Dans ce climat tendu,
chaque incident ou chaque maladresse prend des allures disproportionnées, ouvre
la porte au fantasme. Que le maire de Poitiers, frileux, s'inquiète des
manifestations hostiles que pourrait provoquer dans sa ville la présence d'un
diplomate israélien venu y remettre une médaille honorant l'aide apportée à une
famille juive persécutée durant la guerre, et voilà la France accusée
d'interdire la présence de juifs aux cérémonies commémoratives de la Shoah.
Qu'un courageux anonyme du Quai d'Orsay, invité à l'ambassade d'Israël à
l'occasion de la fête nationale, y renvoie son carton avec quelques lignes bien
senties sur l'occupation du Golan et de la Cisjordanie, et voilà
l'administration française accusée d'abriter des émules de Vichy.
Plus discrètement,
mais avec à peine moins d'émotion, le gouvernement israélien s'inquiète de la
direction que pourrait prendre la politique moyen-orientale européenne. C'est
encore une fois la France qui se trouve dans la ligne de mire, et plus
particulièrement son ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine. Le même
qui, pourtant, est à l'origine d'une politique de dialogue plus décidée avec
Israel.
Au mois de mars, ce
dernier a fait parvenir à ses collègues un texte de réflexion équilibré où il
appelle l'Europe à ne pas avoir peur de jouer un rôle plus décisif dans la
région. L'Europe, écrit en substance le ministre, y a intérêt à cause de sa
proximité géographique avec le Proche-Orient, des menaces qui pèsent sur ses
approvisionnements énergétiques, de la prolifération des armements, du
terrorisme ou des flux migratoires, comme de la dégradation de la situation
devant laquelle le continent ne peut rester bras croisés.
Cette volonté
d'intervention nouvelle, cependant, suppose de la part de l'Europe plus de
"cohésion"et plus de "courage politique", impliquant que les Européens refusent
d'être "a priori marginalisés" par Israël et par les Etats-Unis, ou
"instrumentalisés" par les Palestiniens ou par leurs alliés arabes. Elle suppose
encore, en ce qui concerne Israël, de mener un dialogue "intensif",
"constructif" et, au besoin, "critique" et "dénué de toute
inhibition".
"SANCTIONS"
Elle suppose enfin,
même si cela doit heurter l'une ou l'autre partie, même si cela doit indisposer
les Américains, que les Européens, dans la recherche de la paix, n'hésitent plus
à utiliser les moyens dont ils disposent, qu'il s'agisse de l'éventuelle remise
en cause de tout ou partie des accords d'association avec Israël ou des
contributions financières qu'ils versent aux Palestiniens.
Le mot
"sanctions"n'est pas une seule fois écrit dans le texte de M. Védrine, mais il
est suffisamment suggéré pour que les Israéliens estiment pouvoir s'en
inquiéter, et les Palestiniens s'en réjouir. "La France est en train de préparer
pour ses partenaires européens un document officiel où elle propose des
sanctions économiques contre Israël", se félicitait, au terme d'une récente
visite à Paris, le ministre palestinien Nabil Chaath, qui, apparemment, avait
connaissance du document français. "Le minimum de ces sanctions consistera à
supprimer les exemptions douanières dont bénéficient les produits israéliens
fabriqués dans les territoires occupés, y compris à Jérusalem", ajoutait M.
Chaath faisant allusion au délicat dossier dit "des règles d'origine"
actuellement en cours d'étude par les autorités douanières
européennes.
Dans un contexte où
tous les pays arabes font pression pour que l'Europe sanctionne Israël, ses
dirigeants s'inquiètent particulièrement d'un document préparé il y a quelques
mois par Chris Patten, commissaire européen chargé du Moyen-Orient, qui dresse
la liste de tous les moyens de pression dont dispose l'Europe - de la
déclaration rituelle à la mesure de rétorsion - si elle se décidait à agir plus
énergiquement contre Israël et sa gestion de la crise avec les
Palestiniens.
On n'en est pas là.
Les Européens, qui doivent rencontrer leurs homologues israéliens le 14 mai
prochain et qui, à la fin du mois, discuteront, entre eux cette fois, de leur
politique à l'égard du conflit israélo-palestinien, ont, ces derniers jours,
répété qu'il n'était pas question de sanctions. Quant aux Français, qui
assurent, eux aussi, être opposés à des sanctions, ils viennent d'envoyer à
Jérusalem le directeur des affaires moyen-orientales au Quai d'Orsay, Yves Aubin
de la Messuzière, porteur d'un message personnel de Jacques Chirac, proposant à
Ariel Sharon, en même qu'une invitation à Paris, l'aide de la France dans la
recherche d'une solution politique et l'établissement de contacts
personnels.
6. Yasser Arafat doit faire face à une
contestation grandissante par Bruno Philip
in Le Monde du jeudi 10
mai 2001
Sept mois après le début de la seconde Intifada, l'Autorité
palestinienne de Yasser Arafat doit faire face à une contestation croissante
venue notamment d'anciens cadres du Fatah, la principale composante de l'OLP. LE
Le président se voit reprocher son impuissance. Il est tiraillé entre sa
solidarité avec le mouvement qui s'est déclenché en septembre 2000 et
l'évolution de celui-ci vers des formes plus violentes. La radicalisation est
confirmée par les tirs de mortiers sur les colonies israéliennes de Gaza et
l'arraisonnement par la marine israélienne d'un navire libanais transportant une
importante cargaison d'armes. Ces dissensions, qui ne remettent pas en cause
pour l'instant l'autorité du chef de l'OLP, se sont manifestées à l'occasion de
l'ordre donné par M. Arafat – mais qui n'a pas été respecté – de cesser les tirs
de mortier.
GAZA de notre envoyé
spécial
Sept mois après le
début de l'Intifada, des voix discordantes s'élèvent dans le camp palestinien,
qui donne de plus en plus l'impression d'être divisé sur le choix des formes de
résistance à adopter: l'appel lancé samedi 28 avril par le président Yasser
Arafat à "cesser les tirs" de mortier sur les colonies juives en est
l'illustration.
Cette décision,
assortie d'un appel à la dissolution de factions armées qui mènent la lutte
contre Tsahal, mécontente la "base" du propre parti de M. Arafat, le Fatah. Elle
semble avoir accentué le clivage existant entre, d'une part, les partisans de la
continuation d'une Intifada "militarisée" et, d'autre part, l'Autorité
palestinienne, qui préfère laisser alterner les phases d'une violence qu'elle ne
contrôle pas vraiment avec des moments de désescalade propices aux avancées
diplomatiques.
"UN PRIX À
PAYER"
Mais M. Arafat
dispose d'une marge étroite: s'il paraît céder aux pressions conjuguées des
Israéliens et des Américains, il est immédiatement accusé de compromission par
les gens de son propre camp. Plus que jamais, et à un moment où l'Intifada
arrive sans doute à un tournant, le président palestinien se trouve dans une
situation difficile: "Je ne peux pas empêcher mon peuple de se révolter quand il
enterre ses morts", faisait-il récemment remarquer.
"Nous respectons
Yasser Arafat mais nous sommes formellement opposés à cette décision. C'est une
mesure étrange que nous n'admettons pas. Et même si nous comprenons les
contraintes diplomatiques auxquelles il fait face, personne ne nous empêchera de
nous défendre contre l'agresseur sioniste! Quand quelqu'un meurt chez nous par
des balles israéliennes, d'autres doivent mourir chez ceux d'en face! Les colons
doivent savoir qu'il y a un prix à payer." L'homme qui tient ces propos, et qui
refuse de donner son nom, se présente comme "l'un des cinq chefs" des Comités
populaires de résistance (Lijan al mouquawama al chaabiya). Créés dès le début
de l'Intifada, ces comités représentaient le bras armé du Fatah, à Gaza comme en
Cisjordanie. Ce sont eux qui organisent les actions militaires d'un soulèvement
qui s'est, depuis belle lurette, transformé en lutte armée contre les
Israéliens.
"Je suis membre du
Fatah et ancien membre des forces de sécurité de l'Autorité palestinienne",
explique notre interlocuteur, rencontré en compagnie de quatre de ses gardes du
corps dans un restaurant du centre de Gaza-ville.
"Désormais, nous
estimons que les comités ne font plus partie du Fatah. Nous sommes une
organisation indépendante", dit-il. En fait, il semble que les dits comités
soient composés ou dirigés non seulement par certains officiers des forces de
sécurité palestinienne, mais aussi par d'anciens militants des "Panthères
noires" et des "Faucons du Fatah", organisations militantes à l'époque de la
première Intifada (1987-1993).
