Représailles - Le 19 juillet, des colons israéliens ont tué trois civils palestiniens, dont un enfant. Je suggère que, par mesure de représailles et afin d'être équitable, l'armée israélienne rase une petite dizaine de maisons israéliennes au sein d'une colonie. Ce sera peut-être le moyen le plus efficace de démontrer la pertinence d'une telle politique et combien cette conception du monde est porteuse d'avenir.
      
Jérôme Barbarin - Le Chesnay (Yvelines)
ce message a été publié dans la rubrique "courrier des lecteurs"
du quotidien Le Monde du mardi 24 juillet 2001
          
                   
Point d'information Palestine > N°160 du 31/07/2001

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Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
                       
Si vous ne souhaitez plus recevoir (temporairement ou définitivement) nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante : amfpmarseille@wanadoo.fr. Ce point d'information est envoyé directement à 2780 destinataires. Consultez régulièrement le site de Giorgio Basile : http://www.solidarite-palestine.org 
             
                    
C'est avec tristesse que nous apprennons le décès de Guy Hermier, Député et Maire du 15ème et 16ème arrondissement de Marseille. Il avait soutenu et participé activement, en 1997, aux manifestations que nous organisions dans le cadre du "Printemps Palestinien". Il nous avait ouvert les portes de sa mairie, et de son cœur, en évoquant, non sans émotion, son soutien à la lutte du peuple palestinien pour le rétablissement de ses droits. L'Association Médicale Franco-Palestinienne (Marseille) salue le départ d'un ami du peuple palestinien, et assure son épouse, ses enfants, sa famille et ses amis, de son soutien. "Aba'iyyéh fi hayatkom." ("Que ce qui reste de sa vie, soit pour vous.")
                 
Au sommaire
               
Réseau
1. A la recherche d'une issue par le Dr. Eyad Sarraj, Directeur du Centre Communautaire pour la Santé Mentale de Gaza (Juillet 2001) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
2. Détention à vie, pour un Palestinien par Mumia Abu-Jamal, 19.07.2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. Toute coopération avec Israël doit être désormais conditionnelle
Un appel du CICUP Collectif Interuniversitaire pour la Coopération avec les Universités Palestinienne
4. Résolution Palestine adoptée par le Conseil d'administration d'Attac Marseille le 11 juin 2001
5. Des personnalités israéliennes et palestiniennes appellent à la paix paru dans L'Humanité du lundi 30 juillet 2001
                    
Revue de presse
1. Les Palestiniens "étonnés" des positions à la Chambre des représentants US Dépêche de l'Agence France Presse du samedi 28 juillet 2001, 8h07
2. L'ouverture de la procédure est le fruit de plusieurs années d'enquête par Mouna Naïm in Le Monde su samedi 28 juillet 2001
3. Ariel Sharon face à la justice belge par Catherine Dupeyron in Le Monde du samedi 28 juillet 2001
4. Embrasement généralisé au Proche-Orient 
in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 27 juillet 2001
5. Affrontements internes ? in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 27 juillet 2001
6. Sharon, un allié de Bush
in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 27 juillet 2001
7. Le dilemme d'Arafat 
in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 27 juillet 2001
8. Hilmi Moussa, expert en questions israéliennes : "La Syrie ne permettra pas le retour d'Arafat au Liban"
in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 27 juillet 2001
9.
La Belgique est incompétente pour juger Sharon in Le Soir (quotidien belge) du vendredi 27 juillet 2001
10. Israël : hystérie anti-belge par Serge Dumont et Agnès Gorissen in Le Soir (quotidien belge) du vendredi 27 juillet 2001
11. Campagne anti-belge en Israël par Serge Dumont in Le Soir (quotidien belge) du vendredi 27 juillet 2001
12. Caroline et Fayçal Zerguine, étudiants, actuellement en mission de solidarité en Palestine
L'Humanité à ouvert ses colonnes, du 23 au 27 juillet 2001, à deux étudiants français en mission de solidarité en Palestine. "Invités de la semaine", ils ont livré leurs impressions dans la rubrique "Tribune Libre" du quotidien.
13. Les Arabes israéliens victimes d'apartheid par Thomas Abgrall in L'Humanité du jeudi 26 juillet 2001
14. Peut-être demain les Israéliens eux-mêmes livreront Sharon à la justice in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 25 juillet 2001
15. Sharon rattrapé par ses crimes par Hala Fares et Samar Al-Gamal in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 25 juillet 2001
16. Lettre ouverte à mes amis israéliens par Nabil Shaath in Ma'Ariv (quotidien israélien) du vendredi 20 juillet 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
17. Le coût de l’Intifada par Charles M. Sennott in the Boston Blobe (quotidien américain) du jeudi 3 mai 2001 [traduit de l'anglais par Abigail Descombes]
18. Leïla sans peur par Christine Saramito
in Femina (hebdomadaire suisse) du dimanche 25 mars 2001
                           
Réseau
                     
1. A la recherche d'une issue par le Dr. Eyad Sarraj, Directeur du Centre Communautaire pour la Santé Mentale de Gaza (Juillet 2001)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Le 18 juin dernier, j'avais rendez-vous au bureau de la BBC à Jérusalem, pour une interview télévisée. Après cette interview, je devais me rendre à Rome, pour une conférence. Comme je l'avais fait des dizaines de fois, par le passé, j'ai demandé l'autorisation de me rendre à Jérusalem et, de là, à l'aéroport de Tel Aviv. Quelques heures avant mon départ pour Jérusalem, les Israéliens ont rejeté ma demande.
La BBC est intervenue. On leur a dit que je n'étais pas autorisé à quitter les territoires. D'après les Israéliens, j'étais "une menace pour la sécurité de "Catégorie 10"", soit la catégorie des kamikazes prêts à se faire sauter avec leur bombe ! Les autorités israéliennes se sont empêtrées dans leurs contradictions, disant à d'autres personnes qui s'étaient enquises de mon cas qu'aucune trace de ma demande n'avait été retrouvée sur leur système informatisé... Bref : on m'interdisait d'aller à Jérusalem et, surtout, à Rome...
Par chance, j'avais des amis qui sont intervenus en ma faveur. Susan Goldberg a écrit un article, dans le Guardian, au sujet de ma mésaventure. Elle a joint un responsable israélien, qui a prétendu ne pas avoir trouvé trace de mon dossier de demande d'autorisation. Une autre amie, Helen Bamber, a écrit une lettre ouverte, dans le même journal, dans laquelle elle ne mâchait pas ses mots... Lord Salisbury a fait des représentations sur mon cas auprès de l'ambassade d'Israël à Londres, qui s'est contentée de répondre que je pouvais toujours présenter une nouvelle demande... Ce ne sont là que quelques-uns des amis, collègues et militants des droits de l'homme à être intervenus.
Par ailleurs, je me suis rapproché de l'avocate Naila Atiya en vue d'une éventuelle action en justice à la Cour Suprême israélienne, afin de donner, si possible, une suite juridique à l'affaire.
Au bout de quelques jours, le gratin de la sécurité israélienne, qui voyait en moi une menace de "catégorie 10", avait "l'honneur de nous informer" que je pouvais voyager. Je partis pour Londres, quelques jours après. Maintenant que je suis de retour d'Angleterre, je pose les deux questions suivantes : "Israël permet donc à un dangereux kamikaze de voyager en utilisant son aéroport ?" et : "Pourquoi m'empêcher de voyager si je ne suis pas une "menace pour la sécurité" ?
Mon histoire est aussi celle de milliers de personnes dont les droits humains les plus élémentaires sont violés quotidiennement par la politique israélienne de punition collective. Le problème central est celui d'une population globalement maintenue en état de siège. Si l'on voulait m'interdire, à moi personnellement, d'aller à l'étranger afin d'y être interviewé et d'y participer à une conférence, d'autres sont morts à des barrages routiers parce qu'on les a empêchés d'atteindre un hôpital pour y être soigné tant qu'il en était encore temps. Des chauffeurs d'ambulances ont été tués en tentant de porter secours à des enfants blessés. Des mères ont accouché sur des charrettes tirés par des ânes, bloquées à des barrages militaires. Des écoles ont été bombardées et des élèves et des étudiants blessés. Des maisons ont été détruites, des fermes rasées au sol ou brûlées, des puits ont été comblés. Dans le cadre d'une politique officiellement proclamée, Israël exerce une politique de "punition collective" afin de faire souffrir tous les Palestiniens, coupables de résister à son occupation illégale de leur territoire. En représailles à un incident au cours duquel un colon avait été tué, le ministre de la défense israélien, Benyamin Bel Eliezer a dit qu'"il ferait de la vie des Palestiniens un enfer"...
Tel est le statu quo qui se prolonge depuis plus de trente ans : une punition collective en guise de dissuasion à toute résistance opposée à l'occupation. Il est grand temps que ces atrocités s'arrêtent. La conscience mondiale devrait se réveiller et agir afin de mettre un terme à la souffrance de la population civile palestinienne. Le monde doit dire à Israël, la seule "démocratie" auto-proclamée au Moyen-Orient, que la démocratie n'est pas compatible avec les violations des droits humains. La démocratie, une vie décente, toutes les valeurs universellement reconnues... : rien de tout cela ne sera possible tant que perdurera l'occupation de la Palestine par Israël.
                  
2. Détention à vie, pour un Palestinien par Mumia Abu-Jamal, 19.07.2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Quelle ironie ! Abed al-Ahmar travaille comme enquêteur au Groupe palestinien de Surveillance des Droits de l'Homme (PHRMG). C'est son domaine de compétence.
Aujourd'hui, il apprend, en direct, ce que sont "les droits de l'homme" dans les prisons israéliennes. Il apprend aussi ce qu'est la torture, tant psychologique que physique. Lorsqu'un de ses avocats est venu lui rendre visite, récemment, elle a remarqué que ses poignets étaient enflés et présentaient des ecchymoses. Cette avocate, Allegra Pacheco, a appris qu'Al-Ahmar avait subi une forme de torture connue sous le nom de "shabeh", qui consiste à maintenir la victime ligotée à une chaise inclinée durant une journée entière. Cette forme de torture avait été proscrite, depuis peu, par la Cour Suprême israélienne. Ce n'était même pas vieux du tout, puisque la décision remontait seulement au 6 septembre 1999. Mais, comme l'a appris M. Al-Ahmar à ses dépens, ce que la Cour Suprême dit, et ce que se passe dans la réalité, ce sont deux choses différentes.
M. Al-Ahmar n'est que le dernier cas en date d'un Palestinien auquel échoit de faire l'expérience de ce que l'on dénomme "détention administrative". Il est maintenu en prison sans aucun motif et sans aucun procès en bonne et due forme, pour six mois, renouvelables "en tant que de besoin".
Cette mesure, qui ressemble trait pour trait aux procédures du régime (heureusement disparu) de l'apartheid, en Afrique du Sud, a été condamnéee, des années durant, par les observateurs des droits de l'homme. Certaines organisations militantes palestiniennes, à l'instar d'al-Haqq, font observer que cette "détention administrative" contrevient aussi à la Convention de Genève, et en substance à son Article 6, qui en interdit l'usage pour une durée supérieure à un an. Al-Haqq signale qu'il y a au minimum treize personnes à avoir été condamnées à cette forme de détention depuis le déclenchement de la dernière intifada en date, parmi lesquelles M. Nasser Abu Khudaïr, ancien membre de cette organisation.
Amnesty International a ajouté le nom d'Al-Ahmar à sa liste des Prisonniers de Conscience. Alors qu'il s'était enquis de savoir pourquoi il était en état d'arrestation, sans charges contre lui et sans garant, un homme du Shin Bet, le service de sécurité israélien, lui a répondu : "Nous faisons ce que bon nous semble". (Ha'Aretz, 06.07.2001)
M. Al-Ahmar est un militant de la cause nationale palestinienne et des droits de l'homme, de longue date. Il a passé six années de sa vie dans les geôles israéliennes en raison de ses activités au Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP). Il a passé deux années et demie supplémentaires en détention administrative, au cours desquelles il a été si salement torturé qu'il en souffre encore. Il a travaillé, par le passé, comme enquêteur pour le groupe B'Tselem, une organisation israélienne de défense des droits de l'homme ; c'était avant qu'il ne consacre son action à la dénonciation des violations des droits de l'homme dans les territoires administrés par l'Autorité palestinienne.
Il continue à souffrir d'une hernie hiatale (problème relevant de la gastro-entérologie, ndt) et de très sévères maux de dos. Le cas de M. Al-Ahmar retient de manière rapidement croissante l'attention de la communauté internationale, comme le montrent les actions entreprises en sa faveur par Amnesty International.
- Les lecteurs de cet article désirant appeler à l'élargissement de M. Al-Ahmar peuvent écrire à l'adresse suivante, ou téléphoner aux numéro ci-après : - PHRMG : Bassem Eid - Tél : +972 2-5823372 - PCATI : Hanna Friedman - Tél : +972 2-5630073
- Les courriers sont à envoyer à :
M. Ariel Sharon, Premier Ministre - Cabinet du Premier Ministre - 3, Kaplan Street - P.O. Box 187 - Kiryat Ben-Gurion - Jerusalem 91919 - Fax : +972 2 651 2631 (prière d'envoyer copie au PHRMG - bassem@phrmg.org)
Cet article peut être reproduit et/ou distribué par des moyens électroniques, mais seulement à des fins non-commerciales et en le faisant suivre des informations suivantes : Copyright 2001, by Mumia Abu-Jamal. Tous droits réservés. Reproduction possible avec l'autorisation de l'auteur.
[MUMIA ABU-JAMAL est un journaliste, écrivain et prisonnier politique américain, surnommé la "Voix des sans-voix" pour ses écrits prenant fait et cause pour les minorités. En 1981, il a été accusé sans preuve du meurtre d'un policier de Philadelphie. En 1982, il est condamné à mort par onze jurés blancs au terme d'un procès inique, présidé par un juge qui détient le record des condamnations à mort et lié à la même association de police d'extrème-droite que l'agent assassiné. Depuis, Mumia se bat pour ce à quoi il a droit : un nouveau procès. Depuis sa cellule il continue d'écrire, il est l'auteur de trois livres, dont deux ont été traduits en français : "En Direct du Couloir de la Mort" et "La Mort en Fleurs". Devenu la figure emblématique de la lutte contre la peine de mort, ses articles paraissent dans diverses publications, aux États-Unis comme en Europe. Ancien membre des Black Panthers, Mumia Abu-Jamal était président de l'Association des Journalistes Noirs de Philadelphie à l'époque de son incarcération.
- Pour plus de renseignements : Comité de Soutien à Mumia Abu-Jamal CO/ Viretto & Dieudonné - 18, Pl. Jean Jaurès - 13001 Marseille - FRANCE - Tél/Fax : +33 (0) 491 429 847 - E-mail :
mumia.marseille@free.fr]
                    
