1. Samedi 21 juillet 2001 à
19h00 sur Arte : Histoire parallèle
2. Samedi 21
juillet 2001 à 21h20, sur Planète : Cinq colonnes à la une
3.
Mardi 24 juillet 2001 à 21h55, sur Planète : Sous
les décombres de Jean Chamoun et Masri Mai
Revue de presse
1. Le G8 prône l'envoi d'observateurs en
Israël par José Garçon
in Libération du vendredi 20 juillet 2001
Washington
a fléchi sur cette question qui doit encore recevoir l'aval des deux parties.
Il n'aura pas fallu moins de deux jours de discussions à Rome, en prélude au
sommet de Gênes, pour parvenir à un accord. Mais la situation «critique» du
Proche-Orient a permis aux Européens et aux Russes, de surmonter les réticences
américaines - liées au refus israélien - et de proposer l'envoi d'observateurs
impartiaux sur le terrain.
Certes, la position commune, et pour la première fois unanime, adoptée hier
par les ministres des Affaires étrangères du G8, est des plus prudentes. Les
ministres ont simplement accepté le principe d'un «mécanisme de surveillance par
une tierce partie» qui servira «à mettre en œuvre le plan Mitchell» présenté
comme «l'unique solution» pour calmer la tension. Ils ont aussi précisé que la
mise en place d'un tel mécanisme suppose «l'acceptation des deux parties -
israélienne et palestinienne».
Menaces. La conférence de presse finale a affiché la même modestie. Hubert
Védrine a veillé à ne heurter ni les Américains ni les Israéliens. «Nous
cherchons à agir avec bonne foi, nous pensons que cela rendra service», a
affirmé le chef de la diplomatie française. La veille, il est vrai, le
secrétaire d'Etat américain Colin Powell avait jugé «prématurée» l'idée
d'envoyer des observateurs. Les menaces sur les intérêts américains dans la
péninsule arabique expliquent-elles, au moins en partie, cette évolution de
Washington, que le département d'Etat a toutefois tenu à relativiser en
conditionnant le déploiement d'observateurs «à l'acceptation des deux parties»
ce qui n'est pas le cas de la déclaration? Les Etats-Unis, accusés dans le monde
arabe de prendre ouvertement le parti d'Israël, ont en tout cas mis en garde
leurs ressortissants contre d'éventuels attentats dans cette zone.
Pression. La démarche de Rome n'est quoi qu'il en soit ni une solution
miracle ni une option immédiate, bien qu'un émissaire britannique ait suggéré
l'envoi d'observateurs après une période de «vingt-quatre heures de calme».
Cette initiative semble en fait destinée à faire pression sur Ariel Sharon qui
vient de renforcer son dispositif militaire en Cisjordanie. Et qui a perdu sur
cette affaire le soutien explicite de Washington.
Cela n'a pas empêché Sharon de réitérer son refus. «Nous ne faisons pas
face aujourd'hui à un problème d'observateurs mais à celui d'observer un
cessez-le-feu», a déclaré son porte parole en dénonçant la «responsabilité»
palestinienne. Côté palestinien et arabe, où l'on réclamait depuis plusieurs
semaines l'envoi d'une mission de surveillance, la déclaration du G8, même
modeste, et le ralliement américain, sont applaudis. «Cet accord est extrêmement
positif mais il ne peut être lié à une accalmie ou à l'approbation d'Israël, car
cela empêchera son application», a estimé le délégué permanent palestinien
auprès de la Ligue arabe. «Nous sommes réalistes, nous savons que cela ne peut
être utilement mis en œuvre sans une acceptation politique des parties», avait
par avance justifié Védrine. La manière dont chaque mot a été pesé finira-t-elle
par arracher l'adhésion des Israéliens? Rien n'a été négligé pour y parvenir. La
déclaration évoque ainsi une «surveillance par une tierce partie» et non par des
observateurs «internationaux» - qui signifieraient Union européenne ou Nations
unies - ce dont Tel-Aviv ne veut pas entendre parler...
Sur le terrain, les violences se sont poursuivies. Trois Palestiniens, dont
un bébé de 3 mois, ont été tués et 4 autres blessés par des colons, hier soir
près de Hébron. L'attentat a été revendiqué par un groupe dénommé «comité pour
la sécurité sur les routes».
2. Des colons tuent trois Palestiniens dont un bébé
près de Hébron par Samir Chahine
Dépêche de l'Agence France Presse du jeudi 19 juillet 2001,
23h43
HEBRON (Cisjordanie) - Des colons israéliens ont tué jeudi soir trois
Palestiniens dont un nourrisson près de Hébron, assombrissant de nouveau les
espoirs d'une cessation des violences.
L'Autorité palestinienne de Yasser Arafat a tenu Israël pour responsable de
cet attentat, le plus grave commis par des colons depuis le début de l'Intifada
palestinienne le 28 septembre dernier.
Le Premier ministre israélien Ariel Sharon a, dans un communiqué, condamné
l'attaque. "Nous condamnons toute forme de violence et de terrorisme quels que
soient ceux qui en sont les auteurs, nous regrettons le fait que des innocents
aient perdu la vie", a-t-il indiqué, en annonçant l'ouverture d'une
enquête.
Cette attaque va conforter les Palestiniens dans leur demande de l'envoi
d'observateurs internationaux dans les territoires occupés pour surveiller
notamment un cessez-le-feu resté lettre morte depuis son entrée en vigueur le 13
juin.
Cette demande a été soutenue par les ministres des Affaires étrangères du
G8 qui ont approuvé jeudi à Rome le principe de l'envoi d'observateurs
impartiaux au Proche-Orient.
"Nous croyons que dans ces circonstances un mécanisme de surveillance par
une tierce partie, accepté par les deux parties, servira leurs intérêts pour une
mise en oeuvre du plan Mitchell", ont indiqué les ministres qui doivent
soumettre leur document au sommet du G8 qui s'ouvre vendredi à Gênes
(Italie).
La position du G8, favorablement accueillie par les Palestiniens, a été en
revanche rejetée par Israël.
Selon des témoins palestiniens, des colons à bord d'une voiture ont ouvert
le feu sur une fourgonnette, qu'ils ont dépassée près de Hébron en Cisjordanie,
tuant trois Palestiniens, dont un garçon de trois mois, tous membres d'une même
famille, et blessant quatre autres.
Les auteurs de l'attentat se sont enfuis vers un barrage militaire
israélien situé à environ 500 mètres, sans être inquiétés, ont-ils ajouté. Les
victimes revenaient d'un mariage.
La radio publique israélienne a indiqué que "le comité pour la sécurité sur
les routes", un groupe formé de colons extrémistes qui avaient déjà revendiqué
ces derniers mois des exactions contre des Palestiniens en Cisjordanie a
revendiqué l'attentat dans un communiqué.
Le chef du service de sécurité intérieure, Shin Beth, Avi Dichter, a fait
état mardi de l'existence "d'une cellule terroriste juive" qui a déjà commis
trois attaques à l'aide d'armes automatiques en Cisjordanie ces dernières
semaines tuant un Palestinien.
Le Conseil des colonies de Cisjordanie et de la bande de Gaza, la plus
importante organisation de colons, a condamné l'attaque.
"Si ce sont des Israéliens qui ont commis cette attaque, le Conseil ne peut
que condamner avec la plus grande vigueur cette action immorale et illégale qui
ne peut que mettre en danger la colonisation" dans les territoires occupés,
a-t-il affirmé.
A Gaza, la direction palestinienne a condamné ce "crime ignoble", dans un
communiqué publié par l'agence palestinienne WAFA.
Elle a appelé les dirigeants du G8 à prendre "d'urgence une décision
d'envoyer des observateurs internationaux pour protéger notre peuple de la
répression des forces d'occupation et des crimes sauvages commis par les milices
des colons".
Peu après l'attentat anti-palestinien, dix Palestiniens ont été blessés
jeudi soir à Hébron par des balles de soldats israéliens lors d'échanges de
tirs.
Cet attentat a eu lieu deux jours après un raid d'hélicoptères israéliens
mardi sur une maison à Bethléem en Cisjordanie, qui a coûté la vie à quatre
Palestiniens, dont deux membres du mouvement radical Hamas. Le Hamas a promis de
venger cette attaque et de "donner une leçon inoubliable à Sharon".
Depuis le début de l'Intifada, 662 personnes ont été tuées dans les
territoires occupés et en Israël, dont 517 Palestiniens et 126 Israéliens.
Hébron est un foyer de tension permanent. Quelque 400 colons israéliens
vivent au centre la ville protégés par des centaines de soldats au milieu de
plus de 120.000 Palestiniens.
3. Des juifs français s'installent au pays de
l'Intifada
Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 18 juillet 2001,
10h13
BEIT EL (Cisjordanie) - Gilles Lellouche a "confiance en Dieu":
à 30 ans, cet informaticien d'origine française affirme qu'il est "rentré chez
lui" en s'installant le lendemain du 14 juillet dans la colonie de Beit El, près
de Ramallah (Cisjordanie), en pleine Intifada.
Accompagné de son épouse Hava, elle aussi française, ainsi que de leurs
deux filles, Eden, 4 ans, et Sarah, 9 mois, ils ont immigré en Israël et ont
immédiatement débarqué dans leur nouveau foyer à Beit El.
"Après avoir beaucoup réfléchi, nous avons décidé de sauter le pas"
explique Gilles Lellouche, originaire de Garges-les-Gonesses, dans la région
parisienne. Pour expliquer son départ, il affirme qu'il se sentait
"menacé".
"J'ai été agressé deux fois par des Arabes près de chez moi, je ne me
sentais plus en sécurité en France", raconte-t-il.
"Je suis conscient des dangers auxquels nous nous exposons avec ma femme et
mes filles, mais nous n'avons pas peur car tout est dans la main de Dieu",
assure-t-il.
Ce jeune homme barbu, la tête couverte par une kippa, la calotte des juifs
religieux, est surtout ému de l'accueil qui lui est réservé. Plus de 15 familles
sont venues souhaiter la bienvenue aux premiers locataires d'un appartement
flambant neuf, loué à des conditions financières particulièrement avantageuses
grâce aux généreuses subventions publiques accordées aux nouveaux
immigrants.
D'ici septembre, une dizaine d'autres familles venues de France doivent
s'installer dans ce nouveau quartier de Beit El inauguré en 2000, explique Tanya
Botshko, responsable des ventes d'appartements d'une société immobilière dans la
colonie.
Pour l'ensemble de Beit El, qui compte 4.200 habitants, 35 autres familles
sont attendues dans les prochains mois, alors qu'une quinzaine de départs sont
prévus, indique un responsable de la colonie, David Chaouat.
Pour Gilles Lellouche, que sa femme appelle Gilles et qui se présente
désormais sous le prénom hébraïque de Moshé, c'est la foi qui est à l'origine de
son émigration.
"Et ce, malgré l'opposition de ma famille qui voulait me retenir en
France", souligne-t-il.
Interrogé sur ses motivations, il explique qu'il était à la recherche d'un
"cadre de vie religieux juif" et qu'il a été convaincu en visionnant des
cassettes vidéo et des plans que lui a présentés en France Tanya Botshko.
"C'est exactement ce que nous imaginions", proclame-t-il en regardant ému
une table dressée avec du mousseux et des gâteaux apportées par leurs nouveaux
voisins.
Dans un premier temps, il va se consacrer à l'apprentissage de l'hébreu
dans le premier "oulpam", institut spécialisé dans l'enseignement de cette
langue aux nouveaux immigrants, qui doit ouvrir en septembre à Beit El.
Vingt-cinq autres familles de France sont attendues dans une colonie
voisine de Kochav Ha Hashar, selon les statistiques de l'Agence juive, un
organisme paragouvernemental chargé notamment de l'immigration.
De plus en plus de colons israéliens de longue date ont pourtant le
sentiment d'être particulièrement visés par les attaques palestiniennes,
notamment sur les routes.
Depuis le début de l'Intifada le 28 septembre, 33 colons ont ainsi été tués
en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, occupées par l'Etat juif depuis juin
1967 et revendiquées par les Palestiniens comme partie intégrante de leur futur
Etat, et des centaines d'autres blessés. Une réalité apparemment sans prise sur
Gilles Lellouche qui assure avoir "réalisé désormais son
rêve".
4. Le tête-à-tête infernal doit être brisé par une
tierce partie par Mouna Naïm
in Le Monde du mercredi 18 juillet 2001
Sauf à
vouloir se fermer les yeux, force est de dire que le cessez-le-feu proclamé le
13 juin par Israël et les Palestiniens a sombré dans les limbes, dès sa
conclusion ou presque. Sauf à pratiquer la méthode Coué, le premier ministre
israélien, Ariel Sharon, peut difficilement affirmer que le langage exclusif de
la force – même dite de "retenue" – qu'il pratique avec les Palestiniens est le
meilleur moyen d'assurer la sécurité d'Israël et des Israéliens. Sauf, enfin, à
pratiquer la politique de l'autruche, les Etats-Unis, qui ont parrainé le
cessez-le-feu, ne peuvent continuer de s'en désintéresser, se contentant de
condamner verbalement tel attentat terroriste anti-israélien, tel meurtre ciblé
ou telle destruction de biens palestiniens.
L'attentat anti-israélien commis
lundi 16 juillet à Benyamina, au nord-ouest de Jérusalem, est au moins la
sixième tentative du genre depuis la conclusion de la trêve, même si elles n'ont
pas toutes atteint leur objectif. Attentats-suicides ou voitures piégées, ils
ont été perpétrés en Israël – dans les villes de Yéhoud, Hadera, Afoula et
Jérusalem – et près de colonies de peuplement ou de positions de l'armée
israélienne dans la bande de Gaza.
Leurs auteurs ou leurs commanditaires, le Djihad, le Hamas, voire le Front
populaire pour la libération de la Palestine, ont pratiquement chaque fois
affirmé qu'ils ripostaient à des "meurtres ciblés" d'activistes palestiniens par
l'armée israélienne, à des destructions de maisons, de vergers et de biens
palestiniens. Israël s'est chaque fois livré à une contre-riposte, détruisant
davantage de propriétés palestiniennes, continuant imperturbablement les
assassinats ciblés. En bref, la méthode forte pour laquelle Israël a opté semble
avoir pour effet de multiplier les candidats au suicide pour défendre leur
cause.
Elle apporte en tout cas de l'eau au moulin des extrémistes des deux
bords, et accroît les risques auxquels sont exposés les colons, de plus en plus
agressés et de plus en plus agressifs.
D'après des décomptes non officiels, vingt-cinq Palestiniens et quinze
Israéliens ont été tués depuis le 13 juin. Il s'agit des victimes de l'ensemble
des violences, et non des seuls attentats. Autrement dit, aussi longtemps que le
tête-à-tête infernal israélo-palestinien continuera, le cercle vicieux des
représailles et contre-représailles semble voué à se perpétuer, voire à
dégénérer en une opération israélienne d'envergure contre les territoires
palestiniens que nombre de diplomates et de spécialistes occidentaux
redoutent.
Les Etats-Unis, seul et unique parrain du processus de désescalade – le
cessez-le-feu est l'œuvre du directeur de la CIA, George Tenet –, comme ils le
furent du processus de paix dit d'Oslo, sont entrés "en période d'hibernation",
pour reprendre l'expression d'un diplomate européen, examinent et réexaminent la
situation, pèsent le pour et le contre de ce qu'il faut faire, voire, selon
certaines informations, se divisent, la Maison Blanche et le Conseil national de
sécurité n'étant pas sur la même longueur d'onde que le département d'Etat, en
particulier le secrétaire d'Etat, Colin Powell.
UN TRAVAIL INACHEVÉ
Washington a soutenu les recommandations de la commission Mitchell pour un
retour au calme et le plan Tenet de cessez-le-feu, mais laissé à Israël seul,
autrement dit à l'une des parties en conflit, le soin de fixer la séquence de
mise en application. En d'autres termes, les Etats-Unis ont laissé un travail
inachevé. Depuis, M. Sharon et son gouvernement exigent une semaine de "calme
absolu" avant de passer à la seconde phase, dite d'"apaisement". Cette exigence
est un ajout aux recommandations de la commission Mitchell, qui s'est borné à
inviter les deux parties à "œuvrer en vue d'une période d'accalmie" et à
s'employer à "identifier, condamner, décourager les incitations à la violence".
Les Palestiniens, qui ont accepté contraints et forcés cette semaine de test
exigée par Israël, n'en ont pas moins affirmé qu'ils sont en mesure de fournir
100 % d'efforts, mais que nul ne peut garantir 100 % de résultats.
Pour briser le tête-à-tête lourd d'orages aux conséquences imprévisibles,
l'Union européenne, les Nations unies et de nombreux pays plaident pour la mise
en place dans les plus brefs délais d'un mécanisme tiers d'observation ou de
surveillance, dont la composition serait décidée par les deux parties. Ce qui
est une manière d'anticiper les craintes et réserves que formulerait Israël, qui
entretient une grande méfiance à l'égard de l'organisation internationale. Pour
l'heure, en tout cas, il ne s'agit que de conseils et de paroles. Les
Palestiniens souhaitent de tous leurs vœux la formation d'un tel organe
d'arbitrage. M. Sharon a dit aux dirigeants européens qu'il a rencontrés lors
d'une récente tournée qu'un tel mécanisme était inutile et que, lorsque le
cessez-le-feu aura été respecté à 100 %, les commissions mixtes formées par les
deux parties en octobre 2000 avec la participation des Américains seraient
largement suffisantes…
5. A Hébron, "c'était vraiment la guerre" par
Bruno Philip
in Le Monde du mardi 17 juillet 2001
HÉBRON, de notre
envoyé spécial
Les autorités israéliennes ont le couvre-feu sélectif : sur la grand- route
menant de la colonie de Kyriat Arba au centre d'Hébron – où les Juifs vont prier
au caveau des Patriarches, sur la tombe d'Abraham –, les colons ont gardé le
droit de circuler. En dépit de la fournaise, ils marchent enveloppés dans des
châles de prière de couleur beige. Ils sont coiffés de larges kippas tricotées,
portent la barbe et, parfois, un fusil M-16 à l'épaule. Leurs visages sont
fermés, durs, hostiles. Ils refusent de répondre aux questions. Ils rembarrent
le journaliste. "Je n'aime pas la presse", lâche l'un d'entre eux.
