1. Le prix de la "retenue" par Gideon
Levy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 22 juillet
2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Mercredi après-midi, trois membres de la
famille Tmeizi, tombés dans une embuscade, ont été assassinés. Parmi eux, Diya,
un bébé de dix semaines et un jeune marié, Mohammed. On suppose que les
assassins - des Israéliens, c'est presque certain ; colons, apparemment - seront
prochainement arrêtés, puisqu'aussi bien le Shin Bet (les services de sécurité
israéliens) et la police se sont engagés à déployer des efforts redoublés pour
ce faire, pour cette fois. Le meurtre, particulièrement choquant, a été dénoncé
par les dirigeants du pays. Mais même s'il en est ainsi, ces trois morts sont la
conséquence directe de la (politique de) "retenue" observée par les autorités
juridiques et les forces de l'ordre. Après tout, même si les meurtriers devaient
être arrêtés, jugés et condamnés - rare occurrence dans les cas de violences
commises par des colons - ils écoperont de sentences minimes, si l'on s'en
réfère à l'expérience.
La "retenue" trouve ses origines dans la première
Intifada. Déjà, alors, Israël avait choisi de fermer les yeux sur les violences
commises par des civils (israéliens) dans les territoires occupés. Sur quarante
huit instructions concernant des Palestiniens tués par des citoyens israéliens,
27 ont été closes sans suite. Cette statistique n'a fait qu'empirer avec le
temps : un rapport publié il y a environ quatre mois par B'Tselem, Centre
Israélien sur les Droits de l'Homme dans les Territoires occupés, relève 199
(instructions d') assassinats de Palestiniens par des citoyens israéliens ;
seules, six de ces instructions ont abouti à la condamnation des auteurs. Dans
six cas de mort d'homme, la police n'a procédé à aucune enquête, et 39 autres
dossiers ont été classés "sans suite"...
Les peines (infligées) furent aussi
minimes : les peines de quatre des Juifs convaincus d'homicide ont été réduites,
cinq de ceux qui avaient été convaincus d'assassinat ont été condamnés à moins
de quatre ans de prison, et cinq (sur les sept) israéliens convaincus de
non-assistance à personne en danger ont effectué un service civil en
substitution à la peine de prison.
Par contre, il y a eu enquête dans
la totalité des 114 cas de meurtre et de massacre collectif d'Israéliens
perpétrés par des Palestiniens, dans les territoires, (jusqu'au mois de mars de
cette année. Trente Palestiniens ont été accusés de meurtre, 17 ont été tués par
les forces de sécurité, 12 maisons de coupables ont été détruites. Aucune peine
n'a été allégée et, bien entendu, dans leur cas, nul besoin d'évoquer une
quelconque amnistie.
Le tableau devient difficile à supporter et révoltant
lorsqu'on passe à des crimes moins lourds que l'assassinat et le meurtre
collectif. Dans la plupart des cas de violence ou d'atteinte à la propriété
(d'autrui), aucune enquête n'est jamais initialisée. Le message est très clair :
ce n'est pas répréhensible, de tuer des Arabes, de leur faire du mal ou de s'en
prendre à leurs biens, cela est presque normal. La revanche est admise voire
même, dans certains cas, encouragée, pour peu qu'il s'agisse de celle d'un
Juif.
La situation a atteint de nouveaux abysses au cours des dernières
semaines. En des temps de terrorisme palestinien croissant, pas un jour ne passe
sans qu'il y ait des pogromes perpétrés par des colons, tandis que la police,
les Forces israéliennes de défense et les autres services de sécurité restent
là, fermant parfois les yeux, parfois se contentant de les cligner. Amir Ahmad,
13 ans, a été grièvement blessé, tiré comme un lapin par des colons. Abdallah
Ka'ik, un Arabe israélien, qui fut pris - à tort - pour un Palestinien des
territoires, fut battu comme plâtre. Des colons ont exercer leurs ravages à
Kifal Harith, près de la ville (israélienne, en fait, une colonie, ndt) d'Ariel,
en Cisjordanie, blessant quinze personnes. A Sinjil, au nord de Ramallah, des
colons ont tiré, brûlé et détruit des biens. Près de l'implantation de Kfar Yam,
dans la bande de Gaza, des colons ont détruit des biens et ont tout saccagé. A
Hébron, des colons ont détruit des échoppes et blessé des officiers de police et
des soldats. A Silat al-Dahr, des colons ont tiré sur les passagers d'une
voiture. Mustafa Alian, du camp de réfugié d'Askar, a été lapidé jusqu'à ce que
mort s'ensuive. Deux cueilleurs d'olives ont été salement amochés près de la
colonie d'Yitzhar. Tahrir Rizq a été tué d'une balle en pleine tête, près de
Hizmeh...
Dans la plupart de ces cas, et bien d'autres, personne n'a été
arrêté. Yaron Degani et Gad Tena, d'Itamar, arrêtés et suspectés du meurtre du
cueilleur d'olives Farid Nasasrah, ont été relâchés après cinq jours de
préventive par "manque de preuves", tandis que l'Autorité palestinienne était
accusée "de ne pas coopérer dans l'enquête criminelle".
Après quatre
incidents avec des tirs, similaires à celui d'Idna, mercredi, personne n'a été
arrêté, bien que le chef du Shin Bet parlât ouvertement (de l'existence) d'une
"cellule terroriste juive" et bien qu'il soit relativement aisé de l'appréhender
en raison de la population réduite en nombre d'où elle semble provenir.
La
retenue face à des actes posés par l'extrême droite est le fait de l'ensemble
des autorités du gouvernement (israélien) : la police, les Forces israéliennes
de défense, le Shin Bet, les tribunaux et les autorités qui décident des remises
de peines. Il s'agit là d'une "retenue" dangereuse, dont les fruits pourris ont
été le meurtre perpétré tout récemment à Idna : les personnes qui s'en sont
faites l'instrument pensaient que les risques encourus (d'être pris et arrêtés)
étaient infinitésimaux.
La responsabilité de ce meurtre, comme des meurtres
précédents, doit dès lors porter aussi sur les autorités juridictionnelles
israéliennes. Les injonctions se sont tracées sur le mur depuis belle lurette
(allusion biblique, ndt) : qu'il suffise d'examiner le Rapport Karp (de 1982) et
le Rapport Shamgar (de 1994) sur l'usage de la violence par les colons à
l'encontre des Palestiniens..Même l'Avocat Général Elyakim Rubinstein, que l'on
ne saurait accuser de haïr les colons, a parlé, en 1998, "d'une situation
continue et préoccupante de sous-application de la loi à l'égard des Israéliens
vivant en Judée, en Samarie (= la Cisjordanie, ndt) et dans la bande de
Gaza".
Au-delà du problème légal et moral que pose un Etat qui établit une
discrimination entre populations, qui permet des actes de violence et des
meurtres en fermant les yeux et qui traite les crimes de ses citoyens avec
compréhension, la "retenue" a un prix extrêmement élevé. Elle a conduit, d'ores
et déjà, à encore plus de sang versé, des deux côtés, et elle conduira, on le
verra, à des actes que même l'extrême droite pourrait être amenée à regretter...
Des colons d'Yitzhar ont d'ores et déjà menacé un officier des Forces
israéliennes de défense de leurs fusils pointés sur lui ; à Hébron, des soldats
ont été passés à tabac, et ce n'est pas arrivé qu'une fois...
Quiconque, bien
loin de punir ses coupables, fait preuve de complaisance envers ceux qui brûlent
des récoltes, pardonnent à ceux qui cassent la g... à des Arabes, aura un jour à
faire face à des assassins de soldats israéliens.
D'ici là, la "retenue"
sape aussi les arguments avancés par Israël quant à l'incapacité de l'Autorité
palestinienne à combattre le terrorisme : il est un peu spécieux de pleurnicher
sur la "porte tournante" (qui serait celle des territoires autonomes, aux dires
des responsables israéliens, ndt), du nombre insuffisant d'arrestations et de
l'incapacité à prévenir le terrorisme (du côté palestinien) alors même
qu'Israël, pays souverain doté de tout ce qu'il y a de "dernier cri" en matière
de services de sécurité, fait absolument la même chose lorsqu'il s'agit de son
propre terrorisme, "fait
maison".
