Revue de presse
1. L'opération israélienne s'attire des critiques de
toutes parts par Deborah Sontag
in The New York Times (quotidien
américain) du vendredi 20 avril 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Beaucoup de grands pontes de la politique
israélienne pensent que la brève occupation, par l'armée israélienne, de
territoires de l'Autorité palestinienne, dans la bande de Gaza, cette semaine -
une occupation qui s'est achevée vingt-quatre heures après avoir commencé - se
solde par un triple fiasco : militaire, diplomatique et politique.
Cette
brève ré-occupation a causé des frictions entre Israël et les Etats-Unis, elle a
suscité la désapprobation de l'Union européenne et la colère du monde arabe.
Elle a aussi créé une tension entre le gouvernement et l'armée et au sein du
gouvernement même, nombreux étant les ministres à l'avoir apprise par les
médias. Elle a valu au Premier ministre Ariel Sharon les critiques des colons,
qui lui reprochent d'avoir ordonné le retrait de l'armée, et de la gauche
oppositionnelle, qui lui reproche de l'avoir fait avancer...
Par-dessus le
marché, l'opération semble avoir eu peu d'effet, militairement, tout au moins
jusqu'ici. Après le retrait des tanks et des bulldozers, une recrudescence
d'obus de mortiers (on en compta treize) se sont abattus sur des cibles
israéliennes, soit beaucoup plus que précédemment. En s'emparant du terrain, les
Israéliens voulaient indiquer clairement aux Palestiniens qu'ils avaient franchi
une ligne rouge en tirant des projectiles jusqu'au coeur du territoire
israélien.
Mais le retrait de l'armée laisse aux Palestiniens l'impression
qu'Israël a lui aussi franchi une ligne rouge, et que s'il se fait taper sur les
doigts, il n'a que ce qu'il mérite.
"Ce mercredi restera dans les mémoires
comme le jour où Ariel Sharon a commis sa première bévue", écrit Ben Caspit dans
le quotidien israélien Maariv.
L'éditorial de Yediot Aharonot a pour titre :
"Faites confiance au Schlemiel" (mot yiddish signifiant : "manchot"). On peut y
lire : "Ce qui a débuté comme une campagne militaire, comme l'expression d'une
nouvelle politique sans compromis, s'est terminé comme une boulette
embarrassante", "un tir dans le pied sans précédent et, qui plus est, sans aucun
résultat".
Le président de la commission des affaires étrangères de la
Knesseth, Dan Meridor, a ordonné l'ouverture d'une enquête sur la façon dont ont
été prises les décisions de pénétrer dans les territoires palestiniens, puis de
s'en retirer. Cette enquête, baptisée : "Opération Chaude-Journée - Couleurs
Pastel", sera supervisée par un sous-comité d'experts ayant la capacité de citer
à comparaître. Dès la semaine prochaine, ce comité appellera des responsables
gouvernementaux et militaires à témoigner et il passera au peigne fin les
transcriptions des conversations téléphoniques entre le bureau du premier
ministre et l'état major, ainsi que les communications téléphoniques internes de
l'armée.
Des officiels américains et européens ont condamné la réoccupation
(de territoires) en elle-même comme étant une réaction exagérée aux attaques au
mortier des Palestiniens contre Sederot, attaques qui ont eu pour effet de
creuser des trous dans le sable du désert du Neguev, sans causer ni mort, ni
blessé : pas même des dégâts matériels. Certains Israéliens ont fait de même,
disant que l'armée n'avait pu se dispenser de "rouler les mécaniques" et qu'il
ne manquerait pas d'y avoir un "retour de manivelle" à cette démonstration de
force. Mais de nombreux Israéliens ont apporté leur soutien à la philosophie de
cette opération, ne critiquant que la manière dont elle a été décidée, menée, et
brusquement arrêtée.
"L'origine du dysfonctionnement est qu'il n'y a eu
aucune réflexion militaro-diplomatique tous-azimuts", a déclaré Ephraim Sneh,
ministre des transports. "Non seulement le cabinet n'a pas été réuni, mais même
le cabinet restreint ("le cabinet de la cuisine", en anglais, ndt) , composé du
premier ministre, et des ministres de la défense et des affaires étrangères, ne
l'a pas été non plus... Le ministère des affaires étrangères n'a pas été mis en
action afin de mettre en route la diplomatie sédative qui est de mise pour une
opération de cette nature : la première irruption massive des forces armées
israéliennes en territoire contrôlé par l'Autorité palestinienne qui ne soit pas
(théoriquement) suivie de leur retrait immédiat.
En Israël, aujourd'hui, les
tensions internes ont été mises de côté, pour quelques brefs instants, tandis
qu'on observait le Jour du Souvenir de l'Holocauste. La radio et la télévision
ont consacré leurs programmes à la Shoah, nom duquel on désigne l'Holocauste
(des Juifs, pendant la seconde guerre mondiale) ici. A dix heures du matin,
toutes les sirènes se sont déclenchées : le trafic s'est figé et le pays tout
entier a observé deux minutes de silence. Mais, en fin d'après-midi, la querelle
politique nationale reprenait, avec des informations concernant des tirs d'obus
de mortier contre un kibboutz situé à proximité de la frontière avec la bande de
Gaza, et aussi le fait que Yasser Arafat avait ordonné qu'un terme soit mis aux
attaques (contre le territoire israélien, ndt), pour la seconde fois en quinze
jours.
Après un mois aux affaires, M. Sharon est sorti de l'attitude
patriarcale bienveillante qu'il avait adoptée tout au long de sa campagne
électorale. Au cours de plusieurs interviews, la semaine dernière, il ne s'est
pas embarrassé de la rhétorique électorale sur "sa volonté de ramener la paix" ;
il a défendu sa volonté d'obtenir la sécurité et la cessation des hostilités. Au
début de cette semaine, il est passé à un ton beaucoup plus martial, agressif,
en ordonnant la destruction d'une station-radar syrienne, au Liban.
Avec
l'opération à Gaza, la vie politique de M. Sharon (et la vie tout court, dans la
région) est devenue tout d'un coup beaucoup plus compliquée et "sur le fil du
rasoir".
Après les attaques par terre, mer et air, contre des objectifs à
Gaza, l'armée israélienne a fait mouvement, avec tanks et bulldozers, à travers
la frontière, vers l'intérieur d'un secteur contrôlé par les Palestiniens autour
de Beit Hanun, dans la nuit de lundi dernier. Des officiers de haut rang ont
indiqué à des journalistes israéliens spécialisés dans les questions militaires,
ce soir-là, qu'ils préparaient une "opération de laminage en règle, et non un
épisode passager", a rapporté Amos Harel, correspondant militaire du quotidien
Ha'Aretz.
Mardi après-midi, "les tanks et les transports de troupes étaient
en ordre de bataille sur les plate-formes de départ, les soldats remplissaient
des sacs de sable et édifiaient des remparts de terre", écrit aujourd'hui M.
Harel. "Ce n'est pas le genre de choses que l'on fait lorsqu'on prépare une
opération d'un jour".
Tard dans la soirée, au cours d'un briefing organisé
par l'armée et diffusé sur toutes les stations de radio et toutes les chaînes de
télévision, en Israël, et presque partout à travers le monde, le commandant de
l'opération, le brigadier général Yair Naveh a dit aux reporters que les
Israéliens resteraient (dans les territoires ré-occupés, ndt) "des jours, des
semaines, voire des mois".
L'observation du général Naveh était tout-à-fait
cohérente avec une déclaration du porte-parole de l'armée, le brigadier général
Ron Kitrey, un peu plus tôt ce même jour. Celui-ci avait déclaré que les forces
israéliennes resteraient (en territoire palestinien) tout le temps qui serait
nécessaire pour obtenir l'arrêt total des tirs de mortiers palestiniens (contre
Israël).
Mais, en l'espace de quelques heures, après que le secrétaire d'Etat
américain, Colin L. Powell eût condamné Israël, les troupes se retiraient.
"Mission accomplie", déclara l'armée... Les obus de mortier se mirent à voler
très peu de temps après que les Israéliens aient refermé la barrière frontalière
derrière eux...
Mercredi, le porte-parole de M. Sharon et le ministre de la
défense, Benjamin Ben-Eliezer déclarèrent que cette opération n'avait jamais été
prévue pour se prolonger au-delà d'une journée...
Ils blâmèrent le général
Naveh pour avoir parlé avant son tour. Le bureau du porte-parole de l'armée
publia un communiqué, selon lequel les commentaires du commandant de la région
"n'étaient pas de son domaine de compétence". Raanan Gissen, le porte-parole de
M. Sharon, a déclaré que les relations publiques n'étaient pas le fort du
commandant, et il suggéra qu'il avait peut-être essayé d'induire l'"ennemi" en
erreur...
De nombreux officiers ont été irrités par ce qu'ils ont considéré
comme la désignation comme bouc émissaire de l'un des leurs. Certains officiels
gouvernementaux ont laissé entendre que l'armée avait pris des libertés sur le
terrain et qu'elle avait interprété sa mission d'une manière trop aventureuse ;
d'autres posaient la question de savoir la nature des ordres que le chef
d'état-major de l'armée, le lieutenant-général Shaul Mofaz, avait donnés à ses
subordonnés.
L'Israélien de la rue est perplexe. Il est clair que certains
réseaux de communications ont fait long-feu, au beau milieu d'une opération
militaire sérieuse, que ce soit tant à l'intérieur qu'entre Israéliens et
Américains. Le ministre des affaires étrangères, Shimon Pérès a déclaré que les
Américains auraient dû être clairement informés qu'Israël n'avait pas
l'intention de mener à bien autre chose qu'une "action limitée".
A droite
comme à gauche, les politiciens israéliens disent avoir subodoré une tentative
d'étouffer ce qu'ils interprètent sans équivoque comme un recul pitoyable du
gouvernement israélien sous les pressions des Etats-Unis.
"Voilà ce à quoi
nous assistons : Ariel Sharon se tire de la bande de Gaza à cause des
Américains, et maintenant ils essaient de faire porter le chapeau à l'armée", a
dit Ran Cohen, chef du Meretz, un parti de gauche. "Tout ça, c'est du
pipeau".
Shaul Yahalom, leader du Parti National Religieux, dont les
militants sont des colons, a déclaré : "Eh bien voilà : à la veille de
l'indépendance (grâce à Sharon ? ndt), l'Etat d'Israël n'est pas
indépendant".
2. Pourquoi le Proche-Orient a besoin de
l'Europe par Jean Daniel
in Le Nouvel Observateur du jeudi 19 avril
2001
Faisons l'économie de l'indignation. Non par indifférence ou
lassitude. Mais par décence. Au Proche-Orient, la tragédie a été annoncée.
