Revue de presse
1. Les raids israéliens en territoire
palestinien se poursuivent par Deborah Camiel
Dépêche de l'agence
Reuters du samedi 19 mai 2001, 17h37
JERUSALEM - Au lendemain
d'une journée particulièrement meurtrière au Proche-Orient, l'armée israélienne
a poursuivi samedi ses raids sur des cibles palestiniennes en visant des
bâtiments de la sécurité et de la police à Djénine et Tulkarem, en Cisjordanie.
Dans ces deux villes, les frappes ont fait en tout une cinquantaine de blessés,
en majorité des civils. Tsahal explique que ces raids visaient deux "cibles
terroristes", à savoir les QG des services de police et de sécurité
palestiniens.
Les soldats israéliens ont également abattu, dans la matinée,
un membre des forces de sécurité palestiniennes en Cisjordanie et un agriculteur
palestinien dans la bande de Gaza, ont rapporté des sources proches de la
sécurité palestinienne et des sources hospitalières.
Selon Tsahal, les deux
victimes étaient armées et constituaient une menace pour ses soldats.
Dans
la ville cisjordanienne de Naplouse, un Palestinien de 20 ans a été tué par des
soldats israéliens alors qu'il jetait des pierres, au sortir des funérailles de
11 policiers palestiniens tués vendredi dans les frappes menées par des
chasseurs F-16 israéliens, apprend-on de source hospitalière.
Les raids
menés par Tsahal sur Tulkarem, Ramallah, ainsi que sur plusieurs objectifs de la
bande de Gaza ont fait en tout au moins douze morts - dont un à Ramallah - et
plus de 90 blessés.
"C'est la guerre, mes amis, c'est la guerre", a déclaré
à Reuters le ministre israélien des Communications, Reuven Rivlin.
Le
ministre palestinien de l'Information, Abed Rabbo, a demandé que cesse ce qu'il
a appelé "les crimes israéliens d'instigation de la terreur et d'anéantissement
total du peuple palestinien".
L'Autorité palestinienne a condamné vendredi
l'attentat-suicide commis vendredi par un militant du Hamas devant un centre
commercial de la ville israélienne de Netanya, qui a fait sept morts dont le
porteur de bombe, et plus d'une centaine de blessés. Israël a justifié ses
frappes aériennes par la violence de cet acte commis sur son propre sol.
Mais les Palestiniens ont surtout appelé Israël à la retenue après cette
journée, la plus meurtrière depuis le début de la seconde intifada
palestinienne, en septembre.
Des cris de vengeance se sont élevés samedi à
Naplouse, en Cisjordanie, tandis que des Palestiniens prenaient part aux
obsèques de onze victimes tombées la veille au cours des raids.
Dans la
ville de Tyr, au Liban, ainsi que dans le sud du pays, plusieurs centaines de
réfugiés palestiniens ont manifesté contre les raids, dénonçant eux aussi ce
qu'ils considèrent comme une absence de réaction de la part de la communauté
internationale.
Appel syrien au boycott d'Israël
Les frappes israéliennes ont suscité une indignation
unanime de la communauté internationale.
Les Etats-Unis, l'Onu et l'Union
européenne ont réaffirmé leur inquiétude face à l'escalade de la violence, dont
le chef de la diplomatie allemande Joschka Fischer s'est dit "profondément
troublé".
Le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a sévèrement
condamné l'attentat-suicide de Netanya mais, tout comme Moscou, a jugé la
riposte israélienne "disproportionnée" et a appelé à la fin des violences et à
la reprise des négociations.
Le Kremlin a fait savoir que le président russe
Vladimir Poutine avait abordé samedi ce sujet par téléphone avec le Premier
ministre israélien Ariel Sharon.
La Suède, présidente en exercice de l'Union
européenne, s'est dite "choquée" par l'aggravation de la violence et a exhorté
les protagonistes, dont elle estime qu'ils portent tous deux une part de
responsabilité dans cette situation, à revenir s'asseoir à la table des
négociations.
Le monde arabe a condamné de façon virulente les raids
israéliens, l'Egypte qualifiant d'"acte de guerre" l'utilisation par l'Etat
hébreu de chasseurs F-16.
Les chefs de la diplomatie arabe ont rencontré au
Caire le président de l'Autorité palestinienne Yasser Arafat pour aborder la
question.
"(Cela) appelle une rapide intervention internationale visant à
faire cesser les assassinats planifiés de Palestiniens qui ont pour but de les
exterminer", a déclaré le secrétaire général de la Ligue arabe, l'ancien chef de
la diplomatie égyptienne Amr Moussa.
Moussa a précisé que les raids
israéliens et l'aide apportée par les pays arabes à l'intifada palestinienne
seraient à l'ordre du jour de la réunion des ministres.
De source
diplomatique, la Syrie a appelé une nouvelle fois à un boycott de l'Etat hébreu
mais les délégués ne sont pas parvenus à un consensus sur ce sujet.
Dans le
Golfe, la presse a critiqué les raids de façon virulente et s'est étonnée du
fait que le gouvernement d'Ariel Sharon pense encore pouvoir mater l'intifada
par la force.
De son côté, le journal saoudien el-Ittihad a jugé que "les
Etats-Unis et la communauté internationale (devraient) faire comprendre à Sharon
que la violence dont il fait usage à l'encontre des Palestiniens est une épée à
double tranchant".
2. La
Croix-Rouge dénonce les "crimes" d'Israël par Alexandra Schwartzbrod
in Libération du vendredi 18 mai 2001
Alors que les raids sur Gaza et la Cisjordanie
s'intensifient.
Jérusalem de notre
correspondante - Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est sorti,
hier, de son habituelle retenue pour s'alarmer de la situation dans les
territoires palestiniens, n'hésitant pas à qualifier de «crime de guerre» la
politique de colonisation menée par Israël. «Chaque fois que les droits
humanitaires internationaux définis par la convention de Genève sont violés, il
y a crime de guerre», a lancé René Kosirnik, chef de la délégation du CICR en
Israël et dans les territoires palestiniens. «C'est vrai que des actes
"anormaux" et donc des crimes de guerre sont commis des deux côtés (israélien et
palestinien, ndlr), mais on ne peut pas les mettre au même niveau. Car il y a,
d'un côté, une population occupée, de l'autre une puissance occupante
toute-puissante.»
Préoccupation. Le gel des colonies juives en territoire
palestinien est, selon le rapport de la commission Mitchell, une des principales
conditions de l'arrêt de la violence dans la région. Soutenu vigoureusement
jeudi par le Parlement européen, ce gel est au centre de toutes les discussions
diplomatiques. La prise de position du CICR s'ajoute à ces critiques contre
l'Etat hébreu. «Selon le droit humanitaire international, la puissance occupante
doit porter assistance à la population des territoires occupés. Mais je crains
qu'Israël porte plus d'assistance à la population israélienne des colonies qu'à
la population palestinienne», a ajouté Kosirnik. «Et le problème, c'est que pour
protéger les colons, il faut une force militaire avec toutes les conséquences
que cela implique sur les Palestiniens: bouclage, destructions de maisons, de
vergers et de champs, même si, dans de nombreux cas, les impératifs de sécurité
ne le justifient pas... Nous sommes très préoccupés.» Le gouvernement israélien
s'est dit hier «consterné» par ces propos, soulignant la nécessaire neutralité
du CICR.
Le ton monte. Alors que les forces israéliennes amplifient leurs
raids aériens désormais quotidiens sur Gaza et la Cisjordanie (ceux de mercredi
soir sur Gaza auraient fait quatorze blessés dont six policiers et deux enfants
dans le camp de réfugiés de Jabalya), le ton monte entre les deux camps. «Nous
intensifions notre activité pour nous protéger. Mais je pense qu'à terme nous
devrons commencer à combattre les Palestiniens à outrance», a déclaré à New York
le ministre de la Sécurité intérieure, Uzi Landau. «Les bombardements, les
assassinats, la réoccupation de villes vont simplement accroître la rage et la
détermination des Palestiniens d'en finir avec l'occupation et de chasser les
colons», a répondu Ahmed Abdel Rahman, un proche conseiller de Yasser
Arafat.
3.
