Point d'information Palestine > N°156 du 12/07/2001

Réalisé par l'AMFP - BP 33 - 13191 Marseille FRANCE
Phone + Fax : +33 491 089 017 - E-mail : amfpmarseille@wanadoo.fr
Association loi 1901 - Membre de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux (Trésorier)
Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
                       
Si vous ne souhaitez plus recevoir (temporairement ou définitivement) nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante : amfpmarseille@wanadoo.fr. Ce point d'information est envoyé directement à 2704 destinataires.
      
           
Au sommaire
             
Rendez-vous
1. "Les Murs Oubliés" de Virginie Recolin au Festival d'Avignon du 6 au 28 juillet 2001, à 22h, au Théâtre Le Sud - 145, rue Carreterie - Avignon
2. "Bethléem : Territoire photographié" de Alain Ceccaroli à Roman du 6 au 31 juillet 2001 à la Médiathèque Simone de Beauvoir - Rue Sabaton - Roman (Drôme)
3. La chanteuse palestinienne Camilia en concert au Festival d’Art de Huy le samedi 18 août 2001, à 20h, à l'Hôtel de Ville de Huy - Huy (Belgique)
              
Réseau
1. José Bové, du comestible à l'indigeste ? Lettre de Georges Labica, Président du Comité de Vigilance pour une Paix réelle au Proche-Orient (CVPR), à Claude Sérillon, présentateur du journal télévisé de 20h sur France 2 (Journal de 20h du mardi 3 juillet 2001)
2. Communiqué : Femmes belges solidaires de la Women's Organization for political Prisoners
3. Israël et les Déclaration et Plan d'Action du Sommet Mondial de l'Enfance 1990 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
               
Revue de presse
1. DOSSIER - Israël-Palestine : La logique de l'apartheid par Denis Sieffert in Politis (hebdomadaire français) du jeudi 28 juin 2001
2. Israël : Le ras-le-bol des correspondants étrangers par Brian Whitaker et Edward Helmore in The Observer (quotidien britanique) traduit dans Courrier International du jeudi 12 juillet 2001
3. Sharon sera-t-il jugé pour ses crimes de guerre ? par Samar Al-Gamal in Al-Ahram Hebdo du mercredi 11 juillet 2001
4. Offensive israélienne tous azimuts contre la paix par Randa Achmawi et Aliaa Al-Korachi in Al-Ahram Hebdo du mercredi 11 juillet 2001
5. Sabra et Chatila - La plainte contre Sharon provoque un tollé diplomatique par Scarlett Haddad 
in L'Orient-Le Jour du mardi 10 juillet 2001
6. Le premier ministre israélien reste intraitable sur tous les volets de la crise avec les Palestiniens par Mouna Naïm
in Le Monde du dimanche 8 juillet 2001
7. L'immunité parlementaire devrait mettre un député arabe israélien à l'abri de poursuites judiciaires - Azmi Bishara est accusé d'avoir tenu des propos hostiles à l'Etat juif en pays ennemi par Catherine Dupeyron in Le Monde du samedi 7 juillet 2001
8. La FIDH invite Israël à intégrer sa minorité arabe par Mouna Naïm in Le Monde du samedi 7 juillet 2001
9. José Bové, syndicaliste français par Walid Charara L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 6 juillet 2001
10. Dans la maison réquisitionnée de Khalil par Pierre Barbancey in L'Humanité du jeudi 5 juillet 2001
11. Elias Sanbar : Une vie en exil par Jean-Claude Lebrun in L'Humanité du jeudi 5 juillet 2001
12. Les diplomates belges sont sous tension par  Serge Dumont in (quotidien belge) Le Soir du vendredi 6 juillet 2001 
13. Mobilisation en France contre la visite d'Ariel Sharon
Dépêche de l'Agence France Presse du jeudi 5 juillet 2001, 12h43
14. Arabes, israéliens, et marginaux par Agnès Gorissen
in Le Soir (quotidien belge) du mercredi 4 juillet 2001
15. A Gaza, la paix n'est plus qu'un rêve par Alexandra Schwartzbrod in Libération du mercredi 4 juillet 2001
16. Leur fierté en poche, les Palestiniens sont contraints de recourir aux aides alimentaires par Ewen MacAskill in The Guardian (quotidien britanique) du jeudi 28 juin 2001
[traduit de l'anglais par Giorgio Basile]
               
Rendez-vous

                  
1. "Les Murs Oubliés" de Virginie Recolin au Festival d'Avignon
du 6 au 28 juillet 2001, à 22h, au Théâtre Le Sud - 145, rue Carreterie - Avignon
La Compagnie Al Masîra vous présente "Les Murs Oubliés" (Al-Jidrân Al-Mansiyé), une création de danse contemporaine d'expression arabe, inspirée de "La Qasida de Beyrouth" de Mahmoud Darwich. Une chorégraphie, un message de Palestine et du monde arabe, mémoire du massacre de Sabra et Chatila. Paysages de l'amour et de la guerre où se heurtent la sensualité et l'horreur. Mouvements des contraires, entre la beauté et sa déformation tragique, pour que la danse arabe dépasse on inhérente sensualité et touche à un discours historique sur le monde. Question d'une identité dans un monde où chacun émigre pour trouver l'espace -imaginaire ou réel - qui mette fin à l'éxil. Migration du mouvement, qui passe d'un pays à un autre, d'une personnalité à une autre... et qui débouche sur l'expression de la folie. Un espace de danse envisagé comme un lieu des conflits et des réconciliations, identitaires, politiques et culturels.
[Informations et réservations : Cie Al Masîra - 41, rue des Petites Maries - 13001 Marseille - Tél. 04 91 91 07 94]
              
2. "Bethléem : Territoire photographié" de Alain Ceccaroli à Roman
du 6 au 31 juillet 2001 à la Médiathèque Simone de Beauvoir - Rue Sabaton - Roman (Drôme)
La Médiathèque Simone de Beauvoir présente ce mois-ci, une exposition de photographie de Alain Ceccarolli, sur Bethléem. Une rencontre autour de l'exposition, sera organisée le vendredi 13 juillet à 17H30 en présence du maire de Beit Sahour (Palestine), M. Khokaly.
[Informations et réservations : Tél. 04 75 72 79 70 - E-mail. media.fanal@wanadoo.fr]
                               
3. La chanteuse palestinienne Camilia en concert au Festival d’Art de Huy
le samedi 18 août 2001, à 20h, à l'Hôtel de Ville de Huy - Huy (Belgique)
Le dix-huitième Festival d’Art de Huy (Belgique), consacré cette année, comme les trois éditions précédentes, aux musiques et aux voix du monde se déroulera cette année du 17 au 25 août 2001. Présidé par Anne-Marie Lizin, Sénatrice-Bourgmestre, le Festival d'Art de Huy, reçoit cette année, 18 artistes et groupes venus de nombreux pays (Allemagne, Belgique, Bénin, Cap Vert, Caraïbes, Congo, Espagne, France, Grèce, Haïti, Hongrie, Mali, Maroc, Mongolie, Palestine, Pérou, Roumanie, Tunisie et Turquie). La chanteuse palestinienne, Camilia, présentera son récital "De Beyrouth à Jérusalem, Al Nakba", le samedi 18 août 2001, à 20h, à l'Hôtel de Ville de Huy [http://www.huyartfestival.be/artistes/camilla.html]. Situé à 85 km au sud de Bruxelles, Huy est une ville millénaire, rattachée au canton de Liège.
[Informations et réservations : Festival d'Art de Huy - Tél. +32 85 21 12 06 - E-mail. centre.culturel.huy@skynet.be]
                          
Notre newsletter vous présente une sélection de manifestations autour de la Palestine. Pour consulter un agenda plus complet des conférences, manifestations, spectacles, expositions, ... nous vous invitons à consulter régulièrement le site animé par Giorgio Balise, "Solidaires du peuple palestinien" sur http://www.solidarite-palestine.org/evnt.html.
Extrait : ...à partir du 11 juillet à Paris : Le cinéma de Michel Khleifi... du 7 au 14 juillet à Saint-Maixent : Danses folkloriques enfantines - Troupe Bara'em... lundi 16 juillet à Paris : Danses folkloriques enfantines - Troupe Bara'em... du 10 au 20 juillet au Maroc : Campagne nationale de soutien au peuple palestinien... 3ème semaine de juillet à Rennes : Quartiers d'été... chaque premier lundi du mois à Crest (Drôme) : Réunion du Collectif Crestois "Solidarité Palestine"...
           
Réseau
       
1. José Bové, du comestible à l'indigeste ?
Lettre de Georges Labica, Président du Comité de Vigilance pour une Paix réelle au Proche-Orient (CVPR), à Claude Sérillon, présentateur du journal télévisé de 20h sur France 2 (Journal de 20h du mardi 3 juillet 2001)
Monsieur,
Une information m'a malheureusement parue absente, et je l'ai vainement attendue ce soir, lors de votre journal de 20h. N'arrivant pas à croire à une quelconque censure, je m'oriente vers un regrettable oubli de votre part - en fait du comité de rédaction dont vous ètes le porte-parole -. Il concerne  la "Mission civile internationale de protection du peuple palestinien" qui tenait meeting, ce 3 juillet à 10h30, devant le mur de la paix, et annonçait une réunion publique à 20h à la Bourse du travail, une délégation devant, d'autre part, se rendre, demain, au siège du Parlement de Strasbourg. S'il ne s'était agi que de la Palestine, la chose (l'oubli) ne prêterait guère à conséquence, nos chaînes "publiques" étant coutumières disons de certaines abstentions. Mais, en l'occurrence, M. José Bové, en personne, se trouvait à la tête de cette "mission", retour de Palestine. Point seul, sans doute, nombre de "personnalités" et d'associations, dont celle que je préside, étant engagées à ses côtés. Quand on sait qu'il suffit à José Bové de déguster une tartine de Roquefort dans son Sud-Ouest natal, pour que se précipitent vos caméras, en quête d'événement "politique", comment ne pas s'étonner du silence  médiatique de ce jour. Le héros familier, grâce à vous, des écrans, aurait-il démérité, glissant de la généralité anti-mondialisation à la particularité proche-orientale? Autrement dit du comestible à l'indigeste ?
Avec l'expression de mes sentiments distingués
                          
2. Communiqué : Femmes belges solidaires de la Women's Organization for political Prisoners
La Women's Organization for political Prisoners (WOFPP) est une organisation basée à Tel-Aviv, dont la principale responsable est Hava Keller. Elle se fixe comme objectif de faire connaître le sort des prisonnières politiques palestiniennes en Israël et de leur venir en aide, notamment en les mettant en contact avec des avocats.
Les heurts violents ne cessent de se multiplier entre Israéliens et Palestiniens même pendant les brèves périodes où il est question de cessez-le-feu. Ce climat de tension extrême a évidemment des répercussions négatives sur le sort des prisonniers politiques palestiniens en Israël et spécialement sur celui des femmes et des enfants détenus (il y a actuellement 80 mineurs de moins de 16 ans dans les prisons israéliennes). Qu'en est-il, plus particulièrement, des jeunes filles mineures qui sont actuellement incarcérées en Israël ? Il s'agit de Sana Amer, 14 ans, et de Suad Ghazal, 17 ans. Leur sort a ému le journaliste israélien Joseph Algazy, qui a publié dans le quotidien israélien Ha'aretz du 6 mai 2001 un article sur "Le cauchemar des jeunes prisonniers palestiniens", dont la traduction française a paru dans "Le Courrier International" du 17 mai 2001.
Sana Amer (14ans), de Dura près de Hebron, fut arrêtée le 20 février 2001 en même temps que sa soeur Abeer (20 ans). Après un mois passé au Centre de Détention du Russian Compound de Jérusalem, elle fut transférée, le 18 mars , à la prison de Neve Tirza (Ramle), où elle partage une petite cellule avec sa s¦ur et avec Wajdan Buji (22 ans) de Hebron. Toutes trois manquent d'objets indispensables, comme des ustensiles de cuisine, qui sont habituellement fournis par les familles. Or celles-ci n'ont pas obtenu l'autorisation de leur rendre visite. Sana a cependant pu voir sa famille lorsqu'elle dut comparaître, le 24 avril, devant la Cour Militaire. Le Procureur près la Cour Militaire a proposé à l' avocat de la DCI/PS (Defence for Children International / Palestine Section) un arrangement selon lequel Sana ne purgerait qu'une peine de trois ans de prison, mais celle-ci déclina cette "offre".
Suad Ghazal , originaire de Sebastia, a été  arrêtée le 14 janvier 1999 à l'âge de 15 ans. Elle fut envoyée à la prison de Neve Tirza (Ramle), où elle dut immédiatement subir trois semaines de détention cellulaire.Elle dut attendre 11 mois, le 17 décembre 1999, pour comparaître devant le Tribunal. Ce long laps de temps n'est probablement pas fortuit : il a permis à la justice, conformément à la loi pénale israélienne qui a fixé la majorité pénale à 16 ans, de la juger  en tant que majeure et de pouvoir lui infliger ainsi une sanction plus sévère. Une autre particularité de la législation pénale israélienne est, en effet, de se placer, pour apprécier s'il s'agit d'un mineur (auquel cas la peine applicable est moins sévère), non au moment où il est censé avoir commis une infraction mais à la date de sa comparution devant le tribunal.
En décembre 1999, le Tribunal ne prononça cependant pas encore de sentence mais, le 22 mars 2000, il décida, compte tenu des problèmes de santé dont souffrait Suad, que le procès ne pouvait avoir lieu avant qu'il ne soit en possession d'un rapport médical rédigé par le médecin désigné par lui. Comme après plusieurs semaines, aucun docteur n'était venu l'examiner, ce fut un médecin de "Physicians for Human Rights" qui lui rendit visite. Son procès a eu finalement lieu devant le Tribunal militaire de Dotan, le 21 janvier 2001, soit plus de 2 ans après son arrestation. La sentence : condamnation à 6 1/2 ans de prison. Suad a maintenant 17 1/2 ans. Sa scolarité a été interrompue lorsqu'elle avait 15 ans et, depuis, elle souhaite pouvoir préparer son "bac" mais elle n'a presque pas de livres à sa disposition. Au cours des rares visites que ses parents ont été autorisés à lui rendre pendant ces 29 mois, ils avaient pourtant essayé de lui apporter des livres mais sa mère - la seule qui avait longtemps eu l'autorisation lui rendre visite - ne put lui en apporter qu'un à la fois. Suad n'a pas non plus l'occasion de consulter les livres qui se trouvent à la bibliothèque de la prison, sous prétexte que les gardiens n'ont pas le temps de l'y accompagner. D'ailleurs les quelques livres en arabe qui ont été donnés à la bibliothèque par la Croix-Rouge et par l'Autorité Palestinienne à l'intention des prisonnières politiques sont prêtés aux prisonnières de droit commun. Comme Suad s'était insurgée contre ces agissements, elle fut à nouveau placée, au début d'avril 2001 et pendant 4 jours, dans une cellule d'isolement de 2 m2 et tous ses objets personnels - y compris son peu de matériel scolaire - furent confisqués par l'administration pénitentiaire. A la demande de l' avocat de la DCI/PS, une partie seulement lui fut restituée. Il obtint également l'autorisation de visite pour ses parents mais, alors que précédemment seule sa mère avait pu en profiter, ce fut seulement son père qui put lui rendre visite le 22 avril dernier. Il voulut lui apporter des vêtements et des photos de famille, mais ne put lui donner que 2 citrons !
Le traitement imposé par les autorités israéliennes à ces deux jeunes filles est contraire à la Convention des Droits de l'Enfant - et plus précisément à son article 37 - adoptée par l'ONU le 20 novembre 1989 et à laquelle l'Etat d'Israël avait pourtant souscrit. Elle fixe notamment l'âge de la majorité à 18 ans et stipule que "tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la personne humaine. En particulier, tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, et il a le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et par des visites..." Pour Sana et Suad ces dispositions ne sont pas respectées et elles sont amenées à subir les mêmes conditions de détention  que leurs consoeurs adultes. Or le rapport de l'avocate de la WOFPP révèle à quel point ces conditions se sont détériorées. Par exemple, la période de "récréation" dans la cour de la prison a non seulement été réduite à 1h.1/2 mais, en outre, elle n'a plus lieu à une heure fixe mais à n'importe quel moment de la journée, souvent quand les femmes ne sont pas prêtes et même quand elles doivent être réveillées pour sortir. Que pouvons-nous faire pour aider ces femmes et ces jeunes filles ? Nous ne pouvons pas leur procurer ce qui leur manque le plus : l'affection de leurs familles, qui ne peuvent que très rarement leur rendre visite. Du moins pouvons-nous compenser quelque peu le vide matériel qu'elles ressentent en leur faisant parvenir, par l'intermédiaire des avocats, de l'argent avec lequel elles pourront se procurer dans la cantine de la prison quelques produits de première nécessité, comme des compléments de nourriture et des articles de toilette. Pour le moment, la WOFPP ne peut allouer à chacune que 30 dollars par mois, ce qui est nettement insuffisant, les prix pratiqués dans les cantines des prisons dépassant ceux des magasins ordinaires. De plus, même si les avocats de la WOFPP ne demandent pas d'honoraires, il faut payer leurs déplacements ainsi que les frais de justice. Cette organisation ne peut, faute de moyens financiers suffisants, faire venir qu'un avocat toutes les 2 ou 3 semaines. Il serait souhaitable qu'elle puisse le faire une fois par semaine. C'est pourquoi nous, amis belges solidaires de la WOFPP, nous faisons une nouvelle fois appel à votre générosité pour aider ces femmes et ces jeunes filles à affronter dans des conditions plus humaines les souffrances et les conditions de vie humiliantes qu'elles subissent.
[Renseignements et soutien : Thérèse Liebmann - 9, Clos des Chanterelles - 1050 Bruxelles BELGIQUE - Tél/Fax. 02/672 59 65 - E-mail. therese.l@skynet.be]
              