3. Toute coopération avec Israël doit être désormais conditionnelle
Un appel du CICUP Collectif Interuniversitaire pour la Coopération avec les Universités Palestinienne
(Cet appel est paru dans "La Lettre du CICUP" N°15 (Juillet 2001) - CICUP CO/ CICP - 21 Ter, rue Voltaire - 75011 Paris)
Il faut mesurer la signification de l'événement du 28 septembre 2000 : Ariel Sharon savait que sa visite provocatrice sur l'Esplanade des Mosquées, déclencherait une nouvelle révolte des Palestiniens. Avec la complicité d'Ehud Barak, il avait prévu une répression impitoyable : tireurs d'élite contre jeunes lanceurs de pierres, d'abord, puis, obus et roquettes afin de détruire les immeubles jugés dangereux pour les colonies, assassinats ciblés de résistants qualifiés de "terroristes". Des centaines de Palestiniens ont, depuis lors, perdu la vie, des milliers d'autres sont définitivement handicapés. Le bouclage permanent des îlots de peuplement palestinien rend la vie infernale à leurs habitants, paralyse toute l'activité économique. Pour quelque 30000 étudiants et 3000 enseignants du Supérieur, l'année 2000-2001, à peu près totalement perdue sur le plan universitaire, aura été, comme pour tous les habitants de Cisjordanie et de Gaza, une nouvelle année de souffrances et d'humiliations.
En 1993, après de très longues tractations, Israël s'était engagé officiellement dans un "processus" qui devait conduire le Proche-Orient vers une paix durable parce que juste, basée sur la reconnaissance par l'Etat hébreu des droits légitimes du peuple palestinien. Les accords contresignés à Washington avaient été salués par les médias du monde entier comme l'avènement d'une ère nouvelle basée sur une reconnaissance réciproque des deux peuples, devant conduire à l'existence de deux Etats. Les années suivantes, Israël a tiré un profit considérable de sa "bonne volonté" : Prix Nobel de la Paix attribué à Itzhhak Rabin et à Shimon Pérès en même temps qu'à Yasser Arafat, afflux d'immigrants et de capitaux, croissance économique exceptionnelle. Mais, tout en proclamant sa volonté de paix et en entretenant d'interminables négociations, Israël n'a cessé d'étendre ses colonies dans les Territoires occupés et de consolider le réseau des routes de contournement qui cloisonnent les enclaves abandonnées aux Palestiniens, rendant impossible la constitution d'un Etat palestinien unifié et souverain.
Le 28 septembre 2000, Ariel Sharon et les politiciens qui le soutiennent ont choisi de déchirer le rideau du théâtre d'ombres des pseudo-négociations. Ils ne craignent plus d'affirmer qu'Israël ne cèdera aucune parcelle de la souveraineté qu'il s'est arrogée sur le Grand Jérusalem, que les colonies ne seront pas démantelées mais qu'au contraire leur croissance "naturelle" sera encouragée, qu'aucun droit au retour ne sera reconnu aux Palestinens expulsés en 1948.
Ainsi, Ariel Sharon et les politiques qui l'entourent se sentent assez forts pour défier l'Organisation des Nations Unies qui, dès 1947, enjoignait à Israël de reconnaître le droit au retour des Palestiniens, ayant été chassés de leurs villes et de leurs villages et qui, dès le lendemain de la Guerre des Six-Jours en 1967, rappelait les principes des Conventions de Genève : interdiction des confiscations de terres, des transferts de populations, des représailles et autres punitions collectives, obligation faite aux puissances occupantes de respecter les vies humaines, les libertés, le droit à l'éducation... Les exactions que commettent chaque jour les responsables politiques et militaires d'Israël, comme les plus fanatiques des colons et des soldats, véritable terrorisme d'Etat, jettent ainsi un défi à toutes celles et à tous ceux qui, dans le monde, croient aux valeurs fondatrices de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948.
Le CICUP, organisation non-gouvernementale qui s'est donné comme objectif de développer la coopération entre universités françaises et palestiniennes, invite donc toutes les femmes et tous les hommes attachés à ces valeurs à protester de toutes leurs forces contre la politique du gouvernement d'Ariel Sharon. Intellectuels, journalistes, politiques doivent dénoncer les crimes de guerre et les violations quotidiennes des Conventions de Genève dont les responsables israéliens se rendent coupables. Plus que jamais, universitaires et chercheurs scientifiques doivent soutenir leurs collègues palestiniens dans la défense de leurs droits imprescriptibles, dénoncer les entraves mises par les autorités israéliennes au fonctionnement des structures éducatives et répondre aux coopérations qui s'offrent dans le cadre des conventions franco-palestiniennes, des programmes de l'Union Européenne ou selon tout autre autre modalité.
Le CICUP appelle également les universitaires et les chercheurs du monde entier qui sont engagés dans des programmes de coopération avec des instituts ou établissements d'enseignement supérieur israéliens, à soumettre la poursuite de leur coopération à des conditions précises. Nos collègues israéliens doivent sans équivoque :
- exprimer leur opposition à la répression inhumaine dont sont victimes les Palestiniens, comme le font certains intellectuels, journalistes et militants pacifistes en Israël même,
- rappeler que la politique d'annexion définitive de la partie orientale de Jérusalem et des Territoires occupés en 1967 éloigne, pour des décennies, les espoirs de paix,
- exiger de leurs gouvernants le respect des personnes, de leur dignité et de leur liberté,
- faire connaître au monde leur engagement dans la recherche de solutions politiques permettant de satisfaire les droits légitimes des Palestiniens, que ceux-ci soient devenus, malgré eux, citoyens d'Israël, qu'ils vivent confinés dans les enclaves de Cisjordanie et de Gaza, ou qu'ils aient dû se disperser ailleurs dans le monde.
                    
4. Résolution Palestine adoptée par le Conseil d'administration d'Attac Marseille le 11 juin 2001
A/ Analyse du partenariat euro-méditerranéen par rapport au conflit israélo-palestinien
1° Les accords économiques de l'Union européenne avec Israël sont un facteur important d'intégration de l'économie israélienne dans le marché mondial. Du côté européen, ils concernent essentiellement des grandes entreprises intervenant dans des secteurs stratégiques y compris militaires. C'est ni plus ni moins qu'une participation à l'économie de guerre d'Israël.
2° L'économie palestinienne étant ruinée par l'état de guerre, les échanges avec l'Europe restent marginaux; mais ils sont de surcroît soumis en permanence au bon vouloir des Israéliens, sans que cela n'entraine de protestation du côté européen.
3° Du point de vue des droits humains, grand alibi des accords de partenariat, la dissymétrie est tout aussi flagrante: Dans  le cadre du partenariat avec Israël, l'UE s'engage par avance à se taire sur la politique israélienne dans les territoires palestiniens; ce qui revient à donner carte blanche au gouvernement israélien dans sa guerre contre le peuple palestinien. Par contre, l'EU ne cesse de tancer l'Autorité Palestinienne pour sa lenteur à mettre en place un véritable état de droit.
Dans ces conditions, la politique européenne reste soumise aux choix stratégiques des américains et l'Europe ne peut, comme elle le prétend, jouer un rôle autonome dans la recherche de la paix.
B/ Propositions
1° Dénoncer les accords de partenariat avec Israël et geler les relations économiques avec ce pays, tant qu'il ne respectera pas les résolutions de l'ONU le concernant.
2° Réclamer l'application des résolutions de l'ONU sur la Palestine.
3° Demander à l'Europe de participer à une force d'interposition pour protéger la population palestinienne, et de contribuer à la reconstruction et au développement des territoires palestiniens.
Il est urgent que les peuples européens dénoncent la politique qui est menée en leur nom dans cette région du monde, et accorde au peuple palestinien la solidarité à laquelle il a droit.
                
5. Des personnalités israéliennes et palestiniennes appellent à la paix
paru dans L'Humanité du lundi 30 juillet 2001

Des intellectuels, militants politiques israéliens et palestiniens (1) se sont rencontrés le 25 juillet et ont adopté une déclaration commune abordant les questions essentielles du conflit. " Nous venons ensemble pour réclamer la fin du bain de sang, la fin de l'occupation, un retour urgent aux négociations et à la mise en ouvre de la paix entre nos deux peuples " expliquent les signataires. " Nous croyons toujours, malgré tout, en l'humanité du camp adverse et que nous avons un partenaire avec qui nous allons faire la paix. Une solution négociée au conflit entre nos deux peuples est possible. Des erreurs ont été faites de tous côtés, les accusations et les mises à l'index ne constituent pas une politique et ne peuvent se substituer à un engagement profond ", soutient le document. " Le temps qui passe ne bénéficie qu'à ceux qui ne croient pas à la paix. Plus nous attendons, plus de sang innocent sera versé, plus grande sera la douleur et plus l'espoir sera érodé. Nous devons agir instamment pour reconstruire notre partenariat, pour en finir avec la déshumanisation de l'autre et pour faire revivre l'option d'une paix juste et prometteuse pour le futur de tous. "
" Pour aller de l'avant, poursuit le document, il faut accepter la légitimité et l'application des résolutions 242 et 338 de l'ONU menant à la solution de deux Etats, Israël et la Palestine, coexistant l'un à côté de l'autre, séparés par la frontière du 4 juin 1967 avec Jérusalem comme capitale respective. Des solutions justes et durables peuvent être trouvées à tous les problèmes en suspens, sans porter atteinte à la souveraineté des Etats palestinien et israélien. Ces solutions, estiment les signataires, devraient s'appuyer sur les progrès accomplis entre novembre 1999 et janvier 2001. Il est urgent d'appliquer immédiatement les recommandations de la commission Mitchell. Ce qui suppose l'arrêt des violences, le gel total de la construction des colonies, l'application des accords en suspens et le retour aux négociations. Ce processus doit être surveillé objectivement par un tiers. " " Nous pensons, conclut l'appel, qu'il est de notre devoir de travailler ensemble, ainsi que chacun de nous dans sa propre communauté pour mettre fin à la détérioration de nos relations, pour reconstruire la confiance, la croyance et l'espoir de paix. "
(1) Yasser Abed Rabbo, ministre de la Culture et de l'Information et le Dr Hanan Ashrawi, secrétaire général de l'association Initiative palestinienne pour un dialogue global et la démocratie, notamment, ont signé cet appel avec une trentaine de personnalités palestiniennes. Pour les Israéliens, on note entre autres les signatures de Janet Aviad pour la Paix maintenant, de Chaim Oron ancien ministre, membre du Meretz, des anciens ministres travaillistes Yossi Beilin et Yuli Tamir, des écrivains David Grossman et Amos Oz.
                 
Revue de presse

                            
1. Les Palestiniens "étonnés" des positions à la Chambre des représentants US
Dépêche de l'Agence France Presse du samedi 28 juillet 2001, 8h07

GAZA - Les dirigeants palestiniens, réunis dans la nuit de vendredi à samedi à Gaza, se sont déclarés "étonnés" des récentes prises de position à la Chambre des représentants américaine sur l'OLP et le président palestinien Yasser Arafat.
Dans un communiqué, la réunion des membres du cabinet palestinien et du Comité exécutif de l'OLP (CEOLP) qui a été présidée par M. Arafat, a estimé que ces prises de position "manquent d'objectivité et ne rendent pas justice au peuple palestinien".
Elle a accusé la Chambre américaine d'"ignorer l'occupation israélienne et de fermer les yeux sur les vols de terres palestiniennes par des bandes colons soutenus par le Premier ministre israélien" Ariel Sharon.
La direction palestinienne a reproché à cette Chambre d'"oublier que les Etats-Unis jouent le rôle de parrain dans le processus de paix".
La Chambre des représentants, par 381 voix pour contre 46, a approuvé mardi soir une aide étrangère globale de 15,2 milliards de dollars. En ce qui concerne les Palestiniens, il est stipulé que le président George W. Bush devra déterminer si l'OLP s'est conformée à ses promesses d'enrayer la violence.
Dans le cas contraire, il devra alors soit faire fermer le bureau de l'OLP à Washington, soit qualifier l'OLP ou une autre de ses composantes d'organisation terroriste, soit limiter l'aide aux Palestiniens.
Des membres de cette chambre, qui accusent M. Arafat de fomenter les violences, ont pressé jeudi l'administration Bush de réexaminer sa politique palestinienne.
Un responsable palestinien a déjà accusé mercredi la Chambre des représentants de "partialité" en faveur d'Israël, après ses menaces de sanctions contre l'OLP.
"L'avertissement de la Chambre des représentants à l'Autorité palestinienne et à l'OLP témoigne de la partialité" des Etats-Unis, avait déclaré à l'AFP le conseiller du président Arafat, Nabil Abou Roudeina.
Par ailleurs, les dirigeants palestiniens ont mis en garde contre les conséquences de la décision de Cour suprême d'Israël d'autoriser un groupe juif ultranationaliste, les Fidèles du Mont du Temple, de poser symboliquement dimanche à Jérusalem-est la première pierre du Troisième temple juif.
Ils ont affirmé d'un autre côté que "toute aventure militaire israélienne sera mise en échec" en référence à une possible attaque d'envergure contre les territoires palestiniens.
Ces dirigeants ont enfin réitéré leur appel à l'envoi d'observateurs, demandant aux pays du G8 à mettre à "exécution la recommandation" faite dans ce sens par leur dernier sommet à Gênes en Italie.
                           
2. L'ouverture de la procédure est le fruit de plusieurs années d'enquête par Mouna Naïm
in Le Monde su samedi 28 juillet 2001
L'instruction est en cours. La plainte et un dossier de cinq cents pages sont désormais entre les mains du juge d'instruction belge Patrick Collignon. Les avocats qui ont porté plainte en Belgique, au nom de vingt-trois personnes, dont vingt-deux rescapés du massacre perpétré en septembre 1982 dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, sont confiants.
Les preuves existent pour accuser les responsables de ce massacre de crimes contre l'humanité, crimes de guerre et génocide, assurent deux des trois avocats, le Libanais Chebli Mallat et le Belge Michaël Verhæghe. Le nombre des victimes de ce massacre varie selon les sources: sept cents selon la commission d'enquête israélienne, plus de trois mille selon d'autres sources, de nombreux corps ayant été ensevelis sous les décombres d'habitations dynamitées ou bombardées, d'autres ayant été enterrés sans avoir été répertoriés.
Les plaignants, Palestiniens et Libanais, se sont constitués partie civile contre "Ariel Sharon, ministre de la défense d'Israël au moment des faits, actuellement premier ministre, Amos Yaron, commandant de division et général de brigade au moment des faits, actuellement secrétaire général du ministre de la défense et contre toute autre personne, qu'elle soit israélienne ou libanaise, dont la responsabilité sera établie dans les événements". C'est néanmoins au juge d'identifier les personnes qui peuvent être inculpées, ont précisé Mes Mallat et Verhæghe, lors d'un récent passage à Paris à l'invitation du Club de la presse arabe.
Ce sera au juge de dire, entre autres, si la responsabilité du Libanais Elie Hobeika, alors haut responsable des Forces libanaises (FL-milices chrétiennes) alliées d'Israël, peut être retenue. M. Hobeika, qui n'a jamais été inquiété au Liban, où il a même été ministre de 1991 à 1998, a récemment affirmé qu'il était disposé à se présenter devant la justice belge pour "prouver son innocence" et celle de l'ensemble des FL mises en cause par la commission Kahane.
Fruit d'un travail d'enquête intermittent qui s'est étalé sur plusieurs années et qui s'est accéléré au cours du premier semestre 2001, la plainte a été déposée le 18 juin à Bruxelles sur la base d'une loi belge de 1993, modifiée en 1999.
Cette législation accorde une compétence universelle aux tribunaux belges pour les crimes de guerre, crimes de génocide et crimes contre l'humanité, quels que soient le lieu où ils ont été commis et les nationalités et lieux de résidence des victimes et des accusés. Très vite, le parquet a jugé la plainte recevable.
Il est difficile de prévoir quels délais exigera l'instruction. Dans l'affaire du génocide rwandais par exemple, elle a duré quatre ans, a rappelé Me Verhæghe. Autrement dit, la machine judiciaire a son propre temps que ne doivent pas faire perdre de vue les "phénomènes advantices", pour reprendre une expression de Me Mallat, qui se sont greffés sans coordination aucune autour de cette affaire : telles, entre autres, une émission de la télévision britannique BBC (Le Monde du 20 juin) diffusée la veille du dépôt de la plainte, la formation, dans de nombreux pays, de comités réclamant justice pour Sabra et Chatila, et même l'accélération de l'affaire Milosevic.
Même à ce premier stade de la procédure, la plainte a déjà eu au moins un double effet pour ce qui concerne le Proche-Orient: d'une part, M.Sharon a dû renoncer à se rendre en Belgique dans le cadre d'une tournée qui l'a conduit début juillet dans quatre autres pays européens. D'autre part, comme enhardis par la plainte palestinienne, des Kurdes irakiens en ont présenté une autre, en Belgique, contre le président Saddam Hussein.
L'embarras du gouvernement belge et le projet d'amender la loi qui est en cours de discussion n'entament pas la détermination des avocats des plaignants, qui n'ont pas l'intention de jeter l'éponge. Les grands principes de l'ONU après Nuremberg et le droit coutumier international n'exonèrent pas de leurs responsabilités les chefs d'Etat en exercice, plaide Me Verhæghe. Plutôt que de "se fermer comme une huître", la Belgique, certes isolée politiquement et diplomatiquement, devrait tenter de convaincre d'autres pays au sein du Conseil de l'Europe de suivre la même démarche qu'elle, estime-t-il.
Après le dépôt de la plainte, l'organisation américaine de défense des droits de l'homme Human Rights Watch (HRW) a saisi l'occasion d'une visite aux Etats-Unis de M. Sharon pour demander à l'administration Bush de l'inviter à coopérer à une enquête sur les crimes de Sabra et Chatila. Elle s'est vu opposer publiquement une fin de non-recevoir. HRW a relancé la même invitation à Paris à l'occasion du séjour en France, les 5 et 6 juillet, du premier ministre israélien. D'après ce que l'on en sait, les autorités françaises n'ont fait aucune allusion à cette affaire dans leurs entretiens avec M. Sharon.
La Fédération internationale des Ligues des droits de l'homme (FIDH), pour sa part, suit "avec attention et intérêt la plainte déposée en Belgique", d'après son président d'honneur Patrick Baudouin. Pour elle, "sauf à discréditer la justice internationale, il ne peut y avoir de pratique discriminatoire" et tous ceux, quels qu'ils soient, quel que soit leur niveau de responsabilité, quel que soit le pays auquel ils appartiennent, "qui ont pu se rendre coupables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité doivent être susceptibles d'avoir des comptes à rendre à la justice". Et, sur la base du contenu de la plainte, la FIDH considère que, dans l'affaire Sabra et Chatila, des "éléments extrêmement sérieux existent pour dire qu'il y a eu des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité". Elle est plus rétive sur la qualification de génocide.
La FIDH formule néanmoins le souci, d'ordre plus général celui-là, quant à la nécessité de veiller à "ne pas dévoyer une justice internationale encore balbutiante" et de cibler en conséquence "des actions judiciaires aussi solides que possible". Le risque existe aussi, selon Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l'homme, d'assister à "une dérive vers le tout-judiciaire, qui conduirait dans l'état des rapports de force mondiaux aujourd'hui à ce que les dirigeants du Nord –à l'exception de Sharon– passent leur temps à juger les dirigeants du Sud".
                 
