"Il existe une immense fracture entre nous  [les juifs] et nos ennemis, pas seulement en ce qui concerne les capacités mais aussi sur le plan de la morale , de la culture, du caractère sacré de la vie, et de la conscience… Ils sont nos voisins ici, mais on a l'impression qu'à une distance de quelques centaines de mètres, il y a des gens qui ne sont pas de notre continent, de notre monde, mais qui finalement appartiennent à une autre galaxie."
 
Déclaration du Président israélien Moshe Katzav
in "The Jerusalem Post" du vendredi 11 mai 2001
[traduit de l'anglais par Monique Barillot]
 
 
Point d'information Palestine > N°147 du 17/05/2001

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Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux (Trésorier)
Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
            
Si vous ne souhaitez plus recevoir (temporairement ou définitivement) nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante : amfpmarseille@wanadoo.fr. Ce point d'information est envoyé directement à 2428 destinataires.
           
Au sommaire
         
Rendez-vous
        
1. Rencontres avec six jeunes réfugiés palestiniens du Liban à Marseille et Aubagne les vendredi 18 et samedi 19 mai 2001
2. Rassemblement de soutien au peuple palestinien le samedi 19 mai 2001 à Paris
3. Rassemblement de soutien au peuple palestinien le mardi 22 mai 2001 à Bordeau
4. Rencontre avec Marwan Bishara le mardi 22 mai 2001 à Lyon
        
Télévision
               
1. Izkor : Les esclaves de la mémoire d'Eyal Sivan sur Planète le vendredi 18 mai 2001 à 12h25
2. Le dessous des cartes : Jérusalem, une ville, deux capitales (1/3) sur Arte le samedi 19 mai 2001 à 20h00
3. Retour sur la guerre du Golfe : autopsie d'un conflit sur La Cinquième le dimanche 20 mai 2001 à 16h05
4. Femmes du Hezbollah de Maher Abi-Samra sur Arte le mercredi 23 mai 2001 à 20h45
              
Témoignages
           
1. Je ne les déteste pas tous... par Amanda, citoyenne de Gaza
2. Apéritif de Shabbat par Gaëlle Dessus, citoyenne de Jérusalem
3. Témoignage recueilli par Hervé Landa, psychologue à Médecins Sans Frontières en mission à Gaza
              
Réseau
       
1. Les mangeurs de kugel par Israël Shamir
2. Lettre au Consul Général de France à Jérusalem du Père Stéphane Joulain
3. Lettre ouverte à tous les premiers ministres des pays de l'Union Européenne par Dr. Eyad El Sarraj
4. Lettre aux Etats membres de l'Union Européenne par Issam Younis Gaza
                
Revue de presse
           
1. Un discours de combat de Yasser Arafat au "Jour de la catastrophe" par Catherine Dupeyron in Le Monde du jeudi 17 mai 2001
2. Grillages et plaques métalliques en zone H2 : les maisons de la vieille ville ressemblent à des prisons par Bruno Philip in Le Monde du jeudi 17 mai 2001
3. Cinq cents colons dans le souvenir des jours sanglants par Georges Marion in Le Monde du jeudi 17 mai 2001
4. Sept Palestiniens abattus lundi par Serge Dumont in Le Soir (quotidien belge) du mardi 15 mai 2001
5. Israël craint le retour de la diplomatie française par Georges Marion
in Le Monde du samedi 12 mai 2001
6. Yasser Arafat doit faire face à une contestation grandissante par Bruno Philip in Le Monde du jeudi 10 mai 2001
7. L'économie palestinienne est menacée de faillite par Bruno Philip in Le Monde du jeudi 10 mai 2001
8. “Il rendra l’âme agrippé à son fauteuil” par Amnon Barzila in The Jerusalem Post (quotidien israélien) traduit dans Courrier International du jeudi 10 mai 2001
9. Les Israéliens veulent anéantir l'initiative égypto-jordanienne - Entretien avec Mohamed Sobeih, délégué permanent de Palestine auprès de la Ligue arabe propos recueillis par Randa Achmawi in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 9 mai 2001
10. Histoires diplomatiques par Salama A. Salama in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 9 mai 2001
11. Veto américain contre la paix par Subhi Hadidi in Le Nouvel Afrique Asie du mois de mai 2001
12. Sharon lâche la bride à l'armée par Alexandra Schwartzbrod in Libération du mardi 8 mai 2001
13. Sharon sourd à l'appel de Jean-Paul II par Michel Muller in l'Humanité du mardi 8 mai 2001
14. La commission Or fait état d'attitudes racistes de la police israélienne par Moshé Reinfeld in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 2 mai 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
15. Et renaîtra le désert... par Pénélope Larzilliere in La Croix du lundi 30 avril 2001
             
Rendez-vous

            
1. Rencontres avec six jeunes réfugiés palestiniens du Liban à Marseille et Aubagne
les vendredi 18 et samedi 19 mai 2001
Les Centres Sociaux Belsunce-Porte d'Aix à Marseille et La Gavotte Peyret à Septèmes-les-Vallons, en partenariat avec l'Association Médicale Franco-Palestinienne (Aubagne et Marseille) et l'association Ajial France, en liaison avec le Centre Ajial de Beyrouth, accueillent à Marseille et dans sa région, jusqu'au 24 mai prochain, six jeunes réfugiés palestiniens du Liban. Ces jeunes, cinq garçons et une fille, âgés de 19 à 25 ans, sont issus de différents camps de réfugiés palestiniens du Liban. Ils vont suivre, durant cette période, plusieurs formations intensives dans les domaines de la nouvelle technologie, et en particulier autour des outils liés à Internet. L'objectif étant, dans un premier temps, de créer un "pont" durable entre les habitants de Marseille et de ces camps palestiniens. [Contact presse - Yasser Khellef : 06 61 43 24 00]
A cette occasion, deux rencontres sont organisées, à Aubagne et à Marseille, afin de permettre à chacun, de rencontrer ces jeunes, d'échanger et de témoigner autour de leur expérience.
- Rendez-vous à Aubagne, le vendredi 18 mai, à partir de 21h, à Castel Margot - Route d'Eoures - pour une soirée concert de solidarité, organisée autour du groupe musical, Raïnarap.
[Renseignements auprès de Sabine Gherrak : 04 42 84 11 21]
- Rendez-vous à Marseille, le samedi 19 mai, à partir de 20h, au Centre Social Belsunce - 16, rue Bernard Dubois -(Marseille 1er - M° Jules-Guesde - à côté de la Cité de la Musique) pour une rencontre amicale d'échanges avec les jeunes.
[Renseignements auprès de Kader Atia : 04 91 90 49 10 - kader.atia@free.fr]
                      
2. Rassemblement de soutien au peuple palestinien le samedi 19 mai 2001 à Paris
Rassemblement à 15h, sur le Parvis de Beaubourg (Paris 4eme), à l'appel de l'Union Général des Etudiants Palestinien - Section France (Signataires : PCF, les Verts, CGT, CIMADE, LCR, AMFP, AFP, ATMF, APF, Enfants de Palestine, LDH, MRAP, FSU, FTCR, UJFP, Droit et Solidarité, CVPR, CGF Egalité, CSRP, AFPEC, FASTI, FSFT, Mouvement pour la Paix, PCOF, PRCI, Sud-Education et Sud-PTT) [Renseignements : gupsfrance@hotmail.com]
            
3. Rassemblement de soutien au peuple palestinien le mardi 22 mai 2001 à Bordeau
Le Comité Palestine 33 organise ce rassemblement à 18h30, Place Jean Moulin à Bordeaux (prés de Pey-Berland).
[Renseignements : jacques.salles@wanadoo.fr]
            
4. Rencontre avec Marwan Bishara le mardi 22 mai 2001 à Lyon
auteur de "Palestine / Israël : la paix ou l'apartheid" (Editions de La Découverte - Avril 2001)
- A partir de 16 heures, à la Librairie Alysar - 86, rue de Marseille - 69007 LYON - Tél/Fax : 04 78 72 84 22
- A 19 heures, conférence à la Maison d'Orient (Amphi Benveniste) - 4, rue Raulin - 69007 LYON
                      
Télévision

                  
1. Izkor : Les esclaves de la mémoire d'Eyal Sivan
sur Planète le vendredi 18 mai 2001 à 12h25
Documentaire israélien d'Eyal Sivan réalisé en 1990. (Durée : 1h35)
« Souviens-toi » se dit « Izkor » en hébreu. En Israël, ce mot résonne à n'en plus finir à l'occasion de quatre célébrations fondamentales tombant en bloc : la Pâque, puis le jour de la Shoah et de l'Héroïsme, puis le jour du souvenir des soldats morts en combattant pour Israël et, enfin, la fête de l'Indépendance. La mémoire est une marâtre pour le réalisateur Eyal Sivan, qui en a soupé, dans sa jeunesse passée sur place, de ces incessantes antiennes sur le sionisme, le civisme, l'extermination nazie, la Bible... Alors, il nous soumet le spectacle d'une génération qui serait, du berceau à l'armée, livrée à des institutrices hurlantes et à des officiers mystiques. Le rituel envahissant tourne à la scie. A l'appui de cette thèse, des scènes terribles, tournées sur le mode des reportages consacrés à la Corée du Nord. Dans les salles de classe, tout n'est, selon Eyal Sivan, que propagande, bourrage de crâne, lavage de cerveau. En contrepoint, le très vieux Yechayahou Leibovitz (décédé depuis) va jusqu'à esquisser (proférer ?) une comparaison entre l'Allemagne nazie et l'Etat d'Israël d'après la guerre des Six-Jours. Tous ceux qui restent paralysés, en silence, par la plaie béante de la Shoah, garderont l'insupportable impression d'avoir vu défiler des grossistes de l'Holocauste : des cadres sionistes qui gèrent la mémoire comme un étouffant fonds de commerce. Ce documentaire douloureux, révolté, parfois brouillon, laisse seul et anéanti, avec la conscience qui bat la chamade.  (Antoine Perraud in Télérama du 12/05/2001)
[Rediffusions : jeudi 17 mai à 9h50, vendredi 18 mai à 12h25, samedi 19 mai à 15h20 et dimanche 20 mai à 17h20]
                 
2. Le dessous des cartes : Jérusalem, une ville, deux capitales (1/3)
sur Arte le samedi 19 mai 2001 à 20h00

[Repris par La Cinquième le lundi 21 mai 2001 à 9h30]
               
3. Retour sur la guerre du Golfe : autopsie d'un conflit
sur La Cinquième le dimanche 20 mai 2001 à 16h05

Invités : Leïla Chahid, déléguée générale de Palestine en France, Georges Corm, économiste et auteur du "Proche-Orient éclaté".
La véritable histoire de la crise du Golfe. Documents d'archives et témoignages inédits présentent sous un jour nouveau les relations particulières qui unissent l'Occident à Saddam Husseïn à la veille du conflit.
                      
4. Femmes du Hezbollah de Maher Abi-Samra
sur Arte le mercredi 23 mai 2001 à 20h45

Ce documentaire diffusé dans "Les mercredis de l'histoire", met en évidence l'influence des femmes dans la place prise par le Hezbollah au sein de la société libanaise. Portrait de deux Libanaises qui soutiennent le Hezbollah. Zeinab, 30 ans, vit dans la banlieue Sud de Beyrouth. Son mari risque chaque jour la mort. Khadijé, l'une des premières Libanaises emprisonnées par Israël, est devenue un symbole pour ses compatriotes. Sa vie se fond avec l'histoire d'une communauté.
               
Témoignages 

            
1. Je ne les déteste pas tous... par Amanda, citoyenne de Gaza
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Gaza, le mercredi 16 mai 2001 - Au moment où je vous écris, les choses vont de mal en pis ici, à Gaza. Chaque fois que nous pensons que ça va s'arranger, la situation empire. Voilà deux semaines, alors que c'était un peu plus calme qu'aujourd'hui, et que Perez discutait le plan de paix jordano-égyptien, je me laissais aller à un bref regain d'espoir. Mais hélas, les deux semaines écoulées ont été très mauvaises, ici. Nous avons eu deux bombardements lourds : mardi dernier et, la nuit dernière : rebelote. En fait, il y a tellement de violences ces derniers jours qu'on ne peut en suivre les développements entremêlés.
Désormais, nous avons acquis quelques certitudes : nous savons que tout le monde est toujours fatigué et de très mauvaise humeur après les bombardements. Nous savons que lorsqu'il y a un tir de roquette, il y a suffisamment de temps pour courir se mettre à l'abri avant qu'il ne frappe sa cible. Nous savons quand une roquette est tirée lorsque nous entendons l'invocation "Allah Akbar!". Nous savons aussi que d'être derrière l'épaisseur de deux murs nous protège mieux. Nous pensions que nous serions à l'abri si nous ne sortions pas à la nuit tombée, ou si nous évitions de nous approcher des colonies israéliennes, mais maintenant, les bombardements ont lieu de jour et les Forces israéliennes de défense font des incursions dans la zone A.
Aujourd'hui, je me suis rendue près de Khan Younis et j'ai visité une maison qui a reçu deux missiles. C'était incroyable. Il n'y avait aucune installation militaire, ni de forces de police aux alentours : qu'est-ce qui a bien pu leur faire tirer deux missiles en plein milieu du jardin de cette maison ? C'était une grande maison sur trois niveaux, dix-sept personnes y vivaient. Quand nous sommes entrés, une partie des blessés, femmes et enfants, dormaient dans la cour. Les fenêtres et les portes avaient été soufflées par les déflagrations, le sol était couvert d'éclats de vitres et de gravats. La plupart des membres de cette famille ont été blessés par des éclats de verre. C'était insoutenable.
En apparence, les gens font tout pour continuer à vivre normalement. Maintenant, au lendemain des bombardements, beaucoup ne veulent même pas en parler. Juste un "ça va ?" furtif et : au boulot !... Mais c'est épuisant, et on se rend compte que tout ce qu'on fait, c'est survivre, sans trop penser à ce qui se passe réellement, ou à comment faire autrement ? Ou à quel point cette situation est révoltante. Les gens en ont plus qu'assez et commencent à vraiment haïr les Israéliens. Je ne les déteste pas tous, mais il m'est très difficile d'imaginer rester calme tout en ayant une conversation avec un Israélien qui ne serait pas opposé à ce qui se passe.
                    
2. Apéritif de Shabbat par Gaëlle Dessus, citoyenne de Jérusalem
Al Quds, le vendredi 11 mai 2001,18h - Les mômes regardent "Friends" ponctué de rires, à la télé. Tout à coup des roulements de tonnerre. Non. Ca revient trop régulièrement. Je vais sur la terrasse. "Shouf" ["Regarde" en arabe. ndlr] puis "Boom" toutes les 15 secondes. Le vent vient du sud-ouest. A 5 kilomètres à vol d'oiseau il y a Beit Jalla et en face la colonie de Gilo d'où les bombardement proviennent. Mais quelle arme emploient-ils aujourd'hui ? Ca n'est pas la même que "d'habitude ". C'est vrai que depuis quelques jours ils utilisent des missiles à Gaza, c'est nouveau, plus efficace, plus cher. Dans quelques minutes j'entendrai aussi les sirènes de Méa Sharim pour le début du Shabbat.
J'ai toujours eu peur de m'habituer à l'horreur. Parceque j'avais peur de devenir par là-même inhumaine pour me protéger.
J'essaye de me protéger depuis plusieurs mois suite à une mini dépression en décembre dernier car il y avait trop d'horreur au début de l'Intifada. Alors je n'ai plus regardé la télé ni lu de journaux.
Je suis restée sur la terrasse en une sorte de nécessité de vivre et de penser à ces palestiniens qui souffraient à ce moment précis, par respects aussi pour tous les autres de tous les autres jours passés et à venir.
Samedi 18h. Les "Shouf" puis "Boom" sont de retour. Les soldats israéliens ne font pas Shabbat.
                
