Point d'information Palestine
> N°152 du 20/06/2001
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Palestine
Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) -
Daniel Amphoux (Trésorier)
Sélections, traductions et adaptations
de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
Si vous ne souhaitez plus recevoir
(temporairement ou définitivement) nos Points d'information
Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un
e-mail à l'adresse suivante : amfpmarseille@wanadoo.fr.
Ce point d'information
est envoyé directement à 2623 destinataires.
ERRATUM et PRECISION - Dans le dernier Point
d'information Palestine nous vous annoncions le colloque Palestine et
droits des peuples qui se déroulera ce samedi 23 juin 2001, de 10h à 18h30,
à la MJC Picaud à Cannes. Nous avons commis une erreur dans la liste des
intervenants, puisque Jean-Paul Chagnollaud est Directeur
de la rédaction de la revue Confluences Méditerranée. Par ailleurs,
Marwan Bishara, écrivain, journaliste palestinien, chercheur à
l'Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris et enseignant à
l'Université américaine de Paris, auteur de Palestine / Israël, la paix ou
l'apartheid aux Editions de La Découverte, participera aussi à ce
colloque.
Au sommaire
Témoignage
Nationalité :
Palestinien(ne) par M.P. Béraud. A. Champetier, M.H. Robineau et C.
Shammas, membres de l'Association Médicale Franco-Palestinienne
Dernières parutions
1. Revue d’études palestiniennes n° 28 (nouvelle
série) été 200, revue trimestrielle publiée en France aux Editions de
Minuit
[160 pages - 90 FF - ISBN :
2707317586]
2. Ce qui s'est réellement passé à Camp David (11-25
juillet 2000) de Akram Haniyye aux Editions de Minuit (Collection Documents de
la Revue d'études Palestiennes) [61 pages - 59 FF
- ISBN 2707317527]
3. Le Général Sharon -
Eléments pour une biographie aux Editions de Minuit (Collection Documents de la
Revue d'études Palestiennes) [95 pages - 65 FF
- ISBN 2707317594]
Réseau
www.oslo.olp.israel.fact (www = What Went Wrong = "ce qui a
cloché")
Oslo - OLP - Autorité palestinienne - Israël : Quelques
précisions par Gershon Baskin, Ph. D.
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine en
France et Dominique Vidal, rédacteur en chef du "Monde diplomatique" étaient
invités à l'émission "La rumeur du monde" diffusée sur Radio France Culture le
samedi 26 mai dernier. Au cours de ce programme, Dominique Vidal a fait
référence à un document de Gershon Baskin. Nous vous proposons de découvrir
l'intégralité de ce texte. L’idée originelle du nom de cet article "WWW-What
Went Wrong" (Ce qui a cloché) revient au Professeur Edy Kaufman, de l’Institut
Truman (Université Hébraïque de Jérusalem). Le Dr. Gershon Baskin est le
fondateur et le co-directeur de l’IPCRI (Israël-Palestine Center for Research
and Information) fondé en 1988.
Revue de
presse
1. Juste au
moment où on allait leur donner tant de choses... par Gideon Levy in
Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 17 juin 2001 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
2. La
première victime de la guerre par Peter Beaumont, Brian Whitaker (à
Jérusalem) et Edward Helmore (à New-York)
in The Observer (quotidien
britannique) du dimanche 17 juin 2001 [traduit de l'anglais
par Marcel Charbonnier]
3.
Palestine-Israël : La trêve ne durera pas in Le Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 15 juin
2001
4. La voix de
Jérusalem par Herb Keinon in The Jerusalem Post (quotidien israélien)
du jeudi 14 juin 2001 [traduit de l'angalis par Marcel
Charbonnier]
5. Honest
Reporting, le pouvoir au bout de l´e-mail par François Landon in Transfert.net (e-magazine) du vendredi 8
juin 2001
6. Au coeur
de l’extrémisme juif in Courrier International
du jeudi 7 juin 2001
Nationalité :
Palestinien(ne) par M.P. Béraud. A. Champetier, M.H. Robineau et C.
Shammas, membres de l'Association Médicale
Franco-Palestiniennevendredi 8 juin 2001 - Nous revenons d'un voyage
(du 13 au 26 mai 2001) en Palestine (Cisjordanie et Gaza) et Israël. Nous avons
constaté un décalage manifeste entre la réalité sur le terrain et le traitement
qui en est fait dans les media. Il nous semble que l'information grand public
fait preuve de beaucoup de partialité et fait l'impasse sur la terreur
quotidienne subie par la population civile palestinienne.
Imaginez :
-
vous habitez un quartier qui fait face à une colonie (implantation illégale de
citoyens israéliens en territoire palestinien) : depuis huit mois, vous ne
pouvez plus laisser vos enfants circuler librement, jouer dehors avec leurs
copains parce que vous ne savez pas quand les bombardements ou les tirs des
colons vont commencer,
- depuis octobre dernier, votre village est coupé du
monde, les routes d'accès ont été défoncées par les bulldozers blindés
israéliens, les blessés, malades, doivent être transportés à pied, La production
agricole du village pourrit sur place ; il est impossible de franchir les
barrages.
- vous êtes salarié, étudiant... vous ne pouvez vous rendre
librement sur votre lieu de travail ou à votre université, situés à quelques
kilomètres de votre résidence, et vous ne pouvez jamais savoir à l'avance si ce
trajet vous prendra une demi-heure, trois heures ou si vous serez obligé de
faire demi-tour,
- vous habitez Gaza et votre enfant est étudiant en
Cisjordanie, à 80 km de chez vous, il n'a pas pu vous rendre visite depuis 8
mois ; s'il l'avait fait, il aurait été empêché de retourner à ses études.
-
vous êtes agriculteur à proximité d'une colonie israélienne : vous risquez votre
vie en allant travailler votre terre ou en allant récolter vos produits. Le char
d'assaut posté à l'horizon vient régulièrement effectuer sa ronde sur le chemin
limitrophe de votre champ dans un nuage de poussière. Il se peut que vos
plantations soient arrachées sans aucun motif.
- Vous habitez la maison
héritée de vos grand-parents, elle se trouve à proximité d'une colonie ou d'une
route réservée aux colons, votre terrain peut être classé "zone de sécurité
militaire" et votre maison sera détruite. Vous allez pouvoir bénéficier du
statut de réfugié sous une tente des Nations Unies.
- vous avez un enfant
handicapé : savez-vous que beaucoup d'entre eux ont perdu la vie parce qu'ils ne
comprennent pas les sommations des israéliens ?
- vous avez un proche malade
ou âgé qui habite à 20 kilomètres de chez vous : vous ne pouvez pas lui rendre
visite ; en cas de décès vous aurez de grandes difficultés à obtenir
l'autorisation de vous rendre aux obsèques.
Ce ne sont que quelques exemples
parmi tant d'autres. Nous avons croisé sur notre route nombre de personnes
confrontées à ces situations. Elles ne comprennent pas que l'opinion
internationale fasse si peu cas de leurs souffrances et des humiliations
permanentes, préexistantes à cette deuxième Intifada mais démultipliées depuis.
Nous nous sommes engagées auprès d'elles à témoigner.
Nous avons aussi
rencontré des pacifistes israéliens qui luttent pour dénoncer cette situation et
partagent complètement notre point de vue.
[A.
Champetier, M.H. Robineau, C. Shammas c/o Marie-Pierre Béraud - 1, rue de la
Nativité - 26400 Crest - Fax : 04 75 36 45 75 - E-mail : jean-claude.perron@wanadoo.fr]
Dernières
parutions
1. Revue d’études palestiniennes n°
28 (nouvelle série) été 2001
revue trimestrielle publiée en France aux Editions de
Minuit
[160 pages - 90 FF - ISBN :
2707317586]
Extrait du sommaire
Deux hommages à Jérôme Lindon par Elias Sanbar et Pierre
Vidal-Naquet
La situation en Palestine et les perspectives d'avenir par
Camille Mansour
Dossier : Ariel Sharon - Les élections, le gouvernement, le
discours d'investiture
L'affaire Tantoura en Israël par Ilan Pappé
Cet
article relate la polémique, universitaire et judiciaire, suscitée en Israël par
une thèse de doctorat s'appuyant sur la tradition orale – les témoignages
enregistrés d'Arabes et de Juifs – pour prouver qu'un massacre a bien été commis
par les forces israéliennes dans le village côtier de Tantoura à la fin mai
1948. Alors que le chercheur Teddy Katz est lui-même sioniste, cette affaire
démontre jusqu'où l'ordre établi en Israël est prêt à aller pour décourager
toute recherche présentant la guerre de 1948 comme un « nettoyage ethnique ».
L'article aborde également la thèse elle-même et décrit le déroulement du
massacre, indiscutable, tel qu'il peut être reconstitué à partir des
informations disponibles. Il est suivi de quelques extraits de
transcriptions.
Les Arabes, l'islam, les juifs et moi (entretien) par Maxime Rodinson
Le "camp de la paix" en Israël par Yitzhak Laor
Lettres arabes : Poèmes par Kadhim Jihad
2. Ce qui s'est réellement passé à Camp David
(11-25 juillet 2000) de Akram Haniyye
aux Editions de Minuit (Collection Documents de la Revue
d'études Palestiennes)
[61 pages - 59 FF - ISBN
2707317527]
Si la visite d'Ariel Sharon, le 28 septembre
2000, à l'esplanade des Mosquées à Jérusalem a constitué une provocation
délibérée et mis le feu aux poudres du soulèvement palestinien, c'est dans
l'impasse des négociations de juillet 2000, à Camp David, qu'il faut chercher
les causes politiques de ce soulèvement. En effet, les deux semaines de
négociations, entourées d'un black-out total - ainsi en avaient décidé les
maîtres d'¿uvre américains et qui devaient aboutir au règlement définitif d'un
conflit centenaire, ont montré l'ampleur de l'impasse et du fossé séparant les
positions des protagonistes quant aux dossiers fondamentaux du conflit :
réfugiés, Jérusalem, colonies de peuplement, eau, frontières et sécurité.
L'importance de l'enjeu, le véritable travail d'intoxication mené par Israël et
les Etats-Unis qui, pour masquer l'échec de neuf ans de négociations,
affirmaient sans relâche que le " miracle " avait été manqué de justesse,
l'embrasement de la société palestinienne, tout cela a ramené les opinions
publiques aux clichés éculés de l'Orient compliqué et des " Palestiniens
irrationnels et ingrats " face à la "générosité" de leurs occupants. Poursuivant
son travail d'explication et d'information, la Revue d'études palestiniennes
verse une pièce capitale, et à ce jour unique, au dossier. Ce qui s'est vraiment
passé à Camp David d'Akram Haniyyé reprend les minutes de l'un des principaux
négociateurs palestiniens à ces pourparlers, expose en détails le déroulement
des échanges ainsi que les diverses propositions avancées par les parties et
décrit l'atmosphère qui a prévalu pendant ces deux semaines de huis clos.
Document unique et essentiel dans la mesure où, plus qu'une simple pièce
d'archive, il aide à comprendre et à apprécier les événements tragiques qui
secouent la Palestine naissante, le texte d'Akram Haniyyé, non démenti par le
Département d'Etat américain, a connu à ce jour une diffusion mondiale et
suscité l'intérêt de l'ensemble des milieux politiques et diplomatiques
américains, européens, israéliens et arabes.
3. Le Général Sharon - Eléments pour une
biographie
aux Editions de Minuit (Collection Documents de la Revue
d'études Palestiennes)
[95 pages - 65 FF - ISBN
2707317594]
La large victoire d'Ariel Sharon aux élections du 6 février dernier et la
constitution sous sa férule d'un gouvernement d'union nationale, avec Shimon
Pérès, son ancien contempteur, comme ministre des Affaires étrangères en disent
long sur les motivations conscientes ou inconscientes de la société politique
israélienne. Après les tergiversations d'Ehoud Barak, incapable d'honorer ses
propres engagements, après la répression brutale du mouvement populaire
palestinien, après la honteuse débandade de ce qu'on appelait " le camp de la
paix ", ces deux événements viennent confirmer qu'Israël n'est pas mûr pour la
paix. Pis encore : qu'il adresse aux Palestiniens, aux Arabes et à l'opinion
publique internationale un message de haine et de mépris. Car l'homme que les
électeurs, par désarroi ou par dépit, ont porté au pouvoir suprême n'est pas
qu'un vieux baroudeur assagi, comme on nous le dépeint complaisamment, mais un
criminel de guerre. Qui plus est, il s'agit d'un récidiviste, dont la " carrière
", de la Cisjordanie au Liban en passant par le Sinaï, n'est pas moins affreuse
que celle de Pinochet ou de Radovan Karadzic. Ses crimes, comme les leurs,
relèvent assurément de la compétence d'un tribunal pénal international.
Réseau
www.oslo.olp.israel.fact (www = What Went Wrong =
"ce qui a cloché")
Oslo - OLP - Autorité palestinienne - Israël : Quelques
précisions par Gershon Baskin, Ph. D.
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
[Leïla Shahid, Déléguée générale
de Palestine en France et Dominique Vidal, rédacteur en chef du "Monde
diplomatique" étaient invités à l'émission "La rumeur du monde" diffusée sur
Radio France Culture le samedi 26 mai dernier. Au cours de ce programme,
Dominique Vidal a fait référence à un document de Gershon Baskin. Nous vous
proposons de découvrir l'intégralité de ce texte. L’idée originelle du nom de
cet article "WWW-What Went Wrong" (Ce qui a cloché) revient au Professeur Edy
Kaufman, de l’Institut Truman (Université Hébraïque de Jérusalem). Le Dr.
Gershon Baskin est le fondateur et le co-directeur de l’IPCRI (Israël-Palestine
Center for Research and Information) fondé en 1988.]
Ce qui a fait dérailler le processus de paix israélo-palestinien est une
question qui trouble les Israéliens, les Palestiniens, les Arabes et les Juifs,
en général, et tous les partenaires de par le monde qui espéraient que le
Moyen-Orient finirait un jour par vivre en paix. La plupart des analyses écrites
jusqu’à ce jour et celles qui paraîtront à l’avenir passent/passeront en revue
les points évidents suivants :
- les accords signés n’ont pas été mis en
application de bonne foi
- les retraits territoriaux qui incombaient à Israël
n’ont pas été réalisés
- l’Autorité palestinienne n’a pas été diligente pour
désarmer les milices
- la situation économique des territoires palestiniens
s’est détériorée, bien loin de donner au peuple les fruits de la paix
-
Israël n’a cessé de construire de plus en plus de colonies et de routes de
contournement
- L’Autorité est/était corrompue et violait constamment les
droits humains de ses propres ressortissants
- les Palestiniens n’ont jamais
cessé d’embrigader les masses par leurs médias et leur système scolaire, contre
Israël
- les bouclages imposés par Israël en représailles du terrorisme n’ont
abouti qu’au rejet de la paix par le peuple palestinien
- continuation des
vexations à l’encontre des civils palestiniens aux barrages de contrôle
-
installation d’une bureaucratie complexe de permis, autorisations, etc.
-
l’assassinat de Yitzhak Rabin
- l’élection de Binyamin Netanyahu
-
l’arrogance de Barak
- le style, les tactiques et les stratégies de
négociation déplorables, des deux côtés
- les énormes bévues commises par
Clinton à Camp David.
Et des tas d’autres raisons qui feront l’objet d’étude
et de commentaires.
Je voudrais ici tenter de mettre en évidence certaines
des raisons sous-jacentes, certains des événements qui n’ont pas été exposé à
l’opinion publique ou qui n’ont pas retenu son attention, en dépit de leur
importance et de leur pertinence. Bien des points exposés ici ont fait l’objet
de notes politiques et de recommandations/mises en garde que j’ai adressés aux
différents gouvernements d’Israël, à l’Autorité palestinienne, aux négociateurs,
aux parrains américains et à d’autres acteurs importants. Ce papier tentera de
résumer les événements tout en s’efforçant d’en trouver le fil
conducteur.
Par où commencer ? Difficile question. On pourrait dire que les
accords d’Oslo étaient voués à l’échec dès l’origine et les raisons d’insister
sur leurs failles intrinsèques abondent. Mais, laissant ce travail à d’autres,
je vais éluder cette partie de l’analyse. Malgré leurs failles, j’étais partisan
de ces accords d’Oslo, s’il en fut, car je pensais que les gens qui
veulent/voulaient sincèrement la paix dans cette région du monde ont
l’obligation d’apporter leur soutien à une quelconque forme d’accord qui
soit/ait été atteint par les deux parties. D’emblée, je fais remarquer que j’ai
toujours douté de la capacité d’Israël à réaliser un accord total avec Yasser
Arafat. Ces doutes se sont accrus considérablement au cours des années écoulées.
L’une des raisons premières de ce scepticisme croissant tient à la nature du
régime créé par Arafat en Palestine - ce qui ne va pas surprendre grand-monde,
mais aussi au refus d’Israël, des Etats-Unis et du peuple palestinien lui-même
d’exiger d’Arafat (l’établissement d’)un régime démocratique, absolument
nécessaire, je crois, à la réalisation d’une paix véritable. Israël et les
Etats-Unis redoutent/redoutaient trop de démocratie palestinienne par crainte
que, grâce à cette démocratie, des mouvements hostiles à la paix, tels le Hamas,
accroîtraient leur pouvoir. Ils avaient/ont peur de ce que j’appellerais le
"syndrome algérien". Ces craintes sont peut-être fondées, toutefois, de mon
point de vue, l’absence de démocratie est l’une des principales causes
sous-jacentes de l’intifada palestinienne. Il devrait être noté également que
les différents gouvernements israéliens successifs considéraient que la capacité
d’Arafat d’éradiquer les forces hostiles à la paix en Palestine pouvait faire
oublier la nécessité d’une quelconque démocratie palestinienne. Ceci a été
résumé dans la phrase célèbre de Rabin : "bli bagatz u’bli btzelem" - "sans la
Cour Suprême et avec Betzelem -, par laquelle il faisait allusion au fait
qu’Arafat pouvait arrêter, emprisonner et même exécuter à sa convenance, sans
nul besoin d’un quelconque procès en bonne et due forme.