3. Israël et les Déclaration et Plan d'Action du Sommet Mondial de l'Enfance 1990
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Onze ans après le Sommet International de l'Enfance de 1990, la communauté internationale est réunie cette semaine à New York pour le Troisième Comité Préparatoire à la Session Spéciale de l'ONU consacrée à l'Enfance, qui se tiendra au mois de septembre. Au cours du processus conduisant à la Session Spéciale, les représentants des gouvernements, des institutions internationales et des ONG procéderont à l'évaluation de la situation des enfants. La Section Palestine de Defence Children International (DCI/PS) s'efforcera de trouver l'opportunité, dans le cadre de ces travaux préparatoires, de présenter une vision alternative à la position officielle israélienne en ce qui concerne le respect par Israël des droits de l'enfant et des mesures que ce pays a prises afin d'atteindre les objectifs contenus dans la Déclaration du Sommet Mondial de 1990, que le Président israélien et les membres de la Knesset ont signée le 30 septembre 1990.
En janvier 2001, l'Etat d'Israël a remis un rapport national en vue de la préparation du Sommet, de 28 pages. Alors que ce report traite de mesures prises afin de mettre en application le Plan d'Action en Israël même, il ne comporte absolument aucune mention des mesures de ce type dans les territoires palestiniens sous occupation israélienne : la Cisjordanie, Jérusalem-est incluse, et la bande de Gaza. De même, aucune mention n'y est faite du statut des droits de l'enfant d'environ 1,5 million d'enfants palestiniens résidant dans ces territoires, enfants dont la vie quotidienne est régie et contrôlée par les quelque 1 400 ordres militaires applicables aux civils palestiniens résidant dans ces territoires. DCI/PS prend acte de cette omission avec une préoccupation extrême, non seulement parce que les enfants palestiniens souffrent de violations sérieuses et quotidiennes de leurs droits les plus fondamentaux en résultat des pratiques israéliennes à leur égard, s'inscrivant dans la politique du gouvernement israélien en matière de territoires occupés, mais aussi parce qu'en tant que puissance occupante, le gouvernement d'Israël est seul responsable de la protection des droits des enfants résidant dans ces territoires. En tant que pays ayant signé la Convention des Nations-Unies sur les Droits de l'Enfance, Israël a l'obligation "de respecter et de garantir les droits ci-dessous énoncés" dans la Convention "à chaque enfant soumis à sa juridiction" (article 2, CRC). En excluant toute mention du statut des droits de l'enfant palestinien dans les territoires occupés, l'Etat d'Israël cherche manifestement à tenter de se dégager de toute forme de responsabilité.
Dans la discussion des mesures prises en application du Plan d'Action de 1990 et des améliorations apportées à l'arsenal législatif israélien, le rapport israélien note que la Cour Suprême d'Israël a adopté une loi condamnant "en termes absolus, le recours par les parents aux punitions corporelles infligées à leurs enfants." Le rapport suggère que ce règlement "envoie clairement le message que le recours à la force contre des enfants constitue une grave atteinte à leur dignité humaine et une violation de l'intégrité physique et de la santé mentale de l'enfant". (p. 4).
DCI/PS en est absolument convaincue. Ce qui manque, par contre, dans le rapport israélien, c'est le fait que, d'après les informations dont dispose DCI/PS, du 29 septembre 2000 au 9 juin 2001, 132 enfants palestiniens ont été tués et environ 4 000 enfants ont été blessés par les forces militaires israéliennes ou par des colons israéliens hors-la-loi. Plus de 400 enfants palestiniens ont été arrêtés par les autorités israéliennes d'occupation.
Plus, des dizaines de milliers d'enfants ont été psychologiquement traumatisés par les attaques militaires israéliennes, intensives et répétées, contre des zones civiles palestiniennes, tandis que des soins médicaux appropriés et leur droit à l'éducation étaient déniés à ces enfants.
La seule référence aux enfants palestiniens des territoires occupés, dans le rapport israélien, figure dans le chapitre consacré au problème de l'enfance en situation de conflit armé. Le Rapport national israélien déclare en effet qu'Israël a "protesté de manière répétée contre l'utilisation d'enfants, âgés de moins de quinze ans pour la plupart d'entre eux, par la direction palestinienne. Beaucoup de ces enfants palestiniens sont envoyés sur le front des hostilités ouvertes (délibérément) contre Israël". (p. 22). Cette assertion a été, comme on sait, réfutée ad nauseam tant par les Palestiniens que par la communauté internationale, qui ont établi qu'il n'y avait absolument aucun indice qui permette d'étayer cet argument. D'après les informations dont nous disposons à DCI/PS, un tiers des enfants palestiniens tués durant le premier trimestre de l'Intifada n'étaient en rien impliqués dans des engagements militaires ou des affrontements au moment de leur mort. De plus, une enquête portant sur 27 occurrences d'enfants tués alors qu'ils jetaient des pierres, dans la même période, montre qu'il n'y a aucune preuve d'échange de tirs (d'armes à feu), d'après les sources israéliennes elles-mêmes. A ce sujet le rapport de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU indique :
"L'assertion constamment répétée par les Forces israéliennes de défense, que les protestations des manifestants palestiniens, humiliés par des années d'une occupation militaire qui est devenue une partie de leur culture et de leur éducation, auraient été montées de toutes pièces et orchestrées par l'Autorité palestinienne, démontre soit une ignorance totale de l'histoire, soit un désintérêt cynique pour des évidences d'un poids pourtant écrasant". [Rapport de la Commission des Droits de l'Homme établi à la suite de la résolution S-5/1 du 19 octobre 2000 de la Commission, Commission des Droits de l'Homme, Cinquante-septième session, Point 8 de l'agenda prévisionnel.]
Le Plan d'Action de 1990, dans ses chapitres consacrés à la situation d'enfants impliqués dans un conflit armé, stipule notamment :
"Les enfants réclament une protection particulière dans les situations de conflit armé. Le règlement d'un conflit ne doit pas être une condition préalable à la prise des mesures destinées de manière explicite à protéger les enfants et leurs familles afin de leur assurer un approvisionnement continu en nourriture, un accès aux soins médicaux et aux services indispensables,  à traiter les traumatismes résultant de la violence et à les mettre à l'abri d'autres conséquences directes (possibles) de la violence et des hostilités."
A cet égard, le Rapport national israélien insiste sur le fait qu'"Israël fait tout ce qui est en son pouvoir afin d'éviter que des civils innocents soient blessés, parmi lesquels les enfants, et cela, en dépit du fait qu'Israël doit faire face à un déferlement généralisé de violence dirigée contre ses propres civils" (p.23). Le gouvernement israélien a tenté de dissimuler la réalité de l'occupation derrière l'écran de fumée du "conflit militaire", masquant totalement la réalité de l'occupation. Il est indispensable, si l'on veut comprendre la situation sur le terrain, dans les territoires palestiniens occupés, d'avoir présent à l'esprit que l'occupation israélienne ne se résume pas à un soldat armé d'un fusil, et que l'ampleur et l'étendue de la violation des droits des enfants palestiniens sont beaucoup plus larges que (les atteintes) au droit à la vie. Cette occupation est faite d'un système complexe de contrôles qui insinue ses ramifications dans tous les aspects possibles et imaginables de la vie palestinienne. Les enfants palestiniens, par définition, dépendent des adultes pour ce qui est de leurs conditions générales de vie. Ils sont, de ce fait même, hautement sensibles aux changements qui affectent la société d'une manière générale et ils sont affectés de manière disproportionnée (bien plus que les adultes) par les violations perpétrées dans quelque domaine que ce soit. Si l'occupation est perçue pour ce qu'elle est réellement, il est clair que les civils palestiniens (et, en particulier, les enfants) sont en fait les cibles permanentes des politiques israéliennes d'occupation.
Les bouclages imposés par les Israéliens aux territoires palestiniens ont eu pour résultat une détérioration extrême de la capacité de la société palestinienne à assurer des soins médicaux adéquats tant au niveau thérapeutique qu'au niveau préventif. Cette incapacité est le plus durement ressentie par les membres de la société (palestinienne) les plus vulnérables. Tandis que le taux des affections d'origine infectieuse augmentait en raison du manque d'eau saine, de la promiscuité des habitations, de la pauvreté, de l'absence de réseau d'assainissement et de programmes de vaccination incomplets, ce sont les enfants palestiniens qui courent le plus de risques.
Une enquête menée par DCI/PS a relevé quarante-neuf occurrences d'écoles touchées par des projectiles israéliens ou endommagées par les raids punitifs de colons ou de soldats israéliens au cours du quatrième trimestre 2000. En d'autres termes, 2,7% des 1 838 écoles palestiniennes ont été affectés par ces formes de châtiment collectif. La plupart de ces attaques ont eu lieu alors que les enfants étaient en classe. Pour mettre ces données en perspective, cela revient (en termes de ratio sur le nombre total des écoles) à ce que 3 100 écoles primaires et collèges aux Etats-Unis soient soumis à des attaques d'une armée étrangère au cours des trois derniers mois de l'année 2000...
D'après la Banque Mondiale, près de 32% des Palestiniens vivaient au-dessous du seuil de pauvreté, à la fin de l'année 2000. Ce taux, avant le déclenchement de l'intifada, était de 21,1%. Ceci correspond à un accroissement de 50% de la population en-dessous du seuil de pauvreté au cours de trois derniers mois de l'an 2000, résultat direct des bouclages imposés par Israël aux territoires palestiniens.
Ainsi, à la fin de l'an 2000, près d'un tiers des Palestiniens (soit environ un million de personnes) vivaient avec environ 2 US$ par jour. Etant donné que les Palestiniens de moins de dix-huit ans représentent 53% de la population palestinienne totale en Cisjordanie et à Gaza, auquel s'ajoute le fait que les familles les plus nombreuses sont généralement celles qui ont les revenus les plus bas et aussi la dépendance presque totale des enfants (par rapport à leurs parents), ont peut présumer que ces "nouveaux pauvres" sont, en majorité, des enfants.
Plus de 15% des écoles palestiniennes sont situées à moins de 500 mètres d'un poste militaire israélien. Dans la région de Naplouse, par exemple, ce ratio atteint 25% des écoles. Hébron, ville de 120 000 habitants palestiniens voit  400 colons israéliens protégés par une présence militaire israélienne équipée d'armement lourd occuper son centre historique. Bethlehem comporte elle aussi un poste avancé israélien dans la ville-même, et d'autres zones densément peuplées, telle le camp de réfugiés de Qalandia, se trouvent à proximité immédiate d'installations militaires israéliennes. Il est pratiquement impossible, pour un Palestinien, de se déplacer entre les villes et les villages sans rencontrer (et avoir à franchir) un barrage militaire.
Particulièrement important, dans la Déclaration du Sommet Mondial de 1990, fut le consensus atteint par la communauté internationale sur le fait que "le bien-être des enfants exige qu'une action politique soit menée au plus haut niveau. Nous sommes déterminés à l'entreprendre. " En dépit des violations répétées des droits des enfants palestiniens par les forces militaires et les colons israéliens, et malgré des appels incessants des Palestiniens dans le sens d'une intervention de la communauté internationale afin d'assurer la protection des civils, les enfants palestiniens continuent à souffrir de violations gravissimes et systématiques de leurs droits les plus élémentaires par les autorités israéliennes occupantes. C'est pourquoi la Section Palestinienne de Defence Children International appelle la communauté internationale à agir sans attendre afin que les idéaux contenus dans la Déclaration de 1990 trouvent leur  application concrète et sincère sur le terrain, en particulier par la prise de mesures politiques à même d'assurer la protection des droits de l'enfant.
                