Proclamée. Elle a été décidée, voulue, calculée. Pour leur juste cause, les
Palestiniens ont décidé de demeurer unis dans une résistance suicidaire plutôt
que d'être divisés par une paix incertaine. Quant aux Israéliens, ils ont décidé
de voir dans l'attitude de leurs adversaires et dans la surenchère ultime de
leurs revendications la preuve que c'est leur légitimité qui était en cause à
nouveau, et pour la première fois depuis 1967. Les Palestiniens n'ont pas voulu
laisser croire qu'ils ne savaient pas se battre aussi bien que le Hezbollah
censé avoir obtenu le retrait des forces israéliennes du Liban. Les Israéliens
ont décidé de montrer aux Palestiniens et à tous leurs voisins qu'ils n'avaient
pas opéré ce retrait par faiblesse. On ne peut pas mettre, depuis le début du
processus de paix, depuis Oslo, les deux camps sur le même plan. Nous n'avons
pas cessé d'écrire ici qu'accroître le nombre des colonies de peuplement dans
les territoires dont on négociait la rétrocession constituait un acte
d'agression à l'égard des Palestiniens, et d'irresponsabilité à l'égard des
Israéliens qui occupent ces implantations. Mais tout cela relève du passé. La
question est de savoir maintenant si un embrasement régional peut être provoqué
par la stratégie de représailles adoptée par Ariel Sharon. Au coeur de cette
question se trouve la Syrie. Mais le théâtre des opérations, pour le moment,
c'est uniquement le Liban. Et je n'en finis pas de m'étonner que cela ne
surprenne ni n'indigne personne. Après avoir imposé leur loi aux Palestiniens et
aux maronites qui se sont livré il y a plus de vingt ans, les uns contre les
autres, une guerre atroce et interminable, les Syriens ont justifié le maintien
de leurs troupes au Liban par le fait qu'Israël occupait le sud du pays. Déjà il
était scandaleux que l'ensemble des pays arabes décidât qu'il ne serait permis
de s'attaquer à Israël que depuis le territoire libanais. C'était condamner ce
petit pays biconfessionnel à être la seule victime des redoutables ripostes
israéliennes. Mais après le retrait des forces israéliennes, il était clair que
la Syrie s'opposait à ce que la frontière libano-israélienne fût pacifiée.
Logiquement, l'armée libanaise aurait dû prendre position sur cette frontière.
En imposant que le Hezbollah, équipé par elle-même et financé par les Iraniens,
contrôle seul cette frontière, la Syrie a bel et bien décidé de maintenir une
menace permanente d'hostilité. Elle disait vouloir récupérer le plateau du
Golan. Mais elle le faisait en ne prenant aucun risque. Sur ce plateau,
aujourd'hui encore, la sécurité est totale. Que peut-il arriver maintenant ? La
pénétration des forces israéliennes à Gaza et dans tous les territoires a
réveillé les rêves minoritaires du Grand Israël. Les Palestiniens se réfugient
dans l'espérance qu'une extension du conflit susciterait son
internationalisation. Calcul pour le moment très incertain. La Syrie veut bien
faire la guerre par Libanais interposés mais ne souhaite pas risquer le
bombardement de Damas. L'ONU est récusée par Israël, et cela en dépit de toute
la diplomatie savante de Kofi Annan, qui offre pratiquement chaque semaine, pour
son honneur, une nouvelle version de l'envoi de forces d'interposition. L'Otan
n'est en rien disposée à résister si peu que ce soit au veto américain - même si
George Bush, dit-on dans l'entourage de Colin Powell, se repent d'avoir donné à
Sharon, dès l'arrivée de ce dernier au pouvoir, un feu vert pour utiliser tous
les moyens de défense, un chèque en blanc pour obtenir tous les crédits
militaires. La Russie, pas plus d'ailleurs que la Chine et la Corée du Nord, ne
veut aller pour le moment au-delà d'une aide à l'Iran, à l'Irak et, dit-on un
peu partout - mais l'information est-elle encore vraie ? -, à l'Algérie, qui a,
elle, bien d'autres chats à fouetter. C'est donc l'heure de l'Europe, et voici
pourquoi son intervention ne serait pas irréaliste. D'abord, le nombre des
victimes des conflits mondiaux a beau être mille fois plus grand que celui des
morts palestiniens et maintenant israéliens, ce qui se passe en Terre sainte
suscite des réactions passionnelles qui n'ont jamais été aussi exacerbées. On se
résigne à l'Irlande, on se résigne aux convulsions balkaniques, on se résigne
aux talibans, aux victimes de la drogue en Colombie et aux accidentés de la
route partout, mais la tragédie israélo-palestinienne, cela ne passe plus. Et
pas seulement parce que c'est une guerre visible, relayée par les médias les
plus puissants du monde, mais parce que les mondes musulman et judéo-chrétien se
sentent atteints au coeur. L'irrationnel avive et intensifie la sensibilité.
Ensuite, parce que l'Union européenne verse déjà des sommes considérables à
l'Autorité palestinienne et dispose de ce fait, tout de même, d'un moyen de
pression. Elle a raté l'occasion de s'en servir pour inciter Arafat à nous
éviter les catastrophes qui ont nom Sharon et Bush. Mais aujourd'hui une simple
trêve, pas une cessation mais une suspension des hostilités, pourrait mettre
Sharon au pied du mur. Après quoi une partie de la population israélienne, étant
légèrement rassurée, pourrait réclamer un retrait partiel des colonies,
implantations qui portent bien leur nom et qui, depuis le début, constituent
encore une fois un scandale. Enfin les Israéliens, ayant fait la preuve que
l'opinion arabe s'était bercée d'illusions suicidaires en pensant que le
phénomène Hezbollah constituait un précédent, pourraient estimer avoir récupéré
cette position de force qu'ils redoutaient d'avoir perdue. Position qui pourrait
- pourquoi pas ? - conduire la gauche israélienne à renaître. Et - pourquoi pas
? - avec Shimon Peres (le seul ministre à avoir voté contre le raid antisyrien
au Liban). L'Union européenne aurait alors des interlocuteurs, et même des
alliés. Rêve ? Utopie ? Irréalisme ? En tout cas l'Union européenne ne peut pas
demeurer spectatrice. Un de nos confrères, attribuant à de Gaulle un propos qui
est, à ma connaissance, de l'ancien président algérien Boumediene, rappelle que
« les Arabes disposent du nombre, de l'espace et du temps ». D'où la conclusion
que les Palestiniens seraient prêts indéfiniment à mourir. C'était le calcul du
ministre de la Culture de l'Irak, qui avait repris la formule à Paris même.
Pourquoi s'est-il trompé ? Parce que, désormais, la façon d'utiliser le temps
peut vaincre et le nombre et l'espace.
3. Le kaléidoscope d’Elias Sanbar par René
Backmann
in Le Nouvel Observateur du jeudi 19 avril
2001
Souvenirs du pays à venir
Le rédacteur en
chef de « la Revue d’Etudes palestiniennes » vient d’élire domicile dans une
nouvelle patrie : la littérature
Comment dire l’exil ? Comment parler, après
un demi-siècle, du coup de hache de l’expulsion qui a coupé les Palestiniens de
leur terre et tranché en deux leur mémoire, séparant à jamais tout ce qui était
« avant » de tout ce qui advint « après » ? Comment, lorsqu’on appartient à un
peuple fier de son histoire, mais privé de géographie depuis si longtemps par
l’occupation et la dispersion, bâtir sa vie sur cette absence ? Et comment dire
aussi qu’en dépit de l’exil, de la terre confisquée, du déracinement, des
guerres, des amis éparpillés ou tombés au combat, des espoirs trahis, la vie a
continué. Ailleurs. Avec des souvenirs d’enfance. Doux et amers. Des combats,
ceux d’un militant et d’un intellectuel. Des rencontres. Et des joies. Oui, des
joies aussi, malgré cette ombre immense.
La force, mais aussi la grâce
poignante du livre d’Elias Sanbar, c’est cet équilibre de funambule, du premier
au dernier mot, entre l’émotion et l’humour, la colère et la générosité,
l’ironie et la tendresse. Il fallait trouver une forme littéraire particulière
pour réunir ces éclats de mémoire épars, recueillis au fil d’un demi-siècle
d’errance. Elias Sanbar a choisi une construction savante, où les rêves, les
anecdotes, les images fugitives, les témoignages, les conversations avec des
amis de rencontre s’imbriquent et se reflètent comme les miroirs d’un
kaléidoscope.
On croise ainsi Jean-Luc Godard, marchant sur les mains dans
un hôtel d’Amman, Jean Genet, expliquant que le mufti n’est pas une casserole,
ou apprenant à un imprudent comment traverser une rue de Beyrouth sans risque,
et Khalid Abou Khalid, combattant-poète, qui raconte à l’auteur Haïfa, où il est
né, et qu’il n’a pas connue : « Ta ville, c’est la cadence des femmes
lorsqu’elles reviennent des fontaines et que l’eau déborde de leurs jarres. »
Elias Sanbar n’avait qu’un an lorsqu’il a quitté la Palestine dans les bras
de sa mère. Plus chanceuse que d’autres, sa famille n’a pas trouvé au bout de
son exil un camp de réfugiés, mais l’appartement d’une grand-mère, à Beyrouth,
dans le souk des menuisiers, où la plupart des artisans fabriquaient en réalité
des cercueils. C’est à Beyrouth, frivole puis déchirée, qu’il s’est retrouvé,
adolescent, « confronté à la nécessité d’agir ». A Beyrouth aussi que son père,
ancien membre du Haut-Comité arabe qui organisa la révolte de 1936, est mort en
juin 1967, au lendemain de la défaite, quelques heures après lui avoir confié :
« Personne ne parviendra à se débarrasser de nous. La Palestine est une arête
plantée dans la gorge du monde. »
La maison de Haïfa, il ne la retrouvera,
en visiteur furtif, que cinquante ans plus tard, pour constater qu’elle est
habitée par une famille palestinienne du village de Fassouta, qui paie son loyer
à l’administration israélienne des « biens des absents ». Et c’est au fond
l’itinéraire d’exil d’Elias Sanbar de Haïfa à Haïfa, via Beyrouth, Paris, Amman,
quelques camps de fedayins où il enseigne - et apprend - l’histoire, Princeton,
New York, Tunis, que jalonnent les chapitres de ce livre.
Acteur résolu du
dialogue israélo-palestinien, négociateur et « soldat de la paix », Elias Sanbar
n’a cessé depuis trente ans de rêver au « pays à venir ». Celui où il est né. Ce
pays, c’est sûr, ne ressemblera pas à celui qui abritait la nostalgie des siens.
C’est peut-être pour affronter cette réalité amère qu’Elias Sanbar vient d’élire
domicile dans une nouvelle patrie d’accueil : la littérature.
["Le Bien des
absents" par Elias Sanbar, Actes Sud, 114 pages, 99 FRF]
4. Droits de l'homme à l'encan aux Nations
unies par Pierre Hazan
in Libération du jeudi 19 avril
2001
Si la Chine a échappé à une condamnation à Genève, la politique
israélienne a été épinglée.
Genève de notre correspondant,
Que dirait-on
d'un tribunal qui comporterait parmi les jurés, des assassins et des violeurs?
C'est pourtant, ce qui se passe, peu ou prou, à la Commission des Nations unies
pour les droits de l'homme.» Ce jugement désabusé de Ken Roth, directeur de
l'organisation américaine Human Rights Watch, témoigne de l'ambiguïté de cette
Commission qui se veut «la conscience de la communauté internationale», mais qui
en réalité, reflète davantage les rapports de force entre Etats que le véritable
«palmarès» des gouvernements bafouant les droits de l'homme. D'autant que des
pays peu sourcilleux en matière de respect de la personne humaine font désormais
de «l'entrisme» au sein de cet organe de l'ONU, pour mieux se prémunir de toute
condamnation.
Rituellement, l'un des sujets les plus disputés est la Chine.