Tawfiq Abou Khossa,
qui fut précisément l'un des leaders de ce soulèvement-là, fait écho aux propos
du responsable des comités, tout en les nuançant. "Le Fatah, explique-t-il, est
tout à la fois le parti du président Arafat et l'opposition à l'Autorité
palestinienne. Aujourd'hui, nous disons “non!” à Arafat quand il veut dissoudre
les comités et appelle à cesser le feu. La résistance contre l'occupation se
poursuivra même s'il est vrai que, au final, l'Intifada doit aller de pair avec
des phases de négociation."
Les responsables de
l'Autorité aimeraient bien quant à eux pouvoir rétablir le calme à leur
convenance, tout en sachant qu'ils ne peuvent plus contrôler un mouvement qui
leur échappe localement. "Nous sommes pour la continuation d'une Intifada
populaire, mais pas pour une Intifada militarisée", explique Marwan Abdel Hamid,
vice-ministre du logement palestinien. Pour lui, laisser la résistance se
transformer en conflit armé revient à "faire le jeu des Israéliens : la
militarisation de l'Intifada, c'est ce qu'ils souhaitent", assure-t-il. En
clair, il ne faut pas fournir à l'Etat juif prétexte à répression et
durcissement.
Sept mois de lutte,
de bombardements, de privations, d'augmentation du chômage commencent d'ailleurs
à laisser des traces. "Il y a un sentiment général de désillusion", commente
Haidar Abdel Chafi, vieil adversaire de Yasser Arafat qui dirigea, en 1991, la
délégation palestinienne à la conférence de paix de Madrid. A l'en croire, "les
gens se plaignent des carences d'une Autorité palestinienne qui a démontré son
impuissance à rendre cette Intifada efficace. Mais les gens ne veulent pas que
le soulèvement prenne fin; ils auraient dans ce cas l'impression que tous ces
sacrifices ont été vains".
RADICAUX ET
PRAGMATIQUES
M. Chafi approuve M.
Arafat lorsqu'il s'agit de "diminuer le niveau de violence", mais il est en
désaccord avec sa stratégie. "Il a laissé les choses se développer d'elles-mêmes
et puis, d'un seul coup, il dit: “Arrêtez!” C'est de la folie",
observe-t-il.
Son fils, Salah,
homme d'affaires et responsable du Centre d'échanges palestiniens, estime pour
sa part que la militarisation de l'Intifada a fait perdre à cette dernière
"l'image d'un David combattant Goliath". "Du coup, son caractère populaire a
disparu et c'est dommage, dit-il. Je pense que les désaccords vont se creuser
entre les radicaux et les pragmatiques. De manière générale, les gens constatent
que certains responsables se sont enrichis depuis l'avènement de l'Autorité
palestinienne, tandis que la vaste majorité de la population perd ses enfants et
ses biens."
Ce sentiment est
partagé par nombre de militants au sein du Fatah, ainsi que l'explique Abdel
Hakim Awad, responsable des jeunesses du parti de Yasser Arafat : "Il y a des
gens au sein de l'Autorité palestinienne qui souhaitent que l'Intifada s'arrête
parce que leurs intérêts économiques sont en jeu. Mais, affirme-t-il, ils sont
en nombre très limité. Je peux vous assurer que 90% de la population est contre
la décision d'Arafat de faire cesser les tirs de mortier sur les
colonies."
L'appel du président
n'a d'ailleurs pas eu beaucoup d'écho. Les tirs continuent. "Yasser Arafat nous
demande chaque jour de nous calmer, poursuit M. Awad, mais les Palestiniens sont
en train de prouver à Ariel Sharon qu'il a tort de continuer à nous réprimer. Ce
n'est pas le moment de baisser les bras. Et puis regardez! à chaque fois
qu'Arafat a demandé une baisse du niveau de la violence, les Israéliens ont
répliqué plus fort encore."
7.
L'économie palestinienne est menacée de faillite par Bruno
Philip
in Le Monde du jeudi 10 mai 2001
GAZA de notre envoyé
spécial
La "douane" est à
l'image des relations entre Israël et la Palestine. A Karni, à l'est de la bande
de Gaza, sur la "frontière" avec l'Etat hébreu, se dresse un mur. Une façade
percée d'ouvertures où pénètrent des tapis roulants. Des marchandises sont
placées sur ces tapis et roulent vers Israël. D'autres en proviennent et sont
déchargées en Palestine. Les contacts entre les deux côtés sont réduits au
minimum: de part et d'autre, on ne se voit pas, on se parle à peine. Le seul
point de rencontre se situe au-delà d'un portillon de métal protégé par des
glaces sans tain et flanqué d'un projecteur qui permet aux hommes d'affaires
palestiniens d'aller dédouaner leurs marchandises en Israël.
Ce mur n'est pas
neuf. Avant la seconde Intifada, il existait déjà. La "paix d'Oslo", en 1993,
n'avait évidemment pas fait s'écrouler les palissades de méfiance. Surtout que
l'émergence d'une autonomie palestinienne avait coïncidé un peu plus tard avec
la multiplication d'attentats en Israël. A chaque bombe, la frontière était
fermée, les échanges interrompus, la Palestine étranglée. Mais l'ébauche d'une
paix fragile avait donné un essor sans précédent à la collaboration commerciale
entre les deux peuples. A Karni, une zone industrielle et commerciale avait même
commencé de fonctionner en 1999, et les projets d'investissement affluaient:
Nestlé, la Japan Tobacco, des compagnies informatiques de l'Inde, des
entreprises canadiennes, etc.
Cette Zone
industrielle palestinienne de management et de développement palestinien
(Piedco) devait marquer le début d'une nouvelle ère: trente-cinq hommes
d'affaires de l'Etat hébreu venaient, jusqu'à l'année dernière, travailler tous
les jours ici. Côté palestinien.
INVESTISSEMENTS
GELÉS
Sept mois d'Intifada
viennent de ruiner les espoirs d'une nouvelle donne économique. Dans son bureau
de Karni, le directeur de la Piedco, Abdoul Malik AlJaber, un Palestinien venu
tout exprès du Canada, remarque avec amertume que "les pertes occasionnées par
cette situation devraient se chiffrer autour de 3,5 milliards de dollars (3,9
milliards d'euros) depuis le mois d'octobre 2000".
Cette somme inclut
non seulement les pertes économiques pour les investisseurs et les entreprises
mais aussi le manque à gagner pour tous les ouvriers palestiniens qui n'ont
désormais plus le droit de se rendre de l'autre côté de la frontière. Rien qu'à
Gaza il y a entre 30 000 à 40 000 ouvriers détenteurs de permis de travail en
Israël. En dépit des récentes promesses de l'Etat hébreu, pas plus d'un millier,
selon des sources palestiniennes, continuent d'aller travailler chez l'"ennemi".
"Les gens ont peur de côtoyer des Israéliens et surtout peur à l'avance de la
police qui les injurie et multiplie les humiliations à leur égard", affirme un
homme d'affaires de Gaza. Conséquence: il y avait 11 % de chômage en Palestine
en 2000, le taux a maintenant grimpé à 50 % pour Gaza et 35 % pour la
Cisjordanie.
Selon M. AlJaber, le
désastre économique se décline sur trois niveaux: les investisseurs palestiniens
(industrie textile, agences de services, de consultants, assurances) sont
découragés, et certaines entreprises sont au bord de la ruine; les grandes
compagnies étrangères qui avaient commencé à s'implanter ont gelé leurs
investissements; d'autres, qui s'apprêtaient à signer des projets, se sont
retirées en attendant des jours meilleurs.
Finalement, les moins
touchés sont les Israéliens! "La Palestine est le deuxième marché pour Israël
après les Etats-Unis, poursuit le directeur de la Piedco, ce qui explique en
partie pourquoi, en ce qui concerne les exportations israéliennes vers les zones
palestiniennes, tout passe à 90 %, sauf dans les moments de fermeture totale de
la frontière: pétrole, produits laitiers, légumes, médicaments. Mais ce n'est
pas le cas des exportations palestiniennes vers Israël: de l'autre côté, ils
sont très méfiants, les inspections sont longues, et le passage des marchandises
dans ce sens est désormais réduit au strict minimum."
L'Autorité
palestinienne de Yasser Arafat est également en difficulté. Toujours privée du
revenu de taxes de douane bloqué par les Israéliens, en dépit des demandes
pressantes de l'Union européenne et des Etats-Unis, elle pâtit également de la
chute d'activité des entreprises, alors que les particuliers sont de moins en
moins capables de régler leurs factures d'eau et d'électricité, sans parler du
téléphone.
8.
“Il rendra l’âme agrippé à son fauteuil” par Amnon
Barzila
in The
Jerusalem Post (quotidien israélien) traduit dans Courrier International du
jeudi 10 mai 2001
Shimon Pérès est prêt à tout pour conserver une
parcelle de pouvoir, estime l’éditorialiste d’"Ha’Aretz". Mais que fera le
ministre des Affaires étrangères si les travaillistes décident de sortir de la
coalition actuellement au pouvoir ? Quittera-t-il le parti, comme il l’avait
fait en 1963 ?
