Point d'information Palestine > N°144 du 24/04/2001
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Association loi 1901 - Membre de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux (Trésorier)
Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
               
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Au sommaire
  • Témoignage - Cours Tarek ! de Nathalie Laillet, citoyenne de Naplouse en Palestine
  • Prochain rendez-vous - 8 heures pour la Palestine le samedi 5 mai 2001 à Nantes
  • Dernière parution - Palestine / Israël, la paix ou l'apartheid ? par Marwan Bishara (La Découverte)
  • Réseau - Déclaration du Porte-parole du Quai d'Orsay le vendredi 20 avril 2001- Question de Georges Hage à l'Assemblée Nationale le mercredi 18 avril 2001
Revue de presse
  1. Jean-Marie Gaubert, un militant de la cause palestinienne par Mouna Naïm in Le Monde du mardi 24 avril 2001
  2. "Des événements en chaîne peuvent provoquer une escalade et aboutir à la guerre" - Entretien avec Edward Djeredjian réalisé par Sylvain Cypel in Le Monde du mardi 24 avril 2001
  3. "Moins il y aura de contacts entre eux et nous et mieux ça vaudra" par Gilles Paris in Le Monde du mardi 24 avril 2001
  4. Mgr Sabbah : "Rétablir les droits des Palestiniens" par Pierre Barbancey in L'Humanité du lundi 23 avril 2001
  5. Arafat à l'école de Ben Gourion par Didier François in Libération du lundi 23 avril 2001
  6. L'ex-conseiller de Clinton, Robert Malley : "Le règlement du conflit n'est plus à l'ordre du jour" propos recueillis par José Garçon in Libération du lundi 23 avril 2001
  7. Le laboratoire de la guerre asymétrique - Entretien avec Marwan Bishara réalisé par Pierre Barbancey
    in L'Humanité du samedi 21 avril 2001
  8. "Il n'y a qu'aux juifs qu'on demande de payer un prix pour la paix" Entretien avec Ariel Sharon in Le Figaro du samedi 21 avril 2001
  9. Jusqu'où ira Sharon ? par Walid Charara in Le Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 20 avril 2001
  10. La vraie question par Ewen MacAskill in The Guardian (quotidien britannique), samedi 14 avril 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  11. Les seules options possibles par David Newman in The Jerusalem Post (quotidien israélien) du mercredi 11 avril 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  12. Comment les Irakiens font-ils face aux nécessités de la vie ? par Fatin Qubaïsy in Al-Safir (quotidien libanais) du lundi 2 avril 2001 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
                    
Témoignage

                 
Cours Tarek ! de Nathalie Laillet, citoyenne de Naplouse en Palestine
Jeudi 12 avril 2001 - Les maisons détruites a Khan Younes. C'est la qu'habite, pardon, qu'habitait, Tareq. Depuis hier, il n'a plus de maison. Plus de lit. Plus de cahier. Plus de jouets. Plus de vêtements. A minuit, les obus ont commence a tomber. A minuit, il dormait bien évidemment. On va se coucher tôt dans les camps de réfugiés. Il n'y a rien a faire. Pas de cinéma et surtout pas d'argent pour y aller. Alors, il dormait. Les bruits des bombes. Sa maman qui le réveille en sursaut. Pas le temps de s'habiller, tout le monde dehors! Il est encore endormi, la tête dans ses rêves. Les bombes, les chars, les hélicoptères. Il faut courir, courir devant les chars. Pour ne pas mourir. Les petits yeux de Tareq se lèvent vers ce monde d'adultes affoles, terrifies. Il a compris. Il a déjà
compris qu'on voulait encore le tuer. Alors, il ne demande rien. Il court avec les autres. Devant les chars. Il court dans la nuit. Les lumières sont coupées, il fait noir. Le bruit des bombes. Encore. Les balles. Les balles traçantes qui déchirent la nuit. Le feu qui embrase les maisons touchées par les obus. Il court droit devant lui, avec ses frères et sœurs, ses copains, ses parents. Sans se retourner. Sans réfléchir. Instinct de survie. Il court. Il pensera, réfléchira après. Il souffrira après. Quand il ne retrouvera plus son ours en peluche ou son tee shirt préféré. Pour l'instant, il court. Il baisse la têtes sous le bruit des balles. Il court avec Hanin, si douce. Elle doit pleurer en silence sans faire de bruit, pour ne pas attirer l'attention sur elle. Il court avec le vieux monsieur voûté a la moustache blanche qui nous a offert le thé. Il court avec les shebabs, Abed, Yad, Islam et les autres. Déjà, des rumeurs. Un de leurs voisins serait mort. On verra après. Lui, il court. Il court jusqu'au bout du monde, jusqu'au bout du camp. Dans la nuit, les bombes, les larmes, la peur.
A Cinq heures du matin, les bombes ne tombent plus. Le jour se lève. Le soleil brille dans le ciel de Gaza. Pas dans le cœur de Tareq et de ses copains. Il revient doucement, en marchant cette fois. Il revient vers l'endroit ou hier encore il habitait. Vers sa maison. Qu'est ce qu'une maison pour un gosse de 4 ans ? L'univers tout entier....Il revient vers son univers. Vers sa maison de 3 mètres sur 3, au toit de tôle, à l'unique fenêtre, aux murs de parpaings. Il ne la voit plus. Il n'y a plus de maison.
Plus de rue. Les endroits ou il jouait avec ses copains, les meilleurs cachettes qu'il avait trouvées pour jouer a cache-cache, ne sont plus la. Par terre, des débris de maison. De sa maison. La, sous les parpaings, ses vêtements, son ours, ses trésors a lui. Dans la poussière. Enfouis. Il ne les voit pas. Il ne voit que son père qui cherche tant bien que mal a retrouver quelques petites choses. Il ne voit que sa mère, assise par terre, la tête dans les mains et qui pleure. Il ne voit que ses grands frères dont le regard plein de haine se tourne vers le groupe de colonies du Goush Katif. Le poing lève. Ses yeux a lui se lèvent vers ce monde de fous. Il a 4 ans et on a déjà voulu le tuer plusieurs fois. Dans 10 ans, si dieu lui prête vie, il lancera des pierres. Comment l'en blâmer ? Dites-moi donc qui sont les auteurs de la violence a Khan Younes ? Qui doit "cesser les violences" ? Il regarde sa maison détruite, il entend la haine monter des poitrines de ses aines, il voit les pleurs, il connaît déjà l'odeur de son propre sang. Hanin est toujours près de lui. Alors parce que ca fait trop mal, parce qu'il ne veut pas qu'on le voit pleurer, il se remet a courir. Il fuit encore. Il court jusqu'au bout du camp, jusqu'au bout du monde. Pour hurler a la face du monde son droit a la justice et a la paix. Cours, Tareq, et va dire au monde que tu ne veux qu'une chose : Vivre !
               
Prochain rendez-vous

              
8 heures pour la Palestine le samedi 5 mai 2001 à Nantes
Une manifestation organisée par un collectif d'associations nantaises (Association Médicale Franco-Palestinienne - Pays de Loire Gaza Jérusalem - Ligue des Droits de l'Homme - CCFD - Bien Jouer - Enfants Réfugiés du Monde Pays de Loire - Gasprom) à la Maison de Quartier de Doulon - 1, rue de la Basse Chesnaie - 44300 Nantes - Entrée libre jusqu'à 21 heures -
- PROGRAMME :
15 H - Projections de plusieurs films suivis de débats "Palestine, histoire d'une Terre" (2nde partie) de Simone Bitton (55 mn) - "Une enfance de pierre" de Jean Lafontaine (20 mn) - "Les enfants de Chatila" de Mai Masri (30 mn) - "Les Esclaves de la Mémoire" de Eyal Sivan (90 mn) - "L'espoir voilé" de Norma Marcos (55 mn) - "L'olivier" de Liana Badr (36mn).
17 H - Conférence débat en présence de Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine en France, aini que d'un universitaire de retour d'une mission d'information en Palestine et d'un responsable national du CCFD.
19 H - Buffet palestinien, table de presse, broderies, expositions.
21 H - Soirée culturelle (Entrée : 30 F)
Récital de poésie de Mustapha Ateek suivi d'un concert du groupe A'Arass.
[Renseignements : 02 51 72 01 23 - E-mail : amfp.erm@libertysurf.fr]
              
Dernière parution

            
Palestine / Israël, la paix ou l'apartheid ? par Marwan Bishara
aux éditions La Découverte
[Collection "Sur le vif" - 128 pages - 42 francs - Avril 2001 - ISBN : 2707134244]
Marwan Bishara, écrivain et journaliste palestinien, est chercheur à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris). Il est notamment l'auteur de Bill Clinton and the Middle-East (Al Saqi, Londres) ; Israel Religious Fundamentalism (PCRS, Naplouse) ; The Second Israël (à paraître). Il collabore régulièrement à plusieurs journaux : International Herald Tribune (Paris), Le Monde, Al Hayat Daily (Londres), Woz (Zurich).
Marwan Bishara est un des principaux commentateurs palestiniens sur la région, dans ce livre, il explique les causes profondes et les enjeux de la "deuxième Intifada". Revenant aux accords d'Oslo en 1993, il montre comment l'asymétrie entre les Palestiniens (les occupés) et les Israéliens (les occupants) a été ignorée par ceux qui ont parrainé ces négociations, notamment les États-Unis. Et comment ce processus de transition mal conçu a contribué à la mise en place du système d'apartheid et d'occupation actuel.
Contrairement à l'opinion courante et à l'optimisme de surface qui ont caractérisé l'attitude occidentale vis-à-vis du processus de paix, cet ouvrage montre que celui-ci était condamné à l'échec dès l'origine. Depuis les cérémonies d'Oslo jusqu'au massacre sur l'Esplanade des Mosquées en septembre 2000, les sept accords signés ont produit sept années de prospérité pour les Israéliens et sept années de misère pour les Palestiniens.
Mais plutôt que de s'affliger de l'échec du processus, Marwan Bishara invite le lecteur à regarder en avant. Examinant lucidement les enjeux démographiques, politiques et sécuritaires, il explore les voies qui permettront de parvenir à une solution juste et durable du conflit israélo-palestinien.
            
Réseau
                    
Déclaration du Porte-parole du Quai d'Orsay le vendredi 20 avril 2001
- Deux jours de suite, M. Védrine a évoqué les possibilités de revoir l'accord d'association entre Israël et l'Union européenne, et avant-hier il a dit que plusieurs pays européens y pensent. Première questions : est-ce que vous pouvez nous donner le fond de la pensée de M. Védrine ? A quels pays faisait-il allusion ? Deuxièmement il a été question d'un document présenté par la France à la Commission : est-ce que vous pouvez nous dire la vérité sur cela, est-ce qu'il y a vraiment un document français sur ce sujet ?
- Sur le premier point : comme le ministre l'a dit le 18 avril 2001, et il l'a dit également à diverses radios, si un décalage devait continuer à apparaître entre l'objectif et le contenu de l'accord et ce qui se passe sur le terrain, cela finirait par poser un problème. Quel problème ? Il tient à la teneur de l'article 2 de l'Accord d'association qui dit que "les relations entre les parties de même que toutes les dispositions du présent accord se font dans le respect des Droits de l'Homme et des principes démocratiques qui inspirent leur politique interne et internationale et qui constituent un élément essentiel du présent accord".
Je n'ai pas d'autre commentaire à faire. Le ministre s'est exprimé de manière parfaitement claire.
- Selon M. Védrine, il y a plusieurs pays européens qui se posent ce problème. Lesquels ?
- Je ne suis pas leur porte-parole.
- Le Danemark, par exemple, la France aussi ?
- Je vous renvoie aux propos du ministre. Il n'a pas souhaité le préciser.
- Est-ce qu'il existe vraiment un "non paper" français sur le Proche-Orient ?
- Je n'ai pas à confirmer ou à démentir l'existence d'un "non paper".
- Bien que la presse en ait déjà fait mention depuis plusieurs jours, plusieurs semaines ?
- Nous ne commentons pas les rumeurs de presse.
- C'étaient des rumeurs ou des informations ?
- Dans ce cas, cela revient au même.
- N'est-il pas question justement de revoir le mécanisme d'aide européenne aux Palestiniens ? Parce que vous vous êtes félicités du retrait d'Israël, mais sous injonction américaine ? Est-ce que l'Union européenne, avec cette aide qu'elle donne, peut quand même avoir une influence politique sur le terrain, parce que c'est cela qui pose problème ? Vous êtes le plus grand partenaire ?
- L'influence politique, surtout dans cette région, elle dépend de beaucoup de facteurs, je ne pense pas qu'on puisse l'acheter. L'influence politique, elle doit se bâtir peu à peu à partir d'une volonté politique, la volonté d'être utile.
                     