En dépit de la reconnaissance «des progrès enregistrés», les Américains,
soutenus par les Quinze, ont tenté hier - en pure perte - d'épingler Pékin pour
les entraves à la liberté d'expression, à la liberté religieuse et
d'association, ainsi que sur le Tibet. Mais Pékin a réussi une nouvelle fois à
ce que ces accusations ne soient même pas discutées. Par 23 voix contre 17 et 12
abstentions, la Chine a réussi, par un artifice de procédure, à simplement
écarter tout vote sur le fond.
Abstention. Le gouvernement chinois avait mis
toutes les chances de son côté. Ces derniers jours, le président Jiang Zemin a
entamé une grande tournée en Amérique latine, dont les retombées se sont
matérialisées hier: à l'heure du vote, tous les pays latino-américains, à
l'exception du Guatemala, se sont prudemment abstenus ou ont voté en faveur de
la Chine. Mais le ton n'était pas vraiment à la détente. L'ambassadeur chinois a
dénoncé «les avions américains qui espionnent et menacent le peuple chinois»,
s'en prenant dans la foulée à Washington, «imbu de sa suprématie raciale et qui
ne cherche qu'à renvoyer la Chine à un état d'arriération perpétuelle», pour
conclure que toutes ces accusations sont «aussi absurdes que calomnieuses»...
De tous les pays passés au crible, l'Etat hébreu a été le plus lourdement
condamné, que ce soit pour ses opérations militaires en Cisjordanie ou Gaza,
l'extension des colonies de peuplement, l'occupation du Golan et la détention de
prisonniers libanais. Ces multiples condamnations d'Israël témoignent de la
frustration de beaucoup de pays à l'égard de la politique du gouvernement
Sharon. Ainsi, ce n'est qu'au dernier moment que Paris, Rome et Madrid ont
préféré s'abstenir avec les autres membres de l'Union européenne sur la
résolution présentée par l'Algérie, au nom des pays arabes et non alignés, qui
condamnait notamment Israël «pour sa politique de répression ainsi que pour les
exécutions extrajudiciaires commises par les force de sécurité de l'Etat
hébreu».
Outrance verbale. Si le texte de la résolution avait été
profondément atténué sous la pression des Quinze, l'ambassadeur algérien,
Mohammed-Salah Dembri, a pris sa revanche à l'oral, en comparant «la Cisjordanie
et Gaza aux camps de concentration de Dachau, Treblinka et Auschwitz», et
appelant les Israéliens à ne pas conduire «le peuple palestinien à ce que fut
Nuit et Brouillard» (un génocide, ndlr).
Ces outrances verbales soulignent
une fois encore les limites de la Commission des droits de l'homme. Alger qui se
pose en donneur de leçons a refusé l'accès à son territoire à tous les
rapporteurs spéciaux des Nations unies et a toujours réussi à échapper à tout
examen de sa situation intérieure en dépit des milliers de morts et
d'innombrables exactions. Diplomatiquement plus lourde de sens fut la résolution
déposée par la Suède au nom des Quinze, et massivement acceptée -seuls les
Etats-unis ont voté contre-, qui fustigeait les colonies de peuplement de l'Etat
hébreu.
5. L’inquiétante disparition du mouvement pour la
paix par David Newman
in The Jerusalem Post (quotidien israélien)
traduit dans Courrier International du jeudi 19 avril 2001
(David
Newman est directeur du département de sciences politiques de l’université Ben
Gourion du Néguev.)
Pourquoi le mouvement La Paix maintenant a-t-il disparu ?
Le politologue David Newman analyse les raisons de l’effondrement d’une
organisation qui a longtemps été l’un des moteurs des négociations.
La paix
n’est pas précisément un sujet à la mode, ces derniers temps. La gauche
elle-même a le sentiment que le gouvernement précédent n’aurait pas fait
beaucoup mieux et qu’une fois de plus les Palestiniens ont gâché une belle
occasion d’obtenir ce qu’ils désirent depuis si longtemps : tous nos efforts ont
été récompensés par une nouvelle flambée de violence et de terrorisme.
Nous
vivons sans aucun doute une période de crise. Voilà justement pourquoi le pays a
besoin de voir émerger un mouvement pacifiste spontané qui aurait une chance
d’arrêter le dangereux glissement en faveur de la guerre de l’opinion publique
et l’idée qu’il ne peut y avoir d’alternative aux affrontements.
Les
mouvements de protestation apparaissent souvent pendant ces périodes de crise où
la population juge les politiques et les élus incapables de trouver des
solutions. Ce fut le cas en Israël dans les années 70, au lendemain de la guerre
du Kippour, où se développa un élan de protestation inédit depuis la naissance
du pays. Gush Emunim [Le Bloc de la foi, rassemblement de sionistes religieux],
un mouvement de protestation de droite, a été créé en 1974 pour s’assurer
qu’Israël ne céderait en aucun cas son autorité sur la Cisjordanie lors de
négociations ultérieures. Créée quatre ans plus tard, La Paix maintenant [Shalom
Akshav] s’est donnée pour but de promouvoir les pourparlers de paix et de
rappeler au gouvernement Begin qu’il ne devait pas se départir de ses bonnes
intentions jusqu’à la conclusion d’un accord final.
En vingt-cinq ans, ces
deux organisations ont enregistré leur lot de succès et d’échecs. Gush Emunim
peut s’enorgueillir des 200 000 colons installés en Cisjordanie et dans la Bande
de Gaza. Ces implantations ont été un obstacle majeur à la signature d’un accord
territorial définitif entre Israël et l’Autorité palestinienne. En outre, elles
ont largement contribué à l’échec des négociations au cours des douze derniers
mois. Pour sa part, La Paix maintenant peut se féliciter d’avoir fait pression
sur le gouvernement Begin pour qu’il conclue l’accord de paix avec
l’Egypte.
Le mouvement pacifiste a également manifesté son opposition massive
à la guerre du Liban et oeuvré sans relâche en faveur des négociations
israélo-palestiniennes depuis dix ans. En matière d’échec, Gush Emunim et ses
partisans ont dû accepter de renoncer au rêve d’un Grand Israël. La Paix
maintenant, pour sa part, en est réduite à déplorer la rupture des négociations
de paix avec les Palestiniens, le retour du terrorisme et de la violence et, ce
qui semble évident aux yeux de tous, un recul significatif - voire la
disparition complète - des chances d’aboutir à un accord de paix définitif dans
un futur proche. Les dirigeants de ces deux organisations ont vieilli, et nombre
d’entre eux ont fini par être absorbés par les partis politiques. Créées à
l’origine comme des mouvements protestataires, ces deux formations se sont
largement institutionnalisées. Elles ont donné naissance à d’autres
organisations : à droite, Zo Artzenu [Ceci est notre pays, mouvement d’extrême
droite] et Femmes en vert, qui ont dirigé la campagne contre les accords d’Oslo
; à gauche, Gush Shalom [Le Bloc de la paix], les Quatre Mères et Femmes en
noir, qui se sont battus sans relâche en faveur d’un retrait israélien du
Liban.
Mais les comparaisons s’arrêtent là. Alors que Gush Emunim peut
compter sur ses implantations et sur une génération d’enfants de colons et de
jeunes formés dans les yeshivas [les écoles talmudiques] pour protester
activement contre une reprise des négociations de paix et une éventuelle
évacuation des implantations juives, La Paix maintenant a pratiquement disparu
du paysage politique. Autre différence : les contestataires de droite n’hésitent
pas à manifester contre leurs propres dirigeants politiques lorsque ceux-ci sont
au pouvoir. La gauche, elle, est toujours tombée dans le piège qui consiste à
croire qu’après l’élection d’un Premier ministre de gauche il ne reste plus qu’à
rentrer à la maison et à attendre que tout s’arrange.
L’actuel arrêt des
négociations est, pour les partisans de la paix, la plus grave crise depuis
l’invasion du Liban en 1982. Les sondages montrent que les Israéliens, parmi
lesquels bon nombre de défenseurs actifs du processus d’Oslo, ne croient plus à
un accord de paix avec les Palestiniens. Après avoir tant offert à Camp David,
ils n’acceptent pas de recevoir en retour une nouvelle flambée de violence et de
terrorisme. Il n’existe pas, au sein de la société israélienne, de mouvement
populaire capable de faire entendre sa voix, de reconquérir l’opinion publique
et d’essayer (aussi ardue que soit cette tâche) de convaincre l’Israélien moyen
que les négociations de paix ont toujours leur importance à condition que le
terrorisme et la violence prennent fin. Ce dont nous avons besoin de toute
urgence, c’est d’un nouveau mouvement pacifiste partant de la base pour aller
vers le sommet, porté par les jeunes adultes du pays, par les yuppies de
Tel-Aviv et d’Herzliya [grande ville au nord de la capitale] et par les
kibboutz. S’il ne peut s’agir d’une autre Paix “maintenant”, parce que le moment
ne s’y prête décidément pas, ce mouvement néanmoins se devra d’être pacifiste :
il rappellera à l’ensemble de la population que l’objectif ultime doit être la
stabilité, la sécurité et la normalisation - et non les affrontements, la
violence et les implantations.
Il devra impérativement se trouver dans ce
pays des gens motivés qui soient prêts à relever le défi. Car sans l’émergence
d’un nouveau mouvement populaire favorable à la paix et capable de faire
entendre sa voix dans la rue, dans les médias et dans des manifestations,
l’actuel gouvernement ne retournera pas s’asseoir à la table des négociations -
que les violences cessent ou non. Il n’y aura plus, alors, qu’à enterrer les
espoirs et les rêves de ceux qui, depuis dix ans, aspirent à un avenir où la
guerre ne serait plus qu’un souvenir.
6. La spirale de la violence par Baudoin
Loos
in Le Soir (quotidien belge) du mercredi 18 avril
2001
D'escalade en escalade. Le Proche-Orient s'englue dans un conflit
toujours plus armé, toujours plus sanglant, toujours plus étendu. Après
l'extension au Liban, orchestrée par Israël dimanche contre une position
syrienne en représailles à une action mortelle du Hezbollah dans une zone
occupée, l'armée israélienne a répliqué ces dernières trente-six heures à cinq
tirs de mortier palestiniens, dirigés contre une petite ville à l'intérieur
d'Israël, par une nouvelle démonstration de l'artillerie et de la force aérienne
et, nouveauté, par la réoccupation de parcelles de la « zone A » (sous contrôle
total palestinien depuis 1994), dans la bande de Gaza. Cette réoccupation
pourrait durer des mois, selon un général israélien, le temps nécessaire pour
empêcher les tirs de mortiers contre nos localités.
Pour sa part, le
président palestinien Yasser Arafat a dénoncé le crime impardonnable que
représentent pour lui les opérations militaires israéliennes menées dans la nuit
de lundi à mardi : une tentative vicieuse pour faire plier notre peuple, mais le
monde doit comprendre que ce peuple ne cédera pas, a-t-il déclaré. Le secrétaire
d'Etat américain, Colin Powell, lui, a qualifié les représailles israéliennes
d'excessives et disproportionnées...
Les parties israélienne et
palestinienne n'ont jamais atteint un tel point d'animosité et d'antagonisme
depuis dix ans. Des deux côtés, la haine l'emporte sur les stratégies de paix,
confinées au rayon des espoirs déçus.
Dans ce contexte, la visite
d'information qu'entame dans la région notre ministre des Affaires étrangères,
Louis Michel, à dix semaines de la présidence belge du Conseil des ministres
européen, est pour le moins délicate.
7. "Aujourd'hui, les Palestiniens ne sont plus seuls à
porter le deuil" par Didier François
in Libération du mercredi 18
avril 2001
Bilal, commandant des structures clandestines à Gaza
explique pourquoi il a fait le choix des armes contre Israël.
