Point d'information Palestine > N°152 du 20/06/2001

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Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
                       
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ERRATUM et PRECISION - Dans le dernier Point d'information Palestine nous vous annoncions le colloque Palestine et droits des peuples qui se déroulera ce samedi 23 juin 2001, de 10h à 18h30, à la MJC Picaud à Cannes. Nous avons commis une erreur dans la liste des intervenants, puisque Jean-Paul Chagnollaud est Directeur de la rédaction de la revue Confluences Méditerranée. Par ailleurs, Marwan Bishara, écrivain, journaliste palestinien, chercheur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris et enseignant à l'Université américaine de Paris, auteur de Palestine / Israël, la paix ou l'apartheid aux Editions de La Découverte, participera aussi à ce colloque.
       
Au sommaire
       
Témoignage
Nationalité : Palestinien(ne) par M.P. Béraud. A. Champetier, M.H. Robineau et C. Shammas, membres de l'Association Médicale Franco-Palestinienne
          
Dernières parutions
1. Revue d’études palestiniennes n° 28 (nouvelle série) été 200, revue trimestrielle publiée en France aux Editions de Minuit
[160 pages - 90 FF - ISBN : 2707317586]
2. Ce qui s'est réellement passé à Camp David (11-25 juillet 2000) de Akram Haniyye aux Editions de Minuit (Collection Documents de la Revue d'études Palestiennes) [61 pages - 59 FF - ISBN 2707317527]
3. Le Général Sharon - Eléments pour une biographie aux Editions de Minuit (Collection Documents de la Revue d'études Palestiennes) [95 pages - 65 FF - ISBN 2707317594]
                                 
Réseau
www.oslo.olp.israel.fact (www = What Went Wrong = "ce qui a cloché")
Oslo - OLP - Autorité palestinienne - Israël : Quelques précisions par Gershon Baskin, Ph. D.
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine en France et Dominique Vidal, rédacteur en chef du "Monde diplomatique" étaient invités à l'émission "La rumeur du monde" diffusée sur Radio France Culture le samedi 26 mai dernier. Au cours de ce programme, Dominique Vidal a fait référence à un document de Gershon Baskin. Nous vous proposons de découvrir l'intégralité de ce texte. L’idée originelle du nom de cet article "WWW-What Went Wrong" (Ce qui a cloché) revient au Professeur Edy Kaufman, de l’Institut Truman (Université Hébraïque de Jérusalem). Le Dr. Gershon Baskin est le fondateur et le co-directeur de l’IPCRI (Israël-Palestine Center for Research and Information) fondé en 1988.
          
Revue de presse
1. Juste au moment où on allait leur donner tant de choses... par Gideon Levy in Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 17 juin 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
2. La première victime de la guerre par Peter Beaumont, Brian Whitaker (à Jérusalem) et Edward Helmore (à New-York)
in The Observer (quotidien britannique) du dimanche 17 juin 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. Palestine-Israël : La trêve ne durera pas in Le Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 15 juin 2001
4. La voix de Jérusalem par Herb Keinon in The Jerusalem Post (quotidien israélien) du jeudi 14 juin 2001 [traduit de l'angalis par Marcel Charbonnier]
5. Honest Reporting, le pouvoir au bout de l´e-mail par François Landon in Transfert.net (e-magazine) du vendredi 8 juin 2001
6. Au coeur de l’extrémisme juif in Courrier International du jeudi 7 juin 2001
         
Témoignage

             
Nationalité : Palestinien(ne) par M.P. Béraud. A. Champetier, M.H. Robineau et C. Shammas, membres de l'Association Médicale Franco-Palestinienne
vendredi 8 juin 2001 - Nous revenons d'un voyage (du 13 au 26 mai 2001) en Palestine (Cisjordanie et Gaza) et Israël. Nous avons constaté un décalage manifeste entre la réalité sur le terrain et le traitement qui en est fait dans les media. Il nous semble que l'information grand public fait preuve de beaucoup de partialité et fait l'impasse sur la terreur quotidienne subie par la population civile palestinienne.
Imaginez :
- vous habitez un quartier qui fait face à une colonie (implantation illégale de citoyens israéliens en territoire palestinien) : depuis huit mois, vous ne pouvez plus laisser vos enfants circuler librement, jouer dehors avec leurs copains parce que vous ne savez pas quand les bombardements ou les tirs des colons vont commencer,
- depuis octobre dernier, votre village est coupé du monde, les routes d'accès ont été défoncées par les bulldozers blindés israéliens, les blessés, malades, doivent être transportés à pied, La production agricole du village pourrit sur place ; il est impossible de franchir les barrages.
- vous êtes salarié, étudiant... vous ne pouvez vous rendre librement sur votre lieu de travail ou à votre université, situés à quelques kilomètres de votre résidence, et vous ne pouvez jamais savoir à l'avance si ce trajet vous prendra une demi-heure, trois heures ou si vous serez obligé de faire demi-tour,
- vous habitez Gaza et votre enfant est étudiant en Cisjordanie, à 80 km de chez vous, il n'a pas pu vous rendre visite depuis 8 mois ; s'il l'avait fait, il aurait été empêché de retourner à ses études.
- vous êtes agriculteur à proximité d'une colonie israélienne : vous risquez votre vie en allant travailler votre terre ou en allant récolter vos produits. Le char d'assaut posté à l'horizon vient régulièrement effectuer sa ronde sur le chemin limitrophe de votre champ dans un nuage de poussière. Il se peut que vos plantations soient arrachées sans aucun motif.
- Vous habitez la maison héritée de vos grand-parents, elle se trouve à proximité d'une colonie ou d'une route réservée aux colons, votre terrain peut être classé "zone de sécurité militaire" et votre maison sera détruite. Vous allez pouvoir bénéficier du statut de réfugié sous une tente des Nations Unies.
- vous avez un enfant handicapé : savez-vous que beaucoup d'entre eux ont perdu la vie parce qu'ils ne comprennent pas les sommations des israéliens ?
- vous avez un proche malade ou âgé qui habite à 20 kilomètres de chez vous : vous ne pouvez pas lui rendre visite ; en cas de décès vous aurez de grandes difficultés à obtenir l'autorisation de vous rendre aux obsèques.
Ce ne sont que quelques exemples parmi tant d'autres. Nous avons croisé sur notre route nombre de personnes confrontées à ces situations. Elles ne comprennent pas que l'opinion internationale fasse si peu cas de leurs souffrances et des humiliations permanentes, préexistantes à cette deuxième Intifada mais démultipliées depuis.
Nous nous sommes engagées auprès d'elles à témoigner.
Nous avons aussi rencontré des pacifistes israéliens qui luttent pour dénoncer cette situation et partagent complètement notre point de vue.
[A. Champetier, M.H. Robineau, C. Shammas c/o Marie-Pierre Béraud - 1, rue de la Nativité - 26400 Crest - Fax : 04 75 36 45 75 - E-mail : jean-claude.perron@wanadoo.fr]
                 
Dernières parutions

                 
1. Revue d’études palestiniennes n° 28 (nouvelle série) été 2001
revue trimestrielle publiée en France aux Editions de Minuit
[160 pages - 90 FF - ISBN : 2707317586]
Extrait du sommaire
Deux hommages à Jérôme Lindon par Elias Sanbar et Pierre Vidal-Naquet
La situation en Palestine et les perspectives d'avenir par Camille Mansour
Dossier : Ariel Sharon - Les élections, le gouvernement, le discours d'investiture
L'affaire Tantoura en Israël par Ilan Pappé
Cet article relate la polémique, universitaire et judiciaire, suscitée en Israël par une thèse de doctorat s'appuyant sur la tradition orale – les témoignages enregistrés d'Arabes et de Juifs – pour prouver qu'un massacre a bien été commis par les forces israéliennes dans le village côtier de Tantoura à la fin mai 1948. Alors que le chercheur Teddy Katz est lui-même sioniste, cette affaire démontre jusqu'où l'ordre établi en Israël est prêt à aller pour décourager toute recherche présentant la guerre de 1948 comme un « nettoyage ethnique ». L'article aborde également la thèse elle-même et décrit le déroulement du massacre, indiscutable, tel qu'il peut être reconstitué à partir des informations disponibles. Il est suivi de quelques extraits de transcriptions.
Les Arabes, l'islam, les juifs et moi (entretien) par Maxime Rodinson
Le "camp de la paix" en Israël par Yitzhak Laor
Lettres arabes : Poèmes par Kadhim Jihad
                  
2. Ce qui s'est réellement passé à Camp David (11-25 juillet 2000) de Akram Haniyye
aux Editions de Minuit (Collection Documents de la Revue d'études Palestiennes)
[61 pages - 59 FF - ISBN 2707317527]
Si la visite d'Ariel Sharon, le 28 septembre 2000, à l'esplanade des Mosquées à Jérusalem a constitué une provocation délibérée et mis le feu aux poudres du soulèvement palestinien, c'est dans l'impasse des négociations de juillet 2000, à Camp David, qu'il faut chercher les causes politiques de ce soulèvement. En effet, les deux semaines de négociations, entourées d'un black-out total - ainsi en avaient décidé les maîtres d'¿uvre américains et qui devaient aboutir au règlement définitif d'un conflit centenaire, ont montré l'ampleur de l'impasse et du fossé séparant les positions des protagonistes quant aux dossiers fondamentaux du conflit : réfugiés, Jérusalem, colonies de peuplement, eau, frontières et sécurité. L'importance de l'enjeu, le véritable travail d'intoxication mené par Israël et les Etats-Unis qui, pour masquer l'échec de neuf ans de négociations, affirmaient sans relâche que le " miracle " avait été manqué de justesse, l'embrasement de la société palestinienne, tout cela a ramené les opinions publiques aux clichés éculés de l'Orient compliqué et des " Palestiniens irrationnels et ingrats " face à la "générosité" de leurs occupants. Poursuivant son travail d'explication et d'information, la Revue d'études palestiniennes verse une pièce capitale, et à ce jour unique, au dossier. Ce qui s'est vraiment passé à Camp David d'Akram Haniyyé reprend les minutes de l'un des principaux négociateurs palestiniens à ces pourparlers, expose en détails le déroulement des échanges ainsi que les diverses propositions avancées par les parties et décrit l'atmosphère qui a prévalu pendant ces deux semaines de huis clos. Document unique et essentiel dans la mesure où, plus qu'une simple pièce d'archive, il aide à comprendre et à apprécier les événements tragiques qui secouent la Palestine naissante, le texte d'Akram Haniyyé, non démenti par le Département d'Etat américain, a connu à ce jour une diffusion mondiale et suscité l'intérêt de l'ensemble des milieux politiques et diplomatiques américains, européens, israéliens et arabes.
                
3. Le Général Sharon - Eléments pour une biographie
aux Editions de Minuit (Collection Documents de la Revue d'études Palestiennes)
[95 pages - 65 FF - ISBN 2707317594]
La large victoire d'Ariel Sharon aux élections du 6 février dernier et la constitution sous sa férule d'un gouvernement d'union nationale, avec Shimon Pérès, son ancien contempteur, comme ministre des Affaires étrangères en disent long sur les motivations conscientes ou inconscientes de la société politique israélienne. Après les tergiversations d'Ehoud Barak, incapable d'honorer ses propres engagements, après la répression brutale du mouvement populaire palestinien, après la honteuse débandade de ce qu'on appelait " le camp de la paix ", ces deux événements viennent confirmer qu'Israël n'est pas mûr pour la paix. Pis encore : qu'il adresse aux Palestiniens, aux Arabes et à l'opinion publique internationale un message de haine et de mépris. Car l'homme que les électeurs, par désarroi ou par dépit, ont porté au pouvoir suprême n'est pas qu'un vieux baroudeur assagi, comme on nous le dépeint complaisamment, mais un criminel de guerre. Qui plus est, il s'agit d'un récidiviste, dont la " carrière ", de la Cisjordanie au Liban en passant par le Sinaï, n'est pas moins affreuse que celle de Pinochet ou de Radovan Karadzic. Ses crimes, comme les leurs, relèvent assurément de la compétence d'un tribunal pénal international.
                    
