Point d'information Palestine > N°158 du 20/07/2001

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Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
                       
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Au sommaire
        
Témoignages
1. Ma visite de Saouya et de Kayryout par Nicolas, citoyen de Bethlehem
2. Les jolies routes de Palestine par Nathalie Laillet, citoyenne de Naplouse (Palestine)
        
Télévision
1. Samedi 21 juillet 2001 à 19h00 sur Arte : Histoire parallèle
2. Samedi 21 juillet 2001 à 21h20, sur Planète : Cinq colonnes à la une
3. Mardi 24 juillet 2001 à 21h55, sur Planète : Sous les décombres de Jean Chamoun et Masri Mai
      
Réseau
Le Cosaque volé par Uri Avnery (samedi 14 juillet 2001) [traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
                
Revue de presse
1. Le G8 prône l'envoi d'observateurs en Israël par José Garçon in Libération du vendredi 20 juillet 2001
2. Des colons tuent trois Palestiniens dont un bébé près de Hébron par Samir Chahine Dépêche de l'Agence France Presse du jeudi 19 juillet 2001, 23h43
3. Des juifs français s'installent au pays de l'Intifada Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 18 juillet 2001, 10h13
4. Le tête-à-tête infernal doit être brisé par une tierce partie par Mouna Naïm in Le Monde du mercredi 18 juillet 2001
5. A Hébron, "c'était vraiment la guerre" par Bruno Philip in Le Monde du mardi 17 juillet 2001
6. Interview de Marwan Barghouti, responsable du Fatah en Cisjordanie propos recueillis par Bruno Philip in Le Monde du mardi 17 juillet 2001
7. Quelques légendes sur l'échec de Camp David par Robert Malley in Le Monde du mardi 17 juillet 2001
8. Les juifs d'Ethiopie laissés pour compte - Non grata en Israël, les Falach-Mouras sont la proie d'une ONG sioniste par Jérome Tubiana in Libération du lundi 16 juillet 2001
9. L'eau troublée ? Ça n'est pas un problème, quand on n'a pas d'eau du tout ! par Gideon Levy in Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 15 juillet 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
10. Mon journal de la semaine : Des odeurs de vichysme par Patrick Raynal in Libération du samedi 14 et dimanche 15 juillet 2001
11. Le compte à rebours a commencé : La liquidation d'Arafat, une option sérieuse in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 13 juillet 2001
12. Israël Shahak : décès d'un Juif éclairé in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 13 juillet 2001
13. Une vidéocassette sème le trouble à l'ONU par Afsané Bassir in Le Monde du vendredi 13 juillet 2001
14. Le Liban refuse de visionner le document par Lucien George in Le Monde du vendredi 13 juillet 2001
15. Timor Goksel, porte-parole de la Finul : "Nous possédons d'autres cassettes" in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 13 juillet 2001
16. Israël s'énerve par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du vendredi 13 juillet 2001
17. De nouveau, pour les négociateurs, la hantise : le droit des réfugiés au retour par Isabel Kershner in The Jerusalem Report (bimensuel israélien) du jeudi 12 juillet 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
18. Ton Voisin tu connaîtras. Mais point ne l'emploieras ! par Vered Levy-Barzilai in Ha'Aretz (quotidien israélien) du jeudi 12 juillet 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                 
Témoignages

                        
1. Ma visite de Saouya et de Kayryout par Nicolas, citoyen de Bethlehem
Voyage en Palestine en ce moment ressemble de plus en plus a un rally. A croire que les jolies routes qui sont construites a longueur d'année ne sont pas destine a être utilise. En tous cas pas par les Palestiniens. Se déplacer en Palestine en ce moment est une sorte de découverte permanente. Les Palestiniens, a la découverte de leur pays, obliges d'emprunter des routes et de traverser des villages qu'ils n'auraient peut être jamais découverts sans les barrages israéliens. Car tel est le véritable but des bouclages des villes et des villages: obliger ceux qui ont la force et la patience a des temps de transports 3 a 10 fois plus longs. Rien a voir avec la sécurité d'Israël.
Je suis donc parti de Bethlehem pour me rendre a Naplouse ou je devais retrouver quelqu'un pour aller a Saouya. Un taxi de Bethlehem au check point, puis un autre jusqu'à Jérusalem, le suivant jusqu'à un autre check point puis un autre jusqu'à Ramallah et enfin un dernier pour la route jusque a Naplouse. Bilan: 4 heures pour faire 50 km.
Je n'étais toujours pas arrive a Saouya, qui se trouve sur la route entre Ramallah et Naplouse. Avant l'Intifada il fallait moins d'une demi heure pour aller de Naplouse jusqu'au village, il m'a fallu 1 heure et demi. Pour éviter le check point ou une centaine de voitures étaient embouteillées on a prit un chemin de terre en contrebas ou le taxi s'est une peu casse les amortisseurs.
Finalement me voila a Saouya Le village est situe a moins de 3 km des colonies de Shilo et d'Eli et depuis le début de l'Intifada les habitants doivent faire face aux attaques quasi quotidiennes des colons. Ces derniers les empêchent de cueillir leurs olives et de travailler dans leurs champs. Il y a un mois, le 14 juin, les colons, sous la protection de la police et de l'armée israélienne, ont attaque l'école des filles. Je suis allé dans l'école afin de prendre quelques photos. C'est incroyable. Tout a été casse, brûlé. Les habitants estiment qu'il faudrait 23,000 $ pour remettre l'école en état. Les murs, les bureaux, les tableaux ont été brûlés; un poste de télévision et des ustensiles de cuisine voles. l'école est tout simplement inutilisable et le village ne dispose pas des fonds nécessaires pour prendre en charge les réparations. 400 élevés n'ont pas d'école ou aller à la rentrée qui doit avoir lieu dans un peu plus d'un mois. D'autre maisons ont été attaquées a la même période. L'armée israélienne occupe toujours celle de Ahmad Abdl Fatah Abdl Hadi, qui se trouve a 50 mètres de l'école dévastée. Ils l'utilisent comme base militaire, un grand drapeau israélien suspendu le long de la façade, un char dans la cour. Tous les arbres des alentours ont été coupes ou brûlés.
Pendant toute la journée un groupe de villageois m'accompagne. Chacun a sa petite histoire a me raconter. Finalement quelqu'un s'intéresse a ce qui se passe dans leur village. Lorsque l'école a brûlé ils ont prévenu la presse mais aucun journaliste ne s'est déplacé.
Apres le déjeuner, une grande tranche de pain cuit dans le village et baigne dans l'huile d'olive, ils m'ont conduit au village voisin, Kayryout.
Ce village de 2,300 habitants est entoure par les colonies. Les colons de Shilo, Eli, Rael et Jalod sont des voisins quelque peu effrayants.
Depuis le début de l'Intifada, avec l'aide de l'armée, ils ont confisque 4,000 dunums de terres a ce village qui n'en avait déjà plus beaucoup. Ici aussi, les colons empêchent les habitants de cueillir leurs olives et de travailler leurs champs. De n'importe quel endroit du village, on peut voir l'une des quatre colonies.
Hasan est ne dans le village, comme son père et son grand père. Il me raconte que quand il était gosse, avec sa famille, ils allaient pique-niquer dans la colline d'en face; aujourd'hui on y voit les maisons des colons de Shilo. Il n'y a plus d'endroits autour du village ou les familles puissent aller pique-niquer. Il est déjà dangereux de se rendre dans les champs qui sont trop près des colonies.
Apres une promenade dans le village, nous allons a la mairie ou autour d'une tasse de thé, quelques habitants me racontent leurs histoires avec les "juifs". Cet homme ne peux plus se rendre dans son champ, celui la non plus. Les colons ont battu cet homme alors qu'il cueillait ses olives. Un vieux monsieur est venu avec des articles de journaux; il y a une photo de lui montrant un titre de propriété. Cet article a quelques années; il ne peut toujours pas se rendre dans son champ.
Je commence a me sentir mal a l'aise en face de la souffrance de ces gens.
" Que peux tu faire pour nous? Quand est-ce que nous allons retrouver nos terres?"
Que puis-je répondre a cela?
Le soleil se couche, la mosquée appelle ses fidèles. Il est l'heure d'aller prier. L'heure pour moi d'aller chez Tareq qui m'a invite a passe la nuit chez lui.
Ensemble, nous partageons l'un des meilleurs repas que je n'ai jamais mange en Palestine: poulet de la ferme, tomates et concombres du jardin. Ses 12 enfants me regardent a travers la porte entrouverte comme si je venais d'une autre planète.
Apres un café et le dixième thé de la journée, j'ai presque réussi a oublie les colonies qui entourent le village, a quelques centaines de mètres de la.
A quoi ressemblerait la vie de ces gens sans elles?
Il est l'heure d'aller me coucher, je dois me lever tôt demain. Le dernier taxi pour Ramallah quitte le village a 7 heures du matin.
            
2. Les jolies routes de Palestine par Nathalie Laillet, citoyenne de Naplouse (Palestine)
En ce lundi soir 9 juillet, je suis a Deheishe après avoir passe le week end a Naplouse. Naplouse-Deheishe ca fait une bonne soixantaine de km, soit en gros 5 heures de route... Vendredi j'ai passe la journée (ou plutôt ce qu'il en restait après toutes ces heures passées dans le taxi) à Balata, un autre camp de réfugiés. J'y ai retrouve mes amis que je n'avais pas vu depuis un mois. La vie n'a pas beaucoup change, ici. On passe ses journées a attendre, puisqu'on n'a plus de boulot. On ne fait rien d'autre que regarder la TV, essayer de joindre les deux bouts... et ruminer sa colère. Je fais des progrès dans la préparation du mouloukhiye [plat culinaire traditionnel, ndlr].
Dehors, dans la rue, à la nuit tombée, quand l'air est un peu plus frais, on s'assoit sur les marches et on fume le narguilé. On discute avec les voisins. Je dors la bas, sur un petit matelas de mousse et le lendemain je les quitte vers 3h : J'ai rendez vous avec mon amie Rasha. On va a la piscine ! On nage, on bronze, on parle arabe et français, on rit. Je la quitte elle aussi. Elle me confie un cadeau pour ses grands parents. Ils habitent Ramallah et elle ne les a pas vus depuis septembre dernier... 45 km les séparent... et presque autant de check point, de "makhsoum" comme on dit ici (c'est un mot hébreu, passe directement, sans transformation, dans la langue arabe. On se demande pourquoi...)
Et c'est dimanche. Toute la journée, je suis stressée: je rentre aujourd'hui à Deiheshe, au bout du monde quoi, à 60 km... Comment sera la route, combien d'heures faudra-t-il ? Autant de questions qui me gâchent une bonne partie de ma journée. Je ne cesse de regarder ma montre. Et de penser que Paris Lyon ça prend 2 heures. Tout est si absurde ici depuis quelques mois. Un Français de passage a Hébron, a écrit un article intitule "Bienvenue en absurdi"... [Témoignage paru dans le Point d'information Palestine N°155 du 05/07/2001 : "Welcome in absurdi" par Philippe Conti, photographe français, ndlr]
Il est 16h et mon sac n'est pas prêt, je panique, je suis en retard ! Vers 16h30 je quitte la maison. Il fait chaud et je suis chargée. Je décide de prendre un taxi qui m'emmènera jusqu'à l'endroit ou l'on trouve les voitures pour Ramallah (pas de voiture directe pour Deiheshe, bien sur, il me faut faire des changements). Ca m'évitera 15 minutes de marche. Le chauffeur s'inquiète pour moi :
- A cette heure la tu vas encore trouver des taxis pour Ramallah ?
Mon inquiétude grandit... A la manière palestinienne, je réponds :
- Inch'allah ! (si Dieu le veut)
Nous voilà a la station de taxis service. Un homme nous saute dessus :
- Tu vas a Ramallah ? Tu es seule ?
- Oui.
C'est le chauffeur de la voiture pour Ramallah. Il n'attendait plus qu'une personne pour remplir son taxi et partir. J'ai de la chance, il part aussitôt ! Il est a peine 17 heures.
A côté de moi, un gros monsieur qui parle et fume beaucoup. Et de l'autre côté du gros monsieur, un jeune homme assoupi. Devant nous, un jeune couple  et le frère de la jeune femme. Ils discutent. Devant encore, le chauffeur et un homme entre deux âges. Nous quittons Naplouse. Depuis environ 3 semaines, une seule route est ouverte (vous entendez sans doute que tout va mieux pourtant...). C'est la route de Jericho. Peut être avez vous quelques notions de géographie  palestinienne... Si non, sachez que Jericho n'est pas, mais pas du tout, entre Naplouse et Ramallah. Chacun sait que le plus court chemin pour relier 2 points est la ligne droite. En Palestine, les lignes droites sont désormais interdites. Il nous faut dessiner des triangles pour arriver à la destination souhaitée... et cela pour protéger la sécurité de l'état d'Israël... Y a des jours ou tout cela dépasse mes capacités intellectuelles, vous m'en voyez désolée... Donc on part en direction de Jericho. Comme dirait mon ami Saed, "quand ils vont fermer cette route la aussi, on n'aura plus qu'a passer par la Jordanie pour aller de Naplouse a Ramallah..."
Mais, nous sommes philosophes, il y a toujours des côtés agréables... Et le côté agréable, c'est qu'on voyage dans la vallée du Jourdain qui est sans doute le paysage le plus fascinant de toute le Palestine. Des montagnes désertiques, des vallées cultivées, des bergers qui font paître leurs troupeaux, des campements bédouins. Le soleil commence à décliner, les
montagnes se colorent de rose. Le paysage est à couper le souffle ! Il fait chaud (Jericho est l'un des point les plus chauds de la planète), l'air nous brûle le visage. J'adore ca.
Pause essence, on descend acheter à boire et on remonte. Dans notre precipitation a repartir, on oublie un passager !! Dans un fou rire, on fait une marche arrière et on aperçoit le monsieur entre deux âges qui court... On repart. On connaît tous la route. On aura 2 check point pour arriver a bon port, si on y arrive. Le deuxième est assez cool mais le premier... On élabore des plans. Le chauffeur est déjà passe la aujourd'hui ou du moins il a essaye. Le soldat lui a demande ou il allait, il a répondu "Ramallah".
Réponse du soldat :" Tu n'as pas le droit d'aller a Ramallah aujourd'hui."
- Pourquoi ?
- Parce que.
Manquerait plus que Tshahal ait a se justifier... Et il a dû rebrousser chemin...
Donc le chauffeur nous ordonne de mentir :
- Dites qu'on va à Jericho. On ne va pas a Ramallah ! Ne vous trompez pas hein !
- Ok, ok !
- Vous êtes d'ou ? nous demande-t-il ?
Les trois devant sont de Tulkarem , le chauffeur et son voisin ainsi que mes 2 voisins sont de Naplouse.
- Et, toi, tu es d'ou?
- Je suis française.
- Tu as un passeport étranger?
- Oui.
- Mnih ! (bien !)
C'est toujours bien d'avoir des étrangers, ca permet d'éviter que les soldats ne s'énervent trop... Et nous voilà au check point. Et on n'est pas les seuls. Une longue file de voitures devant nous. Il fait chaud. On attend. on révise notre leçon. Devant nous des voitures sont interrogées par les soldats... et rebroussent chemin. Elles s'arrêtent a notre hauteur :
- Ils nous ont dit qu'on ne pouvait pas passer parce qu'on habite Naplouse. La tension monte dans la voiture. Qu'est ce qu'on fait et qu'est ce qu'on dit ?
Notre chauffeur réagit :
- Ok. Toi la française, tu donnes ton passeport tout de suite. Apres on dit qu'on va à Jericho. Si ils interdisent aux hommes de Naplouse de passer, ils vont les faire descendre de la voiture.
Ils s'adressent a ceux qui sont de Naplouse :
- Si ils vous font descendre, passez a travers champs. Vous voyez la bas, après le champ d'oliviers ? on vous attendra là-bas.
Oui, parce que ce qu'il faut savoir, c'est qu'on n'a pas le droit de passer sur le check point, mais on peut le contourner à pied sans problème. Passer sur le check point c'est mettre en danger la sécurité d'Israël, passer a 10 mètres a cote, ca pose pas de problèmes ! Et n'imaginez pas que les soldats ne le savent pas ! Il y a des tourelles de béton pour surveiller chaque cm2 de cette terre que l'on dit sainte. Ils voient passer les palestiniens a pied, bien sur ! Le but de ces check point n'est en aucun cas la sécurité d'Israël. Leur but, c'est l'humiliation. Prouver la supériorité de certains par rapport a d'autres. Prouver sa force (donc son droit ?) un M16 entre les mains... Apres presque une heure d'attente c'est notre tour. Mon passeport arrive entre les mains du soldat, dont je ne vois d'ailleurs que les mains et le canon pointe. Il ne prend pas toutes les cartes d'identité. Le monsieur entre 2 âges lui tend sa carte: il est palestinien mais travaille pour les nations unies, il a une carte spéciale censée lui faire passer tous les barrages... Il doit parlementer pourtant... Question du soldat :
- Tu es d'ou ?
- Je travaille pour les Nations Unies.
- Tu es arabe?
- Je suis palestinien.
- Tu es palestinien et tu as le droit de travailler pour les Nations unies ?
le dialogue se fait en hébreu, langue que ne parle pas l'homme entre 2 âges. C'est le jeune marie de Tulkarem qui fait la traduction. Et justement, c'est son tour, au jeune marie, d'être interrogé :
- Tu es d'où ?
- Tulkarem.
- Descend.
- ...
- Descend !
Le ton est menaçant. Il faut obéir. Il obéit. Sans un mot, sa femme lui tend son téléphone portable. Il descend. Et nous filons. Son beau frère avec nous dans la voiture est aussi de Tulkarem, le soldat n'a même pas pris le temps de vérifier ses papiers. Ils nous ont emmerde, en ont fait descendre un, ca suffit. On file et on s'arrête à quelques 2 km de la, près du champ d'oliviers, lieu du rendez vous fixe précédemment. En plein désert, on attend. on descend de voiture. On voit très bien le check point. Eux aussi nous voient. Peu importe. Derrière nous sur la route, des Jeeps de l'armée qui passent. Et puis une voiture a plaques jaunes. les passagers nous regardent...et se mettent a rigoler. L'un d'entre eux porte kippa.
- Des colons, dit la jeune femme qui guette l'arrivée de son mari.
Un silence.
Puis elle reprend :
- Et en plus, ils se moquent de nous.
Tout est dit. L'humiliation, la honte, et la colère qui découle de tout cela, cette colère qui désormais justifie tout. En gros, on nous prend pour des cons. Et histoire de mieux nous faire sentir notre infériorité, on se moque de nous...
On attend. Je prends quelques photos du check point.
- Oui, prend des photos ! Il faut qu'ils sachent ce qui se passe ici !
Le marie arrive enfin, accompagne d'autres jeunes hommes qui ont subi la même aventure. Couverts de poussière. Evidemment, une ballade d'une demie heure dans les sables du désert...
Nous repartons. Le chauffeur appuie sur le champignon. On a perdu beaucoup de temps. Le chauffeur me dépose a Qalandia et de la je reprends un autre taxi pour Jérusalem puis Bethlehem, ou j'arrive à 21 heures passées... 60 km.
            
Télévision

                           
1. Samedi 21 juillet 2001 à 19h00 sur Arte : Histoire parallèle
(Magazine de 45 minutes) Semaine du 21 juillet 1951 : Moyen-Orient 1951, assassinats contre la paix.
Présenté par Marc Ferro avec comme invité, Henry Laurens, professeur des universités à l'Inalco.
"L'assassinat d'Abdallah de Jordanie, soupçonné de rechercher une paix de compromis avec Israël, pose la question de la violence politique au Proche-Orient."
                    
2. Samedi 21 juillet 2001 à 21h20, sur Planète : Cinq colonnes à la une
(Documentaire de 55 minutes) "Philippe Alfonsi réalise une anthologie du magazine "Cinq colonnes à la une", diffusé de 1959 à 1968. Dans ce 130ème volet consacré à "Israël", Charles Enderlin et François Bardet évoquent la guerre des Six Jours. Le premier Ministre Levi Eshkol donne son avis sur le conflit, tandis que Ytzhak Rabin, alors chef de l'armée, reçoit un diplôme de Docteur en philosophie. Les reporters partent de même à la rencontre des populations israélienne et syrienne. "Espion : un James Bond pour de vrai" propose une interview de l'agent secret Georges Langelar..."
Rediffusions les dimanche 22 (23h25) ; lundi 23 (08h35) ; mardi 24 (11h05) ; mercredi 25 (13h50) ; jeudi 26 (15h40) et vendredi 27 juillet 2001 (18h20).
                 
3. Mardi 24 juillet 2001 à 21h55, sur Planète : Sous les décombres de Jean Chamoun et Masri Mai
(Documentaire de 40 minutes réalisé en 1983)
"Les bombardement de Beyrouth-Ouest par les Israéliens durant l'été 1982, ainsi que les massacres perpétrés au sein de populations désarmées au Liban, évoqués à chaud, quelques mois après le drame.
Eté 1982, un déluge de feu s'abat sur Beyrouth-Ouest. Ariel Sharon, alors ministre de la Défense israélien, a en effet décidé de bombarder la région pour y éradiquer toute opposition palestinienne armée réfugiée là. En fait d'opération militaire, c'est un véritable massacre au beau milieu de la population civile qui est ordonné. Israël emploie des bombes à billes. Prohibées par le droit international, celles-ci broient les chairs de leurs victimes, qu'elles conduisent immanquablement à l'amputation."
Rediffusions les mardi 24 (21h22), mercredi 25 (00h50), jeudi 26 (09h30) et vendredi 27 juillet 2001 (11h15).
            