Les Etats-Unis envisagent (timidement) d'assumer un rôle plus important
au Moyen-Orient par Jane Parlez
in The New York Times (quotidien
américain) du jeudi 17 mai 2001
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
Washington, 16 mai
-- Confrontée à une pression croissante la poussant à intervenir afin de
contribuer à faire reculer la violence au Moyen-Orient, l'administration Bush
s'efforce de trouver les moyens de s'impliquer dans le conflit
israélo-palestinien, tout en tournant les talons à ce qu'elle considère être les
échecs de la présidence Clinton.
Le président Bush a rencontré aujourd'hui, à
la Maison Blanche, ses hauts conseillers pour les affaires étrangères, parmi
lesquels le Secrétaire d'Etat Colin L. Powell et le Secrétaire à la Défense
Donald H. Rumsfeld, au cours d'une réunion qualifiée par des porte-parole
officiels de "briefing stratégique".
La pièce de choix au menu de ces
conversations fut le rapport remis par une commission internationale emmenée par
un ancien sénateur américain, George J. Mitchell.
Mais des officiels ont mis
en garde sur le fait que l'administration était en quête d'une formule qui ne
cautionne pas le gel des implantations exigé par les Palestiniens et que les
Israéliens rejettent. En effet, ce gel des implantations a reçu le soutien de la
commission d'enquête Mitchell. Dans le cadre d'une stratégie utilisant le
rapport Mitchell comme instrument d'une relance d'éventuelles discussions, le
Département d'Etat (affaires étrangères) s'efforce de ménager une rencontre
entre le Général Powell et le leader palestinien Yasser Arafat. "Il est très
largement reconnu que la situation sur le terrain, entre les Israéliens et les
Palestiniens, ne cesse de se dégrader, et que le rapport Mitchell peut offrir
l'opportunité de lancer un processus politique à même de stopper cette
dégradation", a déclaré un haut responsable de l'administration américaine après
la réunion tenue, ce jour, au Conseil National de Sécurité.
Ce changement
d'humeur a été provoqué par l'intensification de la violence et les pressions de
l'Europe et des pays arabes, notamment l'Arabie Saoudite, demandant aux
Etats-Unis de s'engager.
Le Prince Héritier d'Arabie Saoudite, Abdullah,
leader expédiant les affaires courantes de ce pays, l'un des principaux alliés
arabes des Etats-Unis, a décliné une invitation à se rendre en visite aux
Etats-Unis le mois prochain.
Cette rebuffade a été perçue ici comme une
marque très claire de désapprobation de la prise de distance par la nouvelle
administration vis-à-vis du conflit israélo-palestinien.
Le prince, qui se
rendra en visite au Canada en juin, et aurait donc pu inclure les Etats-Unis
dans sa visite sans difficulté, a indiqué qu'il ne mettra pas les pieds ici
avant que les Etats-Unis aient fait plus (que le rien actuel) afin de convaincre
Israël de mettre un terme aux attaques militaires contre les Palestiniens, ont
rapporté des diplomates américains.
Certains hauts responsables ont tiré la
conclusion qu'à moins que des efforts intenses et sérieux ne soient déployés
afin de mettre un terme à la violence, une longue guerre d'usure est devant
nous, qui portera gravement atteinte aux intérêts américains dans la région. Le
Général Powell est aussi préoccupé par le fait que ses efforts afin de
"relooker" les sanctions contre l'Irak se heurtent à l'irritation des alliés
arabes (des Etats-Unis) dont il a absolument besoin pour réaliser son projet,
mais dont les peuples ne peuvent que faire le constat que les Etats-Unis
alimentent la violence contre les Palestiniens. Le président Bush a
ostensiblement refusé de rencontrer M. Arafat tant que la violence en Israël et
dans les territoires palestiniens ne se calmera pas. Il a, toutefois, rencontré
à plusieurs reprises les leaders de la Jordanie et de l'Egypte. La rencontre que
le Général Powell souhaite avoir avec M. Arafat interviendrait au cours de la
tournée du Secrétaire d'Etat en Afrique et en Europe, qui doit commencer la
semaine prochaine. De ce fait, cette rencontre n'aurait pas l'éclat d'une
invitation à Washington.
Si l'administration Bush décide de se mêler du
conflit israélo-palestinien, ce sera de toute manière dans un style tout
différent de celui adopté par l'administration Clinton en cette matière.
A la
différence du président Clinton, le président Bush ne serait le cas échéant pas
aussi impliqué (personnellement).
"Le président ne programme pas ses
rencontres pour le seul plaisir de programmer des rencontres" a commenté un
collaborateur de l'administration, en une allusion acerbe aux nombreuses
rencontres entre MM. Clinton et Arafat.
Tournant le dos aux méthodes de
l'ancienne Secrétaire d'Etat, Madeleine K. Albright, le Général Powell, qui a
tenu plusieurs séminaires consacrés au Moyen-Orient au sens large, dans son
propre bureau, avec des spécialistes de tous les départements ministériels, se
chargera vraisemblablement lui-même de l'action diplomatique (du
pays).
Faisant un signe aux Palestiniens, il a rencontré, mardi dernier, au
Département d'Etat, le second d'Arafat, Mahmoud Abbas, connu aussi sous le nom
d'Abu Mazen. Mais, tempérant quelque peu la chaleur de l'accueil, la conseillère
pour la sécurité nationale, Condoleezza Rice, s'est rendue au Département d'Etat
pour y saluer M. Abbas, ce qui lui a évité d'avoir à l'accueillir à la Maison
Blanche (où se trouve son bureau, ndt).
M. Abbas a déclaré que M. Arafat ne
pourrait mettre un terme à la violence du côté palestinien qu'à la condition que
le gouvernement israélien commence d'apporter une réponse aux préoccupations
palestiniennes, ont rapporté des officiels palestiniens appartenant à sa
délégation. Au coeur du problème auquel l'administration (américaine) est
confrontée se trouve la question de savoir comment éluder la question du refus
catégorique par Israël du gel des colonies, alors que ce gel est l'une des
recommandations principales du rapport Mitchell. Les officiels de
l'administration Bush disent qu'ils ne peuvent demander ce gel de manière
abrupte au Premier ministre israélien Ariel Sharon. M. Sharon a répété à
suffisance que son opposition à une proposition de cette nature est une
opposition de principe ("philosophique"). De plus, ajoutent les officiels, son
gouvernement tomberait immédiatement s'il la déclarait recevable. Après la
réunion de ce jour, en présence du président Bush, à la Maison-Blanche, un haut
responsable de l'administration a indiqué que le rapport Mitchell, réalisé à la
demande du gouvernement des Etats-Unis, serait rendu public officiellement la
semaine prochaine. Le gouvernement donnera alors sa position sur le gel des
colonies préconisé par le rapport, a indiqué le porte-parole de
l'administration.
4.
Israël - Le grand désarroi par Henri Guirchoun
in Le Nouvel Observateur du jeudi 17 mai
2001
A l'heure où les
affrontements armés ruinent les derniers espoirs de paix, l'amertume et la
désillusion s'installent dans toutes les couches de la société israélienne, y
compris parmi les partisans les plus fervents d'un dialogue avec les
Palestiniens
A deux pas des boutiques et des bars branchés où
s'agglutine une jeunesse bruyante, souriante et apparemment insouciante, le café
Tamar est un îlot un peu rétro situé au coeur du vieux Tel-Aviv désormais envahi
par des yuppies en chemisettes à fleurs. Dans le haut de la rue Shenkin, avec
ses tables d'un autre âge, ses serveuses un peu revêches et ses murs couverts
d'affiches politiques, le café Tamar reste « le » rendez-vous de prédilection de
la gauche israélienne. D'anciens ministres, des députés qu'on croyait, il y a
six mois encore, promis à un destin national y retrouvent leurs amis artistes ou
écrivains avec lesquels ils ruminent leurs espoirs vaincus en lapant des « cafés
renversés ».