Revue de presse

                  
1. DOSSIER - Israël-Palestine : La logique de l'apartheid par Denis Sieffert
in Politis (hebdomadaire français) du jeudi 28 juin 2001
Participant à une délégation de la société civile française en Palestine, du 16 au 23 juin, Denis Sieffert livre ici ses impressions de voyage. Images de la dernière guerre coloniale de la planète. Et d'une discrimination qui rappelle de plus en plus le régime sud-africain de l'époque de l'apartheid.
Dimanche 17 juin
À mi-voix, l'homme qui est devant nous fait le récit des événements qui ont bouleversé sa vie. Son visage lisse et clair, barré d'épais sourcils noirs, ne trahit aucune colère apparente. Les mots, pourtant, sont terribles : " Mon fils a été tenu par les mains, jeté à terre, et abattu à bout portant. Quand la commission d'enquête a demandé aux tireurs pourquoi ils avaient fait cela, l'un d'eux a répondu : "Parce que c'était les ordres." " Originaire d'Arabi, un village proche de Nazareth, Hassan Asli est l'un des représentants des familles des victimes de la répression d'octobre. À ses côtés, Salah Bushnak, du village voisin de Kofermenda, a le trait plus émacié et plus sombre. Il prend la parole à son tour pour raconter comment, au cours des mêmes journées, il a lui aussi perdu son fils, Ramez, 24 ans, tombé sous les balles des forces de sécurité israéliennes. Nous sommes assis en cercle autour d'eux dans les jardins de l'hôtel Saint-Gabriel-de-Nazareth, un ancien couvent franciscain perché sur les hauteurs de la ville. Il est tôt, et l'ombre des arbres domine encore au-dessus de nos têtes. Hassan Asli raconte que son fils, Asil, 18 ans, a été tué dans un champ d'oliviers, alors qu'il tentait de relever un ami atteint par une balle. " Il n'était pas menaçant "., précise-t-il. Les deux hommes se relaient pour expliquer comment la police a pris le parti des assaillants quand des extrémistes juifs ont attaqué un village. Comment des travailleurs palestiniens ont pu être battus dans la ville juive d'Afula sans qu'on les protège. Huit mois après les événements, ils s'étonnent encore du déploiement hors de proportion de soldats et de policiers : " Deux cents membres des forces de sécurité et soixante policiers sont entrés dans mon village, se souvient Salah Bushnak, alors qu'il n'y avait pas le moindre danger. " Au contraire, à Tibériade, autrefois ville arabe, aujourd'hui presque exclusivement juive, la police a fait preuve d'une étrange passivité : " Des ordres ont été donnés aux forces de police de laisser les armes dans les voitures, alors que des extrémistes attaquaient la mosquée. " Pourquoi cette violence ? Pourquoi ce parti pris des autorités ? Silencieux, nous partageons ces interrogations qui n'en sont pas, tant la réponse est évidente.
La délégation française est arrivée à Nazareth la veille au soir. L'idée d'entamer ce long périple par la Galilée n'est pas fortuite. Trop souvent, on oublie ces Palestiniens de nationalité israélienne qui vivent sur ce qu'on appelle les territoires de 1948, initialement dévolus à la Jordanie, puis conquis militairement et annexés par Israël. Ils sont un million de citoyens israéliens de seconde zone. À la rigueur, Israël peut admettre qu'ils manifestent pour des revendications économiques, mais jamais qu'ils se solidarisent avec leurs frères de Cisjordanie et de Gaza. C'est pourtant ce qui s'est produit ce 2 octobre, au début de la deuxième Intifada qui a embrasé les territoires palestiniens après la visite provocatrice d'Ariel Sharon sur l'esplanade des Mosquées de Jérusalem. Les Arabes israéliens ont voulu exprimer pacifiquement leur soutien, et au-delà, leur profond sentiment d'appartenance au peuple palestinien.
En octobre 2000, il y eut en Galilée et dans le Triangle, la région proche d'Umm el Fahem, un peu plus au sud, treize morts, tous Palestiniens.
Si nous sommes là, c'est sans doute aussi que notre guide - et traducteur - a plaidé pour cette première halte : universitaire et essayiste, Marwan Bishara, qui éclairera de sa faconde et de son savoir la partie du voyage qu'il fera à nos côtés, est originaire de cette région. Et son frère, Azmi, prestigieux député palestinien de la Knesset, continue d'aller son chemin dans l'adversité, ignorant superbement les appels aux meurtres dont il est la cible de la part des extrémistes juifs.
Le directeur de la revue Adalah's nous a rejoints. Dans ce coin de jardin à présent envahi par le soleil, il refait devant nous l'histoire de cette population palestinienne d'Israël : le gouvernement militaire de 1948 à 1966, puis un semblant d'ouverture politique qui s'est immédiatement accompagnée d'une plus grande inégalité économique et sociale. Il raconte comment, au début des années 50, s'est dressée sur les hauteurs en surplomb de la vieille Nazareth arabe, la ville juive, Illit, qui contraste par la richesse de ses infrastructures. " D'un côté, 60 000 Palestiniens sur 4 000 hectares, de l'autre, 40 000 juifs sur 6 000 hectares ". Hassan Jabareen démonte surtout le mécanisme des confiscations des terres qui refoule la population arabe dans des ghettos : " Les autorités déclarent qu'une terre doit être réquisitionnée parce qu'elle est utile au service public. Mais la cour suprême elle-même se refuse à définir le service public. Israël considère que lorsqu'un juif acquiert un appartement ou construit une maison, il ne le fait pas à son seul profit, mais au compte de la construction de l'État juif. C'est du service public. " Et il conclut par ces mots désabusés : " Nous sommes devenus des invités sur notre propre terre. "
11 heures. Départ de l'hôtel en bus. Au volant, placide, éternellement souriant, Maher, une sorte de force tranquille à la mode palestinienne qui a déjà payé en années de prison son tribut à la cause. Nous longeons Illit. Peu de balcons sans drapeau israélien. Un peu plus loin, sur la droite de la route, une de ces images qui résument tout : un panneau annonce la construction prochaine d'un centre commercial. Les bulldozers sont déjà en action, en bordure du village d'Ein Mahel. Mais le panneau, au cœur de cette région à forte dominante arabe, ne connaît que deux langues : l'hébreu et le russe. Selon une configuration que l'on retrouvera souvent en Cisjordanie, le village arabe est niché au creux de la vallée, tandis que la cité juive domine sur le coteau. " La pollution va à Ein Mahel, et le profit à la cité juive ", commente ironiquement Marwan. Entre les deux, un mur sordide.
Arrivée à Um el Fahem, la deuxième ville palestinienne de la région, tout juste à l'extérieur des territoires. Un an auparavant, de graves incidents ont eu lieu là quand les autorités israéliennes ont confisqué des terres pour installer un camp militaire. Les soldats avaient alors occupé l'école, dont les murs portent encore des traces de sang. La bataille s'était achevée par une sorte d'absurde compromis. Les paysans auraient le droit à certains moments de l'année d'aller récolter les olives. Le reste du temps, exercices militaires. Um el Fahem est dramatiquement sous-équipée. Pas d'hôpital. Il faut aller se soigner à Afula, grande ville juive de la région, réputée pour son atmosphère férocement raciste, et théâtre de tentatives de lynchages pendant les événements d'octobre.
En début d'après-midi, nous arrivons à Jérusalem-Est. Escale brève et shuwarma au Jérusalem Hôtel, non loin de la porte de Damas qui marque l'entrée dans la vieille ville. Retrouvailles avec l'ami Michel Warshawski, inlassable et intarissable militant pour la justice et la paix, qui nous propose de faire avec nous le tour de ce que les Israéliens appellent le " grand Jérusalem ", autrement dit, cette ceinture de colonies juives qui enserrent à présent la vieille Al Qods (la Jérusalem arabe), et la séparent de l'autre grande ville arabe de Ramallah. En une petite heure de route nous sommes au cœur du problème. Pédagogue et précis comme un prof de géographie, Michel connaît toutes les hauteurs d'où nous pourrons, en un clin d'œil, saisir la situation. Du haut de cette colline, où nous nous sommes arrêtés, il démonte la froide stratégie de l'occupation israélienne. Le village arabe toujours en contrebas, écrasé par les implantations juives construites en surplomb. Avant d'être économique et militaire, l'avantage semble être psychologique. Tout un rapport de domination s'étale devant nous. Mais il est au moins une bataille qu'Israël ne peut pas gagner, c'est la bataille esthétique. Tandis que le vieux village arabe, alangui sous le soleil, avec ses maisons blanches et basses, se fond harmonieusement dans la nature et charme nos regards, la colonie blesse le paysage d'une tache réprobatrice. D'un côté, on respire comme un parfum d'éternité ; de l'autre, tout trahit la hâte, la rage de construire, comme on prend position sur un champ de bataille. La géographie ne ment pas. Au nord de Jérusalem, nous avons aperçu la colonie de Giv'at Ze'ev et celle, ancienne déjà, de Ramot. Si ancienne qu'on y vit sans complexe colonial, même quand on est Israélien " de gauche ". À l'est, c'est French Ill (qu'il ne faut pas traduire " colline française " puisque son nom évoque un certain John Denton French, maréchal de l'armée britannique). Beaucoup plus loin à l'est, marquant les limites de ce grand Jérusalem rêvé par les colons, c'est l'immense Ma'ale Adunim, plus vaste que Tel-Aviv. Au sud, c'est Gilo, l'une des premières colonies, et de l'autre côté de la route, la sinistrement fameuse Har Homa, planifiée par la gauche travailliste, et construite sous Benyamin Netanyahou. Har Homa devait boucler géographiquement la boucle. Elle scelle aussi la continuité politique entre la gauche et la droite israélienne. Mais voilà, sa construction a provoqué des émeutes, et depuis le début de la deuxième Intifada, on ne se bouscule plus pour habiter là. Conçue comme une place forte de l'occupation, la cité toute neuve, et - avouons-le - très laide, est à portée de fusil des villages du nord de Bethléem.
Michel nous propose une nouvelle halte géostratégique. Du promontoire où nous nous hissons, on embrasse du regard la région de Bethléem. Au-dessus du village de Beit Jala, la colonie d'Ar Gilo. Presque toutes les nuits, on échange des tirs ici. Les Palestiniens visent au fusil mitrailleur ce qui est pour eux la partie occupée de Beit Jala. Et l'artillerie israélienne riposte avec une puissance de feu cent fois supérieure. " Il ne faut pas mesurer la colonisation par le nombre des colons, précise Michel, mais par l'occupation de l'espace. " Pour la première fois, en contemplant ce paysage, nous vient l'image d'un gigantesque jeu de go. Israël pose ses colonies comme des pions, pour briser toute continuité territoriale arabe, et à l'inverse, créer ses propres continuités par une savante technique d'encerclement.
Sur le chemin, José Bové, Jean-Claude Amara et Jean-Baptiste Eyraud s'offrent leur premier " check-point ", ces barrages militaires qui pourrissent la vie des Palestiniens. Dans le sillage des trois sus-nommés, toujours prêts pour aller en découdre, nous franchissons tous la ligne tracée par les soldats israéliens, semant parmi eux, une belle panique. Quoi faire ? On ne traite tout de même pas José Bové comme un Palestinien. Alors, on s'engueule ferme sur la conduite à tenir. Et pendant ce temps, toute la délégation française poursuit sa promenade en terres interdites sous le regard incrédule des Palestiniens qui, eux, attendent ce privilège depuis plusieurs heures.
Un peu plus loin, autre check-point, autre arrêt. Histoire d'aller parlementer avec le long cortège des ouvriers palestiniens retenus ici arbitrairement. Mais à l'intersection de la route principale et d'un chemin de terre, une voiture est immobilisée, comme sortie du rang. À cinq mètres de là, un jeune homme, assis à même la caillasse, regarde fixement ses godasses couvertes de poussière. Autour de lui, des centaines de douilles et des goupilles de grenades, souvenir d'affrontements récents. Renseignement pris, l'homme est coupable d'avoir emprunté une route interdite aux Palestiniens. Son épouse, recluse dans la voiture, est enceinte de sept mois, et ils ont voulu gagner quelques précieuses minutes pour aller consulter à l'hôpital le plus proche. Punition : l'homme, extrait de sa voiture, est exposé en plein soleil. Et la femme, comme le reste de la famille, attend dans la fournaise. Palabres, négociations conduites avec maestria par notre " doyen ", Marcel-Francis Kahn, anglophone distingué, et habile diplomate qui obtient finalement le départ de la voiture. Mais sans le père. José Bové, Jean-Claude Amara, Jean-Baptiste Eyraud, et quelques autres, prennent alors solidement position sur le capot de la Jeep dans laquelle les militaires tentent d'emmener le jeune homme. Flottement parmi les soldats. La police est appelée en renfort. Une autre Jeep dévale de la colline. Car c'est l'une des caractéristiques de ce pays : l'occupant est partout. À l'expérience, l'œil apprendra à les débusquer, blottis derrière des sacs de sables, maladroitement fondus dans la caillasse, troquant le viseur de leur fusil pour des caméras filmant les importuns. Rien ne peut irriter plus ces hommes cachés, et qui prétendent voir sans être vus, que de leur adresser de grands saluts quand on les a repérés. Les policiers sont là. La délégation forme une chaîne autour du jeune Palestinien. Bousculade, coups. Pendant ce temps, José Bové a pris position au volant de la Jeep. Un comble pour un pacifiste comme lui. Et le bougre ne se laisse pas facilement arracher à sa nouvelle passion. L'image fera les délices des photographes. Finalement, le jeune Palestinien est emmené manu militari. Tout juste le temps de prendre ses coordonnées. Michel est alerté. Un avocat sera dépêché sur le lieu de sa détention.
Le soir, de retour au Jérusalem Hôtel, rencontre avec plusieurs organisations non-gouvernementales israéliennes, dont les Rabbins pour les droits de l'homme (et oui, ça existe !). Ici, curieux mélange de courage et de déprime. Phrases notées à la volée : " Nous appartenons à la société israélienne avec toutes ses contradictions " ; " Nous sommes dans une situation de grave isolement par rapport au reste de la société " ; " Je suis de ceux qui éprouvent aujourd'hui un certain désespoir. " Une militante nous explique que les destructions de maisons étaient autrefois annoncées et qu'on pouvait obtenir un sursis : " Maintenant, tout est fait par surprise et notre intervention se résume souvent à une protestation a posteriori. " Nous retrouverons à plusieurs reprises ces militants israéliens, ceux de cette soirée, les visages à peine devinés dans la nuit, ou d'autres, dont les fameuses femmes en noir qui manifestent chaque vendredi sur une place de Jérusalem. Ils et elles sont admirables. Et malgré leur aveu de désespoir, tous témoignent d'une inébranlable pugnacité.
Avant de gagner la chambre, on songe à cette irruption de colonies. Je n'étais pas venu ici depuis 1991. Tout a changé. Et puis, il y a ce chiffre obsédant : près de 30 % des colonies ont été construites (ou agrandies) après les accords d'Oslo, de septembre 1993. Il ne reste plus aujourd'hui de cette grande bouffée d'espoir que le sentiment amer d'une formidable entreprise de mystification.
Lundi 18 juin
À 8 heures, le soleil est déjà bouillant. À la porte de l'officine du ministère de l'Intérieur israélien, situé à Jérusalem-Est, des dizaines d'hommes palestiniens se pressent. L'un d'eux, en tête de file, me dit être arrivé à deux heures du matin. Il me montre la carte d'identité déchirée de sa fille. Pour obtenir un document neuf, cela fait déjà deux jours qu'il vient en vain, attendant, huit ou neuf heures devant le lourd tourniquet métallique qui ne s'ouvre que trop parcimonieusement. Ici, c'est une prison. Mais les prisonniers sont à l'extérieur. Inash a 37 ans, il veut un passeport pour se rendre aux Pays-Bas, patrie de son épouse. On le retrouvera en fin de matinée, invité à revenir le lendemain. Que pouvons nous dire à ces gens traités comme du bétail ? " Keep hope ! " Puis, on s'éloigne en songeant à ces destins qui se fracassent sur cette porte inhospitalière. Que peut-on pour eux ? Pas grand-chose, sinon un mot de réconfort : " Gardez espoir ! "
10 h 30. Nous voilà devant un haut lieu de la résistance palestinienne : la Maison d'Orient, vieille demeure de la grande famille des Husseini. Hélas, le plus prestigieux de ses descendants, Fayçal, vient de mourir, emporté par une crise cardiaque, après toute une vie de lutte. Son regard d'une grande douceur couvre les murs de l'enceinte et la façade intérieure. C'était un homme simple, apprécié par la population, et d'une grande élégance. L'endroit est aristocratique. Nous sommes invités à nous asseoir dans une vaste salle de réunion. Les mots de bienvenue sont prononcés par un cousin de Fayçal, Shérif al Husseini. Malgré la peine, il a ce mot d'espoir : " Nous faisons confiance au peuple palestinien pour produire un nouveau Fayçal. " La conversation porte sur les menaces qui pèsent sur " la Maison ". Netanyahou avait signé un décret pour la faire fermer. Barak n'a pas franchi le pas, mais il n'a pas non plus abrogé le décret qui plane toujours comme une menace. Nos hôtes sont amers devant ces timides visiteurs européens, ministres ou députés, qui préfèrent inviter la représentation palestinienne dans leurs ambassades respectives, plutôt que de franchir le seuil de cette maison. N'est-ce pas Nicole Fontaine, présidente du Parlement européen ? Venir ici, c'est pourtant accomplir un double geste : c'est protéger la Maison d'Orient contre les projets de fermeture ; et c'est affirmer un peu de la souveraineté palestinienne sur la partie arabe de la ville.
Alors, mesdames et messieurs les députés, les sénateurs ou les maires français en visite dans la région, venez à la Maison d'Orient. Vous y serez reçus comme des princes (ou des princesses) et vous délivrerez un message qui vaut mieux que bien des discours. Bien sûr, vous déplairez un peu à Ariel Sharon. Est-ce si grave ?
Midi. Départ pour Ramallah, la grande agglomération palestinienne située au nord de Jérusalem. Vingt minutes de route. L'entrée de la ville porte les stigmates des batailles inégales qui, des mois durant, ont opposé les jeunes à l'armée. Des carcasses de voitures calcinées, le bitume brûlé, les façades des maisons criblées d'obus : nous sommes sur les lieux des affrontements les plus violents de la deuxième Intifada. Combien de jeunes gens sont tombés ici ? Des dizaines sur les cinq cents victimes de la répression. Au déjeuner, que nous prenons dans les locaux de l'association caritative Inash El Ousra, une vieille dame, aux allures de dame patronnesse anglaise, nous accueille avec ce mot merveilleux : " Ici, on bâtit d'une main, et on résiste de l'autre. " On refera ce constat à plusieurs reprises. Dans le chaos, la société palestinienne continue de se construire. Ou du moins, existe-t-il quelques visionnaires pour oser penser à l'avenir. Et, cependant, dans le corridor d'entrée, tout près de la cour dont les palissades sont colorées de peintures d'enfants exaltant la paix, ou montrant un paysan creusant à l'antique son sillon avec un soc, une image nous arrête : celle du " martyr de Tel-Aviv ", ceint de pains de dynamites sur fond de fusils kalachnikov croisés. L'image est choquante. On la retrouvera un peu plus tard dans la nuit sur la place Al Manara, au centre de la ville. Elle témoigne de la détresse d'un peuple. On peut ne pas approuver le terrorisme, mais personne parmi ceux que nous avons rencontrés ne le désapprouveront ouvertement. Même lorsque nous les y inviterons fermement.
Un peu plus tard, sur la route, à quelques kilomètres de Bir Zeit, nouveau check-point, nouvelle halte. Les soldats, jeunes gens boutonneux égarés dans ce désert, retiennent un jeune Palestinien. On nous explique contradictoirement que celui-ci figure sur " une liste noire ", puis qu'il est suspecté d'avoir participé, quelques minutes auparavant, à une attaque contre des colons. La conversation s'échauffe quand une voiture arrive en trombe sur nous, dérape sur le gravillon, s'immobilise enfin. Son conducteur, homme boursouflé d'une soixantaine d'années, casquette de base-ball sur le crâne, sort en furie. Il éructe un américain nasillard : " Je suis ici chez moi. Tout ça, c'est mon pays. " Pêle-mêle, il invoque la Bible, montre des impacts de balles dans la carrosserie de sa Chevrolet, agresse verbalement Marwan. L'homme est blême, comme au bord de la crise de nerfs. À l'arrière, sans que nous en ayons tout de suite conscience, affluent peu à peu deux, trois, puis quatre voitures de colons en armes, qui se précipitent sur nous, ivres de colères, émettant une inextinguible logorrhée verbale. Ceux qui, parmi nous, tentent de les raisonner en constatent rapidement l'impossibilité. Les colons sont bientôt une vingtaine, fusils mitrailleurs en bandoulière, pistolets automatiques dans le pantalon, à déferler. Soudain, l'un d'entre eux hurle : " Les Arabes sont dans le car ! " Les Arabes, c'est le placide Maher, notre chauffeur, Fatiha Damiche, du MIB, et quelques autres. En un instant, un déluge de pierres s'abat sur le bus. Les vitres volent en éclats. À l'intérieur, plusieurs personnes sont coupées. Nous tentons de les rejoindre. Un soldat arrête in extremis une main jeteuse de pierre. Un autre crie étrangement : "I apologise for Israël" (Je m'excuse pour Israël). L'émotion est à son comble. Dans une atmosphère de lynchage, nous parvenons à nous hisser dans le car. Maher fait une rapide marche arrière pour nous sortir de ce guet-apens. Le jeune Palestinien est embarqué dans une Jeep, soustrait à la haine des colons. Nous l'avons tous échappé belle. Mais nous avons appris qui sont vraiment ces colons : miliciens racistes et fanatisés, organisés en réseaux, sûrs de leur impunité, capables, demain s'il le faut de tourner leurs armes contre les soldats. Une OAS, admise et encouragée par le gouvernement israélien. Effrayant.
Le soir venu, nous rentrons sur Ramallah, à l'hôtel Rocky Star, où nous sommes les hôtes de la plus importante ONG palestinienne, Palestinian non governmental organisation (prononcez " Pingo ") et de son président, Mustafa Barghouty. L'homme, proche du parti communiste, est un politique madré. Il nous offre un discours tout en finesses et en œillades. On parle avec lui et José Bové de la mondialisation. Il s'intéresse à Attac. Il nous est familier par ses préoccupations et ses manières. Il brillerait aussi bien chez nous.
Nuit à l'hôtel. Moustiques. Insomnie. Tout le temps de contempler par la fenêtre la ville, étonnamment calme, plongée dans l'obscurité. Et juste en face, ce champ de ruines, traces indélébiles du fameux bombardement des avions F16, au mois d'avril. Et d'entendre les premiers appels à la prière des muezzins qui se font écho comme dans une litanie qui semble étirer le temps. Dans l'impeccable douceur de la nuit, on se dit que ce pays est fait pour la paix. Et que tout cela est trop absurde.
Mardi 19 juin
Au petit matin, quittant Ramallah, on découvrira les quartiers riches, investis par les notables palestiniens. La société palestinienne, aujourd'hui étouffée par l'occupation, est aussi prompte à produire ses propres injustices. Anne, une Française qui travaille ici pour une ONG, note que Ramallah s'est considérablement agrandie depuis Oslo. En zone A, c'est-à-dire sous administration palestinienne, la ville a attiré à elle une partie de la population qui a voulu échapper à la botte israélienne. Sans échapper à une asphyxie économique qui frappe inégalement ses victimes. En redescendant plein sud, cap vers Gaza, nous longerons le camp de réfugiés de Shu fat, nid honteux de la misère humaine, situé à peu près à hauteur de la colonie de Ramot, déjà entrevue la veille. De Ramallah au check-point d'Erez, qui marque l'entrée dans la bande de Gaza, ce n'est qu'une longue route monotone qui s'étire au travers la partie sud d'Israël. Dans le bus, on s'arrache un exemplaire du quotidien palestinien Al Qods qui publie un article sur les démêlés, la veille, de la délégation française avec les soldats israéliens. Photo à l'appui de José Bové (de face) et de Jean-Baptiste Eyraut, identifiable seulement par les très intimes.
En milieu de journée, passage sans encombre du check-point d'Erez. Les militaires n'ayant pas le droit de fouiller les voitures, l'armée a recours à des sociétés privées. En l'occurrence, c'est un jeune Russe, plutôt avenant, qui veille au grain israélien. Nous passons dans le couloir réservé aux VIP, aux diplomates, et aux ONG. Inutile de dire que l'affaire est plus compliquée, et infiniment plus longue pour les Palestiniens, amassés sous un soleil de plomb, dans un couloir parallèle nettement moins hospitalier. Comme prévu, Maher notre chauffeur ne peut passer. De l'autre côté, un autre chauffeur et un autre car nous attendent. Installation rapide au Marna Hôtel. Nous avons un aperçu de la ville de Gaza, à la densité de population record (2 849 habitants au kilomètre carré sur toute la bande de Gaza, contre 295,9 en Israël). C'est un ruban humain continu qui se déroule sous nos yeux, coloré et bruyant, dans un perpétuel nuage de poussière. Ici, la mortalité infantile est de 24 pour mille (elle est de 9 pour mille en Israël). Il faut lire ces chiffres pour mesurer l'horreur de ce qui va suivre. À mi-chemin, un check-point vétilleux bloque la route principale. Les Palestiniens sont invités à emprunter une route secondaire pour un long contournement. C'est qu'une poignée de colons a élu domicile ici, dans la minuscule colonie de Kfar Darom. Pour leur bon plaisir, ces gens pourrissent quotidiennement la vie de centaines de milliers de Palestiniens de Gaza, qui ne peuvent traverser cette bande de terre de moins de cinquante kilomètres de long sans être contraints à s'arrêter longuement, et à faire un inutile détour. Un peu plus bas, nous atteignons la ville de Khan Yunis. Nous sommes presque à l'extrême sud de la bande de Gaza. La frontière égyptienne est à moins de dix kilomètres. Attenant à la ville, en direction du front de mer, le camp de réfugiés. Ici, comme souvent en Palestine, la topographie est plus éloquente qu'un long discours. Imaginez. Nous sommes à présent face à la mer, à moins de cinq cents mètres de nous. Là-bas, en bordure de plage, on devine à l'ombre d'une palmeraie la silhouette de confortables villas. Comme il doit faire bon vivre à cinq cents mètres de là : c'est la colonie juive de Neve Dekalim. Un peu plus au nord, sur le même front de mer, c'est Nezer Hazani, puis Katif, Ganei Tal ; un peu plus au sud, c'est Gan Or, Gadid Bedolah, Bne Atzmon, Pe'at Sade, Selav, et encore Rafiah Yam. De là où nous sommes, en amont d'un no man's land d'une centaine de mètres, défendu comme une forteresse par l'armée israélienne, ce n'est que ruines, gravats, façades trouées d'obus. Et sur ces ruines, des tentes de réfugiés plantées sur les vestiges des maisons détruites. Ici, le paradis et l'enfer sont à quelques centaines de mètres l'un de l'autre. Tandis que les gamins des colons juifs s'amusent dans les eaux tièdes de la Méditerranée, les enfants palestiniens traînent dans la poussière et la crasse. On leur a volé l'eau et la mer. Nulle part la logique d'apartheid dans laquelle s'enfonce Israël, avec ses routes interdites aux Arabes et ses espaces réservés aux juifs, n'est plus arrogante qu'ici. Tout pour les deux mille colons, rien pour les centaines de milliers de réfugiés de Kahn Yunis.
Un peu plus loin, des enfants caillassent une Jeep de l'armée toutes sirènes hurlantes. De temps en temps, un soldat sort du véhicule et pointe sur eux une sorte de lance-grenades que mes faibles connaissances militaires m'empêchent d'identifier. Détonation. Épaisse fumée blanche. Pas assez pour décourager ce terrible jeu avec la mort que nous regardons de profil, comme à la télévision, comme des voyeurs. Pour les gosses, c'est à qui ira le plus près du canon balancer sa caillasse projetée avec une force étonnante, et dont l'impact secoue à chaque fois la Jeep grillagée et harnachée. La vengeance visiblement est un plat qui se mange froid : un peu plus tard nous apprendrons que deux gamins de 12 et 15 ans, qui ne faisaient que jouer avec un cerf-volant, avaient été abattus, la veille de notre arrivée.
Nous approchons de l'une des tentes. À l'intérieur, une jeune femme, au visage très doux, coiffée d'un foulard, vêtue d'un chemisier fucshia et d'une longue robe noire, nous dit sa détresse. Elle est issue d'une famille de Bédouins qui a dû fuir la région de Beer Sheva, dans le centre, en 1948. Sa maison a été détruite par les bombardements israéliens. Elle vit avec quinze personnes de sa famille sous cette tente plantée dans les ruines. " La nuit, dit-elle, on continue de nous tirer dessus. Nous sommes obligés de nous réfugier chez des amis dans la ville. " À dix mètres, un réservoir d'eau assure la survie de ces quelques damnés de la terre. À hauteur du village d'Al Mawazi, Bové, Amara et Eyraud bravent le no man's land. Un porte-voix aboie : " N'avancez pas ! " Moment de tension. Finalement, l'un de nous, Georges Bartoli, armé de sa seule carte de presse, pourra entrer dans le bunker pour demander à traverser la ligne israélienne. Refus.
Fin d'après-midi. Rencontre avec les familles des victimes de Khan Yunis. Grande émotion quand un homme d'une trentaine d'années, vêtu d'une chemise à carreaux, le visage osseux, étonnamment pâle, prend la parole. Il parle, haletant, de la mort de son fils. Fréquemment, il s'interrompt pour se passer la paume de la main sur le visage, de haut en bas, comme pour chasser une vision insoutenable. Nous pensons à cette propagande odieuse qui répand l'idée que les parents palestiniens enverraient leurs enfants au martyre pour émouvoir l'opinion internationale.
18 heures. Rencontre avec le maire de Khan Yunis. Ici, 98 % de la population sont au-dessous du seuil de pauvreté. Depuis le début de la deuxième Intifada, neuf cents maisons ont été détruites, à Khan Yunis, la ville de tous les désastres.
20 heures. Rencontre et dîner au Centre palestinien des droits de l'homme, à Gaza-ville. Il y a là, vieux monsieur d'une exquise élégance, Haidar Abdel Shafi. C'est lui qui a conduit la délégation palestinienne à la conférence de Madrid, en 1991, pour le premier vrai face-à-face diplomatique avec Israël. D'une phrase, il résume près d'un siècle d'histoire : " Rien de ce qui s'est fait depuis 1922 n'a été fait par la loi. Tout a été fait par la force. " L'autre personnalité marquante de cette rencontre nocturne est Raji Sourani, directeur du centre qui nous accueille. Il dénonce la conspiration du silence, plaide avec ferveur pour une force de protection internationale. Il juge sans indulgence une diplomatie française et européenne impuissante. L'homme a des gestes vifs et un style direct qui tranchent avec la tradition oratoire arabe. Il sait répondre par oui ou par non. Il s'irrite quand on lui demande ce qu'il attend de l'Europe : " Tout le monde le sait, mais ils ne font rien. " La réunion est l'occasion pour Bové, Amara, et Évelyne Sire-Marin, de développer leur analyse. " Rien ne se fera sans la pression de la société civile. C'est pourquoi nous sommes là ", martèle Amara. Évelyne Sire-Marin développe, comme de juste, ses thèmes juridiques : la convention de Genève qui fait obligation de protéger les populations civiles et que bafoue Israël ; les poursuites, désormais possibles, contre Sharon pour crimes contre l'humanité, lui qui s'est rendu au minimum complice des massacres de Sabra et Chatila, en septembre 1982. José Bové présente à nos interlocuteurs un corps d'analyse dans lequel il resitue le conflit dans la bataille contre la globalisation. Essayons de résumer son propos en quelques mots. Il propose aux responsables palestiniens de s'inscrire dans ce combat, évoque le prochain contre-sommet de Gènes (où se tiendra le G8), à partir du 15 juillet. Ce serait pour eux rompre un certain isolement. Et donner à leur combat historique une nouvelle dimension. Puisqu'au fond, c'est aussi comme une sentinelle avancée de la globalisation libérale qu'Israël mène sa guerre coloniale contre les Palestiniens. Raji Sourani applaudit. L'analyse est solidement charpentée. La discussion ne fait que commencer.
Mercredi 20 juin
Après une rencontre avec les partis politiques (Hamas et Djihad compris), festival de langue de bois, et une autre avec plusieurs organisations des droits de l'homme, départ vers Gaza-ville, puis remontée dans la région de Bethléem où nous devons prendre part à une manifestation. Maher est de nouveau au volant.
15 heures. Arrivée dans le village d'El-Khader où nous sommes attendus par le comité des habitants du village, et quelques dizaines de pacifistes israéliens, dont évidemment Michel Warchavski. Il s'agit de manifester contre une nouvelle expropriation. Au bout du village, les militaires ont érigé une butte de terre qui n'est pas infranchissable mais qui peut se révéler un redoutable piège en cas d'affrontement. Les manifestants, en majorité israéliens, et la délégation française, prennent position face aux soldats israéliens eux-mêmes adossés à un nombre impressionnant de Jeep caparaçonnées. Parmi les Israéliens, une majorité de très jeunes filles dont beaucoup ont l'accent américain. Deux jours après notre rencontre abrupte avec les colons, eux aussi souvent d'origine américaine, on se dit que ce pays, décidément, peut donner le meilleur et le pire. Au sommet de la butte, les jeunes Palestiniens brandissent des drapeaux et des emblèmes aux couleurs de leur pays. Les jeunes Israéliens arborent des pancartes exigeant le départ des colons : " No more apartheid. Settlers out " (" Arrêt de l'apartheid, colons dehors "). Un paysan palestinien, assis sur le côté, songe à ses terres perdues : Aïssa Salah a 57 ans, sa famille cultive ce sol depuis trois cents ans. " Ce sont mes meilleures terres qu'on vient de me prendre. "
Après un long face-à-face, le climat se tend soudain. Bousculade : Michel Warchavski est emmené sans ménagement dans un fourgon de police. Une heure plus tard, un porte-voix nous met en demeure de quitter les lieux sous dix minutes. Coups de crosse dans les jambes des manifestants des premières lignes. Charge. Grenades lacrymogènes. Du haut de la butte, les gamins palestiniens lancent une pluie de cailloux sur les soldats. Non sans que quelques-uns se fassent sévèrement rappeler à l'ordre par le père. Le papa palestinien ne dédaigne pas de recourir à la bonne vieille méthode des taloches. Quand il en va de la vie de son gamin. Dans la tourmente, on voit à peine que Bové, Amara et Eyraud et plusieurs militants israéliens sont coffrés. On n'aura évidemment pas empêché ce nouvel acte de colonisation. Mais au moins celui-ci se sera fait devant les caméras de télévision, au vus et au sus de tous.
20 heures. Soirée au camp de réfugiés tout proche de Dheisheh. C'est ici que prendra fin notre récit. C'est ici que nous avons peut-être ressenti la plus forte émotion. Deisheh est l'un des 59 camps palestiniens du Proche-Orient ; il abrite quelque onze mille personnes. Mais c'est aussi un lieu de culture et de mémoire. Les murs de la cafétéria relatent en photographies l'histoire tragique de ce peuple. On y voit notamment la porte de Damas à Jérusalem, en 1922, le camp libanais de Nahr Al-Bered, en 1948 - immense camp de toile qui évoque immanquablement les Indiens d'Amérique -, Dheisheh en 1950 et tant d'autres. Mais surtout, on prépare l'avenir. Un jardin d'enfants, une bibliothèque, deux centres informatiques, un projet d'histoire orale, une troupe de danse, des échanges culturels internationaux : ce lieu perclus de toutes les douleurs de l'histoire, est aussi un lieu d'espoir. Grâce à des hommes exceptionnels comme cet Abu Khalil, quatorze ans dans les geôles israéliennes, qui, le soir venu, prononcera devant nous un discours d'une force exceptionnelle, illuminé par un sourire de gamin enthousiaste. Dois-je avouer (pardon, Marwan !) que j'ai rapidement cessé d'écouter la traduction pour me concentrer sur la beauté de cette langue arabe, à la fois douce et rugueuse, que j'avais l'impression de comprendre. La soirée a libéré des torrents d'émotion. En des termes très émouvants, Fatiha Damiche a dit les raisons de son engagement. Larme à l'œil pour tout le monde. Entre temps, Bové, Amara et Eyraud avaient été relâchés. La soirée serait belle.
[Pour une force de protection - La délégation française qui s'est rendue en Palestine du 16 au 23 juin n'était pas une délégation comme les autres. Foin des rendez-vous protocolaires et des équilibres diplomatiques. Il suffit d'en voir la composition pour comprendre qu'il s'agissait d'exporter les méthodes du nouveau mouvement social qui ont fait leurs preuves chez nous. Partant du constat que les États occidentaux sont trop soumis au maître américain - la France notamment - pour oser dire haut et clair qu'il faut dans l'urgence une force de protection des populations palestiniennes, Jean-Claude Amara et Annie Pourre (Droits devant), Jean-Baptiste Eyraud (Droit au logement) et José Bové (Confédération paysanne) ont mis sur pied une mission non seulement destinée à témoigner mais aussi à apporter aux Palestiniens, grands oubliés de l'histoire, un soutien actif. L'idée est simple : si les États ne font pas leur devoir, il incombe aux représentants de la société civile de le faire. Associée à Marcel-Francis Kahn (Collectif des citoyens français d'origine arabe ou juive), à Évelyne Sire-Marin (présidente du Syndicat de la magistrature), à Fatiha Darmiche (Mouvement de l'immigration et des banlieues), à Malika Zediri (Association pour l'emploi l'information et la solidarité), à Lana Sadek (Association des Palestiniens de France), la délégation était accompagnée de journalistes engagés. C'est à ce titre que Politis était du voyage. Action et témoignage étant ici indissociablement liés (1). Évidemment, nous tiendrons nos lecteurs informés des prochaines initiatives.
(1) Il faut aussi citer nos amis Richard Sovied (Télé bocal), Samir Abdallah et José Reynes (cinéastes), Rouba Sarkis (photographe et traductrice toujours dévouée), Adila Bennedjaï-Zou (Indymédias) et, bien sûr, Joss Dray, qui signe les photos du présent reportage.
N.B. : Pour tous ceux qui veulent en savoir (bien) plus, conseillons une nouvelle fois la lecture du livre de Marwan Bishara, Palestine-Israël : la paix ou l'apartheid, La Découverte, 124 p., 42 F.]
              