Question de Georges Hage à l'Assemblée Nationale le mercredi 18 avril 2001
- Georges Hage, Député communiste - Si Ariel Sharon est venu à résipiscence (reconnaissance de sa faute avec amendement…), ce n'est certainement pas sous l'inspiration soudaine de l'avertissement évangélique prononcé sur le Mont des Oliviers : c'est que l'administration Bush a mis le holà ! En cela, elle fut plus prompte que la France à condamner l'intervention militaire israélienne ! Elle l'a fait toutefois de façon très mesurée, au regard de la gravité de cette escalade, propre à embraser le Proche Orient tout entier...
M. Sharon, égorgeur de Sabra et Shatila, n'a pas failli à sa réputation, cependant : se retirant de la bande de Gaza, il n'en a pas moins lancé un message sans équivoque : les règles du jeu sont désormais changées, a-t-il dit. De fait, depuis le début de la nouvelle Intifada, jamais Tsahal n'avait lancé une opération d'une telle envergure dans les territoire palestiniens autonomes. De plus, cette violation des accords d'autonomie succédait au bombardement des positions syriennes au Liban. Ce défi lancé au monde arabe et à la communauté internationale laisse entrevoir de graves dangers d'extension du conflit.
Monsieur le ministre des affaires étrangères, ne convient-il pas, comme vous le suggériez d'ailleurs vous-même, de faire preuve de courage politique, pour contraindre Israël à la raison avant qu'il ne soit trop tard ? La France ne devrait-elle pas saisir d'urgence le Conseil de sécurité afin que soit envoyée dans les territoires autonomes une force de protection ? Ne devrait-elle pas exiger une condamnation d'Israël et imposer une suspension de l'accord d'association avec l'Union européenne ?
Pour les incrédules et mécréants, si l'aventure il s'en trouve ici, je rappelle que le message du Mont des Oliviers est : " Remets ton glaive au fourreau car qui règne par le glaive périra par le glaive ! ". Dédié à Ariel Sharon !
- Hubert Védrine, Ministre des affaires étrangères - Le Gouvernement est aussi sensible que vous à l'extrême gravité de la situation, sans doute la plus explosive que nous ayons connue depuis dix ou quinze ans. Nous faisons donc tout ce que nous pouvons, non pour rétablir la confiance ou renouer immédiatement la négociation -l'entreprise serait illusoire-, mais pour arrêter l'engrenage. Saisir le Conseil de sécurité ? Nous l'avons fait il y a quelques semaines mais nous avons dû constater que le projet d'envoyer des observateurs supposait au préalable un accord entre les deux parties. L'idée a sans doute de l'avenir, mais nous n'en sommes pas au stade où elle pourrait se concrétiser. Il s'agit simplement aujourd'hui d'éviter le pire.
Certains pays songent en effet à s'appuyer sur les clauses de l'accord passé entre l'Union européenne et Israël pour mettre les dirigeants de ce pays devant leurs responsabilités. Le Conseil d'association doit se réunir prochainement et si l'écart devait rester aussi flagrant entre le contenu de l'accord et la situation sur le terrain, nul doute que l'Europe ne pourrait ignorer le problème.
                    
Revue de presse

                    
1. Jean-Marie Gaubert, un militant de la cause palestinienne par Mouna Naïm
in Le Monde du mardi 24 avril 2001

Président de la plate-forme des ONG françaises pour la Palestine, Jean-Marie Gaubert est mort, samedi 14 avril à Paris, à l'âge de quarante-neuf ans des suites d'un cancer. Il a été porté en terre vendredi 20 avril, dans son village natal de Capdenac, dans l'Aveyron.
Ceux qui ont collaboré avec Jean-Marie Gaubert, en tant que militant ou dans sa vie professionnelle, portent le deuil d'un homme dont la discrétion, la pudeur et la sobriété n'avaient d'égal que la générosité, la lucidité, l'efficacité et la fidélité à ses convictions, notamment le soutien aux droits du peuple palestinien. Obstiné, sobre et pudique, Jean-Marie Gaubert préférait aux fonctions de prestige le travail concret et efficace. Il était un militant de l'ombre, alors même qu'avec d'autres il a été à l'origine de nombreux projets et initiatives. Mais jamais il ne versa dans l'austérité obsessionnelle et quasi sacrificielle de ceux qui défendent une cause. C'était, assurent ses intimes, un bon vivant, très fin connaisseur de musique classique et d'architecture romane, un féru d'histoire et aussi un infatigable randonneur.
Lorsque, en octobre 1974, Jean-Marie Gaubert fonde l'Association médicale franco-palestinienne (AMFP) - avec les professeurs Paul Milliez, Marcel Francis-Kahn et Michel Larivière, ainsi que Marie-Claude Hamchari, veuve de Mahmoud Hamchari représentant de l'OLP en France, assassiné deux ans plus tôt -, il n'est pas un novice en politique.
Membre du PSU dès le début des années 1970, puis du PSUM (PSU maintenu), il participe à l'aventure de la Gauche ouvrière et paysanne et à celle de l'Organisation communiste des travailleurs.
C'est ce bref passage au sein de l'extrême gauche internationaliste qui semble avoir été déterminant dans son engagement pour la Palestine. L'AMFP, dont Jean-Marie Gaubert était devenu président en 1988, fut une des toutes premières structures pro-palestiniennes dans le paysage politique français. D'emblée, elle a soutenu l'OLP et le droit à l'autodétermination du peuple palestinien et s'y est employée aux plans politique et pratique - très centrée sur les camps palestiniens du Liban jusqu'en 1985, puis sur la Cisjordanie et la bande de Gaza, sans laisser tomber le Liban.
FIDÈLE À SES CONVICTIONS
Jean-Marie Gaubert fut également l'un des fondateurs, en 1985, du Comité de coordination international des ONG sur la question de Palestine (CICP), dont la création avait été décidée par l'Assemblée générale de l'ONU, sur proposition du Comité onusien pour la défense des droits inaliénables du peuple palestinien.
Le CICP, qui avait un secrétariat permanent à Genève, a notamment joué un rôle précurseur dans le dialogue israélo-palestinien, dans la mesure où il a servi de lieu semi-institutionnel de rencontre entre l'OLP et des ONG palestiniennes avec des ONG israéliennes, à un moment où une loi israélienne criminalisait toute rencontre avec l'OLP. Le CICP a également facilité des rencontres entre Palestiniens "de l'intérieur" et "de Tunis". Jean-Marie Gaubert a par ailleurs participé aux activités du Centre international d'information sur les prisonniers, déportés et disparus palestiniens et libanais, créé en juillet 1982 à Paris, lors de l'invasion israélienne du Liban. En 1993, il fut enfin l'un des principaux promoteurs de la plate-forme des ONG françaises pour la Palestine, qui comprend vingt et un membres.
Son combat ne se cantonnait pas à la Palestine. Il a été secrétaire général de la Ligue française pour les droits et la libération des peuples, depuis sa création en 1976, et a contribué à l'organisation de plusieurs sessions du Tribunal permanent des peuples, créé par le sénateur socialiste italien Lelio Basso, grande figure de la résistance italienne durant la seconde guerre mondiale. Son parcours professionnel reflète lui aussi sa fidélité à ses convictions. L'un des fondateurs d'Italiques, société coopérative ouvrière de production (Scop), Jean-Marie Gaubert a ensuite rejoint Incidences, une autre coopérative spécialisée dans la communication, dont il était le chef de production et l'administrateur. Parallèlement, il était très actif dans la confédération des Scop.
                    
2. "Des événements en chaîne peuvent provoquer une escalade et aboutir à la guerre" - Entretien avec Edward Djeredjian réalisé par Sylvain Cypel
in Le Monde du mardi 24 avril 2001

ARABISANT, directeur du James A. Baker Institute for Public Policy à l'Université Rice aux Etats-Unis, Edward Djeredjian a été ambassadeur en Syrie et en Israël et sous-secrétaire d'Etat chargé du Proche-Orient sous les administrations Bush et Clinton.
- "Comment expliquez-vous l'attitude du secrétaire d'Etat, Colin Powell, qui semble avoir quasiment intimé l'ordre à Israël de replier son armée du territoire palestinien où elle s'était introduite à Gaza ?
- La situation au Proche-Orient est devenue très dangereuse. Il existe un vrai risque d'escalade, qui peut aboutir à un vaste conflit armé. Je suis convaincu que ni les pays arabes ni Israël ne le souhaitent. Mais dans cette région, une étincelle peut faire que la violence débouche sur une large conflagration, même si aucune des parties prenantes ne l'a voulu. Là est le plus gros danger. C'est dans ce cadre qu'il faut replacer la déclaration de Colin Powell.
- Imaginez-vous une succession d'événements qui rendraient possible l'éclatement d'une guerre israélo-arabe ?
- Malheureusement, dans cette région, cela peut tout à fait survenir. Et il faut absolument l'empêcher. C'est pourquoi il faut imposer aux deux parties, israélienne et arabe, d'agir avec énormément de retenue. D'où l'attitude de Colin Powell. Car le soit-disant "processus de paix" n'a apporté aucun résultat positif. La négociation israélo-syrienne a échoué. Celle de Camp David, entre Israéliens et Palestiniens, également. Le prix de ces échecs, c'est, du côté arabe, une énorme frustration populaire. L'immense désespoir des Palestiniens, dont la vie n'a fait qu'empirer durant la longue période des pourparlers, s'est traduit par l'inti fada Al-Aqsa. Les Juifs d'Israël, eux, ont été sous le choc quand ils ont vu les Palestiniens d'Israël manifester leur solidarité avec ceux des territoires.
Ils en ont conclu qu'ils étaient menacés jusqu'au sein même de leur Etat. Aujourd'hui, les Israéliens considèrent massivement qu'après toutes ces négociations ils n'ont ni paix ni sécurité. C'est l'une des leçons que l'administration Bush a tirées : en diplomatie, on ne peut pas procéder sans tenir compte de l'opinion publique des parties.
"A cela, il faut ajouter le facteur Hezbollah. Ehoud Barak a pris la décision stratégique de se retirer unilatéralement du sud du Liban, alors qu'une négociation était engagée avec le président -syrien, Hafez El- Assad. Il voulait indiquer à Damas que la Syrie ne pouvait plus jouer de la "carte libanaise". Ensuite, le sommet Clinton-Assad, à Genève, a tourné court. Bilan : le Hezbollah a exploité le retrait israélien pour clamer : "Nous avons acquis par la lutte ce qu'aucune armée arabe n'a jamais obtenu d'Israël." Le message envoyé aux Palestiniens était clair : "Oubliez Oslo, nous vous avons montré la bonne voie." Lorsque Camp David a échoué, cette vision a commencé à trouver un écho jusqu'au sein même du Fatah, le parti de Yasser Arafat. Au final, vous avez le désespoir palestinien, la peur et la déception israéliennes, qui font un cocktail éminemment dangereux et rendent la situation imprévisible.
- Vous craignez des "dérapages incontrôlés"?
- Evidemment. On peut tout à fait imaginer une série d'événements en chaîne, qui provoque l'escalade et aboutisse à une nouvelle guerre israélo-arabe. Dans les sociétés proche-orientales, on peut facilement aller vers des dé- veloppements non souhaités par les régimes en place, par exemple s'ils se sentent menacés dans leur survie. On l'a vu en 1967. Hussein de Jordanie ne voulait pas la guerre. Mais il s'est trouvé obligé de s'y engager, à cause de l'"unité arabe" et de la pression de la rue, pour préserver sa monarchie. Il faut absolument restreindre la violence, reprendre la collaboration sécuritaire entre Israéliens et Palestiniens, qui permettra de relancer plus facilement les canaux de négociation. Pour cela, il faut que -le premier ministre israélien, Ariel- Sharon et l'Autorité palestinienne discutent.
- Que peuvent faire les Etats-Unis pour empêcher l'escalade entre Israéliens et Palestiniens ?
- Le défi consiste à réunir les parties, sur les fronts israélo-palestinien et aussi israélo-syrien, pour réamorcer les négociations. Il n'y a pas d'autre issue. A la fin, les deux camps devront finir par discuter de la paix. Autant que ce soit en évitant une guerre. Comme l'a dit Colin Powell, il n'y a pas de solution militaire au conflit israélo-palestinien. Mais combien d'Arabes et combien de Juifs devront encore mourir avant d'en arriver à l'inéluctable solution politique ? Aujourd'hui, effectivement, la situation profite à Saddam Hussein. Il joue avec succès la carte du nationalisme panarabe. Il pourrait être le principal bénéficiaire d'une guerre israélo-arabe.
Pourtant, je ne suis pas exagérément inquiet. Il reste de la place pour l'action diplomatique. Les Etats-Unis doivent définir une politique globale envers le monde arabe et musulman, du Maroc au golfe Arabo-Persique. Mais la nouvelle administration ne veut pas répéter les erreurs des démocrates. Elle n'est en fonctions que depuis trois mois. Il faut lui donner le temps. C'est l'affaire de quelques mois."
                    
