"Comme je l'ai déclaré publiquement en d'autres occasions, il est temps de retourner aux principes de la légalité internationale : interdiction de l'acquisition des territoires par la force, droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, respect des résolutions de l'Organisation des Nations unies et des Conventions de Genève."
      
Jean-Paul II (Damas, le 5 mai 2001)
    
Point d'information Palestine > N°146 du 07/05/2001

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Association loi 1901 - Membre de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux (Trésorier)
Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
 
Si vous ne souhaitez plus recevoir (temporairement ou définitivement) nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante : amfpmarseille@wanadoo.fr. Ce point d'information est envoyé directement à 2370 destinataires.
         
Le prochain Point d'information Palestine paraîtra le 17 mai prochain (sauf événements exceptionnels). En attendant, nous vous invitons à consulter régulièrement, les sites : http://www.solidarite-palestine.org et http://medintelligence.free.fr
       
Au sommaire
      
Rendez-vous
- Soirée de solidarité avec les objecteurs de conscience de l'armée israélienne le mardi 15 mai 2001 à Paris
      
Dernières parutions
- Confluences Méditerranée : Israël-Palestine - La violence ou le droit revue publiée aux Editions de l'Harmattan (N°37 - Printemps 2001)
- La paix en miettes - Israël et Palestine (1993-2000) par Franck Debié et Sylvie Fouet aux éditions de Presse Universitaires de France suivie de l'introduction integale de l'ouvrage
          
Réseau Palestine
- Intervention de Mgr Michel Sabbah, patriarche latin de Jérusalem à l'Instutut Catholique de Paris, le lundi 23 avril 2001
         
Revue de presse
  1. Visite du pape dans le "berceau de la chrétienté " par Michel Muller in L'Humanité du lundi 7 mai 2001
  2. Sharon maintient le cap sur l'offensive par Serge Dumont in Le Soir (quotidien belge) du lundi 7 mai 2001
  3. Intifada : La hantise arabe de la contagion par Walid Charara in Le Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 4 mai 2001
  4. Tsahal, le piège de la puissance par Didier François in Libération du vendredi 4 mai 2001
  5. Les relations se détériorent entre les citoyens juifs et arabes d'Israël par Catherine Dupeyron in Le Monde du vendredi 4 mai 2001
  6. Syrie : Bachar le pragmatique par Dominique Lagarde in L'Express du jeudi 3 mai 2001
  7. Les "Algériens" de Gaza, sans travail et sans papiers Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 2 mai 2001, 9h27
  8. A l'hôpital Wafa, les grands blessés de l'Intifada réapprennent à vivre par Erwan Jourand Dépêche de l'Agence France Presse du lundi 30 avril 2001, 9h35
  9. Le Proche-Orient et l'antisémitisme en France par Xavier Ternisien in Le Monde du mercredi 2 mai 2001
  10. Israël veut réécrire l’Histoire selon son idéologie entretien avec Hemdan Taha réalisé par Hala Fares et Amira Samir in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 2 mai 2001
  11. Sharon et les illusions perdues par Ibrahim Nafie in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 2 mai 2001
  12. Le temps et l'espace d'Ariel Sharon par Sylvain Cypel in Le Monde du mardi 24 avril 2001
              
Rendez-vous
                
Soirée de solidarité avec les objecteurs de conscience de l'armée israélienne
le mardi 15 mai 2001 à Paris
À l’occasion de la "Journée de l’objection de conscience", le Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale et l’Union juive française pour la paix organisent une soirée de solidarité avec les objecteurs de conscience de l'armée israélienne, le mardi 15 mai 2001 à 19h30 au Centre International de Culture Populaire - 21 ter, rue Voltaire - Paris 11e (M° rue des Boulets).
Projection du film "On tire et on pleure" de David Benchetrit, diffusé il y a quelques semaines sur ARTE, qui traite des objecteurs de conscience israéliens, suivi d’un débat avec la participation de Yehuda Agus, objecteur de conscience israélien et Noël Favrelière, déserteur français de la guerre d’Algérie. 
L’élection d’Ariel Sharon n’a fait qu’accentuer le bouclage des Territoires, la répression et les exactions des colons contre la population palestinienne. Du côté israélien, des appelés continuent à dire « non ». Des jeunes hommes et femmes refusent de porter l’uniforme ou de faire leur service militaire dans les Territoires occupés. Selon l’armée israélienne, plus de 800 réservistes ont été emprisonnés pour insoumission depuis le début de la deuxième Intifada. Ils méritent notre écoute et notre soutien. La voie de la paix se trouve dans le dialogue et la recherche d’une solution politique, et non dans une accélération de la répression miliaire. [Soirée réalisée avec le soutien de : Alternatifs, Amnesty International, Association des Palestiniens en France, ATMF (Association des travailleurs marocains en France), CCSC (Comité de coordination pour le Service civil et volontaires pour la paix), CIMADE, CVPR (Comité de vigilance pour une paix réelle au Proche-Orient), LCR, LDH, MOC (Mouvement de l’objection de conscience), MRAP, OCL (Organisation communiste libertaire), Parti de la refondation communiste italien (section Ile de France), les Verts.]
                     
Dernières parutions 
              
Confluences Méditerranée : Israël-Palestine - La violence ou le droit
revue publiée aux Editions de l'Harmattan (N°37 - Printemps 2001)
Dossier préparé par Régine Dhoquois-Cohen et Jean-Paul Chagnollaud
[Collection "Sur le vif" - 208 pages - 110 francs - Avril 2001 - ISBN : 2747508102]
- Extrait du sommaire :
Intifada ou lutte de libération ? par Jean-Paul Chagnollaud ; En finir avec l'occupation rencontre avec Marwan Barghouti ; Gaza au quotidien par Vincent Schneegans ; Les institutions de l'Autorité palestinienne : Un ordre juridique en gestation par Jocelyn Grange ; La balle est dans le camp de la communauté internationale rencontre Leïla Shahid ; Les silences complices de la gauche israélienne par Michel Warschavsky ; La Paix Maintenant : état des lieux entretien avec Gaby Lasky ; La quadrature du cercle entretien avec Ilan Greilsammer ; Une presse israélienne entre vigilance et angoisse existentielle par Pascal Fenaux ; We are in a big mess entretien avec Shulamit Aloni ; Le retour, droit inaliénable par Uri Avneri ; Gulliver empêtré entretien avec Elie Barnavi ; Jusqu'où ira Israël ? par Edward Saïd ; Les Israéliens hantés par le ghetto entretien avec Théo Klein ; Réflexions contradictoires sur le droit au retour par Régine Dhoquois-Cohen ; Une nouvelle donne entretien avec Elias Sanbar ; Qu’attendre de la nouvelle politique américaine ? par Roger Heacock ; L'impasse au Proche-Orient vue du Caire par Mohamed Sid-Ahmed ; Le silence de l’Europe - Combien d'euros vaut-il ? par Christian Heynold ; La paix improbable - Propos impopulaires par Bernard Ravenel ; Paix et politique : Yéhudah Amihaï, poète de la paix par Shlomo Elbaz ...
                                
La paix en miettes - Israël et Palestine (1993-2000) par Franck Debié et Sylvie Fouet
aux éditions de Presse Universitaires de France

[Avril 2001- 448 pages - 198 FF - ISBN : 2130517560]
De la paix construite par les accords d'Oslo à partir de septembre 1993, il ne reste aujourd'hui que des miettes : la reconnaissance réciproque d'Israël et du peuple palestinien, une Autorité, acteur du système international, qui gère la vie quotidienne de trois millions de Palestiniens, un début d'émancipation économique et un espace réduit de souveraineté. Le principal héritage du "processus de paix" est en effet une Palestine enclavée, constituée d'une centaine de parcelles, compliquée par le développement des colonies et l'enchevêtrement des routes nouvelles qui contournent les villages palestiniens. L'économie, les déplacements, les mentalités se sont adaptés au nouvel ordre administratif et aux contraintes issues des négociations et de la gestion sécuritaire.
Depuis sept ans, les ambiguïtés, les blocages, puis les retards des accords de paix au Proche-Orient ont progressivement émietté la logique de paix et rouvert la voie à la violence.
- Docteur en géographie politique, Franck Debié est maître de conférences à l'ENS (Ecole Normale Supérieure) et professeur affilié à l'Ecole des hautes études commerciales. Associé au laboratoire Espace et culture du CNRS (Paris I), il dirige les travaux du Centre de géostratégie de l'ENS qui portent sur l'étude des conflits, des frontières et des flux économiques dans les régions en crise.
- Diplômée en relations internationales de la London School of Economics and Political Science, Sylvie Fouet est membre du Groupe de sociologie et étude des conflits à l'EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) et participe aux travaux du Centre de géostratégie de l'ENS. Basée à Jérusalem depuis 1996, elle est chargée des questions politiques au bureau de la délégation de la Commission européenne pour les Territoires palestiniens
                
