discussions, sur certains sujets à l'ordre du jour, ont même en fait abouti à un recul, au cours des deux (seules) journées qu'a duré Camp David, ont indiqué MM. Sher et Ben-Ami. M. Sher a ajouté que c'était dû au fait que les négociateurs palestiniens avaient tenu M. Arafat dans l'ignorance de certains points-clés des conversations de Stockholm, ce que ces derniers dénient. Il a ajouté que M. Ben-Ami et lui-même s'étaient rendus à Naplouse, en Cisjordanie, pour y rencontrer le leader palestinien, peu de temps avant Camp David, et qu'ils avaient été stupéfaits de découvrir que M. Arafat ne savait pas précisément ce qui avait été discuté.
Les Israéliens et les Américains évoquent une "psychose obsidionale" ("bunker mentality") du côté des Palestiniens, à Camp David. Comme en écho, les Palestiniens révèlent qu'à un certain moment, M. Barak n'est pas sorti de son bungalow, le Dogwood, durant deux jours d'affilée et qu'il a refusé systématiquement de rencontrer M. Arafat en personne, à l'unique exception d'un thé partagé avec lui...
"Il y a eu aussi un dîner au cours du quel Barak était assis à la droite de Clinton, Arafat étant à sa gauche", a rapporté M. Shaath, qui a ajouté, faisant allusion à la fille de M. Clinton : "... mais Chelsea, qui était assise à la droite de Barak, a fait l'objet de son attention exclusive. Pourquoi diable a-t-il tellement insisté pour qu'il y ait un sommet s'il avait l'intention de ne pas adresser la parole à son partenaire, ne fût-ce qu'une minute ?..."
Des diplomates occidentaux, ici, à Jérusalem, disent que les Palestiniens étaient persuadés qu'ils faisaient l'objet d'une manipulation de la part des Américains. Ils ont dit que les officiels américains avaient fait une erreur fatale en s'efforçant de nourrir des relations privilégiées avec deux responsables palestiniens de la nouvelle génération, qu'ils considéraient comme pragmatiques : Muhammad Rashid, le conseiller économique de M. Arafat, d'origine kurde, et Muhammad Dahlan le chef de la sécurité préventive de Gaza. Ce faisant, ils ont ulcéré les négociateurs palestiniens ayant "de la bouteille" ("the veterans" ndt), disent-ils, qui eurent le sentiment que les Américains voulaient diviser leurs rangs afin de les affaiblir.
Au beau milieu de Camp David, l'un des négociateurs, Abu Mazen, reprit l'avion pour le Moyen-Orient afin d'assister au mariage de son fils. Il était très remonté contre les tactiques des Américains, a révélé un diplomate européen, et il a averti que Camp David ne marcherait jamais si ces petits jeux continuaient et qu'il saurait utiliser le problème des réfugiés pour finir de le faire capoter, si besoin était.
D'après M. Sher, les Palestiniens n'auraient jamais mis en avant aucune contre-proposition aux suggestions avancées par les Israéliens. Ils se seraient toujours contentés de dire "non", a-t-il soutenu. M. Malley, qui a assisté à Camp David, a écrit, dans une tribune libre publiée par le New York Times à la mi-juillet, que les médiateurs américains étaient "frustrés presque jusqu'au désespoir devant la passivité et l'incapacité à saisir l'occasion qui s'offrait à eux des Palestiniens".
Les deux parties avaient discuté des échanges territoriaux, à Stockholm, par lesquels les Palestiniens auraient cédé une partie de la Cisjordanie (quelques pour-cent de la superficie totale des territoires) en faveur de blocs de colonies israéliennes, en échange d'autres territoires (cédés par Israël). Elles ont continué leurs pourparlers (en ce sens) à Camp David. Mais M. Abu Ala a indiqué que les Israéliens avaient évoqué un "troc inégal" consistant à annexer environ 9 pour cent de la Cisjordanie contre la "cession" aux Palestiniens de l'équivalent d'à peu près un pour cent ailleurs...