Khan Younès
envoyé spécial
Sur l'écran de télévision défilent les images de destruction.
Décombres d'un quartier populeux rasé par les blindés israéliens. Bilal
s'enfonce dans un sofa, allume une cigarette, se déleste de son fusil et entame
sa démonstration. «Voilà ce qui nous pousse à agir.» Constat sans fougue ni
véhémence. Pour ce jeune commandant, patron des structures clandestines dans la
bande de Gaza, le choix des armes s'impose comme une évidence. «Nous avons suivi
le chemin de la paix et, à notre grand regret, avons trouvé la voie barrée par
l'égoïsme israélien, un refus borné à reconnaître les droits palestiniens. Nous
avons frappé à toutes les portes, dans le monde arabe, aux Etats-Unis, en
Europe. Sans succès. Alors nous avons pris nos responsabilités: le recours aux
opérations militaires pour protéger notre peuple.»
Chaque nuit, à la
mitraillette, à la mine ou au mortier, ses fedayin harcèlent les casernes et les
colonies juives. Attentats, embuscades, escarmouches, les combattants de l'ombre
multiplient leurs coups de main. Jour après jour, Tsahal durcit ses
représailles, bombardements, exécutions, punitions collectives. Assuré de son
bon droit, Bilal accepte avec résignation l'escalade militaire, sa cohorte de
peines, de destructions. «Nous sommes en guerre. Nous ne fixons donc aucune
limite à nos opérations. Tant que les Israéliens occuperont nos terres, qu'ils
n'auront pas mis en œuvre l'ensemble des accords signés depuis Oslo, nous
poursuivrons le combat avec tous les moyens à notre disposition.»
Fatalisme.
Après six mois d'affrontements, la logique du conflit s'est solidement enracinée
dans la psyché des baroudeurs. «La puissance de leur armement ne nous fait ni
chaud ni froid.» Un fatalisme entretenu par le sacrifice des camarades, dont le
commandant reconnaît qu'«ils sont nombreux à être tombés en martyrs au cours de
nos actions». Ses hommes, estime Bilal, ont donné leur vie pour que ne soit plus
gaspillée celle des jeunes lanceurs de pierres. «Au début de l'Intifada, nous
nous sommes cantonnés aux marches de protestation. La répression israélienne a
été terrible. A 300 morts, nous avons décidé de revoir notre stratégie.
Aujourd'hui, les Palestiniens ne sont plus seuls à porter le deuil.»
«Si nos
moyens restent limités, nous avons fait d'énormes progrès sur le plan
militaire.» Les haoun, ces mortiers artisanaux baptisés «pilons» et fabriqués
dans la bande de Gaza, font la fierté de Bilal. «Notre réponse à leurs
bombardements. Imparable. Bien sûr, il nous faut encore les améliorer, mais nous
apprenons chaque jour.» La destruction de ces ateliers, un secret bien gardé,
est devenue la priorité absolue des forces israéliennes. Autre spécialité du
groupe, les mines commandées à distance. Modèle maison bricolé à grand prix. Au
marché noir, le kilo de TNT coûte 500 dollars, plus de 3 500 francs. «Tout
s'achète en Israël.» Bilal sourit. «Avec un peu de haschich ou de cocaïne.»
«Mais nous ne sommes pas des terroristes.» Bilal insiste. C'est pour marteler ce
message qu'il accepte de rencontrer les envoyés spéciaux de Libération et du
Figaro.
«Nous évitons de cibler des civils.» Son unité revendique pourtant
l'embuscade contre un bus de ramassage scolaire devant l'implantation de Kfar
Darom, en novembre. «Les Jeep d'escorte étaient visées.» Un nourrisson a été
blessé par des éclats lors d'une attaque au mortier sur Gush Qatif. «Un
accident. Il ne faut pas oublier que les colonies sont devenues des bases de
l'armée. Les colons portent tous une arme, ce sont donc des objectifs militaires
légitimes.» La raison de ses tirs semble toutefois ailleurs. Et Bilal le
concède. «Nous connaissons le point faible du peuple israélien. Si le
gouvernement d'Ariel Sharon ne peut pas lui garantir la sécurité, il ne tiendra
pas longtemps.» Voilà qui justifie les actions «par-delà la ligne verte».
Frange nationaliste du soulèvement, les fedayin des «sections
opérationnelles» du Fatah répugnent aux attentats-suicides en Israël. Mais les
kataeb islamistes, bras armés du Hamas ou du Jihad, n'ont pas ces délicatesses.
Or, reconnaît Bilal, «les événements nous ont poussés à des alliances avec le
diable». En fait, la résistance palestinienne armée a désormais regroupé ses
obédiences sous un «haut commandement unifié», construit sur le modèle des
réseaux clandestins de la première Intifada. Une sorte de directoire
politico-militaire coordonne les actions des divers groupes, à Gaza comme en
Cisjordanie. «Deux courants coexistent au sein du Fatah, explique Bilal. Une
tendance recherche une paix équilibrée avec les Israéliens par le biais des
négociations. Et nous, la fraction radicale, pensons que l'on doit revenir à
l'action armée, révolutionnaire. Vous pouvez, bien sûr, nous considérer comme
une force d'opposition par rapport à la direction du Fatah.» Les radicaux
disposent d'une autonomie réelle. Partiellement parce que jamais ils n'ont
bénéficié d'un espace politique aussi dégagé. En l'absence de solution négociée
crédible, face au durcissement de la répression, leur popularité va croissant
dans la rue. Parmi les réfugiés des camps, sur les lignes de confrontation, les
miliciens restent perçus comme un ultime rempart contre l'agression israélienne,
et rares sont ceux qui leur reprochent d'être l'aimant attirant le feu des
représailles.
«Les membres de la police palestinienne sont souvent ligotés
par les consignes de retenue de leurs supérieurs, regrette Bilal. Nous n'avons
pas ce genre de restrictions. Nous ne recevons d'ordres que de nos propres
structures de commandement. En fait, l'Autorité découvre souvent nos opérations
après coup.» Pour autant, les ponts sont loin d'être coupés entre les militants
actifs dans la sphère armée et les dirigeants intégrés dans l'appareil officiel.
«Même si nous sommes des opposants, nous restons le dernier atout du camp de la
paix. C'est notre force militaire qui donne du poids à nos négociateurs. Sans
notre aide, ils ne représenteraient rien.»
Corrompus. Pas question, en
revanche, de transiger avec les «traîtres». Se transformant en parti de
gouvernement, après la signature des accords d'Oslo, le vieux mouvement de
libération fondé par Arafat a fait le lit de quelques corrompus sans scrupules,
désormais suspects de collaboration. «Notre révolte a deux faces, précise Bilal;
la résistance à l'occupation israélienne va de pair avec une lutte pour éliminer
les impuretés à l'intérieur de l'Etat palestinien. Nous combattons la conduite
malhonnête de certains au sein du Fatah et de l'Autorité.»
Laissés-pour-compte. Issus des milieux modestes ou liés aux grandes familles
de la bande de Gaza, les volontaires des «sections opérationnelles» du Fatah se
recrutent souvent parmi les laissés-pour-compte de la grande distribution des
postes de responsabilité qui a suivi l'installation de l'Autorité dans les
territoires autonomes. Des motadarine, les recherchés, membres des cellules
secrètes de la première Intifada, traqués par les forces de sécurité
israéliennes, mais qui n'ont jamais pu rejoindre les bases de l'OLP à
l'étranger. Certains croupissaient dans les geôles de l'occupant. Bilal y a
passé dix ans. D'autres se cachaient. Aucun ne bénéficie de l'entregent
politique gagné par leurs compagnons de combat déportés ou exfiltrés et qui,
d'avoir fréquenté la direction de l'OLP en exil, ont pris la tête d'une
administration à leur retour au pays, suite aux accords d'Oslo. «Leurs anciens
camarades leur ont donné des grades dans la police, assure un connaisseur;
rarement au-dessus du rang de capitaine. Ils sont donc beaucoup moins dépendants
que les chefs devenus des figures publiques. Et ils pensent que leur tour est
venu, que leur engagement se devra d'être récompensé lorsqu'un nouvel accord
sera trouvé avec Israël.»
8. Quand les journalistes refusent de
dire la vérité sur Israël par Robert Fisk
In The Independent
(quotidien britannique) du mardi 17 avril 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
"La peur d'être taxés
"d'antisémitisme" nous amène à fermer les yeux sur des agissements inadmissibles
au Moyen-Orient."
Que se serait-il passé si nous avions soutenu le
régime d'apartheid sud-africain contre la population noire majoritaire ? Que se
serait-il passé si nous avions chanté les louanges des dirigeants blancs
sud-africains, si nous les avions décrits comme des "tenants de la ligne dure",
et non les racistes qu'ils étaient bel et bien ? Et si nous avions justifié le
massacre de cinquante-six manifestants noirs, à Sharpeville, en le qualifiant
"d'opération coup-de-poing nécessaire" de la police sud-africaine, tout-à-fait
fondée et justifiée ? Et si nous avions décrit les enfants noirs abattus par la
police comme les victimes d'un "acte sacrificiel" de leurs propres parents ? Du
temps que nous y étions, pourquoi n'aurions-nous pas, sur notre lancée, demandé
aux leaders "terroristes" de l'ANC (African National Congress) de "contrôler
leur propre peuple" ?
Presque chaque jour, c'est exactement ce que nous
faisons lorsque nous mettons en scène la guerre israélo-palestinienne. Peu
importe le nombre de jeunes abattus par les Israéliens, peu importe le nombre de
crimes - des deux côtés - et peu importe la réputation sanguinaire du Premier
ministre israélien : nous (autres journalistes) avons une manière de couvrir ce
terrible conflit qui serait revenue, appliquée à l'Afrique du Sud, à soutenir
les Blancs sud-africains afrikaneers contre les Noirs. Bien sûr, Israël n'est
pas l'Afrique du Sud (même si, comme par hasard, il a été un des piliers
extérieurs, s'il en fut, du régime d'apartheid) ; certes, les Palestiniens ne
sont pas les Noirs relégués dans les bantoustans. Mais la différence est mince,
entre Gaza et les bidonvilles de Johannesburg ; et les ressemblances sont
frappantes entre les tactiques adoptées par l'armée israélienne, dans les
territoires occupés, et celles de la police sud-africaine, à l'époque de
l'apartheid. Le régime d'apartheid avait ses escadrons de la mort, Israël en a,
aujourd'hui. Il faut toutefois rappeler que les escadrons de la mort
sud-africains n'utilisaient ni mitrailleuses héliportées, ni
missiles...
Depuis la seconde guerre mondiale, rarement un peuple aura été
aussi vilipendé que le peuple palestinien. Rarement un peuple aura été aussi
souvent excusé, jamais on ne lui aura à ce point passé ses caprices, que les
Israéliens. Les ambassades israéliennes, de part le monde, s'emploient à tenir
la jambe aux éditeurs, pour leur faire la leçon : ils ne doivent pas qualifier
le Premier ministre israélien de "faucon", car cela "enfreindrait la
courtoisie". Et les publicistes de rentrer dans le rang, le petit doigt sur la
couture du pantalon...
