Au sommaire
Rendez-vous
- Soirée de solidarité avec les objecteurs de
conscience de l'armée israélienne le
mardi 15 mai 2001 à Paris
Dernières
parutions
- Confluences
Méditerranée : Israël-Palestine - La violence ou le droit
revue publiée aux Editions de l'Harmattan (N°37
- Printemps 2001)
- La paix en miettes - Israël et Palestine (1993-2000)
par Franck Debié et Sylvie Fouet aux éditions de Presse Universitaires
de France suivie de l'introduction
integale de l'ouvrage
Réseau
Palestine
-
Intervention de Mgr Michel Sabbah, patriarche latin de
Jérusalem à l'Instutut Catholique de
Paris, le lundi 23 avril 2001
Revue de
presse
-
Visite du pape dans le
"berceau de la chrétienté " par Michel Muller in L'Humanité du lundi
7 mai 2001
-
Sharon maintient le cap sur
l'offensive par Serge Dumont in Le Soir (quotidien belge) du lundi 7
mai 2001
-
Intifada : La hantise arabe
de la contagion par Walid Charara in Le Magazine (hebdomadaire
libanais) du vendredi 4 mai 2001
-
Tsahal, le piège de la
puissance par Didier François in Libération du vendredi 4 mai
2001
-
Les relations se détériorent
entre les citoyens juifs et arabes d'Israël par Catherine Dupeyron in
Le Monde du vendredi 4 mai 2001
-
Syrie : Bachar le
pragmatique par Dominique Lagarde in L'Express du jeudi 3 mai
2001
-
Les "Algériens" de Gaza,
sans travail et sans papiers Dépêche de l'Agence France Presse du
mercredi 2 mai 2001, 9h27
-
A l'hôpital Wafa, les grands
blessés de l'Intifada réapprennent à vivre par Erwan Jourand Dépêche
de l'Agence France Presse du lundi 30 avril 2001, 9h35
-
Le Proche-Orient et
l'antisémitisme en France par Xavier Ternisien in Le Monde du
mercredi 2 mai 2001
-
Israël veut réécrire
l’Histoire selon son idéologie entretien avec Hemdan Taha réalisé par
Hala Fares et Amira Samir in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du
mercredi 2 mai 2001
-
Sharon et les illusions
perdues par Ibrahim Nafie in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien)
du mercredi 2 mai 2001
-
Le temps et l'espace d'Ariel
Sharon par Sylvain Cypel in Le Monde du mardi 24 avril
2001
Rendez-vous
Soirée de solidarité avec les
objecteurs de conscience de l'armée israélienne
le mardi
15 mai 2001 à Paris
À l’occasion de la "Journée de l’objection de conscience", le Centre
d’études et d’initiatives de solidarité internationale et l’Union juive
française pour la paix organisent une soirée de solidarité avec les
objecteurs de conscience de l'armée israélienne, le mardi 15 mai 2001 à
19h30 au Centre International de Culture Populaire - 21 ter, rue Voltaire -
Paris 11e (M° rue des Boulets).
Projection du film "On tire et
on pleure" de David Benchetrit, diffusé il y a quelques semaines
sur ARTE, qui traite des objecteurs de conscience israéliens, suivi
d’un débat avec la participation de Yehuda Agus, objecteur de conscience
israélien et Noël Favrelière, déserteur français de la guerre
d’Algérie.
L’élection d’Ariel Sharon n’a fait qu’accentuer
le bouclage des Territoires, la répression et les exactions des colons contre la
population palestinienne. Du côté israélien, des appelés continuent à dire « non
». Des jeunes hommes et femmes refusent de porter l’uniforme ou de faire leur
service militaire dans les Territoires occupés. Selon l’armée israélienne, plus
de 800 réservistes ont été emprisonnés pour insoumission depuis le début de la
deuxième Intifada. Ils méritent notre écoute et notre soutien. La voie de la
paix se trouve dans le dialogue et la recherche d’une solution politique, et non
dans une accélération de la répression miliaire. [Soirée réalisée avec le soutien de : Alternatifs, Amnesty
International, Association des Palestiniens en France, ATMF (Association des
travailleurs marocains en France), CCSC (Comité de coordination pour le Service
civil et volontaires pour la paix), CIMADE, CVPR (Comité de vigilance pour une
paix réelle au Proche-Orient), LCR, LDH, MOC (Mouvement de l’objection de
conscience), MRAP, OCL (Organisation communiste libertaire), Parti de la
refondation communiste italien (section Ile de France), les Verts.]
Dernières
parutions
Confluences Méditerranée : Israël-Palestine - La
violence ou le droit
revue publiée aux Editions de l'Harmattan (N°37 - Printemps 2001)
Dossier préparé par
Régine Dhoquois-Cohen et Jean-Paul Chagnollaud
[Collection "Sur le vif" - 208
pages - 110 francs - Avril 2001 - ISBN :
2747508102]
- Extrait du sommaire :
Intifada ou
lutte de libération ? par Jean-Paul Chagnollaud ; En finir avec l'occupation rencontre avec Marwan
Barghouti ; Gaza au quotidien par
Vincent Schneegans ; Les institutions de
l'Autorité palestinienne : Un ordre juridique en gestation par Jocelyn
Grange ; La balle est dans le camp de la
communauté internationale rencontre Leïla Shahid ; Les silences complices de la gauche israélienne par
Michel Warschavsky ; La Paix Maintenant : état des lieux
entretien avec Gaby Lasky ; La quadrature du cercle entretien
avec Ilan Greilsammer ; Une presse israélienne entre vigilance et
angoisse existentielle par Pascal Fenaux ; We are in a big
mess entretien avec Shulamit Aloni ; Le retour, droit
inaliénable par Uri Avneri ; Gulliver empêtré
entretien avec Elie Barnavi ; Jusqu'où ira Israël ? par Edward
Saïd ; Les Israéliens hantés par le ghetto entretien avec Théo
Klein ; Réflexions contradictoires sur le droit au retour par
Régine Dhoquois-Cohen ; Une nouvelle donne entretien avec Elias
Sanbar ; Qu’attendre de la nouvelle politique américaine ? par
Roger Heacock ; L'impasse au Proche-Orient vue du Caire par
Mohamed Sid-Ahmed ; Le silence de l’Europe - Combien d'euros vaut-il
? par Christian Heynold ; La paix improbable - Propos
impopulaires par Bernard Ravenel ; Paix et politique : Yéhudah
Amihaï, poète de la paix par Shlomo Elbaz ...
La paix en miettes - Israël et Palestine
(1993-2000) par Franck Debié et Sylvie Fouet
aux éditions de Presse
Universitaires de France
[Avril
2001- 448 pages - 198 FF - ISBN :
2130517560]
De la paix construite par
les accords d'Oslo à partir de septembre 1993, il ne reste aujourd'hui que des
miettes : la reconnaissance réciproque d'Israël et du peuple palestinien, une
Autorité, acteur du système international, qui gère la vie quotidienne de trois
millions de Palestiniens, un début d'émancipation économique et un espace réduit
de souveraineté. Le principal héritage du "processus de paix" est en effet une
Palestine enclavée, constituée d'une centaine de parcelles, compliquée par le
développement des colonies et l'enchevêtrement des routes nouvelles qui
contournent les villages palestiniens. L'économie, les déplacements, les
mentalités se sont adaptés au nouvel ordre administratif et aux contraintes
issues des négociations et de la gestion sécuritaire.
Depuis sept ans, les
ambiguïtés, les blocages, puis les retards des accords de paix au Proche-Orient
ont progressivement émietté la logique de paix et rouvert la voie à la
violence.
- Docteur en
géographie politique, Franck Debié est maître de conférences à
l'ENS (Ecole Normale Supérieure) et professeur affilié à l'Ecole des hautes
études commerciales. Associé au laboratoire Espace et culture du CNRS (Paris I),
il dirige les travaux du Centre de géostratégie de l'ENS qui portent sur l'étude
des conflits, des frontières et des flux économiques dans les régions en
crise.
- Diplômée en relations internationales de la London School of
Economics and Political Science, Sylvie Fouet est membre du
Groupe de sociologie et étude des conflits à l'EHESS (Ecole des Hautes Etudes en
Sciences Sociales) et participe aux travaux du Centre de géostratégie de l'ENS.
Basée à Jérusalem depuis 1996, elle est chargée des questions politiques au
bureau de la délégation de la Commission européenne pour les Territoires
palestiniens
Introduction de "La paix en miettes
- Israël et Palestine (1993-2000)"
A la fin de l'année 2000, Israéliens et Palestiniens
semblent au moins d'accord sur un point : "quelque chose" a bien achevé de se
terminer durant l'automne 2000, moins de trois mois après l'échec du sommet de
Camp David qui devait conduire à un accord de paix final. Les Palestiniens
parlent de "nouvelle Intifada" par référence à la première Intifada, née en
décembre 1987, à laquelle ils avaient accepté de mettre fin pour s'engager, à
partir du mois d'août 1993, dans un "processus de paix" avec Israël, souvent
appelé "processus d'Oslo". [1]
Le gouvernement d'Israël n'a plus de majorité,
le Premier ministre, Ehud Barak, arrivé en 1999 au pouvoir avec un "mandat de
paix" et un soutien populaire, a démissionné le 9 décembre 2000 et annoncé la
tenue d'élections anticipées dans les 60 jours. Les derniers redéploiements
israéliens ne sont plus à l'ordre du jour, les négociations sur un accord final
font l'objet d'un ultime marchandage. C'est l'ensemble du processus de paix
d'Oslo qui semble moribond.
1 - La fin d'Oslo [2]
La "nouvelle Intifada" boucle donc dans l'esprit des
Palestiniens le "cycle d'Oslo" en renouant avec certaines pratiques de la
première Intifada [3] : la mobilisation des adolescents, la confrontation
quotidienne avec les soldats israéliens par une guerre des pierres qui manifeste
la brutalité des Israéliens face à l'héroïsme inutile des "Chebabs" [4].
L'Intifada actuelle n'est pourtant pas seulement une simple reprise de la
première Intifada, après une tentative avortée d'apaisement avec Israël. Pour
les Palestiniens, la situation actuelle est d'abord une violence subie. Elle
résulte d'une utilisation démesurée des moyens d'action et de répression par
l'armée israélienne face aux manifestations de rue palestiniennes. Le bilan est
extrêmement lourd et asymétrique : près de 400 morts palestiniens depuis
septembre, 13 morts parmi les Arabes israéliens et 25 morts israéliens, sans
compter les milliers de blessés. Il traduit pour les Palestiniens une répression
beaucoup plus lourde que pendant la première Intifada. Une partie des
Palestiniens entretiennent l'espoir de déboucher, grâce à ce second soulèvement,
sur une victoire, d'arracher la création d'un Etat et la libération définitive
de leur territoire, comme ils avaient arraché en 1993 la reconnaissance de leur
peuple, de leurs instances représentatives et le début de leur autogouvernement.
Ils justifient la nécessité de ce nouveau combat par ce qu'ils dénoncent comme
les violations israéliennes des accords d'Oslo et le non-respect de leurs
engagements : la colonisation, l'expropriation des terres [5], les punitions
collectives, les entraves à la mobilité, les retraits annulés relèvent pour eux
d'une logique de coups de force permanents et d'une violence institutionnelle
qui, située en dehors des lieux d'affrontement habituels, n'en dissimule pas
moins sa brutalité.
Le processus d'Oslo a créé sur le terrain quelque chose
de suffisamment différent pour qu'il soit impossible de parler d'un simple
retour à la première Intifada. Quelque chose s'est bel et bien passé qui n'est
pas la paix, mais qui ne peut pas être considéré comme nul et non avenu. C'est
bien par rapport à ce nouveau contexte construit pendant la "période d'Oslo"
qu'il appartient aux Palestiniens de penser la seconde Intifada. La nouvelle
Intifada ne se présente donc pas comme un retour en arrière mais comme le
produit des frustrations, des contraintes aux frontières des zones autonomes et
des espoirs déçus de cette période d'Oslo. La seconde Intifada se construit en
rapport dialectique avec le processus d'Oslo.
Les Israéliens répugnent à
parler de "nouvelle Intifada" même si le sentiment d'insécurité suscité par les
événements est comparable à celui généré par la première Intifada ou les
attentats suicides du milieu des années quatre-vingt-dix. Les Israéliens parlent
de "violences palestiniennes" pour décrire la situation actuelle. Ce terme
faussement descriptif cache mal la déception d'une partie de l'opinion
israélienne. Les confrontations actuelles font écho à d'autres confrontations
dans le passé, avant et pendant le processus d'Oslo ; elles suscitent les mêmes
réactions israéliennes, seulement marquées par une intensité plus forte : le
bouclage strict des territoires, la répression militaire musclée, et finalement
la suspension officielle du processus d'Oslo. La violence et la suspension des
pourparlers ne sont donc pas des nouveautés. La même séquence s'est déjà
produite à plusieurs reprises depuis 1993. L'automne 2000 ne marque donc pas une
rupture radicale. Du point de vue israélien, c'est pourtant la réouverture du
cycle de la violence qui remet aujourd'hui en question la possibilité même d'un
processus de paix sérieux.
Pour les Israéliens, qui discutent moins de leurs
propres manquements, les Palestiniens n'ont pas renoncé à utiliser la violence,
en cas d'exaspération ou d'insatisfaction dans les négociations, et les
dirigeants palestiniens, en dépit de leurs engagements, ne font rien pour la
prévenir ou la juguler. Le "processus de paix" d'Oslo ne marque donc pas une
rupture irréversible avec la violence. Il ne représente que la continuation de
la lutte palestinienne par d'autres moyens. Le retour à la lutte armée reste
toujours une possibilité ouverte. Ces arguments développés par la droite
israélienne depuis le début du processus d'Oslo sont repris par une large partie
de l'opinion publique : Yasser Arafat n'apparaît plus en Israël comme un
partenaire sérieux pour le processus de paix, à la fois parce qu'il ne tient pas
la rue et parce qu'il change en permanence de tactique. Le processus d'Oslo n'a
pas permis de construire une renonciation définitive et inconditionnelle à la
lutte armée. En tant que "processus de paix", les accords d'Oslo ont achevé de
perdre une large partie de leur crédibilité. La violence a repris le devant de
la scène.
L'autre rupture de l'automne 2000, c'est pour les Juifs d'Israël le
soulèvement, brutalement réprimé (13 morts), de leurs concitoyens, les Arabes
israéliens qui, comme lors du "jour de la terre" des années soixante-dix [6],
ont démontré leur solidarité avec les Palestiniens des territoires occupés. Ces
scènes d'émeute, au sein du territoire d'Israël, ont pu être vécues et
présentées comme un "coup de poignard dans le dos". Le doute s'est installé non
seulement sur la bonne foi des Palestiniens des Territoires, engagés dans le
processus d'Oslo, mais aussi sur la loyauté des Arabes d'Israël. Pour certains
Israéliens, rien n'apparaît plus acquis pour de bon : ni la cessation des
actions anti-israéliennes dans les Territoires palestiniens (actions vécues par
les Palestiniens comme la réponse aux actions anti-palestiniennes d'Israël), ni
la paix et la concorde civile à l'intérieur d'Israël, ni l'indivisibilité de
Jérusalem, ni même les frontières de 1949. Le processus d'Oslo n'a donc ni
pacifié les relations israélo-palestiniennes en Cisjordanie et à Gaza, ni clos
le débat sur les frontières d'Israël et l'irrédentisme arabe. Après une étrange
"paix de sept ans", tout se passe comme si le conflit qui oppose depuis les
années vingt les Arabes aux Juifs sur l'ensemble de l'ancien territoire du
mandat de Palestine semblait soudain resurgir.
Il n'est pas facile de décrire
ce qui est en train de succéder à la "période d'Oslo" : le début d'une guerre de
libération palestinienne (prolongée par une guerre civile larvée en Israël)
susceptible de donner lieu à un processus de décolonisation ? Une "nouvelle
Intifada" appelée à se terminer par une nouvelle "paix des braves" ? Une simple
pérennisation du statu quo masquée par la rhétorique belliqueuse de pouvoirs en
fait intéressés à son maintien ? La crise est-elle gérée pour ramener le calme
et permettre la reprise du processus de paix ou plutôt pour répondre aux peurs
israéliennes ? La situation qui prévaut depuis le 28 septembre 2000 n'est pas la
paix, ce n'est pas non plus une guérilla urbaine classique comme pouvait l'être
l'Intifada à Gaza dix ans plus tôt. Ce n'est plus seulement une révolte
ponctuelle mais ce n'est pas (encore) une révolution généralisée qui balaierait
avec les accords d'Oslo le pouvoir palestinien qu'ils ont mis en
place.
2 - En négatif de la paix manquée : l'acquis
composite du "processus d'Oslo"
Si l'idée d'un processus de paix irréversible et d'une
réconciliation définitive s'éloigne, une grande partie de l'acquis du processus
d'Oslo n'a pas été remise en question : les Territoires palestiniens évacués
entre 1994 et 2000 n'ont pas été réoccupés, les lois et l'autorité
palestiniennes continuent à s'y appliquer, l'appareil policier palestinien a été
bombardé, il n'a pas été détruit ; les points de passage sont fermés, mais pas
définitivement ; le statut de quasi-Etat accordé par la communauté
internationale aux Palestiniens n'est pas sérieusement contesté ..
Les
Israéliens ne sont plus aux prises avec une population occupée qui conteste leur
tutelle par la désobéissance civile et les manifestations violentes. Ils ont
affaire à un proto-Etat qui a ses institutions, ses débats politiques, sa
stratégie et sa diplomatie. Les mesures militaires israéliennes n'ont plus
seulement pour but de dissuader ou de punir les attaques contre les soldats ou
les infrastructures israéliennes, elles visent également à faire pression sur
les dirigeants du proto-Etat palestinien : c'est le sens des concentrations
militaires aux frontières des Territoires palestiniens , des bombardements et du
blocus, qui appartiennent à la gamme des mesures d'intimidation qu'un Etat prend
à l'égard d'un autre.
Ce qui reste du processus d'Oslo - un proto-Etat
palestinien éclaté, un début d'économie nationale palestinienne [7], asphyxiée
par le bouclage et tributaire de l'aide internationale, un statut d'acteur sur
la scène internationale - fait apparaître comme en négatif à la fois
l'importance, la complexité et l'ambiguïté du processus d'Oslo. L'héritage
résiduel du processus d'Oslo, à l'heure de la confrontation, met en relief ce
qui dans le processus ne relevait pas de la paix proprement dite : la
reconnaissance réciproque de deux peuples et de leurs institutions, aujourd'hui
en conflit ; la construction d'un proto-Etat nation palestinien dominé par une
organisation politique et ses appareils, la structuration de nouvelles
interactions (stratégiques, économiques et sociales) entre les Palestiniens
libérés mais séparés et Israël, occupant devenu à la fois "voisin"
incontournable et arbitre de toutes les circulations
"palestiniennes".