"J'ai dit : 'Shlomo, (dans ces conditions,) je ne veux même pas regarder les cartes : replie-les', a rapporté avoir dit M. Abu Ala, au cours d'une conversation avec M. Ben-Ami. Il avait déclaré qu'il ne discuterait que des frontières de 1967. "Clinton m'en voulait à mort et il m'a dit qu'il me tenait personnellement responsable de l'échec du sommet. Je lui ai alors dit que, dût l'occupation perdurer encore 500 ans, nous ne céderions pas."
Mais, à Taba, les Palestiniens ne se le sont pas faire dire deux fois, lorsqu'il s'est agi d'examiner les cartes. Voilà que les Israéliens parlaient d'annexer environ 6% de la Cisjordanie en échange contre des territoires, ailleurs, équivalent à 3% de cette dernière. Cela aurait abouti à ce que les Palestiniens reçoivent quelque 97% de la superficie totale de la Cisjordanie, ce qui était - de beaucoup - bien plus proche de leur objectif de longue date : voir les Israéliens rendre tous les territoires conquis en 1967.
A Camp David, a indiqué M. Ben-Ami, les Israéliens ont découvert, sur le tard, alors que la partie était depuis longtemps engagée, à quel point les deux parties avaient une conception différente d'un accord définitif.
"Que les Palestiniens doivent accepter moins que cent pour cent des territoires, c'était l'axiome de la politique israélienne depuis 1993", a-t-il indiqué.
D'après M. Sher, la plupart des membres de la direction palestinienne "savaient et convenaient du fait qu'il s'agit là d'un compromis historique, qui exige des Palestiniens qu'ils cèdent sur certains points. La plupart des leaders, pour ne pas dire "tous", à l'exception d'un seul : un certain Yasser Arafat..:"
A la fin de Camp David, les trois parties tombèrent d'accord sur le fait que l'alchimie n'avait pas fonctionné. C'était bien la seule chose sur laquelle ils fussent d'accord, d'ailleurs. Les Américains étaient complètement écœurés, bien que M. Clinton, quelques mois après, ait qualifié Camp David "d'événement transformateur", parce qu'il avait contraint les deux parties à se confronter aux besoins vitaux de leur contre-partie respective en leur permettant d'entr'apercevoir les délinéaments potentiels d'une paix définitive.
A la fin juillet 2000, toutefois, les Israéliens avaient le sentiment que leur générosité avait été repoussée du revers de la main. Et les Palestiniens avaient, de leur côté, le sentiment qu'on leur offrait un Etat qui n'aurait pas été viable - "moins qu'un bantoustan, pour vous donner une idée de ce dont il s'agit", avait dit Arafat au cours d'une interview récente.
"Ils veulent contrôler la vallée du Jourdain, avec cinq stations d'alerte avancée", avait expliqué alors M. Arafat. "Ils veulent contrôler l'espace aérien, au-dessus de nos têtes, les nappes phréatiques, sous nos pieds, la mer et les frontières...  Il "doivent" diviser la Cisjordanie en trois cantons. Ils en gardent dix pour cent du territoire pour des colonies, leurs routes (de contournement) et leurs forces armées. Pas de souveraineté sur le Haram al-Sharif (l'Esplanade des Mosquées, ndt) (pour nous). Quant aux réfugiés, nous n'avons pas eu de discussion approfondie à leur sujet..."
M. Ben-Ami a indiqué avoir passé un temps considérable, après Camp David, afin de tenter d'expliquer aux Israéliens que les Palestiniens avaient en réalité fait des concessions majeures sur ce qui était leur position de départ. "Ils ont admis la souveraineté d'Israël sur les quartiers juifs de Jérusalem-Est, sur onze de ces quartiers, pour être précis", a-t-il dit, ajoutant :  "Ils ont admis l'idée que les trois blocs de colonies auxquels ils étaient résolument opposés pourraient rester en place et que le Mur Occidental (Mur des Lamentations, ndt) et le Quartier juif (de Jérusalem intra-muros, ndt) pourraient demeurer sous souveraineté israélienne".