3. Témoignage recueilli par Hervé Landa, psychologue à Médecins Sans Frontières en mission à Gaza
Gaza, le mercredi 11 avril 2001 - Les premiers jours d'avril ont été marqués par un regain de violence dans la bande de Gaza. Les bombardements, toujours effectués de nuit, ont été suivis d'une offensive terrestre à Tufah puis à Rafah. Des chars accompagnés de bulldozers ont rasé des dizaines de maisons occupées par des civils. L'équipe médicale et psychologique a néanmoins pu se rendre sur ces « points chauds » et rencontrer les familles sinistrées.
«Lorsque nous arrivons à Khan Yunis, il y a beaucoup de monde. Nous pensions bien trouver quelques maisons détruites, mais rien de pareil. Nous ne reconnaissons plus ce quartier, que nous fréquentons depuis plus de quatre mois. Des décombres envahissent les côtés droit et gauche de la route sur une longueur de 50 mètres. Plaques de bétons dressées en travers des portes, des réfrigérateurs, des meubles écrasés... L'endroit semble avoir subi l'effet d'un énorme séisme. 
Une maison est restée debout, dressée au milieu des décombres. L'état du rez-de-chaussée indique pourtant qu'elle a été attaquée au bulldozer. Nous ne reconnaissons plus rien. Les trous qui se trouvent sur la façade des maisons encore debout témoignent de la violence des tirs.
Très inquiet, je cherche la maison d'Ahmed, que nous suivons depuis plusieurs mois (il a reçu une balle « caoutchouc » dans le front). Peut-être n'a-t-elle pas été touchée ? Nous marchons sur les innombrables moellons qui constituaient les murs des maisons. Les décombres forment des tas infranchissables quinous obligent à changer de chemin. La maison est en grande partie détruite. Toute la famille est là, choquée, contemplant les dégâts. La grand-mère nous accueille les yeux humides. Elle reste appuyée contre le seul meuble restant et semble ne pas croire ce qu'elle a sous les yeux. La soeur d'Ahmed nous reconnaît et s'approche de nous en souriant. Comme si de rien n'était, elle s'excuse de ne pouvoir nous offrir de chaise. Peut-être est-elle heureuse après tout de quitter cette maison devenue un enfer depuis le début de l'Intifada. Je ne sais quoi dire à cette famille qui vient de tout perdre. Par chance, ils avaient tous quitté la maison, hier, lorsque les tirs ont commencé.
Des chars et des bulldozers
Nous cherchons ensuite la maison de Youssouf, que nous savons parmi les plus proches de la colonie de peuplement de Neve Dekalim. Grimpant sur les décombres, nous progressons vers l'endroit où nous pensons la trouver. Il n'y a plus ni chemin ni repères. Youssouf est là, assis à terre sous un petit abri de tissu tenu par quatre morceaux de bois.
Sa maison se trouvait juste à côté. «Par chance», elle n'est détruite qu'à moitié. Il nous accueille avec le même sourire que d'habitude. Il s'anime et trouve, je ne sais où, deux chaises ! Lui aussi a dû s'enfuir hier soir, alors qu'il résiste depuis le début de l'Intifada. Il nous raconte comment deux chars et un hélicoptère ont surgi et tiré avec une violence encore jamais atteinte. Puis les bulldozers ont commencé leur « travail » ; cela a duré toute la nuit.
Youssouf avoue qu'il ne croit plus en la paix, lui qui nous tenait des discours si pacifiques, lui dont la maison est criblée de balles, lui dont le fils est prisonnier en Israël. Il y a un mois, l'armée israélienne lui a interdit de rendre visite à son fils. Alors, pour la première fois, je les ai vus abattus, sa femme et lui. Aucune raison ne leur a été donnée, la Croix-rouge n'a rien pu faire. C'est la première fois que je sentais céder leur résistance, se perdre l'espoir d'une paix prochaine. Youssouf tient bon et commence à planter une tente là où, cinquante ans plus tôt, réfugié, il avait voulu commencer une vie plus tranquille. A cette époque, la colonie de Neve Dekalim n'était pas encore arrivée au pied de sa maison.
Un homme est en train de planter une tente sur un tas de gravats. Nous nous approchons pour lui parler. Sa colère s'exprime contre les pays occidentaux «qui laissent les Israéliens faire ce qu'ils veulent». Comme chez beaucoup de Palestiniens, le sentiment d'abandon est très fort. Après avoir retrouvé son calme, il m'explique comment les bulldozers se sont approchés de sa maison. Les chars tiraient sans cesse. Il était caché dans une pièce avec ses enfants, quand ils ont attaqué les pièces du devant. Il nous raconte que des enfants pleuraient dans la maison voisine alors que le bulldozer se dirigeait vers celle-ci.
Où aller ?
Je lui demande pourquoi il plante sa tente ici, sur ces décombres, exposée aux tirs. Maintenant que Tufah est en partie rasée, tout le monde est exposé aux tirs et en particulier les maisons qui se trouvent face à la colonie. « Où vais-je aller ? » me répond-il. Vivre à Tufah dans une maison est déjà très difficile et dangereux. Vivre dans une tente à cet endroit est suicidaire. Tandis que nous parlons, un tir se fait entendre. La foule se met à courir, mais il ne bouge pas. Il en a trop vu et trop entendu.
Nous nous rendons ensuite chez Oum Ahmed, dont la fille est handicapée. Nous savons qu'elle ne peut pas s'enfuir rapidement à cause de son bébé et de la petite Hanan qui ne peut pas marcher. Et en effet, toute la famille est restée là, toute la nuit, terrorisée par les tirs. Les plaques de résine formant le toit se sont fissurées sous l'effet du souffle. Ce soir, elle va quitter sa maison. Elle espère que les bulldozers ne la détruiront pas, sans trop y croire. Elle est résignée et pense que les Israéliens n'arrêteront pas. Tous les habitants sont persuadés d'une chose : l'armée va revenir.
Si Gaza est connue pour avoir une des densités de population les plus importantes du monde, Tufah est certainement l'endroit ayant la plus forte densité de la bande de Gaza. Toutes ces maisons, aujourd'hui détruites, étaient habitées par des familles nombreuses.»
               
Réseau
               
1. Les mangeurs de kugel par Israël Shamir
[traduit de l'anglais par Annie Coussemant]

De l'avis de Sholom Aleichemn antisémite notoire, les Juifs accommodés en kugel (plat de pâtes bien collantes) sont un mets délicieux. D'ailleurs, selon lui, ils sont tout juste bon à ça. Cette remarque m'est venue à l'esprit alors que Chicago accueille la Conférence de l'unité juive pour une paix juste, dite "Junity". Peut-être Aleichem était-il trop dur et ignorait-il qu'un séfarade eût préféré mourir que de toucher à un plat de kugel. Pourtant, même en faisant abstraction de cette délicieuse spécialité quelque peu gluante, je ne vois pas grand chose que les Juifs pourraient faire ensemble et qui aurait une quelconque utilité, comme prier par exemple. Le combat politique pour l'égalité en Palestine n'appelle pas de débat réservé aux seuls Juifs.
De surcroît, une telle démarche va à l'encontre du but recherché. L'idée même de Juifs pour la justice et d'autres groupes séparatistes exclusivement juifs qui œuvreraient à des fins partagées me paraît ni plus ni moins fondée que la lutte des Blancs contre l'apartheid. En Afrique du Sud, l'égalité s'est imposée parce que les forces de l'ANC ont refusé de reconnaître quelque distinction raciale que ce soit. Dans les États du sud des États-Unis, le combat en faveur des droits civiques a été mené conjointement par les Noirs et les Blancs. Pourquoi les choses devraient-elles être différentes dans le cas de la Palestine ? Il n'y a aucune raison. En conséquence, nous devrions nous interroger : pour quelle raison voyons-nous s'exprimer " l'Unité juive " et non la Conférence de tous les Américains en faveur des droits de l'Homme ?
Le simple fait de poser cette question, c'est déjà y répondre. Nombre d'Américains juifs en sont venus à s'élever contre les mauvais traitements réservés aux non-juifs de Palestine. Ils ne sont pas très nombreux et leur influence n'est pas particulièrement décisive, mais le processus ainsi engagé mérite que l'on y réfléchisse. Certes, leur action ne remettra pas en cause l'évolution du monde. Il n'en reste pas moins que l'attitude honorable qu'ils ont adoptée aura une incidence déterminante : voici qu'ils se découvrent de merveilleux nouveaux amis, leurs compatriotes américains, et constatent que la chaleur humaine existe, même en dehors de tout milieu juif. Ils rompent avec la tradition tribale qui veut que " les Juifs se confortent mutuellement " et découvrent le moyen de se rapprocher leurs compatriotes. En tant qu'êtres humains, ils en deviennent meilleurs et parviennent au " tikkun ", restauration d'une harmonie et unités primordiale selon le mysticisme juif de la Kabbale.
Nous en avons un exemple en Bob Green, psychanalyste de l'État du Vermont, neveu du premier de tous les Premiers ministres d'Israël, David Ben Gourion, et rejeton de l'illustre famille des Aharonson, qui ont ajouté bien des pages à l'histoire de la Palestine. Bob Green a pour meilleurs amis Mousa, Palestino-américain, spécialiste de l'informatique travaillant pour IBM, et sa femme Kristin, Américaine d'ascendance suédoise, remarquable traductrice de la littérature arabe. Je les ai rencontrés dans le Vermont et ai été époustouflé par leur amitié, fondée sur l'amour de l'humanité. Ils sont un paradigme de fraternité : le jour où d'autres Juifs emboîteront le pas de Bob Green et refuseront le séparatisme marquera la fin des politiques actuelles de la communauté juive organisée.
Or les dirigeants de Junity ne voudraient cela pour rien au monde. Je ne serais pas surpris s'ils en avaient discuté hier, lors de leur rencontre à la résidence Edgar Bronfman, à Manhattan. Le président du Congrès juif mondial organisait une réunion pour les cinquante Juifs les plus riches et les plus puissants des États-Unis et du Canada. La presse n'a pas couvert l'événement, celui-ci n'a pas fait les gros titres, juste quelques lignes dans les journaux. " Ensemble, les multimilliardaires ont examiné les moyens de parvenir à l'unité juive et de renforcer l'identité juive des Juifs américains " rapporte de façon laconique Shlomo Shamir dans Haaretz. Ils ont également décidé de lancer un programme de relations publiques dont le nom de code est " Vérité " (un petit arrière-goût d'Orwell) en vue d'influer sur l'opinion publique américaine à l'égard de la politique israélienne.
Ces grosses légumes se désignent eux-mêmes sous le nom de " groupe Méga ". Apparu dans les médias il y a deux ans, ce nom était celui d'une " taupe " israélienne très proche des plus hautes sphères de l'establishment des États-Unis. Il a été prononcé lors d'une conversation téléphonique enregistrée sur table d'écoutes et, par la suite, a fait l'objet de dénégations de la part de l'ambassade d'Israël à Washington, DC. La meute des journalistes et des amateurs de barbouzeries n'avait rien compris. " Méga " n'était pas un agent, c'était le patron.
Savoir si c'est la queue (Israël) qui remue le chien (les États-Unis) ou l'inverse est une question qui est devenue le thème de discussion favori de nombre de chroniqueurs et d'analystes. Dans le cas présent, je crains de décevoir les amateurs de complots. A mon avis, Israël ne dicte pas aux Américains leur politique. Notre pauvre petit État et sa population hétéroclite, dirigés par de vieux généraux, en est parfaitement incapable. J'ai beau déployer des trésors d'imagination, je ne vois pas les forces de mon pays capables de retourner l'opinion publique internationale. Nous n'avons ni les moyens financiers, ni le courage pour cela. Les Méga-friqués ont sur nous une influence encore plus forte que sur les États-Unis. Mais comme nos hommes politiques sont aussi faibles et corrompus que ceux des Etats-Unis, il est plus facile de leur faire retourner leur veste. Même des individus relativement insignifiants peuvent provoquer des soulèvements et des effusions de sang, tel Moskovitz, propriétaire d'une misérable salle de jeu en Californie qui a poussé l'ex-Premier ministre Nataniyahou à faire percer un tunnel près du Haram al Sharif. C'est pourquoi [en Israël], nous n'avons qu'une parodie de démocratie et non une démocratie véritable.
Les Méga-friqués pourraient très bien acheter Israël avec la ferraille qui leur reste dans les poches. S'ils le voulaient, nous aurions la paix en Palestine aujourd'hui. Mais, ce n'est pas Israël en soi qui les intéresse. Pour eux, Israël n'est qu'un moyen de parvenir à leur fin, l'unité juive, ce qui revient, à peu de choses près, à la propagande faite autour de l'Holocauste. L'idée est de faire en sorte que les Juifs restent unis et n'aillent pas se commettre avec d'autres peuples. Les dirigeants de la communauté juive américaine ont besoin de cela. A défaut, il est fort probable qu'ils se retrouveraient sans armée, il n'y aurait plus que des chefs mais pas d'Indiens.
Dans un livre paru récemment et intitulé The Jew Within [1], Steven Cohen et Arnold M. Eisen écrivent : " la communauté judéo-américaine organisée a lancé plusieurs cris d'alarme ces dernières années au sujet de l'assimilation, des mariages mixtes et du recul démographique ". Dans sa préface à cet ouvrage, le Dr Bill Friend ajoute " qu'un tiers seulement des Juifs américains font encore partie de la communauté organisée, le pourcentage de mariages hors de la communauté dépasse les 50 % et de moins de moins de gens s'identifient en tant que Juifs ". Les dirigeants de la communauté redoutent la perte d'identification avec l'État d'Israël car moins les Juifs d'Amérique du Nord s'identifieront à cet État, moins le " lobby juif " pourra exercer d'influence sur la politique étrangère des États-Unis à l'égard d'Israël.
En dépit de sa prolixité, M. Friend n'a tout simplement rien compris. A ses yeux, le lobby existe pour le seul bien d'Israël, et la force corruptrice réside dans le Sionisme. Pour défendre son point de vue, il faudrait supposer que les dirigeants de la communauté juive soient profondément altruistes. Pour ma part, je considère que les Méga-friqués se préoccupent avant tout de leurs intérêts et que, s'ils ont besoin d'Israël, c'est pour maintenir la cohésion entre les Juifs américains qui les soutiennent. C'est pourquoi ils n'ont rien contre une effusion de sang en Palestine. Une guerre régionale sanglante dans la région ne les effraie même pas. Une guerre, et les multiples victimes qu'elle provoquerait en Israël ne ferait que donner un coup de pouce à l'unité juive qu'ils appellent de leurs vœux aux États-Unis. Le Sionisme, cet épouvantail qu'agite M. Friend, n'est qu'un vieil animal édenté, et Israël n'est pas l'empire du Mal sinon un malheureux feuilleton à la mise en scène médiocre destiné au public judéo-américain.
Israël est peuplé d'individus qui entre dans le jeu mais demeurent perplexes devant les idées des scénaristes qu'ils ne parviennent pas à comprendre. Devant les flashes de la presse et l'attention dont nous sommes l'objet, la tête nous tourne. Les dons généreux nous donnent le vertige et nous confortent dans l'idée délétère de notre propre importance. Quand Bill Clinton était en route pour notre pays, notre rabbin Yosef a suggéré que le Président des États-Unis vienne baiser les pieds des Juifs à titre de supplication. Les docteurs de la Kabbale sont arrivés en masse et les ministres israéliens leur ont demandé avis et conseil. Le quotidien Haaretz est allé jusqu'à publier une nouvelle racontant le renversement d'un président américain pour ne pas s'être conformé à la décision des Kabbalistes.
Pour ma part, je considère que ce sont les Méga-friqués et non les forces de la Kabbale qui font évoluer la situation au Proche-Orient. Ce n'est pas une question de magie, mais simplement d'argent, mais alors de beaucoup, beaucoup d'argent. Bien sûr, ils ne dirigent pas l'Amérique pas plus qu'Israël, mais ils exercent une influence énorme. Cinquante multimilliardaires unis dans un même cadre constituent une force avec laquelle il faut compter à l'échelle mondiale. Or ces gens sont prêts à préserver la communauté par n'importe quel moyen.
Ils n'ont rien contre les esprits un peu frondeurs. Vous pouvez soutenir la politique israélienne ou la rejeter : du moment que vous faites cela à part, pour les groupes exclusivement juifs, ils n'y voient pas d'inconvénient. L'Unité juive pour une paix juste ou l'Unité juive pour la guerre sainte, c'est du pareil au même tant que prévaut l'idée d'unité juive. Pour ma part, j'opterai pour l'idée d'une unité de l'humanité et laisserai les Méga-friqués en plan.
L'Histoire se répète. Il y plus d'un siècle, les socialistes russes juifs du Bund, ont demandé à Lénine la permission de se rallier au mouvement qu'il venait de créer, mais en tant que membre collectif distinct. " Nous ne pourrions que nous féliciter de voir chacun de vous se rallier au combat commun des travailleurs contre les Russes et les Juifs pleins aux as, mais si vous formiez un groupe distinct, vous ne feriez que diviser nos forces " leur a répondu Lénine. Par la suite, de nombreux Russes juifs ont rejoint le mouvement des travailleurs russes et, ensemble, ils ont modifié le cours de l'Histoire. Pour sa part, le Bund a dépéri et certains de ses membres ont dérivé vers le Sionisme.
Dans un sens, Lénine a pris exemple sur Paul dans le différend qui l'opposait à Pierre [2]. A Antioche, Pierre se comportait en frère des Gentils convertis au Christianisme jusqu'à ce qu'arrivent les émissaires de Jérusalem. Alors, il a eu la pétoche et a pris ses distances d'avec les Gentils. A l'instar de Pierre, les autres frères juifs ont également commencé à se comporter en poltrons jusqu'à ce que Paul, Juif cultivé originaire de Tarse qui adorait Israël, confonde Pierre en public et inverse le cours des choses. Lénine et Paul avaient tous deux raison : dans le grand mouvement qui se dessine il n'y a ni besoin, ni place pour un courant séparatiste.
Il nous faudrait créer un mouvement international contre l'exclusion. Nous l'appellerions le " Réseau des ensembles " (Yachad, en hébreu, Sawa en arabe). Ce réseau unirait les gens de toutes opinions en faveur de la vraie démocratie et de la fraternité en Palestine.