3. "Moins il y aura de contacts entre eux et nous et mieux ça vaudra" par Gilles Paris
in Le Monde du mardi 24 avril 2001

NÉTIV HASAARA de notre envoyé spécial
La Ligne verte passe au bout des champs, à une bonne centaine de mètres de la clôture qui entoure le mochav, le village de Nétiv Haasara. Après, c'est la bande de Gaza et les colonies israéliennes d'Aley Sinaï, Dugit, Nisarit et Erez. Les trois tirs de mortiers palestiniens enregistrés à ce jour dans ce village, fondé en Israël au début des années quatre-vingt par des colons expulsés du Sinaï égyptien, sont tombés sur des terres agricoles. "Heureusement, ils n'ont pas fait de dégâts, ce sont des obus de faible puissance, ce sont des tirs de mortiers, pas les katiouchas du Hezbollah. Jusqu'à présent, il faut dire que ce n'est pas terrible", estime Yacov Weissmann.
Yacov et sa femme Alisa étaient absents du village lorsque le premier obus est tombé. Ils assurent ne pas avoir été surpris. "La frontière est si proche! Déjà, lors de la première Intifada, l'armée s'était opposée à une manifestation de Palestiniens qui voulaient monter au mochav", raconte Alisa. La haute clôture grillagée qui entoure Nétiv Haasara et le portail électrique imposant qui commande l'entrée principale donnent au village des allures de camp retranché.
"On nous a installé ce portail après les accords d'Oslo (signés en 1993), soi-disant pour nous rassurer, tout comme on nous a installé un mirador pour surveiller la plage", précise Yacov. Depuis les tirs, les habitants du village ont révisé les dispositions de défense passive. Ils ont vérifié l'état des masques à gaz dont ils disposent depuis la guerre du Golfe, il y a dix ans, et l'état de l'abri dont est pourvu chaque maison. "La routine", selon Yacov.
"LA RÉPLIQUE ISRAÉLIENNE A ÉTÉ MESURÉE"
Du village juché sur les dunes entre la mer et la route qui dessert Gaza, on aperçoit les toits de tôle du point de passage d'Erez et, un peu plus loin, les terres palestiniennes de Beit Hanoun dont l'armée israélienne avait brièvement pris le contrôle mardi 17 avril. "J'étais sûre que l'armée ne resterait pas à Beit Hanoun", déclare Alisa.
Elle et son mari sont convaincus que "la dissuasion" est "indispensable et obligatoire, parce qu'Israël ne peut pas rester sans rien faire, surtout après être parti du Liban la queue entre les jambes" en mai dernier. Mais ils pensent aussi que les militaires n'ont pas intérêt à rentrer dans les zones autonomes. "Moins il y aura de contacts entre eux et nous et mieux ça vaudra", assure Yacov.
"Arafat veut tester Sharon, lui faire commettre une faute pour que les Européens interviennent. Heureusement, pour l'instant, les tirs de mortiers ne sont pas massifs et ils n'ont pas encore fait de victimes, la réplique israélienne a été mesurée, les bombardements ont visé des bâtiments de la Force17 (la garde du président palestinien) qui étaient bien évidemment vides depuis longtemps. C'est encore de l'ordre de la guéguerre", estime Yacov.
Ni Alisa ni lui ne font de différence entre des tirs contre des colonies et des tirs qui tombent au-delà de la Ligne verte. Au contraire, les obus lancés sur le sol israélien montrent selon eux "le vrai visage d'Arafat". "Tout ce qui se passe depuis sept mois est plutôt bénéfique pour l'opinion israélienne", assure Yacov, "avant, il y avait une opposition entre la gauche, qui disait que les colonies étaient un obstacle à la paix, et la droite, qui assurait qu'elles étaient au contraire un obstacle à la guerre. Maintenant, on voit bien qu'Arafat ne fait pas de différence entre les colonies et Israël."
                 
4. Mgr Sabbah : "Rétablir les droits des Palestiniens" par Pierre Barbancey
in L'Humanité du lundi 23 avril 2001

Reçu vendredi par le Club de la presse arabe à Paris, Monseigneur Michel Sabbah, patriarche latin de Jérusalem, a dénoncé la violence qui secoue le Proche-Orient et " qui ne devrait pas être une situation normale pour les deux peuples ". La violence, a-t-il dit, " réside dans l'occupation militaire des territoires palestiniens. Si Israël veut la paix, cette occupation doit cesser ". Il a également rappelé que les Palestiniens ont déjà fait une concession de taille en ne demandant que 22 % de la Palestine historique, incluant Jérusalem-est et les lieux saints. " Cela signifie qu'Israël contrôlerait 78 % de cette entité historique. " Pour le patriarche latin, " la voie pour la paix et la sécurité - les deux peuples y ont droit - nécessite que les Palestiniens et les Israéliens soient amis. Pour cela, les Palestiniens doivent être rétablis dans leurs droits ". Il a ajouté : " Òtre pro palestinien ou pro israélien est inutile. Il faut aider les deux à faire la paix. "
Plus précisément interrogé sur l'attitude de l'Eglise (120 000 chrétiens vivent en Israël et 50 000 dans les territoires palestiniens), Michel Sabbah a souligné la position du Vatican " qui considère que le peuple palestinien est un peuple comme tous ceux de la Terre et qui doit avoir tous ses droits ". Selon lui, " Jérusalem doit être une ville de réconciliation, ce qui, pour l'Eglise de Jérusalem, signifie que ce qui est palestinien doit être respecté, c'est à dire rester palestinien ou le redevenir ". Le problème de Jérusalem " peut être réglé de différentes manières, c'est une question de volonté. Soit on établit une séparation entre l'est (palestinien) et l'ouest (israélien), soit on met en place une souveraineté partagée, ce qui nécessite tout d'abord la reconnaissance de la souveraineté palestinienne ". Côté religions, l'important étant " le respect du sentiment religieux pour garder la paix et la tranquillité dans les lieux saints ".
                
5. Arafat à l'école de Ben Gourion par Didier François
in Libération du lundi 23 avril 2001

A l’instar du leader juif avant 1948, il utilise les extrémistes..
Gaza envoyé spécial
Fatalistes, policiers et soldats palestiniens ont une nouvelle fois abandonné leurs quartiers, hier dès la fin de la matinée. Commissariats, casernes, cantonnements, tout ce qui ressemble à un bâtiment militaire a été vidé dans la crainte de représailles. Menace que personne, à Gaza, ne songe à prendre à la légère. «Le gouvernement d'Israël ne fait aucune distinction entre une attaque au mortier contre des villes et villages du Néguev et un attentat-suicide ou terroriste à Kfar Saba, a prévenu Raanan Gissin, porte-parole du Premier ministre, après l'attentat d'hier. L'Autorité palestinienne, ses forces de sécurité en assument l'entière responsabilité.» La revendication par les islamistes du Hamas de ce qu'ils appellent un «acte d'autodéfense» n'y a rien changé. Sharon a la conviction que seul Arafat peut mettre un terme au harcèlement des groupes armés. Depuis son élection, l'ex-général n'a eu de cesse de peser en ce sens sur le président palestinien. Ses diplomates diabolisent le vieux dirigeant, pendant que ses militaires prennent pour cibles les unités réputées parmi ses plus fidèles, au prétexte qu'elles collaborent avec les groupes clandestins, plutôt que de leur donner la chasse.
Position ambiguë. «C'est une stratégie extrêmement périlleuse qui nourrit le cycle de la violence», estime Mohamed Hamza, directeur du Centre national palestinien d'études stratégiques et conseiller très écouté dans les cercles dirigeants de Gaza. Il ne nie en rien les ambiguïtés de la position d'Arafat. «S'il le voulait, le raïs pourrait arrêter tous les membres des groupes extrémistes, islamistes ou autres. Il en a le pouvoir. Mais cela aurait un coût politique énorme. Car, s'il décidait d'user de coercition pour les remettre au pas sans avoir obtenu la moindre concession de la part des Israéliens, il deviendrait un simple pion chargé de garantir leur sécurité. Un rôle qu'il n'acceptera jamais. Alors, pour l'heure, il préfère coopérer avec ces forces qui se sont développées hors des secteurs organisés de l'Autorité.»
Cette attitude n'est pas sans rappeler paradoxalement celle d'un autre dirigeant nationaliste de la région, un certain David Gruen, passé à la postérité sous le pseudonyme de Ben Gourion. Président de l'Agence juive, embryon de l'Etat juif, et de sa branche armée, la Haganah, à partir de 1935, il combattit les Britanniques pour imposer la création d'Israël. Quand ses structures légales coopéraient partiellement avec la puissance tutélaire, son chef d'état-major coordonnait la résistance clandestine avec les différents groupes sionistes radicaux, dont ceux d'Abraham Stern ou de Menahem Begin, à travers le «Front uni de la révolte», mis sur pied en octobre 1945. La division du travail laissait à la Haganah la défense officielle des colonies juives face aux milices arabes, quand les extrémistes assumaient la responsabilité des opérations les plus sanglantes, attentats à la bombe, assassinats des représentants de la puissance coloniale, exécution des traîtres. L'autonomie des extrémistes était réelle et Ben Gourion ne les aimait guère, mais il sut jouer d'une ambivalence qui le renforçait dans ses négociations avec les émissaires de Londres.
«Le piège de la guerre civile». Durant leurs longs internements, les dirigeants militaires de l'Intifada ont eu tout loisir de dévorer les manuels d'histoire sioniste, fond de sauce des bibliothèques pénitentiaires. Tous savent que le mortier, alors baptisé «Davidenka» en référence à la fronde du jeune roi vainqueur de Goliath, fut l'une des premières armes développées par la Haganah. Et chacun se souvient comment Ben Gourion eut recours à la force pour briser les milices qui refusaient de passer sous sa coupe, une fois terminée la lutte de libération nationale, quand il s'agissait de bâtir un appareil d'Etat.
«Les radicaux feraient une grave erreur en voulant militariser l'Intifada à outrance, souligne Mohamed Hamza. La politique doit rester au centre de notre stratégie. Les territoires palestiniens ne sont pas le Liban, et le Hamas n'est pas le Hezbollah. Nous n'avons pas de soutiens extérieurs, et l'on touche à d'authentiques impératifs de sécurité pour Israël. Une escalade mal contrôlée aurait pour effet de souder l'opinion publique israélienne et de braquer la communauté internationale contre nous. C'est là toute la difficulté pour Yasser Arafat. Il doit éviter de tomber dans le piège de la guerre civile interpalestinienne que lui tendent les Israéliens, tout en s'assurant que la violence reste à un niveau limité.»
            
6. L'ex-conseiller de Clinton, Robert Malley : "Le règlement du conflit n'est plus à l'ordre du jour" propos recueillis par José Garçon
in Libération du lundi 23 avril 2001

Robert Malley, ex-conseiller du président Clinton pour le Proche-Orient, de passage à Paris, répond à Libération sur la situation dans la région.
- Assiste-t-on à l'enterrement de tout espoir de paix ?
- Un règlement du conflit n'est plus à l'ordre du jour. Ce n'est pas l'objectif de Sharon, et la nouvelle administration américaine a fait une croix sur la perspective d'un accord définitif entre Israël et Palestiniens.
- Quels sont les objectifs de Ariel Sharon ?
- Apparemment, un accord de non-belligérance à moyen ou long terme. Cela signifie pour lui un arrêt des hostilités et un renforcement des structures économiques de l'Autorité Palestinienne, peut-être même la création d'un Etat palestinien et certains compromis territoriaux, mais pas le règlement du problème des réfugiés, de Jérusalem ou des territoires. Sharon, persuadé que le temps joue en sa faveur, croit que la puissance d'Israël lui permet de coexister avec les Palestiniens et les Arabes, et même de prospérer, sans pour autant faire la paix. Cette vision n'est pas viable à long terme. La violence n'est pas viable non plus. La tragédie, c'est qu'il est plus difficile de sortir de cette impasse que d'y rester. L'autre question est de savoir quelle est la stratégie des Palestiniens. Après avoir rejeté les propositions de Barak et de Clinton, quelle alternative recherchent-ils? Cette question est décisive.
- Arafat peut-il multiplier les concessions sans entrer en conflit avec ses radicaux ?
- Il opère sur un terrain politique bien plus miné qu'un Premier ministre israélien. Pour les Palestiniens, accepter aujourd'hui un arrêt des hostilités contre la seule fin de l'encerclement israélien de leurs territoires, cela signifie qu'ils se sont battus quatre mois pour revenir au statu quo précédent. C'est l'impossibilité d'accepter cela pour Arafat qui condamne la stratégie de Sharon. Un volet politique (concessions immédiates d'Israël sur les colonies ou sur un transfert des territoires et reprise du processus de paix) est indispensable. Or, c'est sur ce point qu'achoppent les discussions qui n'ont pas cessé depuis l'élection de Sharon.
- Le refus de Sharon d'envisager de nouveaux retraits est-il une position de négociation ?
Il reflète son sentiment profond, mais il y a là une part tactique pour signifier qu'on n'obtiendra rien de lui par la violence et qu'il sera plus ouvert quand elle cessera.
- Une droite dure peut-elle plus facilement imposer un accord ?
- Un accord est plus facile à faire passer pour Sharon parce que la droite le soutient et que la gauche suivra. Mais ce n'est pas ce qu'il recherche. On peut cependant imaginer qu'il accepte, à contrecœur, de démanteler des colonies car il sait que c'est inévitable pour obtenir un accord avant la fin de son mandat.
- Le fait que l'administration Bush semble plus intéressée par le pétrole que par le règlement de ce dossier est-il un handicap majeur ?
- Bush entend se désengager du processus de négociations au quotidien, pas de la région. Il pense que l'implication intime des Etats-Unis, à laquelle croyait Clinton, leur a fait perdre un peu de leur autorité. L'avertissement du secrétaire d'Etat Colin Powell à Israël a peut-être eu plus d'écho parce qu'il parlait peu. Mais même si Bush a une autre attitude envers la région, l'alliance stratégique avec Israël demeure. La politique de Clinton avait été guidée par la conclusion d'un accord avec la Syrie, puis avec les Palestiniens. Avec l'administration Bush, les intérêts pétroliers, avec l'Irak, reviennent au premier plan et ce conflit ne doit pas contrecarrer ses intérêts.
- Qu'est-ce qui a amené la présidence Bush à intervenir ?
- Israël avait franchi une ligne rouge qui risquait d'autant plus d'embraser la situation que cela survenait après son attaque contre les objectifs syriens au Liban et risquait de se transformer en conflit avec le Liban, la Syrie et les Palestiniens. L'entrée des Israéliens à Gaza avait aussi des réminiscences de l'incursion de Sharon au Liban. Du coup, Washington a vraiment redouté une dégradation incontrôlable... Les Etats-Unis ont aussi voulu signifier à Israël que le soutien américain n'était pas sans limite et renforcer leur crédibilité dans le monde arabe. Mais les Palestiniens feraient une erreur s'ils s'imaginent que c'est un tournant américain. Les intérêts pétroliers de Washington peuvent jouer dans le sens d'une inflexion de la politique de sanctions américaines envers l'Irak, l'Iran et la Libye, pas d'un basculement en faveur des Palestiniens. Reste que la position américaine, analogue à celle de Sharon - arrêtez la violence, on parlera politique -, a ses limites. On ne peut dissocier volets politique et sécuritaire et faire de l'Irak sans faire du Palestinien. On finira bien par avoir un envoyé spécial ou quelqu'un chargé du dossier.
- Y a-t-il un risque de conflit généralisé ?
Tous les ingrédients sont objectivement là: la frustration terrible des populations palestinienne et arabe; une équipe israélienne qui ne rechigne pas à utiliser la manière forte, exclut le retrait du Golan et des territoires; l'absence de toute perspective politique. Pour autant, il n'est pas de l'intérêt des pays arabes d'allumer un brasier, parce qu'ils ont peur de répercussions populaires chez eux. Et parce qu'il y a beaucoup d'acteurs non gouvernementaux - Hezbollah, Hamas, Jihad - qui peuvent enclencher un engrenage dont personne ne veut.
                    