Shimon Pérès est le dernier dirigeant travailliste historique.
“A 78 ans, Pérès a fini par réussir à ressembler à son mentor et modèle David
Ben Gourion”, explique un responsable du parti, ajoutant, non sans une pointe
d’ironie : “L’ennui, c’est que cette ressemblance concerne plutôt la fin de
carrière politique de Ben Gourion.” En 1963, ce dernier quittait le Mapai
[ancêtre du Parti travailliste] avec Shimon Pérès et Moshé Dayan pour fonder le
Rafi [acronyme hébreu de Liste ouvrière d’Israël] Lorsque Pérès et Dayan
réintégrèrent le nouveau Parti travailliste, en 1969, Ben Gourion créa la Liste
d’Etat, qui, quelques semaines avant sa mort, se fondit dans le Likoud. Si le
futur président du Parti travailliste décide de quitter la coalition, Pérès
obtempérera-t-il ou s’accrochera-t-il à son poste ?
Fin 2000, pour justifier
sa candidature contre le travailliste Barak, Pérès déclarait : “Il n’y a plus de
Parti travailliste : Rabin et Barak l’ont détruit.” Peut-être faisait-il preuve
de prescience en tenant ces propos, ou exprimait-il simplement le désarroi d’un
politicien dont l’âge n’est plus en adéquation avec son parti et qui sent que sa
carrière est terminée. Pérès va toutefois vite en besogne en attribuant la
responsabilité du déclin travailliste à Rabin et à Barak. Après tout, l’homme
qui a donné l’arme atomique à Israël est aux postes clés du parti depuis 1948.
Et la situation de ce parti est pire qu’en 1977, date de l’accession du Likoud
au pouvoir. Le Parti travailliste n’est plus qu’un parti laïc ashkénaze
représentant les classes moyennes et supérieures.
Pour Asher Arian,
politologue à l’université de Tel-Aviv, “l’élection de 1977 fut cruciale pour
comprendre les évolutions sociologiques de la société israélienne. Pérès, alors
le plus jeune des dirigeants, aurait dû en tirer les conclusions et redéfinir
l’identité de son parti. Hélas, il attribua la défaite historique des
travaillistes à toute une série de raisons (l’apparition d’un parti centriste,
la corruption, le compte américain de Leah Rabin et la rupture de l’alliance
avec le Mafdal [national-religieux]), en oubliant les facteurs déterminants de
la débâcle : le contrecoup de la guerre du Kippour et la révolte des Juifs
orientaux. Les responsables travaillistes, des Ashkénazes retranchés dans les
quartiers nord de Tel-Aviv, n’affichèrent que mépris à l’adresse des Orientaux,
Pérès ne s’occupant plus que de politique étrangère.”
Décidé à maintenir
coûte que coûte son contrôle sur le parti, Pérès mit sur pied une lourde machine
bureaucratique autour du syndicat unique Histadrout, ce qui, au premier abord,
était censé accroître la représentation ouvrière dans les instances du parti. En
réalité, toute volonté de renouvellement au sein du parti fut étouffée, tandis
que les représentants ouvriers étaient récusés par leur base. En 1992, ce
système s’effondra et Rabin tailla Pérès en pièces pour finalement l’emporter
contre le Likoud.
Menacé par une forte opposition au sein de son parti,
emmenée par Avraham Burg, Haïm Ramon, Yossi Beilin et Shlomo Ben Ami, Shimon
Pérès n’en est pas moins très à l’aise dans un gouvernement Sharon où il détient
un portefeuille à la mesure de son ambition. Tout ce qu’il a à faire, c’est
s’adapter, chose à laquelle il est rompu depuis le début de sa carrière. Au
début des années 90, il défendait un “compromis fonctionnel” (une entité
palestinienne sans souveraineté territoriale) dans les Territoires, pour
finalement se plier à un Rabin partisan d’un “compromis territorial” (la terre
contre la paix).
A la fin des années 70, il était élu à la tête de
l’Internationale socialiste, dix ans après avoir exigé que le mot “socialisme”
soit rayé de la plate-forme travailliste. En 1970, il s’opposait à un accord
séparé avec la Jordanie pour, en 1987, signer un tel accord avec le roi Hussein.
Toujours dans les années 70, il était un des principaux partisans du Goush
Emounim [Bloc de la foi, fer de lance de la colonisation nationaliste religieuse
en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza] pour s’opposer à eux, dans les années
90, au nom des accords d’Oslo. Il y a huit mois, Pérès adjurait Barak de ne pas
mettre sur pied un gouvernement d’union nationale avec Sharon. Barak à peine
battu, Pérès prenait la tête des travaillistes favorables à un tel gouvernement,
anéantissant ainsi quinze ans d’efforts pour arriver à la paix entre Israéliens
et Palestiniens...
Pérès a commencé sa carrière comme “Monsieur Sécurité” ;
il l’a poursuivie comme “Monsieur Nouveau Moyen-Orient”. Aujourd’hui, il épouse
les idées de Sharon quant à la façon de résoudre le conflit avec les
Palestiniens. Depuis toujours, Pérès se considère comme le centre de la vie
politique en Israël. A ce titre, nul ne sait sur quelle case de l’échiquier
politique on le retrouvera dans deux ans. Ce qui est certain, c’est qu’il rendra
l’âme cramponné à son fauteuil.
9.
Les Israéliens veulent anéantir l'initiative égypto-jordanienne -
Entretien avec Mohamed Sobeih, délégué permanent de Palestine auprès de la Ligue
arabe propos recueillis par Randa Achmawi
in Al-Ahram Hebdo
(hebdomadaire égyptien) du mercredi 9 mai 2001
- Al-Ahram Hebdo :
Mohamed Sobeih, délégué permanent de Palestine auprès de la Ligue arabe, quels
sont les principaux obstacles à l'application de l'initiative égypto-jordanienne
?
- Mohamed Sobeih : L'initiative égypto-jordanienne prend pour point de
départ les accords de Charm Al-Cheikh II d'octobre 2000, conclus sous Barak et
au moment de l'Intifada. Il s'agit de lier le cessez-le-feu et le retour du
calme au retrait de l'armée israélienne. Ceci en plus de l'ouverture des points
de passage, des frontières, de l'aéroport et du port de Gaza et du déblocage des
fonds palestiniens gelés par les Israéliens. Ensuite, l'initiative souligne que
dans un délai de 4 semaines, à la suite du retour au calme, il faudra reprendre
les négociations. La référence de celles-ci serait les accords de Wye River et
ceux de Charm Al-Cheikh I en septembre 1999 conclus sous Barak. Ceci veut dire
qu'on respecte le calendrier établi à Charm Al-Cheikh qui fixe des échéances
mensuelles pour chacun des points à traiter. Or, les Israéliens ne veulent pas
qu'il y ait un cadre de référence pour les négociations. Pour dire explicitement
ce que veut Sharon, c'est obtenir le calme, et en retour il veut donner aux
Palestiniens des négociations intérimaires à perpétuité. Ce qui est sans l'ombre
d'un doute synonyme de rien.
— Quels étaient les véritables objectifs de la
visite de Pérès au Caire ?
— Malheureusement, la visite de Pérès au Caire n'a
rien apporté de nouveau. Au contraire, Pérès avait apporté dans ses bagages un
ensemble de mensonges et une tentative de tricher et de propager la confusion
auprès de l'opinion publique mondiale. Et je pense que le président Moubarak
s'est rendu compte de cela lorsqu'il a annoncé que c'était la partie israélienne
qui avait demandé d'annoncer un accord israélo-palestinien sur un possible
cessez-le feu. Le lendemain, la radio israélienne avait démenti les faits en
s'interrogeant d'où Moubarak avait tiré ces propos, et Arafat a appelé Amr
Moussa pour lui dire qu'il n'y avait pas eu d'accord dans ce sens. Pérès a été à
l'origine de ce malentendu et de la confusion qui l'a suivi. Ceci a permis de
démasquer le véritable visage des responsables israéliens qui se servent de
Pérès pour jouer le rôle de relations publiques du gouvernement Sharon. Pérès
est en réalité venu au Caire avec l'intention de soigner son image devant les
caméras en parlant de l'arrêt de la violence des deux côtés plutôt que de
négociations sérieuses avec les Palestiniens. L'initiative égypto-jordanienne
parle en fait d'un cessez le feu. Mais ceci veut dire que l'armée israélienne
doit arrêter ses attaques et appliquer les accords de Charm Al-Cheikh prévoyant
le retrait de cette armée jusqu'à ses positions d'avant le 27 septembre
2000.
— Pensez-vous que l'initiative égypto-jordanienne une fois appliquée
pourra ramener le calme sur le terrain ?
