1. Bachar El Assad réclame l'examen des raisons de l'échec du
processus de paix israélo-arabe - Le président syrien, en visite d'Etat à Paris,
se défend de tout antisémitisme par Mouna Naïm
in Le Monde du jeudi
28 juin 2001
Le président syrien, Bachar El Assad, a terminé, mercredi 27
juin, une visite d'Etat de trois jours en France, au cours de laquelle il a fait
un effort de communication sur des questions difficiles. Mardi, il a notamment
été reçu par le premier ministre, Lionel Jospin, et été auditionné par la
commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale. Sa réception à
l'Hôtel de Ville a été pour le moins agitée. Le chef de l'état syrien, Bachar El
Assad, a tenté, mardi 26 juin, de trouver le ton juste pour répondre aux
questions des membres de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée
nationale sur la paix avec Israël, la présence syrienne au Liban, l'avenir de
l'Irak. Reste à savoir si, sur le fond, ses réponses sont convaincantes. Mais
lorsqu'on se souvient de la distance et de l'imperméabilité de son père et
prédécesseur, Hafez El Assad, le seul fait que le président syrien ait accepté
l'invitation de la commission et fait preuve de disponibilité traduit un souci
de se faire comprendre.
Son pays est tenu pour le plus intraitable des
voisins d'Israël. Pis. M. El Assad est lui-même accusé d'antisémitisme, après
avoir, lors de la visite du pape Jean Paul II en Syrie début mai, accusé sans le
nommer l'Etat juif de "tenter de tuer tous les principes des religions célestes,
de la manière qu'ils (les juifs) ont trahi Jésus et essayé de tuer le prophète
Mahomet". Il l'a suffisamment entendu sur tous les tons au cours de son séjour
en France, pour prendre "la mesure du malentendu" qui, selon lui, s'est installé
à ce sujet. Outre les manifestations de lundi et les critiques d'hommes
politiques de tous bords dont il a certainement été informé, il s'est encore vu
indirectement interpellé à ce sujet dans la matinée.
Le maire de Paris,
Bertrand Delanoë, qui le recevait à l'Hôtel de Ville, a de fait "condamné sans
répit, sans silence, tout ce qui atteint" la dignité humaine "quelle que soit la
forme choisie et d'où que cela vienne : le racisme, l'antisémitisme, l'exclusion
et la négation de l'Histoire". Il y a également eu l'intervention de trois élus
d'arrondissement en pleine cérémonie. Quelques heures plus tard, en termes plus
diplomatiques, le premier ministre, Lionel Jospin, qui l'a reçu pendant une
heure en tête-à-tête, a, selon son porte-parole, souligné la nécessité absolue
d'un "esprit de concorde, de tolérance et de compréhension mutuelle", afin de
"renouer les fils du dialogue de paix".
Aussi, lorsque le député PS Pierre
Brana lui a demandé s'il "confirmait" avoir tenu devant le pape ces propos "qui
ont beaucoup heurté les Français en général et les députés en particulier", M.
El Assad a parlé de "malentendu".
Il l'a imputé à la presse - "Je n'ai pas
prononcé une seule fois le mot 'juifs'", a-t-il indiqué, assurant qu'il parlait
des Israéliens - et surtout, à la difficulté pour les Français de comprendre la
conjoncture proche-orientale et le vécu au quotidien des répercussions des
violences pratiquées par l'Etat juif contre les Palestiniens. Son seul et unique
objectif, a-t-il assuré, était d'établir une "analogie entre les souffrances des
Palestiniens et celles du Christ". Il a même souhaité que s'instaure un
"dialogue" à ce sujet avec les parlementaires en lieu et place du simple rituel
des questions-réponses.
La Syrie, a-t-il par ailleurs affirmé, est "toujours
désireuse d'une paix juste et globale qui restitue tous ses droits et ceux des
autres pays arabes". Damas, a-t-il dit, ne pose pas de "conditions" à la paix,
mais revendique des "droits". Et peu lui importe l'identité du premier ministre
israélien pour peu que ces droits soient respectés. "Dix années d'échecs (depuis
le lancement du processus de paix de Madrid) prouvent que la manière de conduire
le processus de paix était erronée, a-t-il néanmoins enchaîné. Il est donc
indispensable que les Etats-Unis, l'Union européenne et des Etats européens,
comme la France, s'emploient à trouver d'autres moyens. Il faut que les raisons
de l'échec soient identifiées", a ajouté M. El Assad, étant entendu que pour
lui, les références de base de la paix demeurent les résolutions des Nations
unies et que sans un rôle "actif" de l'Europe, "il sera difficile" de parvenir à
des résultats.
Bachar El Assad affirme partager l'avis, selon lequel un
retrait total des troupes syriennes du Liban apporterait une crédibilité plus
grande au désir de paix de Damas. Et c'est pour cela, a-t-il dit, qu'entre avril
2000 et juin 2001, la Syrie a procédé à trois redéploiements et un retrait
partiel de ses forces. "Le choix du moment et la manière de procéder sont
coordonnés par les militaires des deux pays", a-t-il dit, sans toutefois donner
d'indications sur le calendrier du retrait définitif. Et, alors que selon
plusieurs organisations non gouvernementales, des dizaines de Libanais
croupiraient encore dans les geôles syriennes, M. El Assad a assuré qu'il n'en
était rien et que son pays se voyait imputer, à tort, les "disparitions" de
Libanais.
2. Sharon sous la pression des colons - Ils veulent une
intervention musclée contre les Palestiniens par
Alexandra Schwartzbrod
in Libération du jeudi 28 juin 2001
Jérusalem de
notre correspondante
Neuf mois après le déclenchement de la seconde Intifada,
les colons juifs sont devenus le principal enjeu du conflit israélo-palestinien.
Remis en question par une partie de la communauté internationale et de la
population israélienne, pris pour cible quotidiennement par les Palestiniens sur
les routes de Cisjordanie desservant leurs colonies, ils semblent aujourd'hui
tentés de passer à l'offensive. Ils n'hésitent plus à lancer des représailles de
plus en plus musclées aux embuscades dont ils sont victimes. Attaquent des
villages et ravagent des champs palestiniens; prennent d'assaut les collines des
territoires pour y établir des colonies sauvages à l'aide d'une caravane ou
d'une cabane; organisent des patrouilles autour de leurs implantations; et
clament leur colère contre la politique jugée trop modérée du Premier ministre
israélien.
Ils ont ainsi prévu de venir en masse, ce matin à Jérusalem,
manifester devant le ministère des Affaires étrangères, au moment où Shimon
Pérès rencontrera le secrétaire d'Etat américain Colin Powell.
Les quelque
200000 colons implantés dans les territoires palestiniens s'apprêteraient-ils à
prendre collectivement les armes et à entrer dans la guerre? «Non, mais ils
feront tout pour pousser Sharon à le faire à leur place, explique Ehud Sprinzak,
un des meilleurs experts de l'extrême droite israélienne. Les leaders des colons
ont, pour la plupart, beaucoup d'expérience, ils savent que l'envie de revanche
peut les conduire en prison et n'ont aucune envie d'y aller. En outre, ils ont
besoin du soutien de l'opinion publique israélienne. Et ils ont compris que
celle-ci était très impressionnée par leur "retenue". Au moindre bain de sang,
ils seront lâchés par tout le monde.»
Ras-le-bol. Les colons ont par
ailleurs conscience qu'Ariel Sharon fait tout pour servir de rempart entre eux
et les autres. Le Premier ministre se bat ainsi en première ligne contre le gel
de la colonisation réclamé par la communauté internationale via le rapport
Mitchell. «Sharon, c'est notre ami, il est avec nous, je l'ai vu pleurer il y a
quelques semaines à l'enterrement du bébé d'un des nôtres», disait hier Jeanine,
53 ans, pourtant venue manifester son ras-le-bol, aux côtés de beaucoup
d'autres, devant les bureaux du Premier ministre. D'ailleurs, ces colonies
sauvages que le ministre travailliste de la Défense, Benjamin Ben-Eliezer, a
promis cette semaine de faire évacuer «par la force s'il le fallait», ne
sont-elles pas à l'origine une idée d'Ariel Sharon, se plaisent à rappeler les
colons.
Inertie des autorités. Même si le gouvernement israélien peine à
assurer totalement leur sécurité, 70 % des colons continuent donc à avoir
confiance en Sharon pour diriger le pays, selon un sondage du quotidien Yedioth
Aharonot. «Ils savent qu'ils ne peuvent pas faire tomber Sharon aujourd'hui, car
il bénéficie d'un trop grand soutien. Cela ne leur servirait donc à rien de se
rebeller, explique Michaël Blum, journaliste résidant dans la colonie de Bet-El.
