5. Proche-Orient
: une chance à ne pas manquer par Javier Solana
in le Monde du
vendredi 1er juin 2001
[Javier solana
est haut représentant de l'Union européenne pour la politique étrangère et de
sécurité commune.]
IL faut briser l'engrenage de la violence
qui a déjà coûté la vie à plus de 500 personnes depuis l'automne dernier et qui
menace la stabilité au Proche-Orient. Je ne vois pas de gagnant dans cette
logique mais je crains qu'il n'y ait deux perdants : les Palestiniens, qui
voient s'éloigner la perspective de l'Etat auquel ils aspirent ; les Israéliens,
qui ressentent une insécurité grandissante.
Les parties et la communauté
internationale doivent trouver le chemin de sortie de crise et de retour à la
table des négociations. Il existe une base pour cela, mais, pour restaurer la
foi dans la paix, il faut saisir cette chance et agir sans délai. J'ai eu
l'honneur de faire partie de la commission d'établissement des faits créée au
sommet de Charm el-Cheikh en octobre dernier, aux côtés des anciens sénateurs
américains George J. Mitchell - qui présidait la commission - et Warren B.
Rudman, de l'ancien président turc Suleyman Demirel et du ministre des affaires
étrangères norvégien, Thorbjörn Jagland.
Au cours de nos travaux, nous avons
rencontré des responsables israéliens et palestiniens et des membres de la
société civile. Mais aussi des familles de victimes palestiniennes et
israéliennes : toutes partageaient la même douleur, et leurs mots étaient les
mêmes.
Malgré la colère qui s'est accumulée dans les deux communautés, il ne
fait aucun doute que, dans leur écrasante majorité, les Palestiniens et les
Israéliens veulent vivre en paix. Et il n'y a qu'une seule façon d'aboutir à la
paix, à la justice et à la sécurité au Proche-Orient : par la négociation. Une
négociation fondée sur la mise en œuvre sincère des résolutions pertinentes du
Conseil de sécurité. C'est, ni plus ni moins, la base de tout le processus
depuis Madrid, il y a dix ans.
La commission d'établissement des faits a
maintenant rendu son rapport. La rigueur et l'impartialité de ce travail ont
été, je crois, largement reconnues. Surtout, pour la première fois depuis bien
longtemps, il existe avec ce rapport une base qui bénéficie d'un soutien
international sans précédent. Les recommandations du rapport ont en effet le
soutien du secrétaire général de l'ONU, des Etats-Unis, de l'Union européenne et
d'autres pays comme la Russie et le Canada. L'Egypte et la Jordanie y retrouvent
la philosophie de l'initiative qu'elles avaient présentée il y a quelques
semaines, dans un effort positif pour sortir du vide diplomatique.
Et
surtout, le gouvernement israélien et l'Autorité palestinienne ont tous deux
indiqué qu'ils acceptaient les recommandations du rapport de la
commission.
Beaucoup de rapports ont été publiés sur cette région. Rarement
ils ont eu une telle audience auprès de ceux qu'ils concernent au premier
chef.
Ne rien retirer de concret de cette opportunité serait une absurdité
politique et une tragédie sur le plan humain. Il faut saisir le fil qui se
présente, et avancer.
Car un rapport à lui seul ne peut pas faire de
miracles. Ce n'est qu'une base. Il faut maintenant le transformer en plan
opérationnel. C'est pour cela que je me suis rendu dans la région la semaine
dernière. Il faut un paquet de mesures assorti d'un calendrier. Le principe est
accepté par les parties, qui retiennent quatre éléments :
- un cessez-le-feu
;
- une période de consolidation de l'apaisement (cooling off) ;
- une
période pour reconstruire la confiance ;
- la reprise des négociations, tant
sur les questions intérimaires en suspens que sur le statut final.
Il faut
que ce plan opérationnel soit adopté rapidement : ce n'est pas une question de
mois mais de jours, peut-être de semaines. Sinon, la crise durera. Je l'ai dit à
tous les dirigeants de la région. Tous en conviennent.
Il faut bien sûr que
les parties prennent sans conditions des mesures immédiates pour sortir du cycle
des violences. Il doit y avoir 100 % d'efforts dans ce sens et les dirigeants
doivent prendre les mesures nécessaires. Mais je reste convaincu que, pour
sortir de la terrible routine des affrontements et des représailles, les parties
ont besoin d'une feuille de route précise, claire, qui ramène au processus de
paix et aux négociations.
Pour cela, il faut recréer la confiance. La
commission Charm el-Cheikh a identifié plus d'une dizaine de mesures. L'une
d'elles invite au gel des colonies. Je comprends l'importance que les
Palestiniens y attachent : que le nombre des habitants des colonies ait doublé
depuis la signature des accords d'Oslo n'a certainement pas contribué à
faciliter la recherche d'une paix juste et durable. Les Européens ont toujours
mis en garde contre les effets négatifs de cette politique. Je le redis
aujourd'hui et je constate qu'une majorité d'Israéliens semble prête à
considérer que le gel des colonies peut être dans l'intérêt même de l'Etat
hébreu.
Si on dit accepter les recommandations du rapport de la commission
d'établissement des faits, comme l'ont fait les dirigeants palestiniens et
israéliens, il faut les accepter dans leur ensemble. C'est ainsi, et ainsi
seulement, que l'on pourra reconstruire la foi dans la paix qui fait défaut
aujourd'hui tant au sein de la nation israélienne qu'au sein de la nation
palestinienne. Une perspective politique doit accompagner l'apaisement et en
sera le moteur.
Pour briser le cycle des violences et reprendre la recherche
de la paix, il faut une nouvelle relation bilatérale qui garantisse la sécurité
et les droits de chaque peuple à vivre en paix. La coopération a existé. Elle
doit reprendre.
L'Union européenne joue son rôle dans les efforts qui sont
faits pour sortir de la spirale de la violence et pour relancer le processus de
paix. Depuis Charm el-Cheikh, j'ai été en contact quasi quotidien avec les
dirigeants israéliens et palestiniens et arabes. Le représentant spécial de
l'Union européenne pour la région, Miguel-Angel Moratinos, est également actif
sur place.
L'Union travaille aux côtés de ses partenaires, notamment
américains, dans une volonté de faire en sorte que les efforts de chacun se
complètent et se renforcent. Une coopération intensive et continue avec
Washington est au cœur de nos efforts.
Sur la base des recommandations
réalistes et équilibrées du rapport de la commission Charm el-Cheikh, un schéma
de sortie de crise équitable et sérieux est à portée de main. Si nous ratons
cette occasion, nous devrons encore déplorer des vies inutilement brisées. Et,
in fine, la solution de sagesse et de paix sera toujours proche de celle qui est
aujourd'hui sur la table.
Pourquoi attendre, quand Israéliens et Palestiniens
peuvent compter sur une vaste coalition internationale pour la paix ? Les
décisions à prendre demandent du courage. C'est ce qu'attendent les peuples de
leurs dirigeants. Et nous sommes prêts, au sein de l'Union européenne, à fournir
tout l'appui qui sera nécessaire.
6. Arafat arrive
à Amman pour accompagner le corps d'Husseini
Dépêche de l'agence
Reuters du vendredi 1er juin 2001, 8h05
AMMAN - Le président de
l'Autorité palestinienne Yasser Arafat est arrivé à Amman pour rejoindre le
corps de son collaborateur Faiçal Husseini, décédé la veille d'une crise
cardiaque à l'âge de 60 ans.
Arafat, qui a écourté sa visite en Belgique en
raison de ce décès, doit accompagner le corps d'Husseini vers Ramallah, en
Cisjordanie.
Le président de l'Autorité palestinienne n'assistera pas à
l'enterrement du défunt, qui sera inhumé dans l'enceinte de la mosquée d'El
Aksa, sur l'esplanade des Mosquées de Jérusalem.
Arafat a accusé Israël
d'être en partie responsable de la mort d'Husseini, qui a respiré des gaz
lacrymogènes lancés par Tsahal avant sa crise cardiaque.
"Quelques jours
avant son martyre, (Husseini) et Ahmed Tibi ont été atteints par des gaz
lacrymogènes et vous savez que le pauvre homme souffrait d'asthme, et le gaz
lacrymogène a aggravé l'asthme dans sa poitrine", a déclaré Arafat, faisant
référence à des incidents survenus le 16 mai en Cisjordanie.
Husseini et le
député israélien Tibi se sont retrouvés au milieu d'une manifestation de 200
personnes, que l'armée israélienne a cherché à disperser. Husseini avait été
hospitalisé après avoir inhalé des gaz lacrymogènes.
Husseini est mort alors
qu'il était en visite au Koweït. Son corps a été rapatrié à Amman dans un
cercueil enveloppé dans un drapeau palestinien, à bord de l'Airbus privé de
l'Emir du Koweït.
7. Fayçal
Husseini, un nationaliste modéré et pragmatique
Dépêche de l'Agence
France Presse du jeudi 31 mai 2001, 16h48
JERUSALEM - Issu d'une illustre
famille nationaliste, le dirigeant de l'OLP Fayçal Husseini, décédé jeudi d'une
crise cardiaque, personnifiait la lutte des Palestiniens contre l'occupation
israélienne de Jérusalem-est, mais était aussi un responsable modéré et
pragmatique.
De manière ironique, l'homme qui avait consacré la plus grande partie de sa
vie à lutter pour faire reconnaître les droits des Palestiniens sur la partie
orientale (arabe) de Jérusalem était né le 17 juillet 1940 à Bagdad et est
décédé à Koweit.
Mais ses liens avec Jérusalem étaient profonds. Grand et d'allure
aristocratique, Fayçal Husseini appartenait, en effet, à une famille de notables
de la Ville sainte.
Son père, Abdelkader Husseini, était un chef militaire de renom qui mena la
révolte arabe de 1936 en Palestine contre la puissance mandataire britannique.