Les Palestiniens sont confinés chez eux et n'ont pas le droit de sortir
depuis l'instauration du couvre-feu, dans la nuit du jeudi 12 au vendredi 13
juillet. Ils parlent volontiers à l'étranger, eux, et se précipitent à la
rencontre du journaliste. Derrière des fenêtres aux carreaux cassés, qui
témoignent des violences de la veille, on distingue leurs visages penchés vers
les ultrareligieux juifs qui se dirigent tranquillement, par petits groupes et à
pied, en raison du shabbat, vers les lieux saints de la vieille ville, sous
administration israélienne. Sur la route déserte, les Jeeps de la police et de
l'armée ne cessent de patrouiller.
Samedi, le calme était revenu sur Hébron après "une terrifiante nuit de
guerre", comme le décrivent certains Palestiniens. Le déclic de la violence a eu
lieu jeudi, après la mort d'un entrepreneur israélien, tué par des
francs-tireurs palestiniens. Cette mort déclenche la fureur des colons de Kyriat
Arba, une "implantation" juive de quatre mille habitants, qui sont parmi les
plus extrémistes d'Israël. Certains colons agressent alors des voitures
palestiniennes sur la route, suscitant la réaction de la police, qui finit par
arrêter quelques-uns des fauteurs de troubles.
La décision provoque à nouveau la colère des colons qui, le soir venu,
organisent une autre manifestation à la sortie de KyriatArba. "Vers 23 heures,
raconte une habitante de la colonie, Hannah Fitoussi, que notre correspondante à
Jérusalem, Catherine Dupeyron, a pu joindre par téléphone, le groupe de
manifestants réclamant la libération de leurs camarades arrêtés à été pris en
tenaille par des tireurs palestiniens. Des hommes armés ont sauté de véhicules
et ont tiré sur les manifestants. Tout le monde s'est couché à terre, mais
Yehezkel Mualem, un conseiller municipal, a été tué."
COMPLICITÉ DE LA POLICE
La mort de deux colons en une seule journée – le premier, mortellement
touché, est décédé samedi – déclenche une réplique de l'armée israélienne: avant
minuit, jeudi soir, Tsahal inflige une impressionnante punition à la partie
d'Hébron sous autorité palestinienne. Jusqu'à l'aube de vendredi, les soldats
semblent avoir utilisé tout ce qu'ils avaient sous la main pour tirer sur les
quartiers palestiniens: mitrailleuses lourdes, obus de char, etc. Des tanks ont
fait une incursion d'un bon kilomètre à l'intérieur de la zone sous contrôle
total des Palestiniens. Cinq postes abritant des membres de la Force17, la garde
rapprochée de Yasser Arafat, ont été détruits.
Samedi, on voyait encore la trace des chenilles des chars sur la route et
des impacts de balles sur les murs des maisons alentour. Un baraquement de
fortune érigé par les soldats palestiniens s'est écroulé sous l'impact d'un
obus. Il y aurait eu une vingtaine de blessés, dont deux grièvement, côté
palestinien. Chez les Israéliens, il n'y a pas eu de victime. "C'était vraiment
la guerre, raconte Nadji, un jeune Palestinien, le pire moment depuis le début
de l'Intifada. J'ai passé toute la nuit sous mon lit avec ma femme. J'avais
disposé des gilets pare-balles sur les fenêtres. On entendait les balles siffler
autour de chez moi. Jamais Tsahal n'avait pareillement tiré sur Hébron."
Non loin du carrefour où a péri le conseiller municipal israélien,
plusieurs maisons portent les traces des représailles de colons juifs contre les
résidents palestiniens. Fenêtres aux vitres brisées, plantes vertes renversées
dans un patio, impacts de balles dans les murs, un garage brûlé, l'épave d'une
voiture incendiée. Les Palestiniens disent qu'une quinzaine de maisons ont été
la cible des violences des colons et que de nombreux véhicules ont été
endommagés.
D'après des témoignages souvent concordants, de petits groupes de colons
s'en seraient donné à cœur joie contre les Palestiniens durant la journée de
jeudi. Avec la complicité passive de la police et de l'armée. Comme le
remarquait dimanche le quotidien israélien Haaretz, "l'étroite relation existant
entre les colons d'Hébron et les haut gradés de l'armée israélienne, l'absence
de véritable répression policière à l'égard des fauteurs de troubles juifs font
que la réaction violente des colons est inévitable dès qu'une attaque terroriste
palestinienne a lieu contre eux."
Bassam El Jabari raconte : "Quatre colons sont arrivés en Jeep, jeudi
matin. Ils sont entrés dans mon garage avec leurs armes et ont crevé les pneus
de ma voiture à coups de poignard. Une heure plus tard, ils sont revenus et ont
arrosé de pétrole le garage avant d'y mettre le feu." Il montre la pièce noircie
par la fumée avec, au fond, ce qui reste d'une petite Fiat.
Son voisin,
SoIeiman Jaber, qui vit avec toute sa famille dans une solide bâtisse construite
sur la colline, n'a pas eu beaucoup plus de chance. "Des groupes de jeunes
colons ont fait irruption chez nous après avoir tiré en l'air et sur le mur de
la maison", dit-il, montrant des impacts de balle sur le plâtre. "Ensuite, ils
ont grimpé les escaliers en hurlant “mort aux Arabes”. Ils ont fait des gestes
obscènes à nos femmes. Puis, soutient M. Jaber, des policiers sont arrivés et
nous ont hurlé “les Palestiniens ont tué des Juifs, il faudra que des
Palestiniens meurent !” Et ils ont fracassé les fenêtres avec la crosse de leur
fusil. Ils ont même frappé ma mère", ajoute-t-il. L'un de ses camarades ajoute :
"D'autres militaires ont été plus aimables, nous disant : “Tenez-vous
tranquilles ou sinon les colons vont vous battre.” Mais ce qui est sûr, c'est
que les forces de l'ordre ne nous ont jamais protégés de la fureur des
extrémistes !"
6. Interview de Marwan Barghouti, responsable du Fatah
en Cisjordanie propos recueillis par Bruno Philip
in Le Monde du
mardi 17 juillet 2001
"L'Intifada ne prendra pas fin sur une simple décision" RAMALLAH de notre
envoyé spécial
- "Les violences se multiplient en Cisjordanie et à Gaza.
L'Autorité palestinienne affirme être encore déterminée à respecter le plan
récemment proposé par George Tenet, le patron de la CIA. Mais peut-on encore
parler de cessez-le-feu ?
- Il n'y a jamais eu de cessez-le-feu ! c'est un mensonge. Depuis le
prétendu retour au calme, il y a eu cinquante-deux Palestiniens tués. Plus de
mille ont été blessés. Cent quatre-vingt-deux maisons, en Cisjordanie et à Gaza,
ont été détruites par l'armée israélienne. Sans parler des milliers d'oliviers
et autres arbres rasés dans les vergers. Tsahal nous inflige une punition
collective. Et pendant ce temps-là, le bouclage des territoires se prolonge,
emprisonnant 3,5 millions de Palestiniens.
- Dès le plan Tenet, vous avez fait savoir que vous étiez
opposé aux termes d'un cessez-le-feu que Yasser Arafat, le chef de votre propre
parti, le Fatah, avait pourtant accepté. Vous opposez-vous au président
palestinien ?
- Le fait que je sois contre le cessez-le-feu ne signifie, en aucun cas,
que je suis opposé à Yasser Arafat. Je soutiens d'ailleurs le principe d'un
cessez-le-feu à partir des zones sous contrôle total de l'Autorité
palestinienne, c'est-à-dire ce que les accords d'Oslo avaient désigné sous
l'appellation "Zone A". En revanche, je défends le principe de la résistance
dans les zones occupées par l'armée israélienne et le long des colonies de
peuplement juives.
- Mais les ordres d'Arafat sont de respecter un cessez-le-feu
total.
- Je ne suis pas quelqu'un à qui l'on donne des ordres. C'est le peuple
palestinien qui a déclenché l'Intifada. Le soulèvement n'est pas le résultat
d'ordres donnés et ne prendra pas fin par la décision de quelqu'un.
- Même une décision de Yasser Arafat ?
- Arafat n'a pas donné l'ordre de mettre fin à l'Intifada.
- Mais l'Autorité palestinienne a procédé à l'arrestation
d'activistes qui avaient défié les consignes de cessez-le-feu. Comment
réagissez-vous à ces mesures ?
- Je ne suis pas au courant. Et en principe, je suis contre les
arrestations d'activistes.
- Les Israéliens vous décrivent comme étant le chef du Tanzim,
le mouvement paramilitaire du Fatah.
- C'est faux. C'est de la propagande israélienne. Je suis un homme
politique, un élu. Le Tanzim, de toute façon, c'est le Fatah et le Fatah, c'est
le Tanzim -en arabe le mot signifie organisation, ndlr-. C'est vrai qu'il y a
des individus qui ont pris les armes, à titre individuel, contre l'occupation
israélienne. Mais ils ne combattent pas sous mes ordres. De toute façon, je ne
demande pas la destruction d'Israël, mais la fin de l'occupation des territoires
par Israël. Il faut, tout de même, se rappeler que nous avons été, à l'époque
des accords d'Oslo, à l'avant-garde de la paix. Il nous a fallu convaincre notre
peuple d'accepter ces accords et ça n'a pas été facile. Aujourd'hui, je me sens
trahi par les Israéliens. Ils n'ont rien appliqué de ce qu'ils avaient promis.
Ce ne sont pas des gens justes. Pas des gens honnêtes.
- Croyez-vous, comme certains le redoutent, à une attaque
massive d'Israël contre les territoires ?
- Oh oui, j'y crois ! Absolument ! Le cabinet israélien a approuvé le
principe d'une telle opération. Les responsables en discutent le timing, mais
ils sont tous d'accord sur le principe. Israël pratique la politique de terreur,
d'assassinats sélectifs et la majorité des cibles sont des membres de mon parti,
le Fatah. Je n'ai plus d'illusions : les Israéliens, c'est comme une mafia, une
bande de gangsters. Rien à voir avec un gouvernement élu !"
7. Quelques légendes sur l'échec de Camp David
par Robert Malley
in Le Monde du mardi 17 juillet
2001
Robert malley est ancien
conseiller spécial du président Bill Clinton pour les questions israélo-arabes.
Il est membre d'honneur du Council for Foreign Relations de New York. Traduit de
l'anglais (Etats-Unis) par Sylvette Gleize.
Camp David le 11 juillet 2000
IL y a tout juste un an, le président
Bill Clinton, le premier ministre d'Israël de l'époque, Ehoud Barak, et le
président de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, se retrouvaient à Camp
David pour ce que beaucoup considèrent, avec le recul, comme un tournant dans
les relations israélo-palestiniennes. De la droite à la gauche, des faucons aux
colombes, s'élève un chœur inhabituel d'opinions unanimes, ici comme en Israël :
Camp David fut, dit-on, une épreuve dont M. Barak est sorti gagnant et M. Arafat
perdant. Alors qu'on leur offrait près de 99 % de leur rêve, estime-t-on, les
Palestiniens ont dit "non" et exigé davantage. Pis, ils n'ont fait aucune
concession, adoptant une attitude sans compromis, révélatrice de leur refus de
vivre en paix avec un Etat juif à leurs côtés.
Je faisais partie de l'équipe américaine de Camp David et, moi aussi, j'ai
été déçu, presque au désespoir, par la passivité des Palestiniens, leur
incapacité à saisir ce moment. Mais il est inutile - et extrêmement
préjudiciable - d'ajouter aux erreurs réelles toute une série de légendes. Voici
les mythes les plus dangereux que l'on répand volontiers aujourd'hui sur le
sommet de Camp David.
- Mythe no 1 : Camp David a été un test significatif des intentions réelles
d'Arafat.
Or M. Arafat nous a déclaré à de multiples occasions ne pas vouloir se
rendre à Camp David. Il estimait que les négociateurs israéliens et palestiniens
n'avaient pas suffisamment réduit le fossé qui séparait leurs positions. Une
fois sur place, il a bien fait comprendre, par ses commentaires, qu'il se
sentait à la fois éloigné du monde arabe et en position d'isolement, en raison
des relations étroites qu'entretenaient Israéliens et Américains. De plus, le
sommet a eu lieu au moment le plus bas de ses rapports avec M. Barak - avec
lequel il était censé conclure un accord historique. C'est qu'un certain nombre
d'engagements des Israéliens n'avaient toujours pas été tenus, parmi lesquels
leur retrait, constamment reporté, de certaines parties de la Cisjordanie et le
transfert aux Palestiniens du contrôle des villages jouxtant Jérusalem. Yasser
Arafat a cru qu'Ehoud Barak ne cherchait qu'à se soustraire à ses
obligations.
Il fallait aussi une bonne dose d'optimisme - de la part de M. Barak comme
des Etats-Unis - pour imaginer que le conflit, vieux de cent ans, entre Juifs et
Palestiniens vivant dans la région, qui a fait des centaines de milliers de
victimes, pouvait être résolu en quinze jours sans qu'aucune des questions
essentielles - concernant le territoire, les réfugiés ou le sort de Jérusalem -
ait d'abord été discutée par les dirigeants des deux camps.
- Mythe no 2 : l'offre israélienne répondait à la plupart, voire à toutes
les aspirations légitimes des Palestiniens.
Certes, les propositions faites à la table des négociations allaient plus
loin que tout ce qu'aucun dirigeant israélien avait jamais débattu jusqu'alors -
que ce soit avec les Palestiniens ou avec Washington.
Mais, du point de vue
des Palestiniens, ce n'était pas là l'offre rêvée que l'on a dite. Pour
accueillir ses colons, Israël devait annexer 9 % de la Cisjordanie ; en échange,
le nouvel Etat palestinien exercerait sa souveraineté sur des terres
israéliennes à proprement parler dont la superficie serait égale au neuvième du
territoire annexé. Un Etat palestinien couvrant 91 % de la Cisjordanie et de
Gaza, c'était plus que ce que la plupart des Américains et des Israéliens
estimaient possible jusqu'alors. Mais comment Yasser Arafat allait-il expliquer
à son peuple le rapport défavorable de 9 à 1 dans l'échange des terres ?
A Jérusalem, la Palestine aurait eu la souveraineté sur de nombreux
quartiers arabes de la partie est de la cité et sur les quartiers musulmans et
chrétiens de la Vieille Ville. Elle aurait joui de la tutelle sur le Haram
el-Charif, le Noble Sanctuaire, troisième lieu saint de l'islam, tandis
qu'Israël aurait exercé, pour sa part, une souveraineté totale sur le site
auquel les Juifs donnent le nom de mont du Temple. C'était, ici aussi, beaucoup
plus qu'il n'était imaginable quelques semaines à peine auparavant - une
proposition très difficile à accepter pour le peuple israélien. Mais comment M.
Arafat pouvait-il justifier devant son peuple qu'Israël conserve la souveraineté
sur certains quartiers arabes de Jérusalem-Est, sans parler du Haram el-Charif ?
Quant à l'avenir des réfugiés - le cœur du problème, pour beaucoup de
Palestiniens -, les conceptions présentées faisaient vaguement état d'une
"solution satisfaisante", ce qui laissait craindre à Yasser Arafat de devoir
donner son accord en dernière minute à une proposition inacceptable.
- Mythe no 3 : les Palestiniens n'ont fait aucune concession de leur
côté.
Beaucoup se sont ralliés à l'idée que le rejet par les Palestiniens des
propositions de Camp David révélait un refus profond du droit à l'existence
d'Israël. Mais considérons les faits : les Palestiniens ont plaidé pour la
création d'un Etat de Palestine sur la base des frontières du 4 juin 1967, à
côté d'Israël. Ils ont accepté le projet d'une annexion israélienne de terres en
Cisjordanie pour certaines des colonies de peuplement israéliennes. Ils ont
accepté le principe de la souveraineté israélienne sur les quartiers juifs de
Jérusalem-Est - quartiers qui ne faisaient pas partie d'Israël avant la guerre
des Six Jours en 1967. Et, tout en insistant sur la reconnaissance du droit au
retour des réfugiés, ils ont accepté que celui-ci soit appliqué de façon à
ménager les intérêts démographiques et la sécurité d'Israël en limitant leur
nombre. Aucun des pays arabes qui ont négocié avec Israël - que ce soit l'Egypte
d'Anouar El Sadate ou la Jordanie du roi Hussein, sans parler de la Syrie de
Hafez El Assad - n'a jamais été près ne serait-ce que d'envisager de tels
compromis.
Si l'on veut conclure la paix, on ne peut tolérer que ces mythes propagés
sur la négociation de Camp David passent, chaque jour un peu plus, pour la
réalité de ce qui s'est passé à ce sommet. Les faits n'indiquent, cependant,
aucun manque de prévoyance, aucune absence de vision de l'avenir de la part
d'Ehoud Barak, qui a par ailleurs fait preuve d'un courage politique hors du
commun. Les concessions d'Israël ne doivent pas se mesurer au chemin parcouru
depuis son propre point de départ, mais aux progrès réalisés en direction d'une
solution juste.
Les Palestiniens n'ont pas assumé leurs responsabilités historiques lors du
sommet, eux non plus. Je pense qu'ils regretteront longtemps leur incapacité à
répondre au président Clinton par des propositions plus ouvertes et globales - à
Camp David et après.
Enfin, Camp David ne s'est pas tenu dans la précipitation. On peut
reprocher au sommet d'avoir été mal préparé, d'avoir été trop peu formel,
d'avoir manqué de vraies positions de repli, mais sûrement pas d'avoir été
prématuré. Dès le printemps 2000, n'importe quel analyste israélien, palestinien
ou américain sérieux prédisait une explosion de violence palestinienne en
l'absence d'une avancée majeure du processus de paix. Oslo avait suivi son cours
; la décision de s'attaquer au délicat problème du statut définitif des
territoires est plutôt venue trop tard que trop tôt.
La façon dont les deux camps ont choisi de considérer ce que le passé a été
déterminera en grande partie leur comportement de demain. Si elles ne sont pas
contestées, les interprétations de chacun vont progressivement se durcir pour
donner des versions divergentes de la réalité et des vérités inexpugnables -
l'idée, par exemple, que Yasser Arafat est incapable de parvenir à un accord
final ou qu'Israël a l'intention de perpétuer un régime d'oppression. Tandis
que, de part et d'autre, on continue de débattre de ce qui a fait capoter Camp
David, il est important que les leçons de ce sommet soient tirées.