Sharon, nous dit-on, peut devenir pragmatique : un
autre De Gaulle. En réalité, il ressemble plutôt aux généraux putschistes
d'Alger. Eux aussi utilisaient la torture et massacraient leurs opposants
arabes. Il a fallu un écrivain israélien, Nehemia Strasler, dans le journal
Ha'aretz, pour nous rafraîchir la mémoire : la carrière de Sharon laisse tout
espérer, sauf la paix. Il a voté contre le traité de paix avec l'Egypte, en
1979. Il a voté contre un retrait du sud-Liban, en 1985. Il s'est opposé à la
participation d'Israël à la Conférence de paix de Madrid, en 1991. Il s'est
opposé au vote plénier de la Knesset sur l'accord d'Oslo, en 1993. Il s'est
abstenu lors du vote pour la paix avec la Jordanie, en 1994. Il a voté contre
l'accord d'Hébron, en 1997. Il a condamné les modalités du retrait Israélien du
Liban, l'an dernier. Aujourd'hui, il fait construire des colonies dans les
territoires arabes occupés - en violation totale du droit international - à un
rythme encore plus soutenu que son prédécesseur.
Mais tout ça n'empêche :
nous somme instamment priés de considérer que c'est ce corrompu parkinsonien de
Yasser Arafat qui est le fauteur de guerre... Il refuse obstinément de
"contrôler" son peuple. Tonton George (Bush) le gourmande, et pendant ce temps,
les dirigeants israéliens continuent à martyriser son peuple. Rafael Eytan,
ancien chef d'état-major de l'armée israélienne, parlait des Palestiniens en ces
termes : "des cancrelats enfermés dans un bocal". Menahem Begin les appelait
"les bêtes à deux pattes". Le rabbin Ovadia Youssef, chef "spirituel" du parti
Shas, les a qualifiés de "serpents". En août dernier, Ehud Barak a vu en eux
"des crocodiles". Le mois dernier, le ministre israélien du tourisme, Rehavem
Zeevi, a gratifié Arafat du qualificatif (gentillet) de "scorpion". Le régime
sud-africain lui-même n'avilissait pas les Noirs sud-africains de la sorte ; il
ne les agonisait pas d'insultes aussi stigmatisantes.
Et malheur au
diplomate ou au journaliste qui oserait relever ces (tristes) réalités. Il y a
quelques semaines, le Centre Simon Wiesenthal, de Paris, a accusé la présidente
suédoise de l'Union Européenne d'"encourager la violence anti-juive". "Condamner
Israël parce qu'il "élimine des terroristes"", a écrit ce Centre dans une lettre
officielle envoyée au premier ministre suédois, "rappelle l'argument avancé par
les Alliés, durant la seconde guerre mondiale, selon lequel bombarder les voies
ferrées conduisant à Auschwitz aurait encouragé l'antisémitisme chez les
Allemands". Par son attitude, la Suède (d'après cette missive) "attaque de
manière unilatérale l'Etat des survivants de l'Holocauste". Et le crime de la
présidente suédoise, qu'était-il, au juste ? Elle avait osé dire que "la
pratique (israélienne) des éliminations systématiques constitue un obstacle à la
paix de nature à provoquer de nouvelles violences". Elle n'avait même pas fait
référence aux escadrons de la mort.
En février dernier, Newsweek a commis un
faux virtuel, en couverture, en publiant, sous le titre : "La terreur se
mondialise. Exclusif : le réseau international de Bin Laden", la photo
effrayante, en plan américain, d'un homme au visage masqué derrière un châle
arabe, brandissant un flingue de sa main droite. Il était loisible au lecteur
d'imaginer qu'il s'agissait là d'un membre du réseau de "terreur globale"
d'Osama Bin Laden. Mais j'ai retrouvé le photographe finlandais qui a réalisé ce
cliché. Il l'a pris au cours d'un enterrement, en Cisjordanie. Cet homme
(participant au cortège) était un membre armé de la milice palestinienne Tanzim
: il n'avait rien à voir, ni de près, ni de loin, avec Bin Laden. Les Tanzim
sont violents, on ne peut pas dire le contraire. Mais la couverture de Newsweek
diffame le peuple palestinien tout entier en l'associant à l'homme
vraisemblablement responsable d'attentats extrêmenent meurtriers contre deux
ambassades américaines en Afrique.
Comme l'écrit le courageux écrivain
américain Charley Reese dans sa rubrique régulière publiée aux Etats-Unis, les
Israéliens "ont créé leur propre ennemi implacable". Ils ont tellement écrasé,
désespéré, humilié les Palestiniens que ceux-ci n'ont plus rien à perdre. Nous
n'avons pas été les derniers à y participer, nous aussi. Notre couardise, notre
refus de dire la vérité, notre peur d'être taxés d'"antisémitisme" - l'une des
injures les plus graves qui puissent être proférées envers un journaliste - ne
font que contribuer à la perpétration d'actes atroces au Moyen-Orient, et en
même temps, en fermant les yeux, à les laisser se perpétuer sans rien dire. Nous
serions bien inspirés de regarder bien en face ces "remakes" de l'ère de
l'apartheid et de nous souvenir de l'époque où les hommes avaient encore un peu
d'honneur...
9. Fatima,
cinquante-trois ans à Khan Younis, "réfugiée dans un camp de réfugiés"
par Gilles Paris
in Le Monde du mardi 17 avril 2001
KHAN YOUNIS (bande de Gaza) de notre
envoyé spécial
Assise en tailleur, Fatima Mohammad pince un coin de son voile pour masquer
le bas de son visage et ses tatouages de Bédouine. La toile de tente qui
l'abrite la ramène plus d'un demi-siècle en arrière. "J'avais vingt ans lorsque
ma famille a fui notre maison de Bir el-Sabaa (Beer Sheva), raconte-t-elle.
Après trois jours de marche, nous nous étions retrouvés près de la bande de
Gaza. Nous avions passé deux mois sous des tentes, dans le dénuement le plus
complet, avant d'être installés ici, à Khan Younis, par les Nations unies." Elle
tapote de la main la bâche de plastique qui constitue le sol de son abri de
fortune. "J'ai vécu ici cinquante-trois ans. Aujourd'hui, je n'ai plus rien. Me
voici à nouveau réfugiée dans un camp de réfugiés."
Autour de la tente de Fatima, un spectacle de désolation s'étend sur des
dizaines de mètres carrés. D'autres tentes ont été montées pour accueillir ceux
qui n'ont désormais plus de maisons. Les blindés israéliens ont "nettoyé" le
quartier, laissant derrière eux un champ de ruines. A moins de 500mètres de là,
en contrebas, on distingue les toits de tuile rouge de la colonie de Neve
Dekalim, dans le bloc de Goush Katif, et plus loin encore, le bleu de la mer.
Cette contiguïté est à l'origine de l'offensive israélienne lancée dans la nuit
du 10 au 11 avril. Les blindés ont pris d'assaut le camp pour détruire les
bâtiments à partir desquels, selon les Israéliens, des miliciens palestiniens
tirent régulièrement sur la colonie juive. Comme à bien des endroits jugés
stratégiques de la bande de Gaza, ils ont fait table rase en parfaite violation
des accords signés.
"CE NE SERA PAS LA DERNIÈRE"
Un peu plus loin, un homme chargé de paquets et accompagné d'une femme
portant un nourrisson s'avance en direction de la colonie, sur la route que
barre un check-point à la hauteur de la colonie. Faouzi Abou Ahlin est l'un de
ces sept mille Palestiniens qui habitent dans le bloc de Goush Katif, coincés
dans une zone sous contrôle total israélien. "J'étais employé dans les serres
des colons, mais il y a deux mois que je n'ai plus de travail. Nous dépendons du
bon vouloir des Israéliens pour aller faire les courses, comme pour l'école et
la santé, car il n'y a pas de médecins ni d'instituteurs de notre côté.
Ils
viennent de Khan Younis. Parfois, nous pouvons rester quinze jours sans pouvoir
passer. Aujourd'hui, ça va", explique-t-il.
Non loin, une camionnette attend de pouvoir réceptionner des légumes
bloqués de l'autre côté du check-point. Au bord des ruines, des haut-parleurs
crachent des chansons patriotiques de la Libanaise Julia Boutros. Des drapeaux
vert et jaune du Hamas et de la chebiba, le mouvement de jeunesse du Fatah,
flottent sur les tentes. L'heure est à la trêve avant d'autres mêlées.
En
décembre 2000, une première bataille rangée avait déjà opposé en pleine nuit
l'armée israélienne et les Palestiniens. Quatre policiers palestiniens avaient
été tués en défendant le camp. Les Israéliens s'étaient alors contentés de raser
une barricade de sable installée aux portes du camp, du côté de la colonie, sur
la route el-Bahar, pour protéger les habitants des tirs. Cette fois-ci, ils sont
entrés plus en profondeur. Les murs piquetés d'impacts des bâtiments alentour
disent la dureté d'échanges disproportionnés, qui ont fait trois morts et des
dizaines de blessés, côté palestinien. "Ce n'était pas la première fois et ce ne
sera pas la dernière", estime Ibrahim Salman, un épicier installé pourtant à
bonne distance de cette ligne de front, mais qui a empilé des sacs de sable
devant sa boutique.
Lorsque les réfugiés ont été installés par l'ONU à la lisière de la ville
de Khan Younis, il n'y avait entre eux et la mer que des dunes de sable blond.
Rapidement, s'est forgée dans le camp une identité, un sentiment d'appartenance
à une communauté frappée du même destin, que la méfiance des habitants de Khan
Younis a encore renforcée. Divisé en sept blocs désignés impersonnellement par
les premières lettres de l'alphabet latin, le camp a grandi.
Les sept mille réfugiés des débuts sont aujourd'hui vingt-huit mille. Le
camp s'est également transformé au gré des hésitations des gens, partagés entre
le souhait de vivre mieux et la volonté de ne pas s'installer et d'accepter
ainsi leur sort de déracinés. Puis les Israéliens ont conquis la bande de Gaza,
en 1967, et ont lancé à Khan Younis, comme ailleurs, des projets de relogement
pour s'assurer à la fois le contrôle de zones réputées difficiles et pour tenter
de faire disparaître la question des réfugiés en démantelant les camps. Mais
cette politique a vite montré ses limites et Khan Younis est resté, avec ses
habitants prêts à rentrer chez eux "dès que cela sera possible", comme l'assure
Ibrahim Salman, arrivé là alors qu'il n'était qu'un nourrisson.
BARBELÉS ET MOBILE HOMES
Pendant les premières années de l'occupation, les colons israéliens
installés sur le Sinaï conquis sur les Egyptiens venaient régulièrement faire
des achats à Khan Younis. "Nous n'avions que de strictes relations commerciales
avec eux, pas question de sympathiser, mais pas question non plus de s'opposer à
eux, l'armée israélienne était présente partout", se souvient un cheikh.
Après les accords israélo-égyptiens de 1979 de Camp David, les colonies du
Sinaï ont été rasées. "C'est à partir de ce moment que les colons se sont
installés ici. Des terres ont été confisquées aux grandes familles de la ville
de Khan Younis, des barbelés ont été installés, puis il y a eu des routes,
l'électricité, l'eau, des mobile homes, et enfin les colons israéliens sont
arrivés. Certains venaient d'Irak, d'autres du Yémen et de Tunisie, se souvient
un voisin. Ils ont creusé des puits, ont pompé sans retenue. Nous avons pu en
mesurer les conséquences, la qualité de notre eau a baissé."