7. Le laboratoire de la guerre asymétrique - Entretien avec Marwan Bishara réalisé par Pierre Barbancey
in L'Humanité du samedi 21 avril 2001

Ecrivain et journaliste palestinien, Marwan Bishara est chercheur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris). Dans son livre "Palestine-Israël : la paix ou l'apartheid", l'auteur revient sur les racines profondes de la deuxième Intifada. Très critique vis-à-vis des accords d'Oslo - qu'il considère comme voué à l'échec dès son origine -, il invite pourtant le lecteur à regarder plus avant parce que "les deux peuples ont besoin de cultiver les rêves d'un avenir commun".
- Votre livre s'intitule Palestine-Israël : la paix ou l'apartheid. On s'oriente vers quelle direction ?
- Marwan Bishara. On est à la croisée des chemins. Les Palestiniens résistent à l'occupation et à la domination israélienne et demandent l'existence de deux Etats souverains. Mais si le gouvernement Sharon réussit à détruire l'Intifada, on se dirigera alors vers un certain apartheid. La question est d'ailleurs posée à la communauté internationale. Si elle laisse faire Sharon, la paix s'éloignera et la situation ressemblera à celle de l'Afrique du Sud en 1976 - au moment du soulèvement de Soweto - ou à celle qui prévalait lors de la première Intifada, en 1987.
- Certains disent que les accords d'Oslo sont morts. Est-ce votre avis ?
- Marwan Bishara. Les accords d'Oslo sont morts. D'abord, Oslo est dépassé. D'autre part, même la nouvelle administration américaine, qui est à l'origine du concept d'Oslo, ne parle plus de " processus " mais de " négociations " de paix. Enfin, Israël a refusé pendant sept ans d'appliquer ces accords. Rappelons d'ailleurs qu'à l'origine Oslo devait s'étaler sur cinq ans, puis a été prolongé de deux ans. Il y a, aujourd'hui, un statu quo. Il n'est pas obligatoirement celui des accords d'Oslo mais plutôt le résultat des accords d'Oslo. L'Autorité palestinienne est sur place et contrôle 18 % des territoires de la Palestine historique, c'est le résultat des accords.
- Comment interprétez-vous la politique de la nouvelle administration américaine ?
- Marwan Bishara. Je pense que les Israéliens avaient déjà décidé de se retirer de Gaza. Je ne crois pas qu'il y ait de malentendus entre Israël et les Etats-Unis sur ce plan-là. C'est plutôt un petit message à destination du monde arabe, pour dire que Washington garde une certaine distance avec la politique extrême du gouvernement Sharon. Mais ce qui est très important, l'administration Bush est d'accord avec Sharon et Peres sur l'avenir de la région, sur la nécessaire réinvention de " l'ordre régional " et d'une stratégie commune vis-à-vis des pays arabes. Pour l'administration Bush comme pour le gouvernement Sharon, il y a une nouvelle règle du jeu basée sur deux concepts. Le premier est le système antimissile qui réunifie les deux théâtres d'opérations, le Golfe et le Proche-Orient, pour avoir une vision globale et donc un regard sécuritaire qui s'appuie sur un nouveau système d'armement. Cette politique va certainement amener un pacte Bush-Sharon qui va changer les relations avec le monde arabe, faire entrer Israël dans une formule sécuritaire et stratégique américaine, basée sur la définition d'un théâtre des opérations régional et global. Dans ce cadre, Israël est un partenaire. La politique israélienne vis-à-vis des Palestiniens est une sorte de laboratoire pour la nouvelle guerre du XXIe siècle, la guerre asymétrique. C'est-à-dire comment l'Occident peut frapper et gagner la guerre contre des groupes, des communautés ou des résistances en Amérique latine, ou bien comme les Palestiniens, impliqués dans la " guerre asymétrique ". C'est donc une logique de guerre. Et il faut maîtriser cette guerre asymétrique. C'est ce que fait Israël vis-à-vis des Palestiniens. C'est inquiétant, car cette politique va amener à l'insécurité et à l'instabilité.
- Que deviendrait l'Egypte ?
- Marwan Bishara. Apparemment, l'Egypte serait chargée de recréer une sorte d'alliance avec la Turquie, en passant par Israël. C'est le pacte de la Méditerranée orientale. Les Américains aimeraient voir l'Egypte coupée des pays arabes, coupée de l'Europe, pour lui donner un nouveau rôle. Ce n'est pas acceptable et cela amènera, là encore, plus d'instabilité.
                
8. "Il n'y a qu'aux juifs qu'on demande de payer un prix pour la paix" Entretien avec Ariel Sharon
in Le Figaro du samedi 21 avril 2001