2. Israël : Le ras-le-bol des correspondants étrangers par Brian Whitaker et Edward Helmore
in The Observer (quotidien britanique) traduit dans Courrier International du jeudi 12 juillet 2001

Les journalistes qui couvrent le conflit israélo-arabe, explique "The Observer", subissent un harcèlement physique et psychologique qui rappelle l’atmosphère qui régnait à Moscou pendant la guerre froide.
Il y a quelques semaines, les membres de la Foreign Press Association (FPA, Association de la presse étrangère) de Jérusalem se sont retrouvés autour d’un verre et ont débattu du harcèlement dont font l’objet les journalistes qui couvrent l’Intifada. Il y avait énormément à dire.
Quelques jours auparavant, Josh Hammer, le chef d’agence de Newsweek, avait été brièvement détenu par les Palestiniens alors qu’il travaillait à Gaza. Mais ce qui inquiétait les journalistes, ce n’était pas cette arrestation - l’intéressé a précisé qu’il avait été bien traité et qu’il avait dégusté l’un des meilleurs repas qu’il ait jamais pris au Moyen-Orient -, c’était plutôt le fait que le gouvernement israélien avait profité de l’incident pour accuser l’Autorité palestinienne de harceler, de menacer et de tuer les reporters en opération sur les points chauds de Cisjordanie et de la Bande de Gaza. Ce que réfutent vigoureusement les membres de la FPA.
Si les journalistes font l’objet de mesures d’intimidation au cours de l’Intifada actuelle, ce n’est pas du fait de l’Autorité palestinienne mais plutôt de l’armée israélienne, qu’ils accusent de leur tirer dessus. En huit mois, huit journalistes ont été blessés, dont certains gravement, comme Yola Monakhov, photographe de l’AP, Ben Wedeman, chef d’agence de CNN, et Bertrand Aguirre, correspondant de la télévision française. A chaque fois, la FPA a porté plainte. Mais les autorités israéliennes n’ont jamais réagi. Ce harcèlement, affirment les reporters, n’est pas seulement physique, il est aussi psychologique. Et il provient de sources aussi bien officielles qu’officieuses. Dans les pires des cas, il n’est pas sans rappeler les tactiques employées par les pays du bloc soviétique pendant la guerre froide. Les correspondants qui sont allés trop loin, du point de vue des autorités israéliennes, se voient par exemple menacés de perdre leur accréditation. Les rédactions ont reçu des dossiers détaillant les préjugés anti-israéliens de leurs correspondants. Et ceux qui ont le malheur de déplaire aux autorités se sont plaints d’avoir fait l’objet de fouilles humiliantes au moment de quitter le pays. Suzanne Goldenberg, qui travaille pour "The Guardian", a notamment subi des attaques particulièrement virulentes. Elle a été traitée de naïve par les médias israéliens, qui l’ont en outre accusée d’être sans expérience et d’être une “juive animée de la haine de soi”. Après avoir été bombardée de centaines de plaintes chaque jour, elle a dû changer d’adresse électronique.
Confrontés à des critiques de plus en plus cinglantes de la part de la communauté internationale pour sa façon de gérer le soulèvement palestinien, le gouvernement Sharon et le puissant lobby pro-israélien redoublent d’efforts pour intimider les journalistes qui suivent la crise. Les organes de presse qui ne sont plus en odeur de sainteté sont accusés d’être propalestiniens, voire - pire - antisémites. Au début du mois, le sentiment d’être assiégés qu’éprouvent les journalistes est encore monté d’un cran quand les locaux de la BBC à Jérusalem ont été submergés d’appels au sujet d’une émission intitulée Panorama. Cette émission avait examiné, de façon parfaitement documentée, l’implication de Sharon dans les massacres des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, en 1982. A l’époque ministre de la Défense, il avait autorisé les milices chrétiennes libanaises - qui étaient alliées de son pays - à pénétrer dans les camps.
Si le harcèlement des correspondants considérés comme partiaux vis-à-vis d’Israël n’est pas vraiment un fait nouveau, ce qui a changé, c’est l’intensité à la fois des pressions et des intimidations. Ces pressions atteignent une intensité qui peut avoir des effets pervers, constate Alan Rusbridger, rédacteur du "Guardian", de retour après une mission d’enquête en Israël. “Le lobby pro-israélien est très bien organisé.”
Les organisations pro-israéliennes ont l’habitude de lancer des pétitions pour protester contre les articles et les émissions qui leur déplaisent. Mais cette activité, facilitée par le développement du courrier électronique, prend désormais des proportions phénoménales. Des sites comme honestreporting.com prennent des journalistes pour cibles et fournissent des formulaires de plainte prérédigés à leurs abonnés. Ces derniers n’ont plus qu’à les envoyer. Honestreporting.com distribue également des récompenses. Martin Peretz, rédacteur en chef de la revue new-yorkaise "The New Republic", a récemment été gratifié de l’une d’entre elles parce qu’il “s’est constamment tenu aux côtés d’Israël”. C’est aussi le cas de Conrad Black (le propriétaire du "Daily Telegraph" et du "Sunday Telegraph", ainsi que du magazine "Spectator"), salué pour avoir attaqué les journalistes et les gouvernements faisant preuve d’”un anti-israélisme enragé”.
Au Royaume-Uni, le lobby pro-israélien peut en outre compter sur des alliés puissants. Outre les titres de Conrad Black, qui n’a jamais caché qu’il soutenait la cause israélienne, on y trouve le "Times". Sa ligne éditoriale partiale, dictée par Peter Stothard, serait d’ailleurs la cause du départ de Sam Kiley, le correspondant du quotidien au Moyen-Orient, qui n’aurait pas accepté de s’en accommoder. Il faut aussi citer, dans le monde politique, les Conservateurs amis d’Israël. Gillian Shephard, un député qui est membre de ce groupe de pression, se donne ainsi du mal pour expliquer à quel point les Israéliens, et plus généralement la communauté juive, ont le sentiment d’être persécutés par les médias. “N’oublions pas qu’Israël se sent assiégé. D’où cette ultrasensibilité. Ils ont l’impression d’une partialité, d’une conspiration dont ils sont victimes.”
On retrouve cette position à New York, où le seul fait de remettre en question la politique israélienne est pratiquement considéré comme de l’antisémitisme, avec tout ce que cela sous-entend. Thomas L. Friedman, le célèbre éditorialiste du "New York Times", sait parfaitement pourquoi il est aujourd’hui difficile de faire son métier de correspondant en Israël. “Politiquement, c’est un environnement chargé, explique-t-il. Tout le monde veut vous attirer à lui, et, si cela échoue, alors on cherchera à vous détruire. Cela vaut presque autant pour le monde arabe que pour Israël. Il n’y a pas de neutralité possible.”
            