Il fut tué en 1948 dans la bataille du Castel, près de Jérusalem, lors de la
première guerre israélo-arabe.
Il était aussi le neveu de Hadj Amine Husseini, un ancien Grand mufti (chef
religieux) de Jérusalem.
C'est en 1964 que Fayçal Husseini arrive à Jérusalem, après des études
secondaires en Egypte. Il devait obtenir en 1967 un diplôme en Sciences
militaires de l'académie militaire syrienne.
Il commence alors à militer au sein du Fatah de Yasser Arafat, la
principale composante de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). Ses
liens trois étroits avec le leader palestinien datent de cette époque.
Dans les années qui suivent, Fayçal Husseini sera emprisonné ou placé en
résidence surveillée à de nombreuses reprises par Israël pour ses activités
contre l'occupation de Jérusalem-est.
En 1979, il fonde la Société des études arabes à la Maison de l'Orient à
Jérusalem-est, qui sera fermée à de nombreuses reprises par Israël, avant de
devenir le siège officieux de l'OLP après les accords d'autonomie de 1993.
Malgré la répression sévère, il participe activement à la première Intifada
(1987/1993), Israël le considérant même comme l'un des meneurs du
soulèvement.
Mais de la même manière qu'il s'est opposé farouchement à l'occupation
israélienne, il va jouer un rôle-clé dans le lancement du processus de paix,
animé par sa croyance dans un règlement pacifique du conflit.
En 1991, il dirige une délégation palestinienne à une rencontre avec le
secrétaire d'Etat américain de l'époque, James Baker, pour préparer le terrain à
l'ouverture de négociations israélo-palestiniennes.
En octobre 1991, il est nommé chef de la délégation palestinienne à la
conférence de Madrid qui va lancer le processus de paix, malgré les objections
israéliennes au fait qu'un résident de Jérusalem puisse jouer un rôle de premier
plan dans ces négociations.
Membre du Comité exécutif de l'OLP chargé du dossier de Jérusalem, M.
Husseini était devenu aux yeux du monde le porte-parole de la lutte des
Palestiniens pour faire de la partie orientale de la ville la capitale de l'Etat
qu'ils aspirent à créer.
Mais il souhaitait aussi que Jérusalem soit une ville "libre, ouverte et
sans frontières".
Fayçal Husseini soutenait l'Intifada qui avait débuté le 28 septembre à
Jérusalem-est, ainsi que le droit au retour des réfugiés.
Les dirigeants israéliens le considéraient toutefois comme un modéré et un
homme de dialogue.
Parlant couramment l'hébreu, il était un invité régulier des radios et
télévisions israéliennes et avait des contacts suivis avec les mouvements
pacifistes israéliens.
"Nous avons perdu un partenaire aujourd'hui, quelqu'un qui était un
nationaliste, qui avait ses propres principes et préférait s'y tenir, mais aussi
quelqu'un qui était un pragmatiste", a ainsi déclaré l'ancien ministre israélien
Yossi Beilin, l'un des artisans des accords d'Oslo.
8. Ne pas saper
l’Autorité palestinienne par Dani Rothschild
in Maariv (quotidien
israélien) traduit dans Courrier International du jeudi 31 mai 2001
Pour le
général Dani Rothschild, Président du Conseil pour la paix et la sécurité,
ancien coordinateur du gouvernement israélien pour les Territoires, il faut
revenir à la table des négociations.
L’effondrement de
l’Autorité palestinienne est l’une des choses les plus graves qui puissent
arriver à l’Etat d’Israël. Certes, cette affirmation ne provoquera que des
haussements d’épaules chez ceux qui n’ont jamais cru au processus diplomatique ;
mais, pour une majorité de l’opinion, il semble pourtant clair que, tout en
circonscrivant les événements sanglants aux Territoires, il est nécessaire de
revenir à la table des négociations. Un tel processus prendra peut-être un an ou
plus, mais on n’y échappera pas. Et, lorsque nous retournerons à cette table, ce
qui sortira des cuisines ne ressemblera pas à ce que nous aurions voulu
goûter.
Chaque partie devra faire des concessions. Nous, Israéliens, nous
devrons renoncer à une partie de nos illusions, tout comme l’Autorité
palestinienne devra renoncer à une partie des siennes. Et seul un dirigeant fort
sera capable de prendre la décision de faire ces concessions. Arafat est le seul
dirigeant palestinien à ce jour capable d’unir le Fatah et le Hamas, Jibril
Rajoub (chef de la sécurité en Cisjordanie) et Muhammad Dahlan (chef de la
sécurité à Gaza), Abou Alaa (président du Parlement) et Abou Mazen (secrétaire
général de l’OLP), de leur imposer l’acceptation d’entorses douloureuses au rêve
palestinien et de conduire l’ensemble du peuple palestinien vers la conclusion
d’un accord avec Israël. Si Arafat venait à disparaître et/ou si l’Autorité
palestinienne venait à se décomposer, les Territoires se fragmenteraient
rapidement en chefferies organisées autour de Gaza, Ramallah, Naplouse et
Hébron. Israël se trouverait alors face à autant de mini-Autorités
palestiniennes ambitionnant chacune de prendre le contrôle de l’ensemble des
Territoires. L’Histoire a démontré que, dans une telle situation, c’est le plus
petit commun dénominateur, le plus radical, qui permet de rassembler les
adversaires autour d’une nouvelle ligne politique. C’est pourquoi je crains que
l’après-Arafat ne soit une très mauvaise affaire pour Israël. Certes, à nouveau,
ceux qui, en vertu de leurs conceptions politiques, ne désirent pas arriver à un
arrangement avec les Palestiniens se frotteront sans doute les mains face à la
disparition d’Arafat et à la décomposition de l’Autorité palestinienne. En ce
qui me concerne, je crains que, dans un tel cas, la route vers une situation de
chaos dans les Territoires gérés par l’Autorité palestinienne ne débouche très
rapidement sur une déstabilisation de tout le
Moyen-Orient.
9. Jusqu'au bout,
du fleuve à la mer par Amira Hass
in Ha'Aretz (quotidien israélien)
du mercredi 30 mai 2001
[traduit de l'anglais par
Marcel Charbonnier]
Depuis la publication du rapport
de la Commission Mitchell, le public israélien débat, de façon pépère, de la
question du gel de la construction dans les colonies. Mais cet ersatz de débat
ne devrait pas pouvoir détourner l'attention du coeur du problème : l'existence
même de l'implantation juive en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et la
bande de Gaza. La question posée est celle de savoir si les Israéliens, dans
leur ensemble (qui vivent encore, pour la plupart d'entre eux, à l'intérieur des
frontières antérieures au 4 juin 1967, sont prêts à vivre comme un peuple normal
dans un Etat avec des frontières définies, ou bien s'ils sont déterminés
moralement et financièrement, chacun pour ce qui le concerne, à se mobiliser en
vue d'une très longue guerre seule à même de perpétuer la situation (actuelle)
dans laquelle l'étendue de la souveraineté d'Israël est définie par la
localisation des implantations.
Le développement par Israël des implantations
aboutit à inscrire sur la carte un Etat d'un seul tenant, s'étendant de la mer
jusqu'au Jourdain. Israël n'a cessé d'oeuvrer à cet achèvement géographique tout
au long des vingt années écoulées, en particulier durant la plus récente, les
"années du processus de paix", en reliant entre elles les routes desservant les
colonies et, les adductions d'eau et d'électricité aux infrastructures
(israéliennes) à l'intérieur de la Ligne Verte. La société israélienne, qui ne
cesse d'envoyer ses enfants, de plus en plus nombreux, défendre les colonies,
répond donc bien à la question posée ci-dessus : oui, Israël est prêt à mener
une guerre de longue durée afin d'affirmer le droit pour les colonies de définir
les frontières de l'Etat.
Mais il ne s'agit pas seulement d'une question de
frontières. La question fondamentale est celle de savoir si le peuple juif
israélien, qui se considère comme appartenir à l'Occident et qui participe à
différents cénacles européens, croit vraiment qu'il sera capable de pérenniser,
de la Méditerranée au Jourdain, un régime d'apartheid en sa faveur, pour le
simple fait qu'il a l'heur d'être juif ?
Sur le territoire géographique qui
s'étend de part et d'autre de la Ligne Verte vit un autre peuple.
Ses
possibilités de développement sont obérées par une infrastructure déficiente,
délibérément maintenue dans son état obsolète par les gouvernements israéliens
qui se sont succédé depuis 1948. Son accès à l'eau et aux terres est limité, en
comparaison de celui des Juifs, par des lois (à l'intérieur de la Ligne Verte)
et par des ordres militaires (à l'extérieur de la Ligne Verte).
Un Juif né à
Jaffa peut aller à Ma'aleh Adumim. Un Palestinien né à Jéricho ne peut pas aller
à Jaffa, et encore moins construire un ensemble de villas pour lui-même et ses
amis sur les pentes d'une collines en Galilée. Dans les commissions de
l'administration civile (entendre : militaire - ndt), qui décide de quand et
comment construire des routes au seul usage des colons israéliens, et quand il
est séant d'envoyer des sbires débusquer des arbres palestiniens plantés sur des
"terres de l'Etat", il n'y a aucun représentant des Palestiniens. Un Juif de
Beit El n'a pas besoin d'autorisation pour se rendre à Jérusalem, alors qu'un
Palestinien de Ramallah, ville voisine, doit obtenir en temps "ordinaire" une
autorisation israélienne pour se rendre à Jérusalem Est ou à Gaza, pour ne pas
parler de Tel Aviv. Au jour d'aujourd'hui, il ne peut même pas aller à
Bethlehem. Un Juif né à Marseille et vivant actuellement à Neveh Dekalim peut
faire des études à l'Institut Ariel, quand il veut. Un Palestinien dont la mère
est née à Ashdod et qui vit dans le camp de réfugiés de Khan Yunis doit obtenir
un permis israélien pour s'inscrire à l'Université de Bir-Zeit ou à l'Université
Al-Najah de Naplouse, et il n'est pas rare du tout qu'il ne l'obtienne
pas.
