Témoignage
Cours Tarek ! de Nathalie
Laillet, citoyenne de Naplouse en Palestine
Jeudi 12 avril 2001 - Les
maisons détruites a Khan Younes. C'est la qu'habite, pardon, qu'habitait, Tareq.
Depuis hier, il n'a plus de maison. Plus de lit. Plus de cahier. Plus de jouets.
Plus de vêtements. A minuit, les obus ont commence a tomber. A minuit, il
dormait bien évidemment. On va se coucher tôt dans les camps de réfugiés. Il n'y
a rien a faire. Pas de cinéma et surtout pas d'argent pour y aller. Alors, il
dormait. Les bruits des bombes. Sa maman qui le réveille en sursaut. Pas le
temps de s'habiller, tout le monde dehors! Il est encore endormi, la tête dans
ses rêves. Les bombes, les chars, les hélicoptères. Il faut courir, courir
devant les chars. Pour ne pas mourir. Les petits yeux de Tareq se lèvent vers ce
monde d'adultes affoles, terrifies. Il a compris. Il a déjà
compris qu'on
voulait encore le tuer. Alors, il ne demande rien. Il court avec les autres.
Devant les chars. Il court dans la nuit. Les lumières sont coupées, il fait
noir. Le bruit des bombes. Encore. Les balles. Les balles traçantes qui
déchirent la nuit. Le feu qui embrase les maisons touchées par les obus. Il
court droit devant lui, avec ses frères et sœurs, ses copains, ses parents. Sans
se retourner. Sans réfléchir. Instinct de survie. Il court. Il pensera,
réfléchira après. Il souffrira après. Quand il ne retrouvera plus son ours en
peluche ou son tee shirt préféré. Pour l'instant, il court. Il baisse la têtes
sous le bruit des balles. Il court avec Hanin, si douce. Elle doit pleurer en
silence sans faire de bruit, pour ne pas attirer l'attention sur elle. Il court
avec le vieux monsieur voûté a la moustache blanche qui nous a offert le thé. Il
court avec les shebabs, Abed, Yad, Islam et les autres. Déjà, des rumeurs. Un de
leurs voisins serait mort. On verra après. Lui, il court. Il court jusqu'au bout
du monde, jusqu'au bout du camp. Dans la nuit, les bombes, les larmes, la
peur.
A Cinq heures du matin, les bombes ne tombent plus. Le jour se lève. Le
soleil brille dans le ciel de Gaza. Pas dans le cœur de Tareq et de ses copains.
Il revient doucement, en marchant cette fois. Il revient vers l'endroit ou hier
encore il habitait. Vers sa maison. Qu'est ce qu'une maison pour un gosse de 4
ans ? L'univers tout entier....Il revient vers son univers. Vers sa maison de 3
mètres sur 3, au toit de tôle, à l'unique fenêtre, aux murs de parpaings. Il ne
la voit plus. Il n'y a plus de maison.
Plus de rue. Les endroits ou il jouait
avec ses copains, les meilleurs cachettes qu'il avait trouvées pour jouer a
cache-cache, ne sont plus la. Par terre, des débris de maison. De sa maison. La,
sous les parpaings, ses vêtements, son ours, ses trésors a lui. Dans la
poussière. Enfouis. Il ne les voit pas. Il ne voit que son père qui cherche tant
bien que mal a retrouver quelques petites choses. Il ne voit que sa mère, assise
par terre, la tête dans les mains et qui pleure. Il ne voit que ses grands
frères dont le regard plein de haine se tourne vers le groupe de colonies du
Goush Katif. Le poing lève. Ses yeux a lui se lèvent vers ce monde de fous. Il a
4 ans et on a déjà voulu le tuer plusieurs fois. Dans 10 ans, si dieu lui prête
vie, il lancera des pierres. Comment l'en blâmer ? Dites-moi donc qui sont les
auteurs de la violence a Khan Younes ? Qui doit "cesser les violences" ? Il
regarde sa maison détruite, il entend la haine monter des poitrines de ses
aines, il voit les pleurs, il connaît déjà l'odeur de son propre sang. Hanin est
toujours près de lui. Alors parce que ca fait trop mal, parce qu'il ne veut pas
qu'on le voit pleurer, il se remet a courir. Il fuit encore. Il court jusqu'au
bout du camp, jusqu'au bout du monde. Pour hurler a la face du monde son droit a
la justice et a la paix. Cours, Tareq, et va dire au monde que tu ne veux qu'une
chose : Vivre !
Prochain
rendez-vous
8
heures pour la Palestine le samedi 5 mai 2001 à Nantes
Une manifestation organisée par un collectif d'associations nantaises
(Association Médicale Franco-Palestinienne - Pays de Loire Gaza Jérusalem -
Ligue des Droits de l'Homme - CCFD - Bien Jouer - Enfants Réfugiés du Monde Pays
de Loire - Gasprom) à la Maison de Quartier de Doulon - 1, rue de la Basse
Chesnaie - 44300 Nantes - Entrée libre jusqu'à 21 heures -
- PROGRAMME :
15 H -
Projections de plusieurs films suivis de débats "Palestine,
histoire d'une Terre" (2nde partie) de Simone Bitton (55 mn) - "Une enfance de
pierre" de Jean Lafontaine (20 mn) - "Les enfants de Chatila" de Mai Masri (30
mn) - "Les Esclaves de la Mémoire" de Eyal Sivan (90 mn) - "L'espoir voilé" de
Norma Marcos (55 mn) - "L'olivier" de Liana Badr (36mn).
17 H
- Conférence débat en présence de Leïla
Shahid, Déléguée générale de Palestine en France, aini que d'un
universitaire de retour d'une mission d'information en Palestine et d'un
responsable national du CCFD.
19 H - Buffet
palestinien, table de presse, broderies, expositions.
21 H - Soirée culturelle (Entrée : 30
F)
Récital de poésie de Mustapha Ateek
suivi d'un concert du groupe A'Arass.
Dernière
parution
Palestine / Israël, la paix ou
l'apartheid ? par Marwan Bishara
aux éditions La
Découverte
[Collection "Sur le vif" - 128 pages - 42
francs - Avril 2001 - ISBN : 2707134244]
Marwan Bishara,
écrivain et journaliste palestinien, est chercheur à l'École des hautes études
en sciences sociales (EHESS, Paris). Il est notamment l'auteur de Bill Clinton
and the Middle-East (Al Saqi, Londres) ; Israel Religious Fundamentalism (PCRS,
Naplouse) ; The Second Israël (à paraître). Il collabore régulièrement à
plusieurs journaux : International Herald Tribune (Paris), Le Monde, Al Hayat
Daily (Londres), Woz (Zurich).
Marwan Bishara est un des principaux commentateurs palestiniens sur la
région, dans ce livre, il explique les causes profondes et les enjeux de la
"deuxième Intifada". Revenant aux accords d'Oslo en 1993, il montre comment
l'asymétrie entre les Palestiniens (les occupés) et les Israéliens (les
occupants) a été ignorée par ceux qui ont parrainé ces négociations, notamment
les États-Unis. Et comment ce processus de transition mal conçu a contribué à la
mise en place du système d'apartheid et d'occupation actuel.
Contrairement à
l'opinion courante et à l'optimisme de surface qui ont caractérisé l'attitude
occidentale vis-à-vis du processus de paix, cet ouvrage montre que celui-ci
était condamné à l'échec dès l'origine. Depuis les cérémonies d'Oslo jusqu'au
massacre sur l'Esplanade des Mosquées en septembre 2000, les sept accords signés
ont produit sept années de prospérité pour les Israéliens et sept années de
misère pour les Palestiniens.
Mais plutôt que de s'affliger de l'échec du
processus, Marwan Bishara invite le lecteur à regarder en avant. Examinant
lucidement les enjeux démographiques, politiques et sécuritaires, il explore les
voies qui permettront de parvenir à une solution juste et durable du conflit
israélo-palestinien.
Réseau
Déclaration du
Porte-parole du Quai d'Orsay le vendredi 20 avril 2001
-
Deux jours de suite, M. Védrine a évoqué les possibilités de revoir l'accord
d'association entre Israël et l'Union européenne, et avant-hier il a dit que
plusieurs pays européens y pensent. Première questions : est-ce que vous pouvez
nous donner le fond de la pensée de M. Védrine ? A quels pays faisait-il
allusion ? Deuxièmement il a été question d'un document présenté par la France à
la Commission : est-ce que vous pouvez nous dire la vérité sur cela, est-ce
qu'il y a vraiment un document français sur ce sujet ?
- Sur le premier
point : comme le ministre l'a dit le 18 avril 2001, et il l'a dit également à
diverses radios, si un décalage devait continuer à apparaître entre l'objectif
et le contenu de l'accord et ce qui se passe sur le terrain, cela finirait par
poser un problème. Quel problème ? Il tient à la teneur de l'article 2 de
l'Accord d'association qui dit que "les relations entre les parties de même que
toutes les dispositions du présent accord se font dans le respect des Droits de
l'Homme et des principes démocratiques qui inspirent leur politique interne et
internationale et qui constituent un élément essentiel du présent accord".
Je
n'ai pas d'autre commentaire à faire. Le ministre s'est exprimé de manière
parfaitement claire.
- Selon M. Védrine, il y a plusieurs pays européens
qui se posent ce problème. Lesquels ?
- Je ne suis pas leur
porte-parole.
- Le Danemark, par exemple, la France aussi ?
- Je
vous renvoie aux propos du ministre. Il n'a pas souhaité le préciser.
-
Est-ce qu'il existe vraiment un "non paper" français sur le Proche-Orient
?
- Je n'ai pas à confirmer ou à démentir l'existence d'un "non
paper".
- Bien que la presse en ait déjà fait mention depuis plusieurs
jours, plusieurs semaines ?
- Nous ne commentons pas les rumeurs de
presse.
- C'étaient des rumeurs ou des informations ?
- Dans ce
cas, cela revient au même.
- N'est-il pas question justement de revoir
le mécanisme d'aide européenne aux Palestiniens ? Parce que vous vous êtes
félicités du retrait d'Israël, mais sous injonction américaine ? Est-ce que
l'Union européenne, avec cette aide qu'elle donne, peut quand même avoir une
influence politique sur le terrain, parce que c'est cela qui pose problème ?
Vous êtes le plus grand partenaire ?
- L'influence politique, surtout
dans cette région, elle dépend de beaucoup de facteurs, je ne pense pas qu'on
puisse l'acheter. L'influence politique, elle doit se bâtir peu à peu à partir
d'une volonté politique, la volonté d'être utile.
Question de Georges Hage à l'Assemblée
Nationale le mercredi 18 avril
2001
- Georges Hage, Député communiste - Si Ariel
Sharon est venu à résipiscence (reconnaissance de sa faute avec amendement…), ce
n'est certainement pas sous l'inspiration soudaine de l'avertissement
évangélique prononcé sur le Mont des Oliviers : c'est que l'administration Bush
a mis le holà ! En cela, elle fut plus prompte que la France à condamner
l'intervention militaire israélienne ! Elle l'a fait toutefois de façon très
mesurée, au regard de la gravité de cette escalade, propre à embraser le Proche
Orient tout entier...
M. Sharon, égorgeur de Sabra et Shatila, n'a pas failli
à sa réputation, cependant : se retirant de la bande de Gaza, il n'en a pas
moins lancé un message sans équivoque : les règles du jeu sont désormais
changées, a-t-il dit. De fait, depuis le début de la nouvelle Intifada, jamais
Tsahal n'avait lancé une opération d'une telle envergure dans les territoire
palestiniens autonomes. De plus, cette violation des accords d'autonomie
succédait au bombardement des positions syriennes au Liban. Ce défi lancé au
monde arabe et à la communauté internationale laisse entrevoir de graves dangers
d'extension du conflit.
Monsieur le ministre des affaires étrangères, ne
convient-il pas, comme vous le suggériez d'ailleurs vous-même, de faire preuve
de courage politique, pour contraindre Israël à la raison avant qu'il ne soit
trop tard ? La France ne devrait-elle pas saisir d'urgence le Conseil de
sécurité afin que soit envoyée dans les territoires autonomes une force de
protection ? Ne devrait-elle pas exiger une condamnation d'Israël et imposer une
suspension de l'accord d'association avec l'Union européenne ?
Pour les
incrédules et mécréants, si l'aventure il s'en trouve ici, je rappelle que le
message du Mont des Oliviers est : " Remets ton glaive au fourreau car qui règne
par le glaive périra par le glaive ! ". Dédié à Ariel Sharon !
- Hubert Védrine, Ministre des affaires étrangères
- Le Gouvernement est aussi sensible que vous à l'extrême gravité de la
situation, sans doute la plus explosive que nous ayons connue depuis dix ou
quinze ans. Nous faisons donc tout ce que nous pouvons, non pour rétablir la
confiance ou renouer immédiatement la négociation -l'entreprise serait
illusoire-, mais pour arrêter l'engrenage. Saisir le Conseil de sécurité ? Nous
l'avons fait il y a quelques semaines mais nous avons dû constater que le projet
d'envoyer des observateurs supposait au préalable un accord entre les deux
parties. L'idée a sans doute de l'avenir, mais nous n'en sommes pas au stade où
elle pourrait se concrétiser. Il s'agit simplement aujourd'hui d'éviter le
pire.
Certains pays songent en effet à s'appuyer sur les clauses de l'accord
passé entre l'Union européenne et Israël pour mettre les dirigeants de ce pays
devant leurs responsabilités. Le Conseil d'association doit se réunir
prochainement et si l'écart devait rester aussi flagrant entre le contenu de
l'accord et la situation sur le terrain, nul doute que l'Europe ne pourrait
ignorer le problème.