3. Sharon sera-t-il jugé pour ses crimes de guerre ? par Samar Al-Gamal
in Al-Ahram Hebdo du mercredi 11 juillet 2001

« Un assassin et menteur pathologique, un terroriste comparable à Ossama bin Laden ». C’est en ces termes que le premier ministre israélien Ariel Sharon a qualifié le président palestinien Yasser Arafat. De vraies invectives qui témoignent d’un acharnement sans précédent de Sharon contre le dirigeant palestinien. En lançant ces accusations, Sharon semble avoir oublié son passé de criminel de guerre à l’heure où les fantômes de Sabra et de Chatila resurgissent. Voire, le premier ministre israélien risque d’être poursuivi par la justice belge pour crimes contre l’humanité, justement pour ces massacres perpétrés dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban en septembre 1982. Des survivants palestiniens et libanais de ces massacres ont déposé deux plaintes devant le juge d’instruction belge, Patrick Collignon. Ceux-ci accusent Sharon de « génocide » et de « crimes de guerre » en vertu d’une loi de 1993 sur le principe de compétence universelle autorisant les tribunaux belges à poursuivre les étrangers pour des atteintes aux droits de l’homme menées en dehors de la Belgique. Pour le moment, le Parquet de Bruxelles a requis la recevabilité de l’une des deux plaintes.
Si les plaintes sont déclarées recevables par la justice, le chef du gouvernement israélien risque d’être arrêté même lors d’une visite officielle. Une telle hypothèse a inquiété le chef de la diplomatie belge, Louis Michel, qui s’est déplacé à Berlin pour y rencontrer Sharon lors de sa visite européenne. Il n’a pas caché son désir de réformer la loi en faveur des dirigeants en exercice. La loi actuelle ne prévoit aucune immunité, même pour un chef d’Etat ou de gouvernement en exercice.
D’ailleurs, la culpabilité de Sharon, alors ministre de la Défense, a été une première fois établie par une commission israélienne. En 1983, une enquête officielle avait conclu que Sharon était « indirectement responsable du massacre de plusieurs centaines d’hommes, de femmes et d’enfants palestiniens ». L’enquête israélienne avait pour but d’éviter une enquête internationale qui dévoilerait ce qui s’est passé vraiment pendant 3 jours dans les camps de Sabra et Chatila. L’armée israélienne, après avoir envahi le sud du Liban puis Beyrouth, avait autorisé la milice chrétienne phalangiste, officiellement, à pénétrer dans ces camps pour rechercher des activistes palestiniens après l’assassinat du président libanais Béchir Gemayel. C’était en fait le feu vert donné par les Israéliens à leurs alliés pour massacrer les Palestiniens. On ne saura jamais le nombre exact des victimes de ce massacre, mais il dépassa 3 000 sur les 20 000 qui habitaient ces camps à l’ouest de Beyrouth, selon les sources palestiniennes.
Le crime était signé Sharon comme ceux commis en Croatie, Bosnie et Kosova étaient signés Milosevic. L’ex-président yougoslave a été transféré au Tribunal Pénal International (TPI) pour l’ex-Yougoslavie à La Haye. Ce transfert ne représente pas la fin du processus, mais constitue quand même une démarche importante.
Pression morale
Mais d’ici à ce qu’une telle procédure soit appliquée à Sharon, il y aura beaucoup de chemin à parcourir. Les analystes s’accordent à affirmer que le procès Milosevic n’aurait pas eu lieu si les Occidentaux, notamment les Américains, ne voulaient pas se débarrasser de lui étant donné leurs intérêts dans les Balkans. Washington avait menacé Belgrade de bloquer l’aide prévue par la conférence des bailleurs de fonds estimée à 1,3 milliard de dollars s’il ne concrétisait pas le transfert de Milosevic à La Haye. Le secrétaire d’Etat américain, Colin Powell, n’a pas caché la satisfaction de Washington : « Les pressions américaines ont joué un rôle considérable dans cette affaire ».
Pour le cas de Sharon, qui bénéficie du soutien des Etats-Unis, il est impensable que de telles pressions aient lieu. Voire, selon les analystes, c’est le contraire qui pourrait se produire. Washington ferait tout son possible pour empêcher une poursuite judiciaire contre le premier ministre israélien. Même si les accusations contre Sharon se multiplient. Après la procédure belge, l’Organisation de défense des droits de l’homme, Human Rights Watch (HRW), a demandé cette semaine l’ouverture d’une enquête « criminelle » sur les massacres de Sabra et Chatila pour étudier en particulier le rôle d’Ariel Sharon. La Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FILDH) a déclaré par la bouche de son président, Patrick Baudouin, qu’au moment « où l’on parle tant de lutte contre l’impunité et de justice internationale, il est difficile de ne pas s’interroger sur les responsabilités, y compris au niveau pénal, de l’actuel premier ministre israélien dans ces massacres ».
Ces appels devraient constituer des pressions morales importantes. Déjà, le terrain était préparé par une émission diffusée en juin par la télévision BBC World intitulée « l’Accusé », marquée par des séquences et témoignages des survivants de Sabra et Chatila désignant Sharon comme responsable de ces crimes. D’ailleurs, Sharon lui-même a indiqué qu’il regrettait « la tragédie de Sabra et Chatila ». Mais quand on lui a demandé s’il « allait faire des excuses pour cela », il a répondu : « Des excuses pour quoi ? ». Evidemment, un Sharon qui se livre à d’autres massacres contre les Palestiniens ne saurait avoir de remords, confiant dans l’impunité que lui procure le soutien, du moins l’indifférence de Washington.
           
4. Offensive israélienne tous azimuts contre la paix par Randa Achmawi et Aliaa Al-Korachi
in Al-Ahram Hebdo du mercredi 11 juillet 2001

Sommes-nous au bord de l'apocalypse ? Le député israélien de gauche, Yossi Sarid, vient de le suggérer. Le Proche-Orient n'a jamais été aussi proche d'une explosion généralisée. Sharon, le « bulldozer » comme on l'appelle, n'hésiterait pas à faire voler en éclats l'édifice fragile du processus de paix. Non seulement il a décidé de s'en prendre à Yasser Arafat et l'Autorité palestinienne par une politique d'assassinats « ciblés » et des menaces à peine voilées de guerre totale, mais aussi il a tenté d'élargir vers la Syrie et le Liban le conflit qui l'oppose aux Arabes. De quoi faire dire à un diplomate occidental que « le mécanisme pouvant conduire au déclenchement d'une guerre, même si personne ne le voulait vraiment, est désormais en place ». Une estimation qui s'applique à tous les fronts.
Si ce diplomate estime qu'il existe en Syrie et au Liban ceux pour qui une telle escalade serait profitable, il n'est pas moins vrai que c'est le gouvernement israélien qui brandit l'arme de la guerre.
Pour Ahmad Abdel-Halim, vice-président du Centre national d'études du Proche-Orient, c'est l'échec de Sharon à mettre fin à l'Intifada qui est à l'origine de l'agressivité de la classe dirigeante israélienne. « La politique de dissuasion et de répression n'a pas été capable de mettre fin au soulèvement, ceci parce que le système militaire israélien est fondé sur la guerre totale ». Mais comme pour le spécialiste l'éventualité d'une telle guerre reste faible, Sharon veut « parvenir au maximum d'escalade, même s'il sait qu'il ne pourra atteindre le point de non retour, c'est-à-dire un conflit en bonne et due forme », ajoute Abdel-Halim.
Effectivement, la répression de l'Intifada faisait partie du programme de Sharon et de la logique pour laquelle il a été élu. Ce que rappelle Hassan Nafie, chef du département de sciences politiques à la faculté d'économie et de sciences politiques de l'Université du Caire. « Sharon a été élu à une grande majorité (62 %) sur la base d'un programme ayant en priorité de mettre fin à l'Intifada et non de parvenir à un règlement politique. Une élection qui traduit une sorte de consensus jamais connu en Israël ». C'est pour cette raison que Sharon se considère très fort encore aux yeux de ses électeurs. Ils l'ont désigné pour ses idées et pour sa personnalité souvent critiquée. Même s'ils savent que c'est lui qui a été à l'origine de l'Intifada lorsqu'il s'est rendu sur l'Esplanade des mosquées en compagnie de 2 000 soldats. Cette responsabilité de Sharon a été reprise dans la résolution du Conseil de sécurité qui a condamné Israël pour l'usage excessif de la force. Dans cette résolution, le Conseil de sécurité déplore l'acte de provocation mené par Sharon lorsqu'il s'est déplacé à Al-Haram Al-Chérif.
Un coup de poker
Mais cette politique fondée sur le seul usage de la force n'est-elle pas une fuite en avant ? Jusqu'à quand pourra-t-il poursuivre dans ce sens, d'autant plus qu'il n'a pas réussi à apporter la sécurité aux Israéliens ? Voire, ce dérapage contrôlé auquel il se livre n'est-il pas en soi la conséquence d'un échec ? Quoi qu'il en soit, l'opinion israélienne lui reste en majorité acquise. Selon un sondage publié par le quotidien israélien Maariv, 58 % des Israéliens approuvent la politique de leur premier ministre. Dans ce même sondage, 82 % des Israéliens doutent qu'un cessez-le-feu intervienne prochainement dans le cadre du plan d'accalmie devant préluder à l'application des recommandations du rapport Mitchell. Pourtant, 56 % des Israéliens estiment qu'il faudrait geler les implantations dans le cadre d'un cessez-le-feu sous la supervision des Etats-Unis.
Toujours est-il que Sharon reste buté et ne montre aucune bonne volonté de voir les fruits du plan Tenet sur le terrain. « Déjà, avec sa politique d'élimination physique des activistes palestiniens, c'est-à-dire ces assassinats ciblés, il est très difficile aux Palestiniens de ne pas répondre », souligne Emad Gad, chercheur au Centre d'Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d'Al-Ahram. En effet, l'application de ce plan passe pour Israël par une semaine de calme absolu pour pouvoir aborder une phase de restauration de la confiance, au bout de laquelle les parties appliqueraient le plan Mitchell. Or, avec ces provocations, cette semaine de calme ne pourra jamais intervenir. « Les Palestiniens peuvent donner des assurances sur le plan de la cessation des violences, mais on ne peut pas exiger d'eux qu'ils garantissent à cent pour cent l'arrêt des opérations. Qui peut donner une pareille garantie ? Sharon exige l'impossible », affirme une source diplomatique égyptienne.
Le premier ministre israélien a tenté par tous les moyens d'obtenir le feu vert pour mener une guerre ouverte contre les Palestiniens, sous prétexte que le calme n'avait pas été rétabli. Il s'est rendu auprès du président George Bush, la semaine dernière, et a effectué des visites éclair en France et en Allemagne dans le même but. Celui de faire pression sur Arafat. Ici et là, ce fut un échec total. Un dialogue de sourds, notamment entre le premier ministre israélien et ses interlocuteurs français. A Berlin aussi, contrairement à ce à quoi il s'attendait, Sharon a entendu dire des responsables allemands qu'ils ne pouvaient pas mener une politique qui ne soit pas en accord avec celle du reste de l'Union européenne. Le chancelier Gerhard Schroeder a plaidé pour « une application immédiate de la première étape du rapport Mitchell ». Le président Chirac a aussi demandé à Sharon de cesser d'affaiblir Arafat, car cela pourrait conduire aux résultats contraires de ceux souhaités par Israël. De plus, il a souligné que les recommandations Mitchell devraient être mises en œuvre le plus rapidement possible, étant « incontestables, équilibrées, acceptées par tous et formant un tout, et leur mise en œuvre doit être rapide, commencer le plus tôt possible pour être efficaces ».
Querelle de ménage
Mais si le point de vue des Européens était déjà connu, l'opposition américaine aux vues de Sharon a constitué une véritable surprise, voire un camouflet pour le premier ministre israélien. Alors qu'il a sorti son sempiternel argument selon lequel il ne peut « négocier sous les balles et sous la terreur », le président américain a, au contraire, estimé que « des progrès ont été réalisés en matière de baisse du niveau de la violence et l'important, c'est de ne pas laisser ces progrès s'effondrer ». Il a plaidé pour une « évaluation réaliste de ce qui se passe sur le terrain ». Le journal israélien Yedioth Aharonoth prenait acte de cette défaite diplomatique en écrivant : « La confrontation publique entre le président Bush et Sharon est inhabituelle dans les relations entre les deux pays. Ils ressemblaient à un couple marié qui a décidé de se quereller devant les enfants. L'attaque du président américain contre Sharon est avant tout destinée à transmettre un message aux pays arabes amis des Etats-Unis et aux Palestiniens, leur disant que l'Administration américaine actuelle n'est pas dans la poche d'Israël ».
Une querelle de famille cependant, parce qu'elle n'a pas poussé Sharon à revenir sur sa politique. D'ailleurs, Colin Powell, secrétaire d'Etat américain, a déclaré lors de sa tournée dans la région qu'il appartenait à Israël de décider quand la semaine de calme absolu « commencerait et s'achèverait ». C'est un cadeau à Sharon en faisant de lui le seul maître à bord.
Evidemment, le premier ministre israélien en a profité pour aller de l'avant dans sa politique du bord du précipice. « Une étape que Sharon tentera de prolonger éternellement s'il peut pour ne pas arriver au stade de devoir appliquer les recommandations des accords Mitchell. Position très confortable devant son opinion publique. Face à l'opinion internationale, il aura toujours l'excuse que les violences continuent », commente Emad Gad. Le but ultime est de ne pas faire la paix avec les Palestiniens, à moins de leur imposer ses propres conditions. Dans un premier temps, il s'agira de mettre en échec les points les plus importants du plan Mitchell : le gel de la colonisation dans les territoires palestiniens et la mise en place d'un mécanisme de vérification sur le terrain.
De plus, Sharon se lance contre Arafat, symbole de la légitimité palestinienne. « Même affaibli, Arafat est le seul à pouvoir mener à bien le processus d'Oslo ». Et Sharon veut enterrer ce processus alors qu'il constitue le seul point d'accord entre Arabes et Israéliens, sous la bénédiction de la communauté internationale. Voire, des ministres israéliens actuels n'ont pas hésité à qualifier ceux qui ont signé Oslo de « criminels », Pérès y compris.
Tout annonce un enlisement total, sinon le chaos. Sharon y voit son unique issue. Les Arabes, eux, restent silencieux. S'agit-il d'une retenue ou ont-ils un atout dans la manche qu'ils sortiront au bon moment ?
             