2. Hébron encore sous le choc du meurtre de trois
Palestiniens par Catherine Dupeyron et Bruno Philip
in Le Monde du
dimanche 22 juillet 2001
REPORTAGE La majorité de la communauté juive
condamne sans réserve la fusillade d'Idna
HÉBRON, KYRIAT ARBA de nos envoyés spéciaux
"Nous revenions d'un
mariage. On était parti vers 9 h 15. J'étais montée dans la voiture en compagnie
de mon mari, mon oncle et ma tante, leurs deux petites filles, une cousine et
son époux. A un carrefour, une voiture nous a bloqué la route. Soudain, ça s'est
mis à tirer de partout..." May Al Timezi, seize ans, grimace de douleur sur son
lit d'hôpital d'Hébron. Elle a été blessée à la main gauche, à la jambe et à la
joue. A sa gauche, allongée sur un autre lit, Amira, sa petite cousine de trois
ans, dort, enveloppée de bandages. "Nous avons tous été blessés", explique May.
Mais la réalité est plus terrible qu'elle ne le croit, en ce vendredi 20
juillet, au lendemain de l'attaque : son mari Mohammad, vingt ans, qu'elle avait
épousé il y a moins d'un mois, est mort. Elle ne le sait pas encore. Son cousin,
vingt-deux ans, un autre Mohammad, a lui aussi péri ainsi que, comble de
l'horreur, la fille de ce dernier, un nourisson de trois mois.
Les
circonstances de cette agression aveugle restent mal définies. L'attaque a été
revendiquée plus tard par un mystérieux "Comité pour la sécurité sur les
routes", une organisation d'extrémistes juifs dont un précédent avatar, durant
la première Intifada de la fin des années 80, était proche du parti
ultranationaliste du rabbin Kach. Il y a quelques jours, un activiste du même
parti, Noam Fiderman, avait été appréhendé par des officiers du Shin Beth, les
services de renseignement intérieur israéliens, après que des explosifs eurent
été trouvés dans sa voiture, garée dans la colonie juive de Kyriat Arba, située
non loin du lieu de l'attaque de jeudi soir.
Le frère de l'une des victimes,
Nasser Al Timezi, raconte qu'une autre voiture aurait pu subir le même sort,
juste avant. Le chauffeur de ce véhicule a en effet confié à Nasser avoir vu
deux hommes lui bloquer le chemin, se pencher vers lui avant de le laisser
passer. Les assaillants auraient attendu la seconde voiture, celle de la famille
Al Timezi, pour ouvrir le feu.
"Sans doute, avance Nasser, ont-ils décidé de
ne pas tuer les occupants de la première voiture, car il n'y avait que deux
personnes à bord. En voyant arriver celle de mon frère, une Peugeot 305 avec
huit personnes à bord, ils ont dû se dire que c'était une bonne cible : ils
pouvaient tuer beaucoup de monde à la fois."
COMMENTAIRE D'EXTRÉMISTES
On
ignore encore le calibre utilisé. Les témoins ne se rappellent pas si les
attaquants ont tiré en rafales ou au coup par coup. Personne ne peut vraiment
les décrire : "on a rien vu, il faisait nuit", dit May Al Timezi. Des témoins
parlent d'une voiture de couleur blanche. D'autres ont identifié le véhicule
comme étant une Peugeot 205 bleu marine. "Le gouvernement israélien soutient les
colons et l'atmosphère générale les encourage à perpétrer de telles attaques",
estime le maire d'Hébron, Moustapha Natché. La semaine dernière, des dizaines de
colons avaient attaqué des maisons et voitures palestiniennes après la mort de
deux Israéliens de Kyriat Arba tués par des Palestiniens. "Je crains que les
colons aient de plus en plus tendance à se faire justice eux-mêmes", dit M.
Natché.
Dans la colonie voisine de Kyriat Arba, Esther et Haïm ont décidé de
ne pas prendre la route. Ils devaient se rendre à Jérusalem pour Shabbat avec
leurs six enfants, mais le voyage aurait pu être fatal. Les meurtres de la
veille leur font craindre une multiplication des attaques palestiniennes sur les
routes. Comme la majorité de la communauté, Esther et Haïm condamnent sans
réserve l'embuscade qui a coûté la vie aux trois Palestiniens. "C'est terrible,
le record est repassé de l'autre côté ", remarque Esther faisant référence aux
enfants tombés depuis le début de l'Intifada.
D'abord, il y a eu le petit
Mohammad, douze ans, mort dans les bras de son père ; puis la petite Shalevet,
du quartier juif d'Hébron, tuée alors qu'elle n'avait que dix mois. Et
maintenant, un bébé Palestinien de trois mois. "C'est un acte immoral, sauvage
et lâche (...) . La défense d'Israël doit être assurée uniquement par l'armée",
confie Yossi Charvit. Mais, comme beaucoup d'autres juifs de Kyriat Arba et
d'Hébron, il déplore "l'intérêt que les médias portent à cet assassinat, alors
qu'ils ne s'alarment guère lorsque des juifs sont tués dans des conditions
comparables".
Un petit groupe de jeunes commente les événements de la nuit
précédente. Plus prompts que leurs aînés à en comprendre les raisons, plusieurs
sont néanmoins conscients que cela ne réglera rien, au contraire. "Les
Palestiniens vont encore plus nous tirer dessus ", remarque Kfir, quinze ans.
Daniel, lui, n'a aucune réticence. "C'est très bien ce qui s'est passé. Ils nous
tirent dessus, on leur tire dessus. Et ce n'est que le début. Si Sharon continue
à ne rien faire, il y aura d'autres actions de ce genre (...) On leur a donné
Hébron parce qu'on croyait à la paix. S'il n'y a pas de paix, alors il faut
reprendre les territoires." Dans quatre jours, Daniel part faire son service
militaire. "Je pourrai tirer sur les Arabes, avec la loi pour moi", dit-il,
esquissant un sourire.
Inquiets des conséquences possibles de cet
assassinat, s'il s'avérait que ses auteurs sont des colons, nombreux sont ceux
qui préfèrent croire qu'il s'agit d'une "provocation" des services de sécurité
intérieure. "On a aucune preuve de qui a commis cet acte. Certains parlent de
groupe militaire organisé dans les colonies (...). C'est de la pure
diffamation", explique Yossi Charvit. Noam Arnon, porte-parole de la communauté
juive d'Hébron, qui condamne "ce meurtre horrible", ne serait "pas étonné que ce
soit des Arabes qui aient tiré par erreur croyant que c'était des Juifs, ou
délibérément, par provocation. Si ce sont des Juifs qui ont fait cela, ils
devront être jugés sévèrement, mais leur acte est le résultat de la politique du
gouvernement qui nous conduit au chaos", dit-il.
3. Hébron sous la menace des colons par
Jean-Pierre Perrin
in Libération du samedi 21 et dimanche 22 juillet
2001
Un attentat extrémiste juif risque de relancer la violence.
Hébron envoyé spécial
Inspectée à la lumière des phares, la première
voiture palestinienne n'a pas retenu l'attention des tueurs qui l'ont laissée
poursuivre sa route. Il n'y avait que deux personnes à bord. La seconde, une
Peugeot 305 bleue, arrivée un peu plus tard - jeudi vers 21 heures - est une
bien meilleure cible. Cette fois, c'est toute une famille qui s'est entassée à
l'intérieur du véhicule. A cause de la célébration d'un mariage, la famille
Etmizi a pris le risque de rouler la nuit pour regagner son village d'Idna, près
de Hébron, en Cisjordanie. La suite de l'embuscade est racontée, depuis son lit
d'hôpital, par May, une jeune fille de 16 ans. «Au carrefour, nous avons été
obligés de ralentir. C'est alors qu'une voiture nous a bloqués la route et nous
a contraints à nous arrêter. Puis, des hommes, deux je crois, ont ouvert le feu
sur nous.» «Ils tiraient partout, dans toutes les directions. Après, je ne me
souviens plus de rien», ajoute avec peine la rescapée, blessée à la fois aux
jambes et aux bras. A cause de la gravité de ses blessures, on lui a caché la
mort de son mari, Mohammed Salama Etmizi, 23 ans, qu'elle avait épousé il y a
tout juste trois semaines. Le frère de ce dernier, Mohammed Hilmy Salama, 21
ans, a été tué également, de même qu'un bébé de 3 mois. Trois autres personnes
ont été sérieusement atteintes, dont une fillette de 3 ans. Deux autres membres
de la même famille n'ont été que légèrement blessés.
Patrouilles sauvages.