8. Les juifs d'Ethiopie laissés pour compte - Non
grata en Israël, les Falach-Mouras sont la proie d'une ONG sioniste par
Jérome Tubiana
in Libération du lundi 16 juillet 2001
Gondar envoyé
spécial
Azmeraw Mitikew sort des braises une barre de métal incandescent. Ses
coups de marteau rapides résonnent dans le grand marché de Gondar. Un travail de
forgeron réservé à une caste méprisée comme dans de nombreuses sociétés
africaines. Dans l'ancienne capitale de l'Ethiopie chrétienne (du XVIe au XIXe
siècle), ce rôle est revenu aux juifs, qui ont été privés de terres et ont reçu
de ce fait le nom de Falachas, «ceux qui sont partis». Eux-mêmes préfèrent se
nommer «Béta Israël», la «maison d'Israël».
Loi du retour. «Béta Israël, pur juif!», s'exclame Azmeraw en présentant
chacun de ses camarades forgerons. Bien qu'il n'aime guère ce terme, Azmeraw est
un «Falach-Moura», un descendant de juifs convertis au christianisme. L'Ethiopie
en compterait aujourd'hui 20 000, convertis il y a une, deux ou trois
générations, mais jamais vraiment intégrés à la société chrétienne. Dix ans
après le spectaculaire transfert en Israël des Falachas dans le cadre de
l'opération Salomon, ils désirent eux aussi rejoindre la Terre promise.
Craignant de voir des millions d'Ethiopiens se découvrir juifs pour des raisons
économiques, Israël fait la sourde oreille. Mais une ONG sioniste américaine, la
Conférence nord-américaine sur les juifs éthiopiens (Nacoej), a pris fait et
cause pour ces «oubliés». Sous sa pression, Israël continue de laisser entrer
des Ethiopiens, au goutte-à-goutte: moins de 200 par mois en 2000.
Si l'on s'en tient à la seule loi du retour, qui autorise toute personne
ayant au moins un grand-parent juif à effectuer son aliya (1), «moins de 10 %
des Falach-Mouras sont éligibles», estime Ariel Kerem, l'ambassadeur d'Israël à
Addis-Abeba. Mais une autre disposition, la loi d'entrée, permet le regroupement
familial: selon Nacoej, elle suffirait à justifier l'aliya de la totalité des
Falach-Mouras, tous ayant au moins un parent en Israël. «On ne les prendra
certainement pas tous, rétorque Ariel Kerem. Que ferions-nous alors des millions
d'ex-Soviétiques qui présentent des situations similaires? Pour nous, il n'y a
plus de juifs en Ethiopie. Ces gens sont chrétiens, Nacoej leur enseigne une
nouvelle religion et leur fait croire que pour être reconnus comme juifs ils
doivent faire du zèle religieux.»
La première génération de Falach-Mouras a sans doute continué d'observer la
religion juive en cachette, puis les suivantes l'ont peu à peu oubliée. Azmeraw
énumère sa généalogie sur ses doigts: la conversion remonte à ses
grands-parents, qu'une vieille histoire de meurtre entre juifs et chrétiens a
conduits à abandonner le judaïsme. Seule la grand-mère d'Azmeraw lui en parlait:
«Elle disait: "Nous sommes différents de tous les autres Ethiopiens, et c'est
pour cela qu'on nous persécute." Et quand elle saluait des chrétiens, elle se
lavait les mains ensuite.»
La conversion n'a servi à rien. «Les chrétiens savent que nous sommes
juifs, raconte Azmeraw. Ils ne se marient pas avec nous et ils ne nous
considèrent pas comme des êtres humains. Il y a trois ans, les chrétiens du
voisinage se sont rassemblés pour nous expulser. Il y avait beaucoup de
paludisme dans le village, et ils nous accusaient d'être buda, c'est-à-dire
d'avoir le mauvais œil et d'être la cause de la maladie et de la pauvreté.» Les
Falachas, comme les Falach-Mouras, se plaignent souvent de ces superstitions.
«Le gouvernement leur a dit que c'était anticonstitutionnel et nous a protégés.»
Peu après, Azmeraw a quitté le village pour la ville. La pression des
chrétiens mais aussi l'aide proposée par Nacoej ont poussé la plupart des
Falach-Mouras à abandonner leurs villages pour venir à Gondar et à Addis-Abeba,
à proximité des centres d'aide tenus par l'ONG. Beaucoup expliquent leur départ
par la «volonté de Dieu», d'autres évoquent plus prosaïquement une «invitation»
de Nacoej. Les centres d'aide sont installés à proximité des représentations
israéliennes, et, avec plusieurs milliers de Falach-Mouras dans les environs,
Nacoej maintient la pression.
Mensonges de l'ONG. Les conditions de vie des villageois ne sont pas
faciles. Pour mobiliser partisans et donateurs, Nacoej n'hésite pas à diffuser
des informations alarmistes sur l'état de santé de la communauté, évoquant
notamment des cas de «morts de faim». «Cela ne s'est jamais produit», affirment
pourtant les responsables des cliniques. Interrogés clandestinement, des
Falach-Mouras pointent d'autres mensonges de l'ONG. Les distributions de
nourriture, que Nacoej affirme effectuer tous les jours pour les enfants et tous
les mois pour les adultes, ne correspondent ni en quantité ni en qualité à ce
qu'ils reçoivent: «Il y a eu des jours où les enfants n'ont pas mangé, et il est
arrivé que les adultes ne perçoivent rien pendant cinq mois. Mais lorsqu'il y a
des visiteurs on reçoit beaucoup de nourriture», affirme un homme de Gondar.
«Nacoej utilise nos enfants pour obtenir des dons, soutient un autre. On les
prend en photo vêtus avec des haillons, puis avec de beaux vêtements. Sur le
second cliché, ils doivent écrire "merci".»
Passage à tabac et morts. Depuis un an, un groupe de juifs éthiopiens
recueille des témoignages similaires. Ils se demandent où passe le budget
affecté aux écoliers, dont l'ONG ne dépenserait que le tiers. Et ils s'alarment
de témoignages faisant état, depuis dix ans, de Falach-Mouras battus par des
représentants de Nacoej, notamment par Andy Goldmann, directeur de l'ONG pour
l'Ethiopie. Il est difficile de recueillir des témoignages auprès des
Falach-Mouras. Nacoej menacerait de priver d'aide et d'aliya ceux qui parlent
aux visiteurs. Des individus critiques et leurs familles semblent avoir été
exclus des centres. Plusieurs enfants seraient morts faute de soins.
A Gondar, les gardes refusent l'entrée du centre de Nacoej, parce que «les
visiteurs veulent [les] convertir au christianisme», leur a-t-on dit. A
Addis-Abeba, il a fallu téléphoner aux Etats-Unis pour avoir l'autorisation de
visiter le centre, mais l'administrateur refuse toute interview. Solomon Mesfin,
le jeune représentant de la communauté, répond à sa place: «Nacoej est à la fois
notre père et notre mère. Sans Nacoej, nous serions tous morts aujourd'hui, et
si ces critiques continuent, Nacoej arrêtera de nous aider.» Azmeraw pense au
contraire qu'il faut parler: «Chaque fois qu'il y a des visiteurs, j'essaie de
les alerter. J'ai été exclu du centre, arrêté trois fois, battu deux fois. On
m'a dit que je n'irai jamais en Israël.» S'il y parvient malgré tout, son rêve
est de rejoindre l'armée et d'aider «ceux qui sont restés derrière» à venir. Il
ne comprend pas pourquoi l'immigration des Falach-Mouras pose problème. Tilahun,
lui, a son idée: «Tout le monde sait que nous sommes juifs. Le problème, c'est
que nous sommes noirs.». (1) Ce terme hébreu, littéralement «montée», désigne
l'immigration d'un juif de la diaspora en
Israël.
9. L'eau troublée ? Ça n'est pas un problème, quand on
n'a pas d'eau du tout ! par Gideon Levy
in Ha'Aretz (quotidien
israélien) du dimanche 15 juillet 2001
[traduit
de l'anglais par Marcel Charbonnier]
La semaine
passée, la vie de nombre d'Israéliens a été gâchée par deux incidents
regrettables : les résidents de l'agglomération de Tel-Aviv ont été priés de ne
pas consommer l'eau du robinet et des milliers de personnes ont été bloquées
dans des embouteillages monstres aux accès de l'aéroport international
Ben-Gurion. L'alerte à la pollution n'a duré qu'une journée, tandis que le
trafic au compte-goutte, sur l'autoroute de l'aéroport, s'est prolongé plus
longtemps, pour des raisons de sécurité.
La réaction quasi hystérique des
Israéliens a été rapportée abondamment par les médias, qui n'ont pas hésité à
remuer le couteau dans la plaie. "Vite, faites des provisions d'eau!" et "Fermez
les robinets!", affichaient en lettres géantes les périodiques à sensation,
tandis que l'un des multiples reportages sur l'embouteillage fellinien de la
route de l'aéroport était publié sous le titre (un tant soit peu outrancier) :
"La longue route vers la liberté"...
L'avertissement donné aux consommateurs
(d'eau courante et de voyages) était adapté à la situation : on pouvait
continuer à faire la lessive et les gens pouvaient prendre une douche d'eau
municipale, mais celle-ci était impropre au brossage des dents. Il était
préférable de donner à boire de l'eau minérale à nos petits compagnons
domestiques, mais nos plantes vertes survivraient à l'arrosage à l'eau du
robinet... Il était conseillé aux candidats au départ de se rendre à l'aéroport
avec quatre heures d'avance. Les bouteilles d'eau disparurent comme par
enchantement des rayonnages des supermarchés et les médias rapportèrent que des
voyageurs, à l'aéroport, étaient en grande détresse : leur virée à la Barbade
allait leur prendre quelques heures supplémentaires... Certains d'entre eux,
vous vous rendez compte, ont même dû aller à pied, sous un soleil de plomb,
depuis le contrôle, à l'entrée de l'aéroport, jusqu'au terminal d'embarquement
!? Le moral de la nation, déjà passablement dans les chaussettes, a encaissé un
coup supplémentaire.
Oui, vraiment, ce furent là deux désordres dans la vie
courante, très enquiquinants et perturbants. Cela n'a vraiment rien d'amusant,
de faire une queue interminable pour acheter de l'eau en bouteilles et arriver
en retard, lorsqu'on doit prendre l'avion, peut être une expérience éprouvante
pour les nerfs. Devoir traîner ses valises dès le contrôle de sécurité, à
l'entrée de l'aéroport, a vraiment de quoi exaspérer le voyageur moyen. Donner
de l'eau minérale à ses chiens et chats revient cher et attendre deux heures,
coincé dans une file de voitures pare-choc contre pare-choc sur les bretelles
d'accès à l'aéroport relève du cauchemar pur et simple. Dans le cas de l'eau,
tout du moins, il est d'ores et déjà question d'une commission d'enquête. Et il
est bien vrai qu'il n'y a aucune raison pour prendre des anomalies de cette
nature à la légère. Elles n'ont pas lieu d'être dans un pays correctement
administré. Quelques jours avant qu'une turbidité excessive dans l'eau de
Tel-Aviv Métropole ait été décelée, quelques centaines de personnes, pas très
loin de l'agglomération, se voyaient concernées par un incident fâcheux d'un
type quelque peu différent. En voici le récit. Des soldats israéliens et des
personnels de l'Administration Civile (= administration militaire des
territoires occupés!, ndt) se sont présentés aux domiciles de bergers résidant
au sud de la montagne d'Hébron puis ils se sont mis à démolir leurs maisons et à
combler leurs puits, avec du ciment, du sable, des morceaux de ferraille et des
pierres. Depuis lors, l'eau de ces puits est si trouble - plus que d'habitude,
et de beaucoup - que même les moutons refusent d'en boire.
Les conseils
prodigués aux citoyens de la métropole de Tel-Aviv afin de soulager leur
détresse ne sauraient l'être à bon escient, malheureusement, aux membres des
tribus des Nawaja et des Dramin : ils n'ont pas d'autre approvisionnement en eau
que les puits désormais comblés. Ils n'ont ni robinets, ni tuyaux. La semaine
dernière, ils étaient assis sous un soleil brûlant, contemplant les ruines de
leurs maisons démolies et de leurs puits comblés, totalement désespérés.
Personne, en Israël, ne s'est intéressé à leur sort, à ce qu'ils allaient
devenir et à ce qu'ils pourraient faire pour étancher leur soif. Un porte-parole
de l'Administration civile a déclaré que cette opération a été menée à bien par
un "détachement spécialisé dans les démolitions", dans le but "de repousser des
intrus".
Au lendemain du problème d'eau, dans l'agglomération de Tel-Aviv -
complètement résolu -et tandis que les embouteillages de la route de l'aéroport
continuaient à s'étirer sans fin, un autre inconvénient fâcheux allait se
produire. Au barrage de contrôle de Tene-Omarim, au sud du pays (mais ce n'est
pas si éloigné que cela en a l'air de l'aéroport international Ben-Gurion)
Rasmiya Jabarin, 39 ans, a été tuée par des soldats israéliens, alors qu'elle se
trouvait assise dans un taxi qui l'emmenait, elle et ses collègues, à son
travail chez un volailler de Kiryat Malachi. Les soldats déclarèrent par la
suite que le taxi suivait "de manière sauvage" une piste qui contourne les
barrages. Peut-être la panne du réseau d'eau potable et les files de voitures
bloquées sur les accès à l'aéroport aideront-ils plus d'Israéliens à comprendre
ce que leurs voisins palestiniens doivent supporter tous les jours que le Bon
Dieu fait... Plus de 200 000 Palestiniens ne disposent pas d'eau potable chez
eux, d'après un recensement de B'Tselem, une organisation de défense des droits
de l'homme. L'eau trouble est le moindre de leurs soucis : ils n'ont pas d'eau
du tout, alors... Quant aux autres Palestiniens de Cisjordanie, et en
particulier ceux qui vivent au sud d'Hébron, ils se préparent à un nouvel été
torride et sans une goutte de pluie, durant lequel l'eau ne parviendra à leurs
domiciles que quelques jours dans le mois. Les réservoirs d'eau, qui étaient
jusqu'à il y a peu - en dépit de leur prix élevé et de leur caractère peu
pratique - une alternative aux robinets désespérément à sec, parviennent
difficilement jusqu'aux villes et villages où on en a le plus grand besoin, à
cause de l'état de siège.
De même, les files de voitures sur la route de
l'aéroport ne pourraient, tout au plus, qu'amener un sourire désabusé sur les
lèvres des habitants de la Cisjordanie. Depuis des mois, la plupart des routes
qu'ils empruntaient quotidiennement sont totalement inaccessibles pour eux,
tandis que sur d'autres, il doivent attendre pendant des heures, bloqués aux
barrages israéliens. Pour eux, la "longue route vers la liberté" est une
expression concrète, qui veut bien dire ce qu'elle veut dire, et non la saillie
de quelque éditorialiste à la plume acérée. Ils ne peuvent voyager à l'étranger
qu'en rêve, puisque même une simple course dans la localité voisine relève de
l'exploit.
La majorité des Israéliens se soucient de ces gens comme d'une
guigne. Le sommet du cynisme a été atteint lorsque des colons du bloc de Gush
Etzion, au sud de Jérusalem, se sont précipités, la semaine dernière, pour
apporter de l'eau aux habitants d'Hatikva, une banlieue du sud de Tel-Aviv, où
l'eau avait été trouble pendant une brève période, quelques heures, tout au
plus, tandis que leurs voisins, de l'autre côté de la haie, étaient totalement
privés d'eau courante depuis des mois, à cause de la répartition inique des
ressources hydrauliques avec les colonies, qui s'arrogent la part léonine et
laissent aux Palestiniens la portion congrue.
La nécessité de connaître la
détresse des Palestiniens n'est pas simplement un impératif moral et
humanitaire. Toute personne sincèrement désireuse de comprendre les raisons de
la violence palestinienne doivent avant toute chose prendre connaissance de ses
causes premières. Celles-ci plongent profondément leurs racines sous les files
interminables de voitures bloquées aux barrages (israéliens) omniprésents, dans
les puits comblés par les soldats israéliens et dans les robinets qui n'émettent
que gargouillis et filet... d'air lorsqu'on les tourne.
Pour un bref instant
- privilégié, dans une certaine mesure - les Israéliens avaient l'opportunité de
faire l'expérience d'une once du calvaire enduré par les Palestiniens. La
prochaine étape sera d'imaginer ce que nous ferions à des gens qui nous
imposeraient des épreuves mille fois pires qu'un embouteillage sur la route des
vacances ou de l'eau du robinet trouble durant une petite journée - et tout ça,
prolongé durant d'innombrables années
d'occupation...
10. Mon journal
de la semaine : Des odeurs de vichysme par Patrick Raynal
in
Libération du samedi 14 et dimanche 15 juillet 2001
(Patrick
Raynal - Né en juillet 1946 à Paris. Cahin-caha, il obtient une maîtrise de
lettres en 1970, se marie et fait son service dans les Chasseurs alpins. De 1967
à 1972, milite tour à tour au PCF, à l'UJCML et à la Gauche prolétarienne. De
petits boulots en grandes galères, il devient un temps agent d'assurances sur la
Côte d'Azur. Chroniqueur littéraire (Nice Matin, le Monde des Livres), a créé la
collection La Noire chez Gallimard. Auteur d'une vingtaine de romans noirs
depuis 1980, dont le Marionnettiste (réédité en 1999) et Chasse à l'homme avec
J.-B. Pouy (Mille et une nuits, 2000). Corbucci paraîtra en septembre chez Albin
Michel.)
EXTRAIT
:
Jeudi : Les Israéliens ont la force pour
eux
Dites-moi que je rêve. Voilà que les soudards israéliens se
mettent à démolir les maisons illégales des Palestiniens. On croyait qu'ils
faisaient la guerre et ben non, ils font juste respecter à coups de canon les
lois sur le permis de construire. Que l'Autorité palestinienne soit souveraine
en la matière et que les canons soient maniés pour défendre des types qui ont
construit leurs propres maisons sur des terrains dont la propriété leur est
contestée par la communauté internationale tout entière, ils s'en tapent. Ils
ont la force pour eux.