Revue de
presse
1. Jean-Marie Gaubert, un militant de la cause
palestinienne par Mouna Naïm
in Le Monde du mardi 24 avril
2001
Président de la plate-forme des ONG françaises pour la Palestine,
Jean-Marie Gaubert est mort, samedi 14 avril à Paris, à l'âge de quarante-neuf
ans des suites d'un cancer. Il a été porté en terre vendredi 20 avril, dans son
village natal de Capdenac, dans l'Aveyron.
Ceux qui ont collaboré avec
Jean-Marie Gaubert, en tant que militant ou dans sa vie professionnelle, portent
le deuil d'un homme dont la discrétion, la pudeur et la sobriété n'avaient
d'égal que la générosité, la lucidité, l'efficacité et la fidélité à ses
convictions, notamment le soutien aux droits du peuple palestinien. Obstiné,
sobre et pudique, Jean-Marie Gaubert préférait aux fonctions de prestige le
travail concret et efficace. Il était un militant de l'ombre, alors même qu'avec
d'autres il a été à l'origine de nombreux projets et initiatives. Mais jamais il
ne versa dans l'austérité obsessionnelle et quasi sacrificielle de ceux qui
défendent une cause. C'était, assurent ses intimes, un bon vivant, très fin
connaisseur de musique classique et d'architecture romane, un féru d'histoire et
aussi un infatigable randonneur.
Lorsque, en octobre 1974, Jean-Marie Gaubert
fonde l'Association médicale franco-palestinienne (AMFP) - avec les professeurs
Paul Milliez, Marcel Francis-Kahn et Michel Larivière, ainsi que Marie-Claude
Hamchari, veuve de Mahmoud Hamchari représentant de l'OLP en France, assassiné
deux ans plus tôt -, il n'est pas un novice en politique.
Membre du PSU dès
le début des années 1970, puis du PSUM (PSU maintenu), il participe à l'aventure
de la Gauche ouvrière et paysanne et à celle de l'Organisation communiste des
travailleurs.
C'est ce bref passage au sein de l'extrême gauche
internationaliste qui semble avoir été déterminant dans son engagement pour la
Palestine. L'AMFP, dont Jean-Marie Gaubert était devenu président en 1988, fut
une des toutes premières structures pro-palestiniennes dans le paysage politique
français. D'emblée, elle a soutenu l'OLP et le droit à l'autodétermination du
peuple palestinien et s'y est employée aux plans politique et pratique - très
centrée sur les camps palestiniens du Liban jusqu'en 1985, puis sur la
Cisjordanie et la bande de Gaza, sans laisser tomber le Liban.
FIDÈLE À SES
CONVICTIONS
Jean-Marie Gaubert fut également l'un des fondateurs, en 1985, du
Comité de coordination international des ONG sur la question de Palestine
(CICP), dont la création avait été décidée par l'Assemblée générale de l'ONU,
sur proposition du Comité onusien pour la défense des droits inaliénables du
peuple palestinien.
Le CICP, qui avait un secrétariat permanent à Genève, a
notamment joué un rôle précurseur dans le dialogue israélo-palestinien, dans la
mesure où il a servi de lieu semi-institutionnel de rencontre entre l'OLP et des
ONG palestiniennes avec des ONG israéliennes, à un moment où une loi israélienne
criminalisait toute rencontre avec l'OLP. Le CICP a également facilité des
rencontres entre Palestiniens "de l'intérieur" et "de Tunis". Jean-Marie Gaubert
a par ailleurs participé aux activités du Centre international d'information sur
les prisonniers, déportés et disparus palestiniens et libanais, créé en juillet
1982 à Paris, lors de l'invasion israélienne du Liban. En 1993, il fut enfin
l'un des principaux promoteurs de la plate-forme des ONG françaises pour la
Palestine, qui comprend vingt et un membres.
Son combat ne se cantonnait pas
à la Palestine. Il a été secrétaire général de la Ligue française pour les
droits et la libération des peuples, depuis sa création en 1976, et a contribué
à l'organisation de plusieurs sessions du Tribunal permanent des peuples, créé
par le sénateur socialiste italien Lelio Basso, grande figure de la résistance
italienne durant la seconde guerre mondiale. Son parcours professionnel reflète
lui aussi sa fidélité à ses convictions. L'un des fondateurs d'Italiques,
société coopérative ouvrière de production (Scop), Jean-Marie Gaubert a ensuite
rejoint Incidences, une autre coopérative spécialisée dans la communication,
dont il était le chef de production et l'administrateur. Parallèlement, il était
très actif dans la confédération des Scop.
2. "Des événements en chaîne peuvent provoquer une
escalade et aboutir à la guerre" - Entretien avec Edward Djeredjian
réalisé par Sylvain Cypel
in Le Monde du mardi 24 avril
2001
ARABISANT, directeur du James A. Baker Institute for Public
Policy à l'Université Rice aux Etats-Unis, Edward Djeredjian a été ambassadeur
en Syrie et en Israël et sous-secrétaire d'Etat chargé du Proche-Orient sous les
administrations Bush et Clinton.
- "Comment expliquez-vous l'attitude du
secrétaire d'Etat, Colin Powell, qui semble avoir quasiment intimé l'ordre à
Israël de replier son armée du territoire palestinien où elle s'était introduite
à Gaza ?
- La situation au Proche-Orient est devenue très dangereuse. Il
existe un vrai risque d'escalade, qui peut aboutir à un vaste conflit armé. Je
suis convaincu que ni les pays arabes ni Israël ne le souhaitent. Mais dans
cette région, une étincelle peut faire que la violence débouche sur une large
conflagration, même si aucune des parties prenantes ne l'a voulu. Là est le plus
gros danger. C'est dans ce cadre qu'il faut replacer la déclaration de Colin
Powell.
- Imaginez-vous une succession d'événements qui rendraient
possible l'éclatement d'une guerre israélo-arabe ?
- Malheureusement,
dans cette région, cela peut tout à fait survenir. Et il faut absolument
l'empêcher. C'est pourquoi il faut imposer aux deux parties, israélienne et
arabe, d'agir avec énormément de retenue. D'où l'attitude de Colin Powell. Car
le soit-disant "processus de paix" n'a apporté aucun résultat positif. La
négociation israélo-syrienne a échoué. Celle de Camp David, entre Israéliens et
Palestiniens, également. Le prix de ces échecs, c'est, du côté arabe, une énorme
frustration populaire. L'immense désespoir des Palestiniens, dont la vie n'a
fait qu'empirer durant la longue période des pourparlers, s'est traduit par
l'inti fada Al-Aqsa. Les Juifs d'Israël, eux, ont été sous le choc quand ils ont
vu les Palestiniens d'Israël manifester leur solidarité avec ceux des
territoires.
Ils en ont conclu qu'ils étaient menacés jusqu'au sein même de
leur Etat. Aujourd'hui, les Israéliens considèrent massivement qu'après toutes
ces négociations ils n'ont ni paix ni sécurité. C'est l'une des leçons que
l'administration Bush a tirées : en diplomatie, on ne peut pas procéder sans
tenir compte de l'opinion publique des parties.
"A cela, il faut ajouter le
facteur Hezbollah. Ehoud Barak a pris la décision stratégique de se retirer
unilatéralement du sud du Liban, alors qu'une négociation était engagée avec le
président -syrien, Hafez El- Assad. Il voulait indiquer à Damas que la Syrie ne
pouvait plus jouer de la "carte libanaise". Ensuite, le sommet Clinton-Assad, à
Genève, a tourné court. Bilan : le Hezbollah a exploité le retrait israélien
pour clamer : "Nous avons acquis par la lutte ce qu'aucune armée arabe n'a
jamais obtenu d'Israël." Le message envoyé aux Palestiniens était clair :
"Oubliez Oslo, nous vous avons montré la bonne voie." Lorsque Camp David a
échoué, cette vision a commencé à trouver un écho jusqu'au sein même du Fatah,
le parti de Yasser Arafat. Au final, vous avez le désespoir palestinien, la peur
et la déception israéliennes, qui font un cocktail éminemment dangereux et
rendent la situation imprévisible.
- Vous craignez des "dérapages
incontrôlés"?
- Evidemment. On peut tout à fait imaginer une série
d'événements en chaîne, qui provoque l'escalade et aboutisse à une nouvelle
guerre israélo-arabe. Dans les sociétés proche-orientales, on peut facilement
aller vers des dé- veloppements non souhaités par les régimes en place, par
exemple s'ils se sentent menacés dans leur survie. On l'a vu en 1967. Hussein de
Jordanie ne voulait pas la guerre. Mais il s'est trouvé obligé de s'y engager, à
cause de l'"unité arabe" et de la pression de la rue, pour préserver sa
monarchie. Il faut absolument restreindre la violence, reprendre la
collaboration sécuritaire entre Israéliens et Palestiniens, qui permettra de
relancer plus facilement les canaux de négociation. Pour cela, il faut que -le
premier ministre israélien, Ariel- Sharon et l'Autorité palestinienne
discutent.
- Que peuvent faire les Etats-Unis pour empêcher l'escalade
entre Israéliens et Palestiniens ?
- Le défi consiste à réunir les
parties, sur les fronts israélo-palestinien et aussi israélo-syrien, pour
réamorcer les négociations. Il n'y a pas d'autre issue. A la fin, les deux camps
devront finir par discuter de la paix. Autant que ce soit en évitant une guerre.
Comme l'a dit Colin Powell, il n'y a pas de solution militaire au conflit
israélo-palestinien. Mais combien d'Arabes et combien de Juifs devront encore
mourir avant d'en arriver à l'inéluctable solution politique ? Aujourd'hui,
effectivement, la situation profite à Saddam Hussein. Il joue avec succès la
carte du nationalisme panarabe. Il pourrait être le principal bénéficiaire d'une
guerre israélo-arabe.
Pourtant, je ne suis pas exagérément inquiet. Il reste
de la place pour l'action diplomatique. Les Etats-Unis doivent définir une
politique globale envers le monde arabe et musulman, du Maroc au golfe
Arabo-Persique. Mais la nouvelle administration ne veut pas répéter les erreurs
des démocrates. Elle n'est en fonctions que depuis trois mois. Il faut lui
donner le temps. C'est l'affaire de quelques mois."
3. "Moins il y aura de contacts entre eux et nous et
mieux ça vaudra" par Gilles Paris
in Le Monde du mardi 24 avril
2001
NÉTIV HASAARA de notre envoyé spécial
La Ligne verte passe au
bout des champs, à une bonne centaine de mètres de la clôture qui entoure le
mochav, le village de Nétiv Haasara. Après, c'est la bande de Gaza et les
colonies israéliennes d'Aley Sinaï, Dugit, Nisarit et Erez. Les trois tirs de
mortiers palestiniens enregistrés à ce jour dans ce village, fondé en Israël au
début des années quatre-vingt par des colons expulsés du Sinaï égyptien, sont
tombés sur des terres agricoles. "Heureusement, ils n'ont pas fait de dégâts, ce
sont des obus de faible puissance, ce sont des tirs de mortiers, pas les
katiouchas du Hezbollah. Jusqu'à présent, il faut dire que ce n'est pas
terrible", estime Yacov Weissmann.
Yacov et sa femme Alisa étaient absents du
village lorsque le premier obus est tombé. Ils assurent ne pas avoir été
surpris. "La frontière est si proche! Déjà, lors de la première Intifada,
l'armée s'était opposée à une manifestation de Palestiniens qui voulaient monter
au mochav", raconte Alisa. La haute clôture grillagée qui entoure Nétiv Haasara
et le portail électrique imposant qui commande l'entrée principale donnent au
village des allures de camp retranché.
"On nous a installé ce portail après
les accords d'Oslo (signés en 1993), soi-disant pour nous rassurer, tout comme
on nous a installé un mirador pour surveiller la plage", précise Yacov. Depuis
les tirs, les habitants du village ont révisé les dispositions de défense
passive. Ils ont vérifié l'état des masques à gaz dont ils disposent depuis la
guerre du Golfe, il y a dix ans, et l'état de l'abri dont est pourvu chaque
maison. "La routine", selon Yacov.
"LA RÉPLIQUE ISRAÉLIENNE A ÉTÉ
MESURÉE"
Du village juché sur les dunes entre la mer et la route qui dessert
Gaza, on aperçoit les toits de tôle du point de passage d'Erez et, un peu plus
loin, les terres palestiniennes de Beit Hanoun dont l'armée israélienne avait
brièvement pris le contrôle mardi 17 avril. "J'étais sûre que l'armée ne
resterait pas à Beit Hanoun", déclare Alisa.
Elle et son mari sont convaincus
que "la dissuasion" est "indispensable et obligatoire, parce qu'Israël ne peut
pas rester sans rien faire, surtout après être parti du Liban la queue entre les
jambes" en mai dernier. Mais ils pensent aussi que les militaires n'ont pas
intérêt à rentrer dans les zones autonomes. "Moins il y aura de contacts entre
eux et nous et mieux ça vaudra", assure Yacov.
"Arafat veut tester Sharon,
lui faire commettre une faute pour que les Européens interviennent.
Heureusement, pour l'instant, les tirs de mortiers ne sont pas massifs et ils
n'ont pas encore fait de victimes, la réplique israélienne a été mesurée, les
bombardements ont visé des bâtiments de la Force17 (la garde du président
palestinien) qui étaient bien évidemment vides depuis longtemps. C'est encore de
l'ordre de la guéguerre", estime Yacov.