Israël avait/a peur
aussi d’un Conseil Législatif palestinien habilité à prendre des lois
palestiniennes qui pourraient aller à l’encontre de ses intérêts ou des accords,
si bien qu’Israël n’a jamais pris Arafat au mot lorsque ce dernier a déclaré à
plusieurs reprises, en privé, qu’il ne pouvait pas signer la "Loi fondamentale
palestinienne" - la constitution palestinienne - afin de lui donner force de
loi, à cause des objections d’Israël. Cette constitution aurait instauré un
semblant de séparation des pouvoirs et certaines mesures de vérification et de
grands équilibres. Pour ma part, j’ai exhorté Rabin, Pérès et Netanyahu à faire
des déclarations publiques afin d’indiquer qu’Israël voyait la "Loi fondamentale
palestinienne" d’un oeil favorable. Mais rien de tel ne s’est produit.
Nous
devons aussi prendre acte de la très large responsabilité prise par Israël dans
le développement d’un système économique palestinien hyper-centralisé,
monopolistique et corrompu. Malgré les mises en garde constantes de l’auteur de
ces lignes et de bien d’autres, sur les dangers d’un engagement direct d’Israël
dans la corruption palestinienne, des officiels israéliens ont facilité et
encouragé ce que nous pouvons appeler sans exagération "la saignée à blanc du
peuple palestinien", au moyen de marchés douteux et de montages financiers mis
au grand jour par des dizaines d’anciens responsables de la sécurité israélienne
avec des agents de l’Autorité palestinienne, y compris certains agents des
services de renseignement palestiniens, des policiers palestiniens et des
"conseillers" travaillant pour leur propre compte ou directement pour celui,
direct, d’Arafat. Beaucoup de ces marchés, s’ils avaient été manigancés en
Israël même, se seraient terminés avec des mises en accusation et des peines
d’emprisonnement. Mais dans le cas d’espèce, ils ont été conclus sous la table
"dans l’intérêt de la paix". C’est là, sans doute, l’un des éléments les plus
cyniques des scandales remontés à la surface au cours des huit années écoulées.
Peut-être encore plus cynique : le fait que cette coopération se poursuit grosso
modo aujourd’hui, et personne ne devrait être surpris d’apprendre que le premier
point à l’ordre du jour pour le business palestino-israélien, sous Sharon, a été
la réouverture du Casino de Jéricho.
Laissant là cette longue introduction,
je passerai directement à mon analyse des autres causes sous-jacentes et des
autres anomalies du processus de paix, en commençant en septembre 1997. A la
mi-septembre 1997, durant le mandat du premier ministre Netanyahu, Yasser Arafat
donna une longue interview à la deuxième chaîne de la télévision israélienne.
Cet interview, qui dura environ vingt minutes, était réalisée, du début à la
fin, en "close up" (plan américain, ndt). L’état maladif d’Arafat était
frappant. La caméra était focalisée sur sa lèvre inférieure tressautante et ses
mains agitées de tremblements. Les médias locaux et internationaux furent
pleins, des semaines durant, des pronostics sur la maladie de Arafat, sur les
médicaments qu’il était supposé prendre, sur les effets de ces traitements sur
ses performances (ou sur son manque de -) et sur la période qui lui restait à
vivre. Et voilà que tout d’un coup, tout le monde se demandait ce qu’il
arriverait dans l’ère post-arafatienne et qui le remplacerait. J’ai été
personnellement interviewé plus de quarante fois par des journalistes du monde
entier sur ces questions. Mais, plus important que les questions des
journalistes : les questions que les Palestiniens eux-mêmes se posaient.
Dès
la création de l’Autorité palestinienne, la principale préoccupation de bien des
Palestiniens sembla être de savoir comment obtenir une part du gâteau. Nombreux
furent les anciens militants qui avaient mené la première intifada à manifester
leur aspiration à participer de l’Autorité, chacun à sa manière, en obtenant de
hautes responsabilités dans les ministères et les forces de sécurité. Bien des
personnalités locales de Cisjordanie et de Gaza ne tardèrent pas à perdre toute
illusion lorsqu’ils virent les "Tunisiens" - ceux qui vinrent, avec Arafat, de
l’exil - obtenir les postes-clés, être nommés officiers supérieurs, ministres,
alors qu’on leur abandonnait quelques postes de second ou troisième violon dans
un orchestre qu’il leur semblait bien, pourtant, avoir créé. Plus important
encore, la vie de "parti" locale, qui avait été la base de la première intifada
à travers la direction unifiée constituée de représentants des principales
factions de l’OLP, disparut corps et biens. L’idéologie de la résistance et de
la libération nationale (chez les Palestiniens) sembla s’estomper derrière
l’arrivée au premier plan des intérêts privés à court terme et à courte vue
prenant la priorité sur tout. Un intellectuel palestinien, ancien militant du
Fatah, a pu décrire cette transformation en ces termes : "Pour moi, aujourd’hui,
la Palestine, ça s’arrête à ma porte palière". L’impact de cette façon de voir
les choses fut la fin des formations politiques : le FPLP, le FDLP, le Fida, le
Parti Populaire Palestinien et, surtout, le Fatah.
Peu de temps après
l’interview d’Arafat, d’anciens leaders de la première intifada, membres du
Fatah et, pour certains, membres du Conseil Législatif Palestinien, tinrent une
réunion informelle à Ramallah. La discussion porta sur la question de la
succession d’Arafat. La plupart des participants pensaient que les deux
principales formations du Fatah joueraient vraisemblablement un rôle central
dans la sélection/élection du successeur. Ces deux formations sont le
Fatah-Conseil central et le Fatah-Conseil révolutionnaire. L’une comme l’autre,
notèrent au passage les participants, étaient contrôlées par la vieille garde
loyale d’Arafat, constituée principalement de dirigeants de l’OLP venus de
l’extérieur. Les jeunes leaders indigènes (locaux) de la première intifada n’y
étaient pas représentés. En fait, parmi tous les participants à la réunion de
Ramallah, un seul était membre du Conseil révolutionnaire et un autre
appartenait au Conseil central. A ce point du débat, la décision fut prise de
revivifier le Fatah à travers des activités de base et en adoptant des positions
militantes sur des sujets centraux dans le processus de paix : les colonies, les
réfugiés et, priorité des priorités : la libération des prisonniers. Il convient
de noter qu’en septembre 1996 ces (deux) leaders du Fatah avaient été à la tête
des premiers jours de manifestations violentes en protestation contre le
creusement du tunnel sous le Kotel (Esplanade des mosquées/Mont du Temple, ndt)
par Netanyahu. Ainsi, une décision stratégique fut prise : celle de reconstituer
l’organisation du Fatah (le Tanzim), qui avait été créée en 1993. Le but ultime
étant de "prendre le contrôle" des organes de pouvoir du Fatah et de revivifier
la lutte palestinienne en vue de renforcer l’attachement indéfectible aux buts
politiques des Palestiniens : l’établissement d’un Etat palestinien sur la
totalité de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza et Jérusalem-Est, le départ de
tous les colons israéliens, le gel de toute nouvelle colonie, et la libération
de tous les prisonniers palestiniens des geôles israéliennes.
En avril 1998,
un article très important fut publié dans un grand quotidien de Beyrouth : il
analysait le processus vraisemblable de dévolution du pouvoir après Arafat. Ce
fut le premier de toute une série d’articles axés sur le même sujet, qui
parurent dans l’ensemble du monde arabe, et ce sujet devint l’un des plus
largement débattus par les médias, notamment la très populaire télévision par
satellite Al-Jazira, qui émet depuis le Qatar.
Dans la période qui a précédé
l’accord de Wye River, en octobre 1998, Arafat avait déclaré une séries
d’actions politiques dans l’ensemble des territoires palestiniens, sous
l’intitulé "Jours de colère", au cours desquels on avait donné la consigne aux
Palestiniens de faire des manifestations contre les implantations israéliennes.
Toutes ces manifestations, et notamment les protestations conduites par Fayçal
Husseïni (récemment disparu, ndt) contre le chantier de la nouvelle implantation
de Har Homa/Jabal Abu Ghaïn, ont été des fiascos complets. Les gens ne vinrent
pas, tout simplement. Arafat avait pourtant eu recours à la fermeture des
administrations et avait enjoint à tous les fonctionnaires de l’Autorité
palestinienne et à leurs conjoints et enfants de prendre des bus qui devaient
les conduire aux lieux de manifestation. A Jérusalem, on a même relevé que des
gens avaient été payés afin de participer aux manifestations contre Har Homa.
Beaucoup seraient enclins à en tirer la conclusion erronée que le public
palestinien était indifférent : il ne l’était absolument pas. Il ne voulait tout
simplement pas répondre aux appels d’Arafat à cause de la frustration, de la
honte et du désespoir de voir ce qui était en train d’advenir de leur rêve
palestinien. Au cours d’un meeting de masse tenu à Naplouse, avant l’accord de
Wye River, un haut responsable de la sécurité palestinienne, venu de Tunis,
avait appelé la population à "prendre les rues et à combattre l’occupant". Un
Nabulsi se leva, très irrité, et lança : "nous avons fait notre dû, pendant
l’intifada, nous avons sacrifié nos enfants et nos vies. Maintenant, c’est bien
votre tour d’envoyer les vôtres". Tous les présents savaient pertinemment que
les enfants du chef de la sécurité palestinienne vivaient (en sécurité) à
l’étranger, où ils poursuivaient leurs études...
Sur ces entrefaites, le
Tanzim (du Fatah) entreprit un processus d’élections démocratiques
afin de
choisir un nouvel encadrement de leaders en Cisjordanie et, dans une moindre
mesure, à Gaza où les forces de sécurité d’Arafat étaient plus influentes et
exerçaient un contrôle plus assuré. Dans chaque ville, dans chaque village, dans
chaque camp de réfugiés, le Fatah s’organisait. Il ne tarda pas à lancer une
campagne d’opinion qui rencontra beaucoup de succès, intitulée l"intifada des
prisonniers", avec des marches à travers les territoires occupés, qui obtinrent
une large adhésion du public. Le Tanzim rassemblait des armes, aussi. Entre 1996
et 1999, le Fatah tint plus de 122 conférences dans la seule Cisjordanie, plus
de 85 000 personnes y assistant. Son but affiché était de se compter et d’élire
un nouveau Conseil Central du Fatah, ainsi qu’un nouveau Conseil
révolutionnaire. Ces groupes ne s’étaient pas réunis depuis plus de onze
ans.
A Wye River, l’Israël de Netanyahu fortement soutenu par les Américains
et la CIA pressa Arafat de désarmer toutes les milices en Cisjordanie, en
particulier le Tanzim. L’accord de Wye River fut signé le 23 octobre 1993. Le
25, les forces du colonel Musa Arafat, chef des Forces de l’intelligence
militaire palestinienne (et neveu de Yasser Arafat) entra de force dans les
bureaux du Tanzim à Ramallah. Le Tanzim s’opposa à cette intrusion, et des tirs
éclatèrent dans le centre-ville de Ramallah. Sur la fin des échanges de tirs, un
jeune Palestinien, Wassim Tarifi (neveu d’un ministre de l’Autorité, Jamil
Tarifi) fut tué. Le centre de Ramallah fut fermé durant plusieurs jours au cours
desquels le Tanzim et les troupes de Musa Arafat rassemblèrent leurs forces afin
d’en découdre. Finalement, Arafat donna l’ordre à Musa Arafat de se retirer. Le
Tanzim venait de remporter sa première bataille stratégique dans la lutte pour
le contrôle de la direction palestinienne. On a rapporté qu’après cet incident,
les murs de Ramallah étaient couverts de graffiti dénonçant les "sales collabos
de l’Intelligence militaire".
Trois semaines plus tard, des émeutiers
militants du Tanzim envahirent le commissariat de la police de l’Autorité
palestinienne dans le camp de réfugiés de Balata, y mirent le feu, incendièrent
une voiture de la police et ne se retirèrent qu’après que les policiers
palestiniens aient ouvert le feu sur eux. Cette échauffourée avaient été causée
par l’interdiction faite par la police de l’Autorité aux manifestants de marcher
en direction du Tombeau de Joseph au cours de l’"intifada des
prisonniers".
En mai 2000, les élections ayant eu lieu dans l’ensemble des
territoires, le Tanzim décida que le temps était venu de porter le combat dans
les rues. Les négociations sur le statut final n’avaient pas encore commencé. Le
Premier ministre israélien Barak ne prenait pas le processus palestinien
suffisamment au sérieux, du point de vue des Palestiniens, car il préférait
rechercher un accord avec Assad afin d’affaiblir ceux-ci. Barak , insistant sur
le fait que cela devait être considéré comme faisant partie de l’accord
définitif, n’accepta pas le troisième redéploiement. Les prisonniers
palestiniens ne furent pas libérés. Le comité chargé de cette question se
contenta de manifester son peu d’enthousiasme, tandis qu’Israël disait ne pas
pouvoir libérer des prisonniers qui avaient du sang sur les mains.
Au cours
d’une réunion à huis clos organisée par l’IMCRI, en avril 2000, entre députés
israéliens et de hauts responsables du Tanzim, Marwan Barghouthi déclara : "J’ai
honte que plus de cinq cent prisonniers - dont certains ont tué des Israéliens -
soient encore détenus dans les geôles israéliennes. Avant Oslo, il y avait
l’intifada, il y avait des combats entre les deux côtés, entre l’OLP et Israël.
Barak, qui est aujourd’hui votre Premier ministre - et que nous avons rencontré
personnellement - a tué trois de nos leaders au Liban. Mais nous acceptons de
nous asseoir avec lui à une même table, aujourd’hui, parce que nous devons
entamer l’écriture d’une nouvelle histoire entre nos deux peuples."
Entre les
15 et 17 mai 2000, les territoires palestiniens entrèrent en éruption à nouveau
pour trois jours de manifestations des Palestiniens marquant la "journée de la
Nakba" (catastrophe), le jour de la tragédie. Ce n’était pas la première fois
que les Palestiniens célébraient cette journée, bien sûr, mais jamais auparavant
une centaine de milliers de manifestants n’étaient descendus dans la rue. Des
affrontements armés se produisirent à certains des carrefours stratégiques
israélo-palestiniens, en Cisjordanie et à Gaza. Les patrouilles mixtes, créées
afin d’agir dans des conjonctions de ce type, ne firent rien. Les manifestations
et l’action militaire étaient menées par le Tanzim. Arafat ne parvint à
contrôler la situation sur le terrain qu’au bout de trois jours, après avoir été
soumis aux pressions d’Israël et des Américains. Après ces trois jours, Marwan
Barghouthi déclara : "Nous avons utilisé des armes contre Israël et s’il le
faut, nous reprendrons les armes, à l’avenir". Je pense qu’à cet instant, Arafat
avait pris la décision stratégique de conserver le Tanzim du Fatah à ses côtés.
Dans l’esprit d’Arafat, s’il obtenait un accord avec Israël, il aurait besoin de
tout le pouvoir du Tanzim afin d’entraîner la rue, et s’il n’obtenait pas
d’accord avec Israël, il aurait besoin du Tanzim aussi, mais cette fois, pour
mener la résistance. Peu après les événements des 15, 16 et 17 mai 2000, Arafat
arrangea une réunion de réconciliation entre le Tanzim et le chef de la Sécurité
préventive de Cisjordanie, Jabril Rajoub, dont l’image avaient été mise à rude
épreuve, un an auparavant, quand le Tanzim avait accusé Rajoub d’avoir remis
plusieurs prisonniers palestiniens à Israël, après que ce dernier eût exigé leur
extradition.
L’échec de Camp David II et ses
suites
D’après les médias israéliens, Ehud Barak aurait présenté les
"concessions les plus généreuses" que les Palestiniens puissent espérer
recevoir, dans leurs rêves les plus fous, des mains d’un Premier ministre
israélien. Plus, la hasbara (l’appareil de propagande) israélienne a blâmé
Arafat "de ne pas avoir raté l’occasion de rater encore une fois l’occasion". M.
Clinton s’est joint au concert, critiquant Arafat d’avoir rejeté l’offre de
Barak. M. Barak a prétendu que les Palestiniens n’auraient pas présenté de
contre-proposition et que même, ils n’auraient pas répondu à la proposition
israélienne. Le chapitre essentiel du "paquet" de propositions israéliennes
comportait l’octroi de 89% de la Cisjordanie aux Palestiniens, les 11% restants
étant annexés à Israël. M. Barak s’est vanté du soutien assuré d’une majorité
des colons à ce plan, car 80% d’entre eux resteraient là où ils se trouvent, et
seraient, de plus, sous souveraineté israélienne. Seuls quelque 40 000 colons
devraient dans ce cas de figure déménager pour aller s’installer dans les "blocs
d’implantations" qui seraient annexés (à Israël). Cela semblait presque
raisonnable. Mais les Palestiniens ont rejeté catégoriquement cette proposition,
et ce rejet a constitué l’un des éléments premiers de l’intensité de l’Intifada
d’Al-Aqsa.