Réseau
                  
Le Cosaque volé par Uri Avnery (samedi 14 juillet 2001)
[traduit de l'anglais par R. Massuard et S. de Wangen]

Les Cosaques étaient des colons en Russie méridionale à qui les tsars avaient donné des terres en échange de leur engagement à défendre la frontière. Ils étaient connus comme des combattants féroces et impitoyables qui, dans la mémoire juive, sont réputés pour être responsables des plus abominables pogroms.
Donc il y a beaucoup d'amère ironie dans le vieux proverbe juif " un Cosaque volé ". Il décrit un Cosaque qui ne cause pas seulement ravages, meurtres, viols et pillages, mais aussi accuse ses victimes de le voler. Le coupable prétend être la victime, le voleur prétend être volé.
Israël se transforme progressivement en " Cosaque volé ". Un extra-terrestre sur Mars, suivant les émissions israéliennes par satellite inter-stellaire, aurait l'impression que ce sont les Palestiniens qui maintiennent une cruelle occupation en Israël et que des soldats palestiniens sillonnent les villes israéliennes.
Ceci s'explique par la compétition pour gagner les médias internationaux. Chaque partie au conflit se présente comme la victime afin d'obtenir le soutien de l'opinion publique mondiale qui penche toujours vers le plus faible. Le conflit israélo-palestinien est devenu une sorte de match entre deux grands maîtres de la victimisation.
Mais le phénomène est plus profond. Pendant des générations, les Juifs ont été persécutés dans de nombreux pays et ils ont développé une mentalité de victimes. On pourrait presque dire que l'essentiel de la culture juive des deux ou trois derniers siècles, tourne autour de cet axe. L'Holocauste a évidemment encore plus ancré ce thème central.
L'entreprise sioniste dans ce pays aurait dû changer ce schéma. Après tout, la pénétration sioniste a chassé les Palestiniens de leurs terres et a fait de la plupart d'entre eux des réfugiés. Dans cette lutte historique, les Palestiniens ont perdu : terres, villages, de vastes parties du pays. Ce processus se poursuit de façon quotidienne.
Maintenant les Palestiniens se mettent à exiger pour eux-mêmes la couronne d'épines de la victime. Rien n'offense plus les Israéliens. Cela nous semble le comble du culot, une attaque au cœur même de notre conscience nationale. Aussi, réagissons nous avec fureur. Nous décrivons l'Intifada comme une agression haineuse contre notre existence. Nous avons ressorti des greniers les slogans des générations passées : les Arabes veulent nous jeter à la mer, ils veulent nous prendre Haïfa et Jaffa. On oublie le fait que nous avons l'armée la plus puissante de la région, qu'Israël à l'intérieur de la Ligne verte possède 78% du pays, que nous contrôlons maintenant le reste du pays (la Cisjordanie et la Bande de Gaza) également, que nous bénéficions d'une large supériorité dans presque tous les domaines. On oublie le fait que les Palestiniens réclament pour eux-mêmes un petit 22% du pays et que l'Intifada est un soulèvement contre une occupation qui se poursuit avec une brutalité croissante depuis 34 ans déjà.
Peu importe ! Nous sommes les victimes, et nous taperons sur la tête de quiconque essaie de nous voler ce titre.
Et si Israël est le Cosaque volé par excellence, alors les colons le sont encore plus.
Certes, ils sont dans une situation très difficile. Ils sont attaqués quotidiennement, leurs familles vivent sous une menace constante. Ils sont tués et blessés. Personne ne peut les envier.
Mais il ne faut pas oublier qu'ils se sont mis eux-mêmes dans cette situation, consciemment et en toute connaissance de cause. Même ceux qui ne rêvaient que de " qualité de vie " sur une terre volée et d'ébats dans des piscines remplies d'eau volée ne peuvent se plaindre du réveil brutal. Sans parler du noyau dur du mouvement de colonisation, les fanatiques de Gush Emunim et leurs semblables.
Ils se sont installés en plein milieu d'une dense population palestinienne, sur une terre volée à des gens qui sont devenus leurs voisins. Après s'être installés, ils se sont étendus, accaparant de plus en plus de terres, se disputant avec les villageois voisins, prônant la " coexistence " tout en traitant les "autochtones" avec arrogance et mépris. Le Palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza qui se réveille le matin et regarde par sa fenêtre, voit que les toits rouges de la colonie voisine se sont encore rapprochés de l'enceinte de sa maison.
Qu'est-ce qu'ils croyaient, ces colons ? Qu'est-ce que croyaient leurs dirigeants et leurs rabbins ? Comment pensaient-ils arriver à vivre au sein d'une population qui les haïssait chaque jour davantage ? Il n'y a pas de secret : ils espéraient que cette population disparaîtrait. Leur but n'était pas seulement d'occuper la totalité d'Eretz Israël mais aussi d'avoir un Eretz Israël vide de Goys. Le " rêve " du rabbin Joseph Ovadia, qui l'a avoué il y a quelques jours, d'un pays entre la mer et le Jourdain, dans lequel il n'y aurait aucun non Juif, n'est pas nouveau pour eux. Il a été proclamé dans le passé par les rabbins de Judée-Samarie, inspirateurs du mouvement juif clandestin dont le but est de faire sauter le Dôme du Rocher, qui chante ouvertement les louanges du massacreur Baruch Golstein et en secret celles du meurtrier de Rabin, Yigal Amir.
Maintenant les colons sont coincés dans la nasse des routes de contournements et ils crient au meurtre. L'armée doit tous les défendre, avec un soldat tous les mètres. Ils ne renvoient pas leurs enfants en Israël parce que le danger qui pèsent sur eux représente un atout dans leur jeu. Leur grand espoir est que la confrontation actuelle atteindra de telles proportions qu'il sera possible de terminer en 2001 ou 2002 le travail qui a été commencé en 1948 et poursuivi en 1967. Les Palestiniens seront expulsés du pays, leurs villages seront rasés et à leur place les colonies couvriront toute la Cisjordanie et la bande de Gaza. Beaucoup parmi les colons croient que cet espoir est près de se réaliser.
Les colons prétendent que " l'Etat " les a envoyés là-bas. Leurs opposants disent que c'est le contraire, qu'ils prennent l'ensemble du gouvernement à la gorge et le contraignent à approuver leur colonies , quelquefois avant et quelquefois après qu'elles ont été installées.
Les deux parties ont raison. Les colons réalisent un rêve caché dans l'inconscient sioniste et, par conséquent, aussi bien les gouvernements travaillistes que ceux du Likoud les soutiennent et les encouragent. L'armée est peu à peu devenue une milice au service des colons. De nombreux généraux et colonels sont colons dans l'esprit, sinon physiquement. Avec la venue de Sharon, une symbiose entre le gouvernement, les officiers supérieurs et les colons s'est fait jour et tous se lèvent et crient " au secours, ils nous tuent tous ! ". et dans un même souffle " A l'attaque !!! "
Ce n'est pas vraiment le problème des colons, mais celui de l'Etat. Au-delà de tout le charabia à propos de Mitchell, Tenet et autre absurdités, nous nous trouvons face à un choix simple et difficile entre l'évacuation de millions de Palestiniens et l'évacuation de 200.000 colons (40.000 familles au plus). La première option engendrera une guerre sans fin avec l'ensemble du monde arabo-musulman et, pour finir, la destruction d'Israël. L'autre choix causera une crise intérieure profonde et en fin de compte aboutira à la paix. Il nous faut choisir.
                     
Revue de presse

             
1. Le G8 prône l'envoi d'observateurs en Israël par José Garçon
in Libération du vendredi 20 juillet 2001
Washington a fléchi sur cette question qui doit encore recevoir l'aval des deux parties.
Il n'aura pas fallu moins de deux jours de discussions à Rome, en prélude au sommet de Gênes, pour parvenir à un accord. Mais la situation «critique» du Proche-Orient a permis aux Européens et aux Russes, de surmonter les réticences américaines - liées au refus israélien - et de proposer l'envoi d'observateurs impartiaux sur le terrain.
Certes, la position commune, et pour la première fois unanime, adoptée hier par les ministres des Affaires étrangères du G8, est des plus prudentes. Les ministres ont simplement accepté le principe d'un «mécanisme de surveillance par une tierce partie» qui servira «à mettre en œuvre le plan Mitchell» présenté comme «l'unique solution» pour calmer la tension. Ils ont aussi précisé que la mise en place d'un tel mécanisme suppose «l'acceptation des deux parties - israélienne et palestinienne».
Menaces. La conférence de presse finale a affiché la même modestie. Hubert Védrine a veillé à ne heurter ni les Américains ni les Israéliens. «Nous cherchons à agir avec bonne foi, nous pensons que cela rendra service», a affirmé le chef de la diplomatie française. La veille, il est vrai, le secrétaire d'Etat américain Colin Powell avait jugé «prématurée» l'idée d'envoyer des observateurs. Les menaces sur les intérêts américains dans la péninsule arabique expliquent-elles, au moins en partie, cette évolution de Washington, que le département d'Etat a toutefois tenu à relativiser en conditionnant le déploiement d'observateurs «à l'acceptation des deux parties» ce qui n'est pas le cas de la déclaration? Les Etats-Unis, accusés dans le monde arabe de prendre ouvertement le parti d'Israël, ont en tout cas mis en garde leurs ressortissants contre d'éventuels attentats dans cette zone.
Pression. La démarche de Rome n'est quoi qu'il en soit ni une solution miracle ni une option immédiate, bien qu'un émissaire britannique ait suggéré l'envoi d'observateurs après une période de «vingt-quatre heures de calme». Cette initiative semble en fait destinée à faire pression sur Ariel Sharon qui vient de renforcer son dispositif militaire en Cisjordanie. Et qui a perdu sur cette affaire le soutien explicite de Washington.
Cela n'a pas empêché Sharon de réitérer son refus. «Nous ne faisons pas face aujourd'hui à un problème d'observateurs mais à celui d'observer un cessez-le-feu», a déclaré son porte parole en dénonçant la «responsabilité» palestinienne. Côté palestinien et arabe, où l'on réclamait depuis plusieurs semaines l'envoi d'une mission de surveillance, la déclaration du G8, même modeste, et le ralliement américain, sont applaudis. «Cet accord est extrêmement positif mais il ne peut être lié à une accalmie ou à l'approbation d'Israël, car cela empêchera son application», a estimé le délégué permanent palestinien auprès de la Ligue arabe. «Nous sommes réalistes, nous savons que cela ne peut être utilement mis en œuvre sans une acceptation politique des parties», avait par avance justifié Védrine. La manière dont chaque mot a été pesé finira-t-elle par arracher l'adhésion des Israéliens? Rien n'a été négligé pour y parvenir. La déclaration évoque ainsi une «surveillance par une tierce partie» et non par des observateurs «internationaux» - qui signifieraient Union européenne ou Nations unies - ce dont Tel-Aviv ne veut pas entendre parler...
Sur le terrain, les violences se sont poursuivies. Trois Palestiniens, dont un bébé de 3 mois, ont été tués et 4 autres blessés par des colons, hier soir près de Hébron. L'attentat a été revendiqué par un groupe dénommé «comité pour la sécurité sur les routes».
                  
2. Des colons tuent trois Palestiniens dont un bébé près de Hébron par Samir Chahine
Dépêche de l'Agence France Presse du jeudi 19 juillet 2001, 23h43
HEBRON (Cisjordanie) - Des colons israéliens ont tué jeudi soir trois Palestiniens dont un nourrisson près de Hébron, assombrissant de nouveau les espoirs d'une cessation des violences.
L'Autorité palestinienne de Yasser Arafat a tenu Israël pour responsable de cet attentat, le plus grave commis par des colons depuis le début de l'Intifada palestinienne le 28 septembre dernier.
Le Premier ministre israélien Ariel Sharon a, dans un communiqué, condamné l'attaque. "Nous condamnons toute forme de violence et de terrorisme quels que soient ceux qui en sont les auteurs, nous regrettons le fait que des innocents aient perdu la vie", a-t-il indiqué, en annonçant l'ouverture d'une enquête.
Cette attaque va conforter les Palestiniens dans leur demande de l'envoi d'observateurs internationaux dans les territoires occupés pour surveiller notamment un cessez-le-feu resté lettre morte depuis son entrée en vigueur le 13 juin.
Cette demande a été soutenue par les ministres des Affaires étrangères du G8 qui ont approuvé jeudi à Rome le principe de l'envoi d'observateurs impartiaux au Proche-Orient.
"Nous croyons que dans ces circonstances un mécanisme de surveillance par une tierce partie, accepté par les deux parties, servira leurs intérêts pour une mise en oeuvre du plan Mitchell", ont indiqué les ministres qui doivent soumettre leur document au sommet du G8 qui s'ouvre vendredi à Gênes (Italie).
La position du G8, favorablement accueillie par les Palestiniens, a été en revanche rejetée par Israël.
Selon des témoins palestiniens, des colons à bord d'une voiture ont ouvert le feu sur une fourgonnette, qu'ils ont dépassée près de Hébron en Cisjordanie, tuant trois Palestiniens, dont un garçon de trois mois, tous membres d'une même famille, et blessant quatre autres.
Les auteurs de l'attentat se sont enfuis vers un barrage militaire israélien situé à environ 500 mètres, sans être inquiétés, ont-ils ajouté. Les victimes revenaient d'un mariage.
La radio publique israélienne a indiqué que "le comité pour la sécurité sur les routes", un groupe formé de colons extrémistes qui avaient déjà revendiqué ces derniers mois des exactions contre des Palestiniens en Cisjordanie a revendiqué l'attentat dans un communiqué.
Le chef du service de sécurité intérieure, Shin Beth, Avi Dichter, a fait état mardi de l'existence "d'une cellule terroriste juive" qui a déjà commis trois attaques à l'aide d'armes automatiques en Cisjordanie ces dernières semaines tuant un Palestinien.
Le Conseil des colonies de Cisjordanie et de la bande de Gaza, la plus importante organisation de colons, a condamné l'attaque.
"Si ce sont des Israéliens qui ont commis cette attaque, le Conseil ne peut que condamner avec la plus grande vigueur cette action immorale et illégale qui ne peut que mettre en danger la colonisation" dans les territoires occupés, a-t-il affirmé.
A Gaza, la direction palestinienne a condamné ce "crime ignoble", dans un communiqué publié par l'agence palestinienne WAFA.
Elle a appelé les dirigeants du G8 à prendre "d'urgence une décision d'envoyer des observateurs internationaux pour protéger notre peuple de la répression des forces d'occupation et des crimes sauvages commis par les milices des colons".
Peu après l'attentat anti-palestinien, dix Palestiniens ont été blessés jeudi soir à Hébron par des balles de soldats israéliens lors d'échanges de tirs.
Cet attentat a eu lieu deux jours après un raid d'hélicoptères israéliens mardi sur une maison à Bethléem en Cisjordanie, qui a coûté la vie à quatre Palestiniens, dont deux membres du mouvement radical Hamas. Le Hamas a promis de venger cette attaque et de "donner une leçon inoubliable à Sharon".
Depuis le début de l'Intifada, 662 personnes ont été tuées dans les territoires occupés et en Israël, dont 517 Palestiniens et 126 Israéliens.
Hébron est un foyer de tension permanent. Quelque 400 colons israéliens vivent au centre la ville protégés par des centaines de soldats au milieu de plus de 120.000 Palestiniens.
                 
3. Des juifs français s'installent au pays de l'Intifada
Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 18 juillet 2001, 10h13
BEIT EL (Cisjordanie) - Gilles Lellouche a "confiance en Dieu": à 30 ans, cet informaticien d'origine française affirme qu'il est "rentré chez lui" en s'installant le lendemain du 14 juillet dans la colonie de Beit El, près de Ramallah (Cisjordanie), en pleine Intifada.
Accompagné de son épouse Hava, elle aussi française, ainsi que de leurs deux filles, Eden, 4 ans, et Sarah, 9 mois, ils ont immigré en Israël et ont immédiatement débarqué dans leur nouveau foyer à Beit El.
"Après avoir beaucoup réfléchi, nous avons décidé de sauter le pas" explique Gilles Lellouche, originaire de Garges-les-Gonesses, dans la région parisienne. Pour expliquer son départ, il affirme qu'il se sentait "menacé".
"J'ai été agressé deux fois par des Arabes près de chez moi, je ne me sentais plus en sécurité en France", raconte-t-il.
"Je suis conscient des dangers auxquels nous nous exposons avec ma femme et mes filles, mais nous n'avons pas peur car tout est dans la main de Dieu", assure-t-il.
Ce jeune homme barbu, la tête couverte par une kippa, la calotte des juifs religieux, est surtout ému de l'accueil qui lui est réservé. Plus de 15 familles sont venues souhaiter la bienvenue aux premiers locataires d'un appartement flambant neuf, loué à des conditions financières particulièrement avantageuses grâce aux généreuses subventions publiques accordées aux nouveaux immigrants.
D'ici septembre, une dizaine d'autres familles venues de France doivent s'installer dans ce nouveau quartier de Beit El inauguré en 2000, explique Tanya Botshko, responsable des ventes d'appartements d'une société immobilière dans la colonie.
Pour l'ensemble de Beit El, qui compte 4.200 habitants, 35 autres familles sont attendues dans les prochains mois, alors qu'une quinzaine de départs sont prévus, indique un responsable de la colonie, David Chaouat.
Pour Gilles Lellouche, que sa femme appelle Gilles et qui se présente désormais sous le prénom hébraïque de Moshé, c'est la foi qui est à l'origine de son émigration.
"Et ce, malgré l'opposition de ma famille qui voulait me retenir en France", souligne-t-il.
Interrogé sur ses motivations, il explique qu'il était à la recherche d'un "cadre de vie religieux juif" et qu'il a été convaincu en visionnant des cassettes vidéo et des plans que lui a présentés en France Tanya Botshko.
"C'est exactement ce que nous imaginions", proclame-t-il en regardant ému une table dressée avec du mousseux et des gâteaux apportées par leurs nouveaux voisins.
Dans un premier temps, il va se consacrer à l'apprentissage de l'hébreu dans le premier "oulpam", institut spécialisé dans l'enseignement de cette langue aux nouveaux immigrants, qui doit ouvrir en septembre à Beit El.
Vingt-cinq autres familles de France sont attendues dans une colonie voisine de Kochav Ha Hashar, selon les statistiques de l'Agence juive, un organisme paragouvernemental chargé notamment de l'immigration.
De plus en plus de colons israéliens de longue date ont pourtant le sentiment d'être particulièrement visés par les attaques palestiniennes, notamment sur les routes.
Depuis le début de l'Intifada le 28 septembre, 33 colons ont ainsi été tués en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, occupées par l'Etat juif depuis juin 1967 et revendiquées par les Palestiniens comme partie intégrante de leur futur Etat, et des centaines d'autres blessés. Une réalité apparemment sans prise sur Gilles Lellouche qui assure avoir "réalisé désormais son rêve".
                     