Parmi eux, le romancier Yoram Kaniuk, l'un des monuments
des lettres israéliennes, qui ne résiste pas au plaisir d'une longue diatribe,
aussi fielleuse qu'injuste, contre la France « qui ne nous a jamais compris,
jamais aidés et, en fait, jamais acceptés ». A l'entendre, on se croit revenu à
la période sibérienne des relations franco-israéliennes, celle de la guerre de
Six-Jours et des fameux mots du Général... Puis il enchaîne : « Ce pays était
une nécessité pour les Juifs. Les Arabes, les Palestiniens ont toujours estimé
que nous les avions envahis et spoliés, ce qui n'est pas tout à fait faux. Nous
voici revenus au coeur de cette histoire ! »
Dans leurs discours, dans les colonnes des journaux,
Sharon, Shamir et les ténors de la vieille garde de droite ont martelé, non sans
succès auprès d'une opinion déboussolée, l'idée que les affrontements actuels
sont la preuve que pour Israël la guerre d'indépendance n'est toujours pas
finie. Kaniuk remonte encore davantage le cours de l'histoire pour évoquer
l'année 1936, celle de la grande révolte arabe contre l'immigration juive en
Palestine. « Je suis l'un des premiers à avoir milité en faveur de la paix,
dit-il, mais il est clair que ce n'est pas une affaire de territoires ni de
colonies ou de réfugiés : Arafat veut tout, il n'y a rien à faire ! »
Récemment, Yoram Kaniuk a rendu une longue visite à Barak,
au cours de laquelle celui-ci se serait livré à une sévère autocritique dont il
souhaite taire les détails : « Quoi qu'on puisse lui reprocher, Barak aura eu
l'immense mérite de nous montrer qu'Arafat n'est pas et ne sera jamais un
partenaire pour la paix. » D'amertume en désillusions, depuis la cuisante
défaite d'Ehoud Barak, il semble bien que le café Tamar, où bat le pouls de la
gauche israélienne, soit aussi devenu son unique point de repère. En tout cas à
Tel-Aviv...
"Nous y perdrons notre âme"
D'ici, près de la vieille gare de chemin de fer de
Jérusalem, pas besoin de tendre l'oreille pour entendre le canon tonner
plusieurs fois, un peu plus loin sur la route, vers Bethléem ou Gilo. Amiram
Goldblum, chimiste de renom, broie du noir : « Comme la majorité des
Palestiniens, la plupart des Israéliens sont persuadés d'avoir raison. Ils
refusent d'admettre que la révolte palestinienne est avant tout une réponse à la
violence de la colonisation. L'unique porte de sortie serait un retrait
unilatéral de tous les territoires occupés depuis 1967. Sinon, comme au Liban,
nous y perdrons notre âme... Hélas, personne ne veut plus voir les souffrances
de l'autre camp. » Et Amiram, vétéran de tous les combats du Mouvement de la
Paix, en est désormais convaincu : « Seul un bain de sang et beaucoup de fatigue
inutile mettront un terme à ce bras de fer stupide. »
Des valises dans la tête
Dans son studio d'enregistrement, une cave de la rue
Pinsker à Tel-Aviv, Koby Oz, coqueluche de la scène pop israélienne, tente à sa
façon d'expliquer cette indifférence. « Nous rêvons de normalité, ce qui nous
conduit à vivre dans une sorte de bulle. C'est peut-être ce qui nous dérange
tellement : les Palestiniens nous ont brutalement rappelé qu'ils n'ont pas
encore leur Etat, contrairement à ce que nous croyions. » D'origine tunisienne,
Koby Oz est né à Sdérot, cette ville située à la lisière de la bande de Gaza, et
plusieurs fois atteinte par les tirs de mortier palestiniens. « Ils sont notre
miroir parfait, ils commettent aujourd'hui nos erreurs d'hier, et comme nous
après 1948 ou 1967, ils imaginent l'ivresse d'une victoire. Or en Israël, malgré
toutes ces années, les gens vivent encore avec leurs valises dans la tête. Si
j'étais Premier ministre, j'enverrais tout le monde chez un psy qui répéterait :
"Vous êtes chez vous, personne ne veut vous chasser." Alors, oui, vivement le
temps où les Palestiniens deviendront, eux aussi, indifférents... »
"Montrer notre force !"
A 75 ans, fondateur du Likoud, ancien ministre de la
Défense, sa rigueur, ses compétences militaires et son franc-parler sont
reconnus au-delà des rangs de ses amis de droite à la Knesset. C'est lui qui
avait à l'époque favorisé l'ascension fulgurante de Benyamin Netanyahou, mais il
est aussi l'un des premiers à avoir critiqué, puis lâché ce poulain qu'il n'a
pas jugé à la hauteur. Moshe Arens reste l'un des principaux stratèges de cette
droite revenue au pouvoir avec Ariel Sharon dont il dit : « Vous verrez, c'est
un pragmatique. » Sans fioritures, et dans cette langue précise qui a longtemps
fait de lui l'interlocuteur favori des Américains, il résume son credo. La
continuité territoriale exigée par les Palestiniens ? « Elle signifierait une
discontinuité pour Israël, c'est non. A moins que l'idée d'une fédération
jordano-palestinienne ne resurgisse dans l'avenir. » Le futur tracé des
frontières entre Israël et un Etat palestinien, le démantèlement des colonies ?
« La définition des frontières dépend de la signature d'un traité de paix, on en
est loin. Israël restera un Etat juif avec une majorité juive installée sur tout
le territoire, à Jérusalem, sur le Golan, dans la vallée du Jourdain, à Hébron
et dans les autres lieux historiques. »
Depuis quelques semaines, l'armée israélienne fait un peu
ce qu'elle veut en Cisjordanie et à Gaza. Ses actions ne sont plus soumises à
l'approbation préalable du pouvoir politique. Or ses incursions en territoire
palestinien ou les exécutions de chefs locaux n'ont eu pour résultat que
d'attiser la haine et d'alimenter le cycle infernal de la violence. Jusqu'où
ira-t-elle ? « En 1992, j'avais déjà dit à Shamir : il faut quitter Gaza.
Croyez-moi, personne chez nous ne songe aujourd'hui à une reconquête de
Naplouse, Jénine, Ramallah ou Gaza. Notre seul objectif est de convaincre les
Palestiniens et leurs alliés de notre détermination. Depuis l'erreur de notre
retraite du Liban, seule la perception de notre force les incitera à renoncer à
chercher le ventre mou d'Israël. C'est notre énergie qui entraînera une
modération du conflit. Comme toujours avec nos voisins. » Pour Moshe Arens, ceux
qui ont cru à une solution du conflit se sont fourvoyés : Israël doit se
contenter de tenir en respect ses adversaires, jusqu'à leur épuisement...
"Comment casser tous ces murs
?"
l« Libérez Gadi ! » Il y a vingt ans, les murs de Tel-Aviv
s'étaient recouverts d'inscriptions en faveur d'un jeune appelé qui avait payé
de plusieurs mois de prison son refus de servir dans les territoires occupés.
Gadi Algazy enseigne aujourd'hui l'histoire du Moyen Age à l'université de
Tel-Aviv. Et depuis le mois d'octobre dernier, il anime le mouvement Ta'agush
(Vivre ensemble) qui prône la solidarité avec les Palestiniens et dénonce «
l'apartheid rampant » qui sévit, selon lui, en Israël : « Israël est un ghetto
qui tente d'enfermer ses citoyens arabes dans un autre ghetto, tout en
s'efforçant de maintenir les Palestiniens dans un troisième ghetto. Comment
casser tous ces murs ? » Avec ses amis juifs et arabes israéliens, il affrète
des camions remplis de vivres qu'ils vont distribuer dans des villages
palestiniens isolés. Au cours de leur dernière expédition, l'accueil amical que
leur ont réservé les villageois a incité l'armée et les gardes frontières à
intervenir. Après une soirée au poste de police de la colonie d'Ariel, Gadi
s'est vu notifier une bien étrange inculpation pour « violence envers les
policiers ».