La plupart des Israéliens, et la majorité de l’opinion publique
mondiale considérant le rejet de cette proposition par les Palestiniens comme
une erreur funeste, nous devons en examiner les causes de plus près :
Les
Palestiniens qui ont assisté à Camp David ont pu parler de l’apparition d’un
nouveau concept dans le lexique israélo-palestinien, surgi "pour les besoins de
la cause" avec l’aide des planificateurs et des cartographes appelés en renfort
afin d’interpréter les positions et les problèmes présentés par un côté comme
par l’autre. Israël n’avait jamais présenté une seule carte aux Palestiniens ou
au Américains. Chacune des deux parties, à Camp David, travaillait sur ses
propres cartes et les gardait jalousement pour lui. Le nouveau concept était :
les grappes de colonies. Par opposition aux "blocs d’implantation" - il s’agit
des implantations israéliennes concentrées tout au long de la Ligne Verte qui
pourraient être annexées au territoire (israélien) antérieur à 1967 - le concept
des "grappes de colonies" se réfère à des groupes d’implantations plus isolées
au coeur du territoire palestinien, qui deviendraient des îlots de souveraineté
israélienne une fois annexés par Israël. La proposition israélienne faite aux
Palestiniens des 89%-11% incluait un certain nombre de ces "grappes de
colonies". Ce fait signifiait également qu’une quarantaine de villages
palestiniens peuplés d’environ 80 000 Palestiniens seraient eux aussi annexés à
Israël. L’urbaniste en chef des Palestiniens a été convoqué à Camp David par
Arafat afin d’interpréter la proposition israélienne que les Américains le
pressaient d’accepter. Les Américains et les Israéliens dirent aux Palestiniens
qu’il s’agissait là de la meilleure offre (israélienne) possible et que Barak
avait fait le maximum. Barak, expliquèrent-ils, s’engageait à se retirer de plus
de 40 colonies, ce qui concernait au total 40 000 colons. Tout compromis
supplémentaire aurait entraîné la chute de son gouvernement et, dans ce cas,
"Arafat pourrait négocier avec Sharon et Bibi (Netanyahu) tout à son aise",
avait ajouté Barak.
Aux yeux des Palestiniens, la proposition de Barak créait
non pas seulement des îlots de souveraineté israélienne (sur leur territoire),
mais bel et bien, au minimum, "trois ghettos souverains" palestiniens. Il n’y
aurait aucune réelle continuité territoriale palestinienne. Ils n’auraient pas
le contrôle ni la souveraineté sur les principales voies de circulation. La
vallée du Jourdain continuerait à être sous le contrôle des Forces israéliennes
de défense, même si une certaine forme de souveraineté palestinienne devait leur
y être garantie. La seule partie de la proposition israélienne qui eût semblé
acceptable pour les Palestiniens était que, d’après ce qu’ils en avaient
compris, Barak acceptait d’évacuer toutes les implantations de Gaza, dont Gush
Katif. Toutefois, une chose restait peu claire : Barak accordait-il ou non aux
Palestiniens un point de passage frontalier avec l’Egypte, à Rafah, sous leur
entière souveraineté ? (Après Camp David il n’était plus aussi clair que Barak
eût effectivement offert d’évacuer la totalité des colonies de la bande de Gaza,
qui contrôlent encore environ 30% de sa superficie totale.)
Tout au long des
négociations, les Palestiniens ont constamment rappelé aux Américains, aux
Israéliens et aussi... à eux-mêmes, qu’en vertu d’Oslo II, signé à Washington en
septembre 1995, Israël devait continuer à redéployer ses forces (et son
contrôle) jusqu’à des "positions militaires identifiées". L’agrément mutuel
israélo-palestinien sur ce point, à l’époque, était que les colonies
israéliennes entraient dans le champ des "positions militaires identifiées".
Selon les Palestiniens, vers la fin de la période intérimaire (de cinq ans),
Israël aurait dû s’être retiré de 90% de la Cisjordanie, en application d’un
accord signé et ratifié. Les Palestiniens croyaient que la superficie des
colonies comportait seulement les zones construites, en laissant une zone de
cinquante mètre au-delà des dernières maisons dans chaque colonie (conception
ayant reçu l’aval de Netanyahu à Wye River, qui considérait que cette plage de
cinquante mètres permettait l’"extension interne" des colonies, pour leur
accroissement démographique naturel, ndt). Les colonies, ainsi définies,
auraient représenté, avec les bases militaires des Forces israéliennes de
défense, environ 10% de la superficie de la Cisjordanie. Sous Netanyahu, Israël
prétendit que l’accord faisait référence à des "zones de sécurité" et non à "des
positions militaires définies" : il s’agissait là d’une définition beaucoup plus
large qui permettait à Israël de décider de manière unilatérale que les
redéploiements à venir serait beaucoup plus limités que ce que les Palestiniens
demandaient. Les services de Netanyahu fournirent une version hébreue des
accords d’Oslo, évoquant des "azorim bitchoniim" : des zones de sécurité. Au
même moment, le Ministère israélien des Affaires étrangères faisait circuler un
document interne portant la mention : "Secret - Diffusion restreinte", avec la
traduction exacte de l’expression "positions militaires définies", montrant bien
que l’interprétation palestinienne (du contenu des accords) était
l’interprétation correcte.
M. Barak décida, avant même d’être élu, qu’il
"fondrait" ensemble le troisième redéploiement à venir avec l’accord définitif,
évitant par là-même la nécessité d’avoir à faire des "concessions superflues"
aux Palestiniens. En d’autres termes, il n’y aurait pas de nouveau redéploiement
(alors que les Palestiniens avaient manifesté le désir que ces retraits
concernent au moins la moitié de la Cisjordanie). Barak pensait que, venant
après Netanyahu, son offre "généreuse" serait considérée par les Palestiniens
comme leur propre version des choses, consistant à recevoir leur propre Etat
"sur un plateau d’argent"... Pour Barak et Clinton, le refus des Palestiniens
était incompréhensible : comment pouvaient-ils refuser ? Qui donc pouvait-il
avoir mieux à leur offrir ?
Dès Oslo, (en 1993), les Palestiniens n’ont cessé
d’affirmer qu’ils ont signé leur "compromis historique" en renonçant à 78% de la
Palestine (historique), ce qui ne leur laissait que la Cisjordanie,
Jérusalem-Est et (la bande de) Gaza. Ils pensaient qu’Israël ferait son propre
"compromis historique" au cours des discussions pour le statut définitif en se
retirant de 100% de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza, en lui
accordant quelques rectifications de frontières mineures et en tenant compte des
nouvelles réalités sur le terrain. Le fait de prendre en compte certaines de ces
"nouvelles réalités" conduisit Arafat à offrir à Barak 2% de la Cisjordanie
"gratis" et 2% supplémentaires en échange contre des territoires de même qualité
et de même taille à l’intérieur d’Israël. (Il s’agit là de la contre-proposition
des Palestiniens, à Camp David, dont personne ne parle jamais). La position
palestinienne était basée sur leur exigence que soit mise en application la
résolution 242 du Conseil de Sécurité (telle qu’ils la perçoivent), qui
préconise le retrait total d’Israël de tous les territoires conquis en 1967.
L’acceptation d’Arafat de renoncer à 2% de la Cisjordanie "en cadeau", a
entraîné une profonde division au sein de la délégation palestinienne. Des
fuites officieuses ont même fait état de "pugilat"entre au moins deux des
délégués de l’équipe palestinienne. La gravité de l’irritation au sein de la
délégation palestinienne aurait dû être un signal, pour Israël, ainsi que pour
les Américain, leur indiquant que l’opinion publique palestinienne était sur le
point d’"exploser" si elle se trouvait devant un choix "à prendre ou à laisser",
en ce qui concerne la "généreuse" "offre" israélienne...
Des sondages
d’opinion effectués auprès de la population palestinienne à la suite de Camp
David, ont montré que le plus haut taux de rejet et d’hostilité dans cette
population concernait la question territoriale et notamment le devenir des
colonies (israéliennes). Les Palestiniens ont assisté à l’expansion rapide des
colonies et des routes (de contournement) au cours des dix-sept mois écoulés de
gouvernement Barak (30% de plus que ce que Netanyahu avait construit). Pour les
Palestiniens, la réalité des colonies, c’est qu’elles leur imposent de vivre
sous occupation perpétuelle, qu’elles entraînent la confiscation de leurs
terres, l’accaparement des ressources hydriques, des décisions unilatérales de
planification qui ont un impact direct sur leur vie de tous les jours : l’idée
d’indépendance et de souveraineté palestiniennes, dans ce contexte, se rapproche
de la simple farce.
Le camp de la paix israélien a toujours protesté contre
la construction de colonies. Depuis le début du mouvement de colonisation, le
camp de la paix, en Israël, est descendu dans les rues pour protester. Je me
souviens de dizaines de ces manifestations, la plus dramatiques d’entre elles,
pour moi, étant celle qui eut lieu à Efrat, en 1982, par un samedi pluvieux,
soit avant même que le premier colon n’ai encore mis les pieds dans une colonie.
Personne ne pouvait ignorer la réalité des sommes (très importantes) consacrées
aux colonies, pour les routes, les infrastructures et la construction des
maisons. Je me souviens d’avoir eu cette réflexion : "on porte des pancartes et
eux, pendant ce temps, ils construisent !" Quel sentiment d’impuissance ! La
gauche israélienne savait que les colonies représentaient un obstacle à la paix
: même les Américains le disaient... Alors pourquoi, dans ces conditions, le
camp de la paix a-t-il fini par admettre que les colonies étaient une réalité de
terrain et qu’on ne pouvait pas aller contre ? Comment se fait-il que le camp de
la paix, en Israël, est devenu l’"avocat de la défense" des colons et des
colonies, contre les Palestiniens ?
Tout au long des négociations, durant des
années, la plupart des Israéliens ont affirmé la non-pertinence de la légalité
internationale, si éloquemment exprimée par Ben Gurion "Um-schmoom", ce qui
signifie : "l’ONU ? Le délire !" Qui s’inquiète du fait que la construction de
colonies est une violation flagrante du droit international ? Qui se préoccupe
du fait que l’institution réputée "progressiste" de la Cour Suprême israélienne
ait constamment repoussé l’idée qu’elle devait prendre en considération le droit
international : son mandat se limite toujours au cadre de la jurisprudence
israélienne.
Après l’effondrement total, et sans doute définitif, du
processus d’Oslo, il apparaît désormais que le slogan "les colonies = pas de
paix" correspond bien à la réalité. Il semble quasi inimaginable qu’un
gouvernement israélien puisse un jour envisager de supprimer plus de colonies
que ce que Barak a proposé. Les Palestiniens sont mécontents de l’hégémonie
exercée par les Etats-Unis en leur qualité autoproclamée de seuls négociateurs
légitimes. Leur demande d’intervention internationale, de protection et même de
médiation, n’a rien de tactique, elle est stratégique. Ils savent que la
légitimité internationale est de leur côté. Leur stratégie semble bien inclure
aussi une guerre d’usure, contre certaines implantations israéliennes isolées, à
l’image de celle menée par le Hizbollah (au Liban, ndt), afin de prouver aux
Israéliens que ces colonies leur coûtent en fait très cher. Ce n’est pas un
hasard si Netzarim, Kfar Darom, Psagot, Kadim et Gahim sont devenues des cibles
pour cette nouvelle intifada.
Il faut aussi noter qu’au cours des quinze
jours de négociations à Camp David, Barak et Arafat ne se sont adressé
directement la parole que deux fois, pour moins d’une heure au total. Chose
surprenante, ces discussions n’ont porté que sur le temps qu’il faisait à Camp
David et la "gastronomie" américaine. L’une des questions que je me pose, et à
laquelle je n’ai pas la réponse, est pourquoi Clinton a-t-il admis que cette
mascarade se poursuive aussi longtemps ? Selon des indications entendues tant
des Israéliens que des Palestiniens et des Américains présents à Camp David,
Clinton aurait décidé après que Netanyahu et Arafat aient dénié ce sur quoi ils
étaient tombés d’accord au cours de conversations en tête-à-tête, à Wye
Plantation, que des Américains assisteraient à toutes les rencontres
israélo-palestiniennes à Camp David, afin d’y prendre tout en note. Barak venu à
Camp David avec la mentalité voulant que "toutes les propositions israéliennes
sont hypothétiques avant qu’elles n’aient été, toutes, acceptées en bloc", a
refusé de se voir "piégé" (ce sont ses mots) par des projets d’accord
américains. Ainsi, Barak a refusé de négocier directement avec Arafat. Vu du
côté américain, les membres de l’Equipe de la Paix américaine ont été
désarçonnés par ce qu’ils ont considéré comme l’issue tragique de Camp David
pratiquement dès le début, mais ils ont été incapables d’amener Clinton, qui
avait gagé la totalité de sa présidence sur sa diplomatie au Moyen-Orient, à
ouvrir enfin les yeux. Camp David n’a été préparé sérieusement par aucun des
camps. Toutefois, le compte à rebours, déjà engagé, de la présidence Clinton a
fait que le processus est allé de l’avant.
Puis vint le 28 septembre 2000.
Arik Sharon, dans une attitude de provocation directe face aux rumeurs,
circulant en Israël, selon lesquelles Israël abandonnerait sa souveraineté sur
le Mont du Temple (Esplanade des Mosquées, ndt), revendiqua le droit de s’y
rendre en visite. Barak, sous la pression de l’indignation de la population
contre son intention de livrer aux Palestiniens ce que les Juifs considèrent
être leur Lieu Saint le plus sacré, déféra à l’exigence de Sharon. Les versions
divergent en ce qui concerne les propos de Jabril Rajoub, qui aurait dit que la
visite de Sharon ne poserait pas de problème si Sharon n’entrait pas dans les
mosquées (version 1) ou qui aurait averti que, dans tous les cas, cette visite
aboutirait à une explosion (version 2). Cinq jours avant Camp David, j’envoyais
un rapport à Gilead Sher, à l’attention du Premier ministre Barak. J’en donne
ci-après la teneur.
Personnel - Confidentiel
En vue de la
convocation du sommet de Camp David, la semaine prochaine, je désirerais vous
soumettre certaines observations et évaluations résultant du dialogue intensif
qu’il nous a été donné d’avoir avec des officiels de haut rang tant en Israël
qu’au sein de l’Autorité palestinienne au sujet du futur de Jérusalem. Nous
pensons que ces observations et ces évaluations sont cruciales dans la tentative
d’atteindre à un accord sur le devenir de Jérusalem.
1 - Les Palestiniens se
sentent significativement renforcés dans leurs positions de principe après les
négociations israélo-syriennes et le retrait des forces israéliennes jusqu’à la
frontière internationale israélo-libanaise.
2 - Le principe le plus important
(chez les Palestiniens) est de s’en tenir rigoureusement à la résolution 242 du
Conseil de Sécurité de l’ONU, qui s’applique aussi bien à la Cisjordanie et à la
bande de Gaza, de leur point de vue, qu’aux autres voisins d’Israël. Les
Palestiniens sont convaincus de cette position, et ils bénéficient du fort
soutien des experts du droit international, un peu partout dans le monde. Ils
n’en abandonneront pas un millimètre. C’est une question de principe, et ils
mesureront toutes négociations et accords (à venir) à son aune.
3 - Pour les
Palestiniens, la traduction pratique de la résolution 242 est le retour aux
frontières de 1967. Toute modification frontalière devra résulter, de leur point
de vue, de l’adhésion d’Israël aux principes de la résolution 242 et aux
frontières de 1967, puis, en second lieu, de l’acceptation par les Palestiniens
de modifications apportées à des territoires reconnus, avant toute chose, comme
relevant de leur souveraineté.
4 - En ce qui concerne Jérusalem, il est
fondamental de comprendre que pour les Palestiniens, Jérusalem, (Al-Quds), c’est
la Vieille Ville. Abu Dis, Shafat, Beit Hanina, etc. ne sont pas Jérusalem et ne
sauraient en tenir lieu. Les Palestiniens sont plus fermes sur cette question
que sur aucune des questions abordées jusque-là. Leur position s’est
considérablement durcie au cours des six mois écoulés. Ils exigent et
continueront d’exiger, tant qu’il y aura des négociations, le retour aux
frontières de 1967, à Jérusalem. Ils n’abandonneront jamais leur position, qui
est que la totalité de Jérusalem-Est doit être sous souveraineté palestinienne.
Ils défendront leur dossier en excipant du droit international, des résolutions
de l’ONU, et aussi de la position internationale générale, qui est qu’Israël n’a
pas de droits légaux sur Jérusalem-Est. De mon point de vue, les Palestiniens ne
feront aucune concession sur ce point. Au mieux, ils pourraient admettre qu’il
n’y aurait aucune souveraineté proclamée sur le Haram al-Sharif/Mont du Temple ,
ni d’Israël, ni des Palestiniens, pour peu qu’ils y exercent leur contrôle
effectif.
5 - Si les Palestiniens obtiennent effectivement la souveraineté
sur Jérusalem-Est, ils pourraient, sous la pression, concéder souverainement
leur souveraineté sur les quartiers israéliens situés à Jérusalem-Est (à
l’intérieur des limites de la municipalité), sur les quartiers juifs de la
Vieille Ville et sur le Kotel (Mur des Lamentations, ndt). Pour citer un de nos
hauts responsables, l’Etat palestinien n’a ni intérêt ni ne désire régir plus de
180 000 Israéliens résidant à Jérusalem (Est). L’abandon partiel de souveraineté
palestinienne sur certaines parties de Jérusalem n’est "vendable" aux
Palestiniens qu’au prix de leur assurer avec insistance qu’il s’agit là d’un
droit exercé souverainement et non de quelque chose à quoi ils sont contraints
ou "fortement encouragés".
6 - Une estimation israélienne pourrait être de
juger que le prix de l’accord est trop élevé. L’illusion pourrait se faire jour,
du côté israélien, que les Palestiniens pourraient "céder" sous la pression. De
notre point de vue, c’est à exclure et les probabilités d’affrontements violents
augmenteraient de manière significative, résultant d’une frustration
palestinienne aggravée. Arafat a reçu les encouragements, s’il était besoin, de
toutes les couches de la société palestinienne, à tenir bon. Il fera lourdement
pression sur les Américains afin qu’ils soutiennent sa position de principe et
il va s’employer à leur dépeindre Israël comme le premier violateur des accords
déjà signés. Il soulèvera la question de la non-exécution par Israël des
redéploiements militaires prévus comme principal exemple de non-mise en pratique
par Israël de ses engagements.