Réseau
         
www.oslo.olp.israel.fact (www = What Went Wrong = "ce qui a cloché")
Oslo - OLP - Autorité palestinienne - Israël : Quelques précisions
par Gershon Baskin, Ph. D.
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier] 
[Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine en France et Dominique Vidal, rédacteur en chef du "Monde diplomatique" étaient invités à l'émission "La rumeur du monde" diffusée sur Radio France Culture le samedi 26 mai dernier. Au cours de ce programme, Dominique Vidal a fait référence à un document de Gershon Baskin. Nous vous proposons de découvrir l'intégralité de ce texte. L’idée originelle du nom de cet article "WWW-What Went Wrong" (Ce qui a cloché) revient au Professeur Edy Kaufman, de l’Institut Truman (Université Hébraïque de Jérusalem). Le Dr. Gershon Baskin est le fondateur et le co-directeur de l’IPCRI (Israël-Palestine Center for Research and Information) fondé en 1988.]
Ce qui a fait dérailler le processus de paix israélo-palestinien est une question qui trouble les Israéliens, les Palestiniens, les Arabes et les Juifs, en général, et tous les partenaires de par le monde qui espéraient que le Moyen-Orient finirait un jour par vivre en paix. La plupart des analyses écrites jusqu’à ce jour et celles qui paraîtront à l’avenir passent/passeront en revue les points évidents suivants :
- les accords signés n’ont pas été mis en application de bonne foi
- les retraits territoriaux qui incombaient à Israël n’ont pas été réalisés
- l’Autorité palestinienne n’a pas été diligente pour désarmer les milices
- la situation économique des territoires palestiniens s’est détériorée, bien loin de donner au peuple les fruits de la paix
- Israël n’a cessé de construire de plus en plus de colonies et de routes de contournement
- L’Autorité est/était corrompue et violait constamment les droits humains de ses propres ressortissants
- les Palestiniens n’ont jamais cessé d’embrigader les masses par leurs médias et leur système scolaire, contre Israël
- les bouclages imposés par Israël en représailles du terrorisme n’ont abouti qu’au rejet de la paix par le peuple palestinien
- continuation des vexations à l’encontre des civils palestiniens aux barrages de contrôle
- installation d’une bureaucratie complexe de permis, autorisations, etc.
- l’assassinat de Yitzhak Rabin
- l’élection de Binyamin Netanyahu
- l’arrogance de Barak
- le style, les tactiques et les stratégies de négociation déplorables, des deux côtés
- les énormes bévues commises par Clinton à Camp David.
Et des tas d’autres raisons qui feront l’objet d’étude et de commentaires.
Je voudrais ici tenter de mettre en évidence certaines des raisons sous-jacentes, certains des événements qui n’ont pas été exposé à l’opinion publique ou qui n’ont pas retenu son attention, en dépit de leur importance et de leur pertinence. Bien des points exposés ici ont fait l’objet de notes politiques et de recommandations/mises en garde que j’ai adressés aux différents gouvernements d’Israël, à l’Autorité palestinienne, aux négociateurs, aux parrains américains et à d’autres acteurs importants. Ce papier tentera de résumer les événements tout en s’efforçant d’en trouver le fil conducteur.
Par où commencer ? Difficile question. On pourrait dire que les accords d’Oslo étaient voués à l’échec dès l’origine et les raisons d’insister sur leurs failles intrinsèques abondent. Mais, laissant ce travail à d’autres, je vais éluder cette partie de l’analyse. Malgré leurs failles, j’étais partisan de ces accords d’Oslo, s’il en fut, car je pensais que les gens qui veulent/voulaient sincèrement la paix dans cette région du monde ont l’obligation d’apporter leur soutien à une quelconque forme d’accord qui soit/ait été atteint par les deux parties. D’emblée, je fais remarquer que j’ai toujours douté de la capacité d’Israël à réaliser un accord total avec Yasser Arafat. Ces doutes se sont accrus considérablement au cours des années écoulées. L’une des raisons premières de ce scepticisme croissant tient à la nature du régime créé par Arafat en Palestine - ce qui ne va pas surprendre grand-monde, mais aussi au refus d’Israël, des Etats-Unis et du peuple palestinien lui-même d’exiger d’Arafat (l’établissement d’)un régime démocratique, absolument nécessaire, je crois, à la réalisation d’une paix véritable. Israël et les Etats-Unis redoutent/redoutaient trop de démocratie palestinienne par crainte que, grâce à cette démocratie, des mouvements hostiles à la paix, tels le Hamas, accroîtraient leur pouvoir. Ils avaient/ont peur de ce que j’appellerais le "syndrome algérien". Ces craintes sont peut-être fondées, toutefois, de mon point de vue, l’absence de démocratie est l’une des principales causes sous-jacentes de l’intifada palestinienne. Il devrait être noté également que les différents gouvernements israéliens successifs considéraient que la capacité d’Arafat d’éradiquer les forces hostiles à la paix en Palestine pouvait faire oublier la nécessité d’une quelconque démocratie palestinienne. Ceci a été résumé dans la phrase célèbre de Rabin : "bli bagatz u’bli btzelem" - "sans la Cour Suprême et avec Betzelem -, par laquelle il faisait allusion au fait qu’Arafat pouvait arrêter, emprisonner et même exécuter à sa convenance, sans nul besoin d’un quelconque procès en bonne et due forme.
Israël avait/a peur aussi d’un Conseil Législatif palestinien habilité à prendre des lois palestiniennes qui pourraient aller à l’encontre de ses intérêts ou des accords, si bien qu’Israël n’a jamais pris Arafat au mot lorsque ce dernier a déclaré à plusieurs reprises, en privé, qu’il ne pouvait pas signer la "Loi fondamentale palestinienne" - la constitution palestinienne - afin de lui donner force de loi, à cause des objections d’Israël. Cette constitution aurait instauré un semblant de séparation des pouvoirs et certaines mesures de vérification et de grands équilibres. Pour ma part, j’ai exhorté Rabin, Pérès et Netanyahu à faire des déclarations publiques afin d’indiquer qu’Israël voyait la "Loi fondamentale palestinienne" d’un oeil favorable. Mais rien de tel ne s’est produit.
Nous devons aussi prendre acte de la très large responsabilité prise par Israël dans le développement d’un système économique palestinien hyper-centralisé, monopolistique et corrompu. Malgré les mises en garde constantes de l’auteur de ces lignes et de bien d’autres, sur les dangers d’un engagement direct d’Israël dans la corruption palestinienne, des officiels israéliens ont facilité et encouragé ce que nous pouvons appeler sans exagération "la saignée à blanc du peuple palestinien", au moyen de marchés douteux et de montages financiers mis au grand jour par des dizaines d’anciens responsables de la sécurité israélienne avec des agents de l’Autorité palestinienne, y compris certains agents des services de renseignement palestiniens, des policiers palestiniens et des "conseillers" travaillant pour leur propre compte ou directement pour celui, direct, d’Arafat. Beaucoup de ces marchés, s’ils avaient été manigancés en Israël même, se seraient terminés avec des mises en accusation et des peines d’emprisonnement. Mais dans le cas d’espèce, ils ont été conclus sous la table "dans l’intérêt de la paix". C’est là, sans doute, l’un des éléments les plus cyniques des scandales remontés à la surface au cours des huit années écoulées. Peut-être encore plus cynique : le fait que cette coopération se poursuit grosso modo aujourd’hui, et personne ne devrait être surpris d’apprendre que le premier point à l’ordre du jour pour le business palestino-israélien, sous Sharon, a été la réouverture du Casino de Jéricho.
Laissant là cette longue introduction, je passerai directement à mon analyse des autres causes sous-jacentes et des autres anomalies du processus de paix, en commençant en septembre 1997. A la mi-septembre 1997, durant le mandat du premier ministre Netanyahu, Yasser Arafat donna une longue interview à la deuxième chaîne de la télévision israélienne. Cet interview, qui dura environ vingt minutes, était réalisée, du début à la fin, en "close up" (plan américain, ndt). L’état maladif d’Arafat était frappant. La caméra était focalisée sur sa lèvre inférieure tressautante et ses mains agitées de tremblements. Les médias locaux et internationaux furent pleins, des semaines durant, des pronostics sur la maladie de Arafat, sur les médicaments qu’il était supposé prendre, sur les effets de ces traitements sur ses performances (ou sur son manque de -) et sur la période qui lui restait à vivre. Et voilà que tout d’un coup, tout le monde se demandait ce qu’il arriverait dans l’ère post-arafatienne et qui le remplacerait. J’ai été personnellement interviewé plus de quarante fois par des journalistes du monde entier sur ces questions. Mais, plus important que les questions des journalistes : les questions que les Palestiniens eux-mêmes se posaient.
Dès la création de l’Autorité palestinienne, la principale préoccupation de bien des Palestiniens sembla être de savoir comment obtenir une part du gâteau. Nombreux furent les anciens militants qui avaient mené la première intifada à manifester leur aspiration à participer de l’Autorité, chacun à sa manière, en obtenant de hautes responsabilités dans les ministères et les forces de sécurité. Bien des personnalités locales de Cisjordanie et de Gaza ne tardèrent pas à perdre toute illusion lorsqu’ils virent les "Tunisiens" - ceux qui vinrent, avec Arafat, de l’exil - obtenir les postes-clés, être nommés officiers supérieurs, ministres, alors qu’on leur abandonnait quelques postes de second ou troisième violon dans un orchestre qu’il leur semblait bien, pourtant, avoir créé. Plus important encore, la vie de "parti" locale, qui avait été la base de la première intifada à travers la direction unifiée constituée de représentants des principales factions de l’OLP, disparut corps et biens. L’idéologie de la résistance et de la libération nationale (chez les Palestiniens) sembla s’estomper derrière l’arrivée au premier plan des intérêts privés à court terme et à courte vue prenant la priorité sur tout. Un intellectuel palestinien, ancien militant du Fatah, a pu décrire cette transformation en ces termes : "Pour moi, aujourd’hui, la Palestine, ça s’arrête à ma porte palière". L’impact de cette façon de voir les choses fut la fin des formations politiques : le FPLP, le FDLP, le Fida, le Parti Populaire Palestinien et, surtout, le Fatah.
Peu de temps après l’interview d’Arafat, d’anciens leaders de la première intifada, membres du Fatah et, pour certains, membres du Conseil Législatif Palestinien, tinrent une réunion informelle à Ramallah. La discussion porta sur la question de la succession d’Arafat. La plupart des participants pensaient que les deux principales formations du Fatah joueraient vraisemblablement un rôle central dans la sélection/élection du successeur. Ces deux formations sont le Fatah-Conseil central et le Fatah-Conseil révolutionnaire. L’une comme l’autre, notèrent au passage les participants, étaient contrôlées par la vieille garde loyale d’Arafat, constituée principalement de dirigeants de l’OLP venus de l’extérieur. Les jeunes leaders indigènes (locaux) de la première intifada n’y étaient pas représentés. En fait, parmi tous les participants à la réunion de Ramallah, un seul était membre du Conseil révolutionnaire et un autre appartenait au Conseil central. A ce point du débat, la décision fut prise de revivifier le Fatah à travers des activités de base et en adoptant des positions militantes sur des sujets centraux dans le processus de paix : les colonies, les réfugiés et, priorité des priorités : la libération des prisonniers. Il convient de noter qu’en septembre 1996 ces (deux) leaders du Fatah avaient été à la tête des premiers jours de manifestations violentes en protestation contre le creusement du tunnel sous le Kotel (Esplanade des mosquées/Mont du Temple, ndt) par Netanyahu. Ainsi, une décision stratégique fut prise : celle de reconstituer l’organisation du Fatah (le Tanzim), qui avait été créée en 1993. Le but ultime étant de "prendre le contrôle" des organes de pouvoir du Fatah et de revivifier la lutte palestinienne en vue de renforcer l’attachement indéfectible aux buts politiques des Palestiniens : l’établissement d’un Etat palestinien sur la totalité de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza et Jérusalem-Est, le départ de tous les colons israéliens, le gel de toute nouvelle colonie, et la libération de tous les prisonniers palestiniens des geôles israéliennes.
En avril 1998, un article très important fut publié dans un grand quotidien de Beyrouth : il analysait le processus vraisemblable de dévolution du pouvoir après Arafat. Ce fut le premier de toute une série d’articles axés sur le même sujet, qui parurent dans l’ensemble du monde arabe, et ce sujet devint l’un des plus largement débattus par les médias, notamment la très populaire télévision par satellite Al-Jazira, qui émet depuis le Qatar.
Dans la période qui a précédé l’accord de Wye River, en octobre 1998, Arafat avait déclaré une séries d’actions politiques dans l’ensemble des territoires palestiniens, sous l’intitulé "Jours de colère", au cours desquels on avait donné la consigne aux Palestiniens de faire des manifestations contre les implantations israéliennes. Toutes ces manifestations, et notamment les protestations conduites par Fayçal Husseïni (récemment disparu, ndt) contre le chantier de la nouvelle implantation de Har Homa/Jabal Abu Ghaïn, ont été des fiascos complets. Les gens ne vinrent pas, tout simplement. Arafat avait pourtant eu recours à la fermeture des administrations et avait enjoint à tous les fonctionnaires de l’Autorité palestinienne et à leurs conjoints et enfants de prendre des bus qui devaient les conduire aux lieux de manifestation. A Jérusalem, on a même relevé que des gens avaient été payés afin de participer aux manifestations contre Har Homa. Beaucoup seraient enclins à en tirer la conclusion erronée que le public palestinien était indifférent : il ne l’était absolument pas. Il ne voulait tout simplement pas répondre aux appels d’Arafat à cause de la frustration, de la honte et du désespoir de voir ce qui était en train d’advenir de leur rêve palestinien. Au cours d’un meeting de masse tenu à Naplouse, avant l’accord de Wye River, un haut responsable de la sécurité palestinienne, venu de Tunis, avait appelé la population à "prendre les rues et à combattre l’occupant". Un Nabulsi se leva, très irrité, et lança : "nous avons fait notre dû, pendant l’intifada, nous avons sacrifié nos enfants et nos vies. Maintenant, c’est bien votre tour d’envoyer les vôtres". Tous les présents savaient pertinemment que les enfants du chef de la sécurité palestinienne vivaient (en sécurité) à l’étranger, où ils poursuivaient leurs études...
Sur ces entrefaites, le Tanzim (du Fatah) entreprit un processus d’élections démocratiques
afin de choisir un nouvel encadrement de leaders en Cisjordanie et, dans une moindre mesure, à Gaza où les forces de sécurité d’Arafat étaient plus influentes et exerçaient un contrôle plus assuré. Dans chaque ville, dans chaque village, dans chaque camp de réfugiés, le Fatah s’organisait. Il ne tarda pas à lancer une campagne d’opinion qui rencontra beaucoup de succès, intitulée l"intifada des prisonniers", avec des marches à travers les territoires occupés, qui obtinrent une large adhésion du public. Le Tanzim rassemblait des armes, aussi. Entre 1996 et 1999, le Fatah tint plus de 122 conférences dans la seule Cisjordanie, plus de 85 000 personnes y assistant. Son but affiché était de se compter et d’élire un nouveau Conseil Central du Fatah, ainsi qu’un nouveau Conseil révolutionnaire. Ces groupes ne s’étaient pas réunis depuis plus de onze ans.
A Wye River, l’Israël de Netanyahu fortement soutenu par les Américains et la CIA pressa Arafat de désarmer toutes les milices en Cisjordanie, en particulier le Tanzim. L’accord de Wye River fut signé le 23 octobre 1993. Le 25, les forces du colonel Musa Arafat, chef des Forces de l’intelligence militaire palestinienne (et neveu de Yasser Arafat) entra de force dans les bureaux du Tanzim à Ramallah. Le Tanzim s’opposa à cette intrusion, et des tirs éclatèrent dans le centre-ville de Ramallah. Sur la fin des échanges de tirs, un jeune Palestinien, Wassim Tarifi (neveu d’un ministre de l’Autorité, Jamil Tarifi) fut tué. Le centre de Ramallah fut fermé durant plusieurs jours au cours desquels le Tanzim et les troupes de Musa Arafat rassemblèrent leurs forces afin d’en découdre. Finalement, Arafat donna l’ordre à Musa Arafat de se retirer. Le Tanzim venait de remporter sa première bataille stratégique dans la lutte pour le contrôle de la direction palestinienne. On a rapporté qu’après cet incident, les murs de Ramallah étaient couverts de graffiti dénonçant les "sales collabos de l’Intelligence militaire".
Trois semaines plus tard, des émeutiers militants du Tanzim envahirent le commissariat de la police de l’Autorité palestinienne dans le camp de réfugiés de Balata, y mirent le feu, incendièrent une voiture de la police et ne se retirèrent qu’après que les policiers palestiniens aient ouvert le feu sur eux. Cette échauffourée avaient été causée par l’interdiction faite par la police de l’Autorité aux manifestants de marcher en direction du Tombeau de Joseph au cours de l’"intifada des prisonniers".
En mai 2000, les élections ayant eu lieu dans l’ensemble des territoires, le Tanzim décida que le temps était venu de porter le combat dans les rues. Les négociations sur le statut final n’avaient pas encore commencé. Le Premier ministre israélien Barak ne prenait pas le processus palestinien suffisamment au sérieux, du point de vue des Palestiniens, car il préférait rechercher un accord avec Assad afin d’affaiblir ceux-ci. Barak , insistant sur le fait que cela devait être considéré comme faisant partie de l’accord définitif, n’accepta pas le troisième redéploiement. Les prisonniers palestiniens ne furent pas libérés. Le comité chargé de cette question se contenta de manifester son peu d’enthousiasme, tandis qu’Israël disait ne pas pouvoir libérer des prisonniers qui avaient du sang sur les mains.