3. Ariel Sharon face à la justice belge par Catherine Dupeyron
in Le Monde du samedi 28 juillet 2001

Le premier ministre israélien est désigné nommément dans les plaintes de rescapés palestiniens et libanais des massacres de Sabra et Chatila en 1982. Il récuse la compétence du tribunal bruxellois, l'Etat juif ayant décidé précédemment de ne pas ouvrir d'instruction. JÉRUSALEM, correspondance
Ceux qui, il y a dix-neuf ans, membres de la commission Kahane, ont contribué à établir la responsabilité morale d'Ariel Sharon dans le massacre de Sabra et Chatila (en 1982), sont aujourd'hui à ses côtés face à la plainte déposée contre lui, en Belgique, par des survivants de cette tuerie. Aaron Barak, qui était alors juge à la Cour suprême et Edna Arbel, qui était deuxième adjointe au procureur de l'Etat, ont accédé aux plus hautes fonctions juridiques. Devenus respectivement président de la Cour suprême et procureur général de l'Etat, ils ont donné leur aval pour qu'un avocat belge assure la défense du premier ministre israélien.
"L'avocat représente l'Etat d'Israël et non Ariel Sharon", précise une source israélienne autorisée. Et elle ajoute : "La loi belge est utilisée ici à des fins politiques. Sinon, comment expliquer que ces plaintes n'aient pas été déposées avant juin 2001, alors que la loi existe depuis 1993 ? Et pourquoi, comme par hasard, ont-elles été présentées au lendemain de la diffusion d'une émission de la BBC sur Sabra et Chatila qui stigmatisait 'l'accusé' Sharon ? Il s'agit d'un procès politique, d'une manœuvre destinée, dans le cadre de l'Intifada, à déstabiliser et à délégitimer l'Etat d'Israël par le biais d'attaques contre son premier ministre."
L'avocat a été choisi avec soin.
Travaillant dans l'un des plus grands cabinets pénalistes bruxellois, Me Michèle Hirsch est célèbre pour avoir défendu, sur la base de la même loi, les victimes des crimes perpétrés au Rwanda en 1994. Il ne s'agit, en aucun cas, de faire un procès aux victimes palestiniennes. L'objectif est de faire constater, par le juge, qu'il n'est pas compétent pour instruire cette affaire et par là de stopper le processus judiciaire. "Il y a une atteinte à la souveraineté judiciaire d'Israël qui a déjà jugé ces faits", explique Me Hirsch. C'est un concept nouveau, mais la compétence universelle de la justice belge, définie dans la loi de 1993, ne l'est pas moins.
RESPONSABILITÉ INDIRECTE
En février 1983, après avoir entendu 163 témoins, la commission d'enquête Kahane, conduite par le président de la Cour suprême (fonction comparable à celle de premier président de la Cour de cassation) a rendu son verdict. Selon elle, M. Sharon et d'autres avaient une responsabilité indirecte, celle de ne pas "avoir su prévoir le drame", précise notre interlocuteur israélien. Il y aurait autorité de la chose jugée. "Même le Statut de Rome de 1998 qui prévoit la création d'une Cour pénale internationale, précise que des poursuites seraient irrecevables si les Etats concernés avaient préalablement décidé de ne pas poursuivre", souligne Me Hirsch.
"Si l'on veut que cette loi belge puisse être utilisée, il faut la discipliner, poursuit-elle. Dans l'affaire rwandaise, victimes et accusés habitaient en Belgique. Sans entrer dans des considérations politiques, la multiplication des plaintes va vite devenir ingérable pour la justice belge." Il y aurait déjà des centaines de plaintes. Ainsi, en 2000, un juge belge lançait un mandat d'arrêt international contre Abdoulaye Yerodia, ministre des affaires étrangères de la République démocratique du Congo. L'Etat d'Israël exclut que son premier ministre puisse faire l'objet d'un tel mandat.
                        
4. Embrasement généralisé au Proche-Orient
in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 27 juillet 2001
Scénario du pire
Qu'adviendra-t-il de la région si Sharon met en application ses menaces? Malgré la stabilité apparente actuellement, un tel scénario précipitera tout le Proche-Orient dans la guerre.
Depuis son accession au pouvoir, nombre d'observateurs croient deviner que le Premier ministre israélien Ariel Sharon a changé. Les plus optimistes supposent qu'il s'est assagi avec l'âge. Les plus opportunistes, comme son concurrent Benjamin Netanyahou, considèrent qu'il s'est «ramolli». Les uns et les autres se trompent. De toute manière, il va rapidement le leur prouver lorsqu'il procédera suivant le plan qu'il a élaboré avec son état-major. Une nouvelle surprise les attend après celle de 1982 lorsqu'il mena l'armée israélienne jusqu'à Beyrouth alors qu'il fit croire à son gouvernement que l'opération «paix en Galilée» s'arrêterait à 40 km de la frontière.
Les services secrets égyptiens
Cependant, l'effet surprise sera quasi nul du côté arabe et palestinien. Depuis des mois, les mises en garde contre les intentions belliqueuses du Premier ministre israélien se multiplient. La plus récente est un rapport des services de renseignements égyptiens, cité par Yediot Aharonot, qui aurait été adressé au président Hosni Moubarak et qui affirme que pour la première fois depuis 20 ans, la confrontation israélo-palestinienne pourrait mener à un conflit régional. Le président Moubarak fera écho de ce rapport, sans le citer directement, dans son discours traditionnel en commémoration de la révolution du 23 juillet: «Tout le monde doit savoir que ce qui s'est passé en juin 1967 ne se répétera pas et qu'en cas de guerre, les pertes seront terribles pour tous. De notre côté, nous continuerons à moderniser nos forces armées pour qu'elles préservent leurs capacités de dissuasion contre tout agresseur potentiel.» Il n'a pas prononcé une seule fois le mot Israël, mais tout le monde sait que c'est à lui qu'il s'adressait. C'est la cinquième ou la sixième fois que le président Moubarak tient ce type de propos en l'espace de quelques mois.
Les officiels syriens, le président Bachar el-Assad en tête, tiendront des propos similaires, rappelant les capacités dissuasives de la Syrie. Quant aux Palestiniens, en plus des déclarations menaçantes d'une «guerre totale» en cas d'invasion israélienne, ils seraient en pleine préparation pour faire face à une telle éventualité.
Selon la revue Foreign Report, les Palestiniens auraient fabriqué des centaines de ceintures explosives pour des centaines de kamikazes, préparé des milliers de grenades et de cocktails molotov, stocké des médicaments et du matériel médical en attente de l'assaut final, ou la «grande bataille» comme ils l'appellent. Pourtant, ces déclarations et informations ne suffiront pas pour dissuader Ariel Sharon. Le Premier ministre israélien estime qu'avec le soutien des Etats-Unis, il pourra mettre à exécution ses plans contre les Palestiniens. C'est ce qui explique peut-être l'activisme de la diplomatie israélienne en direction des Etats-Unis: au-delà du renforcement des liens avec la nouvelle Administration Bush, il s'agit d'obtenir son accord pour une opération de large envergure contre les Palestiniens. Sans donner clairement son feu vert, cette dernière semble, par sa passivité et la tiédeur de ses réactions, vouloir accorder «sa chance à Sharon». Il s'agit de le laisser tenter d'imposer «sa solution» aux Palestiniens. S'il réussit rapidement, tant mieux pour lui. S'il échoue, une «médiation politique» sera urgente.
Le scénario d'une attaque
Après un bombardement massif commencé à 0h30 du matin, les chars israéliens avancent vers Bethléem. Le plan de Sharon est simple: réoccuper une partie des territoires palestiniens «autonomes» et déplacer la population vers le nord ou le sud de la Cisjordanie et vers Gaza. Les objectifs à atteindre seront de parquer les Palestiniens dans trois zones distinctes, de détruire l'Autorité comme instance de centralisation politique, d'imposer, à terme, un retour au «calme». Le rapport très «optimiste» du chef d'état-major, le général Shaoul Mofaz, prétendant qu'Israël pourra en quelques semaines, en mobilisant 30000 soldats et ses F16, ses chars et ses blindés, venir à bout de la résistance des 40000 hommes en armes de l'Autorité palestinienne, a certainement encouragé Sharon à passer à l'action. Toutefois, lui et son état-major ont oublié un élément décisif: en faisant planer le spectre d'une nouvelle expulsion des Palestiniens, ils ont déterminé ces derniers à se battre jusqu'à la mort.
Bombe à Al-Aqsa
Pour les Palestiniens de l'intérieur, revivre une nouvelle fois la tragédie de 1948 et devenir réfugiés est purement et simplement impossible. Malgré un rapport de force cruellement inégal, cette fois-ci des armes sont disponibles et une résistance acharnée peut tenir en échec les desseins israéliens. La bataille de Bethléem censée se terminer en quelques heures dure plusieurs jours et tourne au carnage. Les combats se déroulent de maison en maison, plusieurs dizaines d'actions kamikazes ont lieu avec la participation de femmes et d'enfants, des bombes israéliennes atteignent deux abris de la ville. Le bilan est lourd: des dizaines de morts et de blessés. Le lendemain du début des opérations, Yasser Arafat adresse un vibrant appel aux peuples et aux Etats arabes à venir au secours de leurs frères palestiniens face à la «guerre d'extermination» israélienne. Les images de la bataille ont, par ailleurs, fait le tour du monde entier. A Amman, à l'appel des partis d'opposition nationalistes, de gauche et islamistes, une manifestation de solidarité avec le peuple palestinien tourne à l'émeute: des centaines de milliers de manifestants en colère attaquent le quartier des ambassades en prenant directement pour cible les ambassades américaine et israélienne. Malgré l'important dispositif policier, des milliers de manifestants réussissent à pénétrer dans les locaux et à y mettre le feu. Entre-temps, l'irrémédiable est commis: en essayant de déloger les manifestants, des policiers tirent. Bilan: plusieurs morts et des dizaines de blessés. La nouvelle se répand dans la ville et le pays à la vitesse de la lumière. Des manifestations spontanées éclatent aux quatre coins du royaume hachémite. Les partis d'opposition réclament la démission du gouvernement, la constitution d'un gouvernement d'unité nationale et l'ouverture des frontières devant les combattants désirant soutenir les Palestiniens. Le lendemain, deux Jordaniens et un Palestinien attaquent une patrouille israélienne à la frontière. Bilan: 6 morts, dont les trois combattants. Israël somme la Jordanie de contrôler ses frontières. Les funérailles des 3 combattants tournent à l'émeute lorsque la police jordanienne essaie d'empêcher le cortège funéraire de passer par le centre-ville. Nouvelles émeutes qui s'étendent au reste du pays. Devant la «gravité» de la situation, le roi Abdallah décrète l'Etat d'urgence qui se traduira par un déploiement massif de la police et de l'armée et par un quasi-siège des camps palestiniens.
A Jérusalem, un groupe d'extrémistes juifs déguisés en Palestiniens réussit à pénétrer dans la mosquée Al-Aqsa et à y poser une bombe: son explosion endommagera une partie de la salle de prière. Le gouvernement israélien condamne immédiatement l'attentat ainsi que les Etats-Unis et le reste du monde. L'attentat a un effet de tremblement de terre sur les opinions publiques arabes: des manifestants investissent les rues des capitales arabes et scandent un seul mot d'ordre: «Al-Djihad», la guerre sainte. Le Hezbollah est le premier à redonner l'exemple: un groupe de la Résistance réussit à capturer les membres d'une patrouille israélienne. Le parti islamiste réclame par ailleurs l'arrêt de la guerre israélienne contre le peuple palestinien à défaut de quoi son action dépassera le seul cadre des fermes de Chebaa. De son côté, Ariel Sharon donne au Liban et à la Syrie 24 heures pour la libération des soldats capturés. Les premiers raids aériens auront lieu 32 heures plus tard. En riposte, un commando libano-palestinien attaque un poste-frontière israélien tuant et blessant plusieurs soldats. La réaction israélienne prendra pour cible des objectifs directement situés sur le territoire syrien. Moins d'une heure plus tard, des missiles sol-sol syriens s'abattront sur le nord d'Israël. Les Etats-Unis appellent toutes les parties à un cessez-le-feu immédiat. L'Egypte, l'Arabie Saoudite et les monarchies du Golfe les invitent à faire pression sur Israël pour arrêter ses agressions. Les combats font rage dans les territoires palestiniens et Israël découvre que les Palestiniens sont en possession à Gaza de roquettes katioucha. Suite à un bombardement du territoire israélien avec celles-ci, Tsahal pénètre dans le nord de la bande de Gaza. L'Egypte la somme de se retirer. Israël déclare la mobilisation générale...
La suite peut être imaginée facilement. En élisant Ariel Sharon, les Israéliens ont fait un choix qu'ils regretteront tôt ou tard.
              
5. Affrontements internes ?
in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 27 juillet 2001
Dans un communiqué commun, les brigades Ezzeldin al-Kassam et les Comités de défense populaire ont accusé la police palestinienne d'avoir tiré sur l'un de leurs commandos communs alors qu'il revenait d'une opération contre la colonie d'Achdront. Trois membres du commando ont été blessés, dont un gravement à la colonne vertébrale. Cette évolution, première du genre depuis le début de l'intifada, est un très mauvais présage pour l'avenir de l'insurrection populaire s'il s'avère qu'elle n'est pas une simple erreur comme le prétendent les services palestiniens. Nombre d'observateurs avaient depuis longtemps signalé les liens d'intérêts de certains dirigeants des services de sécurité palestiniens avec Israël. Depuis les accords d'Oslo, une caste de responsables militaires avait tissé des réseaux de relations avec des hommes d'affaires israéliens et palestiniens. Cette caste a été relativement marginalisée par l'éclatement de l'intifada qui a ramené au premier rang les dirigeants politiques du Fatah, comme Marwan Barghouti. Au sein même des services de sécurité, une ligne de fracture séparait les responsables impliqués dans l'intifada de ceux qui ont préféré se mettre à l'ombre pour le moment. Ces derniers peuvent avoir un rôle extrêmement dangereux dans le cas où Israël mettrait en application son plan visant à détruire l'Autorité palestinienne. Ces petits chefs de guerre deviendront les interlocuteurs privilégiés des Israéliens dans les minizones palestiniennes assiégées. D'une manière plus générale, cette caste de responsables corrompus fait partie des forces dont les intérêts ont été lésés par l'intifada et ayant le souhait qu'elle s'arrête le plus rapidement possible.
              
6. Sharon, un allié de Bush
in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 27 juillet 2001
Contrairement à une analyse encore en vogue dans une certaine presse, les extrémistes israéliens ont toujours été considérés comme une carte gagnante par les Etats-Unis. Washington estime que ces extrémistes sont une carte de pression qui pousse le monde arabe vers une plus grande modération, c'est-à-dire à un plus grand alignement sur la politique américaine. Dans le nouveau contexte géopolitique mondial, marqué par la volonté de Washington de pérenniser son hégémonie militaire politique et économique face à des puissances ascendantes comme l'Europe ou la Chine, Israël choisit de s'inscrire dans la stratégie globale des Etats-Unis en échange d'un soutien américain à ses ambitions régionales. Avec l'arrivée aux affaires d'une Administration républicaine, dominée par des militaires et donnant la priorité à des projets comme le programme de défense antimissile, Sharon peut facilement plaider sa cause et convaincre. N'est-il pas un intime de nombre de Faucons de l'actuelle Administration ou de ses proches conseillers (comme Donald Rumsfeld ou Alexandre Haig)? De plus, la faiblesse des réactions officielles arabes aux pratiques israéliennes depuis le début de l'intifada a convaincu les Etats-Unis que leur soutien inconditionnel à Israël n'aura pas de répercussions importantes sur leurs intérêts dans le monde arabe.
                  