Très vite,
pourtant, les colons ont également embauché des Palestiniens pour travailler
dans leurs serres. "Que voulez-vous, ici, il n'y avait pas de travail, à moins
de partir en chercher en Israël", raconte l'un des quarante réfugiés du quartier
employés dans la colonie. Une cohabitation s'est instaurée, chacun vivant de son
côté, avec l'armée israélienne toujours sur le qui-vive. Puis il y a eu la
première Intifada, en 1987, les accords d'Oslo, six ans plus tard, et enfin
l'évacuation partielle de Gaza. Face au camp de Khan Younis, les colonies,
elles, sont restées, perpétuant l'occupation et sa violence.
10. A Bethléem, quelques rares, très rares pèlerins
chevronnés... par Catherine Dupeyron
in Le Monde du mardi 17
avril 2001
BETHLÉEM de notre envoyée spéciale
Il n'y a plus âme qui vive au Paradis. Depuis six mois, personne n'en a
poussé la porte, pourtant restée ouverte. Le gardien des lieux est toujours là,
fidèle, prêt à accueillir celui ou celle qui viendrait à passer. Mais, de
visiteurs, point. Il est vrai que, ces derniers temps, le Paradis et ses
alentours sont dans une zone à risques.
Situé à l'entrée de Bethléem, cet hôtel qui se dresse à quelque 200 mètres
du tombeau de Rachel, étroitement protégé par l'armée israélienne, a été, le 2
avril, le théâtre de violents affrontements entre Tsahal et des Palestiniens qui
s'étaient réfugiés dans le bâtiment, déserté de ses habituels touristes. Un
soldat israélien est mort. Les roquettes tirées par Tsahal ont sérieusement
endommagé une quinzaine de chambres des étages supérieurs de l'aile nord. Nul
besoin d'entreprendre rapidement des travaux, aucune réservation n'est
enregistrée à moyen terme.
Depuis le début de la seconde Intifada, le 29 septembre 2000, les hôtels de
Bethléem sont tous fermés, la ville étant régulièrement soumise au blocus
israélien. Seules les communautés religieuses continuent d'accueillir quelques
rares, très rares pèlerins chevronnés, qui font fi des contrôles
israéliens.
La basilique de la Nativité, bâtie par l'empereur Constantin en
325, immense et sobre, résonnant autrefois du cliquetis des appareils photo, est
désormais habitée d'un pesant silence, que nul visiteur indélicat ne vient plus
troubler.
COMPLICITÉ SPONTANÉE
Les fêtes de Pâques n'y ont rien changé. Samedi 14 avril, la fermeture
était même particulièrement sévère. L'armée avait multiplié les barrages,
l'objectif étant d'empêcher deux groupes de militants, manifestant de part et
d'autre de la "frontière" contre le bouclage et l'occupation, de se joindre au
check-point. En vain. En moins d'une demi-heure, les uns et les autres,
initialement séparés de quelque 500 mètres, se sont chaleureusement étreints
pour fêter cette "victoire", à laquelle aucun ne croyait. Il est vrai que les
organisateurs, Gouch Shalom, la Coalition des femmes, côté israélien, et le
Centre palestinien pour le rapprochement entre les peuples avaient réussi à
mobiliser près de quatre cents personnes – un nombre qui, à l'échelle du pays,
est loin d'être insignifiant –, des Israéliens pour une bonne moitié, les
Palestiniens ne représentant que 20 % environ, tandis que le reste était des
étrangers venus soutenir ces derniers. Pour Dan, quinquagénaire de Tel-Aviv,
"c'est un signe, parmi d'autres, du réveil de la population israélienne".
Autres indices de cette tendance encore balbutiante : la contestation qui
monte dans les rangs des soldats réservistes et l'émergence d'un ton critique à
l'égard du gouvernement d'Ariel Sharon parmi les éditorialistes du quotidien de
gauche Haaretz. Les soldats, des jeunes de dix-huit à vingt ans pour la plupart,
n'ont guère résisté aux manifestants. Sans doute des ordres avaient-ils été
donnés dans ce sens, mais le dialogue, voire la complicité qui se sont créés
entre contestataires et forces de sécurité étaient spontanés.
Avec le sourire, les premiers ont distribué aux seconds de petits papillons
où il était écrit: "L'occupation est finie, tu peux rentrer chez toi." Puis ils
ont tenté d'expliquer le sens de leurs banderoles, qui portaient les
inscriptions "Le blocage est un crime de guerre" ou encore "Il existe une
solution : sortir des territoires". Les soldats écoutaient et répondaient, à
moitié convaincus de la pertinence de leurs propres arguments. Quelques-uns
semblaient dire : "Après tout, peut-être que tout cela ne sert à rien et que ce
sont eux qui ont raison…"
11. Que cherche Israël ? par Jonathan Rochat
(à Gaza)
in "la rubrique courrier des lecteurs" du Monde du dimanche 15 avril
2001
A la suite des bombardements israéliens sur Gaza, les plus naïfs
répondront qu'il s'agit d'une mesure de rétorsion aux attentats meurtriers de
ces derniers jours, les plus avertis verront dans cet acte de violence une
stratégie planifiée de longue date. Il serait incomplet, voire absurde, de ne
considérer ces attaques que comme de simples réactions à la violence aveugle
orchestrée par la branche armée du Hamas. Prendre comme facteur explicatif la
violence terroriste ne peut en aucun cas permettre de comprendre les agissements
du gouvernement israélien. Les bombes qui viennent de tomber sur Gaza, d'une
part, visent directement l'Autorité palestinienne, mais, d'autre part, et ce
deuxième point mérite d'être dénoncé, ne sont que la confirmation pragmatique
d'une politique visant à faire de Yasser Arafat le coupable consentant des
attentats-suicides et, par conséquent, à faire accepter par la communauté
internationale l'incapacité des représentants du peuple palestinien à faire
régner l'ordre dans leurs propres rangs, mieux à les faire percevoir comme des
complices des opposants au processus de paix. Le seul interlocuteur de tous les
gouvernements israéliens depuis les accords d'Oslo étant discrédité, l'Autorité
palestinienne montrée comme terroriste, que reste-t-il à faire sinon appliquer
une fois de plus sur le terrain ce que la politique sioniste, de par sa nature
même, vise à faire depuis bientôt un siècle, à savoir se débarrasser du
"problème palestinien".
12. Passera-t-on, passera-t-on pas ? par
Pénélope Larzilliere
in La Croix du samedi 14 avril 2001Le départ
des animateurs de Ramallah pour Al Fawar , petit camp de réfugiés de 7000
habitants aux environs de Hebron, s'annonce difficile. Une semaine après
l'élection de Sharon, les routes sont plus que jamais bloquées et les tirs la
nuit se sont intensifiés. Après 3 heures de route et de longs détours pour
éviter de passer à proximité des colonies (les taxis collectifs craignent les
pierres que les colons lancent parfois sur la route), nous arrivons au camp. 150
enfants nous attendent. C'est la deuxième fois que les animateurs interviennent
ici et une impatience joyeuse se lit sur les visages. 4 ateliers leur sont
proposés : danse, dessin, chant et jeux en extérieur. Ces activités sont loin
d'appartenir au quotidien de ces enfants et l'atmosphère est à la fête. L'école
primaire de Al Fawar, comme la majorité des écoles palestiniennes, manque de
moyens et ne scolarise les enfants qu'à mi-temps : une partie des écoliers va en
classe le matin, l'autre l'après-midi. 48 enseignants et administratifs se
repartissent les 1500 écoliers et autant dire que les activités extra-scolaires
ne trouvent pas place dans l'emploi du temps. Cette constatation a poussé le
Centre d'Art Populaire à organiser des ateliers d'expression pour les enfants
des camps de réfugiés. L'initiative s'est montée juste après les bombardements
du 12 octobre sur Ramallah. Un vent de panique avait parcouru la ville lors de
cette journée. Les parents couraient chercher leurs enfants dans les écoles.
Ceux qui le pouvaient tentaient de quitter la ville. Cet épisode a fortement
traumatisé les enfants dont beaucoup développent des troubles psychologiques
liés à l'anxiété depuis le début de l'Intifada. Le Centre d'art populaire a donc
commencé par organiser des journées " Seulement pour les enfants " à Ramallah.
Le but était d'offrir une pause aux enfants, de leur donner l'occasion de voir
le monde différemment pendant quelques heures et de penser à autre chose qu'aux
affrontements et aux soldats israéliens. Les activités proposées se veulent
également un espace de créativité personnelle pour des enfants qui ont rarement
l'occasion de s'exprimer. Les animateurs ont ainsi suivi une formation
spécifique sur les techniques de développement de la créativité et de
l'expression de soi. En début de session, des psychologues sont également
intervenus cherchant à faire évacuer le stress spécifique lié aux bombardements.
Environ 500 enfants se sont présentés. Très vite cependant, les nombreuses
associations de Ramallah se sont mobilisées. Le Centre d'art populaire a donc
décidé d'élargir son activité aux enfants des camps de réfugiés de l'ensemble de
la Cisjordanie. Les animateurs travaillent bénévolement. Le matériel et les
transports sont fournis par des souscripteurs locaux, individuels ou entreprises
de Ramallah. Jusqu'ici environ 8 000 enfants ont pu bénéficier de cette
initiative. Les écoles des camps ont accueilli avec enthousiasme le projet qui
leur permet de sortir les enfants du quotidien de l'occupation et des tensions.
Mohammed Aoual, 50 ans, enseignant : " les enfants sont très agités, ils
n'arrivent pas à se concentrer et à apprendre. Les violences entre eux ont
augmenté ". Dans les divers ateliers, tout est fait pour les pousser à
s'exprimer et à s'évader. Nicholas Rowe, danseur australien et coordinateur du
projet : " pour éviter qu'ils ne dessinent que des check-points, des maisons
détruites et des soldats, nous leur donnons une trame de lignes qui constitue
une base pour orienter leur imagination différemment ". L'atelier de danse,
particulièrement apprécié, conduit chacun d'entre eux a présenter une petite
chorégraphie personnelle. Nicholas Rowe reprend " nous voulons leur montrer
qu'il existe d'autres moyens pour eux d"exprimer leurs sentiments et de se
valoriser qu"en allant jeter des pierres. " Ces ateliers sont également
l'occasion de développer des activités mixtes et en équipe. L'après-midi se
termine par une séance de maquillage. Au-delà des fleurs, des lions ou des
drapeaux palestiniens, c'est la face jaune de Pikacho, Pockemon bien connu qui
rencontre le plus de succès. Faïqa al- Janazroum, enseignante de 42 ans : " Nos
enfants n'ont rien en-dehors de l'école et de la télévision. La moindre activité
extra-scolaire est un événement pour eux et les influence beaucoup. Le lendemain
du dernier atelier, lorsque j'ai repris ma classe, j'ai été étonnée par le calme
et par l'amélioration des relations entre eux. L'un de mes élèves les plus
agités m'a dit : " c'est fini, Madame, aujourd'hui, je me tais, je veux
apprendre " L'équipe réduite d'animateurs qui sillonne la Cisjordanie ne pourra
cependant pas renouveler son passage dans ce camp. Pour inscrire leur action
dans la durée, ils cherchent donc également à former les enseignants à ces
techniques d'expression de soi et de développement de la créativité.
Le
Centre d'art populaire qui a monté l'initiative " seulement pour les enfants " a
été créé en 1987 à l'initiative d'une troupe de danse folklorique palestinienne.