— Il faudrait d'abord qu'il y ait un
retrait de l'armée israélienne de l'ensemble des villes et villages
palestiniens. La réalité à laquelle nous sommes actuellement confrontés est que
l'aéroport et l'ensemble des points de passage sont fermés. La bande de Gaza et
la Cisjordanie sont découpées en 64 parties et il y a un bouclage complet des
territoires palestiniens. De plus, les Israéliens ont gelé les fonds de
l'Autorité palestinienne, alors que cet argent appartient au peuple palestinien.
Malheureusement, rien de concret ne se passe, c'est plutôt le contraire. En
fait, les Israéliens font des incursions dans les zones A où aucune présence
israélienne ne doit avoir lieu. Par exemple, ils ont pénétré dans la ville de
Beit Hanoun, dans le nord de Gaza. Ils ne se sont retirés qu'après avoir reçu un
ordre des Etats-Unis. Il y a quelques jours, ils sont de nouveaux entrés dans la
zone A sur la frontière avec l'Egypte, à Rafah, dans le « quartier du Brésil ».
Donc, ils n'ont aucun respect à l'égard de tous les tabous et de tous les
accords.
— Que pensez-vous des modifications de l'initiative proposée par les
Israéliens ?
— Elles sont inacceptables. Par exemple, l'initiative parle d'un
arrêt total et immédiat de la colonisation. Israël souligne qu'il ne créera pas
de nouvelles colonies, mais qu'il se réserve le droit d'élargir celles qui
existent déjà. Ceci veut dire qu'un nouveau groupe de colons arrivera dans nos
territoires et installera des caravanes ou autres genres de maisons
préfabriquées à distance de la colonie. Dès qu'ils installent ce genre de
caravanes, ils commencent tout de suite à construire un chemin pour les lier à
la colonie. Ensuite, c'est le tour des troupes israéliennes d'arriver pour les
protéger. Donc, ce qui arrive en réalité c'est la construction d'une nouvelle
colonie sous le camouflage d'élargissement de celle qui existe. A cause de cela,
les Palestiniens et même Colin Powell ont catégoriquement rejeté toute sorte
d'élargissement des colonies israéliennes existantes dans les territoires
palestiniens.
Le deuxième point de divergence consiste dans le fait qu'Israël
ne veut pas déterminer un délai fixe pour la mise en œuvre de l'initiative
égypto-jordanienne. Cela veut dire que les négociations seront longues et même
éternelles. Et nous savons que Sharon ne veut pas parler d'un règlement
définitif de la situation. Ce qu'il veut c'est une solution provisoire à long
terme. Ceci veut dire qu'il ne veut pas discuter de la question de Jérusalem et
il affirme clairement que Jérusalem restera la capitale éternelle et unifiée
d'Israël, et ceci va à l'encontre de toutes les résolutions et lois
internationales.
Le troisième point de divergence est que Sharon insiste pour
garder le contrôle de toutes les positions où se trouvent les sources d'eau
palestiniennes. Et c'est l'un des points de divergence les plus importants. Ceci
représente pour nous la meilleure manière d'anéantir complètement
l'initiative.
10. Histoires
diplomatiques par Salama A. Salama
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire
égyptien) du mercredi 9 mai 2001
Les relations entre Etats, comme
celles entre individus, se caractérisent par des divergences semblables à celles
existant entre le monde civilisé et le monde sauvage, la coopération et le
chantage, le respect mutuel et la crainte partagée.
Il y a quelques jours,
une délégation présidée par le ministre-président du land allemand de Bavière,
Edmund Stoiber, était en visite en Egypte. Stoiber est l'une des plus
importantes personnalités politiques en Allemagne et l'un des candidats au poste
de chancelier. Ce land, dont la capitale est Munich, est l'un des plus
importants centres économiques, industriels et culturels en Allemagne. A
l'occasion d'une tournée dans la région, ce responsable allemand a visité
l'Egypte, la Jordanie et Israël et y a rencontré les responsables.
Mais là
n'est pas la question. La visite implique deux histoires diplomatiques
d'importance majeure, qui reflètent la nature des relations entre l'Allemagne et
l'Egypte d'un côté et l'Allemagne et Israël de l'autre. Bien que les médias
n'aient pas rapporté ces deux histoires, elles dévoilent les méthodes de gestion
des relations internationales et les réactions de chaque Etat.
Il y avait un
problème ancien suspendu entre la Bavière et l'Egypte. Au cours des années 1980,
nos archéologues ont découvert qu'une pièce en or du sarcophage pharaonique
découvert dans la tombe n° 55 de la Vallée des Rois avait disparu en 1907, car
elle avait été vendue par un trafiquant suisse au Musée égyptien de Munich. De
nombreux contacts entre l'Egypte, le gouvernement de Bavière, et le gouvernement
fédéral allemand ont tenté d'aboutir à la restitution de cette pièce. Les
experts allemands l'ont restaurée parce qu'elle était dans un état lamentable.
La restauration a coûté tellement cher qu'il fut difficile aux Allemands de s'en
séparer et de la restituer à l'Egypte. Mais le ministre-président bavarois a
finalement accepté de renoncer à une compensation et a décidé de rendre la pièce
après une exposition prévue à Munich. Et ce, dans le cadre du renforcement des
relations amicales entre l'Egypte et la Bavière.
Par ailleurs, il y a une
histoire avec Israël. Les tribunaux allemands ont rejeté l'année passée une
plainte déposée par les parents de 11 sportifs israéliens qui avaient été tués
au cours des Jeux olympiques de Munich en 1972 après un attentat suicide
palestinien. Ces parents réclamaient 14 millions de deutsche marks. Le refus
était basé sur l'irresponsabilité des autorités allemandes et aussi à cause de
la prescription puisque l'accident a eu lieu il y a environ 30 ans.
Mais
puisque personne en Allemagne, ou même en Bavière, ne peut blesser les
sentiments des Israéliens en leur refusant quelque chose même illégitime,
Stoiber, au cours de sa dernière visite en Israël, s'est empressé de proposer
une somme de 6 millions de DM aux familles des victimes, comme initiative
humaine de la part de la Bavière et du gouvernement d'Allemagne fédérale, en
plus du remboursement des frais du procès !
Mais comme Israël a l'habitude
d'obtenir tout ce qu'il désire, les Israéliens, soutenus par Ariel Sharon, ont
refusé la proposition allemande. Ils insistent sur les 11 millions, c'est-à-dire
un million pour chaque famille, en plus du remboursement des frais du procès. Et
il est fort probable qu'ils obtiennent gain de cause.
Quelle différence entre
les deux histoires ! Dans la jungle des relations internationales, la raison du
plus fort est toujours la meilleure et le plus fort est celui qui extorque et
viole ! Nous avons encore beaucoup à apprendre ...
11.
Veto américain contre la paix par Subhi
Hadidi
in Le Nouvel
Afrique Asie du mois de mai 2001
Le récent recours de
Washington à son droit de veto contre la création d’une force d’interposition
internationale chargée d’assurer la protection des Palestiniens dans les
Territoires s’inscrit dans une constante de la politique étrangère américaine.
Que le locataire de la Maison Blanche soit démocrate ou républicain, les
Etats-Unis utilisent l’Onu à leurs fins propres, diabolisant des “ennemis” pour
justifier leurs ingérences militaires. Au cœur de ce bilan aux perspectives
pessimistes, la relation américano-israélienne.
“Cette décision
répond aux impératifs du théâtre politique, bien plus qu’à ceux de la réalité
politique.” C’est ainsi que James Cunningham, chef de la délégation américaine
au Conseil de sécurité de l’Onu, justifiait le recours de Washington à son droit
de veto pour bloquer un projet de résolution appelant à la création d’une force
d’interposition internationale chargée d’assurer la protection des Palestiniens
en Cisjordanie et à Gaza. “Les Etats-Unis, ajoutait-il, s’opposent à cette
résolution qu’ils considèrent comme déséquilibrée et inapplicable. Il n’était
pas sage, par conséquent, de l’adopter.” Le “théâtre” concerné par cette
résolution est constitué, faut-il le rappeler, des villes, des localités et des
villages de Palestine occupée. Les “acteurs” sont les centaines de vieillards,
de femmes et d’enfants palestiniens tombés – et qui continuent de tomber tous
les jours – du fait de la politique de répression sanglante pratiquée par
l’occupant israélien face à l’Intifada. Quant au “décor” de ce théâtre, il est
constitué par les barrages militaires de Tsahal, les barbelés et les tranchées
qui interdisent aux hommes de se déplacer et les isolent. Ce sont aussi ces
terres, cultivées avec soin et amour, soudainement retournées de fond en comble
et redevenues friches, des terres brûlées jonchées de cadavres de bêtes, des
potagers dévastés, des oliviers, des amandiers et des orangers arrachés.