7. Le dilemme d'Arafat
in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 27 juillet 2001
Les heurts entre manifestants et policiers palestiniens ont mis en exergue le dilemme auquel fait face le président Yasser Arafat, déchiré entre le soutien à l'intifada et les appels à la paix. D'une part, M. Arafat doit faire face aux exigences de son peuple qui souhaite recouvrer ses droits par tous les moyens, même l'intifada qui dure depuis septembre et qui a fait près de 700 morts en majorité des Palestiniens. D'autre part, il est pressé par la communauté internationale de mettre fin à la violence afin d'entamer l'application du rapport Mitchell, qui prévoit dans son étape finale une reprise des négociations en vue du règlement du conflit israélo-palestinien. Les affrontements, les premiers du genre depuis le début de l'intifada, ont commencé à la suite d'une manifestation avant l'aube à Gaza contre l'Autorité palestinienne, ont indiqué des témoins. Les manifestants, pour la plupart sympathisants du Comité de résistance populaire composé en partie du mouvement Fatah d'Arafat et des islamistes du Hamas, ont lancé des pierres vers les gardes postés devant la résidence du chef des renseignements militaires à Gaza, Moussa Arafat, un membre de la famille du président palestinien. Des coups de feu ont été tirés en l'air, sans faire de blessés. A la suite des heurts, un haut responsable palestinien a accusé le Hamas de «provocation politique» estimant que le mouvement intégriste avait cherché à «tester l'autorité et la force» des dirigeants palestiniens. «Ce qui s'est passé à Gaza est une provocation politique du Hamas», a-t-il indiqué sous couvert d'anonymat. Les dirigeants palestiniens ne permettront pas l'existence d'«un gouvernement dans le gouvernement et n'accepteront pas la poursuite du désordre à l'intérieur des territoires palestiniens», selon lui. Huit Palestiniens ont été arrêtés après ces manifestations organisées pour dénoncer une tentative d'arrestation de militants par la police dimanche à Gaza, qui a dégénéré en un échange de tirs faisant trois blessés, des membres du Hamas et du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). «Les accusations contre le Hamas sont inacceptables car il s'agit de manifestations spontanées de refus des arrestations ou des tirs contre des membres de la Résistance populaire», a indiqué à la presse un responsable du Hamas, Ismaïl Hania. «Nous refusons toute confrontation parallèle à celle que nous menons contre l'ennemi sioniste», a-t-il ajouté, insistant sur le refus de son mouvement «d'un retour aux confrontations internes» et appelant à la poursuite de l'intifada «dans l'unité palestinienne». L'analyste politique palestinien Ghassan Khatib a minimisé l'importance de ces heurts, affirmant que ni M. Arafat, ni les groupes radicaux n'avaient changé de position. «L'incident a été maîtrisé et le calme est revenu à Gaza. Il n'y a pas de tension», a déclaré M. Khatib à la presse. L'opinion publique palestinienne ne semble cependant pas du même avis. Les derniers sondages ont montré que le soutien à la politique de M. Arafat était en recul, alors que l'appui aux groupes islamistes augmentait. Selon une étude israélo-palestinienne publiée dimanche, 92% des Palestiniens se disent favorables à des attaques armées.
              
8. Hilmi Moussa, expert en questions israéliennes : "La Syrie ne permettra pas le retour d'Arafat au Liban"
in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 27 juillet 2001
Il n'y aura pas d'offensive israélienne généralisée contre les territoires palestiniens, déclare Hilmi Moussa, journaliste et expert dans les affaires israélo-palestiniennes. Quant à un éventuel retour des combattants palestiniens au Liban, Beyrouth et Damas ne le permettraient pas. Interview.
- Comment évaluez-vous la situation dans les territoires autonomes ?
- Malgré les apparences, aucune partie n'a intérêt à provoquer une confrontation de grande envergure. Nous sommes dans une période de «gestion des conflits», non dans celle de la résolution de problèmes. Par contre, nous avons deux fronts délicats: le front libano-syrien avec Israël et celui de la Palestine. Dans l'équilibre de forces régionales, il est évident qu'Israël possède la suprématie militaire. Mais la Syrie a une profondeur stratégique qui fait défaut à l'Etat hébreu et les Israéliens réfléchiront à mille fois avant de déclencher une guerre contre la Syrie. Dans les territoires autonomes, militairement, le Palestinien est plus faible que l'Israélien mais il a son poids dans la balance stratégique. Cela est dû à la présence de plus de quatre millions de personnes qui vivent dans les territoires occupés ou qui possèdent la nationalité israélienne. La seule rumeur d'une opération menée par un Palestinien sème la terreur et la panique chez les Israéliens, et cela les affaiblit énormément sur le plan moral. D'autre part, il y a eu chez l'Israélien, jusque dans les années soixante-dix, le sentiment qu'il était victime et exposé à un grand danger. Mais depuis que Sharon, le Premier ministre israélien, a envahi le Liban en 82, les données ont changé. Sharon a démontré qu'il n'a pas provoqué la guerre pour assurer sa défense mais pour changer les équations régionales. Or, cette époque est révolue et l'opinion publique internationale ne l'accepte plus.
- Certains n'écartent pourtant pas l'éventualité d'une guerre. Qu'en pensez-vous ?
- Je pense qu'actuellement seule une minorité en Israël désire mener une guerre de grande envergure contre les territoires parce qu'une question primordiale se posera alors. D'accord pour une guerre avec tout ce que cela coûte, mais qu'adviendra-t-il après? Où cela va-t-il aboutir? Militairement parlant, Israël peut envahir les territoires en quelques heures. Mais peut-il garantir son influence et son autorité sur ces régions? D'autre part, le Palestinien n'a jamais autant tenu à son identité, n'a jamais reçu un appui international aussi important: le principe d'une nation palestinienne est approuvé à l'unanimité au moins jusqu'aux frontières de 1967.
- D'aucuns affirment qu'Israël ne veut plus de l'Autorité palestinienne ayant à sa tête Yasser Arafat parce que ce dernier ne veut plus ou ne parvient plus à contrôler les territoires.
- Deux thèses s'affrontent en Israël. Certains disent qu'il n'y a pas pire qu'Arafat et que n'importe qui le remplacera sera plus efficace. D'autres pensent qu'Arafat est modéré et qu'il accepte, au moins, de garder les canaux ouverts avec eux. C'est cette dernière logique qui prévaut actuellement.
- Au cas où une guerre serait déclenchée et les Palestiniens évacués, l'éventualité d'un retour au Liban est-elle envisagée ?
Le déplacement des Palestiniens n'est pas à l'ordre du jour, ni vers le Liban ni vers la Jordanie. La Jordanie a été créée pour servir d'Etat tampon entre Israël et les pays arabes; donc la stabilité dans ce pays est primordiale pour Israël. Preuve en est lorsque, dans les années soixante-dix, on a parlé d'invasion syrienne de la Jordanie, l'aviation israélienne s'est mobilisée pour protéger le système en place. Quant au Liban, lorsque Sharon l'a envahi, c'était dans le but d'en chasser les Palestiniens et de mettre le maximum de distance entre eux et la frontière israélienne. Pourquoi voulez-vous qu'il change actuellement de politique ?
- Mais si Arafat décidait de faire de nouveau du Liban une base d'attaque contre les Israéliens ?
- Ni les autorités libanaises ni syriennes ne le permettraient. La Syrie n'a aucun intérêt à un éventuel retour d'Arafat. Le Liban a, aujourd'hui, sa propre résistance; il n'a plus besoin de prouver son appartenance au monde arabe par le biais des Palestiniens. Quant aux Palestiniens présents dans les camps au Liban, ils pourraient représenter un certain danger parce que leurs conditions de vie très difficiles en font des îlots explosifs, mais cela est une autre paire de manches.
                             
9. La Belgique est incompétente pour juger Sharon
in Le Soir (quotidien belge) du vendredi 27 juillet 2001

La Belgique est incompétente !. Me Hirsch choisie par l'Etat d'Israël pour défendre Ariel Sharon déclare que l'instruction pour crime de droit international porte atteinte à la souveraineté judiciaire de l'Etat hébreu.
Me Michèle Hirsch, mandatée par l'Etat d'Israël dans le cadre de la plainte déposée à Bruxelles contre le Premier ministre israélien, Ariel Sharon, a estimé vendredi que la Belgique n'était pas compétente pour le juger. Pour l'avocate, cette instruction pour crime de droit international ouverte auprès du juge d'instruction Patrick Collignon, porte atteinte à la souveraineté judiciaire de l'Etat d'Israël qui a déjà jugé les faits.
Une commission israélienne chargée d'examiner la responsabilité de M. Sharon et d'autres responsables dans les massacres de Sabra et Chatila (Liban), qui ont fait plusieurs centaines de morts en septembre 1982, n'a pas estimé qu'il y avait des charges suffisantes pour les renvoyer devant un tribunal, a indiqué Me Hirsch à BELGA. Pour Me Hirsch, le juge d'instruction belge est dès lors incompétent. Elle va écrire dans ce sens au juge d'instruction qu'elle espère rencontrer la semaine prochaine.
Début juillet, le juge d'instruction s'est en effet déclaré compétent pour instruire la plainte, pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité, déposée le 18 juin par 23 victimes et 5 témoins des massacres de Sabra et Chatila. Le juge a déjà entendu une des plaignantes qui s'est constituée partie civile, selon son avocat, Me Michaël Verhaeghe. Pour Me Hirsch, il s'agit de confronter la loi de 1993 par rapport à cette plainte, un loi complexe qui en est à ses balbutiements dans son application. Une seule affaire a abouti devant une Cour d'assises en vertu de cette loi retenant la compétence universelle de la justice belge pour les crimes de droit international. Elle s'est soldée début juin par la condamnation de quatre Rwandais. Me Hirsch y représentait les intérêts de plusieurs parties civiles, des proches de personnes assassinées pendant le génocide rwandais. Elle estime dès lors qu'il faut discuter du champ d'application de cette loi.
L'Etat d'Israël a directement après les faits mis en place une commission d'enquête, la commission Kahane, présidée par le président de la Cour suprême d'Israël dans lequel il y avait d'ailleurs un deuxième juge, actuel président de la Cour suprême. La commission a procédé à une enquête avec tous les pouvoirs d'une commission d'enquête (commission rogatoire, audition de témoins) qui sont similaires à ceux d'un juge d'instruction. Au terme de cette instruction, la commission a déterminé qu'il n'y avait pas d'indices de culpabilité susceptibles de justifier le renvoi de différentes personnes, dont M. Sharon, vers les instances judiciaires ad hoc. Elle avait néanmoins la capacité de déférer ces personnes devant l'attorney. Mais elle n'avait pas d'indices dans ce sens et elle ne les a dès lors pas déférés", a expliqué Me Hirsch. 
Cette commission Kahane avait conclu à une responsabilité indirecte de M. Sharon dans les massacres de Sabra et Chatila perpétrés par la milice chrétienne des Forces libanaises, alliée d'Israël dont M. Sharon était alors ministre de la Défense. Pour Me Hirsch, il faut tenir compte de cette commission. Au niveau international, il y a déjà un tribunal pénal international pour la Yougoslavie et le Rwanda. Il y a en gestation une Cour pénale internationale, qui a été ratifiée par la Belgique. Or, poursuit Me Hirsch, un article prévoit que les poursuites sont irrecevables si l'Etat concerné a décidé de ne pas poursuivre. Les poursuites sont donc irrecevables.
L'avocate en déduit que le juge d'instruction n'est pas compétént pour poursuivre M. Sharon. Cette plainte et l'instruction qui pourrait être menée est une atteinte à la souveraineté judiciaire de l'Etat d'Israël, conclut Me Hirsch. Pour l'avocate, il y a donc autorité de la chose jugée, conjuguée à la souveraineté judiciaire d'un Etat en sa capacité pour ses propres institutions de juger. Me Hirsch, qui préfère néanmoins réserver son argumentation pour le juge d'instruction, va lui adresser un courrier. Elle espère pouvoir le rencontrer la semaine prochaine.
                    
10. Israël : hystérie anti-belge par Serge Dumont et Agnès Gorissen
in Le Soir (quotidien belge) du vendredi 27 juillet 2001

L'accusation d'antisionisme, voire d'antisémitisme, est proche
C'était le gros titre de tous les journaux télévisés jeudi soir. Le sujet de flashes spéciaux d'information en radio dans la journée. Le thème de commentaires dans la presse écrite depuis plusieurs jours. Lentement mais sûrement, Israël sombre dans une sorte d'hystérie anti-belge.
En cause, bien sûr : la plainte déposée à Bruxelles, pour crimes de guerre, contre le Premier ministre israélien, Ariel Sharon, en vertu de la loi belge de compétence universelle. Patrick Collignon, le juge d'instruction en charge du dossier, a précisément commencé jeudi à entendre un des plaignants, Souad Srour, une Palestinienne rescapée des massacres de Sabra et Chatila, au Liban, en 1982.
Preuve que l'Etat hébreu prend l'affaire au sérieux, un comité spécial - comprenant notamment des représentants du cabinet du Premier ministre - a été créé pour préparer la défense de Sharon. Une fonctionnaire de haut niveau a été envoyée à Bruxelles pour y étudier les subtilités du droit pénal belge et y prendre des avis juridiques. Et pour y choisir un avocat, comme l'a affirmé la radio militaire israélienne ? Il semble qu'on n'en soit pas là. Mais des contacts ont été pris avec un cabinet d'avocats, chargé de tenir le dossier à l'œil.
Devant la presse toutefois, Ariel Sharon continue à prendre les choses de haut, parlant, jeudi encore, de campagne politique le visant personnellement, mais destinée à nuire à Israël et au peuple juif.
« Un Etat en cours d'effondrement » où le Vlaams Blok régnerait en maître
La Belgique est ainsi accusée d'être plus dure vis-à-vis d'Israël que des Palestiniens. Les Affaires étrangères viennent de sortir une « liste noire » de pays où les personnalités liées à la colonisation des territoires palestiniens ainsi que les officiers ayant servi en Cisjordanie et dans la bande de Gaza sont invités à ne pas se rendre, car ils risqueraient d'y être arrêtés. La Belgique figure en bonne place sur cette liste.
Dans la foulée des responsables politiques, télévisions, radios et presse écrite jettent l'anathème sur la Belgique - un Etat en cours d'effondrement où le Vlaams Blok régnerait en maître, selon une « information » délivrée jeudi par la radio officielle. Des propos déformés, voire carrément inventés, sont prêtés à l'ambassadeur de Belgique sur place pour « montrer » toute la malveillance de Bruxelles à l'égard d'Israël. Une démarche qui a déjà abouti à des jets de pierres contre un bâtiment diplomatique belge. Et qui mène tout droit à l'accusation - gratuite - d'antisionisme, voire d'antisémitisme.
Mais dans cette fureur anti-belge, plus personne en Israël ne semble prendre la peine de rappeler que la justice belge ne fait que son travail - et qu'elle le fait en toute indépendance par rapport au pouvoir politique ou à l'opinion. Pas grand monde, non plus, pour se pencher sur le fond du problème, à savoir les massacres de Sabra et Chatila, au cours desquels 800 à 2.000 civils palestiniens ont perdu la vie.
                  