Processus de "paix", mais aussi processus cognitif,
processus de construction étatique, processus de réorganisation des flux, le
processus d'Oslo déborde largement le cadre diplomatique et stratégique. Oslo
est d'abord un processus cognitif : il commence par un bouleversement officiel
des représentations, une révolution copernicienne dans les doctrines officielles
sous la forme d'une reconnaissance mutuelle : le peuple palestinien existe
désormais aux yeux d'Israël, ses instances sont légitimes et l'existence de
l'Etat d'Israël cesse d'être contestée par les Palestiniens [8]. Cette
confirmation identitaire réciproque est un grand pas en avant par rapport à la
négation de l'autre qui a dominé les représentations politiques israéliennes et
palestiniennes depuis le début du siècle [9]. Ce processus de reconnaissance
mutuelle a commencé bien avant la Déclaration de principe d'Oslo. Il est
l'aboutissement d'une longue histoire de convergence des représentations
politiques et ethno-géographiques (première partie). Le processus de
reconnaissance n'est pas marginal et ne constitue pas un simple préambule
déclaratoire à la paix sérieuse qui serait celle des cartes et des
redéploiements militaires. Si les Palestiniens existent en tant que peuple, ils
ont sans doute droit à un Etat. C'est désormais le caractère de cet Etat
(démilitarisé ou non, continu ou non), ses frontières, sa capitale, son
opportunité chronologique qui doivent être discutés, mais son principe est
devenu difficile à contester. Le processus cognitif officialisé à Oslo a ouvert
dans les esprits la voie à un Etat palestinien, à une séparation territoriale,
peut-être à un processus de décolonisation. C'est peut-être là que réside la
grande victoire des Palestiniens. Le processus cognitif qui s'est cristallisé à
Oslo n'est pourtant pas terminé : si les Palestiniens existent, qui sont les
Arabes israéliens ? Si les droits du peuple palestinien sur sa terre sont
légitimes et inaliénables, n'est-ce pas à lui d'en avaliser le partage avec les
Israéliens et donc les frontières de 1949 [10] ? Beaucoup de représentations et
de pratiques qui remontent à la période de l'occupation israélienne des
Territoires ne tiennent plus si les Palestiniens sont, aux yeux mêmes des
Israéliens, un peuple légitimement engagé dans la construction de son
Etat.
Le processus d'Oslo, hérité des dispositions de Camp David, est bien un
processus de construction étatique [11]. Les Palestiniens ont construit des
institutions nationales, acquis une souveraineté territoriale (qui n'était pas
prévue dans les accords de Camp David), développé une diplomatie et un appareil
de sécurité qui dépassent les prérogatives normales d'une autorité autonome de
type régional. Les dirigeants de l'OLP ont abandonné le paradigme de la lutte
révolutionnaire pour passer à celui de la construction institutionnelle d'un
Etat [12] : les combattants sont devenus généraux, les idéologues ministres, les
intellectuels à l'étranger ambassadeurs. Tout en poursuivant les négociations
d'Oslo, les Palestiniens ont construit leur législation et leurs
administrations. Ce processus de construction d'un proto-Etat palestinien a été
défini, planifié, encadré par les accords d'Oslo. Les accords négociés et
renégociés du processus donnent à lire un compromis permanent et difficile entre
les ambitions palestiniennes et les limitations souhaitées par Israël pour la
période intérimaire. Le processus d'Oslo a accouché d'un proto-Etat éclaté,
d'une union douanière asymétrique, d'une entité fiscale indépendante mais
tributaire d'Israël (deuxième partie).
Processus de construction d'un Etat
palestinien éclaté, le processus d'Oslo est aussi un processus de réorganisation
territoriale, dans le domaine des pratiques comme dans celui des
infrastructures, à l'échelle de l'ensemble de l'espace israélo-palestinien et de
manière plus nette à l'échelle de la Cisjordanie et sur le pourtour de Gaza : la
surveillance frontalière se substitue à l'occupation territoriale ; la douane,
la zone de transit, la zone franche industrielle deviennent de nouvelles
interfaces entre les deux "économies" ; des centaines de kilomètres de routes
sont construits pour donner un accès direct aux colonies et contourner les zones
palestiniennes. Les périphéries de Jérusalem sont restructurées pour faire face
à un éventuel partage de la région métropolitaine et le prévenir. La "continuité
territoriale" accordée aux Palestiniens se traduit en corridors protégés, en
convois de bus et de camions escortés. Les restrictions nouvelles à la
circulation des personnes et des biens donne lieu à de nouvelles stratégies de
contournement. Cette réorganisation territoriale d'ensemble renvoie aux
contraintes et aux opportunités des accords mais aussi aux pratiques nouvelles
qui ont accompagné leur mise en oeuvre ou coïncidé avec elle (troisième partie).
Elle est une source de frustration pour les Palestiniens qui voient les
Israéliens réorganiser la Cisjordanie en s'appuyant sur la zone C qui reste sous
leur contrôle. Elle est une source d'inquiétude pour les Israéliens qui voient
les pratiques palestiniennes du contournement mettre en échec les dispositifs de
séparation et de sécurité et les modèles territoriaux qu'ils avaient
imaginés.
3 - Modéliser les dessous du processus
d'Oslo
Portant à la fois sur les représentations, les institutions,
les limites et les pratiques territoriales, le processus d'Oslo est aussi
nécessaire et difficile à modéliser que les évolutions actuelles qui visent à le
dépasser. Si, dépassant l'analyse des documents et des enquêtes de terrain, on
cherche à faire correspondre un type de processus sociopolitique à ce que l'on
appelle par commodité le processus d'Oslo, on aboutit à des diagnostics
différents sur le degré d'influence réelle du processus d'Oslo.
3.1. Un processus de conquête
territoriale
Pour certains, le processus d'Oslo est un paravent
diplomatique précaire qui masque à ceux qui ne veulent plus la voir la poursuite
de processus entamés depuis longtemps : la colonisation cohérente et planifiée
de la Cisjordanie, l'annexion de fait d'une région métropolitaine de Jérusalem
[13], dans le droit fil d'une stratégie territoriale étudiée par Diekhoff [14],
Legrain [15] et Foucher [16], sans parler de l'expropriation foncière des
Palestiniens, de leur cantonnement dans la précarité et la dépendance
économique.
La "paix d'Oslo" serait une construction rhétorique, une
fiction qui mériterait d'être confrontée à la réalité qui est l'absence de paix,
la poursuite de l'occupation et de la colonisation. Les Occidentaux, les
Palestiniens, les modérés arabes seraient payés de mots, qui leur permettraient
à bon compte de s'exonérer de leurs responsabilités à l'égard du peuple
palestinien. L'idéologie de la paix mériterait d'être confrontée aux réalités du
terrain : le fonctionnement du réseau carcéral, les confiscations de terres, les
destructions de maisons, mais aussi l'asymétrie de l'aide occidentale au profit
d'Israël. Il appartiendrait donc à une géographie et une sociologie critique de
démasquer la réalité de ce qui reste essentiellement un processus continu de
colonisation et de militarisation de l'espace palestinien, cautionné par les
gouvernements israéliens successifs et toléré par la communauté internationale.
3.2. Un processus de domination
"flexible"
D'autres voient dans le processus d'Oslo une
mystification politique au service d'une nouvelle donne sécuritaire : les
Israéliens se seraient seulement débarrassés de la tâche ingrate qui consistait
à patrouiller dans les agglomérations de Gaza et de la Cisjordanie et à les
administrer ; ils auraient déguisé ce redéploiement en "processus de paix" afin
d'en tirer des bénéfices en terme de politique étrangère (renforcement de
l'alliance américaine, rapprochement avec les pays arabes modérés) et de gestion
quotidienne du problème palestinien (délégation à un sous-traitant palestinien
du contrôle au quotidien) [17]. Les longues discussions du processus d'Oslo
n'ont conduit qu'à une nouvelle géographie du contrôle : un contrôle plus facile
et moins coûteux pour Israël, mais tout aussi difficile à vivre pour la société
palestinienne confrontée à la multiplication des bouclages, des contrôles et des
permis. Le contrôle des flux par celui des points nodaux du réseau qu'empruntent
les circulations palestiniennes aurait permis aux Israéliens de se débarrasser à
bon compte de l'occupation et du quadrillage de détail du territoire
palestinien. Le processus d'Oslo serait l'histoire du passage d'un contrôle
territorial fixe à un contrôle réticulaire flexible [18].
La flexibilité du
nouveau dispositif sécuritaire reposerait sur un pouvoir de sélection : les
Israéliens pourraient non seulement "boucler" de manière sélective telle enclave
ou telle route, et faire bouger le dispositif, mais ils pourraient aussi décider
(ou codécider avec les élites palestiniennes) quels sont les personnes, les
véhicules, les produits autorisés à circuler. Les Israéliens auraient ainsi le
pouvoir d'organiser les circulations, les flux de produits, mais aussi, plus en
profondeur, les réseaux d'affaires autorisés à développer leurs
activités.
Dans cette perspective, il faut étudier la "transition
sécuritaire", la nouvelle "matrice du contrôle" [19] qui constitue la réalité du
processus de paix sur le terrain : quels sont ses pratiques, ses
infrastructures, ses bénéficiaires ? Quels sont les espaces sur lesquels les
Israéliens maintiennent leur contrôle ? Par quelles modalités anciennes (le
contrôle foncier, la colonisation sélective) ou nouvelles (la construction des
routes, le contrôle des noeuds de circulation, des espaces virtuels) ? Comment
les Palestiniens ont-ils organisé leur contrôle résiduel à Gaza et en
Cisjordanie ?
Les cartes officielles des accords d'Oslo, tracées par les
responsables israéliens de la sécurité [20], répondent bien à cette tentative
d'une géographie du contrôle. Une bonne partie des débats d'après Oslo II ont
porté sur ces questions au travers de la question devenue presque obsédante des
redéploiements (protocole sur Hébron, Wye I, Wye II). Observé dans sa dynamique
territoriale et sociale, le processus d'Oslo serait donc un processus de
domination d'un nouveau type qu'il conviendrait d'abolir pour débloquer la
paix.
3.3. Un processus de ségrégation sociale
?
Le processus d'Oslo n'a-t-il pas produit une transformation plus
profonde qu'une simple transition sécuritaire ? Il peut aussi être vu comme un
processus de réorganisation de l'économie et de la société palestiniennes [21].
Les accords d'Oslo ont été accompagnés d'un volet économique, le protocole de
Paris. A l'issue des transferts organisés par cet accord, les Palestiniens ont
retrouvé le contrôle d'une partie de leur fiscalité, de leurs marchés urbains et
fonciers, à défaut d'avoir obtenu une véritable autonomie douanière. Bien
au-delà de la transition sécuritaire et de l'institutionnalisation de nouveaux
réseaux de pouvoir, il y aurait donc une économie politique du processus de
paix. Elle aurait contribué, que cette intention ait été inscrite au départ dans
le projet d'Israël ou non, à une fragmentation supplémentaire de la société
palestinienne et à l'éclatement des mythes "unanimistes" qui avaient dominé la
première Intifada. La libération des marchés urbains palestiniens a relancé la
spéculation immobilière et l'appropriation privative d'espaces tout juste
libérés par Israël (la plage de Gaza, par exemple). Le fonctionnement des
finances publiques palestiniennes et l'économie des permis ont renforcé des
groupes de privilégiés. Surtout la différence entre ceux qui ont accès au marché
israélien du travail et ceux qui n'y ont pas accès, ceux qui peuvent circuler et
ceux qui se trouvent enfermés à Gaza ou dans la zone A en Cisjordanie, a
renforcé les rentes de situation, petites ou grandes des premiers, la réalité de
l'exclusion pour les seconds. Les bénéficiaires de la paix, VIP, notables
revenus de Tunis, familles d'affaires cooptées par l'Autorité palestinienne,
contrastent avec les laissés-pour-compte qui subissent de plein fouet les
conséquences du bouclage, le niveau élevé des prix résultant du protocole de
Paris. De manière délibérée ou non, le processus d'Oslo aurait ainsi affecté la
société palestinienne en profondeur. Erigeant l'accès au marché foncier, à
l'Autorité, à Israël et la mobilité en autant de rentes économiques réservées,
il se serait accompagné d'un processus de réorganisation économique et d'un
nouveau processus de ségrégation sociale. Le ressentiment des couches populaires
palestiniennes à l'égard du processus de paix aurait une dimension sociale : les
contraintes imposées par Israël, l'autoritarisme policier de l'Autorité et
l'enrichissement scandaleux de ses élites seraient confondus comme les symptômes
d'un même mal.
3.4. Un processus d'aliénation
Si les
modèles précédents reflètent surtout les perceptions des Palestiniens, les
opposants au processus d'Oslo en Israël ont proposé leur modèle du processus
d'Oslo, dénoncé comme un processus d'aliénation politique. Les gouvernements
d'Israël, sous la pression politique de la communauté internationale et
particulièrement de l'"allié" américain, auraient aliéné les intérêts
fondamentaux d'Israël. Ils auraient bradé les principes en reconnaissant l'OLP,
"organisation terroriste", comme interlocuteur politique. Ils auraient laissé la
sécurité d'Israël aux mains de ses ennemis d'hier et peut-être de demain : les
anciens feddayins qui forment les cadres de la police palestinienne. Le contrôle
à distance des Palestiniens, la sous-traitance de la lutte anti-terroriste à
l'Autorité palestinienne, même placée sous le contrôle de la CIA, ne sont pas
des solutions crédibles face à la menace d'attentats. Le processus d'aliénation
a conduit à rétrocéder aux Palestiniens des territoires "utiles" à Israël : des
emprises militaires, des routes, des hauteurs (22]. Pour satisfaire la
communauté internationale, Israël a isolé ses colons en Cisjordanie et à Gaza,
renoncé à l'accès à certains lieux saints, le tombeau de Joseph, le tombeau de
Rachel, la synagogue de Gaza... Bientôt d'autres terres, d'autres lieux,
d'autres colonies seront "sacrifiés" à l'illusion d'une paix que le monde arabe
et les Palestiniens ne désirent pas sincèrement. Les concessions faites aux
Palestiniens n'ont pas donné naissance à une démocratie de marché en quête de
paix et de prospérité, mais à une dictature, à une oligarchie corrompue qui
exploite durement le reste de la société palestinienne en faisant porter à
Israël la responsabilité de la misère qu'elle crée. En "livrant" les
Palestiniens à l'OLP, les dirigeants israéliens ont aussi aliéné leurs chances
de développement économique et de convergence sociale avec Israël. Cédant aux
pressions à court terme, ils ont fait reculer la paix.
4 - Peut-on
mettre le processus de paix à l'épreuve de la "vérité" du territoire
?
Dans toutes les hypothèses qui sont formulées à propos de
la "vraie nature" du processus d'Oslo, le territoire tient un rôle particulier.
Les évolutions territoriales sont la pierre de touche à laquelle les uns et les
autres appellent à confronter l'idéologie des doctrines et l'abstraction des
traités. Ce qui se passe "sur le terrain", voilà la réalité du processus de paix
: des colonies en construction, des barrages, des queues de camions aux points
de passage... C'est le territoire, son fonctionnement, qui se trouvent
convoqués, sollicités pour démontrer quelle est la réalité du processus de paix.
Les photos satellitaires et les cadastres ne mentent pas. Les caravanes surgies
de nulle part et le bitume frais des nouvelles routes, voilà qui n'est pas du
virtuel et du déclaratoire [23].
L'espace n'est pas seulement le prétexte à
la formulation de projets géopolitiques concurrents, eux-mêmes issus d'une
longue stratification de représentations, ainsi que l'a montré Frédéric Encel
dans le cas de Jérusalem ou du Golan. L'espace construit ou en construction, tel
qu'il est appréhendé par la photographie, l'observation satellitaire, l'analyse
statistique (lorsqu'on y croit), devient ici la "vérité" du processus d'Oslo et
chaque école en fait un élément clé de sa démonstration. Chacun invite à voir, à
observer, à étudier les cartes pour constater la "réalité". L'espace n'est pas
seulement pensé, imaginé, planifié, discuté ex-ante, il sert d'argument ex-post
pour démontrer l'inanité, la partialité, la violence du processus de
paix.
Dans la représentation du futur comme dans l'analyse de l'actualité,
l'espace semble, pour chaque école, comme un réservoir de "faits vrais", que
l'on ne peut pas ne pas voir et prendre en compte. Au "complot" pour l'espace,
qui se matérialise de manière si évidente sous forme de colonies, de barrages,
de contrebandes, de violences plus ou moins sporadiques, doit répondre une
stratégie territoriale. Les cols, les lignes de crêtes, les défilés, voilà des
réalités qu'il faut prendre en compte dans cette stratégie, car l'adversaire,
lui, ne les oublie pas ; les lignes de sources, les aquifères, le tracé des
cours d'eau, voilà des éléments dont il n'est pas possible de faire abstraction
; les routes, la taille des établissements humains, la position des grandes
infrastructures, le tracé des frontières voilà autant de faits qu'il est
impossible d'ignorer. L'espace est à la fois la matrice, l'enjeu, le moyen et le
résultat de la lutte. D'où vient ce positivisme spatial qui convoque
systématiquement le territoire à la barre de la vérité ?
Du côté israélien,
le positivisme laïc (et l'idéologie coloniale) qui ont accompagné les débuts du
sionisme se sont appuyés sur une rationalité spatiale où la topographie,
l'hydrologie, la pédologie sont en permanence mobilisées pour construire un
territoire viable pour le peuple juif. Le rôle de l'armée dans la société
israélienne depuis 1948 a diffusé dans une large partie de la population
l'habitude de travailler et de réfléchir sur des cartes. Par rapport à la montée
des revendications identitaires ou religieuses, le sionisme laïc s'est appuyé,
de manière privilégiée, sur les "réalités spatiales" et leurs conséquences
géostratégiques, à l'exclusion de la prise en compte de la mémoire [24]. Les
défis d'aménagement d'Israël, le développement de l'agriculture irriguée,
l'intégration des marges arides, l'urbanisation galopante, les ambitions en
matière de protection de l'environnement, ont multiplié les experts qui tirent
leur légitimité de la pratique de disciplines spatiales considérées comme
scientifiques et objectives. Dans le champ politique, le positivisme spatial a
donné naissance à une idéologie géostratégique : l'absence de profondeur
spatiale d'Israël doit être compensée par le contrôle des hauteurs, l'aridité
relative de la côte et du sud impose le contrôle direct du haut bassin du
Jourdain et de l'aquifère de Samarie... Il n'est pas facile de remettre en cause
ce positivisme spatial dans un contexte où les technologies militaires et
civiles nouvelles périment pourtant une bonne part des contraintes géographiques
ou des avantages de terrain. De manière sincère ou calculée, Shimon Peres est en
Israël un grand pourfendeur des "géographismes" hérités et de l'idéologie de
certains héritiers du sionisme qu'Alain Dieckhoff avait tenté d'analyser et de
déconstruire pour la période d'avant l'Intifada.