L'été est là. Aucun Juif, dans aucune colonie, n'a à redouter de coupure
d'eau. Les voisins palestiniens de Beit-El, Ma'aleh Adumim, Ma'aleh Hahamisha,
Kfar Sava et Yad Hana s'apprêtent, eux, pendant ce temps, à compter les
dernières gouttes d'eau qui leur restent dans leurs réservoirs, parce qu'Israël
impose des quotas à la consommation d'eau par personne, pour les (seuls)
Palestiniens.
Dans cette géographie caractérisée par un état unique, un Juif
né à Tel Aviv ou à Moscou peut vivre dans un nouveau quartier flambant neuf à
Nazareth Ilith.
Un citoyen israélien non-juif, dont les propriétés familiales
à Nazareth ont été confisquées pour y construire précisément cette ville
nouvelle juive, ne parviendra certainement pas à mener à bien son projet de
construire un nouveau quartier résidentiel arabe à la périphérie de Ramat Aviv,
parce que la "terre nationale" ne peut pas être louée à des non-juifs.
Bien
sûr, il a le droit de vote, et le droit de lutter pour l'égalité des droits à
l'intérieur d'Israël. Mais lorsque cet Etat lui-même fait tout ce qui est en son
pouvoir pour effacer la Ligne Verte, pourquoi les résidents de Dir Hana, Sakhnin
et Taibeh (localités à l'intérieur de la Ligne Verte, ndt) devraient-ils la
tenir pour sacrée et présenter la discrimination dont ils sont les victimes
comme différente de celle qui s'exerce à l'encontre des habitants de Jalazun et
de Jabalya ? (localités en territoires occupés : Jalazun, en Cisjordanie ;
Jabalya étant un camp de réfugiés de Gaza, ndt).
Dans cette géographie
uni-étatique, il y a deux systèmes de lois et de droits séparés et
inégaux.
Les membres de l'un des (deux) groupes ethniques ont beaucoup plus
de prérogatives que ceux de l'autre. Actuellement, le lobby des colons
s'emploie activement à convaincre l'opinion israélienne que, de toute manière,
tous les Palestiniens convoitent la totalité du pays.
La vérité est que
l'énorme majorité des membres actifs des organisations politiques palestiniennes
sont encore favorables à la solution de deux Etats (séparés), dans les
frontières du 4 juin 1967, laissant la tâche de démocratiser Israël de
l'intérieur à la société israélienne (mixte), juive et arabe. Toutefois, cette
génération de décideurs politiques, qui avaient appris à reconnaître en Israël
une société pluraliste, avant le blocus, est en voie de disparition ; une
nouvelle génération se lève, pour laquelle les Israéliens sont tous des colons
et des soldats dont le seul objectif est d'assurer - dans la totalité de l'aire
s'étendant du fleuve à la mer - non seulement leur présence, mais aussi la
position dominante de leur communauté ethnique, au détriment de
l'autre.
Combien de temps la société israélienne juive pourra-t-elle
pérenniser ses privilèges dans cet "état unique" ?
10. L'Intifada et la démocratie par Mohamed
Sid-Ahmed
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 30 mai
2001
Depuis le déclenchement de l'Intifada d'Al-Aqsa le 28 septembre
2000 et jusqu'au 14 mai dernier, le « Conseil palestinien de justice et de paix
» a recensé plusieurs vérités particulièrement inquiétantes. Les forces
israéliennes — ainsi que plusieurs colons — ont tué 492 Palestiniens, dont 172
jeunes de moins de 18 ans et 77 étudiants. Les attaques israéliennes ont fait 23
147 blessés, dont 40 % de moins de 18 ans et 2 077 étudiants. Trois médecins
palestiniens et un allemand ont de même été tués, 99 infirmiers et 71
journalistes blessés. Neuf ambulances ont été détruites et 82 autres
endommagées. Les autorités israéliennes ont détenu 1 850 jeunes Palestiniens
mineurs. 41 écoles ont été fermées, 65 étudiants et 15 professeurs ont été
arrêtés. Bref, le nombre de persones devenues invalides à la suite des attaques
israéliennes jusqu'au 14 mai (sachant que ces chiffres se sont multipliés depuis
le recours aux F16) a atteint au cours de ces 8 derniers mois ce chiffre
alarmant de 2 200. Et ce, alors que le nombre des blessés sous la première
Intifada qui a duré 5 ans (de 1987 jusqu'à 1992) était de 2 525.
Et depuis le
28 septembre dernier, l'armée israélienne a détruit 4 000 maisons, 30 mosquées
et 12 églises. 4 000 familles palestiniennes ont été expulsées, si on considère
qu'une famille comprend 10 personnes en moyenne, cela fait environ 40 000
expulsés. Sans oublier que les forces d'occupation ont divisé la Cisjordanie en
64 secteurs et Gaza en 3, tout en établissant 145 barrages en Cisjordanie et 42
à Gaza. Ainsi, pour se déplacer d'un endroit à un autre, les Palestiniens
mettent trois fois plus de temps qu'il n'en faut en temps normal.
Ces
chiffres illustrent bien l'enfer que vivent actuellement les Palestiniens, avec
les funérailles des martyrs et les rassemblements de masse. D'autre part, le
rapport du comité Mitchell a rejeté les allégations d'Israël selon lesquelles
l'Intifada n'était pas spontanée, mais préméditée par Arafat qui aurait sacrifié
l'ensemble de la jeunesse palestinienne pour améliorer sa position dans les
négociations ! Même les sources israéliennes reconnaissent que lorsque Sharon a
visité l'Esplanade des mosquées, entouré de centaines d'hommes de sécurité, il
ne s'est presque rien passé. Et que c'est seulement le lendemain, le 29
septembre, alors que 50 000 personnes étaient rassemblées pour la prière,
entourées de forces israéliennes en alerte que le chef de la police israélienne
a reçu une pierre à la tête. Lorsque ses hommes l'ont vu allongé sur une civière
le sang coulant le long de son visage, ils ont perdu leur contrôle et se sont
mis à tirer à balles réelles sur les gens. Quatre sont morts sur le coup et 700
blessés. Le surlendemain, 10 Palestiniens ont été tués et 500 blessés.
L'agitation a pris une telle ampleur incluant même les Arabes d'Israël,
notamment dans la ville d'Oum Al-Fahm où 13 d'entre eux ont été tués et plus
d'une centaine blessés. Et du 29 septembre au 2 octobre, on a assisté aux
funérailles de 33 Palestiniens. La Palestine assiégée est devenue hors de
contrôle.
Il est à noter que même les rapports américains n'ont cessé
d'accuser Sharon de recourir à la force d'une manière « inadéquate » et «
excessive ». De fait, Sharon refuse de considérer Arafat comme un « partenaire »
dans le processus de paix, c'est en « ennemi » qu'il le traite. Sharon ne croit
pas en une « paix avec les Arabes », mais uniquement en ce qu'il appelle « la
sécurité d'Israël ». Même si cette sécurité nécessite un affrontement militaire
avec les Palestiniens. C'est pourquoi M. Ahmad Maher, nouveau ministre des
Affaires étrangères, a déclaré que les plans de Sharon risquent de provoquer un
« démantèlement de l'Autorité palestinienne » ainsi que l'anéantissement des
Palestiniens en tant qu'entité.
L'initiative jordano-égyptienne et le rapport
Mitchell sont tous les deux des instruments visant à ouvrir la voie à la reprise
des négociations. Mais la question qui s'impose est la suivante : est-ce
possible dans un avenir proche ? Il existe certaines différences entre les deux
documents. Citons entre autres que l'initiative fait allusion à la résolution
242 du Conseil de sécurité, contrairement au rapport Mitchell. D'autre part,
l'initiative s'est abstenue de donner des instructions aux deux parties
concernant les moyens d'agir, et ce contrairement au rapport. Mais la structure
des deux documents est similaire : les deux appellent à mettre un terme à la
violence, à instaurer une vraie confiance et enfin à ouvrir la voie à la reprise
des négociations. Cependant, la manière dont Sharon opprime l'Intifada a donné
naissance chez les deux parties à un sentiment d'hostilité et de haine
réciproque difficile à contenir dans un avenir proche. Et même si les parties
acceptent le rapport Mitchell en tant que base pour la reprise des négociations,
Sharon s'est cependant montré déterminé à refuser le gel des colonisations
réclamé par le rapport, et naturellement l'arrêt de l'expansion de celles qui
existent déjà. Ce qui vide le document de son contenu.
Reste à dire que s'il
est vrai que le processus de paix doit être « réinventé » pour sortir de
l'impasse actuelle, certains éléments sont indispensables : la démocratie, la
transparence et l'établissement de l'Etat de droit. La démocratie est une
condition sine qua non, même si elle mène à la formation de majorités hostiles à
la paix. A titre d'exemple, Israël ne considère pas avoir renoncé à la
démocratie (en ce qui concerne sa majorité juive) en permettant que sa majorité
comprenne des éléments hostiles à la paix. Pourquoi nous les Arabes, ne
sommes-nous pas autorisés à faire de même
?