Gadi Algazy en veut beaucoup à cette gauche bien-pensante,
hier encore majoritaire et aujourd'hui perdue et paralysée : « Le Mouvement de
la Paix a épousé les thèses d'un gouvernement dont nombre de membres étaient
issus de ses rangs. Il n'a pas dénoncé la poursuite de la colonisation. La
gauche israélienne n'a jamais eu le courage d'affronter les colons. Elle n'a pas
voulu payer le prix d'Oslo, au contraire des Palestiniens. Et pour se donner
bonne conscience, pour justifier son apathie, elle brandit la question du retour
des réfugiés comme un épouvantail ! On en est revenu aux vieilles lunes et aux
hommes du passé, comme Sharon. Le début du XXIe siècle nous a laissés sur le
carreau, c'est surréaliste ! »
Le grand gâchis
Isolés, encerclés et attaqués de toutes parts, les membres
du kibboutz Manara décidèrent une nuit d'évacuer les enfants, à pied, par des
sentiers de chèvres. Pendant la guerre d'indépendance, cet épisode avait
vivement marqué Leon Uris, qui en fit l'une des scènes marquantes de son «
Exodus ». Littéralement adossé à la frontière libanaise, Manara vit toujours,
comme autrefois, dans la crainte de ces attaques. Un poste de l'ONU a été
installé devant l'entrée, à l'intérieur, la garde est renforcée, on a construit
une nouvelle route et les transports scolaires se font dans des autobus blindés
: les combattants du Hezbollah ne sont qu'à quelques centaines de mètres du
grillage qui délimite le kibboutz. « Mon mari a sans doute raison de dire qu'à
part quelques jets de pierres - il n'y a rien eu depuis un an -, je reste
inquiète, affirme Rachel, car j'ai toujours pensé qu'avant de se retirer du
Liban il valait mieux obtenir un accord. Mais c'est ainsi, on savait qu'en
créant Manara, on serait sur la frontière... »
Membre du groupe des fondateurs du kibboutz, en janvier
1943, Rachel est l'une des figures de cet Israël des pionniers, dont la
littérature, le cinéma et les livres d'histoire ont retracé l'épopée. Les
pierres retirées une à une pour planter les premiers arbres, l'eau apportée dans
des citernes à dos de cheval, et ces attaques qu'il fallait repousser. Plus
tard, un fils tué dans le Golan pendant la guerre du Kippour, un autre gravement
blessé dans le Sinaï, et aussi, peut-être surtout, un frère assassiné. Rachel
est la soeur d'Itzhak Rabin. Et elle n'hésite pas une seconde à livrer le fond
de sa pensée : « Arafat n'est pas un agneau, il n'est peut-être pas devenu non
plus un homme d'Etat. Mais nos dirigeants portent aussi leur part de
responsabilité. Netanyahou, Barak ont-ils été à la hauteur ? J'en doute. Quant à
Sharon, je préfère ne pas en parler... »
Rachel n'est pas seulement meurtrie. Ce qu'elle appelle «
le grand gâchis » d'aujourd'hui la rend furieuse : « Là-bas, nos soldats sont
placés en situation d'occupants. Peut-on en attendre de bonnes choses ? Et ces
gens de Hébron qui exigent qu'on les défende ! Des fanatiques religieux et des
ultranationalistes, c'est la pire des combinaisons. Chez nous, les Juifs, comme
chez les autres... »
Tout le monde ment
Il parle à la cadence d'une mitrailleuse. Vif, acide,
provocateur. Bientôt traduits en français, ses recueils de nouvelles en ont
fait, à 33 ans, l'un des écrivains adulés par la jeunesse. Edgar Keret est un
dynamiteur de mythes, un briseur de certitudes. Il ose tout, se permet tout,
même d'ironiser cruellement sur les sujets les plus tabous, à commencer par
celui de l'Holocauste.
Alors, pour lui, c'est évident, tout le monde ment : « Nos
dirigeants nous parlent de paix, mais aucun d'entre eux ne la souhaite. La
preuve ? Ils accolent toujours au mot paix un autre mot destiné à la rendre
impossible. Sharon parle de paix dans la sécurité. Bargouti (l'un des chefs du
Fatah), de paix juste. Tandis que Barak et Arafat parlent de la paix des braves.
La paix tout simplement, ça ne leur suffit pas ! » Edgar Keret se méfie des
conventions, et davantage encore des moralistes : « Vous nous dites, voici les
bons, voici les méchants. Vous prendriez-vous pour Dieu, par hasard ? Misère,
n'y a-t-il pas déjà assez de dieux dans cette région ? »
Trop simpliste à ses yeux, la couverture médiatique des
événements, surtout à la télévision, le consterne : « C'est une machine à laver
les cerveaux. L'autre jour, avec ma copine, on regardait un reportage de CNN sur
le printemps joyeux à Sarajevo. Sans aucune référence à la guerre qui y a fait
rage. Et on s'est dit : tiens, allons vivre en Bosnie ! »
Ils sont fascistes
Sa voix gronde dans le jardin de sa charmante maison de
Kfar Shmaryahou, une banlieue très huppée au nord de Tel-Aviv. Non, elle ne
participera pas à une émission aux côtés de cette habitante d'une colonie à qui
elle n'a rien à dire sinon : « Partez ! » Non, elle ne pourra pas s'empêcher de
rappeler à cet autre intervenant, ex-chef du Shin Beth, qu'il a passé sa vie à
arracher les ongles de ses prisonniers. Après avoir pris ses distances avec la
politique et laissé à Yossi Sarid les rênes de son parti, le Meretz, Shoulamit
Aloni, la grande prêtresse de la gauche radicale et antireligieuse, sonne le
tocsin : « En 1948, les Palestiniens ont payé le prix de leur refus de la
partition. Aujourd'hui, c'est nous qui refusons, nous en subirons aussi les
conséquences. Nous sommes les occupants, ils sont les occupés, le reste, c'est
de la propagande. »
Il y a quelques mois, un groupe d'intellectuels, hommes
politiques, officiers supérieurs à la retraite s'étaient réunis à Herzliya pour
élaborer une série de mesures destinées à infléchir le déséquilibre
démographique en faveur des Arabes, qui risque à l'avenir de mettre en péril la
majorité juive en Israël. L'idée d'un « transfert de population » n'est pas
formellement suggérée dans le rapport qu'ils ont remis au chef de l'Etat mais
elle n'est pas exclue. « Ces gens-là se disent être des démocrates éclairés, ils
sont fascistes. Quelle différence y a-t-il entre eux et Le Pen ou Haider ? »
Shoulamit Aloni se déclare sioniste, au sens où elle reste favorable à un Etat
démocratique israélien. Mais elle ne supporte plus « ces politiciens qui
évoquent un passé d'il y a 2000 ans ou leurs projets pour l'éternité, sans avoir
la moindre idée de ce qu'il faut faire dans les semaines qui viennent ».
Shoulamit Aloni estime qu'Israël doit reconnaître ses
responsabilités dans le drame des réfugiés palestiniens en favorisant leur
intégration dans un Etat souverain. Mais hormis des compensations financières et
la réunification des familles, elle s'oppose à un retour généralisé des réfugiés
en Israël. « Ce serait réparer une injustice par une autre, assure-t-elle, nous
aurions un Etat palestinien d'un côté, et un Etat binational de l'autre, dans
lequel les juifs deviendraient une minorité. Ce n'est pas réaliste ! »
La colère des réservistes
Ceux qui ont toujours considéré Israël comme la Sparte du
Moyen-Orient doivent réviser leur jugement. Après trois années de service actif
dans l'armée, quand ils ne sont pas à Bali, à Bangkok ou à Goa, échapper par la
débrouille aux périodes de réserves militaires est devenu le sport national des
jeunes Israéliens. Et 10% seulement des réservistes rappelés sont versés dans
les unités combattantes ou à risque. Plus étonnant encore, dans cette société
israélienne si sensible aux questions de sécurité, il n'est pas rare que ces
absences ô combien justifiées deviennent un handicap majeur lors des entretien
d'embauche dans certaines entreprises, ou même à l'université. De nombreux
groupes de réservistes se sont constitués en associations pour exiger leurs
droits. Et devant le scandale, le gouvernement vient de décider d'octroyer aux
réservistes des compensations financières, des aides et des facilités pour les
étudiants, ainsi qu'un renforcement des amendes encourues par les entreprises en
cas de discrimination. « Ce n'est pas seulement une question d'argent, c'est
toute la société qu'il faut remettre sur ses rails, assure Navot Bar, un jeune
avocat qui a fondé Milkoud, une association de réservistes en colère, L'armée,
elle aussi, est coupable puisqu'elle rappelle toujours les mêmes, par facilité,
au lieu de mobiliser tout le monde. C'est écoeurant à quel point notre société
ferme les yeux sur toutes sortes d'irrégularités. »
Une société qui se referme
Qui sont les « nouveaux sionistes » ? Des Israéliens qui
n'applaudissent plus quand leur avion d'El Al atterrit normalement, c'est-à-dire
sans se crasher. Des gens qui savent que leur pays dispose de la bombe atomique
et d'une armée surpuissante, qui peuvent se trouver en danger à titre
individuel, mais qui ont conscience que leur Etat n'est plus vulnérable. Des
gens qui vivent dans un pays de plus en plus américanisé, avec ses bons aspects
et ses mauvais côtés, comme l'écart croissant entre riches et pauvres. Tom
Seguev vient de publier un court essai consacré au « postsionisme »,
c'est-à-dire à l'idée selon laquelle Israël ou le sionisme n'est plus un projet
mais une société accomplie. Celle, précisément, qui est tant battue en brèche
depuis le bouleversement de ces derniers mois. Et l'auteur est aujourd'hui en
proie au doute : « Je ne sais pas, je ne sais plus : après huit ans d'espoir, à
cause du terrorisme, cette société est peut-être en passe de se replier sur
elle-même, de se refermer. Quand Sharon s'exprime, il me fait penser à ces
grands-pères qui racontent leur guerre. Mais il a au moins raison sur un point :
la paix n'est pas pour tout de suite. Ce serait tout de même un comble si les
Palestiniens nous forçaient à redevenir sionistes ! » C'est peut-être aussi pour
prendre ses distances avec une actualité qui le trouble : Tom Seguev s'est
plongé dans la confection d'un grand ouvrage consacré à la guerre de 1967, et à
ses conséquences...