Il faut bien faire la différence entre la parole et les actes. Bien sûr, ils
crient de plus en plus fort leur colère, mais c'est uniquement pour montrer leur
rage devant l'inertie des autorités. Tout ce qu'ils veulent, c'est que l'armée
venge leurs morts.»
Même les pourfendeurs des colons ne disent pas autre
chose. «Environ 80 % des colons se sont installés dans les territoires
palestiniens pour des raisons économiques, ceux-ci n'ont aucune envie d'aller
faire la guerre. Quant aux autres, ceux qui sont là pour des raisons
idéologiques, ils vivent à 70 % des subsides de l'Etat et vont y réfléchir à
deux fois avant d'aller mordre la main qui les nourrit», explique l'Israélien
Sergio Yahni, codirecteur de l'Alternative Information Center, une ONG
israélo-palestinienne chargée de dénoncer les violations du droit international
par les colons.
Représailles ponctuelles. Sauf initiative individuelle que
personne ne peut exclure, les colons devraient donc poursuivre leur politique
d'opérations de représailles ponctuelles qui leur permet de garder le soutien de
l'armée. Mais la plupart d'entre eux espèrent que cette pression quotidienne va
finir par pousser Sharon à agir à leur place.
«Je suis sûr qu'on va vers une
opération militaire de grande ampleur qui verra Tsahal entrer dans les
territoires palestiniens, faire une opération de nettoyage, prendre les armes
détenues illégalement, démanteler une Autorité palestinienne qui s'est avérée
être une bande de mafieux et installer une alternative. La seule chose que l'on
ne sait pas, c'est quand cela va se produire et combien de temps cela va
durer?», affirme David Shapira, directeur des programmes francophones
d'Aroutsheva, la radio des colons.
3. Divergences entre Sharon et Bush par Françoise
Germain-Robin
in L'Humanité du jeudi 28 juin 2001
Proche-Orient. La presse
israélienne sévère pour le premier ministre.
Les journaux israéliens se sont
montrés très sévères hier pour le premier ministre, Ariel Sharon, dont ils ont
estimé qu'il avait raté sa prestation auprès du président américain, Georges W.
Bush, et subi un " camouflet ". Les deux hommes, après leur entretien de mardi
soir, ont étalé leurs différences de points de vue devant la presse. Ariel
Sharon, intraitable, a répété " qu'Israël refusait de négocier sous les balles
et sous la terreur ". Il exige des Palestiniens " dix jours de calme absolu
suivis d'une période d'apaisement de six semaines " avant d'envisager " les
mesures de confiance " que réclame le rapport Mittchell, la principale étant le
gel total de la colonisation israélienne. Le président américain a, au
contraire, estimé que " des progrès ont été réalisés " en matière de baisse du
niveau de violence et que " l'important, c'est de ne pas laisser ces progrès
s'effondrer ". Il a plaidé pour " une évaluation réaliste de ce qui se passe sur
le terrain ". C'est d'ailleurs l'un des buts de la nouvelle mission du
secrétaire d'Etat Colin Powell, arrivé hier au Proche-Orient.
Ariel Sharon a
bien dû admettre qu'il y avait bien " divergences ", ce que ne lui pardonnent
pas les journaux. Le principal quotidien, Yédiot Aharonot titrait son éditorial
" Ambush " (embuscade en anglais), et écrivait : " La confrontation publique
entre le président et Sharon est inhabituelle dans les relations entre les deux
pays. Ils ressemblaient à un couple marié qui a décidé de se quereller devant
les enfants. L'attaque du président américain contre Sharon est avant tout
destinée à transmettre un message aux pays arabes amis des Etats-Unis et aux
Palestiniens selon lequel l'administration américaine actuelle n'est pas dans la
poche d'Israël. " Pour le Maariv, " Sharon a eu droit à un camouflet public
humiliant et, malgré les déclarations d'amitié, les Etats-Unis et Israël ne
voient pas la situation du même oil. La lune de miel s'approche de sa fin.
"
Pour Haaretz, " Sharon a échoué dans sa volonté d'empêcher les Américains
de présenter un calendrier précis d'application du rapport Mittchel ". Bush lui
a " fait comprendre que la patience de l'administration américaine vis-à-vis des
manouvres israéliennes était à bout ".
Pour leur part, les Palestiniens se
sont félicités du fait que M. Bush " ne se soit pas laissé entraîner par les
appels à la guerre de Sharon " et ait préféré " préserver les intérêts
américains au Proche-Orient et la stabilité dans cette région ".
4. Maintien du blocus autour d’Hébron
in Al-Ahram Hebdo
(hebdomadaire égyptien) du mercredi 27 juin 2001
Les Palestiniens ne peuvent
plus y entrer ni en sortir, et toutes les routes d'accès ont été bloquées par
l'armée à la suite de tirs « intensifs » de Palestiniens vers le centre-ville,
où vivent quelque 400 colons juifs protégés par des centaines de soldats, a
ajouté la porte-parole.
Ces tirs ont fait cinq blessés, un enfant de 7 ans,
un officier israélien et trois gardes-frontières, a précisé la
porte-parole.
Les colons, qui résident à Hébron, ne sont pas concernés par
les mesures prises par l'armée et peuvent circuler librement.
Le blocus de
Hébron et d'autres localités de Cisjordanie, imposé par intermittence depuis le
déclenchement de l'Intifada le 28 septembre, avait été partiellement levé ces
derniers jours dans le cadre de l'application du cessez-le-feu décrété le 13
juin sous l'égide des Etats-Unis.
Par ailleurs, le couvre-feu imposé lundi
soir dans le quartier où vivent les colons et quelque 40 000 Palestiniens
restait en vigueur mardi. Dans ce cas aussi, cette mesure ne concerne pas les
colons.
Au cours d'échanges de tirs, dix Palestiniens ont été blessés lundi
par des soldats israéliens.
Le chef de la Sécurité préventive palestinienne
en Cisjordanie, le colonel Jibril Rajoub, a pour sa part affirmé à la radio
militaire israélienne que les tirs de Palestiniens contre les colons et
militaires israéliens à Hébron « ne constitue qu'un cas isolé ». Selon lui, les
« instructions données par le président (Yasser Arafat) sur le cessez-le-feu
sont claires et concernent tous les territoires et tous les Israéliens, y
compris les colons ». « Mais nous ne pouvons pas déployer nos forces sur le
terrain pour appliquer le cessez-le-feu en raison du blocus et de l'encerclement
des villes de Cisjordanie qui empêchent toute circulation », a ajouté le colonel
Rajoub, qui s'exprimait en hébreu.
Aux termes d'un accord avec l'Autorité
palestinienne, Israël a évacué 80 % de Hébron en 1997, mais contrôle toujours
une enclave autour du Caveau des patriarches, lieu saint vénéré à la fois par
l'islam et le judaïsme, où quelque 400 colons extrémistes juifs vivent
retranchés au milieu de 120 000 Palestiniens.
Tournée de Powell
et sommet Sharon-Bush
Les heurts entre Israéliens et Palestiniens
se sont multipliés lundi à la veille d'un sommet israélo-américain à Washington
et d'une tournée au Proche-Orient du secrétaire d'Etat Colin Powell.
Le
premier ministre israélien Ariel Sharon, qui effectue sa deuxième visite aux
Etats-Unis depuis sa prise de fonction en mars, doit notamment évoquer avec le
président George W. Bush les « menaces terroristes » auxquelles font face les
deux pays, a indiqué à New York un responsable israélien.
Ce responsable,
accompagnant M. Sharon arrivé lundi à New York, faisait allusion aux « menaces
d'attentats » de l'islamiste d'origine saoudienne Ossama bin Laden, accusé de
terrorisme et recherché par les Etats-Unis.
M. Powell, qui tentera de sauver
le cessez-le-feu très fragile entré en vigueur le 13 juin après une médiation du
chef de la CIA, George Tenet, a indiqué ne pas être porteur de nouvelles idées
et affirmé qu'il souhaitait avancer rapidement dans l'application du plan
Mitchell. « J'ai hâte d'avancer vers le plan Mitchell, mais cela sera déterminé
non par le calendrier, mais par les événements sur le terrain », a dit à New
York M. Powell, qui verra M. Sharon à Washington avant son départ pour le
Proche-Orient. M. Powell demandera aux Israéliens et Palestiniens une réponse
définitive à un calendrier d'application du rapport Mitchell sur la fin des
violences qui ont fait en près de neuf mois plus de 620 morts, en majorité des
Palestiniens.
Le plan Mitchell, sur lequel est basé l'accord de
cessez-le-feu, exige un arrêt immédiat et sans condition des violences, une
période « d'accalmie significative » suivie de mesures destinées à rétablir la
confiance entre les deux parties, dont un gel total de la colonisation juive, et
enfin une reprise des négociations pour un règlement définitif.