Introduction de "La paix en miettes - Israël et Palestine (1993-2000)"
A la fin de l'année 2000, Israéliens et Palestiniens semblent au moins d'accord sur un point : "quelque chose" a bien achevé de se terminer durant l'automne 2000, moins de trois mois après l'échec du sommet de Camp David qui devait conduire à un accord de paix final. Les Palestiniens parlent de "nouvelle Intifada" par référence à la première Intifada, née en décembre 1987, à laquelle ils avaient accepté de mettre fin pour s'engager, à partir du mois d'août 1993, dans un "processus de paix" avec Israël, souvent appelé "processus d'Oslo". [1]
Le gouvernement d'Israël n'a plus de majorité, le Premier ministre, Ehud Barak, arrivé en 1999 au pouvoir avec un "mandat de paix" et un soutien populaire, a démissionné le 9 décembre 2000 et annoncé la tenue d'élections anticipées dans les 60 jours. Les derniers redéploiements israéliens ne sont plus à l'ordre du jour, les négociations sur un accord final font l'objet d'un ultime marchandage. C'est l'ensemble du processus de paix d'Oslo qui semble moribond.
1 - La fin d'Oslo [2]
La "nouvelle Intifada" boucle donc dans l'esprit des Palestiniens le "cycle d'Oslo" en renouant avec certaines pratiques de la première Intifada [3] : la mobilisation des adolescents, la confrontation quotidienne avec les soldats israéliens par une guerre des pierres qui manifeste la brutalité des Israéliens face à l'héroïsme inutile des "Chebabs" [4]. L'Intifada actuelle n'est pourtant pas seulement une simple reprise de la première Intifada, après une tentative avortée d'apaisement avec Israël. Pour les Palestiniens, la situation actuelle est d'abord une violence subie. Elle résulte d'une utilisation démesurée des moyens d'action et de répression par l'armée israélienne face aux manifestations de rue palestiniennes. Le bilan est extrêmement lourd et asymétrique : près de 400 morts palestiniens depuis septembre, 13 morts parmi les Arabes israéliens et 25 morts israéliens, sans compter les milliers de blessés. Il traduit pour les Palestiniens une répression beaucoup plus lourde que pendant la première Intifada. Une partie des Palestiniens entretiennent l'espoir de déboucher, grâce à ce second soulèvement, sur une victoire, d'arracher la création d'un Etat et la libération définitive de leur territoire, comme ils avaient arraché en 1993 la reconnaissance de leur peuple, de leurs instances représentatives et le début de leur autogouvernement. Ils justifient la nécessité de ce nouveau combat par ce qu'ils dénoncent comme les violations israéliennes des accords d'Oslo et le non-respect de leurs engagements : la colonisation, l'expropriation des terres [5], les punitions collectives, les entraves à la mobilité, les retraits annulés relèvent pour eux d'une logique de coups de force permanents et d'une violence institutionnelle qui, située en dehors des lieux d'affrontement habituels, n'en dissimule pas moins sa brutalité.
Le processus d'Oslo a créé sur le terrain quelque chose de suffisamment différent pour qu'il soit impossible de parler d'un simple retour à la première Intifada. Quelque chose s'est bel et bien passé qui n'est pas la paix, mais qui ne peut pas être considéré comme nul et non avenu. C'est bien par rapport à ce nouveau contexte construit pendant la "période d'Oslo" qu'il appartient aux Palestiniens de penser la seconde Intifada. La nouvelle Intifada ne se présente donc pas comme un retour en arrière mais comme le produit des frustrations, des contraintes aux frontières des zones autonomes et des espoirs déçus de cette période d'Oslo. La seconde Intifada se construit en rapport dialectique avec le processus d'Oslo.
Les Israéliens répugnent à parler de "nouvelle Intifada" même si le sentiment d'insécurité suscité par les événements est comparable à celui généré par la première Intifada ou les attentats suicides du milieu des années quatre-vingt-dix. Les Israéliens parlent de "violences palestiniennes" pour décrire la situation actuelle. Ce terme faussement descriptif cache mal la déception d'une partie de l'opinion israélienne. Les confrontations actuelles font écho à d'autres confrontations dans le passé, avant et pendant le processus d'Oslo ; elles suscitent les mêmes réactions israéliennes, seulement marquées par une intensité plus forte : le bouclage strict des territoires, la répression militaire musclée, et finalement la suspension officielle du processus d'Oslo. La violence et la suspension des pourparlers ne sont donc pas des nouveautés. La même séquence s'est déjà produite à plusieurs reprises depuis 1993. L'automne 2000 ne marque donc pas une rupture radicale. Du point de vue israélien, c'est pourtant la réouverture du cycle de la violence qui remet aujourd'hui en question la possibilité même d'un processus de paix sérieux.
Pour les Israéliens, qui discutent moins de leurs propres manquements, les Palestiniens n'ont pas renoncé à utiliser la violence, en cas d'exaspération ou d'insatisfaction dans les négociations, et les dirigeants palestiniens, en dépit de leurs engagements, ne font rien pour la prévenir ou la juguler. Le "processus de paix" d'Oslo ne marque donc pas une rupture irréversible avec la violence. Il ne représente que la continuation de la lutte palestinienne par d'autres moyens. Le retour à la lutte armée reste toujours une possibilité ouverte. Ces arguments développés par la droite israélienne depuis le début du processus d'Oslo sont repris par une large partie de l'opinion publique : Yasser Arafat n'apparaît plus en Israël comme un partenaire sérieux pour le processus de paix, à la fois parce qu'il ne tient pas la rue et parce qu'il change en permanence de tactique. Le processus d'Oslo n'a pas permis de construire une renonciation définitive et inconditionnelle à la lutte armée. En tant que "processus de paix", les accords d'Oslo ont achevé de perdre une large partie de leur crédibilité. La violence a repris le devant de la scène.
L'autre rupture de l'automne 2000, c'est pour les Juifs d'Israël le soulèvement, brutalement réprimé (13 morts), de leurs concitoyens, les Arabes israéliens qui, comme lors du "jour de la terre" des années soixante-dix [6], ont démontré leur solidarité avec les Palestiniens des territoires occupés. Ces scènes d'émeute, au sein du territoire d'Israël, ont pu être vécues et présentées comme un "coup de poignard dans le dos". Le doute s'est installé non seulement sur la bonne foi des Palestiniens des Territoires, engagés dans le processus d'Oslo, mais aussi sur la loyauté des Arabes d'Israël. Pour certains Israéliens, rien n'apparaît plus acquis pour de bon : ni la cessation des actions anti-israéliennes dans les Territoires palestiniens (actions vécues par les Palestiniens comme la réponse aux actions anti-palestiniennes d'Israël), ni la paix et la concorde civile à l'intérieur d'Israël, ni l'indivisibilité de Jérusalem, ni même les frontières de 1949. Le processus d'Oslo n'a donc ni pacifié les relations israélo-palestiniennes en Cisjordanie et à Gaza, ni clos le débat sur les frontières d'Israël et l'irrédentisme arabe. Après une étrange "paix de sept ans", tout se passe comme si le conflit qui oppose depuis les années vingt les Arabes aux Juifs sur l'ensemble de l'ancien territoire du mandat de Palestine semblait soudain resurgir.
Il n'est pas facile de décrire ce qui est en train de succéder à la "période d'Oslo" : le début d'une guerre de libération palestinienne (prolongée par une guerre civile larvée en Israël) susceptible de donner lieu à un processus de décolonisation ? Une "nouvelle Intifada" appelée à se terminer par une nouvelle "paix des braves" ? Une simple pérennisation du statu quo masquée par la rhétorique belliqueuse de pouvoirs en fait intéressés à son maintien ? La crise est-elle gérée pour ramener le calme et permettre la reprise du processus de paix ou plutôt pour répondre aux peurs israéliennes ? La situation qui prévaut depuis le 28 septembre 2000 n'est pas la paix, ce n'est pas non plus une guérilla urbaine classique comme pouvait l'être l'Intifada à Gaza dix ans plus tôt. Ce n'est plus seulement une révolte ponctuelle mais ce n'est pas (encore) une révolution généralisée qui balaierait avec les accords d'Oslo le pouvoir palestinien qu'ils ont mis en place.
2 - En négatif de la paix manquée : l'acquis composite du "processus d'Oslo"
Si l'idée d'un processus de paix irréversible et d'une réconciliation définitive s'éloigne, une grande partie de l'acquis du processus d'Oslo n'a pas été remise en question : les Territoires palestiniens évacués entre 1994 et 2000 n'ont pas été réoccupés, les lois et l'autorité palestiniennes continuent à s'y appliquer, l'appareil policier palestinien a été bombardé, il n'a pas été détruit ; les points de passage sont fermés, mais pas définitivement ; le statut de quasi-Etat accordé par la communauté internationale aux Palestiniens n'est pas sérieusement contesté ..
Les Israéliens ne sont plus aux prises avec une population occupée qui conteste leur tutelle par la désobéissance civile et les manifestations violentes. Ils ont affaire à un proto-Etat qui a ses institutions, ses débats politiques, sa stratégie et sa diplomatie. Les mesures militaires israéliennes n'ont plus seulement pour but de dissuader ou de punir les attaques contre les soldats ou les infrastructures israéliennes, elles visent également à faire pression sur les dirigeants du proto-Etat palestinien : c'est le sens des concentrations militaires aux frontières des Territoires palestiniens , des bombardements et du blocus, qui appartiennent à la gamme des mesures d'intimidation qu'un Etat prend à l'égard d'un autre.
Ce qui reste du processus d'Oslo - un proto-Etat palestinien éclaté, un début d'économie nationale palestinienne [7], asphyxiée par le bouclage et tributaire de l'aide internationale, un statut d'acteur sur la scène internationale - fait apparaître comme en négatif à la fois l'importance, la complexité et l'ambiguïté du processus d'Oslo. L'héritage résiduel du processus d'Oslo, à l'heure de la confrontation, met en relief ce qui dans le processus ne relevait pas de la paix proprement dite : la reconnaissance réciproque de deux peuples et de leurs institutions, aujourd'hui en conflit ; la construction d'un proto-Etat nation palestinien dominé par une organisation politique et ses appareils, la structuration de nouvelles interactions (stratégiques, économiques et sociales) entre les Palestiniens libérés mais séparés et Israël, occupant devenu à la fois "voisin" incontournable et arbitre de toutes les circulations "palestiniennes".
Processus de "paix", mais aussi processus cognitif, processus de construction étatique, processus de réorganisation des flux, le processus d'Oslo déborde largement le cadre diplomatique et stratégique. Oslo est d'abord un processus cognitif : il commence par un bouleversement officiel des représentations, une révolution copernicienne dans les doctrines officielles sous la forme d'une reconnaissance mutuelle : le peuple palestinien existe désormais aux yeux d'Israël, ses instances sont légitimes et l'existence de l'Etat d'Israël cesse d'être contestée par les Palestiniens [8]. Cette confirmation identitaire réciproque est un grand pas en avant par rapport à la négation de l'autre qui a dominé les représentations politiques israéliennes et palestiniennes depuis le début du siècle [9]. Ce processus de reconnaissance mutuelle a commencé bien avant la Déclaration de principe d'Oslo. Il est l'aboutissement d'une longue histoire de convergence des représentations politiques et ethno-géographiques (première partie). Le processus de reconnaissance n'est pas marginal et ne constitue pas un simple préambule déclaratoire à la paix sérieuse qui serait celle des cartes et des redéploiements militaires. Si les Palestiniens existent en tant que peuple, ils ont sans doute droit à un Etat. C'est désormais le caractère de cet Etat (démilitarisé ou non, continu ou non), ses frontières, sa capitale, son opportunité chronologique qui doivent être discutés, mais son principe est devenu difficile à contester. Le processus cognitif officialisé à Oslo a ouvert dans les esprits la voie à un Etat palestinien, à une séparation territoriale, peut-être à un processus de décolonisation. C'est peut-être là que réside la grande victoire des Palestiniens. Le processus cognitif qui s'est cristallisé à Oslo n'est pourtant pas terminé : si les Palestiniens existent, qui sont les Arabes israéliens ? Si les droits du peuple palestinien sur sa terre sont légitimes et inaliénables, n'est-ce pas à lui d'en avaliser le partage avec les Israéliens et donc les frontières de 1949 [10] ? Beaucoup de représentations et de pratiques qui remontent à la période de l'occupation israélienne des Territoires ne tiennent plus si les Palestiniens sont, aux yeux mêmes des Israéliens, un peuple légitimement engagé dans la construction de son Etat.
Le processus d'Oslo, hérité des dispositions de Camp David, est bien un processus de construction étatique [11]. Les Palestiniens ont construit des institutions nationales, acquis une souveraineté territoriale (qui n'était pas prévue dans les accords de Camp David), développé une diplomatie et un appareil de sécurité qui dépassent les prérogatives normales d'une autorité autonome de type régional. Les dirigeants de l'OLP ont abandonné le paradigme de la lutte révolutionnaire pour passer à celui de la construction institutionnelle d'un Etat [12] : les combattants sont devenus généraux, les idéologues ministres, les intellectuels à l'étranger ambassadeurs. Tout en poursuivant les négociations d'Oslo, les Palestiniens ont construit leur législation et leurs administrations. Ce processus de construction d'un proto-Etat palestinien a été défini, planifié, encadré par les accords d'Oslo. Les accords négociés et renégociés du processus donnent à lire un compromis permanent et difficile entre les ambitions palestiniennes et les limitations souhaitées par Israël pour la période intérimaire. Le processus d'Oslo a accouché d'un proto-Etat éclaté, d'une union douanière asymétrique, d'une entité fiscale indépendante mais tributaire d'Israël (deuxième partie).
Processus de construction d'un Etat palestinien éclaté, le processus d'Oslo est aussi un processus de réorganisation territoriale, dans le domaine des pratiques comme dans celui des infrastructures, à l'échelle de l'ensemble de l'espace israélo-palestinien et de manière plus nette à l'échelle de la Cisjordanie et sur le pourtour de Gaza : la surveillance frontalière se substitue à l'occupation territoriale ; la douane, la zone de transit, la zone franche industrielle deviennent de nouvelles interfaces entre les deux "économies" ; des centaines de kilomètres de routes sont construits pour donner un accès direct aux colonies et contourner les zones palestiniennes. Les périphéries de Jérusalem sont restructurées pour faire face à un éventuel partage de la région métropolitaine et le prévenir. La "continuité territoriale" accordée aux Palestiniens se traduit en corridors protégés, en convois de bus et de camions escortés. Les restrictions nouvelles à la circulation des personnes et des biens donne lieu à de nouvelles stratégies de contournement. Cette réorganisation territoriale d'ensemble renvoie aux contraintes et aux opportunités des accords mais aussi aux pratiques nouvelles qui ont accompagné leur mise en oeuvre ou coïncidé avec elle (troisième partie). Elle est une source de frustration pour les Palestiniens qui voient les Israéliens réorganiser la Cisjordanie en s'appuyant sur la zone C qui reste sous leur contrôle. Elle est une source d'inquiétude pour les Israéliens qui voient les pratiques palestiniennes du contournement mettre en échec les dispositifs de séparation et de sécurité et les modèles territoriaux qu'ils avaient imaginés.
3 - Modéliser les dessous du processus d'Oslo
Portant à la fois sur les représentations, les institutions, les limites et les pratiques territoriales, le processus d'Oslo est aussi nécessaire et difficile à modéliser que les évolutions actuelles qui visent à le dépasser. Si, dépassant l'analyse des documents et des enquêtes de terrain, on cherche à faire correspondre un type de processus sociopolitique à ce que l'on appelle par commodité le processus d'Oslo, on aboutit à des diagnostics différents sur le degré d'influence réelle du processus d'Oslo.
3.1. Un processus de conquête territoriale
Pour certains, le processus d'Oslo est un paravent diplomatique précaire qui masque à ceux qui ne veulent plus la voir la poursuite de processus entamés depuis longtemps : la colonisation cohérente et planifiée de la Cisjordanie, l'annexion de fait d'une région métropolitaine de Jérusalem [13], dans le droit fil d'une stratégie territoriale étudiée par Diekhoff [14], Legrain [15] et Foucher [16], sans parler de l'expropriation foncière des Palestiniens, de leur cantonnement dans la précarité et la dépendance économique.
La "paix d'Oslo" serait une construction  rhétorique, une fiction qui mériterait d'être confrontée à la réalité qui est l'absence de paix, la poursuite de l'occupation et de la colonisation. Les Occidentaux, les Palestiniens, les modérés arabes seraient payés de mots, qui leur permettraient à bon compte de s'exonérer de leurs responsabilités à l'égard du peuple palestinien. L'idéologie de la paix mériterait d'être confrontée aux réalités du terrain : le fonctionnement du réseau carcéral, les confiscations de terres, les destructions de maisons, mais aussi l'asymétrie de l'aide occidentale au profit d'Israël. Il appartiendrait donc à une géographie et une sociologie critique de démasquer la réalité de ce qui reste essentiellement un processus continu de colonisation et de militarisation de l'espace palestinien, cautionné par les gouvernements israéliens successifs et toléré par la communauté internationale.
3.2. Un processus de domination "flexible"
D'autres voient dans le processus d'Oslo une mystification politique au service d'une nouvelle donne sécuritaire : les Israéliens se seraient seulement débarrassés de la tâche ingrate qui consistait à patrouiller dans les agglomérations de Gaza et de la Cisjordanie et à les administrer ; ils auraient déguisé ce redéploiement en "processus de paix" afin d'en tirer des bénéfices en terme de politique étrangère (renforcement de l'alliance américaine, rapprochement avec les pays arabes modérés) et de gestion quotidienne du problème palestinien (délégation à un sous-traitant palestinien du contrôle au quotidien) [17]. Les longues discussions du processus d'Oslo n'ont conduit qu'à une nouvelle géographie du contrôle : un contrôle plus facile et moins coûteux pour Israël, mais tout aussi difficile à vivre pour la société palestinienne confrontée à la multiplication des bouclages, des contrôles et des permis. Le contrôle des flux par celui des points nodaux du réseau qu'empruntent les circulations palestiniennes aurait permis aux Israéliens de se débarrasser à bon compte de l'occupation et du quadrillage de détail du territoire palestinien. Le processus d'Oslo serait l'histoire du passage d'un contrôle territorial fixe à un contrôle réticulaire flexible [18].
La flexibilité du nouveau dispositif sécuritaire reposerait sur un pouvoir de sélection : les Israéliens pourraient non seulement "boucler" de manière sélective telle enclave ou telle route, et faire bouger le dispositif, mais ils pourraient aussi décider (ou codécider avec les élites palestiniennes) quels sont les personnes, les véhicules, les produits autorisés à circuler. Les Israéliens auraient ainsi le pouvoir d'organiser les circulations, les flux de produits, mais aussi, plus en profondeur, les réseaux d'affaires autorisés à développer leurs activités.
Dans cette perspective, il faut étudier la "transition sécuritaire", la nouvelle "matrice du contrôle" [19] qui constitue la réalité du processus de paix sur le terrain : quels sont ses pratiques, ses infrastructures, ses bénéficiaires ? Quels sont les espaces sur lesquels les Israéliens maintiennent leur contrôle ? Par quelles modalités anciennes (le contrôle foncier, la colonisation sélective) ou nouvelles (la construction des routes, le contrôle des noeuds de circulation, des espaces virtuels) ? Comment les Palestiniens ont-ils organisé leur contrôle résiduel à Gaza et en Cisjordanie ?
Les cartes officielles des accords d'Oslo, tracées par les responsables israéliens de la sécurité [20], répondent bien à cette tentative d'une géographie du contrôle. Une bonne partie des débats d'après Oslo II ont porté sur ces questions au travers de la question devenue presque obsédante des redéploiements (protocole sur Hébron, Wye I, Wye II). Observé dans sa dynamique territoriale et sociale, le processus d'Oslo serait donc un processus de domination d'un nouveau type qu'il conviendrait d'abolir pour débloquer la paix.
3.3. Un processus de ségrégation sociale ?
Le processus d'Oslo n'a-t-il pas produit une transformation plus profonde qu'une simple transition sécuritaire ? Il peut aussi être vu comme un processus de réorganisation de l'économie et de la société palestiniennes [21]. Les accords d'Oslo ont été accompagnés d'un volet économique, le protocole de Paris. A l'issue des transferts organisés par cet accord, les Palestiniens ont retrouvé le contrôle d'une partie de leur fiscalité, de leurs marchés urbains et fonciers, à défaut d'avoir obtenu une véritable autonomie douanière. Bien au-delà de la transition sécuritaire et de l'institutionnalisation de nouveaux réseaux de pouvoir, il y aurait donc une économie politique du processus de paix. Elle aurait contribué, que cette intention ait été inscrite au départ dans le projet d'Israël ou non, à une fragmentation supplémentaire de la société palestinienne et à l'éclatement des mythes "unanimistes" qui avaient dominé la première Intifada. La libération des marchés urbains palestiniens a relancé la spéculation immobilière et l'appropriation privative d'espaces tout juste libérés par Israël (la plage de Gaza, par exemple). Le fonctionnement des finances publiques palestiniennes et l'économie des permis ont renforcé des groupes de privilégiés. Surtout la différence entre ceux qui ont accès au marché israélien du travail et ceux qui n'y ont pas accès, ceux qui peuvent circuler et ceux qui se trouvent enfermés à Gaza ou dans la zone A en Cisjordanie, a renforcé les rentes de situation, petites ou grandes des premiers, la réalité de l'exclusion pour les seconds. Les bénéficiaires de la paix, VIP, notables revenus de Tunis, familles d'affaires cooptées par l'Autorité palestinienne, contrastent avec les laissés-pour-compte qui subissent de plein fouet les conséquences du bouclage, le niveau élevé des prix résultant du protocole de Paris. De manière délibérée ou non, le processus d'Oslo aurait ainsi affecté la société palestinienne en profondeur. Erigeant l'accès au marché foncier, à l'Autorité, à Israël et la mobilité en autant de rentes économiques réservées, il se serait accompagné d'un processus de réorganisation économique et d'un nouveau processus de ségrégation sociale. Le ressentiment des couches populaires palestiniennes à l'égard du processus de paix aurait une dimension sociale : les contraintes imposées par Israël, l'autoritarisme policier de l'Autorité et l'enrichissement scandaleux de ses élites seraient confondus comme les symptômes d'un même mal.
3.4. Un processus d'aliénation
Si les modèles précédents reflètent surtout les perceptions des Palestiniens, les opposants au processus d'Oslo en Israël ont proposé leur modèle du processus d'Oslo, dénoncé comme un processus d'aliénation politique. Les gouvernements d'Israël, sous la pression politique de la communauté internationale et particulièrement de l'"allié" américain, auraient aliéné les intérêts fondamentaux d'Israël. Ils auraient bradé les principes en reconnaissant l'OLP, "organisation terroriste", comme interlocuteur politique. Ils auraient laissé la sécurité d'Israël aux mains de ses ennemis d'hier et peut-être de demain : les anciens feddayins qui forment les cadres de la police palestinienne. Le contrôle à distance des Palestiniens, la sous-traitance de la lutte anti-terroriste à l'Autorité palestinienne, même placée sous le contrôle de la CIA, ne sont pas des solutions crédibles face à la menace d'attentats. Le processus d'aliénation a conduit à rétrocéder aux Palestiniens des territoires "utiles" à Israël : des emprises militaires, des routes, des hauteurs (22]. Pour satisfaire la communauté internationale, Israël a isolé ses colons en Cisjordanie et à Gaza, renoncé à l'accès à certains lieux saints, le tombeau de Joseph, le tombeau de Rachel, la synagogue de Gaza... Bientôt d'autres terres, d'autres lieux, d'autres colonies seront "sacrifiés" à l'illusion d'une paix que le monde arabe et les Palestiniens ne désirent pas sincèrement. Les concessions faites aux Palestiniens n'ont pas donné naissance à une démocratie de marché en quête de paix et de prospérité, mais à une dictature, à une oligarchie corrompue qui exploite durement le reste de la société palestinienne en faisant porter à Israël la responsabilité de la misère qu'elle crée. En "livrant" les Palestiniens à l'OLP, les dirigeants israéliens ont aussi aliéné leurs chances de développement économique et de convergence sociale avec Israël. Cédant aux pressions à court terme, ils ont fait reculer la paix.
4 - Peut-on mettre le processus de paix à l'épreuve de la "vérité" du territoire ?
Dans toutes les hypothèses qui sont formulées à propos de la "vraie nature" du processus d'Oslo, le territoire tient un rôle particulier. Les évolutions territoriales sont la pierre de touche à laquelle les uns et les autres appellent à confronter l'idéologie des doctrines et l'abstraction des traités. Ce qui se passe "sur le terrain", voilà la réalité du processus de paix : des colonies en construction, des barrages, des queues de camions aux points de passage... C'est le territoire, son fonctionnement, qui se trouvent convoqués, sollicités pour démontrer quelle est la réalité du processus de paix. Les photos satellitaires et les cadastres ne mentent pas. Les caravanes surgies de nulle part et le bitume frais des nouvelles routes, voilà qui n'est pas du virtuel et du déclaratoire [23].
L'espace n'est pas seulement le prétexte à la formulation de projets géopolitiques concurrents, eux-mêmes issus d'une longue stratification de représentations, ainsi que l'a montré Frédéric Encel dans le cas de Jérusalem ou du Golan. L'espace construit ou en construction, tel qu'il est appréhendé par la photographie, l'observation satellitaire, l'analyse statistique (lorsqu'on y croit), devient ici la "vérité" du processus d'Oslo et chaque école en fait un élément clé de sa démonstration. Chacun invite à voir, à observer, à étudier les cartes pour constater la "réalité". L'espace n'est pas seulement pensé, imaginé, planifié, discuté ex-ante, il sert d'argument ex-post pour démontrer l'inanité, la partialité, la violence du processus de paix.
Dans la représentation du futur comme dans l'analyse de l'actualité, l'espace semble, pour chaque école, comme un réservoir de "faits vrais", que l'on ne peut pas ne pas voir et prendre en compte. Au "complot" pour l'espace, qui se matérialise de manière si évidente sous forme de colonies, de barrages, de contrebandes, de violences plus ou moins sporadiques, doit répondre une stratégie territoriale. Les cols, les lignes de crêtes, les défilés, voilà des réalités qu'il faut prendre en compte dans cette stratégie, car l'adversaire, lui, ne les oublie pas ; les lignes de sources, les aquifères, le tracé des cours d'eau, voilà des éléments dont il n'est pas possible de faire abstraction ; les routes, la taille des établissements humains, la position des grandes infrastructures, le tracé des frontières voilà autant de faits qu'il est impossible d'ignorer. L'espace est à la fois la matrice, l'enjeu, le moyen et le résultat de la lutte. D'où vient ce positivisme spatial qui convoque systématiquement le territoire à la barre de la vérité ?
Du côté israélien, le positivisme laïc (et l'idéologie coloniale) qui ont accompagné les débuts du sionisme se sont appuyés sur une rationalité spatiale où la topographie, l'hydrologie, la pédologie sont en permanence mobilisées pour construire un territoire viable pour le peuple juif. Le rôle de l'armée dans la société israélienne depuis 1948 a diffusé dans une large partie de la population l'habitude de travailler et de réfléchir sur des cartes. Par rapport à la montée des revendications identitaires ou religieuses, le sionisme laïc s'est appuyé, de manière privilégiée, sur les "réalités spatiales" et leurs conséquences géostratégiques, à l'exclusion de la prise en compte de la mémoire [24]. Les défis d'aménagement d'Israël, le développement de l'agriculture irriguée, l'intégration des marges arides, l'urbanisation galopante, les ambitions en matière de protection de l'environnement, ont multiplié les experts qui tirent leur légitimité de la pratique de disciplines spatiales considérées comme scientifiques et objectives. Dans le champ politique, le positivisme spatial a donné naissance à une idéologie géostratégique : l'absence de profondeur spatiale d'Israël doit être compensée par le contrôle des hauteurs, l'aridité relative de la côte et du sud impose le contrôle direct du haut bassin du Jourdain et de l'aquifère de Samarie... Il n'est pas facile de remettre en cause ce positivisme spatial dans un contexte où les technologies militaires et civiles nouvelles périment pourtant une bonne part des contraintes géographiques ou des avantages de terrain. De manière sincère ou calculée, Shimon Peres est en Israël un grand pourfendeur des "géographismes" hérités et de l'idéologie de certains héritiers du sionisme qu'Alain Dieckhoff avait tenté d'analyser et de déconstruire pour la période d'avant l'Intifada.
Du côté palestinien, on peut faire l'hypothèse que le goût de la cartographie provient d'abord de problèmes concrets : les expropriations, les aliénations foncières, la nécessité de "cadastrer" les droits des Palestiniens et les empiétements israéliens. C'est le sens de l'énorme travail de cartographie de Jérusalem, mené dans le cadre de la Maison d'Orient. L'émergence d'une géostratégie palestinienne s'inscrit également dans le changement de paradigme décrit par Rubin [25], ce passage d'une idéologie révolutionnaire, très attentive aux dynamiques sociales et politiques en Israël (les négociateurs israéliens d'Oslo rappellent l'excellente connaissance de détail de la vie politique israélienne qui est celle des hommes de Tunis) à une idéologie nationale de construction étatique. La reconversion technocratique des élites palestiniennes, leur "américanisation", a privilégié le développement d'une expertise spatiale qui se veut scientifique. Le poids nouveau donné aux cartes et aux plans a, de manière marginale, permis de coopter dans les cercles d'influence de l'Autorité palestinienne des ingénieurs, des scientifiques, de jeunes spécialistes formés à l'étranger, comme cela est vrai dans le domaine économique. Le positivisme spatial des Palestiniens est aussi une des figures du mimétisme palestinien vis-à-vis d'Israël, les Palestiniens ne pouvant accepter de ne pas savoir traiter de l'espace avec la même sophistication que les Israéliens qui font en permanence appel à la raison des lieux.
A l'exception de ceux de David Newman plus sensibles aux différentes "narrations" en concurrence [26], les travaux des spécialistes de l'espace sur le processus de paix n'arrivent pas totalement à se départir de ce positivisme : vu au travers du prisme d'un diagnostic d'expertise (diagnostic, recommandations), l'espace étale l'évidence et appelle à de nouveaux plans ou de nouvelles solutions : l'espace physique impose aux deux peuples des contraintes, peut-être irréconciliables, l'espace foncier "démontre" que la paix n'est pas appliquée, l'espace urbanisé promet de nouvelles violences à cause de la coalescence des banlieues juives et arabes [27]...
Comment éviter à notre tour l'écueil d'une "géographie positive" qui, sans même aller jusqu'à déduire des solutions des équations spatiales, viendrait seulement souligner l'écart entre les textes, les discours et les "faits sur le terrain" ? C'est là une figure essentielle de la "rhétorique d'insatisfaction" des Palestiniens mais aussi des Israéliens, qu'ils soient partisans d'une paix "plus honnête" ou au contraire pourfendeurs des violations palestiniennes "sur le terrain". Ce démarquage entre ce qui est signé et "ce qui se passe" est une tentation légitime d'une géographie ou d'une sociologie d'observation. Le contraste, par exemple, entre ce qui focalise l'attention des négociateurs, 1% du territoire, souvent dans des zones vides (voir les négociations de Wye I et Wye II) et l'ampleur des transformations spatiales induites par la colonisation, la construction des routes, le bouclage (qui ne sont pas négociés), invite le chercheur à signaler la disproportion qu'il constate. Comment dépasser ce point ? Le désir est fort de s'engager en guise d'interprétation dans un procès de la duplicité israélienne ou de la complicité des élites palestiniennes, ou de reprendre un des modèles globaux proposés pour expliquer les dessous du processus d'Oslo.
Il nous a paru possible d'intégrer d'une manière un peu différente l'apport de plusieurs années d'observation de terrain, d'abord en faisant le bilan du contexte idéologique qui a permis le déblocage de la reconnaissance initiale d'Oslo. Comment Palestiniens et Israéliens se sont-ils rapprochés idéologiquement et politiquement ? Quels sont les désaccords fondamentaux qui persistent ? Il s'agit au terme d'une lecture historique d'établir un état des lieux des représentations du "territoire souhaitable" et du "territoire possible" présentes au moment de la reconnaissance d'Oslo. En ce sens, notre travail s'inscrit bien dans les méthodes de la géopolitique.
Nous avons aussi voulu serrer les accords au plus près, entrer dans le détail de l'organisation spatiale qu'ils proposent et de leur genèse, notamment grâce aux textes eux-mêmes et aux récits des principaux protagonistes. Les accords ont-ils été violés dès leur conception ou autorisaient-ils par construction l'émergence de la Palestine d'Oslo ? Il s'agit là d'un travail de géo-histoire.
Nous avons ensuite tenté de cerner un certain nombre de fonctionnements nouveaux du territoire cisjordanien pris comme terrain d'observation plutôt que Jérusalem ou Gaza déjà largement étudiés dans des perspectives un peu différentes. Plutôt que dresser un catalogue des violations, nous avons essayé de comprendre ce qui avait pu changer dans le domaine du contrôle israélien par rapport à la période de l'occupation, quel était l'impact de l'étrange union douanière créée par le protocole de Paris, comment les pratiques sociales palestiniennes géraient les contraintes et les opportunités nouvelles liées à ces nouveaux fonctionnements du territoire. C'est un travail, que nous avons voulu aussi territorialisé que possible, de sociologie politique et économique [28].
       