7 - Notre évaluation nous conduit à affirmer
que la seule façon d’obtenir un accord sur Jérusalem, avec les Palestiniens,
serait d’aller beaucoup plus loin que les positions qui ont toujours été celles
d’Israël. Sans cela, il n’y aura pas d’accord final et pas d’agrément
palestinien à la fin du conflit ni de satisfaction, par voie de conséquence, des
exigences israéliennes. L’ajournement d’une décision sur Jérusalem signifiera
nécessairement qu’il n’y aura pas d’accord de "fin de conflit". Il est
fondamental de bien le comprendre.
Peu de temps avant Camp David, les médias
israéliens ont rapporté l’information selon laquelle l’instance suprême
rabbinale envisageait de réexaminer la loi religieuse juive (Halakha) sur la
question des prières juives sur le Mont du Temple. On a rapporté par la suite
que ce réexamen inclurait la possibilité de construire un lieu de prière pour
les Juifs quelque part sur le Mont du Temple. A l’instar de la presse
israélienne, qui a publié moult reportages sur les constructions et les fouilles
des Palestiniens sur le Mont du Temple, causant des dégâts irréparables aux
traces historiques (fondamentales pour les Juifs) du Temple Sacré, les médias
palestiniens et arabes ont croulé sous les histoires d’Israéliens creusant des
tunnels sous la mosquée Al-Aqsa et de plans israéliens visant à s’en emparer et
à la diviser entre lieux de prières pour les Juifs et les Musulmans, à l’instar
du Caveau des Patriarches, à Hébron (Mosquée d’Abraham). Plusieurs jours avant
la visite de Sharon au Mont du Temple, le mouvement islamique, en Israël, a
organisé une conférence à laquelle quelque 70 000 personnes ont assisté (du
moins, c’est le chiffre rapporté par la presse), à Umm el-Fahm, sous le titre
"Al-Aqsa en danger". Sharon, qui ne visait, par sa visite, qu’à affaiblir Barak
aux yeux de l’opinion publique israélienne, n’a jamais escompté que sa visite
antraînerait la réponse qu’elle a provoquée en Palestine.
Qu’est-ce
qui a déclenché l’Intifada d’Al-Aqsa ?
Je pense que le déclenchement
de l’intifada n’a ni été planifié ni pensé stratégiquement par la direction
palestinienne, que ce soit l’Autorité ou le Tanzim. Nous avons affaire à un
enchaînement d’événements qui se sont développés très rapidement, ont connu une
escalade et ont échappé à tout contrôle. Les décisions concernant sa
continuation et son évolution ont été prises, pour la plupart, en fonction des
événements eux-mêmes. Voici comment je vois leur déroulement.
La visite de
Sharon, accompagné de centaines de membres des forces de sécurité, le jeudi 28
septembre, sur le Mont du Temple, s’était déroulée pratiquement sans incident.
Toutefois, cinq Palestiniens avaient été tués et plus de 300 blessés au cours de
heurts en Cisjordanie. Seulement 2 000 fidèles musulmans, environ, se trouvaient
sur le Mont du Temple lorsque la visite de Sharon eut lieu. Alors que ce dernier
avait déjà quitté les lieux, quelques pierres furent lancées. Le vendredi 29
septembre, les leaders palestiniens ont appelé à des manifestations dans toutes
les localités des territoires et en particulier sur le Haram al-Sharif
(Esplanade des Mosquées, ndt). A la fin des prières du soir de ce vendredi,
quelque 50 000 fidèles affrontaient les bataillons de la police israélienne et
des Gardes-Frontières qui étaient venus pour maintenir l’ordre public. Des
émeutes éclatèrent immédiatement. L’une des premières pierres jetées toucha le
commandant de la police israélienne Yair Yitzhaki à la tête. Ce dernier fut
évacué de l’Esplanade des Mosquées sur une civière, en état de choc. J’ai pu
parler à l’un des officiers qui se trouvaient sur les lieux, plusieurs jours
après. Il m’a dit que lorsque les policiers ont vu leur commandant évacué,
apparemment sérieusement touché à la tête, ils ont perdu tout contrôle
d’eux-mêmes. Personne ne contrôlait plus rien et des tirs à balles réelles
furent utilisés afin de disperser les insurgés. Quatre Palestiniens furent tués,
sur l’Esplanade des Mosquées, deux autres dans la Vieille Ville et encore quatre
autres à Gaza, et plus de sept cent, blessés. Le samedi 1er octobre 2001, Israël
célébrait le Rosh Hashana (le Jour de l’An juif), dix nouveaux Palestiniens
furent tués et plus de cinq cents, blessés. Ce même samedi, des citoyens
palestiniens d’Israël se sont joints aux émeutes et les principaux carrefours,
dans le pays, furent coupés, rendant inutilisables les routes de Cisjordanie, du
Wadi Ara et de Galilée. Le pays était en état de siège et les gens, des deux
côtés, étaient très en colère. Le dimanche 2 octobre, les Palestiniens
enterraient trente-trois des leurs. La situation échappait à tout contrôle.
Alors que la première journée des émeutes était déjà bien avancée, des hommes
armés du Tanzim (organisation du Fatah) sont sortis et ont tiré contre des
cibles israéliennes en Cisjordanie et à Gaza. La police régulière d’Arafat ne
participa pas aux échanges de tirs, mais elle se garda bien d’essayer de les
arrêter. Le Tanzim parvint à faire sortir des masses de gens dans les rues, en
particulier lorsqu’il s’agissait d’organiser les cortèges funèbres dans
l’ensemble des territoires.
En Israël, ce qui avait commencé comme des
manifestations contre ce que les gens percevaient comme des plans israéliens
visant le Haram al-Sharif devint rapidement une émeute populaire généralisée, en
réponse à la force brutale utilisée par la police israélienne contre les
citoyens palestiniens de l’Etat d’Israël.
Le dimanche au soir, l’IPCRI
organisa une rencontre à Ramallah, avec le chef de la sécurité préventive de
Cisjordanie, Jabril Rajoub et deux parlementaires membres de la Knesseth, du
parti Meretz, Avshalom (Abu) Vilan et Mosy Raz. Abu Vilan avait servi comme
officier sous Barak dans l’unité d’élite et il entretenait une amitié très
intime avec ce dernier, en dépit de son engagement au Meretz. Afin de préparer
cette rencontre, Vilan avait pris contact avec Barak, qui lui remit un message à
l’intention de Yasser Arafat. Jusqu’alors, il n’y avait eu aucun contact direct
entre Barak et Arafat, depuis le début de l’intifada. Rajoub appela Arafat au
téléphone et lui livra le message de Barak : "Netzarim et le Tombeau de Joseph
vous sont acquis, dans les négociations, mais si on nous tire dessus, nous
défendrons ces positions, ainsi que toutes les autres". Au nom de Barak, Vilan
demanda à Rajoub de demander à Arafat quelles étaient ses conditions pour une
cessation totale de toute violence. Arafat répondit en énumérant six conditions,
que j’ai notée sur une nappe en papier, dans le bureau de Rajoub. Les voici
:
1 - fin des bouclages
2 - retour de toutes les forces à leurs positions
antérieures au 27 septembre 2000
3 - retrait de toutes les forces de police
excédentaires de Jérusalem : Vieille Ville et quartiers entourant l’Esplanade
des Mosquées (al-Haram al-Sharif)
4 - réouverture de tous les points de
passage frontaliers : le pont Allenby, la frontière de Rafah et l’aéroport de
Gaza
5 - levée du siège imposé aux villes palestiniennes
6 - enquête
internationale sur les événements des quatre jours écoulés.
Vilan appela au
téléphone Barak, qui était chez lui, à Cochav Yair. Barak répondit qu’il était
en train de faire procéder à des recoupements afin de vérifier les informations
reçues. Quinze minutes plus tard, l’attaché militaire de Barak confirma qu’ils
avaient bien reçu les mêmes informations d’une source différente. Arafat, par
l’intermédiaire de Rajoub, suggéra de rencontrer Barak dans l’après-midi afin de
mettre la dernière main à un projet. Barak demanda un délai supplémentaire.
Jabril Rajoub dit aux membres de son entourage de se tenir prêts à une
rencontre, dans son bureau, entre Barak et Arafat. Arafat était à Ramallah.
Après une demi-heure, l’attaché militaire de Barak informa Vilan du fait qu’un
autre canal de communications avait été ouvert et que Barak avait une
prédilection pour celui-ci. Cet autre intermédiaire, c’était Yossi Ginosar,
ancien directeur-adjoint de GSS, émissaire de Rabin et de Barak auprès d’Arafat
et partenaire en affaires du businessman en chef d’Arafat, Mohammad
Rachid.
Un quart d’heure après, environ, l’attaché militaire de Barak informa
Vilan que Barak accepterait les conditions 1, 2, 3, 4 et 5. Mais qu’il était
hors de question qu’il acceptât le point 6. Par la suite, il informa Vilan qu’il
n’était pas d’accord pour rencontrer Arafat dans l’après-midi. Nous fumes
conduits, sous escorte de Rajoub en personne et de ses hommes, en dehors de
Ramallah. Plus tard, une rencontre eut lieu entre Ginosar et Arafat. Ce fut une
catastrophe : la rencontre se termina en engueulade en règle entre les deux
hommes.
Vers la fin octobre, 134 Palestiniens avaient été tués et plus de 7
000, blessés. Les victimes israéliennes commençaient, de leur côté, à
s’accumuler. Aujourd’hui, (le 14 mai 2001), les chiffres palestiniens
s’établissent ainsi qu’il suit (ils ont été fournis par le Conseil palestinien
pour la Justice et la Paix) :
- les soldats et les colons israéliens ont tué
492 Palestiniens, dont 172 enfants âgés de moins de dix-huit ans, et 77
étudiants. Le nombre total de blessés par les tirs israéliens s’établit à 23
147, dont 40% d’enfants et 2077 étudiants. Trois médecins palestiniens et un
médecin allemand ont été tués.
- 91 membres des personnels hospitaliers et 71
journalistes ont été blessés
- le nombre de mutilés, causés par les attaques
israéliennes, a atteint 2 200 Palestiniens, à comparer aux 2 525 Palestiniens
rendus infirmes au cours de la première intifada (1987-1992).
- les attaques
israéliennes ont mis hors d’usage 9 ambulances, tandis que 82 autres étaient
criblées de balles
- le chômage s’est accru de 56%, avec 297 000 Palestiniens
valides sans travail.
- l’économie palestinienne a enregistré des pertes
évaluées à 4,4 milliards de dollars. Le PNB a chuté de 50,7% au cours des sept
mois écoulés. Le secteur agricole palestinien a perdu 217 905 509 dollars au 31
mars 2001. Environ 30 000 agriculteurs palestiniens ont subi des pertes très
importantes. Les troupes israéliennes ont détruit 108 puits artésiens
(fournissant de l’eau potable) ; 392 mares ; 3 802 mètres de canalisations
d’eaux des réseaux municipaux ; 41 015 mètres de haies et de murs de soutènement
et 804 têtes de bétail. Les bulldozers et les tanks israéliens ont déraciné 280
000 oliviers et arbres fruitiers adultes et rendus inutilisables 42 000 dunum (1
dunum = 1/10 hectare) de terres, principalement dans la bande de Gaza. Les sites
rendus impropres aux cultures représentent 11% de la superficie totale de la
bande de Gaza (367 kilomètres carrés). Les autorités israéliennes ont confisqué
2 617 dunum de terres afin d’étendre des colonies israéliennes ou de tracer des
routes de contournement au seul usage des colons.
- les autorités
israéliennes ont arrêté 1 850 Palestiniens, dont 50% d’enfants âgés de moins de
dix-huit ans. 41 écoles ont été fermées sur ordre de l’armée, 65 étudiants et 15
enseignants arrêtés.
- depuis le 8 septembre 2000, l’armée israélienne a
entièrement détruit 4 000 maisons ainsi que d’autres bâtiments, dont 328 fermes
et hangars, 29 élevages de poulets, 30 mosquées et 12 églises. Les opérations de
l’armée israélienne ont entraîné le déplacement de 4 000 familles
palestiniennes. La famille palestinienne moyenne comporte dix membres, dans la
bande de Gaza, et six en Cisjordanie. Les autorités israéliennes d’occupation
ont divisé les territoires palestiniens en petites sections, divisant la
Cisjordanie en 64 secteurs et la bande de Gaza en trois. Ces divisions ont
séparé les villes, les villages et hameaux palestiniens en cantons isolés et
facilement contrôlables, entraînant une restriction quasi totale des
déplacements des civils palestiniens. Les forces israéliennes ont installé 145
blocs de ciment pour bloquer les routes, dont 103 en Cisjordanie et 42 dans la
bande de Gaza. Ces mesures ont été prises afin d’infliger une humiliation
supplémentaire au peuple palestinien. Les forces israéliennes ont condamné
toutes les routes à grande circulation, les nationales et les routes
départementales, et jusqu’à des chemins vicinaux et des sentiers de terre. Les
Palestiniens ont été contraints de recourir à des pistes de montagne,
dangereuses, afin de contourner les bouclages israéliens. Aujourd’hui, un
Palestinien met en moyenne trois fois plus de temps à se déplacer entre un point
et un autre du territoire qu’il ne pouvait le faire en temps normal.
Le
ministère israélien des affaires étrangères donne ses propres chiffres :
- 77
soldats et civils ont été tués et des centaines, blessés, depuis le 28 septembre
2000. Les Israéliens sont contraints à vivre dans une atmosphère de peur
omniprésente
- l’économie israélienne a subi des pertes majeures en matière
d’investissements, de ressources touristiques, et la captation par les dépenses
militaires de fonds originellement destinés à des investissements civils.
Les
chiffres détaillés, les noms des victimes et des lieux où ont eu lieu des
attaques sont disponibles sur le site du Ministère israélien des affaires
étrangères :
http://www.israel.org/mfa/go.asp?MFAH0ia50
Vers quoi
allons-nous ?
La position déterminée du nouveau gouvernement
israélien dirigé par Sharon est claire : il n’y aura pas de négociations avec
les Palestiniens tant que toute violence n’aura pas cessé. La position d’Arafat
est tout aussi claire : il ne cherchera même pas à arrêter la violence sans
qu’existe une forme quelconque de gain politique qu’il puisse présenter à son
peuple, qui a subi des pertes énormes. Sharon a dit qu’il n’est pas intéressé
par un accord définitif ; il préfère parler d’un accord intérimaire sur le
long-terme, qui pourrait consister en quelque 42% de la Cisjordanie avec une
souveraineté nationale palestinienne limitée. Arafat, qui a rejeté la
proposition lui attribuant 98% de la Cisjordanie, ne peut en aucun cas accepter
ces conditions.
Initialement, il semblait que l’intifada apporterait certains
bénéfices politiques à Arafat. Les positions formulées par Israël à Camp David
ont effectivement évolué de manière significative dans un sens favorable aux
Palestiniens, évolution ayant abouti à la conclusion des négociations de Taba,
quelques jours avant les élections législatives en Israël. Mais il était déjà
trop tard et le pari électoral de Barak a miné tant ses positions politiques que
le processus de paix lui-même.
De mon point de vue, l’erreur fatale commise
par Arafat s’est produite en gros au quatrième jour de l’intifada. Eût-il pris
le contrôle des choses à ce moment-là et eût-il mis fin sans tergiverser à la
résistance et à la violence, il aurait pu retourner à la table des négociations
et y faire la bonne figure du leader courageux. Les Israéliens et les Américains
auraient alors compris sa profonde insatisfaction face à l’"offre généreuse"
israélienne. Cela se serait produit avant l’horrible lynchage de deux
réservistes israéliens qui avaient franchi un point de contrôle par erreur et
avaient connu une fin terrible, battus à mort par une populace déchaînée à
Ramallah. Il aurait été possible alors de parvenir à des ententes et des accords
sur pratiquement tous les points. Dans le pire des cas, le processus de paix se
serait poursuivi, avec beaucoup plus de sympathie et de soutien en faveur des
positions palestiniennes.
La grande erreur de Barak fut de ne pas laisser à
Arafat le répit d’une seule semaine sans enterrements. Chacun des cortèges
funèbres (des martyrs, ndt) ne faisait que jeter de l’huile sur le brasier de la
colère des Palestiniens. Barak était sous le feu des critiques, en Israël. Aux
yeux de l’opinion publique israélienne, il était faible et instable. Il sentait
sans doute qu’en tant que chef militaire - "Monsieur Sécurité" - il devait faire
étalage de la force d’Israël et de son impatience d’en découdre. Le recours par
Barak à toute la panoplie de la puissance militaire israélienne n’a fait
qu’encourager la société palestinienne à opter totalement pour la continuation
de la violence anti-israélienne et à la soutenir.
Les tentatives continuelles
déployées par Shimon Pérès en vue de trouver une issue sont vraisemblablement
vouées à l’échec. Pérès parie sur l’aide économique aux Palestiniens. Une fois
de plus, il ne comprend pas que le peuple palestinien soutient totalement sa
lutte (nationale) et ne croit absolument pas en des négociations avec Israël. Il
croit d’ailleurs encore moins en Shimon Pérès. Les Palestiniens savent
pertinemment qu’Israël, en accordant plus de permis de travail aux Palestiniens,
peut du même coup imposer des bouclages (des territoires) et des sièges et
(exercer un chantage) en annulant à sa guise toute nouvelle opportunité
économique. Construire des ponts et des routes entre la Cisjordanie et Gaza
n’infléchira pas plus l’opinion palestinienne en faveur des initiatives de
Pérès. L’attention politique des Palestiniens est entièrement focalisée,
actuellement, sur deux questions : l’envoi d’observateurs internationaux dans
les territoires et le gel total des colonies. Aucune proposition en-deçà de ces
deux exigences ne saurait amener Arafat à prendre une mesure quelconque allant
dans le sens d’un arrêt des combats. Même si Israël finissait un jour par mettre
ces deux questions à son ordre du jour, ce qui semble très peu probable, il n’y
a aucune chance pour que de futures négociations sous la houlette d’Arafat et de
Sharon donnent quoi que ce soit.