M. Malley a ajouté, pour sa part, que les Palestiniens avaient accepté de négocier une solution au problème des réfugiés qui ne risquerait pas de remettre en cause la majorité juive d'Israël. "Aucun autre partenaire arabe ayant négocié avec Israël - ni l'Egyptien Anwar al-Sadat, ni le Jordanien Husseïn, pour ne pas parler du Syrien Hafez al-Assad - n'était jamais arrivé si près ne serait-ce que de l'idée même d'envisager des compromis de cette nature", a-t-il commenté.
Dans les analyses rendues publiques, le sommet aurait échoué à cause d'une dissension amère sur la manière de partager - ou de diviser - Jérusalem. M. Clinton a indiqué, récemment, que c'est le problème des réfugiés qui a entraîné l'échec. Mais M. Malley, parmi d'autres participants aux discussions, a dit que des dissensions existaient sur toutes les questions à l'ordre du jour.
Mais, vers la fin, M. Clinton avait rendu hommage au courage (politique) et à la clairvoyance de M. Barak, décrétant que M. Arafat n'avait pas déployé un effort équivalent.
M. Shaath a indiqué avoir supplié le président Clinton, personnellement : "Je vous en conjure, ne prenez pas votre g... des grands jours et ne dites pas au monde entier que c'est un échec. Je vous en prie, dites que nous avons brisé des tabous, que nous nous sommes attaqués au coeur du problème et que nous allons continuer..."
"Mais le Président (américain) a commencé à distribuer les mauvais points, et il a envoyé Arafat au piquet"... a ajouté M. Shaath.
M. Ben-Ami a exprimé un sentiment similaire. "A la fin de Camp David, nous avions le sentiment que le "paquet" (de propositions, "package", ndt) en tant que tel contenait pas mal de substance et qu'il fallait continuer", a-t-il dit. "Mais Clinton nous a laissé nous débrouiller tout seuls, après avoir commencé à distribuer les mauvais points. Il s'efforçait de donner un coup de pouce à Barak, car il savait qu'il aurait à faire face à de graves problèmes politiques s'il rentrait chez lui les mains vides, avec ses concessions, en plus, livrées en pâture à l'opinion publique par les médias. Mais ce faisant, il a créé les problèmes avec l'autre partie".
 M. Arafat est "rentré chez lui sur un cheval blanc", a dit M. Shaath, parce qu'il a su montrer aux Palestiniens qu'"il avait toujours le souci de Jérusalem et des réfugiés". Il passait pour avoir tenu tête face à une formidable double pression : celle des Américains ajoutée à celle des Israéliens...
Néanmoins, M. Ereikat a indiqué avoir pris son bâton de pèlerin de Bethlehem à Gaza afin de prêcher que "Camp David était bien, Camp David représentait une avancée". Il a toutefois précisé que M. Arafat avait fait des commentaires allant dans ce même sens. Mais s'il les a faits, il a été extrêmement discret...
Mais après Camp David, les négociateurs se replongèrent dans leurs travaux, à l'Hôtel King David de Jérusalem. Les résultats furent assez positifs pour que M. Barak et M. Arafat tiennent un dîner de discussions assez chaleureux, et pour que l'administration Clinton convoque les négociateurs à Washington, le 27 septembre. Le 28, M. Sharon effectua sa visite sur le Mont du Temple. Et, le 29, la situation commença à se désintégrer avec la rapidité que l'on sait, laissant tout le monde en état de choc...