Au cours d’une réunion à huis clos organisée par l’IMCRI, en avril 2000, entre députés israéliens et de hauts responsables du Tanzim, Marwan Barghouthi déclara : "J’ai honte que plus de cinq cent prisonniers - dont certains ont tué des Israéliens - soient encore détenus dans les geôles israéliennes. Avant Oslo, il y avait l’intifada, il y avait des combats entre les deux côtés, entre l’OLP et Israël. Barak, qui est aujourd’hui votre Premier ministre - et que nous avons rencontré personnellement - a tué trois de nos leaders au Liban. Mais nous acceptons de nous asseoir avec lui à une même table, aujourd’hui, parce que nous devons entamer l’écriture d’une nouvelle histoire entre nos deux peuples."
Entre les 15 et 17 mai 2000, les territoires palestiniens entrèrent en éruption à nouveau pour trois jours de manifestations des Palestiniens marquant la "journée de la Nakba" (catastrophe), le jour de la tragédie. Ce n’était pas la première fois que les Palestiniens célébraient cette journée, bien sûr, mais jamais auparavant une centaine de milliers de manifestants n’étaient descendus dans la rue. Des affrontements armés se produisirent à certains des carrefours stratégiques israélo-palestiniens, en Cisjordanie et à Gaza. Les patrouilles mixtes, créées afin d’agir dans des conjonctions de ce type, ne firent rien. Les manifestations et l’action militaire étaient menées par le Tanzim. Arafat ne parvint à contrôler la situation sur le terrain qu’au bout de trois jours, après avoir été soumis aux pressions d’Israël et des Américains. Après ces trois jours, Marwan Barghouthi déclara : "Nous avons utilisé des armes contre Israël et s’il le faut, nous reprendrons les armes, à l’avenir". Je pense qu’à cet instant, Arafat avait pris la décision stratégique de conserver le Tanzim du Fatah à ses côtés. Dans l’esprit d’Arafat, s’il obtenait un accord avec Israël, il aurait besoin de tout le pouvoir du Tanzim afin d’entraîner la rue, et s’il n’obtenait pas d’accord avec Israël, il aurait besoin du Tanzim aussi, mais cette fois, pour mener la résistance. Peu après les événements des 15, 16 et 17 mai 2000, Arafat arrangea une réunion de réconciliation entre le Tanzim et le chef de la Sécurité préventive de Cisjordanie, Jabril Rajoub, dont l’image avaient été mise à rude épreuve, un an auparavant, quand le Tanzim avait accusé Rajoub d’avoir remis plusieurs prisonniers palestiniens à Israël, après que ce dernier eût exigé leur extradition.
L’échec de Camp David II et ses suites
D’après les médias israéliens, Ehud Barak aurait présenté les "concessions les plus généreuses" que les Palestiniens puissent espérer recevoir, dans leurs rêves les plus fous, des mains d’un Premier ministre israélien. Plus, la hasbara (l’appareil de propagande) israélienne a blâmé Arafat "de ne pas avoir raté l’occasion de rater encore une fois l’occasion". M. Clinton s’est joint au concert, critiquant Arafat d’avoir rejeté l’offre de Barak. M. Barak a prétendu que les Palestiniens n’auraient pas présenté de contre-proposition et que même, ils n’auraient pas répondu à la proposition israélienne. Le chapitre essentiel du "paquet" de propositions israéliennes comportait l’octroi de 89% de la Cisjordanie aux Palestiniens, les 11% restants étant annexés à Israël. M. Barak s’est vanté du soutien assuré d’une majorité des colons à ce plan, car 80% d’entre eux resteraient là où ils se trouvent, et seraient, de plus, sous souveraineté israélienne. Seuls quelque 40 000 colons devraient dans ce cas de figure déménager pour aller s’installer dans les "blocs d’implantations" qui seraient annexés (à Israël). Cela semblait presque raisonnable. Mais les Palestiniens ont rejeté catégoriquement cette proposition, et ce rejet a constitué l’un des éléments premiers de l’intensité de l’Intifada d’Al-Aqsa.
La plupart des Israéliens, et la majorité de l’opinion publique mondiale considérant le rejet de cette proposition par les Palestiniens comme une erreur funeste, nous devons en examiner les causes de plus près :
Les Palestiniens qui ont assisté à Camp David ont pu parler de l’apparition d’un nouveau concept dans le lexique israélo-palestinien, surgi "pour les besoins de la cause" avec l’aide des planificateurs et des cartographes appelés en renfort afin d’interpréter les positions et les problèmes présentés par un côté comme par l’autre. Israël n’avait jamais présenté une seule carte aux Palestiniens ou au Américains. Chacune des deux parties, à Camp David, travaillait sur ses propres cartes et les gardait jalousement pour lui. Le nouveau concept était : les grappes de colonies. Par opposition aux "blocs d’implantation" - il s’agit des implantations israéliennes concentrées tout au long de la Ligne Verte qui pourraient être annexées au territoire (israélien) antérieur à 1967 - le concept des "grappes de colonies" se réfère à des groupes d’implantations plus isolées au coeur du territoire palestinien, qui deviendraient des îlots de souveraineté israélienne une fois annexés par Israël. La proposition israélienne faite aux Palestiniens des 89%-11% incluait un certain nombre de ces "grappes de colonies". Ce fait signifiait également qu’une quarantaine de villages palestiniens peuplés d’environ 80 000 Palestiniens seraient eux aussi annexés à Israël. L’urbaniste en chef des Palestiniens a été convoqué à Camp David par Arafat afin d’interpréter la proposition israélienne que les Américains le pressaient d’accepter. Les Américains et les Israéliens dirent aux Palestiniens qu’il s’agissait là de la meilleure offre (israélienne) possible et que Barak avait fait le maximum. Barak, expliquèrent-ils, s’engageait à se retirer de plus de 40 colonies, ce qui concernait au total 40 000 colons. Tout compromis supplémentaire aurait entraîné la chute de son gouvernement et, dans ce cas, "Arafat pourrait négocier avec Sharon et Bibi (Netanyahu) tout à son aise", avait ajouté Barak.
Aux yeux des Palestiniens, la proposition de Barak créait non pas seulement des îlots de souveraineté israélienne (sur leur territoire), mais bel et bien, au minimum, "trois ghettos souverains" palestiniens. Il n’y aurait aucune réelle continuité territoriale palestinienne. Ils n’auraient pas le contrôle ni la souveraineté sur les principales voies de circulation. La vallée du Jourdain continuerait à être sous le contrôle des Forces israéliennes de défense, même si une certaine forme de souveraineté palestinienne devait leur y être garantie. La seule partie de la proposition israélienne qui eût semblé acceptable pour les Palestiniens était que, d’après ce qu’ils en avaient compris, Barak acceptait d’évacuer toutes les implantations de Gaza, dont Gush Katif. Toutefois, une chose restait peu claire : Barak accordait-il ou non aux Palestiniens un point de passage frontalier avec l’Egypte, à Rafah, sous leur entière souveraineté ? (Après Camp David il n’était plus aussi clair que Barak eût effectivement offert d’évacuer la totalité des colonies de la bande de Gaza, qui contrôlent encore environ 30% de sa superficie totale.)
Tout au long des négociations, les Palestiniens ont constamment rappelé aux Américains, aux Israéliens et aussi... à eux-mêmes, qu’en vertu d’Oslo II, signé à Washington en septembre 1995, Israël devait continuer à redéployer ses forces (et son contrôle) jusqu’à des "positions militaires identifiées". L’agrément mutuel israélo-palestinien sur ce point, à l’époque, était que les colonies israéliennes entraient dans le champ des "positions militaires identifiées". Selon les Palestiniens, vers la fin de la période intérimaire (de cinq ans), Israël aurait dû s’être retiré de 90% de la Cisjordanie, en application d’un accord signé et ratifié. Les Palestiniens croyaient que la superficie des colonies comportait seulement les zones construites, en laissant une zone de cinquante mètre au-delà des dernières maisons dans chaque colonie (conception ayant reçu l’aval de Netanyahu à Wye River, qui considérait que cette plage de cinquante mètres permettait l’"extension interne" des colonies, pour leur accroissement démographique naturel, ndt). Les colonies, ainsi définies, auraient représenté, avec les bases militaires des Forces israéliennes de défense, environ 10% de la superficie de la Cisjordanie. Sous Netanyahu, Israël prétendit que l’accord faisait référence à des "zones de sécurité" et non à "des positions militaires définies" : il s’agissait là d’une définition beaucoup plus large qui permettait à Israël de décider de manière unilatérale que les redéploiements à venir serait beaucoup plus limités que ce que les Palestiniens demandaient. Les services de Netanyahu fournirent une version hébreue des accords d’Oslo, évoquant des "azorim bitchoniim" : des zones de sécurité. Au même moment, le Ministère israélien des Affaires étrangères faisait circuler un document interne portant la mention : "Secret - Diffusion restreinte", avec la traduction exacte de l’expression "positions militaires définies", montrant bien que l’interprétation palestinienne (du contenu des accords) était l’interprétation correcte.
M. Barak décida, avant même d’être élu, qu’il "fondrait" ensemble le troisième redéploiement à venir avec l’accord définitif, évitant par là-même la nécessité d’avoir à faire des "concessions superflues" aux Palestiniens. En d’autres termes, il n’y aurait pas de nouveau redéploiement (alors que les Palestiniens avaient manifesté le désir que ces retraits concernent au moins la moitié de la Cisjordanie). Barak pensait que, venant après Netanyahu, son offre "généreuse" serait considérée par les Palestiniens comme leur propre version des choses, consistant à recevoir leur propre Etat "sur un plateau d’argent"... Pour Barak et Clinton, le refus des Palestiniens était incompréhensible : comment pouvaient-ils refuser ? Qui donc pouvait-il avoir mieux à leur offrir ?
Dès Oslo, (en 1993), les Palestiniens n’ont cessé d’affirmer qu’ils ont signé leur "compromis historique" en renonçant à 78% de la Palestine (historique), ce qui ne leur laissait que la Cisjordanie, Jérusalem-Est et (la bande de) Gaza. Ils pensaient qu’Israël ferait son propre "compromis historique" au cours des discussions pour le statut définitif en se retirant de 100% de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza, en lui accordant quelques rectifications de frontières mineures et en tenant compte des nouvelles réalités sur le terrain. Le fait de prendre en compte certaines de ces "nouvelles réalités" conduisit Arafat à offrir à Barak 2% de la Cisjordanie "gratis" et 2% supplémentaires en échange contre des territoires de même qualité et de même taille à l’intérieur d’Israël. (Il s’agit là de la contre-proposition des Palestiniens, à Camp David, dont personne ne parle jamais). La position palestinienne était basée sur leur exigence que soit mise en application la résolution 242 du Conseil de Sécurité (telle qu’ils la perçoivent), qui préconise le retrait total d’Israël de tous les territoires conquis en 1967. L’acceptation d’Arafat de renoncer à 2% de la Cisjordanie "en cadeau", a entraîné une profonde division au sein de la délégation palestinienne. Des fuites officieuses ont même fait état de "pugilat"entre au moins deux des délégués de l’équipe palestinienne. La gravité de l’irritation au sein de la délégation palestinienne aurait dû être un signal, pour Israël, ainsi que pour les Américain, leur indiquant que l’opinion publique palestinienne était sur le point d’"exploser" si elle se trouvait devant un choix "à prendre ou à laisser", en ce qui concerne la "généreuse" "offre" israélienne...
Des sondages d’opinion effectués auprès de la population palestinienne à la suite de Camp David, ont montré que le plus haut taux de rejet et d’hostilité dans cette population concernait la question territoriale et notamment le devenir des colonies (israéliennes). Les Palestiniens ont assisté à l’expansion rapide des colonies et des routes (de contournement) au cours des dix-sept mois écoulés de gouvernement Barak (30% de plus que ce que Netanyahu avait construit). Pour les Palestiniens, la réalité des colonies, c’est qu’elles leur imposent de vivre sous occupation perpétuelle, qu’elles entraînent la confiscation de leurs terres, l’accaparement des ressources hydriques, des décisions unilatérales de planification qui ont un impact direct sur leur vie de tous les jours : l’idée d’indépendance et de souveraineté palestiniennes, dans ce contexte, se rapproche de la simple farce.
Le camp de la paix israélien a toujours protesté contre la construction de colonies. Depuis le début du mouvement de colonisation, le camp de la paix, en Israël, est descendu dans les rues pour protester. Je me souviens de dizaines de ces manifestations, la plus dramatiques d’entre elles, pour moi, étant celle qui eut lieu à Efrat, en 1982, par un samedi pluvieux, soit avant même que le premier colon n’ai encore mis les pieds dans une colonie. Personne ne pouvait ignorer la réalité des sommes (très importantes) consacrées aux colonies, pour les routes, les infrastructures et la construction des maisons. Je me souviens d’avoir eu cette réflexion : "on porte des pancartes et eux, pendant ce temps, ils construisent !" Quel sentiment d’impuissance ! La gauche israélienne savait que les colonies représentaient un obstacle à la paix : même les Américains le disaient... Alors pourquoi, dans ces conditions, le camp de la paix a-t-il fini par admettre que les colonies étaient une réalité de terrain et qu’on ne pouvait pas aller contre ? Comment se fait-il que le camp de la paix, en Israël, est devenu l’"avocat de la défense" des colons et des colonies, contre les Palestiniens ?
Tout au long des négociations, durant des années, la plupart des Israéliens ont affirmé la non-pertinence de la légalité internationale, si éloquemment exprimée par Ben Gurion "Um-schmoom", ce qui signifie : "l’ONU ? Le délire !" Qui s’inquiète du fait que la construction de colonies est une violation flagrante du droit international ? Qui se préoccupe du fait que l’institution réputée "progressiste" de la Cour Suprême israélienne ait constamment repoussé l’idée qu’elle devait prendre en considération le droit international : son mandat se limite toujours au cadre de la jurisprudence israélienne.
Après l’effondrement total, et sans doute définitif, du processus d’Oslo, il apparaît désormais que le slogan "les colonies = pas de paix" correspond bien à la réalité. Il semble quasi inimaginable qu’un gouvernement israélien puisse un jour envisager de supprimer plus de colonies que ce que Barak a proposé. Les Palestiniens sont mécontents de l’hégémonie exercée par les Etats-Unis en leur qualité autoproclamée de seuls négociateurs légitimes. Leur demande d’intervention internationale, de protection et même de médiation, n’a rien de tactique, elle est stratégique. Ils savent que la légitimité internationale est de leur côté. Leur stratégie semble bien inclure aussi une guerre d’usure, contre certaines implantations israéliennes isolées, à l’image de celle menée par le Hizbollah (au Liban, ndt), afin de prouver aux Israéliens que ces colonies leur coûtent en fait très cher. Ce n’est pas un hasard si Netzarim, Kfar Darom, Psagot, Kadim et Gahim sont devenues des cibles pour cette nouvelle intifada.
Il faut aussi noter qu’au cours des quinze jours de négociations à Camp David, Barak et Arafat ne se sont adressé directement la parole que deux fois, pour moins d’une heure au total. Chose surprenante, ces discussions n’ont porté que sur le temps qu’il faisait à Camp David et la "gastronomie" américaine. L’une des questions que je me pose, et à laquelle je n’ai pas la réponse, est pourquoi Clinton a-t-il admis que cette mascarade se poursuive aussi longtemps ? Selon des indications entendues tant des Israéliens que des Palestiniens et des Américains présents à Camp David, Clinton aurait décidé après que Netanyahu et Arafat aient dénié ce sur quoi ils étaient tombés d’accord au cours de conversations en tête-à-tête, à Wye Plantation, que des Américains assisteraient à toutes les rencontres israélo-palestiniennes à Camp David, afin d’y prendre tout en note. Barak venu à Camp David avec la mentalité voulant que "toutes les propositions israéliennes sont hypothétiques avant qu’elles n’aient été, toutes, acceptées en bloc", a refusé de se voir "piégé" (ce sont ses mots) par des projets d’accord américains. Ainsi, Barak a refusé de négocier directement avec Arafat. Vu du côté américain, les membres de l’Equipe de la Paix américaine ont été désarçonnés par ce qu’ils ont considéré comme l’issue tragique de Camp David pratiquement dès le début, mais ils ont été incapables d’amener Clinton, qui avait gagé la totalité de sa présidence sur sa diplomatie au Moyen-Orient, à ouvrir enfin les yeux. Camp David n’a été préparé sérieusement par aucun des camps. Toutefois, le compte à rebours, déjà engagé, de la présidence Clinton a fait que le processus est allé de l’avant.
Puis vint le 28 septembre 2000. Arik Sharon, dans une attitude de provocation directe face aux rumeurs, circulant en Israël, selon lesquelles Israël abandonnerait sa souveraineté sur le Mont du Temple (Esplanade des Mosquées, ndt), revendiqua le droit de s’y rendre en visite. Barak, sous la pression de l’indignation de la population contre son intention de livrer aux Palestiniens ce que les Juifs considèrent être leur Lieu Saint le plus sacré, déféra à l’exigence de Sharon. Les versions divergent en ce qui concerne les propos de Jabril Rajoub, qui aurait dit que la visite de Sharon ne poserait pas de problème si Sharon n’entrait pas dans les mosquées (version 1) ou qui aurait averti que, dans tous les cas, cette visite aboutirait à une explosion (version 2). Cinq jours avant Camp David, j’envoyais un rapport à Gilead Sher, à l’attention du Premier ministre Barak. J’en donne ci-après la teneur.
Personnel - Confidentiel
En vue de la convocation du sommet de Camp David, la semaine prochaine, je désirerais vous soumettre certaines observations et évaluations résultant du dialogue intensif qu’il nous a été donné d’avoir avec des officiels de haut rang tant en Israël qu’au sein de l’Autorité palestinienne au sujet du futur de Jérusalem. Nous pensons que ces observations et ces évaluations sont cruciales dans la tentative d’atteindre à un accord sur le devenir de Jérusalem.