- Notes -
[1] Le "processus d'Oslo" a désigné pendant sept ans tout à la fois une suite de négociations, les accords et les textes qu'elles ont produits, les changements territoriaux, institutionnels, réglementaires issus de l'application de ces accords et, par extension, les évolutions sociales et politiques qu'elles produisaient. Le nom de la capitale norvégienne en est ainsi venu à désigner par métonymie à la fois l'exercice diplomatique qui suit le calendrier fixé par la Déclaration de principe et les changements provoqués par les négociations et les accords. C'est ainsi que l'on a pu parler des "cartes d'Oslo" pour désigner les cartes des accords et d'une "Palestine d'Oslo" pour évoquer la nouvelle réalité créée par les accords.
[2] Voir, sur la fin d'Oslo, le travail critique de Saïd, Edward, The End of the Peace Process, New York, Pantheon, 2000.
[3] Bucaille, L., "La nouvelle Intifada : vers l'indépendance palestinienne", conférence publique au Centre d'études des relations internationales (CERI), Paris, 7 décembre 2000.
[4] Jeunes entre 15 et 30 ans qui constituent l'essentiel des effectifs de la première Intifada, luttant à la fois contre les soldats israéliens et les "collaborateurs" palestiniens.
[5] L'ouvrage de référence sur la colonisation et les dynamiques foncières pendant le processus de paix est celui d'Aronson G., Settlements and the Israeli-Palestinian Negociations : an Overview, Washington, Institute for Palestine Studies, 1996, un ouvrage que permettent de réactualiser régulièrement les chiffres publiés par le Report on Israeli Settlements in the Occupied Territories, Fondation for Middle East Peace, Washington.
[6] Le 30 mars 1976 a eu lieu un mouvement de protestation contre de nouvelles confiscations de terres arabes en Galilée. Une brutale répression israélienne répond à la grève générale. Ce "jour de la terre" devient un événement commémoré chaque année aussi bien par les Arabes israéliens que par les habitants des territoires occupés.
[7] Sur le proto-Etat palestinien, issu des accords d'Oslo, voir Botiveau B., L'Etat palestinien, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1999.
[8] Sur les espoirs, les difficultés et les luttes suscités par les débuts du processus d'Oslo et l'émergence d'une "Palestine" reconnue par Israël, voir Frankel G., Beyond the Promise Land, Jews and Arabs on the Hard Road to a new Israël, New York, Simon and Schuster, 1994, Usher G., Palestine in Crisis, the Struggle for Peace and Political Independance, Londres, Pluto Press, 1995, Porat B., Rubinstein D., La Palestine en marche, Paris, Flammarion, 1996, Dieckhoff A., Israéliens et Palestiniens. L'épreuve de la paix, Paris, Aubier, 1996, Shehadeh R., From Occupation to Interim Accords : Israël and the Palestinian Territories, Londres, Kluwer, 1997.
[9] Sur les représentations croisées, étudiées à partir des textes clés, voir Laurens H., Le retour des exilés. La lutte pour la Palestine de 1869 à 1997, Paris, Robert Laffont "Bouquins", 1998, 1320 pages, qui se présente comme une édition commentée de tous les textes importants de la période concernée.
[10] Chemillier-Gendreau M., "Un titre de propriété inaliénable sur la terre", Le Monde diplomatique, Paris, avril 1999.
[11] Sur la construction et les structures du proto-Etat palestinien :
Botiveau B., L'Etat palestinien, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1999, et Robinson G., Building a Palestinian State, The Incomplete Revolution, Bloomington, Indiana University Press, 1997.
[12] Rubin B., The Transformation of Palestinian Politics. From Revolution to State-building, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1999.
[13] Guyatt N., The Absence of Peace, Londres, Zed Books, 1998.
[14] Dieckhoff A., Les espaces d'Israël, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1989.
[15] Legrain J.-F., "Judaïsation et démembrement : politiques israéliennes du territoire en Cisjordanie-Gaza (1967-1995), Monde arabe, Maghreb-Machrek, avril-juin 1996, p. 42-75.
[16] Foucher M., Fronts et frontières : un tour du monde géopolitique, Paris, Fayard, 1991, p. 371-402.
[17] C'est le point de vue défendu par certains juristes et politologues palestiniens, regroupés dans un ONG indépendante qui assure le suivi juridique des pratiques d'Oslo, voir Apartheid, Bantustans, Cantons, the ABC of the Oslo Accords, Jérusalem, LAW, 1998. Frédéric Encel, à qui l'on doit Géopolitique de Jérusalem (Paris, Fammarion, 1998), a repris à plusieurs reprises dans les médias français au cours de l'automne 2000 une thèse comparable, celle d'un changement de posture sécuritaire d'Israël qui aurait d'abord cherché en 1993 à se débarrasser du fardeau que représentait le contrôle direct des Palestiniens en pleine Intifada.
[18] Sylvie Fouet insiste sur cet objectif essentiel du nouveau dispositif israélien : "Le contrôle des mouvements comme enjeu de pouvoir", Monde arabe, Maghreb-Machrek, juillet-sept 1998, Paris, La Documentation française, p. 25-36.
[19] Les mouvements pacifistes israéliens réclament le démantèlement de cette "matrice de contrôle", voir Halfer J., "Dismantling the Matrix of Control", News from Within, Tel-Aviv, octobre 1999, p. 38-39.
[20] Sur ce point essentiel, voir le témoignage du principal négociateur israélien d'Oslo, Uri Savir, Les 1 100 jours qui ont changé le Moyen-Orient, Paris, Odile Jacob, 1998. Sur le rôle des militaires et des objectifs de sécurité dans le détail, la chronologie et le secret des négociations israélo-arabes, voir Enderlin C., Paix ou guerres, Paris, Stock, 1997.
[21] Dans son travail sur Gaza, Laetitia Bucaille décrit le double mouvement d'exclusion sociale qui a caractérisé la mise en place du pouvoir de l'Autorité palestinienne au profit d'un "clan du Pouvoir alliant la force militaire au savoir-faire entrepreneurial", qui entretient des rapports utiles avec une partie des représentants de l'élite militaire et économique israélienne. L'établissement de la puissance économique de ce groupe a d'une part marginalisé la bourgeoisie traditionnelle et la classe de services, d'autre part provoqué l'exclusion des islamistes et des familles populaires dont les enfants ou les maris n'étaient pas cooptés. L'alliance nouée à Gaza entre les représentants de l'Autorité palestinienne et le groupe violent des chebabs de l'Intifada, "l'alliance avec les classes populaires - quoique inégale - marginalise la bourgeoisie et les milieux d'affaires traditionnels. En effet, le pouvoir palestinien a favorisé l'émergence de nouveaux circuits économiques et contrôle lui-même une partie du commerce extérieur... Le mode de gouvernement des dirigeants palestiniens provoque le mécontentement de plusieurs composantes de la société. Son caractère sélectif expulse des circuits de distribution de larges pans de la société. Les détenteurs du pouvoir favorisent les liens personnels au détriment du critère de la compétence ; cette logique a pour effet de frustrer les élites potentielles ou existantes. Quant aux plus démunis, ils assimilent leur statut de précarité économique à celui de dominé dans l'espace politique. En première ligne, les islamistes subissent l'exclusion du système de prébendes et d'emploi." Laetitia Bucaille, Gaza, la violence de la paix, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1998, p. 27-28. Voir aussi La Palestine d'Oslo : Les avatars d'une construction nationale, Monde arabe, Maghreb-Machrek, n° spécial, Paris, La Documentation française, juillet-sept 1998.
[22] Voir par exemple, sur un ton qui se veut modéré, Soffer A., "The Peace Talks between Israël and the Palestinians : A Lesson in Political Geography" (in Gradus Y., Lipshitz G., The Mosaïc of Israeli Geography, Bersheva, Ben Gurion University Press, p. 297-306.) : "Même la paix a un prix très lourd, peut-être si lourd qu'il met en danger l'existence elle-même".
[23] Les enjeux spatiaux du processus de paix sont cartographiables pour le présent mais aussi pour le futur, voir Lemarchand P. et Radi L., Israël/Palestine demain. Atlas prospectif, Bruxelles, Complexe, 1996.
[24] Kimmerling B., Zionism and the Territory : the Socio-territorial Dimension of Zionist Politics, Berkeley, University of California, Institute of International Studies, 1983.
[25] Rubin B., op. cit.
[26] Newman D., "From Conflict to Peace Narrative : the Changing Discourse of Israeli Political Geography", in Gradus Y., Lipshitz G., The Mosaïc of Israeli Geography, Beersheva, Ben Gurion University Press, 1996, p. 287-295. David Newman a travaillé à la fois sur les représentations des élites politiques et stratégiques (Newman D., Falah G., "Bridging the Gap : Palestinian and Israeli discourse on autonomy and statehood", Transactions of the Institute of British Geographers, 1997), les perceptions sociales et leurs conséquences sur les flux (Newman D., Boundaries in flux : The "Green Ligne" boundary between Israël and the West Bank - past, present, future, Durham, International Boundaries Research Unit, 1995, Boundary and Territory Briefing, n° 7).
[27] Voir par exemple, avant le début du processus de paix, Schiff Z., Peace with Security : Israel Minimal Security Requirements in Negociations with the Palestinians", Washington, Institute for Near East Policy, 1989, ou Alpher J., Feldman S., The West Bank and Gaza, Israël's Options for Peace, Tel-Aviv, Jaffe Center for Strategic Studies/Westview, 1989.
[28] Malgré une littérature abondante qui aborde la question de la société palestinienne à travers le prisme du conflit israélo-palestinien, en terme d'analyse diplomatique et stratégique, en insistant sur les particularités de la condition palestinienne, les Palestiniens de l'intérieur sont longtemps restés mal connus. Durant l'occupation israélienne, les recherches ont plutôt privilégié le monde rural, milieu où s'organise le sumud - le fait de tenir bon. Pendant la première Intifada, les études sont concentrées sur les modes de mobilisation sociale et politique (voir Tamari S., "Problem of Social Science Research in Palestine : an Overview", Current Sociology, 42(2), 1994). Depuis le "processus d'Oslo", s'est esquissé dans les sciences sociales un regain d'intérêt pour les Palestiniens de l'intérieur. L'ouvrage collectif Les Palestiniens de l'intérieur, dirigé par Camille Mansour, se propose ainsi de combler un vide, en langue française du moins, sur la situation des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie peu après le déclenchement de l'Intifada en 1987. (Camille M. (Dir.), Les Palestiniens de l'intérieur, Paris, Les Livres de la Revue d'études palestiniennes, 1989).
Le processus de paix a été marqué par l'essor des études économiques destinées à prendre la mesure des défis auxquels se trouvaient confrontées la nouvelle Autorité palestinienne et la communauté internationale qui entendait l'assister. C'est par exemple le cas de l'ouvrage dirigé par Marianne Heiberg et Geir Ovensen, Palestinian Society in Gaza, West Bank and Arab Jerusalem, A Survey of Living Conditions Oslo, FAFO, 1994, un bilan très documenté de la situation économique dans les territoires palestiniens au début des années quatre-vingt-dix, ainsi que des nombreuses études de la Banque mondiale comme celle de Diwan I. et Shaban R. (dir.), Development under Adversity : the Palestinian Economy in Transition, Washington, Banque mondiale, 1999. Sara Roy a tenté une économie politique de la crise palestinienne, dans le cas particulier de Gaza (Roy S., The Gaza Strip, The Political Economy of De-development, Washington, Institute for Palestine Studies, 1995). Louis Blin et Philippe Farges ont essayé de dresser un tableau plus prosopographique des acteurs économiques et de leurs stratégies (Blin L. Et Farges P. (dir), L'économie de la paix au Proche-Orient, Paris, Maisonneuve et Larose, 1995).
Parallèlement s'est esquissé un questionnement sur le territoire, l'identité et les formulations de la "question nationale" en Palestine. Cette démarche axe ses réflexions sur l'idée de territoire dans un contexte d'occupation et de fragmentation et sur la construction d'une identité de la Palestine, revendiquée comme facteur d'unité et posée comme "substitut au territoire" (voir Bocco R., Destremeau B., Hannoyer J. (dir), Palestine, Palestiniens. Territoire national, espaces communautaires, Beyrouth, Cahiers du CERMOC, 1997). Dans une monographie documentée, Laetitia Bucaille tente d'analyser les rapports entre pratique territoriale, crise sociale et mobilisation politique à Gaza (Laetitia Bucaille, Gaza : la violence de la paix, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1998). D'autres chercheurs conduisent des recherches de terrain en "Palestine", c'est-à-dire dans la petite partie du territoire palestinien concédée par Israël. S'inscrivant dans la période actuelle du développement politique palestinien (contraintes imposées par le cadre rigide d'une négociation fluctuante sur un espace géographique circonscrit), les études évaluent les conséquences immédiates de la situation nouvelle créée par les accords d'Oslo et leur suite sur les institutions politiques et administratives, sur les acteurs politiques, économiques et culturels, sur la vie urbaine, sur les flux des personnes et des biens. Les résultats de ces premières enquêtes ont fait l'objet d'un séminaire de recherche qui s'est tenu à partir du printemps 1997 à l'Institut de droit de l'Université de Birzeit et dont on retrouve l'écho dans Botiveau B. (dir), La Palestine d'Oslo : les avatars d'une construction nationale, Monde arabe, Maghreb-Machrek, Paris, La Documentation française, 1998. On trouve aussi sur les pratiques quotidiennes et le vécu d'Oslo l'ouvrage de Legrain J.-F., Les Palestiniens du quotidien, Beyrouth, CERMOC, 1998.
Dans le champ de la sociologie politique, à côté de la Revue d'études palestiniennes, dans ses trois éditions française, arabe et anglaise, de nombreux comptes rendus et analyses d'opinion sont désormais produits par les centres de recherche et de documentation palestiniens, parfois associés à des organisations non gouvernementales. C'est le cas du Jerusalem Media and Communication Center ou du Palestinian Center for Research and Studies à Naplouse qui publie la revue Al-Siyasa al-falastiniyya ("La politique palestinienne"). Une vision générale des difficultés de la construction démocratique en Palestine est donnée par Hanf T., Sabella B., A Date with democracy. Palestinian Society and Politics, An Empirical Survey, Fribourg-en-Brisgau, Arnold Bergstrasser Institut, 1996. Un ouvrage collectif produit par des chercheurs associés au centre Al-Muwatin à Ramallah inventorie les effets sur les relations israélo-palestiniennes et sur le développement politique palestinien des accords d'Oslo : Giacaman G., Jorund Lonning D. (dir.), After Oslo, New Realities, Old Problems, Londres, Pluto Press, 1998.
                