- LE FIGARO – L’intervention de l’armée israélienne à Gaza, mardi, a laissé une impression de confusion totale. Le général qui commandait l’opération avait déclaré que ses troupes pourraient rester des semaines ou des mois. Mais dès le lendemain, elles repartaient : apparemment sous la pression des Américains. Que s’est-il donc passé ?
- Ariel SHARON – Il faut que les choses soient claires. Jamais les Américains n’ont exercé de pression pour qu’Israël se retire. Nous avions prévu que l’opération durerait moins de 24 heures et que nous repartirions aussitôt. Dès le mardi matin, nous avons prévenu l’ambassade américaine que, dans la soirée ou au plus tard au milieu de la nuit, nos unités se replieraient. C’était cela notre plan, et rien d’autre. Tout s’est passé exactement comme nous l’avions prévu. Bien sûr, quand nous avons donné ces précisions aux diplomates américains de Tel-Aviv, à Washington, tout le monde dormait. Là-bas, il était quatre heures du matin...
- Les Américains ont paru se conduire comme s’ils étaient les maîtres d’Israël...
- Non, Les Américains sont des alliés. Vous entendez, de vrais alliés. Israël n’a pas de maître. Notre pays est indépendant, et il est la seule démocratie du Proche-Orient. Israël n’obéit à personne. Il veut la paix, mais il se défendra toujours.
- L’opération de Gaza a-t-elle vraiment servi à quelque chose ? A peine les unités de Tsahal avaient-elles repassé la frontière que les Palestiniens reprenaient leurs tirs de mortiers...
- Le problème, c’est qu’Arafat et les autres responsables palestiniens n’ont retenu des commentaires étrangers que le reproche fait à Israël d’avoir usé d’une force excessive. Avec ce traitement symétrique des Israéliens et des Palestiniens – on met sur le même plan les victimes et les tueurs –, les gouvernements étrangers ne font qu’encourager Arafat à recommencer les tirs contre les populations civiles d’Israël. Si les Israéliens se retrouvent condamnés comme si eux aussi ils avaient cherché à tuer des enfants et des bébés, pourquoi les Palestiniens ne continueraient- ils pas à frapper ?
- Quel est maintenant votre stratégie ? Malgré les protestations de l’étranger, Israël persistera-t-il à entrer dans les « zones A », qui, d’après les accords d’Oslo, sont supposées être sous contrôle total des Palestiniens ? Israël poursuivra-t-il ses représailles ?
- Notre stratégie est très claire. Nous aimerions améliorer le sort des Palestiniens qui ne participent pas au terrorisme – et croyez-moi, il s’agit de la majorité de la population. La plupart des Palestiniens ne veulent rien d’autre que nourrir leurs enfants et bien les élever. Dans ce but, nous faisons tout ce que nous pouvons pour faciliter leur vie quotidienne. J’ai donné les instructions nécessaires, et quand je vois les camions chargés de matières premières qui entrent dans les Territoires palestiniens, et les camions chargés de produits finis qui en sortent, je pense que les progrès sont évidents. En même temps, il est exclu qu’Israël s’incline devant les terroristes, renonce devant ceux qui encouragent les violences et les assassinats. C’est ce que j’avais dit à Yasser Arafat lorsqu’il m’avait téléphoné après mon élection, il y a deux mois. J’avais souligné que je distinguerais soigneusement entre les terroristes et les Palestiniens pacifiques. Mais j’avais aussi insisté sur le fait que, selon l’accord d’Oslo, il doit assumer ses responsabilités. Je lui avais rappelé que, le 9 septembre 1993, il avait signé à propos des accords d’Oslo une lettre qui précisait : « L’OLP renonce au terrorisme, et elle imposera à ses membres le respect de ses engagements. L’OLP punira tous ceux qui violeront cette promesse. » C’est seulement après avoir reçu la lettre d’Arafat que Yitzhak Rabin, alors premier ministre d’Israël, accepta de signer l’accord d’Oslo. Lorsque de nouveau Arafat m’a appelé, la veille de Pâques, je lui ai répété qu’il se trouvait face à une alternative très simple. «Ou bien, conformément à l’accord que vous avez signé, vous mettez les terroristes en prison et vous agissez pour mettre un terme au terrorisme. Ou bien ce sont les Israéliens qui le feront. » Eh bien, l’autre jour à Gaza, c’est exactement ce qui s’est produit !
- Votre riposte n’a-t-elle pas été disproportionnée ? Les obus de mortier qui étaient tombés sur la ville israélienne de Sderot n’avaient fait aucune victime...
- Je suis fatigué d’entendre toujours dire qu’Israël use d’une force excessive. Que voulez-vous dire ? Que la provocation palestinienne n’était pas assez provocante ? Les Palestiniens ont tiré en plein après-midi sur une ville où il n’y avait que des civils, au moment ou des centaines de passants marchaient avec leurs enfants dans les rues. Quelle est votre définition d’une provocation justifiant une riposte. Un juif tué, c’est une provocation suffisante ? Et quand on passe à deux morts ? Mais si les Israéliens pris pour cible ont de la chance et qu’il n’y a que des blessés, alors la provocation n’est plus suffisante ? Jamais ce genre d’exigence n’est imposé à d’autres pays. Un exemple : qu’aurait fait le gouvernement français si une ville française avait été bombardée par des cocktails Molotov balancés depuis la Suisse ? La réponse me semble évidente. Le premier devoir d’un Etat, c’est d’assurer la sécurité de ses citoyens. Quand il s’agit des juifs, les critères semblent tout à coup différents. On ne cesse de leur demander de quel droit ils défendent leur vie. Moi, je ne réponds pas à ces questions. Je sais que les juifs ne possèdent qu’un seul petit pays, et que c’est l’unique endroit où ils ont à la fois le droit et les moyens de se défendre. Nous savons ce qui est arrivé au peuple juif quand celui-ci ne disposait pas encore d’un pays indépendant. Je suis juif, juif avant tout. Ma priorité, c’est donc la sécurité de mon peuple. Nous n’avons aucune intention de retourner à Gaza. Mais si les Palestiniens pensent, même une minute, que ces terroristes, ces assassins sont à l’abri parce qu’ils se trouvent dans la zone A, ils se trompent lourdement.
- Arafat est-il toujours un partenaire ou de nouveau un ennemi ?
- Quand Arafat mettra fin à la terreur, il sera un partenaire. Ce n’est pas aux Israéliens de décider qui doit être le chef des Palestiniens, mais comment peut-on avoir comme partenaire quelqu’un qui cherche à vous tuer ?
- Arafat est-il le vrai chef des organisations islamistes, Hamas et Djihad, qui se livrent aux attentats ? Ou bien est-il tout simplement trop faible pour empêcher les terroristes d’agir ?
- Il n’est pas trop faible, et chez les Palestiniens, c’est bien lui qui contrôle tout. Et notamment la presse. Or, si vous lisez les journaux palestiniens, vous verrez qu’ils ne cessent d’encourager les actes les plus terribles. C’est aussi Arafat qui contrôle la garde présidentielle, sa troupe la plus loyale, dont il a personnellement choisi chaque membre un à un.
- Mais pouvez-vous dire que ce sont les gardes présidentiels d’Arafat qui tirent au mortier contre les Israéliens ?
- Je ne sais pas si les hommes de la garde présidentielle sont engagés directement. Mais ils font d’autres choses terribles. Ils facilitent l’action des terroristes. Ils ont une liaison permanente avec le Hezbollah libanais. Ce que j’attends d’Arafat, c’est qu’il prenne des mesures contre l’infrastructure terroriste, des mesures que, contrairement à ses promesses d’Oslo, il n’a jamais prises. Il doit agir contre le Hamas et le Djihad islamique, contre le Tanzim, qui est son propre parti, contre le Hezbollah, qui a commencé à opérer en Israël même. Le Hezbollah, qui, je le répète, profite de la coopération de la troupe la plus loyale d’Arafat, la garde présidentielle. Il faut aussi qu’Arafat enseigne la paix dans les écoles au lieu d’encourager le fanatisme. Même dans les journaux d’Egypte, le premier pays à avoir signé la paix avec Israël, les caricatures montrent des soldats israéliens avec des casques frappés de la croix gammée.
- Si Arafat ne fait toujours pas ce que vous lui demandez, n’est-ce pas la preuve paradoxale que des interventions comme celles de Gaza ne servent à rien, et qu’Israël doit chercher d’autres options ?
- Nos soldats n’ont pénétré que de cent mètres derrière la frontière de Gaza, et vous avez entendu le bruit que cela a fait tout autour de la planète. Contrairement à ce que vous dites, ce fut un excellent message pour tous ceux qui ne veulent pas voir que certains actes sont irréversibles. A l’avenir, les Palestiniens feront très attention avant de se livrer à d’autres actes de terrorisme. Je connais les Arabes, et les Arabes me connaissent. Ils savent que je tiens ma parole : quand je dis oui, c’est oui ; mais quand je dis non, c’est non. Désormais, ils savent ce que sont les lignes rouges à ne pas dépasser.
- Il y a eu de nouvelles attaques au mortier aujourd’hui. Cela signifie-t-il que vous allez de nouveau frapper demain ?
- Vous n’avez qu’à écrire qu’au moment où vous m’avez posé cette question je téléphonais à l’un de mes conseillers, et que j’étais donc trop occupé pour vous répondre.
- Avez-vous un plan de paix ?
- Oui, bien sûr. Mais je prends la paix au sérieux : pour moi, la paix ne peut pas être un simple moyen de gagner une élection. J’ai été un soldat presque toute ma vie, et j’ai vu de près les horreurs de la guerre. Comme jeune officier à mes débuts aussi bien que comme général commandant les meilleures unités de l’armée israélienne. J’ai vu mes amis se faire tuer, j’ai été gravement blessé deux fois, j’ai dû prendre des décisions de vie ou de mort pour mes soldats et pour moi-même. Bien mieux que les politiciens qui n’ont jamais connu l’expérience du feu, je comprends ce que doit être la paix. Elle doit avoir pour premier objectif de garantir la sécurité nationale. Tout le monde en Israël veut la paix, mais je ne négocierai pas sous la menace de la terreur. Si les Palestiniens veulent négocier, ils doivent commencer par se tenir tranquilles. Tout ce que je leur demande, c’est d’arrêter de nous tirer dessus, et d’ordonner à leurs forces de sécurité de cesser de travailler avec des organisations terroristes. Je m’adresse à la France et à tous les autres pays dans le monde qui veulent la paix au Proche-Orient : ils doivent faire pression sur Arafat pour que celui ci arrête le terrorisme. Si nous parvenons à ce résultat, si la tranquillité n’est plus une simplement la promesse d’un discours d’Arafat mais une réalité, je vous donne ma parole que je ne perdrai pas un seul jour pour engager des négociations immédiates avec les Palestiniens.
- Vous n’avez pourtant pas attendu cette tranquillité hypothétique pour envoyer votre fils, Omri, négocier avec Arafat...
- Si j’ai demandé à mon propre fils de se rendre en territoire palestinien, avec les dangers que vous pouvez imaginer, c’est bien parce que j’attache la plus grande importance au maintien des contacts avec les Palestiniens.
- Qu’êtes-vous prêt à offrir aux Palestiniens pour qu’ils renoncent à la violence et reprennent la voie de la négociation ?
- La paix est tout aussi importante pour les Palestiniens que pour les Israéliens. Mais je n’ai jamais entendu un journaliste étranger demander aux Palestiniens : «Messieurs, puisque vous tenez tellement à la paix, qu’êtes-vous prêts à offrir aux Israéliens.» Il n’y a qu’aux juifs que l’on demande de payer un prix pour la paix.
- Si la discussion pouvait s’ouvrir, quelle serait votre méthode de négociation ?
- Mon plan serait sûrement différent de celui d’Ehud Barak. Regardez ce qui s’est passé. A Camp David, il a osé offrir plus qu’aucun de ses prédécesseurs. Il était prêt à des concessions extraordinaires, et Barak a pensé qu’Arafat allait l’embrasser, qu’Arafat allait l’aimer. Mais Arafat a beaucoup d’expérience. Et il s’est dit qu’il obtiendrait encore plus s’il faisait pression avec le terrorisme. Dans la dernière phase des discussions avec Barak, on parlait déjà de rendre 97 % des territoires, y compris à Jérusalem. Il était question qu’Israël reconnaisse sa responsabilité dans le problème des réfugiés, alors que, sur ce sujet, les Israéliens n’ont rien à se reprocher. Barak, qui est mon ami personnel, a perdu son poste de premier ministre parce qu’il a commis deux erreurs. Premièrement, il a offert tout tout de suite, il a tout mis sur la table. Deuxièmement, il a négocié sous la terreur. Barak a péché par manque d’expérience. Mon gouvernement est décidé à tirer la leçon des erreurs qui ont été commises. Je ne vais sûrement pas commencer par annoncer aux Palestiniens : « Voici les frontières définitives que je veux pour Israël. » Parce que ces frontières définitives deviendraient aussitôt, pour les Palestiniens, un point de départ. Israël ne doit pas faire cadeau de ses atouts stratégiques ou historiques. Je ne crois donc pas sage de dire à l’avance ce que je compte faire.
- Etes-vous prêt à reprendre à votre compte ce que Barak avait offert sur Jérusalem, sur le retrait des territoires, sur le retour des réfugiés ?
- Non. J’ai été très clair : je respecterai tous les accords qui ont été signés par les deux parties et ratifiés par le Parlement israélien, mais ils doivent être appliqués par les deux côtés. A propos de Jérusalem, qu’êtes-vous prêt à négocier ? Mais comment Jérusalem peut-elle être négociable ? Elle est la capitale du peuple juif depuis le roi David, depuis exactement 3 004 ans. Jérusalem est le coeur du peuple juif, elle ne peut rester qu’unie, avec en son centre le mont du Temple.
- Mais, depuis que le terrorisme a repris, les juifs des quartiers ouest n’osent plus se rendre chez les Arabes des quartiers est. La division n’est-elle pas une réalité de fait ?
- Vous exagérez. Les juifs sont moins nombreux à aller à l’est, mais ils continuent d’y circuler. C’est seulement pendant les 19 années de l’occupation jordanienne que, malgré les garanties inscrites dans les accords d’armistice, les juifs ne pouvaient pas se rendre au mur des Lamentations ou sur le mont du Temple, ou dans la vieille ville. Depuis la libération de la ville, en 1967, au contraire, tout le monde a un accès libre aux lieux saints : juifs, chrétiens et musulmans. Je suis très conscient des difficultés des Arabes de Jérusalem, et c’est pourquoi nous avons prévu de construire 20 000 appartements pour des familles palestiniennes.
- Y a-t-il une chance d’arriver à un compromis avec les Palestiniens si vous refusez toute concession sur Jérusalem ?
- Aucun Israélien n’a le droit d’abandonner Jérusalem ou de partager Jérusalem. Cette ville n’appartient pas aux Israéliens, mais aux juifs du monde entier. Mentionnée dans la Bible 676 fois, Jérusalem est l’âme du peuple juif. J’ai éprouvé le plus grand respect pour Yasser Arafat quand, à Camp David, il a déclaré : « Je ne peux rien décider à propos de Jérusalem parce que Jérusalem appartient à l’ensemble de l’Islam. Je dois consulter les autres gouvernements musulmans. » Barak, lui, sans discuter avec son gouvernement, sans demander l’avis du Parlement israélien, a décidé tout seul de donner Jérusalem aux Palestiniens. Notre génération a eu la chance de défendre Jérusalem en 1948, de libérer Jérusalem en 1967, et, depuis, de bâtir à Jérusalem. Nous ne sommes que les gardiens de Jérusalem pour les générations à venir. Il y a 53 ans, j’ai été gravement blessé à Jérusalem lors des combats de la guerre d’indépendance. Et, 53 ans plus tard, Jérusalem est de nouveau une ville assiégée. Jeudi, le jour où comme chaque année Israël se recueillait dans le souvenir de l’Holocauste, les prières ont été troublées par le bruit des rafales tirées par les Palestiniens. Ce sacrilège était délibéré. Je le répète : Jérusalem est de nouveau une ville assiégée à cause des erreurs commises à Camp David.
- Les Palestiniens disent aussi que la paix est impossible si Israël n’évacue pas ses colonies de peuplement...
- Ces colonies font partie des zones de sécurité que tous les gouvernements israéliens ont jugées absolument nécessaires. Dans les accords d’Oslo, il a été précisé que personne n’y toucherait tant que la paix ne serait pas définitive.
- Vous voulez dire que, dans le cadre d’un accord de paix, elles disparaîtraient ?
- Pas du tout. S’il y a la paix, pourquoi des Israéliens ne pourraient ils pas vivre au côté des Palestiniens ? En Israël, il y a des centaines de familles palestiniennes qui vivent à Nazareth, des centaines d’autres qui vivent à Beersheva, dans le Neguev. Il y a des centaines et des centaines de familles originaires de Gaza et d’Hébron qui vivent dans les villes israéliennes de Lod et de Ramle. Donc, des juifs et des Arabes peuvent fort bien vivre côte à côte dans les Territoires palestiniens. Ou alors, cela voudrait-il dire que les Palestiniens exigeront un échange de populations, les Arabes d’Israël devant abandonner leurs domiciles actuels ?
- A quoi bon maintenir des civils israéliens au milieu de la population palestinienne si vous avez besoin de déployer toute une armée pour les protéger ?
- Tous les Israéliens doivent être reconnaissants aux juifs qui vivent à Hébron, le site des tombeaux de nos patriarches, Abraham et Sarah, Isaac et Rébecca, Jacob et Léah. La France est un très vieux pays, mais même chez vous, où il y a de si beaux monuments, vous n’avez pas un monument aussi ancien que le caveau de nos patriarches, qui date de 4 000 ans. Si vous allez au cimetière juif d’Hébron, vous pouvez toucher des stèles et des pierres tombales qui ont sept siècles ou dix siècles. Jamais les juifs n’ont cessé de vivre à Hébron. Ce ne sont pas l’armée qui les garde, ce sont eux qui gardent ces monuments historiques au nom du peuple juif. C’est la même situation à Tel-Rumeida, à côté d’Hébron. C’est là que le roi David a été couronné. Le roi David est mentionné dans la Bible 1 023 fois.
- A Gaza, les colonies ont un objectif d’abord stratégique...
- A Gaza aussi il y a des monuments juifs. Il y a notamment une vieille synagogue, près de la côte, qui date de plusieurs siècles. Les juifs ont vécu à Gaza pendant des centaines d’années. Mais il est vrai aussi que dès l’époque de Golda Meir les travaillistes avaient décidé d’installer des Israéliens à Gaza pour créer une zone tampon face au Sinaï.
- Pourquoi ces colons devraient- ils croire à vos promesses, alors que, après les accords de Camp David de 1978-1979, vous avez, sur ordre du premier ministre Begin, évacué de force les colonies israéliennes du Sinaï ?
- Nous avons dû évacuer les Israéliens du Sinaï parce que, sinon, il aurait été impossible de signer le traité de paix avec l’Egypte. Mais de toute façon, on ne peut pas comparer les situations stratégiques et historiques du Sinaï, d’une part, de Gaza, de la Samarie et de la Judée, d’autre part. Les zones de sécurité actuelles ont une raison d’exister absolument essentielle.
- Comment les Palestiniens pourraient-ils avoir un Etat viable s’il est coupé en plusieurs morceaux du fait du maintien des colonies ?
- Vous confondez la continuité territoriale et la coexistence entre juif et Arabes. Le moment venu, nous trouverons une réponse au problème de la continuité. Nous savons que les Palestiniens voudraient avoir leurs propres routes pour ne pas avoir à passer par nos barrages et nos points de contrôle. En ce qui concerne la coexistence, je suis convaincu que juifs et Arabes peuvent vivre ensemble. Déjà dans mon enfance, dans la ferme où je suis né, nous avion des Arabes pour voisins. C’est aussi pourquoi j’ai décidé de prendre un certain nombre d’initiatives au profit des Arabes israéliens, qui sont près d’un million. Je travaille avec eux pour élargir leur participation à la vie du pays.
- Vous avez parlé d’accorder aux Palestiniens 42 % des territoires. Cela semble bien peu...
- 42 % pendant la durée des accords intérimaires que j’espère conclure avec les Palestiniens.
- Les Palestiniens pourraient donc obtenir plus quand un accord final sera signé ?
- Oui, ils pourraient avoir plus de 42 %, mais cela dépendra de la façon dont les relations israélo-palestiniennes se développeront. Supposons que nous leur donnions tout de suite 90 %, 95, 97 %, et qu’ils continuent de tirer sur Israël depuis leur côté de la frontière...
- Vous êtes tout aussi décidé à imposer des restrictions sur la souveraineté du futur Etat palestinien. Vous voulez un Etat démilitarisé dont vous contrôleriez même l’espace aérien ?
- D’abord, je recommanderai aux Palestiniens de ne pas proclamer unilatéralement la création de leur Etat. Ce serait une erreur. Un tel Etat ne devrait être établi qu’à la suite d’un accord bilatéral. Deuxièmement, n’attendez pas des Israéliens qu’ils acceptent qu’au coeur même de leur pays un Etat palestinien dispose de forces armées. Pendant plusieurs années, nous devrons pouvoir contrôler les frontières pour voir comment la situation se développe. Comme je vous l’ai dit, certains actes sont irréversibles. Les Palestiniens risqueraient de signer des traités avec des pays hostiles à Israël. La supervision de l’espace aérien serait également nécessaire, parce que, sinon, où nos avions pourraient-ils aller voler ? Au-dessus de la mer ? Vous savez, les territoires en question sont tout petits, ce n’est pas la France.
- Les Palestiniens pourraient vous répondre qu’ils ne tiennent pas à ce que leur Etat reste sous le contrôle d’une armée étrangère...
- Quelle solution avez-vous à nous suggérer ? Que les Israéliens disparaissent d’ici ? Qu’ils fassent leur reddition ?
- Votre aviation a bombardé des cibles syriennes au Liban. Ne serait-il pas plus efficace de chercher à conclure un traité de paix avec la Syrie ?
- Pourquoi pas ? Je ne vois aucune raison de m’opposer à cette idée. Mais pour l’instant, ce n’est pas ce que veut la Syrie.
- Pouvez-vous avoir la paix avec Damas si vous gardez le Golan ?
- Si les Syriens veulent venir à la table de négociations sans condition préalable, ils n’ont qu’à venir. Mais comme je vous l’ai déjà dit, ce n’est pas la bonne approche que de déclarer à l’avance : voilà ce qu’Israël va donner et voilà ce qu’Israël va garder.
- Après ce raid contre les Syriens et compte tenu de la dégradation de vos relations avec les Palestiniens, croyez-vous au risque d’une autre guerre générale avec les Etats arabes ?
- Je n’y crois pas. Et pourquoi nos voisins arabes nous feraient-ils la guerre ?
- Pour aider Arafat.
- L’aider comment ? En bombardant à coups de mortiers la population civile des villes israéliennes ? Pour notre part, nous sommes très prudents, et nous faisons tous nos efforts pour éviter l’escalade. Notre intérêt, c’est de préserver la stabilité du Proche-Orient.
- Que répondez-vous quand Israël est accusé d’être un Etat colonial ?
- Je ne me soucie pas de répondre à toutes les questions, sinon je passerais mon temps à réagir au lieu d’agir. Tout ce que je puis vous dire, c’est que dans la ferme où je suis né, j’ai dû dès mon plus jeune âge monter à cheval, traire les vaches et travailler dans les champs. Comment parler de colonialisme ?
- Vous avez intitulé votre autobiographie Un guerrier. Si vous étiez palestinien, seriez-vous en train de combattre Israël ?
- Je n’aurais jamais pris pour cible des enfants, des femmes et de vieillards. Dans les guerres, il y a des tragédies, des civils peuvent être tués par accident. Mais la guerre qui nous est faite vise des bébés et des gens innocents. Cette guerre, je n’aurais jamais pu la faire.
- Menahem Begin a commencé comme terroriste, mais c’est lui qui a signé le premier accord de paix avec l’ennemi arabe, avec l’Egypte de Sadate. Vous, le guerrier, qui avez aussi la réputation d’être pragmatique, êtes-vous prêt à suivre cet exemple ?
- Je suis très fier d’avoir travaillé avec le premier ministre Begin ; je l’ai soutenu au plus dur des négociations avec l’Egypte. Et je suis très fier aussi qu’il m’ait écouté et qu’il ait accepté que l’aviation israélienne aille détruire le réacteur nucléaire irakien. Imaginez ce que serait le Proche-Orient aujourd’hui si Bagdad avait l’arme nucléaire.
- Le plus grand danger pour Israël n’est-il pas d’être en train de perdre ses valeurs ? Le sionisme ayant réussi, il n’y a plus rien pour le remplacer...
- Israël n’a pas de soucis à se faire. Nous avons amené ici des millions de juifs venus de 102 pays, parlant 82 langues. Ils ont réussi leur intégration. Ils ont bâti une agriculture moderne, les industries les plus sophistiquées, créé des centres de recherche scientifique et des universités. Nous avons simultanément mis en place un système de sécurité sociale et des orchestres philharmoniques. En même temps, nous avons toujours eu l’épée à la main. Nous allons continuer. Israël va faire venir encore un million de juifs, et s’il le faut, nous garderons l’épée à la main.
- Vous ne craignez donc pas qu’Israël succombe à une crise d’identité ?
Nous pouvons compter sur les Palestiniens pour que cela ne se produise jamais.
                  