J'ai lu dans un Rebonds de Libé que les Israéliens
étaient massivement des braves gens prêts à virer Sharon et les colons dès que
les Palestiniens cesseront d'être des fanatiques religieux. Je veux bien le
croire, après tout. Je me demande juste pourquoi tous les pays démocratiques du
monde et leurs habitants ne boycottent pas Israël histoire d'aider ces braves
gens à faire le ménage chez eux. Ils pourraient expédier cet hypocrite de Sharon
au TPI de La Haye, par exemple.
11. Le compte à
rebours a commencé : La liquidation d'Arafat, une option
sérieuse
in L'Hebdo Magazine
(hebdomadaire libanais) du vendredi 13 juillet 2001
La multiplication
des déclarations et des révélations israéliennes sur l'imminence d'une attaque
n'est pas que de l'intimidation. Plus que jamais, Ariel Sharon, son gouvernement
et l'état-major de l'armée paraissent déterminés à en découdre avec l'Autorité
palestinienne et son président Yasser Arafat.
Il y a d'abord ce fameux
rapport des services de sécurité israéliens datant de la mi-octobre 2000 et dont
l'existence a été révélée par le quotidien Maarev. Ensuite, il y a les
déclarations de Sharon lui-même, qualifiant tour à tour Yasser Arafat de chef
d'une organisation terroriste, de menteur, de Ben Laden de la région. Il y a
aussi les injonctions du ministre des Finances invitant à l'expulsion d'Arafat
et à la destruction de l'Autorité palestinienne. Il y a enfin les appels à la
retenue et les mises en garde des diplomaties française et égyptienne.
Intimidations ou attaque imminente? L'absence d'accord sur l'application des
recommandations du plan Mitchell et la reprise des assassinats ciblés de
militants palestiniens, des représailles assassines (comme la destruction de
dizaines de maisons dans le camp de réfugiés de Chouafat, à Jérusalem-Est) en
parallèle avec le renforcement du siège des localités palestiniennes rendent
tout arrêt de l'intifada équivalent à une reddition pure et simple.
Gaza, vivier de la résistance
Dans ces conditions, les
multiples déclarations susmentionnées et la tournée européenne de Sharon
viseraient à préparer le terrain à une vaste opération militaire contre
l'Autorité palestinienne permettant de modifier la donne politico-militaire sur
le terrain en faveur d'Israël. Toutefois, celle-ci pourrait s'avérer hasardeuse
et mener à des conséquences inattendues... En plus de ses convictions
idéologiques extrémistes et de son penchant naturel vers la brutalité, une
expérience précise semble décisive dans la détermination de l'attitude actuelle
de Sharon vis-à-vis des Palestiniens: la campagne «ultrarépressive» qu'il mène à
Gaza à partir de 1970 en sa qualité de commandant de la région sud. Il fera
détruire des milliers de maisons, exilera des centaines de Palestiniens en
Jordanie ou au Liban. Quelque 600 proches d'activistes présumés, dont des femmes
et des enfants, seront enfermés dans un camp de détention du Sinaï. Cette
politique ultrarépressive donnera de bons résultats. Face au vivier de la
résistance qu'était Gaza à la fin des années 60 et au début des années 70,
Sharon réussira à démanteler les réseaux militants et ira jusqu'à opérer un
réaménagement urbain de certains quartiers de la ville et de certains camps de
réfugiés, les rendant plus contrôlables par l'armée d'occupation. Cette
expérience lui sert de modèle dans sa confrontation avec l'intifada aujourd'hui.
Cependant, deux facteurs majeurs distinguent le contexte actuel de celui
prévalant au début des années 70.
* Le premier, c'est la conclusion des
accords d'Oslo et l'enclenchement du processus de paix sous le patronage des
Etats-Unis.
* Le second, qui découle du premier, c'est la constitution de
l'Autorité palestinienne et de ses différentes institutions, dont ses multiples
services de sécurité qui regroupent plusieurs dizaines de milliers d'hommes en
armes.
Une opération militaire qui irait jusqu'à la remise en cause des
accords d'Oslo nécessita le feu vert des Etats-Unis garants de ces accords et,
au moins, la neutralité de l'Europe. L'activisme de la diplomatie israélienne,
d'abord en direction de Washington, est peut-être une tentative de conviction.
«Pas un jour ne passe à Washington sans la visite d'un responsable israélien.»
La liste est longue: deux visites du Premier ministre et une visite du ministre
des Affaires étrangères Shimon Peres. Il y a aussi les visites de Leymour
Levenat, la ministre de l'Education, d'Abraham Borg, président de la Knesset, de
Shaoul Mofaz, chef de l'état-major, de Moshe Katsov, chef de l'Etat, de Nathan
Chtaransky, de Yossi Beilin et d'une multitude d'autres responsables moins
médiatiques. Parmi ces derniers, il y a: Amos Yaron, directeur général du
ministère de la Défense, Kotti Mor, conseiller au ministère de la Défense, Amos
Malka, chef du renseignement militaire, Ouzi Dayan, conseiller au ministère de
la Défense. D'autres visites sont prévues pour les jours qui viennent: celle de
Benjamin Ben Eliezer, ministre de la Défense, et celle d'Uzi Landau, ministre de
la Sécurité nationale. Une explication assez répandue de ce foisonnement
diplomatique voudrait que la motivation principale de celui-ci soit la volonté
du gouvernement israélien de renforcer ses liens avec l'Administration Bush.
Celle-ci compterait dans ses rangs moins de sionistes militants que
l'Administration Clinton, d'où la nécessité d'un dialogue serré avec elle. Cette
version des faits ignore les liens intimes qui unissent nombre de responsables
de l'actuelle Administration aux Faucons israéliens. Les positions de
l'Administration dans son ensemble sont, par ailleurs, très pro-israéliennes. Il
en va ainsi de George Tenet. Le directeur de la CIA n'hésitera pas dans ses
déclarations à la presse américaine, avant et après sa visite au Moyen-Orient, à
incriminer personnellement Arafat pour ce qu'il considère comme sa
responsabilité directe dans la violence qui secoue les territoires.
L'explication la plus convaincante de l'activisme de la diplomatie
israélienne en direction de Washington, des déclarations de responsables
israéliens et américains, de la tournée européenne de Sharon, est que l'ensemble
s'inscrit dans une stratégie de préparation des conditions favorables à
l'agression contre les Palestiniens. Un intense lobbying serait à l'œuvre à
Washington pour convaincre l'Administration Bush des facilités résultant de la
disparition d'Arafat. Le plan de Sharon est simple: la destruction des
institutions et des infrastructures de l'Autorité palestinienne et l'expulsion
de son chef Yasser Arafat (ou peut-être l'assassinat de celui-ci). La nouvelle
donne sur le terrain consacrera le morcellement des territoires palestiniens et
Israël pourra traiter au cas par cas les différentes zones autonomes punissant
durement les plus résistantes et allégeant les contraintes pour les plus
coopératrices.
Cette vision ignore plusieurs réalités confirmées depuis le
début de l'intifada:
* Le soulèvement est d'abord un mouvement de la société
palestinienne, de la rue, qui a entraîné avec elle les organisations politiques,
l'Autorité et ses services.
* Elle possède aujourd'hui sa dynamique propre et
une relative autonomie par rapport à l'Autorité.
* Elle a entraîné une
décantation dans les rangs de celle-ci, permettant l'émergence de nouveaux
dirigeants politico-militaires de terrain et marginalisant certains responsables
politi-ques réputés trop modérés (tel Abou Mazen).
Malgré les disproportions
évidentes entre la puissance militaire israélienne et la résistance
palestinienne, la capacité de nuisance de la seconde n'a pas encore été
totalement utilisée. La résistance palestinienne a maintenu un niveau bas
d'intensité dans son conflit avec Israël pour laisser la porte ouverte à la
reprise des négociations. Si elle venait à se retrouver le dos au mur, d'autres
choix s'imposeraient. Il suffit de savoir, par exemple, que les candidats aux
opérations kamikazes se comptent par milliers...
12. Israël Shahak
: décès d'un Juif éclairé
in L'Hebdo Magazine
(hebdomadaire libanais) du vendredi 13 juillet 2001
Physicien
nucléaire, penseur et activiste antisioniste, Israël Shahak est décédé le 4
juillet à Jérusalem, à l'âge de 68 ans. Né à Varsovie (Pologne) en 1933, Shahak
avait connu le camp de concentration de Belsen, avant la victoire des Alliés. En
1945, il émigre en Palestine avec d'autres jeunes sionistes et s'enrôle dans
l'armée. A cette époque, il admire David Ben Gourion, le Premier ministre
d'Israël. La mutation politique d'Israël Shahak date de la guerre de 1967. Il
dénonce l'occupation israélienne de territoires arabes et la destruction
systématique de l'identité politique et sociale palestinienne. Il dénonce
vivement les tortures dont font usage l'armée et les forces de sécurité
israéliennes contre les militants palestiniens. Shahak écrira de nombreuses
études et essais dénonçant le mouvement sioniste qui avait aidé à l'effondrement
du Mouvement des Juifs éclairés (Haskalah). Au cours des deux dernières
décennies, Shahak insistera sur la nécessité d'une «véritable révolution» dans
la religion juive qui «la rende humaine, ce qui permettrait aux Juifs de
comprendre leur passé sans peur et sans parti pris... sur le modèle de ce que
Voltaire avait fait pour son propre passé». La «démocratie israélienne» ne put
supporter entendre parler Israël Shahak. L'homme fut férocement combattu et
muselé. Il mourut en répétant que «l'Etat d'Israël aujourd'hui ne diffère en
rien de ce que furent les Juifs polonais avant 1795... des agents de
l'oppresseur».
13. Une
vidéocassette sème le trouble à l'ONU par Afsané Bassir
in Le Monde du vendredi
13 juillet 2001
Israël et le Liban refusaient toujours, mercredi 11
juillet, de visionner une version édulcorée de la vidéo montrant les suites de
l'enlèvement, en octobre 2000, de trois militaires israéliens par le Hezbollah.
NEW YORK (Nations unies) de notre correspondante
Elle ne serait pas de très bonne qualité, cette fameuse cassette vidéo
tournée par l'ONU et réclamée par Israël, qui affirme qu'elle peut apporter des
éléments d'information sur les conditions dans lesquelles trois soldats
israéliens ont été enlevés, le 7 octobre 2000, par le Hezbollah libanais au
Liban sud. D'une trentaine de minutes, elle tient en trois parties. Voici le
récit que des responsables de l'ONU en ont fait, mardi 10 juillet au
Monde.
Le document s'ouvre sur une vue générale de quelques dizaines de casques
bleus de l'ONU s'agitant autour de deux véhicules accidentés, garés au bord
d'une route et à bord desquels le Hezbollah libanais aurait transporté les trois
soldats israéliens capturés au lieudit des Hameaux de Chebaa, aux confins des
territoires syrien et libanais, occupé par l'armée israélienne depuis 1967 et
dont le Liban revendique la souveraineté.
Il s'agit de véhicules blancs, semblables à ceux des Nations unies. Un gros
plan montre ensuite des casques bleus fouillant à l'intérieur des véhicules, et
découvrant des insignes et des uniformes ressemblant à ceux de soldats de la
Finul (Force intérimaire des Nations unies au Liban). Quelques petites taches de
sang apparaissent.
DIALOGUE TENDU
Puis l'on voit arriver des hommes en tenue civile, mais armés jusqu'aux
dents, qui réclament les véhicules.
Un dialogue tendu s'engage entre eux et les casques bleus. Les civils
tentent de s'emparer des voitures par la force. Les casques bleus ne résistent
pas. Les civils, présumés membres du Hezbollah, quittent les lieux à bord des
véhicules. Les casques bleus s'éloignent. Fin de la cassette.
Ce document a été filmé par un soldat de l'ONU "sur l'ordre d'un officier
supérieur", le 8 octobre 2000, dix-huit heures après l'enlèvement de trois
soldats israéliens par le Hezbollah libanais. La décision de filmer les voitures
accidentées et "déguisées" en véhicules de l'ONU a été prise, déclare Jean-Marie
Guéhenno, secrétaire général adjoint chargé des opérations de maintien de la
paix, "afin d'avoir suffisamment d'éléments pour pouvoir protester auprès des
autorités libanaises pour cette violation et pour l'utilisation des insignes de
l'ONU". Tourner des cassettes vidéo, explique-t-il, "est la procédure standard
de beaucoup d'opérations militaires de l'ONU".
M. Guéhenno, qui lui-même n'a appris l'existence de la cassette que le 6
juin, soit huit mois plus tard, et qui se trouve désormais au centre de la
controverse, explique que les deux véhicules "n'appartiennent pas à
l'ONU".
Bien qu'elle soit "loin d'être dramatique", cette vidéocassette est
néanmoins au centre d'une polémique entre l'ONU et Israël, d'une part, l'ONU et
le Hezbollah, de l'autre. "Nous sommes pris ici entre deux feux, dit le
porte-parole de l'ONU, Fred Eckhard, entre Israël, qui exige qu'on lui remette
la cassette, et le Hezbollah, qui menace de considérer les soldats de l'ONU
comme des 'espions' si la cassette est remise…" à l'Etat juif.
"ERREURS DE JUGEMENT"
L'offre de l'ONU de permettre aux Israéliens et aux Libanais de "visionner"
la cassette, sans en prendre possession, et en obscurcissant les visages des
individus, a été rejetée par le Liban, qui ne veut même pas la voir, et par
Israël, qui exige que lui soit remise une version non modifiée.
Que s'est-il passé ? Les Nations unies semblent avoir commis des "erreurs
de jugement psychologiques et politiques" à plusieurs niveaux, disent des
diplomates, mais la majorité d'entre eux estiment qu'en rendant l'affaire "si
publique", Israël agit de "mauvaise foi" et pour "des motivations de politique
intérieure". Ils notent par exemple que le jour où l'Etat juif a décidé de
rendre l'affaire publique – le 5juillet – a coïncidé avec la déclaration du
secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, condamnant la politique israélienne de
liquidation d'activistes palestiniens.
Certains estiment qu'en "discréditant" les Nations unies, Israël tente de
mettre fin "une fois pour toutes" à l'idée, d'origine française, du déploiement
d'observateurs internationaux dans les territoires occupés. D'autres encore
pensent que le rôle de "conciliateur" joué depuis quelques mois par M. Annan au
Proche-Orient "n'est guère apprécié" par certains Israéliens. Pour d'autres
enfin, Israël, qui n'a toujours pas réussi à recueillir de renseignements sur le
sort des trois soldats enlevés, et qui est soumis à la pression des familles,
tente, en s'en prenant à l'ONU "qui dans une certaine mesure le mérite", de
détourner l'attention.
14. Le Liban
refuse de visionner le document par Lucien George
in Le Monde du vendredi 13 juillet 2001
BEYROUTH de
notre correspondant
La position du Liban est, pour une fois, confortable dans l'affaire de la
cassette vidéo filmée par la Force intérimaire des Nations unies pour le Liban
(Finul), détenue par l'ONU et réclamée par Israël. Les autorités refusent non
seulement que la cassette litigieuse soit remise à l'Etat juif, mais également
de la visionner elles-mêmes.
Dès que l'affaire a éclaté, samedi 7 juillet, un communiqué clair et net de
la présidence de la République soulignait que "le visionnage de cette cassette
constituerait un dangereux précédent, car ce serait transmettre à l'ennemi
israélien des informations recueillies sur le territoire libanais, ce qui est en
contradiction avec la mission de la Finul". Le délégué du Liban à l'ONU, Sélim
Tadmouri, a estimé que "l'affaire est une tempête dans un verre d'eau", suscitée
par Israël "pour embarrasser l'ONU et gêner son secrétaire général, notamment
après qu'il a dénoncé son plan de liquidation des activistes
palestiniens".
"AUCUNE INDICATION"
Le Hezbollah, principal protagoniste de l'affaire puisque ce sont ses
hommes qui sont présumés se trouver sur la séquence filmée et qu'il détient les
trois soldats, est tout aussi catégorique. Son secrétaire général, cheikh Hassan
Nasrallah, a déclaré : "L'Etat, la résistance et le peuple libanais refusent que
l'ONU remette à l'ennemi la cassette vidéo filmée en territoire libanais et
considèrent qu'un tel acte placerait la Finul dans la case des espions à la
solde des ennemis."
S'adressant aux Israéliens, cheikh Nasrallah a ajouté : "Même si vous
obtenez cette vidéo, vous n'aurez aucune indication sur le sort des
prisonniers." Il a assuré que le Hezbollah ne livrerait aucune information sur
le sort des trois soldats – ni sur celui d'un quatrième Israélien capturé
quelques semaines plus tard et qui, selon la formation chiite, serait un agent
des services de renseignements, alors que l'Etat juif affirme que c'est un homme
d'affaires – sans la libération de prisonniers arabes détenus par Israël.
En se bornant à soutenir le Hezbollah, l'Etat ne se heurte pas à l'ONU et
ne prend que le risque de voir le renouvellement du mandat de la Finul, prévu
avant le 31 juillet, devenir plus compliqué.
15. Timor Goksel,
porte-parole de la Finul : "Nous possédons d'autres
cassettes"
in L'Hebdo Magazine
(hebdomadaire libanais) du vendredi 13 juillet 2001
Le porte-parole de
la Finul au Liban Timor Goksel affirme que plusieurs cassettes vidéo filmées à
la suite d'opérations au Liban-Sud sont en possession des Casques bleus. Un de
ces films provoque des remous à un moment qui, toujours selon Goksel, est
étrange. Interview.
- Comment considérez-vous les accusations
d'Israël selon lesquelles des Casques bleus seraient impliqués dans l'enlèvement
de trois de ses soldats par le Hezbollah ?
- Rien n'est prouvé
jusqu'à présent. Je crois que c'est juste une campagne de déstabilisation contre
la Finul et les Nations unies. Je ne sais pas exactement ce qui est en train
d'être concocté, surtout en cette période. C'est le timing qui me semble
étrange.
- Selon le général israélien Echkénazy, les Casques bleus
accusés faisaient partie de l'unité indienne. Quels sont vos paramètres de
contrôle ?
- Nous sommes là depuis des années. Les soldats
indiens sont parmi les plus disciplinés et les plus entraînés. Ce sont des
professionnels. Avant de porter de graves accusations contre une armée
professionnelle, il faudrait posséder des données et des preuves valables.