Après l'embuscade, les tueurs se sont enfuis en direction d'Israël. Peu après,
alors que l'attentat n'était pas encore connu des médias, il était revendiqué
par «le Comité pour la protection des routes». L'organisation n'est pas inconnue
des enquêteurs. Elle s'était fait connaître pendant la première Intifada par des
patrouilles sauvages dans les villages arabes au cours desquelles des
Palestiniens étaient battus, des boutiques saccagées. Liée au mouvement raciste
Kach (interdit par les autorités israéliennes), elle avait été mise hors la loi,
tardivement, en 1995, après l'assassinat de Yitzhak Rabin. Sans doute ne
s'agit-il pas du même groupe mais plutôt de personnes ayant repris son nom pour
profiter de sa notoriété. Avant ce triple assassinat, le comité avait déjà
revendiqué ces derniers mois plusieurs actions antipalestiniennes, dont le
passage à tabac d'au moins quatre Arabes et l'explosion d'une boutique à Hébron.
Une autre organisation israélienne d'extrême droite, le groupe «Shalhevet-Zar»,
opère également en Cisjordanie. Selon le Shin Beth, les services secrets
intérieurs israéliens, il aurait déjà assassiné en juin un chauffeur routier
près de Ramallah et blessé sept autres Palestiniens dans d'autres régions.
Moustapha Natche, le maire de Hébron, ne se déclare pas surpris du triple
assassinat, qui, pour lui, est la «conséquence» du développement de la violence
dans la région. «Il faut savoir que les colons autour de nous célèbrent Baruch
Goldstein (auteur du massacre au tombeau des Patriarches qui fit 30 morts le
25/2/1994, ndlr) comme un héros. Et j'ai peur que ce soit désormais la loi des
colons qui s'impose. Ils font tout pour que la situation s'envenime. Ils brûlent
les voitures des Palestiniens, crèvent leurs pneus... La police israélienne se
montre toujours indulgente à leur égard, de même que la justice, qui ne les
condamne qu'à des peines légères.» Partisan d'Arafat, le maire craint aussi que
le comité soit un avatar d'un réseau de colons qui, au début des années 80,
avait choisi l'arme du terrorisme antipalestinien. «On retrouve la même
atmosphère qu'à cette époque», insiste-t-il.
Ce groupe avait notamment
attaqué le collège islamiste de Hébron, tuant trois lycéens. Il avait aussi
piégé les voitures des maires palestiniens de Naplouse, de Ramallah et
d'El-Bireh. Lorsque le Shin Beth avait mis fin au réseau, en 1984, après
plusieurs années d'enquête, celui-ci projetait de faire sauter la mosquée
Al-Aqsa - troisième lieu saint de l'Islam -, à Jérusalem, et des bus
palestiniens. Depuis, les 27 membres du réseau terroriste, arrêtés puis
relâchés, ont fait amende honorable, reconnaissant pour la plupart que leurs
actes avaient desservi la cause des colons.
Dynamite. Le triple assassinat a
été condamné par l'ensemble de la classe politique israélienne, y compris par
les organisations de colons. Ainsi, le Conseil des implantations juives a jugé
que l'action était «moralement et légalement stupide, et pouvait endommager
gravement la cause des implantations». Dans une interview accordée peu avant les
meurtres au quotidien Yedioth Ahronoth, le chef de la police israélienne,
Ephraïm Arditi, déclarait que la ville était devenue «un bâton de dynamite» et
que «les activités condamnables des juifs et des Arabes à Hébron pouvaient
mettre le feu à la région tout entière». «La force de la haine dans la région
peut pousser les faibles à des actions que les gens forts et les gens sages ne
seront pas capables de contenir», ajoutait-il; soulignant que plus de la moitié
des colons de Hébron avaient déjà des dossiers criminels. Dans le même journal,
l'éditorialiste Roni Shaked soulignait que les auteurs du triple assassinat
s'étaient «tirés eux-mêmes une balle dans la tête», puisque leur action, loin de
mettre fin à la violence, allait au contraire augmenter le désir de revanche et
débuter un nouveau cycle de meurtres et d'actions violentes.
4. Liban-Belgique : La plainte contre Sharon est
un véritable casse-tête - Des spécialistes étudient un amendement de la loi sur
la compétence universelle par Scarlett Haddad
in L'Orient-Le Jour du
samedi 21 juillet 2001
La Belgique peut-elle réellement devenir le
justicier du monde ? Depuis le procès des génocidaires rwandais en mai dernier
devant un tribunal de Bruxelles, près de 150 plaintes ont été déposées auprès du
parquet belge et les magistrats sont débordés. Mais les plus dérangés sont sans
doute les diplomates de ce pays, qui n’en finissent pas d’expliquer à leurs
interlocuteurs qu’en Belgique, la séparation des pouvoirs est totale. Dans ces
conditions, quelles sont les chances d’aboutir de la plainte déposée contre
Sharon ? Les avocats pensent qu’il faut malgré tout aller jusqu’au bout.
Les
médias belges sont en émoi et la presse libanaise ne se fait pas l’écho de ce
bouleversement. Pourtant la mise en cause du Premier ministre israélien Ariel
Sharon pour sa responsabilité dans les massacres de Sabra et Chatila la concerne
en premier. Le Liban tout entier a subi le contrecoup de cette triste affaire et
il ne s’en est toujours pas remis. C’est pourquoi l’idée de Me Chebli Mallat de
déposer une plainte contre Sharon au nom de 23 survivants libanais et
palestiniens des massacres a surpris, certes, mais surtout soulagé les Libanais
et soulevé un immense espoir chez tous ceux qui ont souffert de ce genre
d’exactions.
En vérité, c’est l’aboutissement du procès des quatre
génocidaires rwandais devant un tribunal belge qui a incité Mallat à se lancer
dans l’aventure. Que le Parlement belge ait adopté, en 1999, une loi accordant
une compétence universelle aux tribunaux belges en matière de crimes de guerre
pour régler un vieux sentiment de culpabilité du pays en raison de son passé
colonial en Afrique importe peu. Ce qui compte, c’est que cette loi, qui n’a de
pareille qu’une législation identique en Nouvelle-Zélande, a ému le monde
entier, puisque c’est la première concrétisation de l’idée d’une justice
internationale.
Depuis le mois de mai, 150 plaintes ont été ainsi déposées
devant le parquet belge contre l’actuel président de Côte d’Ivoire Laurent
Gbagbo, l’ancien président iranien Rafsandjani, l’ex-dictateur chilien Augusto
Pinochet, l’ancien chef khmer rouge Khieu Samphan, l’ancien président du Tchad
Hissène Habré, l’ancien ministre de l’Intérieur marocain Driss Basri... Bref
toutes ces personnalités «peu fréquentables» sont accusées de crimes de guerre.
Et la liste peut être encore longue. Le seul problème, c’est que les magistrats
belges sont débordés. Toutes ces plaintes nécessitent d’immenses moyens pour
mener les enquêtes. Et des voix commencent à s’élever en Belgique contre la
lenteur des procès locaux, puisque la magistrature est mobilisée pour les
affaires internationales.
Mais le problème le plus grave est provoqué par la
plainte contre Sharon qui a poussé ce dernier à annuler une visite à Bruxelles
sans fixer une nouvelle date. Pour la Belgique qui préside actuellement l’Union
européenne, l’affaire est plus que gênante, car si les Israéliens ont certes
compris que ce n’est pas le pouvoir politique belge qui a jugé la plainte
recevable, la tension est grande entre les deux parties, à un moment où l’Union
européenne aspire à s’impliquer davantage dans le conflit au
Moyen-Orient.
Pour l’instant, le juge Collignon, qui a déclaré recevable la
plainte présentée par Mallat et ses collègues belges et qui est connu pour son
intégrité et son indépendance, se contente d’affirmer que son enquête prendra du
temps. De leur côté, les plaignants, qui multiplient les conférences de presse
en Belgique et un peu partout dans le monde, voient déjà le moment où, en visite
officielle dans un pays européen, Ariel Sharon sera arrêté sur un tapis
rouge…pour cause de mandat d’arrêt délivré par le juge belge. Un vrai cauchemar
pour la diplomatie belge, mais la situation n’en est pas encore là. Elle en est
même loin.
L’avocat libanais et ses deux collègues belges qui se partagent la
défense des intérêts des 23 survivants de Sabra et Chatila ont beau cherché à
mobiliser l’opinion publique, en Belgique, on cherche de plus en plus à mettre
de l’ordre dans le branle-bas provoqué par l’adoption de la loi de compétence
universelle des tribunaux belges consacrée en 1999.