4. Le tête-à-tête infernal doit être brisé par une tierce partie par Mouna Naïm
in Le Monde du mercredi 18 juillet 2001
Sauf à vouloir se fermer les yeux, force est de dire que le cessez-le-feu proclamé le 13 juin par Israël et les Palestiniens a sombré dans les limbes, dès sa conclusion ou presque. Sauf à pratiquer la méthode Coué, le premier ministre israélien, Ariel Sharon, peut difficilement affirmer que le langage exclusif de la force – même dite de "retenue" – qu'il pratique avec les Palestiniens est le meilleur moyen d'assurer la sécurité d'Israël et des Israéliens. Sauf, enfin, à pratiquer la politique de l'autruche, les Etats-Unis, qui ont parrainé le cessez-le-feu, ne peuvent continuer de s'en désintéresser, se contentant de condamner verbalement tel attentat terroriste anti-israélien, tel meurtre ciblé ou telle destruction de biens palestiniens.
L'attentat anti-israélien commis lundi 16 juillet à Benyamina, au nord-ouest de Jérusalem, est au moins la sixième tentative du genre depuis la conclusion de la trêve, même si elles n'ont pas toutes atteint leur objectif. Attentats-suicides ou voitures piégées, ils ont été perpétrés en Israël – dans les villes de Yéhoud, Hadera, Afoula et Jérusalem – et près de colonies de peuplement ou de positions de l'armée israélienne dans la bande de Gaza.
Leurs auteurs ou leurs commanditaires, le Djihad, le Hamas, voire le Front populaire pour la libération de la Palestine, ont pratiquement chaque fois affirmé qu'ils ripostaient à des "meurtres ciblés" d'activistes palestiniens par l'armée israélienne, à des destructions de maisons, de vergers et de biens palestiniens. Israël s'est chaque fois livré à une contre-riposte, détruisant davantage de propriétés palestiniennes, continuant imperturbablement les assassinats ciblés. En bref, la méthode forte pour laquelle Israël a opté semble avoir pour effet de multiplier les candidats au suicide pour défendre leur cause.
Elle apporte en tout cas de l'eau au moulin des extrémistes des deux bords, et accroît les risques auxquels sont exposés les colons, de plus en plus agressés et de plus en plus agressifs.
D'après des décomptes non officiels, vingt-cinq Palestiniens et quinze Israéliens ont été tués depuis le 13 juin. Il s'agit des victimes de l'ensemble des violences, et non des seuls attentats. Autrement dit, aussi longtemps que le tête-à-tête infernal israélo-palestinien continuera, le cercle vicieux des représailles et contre-représailles semble voué à se perpétuer, voire à dégénérer en une opération israélienne d'envergure contre les territoires palestiniens que nombre de diplomates et de spécialistes occidentaux redoutent.
Les Etats-Unis, seul et unique parrain du processus de désescalade – le cessez-le-feu est l'œuvre du directeur de la CIA, George Tenet –, comme ils le furent du processus de paix dit d'Oslo, sont entrés "en période d'hibernation", pour reprendre l'expression d'un diplomate européen, examinent et réexaminent la situation, pèsent le pour et le contre de ce qu'il faut faire, voire, selon certaines informations, se divisent, la Maison Blanche et le Conseil national de sécurité n'étant pas sur la même longueur d'onde que le département d'Etat, en particulier le secrétaire d'Etat, Colin Powell.
UN TRAVAIL INACHEVÉ
Washington a soutenu les recommandations de la commission Mitchell pour un retour au calme et le plan Tenet de cessez-le-feu, mais laissé à Israël seul, autrement dit à l'une des parties en conflit, le soin de fixer la séquence de mise en application. En d'autres termes, les Etats-Unis ont laissé un travail inachevé. Depuis, M. Sharon et son gouvernement exigent une semaine de "calme absolu" avant de passer à la seconde phase, dite d'"apaisement". Cette exigence est un ajout aux recommandations de la commission Mitchell, qui s'est borné à inviter les deux parties à "œuvrer en vue d'une période d'accalmie" et à s'employer à "identifier, condamner, décourager les incitations à la violence". Les Palestiniens, qui ont accepté contraints et forcés cette semaine de test exigée par Israël, n'en ont pas moins affirmé qu'ils sont en mesure de fournir 100 % d'efforts, mais que nul ne peut garantir 100 % de résultats.
Pour briser le tête-à-tête lourd d'orages aux conséquences imprévisibles, l'Union européenne, les Nations unies et de nombreux pays plaident pour la mise en place dans les plus brefs délais d'un mécanisme tiers d'observation ou de surveillance, dont la composition serait décidée par les deux parties. Ce qui est une manière d'anticiper les craintes et réserves que formulerait Israël, qui entretient une grande méfiance à l'égard de l'organisation internationale. Pour l'heure, en tout cas, il ne s'agit que de conseils et de paroles. Les Palestiniens souhaitent de tous leurs vœux la formation d'un tel organe d'arbitrage. M. Sharon a dit aux dirigeants européens qu'il a rencontrés lors d'une récente tournée qu'un tel mécanisme était inutile et que, lorsque le cessez-le-feu aura été respecté à 100 %, les commissions mixtes formées par les deux parties en octobre 2000 avec la participation des Américains seraient largement suffisantes…
              
5. A Hébron, "c'était vraiment la guerre" par Bruno Philip
in Le Monde du mardi 17 juillet 2001

HÉBRON, de notre envoyé spécial
Les autorités israéliennes ont le couvre-feu sélectif : sur la grand- route menant de la colonie de Kyriat Arba au centre d'Hébron – où les Juifs vont prier au caveau des Patriarches, sur la tombe d'Abraham –, les colons ont gardé le droit de circuler. En dépit de la fournaise, ils marchent enveloppés dans des châles de prière de couleur beige. Ils sont coiffés de larges kippas tricotées, portent la barbe et, parfois, un fusil M-16 à l'épaule. Leurs visages sont fermés, durs, hostiles. Ils refusent de répondre aux questions. Ils rembarrent le journaliste. "Je n'aime pas la presse", lâche l'un d'entre eux.
Les Palestiniens sont confinés chez eux et n'ont pas le droit de sortir depuis l'instauration du couvre-feu, dans la nuit du jeudi 12 au vendredi 13 juillet. Ils parlent volontiers à l'étranger, eux, et se précipitent à la rencontre du journaliste. Derrière des fenêtres aux carreaux cassés, qui témoignent des violences de la veille, on distingue leurs visages penchés vers les ultrareligieux juifs qui se dirigent tranquillement, par petits groupes et à pied, en raison du shabbat, vers les lieux saints de la vieille ville, sous administration israélienne. Sur la route déserte, les Jeeps de la police et de l'armée ne cessent de patrouiller.
Samedi, le calme était revenu sur Hébron après "une terrifiante nuit de guerre", comme le décrivent certains Palestiniens. Le déclic de la violence a eu lieu jeudi, après la mort d'un entrepreneur israélien, tué par des francs-tireurs palestiniens. Cette mort déclenche la fureur des colons de Kyriat Arba, une "implantation" juive de quatre mille habitants, qui sont parmi les plus extrémistes d'Israël. Certains colons agressent alors des voitures palestiniennes sur la route, suscitant la réaction de la police, qui finit par arrêter quelques-uns des fauteurs de troubles.
La décision provoque à nouveau la colère des colons qui, le soir venu, organisent une autre manifestation à la sortie de KyriatArba. "Vers 23 heures, raconte une habitante de la colonie, Hannah Fitoussi, que notre correspondante à Jérusalem, Catherine Dupeyron, a pu joindre par téléphone, le groupe de manifestants réclamant la libération de leurs camarades arrêtés à été pris en tenaille par des tireurs palestiniens. Des hommes armés ont sauté de véhicules et ont tiré sur les manifestants. Tout le monde s'est couché à terre, mais Yehezkel Mualem, un conseiller municipal, a été tué."
COMPLICITÉ DE LA POLICE
La mort de deux colons en une seule journée – le premier, mortellement touché, est décédé samedi – déclenche une réplique de l'armée israélienne: avant minuit, jeudi soir, Tsahal inflige une impressionnante punition à la partie d'Hébron sous autorité palestinienne. Jusqu'à l'aube de vendredi, les soldats semblent avoir utilisé tout ce qu'ils avaient sous la main pour tirer sur les quartiers palestiniens: mitrailleuses lourdes, obus de char, etc. Des tanks ont fait une incursion d'un bon kilomètre à l'intérieur de la zone sous contrôle total des Palestiniens. Cinq postes abritant des membres de la Force17, la garde rapprochée de Yasser Arafat, ont été détruits.
Samedi, on voyait encore la trace des chenilles des chars sur la route et des impacts de balles sur les murs des maisons alentour. Un baraquement de fortune érigé par les soldats palestiniens s'est écroulé sous l'impact d'un obus. Il y aurait eu une vingtaine de blessés, dont deux grièvement, côté palestinien. Chez les Israéliens, il n'y a pas eu de victime. "C'était vraiment la guerre, raconte Nadji, un jeune Palestinien, le pire moment depuis le début de l'Intifada. J'ai passé toute la nuit sous mon lit avec ma femme. J'avais disposé des gilets pare-balles sur les fenêtres. On entendait les balles siffler autour de chez moi. Jamais Tsahal n'avait pareillement tiré sur Hébron."
Non loin du carrefour où a péri le conseiller municipal israélien, plusieurs maisons portent les traces des représailles de colons juifs contre les résidents palestiniens. Fenêtres aux vitres brisées, plantes vertes renversées dans un patio, impacts de balles dans les murs, un garage brûlé, l'épave d'une voiture incendiée. Les Palestiniens disent qu'une quinzaine de maisons ont été la cible des violences des colons et que de nombreux véhicules ont été endommagés.
D'après des témoignages souvent concordants, de petits groupes de colons s'en seraient donné à cœur joie contre les Palestiniens durant la journée de jeudi. Avec la complicité passive de la police et de l'armée. Comme le remarquait dimanche le quotidien israélien Haaretz, "l'étroite relation existant entre les colons d'Hébron et les haut gradés de l'armée israélienne, l'absence de véritable répression policière à l'égard des fauteurs de troubles juifs font que la réaction violente des colons est inévitable dès qu'une attaque terroriste palestinienne a lieu contre eux."
Bassam El Jabari raconte : "Quatre colons sont arrivés en Jeep, jeudi matin. Ils sont entrés dans mon garage avec leurs armes et ont crevé les pneus de ma voiture à coups de poignard. Une heure plus tard, ils sont revenus et ont arrosé de pétrole le garage avant d'y mettre le feu." Il montre la pièce noircie par la fumée avec, au fond, ce qui reste d'une petite Fiat.
Son voisin, SoIeiman Jaber, qui vit avec toute sa famille dans une solide bâtisse construite sur la colline, n'a pas eu beaucoup plus de chance. "Des groupes de jeunes colons ont fait irruption chez nous après avoir tiré en l'air et sur le mur de la maison", dit-il, montrant des impacts de balle sur le plâtre. "Ensuite, ils ont grimpé les escaliers en hurlant “mort aux Arabes”. Ils ont fait des gestes obscènes à nos femmes. Puis, soutient M. Jaber, des policiers sont arrivés et nous ont hurlé “les Palestiniens ont tué des Juifs, il faudra que des Palestiniens meurent !” Et ils ont fracassé les fenêtres avec la crosse de leur fusil. Ils ont même frappé ma mère", ajoute-t-il. L'un de ses camarades ajoute : "D'autres militaires ont été plus aimables, nous disant : “Tenez-vous tranquilles ou sinon les colons vont vous battre.” Mais ce qui est sûr, c'est que les forces de l'ordre ne nous ont jamais protégés de la fureur des extrémistes !"
            
6. Interview de Marwan Barghouti, responsable du Fatah en Cisjordanie propos recueillis par Bruno Philip
in Le Monde du mardi 17 juillet 2001
"L'Intifada ne prendra pas fin sur une simple décision" RAMALLAH de notre envoyé spécial
- "Les violences se multiplient en Cisjordanie et à Gaza. L'Autorité palestinienne affirme être encore déterminée à respecter le plan récemment proposé par George Tenet, le patron de la CIA. Mais peut-on encore parler de cessez-le-feu ?
- Il n'y a jamais eu de cessez-le-feu ! c'est un mensonge. Depuis le prétendu retour au calme, il y a eu cinquante-deux Palestiniens tués. Plus de mille ont été blessés. Cent quatre-vingt-deux maisons, en Cisjordanie et à Gaza, ont été détruites par l'armée israélienne. Sans parler des milliers d'oliviers et autres arbres rasés dans les vergers. Tsahal nous inflige une punition collective. Et pendant ce temps-là, le bouclage des territoires se prolonge, emprisonnant 3,5 millions de Palestiniens.
- Dès le plan Tenet, vous avez fait savoir que vous étiez opposé aux termes d'un cessez-le-feu que Yasser Arafat, le chef de votre propre parti, le Fatah, avait pourtant accepté. Vous opposez-vous au président palestinien ?
- Le fait que je sois contre le cessez-le-feu ne signifie, en aucun cas, que je suis opposé à Yasser Arafat. Je soutiens d'ailleurs le principe d'un cessez-le-feu à partir des zones sous contrôle total de l'Autorité palestinienne, c'est-à-dire ce que les accords d'Oslo avaient désigné sous l'appellation "Zone A". En revanche, je défends le principe de la résistance dans les zones occupées par l'armée israélienne et le long des colonies de peuplement juives.
- Mais les ordres d'Arafat sont de respecter un cessez-le-feu total.
- Je ne suis pas quelqu'un à qui l'on donne des ordres. C'est le peuple palestinien qui a déclenché l'Intifada. Le soulèvement n'est pas le résultat d'ordres donnés et ne prendra pas fin par la décision de quelqu'un.
- Même une décision de Yasser Arafat ?
- Arafat n'a pas donné l'ordre de mettre fin à l'Intifada.
- Mais l'Autorité palestinienne a procédé à l'arrestation d'activistes qui avaient défié les consignes de cessez-le-feu. Comment réagissez-vous à ces mesures ?
- Je ne suis pas au courant. Et en principe, je suis contre les arrestations d'activistes.
- Les Israéliens vous décrivent comme étant le chef du Tanzim, le mouvement paramilitaire du Fatah.
- C'est faux. C'est de la propagande israélienne. Je suis un homme politique, un élu. Le Tanzim, de toute façon, c'est le Fatah et le Fatah, c'est le Tanzim -en arabe le mot signifie organisation, ndlr-. C'est vrai qu'il y a des individus qui ont pris les armes, à titre individuel, contre l'occupation israélienne. Mais ils ne combattent pas sous mes ordres. De toute façon, je ne demande pas la destruction d'Israël, mais la fin de l'occupation des territoires par Israël. Il faut, tout de même, se rappeler que nous avons été, à l'époque des accords d'Oslo, à l'avant-garde de la paix. Il nous a fallu convaincre notre peuple d'accepter ces accords et ça n'a pas été facile. Aujourd'hui, je me sens trahi par les Israéliens. Ils n'ont rien appliqué de ce qu'ils avaient promis. Ce ne sont pas des gens justes. Pas des gens honnêtes.
- Croyez-vous, comme certains le redoutent, à une attaque massive d'Israël contre les territoires ?
- Oh oui, j'y crois ! Absolument ! Le cabinet israélien a approuvé le principe d'une telle opération. Les responsables en discutent le timing, mais ils sont tous d'accord sur le principe. Israël pratique la politique de terreur, d'assassinats sélectifs et la majorité des cibles sont des membres de mon parti, le Fatah. Je n'ai plus d'illusions : les Israéliens, c'est comme une mafia, une bande de gangsters. Rien à voir avec un gouvernement élu !"
             
7. Quelques légendes sur l'échec de Camp David par Robert Malley
in Le Monde du mardi 17 juillet 2001
Robert malley est ancien conseiller spécial du président Bill Clinton pour les questions israélo-arabes. Il est membre d'honneur du Council for Foreign Relations de New York. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Sylvette Gleize.
Camp David le 11 juillet 2000
IL y a tout juste un an, le président Bill Clinton, le premier ministre d'Israël de l'époque, Ehoud Barak, et le président de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, se retrouvaient à Camp David pour ce que beaucoup considèrent, avec le recul, comme un tournant dans les relations israélo-palestiniennes. De la droite à la gauche, des faucons aux colombes, s'élève un chœur inhabituel d'opinions unanimes, ici comme en Israël : Camp David fut, dit-on, une épreuve dont M. Barak est sorti gagnant et M. Arafat perdant. Alors qu'on leur offrait près de 99 % de leur rêve, estime-t-on, les Palestiniens ont dit "non" et exigé davantage. Pis, ils n'ont fait aucune concession, adoptant une attitude sans compromis, révélatrice de leur refus de vivre en paix avec un Etat juif à leurs côtés.
Je faisais partie de l'équipe américaine de Camp David et, moi aussi, j'ai été déçu, presque au désespoir, par la passivité des Palestiniens, leur incapacité à saisir ce moment. Mais il est inutile - et extrêmement préjudiciable - d'ajouter aux erreurs réelles toute une série de légendes. Voici les mythes les plus dangereux que l'on répand volontiers aujourd'hui sur le sommet de Camp David.
- Mythe no 1 : Camp David a été un test significatif des intentions réelles d'Arafat.
Or M. Arafat nous a déclaré à de multiples occasions ne pas vouloir se rendre à Camp David. Il estimait que les négociateurs israéliens et palestiniens n'avaient pas suffisamment réduit le fossé qui séparait leurs positions. Une fois sur place, il a bien fait comprendre, par ses commentaires, qu'il se sentait à la fois éloigné du monde arabe et en position d'isolement, en raison des relations étroites qu'entretenaient Israéliens et Américains. De plus, le sommet a eu lieu au moment le plus bas de ses rapports avec M. Barak - avec lequel il était censé conclure un accord historique. C'est qu'un certain nombre d'engagements des Israéliens n'avaient toujours pas été tenus, parmi lesquels leur retrait, constamment reporté, de certaines parties de la Cisjordanie et le transfert aux Palestiniens du contrôle des villages jouxtant Jérusalem. Yasser Arafat a cru qu'Ehoud Barak ne cherchait qu'à se soustraire à ses obligations.
Il fallait aussi une bonne dose d'optimisme - de la part de M. Barak comme des Etats-Unis - pour imaginer que le conflit, vieux de cent ans, entre Juifs et Palestiniens vivant dans la région, qui a fait des centaines de milliers de victimes, pouvait être résolu en quinze jours sans qu'aucune des questions essentielles - concernant le territoire, les réfugiés ou le sort de Jérusalem - ait d'abord été discutée par les dirigeants des deux camps.
- Mythe no 2 : l'offre israélienne répondait à la plupart, voire à toutes les aspirations légitimes des Palestiniens.
Certes, les propositions faites à la table des négociations allaient plus loin que tout ce qu'aucun dirigeant israélien avait jamais débattu jusqu'alors - que ce soit avec les Palestiniens ou avec Washington.
Mais, du point de vue des Palestiniens, ce n'était pas là l'offre rêvée que l'on a dite. Pour accueillir ses colons, Israël devait annexer 9 % de la Cisjordanie ; en échange, le nouvel Etat palestinien exercerait sa souveraineté sur des terres israéliennes à proprement parler dont la superficie serait égale au neuvième du territoire annexé. Un Etat palestinien couvrant 91 % de la Cisjordanie et de Gaza, c'était plus que ce que la plupart des Américains et des Israéliens estimaient possible jusqu'alors. Mais comment Yasser Arafat allait-il expliquer à son peuple le rapport défavorable de 9 à 1 dans l'échange des terres ?
A Jérusalem, la Palestine aurait eu la souveraineté sur de nombreux quartiers arabes de la partie est de la cité et sur les quartiers musulmans et chrétiens de la Vieille Ville. Elle aurait joui de la tutelle sur le Haram el-Charif, le Noble Sanctuaire, troisième lieu saint de l'islam, tandis qu'Israël aurait exercé, pour sa part, une souveraineté totale sur le site auquel les Juifs donnent le nom de mont du Temple. C'était, ici aussi, beaucoup plus qu'il n'était imaginable quelques semaines à peine auparavant - une proposition très difficile à accepter pour le peuple israélien. Mais comment M. Arafat pouvait-il justifier devant son peuple qu'Israël conserve la souveraineté sur certains quartiers arabes de Jérusalem-Est, sans parler du Haram el-Charif ? Quant à l'avenir des réfugiés - le cœur du problème, pour beaucoup de Palestiniens -, les conceptions présentées faisaient vaguement état d'une "solution satisfaisante", ce qui laissait craindre à Yasser Arafat de devoir donner son accord en dernière minute à une proposition inacceptable.
- Mythe no 3 : les Palestiniens n'ont fait aucune concession de leur côté.
Beaucoup se sont ralliés à l'idée que le rejet par les Palestiniens des propositions de Camp David révélait un refus profond du droit à l'existence d'Israël. Mais considérons les faits : les Palestiniens ont plaidé pour la création d'un Etat de Palestine sur la base des frontières du 4 juin 1967, à côté d'Israël. Ils ont accepté le projet d'une annexion israélienne de terres en Cisjordanie pour certaines des colonies de peuplement israéliennes. Ils ont accepté le principe de la souveraineté israélienne sur les quartiers juifs de Jérusalem-Est - quartiers qui ne faisaient pas partie d'Israël avant la guerre des Six Jours en 1967. Et, tout en insistant sur la reconnaissance du droit au retour des réfugiés, ils ont accepté que celui-ci soit appliqué de façon à ménager les intérêts démographiques et la sécurité d'Israël en limitant leur nombre. Aucun des pays arabes qui ont négocié avec Israël - que ce soit l'Egypte d'Anouar El Sadate ou la Jordanie du roi Hussein, sans parler de la Syrie de Hafez El Assad - n'a jamais été près ne serait-ce que d'envisager de tels compromis.
Si l'on veut conclure la paix, on ne peut tolérer que ces mythes propagés sur la négociation de Camp David passent, chaque jour un peu plus, pour la réalité de ce qui s'est passé à ce sommet. Les faits n'indiquent, cependant, aucun manque de prévoyance, aucune absence de vision de l'avenir de la part d'Ehoud Barak, qui a par ailleurs fait preuve d'un courage politique hors du commun. Les concessions d'Israël ne doivent pas se mesurer au chemin parcouru depuis son propre point de départ, mais aux progrès réalisés en direction d'une solution juste.
Les Palestiniens n'ont pas assumé leurs responsabilités historiques lors du sommet, eux non plus. Je pense qu'ils regretteront longtemps leur incapacité à répondre au président Clinton par des propositions plus ouvertes et globales - à Camp David et après.
Enfin, Camp David ne s'est pas tenu dans la précipitation. On peut reprocher au sommet d'avoir été mal préparé, d'avoir été trop peu formel, d'avoir manqué de vraies positions de repli, mais sûrement pas d'avoir été prématuré. Dès le printemps 2000, n'importe quel analyste israélien, palestinien ou américain sérieux prédisait une explosion de violence palestinienne en l'absence d'une avancée majeure du processus de paix. Oslo avait suivi son cours ; la décision de s'attaquer au délicat problème du statut définitif des territoires est plutôt venue trop tard que trop tôt.
La façon dont les deux camps ont choisi de considérer ce que le passé a été déterminera en grande partie leur comportement de demain. Si elles ne sont pas contestées, les interprétations de chacun vont progressivement se durcir pour donner des versions divergentes de la réalité et des vérités inexpugnables - l'idée, par exemple, que Yasser Arafat est incapable de parvenir à un accord final ou qu'Israël a l'intention de perpétuer un régime d'oppression. Tandis que, de part et d'autre, on continue de débattre de ce qui a fait capoter Camp David, il est important que les leçons de ce sommet soient tirées.
                     