Autrement, ce n'est que du vent.
- Pourquoi avoir filmé, au lendemain de l'enlèvement, l'endroit
où l'incident a eu lieu et les deux véhicules qui avaient servi à l'exécution de
l'opération ?
- Nous avons des instructions pour filmer ou
prendre en photos les lieux et les différents mouvements après des opérations de
ce genre. C'est un travail d'investigation que l'on fait, un travail de routine.
Ce n'est pas un métier d'espionnage, soyez sûre!
- Avez-vous visionné la cassette vidéo personnellement. Y
avait-il des indices ?
- J'ai vu le film. Il a été pris le
lendemain, dix-huit heures après l'opération. Que peut-il bien y avoir?
- Qu'avez-vous vu dans le film ?
- Nos soldats
déplaçaient les deux voitures pour y relever les indices, objets ou traces
nécessaires à l'enquête; trois Libanais du Hezbollah apparaissent et veulent
nous prendre les voitures. A la suite d'une discussion, nous finissons par
livrer les voitures à l'armée libanaise.
- Vous avez dit que filmer au lendemain des opérations est pour
vous un travail de routine. Possédez-vous d'autres cassettes ou photos filmées
après des opérations de ce genre ?
- Sûrement. Nous les gardons
toutefois pour nous. Ce sont nos archives, nos documents. Nous n'avons pas à les
partager avec qui que ce soit.
- Allez-vous reprendre vos investigations ?
-
Pourquoi le ferions-nous? Nous avons effectué un travail d'enquête il y a un
mois, et nous l'avons terminé. Il s'agit d'un travail professionnel et pas d'un
passe-temps...
- Le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah,
a affirmé que si la Finul livrait la cassette vidéo aux Israéliens, ce serait
une sorte d'espionnage au profit d'Israël. Qu'en dites-vous ?
-
Je ne sais pas quelle est la définition de l'espionnage dans la loi libanaise!
Je suis convaincu que sayyed Nasrallah connaît très bien l'étoffe des membres de
la Finul au Liban-Sud. C'est malheureux qu'il puisse considérer nos soldats
comme pouvant être des espions.
- Nasrallah a même avancé que la Finul changeait son statut de
neutralité...
- Ceci n'est pas du tout vrai. Comment peut-on
nous accuser de la sorte après tant d'années de service? Nous avons effectué un
travail très propre jusqu'aujourd'hui. Pourquoi devrions-nous changer de cap?
- Avec cette affaire, Israël cherche-t-il à se prémunir contre
de nouvelles opérations de ce genre, comme le suggérait le quotidien Maarev
?
- Je ne crois pas. Je ne peux en tout cas rien avancer. Nous
n'en avons discuté avec aucune partie. Ce n'est pas de notre ressort.
- Avez-vous livré aux Israéliens des échantillons de sang des
soldats israéliens, prélevés dans les deux véhicules ?
- Non.
Ce sont de fausses informations.
- Vous faites l'objet d'accusation de la part des deux parties.
Qu'en est-il vraiment?
- Etre parfois accusé fait,
malheureusement, partie de notre mission. Ce n'est pas chose nouvelle: nous
subissons des accusations depuis 1978. L'OLP, le Hezbollah et bien d'autres
parties nous en ont voulu un jour ou l'autre. Toujours est-il que le timing,
cette fois-ci, n'est pas innocent. C'est tout ce que je peux vous dire.
16. Israël s'énerve par Françoise
Germain-Robin
in L'Humanité du vendredi 13 juillet 2001
Palestine. L'armée israélienne multiplie les provocations et les crimes.
Tel-Aviv s'en prend à l'ONU, accusée de complicité avec le Hezbollah
Le premier ministre israélien, Ariel Sharon, est allé hier en Italie
chercher du soutien auprès du gouvernement de droite de Silvio Berlusconi,
estimant qu'il avait été incompris par les Français, les Allemands et les Belges
lors de sa première tournée européenne, la semaine dernière.
Il faut dire qu'Ariel Sharon a essuyé, ces derniers jours, de très vives
critiques pour sa politique de destruction de maisons et d'assassinats de
Palestiniens. La France et l'Europe les ont condamnés fermement et le
département d'Etat américain a parlé de " provocations graves " à propos de la
destruction au bulldozer, mardi, de 14 maisons palestiniennes à Jérusalem-Est
occupé et de 18 autres à Rafah, en pleine zone autonome. " De tels actes, a
estimé Washington, ne peuvent que rendre plus difficile le retour au calme. "
On en est loin et les incidents sanglants se font chaque jour plus
nombreux. Mercredi, trois drames affreux se sont produits à ces barrages
militaires qui font de la Cisjordanie un enfer en empêchant les gens de
circuler, même quand il s'agit de cas d'urgence : un Palestinien de
quarante-neuf ans, qui se rendait à l'hôpital pour des soins, arrêté pendant des
heures sous un soleil de plomb est mort d'une crise cardiaque. Une jeune femme
enceinte de trente ans, empêchée de passer, a accouché sur la route et perdu son
bébé. Une autre mère de famille est morte dans un taxi collectif criblé de
balles par des soldats israéliens pour avoir essayé d'éviter un barrage.
Autant d'actes qui témoignent du mépris total de l'armée israélienne pour
la vie des Palestiniens. Hanane Archraoui, membre du Conseil national
palestinien, qui vient d'être nommée porte-parole de la Ligue arabe, déclarait
hier qu'il fallait voir dans le comportement d'Israël, " qui vise à rendre la
vie impossible aux citoyens palestiniens sur la terre de Palestine ", une
volonté délibérée de " nettoyage ethnique ".
De nouveaux incidents ont fait hier plusieurs victimes, israéliennes et
palestiniennes : près de Naplouse, une famille de colons est tombée dans une
embuscade tendue par des hommes portant des uniformes de l'armée israélienne qui
ont tiré sur leur véhicule. Le père a été grièvement blessé, la mère et son
enfant de deux ans plus légèrement. Peu de temps après, deux Palestiniens
étaient tués à l'entrée de Naplouse (ville " autonome ") par des tirs de char
sur un poste de police. Quatre policiers et enfant de douze ans ont été blessés.
Ces décès portent à 31 le nombre de tués (20 Palestiniens et 11 Israéliens),
depuis la proclamation, toute théorique, d'un cessez-le-feu.
C'est dans ce contexte très dur que s'est encore aggravée hier la polémique
qui oppose Israël à l'ONU à propos d'une cassette vidéo saisie par des soldats
de la FINUL au Sud-Liban. Cette cassette, qui a été remise au secrétariat
général de l'ONU à New York, contient des images filmées par les casques bleus
après l'enlèvement par des combattants du Hezbollah libanais, le 7 octobre
dernier, de trois soldats israéliens. Filmée le lendemain, elle montre deux
véhicules accidentés laissés au bord de la route par les ravisseurs. Des
véhicules peints en blanc pour ressembler à ceux de la FINUL, comme les
uniformes abandonnés sur place. Israël exige que l'original de la cassette lui
soit remis. Ce que l'ONU a refusé jusqu'ici. L'affaire a connu hier un
rebondissement inattendu avec les révélations faites par le journal israélien
Maariv. Ce dernier affirme que des casques bleus indiens de la FINUL ont en
réalité aidé le Hezbollah, qui les aurait soudoyés en leur versant de fortes
sommes, à monter toute l'opération. Le porte-parole de la FINUL, Timour Goskel,
qui a eu souvent dans le passé maille à partir avec l'armée israélienne, a
démenti ce qu'il a qualifié " de calomnie et d'insulte ". Mais le secrétaire
général de l'ONU, Kofi Anan, craignant que tout cela " ne nuise à la crédibilité
de l'ONU ", a ordonné une enquête interne.
17. De nouveau, pour les négociateurs, la hantise : le
droit des réfugiés au retour par Isabel Kershner
in The Jerusalem
Report (bimensuel israélien) du jeudi 12 juillet 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
[Tiré à 50 000 exemplaires,
"The Jerusalem Report", est un magazine diffusé essentiellement aux Etats-Unis.
Créé en 1990 par des journalistes issus du "Jerusalem Post" (quotidien
israélien) après le virage conservateur négocié par ce dernier, le "Jerusalem
Report" s'est ancré au centre gauche.]
Tandis qu'Israéliens et
Palestiniens sont prêts à ébaucher un accord sur le statut définitif, il n'est
plus possible d'échapper au plus difficile de tous les sujets : les réfugiés de
1948. Et cependant, il n'existe aucun langage commun. L'OLP dit que des millions
de réfugiés doivent "revenir chez eux" à Jaffa et à Safad. Mais, pour les
Israéliens, cela équivaut à menacer de destruction leur Etat. Nous sommes dans
le camp de réfugiés palestiniens de Dheïshe, qui jouxte la ville cisjordanienne
de Bethlehem, en ce début du mois de juillet. Des dizaines d'enfants sont réunis
dans la cour bétonnée et spartiate d'une école, afin de célébrer la fin de leur
journée de camping placée sous l'égide d'"Al-Quds" (Jérusalem). Un monument
élancé, épousant les contours de la Palestine mandataire, dépasse au-dessus du
mur ; il est dédié aux victimes de l'Intifada. Dans la cour de l'école, un des
multiples graffiti proclame : "Cinquante ans sous la tente"...
Après une
lecture du Coran et l'exécution de "Biladi" ("Mon Pays"), l'hymne palestinien,
un garçon d'une douzaine d'années commence à battre le tambour et quatre groupes
bigarrés d'écoliers se mettent en marche, arborant des oriflammes portant les
légendes : "Jaffa", "Ramlah", "Safad" et "Hittin"... noms de trois villes jadis
arabes, situées dans ce qui est devenu, aujourd'hui, Israël, et du théâtre de la
défaite décisive infligée par Saladin aux Croisés... Dans un unisson
approximatif, les garçons hurlent les noms des villes perdues de la Palestine
d'avant 1948, autant de lieux qui, pour eux, n'existent que dans une mémoire
collective brumeuse et idéalisée. Ces lieux qui ont en effet changé du tout au
tout, transformés en villes juives ou rayés de la carte comme ils l'ont été,
sont à quelques minutes de l'endroit, en voiture. Ces enfants sont des réfugiés
palestiniens de la troisième génération, dont les parents sont nés à Dheïshé et
dont les grands-parents ont fui ou ont été expulsés, par centaines de milliers,
de leurs villages au cours de la guerre de 1948. Aujourd'hui, dans les camps de
réfugiés de Cisjordanie et de la bande de Gaza, au Liban, en Syrie et en
Jordanie, une quatrième génération est en train de naître... Les garçons passent
à des activités de patronage d'été, telles les exhibitions d'athlétisme. De leur
côté, les filles donnent une courte représentation théâtrale sur le thème
"Sauvez les arbres", devant un public composé surtout des mères, avec leurs
derniers-nés. Les jeunes filles de la troupe de danse de Dheïshé, très populaire
localement, s'avancent dans leurs atours traditionnels et entament les pas d'une
ronde ancestrale, la dabkéh...
Muhammad Jaradat, militant du Centre
d'Information Badil ("Alternative") pour les droits des réfugiés palestiniens,
basé à Bethlehem, présente ces activités comme représentatives du mouvement de
"continuité", une sorte de re-prise de conscience parmi la jeunesse
palestinienne réfugiée, qui a débuté avec la signature des accords d'Oslo. Il
s'agit là d'une initiative populaire, nous dit-il, d'une sorte d'avertissement
sans frais aux responsables politiques contre toute idée qu'ils pourraient
nourrir de passer un quelconque compromis sur la question des réfugiés... Le
Centre Badil, fondé en 1993, dans le cadre de ce mouvement de conscientisation,
filme des manifestations comme celle-ci, ainsi que des scènes de la vie
quotidienne dans les camps (des territoires occupés ou autonomes, ndt), et il
envoie les films à des enfants palestiniens (de la diaspora) vivant dans les
camps de réfugiés en Jordanie, au Liban et en Syrie. L'idée, nous dit M.
Jaradat, est de ressouder une identité communautaire, après des décennies de
séparation physique.
Cinquante années durant, les réfugiés ont réclamé le
droit à retourner dans leurs foyers ancestraux, dans ce qui est désormais
Israël, aiguillonnés par l'OLP et confortés par la résolution 194 de l'ONU, de
décembre 1948. Cette résolution stipulait, entre autres choses, que les réfugiés
désireux de retourner chez eux et de vivre en paix avec leurs voisins "doivent
être autorisés à le faire dès que cela sera matériellement possible" et que
"compensation devra être versée à ceux qui choisiraient de ne pas
retourner chez eux afin de les dédommager de la perte de leurs
biens".
Cinquante années durant, les Israéliens de l'ensemble de l'éventail
politique ont rejeté le retour (des réfugiés) en le qualifiant
d'"inenvisageable". Le consensus quasi-total, sur ce sujet, à défaut des autres,
n'est pas surprenant : un retour massif des réfugiés menacerait l'existence même
de l'entreprise sioniste en créant sinon une majorité arabe, tout au moins une
parité démographique (entre Arabes et Juifs) dans l'Etat juif. L'attitude des
Israéliens a surtout consisté à se mettre la tête dans le sable, à la manière de
l'autruche, en espérant que les réfugiés finiraient par débarrasser le
plancher...
Le sujet est si sensible que le simple fait d'en étudier
l'origine est devenu un tabou national. Dix années en arrière, l'historien
israélien Benny Morris a publié son ouvrage "L'origine de la question des
réfugiés palestiniens, 1947-1949", dans lequel il explique que si certains
Palestiniens, peu nombreux, pris de panique, avaient fui, le plus grand nombre
d'entre eux se voyaient contraints à abandonner leurs villages pour échapper aux
assauts des milices juives, tandis que d'autres encore, sans doute moins
nombreux, avaient été carrément chassés par les troupes israéliennes. Morris a
été attaqué par la quasi-unanimité des historiens reconnus, et il est resté
pendant des années un paria académique...
Mais les réfugiés ne se sont pas
évaporés. Bien au contraire, ils n'ont fait que se multiplier. Les seuls
recensements disponibles ont été effectués par l'UNRWA (Agence des Nations Unies
pour le Secours aux Réfugiés Palestiniens du Moyen-Orient et le Travail), qui
estime leur nombre, aujourd'hui, à plus de 3,5 millions de personnes. Israël
proteste contre des chiffres qu'il estime gonflés et avance des chiffrages
non-officiels, plus près des deux millions de réfugiés. L'OLP assure que si les
réfugiés qui ne se sont jamais inscrits auprès de l'UNRWA sont pris en compte,
l'effectif total s'élève à quelque cinq millions.
Aujourd'hui, avec
l'engagement pris par l'ancien premier ministre Ehud Barak de parvenir à un
règlement définitif avec les Palestiniens, les deux parties vont devoir
s'attaquer au problème des réfugiés, une parmi les cinq questions laissées en
suspens jusqu'aux négociations sur le statut définitif (avec Jérusalem, les
frontières, les colonies et la répartition de l'eau).
Le président américain
sortant Bill Clinton avait opéré une brèche inattendue, en juillet dernier,
lorsqu'il avait déclaré, au cours d'une conférence de presse, qu'il souhaitait
que les Palestiniens "se sentent libres et soient effectivement libres de vivre
où ils le désirent", ce qui semblait représenter une entorse évidente à la
neutralité américaine traditionnelle en matière de réfugiés (palestiniens).
Barak répliqua abruptement que les observations de Clinton étaient
"inacceptables", tandis que Washington se fendait d'éclaircissements selon
lesquels le problème (des réfugiés) devait être résolu par des négociations
entre les parties concernées.
Il n'y a d'accord que sur un seul point : sans
apurement du dossier des réfugiés, le conflit israélo-arabe ne trouvera pas de
fin. Toutefois, dit Joseph Alpher, président du bureau Israël/Moyen-Orient du
Comité Judéo-américain et membre d'un groupe de recherche sponsorisé par
Harvard, qui a étudié le problème des réfugiés entre 1994 et 1998, "s'il est un
dossier du statut définitif pour lequel chaque partie a une conscience
quasi-nulle du degré de souffrance subie par son partenaire, c'est bien
celui-là".
En un retournement de situation quelque peu ironique, les
Palestiniens ont de plus en plus tendance à citer comme précédent les procès en
restitution des biens et des pertes non-matérielles des victimes de l'Holocauste
et de leurs ayant-droits, procès intentés par les organisations juives, famille
concernée par famille concernée.
Là où Israël a depuis toujours admis, en
principe, de régler le problème des réfugiés au moyen d'une compensation
(financière) collective, les Palestiniens demandent, en sus du droit au retour,
une compensation individuelle et des réparations pour les pertes matérielles et
la souffrance subies par les réfugiés.
"Il y a un large mouvement, parmi les
intellectuels palestiniens vivant en Europe, favorable à l'obtention de nos
pleins droits légaux, et nous nous inspirons de (ce qu'a fait) la communauté
juive", dit Abbas Shiblak, un universitaire suave et distingué d'Oxford,
fondateur du Centre Shaml ("Regroupement") pour la Diaspora et les Réfugiés
Palestiniens, dont les bureaux sont situés à Ramallah. "Si les dirigeants
politiques reviennent (des négociations) avec une solution mi-chèvre mi-chou, à
demi-cuite, sur la question des réfugiés", avertit M. Shiblak, "il y aura des
procès".
Des vues diamétralement opposées
Une guerre a éclaté, en mai
1948. Lorsque les accords d'armistice furent signés, en 1949, quelque 700 000
Palestiniens étaient devenus des réfugiés dans différents pays arabes. La
question de savoir qui est fautif est, jusqu'à nos jours, au coeur du
contentieux.