[1] THE JEW WITHIN : l'individu, la famille et la communauté juive en Amérique, Indiana University Press, 2001
[2] Épître aux Galates, 3
[Israel Shamir est un écrivain et journaliste israélien qui vit à Jaffa. On trouve ses autres articles sur son site http : //shamir.mediamonitors.net/. Il est également possible de le contacter par courrier électronique à l'adresse suivante : shamiri@netvision.net.il. En ce qui concerne la Controverse de Shamir, voir : http : //www-personal.umich.edu/~hfc/mideast/iscritic.htm]
                  
2. Lettre au Consul Général de France à Jérusalem du Père Stéphane Joulain
Jérusalem, jeudi 17 mai 2001 - Monsieur le Consul Général de France,
C'est avec horreur et une très grande déception que j'ai découvert hier, par voie de presse, l'accord que la France a passé avec l'avionique israélienne, pour un contrat sur l'achat d'avions sans-pilote à usage militaire. Nul n'est besoin pour moi de vous rappeler les nombreux abus de l'Etat d'Israël en matière de droits humains. De plus, nul n'est besoin de vous rappeler que l'Etat d'Israël est encore un des derniers Etats au monde à occuper militairement la terre d'un autre peuple qu'il opprime.
Dans le contexte actuel de violences et de répression, la décision du Gouvernement français de passer ce contrat est inacceptable et éthiquement immorale. J'ai cru pendant quelques années que la France, qui a une tradition de respect des droits de l'homme et de combat pour la liberté des peuples, n'accepterait pas de se compromettre avec des Etats  ayant des politiques de répression xénophobe et d'occupation militaire, opprimant des peuples sans défense.
De plus, alors que la Présidence suédoise de l'Union Européenne exprimait hier des critiques sévères contre l'Etat d'Israël, ce double langage de la France me semble être en parfait désaccord avec la construction d'une politique commune européenne.
Par conséquent, Monsieur le Consul Général de France, je vous encourage fortement à questionner notre gouvernement sur le bien fondé d'un tel contrat et à en demander l'annulation immédiate. Une copie de cette lettre va être envoyée à toutes les commissions catholiques Justice et Paix, aux conférences épiscopales européennes, à la Plateforme des ONG pour la Palestine, ainsi qu'au Parlement Européen et autres instances européennes compétentes dans ce domaine.
Monsieur le Consul Général de France, j'espère que cette lettre retiendra votre attention et je vous assure de mes sentiments respectueux.
Père Stéphane Joulain - Réseau Justice et Paix - Membre de la Commission Catholique Justice et Paix - Eglise Ste Anne - PO Box 19079 - 91190 Jérusalem via Israël
                     
3. Lettre ouverte à tous les premiers ministres des pays de l'Union Européenne par Dr. Eyad El Sarraj
Gaza, le vendredi 11 avril 2001
[traduit de l'anglais par Anne-Claire Le Reste]
La terreur pour soumettre les Palestiniens
Depuis l'enfer, affectueusement…
Quant j'étais étudiant en psychologie, j'ai découvert le laboratoire des comportements humains. Dans une expérience, un cobaye apprenait combien il peut être difficile de mourir. On lui donnait un morceau de fromage à plusieurs reprises. Quand l'animal essayait de le manger, il recevait un choc électrique. Le cobaye devenait alors incontrôlable, se jetant de toutes ses forces contre les barreaux de la cage dans une tentative désespérée pour s'échapper. Après plusieurs épisodes similaires, le pauvre animal était figé de terreur dans la cage. Ses tentatives précédentes de rébellion s'étaient révélées futiles : sa rage ne pouvait persuader ses maîtres de lui donner un répit. Quelques jours plus tard, il mourait, et la dissection de son corps révélait une hémorragie interne sévère de la glande surrénale, qui avait produit des quantités importantes d'adrénaline. L'expérience concernait les effets du stress, nous disait-on. Vous pouvez l'appliquer au monde dans lequel nous vivons, aux relations humaines, au pouvoir et à l'impuissance.
Le sujet de cette lettre n'est bien sûr pas les cobayes, mais nous, les Palestiniens. Son sujet en est la vie humaine, la politique de l'arrogance et la "violence" de l'opprimé. Je me sens le devoir de vous écrire, avec l'espoir que vous prendrez conscience des choses et que vous agirez.
Je suis bien conscient, comme nous tous, de la triste réalité selon laquelle seuls les États-Unis peuvent aujourd'hui décider des problèmes de ce monde, allant jusqu'à persister à le polluer à grande échelle. En ce qui concerne le Moyen-Orient, vous savez parfaitement qu'Israël compte sur le soutien américain, l'impuissance des Arabes et la silence du monde. Donc nous entrons dans la cage. Les Palestiniens sont enfermés sur leur propres terres, pendant que l'armée israélienne avance vers une "victoire" complète et finale. Ce que vous observez à distance est une réaction palestinienne "violente" contre une tentative de le dominer ou de lui imposer la soumission, avec ou sans fromage.
Le plan israélien pour parvenir à la "victoire" n'est pas très difficile à comprendre, surtout si vous appartenez au club des généraux israéliens. Il est fondé sur les principes suivants :
a) Offrir aux Palestiniens des propositions qu'ils ne peuvent que refuser, et les présenter ensuite comme ceux qui ont fait obstacle à la paix.
b) Provoquer les Palestiniens, les faire réagir violemment de manière à ce qu'Israël soit considéré comme victime. La tragédie est que les Palestiniens ont toujours réagi comme Israël l'avait prévu, puisqu'ils ne parvenaient pas à trouver d'alternative non-violente.
c) Parler de paix et de futur, et laisser les Palestiniens parler d'histoire et de libération.
d) Faire savoir au monde que vous ne recherchez que la sécurité, pendant que les Palestiniens sont dépeints comme des terroristes.
e) Faire croire au monde qu'Israël désire ardemment résoudre le problème par la négociation alors que les Palestiniens essayent d'imposer leurs solutions par le feu. Selon cette logique, les soldats israéliens sont en situation d'autodéfense, les enfants palestiniens sont tués parce qu'ils ne demandaient qu'à se faire tuer, et ce sont leurs familles qui sont inhumaines. Cette logique implique aussi qu'Israël n'hésite pas à démolir des maison palestiniennes, tout en parlant de son désir d'améliorer leur vie. Et Israël a le culot de s'emparer de terre en Cisjordanie et à Gaza et de dire à au monde que les Palestiniens ont 22 pays arabes alors que les Juifs n'ont qu'un Israël.
Cher premier ministre,
Si l'on laisse l'armée israélienne poursuivre sa marche vers la victoire finale, cela produira un nouvel exode qui atteindra l'Europe. Les Palestiniens de Gaza devront partir, et ceux qui resteront en Cisjordanie devront accepter que la Jordanie devienne leur état. Pour atteindre ce but, il suffira que l'armée israélienne mène une guerre sauvage, et commette des massacres "par erreur"! Comme à Deir Yassin il y a 53 ans, les forces de défense israéliennes tueront quelques centaines de milliers de personnes. Ils ouvriront la frontière avec l'Égypte, et les Palestiniens s'enfuiront. La victoire aux yeux des dirigeants de l'armée israélienne est présentée comme visant la paix et de la sécurité. Mais ce n'est pas le cas. Il apparaît de plus en plus clairement qu'elle vise à dévorer le reste de la Palestine.
Comme vous le savez, la paix et la sécurité pour Israël ne peuvent être atteintes que si ce pays respecte la loi internationale et met fin à son occupation de territoires palestiniens. Aux États-Unis, les survivants des Indiens, réduits à la misère sur les réserves, meurent jeunes - de stress, de pauvreté, d'impuissance et de défaite. L'administration américaine est prête à laisser Israël traiter les Palestiniens de la même manière. L'Europe est-elle décidée à se contenter d'un rôle de spectatrice ? Sinon comment pouvez-vous alors expliquer votre abstention du vote à la commission des droits de l'homme de l'ONU, lorsqu'il s'agissait de prendre une résolution pour la protection des Palestiniens contre les pratiques brutales d'occupation israéliennes, déjà condamnées par votre gouvernement ? Bien à vous,
Dr. Eyad El Sarraj, Directeur général du Programme pour la santé mentale de la communauté de Gaza
                  
4. Lettre aux Etats membres de l'Union Européenne par Issam Younis
Gaza, le samedi 12 mai 2001
[traduit de l'anglais par Monique Barillot]
Ceci est la lettre que nous adressons aux états membres de l'Union Européenne (UE) en ce qui concerne la revision de l'accord d'association avec Israël . L'accord d'association avait été signé à Luxemburg, le 20 Novembre 1995, entre les états membres et Israël et accordait à Israël un traitement préférentiel en terme de partenariat économique avec l'UE.  En conséquence, plus de 30% des exportations Israëlienne se font avec l'Europe.
Aux états membres de l'Union Européenne,
1. L'accord d'association entre Israël et l'Union économique est un accord qui donne à Israël des avantages commerciaux dans ses relations économiques avec l'Europe.
Comme tous les accords d'association, il comporte un article sur les droits de l'homme. L'article 2 de l'accord UE-Israël (texte de 1995) stipule que l'accord est subordonné au respect des droits humains et des principes de la démocratie et en souligne l'importance
2. Les faits suivants représentent quelques unes des violationscommises par les autorités israëliennes depuis le 28 septemùbre 2000 :
- 438 palestiniens ont été tués depuis le 28 septembre 2000, ce qui représente plus de cinq fois le nombre de victimes israélienne.
La majorité des victimes étaient des civils non armés, et un tiers d'entre elles des enfants.
Ceci démontre le caractère excessif et disproportionné de l'usage de la force par les autorités israéliennes.
- La population civile a été sévèrement sanctionnée par des bouclages internes et externes. Ceci entrave leur liberté de mouvement , rendant impossible pour les musulmans palestiniens de la bande de Gaza, par exemple, l'exercice de leur culte au dome du Rocher. Mais, plus fondamentalements ces bouclages empêchent les palestiniens d'aller travailler en Israël ce qui a des conséquenses désastreuses sur l'économie, élevant le taux de chomage à plus de 50% dans certaines zones, et à 80% dans d'autres (selon une étude réalisée par l'UNRWA) et augmentant le nombre de ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté et qui représentent aujourd'hui le tiers de la population.
- 271,000 arbres ont été arrachés and 20,000 dunams (1 dunam=1,000m2) de terres cultuvées ont été rasées par les autorités israéliennes à titre de sanction pour avoir demandé le respect de leurs droits.
- 3817 maisons ont été détruites totalement ou partiellement et des milliers de civils ont été menacés.
- 40 écoles ont souffert de tirs d'obus.
- Les zones civiles palestiniennes ont fait l'objet de bombardements aveugles et dispropoetionnés qui violent les principes fondamentaux du droit humanitaire.
- On continue à construire des colonies en territoire occupé en violation du droit international ce qui rendla paix de plus en plus improbale
3. A la lumière de ces faits, nous souhaitons demander que soit mis fin immédiatement à cet accord, se fondant sur les très graves atteintes aux principes fondamentaux des droits de l'homme qu'Israël a commis contre la population palestinienne, en particulier pendant les sept derniers mois.
Les états membres de l'UE ont l'obligation légale et morale de suspendre cet accord qui affirme avec autant de force la nécessité de respecter les droits de l'homme. 
Ceci a été réaffirmé dans les principes fondamentaux du partenariat euro-méditerranéen ((1995 Conférence de Barcelone) et développé dans la déclaration de Barcelone . Le premier principe de la déclaration de Barcelone Declaration est la volonté de construire une zone de paix et de stablité commune Euro-méditerranéenne basée sur les principes fondamentaux de respect des droits de l'homme et de démocratie .."
4. Il n'y a pas non plus de mention dans l'accord d'association qui prévoit un méchanisme de contrôle ou une définition de ce qui constitue les droits de l'homme et les principes de la démocratie, ni
d'un seuil à partir duquel les violations pourraient entrainer des contres-mesures.
Ceci est en contradiction avec l'accord d'association conclu entre l'UE et les pays de la conférence de LOME qui comprend un article prévoyant un contrôle. Même s'il ne représente pas un modèle de méchanisme de contrôle du respect des droits de l'homme, il fait au moins mention de mesures qui pourraient être prises en cas de violations de ces droits.
Nous souhaitons souligner cette lacune et demandons instamment aux états membres de l'UE
d'imposer à Israël une condition prévoyant que des comptes soient rendus sur le respect des droits de l'homme dans l'état d'Israël.
Sincèrement votre,
Issam Younis, Director of Al Mezan Center for Human Rights
P.O. Box 2714, Main St., Jabalia Camp, Gaza Strip, Palestine
Tel. 00 972 (0)8 2453555 - Fax 00 972 (0)8 2453554 - Site :
www.mezan.org
                 
Revue de presse

                
1. Un discours de combat de Yasser Arafat au "Jour de la catastrophe" par Catherine Dupeyron
in Le Monde du jeudi 17 mai 2001

JÉRUSALEM, correspondance
A midi sonnant, une sirène a retenti, mardi 15 mai, dans les territoires palestiniens. Pendant trois minutes, la vie s'est figée – le cérémonial rappelle celui adopté par les Israéliens pour le Jour de la Shoah et le Jour du souvenir. Par ce recueillement, toute la population palestinienne marque la mémoire de la Nakba, la "catastrophe", engendrée par la création de l'Etat d'Israël, proclamée le 14 mai 1948. Le lendemain, 15 mai, commençait la première guerre entre Juifs et Arabes. Quelque sept cent mille Palestiniens quittaient alors leurs maisons, chassés par l'ennemi ou volontairement, tous convaincus qu'ils rentreraient bientôt victorieux. Mais ils ne reviendront pas. Ces réfugiés d'hier sont aujourd'hui 3,7 millions, dispersés entre la Jordanie, le Liban, la Syrie et la bande de Gaza.
Rien d'étonnant donc à ce que Yasser Arafat se soit adressé à son peuple en ce jour de commémoration. Dès la fin de la sirène, les haut-parleurs des mosquées ont diffusé le discours du président dans les rues de Cisjordanie et de la bande de Gaza. Un discours de combat, où M. Arafat exhorte son peuple à continuer la lutte jusqu'à ce qu'Israël ait évacué tous les territoires occupés depuis 1967, que "le drapeau palestinien flotte sur Jérusalem" et que les réfugiés puissent rentrer dans "leur patrie". "Il ne peut y avoir de paix et de stabilité tant que les réfugiés sont en diaspora, leur droit au retour est légitime et sacré", a-t-il assuré.
Le discours avait été enregistré à l'avance, M. Arafat s'étant rendu à Charm el-Cheikh, en Egypte, pour y rencontrer le président Hosni Moubarak. "A chaque fois qu'il veut relancer la violence, il part à l'étranger", a commenté Raanan Gissin, le porte-parole du premier ministre, Ariel Sharon.
Sur le terrain, les heurts israélo-palestiniens ont fait quelque 120 blessés et cinq morts, dont une jeune Israélienne. Parmi eux, deux gardes du corps de cheikh Ahmad Yassine, chef spirituel du Mouvement de la résistance islamique, Hamas, tués par l'armée israélienne qui les tient pour responsables de tirs de mortiers dirigés dans la matinée contre le kibboutz de Kfar Aza, situé en territoire israélien. Le Hamas a aussitôt annoncé qu'il vengerait leur mort.
SOUS LE SIGNE DE LA TRAGÉDIE
En 2000 déjà, alors qu'Israéliens et Palestiniens négociaient encore, la journée de la Nakba avait fait cinq morts palestiniens en Cisjordanie. En 1998, cinq Palestiniens étaient tombés à la même occasion, comme si cette commémoration de la "catastrophe" devait presque inexorablement être placée sous le signe de la tragédie.
En revanche, du côté arabe israélien, où les émeutes d'octobre, qui ont fait treize morts dans la communauté arabe d'Israël, laissaient craindre de nouveaux dérapages, la journée n'a été marquée par aucun incident. Toutefois, pour la première fois depuis 1948, les Arabes Israéliens ont été appelés à marquer solennellement cette journée par une minute de silence. L'initiative a été prise par le comité de suivi pour les Arabes Israéliens.
"Dans les circonstances actuelles, l'anniversaire de la Nakba n'est pas la commémoration d'un moment historique qui appartient au passé, mais plutôt le symbole de la catastrophe vécue jusqu'à aujourd'hui par le peuple palestinien", précise un communiqué de presse. Pour le journaliste arabe israélien Wadiya Aawaddeh, "il existe aujourd'hui le sentiment dans la communauté arabe – comme dans la communauté juive – que la guerre entre Arabes et Juifs est éternelle et que ce qui arrive actuellement n'est qu'une séquelle de 1948". Quasi en écho de ces propos, Shimon Pérès, ministre des affaires étrangères, déclarait, dans un entretien publié mardi par le quotidien Haaretz, qu'Israël "lutte pour son existence".
[Le correspondant à Jérusalem de la chaîne de télévision française TF1, Bertrand Aguirre, a été légèrement blessé mardi par une balle tirée, a-t-il assuré, par l'armée israélienne alors qu'il couvrait des affrontements à la limite nord de Ramallah, en Cisjordanie. Le projectile a été arrêté par le gilet pare-balles porté par le journaliste. – AFP]
                          
2. Grillages et plaques métalliques en zone H2 : les maisons de la vieille ville ressemblent à des prisons par Bruno Philip
in Le Monde du jeudi 17 mai 2001