1 - Les Palestiniens se sentent significativement renforcés dans leurs positions de principe après les négociations israélo-syriennes et le retrait des forces israéliennes jusqu’à la frontière internationale israélo-libanaise.
2 - Le principe le plus important (chez les Palestiniens) est de s’en tenir rigoureusement à la résolution 242 du Conseil de Sécurité de l’ONU, qui s’applique aussi bien à la Cisjordanie et à la bande de Gaza, de leur point de vue, qu’aux autres voisins d’Israël. Les Palestiniens sont convaincus de cette position, et ils bénéficient du fort soutien des experts du droit international, un peu partout dans le monde. Ils n’en abandonneront pas un millimètre. C’est une question de principe, et ils mesureront toutes négociations et accords (à venir) à son aune.
3 - Pour les Palestiniens, la traduction pratique de la résolution 242 est le retour aux frontières de 1967. Toute modification frontalière devra résulter, de leur point de vue, de l’adhésion d’Israël aux principes de la résolution 242 et aux frontières de 1967, puis, en second lieu, de l’acceptation par les Palestiniens de modifications apportées à des territoires reconnus, avant toute chose, comme relevant de leur souveraineté.
4 - En ce qui concerne Jérusalem, il est fondamental de comprendre que pour les Palestiniens, Jérusalem, (Al-Quds), c’est la Vieille Ville. Abu Dis, Shafat, Beit Hanina, etc. ne sont pas Jérusalem et ne sauraient en tenir lieu. Les Palestiniens sont plus fermes sur cette question que sur aucune des questions abordées jusque-là. Leur position s’est considérablement durcie au cours des six mois écoulés. Ils exigent et continueront d’exiger, tant qu’il y aura des négociations, le retour aux frontières de 1967, à Jérusalem. Ils n’abandonneront jamais leur position, qui est que la totalité de Jérusalem-Est doit être sous souveraineté palestinienne. Ils défendront leur dossier en excipant du droit international, des résolutions de l’ONU, et aussi de la position internationale générale, qui est qu’Israël n’a pas de droits légaux sur Jérusalem-Est. De mon point de vue, les Palestiniens ne feront aucune concession sur ce point. Au mieux, ils pourraient admettre qu’il n’y aurait aucune souveraineté proclamée sur le Haram al-Sharif/Mont du Temple , ni d’Israël, ni des Palestiniens, pour peu qu’ils y exercent leur contrôle effectif.
5 - Si les Palestiniens obtiennent effectivement la souveraineté sur Jérusalem-Est, ils pourraient, sous la pression, concéder souverainement leur souveraineté sur les quartiers israéliens situés à Jérusalem-Est (à l’intérieur des limites de la municipalité), sur les quartiers juifs de la Vieille Ville et sur le Kotel (Mur des Lamentations, ndt). Pour citer un de nos hauts responsables, l’Etat palestinien n’a ni intérêt ni ne désire régir plus de 180 000 Israéliens résidant à Jérusalem (Est). L’abandon partiel de souveraineté palestinienne sur certaines parties de Jérusalem n’est "vendable" aux Palestiniens qu’au prix de leur assurer avec insistance qu’il s’agit là d’un droit exercé souverainement et non de quelque chose à quoi ils sont contraints ou "fortement encouragés".
6 - Une estimation israélienne pourrait être de juger que le prix de l’accord est trop élevé. L’illusion pourrait se faire jour, du côté israélien, que les Palestiniens pourraient "céder" sous la pression. De notre point de vue, c’est à exclure et les probabilités d’affrontements violents augmenteraient de manière significative, résultant d’une frustration palestinienne aggravée. Arafat a reçu les encouragements, s’il était besoin, de toutes les couches de la société palestinienne, à tenir bon. Il fera lourdement pression sur les Américains afin qu’ils soutiennent sa position de principe et il va s’employer à leur dépeindre Israël comme le premier violateur des accords déjà signés. Il soulèvera la question de la non-exécution par Israël des redéploiements militaires prévus comme principal exemple de non-mise en pratique par Israël de ses engagements.
7 - Notre évaluation nous conduit à affirmer que la seule façon d’obtenir un accord sur Jérusalem, avec les Palestiniens, serait d’aller beaucoup plus loin que les positions qui ont toujours été celles d’Israël. Sans cela, il n’y aura pas d’accord final et pas d’agrément palestinien à la fin du conflit ni de satisfaction, par voie de conséquence, des exigences israéliennes. L’ajournement d’une décision sur Jérusalem signifiera nécessairement qu’il n’y aura pas d’accord de "fin de conflit". Il est fondamental de bien le comprendre.
Peu de temps avant Camp David, les médias israéliens ont rapporté l’information selon laquelle l’instance suprême rabbinale envisageait de réexaminer la loi religieuse juive (Halakha) sur la question des prières juives sur le Mont du Temple. On a rapporté par la suite que ce réexamen inclurait la possibilité de construire un lieu de prière pour les Juifs quelque part sur le Mont du Temple. A l’instar de la presse israélienne, qui a publié moult reportages sur les constructions et les fouilles des Palestiniens sur le Mont du Temple, causant des dégâts irréparables aux traces historiques (fondamentales pour les Juifs) du Temple Sacré, les médias palestiniens et arabes ont croulé sous les histoires d’Israéliens creusant des tunnels sous la mosquée Al-Aqsa et de plans israéliens visant à s’en emparer et à la diviser entre lieux de prières pour les Juifs et les Musulmans, à l’instar du Caveau des Patriarches, à Hébron (Mosquée d’Abraham). Plusieurs jours avant la visite de Sharon au Mont du Temple, le mouvement islamique, en Israël, a organisé une conférence à laquelle quelque 70 000 personnes ont assisté (du moins, c’est le chiffre rapporté par la presse), à Umm el-Fahm, sous le titre "Al-Aqsa en danger". Sharon, qui ne visait, par sa visite, qu’à affaiblir Barak aux yeux de l’opinion publique israélienne, n’a jamais escompté que sa visite antraînerait la réponse qu’elle a provoquée en Palestine.
Qu’est-ce qui a déclenché l’Intifada d’Al-Aqsa ?
Je pense que le déclenchement de l’intifada n’a ni été planifié ni pensé stratégiquement par la direction palestinienne, que ce soit l’Autorité ou le Tanzim. Nous avons affaire à un enchaînement d’événements qui se sont développés très rapidement, ont connu une escalade et ont échappé à tout contrôle. Les décisions concernant sa continuation et son évolution ont été prises, pour la plupart, en fonction des événements eux-mêmes. Voici comment je vois leur déroulement.
La visite de Sharon, accompagné de centaines de membres des forces de sécurité, le jeudi 28 septembre, sur le Mont du Temple, s’était déroulée pratiquement sans incident. Toutefois, cinq Palestiniens avaient été tués et plus de 300 blessés au cours de heurts en Cisjordanie. Seulement 2 000 fidèles musulmans, environ, se trouvaient sur le Mont du Temple lorsque la visite de Sharon eut lieu. Alors que ce dernier avait déjà quitté les lieux, quelques pierres furent lancées. Le vendredi 29 septembre, les leaders palestiniens ont appelé à des manifestations dans toutes les localités des territoires et en particulier sur le Haram al-Sharif (Esplanade des Mosquées, ndt). A la fin des prières du soir de ce vendredi, quelque 50 000 fidèles affrontaient les bataillons de la police israélienne et des Gardes-Frontières qui étaient venus pour maintenir l’ordre public. Des émeutes éclatèrent immédiatement. L’une des premières pierres jetées toucha le commandant de la police israélienne Yair Yitzhaki à la tête. Ce dernier fut évacué de l’Esplanade des Mosquées sur une civière, en état de choc. J’ai pu parler à l’un des officiers qui se trouvaient sur les lieux, plusieurs jours après. Il m’a dit que lorsque les policiers ont vu leur commandant évacué, apparemment sérieusement touché à la tête, ils ont perdu tout contrôle d’eux-mêmes. Personne ne contrôlait plus rien et des tirs à balles réelles furent utilisés afin de disperser les insurgés. Quatre Palestiniens furent tués, sur l’Esplanade des Mosquées, deux autres dans la Vieille Ville et encore quatre autres à Gaza, et plus de sept cent, blessés. Le samedi 1er octobre 2001, Israël célébrait le Rosh Hashana (le Jour de l’An juif), dix nouveaux Palestiniens furent tués et plus de cinq cents, blessés. Ce même samedi, des citoyens palestiniens d’Israël se sont joints aux émeutes et les principaux carrefours, dans le pays, furent coupés, rendant inutilisables les routes de Cisjordanie, du Wadi Ara et de Galilée. Le pays était en état de siège et les gens, des deux côtés, étaient très en colère. Le dimanche 2 octobre, les Palestiniens enterraient trente-trois des leurs. La situation échappait à tout contrôle. Alors que la première journée des émeutes était déjà bien avancée, des hommes armés du Tanzim (organisation du Fatah) sont sortis et ont tiré contre des cibles israéliennes en Cisjordanie et à Gaza. La police régulière d’Arafat ne participa pas aux échanges de tirs, mais elle se garda bien d’essayer de les arrêter. Le Tanzim parvint à faire sortir des masses de gens dans les rues, en particulier lorsqu’il s’agissait d’organiser les cortèges funèbres dans l’ensemble des territoires.
En Israël, ce qui avait commencé comme des manifestations contre ce que les gens percevaient comme des plans israéliens visant le Haram al-Sharif devint rapidement une émeute populaire généralisée, en réponse à la force brutale utilisée par la police israélienne contre les citoyens palestiniens de l’Etat d’Israël.
Le dimanche au soir, l’IPCRI organisa une rencontre à Ramallah, avec le chef de la sécurité préventive de Cisjordanie, Jabril Rajoub et deux parlementaires membres de la Knesseth, du parti Meretz, Avshalom (Abu) Vilan et Mosy Raz. Abu Vilan avait servi comme officier sous Barak dans l’unité d’élite et il entretenait une amitié très intime avec ce dernier, en dépit de son engagement au Meretz. Afin de préparer cette rencontre, Vilan avait pris contact avec Barak, qui lui remit un message à l’intention de Yasser Arafat. Jusqu’alors, il n’y avait eu aucun contact direct entre Barak et Arafat, depuis le début de l’intifada. Rajoub appela Arafat au téléphone et lui livra le message de Barak : "Netzarim et le Tombeau de Joseph vous sont acquis, dans les négociations, mais si on nous tire dessus, nous défendrons ces positions, ainsi que toutes les autres". Au nom de Barak, Vilan demanda à Rajoub de demander à Arafat quelles étaient ses conditions pour une cessation totale de toute violence. Arafat répondit en énumérant six conditions, que j’ai notée sur une nappe en papier, dans le bureau de Rajoub. Les voici :
1 - fin des bouclages
2 - retour de toutes les forces à leurs positions antérieures au 27 septembre 2000
3 - retrait de toutes les forces de police excédentaires de Jérusalem : Vieille Ville et quartiers entourant l’Esplanade des Mosquées (al-Haram al-Sharif)
4 - réouverture de tous les points de passage frontaliers : le pont Allenby, la frontière de Rafah et l’aéroport de Gaza
5 - levée du siège imposé aux villes palestiniennes
6 - enquête internationale sur les événements des quatre jours écoulés.
Vilan appela au téléphone Barak, qui était chez lui, à Cochav Yair. Barak répondit qu’il était en train de faire procéder à des recoupements afin de vérifier les informations reçues. Quinze minutes plus tard, l’attaché militaire de Barak confirma qu’ils avaient bien reçu les mêmes informations d’une source différente. Arafat, par l’intermédiaire de Rajoub, suggéra de rencontrer Barak dans l’après-midi afin de mettre la dernière main à un projet. Barak demanda un délai supplémentaire. Jabril Rajoub dit aux membres de son entourage de se tenir prêts à une rencontre, dans son bureau, entre Barak et Arafat. Arafat était à Ramallah. Après une demi-heure, l’attaché militaire de Barak informa Vilan du fait qu’un autre canal de communications avait été ouvert et que Barak avait une prédilection pour celui-ci. Cet autre intermédiaire, c’était Yossi Ginosar, ancien directeur-adjoint de GSS, émissaire de Rabin et de Barak auprès d’Arafat et partenaire en affaires du businessman en chef d’Arafat, Mohammad Rachid.
Un quart d’heure après, environ, l’attaché militaire de Barak informa Vilan que Barak accepterait les conditions 1, 2, 3, 4 et 5. Mais qu’il était hors de question qu’il acceptât le point 6. Par la suite, il informa Vilan qu’il n’était pas d’accord pour rencontrer Arafat dans l’après-midi. Nous fumes conduits, sous escorte de Rajoub en personne et de ses hommes, en dehors de Ramallah. Plus tard, une rencontre eut lieu entre Ginosar et Arafat. Ce fut une catastrophe : la rencontre se termina en engueulade en règle entre les deux hommes.
Vers la fin octobre, 134 Palestiniens avaient été tués et plus de 7 000, blessés. Les victimes israéliennes commençaient, de leur côté, à s’accumuler. Aujourd’hui, (le 14 mai 2001), les chiffres palestiniens s’établissent ainsi qu’il suit (ils ont été fournis par le Conseil palestinien pour la Justice et la Paix) :
- les soldats et les colons israéliens ont tué 492 Palestiniens, dont 172 enfants âgés de moins de dix-huit ans, et 77 étudiants. Le nombre total de blessés par les tirs israéliens s’établit à 23 147, dont 40% d’enfants et 2077 étudiants. Trois médecins palestiniens et un médecin allemand ont été tués.
- 91 membres des personnels hospitaliers et 71 journalistes ont été blessés
- le nombre de mutilés, causés par les attaques israéliennes, a atteint 2 200 Palestiniens, à comparer aux 2 525 Palestiniens rendus infirmes au cours de la première intifada (1987-1992).
- les attaques israéliennes ont mis hors d’usage 9 ambulances, tandis que 82 autres étaient criblées de balles
- le chômage s’est accru de 56%, avec 297 000 Palestiniens valides sans travail.
- l’économie palestinienne a enregistré des pertes évaluées à 4,4 milliards de dollars. Le PNB a chuté de 50,7% au cours des sept mois écoulés. Le secteur agricole palestinien a perdu 217 905 509 dollars au 31 mars 2001. Environ 30 000 agriculteurs palestiniens ont subi des pertes très importantes. Les troupes israéliennes ont détruit 108 puits artésiens (fournissant de l’eau potable) ; 392 mares ; 3 802 mètres de canalisations d’eaux des réseaux municipaux ; 41 015 mètres de haies et de murs de soutènement et 804 têtes de bétail. Les bulldozers et les tanks israéliens ont déraciné 280 000 oliviers et arbres fruitiers adultes et rendus inutilisables 42 000 dunum (1 dunum = 1/10 hectare) de terres, principalement dans la bande de Gaza. Les sites rendus impropres aux cultures représentent 11% de la superficie totale de la bande de Gaza (367 kilomètres carrés). Les autorités israéliennes ont confisqué 2 617 dunum de terres afin d’étendre des colonies israéliennes ou de tracer des routes de contournement au seul usage des colons.
- les autorités israéliennes ont arrêté 1 850 Palestiniens, dont 50% d’enfants âgés de moins de dix-huit ans. 41 écoles ont été fermées sur ordre de l’armée, 65 étudiants et 15 enseignants arrêtés.
- depuis le 8 septembre 2000, l’armée israélienne a entièrement détruit 4 000 maisons ainsi que d’autres bâtiments, dont 328 fermes et hangars, 29 élevages de poulets, 30 mosquées et 12 églises. Les opérations de l’armée israélienne ont entraîné le déplacement de 4 000 familles palestiniennes. La famille palestinienne moyenne comporte dix membres, dans la bande de Gaza, et six en Cisjordanie. Les autorités israéliennes d’occupation ont divisé les territoires palestiniens en petites sections, divisant la Cisjordanie en 64 secteurs et la bande de Gaza en trois. Ces divisions ont séparé les villes, les villages et hameaux palestiniens en cantons isolés et facilement contrôlables, entraînant une restriction quasi totale des déplacements des civils palestiniens. Les forces israéliennes ont installé 145 blocs de ciment pour bloquer les routes, dont 103 en Cisjordanie et 42 dans la bande de Gaza. Ces mesures ont été prises afin d’infliger une humiliation supplémentaire au peuple palestinien. Les forces israéliennes ont condamné toutes les routes à grande circulation, les nationales et les routes départementales, et jusqu’à des chemins vicinaux et des sentiers de terre. Les Palestiniens ont été contraints de recourir à des pistes de montagne, dangereuses, afin de contourner les bouclages israéliens. Aujourd’hui, un Palestinien met en moyenne trois fois plus de temps à se déplacer entre un point et un autre du territoire qu’il ne pouvait le faire en temps normal.
Le ministère israélien des affaires étrangères donne ses propres chiffres :
- 77 soldats et civils ont été tués et des centaines, blessés, depuis le 28 septembre 2000. Les Israéliens sont contraints à vivre dans une atmosphère de peur omniprésente
- l’économie israélienne a subi des pertes majeures en matière d’investissements, de ressources touristiques, et la captation par les dépenses militaires de fonds originellement destinés à des investissements civils.
Les chiffres détaillés, les noms des victimes et des lieux où ont eu lieu des attaques sont disponibles sur le site du Ministère israélien des affaires étrangères :
http://www.israel.org/mfa/go.asp?MFAH0ia50
Vers quoi allons-nous ?
La position déterminée du nouveau gouvernement israélien dirigé par Sharon est claire : il n’y aura pas de négociations avec les Palestiniens tant que toute violence n’aura pas cessé. La position d’Arafat est tout aussi claire : il ne cherchera même pas à arrêter la violence sans qu’existe une forme quelconque de gain politique qu’il puisse présenter à son peuple, qui a subi des pertes énormes. Sharon a dit qu’il n’est pas intéressé par un accord définitif ; il préfère parler d’un accord intérimaire sur le long-terme, qui pourrait consister en quelque 42% de la Cisjordanie avec une souveraineté nationale palestinienne limitée. Arafat, qui a rejeté la proposition lui attribuant 98% de la Cisjordanie, ne peut en aucun cas accepter ces conditions.
Initialement, il semblait que l’intifada apporterait certains bénéfices politiques à Arafat. Les positions formulées par Israël à Camp David ont effectivement évolué de manière significative dans un sens favorable aux Palestiniens, évolution ayant abouti à la conclusion des négociations de Taba, quelques jours avant les élections législatives en Israël. Mais il était déjà trop tard et le pari électoral de Barak a miné tant ses positions politiques que le processus de paix lui-même.