Des filtres… pour
dégager le parquet
Sous couvert de décharger les tribunaux belges,
une équipe de parlementaires, de diplomates et de magistrats de ce pays étudient
l’établissement de «filtres» pour, officiellement, réduire le travail du parquet
belge. Toute plainte présentée pourrait ainsi être soumise au Parlement qui
jugerait de sa recevabilité. Et tant pis pour le principe de séparation des
pouvoirs si cher aux démocraties bien ancrées. Autre alternative, une commission
de magistrats étudierait la recevabilité des plaintes au lieu de laisser ce
pouvoir entre les mains du seul juge du parquet. Troisième possibilité : amender
la loi de manière à ce qu’elle ne touche plus les responsables en exercice. Ce
serait bien sûr la solution la plus facile, surtout si l’amendement a un effet
rétroactif, mais sans doute la moins intéressante pour les droits de l’homme,
dont la Belgique est fière de se faire la championne. Car; si ce genre
d’amendement fait tout à fait le jeu de la diplomatie, il est loin de répondre
aux aspirations des Belges à une justice internationale qui permettrait de
poursuivre les criminels de guerre quelles que soient les fonctions qu’ils
occupent.
Selon des sources belges, l’amendement devrait être prêt d’ici à
la fin de l’année. Ce qui donne quelques mois à peine pour les avocats des
plaignants contre Sharon pour mobiliser l’opinion publique afin que cette
affaire ne soit pas refermée «pour raison d’État».
5. Les "Huit" (pays les plus riches du monde) prônent
l'envoi urgent d'observateurs d'une tierce-partie au Moyen-Orient par
Jane Perlez
in The New York Times (quotidien américain) du vendredi 20
juillet 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
EXTRAIT - En réponse à la flambée de violence qui
ne fait qu'empirer, au Moyen-Orient, les ministres des affaires étrangères des
principaux pays industrialisés ont dit aujourd'hui aux Israéliens et aux
Palestiniens qu'ils sont favorables à l'envoi sur place d'observateurs neutres,
appartenant à une "tierce-partie", ce qui est, à leurs yeux, la solution la plus
sûre permettant de stopper la détérioration de la situation.
Au cours d'une
nouvelle explosion de violence, ce jour, au Moyen-Orient, des Israéliens armés
de fusils ont tué, près d'Hébron, trois membres d'une même famille
palestinienne, parmi lesquels un bébé, et blessé plusieurs autres
personnes.
Les objections renouvelées d'Israël contre tout projet d'envoi
d'observateurs étrangers étant connues, la décision des ministres (des "Huit"),
parmi lesquels le Secrétaire d'Etat américain Colin L. Powell, a pu être
considérée tout autant comme le reflet de (leur) déception face à un
cessez-le-feu volant en éclats, que comme une initiative visant à prendre une
part plus active à la promotion de la paix.
La politique de l'administration
Bush en matière de paix au Moyen-Orient a évolué de manière significative durant
les six premiers mois du mandat présidentiel, passant d'une approche
d'observation prudente préparatoire à un engagement des plus timides, à
l'obtention du cessez-le-feu actuel, il y a cinq semaines environ. Il y a tout
juste deux semaines, le Secrétaire d'Etat Powell, de passage à Jérusalem, avait
incité à passer à l'étape suivante, disant que des observateurs seraient
nécessaires afin de contrôler le cessez-le-feu entre Israéliens et Palestiniens,
si les deux parties en convenaient, et fixant un échéancier pour la transition
vers des négociations politiques (et non plus de simples pourparlers
sécuritaires).
La formulation utilisée par la déclaration des ministres des
affaires étrangères sur les observateurs, jointe à leur communiqué officiel,
avait été contrôlée, avant publication, par la délégation américaine
accompagnant les experts chevronnés versés dans les problématiques
moyen-orientales placés auprès du Secrétariat d'Etat, afin de s'assurer qu'elle
n'outre-passait pas la politique du premier ministre israélien, Ariel
Sharon.
Après une conférence de presse au cours de laquelle le communiqué fut
livré à la discussion, un haut responsable de l'administration (américaine) a
déclaré que les Etats-Unis étaient satisfaits de cette déclaration, car la
référence à une "tierce partie" n'implique nullement que l'ONU ou l'Union
européenne seraient nécessairement les instances qui fourniraient les
observateurs.
Israël a constamment objecté à l'envoi d'observateurs
"internationaux", mais il a aussi exprimé plus d'inclinaison à traiter avec des
observateurs d'une "tierce-partie", a indiqué le haut fonctionnaire. Les
observateurs d'une tierce-partie avec lesquels Israël se sentirait le plus à
l'aise seraient ceux provenant des Etats-Unis, a-t-il ajouté.
Mais les
responsables israéliens ont rejeté cette suggestion, invoquant le fait que la
création d'une équipe d'observateurs serait sans objet, voire même risquée, en
l'absence d'un cessez-le-feu effectif...
"Nous sommes convaincus que ce dont
nous avons besoin, ce n'est pas d'observateurs, mais d'observance, en
l'occurrence, d'observance par les Palestiniens du cessez-le-feu", a déclaré Avi
Pazner, un porte-parole du gouvernement israélien.
Dore Gold, conseiller de
M. Sharon, a déclaré que le président de l'Autorité palestinienne, Yasser
Arafat, considérerait l'envoi d'observateurs comme une victoire. "Il y a un
(réel) danger qu'Arafat ait la perception que sa politique de violence se voit
récompensée, il serait alors encore plus difficile de le dissuader de recourir à
la violence, à l'avenir", a-t-il poursuivi.
Les Israéliens sont satisfaits de
voir les ministres du G8 déclarer qu'Israéliens et Palestiniens devaient donner
leurs agrément, les uns comme les autres, en la matière. Israël n'est pas
systématiquement opposé à ce que des observateurs soient envoyés sur le terrain,
a indiqué M. Pazner, qui a fait remarquer qu'il y a des observateurs de
différents pays, dans le Sinaï, dont la mission est de sauvegarder la paix entre
l'Egypte et Israël, ainsi qu'une force des Nations Unies, sur les hauteurs du
Golan, qui surveille le maintien d'un cessez-le-feu proclamé il y a désormais
vingt-huit ans, entre Israël et la Syrie.
Mais dans une situation aussi
volatile que la situation présente, "c'est dangereux, et nous pensons que cela
ne pourrait que compliquer encore les choses", a-t-il conclu.
"Il est
évident", a dit M. Pazner, reprenant la parole, "que, dans la situation présente
- j'insiste : la situation actuelle - il ne saurait y avoir d'agrément de la
part d'Israël à la venue d'observateurs".
Nabil Shaath, ministre de la
planification et de la coopération internationale de l'Autorité palestinienne, a
salué l'initiative des ministres (des affaires étrangères) du G8 en ces termes :
"la seule présence d'une tierce-partie sur le terrain représente une avancée
positive".
"Ce qui est attendu, maintenant, de ces pays, c'est qu'ils
oeuvrent afin d'amener Israël à accepter la présence d'une tierce-partie", a dit
M. Shaath. "Il s'agit-là d'une requête palestinienne, qui ne date pas d'hier. Et
voilà qu'aujourd'hui, elle reçoit enfin un appui international".
Des
diplomates ont révélé que les échanges les plus animés, entre les ministres des
affaires étrangères des pays du G8, qui ont passé en revue des sujets mondiaux
du moment allant de la globalisation au contrôle des armements, furent ceux
échangés autour de la situation au Moyen-Orient. Au coeur de la discussion se
trouvait la question de savoir jusqu'où il convenait d'aller dans l'incitation
des deux parties à accepter des observateurs comme moyen garantissant la mise en
application des recommandations Mitchell, qui tracent une voie vers des
négociations entre les Israéliens et les Palestiniens.
Bien que l'appel à
l'envoi d'observateurs ait été des plus appuyés, il n'était pas encore assez
incitatif, au goût de certains pays. "Le truc, c'est de persuader les Israéliens
que des observateurs servent à quelque chose", a confié un diplomate
européen.
Tous les ministres des A.E., y compris le russe Igor S. Ivanov,
sont convenus que le rapport rédigé par l'ancien sénateur américain George
Mitchell doit constituer le fondement d'une tentative d'amener les Israéliens et
les Palestiniens à faire un pas en avant afin de sortir de la violence, suivi
par une période au cours de laquelle les deux parties prendraient des mesures
afin de restaurer la confiance entre elles. La phase finale devrait être celle
d'une reprise des négociations de paix.