Du côté palestinien, on peut
faire l'hypothèse que le goût de la cartographie provient d'abord de problèmes
concrets : les expropriations, les aliénations foncières, la nécessité de
"cadastrer" les droits des Palestiniens et les empiétements israéliens. C'est le
sens de l'énorme travail de cartographie de Jérusalem, mené dans le cadre de la
Maison d'Orient. L'émergence d'une géostratégie palestinienne s'inscrit
également dans le changement de paradigme décrit par Rubin [25], ce passage
d'une idéologie révolutionnaire, très attentive aux dynamiques sociales et
politiques en Israël (les négociateurs israéliens d'Oslo rappellent l'excellente
connaissance de détail de la vie politique israélienne qui est celle des hommes
de Tunis) à une idéologie nationale de construction étatique. La reconversion
technocratique des élites palestiniennes, leur "américanisation", a privilégié
le développement d'une expertise spatiale qui se veut scientifique. Le poids
nouveau donné aux cartes et aux plans a, de manière marginale, permis de coopter
dans les cercles d'influence de l'Autorité palestinienne des ingénieurs, des
scientifiques, de jeunes spécialistes formés à l'étranger, comme cela est vrai
dans le domaine économique. Le positivisme spatial des Palestiniens est aussi
une des figures du mimétisme palestinien vis-à-vis d'Israël, les Palestiniens ne
pouvant accepter de ne pas savoir traiter de l'espace avec la même
sophistication que les Israéliens qui font en permanence appel à la raison des
lieux.
A l'exception de ceux de David Newman plus sensibles aux différentes
"narrations" en concurrence [26], les travaux des spécialistes de l'espace sur
le processus de paix n'arrivent pas totalement à se départir de ce positivisme :
vu au travers du prisme d'un diagnostic d'expertise (diagnostic,
recommandations), l'espace étale l'évidence et appelle à de nouveaux plans ou de
nouvelles solutions : l'espace physique impose aux deux peuples des contraintes,
peut-être irréconciliables, l'espace foncier "démontre" que la paix n'est pas
appliquée, l'espace urbanisé promet de nouvelles violences à cause de la
coalescence des banlieues juives et arabes [27]...
Comment éviter à notre
tour l'écueil d'une "géographie positive" qui, sans même aller jusqu'à déduire
des solutions des équations spatiales, viendrait seulement souligner l'écart
entre les textes, les discours et les "faits sur le terrain" ? C'est là une
figure essentielle de la "rhétorique d'insatisfaction" des Palestiniens mais
aussi des Israéliens, qu'ils soient partisans d'une paix "plus honnête" ou au
contraire pourfendeurs des violations palestiniennes "sur le terrain". Ce
démarquage entre ce qui est signé et "ce qui se passe" est une tentation
légitime d'une géographie ou d'une sociologie d'observation. Le contraste, par
exemple, entre ce qui focalise l'attention des négociateurs, 1% du territoire,
souvent dans des zones vides (voir les négociations de Wye I et Wye II) et
l'ampleur des transformations spatiales induites par la colonisation, la
construction des routes, le bouclage (qui ne sont pas négociés), invite le
chercheur à signaler la disproportion qu'il constate. Comment dépasser ce point
? Le désir est fort de s'engager en guise d'interprétation dans un procès de la
duplicité israélienne ou de la complicité des élites palestiniennes, ou de
reprendre un des modèles globaux proposés pour expliquer les dessous du
processus d'Oslo.
Il nous a paru possible d'intégrer d'une manière un peu
différente l'apport de plusieurs années d'observation de terrain, d'abord en
faisant le bilan du contexte idéologique qui a permis le déblocage de la
reconnaissance initiale d'Oslo. Comment Palestiniens et Israéliens se sont-ils
rapprochés idéologiquement et politiquement ? Quels sont les désaccords
fondamentaux qui persistent ? Il s'agit au terme d'une lecture historique
d'établir un état des lieux des représentations du "territoire souhaitable" et
du "territoire possible" présentes au moment de la reconnaissance d'Oslo. En ce
sens, notre travail s'inscrit bien dans les méthodes de la géopolitique.
Nous
avons aussi voulu serrer les accords au plus près, entrer dans le détail de
l'organisation spatiale qu'ils proposent et de leur genèse, notamment grâce aux
textes eux-mêmes et aux récits des principaux protagonistes. Les accords ont-ils
été violés dès leur conception ou autorisaient-ils par construction l'émergence
de la Palestine d'Oslo ? Il s'agit là d'un travail de géo-histoire.
Nous
avons ensuite tenté de cerner un certain nombre de fonctionnements nouveaux du
territoire cisjordanien pris comme terrain d'observation plutôt que Jérusalem ou
Gaza déjà largement étudiés dans des perspectives un peu différentes. Plutôt que
dresser un catalogue des violations, nous avons essayé de comprendre ce qui
avait pu changer dans le domaine du contrôle israélien par rapport à la période
de l'occupation, quel était l'impact de l'étrange union douanière créée par le
protocole de Paris, comment les pratiques sociales palestiniennes géraient les
contraintes et les opportunités nouvelles liées à ces nouveaux fonctionnements
du territoire. C'est un travail, que nous avons voulu aussi territorialisé que
possible, de sociologie politique et économique [28].
- Notes -
[1] Le "processus d'Oslo"
a désigné pendant sept ans tout à la fois une suite de négociations, les accords
et les textes qu'elles ont produits, les changements territoriaux,
institutionnels, réglementaires issus de l'application de ces accords et, par
extension, les évolutions sociales et politiques qu'elles produisaient. Le nom
de la capitale norvégienne en est ainsi venu à désigner par métonymie à la fois
l'exercice diplomatique qui suit le calendrier fixé par la Déclaration de
principe et les changements provoqués par les négociations et les accords. C'est
ainsi que l'on a pu parler des "cartes d'Oslo" pour désigner les cartes des
accords et d'une "Palestine d'Oslo" pour évoquer la nouvelle réalité créée par
les accords.
[2] Voir, sur la fin d'Oslo, le travail critique de
Saïd, Edward, The End of the Peace Process, New York, Pantheon,
2000.
[3] Bucaille, L., "La nouvelle Intifada : vers
l'indépendance palestinienne", conférence publique au Centre d'études des
relations internationales (CERI), Paris, 7 décembre 2000.
[4] Jeunes entre 15 et 30 ans qui constituent
l'essentiel des effectifs de la première Intifada, luttant à la fois contre les
soldats israéliens et les "collaborateurs" palestiniens.
[5] L'ouvrage de référence sur la colonisation et
les dynamiques foncières pendant le processus de paix est celui d'Aronson G.,
Settlements and the Israeli-Palestinian Negociations : an Overview, Washington,
Institute for Palestine Studies, 1996, un ouvrage que permettent de réactualiser
régulièrement les chiffres publiés par le Report on Israeli Settlements in the
Occupied Territories, Fondation for Middle East Peace, Washington.
[6] Le 30 mars 1976 a eu lieu un mouvement de
protestation contre de nouvelles confiscations de terres arabes en Galilée. Une
brutale répression israélienne répond à la grève générale. Ce "jour de la terre"
devient un événement commémoré chaque année aussi bien par les Arabes israéliens
que par les habitants des territoires occupés.
[7] Sur le proto-Etat palestinien, issu des accords
d'Oslo, voir Botiveau B., L'Etat palestinien, Paris, Presses de la fondation
nationale des sciences politiques, 1999.
[8] Sur les espoirs, les difficultés et les luttes
suscités par les débuts du processus d'Oslo et l'émergence d'une "Palestine"
reconnue par Israël, voir Frankel G., Beyond the Promise Land, Jews and Arabs on
the Hard Road to a new Israël, New York, Simon and Schuster, 1994, Usher G.,
Palestine in Crisis, the Struggle for Peace and Political Independance, Londres,
Pluto Press, 1995, Porat B., Rubinstein D., La Palestine en marche, Paris,
Flammarion, 1996, Dieckhoff A., Israéliens et Palestiniens. L'épreuve de la
paix, Paris, Aubier, 1996, Shehadeh R., From Occupation to Interim Accords :
Israël and the Palestinian Territories, Londres, Kluwer, 1997.
[9] Sur les représentations croisées, étudiées à
partir des textes clés, voir Laurens H., Le retour des exilés. La lutte pour la
Palestine de 1869 à 1997, Paris, Robert Laffont "Bouquins", 1998, 1320 pages,
qui se présente comme une édition commentée de tous les textes importants de la
période concernée.
[10] Chemillier-Gendreau M., "Un titre de propriété
inaliénable sur la terre", Le Monde diplomatique, Paris, avril
1999.
[11] Sur la construction et les structures du
proto-Etat palestinien :
Botiveau B., L'Etat palestinien, Paris, Presses de
la Fondation nationale des sciences politiques, 1999, et Robinson G., Building a
Palestinian State, The Incomplete Revolution, Bloomington, Indiana University
Press, 1997.
[12] Rubin B., The Transformation of Palestinian
Politics. From Revolution to State-building, Cambridge (Mass.), Harvard
University Press, 1999.
[13] Guyatt N., The Absence of Peace, Londres, Zed
Books, 1998.
[14] Dieckhoff A., Les espaces d'Israël, Paris,
Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1989.
[15] Legrain J.-F., "Judaïsation et démembrement :
politiques israéliennes du territoire en Cisjordanie-Gaza (1967-1995), Monde
arabe, Maghreb-Machrek, avril-juin 1996, p. 42-75.
[16] Foucher M., Fronts et frontières : un tour du
monde géopolitique, Paris, Fayard, 1991, p. 371-402.
[17] C'est le point de vue défendu par certains
juristes et politologues palestiniens, regroupés dans un ONG indépendante qui
assure le suivi juridique des pratiques d'Oslo, voir Apartheid, Bantustans,
Cantons, the ABC of the Oslo Accords, Jérusalem, LAW, 1998. Frédéric Encel, à
qui l'on doit Géopolitique de Jérusalem (Paris, Fammarion, 1998), a repris à
plusieurs reprises dans les médias français au cours de l'automne 2000 une thèse
comparable, celle d'un changement de posture sécuritaire d'Israël qui aurait
d'abord cherché en 1993 à se débarrasser du fardeau que représentait le contrôle
direct des Palestiniens en pleine Intifada.
[18] Sylvie Fouet insiste sur cet objectif
essentiel du nouveau dispositif israélien : "Le contrôle des mouvements comme
enjeu de pouvoir", Monde arabe, Maghreb-Machrek, juillet-sept 1998, Paris, La
Documentation française, p. 25-36.
[19] Les mouvements pacifistes israéliens réclament
le démantèlement de cette "matrice de contrôle", voir Halfer J., "Dismantling
the Matrix of Control", News from Within, Tel-Aviv, octobre 1999, p.
38-39.
[20] Sur ce point essentiel, voir le témoignage du
principal négociateur israélien d'Oslo, Uri Savir, Les 1 100 jours qui ont
changé le Moyen-Orient, Paris, Odile Jacob, 1998. Sur le rôle des militaires et
des objectifs de sécurité dans le détail, la chronologie et le secret des
négociations israélo-arabes, voir Enderlin C., Paix ou guerres, Paris, Stock,
1997.
[21] Dans son travail sur Gaza, Laetitia Bucaille
décrit le double mouvement d'exclusion sociale qui a caractérisé la mise en
place du pouvoir de l'Autorité palestinienne au profit d'un "clan du Pouvoir
alliant la force militaire au savoir-faire entrepreneurial", qui entretient des
rapports utiles avec une partie des représentants de l'élite militaire et
économique israélienne. L'établissement de la puissance économique de ce groupe
a d'une part marginalisé la bourgeoisie traditionnelle et la classe de services,
d'autre part provoqué l'exclusion des islamistes et des familles populaires dont
les enfants ou les maris n'étaient pas cooptés. L'alliance nouée à Gaza entre
les représentants de l'Autorité palestinienne et le groupe violent des chebabs
de l'Intifada, "l'alliance avec les classes populaires - quoique inégale -
marginalise la bourgeoisie et les milieux d'affaires traditionnels. En effet, le
pouvoir palestinien a favorisé l'émergence de nouveaux circuits économiques et
contrôle lui-même une partie du commerce extérieur... Le mode de gouvernement
des dirigeants palestiniens provoque le mécontentement de plusieurs composantes
de la société. Son caractère sélectif expulse des circuits de distribution de
larges pans de la société. Les détenteurs du pouvoir favorisent les liens
personnels au détriment du critère de la compétence ; cette logique a pour effet
de frustrer les élites potentielles ou existantes. Quant aux plus démunis, ils
assimilent leur statut de précarité économique à celui de dominé dans l'espace
politique. En première ligne, les islamistes subissent l'exclusion du système de
prébendes et d'emploi." Laetitia Bucaille, Gaza, la violence de la paix, Paris,
Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1998, p. 27-28. Voir
aussi La Palestine d'Oslo : Les avatars d'une construction nationale, Monde
arabe, Maghreb-Machrek, n° spécial, Paris, La Documentation française,
juillet-sept 1998.
[22] Voir par exemple, sur un ton qui se veut
modéré, Soffer A., "The Peace Talks between Israël and the Palestinians : A
Lesson in Political Geography" (in Gradus Y., Lipshitz G., The Mosaïc of Israeli
Geography, Bersheva, Ben Gurion University Press, p. 297-306.) : "Même la paix a
un prix très lourd, peut-être si lourd qu'il met en danger l'existence
elle-même".
[23] Les
enjeux spatiaux du processus de paix sont cartographiables pour le présent mais
aussi pour le futur, voir Lemarchand P. et Radi L., Israël/Palestine demain.
Atlas prospectif, Bruxelles, Complexe, 1996.
[24] Kimmerling B., Zionism and the Territory : the
Socio-territorial Dimension of Zionist Politics, Berkeley, University of
California, Institute of International Studies, 1983.
[25] Rubin B., op. cit.
[26] Newman D., "From Conflict to Peace Narrative :
the Changing Discourse of Israeli Political Geography", in Gradus Y., Lipshitz
G., The Mosaïc of Israeli Geography, Beersheva, Ben Gurion University Press,
1996, p. 287-295. David Newman a travaillé à la fois sur les représentations des
élites politiques et stratégiques (Newman D., Falah G., "Bridging the Gap :
Palestinian and Israeli discourse on autonomy and statehood", Transactions of
the Institute of British Geographers, 1997), les perceptions sociales et leurs
conséquences sur les flux (Newman D., Boundaries in flux : The "Green Ligne"
boundary between Israël and the West Bank - past, present, future, Durham,
International Boundaries Research Unit, 1995, Boundary and Territory Briefing,
n° 7).
[27] Voir par exemple, avant le début du processus
de paix, Schiff Z., Peace with Security : Israel Minimal Security Requirements
in Negociations with the Palestinians", Washington, Institute for Near East
Policy, 1989, ou Alpher J., Feldman S., The West Bank and Gaza, Israël's Options
for Peace, Tel-Aviv, Jaffe Center for Strategic Studies/Westview,
1989.
[28] Malgré une littérature abondante qui aborde la
question de la société palestinienne à travers le prisme du conflit
israélo-palestinien, en terme d'analyse diplomatique et stratégique, en
insistant sur les particularités de la condition palestinienne, les Palestiniens
de l'intérieur sont longtemps restés mal connus. Durant l'occupation
israélienne, les recherches ont plutôt privilégié le monde rural, milieu où
s'organise le sumud - le fait de tenir bon. Pendant la première Intifada, les
études sont concentrées sur les modes de mobilisation sociale et politique (voir
Tamari S., "Problem of Social Science Research in Palestine : an Overview",
Current Sociology, 42(2), 1994). Depuis le "processus d'Oslo", s'est esquissé
dans les sciences sociales un regain d'intérêt pour les Palestiniens de
l'intérieur. L'ouvrage collectif Les Palestiniens de l'intérieur, dirigé par
Camille Mansour, se propose ainsi de combler un vide, en langue française du
moins, sur la situation des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie peu après le
déclenchement de l'Intifada en 1987. (Camille M. (Dir.), Les Palestiniens de
l'intérieur, Paris, Les Livres de la Revue d'études palestiniennes, 1989).
Le
processus de paix a été marqué par l'essor des études économiques destinées à
prendre la mesure des défis auxquels se trouvaient confrontées la nouvelle
Autorité palestinienne et la communauté internationale qui entendait l'assister.
C'est par exemple le cas de l'ouvrage dirigé par Marianne Heiberg et Geir
Ovensen, Palestinian Society in Gaza, West Bank and Arab Jerusalem, A Survey of
Living Conditions Oslo, FAFO, 1994, un bilan très documenté de la situation
économique dans les territoires palestiniens au début des années
quatre-vingt-dix, ainsi que des nombreuses études de la Banque mondiale comme
celle de Diwan I. et Shaban R. (dir.), Development under Adversity : the
Palestinian Economy in Transition, Washington, Banque mondiale, 1999. Sara Roy a
tenté une économie politique de la crise palestinienne, dans le cas particulier
de Gaza (Roy S., The Gaza Strip, The Political Economy of De-development,
Washington, Institute for Palestine Studies, 1995). Louis Blin et Philippe
Farges ont essayé de dresser un tableau plus prosopographique des acteurs
économiques et de leurs stratégies (Blin L. Et Farges P. (dir), L'économie de la
paix au Proche-Orient, Paris, Maisonneuve et Larose, 1995).
Parallèlement
s'est esquissé un questionnement sur le territoire, l'identité et les
formulations de la "question nationale" en Palestine. Cette démarche axe ses
réflexions sur l'idée de territoire dans un contexte d'occupation et de
fragmentation et sur la construction d'une identité de la Palestine, revendiquée
comme facteur d'unité et posée comme "substitut au territoire" (voir Bocco R.,
Destremeau B., Hannoyer J. (dir), Palestine, Palestiniens. Territoire national,
espaces communautaires, Beyrouth, Cahiers du CERMOC, 1997). Dans une monographie
documentée, Laetitia Bucaille tente d'analyser les rapports entre pratique
territoriale, crise sociale et mobilisation politique à Gaza (Laetitia Bucaille,
Gaza : la violence de la paix, Paris, Presses de la Fondation nationale des
sciences politiques, 1998). D'autres chercheurs conduisent des recherches de
terrain en "Palestine", c'est-à-dire dans la petite partie du territoire
palestinien concédée par Israël. S'inscrivant dans la période actuelle du
développement politique palestinien (contraintes imposées par le cadre rigide
d'une négociation fluctuante sur un espace géographique circonscrit), les études
évaluent les conséquences immédiates de la situation nouvelle créée par les
accords d'Oslo et leur suite sur les institutions politiques et administratives,
sur les acteurs politiques, économiques et culturels, sur la vie urbaine, sur
les flux des personnes et des biens. Les résultats de ces premières enquêtes ont
fait l'objet d'un séminaire de recherche qui s'est tenu à partir du printemps
1997 à l'Institut de droit de l'Université de Birzeit et dont on retrouve l'écho
dans Botiveau B. (dir), La Palestine d'Oslo : les avatars d'une construction
nationale, Monde arabe, Maghreb-Machrek, Paris, La Documentation française,
1998. On trouve aussi sur les pratiques quotidiennes et le vécu d'Oslo l'ouvrage
de Legrain J.-F., Les Palestiniens du quotidien, Beyrouth, CERMOC, 1998.