De mon point de vue, l’erreur fatale commise par Arafat s’est produite en gros au quatrième jour de l’intifada. Eût-il pris le contrôle des choses à ce moment-là et eût-il mis fin sans tergiverser à la résistance et à la violence, il aurait pu retourner à la table des négociations et y faire la bonne figure du leader courageux. Les Israéliens et les Américains auraient alors compris sa profonde insatisfaction face à l’"offre généreuse" israélienne. Cela se serait produit avant l’horrible lynchage de deux réservistes israéliens qui avaient franchi un point de contrôle par erreur et avaient connu une fin terrible, battus à mort par une populace déchaînée à Ramallah. Il aurait été possible alors de parvenir à des ententes et des accords sur pratiquement tous les points. Dans le pire des cas, le processus de paix se serait poursuivi, avec beaucoup plus de sympathie et de soutien en faveur des positions palestiniennes.
La grande erreur de Barak fut de ne pas laisser à Arafat le répit d’une seule semaine sans enterrements. Chacun des cortèges funèbres (des martyrs, ndt) ne faisait que jeter de l’huile sur le brasier de la colère des Palestiniens. Barak était sous le feu des critiques, en Israël. Aux yeux de l’opinion publique israélienne, il était faible et instable. Il sentait sans doute qu’en tant que chef militaire - "Monsieur Sécurité" - il devait faire étalage de la force d’Israël et de son impatience d’en découdre. Le recours par Barak à toute la panoplie de la puissance militaire israélienne n’a fait qu’encourager la société palestinienne à opter totalement pour la continuation de la violence anti-israélienne et à la soutenir.
Les tentatives continuelles déployées par Shimon Pérès en vue de trouver une issue sont vraisemblablement vouées à l’échec. Pérès parie sur l’aide économique aux Palestiniens. Une fois de plus, il ne comprend pas que le peuple palestinien soutient totalement sa lutte (nationale) et ne croit absolument pas en des négociations avec Israël. Il croit d’ailleurs encore moins en Shimon Pérès. Les Palestiniens savent pertinemment qu’Israël, en accordant plus de permis de travail aux Palestiniens, peut du même coup imposer des bouclages (des territoires) et des sièges et (exercer un chantage) en annulant à sa guise toute nouvelle opportunité économique. Construire des ponts et des routes entre la Cisjordanie et Gaza n’infléchira pas plus l’opinion palestinienne en faveur des initiatives de Pérès. L’attention politique des Palestiniens est entièrement focalisée, actuellement, sur deux questions : l’envoi d’observateurs internationaux dans les territoires et le gel total des colonies. Aucune proposition en-deçà de ces deux exigences ne saurait amener Arafat à prendre une mesure quelconque allant dans le sens d’un arrêt des combats. Même si Israël finissait un jour par mettre ces deux questions à son ordre du jour, ce qui semble très peu probable, il n’y a aucune chance pour que de futures négociations sous la houlette d’Arafat et de Sharon donnent quoi que ce soit.
De plus, selon de nombreux rapports, dont ceux du Consulat Général des Etats-Unis à Jérusalem, on compte d’ores et déjà plus de 10 000 appartements vides dans les colonies. Nombreuses sont les colonies, surtout dans des zones isolées, à Gaza, dans la vallée du Jourdain et "au coeur" de la Cisjordanie, où le tissu social est en train de s’effilocher en raison des conditions difficiles, créées par l’intifada, auxquelles les colons doivent faire face. On constate presque tous les jours que nombreux sont les colons à inscrire leurs rejetons dans des écoles à l’intérieur de la "Ligne Verte" pour l’année prochaine, indication claire que ces colons ont l’intention de partir (avant l’automne). Il est certain que si les colons pouvaient bénéficier de possibilités de trouver un logement en Israël, ils seraient très nombreux à vouloir vivre chacun de leur côté. Il faut mentionner à ce sujet qu’en dépit de la situation difficile (pour les colons), plus de 50% des Israéliens éprouvent toujours aussi peu de sympathie pour les colonies. Les chiffres sont encore plus cruels en ce qui concerne les colonies de la bande de Gaza.
Le lancement du processus de paix, après la conférence de Madrid (1991) avait fait émerger le projet "Gaza d’abord". Le camp de la paix israélien pourrait le reprendre. Cette fois, "Gaza d’abord" devrait faire référence au démantèlement de toutes les colonies israéliennes de la bande de Gaza, "d’abord". Il serait avisé de préciser que ce démantèlement doit faire partie d’un compromis avec les Palestiniens, qui devraient mettre un terme aux actions de résistance et à l’intifada "d’abord" dans la bande de Gaza. Les initiatives internationales devraient adopter ce programme, elles aussi. L’Union européenne et ses Etats membres devraient inviter Israël à se retirer totalement de Gaza, et les médiateurs internationaux s’efforcer d’obtenir des compromis entre les deux parties. Une initiative de ce type pourrait grandement aider le camp de la paix en Israël à se reconstituer et à remobiliser ses soutiens à l’étranger. Aucun Israélien sain d’esprit n’a d’intérêt à la perpétuation de l’occupation de 30% de la bande de Gaza et à devoir protéger les colons fanatiques qui obligent Israël à y maintenir sa présence militaire.
Le changement politique : vers quoi allons-nous ?
Qui contrôle la Palestine ? Arafat a-t-il la situation en mains ? Ces questions font l’objet des controverses quotidiennes des différents services de sécurité israéliens. Mon évaluation personnelle est qu’Arafat ne contrôle pas le niveau tactique. Il ne donne ni consignes ni ordres, mais il conserve la supervision de l’ensemble. Il a créé un environnement qui encourage les attaques contre Israël. Ses propres appareils fournissent les armes et les munitions. L’Autorité palestinienne a cessé de fonctionner en tant que gouvernement fournissant les services, mais les appareils sécuritaires palestiniens fonctionnent à plein, sous le contrôle direct d’Arafat. D’après mes évaluation, Arafat peut reprendre le contrôle des choses, s’il le veut vraiment. Il ne suffirait pas d’appuyer sur un bouton, certes, mais il est bel et bien au pouvoir. La question centrale est celle de savoir, au cas où il mettrait un terme à la résistance et à la violence, s’il disposerait d’un quelconque argument lui permettant de convaincre l’opinion publique palestinienne que son combat valait les graves pertes subies ?
Il faut comprendre que tant qu’un changement politique ne se sera pas produit - des deux côtés - nous devrons parler de la gestion du conflit et non pas de sa résolution. Un changement politique en Israël n’est pas à l’ordre du jour avant plusieurs années. Sharon peut tomber, il peut aussi rester au pouvoir jusqu’au bout de son mandat, mais après Sharon, viendra Netanyahu. L’opposition de gauche emmenée par le parti travailliste ne reviendra pas aux affaires sans qu’interviennent dans le camp palestinien des changements politiques, seuls catalyseurs d’une renaissance des espoirs de paix. Il est fort peu vraisemblable que la direction palestinienne change aussi longtemps qu’Arafat conservera ses fonctions (autant dire, de son vivant). Dans ces conditions, quel espoir reste-t-il ? Tout d’abord, le rapport de la Commission Mitchell pourrait fournir une sorte d’"échelle" permettant aux deux parties d’en rabattre sur leurs positions respectives. Le fait que les deux parties en apprécient l’objectivité est son principal atout, à la différence de l’initiative jordano-égyptienne qu’Israël considérait comme pro-palestinienne. Ainsi, un des axes pour des actions futures pourrait bien être de trouver le moyen de traduire le rapport Mitchell en politiques sur le terrain. Le principal obstacle, en cette matière, est le refus opposé par Israël à tout gel total des colonies. Le gouvernement Sharon est bâti sur l’apport de l’extrême droite qui bénéficie du soutien des colons. Néanmoins, les efforts (diplomatiques) internationaux doivent être décisivement orientés dans ce sens.
Il doit être bien clair, ensuite, que, comme je l’ai dit par le passé, il n’y aura aucun progrès s’il n’y a pas une réelle mobilisation internationale, et en particulier des Etats-Unis. Ils auraient le plus grand avantage à s’engager sans tarder car il risqueraient fort d’être contraints de le faire par l’extension de la crise dans la région. J’ai toujours observé la plus grande prudence jusqu’ici, me refusant à évoquer les contagions régionales possibles de l’intifada, toutefois, l’émeute survenue vendredi dernier, le 11 mai 2001, à Amman, et le recours à la force par la police Jordanienne pour l’enrayer représente sans doute le premier signal d’alarme réel que des débordements régionaux sont inévitables. De mon point de vue, la situation est très instable en Jordanie et l’avenir du régime hashémite n’est en rien garanti. La continuation de la dégradation sur le front israélo-palestinien entraînera inévitablement un jour ou l’autre une erreur atteignant des proportions encore inouïes, de l’ampleur du massacre de cent réfugiés palestiniens à Kafr Qana, au Liban, au cours de l’opération dite "Raisins de la Colère". Une erreur de ce type entraînerait des émeutes massives à Amman, en particulier dans les camps de réfugiés. Même si les camps d’Amman sont désarmés, ils sont contrôlés par des alliances entre le Tanzim (du Fatah) et les forces du Hamas, qui pourraient mobiliser la population très aisément. Je ne pense pas qu’une répétition des événements de 1970 est possible (Septembre noir) ; Amman ressemblerait plutôt, sans doute, au Belgrade des derniers jours du règne de Milosevitch. Dans ce cas de figure, plutôt que de combattre, on verrait sans doute le Roi Abdullah II et sa famille dans le premier avion pour Londres. Inutile de préciser qu’un régime palestino-islamiste en Jordanie ouvrirait un front totalement différent sur le flanc oriental d’Israël. Dans ce cas, l’engagement américain serait nécessairement différent, et les options offertes, beaucoup plus limitées. Les possibilités d’un embrasement des frontières septentrionales d’Israël, avec le Liban et la Syrie, sont rien moins que nombreuses.
Il est indispensable, aussi, de s’intéresser, peut-être pour la première fois, au lien fondamental entre la paix et la démocratie. La quasi totalité des programmes internationaux d’aide à l’établissement de la démocratie et de la bonne gouvernance en Palestine se solde par de l’argent gâché en vain. Faire la paix, construire la paix, ne peut relever seulement de programmes venus d’en-haut. Vous ne pouvez pas faire la paix avec une autorité, vous faites la paix avec un peuple. Ceci nonobstant, les Européens, les Israéliens, et les Américains ont tous contribué à soutenir l’Autorité palestinienne, croyant (à tort) qu’il n’y avait pas d’alternative à Arafat à et son Autorité auto-proclamée. Les Israéliens, les Européens, les Américains et l’Autorité palestinienne elle-même craignaient qu’une démocratie palestinienne authentique n’aboutisse au résultat opposé à ce qui était escompté : la prise du pouvoir par une opposition hostile à la paix (ce que j’ai appelé, plus haut, le "syndrome algérien"). Une possibilité de ce type existe bel et bien, en particulier face à une Autorité palestinienne perçue par de très nombreux Palestiniens comme indigne du pouvoir. Néanmoins, j’ai toujours pensé qu’une démocratie palestinienne réelle ne sera pas en fin de compte bénéfique pour la seule Palestine, mais bel et bien pour Israël, aussi, et je n’ai pas cessé d’en être persuadé.
La volonté du peuple palestinien doit être portée au pouvoir et la démocratie finira par fournir la base d’une paix stable et durable dans la région. Il faut dire haut et fort que les Israéliens, les Européens et les Américains n’ont pas été les seuls à redouter une démocratie palestinienne réelle. Les régimes arabes, dans la région, l’ont sans doute encore plus redoutée et même si aucun leader arabe n’a de sympathie particulière pour Arafat, ils ont toujours considéré sa survie (politique) préférable, pour eux, à toute alternative.
Les vents du changement soufflent sur la Palestine, ils ont été déclenchés par une poignée d’intellectuels palestiniens. Il s’agit là d’un développement très positif, qui devrait être encouragé de toutes les manières possibles et imaginables. Actuellement, l’une des initiatives de ce type consiste en une pétition soutenant les réformes internes en Palestine et la démocratie. D’autres initiatives existent. Il s’agira peut-être là de l’une des rares retombées heureuses de l’intifada.
Israël doit, lui aussi, se pencher sur sa propre démocratie et sur les droits de ses citoyens palestiniens. L’intensité de l’insurrection interne à Israël a choqué tous les partenaires concernés. Elle a marqué une rupture dans les relations entre les citoyens palestiniens d’Israël et l’Etat. Je ne doute pas un seul instant que le refus de Barak de les considérer comme des partenaires à part entière dans son gouvernement a été l’un des ingrédients qui ont contribué à allumer l’incendie. Le comportement de la police israélienne, l’utilisation de balles réelles et la force brutale ont démontré à chaque Israélien palestinien qu’il n’est pas un citoyen à part entière, aux yeux de l’Etat lui-même. Le refus du ministre Shlomo Ben Ami d’assumer une quelconque responsabilité dans ce qui s’est passé, alors même qu’il assurait la tutelle sur les forces de police, continue à me laisser pantois et pose de graves questions sur l’honnêteté intellectuelle de ce professeur d’histoire converti à la politique. Il est grand temps pour Israël d’adopter une politique d’intégration réelle de ses citoyens palestiniens. Il est grand temps de s’intéresser aux problèmes de cette minorité nationale en matière d’autonomie lui permettant de satisfaire ses besoins propres dans les domaines de la culture et de l’éducation. Il est grand temps de trouver les moyens adaptés permettant de créer un Israël réellement démocratique qui permettrait l’expression de son caractère d’Etat juif sans pour autant se sentir menacé par les droits égaux accordés à la minorité palestinienne à exprimer sa propre identité palestinienne et arabe. Il est grand temps, aussi, d’intégrer complètement les Israéliens palestiniens à la vie politique et sociale israélienne. Ils doivent être admis au gouvernement. L’Etat d’Israël doit adopter des mesures énergiques afin d’assurer un développement et des opportunités égales pour les Israéliens palestiniens. L’Etat d’Israël doit réaffecter les terrains inoccupés aux villes et villages palestiniens d’Israël afin de leur permettre de se développer normalement. Plus l’Etat d’Israël considérera tous ses citoyens de manière authentiquement démocratique, plus ces citoyens se sentiront des citoyens à part entière de cet Etat.
Nous n’avons pas reculé seulement de dix ans, durée du processus de paix. La situation actuelle est bien pire que ce qu’elle était au début de la première intifada, en 1988, année où l’IPCRI fut fondée. C’était une période de grandes espérances en un futur meilleur. Aujourd’hui, nous vivons dans un trauma proche de celui de l’après-guerre de 1948. La confiance entre Israéliens et Palestiniens atteint un nouveau bas-fond et les espoirs de paix dans la région ne relèvent même plus de nos rêves les plus fous. Comme dit l’autre : "le futur n’est plus ce qu’il était, ma p’tite dame".
Les efforts de dialogue direct entre Israéliens et Palestiniens, de peuple à peuple, sont pratiquement inexistants, aux rares exceptions des actions menées par l ‘IPCRI, l’ECF, Givat Haviva et quelques autres mouvements. Il s’agit là d’une perte tragique pour l’ensemble de la région. Il faut que le dialogue continue, coûte que coûte. Les énergies devraient être orientées vers des investissements à long terme, et non vers des projets à l’objectif unique, dépourvus de toute continuation élaborée possible. Les organisations non-gouvernementales palestiniennes et israéliennes doivent être encouragées à poursuivre et à développer leur action en les convainquant du fait que la paix se bâtit en commençant par les fondations, du bas en haut. Les Palestiniens engagés dans des activités militantes de ce type doivent recevoir notre soutien, afin de les défendre contre le découragement qui pourrait découler de la tendance actuelle à les voir d’un mauvais oeil. Ce sont des gens courageux qui ont besoin de notre aide - financière, intellectuelle et morale. Les individus, les institutions et les gouvernements de par le monde sont appelés chaleureusement à jouer un rôle actif en soutien aux actions associant directement les deux peuples, palestinien et israélien.
Même s’il est difficile d’être optimiste, aujourd’hui, nous ne devons pas abandonner tout espoir. Un jour, cette région retrouvera ses esprits et la raison son empire sur la sphère publique. Il n’y a qu’une façon d’amener la paix - c’est de négocier. Comme je l’ai déjà indiqué, les paramètres pour un accord de paix n’ont pas changé, ni ne sont près de changer. La reconnaissance et la mise en oeuvre d’une solution à deux Etats sur la base du tracé des frontières antérieures au 4 juin 1967 représentent le seul "calque" pour un possible accord de paix. Il est essentiel de reconnaître, également, qu’une paix réelle ne peux émerger que si les deux Etats - Israël et la Palestine - travaillent à l’avenir ensemble, coopèrent l’un avec l’autre et se soutiennent mutuellement. Le conflit en cours a toutes les "chances" d’éloigner les mentalités israélienne et palestinienne de tous projets de coopération future. Ce serait un écueil fatal pour la paix. Aujourd’hui même, alors que la bataille fait rage, les responsables israéliens et palestiniens admettent qu’ils devront bien un jour revenir s’asseoir à la table des négociations. Il est temps d’encourager ces responsables à le dire haut et fort et non pas à le susurrer dans des rencontres confidentielles. Un travail titanesque nous attend pour reconstruire la confiance qui a été si horriblement atteinte. Il faut s’y atteler sans plus attendre, même en commençant par les choses les plus simples. Des petites avancées peuvent être faites par les responsables, mais elles peuvent être faites, aussi, par les citoyens ordinaires qui savent bien, au fond de leur coeur, comme j’en ai moi-même la conviction, que la paix finira par s’imposer.
           