La conférence des ministres des A.E.,
aujourd'hui, a abordé une bonne partie des thèmes dont leurs chefs de
gouvernement débattront lorsqu'ils tiendront leur rencontre au sommet à Gênes,
vendredi. Au cours de ce qui constituait en quelque sorte une avant-première de
ce sommet mondial, au cours duquel le président Bush fera son entrée dans le
grand monde du G8, les ministres ont débattu de contrôle des armements, mais en
évitant soigneusement le sujet spécifique du Traité sur les missiles
antibalistiques (ABM). Ils ont préféré mettre l'accent, dans leur communiqué,
sur "la grande importance des régimes existants en matière de traités
multilatéraux".
Le traité ABM, dont l'administration Bush a laissé entendre
qu'elle pourrait se retirer, est un agrément bilatéral entre la Russie et les
Etats-Unis. En se référant aux "régimes existants", les ministres n'ont pas
entériné le Traité sur le bannissement général des tests (nucléaires), un traité
multilatéral qui n'a pas encore d'existence légale parce que les Etats-Unis,
entre autres, ne l'ont pas encore ratifié.
Au cours de la session de ce jour
consacrée au contrôle des armements, les diplomates ont indiqué que le Canada a
été la seule nation à s'élever contre les projets de l'administration Bush en
matière de défense balistique. Ce à quoi le Secrétaire d'Etat américain, Powell,
a apporté une réponse qualifiée de "rassurante" par plusieurs diplomates,
lorsqu'il a réaffirmé, au cours de cette conférence tenue à huis-clos, que
Washington continuerait à pratiquer la concertation avec ses alliés et avec la
Russie sur ses intentions en matière de traité ABM. [...]
6. La Suisse n'accepte pas l'annexion de
Jérusalem-Est par Muriel Berset Kohen
in Le Temps (quotidien
suisse) du vendredi 20 juillet 2001
["Le Temps, qui tire à 100 000 exemplaires est né de la
fusion, en 1998, du “Nouveau Quotidien” et du “Journal de Genève et Gazette de
Lausanne”. "le Temps" se veut premier quotidien de Suisse romande, organe
d'information d'envergure internationale et plate-forme de débat pour l'avenir
du "modèle suisse".]
Muriel Berset Kohen, porte-parole
du DFAE, en réponse notamment à une lettre du professeur Albert de Pury publiée
hier dans «Le Temps» accusant la Suisse d'avoir «baissé pavillon» en installant
une représentation à Ramallah, affirme qu'au contraire, Berne est désormais
mieux représenté auprès des Palestiniens.
Que s'est-il vraiment passé entre
Jéricho, Ramallah et Jérusalem-Est ? Où la Suisse est-elle maintenant présente
auprès des Palestiniens ? Après diverses informations à ce sujet dans les médias
depuis que le Département fédéral des affaires étrangères a annoncé, le 9
juillet dernier, l'ouverture d'une Représentation officielle auprès de
l'Autorité palestinienne à Ramallah, il apparaît nécessaire de revenir sur les
faits afin d'éviter qu'un malentendu ne s'installe.
La Suisse dispose
maintenant d'un Bureau de la coopération au développement et de l'aide
humanitaire à Jérusalem-Est et d'une Représentation de la Suisse auprès de
l'Autorité palestinienne à Ramallah.
La Suisse s'était installée en 1994 à
Jéricho, mais il s'est avéré par la suite que la structure de Jéricho était
inopérante car l'Autorité palestinienne ne s'était pas installée à Jéricho,
comme tout le monde s'y attendait. Pour des raisons pratiques, la Suisse avait
alors loué des locaux à Jérusalem-Est, depuis lesquels Mme Tonti et ses
collaborateurs géraient les programmes d'aide au développement et d'aide
humanitaire. Ces mêmes activités sont et seront poursuivies depuis ces mêmes
locaux par le successeur de Mme Annick Tonti, Mme Rosmarie Schelling, qui prend
ses fonctions le 1er août prochain.
Entre-temps, plusieurs institutions
officielles palestiniennes ont choisi Ramallah ; la ville s'est développée comme
un des centres principaux de la Cisjordanie. C'est donc là que de nombreux pays
ont décidé d'ouvrir une Représentation auprès de l'Autorité palestinienne. Il
était temps pour la Suisse de disposer elle aussi d'une structure pouvant
travailler efficacement avec les institutions palestiniennes et en collaboration
avec les autres représentations étrangères. D'accord avec le Ministère
palestinien du plan et de la coopération internationale, la Suisse a ainsi
décidé d'ouvrir une Représentation à Ramallah.
On peut donc dire que la
Suisse est maintenant mieux représentée qu'elle ne l'était auparavant.
Encore un point : cette nouvelle situation sur place ne change en rien la
position de la Suisse sur Jérusalem-Est qui est partagée par la grande majorité
de la communauté internationale : le Conseil fédéral a affirmé à maintes
reprises le principe de l'illégalité de l'acquisition de territoires par la
force, principe consacré par le droit international. L'extension de la
souveraineté israélienne à la partie est de Jérusalem (1980) est donc un acte
unilatéral inacceptable.
7. Assaad Abdel Rahmane, ministre palestinien des
Réfugiés : "Le cessez-le-feu ? Un scénario sharoniste"
in L'Hebdo
Magazine (hebdomadaire libannais) du vendredi 20 juillet 2001
Le verbe
éloquent, le ministre palestinien des Réfugiés Assaad Abdel Rahmane s'étend sur
les réalisations de l'intifada. Il insiste sur la réunification, sérieuse cette
fois, des rangs palestiniens. Mais il n'écarte pas, tout à fait, les problèmes
que risque d'affronter leur Autorité. Interview.
— Quelles ont
été les répercussions du dernier cessez-le-feu sur l'action de l'intifada
?
— Quand Israël a annoncé le cessez-le-feu, nous avons voulu
que cette décision soit sérieuse et réellement appliquée. Malheureusement, ceci
n'a pas été le cas. Ce n'était qu'un scénario de Sharon, des Etats-Unis, de
certains pays européens et même arabes. Chacun savait que Sharon n'arrêterait
pratiquement pas les attaques, surtout après l'opération à Tel-Aviv. Les
agressions israéliennes ont continué donc, ce qui nous a poussés à riposter,
pour nous défendre.
— Mais qu'a réalisé l'intifada pour le
peuple palestinien depuis la reprise des affrontements ?
—
L'action de l'intifada est un mouvement de longue haleine. Sa raison d'être est
la défense du peuple palestinien contre les agressions israéliennes et le projet
d'implantation... Son but reste la sauvegarde de l'entité et des droits de ce
peuple. Nous nous défendons et notre riposte a été bénéfique, car les Israéliens
souffrent aujourd'hui autant que nous tant sur le plan humain que politique et
économique. Nous n'acceptons plus de croiser les bras face aux attaques. Ceci a
quand même fait bouger les choses du côté international et a retenu l'attention
de l'opinion publique...
— Le quotidien israélien Maarev avait
relevé qu'Ariel Sharon était de plus en plus déterminé à appliquer le plan
d'élimination politique de Yasser Arafat et de l'actuelle Autorité
palestinienne. Qu'en est-il vraiment ?
— Ce plan est nouveau
et ancien. Au fait, si Sharon et la droite s'y accrochent tellement aujourd'hui,
c'est parce qu'ils sont convaincus que les accords d'Oslo ont été une
catastrophe pour l'Etat d'Israël. Certaines parties de gauche appuient également
ce plan, parce qu'elles considèrent que l'Autorité palestinienne n'a pas été
assez «coulante» vis-à-vis des conditions israéliennes.
—
Pourtant, beaucoup l'ont accusée de l'avoir été un peu trop !
—
Justement, une des réalisations de l'intifada est d'avoir écarté le doute sur la
flexibilité de l'Autorité. Il y a même eu accusation de trahison. Reste que
l'Autorité palestinienne, à l'instar de tous les pays arabes, respecte toujours
les décisions internationales. De toute façon, chaque fois qu'Israël pousse
l'arrogance jusqu'à décider du leadership palestinien, le peuple s'accroche de
plus en plus à ses représentants actuels. Israël croit qu'en remuant ce plan, il
peut exercer des pressions sur l'actuelle Autorité. C'est une sorte de chantage.