HÉBRON, de notre envoyé spécial
La maison se situe dans une ruelle étroite, sombre et silencieuse, en plein cœur du vieux Hébron placé sous contrôle israélien. Passé une porte de fer, on pénètre dans une cour de taille modeste par une entrée voûtée comme une chapelle. Afifé dit que la maison est vieille "de plusieurs siècles". A première vue, la cour n'a rien d'extraordinaire, à l'exception de sa beauté simple et nue. Pourtant, cette cour est une cage, cette maison est une prison : face à la porte d'entrée, une plaque de protection en métal rouge cache la vue. A l'extrémité du patio se dresse un filet métallique tendu dans des cadres de fer. Le même grillage se prolonge plus haut, à l'horizontale, coiffant tout l'espace de son étroit maillage, à moins de trois mètres au-dessus du sol.
Afifé, trente-trois ans, la fille aînée de la maison, strict "hidjab" (voile islamique) sur les cheveux et regard sombre sur l'éclair d'un sourire, désigne, d'un doigt vengeur, le filet empli de détritus : "Regardez ces bouteilles d'alcool, ces pierres, ces ordures, ces papiers ! C'est ce que nous balancent les colons d'en face à longueur de journée!…" Chez Afifé, ils sont dix. Sa mère, l'une de ses sœurs, trois frères et leurs enfants. Le père, Youssef Charabati, est mort il y a quelques années, "après avoir résisté aux colons pendant vingt ans", explique la jeune femme. "Quand il est mort, poursuit-elle en désignant la grande maison de pierre beige qui domine la sienne, ceux-là ont fait la fête…" "Je me rappelle qu'à leur arrivée, en 1982, mon père avait fait face aux bulldozers en criant : “Tuez-moi plutôt!”"
Cet endroit est un lieu extrême, un précipité d'une ville tendue à se rompre. Ici, Palestiniens et colons juifs vivent mur contre mur, haine contre haine. "Regardez cet escalier qui menait avant à l'autre partie de notre maison, que les colons juifs ont investie avant de la démolir et de construire ce grand bâtiment de trois étages : il y a un mois, l'un d'entre eux a dévissé cette plaque de tôle et a pénétré chez nous en pleine nuit : avec l'un de ses amis, il a fait un feu, là, dans la cour, affirme Afifé. Plus récemment, un autre a brandi une arme depuis sa fenêtre et nous a hurlé dessus en arabe : “Un jour, on vous tuera!”" Elle lève encore son doigt, désigne un réservoir d'eau situé au-dessus du filet de protection : "Regardez ces trous, ils ont tiré dedans au fusil M16!" Elle va à l'autre bout de la cour et montre la plaque de tôle : la séparation en métal est elle aussi trouée à plusieurs endroits d'impacts de balles.
En y posant l'œil, on voit tout chez l'"ennemi" : des toboggans pour enfants, du linge qui sèche, de grands réservoirs peints aux couleurs du drapeau israélien. Toutes les fenêtres sont obstruées par des sacs de sable : les habitants se prémunissent contre les tirs de "snipers" qui, du haut de la colline voisine d'Abou Sneina, située en zone sous autorité palestinienne, visent les colons et les positions de l'armée israélienne. A chaque tir, Tsahal réplique souvent par l'imposition du couvre-feu.
"C'est une sorte de punition collective, continue Afifé; on ne sait jamais ni quand ni pour combien de temps le couvre-feu est imposé." La famille a appris à faire provision de farine, de pois chiches. "Ça nous arrive de manger n'importe quoi. Du pain avarié, s'il le faut ! Cette année, c'est arrivé une fois qu'on soit cloîtré ici durant vingt jours. Parfois, on a l'autorisation de sortir pour quelques heures. Alors on fonce au marché, rouvert brièvement, et on achète tout ce qu'on peut." Afifé est professeur de sciences naturelles, dans une école de l'Hébron palestinien. "J'ai manqué la classe des jours et des jours. Si l'on demande une autorisation aux soldats, c'est toujours non. L'autre jour, ma mère était malade, elle a des problèmes de circulation; on a pris le risque de sortir. Des soldats ont hurlé : “couvre-feu!” On leur a dit qu'on devait aller à l'hôpital. Ils ont hurlé encore : “Rentrez chez vous!”"
Afifé soutient que l'armée et les autorités militaires ne sont jamais coopératives. "Une fois, des policiers israéliens sont venus pour nous dire qu'ils ne pouvaient pas assurer notre protection face aux colons. Ils nous ont fait comprendre que nous ferions mieux de partir. Je leur ai dit : “Ne rêvez pas ! Le jour où on partira c'est que nous serons morts!”" Elle conclut : "J'ai l'impression que notre espace vital se rétrécit de jour en jour."
Derrière la maison d'Afifé, la ruelle se prolonge vers le souk. Dès la fin de l'après-midi, il se vide. Au-dessus des rues court toujours le filet de protection, là où les bâtisses des colons longent le marché. Un carrefour délimite une sorte de ligne invisible: les colons s'aventurent rarement jusqu'ici, les militaires non plus. Mais c'est plus loin, là où de gros blocs de pierre obstruent la rue, que passe la vraie frontière, celle marquant l'entrée de l'Hébron sous contrôle palestinien. Tout près, au croisement d'une autre rue séparant le quartier colon de l'ancien marché aux légumes, une écolière israélienne d'une douzaine d'années jette avec rage des cailloux vers un petit groupe de femmes palestiniennes qui traversent. Deux soldats interviennent mollement. Les écolières rentrent chez elles.
"Ce genre de choses est monnaie courante : les colons élèvent leurs enfants dans la haine des Arabes", grimace Nabil El Khalabi. Ce commerçant d'une cinquantaine d'années est un homme sec, visage émacié, la politesse crispée. Lui aussi habite tout contre la maison d'un colon. Du haut de chez lui, on voit tout Hébron. Sa terrasse est enchâssée de l'inévitable grillage qui enserre l'espace comme dans une grande volière. "Ma vie est un enfer", clame-t-il. Nabil ne parle pas, il vocifère. Tout en montrant les positions des snipers, là-haut sur la colline : "Il suffit d'un tir et hop!, le couvre-feu est imposé. Un Palestinien tire trois balles, les Israéliens répliquent en en tirant un demi-million !" Nabil se retourne, montre la maison des colons qui bouche son arrière-cour : "La semaine dernière, ils m'ont balancé un cocktail Molotov au-dessus du grillage." Il désigne une traînée noire encore visible sur le sol.
Les pièces du dernier étage sont plongées dans une nuit perpétuelle: tous les volets sont clos. "Si je ne les ferme pas, j'ai peur." Nabil redescend dans sa boutique, s'assied derrière son comptoir et souffle : "Mon fils me dit souvent : “Hitler n'a pas tué assez de juifs!”" Silence. "C'est la réaction d'un homme qui vit dans une situation impossible !" Il monte d'un ton : "Maintenant, nous sommes faibles, nous les Palestiniens, mais viendra un jour où les Arabes et l'islam domineront le monde !" Il s'apaise, comme s'il sentait avoir basculé dans l'indicible : "Dans ce conflit, quand un enfant israélien meurt, je pleure. Mais les Juifs devraient quitter la Palestine. Qu'ils retournent d'où ils sont venus, en Europe, aux Etats-Unis !"
Il allume encore une cigarette, reprend une gorgée de café : "Les Juifs et les Arabes ne pourront jamais vivre ensemble : il y a trop de sang versé entre eux."
                          
3. Cinq cents colons dans le souvenir des jours sanglants par Georges Marion
in Le Monde du jeudi 17 mai 2001

JÉRUSALEM de notre correspondant
Le signal vint de Jérusalem, où les affrontements entre Juifs et Arabes commencèrent dès la matinée du vendredi 23 août 1929. La raison apparente en était une obscure histoire de paravent déplié, un an plus tôt, par les Juifs pour séparer hommes et femmes priant devant le mur des Lamentations. Les responsables musulmans y avaient vu une tentative de mainmise sur les lieux. Un paravent aujourd'hui, se plaignirent-ils auprès des autorités britanniques, un banc de pierre demain, un toit après-demain et, bientôt, indélogeables, les juifs seront maîtres du Mur. La puissance mandataire fit enlever le paravent.
Dans le climat de passion nourri par la montée parallèle des mouvements nationaux juifs et arabes, l'exaltation des sentiments religieux et la concurrence que se livraient les factions politiques au sein de chaque communauté, l'incident eut des suites tragiques. Durant un an, tout devint prétexte à exciter les esprits. Le 14 août, des milliers de juifs se rassemblèrent devant le mur des Lamentations pour y exprimer leur aspiration à un Etat sur la terre de Palestine. Les Palestiniens répondirent par une contre-manifestation qui se termina violemment. Dans les jours suivants, d'autres échauffourées achevèrent de détériorer le climat.
Le 23 août, venus de toute la région, des milliers de fidèles musulmans convergèrent vers Jérusalem pour la prière du vendredi. Quelques heures plus tard, les premières victimes, juives et arabes, tombaient dans les rues de la Vieille Ville.
Il y eut, ce jour-là et les suivants, des morts à Jérusalem, à Tel-Aviv, à Safed, ainsi que dans quelques villages des alentours. Mais c'est à Hébron, où vivait depuis des lustres une importante communauté juive, que le bilan fut le plus sanglant. En deux jours, soixante-sept juifs furent massacrés, à la hache, au couteau, au sabre et au gourdin, par des émeutiers chauffés à blanc par les rumeurs venues de Jérusalem où, disait-on, "les Juifs sont en train de massacrer les Arabes". Débordée, la police demeura impuissante. Beaucoup de survivants ne durent leur salut qu'à la solidarité de voisins arabes qui les cachèrent chez eux. Après le massacre, les Britanniques évacuèrent d'autorité les rescapés.
Soixante-dix ans plus tard, les quelque cinq cents juifs qui y sont revenus vivent dans le souvenir de ces jours sanglants.
Un petit musée rappelle l'ampleur du massacre, soulignant la cruauté des Arabes, que les juifs d'Hébron n'hésitent jamais à qualifier de nazis. Pour honorer leur mémoire, les victimes décédées ont droit à de petites photos sépia. Les survivants, eux, sont photographiés sur cliché grand format, exposant en gros plan des membres non cicatrisés dont doigts et mains ont été coupés à la hache. Une fillette a le cerveau qui perce sous son crâne ouvert ; une femme a le dos couvert de larges plaies...
Hors du musée, c'est encore le sang et la haine qui imprègnent les mémoires. La placette où débouche la rue Chouhada, habituellement interdite aux Arabes, s'appelle la place Aharon-Gross, du nom, rappelle une plaque, de celui "qui fut assassiné par des terroristes arabes en 1983". Non loin de là, un panneau disposé sur le toit d'une maison précise en larges lettres bleues que le marché palestinien qui lui fait face a été construit sur les ruines "de propriétés juives volées par des Arabes après le massacre de 1929". Ici et là, encore des plaques à la mémoire de victimes des "terroristes palestiniens".
Les juifs qui vivent à Hébron, revenus dans le sillage des troupes israéliennes après la guerre de 1967, sont convaincus que le monde entier veut leur mort ou, au mieux, leur servitude. La longue litanie des pogroms, déclamée parfois avec une surprenante érudition, illustre leurs certitudes mises au service d'un engagement que rien ne saurait détourner : le retour du peuple juif sur sa terre, Eretz Israël, avec Hébron, la cité des Patriarches, qui en est la deuxième ville sainte.
Ici, dit la tradition, Abraham enterra sa femme Sarah avant d'y être enseveli lui-même. Son fils Isaac et son petit-fils Jacob y furent enterrés à leur tour, au côté de leurs épouses Rebecca et Leah. Juifs et musulmans vénèrent ces tombes comme celles de leurs ancêtres communs, mais cela n'aide en rien à la coexistence. Pendant des siècles, les musulmans en interdirent l'entrée aux juifs, qui n'y accédèrent qu'après 1967. Quand Baruch Goldstein, le 25 février 1994, y assassina à la mitraillette vingt-neuf fidèles musulmans, juifs et musulmans furent séparés, autorisés à ne prier chacun que dans "sa" partie du tombeau, à des moments différents.
"Les Arabes, je les connais", énonce Yossi Charvit, pour qui il ne fait guère de doute qu'Hébron ne saurait être que juive. Natif de Constantine, arrivé en Israël enfant dans les années 70, il met son érudition de docteur en histoire et de fils de rabbin au service d'une revendication territoriale exclusive. L'homme est doux, mais habité par des idées aux conséquences extrêmes. "Mon problème, dit-il, n'est pas de cohabiter à Hébron, mais d'habiter Hébron, chez moi, où je n'ai aucun complexe à être revenu. Si les musulmans veulent être chez eux, ils peuvent aller en Arabie saoudite, d'où ils viennent." "L'islam, dit-il encore, a toujours été colonisateur. Or, avec Israël, il est aujourd'hui sous tutelle, ce qui bouleverse son identité et l'image qu'il en a."
Il ne partira pas. Et personne ne pense autrement à Hébron, où la seule pensée qui vaille est la pensée religieuse ; où le discours politique se résume à quelques rudes insultes dirigées contre Arafat, le "nouvel Hitler", Pérès, le "traître, ami des terroristes" ; où les rumeurs les plus naïves assurant qu'Igal Amir n'est pas l'assassin de Rabin ou que ce sont les Palestiniens qui ont tué le petit Mohammad - "pour nous mettre l'histoire sur le dos" - sont vérité d'airain ; où, le jour de Pâque, des enfants de douze ans protégés par des soldats embarrassés testaient avec arrogance leur pouvoir en faisant fermer une boutique arabe.
"N'importe quel stratège sait qu'il ne faut pas quitter les crêtes, dit encore Yossi Charvit en désignant les collines d'où, parfois, des francs-tireurs palestiniens tirent sur les quartiers juifs. On n'aurait jamais dû abandonner une seule parcelle d'Hébron aux Palestiniens. Tôt ou tard, on reprendra tout."
Le récit des événements mentionnés dans cet article est tiré du livre de Tom Segev consacré à la Palestine sous mandat britannique : C'était en Palestine au temps des coquelicots, éditions Liana Levi, Paris, 2000, 681 pages.
                   
4. Sept Palestiniens abattus lundi par Serge Dumont
in Le Soir (quotidien belge) du mardi 15 mai 2001

Les moyens utilisés par l'armée israélienne le prouvent : Tsahal déploie actuellement une nouvelle stratégie militaire contre les Palestiniens, une stratégie de plus en plus offensive. Et meurtrière.
TEL-AVIV
Les raids menés par Tsahal (l'armée israélienne) sur la bande de Gaza dans la nuit de dimanche à lundi illustrent clairement la nouvelle stratégie militaire de l'Etat hébreu qui consiste à frapper les centres nerveux de l'Autorité palestinienne (AP) sans avertissement préalable et sans que ces opérations soient liées à des tirs palestiniens contre des colonies juives. Avant-hier, ce sont d'abord les vedettes rapides Dabour de la marine israélienne qui ont rasé à la roquette la base de la police maritime palestinienne de Nusseirat, où aucune activité anti-israélienne n'était pourtant en cours. Ensuite, ce sont des hélicoptères Cobra qui ont attaqué une caserne à quelques mètres du cabinet d'Arafat, et les bureaux de la Sûreté nationale palestinienne de Tawfik Tirawi.
Selon les porte-parole de l'AP, quinze personnes au moins ont été plus ou moins gravement blessées à la suite de cette attaque. Un bilan beaucoup moins grave qu'à Beitounia (banlieue de Ramallah, Cisjordanie), où cinq policiers palestiniens ont été abattus sans sommation lundi matin. Parce que les unités de Tsahal qui opéraient dans cette zone considéraient leurs mouvements comme « suspects ». Deux autres Palestiniens ont été abattus dans la bande de Gaza hier.
Vingt-quatre heures avant « Al Nakba », la commémoration par les Palestiniens des territoires et par la communauté arabe d'Israël de la « catastrophe » que représente pour eux la création de l'Etat hébreu le 15 mai 1948, la mort des cinq policiers et la série d'attaques sur Gaza ont fait monter de plusieurs crans la tension déjà fort élevée. Du moins, du côté palestinien, où Yasser Arafat qualifie l'opération israélienne de Beitounia de sale opération et exige du Conseil de sécurité de l'ONU qu'il débatte de cette bavure.
En revanche, l'assassinat des policiers palestiniens ne suscite pas beaucoup d'émotion en Israël. Pas plus, d'ailleurs, que la nouvelle incursion menée hier par Tsahal au nord de Tulkarem (Cisjordanie), où plusieurs constructions soupçonnées d'abriter des postes de tir palestiniens ont été détruites par des bulldozers appuyés par des chars. La majorité des Israéliens considère ces opérations comme d'autant plus « normales » que le terrorisme menace toujours le centre de l'Etat hébreu (deux bombes ont été découvertes hier dans des endroits différents de Petah-Tikvah, une ville de la grande banlieue de Tel-Aviv), et que les tirs palestiniens se poursuivent sporadiquement sur les implantations et sur certaines agglomérations israéliennes.
Hier en fin d'après-midi, le quartier de Gilo (une banlieue de Jérusalem construite sur des terrains annexés après la guerre des Six Jours) a d'ailleurs été pris sous le feu de tireurs palestiniens. Deux femmes qui circulaient en voiture et deux piétons ont été blessés. Les chars israéliens ont riposté en ouvrant le feu au canon et à la mitrailleuse sur Beit-Jala (Bethléem), le quartier palestinien d'en face.
L'opinion publique israélienne appuie Sharon
Le durcissement militaire israélien reflète celui de l'opinion publique de l'Etat hébreu. Celui-ci se manifeste par un soutien affiché à la politique du Premier ministre Ariel Sharon (71 % d'opinion favorable, même si 55 % accepteraient un gel de la colonisation contre un cessez-le-feu palestinien), et, entre autres, par l'écho grandissant qu'accordent les médias aux thèses de leaders politiques extrémistes. Comme celles du ministre du Tourisme Rehavam Zeevi (extrême droite) qui a exigé le bombardement des stations de radios et de télévisions palestiniennes en raison des appels au meurtre que l'on y diffuse. Sharon, lui, a présenté hier devant la Commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset un projet visant à créer un réseau radiotélévisé en arabe émettant à partir d'Israël vers les territoires palestiniens et couvrant en puissance celui de l'AP, qui serait ainsi brouillé.
De son côté, recevant des représentants de la Communauté européenne, le ministre des Affaires étrangères Shimon Peres a confirmé qu'Israël accepte le rapport de la « Commission Mitchell » (créée en octobre 2000 pour déterminer les responsabilités dans le déclenchement de l'intifada) mais qu'il rejette les critiques émises par les commissaires internationaux sur sa manière de réprimer le soulèvement palestinien ainsi que l'idée de geler la construction dans les colonies juives.
                    