De plus, selon de nombreux rapports, dont
ceux du Consulat Général des Etats-Unis à Jérusalem, on compte d’ores et déjà
plus de 10 000 appartements vides dans les colonies. Nombreuses sont les
colonies, surtout dans des zones isolées, à Gaza, dans la vallée du Jourdain et
"au coeur" de la Cisjordanie, où le tissu social est en train de s’effilocher en
raison des conditions difficiles, créées par l’intifada, auxquelles les colons
doivent faire face. On constate presque tous les jours que nombreux sont les
colons à inscrire leurs rejetons dans des écoles à l’intérieur de la "Ligne
Verte" pour l’année prochaine, indication claire que ces colons ont l’intention
de partir (avant l’automne). Il est certain que si les colons pouvaient
bénéficier de possibilités de trouver un logement en Israël, ils seraient très
nombreux à vouloir vivre chacun de leur côté. Il faut mentionner à ce sujet
qu’en dépit de la situation difficile (pour les colons), plus de 50% des
Israéliens éprouvent toujours aussi peu de sympathie pour les colonies. Les
chiffres sont encore plus cruels en ce qui concerne les colonies de la bande de
Gaza.
Le lancement du processus de paix, après la conférence de Madrid (1991)
avait fait émerger le projet "Gaza d’abord". Le camp de la paix israélien
pourrait le reprendre. Cette fois, "Gaza d’abord" devrait faire référence au
démantèlement de toutes les colonies israéliennes de la bande de Gaza,
"d’abord". Il serait avisé de préciser que ce démantèlement doit faire partie
d’un compromis avec les Palestiniens, qui devraient mettre un terme aux actions
de résistance et à l’intifada "d’abord" dans la bande de Gaza. Les initiatives
internationales devraient adopter ce programme, elles aussi. L’Union européenne
et ses Etats membres devraient inviter Israël à se retirer totalement de Gaza,
et les médiateurs internationaux s’efforcer d’obtenir des compromis entre les
deux parties. Une initiative de ce type pourrait grandement aider le camp de la
paix en Israël à se reconstituer et à remobiliser ses soutiens à l’étranger.
Aucun Israélien sain d’esprit n’a d’intérêt à la perpétuation de l’occupation de
30% de la bande de Gaza et à devoir protéger les colons fanatiques qui obligent
Israël à y maintenir sa présence militaire.
Le changement politique :
vers quoi allons-nous ?
Qui contrôle la Palestine ? Arafat a-t-il la
situation en mains ? Ces questions font l’objet des controverses quotidiennes
des différents services de sécurité israéliens. Mon évaluation personnelle est
qu’Arafat ne contrôle pas le niveau tactique. Il ne donne ni consignes ni
ordres, mais il conserve la supervision de l’ensemble. Il a créé un
environnement qui encourage les attaques contre Israël. Ses propres appareils
fournissent les armes et les munitions. L’Autorité palestinienne a cessé de
fonctionner en tant que gouvernement fournissant les services, mais les
appareils sécuritaires palestiniens fonctionnent à plein, sous le contrôle
direct d’Arafat. D’après mes évaluation, Arafat peut reprendre le contrôle des
choses, s’il le veut vraiment. Il ne suffirait pas d’appuyer sur un bouton,
certes, mais il est bel et bien au pouvoir. La question centrale est celle de
savoir, au cas où il mettrait un terme à la résistance et à la violence, s’il
disposerait d’un quelconque argument lui permettant de convaincre l’opinion
publique palestinienne que son combat valait les graves pertes subies ?
Il
faut comprendre que tant qu’un changement politique ne se sera pas produit - des
deux côtés - nous devrons parler de la gestion du conflit et non pas de sa
résolution. Un changement politique en Israël n’est pas à l’ordre du jour avant
plusieurs années. Sharon peut tomber, il peut aussi rester au pouvoir jusqu’au
bout de son mandat, mais après Sharon, viendra Netanyahu. L’opposition de gauche
emmenée par le parti travailliste ne reviendra pas aux affaires sans
qu’interviennent dans le camp palestinien des changements politiques, seuls
catalyseurs d’une renaissance des espoirs de paix. Il est fort peu vraisemblable
que la direction palestinienne change aussi longtemps qu’Arafat conservera ses
fonctions (autant dire, de son vivant). Dans ces conditions, quel espoir
reste-t-il ? Tout d’abord, le rapport de la Commission Mitchell pourrait fournir
une sorte d’"échelle" permettant aux deux parties d’en rabattre sur leurs
positions respectives. Le fait que les deux parties en apprécient l’objectivité
est son principal atout, à la différence de l’initiative jordano-égyptienne
qu’Israël considérait comme pro-palestinienne. Ainsi, un des axes pour des
actions futures pourrait bien être de trouver le moyen de traduire le rapport
Mitchell en politiques sur le terrain. Le principal obstacle, en cette matière,
est le refus opposé par Israël à tout gel total des colonies. Le gouvernement
Sharon est bâti sur l’apport de l’extrême droite qui bénéficie du soutien des
colons. Néanmoins, les efforts (diplomatiques) internationaux doivent être
décisivement orientés dans ce sens.
Il doit être bien clair, ensuite, que,
comme je l’ai dit par le passé, il n’y aura aucun progrès s’il n’y a pas une
réelle mobilisation internationale, et en particulier des Etats-Unis. Ils
auraient le plus grand avantage à s’engager sans tarder car il risqueraient fort
d’être contraints de le faire par l’extension de la crise dans la région. J’ai
toujours observé la plus grande prudence jusqu’ici, me refusant à évoquer les
contagions régionales possibles de l’intifada, toutefois, l’émeute survenue
vendredi dernier, le 11 mai 2001, à Amman, et le recours à la force par la
police Jordanienne pour l’enrayer représente sans doute le premier signal
d’alarme réel que des débordements régionaux sont inévitables. De mon point de
vue, la situation est très instable en Jordanie et l’avenir du régime hashémite
n’est en rien garanti. La continuation de la dégradation sur le front
israélo-palestinien entraînera inévitablement un jour ou l’autre une erreur
atteignant des proportions encore inouïes, de l’ampleur du massacre de cent
réfugiés palestiniens à Kafr Qana, au Liban, au cours de l’opération dite
"Raisins de la Colère". Une erreur de ce type entraînerait des émeutes massives
à Amman, en particulier dans les camps de réfugiés. Même si les camps d’Amman
sont désarmés, ils sont contrôlés par des alliances entre le Tanzim (du Fatah)
et les forces du Hamas, qui pourraient mobiliser la population très aisément. Je
ne pense pas qu’une répétition des événements de 1970 est possible (Septembre
noir) ; Amman ressemblerait plutôt, sans doute, au Belgrade des derniers jours
du règne de Milosevitch. Dans ce cas de figure, plutôt que de combattre, on
verrait sans doute le Roi Abdullah II et sa famille dans le premier avion pour
Londres. Inutile de préciser qu’un régime palestino-islamiste en Jordanie
ouvrirait un front totalement différent sur le flanc oriental d’Israël. Dans ce
cas, l’engagement américain serait nécessairement différent, et les options
offertes, beaucoup plus limitées. Les possibilités d’un embrasement des
frontières septentrionales d’Israël, avec le Liban et la Syrie, sont rien moins
que nombreuses.
Il est indispensable, aussi, de s’intéresser, peut-être pour
la première fois, au lien fondamental entre la paix et la démocratie. La quasi
totalité des programmes internationaux d’aide à l’établissement de la démocratie
et de la bonne gouvernance en Palestine se solde par de l’argent gâché en vain.
Faire la paix, construire la paix, ne peut relever seulement de programmes venus
d’en-haut. Vous ne pouvez pas faire la paix avec une autorité, vous faites la
paix avec un peuple. Ceci nonobstant, les Européens, les Israéliens, et les
Américains ont tous contribué à soutenir l’Autorité palestinienne, croyant (à
tort) qu’il n’y avait pas d’alternative à Arafat à et son Autorité
auto-proclamée. Les Israéliens, les Européens, les Américains et l’Autorité
palestinienne elle-même craignaient qu’une démocratie palestinienne authentique
n’aboutisse au résultat opposé à ce qui était escompté : la prise du pouvoir par
une opposition hostile à la paix (ce que j’ai appelé, plus haut, le "syndrome
algérien"). Une possibilité de ce type existe bel et bien, en particulier face à
une Autorité palestinienne perçue par de très nombreux Palestiniens comme
indigne du pouvoir. Néanmoins, j’ai toujours pensé qu’une démocratie
palestinienne réelle ne sera pas en fin de compte bénéfique pour la seule
Palestine, mais bel et bien pour Israël, aussi, et je n’ai pas cessé d’en être
persuadé.
La volonté du peuple palestinien doit être portée au pouvoir et la
démocratie finira par fournir la base d’une paix stable et durable dans la
région. Il faut dire haut et fort que les Israéliens, les Européens et les
Américains n’ont pas été les seuls à redouter une démocratie palestinienne
réelle. Les régimes arabes, dans la région, l’ont sans doute encore plus
redoutée et même si aucun leader arabe n’a de sympathie particulière pour
Arafat, ils ont toujours considéré sa survie (politique) préférable, pour eux, à
toute alternative.
Les vents du changement soufflent sur la Palestine, ils
ont été déclenchés par une poignée d’intellectuels palestiniens. Il s’agit là
d’un développement très positif, qui devrait être encouragé de toutes les
manières possibles et imaginables. Actuellement, l’une des initiatives de ce
type consiste en une pétition soutenant les réformes internes en Palestine et la
démocratie. D’autres initiatives existent. Il s’agira peut-être là de l’une des
rares retombées heureuses de l’intifada.
Israël doit, lui aussi, se pencher
sur sa propre démocratie et sur les droits de ses citoyens palestiniens.
L’intensité de l’insurrection interne à Israël a choqué tous les partenaires
concernés. Elle a marqué une rupture dans les relations entre les citoyens
palestiniens d’Israël et l’Etat. Je ne doute pas un seul instant que le refus de
Barak de les considérer comme des partenaires à part entière dans son
gouvernement a été l’un des ingrédients qui ont contribué à allumer l’incendie.
Le comportement de la police israélienne, l’utilisation de balles réelles et la
force brutale ont démontré à chaque Israélien palestinien qu’il n’est pas un
citoyen à part entière, aux yeux de l’Etat lui-même. Le refus du ministre Shlomo
Ben Ami d’assumer une quelconque responsabilité dans ce qui s’est passé, alors
même qu’il assurait la tutelle sur les forces de police, continue à me laisser
pantois et pose de graves questions sur l’honnêteté intellectuelle de ce
professeur d’histoire converti à la politique. Il est grand temps pour Israël
d’adopter une politique d’intégration réelle de ses citoyens palestiniens. Il
est grand temps de s’intéresser aux problèmes de cette minorité nationale en
matière d’autonomie lui permettant de satisfaire ses besoins propres dans les
domaines de la culture et de l’éducation. Il est grand temps de trouver les
moyens adaptés permettant de créer un Israël réellement démocratique qui
permettrait l’expression de son caractère d’Etat juif sans pour autant se sentir
menacé par les droits égaux accordés à la minorité palestinienne à exprimer sa
propre identité palestinienne et arabe. Il est grand temps, aussi, d’intégrer
complètement les Israéliens palestiniens à la vie politique et sociale
israélienne. Ils doivent être admis au gouvernement. L’Etat d’Israël doit
adopter des mesures énergiques afin d’assurer un développement et des
opportunités égales pour les Israéliens palestiniens. L’Etat d’Israël doit
réaffecter les terrains inoccupés aux villes et villages palestiniens d’Israël
afin de leur permettre de se développer normalement. Plus l’Etat d’Israël
considérera tous ses citoyens de manière authentiquement démocratique, plus ces
citoyens se sentiront des citoyens à part entière de cet Etat.
Nous n’avons
pas reculé seulement de dix ans, durée du processus de paix. La situation
actuelle est bien pire que ce qu’elle était au début de la première intifada, en
1988, année où l’IPCRI fut fondée. C’était une période de grandes espérances en
un futur meilleur. Aujourd’hui, nous vivons dans un trauma proche de celui de
l’après-guerre de 1948. La confiance entre Israéliens et Palestiniens atteint un
nouveau bas-fond et les espoirs de paix dans la région ne relèvent même plus de
nos rêves les plus fous. Comme dit l’autre : "le futur n’est plus ce qu’il
était, ma p’tite dame".
Les efforts de dialogue direct entre Israéliens et
Palestiniens, de peuple à peuple, sont pratiquement inexistants, aux rares
exceptions des actions menées par l ‘IPCRI, l’ECF, Givat Haviva et quelques
autres mouvements. Il s’agit là d’une perte tragique pour l’ensemble de la
région. Il faut que le dialogue continue, coûte que coûte. Les énergies
devraient être orientées vers des investissements à long terme, et non vers des
projets à l’objectif unique, dépourvus de toute continuation élaborée possible.
Les organisations non-gouvernementales palestiniennes et israéliennes doivent
être encouragées à poursuivre et à développer leur action en les convainquant du
fait que la paix se bâtit en commençant par les fondations, du bas en haut. Les
Palestiniens engagés dans des activités militantes de ce type doivent recevoir
notre soutien, afin de les défendre contre le découragement qui pourrait
découler de la tendance actuelle à les voir d’un mauvais oeil. Ce sont des gens
courageux qui ont besoin de notre aide - financière, intellectuelle et morale.
Les individus, les institutions et les gouvernements de par le monde sont
appelés chaleureusement à jouer un rôle actif en soutien aux actions associant
directement les deux peuples, palestinien et israélien.
Même s’il est
difficile d’être optimiste, aujourd’hui, nous ne devons pas abandonner tout
espoir. Un jour, cette région retrouvera ses esprits et la raison son empire sur
la sphère publique. Il n’y a qu’une façon d’amener la paix - c’est de négocier.
Comme je l’ai déjà indiqué, les paramètres pour un accord de paix n’ont pas
changé, ni ne sont près de changer. La reconnaissance et la mise en oeuvre d’une
solution à deux Etats sur la base du tracé des frontières antérieures au 4 juin
1967 représentent le seul "calque" pour un possible accord de paix. Il est
essentiel de reconnaître, également, qu’une paix réelle ne peux émerger que si
les deux Etats - Israël et la Palestine - travaillent à l’avenir ensemble,
coopèrent l’un avec l’autre et se soutiennent mutuellement. Le conflit en cours
a toutes les "chances" d’éloigner les mentalités israélienne et palestinienne de
tous projets de coopération future. Ce serait un écueil fatal pour la paix.
Aujourd’hui même, alors que la bataille fait rage, les responsables israéliens
et palestiniens admettent qu’ils devront bien un jour revenir s’asseoir à la
table des négociations. Il est temps d’encourager ces responsables à le dire
haut et fort et non pas à le susurrer dans des rencontres confidentielles. Un
travail titanesque nous attend pour reconstruire la confiance qui a été si
horriblement atteinte. Il faut s’y atteler sans plus attendre, même en
commençant par les choses les plus simples. Des petites avancées peuvent être
faites par les responsables, mais elles peuvent être faites, aussi, par les
citoyens ordinaires qui savent bien, au fond de leur coeur, comme j’en ai
moi-même la conviction, que la paix finira par
s’imposer.
Revue de
presse
1. Juste au moment où on
allait leur donner tant de choses... par Gideon Levy
in Ha'Aretz
(quotidien israélien) du dimanche 17 juin 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Comment cela se fait-il que l'intifada ait
éclaté juste au moment où nous étions sur le point de d'accorder tant de choses
aux Palestiniens ? Comment se fait-il qu'ils aient eu recours à la violence
alors qu'ils venaient de recevoir des mains d'Ehud Barak l'offre la plus
généreuse jamais faite par un Premier ministre israélien ?
La réponse-bateau,
qui est aussi une réponse erronée, en Israël, consiste à dire que la
raison de cet état de faits est toute simple : les Palestiniens ne veulent pas
la paix, ou bien, variante : ils ne sont pas mûrs pour la paix. En faisant cette
réponse, les Israéliens se donnent bonne conscience en s'absolvant de toute
responsabilité dans ce qui est advenu. Et les débris de la gauche israélienne
s'exemptent de leurs engagements. La vérité est que la responsabilité d'Israël
dans l'éruption du cycle de violence actuelle n'est pas mince, elle n'est pas
moindre, en réalité, que celle des Palestiniens. Israël a bien, en effet, fait
"l'offre la plus généreuse jamais faite" aux Palestiniens, mais cela ne
suffisait pas pour parvenir à une solution juste, et ce qui avait précédé ces
offres était trop gros : les Palestiniens n'ont pu l'avaler.
Souvenez-vous :
durant les trois années du gouvernement Netanyahu, Israël a éludé la mise en
application de la majorité de ses engagements pris dans le cadre de la
Déclaration de Principes de 1993. Il n'y a pas eu de deuxième redéploiement, ni
de libération de prisonniers, comme promis, pas de "passages libres", pas
d'aéroport ni de port palestinien, alors que de l'autre côté, il y eut de plus
en plus de colonies. L'esprit d'Oslo était mort, il avait été remplacé par un
esprit mauvais de désespoir et de déception du côté palestinien. De leur point
de vue, ils n'avaient pas en face d'eux un réel partenaire de paix.
Le
successeur de Netanyahu, en 1999, n'a en rien rendu leur situation plus
supportable. Barak s'est targué de ne pas avoir cédé un centimètre de territoire
aux Palestiniens, pas même Abu Dis, à côté de Jérusalem, que même la Knesset
avait accepté de céder : c'était là une étrange démonstration de bravade pour un
faiseur de paix. Et effectivement, Barak avait commencé par s'embarquer sur la
piste syrienne, et ce n'est qu'après que cette dernière ait démontré à quel
point elle était bloquée qu'il s'est retourné sur l'autre piste et qu'il s'est
mis en quête d'un accord définitif avec les Palestiniens.