Le Centre propose des activités d'ordre artistique essentiellement tournées vers
la danse. Il développe également de nombreux projets d'ordre culturel :
festivals de musique et de danse, cinéma, troupe de dabke (danse traditionnelle
palestinienne) etc. Son fonctionnement repose sur une équipe permanente de 8
personnes soutenu par des volontaires pour les différents projets. Il est
financé par les participations des membres, par des ONG ou fondations
internationales selon les différents projets (Oxfam Quebec, Fondation Heinrich
Böll, UNDP etc.) et par des entreprises locales.
- Vous pouvez trouver l'ensemble des informations concernant ses
activités et le projet " seulement pour les enfants " sur leur site
Internet : www.popularartcenter.org ou les contacter :
Directeur : Iman Hammouri - Popular Art
Centre - P.O. Box 3627 - Al Bireh Palestine
Tél : 00 972 2 240 38 91 - Fax :
00972 2 240 28 51
- Si vous souhaitez soutenir financièrement le projet
"seulement pour les enfants" :
" Just For Kids " - compte : 11 31 65 59 Sort
- code : 40 03 19 - HSBC
Bank
13. Israël menace de durcir ses représailles
par Ch.R (avec AFP)
in Libération du samedi
14 avril 2001
L'Etat hébreu envisage d'attaquer les institutions
palestiniennes.
lors que les affrontements se poursuivaient vendredi en
Cisjordanie et à Gaza, faisant 34 blessés (29 Palestiniens et 5 Israéliens),
Israël a annoncé avoir adressé un ultimatum à Yasser Arafat. Avi Dichter, le
chef du Shin Beth (sécurité intérieure), a ainsi délivré cette semaine à Arafat
une mise en garde du ministre de la Défense, Benyamin Ben Eliezer. Ce dernier y
avertit le président palestinien que l'Etat hébreu est prêt à durcir sa
politique de représailles. Israël, a-t-il signifié, «frappera directement des
institutions liées à l'Autorité palestinienne si les tirs de mortiers se
poursuivent». Alors que, jusqu'ici, Israël visait surtout des commissariats et
des casernes de la Force 17 (la garde rapprochée d'Arafat), les locaux des
institutions palestiniennes risquent ainsi de se retrouver dans la ligne de
mire.
Dans ce contexte, la reprise des négociations entre les deux camps,
bloquées depuis janvier, paraît improbable à court terme, même si les deux camps
doivent reprendre, lundi, leurs réunions de sécurité. Ariel Sharon a en effet
rappelé une fois de plus vendredi qu'il «exigeait avant tout que les
Palestiniens mettent fin à la violence». Le Premier ministre israélien a encore
accru la tension en posant des conditions drastiques pour un règlement du
conflit. Dans une interview, il estime qu'«un Etat palestinien ne pourra voir le
jour que dans le cadre d'un accord mutuel» (avec Israël), précisant que celui-ci
«ne s'étendrait que sur environ 42 % de la Cisjordanie» - qui s'ajouteront aux
quelque 70 % de Gaza, déjà sous contrôle palestinien. Autant dire que Sharon
n'entend plus opérer de nouveaux retraits de Cisjordanie, alors que Barak avait
proposé d'en restituer 95 %. Le Premier ministre a estimé aussi qu'un tel Etat
devrait être «désarmé» et accepter des «limitations» à sa souveraineté, comme le
maintien des colonies juives, précisant qu'Israël «devrait garder des années
durant le contrôle de ses frontières». Des conditions jugées inacceptables par
les Palestiniens et qui risquent de mettre en péril la médiation jordanienne.
Le ministre jordanien des Affaires étrangères est en effet attendu lundi en
Israël. Sans grandes illusions toutefois, les récentes tentatives du Caire et
d'Amman s'étant déjà heurtées au refus d'Ariel Sharon. Or il s'agissait
précisément d'obtenir de nouveaux retraits de Cisjordanie, prévus par l'accord
conclu en 1999 à Charm el-Cheikh.
14. Nouvelle
colonie en Cisjordanie : Sharon joue la provocation par Samir
Azar
Le Magazine (hebdomadaire
libanais) du vendredi 13 avril 2001
Yasser Arafat a adressé
un message à Ariel Sharon à l'occasion de la pâque juive, alors que l'intifada
est dans son septième mois et que les hélicoptères et blindés israéliens ne
cessent de bombarder les territoires autonomes.
Pour la première fois, les Etats-Unis ont violemment critiqué l'annonce par
Israël du projet d'extension de deux de ses colonies. Ils ont qualifié de
«provocatrice et incendiaire» la décision de mettre aux enchères des terres
situées en Cisjordanie, destinées à accueillir la construction de plus de 700
logements pour des colons juifs. «Israël devrait cesser une telle activité
colonisatrice», a dit le porte-parole du département d'Etat Richard Boucher,
utilisant des termes bien plus durs que dans de précédentes déclarations. «La
poursuite de l'activité de colonisation par Israël risque véritablement de
rendre encore plus incendiaire la situation dans la région, qui est déjà
explosive. C'est une provocation, et nous avons constamment encouragé les deux
parties à s'abstenir de commettre des actes provocateurs», a-t-il
ajouté.
Paris a aussi fait des déclarations analogues. Estimant que le
gouvernement israélien faisait «fausse route», la France a dénoncé l'inanité de
«la logique de la force», traduite par «la poursuite des meurtres
extrajudiciaires» visant des activistes palestiniens, et «la reprise de la
colonisation des territoires occupés». Mais c'est la fermeté sans précédent des
Etats-Unis qui a créé la surprise et les protestations israéliennes.
On
n'oublie pas qu'en ce qui concerne la provocation, Ariel Sharon est un maître de
cet art. D'ailleurs, il n'a pas manqué de rappeler lors d'une interview accordée
au quotidien Haaretz qu'il n'ordonnerait pas l'évacuation des colonies juives ni
ne ferait de compromis sur le statut de Jérusalem. «Je ne vois aucune raison
d'évacuer les colonies», a-t-il déclaré, ajoutant qu'elles pourraient rester en
place même si un accord de paix était conclu. «Nous n'avons pas le droit de
faire des concessions», a-t-il précisé.
Intifada ou accord ?
En attendant, le chef de la diplomatie égyptienne a sommé Israël de choisir
entre la poursuite de l'intifada et l'application des accords de Charm
el-Cheikh, conclus le 17 octobre, en vertu desquels l'armée israélienne devait
se redéployer sur les positions qu'elle occupait dans les territoires
palestiniens avant le 28 septembre, début de la nouvelle intifada. Des propos
qui tranchent avec le ton conciliant de Moubarak. Selon la radio militaire
israélienne, en effet, le président égyptien aurait promis, au cours d'un
entretien avec le chef de la diplomatie israélienne, Shimon Peres, de tenter de
convaincre Arafat d'œuvrer à une accalmie. Le bouclage imposé depuis presque six
mois aux territoires autonomes a été levé pour un millier de Palestiniens qui
ont pu aller travailler en Israël. Ils étaient 130000, soit un sixième de la
population active, avant le début des violences fin septembre. Il semble que le
manque de main-d'œuvre et l'état de tension permanent commencent à retentir
négativement sur l'économie israélienne.
15. Sommet arabe
: des positions contre l'état de siège et les massacres s'imposent par
Walid Salah
in Al-Quds Al-Arabi
(quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 23 mars 2001
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
[Remarque : cet article a été rédigé
avant la tenue du dernier sommet arabe à Amman, NdT]
(Walid Salah est le ministre
jordanien des affaires étrangères.)
Le 22 novembre 1967, le Conseil de
Sécurité de l'ONU a adopté la résolution 242, qui énonce l'illégalité de
l'accaparement de terres par la guerre et la nécessité du retrait de l'armée
israélienne des régions occupées. Puis vint la résolution 338, du Conseil de
Sécurité, le 22 octobre 1973, qui rappela la nécessité de mettre sans délai en
application la résolution 242...
L'article 25 de la Charte de la Ligue des
Nations stipule que "les membres de la Ligue adoptent et votent leur adhésion
aux décisions du conseil de sécurité, conformément à la présente Charte". Au
congrès de Madrid, la solution aux différends entre Israël, d'une part, et la
Palestine et la Syrie, d'autre part, a été proposée sur la base des deux
résolutions précédemment rappelées : la terre contre la paix. Ce sur quoi, et
conformément à l'article 25 de la Charte des Nations Unies, tous les pays
appartenant au Conseil de Sécurité et à l'Assemblée Générale s'engagent à
oeuvrer à la mise en application des décisions énoncées par les deux résolutions
du Conseil de Sécurité, c'est-à-dire : à prendre les mesures de nature à amener
Israël à se retirer de tous les territoires qu'il a occupés en 1967, qui sont
les territoires occupés en Palestine, en Syrie et en Egypte. En vertu de quoi,
si les pays constituant le Conseil de Sécurité et les pays membres de
l'Assemblée Générale des Nations Unies ne font pas preuve de la diligence qui
s'impose à prendre les mesures permettant la mise en application des deux
résolutions (citées) du Conseil de Sécurité, ils se rendent responsables
d'abandon des responsabilités qui leur ont été conférées par le texte de la
Charte des Nations Unies et par les décisions prises par le Conseil de Sécurité
au moyen des deux Résolutions citées, qui sont deux résolutions non négociables
dont la mise en application des attendus est obligatoire, les négociations ne
pouvant concerner que les domaines se situant en aval.
L'Autorité
palestinienne et le gouvernement syrien doivent exiger la mise en application
des deux résolutions et placer les pays membres du Conseil de Sécurité, au
premier chef, mais aussi tous les pays membres de l'Organisation des Nations
Unies, face à leur entière responsabilité en ce qui concerne l'obligation qu'ils
ont à oeuvrer sérieusement à l'effectivité de la mise en application requise, et
avertir le Conseil de Sécurité que toute mollesse apportée à cette mise en
application est de nature à mettre en danger l'ensemble de la région (du
Moyen-Orient) et à y entretenir une instabilité lourde des dangers d'une guerre
dévastatrice ("dévorant tant l'herbe verte que le foin sec", comme le dit bien
l'expression arabe utilisée par M. Salah).
Jérusalem Est faisant partie des
territoires occupés dont la propriété revient (légitimement) aux Arabes de
Palestine, ce qui n'est pas contesté, Israël doit la restituer à ses ayant-droit
légitime, les Palestiniens.
J'insiste ici sur certaines des Résolutions du
Conseil de Sécurité relatives à Jérusalem, sur lesquelles il convient d'attirer
l'attention du ministre américain des affaires étrangères, afin qu'il n'y ait
chez lui plus aucune place pour le doute sur l'appartenance de Jérusalem Est, y
compris les lieux saints musulmans et chrétiens : Jérusalem Est appartient au
peuple palestinien, (même si) Israël l'a occupée en 1967.
Voici une liste de
quelques-unes des résolutions du Conseil de Sécurité relatives à Jérusalem-Est
:
1/ Rés. 252 (21.05.1968) ; 2/ Rés. 267 (03.06.1969) ; 3/ Rés. 298
(25.09.1974) ; 4/ Rés. 446 (22.03.1975) ; 5/ Rés. 452 (20.07.1976) ; 6/ Rés. 465
(01.03.1980) ; 7/ Rés. 471 (05.07.1980) ; 8/ Rés. 476 (30.06.1980) ; 9/ Rés. 478
(21.08.1980) ; 10/ Rés. 592 (08.09.1986) ; 11/ Rés. 607 (22.12.1986).