5. Israël craint le retour de la diplomatie française par Georges Marion
in Le Monde du samedi 12 mai 2001
RIEN, ou presque, n'y fera : la France n'a pas bonne presse en Israël. La France politique s'entend. Car, pour le reste, la France, où des dizaines de milliers de touristes Israéliens se rendent chaque année, est plutôt mieux placée que nombre de ses voisins européens. Mais, pour ce qui concerne ses choix politiques, la France ne passe pas.
Préjugés, histoire et incidents plus récents se conjuguent pour donner de la politique de Paris une image négative, communément qualifiée de "pro-arabe", en dépit des efforts faits par la diplomatie française, à Paris ou à Jérusalem.
Du voyage, l'année dernière, de M. Jospin et de ses déclarations chaleureuses à l'égard de l'Etat juif comme de ses critiques du Hezbollah libanais alors qu'Israël occupait encore le sud du Liban, rien ne semble être resté. Si elle l'a jamais su, l'opinion publique israélienne paraît avoir oublié que Paris avait alors amorcé un changement de taille dans sa politique moyen-orientale, décidé à écouter Israël pour y être enfin entendu, à économiser ses leçons pour mieux faire valoir son point de vue.
Quinze mois plus tard, Intifada aidant, on semble être revenu à la case départ. La réprobation française à l'égard des moyens, jugés "disproportionnés", utilisés par l'armée israélienne face aux manifestants palestiniens déplaît autrement plus que les critiques scandinaves ou que les sorties, parfois virulentes, de la diplomatie belge. L'incident de Paris, en octobre 2000, au cours duquel Ehoud Barak a reproché au président Chirac d'avoir jeté de l'huile sur le feu est resté ici dans toutes les mémoires. Les manifestations de soutien au combat palestinien, éclaboussées par des slogans antisémites et par des incendies de synagogues, aussi. Depuis, chroniquement, la presse israélienne titre sur la "politique hostile" de Paris, nourrissant et relayant à la fois les craintes de l'importante communauté francophone, déjà contrariée par les rumeurs venues de France où, souvent, est restée une partie de la famille.
Dans ce climat tendu, chaque incident ou chaque maladresse prend des allures disproportionnées, ouvre la porte au fantasme. Que le maire de Poitiers, frileux, s'inquiète des manifestations hostiles que pourrait provoquer dans sa ville la présence d'un diplomate israélien venu y remettre une médaille honorant l'aide apportée à une famille juive persécutée durant la guerre, et voilà la France accusée d'interdire la présence de juifs aux cérémonies commémoratives de la Shoah. Qu'un courageux anonyme du Quai d'Orsay, invité à l'ambassade d'Israël à l'occasion de la fête nationale, y renvoie son carton avec quelques lignes bien senties sur l'occupation du Golan et de la Cisjordanie, et voilà l'administration française accusée d'abriter des émules de Vichy.
Plus discrètement, mais avec à peine moins d'émotion, le gouvernement israélien s'inquiète de la direction que pourrait prendre la politique moyen-orientale européenne. C'est encore une fois la France qui se trouve dans la ligne de mire, et plus particulièrement son ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine. Le même qui, pourtant, est à l'origine d'une politique de dialogue plus décidée avec Israel.
Au mois de mars, ce dernier a fait parvenir à ses collègues un texte de réflexion équilibré où il appelle l'Europe à ne pas avoir peur de jouer un rôle plus décisif dans la région. L'Europe, écrit en substance le ministre, y a intérêt à cause de sa proximité géographique avec le Proche-Orient, des menaces qui pèsent sur ses approvisionnements énergétiques, de la prolifération des armements, du terrorisme ou des flux migratoires, comme de la dégradation de la situation devant laquelle le continent ne peut rester bras croisés.
Cette volonté d'intervention nouvelle, cependant, suppose de la part de l'Europe plus de "cohésion"et plus de "courage politique", impliquant que les Européens refusent d'être "a priori marginalisés" par Israël et par les Etats-Unis, ou "instrumentalisés" par les Palestiniens ou par leurs alliés arabes. Elle suppose encore, en ce qui concerne Israël, de mener un dialogue "intensif", "constructif" et, au besoin, "critique" et "dénué de toute inhibition".
"SANCTIONS"
Elle suppose enfin, même si cela doit heurter l'une ou l'autre partie, même si cela doit indisposer les Américains, que les Européens, dans la recherche de la paix, n'hésitent plus à utiliser les moyens dont ils disposent, qu'il s'agisse de l'éventuelle remise en cause de tout ou partie des accords d'association avec Israël ou des contributions financières qu'ils versent aux Palestiniens.
Le mot "sanctions"n'est pas une seule fois écrit dans le texte de M. Védrine, mais il est suffisamment suggéré pour que les Israéliens estiment pouvoir s'en inquiéter, et les Palestiniens s'en réjouir. "La France est en train de préparer pour ses partenaires européens un document officiel où elle propose des sanctions économiques contre Israël", se félicitait, au terme d'une récente visite à Paris, le ministre palestinien Nabil Chaath, qui, apparemment, avait connaissance du document français. "Le minimum de ces sanctions consistera à supprimer les exemptions douanières dont bénéficient les produits israéliens fabriqués dans les territoires occupés, y compris à Jérusalem", ajoutait M. Chaath faisant allusion au délicat dossier dit "des règles d'origine" actuellement en cours d'étude par les autorités douanières européennes.
Dans un contexte où tous les pays arabes font pression pour que l'Europe sanctionne Israël, ses dirigeants s'inquiètent particulièrement d'un document préparé il y a quelques mois par Chris Patten, commissaire européen chargé du Moyen-Orient, qui dresse la liste de tous les moyens de pression dont dispose l'Europe - de la déclaration rituelle à la mesure de rétorsion - si elle se décidait à agir plus énergiquement contre Israël et sa gestion de la crise avec les Palestiniens.
On n'en est pas là. Les Européens, qui doivent rencontrer leurs homologues israéliens le 14 mai prochain et qui, à la fin du mois, discuteront, entre eux cette fois, de leur politique à l'égard du conflit israélo-palestinien, ont, ces derniers jours, répété qu'il n'était pas question de sanctions. Quant aux Français, qui assurent, eux aussi, être opposés à des sanctions, ils viennent d'envoyer à Jérusalem le directeur des affaires moyen-orientales au Quai d'Orsay, Yves Aubin de la Messuzière, porteur d'un message personnel de Jacques Chirac, proposant à Ariel Sharon, en même qu'une invitation à Paris, l'aide de la France dans la recherche d'une solution politique et l'établissement de contacts personnels.
                  
6. Yasser Arafat doit faire face à une contestation grandissante par Bruno Philip
in Le Monde du jeudi 10 mai 2001

Sept mois après le début de la seconde Intifada, l'Autorité palestinienne de Yasser Arafat doit faire face à une contestation croissante venue notamment d'anciens cadres du Fatah, la principale composante de l'OLP. LE Le président se voit reprocher son impuissance. Il est tiraillé entre sa solidarité avec le mouvement qui s'est déclenché en septembre 2000 et l'évolution de celui-ci vers des formes plus violentes. La radicalisation est confirmée par les tirs de mortiers sur les colonies israéliennes de Gaza et l'arraisonnement par la marine israélienne d'un navire libanais transportant une importante cargaison d'armes. Ces dissensions, qui ne remettent pas en cause pour l'instant l'autorité du chef de l'OLP, se sont manifestées à l'occasion de l'ordre donné par M. Arafat – mais qui n'a pas été respecté – de cesser les tirs de mortier.
GAZA de notre envoyé spécial
Sept mois après le début de l'Intifada, des voix discordantes s'élèvent dans le camp palestinien, qui donne de plus en plus l'impression d'être divisé sur le choix des formes de résistance à adopter: l'appel lancé samedi 28 avril par le président Yasser Arafat à "cesser les tirs" de mortier sur les colonies juives en est l'illustration.
Cette décision, assortie d'un appel à la dissolution de factions armées qui mènent la lutte contre Tsahal, mécontente la "base" du propre parti de M. Arafat, le Fatah. Elle semble avoir accentué le clivage existant entre, d'une part, les partisans de la continuation d'une Intifada "militarisée" et, d'autre part, l'Autorité palestinienne, qui préfère laisser alterner les phases d'une violence qu'elle ne contrôle pas vraiment avec des moments de désescalade propices aux avancées diplomatiques.
"UN PRIX À PAYER"
Mais M. Arafat dispose d'une marge étroite: s'il paraît céder aux pressions conjuguées des Israéliens et des Américains, il est immédiatement accusé de compromission par les gens de son propre camp. Plus que jamais, et à un moment où l'Intifada arrive sans doute à un tournant, le président palestinien se trouve dans une situation difficile: "Je ne peux pas empêcher mon peuple de se révolter quand il enterre ses morts", faisait-il récemment remarquer.
"Nous respectons Yasser Arafat mais nous sommes formellement opposés à cette décision. C'est une mesure étrange que nous n'admettons pas. Et même si nous comprenons les contraintes diplomatiques auxquelles il fait face, personne ne nous empêchera de nous défendre contre l'agresseur sioniste! Quand quelqu'un meurt chez nous par des balles israéliennes, d'autres doivent mourir chez ceux d'en face! Les colons doivent savoir qu'il y a un prix à payer." L'homme qui tient ces propos, et qui refuse de donner son nom, se présente comme "l'un des cinq chefs" des Comités populaires de résistance (Lijan al mouquawama al chaabiya). Créés dès le début de l'Intifada, ces comités représentaient le bras armé du Fatah, à Gaza comme en Cisjordanie. Ce sont eux qui organisent les actions militaires d'un soulèvement qui s'est, depuis belle lurette, transformé en lutte armée contre les Israéliens.
"Je suis membre du Fatah et ancien membre des forces de sécurité de l'Autorité palestinienne", explique notre interlocuteur, rencontré en compagnie de quatre de ses gardes du corps dans un restaurant du centre de Gaza-ville.
"Désormais, nous estimons que les comités ne font plus partie du Fatah. Nous sommes une organisation indépendante", dit-il. En fait, il semble que les dits comités soient composés ou dirigés non seulement par certains officiers des forces de sécurité palestinienne, mais aussi par d'anciens militants des "Panthères noires" et des "Faucons du Fatah", organisations militantes à l'époque de la première Intifada (1987-1993).
Tawfiq Abou Khossa, qui fut précisément l'un des leaders de ce soulèvement-là, fait écho aux propos du responsable des comités, tout en les nuançant. "Le Fatah, explique-t-il, est tout à la fois le parti du président Arafat et l'opposition à l'Autorité palestinienne. Aujourd'hui, nous disons “non!” à Arafat quand il veut dissoudre les comités et appelle à cesser le feu. La résistance contre l'occupation se poursuivra même s'il est vrai que, au final, l'Intifada doit aller de pair avec des phases de négociation."
Les responsables de l'Autorité aimeraient bien quant à eux pouvoir rétablir le calme à leur convenance, tout en sachant qu'ils ne peuvent plus contrôler un mouvement qui leur échappe localement. "Nous sommes pour la continuation d'une Intifada populaire, mais pas pour une Intifada militarisée", explique Marwan Abdel Hamid, vice-ministre du logement palestinien. Pour lui, laisser la résistance se transformer en conflit armé revient à "faire le jeu des Israéliens : la militarisation de l'Intifada, c'est ce qu'ils souhaitent", assure-t-il. En clair, il ne faut pas fournir à l'Etat juif prétexte à répression et durcissement.
Sept mois de lutte, de bombardements, de privations, d'augmentation du chômage commencent d'ailleurs à laisser des traces. "Il y a un sentiment général de désillusion", commente Haidar Abdel Chafi, vieil adversaire de Yasser Arafat qui dirigea, en 1991, la délégation palestinienne à la conférence de paix de Madrid. A l'en croire, "les gens se plaignent des carences d'une Autorité palestinienne qui a démontré son impuissance à rendre cette Intifada efficace. Mais les gens ne veulent pas que le soulèvement prenne fin; ils auraient dans ce cas l'impression que tous ces sacrifices ont été vains".
RADICAUX ET PRAGMATIQUES
M. Chafi approuve M. Arafat lorsqu'il s'agit de "diminuer le niveau de violence", mais il est en désaccord avec sa stratégie. "Il a laissé les choses se développer d'elles-mêmes et puis, d'un seul coup, il dit: “Arrêtez!” C'est de la folie", observe-t-il.
Son fils, Salah, homme d'affaires et responsable du Centre d'échanges palestiniens, estime pour sa part que la militarisation de l'Intifada a fait perdre à cette dernière "l'image d'un David combattant Goliath". "Du coup, son caractère populaire a disparu et c'est dommage, dit-il. Je pense que les désaccords vont se creuser entre les radicaux et les pragmatiques. De manière générale, les gens constatent que certains responsables se sont enrichis depuis l'avènement de l'Autorité palestinienne, tandis que la vaste majorité de la population perd ses enfants et ses biens."
Ce sentiment est partagé par nombre de militants au sein du Fatah, ainsi que l'explique Abdel Hakim Awad, responsable des jeunesses du parti de Yasser Arafat : "Il y a des gens au sein de l'Autorité palestinienne qui souhaitent que l'Intifada s'arrête parce que leurs intérêts économiques sont en jeu. Mais, affirme-t-il, ils sont en nombre très limité. Je peux vous assurer que 90% de la population est contre la décision d'Arafat de faire cesser les tirs de mortier sur les colonies."
L'appel du président n'a d'ailleurs pas eu beaucoup d'écho. Les tirs continuent. "Yasser Arafat nous demande chaque jour de nous calmer, poursuit M. Awad, mais les Palestiniens sont en train de prouver à Ariel Sharon qu'il a tort de continuer à nous réprimer. Ce n'est pas le moment de baisser les bras. Et puis regardez! à chaque fois qu'Arafat a demandé une baisse du niveau de la violence, les Israéliens ont répliqué plus fort encore."
                   
7. L'économie palestinienne est menacée de faillite par Bruno Philip
in Le Monde du jeudi 10 mai 2001

GAZA de notre envoyé spécial
La "douane" est à l'image des relations entre Israël et la Palestine. A Karni, à l'est de la bande de Gaza, sur la "frontière" avec l'Etat hébreu, se dresse un mur. Une façade percée d'ouvertures où pénètrent des tapis roulants. Des marchandises sont placées sur ces tapis et roulent vers Israël. D'autres en proviennent et sont déchargées en Palestine. Les contacts entre les deux côtés sont réduits au minimum: de part et d'autre, on ne se voit pas, on se parle à peine. Le seul point de rencontre se situe au-delà d'un portillon de métal protégé par des glaces sans tain et flanqué d'un projecteur qui permet aux hommes d'affaires palestiniens d'aller dédouaner leurs marchandises en Israël.
Ce mur n'est pas neuf. Avant la seconde Intifada, il existait déjà. La "paix d'Oslo", en 1993, n'avait évidemment pas fait s'écrouler les palissades de méfiance. Surtout que l'émergence d'une autonomie palestinienne avait coïncidé un peu plus tard avec la multiplication d'attentats en Israël. A chaque bombe, la frontière était fermée, les échanges interrompus, la Palestine étranglée. Mais l'ébauche d'une paix fragile avait donné un essor sans précédent à la collaboration commerciale entre les deux peuples. A Karni, une zone industrielle et commerciale avait même commencé de fonctionner en 1999, et les projets d'investissement affluaient: Nestlé, la Japan Tobacco, des compagnies informatiques de l'Inde, des entreprises canadiennes, etc.
Cette Zone industrielle palestinienne de management et de développement palestinien (Piedco) devait marquer le début d'une nouvelle ère: trente-cinq hommes d'affaires de l'Etat hébreu venaient, jusqu'à l'année dernière, travailler tous les jours ici. Côté palestinien.
INVESTISSEMENTS GELÉS
Sept mois d'Intifada viennent de ruiner les espoirs d'une nouvelle donne économique. Dans son bureau de Karni, le directeur de la Piedco, Abdoul Malik AlJaber, un Palestinien venu tout exprès du Canada, remarque avec amertume que "les pertes occasionnées par cette situation devraient se chiffrer autour de 3,5 milliards de dollars (3,9 milliards d'euros) depuis le mois d'octobre 2000".
Cette somme inclut non seulement les pertes économiques pour les investisseurs et les entreprises mais aussi le manque à gagner pour tous les ouvriers palestiniens qui n'ont désormais plus le droit de se rendre de l'autre côté de la frontière. Rien qu'à Gaza il y a entre 30 000 à 40 000 ouvriers détenteurs de permis de travail en Israël. En dépit des récentes promesses de l'Etat hébreu, pas plus d'un millier, selon des sources palestiniennes, continuent d'aller travailler chez l'"ennemi". "Les gens ont peur de côtoyer des Israéliens et surtout peur à l'avance de la police qui les injurie et multiplie les humiliations à leur égard", affirme un homme d'affaires de Gaza. Conséquence: il y avait 11 % de chômage en Palestine en 2000, le taux a maintenant grimpé à 50 % pour Gaza et 35 % pour la Cisjordanie.
Selon M. AlJaber, le désastre économique se décline sur trois niveaux: les investisseurs palestiniens (industrie textile, agences de services, de consultants, assurances) sont découragés, et certaines entreprises sont au bord de la ruine; les grandes compagnies étrangères qui avaient commencé à s'implanter ont gelé leurs investissements; d'autres, qui s'apprêtaient à signer des projets, se sont retirées en attendant des jours meilleurs.
Finalement, les moins touchés sont les Israéliens! "La Palestine est le deuxième marché pour Israël après les Etats-Unis, poursuit le directeur de la Piedco, ce qui explique en partie pourquoi, en ce qui concerne les exportations israéliennes vers les zones palestiniennes, tout passe à 90 %, sauf dans les moments de fermeture totale de la frontière: pétrole, produits laitiers, légumes, médicaments. Mais ce n'est pas le cas des exportations palestiniennes vers Israël: de l'autre côté, ils sont très méfiants, les inspections sont longues, et le passage des marchandises dans ce sens est désormais réduit au strict minimum."
L'Autorité palestinienne de Yasser Arafat est également en difficulté. Toujours privée du revenu de taxes de douane bloqué par les Israéliens, en dépit des demandes pressantes de l'Union européenne et des Etats-Unis, elle pâtit également de la chute d'activité des entreprises, alors que les particuliers sont de moins en moins capables de régler leurs factures d'eau et d'électricité, sans parler du téléphone.
                                    