Comme l'a dit jadis, en 1958, Abba Eban, alors ambassadeur
d'Israël aux Etats-Unis, au Comité politique spécial de l'Assemblée générale de
l'ONU : "Entendons-nous bien. Si une guerre n'avait pas été déclenchée contre
Israël, avec son cortège de sang versé, de misère, de panique et de combats, il
n'y aurait aujourd'hui aucun problème de réfugiés arabes." Jusqu'à ce jour,
Israël n'a jamais infléchi son attitude consistant à affirmer que les Arabes,
qui ont déclenché la guerre dans l'espoir de bloquer l'établissement de l'Etat
d'Israël, sont à l'origine du problème. Dans le discours palestinien, en
revanche, les réfugiés ont été chassés par les Sionistes. La mémoire
palestinienne est faite de tueries et de rumeurs de massacres. Les Israéliens
font immanquablement référence à des émissions des radios arabes qui auraient, à
leurs dires, incité les civils locaux à abandonner leurs villages et à dégager
le champ de bataille devant les armées arabes coalisées. Une étude récente sur
le problème des réfugiés, réalisée par le Centre de Recherche et d'Information
Israël/Palestine (IPCRI : Israel/Palestine Center for Research and Information)
a établi que 85 pour cent des réfugiés sous étude en Cisjordanie et dans la
bande de Gaza ont dit qu'eux-mêmes, ou leurs parents, avaient quitté leurs
foyers, craignant pour leur propre vie ou celle de leurs enfants. La plupart ont
déclaré ne pas avoir de poste de radio à leur disposition à cette époque, bien
qu'un homme âgé de soixante-sept ans, originaire de Jaffa, ait déclaré se
souvenir d'avoir entendu des appels radiodiffusés exhortant les civils à quitter
la région.
"Vous feriez quoi, vous, si une guerre atteignait votre village
natal ?" demande Khalil Shikaki, un spécialiste palestinien en sciences
politiques, qui a participé, avec Alpher, au groupe de recherche de Harvard.
"Vous y laisseriez votre femme, vos enfants, exposés à tous les dangers ? Les
réfugiés du Kosovo, les a-t-on blâmés d'avoir abandonné leurs villages ?Et si
quelqu'un vous promet que, si vous quittez votre village, il va se battre à
votre place, puis vous y ramener, cela signifie-t-il que vous n'aurez jamais le
droit de revenir chez vous ?"
Mais même le plus libéral des Israéliens
libéraux ne peut envisager d'endosser la responsabilité morale de la fuite des
réfugiés palestiniens. Endosser cette responsabilité reviendrait à "admettre
qu'Israël a été conçu dans le péché", dit Gershon Baskin, directeur de
l'institut IPCRI et qui se situe, politiquement, sur l'aile "colombe" de
l'éventail politique israélien. Inversement, aucun Palestinien ne peut oublier
ce qu'ils perçoivent comme le péché originel d'Israël, en renonçant au droit au
retour des réfugiés.
Israël refuse de s'excuser officiellement pour le
problème des réfugiés, et sa position est que la solution de ce problème réside
dans la réinstallation et la réinsertion sociale des réfugiés dans les pays
arabes - ou partout ailleurs, à partir du moment où ce n'est pas en Israël... -
deux choses qui auraient dû être faites depuis longtemps (toujours du point de
vue israélien, bien sûr). En 1949, à la Conférence de paix de Lausanne, le
gouvernement de Ben-Gurion a effectivement proposé une réunification des
familles pour 100 000 réfugiés, comme partie d'un accord global de paix, mais
les Arabes rejetèrent cette offre, qui n'a jamais été renouvelée depuis.
Aujourd'hui, Israël propose une indemnisation collective pour les réfugiés, un
montant global qui serait versé à un fonds général pour la réinsertion sociale
des réfugiés. "Parmi les Israéliens qui s'occupent de cette question, il y a un
avis unanime", dit Alpher, "c'est qu'inspecter chaque maison, chaque verger,
chaque pacage de chèvres en remontant jusqu'en 1948 et calculer leur valeur
actuelle serait totalement irréalisable et ne ferait qu'aboutir à l'exacerbation
de l'acrimonie".
De plus, argue Israël, les réfugiés palestiniens doivent
être considérés comme faisant partie d'un échange entre populations juives et
arabes : quelque 450 000 Juifs ont fui les pays arabes pour immigrer en Israël.
Beaucoup d'entre eux ont perdu tous leurs biens, pour lesquels Israël exige une
compensation réciproque.
Les Palestiniens restent impavides face à cet
argutie. Ils disent que les biens juifs, dans les pays arabes, ce n'est pas leur
problème. De plus, les experts relèvent que prendre en compte les biens juifs
(abandonnés dans les pays arabes) exigerait d'engager des négociations très
complexes et ardues avec plusieurs gouvernements arabes, dont certains
n'entretiennent aucune relation avec Israël. Et Israël a lui-même établi un
précédent qui lui "casse la baraque", en signant il y a vingt ans de cela, avec
l'Egypte, un traité de paix qui fait l'impasse sur les avoirs juifs abandonnés
dans ce pays.
A part répéter inlassablement leur faveur pour le principe
d'une compensation réciproque, les responsables israéliens qui ont à connaître
du problème des réfugiés palestiniens restent "motus et bouche cousue". Ils
assurent que, si le problème des biens juifs (abandonnés dans les pays arabes)
"sera certainement introduit dans l'équation", rien n'a été jusqu'ici fait
officiellement afin d'en évaluer la valeur.
Des sources crédibles, toutefois,
avancent qu'Israël admettait jusqu'à il y a peu, en petit comité, que les biens
palestiniens en Israël avaient une valeur bien supérieure à celle des biens
juifs abandonnés dans les pays arabes. Mais c'était avant que la Jordanie et
d'autres pays arabes fassent valoir, comme ils en ont la ferme intention, la
charge qu'a représenté pour eux la nécessité de recevoir les réfugiés
palestiniens chez eux.
Pour sa part, l'OLP s'en tient à la lettre de la
résolution 194 des Nations-Unies qui, font remarquer ses représentants, n'a pas
été confirmée à l'ONU à moins de quelque cent dix reprises... Asad Abdal-Rahman,
membre itinérant de la Commission exécutive de l'OLP, chargé du dossier des
réfugiés, dit que l'OLP "insiste sur la reconnaissance du droit au retour pour
tous les réfugiés, pour les cinq millions de réfugiés. Lorsqu'ils se seront vu
accorder ce droit et seulement alors, nous verrons bien qui voudra retourner et
qui ne voudra pas." Il ajoute que lorsqu'il s'est rendu à Bruxelles, en février
dernier, afin de prononcer un discours devant le groupe d'étude sur les réfugiés
de l'Union Européenne, "ils voulaient que je leur révèle des scénarios, nos
solutions de repli. Je leur ai dit que notre seul scénario, c'était la
résolution 194. En précisant toutefois que, s'il était besoin d'un échelonnement
de sa mise en application, pour des raisons pratiques, ou s'il était normal de
commencer par ceux d'entre les réfugiés qui vivent dans les conditions les plus
misérables, tels ceux du Liban et de la bande de Gaza, nous étions prêts à agir
conformément à ce que dicteraient les nécessités matérielles, tant qu'aucune
limite supérieure ne serait imposée au nombre des réfugiés (autorisés à
retourner chez eux).
Même si l'on a l'impression que rien ne se passe, les
représentants israéliens et palestiniens ont bel et bien tenu des réunions
sporadiques, au cours des six années écoulées, sous couvert du Groupe de Travail
sur les Réfugiés, l'un des deux aréopages de négociations multilatérales nés en
1991 (du temps des négociations de Madrid) à avoir survécu. Mais la mission de
ce groupe, qui est présidé par le Canada, se limite à améliorer les conditions
de vie des réfugiés là où ils se trouvent aujourd'hui. Israël a repoussé du
revers de la main toutes les tentatives pour l'amener à envisager des questions
de principes plus larges. Le chef de la délégation israélienne au Groupe de
Travail sur les Réfugiés (RWG : Refugees Working Group), Yossi Hadass, ancien
directeur général du Ministère israélien des Affaires étrangères, reste évasif
lorsqu'on lui demande d'entrer dans les détails. Il se réfère vaguement à
l'évaluation réalisée par le groupe de Travail d'un programme israélien de
longue haleine, même s'il n'est pas activement appliqué de manière constante, de
réunification des familles, qui a été lancé dans les années cinquante. D'après
Andrew Robinson, le haut-fonctionnaire canadien qui préside le Groupe de
Travail, les parties sont convenues d'étudier 2 000 cas annuellement (ce qui
concerne environ 6 000 personnes), concernant des réfugiés en Jordanie, pour la
plupart, autorisés à rejoindre les familles vivant sous autonomie palestinienne
en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Robinson dit qu'Israël n'a pas toujours
rempli ses obligations. Toutefois, au cours de la dernière réunion du Groupe, en
mars dernier, Israël a accepté de porter à 3 000 le nombre de dossiers instruits
dans l'année.
Les cas des centaines de milliers de "personnes déplacées" qui
ont quitté la Cisjordanie à la veille de la guerre de 1967 (dite "des Six
Jours"), pour la Jordanie (pour la plupart d'entre eux), sont traités
séparément. Les accords d'Oslo ont institué un comité spécial
israélo-palestino-jordano-égyptien afin d'examiner leurs possibilités de
retourner en Cisjordanie et à Gaza. Mais sur cette piste aussi, l'avancée a été
remarquablement lente.
Un projet en vue de négociations futures
Alors
qu'un blocage quasi-total s'est imposé durant des décennies au niveau officiel,
les intellectuels israéliens et palestiniens se sont employés à combler l'abîme,
sans coups d'éclats.
En 1995, Shlomo Gazit, ancien chef des Services secrets
militaires israéliens, a rédigé un mémoire suggérant que la solution du problème
des réfugiés réside en l'institution d'un Etat palestinien sur la Cisjordanie et
la bande de Gaza, accompagnée d'une "Loi du Retour" palestinienne qui
autoriserait tout Palestinien vivant dans la diaspora à obtenir la nationalité
palestinienne et, si le besoin était, d'immigrer dans le nouvel état
(palestinien).
De manière similaire, des universitaires et des intellectuels
palestiniens, parmi lesquels nous citerons Ziyad Abu Zayyad, actuellement
ministre du gouvernement de Yasser Arafat, et Abbas Shiblak de l'Université
d'Oxford, ont admis qu'un retour massif vers les foyers et les terres de la
Palestine d'avant 1948 serait impossible, arguant du fait qu'il est nécessaire
d'établir une distinction entre le principe du droit au retour et l'exercice de
ce droit dans la pratique. L'idée d'un retour "symbolique" de quelques dizaines
de milliers de réfugiés en Israël même est un thème récurrent. De manière
concomitante, le mot "watan", qui signifie "patrie", utilisé traditionnellement
pour désigner la Palestine en général, prend de plus en plus la connotation de
l'Etat palestinien en devenir, impliquant que les réfugiés au Liban pourraient
vraisemblablement "retourner" en Cisjordanie, plutôt que dans leurs villages
d'origine, en Galilée (par exemple).
Ce n'est pas que la perspective d'un
flot de réfugiés déferlant sur la Cisjordanie soit particulièrement réjouissante
pour la plupart des Israéliens. Ariel Sharon, conservateur du Likud, a écrit que
"si ces gens se retrouvent relégués à nouveau dans des camps de réfugiés
misérables en Judée, en Samarie (= Cisjordanie, en sharonien, ndt) et à Gaza,
d'où ils pourraient apercevoir leurs villes d'origine et les restes de leurs
anciens villages (détruits), la tension et la haine atteindraient des sommets.
Nous ne pouvons pas parier sur leur inclinaison à se tenir tranquilles".
Une
autre réserve, souvent citée, à l'encontre d'un afflux de réfugiés en
Cisjordanie, est le manque d'eau dans la région. L'OLP rétorque que la pénurie
d'eau n'a jamais été considérée comme un problème dès lors qu'il s'agissait de
l'immigration en masse de Juifs venus de l'ancienne Union soviétique...
Le
document de travail issu du groupe de recherche parrainé par l'Université
Harvard, co-rédigé par Joseph Alpher et Khalil Shikaki, représente probablement
l'avant-garde du travail académique sur la question des réfugiés, aujourd'hui.
Il s'agit du résultat d'une réflexion menée au long de nombreuses années par des
Israéliens et des Palestiniens respectés et modérés. Malgré ces qualités, il se
dispense de présenter une quelconque proposition de solution. En lieu et place,
il propose une position de compromis du côté palestinien et une position de
compromis du côté israélien, tout en mettant en exergue le gap considérable qui
reste à combler entre elles.
La proposition palestinienne plaide
pour qu'Israël admette sa responsabilité dans la création du problème des
réfugiés et reconnaisse le "droit moral individuel" des réfugiés palestiniens à
retourner dans leurs foyers. Mais lorsqu'il est question de l'exercice concret
de ce droit, seul le retour d'un "nombre limité" d'entre eux est considéré comme
envisageable. Tous les Palestiniens qui ne retourneraient pas en Israël même
auraient le droit d'immigrer dans le nouvel Etat palestinien. Des compensations
individuelles seraient versées aux réfugiés qui n'opteraient pas pour l'exercice
de leur droit au retour, et des compensations collectives seraient versées à
l'Etat palestinien, qui seraient affectées au financement de projets
d'intégration. Israël aurait la responsabilité de collecter ces fonds, sans
égards à ses récriminations contre les pays arabes.
Mais même cette solution,
fait remarquer Shikaki, impliquerait d'autres concessions, tel l'octroi de
territoires supplémentaires aux Palestiniens. "Dès lors que les Palestiniens se
chargeraient de la responsabilité et du coût que représente l'intégration des
réfugiés, ils seraient fondés à vouloir exercer un contrôle maximum sur les
territoire, en clair : sur un Etat s'étendant jusqu'aux frontières de 1967,
comportant le contrôle sur les ressources en eau".
La solution israélienne de
compromis envisage la reconnaissance par Israël d'au moins une partie d'une
responsabilité pratique (mais non morale), partagée avec les autres parties
impliquées, "dans le sort et la souffrance des réfugiés". Cette solution accepte
le droit au retour des réfugiés sur les terres de l'Etat palestinien, mais non
en Israël même. L'Etat palestinien s'engagerait à limiter l'afflux (des
réfugiés) en fonction de ses capacités d'intégration. Israël, pour sa part,
autoriserait le "rapatriement" de "dizaines de milliers" de réfugiés
palestiniens sur son territoire pour des raisons humanitaires (essentiellement :
de regroupement familial). L'indemnisation des pertes matérielles serait
collective, en échange d'une indemnisation collective des pays Arabes versée aux
Juifs originaires de ces pays et réfugiés (en Israël).
Le document émanant
d'Harvard a hérissé bien des gens des deux côtés, dit Alpher. "Les gens
pensaient que nous étions allés trop loin, même si nous n'avons pas pu réaliser
un accord formel".
De manière très significative, ce rapport n'a suscité
aucune réponse de la part des instances israéliennes officielles. Mais Dan
Margalit, un journaliste israélien reconnu et modéré, a écrit un article des
plus caustiques dans le quotidien Ha'Aretz, sous le titre "Un Crime que Nous
n'Avons pas Commis", article qu'il conclut ainsi : "Il est honteux que des
Israéliens respectés tirent des plans sur la comète de cette manière (plans qui
vont servir de base pour des négociations en vue d'un accord définitif) avec des
Palestiniens intraitables".
As'ad Abdal-Rahman, de l'OLP, pour sa part, voue
aux gémonies ce qui "semble bien n'être que pure élucubration innocente" de
quelques intellectuels apparemment bien intentionnés, qu'il accuse d'envoyer des
"ballons d'essai" dont l'objectif principal est de faire baisser les enchères.
"Ni l'OLP, ni même un Etat entièrement souverain, ne peut effacer d'un coup de
gomme le droit au retour, qui est aussi un droit de la personne", dit
Abdal-Rahman. "Je pourrais dire "OK", en tant que personne chargée de ce
dossier, et mon frère pourrait me dire d'aller au diable et qu'il ne se
reconnaît plus dans l'OLP désormais".
Si Abdal-Rahman dramatise un peu, pour
la galerie, il est bien possible qu'il ait réussi à embobiner, par contre, la
Cellule de réflexion de l'Union européenne sur la question des Réfugiés. Dans un
rapport qu'il a présenté à Bruxelles, il a exposé un plan détaillé de l'OLP pour
le retour des réfugiés. Ce plan montre comment le retour, dans un premier temps,
des réfugiés du Liban vers les régions peu peuplées de la Galilée dont ils ont
sont originaires, et le retour des réfugiés de Gaza "sur leur territoire
pratiquement inoccupé," au Sud d'Israël, "n'affecteraient que 154 000 Juifs
ruraux qui vivent sur les terres des réfugiés expulsés". Pour des oreilles
israéliennes, cela sonne comme un plan destiné à éradiquer l'Etat
juif...
Avalanche de chiffres
Ces dernières semaines, une pétition pour la
restitution (des biens palestiniens) a battu son plein depuis l'Europe jusqu'en
Australie, dans la presse et sur le réseau Internet, dans le cadre d'une
campagne médiatique lancée par le Centre d'Information Badil en coordination
avec les chercheurs palestiniens Rosemary Sahigh, à Beyrouth et, depuis le
Koweït, Salman Abu Sitta, enfant terrible du milieu académique
palestinien.
En voici le début du texte : "Plus de cinqante ans après
l'Holocauste, des Juifs, partout dans le monde, continuent à lutter pour - et à
recevoir - la restitution de pertes matérielles et immatérielles infligées par
le régime nazi à travers l'Europe. Plus de cinquante ans après que le peuple
palestinien ait été déplacé et dépossédé par un Etat exclusivement juif installé
en Palestine à la suite des atrocités commises par les nazis en Europe (contre
les Juifs), les Palestiniens continuent à être dépossédés, dispersés, et on
continue à leur dénier une quelconque forme de compensation". Cette pétition
doit être remise au Parlement européen à l'automne prochain. Au début, raconte
l'équipe du centre Badil, formée de Muhammad Jaradat, Ingrid Jaradat-Gassner
(originaire d'Autriche) et du Canadien Terry Rempel, les Palestiniens étaient
réservés sur l'idée de soulever ce problème, en particulier en ce qui concerne
le choix des termes. Jaradat dit, à ce propos : "Il n'existe pas de terme, en
arabe, correspondant précisément à "restitution". Nous avons dû choisir un mot
dont la traduction littérale serait "restauration des droits". Restitution, en
l'occurrence, implique aussi la notion du droit au retour.
L'idée de la
pétition a été donnée par le travail des organisations juives qui ont oeuvré
pour des réparations accordées à chaque famille individuellement et pour la
restitution totale des biens, allant de propriétés de Juifs saisies et
nationalisées jusqu'à des oeuvres d'art dérobées. "Je pense que nous avons
beaucoup, beaucoup à apprendre, de l'expérience juive en la matière", dit
Abdal-Rahman.