11. Campagne anti-belge en Israël par Serge Dumont
in Le Soir (quotidien belge) du vendredi 27 juillet 2001

Tout est bon pour noircir la Belgique. Même la pire désinformation. En cause, bien sûr : la plainte déposée à Bruxelles contre le Premier ministre, Ariel Sharon. Qui se prépare activement sur le plan juridique, au cas où...
TEL-AVIV - Interpellé hier par une meute de journalistes à la sortie d'une réunion des instances de son parti qui se déroulait dans la colonie juive d'Ariel, en Cisjordanie, le Premier ministre, Ariel Sharon, a refusé de commenter les informations selon lesquelles il aurait demandé à un cabinet d'avocats belges d'assurer sa défense au cas où il serait inculpé de crimes de guerre par le juge d'instruction Patrick Collignon. Traitant cette affaire avec un certain détachement, il s'est contenté d'affirmer qu'à ses yeux, la procédure en cours à Bruxelles a été déclenchée contre lui personnellement. C'est une campagne politique, a-t-il poursuivi. Elle est menée pour nuire à Israël et au peuple juif.
L'entourage du Premier ministre suit en tout cas de très près ce qui se passe au parquet de Bruxelles. En fait, quelques jours après le dépôt de la plainte, un comité ad hoc a été créé afin de préparer la défense de Sharon. Ce comité, qui se réunit dans la plus grande discrétion à Jérusalem (l'une de ces réunions s'est tenue hier soir), comprend des représentants du cabinet du Premier ministre, du ministère des Affaires étrangères, du ministère de la Justice, ainsi que du bureau du procureur général Eliakim Rubinstein (qui est également le conseiller juridique du gouvernement).
A l'origine, ces fonctionnaires se rencontraient pour évaluer la situation. C'est-à-dire pour tenter de déterminer si les différentes plaintes déposées contre Sharon sont sérieuses et, surtout, si elles ont des chances de déboucher un jour sur un procès. Dans ce cadre, Shimon Peres a rapidement autorisé l'envoi à Bruxelles d'une fonctionnaire de haut niveau de son ministère afin d'y étudier les subtilités du droit pénal belge et d'y prendre des avis juridiques. C'est alors qu'un avocat belge, dont l'identité est tenue secrète, a été consulté et qu'il a été chargé de tenir le dossier à l'œil sans devenir pour autant le « conseil d'Ariel Sharon à Bruxelles ».
Depuis lors, aucun élément nouveau n'a été recueilli par le comité, mais le ministère israélien des Affaires étrangères a décidé il y a quelques jours de conseiller aux personnalités officielles de l'Etat hébreu liées à la colonisation des territoires palestiniens ainsi qu'aux officiers ayant servi en Cisjordanie et dans la bande de Gaza d'éviter de séjourner à Bruxelles. Ou d'y faire escale, afin de ne pas prendre le risque d'être arrêtés et déférés devant le Tribunal pénal international de La Haye qui pourrait éventuellement les juger pour crimes de guerre.
La radio officielle a présenté la Belgique comme un pays où le Vlaams Blok régnerait en maître
La Belgique n'est cependant pas le seul pays à figurer sur la « liste noire » des Affaires étrangères israéliennes, puisque l'on y retrouve également l'Espagne (où un juge avait entamé l'année dernière une procédure contre Augusto Pinochet), ainsi que le Danemark (où le nouvel ambassadeur d'Israël est l'objet de violentes critiques avant d'être entré en fonction en raison de son passé dans les services de sécurité de l'Etat hébreu).
Le sentiment anti-belge qui se développe en Israël est nourri par les médias locaux qui publient des informations approximatives sur ce pays hostile à Sharon. Hier matin, un chroniqueur de « Kol Israël », la radio officielle de l'Etat hébreu, a, par exemple, présenté la Belgique comme un Etat en cours d'effondrement où le Vlaams Blok régnerait en maître.
Un peu plus tard, un éminent chroniqueur politique, au cours d'un flash d'information spécial, a affirmé que l'ambassadeur de Belgique, Wilfried Geens, venait d'être convoqué par le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères israélien et qu'il aurait, durant cet entretien, confirmé que le procès de Sharon aurait lieu. Renseignements pris, l'ambassadeur Geens n'a plus rencontré le fonctionnaire israélien depuis au moins deux semaines. En outre, il n'a pas tenu les propos qui lui sont prêtés. Ce que les officiels israéliens se refusent de confirmer publiquement.
                       
12. Caroline et Fayçal Zerguine, étudiants, actuellement en mission de solidarité en Palestine
L'Humanité à ouvert ses colonnes, du 23 au 27 juillet 2001, à deux étudiants français en mission de solidarité en Palestine. "Invités de la semaine", ils ont livré leurs impressions dans la rubrique "Tribune Libre" du quotidien.
- Lundi 23 juillet 2001 -
Comme nous le savons, le conflit israélo-palestinien perdure depuis plusieurs générations et depuis la deuxième Intifada, qui débuté en septembre 2000, la vie du peuple palestinien est devenue plus difficile.
C'est de la ville de Beit Jala que nous observons cette situation. Etudiants en psychologie clinique et en histoire, nous souhaitons ouvrir une porte entre la France et la Palestine à la fois par une recherche en psychologie menée sur les effets de l'Intifada sur les adolescents, ainsi que la communication de ce qu'est devenue la vie quotidienne des Palestiniens.
Cette ville est située en Cisjordanie, à cinq kilomètres de Jérusalem. La population de Beit Jala est composée à la fois de chrétiens et de musulmans qui vivent ensemble, en parfaite harmonie. Aujourd'hui, on compte environ 12 000 habitants. Depuis le début du conflit, 80 % des personnes vivant à Beit Jala ont émigré, pour la plupart d'entre eux vers le Chili, ainsi que vers le Canada, les Etats-Unis, le Pérou. Son économie se fonde essentiellement sur l'olive. En effet, les oliviers sont présents partout sur les collines qui entourent Beit Jala. Cette économie a été mise à mal depuis le début des bombardements en octobre-novembre 2000, 60 % de la population est au chômage actuellement. De nombreuses plantations ont été détruites, empêchant toute récolte. En outre, la population n'avait pas la possibilité de se rendre sur le lieu de travail, les tirs pouvant commencer à n'importe quel moment. 450 maisons furent détruites dans cette ville.
Après le morcellement de leur terre s'opère le morcellement de leur vie, où s'engage une lutte continue pour survivre. Ce combat passe par leur volonté à reconstruire sans cesse leur maison, à maintenir en vie une culture riche de diversité et de tolérance, culture qui leur permet, aujourd'hui, de se définir en tant qu'hommes dans une guerre où la volonté est d'annihiler l'autre.
La culture est le moyen que tout peuple peut utiliser pour se faire reconnaître comme entité. L'échange de cultures permet de créer un lien, de communiquer la vie. C'est dans ce cadre d'échange culturel et d'entraide que nous avons souhaité partir pour la Palestine. Une association tient ce rôle. De nombreuses activités culturelles ont été créées, telles qu'une compagnie de danse qui a parcouru diverses villes de France, où les danses traditionnelles, les habits de différents pays ont été proposés. Un théâtre existait aussi : il a été détruit par les tirs. Mais son responsable disait que même s'ils doivent être dehors pour créer des pièces ou travailler, ils le feraient et que personne ne les empêcherait d'exprimer ce qu'ils ressentent à travers l'art et la culture. Cette association propose aux jeunes de la ville de se réunir autour du football, sport très prisé à Beit Jala. Tout est entrepris pour redonner un semblant de vie, de sourire à chaque habitant, afin de leur montrer autre chose que la mort, le feu, les larmes. Après les cris, les bruits sourds des bombardements, c'est au tour des rires d'exister.
Dans nos prochaines correspondances, nous raconterons la vie de Beit Jala, de la Palestine, à travers les messages, les témoignages des gens que nous avons rencontrés et qui nous ont ouvert leurs portes avec chaleur et générosité. Tous ces articles seront dédiés aux habitants de la ville et à l'ensemble des Palestiniens.
- Mardi 24 juillet 2001 -
En Palestine avoir vingt ans ne permet aucune échappée. L'ami chez qui nous logeons, nous parle de ce qu'il vit chaque jour. Depuis sept ans seulement, l'armée israélienne a quitté sa ville. · vingt-trois ans, il ne sait pas ce que va être sa vie. Après avoir connu la vie sous l'occupation depuis sa naissance, les jours où l'école était immergée par les gaz lacrymogènes, les jets de pierres, les décès, il dit clairement qu'aucune paix n'est possible ici. La paix ne peut se construire sur des morts, et des armes. Au même instant, des bombardements reprennent à Bethléem. Toute notre attention est alors attirée sur les bruits. Une amie nous rejoint, elle quitte sa maison située en face de la colonie où des Palestiniens ont tiré au mortier. Elle craint pour sa famille. Ces bombardements reprennent pour répondre à l'attentat de Benyamina qui a causé la mort de deux militaires israéliens. Il y a environ une heure, des hélicoptères israéliens ont tiré à la roquette sur une maison, près de Bethléem. Quatre hommes sont morts, il y a une dizaine de mutilés. La télévision locale montre des images très dures : du sang, de la fumée, des décombres. De nombreuses personnes sont venues en aide aux blessés. Des cris, des pleurs se font entendre près de Beit Jala. Maintenant les images sont à l'intérieur de l'hôpital de Bethléem où ont été transportés les blessés. Nous assistons en direct aux efforts des médecins pour sauver des vies. Face à de telles images, que dire ? Voilà plus de vingt ans que notre ami assiste à de telles scènes. Comment pouvoir se construire intérieurement alors que la réalité vous renvoie à une incessante morbidité ? Les Israéliens et les Palestiniens paient le sang par le sang, ce qui n'a jamais résolu les choses. Maintenant les chaînes de télévision palestiniennes montrent des images anciennes de l'Intifada, comme pour pousser le peuple à reprendre le soulèvement. Les différentes organisations telles que le Fatah, le Djihad islamique ou bien le Hamas veulent que l'Intifada reprenne. Palestiniens et Israéliens, tous utilisent les mêmes stratégies d'attaque ou de contre-attaque, aussi inhumaines les unes que les autres. Les militaires dirigent ce conflit et nous ressentons l'absence de prise en compte du peuple et de ses revendications. Nous pouvons entendre des tirs de mortiers près de notre logement. Ce sont les Palestiniens qui envoient ces bombes sur Gilo, la colonie qui est frontalière avec Beit Jala, cela ressemble franchement à une partie de dames, seulement là ce n'est pas un jeu ! Vingt chars se déplacent sur la route 60 en direction des endroits où les affrontements éclatent. Du sang va encore couler. Trop de morts, trop de destructions, trop d'injustices seront encore une fois le quotidien des Palestiniens. La vie cependant continue. Notre ami palestinien vient de recevoir un appel d'une de ses connaissances israéliennes, non pas pour parler de la montée de la violence, mais pour discuter de leur hobby : le football et plus particulièrement pour jouer ensemble au loto sportif. Voilà une amitié qui peut être le symbole d'un nouvel avenir pour ces deux peuples. Puis, des tirs recommencent. · vingt ans, en Palestine, tout s'oublie vite, la vie continue.
- Mercredi 25 juillet 2001 -
L'histoire des Palestiniens est marquée par l'émigration forcée par l'armée israélienne durant les différentes guerres israélo-arabes. Une femme issue de ce mouvement d'émigration nous a raconté son histoire. Avec la première guerre en 1948, Mme V. Z. est obligée de quitter la ville de Lod située près de Tel-Aviv. Elle avait alors deux ans. Elle partit avec sa mère âgée de vingt ans et son petit frère, encore bébé. Ils ont marché pendant une semaine jusque Beit Jala en passant par Ramallah. Les enfants et les femmes se déplaçaient ensemble sans les hommes qui devaient emprunter un chemin différent afin d'éviter les militaires israéliens. Les gens qui habitaient aux alentours de Tel-Aviv se dirigeaient vers la Jordanie ou la Cisjordanie, ceux qui vivaient au nord sont partis vers le Liban. Ils laissèrent tout derrière eux : leur maison, leurs biens, leur emploi. Ceux qui résistaient étaient jetés dehors ou tués. Les maisons ont été détruites par les avions. Le père de Mme V. Z. était employé aux chemins de fer. Ainsi il avait pu acquérir une belle et grande ferme. Arrivés à Beit Jala, ils retrouvèrent la sour de sa mère. Son père retrouva un emploi à Bethléem. L'absence d'argent était telle qu'il devait rejoindre son lieu de travail à pied. Elle se souvient d'une anecdote. Son père avait réussi à ramener de la viande. Heureux et pressé de rentrer, il courut jusque chez lui. En rentrant, il s'aperçut qu'il avait perdu son morceau de viande dans la neige. Il fit le chemin en sens inverse, mais en vain.
Madame V. Z. est l'aînée d'une famille de cinq enfants. Elle était une très bonne élève à l'école et son père lui disait toujours qu'il préférait ne pas manger pour pouvoir lui payer des livres et la voir réussir. En 1967, elle était employée en Jordanie où son oncle et sa tante résidaient. Lorsque la deuxième guerre débuta, elle fut bloquée dans ce pays. En 1970, elle construisit sa propre famille. Elle a quatre filles et un garçon qui, à leur tour connaissent les horreurs des bombardements, l'enfermement et l'étouffement. Sa mère est morte en novembre 2000 lors du commencement de la deuxième Intifada. Elle répétait toujours : " qu'est-ce qui se passe ? " Ayant traversé cinq guerres, elle n'a pas supporté d'entendre les bruits sourds des avions, les bombes, les cris et les pleurs. Nous avons demandé à toute la famille quel message ils désiraient envoyer en France et dans le monde. Ce message est simple : " Aidez-nous ! Nous ne sommes pas des animaux, nous voulons vivre simplement et nous avons des droits. Les jeunes ont compris ce droit légitime et ils le montrent par les jets de pierres. Nous voulons pouvoir vivre en liberté sans être arrêtés à tous les cent mètres, sans que l'on nous demande à toute occasion nos papiers d'identité. " L'émigration forcée a provoqué une désarticulation entre l'individu et son histoire. Avec une volonté de déculturation d'un peuple. C'est ce fléau qu'il faut aujourd'hui aussi combattre pour que chaque Palestinien construise son identité.
- Jeudi 26 juillet 2001 -
Quinze mille personnes ont été durement handicapées physiquement depuis le début du conflit. C'est pour faire face au grand nombre de victimes que la société arabe de rééducation et de réadaptation fonctionnelle (Bethlehem Arab Society for Rehabilitation, BASR) a été créée en 1960. C'est une organisation de charité apportant aux enfants et aux adultes des soins spéciaux sans distinction de sexe, de religion ou de classe sociale. En 1986, le BASR a adopté la décentralisation dans la mise en place des soins : deux services se sont développés, les soins de rééducation et de réadaptation fonctionnelle et le centre de soins journaliers. Le principal centre se situe à Beit Jala.
La population est constituée d'enfants et d'adultes ayant subi des blessures à la tête, des fractures, des traumatismes cérébro-vasculaires, souffrant de paraplégie, de malformation congénitale, de rhumatismes et de blessures au niveau de la colonne vertébrale. On compte environ 10 000 patients par an. La capacité d'accueil est de soixante-cinq lits, dont vingt ont été réservés pour les blessés au cours de l'intifada. Le ministère de la santé devrait apporter son aide pour donner vingt lits supplémentaires pour les blessures importantes à la tête.
Dans l'hôpital sont dispensés les soins médicaux et infirmiers, les traitements ostéopathiques, de la kinésithérapie, de l'orthophonie, de l'ergothérapie, des soins d'ORL, des supports psychologiques (psychothérapies), des services sociaux. Ce centre hospitalier cherche à garder une vie sociale : des formations professionnelles sont proposées aux personnes handicapées comprenant des ateliers de broderie, de tricot, de fabrication d'objets en bois d'olivier, des ateliers de réparation de montres, des formations informatiques.
Divers programmes sont proposés à l'extérieur de l'hôpital. Environ mille personnes par an bénéficient de ces soins dans le sud de la Palestine (dans la région de Bethléem et d'Hébron, qui est peuplée de 190 000 habitants). Des visites à domicile sont effectuées. Sept centres de soins journaliers se trouvent dans différents villages et camps de réfugiés dans la région de Bethléem, qui s'occupent d'environ mille enfants par an. Ils travaillent avec des écoles maternelles et primaires. Un programme d'intervention d'urgence vient d'être créé pour assister les victimes de traumatismes afin qu'elles puissent faire face autant à l'aspect physique du traumatisme qu'à l'aspect psychologique. Ce programme est mis en place avec les familles vivant dans la région de Bethléem, qui ont été particulièrement traumatisées par les attaques israéliennes. De plus, l'hôpital a créé une cellule d'entraide matérielle (vêtements et nourritures) pour les personnes touchées économiquement par le conflit, ainsi qu'une aide financière pour les familles dont les maisons ont été détruites lors des bombardements.
Beaucoup de domaines doivent être encore développés. C'est pour cela que les aides internationales jouent un rôle primordial, et sans celles-ci le centre n'existerait pas.
- Vendredi 27 juillet 2001 -
Les dernières images que nous garderons de la Palestine sont celles de ces hommes et de ces femmes construisant un avenir sans de fortes espérances pour la paix et la tranquillité. Leur force se forge sur la solidarité, pilier de l'humanité. Cette solidarité s'observe dans le rassemblement de chaque famille lors des bombardements, dans le rassemblement pour quelques événements tels que le football, le chant, la danse... Un match de football signifie une accalmie. Hier soir encore une jeune fille de vingt ans nous disait que s'ils ne pouvaient plus se regrouper et rire tous ensemble, que deviendraient-ils ? Nous ressentons la nécessité pour ce peuple de se rassembler les uns les autres pour pouvoir survivre, être comme une montagne indestructible. Cette force permet aux jeunes de continuer leurs études. Le taux de réussite au baccalauréat est de l'ordre de 85 % dans la région de Bethléem (ce qui correspond à peu près à la moyenne nationale). Certes, l'école n'est pas obligatoire, mais beaucoup d'entre eux ont compris la nécessité du savoir dans un pays en guerre. L'avenir, c'est eux. Ce sont des résultats d'autant plus louables que ces jeunes enfants rencontrent d'immenses difficultés pour suivre l'école régulièrement. En effet, de nombreux jours sont chômés pour le deuil des victimes d'explosions ou de combats. Une image nous vient à l'esprit : celle de ces jeunes garçons présents lors des enterrements, quand des hommes masqués tirent en l'air pour signifier leur révolte. L'exaltation de ces petits hommes face aux cartouches qui tombent sur le sol et qu'ils ramassent en se battant pour être celui qui en aura le plus, nous paraît effrayante. Ils ne s'éloignent pas pour se protéger. C'est leur quotidien : l'entrée dans la vie par la violence et les armes.
Une image de bonheur, celle de ces hommes, membres d'une même famille, s'agrippant à leur travail comme à leur vie. De génération en génération une famille transforme le bois d'olivier en magnifiques sculptures. Un artisanat qui se transmet de père en fils. Ce travail se fait essentiellement à la main : les machines utilisées pour la découpe, le polissage, la finition ne sont que le prolongement de la main de l'homme. La fierté et le plaisir de créer se lisent sur leur visage.
La population de Beit Jala s'est rassemblée derrière une chanson. Ces quelques phrases devinrent le symbole de la ville, symbole de la lutte palestinienne et des souffrances endurées encore et encore.
Pour notre dernier article, nous avons souhaité vous offrir une partie (que nous avons pu traduire) de ce poème écrit par un homme d'une trentaine d'années résidant à Beit Jala.
"Je ne jure que par ces oliviers, ces collines, ces vignes.
Je ne jure que par les cloches des églises et les mosquées.
Je ne jure que par le sang des martyrs.
Je ne jure que par Beit Jala.
Chaque personne aux alentours connaît Beit Jala et ses lieux saints.
Face aux maisons et vallées détruites par les incessants bombardements, c'est la souffrance d'un peuple qui s'élève.
C'est aux soldats ennemis de tourner les talons car le peuple de Beit Jala restera vivre sur sa terre, faisant toujours face à l'ennemi et protégeant sa ville."
Un poème pour faire vivre leur ville et la Palestine, c'est un souffle d'espoir et de vie.
                  