Dans
le champ de la sociologie politique, à côté de la Revue d'études palestiniennes,
dans ses trois éditions française, arabe et anglaise, de nombreux comptes rendus
et analyses d'opinion sont désormais produits par les centres de recherche et de
documentation palestiniens, parfois associés à des organisations non
gouvernementales. C'est le cas du Jerusalem Media and Communication Center ou du
Palestinian Center for Research and Studies à Naplouse qui publie la revue
Al-Siyasa al-falastiniyya ("La politique palestinienne"). Une vision générale
des difficultés de la construction démocratique en Palestine est donnée par Hanf
T., Sabella B., A Date with democracy. Palestinian Society and Politics, An
Empirical Survey, Fribourg-en-Brisgau, Arnold Bergstrasser Institut, 1996. Un
ouvrage collectif produit par des chercheurs associés au centre Al-Muwatin à
Ramallah inventorie les effets sur les relations israélo-palestiniennes et sur
le développement politique palestinien des accords d'Oslo : Giacaman G., Jorund
Lonning D. (dir.), After Oslo, New Realities, Old Problems, Londres, Pluto
Press, 1998.
Réseau Palestine
Intervention de Mgr Michel Sabbah, patriarche latin de
Jérusalem
à l'Instutut Catholique de Paris, le lundi 23 avril
2001
La Palestine, les Chrétiens et la
paix
Je dois commencer par remercier la section Pax Christi France,
présidée par S.E. Mgr. Derouet, qui a organisé cette conférence en collaboration
avec l'Institut Catholique de Paris , dont je salue cordialement le directeur,
Mgr. Valdrini. Merci.
De Jérusalem, à vous tous ici présents, je vous
salue cordialement, un salut qui est un souhait de paix à vous tous, qui êtes
intéressés par la paix de la Terre Sainte, un souhait que tous, Israéliens,
Palestiniens, monde arabe et communauté internationale, puissent collaborer
ensemble à la construction de la nouvelle société de Terre Sainte, palestinienne
et israélienne.
Nous vivons ces jours mêmes en Terre Sainte, Palestine et
Israël, la violence déchaînée: le jour de Pâques, la nuit, et les nuits
suivantes, avec d'autres régions Palestiniennes, dont surtout Gaza, les villes
chrétiennes de Beit-Jala, Bethleem et Beth Sahour, ont eu leur bombardment de
Pâques.
Avec cette situation qui marque la décison israélienne de réduire par
la puissance de la force militaire la résistance palestinienne, et celle-là de
son côté décidée à rester et à réagir aussi bien par la violence, nous sommes
dans un cycle de violence, que quelqu'un doit avoir le courage de rompre.
La Terre
Sainte
1. C'est la Palestine historique située entre le Jourdain et
la Méditerrannée, à l'Est et à l'Ouest, et limitée au Nord par la Syrie et le
Liban et au Sud par l'Egypte. Elle s'appelle aujourd'hui Israël et Palestine,
(ou Territoires Palestiniens Occupés). L'Etat d'Israel comprend les 78% de la
Palestine historique, le reste, le 22%, fut occupé par Israel en 1967, et reste
maintenant avec le statut de Territoires Occupés, ou d'Autonomie Palestinienne,
et ce sont ces 22% de la Palestine historique qui sont réclamés aujourd'hui par
les Palestiniens pour y créer leur Etat.
Du point de vue juridiction
ecclésiastique, la Terre Sainte comprend, pour toutes les Eglises présentes à
Jérusalem, catholiques, orthodoxes et protestantes, la Palestine, Israël et la
Jordanie. Mais le conflit, ou la violence qui sévit aujourd'hui, est limitée aux
deux pays, Israël et Palestine.
Les chrétiens de Terre
Sainte
2. La visite du Saint-Père, le pape Jean Paul II l'an 2000,
attira l'attention du monde sur l'existence de la petite mais vivante communauté
des chrétiens arabes, palestiniens et jordaniens de Terre Sainte, qui y continue
la présence chrétienne depuis les premiers temps et jusqu'aujourd'hui, en
différents rites et langues, surtout la langue, la culture et l'histoire arabe à
laquelle appartient cette Eglise, ou ces Eglises, car nous sommes plusieurs
Eglises, treize au juste, catholiques, orthodoxes et protestantes. Lorsque le 4
décembre 1999, nous avions célébré ensemble l'ouverture de l'an 2000, l'évangile
de la Nativité du Seigneur Jésus-Christ fut proclamé dans tous les rites, grec,
latin, syriaque ou araméen, arménien, copte et éthiopien, en plus de l'arabe et
de l'anglais. Les chrétiens en Palestine sont donc une variété d'Eglises en
communion avec l'Occident et l'Orient.
Au-delà des langues liturgiques
anciennes, qui étaient des langues nationales aussi, l'arabe est la langue
commune de tous ces chrétiens, mis à part la communauté éthiopienne. Il ne faut
pas oublier non plus, la communauté d'expression hébraïque, partie intégrante de
l'Eglise de Terre Sainte, petite encore, il est vrai, dont la langue est
l'hébreu, et qui appartient par sa culture et son histoire à la société
israélienne.
2.1 Le mot arabe, fut et le reste aujourd'hui encore, pour
plusieurs, synonyme de musulman, alors que dans le monde arabe, et surtout dans
les pays du Moyen Orient, les chrétiens de tout rite sont, depuis des siècles,
une partie intégrante de ce monde arabe.
En Palestine et Israël, il y a tout
un effort qui voudrait convaincre les chrétiens qu'ils sont une communauté
religieuse minoritaire, et ne font partie d'aucun peuple, ce qui est une
aberration. Un chrétien en effet, partout où il se trouve, appartient à sa
terre, à son peuple et à son pays: le chrétien français est français, l'italien
est italien etc. Il en est de même du Palestinien chrétien, il est
palestinien.
2.2 Cela nous mène à la question des rapports entre chrétiens et
musulmans. Là aussi, depuis quelques années, il y a une campagne qui voudrait
mettre en relief une prétendue persécution des chrétiens par les musulmans.
Qu'il y ait des difficultés dans les rapports, pour une raison ou l'autre, entre
majorité et minorité dans toute société, cela est compréhensible et cela se
trouve partout. Cela se trouve, par exemple, dans la société israélienne
dans les rapports entre les mêmes citoyens israéliens, juifs et arabes. Malgré
toutes les structures démocratiques, la discrimination à base de race et de
religion crée des difficultés dans les rapports, sans pour autant rendre la vie
impossible aux uns ou aux autres.
Les rappports entre musulmans et chrétiens
arabes en général, et musulmans et chrétiens palestiniens en particulier, se
basent sur deux considérations. La première est historique: chrétiens et
musulmans, nous sommes un seul peuple. Nous avons nos racines dans la même
terre, la Palestine. Ensemble, nous appartenons à la terre, au pays,
ensemble nous faisons aujourd'hui notre histoire, quelques soient les
difficultés extérieures ou intérieures auxquelles nous sommes confrontés, dans
notre vie de chaque jour, au niveau individuel ou public et national.
La
deuxième base est théologique, chrétiens en Palestine ou ailleurs, dans les pays
du Moyen Orient, nous sommes appelés à vivre dans notre société arabe et
musulmane. Faire partie de la société arabe et musulmane, c'est notre vocation.
C'est le sens de notre foi chrétienne et de notre présence en nos pays. Si cette
vocation comporte des difficultés cela ne veut pas dire que nous la refuserons.
D'ailleurs, grâce à Dieu, il n'y a pas que des difficultés. Il y a toute
une réflexion commune, chrétienne et musulmane, qui se fait à tout niveau pour
une plus grande stabilité et équilibre dans les rapports.
2.3 Notre vocation
est donc de vivre dans une société arabe et musulmane. Et, en Terre Sainte, lieu
de rencontre des trois religions, notre vocation est celle de notre terre, de
vivre dans notre peuple palestinien arabe et musulman, et avec le peuple juif,
avec lequel nous vivons aujourd'hui le drame du conflit, et demain, nous
l'espérons, la paix de la réconciliation dans la justice.
2.4 Une question
nous est posée souvent: N'avez-pous pas peur que le nouvel Etat palestinien soit
un Etat musulman? Notre réponse est simplement la suivante: ce n'est pas le
premier Etat musulman qui va naître dans le Moyen Orient. Déjà plusieurs Etats
musulmans existent dans la région, Iraq, Syrie, Egypte, Jordanie, je mets à part
le Liban pour sa physionomie particulière. Donc un nouvel Etat arabe où des
chrétiens vivent, ce n'est pas une nouvelle expérience qui doit nous faire peur.
Deuxièmement, quelles ques soient les difficultés de l'avenir, nous essaierons
tout simplement d'y faire face et de continuer à rechercher les meilleurs moyens
de coexistence dans notre société à laquelle nous sommes envoyés de par notre
foi chrétienne.
Dans tous les pays arabes sus-mentionnés, les constitutions
assurent l'égalité des citoyens. Il est vrai qu'il y a de quoi faire encore pour
arriver toujours à plus d'équilibre entre les majorités et les minorités, mais
c'est une loi qui joue dans tous les pays, pour des raisons religieuses ou
autres. La question de minorités ou de petits nombres n'est pas une question
propre à la Palsetine.
D'un autre côté, le Président Arafat et l'Autorité
Palestinienne, veillent à maintenir un équilibre et une stabilité dans la
société palestinienne musulmane et chrétienne. Ils y réussissent plus ou moin
dans une société ouverte à tous les vents et à toutes sortes de
manipulations.
2.5 Une commission de haut niveau décidée par l'Administration
américaine a fait récemment le tour du Moyen Orient, pour enquêter sur la
liberté religieuse, ayant en vue surtout les rapports entre musulmans et
chrétiens. Nous avons donné notre témoignage. Mais aussi important que la
liberté religieuse, est notre liberté comme êtres humains, i.e. notre liberté
politique, liée ou limitée par l'Occupation militaire des Territoires
Palestiniens.
2.6 Les Palestiniens chrétiens aujourd'hui, ceux restés sur
place, en Israël et en Palestine, et ceux dispersés par l'émigration ou les
guerres de 1948 puis de 1967 sont dans les 500,000, soit les 10% de la
population palestinienne dans le monde. Seulement 170,000, vivent aujourd'hui en
Israël (120,000) et en Palestine (50,000), soit le 2% de la population arabe.
Sommes-nous une communauté en voie de d'extinction? Beaucoup voudraient le
penser, à cause de l'émigration qui continue et à cause du conflit aussi qui ne
semble pas se rapprocher de sa fin. En réalité, il s'agit aujourd'hui d'une
communauté très vivante, participante à toute la vie de l'Eglise et de la
société. Il est vrai que certains de nos fidèles se fatiguent d'une vie de lutte
continuelle et finissent par se tourner vers l'émigration, pour trouver une vie
plus paisible. D'autres, cependant, restent. Il restera toujours dans la Terre
Sainte une petite communauté de chrétiens, témoins de Jésus dans sa terre. Pour
nous, notre présence en Terre Sainte ne relève pas seulement de circonstances
historiques et humaines. Elle est aussi et surtout la continuation du mystère de
refus vécu par Jésus sur cette même terre; et, comme Jésus l'avait dit à ses
apôtres: "Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans la Judée et la Samarie, et
jusqu'aux extrémités de la terre" (Ac 1,8), nous restons et nous resterons, le
long des siècles, les témoins de Jésus dans sa terre.
2.7 En conclusion,
pour les chrétiens, la Terre Sainte, terre de rencontre continuelle avec Dieu et
avec tous les hommes qui l'habitent, est aussi la terre de la vie quotidienne,
la terre des droits et des devoirs, une terre de conflit, encore disputée.
Notre histoire et notre permanence en elle, fut continue, à travers les
vicissitudes de l'histoire et la succesion des conquérants et des peuples, grâce
à notre foi toujours maintenue et transmise de génération en
génération.
Les chrétiens
et la paix
3. Notre rôle comme chrétiens dans la paix
Chrétiens
palestiniens, nous sommes partie du peuple palestinien, et nous sommes présents
dans l'action de ce peuple, dans son effort en tout domaine politique et
religieux et dans sa lutte pour sa liberté qui est aussi la lutte pour la paix.
Dans l'action politique, parmi les morts, les blessés, les maisons démolies, les
chrétiens sont présents, comme tout palestinien.
3.1 Sur le plan religieux,
il y a le dialogue entre chrétiens et musulmans qui se poursuit au fil des jours
de différentes façons. Il y a aussi un dialogue entre chrétiens et juifs. Il y a
plusieurs associations ou groupes de dialogue en Israel. Dans la très grande
majorité des cas, les partenaires chrétiens y sont des chrétiens d'Occident.
Mais il y a aussi des rencontres entre chrétiens palestiniens d'un côté et juifs
israéliens d'un autre, pour un dialogue interreligieux qui essaie de réfléchir
sur le drame vécu.
3.2 A part ces aspects, l'Eglise essaie d'élever la voix.
Elle n'est pas toujours comprise. Elle est facilement classée pro-palestinienne,
anti-israélienne. De fait l'Eglise, chrétienne et palestinienne, reste Eglise et
a le souci de tout être humain, du Palestinien comme de l'Israélien. Elle a le
souci de la paix des deux peuples, Israélien et Palestinien. D'ailleurs, elle
voit que la paix de l'un ne peut pas être différente de celle de l'autre.
La violence, nous la condamnons. Mais nous disons: l'occupation militaire
elle-même est une violence. Son exercice, la limitation des libertés, soumettrre
une population pendant trentre trois ans à un régime d'occupation militaire est
une violence. Il faut bien mettre une fin à cela. La résistance palestinienne
prend la forme de violence aussi, tout comme ce fut le cas, malheureusement,
dans toute guerre de libération, dans l'histoire des peuples. Mais nous croyons
aussi que la résistance non-violente peut être aussi efficace.
L'Eglise, au nom de tous, insiste sur la dignité humaine et sur l'égalité de
tout être humain, arabe ou juif, palestinien ou israélien, et de toute religion,
juif, musulman ou chrétien. Tous égaux, parce que tous créés par le même
Créateur, à son image et à sa ressemblance. C'est cette ressemblance divine en
l'homme qui est le principal fondement de la dignité humaine en chacun, dans les
deux parties, même en conflit et en situation de violence, ou en rapport
d'injustices et d'oppression.
Entre les bombardements, le lancement des
cailloux, les maisons démolies, les haines, l'Eglise parle de pardon et de
réconciliation: ce qui est un langage difficile pour tous. Elle parle de
réconciliation aussi et de paix basée sur la justice. Car, un jour ou l'autre,
la réconciliation aura lieu. Mais personne ne semble vouloir apprendre la leçon
de l'histoire; chacun refait l'expérience à ses propres dépens: toutes les
guerres de libération, bien que les deux antagonistes y étaient toujours un
faible et un fort, ont fini par la victoire du faible, par l'acquisition de sa
liberté. Si on apprenait la leçon de l'histoire, on se serait épargné tant de
violences et on serait allé directement à un dialogue sincère qui ait pour but
de redonner la liberté au peuple palestinien, et, en même temps, la sécurité au
peuple israélien.
3.3 Les medias essaient de présenter le conflit actuel
comme une question de violence palestinienne: si celle-là cessait tout
rentrerait dans l'ordre. La violence n'est qu'un aspect de la question. La
question de fonds est l'occupation militaire israélienne des Territoires
Palestiniens en 1967. Une autre question de fonds, la sécurité pour l'Etat
d'Israel.
Il y eut un temps où le monde arabe refusa de reconnaître le nouvel
Etat d'Israel. A partir de la conférence de Madrid, et avec le processus de
paix, cette reconnaissance eut lieu. Aujourd'hui, c'est la reconnaissance de
l'Etat de Palestine, encore à créer, qui est à reconnaître, sur les Territoires
occupés en 1967.
La question de fonds est donc celle-là: Israël et la
communauté internationale, sont-elles prêtes à reconnaître cet Etat Palestinien.
La dernière déclaration de M.Sharon dit qu'il est prêt à redonner aux
Palestiniens le 42% seulement des Territoires occupés en 1967, ce qui veut dire
qu'on est dans l'impasse et dans le cycle de violence.
3.4 L'autre question
de fonds: la sécurité d'Israël. Israël a développé jusqu'aujourd'hui une
puissance militaire, par laquelle elle a gagné toutes les guerres, et par
laquelle elle gagnera encore toutes les guerres. Mais la paix, elle ne l'a pas
encore gagnée et elle ne sera pas le fruit de la puissance militaire. Celle-là
pourra peut-être produire des traités de paix, sur du papier, et entre des
gouvernements, mais pas dans les coeurs ni entre les peuples. La force
militaire, si grande fût-elle, ne fera que provoquer plus de résistance dans les
coeurs et nourrir le cycle de violence et donc d'insécurité.
Comment arriver
à la sécurité? Pour M.Sharon, par la politique de la "terre brûlée",
représailles, siège, bombardements, déracinement des arbres, démolitions au
bull-dozer. Tout cela produit la mort, la peur, les humiliations, mais avec cela
aussi, la résistance palestinienne et l'insécurité pour Israël. L'occupation
dure depuis trente trois ans: ce qui se passe aujourd'hui comme résistance
palestinienne et représailles israéliennes n'est qu'une répétition de ce qui
s'est fait déjà. Il y faut des leaders qui arrivent à tirer les leçons du passé,
et mettre fin à l'occupation, à toute forme de violence, à la mort et à la
haine. Pendant trente trois ans, occupation des Territoires Palestiniens,
puissance militaire supérieure, représailles, n'ont pas donné la sécurité à
Israël. Une seule chose peut donner cette sécurité: l'amitié du peuple
palestinien. Tant que vous avez un ennemi pour voisin, vous aurez toujours peur
de lui. Le peuple palestinien peut devenir un peuple ami, si on lui rend ce qui
lui a été pris: sa liberté et sa terre; et la terre qu'il réclame aujourd'hui,
n'est plus que le 22% de toute sa Palestine. Il a fait ses concessions: le 78%
de la Palestine, sur lequel se trouve aujourd'hui l'Etat d'Israel.