Expert dans l'art
de démonter les montres, mais totalement incapable d'en remettre les pièces
ensemble, Barak a fait des propositions que la plupart des Israéliens
considérèrent très ambitieuses, mais auxquelles aucun leader palestinien prêt à
signer une déclaration de fin de conflit, signifiant la fin des revendications
palestiniennes, n'aurait pu adhérer. Qu'en est-il par exemple, des "96% du
territoire" ?
Salim Shawamreh, chauffeur du village d'Anabta, dont la maison
a été démolie par les Israéliens à trois reprises, a décrit les propositions
généreuses d'Israël probablement mieux que n'importe quel homme d'Etat ne
l'aurait fait :"En prison aussi, 96% du territoire sont aux mains des
prisonniers, et les gardiens n'en ont que 4%, mais c'est de leur côté que se
trouvent les enceintes et les miradors".
C'est à ça que ressemblaient les
propositions israéliennes, aux yeux des Palestiniens : un Etat palestinien avec
un contrôle israélien absolu aux frontières, découpé en petits cantons par des
blocs de colonies qui interdiraient toute vie normale et toute liberté de
mouvement. Par-dessus le marché, il faut ajouter l'absence de tout effort
sérieux d'Israël en vue de la résolution du problème des réfugiés et son refus
de reconnaître une responsabilité dans leur triste sort, autre que
"partielle".
Après que les Palestiniens eussent fait leur concession
historique majeure, à Oslo, en reconnaissant que la plus grande partie du
territoire qui fut jadis leur pays demeurerait entre les mains d'Israël, une
unique offre, réellement généreuse et impérative, s'imposait : rendre tous les
territoires occupés en 1967, éventuellement dans le cadre d'un échange
territorial. Barak n'a pas fait une offre de cette nature aux Palestiniens.
Lorsqu'il est revenu à lui-même, à Taba, quelques jours avant les élections, il
était déjà trop tard. Par la suite, le ministre des affaires étrangères de
Barak, Shlomo Ben Ami, a rapporté que les deux parties étaient très proches d'un
accord, à Taba ; et Yossi Beilin a fait état de progrès immenses, y compris dans
le domaine du droit au retour pour les réfugiés. Mais il était beaucoup trop
tard.
Ce n'est pas, remarquez bien, que les Palestiniens n'aient pas fait
d'erreurs. Leurs erreurs étaient même trop lourdes à porter pour un seul homme,
à commencer par leur absence de sensibilité pour le souci de sécurité
personnelle des Israéliens. Ce n'est pas que les Américains, eux non plus,
n'aient pas fait d'erreurs. Ben Ami dit que le président américain n'a pas su se
montrer assez autoritaire et agressif, particulièrement à l'égard des
Palestiniens. En même temps, deux approches israéliennes sous-tendaient les
négociations, approches demeurées totalement inchangées tout au long des
trente-quatre années d'occupation : une certitude d'être les maîtres et d'être
supérieurs aux Palestiniens, et l'affirmation qu'il s'agissait d'un jeu à somme
nulle, dans lequel tout gain réalisé par les Palestiniens le serait
nécessairement au détriment des Israéliens.
Dans un article, très complet,
qui sera bientôt publié aux Etats-Unis, l'un des architectes du processus
d'Oslo, le Dr. Ron Pundak, arrive lui aussi à la conclusion que les principaux
obstacles, si ce n'est leur totalité, qui ont empêché un accord, étaient liés à
la politique israélienne. Son article a pour objet de réfuter la thèse qui
voudrait que le processus d'Oslo se soit effondré et ait échoué ; et en même
temps, il réfute la nouvelle position adoptée par la gauche israélienne, qui est
de dire, en substance, que la droite conclut à juste titre qu'Israël n'a pas de
réel partenaire de paix. Pundak pense qu'il y a un partenaire palestinien et
qu'il est important de le dire, précisément en ce moment, et qu'il ne manque à
Israël que d'être conscient des limites de la manoeuvrabilité des
Palestiniens.
Tandis que Barak faisait son offre "à prendre ou à laisser",
l'occupation continuait, comme si de rien n'était. Les bouclages se
perpétuaient, les terres étaient expropriées, les prisonniers - des héros,
aux yeux de leur peuple - restaient incarcérés dans les geôles israéliennes, les
colonies continuaient à s'étendre. Durant les dix-huit mois de gouvernement
Barak, le nombre des colons a crû de 12 pour cent. Barak a aussi sciemment fui -
comme la peste - tout contact non strictement nécessaire avec Yasser Arafat :
encore une attitude bizarre, qui n'a pu qu'affaiblir le leader palestinien. La
situation économique des Palestiniens s'est détériorée, leur humiliation en a
été accrue. Tout cet enchaînement ne pouvait qu'aboutir au désastre. C'est ce
qui est advenu.
2.
La première victime de la guerre par Peter Beaumont, Brian
Whitaker (à Jérusalem) et Edward Helmore (à New-York)
in The Observer
(quotidien britannique) du dimanche 17 juin 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
(Les Israéliens accusent la
couverture médiatique occidentale d'être "biaisée". Mais les médias se plaignent
d'être soumis au harcèlement d'Israël. Reportage.)
Des membres de
l'Association de la Presse Etrangère à Jérusalem se sont réunis autour d'un
verre, au cours de leur réunion annuelle à l'hôtel Inbal, il y a quelques
semaines, afin de parler du harcèlement auquel sont soumis les reporters qui
assurent la couverture de l'intifada. Il y avait fort à dire. Quelques jours
plus tôt, Josh Hammer, chef du bureau de Newsweek avait été arrêté par les
Palestiniens, en plein travail, à Gaza.
Hammer avait déclaré avoir été bien
traité et avoir mangé la meilleure cuisine qu'il ne lui ait jamais été donné de
déguster au Moyen-Orient.
Ce qui préoccupait les journalistes, toutefois, ce
n'était pas la brève détention de Hammer, mais l'utilisation faite par le
gouvernement israélien de cet incident afin d'accuser l'Autorité palestinienne
de harceler, de menacer et même d'attenter aux jours de journalistes qui ne font
que leur travail dans les points chauds de la Cisjordanie et de la bande de
Gaza...
Les membres de l'Association ont affirmé bruyamment leur désaccord.
Si des journalistes ont été jamais confrontés à une intimidation au cours de
l'intifada actuelle, dirent les reporters réunis, pour s'en plaindre, ce n'est
certainement pas par les Palestiniens, mais bien par l'armée israélienne, qu'ils
ont accusée de leur tirer dessus délibérément. Huit journalistes, en autant de
mois, ont été blessés, dont certains sérieusement, tel le photographe de
l'Associated Press Yolah Monakhov, le chef du bureau de la CNN, Ben Wedeman et
le correspondant de la télévision française, Bertrand Aguirre.
Dans chacun de
ces incidents, l'Association a protesté. Chaque fois, les autorités israéliennes
se sont gardées de lui répondre.
Ce harcèlement, disent les correspondants de
presse, ne se limite pas aux menaces physiques. Il s'agit aussi d'un harcèlement
psychologique, de la part d'instances tant gouvernementales que civiles. Dans
ses pires moments, il a pu évoquer les tactiques des pays du bloc soviétique
durant la guerre froide. Des correspondants que les autorités israéliennes
considèrent comme étant sortis de leurs prérogatives, telle la correspondante du
Guardian, titulaire d'un prix reconnaissant son professionnalisme, Suzanne
Goldenberg, ont été menacés de se voir retirer leur carte
d'accréditation.
Des dossiers allégeant des partis-pris anti-israéliens ont
été envoyés à des éditeurs de journaux, et certains correspondants de presse
tombés en disgrâce aux yeux des autorités israéliennes se sont plaints d'être
victimes de fouilles humiliantes au moment où ils quittent le pays.
Sur le
front non-officiel, les attaques contre Suzanne Goldenberg se sont avérées plus
pernicieuses et insidieuses encore. Elle a été portraiturée, dans les médias,
comme "naïve, inexpérimentée et comme une Juive haineuse d'elle-même". Mme
Goldenberg a dû changer son adresse e-mail après avoir été bombardée
quotidiennement de centaines de messages de plainte contre sa manière de couvrir
les événements. Elle n'est pas la seule.
La semaine dernière, la sensation
d'être assiégés vécue par les journalistes couvrant l'intifada a été renforcée
d'un degré supplémentaire lorsque les bureaux de la BBC à Jérusalem ont été
inondés d'appels téléphoniques protestant contre le contenu de l'émission
"Panorama", qui n'était encore passée ni en Angleterre, ni en Israël... Elle
passe ce soir sur le petit écran, en Angleterre...
Un nouveau front s'ouvre
pour l'intifada. Face aux critiques internationales croissantes contre son
traitement de l'insurrection palestinienne, le gouvernement d'Ariel Sharon et
ses alliés dans le puissant et influent lobby pro-israélien ont augmenté leurs
efforts pour contrer les médias internationaux qui couvrent la crise actuelle.
De nouvelles organisations, tombées en disgrâce pour les Israéliens, sont
accusée, au mieux, d'être pro-palestiniennes et, au pire, d'être
antisémites.
"Il suffit que vous regardiez ce qu'on dit sur Israël dans les
médias mondiaux", se plaint un officiel israélien de haut rang, au Ministère de
l'information. "Regardez-donc les médias espagnols. Chaque fois qu'ils
mentionnent le Moyen-Orient, ils parlent d'"holocauste". Comment voulez-vous que
nous ne soyons pas offensés ?"
"Et ce qui nous préoccupe, c'est la manière
dont de nombreuses organisations - en particulier les agences et les chaînes -
font appel à des reporters locaux à Gaza et en Cisjordanie. Alors, évidemment,
nous ne pouvons que penser qu'elles sont de parti-pris".
La BBC, qui a du
faire face à des accusations répétées de partialité, a été choquée par la
réponse faite par le gouvernement israélien à la rédaction de Panorama, qui a
procédé à une étude très documentée de l'implication de Sharon dans les
massacres des camps de réfugiés de Sabra et Shatila, en 1982, au Liban,
lorsqu'il autorisa les miliciens chrétiens, alliés de son pays, à pénétrer dans
les camps.
Sur la base du seul press-book de l'émission, la BBC s'est vue
accuser de partialité dans la presse israélienne. L'ambassade d'Israël à Londres
a protesté - par avance - auprès du vice-directeur de l'information de la BBC.
Les avocats du dirigeant israélien (Sharon, ndt) ont averti la BBC que la loi
lui impose de tenir compte de l'opinion de Sharon.
Même si le harcèlement de
reporters perçus comme "partisans" n'est pas une nouveauté en Israël, les
journalistes disent que ce qui a changé, c'est l'intensité tant du lobbying que
de l'intimidation.
Durant des années, les organisations pro-israéliennes ont
organisé des campagnes d'envoi de courriers de protestation contre des articles
et des émissions radio ou TV qui n'avaient pas l'heur de leur agréer. Avec le
développement du e-mail (courrier électronique), cette activité a fait un bond
quantitatif énorme. Des sites Internet, tels honestreporting.com
("reportage-honnête.com) ciblent des journalistes bien identifiés et fournissent
des lettres-type de dénonciation/protestation à leurs abonnés, qui n'ont plus
qu'à les envoyer (les "forwarder")
Ce week-end, ce site comportait déjà une
lettre "prête à l'envoi" afin de protester contre l'émission "Panorama" de ce
soir... (dimanche 17 juin, ndt).
Honestreporting.com décerne aussi des prix.
L'un de ces prix a été remis récemment à Martin Peretz, rédacteur en chef de
l'hebdomadaire américain New Republic, "qui s'est toujours tenu aux côtés
d'Israël dans l'adversité", et un autre prix a récompensé Conrad Black,
propriétaire du Daily et du Sunday Telegraph, deux quotidiens anglais, ainsi que
du magazine Spectator, autant de titres qui ont su "fustiger les journalistes et
les gouvernements enragés contre Israël".
L'intensité du lobbying, admet
l'éditeur du Guardian, Alan Rusbridger - de retour, récemment, d'une mission
d'enquête sur le terrain en Israël - peuvent avoir un effet insidieux. "Il y a
toutes sortes d'ONG et de groupements ad hoc qui vous inondent de lettres pour
se plaindre d'allégations de partialité dans votre couverture de
l'information.", dit-il, tout en concédant que "cela contribue à la circulation
sanguine du plus large débat..."
Autre qualité du lobby pro-israélien : son
organisation impeccable. Il faut reconnaître ce qui est : ils ont un meilleur
accès aux médias, et plus d'influence sur eux, que le lobby palestinien".
Il
s'agit d'un lobby aussi qui, malgré ses récriminations perpétuelles contre les
médias qu'il ne cesse d'accuser de "partialité", y bénéficie d'appuis influents.
Black n'a jamais cherché à cacher son soutien à la cause d'Israël, puisqu'il a
envoyé son épouse, Barbara Amiel, pour en assurer la couverture.
Le Times,
sous la gestion de Peter Stothard, s'est avéré lui aussi largement favorable à
Israël dans sa couverture, ligne éditoriale qui a été rendue responsable du
départ de son correspondant au Moyen-Orient Sam Kiley, dont on peut comprendre
qu'il en ait conçu un certain malaise.
Mais là où la pression du lobby
pro-israélien s'est avérée le plus intense, c'est sur les organisations
médiatiques accusées de "ne pas être dans la ligne". Parmi ses officines, en
Grande Bretagne, nous citerons les Amis Conservateurs d'Israël, qui invite des
journalistes chevronnés à des dîners au Parlement. Pour quiconque travaille pour
des organisations jugées comme de parti-pris contre Israël, ces dîners peuvent
s'avérer tout ce qu'il y a de plus inconfortable...
L'un des membres de
cette "amicale" est le député conservateur Gillian Shephard, qui déploie tout le
talent dont il est capable à expliquer le sentiment de persécution ressenti par
les Israéliens, et plus largement la communauté juive, de la part des
médias.
"N'oublions pas qu'Israël a le sentiment d'être assiégé. Et assiégé,
Israël l'est : littéralement. C'est ce qui entraîne ces nerfs à fleur de peau.
Ils sentent bien qu'il y a contre eux du parti-pris, et même une conspiration.
Il y a ce sentiment qu'a Israël d'être tenu pour responsable des problèmes et
que le contexte historique de la menace permanente contre Israël est trop
facilement oublié. Il y a, aussi, le sentiment qu'Israël - minuscule îlot de
démocratie perdu dans un océan de pays voisins beaucoup moins démocratique, et
de beaucoup - ne se voit jamais accorder comme il faudrait le crédit de ses
multiples réalisations".
Il s'agit là d'une opinion qui ne se limite pas au
seul Londres. A New-York, où vit une importante communauté juive, mettre en
cause la politique d'Israël dans la presse est considéré comme très proche de
l'antisémitisme, si ce n'est purement et simplement comme de l'antisémitisme,
avec tout ce que cela implique. Thomas L. Friedman, éditorialiste célèbre du New
York Times qui écrit régulièrement sur le Moyen-Orient, n'a pas de doutes sur
les raisons qui font qu'il s'agit là d'une région si difficile à couvrir
médiatiquement.
"Il s'agit là d'un environnement politiquement chargé",
dit-il. "Tout le monde veut vous avoir dans la manche et s'ils n'y parviennent
pas, ils veulent vous éliminer. Ceci vaut tout autant pour le monde arabe que
pour Israël. Il n'y a pas de milieu. Il n'y aura jamais, en aucun temps et en
aucun lieu, quelqu'un pour vous passer affectueusement le bras autour du cou et
vous dire : 'Ah ! Je ne peux pas vous dire à quel point j'apprécie votre
reportage tant il est honnête et objectif !"
3.
Palestine-Israël : La trêve ne durera pas
in Le
Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 15 juin 2001
La trêve
prolongée grâce aux efforts du directeur de la CIA George Tenet pourra
difficilement durer entre Israéliens et Palestiniens. En renvoyant à une étape
ultérieure les questions de fond, et notamment la question de la colonisation, à
l'origine de la confrontation actuelle, elle ne peut déboucher que sur une
reprise des affrontements.
L'approche américaine de la situation au
Moyen-Orient donne l'impression d'une désespérante continuité. Focalisant sur
les questions techniques, animée par une logique sécuritaire et unilatérale (la
sécurité à préserver étant uniquement celle d'Israël), elle persiste et signe à
la recherche d'une paix mythique, tout en ignorant les intérêts fondamentaux et
les aspirations des Palestiniens et des Arabes. Cette approche, qui a dominé
depuis le début du processus d'Oslo et dont l'échec explique la confrontation
actuelle, occulte un fait majeur: le rôle central joué par la rue palestinienne,
par ses organisations politiques et populaires dans l'intifada. L'Autorité
palestinienne, sous peine de menacer l'unité nationale, ne pourra la contrôler
qu'en échange de véritables concessions israéliennes, ce qui aujourd'hui passe
pour être des vœux pieux... Un récent rapport du mouvement Le bloc de la paix
(Goush shalom) rappelait que depuis septembre 1993 les logements dans les
colonies ont augmenté de 52,49% avec la construction de 17190 nouvelles unités
d'habitation, dont 2830 sous le gouvernement d'Ehud Barak. La population des
colonies a crû de 52,96%, passant de 115700 colons en 1993 à 176973 colons fin
1999. Par ailleurs, la destruction des maisons (740 maisons démolies) et la
confiscation des terres palestiniennes pour l'élargissement des colonies ou pour
la construction de routes de contournements allaient de plus belle. Tout cela
sous couvert du processus de paix. Un journaliste israélien, Aluf Bern, avait
expliqué dans un article au titre fortement révélateur, «Pourquoi la paix
n'est-elle pas payante?», la stratégie israélienne d'instrumentalisation du
processus de paix: «La main invisible du marché a dicté à Israël l'adhésion au
processus de paix. Après la conférence de Madrid, l'Inde, la Chine, le Japon, la
Corée du Sud développeront leurs relations d'affaires avec Israël. En parallèle
à la poursuite du processus, le boycott arabe commençait à s'effriter, de
nombreux accords commerciaux seront signés avec l'UE, le Canada, le Mexique et
la Turquie et un flux d'investissements étrangers transformera le secteur
high-tech en moteur de la croissance. Ces récompenses n'inciteront pas Israël à
conclure un accord de paix final. Au contraire, se sentant plus puissant et
moins isolé, il se considérera moins tenu de satisfaire les exigences
palestiniennes. Du moment que le processus de paix devenait interminable, il
pourrait à la fois engranger les bénéfices économiques sans concéder des
concessions territoriales.»