Aux
yeux du respectable délégué américain, ce décor, ce théâtre violent ne saurait
représenter suffisamment d’éléments pour constituer une “réalité politique” que
les Etats-Unis pourraient juger intolérable et susceptible de les pousser à
s’abstenir ou à ne pas exercer leur droit de veto. Autrement dit, quel est le
seuil de violence et de répression contre la population palestinienne désarmée
qui justifierait une protection internationale ayant l’aval de Washington ? Pour
le trouver, il faudrait remonter très loin, dans les annales de la diplomatie
américaine, à la recherche d’un éventuel désaveu des choix fondamentaux de la
politique israélienne dans les territoires palestiniens occupés. Et cela, qu’il
s’agisse de la colonisation, de l’usage disproportionné de la force armée, de la
violation de la légalité internationale ou enfin de l’obstruction systématique
au travail des commissions d’enquête et d’information dépêchées sur place par
tant de pays et d’organismes. Sans remonter très loin, rappelons qu’en 1997 Bill
Richardson, ambassadeur américain auprès du Conseil de sécurité, avait mis son
veto à un projet de résolution invitant les Israéliens à cesser toutes les
constructions illégales de colonies dans les territoires palestiniens occupés.
L’alignement systématique des Américains sur les positions israéliennes ne
concerne pas seulement la question palestinienne ; il s’élargit en réalité à
toutes les questions arabes. Il n’est pas indifférent de souligner que le
Conseil de sécurité de l’Onu lui-même, et pas seulement le délégué américain, ne
se montre intraitable que lorsqu’il s’agit de prendre position contre un pays
tel que l’Irak ou lorsqu’il s’agit d’une affaire pouvant remettre en cause la
politique israélienne. La règle scélérate du deux poids deux mesures, en honneur
au sein du “machin”, n’est plus à démontrer. L’autorité de ce Conseil, dit “de
sécurité”, ne se manifeste que selon le bon vouloir de Washington,
particulièrement lorsqu’il s’agit de “punir” un pays arabe récalcitrant, comme
l’Irak. On a rarement vu ce Conseil lever le petit doigt pour rappeler à l’ordre
un allié stratégique des Etats-Unis dans la région, comme la Turquie qui
massacre systématiquement ses propres Kurdes d’abord et, encore plus, les Kurdes
irakiens. L’Etat hébreu jouit au Conseil d’une véritable impunité.
Non
seulement les centaines de résolutions adoptées par l’assemblée générale de
l’Onu sont restées lettre morte, mais les rares qui furent adoptées à
l’unanimité par le Conseil de sécurité lui-même, et qui jetaient la base d’un
règlement durable du conflit israélo-arabe, n’ont pas pu être appliquées par
suite de l’obstruction systématique d’Israël. Pis encore : alors que l’on exige
de l’Irak une application littérale et sans réserve de la vingtaine de textes
adoptés à son encontre par un Conseil aux ordres de Washington, celles qui
concernent le conflit israélo-arabe – et particulièrement les résolutions N° 242
et 338, qui constituent pourtant, depuis 1967 et 1973, la référence pour toute
solution négociée dudit conflit – sont régulièrement bafouées, vidées de leur
contenu et condamnées par ceux-là mêmes qui avaient laborieusement et
minutieusement pesé et analysé chacun de leurs mots ; elles sont curieusement
devenues “inapplicables” !
Mais il s’agit là, on l’aura compris, d’une
vieille histoire qui en dit long sur le comportement arrogant des Etats-Unis au
sein de l’instance suprême de l’Onu, censée garantir la paix et la sécurité dans
le monde. Inutile d’ailleurs de chercher une quelconque nuance dans l’attitude
américaine, quelle que soit l’administration en place. Démocrate ou républicain,
le locataire de la Maison Blanche poursuit la même politique. Lorsque les
Etats-Unis ne parviennent pas à utiliser cette institution comme chambre
d’enregistrement de leurs volontés, au service de leurs intérêts supérieurs, ils
en contestent la légitimité, avec dédain et outrecuidance. Cela était vrai sous
Madeleine Albright, Bill Richardson et Richard Holbrook, qui y représentaient le
département d’Etat sous les démocrates. Il en va de même avec Thomas Pickering.
Il y a certes des changements dans la forme, dans le style et dans le ton ; mais
le fond, lui, reste immuable quelle que soit la couleur politique de celui qui y
représente les Etats-Unis.
Le comble de cette arrogance n’est-il pas que
Washington, abusant de son droit de veto au Conseil de sécurité, affecte de
penser que cette attitude devrait combler de bonheur ceux contre lesquels ce
veto est dirigé ! James Cunningham, le diplomate qui a formulé le “niet”
américain, n’a-t-il pas déclaré : “Ce veto n’aura aucune incidence négative sur
nos relations avec nos amis arabes” ? Veto qui, rappelons-le, empêche la
création d’une force d’interposition internationale destinée à protéger les
Palestiniens. Il n’empêche que ce vote survenait au moment même où les “amis
arabes” de Washington se réunissaient en sommet dans la capitale jordanienne,
Amman. Cela, sans que la nouvelle administration américaine fasse le moindre
effort leur permettant de sauver la face devant leur opinion publique et leurs
peuples excédés par le drame quotidien vécu par le peuple palestinien, soumis à
l’implacable répression de la machine de guerre israélienne.
Pis encore, le
veto américain a superbement ignoré les conclusions du rapport des membres de la
commission d’enquête, dépêchée sur place par la Commission des droits de l’homme
de l’Onu. L’Américain Richard Falk, qui en faisait partie, a trouvé les mots
justes pour exprimer, avec les autres membres de la commission, son écœurement
et sa rage. Allant encore plus loin, il a accusé son gouvernement d’avoir
“échoué dans l’accomplissement de ses obligations juridiques et
morales”.
Voici donc la réalité de cette “nation indispensable”, comme se
plaisait à l’appeler Madeleine Albright, chaque fois qu’une voix contestataire,
hostile à l’hégémonisme américain, s’élevait quelque part dans le vaste monde.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à la veille de la deuxième
guerre du Golfe, les Etats-Unis ont dépensé 2 000 milliards de dollars pour
entraîner, former et équiper des armées étrangères dans quatre-vingts pays, avec
comme conséquences, directes ou indirectes, l’organisation de soixante-quinze
coups d’Etat et des dizaines de guerres civiles provoquant la mort de centaines
de milliers de personnes ! Parallèlement à ces investissements dans les
industries de mort et de déstabilisation, les Etats-Unis se créent sans relâche
des “ennemis”, qu’ils diabolisent à l’extrême pour justifier leurs ingérences
militaires, leurs invasions, les coups d’Etat qu’ils fomentent, les guerres
civiles qu’ils déchaînent. Les exemples illustrant cette stratégie sont nombreux
et divers. Panama, Egypte, Pérou, Portugal, Nicaragua, Chili, Jamaïque, Grèce,
République dominicaine, Cuba, Viêt-nam, Corée du Nord, Irak, Libye, Liban et
tant d’autres ; peu importe que le pays proclamé ennemi soit réformiste,
démocrate, socialiste, communiste ou islamiste... il faut l’abattre.
Les
Etats-Unis, pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, sont les leaders par
excellence du monde dit “libre”. Ce sont eux qui accordent la confiance ou la
retirent, donnent leur aval ou le refusent à telle ou telle alliance, telle
organisation internationale, quelles que soient les parties contractantes. Leurs
services de renseignements ont participé, toujours au nom du sacro-saint
principe de la “sécurité nationale américaine”, au renversement de régimes
réformateurs et démocratiques issus du suffrage universel au Guatemala, en
République dominicaine, au Brésil, au Chili, en Grèce, en Indonésie, en Bolivie,
en Haïti.
Ces mêmes services américains ont contribué à des conspirations
secrètes, par le biais de mercenaires, et ont lancé des actions de
déstabilisation contre des gouvernements légitimes à Cuba, en Angola, au
Mozambique, en Ethiopie, au Cambodge, au Timor-oriental, au Liban, au Pérou, au
Congo démocratique (ex-Zaïre), au Yémen du Sud, aux îles Fidji... Parallèlement,
les Etats-Unis ont, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, mené des
interventions militaires directes, terrestres ou aériennes, contre le Viêt-nam,
le Laos, le Cambodge, le Liban, Grenade, Panama, la Libye, la Somalie, l’Irak.
La liste est appelée, aujourd’hui encore, à s’allonger.