3.5 La
question: les deux peuples, palestinien et juif, sont-ils capables de vivre côte
à côte en paix? Là aussi, il y a déjà une expérience qui est faite: à
l'intérieur d'Israël, il y a un million de Palestiniens, qui sont citoyens
israéliens, et qui, durant cinquante ans ont vécu en paix et ont développé des
rapports d'amitié et de collaboration en tout domaine avec leurs concitoyens
juifs. Le même fait peut se répéter avec les Palestiniens dans leur futur Etat,
une fois rétablis dans leur liberté, leur dignité et leurs droits.
La paix est-elle possible
?
4. Elle doit être possible. Nous ne sommes pas condamnés à vivre
indéfiniment en guerre. Les mesures de violence à l'heure présente sont
peut-être les derniers soubresauts de la mort, i.e. de la fin de ce long
conflit entre les deux peuples palestinien et israélien, et qui a déjà duré plus
d'un siècle. L'heure est à la paix. La violence présente ne peut être qu'une
phase transitoire, longue de quelques années peut-être, la dernière peut-être,
avant le calme de la paix juste qui sera obtenue par le dialogue et qui arrivera
à ce qui est juste et équitable pour les deux parties.
Depuis la conférence
de Madrid, un chemin est fait: dans la mentalité des deux parties, la paix est
possible et on doit y arriver. La violence actuelle n'aura pas démoli ce bout de
chemin déjà fait. Le premier essai d'Oslo a échoué, mais pas totalement non
plus. Il a créé d'abord des faits sur la terre, l'Autorité Palestinienne, des
territoires palestiniens remis aux Palestiniens, des cantons isolés, il est
vrai, toujours sous dépendance totale d'Israël, et toujours sous la menace de la
puissance militaire israélienne, comme cela s'avère maintenant. Mais il a créé
aussi un nouvel esprit et ouvert des perspectives.
Malgré toutes les
violences présentes, les esprits en général, de part et d'autre, voient que la
porte de la paix est ouverte. Pour cela une nouvelle éducation à la paix reste
encore nécessaire.
Un jour, il y aura un traité de paix, sur du papier,
qu'il faudra pouvoir transférer dans les coeurs. Car l'éducation actuelle,
chez les deux parties, consiste à faire voir dans l'autre l'ennemi à haïr et à
tuer. La nouvelle éducation à la paix et à l'acceptation mutuelle doit aider le
Palestinien et l'Israélien à voir que l'autre n'est pas l'ennemi à haïr et à
tuer, mais le frère avec lequel il faut bâtir la nouvelle société israélienne et
palestinienne. Maintenant il y a deux traités de paix sur du papier et entre les
gouvernements, Egypte et Israel et Jordanie et Israel. Mais ces deux traités ne
sont pas passés dans les coeurs. La raison? l'oppression qui continue à l'égard
du peuple palestinien. C'est là le coeur du conflit: le peuple palestinien,
délogé de sa terre et privé de sa liberté.
Un nouveau dialogue doit repartir,
mettre fin aux violences en cours, mais un dialogue sincère dans lequel les deux
parties vont dans le même sens: mettre fin à l'Occupation, créer l'Etat
Palestinien, avec Jérusalem Est pour capitale; tout cela afin d'arriver à
l'autre fin demandée: la sécurité pour Israël.
Une autre remarque, pour
avoir une paix définitive, il faut avoir une paix totale sur tous les fronts à
la fois: Palestine, Syrie, Liban et Iraq, un partenaire nécessaire de la paix au
Moyen-Orient et qu'on voudrait maintenant simplement neutraliser. C'est renvoyer
le problème et garder la paix sous menace. Le foyer central, il est vrai, est le
problème palestinien. Mais la paix définitive et totale ne peut négliger aucun
foyer latéral. Sur tous ces fronts, les images doivent changer: l'image de
l'Arabe terroriste, de même que l'image de l'Israélien envahisseur et ennemi.
Des deux côtés, et partout, sur tous les fronts, doit émerger l'image de deux
partenaires qui construisent la paix ensemble. Pour cela, il faut la sincérité
et le courage de redonner la liberté et les terres occupées. Une telle
confiance mutuelle n'est pas encore à portée de la main: mais les gestes
sincères et courageux peuvent la préparer. Il faut ajouter aussi, que la
paix, a besoin de chefs politiques qui aient une vision et du courage pour
marcher dans le sens de ce qu'ils voient et qui soient prêts à sacrifier leurs
sièges, et peut-être leur vie.
Revue
de presse
1. Visite du pape dans le "berceau de la chrétienté
" par Michel Muller
in L'Humanité du lundi 7 mai
2001
Jean-Paul II rappelle la légalité
internationale
Venant d'Athènes où il a demandé pardon aux chrétiens
orthodoxes pour le sac de Constantinople perpétré par les croisés en 1204, le
pape est arrivé samedi en Syrie.
"Comme je l'ai déclaré publiquement en
d'autres occasions, il est temps de retourner aux principes de la légalité
internationale : interdiction de l'acquisition des territoires par la force,
droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, respect des résolutions de
l'Organisation des Nations unies et des Conventions de Genève". Ce rappel
solennel a été prononcé par Jean-Paul II, samedi à son arrivée à Damas, en
provenance d'Athènes. " La justice signifie le recouvrement des droits [...] et
des territoires de la Syrie, de la Palestine et du Liban par leurs habitants, et
le retour des réfugiés (palestiniens) sur leur terre ", lui a répondu le
président syrien, Bachar al-Assad en demandant au pape de "préserver les valeurs
d'amour, de tolérance et d'égalité qui sont celles de Jésus-Christ".
De
justes revendications mais qui ont perdu toute crédibilité puisque Bachar
al-Assad a cru pouvoir les faire suivre d'affirmations ouvertement antisémites.
Sans les nommer, il a accusé les Israéliens - confondus dans un même opprobre
avec les juifs - de vouloir " assassiner tous les principes de toutes les
religions, de la même manière qu'ils avaient trahi Jésus et essayé de tuer le
prophète Mahomet ". Dimanche, à l'occasion d'une messe célébrée devant des
dizaines de milliers de personnes dans le stade Abbassides à Damas, le pape a
souligné en revanche que " sur cette terre sainte, chrétiens, musulmans et juifs
sont appelés à travailler ensemble avec confiance et audace, et à faire que
paraisse sans tarder le jour où chaque peuple verra ses droits légitimes
respectés et pourra vivre dans la paix et l'entente mutuelle ".
Autre acte de
haute valeur symbolique, Jean-Paul devait se rendre hier dans la soirée dans la
mosquée des Omeyyades, où se trouve le mausolée abritant, selon la tradition, la
tête de Jean-Baptiste. Ce précurseur du christianisme est vénéré également par
les musulmans comme un prophète précurseur de l'Islam, qu'ils appellent Yahya.
Il s'agit de la première visite jamais effectuée par un pape dans un lieu de
culte musulman. Il y a 5 000 ans, le site était dédié à Hadad, dieu de l'Orage,
et du Ier au IIIe siècle de notre ère, il est devenu un grand temple romain
consacré à Jupiter. Avec l'arrivée du christianisme, le temple fut transformé en
une église. Les travaux de construction de la mosquée commencèrent vers 705. Le
mur d'enceinte et trois des grandes portes de l'église originelle ont été
conservés. La grande salle de prière reproduit l'architecture de la mosquée de
Médine. Vendredi à Athènes, le pape avait solennellement demandé pardon aux
chrétiens orthodoxes pour " le sac dramatique de la ville impériale de
Constantinople, qui était le bastion de la chrétienté en Orient ", par les
croisés en 1204. Le fait que des chrétiens latins aient procédé à ce carnage "
remplit les catholiques d'un profond regret ", a-t-il souligné.
Il serait
sans doute juste qu'un même pardon soit demandé aux musulmans et aux juifs,
massacrés sans pitiés lors du sac de Jérusalem perpétré par les hordes de la
première croisade en 1099 et de celles qui
suivirent.
2. Sharon maintient le cap sur l'offensive par
Serge Dumont
in Le Soir (quotidien belge) du lundi 7 mai
2001
L'armée israélienne développe sa stratégie offensive contre les
activistes supposés de l'intifada palestinienne. Dans le même temps, les deux
camps étudient les conclusions de la commission Mitchell.
TEL-AVIV
Tsahal
(l'armée israélienne) a pénétré hier matin à Beit Jala (une banlieue de Bethléem
placée sous contrôle total de l'Autorité palestinienne), pour tenter de réduire
au silence les tireurs palestiniens qui attaquaient certaines de ses positions
depuis vendredi soir. Couverts par des chars et des hélicoptères, les commandos
de l'Etat hébreu ont pris le contrôle d'une partie du village durant plusieurs
heures afin d'y effectuer ce qu'un officier qualifiait cyniquement de nettoyage
de printemps. Les chars israéliens ont détruit au canon quatre maisons occupées
par des civils mais dont le toit aurait, selon le porte-parole de Tsahal, servi
de poste de tir aux « tanzim » (les milices armées du Fatah, le parti de Yasser
Arafat). Des combats acharnés ont duré plusieurs heures et ils se sont déroulés
au milieu des civils affolés. Bilan : un mort (un officier du Fatah) et quinze
blessés palestiniens, dont deux enfants en bas âge.
Durant le week-end,
d'autres accrochages se sont aussi déroulés devant Ramallah, à Naplouse et à
Jenine. Dans la bande de Gaza, des combats ont eu lieu en face de l'implantation
juive de Neve Dekalim ainsi que le long de la frontière égyptienne. Quant aux
tirs de mortier palestiniens sur Israël, ils ont repris hier matin, lorsque
quatre obus se sont abattus près de Sderot.
Encouragé par les sondages qui le
gratifient d'un indice de popularité de 70 %, le Premier ministre Ariel Sharon
semble décidé à tenir la promesse d'intensifier la lutte antiterroriste faite la
semaine passée aux colons de Cisjordanie et de la bande de Gaza lors des visites
qu'il a effectuées dans leurs implantations. Ainsi, vendredi, à Jénine, le
militant du Hamas Nafed Javara et les trois membres du Fatah qui
l'accompagnaient ont été déchiquetés par une mystérieuse explosion qui ressemble
à une « liquidation ». Puis, le lendemain, c'est Ahmad Khalil Ismaïl, un cadre
du Djihad islamique de Bethléem recherché pour sa participation à plusieurs
attentats à la voiture piégée, qui a été abattu de vingt-huit balles tirées à
distance. Sans doute par des tireurs d'élite. Deux opérations que Tsahal refuse
d'endosser. En revanche, Israël assume la responsabilité de la destruction de
l'antenne de Jéricho des Renseignements généraux (un service secret
palestinien), qui a été pulvérisé samedi par des obus de chars (quinze blessés
palestiniens, dont deux graves).
Dix-sept milliards de FB [Francs belges]
pour les colonies juives
Après une accalmie de quatre jours, la violence et
le terrorisme (l'explosion d'une bombe a blessé légèrement cinq personnes hier
matin à Petah Tikvah, dans la banlieue de Tel-Aviv) reprennent donc leur cours.
Pour au moins trois ans, selon les services de Tsahal chargés de planifier les
dépenses militaires. Réuni hier sous la présidence de Sharon, le cabinet
israélien a examiné ces prévisions pessimistes avant de se pencher sur le
rapport de la commission Mitchell créée en octobre dernier pour tenter de
déterminer les causes de l'intifada palestinienne.
Dans leurs conclusions,
les commissaires internationaux refusent de considérer la visite effectuée par
Sharon le 28 septembre dernier sur l'esplanade du mont du Temple (mosquée Al
Aqsa) comme l'unique facteur déclenchant du soulèvement palestinien. Ils
appellent l'Autorité palestinienne à dénoncer le terrorisme et ils refusent
d'appuyer la demande palestinienne de constituer une force internationale
d'observation opérant dans les territoires autonomes. La commission n'exonère
pas Israël de toute responsabilité dans l'explosion de violence. En effet, parmi
les facteurs incitateurs du soulèvement palestinien, les commissaires
identifient principalement la politique de colonisation des territoires
palestiniens, qu'ils recommandent d'ailleurs à Israël d'arrêter complètement. La
commission Mitchell dénonce aussi l'usage souvent excessif de la violence par
Tsahal.
Mais Ariel Sharon a déjà annoncé qu'il refusait de lier le
déclenchement de l'intifada à la colonisation et il a même confirmé que son
gouvernement débloquerait cette année un budget additionnel de 17 milliards de
francs belges pour développer les
implantations.·
3. Intifada : La hantise arabe de la contagion
par Walid Charara
in Le Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 4 mai
2001
L'empressement du président Moubarak à annoncer la conclusion
d'un accord israélo-palestinien, pour être ensuite démenti par le ministre
israélien des Affaires étrangères Shimon Peres, n'est pas fortuit. Il traduit la
peur des régimes arabes de voir le conflit en Palestine franchir la frontière.
Depuis son déclenchement, l'intifada palestinienne plonge dans un grand
embarras la majorité des régimes arabes. L'ampleur du mouvement de solidarité
qu'elle a suscité dans les opinions publiques a incité ces derniers à lâcher du
lest et à «tolérer» diverses manifestations de cette solidarité. En s'installant
dans la durée, l'intifada a transformé l'embarras en crainte grandissante de la
voir, avec l'arrivée d'Ariel Sharon au pouvoir en Israël, dégénérer en conflit
régional à cause de l'extrémisme de Sharon d'une part et des pressions de leurs
propres opinions publiques d'autre part. La «retenue» et la «neutralité
bienveillante» des régimes arabes pourraient avoir des conséquences dangereuses
sur le plan intérieur dans leur pays. De la modération des résolutions des deux
sommets arabes en passant par l'aide financière à l'intifada, décidée mais pas
encore versée, jusqu'à la tiédeur des réactions suite à l'incursion israélienne
à Gaza ou le bombardement du poste radar syrien à Dahr el-Baïdar, il est
difficile de ne pas pressentir la volonté de voir le mouvement insurrectionnel
s'essouffler et les Palestiniens, et peut-être avec eux les Libanais et les
Syriens, retourner à la «logique de paix».
Les limites de
l'Egypte
Malgré ses contradictions avec la politique israélienne et
son opposition au projet hégémonique d'Israël, dans sa version géographique
classique (grand Israël) comme dans sa version économique (marché économique
moyen-oriental), la stratégie égyptienne est restée fidèle à l'esprit des
accords de Camp David de partenariat égypto-israélo-américain.
Comme le
rappelle Remy Levan, «le triangle de force Egypte/Etats-Unis/Israël a
progressivement incorporé les Palestiniens (Oslo) et les Jordaniens dans la
perspective de la construction d'un nouvel ordre régional recueillant le
consensus avoué ou tacite des élites».
C'est cet esprit de Camp David qui est
menacé par l'irruption de la rue. Celle-ci, même si elle a provisoirement baissé
d'intensité, pourrait remettre en cause les pactes de stabilisation et les
réseaux clientélistes qui ont partout accompagné le ralliement ou l'acceptation
tacite du compromis de Camp David par les régimes politiques de la région. La
première force à tirer profit de la fragilisation des élites civiles et
militaires de ces systèmes autoritaires est l'islamisme politique, comme l'ont
prouvé les résultats des élections législatives égyptiennes du mois de novembre
2000, en dépit d'une forte intervention de l'Administration pour en limiter les
effets. «Les successions en cours ou en attente fragilisent par ailleurs des
régimes qui tentent par l'imposition de système quasi dynastique de préserver
les coalitions d'intérêts qui se sont formées depuis vingt ans et plus.» La
politique américaine n'a pas mesuré l'usure des systèmes en place, ni
l'importance des enjeux symboliques. Henry Kissinger le confirme lorsqu'il
affirme, dans une interview à la revue politique International: «En liant le
problème des Lieux saints au conflit territorial, on a étendu le différend
israélo-palestinien à l'ensemble du monde arabe, voire islamique. Du jour où la
question religieuse a été mise sur la table, aucun dirigeant arabe n'a pu
ignorer le spectre de la menace fondamentaliste qui pesait sur son propre
pouvoir.»
Effet déstabilisateur
La conjugaison de
l'impact de l'intifada sur les opinions arabes avec une situation économique et
sociale difficile a potentiellement un effet hautement déstabilisateur. Le
président Moubarak lui-même, dans une interview accordée au quotidien égyptien
Al-Ahram, reconnaissait l'importance des problèmes socio-économiques et
comparait le chômage structurel des jeunes à une bombe à retardement qui
risquait d'exploser à tout moment. Ces considérations intérieures sont à la base
de l'activisme de la diplomatie égyptienne pour trouver un arrangement, même
intermédiaire, entre Palestiniens et Israéliens afin d'arrêter la
confrontation.
Les premiers effets de la médiation égypto-jordanienne sont
peut-être l'arrestation d'Abdel Aziz el-Rantini, l'un des dirigeants du
mouvement Hamas, l'ordre donné par le président palestinien d'arrêter les
attaques au mortier contre les colonies israéliennes, l'annonce de la
dissolution des comités de résistance populaire par l'Autorité palestinienne.
Ces mesures soulèvent l'inquiétude de voir un début de division des rangs
palestiniens, restés unis depuis l'éclatement de l'intifada. De nombreux
responsables du Fatah ont fait savoir leur refus des décisions susmentionnées et
leurs résolutions à continuer la résistance.
Les considérations jordaniennes
ne diffèrent pas beaucoup des arguments égyptiens. Mais elles restent liées à la
présence massive de réfugiés palestiniens dans le royaume (plus de 60% de la
population). Une guerre ouverte dans les territoires palestiniens avoisinants
déstabiliserait profondément le pays ayant la frontière la plus longue avec la
Palestine.
La peur de la contagion est la première motivation de l'activisme
des diplomaties égyptienne et jordanienne.
4. Tsahal, le piège de la puissance par
Didier François
in Libération du vendredi 4 mai 2001
Face à
l'infériorité de son adversaire, Israël mise sur une guerre d'usure.