Territoires
ingérables
L'intifada palestinienne a porté un coup réel à cette
stratégie israélienne d'instrumentalisation du processus de paix, rendant les
territoires palestiniens ingérables pour l'armée d'occupation, invivables pour
les colons, et créant un climat de tension qui aura des répercussions
économiques, commerciales et touristiques sur Israël. La normalisation
israélo-arabe s'en trouvera, par ailleurs, bloquée. Le coût à payer pour les
Palestiniens sera exorbitant sur les plans humain et matériel, mais quelles sont
les autres alternatives qui se présentent à eux? En plaçant l'Autorité
palestinienne face à la dynamique de résistance populaire, relativement autonome
par rapport à elle, la stratégie israélienne (et américaine) vise à diviser les
rangs palestiniens et peut-être à provoquer une guerre civile interne qui
essoufflerait le mouvement de résistance. Cependant, ces paris ignorent qu'une
majorité de Palestiniens, y compris plusieurs responsables des services de
l'Autorité et toutes les organisations politiques, considèrent cette intifada
comme la bataille décisive dont le résultat déterminera leur sort pour des
générations à venir. Ils n'ont d'autre choix que de la continuer jusqu'au bout.
[Armes iraniennes aux Palestiniens ? L'ambassadeur d'Israël
à Washington a déclaré que des armes iraniennes seraient envoyées via l'Egypte
aux Palestiniens. Celles-ci seraient d'abord acheminées au Hezbollah et celui-ci
se chargerait de les envoyer en Egypte. De telles élucubrations ne discréditent
pas pour autant l'ambassadeur aux yeux de la presse américaine et occidentale.
Bizarre...]
4.
La voix de Jérusalem par Herb Keinon
in The Jerusalem Post
(quotidien israélien) du jeudi 14 juin 2001
[traduit de l'angalis par Marcel
Charbonnier]
Ra'anan Gissin, porte-parole du Premier
ministre et homme-clé en Israël pour les médias étrangers, explique ici à Herb
Keinon comment la politique (controversée) de "retenue" du gouvernement
israélien est en train d'opérer un retournement dans la bataille en cours
-
cruciale - qui l'oppose aux Palestiniens et dont l'enjeu décisif est rien moins
que la sympathie de l'opinion publique internationale...
"Je viens de nulle
part, et on m'appelle Monsieur Personne", s'esclaffe le conseiller d'Ariel
Sharon Ra'anan Gissin, citant de manière inopinée la réplique de Terence Hill
dans le western "spaghetti", sorti en 1973, "Mon Nom est Personne".
Gissin
peut se payer le luxe de citer une réplique aussi désobligeante pour lui-même -
de sa voix qui évoque plus le Marlon Brando du Parrain que l'authentique Terence
Hill - car il sait bien qu'"c'est pas vrai". Allumez votre télé, n'importe quel
jour, sur les programmes de CNN, de la BBC, de Sky News ou de n'importe quelle
chaîne d'informations et vous tomberez sur... Gissin en train d'expliquer, de
développer et de justifier la position d'Israël, le tout en trente secondes,
avec son anglais estampillé "Brooklyn".
Au cours des cent jours écoulés, ce
"Monsieur Personne venu de nulle part" est devenu - pour la plus grande partie
du monde - le porte-parole d'Israël. Et ce n'est pas la première fois qu'il en
est ainsi. Durant la guerre du Golfe, en 1991, Gissin - alors porte-parole
adjoint des Forces de Défense Israéliennes, en charge de la presse étrangère -
était pour le public américain ce que Nahman Shai était pour le public
israélien, lorsqu'il lui indiquait où tombaient les Scuds, quelles populations
devaient se réfugier dans leurs abris calfeutrés, et pour combien de
temps.
"Au bout de trois nuits, j'étais vanné", se souvient Gissin, savourant
visiblement la remémoration de ces journées grisantes passées aux commandes du
champ d'opérations médiatiques à l'hôtel Hilton de Jérusalem. "J'avais travaillé
toute la nuit, j'avais ces cercles autour des yeux, vous savez... les cernes...
alors j'ai dit à la maquilleuse de me mettre du maquillage autour des yeux pour
que j'aie meilleure apparence, pour les téléspectateurs... pour ces dames,
aux States. Sinon, elles auraient pris peur. Alors la fille me maquille et Larry
Register, le chef du bureau de la CNN ici, fit irruption et lui demanda : "Mais,
qu'est-ce que vous êtes en train de fabriquer ?"
"J'essaye de l'arranger un
peu... ". Alors lui, il lui dit : "Enlevez-moi ce f... maquillage. Je veux qu'il
apparaisse au naturel, fatigué, hagard : il incarne Israël engagé dans la
bataille !"
Aujourd'hui, alors qu'Israël est à nouveau "dans la bataille",
Gissin - retraité des Forces Israéliennes de Défense, en ayant décroché le grade
de colonel - est l'un des "généraux" en chef sur ce qui est en train de devenir,
à la vitesse "V", le front principal de la bataille contre le terrorisme : la
lutte pour la sympathie de l'opinion publique internationale.
Sharon, en
imposant le silence aux canons et en laissant les avions dans les hangars même
après les atrocités (de l'attentat) du Dolphinarium (discothèque sur le front de
mer de Tel-Aviv, ndt), le 1er de ce mois, ne fait qu'acquiescer en silence à ce
que Gissin a défini comme un nouvel axiome en polémologie : pour gagner une
guerre, vous devez être victorieux sur le front des ondes hertziennes.
Cette
vérité n'est ni surprenante ni révolutionnaire. Mais elle s'accompagne d'une
autre, qui explique dans une large mesure la conduite politique adoptée par
Israël au cours de la semaine écoulée. Ainsi que l'avait déclaré Gissin, avant
le massacre du Dolphinarium, "pour vaincre sur les ondes, vous devez perdre sur
le champ de bataille".
Tragiquement, ces propos résument à merveille ce qui
s'est passé la semaine dernière : vingt morts, plus de cent blessés dont
certains estropiés à vie, mais le monde entier du côté d'Israël, ne fût-ce que
pour quelques jours.
"Nous vivons dans un village global et ce village global
est électronique, c'est ce qui a entraîné une modification des principes de la
guerre, modification qui va carrément jusqu'à un renversement total", dit
Gissin, en lançant dans le débat une explication très pointue qui permet
d'expliciter la politique de retenue adoptée actuellement par Sharon.
"Dans
le passé, on combattait sur le champ de bataille. Si vous défaisiez l'ennemi,
vous remportiez la victoire. Le plus gros du boulot que vous aviez à accomplir,
c'était sur le terrain, sur le champ de bataille.
Aujourd'hui, tout ce passe
comme si, pour gagner une guerre, vous deviez avant toute chose gagner sur les
ondes hertziennes. A contrario, et paradoxalement, on pourrait dire que vous
devez d'abord perdre sur le champ de bataille, si vous voulez remporter la
victoire sur les ondes. Vous devez être le chien dominé, celui qui perd, celui
qui se fait étriller par les soldats (ennemis). A la minute même où vous devenez
le vainqueur, sur le champ de bataille, contre un adversaire moindre ou plus
faible que vous, l'image que l'on donne (de vous) dans les médias est
généralement celle qui travaille contre vous."
Les médias, dit Gissin, sont
l'"arme du faible". Et les Palestiniens, qui ont perdu (définitivement) leur
option militaire en 1982, ont bien compris cela, et ils l'ont exploité jusqu'à
la garde.
Mais si les Palestiniens ont appris la leçon, les Israéliens ont
fait de même, affirme Gissin. Gissin affirme qu'après quatre guerres médiatiques
- le Liban, l'Intifada I, la guerre du Golfe et les violences actuelles - Israël
a appris que "lorsqu'on planifie des opérations militaires, on doit prendre les
médias en compte, on doit considérer qu'ils ne sont pas simplement là, présents,
assurant une simple couverture (des événements), mais qu'ils peuvent avoir un
impact sur le résultat même du conflit."
Gissin, qui a cinquante-deux ans et
deux fils âgés respectivement de vingt-quatre et vingt ans, sait de quoi il
parle, formé qu'il est tant au journalisme qu'à la planification
stratégique.
Officiellement conseiller du Premier ministre en matière de
relations avec la presse et de relations publiques, Gissin est l'un des
professionnels - on les compte sur les doigts de la main - habilités, auprès du
Cabinet du Premier ministre et du Ministère des Affaires étrangères, à
transmettre au monde entier le message tant de Sharon que d'Israël. Malgré
quelques tentatives de le pousser vers la sortie dont il a fini par avoir
raison, il est devenu, parmi les porte-parole du premier ministre, celui qui
dépasse d'une tête ses collègues.
Sabra de la cinquième génération, né dans
le Kibboutz Hasolelim, en Basse-Galilée, Gissin a été amené à trouver sa voie
presque fortuitement. Après avoir obtenu une maîtrise en journalisme radio et un
doctorat ès administration publique et sciences politiques de l'Université de
Syracuse, (aux Etats-Unis), Gissin a travaillé pour le service de planification
stratégique des Forces Israéliennes de Défense, où l'un de ses premiers
officiers allait, plus tard, être appelé à occuper le poste de Premier ministre,
en la personne d'Ehud Barak.
"Il y avait déjà longtemps que je travaillais à
la planification d'opérations militaires, des opérations spéciales", dit Gisin,
assis dans son bureau d'un dépouillement quasi monastique, à Jérusalem, ignorant
la sonnerie incessante de ses deux téléphones portables. "A l'époque nous avions
(sur la planche à dessin) l'attaque contre le réacteur (nucléaire) irakien et la
préparation et la planification de l'Opération Grands Pins (connue plus tard
sous la dénomination de Guerre du Liban : Sharon n'était même pas encore
ministre de la défense !"
Quand la guerre du Liban éclata, explique Gissin,
le porte-parole de l'armée vint au bureau de la planification, dit qu'il avait
un problème avec les journalistes de la presse étrangère au Liban et demanda à
Barak s'il avait quelqu'un à lui proposer, qui puisse l'aider à les apprivoiser.
"Barak a dit, alors, 'J'ai bien là un certain docteur - à le voir, on ne
dirait pas qu'il est docteur, il n'a pas de petits lorgnons en demi-lune - mais
il est néanmoins docteur et il parle très bien l'anglais'". C'est comme ça que
j'ai passé au Liban toute la période de la guerre ; seul changement : de
planificateur stratégique, j'étais devenu porte-parole de l'armée. Au cours des
dix années suivantes, je me suis trouvé sur leur fameux champ de bataille
médiatique, et je dois dire que j'étais comme ce garçon hollandais de la
légende, qui essaye de boucher une digue trouée avec ses doigts, et qui finit
par se rendre compte qu'il dispose de moins de doigts qu'il y a de trous...
"
Gissin raconte qu'au bout d'un certain temps, il a demandé au porte-parole
de l'armée quand il serait autorisé à retourner à ses fonctions premières de
planificateur stratégique et il lui fut répondu assez sèchement : "des analystes
en stratégie, nous en avons à revendre. Mais des gens qui peuvent dire en trente
secondes ce que les analystes en stratégie sont en train de préparer se comptent
sur les doigts d'une main. Alors, vous restez où vous êtes !"
Non seulement
Gissin peut dire ce qu'il doit dire en trente secondes mais, de plus, il le fait
dans un anglais parfait, usuel et sans aucun accent. Il n'attribue pas ses dons
pour ce type d'anglais à ses six années d'études à l'Université de Syracuse,
mais bien plutôt aux deux années et demie passées à Brooklyn, dans son enfance,
à la fin des années cinquante : ses parents y avaient été envoyés en mission
pour l'association Young Judea (= Jeune Judée). Ecoutez Gissin parler anglais,
et vous serez persuadés de vous trouver en face d'un immigrant débarquant de New
York et pas du tout d'un sabra né dans un kibboutz.
"J'ai regardé la télé un
max, à l'époque", raconte Gissin, affable et plein d'humour, avec un large
sourire forcé. "Hopalong Cassidy et le Cow-boy solitaire. Vous pouvez me croire
: c'est comme ça que vous apprenez le langage "télévisuel"".
A la différence
de certains conseillers de Sharon, Gissin n'est pas un vieil ami de sa famille
ou un copain de régiment avec lequel il aurait traversé le canal de Suez en
1973. Non, sa relation avec le Premier ministre est très récente, elle remonte à
moins de six ans et elle s'est nouée quand il fut nommé porte-parole au
Ministère de l'Infrastructure nationale, tout juste institué, ministère que
Sharon allait diriger. De là, il suivit Sharon au ministère des Affaires
étrangères, et jusque dans sa traversée du désert, durant les années Barak, au
cours desquelles il était consultant particulier de Sharon.
Toutefois, c'est
au moment où Sharon était ministre des Affaires étrangères que Gissin a sans
doute fait l'un de ses pas les plus astucieux, tout du moins en ce qui concerne
la transmission au monde du message d'Israël. En décembre 1998, il pressa Sharon
d'inclure un obscur gouverneur du Texas dans la liste des passagers de ses
tournées en hélicoptère au-dessus des territoires : il s'agissait d'un certain
George W. Bush...
La ballade en hélico de Bush, au-dessus de la Judée et de
la Samarie, qui contribua a créer des relations personnelles chaleureuses entre
Sharon et celui qui allait devenir président des Etats-Unis, aurait dû être,
initialement, une simple conférence de presse dans son bureau, se remémore
Gissin.
"Mais je suis allé trouver Sharon et je lui ai dit que ce n'était
pas correct. Je risque gros, là, je risque de ne pas être à la hauteur :
ce gars est candidat à la présidence américaine. Je ne sais pas moi : et si vous
l'emmeniez dans l'une de vos excursions en hélicoptère ?..."
Bush a eu droit
à son virolon en hélico et Israël - c'est Gissin qui l'affirme - en a retiré un
bénéfice optimum.
"Il se souvient de cette escapade encore aujourd'hui", dit
Gissin, parlant de Bush. "Il dit que de l'avoir survolé lui a finalement permis
de toucher du doigt à quel point ce pays, en fait, est petit..."
Cette
promenade en hélicoptère est l'une des multiples formes que peut prendre la
bataille constante livrée en vue de se gagner les coeurs et les esprits des
dirigeants (et aussi des dirigeants potentiels).
Les Palestiniens, dit
Gissin, ont développé une autre méthode, qui consiste à créer des scènes et des
images destinées à influer sur les décideurs qui les découvriront.
D'après
Gissin, toujours, la télévision joue un rôle critique, pas tant parce qu'elle
serait capable de modifier l'opinion publique - un reportage de trente secondes
ne changera jamais la façon de penser de qui que ce soit, dit-il - mais bien
parce qu'il peut jouer un rôle décisif en ce qu'il peut inciter ces dirigeants à
agir. Un exemple parfait en a été donné quand le Secrétaire d'Etat américain,
Collin Powell a critiqué Israël pour sa réaction excessive et disproportionnée,
après une incursion de l'armée israélienne dans la bande de Gaza en réplique à
une attaque au mortier contre le village de Sderot, le mois dernier. Un officier
de l'armée israélienne avait alors tenu une conférence de presse au cours de
laquelle il avait déclaré que l'armée israélienne resterait à Gaza pour des
semaines, voire des mois. Quelqu'un, qui avait vu la conférence de presse à la
télévision, alerta Powell qui, réagissant à ce qui avait été montré à la
télévision, se décida à réagir.
Gissin affirme qu'au cours des huit mois
écoulés, Arafat n'a pas cessé d'essayer de provoquer Israël afin de l'inciter à
poser des actes qui lui fourniraient les images dont il a besoin afin de pousser
les dirigeants étrangers à réagir.
"Mais nous avons retenu les leçons du
passé, et nous ne commettons plus le genre d'erreurs qui nous aurions
probablement commises en 1982", dit-il. "Résultat : Arafat est encore frustré,
parce qu'il est incapable d'élaborer ce genre de réaction devant les caméras de
la télévision. La télé est bien là, mais la réaction israélienne est
inexistante, ou tout au moins, insuffisante. "Je dis toujours', poursuit
Gissin,"qu'il n'y a pas d'histoire possible dans une situation de "retenue". Si
vous vous retenez, si l'armée israélienne se retient, il n'y a pas
d'histoire".
Et quand il n'y a pas d'histoire, il n'y a pas non plus ces
images dramatiques que les Palestiniens, à en croire cette analyse, pensent
indispensables pour inciter les dirigeants, de par le monde, à réagir.
Pour
les partisans d'une réaction militaire brutale, toutefois, toute cette logique
semble sous-entendre que c'est un peu comme si l'opinion publique était devenue
un peu un Moloch des temps modernes, sur l'autel duquel des citoyens israéliens
doivent être sacrifiés afin de satisfaire en permanence ce dieu
implacable.
Gissin rétorque que l'"opinion publique mondiale n'est pas
Moloch". "Il faut la considérer comme un élément stratégique parmi d'autres, non
exclusif, mais néanmoins fondamental, de notre politique générale".
"De sorte
que, si vous savez que les Palestiniens n'ont pas l'intention de faire la paix,
et qu'ils sont prêts à mener une guerre d'usure longue et âpre, il y a deux
choses que vous avez apprises des deux conflits précédents et dont vous devez
toujours tenir le plus grand compte. La première, c'est la cohésion interne et
le consensus et la seconde, le soutien international, ou tout au moins
(l'assurance que) la communauté internationale restera neutre et ne cherchera
pas à vous imposer une solution ou à exercer sur vous des pressions de nature à
porter atteinte aux intérêts stratégiques d'Israël.