8. “Il rendra l’âme agrippé à son fauteuil” par Amnon Barzila
in The Jerusalem Post (quotidien israélien) traduit dans Courrier International du jeudi 10 mai 2001
Shimon Pérès est prêt à tout pour conserver une parcelle de pouvoir, estime l’éditorialiste d’"Ha’Aretz". Mais que fera le ministre des Affaires étrangères si les travaillistes décident de sortir de la coalition actuellement au pouvoir ? Quittera-t-il le parti, comme il l’avait fait en 1963 ?
Shimon Pérès est le dernier dirigeant travailliste historique. “A 78 ans, Pérès a fini par réussir à ressembler à son mentor et modèle David Ben Gourion”, explique un responsable du parti, ajoutant, non sans une pointe d’ironie : “L’ennui, c’est que cette ressemblance concerne plutôt la fin de carrière politique de Ben Gourion.” En 1963, ce dernier quittait le Mapai [ancêtre du Parti travailliste] avec Shimon Pérès et Moshé Dayan pour fonder le Rafi [acronyme hébreu de Liste ouvrière d’Israël] Lorsque Pérès et Dayan réintégrèrent le nouveau Parti travailliste, en 1969, Ben Gourion créa la Liste d’Etat, qui, quelques semaines avant sa mort, se fondit dans le Likoud. Si le futur président du Parti travailliste décide de quitter la coalition, Pérès obtempérera-t-il ou s’accrochera-t-il à son poste ?
Fin 2000, pour justifier sa candidature contre le travailliste Barak, Pérès déclarait : “Il n’y a plus de Parti travailliste : Rabin et Barak l’ont détruit.” Peut-être faisait-il preuve de prescience en tenant ces propos, ou exprimait-il simplement le désarroi d’un politicien dont l’âge n’est plus en adéquation avec son parti et qui sent que sa carrière est terminée. Pérès va toutefois vite en besogne en attribuant la responsabilité du déclin travailliste à Rabin et à Barak. Après tout, l’homme qui a donné l’arme atomique à Israël est aux postes clés du parti depuis 1948. Et la situation de ce parti est pire qu’en 1977, date de l’accession du Likoud au pouvoir. Le Parti travailliste n’est plus qu’un parti laïc ashkénaze représentant les classes moyennes et supérieures.
Pour Asher Arian, politologue à l’université de Tel-Aviv, “l’élection de 1977 fut cruciale pour comprendre les évolutions sociologiques de la société israélienne. Pérès, alors le plus jeune des dirigeants, aurait dû en tirer les conclusions et redéfinir l’identité de son parti. Hélas, il attribua la défaite historique des travaillistes à toute une série de raisons (l’apparition d’un parti centriste, la corruption, le compte américain de Leah Rabin et la rupture de l’alliance avec le Mafdal [national-religieux]), en oubliant les facteurs déterminants de la débâcle : le contrecoup de la guerre du Kippour et la révolte des Juifs orientaux. Les responsables travaillistes, des Ashkénazes retranchés dans les quartiers nord de Tel-Aviv, n’affichèrent que mépris à l’adresse des Orientaux, Pérès ne s’occupant plus que de politique étrangère.”
Décidé à maintenir coûte que coûte son contrôle sur le parti, Pérès mit sur pied une lourde machine bureaucratique autour du syndicat unique Histadrout, ce qui, au premier abord, était censé accroître la représentation ouvrière dans les instances du parti. En réalité, toute volonté de renouvellement au sein du parti fut étouffée, tandis que les représentants ouvriers étaient récusés par leur base. En 1992, ce système s’effondra et Rabin tailla Pérès en pièces pour finalement l’emporter contre le Likoud.
Menacé par une forte opposition au sein de son parti, emmenée par Avraham Burg, Haïm Ramon, Yossi Beilin et Shlomo Ben Ami, Shimon Pérès n’en est pas moins très à l’aise dans un gouvernement Sharon où il détient un portefeuille à la mesure de son ambition. Tout ce qu’il a à faire, c’est s’adapter, chose à laquelle il est rompu depuis le début de sa carrière. Au début des années 90, il défendait un “compromis fonctionnel” (une entité palestinienne sans souveraineté territoriale) dans les Territoires, pour finalement se plier à un Rabin partisan d’un “compromis territorial” (la terre contre la paix).
A la fin des années 70, il était élu à la tête de l’Internationale socialiste, dix ans après avoir exigé que le mot “socialisme” soit rayé de la plate-forme travailliste. En 1970, il s’opposait à un accord séparé avec la Jordanie pour, en 1987, signer un tel accord avec le roi Hussein. Toujours dans les années 70, il était un des principaux partisans du Goush Emounim [Bloc de la foi, fer de lance de la colonisation nationaliste religieuse en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza] pour s’opposer à eux, dans les années 90, au nom des accords d’Oslo. Il y a huit mois, Pérès adjurait Barak de ne pas mettre sur pied un gouvernement d’union nationale avec Sharon. Barak à peine battu, Pérès prenait la tête des travaillistes favorables à un tel gouvernement, anéantissant ainsi quinze ans d’efforts pour arriver à la paix entre Israéliens et Palestiniens...
Pérès a commencé sa carrière comme “Monsieur Sécurité” ; il l’a poursuivie comme “Monsieur Nouveau Moyen-Orient”. Aujourd’hui, il épouse les idées de Sharon quant à la façon de résoudre le conflit avec les Palestiniens. Depuis toujours, Pérès se considère comme le centre de la vie politique en Israël. A ce titre, nul ne sait sur quelle case de l’échiquier politique on le retrouvera dans deux ans. Ce qui est certain, c’est qu’il rendra l’âme cramponné à son fauteuil.
                 
9. Les Israéliens veulent anéantir l'initiative égypto-jordanienne - Entretien avec Mohamed Sobeih, délégué permanent de Palestine auprès de la Ligue arabe propos recueillis par Randa Achmawi
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 9 mai 2001

- Al-Ahram Hebdo : Mohamed Sobeih, délégué permanent de Palestine auprès de la Ligue arabe, quels sont les principaux obstacles à l'application de l'initiative égypto-jordanienne ?
- Mohamed Sobeih : L'initiative égypto-jordanienne prend pour point de départ les accords de Charm Al-Cheikh II d'octobre 2000, conclus sous Barak et au moment de l'Intifada. Il s'agit de lier le cessez-le-feu et le retour du calme au retrait de l'armée israélienne. Ceci en plus de l'ouverture des points de passage, des frontières, de l'aéroport et du port de Gaza et du déblocage des fonds palestiniens gelés par les Israéliens. Ensuite, l'initiative souligne que dans un délai de 4 semaines, à la suite du retour au calme, il faudra reprendre les négociations. La référence de celles-ci serait les accords de Wye River et ceux de Charm Al-Cheikh I en septembre 1999 conclus sous Barak. Ceci veut dire qu'on respecte le calendrier établi à Charm Al-Cheikh qui fixe des échéances mensuelles pour chacun des points à traiter. Or, les Israéliens ne veulent pas qu'il y ait un cadre de référence pour les négociations. Pour dire explicitement ce que veut Sharon, c'est obtenir le calme, et en retour il veut donner aux Palestiniens des négociations intérimaires à perpétuité. Ce qui est sans l'ombre d'un doute synonyme de rien.
— Quels étaient les véritables objectifs de la visite de Pérès au Caire ?
— Malheureusement, la visite de Pérès au Caire n'a rien apporté de nouveau. Au contraire, Pérès avait apporté dans ses bagages un ensemble de mensonges et une tentative de tricher et de propager la confusion auprès de l'opinion publique mondiale. Et je pense que le président Moubarak s'est rendu compte de cela lorsqu'il a annoncé que c'était la partie israélienne qui avait demandé d'annoncer un accord israélo-palestinien sur un possible cessez-le feu. Le lendemain, la radio israélienne avait démenti les faits en s'interrogeant d'où Moubarak avait tiré ces propos, et Arafat a appelé Amr Moussa pour lui dire qu'il n'y avait pas eu d'accord dans ce sens. Pérès a été à l'origine de ce malentendu et de la confusion qui l'a suivi. Ceci a permis de démasquer le véritable visage des responsables israéliens qui se servent de Pérès pour jouer le rôle de relations publiques du gouvernement Sharon. Pérès est en réalité venu au Caire avec l'intention de soigner son image devant les caméras en parlant de l'arrêt de la violence des deux côtés plutôt que de négociations sérieuses avec les Palestiniens. L'initiative égypto-jordanienne parle en fait d'un cessez le feu. Mais ceci veut dire que l'armée israélienne doit arrêter ses attaques et appliquer les accords de Charm Al-Cheikh prévoyant le retrait de cette armée jusqu'à ses positions d'avant le 27 septembre 2000.
— Pensez-vous que l'initiative égypto-jordanienne une fois appliquée pourra ramener le calme sur le terrain ?
— Il faudrait d'abord qu'il y ait un retrait de l'armée israélienne de l'ensemble des villes et villages palestiniens. La réalité à laquelle nous sommes actuellement confrontés est que l'aéroport et l'ensemble des points de passage sont fermés. La bande de Gaza et la Cisjordanie sont découpées en 64 parties et il y a un bouclage complet des territoires palestiniens. De plus, les Israéliens ont gelé les fonds de l'Autorité palestinienne, alors que cet argent appartient au peuple palestinien. Malheureusement, rien de concret ne se passe, c'est plutôt le contraire. En fait, les Israéliens font des incursions dans les zones A où aucune présence israélienne ne doit avoir lieu. Par exemple, ils ont pénétré dans la ville de Beit Hanoun, dans le nord de Gaza. Ils ne se sont retirés qu'après avoir reçu un ordre des Etats-Unis. Il y a quelques jours, ils sont de nouveaux entrés dans la zone A sur la frontière avec l'Egypte, à Rafah, dans le « quartier du Brésil ». Donc, ils n'ont aucun respect à l'égard de tous les tabous et de tous les accords.
— Que pensez-vous des modifications de l'initiative proposée par les Israéliens ?
— Elles sont inacceptables. Par exemple, l'initiative parle d'un arrêt total et immédiat de la colonisation. Israël souligne qu'il ne créera pas de nouvelles colonies, mais qu'il se réserve le droit d'élargir celles qui existent déjà. Ceci veut dire qu'un nouveau groupe de colons arrivera dans nos territoires et installera des caravanes ou autres genres de maisons préfabriquées à distance de la colonie. Dès qu'ils installent ce genre de caravanes, ils commencent tout de suite à construire un chemin pour les lier à la colonie. Ensuite, c'est le tour des troupes israéliennes d'arriver pour les protéger. Donc, ce qui arrive en réalité c'est la construction d'une nouvelle colonie sous le camouflage d'élargissement de celle qui existe. A cause de cela, les Palestiniens et même Colin Powell ont catégoriquement rejeté toute sorte d'élargissement des colonies israéliennes existantes dans les territoires palestiniens.
Le deuxième point de divergence consiste dans le fait qu'Israël ne veut pas déterminer un délai fixe pour la mise en œuvre de l'initiative égypto-jordanienne. Cela veut dire que les négociations seront longues et même éternelles. Et nous savons que Sharon ne veut pas parler d'un règlement définitif de la situation. Ce qu'il veut c'est une solution provisoire à long terme. Ceci veut dire qu'il ne veut pas discuter de la question de Jérusalem et il affirme clairement que Jérusalem restera la capitale éternelle et unifiée d'Israël, et ceci va à l'encontre de toutes les résolutions et lois internationales.
Le troisième point de divergence est que Sharon insiste pour garder le contrôle de toutes les positions où se trouvent les sources d'eau palestiniennes. Et c'est l'un des points de divergence les plus importants. Ceci représente pour nous la meilleure manière d'anéantir complètement l'initiative.
             
10. Histoires diplomatiques par Salama A. Salama
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 9 mai 2001

Les relations entre Etats, comme celles entre individus, se caractérisent par des divergences semblables à celles existant entre le monde civilisé et le monde sauvage, la coopération et le chantage, le respect mutuel et la crainte partagée.
Il y a quelques jours, une délégation présidée par le ministre-président du land allemand de Bavière, Edmund Stoiber, était en visite en Egypte. Stoiber est l'une des plus importantes personnalités politiques en Allemagne et l'un des candidats au poste de chancelier. Ce land, dont la capitale est Munich, est l'un des plus importants centres économiques, industriels et culturels en Allemagne. A l'occasion d'une tournée dans la région, ce responsable allemand a visité l'Egypte, la Jordanie et Israël et y a rencontré les responsables.
Mais là n'est pas la question. La visite implique deux histoires diplomatiques d'importance majeure, qui reflètent la nature des relations entre l'Allemagne et l'Egypte d'un côté et l'Allemagne et Israël de l'autre. Bien que les médias n'aient pas rapporté ces deux histoires, elles dévoilent les méthodes de gestion des relations internationales et les réactions de chaque Etat.
Il y avait un problème ancien suspendu entre la Bavière et l'Egypte. Au cours des années 1980, nos archéologues ont découvert qu'une pièce en or du sarcophage pharaonique découvert dans la tombe n° 55 de la Vallée des Rois avait disparu en 1907, car elle avait été vendue par un trafiquant suisse au Musée égyptien de Munich. De nombreux contacts entre l'Egypte, le gouvernement de Bavière, et le gouvernement fédéral allemand ont tenté d'aboutir à la restitution de cette pièce. Les experts allemands l'ont restaurée parce qu'elle était dans un état lamentable. La restauration a coûté tellement cher qu'il fut difficile aux Allemands de s'en séparer et de la restituer à l'Egypte. Mais le ministre-président bavarois a finalement accepté de renoncer à une compensation et a décidé de rendre la pièce après une exposition prévue à Munich. Et ce, dans le cadre du renforcement des relations amicales entre l'Egypte et la Bavière.
Par ailleurs, il y a une histoire avec Israël. Les tribunaux allemands ont rejeté l'année passée une plainte déposée par les parents de 11 sportifs israéliens qui avaient été tués au cours des Jeux olympiques de Munich en 1972 après un attentat suicide palestinien. Ces parents réclamaient 14 millions de deutsche marks. Le refus était basé sur l'irresponsabilité des autorités allemandes et aussi à cause de la prescription puisque l'accident a eu lieu il y a environ 30 ans.
Mais puisque personne en Allemagne, ou même en Bavière, ne peut blesser les sentiments des Israéliens en leur refusant quelque chose même illégitime, Stoiber, au cours de sa dernière visite en Israël, s'est empressé de proposer une somme de 6 millions de DM aux familles des victimes, comme initiative humaine de la part de la Bavière et du gouvernement d'Allemagne fédérale, en plus du remboursement des frais du procès !
Mais comme Israël a l'habitude d'obtenir tout ce qu'il désire, les Israéliens, soutenus par Ariel Sharon, ont refusé la proposition allemande. Ils insistent sur les 11 millions, c'est-à-dire un million pour chaque famille, en plus du remboursement des frais du procès. Et il est fort probable qu'ils obtiennent gain de cause.
Quelle différence entre les deux histoires ! Dans la jungle des relations internationales, la raison du plus fort est toujours la meilleure et le plus fort est celui qui extorque et viole ! Nous avons encore beaucoup à apprendre ...
             