Ni Alisa ni lui ne font de différence
entre des tirs contre des colonies et des tirs qui tombent au-delà de la Ligne
verte. Au contraire, les obus lancés sur le sol israélien montrent selon eux "le
vrai visage d'Arafat". "Tout ce qui se passe depuis sept mois est plutôt
bénéfique pour l'opinion israélienne", assure Yacov, "avant, il y avait une
opposition entre la gauche, qui disait que les colonies étaient un obstacle à la
paix, et la droite, qui assurait qu'elles étaient au contraire un obstacle à la
guerre. Maintenant, on voit bien qu'Arafat ne fait pas de différence entre les
colonies et Israël."
4. Mgr Sabbah :
"Rétablir les droits des Palestiniens" par Pierre Barbancey
in
L'Humanité du lundi 23 avril 2001
Reçu vendredi par le Club de la
presse arabe à Paris, Monseigneur Michel Sabbah, patriarche latin de Jérusalem,
a dénoncé la violence qui secoue le Proche-Orient et " qui ne devrait pas être
une situation normale pour les deux peuples ". La violence, a-t-il dit, " réside
dans l'occupation militaire des territoires palestiniens. Si Israël veut la
paix, cette occupation doit cesser ". Il a également rappelé que les
Palestiniens ont déjà fait une concession de taille en ne demandant que 22 % de
la Palestine historique, incluant Jérusalem-est et les lieux saints. " Cela
signifie qu'Israël contrôlerait 78 % de cette entité historique. " Pour le
patriarche latin, " la voie pour la paix et la sécurité - les deux peuples y ont
droit - nécessite que les Palestiniens et les Israéliens soient amis. Pour cela,
les Palestiniens doivent être rétablis dans leurs droits ". Il a ajouté : " Òtre
pro palestinien ou pro israélien est inutile. Il faut aider les deux à faire la
paix. "
Plus précisément interrogé sur l'attitude de l'Eglise (120 000
chrétiens vivent en Israël et 50 000 dans les territoires palestiniens), Michel
Sabbah a souligné la position du Vatican " qui considère que le peuple
palestinien est un peuple comme tous ceux de la Terre et qui doit avoir tous ses
droits ". Selon lui, " Jérusalem doit être une ville de réconciliation, ce qui,
pour l'Eglise de Jérusalem, signifie que ce qui est palestinien doit être
respecté, c'est à dire rester palestinien ou le redevenir ". Le problème de
Jérusalem " peut être réglé de différentes manières, c'est une question de
volonté. Soit on établit une séparation entre l'est (palestinien) et l'ouest
(israélien), soit on met en place une souveraineté partagée, ce qui nécessite
tout d'abord la reconnaissance de la souveraineté palestinienne ". Côté
religions, l'important étant " le respect du sentiment religieux pour garder la
paix et la tranquillité dans les lieux saints
".
5. Arafat à l'école de Ben Gourion par Didier
François
in Libération du lundi 23 avril 2001
A l’instar du leader
juif avant 1948, il utilise les extrémistes..
Gaza envoyé
spécial
Fatalistes, policiers et soldats palestiniens ont une nouvelle fois
abandonné leurs quartiers, hier dès la fin de la matinée. Commissariats,
casernes, cantonnements, tout ce qui ressemble à un bâtiment militaire a été
vidé dans la crainte de représailles. Menace que personne, à Gaza, ne songe à
prendre à la légère. «Le gouvernement d'Israël ne fait aucune distinction entre
une attaque au mortier contre des villes et villages du Néguev et un
attentat-suicide ou terroriste à Kfar Saba, a prévenu Raanan Gissin,
porte-parole du Premier ministre, après l'attentat d'hier. L'Autorité
palestinienne, ses forces de sécurité en assument l'entière responsabilité.» La
revendication par les islamistes du Hamas de ce qu'ils appellent un «acte
d'autodéfense» n'y a rien changé. Sharon a la conviction que seul Arafat peut
mettre un terme au harcèlement des groupes armés. Depuis son élection,
l'ex-général n'a eu de cesse de peser en ce sens sur le président palestinien.
Ses diplomates diabolisent le vieux dirigeant, pendant que ses militaires
prennent pour cibles les unités réputées parmi ses plus fidèles, au prétexte
qu'elles collaborent avec les groupes clandestins, plutôt que de leur donner la
chasse.
Position ambiguë. «C'est une stratégie extrêmement périlleuse qui
nourrit le cycle de la violence», estime Mohamed Hamza, directeur du Centre
national palestinien d'études stratégiques et conseiller très écouté dans les
cercles dirigeants de Gaza. Il ne nie en rien les ambiguïtés de la position
d'Arafat. «S'il le voulait, le raïs pourrait arrêter tous les membres des
groupes extrémistes, islamistes ou autres. Il en a le pouvoir. Mais cela aurait
un coût politique énorme. Car, s'il décidait d'user de coercition pour les
remettre au pas sans avoir obtenu la moindre concession de la part des
Israéliens, il deviendrait un simple pion chargé de garantir leur sécurité. Un
rôle qu'il n'acceptera jamais. Alors, pour l'heure, il préfère coopérer avec ces
forces qui se sont développées hors des secteurs organisés de l'Autorité.»
Cette attitude n'est pas sans rappeler paradoxalement celle d'un autre
dirigeant nationaliste de la région, un certain David Gruen, passé à la
postérité sous le pseudonyme de Ben Gourion. Président de l'Agence juive,
embryon de l'Etat juif, et de sa branche armée, la Haganah, à partir de 1935, il
combattit les Britanniques pour imposer la création d'Israël. Quand ses
structures légales coopéraient partiellement avec la puissance tutélaire, son
chef d'état-major coordonnait la résistance clandestine avec les différents
groupes sionistes radicaux, dont ceux d'Abraham Stern ou de Menahem Begin, à
travers le «Front uni de la révolte», mis sur pied en octobre 1945. La division
du travail laissait à la Haganah la défense officielle des colonies juives face
aux milices arabes, quand les extrémistes assumaient la responsabilité des
opérations les plus sanglantes, attentats à la bombe, assassinats des
représentants de la puissance coloniale, exécution des traîtres. L'autonomie des
extrémistes était réelle et Ben Gourion ne les aimait guère, mais il sut jouer
d'une ambivalence qui le renforçait dans ses négociations avec les émissaires de
Londres.
«Le piège de la guerre civile». Durant leurs longs internements,
les dirigeants militaires de l'Intifada ont eu tout loisir de dévorer les
manuels d'histoire sioniste, fond de sauce des bibliothèques pénitentiaires.
Tous savent que le mortier, alors baptisé «Davidenka» en référence à la fronde
du jeune roi vainqueur de Goliath, fut l'une des premières armes développées par
la Haganah. Et chacun se souvient comment Ben Gourion eut recours à la force
pour briser les milices qui refusaient de passer sous sa coupe, une fois
terminée la lutte de libération nationale, quand il s'agissait de bâtir un
appareil d'Etat.
«Les radicaux feraient une grave erreur en voulant
militariser l'Intifada à outrance, souligne Mohamed Hamza. La politique doit
rester au centre de notre stratégie. Les territoires palestiniens ne sont pas le
Liban, et le Hamas n'est pas le Hezbollah. Nous n'avons pas de soutiens
extérieurs, et l'on touche à d'authentiques impératifs de sécurité pour Israël.
Une escalade mal contrôlée aurait pour effet de souder l'opinion publique
israélienne et de braquer la communauté internationale contre nous. C'est là
toute la difficulté pour Yasser Arafat. Il doit éviter de tomber dans le piège
de la guerre civile interpalestinienne que lui tendent les Israéliens, tout en
s'assurant que la violence reste à un niveau limité.»
6. L'ex-conseiller de Clinton, Robert Malley : "Le
règlement du conflit n'est plus à l'ordre du jour" propos recueillis
par José Garçon
in Libération du lundi 23 avril 2001
Robert
Malley, ex-conseiller du président Clinton pour le Proche-Orient, de passage à
Paris, répond à Libération sur la situation dans la région.
- Assiste-t-on à l'enterrement de tout espoir de paix ?
- Un règlement du conflit n'est plus à l'ordre du jour. Ce n'est pas
l'objectif de Sharon, et la nouvelle administration américaine a fait une croix
sur la perspective d'un accord définitif entre Israël et Palestiniens.
- Quels sont les objectifs de Ariel Sharon ?
- Apparemment, un accord de non-belligérance à moyen ou long terme. Cela
signifie pour lui un arrêt des hostilités et un renforcement des structures
économiques de l'Autorité Palestinienne, peut-être même la création d'un Etat
palestinien et certains compromis territoriaux, mais pas le règlement du
problème des réfugiés, de Jérusalem ou des territoires. Sharon, persuadé que le
temps joue en sa faveur, croit que la puissance d'Israël lui permet de coexister
avec les Palestiniens et les Arabes, et même de prospérer, sans pour autant
faire la paix. Cette vision n'est pas viable à long terme. La violence n'est pas
viable non plus. La tragédie, c'est qu'il est plus difficile de sortir de cette
impasse que d'y rester. L'autre question est de savoir quelle est la stratégie
des Palestiniens. Après avoir rejeté les propositions de Barak et de Clinton,
quelle alternative recherchent-ils? Cette question est décisive.
- Arafat peut-il multiplier les concessions sans entrer en conflit avec
ses radicaux ?
- Il opère sur un terrain politique bien plus miné qu'un Premier ministre
israélien. Pour les Palestiniens, accepter aujourd'hui un arrêt des hostilités
contre la seule fin de l'encerclement israélien de leurs territoires, cela
signifie qu'ils se sont battus quatre mois pour revenir au statu quo précédent.
C'est l'impossibilité d'accepter cela pour Arafat qui condamne la stratégie de
Sharon. Un volet politique (concessions immédiates d'Israël sur les colonies ou
sur un transfert des territoires et reprise du processus de paix) est
indispensable. Or, c'est sur ce point qu'achoppent les discussions qui n'ont pas
cessé depuis l'élection de Sharon.
- Le refus de Sharon d'envisager de nouveaux retraits est-il une
position de négociation ?
Il reflète son sentiment profond, mais il y a là une part tactique pour
signifier qu'on n'obtiendra rien de lui par la violence et qu'il sera plus
ouvert quand elle cessera.
- Une droite dure peut-elle plus facilement imposer un accord ?
- Un accord est plus facile à faire passer pour Sharon parce que la droite
le soutient et que la gauche suivra. Mais ce n'est pas ce qu'il recherche. On
peut cependant imaginer qu'il accepte, à contrecœur, de démanteler des colonies
car il sait que c'est inévitable pour obtenir un accord avant la fin de son
mandat.
- Le fait que l'administration Bush semble plus intéressée par le
pétrole que par le règlement de ce dossier est-il un handicap majeur ?
- Bush entend se désengager du processus de négociations au quotidien, pas
de la région. Il pense que l'implication intime des Etats-Unis, à laquelle
croyait Clinton, leur a fait perdre un peu de leur autorité. L'avertissement du
secrétaire d'Etat Colin Powell à Israël a peut-être eu plus d'écho parce qu'il
parlait peu. Mais même si Bush a une autre attitude envers la région, l'alliance
stratégique avec Israël demeure. La politique de Clinton avait été guidée par la
conclusion d'un accord avec la Syrie, puis avec les Palestiniens. Avec
l'administration Bush, les intérêts pétroliers, avec l'Irak, reviennent au
premier plan et ce conflit ne doit pas contrecarrer ses intérêts.
- Qu'est-ce qui a amené la présidence Bush à intervenir ?
- Israël avait franchi une ligne rouge qui risquait d'autant plus
d'embraser la situation que cela survenait après son attaque contre les
objectifs syriens au Liban et risquait de se transformer en conflit avec le
Liban, la Syrie et les Palestiniens. L'entrée des Israéliens à Gaza avait aussi
des réminiscences de l'incursion de Sharon au Liban. Du coup, Washington a
vraiment redouté une dégradation incontrôlable... Les Etats-Unis ont aussi voulu
signifier à Israël que le soutien américain n'était pas sans limite et renforcer
leur crédibilité dans le monde arabe. Mais les Palestiniens feraient une erreur
s'ils s'imaginent que c'est un tournant américain. Les intérêts pétroliers de
Washington peuvent jouer dans le sens d'une inflexion de la politique de
sanctions américaines envers l'Irak, l'Iran et la Libye, pas d'un basculement en
faveur des Palestiniens. Reste que la position américaine, analogue à celle de
Sharon - arrêtez la violence, on parlera politique -, a ses limites. On ne peut
dissocier volets politique et sécuritaire et faire de l'Irak sans faire du
Palestinien. On finira bien par avoir un envoyé spécial ou quelqu'un chargé du
dossier.
- Y a-t-il un risque de conflit généralisé ?
Tous les ingrédients sont objectivement là: la frustration terrible des
populations palestinienne et arabe; une équipe israélienne qui ne rechigne pas à
utiliser la manière forte, exclut le retrait du Golan et des territoires;
l'absence de toute perspective politique. Pour autant, il n'est pas de l'intérêt
des pays arabes d'allumer un brasier, parce qu'ils ont peur de répercussions
populaires chez eux. Et parce qu'il y a beaucoup d'acteurs non gouvernementaux -
Hezbollah, Hamas, Jihad - qui peuvent enclencher un engrenage dont personne ne
veut.