Revue de presse

              
1. Juste au moment où on allait leur donner tant de choses... par Gideon Levy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 17 juin 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Comment cela se fait-il que l'intifada ait éclaté juste au moment où nous étions sur le point de d'accorder tant de choses aux Palestiniens ? Comment se fait-il qu'ils aient eu recours à la violence alors qu'ils venaient de recevoir des mains d'Ehud Barak l'offre la plus généreuse jamais faite par un Premier ministre israélien ?
La réponse-bateau, qui est aussi une  réponse erronée, en Israël, consiste à dire que la raison de cet état de faits est toute simple : les Palestiniens ne veulent pas la paix, ou bien, variante : ils ne sont pas mûrs pour la paix. En faisant cette réponse, les Israéliens se donnent bonne conscience en s'absolvant de toute responsabilité dans ce qui est advenu. Et les débris de la gauche israélienne s'exemptent de leurs engagements. La vérité est que la responsabilité d'Israël dans l'éruption du cycle de violence actuelle n'est pas mince, elle n'est pas moindre, en réalité, que celle des Palestiniens. Israël a bien, en effet, fait "l'offre la plus généreuse jamais faite" aux Palestiniens, mais cela ne suffisait pas pour parvenir à une solution juste, et ce qui avait précédé ces offres était trop gros : les Palestiniens n'ont pu l'avaler.
Souvenez-vous : durant les trois années du gouvernement Netanyahu, Israël a éludé la mise en application de la majorité de ses engagements pris dans le cadre de la Déclaration de Principes de 1993. Il n'y a pas eu de deuxième redéploiement, ni de libération de prisonniers, comme promis, pas de "passages libres", pas d'aéroport ni de port palestinien, alors que de l'autre côté, il y eut de plus en plus de colonies. L'esprit d'Oslo était mort, il avait été remplacé par un esprit mauvais de désespoir et de déception du côté palestinien. De leur point de vue, ils n'avaient pas en face d'eux un réel partenaire de paix.
Le successeur de Netanyahu, en 1999, n'a en rien rendu leur situation plus supportable. Barak s'est targué de ne pas avoir cédé un centimètre de territoire aux Palestiniens, pas même Abu Dis, à côté de Jérusalem, que même la Knesset avait accepté de céder : c'était là une étrange démonstration de bravade pour un faiseur de paix. Et effectivement, Barak avait commencé par s'embarquer sur la piste syrienne, et ce n'est qu'après que cette dernière ait démontré à quel point elle était bloquée qu'il s'est retourné sur l'autre piste et qu'il s'est mis en quête d'un accord définitif avec les Palestiniens.
Expert dans l'art de démonter les montres, mais totalement incapable d'en remettre les pièces ensemble, Barak a fait des propositions que la plupart des Israéliens considérèrent très ambitieuses, mais auxquelles aucun leader palestinien prêt à signer une déclaration de fin de conflit, signifiant la fin des revendications palestiniennes, n'aurait pu adhérer. Qu'en est-il par exemple, des "96% du territoire" ?
Salim Shawamreh, chauffeur du village d'Anabta, dont la maison a été démolie par les Israéliens à trois reprises, a décrit les propositions généreuses d'Israël probablement mieux que n'importe quel homme d'Etat ne l'aurait fait :"En prison aussi, 96% du territoire sont aux mains des prisonniers, et les gardiens n'en ont que 4%, mais c'est de leur côté que se trouvent les enceintes et les miradors".
C'est à ça que ressemblaient les propositions israéliennes, aux yeux des Palestiniens : un Etat palestinien avec un contrôle israélien absolu aux frontières, découpé en petits cantons par des blocs de colonies qui interdiraient toute vie normale et toute liberté de mouvement. Par-dessus le marché, il faut ajouter l'absence de tout effort sérieux d'Israël en vue de la résolution du problème des réfugiés et son refus de reconnaître une responsabilité dans leur triste sort, autre que "partielle".
Après que les Palestiniens eussent fait leur concession historique majeure, à Oslo, en reconnaissant que la plus grande partie du territoire qui fut jadis leur pays demeurerait entre les mains d'Israël, une unique offre, réellement généreuse et impérative, s'imposait : rendre tous les territoires occupés en 1967, éventuellement dans le cadre d'un échange territorial. Barak n'a pas fait une offre de cette nature aux Palestiniens. Lorsqu'il est revenu à lui-même, à Taba, quelques jours avant les élections, il était déjà trop tard. Par la suite, le ministre des affaires étrangères de Barak, Shlomo Ben Ami, a rapporté que les deux parties étaient très proches d'un accord, à Taba ; et Yossi Beilin a fait état de progrès immenses, y compris dans le domaine du droit au retour pour les réfugiés. Mais il était beaucoup trop tard.
Ce n'est pas, remarquez bien, que les Palestiniens n'aient pas fait d'erreurs. Leurs erreurs étaient même trop lourdes à porter pour un seul homme, à commencer par leur absence de sensibilité pour le souci de sécurité personnelle des Israéliens. Ce n'est pas que les Américains, eux non plus, n'aient pas fait d'erreurs. Ben Ami dit que le président américain n'a pas su se montrer assez autoritaire et agressif, particulièrement à l'égard des Palestiniens. En même temps, deux approches israéliennes sous-tendaient les négociations, approches demeurées totalement inchangées tout au long des trente-quatre années d'occupation : une certitude d'être les maîtres et d'être supérieurs aux Palestiniens, et l'affirmation qu'il s'agissait d'un jeu à somme nulle, dans lequel tout gain réalisé par les Palestiniens le serait nécessairement au détriment des Israéliens.
Dans un article, très complet, qui sera bientôt publié aux Etats-Unis, l'un des architectes du processus d'Oslo, le Dr. Ron Pundak, arrive lui aussi à la conclusion que les principaux obstacles, si ce n'est leur totalité, qui ont empêché un accord, étaient liés à la politique israélienne. Son article a pour objet de réfuter la thèse qui voudrait que le processus d'Oslo se soit effondré et ait échoué ; et en même temps, il réfute la nouvelle position adoptée par la gauche israélienne, qui est de dire, en substance, que la droite conclut à juste titre qu'Israël n'a pas de réel partenaire de paix. Pundak pense qu'il y a un partenaire palestinien et qu'il est important de le dire, précisément en ce moment, et qu'il ne manque à Israël que d'être conscient des limites de la manoeuvrabilité des Palestiniens.
Tandis que Barak faisait son offre "à prendre ou à laisser", l'occupation continuait, comme si de rien n'était. Les bouclages se perpétuaient, les terres étaient expropriées, les prisonniers -  des héros, aux yeux de leur peuple - restaient incarcérés dans les geôles israéliennes, les colonies continuaient à s'étendre. Durant les dix-huit mois de gouvernement Barak, le nombre des colons a crû de 12 pour cent. Barak a aussi sciemment fui - comme la peste - tout contact non strictement nécessaire avec Yasser Arafat : encore une attitude bizarre, qui n'a pu qu'affaiblir le leader palestinien. La situation économique des Palestiniens s'est détériorée, leur humiliation en a été accrue. Tout cet enchaînement ne pouvait qu'aboutir au désastre. C'est ce qui est advenu.
           
2. La première victime de la guerre par Peter Beaumont, Brian Whitaker (à Jérusalem) et Edward Helmore (à New-York)
in The Observer (quotidien britannique) du dimanche 17 juin 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Les Israéliens accusent la couverture médiatique occidentale d'être "biaisée". Mais les médias se plaignent d'être soumis au harcèlement d'Israël. Reportage.)
Des membres de l'Association de la Presse Etrangère à Jérusalem se sont réunis autour d'un verre, au cours de leur réunion annuelle à l'hôtel Inbal, il y a quelques semaines, afin de parler du harcèlement auquel sont soumis les reporters qui assurent la couverture de l'intifada. Il y avait fort à dire. Quelques jours plus tôt, Josh Hammer, chef du bureau de Newsweek avait été arrêté par les Palestiniens, en plein travail, à Gaza.
Hammer avait déclaré avoir été bien traité et avoir mangé la meilleure cuisine qu'il ne lui ait jamais été donné de déguster au Moyen-Orient.
Ce qui préoccupait les journalistes, toutefois, ce n'était pas la brève détention de Hammer, mais l'utilisation faite par le gouvernement israélien de cet incident afin d'accuser l'Autorité palestinienne de harceler, de menacer et même d'attenter aux jours de journalistes qui ne font que leur travail dans les points chauds de la Cisjordanie et de la bande de Gaza...
Les membres de l'Association ont affirmé bruyamment leur désaccord. Si des journalistes ont été jamais confrontés à une intimidation au cours de l'intifada actuelle, dirent les reporters réunis, pour s'en plaindre, ce n'est certainement pas par les Palestiniens, mais bien par l'armée israélienne, qu'ils ont accusée de leur tirer dessus délibérément. Huit journalistes, en autant de mois, ont été blessés, dont certains sérieusement, tel le photographe de l'Associated Press Yolah Monakhov, le chef du bureau de la CNN, Ben Wedeman et le correspondant de la télévision française, Bertrand Aguirre.
Dans chacun de ces incidents, l'Association a protesté. Chaque fois, les autorités israéliennes se sont gardées de lui répondre.
Ce harcèlement, disent les correspondants de presse, ne se limite pas aux menaces physiques. Il s'agit aussi d'un harcèlement psychologique, de la part d'instances tant gouvernementales que civiles. Dans ses pires moments, il a pu évoquer les tactiques des pays du bloc soviétique durant la guerre froide. Des correspondants que les autorités israéliennes considèrent comme étant sortis de leurs prérogatives, telle la correspondante du Guardian, titulaire d'un prix reconnaissant son professionnalisme, Suzanne Goldenberg, ont été menacés de se voir retirer leur carte d'accréditation.
Des dossiers allégeant des partis-pris anti-israéliens ont été envoyés à des éditeurs de journaux, et certains correspondants de presse tombés en disgrâce aux yeux des autorités israéliennes se sont plaints d'être victimes de fouilles humiliantes au moment où ils quittent le pays.
Sur le front non-officiel, les attaques contre Suzanne Goldenberg se sont avérées plus pernicieuses et insidieuses encore. Elle a été portraiturée, dans les médias, comme "naïve, inexpérimentée et comme une Juive haineuse d'elle-même". Mme Goldenberg a dû changer son adresse e-mail après avoir été bombardée quotidiennement de centaines de messages de plainte contre sa manière de couvrir les événements. Elle n'est pas la seule.
La semaine dernière, la sensation d'être assiégés vécue par les journalistes couvrant l'intifada a été renforcée d'un degré supplémentaire lorsque les bureaux de la BBC à Jérusalem ont été inondés d'appels téléphoniques protestant contre le contenu de l'émission "Panorama", qui n'était encore passée ni en Angleterre, ni en Israël... Elle passe ce soir sur le petit écran, en Angleterre...
Un nouveau front s'ouvre pour l'intifada. Face aux critiques internationales croissantes contre son traitement de l'insurrection palestinienne, le gouvernement d'Ariel Sharon et ses alliés dans le puissant et influent lobby pro-israélien ont augmenté leurs efforts pour contrer les médias internationaux qui couvrent la crise actuelle. De nouvelles organisations, tombées en disgrâce pour les Israéliens, sont accusée, au mieux, d'être pro-palestiniennes et, au pire, d'être antisémites.
"Il suffit que vous regardiez ce qu'on dit sur Israël dans les médias mondiaux", se plaint un officiel israélien de haut rang, au Ministère de l'information. "Regardez-donc les médias espagnols. Chaque fois qu'ils mentionnent le Moyen-Orient, ils parlent d'"holocauste". Comment voulez-vous que nous ne soyons pas offensés ?"
"Et ce qui nous préoccupe, c'est la manière dont de nombreuses organisations - en particulier les agences et les chaînes - font appel à des reporters locaux à Gaza et en Cisjordanie. Alors, évidemment, nous ne pouvons que penser qu'elles sont de parti-pris".
La BBC, qui a du faire face à des accusations répétées de partialité, a été choquée par la réponse faite par le gouvernement israélien à la rédaction de Panorama, qui a procédé à une étude très documentée de l'implication de Sharon dans les massacres des camps de réfugiés de Sabra et Shatila, en 1982, au Liban, lorsqu'il autorisa les miliciens chrétiens, alliés de son pays, à pénétrer dans les camps.
Sur la base du seul press-book de l'émission, la BBC s'est vue accuser de partialité dans la presse israélienne. L'ambassade d'Israël à Londres a protesté - par avance - auprès du vice-directeur de l'information de la BBC. Les avocats du dirigeant israélien (Sharon, ndt) ont averti la BBC que la loi lui impose de tenir compte de l'opinion de Sharon.
Même si le harcèlement de reporters perçus comme "partisans" n'est pas une nouveauté en Israël, les journalistes disent que ce qui a changé, c'est l'intensité tant du lobbying que de l'intimidation.
Durant des années, les organisations pro-israéliennes ont organisé des campagnes d'envoi de courriers de protestation contre des articles et des émissions radio ou TV qui n'avaient pas l'heur de leur agréer. Avec le développement du e-mail (courrier électronique), cette activité a fait un bond quantitatif énorme. Des sites Internet, tels honestreporting.com ("reportage-honnête.com) ciblent des journalistes bien identifiés et fournissent des lettres-type de dénonciation/protestation à leurs abonnés, qui n'ont plus qu'à les envoyer (les "forwarder")
Ce week-end, ce site comportait déjà une lettre "prête à l'envoi" afin de protester contre l'émission "Panorama" de ce soir... (dimanche 17 juin, ndt).
Honestreporting.com décerne aussi des prix. L'un de ces prix a été remis récemment à Martin Peretz, rédacteur en chef de l'hebdomadaire américain New Republic, "qui s'est toujours tenu aux côtés d'Israël dans l'adversité", et un autre prix a récompensé Conrad Black, propriétaire du Daily et du Sunday Telegraph, deux quotidiens anglais, ainsi que du magazine Spectator, autant de titres qui ont su "fustiger les journalistes et les gouvernements enragés contre Israël".
L'intensité du lobbying, admet l'éditeur du Guardian, Alan Rusbridger - de retour, récemment, d'une mission d'enquête sur le terrain en Israël - peuvent avoir un effet insidieux. "Il y a toutes sortes d'ONG et de groupements ad hoc qui vous inondent de lettres pour se plaindre d'allégations de partialité dans votre couverture de l'information.", dit-il, tout en concédant que "cela contribue à la circulation sanguine du plus large débat..."
Autre qualité du lobby pro-israélien : son organisation impeccable. Il faut reconnaître ce qui est : ils ont un meilleur accès aux médias, et plus d'influence sur eux, que le lobby palestinien".
Il s'agit d'un lobby aussi qui, malgré ses récriminations perpétuelles contre les médias qu'il ne cesse d'accuser de "partialité", y bénéficie d'appuis influents. Black n'a jamais cherché à cacher son soutien à la cause d'Israël, puisqu'il a envoyé son épouse, Barbara Amiel, pour en assurer la couverture.
Le Times, sous la gestion de Peter Stothard, s'est avéré lui aussi largement favorable à Israël dans sa couverture, ligne éditoriale qui a été rendue responsable du départ de son correspondant au Moyen-Orient Sam Kiley, dont on peut comprendre qu'il en ait conçu un certain malaise.
Mais là où la pression du lobby pro-israélien s'est avérée le plus intense, c'est sur les organisations médiatiques accusées de "ne pas être dans la ligne". Parmi ses officines, en Grande Bretagne, nous citerons les Amis Conservateurs d'Israël, qui invite des journalistes chevronnés à des dîners au Parlement. Pour quiconque travaille pour des organisations jugées comme de parti-pris contre Israël, ces dîners peuvent s'avérer tout ce qu'il y a de plus inconfortable...
L'un des membres de cette "amicale" est le député conservateur Gillian Shephard, qui déploie tout le talent dont il est capable à expliquer le sentiment de persécution ressenti par les Israéliens, et plus largement la communauté juive, de la part des médias.
"N'oublions pas qu'Israël a le sentiment d'être assiégé. Et assiégé, Israël l'est : littéralement. C'est ce qui entraîne ces nerfs à fleur de peau. Ils sentent bien qu'il y a contre eux du parti-pris, et même une conspiration. Il y a ce sentiment qu'a Israël d'être tenu pour responsable des problèmes et que le contexte historique de la menace permanente contre Israël est trop facilement oublié. Il y a, aussi, le sentiment qu'Israël - minuscule îlot de démocratie perdu dans un océan de pays voisins beaucoup moins démocratique, et de beaucoup - ne se voit jamais accorder comme il faudrait le crédit de ses multiples réalisations".
Il s'agit là d'une opinion qui ne se limite pas au seul Londres. A New-York, où vit une importante communauté juive, mettre en cause la politique d'Israël dans la presse est considéré comme très proche de l'antisémitisme, si ce n'est purement et simplement comme de l'antisémitisme, avec tout ce que cela implique. Thomas L. Friedman, éditorialiste célèbre du New York Times qui écrit régulièrement sur le Moyen-Orient, n'a pas de doutes sur les raisons qui font qu'il s'agit là d'une région si difficile à couvrir médiatiquement.
"Il s'agit là d'un environnement politiquement chargé", dit-il. "Tout le monde veut vous avoir dans la manche et s'ils n'y parviennent pas, ils veulent vous éliminer. Ceci vaut tout autant pour le monde arabe que pour Israël. Il n'y a pas de milieu. Il n'y aura jamais, en aucun temps et en aucun lieu, quelqu'un pour vous passer affectueusement le bras autour du cou et vous dire : 'Ah ! Je ne peux pas vous dire à quel point j'apprécie votre reportage tant il est honnête et objectif !"
            
3. Palestine-Israël : La trêve ne durera pas
in Le Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 15 juin 2001
La trêve prolongée grâce aux efforts du directeur de la CIA George Tenet pourra difficilement durer entre Israéliens et Palestiniens. En renvoyant à une étape ultérieure les questions de fond, et notamment la question de la colonisation, à l'origine de la confrontation actuelle, elle ne peut déboucher que sur une reprise des affrontements.
L'approche américaine de la situation au Moyen-Orient donne l'impression d'une désespérante continuité. Focalisant sur les questions techniques, animée par une logique sécuritaire et unilatérale (la sécurité à préserver étant uniquement celle d'Israël), elle persiste et signe à la recherche d'une paix mythique, tout en ignorant les intérêts fondamentaux et les aspirations des Palestiniens et des Arabes. Cette approche, qui a dominé depuis le début du processus d'Oslo et dont l'échec explique la confrontation actuelle, occulte un fait majeur: le rôle central joué par la rue palestinienne, par ses organisations politiques et populaires dans l'intifada. L'Autorité palestinienne, sous peine de menacer l'unité nationale, ne pourra la contrôler qu'en échange de véritables concessions israéliennes, ce qui aujourd'hui passe pour être des vœux pieux... Un récent rapport du mouvement Le bloc de la paix (Goush shalom) rappelait que depuis septembre 1993 les logements dans les colonies ont augmenté de 52,49% avec la construction de 17190 nouvelles unités d'habitation, dont 2830 sous le gouvernement d'Ehud Barak. La population des colonies a crû de 52,96%, passant de 115700 colons en 1993 à 176973 colons fin 1999. Par ailleurs, la destruction des maisons (740 maisons démolies) et la confiscation des terres palestiniennes pour l'élargissement des colonies ou pour la construction de routes de contournements allaient de plus belle. Tout cela sous couvert du processus de paix. Un journaliste israélien, Aluf Bern, avait expliqué dans un article au titre fortement révélateur, «Pourquoi la paix n'est-elle pas payante?», la stratégie israélienne d'instrumentalisation du processus de paix: «La main invisible du marché a dicté à Israël l'adhésion au processus de paix. Après la conférence de Madrid, l'Inde, la Chine, le Japon, la Corée du Sud développeront leurs relations d'affaires avec Israël. En parallèle à la poursuite du processus, le boycott arabe commençait à s'effriter, de nombreux accords commerciaux seront signés avec l'UE, le Canada, le Mexique et la Turquie et un flux d'investissements étrangers transformera le secteur high-tech en moteur de la croissance. Ces récompenses n'inciteront pas Israël à conclure un accord de paix final. Au contraire, se sentant plus puissant et moins isolé, il se considérera moins tenu de satisfaire les exigences palestiniennes. Du moment que le processus de paix devenait interminable, il pourrait à la fois engranger les bénéfices économiques sans concéder des concessions territoriales.»
Territoires ingérables
L'intifada palestinienne a porté un coup réel à cette stratégie israélienne d'instrumentalisation du processus de paix, rendant les territoires palestiniens ingérables pour l'armée d'occupation, invivables pour les colons, et créant un climat de tension qui aura des répercussions économiques, commerciales et touristiques sur Israël. La normalisation israélo-arabe s'en trouvera, par ailleurs, bloquée. Le coût à payer pour les Palestiniens sera exorbitant sur les plans humain et matériel, mais quelles sont les autres alternatives qui se présentent à eux? En plaçant l'Autorité palestinienne face à la dynamique de résistance populaire, relativement autonome par rapport à elle, la stratégie israélienne (et américaine) vise à diviser les rangs palestiniens et peut-être à provoquer une guerre civile interne qui essoufflerait le mouvement de résistance. Cependant, ces paris ignorent qu'une majorité de Palestiniens, y compris plusieurs responsables des services de l'Autorité et toutes les organisations politiques, considèrent cette intifada comme la bataille décisive dont le résultat déterminera leur sort pour des générations à venir. Ils n'ont d'autre choix que de la continuer jusqu'au bout.
[Armes iraniennes aux Palestiniens ? L'ambassadeur d'Israël à Washington a déclaré que des armes iraniennes seraient envoyées via l'Egypte aux Palestiniens. Celles-ci seraient d'abord acheminées au Hezbollah et celui-ci se chargerait de les envoyer en Egypte. De telles élucubrations ne discréditent pas pour autant l'ambassadeur aux yeux de la presse américaine et occidentale. Bizarre...]
             