L'Egypte demande à Israël de cesser les provocations
Le
premier ministre Atef Ebeid a demandé lundi à Israël d'arrêter de provoquer les
pays arabes voisins et de cesser d'imposer une « punition collective » au peuple
palestinien. « Nous appelons Israël à cesser d'imposer une punition collective
au peuple palestinien non armé et d'arrêter ses provocations continues contre
les pays arabes voisins », a déclaré M. Ebeid, qui s'exprimait lors d'une
réunion de la commission mixte égypto-libanaise, en présence du premier ministre
libanais Rafiq Al-Hariri. « Nous appelons Israël à arrêter immédiatement ses
actes violents contre le peuple palestinien », a-t-il ajouté. Le premier
ministre a également affirmé que l'Egypte était favorable à la position des
Etats-Unis qui « approuvent les recommandations du rapport (de l'ex-sénateur
américain George) Mitchell ». MM. Ebeid et Hariri co-président les réunions de
la cinquième session de la commission mixte afin de promouvoir la coopération
économique entre les pays arabes.
5. Les Européens ne veulent plus garder le silence par
Ibrahim Nafie
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 27 juin
2001
Tout porte à croire que le premier ministre israélien Ariel Sharon a
décidé de convertir les efforts diplomatiques qui tendent à calmer la situation
en une simple opération d'arrangements sécuritaires centrée uniquement sur «
l'arrêt des violences ». Il entend persuader l'opinion publique israélienne
qu'il est capable d'instaurer sécurité et paix — à travers l'arme militaire, non
à travers des négociations.
Les parties internationales qui ont déployé des
efforts intenses pour calmer la situation et stimuler le processus de paix, ont
découvert que le chef du gouvernement israélien s'oppose à toute solution
politique et se dérobe constamment à tout engagement dans ce sens. A noter
pourtant que certaines parties israéliennes ont exprimé leur souhait d'associer
les deux volets. Mais la nature sanguinaire et les penchants criminels de Sharon
prennent toujours le dessus. Les Etats-Unis qui se présentent habituellement
comme l'allié stratégique d'Israël et mettent en tête de leurs priorités la
suprématie qualitative et quantitative de l'Etat hébreu sur tous les pays
arabes, commencent à exprimer leur insatisfaction de la politique du premier
ministre israélien. Il est vrai que Washington utilise toujours un langage assez
proche de celui d'Israël, mais il témoigne en même temps d'une vision plus ou
moins différente de celle de Sharon. Les Etats-Unis ont par ailleurs dépassé
l'option d'un contrôle à distance des positions respectives pour une
participation modérée à des activités diplomatiques plus ou moins limitées et
ce, comme introduction à une participation plus active en cas d'urgence. D'où la
nomination d'un envoyé spécial chargé de surveiller les efforts de règlement au
Moyen-Orient.
L'évolution la plus perceptible est celle constatée dans les
positions européennes. Il s'agit d'une évolution et d'une conception plus ou
moins différentes par rapport à la position américaine. L'Union Européenne (UE)
estime pour plus d'une raison, dont la proximité régionale, qu'elle ne peut plus
garder le silence. La politique qui consiste à suivre les tendances américaines
n'est plus admissible pour les Européens vu les préjudices qui peuvent en
résulter. Ces Etats ont en effet commencé à jouer un rôle nouveau, où les
intérêts européens l'emportent sur la volonté de satisfaire les
Etats-Unis.
L'évolution la plus frappante est toutefois celle ressentie lors
de la visite du secrétaire général des Nations-Unies, Kofi Annan, dans la région
à travers ses déclarations qui ne peuvent être interprétées en dehors de
l'évolution des positions américaine et européenne. Il n'est pas possible que le
secrétaire des Nations-Unies puisse exprimer des déclarations qui contredisent
ou modifient le contenu des positions et des visions des grandes puissances.
Lors de sa visite au Liban, le secrétaire général a pris l'initiative d'affirmer
que les fermes de Chebaa sont des terres libanaises qui doivent revenir au Liban
dans le cadre d'un accord de paix. Cela a d'ailleurs suscité un certain
accrochage dans les propos du secrétaire général de l'Onu avec le premier
ministre israélien. C'est avec le passage d'Annan en Israël que les diverses
évolutions sont apparues plus fortes et plus efficaces. Le secrétaire général a
fait des propositions et signalé des positions suscitant la provocation de
Sharon, allant jusqu'à menacer la stabilité de son gouvernement.
Annan s'est
montré ferme et décisif dans ses affirmations devant Sharon au sujet du lien
entre les arrangements du volet sécuritaire et les mesures propres au volet
politique.
Il convient ici d'assurer que la communauté internationale, les
gouvernements des grandes puissances, ceux précisément qui tendent à prendre
parti pour Israël sont désormais persuadés que Sharon ne veut ni paix, ni
stabilité dans la région. Son objectif est de mettre le peuple palestinien à
genoux pour l'obliger à renoncer à ses droits légitimes. Ils estiment en
conséquence qu'il est temps d'appliquer les recommandations de la commission
Mitchell afin d'éviter une explosion globale susceptible d'anéantir et de
dissiper tout espoir de règlement et donc de paix et de sécurité.
Je crois
enfin que nous assisterons prochainement à des tentatives répétées de la part de
Sharon pour attiser davantage la tension dans la région en misant sur les
réactions qui mettent en doute la viabilité du cessez-le-feu.
6. Pourquoi Israéliens et Palestiniens sont inséparables
par Moshe Arens
in Ha’Aretz (quotidien israélien) traduit dans Courrier
International du jeudi 28 juin 2001
Une séparation étanche entre les deux
communautés ? La majorité des Israéliens est pour, mais c’est un leurre.
L’analyse de Moshe Arens, ancien ministre du Likoud, se rapproche curieusement
des thèses de l’extrême gauche.
Chaque fois que des kamikazes palestiniens
commettent un attentat atroce, le mirage de la hafrada [séparation] réapparaît.
Ses nombreux partisans se bousculent sur les ondes pour nous tenir un discours
embrouillé, qui peut se résumer comme suit : “Séparons les Juifs des
Palestiniens. Les Israéliens s’épargneront ainsi de nouvelles atrocités et
vivront en sécurité. Erigeons des murailles, des barricades, des clôtures
électriques. ‘Anahnou kan ve hem sham’ [‘Nous ici et eux là-bas’], comme le
disait notre ancien Premier ministre, Ehoud Barak.”
Cette conception séduit
une large frange de l’opinion, tant elle semble pouvoir mettre un terme, comme
par magie, aux deuils et aux souffrances que le terrorisme palestinien inflige à
Israël presque chaque jour. Après l’avoir nourri pendant cent années, les
partisans de la hafrada renoncent à l’espoir que Juifs et Arabes puissent vivre
ensemble et estiment que l’heure est venue pour que nos routes se séparent.
L’essence d’un tel discours est que nous, les Juifs, ne voulons plus voir
d’Arabes parmi nous. Même s’il est plus que probable que cela ne traverse pas
l’esprit de ses partisans, le slogan de la “séparation” en rappelle un autre,
celui du “transfert” [des Arabes d’Israël et des Territoires vers la Jordanie],
et procède d’une logique identique.
Ces deux propositions sont impraticables,
et toutes deux contredisent nos valeurs morales et notre vision du monde. Si la
paix doit régner un jour dans cette région, Juifs et Arabes devront apprendre à
vivre ensemble et à renoncer à l’usage de la violence. Il n’existe pas d’autre
solution. Evacuer des populations - qu’il s’agisse des résidents juifs des
implantations ou des Arabes de la région - ou bien élever une barrière physique
entre Juifs et Arabes ne nous apportera pas la paix. Quant à la faisabilité de
la “séparation”, ses partisans semblent oublier que plus de 1 million de
Palestiniens - les citoyens arabes d’Israël, dont certains servent dans Tsahal -
vivent à l’intérieur des frontières d’Israël et qu’il est impossible de les
“séparer” de leurs concitoyens juifs. Jérusalem, la capitale d’Israël, abrite
une population de 200 000 Palestiniens, et il est assez incroyable que certains
chez nous imaginent qu’il soit possible d’ériger un “mur de Berlin” au coeur de
la ville. Peut-être certains imaginent-ils garder les Palestiniens israéliens
(les “bons Arabes”) du côté israélien de la clôture et les autres Palestiniens
(les “mauvais Arabes”) de l’autre côté. Il n’est pas difficile d’imaginer ce que
ressentiront nos concitoyens arabes à la perspective d’une telle
séparation.