8. Les juifs d'Ethiopie laissés pour compte - Non grata en Israël, les Falach-Mouras sont la proie d'une ONG sioniste par Jérome Tubiana
in Libération du lundi 16 juillet 2001
Gondar envoyé spécial
Azmeraw Mitikew sort des braises une barre de métal incandescent. Ses coups de marteau rapides résonnent dans le grand marché de Gondar. Un travail de forgeron réservé à une caste méprisée comme dans de nombreuses sociétés africaines. Dans l'ancienne capitale de l'Ethiopie chrétienne (du XVIe au XIXe siècle), ce rôle est revenu aux juifs, qui ont été privés de terres et ont reçu de ce fait le nom de Falachas, «ceux qui sont partis». Eux-mêmes préfèrent se nommer «Béta Israël», la «maison d'Israël».
Loi du retour. «Béta Israël, pur juif!», s'exclame Azmeraw en présentant chacun de ses camarades forgerons. Bien qu'il n'aime guère ce terme, Azmeraw est un «Falach-Moura», un descendant de juifs convertis au christianisme. L'Ethiopie en compterait aujourd'hui 20 000, convertis il y a une, deux ou trois générations, mais jamais vraiment intégrés à la société chrétienne. Dix ans après le spectaculaire transfert en Israël des Falachas dans le cadre de l'opération Salomon, ils désirent eux aussi rejoindre la Terre promise. Craignant de voir des millions d'Ethiopiens se découvrir juifs pour des raisons économiques, Israël fait la sourde oreille. Mais une ONG sioniste américaine, la Conférence nord-américaine sur les juifs éthiopiens (Nacoej), a pris fait et cause pour ces «oubliés». Sous sa pression, Israël continue de laisser entrer des Ethiopiens, au goutte-à-goutte: moins de 200 par mois en 2000.
Si l'on s'en tient à la seule loi du retour, qui autorise toute personne ayant au moins un grand-parent juif à effectuer son aliya (1), «moins de 10 % des Falach-Mouras sont éligibles», estime Ariel Kerem, l'ambassadeur d'Israël à Addis-Abeba. Mais une autre disposition, la loi d'entrée, permet le regroupement familial: selon Nacoej, elle suffirait à justifier l'aliya de la totalité des Falach-Mouras, tous ayant au moins un parent en Israël. «On ne les prendra certainement pas tous, rétorque Ariel Kerem. Que ferions-nous alors des millions d'ex-Soviétiques qui présentent des situations similaires? Pour nous, il n'y a plus de juifs en Ethiopie. Ces gens sont chrétiens, Nacoej leur enseigne une nouvelle religion et leur fait croire que pour être reconnus comme juifs ils doivent faire du zèle religieux.»
La première génération de Falach-Mouras a sans doute continué d'observer la religion juive en cachette, puis les suivantes l'ont peu à peu oubliée. Azmeraw énumère sa généalogie sur ses doigts: la conversion remonte à ses grands-parents, qu'une vieille histoire de meurtre entre juifs et chrétiens a conduits à abandonner le judaïsme. Seule la grand-mère d'Azmeraw lui en parlait: «Elle disait: "Nous sommes différents de tous les autres Ethiopiens, et c'est pour cela qu'on nous persécute." Et quand elle saluait des chrétiens, elle se lavait les mains ensuite.»
La conversion n'a servi à rien. «Les chrétiens savent que nous sommes juifs, raconte Azmeraw. Ils ne se marient pas avec nous et ils ne nous considèrent pas comme des êtres humains. Il y a trois ans, les chrétiens du voisinage se sont rassemblés pour nous expulser. Il y avait beaucoup de paludisme dans le village, et ils nous accusaient d'être buda, c'est-à-dire d'avoir le mauvais œil et d'être la cause de la maladie et de la pauvreté.» Les Falachas, comme les Falach-Mouras, se plaignent souvent de ces superstitions. «Le gouvernement leur a dit que c'était anticonstitutionnel et nous a protégés.»
Peu après, Azmeraw a quitté le village pour la ville. La pression des chrétiens mais aussi l'aide proposée par Nacoej ont poussé la plupart des Falach-Mouras à abandonner leurs villages pour venir à Gondar et à Addis-Abeba, à proximité des centres d'aide tenus par l'ONG. Beaucoup expliquent leur départ par la «volonté de Dieu», d'autres évoquent plus prosaïquement une «invitation» de Nacoej. Les centres d'aide sont installés à proximité des représentations israéliennes, et, avec plusieurs milliers de Falach-Mouras dans les environs, Nacoej maintient la pression.
Mensonges de l'ONG. Les conditions de vie des villageois ne sont pas faciles. Pour mobiliser partisans et donateurs, Nacoej n'hésite pas à diffuser des informations alarmistes sur l'état de santé de la communauté, évoquant notamment des cas de «morts de faim». «Cela ne s'est jamais produit», affirment pourtant les responsables des cliniques. Interrogés clandestinement, des Falach-Mouras pointent d'autres mensonges de l'ONG. Les distributions de nourriture, que Nacoej affirme effectuer tous les jours pour les enfants et tous les mois pour les adultes, ne correspondent ni en quantité ni en qualité à ce qu'ils reçoivent: «Il y a eu des jours où les enfants n'ont pas mangé, et il est arrivé que les adultes ne perçoivent rien pendant cinq mois. Mais lorsqu'il y a des visiteurs on reçoit beaucoup de nourriture», affirme un homme de Gondar. «Nacoej utilise nos enfants pour obtenir des dons, soutient un autre. On les prend en photo vêtus avec des haillons, puis avec de beaux vêtements. Sur le second cliché, ils doivent écrire "merci".»
Passage à tabac et morts. Depuis un an, un groupe de juifs éthiopiens recueille des témoignages similaires. Ils se demandent où passe le budget affecté aux écoliers, dont l'ONG ne dépenserait que le tiers. Et ils s'alarment de témoignages faisant état, depuis dix ans, de Falach-Mouras battus par des représentants de Nacoej, notamment par Andy Goldmann, directeur de l'ONG pour l'Ethiopie. Il est difficile de recueillir des témoignages auprès des Falach-Mouras. Nacoej menacerait de priver d'aide et d'aliya ceux qui parlent aux visiteurs. Des individus critiques et leurs familles semblent avoir été exclus des centres. Plusieurs enfants seraient morts faute de soins.
A Gondar, les gardes refusent l'entrée du centre de Nacoej, parce que «les visiteurs veulent [les] convertir au christianisme», leur a-t-on dit. A Addis-Abeba, il a fallu téléphoner aux Etats-Unis pour avoir l'autorisation de visiter le centre, mais l'administrateur refuse toute interview. Solomon Mesfin, le jeune représentant de la communauté, répond à sa place: «Nacoej est à la fois notre père et notre mère. Sans Nacoej, nous serions tous morts aujourd'hui, et si ces critiques continuent, Nacoej arrêtera de nous aider.» Azmeraw pense au contraire qu'il faut parler: «Chaque fois qu'il y a des visiteurs, j'essaie de les alerter. J'ai été exclu du centre, arrêté trois fois, battu deux fois. On m'a dit que je n'irai jamais en Israël.» S'il y parvient malgré tout, son rêve est de rejoindre l'armée et d'aider «ceux qui sont restés derrière» à venir. Il ne comprend pas pourquoi l'immigration des Falach-Mouras pose problème. Tilahun, lui, a son idée: «Tout le monde sait que nous sommes juifs. Le problème, c'est que nous sommes noirs.». (1) Ce terme hébreu, littéralement «montée», désigne l'immigration d'un juif de la diaspora en Israël. 
             
9. L'eau troublée ? Ça n'est pas un problème, quand on n'a pas d'eau du tout ! par Gideon Levy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 15 juillet 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

La semaine passée, la vie de nombre d'Israéliens a été gâchée par deux incidents regrettables : les résidents de l'agglomération de Tel-Aviv ont été priés de ne pas consommer l'eau du robinet et des milliers de personnes ont été bloquées dans des embouteillages monstres aux accès de l'aéroport international Ben-Gurion. L'alerte à la pollution n'a duré qu'une journée, tandis que le trafic au compte-goutte, sur l'autoroute de l'aéroport, s'est prolongé plus longtemps, pour des raisons de sécurité.
La réaction quasi hystérique des Israéliens a été rapportée abondamment par les médias, qui n'ont pas hésité à remuer le couteau dans la plaie. "Vite, faites des provisions d'eau!" et "Fermez les robinets!", affichaient en lettres géantes les périodiques à sensation, tandis que l'un des multiples reportages sur l'embouteillage fellinien de la route de l'aéroport était publié sous le titre (un tant soit peu outrancier) : "La longue route vers la liberté"...
L'avertissement donné aux consommateurs (d'eau courante et de voyages) était adapté à la situation : on pouvait continuer à faire la lessive et les gens pouvaient prendre une douche d'eau municipale, mais celle-ci était impropre au brossage des dents. Il était préférable de donner à boire de l'eau minérale à nos petits compagnons domestiques, mais nos plantes vertes survivraient à l'arrosage à l'eau du robinet... Il était conseillé aux candidats au départ de se rendre à l'aéroport avec quatre heures d'avance. Les bouteilles d'eau disparurent comme par enchantement des rayonnages des supermarchés et les médias rapportèrent que des voyageurs, à l'aéroport, étaient en grande détresse : leur virée à la Barbade allait leur prendre quelques heures supplémentaires... Certains d'entre eux, vous vous rendez compte, ont même dû aller à pied, sous un soleil de plomb, depuis le contrôle, à l'entrée de l'aéroport, jusqu'au terminal d'embarquement !? Le moral de la nation, déjà passablement dans les chaussettes, a encaissé un coup supplémentaire.
Oui, vraiment, ce furent là deux désordres dans la vie courante, très enquiquinants et perturbants. Cela n'a vraiment rien d'amusant, de faire une queue interminable pour acheter de l'eau en bouteilles et arriver en retard, lorsqu'on doit prendre l'avion, peut être une expérience éprouvante pour les nerfs. Devoir traîner ses valises dès le contrôle de sécurité, à l'entrée de l'aéroport, a vraiment de quoi exaspérer le voyageur moyen. Donner de l'eau minérale à ses chiens et chats revient cher et attendre deux heures, coincé dans une file de voitures pare-choc contre pare-choc sur les bretelles d'accès à l'aéroport relève du cauchemar pur et simple. Dans le cas de l'eau, tout du moins, il est d'ores et déjà question d'une commission d'enquête. Et il est bien vrai qu'il n'y a aucune raison pour prendre des anomalies de cette nature à la légère. Elles n'ont pas lieu d'être dans un pays correctement administré. Quelques jours avant qu'une turbidité excessive dans l'eau de Tel-Aviv Métropole ait été décelée, quelques centaines de personnes, pas très loin de l'agglomération, se voyaient concernées par un incident fâcheux d'un type quelque peu différent. En voici le récit. Des soldats israéliens et des personnels de l'Administration Civile (= administration militaire des territoires occupés!, ndt) se sont présentés aux domiciles de bergers résidant au sud de la montagne d'Hébron puis ils se sont mis à démolir leurs maisons et à combler leurs puits, avec du ciment, du sable, des morceaux de ferraille et des pierres. Depuis lors, l'eau de ces puits est si trouble - plus que d'habitude, et de beaucoup - que même les moutons refusent d'en boire.
Les conseils prodigués aux citoyens de la métropole de Tel-Aviv afin de soulager leur détresse ne sauraient l'être à bon escient, malheureusement, aux membres des tribus des Nawaja et des Dramin : ils n'ont pas d'autre approvisionnement en eau que les puits désormais comblés. Ils n'ont ni robinets, ni tuyaux. La semaine dernière, ils étaient assis sous un soleil brûlant, contemplant les ruines de leurs maisons démolies et de leurs puits comblés, totalement désespérés. Personne, en Israël, ne s'est intéressé à leur sort, à ce qu'ils allaient devenir et à ce qu'ils pourraient faire pour étancher leur soif. Un porte-parole de l'Administration civile a déclaré que cette opération a été menée à bien par un "détachement spécialisé dans les démolitions", dans le but "de repousser des intrus".
Au lendemain du problème d'eau, dans l'agglomération de Tel-Aviv - complètement résolu -et tandis que les embouteillages de la route de l'aéroport continuaient à s'étirer sans fin, un autre inconvénient fâcheux allait se produire. Au barrage de contrôle de Tene-Omarim, au sud du pays (mais ce n'est pas si éloigné que cela en a l'air de l'aéroport international Ben-Gurion) Rasmiya Jabarin, 39 ans, a été tuée par des soldats israéliens, alors qu'elle se trouvait assise dans un taxi qui l'emmenait, elle et ses collègues, à son travail chez un volailler de Kiryat Malachi. Les soldats déclarèrent par la suite que le taxi suivait "de manière sauvage" une piste qui contourne les barrages. Peut-être la panne du réseau d'eau potable et les files de voitures bloquées sur les accès à l'aéroport aideront-ils plus d'Israéliens à comprendre ce que leurs voisins palestiniens doivent supporter tous les jours que le Bon Dieu fait... Plus de 200 000 Palestiniens ne disposent pas d'eau potable chez eux, d'après un recensement de B'Tselem, une organisation de défense des droits de l'homme. L'eau trouble est le moindre de leurs soucis : ils n'ont pas d'eau du tout, alors... Quant aux autres Palestiniens de Cisjordanie, et en particulier ceux qui vivent au sud d'Hébron, ils se préparent à un nouvel été torride et sans une goutte de pluie, durant lequel l'eau ne parviendra à leurs domiciles que quelques jours dans le mois. Les réservoirs d'eau, qui étaient jusqu'à il y a peu - en dépit de leur prix élevé et de leur caractère peu pratique - une alternative aux robinets désespérément à sec, parviennent difficilement jusqu'aux villes et villages où on en a le plus grand besoin, à cause de l'état de siège.
De même, les files de voitures sur la route de l'aéroport ne pourraient, tout au plus, qu'amener un sourire désabusé sur les lèvres des habitants de la Cisjordanie. Depuis des mois, la plupart des routes qu'ils empruntaient quotidiennement sont totalement inaccessibles pour eux, tandis que sur d'autres, il doivent attendre pendant des heures, bloqués aux barrages israéliens. Pour eux, la "longue route vers la liberté" est une expression concrète, qui veut bien dire ce qu'elle veut dire, et non la saillie de quelque éditorialiste à la plume acérée. Ils ne peuvent voyager à l'étranger qu'en rêve, puisque même une simple course dans la localité voisine relève de l'exploit.
La majorité des Israéliens se soucient de ces gens comme d'une guigne. Le sommet du cynisme a été atteint lorsque des colons du bloc de Gush Etzion, au sud de Jérusalem, se sont précipités, la semaine dernière, pour apporter de l'eau aux habitants d'Hatikva, une banlieue du sud de Tel-Aviv, où l'eau avait été trouble pendant une brève période, quelques heures, tout au plus, tandis que leurs voisins, de l'autre côté de la haie, étaient totalement privés d'eau courante depuis des mois, à cause de la répartition inique des ressources hydrauliques avec les colonies, qui s'arrogent la part léonine et laissent aux Palestiniens la portion congrue.
La nécessité de connaître la détresse des Palestiniens n'est pas simplement un impératif moral et humanitaire. Toute personne sincèrement désireuse de comprendre les raisons de la violence palestinienne doivent avant toute chose prendre connaissance de ses causes premières. Celles-ci plongent profondément leurs racines sous les files interminables de voitures bloquées aux barrages (israéliens) omniprésents, dans les puits comblés par les soldats israéliens et dans les robinets qui n'émettent que gargouillis et filet... d'air lorsqu'on les tourne.
Pour un bref instant - privilégié, dans une certaine mesure - les Israéliens avaient l'opportunité de faire l'expérience d'une once du calvaire enduré par les Palestiniens. La prochaine étape sera d'imaginer ce que nous ferions à des gens qui nous imposeraient des épreuves mille fois pires qu'un embouteillage sur la route des vacances ou de l'eau du robinet trouble durant une petite journée - et tout ça, prolongé durant d'innombrables années d'occupation...                
                          
10. Mon journal de la semaine : Des odeurs de vichysme par Patrick Raynal
in Libération du samedi 14 et dimanche 15 juillet 2001

(Patrick Raynal - Né en juillet 1946 à Paris. Cahin-caha, il obtient une maîtrise de lettres en 1970, se marie et fait son service dans les Chasseurs alpins. De 1967 à 1972, milite tour à tour au PCF, à l'UJCML et à la Gauche prolétarienne. De petits boulots en grandes galères, il devient un temps agent d'assurances sur la Côte d'Azur. Chroniqueur littéraire (Nice Matin, le Monde des Livres), a créé la collection La Noire chez Gallimard. Auteur d'une vingtaine de romans noirs depuis 1980, dont le Marionnettiste (réédité en 1999) et Chasse à l'homme avec J.-B. Pouy (Mille et une nuits, 2000). Corbucci paraîtra en septembre chez Albin Michel.)
EXTRAIT :
Jeudi : Les Israéliens ont la force pour eux
Dites-moi que je rêve. Voilà que les soudards israéliens se mettent à démolir les maisons illégales des Palestiniens. On croyait qu'ils faisaient la guerre et ben non, ils font juste respecter à coups de canon les lois sur le permis de construire. Que l'Autorité palestinienne soit souveraine en la matière et que les canons soient maniés pour défendre des types qui ont construit leurs propres maisons sur des terrains dont la propriété leur est contestée par la communauté internationale tout entière, ils s'en tapent. Ils ont la force pour eux.
J'ai lu dans un Rebonds de Libé que les Israéliens étaient massivement des braves gens prêts à virer Sharon et les colons dès que les Palestiniens cesseront d'être des fanatiques religieux. Je veux bien le croire, après tout. Je me demande juste pourquoi tous les pays démocratiques du monde et leurs habitants ne boycottent pas Israël histoire d'aider ces braves gens à faire le ménage chez eux. Ils pourraient expédier cet hypocrite de Sharon au TPI de La Haye, par exemple.
               