4. La voix de Jérusalem par Herb Keinon
in The Jerusalem Post (quotidien israélien) du jeudi 14 juin 2001
[traduit de l'angalis par Marcel Charbonnier]

Ra'anan Gissin, porte-parole du Premier ministre et homme-clé en Israël pour les médias étrangers, explique ici à Herb Keinon comment la politique (controversée) de "retenue" du gouvernement israélien est en train d'opérer un retournement dans la bataille en cours
- cruciale - qui l'oppose aux Palestiniens et dont l'enjeu décisif est rien moins que la sympathie de l'opinion publique internationale...
"Je viens de nulle part, et on m'appelle Monsieur Personne", s'esclaffe le conseiller d'Ariel Sharon Ra'anan Gissin, citant de manière inopinée la réplique de Terence Hill dans le western "spaghetti", sorti en 1973, "Mon Nom est Personne".
Gissin peut se payer le luxe de citer une réplique aussi désobligeante pour lui-même - de sa voix qui évoque plus le Marlon Brando du Parrain que l'authentique Terence Hill - car il sait bien qu'"c'est pas vrai". Allumez votre télé, n'importe quel jour, sur les programmes de CNN, de la BBC, de Sky News ou de n'importe quelle chaîne d'informations et vous tomberez sur... Gissin en train d'expliquer, de développer et de justifier la position d'Israël, le tout en trente secondes, avec son anglais estampillé "Brooklyn".
Au cours des cent jours écoulés, ce "Monsieur Personne venu de nulle part" est devenu - pour la plus grande partie du monde - le porte-parole d'Israël. Et ce n'est pas la première fois qu'il en est ainsi. Durant la guerre du Golfe, en 1991, Gissin - alors porte-parole adjoint des Forces de Défense Israéliennes, en charge de la presse étrangère - était pour le public américain ce que Nahman Shai était pour le public israélien, lorsqu'il lui indiquait où tombaient les Scuds, quelles populations devaient se réfugier dans leurs abris calfeutrés, et pour combien de temps.
"Au bout de trois nuits, j'étais vanné", se souvient Gissin, savourant visiblement la remémoration de ces journées grisantes passées aux commandes du champ d'opérations médiatiques à l'hôtel Hilton de Jérusalem. "J'avais travaillé toute la nuit, j'avais ces cercles autour des yeux, vous savez... les cernes... alors j'ai dit à la maquilleuse de me mettre du maquillage autour des yeux pour que j'aie meilleure apparence, pour les téléspectateurs...  pour ces dames, aux States. Sinon, elles auraient pris peur. Alors la fille me maquille et Larry Register, le chef du bureau de la CNN ici, fit irruption et lui demanda : "Mais, qu'est-ce que vous êtes en train de fabriquer ?"
"J'essaye de l'arranger un peu... ". Alors lui, il lui dit : "Enlevez-moi ce f... maquillage. Je veux qu'il apparaisse au naturel, fatigué, hagard : il incarne Israël engagé dans la bataille !"
Aujourd'hui, alors qu'Israël est à nouveau "dans la bataille", Gissin - retraité des Forces Israéliennes de Défense, en ayant décroché le grade de colonel - est l'un des "généraux" en chef sur ce qui est en train de devenir, à la vitesse "V", le front principal de la bataille contre le terrorisme : la lutte pour la sympathie de l'opinion publique internationale.
Sharon, en imposant le silence aux canons et en laissant les avions dans les hangars même après les atrocités (de l'attentat) du Dolphinarium (discothèque sur le front de mer de Tel-Aviv, ndt), le 1er de ce mois, ne fait qu'acquiescer en silence à ce que Gissin a défini comme un nouvel axiome en polémologie : pour gagner une guerre, vous devez être victorieux sur le front des ondes hertziennes.
Cette vérité n'est ni surprenante ni révolutionnaire. Mais elle s'accompagne d'une autre, qui explique dans une large mesure la conduite politique adoptée par Israël au cours de la semaine écoulée. Ainsi que l'avait déclaré Gissin, avant le massacre du Dolphinarium, "pour vaincre sur les ondes, vous devez perdre sur le champ de bataille".
Tragiquement, ces propos résument à merveille ce qui s'est passé la semaine dernière : vingt morts, plus de cent blessés dont certains estropiés à vie, mais le monde entier du côté d'Israël, ne fût-ce que pour quelques jours.
"Nous vivons dans un village global et ce village global est électronique, c'est ce qui a entraîné une modification des principes de la guerre, modification qui va carrément jusqu'à un renversement total", dit Gissin, en lançant dans le débat une explication très pointue qui permet d'expliciter la politique de retenue adoptée actuellement par Sharon.
"Dans le passé, on combattait sur le champ de bataille. Si vous défaisiez l'ennemi, vous remportiez la victoire. Le plus gros du boulot que vous aviez à accomplir, c'était sur le terrain, sur le champ de bataille.
Aujourd'hui, tout ce passe comme si, pour gagner une guerre, vous deviez avant toute chose gagner sur les ondes hertziennes. A contrario, et paradoxalement, on pourrait dire que vous devez d'abord perdre sur le champ de bataille, si vous voulez remporter la victoire sur les ondes. Vous devez être le chien dominé, celui qui perd, celui qui se fait étriller par les soldats (ennemis). A la minute même où vous devenez le vainqueur, sur le champ de bataille, contre un adversaire moindre ou plus faible que vous, l'image que l'on donne (de vous) dans les médias est généralement celle qui travaille contre vous."
Les médias, dit Gissin, sont l'"arme du faible". Et les Palestiniens, qui ont perdu (définitivement) leur option militaire en 1982, ont bien compris cela, et ils l'ont exploité jusqu'à la garde.
Mais si les Palestiniens ont appris la leçon, les Israéliens ont fait de même, affirme Gissin. Gissin affirme qu'après quatre guerres médiatiques - le Liban, l'Intifada I, la guerre du Golfe et les violences actuelles - Israël a appris que "lorsqu'on planifie des opérations militaires, on doit prendre les médias en compte, on doit considérer qu'ils ne sont pas simplement là, présents, assurant une simple couverture (des événements), mais qu'ils peuvent avoir un impact sur le résultat même du conflit."
Gissin, qui a cinquante-deux ans et deux fils âgés respectivement de vingt-quatre et vingt ans, sait de quoi il parle, formé qu'il est tant au journalisme qu'à la planification stratégique.
Officiellement conseiller du Premier ministre en matière de relations avec la presse et de relations publiques, Gissin est l'un des professionnels - on les compte sur les doigts de la main - habilités, auprès du Cabinet du Premier ministre et du Ministère des Affaires étrangères, à transmettre au monde entier le message tant de Sharon que d'Israël. Malgré quelques tentatives de le pousser vers la sortie dont il a fini par avoir raison, il est devenu, parmi les porte-parole du premier ministre, celui qui dépasse d'une tête ses collègues.
Sabra de la cinquième génération, né dans le Kibboutz Hasolelim, en Basse-Galilée, Gissin a été amené à trouver sa voie presque fortuitement. Après avoir obtenu une maîtrise en journalisme radio et un doctorat ès administration publique et sciences politiques de l'Université de Syracuse, (aux Etats-Unis), Gissin a travaillé pour le service de planification stratégique des Forces Israéliennes de Défense, où l'un de ses premiers officiers allait, plus tard, être appelé à occuper le poste de Premier ministre, en la personne d'Ehud Barak.
"Il y avait déjà longtemps que je travaillais à la planification d'opérations militaires, des opérations spéciales", dit Gisin, assis dans son bureau d'un dépouillement quasi monastique, à Jérusalem, ignorant la sonnerie incessante de ses deux téléphones portables. "A l'époque nous avions (sur la planche à dessin) l'attaque contre le réacteur (nucléaire) irakien et la préparation et la planification de l'Opération Grands Pins (connue plus tard sous la dénomination de Guerre du Liban : Sharon n'était même pas encore ministre de la défense !"
Quand la guerre du Liban éclata, explique Gissin, le porte-parole de l'armée vint au bureau de la planification, dit qu'il avait un problème avec les journalistes de la presse étrangère au Liban et demanda à Barak s'il avait quelqu'un à lui proposer, qui puisse l'aider à les apprivoiser.
"Barak a dit, alors, 'J'ai bien là un certain docteur - à le voir, on ne dirait pas qu'il est docteur, il n'a pas de petits lorgnons en demi-lune - mais il est néanmoins docteur et il parle très bien l'anglais'". C'est comme ça que j'ai passé au Liban toute la période de la guerre ; seul changement : de planificateur stratégique, j'étais devenu porte-parole de l'armée. Au cours des dix années suivantes, je me suis trouvé sur leur fameux champ de bataille médiatique, et je dois dire que j'étais comme ce garçon hollandais de la légende, qui essaye de boucher une digue trouée avec ses doigts, et qui finit par se rendre compte qu'il dispose de moins de doigts qu'il y a de trous... "
Gissin raconte qu'au bout d'un certain temps, il a demandé au porte-parole de l'armée quand il serait autorisé à retourner à ses fonctions premières de planificateur stratégique et il lui fut répondu assez sèchement : "des analystes en stratégie, nous en avons à revendre. Mais des gens qui peuvent dire en trente secondes ce que les analystes en stratégie sont en train de préparer se comptent sur les doigts d'une main. Alors, vous restez où vous êtes !"
Non seulement Gissin peut dire ce qu'il doit dire en trente secondes mais, de plus, il le fait dans un anglais parfait, usuel et sans aucun accent. Il n'attribue pas ses dons pour ce type d'anglais à ses six années d'études à l'Université de Syracuse, mais bien plutôt aux deux années et demie passées à Brooklyn, dans son enfance, à la fin des années cinquante : ses parents y avaient été envoyés en mission pour l'association Young Judea (= Jeune Judée). Ecoutez Gissin parler anglais, et vous serez persuadés de vous trouver en face d'un immigrant débarquant de New York et pas du tout d'un sabra né dans un kibboutz.
"J'ai regardé la télé un max, à l'époque", raconte Gissin, affable et plein d'humour, avec un large sourire forcé. "Hopalong Cassidy et le Cow-boy solitaire. Vous pouvez me croire : c'est comme ça que vous apprenez le langage "télévisuel"".
A la différence de certains conseillers de Sharon, Gissin n'est pas un vieil ami de sa famille ou un copain de régiment avec lequel il aurait traversé le canal de Suez en 1973. Non, sa relation avec le Premier ministre est très récente, elle remonte à moins de six ans et elle s'est nouée quand il fut nommé porte-parole au Ministère de l'Infrastructure nationale, tout juste institué, ministère que Sharon allait diriger. De là, il suivit Sharon au ministère des Affaires étrangères, et jusque dans sa traversée du désert, durant les années Barak, au cours desquelles il était consultant particulier de Sharon.
Toutefois, c'est au moment où Sharon était ministre des Affaires étrangères que Gissin a sans doute fait l'un de ses pas les plus astucieux, tout du moins en ce qui concerne la transmission au monde du message d'Israël. En décembre 1998, il pressa Sharon d'inclure un obscur gouverneur du Texas dans la liste des passagers de ses tournées en hélicoptère au-dessus des territoires : il s'agissait d'un certain George W. Bush...
La ballade en hélico de Bush, au-dessus de la Judée et de la Samarie, qui contribua a créer des relations personnelles chaleureuses entre Sharon et celui qui allait devenir président des Etats-Unis, aurait dû être, initialement, une simple conférence de presse dans son bureau, se remémore Gissin.
"Mais je suis allé trouver Sharon et je lui ai dit que ce n'était pas correct. Je risque gros, là, je risque de ne  pas être à la hauteur : ce gars est candidat à la présidence américaine. Je ne sais pas moi : et si vous l'emmeniez dans l'une de vos excursions en hélicoptère ?..."
Bush a eu droit à son virolon en hélico et Israël - c'est Gissin qui l'affirme - en a retiré un bénéfice optimum.
"Il se souvient de cette escapade encore aujourd'hui", dit Gissin, parlant de Bush. "Il dit que de l'avoir survolé lui a finalement permis de toucher du doigt à quel point ce pays, en fait, est petit..."
Cette promenade en hélicoptère est l'une des multiples formes que peut prendre la bataille constante livrée en vue de se gagner les coeurs et les esprits des dirigeants (et aussi des dirigeants potentiels).
Les Palestiniens, dit Gissin, ont développé une autre méthode, qui consiste à créer des scènes et des images destinées à influer sur les décideurs qui les découvriront.
D'après Gissin, toujours, la télévision joue un rôle critique, pas tant parce qu'elle serait capable de modifier l'opinion publique - un reportage de trente secondes ne changera jamais la façon de penser de qui que ce soit, dit-il - mais bien parce qu'il peut jouer un rôle décisif en ce qu'il peut inciter ces dirigeants à agir. Un exemple parfait en a été donné quand le Secrétaire d'Etat américain, Collin Powell a critiqué Israël pour sa réaction excessive et disproportionnée, après une incursion de l'armée israélienne dans la bande de Gaza en réplique à une attaque au mortier contre le village de Sderot, le mois dernier. Un officier de l'armée israélienne avait alors tenu une conférence de presse au cours de laquelle il avait déclaré que l'armée israélienne resterait à Gaza pour des semaines, voire des mois. Quelqu'un, qui avait vu la conférence de presse à la télévision, alerta Powell qui, réagissant à ce qui avait été montré à la télévision, se décida à réagir.
Gissin affirme qu'au cours des huit mois écoulés, Arafat n'a pas cessé d'essayer de provoquer Israël afin de l'inciter à poser des actes qui lui fourniraient les images dont il a besoin afin de pousser les dirigeants étrangers à réagir.
"Mais nous avons retenu les leçons du passé, et nous ne commettons plus le genre d'erreurs qui nous aurions probablement commises en 1982", dit-il. "Résultat : Arafat est encore frustré, parce qu'il est incapable d'élaborer ce genre de réaction devant les caméras de la télévision. La télé est bien là, mais la réaction israélienne est inexistante, ou tout au moins, insuffisante. "Je dis toujours', poursuit Gissin,"qu'il n'y a pas d'histoire possible dans une situation de "retenue". Si vous vous retenez, si l'armée israélienne se retient, il n'y a pas d'histoire".
Et quand il n'y a pas d'histoire, il n'y a pas non plus ces images dramatiques que les Palestiniens, à en croire cette analyse, pensent indispensables pour inciter les dirigeants, de par le monde, à réagir.
Pour les partisans d'une réaction militaire brutale, toutefois, toute cette logique semble sous-entendre que c'est un peu comme si l'opinion publique était devenue un peu un Moloch des temps modernes, sur l'autel duquel des citoyens israéliens doivent être sacrifiés afin de satisfaire en permanence ce dieu implacable.
Gissin rétorque que l'"opinion publique mondiale n'est pas Moloch". "Il faut la considérer comme un élément stratégique parmi d'autres, non exclusif, mais néanmoins fondamental, de notre politique générale".
"De sorte que, si vous savez que les Palestiniens n'ont pas l'intention de faire la paix, et qu'ils sont prêts à mener une guerre d'usure longue et âpre, il y a deux choses que vous avez apprises des deux conflits précédents et dont vous devez toujours tenir le plus grand compte. La première, c'est la cohésion interne et le consensus et la seconde, le soutien international, ou tout au moins (l'assurance que) la communauté internationale restera neutre et ne cherchera pas à vous imposer une solution ou à exercer sur vous des pressions de nature à porter atteinte aux intérêts stratégiques d'Israël.
"Dans ce combat contre le terrorisme et la violence, vous devez toujours chercher à déstabiliser l'ennemi", explique Gissin. "Le cessez-le feu unilatéral (israélien) a désarçonné Arafat. Il courait le monde tout en donnant l'ordre de poursuivre les violences, mais il perdait le soutien de l'opinion publique mondiale, à cause du cessez-le-feu. Il n'obtient pas l'attention qu'il désirerait de la part des médias. Il jouit encore d'une partie du crédit dont il jouissait auparavant - celui d'être le chien dominé, le pauvre bougre, le plus faible dans la bagarre, celui qui a besoin de sympathie et, de fait, l'attire. Mais cette sympathie s'évanouit. Désormais, ses batteries sont à plat."
A entendre Gissin, on pourrait penser qu'Israël est en train de procéder à on ne sait quelle opération médiatique hyper-feutrée, efficiente, propre et nette, qui réussirait à mettre les Palestiniens K-O à chaque round.
Mais tout consommateur de médias avisé - et même le téléphage de base, pas si avisé que ça - sait qu'il ne s'agit pas là exactement de la vérité. Dans l'esprit de bien des gens, Israël est en train de se faire matraquer sur le ring médiatique.
"Quand je suis venu ici, au Cabinet du Premier ministre, en tant que premier conseiller pour les relations avec la presse étrangère, j'ai trouvé un désert", rétorque Gissin à ce genre de critiques. "J'ai trouvé que l'une des plus grossières erreurs du gouvernement sortant, c'était de négliger les médias étrangers. Je ne parle pas ici simplement de stratégie, je parle bien de (la nécessité) de contacts quotidiens du Cabinet du Premier ministre avec les médias étrangers, de la capacité à leur donner l'information, parce que si on leur donne pas d'informations, les Palestiniens le feront (à notre place). Si vous ne les maintenez pas en permanence en effervescence et contents (d'eux-mêmes ?ndt), les Palestiniens le feront. Vous devez être capables de fournir aux médias étrangers la matière dont ils ont besoin aux moments précis où ils en ont besoin. Bref, vous devez être F.F.B. (First, Fast and Brief = les premiers, rapides et brefs).
Gissin dit que la première chose qu'il ait faite, fut d'organiser une brigade de porte-parole capables, dans l'immédiateté et dans un anglais totalement exempt de pauses, de bégaiements et de "euhhs", d'expliciter le point de vue d'Israël.
 "J'ai sélectionné un groupe de gladiateurs, en prenant des gens expérimentés et excellents, à l'anglais impeccable, ou parlant à la perfection d'autres langues étrangères, et j'en ai fait nos préposés à la communication."
Parmi les personnes recrutées en vue de cette noble tache notons un ancien ambassadeur à l'ONU, Dore Gold, un ancien ambassadeur aux Etats-Unis, Zalman Shoval et un membre du cabinet, Dan Naveh, pour ce qui est des anglicistes. Pour la francophonie, Gissin a recruté l'ancien ambassadeur en France Ovadia Sofer et l'ancien ambassadeur en France et en Italie Avi Pazner, qui est également italophone. Shoval, excellent germanophone, est également préposé aux relations avec les médias allemands.
Ce groupe de truchements bénéficie de briefings constants de la part de Sharon, ainsi que de Yossi Gal, chargé des communications au Cabinet du Premier ministre et, bien entendu, de Gissin.
Celui-ci reconnaît que ce qui se fait est (encore) loin de suffire, mais que "c'est déjà un début".
"En très peu de temps, nous avons été capables de nous adapter. Je ne dis pas que l'image d'Israël (dans le monde) a changé du jour au lendemain, mais au moins, nous sommes en train de conquérir une certaine bienveillance. Au moins, chaque fois que Sa'eb Erekat est interviewé depuis la "ville assiégée de Jéricho", quelqu'un, chez nous, s'exprime depuis la "cité assiégée de Jérusalem" au moment où elle essuie des tirs. C'est un bon début : on y arrivera.
                