Chaque camp blâma l'adversaire. Le gouvernement israélien a déclaré que les Palestiniens "avaient déclenché" l'insurrection afin de contraindre les Israéliens à leur donner ce qu'ils n'avaient pu obtenir (d'eux) à Camp David. M. Arafat déclara, lors d'une interview, que M. Barak avait conspiré, en réalité, avec M. Sharon, "afin de porter un coup fatal au processus de paix", après qu'il se soit rendu compte qu'il ne réussirait jamais à persuader les Palestiniens d'accepter ses propositions. M. Arafat qualifia la visite de M. Sharon "de prétexte pour lancer ce qu'ils ont décidé (ensemble) : l'action militaire".
Une commission d'enquête internationale, présidée par l'ex-sénateur américain George J. Mitchell, ne se contentant pas de déclarer seulement les deux parties responsables de l'échec, décrivit la dynamique mortelle qui s'était développée sur le terrain, à partir du comportement des deux camps et qui avait fini par acquérir son auto-existence destructrice. Plus de 650 victimes sont à déplorer, depuis le 29 septembre 2000, la grande majorité d'entre eux étant des Palestiniens.
"Trop tard" à Taba : Certains regardent encore vers une paix à venir
Les deux parties, dans des déclarations récentes, se sont posées tout haut la question de savoir pourquoi M. Clinton n'avait pas présenté sa proposition de solution finale à Camp David ou immédiatement après ? En décembre dernier, lorsqu'il se décida enfin à le faire, le calendrier était vraiment extrêmement serré. M. Clinton devait quitter la présidence le 20 janvier, et M. Barak affrontait les électeurs le 6 février...
La proposition (Clinton) offrait aux Palestiniens plus que ce qui était "sur la table" à Camp David, mais ils n'en répondirent pas moins avec beaucoup de scepticisme. Le plan (proposé) était trop vague, dirent-ils alors. Une fois de plus, pris dans l'engrenage d'une relation faite de violence avec Israël, ils n'étaient pas disposés, sur le plan émotionnel, à observer les agendas politiques des autres et à se ruer tête baissée dans un marchandage nébuleux, expliquent-ils.
Un diplomate européen a indiqué que les Palestiniens n'auraient pas compris l'imminence et les implications d'une victoire de M. Sharon ; d'autres disent qu'ils ne voulaient pas continuer à perdre leur temps avec un Barak promis à la défaite.
Il n'en reste pas moins qu'en janvier 2001, M. Arafat rendit visite à M. Clinton, à la Maison Blanche. Au cours d'une interview, immédiatement après cette visite, il indiqua avoir suggéré au Président américain de convoquer sans plus tarder les négociateurs israéliens et palestiniens pour des négociations-marathon. M. Arafat a révélé avoir dit à M. Clinton qu'il était persuadé qu'il était possible d'atteindre un accord après une quinzaine de jours de négociations.
Mais il en advint autrement. Les négociateurs se réunirent, plus tard dans le mois, sans les Américains et en l'absence de leurs dirigeants, à l'Hôtel Taba Hilton, sur la Mer Rouge. A l'exception de M. Sher, pour qui Taba s'est caractérisé par une "bonne ambiance", sans plus, la plupart des Israéliens et des Palestiniens qui ont participé à ces négociations en ont retiré le sentiment qu'il s'agissait d'une session extrêmement positive.
"La paix semblait à portée de la main, à Taba", a déclaré M. Ben-Ami. Monsieur Abu Ala déclara, quant à lui : "A Taba, nous avons effectué des avancées réelles, tangibles, vers un accord définitif".
A Taba, ce fut une première, les Israéliens acceptèrent le principe (palestinien) du retour aux frontières de 1967, ont indiqué les Palestiniens. Sur la foi de quoi les Palestiniens ont admis la conservation par Israël des blocs de colonies, à la condition qu'ils soient échangés contre des territoires de même qualité, cédés par Israël aux Palestiniens. M. Shaath a indiqué que ces derniers se seraient retrouvés, eût cette décision été prise, avec dix pour cent de territoires de plus que ce qu'ils auraient dû céder, dans un premier temps...