Des experts israéliens qui travaillent sur le problème des
réfugiés se déclarent conscients de la différence entre les deux problèmes.
"Tout de même, aurions-nous dû nous contenter de rejeter les réclamations de
personnes qui avaient une assurance en Pologne, ou des oeuvres d'art qui sont
aujourd'hui accrochées au Louvre ?" demande l'un d'entre eux, ajoutant qu'il y a
"une différence. Alors qu'en Europe, ce dont il est question, c'est de
l'anéantissement de toute une communauté humaine, ici il y a eu une guerre. Et
cette guerre, je n'y suis pour rien, ce n'est pas moi qui l'ai provoquée. D'un
point de vue moral", dit-il, "la comparaison n'est pas acceptable."
Pour
l'instant, une avalanche de procès contre l'Etat juif est peu probable. Il
existe néanmoins un large consensus parmi les Palestiniens sur le fait que le
problème des réfugiés doit être résolu politiquement, et non au cas par cas. De
plus, comme le dit Abdal-Rahman : "si un Palestinien intentait un procès devant
une cour israélienne ou internationale et le perdait, cela établirait un
précédent (des plus fâcheux). Il vaut mieux s'en tenir à la résolution
194."
En ce qui concerne le problème global des compensations, toutefois, les
batailles de chiffres font d'ores et déjà rage. Des universitaires israéliens,
palestiniens et du monde entier devaient se rencontrer au Canada, à la
mi-juillet, au cours d'une conférence sur les indemnisations, la dernière d'une
série de rassemblements informels sur le problème des réfugiés baptisé
"processus d'Ottawa". Terry Rempel, du Centre Badil, fait observer que "si le
droit au retour doit s'avérer, dans les faits, symbolique, le niveau des
compensations devra en revanche être substantiel. Mais les gens évoquent cet
aspect de manière symbolique également, citant des chiffres d'ordres allant de 5
à 10 milliards de dollars".
Les Palestiniens rejettent ces estimations.
Résultat des administration ottomane, puis britannique, la Palestine d'avant
1948 était un territoire bien cartographié. Rempel dit que la Commission de
Conciliation pour la Palestine, établie en 1949 et qui a connu un sort funeste,
avait identifié plus de 450 000 actes authentifiant plus d'un million et demi de
propriétés individuelles. Aujourd'hui, les chercheurs palestiniens traduisent
ces pertes matérielles en sommes allant jusqu'à 250 milliards de dollars
d'aujourd'hui. Lorsque la perte des revenus, les séquelles psychologiques et
d'autres pertes non-matérielles sont prises en compte, les pertes totales se
montent jusqu'à 500 milliards de dollars. Si l'on prend maintenant en compte les
milliards de dollars que ne manqueront pas de réclamer les pays ayant recueillis
des réfugiés (palestiniens), à l'instar de la Jordanie, dit Ingrid Jaradat, "on
se trouvera confrontés à un tourbillon de chiffres vertigineux. Un
demi-trillion, un trillion..."
Personne non plus ne sait clairement d'où les
fonds nécessaires pourraient provenir. Alpher, de l'AJC, ne pense pas que le
financement puisse représenter un obstacle, finalement, bien que lui-même, comme
le gouvernement israélien, ne pense pas, bien entendu, en terme de
"trillions"...
"Nous sommes un pays prospère. Il y aura certainement des pays
riches, de par le monde, prêts à faire quelque chose pour favoriser la paix. Et
peut-être pourrions-nous demander, aussi, à quelques Juifs fortunés de bien
vouloir ouvrir leur porte-feuille..."
Les officiels israéliens ne commentent
pas les chiffrages avancés par les Palestiniens. Afin de donner une idée de
l'aune à laquelle se mesure la générosité internationale, toutefois, un
universitaire canadien, Rex Brynen, l'un des organisateurs de la réunion de
Juillet sur les compensations, a fait remarquer que "3 milliards de dollars
seulement (dont environ un quart sous la forme de prêts) ont été apportés en
soutien à l'ensemble du processus d'Oslo en ce qui concerne la Cisjordanie et
Gaza."
Il s'agit du genre d'histoire qui ne peut avoir une fin heureuse (pas
de "happy end"...) "Dans le scenario le plus favorable", dit Gershon Baskin, qui
se considère aussi libéral que possible, "il y aura des millions de Palestiniens
déçus. La plupart ne pourront pas retourner dans leur "mère patrie" et ils ne
verront pas la couleur des grosses sommes qu'ils escomptent recevoir (en
compensation)."
Dans son for intérieur, Abdal-Rahman, de l'OLP doit
probablement le savoir. "Peut-être l'idée d'une réconciliation entre deux
peuples sur la base d'une solution à deux Etats est-elle réalisable au cours des
cinq ans à venir", suggère-t-il, "alors que d'autres problèmes ne peuvent être
résolu en un temps aussi court".
Peut-être la question des réfugiés
devrait-elle demeurer à l'état de question finale pour une solution définitive -
sans capitulation (ni d'un côté, ni de l'autre)...
18. Ton Voisin tu connaîtras. Mais point ne
l'emploieras ! par Vered Levy-Barzilai
in Ha'Aretz (quotidien
israélien) du jeudi 12 juillet 2001
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
Les statistiques
sont choquantes : moins d'un pour cent des titulaires de chaires des universités
israéliennes sont arabes, bien que les Arabes représentent vingt pour cent de la
population totale du pays. Comment les universitaires expliquent-ils ce
phénomène ? Fuite des cerveaux, racisme, bureaucratie et opportunités offertes à
l'étranger...
Le 4 février, une réunion s'est tenue dans le bureau du
professeur Dan Laor, doyen de la Faculté des Sciences humaines de l'Université
de Tel Aviv. Face au doyen avaient pris place les membres du "septuor secret",
un groupe de professeurs, de gauche, dont le leit-motiv est "le campus ne se
taira pas", et qui ont fait connaître, depuis de nombreuses années, leurs
positions sur les problèmes importants du moment.
Les Sept sont parvenus à
convaincre Laor qu'il fallait prendre sans délai des mesures afin de résoudre le
problème que représente le nombre quasi symbolique de titulaires de chaires
arabes à l'université. Ils ont été choqués par les données statistiques
récentes, qui montrent que rien n'a changé de façon notable au fil des ans : sur
un nombre total de titulaires de chaires universitaires en Israël, de 1 500
personnes, seuls dix sont arabes. Parmi 300 titulaires de chaires de sciences
humaines, on ne compte, en tout et pour tout, que cinq Arabes.
Le professeur
Zvi Razi, l'un des "Sept", titulaire d'une chaire d'histoire, qualifie
l'université (israélienne) de "juive" et de "nordique" (en référence aux
quartiers aisés de Tel-Aviv, situés au nord de l'agglomération). Il l'accuse de
constituer un milieu hostile aux Arabes, ce qui le désole
profondément.
"Appelons un chat : un chat. Même si l'université continue à le
nier, il y a des attitudes racistes qui continuent à empêcher l'intégration des
Arabes dans les facultés. Après l'arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne, il
y avait plus de maîtres de conférences juifs dans les universités allemandes que
nous n'avons de maîtres de conférence arabes aujourd'hui", dit Razi, ajoutant
qu'il avait personnellement vérifié les données chiffrées.
Les autres membres
du groupe des Sept acquiescèrent d'un hochement de la tête. Etaient présents :
les professeurs Israël Gershoni et Haggai Erlich du département des Etudes
Africaines et du Moyen-Orient, le professeur Shlomo Zand du département
d'Histoire, le Docteur Anat Biletzky et le docteur Anat Matar du département de
Philosophie et le professeur Tova Rosen du département de Littérature hébreue.
Le professeur Razi poursuivit, en faisant deux propositions : "L'université doit
former un comité de recherche spécial afin de recruter des titulaires de
doctorats arabes (titulaires de "PhD"s). Il en existe de nombreux, excellents,
qui ont pris la poudre d'escampette. Nous devons les retrouver, les contacter,
et les ramener ici. Ensuite, lorsque de bons candidats postulent, nous devons
leur ouvrir grand les portes et leur donner la priorité".
Laor écoutait en
silence, jetant quelques notes sur son calepin. Haggai Erlich demanda : "comment
est-ce possible, qu'en 2001, le département d'Etudes moyen-orientales soit
encore placé sous l'égide de l'idée préconçue selon laquelle cette spécialité
serait un pur produit du génie national israélien ? Comment se fait-il qu'il n'y
ait pas un seul historien arabe au département des Etudes moyen-orientales ?
Bien loin de "Connais ton voisin", ce qu'on y étudie est plutôt : "Connais ton
ennemi". Et l'université ne fait rien pour recruter des maîtres de conférences
arabes"...
"Imaginez un instant que tous les enseignants du département de
Sociologie féminine soient des hommes", proposa Anat Matar en guise d'analogie.
"Ou un département d'Etudes juives, quelque part, dans un pays étranger, qui
n'aurait pas un seul titulaire de chaire juif. Que ne dirions-nous pas d'un tel
campus ?"
Laor répondit qu'au début de l'année, le Conseil de
l'Enseignement supérieur a mis en place une commission afin d'étudier le statut
de la population arabe en matière d'enseignement universitaire, puis il se remit
à annoter son calepin.
Shlomo Zand dit alors que l'université ne peut adhérer
plus avant à l'idée préconçue qui veut que les Arabes ne seraient pas à la
hauteur de leurs homologues juifs, et pressa Laor de s'orienter vers la
discrimination positive ("affirmative action" : ce terme désigne, aux
Etats-Unis, une politique favorisant l'accès aux universités des ressortissants
des diverses minorités ethniques jusqu'ici défavorisées et discriminées, au
moyen d'une politique de "quotas" qui ne dit pas son nom. Ndt)
"Des quotas
?", réagit Laor. "C'est une décision que je ne saurais prendre seul".
Pressé
cette fois par Anat Biletzky, par ailleurs secrétaire général de B'Tselem, le
Centre d'information sur les droits de l'homme dans les territoires occupés,
Laor lui répondit : "Je ne vais pas jouer à l'andouille avec vous... Je n'y irai
pas par quatre chemins : ce que vous demandez n'est absolument pas ma priorité.
Je viens du domaine de la littérature juive, et mon objectif principal, pour
l'Université de Tel-Aviv, est d'y promouvoir les Etudes juives".
Cinq mois
ont passé, depuis cette première réunion mémorable. Dimanche dernier, le même
aréopage s'est à nouveau réuni. Les informations qui en ont transpiré diffèrent
légèrement entre elles, mais convergent, pour l'essentiel : à ce jour, rien de
substantiel n'a été entrepris. Rien n'a changé. Laor étudie encore le
problème...
Des statistiques "embarrassantes"
De la
manière dont Shlomo Zand voit les choses, oeuvrer à augmenter le nombre de
maîtres de conférences arabes à l'université revient, dans la pratique, à lutter
contre le terrorisme. "Si nous ne faisons rien pour réduire le niveau de
frustration et de discrimination, nous allons finir par créer une sorte de
Kosovo en Galilée", dit-il. Comme ses collègues, il croit fermement que les
statistiques relevées dans les universités israéliennes, et en particulier à
l'Université de Tel Aviv, devraient préoccuper et embarrasser tous les citoyens
israéliens, juifs comme arabes.
Voici les faits : il y a actuellement 26 000
étudiants à l'Université de Tel Aviv. Seuls, 676 d'entre eux sont arabes. A
l'Université Ben-Gurion, du Neguev, 715 des 15 500 étudiants, seulement, sont
arabes. Il y a dix maîtres de conférence arabes. A l'Université de Haïfa, 2 300
étudiants sur un total de 13 100 sont arabes. Le nombre exact des maîtres de
conférences arabes de cette université n'est pas établi, bien qu'il soit certain
qu'il est des plus modestes : la plupart des estimations tournent autour de
quinze.
L'Université hébraïque de Jérusalem refuse de communiquer des données
de cette nature, sa réponse rituelle étant : "L'institution ne demande à aucun
étudiant ni à aucun maître de conférence de décliner son identité en termes de
religion ou de nationalité, ces données sont inexistantes". Mais des membres du
corps universitaire de Jérusalem estiment que le nombre des maîtres de
conférences arabes y est inférieur à dix.
Une étude effectuée, il y a trois
ans de cela, par le Conseil de l'Enseignement supérieur, a montré que, sur un
total de 4 500 titulaires permanents des universités israéliennes, 35 seulement
étaient des Arabes.
La seule percée notable qui se soit produite à cet égard
a été la création du Fond MAOF (acronyme hébreu de "Bourses d'études destinées
aux scientifiques arabes éminents") afin d'encourager le recrutement de
compétences arabes dans les universités. Ce fond a été mis sur pied en 1995 par
le Conseil de l'enseignement supérieur. Il accorde (chaque année) cinq bourses
trisannuelles permettant de recruter des maîtres de conférences parmi les
nouveaux lauréats du doctorat. Aujourd'hui, les estimations les plus sérieuses,
en matière de chercheurs arabes, dans le cadre du MAOF, aboutissent à un nombre
vraisemblable de maîtres de conférences arabes tournant autour des 45, mais cela
représente néanmoins toujours moins d'un pour cent de l'effectif total des
maîtres de conférences actuel, qui est de 5 000.
Le professeur Nehemia
Lev-Zion, président du Conseil de l'enseignement supérieur dit à ce sujet : "le
problème, c'est qu'il n'y a pas assez de candidats arabes valables."
Certains
universitaires avancent que les portes se referment devant les bons candidats
arabes, si bien qu'ils finissent par partir à l'étranger.
Le professeur
Lev-Zion : "Ce n'est pas vrai. Ainsi, cette année, nous n'avons pas pu décerner
toutes les bourses que nous offrions. Les propositions sont publiées, et
personne ne postule".
"Pourquoi ne mettez-vous pas sur pied un comité de
suivi, qui permette de localiser les meilleurs titulaires de chaires arabes
partis à l'étranger, afin de les ramener en Israël ?"
"Vous n'y songez pas
sérieusement ? Je ne cours pas après eux. Je ne vais pas me mettre à les
rechercher. Je ne cours pas après les Juifs non plus, d'ailleurs. A vous
entendre, on croirait que les maîtres de conférences juifs se voient tout offrir
sur un plateau d'argent, ici. C'est loin d'être facile, pour eux aussi. Il y a
aussi des candidats juifs déçus, parce qu'on n'a pas pu les recruter. Est-ce que
je cours derrière eux ?"
Moins d'un pour-cent des titulaires de chaires dans
les institutions académiques israéliennes sont arabes.
"Nous leur avons tendu
la main. C'est pour les Arabes que nous avons fondé le MAOF. Le MAOF est leur
opportunité numéro un. Ils devraient en profiter et ne pas faire autant de bruit
sur leur situation. Moi, j'attends les conclusions de l'enquête effectuée par le
professeur Majd al-Hajj, qui préside le comité de surveillance de l'enseignement
supérieur en direction de la population arabe. Nous verrons alors comment en
mettre en application les recommandations."
L'excellence - à
l'étranger
Le docteur Mahmud Yazbek, maître de conférence à la
Faculté des Etudes orientales de l'Université de Haifa, rejette catégoriquement
ces arguties. Il dit que, chaque année, il y a au moins trente Arabes qui
obtiennent un doctorat, que ce soit en Israël ou à l'étranger. "Avec un peu de
bonne volonté, nous pourrions les contacter. Ce n'est pas vrai qu'il n'y ait pas
assez de candidats aptes. Il y en a même d'exceptionnels. Mais ils ne veulent,
tout simplement, pas les dénicher". Il précise que la situation est un tant soit
peu meilleure à l'Université de Haifa, où plus de vingt Arabes sont titulaires
de chaires. Mais cela représente néanmoins encore un pourcentage très faible.
Les Universités n'ont toujours pas saisi la nécessité de recruter des maîtres de
conférences arabes, ce qui permettrait aux étudiants arabes d'être mieux
encadrés et de bénéficier de la fréquentation d'intellectuels arabes sur leurs
campus.
Ecoutons le Docteur Yazbek : "Pourquoi feindre l'étonnement lorsqu'un
titulaire arabe du PhD part pour les Etats-Unis ? Il est parfaitement normal
qu'il le fasse. Les faits montrent qu'après ses tentatives répétées et vaines
d'être admis (à enseigner) en Israël, il obtiendra une position tout-à-fait
enviable à l'étranger".
Le docteur Fadya Nasser, maître de conférence en
Sciences de l'éducation à l'Université de Tel Aviv, a accédé à sa situation
actuelle grâce à une bourse du MAOF. L'évidence semble s'imposer qu'elle soit
une preuve vivante de ce que le recteur de l'Université de Tel Aviv, le
professeur Itamar Rabinovich et les gens du Conseil de l'Enseignement supérieur
ne cessent de répéter : "les bons sont admis". Il s'agirait-là d'un exemple
réussi d'une politique de discrimination positive ("affirmative action"), via le
programme MAOF. Le hic, c'est que Fadya Nasser n'en croit pas un traître
mot...
"Ça veut dire quoi, 'il n'y a pas assez de candidats aptes' ? Qui dit
cela ? Il y a de nombreux diplômés arabes éminents, qui ont effectué leurs
études à l'étranger (parmi les postulants) : tout le contraire... Il y a une
compétition féroce. Et ceux qui viennent en Israël pour postuler ne parviennent
pas à se faire recruter", s'insurge-t-elle.
"Mais ça commence bien avant,
avec les diplômes de licence et de maîtrise. Quand j'ai fait mes études, je
n'avais pas de bourse israélienne, car les étudiants arabes n'y sont pas
éligibles. J'ai pu faire mes études grâce à des bourses universitaires
américaines. Je suis allée étudier aux Etats-Unis ; j'ai obtenu ma maîtrise et
mon doctorat à l'Université de Géorgie. Si j'avais dû préparer ma maîtrise ici,
je n'aurais jamais pu l'obtenir. C'était inenvisageable, économiquement. Quand
je suis revenue, après avoir obtenu mon doctorat, j'ai été recrutée, avec une
bourse du MAOF, qui assure le financement de trois années de (mon) enseignement
à l'université. Sinon, je ne sais pas quel aurait été mon sort...
Les
universitaires arabes connaissent une crise terrible. Il est bien connu qu'une
grande proportion d'entre eux sont obligés d'enseigner dans les lycées. Ils sont
nombreux à s'établir aux Etats-Unis, au Canada, en Angleterre, en Allemagne...