9. Jusqu'où ira Sharon ? par Walid Charara
in Le Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 20 avril 2001

Son plan, briser la machine de guerre syrienne.
Coup de semonce ou provocation? Depuis le bombardement israélien, dans la nuit de dimanche à lundi, d'un poste radar de l'armée syrienne, la plupart des commentaires privilégient la première hypothèse. Embourbé dans ce qu'il convient d'appeler une guerre de moyenne intensité dans les territoires palestiniens, Israël n'aurait logiquement pas intérêt à combattre sur deux fronts. Pourtant, Sharon ne rêve que d'une seule chose: détruire la machine de guerre syrienne.
C'est une chose que de presser la Syrie à intervenir auprès du Hezbollah pour arrêter ses opérations de résistance, c'est autre chose que de se lancer dans un conflit régional qui risque très vite de se généraliser. Ariel Sharon voit-il les choses de cet œil? Quelle est son appréciation réelle de la situation internationale, régionale et locale? Celle-ci l'aurait-elle conduit à l'élaboration d'un plan dont l'agression du lundi matin n'était que le premier pas? Les réponses à ces questions suggèrent qu'il s'agit bel et bien d'une provocation et non d'un simple coup de semonce.
Depuis leur arrivée au pouvoir, Ariel Sharon et son équipe répètent à bon entendeur que les règles du jeu ont changé. En réalité, c'est leur appréciation de la situation globale, différente de celle de l'équipe précédente, qui modifie la donne et qui place la Syrie directement dans leur ligne de mire. Sur le plan mondial, Sharon part d'un constat, celui d'une rébellicisation des relations internationales depuis l'arrivée de l'Administration Bush aux affaires. Celle-ci, avec son projet de bouclier antimissile, sa politique offensive contre la Russie et la Chine ayant provoqué deux crises successives avec les deux pays (expulsion de cinquante diplomates russes des Etats-Unis, avion américain intercepté en Chine), son autoritarisme à l'égard de ses alliés européens, replonge le monde dans un climat de véritable guerre froide.
Opportunité pour Israël
Cette situation n'est pas pour déplaire à Sharon, surtout que, accaparé par le retour de grandes confrontations, l'Administration américaine choisit de se désengager partiellement de la gestion quasi quotidienne de la crise au Moyen-Orient (qui prévalait sous Clinton) tout en réitérant son soutien à l'allié israélien et en s'alignant sur ses positions, qu'il s'agisse des responsabilités de la poursuite des violences ou des conditions d'une reprise des négociations. Intime des faucons de l'Administration Bush (David Rumsfeld, Dick Cheney) ou de ceux du Parti républicain qui ont une influence directe sur elle (Alexandre Haig, Jane Kirkpatrick), Sharon a eu le plaisir de constater durant sa visite aux Etats-Unis qu'il était en phase avec l'allié américain. Toutes les déclarations américaines qui la suivront le confirmeront dans ses convictions.
Sur le plan régional, Sharon pense que le contexte actuel, malgré les dangers potentiels qu'il comporte, est une fenêtre d'opportunité pour Israël. Certes, le rapprochement et les réconciliations qui ont lieu entre les pays arabes et entre ceux-ci et l'Iran comportent des dangers réels, notamment le danger de voir émerger un axe syro-irako-iranien avec le soutien de, ou du moins, la bienveillance, de l'Egypte et de l'Arabie Saoudite, et un soutien actif de la part de la Russie et peut-être de la Chine. Cet axe est une potentialité future mais pas encore une réalité. S'agissant de l'axe Damas-Le Caire-Riyad, ce dernier est une alliance politique et non militaire.
Le raid de lundi est un test pour mesurer l'ampleur des réactions arabes en cas d'attaques israéliennes contre la Syrie. Pour Sharon, la Syrie est non seulement responsable des actions du Hezbollah contre l'armée d'occupation dans la zone des fermes de Chebaa mais elle est surtout l'artisan de la défaite israélienne au Liban.
Laver l'affront
A ses yeux et ceux de l'état-major israélien, c'est cette défaite qui a incité les organisations palestiniennes à suivre l'exemple de la Résistance libanaise. Seule une agression de grande envergure contre la Syrie permettrait de laver l'affront. Un autre élément est le rapprochement syro-palestinien. Après les années d'hostilités et de confrontations, le sommet d'Amman sera l'occasion d'une réconciliation entre les deux parties qui a eu un impact positif sur l'intifada et qui pourrait conduire à une coordination politique allant jusqu'à l'exigence d'une concomitance des volets syrien, libanais et palestinien. Une telle éventualité annulerait la capacité de manœuvre politique d'Israël et rendrait caduque sa tactique de jouer un volet arabe contre un autre durant les négociations. Pour Sharon, elle doit donc rapidement être empêchée. L'Etat hébreu cherche par ailleurs à exploiter le refroidissement des relations américano-syriennes, refroidissement qui a commencé depuis plusieurs années mais qui s'est aggravé avec l'arrivée de l'Administration Bush et le rapprochement syro-irakien. Ce dernier point suscite particulièrement la colère des Etats-Unis. Comme le souligne Abdel Halim Mohammad, du Centre d'étude stratégique d'Al-Ahram, «les Américains qui demandent que la violence s'arrête mettent tout le monde dans le même sac et exercent un chantage, attendant, avant de bouger, que les Arabes se montrent plus durs vis-à-vis de l'Irak». Cette attitude américaine n'est pas nouvelle. Les Etats-Unis ont toujours utilisé l'extrémisme israélien pour amener les pays arabes à s'aligner sur leur politique. Il suffit de rappeler l'instrumentalisation d'un Menahim Begin par l'Administration Reagan ou d'un Shamir par l'Administration Bush (père). Sharon a mené une campagne aux Etats-Unis pour convaincre l'Administration que le Hezbollah n'est ni plus ni moins que l'instrument de Damas. Ses récentes attaques viseraient à réchauffer le front libano-israélien pour le compte de la Syrie. Le raid israélien risque d'embarrasser Washington, surtout à la veille de la visite de Ted Walker, le sous-secrétaire d'Etat américain à Damas, pour discuter avec les responsables syriens des nouvelles idées américaines concernant les sanctions intelligentes contre l'Irak. Cependant, les Etats-Unis peuvent essayer de l'utiliser pour exercer des pressions sur Damas pour arrêter les opérations de résistance, s'aligner sur leur politique irakienne et arrêter la coopération avec les Palestiniens.
La Syrie en difficulté
Sur le plan local, Sharon tentera de profiter du développement de la campagne hostile à la présence syrienne au Liban et essayera très certainement de rétablir le contact avec certaines de ses vieilles connaissances pour coordonner leurs stratégies respectives. Imaginons simplement l'ampleur que pourrait prendre la contestation antisyrienne si le Liban subissait une attaque menant à la destruction de ses infrastructures. La situation qui en résultera, s'ajoutant à la conjoncture économique et sociale désastreuse que vit la grande majorité de la population, créerait le climat idéal pour l'intensification de la campagne antisyrienne.
Aux yeux de Sharon, la Syrie passe par une période difficile caractérisée par l'absence d'allié international, l'absence d'allié en cas de conflit militaire, une contestation grandissante de sa présence au Liban et une situation intérieure difficile sur le plan économique. Son appréciation du contexte global susmentionné, qui, en de nombreux points, s'apparente à la situation en 1982 lorsqu'il dirigea l'invasion contre le Liban, pourrait le mener à franchir le pas et à attaquer directement la Syrie sur son territoire. Il s'agira essentiellement d'une campagne de bombardements aériens intensifs contre les infrastructures économique, industrielle, militaire et de transports, sur le modèle des bombardements américains durant les guerres du Golfe et du Kosovo. Une telle agression aura comme impact la fragilisation de la position de la Syrie sur l'échiquier régional et en plus de sa situation intérieure. Les conséquences seront importantes sur le rapport de force global dans la région. Elles permettraient à Sharon de venger la défaite du Liban et de mieux affronter l'intifada palestinienne.
Les faiblesses du plan Sharon
Un tel scénario n'est pas sûr. D'abord, parce que la mégalomanie de Sharon peut facilement l'amener à sous-estimer les réactions des pays et des peuples de la région, ainsi que les capacités de résistance de l'armée syrienne et de ses alliés libanais et palestiniens. Cela dit, les Etats arabes ne peuvent se permettre de miser sur les faiblesses et les incohérences des plans de Sharon, faiblesses et incohérences qui pourraient les rendre irréalisables. Ces derniers pourraient se montrer désastreux sur le long terme, comme l'a été son invasion du Liban en 1982... après 18 ans. Mais leur nuisance sur le court et le moyen terme est très importante. La logique munichoise qui domine dans le monde arabe et qui s'est encore manifestée à l'occasion de l'agression israélienne est purement et simplement criminelle. La faiblesse des réactions qu'elle entraîne est en soi un encouragement à la poursuite des agressions et de la guerre. Dans une récente déclaration, le président égyptien Hosni Moubarak a invité Ariel Sharon à ne pas franchir les lignes rouges. Les actes, comme le gel unilatéral des accords de Camp David et la rupture de toutes formes de relations avec Israël, auraient un impact autrement plus dissuasif que les paroles.
             