5. Honest Reporting, le pouvoir au bout de l´e-mail par François Landon
in Transfert.net (e-magazine) du vendredi 8 juin 2001
 
Peu de moyens et beaucoup d´efficacité : déguisé en observatoire des médias, le groupe de pression Honest Reporting fait pencher la balance en faveur d´Israël.
Depuis des années, le reporter Robert Fisk couvre le Moyen-Orient pour le quotidien britannique The Independent. Si Fisk jure ne pratiquer ni le Web ni l´e-mail, c´est pourtant aux NTIC qu´il consacre une récente chronique : plusieurs titres, dont The Independent, sont régulièrement bombardés d´e-mails émanant de prétendus "lecteurs américains indignés par la vue biaisée et défavorable à Israël", caractérisant le traitement de l´actualité au Moyen-Orient. Ces messages, note Fisk, portent souvent des adresses correspondant à des zones du territoire américain où The Independent n´est pas distribué. Or, bon nombre sont envoyés à l´instigation d´une organisation récente et active, Honest Reporting, dont la mission est justement de combattre ce traitement médiatique négatif et injuste qui serait le lot d´Israël.
Un modèle de courrier
"Dès que paraît quelque chose qui leur déplait, ils font faire le tour du monde à l´article incriminé, écrit le Guardian, autre titre britannique pris à parti par Honest Reporting. Ils y joignent un modèle de courrier de protestation qu´il suffira de personnaliser et d´adresser par la voie électronique." La stratégie de l´organisation est aussi simple que radicale : ne rien laisser passer. Qu´il s´agisse d´un article ou d´une dépêche, la thèse développée, l´angle choisi, le vocabulaire utilisé, sont passés au crible. Le cadrage d´une photo, l´atmosphère qu´elle dégage, son sens tacite, son contexte, sont également analysés. La présence, même infime, d´éléments douteux met vite en branle ce "site web d´action rapide", qui lance ses troupes à l´assaut de la rédaction coupable de subjectivité. Avec une efficacité souvent redoutable. Le 1er juin dernier, après l´attentat devant une discothèque de Tel-Aviv qui coûta la vie à une vingtaine de jeunes israéliens, Associated Press eut le tort de titrer : "Explosion kills bomber in Tel Aviv (Tué par l´explosion de sa bombe à Tel Aviv)", sans évoquer d´entrée de jeu les victimes israéliennes. Honest Reporting proposa aussitôt à ses troupes d´adresser à AP une lettre inspirée du modèle suivant : "A l´attention du rédacteur en chef
Le 1er juin, la première dépêche d´AP rapportant le haineux attentat-suicide perpétré devant une discothèque de Tel Aviv portait le titre : "Tué par l´explosion de sa bombe à Tel Aviv". Les premières images de la scène montraient une masse de victimes juives. Pourquoi AP a-t-il édulcoré cet acte bestial en le dénommant "explosion", et s´est-il attaché aux souffrances d´un terroriste diabolique, et non à celles d´adolescents innocents ? J´ose croire que l´auteur de cet abominable phrase de titre ne fait d´ores et déjà plus partie de votre rédaction."
Pluie d´e-mails
Efficace et complet comme un couteau suisse, le site de Honest Reporting regorge d´archives, de modèles de lettres, de définitions des déformations à traquer, de liens, d´adresses. Il n´oublie pas de doper le moral de ses membres en leur rappelant les succès obtenus : bombardée d´e-mails, la chaîne américaine CNN a fait ainsi amende honorable et reconnu par écrit: "Le reportage que vous citez contient des erreurs factuelles, des erreurs par omission [situées dans un] contexte inapproprié, qui ont été corrigées." De même, le New York Times et le Washington Post avaient des mois durant défini la zone de Gilo, à la périphérie de Jérusalem, comme une "colonie". Une pluie d´e-mais les a ramenés à la raison : dans leurs colonnes, Gilo n´est plus qu´un simple "quartier". Pas question de s´arrêter en chemin. Pour Honest Reporting, il y a tant d´injustices sémantiques à redresser : les colonies "illégales", le "faucon" Ariel Sharon, les "militants" palestiniens, les tirs qui "éclatent". Pire encore, cette manie qu´ont certains médias de présenter le Mont du Temple comme le "Haram al Sharif, troisième lieu saint de l´Islam".
Ethique journalistique
Plus insidieuse, mais non moins efficace, cette lettre en date du 17 mai. Elle vise un journaliste de la BBC, auteur de l´article "La nouvelle tactique de Sharon" paru le même jour, accusé d´avoir truffé son texte, censé être purement informatif, d´opinions et de prévisions personnelles, "violant l´éthique journalistique la plus élémentaire". La BBC réagit en adjoignant, peu après, la mention "analyse" au titre de l´article en question. Geste nécessaire mais non suffisant. Honest Reporting priera la BBC de ne plus mélanger ses articles d´information et ses articles d´analyse, en réservant à ceux-ci une rubrique spécifique. Honest Reporting a ses héros médiatiques – ceux qui réservent à la politique d´Israel un traitement impartial. Tel Martin Peretz, rédacteur en chef du magazine conservateur The New Republic. Honest Reporting conseille donc à ses membres de s´abonner au titre. Dans l´océan de fausseté baignant les médias, seuls le magnat de la presse Conrad Black (Daily Telegraph, Spectator, Jerusalem Post, etc.), le Times de Londres et le reporter Jack Kelley de USA Today ont été à ce jour distingués pour leur honnêteté.
Individu sensibilisé
Selon l´enquête menée par le Guardian, Honest Reporting a été créé à Londres en octobre 2000 par un web-designer de 27 ans dont seul le prénom, Jonathan, apparaît. Récupéré, le site serait désormais financé et piloté depuis les États-Unis par une organisation se disant vouée à la surveillance des médias, Mediawatch International. Selon sa présidente, Sharon Tzur, il s´agit d´une structure récemment créée, rassemblant "des hommes d´affaires juifs new-yorkais". Néanmoins, les liens de Mediawatch International avec Aish HaTorah, une œuvre israélienne promouvant la culture juive la plus orthodoxe, sont avérés. Faut-il le préciser ? Derrière ses protestations d´objectivité et son nom aussi ronflant que faussement naïf, Honest Reporting est purement l´arme d´un camp, dans une guerre où le front médiatique prime. S´il en fallait une preuve, on la trouverait sur la page du site expliquant "comment rédiger une lettre efficace", où le point numéro 9 expose : "Écrivez en qualité d´individu sensibilisé. Le fait de mentionner votre appartenance à une campagne organisée peut diminuer le poids de votre lettre."
Articles d´excuse
Honest Reporting revendique 13 000 membres, et souhaite seulement parvenir à doubler leur nombre. Son premier succès, le groupe affirme l´avoir remporté face à l´Evening Standard, fin octobre 2000. Une chronique mettait en parallèle l´attachement à leur terre des immigrés juifs de l´après holocauste et celui des Palestiniens d´aujourd´hui. Les protestations reçues par le quotidien national l´amenèrent à publier coup sur coup deux articles d´excuse, puis une tribune pro-israélienne signée d´un intervenant extérieur. À l´époque, les membres de Honest Reporting n´auraient pas été plus de 1 000. 
[- Lien(s) de l'article :
Chronique de Robert Fisk dans l’Independant :
http://news.independent.co.uk/digital/columnists/story.jsp?story=74998 
Site de Honest Reporting :
http://www.honestreporting.com/ 
Article de David Leigh dans le Guardian :
http://www.guardian.co.uk/Archive/Article/0,4273,4140042,00.html]
                 
6. Au coeur de l’extrémisme juif
in Courrier International du jeudi 7 juin 2001
Un journaliste du quotidien “Ha’Aretz” a enquêté sur la possible résurgence du terrorisme juif, notamment chez les colons. L’actualité semble justifier toutes les craintes…
“Les terroristes arabes doivent être éliminés, comme les nazis ont fait avec les juifs. Mais à quoi ça peut servir de jeter des pierres ?” C’est l’opinion d’Avi, un ouvrier de 47 ans qui se confie à Uriya Shavit, journaliste à “Ha’Aretz”. Les lanceurs de pierres sont une centaine de jeunes juifs qui s’acharnent contre la mosquée de Hassan Bek, sous l’oeil vigilant de la police et sous le regard d’Avi, “bien installé dans un fauteuil aux premiers rangs pour assister au meilleur spectacle de la ville”. Quelques heures plus tôt, à quelques mètres de la mosquée, avait eu lieu l’attentat suicide anti-israélien qui s’est soldé par vingt morts, pour la plupart des adolescents.
Au cours de son enquête sur les extrémistes juifs, Uriya Shavit a rencontré des leaders de colons, des experts en terrorisme et d’anciens membres du mouvement clandestin des années 1980 qui regroupait des juifs terroristes. Ils lui parlent du désir de vengeance qui couve depuis bien avant l’attentat du 1er juin. Ils estiment qu’une flambée soudaine de violence contre les Arabes pourrait rapidement resurgir. “Le carnage de Tel-Aviv et l’incapacité du gouvernement à entreprendre une action immédiate ont augmenté le danger de voir réapparaître le terrorisme juif.” Pour Shimon Riklin, leader des colons de la deuxième génération, “la situation est telle que les gens sont prêts à agir individuellement. Je parle de tuer des Arabes. Je n’approuve pas de telles actions. Mais je sais que très peu d’Israéliens, résidant dans les colonies ou à l’intérieur d’Israël, les condamneront.”
Jusqu’à l’heure actuelle, le terrorisme juif s’est distingué par deux principaux aspects : un terrorisme organisé, clandestin et fondé sur un endoctrinement idéologique ; et un terrorisme qui relève d’actes individuels, explique Shavit. Souvent, ces terroristes, s’ils sont arrêtés, sont relâchés après quelques années passées en prison. Ils retrouvent leur communauté, parfois obtiennent des postes officiels. Ils ne sont plus jamais inquiétés par leur passé et ne s’en cachent pas. Mais, de l’avis des experts, le terrorisme qui pourra renaître ne sera pas clandestin mais agira au grand jour, sans craindre les autorités. Pour Hezi Kalo, ancien membre des services de sécurité, le Shin Bet, “si les colons agissent, on assistera à des actions spontanées d’autodéfense. Alors, des milices populaires pourraient surgir.” Kalo attire l’attention sur le fait que le gouvernement en place soutient les colonies. Menahim Livni, un ancien membre du mouvement clandestin des années 1980, estime lui aussi qu’un nouveau mouvement du même type a peu de chance de voir le jour. D’ailleurs, de l’avis général des personnes interrogées par Shavit, le temps de la clandestinité est révolu. Le scénario le plus prévisible serait des actes de vengeance individuels, exprimant le sentiment d’abandon vécu par les colons qui constatent que l’armée est incapable de les protéger. La nouvelle génération de colons se fera justice elle-même et agira ouvertement.
Les événements viennent donner raison à ces analyses. Mercredi 6 juin, des douzaines de colons ont organisé en Cisjordanie une manifestation qui s’est terminée par l’attaque de deux villages palestiniens. Les colons ont incendié des propriétés agricoles et l’école des deux villages. Selon “Ha’Aretz”, l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme, B’Tselem, “a accusé l’armée et la police d’avoir empêché les ambulances palestiniennes d’entrer dans les villages et d’avoir tiré sur les habitants. Au moins un Palestinien, parmi les neuf blessés, a été atteint à la tête par un coup provenant du fusil d’un soldat.” “Ha’Aretz” précise que ce saccage était la réponse des colons à une attaque terroriste. Dans la nuit du mardi 5 juin, des Palestiniens avaient jeté des pierres sur une voiture passant sur la route qui longe leurs villages. Une pierre a atteint un nouveau-né âgé de 5 mois et l’a sérieusement blessé. Le bébé est toujours hospitalisé, dans un état critique.
Signe des temps, le “Jerusalem Post” consacre sa une à la manifestation qui a eu lieu dans la soirée du mercredi 6 juin au coeur de Jérusalem. Plusieurs milliers de colons ont répondu à l’appel du Conseil des colonies et sont venus protester contre la politique de retenue affichée par le Premier ministre, Ariel Sharon. Au slogan “Arafat doit être vaincu” se sont superposés des cris sortis de la foule pour scander “Mort aux Arabes” et “Les Arabes dehors”, relate le “Post”. Parmi les intervenants, des colons ont pris la parole pour témoigner de la peur qui désormais fait partie de leur quotidien. Ils ont le sentiment de faire les frais de la politique de retenue à laquelle le gouvernement d’union nationale de Sharon s’astreint sous la pression internationale. Ils ne sont pas venus pour causer du tort à Sharon, mais pour le pousser à agir.
Dans ce contexte chargé de méfiance et d’extrême tension, l’émissaire américain, George Tenet, chef de la CIA, chargé de renouer la coopération en matière de sécurité entre les deux parties, aura fort à faire. La tâche de Tenet s’avère d’autant plus ardue que les Palestiniens exigent l’arrêt de toute activité de colonisation, tandis qu’Israël réclame avec insistance l’arrestation de 300 militants extrémistes libérés par l’Autorité palestinienne depuis le début de l’Intifada. Conditions jugées irréalistes et rejetées par chaque partie.
Akiva Eldar, éditorialiste à “Ha’Aretz” résume la situation. “La devinette qui préoccupe actuellement le monde entier - Arafat est-il incapable d’arrêter les combats ou tout simplement ne le souhaite-t-il pas ? - est identique à une autre devinette : Sharon est-il incapable de geler les colonisations ou tout simplement ne le souhaite-t-il pas ?”