Malgré la rhétorique perverse développée par certains députés
arabes de la Knesset, l’écrasante majorité des citoyens arabes israéliens vit en
paix avec ses voisins juifs. Malgré les innombrables fautes commises par les
gouvernements israéliens envers leurs concitoyens arabes, il est remarquable que
les Arabes israéliens soient parvenus à un haut niveau d’intégration dans la
société israélienne. La démocratie fait son oeuvre, et les valeurs qui lui sont
associées sont progressivement intégrées par les citoyens israéliens, qu’ils
soient juifs ou arabes. La coexistence entre Arabes et Juifs est donc tout à
fait réalisable. La pire erreur des accords d’Oslo a été d’imposer le régime
despotique et corrompu de Yasser Arafat à la population palestinienne de Judée
et de Samarie [la Cisjordanie] et de la Bande de Gaza. Dans ces régions, la
population palestinienne, qui, durant vingt-cinq ans, a vécu aux côtés d’Israël
(et parfois en son sein) et commençait à apprécier les mérites de la démocratie,
a soudain été placée sous le contrôle d’Arafat et de l’OLP. L’essentiel des
progrès qui avaient été accomplis sur le chemin de la coexistence entre Juifs et
Arabes fut tout à coup anéanti. Il ne fait aucun doute que les choses sont
aujourd’hui bien pires qu’avant les accords d’Oslo, malgré l’illusion créée par
l’établissement de relations formelles entre Israël et les institutions de
l’OLP.
Si les partisans de la “séparation” étaient sincères, ils devraient
d’abord appeler à l’arrêt total et immédiat de l’entrée de travailleurs
palestiniens en Israël. Une telle mesure rendrait plus difficile les tentatives
des candidats kamikazes pour s’infiltrer dans les villes israéliennes en se
fondant parmi les dizaines de milliers d’ouvriers palestiniens. Parce que
provisoire, seule une telle séparation pourrait alors se justifier.
7. Un différend met aux prises Bush et Sharon sur la "fin des
violences" par Jane Perlez
in The New York Times (quotidien
américain) le mercredi 27 juin 2001
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
Washington, le 26 juin - Le
président Bush a exhorté ce jour le Premier ministre israélien Ariel Sharon à se
montrer plus réceptif aux mesures politiques que l'administration (américaine)
pense indispensables afin de "refroidir" la situation au Moyen-Orient, a indiqué
un membre éminent de l'entourage présidentiel.
Mais Monsieur Sharon,
insistant sur le fait que les Palestiniens n'ont pas fait tout ce qu'il fallait
afin de mettre un terme aux violences, est resté ferme sur ses positions, selon
lesquelles au moins dix jours devraient s'écouler sans qu'aucune violence n'ait
été enregistrée avant qu'Israël accepte de passer aux mesures ultérieures, fort
modestes, que l'administration considère mener à une paix véritable.
"J'ai
affirmé clairement que lorsque la violence et le terrorisme auront cessé, nous
exigerons dix jours consécutifs de calme absolu et, si dix jours s'écoulent
effectivement ainsi, sans violence, nous serons les premiers à envisager de
gaîté de coeur de passer à une période de réduction des tensions" (en anglais :
"refroidissement" ~ "cooling off", ndt).
MM. Sharon et Bush se sont
rencontrés, à la Maison Blanche, peu avant que le Secrétaire d'Etat américain,
Colin L. Powell, ne parte pour une tournée de quatre jours au Moyen-Orient, où
il va tenter de colmater les brèches d'un cessez-le-feu des plus fragiles et
inciter Israéliens et Palestiniens à entreprendre des conversations sur des
mesures susceptibles de réduire les violences. Ce sera le second voyage du
Secrétaire d'Etat dans la région, mais le premier à être presque entièrement
consacré au conflit israélo-palestinien.
M. Sharon, arrivé à New York lundi
dernier, afin d'y participer à une "vente de charité" destinée à recueillir des
fonds pour Israël, et convié à effectuer une visite à la Maison Blanche,
retournera en Israël sans tarder, de façon à y rencontrer le Secrétaire d'Etat
Powell, jeudi prochain.
L'échange aigre-doux de propos à double tranchant,
qui a eu lieu entre M. Bush et M. Sharon dans le Bureau Ovale, avant qu'ils ne
passent aux choses sérieuses, donne une idée de la lourde tache qui attend le
Secrétaire d'Etat au cours de sa tournée en Egypte, en Jordanie, en Israël et en
Cisjordanie.
Ainsi, M. Bush a dit : "Des progrès restent à faire, et pour
ces progrès (à venir), nous sommes reconnaissants (à Dieu)"... à Sharon, qui en
est resté pantois...
Tandis que M. Bush mettait l'accent, prudemment
toutefois, sur le progrès dont il a l'intuition qu'il est à l'oeuvre, son
homologue israélien exposait avec emphase l'étendue du massacre auquel les
Israéliens sont exposés du fait des Palestiniens.
"Il faut comprendre que
les cinq morts que nous avons eus la semaine dernière, c'est comme si les
Etats-Unis, Monsieur le Président, avaient eu deux cent cinquante, voire même
trois cent personnes tuées par des terroristes", a plaidé M. Sharon.
Il est
revenu à moult reprises sur ce qu'il a qualifié de violations continues du
cessez-le-feu par les Palestiniens et sur son refus d'engager des négociations
avec Yasser Arafat tant que la violence continuerait.
"La position
israélienne, c'est que nous ne pourrons négocier que lorsque - et que nous
serions désireux de négocier seulement lorsque - les hostilités, le terrorisme,
la violence et la propagande hostile auront cessé", a déclaré M. Sharon.
"Autrement, je ne pense pas que nous pourrions réaliser une paix qui nous engage
véritablement".
Les conseillers tant de M. Sharon que de M. Bush ont tenté
d'arrondir les angles, après la rencontre.
A la question de savoir s'il y
avait un différend entre Israël et les Etats-Unis sur la meilleure façon de
procéder, M. Sharon a répondu : "Je ne saurais trop déconseiller de créer les
problèmes qui n'existent pas".
Mais l'insistance de Washington sur un effort
de réduction des violences "à cent pour cent", et celle d'Israël, beaucoup plus
exigeant, en comparaison, de "cent pour cent de résultats" de la part des
Palestiniens ont semblé être plus que simples subtilités
diplomatiques.
Washington veut que l'on avance dans la mise en application
des recommandations du rapport de la commission indépendante dirigée par
l'ex-sénateur (américain) George J. Mitchell. Ce document fournit une série de
mesures graduées, allant du cessez-le-feu aux négociations politiques. Il est
devenu le b-a ba des efforts déployés par l'administration (américaine) afin de
réduire la violence et de tenter de reprendre la situation en main, tant qu'il
en est encore temps.
Par contraste, M. Sharon a insisté sur le fait que M.
Arafat n'a pas sérieusement imposé un cessez-le-feu et que le leader palestinien
avait (encore) à apporter des résultats qui agréent à Israël avant d'en passer à
ce qui constitue l'ossature des suggestions de la commission Mitchell.
Etant
donné ce quétait la réticence initiale de la Maison Blanche à s'impliquer au
Moyen-Orient, la rencontre d'hier entre MM. Bush et Sharon et le départ du
Secrétaire d'Etat pour cette région sont symptomatiques d'un retournement à cent
quatre-vingt degrés qui a fait passer l'administration américaine de l'attitude
"hands-off" ("on ne s'occupe de rien") à son opposé, l'attitude "hands-on" ("les
mains dans le cambouis") en moins de cinq mois...
Au cours des dernières
semaines, alors que le cycle des violences ne faisait que s'accélérer,
l'administration avait envoyé dans la région William J. Burns, un diplomate de
carrière, ainsi que George J. Tenet, le directeur de la CIA, afin d'oeuvrer à la
conclusion d'un cessez-le-feu et que des officiels de la sécurité, israéliens et
palestiniens, entament des discussions.
Aujourd'hui, M. Bush a dit à M.
Sharon que, s 'il envoyait le Secrétaire d'Etat Powell au Moyen-Orient, c'est
parce qu'il était convaincu que des progrès étaient en cours.
"Nous pensons
qu'une nouvelle opportunité d'avancer dans le sens du processus de paix est
devant nous", a déclaré M Bush dans le Bureau Ovale. "Cela donne clairement la
mesure des progrès qui sont en train d'être accomplis".
Le Secrétaire d'Etat
Powell effectue sa tournée moyen-orientale dans un contexte de montée des
plaintes de pays arabes alliés pour lesquels les Etats-Unis ne déploient pas
assez d'effort pour ramener le calme et elle vise, en particulier, à corriger
l'impression (croissante) que l'administration (américaine) serait trop
complaisante vis-à-vis des Israéliens.
Afin de dissiper ce mécontentement, le
Secrétaire Powell a prévu de rencontrer le Régent Abdullah, d'Arabie saoudite,
au cours d'une escale ménagée tout spécialement à cet effet, à Paris, sur son
trajet de retour de sa tournée.