11. Israël construit 710 nouveaux logements dans les
colonies par Rania Adel
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du
mercredi 30 mai 2001
L'initiative israélienne « torpille la mission de
William Burns. C'est un message aux colons (pour signifier) que le gouvernement
israélien n'a pas modifié sa politique » sur ce dossier, a indiqué le secrétaire
du gouvernement palestinien, Ahmed Abderrahmane. Le ministre israélien de
l'Habitat, Nathan Chtcharansky, a déclaré mardi avoir donné son feu vert à la
prochaine construction de 710 logements dans deux colonies de Cisjordanie. «
J'ai donné mon feu vert à la mise en œuvre de deux appels d'offres émis sous le
précédent gouvernement (travailliste) d'Ehud Barak pour la construction de 493
logements à Maalé Adoumim et 217 logements à Alfé Menache », a-t-il ajouté, sans
préciser la date du début des chantiers. Cette annonce intervient au moment où
l'émissaire américain William Burns se trouvait dans la région pour œuvrer à la
mise en application du rapport Mitchell qui préconise, outre l'arrêt des
violences israélo-palestiniennes, un gel total de la colonisation juive dans les
territoires occupés. « Pour le moment, nous n'en sommes pas à discuter de la
colonisation, le rapport Mitchell prévoit d'abord un arrêt des violences et du
terrorisme, or nous n'avons pas en Yasser Arafat (le président palestinien) un
partenaire de paix », a déclaré sans surprise Chtcharansky.
Le ministère de
l'Habitat avait publié début avril des appels d'offres à des entrepreneurs en
vue de la construction des logements évoqués par Chtcharansky à Maalé Adoumim,
la plus grande colonie de Cisjordanie située à l'Est de Jérusalem, et à Alfé
Menaché, dans le nord de la Cisjordanie. Les Etats-Unis avaient qualifié à
l'époque de « provocants » ces projets. Au moment où M. Chtcharansky annonçait
la prochaine construction de logements dans deux colonies, le ministre israélien
des Affaires étrangères, Shimon Pérès, réaffirmait qu'Israël « acceptait dans sa
totalité le rapport Mitchell ». « Nous n'avons pas l'intention de prendre le
prétexte de la nécessité de répondre aux besoins créés par la croissance de la
population pour élargir les colonies existantes », a assuré Shimon Pérès à la
radio militaire. Il a réaffirmé qu'Israël s'était engagé « à ne pas créer de
nouvelles colonies et à ne pas confisquer de terres pour agrandir les
implantations existantes ». Les Palestiniens estiment que les recommandations du
rapport Mitchell devaient être appliquées « dans leur ensemble », y compris le
point concernant le gel total de la colonisation. M. Sharon a rejeté l'appel au
gel total de la colonisation et appelé les Palestiniens à respecter l'appel du
rapport Mitchell à un arrêt « immédiat et sans condition de la violence ».
12. Que veut
réellement Sharon ? par Yéhia Al-Gamal
in Al-Ahram Hebdo
(hebdomadaire égyptien) du mercredi 30 mai 2001
Les propositions de
Sharon se basent sur une interprétation de la Torah, appuyée par de nombreux
partisans, quelle que soit sa réalité historique. Selon ce point de vue, la
terre de Palestine est la terre promise au peuple d'Israël et Jérusalem sera la
capitale éternelle d'Israël. Tous ceux qui s'opposent à cette idée, selon la
Torah, doivent être éliminés. Ces idées sont prônées par certains hommes de
religion en Israël qui appellent à tuer les Arabes et à les chasser de leur
terre. Ces prétentions sont également favorablement accueillies par de grands
secteurs du peuple israélien « pieux ».
Jusqu'en 1973, la pensée stratégique
israélienne était dominée par cette tendance « sharoniste ». Ce qui s'est passé
en 1967 a renforcé cette conception. Si cette guerre a secoué l'esprit arabe en
remettant en question le potentiel et le destin arabes, la victoire de 1973 a
détruit le mythe de l'armée israélienne invincible autant à l'extérieur qu'en
Israël.
C'est à partir de là que commence une nouvelle phase dans la
direction du conflit. La stratégie israélienne est désormais dominée par la
tactique. Pour les Egyptiens, est né l'espoir de récupérer la terre du Sinaï et
Sadate a entrepris de nombreuses manœuvres pour réaliser cet objectif. Il y a eu
des négociations difficiles qui ont abouti à ce qu'on appelle le traité de paix
égypto-israélien. Partant, nombreux sont ceux qui ont cru que la paix était
réalisable par le biais des négociations. Puisque l'Egypte a réussi par les
négociations à récupérer le Sinaï puis par les procédures juridiques à récupérer
Taba, ceci est donc faisable pour les autres pays arabes.
Là, commence une
nouvelle phase dans la pensée israélienne. Israël peut réaliser ces objectifs
non par le conflit sanglant, mais plutôt par ce que certains appellent la voix
de la paix.
Les ingénieurs de cette phase étaient Rabin, puis Pérès. C'est
dans ce cadre qu'a été conclu l'accord d'Oslo, le traité de paix avec la
Jordanie. Il y a également eu ce qu'Amr Moussa a appelé un « empressement » de
certains régimes arabes vers Israël.
Ensuite, il y a eu une tendance arabe
espérant la réalisation de la paix et l'établissement d'un Etat palestinien sur
une partie des territoires palestiniens sans que cet Etat jouisse des
prérogatives essentielles de l'Etat, tout en ayant un drapeau et un hymne
national. Mais là, les Arabes ont commis une de leurs plus graves erreurs quand
un grand Etat arabe a tenté d'en avaler un autre plus petit. Le résultat fut
l'anéantissement complet du grand Etat et le petit Etat et ses voisins sont
devenus des protectorats, dont les richesses sont à jamais hypothéquées.
A
cette phase, on commence à parler d'un nouvel ordre mondial, d'un règlement
juste au Proche-Orient et du principe de la « terre contre la paix ».
Un
jeune Israélien a pensé que Rabin obligeait Israël à se diriger vers la paix. Il
fallait donc le tuer. Puis vient Pérès, qui promet un nouveau
proche-orientalisme guidé par Israël. Pérès disait : les Arabes ont essayé le
leadership de l'Egypte pendant près d'un siècle, voilà le résultat. Ils doivent
essayer le leadership israélien pendant quelques années et ils verront la
différence.
La tactique a changé, mais la stratégie reste la même : Israël
domine la région. On a même fondé des associations d'amitié arabo-israéliennes
qui promettent la paix.
Mais le 18 avril 1996, un accident changea
complètement le cours des événements. Pérès a commis une terrible erreur, selon
la nouvelle tactique israélienne, le massacre de Cana. Pérès a alors perdu aux
élections et Netanyahu a pris le pouvoir. Une nouvelle phase commence alors avec
Netanyahu et finit avec Sharon, sans grand changement.
J'ai toujours dit que
Pérès visait à enterrer la Ligue arabe, mais l'arrogance de Netanyahu en a
retardé l'enterrement, rallongeant quelque peu sa vie. Et voila Sharon qui
décide de visiter la mosquée d'Al-Aqsa et de se promener sur son esplanade
entouré d'une armée israélienne fière d'elle-même. Cette visite visait à nier
l'existence de la mosquée et à assurer l'idée de l'existence du temple de
Salomon. L'Intifada a commencé après cette visite provocatrice.
Et Sharon a
établi le plan des 100 heures visant à détruire l'infrastructure palestinienne,
à déraciner la lutte palestinienne et à prouver l'incapacité arabe. Tout ceci
est effectué avec un soutien américain et un silence international total.
Que va-t-il se passer ensuite ? Il y a deux probabilités en ce qui concerne
l'avenir du conflit arabo-sioniste. La première, adoptée par le sionisme et ses
partisans, parie sur le fait que la résistance palestinienne ne pourra pas faire
face très longtemps à la violence israélienne et que la désunion arabe n'aidera
pas les Palestiniens.
La seconde juge que le peuple qui a lutté pendant près
d'un siècle ne rendra pas facilement les armes. D'autre part, le monde arabe
commence à assimiler que le danger sioniste ne menace pas uniquement la
Palestine, mais tous les Arabes.
Sharon a donc réussi avec succès à anéantir
tout espoir de coexistence entre Palestiniens et Israéliens. La haine sévit
entre les deux, rendue dramatique par la violence israélienne. Mais à long
terme, Sharon brûlera aussi la paix et ramènera le peuple israélien au « ghetto
».
13. Lassitude -
Un nouveau silence des intellectuels ? par Guy Konopnicki
in
Marianne du lundi 28 mai 2001
Il n'est pas, à travers le vaste monde,
de peuple martyr qui ne trouve, à Paris, des porte-voix, intellectuels
pétitionnaires, organisateurs de manifestations, de "Mutu" et autres sit-in
devant les ambassades. Les guerres des Balkans ont ainsi levé des générations,
de Byron à Malraux. Mais la figure de l'intellectuel engagé s'estompe dès qu'il
s'agit de la guerre israélo-palestinienne. Le plus vieux conflit du monde
n'éveille plus que la lassitude... En cinquante ans, les intellectuels, juifs ou
non, sont passés par toutes les positions : parfois, ils ont admiré Israël, ses
kibboutzim et son armée démocratique ; d'autres fois, ils se sont laissé séduire
par la figure du feddayin palestinien, héros des luttes anti-impérialistes. Dans
ces conditions, les accords d'Oslo furent, presque au sens propre, une
bénédiction pour nombre d'intellectuels ! Arafat et Rabin avaient échangé une
poignée de main, il n'y avait donc plus de contradiction entre l'attachement à
l'Etat juif et l'affirmation d'une conscience humaniste solidaire de toutes les
minorités musulmanes de Bosnie, du Kosovo et de Tchétchénie. Las ! Le conflit a
repris de plus belle, renvoyant chacun à ses contradictions. Certes les
divisions de la gauche israélienne elle-même n'incitent guère à soutenir des
pacifistes désormais minoritaires, et, de fait, introuvables. Il se trouve bien
des universitaires, généralement d'extrême gauche, pour protester "en tant que
juifs" contre la politique d'Ariel Sharon, mais leur vision des événements
demeure marquée par des schémas d'une autre époque, opposant colonisateurs et
colonisés. L'indignation se révèle sélective de part et d'autre. Pour les uns,
le bombardement des populations civiles est un crime inexpiable à Sarajevo et à
Grozny, pas à Gaza ou à Ramallah. Les autres s'indignent dès qu'un Palestinien
tombe sous les balles israéliennes mais "comprennent" le fanatisme meurtrier des
islamistes. En dépit des leçons d'histoire ressassées, indignations et
engagements comportent toujours cette part d'aveuglement qu'on a tant reprochée
aux staliniens d'autrefois. Et si les silences peuvent se comprendre, quand il
s'agit d'Israël et de la Palestine, ils réduisent singulièrement la crédibilité
des manifestes défendant les droits de l'homme en d'autres parties du
monde.