5. Sabra et Chatila - La plainte contre Sharon provoque un tollé diplomatique par Scarlett Haddad 
in L'Orient-Le Jour du mardi 10 juillet 2001
Le processus semble s’emballer. En une semaine, le Premier ministre israélien Ariel Sharon annule la visite prévue en Belgique mais envoie dans le plus grand secret une équipe chargée d’enquêter sur la plainte déposée contre lui ; le consulat belge à Tel-Aviv est attaqué par des jeunes extrémistes ; l’ancien ministre Élie Hobeika propose de témoigner devant la justice belge ; et le ministre belge des AE, Louis Michel, se déclare «embarrassé» par l’action en justice contre Sharon. À l’origine de ce bouleversement, un avocat libanais, Chebli Mallat, marqué depuis longtemps par les massacres de Sabra et Chatila – comme par tous les génocides d’ailleurs – et soucieux de voir un jour s’instaurer une justice universelle qui dépasse les enjeux politiques.
Ce qui, au Liban, semble être une affaire de propagande, est en réalité une plainte très grave et un dossier solide qui risquent de causer de sérieux ennuis au Premier ministre israélien. Ce dernier est suspendu à la décision du juge d’instruction Patrick Collignon, connu pour son courage, puisque c’est lui qui avait brisé le réseau de pédophilie en Belgique, sans craindre de remonter haut dans la filière.
Depuis que le parquet belge a jugé recevable la plainte déposée par Me Chebli Mallat et ses deux collègues belges MM. Luc Walleyn et Michael Verhaeguen au nom de 28 survivants du massacre de Sabra et Chatila, la justice belge est sur la sellette. Tous les jours, les médias européens, arabes et israéliens – pour les Américains, c’est une autre histoire – rapportent de nouveaux détails sur cette affaire et de plus en plus d’organisations internationales des droits de l’homme appuient cette initiative, qui annonce l’émergence d’une sorte de justice universelle, équitable pour tous les humains.
Au départ, il y a un jeune homme, docteur en droit, spécialiste en droit pénal international. En 1982, le jeune Chebli Mallat vient d’achever ses études de droit à l’USJ. Il assiste à une véritable guerre, à l’occupation d’une capitale arabe, et découvre que la responsabilité de ces actes est uniquement politique. Il suit aussi la gigantesque manifestation de 400 000 personnes à Tel-Aviv réclamant la formation d’une commission d’enquête sur les massacres de Sabra et Chatila. Trois mois plus tard, la commission publie ses conclusions et demande la démission d’Ariel Sharon. Ce dernier refuse. Il faudra une autre manifestation le 10 février 83 pour qu’il renonce au portefeuille de la Défense. Au cours de cette manifestation, d’ailleurs, l’actuel président de la Knesset Avraham Burg est blessé par une grenade. Le jeune diplômé en droit est marqué par tous ces événements et découvre comment Ariel Sharon réussit à créer un flou autour de son rôle dans les massacres de Sabra et Chatila, alors que la commission Kahane avait elle-même conclu à sa responsabilité personnelle.
Le juge d’instruction décidera s’il doit entendre Hobeika
L’idée d’engager la responsabilité pénale de ce chef a commencé à faire son chemin dans l’esprit du jeune avocat. D’autant que depuis les massacres contre les Kurdes, les Bosniaques et les Kosovars, de plus en plus de voix se sont élevées dans le monde pour réclamer une justice internationale. Le TPI pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda a été créé alors qu’une cour pénale internationale est en gestation. Autant d’éléments qui encouragent le jeune avocat à commencer à former un dossier. Le déclic est arrivé avec l’adoption par le Parlement belge en 1999 de la loi sur la compétence universelle, qui permet à la justice belge de traiter des dossiers internationaux s’ils portent sur des crimes contre l’humanité. Le principe est simple et il a été reconnu lors du procès Eichman qui a constitué une jurisprudence en la matière : certains crimes sont tellement odieux qu’ils concernent l’humanité entière et par conséquent ne peuvent faire l’objet d’une prescription ou d’une juridiction territoriale. Les tribunaux belges peuvent donc les juger. Des Rwandais ont aussitôt porté plainte contre les auteurs des massacres dans leur pays et la justice belge a condamné quatre «génocidaires» rwandais à des peines allant jusqu’à 20 ans de prison. Il n’en fallait pas plus pour que Me Chebli Mallat se décide à suivre la même voie. Avec l’aide de l’historienne Rosemary Sayegh et de l’enquêtrice palestinienne Sana Hussein, il a recueilli plusieurs témoignages et finalement porté plainte contre Ariel Sharon, Amos Yaron (de l’état-major israélien) et «tout responsable israélien ou libanais dont l’enquête prouvera la responsabilité dans ces massacres» auprès de la justice belge.
La conférence de presse que Mallat a tenue à Bruxelles avec ses collègues belges pour annoncer le dépôt de cette plainte a attiré la presse du monde entier qui, depuis, s’intéresse de près à cette affaire.
À tel point que la Belgique, qui préside depuis peu l’Union européenne, est assez embarrassée, le ministre des AE Louis Michel ayant dû se rendre in extremis en Allemagne pour y rencontrer le Premier ministre israélien qui a annulé l’escale belge de sa tournée européenne.
Que peut-il se passer maintenant ? Il fait attendre la décision du juge d’instruction. C’est lui qui verra s’il peut recueillir le témoignage de l’ancien ministre Élie Hobeika. À ce niveau, Me Mallat estime que la proposition de ce dernier de se rendre en Belgique est très intéressante parce qu’elle peut apporter de nouveaux éléments au dossier. Mais en ce qui le concerne, il estime avoir assez d’éléments pour incriminer le Premier ministre israélien. «Si l’affaire n’était pas sérieuse, la presse israélienne ne la suivrait pas si attentivement». Mallat se désole toutefois du black-out fait par la presse américaine, alors que l’association US Human Rights Watch s’est prononcée en faveur d’un jugement de Sharon. Il se rend d’ailleurs lui-même à Paris et à Londres, à l’invitation d’associations des droits de l’homme, pour expliquer son initiative. Selon lui, le juge belge peut très bien émettre un mandat d’arrêt secret à l’encontre du Premier ministre israélien, même s’il estime que cette hypothèse est assez improbable pour l’instant. Ce qui compte aujourd’hui, c’est que l’instruction suive son cours, même si celui-ci prendra du temps et qu’un jour, les auteurs de crimes contre l’humanité se retrouvent sous les verrous. Ne craint-il pas que la justice belge ne décide de clore le dossier pour des raisons politico-diplomatiques ? «Le principe de la séparation des pouvoirs est en vigueur en Belgique. C’est l’occasion de montrer combien il est respecté».
Le ministre belge des AE réclame un amendement de la loi de 1999, excluant au moins les responsables en exercice ? «Cette loi avait été votée à l’unanimité et les parlementaires belges en sont très fiers. Je ne sais pas s’ils seront nombreux à voter un amendement».
Mallat est convaincu que la plainte aboutira. L’idée de la justice universelle et sans frontières fait de plus en plus son chemin dans le monde. «En tout cas, je fais mon devoir. Si j’obtiens gain de cause, cela signifiera qu’il existe un État de droit international. Sinon, il faudra continuer à se battre». Sa grande peur est que l’affaire ne se politise. C’est d’ailleurs pourquoi il a refusé l’aide du gouvernement libanais. «Lorsque le juge d’instruction belge viendra enquêter à Beyrouth, les autorités pourront l’aider. Mais à ce stade, je ne souhaite pas leur intervention. Pour moi, il s’agit d’une question de droit et de responsabilité pénale». Sharon n’est pour lui qu’un nom parmi d’autres. «Des Khmers rouges à Pinochet, en passant par Sharon, pour moi, la justice doit être égale pour tous et ce genre de crimes ne doit pas rester impuni». Mallat reconnaît toutefois qu’en présentant cette plainte, il y avait peut-être, dans son inconscient, une volonté de contribuer à la relance du processus de paix en se demandant comme un homme au bagage aussi lourd pouvait prendre en charge les destinées d’un peuple voire d’une région.
En tout cas, il a le mérite d’avoir soulevé un vent d’espoir dans les cœurs des survivants de Sabra et Chatila, et peut-être dans les consciences des peuples du monde.
               
6. Le premier ministre israélien reste intraitable sur tous les volets de la crise avec les Palestiniens par Mouna Naïm
in Le Monde du dimanche 8 juillet 2001
Malgré des divergences de fond sur des questions-clés avec ses hôtes, notamment français, le premier ministre israélien, Ariel Sharon, a tiré, vendredi 6 juillet, un bilan positif de ses visites en Allemagne et en France, estimant avoir évité une crise diplomatique avec l'Europe. "Il existe désormais des relations de confiance" entre Israël et l'Europe, a-t-il assuré, tout en reconnaissant les désaccords (lire aussi notre éditorial).
PAS LA PEINE de chercher midi à quatorze heures, de tenter de lire entre les lignes, de percevoir ou d'espérer une quelconque promesse d'infléchissement qui ne demanderait qu'à s'exprimer; le premier ministre israélien, Ariel Sharon, campe sur ses positions sur tous les volets de la crise avec les Palestiniens. Il les a réaffirmées, tantôt en public et tantôt à ses interlocuteurs officiels, lors de la courte visite qu'il a terminée vendredi 6 juillet à Paris. "Les choses sont très claires au niveau des positions d'Israël; je les ai dites, je les ai répétées de façon claire et nette, et je le fais parce que personne ne pourra défendre nos positions à notre place", a-t-il déclaré, inflexible, au terme d'un entretien avec le premier ministre, Lionel Jospin. Il n'a pas convaincu ses interlocuteurs, et réciproquement.
Surtout, le premier ministre israélien et ses hôtes français ne portent pas le même regard sur le président palestinien, Yasser Arafat. Parce que c'est une question-clé, les autorités françaises ont insisté. M. Jospin, ayant sans doute en mémoire les récentes diatribes anti-Arafat de M. Sharon, lui a rappelé que, pour la France, M. Arafat est un "interlocuteur" et un "partenaire". La veille, le président Chirac avait mis en garde le chef du gouvernement israélien contre les conséquences négatives d'un "affaiblissement" du président palestinien. En vain.
M. Sharon accuse M. Arafat de "mener une politique de terrorisme" : il l'a répété dans un entretien à France 2 vendredi soir. Peu lui importe que le dirigeant palestinien soit déstabilisé et éventuellement écarté de la scène politique. "Nous sommes tous remplaçables; chacun d'entre nous est remplaçable", a-t-il dit à France 2.
Simple hasard ou fuite organisée ? Le quotidien israélien Maariv publiait, le même jour, ce qu'il affirme être un document du Shin Beth, les services secrets israéliens, remontant à octobre 2000 et aboutissant aux conclusions suivantes : Yasser Arafat "constitue une grave menace pour la sécurité de l'Etat d'Israël; les dangers encourus par son éventuelle disparition de la scène sont moindres que ceux encourus par sa présence".
Le premier ministre israélien continue par ailleurs d'exiger une période de "calme absolu", de respect irréprochable du cessez-le-feu par les Palestiniens, avant que le gouvernement israélien accepte de passer à la deuxième phase des recommandations de la commission Mitchell, c'est-à-dire à l'apaisement (cooling off), puis a fortiori à la suivante, qui prévoit l'adoption de mesures de confiance réciproques, dont le gel des colonies de peuplement dans les territoires palestiniens.
"LE MINIMUM NÉCESSAIRE"
En attendant, et malgré les critiques internationales, y compris de la part des Etats-Unis, l'Etat juif continuera de liquider les activistes palestiniens, parce que, dit-il, M. Arafat, sommé par Israël de les arrêter, s'est abstenu de le faire. Et pour que nul ne se méprenne sur ses intentions, M. Sharon a prévenu : "Nous faisons le minimum nécessaire aujourd'hui et nous le faisons dans la défense active, mais ce n'est pas quelque chose qui pourra durer longtemps." Autrement dit, les Palestiniens ne perdent rien pour attendre.
M. Jospin, selon son entourage, ne lui a pas caché ses "craintes que les exigences du gouvernement israélien ne soient jamais satisfaites, que les perspectives de paix ouvertes par le rapport Mitchell s'éloignent et que la situation ne devienne encore plus dangereuse". Le président Jacques Chirac en avait fait autant la veille, mais M. Sharon n'en a pas démordu, quitte à admettre publiquement qu'il "n'y a pas accord sur tous les points" avec les autorités françaises; mais il existe, selon lui, une "compréhension" mutuelle, et "c'est surtout cela qui est important".
"Le terrorisme est aujourd'hui le danger numéro un, le danger pour l'équilibre au Proche-Orient, le danger pour l'équilibre dans le monde", a martelé M. Sharon. Plus nuancé, Lionel Jospin lui a fait part de son "extrême préoccupation" face à la "menace terroriste dont Israël est victime", mais aussi "pour les Palestiniens, qui mènent une existence à la limite du supportable."
                  
7. L'immunité parlementaire devrait mettre un député arabe israélien à l'abri de poursuites judiciaires - Azmi Bishara est accusé d'avoir tenu des propos hostiles à l'Etat juif en pays ennemi par Catherine Dupeyron
in Le Monde du samedi 7 juillet 2001
JÉRUSALEM correspondance - Mieux vaut prévenir que guérir. Le député arabe israélien Azmi Bishara, menacé de poursuites judiciaires pour "collaboration avec l'ennemi en temps de guerre, maintien de contact avec un agent étranger d'un pays ennemi, sédition, et soutien à une organisation terroriste", a averti que si le procureur général donnait suite, il porterait l'affaire devant un tribunal international.
Et, alors que le procureur n'a encore rien décidé, l'Union parlementaire internationale basée à Genève, s'est déjà saisie du dossier. Dans une lettre adressée au président de la Knesset, Abraham Burg, le secrétaire de l'Union, Anders Johnson, conteste l'interrogatoire préliminaire de M. Bishara, mené par la police le 27 juin ; cela constituerait, d'après lui, une violation de son immunité parlementaire. En réalité il s'agit d'une simple enquête préliminaire demandée par le procureur, justement destinée à déterminer s'il y a lieu ou non de poursuivre.
La police a recommandé l'inculpation de M. Bishara pour avoir tenu des propos hostiles à Israël en pays ennemi, la Syrie. Le 10 juin, alors qu'il participait, aux côtés de Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah libanais, aux cérémonies d'anniversaire de la mort d'Hafez El Assad, M. Bishara a appelé les pays arabes "à accroître la résistance à l'occupation (israélienne) et à apporter un soutien plus important à la lutte du peuple palestinien contre l'occupation".
Il a également fait l'éloge du Hezbollah, qu'il a qualifié d'exemple "héroïque de la résistance islamique".
Dès le lendemain, un certain nombre de députés juifs israéliens demandaient qu'il soit traduit en justice. Spécialiste de la surenchère, le député d'extrême droite Michaël Kleiner, proclamait que "dans toute nation normale (M. Bishara) aurait été envoyé devant un peloton d'exécution". Et le ministre de l'intérieur, Elie Yshai, membre du Shass, suggérait de retirer sa citoyenneté à M. Bishara. Ce dernier, député depuis 1996, a expliqué qu'il avait déjà tenu ce type de discours en Israël, y compris à la Knesset. Autrement dit, il n'y a pas lieu de s'en émouvoir.
Ce à quoi les juristes répondent en substance : il y a une différence majeure entre des propos tenus devant un public israélien et des déclarations faites à l'étranger, dans un pays qui est officiellement un ennemi d'Israël et de surcroît en présence d'éléments hostiles voire "terroristes". Dans le premier cas, cela peut être considéré comme faisant partie des règles du jeu démocratique. Dans le second, il en va tout autrement.
PRUDENCE
Quelle que soit la validité des charges, le procureur de l'Etat, Elyakim Rubinstein, hésitera sans doute à lancer des poursuites contre M. Bishara et à demander en conséquence à la Knesset de voter la levée de son immunité parlementaire. La prudence politique devrait l'en dissuader. Si, comme le faisait justement remarquer le député travailliste Effi Oshaya, "l'apparition de Bishara aux côtés de Nasrallah, pour l'anniversaire de la mort d'Assad, creuse le fossé qui existe entre Juifs et Arabes en Israël", aux yeux des Juifs, nul doute que l'inculpation de M. Bishara produirait les mêmes effets parmi les Arabes israéliens, déjà très ébranlés par les émeutes d'octobre 2000, qui ont fait treize morts dans leurs rangs.
Sans doute, M. Rubinstein préférera-t-il se contenter d'une déclaration politique informelle condamnant l'attitude de M. Bishara. A défaut d'inculpation judiciaire, la Knesset dispose de moyens sanctionnant les éventuels manquements à l'éthique de ses membres. Elle peut priver le parlementaire de ses émoluments pendant un ou plusieurs mois, ou lui interdire de participer à plusieurs séances, ce qui est plus rare. En outre, afin qu'une telle situation ne se reproduise pas, certains députés envisagent d'étendre aux personnalités disposant d'un passeport de VIP les dispositions légales qui interdisent aux citoyens israéliens de se rendre dans un pays ennemi.
                 
8. La FIDH invite Israël à intégrer sa minorité arabe par Mouna Naïm
in Le Monde du samedi 7 juillet 2001
Relever le défi d'une parfaite intégration de sa propre minorité arabe, d'"une cohabitation égalitaire, fraternelle et loyale" au sein d'un même Etat, serait "incontestablement de la part d'Israël un pas sur le chemin de la paix".
C'est en tout cas ce que pense la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), qui vient de rendre public le rapport d'une mission d'enquête conduite en Israël sur le statut des citoyens arabes israéliens. Lors d'une conférence de presse, mercredi 4 juillet à Paris, Claude Katz, secrétaire général de la FIDH, insiste : "La capacité du gouvernement israélien à permettre une égalité de droits aux citoyens arabes israéliens est une sorte de laboratoire du futur de la cohabitation entre Arabes et Juifs au sein d'un même Etat."
Le défi est de taille, si l'on en juge d'après l'état des lieux dressé au terme de l'enquête conduite en collaboration avec deux organisations israéliennes de défense des droits de l'homme, l'Association for Civil Rights in Israël et Betselem. Le titre du rapport en dit long : "Des étrangers de l'intérieur : le statut de la minorité palestinienne d'Israël".
"Minorité" certes, mais qui compte un peu plus d'un million de personnes, c'est-à-dire un peu moins de 19 % de la population de l'Etat d'Israël, globalement estimée à quelque six millions.
NEUF RECOMMANDATIONS
Cette minorité subit de nombreuses discriminations dont "une partie est légalisée, une autre relevant davantage de pratiques", a expliqué Claude Katz. Chiffres, textes de base et exemples concrets à l'appui, le rapport énumère la liste de ces discriminations, qui concernent l'accès non seulement à la sphère politique, mais aussi à l'emploi dans les secteurs public et privé - où continue de prévaloir "un état d'esprit et un racisme antiarabe", a noté M. Katz - la propriété de la terre, l'usage de la langue, l'enseignement supérieur, les droits culturels et religieux. Sans oublier "la situation extrêmement critique"des quelque cent trente mille membres de la communauté bédouine "minorité dans la minorité", dont l'installation forcée dans des centres urbains a entraîné une totale déstructuration des familles et du mode de vie traditionnel. La FIDH prend acte des progrès des dernières années, dont le mérite principal revient à la Cour suprême, qui joue un rôle essentiel en matière judiciaire et constitutionnelle. Elle admet que le problème du statut des Arabes israéliens "ne pourra recevoir de solution pleinement satisfaisante sans la solution définitive du conflit"entre Israël et les Palestiniens, mais n'en énumère pas moins neuf recommandations qui peuvent contribuer à aplanir les discriminations.
La FIDH s'interdit de porter un "quelconque jugement, a fortiori de remettre en cause le projet politique fondateur de l'Etat d'Israël". Elle note néanmoins que "ce projet politique - l'instauration d'un "Etat juif" - est porteur d'une discrimination à l'égard de la population non juive". Autrement dit, comme le dit Claude Katz, la question du statut de la minorité palestinienne pose le problème de la structure contradictoire d'un Etat "qui se définit fondamentalement comme un Etat juif, mais aussi comme un Etat démocratique".
             