Réseau Palestine

                                   
Intervention de Mgr Michel Sabbah, patriarche latin de Jérusalem 
à l'Instutut Catholique de Paris, le lundi 23 avril 2001
La Palestine, les Chrétiens et la paix
Je dois commencer par remercier la section Pax Christi France, présidée par S.E. Mgr. Derouet, qui a organisé cette conférence en collaboration avec l'Institut Catholique de Paris , dont je salue cordialement le directeur, Mgr. Valdrini. Merci.
De Jérusalem, à vous tous ici présents,  je vous salue cordialement, un salut qui est un souhait de paix à vous tous, qui êtes intéressés par la paix de la Terre Sainte, un souhait que tous, Israéliens, Palestiniens, monde arabe et communauté internationale, puissent collaborer ensemble à la construction de la nouvelle société de Terre Sainte, palestinienne et israélienne.
Nous vivons ces jours mêmes en Terre Sainte, Palestine et Israël, la violence déchaînée: le jour de Pâques, la nuit, et les nuits suivantes, avec d'autres régions Palestiniennes, dont surtout Gaza, les villes chrétiennes de Beit-Jala, Bethleem et Beth Sahour, ont eu leur bombardment de Pâques.
Avec cette situation qui marque la décison israélienne de réduire par la puissance de la force militaire la résistance palestinienne, et celle-là de son côté décidée à rester et à réagir aussi bien par la violence, nous sommes dans un cycle de violence, que quelqu'un doit avoir le courage de rompre.
La Terre Sainte
1. C'est la Palestine historique située entre le Jourdain et la Méditerrannée, à l'Est et à l'Ouest, et limitée au Nord par la Syrie et le Liban et au Sud par l'Egypte. Elle s'appelle aujourd'hui Israël et Palestine, (ou Territoires Palestiniens Occupés). L'Etat d'Israel comprend les 78% de la Palestine historique, le reste, le 22%, fut occupé par Israel en 1967, et reste maintenant avec le statut de Territoires Occupés, ou d'Autonomie Palestinienne, et ce sont ces 22% de la Palestine historique qui sont réclamés aujourd'hui par les Palestiniens pour y créer leur Etat.
Du point de vue juridiction ecclésiastique, la Terre Sainte comprend, pour toutes les Eglises présentes à Jérusalem, catholiques, orthodoxes et protestantes, la Palestine, Israël et la Jordanie. Mais le conflit, ou la violence qui sévit aujourd'hui, est limitée aux deux pays, Israël et Palestine.
Les chrétiens de Terre Sainte
2. La visite du Saint-Père, le pape Jean Paul II l'an 2000, attira l'attention du monde sur l'existence de la petite mais vivante communauté des chrétiens arabes, palestiniens et jordaniens de Terre Sainte, qui y continue la présence chrétienne depuis les premiers temps et jusqu'aujourd'hui, en différents rites et langues, surtout la langue, la culture et l'histoire arabe à laquelle appartient cette Eglise, ou ces Eglises, car nous sommes plusieurs Eglises, treize au juste, catholiques, orthodoxes et protestantes. Lorsque le 4 décembre 1999, nous avions célébré ensemble l'ouverture de l'an 2000, l'évangile de la Nativité du Seigneur Jésus-Christ fut proclamé dans tous les rites, grec, latin, syriaque ou araméen, arménien, copte et éthiopien, en plus de l'arabe et de l'anglais. Les chrétiens en Palestine sont donc une variété d'Eglises en communion avec l'Occident et l'Orient.
Au-delà des langues liturgiques anciennes, qui étaient des langues nationales aussi, l'arabe est la langue commune de tous ces chrétiens, mis à part la communauté éthiopienne. Il ne faut pas oublier non plus, la communauté d'expression hébraïque, partie intégrante de l'Eglise de Terre Sainte, petite encore, il est vrai, dont la langue est l'hébreu, et qui appartient par sa culture et son histoire à la société israélienne.
2.1 Le mot arabe, fut et le reste aujourd'hui encore, pour plusieurs, synonyme de musulman, alors que dans le monde arabe, et surtout dans les pays du Moyen Orient, les chrétiens de tout rite sont, depuis des siècles, une partie intégrante de ce monde arabe.
En Palestine et Israël, il y a tout un effort qui voudrait convaincre les chrétiens qu'ils sont une communauté religieuse minoritaire, et ne font partie d'aucun peuple, ce qui est une aberration. Un chrétien en effet, partout où il se trouve, appartient à sa terre, à son peuple et à son pays: le chrétien français est français, l'italien est italien etc. Il en est de même du Palestinien chrétien, il est palestinien.
2.2 Cela nous mène à la question des rapports entre chrétiens et musulmans. Là aussi, depuis quelques années, il y a une campagne qui voudrait mettre en relief une prétendue persécution des chrétiens par les musulmans. Qu'il y ait des difficultés dans les rapports, pour une raison ou l'autre, entre majorité et minorité dans toute société, cela est compréhensible et cela se trouve partout. Cela se trouve, par exemple,  dans la société israélienne dans les rapports entre les mêmes citoyens israéliens, juifs et arabes. Malgré toutes les structures démocratiques, la discrimination à base de race et de religion crée des difficultés dans les rapports, sans pour autant rendre la vie impossible aux uns ou aux autres.
Les rappports entre musulmans et chrétiens arabes en général, et musulmans et chrétiens palestiniens en particulier, se basent sur deux considérations. La première est historique: chrétiens et musulmans, nous sommes un seul peuple. Nous avons nos racines dans la même terre, la Palestine. Ensemble, nous appartenons  à la terre, au pays, ensemble nous faisons aujourd'hui notre histoire, quelques soient les difficultés extérieures ou intérieures auxquelles nous sommes confrontés, dans notre vie de chaque jour, au niveau individuel ou public et national.
La deuxième base est théologique, chrétiens en Palestine ou ailleurs, dans les pays du Moyen Orient, nous sommes appelés à vivre dans notre société arabe et musulmane. Faire partie de la société arabe et musulmane, c'est notre vocation. C'est le sens de notre foi chrétienne et de notre présence en nos pays. Si cette vocation comporte des difficultés cela ne veut pas dire que nous la refuserons. D'ailleurs, grâce à Dieu, il n'y a pas que des difficultés.  Il y a toute une réflexion commune, chrétienne et musulmane, qui se fait à tout niveau pour une plus grande stabilité et équilibre dans les rapports.
2.3 Notre vocation est donc de vivre dans une société arabe et musulmane. Et, en Terre Sainte, lieu de rencontre des trois religions, notre vocation est celle de notre terre, de vivre dans notre peuple palestinien arabe et musulman, et avec le peuple juif, avec lequel nous vivons aujourd'hui le drame du conflit, et demain, nous l'espérons, la paix de la réconciliation dans la justice.
2.4 Une question nous est posée souvent: N'avez-pous pas peur que le nouvel Etat palestinien soit un Etat musulman? Notre réponse est simplement la suivante: ce n'est pas le premier Etat musulman qui va naître dans le Moyen Orient. Déjà plusieurs Etats musulmans existent dans la région, Iraq, Syrie, Egypte, Jordanie, je mets à part le Liban pour sa physionomie particulière. Donc un nouvel Etat arabe où des chrétiens vivent, ce n'est pas une nouvelle expérience qui doit nous faire peur. Deuxièmement, quelles ques soient les difficultés de l'avenir, nous essaierons tout simplement d'y faire face et de continuer à rechercher les meilleurs moyens de coexistence dans notre société à laquelle nous sommes envoyés de par notre foi chrétienne.
Dans tous les pays arabes sus-mentionnés, les constitutions assurent l'égalité des citoyens. Il est vrai qu'il y a de quoi faire encore pour arriver toujours à plus d'équilibre entre les majorités et les minorités, mais c'est une loi qui joue dans tous les pays, pour des raisons religieuses ou autres. La question de minorités ou de petits nombres n'est pas une question propre à la Palsetine.
D'un autre côté, le Président Arafat et l'Autorité Palestinienne, veillent à maintenir un équilibre et une stabilité dans la société palestinienne musulmane et chrétienne. Ils y réussissent plus ou moin dans une société ouverte à tous les vents et à toutes sortes de manipulations.
2.5 Une commission de haut niveau décidée par l'Administration américaine a fait récemment le tour du Moyen Orient,  pour enquêter sur la liberté religieuse, ayant en vue surtout les rapports entre musulmans et chrétiens. Nous avons donné notre témoignage. Mais aussi important que la liberté religieuse, est notre liberté comme êtres humains, i.e. notre liberté politique, liée ou limitée par l'Occupation militaire des Territoires Palestiniens.
2.6 Les Palestiniens chrétiens aujourd'hui, ceux restés sur place, en Israël et en Palestine, et ceux dispersés par l'émigration ou les guerres de 1948 puis de 1967 sont dans les 500,000, soit les 10% de la population palestinienne dans le monde. Seulement 170,000, vivent aujourd'hui en Israël (120,000) et en Palestine (50,000), soit le 2% de la population arabe.
Sommes-nous une communauté en voie de d'extinction? Beaucoup voudraient le penser, à cause de l'émigration qui continue et à cause du conflit aussi qui ne semble pas se rapprocher de sa fin. En réalité, il s'agit aujourd'hui d'une communauté très vivante, participante à toute la vie de l'Eglise et de la société. Il est vrai que certains de nos fidèles se fatiguent d'une vie de lutte continuelle et finissent par se tourner vers l'émigration, pour trouver une vie plus paisible. D'autres, cependant, restent. Il restera toujours dans la Terre Sainte une petite communauté de chrétiens, témoins de Jésus dans sa terre. Pour nous, notre présence en Terre Sainte ne relève pas seulement de circonstances historiques et humaines. Elle est aussi et surtout la continuation du mystère de refus vécu par Jésus sur cette même terre; et, comme Jésus l'avait dit à ses apôtres: "Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre" (Ac 1,8), nous restons et nous resterons, le long des siècles, les témoins de Jésus dans sa terre.
2.7 En conclusion, pour les chrétiens, la Terre Sainte, terre de rencontre continuelle avec Dieu et avec tous les hommes qui l'habitent, est aussi la terre de la vie quotidienne, la terre des droits et des devoirs, une terre de conflit, encore disputée. Notre  histoire et notre permanence en elle, fut continue, à travers les vicissitudes de l'histoire et la succesion des conquérants et des peuples, grâce à notre foi toujours maintenue et transmise de génération en génération.
Les chrétiens et la paix
3. Notre rôle comme chrétiens dans la paix
Chrétiens palestiniens, nous sommes partie du peuple palestinien, et nous sommes présents dans l'action de ce peuple, dans son effort en tout domaine politique et religieux et dans sa lutte pour sa liberté qui est aussi la lutte pour la paix. Dans l'action politique, parmi les morts, les blessés, les maisons démolies, les chrétiens sont présents, comme tout palestinien.
3.1 Sur le plan religieux, il y a le dialogue entre chrétiens et musulmans qui se poursuit au fil des jours de différentes façons. Il y a aussi un dialogue entre chrétiens et juifs. Il y a plusieurs associations ou groupes de dialogue en Israel. Dans la très grande majorité des cas, les partenaires chrétiens y sont des chrétiens d'Occident. Mais il y a aussi des rencontres entre chrétiens palestiniens d'un côté et juifs israéliens d'un autre, pour un dialogue interreligieux qui essaie de réfléchir sur le drame vécu.
3.2 A part ces aspects, l'Eglise essaie d'élever la voix. Elle n'est pas toujours comprise. Elle est facilement classée pro-palestinienne, anti-israélienne. De fait l'Eglise, chrétienne et palestinienne, reste Eglise et a le souci de tout être humain, du Palestinien comme de l'Israélien. Elle a le souci de la paix des deux peuples, Israélien et Palestinien. D'ailleurs, elle voit que la paix de l'un ne peut pas être différente de celle de l'autre. 
La violence, nous la condamnons. Mais nous disons: l'occupation militaire elle-même est une violence. Son exercice, la limitation des libertés, soumettrre une population pendant trentre trois ans à un régime d'occupation militaire est une violence. Il faut bien mettre une fin à cela. La résistance palestinienne prend la forme de violence aussi, tout comme ce fut le cas, malheureusement, dans toute guerre de libération, dans l'histoire des peuples. Mais nous croyons aussi que la résistance non-violente peut être aussi efficace. 
L'Eglise, au nom de tous, insiste sur la dignité humaine et sur l'égalité de tout être humain, arabe ou juif, palestinien ou israélien, et de toute religion, juif, musulman ou chrétien. Tous égaux, parce que tous créés par le même Créateur, à son image et à sa ressemblance. C'est cette ressemblance divine en l'homme qui est le principal fondement de la dignité humaine en chacun, dans les deux parties, même en conflit et en situation de violence, ou en rapport d'injustices et d'oppression.
Entre les bombardements, le lancement des cailloux, les maisons démolies, les haines, l'Eglise parle de pardon et de réconciliation: ce qui est un langage difficile pour tous. Elle parle de réconciliation aussi et de paix basée sur la justice. Car, un jour ou l'autre, la réconciliation aura lieu. Mais personne ne semble vouloir apprendre la leçon de l'histoire; chacun refait l'expérience à ses propres dépens: toutes les guerres de libération, bien que les deux antagonistes y étaient toujours un faible et un fort, ont fini par la victoire du faible, par l'acquisition de sa liberté. Si on apprenait la leçon de l'histoire, on se serait épargné tant de violences et on serait allé directement à un dialogue sincère qui ait pour but de redonner la liberté au peuple palestinien, et, en même temps, la sécurité au peuple israélien.
3.3 Les medias essaient de présenter le conflit actuel comme une question de violence palestinienne: si celle-là cessait tout rentrerait dans l'ordre. La violence n'est qu'un aspect de la question. La question de fonds est l'occupation militaire israélienne des Territoires Palestiniens en 1967. Une autre question de fonds, la sécurité pour l'Etat d'Israel.
Il y eut un temps où le monde arabe refusa de reconnaître le nouvel Etat d'Israel. A partir de la conférence de Madrid, et avec le processus de paix, cette reconnaissance eut lieu. Aujourd'hui, c'est la reconnaissance de l'Etat de Palestine, encore à créer, qui est à reconnaître, sur les Territoires occupés en 1967.
La question de fonds est donc celle-là: Israël et la communauté internationale, sont-elles prêtes à reconnaître cet Etat Palestinien. La dernière déclaration de M.Sharon dit qu'il est prêt à redonner aux Palestiniens le 42% seulement des Territoires occupés en 1967, ce qui veut dire qu'on est dans l'impasse et dans le cycle de violence.
3.4 L'autre question de fonds: la sécurité d'Israël.  Israël a développé jusqu'aujourd'hui une puissance militaire, par laquelle elle a gagné toutes les guerres, et par laquelle elle gagnera encore toutes les guerres. Mais la paix, elle ne l'a pas encore gagnée et elle ne sera pas le fruit de la puissance militaire. Celle-là pourra peut-être produire des traités de paix, sur du papier, et entre des gouvernements, mais pas dans les coeurs ni entre les peuples. La force militaire, si grande fût-elle, ne fera que provoquer plus de résistance dans les coeurs et nourrir le cycle de violence et donc d'insécurité.
Comment arriver à la sécurité? Pour M.Sharon, par la politique de la "terre brûlée", représailles, siège, bombardements, déracinement des arbres, démolitions au bull-dozer. Tout cela produit la mort, la peur, les humiliations, mais avec cela aussi, la résistance palestinienne et l'insécurité pour Israël. L'occupation dure depuis trente trois ans: ce qui se passe aujourd'hui comme résistance palestinienne et représailles israéliennes n'est qu'une répétition de ce qui s'est fait déjà. Il y faut des leaders qui arrivent à tirer les leçons du passé, et mettre fin à l'occupation, à toute forme de violence, à la mort et à la haine. Pendant trente trois ans, occupation des Territoires Palestiniens, puissance militaire supérieure, représailles, n'ont pas donné la sécurité à Israël. Une seule chose peut donner cette sécurité: l'amitié du peuple palestinien. Tant que vous avez un ennemi pour voisin, vous aurez toujours peur de lui. Le peuple palestinien peut devenir un peuple ami, si on lui rend ce qui lui a été pris: sa liberté et sa terre; et la terre qu'il réclame aujourd'hui, n'est plus que le 22% de toute sa Palestine. Il a fait ses concessions: le 78% de la Palestine, sur lequel se trouve aujourd'hui l'Etat d'Israel.
3.5 La question: les deux peuples, palestinien et juif, sont-ils capables de vivre côte à côte en paix? Là aussi, il y a déjà une expérience qui est faite: à l'intérieur d'Israël, il y a un million de Palestiniens, qui sont citoyens israéliens, et qui, durant cinquante ans ont vécu en paix et ont développé des rapports d'amitié et de collaboration en tout domaine avec leurs concitoyens juifs. Le même fait peut se répéter avec les Palestiniens dans leur futur Etat, une fois rétablis dans leur liberté, leur dignité et leurs droits.
La paix est-elle possible ?
4. Elle doit être possible. Nous ne sommes pas condamnés à vivre indéfiniment en guerre. Les mesures de violence à l'heure présente sont peut-être les derniers soubresauts de la mort, i.e. de la fin de ce long  conflit entre les deux peuples palestinien et israélien, et qui a déjà duré plus d'un siècle. L'heure est à la paix. La violence présente ne peut être qu'une phase transitoire, longue de quelques années peut-être, la dernière peut-être, avant le calme de la paix juste qui sera obtenue par le dialogue et qui arrivera à ce qui est juste et équitable pour les deux parties.
Depuis la conférence de Madrid, un chemin est fait: dans la mentalité des deux parties, la paix est possible et on doit y arriver. La violence actuelle n'aura pas démoli ce bout de chemin déjà fait. Le premier essai d'Oslo a échoué, mais pas totalement non plus. Il a créé d'abord des faits sur la terre, l'Autorité Palestinienne, des territoires palestiniens remis aux Palestiniens, des cantons isolés, il est vrai, toujours sous dépendance totale d'Israël, et toujours sous la menace de la puissance militaire israélienne, comme cela s'avère maintenant. Mais il a créé aussi un nouvel esprit et ouvert des perspectives.
Malgré toutes les violences présentes, les esprits en général, de part et d'autre, voient que la porte de la paix est ouverte. Pour cela une nouvelle éducation à la paix reste encore nécessaire.
Un jour, il y aura un traité de paix, sur du papier, qu'il faudra pouvoir  transférer dans les coeurs. Car l'éducation actuelle, chez les deux parties, consiste à faire voir dans l'autre l'ennemi à haïr et à tuer. La nouvelle éducation à la paix et à l'acceptation mutuelle doit aider le Palestinien et l'Israélien à voir que l'autre n'est pas l'ennemi à haïr et à tuer, mais le frère avec lequel il faut bâtir la nouvelle société israélienne et palestinienne. Maintenant il y a deux traités de paix sur du papier et entre les gouvernements, Egypte et Israel et Jordanie et Israel. Mais ces deux traités ne sont pas passés dans les coeurs. La raison? l'oppression qui continue à l'égard du peuple palestinien. C'est là le coeur du conflit: le peuple palestinien, délogé de sa terre et privé de sa liberté.
Un nouveau dialogue doit repartir, mettre fin aux violences en cours, mais un dialogue sincère dans lequel les deux parties vont dans le même sens: mettre fin à l'Occupation, créer l'Etat Palestinien, avec Jérusalem Est pour capitale; tout cela afin d'arriver à l'autre fin demandée: la sécurité pour Israël.
Une autre remarque, pour avoir une paix définitive, il faut avoir une paix totale sur tous les fronts à la fois: Palestine, Syrie, Liban et Iraq, un partenaire nécessaire de la paix au Moyen-Orient et qu'on voudrait maintenant simplement neutraliser. C'est renvoyer le problème et garder la paix sous menace. Le foyer central, il est vrai, est le problème palestinien. Mais la paix définitive et totale ne peut négliger aucun foyer latéral. Sur tous ces fronts, les images doivent changer: l'image de l'Arabe terroriste, de même que l'image de l'Israélien envahisseur et ennemi. Des deux côtés, et partout, sur tous les fronts, doit émerger l'image de deux partenaires qui construisent la paix ensemble. Pour cela, il faut la sincérité et le courage de redonner la liberté et les terres occupées.  Une telle confiance mutuelle n'est pas encore à portée de la main: mais les gestes sincères et courageux peuvent la préparer.  Il faut ajouter aussi, que la paix, a besoin de chefs politiques qui aient une vision et du courage pour marcher dans le sens de ce qu'ils voient et qui soient prêts à sacrifier leurs sièges, et peut-être leur vie.
              