C'est tellement absurde... Ceux qui viennent raconter que le système n'établit
pas de discrimination entre Juifs et Arabes ne disent pas la vérité. Ça commence
à la maternelle et ça ne s'arrête pas, même lorsque vous préparez une licence ou
une maîtrise. La discrimination ? De A à Z, sur toute la
ligne..."
Racisme et fuite des cerveaux
Le professeur
Razi, du "septuor secret" de l'Université de Tel Aviv dit que dans sa faculté
les candidats arabes échouent inexorablement. Le coup final leur est porté (avec
une régularité désolante) par les membres des comités de recrutement. "Ils ont
toujours de "bonnes" raisons", se lamente le professeur Razi. "Mais la raison
véritable est toujours la même, l'unique : le racisme. Alors quoi ? Je suis
supposé croire que tous les Arabes sont idiots ?".
Le groupe (des Sept) dit
que l'assertion du professeur Lev-Zion, selon laquelle il n'y aurait pas assez
de candidats aptes, est totalement dépourvue de fondement. Il y a même des
candidats arabes carrément époustouflants, disent-ils. Mais après avoir subi
l'épreuve que représente le fait d'être recalés à plusieurs reprises, les
candidats arabes rendent leur tablier, ils laissent tomber, tout simplement. Les
Sept regrettent ce gâchis d'opportunités précieuses par l'institution académique
israélienne, en général, et par leur propre Université, en particulier.
"Comment se fait-il qu'il n'y ait pas un seul recteur ou pas un seul
président d'Université qui juge séant d'offrir à Anton Shammas une chaire de
littérature, telle celle détenue par Amos Oz à l'Université Ben-Gurion ou A. B.
Yehoshua à celle d'Haifa ?" demandent-ils. "Pourquoi Shammas a-t-il dû en
arriver à s'installer, de guerre lasse, dans le Michigan et non à Tel Aviv ?
Pourquoi cet homme remarquable qu'est le docteur Azmi Bishara doit-il entrer
dans la carrière politique à la Knesseth, plutôt que devenir un pilier des
sciences politiques, son milieu naturel ?"
Un autre nom fut mentionné, à ce
propos : celui du professeur Wael Haleq, de Nazareth, expert de l'histoire du
Droit dans le monde arabo-musulman. Ne recevant pas les honneurs qui lui étaient
pourtant dus à Haifa ou à Tel Aviv, il les a trouvés à l'Université McGill de
Montréal...
Et puis, il y a aussi le professeur Shukri Abed, spécialiste de
l'histoire du Moyen-Orient, qui s'est bâti une réputation insigne sur le plan
international. Il a installé ses pénates à l'Université du Maryland au cours des
quinze années écoulées. Dans un passé plus lointain, Shukri Abed et le
professeur Mustafa Kabha, maître de conférences en histoire du mouvement
national palestinien moderne, ont postulé à un poste au Centre Moshe Dayan pour
l'Etude du Moyen-Orient et de l'Afrique, à Tel Aviv (qui a été créé en 1983 et
comporte le Centre Shiloah et d'autres unités de recherches). Mais ils ne purent
être admis dans cette sorte de club exclusif, où des recherches sur le
Moyen-Orient sont menées par un effectif strictement juif et trié sur le
volet.
Le professeur Israel Gershoni ajoute que le Centre Shiloah, fondé il y
a plus de trente-cinq ans, n'a jamais employé un seul chercheur arabe à titre
permanent. Il en va de même du Centre Jaffee pour les Etudes stratégiques ou de
l'Institut Curiel pour les Etudes internationales et les autres instituts, à
l'avenant...
Gershoni : "il serait juridiquement fondé d'obliger les
institutions publiques et académiques à recruter des Arabes à due proportion de
la composition de la population israélienne, dont ils représentent les vingt
pour cent. Mais on est très loin du compte. Alors, mettez de côté toutes les
anecdotes et toutes les excuses toutes trouvées et posez-vous la question
suivante : pourquoi n'y a-t-il pas de conférenciers arabes, ici ?Ma réponse est
que cela tient au fait que le discours dominant, prévalant dans la production de
la connaissance historique et de la connaissance en matière d'orientalisme est
un discours du type "connais l'ennemi". A l'Université de Tel Aviv, on s'affaire
à créer un discours dissuasif, et non pas un discours académique. Cela a
commencé en 1967 et cela continue aujourd'hui. Voilà pourquoi votre fille est
muette..."
Nombreux sont les professeurs en sciences humaines à rapporter
avoir entendu des étudiants arabes parler du bâtiment Gilman, où sont donnés la
plupart des cours et conférences en sciences humaines, comme des "donjons du
Shin Bet" (les forces de sécurité israéliennes). Tout-à-fait comme cela était le
cas des Juifs, en d'autres temps, les disciplines pour lesquelles les étudiants
arabes optent de manière privilégiée, de nos jours, sont la médecine (y inclus
les études d'infirmier), le droit et l'ingénierie. Mais pas de trace d'un seul
Arabe titulaire de chaire, dans ces disciplines.
Docteur Anat Biletzky :
"L'Université de Tel Aviv ne considère pas du tout cela comme un problème. Le
recteur sortant, le professeur Nili Cohen, ne considérait pas non plus que cela
posât un quelconque problème. Le président actuel, Itamar Rabinovich, non plus.
Il y a un statu quo, et il est soigneusement préservé. Ainsi, personne n'a songé
à mettre sur pied une vraie équipe afin d'examiner ce "problème"(et de le
résoudre). S'il n'y a pas de problème, on se demande à quoi un comité
pourrait-il bien servir, n'est-ce pas ?
Tentatives de "forçage" du
système
Razi, Gershoni et Erlich tentent, depuis deux ans, de faire
engager le professeur Adel Mana, de l'Institut Van Leer de Jérusalem, par une
faculté de l'Université de Jérusalem. En dépit du fait que tout le monde soit
unanime à reconnaître qu'Adel Mana est superbement qualifié, les efforts des
trois professeurs ont été constamment vains. A chaque fois, c'est la même chose
: il y a toujours quelque nouvel empêchement bureaucratique.
Il y a aussi un
autre exemple extraordinaire d'un professeur qui a pris la tête d'une sorte de
croisade et qui est parvenu à faire "plier" le système à ses volontés : le
professeur Sasson Somekh, car c'est de lui qu'il s'agit, du département de
langue et littérature arabes a refusé d'admettre les diktats prévalant en
matière de recrutement de maîtres de conférences arabes. Il ne s'est pas
dégonflé devant le président de l'Université de Tel Aviv ni devant le recteur
et, après des années d'efforts acharnés, il a réussi à faire entrer trois
d'entre eux - les docteurs Jubran Suleiman, Mahmud Ghanaïm et Nasser Basel - à
la faculté des lettres de l'Université de Tel Aviv. Le professeur Somekh indique
sobrement que c'était là quelque chose de tout-à-fait normal, pour cette faculté
: ils étaient compétents dans leur domaine, c'était tout, et nul besoin n'était
d'on ne sait quelle discrimination positive. Lorsqu'on lui dit que c'est ce
qu'il avait pratiqué, sans le savoir, cela le fâche. Mais point n'est besoin de
beaucoup insister auprès de certains de ses collègues en sciences humaines pour
qu'ils racontent comment le professeur Somekh a mené sa "croisade", suspendant
une épée de Damoclès à plusieurs reprises au-dessus de la tête de
l'administration universitaire : "s'ils ne sont pas recrutés, je cesse mon
propre enseignement"... Et comment, bien que ces chercheurs eussent largement
mérité d'être recrutés en raison de l'importance de leurs réalisations
académiques, ils ont été recrutés grâce à la lutte que le professeur Somekh a
menée pour eux.
Les conclusions de l'étude du professeur Majd al-Hajj ont
d'ores et déjà été soumises au professeur Lev-Zion du Conseil de l'enseignement
supérieur. Ces conclusions comportent le constat de discriminations à l'égard
des étudiants et des enseignants arabes dans plusieurs domaines : les étudiants
juifs bénéficient de crédits exclusifs pour l'étude de sujets relatifs à la
religion juive (Tanakh, Talmud et Loi orale) - tandis qu'aucun crédit de cette
nature n'existe à l'intention des étudiants arabes en islamologie. L'attribution
des bourses universitaires est conditionnée, dans l'immense majorité des cas, à
l'accomplissement du service militaire (ceci reste valable, de nos jours, pour
la majorité des bourses d'études), ou à la résidence dans une zone définie comme
"région faisant l'objet d'une priorité nationale".
Il est aussi beaucoup plus
difficile, pour les Arabes, d'être admis dans les universités (israéliennes), à
cause du niveau scolaire des lycées où ils font leurs études secondaires. Le
nombre d'Arabes qui ont obtenu des mentions au baccalauréat est très inférieur à
celui des lycéens juifs. Le test psychométrique pour l'admission à l'Université
est conçu d'après des caractéristiques culturelles occidentales, et il est
profondément ancré dans l'univers culturel de l'étudiant juif moyen. A défaut
d'adaptation à l'univers cognitif et culturel de l'étudiant arabe, ce test
constitue une forme de discrimination. De plus, les programmes de soutien
offerts aux étudiants préparant les examens ne concernent que ceux qui opteront
pour des examens en hébreu et ne concernent en rien, de ce fait même, les Arabes
désireux d'entrer à l'Université, qui auraient pourtant le plus grand besoin de
ce type de soutien...
Dans le système scolaire arabisé, l'anglais est
enseigné en tant que troisième langue (après l'arabe et l'hébreu), plus que
comme seconde langue. Mais les examens d'entrée en premier cycle universitaire
mettent l'accent sur une bonne maîtrise de l'anglais et sont, de ce fait,
excessivement sélectifs pour les étudiants arabes.
Le professeur Razi ne
mâche pas ses mots : "L'université vous rabâchera ses explications rationnelles.
Ils trouvent toujours des bonnes excuses derrière lesquelles se cacher. Mais
nous jugeons aux résultats. Et le résultat - et j'insiste pour que vous me
citiez exactement - c'est le numerus clausus".
La discrimination
sévit
Ruba Hashibun, doctorante en pédagogie et littérature, préside
le Comité des étudiants arabes à l'Université de Tel Aviv. Elle n'a pas besoin
de lire l'étude d'al-Hajj pour savoir ce qui se passe : "pour les étudiants
juifs, le premier cycle universitaire est une partie de plaisir. Pour la plupart
des étudiants arabes, c'est un cauchemar. On ne leur apporte aucune aide. Quand
vous avez passé une journée complète à tourner sur le campus et que vous ne
rencontrez pratiquement personne (à qui parler), vous vous sentez extrêmement
seul... A moins que vous ne soyez doté d'une très forte personnalité, vous
pouvez difficilement tenir. Je pense que l'étudiant arabe doit faire trois fois
plus d'efforts que ses homologues juifs pour s'exprimer devant les professeurs
et les autres étudiants".
Ruba Hashibun avance que les étudiants arabes se
heurtent à la discrimination à chacun de leurs pas. Elle explique : "tout est en
hébreu. Nous n'avons pas de groupe intellectuel auquel nous joindre. Les bourses
sont réservées exclusivement aux Juifs. Les bons conseillers, c'est pour les
Juifs. Un grand ponte acceptant de diriger la thèse d'un étudiant arabe ? C'est
encore un rêve lointain".
Elle dit que des centaines d'étudiants qui auraient
pu venir sur le campus de Tel Aviv ne le font pas pour une simple raison : l'âge
minimum d'admission. Hashibun a des doutes sur les motifs profonds de
l'Université lorsqu'elle impose cette clause d'âge. "L'an dernier, trente
étudiants arabes étaient en sociologie. L'âge minimum d'admission était de vingt
ans. Cette année, ils ont décrété du jour au lendemain que cet âge minimum
serait porté à vingt et un ans. Aucun étudiant arabe n'accepterait d'attendre
d'avoir cet âge pour commencer ses études. Pourquoi le feraient-ils ? C'est
clair : cette mesure est dirigée contre nous".
L'une des conclusions les plus
troublantes du rapport Hajj est que "plus le niveau éducatif d'un Arabe est
élevé, plus il aura de difficulté à trouver un emploi dans le secteur juif de la
société". Ceci vaut pour bien des secteurs économiques, autres que
l'enseignement supérieur. En sus du nombre symbolique d'universitaires arabes,
Hajj relève qu'"il n'y a pratiquement pas d'Arabes dans l'administration
universitaire. Parmi les employés chargés d'accueillir et de conseiller les
étudiants, les arabophones sont pour ainsi dire inexistants".
"C'est un fait
avéré", répète-t-il, "que les maîtres de conférence arabes vont à l'étranger
poursuivre leurs recherches et leur carrière. Ils n'ont aucun espoir de pouvoir
trouver un emploi ici. Les allocations du MAOF sont une excellente chose. Mais
le nombre des impétrants est toujours très réduit et leur existence est encore
trop confidentielle. Malheureusement, il faut dire que certaines universités
sont très peu enclines à admettre des Arabes au sein de leurs corps
enseignant.
"De plus, il n'y a pas de mécanisme de soutien destiné aux jeunes
chercheurs travaillant à leur maîtrise. Il n'y a pas de bourses spéciales pour
les étudiants émérites. Il n'y a aucun système leur donnant l'opportunité de
travailler en tandem avec un professeur expérimenté, les encourageant à publier
ou les préparant à la vie académique".
Iriez-vous jusqu'à dire que les
universités israéliennes pratiquent un certain racisme ?
Hajj : "les
universités forment une partie intégrante de la société israélienne et la
société israélienne est raciste. L'élitisme juif est dominant et le discours
académico-intellectuel est passé au crible d'un regard juif sur le monde. Ce
n'est pas un secret. C'est patent et criant, ça ne peut pas rester comme cela,
sans remède. L'étudiant arabe vient dans un milieu qui est juif à cent pour
cent. Les pancartes, les symboles, les conversations, les noms des facultés :
tout, absolument tout, est en hébreu.
"Au plan national, il y a plus de 10
000 emplois dans l'administration universitaire. Vous pouvez compter les Arabes
qui y sont employés sur les doigts de la main. Autrefois, nous aimions
plaisanter au sujet de l'Université de Haifa, parce qu'il y a eu une période où
le seul employé arabe, de toute l'université, était une secrétaire de mon
département : était-ce bien une coïncidence ?"
Peut-être le temps
est-il venu de créer une université arabe en Israël
"Je suis
favorable à ce que chaque groupe ethnique et culturel ait une représentation
institutionnelle. Mais je suis préoccupé par le risque d'isolement que cela
comporte. Je suis favorable à ce que l'on examine les modalités de constitution
d'un collège universitaire de cette nature, mais à la condition expresse que
tout soit fait afin de s'assurer qu'il s'agira bien du joyau de la couronne,
d'une source de fierté. Toutes les disciplines, sans exception, devraient y être
enseignées et l'institution devrait satisfaire à tous les critères d'excellence
académique. Seuls les meilleurs conférenciers et les meilleures sources de
connaissance devraient y être réunis. A ce propos, je mentionne qu'une
proposition concrète allant dans ce sens a déjà été soumise au Conseil de
l'enseignement supérieur. Et cette proposition a été approuvée. Aussi suis-je
heureux de vous annoncer dès maintenant qu'un collège universitaire arabe verra
prochainement le jour en Israël".
Hajj préconise que des mécanismes spéciaux
de soutien scolaire, similaires à ceux actuellement existants pour assurer une
assistance aux nouveaux immigrants de Russie, soient mis en place afin d'aider
les étudiants arabes à s'intégrer à la vie du campus. Il aimerait aussi voir les
bourses du MAOF multipliées en nombre, et que d'autres allocations soient
proposées aux conférenciers arabes. Il aimerait voir instituer plus de
programmes destinés à attirer et à intégrer des scientifiques arabes dans les
universités, ainsi que des mécanismes de soutien destinés à encourager les
étudiants arabes aux capacités exceptionnelles à poursuivre des recherches
poussées.
"Nous voulons une faculté arabe"
Le président
de l'Université de Tel Aviv, le professeur Itamar Rabinovich répond à cela :
"Nul besoin d'être un "gauchiste" pour désirer voir les universitaires arabes
correctement représentés. Bien sûr, c'est ce que nous voulons. Il n'y a pas de
place pour une pensée "fossilisée" à cet égard dans l'administration
universitaire. Bien au contraire. Bien loin d'y avoir une ségrégation à
l'encontre des Arabes, il y a une discrimination positive : le fond MAOF a
d'ailleurs été créé, dans cette université, du temps où j'en étais le
recteur.
"Notre politique est tendue vers l'accroissement du nombre des
étudiants arabes. Il existe des bourses d'étude spécialement destinées à
encourager l'admission d'étudiants provenant de milieux socio-économiques moins
favorisés - y compris de la société arabe - dans les facultés où sont enseignées
les disciplines de pointe. La discrimination positive est appliquée aussi dans
les résidences universitaires. Le pourcentage d'étudiants arabes recevant une
chambre en cité U est un multiple de leur pourcentage dans la population
estudiantine.
"Pour ce qui est de l'absence d'un maître de conférence arabe à
la faculté d'études orientales, il s'agit là d'une argutie qui m'échappe
complètement. Le département des études orientales ne diffère en rien des
autres. Pour ce que j'en sais, il n'y a aucune raison physiologique pour
laquelle un maître de conférence arabe doive absolument s'y trouver. A moins que
mes distingués collègues en voient une ? C'est regrettable, mais c'est ainsi :
jusqu'à ce jour, aucun candidat arabe présentant les compétences requises ne
s'est encore manifesté pour ce poste. L'intégration d'un chercheur arabe dans
quelque institution de recherches que ce soit, y compris le Centre Dayan ou le
Centre Jaffee, ne pose aucune sorte de problème."
Et Rabinovich d'ajouter :
"Les récriminations des professeurs de la gauche sont oiseuses et irritantes.
S'ils ont tant de choses à dire, qu'ils viennent au bureau du doyen et au
conseil d'administration, et qu'ils s'expriment. Il est éminemment regrettable
qu'ils choisissent les colonnes des journaux pour ce faire".
(Le professeur
Nili Cohen, recteur sortant (de l'Université de Tel Aviv) a décliné notre
demande
d'interview).