9. José Bové, syndicaliste français par Walid Charara
L'Hebdo Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 6 juillet 2001

"Israël mène un ethnocide contre les Palestiniens"
José Bové, leader de la confédération paysanne en France et l'une des principales figures de la lutte contre la mondialisation libérale, s'est rendu en Palestine avec une délégation du mouvement social en France en «visite de solidarité» avec le peuple palestinien. Dans une interview qu'il a accordée à Magazine, il affirme la volonté d'un plus grand engagement des réseaux antimondialisation aux côtés des Palestiniens.
- C'est votre première visite en Palestine ?
- Oui.
- Vous aviez déjà une connaissance de la situation sur place ?
Nous étions en relation avec le Parc (Palestinian Agricultural Relief Committee). Notre solidarité avec le peuple palestinien s'inscrit dans le cadre de la solidarité internationale. Durant notre lutte au Larzac, nous avions eu un vaste mouvement de solidarité internationale avec nous qui nous a été d'une grande utilité. Nous avons estimé qu'il était de notre devoir à notre tour de témoigner d'une telle solidarité avec les personnes, les associations ou les peuples en lutte pour leurs droits.
- Sur place, vous avez fait une comparaison entre la domination coloniale israélienne et le système de l'apartheid...
- En arrivant sur place, la première chose qui se jette à la figure est la manière dont les populations sont parquées, aussi bien en Israël que dans les territoires de 1967. Ce qui frappe, c'est la façon dont les Palestiniens sont de plus en plus enfermés dans leurs villes d'origine, comme à Nazareth, où la ville est en train d'être encerclée par la ville israélienne de Nazareth-ilit, qui se construit autour. Les bâtiments administratifs ont été évacués de la ville arabe pour être reconstruits dans la ville israélienne. La population palestinienne perd totalement ses prérogatives sur la gestion de sa ville et de son territoire puisqu'il n'y a plus d'espace pour construire. C'est un des premiers exemples qui m'ont beaucoup frappé. Le deuxième exemple d'apartheid est la situation à Jérusalem. Les bâtiments administratifs pour les Israéliens se trouvent à Jérusalem-Ouest. Les Palestiniens sont obligés d'attendre à partir de 2 heures du matin pour passer en définitive devant un petit guichet pour obtenir leurs papiers familiaux ou renouveler leurs papiers d'identité. Tous les Palestiniens de Jérusalem-Est sont obligés de passer par là. Ils subissent sur place les contrôles et les vexations de la police israélienne... C'est absolument insupportable. Tout est fait pour signifier à la population palestinienne qu'elle est en sous-droit. Dans les territoires occupés, il y a d'abord cette humiliation permanente de toute une population sur les check points israéliens. Les arrestations sans aucune raison, les attentes interminables devant les barrages israéliens pour s'entendre dire après des heures, voire plus d'une journée d'attente, que le passage est interdit... A Gaza, nous avons vu des gens avec leurs paquets sur la tête attendre des heures au soleil et de temps en temps, un soldat israélien qui leur donnait l'ordre d'avancer d'un ou de deux pas et d'attendre à nouveau... Le plus symptomatique, à Gaza, c'est cette route barrée en deux par des blocs de béton avec un côté exclusivement pour les colons et l'autre côté pour les Palestiniens. Ces derniers sont obligés d'attendre lorsque les colons passent de leur côté. Ils peuvent rester à attendre pendant des heures le bon vouloir de l'armée... Une situation de non-droit absolu. Une manière de signifier aux gens que leur place n'est pas là. En plus, il y a ces entreprises israéliennes implantées autour des colonies, comparables aux maquiladoras de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, de véritables parcs industriels permettant à Israël d'améliorer son système de sous-traitance en développant certaines zones industrielles au sein des populations pauvres (îlots de richesse dans un océan de pauvreté), a priori plus productives et adaptables aux exigences des industriels israéliens. Ce projet était en fait une adaptation du modèle sud-africain des points de croissance (grouth points). Le parallèle se fait automatiquement. C'est un apartheid politique, économique, social...
- L'apartheid, c'était aussi les bantoustans, ces enclaves territoriales où étaient parquées les populations noires.
- Bien sûr. C'est tout à fait la même logique avec les confettis d'Etat palestinien, ses territoires prétendument autonomes mais qui sont de plus en plus coupés par des routes reliant les colonies entre elles. Tout est fait par Israël pour rendre impossible la gestion d'un territoire palestinien et pour cantonner les Palestiniens dans des morceaux de territoires. J'ai cité en Palestine à plusieurs reprises le titre d'un livre paru en France il y a 25 ans, La géographie, ça sert d'abord à faire la guerre, d'Yves Lacoste. C'est vraiment la situation sur le terrain. Par une stratégie de positionnement, toute solution politique du conflit est rendue impossible.
- Vous qui êtes écologiste et attaché à la terre, comment vous réagissez au fait qu'Israël plante souvent des arbres, notamment des sapins du Canada, en Galilée ou ailleurs dans une volonté délibérée d'effacer la trace des villages palestiniens détruits et de transformer l'espace physique ?
- Il y a évidemment une volonté totalitaire de contrôle des hommes, de contrôle des ressources et de refaçonnage de l'espace en faisant table rase de ce qui existait déjà, et la construction d'un monde nouveau. En même temps, il y a une fonction idéologique très forte avec cette idée qu'Israël a transformé le désert en espace vert. Israël nie l'histoire et la culture du peuple palestinien et reconstruit de toutes pièces une autre réalité. Par ailleurs, sa façon de concevoir l'architecture est absolument saisissante. L'architecture des colonies, au lieu de s'intégrer par rapport à des reliefs, est là, posée pour être visible, l'objectif étant de montrer la puissance israélienne. L'architecture s'impose, en quelque sorte au pays. Lorsque le villageois palestinien se lève le matin, la première chose qu'il voit, ce sont ces murs de béton... pour montrer la puissance de l'occupation. Il y a, par ailleurs, une instrumentalisation des habitants de ces colonies. Ces derniers sont composés d'extrémistes religieux, mais aussi de personnes qui sont là pour l'ascension sociale. Au lieu de rester vivre dans leur deux-pièces à Tel-Aviv, ils préfèrent vivre dans un quatre-pièces dans une colonie. Pour l'ascension sociale, ils sont prêts à vivre mitraillette au poing.
Peut-être que la principale différence avec l'apartheid est cette dimension coloniale d'Israël. Non seulement il confine les Palestiniens dans des enclaves territoriales et les exploite, mais aussi il continue à leur confisquer leurs terres, rétrécissant ainsi leur espace d'existence en tant que peuple. Cela ressemble plutôt à un ethnocide...
J'ai utilisé ce terme d'ethnocide sans qu'il soit rapporté par la presse française. Ce que les Occidentaux ont refusé de voir en Bosnie ou au Kosovo pendant des années est en train de se répéter en Palestine. On va vers l'épuration ethnique.
- Comment articulez-vous la lutte contre la mondialisation libérale et le soutien à la lutte palestinienne ?
- Il y a deux grands outils de la globalisation. L'Otan et l'OMC. A partir de ces deux outils, il y a une complicité totale entre les Etats-Unis et l'Europe pour se partager le monde. La guerre du Golfe en 1991 et les accords de Marrakech en 1994 sont les deux actes fondateurs du nouvel ordre mondial dans le cadre duquel s'opère un nouveau Yalta entre les Etats-Unis et l'Europe. Si on veut que la lutte du peuple palestinien soit comprise, il faut que les organisations de résistance palestiniennes posent le problème de l'ordre global dans lequel leur cause se situe. Il faut que les Palestiniens se posent la question du mode de développement qu'ils veulent pour eux, la façon dont ils conçoivent l'agriculture, la terre, la logique de l'économie, les relations internationales dans l'économie, comment construire un autre Moyen-Orient sur d'autres valeurs que celles du marché. C'est en donnant des réponses à ces questions que la résistance palestinienne pourra élargir le mouvement de solidarité avec sa lutte. L'exemple du Chiapas est à cet égard édifiant. C'est un mouvement qui a parfaitement réussi à articuler le local et le global.
                                
10. Dans la maison réquisitionnée de Khalil par Pierre Barbancey
in L'Humanité du jeudi 5 juillet 2001
De notre envoyé spécial à Deir el-Balah (bande de Gaza).
L'armée israélienne ne recule devant rien pour imposer son ordre et tenir en joue une population palestinienne toujours plus exposée. La famille de Khalil Basheir, un enseignant de Deir el-Balah, vit dans la terreur depuis que Tsahal a pris possession des deux étages de sa maison, ne lui laissant que le rez-de-chaussée. Nous sommes pourtant en zone A, sous complet contrôle de l'Autorité palestinienne, comme le prévoient les accords d'Oslo. Le domaine a été saccagé par les chars. Il ne reste plus aucun oranger, fierté de Khalil. Les palmiers ont été arrachés comme les oliviers. Les serres ont également été abattues. Le tort des Basheir ? Habiter à dix mètres de la colonie d'implantation juive de Kfar Darom.
" C'était le 11 décembre, en fin d'après-midi ", se souvient Amira, seize ans. " Les soldats israéliens sont arrivés et ont tout saccagé dans le champ. Puis ils sont entrés dans la maison et comme nous ne voulions pas partir, ils ont pris possession des deux étages ". Les soldats ont tendu des filets de camouflage et il est difficile de savoir s'ils sont présents ou non dans la journée. Il faut tendre l'oreille et écouter le bruit des pas. Ils accèdent aux étages par une échelle en fer, rouillée, dressée contre le mur de derrière. " La nuit, quand ils montent, on entend leur souffle ", se confie-t-elle. Monter l'escalier intérieur pour vérifier exposerait la famille Basheir qui a déjà été menacé de représailles à plusieurs reprises si des journalistes venaient. Amira, comme ses parents et ses frères et sours, n'en a cure. " Notre vie est en danger mais notre volonté est forte. Nous ne sommes pas prêts à partir. Même si on meurt ici ce ne sera pas pour rien. Nos corps fertiliseront notre terre. " La façade de la maison témoigne de la rage soldatesque : des centaines d'impacts de balles et de roquettes. L'une d'elle est même encore fichée dans le mur. Dès le début de l'Intifada, colons et militaires israéliens se sont défoulés, comme dans une fête foraine, le " jeu " principal consistant à essayer de couper les câbles électriques. L'intérieur de la maison n'est guère en meilleur état. Les vitres des pièces donnant directement sur la colonie ont toutes volé en éclat. Khalil et l'un de ses fils ont été blessés sans raison il y a quelques mois alors qu'ils se trouvaient dans l'une des chambres. Les armoires ont été transpercées. Dans les piles de vêtements on trouve encore des balles. Amira sort une caisse dans laquelle elle a entreposé les morceaux de projectiles envoyés par les Israéliens. " Chaque jour ils font quelque chose contre nous ", assure-t-elle d'une voix douce. Les militaires viennent régulièrement fouiller la maison, à l'aide de chiens, à grand renfort de coups et d'insultes. Il a dix jours, ils ont tout simplement modifié la frontière en installant des barbelés en territoire palestinien.
Depuis le mois de décembre, toute la famille dort dans la même pièce, la moins exposée. Et surtout, " on ne laisse jamais la maison vide pour qu'ils n'en prennent pas possession ", souligne Souad, la mère. Leur vie est devenue un enfer. Un des enfants, âgé de neuf ans, a voulu jouer dans le jardin. Mal lui en a pris. Il a été la cible des soldats installés sur le mirador en béton, érigé à quelques mètres. Il a également fallu se débrouiller pour l'approvisionnement en eau puisque Tsahal a débranché les citernes se trouvant sur le toit. " On remplit des bidons d'eau la nuit, pour ne pas venir dans la cuisine parce que c'est trop dangereux, explique Souad. On n'a même plus accès à l'huile d'olive et aux provisions que nous avions entreposés au 1er étage ". Elle observe une pause et ajoute : " Je suis très triste de tous ces morts après l'attentat de Tel Aviv. Mais pourquoi le monde entier ne réagit-il pas avec autant de force lorsque c'est nous qui mourons ? "
Assis devant sa maison, entouré de sa femme et de ses enfants, Khalil ne professe aucune haine à l'égard des Israéliens. Cette barbarie le touche au plus profond de lui-même mais il veut encore croire que " ce sont des êtres humains ". Malgré les souffrances endurées, pas question de bouger de là car " quitter cette demeure ce serait mourir ". Khalil souhaite " écrire une nouvelle page " et adresse un message aux Israéliens, terrible et digne : " Nous ne sommes pas vos ennemis. Apprenons l'amitié à nos enfants et laissons-les vivre. S'il y a une place pour un compromis, faisons-le. Vous ne pouvez pas nous supprimer, nous ne pouvons pas vous supprimer. Epargnons-nous plus de destructions. Il faut regarder devant nous pour qu'il y ait un avenir ".
                    
11. Elias Sanbar : Une vie en exil par Jean-Claude Lebrun
in L'Humanité du jeudi 5 juillet 2001
L'historien Elias Sanbar dirige aux éditions de Minuit la réputée Revue d'études palestiniennes. Il exerce également des responsabilités politiques au sein de la résistance palestinienne. S'il a choisi aujourd'hui de nous donner le Bien des absents, un ensemble de textes à l'écriture vive, remarquablement évocatrice, ce n'est assurément pas qu'il recherche dans la littérature quelque consécration, ni même un adoubement. Rien à voir avec cet ancien président de la République, qui concevait l'écriture comme une autre sorte de savoir-faire et commit un jour un petit roman désastreux et risible. Ici l'on se sent tout de suite pris par une sensibilité particulière, par la force d'une parole.
C'est en effet un demi-siècle d'exil qui vient à se dire, dans des scènes à la tonalité tantôt grave et tantôt plus souriante. Depuis le départ forcé de Haïfa, en avril 1948, jusqu'à ce 1er juillet 1994, où l'on voit Arafat pouvoir enfin remettre les pieds sur un territoire palestinien. Durant ces presque cinquante années Elias Sanbar a enregistré des images et des sensations, qui constituent à coup sûr son véritable bagage d'exilé. Alors que de sa ville natale, il lui reste seulement " un trou noir " : il n'était âgé que de quinze mois lorsque sa famille, parmi les dernières - le père, notable de la communauté arabe, était resté jusqu'à l'ultime limite -, avait dû embarquer pour Beyrouth. Or c'est précisément de ces derniers instants qu'il s'agit d'abord, alors que la ville cède lentement aux groupes israéliens qui l'investissent. Elias Sanbar reconstitue cet épisode, tandis que la canonnade se rapproche de la terrasse et du jardin, où s'attarde encore la douceur de la lumière matinale. Il montre aussi comment l'enchaînement des souvenirs, le travail de la mémoire à venir à ce moment s'enclenche. Détournant le cours de son récit, il le fait retourner dans le passé, pour évoquer la construction de la maison, la logique suivie pour la plantation des arbres du jardin, mais aussi les fins de sieste alanguies, les envahissantes senteurs de jasmin, et la mer enfin, visible de partout dans cette ville " bâtie en escaliers ", telle une issue de secours vers le monde.
Une ouverture parfaitement emblématique, puisque le pays des origines est resté pour la plupart une terre rêvée, à laquelle seuls des récits ont donné une consistance et une tangibilité. Ce que fait à son tour Elias Sanbar, quand il nous transporte dans cette dernière matinée de Haïfa. Son livre peut alors faire remonter d'autres épisodes de la vie en exil : l'on sait maintenant en effet, là derrière, les images indélébiles que l'imaginaire s'est construites, qui n'ont pas cessé un seul instant d'alimenter la nostalgie, de tenir le corps et l'esprit en situation d'attente, de leur " faire signe. " En même temps que les tragédies se succédaient. Guerre des six jours, Septembre noir, Sabra et Chatila... Obligeant à embrasser d'un même regard le rêve et la lutte, à faire d'eux un tout indissociable. " Ma génération ne s'est pas politisée au sens où on l'entend dans les pays jouissant de paix civile. Elle s'est retrouvée confrontée dès l'adolescence à la nécessité d'agir ", rappelle Elias Sanbar. Chaque récit se déploie sur cette couleur de fond, qui donne peut-être un prix plus grand encore aux petits et grands événements de l'existence depuis l'exode. Par exemple la livraison solennelle, dans la maison de Beyrouth, de quelques meubles que l'on a réussi à faire sortir du pays occupé ; le couvert du frère aîné mis à tous les repas, pendant que celui-ci est parti continuer ses études aux Etats-Unis ; Jean-Luc Godard venu filmer les combattants et transférant sur eux un fantasme de gauchiste occidental, jusqu'à ce que des paroles d'abord mal audibles, sur une bande-son, lui projettent le réel en pleine figure ; Jean Genet, l'ami, dont la silhouette bonhomme n'éveille pas les soupçons, et qui en 1982, juste après les massacres, pénètre " l'un des premiers " dans Sabra et Chatila, donnant quelque temps après le retentissant Quatre heures à Chatila...
Puis vient l'invitation à enseigner dans une université américaine et la visite de la statue de la liberté, sur Ellis Island : elle était " creuse " et à son sommet elle " tanguait. " Inutile d'en dire plus, si ce n'est qu'une comparaison alors lentement mûrit, entre le peuple indien et le peuple palestinien, l'un et l'autre repoussés avant de se trouver parqués dans des réserves. Elias Sanbar accède là à l'intuition du " lien profond qui sous-tend le jeu de miroirs entre l'américanisme et le sionisme. " Au fil de ces expériences, la réflexion s'approfondit et s'aiguise, un lien s'établit entre la poésie de la Palestine imaginée et le combat des Palestiniens. Le récit organise entre les deux une véritable circulation, suggère l'Histoire en travail dans les individus par des canaux insoupçonnés - émotions, images, mots. Plus qu'un témoignage, une ouvre qui donne à voir et à sentir.
- Elias Sanbar, " Le Bien des absents " aux éditions Actes Sud, 144 p, 99 F.
                      
12. Les diplomates belges sont sous tension par  Serge Dumont
in (quotidien belge) Le Soir du vendredi 6 juillet 2001 
TEL-AVIV - Des inconnus ont attaqué hier vers deux heures du matin la résidence officielle de Léo D'Aes, le consul général de Belgique à Jérusalem. Plusieurs baies vitrées situées à l'entrée de cette maison de maître de la rue Balfour ont été pulvérisées par des billes de plomb tirées à l'aide catapultes alors que les slogans « Belges colonialistes  », « Belges, antisémites  » et « Nazis go home  » étaient peints sur les murs. Une surprise pour Léo D'Aes, qui s'est ensuite rendu au ministère israélien des Affaires étrangères pour exiger une protection.
Jusqu'à ces derniers jours, les diplomates belges en poste en Israël ne se sentaient pourtant pas menacés malgré la tension causée par l'instruction de la plainte déposée à Bruxelles contre Ariel Sharon. Mais l'incident d'hier a changé la donne car un sentiment anti-belge commence à se former dans une partie de l'opinion de l'Etat hébreu.
A Ramat-Gan (le quartier des affaires de Tel-Aviv), l'ambassade de Belgique reçoit de plus en plus de lettres et de communications téléphoniques insultantes ou vengeresses. Ce qui explique sans doute pourquoi l'ambassadeur Wilfried Geens se prépare à effectuer une démarche auprès des Affaires étrangères israéliennes afin d'obtenir la multiplication des rondes de police devant l'immeuble où sont situés ses bureaux (et où des mesures de sécurité interne ont d'ailleurs été prises).
Selon les usages en vigueur dans les milieux diplomatiques, les démarches de ce type sont confidentielles. On ne saura donc pas si l'ambassadeur évoquera également devant ses interlocuteurs le cambriolage de sa résidence de Hertzlya (banlieue nord de Tel-Aviv) survenu le week-end passé.
Des slogans peints : « Belges colonialistes », « Belges antisémites »
Un casse ordinaire effectué par des drogués, a en croire la police locale, qui ne tient pas à s'étendre sur le sujet. Ni à expliquer comment de vulgaires délinquants ont pu s'introduire aussi facilement dans une villa entourée d'une enceinte.
La police israélienne semble en tout cas faire diligence pour retrouver les auteurs de l'attaque contre la résidence de M. D'Aes (que l'entourage d'Ariel Sharon a officiellement condamnée hier) et ceux du cambriolage de la maison de M. Geens. Mais cela n'atténue pas vraiment la tension entre Israël et la Belgique. D'autant que la presse de l'Etat hébreu jette quotidiennement de l'huile sur le feu publiant des informations souvent erronées sur le fonctionnement de la justice belge et la Belgique en général.
             