Il n’est pas sans
intérêt de rappeler ce sinistre bilan américain chaque fois que Washington
adopte une attitude menaçante ou passe à l’action contre ses ennemis désignés
sans se soucier de la légalité internationale. Au cœur de ce bilan, la relation
américano-israélienne occupe une place de choix. Elle est fondée sur une
alliance stratégique en vertu de laquelle les deux parties se montrent
solidaires, pour le meilleur, et surtout le pire. On ne saurait en dire autant
des amis arabes de Washington qui sont loin, très loin, d’être traités sur le
même pied d’égalité. Plutôt que d’alliance, il conviendrait de parler, en la
matière, de relations de vassalité, de protectorat. Il suffit de lire la
déclaration finale du dernier sommet arabe d’Amman pour s’en convaincre. En
dépit des cris de feinte indignation des protégés arabes des Etats-Unis, au sein
de cette auguste assemblée, aucune prise de position ferme et conséquente n’a
été envisagée. Aucun de ces chefs d’Etat n’a eu le courage de l’Américain
Richard Falk, qui a accusé son pays de démission morale et
politique.
Pourtant, un lointain jour de 1796, le premier président
américain, George Washington, avait mis en garde la “nation américaine” contre
la tentation de “se lier sentimentalement avec une autre nation, car un tel
engagement créerait l’illusion de l’existence d’un intérêt commun entre les
nations. En fait, un tel intérêt n’existe pas.” Deux siècles plus tard, le
diplomate George Ball, l’un des principaux conseillers de John Kennedy, estimait
que les engagements sentimentaux des Etats-Unis envers l’Etat hébreu étaient
devenus tellement scandaleux qu’il y avait consacré un livre relatant
l’évolution de cette relation, depuis la création de l’Etat d’Israël jusqu’à
aujourd’hui. George Ball suggérait alors aux décideurs américains de fonder leur
politique étrangère au Proche-Orient sur une équation triangulaire. Le premier
pilier devait en être l’intérêt national américain, le deuxième l’intérêt
national israélien et le troisième l’intérêt national arabe. L’évolution de la
politique américaine n’a pas suivi ces trois axes. Si les deux premières
composantes de cette équation (l’intérêt national américain et l’intérêt
national israélien) ont été prises en considération, force est de constater que
la troisième a été remplacée par “l’intérêt national des juifs américains”
!
C’est du moins ce qui ressort des visites des Premiers ministres israéliens
successifs aux Etats-Unis, de l’opération Tempête du désert, de la conférence de
Madrid de 1991, des accords d’Oslo de 1993 et du feuilleton des négociations
israélo-palestiniennes qui les ont suivis. C’est aussi ce que confirme le veto
américain, en 1997, pour sauver l’allié israélien de la condamnation
internationale (à cause de la poursuite des implantations), tout comme le récent
veto de 2001. Il n’y a aucun changement à attendre sur ce plan : hier ressemble
à aujourd’hui, et demain y ressemblera désespérément.
Le prix des
armes - Les chiffres nous apprennent que les Etats-Unis dépensent pour
les armes, les armées et les autres questions qui touchent de près ou de loin au
concept de “sécurité nationale” plus que tous les autres pays de la planète
réunis. Si l’on prend 1992 comme année de référence après la fin de la guerre
froide, il faut savoir qu’il y avait alors près d’un demi-million de militaires
américains sur le pied de guerre, dispersés dans trois cent quatre-vingt-quinze
bases militaires principales et des centaines de bases secondaires, à travers
trente-cinq pays.
12.
Sharon lâche la bride à l'armée par Alexandra
Schwartzbrod
in Libération du mardi 8 mai 2001
Il encourage des
offensives en zones palestiniennes.
Jérusalem de notre
correspondante
L'armée israélienne continue, imperturbable, à repousser ses
limites en territoire palestinien. Après avoir effectué, dimanche, sa première
incursion en Cisjordanie, dans le village de Beit Jala, près de Bethléem, elle
est de nouveau entrée hier à Tulkarem, une zone sous contrôle des Palestiniens.
Ce raid a fait suite à des échanges de tirs qui ont essentiellement fait des
ravages côté palestinien: le bilan est de onze blessés et d'un tué.
«Tragique». Quelques heures plus tard, Tsahal faisait une autre incursion
dans la localité de Dar Salah, à l'est de Bethléem, provoquant un échange de
tirs de vingt minutes avec des policiers palestiniens. Au même moment, l'armée
israélienne tuait un bébé palestinien de 4 mois et blessait grièvement sa sœur
de 19 ans en bombardant le camps de réfugiés de Khan Younès dans le sud de la
bande de Gaza «à la suite de tirs de mortiers sur la colonie de Neve Dekalim»,
plaidait un porte-parole.
Le Premier ministre Ariel Sharon et le chef de la
diplomatie Shimon Pérès ont «regretté» la mort du nourrisson décrite comme «un
événement tragique».
Alors que l'Intifada est entrée dans son huitième mois
et que les initiatives de paix s'essoufflent, c'est une véritable offensive qu'a
toutefois lancée le gouvernement israélien contre les Palestiniens. «Israël fait
face à un combat de longue haleine qui nécessite détermination et sang froid», a
expliqué hier Ariel Sharon devant la Knesset, inaugurant sa session
parlementaire. Piqué au vif par les réactions de son électorat, qui lui reproche
de répondre aux attentats palestiniens avec la même «mollesse» que son
prédécesseur Ehud Barak, il a voulu montrer sa détermination. «La lutte contre
le terrorisme sera sans compromis, déterminée et continue. Nous ne ferons pas
que réagir à des attentats, mais prendrons l'initiative», a annoncé Ariel Sharon
sous les huées des représentants de la minorité arabe et de la gauche laïque,
mais servi par l'interception d'un navire lourdement chargé d'armes, en
provenance du Liban et destiné aux combattants palestiniens de Gaza.
Nouvelles localités. Désormais, pendant que son ministre des Affaires
étrangères, Shimon Pérès, rassure le peu qu'il reste du camp de la paix en
écumant les capitales internationales, Sharon se lâche. «Sur le principe, j'ai
approuvé toute entrée en zone A (palestinienne) si c'est nécessaire pour
garantir notre sécurité». Et de préciser que les militaires n'ont plus besoin
d'attendre l'approbation des échelons politiques.
Alors que les Palestiniens
réclament l'envoi d'une force internationale, le gouvernement israélien a décidé
de la construction de cinq nouvelles localités dans le désert du Néguev pour
empêcher un éventuel échange de territoires avec l'Autorité palestinienne. Une
initiative qui ne devrait guère abaisser la tension.
13.
Sharon sourd à l'appel de Jean-Paul II par Michel Muller
in
l'Humanité du mardi 8 mai 2001
Proche-Orient. Le pape a prié pour la
paix dans la ville martyre de Kuneitra. Un bébé palestinien de quatre mois a été
tué par les tirs d'obus de l'armée israélienne sur le camp de réfugiés de Khan
Younis.
Jean Paul II a prononcé lundi une " prière pour la paix en Terre
Sainte et dans le monde ", dans une église en ruine de la ville martyre syrienne
de Kuneitra, dans la partie du plateau du Golan non occupée par Israël. Cette
cité de plus de trente mille habitants avait été entièrement rasée par les
troupes israéliennes en 1974, lors de leur retrait partiel - imposé par l'ONU -
de cette partie du Golan syrien.
"De ce lieu, si défiguré par la guerre, je
désire que, de mon cour et par ma voix, monte une prière pour la paix en Terre
Sainte et dans le monde. La paix authentique est un don de Dieu", a-t-il dit.
"Nous te prions pour les peuples du Moyen-Orient. Aide-les à abattre les murs
d'hostilité et de division, et à construire ensemble un monde de justice et de
solidarité."
"Nous prions, a aussi dit le pape lundi à Kuneitra, pour les
responsables civils de cette région afin qu'ils s'efforcent de satisfaire les
aspirations légitimes de leurs peuples (...) et qu'ils respectent la dignité
inaliénable de toute personne et les droits fondamentaux." On apprenait lundi
par un communiqué de Reporters sans frontières (RSF) et de l'Association
mondiale des journaux (AMJ) que le journaliste syrien Nizar Nayyouf, emprisonné
depuis neuf ans dans son pays, a été libéré dimanche à Damas. ¶gé de
quarante-quatre ans, Nizar Nayyouf était rédacteur en chef du mensuel Sawt
al-Democratiyya ("la Voix de la démocratie"). Il avait été condamné à dix ans de
prison en 1991 "pour avoir rédigé un tract dénonçant les atteintes aux droits de
l'homme durant les élections de 1991", a indiqué RSF.