           
17. Le prix de Camp David. Pourquoi Arafat a-t-il négligé les armes du faible ? par Edward Saïd
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du dimanche 19 juillet 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Il y a un an, Bill Clinton avait mis sur pied une rencontre entre les dirigeants israéliens et palestiniens, dans la résidence présidentielle de Camp David, afin de finaliser un accord de paix dont il pensait qu'ils étaient prêts à le ratifier. Je mets l'accent sur le rôle joué par Clinton dans cette histoire, parce qu'il est de la plus haute signification que ce soit cet homme dans lequel les Palestiniens avaient placé leurs espoirs, qu'ils avaient accueilli en héros à Ramallah et à Gaza et à l'opinion duquel ils s'étaient rangés à tout propos (et hors de propos), qui ait emballé en toute hâte, dans un même paquet, les deux protagonistes qui avaient été des décennies durant entièrement occupés par une lutte aux multiples péripéties, dans le seul but de pouvoir se targuer, à des fins purement narcissiques, d'avoir (enfin) été capable de concocter une avancée historique...
Yasser Arafat (faisait la tête, il aurait voulu) ne pas y aller. Si Ehud Barak y était, c'était avant tout dans l'optique d'arracher aux Palestiniens la promesse qu'ils mettraient fin au conflit et -plus important - qu'ils abandonneraient toute récrimination palestinienne à l'encontre d'Israël (y compris le droit au retour pour les réfugiés), une fois l'accord d'Oslo signé.
Clinton a toujours été, avant tout, un opportuniste, en second lieu ; un sioniste et, en troisième lieu : un politicien maladroit. Les Palestiniens représentaient les faibles, dans cette affaire ; ils étaient piètrement dirigés et très sommairement préparés. Clinton a excipé de la fin prochaine de son propre mandat (ainsi que de celui de Barak), qu'il lui serait loisible de mettre en scène une cérémonie de signature basée sur le scénario de la capitulation palestinienne : une cérémonie (fastueuse) qui resterait gravée à jamais sur la stèle à la gloire de sa Présidence, tout en permettant d'effacer la mémoire d'une certaine Monica (Lewinsky) et le scandale de l'amnistie accordée à Marc Rich, scandale qui ne faisait que commencer à enfler, à l'époque...  Ce projet grandiose, bien entendu, fit un "flop" complet. Même des sources américaines récemment rendues publiques sont venues corroborer l'argument des Palestiniens, selon lequel l'"offre généreuse" de Barak n'était en fait ni un offre, ni donc encore moins on ne sait quelle "offre généreuse"... Robert Malley, membre du Conseil National de Sécurité, qui a ses quartiers rien moins qu'à la Maison Blanche de Clinton, rien de moins, a publié un rapport sur ce qui s'est passé et, même s'il se montre critique vis-à-vis de la tactique de négociation adoptée par les Palestiniens au cours du sommet de Camp David, ce rapport établit clairement qu'Israël était très loin d'offrir ce que les aspirations nationales légitime des Palestiniens exigeaient. Mais Malley n'a craché le morceau qu'en juillet 2001 ; il lui a fallu un an après le sommet de Camp David pour ce faire, bien après que la machine bien huilée de la propagande israélienne ait eu le temps de lancer le chœur des pleureuses désormais archi-connu, selon lequel Arafat aurait méchamment rejeté la meilleure proposition qu'Israël eût jamais pu faire... Ce chœur a été renforcé par l'affirmation, rabâchée par Clinton, que tandis que Barak s'était montré courageux, Arafat avait été tout simplement décevant. Ainsi, la Thèse s'est inscrite dans le discours public, depuis lors, à l'immense détriment de la Palestine. Il n'est pas jusqu'à la remarque d'un laquais de l'information israélienne selon laquelle, après Camp David et Taba, aucun Palestinien n'avait joué un rôle conséquent dans la dissémination d'une version palestinienne de la débâcle (palestinienne) qui n'ait passé inaperçue. Ainsi, Israël a eu l'espace pour lui tout seul, avec des résultats littéralement incalculables, en termes d'exploitation (de la fausse information) et d'effet retard de "retour de manivelle" (dans leur propre figure)...