11. Le compte à rebours a commencé : La liquidation d'Arafat, une option sérieuse
in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 13 juillet 2001
La multiplication des déclarations et des révélations israéliennes sur l'imminence d'une attaque n'est pas que de l'intimidation. Plus que jamais, Ariel Sharon, son gouvernement et l'état-major de l'armée paraissent déterminés à en découdre avec l'Autorité palestinienne et son président Yasser Arafat.
Il y a d'abord ce fameux rapport des services de sécurité israéliens datant de la mi-octobre 2000 et dont l'existence a été révélée par le quotidien Maarev. Ensuite, il y a les déclarations de Sharon lui-même, qualifiant tour à tour Yasser Arafat de chef d'une organisation terroriste, de menteur, de Ben Laden de la région. Il y a aussi les injonctions du ministre des Finances invitant à l'expulsion d'Arafat et à la destruction de l'Autorité palestinienne. Il y a enfin les appels à la retenue et les mises en garde des diplomaties française et égyptienne. Intimidations ou attaque imminente? L'absence d'accord sur l'application des recommandations du plan Mitchell et la reprise des assassinats ciblés de militants palestiniens, des représailles assassines (comme la destruction de dizaines de maisons dans le camp de réfugiés de Chouafat, à Jérusalem-Est) en parallèle avec le renforcement du siège des localités palestiniennes rendent tout arrêt de l'intifada équivalent à une reddition pure et simple.
Gaza, vivier de la résistance
Dans ces conditions, les multiples déclarations susmentionnées et la tournée européenne de Sharon viseraient à préparer le terrain à une vaste opération militaire contre l'Autorité palestinienne permettant de modifier la donne politico-militaire sur le terrain en faveur d'Israël. Toutefois, celle-ci pourrait s'avérer hasardeuse et mener à des conséquences inattendues... En plus de ses convictions idéologiques extrémistes et de son penchant naturel vers la brutalité, une expérience précise semble décisive dans la détermination de l'attitude actuelle de Sharon vis-à-vis des Palestiniens: la campagne «ultrarépressive» qu'il mène à Gaza à partir de 1970 en sa qualité de commandant de la région sud. Il fera détruire des milliers de maisons, exilera des centaines de Palestiniens en Jordanie ou au Liban. Quelque 600 proches d'activistes présumés, dont des femmes et des enfants, seront enfermés dans un camp de détention du Sinaï. Cette politique ultrarépressive donnera de bons résultats. Face au vivier de la résistance qu'était Gaza à la fin des années 60 et au début des années 70, Sharon réussira à démanteler les réseaux militants et ira jusqu'à opérer un réaménagement urbain de certains quartiers de la ville et de certains camps de réfugiés, les rendant plus contrôlables par l'armée d'occupation. Cette expérience lui sert de modèle dans sa confrontation avec l'intifada aujourd'hui. Cependant, deux facteurs majeurs distinguent le contexte actuel de celui prévalant au début des années 70.
* Le premier, c'est la conclusion des accords d'Oslo et l'enclenchement du processus de paix sous le patronage des Etats-Unis.
* Le second, qui découle du premier, c'est la constitution de l'Autorité palestinienne et de ses différentes institutions, dont ses multiples services de sécurité qui regroupent plusieurs dizaines de milliers d'hommes en armes.
Une opération militaire qui irait jusqu'à la remise en cause des accords d'Oslo nécessita le feu vert des Etats-Unis garants de ces accords et, au moins, la neutralité de l'Europe. L'activisme de la diplomatie israélienne, d'abord en direction de Washington, est peut-être une tentative de conviction. «Pas un jour ne passe à Washington sans la visite d'un responsable israélien.» La liste est longue: deux visites du Premier ministre et une visite du ministre des Affaires étrangères Shimon Peres. Il y a aussi les visites de Leymour Levenat, la ministre de l'Education, d'Abraham Borg, président de la Knesset, de Shaoul Mofaz, chef de l'état-major, de Moshe Katsov, chef de l'Etat, de Nathan Chtaransky, de Yossi Beilin et d'une multitude d'autres responsables moins médiatiques. Parmi ces derniers, il y a: Amos Yaron, directeur général du ministère de la Défense, Kotti Mor, conseiller au ministère de la Défense, Amos Malka, chef du renseignement militaire, Ouzi Dayan, conseiller au ministère de la Défense. D'autres visites sont prévues pour les jours qui viennent: celle de Benjamin Ben Eliezer, ministre de la Défense, et celle d'Uzi Landau, ministre de la Sécurité nationale. Une explication assez répandue de ce foisonnement diplomatique voudrait que la motivation principale de celui-ci soit la volonté du gouvernement israélien de renforcer ses liens avec l'Administration Bush. Celle-ci compterait dans ses rangs moins de sionistes militants que l'Administration Clinton, d'où la nécessité d'un dialogue serré avec elle. Cette version des faits ignore les liens intimes qui unissent nombre de responsables de l'actuelle Administration aux Faucons israéliens. Les positions de l'Administration dans son ensemble sont, par ailleurs, très pro-israéliennes. Il en va ainsi de George Tenet. Le directeur de la CIA n'hésitera pas dans ses déclarations à la presse américaine, avant et après sa visite au Moyen-Orient, à incriminer personnellement Arafat pour ce qu'il considère comme sa responsabilité directe dans la violence qui secoue les territoires.
L'explication la plus convaincante de l'activisme de la diplomatie israélienne en direction de Washington, des déclarations de responsables israéliens et américains, de la tournée européenne de Sharon, est que l'ensemble s'inscrit dans une stratégie de préparation des conditions favorables à l'agression contre les Palestiniens. Un intense lobbying serait à l'œuvre à Washington pour convaincre l'Administration Bush des facilités résultant de la disparition d'Arafat. Le plan de Sharon est simple: la destruction des institutions et des infrastructures de l'Autorité palestinienne et l'expulsion de son chef Yasser Arafat (ou peut-être l'assassinat de celui-ci). La nouvelle donne sur le terrain consacrera le morcellement des territoires palestiniens et Israël pourra traiter au cas par cas les différentes zones autonomes punissant durement les plus résistantes et allégeant les contraintes pour les plus coopératrices.
Cette vision ignore plusieurs réalités confirmées depuis le début de l'intifada:
* Le soulèvement est d'abord un mouvement de la société palestinienne, de la rue, qui a entraîné avec elle les organisations politiques, l'Autorité et ses services.
* Elle possède aujourd'hui sa dynamique propre et une relative autonomie par rapport à l'Autorité.
* Elle a entraîné une décantation dans les rangs de celle-ci, permettant l'émergence de nouveaux dirigeants politico-militaires de terrain et marginalisant certains responsables politi-ques réputés trop modérés (tel Abou Mazen).
Malgré les disproportions évidentes entre la puissance militaire israélienne et la résistance palestinienne, la capacité de nuisance de la seconde n'a pas encore été totalement utilisée. La résistance palestinienne a maintenu un niveau bas d'intensité dans son conflit avec Israël pour laisser la porte ouverte à la reprise des négociations. Si elle venait à se retrouver le dos au mur, d'autres choix s'imposeraient. Il suffit de savoir, par exemple, que les candidats aux opérations kamikazes se comptent par milliers...
                  
12. Israël Shahak : décès d'un Juif éclairé
in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 13 juillet 2001
Physicien nucléaire, penseur et activiste antisioniste, Israël Shahak est décédé le 4 juillet à Jérusalem, à l'âge de 68 ans. Né à Varsovie (Pologne) en 1933, Shahak avait connu le camp de concentration de Belsen, avant la victoire des Alliés. En 1945, il émigre en Palestine avec d'autres jeunes sionistes et s'enrôle dans l'armée. A cette époque, il admire David Ben Gourion, le Premier ministre d'Israël. La mutation politique d'Israël Shahak date de la guerre de 1967. Il dénonce l'occupation israélienne de territoires arabes et la destruction systématique de l'identité politique et sociale palestinienne. Il dénonce vivement les tortures dont font usage l'armée et les forces de sécurité israéliennes contre les militants palestiniens. Shahak écrira de nombreuses études et essais dénonçant le mouvement sioniste qui avait aidé à l'effondrement du Mouvement des Juifs éclairés (Haskalah). Au cours des deux dernières décennies, Shahak insistera sur la nécessité d'une «véritable révolution» dans la religion juive qui «la rende humaine, ce qui permettrait aux Juifs de comprendre leur passé sans peur et sans parti pris... sur le modèle de ce que Voltaire avait fait pour son propre passé». La «démocratie israélienne» ne put supporter entendre parler Israël Shahak. L'homme fut férocement combattu et muselé. Il mourut en répétant que «l'Etat d'Israël aujourd'hui ne diffère en rien de ce que furent les Juifs polonais avant 1795... des agents de l'oppresseur».
             
13. Une vidéocassette sème le trouble à l'ONU par Afsané Bassir
in Le Monde du vendredi 13 juillet 2001
Israël et le Liban refusaient toujours, mercredi 11 juillet, de visionner une version édulcorée de la vidéo montrant les suites de l'enlèvement, en octobre 2000, de trois militaires israéliens par le Hezbollah.
NEW YORK (Nations unies) de notre correspondante
Elle ne serait pas de très bonne qualité, cette fameuse cassette vidéo tournée par l'ONU et réclamée par Israël, qui affirme qu'elle peut apporter des éléments d'information sur les conditions dans lesquelles trois soldats israéliens ont été enlevés, le 7 octobre 2000, par le Hezbollah libanais au Liban sud. D'une trentaine de minutes, elle tient en trois parties. Voici le récit que des responsables de l'ONU en ont fait, mardi 10 juillet au Monde.
Le document s'ouvre sur une vue générale de quelques dizaines de casques bleus de l'ONU s'agitant autour de deux véhicules accidentés, garés au bord d'une route et à bord desquels le Hezbollah libanais aurait transporté les trois soldats israéliens capturés au lieudit des Hameaux de Chebaa, aux confins des territoires syrien et libanais, occupé par l'armée israélienne depuis 1967 et dont le Liban revendique la souveraineté.
Il s'agit de véhicules blancs, semblables à ceux des Nations unies. Un gros plan montre ensuite des casques bleus fouillant à l'intérieur des véhicules, et découvrant des insignes et des uniformes ressemblant à ceux de soldats de la Finul (Force intérimaire des Nations unies au Liban). Quelques petites taches de sang apparaissent.
DIALOGUE TENDU
Puis l'on voit arriver des hommes en tenue civile, mais armés jusqu'aux dents, qui réclament les véhicules.
Un dialogue tendu s'engage entre eux et les casques bleus. Les civils tentent de s'emparer des voitures par la force. Les casques bleus ne résistent pas. Les civils, présumés membres du Hezbollah, quittent les lieux à bord des véhicules. Les casques bleus s'éloignent. Fin de la cassette.
Ce document a été filmé par un soldat de l'ONU "sur l'ordre d'un officier supérieur", le 8 octobre 2000, dix-huit heures après l'enlèvement de trois soldats israéliens par le Hezbollah libanais. La décision de filmer les voitures accidentées et "déguisées" en véhicules de l'ONU a été prise, déclare Jean-Marie Guéhenno, secrétaire général adjoint chargé des opérations de maintien de la paix, "afin d'avoir suffisamment d'éléments pour pouvoir protester auprès des autorités libanaises pour cette violation et pour l'utilisation des insignes de l'ONU". Tourner des cassettes vidéo, explique-t-il, "est la procédure standard de beaucoup d'opérations militaires de l'ONU".
M. Guéhenno, qui lui-même n'a appris l'existence de la cassette que le 6 juin, soit huit mois plus tard, et qui se trouve désormais au centre de la controverse, explique que les deux véhicules "n'appartiennent pas à l'ONU".
Bien qu'elle soit "loin d'être dramatique", cette vidéocassette est néanmoins au centre d'une polémique entre l'ONU et Israël, d'une part, l'ONU et le Hezbollah, de l'autre. "Nous sommes pris ici entre deux feux, dit le porte-parole de l'ONU, Fred Eckhard, entre Israël, qui exige qu'on lui remette la cassette, et le Hezbollah, qui menace de considérer les soldats de l'ONU comme des 'espions' si la cassette est remise…" à l'Etat juif.
"ERREURS DE JUGEMENT"
L'offre de l'ONU de permettre aux Israéliens et aux Libanais de "visionner" la cassette, sans en prendre possession, et en obscurcissant les visages des individus, a été rejetée par le Liban, qui ne veut même pas la voir, et par Israël, qui exige que lui soit remise une version non modifiée.
Que s'est-il passé ? Les Nations unies semblent avoir commis des "erreurs de jugement psychologiques et politiques" à plusieurs niveaux, disent des diplomates, mais la majorité d'entre eux estiment qu'en rendant l'affaire "si publique", Israël agit de "mauvaise foi" et pour "des motivations de politique intérieure". Ils notent par exemple que le jour où l'Etat juif a décidé de rendre l'affaire publique – le 5juillet – a coïncidé avec la déclaration du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, condamnant la politique israélienne de liquidation d'activistes palestiniens.
Certains estiment qu'en "discréditant" les Nations unies, Israël tente de mettre fin "une fois pour toutes" à l'idée, d'origine française, du déploiement d'observateurs internationaux dans les territoires occupés. D'autres encore pensent que le rôle de "conciliateur" joué depuis quelques mois par M. Annan au Proche-Orient "n'est guère apprécié" par certains Israéliens. Pour d'autres enfin, Israël, qui n'a toujours pas réussi à recueillir de renseignements sur le sort des trois soldats enlevés, et qui est soumis à la pression des familles, tente, en s'en prenant à l'ONU "qui dans une certaine mesure le mérite", de détourner l'attention.
           
14. Le Liban refuse de visionner le document par Lucien George
in Le Monde du vendredi 13 juillet 2001
BEYROUTH de notre correspondant
La position du Liban est, pour une fois, confortable dans l'affaire de la cassette vidéo filmée par la Force intérimaire des Nations unies pour le Liban (Finul), détenue par l'ONU et réclamée par Israël. Les autorités refusent non seulement que la cassette litigieuse soit remise à l'Etat juif, mais également de la visionner elles-mêmes.
Dès que l'affaire a éclaté, samedi 7 juillet, un communiqué clair et net de la présidence de la République soulignait que "le visionnage de cette cassette constituerait un dangereux précédent, car ce serait transmettre à l'ennemi israélien des informations recueillies sur le territoire libanais, ce qui est en contradiction avec la mission de la Finul". Le délégué du Liban à l'ONU, Sélim Tadmouri, a estimé que "l'affaire est une tempête dans un verre d'eau", suscitée par Israël "pour embarrasser l'ONU et gêner son secrétaire général, notamment après qu'il a dénoncé son plan de liquidation des activistes palestiniens".
"AUCUNE INDICATION"
Le Hezbollah, principal protagoniste de l'affaire puisque ce sont ses hommes qui sont présumés se trouver sur la séquence filmée et qu'il détient les trois soldats, est tout aussi catégorique. Son secrétaire général, cheikh Hassan Nasrallah, a déclaré : "L'Etat, la résistance et le peuple libanais refusent que l'ONU remette à l'ennemi la cassette vidéo filmée en territoire libanais et considèrent qu'un tel acte placerait la Finul dans la case des espions à la solde des ennemis."
S'adressant aux Israéliens, cheikh Nasrallah a ajouté : "Même si vous obtenez cette vidéo, vous n'aurez aucune indication sur le sort des prisonniers." Il a assuré que le Hezbollah ne livrerait aucune information sur le sort des trois soldats – ni sur celui d'un quatrième Israélien capturé quelques semaines plus tard et qui, selon la formation chiite, serait un agent des services de renseignements, alors que l'Etat juif affirme que c'est un homme d'affaires – sans la libération de prisonniers arabes détenus par Israël.
En se bornant à soutenir le Hezbollah, l'Etat ne se heurte pas à l'ONU et ne prend que le risque de voir le renouvellement du mandat de la Finul, prévu avant le 31 juillet, devenir plus compliqué.
            
15. Timor Goksel, porte-parole de la Finul : "Nous possédons d'autres cassettes"
in L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 13 juillet 2001
Le porte-parole de la Finul au Liban Timor Goksel affirme que plusieurs cassettes vidéo filmées à la suite d'opérations au Liban-Sud sont en possession des Casques bleus. Un de ces films provoque des remous à un moment qui, toujours selon Goksel, est étrange. Interview.
- Comment considérez-vous les accusations d'Israël selon lesquelles des Casques bleus seraient impliqués dans l'enlèvement de trois de ses soldats par le Hezbollah ?
- Rien n'est prouvé jusqu'à présent. Je crois que c'est juste une campagne de déstabilisation contre la Finul et les Nations unies. Je ne sais pas exactement ce qui est en train d'être concocté, surtout en cette période. C'est le timing qui me semble étrange.
- Selon le général israélien Echkénazy, les Casques bleus accusés faisaient partie de l'unité indienne. Quels sont vos paramètres de contrôle ?
- Nous sommes là depuis des années. Les soldats indiens sont parmi les plus disciplinés et les plus entraînés. Ce sont des professionnels. Avant de porter de graves accusations contre une armée professionnelle, il faudrait posséder des données et des preuves valables. Autrement, ce n'est que du vent.
- Pourquoi avoir filmé, au lendemain de l'enlèvement, l'endroit où l'incident a eu lieu et les deux véhicules qui avaient servi à l'exécution de l'opération ?
- Nous avons des instructions pour filmer ou prendre en photos les lieux et les différents mouvements après des opérations de ce genre. C'est un travail d'investigation que l'on fait, un travail de routine. Ce n'est pas un métier d'espionnage, soyez sûre!
- Avez-vous visionné la cassette vidéo personnellement. Y avait-il des indices ?
- J'ai vu le film. Il a été pris le lendemain, dix-huit heures après l'opération. Que peut-il bien y avoir?
- Qu'avez-vous vu dans le film ?
- Nos soldats déplaçaient les deux voitures pour y relever les indices, objets ou traces nécessaires à l'enquête; trois Libanais du Hezbollah apparaissent et veulent nous prendre les voitures. A la suite d'une discussion, nous finissons par livrer les voitures à l'armée libanaise.
- Vous avez dit que filmer au lendemain des opérations est pour vous un travail de routine. Possédez-vous d'autres cassettes ou photos filmées après des opérations de ce genre ?
- Sûrement. Nous les gardons toutefois pour nous. Ce sont nos archives, nos documents. Nous n'avons pas à les partager avec qui que ce soit.
- Allez-vous reprendre vos investigations ?
- Pourquoi le ferions-nous? Nous avons effectué un travail d'enquête il y a un mois, et nous l'avons terminé. Il s'agit d'un travail professionnel et pas d'un passe-temps...
- Le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, a affirmé que si la Finul livrait la cassette vidéo aux Israéliens, ce serait une sorte d'espionnage au profit d'Israël. Qu'en dites-vous ?
- Je ne sais pas quelle est la définition de l'espionnage dans la loi libanaise! Je suis convaincu que sayyed Nasrallah connaît très bien l'étoffe des membres de la Finul au Liban-Sud. C'est malheureux qu'il puisse considérer nos soldats comme pouvant être des espions.
- Nasrallah a même avancé que la Finul changeait son statut de neutralité...
- Ceci n'est pas du tout vrai. Comment peut-on nous accuser de la sorte après tant d'années de service? Nous avons effectué un travail très propre jusqu'aujourd'hui. Pourquoi devrions-nous changer de cap?
- Avec cette affaire, Israël cherche-t-il à se prémunir contre de nouvelles opérations de ce genre, comme le suggérait le quotidien Maarev ?
- Je ne crois pas. Je ne peux en tout cas rien avancer. Nous n'en avons discuté avec aucune partie. Ce n'est pas de notre ressort.
- Avez-vous livré aux Israéliens des échantillons de sang des soldats israéliens, prélevés dans les deux véhicules ?
- Non. Ce sont de fausses informations.
- Vous faites l'objet d'accusation de la part des deux parties. Qu'en est-il vraiment?
- Etre parfois accusé fait, malheureusement, partie de notre mission. Ce n'est pas chose nouvelle: nous subissons des accusations depuis 1978. L'OLP, le Hezbollah et bien d'autres parties nous en ont voulu un jour ou l'autre. Toujours est-il que le timing, cette fois-ci, n'est pas innocent. C'est tout ce que je peux vous dire.
                
16. Israël s'énerve par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du vendredi 13 juillet 2001
Palestine. L'armée israélienne multiplie les provocations et les crimes. Tel-Aviv s'en prend à l'ONU, accusée de complicité avec le Hezbollah
Le premier ministre israélien, Ariel Sharon, est allé hier en Italie chercher du soutien auprès du gouvernement de droite de Silvio Berlusconi, estimant qu'il avait été incompris par les Français, les Allemands et les Belges lors de sa première tournée européenne, la semaine dernière.
Il faut dire qu'Ariel Sharon a essuyé, ces derniers jours, de très vives critiques pour sa politique de destruction de maisons et d'assassinats de Palestiniens. La France et l'Europe les ont condamnés fermement et le département d'Etat américain a parlé de " provocations graves " à propos de la destruction au bulldozer, mardi, de 14 maisons palestiniennes à Jérusalem-Est occupé et de 18 autres à Rafah, en pleine zone autonome. " De tels actes, a estimé Washington, ne peuvent que rendre plus difficile le retour au calme. "
On en est loin et les incidents sanglants se font chaque jour plus nombreux. Mercredi, trois drames affreux se sont produits à ces barrages militaires qui font de la Cisjordanie un enfer en empêchant les gens de circuler, même quand il s'agit de cas d'urgence : un Palestinien de quarante-neuf ans, qui se rendait à l'hôpital pour des soins, arrêté pendant des heures sous un soleil de plomb est mort d'une crise cardiaque. Une jeune femme enceinte de trente ans, empêchée de passer, a accouché sur la route et perdu son bébé. Une autre mère de famille est morte dans un taxi collectif criblé de balles par des soldats israéliens pour avoir essayé d'éviter un barrage.
Autant d'actes qui témoignent du mépris total de l'armée israélienne pour la vie des Palestiniens. Hanane Archraoui, membre du Conseil national palestinien, qui vient d'être nommée porte-parole de la Ligue arabe, déclarait hier qu'il fallait voir dans le comportement d'Israël, " qui vise à rendre la vie impossible aux citoyens palestiniens sur la terre de Palestine ", une volonté délibérée de " nettoyage ethnique ".
De nouveaux incidents ont fait hier plusieurs victimes, israéliennes et palestiniennes : près de Naplouse, une famille de colons est tombée dans une embuscade tendue par des hommes portant des uniformes de l'armée israélienne qui ont tiré sur leur véhicule. Le père a été grièvement blessé, la mère et son enfant de deux ans plus légèrement. Peu de temps après, deux Palestiniens étaient tués à l'entrée de Naplouse (ville " autonome ") par des tirs de char sur un poste de police. Quatre policiers et enfant de douze ans ont été blessés. Ces décès portent à 31 le nombre de tués (20 Palestiniens et 11 Israéliens), depuis la proclamation, toute théorique, d'un cessez-le-feu.
C'est dans ce contexte très dur que s'est encore aggravée hier la polémique qui oppose Israël à l'ONU à propos d'une cassette vidéo saisie par des soldats de la FINUL au Sud-Liban. Cette cassette, qui a été remise au secrétariat général de l'ONU à New York, contient des images filmées par les casques bleus après l'enlèvement par des combattants du Hezbollah libanais, le 7 octobre dernier, de trois soldats israéliens. Filmée le lendemain, elle montre deux véhicules accidentés laissés au bord de la route par les ravisseurs. Des véhicules peints en blanc pour ressembler à ceux de la FINUL, comme les uniformes abandonnés sur place. Israël exige que l'original de la cassette lui soit remis. Ce que l'ONU a refusé jusqu'ici. L'affaire a connu hier un rebondissement inattendu avec les révélations faites par le journal israélien Maariv. Ce dernier affirme que des casques bleus indiens de la FINUL ont en réalité aidé le Hezbollah, qui les aurait soudoyés en leur versant de fortes sommes, à monter toute l'opération. Le porte-parole de la FINUL, Timour Goskel, qui a eu souvent dans le passé maille à partir avec l'armée israélienne, a démenti ce qu'il a qualifié " de calomnie et d'insulte ". Mais le secrétaire général de l'ONU, Kofi Anan, craignant que tout cela " ne nuise à la crédibilité de l'ONU ", a ordonné une enquête interne.
                   