7. Le laboratoire
de la guerre asymétrique - Entretien avec Marwan Bishara réalisé par
Pierre Barbancey
in L'Humanité du samedi 21 avril 2001
Ecrivain et
journaliste palestinien, Marwan Bishara est chercheur à l'Ecole des hautes
études en sciences sociales (EHESS, Paris). Dans son livre "Palestine-Israël :
la paix ou l'apartheid", l'auteur revient sur les racines profondes de la
deuxième Intifada. Très critique vis-à-vis des accords d'Oslo - qu'il considère
comme voué à l'échec dès son origine -, il invite pourtant le lecteur à regarder
plus avant parce que "les deux peuples ont besoin de cultiver les rêves d'un
avenir commun".
- Votre livre s'intitule Palestine-Israël : la paix ou l'apartheid. On
s'oriente vers quelle direction ?
- Marwan Bishara. On est à la croisée des chemins. Les Palestiniens
résistent à l'occupation et à la domination israélienne et demandent l'existence
de deux Etats souverains. Mais si le gouvernement Sharon réussit à détruire
l'Intifada, on se dirigera alors vers un certain apartheid. La question est
d'ailleurs posée à la communauté internationale. Si elle laisse faire Sharon, la
paix s'éloignera et la situation ressemblera à celle de l'Afrique du Sud en 1976
- au moment du soulèvement de Soweto - ou à celle qui prévalait lors de la
première Intifada, en 1987.
- Certains disent que les accords d'Oslo sont morts. Est-ce votre avis
?
- Marwan Bishara. Les accords d'Oslo sont morts. D'abord, Oslo est dépassé.
D'autre part, même la nouvelle administration américaine, qui est à l'origine du
concept d'Oslo, ne parle plus de " processus " mais de " négociations " de paix.
Enfin, Israël a refusé pendant sept ans d'appliquer ces accords. Rappelons
d'ailleurs qu'à l'origine Oslo devait s'étaler sur cinq ans, puis a été prolongé
de deux ans. Il y a, aujourd'hui, un statu quo. Il n'est pas obligatoirement
celui des accords d'Oslo mais plutôt le résultat des accords d'Oslo. L'Autorité
palestinienne est sur place et contrôle 18 % des territoires de la Palestine
historique, c'est le résultat des accords.
- Comment interprétez-vous la politique de la nouvelle administration
américaine ?
- Marwan Bishara. Je pense que les Israéliens avaient déjà décidé de se
retirer de Gaza. Je ne crois pas qu'il y ait de malentendus entre Israël et les
Etats-Unis sur ce plan-là. C'est plutôt un petit message à destination du monde
arabe, pour dire que Washington garde une certaine distance avec la politique
extrême du gouvernement Sharon. Mais ce qui est très important, l'administration
Bush est d'accord avec Sharon et Peres sur l'avenir de la région, sur la
nécessaire réinvention de " l'ordre régional " et d'une stratégie commune
vis-à-vis des pays arabes. Pour l'administration Bush comme pour le gouvernement
Sharon, il y a une nouvelle règle du jeu basée sur deux concepts. Le premier est
le système antimissile qui réunifie les deux théâtres d'opérations, le Golfe et
le Proche-Orient, pour avoir une vision globale et donc un regard sécuritaire
qui s'appuie sur un nouveau système d'armement. Cette politique va certainement
amener un pacte Bush-Sharon qui va changer les relations avec le monde arabe,
faire entrer Israël dans une formule sécuritaire et stratégique américaine,
basée sur la définition d'un théâtre des opérations régional et global. Dans ce
cadre, Israël est un partenaire. La politique israélienne vis-à-vis des
Palestiniens est une sorte de laboratoire pour la nouvelle guerre du XXIe
siècle, la guerre asymétrique. C'est-à-dire comment l'Occident peut frapper et
gagner la guerre contre des groupes, des communautés ou des résistances en
Amérique latine, ou bien comme les Palestiniens, impliqués dans la " guerre
asymétrique ". C'est donc une logique de guerre. Et il faut maîtriser cette
guerre asymétrique. C'est ce que fait Israël vis-à-vis des Palestiniens. C'est
inquiétant, car cette politique va amener à l'insécurité et à
l'instabilité.
- Que deviendrait l'Egypte ?
- Marwan Bishara. Apparemment, l'Egypte serait chargée de recréer une sorte
d'alliance avec la Turquie, en passant par Israël. C'est le pacte de la
Méditerranée orientale. Les Américains aimeraient voir l'Egypte coupée des pays
arabes, coupée de l'Europe, pour lui donner un nouveau rôle. Ce n'est pas
acceptable et cela amènera, là encore, plus d'instabilité.
8. "Il n'y a
qu'aux juifs qu'on demande de payer un prix pour la paix" Entretien avec Ariel
Sharon
in Le Figaro du samedi 21 avril 2001
- LE
FIGARO – L’intervention de l’armée israélienne à Gaza, mardi, a laissé une
impression de confusion totale. Le général qui commandait l’opération avait
déclaré que ses troupes pourraient rester des semaines ou des mois. Mais dès le
lendemain, elles repartaient : apparemment sous la pression des Américains. Que
s’est-il donc passé ?
- Ariel SHARON – Il faut que les choses soient
claires. Jamais les Américains n’ont exercé de pression pour qu’Israël se
retire. Nous avions prévu que l’opération durerait moins de 24 heures et que
nous repartirions aussitôt. Dès le mardi matin, nous avons prévenu l’ambassade
américaine que, dans la soirée ou au plus tard au milieu de la nuit, nos unités
se replieraient. C’était cela notre plan, et rien d’autre. Tout s’est passé
exactement comme nous l’avions prévu. Bien sûr, quand nous avons donné ces
précisions aux diplomates américains de Tel-Aviv, à Washington, tout le monde
dormait. Là-bas, il était quatre heures du matin...
- Les Américains ont paru se conduire comme s’ils étaient les maîtres
d’Israël...
- Non, Les Américains sont des alliés. Vous entendez, de
vrais alliés. Israël n’a pas de maître. Notre pays est indépendant, et il est la
seule démocratie du Proche-Orient. Israël n’obéit à personne. Il veut la paix,
mais il se défendra toujours.
- L’opération de Gaza a-t-elle vraiment servi à quelque chose ? A peine
les unités de Tsahal avaient-elles repassé la frontière que les Palestiniens
reprenaient leurs tirs de mortiers...
- Le problème, c’est qu’Arafat et
les autres responsables palestiniens n’ont retenu des commentaires étrangers que
le reproche fait à Israël d’avoir usé d’une force excessive. Avec ce traitement
symétrique des Israéliens et des Palestiniens – on met sur le même plan les
victimes et les tueurs –, les gouvernements étrangers ne font qu’encourager
Arafat à recommencer les tirs contre les populations civiles d’Israël. Si les
Israéliens se retrouvent condamnés comme si eux aussi ils avaient cherché à tuer
des enfants et des bébés, pourquoi les Palestiniens ne continueraient- ils pas à
frapper ?
- Quel est maintenant votre stratégie ? Malgré les protestations
de l’étranger, Israël persistera-t-il à entrer dans les « zones A », qui,
d’après les accords d’Oslo, sont supposées être sous contrôle total des
Palestiniens ? Israël poursuivra-t-il ses représailles ?
- Notre
stratégie est très claire. Nous aimerions améliorer le sort des Palestiniens qui
ne participent pas au terrorisme – et croyez-moi, il s’agit de la majorité de la
population. La plupart des Palestiniens ne veulent rien d’autre que nourrir
leurs enfants et bien les élever. Dans ce but, nous faisons tout ce que nous
pouvons pour faciliter leur vie quotidienne. J’ai donné les instructions
nécessaires, et quand je vois les camions chargés de matières premières qui
entrent dans les Territoires palestiniens, et les camions chargés de produits
finis qui en sortent, je pense que les progrès sont évidents. En même temps, il
est exclu qu’Israël s’incline devant les terroristes, renonce devant ceux qui
encouragent les violences et les assassinats. C’est ce que j’avais dit à Yasser
Arafat lorsqu’il m’avait téléphoné après mon élection, il y a deux mois. J’avais
souligné que je distinguerais soigneusement entre les terroristes et les
Palestiniens pacifiques. Mais j’avais aussi insisté sur le fait que, selon
l’accord d’Oslo, il doit assumer ses responsabilités. Je lui avais rappelé que,
le 9 septembre 1993, il avait signé à propos des accords d’Oslo une lettre qui
précisait : « L’OLP renonce au terrorisme, et elle imposera à ses membres le
respect de ses engagements. L’OLP punira tous ceux qui violeront cette promesse.
» C’est seulement après avoir reçu la lettre d’Arafat que Yitzhak Rabin, alors
premier ministre d’Israël, accepta de signer l’accord d’Oslo. Lorsque de nouveau
Arafat m’a appelé, la veille de Pâques, je lui ai répété qu’il se trouvait face
à une alternative très simple. «Ou bien, conformément à l’accord que vous avez
signé, vous mettez les terroristes en prison et vous agissez pour mettre un
terme au terrorisme. Ou bien ce sont les Israéliens qui le feront. » Eh bien,
l’autre jour à Gaza, c’est exactement ce qui s’est produit !
- Votre riposte n’a-t-elle pas été disproportionnée ? Les obus de
mortier qui étaient tombés sur la ville israélienne de Sderot n’avaient fait
aucune victime...
- Je suis fatigué d’entendre toujours dire qu’Israël
use d’une force excessive. Que voulez-vous dire ? Que la provocation
palestinienne n’était pas assez provocante ? Les Palestiniens ont tiré en plein
après-midi sur une ville où il n’y avait que des civils, au moment ou des
centaines de passants marchaient avec leurs enfants dans les rues. Quelle est
votre définition d’une provocation justifiant une riposte. Un juif tué, c’est
une provocation suffisante ? Et quand on passe à deux morts ? Mais si les
Israéliens pris pour cible ont de la chance et qu’il n’y a que des blessés,
alors la provocation n’est plus suffisante ? Jamais ce genre d’exigence n’est
imposé à d’autres pays. Un exemple : qu’aurait fait le gouvernement français si
une ville française avait été bombardée par des cocktails Molotov balancés
depuis la Suisse ? La réponse me semble évidente. Le premier devoir d’un Etat,
c’est d’assurer la sécurité de ses citoyens. Quand il s’agit des juifs, les
critères semblent tout à coup différents. On ne cesse de leur demander de quel
droit ils défendent leur vie. Moi, je ne réponds pas à ces questions. Je sais
que les juifs ne possèdent qu’un seul petit pays, et que c’est l’unique endroit
où ils ont à la fois le droit et les moyens de se défendre. Nous savons ce qui
est arrivé au peuple juif quand celui-ci ne disposait pas encore d’un pays
indépendant. Je suis juif, juif avant tout. Ma priorité, c’est donc la sécurité
de mon peuple. Nous n’avons aucune intention de retourner à Gaza. Mais si les
Palestiniens pensent, même une minute, que ces terroristes, ces assassins sont à
l’abri parce qu’ils se trouvent dans la zone A, ils se trompent lourdement.
- Arafat est-il toujours un partenaire ou de nouveau un ennemi
?
- Quand Arafat mettra fin à la terreur, il sera un partenaire. Ce n’est pas
aux Israéliens de décider qui doit être le chef des Palestiniens, mais comment
peut-on avoir comme partenaire quelqu’un qui cherche à vous tuer ?
- Arafat est-il le vrai chef des organisations islamistes, Hamas et
Djihad, qui se livrent aux attentats ? Ou bien est-il tout simplement trop
faible pour empêcher les terroristes d’agir ?
- Il n’est pas trop
faible, et chez les Palestiniens, c’est bien lui qui contrôle tout. Et notamment
la presse. Or, si vous lisez les journaux palestiniens, vous verrez qu’ils ne
cessent d’encourager les actes les plus terribles. C’est aussi Arafat qui
contrôle la garde présidentielle, sa troupe la plus loyale, dont il a
personnellement choisi chaque membre un à un.
- Mais pouvez-vous dire que ce sont les gardes présidentiels d’Arafat
qui tirent au mortier contre les Israéliens ?
- Je ne sais pas si les
hommes de la garde présidentielle sont engagés directement. Mais ils font
d’autres choses terribles. Ils facilitent l’action des terroristes. Ils ont une
liaison permanente avec le Hezbollah libanais. Ce que j’attends d’Arafat, c’est
qu’il prenne des mesures contre l’infrastructure terroriste, des mesures que,
contrairement à ses promesses d’Oslo, il n’a jamais prises. Il doit agir contre
le Hamas et le Djihad islamique, contre le Tanzim, qui est son propre parti,
contre le Hezbollah, qui a commencé à opérer en Israël même. Le Hezbollah, qui,
je le répète, profite de la coopération de la troupe la plus loyale d’Arafat, la
garde présidentielle. Il faut aussi qu’Arafat enseigne la paix dans les écoles
au lieu d’encourager le fanatisme. Même dans les journaux d’Egypte, le premier
pays à avoir signé la paix avec Israël, les caricatures montrent des soldats
israéliens avec des casques frappés de la croix gammée.
- Si Arafat ne fait toujours pas ce que vous lui demandez, n’est-ce pas
la preuve paradoxale que des interventions comme celles de Gaza ne servent à
rien, et qu’Israël doit chercher d’autres options ?
- Nos soldats n’ont
pénétré que de cent mètres derrière la frontière de Gaza, et vous avez entendu
le bruit que cela a fait tout autour de la planète. Contrairement à ce que vous
dites, ce fut un excellent message pour tous ceux qui ne veulent pas voir que
certains actes sont irréversibles. A l’avenir, les Palestiniens feront très
attention avant de se livrer à d’autres actes de terrorisme. Je connais les
Arabes, et les Arabes me connaissent. Ils savent que je tiens ma parole : quand
je dis oui, c’est oui ; mais quand je dis non, c’est non. Désormais, ils savent
ce que sont les lignes rouges à ne pas dépasser.