Toujours est-il que ce ne sont pas les leaders ou les personnes qui comptent aux
yeux du peuple, mais l'Autorité, qui saura sauvegarder et protéger leur projet
national. Même si l'élimination a lieu, les Palestiniens n'accepteront pas des
représentants agents d'Israël. D'ailleurs, l'histoire montre que les essais du
genre n'ont jamais réussi à Israël.
— On ne parle plus du
dossier des réfugiés ces derniers temps. Pourquoi ?
— Ce sujet,
comme d'autres d'ailleurs, est gelé. Le principal étant la lutte existentielle
que nous menons depuis des mois.
— Est-ce que le comité
multitendance pour les affaires des réfugiés palestiniens a repris ses activités
dernièrement ?
— Aucun comité n'agit en ce moment, que ce soit
à un niveau bilatéral ou international.
— Y aurait-il de
nouvelles coordinations avec l'Etat libanais ?
— De nombreux
contacts ont été effectués. Ceci a réduit les tensions et les appréhensions
existant a priori. L'intifada a permis un certain rapprochement des points de
vue, notamment entre Libanais et Palestiniens d'une part, Palestiniens et
Syriens de l'autre.
— Sur quoi toutes ces parties se sont-elles
mises d'accord ?
— En deux mots: l'appui de l'intifada et le
refus de l'implantation.
— Des voix libanaises et surtout
palestiniennes se sont élevées contre la loi sur la propriété empêchant tout
Palestinien d'acquérir une propriété immobilière...
— C'est une
affaire libanaise. Nous espérons que cette erreur soit rectifiée. D'ailleurs,
une campagne dans ce sens a commencé au Parlement.
— Cette loi
serait une façon de se défendre, entre autres, contre tout projet
d'implantation...
— Croyez-moi, nous promettons de ne pas
rester une minute de plus si nous réussissons à regagner notre patrie...
8. Encore une poignée de mains, et pourtant... bientôt
l'assaut final
in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libannais) du
vendredi 20 juillet 2001
Malgré l'activisme des diplomaties
égyptienne, américaine et européenne, l'engrenage «action-réaction» s'emballe
dans les territoires. Tous les ingrédients semblent réunis pour la grande
confrontation finale...
Il suffit du moindre signe, de l'expression du
visage décontractée de tel ou tel responsable, d'une déclaration considérée
comme apaisante, d'une tape amicale sur l'épaule, et surtout d'une poignée de
mains pour que l'espoir renaisse et que pointe à l'horizon l'avenir radieux.
Sept années de discours sur la paix et ses promesses ont profondément influencé
la conscience et l'imaginaire de nombre d'observateurs de la réalité
moyen-orientale. Ce n'est pas un hasard si le messager de l'espoir a, encore une
fois, été le visionnaire Shimon Peres, l'un des concepteurs du processus d'Oslo
et le prophète du nouveau Moyen-Orient. Toutefois, neuf mois d'intifada ponctués
de trêves, de cessez-le-feu, de reprises de contacts, qui débouchent tous sur
une reprise des affrontements, ont refroidi quelque peu même les plus naïfs des
optimistes. A peine une reprise de contact au Caire censée avoir arrêté, pour le
moment, l'assaut final contre les Palestiniens qu'un attentat kamikaze fait
voler en éclats toutes ces analyses. Malgré les efforts diplomatiques,
l'engrenage semble bien emballé vers la grande confrontation tant prévue. Selon
les révélations du quotidien Maarev, un rapport des services de renseignements
israéliens préconisait déjà depuis la mi-octobre 2000, c'est-à-dire sous le
gouvernement Barak, une offensive d'envergure pour détruire l'Autorité
palestinienne. La multiplication des fuites, des déclarations incendiaires ou
apaisantes de différents officiels israéliens révèle en réalité l'existence d'un
débat au sein du gouvernement, de l'armée et des services de renseignements sur
la stratégie à suivre face aux Palestiniens. A l'origine de ce débat, il y
aurait des diagnostics divergents de la situation palestinienne. Le chroniqueur
Zeev Shiff rappelle que les services de renseignements militaires prétendent
qu'Arafat contrôle dans une large mesure la rue palestinienne alors que le
Shabak estime que le contrôle d'Arafat sur la situation est limité par des
contraintes objectives. Le Shabak considère qu'Arafat est dépassé, non seulement
par la rue et l'intelligentsia palestinienne, mais d'abord par sa propre
organisation, le Fatah, ainsi que par ses services de sécurité et par le Hamas
et le Djihad islamique. La situation objective, c'est-à-dire l'absence de
continuité géographique entre les zones autonomes palestiniennes, la structure
même de l'Autorité palestinienne et ses divergences internes rendent les choses
encore plus difficiles. Plus le temps passe, plus l'Autorité d'Arafat s'érode,
et il en est conscient. Cet exposé du point de vue du Shabak par Zeev Shiff qui
en épouse les grandes lignes en opposition à celui exprimé par les
renseignements militaires se termine cependant par la même conclusion: Arafat
est le responsable de la situation actuelle. Un autre commentateur israélien,
Dani Rubinstein, souligne que «les francs-tireurs palestiniens à Gaza et en
Cisjordanie continuent, en dépit des ordres d'Arafat, à tirer sur des cibles
israéliennes. Arafat est aujourd'hui un leader très angoissé et sa marge de
manœuvre s'est considérablement rétrécie. Il voit son autorité se décomposer et
craint son effondrement total». Qu'il soit considéré comme le chef d'orchestre
de l'intifada ou comme le président d'une Autorité palestinienne impuissante, sa
simple présence assure à l'intifada une couverture politique arabe et
internationale, qui, bien qu'insuffisante, entrave le plein emploi de la
puissance militaire israélienne. Depuis le cessez-le-feu déclaré début juin, 330
attaques palestiniennes ont été recensées, provoquant la mort de dix Israéliens;
durant la même période, vingt et un Palestiniens ont été tués, ce qui signifie
que pour chaque mort israélien, il y a deux morts palestiniens. La haute
hiérarchie militaire, convaincue de la nécessité d'une opération d'envergure,
trouve dans ce contexte le prétexte idéal pour intensifier ses pressions afin de
rallier à cette option les ministres réticents et l'opinion. Bien que l'intifada
ait dès le début représenté un défi stratégique pour Israël en tant
qu'insurrection populaire et armée au sein de son espace sécuritaire,
l'intensification des actions de résistance et la multiplication des opérations
kamikazes créent une situation nouvelle aux conséquences imprévisibles lourdes
de menaces. Celles-ci commencent à se faire sentir sur l'économie israélienne,
par exemple. Martine Gozlan indique que «le taux de croissance s'est effondré de
50%, les exportations stagnent, le déficit commercial s'envole. Les
investissements dégringolent: de 5 milliards de dollars en 1999, ils ne se
chiffrent plus qu'à 1,5 milliard. Le bâtiment et l'agriculture marquent le pas:
la main-d'œuvre palestinienne, majoritaire, est aujourd'hui bouclée dans les
territoires. Même les travailleurs immigrés de Roumanie, de Thaïlande, venus
tenter leur chance dans l'eldorado de l'après-Oslo, se retrouvent de plus en
plus fréquemment sur le pavé. Avec un taux de chômage de 9% pour l'ensemble des
Israéliens, la situation est pire qu'en 1996, année de turbulence sociale».
Horrifiés, les économistes avouent qu'il faut remonter au milieu des années 1960
pour retrouver une conjoncture aussi néfaste. Les rentrées en devises étrangères
dues au tourisme s'élevaient à 5 milliards de dollars en 2000. Aucun effort sur
les infrastructures n'inversera leur effondrement en 2001 si une alternative
politique ne rend pas crédible un cessez-le-feu conclu en juin mais toujours
inopérant. Construits il y a quelques années au temps de la ruée des visiteurs,
25 hôtels viennent de fermer et des douzaines d'autres sont au bord de la
faillite. Aux joyeuses images de la côte méditerranéenne, sensuelle et fêtarde,
ont succédé celles des voitures piégées et des corps déchiquetés.