Dimanche, à l'occasion
de sa visite à la mosquée des Omeyades, à Damas - la première d'un pape dans un
lieu de culte musulman - Jean-Paul II a appelé les musulmans et les chrétiens à
se pardonner réciproquement. S'il n'a pas évoqué les croisades, il a cependant
déclaré : " Je souhaite ardemment que les responsables religieux musulmans et
chrétiens présentent nos deux importantes communautés religieuses comme des
communautés engagées dans un dialogue respectueux et plus jamais comme des
communautés en conflit. " Et il a souligné : " Chaque fois que les musulmans et
les chrétiens se sont offensés les uns les autres, nous avons besoin de
rechercher le pardon qui vient du Tout-Puissant et de nous offrir mutuellement
ce pardon. "
Sharon n'a certainement pas entendu le message du pape à
Kuneitra. Lundi matin, un fillette palestinienne de quatre mois, Imane Hajjour,
a été tuée par un obus tiré sur la maison de ses parents dans le camp de
réfugiés de Khan Younès, dans la bande de Gaza. Les troupes d'occupation
israéliennes avait tiré au canon de char sur le camp, blessant en outre une
trentaine de personnes. " Comme vous le savez, des nouvelles tristes du conflit
et des morts, nous arrivent encore aujourd'hui de Gaza, notre prière se fait
encore plus intense ", a dit Jean-Paul II.
A Gaza, le secrétaire général de
la présidence palestinienne, Tayeb Abdelrahim, a demandé " l'envoi immédiat
d'une force de protection internationale ". " Nous appelons les deux parrains du
processus de paix (les Etats-Unis et la Russie) et l'Union européenne à agir
pour mettre fin à l'agression israélienne qui commence à toucher les enfants,
les femmes et les vieillards ", a-t-il poursuivi, soulignant que "ces agressions
surviennent après le feu vert donné par le gouvernement israélien à son armée
pour agir sans retenue ". Pour Ziad Abou Amar, président de la commission
politique du Conseil législatif palestinien (Parlement), " Sharon ne croit pas à
une solution pacifique ". Il croit "qu'en épuisant les Palestiniens, en les
affaiblissant, il leur fera accepter ses idées sur un arrangement intérimaire.
C'est son grand dessein, sa stratégie, mais elle ne réussira pas. Plus il tapera
sur les Palestiniens, plus ils le défieront", a encore dit le parlementaire
palestinien.
14.
La commission Or fait état d'attitudes racistes de la police
israélienne par Moshé Reinfeld
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du
mercredi 2 mai 2001
[traduit
de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Un rapport spécial
détaillant des occurrences de recours à la torture et décrivant le "racisme
institutionnel" dont se rendent coupables des instances juridictionnelles dans
le pays a été remis hier à la commission Or, qui enquête sur les affrontements
ayant entraîné la mort de treize arabes citoyens israéliens en octobre
dernier.
Ce rapport, préparé par le Comité Public contre la Torture en Israël
(PCAT), se fonde sur plusieurs dizaines d'interviews de personnes mises en état
d'arrestation à la suite des affrontements (en Galilée, essentiellement, ndt).
Il comporte une série de recommandations sur les mesures à prendre, notamment
celle du lancement d'une enquête exhaustive sur tous les incidents ayant
comporté des abus de pouvoir et des violences physiques à l'encontre des
personnes arrêtées, ainsi que toute autre violation de leurs droits,
garantissant la poursuite judiciaire complète des contrevenants (parmi les
forces de l'ordre).
Le comité recommande que l'Etat (israélien) ratifie les
conventions internationales relatives au traitement (convenable) des
prisonniers, et donne la possibilité aux citoyens (israéliens) de porter plainte
auprès des Nations-Unies en cas de mauvais traitement. Il préconise également
une législation exigeant des officiers de police qu'ils déclinent leur identité
aux personnes mises en état d'arrestation, et des (simples) policiers qu'ils
informent les personnes arrêtées de leurs droits, à l'instar de ce que l'on
connaît, aux Etats-Unis, sous le nom de "droits Miranda".
Le comité
recommande aussi que l'avocat général fasse respecter de manière beaucoup plus
énergique l'interdiction de la torture préconisée par la Haute Cour
(israélienne) de justice, et il appelle à ce que soit mis fin aux conditions
sordides régnant dans les centres de "rétention" administrative en Israël, qui
sont les mêmes pour les Israéliens et les Palestiniens. "Israël est loin d'être
un pays pauvre et il n'y a aucune raison que cette situation perdure", indique
le rapport.
Il y est écrit que les déclarations officielles selon lesquelles
"Israël est la seule démocratie dans tout le Moyen-Orient" et "Israël est un
Etat policé et évolué" pourraient bien n'être que des phrases creuses si l'on
s'en réfère au comportement des forces de sécurité en général et au
(comportement) des instances exécutives à l'égard des citoyens arabes
(d'Israël), en particulier.
Le PCAT indique que les événements d'octobre
dernier, "dans toute leur horreur", requièrent que l'Etat (israélien)
reconnaisse que "les instances juridictionnelles sont contaminées par une forme
de racisme institutionnalisé". Il donne le détail de toute une liste de droits
civiques qui ont été violés systématiquement par les forces de sécurité au cours
des affrontements. Il dénonce des officiers de la police, du Shin Bet et
d'autres forces de sécurité, qui ont totalement et délibérément ignoré le
principe de base qui veut que la force ne saurait être employée à l'encontre des
personnes qui ne font preuve d'aucune rébellion lors de leur arrestation.
Le
rapport cite des dizaines de prisonniers, parmi lesquels des enfants, qui ont
été battus à coups de poings, de bâtons et de crosses de fusils ; qui ont eu à
subir des coups de pied, des gifles, des jurons, des insultes racistes, des
conditions humiliantes et inhumaines dans les cellules de détention
provisoire.
Le droit élémentaire à un procès en bonne et due forme leur a été
dénié, certains ont été délibérément torturés par les interrogateurs du Shin
Bet. Des parents de prisonniers ont été maltraités, également, ayant eu à
souffrir de violences et d'humiliations de la part des officiers ayant
procédé aux arrestations (de leurs proches).
Des dizaines de dépositions
citées dans le rapport, il ressort une évidence : le racisme des officiers, qui
se traduit dans leurs propos. Des expressions telles que "sales Arabes",
"menteurs d'Arabes", "on va tous vous expulser vers la Jordanie", "allez-y,
priez votre Mahomet, on va vous liquider dans les dix minutes", "vous devriez
baisser la tête quand un Juif passe", "la sandale d'un Juif vaut un million de
vies d'Arabes", reviennent en une litanie lancinante au long des constats
établis par le PCAT et la commission Or.
La torture et la violence physique à
l'encontre des prisonniers sont aussi communément rencontrées dans les
témoignages. Israël a beau avoir signé les conventions internationales destinées
à lutter contre ces pratiques, le rapport du PCAT indique que les policiers
ignorent la loi. Ainsi de la déclaration de Y.A., de Wadi Ara : "les agents des
forces de sécurité m'ont chargé sur le camion, et ils m'ont battu durant tout le
trajet jusqu'au commissariat de la vallée du Fer (Iron Valley). Une fois là-bas,
ils m'ont tiré du camion, couvert la tête de ma chemise, tout en continuant à me
battre".
Une autre déclaration, celle d'un avocat de Kafr Kana : "J'ai vu un
groupe de policiers qui rudoyaient un jeune qui se débattait, à terre. Il était
pieds nus. J'ai averti les policiers que j'étais avocat, leur disant qu'ils
devaient traiter ce garçon correctement, puisqu'il ne s'opposait pas à son
arrestation. L'un des policiers, debout à côté de leur fourgon, a pointé sur moi
son fusil d'assaut en hurlant que si je ne retournais pas immédiatement à mon
cabinet, il me descendait".
H. A. , de Rahat, a déclaré : "j'ai été emmené
au commissariat d'Ofakim ; là, ils m'ont pris mes lunettes. Je les ai suppliés
de me les rendre, mais ils ont refusé. Je n'ai pu les récupérer que
quarante-huit heures plus tard. Et encore, grâce à l'intervention d'un
avocat..."
Un habitant de Nazareth a rapporté avoir été menotté et cagoulé
dans une voiture de la police, puis battu à coups de crosses, à coup de pieds,
tandis que ses agresseurs lui crachaient dessus. "Ils n'ont pas arrêté de me
hurler dans les oreilles, durant tout le trajet : "on va b... ta p... de mère,
on va b... ta p... de sœur". Des parents de prévenus ont été maltraités, eux
aussi. Un habitant de Lakia a fait état de l'irruption des policiers dans sa
maison : ils ont confiné toute la famille dans la cuisine, après quoi, ils ont
détruit systématiquement le mobilier et l'équipement du ménage. Un enfant
malade, qui réclamait d'aller aux toilettes, n'a pas été autorisé à s'y rendre.
Les réserves de farine et d'huile d'olive de la famille ont été déversées sur le
sol afin de les détruire.
Dans les témoignages, les mentions de violences
physiques par les interrogateurs sont très éloquentes, notamment dans le centre
d'interrogatoires du Shin Bet situé parmi les cellules de détention
administrative du centre pénitentiaire de Kishon, près de Haïfa. "J'ai été
attaché à une chaise toute la nuit, battu, alors que l'on menaçait de s'en
prendre à ma famille à chaque instant", a déclaré un homme. Un autre a fait
état, lui aussi, de sessions d'interrogatoire durant des nuits entières,
émaillées de menaces de mort à son encontre.