- Il y a eu de nouvelles attaques au mortier aujourd’hui. Cela
signifie-t-il que vous allez de nouveau frapper demain ?
- Vous n’avez
qu’à écrire qu’au moment où vous m’avez posé cette question je téléphonais à
l’un de mes conseillers, et que j’étais donc trop occupé pour vous
répondre.
- Avez-vous un plan de paix ?
- Oui, bien sûr. Mais je prends
la paix au sérieux : pour moi, la paix ne peut pas être un simple moyen de
gagner une élection. J’ai été un soldat presque toute ma vie, et j’ai vu de près
les horreurs de la guerre. Comme jeune officier à mes débuts aussi bien que
comme général commandant les meilleures unités de l’armée israélienne. J’ai vu
mes amis se faire tuer, j’ai été gravement blessé deux fois, j’ai dû prendre des
décisions de vie ou de mort pour mes soldats et pour moi-même. Bien mieux que
les politiciens qui n’ont jamais connu l’expérience du feu, je comprends ce que
doit être la paix. Elle doit avoir pour premier objectif de garantir la sécurité
nationale. Tout le monde en Israël veut la paix, mais je ne négocierai pas sous
la menace de la terreur. Si les Palestiniens veulent négocier, ils doivent
commencer par se tenir tranquilles. Tout ce que je leur demande, c’est d’arrêter
de nous tirer dessus, et d’ordonner à leurs forces de sécurité de cesser de
travailler avec des organisations terroristes. Je m’adresse à la France et à
tous les autres pays dans le monde qui veulent la paix au Proche-Orient : ils
doivent faire pression sur Arafat pour que celui ci arrête le terrorisme. Si
nous parvenons à ce résultat, si la tranquillité n’est plus une simplement la
promesse d’un discours d’Arafat mais une réalité, je vous donne ma parole que je
ne perdrai pas un seul jour pour engager des négociations immédiates avec les
Palestiniens.
- Vous n’avez pourtant pas attendu cette tranquillité hypothétique pour
envoyer votre fils, Omri, négocier avec Arafat...
- Si j’ai demandé à
mon propre fils de se rendre en territoire palestinien, avec les dangers que
vous pouvez imaginer, c’est bien parce que j’attache la plus grande importance
au maintien des contacts avec les Palestiniens.
- Qu’êtes-vous prêt à offrir aux Palestiniens pour qu’ils renoncent à
la violence et reprennent la voie de la négociation ?
- La paix est
tout aussi importante pour les Palestiniens que pour les Israéliens. Mais je
n’ai jamais entendu un journaliste étranger demander aux Palestiniens :
«Messieurs, puisque vous tenez tellement à la paix, qu’êtes-vous prêts à offrir
aux Israéliens.» Il n’y a qu’aux juifs que l’on demande de payer un prix pour la
paix.
- Si la discussion pouvait s’ouvrir, quelle serait votre méthode de
négociation ?
- Mon plan serait sûrement différent de celui d’Ehud
Barak. Regardez ce qui s’est passé. A Camp David, il a osé offrir plus qu’aucun
de ses prédécesseurs. Il était prêt à des concessions extraordinaires, et Barak
a pensé qu’Arafat allait l’embrasser, qu’Arafat allait l’aimer. Mais Arafat a
beaucoup d’expérience. Et il s’est dit qu’il obtiendrait encore plus s’il
faisait pression avec le terrorisme. Dans la dernière phase des discussions avec
Barak, on parlait déjà de rendre 97 % des territoires, y compris à Jérusalem. Il
était question qu’Israël reconnaisse sa responsabilité dans le problème des
réfugiés, alors que, sur ce sujet, les Israéliens n’ont rien à se reprocher.
Barak, qui est mon ami personnel, a perdu son poste de premier ministre parce
qu’il a commis deux erreurs. Premièrement, il a offert tout tout de suite, il a
tout mis sur la table. Deuxièmement, il a négocié sous la terreur. Barak a péché
par manque d’expérience. Mon gouvernement est décidé à tirer la leçon des
erreurs qui ont été commises. Je ne vais sûrement pas commencer par annoncer aux
Palestiniens : « Voici les frontières définitives que je veux pour Israël. »
Parce que ces frontières définitives deviendraient aussitôt, pour les
Palestiniens, un point de départ. Israël ne doit pas faire cadeau de ses atouts
stratégiques ou historiques. Je ne crois donc pas sage de dire à l’avance ce que
je compte faire.
- Etes-vous prêt à reprendre à votre compte ce que Barak avait offert
sur Jérusalem, sur le retrait des territoires, sur le retour des réfugiés ?
- Non. J’ai été très clair : je respecterai tous les accords qui ont été
signés par les deux parties et ratifiés par le Parlement israélien, mais ils
doivent être appliqués par les deux côtés. A propos de Jérusalem, qu’êtes-vous
prêt à négocier ? Mais comment Jérusalem peut-elle être négociable ? Elle est la
capitale du peuple juif depuis le roi David, depuis exactement 3 004 ans.
Jérusalem est le coeur du peuple juif, elle ne peut rester qu’unie, avec en son
centre le mont du Temple.
- Mais, depuis que le terrorisme a repris, les juifs des quartiers
ouest n’osent plus se rendre chez les Arabes des quartiers est. La division
n’est-elle pas une réalité de fait ?
- Vous exagérez. Les juifs sont
moins nombreux à aller à l’est, mais ils continuent d’y circuler. C’est
seulement pendant les 19 années de l’occupation jordanienne que, malgré les
garanties inscrites dans les accords d’armistice, les juifs ne pouvaient pas se
rendre au mur des Lamentations ou sur le mont du Temple, ou dans la vieille
ville. Depuis la libération de la ville, en 1967, au contraire, tout le monde a
un accès libre aux lieux saints : juifs, chrétiens et musulmans. Je suis très
conscient des difficultés des Arabes de Jérusalem, et c’est pourquoi nous avons
prévu de construire 20 000 appartements pour des familles palestiniennes.
- Y a-t-il une chance d’arriver à un compromis avec les Palestiniens si
vous refusez toute concession sur Jérusalem ?
- Aucun Israélien n’a le
droit d’abandonner Jérusalem ou de partager Jérusalem. Cette ville n’appartient
pas aux Israéliens, mais aux juifs du monde entier. Mentionnée dans la Bible 676
fois, Jérusalem est l’âme du peuple juif. J’ai éprouvé le plus grand respect
pour Yasser Arafat quand, à Camp David, il a déclaré : « Je ne peux rien décider
à propos de Jérusalem parce que Jérusalem appartient à l’ensemble de l’Islam. Je
dois consulter les autres gouvernements musulmans. » Barak, lui, sans discuter
avec son gouvernement, sans demander l’avis du Parlement israélien, a décidé
tout seul de donner Jérusalem aux Palestiniens. Notre génération a eu la chance
de défendre Jérusalem en 1948, de libérer Jérusalem en 1967, et, depuis, de
bâtir à Jérusalem. Nous ne sommes que les gardiens de Jérusalem pour les
générations à venir. Il y a 53 ans, j’ai été gravement blessé à Jérusalem lors
des combats de la guerre d’indépendance. Et, 53 ans plus tard, Jérusalem est de
nouveau une ville assiégée. Jeudi, le jour où comme chaque année Israël se
recueillait dans le souvenir de l’Holocauste, les prières ont été troublées par
le bruit des rafales tirées par les Palestiniens. Ce sacrilège était délibéré.
Je le répète : Jérusalem est de nouveau une ville assiégée à cause des erreurs
commises à Camp David.
- Les Palestiniens disent aussi que la paix est impossible si Israël
n’évacue pas ses colonies de peuplement...
- Ces colonies font partie
des zones de sécurité que tous les gouvernements israéliens ont jugées
absolument nécessaires. Dans les accords d’Oslo, il a été précisé que personne
n’y toucherait tant que la paix ne serait pas définitive.
- Vous voulez dire que, dans le cadre d’un accord de paix, elles
disparaîtraient ?
- Pas du tout. S’il y a la paix, pourquoi des
Israéliens ne pourraient ils pas vivre au côté des Palestiniens ? En Israël, il
y a des centaines de familles palestiniennes qui vivent à Nazareth, des
centaines d’autres qui vivent à Beersheva, dans le Neguev. Il y a des centaines
et des centaines de familles originaires de Gaza et d’Hébron qui vivent dans les
villes israéliennes de Lod et de Ramle. Donc, des juifs et des Arabes peuvent
fort bien vivre côte à côte dans les Territoires palestiniens. Ou alors, cela
voudrait-il dire que les Palestiniens exigeront un échange de populations, les
Arabes d’Israël devant abandonner leurs domiciles actuels ?
- A quoi bon maintenir des civils israéliens au milieu de la population
palestinienne si vous avez besoin de déployer toute une armée pour les protéger
?
- Tous les Israéliens doivent être reconnaissants aux juifs qui
vivent à Hébron, le site des tombeaux de nos patriarches, Abraham et Sarah,
Isaac et Rébecca, Jacob et Léah. La France est un très vieux pays, mais même
chez vous, où il y a de si beaux monuments, vous n’avez pas un monument aussi
ancien que le caveau de nos patriarches, qui date de 4 000 ans. Si vous allez au
cimetière juif d’Hébron, vous pouvez toucher des stèles et des pierres tombales
qui ont sept siècles ou dix siècles. Jamais les juifs n’ont cessé de vivre à
Hébron. Ce ne sont pas l’armée qui les garde, ce sont eux qui gardent ces
monuments historiques au nom du peuple juif. C’est la même situation à
Tel-Rumeida, à côté d’Hébron. C’est là que le roi David a été couronné. Le roi
David est mentionné dans la Bible 1 023 fois.
- A Gaza, les colonies ont un objectif d’abord stratégique...
- A Gaza aussi il y a des monuments juifs. Il y a notamment une vieille
synagogue, près de la côte, qui date de plusieurs siècles. Les juifs ont vécu à
Gaza pendant des centaines d’années. Mais il est vrai aussi que dès l’époque de
Golda Meir les travaillistes avaient décidé d’installer des Israéliens à Gaza
pour créer une zone tampon face au Sinaï.
- Pourquoi ces colons devraient- ils croire à vos promesses, alors que,
après les accords de Camp David de 1978-1979, vous avez, sur ordre du premier
ministre Begin, évacué de force les colonies israéliennes du Sinaï ?
-
Nous avons dû évacuer les Israéliens du Sinaï parce que, sinon, il aurait été
impossible de signer le traité de paix avec l’Egypte. Mais de toute façon, on ne
peut pas comparer les situations stratégiques et historiques du Sinaï, d’une
part, de Gaza, de la Samarie et de la Judée, d’autre part. Les zones de sécurité
actuelles ont une raison d’exister absolument essentielle.
- Comment les Palestiniens pourraient-ils avoir un Etat viable s’il est
coupé en plusieurs morceaux du fait du maintien des colonies ?
- Vous
confondez la continuité territoriale et la coexistence entre juif et Arabes. Le
moment venu, nous trouverons une réponse au problème de la continuité. Nous
savons que les Palestiniens voudraient avoir leurs propres routes pour ne pas
avoir à passer par nos barrages et nos points de contrôle. En ce qui concerne la
coexistence, je suis convaincu que juifs et Arabes peuvent vivre ensemble. Déjà
dans mon enfance, dans la ferme où je suis né, nous avion des Arabes pour
voisins. C’est aussi pourquoi j’ai décidé de prendre un certain nombre
d’initiatives au profit des Arabes israéliens, qui sont près d’un million. Je
travaille avec eux pour élargir leur participation à la vie du pays.
- Vous avez parlé d’accorder aux Palestiniens 42 % des
territoires. Cela semble bien peu...
- 42 % pendant la durée des accords
intérimaires que j’espère conclure avec les Palestiniens.
- Les Palestiniens pourraient donc obtenir plus quand un accord final
sera signé ?
- Oui, ils pourraient avoir plus de 42 %, mais cela
dépendra de la façon dont les relations israélo-palestiniennes se développeront.
Supposons que nous leur donnions tout de suite 90 %, 95, 97 %, et qu’ils
continuent de tirer sur Israël depuis leur côté de la frontière...
- Vous êtes tout aussi décidé à imposer des restrictions sur la
souveraineté du futur Etat palestinien. Vous voulez un Etat démilitarisé dont
vous contrôleriez même l’espace aérien ?
- D’abord, je recommanderai aux
Palestiniens de ne pas proclamer unilatéralement la création de leur Etat. Ce
serait une erreur. Un tel Etat ne devrait être établi qu’à la suite d’un accord
bilatéral. Deuxièmement, n’attendez pas des Israéliens qu’ils acceptent qu’au
coeur même de leur pays un Etat palestinien dispose de forces armées. Pendant
plusieurs années, nous devrons pouvoir contrôler les frontières pour voir
comment la situation se développe. Comme je vous l’ai dit, certains actes sont
irréversibles. Les Palestiniens risqueraient de signer des traités avec des pays
hostiles à Israël. La supervision de l’espace aérien serait également
nécessaire, parce que, sinon, où nos avions pourraient-ils aller voler ?
Au-dessus de la mer ? Vous savez, les territoires en question sont tout petits,
ce n’est pas la France.
- Les Palestiniens pourraient vous répondre qu’ils ne tiennent pas à ce
que leur Etat reste sous le contrôle d’une armée étrangère...