11. Veto américain contre la paix par Subhi Hadidi
in Le Nouvel Afrique Asie du mois de mai 2001
Le récent recours de Washington à son droit de veto contre la création d’une force d’interposition internationale chargée d’assurer la protection des Palestiniens dans les Territoires s’inscrit dans une constante de la politique étrangère américaine. Que le locataire de la Maison Blanche soit démocrate ou républicain, les Etats-Unis utilisent l’Onu à leurs fins propres, diabolisant des “ennemis” pour justifier leurs ingérences militaires. Au cœur de ce bilan aux perspectives pessimistes, la relation américano-israélienne.
“Cette décision répond aux impératifs du théâtre politique, bien plus qu’à ceux de la réalité politique.” C’est ainsi que James Cunningham, chef de la délégation américaine au Conseil de sécurité de l’Onu, justifiait le recours de Washington à son droit de veto pour bloquer un projet de résolution appelant à la création d’une force d’interposition internationale chargée d’assurer la protection des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza. “Les Etats-Unis, ajoutait-il, s’opposent à cette résolution qu’ils considèrent comme déséquilibrée et inapplicable. Il n’était pas sage, par conséquent, de l’adopter.” Le “théâtre” concerné par cette résolution est constitué, faut-il le rappeler, des villes, des localités et des villages de Palestine occupée. Les “acteurs” sont les centaines de vieillards, de femmes et d’enfants palestiniens tombés – et qui continuent de tomber tous les jours – du fait de la politique de répression sanglante pratiquée par l’occupant israélien face à l’Intifada. Quant au “décor” de ce théâtre, il est constitué par les barrages militaires de Tsahal, les barbelés et les tranchées qui interdisent aux hommes de se déplacer et les isolent. Ce sont aussi ces terres, cultivées avec soin et amour, soudainement retournées de fond en comble et redevenues friches, des terres brûlées jonchées de cadavres de bêtes, des potagers dévastés, des oliviers, des amandiers et des orangers arrachés.
Aux yeux du respectable délégué américain, ce décor, ce théâtre violent ne saurait représenter suffisamment d’éléments pour constituer une “réalité politique” que les Etats-Unis pourraient juger intolérable et susceptible de les pousser à s’abstenir ou à ne pas exercer leur droit de veto. Autrement dit, quel est le seuil de violence et de répression contre la population palestinienne désarmée qui justifierait une protection internationale ayant l’aval de Washington ? Pour le trouver, il faudrait remonter très loin, dans les annales de la diplomatie américaine, à la recherche d’un éventuel désaveu des choix fondamentaux de la politique israélienne dans les territoires palestiniens occupés. Et cela, qu’il s’agisse de la colonisation, de l’usage disproportionné de la force armée, de la violation de la légalité internationale ou enfin de l’obstruction systématique au travail des commissions d’enquête et d’information dépêchées sur place par tant de pays et d’organismes. Sans remonter très loin, rappelons qu’en 1997 Bill Richardson, ambassadeur américain auprès du Conseil de sécurité, avait mis son veto à un projet de résolution invitant les Israéliens à cesser toutes les constructions illégales de colonies dans les territoires palestiniens occupés. L’alignement systématique des Américains sur les positions israéliennes ne concerne pas seulement la question palestinienne ; il s’élargit en réalité à toutes les questions arabes. Il n’est pas indifférent de souligner que le Conseil de sécurité de l’Onu lui-même, et pas seulement le délégué américain, ne se montre intraitable que lorsqu’il s’agit de prendre position contre un pays tel que l’Irak ou lorsqu’il s’agit d’une affaire pouvant remettre en cause la politique israélienne. La règle scélérate du deux poids deux mesures, en honneur au sein du “machin”, n’est plus à démontrer. L’autorité de ce Conseil, dit “de sécurité”, ne se manifeste que selon le bon vouloir de Washington, particulièrement lorsqu’il s’agit de “punir” un pays arabe récalcitrant, comme l’Irak. On a rarement vu ce Conseil lever le petit doigt pour rappeler à l’ordre un allié stratégique des Etats-Unis dans la région, comme la Turquie qui massacre systématiquement ses propres Kurdes d’abord et, encore plus, les Kurdes irakiens. L’Etat hébreu jouit au Conseil d’une véritable impunité.
Non seulement les centaines de résolutions adoptées par l’assemblée générale de l’Onu sont restées lettre morte, mais les rares qui furent adoptées à l’unanimité par le Conseil de sécurité lui-même, et qui jetaient la base d’un règlement durable du conflit israélo-arabe, n’ont pas pu être appliquées par suite de l’obstruction systématique d’Israël. Pis encore : alors que l’on exige de l’Irak une application littérale et sans réserve de la vingtaine de textes adoptés à son encontre par un Conseil aux ordres de Washington, celles qui concernent le conflit israélo-arabe – et particulièrement les résolutions N° 242 et 338, qui constituent pourtant, depuis 1967 et 1973, la référence pour toute solution négociée dudit conflit – sont régulièrement bafouées, vidées de leur contenu et condamnées par ceux-là mêmes qui avaient laborieusement et minutieusement pesé et analysé chacun de leurs mots ; elles sont curieusement devenues “inapplicables” !
Mais il s’agit là, on l’aura compris, d’une vieille histoire qui en dit long sur le comportement arrogant des Etats-Unis au sein de l’instance suprême de l’Onu, censée garantir la paix et la sécurité dans le monde. Inutile d’ailleurs de chercher une quelconque nuance dans l’attitude américaine, quelle que soit l’administration en place. Démocrate ou républicain, le locataire de la Maison Blanche poursuit la même politique. Lorsque les Etats-Unis ne parviennent pas à utiliser cette institution comme chambre d’enregistrement de leurs volontés, au service de leurs intérêts supérieurs, ils en contestent la légitimité, avec dédain et outrecuidance. Cela était vrai sous Madeleine Albright, Bill Richardson et Richard Holbrook, qui y représentaient le département d’Etat sous les démocrates. Il en va de même avec Thomas Pickering. Il y a certes des changements dans la forme, dans le style et dans le ton ; mais le fond, lui, reste immuable quelle que soit la couleur politique de celui qui y représente les Etats-Unis.
Le comble de cette arrogance n’est-il pas que Washington, abusant de son droit de veto au Conseil de sécurité, affecte de penser que cette attitude devrait combler de bonheur ceux contre lesquels ce veto est dirigé ! James Cunningham, le diplomate qui a formulé le “niet” américain, n’a-t-il pas déclaré : “Ce veto n’aura aucune incidence négative sur nos relations avec nos amis arabes” ? Veto qui, rappelons-le, empêche la création d’une force d’interposition internationale destinée à protéger les Palestiniens. Il n’empêche que ce vote survenait au moment même où les “amis arabes” de Washington se réunissaient en sommet dans la capitale jordanienne, Amman. Cela, sans que la nouvelle administration américaine fasse le moindre effort leur permettant de sauver la face devant leur opinion publique et leurs peuples excédés par le drame quotidien vécu par le peuple palestinien, soumis à l’implacable répression de la machine de guerre israélienne.
Pis encore, le veto américain a superbement ignoré les conclusions du rapport des membres de la commission d’enquête, dépêchée sur place par la Commission des droits de l’homme de l’Onu. L’Américain Richard Falk, qui en faisait partie, a trouvé les mots justes pour exprimer, avec les autres membres de la commission, son écœurement et sa rage. Allant encore plus loin, il a accusé son gouvernement d’avoir “échoué dans l’accomplissement de ses obligations juridiques et morales”.
Voici donc la réalité de cette “nation indispensable”, comme se plaisait à l’appeler Madeleine Albright, chaque fois qu’une voix contestataire, hostile à l’hégémonisme américain, s’élevait quelque part dans le vaste monde. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à la veille de la deuxième guerre du Golfe, les Etats-Unis ont dépensé 2 000 milliards de dollars pour entraîner, former et équiper des armées étrangères dans quatre-vingts pays, avec comme conséquences, directes ou indirectes, l’organisation de soixante-quinze coups d’Etat et des dizaines de guerres civiles provoquant la mort de centaines de milliers de personnes ! Parallèlement à ces investissements dans les industries de mort et de déstabilisation, les Etats-Unis se créent sans relâche des “ennemis”, qu’ils diabolisent à l’extrême pour justifier leurs ingérences militaires, leurs invasions, les coups d’Etat qu’ils fomentent, les guerres civiles qu’ils déchaînent. Les exemples illustrant cette stratégie sont nombreux et divers. Panama, Egypte, Pérou, Portugal, Nicaragua, Chili, Jamaïque, Grèce, République dominicaine, Cuba, Viêt-nam, Corée du Nord, Irak, Libye, Liban et tant d’autres ; peu importe que le pays proclamé ennemi soit réformiste, démocrate, socialiste, communiste ou islamiste... il faut l’abattre.
Les Etats-Unis, pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, sont les leaders par excellence du monde dit “libre”. Ce sont eux qui accordent la confiance ou la retirent, donnent leur aval ou le refusent à telle ou telle alliance, telle organisation internationale, quelles que soient les parties contractantes. Leurs services de renseignements ont participé, toujours au nom du sacro-saint principe de la “sécurité nationale américaine”, au renversement de régimes réformateurs et démocratiques issus du suffrage universel au Guatemala, en République dominicaine, au Brésil, au Chili, en Grèce, en Indonésie, en Bolivie, en Haïti.
Ces mêmes services américains ont contribué à des conspirations secrètes, par le biais de mercenaires, et ont lancé des actions de déstabilisation contre des gouvernements légitimes à Cuba, en Angola, au Mozambique, en Ethiopie, au Cambodge, au Timor-oriental, au Liban, au Pérou, au Congo démocratique (ex-Zaïre), au Yémen du Sud, aux îles Fidji... Parallèlement, les Etats-Unis ont, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, mené des interventions militaires directes, terrestres ou aériennes, contre le Viêt-nam, le Laos, le Cambodge, le Liban, Grenade, Panama, la Libye, la Somalie, l’Irak. La liste est appelée, aujourd’hui encore, à s’allonger.
Il n’est pas sans intérêt de rappeler ce sinistre bilan américain chaque fois que Washington adopte une attitude menaçante ou passe à l’action contre ses ennemis désignés sans se soucier de la légalité internationale. Au cœur de ce bilan, la relation américano-israélienne occupe une place de choix. Elle est fondée sur une alliance stratégique en vertu de laquelle les deux parties se montrent solidaires, pour le meilleur, et surtout le pire. On ne saurait en dire autant des amis arabes de Washington qui sont loin, très loin, d’être traités sur le même pied d’égalité. Plutôt que d’alliance, il conviendrait de parler, en la matière, de relations de vassalité, de protectorat. Il suffit de lire la déclaration finale du dernier sommet arabe d’Amman pour s’en convaincre. En dépit des cris de feinte indignation des protégés arabes des Etats-Unis, au sein de cette auguste assemblée, aucune prise de position ferme et conséquente n’a été envisagée. Aucun de ces chefs d’Etat n’a eu le courage de l’Américain Richard Falk, qui a accusé son pays de démission morale et politique.
Pourtant, un lointain jour de 1796, le premier président américain, George Washington, avait mis en garde la “nation américaine” contre la tentation de “se lier sentimentalement avec une autre nation, car un tel engagement créerait l’illusion de l’existence d’un intérêt commun entre les nations. En fait, un tel intérêt n’existe pas.” Deux siècles plus tard, le diplomate George Ball, l’un des principaux conseillers de John Kennedy, estimait que les engagements sentimentaux des Etats-Unis envers l’Etat hébreu étaient devenus tellement scandaleux qu’il y avait consacré un livre relatant l’évolution de cette relation, depuis la création de l’Etat d’Israël jusqu’à aujourd’hui. George Ball suggérait alors aux décideurs américains de fonder leur politique étrangère au Proche-Orient sur une équation triangulaire. Le premier pilier devait en être l’intérêt national américain, le deuxième l’intérêt national israélien et le troisième l’intérêt national arabe. L’évolution de la politique américaine n’a pas suivi ces trois axes. Si les deux premières composantes de cette équation (l’intérêt national américain et l’intérêt national israélien) ont été prises en considération, force est de constater que la troisième a été remplacée par “l’intérêt national des juifs américains” !
C’est du moins ce qui ressort des visites des Premiers ministres israéliens successifs aux Etats-Unis, de l’opération Tempête du désert, de la conférence de Madrid de 1991, des accords d’Oslo de 1993 et du feuilleton des négociations israélo-palestiniennes qui les ont suivis. C’est aussi ce que confirme le veto américain, en 1997, pour sauver l’allié israélien de la condamnation internationale (à cause de la poursuite des implantations), tout comme le récent veto de 2001. Il n’y a aucun changement à attendre sur ce plan : hier ressemble à aujourd’hui, et demain y ressemblera désespérément.
Le prix des armes - Les chiffres nous apprennent que les Etats-Unis dépensent pour les armes, les armées et les autres questions qui touchent de près ou de loin au concept de “sécurité nationale” plus que tous les autres pays de la planète réunis. Si l’on prend 1992 comme année de référence après la fin de la guerre froide, il faut savoir qu’il y avait alors près d’un demi-million de militaires américains sur le pied de guerre, dispersés dans trois cent quatre-vingt-quinze bases militaires principales et des centaines de bases secondaires, à travers trente-cinq pays. 
                 
12. Sharon lâche la bride à l'armée par Alexandra Schwartzbrod
in Libération du mardi 8 mai 2001

Il encourage des offensives en zones palestiniennes.
Jérusalem de notre correspondante
L'armée israélienne continue, imperturbable, à repousser ses limites en territoire palestinien. Après avoir effectué, dimanche, sa première incursion en Cisjordanie, dans le village de Beit Jala, près de Bethléem, elle est de nouveau entrée hier à Tulkarem, une zone sous contrôle des Palestiniens. Ce raid a fait suite à des échanges de tirs qui ont essentiellement fait des ravages côté palestinien: le bilan est de onze blessés et d'un tué.
«Tragique». Quelques heures plus tard, Tsahal faisait une autre incursion dans la localité de Dar Salah, à l'est de Bethléem, provoquant un échange de tirs de vingt minutes avec des policiers palestiniens. Au même moment, l'armée israélienne tuait un bébé palestinien de 4 mois et blessait grièvement sa sœur de 19 ans en bombardant le camps de réfugiés de Khan Younès dans le sud de la bande de Gaza «à la suite de tirs de mortiers sur la colonie de Neve Dekalim», plaidait un porte-parole.
Le Premier ministre Ariel Sharon et le chef de la diplomatie Shimon Pérès ont «regretté» la mort du nourrisson décrite comme «un événement tragique».
Alors que l'Intifada est entrée dans son huitième mois et que les initiatives de paix s'essoufflent, c'est une véritable offensive qu'a toutefois lancée le gouvernement israélien contre les Palestiniens. «Israël fait face à un combat de longue haleine qui nécessite détermination et sang froid», a expliqué hier Ariel Sharon devant la Knesset, inaugurant sa session parlementaire. Piqué au vif par les réactions de son électorat, qui lui reproche de répondre aux attentats palestiniens avec la même «mollesse» que son prédécesseur Ehud Barak, il a voulu montrer sa détermination. «La lutte contre le terrorisme sera sans compromis, déterminée et continue. Nous ne ferons pas que réagir à des attentats, mais prendrons l'initiative», a annoncé Ariel Sharon sous les huées des représentants de la minorité arabe et de la gauche laïque, mais servi par l'interception d'un navire lourdement chargé d'armes, en provenance du Liban et destiné aux combattants palestiniens de Gaza.
Nouvelles localités. Désormais, pendant que son ministre des Affaires étrangères, Shimon Pérès, rassure le peu qu'il reste du camp de la paix en écumant les capitales internationales, Sharon se lâche. «Sur le principe, j'ai approuvé toute entrée en zone A (palestinienne) si c'est nécessaire pour garantir notre sécurité». Et de préciser que les militaires n'ont plus besoin d'attendre l'approbation des échelons politiques.
Alors que les Palestiniens réclament l'envoi d'une force internationale, le gouvernement israélien a décidé de la construction de cinq nouvelles localités dans le désert du Néguev pour empêcher un éventuel échange de territoires avec l'Autorité palestinienne. Une initiative qui ne devrait guère abaisser la tension.
                 