17. De nouveau, pour les négociateurs, la hantise : le droit des réfugiés au retour par Isabel Kershner
in The Jerusalem Report (bimensuel israélien) du jeudi 12 juillet 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

[Tiré à 50 000 exemplaires, "The Jerusalem Report", est un magazine diffusé essentiellement aux Etats-Unis. Créé en 1990 par des journalistes issus du "Jerusalem Post" (quotidien israélien) après le virage conservateur négocié par ce dernier, le "Jerusalem Report" s'est ancré au centre gauche.]
Tandis qu'Israéliens et Palestiniens sont prêts à ébaucher un accord sur le statut définitif, il n'est plus possible d'échapper au plus difficile de tous les sujets : les réfugiés de 1948. Et cependant, il n'existe aucun langage commun. L'OLP dit que des millions de réfugiés doivent "revenir chez eux" à Jaffa et à Safad. Mais, pour les Israéliens, cela équivaut à menacer de destruction leur Etat. Nous sommes dans le camp de réfugiés palestiniens de Dheïshe, qui jouxte la ville cisjordanienne de Bethlehem, en ce début du mois de juillet. Des dizaines d'enfants sont réunis dans la cour bétonnée et spartiate d'une école, afin de célébrer la fin de leur journée de camping placée sous l'égide d'"Al-Quds" (Jérusalem). Un monument élancé, épousant les contours de la Palestine mandataire, dépasse au-dessus du mur ; il est dédié aux victimes de l'Intifada. Dans la cour de l'école, un des multiples graffiti proclame : "Cinquante ans sous la tente"...
Après une lecture du Coran et l'exécution de "Biladi" ("Mon Pays"), l'hymne palestinien, un garçon d'une douzaine d'années commence à battre le tambour et quatre groupes bigarrés d'écoliers se mettent en marche, arborant des oriflammes portant les légendes : "Jaffa", "Ramlah", "Safad" et "Hittin"... noms de trois villes jadis arabes, situées dans ce qui est devenu, aujourd'hui, Israël, et du théâtre de la défaite décisive infligée par Saladin aux Croisés... Dans un unisson approximatif, les garçons hurlent les noms des villes perdues de la Palestine d'avant 1948, autant de lieux qui, pour eux, n'existent que dans une mémoire collective brumeuse et idéalisée. Ces lieux qui ont en effet changé du tout au tout, transformés en villes juives ou rayés de la carte comme ils l'ont été, sont à quelques minutes de l'endroit, en voiture. Ces enfants sont des réfugiés palestiniens de la troisième génération, dont les parents sont nés à Dheïshé et dont les grands-parents ont fui ou ont été expulsés, par centaines de milliers, de leurs villages au cours de la guerre de 1948. Aujourd'hui, dans les camps de réfugiés de Cisjordanie et de la bande de Gaza, au Liban, en Syrie et en Jordanie, une quatrième génération est en train de naître... Les garçons passent à des activités de patronage d'été, telles les exhibitions d'athlétisme. De leur côté, les filles donnent une courte représentation théâtrale sur le thème "Sauvez les arbres", devant un public composé surtout des mères, avec leurs derniers-nés. Les jeunes filles de la troupe de danse de Dheïshé, très populaire localement, s'avancent dans leurs atours traditionnels et entament les pas d'une ronde ancestrale, la dabkéh...
Muhammad Jaradat, militant du Centre d'Information Badil ("Alternative") pour les droits des réfugiés palestiniens, basé à Bethlehem, présente ces activités comme représentatives du mouvement de "continuité", une sorte de re-prise de conscience parmi la jeunesse palestinienne réfugiée, qui a débuté avec la signature des accords d'Oslo. Il s'agit là d'une initiative populaire, nous dit-il, d'une sorte d'avertissement sans frais aux responsables politiques contre toute idée qu'ils pourraient nourrir de passer un quelconque compromis sur la question des réfugiés... Le Centre Badil, fondé en 1993, dans le cadre de ce mouvement de conscientisation, filme des manifestations comme celle-ci, ainsi que des scènes de la vie quotidienne dans les camps (des territoires occupés ou autonomes, ndt), et il envoie les films à des enfants palestiniens (de la diaspora) vivant dans les camps de réfugiés en Jordanie, au Liban et en Syrie. L'idée, nous dit M. Jaradat, est de ressouder une identité communautaire, après des décennies de séparation physique.
Cinquante années durant, les réfugiés ont réclamé le droit à retourner dans leurs foyers ancestraux, dans ce qui est désormais Israël, aiguillonnés par l'OLP et confortés par la résolution 194 de l'ONU, de décembre 1948. Cette résolution stipulait, entre autres choses, que les réfugiés désireux de retourner chez eux et de vivre en paix avec leurs voisins "doivent être autorisés à le faire dès que cela sera matériellement possible" et que "compensation devra  être versée à ceux qui choisiraient de ne pas retourner chez eux afin de les dédommager de la perte de leurs biens".
Cinquante années durant, les Israéliens de l'ensemble de l'éventail politique ont rejeté le retour (des réfugiés) en le qualifiant d'"inenvisageable". Le consensus quasi-total, sur ce sujet, à défaut des autres, n'est pas surprenant : un retour massif des réfugiés menacerait l'existence même de l'entreprise sioniste en créant sinon une majorité arabe, tout au moins une parité démographique (entre Arabes et Juifs) dans l'Etat juif. L'attitude des Israéliens a surtout consisté à se mettre la tête dans le sable, à la manière de l'autruche, en espérant que les réfugiés finiraient par débarrasser le plancher...
Le sujet est si sensible que le simple fait d'en étudier l'origine est devenu un tabou national. Dix années en arrière, l'historien israélien Benny Morris a publié son ouvrage "L'origine de la question des réfugiés palestiniens, 1947-1949", dans lequel il explique que si certains Palestiniens, peu nombreux, pris de panique, avaient fui, le plus grand nombre d'entre eux se voyaient contraints à abandonner leurs villages pour échapper aux assauts des milices juives, tandis que d'autres encore, sans doute moins nombreux, avaient été carrément chassés par les troupes israéliennes. Morris a été attaqué par la quasi-unanimité des historiens reconnus, et il est resté pendant des années un paria académique...
Mais les réfugiés ne se sont pas évaporés. Bien au contraire, ils n'ont fait que se multiplier. Les seuls recensements disponibles ont été effectués par l'UNRWA (Agence des Nations Unies pour le Secours aux Réfugiés Palestiniens du Moyen-Orient et le Travail), qui estime leur nombre, aujourd'hui, à plus de 3,5 millions de personnes. Israël proteste contre des chiffres qu'il estime gonflés et avance des chiffrages non-officiels, plus près des deux millions de réfugiés. L'OLP assure que si les réfugiés qui ne se sont jamais inscrits auprès de l'UNRWA sont pris en compte, l'effectif total s'élève à quelque cinq millions.
Aujourd'hui, avec l'engagement pris par l'ancien premier ministre Ehud Barak de parvenir à un règlement définitif avec les Palestiniens, les deux parties vont devoir s'attaquer au problème des réfugiés, une parmi les cinq questions laissées en suspens jusqu'aux négociations sur le statut définitif (avec Jérusalem, les frontières, les colonies et la répartition de l'eau).
Le président américain sortant Bill Clinton avait opéré une brèche inattendue, en juillet dernier, lorsqu'il avait déclaré, au cours d'une conférence de presse, qu'il souhaitait que les Palestiniens "se sentent libres et soient effectivement libres de vivre où ils le désirent", ce qui semblait représenter une entorse évidente à la neutralité américaine traditionnelle en matière de réfugiés (palestiniens). Barak répliqua abruptement que les observations de Clinton étaient "inacceptables", tandis que Washington se fendait d'éclaircissements selon lesquels le problème (des réfugiés) devait être résolu par des négociations entre les parties concernées.
Il n'y a d'accord que sur un seul point : sans apurement du dossier des réfugiés, le conflit israélo-arabe ne trouvera pas de fin. Toutefois, dit Joseph Alpher, président du bureau Israël/Moyen-Orient du Comité Judéo-américain et membre d'un groupe de recherche sponsorisé par Harvard, qui a étudié le problème des réfugiés entre 1994 et 1998, "s'il est un dossier du statut définitif pour lequel chaque partie a une conscience quasi-nulle du degré de souffrance subie par son partenaire, c'est bien celui-là".
En un retournement de situation quelque peu ironique, les Palestiniens ont de plus en plus tendance à citer comme précédent les procès en restitution des biens et des pertes non-matérielles des victimes de l'Holocauste et de leurs ayant-droits, procès intentés par les organisations juives, famille concernée par famille concernée.
Là où Israël a depuis toujours admis, en principe, de régler le problème des réfugiés au moyen d'une compensation (financière) collective, les Palestiniens demandent, en sus du droit au retour, une compensation individuelle et des réparations pour les pertes matérielles et la souffrance subies par les réfugiés.
"Il y a un large mouvement, parmi les intellectuels palestiniens vivant en Europe, favorable à l'obtention de nos pleins droits légaux, et nous nous inspirons de (ce qu'a fait) la communauté juive", dit Abbas Shiblak, un universitaire suave et distingué d'Oxford, fondateur du Centre Shaml ("Regroupement") pour la Diaspora et les Réfugiés Palestiniens, dont les bureaux sont situés à Ramallah. "Si les dirigeants politiques reviennent (des négociations) avec une solution mi-chèvre mi-chou, à demi-cuite, sur la question des réfugiés", avertit M. Shiblak, "il y aura des procès".
Des vues diamétralement opposées
Une guerre a éclaté, en mai 1948. Lorsque les accords d'armistice furent signés, en 1949, quelque 700 000 Palestiniens étaient devenus des réfugiés dans différents pays arabes. La question de savoir qui est fautif est, jusqu'à nos jours, au coeur du contentieux.
Comme l'a dit jadis, en 1958, Abba Eban, alors ambassadeur d'Israël aux Etats-Unis, au Comité politique spécial de l'Assemblée générale de l'ONU : "Entendons-nous bien. Si une guerre n'avait pas été déclenchée contre Israël, avec son cortège de sang versé, de misère, de panique et de combats, il n'y aurait aujourd'hui aucun problème de réfugiés arabes." Jusqu'à ce jour, Israël n'a jamais infléchi son attitude consistant à affirmer que les Arabes, qui ont déclenché la guerre dans l'espoir de bloquer l'établissement de l'Etat d'Israël, sont à l'origine du problème. Dans le discours palestinien, en revanche, les réfugiés ont été chassés par les Sionistes. La mémoire palestinienne est faite de tueries et de rumeurs de massacres. Les Israéliens font immanquablement référence à des émissions des radios arabes qui auraient, à leurs dires, incité les civils locaux à abandonner leurs villages et à dégager le champ de bataille devant les armées arabes coalisées. Une étude récente sur le problème des réfugiés, réalisée par le Centre de Recherche et d'Information Israël/Palestine (IPCRI : Israel/Palestine Center for Research and Information) a établi que 85 pour cent des réfugiés sous étude en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ont dit qu'eux-mêmes, ou leurs parents, avaient quitté leurs foyers, craignant pour leur propre vie ou celle de leurs enfants. La plupart ont déclaré ne pas avoir de poste de radio à leur disposition à cette époque, bien qu'un homme âgé de soixante-sept ans, originaire de Jaffa, ait déclaré se souvenir d'avoir entendu des appels radiodiffusés exhortant les civils à quitter la région.
"Vous feriez quoi, vous, si une guerre atteignait votre village natal ?" demande Khalil Shikaki, un spécialiste palestinien en sciences politiques, qui a participé, avec Alpher, au groupe de recherche de Harvard. "Vous y laisseriez votre femme, vos enfants, exposés à tous les dangers ? Les réfugiés du Kosovo, les a-t-on blâmés d'avoir abandonné leurs villages ?Et si quelqu'un vous promet que, si vous quittez votre village, il va se battre à votre place, puis vous y ramener, cela signifie-t-il que vous n'aurez jamais le droit de revenir chez vous ?"
Mais même le plus libéral des Israéliens libéraux ne peut envisager d'endosser la responsabilité morale de la fuite des réfugiés palestiniens. Endosser cette responsabilité reviendrait à "admettre qu'Israël a été conçu dans le péché", dit Gershon Baskin, directeur de l'institut IPCRI et qui se situe, politiquement, sur l'aile "colombe" de l'éventail politique israélien. Inversement, aucun Palestinien ne peut oublier ce qu'ils perçoivent comme le péché originel d'Israël, en renonçant au droit au retour des réfugiés.
Israël refuse de s'excuser officiellement pour le problème des réfugiés, et sa position est que la solution de ce problème réside dans la réinstallation et la réinsertion sociale des réfugiés dans les pays arabes - ou partout ailleurs, à partir du moment où ce n'est pas en Israël... - deux choses qui auraient dû être faites depuis longtemps (toujours du point de vue israélien, bien sûr). En 1949, à la Conférence de paix de Lausanne, le gouvernement de Ben-Gurion a effectivement proposé une réunification des familles pour 100 000 réfugiés, comme partie d'un accord global de paix, mais les Arabes rejetèrent cette offre, qui n'a jamais été renouvelée depuis. Aujourd'hui, Israël propose une indemnisation collective pour les réfugiés, un montant global qui serait versé à un fonds général pour la réinsertion sociale des réfugiés. "Parmi les Israéliens qui s'occupent de cette question, il y a un avis unanime", dit Alpher, "c'est qu'inspecter chaque maison, chaque verger, chaque pacage de chèvres en remontant jusqu'en 1948 et calculer leur valeur actuelle serait totalement irréalisable et ne ferait qu'aboutir à l'exacerbation de l'acrimonie".
De plus, argue Israël, les réfugiés palestiniens doivent être considérés comme faisant partie d'un échange entre populations juives et arabes : quelque 450 000 Juifs ont fui les pays arabes pour immigrer en Israël. Beaucoup d'entre eux ont perdu tous leurs biens, pour lesquels Israël exige une compensation réciproque.
Les Palestiniens restent impavides face à cet argutie. Ils disent que les biens juifs, dans les pays arabes, ce n'est pas leur problème. De plus, les experts relèvent que prendre en compte les biens juifs (abandonnés dans les pays arabes) exigerait d'engager des négociations très complexes et ardues avec plusieurs gouvernements arabes, dont certains n'entretiennent aucune relation avec Israël. Et Israël a lui-même établi un précédent qui lui "casse la baraque", en signant il y a vingt ans de cela, avec l'Egypte, un traité de paix qui fait l'impasse sur les avoirs juifs abandonnés dans ce pays.
A part répéter inlassablement leur faveur pour le principe d'une compensation réciproque, les responsables israéliens qui ont à connaître du problème des réfugiés palestiniens restent "motus et bouche cousue". Ils assurent que, si le problème des biens juifs (abandonnés dans les pays arabes) "sera certainement introduit dans l'équation", rien n'a été jusqu'ici fait officiellement afin d'en évaluer la valeur.
Des sources crédibles, toutefois, avancent qu'Israël admettait jusqu'à il y a peu, en petit comité, que les biens palestiniens en Israël avaient une valeur bien supérieure à celle des biens juifs abandonnés dans les pays arabes. Mais c'était avant que la Jordanie et d'autres pays arabes fassent valoir, comme ils en ont la ferme intention, la charge qu'a représenté pour eux la nécessité de recevoir les réfugiés palestiniens chez eux.
Pour sa part, l'OLP s'en tient à la lettre de la résolution 194 des Nations-Unies qui, font remarquer ses représentants, n'a pas été confirmée à l'ONU à moins de quelque cent dix reprises... Asad Abdal-Rahman, membre itinérant de la Commission exécutive de l'OLP, chargé du dossier des réfugiés, dit que l'OLP "insiste sur la reconnaissance du droit au retour pour tous les réfugiés, pour les cinq millions de réfugiés. Lorsqu'ils se seront vu accorder ce droit et seulement alors, nous verrons bien qui voudra retourner et qui ne voudra pas." Il ajoute que lorsqu'il s'est rendu à Bruxelles, en février dernier, afin de prononcer un discours devant le groupe d'étude sur les réfugiés de l'Union Européenne, "ils voulaient que je leur révèle des scénarios, nos solutions de repli. Je leur ai dit que notre seul scénario, c'était la résolution 194. En précisant toutefois que, s'il était besoin d'un échelonnement de sa mise en application, pour des raisons pratiques, ou s'il était normal de commencer par ceux d'entre les réfugiés qui vivent dans les conditions les plus misérables, tels ceux du Liban et de la bande de Gaza, nous étions prêts à agir conformément à ce que dicteraient les nécessités matérielles, tant qu'aucune limite supérieure ne serait imposée au nombre des réfugiés (autorisés à retourner chez eux).