"Dans ce combat contre
le terrorisme et la violence, vous devez toujours chercher à déstabiliser
l'ennemi", explique Gissin. "Le cessez-le feu unilatéral (israélien) a
désarçonné Arafat. Il courait le monde tout en donnant l'ordre de poursuivre les
violences, mais il perdait le soutien de l'opinion publique mondiale, à cause du
cessez-le-feu. Il n'obtient pas l'attention qu'il désirerait de la part des
médias. Il jouit encore d'une partie du crédit dont il jouissait auparavant -
celui d'être le chien dominé, le pauvre bougre, le plus faible dans la bagarre,
celui qui a besoin de sympathie et, de fait, l'attire. Mais cette sympathie
s'évanouit. Désormais, ses batteries sont à plat."
A entendre Gissin, on
pourrait penser qu'Israël est en train de procéder à on ne sait quelle opération
médiatique hyper-feutrée, efficiente, propre et nette, qui réussirait à mettre
les Palestiniens K-O à chaque round.
Mais tout consommateur de médias avisé
- et même le téléphage de base, pas si avisé que ça - sait qu'il ne s'agit pas
là exactement de la vérité. Dans l'esprit de bien des gens, Israël est en train
de se faire matraquer sur le ring médiatique.
"Quand je suis venu ici, au
Cabinet du Premier ministre, en tant que premier conseiller pour les relations
avec la presse étrangère, j'ai trouvé un désert", rétorque Gissin à ce genre de
critiques. "J'ai trouvé que l'une des plus grossières erreurs du gouvernement
sortant, c'était de négliger les médias étrangers. Je ne parle pas ici
simplement de stratégie, je parle bien de (la nécessité) de contacts quotidiens
du Cabinet du Premier ministre avec les médias étrangers, de la capacité à leur
donner l'information, parce que si on leur donne pas d'informations, les
Palestiniens le feront (à notre place). Si vous ne les maintenez pas en
permanence en effervescence et contents (d'eux-mêmes ?ndt), les Palestiniens le
feront. Vous devez être capables de fournir aux médias étrangers la matière dont
ils ont besoin aux moments précis où ils en ont besoin. Bref, vous devez être
F.F.B. (First, Fast and Brief = les premiers, rapides et brefs).
Gissin dit
que la première chose qu'il ait faite, fut d'organiser une brigade de
porte-parole capables, dans l'immédiateté et dans un anglais totalement exempt
de pauses, de bégaiements et de "euhhs", d'expliciter le point de vue
d'Israël.
"J'ai sélectionné un groupe de gladiateurs, en prenant des
gens expérimentés et excellents, à l'anglais impeccable, ou parlant à la
perfection d'autres langues étrangères, et j'en ai fait nos préposés à la
communication."
Parmi les personnes recrutées en vue de cette noble tache
notons un ancien ambassadeur à l'ONU, Dore Gold, un ancien ambassadeur aux
Etats-Unis, Zalman Shoval et un membre du cabinet, Dan Naveh, pour ce qui est
des anglicistes. Pour la francophonie, Gissin a recruté l'ancien ambassadeur en
France Ovadia Sofer et l'ancien ambassadeur en France et en Italie Avi Pazner,
qui est également italophone. Shoval, excellent germanophone, est également
préposé aux relations avec les médias allemands.
Ce groupe de truchements
bénéficie de briefings constants de la part de Sharon, ainsi que de Yossi Gal,
chargé des communications au Cabinet du Premier ministre et, bien entendu, de
Gissin.
Celui-ci reconnaît que ce qui se fait est (encore) loin de suffire,
mais que "c'est déjà un début".
"En très peu de temps, nous avons été
capables de nous adapter. Je ne dis pas que l'image d'Israël (dans le monde) a
changé du jour au lendemain, mais au moins, nous sommes en train de conquérir
une certaine bienveillance. Au moins, chaque fois que Sa'eb Erekat est
interviewé depuis la "ville assiégée de Jéricho", quelqu'un, chez nous,
s'exprime depuis la "cité assiégée de Jérusalem" au moment où elle essuie des
tirs. C'est un bon début : on y arrivera.
5. Honest Reporting, le
pouvoir au bout de l´e-mail par François Landon
in Transfert.net (e-magazine) du vendredi 8
juin 2001
Peu de moyens et beaucoup d´efficacité : déguisé en
observatoire des médias, le groupe de pression Honest Reporting fait pencher la
balance en faveur d´Israël.
Depuis des années,
le reporter Robert Fisk couvre le Moyen-Orient pour le quotidien britannique The
Independent. Si Fisk jure ne pratiquer ni le Web ni l´e-mail, c´est pourtant aux
NTIC qu´il consacre une récente chronique : plusieurs titres, dont The
Independent, sont régulièrement bombardés d´e-mails émanant de prétendus
"lecteurs américains indignés par la vue biaisée et défavorable à Israël",
caractérisant le traitement de l´actualité au Moyen-Orient. Ces messages, note
Fisk, portent souvent des adresses correspondant à des zones du territoire
américain où The Independent n´est pas distribué. Or, bon nombre sont envoyés à
l´instigation d´une organisation récente et active, Honest Reporting, dont la
mission est justement de combattre ce traitement médiatique négatif et injuste
qui serait le lot d´Israël.
Un modèle de courrier
"Dès
que paraît quelque chose qui leur déplait, ils font faire le tour du monde à
l´article incriminé, écrit le Guardian, autre titre britannique pris à parti par
Honest Reporting. Ils y joignent un modèle de courrier de protestation qu´il
suffira de personnaliser et d´adresser par la voie électronique." La stratégie
de l´organisation est aussi simple que radicale : ne rien laisser passer. Qu´il
s´agisse d´un article ou d´une dépêche, la thèse développée, l´angle choisi, le
vocabulaire utilisé, sont passés au crible. Le cadrage d´une photo, l´atmosphère
qu´elle dégage, son sens tacite, son contexte, sont également analysés. La
présence, même infime, d´éléments douteux met vite en branle ce "site web
d´action rapide", qui lance ses troupes à l´assaut de la rédaction coupable de
subjectivité. Avec une efficacité souvent redoutable. Le 1er juin dernier, après
l´attentat devant une discothèque de Tel-Aviv qui coûta la vie à une vingtaine
de jeunes israéliens, Associated Press eut le tort de titrer : "Explosion kills
bomber in Tel Aviv (Tué par l´explosion de sa bombe à Tel Aviv)", sans évoquer
d´entrée de jeu les victimes israéliennes. Honest Reporting proposa aussitôt à
ses troupes d´adresser à AP une lettre inspirée du modèle suivant : "A
l´attention du rédacteur en chef
Le 1er juin, la première dépêche d´AP
rapportant le haineux attentat-suicide perpétré devant une discothèque de Tel
Aviv portait le titre : "Tué par l´explosion de sa bombe à Tel Aviv". Les
premières images de la scène montraient une masse de victimes juives. Pourquoi
AP a-t-il édulcoré cet acte bestial en le dénommant "explosion", et s´est-il
attaché aux souffrances d´un terroriste diabolique, et non à celles
d´adolescents innocents ? J´ose croire que l´auteur de cet abominable phrase de
titre ne fait d´ores et déjà plus partie de votre rédaction."
Pluie d´e-mails
Efficace et
complet comme un couteau suisse, le site de Honest Reporting regorge d´archives,
de modèles de lettres, de définitions des déformations à traquer, de liens,
d´adresses. Il n´oublie pas de doper le moral de ses membres en leur rappelant
les succès obtenus : bombardée d´e-mails, la chaîne américaine CNN a fait ainsi
amende honorable et reconnu par écrit: "Le reportage que vous citez contient des
erreurs factuelles, des erreurs par omission [situées dans un] contexte
inapproprié, qui ont été corrigées." De même, le New York Times et le Washington
Post avaient des mois durant défini la zone de Gilo, à la périphérie de
Jérusalem, comme une "colonie". Une pluie d´e-mais les a ramenés à la raison :
dans leurs colonnes, Gilo n´est plus qu´un simple "quartier". Pas question de
s´arrêter en chemin. Pour Honest Reporting, il y a tant d´injustices sémantiques
à redresser : les colonies "illégales", le "faucon" Ariel Sharon, les
"militants" palestiniens, les tirs qui "éclatent". Pire encore, cette manie
qu´ont certains médias de présenter le Mont du Temple comme le "Haram al Sharif,
troisième lieu saint de l´Islam".
Ethique journalistique
Plus
insidieuse, mais non moins efficace, cette lettre en date du 17 mai. Elle vise
un journaliste de la BBC, auteur de l´article "La nouvelle tactique de Sharon"
paru le même jour, accusé d´avoir truffé son texte, censé être purement
informatif, d´opinions et de prévisions personnelles, "violant l´éthique
journalistique la plus élémentaire". La BBC réagit en adjoignant, peu après, la
mention "analyse" au titre de l´article en question. Geste nécessaire mais non
suffisant. Honest Reporting priera la BBC de ne plus mélanger ses articles
d´information et ses articles d´analyse, en réservant à ceux-ci une rubrique
spécifique. Honest Reporting a ses héros médiatiques – ceux qui réservent à la
politique d´Israel un traitement impartial. Tel Martin Peretz, rédacteur en chef
du magazine conservateur The New Republic. Honest Reporting conseille donc à ses
membres de s´abonner au titre. Dans l´océan de fausseté baignant les médias,
seuls le magnat de la presse Conrad Black (Daily Telegraph, Spectator, Jerusalem
Post, etc.), le Times de Londres et le reporter Jack Kelley de USA Today ont été
à ce jour distingués pour leur honnêteté.
Individu sensibilisé
Selon
l´enquête menée par le Guardian, Honest Reporting a été créé à Londres en
octobre 2000 par un web-designer de 27 ans dont seul le prénom, Jonathan,
apparaît. Récupéré, le site serait désormais financé et piloté depuis les
États-Unis par une organisation se disant vouée à la surveillance des médias,
Mediawatch International. Selon sa présidente, Sharon Tzur, il s´agit d´une
structure récemment créée, rassemblant "des hommes d´affaires juifs
new-yorkais". Néanmoins, les liens de Mediawatch International avec Aish
HaTorah, une œuvre israélienne promouvant la culture juive la plus orthodoxe,
sont avérés. Faut-il le préciser ? Derrière ses protestations d´objectivité et
son nom aussi ronflant que faussement naïf, Honest Reporting est purement l´arme
d´un camp, dans une guerre où le front médiatique prime. S´il en fallait une
preuve, on la trouverait sur la page du site expliquant "comment rédiger une
lettre efficace", où le point numéro 9 expose : "Écrivez en qualité d´individu
sensibilisé. Le fait de mentionner votre appartenance à une campagne organisée
peut diminuer le poids de votre lettre."
Articles d´excuse
Honest
Reporting revendique 13 000 membres, et souhaite seulement parvenir à doubler
leur nombre. Son premier succès, le groupe affirme l´avoir remporté face à
l´Evening Standard, fin octobre 2000. Une chronique mettait en parallèle
l´attachement à leur terre des immigrés juifs de l´après holocauste et celui des
Palestiniens d´aujourd´hui. Les protestations reçues par le quotidien national
l´amenèrent à publier coup sur coup deux articles d´excuse, puis une tribune
pro-israélienne signée d´un intervenant extérieur. À l´époque, les membres de
Honest Reporting n´auraient pas été plus de 1 000.
[- Lien(s) de l'article :
Chronique de Robert
Fisk dans l’Independant : http://news.independent.co.uk/digital/columnists/story.jsp?story=74998
Site de Honest Reporting :
http://www.honestreporting.com/
Article de David Leigh dans
le Guardian : http://www.guardian.co.uk/Archive/Article/0,4273,4140042,00.html]
6. Au coeur de l’extrémisme
juif
in Courrier
International du jeudi 7 juin 2001
Un journaliste du quotidien
“Ha’Aretz” a enquêté sur la possible résurgence du terrorisme juif, notamment
chez les colons. L’actualité semble justifier toutes les craintes…
“Les terroristes arabes doivent être éliminés,
comme les nazis ont fait avec les juifs. Mais à quoi ça peut servir de jeter des
pierres ?” C’est l’opinion d’Avi, un ouvrier de 47 ans qui se confie à Uriya
Shavit, journaliste à “Ha’Aretz”. Les lanceurs de pierres sont une centaine de
jeunes juifs qui s’acharnent contre la mosquée de Hassan Bek, sous l’oeil
vigilant de la police et sous le regard d’Avi, “bien installé dans un fauteuil
aux premiers rangs pour assister au meilleur spectacle de la ville”. Quelques
heures plus tôt, à quelques mètres de la mosquée, avait eu lieu l’attentat
suicide anti-israélien qui s’est soldé par vingt morts, pour la plupart des
adolescents.
Au cours de son enquête sur les extrémistes juifs,
Uriya Shavit a rencontré des leaders de colons, des experts en terrorisme et
d’anciens membres du mouvement clandestin des années 1980 qui regroupait des
juifs terroristes. Ils lui parlent du désir de vengeance qui couve depuis bien
avant l’attentat du 1er juin. Ils estiment qu’une flambée soudaine de violence
contre les Arabes pourrait rapidement resurgir. “Le carnage de Tel-Aviv et
l’incapacité du gouvernement à entreprendre une action immédiate ont augmenté le
danger de voir réapparaître le terrorisme juif.” Pour Shimon Riklin, leader des
colons de la deuxième génération, “la situation est telle que les gens sont
prêts à agir individuellement. Je parle de tuer des Arabes. Je n’approuve pas de
telles actions. Mais je sais que très peu d’Israéliens, résidant dans les
colonies ou à l’intérieur d’Israël, les condamneront.”
Jusqu’à l’heure actuelle, le terrorisme juif s’est
distingué par deux principaux aspects : un terrorisme organisé, clandestin et
fondé sur un endoctrinement idéologique ; et un terrorisme qui relève d’actes
individuels, explique Shavit. Souvent, ces terroristes, s’ils sont arrêtés, sont
relâchés après quelques années passées en prison. Ils retrouvent leur
communauté, parfois obtiennent des postes officiels. Ils ne sont plus jamais
inquiétés par leur passé et ne s’en cachent pas. Mais, de l’avis des experts, le
terrorisme qui pourra renaître ne sera pas clandestin mais agira au grand jour,
sans craindre les autorités. Pour Hezi Kalo, ancien membre des services de
sécurité, le Shin Bet, “si les colons agissent, on assistera à des actions
spontanées d’autodéfense. Alors, des milices populaires pourraient surgir.” Kalo
attire l’attention sur le fait que le gouvernement en place soutient les
colonies. Menahim Livni, un ancien membre du mouvement clandestin des années
1980, estime lui aussi qu’un nouveau mouvement du même type a peu de chance de
voir le jour. D’ailleurs, de l’avis général des personnes interrogées par
Shavit, le temps de la clandestinité est révolu. Le scénario le plus prévisible
serait des actes de vengeance individuels, exprimant le sentiment d’abandon vécu
par les colons qui constatent que l’armée est incapable de les protéger. La
nouvelle génération de colons se fera justice elle-même et agira
ouvertement.
Les événements viennent donner raison à ces
analyses. Mercredi 6 juin, des douzaines de colons ont organisé en Cisjordanie
une manifestation qui s’est terminée par l’attaque de deux villages
palestiniens. Les colons ont incendié des propriétés agricoles et l’école des
deux villages. Selon “Ha’Aretz”, l’organisation israélienne de défense des
droits de l’homme, B’Tselem, “a accusé l’armée et la police d’avoir empêché les
ambulances palestiniennes d’entrer dans les villages et d’avoir tiré sur les
habitants. Au moins un Palestinien, parmi les neuf blessés, a été atteint à la
tête par un coup provenant du fusil d’un soldat.” “Ha’Aretz” précise que ce
saccage était la réponse des colons à une attaque terroriste. Dans la nuit du
mardi 5 juin, des Palestiniens avaient jeté des pierres sur une voiture passant
sur la route qui longe leurs villages. Une pierre a atteint un nouveau-né âgé de
5 mois et l’a sérieusement blessé. Le bébé est toujours hospitalisé, dans un
état critique.
Signe des temps, le “Jerusalem Post” consacre sa
une à la manifestation qui a eu lieu dans la soirée du mercredi 6 juin au coeur
de Jérusalem. Plusieurs milliers de colons ont répondu à l’appel du Conseil des
colonies et sont venus protester contre la politique de retenue affichée par le
Premier ministre, Ariel Sharon. Au slogan “Arafat doit être vaincu” se sont
superposés des cris sortis de la foule pour scander “Mort aux Arabes” et “Les
Arabes dehors”, relate le “Post”. Parmi les intervenants, des colons ont pris la
parole pour témoigner de la peur qui désormais fait partie de leur quotidien.
Ils ont le sentiment de faire les frais de la politique de retenue à laquelle le
gouvernement d’union nationale de Sharon s’astreint sous la pression
internationale. Ils ne sont pas venus pour causer du tort à Sharon, mais pour le
pousser à agir.
Dans ce contexte chargé de méfiance et d’extrême
tension, l’émissaire américain, George Tenet, chef de la CIA, chargé de renouer
la coopération en matière de sécurité entre les deux parties, aura fort à faire.
La tâche de Tenet s’avère d’autant plus ardue que les Palestiniens exigent
l’arrêt de toute activité de colonisation, tandis qu’Israël réclame avec
insistance l’arrestation de 300 militants extrémistes libérés par l’Autorité
palestinienne depuis le début de l’Intifada. Conditions jugées irréalistes et
rejetées par chaque partie.
Akiva Eldar, éditorialiste à “Ha’Aretz” résume la
situation. “La devinette qui préoccupe actuellement le monde entier - Arafat
est-il incapable d’arrêter les combats ou tout simplement ne le souhaite-t-il
pas ? - est identique à une autre devinette : Sharon est-il incapable de geler
les colonisations ou tout simplement ne le souhaite-t-il pas
?”