Mentionons que, la semaine
dernière, l'administration Bush a été sous le feu des critiques de l'un de
ses plus ardents soutiens, le général Brent Scowcroft, conseiller à la sécurité
nationale du président Bush, qui lui a reproché de ne pas être assez attentive
vis-à-vis des pays arabes amis. Au cours d'une session du Conseil des Relations
Etrangères, la semaine dernière, le Général Scowcroft aurait dit, d'après un
participant à ce colloque, que les pays arabes modérés étaient "très déçus de
cette administration et de son incapacité à faire un minimum afin de rendre
l'attitude d'Israël plus conciliante".
Le Général Scowcroft aurait ajouté que
l'engagement (d'instaurer) un Etat palestinien viable était absolument
indispensable si l'on voulait voir les Palestiniens mettre un terme à leur
combat de partisans.
Lorsqu'il arrivera en Israël, après une visite en
Egypte, le Secrétaire d'Etat Powell poursuivra un objectif primordial : tenter
d'amener les Palestiniens et les Israéliens à convenir d'une trêve ("période de
refroidissement"). Le rapport Mitchell préconise une période de cette nature,
susceptible de permettre aux deux parties de prendre les mesures à même de bâtir
la confiance mutuelle.
Durant la visite de M. Sharon ici, aux Etats-Unis,
son entourage insistait sur le fait que les Palestiniens n'auraient pas fait
tout ce qu'il fallait afin de ménager une transition vers la "période de
refroidissement".
"Les Etats-Unis doivent exercer une pression sur Yasser
Arafat", a déclaré Raanan Gissin, un porte-parole de M. Sharon. "Tant qu'Arafat
n'aura pas pris les mesures indispensables, nous ne pourrons pas aller de
l'avant. Nous ne pouvons pas répéter les erreurs d'administrations passées et
négocier alors que les Israéliens sont sous le feu
(ennemi)".
8. Proche-Orient : Circonscrire le feu, oui, dans quel but
? par Rudolf El-Kareh *
in Le Soir (quotidien belge) du mardi 26
juin 2001
Il faut circonscrire très vite le feu du Proche-Orient. C'est une
évidence. S'y emploie-t-on réellement ? La réponse est complexe. Européens,
Américains et de multiples médiateurs se succèdent et se croisent pour
obtenir, par des voies diplomatiques, un cessez-le-feu. Celui-ci, est un
moyen, non une fin. Et les finalités ne sont pas les mêmes pour les
protagonistes.
Du côté israélien, le sanglant attentat de Tel-Aviv a agi
comme un révélateur. L'assassinat d'Isaac Rabin avait déjà constitué une
première rupture. Jusque-là Israéliens et Palestiniens avaient trouvé dans
les violences extrêmes des raisons d'aller plus avant dans l'approfondissement
du processus des accords de Madrid établis sur les résolutions 242 et 338
de l'ONU, et sur le principe de "la terre contre la paix".
Favorisé par le
contournement permanent des accords d'Oslo par Natanyahu, par les politiques
équivoques des travaillistes et par un acharnement israélien quasi unanime à
multiplier les provocations coloniales, un noyau dur, notamment militaire,
opposé au processus de paix a élargi son influence. L'élection d'Ariel Sharon a
été l'expression de cette dynamique.
Pour le peuple palestinien, "Madrid"
avait constitué un coup d'arrêt à l'entreprise de déshumanisation dont il avait
été victime depuis 1948, mais surtout le début d'une nouvelle visibilité
politique confortée par des institutions élues qui devaient déboucher sur la
création d'un Etat indépendant. En s'engageant dans cette voie les dirigeants
palestiniens s'étaient pliés à des renoncements essentiels. Ils n'ont
obtenu pour compensation que des concessions mineures sans cesse remises en
cause, avec brutalité. La nouvelle Intifada est l'expression ultime de leur
résistance à l'occupation, tandis que les capitales arabes hésitent entre
l'égoïsme et la pusillanimité. Par la confusion délibérée entre trêve des armes
(bien pitoyablement inégales) et droit à la résistance, le gouvernement
israélien cherche à obtenir d'abord une capitulation
politique.
Bien plus grave que les propos racistes
prévisibles des colons, l'agressivité virulente du discours gouvernemental
israélien, et sa célérité à se saisir de tout événement - survenu sur un
terrain miné par l'humiliation quotidienne - pour l'envenimer, au lieu de le
circonscrire, en sont le signe. Un chef de gouvernement qui proclame que "sa
guerre d'indépendance n'est pas finie", manie l'insulte sans retenue, des
ministres ou des officiers supérieurs en exercice qui exacerbent les passions
haineuses, parlent "d'assassinat juste", appellent (et œuvrent, dans les faits)
à la "liquidation" et à "l'extermination" de l'adversaire (supposé être le
partenaire pour la paix) expriment en réalité le retour des argumentaires
coloniaux de l'idéologie fondatrice.
Trois lignes de forces traversent le
programme annoncé d'Ariel Sharon. La première a pour objectif de provoquer un
effondrement définitif de l'Autorité Palestinienne entendue comme expression
politique et institutionnelle légale du peuple palestinien. Dans son esprit cet
effondrement transformerait la Palestine en une sorte de mirage
historique. La Cisjordanie et Gaza redeviendraient ce que tout colonisateur
affectionne : des zones, des "territoires", délimités par la géographie, sans
histoire, sans identités, ouverts à tous les fantasmes idéologiques et à toutes
les exactions. En ramenant les réalités de 1948 sur le terrain du programme
politique, Sharon réactualise ainsi la question de l'expulsion dont il fut un
acteur majeur et cruel.
Le deuxième objectif en découle : il aboutit au
rejet de l'ensemble des dispositions du droit international concernant la
colonisation, le retour des réfugiés palestiniens et la question de Jérusalem.
Le troisième volet institue, en contrepoint de cette négation, une "priorité"
inversée, redonnant cours à un ethnocommunautarisme religieux trompeur, pervers
et dangereux, ayant pour objectif "d'amener un autre million de juif
d'Amérique latine, d'Afrique du Sud et de France" vers l'Etat hébreu (1) et
"d'ériger la diaspora en composante majeure de la puissance
israélienne" (2).
Ce programme remet en cause les principes mêmes de la
Conférence de Madrid, et la légalité onusienne. Ariel Sharon attend l'occasion
propice pour se lancer dans une nouvelle aventure. Au delà des maladresses de
"l'engagement" de William Clinton ou du "désengagement" balourd de Georges W.
Bush, les Etats-Unis demeurent comptables et responsables d'un "processus de
paix" dont ils se sont autoproclamés le pivot ouvrier.
L'Union Européenne
peut trouver dans son propre engagement en faveur de la paix au Proche-Orient
l'opportunité de ne pas rater une occasion, pour elle historique, d'assumer, en
tandem avec Washington puisqu'il le faut bien, un rôle locomoteur stratégique.
Elle pourrait prendre l'initiative d'un "groupe de contact" international
permanent jouant dans un premier temps un rôle d'encadrement et de recours, en
prenant exemple sur les Balkans et sur le dispositif institué au Liban après
l'opération israélienne dite "raisins de la colère".
Une évidence s'impose en
tout cas : désormais tout processus d'apaisement régional devra revitaliser les
principes énoncés pour une paix globale, aboutir à l'évacuation de tous les
territoires occupés, y compris en Syrie et au Liban, et surtout mettre un terme
à la fausse symétrie établie entre l'Etat d'Israël et le peuple de Palestine. Un
processus de paix renouvelé devra reconnaître l'épouvantable désespérance de ce
dernier et faire cesser les souffrances quotidiennes de populations écorchées.
Les batailles d'images sont des impostures. Il faut convenir définitivement que
les enjeux de Palestine sont ceux d'un combat universel pour le droit et la
justice. L'avenir de tous les peuples du Proche-Orient, sans exception, en
dépend.
* Universitaire et écrivain.
1. Ariel Sharon, interview au
Jerusalem Post, 27/04/2001
2. Sallai Meridor, président de l'Agence juive et
de l'Organisation sioniste mondiale, Convention sur "l'équilible des forces et
de la sécurité nationale", Ha'Aretz, cité in Courrier International, N°551,
23/30 mai
2001
9. Des boucliers de protection, des voitures blindées pour les
colons et des cartes mettant en évidence les "routes sûres"... Israël décide
d'abandonner quinze foyers de colonisation en raison de la dégradation de la
sécurité
in Al-Hayat Al-Jadidah (quotidien palestinien) du mardi 26
juin 2001
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Effectuant une démarche sans précédent et
ouvertement, dans un contexte où l'intifada fait rage, Israël a décidé, hier,
d'évacuer, pour les supprimer, environ quinze foyers de colonisation en
Cisjordanie, à la suite des opérations répétées qu'ils ont essuyées de la part
de combattants palestiniens armés. Le ministre israélien de la défense, Benyamin
Ben Eliezer, a déclaré qu'il s'emploie actuellement à lever quinze foyers de
colonisation isolés en Cisjordanie, dont la sécurité des habitants ne pouvait
plus être garantie, et dont la vie risquait d'être mise en danger par les
opérations de combattants palestiniens armés.