J'étais parfaitement conscient du tort porté à l'Intifada par l'opération consistant à se présenter, pour les Israéliens, comme des amoureux de la paix éconduits, au cours de l'automne et de l'hiver passés. J'ai téléphoné à des membres de l'entourage d'Arafat afin de les conjurer de convaincre leur leader de prendre conscience d'à quel point Israël profitait du silence des Palestiniens, dont Israël allait rapidement faire l'équivalent linguistique de la violence palestinienne. J'ai eu vent qu'Arafat était intraitable, qu'il refusait de s'adresser à son peuple, aux Israéliens ou au monde, espérant sans doute que le sort ou sa propre capacité, quasi-miraculeuse, à ne pas communiquer, affecterait (et dérangerait) la campagne israélienne de désinformation. Quoi qu'il en soit, mes exhortations n'ont servi absolument à rien. Arafat et ses innombrables laquais demeurèrent oisifs,  n'entravant "couic" et, bien entendu, par-dessus tout : silencieux...
Nous ne devons nous en prendre qu'à nous mêmes, en premier. Ni nos dirigeants, ni nos intellectuels ne semblent avoir saisi que même une insurrection anti-coloniale courageuse ne peut pas s'expliquer elle-même par elle-même, et que ce que nous (les Palestiniens, et les autres Arabes) considérons comme notre droit à résister peut être présenté à Israël comme le terrorisme ou la violence les plus dénués de principes. Dans le même temps, Israël a réussi à persuader le monde d'oublier sa propre occupation violente et ses propres châtiments collectifs terroristes - pour ne rien dire de son nettoyage ethnique que rien, apparemment, ne peut arrêter - à l'encontre du peuple palestinien.
En fait, nous avons encore rendu les choses pires nous-mêmes en permettant à un Arafat, qui n'est décidément pas à sa place, d'évoluer tout à sa guise, entre avancées et reculs,  sur la question de la violence. Tout texte sur les droits de l'homme à avoir jamais été publié à ce jour reconnaît le droit légitime d'un peuple qui résiste contre une occupation militaire, contre la destruction de (ses) maisons et biens, contre l'expropriation de terrains en vue de la construction de colonies (par l'occupant). Arafat et ses conseillers ne semblent pas avoir compris qu'en entrant aveuglément dans la dialectique israélienne, unilatérale, de la violence et de la terreur - au niveau du discours - ils avaient renoncé par essence à leur droit à la résistance. Bien loin de rendre clair (pour tout le monde) qu'à toute baisse d'un degré dans la résistance devait correspondre nécessairement un retrait d'Israël et/ou une baisse équivalente dans (la dureté de) son occupation, la direction palestinienne a exposé son (propre) peuple aux accusations de terrorisme et de violence. Dès lors, tout ce qu'Israël a commis l'a été au titre des "représailles". En revanche, tout ce que les Palestiniens faisaient, c'était de la "violence" ou du "terrorisme", ou (plus généralement) les deux à la fois... Le spectacle en résultant, d'un criminel de guerre comme Sharon dénonçant la "violence" palestinienne a été tout ce qu'il y a de plus révoltant, au sens premier du terme (= quelque chose qui vous "retourne" l'estomac...).