13. Sharon sourd à l'appel de Jean-Paul II par Michel Muller
in l'Humanité du mardi 8 mai 2001

Proche-Orient. Le pape a prié pour la paix dans la ville martyre de Kuneitra. Un bébé palestinien de quatre mois a été tué par les tirs d'obus de l'armée israélienne sur le camp de réfugiés de Khan Younis.
Jean Paul II a prononcé lundi une " prière pour la paix en Terre Sainte et dans le monde ", dans une église en ruine de la ville martyre syrienne de Kuneitra, dans la partie du plateau du Golan non occupée par Israël. Cette cité de plus de trente mille habitants avait été entièrement rasée par les troupes israéliennes en 1974, lors de leur retrait partiel - imposé par l'ONU - de cette partie du Golan syrien.
"De ce lieu, si défiguré par la guerre, je désire que, de mon cour et par ma voix, monte une prière pour la paix en Terre Sainte et dans le monde. La paix authentique est un don de Dieu", a-t-il dit. "Nous te prions pour les peuples du Moyen-Orient. Aide-les à abattre les murs d'hostilité et de division, et à construire ensemble un monde de justice et de solidarité."
"Nous prions, a aussi dit le pape lundi à Kuneitra, pour les responsables civils de cette région afin qu'ils s'efforcent de satisfaire les aspirations légitimes de leurs peuples (...) et qu'ils respectent la dignité inaliénable de toute personne et les droits fondamentaux." On apprenait lundi par un communiqué de Reporters sans frontières (RSF) et de l'Association mondiale des journaux (AMJ) que le journaliste syrien Nizar Nayyouf, emprisonné depuis neuf ans dans son pays, a été libéré dimanche à Damas. ¶gé de quarante-quatre ans, Nizar Nayyouf était rédacteur en chef du mensuel Sawt al-Democratiyya ("la Voix de la démocratie"). Il avait été condamné à dix ans de prison en 1991 "pour avoir rédigé un tract dénonçant les atteintes aux droits de l'homme durant les élections de 1991", a indiqué RSF.
Dimanche, à l'occasion de sa visite à la mosquée des Omeyades, à Damas - la première d'un pape dans un lieu de culte musulman - Jean-Paul II a appelé les musulmans et les chrétiens à se pardonner réciproquement. S'il n'a pas évoqué les croisades, il a cependant déclaré : " Je souhaite ardemment que les responsables religieux musulmans et chrétiens présentent nos deux importantes communautés religieuses comme des communautés engagées dans un dialogue respectueux et plus jamais comme des communautés en conflit. " Et il a souligné : " Chaque fois que les musulmans et les chrétiens se sont offensés les uns les autres, nous avons besoin de rechercher le pardon qui vient du Tout-Puissant et de nous offrir mutuellement ce pardon. "
Sharon n'a certainement pas entendu le message du pape à Kuneitra. Lundi matin, un fillette palestinienne de quatre mois, Imane Hajjour, a été tuée par un obus tiré sur la maison de ses parents dans le camp de réfugiés de Khan Younès, dans la bande de Gaza. Les troupes d'occupation israéliennes avait tiré au canon de char sur le camp, blessant en outre une trentaine de personnes. " Comme vous le savez, des nouvelles tristes du conflit et des morts, nous arrivent encore aujourd'hui de Gaza, notre prière se fait encore plus intense ", a dit Jean-Paul II.
A Gaza, le secrétaire général de la présidence palestinienne, Tayeb Abdelrahim, a demandé " l'envoi immédiat d'une force de protection internationale ". " Nous appelons les deux parrains du processus de paix (les Etats-Unis et la Russie) et l'Union européenne à agir pour mettre fin à l'agression israélienne qui commence à toucher les enfants, les femmes et les vieillards ", a-t-il poursuivi, soulignant que "ces agressions surviennent après le feu vert donné par le gouvernement israélien à son armée pour agir sans retenue ". Pour Ziad Abou Amar, président de la commission politique du Conseil législatif palestinien (Parlement), " Sharon ne croit pas à une solution pacifique ". Il croit "qu'en épuisant les Palestiniens, en les affaiblissant, il leur fera accepter ses idées sur un arrangement intérimaire. C'est son grand dessein, sa stratégie, mais elle ne réussira pas. Plus il tapera sur les Palestiniens, plus ils le défieront", a encore dit le parlementaire palestinien.
             
14. La commission Or fait état d'attitudes racistes de la police israélienne par Moshé Reinfeld
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 2 mai 2001  
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Un rapport spécial détaillant des occurrences de recours à la torture et décrivant le "racisme institutionnel" dont se rendent coupables des instances juridictionnelles dans le pays a été remis hier à la commission Or, qui enquête sur les affrontements ayant entraîné la mort de treize arabes citoyens israéliens en octobre dernier.
Ce rapport, préparé par le Comité Public contre la Torture en Israël (PCAT), se fonde sur plusieurs dizaines d'interviews de personnes mises en état d'arrestation à la suite des affrontements (en Galilée, essentiellement, ndt). Il comporte une série de recommandations sur les mesures à prendre, notamment celle du lancement d'une enquête exhaustive sur tous les incidents ayant comporté des abus de pouvoir et des violences physiques à l'encontre des personnes arrêtées, ainsi que toute autre violation de leurs droits, garantissant la poursuite judiciaire complète des contrevenants (parmi les forces de l'ordre).
Le comité recommande que l'Etat (israélien) ratifie les conventions internationales relatives au traitement (convenable) des prisonniers, et donne la possibilité aux citoyens (israéliens) de porter plainte auprès des Nations-Unies en cas de mauvais traitement. Il préconise également une législation exigeant des officiers de police qu'ils déclinent leur identité aux personnes mises en état d'arrestation, et des (simples) policiers qu'ils informent les personnes arrêtées de leurs droits, à l'instar de ce que l'on connaît, aux Etats-Unis, sous le nom de "droits Miranda".
Le comité recommande aussi que l'avocat général fasse respecter de manière beaucoup plus énergique l'interdiction de la torture préconisée par la Haute Cour (israélienne) de justice, et il appelle à ce que soit mis fin aux conditions sordides régnant dans les centres de "rétention" administrative en Israël, qui sont les mêmes pour les Israéliens et les Palestiniens. "Israël est loin d'être un pays pauvre et il n'y a aucune raison que cette situation perdure", indique le rapport.
Il y est écrit que les déclarations officielles selon lesquelles "Israël est la seule démocratie dans tout le Moyen-Orient" et "Israël est un Etat policé et évolué" pourraient bien n'être que des phrases creuses si l'on s'en réfère au comportement des forces de sécurité en général et au (comportement) des instances exécutives à l'égard des citoyens arabes (d'Israël), en particulier.
Le PCAT indique que les événements d'octobre dernier, "dans toute leur horreur", requièrent que l'Etat (israélien) reconnaisse que "les instances juridictionnelles sont contaminées par une forme de racisme institutionnalisé". Il donne le détail de toute une liste de droits civiques qui ont été violés systématiquement par les forces de sécurité au cours des affrontements. Il dénonce des officiers de la police, du Shin Bet et d'autres forces de sécurité, qui ont totalement et délibérément ignoré le principe de base qui veut que la force ne saurait être employée à l'encontre des personnes qui ne font preuve d'aucune rébellion lors de leur arrestation.
Le rapport cite des dizaines de prisonniers, parmi lesquels des enfants, qui ont été battus à coups de poings, de bâtons et de crosses de fusils ; qui ont eu à subir des coups de pied, des gifles, des jurons, des insultes racistes, des conditions humiliantes et inhumaines dans les cellules de détention provisoire.
Le droit élémentaire à un procès en bonne et due forme leur a été dénié, certains ont été délibérément torturés par les interrogateurs du Shin Bet. Des parents de prisonniers ont été maltraités, également, ayant eu à souffrir de violences et d'humiliations  de la part des officiers ayant procédé aux arrestations (de leurs proches).
Des dizaines de dépositions citées dans le rapport, il ressort une évidence : le racisme des officiers, qui se traduit dans leurs propos. Des expressions telles que "sales Arabes", "menteurs d'Arabes", "on va tous vous expulser vers la Jordanie", "allez-y, priez votre Mahomet, on va vous liquider dans les dix minutes", "vous devriez baisser la tête quand un Juif passe", "la sandale d'un Juif vaut un million de vies d'Arabes", reviennent en une litanie lancinante au long des constats établis par le PCAT et la commission Or.
La torture et la violence physique à l'encontre des prisonniers sont aussi communément rencontrées dans les témoignages. Israël a beau avoir signé les conventions internationales destinées à lutter contre ces pratiques, le rapport du PCAT indique que les policiers ignorent la loi. Ainsi de la déclaration de Y.A., de Wadi Ara : "les agents des forces de sécurité m'ont chargé sur le camion, et ils m'ont battu durant tout le trajet jusqu'au commissariat de la vallée du Fer (Iron Valley). Une fois là-bas, ils m'ont tiré du camion, couvert la tête de ma chemise, tout en continuant à me battre".
Une autre déclaration, celle d'un avocat de Kafr Kana : "J'ai vu un groupe de policiers qui rudoyaient un jeune qui se débattait, à terre. Il était pieds nus. J'ai averti les policiers que j'étais avocat, leur disant qu'ils devaient traiter ce garçon correctement, puisqu'il ne s'opposait pas à son arrestation. L'un des policiers, debout à côté de leur fourgon, a pointé sur moi son fusil d'assaut en hurlant que si je ne retournais pas immédiatement à mon cabinet, il me descendait".
H. A. , de Rahat, a déclaré : "j'ai été emmené au commissariat d'Ofakim ; là, ils m'ont pris mes lunettes. Je les ai suppliés de me les rendre, mais ils ont refusé. Je n'ai pu les récupérer que quarante-huit heures plus tard. Et encore, grâce à l'intervention d'un avocat..."
Un habitant de Nazareth a rapporté avoir été menotté et cagoulé dans une voiture de la police, puis battu à coups de crosses, à coup de pieds, tandis que ses agresseurs lui crachaient dessus. "Ils n'ont pas arrêté de me hurler dans les oreilles, durant tout le trajet : "on va b... ta p... de mère, on va b... ta p... de sœur". Des parents de prévenus ont été maltraités, eux aussi. Un habitant de Lakia a fait état de l'irruption des policiers dans sa maison : ils ont confiné toute la famille dans la cuisine, après quoi, ils ont détruit systématiquement le mobilier et l'équipement du ménage. Un enfant malade, qui réclamait d'aller aux toilettes, n'a pas été autorisé à s'y rendre. Les réserves de farine et d'huile d'olive de la famille ont été déversées sur le sol afin de les détruire.
Dans les témoignages, les mentions de violences physiques par les interrogateurs sont très éloquentes, notamment dans le centre d'interrogatoires du Shin Bet situé parmi les cellules de détention administrative du centre pénitentiaire de Kishon, près de Haïfa. "J'ai été attaché à une chaise toute la nuit, battu, alors que l'on menaçait de s'en prendre à ma famille à chaque instant", a déclaré un homme. Un autre a fait état, lui aussi, de sessions d'interrogatoire durant des nuits entières, émaillées de menaces de mort à son encontre.
Un autre a rapporté avoir été détenu, six jours durant, dans une cellule de dix mètres carrés, avec six autres prisonniers, privé de savon, de papier toilette et d'autres produits indispensables pour les nécessités de l'hygiène personnelle.
Un autre témoin encore a déclaré avoir été enfermé, à la centrale de détention de Kishon, avec trente autres hommes, dans une cellule ne comportant que huit lits en fer. Un asthmatique, à qui on refusait tout médicament, s'est entendu répéter "qu'il aurait dû apporter ce dont il avait besoin à la prison".
Les cellules de la prison de Ramlé, ont été décrites par un habitant de Nazareth : "grouillement des cafards, puanteur d'égouts envahissante. Les toilettes et les W-C sont dans les cellules elles-mêmes, sans aucune séparation. La nourriture, avariée, y est dégoûtante." Mais lorsqu'il a été transféré dans une cellule plus grande, à Nitzan Ramle, les conditions de sa détention n'ont fait qu'empirer.
Le rapport fait état de mauvais traitements à enfants. Dans l'un des témoignages, il est question d'un enfant de six ans, qui a été enlevé dans une rue de Saint-Jean d'Acre, emmené au commissariat du coin, questionné - avec force cris et manœuvres d'intimidation - en l'absence de tout parent ou avocat.
                
15. Et renaîtra le désert... par Pénélope Larzilliere
in La Croix du lundi 30 avril 2001
Le visage du petit garçon s'illumine à notre vue. Il fait effectuer un savant dérapage dans le sable au vélo prêté par le voisin, pour s'arrêter près de nous. Autour de lui, des tentes jaunes du Croissant Rouge plantées à coté de gravats mêlés de vêtements, de chaussures, de morceaux de meubles et d'ustensiles de cuisine. Il y a moins de deux semaines, sa maison s'élevait là, dans le camp de réfugiés de Khan Younis, au sud de la bande de Gaza. Mohammed Rader, 21 ans, étudiant en droit à l'Université de Gaza,: « Depuis novembre, les Israéliens nous tiraient dessus régulièrement. Quelques jours plus tôt, mon petit frère de 4 ans avait été blessé a la jambe et nous avions du l'emmener à l'hôpital. Mais nous ne sommes pas partis. Nous n'avons pas d'argent pour ca et puis nous ne voulions pas céder à la menace » expose -t-Il calmement. « Le mardi 10 avril, nous avons été réveillés subitement par un intense bombardement. Nous nous sommes enfuis avec les enfants dans nos bras. Quelques minutes plus tard, les bulldozers étaient là. Si nous ne nous étions pas réveillé, ils nous auraient enseveli avec nos maisons. Ca ne peut pas continuer, il nous faut une protection internationale » Le lieu est méconnaissable. Deux hommes s'affairent à récupérer dans les décombres quelques carreaux de carrelage, qu'ils entassent sur une carriole. Régulièrement, les gamins qui s'approchent trop près des blocs de ciment ceinturant l'extrémité du camp sont rappelés à l'ordre par leurs parents. Des barricades de débris ont été dressées à l'extrémité des ruelles pour tenter de protéger les passants. Colonies et camps militaires israéliens sont à à peine 20 mètres et encerclent le camp sur trois cotés. Fawad Banediq, père de famille de 38 ans a été amputé de la jambe gauche, blessé en tentant d'évacuer son fils lors d'un bombardement, le 24 novembre : «  Les Israéliens tirent et bombardent surtout la nuit mais il y a également des tirs isolés pendant la journée. » souligne-t-il. Un des jeunes présents s'exclame : « Ils nous prennent l"eau, la terre, les maisons. Nous voulons seulement vivre. » Certains immeubles ont leur façade criblée de balles et des ouvertures béantes surs les pièces dévastées. Les citernes d'eau des toits sont mouchetées de blanc par les nombreuses réparations. Dans les appartements, des impacts de balle sur tous les murs. En cette fin de matinée, de nombreuses personnes sont encore endormies, récupérant de leurs nuits sans sommeil à l'écoute des tirs de tank et de mitrailleuse lourde en provenance des sites militaires, dans l'angoisse d'une nouvelle incursion de l'armée. Awad Al Khawalt, père de famille, travaille pour l'UNRWA : « Mes enfants refusent d'aller se coucher avant le début des tirs. C'est seulement une fois terminé qu'ils arrivent à s'endormir. »  Khan Younis n'est pas le seul point d'entrée de l'armée israélienne sur territoire entièrement sous contrôle palestinien. De la ville de Beit Hanoun au nord à celle de Rafah tout à fait au sud, on retrouve la même terre rase après le passage de l'armée israélienne. Samir, un jeune de Beit Hanoun, l'exprime ainsi : « C'est un étau qui se resserre doucement, une guerre lente. La mer nous est interdite. Le long de la frontière avec Israël, hectare après hectare, les maisons sont détruites les vergers et les champs saccagés. A l'intérieur de la bande, des colonies sont implantées, agrandies peu à peu et servent à couper le territoire en petites parcelles. » Une nouvelle fois, le 16 avril, la famille Abou Amshe de Beit Hanoun a tout perdu. Elle avait été chassée de ses terres à quelques kilomètres plus au nord en 67. Mais des orangers et des citronniers patiemment entretenus sur leurs nouvelles terres, il ne reste qu'une terre sableuse, profondément retournée. La maison n'est plus qu'un amoncellement de blocs de ciment dont une partie ont comblé le puit. Les buttes de terre élevées sur le chemin par les policiers de la Sécurité Nationale Palestinienne n'ont pas retenu un seul instant l'avancée israélienne. Un des gendres explique : « La frontière israélienne est à environ 800 mètres. Là où s'arrêtent les orangeraies encore épargnées et où commencent les dunes de sable. Nos voisins ont encore leurs arbres mais la plupart du temps,  ils ne peuvent pas venir faire leur récolte à cause des tirs. De toute façon, depuis un an je n'ai rien vendu. A cause du blocus, je ne peux plus exporter et le marché de Gaza-ville ne représente rien au regard de notre production. ». Sa belle-mère est revenue aujourd'hui ramasser avec lui le bois des arbres arrachés mais très vite les policiers de la sécurité nationale palestinienne, très nerveux, les évacuent. Ils ont observé des mouvements de soldats côté israélien et craignent de nouveaux tirs et de nouvelles victimes. Abou Ahdath, 53 ans, le visage buriné par le soleil, a connu le même destin. Depuis novembre dernier, l'orangeraie acheté après trente ans de travail comme ouvrier en Israël n'est plus qu'un champ d'orties. « si je vais le long de ma clôture, ils tirent d'un poste militaire situé dans la colonie de Nezarim ». Le long de la frontière égyptienne, dans la ville de Rafah, de nouveau des maisons transformées en ruine quelques jours plus tôt, de nouveau des tentes, de nouveau des familles sans ressources. Des sacs de sable ont été entassés et sont censés les protéger des tirs qui ont continué après le retrait des bulldozers. Les murs des maisons les plus proches, recouverts de formules colorées et de dessins pour accueillir le retour des pèlerins de la Mecque, portent de nombreuses traces d'impact. Une journaliste a été blessée quelques heures plus tôt. Mais les tentes ne seront pas déplacées : Hisham, père de 4 enfants et ouvrier en Israel avant le blocus insiste : « De toute façon, nous n'avons nulle part où aller. Et ici, c'est notre terre, nous ne la quitterons pas. Dès que nous en aurons la possibilité, nous reconstruirons. » Avec l'aide du Centre palestinien pour les droits de l'homme, les familles des maisons détruites ont introduit des recours devant la justice israélienne pour tenter de récupérer leurs terres et obtenir des compensations financières pour les maisons détruites., : « Les coûts des démarches judiciaires ont énormément augmenté. Du fait du blocus israélien, les avocats palestiniens ne peuvent plus se rendre devant les tribunaux et nous sommes obligés de payer des avocats israéliens qui sont beaucoup plus onéreux. » précise. Abd el Alim, directeur du  Centre palestinien des droits de l'homme pour le secteur de Khan Younis . Les enfants font flotter dans le ciel de nombreux cerfs-volants de papier, certains aux couleurs du drapeau palestinien. Sur un mur de Khan Younis, cette inscription en anglais : « Détruisez nos maisons, nous construisons notre pays. »