13. Les Arabes israéliens victimes d'apartheid par Thomas Abgrall
in L'Humanité du jeudi 26 juillet 2001

Israël. La Fédération internationale des droits de l'homme dénonce une " discrimination légalisée " contre les citoyens arabes.
La Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), suite à deux missions récentes, vient de publier un rapport sur le statut de la minorité palestinienne d'Israël - que l'on a coutume d'appeler les " Arabes israéliens " - qui révèle clairement la présence de discriminations " tant légalisées qu'empiriques et sans fondement de quelque nature que ce soit " à l'encontre des citoyens arabes israéliens.
Le rapport fait le constat accablant de discriminations multiples, directes ou indirectes, en totale contradiction avec les engagements internationaux pris par l'Etat d'Israël en matière de droits de l'homme.
Discriminations directes qui " résultent de l'utilisation de l'appartenance nationale ou religieuse comme critère de différenciation " : le rapport donne l'exemple révélateur de l'accès à l'université. Aucune université arabe n'existe en Israël, et dans les universités israéliennes, aucun cours n'est dispensé en arabe. De plus, les bourses d'étude sont subordonnées à l'accomplissement du service militaire, qui ne concerne pratiquement pas les étudiants arabes.
Les discriminations indirectes, elles, encore plus diffuses, sont définies par la FIDH comme " tous les désavantages qui résultent pour les Palestiniens des structures générales de la société israélienne ". Discriminations qui sont au cour même du conflit israélo-palestinien, touchant au premier chef les municipalités arabes, " sans moyens pour offrir des services de base à leurs résidents, ce qui se répercute particulièrement dans les domaines de l'enseignement et des soins de santé de base ". Le budget consacré au développement est en moyenne trois fois plus important pour les municipalités juives que pour les municipalités arabes.
La discrimination se poursuit à tous les stades, elle s'accentue à partir du service militaire. Les jeunes Palestiniens, exemptés quasi automatiquement, ne bénéficient pas des avantages sociaux inhérents au service militaire : accès au crédit en matière de logement, dispense partielle de droits d'inscription aux formations professionnelles organisées par L'Etat...
La ségrégation se retrouve plus tard au niveau de l'accès à l'emploi, que ce soit dans la fonction publique ou dans le privé. Les Arabes sont exclus d'office d'un nombre important d'entreprises et sont " sur-représentés dans le marché du travail secondaire aux niveaux les plus bas de la hiérarchie professionnelle ".
Reste enfin la délicate question de la terre, persistante depuis 1948. Le rapport se dit " témoin d'une politique délibérée et coordonnée au niveau étatique de colonisation des terres à l'intérieur du territoire étatique, au détriment de la population arabe qui y réside ". La stratégie israélienne " consiste à monopoliser les périmètres les plus vastes, même avec une population juive relativement réduite, afin de limiter autant que possible l'extension des localités arabes ". Toutes ces discriminations sur fond de résurgence de la doctrine sioniste de " l'homogénéité juive " et de rassemblement des partis politiques autour de la " menace arabe extérieure " font des Palestiniens d'Israël de véritables " ennemis de l'intérieur ", conclut ce rapport dénonciateur.
                                  
14. Peut-être demain les Israéliens eux-mêmes livreront Sharon à la justice
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 25 juillet 2001

Sabra et Chatila . Luc Walleyn, avocat belge qui s’occupe de la plainte de rescapés contre le premier ministre israélien, Ariel Sharon, estime que ces massacres sont un cas exemplaire de crimes contre l’humanité propos recueillis par Samar Al-Gamal
— Al-Ahram Hebdo : Vous vous occupez de la plainte des victimes du massacre de Sabra et Chatila, les questions humanitaires sont-elles particulièrement de votre ressort ?
— Luc Walleyn : Nous sommes deux avocats à nous occuper de cette affaire, Michaël Verhaeghe, qui travaille comme juriste avec Médecins Sans Frontières (MSF) et moi qui représente Avocats Sans Frontières (ASF). Depuis plusieurs années, nous travaillons ensemble sur les problèmes de justice universelle. Nous avons même à l’époque, dans le cadre d’ASF, organisé une école de formation en matière de droit pénal et humanitaire. Verhaeghe est déjà impliqué dans l’affaire Pinochet et ensemble nous avons lancé il y a six mois un procès pour l’assassinat de deux prêtres belges au Guatemala. Ainsi, mon bureau qui regroupe quelque dix avocats est également perçu comme étant un bureau de droits humanitaires. Les rescapés des massacres de Sabra et Chatila ont au début pris contact avec un avocat libanais, celui-ci a par la suite pris contact avec nous.
— Cette plainte vous a donc intéressé sur le plan de vos convictions personnelles ...
— C’est une cause qui mérite tout à fait d’être défendue. Il s'agit d'un crime très important et d'une grande injustice. Le développement de la justice universelle est tout à fait essentiel pour combattre l’impunité des dirigeants responsables de crimes contre l’humanité et faire au moins en sorte que ces crimes qu’on ne sera pas en mesure d’arrêter complètement se produisent moins. Sabra et Chatila est un cas exemplaire d’impunité totale. Les faits commis dans ces camps de réfugiés palestiniens constituent de façon flagrante un crime de génocide, un crime contre l’humanité, un crime de guerre et une infraction grave à la Convention de Genève de 1949. Cette plainte trouve donc son incrimination aussi bien dans le droit international que dans le droit belge.
— Pourquoi après tant d’années les rescapés se sont-ils mobilisés pour lancer cette plainte ?
— Déjà parce que cette évolution de la notion de justice universelle est récente. Mais le motif essentiel serait le retour d’Ariel Sharon et d’autres personnes impliquées dans ce massacre sur la scène internationale. Un fait qui constitue avant tout une provocation pour les victimes et les pousse à réclamer justice.
— Contre quels accusés précisément se sont présentés les plaignants ?
— Vingt-trois des 28 plaignants se constituent partie civile contre Ariel Sahron, ministre de la Défense au moment des faits, contre Amos Yaron, commandant de division et général de brigade à cette même époque, et contre toute autre personne, qu’elle soit libanaise ou israélienne, dont la responsabilité sera établie dans les événements.
Ces plaignants se basent également sur une série de témoignages d’autres survivants du massacre et qui ont été recueillis par des journalistes en plus des récits d’observateurs. Les cinq autres ne se constituent pas partie civile, mais restent en position de témoins. Ils réclament, tous, des dommages et intérêts pour tous les crimes dont ils ont été victimes.
— Comment procédez-vous pour recueillir les différentes preuves ?
— D’habitude, ce sont les enquêteurs qui se mettent à rassembler les preuves définitives, mais lorsqu’il s’agit d’une affaire aussi internationale, c’est de l’illusion de procéder ainsi. C’est ce qui fait que, de notre côté, nous avons essayé de recueillir des informations et preuves à caractère judiciaire, mais aussi à caractère non judiciaire comme le rapport Kahanne de la commission israélienne qui a conclu à la responsabilité personnelle de Sharon dans ce massacre massif. Nous nous basons également sur le rapport de la commission Mc Bride qui s’est penchée sur toute la guerre du Liban du point de vue juridique.
— Où en êtes-vous dans la procédure ?
— Nous procédons par phases. La réception de la plainte est déjà une phase principale et désormais l’affaire est devenue très importante pour les victimes. Le simple fait que le premier ministre israélien renonce à une visite en Belgique est un événement important dans cette affaire.
La phase actuelle est celle des investigations pour clarifier les informations. Il s’agit de réunir le maximum d’éléments à charge et décharge. Si ces éléments indiquent qu’il y a une certaine responsabilité, le procureur décidera quelle personne doit être renvoyée devant la cour. Un mandat de capture ou d’arrêt sera alors lancé contre Sharon ou même contre plusieurs personnes.
— La Belgique n’a-t-elle pas subi des pressions pour renoncer à cette affaire ?
— Il y a eu certes des pressions israéliennes sur le gouvernement belge, le ministre des Affaires étrangères, Louis Michel, s’est même prononcé pour un amendement de la loi si l'enquête a lieu pour des dirigeants toujours en fonction. L'affaire est basée sur le principe de compétence universelle des tribunaux belges en matière de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide, et Louis Michel voulait prévoir une procédure spéciale pour les dirigeants en exercice. Mais il n’a pas trouvé de majorité au sein de son gouvernement et finalement la loi ne sera pas modifiée. Ainsi, une fois un mandat d’arrêt lancé contre Ariel Sharon, celui-ci peut être arrêté lors d’une visite en Belgique ou dans un autre pays lié par une convention judiciaire avec Bruxelles, c’est-à-dire au moins tous les pays européens ... Peut-être demain ce sont les Israéliens eux-mêmes qui livreront Sharon à la justice, c’est une possibilité à ne pas écarter, même si elle paraît impossible aujourd’hui.
— Avez-vous personnellement fait l’objet d’intimidation pour abandonner l'affaire ?
— Personnellement, je n’ai reçu aucune menace. En revanche, une des rescapées qui vit en Belgique aurait reçu des menaces du côté libanais.
— Qui finance cette enquête ?
— Pour l’instant, l'enquête est basée sur des volontaires, des sponsors individuels et on a accepté de débuter ainsi. Mais dans l’avenir, il y aura beaucoup de frais à payer.
— Dans quelle mesure cette enquête constituera-t-elle une pression sur Sharon à l’heure où il accentue ses pressions sur les Palestiniens ?
— Il ne faut pas croire qu’un juge belge va résoudre tout le problème du Proche-Orient, c’est le rôle des hommes politiques. Nous ne cherchons pas par cette affaire la justice pour tout le monde, nous la cherchons pour nos clients.
 — Combien de temps cette instruction peut-elle durer ?
— C’est une instruction qui peut durer des années, mais ce n’est pas pour cette raison qu’elle ne se poursuivra pas. D’ailleurs, un mandat d’arrêt ou de capture peut intervenir à n’importe quelle étape de l'instruction.
                
15. Sharon rattrapé par ses crimes par Hala Fares et Samar Al-Gamal
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 25 juillet 2001