Revue de presse

              
1. Visite du pape dans le "berceau de la chrétienté " par Michel Muller
in L'Humanité du lundi 7 mai 2001

Jean-Paul II rappelle la légalité internationale
Venant d'Athènes où il a demandé pardon aux chrétiens orthodoxes pour le sac de Constantinople perpétré par les croisés en 1204, le pape est arrivé samedi en Syrie.
"Comme je l'ai déclaré publiquement en d'autres occasions, il est temps de retourner aux principes de la légalité internationale : interdiction de l'acquisition des territoires par la force, droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, respect des résolutions de l'Organisation des Nations unies et des Conventions de Genève". Ce rappel solennel a été prononcé par Jean-Paul II, samedi à son arrivée à Damas, en provenance d'Athènes. " La justice signifie le recouvrement des droits [...] et des territoires de la Syrie, de la Palestine et du Liban par leurs habitants, et le retour des réfugiés (palestiniens) sur leur terre ", lui a répondu le président syrien, Bachar al-Assad en demandant au pape de "préserver les valeurs d'amour, de tolérance et d'égalité qui sont celles de Jésus-Christ".
De justes revendications mais qui ont perdu toute crédibilité puisque Bachar al-Assad a cru pouvoir les faire suivre d'affirmations ouvertement antisémites. Sans les nommer, il a accusé les Israéliens - confondus dans un même opprobre avec les juifs - de vouloir " assassiner tous les principes de toutes les religions, de la même manière qu'ils avaient trahi Jésus et essayé de tuer le prophète Mahomet ". Dimanche, à l'occasion d'une messe célébrée devant des dizaines de milliers de personnes dans le stade Abbassides à Damas, le pape a souligné en revanche que " sur cette terre sainte, chrétiens, musulmans et juifs sont appelés à travailler ensemble avec confiance et audace, et à faire que paraisse sans tarder le jour où chaque peuple verra ses droits légitimes respectés et pourra vivre dans la paix et l'entente mutuelle ".
Autre acte de haute valeur symbolique, Jean-Paul devait se rendre hier dans la soirée dans la mosquée des Omeyyades, où se trouve le mausolée abritant, selon la tradition, la tête de Jean-Baptiste. Ce précurseur du christianisme est vénéré également par les musulmans comme un prophète précurseur de l'Islam, qu'ils appellent Yahya. Il s'agit de la première visite jamais effectuée par un pape dans un lieu de culte musulman. Il y a 5 000 ans, le site était dédié à Hadad, dieu de l'Orage, et du Ier au IIIe siècle de notre ère, il est devenu un grand temple romain consacré à Jupiter. Avec l'arrivée du christianisme, le temple fut transformé en une église. Les travaux de construction de la mosquée commencèrent vers 705. Le mur d'enceinte et trois des grandes portes de l'église originelle ont été conservés. La grande salle de prière reproduit l'architecture de la mosquée de Médine. Vendredi à Athènes, le pape avait solennellement demandé pardon aux chrétiens orthodoxes pour " le sac dramatique de la ville impériale de Constantinople, qui était le bastion de la chrétienté en Orient ", par les croisés en 1204. Le fait que des chrétiens latins aient procédé à ce carnage " remplit les catholiques d'un profond regret ", a-t-il souligné.
Il serait sans doute juste qu'un même pardon soit demandé aux musulmans et aux juifs, massacrés sans pitiés lors du sac de Jérusalem perpétré par les hordes de la première croisade en 1099 et de celles qui suivirent.
              
2. Sharon maintient le cap sur l'offensive par Serge Dumont
in Le Soir (quotidien belge) du lundi 7 mai 2001

L'armée israélienne développe sa stratégie offensive contre les activistes supposés de l'intifada palestinienne. Dans le même temps, les deux camps étudient les conclusions de la commission Mitchell.
TEL-AVIV
Tsahal (l'armée israélienne) a pénétré hier matin à Beit Jala (une banlieue de Bethléem placée sous contrôle total de l'Autorité palestinienne), pour tenter de réduire au silence les tireurs palestiniens qui attaquaient certaines de ses positions depuis vendredi soir. Couverts par des chars et des hélicoptères, les commandos de l'Etat hébreu ont pris le contrôle d'une partie du village durant plusieurs heures afin d'y effectuer ce qu'un officier qualifiait cyniquement de nettoyage de printemps. Les chars israéliens ont détruit au canon quatre maisons occupées par des civils mais dont le toit aurait, selon le porte-parole de Tsahal, servi de poste de tir aux « tanzim » (les milices armées du Fatah, le parti de Yasser Arafat). Des combats acharnés ont duré plusieurs heures et ils se sont déroulés au milieu des civils affolés. Bilan : un mort (un officier du Fatah) et quinze blessés palestiniens, dont deux enfants en bas âge.
Durant le week-end, d'autres accrochages se sont aussi déroulés devant Ramallah, à Naplouse et à Jenine. Dans la bande de Gaza, des combats ont eu lieu en face de l'implantation juive de Neve Dekalim ainsi que le long de la frontière égyptienne. Quant aux tirs de mortier palestiniens sur Israël, ils ont repris hier matin, lorsque quatre obus se sont abattus près de Sderot.
Encouragé par les sondages qui le gratifient d'un indice de popularité de 70 %, le Premier ministre Ariel Sharon semble décidé à tenir la promesse d'intensifier la lutte antiterroriste faite la semaine passée aux colons de Cisjordanie et de la bande de Gaza lors des visites qu'il a effectuées dans leurs implantations. Ainsi, vendredi, à Jénine, le militant du Hamas Nafed Javara et les trois membres du Fatah qui l'accompagnaient ont été déchiquetés par une mystérieuse explosion qui ressemble à une « liquidation ». Puis, le lendemain, c'est Ahmad Khalil Ismaïl, un cadre du Djihad islamique de Bethléem recherché pour sa participation à plusieurs attentats à la voiture piégée, qui a été abattu de vingt-huit balles tirées à distance. Sans doute par des tireurs d'élite. Deux opérations que Tsahal refuse d'endosser. En revanche, Israël assume la responsabilité de la destruction de l'antenne de Jéricho des Renseignements généraux (un service secret palestinien), qui a été pulvérisé samedi par des obus de chars (quinze blessés palestiniens, dont deux graves).
Dix-sept milliards de FB [Francs belges] pour les colonies juives
Après une accalmie de quatre jours, la violence et le terrorisme (l'explosion d'une bombe a blessé légèrement cinq personnes hier matin à Petah Tikvah, dans la banlieue de Tel-Aviv) reprennent donc leur cours. Pour au moins trois ans, selon les services de Tsahal chargés de planifier les dépenses militaires. Réuni hier sous la présidence de Sharon, le cabinet israélien a examiné ces prévisions pessimistes avant de se pencher sur le rapport de la commission Mitchell créée en octobre dernier pour tenter de déterminer les causes de l'intifada palestinienne.
Dans leurs conclusions, les commissaires internationaux refusent de considérer la visite effectuée par Sharon le 28 septembre dernier sur l'esplanade du mont du Temple (mosquée Al Aqsa) comme l'unique facteur déclenchant du soulèvement palestinien. Ils appellent l'Autorité palestinienne à dénoncer le terrorisme et ils refusent d'appuyer la demande palestinienne de constituer une force internationale d'observation opérant dans les territoires autonomes. La commission n'exonère pas Israël de toute responsabilité dans l'explosion de violence. En effet, parmi les facteurs incitateurs du soulèvement palestinien, les commissaires identifient principalement la politique de colonisation des territoires palestiniens, qu'ils recommandent d'ailleurs à Israël d'arrêter complètement. La commission Mitchell dénonce aussi l'usage souvent excessif de la violence par Tsahal.
Mais Ariel Sharon a déjà annoncé qu'il refusait de lier le déclenchement de l'intifada à la colonisation et il a même confirmé que son gouvernement débloquerait cette année un budget additionnel de 17 milliards de francs belges pour développer les implantations.·
            
3. Intifada : La hantise arabe de la contagion par Walid Charara
in Le Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 4 mai 2001

L'empressement du président Moubarak à annoncer la conclusion d'un accord israélo-palestinien, pour être ensuite démenti par le ministre israélien des Affaires étrangères Shimon Peres, n'est pas fortuit. Il traduit la peur des régimes arabes de voir le conflit en Palestine franchir la frontière.
Depuis son déclenchement, l'intifada palestinienne plonge dans un grand embarras la majorité des régimes arabes. L'ampleur du mouvement de solidarité qu'elle a suscité dans les opinions publiques a incité ces derniers à lâcher du lest et à «tolérer» diverses manifestations de cette solidarité. En s'installant dans la durée, l'intifada a transformé l'embarras en crainte grandissante de la voir, avec l'arrivée d'Ariel Sharon au pouvoir en Israël, dégénérer en conflit régional à cause de l'extrémisme de Sharon d'une part et des pressions de leurs propres opinions publiques d'autre part. La «retenue» et la «neutralité bienveillante» des régimes arabes pourraient avoir des conséquences dangereuses sur le plan intérieur dans leur pays. De la modération des résolutions des deux sommets arabes en passant par l'aide financière à l'intifada, décidée mais pas encore versée, jusqu'à la tiédeur des réactions suite à l'incursion israélienne à Gaza ou le bombardement du poste radar syrien à Dahr el-Baïdar, il est difficile de ne pas pressentir la volonté de voir le mouvement insurrectionnel s'essouffler et les Palestiniens, et peut-être avec eux les Libanais et les Syriens, retourner à la «logique de paix».
Les limites de l'Egypte
Malgré ses contradictions avec la politique israélienne et son opposition au projet hégémonique d'Israël, dans sa version géographique classique (grand Israël) comme dans sa version économique (marché économique moyen-oriental), la stratégie égyptienne est restée fidèle à l'esprit des accords de Camp David de partenariat égypto-israélo-américain.
Comme le rappelle Remy Levan, «le triangle de force Egypte/Etats-Unis/Israël a progressivement incorporé les Palestiniens (Oslo) et les Jordaniens dans la perspective de la construction d'un nouvel ordre régional recueillant le consensus avoué ou tacite des élites».
C'est cet esprit de Camp David qui est menacé par l'irruption de la rue. Celle-ci, même si elle a provisoirement baissé d'intensité, pourrait remettre en cause les pactes de stabilisation et les réseaux clientélistes qui ont partout accompagné le ralliement ou l'acceptation tacite du compromis de Camp David par les régimes politiques de la région. La première force à tirer profit de la fragilisation des élites civiles et militaires de ces systèmes autoritaires est l'islamisme politique, comme l'ont prouvé les résultats des élections législatives égyptiennes du mois de novembre 2000, en dépit d'une forte intervention de l'Administration pour en limiter les effets. «Les successions en cours ou en attente fragilisent par ailleurs des régimes qui tentent par l'imposition de système quasi dynastique de préserver les coalitions d'intérêts qui se sont formées depuis vingt ans et plus.» La politique américaine n'a pas mesuré l'usure des systèmes en place, ni l'importance des enjeux symboliques. Henry Kissinger le confirme lorsqu'il affirme, dans une interview à la revue politique International: «En liant le problème des Lieux saints au conflit territorial, on a étendu le différend israélo-palestinien à l'ensemble du monde arabe, voire islamique. Du jour où la question religieuse a été mise sur la table, aucun dirigeant arabe n'a pu ignorer le spectre de la menace fondamentaliste qui pesait sur son propre pouvoir.»
Effet déstabilisateur
La conjugaison de l'impact de l'intifada sur les opinions arabes avec une situation économique et sociale difficile a potentiellement un effet hautement déstabilisateur. Le président Moubarak lui-même, dans une interview accordée au quotidien égyptien Al-Ahram, reconnaissait l'importance des problèmes socio-économiques et comparait le chômage structurel des jeunes à une bombe à retardement qui risquait d'exploser à tout moment. Ces considérations intérieures sont à la base de l'activisme de la diplomatie égyptienne pour trouver un arrangement, même intermédiaire, entre Palestiniens et Israéliens afin d'arrêter la confrontation.
Les premiers effets de la médiation égypto-jordanienne sont peut-être l'arrestation d'Abdel Aziz el-Rantini, l'un des dirigeants du mouvement Hamas, l'ordre donné par le président palestinien d'arrêter les attaques au mortier contre les colonies israéliennes, l'annonce de la dissolution des comités de résistance populaire par l'Autorité palestinienne. Ces mesures soulèvent l'inquiétude de voir un début de division des rangs palestiniens, restés unis depuis l'éclatement de l'intifada. De nombreux responsables du Fatah ont fait savoir leur refus des décisions susmentionnées et leurs résolutions à continuer la résistance.
Les considérations jordaniennes ne diffèrent pas beaucoup des arguments égyptiens. Mais elles restent liées à la présence massive de réfugiés palestiniens dans le royaume (plus de 60% de la population). Une guerre ouverte dans les territoires palestiniens avoisinants déstabiliserait profondément le pays ayant la frontière la plus longue avec la Palestine.
La peur de la contagion est la première motivation de l'activisme des diplomaties égyptienne et jordanienne.
                