5.
Le cauchemar des jeunes prisonniers palestiniens par Joseph
Algazy
in Ha’Aretz (quotidien israélien) traduit dans Courrier International
du jeudi 17 mai 2001
Le journaliste Joseph Algazy a mené une enquête
explosive pour le quotidien libéral "Ha’Aretz". Il révèle que des dizaines de
jeunes Arabes encore mineurs ont été arrêtés, battus et parfois violés dans les
prisons israéliennes.
Agé de 16 ans, le jeune A. vient d’être relâché de la
prison de Tel-Mond, dans le district de Sharon, après cinq mois de détention.
Originaire de Housan, un village proche de Bethléem, il avait été arrêté sur le
chemin de l’école, un lundi matin, près de la maison de sa tante. En fait, les
soldats de Tsahal recherchaient son cousin de 23 ans. Mais A., qui était
dépourvu de carte d’identité en raison de son jeune âge, fut pris pour ce cousin
et interpellé. A peine fut-il arrêté, raconte-t-il, que les soldats se mirent à
le rouer de coups en hurlant : “Pourquoi est-ce que tu jettes des pierres ?” Ils
l’emmenèrent ensuite dans un poste de contrôle militaire où il fut à nouveau
battu, à coups de bâton cette fois-ci. Il se plaint encore de douleurs au dos.
Quand les soldats se sont finalement aperçus que A. n’était pas le jeune
recherché, le responsable de Tsahal pour la région de Bethléem n’en a pas moins
appelé sa mère pour lui signifier que son fils était arrêté. Deux heures plus
tard, A. fut emmené au centre de détention d’Etzyon [une colonie située entre
Jérusalem et Bethléem]. Menotté et les yeux bandés, il fut à nouveau battu
tandis que les soldats exigeaient qu’il avoue avoir jeté des pierres sur les
voitures et qu’il livre les noms d’autres lanceurs de pierres. Sa tête fut
plongée dans un tonneau d’eau froide, puis d’eau chaude et, enfin, dans la
cuvette des toilettes. Quelques heures plus tard, il était transféré du centre
d’Etzyon à celui d’Adoraïm, plus connu chez les Palestiniens sous le nom d’“El
Majnouna” [La dingue].
A. fut maintenu en isolement à El Majnouna pendant
trente-quatre jours, faisant ses besoins dans une boîte en plastique et recevant
sa nourriture à travers une ouverture pratiquée dans la porte. Interrogé tous
les jours, il se rappelle que certains de ses questionneurs étaient habillés en
civil et se faisaient appeler “capitaine Hakim”, “capitaine Shawkat” ou
“capitaine Ayyoub”. Il y avait aussi des bérets rouges qui se faisaient appeler
“Yossi” ou “Ozmo”. Quand A. fut emmené au tribunal pour que les juges statuent
sur sa détention préventive, il fut condamné à rester incarcéré jusqu’à la fin
de la procédure, ce que les prisonniers et leurs avocats appellent le “chèque en
blanc”. A. fut par la suite transféré en Israël, à la prison de Tel-Mond.
Le
2 février dernier, A. a été jugé par le tribunal militaire de Beit-El [colonie
proche de Ramallah]. Selon les termes de l’accusation, “pendant les mois de
septembre, octobre et novembre, il a jeté un objet ressemblant à une pierre sur
un véhicule dans l’intention de blesser le conducteur. A vingt-cinq reprises,
durant ladite période, lui et d’autres ont jeté des pierres sur les véhicules
israéliens et militaires qui passaient par le carrefour de Beit-Anoun. A chaque
fois, l’accusé a jeté huit pierres.” A la lecture de l’acte d’accusation, un
avocat palestinien ironise : “Il faut croire que le procureur militaire dispose
d’un registre spécial dans lequel sont consignées minutieusement les occasions
durant lesquelles A. a jeté des pierres et le nombre exact de
pierres...”
Pendant sa détention, les parents de A. n’ont jamais été
autorisés à lui rendre visite. Depuis le début de l’Intifada, en septembre 2000,
les prisonniers cisjordaniens détenus en territoire israélien n’ont en effet pas
le droit de voir leurs familles. Cela fait six mois que la Croix-Rouge
internationale, responsable de l’organisation de ces visites, les a suspendues
en protestation contre ce qu’elle appelle “les énormes obstacles créés par les
autorités israéliennes”. B., aujourd’hui âgé de 14 ans, est également originaire
de Housan. Il a été accusé d’avoir jeté 32 pierres à deux reprises. N’étant pas
chez lui lorsque les soldats de Tsahal sont venus l’arrêter, en décembre
dernier, B. a choisi d’aller se constituer prisonnier à la caserne israélienne
d’Etzyon. “Je voulais au moins m’épargner quelques passages à tabac de la part
des soldats qui seraient venus m’épingler”, explique-t-il. Il a lui aussi échoué
à la prison de Tel-Mond.
Lors de leurs procès respectifs, les deux jeunes ont
reconnu avoir jeté des pierres. A. a été condamné à huit mois de prison et à une
amende de 1 500 shekels [3 600 FF], tandis que B. a écopé de six mois de prison
et d’une amende de 500 shekels [1 200 FF]. Tous deux ont été relâchés après
avoir purgé les deux tiers de leur peine.
Selon A. et B., environ 50 autres
mineurs palestiniens étaient incarcérés en même temps qu’eux à Tel-Mond,
beaucoup venant du même village de Housan. Ils affirment que les jeunes détenus
– qu’ils soient en attente de leur jugement ou déjà condamnés – sont mêlés à des
criminels adultes d’origine palestinienne ou issus des minorités ethniques
israéliennes. Tous deux affirment également que ces adultes ont recours à la
violence (coups, lames de rasoir, brûlures de cigarette) ou à la menace pour
forcer les mineurs, surtout les plus faibles, à être leurs esclaves. Ils leur
volent les cigarettes, les vêtements, les cartes de téléphone et la nourriture
qu’ils achètent à la cantine de la prison.
Certains adultes essaient aussi de
violer les jeunes dans leur cellule. Selon un habitant de Housan, des parents de
mineurs emprisonnés en Israël et des émissaires de l’Autorité palestinienne
auraient approché les familles de certains prisonniers soupçonnés d’abus
sexuels. Ils les auraient chargées de faire savoir aux individus en question
qu’ils feraient l’objet d’une vengeance – en prison ou une fois libérés – s’ils
ne mettaient pas fin à ces abus. “Nous avions demandé aux autorités
pénitentiaires israéliennes de prendre des mesures pour protéger nos enfants
emprisonnés. Mais elles n’ont rien fait”, explique cet homme.