Tel-Aviv, Gaza envoyé spécial
Les guerres toujours ont leurs arrières, rêves des soldats au front, havres
d'une paix oubliée. Une ville, un quartier, une rue peuvent faire l'affaire. Un
simple bar, parfois, lucarne ouverte sur le réel. Le vrai repos du combattant,
c'est d'épier la vie qui, sans lui, se poursuit. Jonathan a choisi avec soin son
poste d'observation. Une table retirée à la terrasse du café Kazé. Le soleil, à
l'aplomb, darde sans mollir. La jeunesse branchée de Tel-Aviv conflue vers ses
chocolats frappés. Regards coulés sur les nombrils percés des actrices du
théâtre Habima, sur les jupes raccourcies des auxiliaires féminines de l'armée
de l'air. Les treillis abondent sur les trottoirs du cours Sheinkin, portés
négligemment par des garçons aux poses étudiées, les yeux masqués de verres
fumés, un tympan greffé à l'oreillette de leur téléphone portable. «Des
ordonnances d'état-major.» Jonathan sourit. Le permissionnaire s'amuse au
spectacle de ces hallebardiers d'opérette. Tout juste sorti d'une période de
service à Gaza, sur l'un des points de friction les plus chauds de la bande, il
n'a eu de cesse de troquer l'uniforme pour une chemisette balnéaire.
Harcèlement permanent
«Objectif numéro un, respirer, sentir le vent sur ma peau.» Luxe ultime
pour le jeune lieutenant après trois semaines d'enfermement total, calfeutré
dans une tourelle en béton sous les salves des francs-tireurs palestiniens.
Ambiance pesante. Atmosphère étouffante. «En alerte, toujours, sans pouvoir se
relâcher. Le harcèlement est permanent.» Les fedayin pressent à la faute,
cherchent la négligence qui permettrait de percer la puissante cuirasse des
soldats de Tsahal. «Ils connaissent notre force, veulent nous fatiguer.» Une
guerre d'usure menée à la banderille, dards plantés sans relâche dans les flancs
du taureau israélien. «C'est épuisant, éprouvant pour les nerfs.» Juger de la
menace, diriger la riposte, donner l'ordre de tir. Les responsabilités de
Jonathan, 21 ans, sont énormes, ses décisions pénibles. «Les coups partent
toujours d'immeubles habités. A la jumelle, je peux voir les familles qui se
terrent.» Civils tués, maisons détruites, quartiers rasés. Le lieutenant serre
les dents, défend ces choix. «Nous ne pouvons céder en aucun cas.»
«Le plus dur est passé»
«Notre pays ne ressemble à nul autre. Et, dès son enfance, chaque Israélien
sait qu'il lui faudra un jour défendre son Etat. C'est comme ça, explique
Jonathan. A 18 ans, c'est notre tour. On prend une arme et on combat pour
Israël. Bien sûr, il y a toujours des exceptions, mais la plupart des jeunes
répondent à cet appel, par patriotisme, par sionisme.» Les débuts de l'Intifada
ont, un temps, corrodé cette belle assurance. «Nous faisions face à des gamins
armés de cailloux, de cocktails Molotov. Et c'est terrible. Car il nous fallait
bien les arrêter. Si l'armée ne se défend pas, qui protégera les citoyens?» Mais
Jonathan n'en démord pas. «Le plus dur est passé.» La militarisation de la
révolte des pierres tempère le vague à l'âme. «Evidemment, ce n'est pas agréable
de contrôler des civils, leur interdire de travailler, de gagner leur vie. Mais
les terroristes se cachent dans la population. Et, lorsque des bombes explosent,
à Jérusalem ou à Kfar Sava, tous les doutes s'envolent. Nous tenons les
premières lignes d'une guerre que nous ne pouvons pas perdre.»
Un ennemi trop faible
«Les Palestiniens ont choisi la stratégie du faible au fort, soupire Martin
Van Creveld. On ne peut remporter un conflit de ce type. Toutes les armées du
monde s'y sont cassé les dents.» Pour ce professeur d'histoire militaire à
l'université de Jérusalem, auteur d'un ouvrage iconoclaste sur les Forces
israéliennes de défense, l'avenir de Tsahal tient tout entier dans cet axiome de
Lao-Tseu: «Trempée dans l'eau salée, une épée rouillera.» Rapportée à la
situation actuelle, la prophétie agace les généraux. «Un ennemi trop faible nous
accule à la défaite, assure l'historien. Si nous utilisons trop de puissance
pour le vaincre, nous nous mettons en tort face à la communauté internationale.
Pis encore, nous finirons par nous haïr, détester ce que nous voyons le matin
dans notre miroir. Et si nous n'utilisons pas suffisamment de force, nous
perdrons pareillement, mais un petit peu moins vite. L'homme sage ne devrait
jamais se lancer dans un long affrontement avec le faible. Qui se trouve engagé
dans un tel conflit, par sa faute ou celle de l'adversaire, devrait chercher à
en sortir le plus vite possible.»
Détermination intacte
Les options de l'état-major israélien sont tout autres. «Durer» semble
désormais le maître mot de ses généraux. L'élection d'Ariel Sharon à la tête du
gouvernement a repoussé à des temps imprécis toute perspective de négociations
solides. Le tollé diplomatique provoqué par l'entrée des chars de Tsahal dans
les zones sous contrôle de l'Autorité palestinienne, à la mi-avril, a enrayé,
pour l'heure, l'escalade militaire. Les deux camps doivent montrer patte de
velours. Leur détermination n'en reste pas moins intacte. «Le président Yasser
Arafat est devenu un obstacle au processus de paix.» Ce jugement sans appel de
l'un des officiers les plus élevés dans la hiérarchie des Forces israéliennes de
défense fonde toute la doctrine de l'armée. «Je crains qu'il ne soit pas prêt à
un accord qui nous garantirait la fin du conflit contre la création d'un Etat à
Gaza et en Cisjordanie.» D'autant que ce général prend bien soin de ne pas
mentionner le futur statut de la vieille ville de Jérusalem, que les
Palestiniens réclament comme capitale. «Arafat préfère entrer dans l'Histoire en
combattant palestinien, arabe et islamiste plutôt que comme l'homme du compromis
avec les sionistes, les Israéliens et les juifs.»
«Depuis plusieurs mois, nous savions que Yasser Arafat allait déclencher
cet affrontement, assure le général, sa dernière bataille à cette étape du
conflit israélo-palestinien. La question était de savoir si son but serait de
gagner une marge de manœuvre, afin de pouvoir montrer une plus grande
flexibilité au stade final des négociations, ou s'il se servirait de ce prétexte
pour échapper à tout compromis. Les événements, depuis le mois d'octobre,
montrent malheureusement que nous faisons face à l'hypothèse pessimiste.» Une
évaluation sévère, fruit des synthèses du service militaire de renseignements,
qui, de l'avis des experts, serait moins nuancé dans ses conclusions que les
centrales civiles. «Nous sommes parfaitement conscients des risques de
détérioration, poursuit l'officier. La situation peut bien paraître bloquée et
nous admettons que quelqu'un devra payer le prix politique pour en sortir. Mais
ce n'est pas à Israël de régler cette note. Yasser Arafat a pris personnellement
la décision de nous faire la guerre. Il a allumé l'incendie, à lui de
l'éteindre. Nous ne céderons pas au chantage, nous ne capitulerons pas devant la
violence. Voilà le fond de notre stratégie. Nous sommes prêts à des
accommodements, pas au suicide.»
«Tenir et contenir»
Excluant jusqu'à l'éventualité d'une défaite, les forces israéliennes se
préparent à une longue guerre d'usure. Le général l'assure: «Ce type de conflit
se gagne aux points.» Transcrites en une «doctrine de commandement et de gestion
de campagne en secteurs palestiniens», les instructions de l'état-major aux
chefs des grandes unités opérationnelles insistent sur l'impérieuse nécessité de
«tenir et contenir». Sur le terrain, «notre rôle consiste à créer les conditions
pour une reprise des négociations en position de force, grâce à des avantages
militaires, explique le responsable d'un important commandement de Tsahal.
L'essence de ces conflits de basse intensité, c'est d'offrir aux dirigeants
politiques la meilleure marge de manœuvre possible en réduisant le niveau de
violence, en contenant les affrontements sur le territoire palestinien et en
prévenant tout débordement terroriste en Israël. Une bataille d'attrition dans
laquelle nous devons montrer notre détermination à remporter chaque engagement.
Cela décourage les terroristes et c'est important pour le moral de nos hommes.»
5. Les relations
se détériorent entre les citoyens juifs et arabes d'Israël par
Catherine Dupeyron
in Le Monde du vendredi 4 mai 2001
La revendication du meurtre d'un Juif
par le Hezbollah palestinien, organisation jusque-là inconnue, jette le
discrédit sur les Arabes d'Israël qui affirment qu'ils "veulent la paix".
OUM EL FAHM (sud de la Galilée) de
notre envoyée spéciale
La nationale 65 est à quatre voies. Samedi 28 avril, au carrefour de Wadi
Ara, à mi-chemin entre Hadera et Afoula, deux communes israéliennes distantes de
moins de quarante kilomètres, un Israélien a été tué d'une balle dans la tête.
Shlomo Elmakias, un soldat israélien en civil, avait vingt ans. Il profitait de
quelques jours de permission. Les quatre jeunes femmes qui l'accompagnaient,
blessées, ont raconté comment les choses se sont passées.
Au feu rouge, une voiture s'est arrêtée à leurs côtés. Ses passagers ont
engagé la conversation avec eux, puis, assurés qu'ils avaient affaire à des
Juifs et non à des Arabes, nombreux dans cette région, ils ont ouvert le feu et
démarré en trombe, s'enfuyant dans Oum el Fahm, où ils ont disparu. Les
meurtriers sont vraisemblablement passés en territoire palestinien, sans trop de
difficultés, la Ligne verte n'étant qu'à quelques centaines de mètres des
dernières bâtisses, à l'est de la ville, et n'étant matérialisée par aucune
frontière formelle. Depuis un mois, Tsahal a installé des barrages sur les
routes et chemins reliant Oum el Fahm au village palestinien voisin d'Anin, mais
aucune entrave physique, pas même un vulgaire fil barbelé, n'empêche de
traverser, à pied, la forêt de chênes lièges qui sépare les deux
localités.
Le récit des témoins directs de l'embuscade ne permet pas de répondre à une
question essentielle : cet attentat, revendiqué par une organisation jusque-là
inconnue, le Hezbollah palestinien, était-il constitué de Palestiniens infiltrés
en Israël ou, ce qui serait plus grave, d'Arabes israéliens de la région – voire
d'Oum el Fahm, principal bastion du mouvement islamiste en Israël – qui auraient
décidé de combattre aux côtés de leurs frères des territoires ? De la réponse
dépend en partie l'avenir des relations entre les citoyens juifs et arabes du
pays, déjà largement détériorées par les violentes manifestations d'octobre 2000
qui ont fait treize morts parmi les Arabes israéliens.
Après l'assassinat de samedi, les Juifs, inquiets ou non, à peine surpris,
sont sans illusions.
"Dans le meilleur des cas, les Palestiniens auront
bénéficié de la complicité passive de quelques Arabes israéliens ", soulignent
les plus prudents. Dans la région, rappellent certains, des Arabes israéliens
avaient déjà été impliqués dans des crimes à motivation nationaliste lors de la
première Intifada.
LA PEUR OU LE MÉPRIS
"En soutenant l'Intifada El-Aqsa comme ils l'ont fait en octobre, les
Arabes israéliens se sont conduits en ennemis", dit Anne, habitante de Kyriat
Tivon, à une quinzaine de kilomètres de Nazareth. Hubert, son mari, est plus
nuancé. "Il est normal que les Arabes israéliens soient concernés par ce qui se
passe chez les Palestiniens, dit-il. Ce qui ne l'est pas, c'est le rôle joué par
leurs députés. Ils profitent de la démocratie israélienne pour inciter à la
haine. C'est un processus très dangereux. Je crains que les jeunes Arabes
israéliens ne finissent par se dire que la voie de l'intégration en Israël
choisie par leurs parents n'était pas la solution."
Aujourd'hui, les relations que les Juifs entretiennent avec les Arabes sont
empreintes de peur, ou de mépris. Les uns avouent qu'ils n'osent plus se
promener ou faire leurs emplettes dans les villages arabes, les autres, au
contraire, affirment haut et fort qu'ils continuent d'y aller, comme par défi.
"Il faut leur montrer que l'on n'a pas peur et que ce pays est à nous. Mais il
ne faut rien leur acheter pour les punir", déclare Meir, droguiste à Hadera. Sa
boutique est à une centaine de mètres du lieu de l'attentat à la bombe du 22
novembre 2 000, qui avait fait deux morts et une soixantaine de blessés.
A Oum el Fahm, la population arabe est convaincue que l'assassinat de
samedi soir, à l'entrée de la ville, est le fait d'un juif. Pour certains, c'est
un acte de "vengeance personnelle entre amis". D'autres évoquent "la mafia".
Moustapha, épicier, a la certitude qu'il s'agit d'une "affaire de drogue et de
prostitution". La preuve, à ses yeux : "il y avait quatre filles dans la voiture
!" Autre certitude : le meurtrier a commis son forfait intentionnellement en
face d'Oum el Fahm, afin qu'il soit imputé aux Arabes et fasse du tort à la
ville.
Cette version traduit le malaise des Arabes israéliens à l'idée d'être
tenus pour responsables du crime, directement ou non. Elle témoigne également de
la difficulté d'être à la fois Palestiniens de cœur et citoyens d'Israël. "Nous
voulons la paix, dit Moustapha. C'est compliqué d'être Arabe en Israël, alors
que notre peuple souffre juste à côté de nous." A l'instar de l'écrasante
majorité des Arabes israéliens, Moustapha n'a pas du tout l'intention de
s'installer dans le futur Etat palestinien. "Je suis bien ici, c'est chez moi.
Mais, s'il y a la paix ce sera plus facile", dit-il.
6. Syrie : Bachar
le pragmatique par Dominique Lagarde
in L'Express du jeudi 3
mai 2001
Au pouvoir depuis moins d'un an, le fils de Hafez el-Assad
entrouvre son pays. Jean-Paul II y est attendu pour quatre jours, à partir du 5
mai.
Près d'un an après la mort de Hafez el-Assad, la Syrie hésite encore
entre sa peur du changement et son désir de modernité. La partie qui se joue à
Damas rassemble et oppose, autour du président Bachar el-Assad, trois équipes:
sur le terrain, la «vieille garde» - les mandarins du parti qui s'efforcent de
freiner tout ce qui pourrait passer pour novateur - et la nouvelle, les hommes
du président, qui veulent que les choses bougent, mais pas trop. Sur le banc de
touche, une nébuleuse d'intellectuels - universitaires, journalistes ou artistes
- qui rêvent de démocratie et de pluralisme, et n'ont plus peur de le
dire.
A la mort de Hafez el-Assad, en juin 2000, les grands apparatchiks du Baas
avaient choisi de jouer la carte Bachar. Ils ne se privent pas, aujourd'hui, de
lui rappeler qui l'a fait roi. Depuis trente ans, ces barons du régime
profitent, dans tous les sens du terme, du système. Au point que leurs rejetons
- ceux que l'on nomme à Damas les «fils de» - ont mis le grappin sur des pans
entiers de l'économie. Et ils n'ont aucune envie que cela change. Or le jeune
chef de l'Etat ne peut se permettre d'entrer en conflit ouvert avec eux: ils ont
encore la clef du Baas, dont ils contrôlent les rouages, et conservent une
influence certaine au sein des nombreux services de renseignement. Autour de
lui, cependant, une «nouvelle garde» s'est peu à peu constituée. Plus
pragmatiques, modernistes, les hommes du président sont conscients que la Syrie
doit évoluer. Dans le premier cercle, on trouve surtout des militaires: Bahjat
Soleiman, l'un des hommes clefs des services de renseignement - il dirige la
Sécurité militaire - considéré par certains comme l'éminence grise du régime; le
beau-frère de Bachar, Assef Chawkat, patron des services secrets de la Garde
républicaine; Ali Aslan, chef d'état-major de l'armée. Le second réseau est
constitué d'universitaires et de membres de la Société syrienne d'informatique,
dans laquelle Bachar s'était beaucoup investi. Le gouverneur de Damas, Ghassan
Nahham, ou encore le ministre de l'Education supérieure, Hassan Rishah, sont de
ceux-là.
S'il souhaite introduire des réformes, le jeune président ne veut néanmoins
pas de casse. «Il ne s'agit pas de faire table rase du passé, mais de développer
le pays en avançant pas à pas et en se fondant sur nos acquis», souligne l'un de
ses conseillers officieux, le professeur et politologue Imad Fawzi Shueibi.
L'obsession de la nouvelle équipe: éviter les «erreurs» de la perestroïka et
l'effondrement du parti - donc du système. A l'époque, Hafez el-Assad fustigeait
souvent en privé la «folie» de Gorbatchev. Bachar n'a sans doute pas oublié...
«Nous ne voulons pas de rupture. La glasnost, oui, la perestroïka, non», résume
Shueibi. D'où le coup d'arrêt donné à l'effervescence politique de ces derniers
mois.
Septembre 2000. L'industriel et député indépendant Riad Seif décide
d'organiser chez lui une série de conférences-débats sur le rôle de la société
civile. Ainsi naît la première muntada. Ces «forums», ou salons politiques, vont
très vite se multiplier. Au point qu'on en comptait une petite centaine, dans
tout le pays, lorsque le pouvoir y a mis le holà. En principe, les discussions
ont lieu autour d'un thème choisi à l'avance. En fait, les muntadat sont d'abord
une formidable occasion de prendre la parole, pour une élite intellectuelle qui
en a été longtemps privée. «Le rêve, dit Seif, devenait réalité.» On y critique
de plus en plus ouvertement la dictature, le parti, les services ou la
corruption...
Parallèlement, à la fin du mois d'octobre 2000, une première pétition
circule dans les milieux universitaires. Ses 99 signataires demandent la levée
de l'état d'urgence, plus de libertés, des élections libres. Peu après, une
quinzaine d'intellectuels - pour la plupart d'ex-marxistes convertis au
libéralisme - décident de créer un «comité fondateur pour la renaissance de la
société civile». Ils prennent l'initiative d'une seconde pétition, dans laquelle
ils demandent, entre autres choses, la fin du monopole du Baas. Le texte, rendu
public au début de janvier dernier, rassemblera plus de 1 000 signatures. Au
sein du parti, c'est une levée de boucliers. La presse baasiste crie au
«complot» et fustige le concept de société civile, «une invention de
l'Occident».
Le 18 mars, c'est le chef de l'Etat lui-même qui siffle la fin de la
récréation. En rappelant solennellement qu'il y a des lignes rouges à ne pas
franchir. Pas question de toucher au rôle dirigeant du Baas, inscrit dans la
Constitution, ni de remettre en cause l'héritage de papa. Les muntadat sont
désormais interdites. Sauf si l'on demande, et obtient, une autorisation
officielle... Toutefois, aucun des organisateurs de ces forums, pas plus que les
signataires des pétitions, ne sera inquiété. «Le retour aux méthodes du passé
est devenu impossible. Il n'y a pas si longtemps, quand on critiquait le
monopole du Baas, on allait en prison. Aujourd'hui, le pouvoir est obligé
d'argumenter», constate le philosophe Sadik al-Azm, l'un des initiateurs du
mouvement.