Même si l'on a l'impression que rien ne se passe, les représentants israéliens et palestiniens ont bel et bien tenu des réunions sporadiques, au cours des six années écoulées, sous couvert du Groupe de Travail sur les Réfugiés, l'un des deux aréopages de négociations multilatérales nés en 1991 (du temps des négociations de Madrid) à avoir survécu. Mais la mission de ce groupe, qui est présidé par le Canada, se limite à améliorer les conditions de vie des réfugiés là où ils se trouvent aujourd'hui. Israël a repoussé du revers de la main toutes les tentatives pour l'amener à envisager des questions de principes plus larges. Le chef de la délégation israélienne au Groupe de Travail sur les Réfugiés (RWG : Refugees Working Group), Yossi Hadass, ancien directeur général du Ministère israélien des Affaires étrangères, reste évasif lorsqu'on lui demande d'entrer dans les détails. Il se réfère vaguement à l'évaluation réalisée par le groupe de Travail d'un programme israélien de longue haleine, même s'il n'est pas activement appliqué de manière constante, de réunification des familles, qui a été lancé dans les années cinquante. D'après Andrew Robinson, le haut-fonctionnaire canadien qui préside le Groupe de Travail, les parties sont convenues d'étudier 2 000 cas annuellement (ce qui concerne environ 6 000 personnes), concernant des réfugiés en Jordanie, pour la plupart, autorisés à rejoindre les familles vivant sous autonomie palestinienne en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Robinson dit qu'Israël n'a pas toujours rempli ses obligations. Toutefois, au cours de la dernière réunion du Groupe, en mars dernier, Israël a accepté de porter à 3 000 le nombre de dossiers instruits dans l'année.
Les cas des centaines de milliers de "personnes déplacées" qui ont quitté la Cisjordanie à la veille de la guerre de 1967 (dite "des Six Jours"), pour la Jordanie (pour la plupart d'entre eux), sont traités séparément. Les accords d'Oslo ont institué un comité spécial israélo-palestino-jordano-égyptien afin d'examiner leurs possibilités de retourner en Cisjordanie et à Gaza. Mais sur cette piste aussi, l'avancée a été remarquablement lente.
Un projet en vue de négociations futures
Alors qu'un blocage quasi-total s'est imposé durant des décennies au niveau officiel, les intellectuels israéliens et palestiniens se sont employés à combler l'abîme, sans coups d'éclats.
En 1995, Shlomo Gazit, ancien chef des Services secrets militaires israéliens, a rédigé un mémoire suggérant que la solution du problème des réfugiés réside en l'institution d'un Etat palestinien sur la Cisjordanie et la bande de Gaza, accompagnée d'une "Loi du Retour" palestinienne qui autoriserait tout Palestinien vivant dans la diaspora à obtenir la nationalité palestinienne et, si le besoin était, d'immigrer dans le nouvel état (palestinien).
De manière similaire, des universitaires et des intellectuels palestiniens, parmi lesquels nous citerons Ziyad Abu Zayyad, actuellement ministre du gouvernement de Yasser Arafat, et Abbas Shiblak de l'Université d'Oxford, ont admis qu'un retour massif vers les foyers et les terres de la Palestine d'avant 1948 serait impossible, arguant du fait qu'il est nécessaire d'établir une distinction entre le principe du droit au retour et l'exercice de ce droit dans la pratique. L'idée d'un retour "symbolique" de quelques dizaines de milliers de réfugiés en Israël même est un thème récurrent. De manière concomitante, le mot "watan", qui signifie "patrie", utilisé traditionnellement pour désigner la Palestine en général, prend de plus en plus la connotation de l'Etat palestinien en devenir, impliquant que les réfugiés au Liban pourraient vraisemblablement "retourner" en Cisjordanie, plutôt que dans leurs villages d'origine, en Galilée (par exemple).
Ce n'est pas que la perspective d'un flot de réfugiés déferlant sur la Cisjordanie soit particulièrement réjouissante pour la plupart des Israéliens. Ariel Sharon, conservateur du Likud, a écrit que "si ces gens se retrouvent relégués à nouveau dans des camps de réfugiés misérables en Judée, en Samarie (= Cisjordanie, en sharonien, ndt) et à Gaza, d'où ils pourraient apercevoir leurs villes d'origine et les restes de leurs anciens villages (détruits), la tension et la haine atteindraient des sommets. Nous ne pouvons pas parier sur leur inclinaison à se tenir tranquilles".
Une autre réserve, souvent citée, à l'encontre d'un afflux de réfugiés en Cisjordanie, est le manque d'eau dans la région. L'OLP rétorque que la pénurie d'eau n'a jamais été considérée comme un problème dès lors qu'il s'agissait de l'immigration en masse de Juifs venus de l'ancienne Union soviétique...
Le document de travail issu du groupe de recherche parrainé par l'Université Harvard, co-rédigé par Joseph Alpher et Khalil Shikaki, représente probablement l'avant-garde du travail académique sur la question des réfugiés, aujourd'hui. Il s'agit du résultat d'une réflexion menée au long de nombreuses années par des Israéliens et des Palestiniens respectés et modérés. Malgré ces qualités, il se dispense de présenter une quelconque proposition de solution. En lieu et place, il propose une position de compromis du côté palestinien et une position de compromis du côté israélien, tout en mettant en exergue le gap considérable qui reste à combler entre elles.  
La proposition palestinienne plaide pour qu'Israël admette sa responsabilité dans la création du problème des réfugiés et reconnaisse le "droit moral individuel" des réfugiés palestiniens à retourner dans leurs foyers. Mais lorsqu'il est question de l'exercice concret de ce droit, seul le retour d'un "nombre limité" d'entre eux est considéré comme envisageable. Tous les Palestiniens qui ne retourneraient pas en Israël même auraient le droit d'immigrer dans le nouvel Etat palestinien. Des compensations individuelles seraient versées aux réfugiés qui n'opteraient pas pour l'exercice de leur droit au retour, et des compensations collectives seraient versées à l'Etat palestinien, qui seraient affectées au financement de projets d'intégration. Israël aurait la responsabilité de collecter ces fonds, sans égards à ses récriminations contre les pays arabes.
Mais même cette solution, fait remarquer Shikaki, impliquerait d'autres concessions, tel l'octroi de territoires supplémentaires aux Palestiniens. "Dès lors que les Palestiniens se chargeraient de la responsabilité et du coût que représente l'intégration des réfugiés, ils seraient fondés à vouloir exercer un contrôle maximum sur les territoire, en clair : sur un Etat s'étendant jusqu'aux frontières de 1967, comportant le contrôle sur les ressources en eau".
La solution israélienne de compromis envisage la reconnaissance par Israël d'au moins une partie d'une responsabilité pratique (mais non morale), partagée avec les autres parties impliquées, "dans le sort et la souffrance des réfugiés". Cette solution accepte le droit au retour des réfugiés sur les terres de l'Etat palestinien, mais non en Israël même. L'Etat palestinien s'engagerait à limiter l'afflux (des réfugiés) en fonction de ses capacités d'intégration. Israël, pour sa part, autoriserait le "rapatriement" de "dizaines de milliers" de réfugiés palestiniens sur son territoire pour des raisons humanitaires (essentiellement : de regroupement familial). L'indemnisation des pertes matérielles serait collective, en échange d'une indemnisation collective des pays Arabes versée aux Juifs originaires de ces pays et réfugiés (en Israël).
Le document émanant d'Harvard a hérissé bien des gens des deux côtés, dit Alpher. "Les gens pensaient que nous étions allés trop loin, même si nous n'avons pas pu réaliser un accord formel".
De manière très significative, ce rapport n'a suscité aucune réponse de la part des instances israéliennes officielles. Mais Dan Margalit, un journaliste israélien reconnu et modéré, a écrit un article des plus caustiques dans le quotidien Ha'Aretz, sous le titre "Un Crime que Nous n'Avons pas Commis", article qu'il conclut ainsi : "Il est honteux que des Israéliens respectés tirent des plans sur la comète de cette manière (plans qui vont servir de base pour des négociations en vue d'un accord définitif) avec des Palestiniens intraitables".
As'ad Abdal-Rahman, de l'OLP, pour sa part, voue aux gémonies ce qui "semble bien n'être que pure élucubration innocente" de quelques intellectuels apparemment bien intentionnés, qu'il accuse d'envoyer des "ballons d'essai" dont l'objectif principal est de faire baisser les enchères. "Ni l'OLP, ni même un Etat entièrement souverain, ne peut effacer d'un coup de gomme le droit au retour, qui est aussi un droit de la personne", dit Abdal-Rahman. "Je pourrais dire "OK", en tant que personne chargée de ce dossier, et mon frère pourrait me dire d'aller au diable et qu'il ne se reconnaît plus dans l'OLP désormais".
Si Abdal-Rahman dramatise un peu, pour la galerie, il est bien possible qu'il ait réussi à embobiner, par contre, la Cellule de réflexion de l'Union européenne sur la question des Réfugiés. Dans un rapport qu'il a présenté à Bruxelles, il a exposé un plan détaillé de l'OLP pour le retour des réfugiés. Ce plan montre comment le retour, dans un premier temps, des réfugiés du Liban vers les régions peu peuplées de la Galilée dont ils ont sont originaires, et le retour des réfugiés de Gaza "sur leur territoire pratiquement inoccupé," au Sud d'Israël, "n'affecteraient que 154 000 Juifs ruraux qui vivent sur les terres des réfugiés expulsés". Pour des oreilles israéliennes, cela sonne comme un plan destiné à éradiquer l'Etat juif...
Avalanche de chiffres
Ces dernières semaines, une pétition pour la restitution (des biens palestiniens) a battu son plein depuis l'Europe jusqu'en Australie, dans la presse et sur le réseau Internet, dans le cadre d'une campagne médiatique lancée par le Centre d'Information Badil en coordination avec les chercheurs palestiniens Rosemary Sahigh, à Beyrouth et, depuis le Koweït, Salman Abu Sitta, enfant terrible du milieu académique palestinien.
En voici le début du texte : "Plus de cinqante ans après l'Holocauste, des Juifs, partout dans le monde, continuent à lutter pour - et à recevoir - la restitution de pertes matérielles et immatérielles infligées par le régime nazi à travers l'Europe. Plus de cinquante ans après que le peuple palestinien ait été déplacé et dépossédé par un Etat exclusivement juif installé en Palestine à la suite des atrocités commises par les nazis en Europe (contre les Juifs), les Palestiniens continuent à être dépossédés, dispersés, et on continue à leur dénier une quelconque forme de compensation". Cette pétition doit être remise au Parlement européen à l'automne prochain. Au début, raconte l'équipe du centre Badil, formée de Muhammad Jaradat, Ingrid Jaradat-Gassner (originaire d'Autriche) et du Canadien Terry Rempel, les Palestiniens étaient réservés sur l'idée de soulever ce problème, en particulier en ce qui concerne le choix des termes. Jaradat dit, à ce propos : "Il n'existe pas de terme, en arabe, correspondant précisément à "restitution". Nous avons dû choisir un mot dont la traduction littérale serait "restauration des droits". Restitution, en l'occurrence, implique aussi la notion du droit au retour.
L'idée de la pétition a été donnée par le travail des organisations juives qui ont oeuvré pour des réparations accordées à chaque famille individuellement et pour la restitution totale des biens, allant de propriétés de Juifs saisies et nationalisées jusqu'à des oeuvres d'art dérobées. "Je pense que nous avons beaucoup, beaucoup à apprendre, de l'expérience juive en la matière", dit Abdal-Rahman.
Des experts israéliens qui travaillent sur le problème des réfugiés se déclarent conscients de la différence entre les deux problèmes. "Tout de même, aurions-nous dû nous contenter de rejeter les réclamations de personnes qui avaient une assurance en Pologne, ou des oeuvres d'art qui sont aujourd'hui accrochées au Louvre ?" demande l'un d'entre eux, ajoutant qu'il y a "une différence. Alors qu'en Europe, ce dont il est question, c'est de l'anéantissement de toute une communauté humaine, ici il y a eu une guerre. Et cette guerre, je n'y suis pour rien, ce n'est pas moi qui l'ai provoquée. D'un point de vue moral", dit-il, "la comparaison n'est pas acceptable."
Pour l'instant, une avalanche de procès contre l'Etat juif est peu probable. Il existe néanmoins un large consensus parmi les Palestiniens sur le fait que le problème des réfugiés doit être résolu politiquement, et non au cas par cas. De plus, comme le dit Abdal-Rahman : "si un Palestinien intentait un procès devant une cour israélienne ou internationale et le perdait, cela établirait un précédent (des plus fâcheux). Il vaut mieux s'en tenir à la résolution 194."
En ce qui concerne le problème global des compensations, toutefois, les batailles de chiffres font d'ores et déjà rage. Des universitaires israéliens, palestiniens et du monde entier devaient se rencontrer au Canada, à la mi-juillet, au cours d'une conférence sur les indemnisations, la dernière d'une série de rassemblements informels sur le problème des réfugiés baptisé "processus d'Ottawa". Terry Rempel, du Centre Badil, fait observer que "si le droit au retour doit s'avérer, dans les faits, symbolique, le niveau des compensations devra en revanche être substantiel. Mais les gens évoquent cet aspect de manière symbolique également, citant des chiffres d'ordres allant de 5 à 10 milliards de dollars".
Les Palestiniens rejettent ces estimations. Résultat des administration ottomane, puis britannique, la Palestine d'avant 1948 était un territoire bien cartographié. Rempel dit que la Commission de Conciliation pour la Palestine, établie en 1949 et qui a connu un sort funeste, avait identifié plus de 450 000 actes authentifiant plus d'un million et demi de propriétés individuelles. Aujourd'hui, les chercheurs palestiniens traduisent ces pertes matérielles en sommes allant jusqu'à 250 milliards de dollars d'aujourd'hui. Lorsque la perte des revenus, les séquelles psychologiques et d'autres pertes non-matérielles sont prises en compte, les pertes totales se montent jusqu'à 500 milliards de dollars. Si l'on prend maintenant en compte les milliards de dollars que ne manqueront pas de réclamer les pays ayant recueillis des réfugiés (palestiniens), à l'instar de la Jordanie, dit Ingrid Jaradat, "on se trouvera confrontés à un tourbillon de chiffres vertigineux. Un demi-trillion, un trillion..."
Personne non plus ne sait clairement d'où les fonds nécessaires pourraient provenir. Alpher, de l'AJC, ne pense pas que le financement puisse représenter un obstacle, finalement, bien que lui-même, comme le gouvernement israélien, ne pense pas, bien entendu, en terme de "trillions"...
"Nous sommes un pays prospère. Il y aura certainement des pays riches, de par le monde, prêts à faire quelque chose pour favoriser la paix. Et peut-être pourrions-nous demander, aussi, à quelques Juifs fortunés de bien vouloir ouvrir leur porte-feuille..."
Les officiels israéliens ne commentent pas les chiffrages avancés par les Palestiniens. Afin de donner une idée de l'aune à laquelle se mesure la générosité internationale, toutefois, un universitaire canadien, Rex Brynen, l'un des organisateurs de la réunion de Juillet sur les compensations, a fait remarquer que "3 milliards de dollars seulement (dont environ un quart sous la forme de prêts) ont été apportés en soutien à l'ensemble du processus d'Oslo en ce qui concerne la Cisjordanie et Gaza."
Il s'agit du genre d'histoire qui ne peut avoir une fin heureuse (pas de "happy end"...) "Dans le scenario le plus favorable", dit Gershon Baskin, qui se considère aussi libéral que possible, "il y aura des millions de Palestiniens déçus. La plupart ne pourront pas retourner dans leur "mère patrie" et ils ne verront pas la couleur des grosses sommes qu'ils escomptent recevoir (en compensation)."
Dans son for intérieur, Abdal-Rahman, de l'OLP doit probablement le savoir. "Peut-être l'idée d'une réconciliation entre deux peuples sur la base d'une solution à deux Etats est-elle réalisable au cours des cinq ans à venir", suggère-t-il, "alors que d'autres problèmes ne peuvent être résolu en un temps aussi court".
Peut-être la question des réfugiés devrait-elle demeurer à l'état de question finale pour une solution définitive - sans capitulation (ni d'un côté, ni de l'autre)...
                    