Ce contexte
renforce les pressions exercées par une opinion publique radicalisée et par
l'armée et les services de renseignements sur le gouvernement pour une opération
d'envergure contre les Palestiniens. Les opposants à une telle opération au sein
du gouvernement, à la tête desquels se trouve Shimon Peres, avancent plusieurs
arguments: d'abord, la politique de restreinte a eu de bons résultats
diplomatiques et médiatiques aux Etats-Unis et en Europe, incitant ces derniers
à enjoindre Arafat à calmer ses troupes. Ensuite, cette même politique a permis
de préserver l'unité de la coalition gouvernementale israélienne elle-même. De
plus, un troisième argument a été explicité par Peres lui-même durant sa visite
au Caire. Démentant les informations de la revue Jane's Foreign Report sur
l'imminence d'une vaste opération militaire israélienne, ce dernier expliquera
qu'«Israël n'a aucune intention de mener une offensive terrestre, d'attaquer
Arafat ou de l'expulser. Arafat est à nos yeux le leader élu des Palestiniens,
et il les représente». Selon les tenants de cette ligne, Arafat est le moins
pire des interlocuteurs qu'Israël pourrait avoir. Martin Indyk joindra sa voix à
ces derniers lorsqu'il affirmera qu'«Israël ne doit pas faire confiance à Arafat
mais elle n'a d'autres partenaires que lui». Ces réticences au sein du
gouvernement israélien, s'ajoutant aux efforts diplomatiques américains,
égyptiens et européens, ont réussi apparemment à arrêter, pour le moment,
l'attaque... En attendant, le gouvernement israélien poursuit ce que François
Thual appelle une stratégie de confinement territoriale, politique et économique
de l'Autorité palestinienne. Sur le plan territorial, celle-ci consiste à
pérenniser la ghettoïsation des Palestiniens dans les enclaves territoriales,
baptisées zones autonomes, par le bouclage d'une part et par la continuation de
la confiscation des terres, la destruction de maisons et la construction de
colonies d'autre part. Israël réduit ainsi, au fil des jours, l'espace physique
d'existence des Palestiniens. Sur le plan politique et diplomatique, Israël
cherche à décrédibiliser l'Autorité palestinienne à la fois sur les plans
interne et extérieur. En exigeant d'elle un retour au calme total sans
contrepartie politique, il tente de la couper de sa base populaire et de
remettre en cause l'unité des rangs palestiniens qui a prévalu jusqu'à l'heure
actuelle. En parallèle, il mène une offensive politique et médiatique au niveau
international pour prouver son implication dans les actions de résistance, et
donc son absence de respect du cessez-le-feu déclaré début juin. Il continue par
ailleurs ses attaques contre ses institutions, ses services et ses
infrastructures, visant à l'affaiblir davantage. Sur le plan économique, Israël
poursuit son entreprise de destruction de l'économie palestinienne et de pillage
des ressources pour alimenter en eau les colonies de Cisjordanie et de Gaza,
mais aussi une partie importante des villes israéliennes. Cette stratégie du
confinement continue en attendant le moment propice pour l'assaut final. Du côté
palestinien, les options semblent bien limitées: la continuation de l'intifada
ou la reddition pure et simple. Malgré les mesures de bonne volonté entreprises
par l'Autorité palestinienne, c'est-à-dire l'arrestation d'une quarantaine de
militants palestiniens armés depuis le début du plan Tenet, celle-ci ne peut
s'engager à faire respecter un cessez-le-feu total sans concessions
israéliennes. Elle risque de se trouver en prise avec sa base dans le cas
contraire. Dans une interview qu'il a accordée au quotidien Le Monde du 12
juillet, Marwan Barghouti, le responsable du Fatah en Cisjordanie, soutient que
«c'est le peuple palestinien qui a déclenché l'intifada. Le soulèvement n'est
pas le résultat d'ordres donnés et ne prendra pas fin par la décision de
quelqu'un». Il soulignera par ailleurs qu'il soutient le principe d'un
cessez-le-feu à partir des zones sous contrôle total de l'Autorité
palestinienne, c'est-à-dire ce que les accords d'Oslo avaient désigné sous
l'appellation Zone A. En revanche, il réaffirme le principe de la résistance
dans les zones occupées par l'armée israélienne et le long des colonies de
peuplement juives. Le propos du responsable du Fatah, la propre organisation de
Yasser Arafat, rend compte de l'état d'esprit dominant dans les territoires
palestiniens. De leurs côtés, le Hamas, le Djihad islamique ou le FPLP (qui a
effectué son grand retour sur la scène de la lutte armée) ont signalé par leurs
actions leur détermination à continuer dans la voie de la confrontation.
Désormais, l'ensemble des acteurs palestiniens converge sur les grandes lignes
de la stratégie à suivre face à un ennemi qui, selon Toufic Tiraoui, chef des
services de renseignements extérieurs, «est dominé par une mentalité coloniale.
Il ne connaît que le langage de la force, du mépris et de l'arrogance!
Impossible de parler de paix avec des gens pareils». Une division du travail
semble avoir été établie entre l'Autorité palestinienne et les organisations de
résistance dans le cadre de laquelle celle-ci prend en charge la gestion
politique du conflit, alors que les seconds continuent et intensifient les
opérations de résistance. L'objectif reste le même depuis le début de
l'intifada: l'internationalisation de la crise. La politique de bord du gouffre
actuelle vise à accélérer une telle internationalisation.
3 000 arrestations
Une étude publiée par l'Association
des détenus palestiniens signale la présence de 2500 détenus dans les prisons
israéliennes, dont 130 mineurs de moins de 18 ans des deux sexes. Les cellules
des centres de détention sont surpeuplées et le recours à la torture, malgré la
décision de la Haute Cour de justice israélienne de l'interdire, est courant...
La méthode favorite pour obtenir des aveux, surtout avec les mineurs, est la
menace du viol. Plusieurs viols ont par ailleurs été signalés.
La destruction de maisons continue
Une dizaine de
maisons ont été occupées par l'armée israélienne depuis le début de l'intifada
en septembre 2000 et certaines ont été transformées en postes militaires. Par
ailleurs, l'armée israélienne occupe souvent les toits de certaines habitations
alors que leurs propriétaires y habitent encore. Depuis le début de la
confrontation, plus d'une centaine de maisons palestiniennes ont été détruites
et des centaines d'autres sérieusement endommagées.
9. L'étrange impunité des extrémistes
israéliens
Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 20 juillet
2001, 14h20
JERUSALEM - Condamné par les autorités israéliennes et les
représentants des colons, le meurtre de trois Palestiniens dont un nourrisson
dans une embuscade jeudi près de Hébron pose des questions sur l'impunité des
extrémistes juifs.
Cet attentat, sur fond d'attaques meurtrières
palestiniennes, n'est pas un acte isolé. Il intervient après au moins trois
attaques armées contre des Palestiniens ces dernières semaines, dont l'une a
causé la mort d'un chauffeur de camion, ainsi que des dizaines
d'agressions.
Dans de rares cas, des suspects israéliens ont été arrêtés.
Aucun n'a été maintenu en détention. Pratiquement tous les Israéliens condamnés
dans le passé pour des actes de violences ont bénéficié de remises de
peine.
"Toutes ces années les autorités, police, juges ou gouvernants, ont
fait preuve d'un laxisme extraordinaire vis-à-vis du terrorisme juif", déclare à
l'AFP la députée Zahava Gal On, du parti de gauche Meretz.
Elle en voit une
illustration dans la grâce présidentielle dont a bénéficié cette semaine une
femme colon Margalit Har-Shefi, impliquée indirectement dans l'assassinat de
l'ex-Premier ministre Yitzhak Rabin en 1995. Elle va sortir de prison après
avoir purgé six des neuf mois auxquels elle a été condamnée.
Selon la
députée, le service de sécurité intérieure israélien Shin Beth s'efforce
d'empêcher des attentats d'extrémistes juifs et d'arrêter leurs
auteurs.
"Mais on ne peut lutter contre le terrorisme juif sans s'en prendre
à ceux qui incitent au meurtre", ajoute-t-elle.
Le chef du Shin Beth, Avi
Dichter, a fait état cette semaine de l'existence "d'une cellule terroriste
juive" mais a estimé qu'il n'y avait pas de véritable réseau clandestin.
Il y
a vingt ans, un procureur de haut rang, Me Judith Karpp, s'était alarmée du
laxisme des autorités à l'égard des colons, dans un rapport qui avait fait grand
bruit, mais qui n'avait pas été suivi d'effet.
Au début des années 1980,
c'est un véritable "réseau terroriste juif" qui est démantelé, après avoir tué
trois Palestiniens et préparé un attentat contre l'Esplanade des mosquées (le
Mont du Temple pour les juifs) à Jérusalem. Les chefs du réseau, lourdement
condamnés, bénéficièrent tous de remises de peine.