- Quelle solution avez-vous à nous suggérer ? Que les Israéliens
disparaissent d’ici ? Qu’ils fassent leur reddition ?
- Votre aviation a bombardé des cibles syriennes au Liban. Ne serait-il
pas plus efficace de chercher à conclure un traité de paix avec la Syrie ?
- Pourquoi pas ? Je ne vois aucune raison de m’opposer à cette idée. Mais
pour l’instant, ce n’est pas ce que veut la Syrie.
- Pouvez-vous avoir la paix avec Damas si vous gardez le Golan
?
- Si les Syriens veulent venir à la table de négociations sans
condition préalable, ils n’ont qu’à venir. Mais comme je vous l’ai déjà dit, ce
n’est pas la bonne approche que de déclarer à l’avance : voilà ce qu’Israël va
donner et voilà ce qu’Israël va garder.
- Après ce raid contre les Syriens et compte tenu de la dégradation de
vos relations avec les Palestiniens, croyez-vous au risque d’une autre guerre
générale avec les Etats arabes ?
- Je n’y crois pas. Et pourquoi nos
voisins arabes nous feraient-ils la guerre ?
- Pour aider Arafat.
- L’aider comment ? En bombardant à coups
de mortiers la population civile des villes israéliennes ? Pour notre part, nous
sommes très prudents, et nous faisons tous nos efforts pour éviter l’escalade.
Notre intérêt, c’est de préserver la stabilité du Proche-Orient.
- Que répondez-vous quand Israël est accusé d’être un Etat colonial
?
- Je ne me soucie pas de répondre à toutes les questions, sinon je
passerais mon temps à réagir au lieu d’agir. Tout ce que je puis vous dire,
c’est que dans la ferme où je suis né, j’ai dû dès mon plus jeune âge monter à
cheval, traire les vaches et travailler dans les champs. Comment parler de
colonialisme ?
- Vous avez intitulé votre autobiographie Un guerrier. Si vous étiez
palestinien, seriez-vous en train de combattre Israël ?
- Je n’aurais
jamais pris pour cible des enfants, des femmes et de vieillards. Dans les
guerres, il y a des tragédies, des civils peuvent être tués par accident. Mais
la guerre qui nous est faite vise des bébés et des gens innocents. Cette guerre,
je n’aurais jamais pu la faire.
- Menahem Begin a commencé comme terroriste, mais c’est lui qui a signé
le premier accord de paix avec l’ennemi arabe, avec l’Egypte de Sadate. Vous, le
guerrier, qui avez aussi la réputation d’être pragmatique, êtes-vous prêt à
suivre cet exemple ?
- Je suis très fier d’avoir travaillé avec le
premier ministre Begin ; je l’ai soutenu au plus dur des négociations avec
l’Egypte. Et je suis très fier aussi qu’il m’ait écouté et qu’il ait accepté que
l’aviation israélienne aille détruire le réacteur nucléaire irakien. Imaginez ce
que serait le Proche-Orient aujourd’hui si Bagdad avait l’arme nucléaire.
- Le plus grand danger pour Israël n’est-il pas d’être en train de
perdre ses valeurs ? Le sionisme ayant réussi, il n’y a plus rien pour le
remplacer...
- Israël n’a pas de soucis à se faire. Nous avons amené ici
des millions de juifs venus de 102 pays, parlant 82 langues. Ils ont réussi leur
intégration. Ils ont bâti une agriculture moderne, les industries les plus
sophistiquées, créé des centres de recherche scientifique et des universités.
Nous avons simultanément mis en place un système de sécurité sociale et des
orchestres philharmoniques. En même temps, nous avons toujours eu l’épée à la
main. Nous allons continuer. Israël va faire venir encore un million de juifs,
et s’il le faut, nous garderons l’épée à la main.
- Vous ne craignez donc pas qu’Israël succombe à une crise d’identité
?
Nous pouvons compter sur les Palestiniens pour que cela ne se
produise jamais.
9. Jusqu'où ira
Sharon ? par Walid Charara
in Le Magazine (hebdomadaire libanais) du
vendredi 20 avril 2001
Son plan, briser la machine de guerre
syrienne.
Coup de semonce ou provocation? Depuis le bombardement israélien,
dans la nuit de dimanche à lundi, d'un poste radar de l'armée syrienne, la
plupart des commentaires privilégient la première hypothèse. Embourbé dans ce
qu'il convient d'appeler une guerre de moyenne intensité dans les territoires
palestiniens, Israël n'aurait logiquement pas intérêt à combattre sur deux
fronts. Pourtant, Sharon ne rêve que d'une seule chose: détruire la machine de
guerre syrienne.
C'est une chose que de presser la Syrie à intervenir auprès
du Hezbollah pour arrêter ses opérations de résistance, c'est autre chose que de
se lancer dans un conflit régional qui risque très vite de se généraliser. Ariel
Sharon voit-il les choses de cet œil? Quelle est son appréciation réelle de la
situation internationale, régionale et locale? Celle-ci l'aurait-elle conduit à
l'élaboration d'un plan dont l'agression du lundi matin n'était que le premier
pas? Les réponses à ces questions suggèrent qu'il s'agit bel et bien d'une
provocation et non d'un simple coup de semonce.
Depuis leur arrivée au
pouvoir, Ariel Sharon et son équipe répètent à bon entendeur que les règles du
jeu ont changé. En réalité, c'est leur appréciation de la situation globale,
différente de celle de l'équipe précédente, qui modifie la donne et qui place la
Syrie directement dans leur ligne de mire. Sur le plan mondial, Sharon part d'un
constat, celui d'une rébellicisation des relations internationales depuis
l'arrivée de l'Administration Bush aux affaires. Celle-ci, avec son projet de
bouclier antimissile, sa politique offensive contre la Russie et la Chine ayant
provoqué deux crises successives avec les deux pays (expulsion de cinquante
diplomates russes des Etats-Unis, avion américain intercepté en Chine), son
autoritarisme à l'égard de ses alliés européens, replonge le monde dans un
climat de véritable guerre froide.
Opportunité pour Israël
Cette situation n'est pas pour
déplaire à Sharon, surtout que, accaparé par le retour de grandes
confrontations, l'Administration américaine choisit de se désengager
partiellement de la gestion quasi quotidienne de la crise au Moyen-Orient (qui
prévalait sous Clinton) tout en réitérant son soutien à l'allié israélien et en
s'alignant sur ses positions, qu'il s'agisse des responsabilités de la poursuite
des violences ou des conditions d'une reprise des négociations. Intime des
faucons de l'Administration Bush (David Rumsfeld, Dick Cheney) ou de ceux du
Parti républicain qui ont une influence directe sur elle (Alexandre Haig, Jane
Kirkpatrick), Sharon a eu le plaisir de constater durant sa visite aux
Etats-Unis qu'il était en phase avec l'allié américain. Toutes les déclarations
américaines qui la suivront le confirmeront dans ses convictions.
Sur le plan
régional, Sharon pense que le contexte actuel, malgré les dangers potentiels
qu'il comporte, est une fenêtre d'opportunité pour Israël. Certes, le
rapprochement et les réconciliations qui ont lieu entre les pays arabes et entre
ceux-ci et l'Iran comportent des dangers réels, notamment le danger de voir
émerger un axe syro-irako-iranien avec le soutien de, ou du moins, la
bienveillance, de l'Egypte et de l'Arabie Saoudite, et un soutien actif de la
part de la Russie et peut-être de la Chine. Cet axe est une potentialité future
mais pas encore une réalité. S'agissant de l'axe Damas-Le Caire-Riyad, ce
dernier est une alliance politique et non militaire.
Le raid de lundi est un
test pour mesurer l'ampleur des réactions arabes en cas d'attaques israéliennes
contre la Syrie. Pour Sharon, la Syrie est non seulement responsable des actions
du Hezbollah contre l'armée d'occupation dans la zone des fermes de Chebaa mais
elle est surtout l'artisan de la défaite israélienne au Liban.
Laver l'affront
A ses yeux et ceux de l'état-major
israélien, c'est cette défaite qui a incité les organisations palestiniennes à
suivre l'exemple de la Résistance libanaise. Seule une agression de grande
envergure contre la Syrie permettrait de laver l'affront. Un autre élément est
le rapprochement syro-palestinien. Après les années d'hostilités et de
confrontations, le sommet d'Amman sera l'occasion d'une réconciliation entre les
deux parties qui a eu un impact positif sur l'intifada et qui pourrait conduire
à une coordination politique allant jusqu'à l'exigence d'une concomitance des
volets syrien, libanais et palestinien. Une telle éventualité annulerait la
capacité de manœuvre politique d'Israël et rendrait caduque sa tactique de jouer
un volet arabe contre un autre durant les négociations. Pour Sharon, elle doit
donc rapidement être empêchée. L'Etat hébreu cherche par ailleurs à exploiter le
refroidissement des relations américano-syriennes, refroidissement qui a
commencé depuis plusieurs années mais qui s'est aggravé avec l'arrivée de
l'Administration Bush et le rapprochement syro-irakien. Ce dernier point suscite
particulièrement la colère des Etats-Unis. Comme le souligne Abdel Halim
Mohammad, du Centre d'étude stratégique d'Al-Ahram, «les Américains qui
demandent que la violence s'arrête mettent tout le monde dans le même sac et
exercent un chantage, attendant, avant de bouger, que les Arabes se montrent
plus durs vis-à-vis de l'Irak». Cette attitude américaine n'est pas nouvelle.
Les Etats-Unis ont toujours utilisé l'extrémisme israélien pour amener les pays
arabes à s'aligner sur leur politique. Il suffit de rappeler
l'instrumentalisation d'un Menahim Begin par l'Administration Reagan ou d'un
Shamir par l'Administration Bush (père). Sharon a mené une campagne aux
Etats-Unis pour convaincre l'Administration que le Hezbollah n'est ni plus ni
moins que l'instrument de Damas. Ses récentes attaques viseraient à réchauffer
le front libano-israélien pour le compte de la Syrie. Le raid israélien risque
d'embarrasser Washington, surtout à la veille de la visite de Ted Walker, le
sous-secrétaire d'Etat américain à Damas, pour discuter avec les responsables
syriens des nouvelles idées américaines concernant les sanctions intelligentes
contre l'Irak. Cependant, les Etats-Unis peuvent essayer de l'utiliser pour
exercer des pressions sur Damas pour arrêter les opérations de résistance,
s'aligner sur leur politique irakienne et arrêter la coopération avec les
Palestiniens.
La Syrie en difficulté
Sur le plan local, Sharon
tentera de profiter du développement de la campagne hostile à la présence
syrienne au Liban et essayera très certainement de rétablir le contact avec
certaines de ses vieilles connaissances pour coordonner leurs stratégies
respectives. Imaginons simplement l'ampleur que pourrait prendre la contestation
antisyrienne si le Liban subissait une attaque menant à la destruction de ses
infrastructures. La situation qui en résultera, s'ajoutant à la conjoncture
économique et sociale désastreuse que vit la grande majorité de la population,
créerait le climat idéal pour l'intensification de la campagne
antisyrienne.
Aux yeux de Sharon, la Syrie passe par une période difficile
caractérisée par l'absence d'allié international, l'absence d'allié en cas de
conflit militaire, une contestation grandissante de sa présence au Liban et une
situation intérieure difficile sur le plan économique. Son appréciation du
contexte global susmentionné, qui, en de nombreux points, s'apparente à la
situation en 1982 lorsqu'il dirigea l'invasion contre le Liban, pourrait le
mener à franchir le pas et à attaquer directement la Syrie sur son territoire.
Il s'agira essentiellement d'une campagne de bombardements aériens intensifs
contre les infrastructures économique, industrielle, militaire et de transports,
sur le modèle des bombardements américains durant les guerres du Golfe et du
Kosovo. Une telle agression aura comme impact la fragilisation de la position de
la Syrie sur l'échiquier régional et en plus de sa situation intérieure. Les
conséquences seront importantes sur le rapport de force global dans la région.
Elles permettraient à Sharon de venger la défaite du Liban et de mieux affronter
l'intifada palestinienne.
Les faiblesses du plan Sharon
Un tel scénario n'est pas
sûr. D'abord, parce que la mégalomanie de Sharon peut facilement l'amener à
sous-estimer les réactions des pays et des peuples de la région, ainsi que les
capacités de résistance de l'armée syrienne et de ses alliés libanais et
palestiniens. Cela dit, les Etats arabes ne peuvent se permettre de miser sur
les faiblesses et les incohérences des plans de Sharon, faiblesses et
incohérences qui pourraient les rendre irréalisables. Ces derniers pourraient se
montrer désastreux sur le long terme, comme l'a été son invasion du Liban en
1982... après 18 ans. Mais leur nuisance sur le court et le moyen terme est très
importante. La logique munichoise qui domine dans le monde arabe et qui s'est
encore manifestée à l'occasion de l'agression israélienne est purement et
simplement criminelle. La faiblesse des réactions qu'elle entraîne est en soi un
encouragement à la poursuite des agressions et de la guerre. Dans une récente
déclaration, le président égyptien Hosni Moubarak a invité Ariel Sharon à ne pas
franchir les lignes rouges. Les actes, comme le gel unilatéral des accords de
Camp David et la rupture de toutes formes de relations avec Israël, auraient un
impact autrement plus dissuasif que les paroles.
10. La vraie question par Ewen
MacAskill
in The Guardian (quotidien britannique), samedi 14 avril
2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
A la limite de Jérusalem, dans un vallon,
on peut voir un spectacle désolant : les ruines d'un village arabe abandonné. Ce
village est désert depuis 1948, victime du conflit entre Arabes et Israéliens.