18. Ton Voisin tu connaîtras. Mais point ne l'emploieras ! par Vered Levy-Barzilai
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du jeudi 12 juillet 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Les statistiques sont choquantes : moins d'un pour cent des titulaires de chaires des universités israéliennes sont arabes, bien que les Arabes représentent vingt pour cent de la population totale du pays. Comment les universitaires expliquent-ils ce phénomène ? Fuite des cerveaux, racisme, bureaucratie et opportunités offertes à l'étranger...
Le 4 février, une réunion s'est tenue dans le bureau du professeur Dan Laor, doyen de la Faculté des Sciences humaines de l'Université de Tel Aviv. Face au doyen avaient pris place les membres du "septuor secret", un groupe de professeurs, de gauche, dont le leit-motiv est "le campus ne se taira pas", et qui ont fait connaître, depuis de nombreuses années, leurs positions sur les problèmes importants du moment.
Les Sept sont parvenus à convaincre Laor qu'il fallait prendre sans délai des mesures afin de résoudre le problème que représente le nombre quasi symbolique de titulaires de chaires arabes à l'université. Ils ont été choqués par les données statistiques récentes, qui montrent que rien n'a changé de façon notable au fil des ans : sur un nombre total de titulaires de chaires universitaires en Israël, de 1 500 personnes, seuls dix sont arabes. Parmi 300 titulaires de chaires de sciences humaines, on ne compte, en tout et pour tout, que cinq Arabes.
Le professeur Zvi Razi, l'un des "Sept", titulaire d'une chaire d'histoire, qualifie l'université (israélienne) de "juive" et de "nordique" (en référence aux quartiers aisés de Tel-Aviv, situés au nord de l'agglomération). Il l'accuse de constituer un milieu hostile aux Arabes, ce qui le désole profondément.
"Appelons un chat : un chat. Même si l'université continue à le nier, il y a des attitudes racistes qui continuent à empêcher l'intégration des Arabes dans les facultés. Après l'arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne, il y avait plus de maîtres de conférences juifs dans les universités allemandes que nous n'avons de maîtres de conférence arabes aujourd'hui", dit Razi, ajoutant qu'il avait personnellement vérifié les données chiffrées.
Les autres membres du groupe des Sept acquiescèrent d'un hochement de la tête. Etaient présents : les professeurs Israël Gershoni et Haggai Erlich du département des Etudes Africaines et du Moyen-Orient, le professeur Shlomo Zand du département d'Histoire, le Docteur Anat Biletzky et le docteur Anat Matar du département de Philosophie et le professeur Tova Rosen du département de Littérature hébreue. Le professeur Razi poursuivit, en faisant deux propositions : "L'université doit former un comité de recherche spécial afin de recruter des titulaires de doctorats arabes (titulaires de "PhD"s). Il en existe de nombreux, excellents, qui ont pris la poudre d'escampette. Nous devons les retrouver, les contacter, et les ramener ici. Ensuite, lorsque de bons candidats postulent, nous devons leur ouvrir grand les portes et leur donner la priorité".
Laor écoutait en silence, jetant quelques notes sur son calepin. Haggai Erlich demanda : "comment est-ce possible, qu'en 2001, le département d'Etudes moyen-orientales soit encore placé sous l'égide de l'idée préconçue selon laquelle cette spécialité serait un pur produit du génie national israélien ? Comment se fait-il qu'il n'y ait pas un seul historien arabe au département des Etudes moyen-orientales ? Bien loin de "Connais ton voisin", ce qu'on y étudie est plutôt : "Connais ton ennemi". Et l'université ne fait rien pour recruter des maîtres de conférences arabes"...
"Imaginez un instant que tous les enseignants du département de Sociologie féminine soient des hommes", proposa Anat Matar en guise d'analogie. "Ou un département d'Etudes juives, quelque part, dans un pays étranger, qui n'aurait pas un seul titulaire de chaire juif. Que ne dirions-nous pas d'un tel campus ?"
 Laor répondit qu'au début de l'année, le Conseil de l'Enseignement supérieur a mis en place une commission afin d'étudier le statut de la population arabe en matière d'enseignement universitaire, puis il se remit à annoter son calepin.
Shlomo Zand dit alors que l'université ne peut adhérer plus avant à l'idée préconçue qui veut que les Arabes ne seraient pas à la hauteur de leurs homologues juifs, et pressa Laor de s'orienter vers la discrimination positive ("affirmative action" : ce terme désigne, aux Etats-Unis, une politique favorisant l'accès aux universités des ressortissants des diverses minorités ethniques jusqu'ici défavorisées et discriminées, au moyen d'une politique de "quotas" qui ne dit pas son nom. Ndt)
"Des quotas ?", réagit Laor. "C'est une décision que je ne saurais prendre seul".
Pressé cette fois par Anat Biletzky, par ailleurs secrétaire général de B'Tselem, le Centre d'information sur les droits de l'homme dans les territoires occupés, Laor lui répondit : "Je ne vais pas jouer à l'andouille avec vous... Je n'y irai pas par quatre chemins : ce que vous demandez n'est absolument pas ma priorité. Je viens du domaine de la littérature juive, et mon objectif principal, pour l'Université de Tel-Aviv, est d'y promouvoir les Etudes juives".
Cinq mois ont passé, depuis cette première réunion mémorable. Dimanche dernier, le même aréopage s'est à nouveau réuni. Les informations qui en ont transpiré diffèrent légèrement entre elles, mais convergent, pour l'essentiel : à ce jour, rien de substantiel n'a été entrepris. Rien n'a changé. Laor étudie encore le problème...
Des statistiques "embarrassantes"
De la manière dont Shlomo Zand voit les choses, oeuvrer à augmenter le nombre de maîtres de conférences arabes à l'université revient, dans la pratique, à lutter contre le terrorisme. "Si nous ne faisons rien pour réduire le niveau de frustration et de discrimination, nous allons finir par créer une sorte de Kosovo en Galilée", dit-il. Comme ses collègues, il croit fermement que les statistiques relevées dans les universités israéliennes, et en particulier à l'Université de Tel Aviv, devraient préoccuper et embarrasser tous les citoyens israéliens, juifs comme arabes.
Voici les faits : il y a actuellement 26 000 étudiants à l'Université de Tel Aviv. Seuls, 676 d'entre eux sont arabes. A l'Université Ben-Gurion, du Neguev, 715 des 15 500 étudiants, seulement, sont arabes. Il y a dix maîtres de conférence arabes. A l'Université de Haïfa, 2 300 étudiants sur un total de 13 100 sont arabes. Le nombre exact des maîtres de conférences arabes de cette université n'est pas établi, bien qu'il soit certain qu'il est des plus modestes : la plupart des estimations tournent autour de quinze.
L'Université hébraïque de Jérusalem refuse de communiquer des données de cette nature, sa réponse rituelle étant : "L'institution ne demande à aucun étudiant ni à aucun maître de conférence de décliner son identité en termes de religion ou de nationalité, ces données sont inexistantes". Mais des membres du corps universitaire de Jérusalem estiment que le nombre des maîtres de conférences arabes y est inférieur à dix.
Une étude effectuée, il y a trois ans de cela, par le Conseil de l'Enseignement supérieur, a montré que, sur un total de 4 500 titulaires permanents des universités israéliennes, 35 seulement étaient des Arabes.
La seule percée notable qui se soit produite à cet égard a été la création du Fond MAOF (acronyme hébreu de "Bourses d'études destinées aux scientifiques arabes éminents") afin d'encourager le recrutement de compétences arabes dans les universités. Ce fond a été mis sur pied en 1995 par le Conseil de l'enseignement supérieur. Il accorde (chaque année) cinq bourses trisannuelles permettant de recruter des maîtres de conférences parmi les nouveaux lauréats du doctorat. Aujourd'hui, les estimations les plus sérieuses, en matière de chercheurs arabes, dans le cadre du MAOF, aboutissent à un nombre vraisemblable de maîtres de conférences arabes tournant autour des 45, mais cela représente néanmoins toujours moins d'un pour cent de l'effectif total des maîtres de conférences actuel, qui est de 5 000.
Le professeur Nehemia Lev-Zion, président du Conseil de l'enseignement supérieur dit à ce sujet : "le problème, c'est qu'il n'y a pas assez de candidats arabes valables."
Certains universitaires avancent que les portes se referment devant les bons candidats arabes, si bien qu'ils finissent par partir à l'étranger.
Le professeur Lev-Zion : "Ce n'est pas vrai. Ainsi, cette année, nous n'avons pas pu décerner toutes les bourses que nous offrions. Les propositions sont publiées, et personne ne postule".
"Pourquoi ne mettez-vous pas sur pied un comité de suivi, qui permette de localiser les meilleurs titulaires de chaires arabes partis à l'étranger, afin de les ramener en Israël ?"
"Vous n'y songez pas sérieusement ? Je ne cours pas après eux. Je ne vais pas me mettre à les rechercher. Je ne cours pas après les Juifs non plus, d'ailleurs. A vous entendre, on croirait que les maîtres de conférences juifs se voient tout offrir sur un plateau d'argent, ici. C'est loin d'être facile, pour eux aussi. Il y a aussi des candidats juifs déçus, parce qu'on n'a pas pu les recruter. Est-ce que je cours derrière eux ?"
Moins d'un pour-cent des titulaires de chaires dans les institutions académiques israéliennes sont arabes.
"Nous leur avons tendu la main. C'est pour les Arabes que nous avons fondé le MAOF. Le MAOF est leur opportunité numéro un. Ils devraient en profiter et ne pas faire autant de bruit sur leur situation. Moi, j'attends les conclusions de l'enquête effectuée par le professeur Majd al-Hajj, qui préside le comité de surveillance de l'enseignement supérieur en direction de la population arabe. Nous verrons alors comment en mettre en application les recommandations."
L'excellence - à l'étranger
Le docteur Mahmud Yazbek, maître de conférence à la Faculté des Etudes orientales de l'Université de Haifa, rejette catégoriquement ces arguties. Il dit que, chaque année, il y a au moins trente Arabes qui obtiennent un doctorat, que ce soit en Israël ou à l'étranger. "Avec un peu de bonne volonté, nous pourrions les contacter. Ce n'est pas vrai qu'il n'y ait pas assez de candidats aptes. Il y en a même d'exceptionnels. Mais ils ne veulent, tout simplement, pas les dénicher". Il précise que la situation est un tant soit peu meilleure à l'Université de Haifa, où plus de vingt Arabes sont titulaires de chaires. Mais cela représente néanmoins encore un pourcentage très faible. Les Universités n'ont toujours pas saisi la nécessité de recruter des maîtres de conférences arabes, ce qui permettrait aux étudiants arabes d'être mieux encadrés et de bénéficier de la fréquentation d'intellectuels arabes sur leurs campus.
Ecoutons le Docteur Yazbek : "Pourquoi feindre l'étonnement lorsqu'un titulaire arabe du PhD part pour les Etats-Unis ? Il est parfaitement normal qu'il le fasse. Les faits montrent qu'après ses tentatives répétées et vaines d'être admis (à enseigner) en Israël, il obtiendra une position tout-à-fait enviable à l'étranger".
Le docteur Fadya Nasser, maître de conférence en Sciences de l'éducation à l'Université de Tel Aviv, a accédé à sa situation actuelle grâce à une bourse du MAOF. L'évidence semble s'imposer qu'elle soit une preuve vivante de ce que le recteur de l'Université de Tel Aviv, le professeur Itamar Rabinovich et les gens du Conseil de l'Enseignement supérieur ne cessent de répéter : "les bons sont admis". Il s'agirait-là d'un exemple réussi d'une politique de discrimination positive ("affirmative action"), via le programme MAOF. Le hic, c'est que Fadya Nasser n'en croit pas un traître mot...
"Ça veut dire quoi, 'il n'y a pas assez de candidats aptes' ? Qui dit cela ? Il y a de nombreux diplômés arabes éminents, qui ont effectué leurs études à l'étranger (parmi les postulants) : tout le contraire... Il y a une compétition féroce. Et ceux qui viennent en Israël pour postuler ne parviennent pas à se faire recruter", s'insurge-t-elle.
"Mais ça commence bien avant, avec les diplômes de licence et de maîtrise. Quand j'ai fait mes études, je n'avais pas de bourse israélienne, car les étudiants arabes n'y sont pas éligibles. J'ai pu faire mes études grâce à des bourses universitaires américaines. Je suis allée étudier aux Etats-Unis ; j'ai obtenu ma maîtrise et mon doctorat à l'Université de Géorgie. Si j'avais dû préparer ma maîtrise ici, je n'aurais jamais pu l'obtenir. C'était inenvisageable, économiquement. Quand je suis revenue, après avoir obtenu mon doctorat, j'ai été recrutée, avec une bourse du MAOF, qui assure le financement de trois années de (mon) enseignement à l'université. Sinon, je ne sais pas quel aurait été mon sort...
Les universitaires arabes connaissent une crise terrible. Il est bien connu qu'une grande proportion d'entre eux sont obligés d'enseigner dans les lycées. Ils sont nombreux à s'établir aux Etats-Unis, au Canada, en Angleterre, en Allemagne... C'est tellement absurde... Ceux qui viennent raconter que le système n'établit pas de discrimination entre Juifs et Arabes ne disent pas la vérité. Ça commence à la maternelle et ça ne s'arrête pas, même lorsque vous préparez une licence ou une maîtrise. La discrimination ? De A à Z, sur toute la ligne..."
Racisme et fuite des cerveaux
Le professeur Razi, du "septuor secret" de l'Université de Tel Aviv dit que dans sa faculté les candidats arabes échouent inexorablement. Le coup final leur est porté (avec une régularité désolante) par les membres des comités de recrutement. "Ils ont toujours de "bonnes" raisons", se lamente le professeur Razi. "Mais la raison véritable est toujours la même, l'unique : le racisme. Alors quoi ? Je suis supposé croire que tous les Arabes sont idiots ?".
Le groupe (des Sept) dit que l'assertion du professeur Lev-Zion, selon laquelle il n'y aurait pas assez de candidats aptes, est totalement dépourvue de fondement. Il y a même des candidats arabes carrément époustouflants, disent-ils. Mais après avoir subi l'épreuve que représente le fait d'être recalés à plusieurs reprises, les candidats arabes rendent leur tablier, ils laissent tomber, tout simplement. Les Sept regrettent ce gâchis d'opportunités précieuses par l'institution académique israélienne, en général, et par leur propre Université, en particulier.
"Comment se fait-il qu'il n'y ait pas un seul recteur ou pas un seul président d'Université qui juge séant d'offrir à Anton Shammas une chaire de littérature, telle celle détenue par Amos Oz à l'Université Ben-Gurion ou A. B. Yehoshua à celle d'Haifa ?" demandent-ils. "Pourquoi Shammas a-t-il dû en arriver à s'installer, de guerre lasse, dans le Michigan et non à Tel Aviv ? Pourquoi cet homme remarquable qu'est le docteur Azmi Bishara doit-il entrer dans la carrière politique à la Knesseth, plutôt que devenir un pilier des sciences politiques, son milieu naturel ?"
Un autre nom fut mentionné, à ce propos : celui du professeur Wael Haleq, de Nazareth, expert de l'histoire du Droit dans le monde arabo-musulman. Ne recevant pas les honneurs qui lui étaient pourtant dus à Haifa ou à Tel Aviv, il les a trouvés à l'Université McGill de Montréal...
Et puis, il y a aussi le professeur Shukri Abed, spécialiste de l'histoire du Moyen-Orient, qui s'est bâti une réputation insigne sur le plan international. Il a installé ses pénates à l'Université du Maryland au cours des quinze années écoulées. Dans un passé plus lointain, Shukri Abed et le professeur Mustafa Kabha, maître de conférences en histoire du mouvement national palestinien moderne, ont postulé à un poste au Centre Moshe Dayan pour l'Etude du Moyen-Orient et de l'Afrique, à Tel Aviv (qui a été créé en 1983 et comporte le Centre Shiloah et d'autres unités de recherches). Mais ils ne purent être admis dans cette sorte de club exclusif, où des recherches sur le Moyen-Orient sont menées par un effectif strictement juif et trié sur le volet.
Le professeur Israel Gershoni ajoute que le Centre Shiloah, fondé il y a plus de trente-cinq ans, n'a jamais employé un seul chercheur arabe à titre permanent. Il en va de même du Centre Jaffee pour les Etudes stratégiques ou de l'Institut Curiel pour les Etudes internationales et les autres instituts, à l'avenant...
Gershoni : "il serait juridiquement fondé d'obliger les institutions publiques et académiques à recruter des Arabes à due proportion de la composition de la population israélienne, dont ils représentent les vingt pour cent. Mais on est très loin du compte. Alors, mettez de côté toutes les anecdotes et toutes les excuses toutes trouvées et posez-vous la question suivante : pourquoi n'y a-t-il pas de conférenciers arabes, ici ?Ma réponse est que cela tient au fait que le discours dominant, prévalant dans la production de la connaissance historique et de la connaissance en matière d'orientalisme est un discours du type "connais l'ennemi". A l'Université de Tel Aviv, on s'affaire à créer un discours dissuasif, et non pas un discours académique. Cela a commencé en 1967 et cela continue aujourd'hui. Voilà pourquoi votre fille est muette..."
Nombreux sont les professeurs en sciences humaines à rapporter avoir entendu des étudiants arabes parler du bâtiment Gilman, où sont donnés la plupart des cours et conférences en sciences humaines, comme des "donjons du Shin Bet" (les forces de sécurité israéliennes). Tout-à-fait comme cela était le cas des Juifs, en d'autres temps, les disciplines pour lesquelles les étudiants arabes optent de manière privilégiée, de nos jours, sont la médecine (y inclus les études d'infirmier), le droit et l'ingénierie. Mais pas de trace d'un seul Arabe titulaire de chaire, dans ces disciplines.
Docteur Anat Biletzky : "L'Université de Tel Aviv ne considère pas du tout cela comme un problème. Le recteur sortant, le professeur Nili Cohen, ne considérait pas non plus que cela posât un quelconque problème. Le président actuel, Itamar Rabinovich, non plus. Il y a un statu quo, et il est soigneusement préservé. Ainsi, personne n'a songé à mettre sur pied une vraie équipe afin d'examiner ce "problème"(et de le résoudre). S'il n'y a pas de problème, on se demande à quoi un comité pourrait-il bien servir, n'est-ce pas ?
Tentatives de "forçage" du système
Razi, Gershoni et Erlich tentent, depuis deux ans, de faire engager le professeur Adel Mana, de l'Institut Van Leer de Jérusalem, par une faculté de l'Université de Jérusalem. En dépit du fait que tout le monde soit unanime à reconnaître qu'Adel Mana est superbement qualifié, les efforts des trois professeurs ont été constamment vains. A chaque fois, c'est la même chose : il y a toujours quelque nouvel empêchement bureaucratique.
Il y a aussi un autre exemple extraordinaire d'un professeur qui a pris la tête d'une sorte de croisade et qui est parvenu à faire "plier" le système à ses volontés : le professeur Sasson Somekh, car c'est de lui qu'il s'agit, du département de langue et littérature arabes a refusé d'admettre les diktats prévalant en matière de recrutement de maîtres de conférences arabes. Il ne s'est pas dégonflé devant le président de l'Université de Tel Aviv ni devant le recteur et, après des années d'efforts acharnés, il a réussi à faire entrer trois d'entre eux - les docteurs Jubran Suleiman, Mahmud Ghanaïm et Nasser Basel - à la faculté des lettres de l'Université de Tel Aviv. Le professeur Somekh indique sobrement que c'était là quelque chose de tout-à-fait normal, pour cette faculté : ils étaient compétents dans leur domaine, c'était tout, et nul besoin n'était d'on ne sait quelle discrimination positive. Lorsqu'on lui dit que c'est ce qu'il avait pratiqué, sans le savoir, cela le fâche. Mais point n'est besoin de beaucoup insister auprès de certains de ses collègues en sciences humaines pour qu'ils racontent comment le professeur Somekh a mené sa "croisade", suspendant une épée de Damoclès à plusieurs reprises au-dessus de la tête de l'administration universitaire : "s'ils ne sont pas recrutés, je cesse mon propre enseignement"... Et comment, bien que ces chercheurs eussent largement mérité d'être recrutés en raison de l'importance de leurs réalisations académiques, ils ont été recrutés grâce à la lutte que le professeur Somekh a menée pour eux.
Les conclusions de l'étude du professeur Majd al-Hajj ont d'ores et déjà été soumises au professeur Lev-Zion du Conseil de l'enseignement supérieur. Ces conclusions comportent le constat de discriminations à l'égard des étudiants et des enseignants arabes dans plusieurs domaines : les étudiants juifs bénéficient de crédits exclusifs pour l'étude de sujets relatifs à la religion juive (Tanakh, Talmud et Loi orale) - tandis qu'aucun crédit de cette nature n'existe à l'intention des étudiants arabes en islamologie. L'attribution des bourses universitaires est conditionnée, dans l'immense majorité des cas, à l'accomplissement du service militaire (ceci reste valable, de nos jours, pour la majorité des bourses d'études), ou à la résidence dans une zone définie comme "région faisant l'objet d'une priorité nationale".
Il est aussi beaucoup plus difficile, pour les Arabes, d'être admis dans les universités (israéliennes), à cause du niveau scolaire des lycées où ils font leurs études secondaires. Le nombre d'Arabes qui ont obtenu des mentions au baccalauréat est très inférieur à celui des lycéens juifs. Le test psychométrique pour l'admission à l'Université est conçu d'après des caractéristiques culturelles occidentales, et il est profondément ancré dans l'univers culturel de l'étudiant juif moyen. A défaut d'adaptation à l'univers cognitif et culturel de l'étudiant arabe, ce test constitue une forme de discrimination. De plus, les programmes de soutien offerts aux étudiants préparant les examens ne concernent que ceux qui opteront pour des examens en hébreu et ne concernent en rien, de ce fait même, les Arabes désireux d'entrer à l'Université, qui auraient pourtant le plus grand besoin de ce type de soutien...
Dans le système scolaire arabisé, l'anglais est enseigné en tant que troisième langue (après l'arabe et l'hébreu), plus que comme seconde langue. Mais les examens d'entrée en premier cycle universitaire mettent l'accent sur une bonne maîtrise de l'anglais et sont, de ce fait, excessivement sélectifs pour les étudiants arabes.
Le professeur Razi ne mâche pas ses mots : "L'université vous rabâchera ses explications rationnelles. Ils trouvent toujours des bonnes excuses derrière lesquelles se cacher. Mais nous jugeons aux résultats. Et le résultat - et j'insiste pour que vous me citiez exactement - c'est le numerus clausus".
La discrimination sévit
Ruba Hashibun, doctorante en pédagogie et littérature, préside le Comité des étudiants arabes à l'Université de Tel Aviv. Elle n'a pas besoin de lire l'étude d'al-Hajj pour savoir ce qui se passe : "pour les étudiants juifs, le premier cycle universitaire est une partie de plaisir. Pour la plupart des étudiants arabes, c'est un cauchemar. On ne leur apporte aucune aide. Quand vous avez passé une journée complète à tourner sur le campus et que vous ne rencontrez pratiquement personne (à qui parler), vous vous sentez extrêmement seul... A moins que vous ne soyez doté d'une très forte personnalité, vous pouvez difficilement tenir. Je pense que l'étudiant arabe doit faire trois fois plus d'efforts que ses homologues juifs pour s'exprimer devant les professeurs et les autres étudiants".
Ruba Hashibun avance que les étudiants arabes se heurtent à la discrimination à chacun de leurs pas. Elle explique : "tout est en hébreu. Nous n'avons pas de groupe intellectuel auquel nous joindre. Les bourses sont réservées exclusivement aux Juifs. Les bons conseillers, c'est pour les Juifs. Un grand ponte acceptant de diriger la thèse d'un étudiant arabe ? C'est encore un rêve lointain".
Elle dit que des centaines d'étudiants qui auraient pu venir sur le campus de Tel Aviv ne le font pas pour une simple raison : l'âge minimum d'admission. Hashibun a des doutes sur les motifs profonds de l'Université lorsqu'elle impose cette clause d'âge. "L'an dernier, trente étudiants arabes étaient en sociologie. L'âge minimum d'admission était de vingt ans. Cette année, ils ont décrété du jour au lendemain que cet âge minimum serait porté à vingt et un ans. Aucun étudiant arabe n'accepterait d'attendre d'avoir cet âge pour commencer ses études. Pourquoi le feraient-ils ? C'est clair : cette mesure est dirigée contre nous".
L'une des conclusions les plus troublantes du rapport Hajj est que "plus le niveau éducatif d'un Arabe est élevé, plus il aura de difficulté à trouver un emploi dans le secteur juif de la société". Ceci vaut pour bien des secteurs économiques, autres que l'enseignement supérieur. En sus du nombre symbolique d'universitaires arabes, Hajj relève qu'"il n'y a pratiquement pas d'Arabes dans l'administration universitaire. Parmi les employés chargés d'accueillir et de conseiller les étudiants, les arabophones sont pour ainsi dire inexistants".
"C'est un fait avéré", répète-t-il, "que les maîtres de conférence arabes vont à l'étranger poursuivre leurs recherches et leur carrière. Ils n'ont aucun espoir de pouvoir trouver un emploi ici. Les allocations du MAOF sont une excellente chose. Mais le nombre des impétrants est toujours très réduit et leur existence est encore trop confidentielle. Malheureusement, il faut dire que certaines universités sont très peu enclines à admettre des Arabes au sein de leurs corps enseignant.
"De plus, il n'y a pas de mécanisme de soutien destiné aux jeunes chercheurs travaillant à leur maîtrise. Il n'y a pas de bourses spéciales pour les étudiants émérites. Il n'y a aucun système leur donnant l'opportunité de travailler en tandem avec un professeur expérimenté, les encourageant à publier ou les préparant à la vie académique".
Iriez-vous jusqu'à dire que les universités israéliennes pratiquent un certain racisme ?
Hajj : "les universités forment une partie intégrante de la société israélienne et la société israélienne est raciste. L'élitisme juif est dominant et le discours académico-intellectuel est passé au crible d'un regard juif sur le monde. Ce n'est pas un secret. C'est patent et criant, ça ne peut pas rester comme cela, sans remède. L'étudiant arabe vient dans un milieu qui est juif à cent pour cent. Les pancartes, les symboles, les conversations, les noms des facultés : tout, absolument tout, est en hébreu.
"Au plan national, il y a plus de 10 000 emplois dans l'administration universitaire. Vous pouvez compter les Arabes qui y sont employés sur les doigts de la main. Autrefois, nous aimions plaisanter au sujet de l'Université de Haifa, parce qu'il y a eu une période où le seul employé arabe, de toute l'université, était une secrétaire de mon département : était-ce bien une coïncidence ?"
Peut-être le temps est-il venu de créer une université arabe en Israël
"Je suis favorable à ce que chaque groupe ethnique et culturel ait une représentation institutionnelle. Mais je suis préoccupé par le risque d'isolement que cela comporte. Je suis favorable à ce que l'on examine les modalités de constitution d'un collège universitaire de cette nature, mais à la condition expresse que tout soit fait afin de s'assurer qu'il s'agira bien du joyau de la couronne, d'une source de fierté. Toutes les disciplines, sans exception, devraient y être enseignées et l'institution devrait satisfaire à tous les critères d'excellence académique. Seuls les meilleurs conférenciers et les meilleures sources de connaissance devraient y être réunis. A ce propos, je mentionne qu'une proposition concrète allant dans ce sens a déjà été soumise au Conseil de l'enseignement supérieur. Et cette proposition a été approuvée. Aussi suis-je heureux de vous annoncer dès maintenant qu'un collège universitaire arabe verra prochainement le jour en Israël".
Hajj préconise que des mécanismes spéciaux de soutien scolaire, similaires à ceux actuellement existants pour assurer une assistance aux nouveaux immigrants de Russie, soient mis en place afin d'aider les étudiants arabes à s'intégrer à la vie du campus. Il aimerait aussi voir les bourses du MAOF multipliées en nombre, et que d'autres allocations soient proposées aux conférenciers arabes. Il aimerait voir instituer plus de programmes destinés à attirer et à intégrer des scientifiques arabes dans les universités, ainsi que des mécanismes de soutien destinés à encourager les étudiants arabes aux capacités exceptionnelles à poursuivre des recherches poussées.
"Nous voulons une faculté arabe"
Le président de l'Université de Tel Aviv, le professeur Itamar Rabinovich répond à cela : "Nul besoin d'être un "gauchiste" pour désirer voir les universitaires arabes correctement représentés. Bien sûr, c'est ce que nous voulons. Il n'y a pas de place pour une pensée "fossilisée" à cet égard dans l'administration universitaire. Bien au contraire. Bien loin d'y avoir une ségrégation à l'encontre des Arabes, il y a une discrimination positive : le fond MAOF a d'ailleurs été créé, dans cette université, du temps où j'en étais le recteur.
"Notre politique est tendue vers l'accroissement du nombre des étudiants arabes. Il existe des bourses d'étude spécialement destinées à encourager l'admission d'étudiants provenant de milieux socio-économiques moins favorisés - y compris de la société arabe - dans les facultés où sont enseignées les disciplines de pointe. La discrimination positive est appliquée aussi dans les résidences universitaires. Le pourcentage d'étudiants arabes recevant une chambre en cité U est un multiple de leur pourcentage dans la population estudiantine.
"Pour ce qui est de l'absence d'un maître de conférence arabe à la faculté d'études orientales, il s'agit là d'une argutie qui m'échappe complètement. Le département des études orientales ne diffère en rien des autres. Pour ce que j'en sais, il n'y a aucune raison physiologique pour laquelle un maître de conférence arabe doive absolument s'y trouver. A moins que mes distingués collègues en voient une ? C'est regrettable, mais c'est ainsi : jusqu'à ce jour, aucun candidat arabe présentant les compétences requises ne s'est encore manifesté pour ce poste. L'intégration d'un chercheur arabe dans quelque institution de recherches que ce soit, y compris le Centre Dayan ou le Centre Jaffee, ne pose aucune sorte de problème."
Et Rabinovich d'ajouter : "Les récriminations des professeurs de la gauche sont oiseuses et irritantes. S'ils ont tant de choses à dire, qu'ils viennent au bureau du doyen et au conseil d'administration, et qu'ils s'expriment. Il est éminemment regrettable qu'ils choisissent les colonnes des journaux pour ce faire".
(Le professeur Nili Cohen, recteur sortant (de l'Université de Tel Aviv) a décliné notre demande d'interview).