4. Tsahal, le piège de la puissance par Didier François
in Libération du vendredi 4 mai 2001
Face à l'infériorité de son adversaire, Israël mise sur une guerre d'usure.
Tel-Aviv, Gaza envoyé spécial
Les guerres toujours ont leurs arrières, rêves des soldats au front, havres d'une paix oubliée. Une ville, un quartier, une rue peuvent faire l'affaire. Un simple bar, parfois, lucarne ouverte sur le réel. Le vrai repos du combattant, c'est d'épier la vie qui, sans lui, se poursuit. Jonathan a choisi avec soin son poste d'observation. Une table retirée à la terrasse du café Kazé. Le soleil, à l'aplomb, darde sans mollir. La jeunesse branchée de Tel-Aviv conflue vers ses chocolats frappés. Regards coulés sur les nombrils percés des actrices du théâtre Habima, sur les jupes raccourcies des auxiliaires féminines de l'armée de l'air. Les treillis abondent sur les trottoirs du cours Sheinkin, portés négligemment par des garçons aux poses étudiées, les yeux masqués de verres fumés, un tympan greffé à l'oreillette de leur téléphone portable. «Des ordonnances d'état-major.» Jonathan sourit. Le permissionnaire s'amuse au spectacle de ces hallebardiers d'opérette. Tout juste sorti d'une période de service à Gaza, sur l'un des points de friction les plus chauds de la bande, il n'a eu de cesse de troquer l'uniforme pour une chemisette balnéaire.
Harcèlement permanent
«Objectif numéro un, respirer, sentir le vent sur ma peau.» Luxe ultime pour le jeune lieutenant après trois semaines d'enfermement total, calfeutré dans une tourelle en béton sous les salves des francs-tireurs palestiniens. Ambiance pesante. Atmosphère étouffante. «En alerte, toujours, sans pouvoir se relâcher. Le harcèlement est permanent.» Les fedayin pressent à la faute, cherchent la négligence qui permettrait de percer la puissante cuirasse des soldats de Tsahal. «Ils connaissent notre force, veulent nous fatiguer.» Une guerre d'usure menée à la banderille, dards plantés sans relâche dans les flancs du taureau israélien. «C'est épuisant, éprouvant pour les nerfs.» Juger de la menace, diriger la riposte, donner l'ordre de tir. Les responsabilités de Jonathan, 21 ans, sont énormes, ses décisions pénibles. «Les coups partent toujours d'immeubles habités. A la jumelle, je peux voir les familles qui se terrent.» Civils tués, maisons détruites, quartiers rasés. Le lieutenant serre les dents, défend ces choix. «Nous ne pouvons céder en aucun cas.»
«Le plus dur est passé»
«Notre pays ne ressemble à nul autre. Et, dès son enfance, chaque Israélien sait qu'il lui faudra un jour défendre son Etat. C'est comme ça, explique Jonathan. A 18 ans, c'est notre tour. On prend une arme et on combat pour Israël. Bien sûr, il y a toujours des exceptions, mais la plupart des jeunes répondent à cet appel, par patriotisme, par sionisme.» Les débuts de l'Intifada ont, un temps, corrodé cette belle assurance. «Nous faisions face à des gamins armés de cailloux, de cocktails Molotov. Et c'est terrible. Car il nous fallait bien les arrêter. Si l'armée ne se défend pas, qui protégera les citoyens?» Mais Jonathan n'en démord pas. «Le plus dur est passé.» La militarisation de la révolte des pierres tempère le vague à l'âme. «Evidemment, ce n'est pas agréable de contrôler des civils, leur interdire de travailler, de gagner leur vie. Mais les terroristes se cachent dans la population. Et, lorsque des bombes explosent, à Jérusalem ou à Kfar Sava, tous les doutes s'envolent. Nous tenons les premières lignes d'une guerre que nous ne pouvons pas perdre.»
Un ennemi trop faible
«Les Palestiniens ont choisi la stratégie du faible au fort, soupire Martin Van Creveld. On ne peut remporter un conflit de ce type. Toutes les armées du monde s'y sont cassé les dents.» Pour ce professeur d'histoire militaire à l'université de Jérusalem, auteur d'un ouvrage iconoclaste sur les Forces israéliennes de défense, l'avenir de Tsahal tient tout entier dans cet axiome de Lao-Tseu: «Trempée dans l'eau salée, une épée rouillera.» Rapportée à la situation actuelle, la prophétie agace les généraux. «Un ennemi trop faible nous accule à la défaite, assure l'historien. Si nous utilisons trop de puissance pour le vaincre, nous nous mettons en tort face à la communauté internationale. Pis encore, nous finirons par nous haïr, détester ce que nous voyons le matin dans notre miroir. Et si nous n'utilisons pas suffisamment de force, nous perdrons pareillement, mais un petit peu moins vite. L'homme sage ne devrait jamais se lancer dans un long affrontement avec le faible. Qui se trouve engagé dans un tel conflit, par sa faute ou celle de l'adversaire, devrait chercher à en sortir le plus vite possible.»
Détermination intacte
Les options de l'état-major israélien sont tout autres. «Durer» semble désormais le maître mot de ses généraux. L'élection d'Ariel Sharon à la tête du gouvernement a repoussé à des temps imprécis toute perspective de négociations solides. Le tollé diplomatique provoqué par l'entrée des chars de Tsahal dans les zones sous contrôle de l'Autorité palestinienne, à la mi-avril, a enrayé, pour l'heure, l'escalade militaire. Les deux camps doivent montrer patte de velours. Leur détermination n'en reste pas moins intacte. «Le président Yasser Arafat est devenu un obstacle au processus de paix.» Ce jugement sans appel de l'un des officiers les plus élevés dans la hiérarchie des Forces israéliennes de défense fonde toute la doctrine de l'armée. «Je crains qu'il ne soit pas prêt à un accord qui nous garantirait la fin du conflit contre la création d'un Etat à Gaza et en Cisjordanie.» D'autant que ce général prend bien soin de ne pas mentionner le futur statut de la vieille ville de Jérusalem, que les Palestiniens réclament comme capitale. «Arafat préfère entrer dans l'Histoire en combattant palestinien, arabe et islamiste plutôt que comme l'homme du compromis avec les sionistes, les Israéliens et les juifs.»
«Depuis plusieurs mois, nous savions que Yasser Arafat allait déclencher cet affrontement, assure le général, sa dernière bataille à cette étape du conflit israélo-palestinien. La question était de savoir si son but serait de gagner une marge de manœuvre, afin de pouvoir montrer une plus grande flexibilité au stade final des négociations, ou s'il se servirait de ce prétexte pour échapper à tout compromis. Les événements, depuis le mois d'octobre, montrent malheureusement que nous faisons face à l'hypothèse pessimiste.» Une évaluation sévère, fruit des synthèses du service militaire de renseignements, qui, de l'avis des experts, serait moins nuancé dans ses conclusions que les centrales civiles. «Nous sommes parfaitement conscients des risques de détérioration, poursuit l'officier. La situation peut bien paraître bloquée et nous admettons que quelqu'un devra payer le prix politique pour en sortir. Mais ce n'est pas à Israël de régler cette note. Yasser Arafat a pris personnellement la décision de nous faire la guerre. Il a allumé l'incendie, à lui de l'éteindre. Nous ne céderons pas au chantage, nous ne capitulerons pas devant la violence. Voilà le fond de notre stratégie. Nous sommes prêts à des accommodements, pas au suicide.»
«Tenir et contenir»
Excluant jusqu'à l'éventualité d'une défaite, les forces israéliennes se préparent à une longue guerre d'usure. Le général l'assure: «Ce type de conflit se gagne aux points.» Transcrites en une «doctrine de commandement et de gestion de campagne en secteurs palestiniens», les instructions de l'état-major aux chefs des grandes unités opérationnelles insistent sur l'impérieuse nécessité de «tenir et contenir». Sur le terrain, «notre rôle consiste à créer les conditions pour une reprise des négociations en position de force, grâce à des avantages militaires, explique le responsable d'un important commandement de Tsahal. L'essence de ces conflits de basse intensité, c'est d'offrir aux dirigeants politiques la meilleure marge de manœuvre possible en réduisant le niveau de violence, en contenant les affrontements sur le territoire palestinien et en prévenant tout débordement terroriste en Israël. Une bataille d'attrition dans laquelle nous devons montrer notre détermination à remporter chaque engagement. Cela décourage les terroristes et c'est important pour le moral de nos hommes.»
                    
5. Les relations se détériorent entre les citoyens juifs et arabes d'Israël par Catherine Dupeyron
in Le Monde du vendredi 4 mai 2001
La revendication du meurtre d'un Juif par le Hezbollah palestinien, organisation jusque-là inconnue, jette le discrédit sur les Arabes d'Israël qui affirment qu'ils "veulent la paix".
OUM EL FAHM (sud de la Galilée) de notre envoyée spéciale
La nationale 65 est à quatre voies. Samedi 28 avril, au carrefour de Wadi Ara, à mi-chemin entre Hadera et Afoula, deux communes israéliennes distantes de moins de quarante kilomètres, un Israélien a été tué d'une balle dans la tête. Shlomo Elmakias, un soldat israélien en civil, avait vingt ans. Il profitait de quelques jours de permission. Les quatre jeunes femmes qui l'accompagnaient, blessées, ont raconté comment les choses se sont passées.
Au feu rouge, une voiture s'est arrêtée à leurs côtés. Ses passagers ont engagé la conversation avec eux, puis, assurés qu'ils avaient affaire à des Juifs et non à des Arabes, nombreux dans cette région, ils ont ouvert le feu et démarré en trombe, s'enfuyant dans Oum el Fahm, où ils ont disparu. Les meurtriers sont vraisemblablement passés en territoire palestinien, sans trop de difficultés, la Ligne verte n'étant qu'à quelques centaines de mètres des dernières bâtisses, à l'est de la ville, et n'étant matérialisée par aucune frontière formelle. Depuis un mois, Tsahal a installé des barrages sur les routes et chemins reliant Oum el Fahm au village palestinien voisin d'Anin, mais aucune entrave physique, pas même un vulgaire fil barbelé, n'empêche de traverser, à pied, la forêt de chênes lièges qui sépare les deux localités.
Le récit des témoins directs de l'embuscade ne permet pas de répondre à une question essentielle : cet attentat, revendiqué par une organisation jusque-là inconnue, le Hezbollah palestinien, était-il constitué de Palestiniens infiltrés en Israël ou, ce qui serait plus grave, d'Arabes israéliens de la région – voire d'Oum el Fahm, principal bastion du mouvement islamiste en Israël – qui auraient décidé de combattre aux côtés de leurs frères des territoires ? De la réponse dépend en partie l'avenir des relations entre les citoyens juifs et arabes du pays, déjà largement détériorées par les violentes manifestations d'octobre 2000 qui ont fait treize morts parmi les Arabes israéliens.
Après l'assassinat de samedi, les Juifs, inquiets ou non, à peine surpris, sont sans illusions.
"Dans le meilleur des cas, les Palestiniens auront bénéficié de la complicité passive de quelques Arabes israéliens ", soulignent les plus prudents. Dans la région, rappellent certains, des Arabes israéliens avaient déjà été impliqués dans des crimes à motivation nationaliste lors de la première Intifada.
LA PEUR OU LE MÉPRIS
"En soutenant l'Intifada El-Aqsa comme ils l'ont fait en octobre, les Arabes israéliens se sont conduits en ennemis", dit Anne, habitante de Kyriat Tivon, à une quinzaine de kilomètres de Nazareth. Hubert, son mari, est plus nuancé. "Il est normal que les Arabes israéliens soient concernés par ce qui se passe chez les Palestiniens, dit-il. Ce qui ne l'est pas, c'est le rôle joué par leurs députés. Ils profitent de la démocratie israélienne pour inciter à la haine. C'est un processus très dangereux. Je crains que les jeunes Arabes israéliens ne finissent par se dire que la voie de l'intégration en Israël choisie par leurs parents n'était pas la solution."
Aujourd'hui, les relations que les Juifs entretiennent avec les Arabes sont empreintes de peur, ou de mépris. Les uns avouent qu'ils n'osent plus se promener ou faire leurs emplettes dans les villages arabes, les autres, au contraire, affirment haut et fort qu'ils continuent d'y aller, comme par défi. "Il faut leur montrer que l'on n'a pas peur et que ce pays est à nous. Mais il ne faut rien leur acheter pour les punir", déclare Meir, droguiste à Hadera. Sa boutique est à une centaine de mètres du lieu de l'attentat à la bombe du 22 novembre 2 000, qui avait fait deux morts et une soixantaine de blessés.
A Oum el Fahm, la population arabe est convaincue que l'assassinat de samedi soir, à l'entrée de la ville, est le fait d'un juif. Pour certains, c'est un acte de "vengeance personnelle entre amis". D'autres évoquent "la mafia". Moustapha, épicier, a la certitude qu'il s'agit d'une "affaire de drogue et de prostitution". La preuve, à ses yeux : "il y avait quatre filles dans la voiture !" Autre certitude : le meurtrier a commis son forfait intentionnellement en face d'Oum el Fahm, afin qu'il soit imputé aux Arabes et fasse du tort à la ville.
Cette version traduit le malaise des Arabes israéliens à l'idée d'être tenus pour responsables du crime, directement ou non. Elle témoigne également de la difficulté d'être à la fois Palestiniens de cœur et citoyens d'Israël. "Nous voulons la paix, dit Moustapha. C'est compliqué d'être Arabe en Israël, alors que notre peuple souffre juste à côté de nous." A l'instar de l'écrasante majorité des Arabes israéliens, Moustapha n'a pas du tout l'intention de s'installer dans le futur Etat palestinien. "Je suis bien ici, c'est chez moi. Mais, s'il y a la paix ce sera plus facile", dit-il.
                  
6. Syrie : Bachar le pragmatique par Dominique Lagarde
in L'Express du jeudi 3 mai 2001

Au pouvoir depuis moins d'un an, le fils de Hafez el-Assad entrouvre son pays. Jean-Paul II y est attendu pour quatre jours, à partir du 5 mai.
Près d'un an après la mort de Hafez el-Assad, la Syrie hésite encore entre sa peur du changement et son désir de modernité. La partie qui se joue à Damas rassemble et oppose, autour du président Bachar el-Assad, trois équipes: sur le terrain, la «vieille garde» - les mandarins du parti qui s'efforcent de freiner tout ce qui pourrait passer pour novateur - et la nouvelle, les hommes du président, qui veulent que les choses bougent, mais pas trop. Sur le banc de touche, une nébuleuse d'intellectuels - universitaires, journalistes ou artistes - qui rêvent de démocratie et de pluralisme, et n'ont plus peur de le dire.
A la mort de Hafez el-Assad, en juin 2000, les grands apparatchiks du Baas avaient choisi de jouer la carte Bachar. Ils ne se privent pas, aujourd'hui, de lui rappeler qui l'a fait roi. Depuis trente ans, ces barons du régime profitent, dans tous les sens du terme, du système. Au point que leurs rejetons - ceux que l'on nomme à Damas les «fils de» - ont mis le grappin sur des pans entiers de l'économie. Et ils n'ont aucune envie que cela change. Or le jeune chef de l'Etat ne peut se permettre d'entrer en conflit ouvert avec eux: ils ont encore la clef du Baas, dont ils contrôlent les rouages, et conservent une influence certaine au sein des nombreux services de renseignement. Autour de lui, cependant, une «nouvelle garde» s'est peu à peu constituée. Plus pragmatiques, modernistes, les hommes du président sont conscients que la Syrie doit évoluer. Dans le premier cercle, on trouve surtout des militaires: Bahjat Soleiman, l'un des hommes clefs des services de renseignement - il dirige la Sécurité militaire - considéré par certains comme l'éminence grise du régime; le beau-frère de Bachar, Assef Chawkat, patron des services secrets de la Garde républicaine; Ali Aslan, chef d'état-major de l'armée. Le second réseau est constitué d'universitaires et de membres de la Société syrienne d'informatique, dans laquelle Bachar s'était beaucoup investi. Le gouverneur de Damas, Ghassan Nahham, ou encore le ministre de l'Education supérieure, Hassan Rishah, sont de ceux-là.
S'il souhaite introduire des réformes, le jeune président ne veut néanmoins pas de casse. «Il ne s'agit pas de faire table rase du passé, mais de développer le pays en avançant pas à pas et en se fondant sur nos acquis», souligne l'un de ses conseillers officieux, le professeur et politologue Imad Fawzi Shueibi. L'obsession de la nouvelle équipe: éviter les «erreurs» de la perestroïka et l'effondrement du parti - donc du système. A l'époque, Hafez el-Assad fustigeait souvent en privé la «folie» de Gorbatchev. Bachar n'a sans doute pas oublié... «Nous ne voulons pas de rupture. La glasnost, oui, la perestroïka, non», résume Shueibi. D'où le coup d'arrêt donné à l'effervescence politique de ces derniers mois.
Septembre 2000. L'industriel et député indépendant Riad Seif décide d'organiser chez lui une série de conférences-débats sur le rôle de la société civile. Ainsi naît la première muntada. Ces «forums», ou salons politiques, vont très vite se multiplier. Au point qu'on en comptait une petite centaine, dans tout le pays, lorsque le pouvoir y a mis le holà. En principe, les discussions ont lieu autour d'un thème choisi à l'avance. En fait, les muntadat sont d'abord une formidable occasion de prendre la parole, pour une élite intellectuelle qui en a été longtemps privée. «Le rêve, dit Seif, devenait réalité.» On y critique de plus en plus ouvertement la dictature, le parti, les services ou la corruption...
Parallèlement, à la fin du mois d'octobre 2000, une première pétition circule dans les milieux universitaires. Ses 99 signataires demandent la levée de l'état d'urgence, plus de libertés, des élections libres. Peu après, une quinzaine d'intellectuels - pour la plupart d'ex-marxistes convertis au libéralisme - décident de créer un «comité fondateur pour la renaissance de la société civile». Ils prennent l'initiative d'une seconde pétition, dans laquelle ils demandent, entre autres choses, la fin du monopole du Baas. Le texte, rendu public au début de janvier dernier, rassemblera plus de 1 000 signatures. Au sein du parti, c'est une levée de boucliers. La presse baasiste crie au «complot» et fustige le concept de société civile, «une invention de l'Occident».
Le 18 mars, c'est le chef de l'Etat lui-même qui siffle la fin de la récréation. En rappelant solennellement qu'il y a des lignes rouges à ne pas franchir. Pas question de toucher au rôle dirigeant du Baas, inscrit dans la Constitution, ni de remettre en cause l'héritage de papa. Les muntadat sont désormais interdites. Sauf si l'on demande, et obtient, une autorisation officielle... Toutefois, aucun des organisateurs de ces forums, pas plus que les signataires des pétitions, ne sera inquiété. «Le retour aux méthodes du passé est devenu impossible. Il n'y a pas si longtemps, quand on critiquait le monopole du Baas, on allait en prison. Aujourd'hui, le pouvoir est obligé d'argumenter», constate le philosophe Sadik al-Azm, l'un des initiateurs du mouvement.
Pour la plupart des observateurs, ce coup de frein n'est pas seulement la conséquence des pressions exercées par la vieille garde. Le sentiment que les choses étaient allées trop loin semble avoir été partagé par une bonne partie de l'entourage du président, et par le chef de l'Etat lui-même. «Il a soulevé le couvercle de la marmite et, quand il a vu toute la vapeur qui sortait, il a pris peur», résume un journaliste.
Si l'ouverture politique n'est pas vraiment à l'ordre du jour - sauf à la marge, comme en témoigne l'autorisation d'une muntada animée par des nassériens, seule rescapée du «printemps damascène» - la libéralisation de l'économie, priorité affichée du régime, paraît, en revanche, doucement s'amorcer. Les Syriens découvrent avec gourmandise les joies du Web et, depuis le début de cette année, pour les plus aisés, celles du téléphone mobile. Longtemps tenu à distance, le secteur privé est à présent encouragé. La législation sur les changes a été assouplie. Une loi promulguée le mois dernier permet désormais le retour des banques privées, qui étaient interdites de séjour dans le pays depuis... 1963. Toutefois, après trente ans d'isolement économique, la tâche est immense.
Libéraliser comment, et jusqu'où? «Ils n'ont pas encore vraiment choisi», confie un observateur. Bachar el-Assad a, de toute évidence, hérité de son père une extrême prudence. Pas question d'une libéralisation dont le coût social serait trop rude - les privatisations sont, pour l'heure, exclues - alors que le taux de chômage, officiellement estimé à 9%, serait en fait de près de 20%. D'autant que ce serait aussi toucher au fonds de commerce du Baas. Depuis le début de l'année, la presse du parti multiplie les éditoriaux sur les risques de l'économie de marché et la nécessité de préserver le secteur public.
On entend beaucoup parler, à Damas, du «modèle chinois», auquel, dit-on, les autorités s'intéresseraient de près: une ouverture économique qui s'appuierait sur la culture commerçante du pays, sans démantèlement du secteur public. Et surtout sans changement politique... Le ministre de la Planification, Issam Zaïm, reconnaît qu'il y a un «intérêt» pour cette «expérience». «Il ne peut pas y avoir de progrès économique sans progrès politique, réplique l'un des intellectuels pétitionnaires, le cinéaste Nabil Maleh. Et ce progrès passe par l'élargissement du champ politique.» Le débat ne fait sans doute que commencer...
                    