14. Ghetto -
L'échec du sionisme, ou de l'insondable angoisse du plus fort par
Maurice Szafran
in Marianne du lundi 28 mai 2001
Jamais
Israël n'a été aussi puissant, au plan militaire autant qu'économique. Jamais
les Etats arabes n'ont été aussi démunis, déchirés, dépourvus d'influence
stratégique. Et, pourtant, jamais les Israéliens n'ont exprimé autant d'angoisse
et pareille terreur. Koby Oz, la nouvelle rock-star de Tel-Aviv, résume ainsi
cette apparente contradiction : "En Israël, malgré toutes ces années, les gens
vivent encore avec leurs valises dans la tête." Le célèbre romancier David
Grossman s'inquiète, lui, de cette inconséquence au point de la dénoncer :
"Israël, à nouveau, s'enferme dans la posture la plus dangereuse : celle de la
victime, du juif pourchassé." Si l'écrivain disait vrai, alors cette
claustration psychologique signerait un formidable échec du sionisme. L'idée
peut sembler sinon absurde, du moins paradoxale. Un échec, le sionisme qui a
construit en un siècle le pays le plus fort du Proche-Orient ? Un échec, le
sionisme, l'un des rares mouvements de libération nationale à avoir généré une
société démocratique et développée ? Et pourtant, oui, un échec, oui et
absolument, si, au-delà d'un incontestable triomphe politique, on s'en tient à
l'archétype qui incarnait le rêve sioniste : l'affirmation d'un nouvel homme
israélien, si différent du petit juif du ghetto ou du mellah, battu et humilié ;
un nouvel homme juif persuadé que rien ni personne - et surtout pas Arafat -
n'était en mesure de le faire douter de la pérennité de son Etat ; assez fort,
assez sûr de sa force pour, précisément, prendre les risques de la négociation,
des concessions et de la paix ! Or, que découvre-t-on à travers la tragédie
actuelle ? Que les Israéliens, surmusclés, restent fondamentalement des juifs
pétrifiés d'anxiété. Sinon l'accablant mutisme du "camp de la paix" resterait
incompréhensible. Dans leur immense majorité, les Israéliens étaient convaincus
qu'Oslo signerait leur intégration définitive à la région et leur acceptation
par les peuples alentour. Or Oslo balayé, Oslo liquéfié, les Israéliens, et en
particulier ceux qui ont combattu depuis tant d'années pour la coexistence avec
les Palestiniens, se sont réveillés tels des zombies. Sans discours cohérent.
Sans projet mobilisateur, si ce n'est rendre au centuple chaque mauvais coup
porté par l'ennemi. D'où le retour des automatismes défaitistes que le sionisme
émancipateur prétendait annihiler. Personnage charismatique de la gauche
israélienne, l'ex-ministre de l'Education Shulamit Aloni refuse de prendre en
considération cette rejudaïsation mentale d'Israël. "Nous sommes les occupants,
peste-t-elle, ils sont les occupés. Le reste, c'est de la propagande." Certes.
Mais aujourd'hui, les Israéliens n'entendent rien à cette logique. Ils sont
certes les plus forts. Mais ils ont peur. Tellement peur. Ils sont saisis
d'angoisse après avoir étalonné le refus, obstiné et insondable, exprimé par
l'Autre, le Palestinien. C'est ce même affolement qui tenaillait les juifs du
ghetto !
15. Juifs de
France : faut-il être solidaires de Sharon ? par Martine Gozlan
in
Marianne du lundi 28 mai 2001
[Les institutions juives affichent un
soutien inconditionnel à la politique d'Israël. Un manque d'indépendance qui
risque de les décrédibiliser dans la diaspora et auprès du gouvernement
français... Analyse.]
Cas de figure inédit à Paris. D'un côté, l'ambassadeur
d'Israël, Elie Barnavi, prenant ses distances avec la politique de l'Etat qu'il
représente, martèle : "Nous n'arriverons pas à faire taire les armes par les
armes ; nous ne pouvons pas résoudre les problèmes avec des F16." De l'autre
côté, Roger Cukierman, le nouveau président du Crif (l'instance de
représentation des juifs français), déclare à Marianne : "Quand un centre
commercial saute, Israël doit réagir. Même si les dégâts psychologiques
provoqués par l'utilisation des bombardiers sont incontestables, nous restons
d'accord sur l'essentiel de la politique du gouvernement israélien." Autrement
dit, l'Israélien en poste à Paris (vieux compagnon de route de la gauche
israélienne) adopte une position plus indépendante que celle du représentant des
juifs de France ! Situation paradoxale. Elle éclaire d'une lumière crue
l'inconfort psychologique dans lequel se débattent les institutions juives
depuis plusieurs décennies. On sait que la presse israélienne a condamné la
riposte "disproportionnée" de l'aviation après l'attentat de Netanya. Le débat,
très vif, engagé au sein même de l'Etat hébreu ne semble pourtant trouver aucun
écho au coeur de l'appareil désigné pour exprimer publiquement les
préoccupations de la communauté juive en France. Henri Hajdenberg, qui vient de
quitter la présidence du Crif, nous explique qu'il préfère se taire. Son
successeur se défend avec embarras de toute "inconditionnalité" : "J'ai moi-même
participé dans le passé à un voyage auprès des chefs d'Etat arabes et à une
rencontre avec Arafat..." Mais c'était dans l'euphorie de l'après-Oslo !
A
l'heure de la logique de guerre, la force d'Israël est devenue sa faiblesse :
elle sape son image dans l'opinion internationale. Las ! Cette question centrale
est soigneusement éludée par les institutions juives. Ce qui risque de les
mettre hors jeu dans une bataille capitale : celle du dialogue avec le
gouvernement français. Car les juifs de France pourraient jouer un rôle décisif
s'ils parvenaient à s'arracher au mélange complexe de fidélité-culpabilité
vis-à-vis d'Israël qui les tétanise ! Naguère, Théo Klein, qui présidait le Crif
au moment de la première intifada, avait plaidé pour une médiation intelligente,
capable de redonner à la diaspora française une place active. "Mais nous ne
pouvions attirer l'attention sur certaines injustices psychologiques vis-à-vis
d'Israël qu'en étant tout aussi clairs sur les préjudices dont étaient victimes
les Palestiniens", rappelle-t-il aujourd'hui. Parler "en donnant l'impression
d'être aux ordres", c'est "perdre tout le crédit que nous pourrions avoir auprès
du Quai d'Orsay, du Premier ministre ou du chef de l'Etat". Car si Roger
Cukierman a totalement raison de souligner le caractère insupportable des
récentes déclarations antisémites de Bachar al-Assad, son appel à une
condamnation sans ambiguïté par Chirac de tels propos, lors de la prochaine
visite du président syrien, serait sans doute mieux entendu si le Crif exprimait
nettement l'indépendance de la communauté juive vis-à-vis de choix fait par
Ariel Sharon.
Les deux affaires sont sans rapport ? Faux. La relation
fusionnelle de la "communauté" avec Israël mine le terrain sur lequel sa voix
pourrait, à juste titre, être prise en compte. "Nous ne sommes pas sortis de la
mentalité du ghetto", regrette Théo Klein. Résultat : en ces heures cruciales,
il n'existe chez les juifs de France aucun espace de réflexion rationnelle entre
une minorité d'"antiosionistes" d'extrême gauche coupés du réel et des
institutions devenues une caisse de résonance des communiqués de Tsahal ! A
quand l'indépendance pour la diaspora ?
16. La dernière
catastrophe met à l'épreuve le moral des résidents (israéliens) de
Jérusalem par Deborah Sontag
in The New York Times (quotidien
américain) du samedi 26 mai 2001
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
Jérusalem est une
ville habituée à faire face aux crises. Mais, tandis que les ambulances, toutes
sirènes hurlantes, affluaient vers les lieux de la catastrophe -causée par
l'effondrement d'une salle de bal, avec au minimum deux douzaines de morts - les
Hiérosolomitains étaient aux prises avec ce que certains ont pu décrire comme un
débordement d'adversité.
Un résident de la ville, Moshe Zilber, a déclaré
avoir été irrésistiblement entraîné sur les lieux de la catastrophe par le récit
d'un sauveteur découvrant une famille de cinq personnes, dans leurs plus beaux
atours, encore assises à leur table de banquet, figées à jamais. Ces cinq
convives, dont les corps avaient conservé, d'une manière inouïe, leur position
assise après une chute vertigineuse d'une hauteur de deux étages, font partie
des victimes de la plus grande catastrophe civile de l'histoire
d'Israël.
Plus de trois cent personnes ont été blessées, et les sauveteurs
sont encore à cette heure à la recherche d'une douzaine de convives que l'on
pense emprisonnés sous les gravats.
"On dirait que l'on nous met à
l'épreuve", dit M. Zilber, qui suit la scène depuis la terrasse d'un immeuble
voisin.. "Tous les jours, il y a quelque chose. Des tirs ici, une attaque au
mortier là-bas. Et maintenant, un immeuble ensevelit un quartier entier. Nous
sommes à bout, vraiment. La prochaine catastrophe, ce sera quoi ?"