Un autre a rapporté avoir été
détenu, six jours durant, dans une cellule de dix mètres carrés, avec six autres
prisonniers, privé de savon, de papier toilette et d'autres produits
indispensables pour les nécessités de l'hygiène personnelle.
Un autre témoin
encore a déclaré avoir été enfermé, à la centrale de détention de Kishon, avec
trente autres hommes, dans une cellule ne comportant que huit lits en fer. Un
asthmatique, à qui on refusait tout médicament, s'est entendu répéter "qu'il
aurait dû apporter ce dont il avait besoin à la prison".
Les cellules de la
prison de Ramlé, ont été décrites par un habitant de Nazareth : "grouillement
des cafards, puanteur d'égouts envahissante. Les toilettes et les W-C sont dans
les cellules elles-mêmes, sans aucune séparation. La nourriture, avariée, y est
dégoûtante." Mais lorsqu'il a été transféré dans une cellule plus grande, à
Nitzan Ramle, les conditions de sa détention n'ont fait qu'empirer.
Le
rapport fait état de mauvais traitements à enfants. Dans l'un des témoignages,
il est question d'un enfant de six ans, qui a été enlevé dans une rue de
Saint-Jean d'Acre, emmené au commissariat du coin, questionné - avec force cris
et manœuvres d'intimidation - en l'absence de tout parent ou
avocat.
15.
Et renaîtra le désert... par Pénélope Larzilliere
in La
Croix du lundi 30 avril 2001
Le visage du petit garçon s'illumine à
notre vue. Il fait effectuer un savant dérapage dans le sable au vélo prêté par
le voisin, pour s'arrêter près de nous. Autour de lui, des tentes jaunes du
Croissant Rouge plantées à coté de gravats mêlés de vêtements, de chaussures, de
morceaux de meubles et d'ustensiles de cuisine. Il y a moins de deux semaines,
sa maison s'élevait là, dans le camp de réfugiés de Khan Younis, au sud de la
bande de Gaza. Mohammed Rader, 21 ans, étudiant en droit à l'Université de
Gaza,: « Depuis novembre, les Israéliens nous tiraient dessus régulièrement.
Quelques jours plus tôt, mon petit frère de 4 ans avait été blessé a la jambe et
nous avions du l'emmener à l'hôpital. Mais nous ne sommes pas partis. Nous
n'avons pas d'argent pour ca et puis nous ne voulions pas céder à la menace »
expose -t-Il calmement. « Le mardi 10 avril, nous avons été réveillés subitement
par un intense bombardement. Nous nous sommes enfuis avec les enfants dans nos
bras. Quelques minutes plus tard, les bulldozers étaient là. Si nous ne nous
étions pas réveillé, ils nous auraient enseveli avec nos maisons. Ca ne peut pas
continuer, il nous faut une protection internationale » Le lieu est
méconnaissable. Deux hommes s'affairent à récupérer dans les décombres quelques
carreaux de carrelage, qu'ils entassent sur une carriole. Régulièrement, les
gamins qui s'approchent trop près des blocs de ciment ceinturant l'extrémité du
camp sont rappelés à l'ordre par leurs parents. Des barricades de débris ont été
dressées à l'extrémité des ruelles pour tenter de protéger les passants.
Colonies et camps militaires israéliens sont à à peine 20 mètres et encerclent
le camp sur trois cotés. Fawad Banediq, père de famille de 38 ans a été amputé
de la jambe gauche, blessé en tentant d'évacuer son fils lors d'un bombardement,
le 24 novembre : « Les Israéliens tirent et bombardent surtout la nuit
mais il y a également des tirs isolés pendant la journée. » souligne-t-il. Un
des jeunes présents s'exclame : « Ils nous prennent l"eau, la terre, les
maisons. Nous voulons seulement vivre. » Certains immeubles ont leur façade
criblée de balles et des ouvertures béantes surs les pièces dévastées. Les
citernes d'eau des toits sont mouchetées de blanc par les nombreuses
réparations. Dans les appartements, des impacts de balle sur tous les murs. En
cette fin de matinée, de nombreuses personnes sont encore endormies, récupérant
de leurs nuits sans sommeil à l'écoute des tirs de tank et de mitrailleuse
lourde en provenance des sites militaires, dans l'angoisse d'une nouvelle
incursion de l'armée. Awad Al Khawalt, père de famille, travaille pour l'UNRWA :
« Mes enfants refusent d'aller se coucher avant le début des tirs. C'est
seulement une fois terminé qu'ils arrivent à s'endormir. » Khan Younis
n'est pas le seul point d'entrée de l'armée israélienne sur territoire
entièrement sous contrôle palestinien. De la ville de Beit Hanoun au nord à
celle de Rafah tout à fait au sud, on retrouve la même terre rase après le
passage de l'armée israélienne. Samir, un jeune de Beit Hanoun, l'exprime ainsi
: « C'est un étau qui se resserre doucement, une guerre lente. La mer nous est
interdite. Le long de la frontière avec Israël, hectare après hectare, les
maisons sont détruites les vergers et les champs saccagés. A l'intérieur de la
bande, des colonies sont implantées, agrandies peu à peu et servent à couper le
territoire en petites parcelles. » Une nouvelle fois, le 16 avril, la famille
Abou Amshe de Beit Hanoun a tout perdu. Elle avait été chassée de ses terres à
quelques kilomètres plus au nord en 67. Mais des orangers et des citronniers
patiemment entretenus sur leurs nouvelles terres, il ne reste qu'une terre
sableuse, profondément retournée. La maison n'est plus qu'un amoncellement de
blocs de ciment dont une partie ont comblé le puit. Les buttes de terre élevées
sur le chemin par les policiers de la Sécurité Nationale Palestinienne n'ont pas
retenu un seul instant l'avancée israélienne. Un des gendres explique : « La
frontière israélienne est à environ 800 mètres. Là où s'arrêtent les orangeraies
encore épargnées et où commencent les dunes de sable. Nos voisins ont encore
leurs arbres mais la plupart du temps, ils ne peuvent pas venir faire leur
récolte à cause des tirs. De toute façon, depuis un an je n'ai rien vendu. A
cause du blocus, je ne peux plus exporter et le marché de Gaza-ville ne
représente rien au regard de notre production. ». Sa belle-mère est revenue
aujourd'hui ramasser avec lui le bois des arbres arrachés mais très vite les
policiers de la sécurité nationale palestinienne, très nerveux, les évacuent.
Ils ont observé des mouvements de soldats côté israélien et craignent de
nouveaux tirs et de nouvelles victimes. Abou Ahdath, 53 ans, le visage buriné
par le soleil, a connu le même destin. Depuis novembre dernier, l'orangeraie
acheté après trente ans de travail comme ouvrier en Israël n'est plus qu'un
champ d'orties. « si je vais le long de ma clôture, ils tirent d'un poste
militaire situé dans la colonie de Nezarim ». Le long de la frontière
égyptienne, dans la ville de Rafah, de nouveau des maisons transformées en ruine
quelques jours plus tôt, de nouveau des tentes, de nouveau des familles sans
ressources. Des sacs de sable ont été entassés et sont censés les protéger des
tirs qui ont continué après le retrait des bulldozers. Les murs des maisons les
plus proches, recouverts de formules colorées et de dessins pour accueillir le
retour des pèlerins de la Mecque, portent de nombreuses traces d'impact. Une
journaliste a été blessée quelques heures plus tôt. Mais les tentes ne seront
pas déplacées : Hisham, père de 4 enfants et ouvrier en Israel avant le blocus
insiste : « De toute façon, nous n'avons nulle part où aller. Et ici, c'est
notre terre, nous ne la quitterons pas. Dès que nous en aurons la possibilité,
nous reconstruirons. » Avec l'aide du Centre palestinien pour les droits de
l'homme, les familles des maisons détruites ont introduit des recours devant la
justice israélienne pour tenter de récupérer leurs terres et obtenir des
compensations financières pour les maisons détruites., : « Les coûts des
démarches judiciaires ont énormément augmenté. Du fait du blocus israélien, les
avocats palestiniens ne peuvent plus se rendre devant les tribunaux et nous
sommes obligés de payer des avocats israéliens qui sont beaucoup plus onéreux. »
précise. Abd el Alim, directeur du Centre palestinien des droits de
l'homme pour le secteur de Khan Younis . Les enfants font flotter dans le ciel
de nombreux cerfs-volants de papier, certains aux couleurs du drapeau
palestinien. Sur un mur de Khan Younis, cette inscription en anglais : «
Détruisez nos maisons, nous construisons notre pays.
»