« Les forces israéliennes ont encerclé notre demeure. Je voyais tout par la petite fenêtre de ma maison. C’était une nuit de cauchemar ; les bombes illuminaient le ciel, les hommes couraient partout, les femmes hurlaient et les enfants pleuraient. Toutes ces scènes restent gravées jusqu'à présent dans ma mémoire ». Mohamad Abou-Roudeina, un des rescapés palestiniens des massacres de Sabra et Chatila en septembre 1982, a les yeux hagards. La détresse et la peur se lisent toujours sur son visage. Il s'adressait aux journalistes lors d'une conférence de presse organisée par l'Institut du Caire pour les études des droits de l'homme (CIHRS) avec la collaboration de la Foreign Press Association (FPA) en présence de Luc Walleyn, l'avocat belge instigateur du procès intenté contre le premier ministre israélien Ariel Sharon pour son rôle dans ce massacre. Abou-Roudeina est l'un des 28 plaignants qui ont intenté le procès devant la justice belge. Il avait six ans lors de ce massacre. C'était le jeudi 16 septembre, le commandement israélien avait donné aux phalangistes des Forces libanaises le feu vert. Ce sont eux qui rencontreront Palestiniens désarmés. A 17h00, les miliciens libanais rentrent dans les camps dans des jeeps fournies par l'armée israélienne. Le massacre commence.
« Ils ont détruit nos maisons, puis nous ont alignés dehors, les hommes seuls et les femmes accompagnées de leurs enfants. Ils ont ensuite permis aux femmes de sortir du camp pour se rendre à la Cité sportive, mon père m’a fait ses adieux et m’a donné un chapelet. J’étais jeune mais je comprenais que je pouvais ne plus le revoir. Sur notre chemin, les corps de civils étaient éparpillés partout dans les rues ». Abou-Roudeina poursuit ses évocations. Pendant 40 heures dans les camps, encerclés et bouclés par les forces israéliennes, les phalangistes vont violer, tuer, blesser un grand nombre de civils non armés, en majorité des enfants, des femmes et des vieillards.
« Toute ma vie a été bouleversée. Mon père tué dans le camp, ma sœur qui était enceinte, ils l'ont éventrée et sorti le fœtus. Ma mère qui a juste vu une vidéocassette du massacre a été paralysée et a perdu la mémoire tellement les scènes étaient inhumaines. Sharon m’a privé d’avoir une vie normale ». Ariel Sharon est donc sur la sellette dans ce crime qui a fait plus de 700 morts, selon les sources officielles israéliennes et 3 500 de source palestinienne. Les documents incriminant Sharon sont accablants, tel ce coup de fil du général Amir Drori, commandant de la zone militaire nord israélienne, à son ministre de la Défense, Sharon. Il lui annonce : « Nos amis avancent dans les camps. Nous avons coordonné leur entrée ». Sharon répond : « Félicitations ! L'opération de nos amis est approuvée ». Jusqu'au matin du samedi 18, l'armée israélienne, qui savait parfaitement ce qui se passait dans les camps, et dont les dirigeants étaient en contact permanent avec les chefs des milices qui perpétraient le massacre, s'est non seulement abstenue de toute intervention, mais a également fourni une aide directe en empêchant des civils de fuir les camps et en organisant un éclairage constant des camps durant la nuit, moyennant des fusées éclairantes, lancées par des hélicoptères, et des mortiers.
Un génocide dénoncé par le Conseil de sécurité
Le Conseil de sécurité des Nations-Unies a condamné le massacre par la résolution 521, elle a été suivie par une résolution de l'Assemblée générale qui a qualifié le massacre comme « acte de génocide ». Malgré l'évidence du « massacre criminel », qualification du Conseil de Sécurité, et la triste place des massacres de Sabra et Chatila dans la mémoire collective de l'humanité au rang des grands crimes du XXe siècle, le responsable personnel de ce massacre, ses acolytes et les exécutants n'ont jamais été poursuivis en justice, ni punis. Il a fallu attendre une évolution du concept de justice universelle qui s'est traduit par l'arrestation de l'ancien dictateur chilien, Augusto Pinochet, en 1998, et de l'ex-président yougoslave, Slobodan Milosevic, il y a quelques mois, pour qu'il soit possible d'envisager une procédure semblable à l'égard de Sharon. D'autant plus que sa responsabilité personnelle a été prouvée par une commission d'enquête israélienne, Kahan. Sharon a dû démissionner de son poste de ministre de la Défense tout en gardant un poste au gouvernement comme ministre sans portefeuille. Bien qu'il s'agisse d'un cas exemplaire de crime de guerre, de crime contre l'humanité (lire entretien), aucun tribunal spécial n'a été créé pour en juger les responsables comme cela a été le cas avec le génocide rwandais et l'ex-Yougoslavie. Il faut attendre une résolution du Conseil de sécurité pour réclamer un tel tribunal. Or, de l'avis des observateurs, un tel projet va se heurter au veto américain. Les Etats-Unis ont utilisé ce droit au cours des 30 dernières années une quarantaine de fois pour empêcher tout projet de résolution, de condamnation ou d'indignation des crimes israéliens. C'est ce qui explique le recours des 28 plaignants à la justice belge qui adopte le principe de compétence universelle permettant de juger des dirigeants étrangers sur son territoire pour des crimes contre l'humanité. « C'est l'un des crimes les plus importants après la deuxième guerre mondiale. Ce n'était pas pour des raisons politiques, mais pour éliminer toute une ethnie. La motivation est raciste », a souligné Walleyn. Il s'agissait d'un génocide contre les Palestiniens à cause de leur origine nationale et dans lequel ont trempé les phalangistes libanais, toujours dans le même dessein. Cette intention se retrouve dans l'autobiographie d'Ariel Sharon intitulée Warrior (Guerrier). Il y parle de l'objectif de l'attaque contre Sabra et Chatila : « Nettoyer Beyrouth-ouest de l'OLP ». Plusieurs autres passages du livre parlent de son intention de « nettoyer » le Liban de tout le monde impliqué ou lié à l'OLP. D'ailleurs, dès juillet 1982, Sharon a voulu convaincre l'envoyé spécial américain pour le Liban, Philip Habib, d'envoyer les phalangistes à Beyrouth-ouest, mettant ainsi en évidence le fait qu'il avait une grande influence et un contrôle certain sur eux (lire encadré).
D'ailleurs, l'appendix secret de la commission Kahan met en cause directement les Israéliens. « Il est difficile d'imaginer qu'aucun soldat israélien, de l'armée ou des services secrets, n'ait pénétré dans les camps pendant trois jours ». Et c'est Ariel Sharon qui a donné lui-même l'ordre aux phalangistes d'entrer dans les camps « sous la supervision » de son armée. « Le combat sert nos objectifs, donc laissez-les participer pour que l'armée de défense israélienne ne fasse pas tout », a-t-il écrit dans ce livre.
Des grands fossés pour enterrer les vivants
Participation active donc des Israéliens. Ce que confirme un des rescapés qui se sont constitués partie civile dans le procès intenté à Sharon : « Les bulldozers israéliens préparaient de grands fossés. On a dit qu'il fallait qu'on y descende tous. Ils voulaient nous enterrer vivants. Ma mère s'est mise à les supplier et puis a demandé une gorgée d'eau avant de mourir ». Chahira Abou-Roudeina, elle aussi plaignante, raconte : « Lorsque nous étions dans la Cité sportive, ce sont les Israéliens qui assuraient la protection des phalangistes et les chars israéliens y étaient posés. De même, ce sont les Israéliens qui criaient dans les haut-parleurs : rendez-vous et vous aurez la vie sauve ».
Faut-il incriminer donc Sharon seul ? S'il est sûr qu'il doit être le premier traduit en justice, il n'en est pas moins qu'il s'agit d'une politique raciste israélienne que dénonce d'ailleurs le CIHRS qui tenait la conférence régionale arabe préparatoire pour la conférence internationale contre le racisme prévue en août à Durban, en Afrique du Sud. Selon Doaa Hussein, chercheur au CIHRS, « l'idée du racisme israélien n'est pas nouvelle, elle reste d'ailleurs liée au concept sioniste. Ben Gourion, un des fondateurs de l'Etat hébreu, avait annoncé : Nous devrons chasser les Arabes, occuper leur place même si on est contraints à recourir à la force ». Cette idée trouve toujours son écho avec les différents dirigeants israéliens, y compris Shimon Pérès qui se présente comme un apôtre de la paix, alors qu'il est responsable du massacre de Cana, en avril 1996, qui a fait 109 civils tués, qui avaient cherché refuge dans un camp de l'Onu, dans le Sud-Liban qui abritait 800 personnes, en grande majorité des enfants, des femmes et des vieillards.
Le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, a rappelé dans le message adressé à la conférence les paroles d'un ministre israélien, Richa Vam Zeuvi, qui proposait d'apposer des signes jaunes sur les vêtements des Arabes israéliens pour les distinguer des juifs. Le même ministre a estimé que la solution du conflit palestino-israélien passe par « une expulsion des Palestiniens (de leurs territoires) en vue de conserver la pureté de la race juive ».
Le sionisme, une forme de racisme
De quoi rappeler cette résolution 3 379 de 1975 de l'Assemblée générale de l'Onu qui considérait le sionisme comme une forme de racisme. Elle a été annulée sur proposition de George Bush père en 1991, à la suite de la guerre du Golfe, sous prétexte de donner un élan au processus de paix. Aujourd'hui, au sein de la conférence, de nombreux intervenants ont demandé de la réadapter, les faits ayant prouvé son caractère véridique. Si l'aspect raciste de l'Etat d'Israël resurgit, c'est évidemment à la suite des violences actuelles dans les territoires palestiniens dont Sharon est le principal responsable. Tant et si bien que le président Moubarak a déclaré à l'agence Chine Nouvelle qu'« avec Sharon il n'y a pas de solution. C'est un homme qui ne connaît que les meurtres, les frappes et la guerre (...) Son principe est le recours à la force et de par sa nature il n'accepte pas la paix ». Une critique très virulente de la part d'un homme modéré. Sharon doit répondre à toutes sortes de crimes, ceux de Sabra et de Chatila, comme ceux actuels. Mais il reste qu'il bénéficie d'une immunité temporaire en tant que premier ministre et d'un soutien inconditionnel des Etats-Unis.
              
16. Lettre ouverte à mes amis israéliens par Nabil Shaath
in Ma'Ariv (quotidien israélien) du vendredi 20 juillet 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Après moult hésitations, mais poussé par un profond sentiment que tel était mon devoir, j'ai fini par me résoudre à envoyer cette lettre ouverte à mes amis israéliens : à mes amis, à mes ex-amis et à mes amis à venir, et même à ceux qui n'ont jamais rêvé d'avoir un jour un ami palestinien, encore moins, membre de l'OLP et de la direction du Fatah. Mais le conflit qui oppose nos deux peuples a pris, au cours des sept mois écoulés, un cours catastrophique et régressif, qui menace de défaire tout ce que nous avons bâti au cours de longues années, en nous faisant régresser jusqu'à l'âge de pierre de la fatalité tribale et d'une vendetta sans fin.
Toute ma vie, j'ai combattu pour la paix. Même durant les années les plus sombres, alors que nous avions le sentiment d'être seuls au monde, et que nous n'avions littéralement personne à nos côtés, à qui parler, je n'ai jamais douté une seconde que l'issue ultime de notre lutte serait la paix, c'est-à-dire : la paix avec vous. Pas la paix sans vous, ou après que vous ayez fini par disparaître, miraculeusement ou dans un cataclysme. La paix avec vous, sur cette terre définitivement commune.
Il y a une trentaine d'années - nous étions encore de jeunes révolutionnaires, à l'époque - nous avions rêvé que la solution au conflit entre nos deux peuples serait un Etat démocratique ouvert aux "Juifs, Chrétiens et Musulmans, sans discrimination", avec des droits égaux garantis par une loi, la même pour tous. Vous avez dit au monde en des termes non équivoques que cette proposition idéaliste représentait une menace de mort à l'adresse de votre existence séparée, en tant que nation. Nous avons pris bonne note de cette donnée de fait : l'Etat d'Israël existe, tant par la volonté du peuple israélien que par celle du consensus international. Nous nous sommes attachés, dès lors, à formuler nos aspirations nationales de façon à ce qu'elles n'entrent pas en collision frontale avec cette réalité.
Après la guerre d'Octobre 1973, nous avons opté pour la solution des deux Etats. Bien entendu, vos dirigeants refusèrent notre offre. Ils proclamèrent que notre unique objectif était de détruire votre Etat, par étapes. Les extrémistes et les irrédentistes, de notre bord, toutefois, ont bien compris le message, attirant sur nous les foudres de ce qu'ils se mirent à appeler "le front du refus", qui ont tenté de discréditer ce qu'ils considéraient comme notre "trahison". Car ils savaient que notre décision relevait de la stratégie.
En 1988, nos institutions, lors de la Déclaration d'Indépendance d'Alger, demandèrent de manière explicite la Partition de notre patrie. En faisant référence au plan de partage des Nations Unies, de 1947, comme l'une des sources de la légitimité pour notre Etat, nous acceptions du même mouvement la Résolution 242 du Conseil de Sécurité, comme base pour des négociations. Nous acceptâmes, cependant, et confirmâmes, en endossant les lettres d'engagement de la Conférence de Madrid de 1991, le fait que nous ne revendiquions de souveraineté que sur 22% de notre patrie historique, et que nous étions prêts, dans le cadre d'un règlement négocié qui aurait ménagé un espace à nos droits nationaux, de reconnaître la souveraineté de votre Etat sur 78% de notre pays. Tous les discours sur notre prétendu refus de tout compromis, à Camp David et ailleurs, lorsque nous refusâmes de discuter la partition de ces 22%, devraient être mesurés à l'aune de l'inclination au compromis qui fut la nôtre, tout aussi foncière que sans précédent.
Ce compromis territorial, toutefois, n'a jamais signifié que la tragédie des réfugiés de 1948 pouvait être passée à la trappe et que le droit des réfugiés au retour pouvait être troqué contre un Etat sur moins du quart de notre territoire historique. Une certaine forme de reconnaissance d'une responsabilité historique, une certaine matérialisation pratique de l'option de retourner (pour les réfugiés) n'ont jamais cessé d'être considérées comme indispensables, de façon, précisément, à mettre un terme aux récriminations et à permettre au conflit de trouver une fin authentique. Non pas pour obérer le caractère national de l'Etat d'Israël, mais bien afin de refermer le dossier, et de faire de votre Etat une réalité acceptable pour les peuples de notre région. Notre insistance sur le droit au retour des réfugiés n'a pas pour finalité de menacer - elle ne menace nullement, en réalité - votre existence nationale, tout comme l'égalité politique et civique pour les citoyens arabes d'Israël, dans ce contexte, semble bien être, tout autant, une composante nécessaire de la Paix en tant qu'état sociétal. Car des traités peuvent mettre fin à une guerre entre des Etats, mais la paix entre les peuples est un défi, un projet, un programme d'action pour le futur.
Tout au long de cette histoire douloureuse et trop souvent tachée de sang de notre coexistence subie, nous avons appris quelque chose, sur votre propre sentiment d'identité, sur votre mémoire collective et vos souffrances. Votre peuple, malheureusement, est encore largement aveugle et sourd à notre propre sentiment d'identité, à notre mémoire collective et à la conscience que nous avons de souffrir. En ce sens, il y a un déséquilibre criant, une dissymétrie frappante, dans la manière dont nous nous voyons mutuellement.
Reconnaissons donc, avant tout, que toute guerre est une épreuve cruelle. C'est là le début d'un récit commun de nature à ouvrir la porte à la paix, et même à la réconciliation.
Je vais vous livrer un terrible secret. Profondément, quelque part, en nous, nous sommes semblables. Tous les êtres humains, toutes les sociétés, sans égard aux époques et aux lieux, partagent des caractères communs. Plus tôt nous reconnaîtrons cette réalité, plus vite nous pourrons nous mettre à nous comporter de manière rationnelle les uns vis-à-vis des autres, sur la base d'une réciprocité authentique, du respect mutuel, etc... Cela n'est possible que si je reconnais que mon ennemi/partenaire a les mêmes besoins que moi, pas seulement le pain quotidien, mais aussi la dignité, et qu'en toutes circonstances, celui-ci ferait sans doute ce que je ferais moi-même, dusse-je être à sa place. A moins d'être capable d'assimiler cet effet de double-miroir, il sera impossible de "mettre un terme au conflit" et de tourner la page. Tous, nous aspirons à la fin du conflit. Mais l'équation entre Paix et Sécurité, (actuellement) cul par-dessus tête, doit être remise à l'endroit. C'est la solution des problèmes qui générera sécurité, stabilité et paix, et pas le contraire. Durant des années, les Palestiniens ont négocié "sous les balles", sous occupation. Cette occupation a généré toujours plus de violence et la poursuite de la politique de colonisation a entraîné l'exacerbation de la haine contre l'occupant, même si nous étions sincèrement engagés dans des négociations de paix. Seule une solution juste, durable parce qu'acceptable par les deux parties, (apportée) aux questions complexes des réfugiés, de Jérusalem, des colonies, des frontières et de l'Etat, peut apporter à nos deux peuples la sécurité dont ils sont si gravement privés et à laquelle ils aspirent si ardemment. Toute tentative de renverser l'ordre des facteurs et de considérer le "calme" comme condition préalable à des négociations, ne peut être que de deux choses, l'une : soit une idiotie pure et simple et un alibi pour échapper aux discussions, soit le feu vert à la reprise des combats. Ce qui ne serait pas incohérent, pour un gouvernement dont le responsable déclare qu'il ne croit pas dans la Paix. Mais ce qui le serait totalement, pour ceux d'entre vous qui veulent sincèrement que soit refermé ce chapitre de sang et de douleur, beaucoup trop long : un siècle ! Il n'y a pas d'alternative au retour à la table des négociations, dès aujourd'hui, sans conditions préalables. Tel est, en substance, le contenu de la proposition égypto-jordanienne : tel est aussi, le noyau du rapport Mitchell, et telle semble bien être, pour l'heure, malgré toute sa fragilité, la seule voie nous permettant d'échapper à la tragédie.
                       
17. Le coût de l’Intifada par Charles M. Sennott
in the Boston Blobe (quotidien américain) du jeudi 3 mai 2001
[traduit de l'anglais par Abigail Descombes]