Peu avant,
et peu après, que M. Zilber nous livre ses pensées, deux attaques-suicide ont
frappé : l'une, près de la colonie de Netzarim, dans la bande de Gaza et
l'autre, dans la ville de Hadera, au centre d'Israël. Dans le premier attentat,
l'attaquant, un militant du Hamas, a été tué, et l'attentat n'a causé aucune
autre victime. Dans le second, qui s'est produit à proximité d'un lieu de
distraction bondé de monde, une trentaine d'Israéliens ont été blessés et deux
hommes ont été tués, tous deux militants du Jihad islamique, d'après un
communiqué de ce mouvement, qui a revendiqué l'attentat.
Les deux attaques
étaient dédiées par les militants palestiniens à leurs collègues du mouvement
libanais Hezbollah qui célébraient le premier anniversaire du retrait des
troupes israéliennes du Sud Liban.
"Et nous voyons un désastre succéder à un
désastre, un événement succéder à un événement", a commenté la vedette
israélienne de la radio Carmit Guy, en introduction au premier reportage sur
l'attentat d'Hadera.
Le premier ministre, Ariel Sharon, s'est rendu sur les
ruines de la salle de banquet Versailles, située à Talpiot, une banlieue de
Jérusalem. Il a qualifié l'effondrement du bâtiment construit voici quinze ans
d'"événement parmi les plus dramatiques jamais advenus en Israël".
M. Sharon
a déclaré également que Yasser Arafat, le leader palestinien, était responsable
des attaques à la bombe. Il a dit qu'il donnait à M. Arafat quelques jours
supplémentaires pour faire une déclaration publique appelant à un cessez-le-feu,
comme il l'avait fait lui-même au début de la semaine. Puis, a-t-il laissé
entendre, il pourrait donner à nouveau à l'armée carte blanche afin de mener à
bien ce qu'un analyste a pu qualifier de "représailles préventives" à l'encontre
des Palestiniens.
"Nous n'allons pas rester les bras croisés, alors que nous
sommes en danger", a dit M. Sharon. "Mais pour l'instant, nous devons nous
borner à attendre quelques jours afin de donner à la direction palestinienne
l'opportunité de décréter un cessez-le-feu. C'est ce que nous allons faire :
attendre".
Des officiels palestiniens ont déclaré être soulagés de voir
qu'Israël n'a perpétré aucun assassinat planifié depuis que M. Sharon a proclamé
son cessez-le-feu au début de cette semaine. Mais, disent-ils, ils ne prennent
absolument pas au sérieux M. Sharon lorsqu'il s'engage à observer une certaine
retenue, alors que le même jour on enterrait à Gaza deux jeunes victimes de
l'armée israélienne. Beaucoup parmi eux pensent que le "cessez-le-feu" est le
nom de code diplomatique désignant son exigence que les Palestiniens abandonnent
leur insurrection et se soumettent aux diktats d'Israël en matière de
négociations.
"Bien sûr, un cessez-le-feu est toujours bienvenu, en ce qu'il
réduit les souffrances et les pertes", écrit le quotidien palestinien Al-Quds
dans un éditorial. "Mais un cessez-le-feu n'entraînera pas un apaisement sur le
long terme, à moins qu'il ne soit basé sur la reconnaissance par Israël des
droits nationaux légitimes du peuple palestinien."
L'Autorité palestinienne a
publié un communiqué pour exprimer ses condoléances après la catastrophe de la
salle de mariage et offrir son aide.
La police israélienne a déclaré avoir
arrêté huit personnes, parmi lesquelles les propriétaires de la salle, un
entrepreneur en bâtiment et un ingénieur, aux fins d'enquête. Le maire de
Jérusalem, Ehud Olmert, a déclaré que des malfaçons graves avaient été
constatées dans la construction et la maintenance du bâtiment.
Un major de
l'armée israélienne a déclaré aux journalistes, sur les lieux de la catastrophe,
que le sol du troisième étage, s'étant dérobé sous les pieds des danseurs
participant à un grand repas de mariage, comme des sables mouvants, était
construit avec des matériaux ne répondant pas aux spécifications. Des dépêches
d'agences indiquent ce jour que quatre piliers porteurs avaient été supprimés au
cours d'une rénovation effectuée récemment afin de rendre la salle plus
spacieuse.
"Comment une chose pareille a-t-elle pu se produire dans notre
pays ?" demandait la mère du marié, Aliza Dror, dont le père a été tué. "Ils
disent que c'est un défaut de construction. C'est terrible, c'est terrible.
C'est incroyable."
Keren et Assaf Dror, les jeunes mariés, ont survécu à
leurs blessures. Ils occupaient deux lits voisins d'une chambre d'hôpital,
aujourd'hui.
Sur un film présenté aux informations de la télévision
israélienne, un vidéo amateur avait immortalisé les nouveaux époux s'embrassant,
leurs hôtes faisant cercle autour d'eux, chantant et frappant dans leurs mains,
et le moment où leur mariage basculait. En une seconde, la piste de danse pleine
à craquer s'effondrait et les danseurs tombaient d'une hauteur de trois étages,
happés par le vide. Les hôtes restants poursuivirent leurs chants durant les
fractions de seconde qui leur furent nécessaires pour réaliser ce qui se
passait, restèrent interdits et pétrifiés sur le bord d'un énorme cratère, puis
se mirent à hurler d'effroi.
Frieda Cohen, l'une des blessées, a déclaré :
"j'avais fini par convaincre mon mari de venir me rejoindre sur la piste de
danse. Soudain, j'ai senti le sol se dérober et nous avons commencé à tomber, à
tomber..."
Son mari, David Cohen, 68 ans, souffrant d'une jambe cassée, d'une
blessure à l'oeil et de lésions à la moelle épinière, a pu témoigner depuis son
lit, dans un autre hôpital de Jérusalem. "Tout était tellement joyeux, à ce
mariage", a-t-il dit. "Puis je me suis joint aux danseurs. Une minute plus tard,
environ, j'ai senti le sol trembler, comme s'il y avait un tremblement de terre.
J'ai pensé une seconde que c'était un effet de l'orchestre. Puis je me suis
senti tomber, subir un premier choc, et recommencer à tomber à nouveau. Lorsque
je me suis immobilisé, une demi-douzaine de personnes, dont mon épouse, étaient
entassés sur moi ; j'étouffais".
A l'aide de chiens de catastrophes, de
pelles, d'engin de levage, et en creusant de leurs propres mains, des centaines
de soldats d'une unité spécialisée dans les sauvetages recherchaient sans
relâche des survivants potentiels dans les structures du bâtiment, qui
menaçaient de s'écrouler à tout instant.
Après douze heures d'un travail
harassant, ce fut la relève, et nombreux furent les soldats à s'écrouler,
épuisés, sur des matelas militaires kaki, disposés sur un chantier de
construction voisin, leurs chiens s'affalant auprès d'eux. Les secouristes se
préparent à devoir poursuivre leurs recherches pour au moins quatre ou cinq
jours supplémentaires.
"On pense qu'il manque encore de dix à douze
personnes", a indiqué Yossi Dror, l'un des secouristes, à la radio israélienne.
"Le plafond et le plancher du deuxième étage ne font plus qu'un. Entre les deux,
il y a des poches d'air, et nous tentons de nous y introduire".
(Note du traducteur : les recoupements entre les victimes évacuées
par les sauveteurs et les indications fournies par leurs familles sur les
personnes éventuellement ensevelies ayant permis de s'assurer que plus aucune
victime ne se trouvait sous les décombres, les opérations de sauvetage ont été
arrêtées par les autorités le dimanche 27 mai au soir.)
17. Couples
israelo-palestiniens par Pénélope Larzillière
in La Croix du
vendredi 25 mai 2001
Témoignage (les prénoms ont
été modifiés)
Rita, israélienne d'une trentaine d'années et Mahmoud ,
Palestinien du même âge, se sont rencontrés en 1994. Un mouvement de gauche
antisioniste de juifs de l'Est avait invité des étudiants du Parti Communiste de
l'Université de Bir Zeit à Tel Aviv. « Quelques juifs extrémistes de droite
étaient présents, sa résistance dans des réponses qui semblaient plus
palestiniennes que celles des Palestiniens m'a impressionné » souligne Mahmoud
«et j'ai commencé à l'admirer. J'ai découvert aussi qu'elle était une grande
lectrice de Samuel Beckett, mon auteur favori, et cela a immédiatement ajouté
quelque chose à notre relation. » Tous deux parfaitement conscients des
difficultés d'une telle relation, Rita et Mahmoud décident cependant de rester
de simples amis. Rita est la fille d'une juive immigrée polonaise et d'un juif
séfarade dont la famille était présente à Jérusalem avant la création d'Israël.
Très engagé politiquement, son père participa à la fondation de «l'Arc
démocratique de l'Est », parti qui se voulait au coté des Palestiniens tout en
cherchant à attirer à gauche les juifs séfarades, généralement de droite. Il
enseigne l'arabe à ses enfants et refuse la télévision, «vecteur du message des
institutions israéliennes ». Rita se rend de temps en temps à Ramallah ou elle
participe à des rencontres avec les étudiants de l'Université de Bir Zeit. « Ces
rencontres étaient basées sur des positions communes : illégitimité de
l'occupation et soutien des Palestiniens. Cependant, nous les avons arrêtées
après les accords d'Oslo car il aurait été impossible de les distinguer du
processus de «normalisation » que nous refusions. » Mais Rita continue à venir
et tous deux veulent commencer une relation tout en se demandant si cela sera
accepté par leurs deux sociétés, certains par contre du soutien de leurs
familles et de leurs amis.« Rita venait tous les week ends a Ramallah. Nous
avons décidé qu'il fallait que j'aie un aperçu de sa vie à Tel Aviv. Mais
l'armée israélienne avait imposé un blocus sur Ramallah et il m'était impossible
de sortir. Elle m'a mis dans le coffre de sa voiture et nous sommes passés.