Pour la plupart des observateurs, ce coup de frein n'est pas seulement la
conséquence des pressions exercées par la vieille garde. Le sentiment que les
choses étaient allées trop loin semble avoir été partagé par une bonne partie de
l'entourage du président, et par le chef de l'Etat lui-même. «Il a soulevé le
couvercle de la marmite et, quand il a vu toute la vapeur qui sortait, il a pris
peur», résume un journaliste.
Si l'ouverture politique n'est pas vraiment à l'ordre du jour - sauf à la
marge, comme en témoigne l'autorisation d'une muntada animée par des nassériens,
seule rescapée du «printemps damascène» - la libéralisation de l'économie,
priorité affichée du régime, paraît, en revanche, doucement s'amorcer. Les
Syriens découvrent avec gourmandise les joies du Web et, depuis le début de
cette année, pour les plus aisés, celles du téléphone mobile. Longtemps tenu à
distance, le secteur privé est à présent encouragé. La législation sur les
changes a été assouplie. Une loi promulguée le mois dernier permet désormais le
retour des banques privées, qui étaient interdites de séjour dans le pays
depuis... 1963. Toutefois, après trente ans d'isolement économique, la tâche est
immense.
Libéraliser comment, et jusqu'où? «Ils n'ont pas encore vraiment choisi»,
confie un observateur. Bachar el-Assad a, de toute évidence, hérité de son père
une extrême prudence. Pas question d'une libéralisation dont le coût social
serait trop rude - les privatisations sont, pour l'heure, exclues - alors que le
taux de chômage, officiellement estimé à 9%, serait en fait de près de 20%.
D'autant que ce serait aussi toucher au fonds de commerce du Baas. Depuis le
début de l'année, la presse du parti multiplie les éditoriaux sur les risques de
l'économie de marché et la nécessité de préserver le secteur public.
On entend beaucoup parler, à Damas, du «modèle chinois», auquel, dit-on,
les autorités s'intéresseraient de près: une ouverture économique qui
s'appuierait sur la culture commerçante du pays, sans démantèlement du secteur
public. Et surtout sans changement politique... Le ministre de la Planification,
Issam Zaïm, reconnaît qu'il y a un «intérêt» pour cette «expérience». «Il ne
peut pas y avoir de progrès économique sans progrès politique, réplique l'un des
intellectuels pétitionnaires, le cinéaste Nabil Maleh. Et ce progrès passe par
l'élargissement du champ politique.» Le débat ne fait sans doute que
commencer...
7. Les "Algériens" de Gaza, sans travail et sans
papiers
Dépêche de l'Agence
France Presse du mercredi 2 mai 2001, 9h27
GAZA - En plein centre de
la ville de Gaza, "capitale" de la bande du même nom, dans la cafétéria
"Délice", ceux qu'on appelle ici les "Algériens" entretiennent, sur fond de
chansons de raï, la nostalgie d'un pays perdu.
Issus de familles parties pour l'Algérie indépendante après 1962, ils sont
"rentrés" à Gaza avec leurs parents à la suite de l'accord israélo-palestinien
du Caire en 1994 sur le "transfert de souveraineté" d'Israël à l'Autorité
palestinienne dans ce territoire.
Ces Palestiniens bardés de diplômes sont médecins, ingénieurs, avocats ou
enseignants du supérieur.
Sans papiers d'identité valides, ils doivent pour survivre exercer les
professions de chauffeur de taxi, d'ouvrier agricole ou de vendeur. La plupart
d'entre eux, sans travail, ne subsistent que grâce à l'entraide familiale.
En vertu des accords d'Oslo sur l'autonomie palestinienne, seuls les
responsables de l'Autorité palestinienne ont le droit d'obtenir des cartes
d'identité.
Les "Algériens" de Gaza, très largement francophones, qui se disent
"clandestins" ou "sans papiers", seraient plusieurs milliers à Gaza. Certains
avancent même le nombre de 10.000 à 15.000.
Au "Délice", où on dévore des croissants frais en écoutant des chansons des
stars du raï Cheb Mami ou Khaled, Radjaa, ingénieur en aéronautique, raconte son
histoire, typique de tous ces Palestino-algériens pris au piège à Gaza.
Son père et sa mère, tous deux professeurs d'arabe et originaires de Gaza,
sont partis en Algérie en 1963 à l'appel des nouvelles autorités qui
souhaitaient arabiser l'enseignement.
Lui-même, né en 1967 à Blida, près d'Alger, après toutes ces années passées
en Algérie, a décidé de venir ici en octobre 1999, via le poste de Rafah, à
l'extrême sud de la bande de Gaza, à la frontière avec l'Egypte.
Son entrée sur le territoire palestinien ne lui a été accordée par Israël
que contre une déclaration sur l'honneur qu'il rentrerait en Algérie, son pays
de résidence habituel, à l'issue de son séjour.
Aujourd'hui, l'autorisation israélienne, valable un mois et renouvelable
trois fois au maximum, délivrée uniquement pour rendre visite à des parents, est
largement dépassée.
Le jeune homme ne dispose comme titre d'identité que d'un document de
voyage égyptien pour réfugiés palestiniens, qui expire en 2002.
"Je suis dans l'illégalité à Gaza. Je ne peux pas acheter de voiture ou de
propriété ni exercer de commerce, ni même participer aux élections. Même si je
suis marié à une Algérienne, je ne peux plus rentrer en Algérie, car ma carte de
résident là-bas est périmée. Je ne suis ni Palestinien ni Algérien, ni Egyptien.
Je n'existe pas. Et en plus, si les Israéliens m'arrêtent à un barrage, ils
m'expulseront alors que ma famille est ici", explique-t-il.
Mohammed, qui a vécu à Tipaza, près d'Alger, de 1968 à 1996, est dans la
même situation.
Ingénieur en mécanique, il est chômeur après avoir été vendeur de bananes
et de gâteaux à la sauvette.
"Mon document de voyage est périmé. Je n'ai droit à aucun traitement
médical car je ne dispose pas de sécurité sociale et je ne peux pas me marier,
faute de papiers et de travail. Je ne sais pas comment j'arrive à vivre.
Heureusement qu'il y a les amis qui me prêtent de l'argent", dit-il.
Iyad, comme Radjaa, né à Blida et venu à Gaza grâce aux accords
d'autonomie, a eu plus de chance. Officier d'un des services de sécurité
palestiniens, il dispose du document magique: une carte d'identité délivrée par
l'Autorité palestinienne.
A ses côtés, Radjaa, le jeune ingénieur, est amer: "Les autorités
palestiniennes m'ont reconnu durant 30 ans, et maintenant que j'ai les pieds sur
un territoire palestinien, elles font comme si je n'existais
pas".
8. A l'hôpital Wafa, les grands blessés de l'Intifada
réapprennent à vivre par Erwan Jourand
Dépêche de l'Agence
France Presse du lundi 30 avril 2001, 9h35
GAZA - A l'hôpital Wafa de
Gaza, les grands blessés de l'Intifada, le soulèvement palestinien qui a débuté
il y a sept mois, réapprennent lentement à vivre.
Touchés par des balles, des éclats d'obus ou de missiles israéliens, ils
arrivent dans ce petit établissement hospitalier spécialisé pour être pris en
charge avant un éventuel retour parmi les leurs.
Ils sont atteints à 90% par balles et sont en partie ou totalement
paralysés.
"Depuis le début de cette Intifada, nous avons traité 320 patients. Ce qui
est énorme, comparé aux 450 soignés en cinq ans, depuis l'ouverture de l'hôpital
en 1996", indique le Dr Khamis al-Esji, responsable médical.
Au hasard des salles de rééducation de cet hôpital spécialisé financé par
des donations privées, dans les chambres où sont alités des adolescents ou des
adultes, médecins et physiothérapeutes sont au travail.
L'établissement dispose de l'équipement pour aider ceux qui, atteints à la
moelle épinière ou au cerveau, sont paralysés d'un ou de plusieurs membres, à
recouvrer une partie de leur motricité.
Stimulation électrique des muscles, hydrothérapie, massages thérapeutiques,
gymnastique médicale, entraînement à exécuter les gestes de la vie ordinaire,
toutes les techniques pour tenter de redonner à ces grands invalides de
l'Intifada le goût de vivre sont utilisées.
Le travail des 15 physiothérapeutes employés à l'hôpital Wafa, situé dans
une banlieue industrielle du nord de la bande de Gaza, ou au sud, à Khan Younès
ou à Rafah, est parfois payant.
Oussama Abou Kheres, 36 ans, hémiplégique, pédale avec application sur une
bicyclette d'exercice dans la salle de gymnastique de l'établissement. Il a été
blessé par une balle qui lui a traversé le cerveau dans le camp de réfugiés de
Khan Younès le 12 décembre.
"Il est arrivé complètement paralysé du côté droit", explique le Dr
al-Esji. Abou Kheres, un homme robuste au teint mat vêtu d'une grande galabieh,
l'ample vêtement de coton porté dans la région, doit se faire aider par un
assistant lorsque ses pieds quittent accidentellement les pédales de la
machine.
"Il ne peut pas encore bouger le côté droit de son corps comme il le
voudrait", dit le médecin palestinien.
Certains autres patients en revanche n'ont vu aucune amélioration de leur
état, en dépit des efforts et des physiothérapeutes. Dans une chambre bien
aérée, huit adolescents paralysés gisent sur leur lit, le regard infiniment
triste.
Ils ont peu de chance de pouvoir retrouver une vie normale.
Leur histoire, racontée par les médecins, est la même. Tous sont des
"chebab", des enfants de l'Intifada lanceurs de pierre.
Le praticien montre au journaliste de petites boursouflures violacées à la
base du cou, du thorax ou du dos de ces jeunes gens paralysés par des
projectiles israéliens qui ont sectionné la moelle épinière.
Ammar Abou Riach, 13 ans, touché à la tête, à une joue et au cou dans le
camp de réfugiés de Rafah (sud) est tétraplégique. Mahmoud Sarha, 14 ans,
atteint dans le cou, à Khan Younès (sud) est paralysé des membres
inférieurs.
Certains de ces blessés ont, selon le Dr Esji, été touchés par des balles
explosives comme Yasser Syam, 14 ans, blessé à Montaar, un quartier de
Gaza.
Selon le Dr Esji, outre une paralysie des deux jambes, il a dû être opéré
de l'abdomen en raison des dégâts internes causés par ce genre de
projectile.
D'après le médecin, ce type de munitions est proscrit contre les civils,
mais aussi contre les militaires, par les Conventions de Genève sur la conduite
des conflits armés.
Israël a démenti à de nombreuses reprises les accusations palestiniennes
selon lesquelles il utiliserait des munitions interdites ou des gaz toxiques
dans sa répression de l'Intifada.
9. Le
Proche-Orient et l'antisémitisme en France par Xavier Ternisien
in
Le Monde du mercredi 2 mai 2001
INDÉNIABLEMENT , le ton a changé. Plus
inquiet, plus lourd, plus dur aussi. "Il y a maintenant une autre tension et une
autre attention face à la grave crise du Proche-Orient entre Israéliens et
Palestiniens", prévient Henri Hajdenberg. Le Congrès juif européen (CJE), qu'il
préside, organisait un colloque sur l'antisémitisme dans les locaux de l'Unesco,
les 23 et 24 avril à Paris. Les intervenants se sont livrés à une analyse des
agressions à caractère antisémite de l'automne 2000 : plus d'une centaine
recensées par les instances communautaires juives.
"On s'est trouvé confronté
à des actes antijuifs venus de milieux arabo-musulmans de certaines banlieues",
résume Me Hajdenberg. Le président du Conseil représentatif des institutions
juives de France (CRIF) a éprouvé le besoin de préciser les déclarations qu'il
avait faites en octobre, au plus fort de la crise. "J'avais déclaré qu'il y
avait des violences antisémites, mais pas de crise d'antisémitisme dans la
société française."
VIOLENCES D'UN TYPE NOUVEAU
Cette analyse reste
"exacte", dit-il : "Ces violences antisémites n'ont pas trouvé leurs sources,
leurs origines, dans les milieux traditionnellement antisémites de la société
française. A notre connaissance, et à de très rares exceptions près, les milieux
d'extrême droite antisémites n'ont pas été mêlés à ces agissements."
Pour
Henri Hajdenberg, ces actes n'ont donc pas été perpétrés ou influencés par "un
mouvement, une organisation, une structure". "Des images télévisées des ripostes
israéliennes face à des enfants palestiniens ont pu troubler l'opinion", et
parfois "la révolter", estime le président du CRIF. Mais les violences
antisémites commises contre les biens et les personnes ne traduisent pas un
mouvement de fond, ou encore un retour des vieux démons de l'extrême
droite.
Il n'en reste pas moins vrai, selon Me Hajdenberg, qu'"une frange de
la société française, certainement marginalisée mais représentative d'un certain
milieu maghrébin, a manifesté violemment un courant non seulement antisioniste,
mais antijuif".
Le ministre de l'intérieur, Daniel Vaillant, a dressé un
bilan de ces violences d'un type nouveau. Les services de police et de
gendarmerie ont dénombré cent seize faits de violence à caractère antisémite
contre les biens et les personnes pour l'année 2000 (incendies de synagogues,
jets de cocktails Molotov, violences physiques, etc.), contre seulement neuf en
1999. On a constaté aussi, en 2000, une augmentation très nette des actes
d'intimidation antisémites : six cents, contre soixante l'année précédente. "Ces
violences ont pour caractéristique d'avoir été commises pendant un laps de temps
très bref, au cours de l'automne 2000", a souligné le ministre. "Sur l'ensemble
des personnes interpellées, seules deux avaient des sympathies avérées pour
l'extrême droite. Les autres voulaient surtout protester contre un sentiment
d'exclusion de la société française." Pour le ministre de l'intérieur, la
prévention de ces dérives passe par un renforcement de la "lutte contre la
discrimination". Daniel Vaillant a tenu à rendre hommage aux responsables des
cultes qui ont lancé, au plus fort de la crise, "un appel à la raison et au
calme".
"CONFUSION PERNICIEUSE"
Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême
droite, confirme ces analyses : "Les violences de cet automne n'ont pas été
commises par des groupes d'extrême droite, ou par des intégristes musulmans
organisés. Leurs auteurs étaient, pour la plupart, des jeunes non politisés et
non islamisés, qui exprimaient un sentiment d'identification avec l'Intifada."
Pour M. Camus, cette absence d'organisation n'est pas rassurante :"Elle signifie
que ces jeunes agissent en dehors de tout contrôle..."
Récemment nommée
présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, Simone Veil s'est
inquiétée de la résurgence "d'un antisionisme qui se confond avec un
antisémitisme" : "Pour les jeunes générations, les rôles se sont inversés. Dans
le passé, Israël apparaissait comme un petit Etat menacé par ses voisins.
Aujourd'hui, beaucoup de jeunes condamnent a priori Israël parce qu'il leur
paraît le plus fort et qu'il bénéficie du soutien des Etats-Unis." Les violences
de cet automne "n'ont pas suscité dans l'opinion et dans les médias la
réprobation dont elles auraient fait l'objet dans d'autres circonstances", a
regretté Mme Veil, sous les applaudissements du public.
Pour l'ancien
ministre et membre du Conseil constitutionnel, "la situation n'est en rien
comparable à celle des années 1930. Les seules références au passé sont
malvenues pour juger de la situation actuelle". Cependant, juge Mme Veil, les
événements de cet automne n'en sont pas moins "inquiétants pour l'avenir".
La
présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah déplore, en matière de
droits de l'homme, une "confusion pernicieuse" : "On ne peut pas mettre sur le
même plan toutes les violations des droits de l'homme. Il y a une tendance
aujourd'hui à interpréter tout conflit entre deux peuples comme un affrontement
racial ou ethnique." Mme Veil souhaite désormais faire de la fondation qu'elle
préside "un instrument de la conscience et de la mémoire française".
10. Israël veut
réécrire l’Histoire selon son idéologie entretien avec Hemdan Taha
réalisé par Hala Fares et Amira Samir
in Al-Ahram Hebdo
(hebdomadaire égyptien) du mercredi 2 mai 2001
Jérusalem . Un congrès
arabe pour préserver le patrimoine archéologique de la Ville sainte s'est tenu
cette semaine à la Ligue arabe. Entretien avec Hemdan Taha, archéologue
palestinien et directeur du département archéologique au sein de l'Autorité
palestinienne.
— Al-Ahram Hebdo : Qu'est-ce qui a justifié la tenue urgente
de ce congrès ?
— Hemdan Taha : Cette manifestation est d'une grande
importance. Les autorités arabe et palestinienne cherchent à arrêter les abus et
les violations commises par les Israéliens en Palestine. Ces derniers ont fait
une demande à l'Unesco en juillet dernier à travers le comité national israélien
de l'archéologie dans le but de placer 39 sites culturels arabes dont 28
archéologiques sur la liste du patrimoine mondial en tant que possessions
israéliennes. Notre réunion visait à adopter une attitude arabe commune pour y
faire face. Les 15 délégués présents sur les 22 membres de la ligue ont exprimé
leur rejet des abus israéliens. Les 7 autres qui n'ont pas participé aux travaux
ont exprimé leur appui aux recommandations. C'est un premier pas significatif
pour que l'Unesco refuse la demande israélienne. Nous, les Arabes, nous ne
devons pas nous limiter à réagir contre les abus des Israéliens, mais nous
devons prendre l'initiative et présenter des demandes d'insertion des sites
arabes sur la liste du patrimoine mondial.
— En quoi exactement la demande
israélienne est-elle nocive pour les Arabes ?
— Parmi les sites proposés se
trouvent Jérusalem, Aka (Acre), Massada et Mikatchim. Il y a aussi les vestiges
des dix villes romaines de la région, dont une seule se trouve en Palestine, les
autres étant situées en Jordanie et en Syrie. Ce qui est étrange, c'est que la
demande présentée par le comité israélien n'a pas mentionné la Palestine. Les
cartes présentées avec la demande ignorent complètement la Palestine. Les noms
historiques connus sont changés. En plus de tout cela, Israël a demandé de
changer les frontières de Jérusalem pour englober des lieux
supplémentaires.
Il cherche à travers cette demande à avoir une souveraineté
sur ces régions pour des desseins politiques. Mais cette tentative ne peut pas
passer inaperçue et nous refusons qu'Israël utilise l'archéologie comme un moyen
pour atteindre ses buts.
— Vous parlez d'abus et de violation de la part des
Israéliens. Pouvez-vous clarifier votre idée ?