Ben Eliezer a ajouté, à la fin
d'une session de la Commission des Affaires étrangères et de la Sécurité de la
Knesseth, hier après-midi, qu'il avait chargé les représentants des appareils
israéliens de la sécurité d'entrer en concertation avec le conseil des colonies
en Cisjordanie, Yesha', à ce sujet, en précisant que ces foyers de colonisation
promis au démantèlement seraient supprimés manu militari au cas où le Conseil
tenterait de faire obstruction.
Le ministre des affaires étrangères, Shimon
Peres, a déclaré que la décision du ministre de l'armée intervenait au bon
moment. On s'attend à ce que les colonies soient l'un des points sur lesquels se
focaliseront les entretiens que le premier ministre israélien Ariel Sharon doit
avoir à la Maison Blanche, ce jour. Peres a déclaré aux journalistes : "en
réalité, il y a un gel des colonies, même si la question des implantations
n'arrive qu'en troisième position dans les recommandations Mitchell", ajoutant :
"nous n'obtiendrons jamais un réel soutien international si nous
n'effectuons pas une percée sur la question des colonies".
La porte-parole
des colons, Judith Tayyar, a déclaré que le ministre des armées "ferait bien
mieux en faisant ce qu'il faut faire pour mettre un terme aux attaques des
Palestiniens contre les colons, plutôt que passer le plus clair de son temps à
tenter d'entrer dans les grâces de Peres, du président Yasser Arafat et du
président américain George Bush".
Mme Tayyar a ajouté qu'elle "pensait que le
ministre de la défense se devait de consacrer ses efforts à la sécurité du
peuple israélien, et non à la politique".
Le porte-parole de Ben Eliezer a
déclaré, pour sa part, que les opérations d'évacuation n'avaient pas fait
l'objet d'un calendrier précis, ajoutant que "personne n'avait déclenché le
chronomètre".
A la question de savoir si Ben Eliezer irait jusqu'à faire
usage de la force si les colons refusaient de partir, le porte-parole a répondu
: "nous le leur demanderons gentiment, tout au début, ensuite, nous verrons..."
Par ailleurs, différentes sources hébreues ont mentionné que le gouvernement
israélien a décidé d'allouer à une colonie de Cisjordanie qui a été en butte à
des attaques répétées une vingtaine de voitures blindées, ainsi que deux cents
gilets pare-balles.
La radio israélienne (programmes en hébreu) a indiqué que
ce geste du gouvernement revêtait un caractère de mesure transitoire dans
l'attente de l'étude du problème de la sécurité dans les colonies au niveau d'un
conseil des ministres restreint qui doit se réunir prochainement à cet effet.
Depuis avant-hier, des colons effectuent des patrouilles armées sur les
routes qui relient leurs colonies respectives à Jérusalem occupée, en invoquant
le prétexte que l'armée israélienne faillirait à assurer la sécurité de leurs
déplacements.
Le journal israélien Ma'ariv a rapporté hier que les colons se
sont mis pour la première fois à se déplacer armés sur les routes de Cisjordanie
afin de se donner plus de confiance. Trois voitures, avec au minimum deux hommes
armés dans chacune d'entre elles, escortaient les colons au cours de leur
expédition dont le but était de montrer qu'ils étaient encore maîtres des
routes.
L'un des participants à cette démonstration de force, un certain Yaër
Bliser, a déclaré : "nous avons décidé d'accompagner nos amis tant qu'ils sont
encore vivants et ne pas avoir à le faire sur la route d'où l'on ne revient
jamais. Il nous a toujours semblé évident qu'on allait dire que nous organisons
des milices armées, aussi avons-nous l'intention de le faire dans les
règles..."
Dans le même ordre d'idées, le journal Yedi'ot Aharonot a indiqué
qu'Israël avait édité une nouvelle carte routière indiquant par des symboles
spéciaux les emplacements des colonies et des positions militaires israéliennes
en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, ainsi que les routes dangereuses qu'il
est fortement déconseillé aux colons d'emprunter.
Yedi'ot Aharonot indique
que l'atlas routier publié par l'éditeur Karta prend en compte la crise
sécuritaire à laquelle les colons sont confrontés dans leurs déplacements sur
les routes de Cisjordanie et de Gaza, ajoutant que, pour la première fois dans
l'histoire des cartes routières israéliennes, une nouvelle carte sera vendue en
Cisjordanie et à Gaza qui comportera des symboles mettant en évidence les
endroits où se sont produits des incidents répétés comportant des tirs d'armes à
feu. (Cette carte) comporte également les positions militaires, les dispensaires
de l'armée (d'occupation) et les centres de secours situés à l'intérieur des
colonies. Elle a été mise au point en coopération avec les colons et après
consultation des instances militaires (d'occupation) concernées. Les noms des
colonies y sont rédigés en bleu, et y figurent les foyers d'implantations ainsi
que les postes militaires, les frontières de la zone autonome palestinienne "A",
les barrages des forces d'occupation ainsi que certains signes mettant en garde
contre des carrefours considérés comme dangereux car exposés aux incidents, les
centres de secours, les dispensaires, etc...
La carte comporte de nombreux
symboles indiquant qu'il est dangereux de s'engager sur certaines routes dont la
"sécurité n'est pas garantie" et d'autres, qui mentionnent, pour mémoire, des
routes carrément condamnées...
10. Sharon : nouvelle tactique - même stratégie...
in
Al-Quds (quotidien palestinien) du mardi 26 juin 2001
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Le premier ministre israélien Ariel Sharon
effectue sa deuxième visite à Washington depuis sa prise de fonctions, il y a
environ trois mois, en présentant un nouveau visage, résultat du "remodelage"
auquel il s'est employé avec l'aide de ses conseillers, nouveau visage qui ne
présente aucune ressemblance avec l'image qu'en ont les Arabes et les
Palestiniens : celle du commandant baroudeur toujours prêt pour des campagnes
guerrières, sans égard pour les conséquences dramatiques qu'elles peuvent avoir
parfois. Ainsi, il a annoncé un cessez-le-feu unilatéral et il a déclaré qu'il
acceptait les recommandations Mitchell, ainsi que le plan George Tenet pour un
cessez-le-feu. Il a déployé tous ses efforts afin de persuader la communauté
internationale, d'une manière générale, et les Etats-Unis, en particulier, qu'il
allait suivre désormais une politique de retenue face à ce qu'il qualifie de
"violence et de terrorisme" palestiniens.
Si l'on en croit le proverbe arabe
qui veut que "chassez le naturel, il revient au galop", tout indique que le
premier ministre israélien tente - pour le moment - d'adopter une tactique qui
entre en contradiction avec sa nature profonde, afin de pouvoir continuer à
mettre en oeuvre la même stratégie, à savoir ; celle qu'il suivait en recourant
à la tactique de la force et de la violence au cours des étapes précédentes de
sa vie militaire et politique. Il est naturellement fort peu probable que les
Etats Unis s'avèrent incapables de déceler, sous le vernis, les traits du Sharon
authentique, et ses tentatives de travestissement ne parviendront sans doute pas
à cacher ses traits réels, bien connus dans les différents milieux de la vie
internationale.
L'administration américaine, en envoyant à Sharon deux
cartons d'invitation à la Maison Blanche en trois mois, s'efforce sans doute de
fixer les traits du Sharon nouvelle manière, dans l'espoir que ses actes suivent
ses paroles, ("que le ramage soit à l'instar du plumage"), mais il s'agit d'un
espoir assez vain et peu réaliste. En effet, en dépit de sa proclamation de son
prétendu 'cessez-le-feu' (sic), son armée et ses colons perpétuent leurs
agissements et leurs provocations contre nos concitoyens innocents et désarmés.
De même, la politique d'élimination des 'activistes' palestiniens, sans aucune
forme de procès (les 'exécutions extra-judiciaires', ndt) continuent : Usama
Jawabiréh en a été la dernière en date des victimes, avant-hier, à
Naplouse.
Les tanks et les bulldozers israéliens continuent leurs incursions
en territoire palestinien, poursuivent leur 'labourage' de terres cultivées et
l'arrachage de vergers, afin de terroriser de paisibles civils, ce qui nous
amène à nous demander de quel genre de cessez-le-feu il s'agit donc là ? Est-ce
cela, la "retenue" ? Il s'agit, en la matière, des deux chèques en bois que
Sharon va tenter de "refiler" durant sa visite actuelle à Washington afin d'en
toucher le montant libellé sous la forme d'un surcroît d'approbation et de
soutien américains, sur les plans politique et militaire, à ses positions
extrémistes camouflées sous le masque d'une retenue de pure façade.