Le nombre des victimes handicapées par leurs blessures croît à une vitesse alarmante
Gaza - Les radiographies de la colonne vertébrale de Mahmoud Sarham, 16 ans, montrent l’endroit exact où la balle à grande vitesse du sniper israélien a pénétré dans son cou, et s’est fragmentée, touchant la colonne vertébrale entre la première et la deuxième vertèbres thoraciques. Sarham était étendu dans le Centre de Réhabilitation El Wafa de Gaza la semaine dernière, incapable de soulever sa tête de l’oreiller. Ses deux jambes sont paralysées. Il est incontinent. Il est encore capable d’un peu bouger son bras gauche, et il a essayé avec faiblesse de montrer comment il avait fait tournoyer un lance-pierre en cuir pour jeter des cailloux en direction des troupes israéliennes postées près de sa maison avant d’être blessé.
«J’étais bon», dit Sarham, l’étincelle de bravade adolescente dans ses yeux, on ne sait trop comment, pas encore épuisé par la douleur des blessures qu’il a subies il y a onze semaines. Derrière le chiffre des morts de l’Intifada, le soulèvement palestinien contre l’occupation israélienne, qui augmente régulièrement, se trouve une autre statistique bouleversante de souffrance: le nombre de ceux qui ont été handicapés pour toujours.
Selon l’Institut de Santé, de Développement, d’Information et de Politique, une organisation de recherche palestinienne sur les questions sanitaires et sociales, basée à Ramallah, en Cisjordanie, environ 13.000 Palestiniens auraient été blessés pendant les sept mois de la montée de la violence, dont environ 1.500 auraient été rendus infirmes des suites de leurs blessures.
20% des 13.000 blessés ont été atteints par des munitions réelles, le plus souvent par les balles à grande vitesse tirées par des fusils M-16, dont l’usage a été critiqué par la communauté internationale à cause des blessures considérables qu’ils causent. Beaucoup ne marcheront plus jamais. Les plus chanceux boiteront.
Environ 40% ont été frappés par ce qu’on appelle des balles en caoutchouc, des balles en acier recouvertes de plastique dur, qui peuvent être meurtrières à courte distance. Beaucoup ont subi des handicaps mentaux en étant blessés à la tête par des balles en caoutchouc. Les autres 40 % ont été blessés par le gaz lacrymogène, par les éclats d’obus, et par des grenades paralysantes.
Dans un pays ou l’appel biblique à l’«œil pour œil» est pratiqué quotidiennement par Israéliens et Palestiniens, beaucoup de personnes perdent leurs yeux. Quelques deux cents victimes de balles en caoutchouc ont été soignées à l’Hôpital ophtalmologique de Saint Jean à Jérusalem-Est. Au moins 25 victimes ont perdu un œil, a expliqué le directeur de l’hôpital, le docteur Tim Lavy.
Lavy a dit avoir lui-même procédé à sept ablations de l'œil en une seule journée, et a ajouté que l’hôpital est «extrêmement à court de personnel». La dernière victime était une petite fille de 4 ans de Bethléem, qui a perdu son œil droit pendant un échange de tirs près de sa maison.
Un homme de 24 ans venant de Hébron, qui a perdu son œil gauche en 1990, pendant la première Intifada, a perdu 65% de sa vision de l’œil droit en octobre, a dit Lavy. Environ trois-quarts des blessures handicapantes ont eu lieu pendant les deux premiers mois de l’Intifada. Maintenant, la dure réalité s’est installée, tandis que les patients cherchent des secours dans des installations médicales insuffisantes et surchargées en Cisjordanie et à Gaza.
Le besoin le plus critique est la réhabilitation physique, selon une étude publiée ce mois-ci par l’Université Bir Zeit près de Ramallah. Pour la population d'un million de personnes de Gaza, dont 3.000 ont été gravement blessés pendant l’Intifada, il n’y a que deux spécialistes de réhabilitation ayant reçu une formation professionnelle.
Des centaines de personnes ne reçoivent pas de réhabilitation adéquate, non seulement à cause de l’insuffisance des installations, mais également parce que des barrages israéliens autour de Gaza et de la Cisjordanie coupent souvent les patients des soins médicaux.
Au moins 438 Palestiniens, dont 13 qui étaient des citoyens israéliens, ont été tués pendant l’Intifada, et 72 Israéliens. Avant le 15 avril, 855 Israéliens avaient été blessés, selon l’organisation israélienne pour la défense des droits de l’homme, B’Tselem. De ceux-ci, 66 avaient reçu des blessures de modérées à graves, et les autres des blessures légères.
Bien qu’il n’y ait pas de statistiques sur le nombre d’Israéliens définitivement handicapés, un des cas les plus marquants a eu lieu le 20 novembre, quand une bombe au bord de la route a déchiqueté un bus qui amenait à l’école les enfants d’une colonie juive à Gaza. Deux personnes ont été tuées et neuf blessées par les éclats d’obus, dont trois enfants d’une même famille. Le pied droit d’Orit Cohen, 12 ans, a été arraché. Sa sœur, Talia, 8 ans, a perdu les deux jambes, et un frère, Yisrael, 7 ans, a perdu sa jambe droite. Les jeunes victimes israéliennes devront elles aussi faire face à la douleur et à la souffrance et au long processus de réhabilitation physique, mais ils n’auront pas à subir le fardeau supplémentaire de l’insuffisance des services médicaux et de réhabilitation.
Le père des enfants, Ophir Cohen, 33 ans, a expliqué que la famille a déménagé temporairement à Jérusalem pour être plus proche d’un centre de réhabilitation réputé, où les enfants subissent toujours des opérations et où ils seront à la longue pourvus de prothèses. Mais Cohen a dit que la famille retournera vivre dans la colonie de Kfar Darom à Gaza.
Les groupes pour la défense des droits de l’homme ont condamné l’Autorité palestinienne pour ne pas avoir réussi à empêcher les attentats, tels que l’attaque sur l’autobus de ramassage scolaire, et pour ne pas avoir réussi à empêcher les tireurs palestiniens de tirer sur les forces armées israéliennes quand des civils palestiniens, y compris des jeunes qui jettent des pierres, sont présents.
Le colonel Daniel Reisner, le chef du département de droit international des Forces de défense israéliennes, a déclaré dans un entretien que «toute blessure infligée aux enfants est odieuse, et, d'autre part, cela ne donne pas une bonne image… La situation dans laquelle les Palestiniens nous ont mis n’est pas facile.»
Mais les mêmes groupes pour la défense des droits de l’homme qui ont critiqué l’Autorité palestinienne ont condamné ce qu’ils considèrent être une utilisation excessive de la force de la part d’Israël, en tirant avec des balles réelles quand les vies des soldats ne sont pas en danger, et en tirant sur les jeteurs de pierre sans discrimination.
Les Médecins pour les Droits de l’Homme, une organisation basée à Boston, ont publié un rapport approfondi en novembre, et le docteur Robert Kirschner, le pathologiste médico-légal de l’équipe, a dit: «Nous avons trouvé une politique délibérée de la part de Tsahal de tirer sur les gens pour les handicaper. Et maintenant cette politique a provoqué un cauchemar en matière de réhabilitation. Le nombre de cas mettrait à l'épreuve notre système en Amérique, ne parlons donc pas de Gaza.»
Kirschner a dit que le niveau élevé de blessures laissant les gens estropiés est en partie dû à l’utilisation israélienne du fusil d’assaut américain M-16. À cause des dégâts causés par cette arme, son utilisation pour contrôler des foules a été critiquée par des groupes qui incluent la Croix Rouge Internationale et le gouvernement suisse, qui a appelé à un embargo international des munitions M-16. Après être entré dans le corps, souvent l’étui métallique de la balle se fragmente, puis la balle pénètre davantage, causant des fractures complexes et de graves dégâts aux muscles et aux nerfs.
Au Centre de réhabilitation d’El Wafa, le docteur Ibrahim Gazal, le directeur, a élevé vers la lumière les radiographies d’une douzaine de ses jeunes patients, qui sont tous paralysés. Chacune montrait une «tempête de plomb», une pluie d’éclats de balle qui ont traversé leurs corps à toute vitesse, se logeant près des organes vitaux, dans beaucoup de cas endommageant la colonne vertébrale, et dans un cas causant des lésions cérébrales. La semaine dernière, les huit lits de la salle d’hôpital crasseuse étaient tous occupés par des jeunes victimes. Des mouches vrombissaient autour des assiettes contenant des restes de repas à moitié mangés.
La retransmission d’un enterrement de «martyr» à la télévision palestinienne allumée à plein volume faisait concurrence aux bruits de la construction d'une nouvelle aile, qui ajoutera une douzaine de lits. Ses mots mal articulés, et à peine audible, Sarham, 16 ans, a dit, «Si je peux de nouveau marcher, je retournerai» jeter des pierres à des soldats israéliens. Mais le docteur Nim’r Daloul, se tenant au-dessus de lui, a été catégorique: «Il ne marchera plus jamais. Jamais.»
Daloul présumait que son patient ne comprenait pas l’anglais, mais le garçon a compris le mot «jamais». Et quelque chose, peut-être l’espoir, s’en est allé de ses yeux pendant qu’il regardait devant lui, abattu. Daloul a essayé de le réconforter. «Ces jeunes ne regardent pas leur propre malheur en face», a dit le docteur Eyad Sarraj, le directeur du Programme de Santé mentale de la Communauté de Gaza, qui fournit des conseillers pour travailler avec les jeunes. «Quand ils le feront, ils seront très en colère, et vers quoi sera dirigée cette colère, comment elle se manifestera, c’est une grande question.» Sarraj a suggéré que le long processus de rétablissement qui attend les jeunes reflète le processus collectif de rétablissement à venir pour les Palestiniens, qui ont vu leur société et leur économie paralysées et leurs espoirs mutilés.
«Tout le monde à Gaza souffre autant du déni de la réalité que ces gamins», a-t-il dit.
                  
18. Leïla sans peur par Christine Saramito
in Femina (hebdomadaire suisse) du dimanche 25 mars 2001
Comme deux tiers des Palestiniens, Leïla Shahid est née en exil.
Mais la représentante officielle de l'Autorité palestinienne en France a fait très tôt son Intifada personnelle. En "laïque, républicaine et féministe". Sans peur et sans regret, même si la paix qu'elle porte en elle est loin d'être une réalité pour son pays.
PORTRAIT
Au lendemain de son union avec le leader de l'OLP, Soha Arafat admettait qu'elle ne serait jamais "que la maîtresse de son époux". Il est "marié à la Palestine", disait-elle en riant. Mohamed Berrada, le mari de Leïla Shahid, n'est pas loin de ce constat-là.
Madame la déléguée générale de la Palestine en France consacre sa vie à la cause depuis l'âge de 18 ans. Heureusement, depuis quatre ans, "Monsieur Leïla Shahid" a pris une retraite anticipée de l'Université marocaine. Il écrit et vit désormais à Paris, à ses côtés. Et ne rate aucune (rare) occasion "de la sortir au théâtre, au concert ou dans les galeries d'art, sa passion". Et puis il la fait rire. "Mon mari est Marocain. C'est précieux. Car nous, les Palestiniens, avons un sens de la tragédie qui nous empêche souvent d'avoir le sens de l'humour!" s'exclame-t-elle. Autour de nous, dans un désordre élégant et lumineux, quelques meubles précieux, des canapés design blancs où elle s'allonge à l'orientale, beaucoup de livres, et des fleurs coupées, rouges. Un décor simple, tonique. Comme la propriétaire des lieux. "J'ai l'optimisme dans le sang, un héritage maternel", dit-elle en se redressant.
Un destin risqué, mais assumé
On la croit d'autant plus volontiers qu'en nous fixant rendez-vous elle n'a pas caché que son nom était sur la boîte aux lettres. Et que, "aussi souvent que possible", elle donne congé à ses quatre gardes du corps. "Je veux rester proche du réel." Certes, des policiers français mènent une garde permanente au bas de son immeuble. Mais l'intérêt de la France pour la sécurité de ses hôtes n'a pas empêché des drames. Dans le passé, six responsables palestiniens ont été assassinés à Paris. Est-ce à dire que Mme Shahid fait du "Inch Allah" un credo très personnel? "Non. Je mesure les risques. Je ne fais pas n'importe quoi, n'importe où. Mais, en général, je ne crois pas à la fatalité, au destin. Sauf à celui que l'on se choisit."
Un "destin risqué mais assumé", tel serait donc la vie de cette quinquagénaire asthmatique. "Qui néglige sa santé", s'inquiète son mari. Et qui n'aime pas parler d'elle, "sauf à parler de la Palestine". Mais comment parler de l'une sans parler de l'autre?
Née à Beyrouth en 1949, un an après la Naqba, cette "catastrophe" de la création de l'Etat d'Israël sur la terre de Palestine, elle a conjugué futur avec passé composé et enfance avec errance. Un exil doré, certes, mais une mémoire douloureuse en sus.
Son grand-père maternel fut l'un des leaders du mouvement palestinien sous le mandat britannique. Emprisonné en Rhodésie lors de la décapitation du mouvement en 1936, sa famille prit aussitôt le chemin du Liban. Sa mère, étudiante, rencontre un médecin palestinien, brillant, exilé lui aussi. Leïla aura deux soeurs. Une fausse "malédiction" qui devient bénédiction. "Dans un Liban terriblement machiste, mes parents nous élèvent dans l'égalité des sexes. Mais je mets un point d'honneur à être toujours meilleure que les garçons", dit cette féministe convaincue, "plus forte que dix hommes!" répète volontiers Yasser Arafat.
En "faux garçon manqué", elle renonce à la médecine. "Mon père m'a dit qu'il fallait que je fasse de la politique. Je lui en ai longtemps voulu, mais il avait raison." S'acharne dans des études de lettres. Va en vacances tous les étés à Jéricho où la "ferme modèle" imaginée par son grand-oncle, Sa Alami, lui donne moult leçons de vie.
"Je mesure les risques. Je ne fais pas n'import quoi, n'import où. Mais je ne crois pas à la fatalité, au Destin."
"D'abord, j'y ai appris la force et le plaisir de la nature, moi qui, à 4 ans, croyais que les oeufs venaient du frigidaire. J'ai été horrifiée la première fois que j'ai vu pondre des poules ! J'y ai vu plus tard une terre fertilisée par des hommes capables de creuser le sol à la petite cuillère. Et, avant de voir l'acharnement destructeur des Israéliens, j'y ai aussi compris que le monde n'était pas indifférent à notre combat, car des personnalités du monde entier venaient cautionner la ferme."
A l'issue de la guerre des Six-Jours vient l'épreuve de la réalité. "De l'enfance à la maturité, résume-t-elle en se souvenant de cette défaite arabe qui venait en écho de "l'échec" de mon grand-père. D'abord, il y a eu l'accablement face à ces camps de réfugiés que je découvrais; 400 000 personnes effondrées, ces pères honteux, ces femmes s'activant pour la survie dans des tentes ou des barques dégoûtantes... Et puis il y a eu la révolte."
La colère ne la quittera plus. Une sorte d'Intifada personnelle. "En arabe, cela veut dire celui qui se redresse, qui relève la tête par fierté", tient à préciser cette intellectuelle lettrée. Qui, un temps, étudia l'anthropologie en France. Question peut-être de comprendre l'imbroglio millénaire proche-oriental. Qui "raisonne en français", mais rêve en arabe "tout ce qui est émotionnel".
En 1993, un procès d'intention accompagne sa nomination en France. Mauvais procès. "Dangereuse activiste", cette enfant de Jules Ferry élevée à Beyrouth dans des écoles "laïques, mixtes et républicaines", un système éducatif qu'elle veut voir "généralisé à la Palestine qui a déjà le taux d'alphabétisation le plus élevé du Proche-Orient"? A la maison défilait l'intelligentsia internationale éclairée. Pro-Israéliens inclus. "Extrémiste", cette ex-journaliste qui sait "recouper les sources d'information" et a été parmi les premières à prôner le dialogue entre Arabes et Israéliens?
D'abord nommée en Irlande puis au Pays-Bas, elle retrouve avec plaisir Paris où elle se sent à l'aise pour manier ses deux armes de combat préférées. La culture, "ce qui sauve quand on a tout perdu, disait Malraux", rappelle-t-elle en se souvenant aussi avec gratitude de Jean Genet qui s'était remis à écrire pour dénoncer à ses côtés le massacre de Sabra et Chatila. Et les femmes. "Elles ont d'autres approches des conflits", dit Leïla en rendant hommage à ces femmes réunies des deux côtés des frontières, depuis 1988, dans l'association The Link.
A l'entendre s'exclamer souvent en roulant les r, jurer parfois, on l'imagine mal pratiquer la langue de bois nécessaire à sa fonction. Mais Leïla assume. "Officiellement, je n'ai pas le titre d'ambassadeur. Ça me laisse une liberté pour dire notre combat existentiel. Dire et redire qu'il ne s'agit pas d'un peuple sans terre mais d'une terre vidée de son peuple. Qu'on ne se guérit pas de la culpabilité du génocide contre les juifs en laissant faire n'importe quoi. Et surtout rappeler qu'il y aurait assez de place pour tous!" Des propos qui sonnent juste dans la bouche de celle qui admet, plus tard, combien il lui est "difficile" de s'opposer à son quasi-homologue, l'actuel ambassadeur d'Israël en France, "un ami, un universitaire qui va avoir de plus en plus de mal à "parler vrai" au nom du gouvernement Sharon".
Si elle avait pu faire autre chose ?
Pause. Café turc, thé arabe, salade de fruits frais à la fleur d'oranger? ("Je fais peu la cuisine, mais ça me détend.") Et l'on tente de ramener cette grande bavarde à un discours plus intime. Le retour de son époux à nos côtés nous y invite. "Tu es bien coiffé. Qui t'a coupé les cheveux ?" s'amuse-t-elle, complice. Avant de nous avouer qu'elle est l'auteur du changement. Et si elle avait pu faire autre chose? "J'aime la sculpture, la pierre, le bois, mais ce n'est pas possible." On insiste... Bien sûr, elle aurait pu être mère. Mais elle a choisi de n'avoir pas d'enfant, "puisqu'on ne peut pas faire bien plusieurs choses à la fois". Bien sûr, elle aurait pu "s'intégrer au Liban, y vivre une vie plus détachée comme l'a fait ma soeur". Mais elle a choisi. Ne regrette rien, si ce n'est "de n'avoir jamais eu le temps de lire la Bible en entier".
On persiste... Tant de violences des deux côtés, de retours en arrière, d'impasses? Tant de décalages entre la Palestine de ses rêves - "mo-derne, laïque, respectueuse du droit des femmes" - et la réalité? "Fatiguée, non, lasse parfois", concède-t-elle. Imaginant alors qu'elle aurait pu naître au pôle Nord ou en Australie! "Loin du Proche-Orient en tout cas." Destin forcé alors ? Elle rit, et se défend encore. "Non, destin choisi. Comme je pourrais alors choisir, ou pas, de me battre pour les Esquimaux ou les Aborigènes !"