10. La vraie question par Ewen MacAskill
in The Guardian (quotidien britannique), samedi 14 avril 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

A la limite de Jérusalem, dans un vallon, on peut voir un spectacle désolant : les ruines d'un village arabe abandonné. Ce village est désert depuis 1948, victime du conflit entre Arabes et Israéliens. C'est un coin paisible. La pierre est ancestrale, les colonnes et les arcatures appartiennent à une tradition architecturale aux antipodes des modernes "mas provençaux" israéliens, aux toits de tuiles rouges, qui l'entourent. Aujourd'hui, de nouvelles ruines s'ajoutent aux anciennes. Au début de la semaine, l'armée israélienne a détruit au bulldozer trente maisons, ajoutant leurs ruines à celles des nombreuses maisons détruites, ailleurs, dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Les Palestiniens sont en train de payer très cher l'insurrection qu'ils ont lancée en septembre dernier : plus de 370 morts et une économie détruite. La réponse de la plupart des Israéliens libéraux et d'admettre que les Palestiniens souffrent, mais pour ajouter aussitôt que le leader palestinien, Yasser Arafat, est le coupable : il aurait dû accepter les propositions de paix que l'ancien Premier ministre israélien Ehud Barak lui avait faites, avec le président américain, Bill Clinton, à Camp David, l'an dernier puis à Taba, cette année. Il s'agit là d'une opinion très largement répandue dans le monde, et le gouvernement israélien est tout heureux de la propager : une offre généreuse (aurait été) mise sur la table devant Arafat, et il a raté cette opportunité historique. En Israël, il y a essentiellement deux conceptions des relations avec le voisin, le futur Etat de Palestine. Il y a la position libérale, dont le ministre israélien des affaires étrangères, Shimon Pérès, est le héraut : elle envisage un Israël fort économiquement, coexistant avec un Etat palestinien jouissant d'une égale santé économique. Ensemble, les deux Etats pourraient constituer le noyau d'un Moyen-Orient revivifié. Malheureusement, il y a aussi l'autre conception israélienne des choses, qui existe depuis fort longtemps et qui prévaut aujourd'hui : elle prône la nécessité d'avoir un voisin palestinien malléable ; il faut donc l'affaiblir...
Un journaliste du New York Times, Thomas Friedman, décrit dans un compte-rendu des dix années qu'il a passées au Moyen-Orient, entre Beyrouth et Jérusalem, comment les Israéliens n'ont jamais réussi à abandonner totalement leurs espoirs de contrôler un jour l'ensemble de l'Israël biblique, qui inclut la Cisjordanie. C'est ce qui motive l'activisme des colons juifs à l'intérieur du Far-West palestinien, source à quatre-vingt quinze pour cent du conflit d'aujourd'hui.
Friedman et une cohorte de journalistes et d'universitaires ont relevé comment les politiciens israéliens, depuis la fondation de l'Etat, en 1948, ont toujours parlé de paix tout en accaparant des territoires. Au moment même où Ehud Barak déposait sur la table ses offres apparemment "généreuses", des colons juifs continuaient à étendre leurs implantations en Cisjordanie, région à laquelle ils donnent les anciens toponymes bibliques de Judée et Samarie.
Les cartes de la population au Moyen-Orient, depuis 1948, année de la fondation d'Israël, montrent une expansion continue de la population juive vers l'est. De nos jours, la partie arabe de Jérusalem, Jérusalem Est, est peu à peu encerclée de quartiers juifs. A l'intérieur même de la Vieille Ville, les Israéliens gagnent sur les quartiers arabes. Cette semaine, un Palestinien, découvrant pour la première fois de nouvelles maisons dans un faubourg de Jérusalem, m'a dit : "C'est comme de la magie. Vous vous absentez seulement quelques semaines, et lorsque vous revenez, vous découvrez soudain qu'un quartier entièrement neuf a été bâti". Le gouvernement israélien, qui s'est en théorie engagé à ne pas construire de nouvelle colonie, a annoncé cette semaine la construction de sept cent appartements supplémentaires. Le gouvernement israélien n'a pas de difficulté à respecter son engagement à ne pas construire de nouvelles implantations : il lui suffit d'autoriser l'expansion des très nombreuses implantations existantes, en Cisjordanie. C'est dans ce contexte que l'on devrait juger de la "générosité" des propositions de Barak...
Les Israéliens les ont présentées comme accordant aux Palestiniens 96% de la Cisjordanie. Mais ce chiffre est trompeur. Les Israéliens n'ont pas inclus dans leur calcul les parties de la Cisjordanie qu'ils s'étaient déjà arrogées. La Palestine qui aurait émergé d'un tel arrangement n'aurait pas été viable. Elle aurait été divisée en une demi-douzaine de morceaux, avec d'énormes implantations juives au milieu : un bantoustan à la sauce moyen-orientale. L'armée israélienne aurait aussi conservé le contrôle sur la frontière orientale de l'Etat palestinien à naître - la vallée du Jourdain - pour une durée allant de six à dix an et, plus significatif encore, une bande supplémentaire de terrain longeant la côte de la Mer Morte, pour une période indéterminée : bonjour l'indépendance!...
Israël pouvait se permettre de se montrer magnanime en terme de territoires, lorsqu'on connaît l'importance du terrain gagné aux dépens des Palestiniens, dont la plupart durent fuir ou abandonner leurs maisons pour aller se réfugier au Liban, en Syrie, en Jordanie et ailleurs.
Des compromis ont été évoqués à Camp David et à Taba au sujet du droit au retour de 3,5 millions de réfugiés palestiniens, mais rien qu'Arafat eût pu accepter et vendre à son propre peuple. Malgré les protestations de libéraux israéliens (tels Amos Oz) selon lesquels permettre à 3,5 millions de réfugiés palestiniens à revenir chez eux serait suicidaire pour Israël, une solution existait. La vision israélienne selon laquelle 3,5 millions de réfugiés palestiniens submergeraient Israël ne tient pas debout. Ce que les Palestiniens veulent, c'est que les Israéliens leur demandent officiellement pardon d'avoir pris leur terre. Israël pourrait accepter quelques centaines de milliers de réfugiés chez lui et payer - ou obtenir des Etats-Unis, du Japon ou de l'Europe qu'ils paient - des compensations pour les autres, la grande majorité des réfugiés qui choisiraient de demeurer où ils vivent actuellement.
L'une des propositions mises sur la table fut un échange de territoires : les Palestiniens se seraient vu remettre une partie du territoire d'Israël même, proche de la Cisjordanie, en échange de l'annexion d'une partie de la Cisjordanie par Israël. Arafat aurait pu présenter cette option aux réfugiés en leur disant : "Vous voyez, vous retournez en Israël, comme je vous l'avais promis". Barak aurait pu dire, avec la même facilité : "Vous voyez, ici, ce n'est plus Israël, mais la Cisjordanie". Des solutions étaient possibles, mais à la fin, Barak n'a rien voulu céder sur le droit au retour des réfugiés.
Une offre authentiquement généreuse de Barak aurait permis la paix : voilà l'occasion historique qui a été gâchée. Si Israël avait été plus magnanime à Camp David, il aurait pu obtenir un gain bien supérieur, celui d'une stabilité sur le long terme.
La représentation israélienne des faits, selon laquelle Arafat aurait décliné une offre immensément généreuse présente un grave danger. Avaliser cette version des faits ne peut que contribuer à pérenniser le mythe israélien qui veut que les Palestiniens ne seront pas contents tant qu'ils n'auront pas repoussé les Juifs dans la mer et que la Cisjordanie et Gaza sont pleins d'hommes armés et de poseurs de bombes qui font tout pour que cela arrive.
Des gens comme ça, il y en a. Mais la majorité des Palestiniens sont moins intéressés à la destruction d'Israël qu'à la construction d'un Etat palestinien digne de ce nom. La plupart d'entre eux sont plus exaspérés par l'indigence des dirigeants, la corruption endémique dans l'entourage d'Arafat et le manque de démocratie dans leur propre société qu'ils ne le sont par l'existence d'Israël. Ce qu'ils veulent, c'est que l'armée israélienne rentre chez elle en n'oubliant pas de prendre avec elle les colons juifs. Il n'y aura pas de paix tant que cela ne sera pas fait.
Rien dans la carrière du Premier ministre israélien, Ariel Sharon, ne suggère qu'il le fera. Au contraire, il continuera à écraser les Palestiniens et à s'accaparer d'encore plus de leurs territoires. Le seul pari que l'on puisse faire, sans risque de se tromper, c'est qu'il y aura encore beaucoup de ruines palestiniennes...
                 
11. Les seules options possibles par David Newman
in The Jerusalem Post (quotidien israélien) du mercredi 11 avril 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(L'auteur de cet article est président de la Faculté de Sciences Politiques et d'Administration Publique à l'Université du Néguev-Ben Gourion)
Les Juifs de Cisjordanie vivent des temps difficiles. Dès lors que des obus de mortier tombent dans leur jardin, il n'est pas étonnant qu'ils se posent des questions sur les sous-entendus des accords d'Oslo. Et lorsque leurs enfants sont blessés, voire tués, comme cela est malheureusement arrivé à Kfar Darom, à Hébron ou à Netzarim, ils se répandent en invectives à l'adresse du gouvernement qui, disent-ils, ne réplique pas avec la fermeté voulue. Et tandis que nous jouissons du repos de nos maisons, ailleurs en Israël, nos coeurs sont auprès des parents et des enfants des victimes, blessés ou tués. Et tout particulièrement auprès des enfants, dont beaucoup sont confrontés à l'expérience éprouvante de la peur des bombes potentielles et des tirs de snipers, pour la simple (et mauvaise) raison que leurs parents envisagent de sang-froid de les mettre en première ligne de leur combat idéologique pour le "Grand Israël".
Mais notre surcroît de sympathie pour les personnes individuelles ne saurait modifier (notre) réaction initiale en ce qui concerne l'existence des implantations. Elles continuent à représenter un obstacle dressé devant tout accord territorial à venir, lorsque les négociations reprendront (si elles reprennent un jour), en particulier ces colonies isolées au coeur du territoire de la Judée et de la Samarie et/ou celles qui créent des enclaves de quelques centaines de personnes au coeur d'un million de Palestiniens, comme c'est le cas des colonies de la bande de Gaza.
Pour le gouvernement, utiliser la puissance militaire, afin de punir les terroristes palestiniens, dans une tentative de mettre un terme aux incidents violents, est une chose. Tout autre chose est d'autoriser publiquement la construction et le développement de sept cent logements supplémentaires, dans le cadre d'une politique visant à rendre les implantations encore plus étendues et plus difficiles à évacuer à l'avenir, comme il vient de le faire, la semaine dernière.
La réalité, c'est que, depuis 1984, quand le premier gouvernement d'unité nationale fut formé, les politiques gouvernementales visant à "geler" les activités de colonisation se sont enchaînées. Mais durant toute cette période - gouvernements Rabin et Barak compris - les colonies ont poursuivi leur expansion, passant d'une population d'environ 20 000 personnes au milieu des années quatre-vingt à près de 200 000, aujourd'hui.
Le soi-disant "gel" des nouvelles implantations s'est simplement traduit par l'arrêt de la construction de nouvelles colonies. Mais si nombreuses sont celles à avoir été construites entre la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt, exiguës et non-viables, pour la plupart, que les simples expansion et consolidation des implantations existantes ont abouti au développement de communautés qui comptent aujourd'hui des centaines - voire, dans certains cas, des milliers - d'unités familiales. Ces implantations sont beaucoup plus solidement ancrées et viables qu'elles ne l'auraient jamais été si les différents gouvernements qui se sont succédé avaient autorisé les colons à poursuivre (à leur guise) l'installation de toujours plus d'implantations nouvelles.
La présence continue et au long cours des implantations représente une menace majeure pour l'existence même de l'Etat juif. De même que le rêve post-sioniste d'un Etat séculier appartenant à toutes les personnes qui y résident et en sont les citoyens représente une menace culturelle, le rêve néo-sioniste, de droite, d'un "Grand Israël" représente une menace démographique pour l'existence permanente d'un Etat habité par une majorité juive. C'est l'un des grands paradoxes de la vie politique israélienne que la droite et les mouvements des colons religieux, malgré leur forte insistance sur le nationalisme juif et la souveraineté juive, ont posé les actes qui pourraient bien rendre la division du territoire entre deux Etats encore plus difficile, en ayant créé de facto un Etat binational où les Palestiniens arabes finiront un jour par être plus nombreux que les Israéliens juifs.
Les alternatives - le transfert de population (Kach et Rehavam Ze'evi) , ou l'apartheid - sont si repoussantes pour la grande majorité des Israéliens que l'option de base demeure la même, (shakespearienne) : "intifada or no intifada" ?
Soit nous avons un seul Etat binational entre le Jourdain et la Méditerranée et nous perdons l'essence même du foyer juif et la souveraineté, ou nous continuons à rechercher les moyens permettant aux deux populations de vivre séparément, chacune résidant sur son propre territoire souverain.
Ni le degré atteint par la violence du côté des Palestiniens, ni la rétorsion de l'armée israélienne, ni la cessation des négociations politiques et des contacts diplomatiques ne peuvent rien changer à ces données premières du problème. Nous devons choisir : les implantations, sans frontières ; ou : les frontières, sans implantations.
Et si nous choisissons la deuxième option, il n'y a plus aucune justification possible à la poursuite de l'expansion des colonies via le développement de nouveaux quartiers périphériques (aux colonies existantes, ndt). Ceci ne pourrait que contribuer à entretenir l'illusion trompeuse, chez de trop nombreux colons, qu'une fois de plus, le danger d'une évacuation inexorable leur aurait été épargné in extremis (grâce, cette fois-ci, à la stupidité des Palestiniens incapables d'accepter les propositions de Barak, et à celle des électeurs israéliens portant Ariel Sharon au pouvoir).
Plus les espoirs sont grands, plus dure est la chute, lorsqu'elle se profile à l'horizon. Les rêves sont brisés, les aspirations - frustrées, l'amertume contre les gouvernements, les leaders et l'immense majorité de la population (qui, le jour venu, ne votera certainement pas le maintien en place des colonies si un réel traité de paix assurant sécurité et stabilité est mis sur la table) s'exacerbe.
Tandis que des milliers d'entre eux se rassemblent à Hébron pour célébrer Pessah, cette semaine, les colons auraient grand tort de se réjouir "d'avoir été sauvés". Non, (il n'y a pas matière à se congratuler, ndt). Il est grand temps de faire preuve de réalisme et de comprendre quelles sont les deux seules options offertes à Israël, et d'opter pour celle qui assurera l'existence d'un Etat juif, sur le long terme.
              