13. Mobilisation en France contre la visite d'Ariel Sharon
Dépêche de l'Agence France Presse du jeudi 5 juillet 2001, 12h43
PARIS - La première visite officielle en Europe du chef du gouvernement israélien Ariel Sharon suscite, notamment en France, des protestations contre celui qui a été mis en cause dans des massacres de civils palestiniens il y a près de 20 ans au Liban.
M. Sharon était ministre de la Défense et le principal instigateur de l'invasion du Liban en 1982, au cours de laquelle des miliciens chrétiens alliés d'Israël ont commis des massacres dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, près de Beyrouth.
Une commission d'enquête officielle israélienne a mis en cause la "responsabilité indirecte", mais personnelle de M. Sharon --dont les troupes encerclaient les camps --dans les massacres, ce qui l'avait contraint à démissionner.
Entre 800 et 2.000 civils palestiniens avaient péri dans ces massacres qui continuent d'avoir des retombées aujourd'hui encore.
Deux plaintes ont ainsi été déposées en juin en Belgique contre M. Sharon pour sa responsabilité présumés dans les massacres de septembre 1982 et le parquet doit se prononcer dans les prochaines semaines sur leur recevabilité.
Les plaignants fondent leur action sur une loi belge de 1993, modifiée en 1999, qui accorde la compétence universelle aux tribunaux belges pour les crimes de guerre, de génocide et contre l'humanité.
Outre Berlin et Paris, la tournée européenne de M. Sharon devait à l'origine comprendre la Belgique, qui exerce depuis le 1er juillet la présidence de l'Union Européenne. Mais cette étape a été annulée en raison, selon les médias israéliens, du mécontentement de M. Sharon après les actions en justice engagées à son encontre.
En France, un collectif regroupant diverses associations et des partis politiques de gauche a appelé à une manifestation jeudi soir à Paris, au moment où M. Sharon sera reçu à la présidence française.
Les organisateurs de la manifestation réclament notamment que des "procédures pénales" soient engagées en France contre M. Sharon.
Dans un communiqué à l'AFP, le Comité de soutien, initiateur de la protestation et de la manifestation à Paris, a indiqué avoir demandé à être reçus par le président français Jacques Chirac et par le ministre français des affaires étrangères Hubert Védrine.
Ce comité est formé des présidents de la section française d'Amnesty International, Denis Robillard, de la Fédération internationale des Ligues des droits de l'homme (FIDH) Patrick Baudoin, ainsi que de MM. Marcel Franis-Khan pour le "collectif judéo-arabe", Bernard Ravenel, président de l'association France-Palestine solidarité, et Mouloud Aounit, secrétaire général du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP).
Enfin, l'absence de mobilisation des associations juives contre la visite de M. Sharon a suscité des regrets parmi les Palestiniens résidant en France.
"Il est triste que ceux qui ont protesté la semaine dernière contre la visite en France du président syrien Bachar al-Assad soient aussi silencieux sur les pratiques israéliennes dans les territoires occupés et ne disent rien sur la venue d'Ariel Sharon à Paris", a indiqué à l'AFP Marwan Bishara, chercheur et militant palestinien.
               
14. Arabes, israéliens, et marginaux par Agnès Gorissen
in Le Soir (quotidien belge) du mercredi 4 juillet 2001
Israël est un Etat juif - c'est en quelque sorte sa « raison sociale ». Près d'un cinquième de sa population (17 à 18 %) n'en est pas moins arabe. Des citoyens israéliens, mais arabes. Et à leur égard, un mot s'impose : discriminations. La Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), qui s'est rendue sur le terrain à deux reprises (en décembre 2000 et mars 2001), tire la sonnette d'alarme.
J'identifierais quatre aspects saillants, explique, en primeur pour « Le Soir », Olivier De Schutter, secrétaire général de la Ligue des droits de l'homme - Belgique francophone, qui est l'un des auteurs du rapport de mission.
Premièrement, sur le plan socioéconomique, les localités arabes israéliennes sont très défavorisées. Sur le plan de la santé, de l'éducation et des services publics en général, elles bénéficient beaucoup moins des efforts de développement, note Olivier De Schutter. Qui souligne que cette situation est impossible à combattre en justice puisque l'obligation de l'égalité est absente du texte fondamental israélien de 1992.
Le deuxième aspect, plus individuel, tient au fait que certains avantages sociaux - l'accès aux bourses universitaires et à la fonction publique, l'aide au logement - sont liés au passage par le service militaire, explique le rapporteur. Le problème, c'est que les Arabes israéliens ne sont encouragés, ni par leur communauté ni par l'Etat hébreu, à passer sous les drapeaux - en fait, ils sont systématiquement exemptés. Ils ne bénéficient donc pas de ces avantages sociaux - ils sont 6 % à l'université, représentent moins de 6 % des fonctionnaires. Piste proposée par la FIDH : créer un service civil alternatif allouant les mêmes avantages que le service militaire.
Le traumatisme d'octobre 2000
Le troisième point concerne plus spécifiquement les Bédouins. A partir de 1970, l'Etat hébreu a pratiqué une politique de regroupement de ces nomades dans des cités. Ceux qui ont accepté se retrouvent au plus bas de l'échelle de développement en Israël. Et ceux qui ont refusé vivent dans des communautés non reconnues, sans adresse administrative, sans eau potable, sans électricité, sans transports publics..., constate Olivier De Schutter.
Qui enchaîne avec le quatrième aspect : la terre. Dans la logique du sionisme, dit-il, il y a un lien entre la propriété juive de la terre et la survie du pays dans le Proche-Orient; 93 % des terres d'Israël - dont celles des réfugiés de 1948 - appartiennent à l'Etat et sont confiées en gestion à des organisations sionistes. Qui pratiquent, « logiquement », des discriminations vis-à-vis des Arabes. Pour la première fois, en mars 2000, la Cour suprême israélienne a condamné une de ces discriminations - l'Agence juive avait refusé l'achat d'un logement dans la localité juive de Katzir à un couple arabe. Mais le cas est resté unique. Insuffisant pour une communauté frustrée.
C'est plus vrai encore, note Olivier De Schutter, depuis le début de la deuxième intifada palestinienne et la répression, en octobre 2000, des manifestations en solidarité avec leurs frères palestiniens - 13 morts. D'où le sentiment d'avoir été loyal pendant cinquante ans - les Arabes israéliens sont fiers de dire qu'aucun terroriste n'est sorti de leurs rangs - et de ne pas en être récompensé, car le racisme prend des proportions inquiétantes.
Pour la FIDH, il est urgent d'agir. Avant que la minorité arabe se détourne définitivement d'Israël et donne corps au mythe de la « cinquième colonne ». Les Arabes israéliens doivent accepter, vraiment, qu'ils ont des devoirs envers l'Etat hébreu, conclut Olivier De Schutter. Mais Israël ne peut pas continuer à se servir du conflit avec les Palestiniens comme prétexte à des discriminations. Israël ne perdra pas son caractère d'Etat juif en octroyant leurs droits aux Arabes.
              
15. A Gaza, la paix n'est plus qu'un rêve par Alexandra Schwartzbrod
in Libération du mercredi 4 juillet 2001

Les habitants ne croient plus ni en l'Autorité palestinienne, ni en Israël.
Gaza envoyée spéciale
Gaza, il n'y a de flamboyant que les arbres du même nom qui font des taches rouges sur l'ocre de la poussière. Enfermés depuis des mois sur leur étroite bande de terre, les Palestiniens n'ont plus que deux espaces pour respirer: la plage, où les familles se précipitent le vendredi, à dos d'âne ou à dix dans une voiture; et le ciel, où les enfants des camps s'amusent à déployer des cerfs-volants bricolés à l'aide d'une ficelle, d'une feuille de papier et parfois même d'un sac en plastique. «Les gens ont tous besoin d'avoir un rêve, c'est pour cela qu'ils vont à la plage. Ici, ils sont désespérés, épuisés; ils ne croient plus ni en l'Autorité palestinienne, ni en la communauté internationale, ni aux Israéliens; ils ont l'impression d'un cycle qui se répète sans fin», explique le psychologue Iyad Sarraj.
Cessez-le-feu. La population de Gaza a eu si peur d'être la cible des représailles de Tsahal après l'attentat meurtrier de Tel-Aviv qu'elle s'est détendue d'un coup à l'annonce de la trêve. Chacun savoure ici le calme de la rue, persuadé que le cessez-le-feu ne tiendra pas longtemps. «Le monde entier est obsédé par le rapport Mitchell et le plan Tenet (du nom du directeur de la CIA à l'origine des plans de cessez-le-feu). Mais cela ne veut plus rien dire. C'est purement cosmétique, cela ne résout en rien le fond du problème. Et le fond du problème, c'est que les Palestiniens sont enfermés ici et sans boulot, mais plus personne ne le voit!» s'exclame Raji Sourani, directeur du Centre palestinien pour les droits de l'homme. Dans son bureau du Croissant-Rouge, association qu'il préside, Haider Abdel-Shafi, un des hommes les plus respectés du territoire, est encore plus critique: «Le rapport Mitchell et le plan Tenet essaient de ramener les choses là où elles étaient avant l'éclatement de l'Intifada. Cela signifie que ces neuf mois sont effacés d'un trait de plume et que tous ces sacrifices ont été faits pour rien. C'est catastrophique.»
Depuis longtemps, Abdel-Shafi prévenait Yasser Arafat des risques du processus de paix. Il y a un an, le 8 juillet 2000, il nous déclarait: «Arafat aurait dû refuser d'aller à Camp David. Je lui ai expliqué que, depuis le début, ce processus de paix était mal engagé. Car ses bases mêmes ont déjà été violées par les Israéliens. En acceptant de continuer à négocier avec eux, nous ne faisons que donner notre caution à toutes les violations dont ils se rendent coupables. Ce que les Palestiniens ont de plus important à faire aujourd'hui, c'est donner au monde une image plus respectable d'eux-mêmes.»
Pouvoir autocrate. Aujourd'hui, après neuf mois d'Intifada, Abdel-Shafi ne change rien. Pour lui, les Palestiniens doivent «continuer à se battre jusqu'à ce que les Israéliens acceptent de reconnaître les résolutions de l'ONU, qui condamnent notamment la colonisation». Et la direction palestinienne doit donner une image plus respectable et plus unie d'elle-même. «Alors que la situation demande un effort d'organisation maximum, c'est le désordre total au sein de la communauté palestinienne. La seule solution pour rétablir l'ordre, c'est l'union. Il n'y a pas d'alternative à l'établissement d'un gouvernement d'union qui rassemblerait tous les partis palestiniens... Comme en Israël», affirme ce vieux monsieur au regard doux et malicieux en confessant qu'Arafat n'abandonnera pas de sitôt son pouvoir autocrate. «Arafat pourrait rester à la tête de ce gouvernement d'union, mais il ne prendrait plus les décisions seul...» Au Hamas, on ne demanderait pas mieux. «Nous sommes très favorables à l'idée d'un gouvernement d'union, tous les Palestiniens en parlent, mais Arafat n'acceptera jamais», déclare un porte-parole, Ismaël Abu-Shanab. Malgré les rancœurs et les critiques, Yasser Arafat reste donc, plus que jamais, le seul chef possible pour les Palestiniens. Comme une fatalité. «Aujourd'hui, nous n'avons tous qu'une seule préoccupation : Israël. C'est une confrontation légitime. Quiconque appellerait à détrôner Arafat serait considéré comme un traître», explique Iyad Sarraj.
Unilatéral. Les Palestiniens sont d'autant plus désabusés qu'ils restent persuadés qu'Israël ne veut pas la paix. «La paix, c'est comme l'amour, cela ne peut pas être unilatéral. Or Sharon n'a aucun intérêt à ce que la violence s'arrête. Si elle s'arrête, son gouvernement d'union, composé à seule fin de la combattre, implose, explique Raji Sourani. Pourtant, les Palestiniens ne demandent qu'à y croire. Le jour où ils sentiront qu'on leur offre une forme de justice, ils achèteront tout de suite. C'est une question de temps.».
            
16. Leur fierté en poche, les Palestiniens sont contraints de recourir aux aides alimentaires par Ewen MacAskill
in The Guardian (quotidien britanique) du jeudi 28 juin 2001
[traduit de l'anglais par Giorgio Basile]
Les travailleurs des Nations Unies couverts de farine en train de distribuer des colis de nourriture un peu partout dans les Territoires occupés de Cisjordanie et de la bande de Gaza sont le signe manifeste de l’appauvrissement soudain de la majeure partie de la population palestinienne. Avant que ne commence l’Intifada en septembre dernier, le nombre des Palestiniens dépendant de l’aide alimentaire fournie par l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency - Office des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens) était relativement faible, limité à quelques cas de pauvreté. Aujourd’hui, ils sont une majorité considérable à faire la queue pour de l’aide, selon l’UNRWA. La situation de nombreux Palestiniens s’est détériorée de manière aiguë au cours des derniers mois.
Selon Sami Mshasha, un responsable de l’UNRWA à Jérusalem, des colis de nourriture sont distribués à environ 217.000 familles réparties dans l’ensemble de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Mais le manque de fonds, en dépit d’un appel à la communauté internationale, ne permet qu’une distribution tous les trois mois. Le bouclage par Israël de la totalité de la bande de Gaza, et de nombreuses villes et villages de Cisjordanie - à la liste desquelles Hébron est venue s’ajouter une fois de plus cette semaine - a paralysé la plupart des activités économiques en beaucoup d’endroits. Les voies d’accès aux villes et villages sont barrées par des amoncellements de terre ou des blocs de béton, et l’armée israélienne n’autorise pratiquement personne à les franchir. Les Palestiniens ont fait de la levée des bouclages un préalable à toute reprise éventuelle des négociations de paix.
Les colis alimentaires sont modestes: farine, lentilles, sucre, huile de cuisson, lait en poudre, riz, et 150 shekels (280 FF, 1.700 FB). Mais pour beaucoup de Palestiniens qui sont dans l’impossibilité de franchir les barrages et se rendre à leur travail, ces aides permettent leur survie. À Jalazun, au nord de Ramallah, l’arrivée du véhicule des Nations Unies entraîne bruit et désordre. Dans un nuage de farine, les travailleurs humanitaires couverts de sueur déchargent les sacs et les passent aux hommes, femmes et enfants qui attendent. C’est une scène dont l’Autorité Palestinienne pourrait tirer parti comme outil de propagande. Mais la couverture médiatique de ce genre de convois n’est pas encouragée, parce que les bénéficiaires de cette aide se sentent la plupart du temps humiliés: ils estiment que l’aide humanitaire peut s’appliquer aux pays pauvres d’Afrique, pas aux Palestiniens.
Cette attitude se reflète bien parmi les jeunes de Jalazun, qui deviennent agressifs lorsqu’un reporter prend des photos des scènes de distribution. Parmi les femmes qui font la queue, Nuriddin Kharoub, une mère de six enfants, âgée de 46 ans, reconnaît qu’elle se sent humiliée. «Je suis gênée. C’est comme de mendier» dit-elle. «Qui a envie de passer pour un mendiant? Les convois de vivres sont irréguliers; celui-ci est le premier depuis janvier. Nous allons seulement tenir quinze jours avec ce colis, c’est trop peu pour les onze personnes qui vivent à la maison.» Son mari travaillait en Israël, mais il est sans emploi depuis le début de l’Intifada. «Tout le monde vit dans la misère, de nos jours.» ajoute-t-elle.
Mahmoud Annti, 37 ans, est le seul parmi les hommes faisant la queue qui ait accepté de parler: «Tout ceci me déprime. J’ai honte d’avoir à venir ici. Mais il n’y a pas d’alternative à venir faire la queue.» Comme beaucoup d’hommes à Jalazun, M. Annti était un ouvrier de la construction, travaillant principalement sur des chantiers en Israël ou dans les colonies juives de Cisjordanie. «Je gagnais de 1.300 à 1.500 shekels (de 2.400 à 2.770 FF - de 14.800 à 17.000 FB). Et maintenant je dois me débrouiller avec 150 shekels pour trois mois. J’ai contracté un emprunt et j’ai 5.000 shekels de dettes. J’avais un peu d’argent de côté avant - 5.000 shekels - mais ils ont fondu. Depuis trois mois, je suis à court d’argent.» Le fait que beaucoup de Palestiniens ont tenu au cours des premiers mois de l’Intifada en dépensant leurs économies explique la détérioration soudaine des conditions économiques.
À Jérusalem, le Dr. Mhadi Abdul Hadi, qui est à la tête de la Société Universitaire Palestinienne pour l’Étude des Affaires Internationales, explique qu’il n’y a plus d’économie palestinienne. Il n’y a plus le moindre travail. Le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté dépasse aujourd’hui les 70%. Selon la Banque Mondiale, ce chiffre n’était que de 40% avant l’Intifada. M. Mshasha, un responsable de l’UNRWA, avance des chiffres différents, qui vont de 28% à 37% vivant sous le seuil de pauvreté.
Tel Aviv rend en partie responsable le leader palestinien, Yasser Arafat, de n’avoir pas su créer au cours des dix dernières années une économie plus solide, à la tête d’une Autorité Palestinienne soumise à la corruption. Les Palestiniens admettent en partie cet argument, mais répliquent qu’il était (et reste) impossible de bâtir une économie adéquate aussi longtemps que (les Territoires) restent sous contrôle israélien. Le ministre des Affaires étrangères israélien, Shimon Peres, a admis cette semaine les souffrances des Palestiniens lorsqu’il a déclaré qu’il se sentait profondément soucieux des événements en Cisjordanie et à Gaza. «Israël ne se rend pas compte de ce qui est en train de se passer là-bas, que le chômage y atteint 40%. C’est à la fois un problème moral et un problème politique» a-t-il déclaré au quotidien Ha’aretz.