La
question posée à l'administration américaine est la suivante : le premier
ministre israélien a-t-il abandonné en quoi que ce soit les objectifs et les
exigences proclamés au cours de sa campagne électorale, à savoir : la répression
du mouvement palestinien en vue de la libération et de l'indépendance ? Tous les
slogans (fallacieux) proclamés par le gouvernement israélien, tels la
non-réponse à la violence palestinienne (la 'retenue', ndt), le refus de
négocier en étant "sous le feu", ne sont que des artifices de propagande
utilisés par le gouvernement israélien afin de (tenter de) faire avorter le
mouvement (national) palestinien dont l'action ne s'est jamais démentie depuis
Madrid, en passant par Oslo, pour en arriver aux accords qui en ont découlé et
qui n'ont encore jamais été appliqués dans leur totalité à ce jour, dix ans
après la conférence de Madrid...
On peut en déduire aisément une réalité, qui
est que la partie israélienne - que ce soit sous la direction de Benjamin
Netanyahu ou d'Ehud Barak, pour aboutir à l'actuelle, celle de Sharon -
n'est pas prête pour la réalisation d'une paix juste qui reconnaisse aux
Palestiniens leurs droits légitimes, mette fin à l'occupation militaire et à la
colonisation des territoires palestiniens, cette occupation qui dure désormais
depuis trente-quatre ans. Les négociations de paix ne sont pas parvenues, après
s'être poursuivies durant plus de dix ans, à faire des aspirations nationales du
peuple palestinien une réalité. Le problème ne réside pas dans les moyens
auxquels les Palestiniens sont contraints de recourir parfois, mais bien dans la
très faible propension (à dire le moins) de la partie israélienne à satisfaire
aux exigences d'une paix juste, cette paix à laquelle aspirent les Palestiniens,
hélas, en vain, parce que les Israéliens s'en défient, et parce que les
Etats-Unis leur fournissent le camouflage politique qui leur permet de continuer
à dissimuler cette attitude d'esquive dans les différentes enceintes
internationales.
11. Un journal britannique : "C'est un informateur d'Israël qui a
conduit le terroriste à la bombe jusqu'à la discothèque
Dolphinarium"
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du lundi 25 juin
2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
C'est un Palestinien lié aux services secrets
israéliens qui a conduit la voiture empruntée par le kamikaze qui a commis
l'attentat contre la discothèque Dolphinarium, à Tel-Aviv, il y a trois
semaines, affirme le Sunday Times de Londres, dans son édition d'hier.
Le
journal tient cette information du chef du Service des Renseignements Généraux
palestiniens en Cisjordanie, Tawfiq Tirawi. D'après Tirawi, le conducteur de la
voiture, Mahmoud Dahshat Rashid al-Nadi, qui vivait de son métier de chauffeur
de taxi amenant des Palestiniens de Cisjordanie en Israël, était un informateur
de la police secrète israélienne. Tirawi a ajouté qu'al-Nadi, âgé d'une
vingtaine d'années, avait commencé à travailler pour la police israélienne en
1999 ; il lui fournissait des renseignements sur l'activité des Palestiniens aux
environs de sa ville natale, Qalqiliyah. En échange, il disposait d'un permis
permanent grâce auquel il pouvait entrer en Israël librement.
Tirawi a
indiqué que d'autres membres de la famille al-Nadi travaillaient eux aussi comme
informateurs d'Israël. Al-Nadi a été arrêté le 2 juin, soit le lendemain du jour
où il aurait déposé le kamikaze devant l'entrée du Dolphinarium. Tirawi a
indiqué qu'apparemment al-Nadi n'avait eu aucune mauvaise intuition sur la
nature meurtrière de la mission dont son passager était chargé, si ce
n'est alors qu'il était déjà trop tard.
Le journal londonien écrit que
les autorités israéliennes n'ont pas encore annoncé l'arrestation d'al-Nadi en
raison de l'embarras que leur causent des liens très étroits existants entre les
services secrets israéliens et un homme qui a apparemment contribué au pire
attentat-suicide perpétré en Israël en cinq ans (22 personnes ont perdu la vie
dans l'explosion).
Le journal rapporte que le porte-parole des Forces
israéliennes de Défense, le brigadier-général Ron Kitri, a confirmé
l'arrestation d'al-Nadi, mais en s'empressant de préciser qu'"al-Nadi n'est pas
un agent du Shin-Bet" (services de renseignement israéliens, ndt).
Tirawi a
précisé qu'al-Nadi a conduit le kamikaze, Said Hotari, dans une voiture portant
une plaque d'immatriculation propre aux voitures israéliennes. Il a indiqué que
la suspicion d'al-Nadi n'a été mise en éveil qu'après qu'Hotari, juste au moment
où il sortait, l'ait exhorté à s'éloigner au plus vite.
12. Israël dans l'impasse par Hasan Abu Ni'meh,
ambassadeur, ancien ambassadeur de Jordanie à l'ONU
in Al-Quds Al-Arabi
(quotidien arabe publié à Londres) du lundi 25 juin 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Les huit mois d'Intifada ont mis en évidence les
points faibles principaux et les brèches dans la capacité d'Israël à faire face
à une révolution palestinienne authentique réclamant la fin de l'occupation et
l'indépendance totale. En dépit d'une puissance militaire écrasante et de moyens
qui feraient pâlir de jalousie bien des armées de par le monde, malgré un
équipement électronique dont la sophistication lui permettrait de contrôler
l'ensemble du Moyen-Orient, comme le rapporte Eytan Haber (Yediot Aharonot du 17
juin), "Israël n'est pas encore parvenu à assurer une sécurité totale à une
petite colonie israélienne pour peu que cette dernière soit construite un peu
trop à l'écart des colonies existantes et il s'avère que ni les missiles, ni les
bataillons, ni les soldats ne peuvent assurer la défense des colons", écrit ce
même auteur.
Israël a trouvé, dans la période de cinq ans, consacrés aux
accords d'Oslo et aux négociations de l'étape de transition, une occasion rêvée
de consacrer ses trophées expansionnistes régionaux à l'intérieur des frontières
du 4 juin 1967 en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Ceci comportait la
consolidation des colonies (que nous appelons, de façon erronée les
"implantations"), qui n'ont cessé d'exister jusqu'au début de ce processus et
auxquelles devaient s'ajouter celles dont la construction était planifiée au
cours du processus même, sous forme d'un réseau impressionnant de routes de
contournement, de tunnels et de ponts reliant ces groupes de colonies
extrêmement étendus à Israël et assurant des liaisons rapides et directes et au
plus droit afin que ces colonies n'apparaissent plus comme de petites entités
isolées au sein d'un territoire dont les restes étaient supposés devenir, à
terme, le territoire palestinien...
Les Israéliens ont cru pouvoir tout
simplement tromper les Palestiniens avec les dispositions d'Oslo. Ils n'ont pas
compris qu'ils étaient tombés eux-mêmes dans le piège qu'ils avaient dressé aux
Palestiniens, lorsqu'ils avaient fait le pari que tous les sujets qui avaient
fait l'objet d'un ajournement jusqu'à l'étape des négociations pour un règlement
définitif tomberaient complètement dans l'oubli, comme ces vieilles dettes que
l'on finit par ne plus exiger, et que les accords d'Oslo ne feraient
qu'entériner les gains (territoriaux), les ambitions et les plans hégémoniques
et expansionnistes d'Israël à l'abri de la couverture "légale" et internationale
apportée par ces mêmes accords...
C'est sur la base de cette certitude
qu'Israël en est venu à supposer que tout lui était permis pour mener à bien ses
projets sans qu'aucun obstacle ne vienne en gêner la mise en oeuvre et que les
dispositions sécuritaires définies par Oslo seraient permanentes, définitives
et, de plus, respectées et en vigueur, et que les routes de contournement qui
coupent les villes et villages de leurs arrière-pays respectifs, ainsi que ces
collines sur lesquelles Israël a édifié ses lotissements de mas provençaux aux
tuiles rouges, seraient à l'abri de tout danger. Pourquoi les Israéliens
n'auraient-ils pas eu cette certitude, puisque la direction palestinienne avait
accepté de renoncer à son droit à l'autodéfense, sous prétexte de faire reculer
la violence ?
A renforcer les sentiments de sécurité, chez les Israéliens, a
contribué également une gigantesque gesticulation internationale, sous la
houlette des Etats-Unis, de la Russie, de l'ONU, de l'UE, du Japon, des pays
arabes et de bien des pays du monde, qui ont entouré le processus de paix de
leur soutien, de leur appui, de leur aide économique et politique, ouvrant
largement les portes à Israël, cet Etat qui a reçu un certificat de virginité
alors même que ses troupes continuaient à occuper de vastes territoires arabes
en Syrie, au Liban, en Palestine et en Jordanie, et tandis qu'il persistait en
insistant lourdement dans sa dénégation et son rejet des résolutions des Nations
Unies et de la légalité internationale, ainsi que des droits de l'homme et des
règles régissant les rapports civilisés entre nations, en persistant dans ses
pratiques d'occupation les plus infâmes, telles la confiscation des terres, la
destruction de maisons, la construction de colonies et le remplissage des
prisons et des camps d'internement, l'humiliation des civils et leur soumission
aux formes les plus avilissantes de punitions collectives.