C'est un coin paisible. La pierre est ancestrale, les colonnes et les arcatures
appartiennent à une tradition architecturale aux antipodes des modernes "mas
provençaux" israéliens, aux toits de tuiles rouges, qui l'entourent.
Aujourd'hui, de nouvelles ruines s'ajoutent aux anciennes. Au début de la
semaine, l'armée israélienne a détruit au bulldozer trente maisons, ajoutant
leurs ruines à celles des nombreuses maisons détruites, ailleurs, dans la bande
de Gaza et en Cisjordanie. Les Palestiniens sont en train de payer très cher
l'insurrection qu'ils ont lancée en septembre dernier : plus de 370 morts et une
économie détruite. La réponse de la plupart des Israéliens libéraux et
d'admettre que les Palestiniens souffrent, mais pour ajouter aussitôt que le
leader palestinien, Yasser Arafat, est le coupable : il aurait dû accepter les
propositions de paix que l'ancien Premier ministre israélien Ehud Barak lui
avait faites, avec le président américain, Bill Clinton, à Camp David, l'an
dernier puis à Taba, cette année. Il s'agit là d'une opinion très largement
répandue dans le monde, et le gouvernement israélien est tout heureux de la
propager : une offre généreuse (aurait été) mise sur la table devant Arafat, et
il a raté cette opportunité historique. En Israël, il y a essentiellement deux
conceptions des relations avec le voisin, le futur Etat de Palestine. Il y a la
position libérale, dont le ministre israélien des affaires étrangères, Shimon
Pérès, est le héraut : elle envisage un Israël fort économiquement, coexistant
avec un Etat palestinien jouissant d'une égale santé économique. Ensemble, les
deux Etats pourraient constituer le noyau d'un Moyen-Orient revivifié.
Malheureusement, il y a aussi l'autre conception israélienne des choses, qui
existe depuis fort longtemps et qui prévaut aujourd'hui : elle prône la
nécessité d'avoir un voisin palestinien malléable ; il faut donc
l'affaiblir...
Un journaliste du New York Times, Thomas Friedman, décrit dans
un compte-rendu des dix années qu'il a passées au Moyen-Orient, entre Beyrouth
et Jérusalem, comment les Israéliens n'ont jamais réussi à abandonner totalement
leurs espoirs de contrôler un jour l'ensemble de l'Israël biblique, qui inclut
la Cisjordanie. C'est ce qui motive l'activisme des colons juifs à l'intérieur
du Far-West palestinien, source à quatre-vingt quinze pour cent du conflit
d'aujourd'hui.
Friedman et une cohorte de journalistes et d'universitaires
ont relevé comment les politiciens israéliens, depuis la fondation de l'Etat, en
1948, ont toujours parlé de paix tout en accaparant des territoires. Au moment
même où Ehud Barak déposait sur la table ses offres apparemment "généreuses",
des colons juifs continuaient à étendre leurs implantations en Cisjordanie,
région à laquelle ils donnent les anciens toponymes bibliques de Judée et
Samarie.
Les cartes de la population au Moyen-Orient, depuis 1948, année de
la fondation d'Israël, montrent une expansion continue de la population juive
vers l'est. De nos jours, la partie arabe de Jérusalem, Jérusalem Est, est peu à
peu encerclée de quartiers juifs. A l'intérieur même de la Vieille Ville, les
Israéliens gagnent sur les quartiers arabes. Cette semaine, un Palestinien,
découvrant pour la première fois de nouvelles maisons dans un faubourg de
Jérusalem, m'a dit : "C'est comme de la magie. Vous vous absentez seulement
quelques semaines, et lorsque vous revenez, vous découvrez soudain qu'un
quartier entièrement neuf a été bâti". Le gouvernement israélien, qui s'est en
théorie engagé à ne pas construire de nouvelle colonie, a annoncé cette semaine
la construction de sept cent appartements supplémentaires. Le gouvernement
israélien n'a pas de difficulté à respecter son engagement à ne pas construire
de nouvelles implantations : il lui suffit d'autoriser l'expansion des très
nombreuses implantations existantes, en Cisjordanie. C'est dans ce contexte que
l'on devrait juger de la "générosité" des propositions de Barak...
Les
Israéliens les ont présentées comme accordant aux Palestiniens 96% de la
Cisjordanie. Mais ce chiffre est trompeur. Les Israéliens n'ont pas inclus dans
leur calcul les parties de la Cisjordanie qu'ils s'étaient déjà arrogées. La
Palestine qui aurait émergé d'un tel arrangement n'aurait pas été viable. Elle
aurait été divisée en une demi-douzaine de morceaux, avec d'énormes
implantations juives au milieu : un bantoustan à la sauce moyen-orientale.
L'armée israélienne aurait aussi conservé le contrôle sur la frontière orientale
de l'Etat palestinien à naître - la vallée du Jourdain - pour une durée allant
de six à dix an et, plus significatif encore, une bande supplémentaire de
terrain longeant la côte de la Mer Morte, pour une période indéterminée :
bonjour l'indépendance!...
Israël pouvait se permettre de se montrer
magnanime en terme de territoires, lorsqu'on connaît l'importance du terrain
gagné aux dépens des Palestiniens, dont la plupart durent fuir ou abandonner
leurs maisons pour aller se réfugier au Liban, en Syrie, en Jordanie et
ailleurs.
Des compromis ont été évoqués à Camp David et à Taba au sujet du
droit au retour de 3,5 millions de réfugiés palestiniens, mais rien qu'Arafat
eût pu accepter et vendre à son propre peuple. Malgré les protestations de
libéraux israéliens (tels Amos Oz) selon lesquels permettre à 3,5 millions de
réfugiés palestiniens à revenir chez eux serait suicidaire pour Israël, une
solution existait. La vision israélienne selon laquelle 3,5 millions de réfugiés
palestiniens submergeraient Israël ne tient pas debout. Ce que les Palestiniens
veulent, c'est que les Israéliens leur demandent officiellement pardon d'avoir
pris leur terre. Israël pourrait accepter quelques centaines de milliers de
réfugiés chez lui et payer - ou obtenir des Etats-Unis, du Japon ou de l'Europe
qu'ils paient - des compensations pour les autres, la grande majorité des
réfugiés qui choisiraient de demeurer où ils vivent actuellement.
L'une des
propositions mises sur la table fut un échange de territoires : les Palestiniens
se seraient vu remettre une partie du territoire d'Israël même, proche de la
Cisjordanie, en échange de l'annexion d'une partie de la Cisjordanie par Israël.
Arafat aurait pu présenter cette option aux réfugiés en leur disant : "Vous
voyez, vous retournez en Israël, comme je vous l'avais promis". Barak aurait pu
dire, avec la même facilité : "Vous voyez, ici, ce n'est plus Israël, mais la
Cisjordanie". Des solutions étaient possibles, mais à la fin, Barak n'a rien
voulu céder sur le droit au retour des réfugiés.
Une offre authentiquement
généreuse de Barak aurait permis la paix : voilà l'occasion historique qui a été
gâchée. Si Israël avait été plus magnanime à Camp David, il aurait pu obtenir un
gain bien supérieur, celui d'une stabilité sur le long terme.
La
représentation israélienne des faits, selon laquelle Arafat aurait décliné une
offre immensément généreuse présente un grave danger. Avaliser cette version des
faits ne peut que contribuer à pérenniser le mythe israélien qui veut que les
Palestiniens ne seront pas contents tant qu'ils n'auront pas repoussé les Juifs
dans la mer et que la Cisjordanie et Gaza sont pleins d'hommes armés et de
poseurs de bombes qui font tout pour que cela arrive.
Des gens comme ça, il
y en a. Mais la majorité des Palestiniens sont moins intéressés à la destruction
d'Israël qu'à la construction d'un Etat palestinien digne de ce nom. La plupart
d'entre eux sont plus exaspérés par l'indigence des dirigeants, la corruption
endémique dans l'entourage d'Arafat et le manque de démocratie dans leur propre
société qu'ils ne le sont par l'existence d'Israël. Ce qu'ils veulent, c'est que
l'armée israélienne rentre chez elle en n'oubliant pas de prendre avec elle les
colons juifs. Il n'y aura pas de paix tant que cela ne sera pas fait.
Rien
dans la carrière du Premier ministre israélien, Ariel Sharon, ne suggère qu'il
le fera. Au contraire, il continuera à écraser les Palestiniens et à s'accaparer
d'encore plus de leurs territoires. Le seul pari que l'on puisse faire, sans
risque de se tromper, c'est qu'il y aura encore beaucoup de ruines
palestiniennes...
11. Les seules options possibles par David
Newman
in The Jerusalem Post (quotidien israélien) du mercredi 11 avril
2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
(L'auteur de cet article est
président de la Faculté de Sciences Politiques et d'Administration Publique à
l'Université du Néguev-Ben Gourion)
Les Juifs de Cisjordanie
vivent des temps difficiles. Dès lors que des obus de mortier tombent dans leur
jardin, il n'est pas étonnant qu'ils se posent des questions sur les
sous-entendus des accords d'Oslo. Et lorsque leurs enfants sont blessés, voire
tués, comme cela est malheureusement arrivé à Kfar Darom, à Hébron ou à
Netzarim, ils se répandent en invectives à l'adresse du gouvernement qui,
disent-ils, ne réplique pas avec la fermeté voulue. Et tandis que nous jouissons
du repos de nos maisons, ailleurs en Israël, nos coeurs sont auprès des parents
et des enfants des victimes, blessés ou tués. Et tout particulièrement auprès
des enfants, dont beaucoup sont confrontés à l'expérience éprouvante de la peur
des bombes potentielles et des tirs de snipers, pour la simple (et mauvaise)
raison que leurs parents envisagent de sang-froid de les mettre en première
ligne de leur combat idéologique pour le "Grand Israël".
Mais notre surcroît
de sympathie pour les personnes individuelles ne saurait modifier (notre)
réaction initiale en ce qui concerne l'existence des implantations. Elles
continuent à représenter un obstacle dressé devant tout accord territorial à
venir, lorsque les négociations reprendront (si elles reprennent un jour), en
particulier ces colonies isolées au coeur du territoire de la Judée et de la
Samarie et/ou celles qui créent des enclaves de quelques centaines de personnes
au coeur d'un million de Palestiniens, comme c'est le cas des colonies de la
bande de Gaza.
Pour le gouvernement, utiliser la puissance militaire, afin
de punir les terroristes palestiniens, dans une tentative de mettre un terme aux
incidents violents, est une chose. Tout autre chose est d'autoriser publiquement
la construction et le développement de sept cent logements supplémentaires, dans
le cadre d'une politique visant à rendre les implantations encore plus étendues
et plus difficiles à évacuer à l'avenir, comme il vient de le faire, la semaine
dernière.
La réalité, c'est que, depuis 1984, quand le premier gouvernement
d'unité nationale fut formé, les politiques gouvernementales visant à "geler"
les activités de colonisation se sont enchaînées. Mais durant toute cette
période - gouvernements Rabin et Barak compris - les colonies ont poursuivi leur
expansion, passant d'une population d'environ 20 000 personnes au milieu des
années quatre-vingt à près de 200 000, aujourd'hui.
Le soi-disant "gel" des
nouvelles implantations s'est simplement traduit par l'arrêt de la construction
de nouvelles colonies. Mais si nombreuses sont celles à avoir été construites
entre la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt,
exiguës et non-viables, pour la plupart, que les simples expansion et
consolidation des implantations existantes ont abouti au développement de
communautés qui comptent aujourd'hui des centaines - voire, dans certains cas,
des milliers - d'unités familiales. Ces implantations sont beaucoup plus
solidement ancrées et viables qu'elles ne l'auraient jamais été si les
différents gouvernements qui se sont succédé avaient autorisé les colons à
poursuivre (à leur guise) l'installation de toujours plus d'implantations
nouvelles.
La présence continue et au long cours des implantations
représente une menace majeure pour l'existence même de l'Etat juif. De même que
le rêve post-sioniste d'un Etat séculier appartenant à toutes les personnes qui
y résident et en sont les citoyens représente une menace culturelle, le rêve
néo-sioniste, de droite, d'un "Grand Israël" représente une menace démographique
pour l'existence permanente d'un Etat habité par une majorité juive. C'est l'un
des grands paradoxes de la vie politique israélienne que la droite et les
mouvements des colons religieux, malgré leur forte insistance sur le
nationalisme juif et la souveraineté juive, ont posé les actes qui pourraient
bien rendre la division du territoire entre deux Etats encore plus difficile, en
ayant créé de facto un Etat binational où les Palestiniens arabes finiront un
jour par être plus nombreux que les Israéliens juifs.
Les alternatives - le
transfert de population (Kach et Rehavam Ze'evi) , ou l'apartheid - sont si
repoussantes pour la grande majorité des Israéliens que l'option de base demeure
la même, (shakespearienne) : "intifada or no intifada" ?
Soit nous avons un
seul Etat binational entre le Jourdain et la Méditerranée et nous perdons
l'essence même du foyer juif et la souveraineté, ou nous continuons à rechercher
les moyens permettant aux deux populations de vivre séparément, chacune résidant
sur son propre territoire souverain.
Ni le degré atteint par la violence du
côté des Palestiniens, ni la rétorsion de l'armée israélienne, ni la cessation
des négociations politiques et des contacts diplomatiques ne peuvent rien
changer à ces données premières du problème. Nous devons choisir : les
implantations, sans frontières ; ou : les frontières, sans implantations.