Lorsqu'en février 1994
Baruch Goldstein, un colon extrémiste massacre 29 Palestiniens qui priaient à
Hébron, son crime fut dénoncé. Mais sa tombe devint un lieu de
pèlerinage.
Plus récemment, des colons se sont livrés à des actes de
vandalisme anti-palestiniens à Hébron, incendiant des échoppes et s'en prenant à
des soldats après la mort en mars d'un bébé de colons tué par un tireur
palestinien.
Le ministre de la Défense Binyamin Ben Eliezer promit "d'en
finir avec l'anarchie des colons". Mais tous les colons interpellés ont été
libérés.
"Enquêter sur ce genre d'incidents est très compliqué", soutient un
porte-parole de la police.
La police a indiqué vendredi qu'elle soupçonnait
en premier lieu des extrémistes juifs d'avoir commis l'attentat de jeudi soir
près de Hébron.
Selon elle, les assaillants ont pris en chasse la voiture
palestinienne et l'ont mitraillée à bout portant avant de fuir en direction
d'Israël. Ils ont franchi ensuite un barrage militaire israélien situé à environ
500 mètres, sans être inquiétés, selon des témoins.
L'attentat a été
revendiqué par "le comité pour la sécurité sur les routes", un groupe formé de
colons extrémistes, lié au Kach, officiellement hors la loi mais toléré par les
autorités.
En décembre 1993, trois Palestiniens avaient été tués dans le même
secteur lors d'une attaque similaire. Les coupables courent toujours.
10. Comment Barak a fini par exaspérer
Clinton... par Alan Sipress
in International Herald Tribune
(quotidien anglophone publié à Paris) du jeudi 19 juillet 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Des observateurs relatent les
tensions lors des négociations de Camp David, l'année dernière.
Bien
que le président Clinton eût fait rejaillir publiquement sur les Palestiniens la
responsabilité de l'échec du sommet pour la paix de Camp David en juillet
dernier, il se montrait exaspéré, en privé, par les tactiques de négociations de
l'ancien premier ministre israélien, Ehud Barak, à en croire les confidences
d'un conseiller-clé de la Maison Blanche.
Dans un article - à paraître - dans
la New York Review of Books, Robert Malley, alors assistant spécial de M.
Clinton pour les affaires israélo-arabes, remet en question l'opinion très
répandue, selon laquelle le leader palestinien Yasser Arafat serait le seul
coupable de l'échec du sommet de Camp David, qui fut, on le sait, suivi de peu
par une flambée de violence au Moyen-Orient.
M. Malley et le co-auteur de
l'article, Hussein Agha, qui est un universitaire aux conseils duquel la
direction palestinienne fait souvent appel, écrivent que les erreurs de M. Barak
ont (largement) contribué à la rupture (des négociations). Ils ajoutent que
l'équipe américaine des bons offices avait fini, en dernier ressort, par les
tenir pour négligeables, car ils étaient convaincus que M. Barak désirait
rejoindre un accord définitif de portée historique.
Les deux auteurs écrivent
que le premier ministre israélien a contribué à rassembler les éléments de
l'échec en refusant de mener à bien certains arrangements préliminaires avec les
Palestiniens, notamment un engagement à restituer la Cisjordanie, en étendant
les colonies de peuplement juif dans les territoires occupés et enfin, en
poussant M. Arafat à donner son agrément à un marché de la paix "à prendre ou à
laisser". Ceci a nourri les suspicions de M. Arafat quant aux motifs réels
d'Israël, renforcé sa réticence à signer un accord définitif. Ainsi, il passa
les journées de négociations plus à tenter d'éviter de tomber dans un piège qu'à
rechercher la paix, c'est du moins l'appréciation donnée par l'article, qui sera
publié par la New York Review of Books, le 9 août prochain.
M. Clinton fut
amené à partager l'irritation ressentie par M. Arafat, face à ce qu'ils
considéraient tous deux comme l'incapacité d'Israël à respecter ses engagements,
écrivent les deux auteurs de l'article. Lorsque M. Barak renia sa promesse de
transférer trois villages de la région de Jérusalem à la souveraineté de
l'autorité palestinienne - promesse transmise à M. Arafat par M. Clinton en
personne - ce dernier devint "furieux".
L'article le cite pour avoir dit
qu'il n'avait encore jamais dû, jusqu'alors, jouer le rôle du "faux prophète"
vis-à-vis d'un dirigeant étranger...
M. Malley relate aussi un "moment
extraordinaire", à Camp David, lorsque M. Clinton donna libre cours à une
frustration longtemps refoulée, après que M. Barak eût renié certaines positions
avancées au cours des négociations.
L'article cite M. Clinton pour voir dit à
M. Barak : "Je ne peux (tout de même) pas aller voir Arafat avec un rabais
!"
"Ce n'est pas vrai... " aurait ajouté M. Clinton, d'après l'article. "Ce
n'est pas sérieux... ". M. Clinton reprocha alors au dirigeant israélien d'avoir
été incapable de se montrer plus conciliant au cours de précédentes
négociations, avec les Syriens.
M. Clinton dit qu'afin de rencontrer l'ancien
président syrien, Hafez Al-Assad, "il était allé à Genève, s'y était senti comme
une marionnette marchandant à la place de Barak" et qu'il "ne permettrait pas
que cela se renouvelle, ici".
M. Clinton conseilla aussi à M. Barak de faire
preuve de quelque flexibilité et de prendre les sentiments des Palestiniens en
compte. "Vous êtes plus intelligent et plus expérimenté que moi en matière
militaire", dit M. Clinton. "Mais je suis plus ancien que vous dans la politique
et j'ai su tirer parti de mes erreurs".
Au même moment, M. Malley rapporte
que M. Clinton était irrité de voir que les Palestiniens
faisaient
preuve de mauvaise volonté en refusant de répondre à certaines des propositions
très conciliantes que M. Barak et lui-même avaient mises sur la table.
M.
Clinton et son équipe de conseillers attendaient de M. Arafat qu'il fasse des
contre-propositions afin que le désir proclamé par Israël de parvenir à un
accord puisse être pris au mot. Mais M. Arafat et ses conseillers étaient
paralysés par la peur de "se faire avoir" ainsi que par les dissensions et les
intrigues au sein de leur équipe de négociateurs, avance l'article.
Les
auteurs relatent comment M. Clinton s'en prit vivement à Abu Alaa, l'un des
négociateurs palestiniens en chef, qui avait refusé un marchandage basé sur une
carte proposée comme solution partielle : "Ne vous contentez pas de me dire que
la carte des Israéliens n'est pas bonne ! Donnez m'en plutôt une meilleure
!"
Les Palestiniens ayant refusé, M. Clinton éclata : "Je ne peux tolérer que
les Etats-Unis soient amenés à couvrir des négociations menées de mauvaise foi.
Coupons là !"
Peu avant la fin du sommet, .M Clinton rabroua M. Arafat : "Si
les Israéliens ne peuvent pas faire de compromis, et vous non plus, je pense que
je ferais mieux de rentrer chez moi. Il y a quatorze jours que vous êtes ici, et
vous avez dit "non" à tout propos. Ceci aura des conséquences. Le processus de
paix se terminera par un échec".
"Laissez ce bon D... de sommet s'effondrer,
et vous devrez en supporter les conséquences toute votre vie", aurait déclaré M.
Clinton.
Lors de la clôture de Camp David, M Clinton, déçu, reprocha à M.
Arafat d'avoir manqué une chance historique de pouvoir conclure un accord,
brisant une promesse (précédente) qu'il avait faite de ne pas tenir M. Arafat
pour responsable d'un échec éventuel.
Dans les semaines qui ont précédé le
sommet, M. Arafat attendait des Israéliens qu'ils fassent leurs propositions
pour un accord intérimaire, avant d'en passer à l'examen d'un accord définitif.
Mais il avait mis plusieurs conditions à son accord pour venir à Camp David.
L'une de ces conditions était qu'il ne soit pas tenu responsable d'un échec
possible de ce qu'il considérait comme une réunion prématurée.
Cela n'a pas
empêché M. Clinton, toutefois, lorsque les discussions commencèrent à battre de
l'aile, d'aider en priorité M. Barak, dont les concessions considérables avaient
gravement entamé la popularité chez lui, en Israël.