Cette atmosphère
largement polluée par l'illusion et la fausseté a fini par recouvrir ce qui se
passait dans la région d'une épaisse couche de brouillard. C'est alors que les
moyens d'information américains et occidentaux ont, par leur propagande éhontée
et partisane, contribué à créer de toutes pièces une histoire falsifiée à
l'usage de la phase des négociations, pour faire passer le complot, et dresser
un tableau idyllique promettant la paix pour demain et que la prospérité, la
détente, la sécurité et une vie aisée seraient données à chaque foyer, que le
bien régnerait partout en maître et que se dissiperait à jamais la noirceur des
guerres, de la violence et de la lutte.
Mais la poudre de l'illusion et de la
tromperie a atteint aux yeux les Israéliens eux-mêmes, qui se sont dès lors
ingéniés à redoubler d'arrogance et d'agression, à consacrer l'iniquité et à
approfondir les blessures, jusqu'au moment où le sortilège s'est retourné contre
le démiurge et où a explosé la terre qui bouillait de colère en raison de
l'injustice accumulée au long des lustres... c'est alors que la lumière
éclatante de la révolte a fait tomber tous les masques, finissant par placer
Israël lui-même, ainsi que ses partisans, devant une réalité difficile à
occulter et devant l'état de choses réel, qui ne saurait disparaître simplement
parce qu'on se refuse à le reconnaître.
Voilà la vérité à laquelle Israël
doit faire face aujourd'hui, cette vérité qui déjouera tous les complots, qui
redressera la marche de l'histoire et face à laquelle la force militaire, aussi
disproportionnée soit-elle, demeurera impuissante. Sharon, qui incarne le pari
des Israéliens qu'à coup sûr ils parviendraient à mater l'Intifada et à donner
une leçon aux Palestiniens, Sharon lui-même est mis dans l'incapacité, devant
cette réalité, de s'accrocher à la planche de salut que viennent de lui tendre
les Etats-Unis en la personne de George Tenet...
Gedeon Levy a écrit, dans le
Ha'Aretz du 17 juin, qu'il est trop facile, pour les Israéliens, de dire que la
violence a éclaté parce que les Palestiniens "ne désiraient pas vraiment la
paix", alors qu'une part non négligeable de la responsabilité, dans l'éclatement
du cycle de la violence, leur incombe largement à eux-mêmes, car les
propositions de Barak étaient tout-à-fait insuffisantes pour arriver à une
solution équitable, commente le journaliste.
Celui-ci poursuit, écrivant :
"au cours des trois années qu'a duré le gouvernement Netanyahu, Israël a failli
dans la mise en application de la plupart de ses engagements pris dans le cadre
de l'accord de principes (Oslo) : il n'y a pas eu de libération des prisonniers,
comme cela avait été convenu, il n'y a pas eu d'établissement de passages
sécurisés, pas de construction de port ni d'aéroport. Face à ces manquements :
une expansion continue des colonies. L'esprit d'Oslo a cessé de souffler. Ce
sont des vents mauvais de désespoir et de déception qui lui ont succédé du côté
des Palestiniens". Lévy ajoute : "quant à Barak, en digne successeur de
Netanyahu, il n'a en rien amélioré la situation. Il s'agit de ce premier
ministre qui s'était vanté de n'avoir pas cédé un seul pouce de terrain aux
Palestiniens..."
Lévy ironise sur les "offres généreuses" aux yeux de la
majorité des Israéliens, dont le même Barak qui les avait pourtant présentées
disait "qu'elles étaient inacceptables pour tout dirigeant palestinien désireux
de signer un accord de non-belligérance qui mettrait fin en lui-même à toute
revendication"...
Lévy rapporte ce que lui a dit Salim Shwamra, un
Palestinien de Anata, chauffeur de son état, dont l'armée israélienne a détruit
la maison à trois reprises, en donnant une description très pertinente des
"propositions généreuses" d'Israël : "en prison, aussi, les prisonniers
disposent de 96% du terrain, et les gardiens ne disposent que des 4 pour cent
restants. Mais eux, ils surplombent les autres, depuis les murailles et les
miradors où ils sont perchés..."
Ainsi, "aux yeux des Palestiniens, les
propositions israéliennes", poursuit Lévy, "n'avaient d'autre contenu qu'un Etat
palestinien avec la surveillance israélienne à ses portes. Un Etat morcelé par
des blocs de colonisation qui ne lui permettraient pas d'avoir une vie normale
et où il n'y aurait pas de liberté de déplacement. Tandis que Barak faisait ses
propositions aux Palestiniens, la colonisation continuait, comme si de rien
n'était. L'encerclement continuait, les terres continuaient à être confisquées,
les prisonniers, des héros aux yeux de leur peuple, continuaient à croupir dans
les geôles israéliennes, et les colonies à s'étendre : sous le mandat Barak, le
nombre des colons a augmenté de 12%."
Cette longue citation d'un grand
journal israélien ne donne qu'un exemple parmi d'autres des réalités que les
Israéliens commencent à reconnaître et à affronter de face. Ce phénomène est
sans doute l'un des fruits les plus importants de l'Intifada, car le premier pas
en direction du redressement, c'est le diagnostic objectif et qui ne se voile
pas la face, que nous commençons à voir poser de plus en plus souvent dans la
presse israélienne, mais qui est encore bien loin de trouver sa place dans les
colonnes de la presse américaine...
Après l'échec de Barak, le choix des
Israéliens s'est porté sur Sharon, qui représentait la dernière carte leur
permettant de retrouver le calme, de leur point de vue, à travers une répression
impitoyable et un usage effréné de la force. Et voilà que Sharon échoue lui
aussi, une fois confronté au déchaînement sans fin de la violence, ne sachant
que faire.
La violence appelle la violence, et même Sharon n'a pas pu sauver
l'honneur en portant le dernier coup.
Il a promulgué un cessez-le-feu
unilatéral, non pas en réponse aux critiques et à la réprobation portées contre
Israël après son agression barbare contre les civils palestiniens désarmés, ni
afin de maquiller l'image de criminel de guerre sanguinaire qui est la sienne
aux yeux du monde, mais parce qu'il sait fort bien qu'un coup de plus, quelle
qu'en eût été la force destructrice, se serait vu apporter la réponse d'un coup
encore plus violent. Il a donc préféré mettre un coup d'arrêt à l'enchaînement
des violences, la balle étant dans son camp. (Après l'attentat de Tel-Aviv
(Dolphinarium), ndt).
Sharon n'a épargné aucune des armes à sa disposition,
il a même utilisé ses avions de combat les plus modernes, qui sont employé dans
les guerres de grande envergure, contre les villes et les civils, et il n'a
pourtant pas pu étouffer la flamme de la volonté populaire palestinienne qui
poursuit sur le chemin de la lutte jusqu'à la libération et
l'indépendance.
Martin Sherman écrit, dans le Jerusalem Post du 17 juin :
"après trois mois du nouveau gouvernement (Sharon), le niveau de sécurité s'est
sérieusement dégradé, la politique de retenue de Sharon n'a eu pour unique
résultat que de renforcer la volonté des Palestiniens et d'approfondir leur
détermination. Après plusieurs mois de combats, la combativité des Palestiniens
a dépassé le point de non-retour".
Totalement dans l'impasse, Sharon espère
que la trêve imposée par George Tenet lui donnera le temps suffisant et
l'atmosphère idoine pour traiter les brèches sécuritaires et créer un no-man's
land frontalier tout au long de la Ligne Verte. Il espère aussi que la partie
palestinienne fera ce qui lui est demandé, par le même plan Tenet, à savoir :
désarmer le peuple, jeter les meneurs en prison et réfréner les enthousiasmes
combatifs et les exaltations révolutionnaires.
Il espère que cela lui
permettra de fortifier ses positions exposées et de préparer de nouveaux plans
visant à faire s'abattre sa répression sur les braises mal éteintes de
l'Intifada, au cas où le plan Tenet réussirait jusqu'à un certain point. Mais sa
nouvelle bande frontalière sécurisée ne serait qu'un avatar d'un précédent échec
dont Sharon n'a pas su tirer d'autre leçon que sa répétition : le Sud-Liban,
qu'il ne ferait que transposer en Palestine. Le sort amer de cette nouvelle
expérimentation (sécuritaire) en Palestine ne serait certainement pas meilleur
que ce qu'il en advint au
Liban.