7. Les "Algériens" de Gaza, sans travail et sans papiers
Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 2 mai 2001, 9h27
GAZA - En plein centre de la ville de Gaza, "capitale" de la bande du même nom, dans la cafétéria "Délice", ceux qu'on appelle ici les "Algériens" entretiennent, sur fond de chansons de raï, la nostalgie d'un pays perdu.
Issus de familles parties pour l'Algérie indépendante après 1962, ils sont "rentrés" à Gaza avec leurs parents à la suite de l'accord israélo-palestinien du Caire en 1994 sur le "transfert de souveraineté" d'Israël à l'Autorité palestinienne dans ce territoire.
Ces Palestiniens bardés de diplômes sont médecins, ingénieurs, avocats ou enseignants du supérieur.
Sans papiers d'identité valides, ils doivent pour survivre exercer les professions de chauffeur de taxi, d'ouvrier agricole ou de vendeur. La plupart d'entre eux, sans travail, ne subsistent que grâce à l'entraide familiale.
En vertu des accords d'Oslo sur l'autonomie palestinienne, seuls les responsables de l'Autorité palestinienne ont le droit d'obtenir des cartes d'identité.
Les "Algériens" de Gaza, très largement francophones, qui se disent "clandestins" ou "sans papiers", seraient plusieurs milliers à Gaza. Certains avancent même le nombre de 10.000 à 15.000.
Au "Délice", où on dévore des croissants frais en écoutant des chansons des stars du raï Cheb Mami ou Khaled, Radjaa, ingénieur en aéronautique, raconte son histoire, typique de tous ces Palestino-algériens pris au piège à Gaza.
Son père et sa mère, tous deux professeurs d'arabe et originaires de Gaza, sont partis en Algérie en 1963 à l'appel des nouvelles autorités qui souhaitaient arabiser l'enseignement.
Lui-même, né en 1967 à Blida, près d'Alger, après toutes ces années passées en Algérie, a décidé de venir ici en octobre 1999, via le poste de Rafah, à l'extrême sud de la bande de Gaza, à la frontière avec l'Egypte.
Son entrée sur le territoire palestinien ne lui a été accordée par Israël que contre une déclaration sur l'honneur qu'il rentrerait en Algérie, son pays de résidence habituel, à l'issue de son séjour.
Aujourd'hui, l'autorisation israélienne, valable un mois et renouvelable trois fois au maximum, délivrée uniquement pour rendre visite à des parents, est largement dépassée.
Le jeune homme ne dispose comme titre d'identité que d'un document de voyage égyptien pour réfugiés palestiniens, qui expire en 2002.
"Je suis dans l'illégalité à Gaza. Je ne peux pas acheter de voiture ou de propriété ni exercer de commerce, ni même participer aux élections. Même si je suis marié à une Algérienne, je ne peux plus rentrer en Algérie, car ma carte de résident là-bas est périmée. Je ne suis ni Palestinien ni Algérien, ni Egyptien. Je n'existe pas. Et en plus, si les Israéliens m'arrêtent à un barrage, ils m'expulseront alors que ma famille est ici", explique-t-il.
Mohammed, qui a vécu à Tipaza, près d'Alger, de 1968 à 1996, est dans la même situation.
Ingénieur en mécanique, il est chômeur après avoir été vendeur de bananes et de gâteaux à la sauvette.
"Mon document de voyage est périmé. Je n'ai droit à aucun traitement médical car je ne dispose pas de sécurité sociale et je ne peux pas me marier, faute de papiers et de travail. Je ne sais pas comment j'arrive à vivre. Heureusement qu'il y a les amis qui me prêtent de l'argent", dit-il.
Iyad, comme Radjaa, né à Blida et venu à Gaza grâce aux accords d'autonomie, a eu plus de chance. Officier d'un des services de sécurité palestiniens, il dispose du document magique: une carte d'identité délivrée par l'Autorité palestinienne.
A ses côtés, Radjaa, le jeune ingénieur, est amer: "Les autorités palestiniennes m'ont reconnu durant 30 ans, et maintenant que j'ai les pieds sur un territoire palestinien, elles font comme si je n'existais pas".
                             
8. A l'hôpital Wafa, les grands blessés de l'Intifada réapprennent à vivre par Erwan Jourand
Dépêche de l'Agence France Presse du lundi 30 avril 2001, 9h35
GAZA - A l'hôpital Wafa de Gaza, les grands blessés de l'Intifada, le soulèvement palestinien qui a débuté il y a sept mois, réapprennent lentement à vivre.
Touchés par des balles, des éclats d'obus ou de missiles israéliens, ils arrivent dans ce petit établissement hospitalier spécialisé pour être pris en charge avant un éventuel retour parmi les leurs.
Ils sont atteints à 90% par balles et sont en partie ou totalement paralysés.
"Depuis le début de cette Intifada, nous avons traité 320 patients. Ce qui est énorme, comparé aux 450 soignés en cinq ans, depuis l'ouverture de l'hôpital en 1996", indique le Dr Khamis al-Esji, responsable médical.
Au hasard des salles de rééducation de cet hôpital spécialisé financé par des donations privées, dans les chambres où sont alités des adolescents ou des adultes, médecins et physiothérapeutes sont au travail.
L'établissement dispose de l'équipement pour aider ceux qui, atteints à la moelle épinière ou au cerveau, sont paralysés d'un ou de plusieurs membres, à recouvrer une partie de leur motricité.
Stimulation électrique des muscles, hydrothérapie, massages thérapeutiques, gymnastique médicale, entraînement à exécuter les gestes de la vie ordinaire, toutes les techniques pour tenter de redonner à ces grands invalides de l'Intifada le goût de vivre sont utilisées.
Le travail des 15 physiothérapeutes employés à l'hôpital Wafa, situé dans une banlieue industrielle du nord de la bande de Gaza, ou au sud, à Khan Younès ou à Rafah, est parfois payant.
Oussama Abou Kheres, 36 ans, hémiplégique, pédale avec application sur une bicyclette d'exercice dans la salle de gymnastique de l'établissement. Il a été blessé par une balle qui lui a traversé le cerveau dans le camp de réfugiés de Khan Younès le 12 décembre.
"Il est arrivé complètement paralysé du côté droit", explique le Dr al-Esji. Abou Kheres, un homme robuste au teint mat vêtu d'une grande galabieh, l'ample vêtement de coton porté dans la région, doit se faire aider par un assistant lorsque ses pieds quittent accidentellement les pédales de la machine.
"Il ne peut pas encore bouger le côté droit de son corps comme il le voudrait", dit le médecin palestinien.
Certains autres patients en revanche n'ont vu aucune amélioration de leur état, en dépit des efforts et des physiothérapeutes. Dans une chambre bien aérée, huit adolescents paralysés gisent sur leur lit, le regard infiniment triste.
Ils ont peu de chance de pouvoir retrouver une vie normale.
Leur histoire, racontée par les médecins, est la même. Tous sont des "chebab", des enfants de l'Intifada lanceurs de pierre.
Le praticien montre au journaliste de petites boursouflures violacées à la base du cou, du thorax ou du dos de ces jeunes gens paralysés par des projectiles israéliens qui ont sectionné la moelle épinière.
Ammar Abou Riach, 13 ans, touché à la tête, à une joue et au cou dans le camp de réfugiés de Rafah (sud) est tétraplégique. Mahmoud Sarha, 14 ans, atteint dans le cou, à Khan Younès (sud) est paralysé des membres inférieurs.
Certains de ces blessés ont, selon le Dr Esji, été touchés par des balles explosives comme Yasser Syam, 14 ans, blessé à Montaar, un quartier de Gaza.
Selon le Dr Esji, outre une paralysie des deux jambes, il a dû être opéré de l'abdomen en raison des dégâts internes causés par ce genre de projectile.
D'après le médecin, ce type de munitions est proscrit contre les civils, mais aussi contre les militaires, par les Conventions de Genève sur la conduite des conflits armés.
Israël a démenti à de nombreuses reprises les accusations palestiniennes selon lesquelles il utiliserait des munitions interdites ou des gaz toxiques dans sa répression de l'Intifada.
                     
9. Le Proche-Orient et l'antisémitisme en France par Xavier Ternisien
in Le Monde du mercredi 2 mai 2001

INDÉNIABLEMENT , le ton a changé. Plus inquiet, plus lourd, plus dur aussi. "Il y a maintenant une autre tension et une autre attention face à la grave crise du Proche-Orient entre Israéliens et Palestiniens", prévient Henri Hajdenberg. Le Congrès juif européen (CJE), qu'il préside, organisait un colloque sur l'antisémitisme dans les locaux de l'Unesco, les 23 et 24 avril à Paris. Les intervenants se sont livrés à une analyse des agressions à caractère antisémite de l'automne 2000 : plus d'une centaine recensées par les instances communautaires juives.
"On s'est trouvé confronté à des actes antijuifs venus de milieux arabo-musulmans de certaines banlieues", résume Me Hajdenberg. Le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) a éprouvé le besoin de préciser les déclarations qu'il avait faites en octobre, au plus fort de la crise. "J'avais déclaré qu'il y avait des violences antisémites, mais pas de crise d'antisémitisme dans la société française."
VIOLENCES D'UN TYPE NOUVEAU
Cette analyse reste "exacte", dit-il : "Ces violences antisémites n'ont pas trouvé leurs sources, leurs origines, dans les milieux traditionnellement antisémites de la société française. A notre connaissance, et à de très rares exceptions près, les milieux d'extrême droite antisémites n'ont pas été mêlés à ces agissements."
Pour Henri Hajdenberg, ces actes n'ont donc pas été perpétrés ou influencés par "un mouvement, une organisation, une structure". "Des images télévisées des ripostes israéliennes face à des enfants palestiniens ont pu troubler l'opinion", et parfois "la révolter", estime le président du CRIF. Mais les violences antisémites commises contre les biens et les personnes ne traduisent pas un mouvement de fond, ou encore un retour des vieux démons de l'extrême droite.
Il n'en reste pas moins vrai, selon Me Hajdenberg, qu'"une frange de la société française, certainement marginalisée mais représentative d'un certain milieu maghrébin, a manifesté violemment un courant non seulement antisioniste, mais antijuif".
Le ministre de l'intérieur, Daniel Vaillant, a dressé un bilan de ces violences d'un type nouveau. Les services de police et de gendarmerie ont dénombré cent seize faits de violence à caractère antisémite contre les biens et les personnes pour l'année 2000 (incendies de synagogues, jets de cocktails Molotov, violences physiques, etc.), contre seulement neuf en 1999. On a constaté aussi, en 2000, une augmentation très nette des actes d'intimidation antisémites : six cents, contre soixante l'année précédente. "Ces violences ont pour caractéristique d'avoir été commises pendant un laps de temps très bref, au cours de l'automne 2000", a souligné le ministre. "Sur l'ensemble des personnes interpellées, seules deux avaient des sympathies avérées pour l'extrême droite. Les autres voulaient surtout protester contre un sentiment d'exclusion de la société française." Pour le ministre de l'intérieur, la prévention de ces dérives passe par un renforcement de la "lutte contre la discrimination". Daniel Vaillant a tenu à rendre hommage aux responsables des cultes qui ont lancé, au plus fort de la crise, "un appel à la raison et au calme".
"CONFUSION PERNICIEUSE"
Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême droite, confirme ces analyses : "Les violences de cet automne n'ont pas été commises par des groupes d'extrême droite, ou par des intégristes musulmans organisés. Leurs auteurs étaient, pour la plupart, des jeunes non politisés et non islamisés, qui exprimaient un sentiment d'identification avec l'Intifada." Pour M. Camus, cette absence d'organisation n'est pas rassurante :"Elle signifie que ces jeunes agissent en dehors de tout contrôle..."
Récemment nommée présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, Simone Veil s'est inquiétée de la résurgence "d'un antisionisme qui se confond avec un antisémitisme" : "Pour les jeunes générations, les rôles se sont inversés. Dans le passé, Israël apparaissait comme un petit Etat menacé par ses voisins. Aujourd'hui, beaucoup de jeunes condamnent a priori Israël parce qu'il leur paraît le plus fort et qu'il bénéficie du soutien des Etats-Unis." Les violences de cet automne "n'ont pas suscité dans l'opinion et dans les médias la réprobation dont elles auraient fait l'objet dans d'autres circonstances", a regretté Mme Veil, sous les applaudissements du public.
Pour l'ancien ministre et membre du Conseil constitutionnel, "la situation n'est en rien comparable à celle des années 1930. Les seules références au passé sont malvenues pour juger de la situation actuelle". Cependant, juge Mme Veil, les événements de cet automne n'en sont pas moins "inquiétants pour l'avenir".
La présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah déplore, en matière de droits de l'homme, une "confusion pernicieuse" : "On ne peut pas mettre sur le même plan toutes les violations des droits de l'homme. Il y a une tendance aujourd'hui à interpréter tout conflit entre deux peuples comme un affrontement racial ou ethnique." Mme Veil souhaite désormais faire de la fondation qu'elle préside "un instrument de la conscience et de la mémoire française".
                 