— Pendant les années de
l’occupation, Israël a fouillé plus de 500 sites archéologiques dans la région,
sans parler des vols continus des antiquités, ce qui a mené à appauvrir la
région historiquement. Déjà au lendemain de la guerre des six jours, les
Israéliens ont complètement détruit le quartier Al-Magharba accolé au quartier
de la mosquée Al-Aqsa et ont effacé toutes ses traces. Ils ont ensuite effectué
des fouilles dans les régions sud et ouest de l'Esplanade des mosquées qui ont
duré de longues années dans le seul but de rechercher le temple de Salomon. Ces
fouilles ont été faites par des organisations non spécialisées sous la direction
du ministère israélien des Cultes qui agit en contradiction des normes de
fouille internationales. Ce que les Israéliens ont découvert à l'époque,
c'étaient les vestiges de quelques palais omeyades et des antiquités qui
remontent à la période byzantine. Ces fouilles et recherches ont montré que
l'histoire de la ville n'a aucune relation avec ce qui est dit dans la Bible.
Ils ont creusé des tunnels sous la mosquée Al-Aqsa, ce qui a mené à la
détérioration d'un monument islamique fondamental. On a plusieurs fois averti
que ces fouilles représentaient un vrai danger.
— Pourtant, c'est le
Département des antiquités en Israël qui vous accuse de mettre en danger le mur
de la vieille ville de Jérusalem par vos fouilles et restaurations ....
— Ce
n'est qu'une tentative d'Israël pour faire croire que les restaurations faites
par les Palestiniens, notamment à l'intérieur de la mosquée Al-Aqsa, ne sont pas
correctes. Je refuse cette accusation qui n'a aucun fondement. Ce que demande
Israël est inconcevable pour la simple raison qu'il rejette tout contrôle
international sur les fouilles. Il ne peut donner un tel jugement avant qu'il
n'y ait une évaluation des travaux de la part d'institutions et d'organisations
neutres. Il faut qu'il y ait un comité de spécialistes internationaux et
d'archéologues palestiniens. Les accusations des Israéliens ne constituent que
des tentatives de gagner plus de terrain dans la région en empêchant les
Palestiniens de fouiller ou de restaurer.
— Les Israéliens persistent
cependant dans leurs griefs et vous accusent de nuire à tous les sites à
Jérusalem ?
— Ce ne sont que des mensonges. Il est bien connu que c'est le
contraire. Ce sont eux qui détruisent depuis des années et nous avons nos
preuves. Depuis 1967, les travaux de fouilles qui se déroulent sont une
violation flagrante de toutes les lois et conventions internationales. Les
Israéliens dénaturent l'aspect arabe et historique de la ville.
— Comment
faites-vous pour traiter avec les autorités israéliennes ?
— Face aux
autorités israéliennes nous brandissons toujours les lois et les conventions
internationales. Tout ce que fait Israël dans la région depuis 1967 est une
violation déclarée des lois et conventions internationales. Jérusalem, en tant
que territoire occupé, devrait être gouvernée selon des accords internationaux.
L’accord de La Haye de 1970 porte sur la protection de l'héritage culturel au
moment des conflits, la 4e convention de Genève oblige l’autorité occupante à
protéger les sites archéologiques et religieux. Les recommandations du congrès
international des archéologues de New Delhi de 1956 interdit toute fouille dans
un territoire occupé. Tous ces accords ne sont pas respectés par les Israéliens
qui n’ont jamais arrêté les excavations depuis 1967. L'Unesco surveille le
travail dans la région, mais la saison dernière, les responsables israéliens ont
interdit aux contrôleurs de l'organisation de mener leur tâche et de surveiller
les travaux de fouille. Voire, ils leur ont interdit l'accès au site.
—
Comment expliquer ces menées israéliennes ?
— L'affaire est essentiellement
politique. Israël a complètement changé la configuration de la ville de
Jérusalem par les fouilles qu'il mène. Il vise à changer ou plutôt à réécrire
l’histoire de la région conformément à son histoire et ses idéologies
politiques. Les fouilles sous la mosquée d’Al-Aqsa et sous le Dôme du Rocher ont
mené à un changement radical de l'identité arabe et historique de la ville. Leur
poursuite et l’absence de tout contrôle constituent un grand danger et une vraie
menace pour les constructions et l’infrastructure de la mosquée Al-Aqsa. Si
Israël réussit à imposer ses idées sur le plan international, il lui sera donc
plus facile d'imposer sa souveraineté sur Jérusalem et par la suite, il aura le
droit de consacrer la ville comme capitale d'Israël.
— A votre avis, quelle
sera la réaction de l'Unesco vis-à-vis de ce problème ?
— C'est un vrai
problème pour l'Unesco, surtout que l'organisation subit beaucoup de pressions
de la part d'un certain nombre de pays membres. Déjà, le Conseil mondial pour la
conservation et la restauration du patrimoine, dont le siège est à Rome, et qui
est responsable d'évaluer les sites susceptibles de figurer sur la liste du
patrimoine mondial, a entamé son travail à Jérusalem immédiatement après la
demande israélienne, sans attendre la décision de l'Unesco.
11. Sharon et les
illusions perdues par Ibrahim Nafie
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire
égyptien) du mercredi 2 mai 2001
Le retour de Sharon au pouvoir en
Israël, avec à ses côtés un ensemble d'extrémistes, n'est pas un hasard. Cela
tient à de nombreuses interactions à l'intérieur de la société israélienne, qui
vit une véritable crise puisqu'elle est incapable de régler non seulement ses
problèmes intérieurs, mais aussi le conflit arabo-israélien.
Les objectifs
irréalistes de Sharon tiennent à la nature et aux constantes de sa personnalité
extrémiste et sanguinaire, qui lui a d'ailleurs valu la condamnation du comité
Kahane chargé de déterminer la responsabilité des violations commises lors de
l'invasion israélienne au Liban. Ce comité avait demandé sa destitution du poste
de ministre de la Défense. Depuis, Sharon s'est totalement consacré à contester
le principe même du processus de paix et soutient activement les colons venus
annexer le plus de terres possible en Cisjordanie.
Lorsque le processus de
règlement politique a commencé avec la Conférence de Madrid (octobre 1991) et
toute la série d'accords qui s'ensuivit avec les Palestiniens, Sharon resta
étranger aux événements et devint l'une des figures les plus hostiles à l'esprit
même du processus de règlement politique, ainsi qu'aux obligations d'une
réconciliation historique.
A mon avis, le problème majeur au Moyen-Orient a
commencé avec l'assassinat de l'ex-premier ministre israélien Itzhak Rabin
(novembre 1995). Cet événement a en fait conduit à un effet de vide dans le
commandement politique israélien : le commandement, capable de prendre des
décisions d'avenir ayant le courage de respecter les accords conclus et leur
exécution, semblait alors avoir disparu.
Le choix de Sharon a donc été
fonction de l'échec de Barak à réaliser les progrès désirés dans le processus de
paix. Sharon est arrivé au pouvoir avec en tête un ensemble d'idées insensées et
la volonté d'arrêter l'Intifada, voire de l'anéantir par le recours à la force
militaire. L'objectif était de détruire le peuple par l'usure et son Autorité
pour l'obliger à adhérer aux visions de Sharon, et renoncer à toute tentative de
résistance.
Sharon était persuadé que le Etats arabes voisins ne
procéderaient jamais à des actes de solidarité ou de soutien au peuple
palestinien. Israël est à même de proférer ses menaces contre l'Etat arabe qui
s'aviserait à appuyer le peuple palestinien. C'est tantôt la menace d'attaquer
le Haut-Barrage, tantôt la diffusion d'un ensemble de mensonges concernant la
position de l'Egypte ou encore l'accusation de fournir des armes au côté
palestinien. L'ultime objectif est d'empêcher l'appui de l'Egypte au peuple
palestinien ... Et que signifie l'attaque des positions syriennes au Liban sinon
un message adressé au Liban et à la Syrie ?
Sharon a commencé par parier sur
sa capacité militaire à mettre fin aux affrontements avec le peuple palestinien
pour envisager la possibilité par la suite de dicter ses conditions à ce dernier
ainsi qu'aux Syriens et à tous les voisins. L'expérience des dernières semaines
a toutefois montré que les idées qui préoccupent Sharon ne sont en fait que de
vaines fictions. Loin de soumettre le peuple palestinien, les opérations
d'agression que commettent les forces israéliennes le poussent au contraire à
plus de résistance et d'insistance à la lutte en dépit de capacités d'armement
très limitées. La foi dans les droits légitimes munit le peuple d'une force bien
supérieure à celle des armes réelles.
Quant à l'illusion majeure qui consiste
à semer la discorde entre Etats arabes, à propager des menaces terroristes pour
bloquer leur soutien — matériel et politique — aux Palestiniens, il n'empêchera
jamais les Etats arabes à soutenir la lutte palestinienne pour ses droits
légitimes. Si les Etats arabes ont affirmé à maintes reprises que la paix était
pour eux l'option stratégique, cela n'implique pas l'absence d'autres options
possibles.
Le président Moubarak a toujours exprimé ces vérités, que ce soit
dans ses discours ou lors de ses visites à l'étranger. Le président a mis Sharon
en garde contre la violation des lignes rouges, ou la prétention illusoire de
mettre fin au conflit par les armes. Moubarak l'a dit clairement : « La violence
ne conduira en aucun cas à la sécurité ».
Quant aux déclarations des
Israéliens, l'ancien ministre Youssi Beilin a estimé dans un article publié dans
le Herald Tribune que « n'importe quel homme qui croit au droit juif en un Etat,
une paix et une vie normale, doit absolument fournir les efforts nécessaires
pour une reprise du dialogue politique pour arriver à un règlement définitif
mais aussi mettre des limites fixes à Israël ».
Il est également étonnant que
Thomas Friedman, connu pour son parti pris en faveur d'Israël, écrive dans un
article au Herald Tribune : « La première démarche à faire de la part des
Etats-Unis est de dire la vérité, c'est-à-dire de faire savoir à Israël que les
Etats-Unis seront toujours à ses cotés tant qu'il s'agit de défendre un Etat
hébreu à l'intérieur de frontières sécurisées. Mais ils ne défendront jamais
l'occupation israélienne éternelle de la Cisjordanie et condamnent la
confiscation des terres palestiniennes pour la construction de colonies ».
La
région ne peut plus supporter les aventures et les calculs insensés de
l'illusion d'une suprématie militaire. Ces calculs auront nécessairement des
effets négatifs sur toutes les populations et les Etats de la région sans
exception. Israël sera en tête des parties qui auront à payer les « illusions de
Sharon ».
12. Le temps et
l'espace d'Ariel Sharon par Sylvain Cypel
in Le Monde du
mardi 24 avril 2001"La guerre d'indépendance n'est pas terminée.
Non, 1948 ne fut que le premier chapitre" d'une histoire qui reste à écrire.
Mais qu'a voulu signifier Ariel Sharon par cette phrase sibylline ? Le premier
ministre israélien, dans l'étonnant entretien qu'il a accordé au quotidien
israélien Haaretz (Le Monde du 18 avril), donne lui-même les clés pour
comprendre. L'homme s'y dévoile avec une franchise confondante. Non, "il n'y a
pas de nouveau Sharon (...). Je n'ai pas changé." Et de balayer l'idée d'être
"un de Gaulle israélien". Avec sincérité, candeur presque, il révèle son univers
mental et politique. Sa vision divise les Palestiniens entre les "bons", qui
n'ont d'autre ambition que de "ramener du pain à la maison et d'élever leurs
enfants", et ceux qui auraient des aspirations plus politiques, forcément
"impliqués dans le terrorisme".
Un univers profondément empreint de la nostalgie d'un homme de
soixante-treize ans pour la période héroïque du sionisme. "Toute ma vie s'est
passée dans ce conflit." Et de se souvenir des "troubles de 1937"(la révolte
palestinienne contre le mandat britannique), des "jours les plus difficiles de
la guerre d'indépendance"(1948), de la tension accompagnant "la préparation de
la guerre de six jours" (1967). Les Israéliens étaient moins forts
qu'aujourd'hui. Mais, alors, un "esprit" conquérant les animait. "Jamais il n'a
vacillé. Car nous savions que nous allions quelque part ; nous faisions partie
de quelque chose (...) qui va toujours de l'avant. De l'avant." Et de se
lamenter sur le "moral" insuffisant de la nation israélienne aujourd'hui.
Ce "quelque chose"qui régnait dans les temps glorieux et qu'il faut
restaurer, Sharon le désigne plusieurs fois : c'est "le sionisme", du moins tel
que lui l'entend. C'est d'ailleurs plus pour des motifs idéologiques que
sécuritaires qu'il refuse d'évacuer la moindre colonie. Question : "Pas même des
colonies isolées ?" "Non. A aucun prix(...). Tout d'abord parce qu'elles ont une
importance sioniste..." D'où aussi la volonté - déjà manifestée par sa ministre
de l'éducation, qui a mis à l'index un livre scolaire d'histoire jugé non
sioniste - de "rétablir l'instruction dans le sens des valeurs sionistes".
Le rapport entre tout cela et l'inachèvement de la guerre de 1948 ? Il se
retrouve dans ces phrases : "Certes, le monde est aujourd'hui différent, plus
ouvert. Mais je pense que ce qui était vrai avant l'établissement de l'Etat
d'Israël reste vrai (...). Rien n'a changé fondamentalement." Et encore :
"Aujourd'hui, les gens ne s'excitent plus beaucoup à l'idée de gagner 1 hectare,
et encore 1 hectare toujours."
DU BEN GOURION DANS LE TEXTE
On croirait entendre du... Ben Gourion dans le texte.
Pas le Ben Gourion
socialiste, mais le nationaliste qui fit du chef de commandos Ariel Sharon son
chien fou préféré dans les années 1950. Que disait le père fondateur d'Israël,
en 1947, pour persuader ses partisans d'accepter la partition de la Palestine ?
"Dès que nous serons devenus puissants, une fois notre Etat établi, nous
l'annulerons -la partition- et nous nous étendrons sur tout le territoire
d'Israël."La conséquence est tout entière dans cette autre phrase, au lendemain
de la guerre d'indépendance (1948) : "Nous en avons encore pour cent ans."Sharon
s'inscrit dans cette veine-là. Israël, il en est convaincu, n'est pas à l'aube
d'être accepté par le monde arabe. "Combattre a été et reste la charge de ma
génération. Telle sera celle des générations à venir." "Le chemin est encore
très long. Il exige patience, sérénité et volonté. Beaucoup de volonté."
C'est ce rapport au temps (à la fois figé et sans limite) et à l'espace (la
terre, les frontières) qui structure la pensée d'Ariel Sharon. C'est lui qui
explique pourquoi "la guerre d'indépendance n'est pas terminée" tant qu'elle n'a
pas permis de posséder "tout le territoire d'Israël", c'est-à-dire toute la
Palestine mandataire. Le plan qu'il propose aux Palestiniens le confirme, qui
maintient la souveraineté israélienne de la Méditerranée au Jourdain. C'est
cette conception d'un conflit sans terme prévisible qui explique qu'Israël n'ait
jamais fixé ses propres frontières. L'Etat hébreu n'a même jamais formellement
explicité les frontières qu'il revendique. Car l'idée est d'"aller toujours de
l'avant" par des faits accomplis.
Dans cette région, dit encore Ariel Sharon, "chaque pas est irréversible".
Or c'est précisément cette idée-là qui fut la grande victime des accords d'Oslo
(1993). La logique d'Oslo, c'était deux Etats sur une même terre. Avec, pour
chaque peuple, Israélien et Palestinien, des frontières définitives. A
l'inverse, pour les adversaires israéliens d'Oslo, dont Sharon a toujours fait
partie, l'épopée sioniste perdure. D'où l'idée que "1948 n'a été que le premier
chapitre" d'un livre qui amène à ce "quelque part" que M. Sharon se garde de
nommer. Et si les Palestiniens n'acceptent pas ? Alors il faudra se battre et
être patient. Car "le temps ne joue pas contre nous". Il faut donc, d'abord,
frapper les "terroristes" jusqu'à ce qu'ils admettent que leurs espoirs sont
vains. Politiquement, il faut gagner du temps : un accord de paix final lui
semble "une ambition trop prétentieuse". Lui propose "une autre voie : aller par
étapes vers une solution à long terme". En commençant par un accord intérimaire
sur dix ou quinze ans. Et il faut "aller de l'avant", "1 hec- tare, encore 1
hectare" : prendre possession de leur territoire.
MAILLER LES ZONES D'HABITATION
Ce ne sont pas là de vaines paroles. Le 23 mars, le ministère israélien du
logement a annoncé la construction de 3 000 logements supplémentaires à Har Homa
(Abou Ghneim, à Jérusalem-Est). Le 5 avril s'y sont ajoutés 700 bâtiments dans
deux autres colonies. Un responsable du mouvement La Paix maintenant, Yossi Raz,
a eu connaissance d'un plan gouvernemental pour une nouvelle colonie (6 000
maisons), Gvaot, en Cisjordanie. Avant Pâque, la Compagnie du développement du
quartier juif à Jérusalem - celui de la Vieille Ville -, un organisme
parapublic, a présenté son "plan 2000-2004 de développement du quartier juif et
ses environs". Comme l'a écrit l'éditorialiste israélien Akiva Eldar : ici, "le
mot-clé est "environs"". Le projet a pour but de mailler toutes les zones
d'habitation palestiniennes de population israélienne pour empêcher toute
partition de la souveraineté sur la ville selon l'identité des habitants (les
quartiers habités par des Juifs à Israël, ceux habités par des Arabes aux
Palestiniens, comme ce fut envisagé à Camp David).
Cette vision des choses, si passéiste, d'un homme qui semble n'avoir rien
oublié ni rien appris - du sang et des larmes pour ses concitoyens, l'oppression
et l'humiliation pour les Palestiniens - peut-elle faire office de stratégie
politique ? Sharon est convaincu que, jusqu'ici, l'Histoire lui donne raison.
Depuis 1967, les "faits accomplis" israéliens dans les territoires occupés
n'ont-ils pas fini, de facto, par être avalisés par la communauté internationale
?
On retrouve là encore l'enseignement bengourioniste. Cependant, Sharon ne
retient de l'homme qui l'a couvé lorsqu'il était jeune commandant que les
facettes qui l'arrangent : le Ben Gourion manœuvrier, l'homme du "plan D" secret
d'expulsion des Palestiniens en 1948, le Ben Gourion d'un moment particulier de
l'Histoire. Ben Gourion était bien plus que cela, et tout d'abord un homme
d'Etat pragmatique. On l'a oublié, mais dans le vent d'euphorie qui suivit la
victoire de 1967, à plusieurs reprises, le fondateur de l'Etat d'Israël avait
mis en garde ses compatriotes contre le risque d'une domination, sur le long
terme, d'une population arabe maintenue dans l'oppression. Aujourd'hui, Ben
Gourion n'aurait sans doute jamais affirmé que "rien n'a changé
fondamentalement"depuis cinquante-trois
ans.