Et
si nous choisissons la deuxième option, il n'y a plus aucune justification
possible à la poursuite de l'expansion des colonies via le développement de
nouveaux quartiers périphériques (aux colonies existantes, ndt). Ceci ne
pourrait que contribuer à entretenir l'illusion trompeuse, chez de trop nombreux
colons, qu'une fois de plus, le danger d'une évacuation inexorable leur aurait
été épargné in extremis (grâce, cette fois-ci, à la stupidité des Palestiniens
incapables d'accepter les propositions de Barak, et à celle des électeurs
israéliens portant Ariel Sharon au pouvoir).
Plus les espoirs sont grands,
plus dure est la chute, lorsqu'elle se profile à l'horizon. Les rêves sont
brisés, les aspirations - frustrées, l'amertume contre les gouvernements, les
leaders et l'immense majorité de la population (qui, le jour venu, ne votera
certainement pas le maintien en place des colonies si un réel traité de paix
assurant sécurité et stabilité est mis sur la table) s'exacerbe.
Tandis que
des milliers d'entre eux se rassemblent à Hébron pour célébrer Pessah, cette
semaine, les colons auraient grand tort de se réjouir "d'avoir été sauvés". Non,
(il n'y a pas matière à se congratuler, ndt). Il est grand temps de faire preuve
de réalisme et de comprendre quelles sont les deux seules options offertes à
Israël, et d'opter pour celle qui assurera l'existence d'un Etat juif, sur le
long terme.
12. Comment les Irakiens font-ils face aux nécessités
de la vie ? par Fatin Qubaïsy
in Al-Safir (quotidien libanais) du
lundi 2 avril 2001
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Le volontarisme de la reconstruction,
opposée à l'embargo. Mais reste... la tristesse.
Bagdad. De nombreuses
rues et avenues de Bagdad ne laissent rien entrevoir des bombardements et de
l'embargo auquel est soumis le pays depuis dix ans : les voies de circulation,
les ponts audacieux sur le Tigre, les souterrains ultra-modernes sont autant de
signes que des chantiers de reconstruction gigantesques "sont passés par là". Si
cela a été rendu possible par l'esprit de résistance propre à un pays qui fait
profession de survivre dans l'exaltation perpétuelle des guerres, la
reconstitution de ses "artères vitales" n'est pas chose aisée. D'une manière ou
d'une autre, il est "coincé", tenu en quarantaine par un embargo qui ne lui
permet pas de figurer dans le concert des nations, si ce n'est à travers le
guichet de l'assistance alimentaire avec toutes les humiliations qu'elle
implique!
En revanche, il y a une chose qui rappelle en permanence la
défaite de l'Irak. Cette chose, c'est l'homme irakien : les visages que l'on
rencontre, où que ce soit, sont marqués par la tristesse ou, dans le meilleur
des cas, ce sont des visages peu souriants, dans la grande majorité des cas. Ces
visages sont peut-être encore marqués par une sorte d'héritage de l'affliction
"kerbélienne" ancestrale, mais ce vieil héritage religieux tragique trouve ses
prolongements, de nos jours, dans la vie quotidienne des Irakiens qui doivent
affronter une situation politique et économique lourde de dangers, qui se
traduit par des bombardements américains quasi-quotidiens, par les problèmes
d'approvisionnement et les difficultés pour se soigner. Entre tous ces écueils,
le citoyen irakien ne peut mener une vie normale, il se sent en permanence
"poursuivi" par les services secrets du régime, dont la présence invisible est
partout palpable, au point que l'on a l'impression de ne pouvoir respirer
qu'avec leur autorisation.
Le citoyen irakien ne peut oublier que son pays
est un pays riche, que c'est le pays du pétrole, du phosphate, des palmeraies...
Il ne peut oublier que huit cent fils, soit moins d'un dinar, valaient trois
dollars à la fin des années quatre-vingt (avant l'invasion du Koweït, en 1991),
alors qu'aujourd'hui, mille huit cent dinars ne valent pas plus qu'un dollar!
Les Irakiens évoquent avec beaucoup d'amertume et de nostalgie le passé de
leur pays, certains affirmeront au cours de nos entretiens avec eux, qu'ils
refusent la situation actuelle : "naturellement, on ne peut accepter de
s'adapter en permanence aux circonstances imposées", nous dit Saïd Al-Hay, qui
"considère que le problème politique interne et extérieur est beaucoup plus
douloureux que le manque de pain". Mais il s'interrompt ; il ne peut en dire
plus, confronté à la désapprobation explicite du groupe qui l'entoure, selon la
règle générale que Saïd et ses amis répètent à l'envi, et qui veut que "les
Irakiens ne parlent jamais de deux choses : la politique, et la religion"!
Ce
refus de la réalité renferme en lui, chez certaines personnes, un profond désir
de changement. Mais chez Saïd, il traduit surtout la fatalité, le défaitisme. Il
se base sur l'abattement quasi-général chez les Irakiens pour nous déclarer :
"nous sommes un peuple qui ne comptons pas les jours passés de notre vie ; au
contraire, les jours que nous comptons avec fébrilité, ce sont ceux qui nous
rapprochent de la tombe"!
Mais ces propos défaitistes n'empêchent qu'une
amélioration sensible s'est produite dans ce pays, tout au moins sur le plan
économique, et les signes en sont apparus, progressivement, au cours des
dernières années écoulées, avec les premières tentatives de l'Irak pour briser
l'embargo qui lui est imposé en incitant plusieurs pays arabes et étrangers à
signer des accords bilatéraux et des contrats d'échanges commerciaux dans le
cadre du mémorandum des Nations-Unies. Parallèlement, le pouvoir d'achat s'est
relativement amélioré, malgré un salaire moyen équivalent à sept mille dinars,
seulement, ce qui correspond à cinq dollars mensuels, alors qu'à la fin des
années quatre-vingt, le salaire moyen irakien était de soixante dinars,
correspondant à cinq cent dollars! Mais ce salaire moyen a régressé dans la
période récente jusqu'à cinq mille dinars, pour un salaire d'instituteur, par
exemple. Les professionnels touchant des primes de déplacement (entre les
départements du pays) ou pour heures supplémentaires parviennent péniblement à
toucher jusqu'à dix mille dinars.
Mais comment faire face aux nécessités de
la vie avec cinq dollars en poche, par... mois ?
Le citoyen irakien a recours
à sa carte d'alimentation qui lui permet d'obtenir gratuitement un contingent de
riz, de sucre, de lait, de beurre, de farine, de savon, de poudre à laver,
etc... Il peut consulter un médecin et être soigné pour un tarif symbolique, il
peut étudier dans le secondaire et à l'université gratuitement. Il faut savoir
que les universités qui lui ouvrent leurs portes offrent des enseignements
spécialisés de qualité, comme l'université de technologie, qui forme des
spécialistes aéronautique, en mécanique générale, en électricité, il y a aussi
l'institut de formation des métiers de l'aviation et les divers instituts
industriels. Depuis environ trois ans, des universités privées ont vu le jour ;
elles peuvent recevoir un nombre supplémentaire d'étudiants, que leurs résultats
au bac n'autorisent pas à s'inscrire dans les universités d'Etat, qui exigent un
très bon niveau. Ces université privées offrent des cours du soir, ce qui permet
aux nombreux étudiants obligés de travailler dans la journée de poursuivre leurs
études. Les droits d'inscription dans ces universités privées sont de l'ordre de
soixante mille dinars en moyenne. (soit un an de salaire moyen,
ndt)
L'immense majorité de la population irakienne est lettrée et éduquée. La
plupart des chauffeurs de taxis et de bus, les serveurs des restaurants, les
grooms des hôtels, les ouvriers, sont très souvent titulaires de diplômes et ils
sont qualifiés : ils ont été contraints d'embrasser ces professions en raison de
la faiblesse des salaires (ou du manque de débouchés) dans les métiers pour
lesquels ils ont été formés. Si certains ont deux emplois, et travaillent de
nuit pour améliorer leurs revenus, nous constatons par ailleurs que ce pays
n'échappe pas non plus à un chômage endémique, surtout en province.
Si
Muhammad Salih, ingénieur dans un raffinerie de pétrole depuis plus de dix ans
perçoit (primes comprises) cinquante mille dinars par mois, Ali al-Rimahi,
titulaire d'une maîtrise dans le même domaine ne perçoit pas plus de vingt mille
dinars, car il n'a pas d'expérience professionnelle à faire valoir. C'est
pourquoi il a quitté sa raffinerie, préférant se mettre à son compte, avec ses
frères : ils ont ouvert un bureau de service de voituriers qui est très
sollicité pour véhiculer les différentes délégations officielles qui visitent le
pays. Il gagne désormais vingt mille dinars, mais pas par mois : ... par
jour!
Ali, marié et père de trois enfants, se place dans la classe moyenne,
mais il ne jouit d'aucun bien-être, un de ses enfants, âgé de sept ans, étant
atteint d'une double malformation valvulaire due à l'exposition de son épouse,
au cours de sa grossesse (en 1993), aux effets de l'uranium appauvri présent
dans les déchets des bombardements américains. L'opération nécessaire, qui sera
réalisée cette année par un Irakien spécialiste en chirurgie cardiaque, coûtera
environ un million de dinars, ce qui impose à Ali le choix entre deux choses :
soit il devra vendre sa voiture (son outil de travail), soit il sera contraint
de s'endetter. Il faut savoir, à ce propos, que la région qui présente le plus
de risques d'exposition aux radiations dues à l'uranium appauvri est le
département de Bassorah (au sud du pays), proche du Golfe. Les enfants y sont
atteints de nombreuses malformations, si bien qu'il y a quelques mois, les
médecins n'ont pu que déconseiller aux femmes de cette région d'avoir des
enfants...
Si la classe moyenne est bien présente dans certains quartiers de
la capitale comme al-Karradah, al-Mansurah, al-Hirasat, qui sont, aux yeux des
Irakiens, des quartiers "chic", la pauvreté s'aggrave dans d'autres quartiers de
Bagdad, ainsi que dans l'ensemble de la province. La mendicité a régressé de
manière notable à Bagdad dans la période récente. La dureté des temps a entraîné
une baisse de la nuptialité jusqu'à environ 20%. C'est ce que nous indique Ahmad
Mubarak, qui travaille dans le domaine social, et qui regrette quelque part de
s'être marié et d'avoir eu deux enfants, dans des circonstances qui rendent
difficile la simple survie. Il nous dit qu'il lui est impossible de voyager :
"je ne peux pas laisser seule ma famille dans des circonstances politiques
troublées et peu sures. Je ne peux pas non plus les emmener à Amman, par
exemple, puisque le coût du voyage serait de plus de deux millions quatre cent
mille dinars" (six cent mille dinars pour chacun des passeports, auxquels il
faut ajouter cent dollars pour le bus).
Le recours aux ressources
propres
Anticipant sur la "levée" de l'embargo en s'ouvrant commercialement
sur l'extérieur, l'Irak a commencé à faire face à cet embargo dès le moment où
il fut imposé, au début des années quatre-vingt dix, en recourant à son
potentiel humain, essentiellement. Le pays a pu, grâce à l'intelligence de ses
citoyens et aux plans des ingénieurs et des techniciens, dans lesquels ils ont
tenu le plus grand compte des pénuries en matières premières pour lesquelles
l'Irak dépendait de l'extérieur, en vue de la reconstruction des bâtiments, des
institutions et des infrastructures vitales détruits par la guerre, en se basant
sur les ressources propres du pays.
Ainsi, l'Irak a construit des hôpitaux,
des ponts, des routes, il a reconstruit des abris, des églises, des mosquées et
des musées. En 1992, soit un an et demi seulement après le début de l'embargo,
l'Irak avait fêté l'inauguration de nombreuses entreprises reconstruites. Le
musée "de la Résistance et du Défi", fondé à la fin de l'année 1991, soit
environ un an après l'agression américaine contre l'Irak, est le monument élevé
à la gloire de cette grande politique de reconstruction. On y voit des maquettes
des dix-huit émetteurs de radio et de télévision bombardés, dans l'ensemble
des dix-huit départements de l'Irak. En face de chacune de ces maquettes
sont exposées celles qui montrent l'état d'avancement de leur reconstruction. On
y voit également une maquette du palais des congrès, bombardé en même temps que
l'hôtel Al-Rashid, ainsi que la maquette du nouveau palais des congrès en
construction à Bagdad, et aussi les maquettes des ministères et des sièges de
différentes administrations endommagés par les bombardements avec, en vis-à-vis,
les maquettes montrant les restaurations menées à bien. Des panneaux expliquent
au visiteur la date du bombardement de ces différents palais nationaux,
l'importance des dégâts qui leur ont été infligés, l'avancée des travaux de
reconstruction et leur coût.
Mais quelque grandes que soient les compétences
et les capacités humaines, l'interdiction qui frappe les importations reste la
pierre d'achoppement essentielle, qui empêche d'assurer à la population les
services essentiels, vitaux, que seuls peuvent apporter les équipements
médicaux, les stations d'épuration et de pompage, certains équipements pour les
centrales électriques. Ceci se traduit par l'extension galopante des épidémies,
surtout chez les enfants, en raison du manque de soins et de la pollution de
l'eau, que viennent aggraver des coupures de l'alimentation en électricité dues
au contingentement, tout particulièrement en province. Le phénomène de la
location de groupes électrogènes se répand dans tous les départements, ajoutant
un fardeau financier supplémentaire aux citoyens : pour la location d'un groupe
électrogène, pour les besoins d'une famille moyenne, il faut compter en moyenne
six mille dinars par mois
!