A et B. ne sont
pas les seuls à avoir subi ces abus. Leurs plaintes contre les coups et la
torture pendant la détention préventive et les interrogatoires, ainsi que celles
relatives aux abus sexuels, correspondent aux témoignages recueillis par les
avocats Khaled Kuzmar et Sahar Fransis auprès d’autres jeunes prisonniers
palestiniens. Tous deux représentent la section palestinienne de l’ONG Defense
for Children International (DCI) et de l’ONG Ad Damir, une organisation de
défense des prisonniers palestiniens dont le siège est à Ramallah. Début mai,
après une visite à la prison pour femmes de Neveh Tirtza, à Ramlé, DCI a publié
un rapport révélant que deux des neuf prisonnières palestiniennes détenues
étaient des mineures. L’une d’elles, G., originaire de Doura, n’avait que 14
ans. Selon M. Kuzmar, Israël aurait arrêté quelque 350 mineurs palestiniens âgés
de 12 à 18 ans depuis le début de l’Intifada d’Al Aqsa. Les organisations
palestiniennes de défense des droits de l’homme, se fondant sur la Charte des
droits de l’enfant de l’ONU, rappellent que la majorité ne commence qu’à 18 ans.
Tsahal, quant à elle, estime que la minorité s’arrête à 16 ans dans les
Territoires.
Selon les estimations de DCI, 105 mineurs palestiniens de moins
de 18 ans ont été tués l’année dernière dans les Territoires, dont 49 entre le
29 septembre et le 31 décembre. Un tiers d’entre eux ont été abattus d’une balle
dans la tête ; un autre tiers de balles tirées en pleine poitrine ; les autres
sont morts des suites de leurs blessures. La moitié des mineurs palestiniens
détenus en Israël ont entre 15 et 16 ans, et 40 % d’entre eux sont condamnés à
des peines de prison allant de six à douze mois.
Les mineurs palestiniens
sont arrêtés pendant les manifestations ou dans leurs foyers, généralement en
pleine nuit, sur la foi de photos, de témoignages d’autres détenus ou de
renseignements donnés par des indicateurs. Les mineurs arrêtés à Jérusalem-Est
et dans ses environs sont placés en détention préventive à la Moskobiya, dans la
colonie russe, à Jérusalem-Ouest. Après leurs interrogatoires, ils passent
devant le tribunal de district. Si certains sont placés en résidence surveillée,
la plupart des autres sont envoyés à Tel-Mond.
Les mineurs palestiniens de 17
ou 18 ans placés en préventive sont détenus à la prison de Megiddo, tandis que
les autres sont incarcérés dans l’une des quatre prisons militaires israéliennes
de Cisjordanie (Etzyon, Adoraïm, Beit-El et Hawara), dans une prison de la Bande
de Gaza (près d’Erez) ou bien dans la prison de Tel-Mond, qui dépend, elle, de
l’administration pénitentiaire, c’est-à-dire de l’administration civile. Les
centres de détention de Cisjordanie et de Gaza ne sont normalement pas habilités
à accueillir des prisonniers.
Selon les dossiers de Me Kuzmar, la plupart des
mineurs sont accusés de jets de pierres, les autres de jets de cocktails
Molotov, d’appartenance à une organisation ennemie ou de détention d’armes
artisanales confectionnées avec les débris ramassés sur le sol. “Dans de
nombreux cas, et malgré le fait qu’il est clair que ces armes improvisées sont
inefficaces et à peine dangereuses, surtout à cette distance, le procureur
militaire ajoute une charge de tentative de meurtre. Le but est d’impressionner
le tribunal militaire et de l’encourager à infliger une longue peine de
prison.”
Me Kuzmar rappelle que l’article 123 de la loi militaire applicable
dans les Territoires occupés limite les peines de prison infligées aux mineurs
de 12 à 14 ans à un maximum de six mois. Le même article précise que les mineurs
âgés de 14 à 16 ans peuvent être condamnés à un maximum de douze mois de prison
à condition qu’ils aient commis un crime pour lequel un majeur serait condamné à
cinq ans. Dans la plupart des cas, explique l’avocat, les mineurs voient retenir
contre eux des charges si lourdes qu’ils sont en fait condamnés à des peines
exorbitantes. Ainsi, la peine maximale pour les jets de pierres sur des voitures
est de cinq ans ; les jets de pierres intentionnels sur des particuliers sont
passibles d’un maximum de dix ans de prison ; quant aux jets de pierres sur des
voitures avec intention de blesser leurs occupants, ils peuvent entraîner vingt
ans de prison ferme.
“Notre expérience montre qu’il est extrêmement rare que
des mineurs palestiniens soient acquittés, placés en résidence surveillée ou
remis en liberté conditionnelle. Et cela n’arrive que dans des tribunaux civils,
explique Me Kuzmar. Les tribunaux militaires n’accordent jamais l’acquittement
et infligent immanquablement des amendes ou des peines de prison, une façon de
punir dans la foulée les familles des mineurs, des familles qui vivent déjà dans
des conditions d’existence pénibles. L’âge qui est pris en compte par ces
tribunaux militaires est en outre celui qui correspond à la date du jugement, et
non celui qu’avait l’inculpé au moment des faits incriminés.”
Selon le
porte-parole de Tsahal, 45 mineurs âgés de 16 ans au maximum ont été détenus
dans des centres carcéraux de Cisjordanie et de Gaza depuis le 28 septembre
2000. Le plus jeune détenu palestinien avait 10 ans. La plupart sont des
garçons. De septembre dernier à aujourd’hui, les dossiers de quelque 40 suspects
gazaouites âgés de moins de 18 ans ont été transmis au procureur militaire, et
35 mineurs sont passés devant le tribunal, les autres dossiers ayant été clos
par manque de preuves. Concernant la Cisjordanie, où des centaines de dossiers
ont été ouverts, le porte-parole de Tsahal est incapable de dire combien de
mineurs ont été arrêtés depuis septembre et combien de dossiers ont été transmis
au procureur militaire. Tous les mineurs qui ont subi un procès en Cisjordanie
ont été condamnés. La plupart étaient accusés de délits aussi divers que jeter
des pierres, troubler la paix, brûler des pneus ou quitter leurs zones autonomes
sans permission. Les peines s’échelonnent de quelques jours à un an de prison
ferme, tandis que les amendes oscillent entre 250 et 3 000 shekels [600 et 7 500
FF]. Ceux qui ne peuvent s’acquitter de leur amende voient leur peine
allongée.
A la mi-avril, il y avait 64 détenus de 17-18 ans à la prison de
Megiddo, chiffre qui ne prend pas en compte les mineurs âgés de moins de 16 ans.
Ce que l’on sait, c’est que 11 mineurs de moins de 16 ans attendent encore leur
jugement dans une prison militaire. Début mai, le cabinet du porte-parole de
l’administration pénitentiaire déclarait que l’aile réservée aux jeunes à la
prison de Tel-Mond contenait actuellement 96 mineurs palestiniens : 58 d’entre
eux seraient condamnés pour résidence illégale en Israël et 38 autres seraient
jugés ou en attente de jugement pour “atteinte à la sécurité”. Toujours selon ce
porte-parole, tous les problèmes rencontrés dans l’aile des jeunes sont
immédiatement et correctement traités.
En réponse aux plaintes de jeunes
Palestiniens selon lesquelles ils auraient été torturés durant leurs
interrogatoires et leur détention dans les casernes israéliennes, le
porte-parole de Tsahal affirme que, “à la suite d’une enquête menée par la
police militaire, le bureau du procureur militaire et le Shabak, ce dossier
devrait être pris en charge par l’administration pénitentiaire ou la police
israélienne”. Or ces deux instances n’ont aucune compétence pour traiter des
activités de Tsahal dans les Territoires et dans les centres de détention
militaire.
6.
L'anniversaire de la fondation de l'Etat d'Israël célébrée par des
agressions contre les Palestiniens par Michel Muller
in L'Humanité
du mercredi 16 mai 2001
Sharon pousse les feux de sa guerre
Les
exactions de l'armée israéliennes se sont multipliées hier, alors que les
Palestiniens se remémoraient la " catastrophe " qu'à été pour eux la fondation
d'Israël. L'unique voie de la paix est le retrait des occupants des terres
palestiniennes conquises en 1967, a rappelé Yasser Arafat.
Les Israéliens
célébraient hier le 53e anniversaire de la proclamation de leur Etat, le 15 mai
1948. Pour les Palestiniens, il s'agit en revanche de la Naqba (la catastrophe),
puisque cet événement s'est traduit par la répression, les guerres de conquête
de leurs terres, des centaines de milliers de réfugiés et le refus de
reconnaître leur droit à un Etat à côté d'Israël.