Une autre conséquence de l'impéritie palestinienne a été qu'elle a mis les soi-disant militants israéliens de la paix hors course, faisant de cette affligeante cohorte de compagnons de route des alliés silencieux et consentants du déplorable gouvernement Sharon, aux affaires actuellement en Israël. Quelques Israéliens courageux et dotés de principes, tels certains des Nouveaux Historiens - Jeff Halper, Michel Warschavsky, et d'autres groupes - sont l'exception. Combien de fois n'avons-nous pas entendu les jérémiades des "peaceniks" patentés au sujet de leur "déception" face à l'"ingratitude" et à la "violence" des Palestiniens ? Combien de fois leur a-t-on dit que leur rôle était de faire pression sur leur gouvernement afin de mettre un terme à l'occupation et non ( comme ils l'ont toujours fait) de donner des leçons à un peuple soumis à occupation, sur leur magnanimité et leurs espoirs déçus ? Qui, à part les Français les plus réactionnaires de 1944, aurait toléré les exhortations des Allemands à se montrer "raisonnables" vis-à-vis de l'occupation de la France par l'Allemagne ? Personne, naturellement. Mais nous tolérons que les hérauts israéliens  impavides de la "paix" continuent à se répandre sur la "générosité" de Barak, sans que nous leur rappelions que chacun de leurs leaders, je dis bien : tous, sans aucune exception, s'est fait un jour ou l'autre l'assassin ou l'oppresseur des Arabes, depuis 1948, jusqu'à nos jours.
Ben-Gurion a présidé à la Nakba (défaite des Arabes en 1948, "catastrophe" pour les Palestiniens, ndt) ; Eshkol aux conquêtes israéliennes de 1967 ; Begin aux massacres de Deïr Yassin et à l'invasion du Liban (en 1982, assortie de ses massacres elle aussi, ndt) ; Rabin au brisage des os (des jeunes manifestants) lors de la première Intifada et, avant ça, à l'évacuation de plus de 60 000 civils sans défense de Ramleh et de Lydda, en 1948 ; Pérès, à la destruction de Qana (au Liban : tir "par erreur" contre un poste de l'ONU où des civils avaient trouvé refuge, plus de cent morts, ndt) ; Barak a pris part en personne à l'assassinat de dirigeants palestiniens ; Sharon a dirigé le massacre de Qibya et il est le responsable des massacres de Sabra et Shatila. Le rôle premier du camp de la paix israélien est de faire ce qu'il n'a jamais sérieusement fait : reconnaître toutes ces atrocités et empêcher de nouveaux outrages infligés par l'armée de terre et l'aviation israéliennes à un peuple dépossédé et apatride, et non pas prodiguer à tout va des conseils aux Palestiniens ni d'exprimer les espoirs ou les déceptions que lui procurerait un peuple continûment oppressé par Israël depuis plus d'un demi-siècle...
Mais dès lors que la direction palestinienne a abdiqué de ses principes et a prétendu être une grande puissance capable de jouer dans la cour des grandes nations, elle a endossé le sort qui échoit aux nations faibles, sans avoir ni la souveraineté ni le pouvoir qui lui permettraient de soutenir ses gesticulations ou ses tactiques. Si hypnotisé est M. Arafat par sa supposée stature de président, passant - de Paris à Londres, de Pékin au Caire... - d'une visite d'Etat insensée à l'autre, qu'il en a oublié que les armes dont les faibles et les apatrides ne peuvent jamais se séparer sont leurs principes et leur peuple. C'est de tenir, et de défendre à jamais le terrain de la hauteur morale ; de répéter sans se lasser la vérité et de rappeler au monde l'ensemble de ce qui s'est historiquement passé ; de ne jamais se départir du droit légitime à la résistance et à la restitution ; de mobiliser les gens, partout dans le monde, et non pas d'apparaître aux côtés de types aussi douteux que Chirac ou Blair ; de ne dépendre ni des médias ni des Israéliens, mais de soi-même, pour proclamer la vérité. Voilà ce que les dirigeants palestiniens ont oublié à Oslo, et à nouveau, à Camp David. Quand assumerons-nous, en tant que peuple, la responsabilité qui, après tout, est la nôtre seule, et quand arrêterons-nous de remettre notre sort entre les mains de leaders qui n'ont plus la moindre idée de ce qu'ils sont en train de fabriquer ?