C'était la première fois que j'essayais de ne pas voir Tel Aviv comme une ville
ennemie. Mais je ne me suis jamais senti normal là-bas. Avec elle ou avec ses
amis, ca allait, mais des que je voyais un uniforme, l'atmosphère devenait
électrique. » Avec le temps, Rita et Mahmoud sont de plus en plus sûrs de leur
relation et à la fin de ses études de physiothérapie, Rita prend un travail dans
une clinique de Jérusalem-est et s'installe avec Mahmoud à Ramallah. Rita
poursuit son engagement politique au coté de Mahmoud, membre du FPLP «nous
allions ensemble aux manifestations, elle lançait aussi des pierres. » Le soir,
ils se retrouvent autour d'un verre avec des amis et chantent ensemble.
Cependant, elle doit vite renoncer à l'emmener à des soirées israéliennes de
gauche «une fois, l'un d'eux m'a salué en hébreu. Je n'ai pas répondu. Rita
savait que je parlais hébreu. Mais pour moi, l'hébreu, c'est la langue de
l'interrogatoire. J'ai été emprisonné à 14 ans. J'étais le plus jeune de la
prison. Je ne sais pas comment elle se sentait dans des moments comme cela. Je
reconnais que c'était elle qui avait le rôle le plus difficile dans notre
relation. Mais en même temps, je pense qu'elle retirait de la satisfaction
d'être avec un Palestinien. J'ai remarqué cela chez certains juifs de gauche
pour lesquels le plus important c'est de se savoir acceptés par les
victimes.» Souvent, ils sont arrêtés par des jeeps de l'armée israélienne. De
découvrir une Israélienne sur les territoires les déconcerte «ils lui
demandaient ce qu'elle faisait ici. Elle leur répondait vous êtes illégaux sur
ce territoire, moi je suis en parfaite sécurité. Notre relation était
incompréhensible pour eux. Ca n'entrait pas dans leur cadre de pensée pour
lequel un arabe est un ennemi. » Rita et Mahmoud construisent leur vie commune,
s'étonnant eux-mêmes de leur réussite. Ils se rendent pour les vacances à Haifa,
au nord d'Israël, lieu symbolique pour les deux : la grand-mère de Rita y réside
tandis que la mère de Mahmoud est réfugiée de cette ville. Cependant, Mahmoud et
Rita se séparent en août, juste avant le début de l'Intifada. Pour Mahmoud,
cette rupture a moins à voir avec la politique qu'avec un "choc culturel."
« Israël, c'est un pays occidental, tout est différent, l'ensemble du mode
de vie. Elle n'a jamais compris mon incapacité a bouger, je n'étais pas prêt à
quitter le pays. Elle, c'était l'exact opposé. Comme elle avait un passeport
américain, nous aurions pu nous marier et me permettre de partir. Mais je ne
pouvais pas moralement accepter de prendre la nationalité américaine Il y avait
toujours cette différence entre nous : contrairement à moi, elle avait la
liberté d'aller et venir comme elle le voulait. » Quelque temps après leur
séparation, l'Intifada éclate. Rita le vit très mal, elle avait toujours refusé
le pessimisme de Mahmoud quant à l'avenir de la situation. Elle commence par
quitter son travail et rester enfermée toute la journée. Puis elle décide de
quitter Israël pour l'Angleterre : «Elle voulait venir à Ramallah nous faire ses
adieux, elle m'a demandé si c'était dangereux, je lui ai répondu : une seule
chose est sûre, ce qui se passera, se passera sur mon propre corps. Plus tard,
elle a dit à nos amis que c'était la plus belle chose que je lui avais dite.
J'étais très protecteur avec elle et je pense que cela a beaucoup joué dans son
sentiment de sécurité à Ramallah. Une fois, un étudiant américain de Bir Zeit a
commencé à dire qu'elle travaillait pour le Mossad. J'étais terrifié, je me suis
immédiatement précipité chez lui pour lui interdire de parler de la sorte. »
Après les premiers bombardements sur Ramallah, elle appelle Mahmoud en pleurant
: « Elle voulait toujours tout compenser, l'injustice faire aux Palestiniens, ma
propre souffrance comme ancien prisonnier...»
[Il est extrêmement
difficile d'obtenir des témoignages des quelques couples israélo-palestiniens.
Ceux qui vivent en Israël sont souvent dans des situations délicates
juridiquement parlant. Ces couples refusent que leur relation privée devienne un
symbole politique. «Après notre rupture, certains de mes amis m'ont dit qu'ils
avaient vu notre relation comme le seul avenir du pays. » souligne Mahmoud «
Nous avions eu beaucoup de propositions de films, de documentaires, nous avons
toujours refusé. C'est un trop grand stress pour une relation déjà
compliquée.»]
18. Seule voie
vers la paix : s'asseoir à la table des négociations par Nabil
Sha'ath
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du jeudi 24 mai
2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
L'une des conséquences les plus tragiques
de la spirale de violence au Moyen-Orient est sans doute la rupture du dialogue
entre les négociateurs de paix des deux côtés. En confessant récemment qu'il ne
croyait pas en une paix définitive, le premier ministre israélien Ariel Sharon
n'a pas surpris les Palestiniens.
N'est-il pas, en effet, l'homme qui a
marqué son opposition à la conférence de paix de Madrid, en 1991, après avoir
voté, à la Knesset, aussi bien contre le traité de paix historique d'Israël avec
l'Egypte (en 1979), que contre le retrait de l'armée israélienne du Liban (en
1985) et l'accord d'Hébron (en 1997). Il n'a même pas entériné le traité de paix
signé par Israël avec la Jordanie, en 1994.
Néanmoins, son rejet proclamé
d'un accord définitif a fini de désespérer ceux qui, des deux côtés, croient
encore qu'une paix durable est possible. Malgré l'effondrement de la confiance
causé par une violence sans rémission, je peux affirmer ici qu'une majorité de
Palestiniens aspirent à retourner à la table de négociation, en tant que
partenaires à part entière, en quête d'une paix permanente.
Mais il faut
qu'il y ait quelqu'un en face, à la même table, qui partage cet objectif. Sharon
a déclaré qu'aucune négociation ne peut reprendre avant qu'un terme ait été mis
à la violence, même si celui qui procède à la surenchère, dans cette violence,
n'est autre que lui-même.
Tôt ou tard, Sharon devra admettre qu'il ne pourra
mettre les Palestiniens à genoux en les affamant et en les bombardant, qu'il le
veuille ou non. Il sera bien forcé d'admettre que le retour à la paix et à la
stabilité exige des changements dans le statu quo, tels le retrait de l'armée
israélienne des régions palestiniennes peuplées ; le gel des colonies ; la mise
en application des accords intérimaires déjà signés et, enfin, la levée de
l'embargo visant à étouffer les Palestiniens économiquement.
Seuls des pas de
cette nature, qui viennent d'être recommandés par la commission indépendante
Mitchell, peuvent conduire à une fin des violences. Exiger que la direction
palestinienne appelle à la fin des violences sans traiter la cause première de
ces violences -l'occupation militaire - entraîne un blocage total.
Mais il
est légitime de se poser la question de savoir si Sharon veut réellement la fin
des violences. Car un retour à la stabilité, sur le terrain, conduirait
inéluctablement à la quête d'une paix définitive. Et, comme Sharon l'a dit très
clairement, il n'y croit pas. Sa vision d'un règlement inclut le maintien (et
même l'expansion) des colonies israéliennes, le retour de 42% - au maximum - de
la Cisjordanie aux Palestiniens, la non-reconnaissance des droits des
Palestiniens sur Jérusalem et la non-solution du calvaire des réfugiés
palestiniens.
Bien sûr, avec tout ça, il veut aussi un état de "non
belligérance" - afin qu'Israël puisse poursuivre son occupation de territoires
palestiniens en toute quiétude. Le rêve de Sharon aura pour destin de ne rester
que ce qu'il est : un rêve. Car, en réalité, il n'y a pas d'autre alternative,
ni pour l'une des parties, ni pour l'autre, que retourner à la table des
négociations et reprendre ces dernières au point où elles les ont laissées à
Taba.
Dans les derniers jours du mandat de Barak, nous avons accompli, les
Israéliens et nous, des progrès remarquables dans la fixation des limites d'un
accord définitif mutuellement acceptable. Même dans le contexte des troubles en
cours, nous fumes capables, pour la première fois, d'envisager une solution qui
satisfît aux exigences des deux parties.
Il y a même eu une avancée sur la
question des réfugiés palestiniens, la plus difficile de toutes, à bien des
égards. Pour la première fois en un demi-siècle, les responsables israéliens
reconnaissaient une certaine responsabilité dans la création du problème des
réfugiés. Et nous avons affirmé clairement notre engagement constant vis-à-vis
des résolutions des Nations-Unies qui appellent à la création de deux Etats
distincts sur le territoire de la Palestine historique.
Le progrès accompli à
Taba a montré que l'offre présentée par Barak à Camp David (qui aurait abouti à
créer un Etat palestinien-patchwork, entièrement entouré et contrôlé par Israël)
ne représentait pas, comme il l'affirmait alors, le plus loin qu'Israël puisse
aller.
L'approche "c'est à prendre, ou à laisser" qui fut la sienne, à Camp
David, a grandement contribué à aggraver la frustration palestinienne qui a
contribué à alimenter l'incendie de l'Intifada d'Al-Aqsa. Ce n'est qu'en
retournant à la table des négociations, en tant que partenaires de paix
sincères, que nous pourrons faire que nos rêves portent leurs fruits.