12. Comment les Irakiens font-ils face aux nécessités de la vie ? par Fatin Qubaïsy
in Al-Safir (quotidien libanais) du lundi 2 avril 2001
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Le volontarisme de la reconstruction, opposée à l'embargo. Mais reste... la tristesse.
Bagdad.  De nombreuses rues et avenues de Bagdad ne laissent rien entrevoir des bombardements et de l'embargo auquel est soumis le pays depuis dix ans : les voies de circulation, les ponts audacieux sur le Tigre, les souterrains ultra-modernes sont autant de signes que des chantiers de reconstruction gigantesques "sont passés par là". Si cela a été rendu possible par l'esprit de résistance propre à un pays qui fait profession de survivre dans l'exaltation perpétuelle des guerres, la reconstitution de ses "artères vitales" n'est pas chose aisée. D'une manière ou d'une autre, il est "coincé", tenu en quarantaine par un embargo qui ne lui permet pas de figurer dans le concert des nations, si ce n'est à travers le guichet de l'assistance alimentaire avec toutes les humiliations qu'elle implique!
En revanche, il y a une chose qui rappelle en permanence la défaite de l'Irak. Cette chose, c'est l'homme irakien : les visages que l'on rencontre, où que ce soit, sont marqués par la tristesse ou, dans le meilleur des cas, ce sont des visages peu souriants, dans la grande majorité des cas. Ces visages sont peut-être encore marqués par une sorte d'héritage de l'affliction "kerbélienne" ancestrale, mais ce vieil héritage religieux tragique trouve ses prolongements, de nos jours, dans la vie quotidienne des Irakiens qui doivent affronter une situation politique et économique lourde de dangers, qui se traduit par des bombardements américains quasi-quotidiens, par les problèmes d'approvisionnement et les difficultés pour se soigner. Entre tous ces écueils, le citoyen irakien ne peut mener une vie normale, il se sent en permanence "poursuivi" par les services secrets du régime, dont la présence invisible est partout palpable, au point que l'on a l'impression de ne pouvoir respirer qu'avec leur autorisation.
Le citoyen irakien ne peut oublier que son pays est un pays riche, que c'est le pays du pétrole, du phosphate, des palmeraies... Il ne peut oublier que huit cent fils, soit moins d'un dinar, valaient trois dollars à la fin des années quatre-vingt (avant l'invasion du Koweït, en 1991), alors qu'aujourd'hui, mille huit cent dinars ne valent pas plus qu'un dollar!
Les Irakiens évoquent avec beaucoup d'amertume et de nostalgie le passé de leur pays, certains affirmeront au cours de nos entretiens avec eux, qu'ils refusent la situation actuelle : "naturellement, on ne peut accepter de s'adapter en permanence aux circonstances imposées", nous dit Saïd Al-Hay, qui "considère que le problème politique interne et extérieur est beaucoup plus douloureux que le manque de pain". Mais il s'interrompt ; il ne peut en dire plus, confronté à la désapprobation explicite du groupe qui l'entoure, selon la règle générale que Saïd et ses amis répètent à l'envi, et qui veut que "les Irakiens ne parlent jamais de deux choses : la politique, et la religion"!
Ce refus de la réalité renferme en lui, chez certaines personnes, un profond désir de changement. Mais chez Saïd, il traduit surtout la fatalité, le défaitisme. Il se base sur l'abattement quasi-général chez les Irakiens pour nous déclarer : "nous sommes un peuple qui ne comptons pas les jours passés de notre vie ; au contraire, les jours que nous comptons avec fébrilité, ce sont ceux qui nous rapprochent de la tombe"!
Mais ces propos défaitistes n'empêchent qu'une amélioration sensible s'est produite dans ce pays, tout au moins sur le plan économique, et les signes en sont apparus, progressivement, au cours des dernières années écoulées, avec les premières tentatives de l'Irak pour briser l'embargo qui lui est imposé en incitant plusieurs pays arabes et étrangers à signer des accords bilatéraux et des contrats d'échanges commerciaux dans le cadre du mémorandum des Nations-Unies. Parallèlement, le pouvoir d'achat s'est relativement amélioré, malgré un salaire moyen équivalent à sept mille dinars, seulement, ce qui correspond à cinq dollars mensuels, alors qu'à la fin des années quatre-vingt, le salaire moyen irakien était de soixante dinars, correspondant à cinq cent dollars! Mais ce salaire moyen a régressé dans la période récente jusqu'à cinq mille dinars, pour un salaire d'instituteur, par exemple. Les professionnels touchant des primes de déplacement (entre les départements du pays) ou pour heures supplémentaires parviennent péniblement à toucher jusqu'à dix mille dinars.
Mais comment faire face aux nécessités de la vie avec cinq dollars en poche, par... mois ?
Le citoyen irakien a recours à sa carte d'alimentation qui lui permet d'obtenir gratuitement un contingent de riz, de sucre, de lait, de beurre, de farine, de savon, de poudre à laver, etc... Il peut consulter un médecin et être soigné pour un tarif symbolique, il peut étudier dans le secondaire et à l'université gratuitement. Il faut savoir que les universités qui lui ouvrent leurs portes offrent des enseignements spécialisés de qualité, comme l'université de technologie, qui forme des spécialistes aéronautique, en mécanique générale, en électricité, il y a aussi l'institut de formation des métiers de l'aviation et les divers instituts industriels. Depuis environ trois ans, des universités privées ont vu le jour ; elles peuvent recevoir un nombre supplémentaire d'étudiants, que leurs résultats au bac n'autorisent pas à s'inscrire dans les universités d'Etat, qui exigent un très bon niveau. Ces université privées offrent des cours du soir, ce qui permet aux nombreux étudiants obligés de travailler dans la journée de poursuivre leurs études. Les droits d'inscription dans ces universités privées sont de l'ordre de soixante mille dinars en moyenne. (soit un an de salaire moyen, ndt)
L'immense majorité de la population irakienne est lettrée et éduquée. La plupart des chauffeurs de taxis et de bus, les serveurs des restaurants, les grooms des hôtels, les ouvriers, sont très souvent titulaires de diplômes et ils sont qualifiés : ils ont été contraints d'embrasser ces professions en raison de la faiblesse des salaires (ou du manque de débouchés) dans les métiers pour lesquels ils ont été formés. Si certains ont deux emplois, et travaillent de nuit pour améliorer leurs revenus, nous constatons par ailleurs que ce pays n'échappe pas non plus à un chômage endémique, surtout en province.
Si Muhammad Salih, ingénieur dans un raffinerie de pétrole depuis plus de dix ans perçoit (primes comprises) cinquante mille dinars par mois, Ali al-Rimahi, titulaire d'une maîtrise dans le même domaine ne perçoit pas plus de vingt mille dinars, car il n'a pas d'expérience professionnelle à faire valoir. C'est pourquoi il a quitté sa raffinerie, préférant se mettre à son compte, avec ses frères : ils ont ouvert un bureau de service de voituriers qui est très sollicité pour véhiculer les différentes délégations officielles qui visitent le pays. Il gagne désormais vingt mille dinars, mais pas par mois : ... par jour!
Ali, marié et père de trois enfants, se place dans la classe moyenne, mais il ne jouit d'aucun bien-être, un de ses enfants, âgé de sept ans, étant atteint d'une double malformation valvulaire due à l'exposition de son épouse, au cours de sa grossesse (en 1993), aux effets de l'uranium appauvri présent dans les déchets des bombardements américains. L'opération nécessaire, qui sera réalisée cette année par un Irakien spécialiste en chirurgie cardiaque, coûtera environ un million de dinars, ce qui impose à Ali le choix entre deux choses : soit il devra vendre sa voiture (son outil de travail), soit il sera contraint de s'endetter. Il faut savoir, à ce propos, que la région qui présente le plus de risques d'exposition aux radiations dues à l'uranium appauvri est le département de Bassorah (au sud du pays), proche du Golfe. Les enfants y sont atteints de nombreuses malformations, si bien qu'il y a quelques mois, les médecins n'ont pu que déconseiller aux femmes de cette région d'avoir des enfants...
Si la classe moyenne est bien présente dans certains quartiers de la capitale comme al-Karradah, al-Mansurah, al-Hirasat, qui sont, aux yeux des Irakiens, des quartiers "chic", la pauvreté s'aggrave dans d'autres quartiers de Bagdad, ainsi que dans l'ensemble de la province. La mendicité a régressé de manière notable à Bagdad dans la période récente. La dureté des temps a entraîné une baisse de la nuptialité jusqu'à environ 20%. C'est ce que nous indique Ahmad Mubarak, qui travaille dans le domaine social, et qui regrette quelque part de s'être marié et d'avoir eu deux enfants, dans des circonstances qui rendent difficile la simple survie. Il nous dit qu'il lui est impossible de voyager : "je ne peux pas laisser seule ma famille dans des circonstances politiques troublées et peu sures. Je ne peux pas non plus les emmener à Amman, par exemple, puisque le coût du voyage serait de plus de deux millions quatre cent mille dinars" (six cent mille dinars pour chacun des passeports, auxquels il faut ajouter cent dollars pour le bus).
Le recours aux ressources propres
Anticipant sur la "levée" de l'embargo en s'ouvrant commercialement sur l'extérieur, l'Irak a commencé à faire face à cet embargo dès le moment où il fut imposé, au début des années quatre-vingt dix, en recourant à son potentiel humain, essentiellement. Le pays a pu, grâce à l'intelligence de ses citoyens et aux plans des ingénieurs et des techniciens, dans lesquels ils ont tenu le plus grand compte des pénuries en matières premières pour lesquelles l'Irak dépendait de l'extérieur, en vue de la reconstruction des bâtiments, des institutions et des infrastructures vitales détruits par la guerre, en se basant sur les ressources propres du pays.
Ainsi, l'Irak a construit des hôpitaux, des ponts, des routes, il a reconstruit des abris, des églises, des mosquées et des musées. En 1992, soit un an et demi seulement après le début de l'embargo, l'Irak avait fêté l'inauguration de nombreuses entreprises reconstruites. Le musée "de la Résistance et du Défi", fondé à la fin de l'année 1991, soit environ un an après l'agression américaine contre l'Irak, est le monument élevé à la gloire de cette grande politique de reconstruction. On y voit des maquettes des dix-huit émetteurs de radio et de télévision bombardés, dans l'ensemble des  dix-huit départements de l'Irak. En face de chacune de ces maquettes sont exposées celles qui montrent l'état d'avancement de leur reconstruction. On y voit également une maquette du palais des congrès, bombardé en même temps que l'hôtel Al-Rashid, ainsi que la maquette du nouveau palais des congrès en construction à Bagdad, et aussi les maquettes des ministères et des sièges de différentes administrations endommagés par les bombardements avec, en vis-à-vis, les maquettes montrant les restaurations menées à bien. Des panneaux expliquent au visiteur la date du bombardement de ces différents palais nationaux, l'importance des dégâts qui leur ont été infligés, l'avancée des travaux de reconstruction et leur coût.
Mais quelque grandes que soient les compétences et les capacités humaines, l'interdiction qui frappe les importations reste la pierre d'achoppement essentielle, qui empêche d'assurer à la population les services essentiels, vitaux, que seuls peuvent apporter les équipements médicaux, les stations d'épuration et de pompage, certains équipements pour les centrales électriques. Ceci se traduit par l'extension galopante des épidémies, surtout chez les enfants, en raison du manque de soins et de la pollution de l'eau, que viennent aggraver des coupures de l'alimentation en électricité dues au contingentement, tout particulièrement en province. Le phénomène de la location de groupes électrogènes se répand dans tous les départements, ajoutant un fardeau financier supplémentaire aux citoyens : pour la location d'un groupe électrogène, pour les besoins d'une famille moyenne, il faut compter en moyenne six mille dinars par mois !