10. Israël veut réécrire l’Histoire selon son idéologie entretien avec Hemdan Taha réalisé par Hala Fares et Amira Samir
in  Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 2 mai 2001

Jérusalem . Un congrès arabe pour préserver le patrimoine archéologique de la Ville sainte s'est tenu cette semaine à la Ligue arabe. Entretien avec Hemdan Taha, archéologue palestinien et directeur du département archéologique au sein de l'Autorité palestinienne.
— Al-Ahram Hebdo : Qu'est-ce qui a justifié la tenue urgente de ce congrès ?
— Hemdan Taha : Cette manifestation est d'une grande importance. Les autorités arabe et palestinienne cherchent à arrêter les abus et les violations commises par les Israéliens en Palestine. Ces derniers ont fait une demande à l'Unesco en juillet dernier à travers le comité national israélien de l'archéologie dans le but de placer 39 sites culturels arabes dont 28 archéologiques sur la liste du patrimoine mondial en tant que possessions israéliennes. Notre réunion visait à adopter une attitude arabe commune pour y faire face. Les 15 délégués présents sur les 22 membres de la ligue ont exprimé leur rejet des abus israéliens. Les 7 autres qui n'ont pas participé aux travaux ont exprimé leur appui aux recommandations. C'est un premier pas significatif pour que l'Unesco refuse la demande israélienne. Nous, les Arabes, nous ne devons pas nous limiter à réagir contre les abus des Israéliens, mais nous devons prendre l'initiative et présenter des demandes d'insertion des sites arabes sur la liste du patrimoine mondial.
— En quoi exactement la demande israélienne est-elle nocive pour les Arabes ?
— Parmi les sites proposés se trouvent Jérusalem, Aka (Acre), Massada et Mikatchim. Il y a aussi les vestiges des dix villes romaines de la région, dont une seule se trouve en Palestine, les autres étant situées en Jordanie et en Syrie. Ce qui est étrange, c'est que la demande présentée par le comité israélien n'a pas mentionné la Palestine. Les cartes présentées avec la demande ignorent complètement la Palestine. Les noms historiques connus sont changés. En plus de tout cela, Israël a demandé de changer les frontières de Jérusalem pour englober des lieux supplémentaires.
Il cherche à travers cette demande à avoir une souveraineté sur ces régions pour des desseins politiques. Mais cette tentative ne peut pas passer inaperçue et nous refusons qu'Israël utilise l'archéologie comme un moyen pour atteindre ses buts.
— Vous parlez d'abus et de violation de la part des Israéliens. Pouvez-vous clarifier votre idée ?
— Pendant les années de l’occupation, Israël a fouillé plus de 500 sites archéologiques dans la région, sans parler des vols continus des antiquités, ce qui a mené à appauvrir la région historiquement. Déjà au lendemain de la guerre des six jours, les Israéliens ont complètement détruit le quartier Al-Magharba accolé au quartier de la mosquée Al-Aqsa et ont effacé toutes ses traces. Ils ont ensuite effectué des fouilles dans les régions sud et ouest de l'Esplanade des mosquées qui ont duré de longues années dans le seul but de rechercher le temple de Salomon. Ces fouilles ont été faites par des organisations non spécialisées sous la direction du ministère israélien des Cultes qui agit en contradiction des normes de fouille internationales. Ce que les Israéliens ont découvert à l'époque, c'étaient les vestiges de quelques palais omeyades et des antiquités qui remontent à la période byzantine. Ces fouilles et recherches ont montré que l'histoire de la ville n'a aucune relation avec ce qui est dit dans la Bible. Ils ont creusé des tunnels sous la mosquée Al-Aqsa, ce qui a mené à la détérioration d'un monument islamique fondamental. On a plusieurs fois averti que ces fouilles représentaient un vrai danger.
— Pourtant, c'est le Département des antiquités en Israël qui vous accuse de mettre en danger le mur de la vieille ville de Jérusalem par vos fouilles et restaurations ....
— Ce n'est qu'une tentative d'Israël pour faire croire que les restaurations faites par les Palestiniens, notamment à l'intérieur de la mosquée Al-Aqsa, ne sont pas correctes. Je refuse cette accusation qui n'a aucun fondement. Ce que demande Israël est inconcevable pour la simple raison qu'il rejette tout contrôle international sur les fouilles. Il ne peut donner un tel jugement avant qu'il n'y ait une évaluation des travaux de la part d'institutions et d'organisations neutres. Il faut qu'il y ait un comité de spécialistes internationaux et d'archéologues palestiniens. Les accusations des Israéliens ne constituent que des tentatives de gagner plus de terrain dans la région en empêchant les Palestiniens de fouiller ou de restaurer.
— Les Israéliens persistent cependant dans leurs griefs et vous accusent de nuire à tous les sites à Jérusalem ?
— Ce ne sont que des mensonges. Il est bien connu que c'est le contraire. Ce sont eux qui détruisent depuis des années et nous avons nos preuves. Depuis 1967, les travaux de fouilles qui se déroulent sont une violation flagrante de toutes les lois et conventions internationales. Les Israéliens dénaturent l'aspect arabe et historique de la ville.
— Comment faites-vous pour traiter avec les autorités israéliennes ?
— Face aux autorités israéliennes nous brandissons toujours les lois et les conventions internationales. Tout ce que fait Israël dans la région depuis 1967 est une violation déclarée des lois et conventions internationales. Jérusalem, en tant que territoire occupé, devrait être gouvernée selon des accords internationaux. L’accord de La Haye de 1970 porte sur la protection de l'héritage culturel au moment des conflits, la 4e convention de Genève oblige l’autorité occupante à protéger les sites archéologiques et religieux. Les recommandations du congrès international des archéologues de New Delhi de 1956 interdit toute fouille dans un territoire occupé. Tous ces accords ne sont pas respectés par les Israéliens qui n’ont jamais arrêté les excavations depuis 1967. L'Unesco surveille le travail dans la région, mais la saison dernière, les responsables israéliens ont interdit aux contrôleurs de l'organisation de mener leur tâche et de surveiller les travaux de fouille. Voire, ils leur ont interdit l'accès au site.
— Comment expliquer ces menées israéliennes ?
— L'affaire est essentiellement politique. Israël a complètement changé la configuration de la ville de Jérusalem par les fouilles qu'il mène. Il vise à changer ou plutôt à réécrire l’histoire de la région conformément à son histoire et ses idéologies politiques. Les fouilles sous la mosquée d’Al-Aqsa et sous le Dôme du Rocher ont mené à un changement radical de l'identité arabe et historique de la ville. Leur poursuite et l’absence de tout contrôle constituent un grand danger et une vraie menace pour les constructions et l’infrastructure de la mosquée Al-Aqsa. Si Israël réussit à imposer ses idées sur le plan international, il lui sera donc plus facile d'imposer sa souveraineté sur Jérusalem et par la suite, il aura le droit de consacrer la ville comme capitale d'Israël.
— A votre avis, quelle sera la réaction de l'Unesco vis-à-vis de ce problème ?
— C'est un vrai problème pour l'Unesco, surtout que l'organisation subit beaucoup de pressions de la part d'un certain nombre de pays membres. Déjà, le Conseil mondial pour la conservation et la restauration du patrimoine, dont le siège est à Rome, et qui est responsable d'évaluer les sites susceptibles de figurer sur la liste du patrimoine mondial, a entamé son travail à Jérusalem immédiatement après la demande israélienne, sans attendre la décision de l'Unesco.
                   
11. Sharon et les illusions perdues par Ibrahim Nafie
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 2 mai 2001

Le retour de Sharon au pouvoir en Israël, avec à ses côtés un ensemble d'extrémistes, n'est pas un hasard. Cela tient à de nombreuses interactions à l'intérieur de la société israélienne, qui vit une véritable crise puisqu'elle est incapable de régler non seulement ses problèmes intérieurs, mais aussi le conflit arabo-israélien.
Les objectifs irréalistes de Sharon tiennent à la nature et aux constantes de sa personnalité extrémiste et sanguinaire, qui lui a d'ailleurs valu la condamnation du comité Kahane chargé de déterminer la responsabilité des violations commises lors de l'invasion israélienne au Liban. Ce comité avait demandé sa destitution du poste de ministre de la Défense. Depuis, Sharon s'est totalement consacré à contester le principe même du processus de paix et soutient activement les colons venus annexer le plus de terres possible en Cisjordanie.
Lorsque le processus de règlement politique a commencé avec la Conférence de Madrid (octobre 1991) et toute la série d'accords qui s'ensuivit avec les Palestiniens, Sharon resta étranger aux événements et devint l'une des figures les plus hostiles à l'esprit même du processus de règlement politique, ainsi qu'aux obligations d'une réconciliation historique.
A mon avis, le problème majeur au Moyen-Orient a commencé avec l'assassinat de l'ex-premier ministre israélien Itzhak Rabin (novembre 1995). Cet événement a en fait conduit à un effet de vide dans le commandement politique israélien : le commandement, capable de prendre des décisions d'avenir ayant le courage de respecter les accords conclus et leur exécution, semblait alors avoir disparu.
Le choix de Sharon a donc été fonction de l'échec de Barak à réaliser les progrès désirés dans le processus de paix. Sharon est arrivé au pouvoir avec en tête un ensemble d'idées insensées et la volonté d'arrêter l'Intifada, voire de l'anéantir par le recours à la force militaire. L'objectif était de détruire le peuple par l'usure et son Autorité pour l'obliger à adhérer aux visions de Sharon, et renoncer à toute tentative de résistance.
Sharon était persuadé que le Etats arabes voisins ne procéderaient jamais à des actes de solidarité ou de soutien au peuple palestinien. Israël est à même de proférer ses menaces contre l'Etat arabe qui s'aviserait à appuyer le peuple palestinien. C'est tantôt la menace d'attaquer le Haut-Barrage, tantôt la diffusion d'un ensemble de mensonges concernant la position de l'Egypte ou encore l'accusation de fournir des armes au côté palestinien. L'ultime objectif est d'empêcher l'appui de l'Egypte au peuple palestinien ... Et que signifie l'attaque des positions syriennes au Liban sinon un message adressé au Liban et à la Syrie ?
Sharon a commencé par parier sur sa capacité militaire à mettre fin aux affrontements avec le peuple palestinien pour envisager la possibilité par la suite de dicter ses conditions à ce dernier ainsi qu'aux Syriens et à tous les voisins. L'expérience des dernières semaines a toutefois montré que les idées qui préoccupent Sharon ne sont en fait que de vaines fictions. Loin de soumettre le peuple palestinien, les opérations d'agression que commettent les forces israéliennes le poussent au contraire à plus de résistance et d'insistance à la lutte en dépit de capacités d'armement très limitées. La foi dans les droits légitimes munit le peuple d'une force bien supérieure à celle des armes réelles.
Quant à l'illusion majeure qui consiste à semer la discorde entre Etats arabes, à propager des menaces terroristes pour bloquer leur soutien — matériel et politique — aux Palestiniens, il n'empêchera jamais les Etats arabes à soutenir la lutte palestinienne pour ses droits légitimes. Si les Etats arabes ont affirmé à maintes reprises que la paix était pour eux l'option stratégique, cela n'implique pas l'absence d'autres options possibles.
Le président Moubarak a toujours exprimé ces vérités, que ce soit dans ses discours ou lors de ses visites à l'étranger. Le président a mis Sharon en garde contre la violation des lignes rouges, ou la prétention illusoire de mettre fin au conflit par les armes. Moubarak l'a dit clairement : « La violence ne conduira en aucun cas à la sécurité ».
Quant aux déclarations des Israéliens, l'ancien ministre Youssi Beilin a estimé dans un article publié dans le Herald Tribune que « n'importe quel homme qui croit au droit juif en un Etat, une paix et une vie normale, doit absolument fournir les efforts nécessaires pour une reprise du dialogue politique pour arriver à un règlement définitif mais aussi mettre des limites fixes à Israël ».
Il est également étonnant que Thomas Friedman, connu pour son parti pris en faveur d'Israël, écrive dans un article au Herald Tribune : « La première démarche à faire de la part des Etats-Unis est de dire la vérité, c'est-à-dire de faire savoir à Israël que les Etats-Unis seront toujours à ses cotés tant qu'il s'agit de défendre un Etat hébreu à l'intérieur de frontières sécurisées. Mais ils ne défendront jamais l'occupation israélienne éternelle de la Cisjordanie et condamnent la confiscation des terres palestiniennes pour la construction de colonies ».
La région ne peut plus supporter les aventures et les calculs insensés de l'illusion d'une suprématie militaire. Ces calculs auront nécessairement des effets négatifs sur toutes les populations et les Etats de la région sans exception. Israël sera en tête des parties qui auront à payer les « illusions de Sharon ».
                 
12. Le temps et l'espace d'Ariel Sharon par Sylvain Cypel
in Le Monde du mardi 24 avril 2001

"La guerre d'indépendance n'est pas terminée. Non, 1948 ne fut que le premier chapitre" d'une histoire qui reste à écrire. Mais qu'a voulu signifier Ariel Sharon par cette phrase sibylline ? Le premier ministre israélien, dans l'étonnant entretien qu'il a accordé au quotidien israélien Haaretz (Le Monde du 18 avril), donne lui-même les clés pour comprendre. L'homme s'y dévoile avec une franchise confondante. Non, "il n'y a pas de nouveau Sharon (...). Je n'ai pas changé." Et de balayer l'idée d'être "un de Gaulle israélien". Avec sincérité, candeur presque, il révèle son univers mental et politique. Sa vision divise les Palestiniens entre les "bons", qui n'ont d'autre ambition que de "ramener du pain à la maison et d'élever leurs enfants", et ceux qui auraient des aspirations plus politiques, forcément "impliqués dans le terrorisme".
Un univers profondément empreint de la nostalgie d'un homme de soixante-treize ans pour la période héroïque du sionisme. "Toute ma vie s'est passée dans ce conflit." Et de se souvenir des "troubles de 1937"(la révolte palestinienne contre le mandat britannique), des "jours les plus difficiles de la guerre d'indépendance"(1948), de la tension accompagnant "la préparation de la guerre de six jours" (1967). Les Israéliens étaient moins forts qu'aujourd'hui. Mais, alors, un "esprit" conquérant les animait. "Jamais il n'a vacillé. Car nous savions que nous allions quelque part ; nous faisions partie de quelque chose (...) qui va toujours de l'avant. De l'avant." Et de se lamenter sur le "moral" insuffisant de la nation israélienne aujourd'hui.
Ce "quelque chose"qui régnait dans les temps glorieux et qu'il faut restaurer, Sharon le désigne plusieurs fois : c'est "le sionisme", du moins tel que lui l'entend. C'est d'ailleurs plus pour des motifs idéologiques que sécuritaires qu'il refuse d'évacuer la moindre colonie. Question : "Pas même des colonies isolées ?" "Non. A aucun prix(...). Tout d'abord parce qu'elles ont une importance sioniste..." D'où aussi la volonté - déjà manifestée par sa ministre de l'éducation, qui a mis à l'index un livre scolaire d'histoire jugé non sioniste - de "rétablir l'instruction dans le sens des valeurs sionistes".
Le rapport entre tout cela et l'inachèvement de la guerre de 1948 ? Il se retrouve dans ces phrases : "Certes, le monde est aujourd'hui différent, plus ouvert. Mais je pense que ce qui était vrai avant l'établissement de l'Etat d'Israël reste vrai (...). Rien n'a changé fondamentalement." Et encore : "Aujourd'hui, les gens ne s'excitent plus beaucoup à l'idée de gagner 1 hectare, et encore 1 hectare toujours."
DU BEN GOURION DANS LE TEXTE
On croirait entendre du... Ben Gourion dans le texte.
Pas le Ben Gourion socialiste, mais le nationaliste qui fit du chef de commandos Ariel Sharon son chien fou préféré dans les années 1950. Que disait le père fondateur d'Israël, en 1947, pour persuader ses partisans d'accepter la partition de la Palestine ? "Dès que nous serons devenus puissants, une fois notre Etat établi, nous l'annulerons -la partition- et nous nous étendrons sur tout le territoire d'Israël."La conséquence est tout entière dans cette autre phrase, au lendemain de la guerre d'indépendance (1948) : "Nous en avons encore pour cent ans."Sharon s'inscrit dans cette veine-là. Israël, il en est convaincu, n'est pas à l'aube d'être accepté par le monde arabe. "Combattre a été et reste la charge de ma génération. Telle sera celle des générations à venir." "Le chemin est encore très long. Il exige patience, sérénité et volonté. Beaucoup de volonté."
C'est ce rapport au temps (à la fois figé et sans limite) et à l'espace (la terre, les frontières) qui structure la pensée d'Ariel Sharon. C'est lui qui explique pourquoi "la guerre d'indépendance n'est pas terminée" tant qu'elle n'a pas permis de posséder "tout le territoire d'Israël", c'est-à-dire toute la Palestine mandataire. Le plan qu'il propose aux Palestiniens le confirme, qui maintient la souveraineté israélienne de la Méditerranée au Jourdain. C'est cette conception d'un conflit sans terme prévisible qui explique qu'Israël n'ait jamais fixé ses propres frontières. L'Etat hébreu n'a même jamais formellement explicité les frontières qu'il revendique. Car l'idée est d'"aller toujours de l'avant" par des faits accomplis.
Dans cette région, dit encore Ariel Sharon, "chaque pas est irréversible". Or c'est précisément cette idée-là qui fut la grande victime des accords d'Oslo (1993). La logique d'Oslo, c'était deux Etats sur une même terre. Avec, pour chaque peuple, Israélien et Palestinien, des frontières définitives. A l'inverse, pour les adversaires israéliens d'Oslo, dont Sharon a toujours fait partie, l'épopée sioniste perdure. D'où l'idée que "1948 n'a été que le premier chapitre" d'un livre qui amène à ce "quelque part" que M. Sharon se garde de nommer. Et si les Palestiniens n'acceptent pas ? Alors il faudra se battre et être patient. Car "le temps ne joue pas contre nous". Il faut donc, d'abord, frapper les "terroristes" jusqu'à ce qu'ils admettent que leurs espoirs sont vains. Politiquement, il faut gagner du temps : un accord de paix final lui semble "une ambition trop prétentieuse". Lui propose "une autre voie : aller par étapes vers une solution à long terme". En commençant par un accord intérimaire sur dix ou quinze ans. Et il faut "aller de l'avant", "1 hec- tare, encore 1 hectare" : prendre possession de leur territoire.
MAILLER LES ZONES D'HABITATION
Ce ne sont pas là de vaines paroles. Le 23 mars, le ministère israélien du logement a annoncé la construction de 3 000 logements supplémentaires à Har Homa (Abou Ghneim, à Jérusalem-Est). Le 5 avril s'y sont ajoutés 700 bâtiments dans deux autres colonies. Un responsable du mouvement La Paix maintenant, Yossi Raz, a eu connaissance d'un plan gouvernemental pour une nouvelle colonie (6 000 maisons), Gvaot, en Cisjordanie. Avant Pâque, la Compagnie du développement du quartier juif à Jérusalem - celui de la Vieille Ville -, un organisme parapublic, a présenté son "plan 2000-2004 de développement du quartier juif et ses environs". Comme l'a écrit l'éditorialiste israélien Akiva Eldar : ici, "le mot-clé est "environs"". Le projet a pour but de mailler toutes les zones d'habitation palestiniennes de population israélienne pour empêcher toute partition de la souveraineté sur la ville selon l'identité des habitants (les quartiers habités par des Juifs à Israël, ceux habités par des Arabes aux Palestiniens, comme ce fut envisagé à Camp David).
Cette vision des choses, si passéiste, d'un homme qui semble n'avoir rien oublié ni rien appris - du sang et des larmes pour ses concitoyens, l'oppression et l'humiliation pour les Palestiniens - peut-elle faire office de stratégie politique ? Sharon est convaincu que, jusqu'ici, l'Histoire lui donne raison. Depuis 1967, les "faits accomplis" israéliens dans les territoires occupés n'ont-ils pas fini, de facto, par être avalisés par la communauté internationale ?
On retrouve là encore l'enseignement bengourioniste. Cependant, Sharon ne retient de l'homme qui l'a couvé lorsqu'il était jeune commandant que les facettes qui l'arrangent : le Ben Gourion manœuvrier, l'homme du "plan D" secret d'expulsion des Palestiniens en 1948, le Ben Gourion d'un moment particulier de l'Histoire. Ben Gourion était bien plus que cela, et tout d'abord un homme d'Etat pragmatique. On l'a oublié, mais dans le vent d'euphorie qui suivit la victoire de 1967, à plusieurs reprises, le fondateur de l'Etat d'Israël avait mis en garde ses compatriotes contre le risque d'une domination, sur le long terme, d'une population arabe maintenue dans l'oppression. Aujourd'hui, Ben Gourion n'aurait sans doute jamais affirmé que "rien n'a changé fondamentalement"depuis cinquante-trois ans.