En
1988, puis, à nouveau, à Madrid, en 1991 et à Oslo, en 1993, la direction
palestinienne a reconnu le droit d'Israël à vivre en paix à l'intérieur de ses
frontières antérieures à 1967, frontières internationales reconnues
internationalement, basées sur les résolutions 242 et 338 de l'ONU, modifiées
d'un commun accord. Ce que nous voulons n'a pas changé. Nous sommes conscients
du fait qu'en raison des troubles récents, nous devons convaincre à nouveau le
peuple israélien que nous n'avons pas de prétentions au-delà des frontières de
1967. Mais les Israéliens doivent nous convaincre à nouveau qu'ils n'ont plus de
visées sur notre territoire et nos ressources ; qu'ils désirent réellement
mettre un terme à l'occupation ; qu'ils sont prêts à négocier avec nous en tant
que partenaires, et non pas en tant que gouverneurs, qu'occupants, que
colonisateurs. Nous sommes prêts à travailler d'arrache-pied avec Israël en vue
de rechercher une paix réelle et durable. Le rapport Mitchell, qui a déjà reçu
l'approbation des Palestiniens et des Etats-Unis, offre une manière raisonnable
de retourner à la table des négociations. Mais la vision que Sharon a de la paix
présente tous les ingrédients de la guerre ; ce n'est que lorsqu'il sera sérieux
dans la recherche de la paix que nous pourrons rester, les uns les autres, le
temps voulu à la table de négociations. Par ailleurs, rien ne pourrait mieux
encourager les négociateurs que l'adoption formelle du rapport Mitchell par le
président Bush et le réengagement des Etats-Unis vis-à-vis des principes du
sommet de Madrid, réuni par son père il y a dix ans, ces principes que nous
étions sur le point de mettre en application, à Taba, les Israéliens et nous.
Ces principes demeurent l'unique base pour un accord définitif.
(Nabil
Sha'ath est le ministre du plan de l'Autorité palestinienne. Cet article a été
publié, à l'origine, dans le Washington Post du 15 mai, est c'est à la demande
de son auteur que nous le publions ici.)
19. Redonner à
Jaffa ses noms arabes par Ori Nir
in Ha'Aretz (quotidien israélien)
du dimanche 22 mai 2001
[traduit de l'anglais par
Marcel Charbonnier]
La municipalité de Tel-Aviv Jaffa
a hébraïsé et judéïsé les noms de centaines de rues à Jaffa, après l'annexion de
la ville arabe à la ville juive, créée de toutes pièces sur les dunes en 1909.
Les créateurs de cette ville se sont bien gardés de baptiser les rues du nom de
leaders et de personnalités publiques de la communauté arabe de Jaffa, ou de
l'élite arabe d'Israël. Michal Eden (du parti Meretz), conseillère municipale,
qui a enquêté et écrit à ce sujet au Maire, Ron Huldai, signale que plus de
quatre-vingt rues de Jaffa sont identifiées par des numéros, et ne portent pas
de nom. Le temps est venu, dit-elle, de donner aux rues anonymes des noms qui
commémorent la culture et les personnalités arabes de Jaffa. "Jaffa étant à
l'origine une ville arabe, et sa population actuelle étant mixte, musulmane,
chrétienne et juive, la ville devrait se voir conférer un caractère approprié,
qui prenne en compte son histoire et les sentiments de ses habitants", a-t-elle
écrit, dernièrement, à Huldai (le maire). Près de 40 000 personnes vivent à
Jaffa aujourd'hui, dont 22 000 sont juives et 18 000 arabes, ceux-ci vivant dans
des quartiers dont la population arabe est très largement majoritaire.
La
plupart des rues de Jaffa, qui portent pour la plupart des noms de rabbins ou de
noms liés à l'héritage juif, portaient jadis des noms arabes. Ainsi, par
exemple, la rue Yefet rassemble deux rues différentes d'avant 1948 : la rue
Al-Hilwa et la rue Kerem al-Zeitun.
La rue Yehuda Hayamit s'appelait rue du
Roi Fayçal et le Boulevard Jérusalem, rue Al-Nuzheh, nom que les Arabes de Jaffa
utilisent toujours.
Le comité de l'onomastique décide de donner aux voies de
la ville les noms de personnalités marquantes ou d'événements historiques, en
fonction des propositions qui lui sont faites, précise la municipalité de
Tel-Aviv-Jaffa. Durant le mandat du précédent maire, Roni Milo, déclare le
porte-parole de la municipalité, deux requêtes seulement ont été enregistrées,
visant à immortaliser des personnalités arabes de Jaffa, et elles ont été
suivies d'effet. Ces deux personnalités sont Abdel Rauf al-Bitar, maire de Jaffa
de 1938 à 1941 (précisons que ce n'est que tout récemment que la rue 3043 est
devenue la rue Al-Bitar), et George Nassar, un résident de Jaffa, actif dans le
syndicat ouvrier Histadrut.
La municipalité a aussi donné à l'une de ses rues
le nom d'Abdel Karim Abdel Jani, résident de Jaffa tué par un attentat
terroriste dans la rue Eilat, à Jaffa, en 1992. Une femme juive de Bat Yam,
Ilana Ohana, avait été tuée dans le même attentat.
"Du temps de la
municipalité actuelle, une requête nous a été soumise : c'est une liste
comportant sept noms", a indiqué le porte-parole de la mairie, "mais aucune
explication n'a été fournie aux fins d'étayer cette requête, indiquant sur les
arguments plaidant en faveur de la commémoration de ces noms. Le comité n'a pas
encore tranché."
Michal Eden, qui a remis cette requête en décembre dernier,
a manifesté hier sa surprise de constater que le comité n'effectue pas ces
recherches lui-même...
Sa liste comporte le nom de Monsieur Tewfik Ziyad, de
l'écrivain Antoinette Huri-Mahul et du chef bédouin Sheikh Salman al-Huzail.
Madame Eden a ajouté que le comité n'avait pas à passer son temps à attendre que
des noms lui soient proposés, mais que l'on pouvait légitimement en attendre
qu'il prenne l'initiative d'immortaliser les noms de personnalités arabes
éminentes.
Ahmed Balha, conseiller municipal de Jaffa, a déclaré hier que les
Arabes de Jaffa n'avaient pas encore présenté de requêtes documentées demandant
que des rues soient rebaptisées sous des noms arabes, tant parce qu'on leur a
clairement signifié qu'il n'y a aucune chance qu'une rue passe d'un nom juif à
un nom arabe que parce qu'eux-mêmes ne sont pas d'accord entre eux sur le choix
des personnalités arabes dignes de voir leur nom ainsi commémoré. Dernièrement,
a poursuivi M. Balha, le maire, M. Huldai, semblait prêt à accepter de donner
les noms de personnages éminents de Jaffa aux rues qui portent encore un simple
numéro. "Malheureusement, il n'y a aucune chance d'obtenir que des rues portant
un nom de personne soient débaptisées, même dans les cas où ces noms sont
complètement coupés des réalités locales", a-t-il ajouté.
Il a donné
l'exemple de la rue Pashischa Rebbe (située à proximité des rues Karliner Rebbe,
Kotzker Rebbe et Lilover Rebbe), dans un quartier dont la population est à cent
pour cent arabe. "Sans vouloir insulter personne, Pashicha est devenue objet de
plaisanteries. En fait, tout le monde ici se demande encore comment le nom de sa
propre rue se prononce, exactement...
20. La vaine
stratégie d'Ariel Sharon par Martine Gozlan
in Marianne du lundi 21
mai 2001
Du temps où rien n'était encore perdu, du temps où, au sein
d'Israël, Israël osait se remettre en cause, quelques imprécations prophétiques
parvenaient à faire tressaillir le peuple. Le vieux philosophe Yeshayaou
Leibowitz avertissait ainsi ses frères sionistes que les lendemains seraient
toujours pires si l'idée de nation persistait à ne s'exalter que par la force.
Aujourd'hui, le sage a disparu et la folie fait rage. Dans la guerre inégale que
se livrent israéliens et Palestiniens, un général arc-bouté sur des certitudes
archaïques aggrave chaque jour une tragédie par les moyens mêmes qui sont censés
l'apaiser. Il ne suffit pas qu'Ariel Sharon ait franchi la ligne de non-retour
en pénétrant dans les zones autonomes. Il ne suffit pas qu'il ait ainsi fourni
aux Palestiniens l'occasion de légitimer leur riposte. Il ne suffit pas
qu'aveuglé sur la détermination d'un peuple Sharon se persuade que le tonnerre
des bombardements recèle quelque révélation suprême qui conduira les bombardés à
la table des négociations. Il faut encore que, ciblant les symboles de
l'Autorité palestinienne (laquelle, de fait, n'existe plus), il use des mêmes
armes que les terroristes de l'autre bord. On voit mal, en effet, comment une
population affamée, assiégée, pilonnée pourrait, dans une irréelle et angélique
métamorphose, cesser de s'identifier à un terrorisme toujours revivifié par
l'ennemi. En 1958, les maquisards de la guerre de libération algérienne ont-ils
été défaits par l'ampleur de la terreur qu'on leur opposait ? En 1937, les
sionistes de l'Irgoun ont-ils renoncé à leurs attentats antibritanniques au
motif qu'on fusillait leurs militants ? Ceux de la Haganah ont-ils renoncé à
leurs arsenaux secrets au motif que la puissance anglaise s'était juré de les
anéantir ? Les juifs qui nageaient de nuit vers Haïfa renonçaient-ils à toucher
la terre promise au motif qu'un Livre blanc, incarnation du droit d'alors, leur
en interdisait l'accès ? Le "droit" dont se réclame la "stratégie" d'un Sharon
n'est pas plus viable ni plus légitime que les fusils anglais braqués sur les
kibboutzniks de naguère, que les rafles perpétrées par l'armée française sur les
populations de l'Algérie. Ce court terme feint, sans cesse et partout,
d'incarner l'histoire. Mais, sans cesse et partout, l'histoire le pulvérise.
Comme d'autres peuples avant lui, comme celui-là même qui le nie - et quelques
soient les crimes commis de part et d'autre dans l'enchevêtrement des haines -,
le peuple palestinien a pour lui le temps
historique.