L'Autorité palestinienne a
appelé à des manifestations pacifiques. En fin de matinée, trois minutes de
silence ont été observées par la population dans toutes les villes et localités
palestiniennes. En Israël, les Israéliens arabes (plus d'un million de citoyens)
ont aussi été appelés à commémorer pacifiquement cette journée.
Les troupes
d'occupation israéliennes ont été mise en " état d'alerte maximal ". Le but " de
ce déploiement de forces sans précédent est de réduire au minimum les frictions
" avec les Palestiniens, a prétendu le ministre de la Défense, Benyamin Ben
Eliezer. Un officier supérieur est même allé jusqu'à affirmer que l'armée
n'utilisera pas d'armes létales.
En fait d'actions violentes, ce sont les
troupes d'occupations qui en ont, une fois de plus, pris l'initiative. Mardi à
l'aube deux gardes du corps du chef spirituel de Hamas, Cheik Yassine, ont été
tués par des soldats israéliens près de la colonie juive de Netzarim, dans la
bande de Gaza. Selon un premier bilan, hier en milieu de journée, au moins
vingt-cinq Palestiniens ont été blessés dans ce même secteur. Parmi les blessés
graves se trouve un enfant de sept ans. Certains d'entre eux ont été atteints
par des balles de mitrailleuse. Plusieurs personnes ont été blessées aussi à
Hébron, dans le sud de la Cisjordanie. · Naplouse, également, un blessé se
trouvait dans un état critique.
Le meurtre, par un détachement de l'armée
israélienne, dans la nuit de dimanche à lundi, de cinq policiers palestiniens a
une fois de plus créé une situation explosive en Palestine occupée. Deux des
victimes gardaient une baraque de chantier d'un poste de police palestinien à la
sortie de Bitounia (près de Ramallah, en Cisjordanie) et les trois autres
dormaient dans la baraque. Leurs corps ont été jetés dans un trou près du lieu
du crime. Une porte-parole de l'armée israélienne s'est bornée à déclarer que
des soldats avaient ouvert le feu sur " des silhouettes suspectes qui ne se
trouvaient pas où elles étaient censées être ".
Il y a deux semaines, le
premier ministre israélien, Ariel Sharon, a autorisé les militaires à mener des
agressions dans les territoires palestiniens autonomes en Cisjordanie et à Gaza
(22 % des territoires palestiniens conquis en 1967), à leur convenance et sans
en référer aux autorités supérieures ou au gouvernement. Les incursions en
Palestine autonome se sont multipliées, souvent accompagnées de tirs au canon de
chars et de bombardement par missiles. · cela s'ajoutent les actions
terroristes, qui ont coûté la vie à plus de vingt policiers ou militants
palestiniens. Tout se passe comme si Sharon - fort de l'inertie des capitales
occidentales, américaine et européennes - mettait en ouvre un plan destiné à
détruire tout embryon d'Etat palestinien. On peut, malheureusement, craindre que
dans une prochaine étape le président Arafat et son gouvernement deviendront des
cibles directes. Hier, le ministre israélien de la Sécurité publique, Uzi
Landau, a lancé un menace claire : " Depuis peu, l'armée israélienne frappe plus
fortement l'autorité palestinienne, mais c'est encore moins qu'il n'est
nécessaire. "
Cette escalade sans issue, sinon le bain de sang, en Palestine,
a conduit la mouvance travailliste à lancer une initiative en faveur d'un retour
à la négociation, dont le premier acte devrait être l'arrêt immédiat de la
colonisation des terres palestiniennes (voir ci-contre). Selon un récent
sondage, 55 % des Israéliens sont en faveur de cette mesure. D'un autre côté, le
nombre de jeunes appelé(e)s refusant de porter l'uniforme ou de faire leur
service militaire en Palestine occupée augmente rapidement. Selon l'armée
israélienne, plus de 800 réservistes ont été emprisonnés pour insoumission
depuis le début du soulèvement palestinien, en octobre dernier.
Sur le plan
diplomatique, le projet jordano-égyptien destiné à créer les conditions d'un
retour à la table de négociation est actuellement étudié par les autorités
américaines. On peut toutefois s'interroger sur les intentions réelles de
Washington. S'agit-il d'accompagner, par la diplomatie, la stratégie de guerre
rampante de Sharon, ou de la contenir au profit d'une guerre d'usure
diplomatique destinée à conduire, de concession en concession, les Palestiniens
à renoncer à leurs droits ? Le rapport de la commission d'enquête américaine,
menée sous la direction l'ancien sénateur démocrate du Maine George Mitchell,
avec l'accord des Palestiniens et celui, du bout des lèvres, de Tel-Aviv, est
significatif à ce sujet. Le document affirme certes que la révolte palestinienne
n'a pas été préméditée, mais dans le même temps il absout Sharon qui, par sa
visite sur l'Esplanade des mosquées à Jérusalem en septembre dernier, avait
déclenché le soulèvement palestinien. Ce rapport demande certes " le gel
immédiat " de la colonisation. Ce que Sharon refuse, tout en jouant sur les mots
en affirmant par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Shimon Peres,
qu'aucune nouvelle colonie ne sera construite, mais qu'il faut étendre les
implantations existantes " pour des raisons démographiques ". En revanche,
évoquant le projet jordano-égyptien destiné à créer les conditions pour un
retour à la table des négociations, Richard Boucher, le porte-parole de Colin
Powell, secrétaire d'Etat américain, a affirmé hier que le projet doit être "
ajusté ". Il s'agit, précisément, de remplacer le mot " gel " par l'expression
selon laquelle Israël n'édifiera pas " de nouvelles colonies ", mais que le
gouvernement Sharon agira en faveur " des intérêts des colonies existantes ",
autrement dit, leur extension.
C'est Yasser Arafat qui a remis les pendules à
l'heure de la paix. Dans son premier discours à la nation palestinienne depuis
la provocation de Sharon, il a souligné : " La voie de la paix est très claire.
Elle passe par un retrait israélien de l'armée et des colons des terres arabes
et palestiniennes jusqu'aux frontières du 4 juin 1967. C'est la seule voie vers
la paix. " Il a répété que " l'emploi aveugle de la force militaire contre notre
peuple par l'occupant israélien ne permettra pas de parvenir à la paix ou à la
sécurité. Il n'imposera pas non plus la soumission à notre peuple. " " Une paix
juste devrait être fondée sur la justice, l'équité et la reconnaissance de nos
droits dans notre patrie ", a-t-il poursuivi. " Il ne peut y avoir de paix sans
le retour des réfugiés qui se trouvent à l'étranger. C'est le droit des réfugiés
et des membres de la diaspora qui n'ont pas d'Etat de revenir chez eux ", a-t-il
aussi rappelé.
7. L'Europe veut s'investir
davantage au Proche-Orient par Abir Taleb
in Al-Ahram Hebdo
(hebdomadaire égyptien) du mercredi 16 mai 2001
Actualité oblige, la
situation au Proche-Orient a pris autant d'importance que la dynamisation de la
coopération économique — principal sujet d'ordinaire évoqué — au Forum
méditerranéen à Tanger (Maroc). Ces deux questions ont donc dominé jeudi et
vendredi derniers les concertations entre les ministres des Affaires étrangères
des 11 pays du pourtour de la Méditerranée, dont quatre arabes (Maroc, Algérie,
Tunisie, Egypte) participant au forum.
Inquiets de la situation explosive au
Proche-Orient, les chefs de la diplomatie arabes et européens se sont déclarés «
plus que jamais convaincus que la poursuite de la violence et l'usage de la
force militaire (ndlr : israélienne) contre les civils palestiniens n'offrent
aucune perspective », comme l'indique le document énumérant les conclusions du
forum présenté par le ministre marocain des Affaires étrangères, Mohamed
Benaïssa. Ainsi, cette rencontre à but essentiellement économique a été
l'occasion d'exprimer la volonté de l'Union Européenne (UE) de s'impliquer
davantage dans le processus de paix. Surtout que le rôle de l'UE a toujours été
minime si on le compare à celui des Etats-Unis (voir encadré). Les participants
ont donc considéré que « le renforcement de ce rôle (de l'UE) ne peut qu'être
bénéfique pour l'instauration d'une paix durable dans cette région ». A noter
toutefois que ce renforcement a longtemps été demandé par les pays
arabes.
Absent du forum, le président palestinien, Yasser Arafat, n'a pas
manqué d'adresser un message aux participants, un message dans lequel il a
qualifié l'attitude d'Israël vis-à-vis du peuple palestinien d'« agression
barbare sans aucune justification ». « Le peuple palestinien (...) reste encore
armé de la patience dont tout le monde sait qu'elle a des limites », a averti le
président palestinien. Amr Moussa, le ministre égyptien des Affaires étrangères,
a lui aussi attiré l'attention de ses homologues sur la « colère » de la rue
arabe face aux attaques israéliennes dans les territoires palestiniens et sur
les « éventuels débordements » qu'elle pourrait générer.
Son homologue
français, Hubert Védrine, a reconnu que « la situation au Proche-Orient est la
plus grave depuis longtemps », rappelant que son pays a « exprimé à plusieurs
reprises son inquiétude » en ce qui concerne les violents affrontements
israélo-palestiniens. Pour la France, tout comme pour les pays de la région,
l'essentiel est aujourd'hui de mettre fin à la violence : « Toute notre action
vise à arrêter l'engrenage de la violence et, dès qu'on pourra, rétablir une
perspective politique parce qu'il est illusoire de penser que l'on puisse
recréer une situation de sécurité pour les uns et pour les autres, s'il n'y a
pas une telle perspective », a estimé M. Védrine.
Mais toutes ces
déclarations de bonne volonté n'ont rien apporté de concret pour aider à
rétablir une situation de calme dans la région du Proche-Orient.
Coopération économique insuffisante
Du côté de
l'économie, les progrès réalisés sont eux aussi loin d'être imposants. Les
représentants des 11 pays participant au Forum méditerranéen se sont penchés sur
la coopération économique que les pays de la rive sud jugent insuffisante. Ils
ont relevé que le taux d'investissements étrangers dans la rive sud de la
Méditerranée constituait « un sérieux obstacle à l'intégration économique
».
Rabat a ainsi souligné l'écart entre les investissements européens dans
les pays du sud-méditerranéen en 1997, qui n'ont pas dépassé 6 milliards de
dollars, et ceux réalisés en Amérique latine (49 milliards de dollars) et en
Asie (70 milliards de dollars).
Des diplomates participant au forum ont par
ailleurs exclu que l'année 2010 puisse être la date de l'établissement d'une
zone de libre-échange euro-méditerranéenne, du fait des retards pris par
certains pays de la rive sud. Il est vrai que seuls quatre pays (Maroc, Egypte,
Jordanie, Tunisie) ont déjà conclu des accords d'association avec l'UE alors que
l'Algérie, le Liban et la Syrie sont encore en négociations pour parvenir à des
accords similaires. Négociations qui du reste traînent en longueur.
Pour
remédier à cette situation et pour augmenter le taux d'investissements européens
dans la rive sud, M. Védrine a proposé vendredi la tenue prochaine d'un forum
méditerranéen qui sera consacré spécialement au problème des investissements,
proposition qui a été saluée par les participants. Autre sujet hautement
sensible, celui des visas. Les pays du Sud, présents à la réunion de Tanger, ont
insisté sur la nécessité de la libre circulation des personnes entre les deux
rives du bassin méditerranéen. Ce que les pays du Nord ne voient pas d'un très
bon œil.
Le document de Rabat a ainsi souligné que « la circulation des
biens, des services et des capitaux ne saurait être concevable sans la liberté
de mouvement des personnes », souhaitant ainsi que ce sujet ne soit plus un
tabou. Mais là aussi, il ne risque pas d'y avoir un changement dans la position
des pays européens qui craignent avant tout de ne pas pouvoir freiner
l'immigration.
Rendez-vous donc au premier semestre de 2002, en Grèce, où se
tiendra la prochaine session du Forum méditerranéen, avec l'espoir que cette
fois, les onze participants (Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Malte, Espagne,
France, Portugal, Turquie, Grèce, Italie) parviendront à davantage de résultats
concrets.
8. Un rôle limité par Magdi
Youssef
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 16 mai
2001
Bruxelles, de notre correspondant — Les pays arabes qui croient à
un rôle concret de l'Union Européenne (UE) se trompent, au moins à court terme.
Le chef de la diplomatie belge, Louis Michel, a lui-même reconnu l'absence d'un
rôle politique européen dans le processus de paix, reconnaissance rarement faite
par un responsable européen à ce haut niveau. « Le rôle politique de l'UE quant
au processus de paix est accusé d'être limité, c'est vrai. J'assure que nous ne
constituons qu'un donateur économique et que sur le plan politique, nous
n'accomplissons aucun rôle efficace », a déclaré le responsable belge. Celui-ci
a affirmé qu'il existe une déficience dans la performance politique européenne à
l'égard du Moyen-Orient, même s'il y a une conviction de la nécessité du rôle
européen.
Toutes les tentatives de relancer le rôle européen n'ont pas été à
la hauteur, bien que la sécurité de la Méditerranée et du Moyen-Orient influe
positivement et négativement sur la sécurité de l'Europe. « Actuellement, je ne
peux qu'assurer que durant la prochaine période et jusqu'au début juillet qui
marquera le commencement de la présidence de la Belgique à l'UE, nous allons
œuvrer à trouver une formule pratique pour remédier à cette déficience et pour
élaborer une conception apte à faire bouger le dossier du règlement pacifique
gelé », a-t-il assuré. Le ministre des Affaires étrangères a tenu à affirmer que
la situation est critique et que les données actuelles exigent un effort
inlassable pour que l'Europe parvienne à assumer un rôle politique
efficace.
La question qui se pose est donc pourquoi l'Europe n'utiliserait
pas l'arme économique pour exercer des pressions sur le gouvernement israélien
d'Ariel Sharon afin qu'il reprenne les négociations et respecte les accords
signés. Le ministre belge a assuré que l'UE écarte la possibilité d'avoir
recours à cette arme et n'y fait même pas allusion. L'Europe craint en effet
qu'une telle mesure ne l'isole d'Israël et ne l'empêche de jouer un rôle à
l'avenir dans le processus de paix. Il paraît qu'outre cet obstacle
diplomatique, il existe d'autres causes. La Belgique à titre d'exemple est
célèbre par le commerce de diamants qui constitue l'un des piliers de
l'industrie du Royaume. Or, ce sont les juifs qui contrôlent ce commerce et
forment une pression sur les hommes politiques belges qui redoutent la prise
d'une telle décision. La preuve en est ce qui s'est passé il y a quelques mois :
le Sénat belge avait pris l'initiative d'envoyer des forces de sécurité belges
dans les territoires palestiniens pour la protection des civils palestiniens.
Toutefois, 24 heures après le vote de cette décision, un émissaire de Sharon est
arrivé à Bruxelles et s'est entretenu avec les responsables de la communauté
juive de Belgique. Résultat : la décision du Sénat fut retirée sans aucun
commentaire officiel.
Ce faisant, le dossier du processus de paix représente
un dilemme pour l'Europe, qui est incapable jusqu'alors de faire face à
l'outrecuidance israélienne. Les ministres des Affaires étrangères européens
restent divisés au cours de leurs réunions sur la position qu'il faut adopter à
l'égard de l'Etat hébreu. La fragilité du rôle européen dans le processus de
paix est manifeste dans la question des exportations de fruits par les colonies
israéliennes établies sur les territoires palestiniens occupés. Exportations qui
contredisent les dispositions de l'accord d'association entre Tel-Aviv et l'UE
et auquel le Sénat belge a demandé de mettre un terme. Toutefois, les fruits,
qui rentrent dans les pays de l'UE sous l'étiquette « Fabriqués en Israël »,
continuent à envahir les marchés européens et l'Europe est incapable d'y faire
face.
Néanmoins, la Commission européenne à Bruxelles n'accorde aucune
importance aux défis israéliens et cherche à renforcer sa coopération avec
l'Etat hébreu. Dans le cadre du cinquième programme scientifique européen,
Tel-Aviv est le seul pays qui pourra être au courant des réalisations techniques
avancées des laboratoires et des centres de recherches européens.
Bref,
toutes ces données assurent que l'Europe est incapable de prendre une position
claire à même de convaincre le gouvernement de Sharon de revenir sur son
objectif, à savoir liquider politiquement l'Autorité palestinienne actuelle.
Apparemment, l'Europe ne semble pas prête à élaborer une stratégie effective et
crédible pour faire face au plan du gouvernement
israélien.