Ces
résolutions, adoptées avec la contribution des Etats-Unis, ne laissent aucune
place au doute sur le fait que Jérusalem Est appartient au peuple arabe
palestinien ni sur le fait qu'elle a été occupée par Israël en 1967.
S'y
ajoutent les décisions de la Commission d'Al-Buraq (Mur des Lamentations), de
1930 et celles du Comte Folke Bernadotte. Il est extrêmement regrettable
qu'Israël se comporte avec nous comme si la terre lui appartenait et comme si
notre revendication équivalait à de la mendicité.
Il convient de rappeler
qu'un porte-parole des Etats-Unis déclare, de temps à autre, que son pays
craint, au cas où il lèverait les sanctions contre l'Irak, que ce pays n'entre
en possession d'armes nucléaires et ne mette en danger les pays de la
région.
Les Etats-Unis seraient bien inspirés de décider qu'ils s'opposent à
la présence d'armes nucléaires dans l'ensemble du Moyen-Orient : nous
partagerions alors sa préoccupation, puisque c'est exactement ce que nous
réclamons. Mais les Etats-Unis ne doivent pas limiter leur exigence en la
matière, en veillant à ce que l'Irak n'accède pas à l'arme nucléaire : cette
interdiction doit frapper tous les pays de la région, Israël inclus. Les
Etats-Unis savent parfaitement qu'Israël détient un arsenal nucléaire
extrêmement puissant est qu'il est le seul pays à menacer l'ensemble de la
région, ce qui lui permet de réaliser ses objectifs expansionnistes, qui sont
apparemment sans limite.
Nous attendons du gouvernement des Etats-Unis
d'Amérique, afin que d'assurer la sécurité et la stabilité dans la région, afin
que ses peuples puissent y jouir de la sécurité et de la tranquillité, qu'il
apporte la preuve de son désintéressement et de son sens de l'équité en exigeant
d'Israël qu'il mette en application les (deux) résolutions du Conseil de
Sécurité, en se retirant des territoires qu'il a occupés en 1967, en démantelant
les colonies qu'il y a implantées, et en soutenant l'établissement de l'Etat
palestinien, avec Jérusalem pour capitale.
Tout le reste est négociable, et
ne pose pas de difficulté majeure. Si ce que je viens de mentionner est réalisé,
alors la sécurité est rétablie, cette sécurité désirée et exigée par Israël, et
la région, dans son ensemble, vit du mieux qu'il est possible. Ceci assurerait
du même coup la protection des intérêts des Etats-Unis et des pays occidentaux
dans notre région, la prospérité et la sérénité régneraient alors dans
l'ensemble du Moyen-Orient.
Tout ceci est à portée de la main d'Israël et des
Etats-Unis. Les pays arabes et musulmans disposent d'atouts qui, s'ils étaient
bien employés, leur assureraient de vivre dans une situation bien meilleure que
celle qui est aujourd'hui la leur.
Les pays arabes doivent affirmer leur
existence et adopter une position résolue face à l'entêtement effronté d'Israël,
au blocus total, à la volonté d'affamer la population, et à toutes les duretés
infligées par Israël au peuple palestinien, la menace de couper totalement les
relations avec Israël devant être un des moyens envisagés afin d'amener ce pays
à consentir à une paix juste et globale et à mettre un terme à ses exactions
inhumaines à l'encontre du peuple palestinien.
En espérant que le prochain
sommet arabe (d'Amman, ndt) prendra ces remarques en considération et en tiendra
compte.
16. Les bédouins
du Néguev (dont Israël a confisqué 98% des terres depuis 1948) dénoncent à la
Cour Suprême un plan visant à les éradiquer de leurs villages "non
reconnus" par As'ad Talhami
in Al-Hayat (quotidien
arabe publié à Londres) du mercredi 29 novembre 2000
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Nazareth - La Cour Suprême israélienne
examine ce jour (29.11.2000) la plainte déposée par le Conseil régional des
villages arabes non-reconnus dans le Neguev et diverses organisations
d'assistance juridique israéliennes contre (une instance connue sous le nom de)
Commission pour la Planification et la Construction, pour son ignorance
délibérée des besoins de ces villages en matière de permis de construire et de
services élémentaires.
Selon le plan de la Commission mentionnée, la
population de ces villages devrait en être évincée et rassemblée dans trois
nouveaux ensembles d'habitation, ce que ces villages, fédérés en conseil
régional, refusent.
Plus de cent trente mille Palestiniens bédouins vivent
dans le Néguev, dont la moitié habitent sept villes et villages arabes édifiés
par Israël au début des années soixante-dix, l'autre moitié vivant dans
quarante-cinq villages non-reconnus par les autorités israéliennes : les
services sociaux, sanitaires et éducatifs élémentaires leur sont refusés. Ces
quarante-cinq villages non-reconnus sont dépourvus des conditions minimales
nécessitées par une vie décente : infrastructures, institutions éducatives,
dispensaires médicaux, centres de loisir. Ils ne sont reliés ni au réseau d'eau
potable, ni au réseau électrique !
Le conseil régional formé par ces villages
pense que le plan gouvernemental visant à construire trois nouvelles localités
afin d'y rassembler la population des quarante-cinq villages (non-reconnus) est
un plan d'éradication de ces terres, une expulsion accompagnée d'exil, qui n'ose
pas dire son nom, et dont l'objectif est de s'emparer des terres concernées,
soit environ trente-quatre hectares.
Le docteur 'Amir al-Hazil, responsable
de la section de la planification stratégique du conseil des villages indique
que la population refuse le plan du gouvernement (israélien) et exigent de
demeurer sur leurs terres et que les services auxquels ils ont droit leur soient
effectivement fournis.
Au cours de l'entretien qu'il a accordé à notre
journal (al-Hayat), le Dr al-Hazil nous a déclaré : "Depuis son occupation du
Néguev, en 1948, Israël a confisqué 98 pour cent des terres appartenant à des
Arabes. Il ne nous reste donc aujourd'hui plus que deux pour cent de notre
territoire historique, et ils considèrent que c'est encore trop ! Le nouveau
plan (du gouvernement) est un instrument de planification visant à appliquer une
politique de judaïsation du Néguev, et si ce plan réussit, nous n'aurons même
plus, dans une vingtaine d'années, assez de terrain pour y enterrer nos
morts..."
Préoccupation gouvernementale
Le Dr. al-Hazil
poursuit : "les estimation, pour l'année 2020 indiquent que le nombre de
citoyens arabes, dans le Néguev, s'élèvera à environ 350 000 âmes : c'est ce qui
angoisse le gouvernement (israélien), qui redoute que cette population ne
finisse par se répartir sur la plus grande superficie possible (phénomène propre
aux régions désertiques, NdT), chose qui contrarierait le projet historique de
Ben Gourion pour le Néguev, visant à rassembler le plus grand nombre possible
d'Arabes sur la plus petite superficie possible, en permettant à une population
juive très peu nombreuse de prendre ses aises sur une superficie
quasi-illimitée".
Le nouveau plan visant à éradiquer la population du Néguev
des terres qu'on a bien voulu leur concéder (deux pour cent, rappelons-le !
NdT), n'est pas le fruit de l'imagination du seul Ehud Barak, puisque c'est
Shimon Pérès qui l'a "lancé" après avoir succédé à Rabin, à la tête du
gouvernement israélien, en 1995. Il avait alors décidé de créer de nouvelles
localités pour les bédouins. A sa suite, Benjamin Netanyahu avait décidé d'un
plan visant à la création de cinq municipalités nouvelles supplémentaires, puis
il avait révisé ses prétentions, et s'était contenté de trois nouvelles
municipalités (pour y regrouper et sédentariser les bédouins, NdT). Ce mois-ci
(novembre 2000), le parti religieux Shas a annoncé qu'il allait présenter un
projet de loi à la Knesseth visant à créer cinq, six, voire sept nouveaux
villages (de regroupement) pour les habitants des quarante-cinq villages
non-reconnus, avec la réserve que l'on autorise, après leur construction, tout
citoyen bédouin (le voulant) à résider en-dehors de ces nouveaux villages. Le
dépôt de ce projet de loi a été considéré par le Conseil régional (des villages
non-reconnus) comme "une déclaration de guerre contre la minorité arabe
(d'Israël), en général, et les citoyens (israéliens) bédouins du Néguev, en
particulier".
Construction et démolition
Dans le cadre de
sa politique visant à déplacer les population, les Commissions pour la
planification et la construction du département (liwa') du Néguev refusent tout
permis de construire, ce qui oblige les gens à construire sans permis, exposant
leurs maisons aux bulldozers, qui viennent accomplir leur oeuvre destructrice de
temps en temps (et de manière inopinée).
Toutes les études officielles et
universitaires (consacrées à la région) montrent que la situation des villages
arabes bédouins du Néguev sont les pires d'Israël : on y enregistre les plus
forts taux de chômage et d'absentéisme scolaire, ce dernier ayant pour
corollaire attendu le taux le plus faible de réussite au baccalauréat (de tout
le pays).
17. L'intifada
redessine les "lignes rouges" du processus de paix par Mahmud
Al-Zayed
in Al-Quds Al-Arabi
(quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 29 novembre 2000
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Ce qu'il est convenu désormais d'appeler
"l'Intifada d'Al-Aqsa", ce mouvement insurrectionnel palestinien spontané, a
surpris toutes les instances concernées; de l'Etat hébreu à la société
internationale, en passant par l'Autorité autonome palestinienne et les régimes
arabes. Elle pose les questions fondamentales des modalités avec lesquelles on
doit l'aborder, de ses limites et du point jusqu'où elle pourrait aller.
En
moins d'un mois (l'article est de fin novembre 2000, NdT), les Israéliens ont
compris qu'ils se trouvaient face à un mouvement qui ne s'arrêterait pas
rapidement ; ils se sont alors déclarés prêts à une confrontation de longue
durée. Quant à la direction palestinienne, elle a trouvé (dans ce mouvement) un
facteur de force et une opportunité (d'exercer) une pression indispensable pour
redresser le devenir de l'accord d'Oslo et (sortir de) l'impasse créée par
l'obstination israélienne : Arafat ne vient-il pas de déclarer qu'il "ne savait
pas où se trouvait le "bouton" pour arrêter l'intifada ... ?
L'insistance
américaine et israélienne sur (la nécessité) de mettre un terme à l'intifada et
de revenir à la table des négociations est dans la droite ligne de leur vision
politique, très claire, du processus de paix et de leur refus d'effectuer une
révision, aussi modeste soit-elle, de leurs positions - une politique qui ne
voit aucune "ligne rouge" au-delà de laquelle on porterait atteinte au droit des
Palestiniens à leur terre occupée en 1967 ou à fonder leur Etat indépendant, si
ce n'est celle que définit Tel Aviv, sans laquelle la solution au conflit serait
aisée et sans laquelle sept années ne se seraient pas passées sans qu'aucune
solution n'ait encore abouti . Sans cet (entêtement), la puissance occupante
aurait pris la décision toute simple de retirer ses troupes des villes et des
villages palestiniens, ce qui aurait eu pour effet immédiat d'apaiser l'intifada
au lieu de souffler sur ses braises et d'en alimenter l'embrasement.
L'arrogance et l'emploi de la force, d'une manière barbare, contre les
civils palestiniens visent à maintenir le statu quo jusqu'à ce qu'Israël
parvienne à imposer sa solution, en isolant les Palestiniens et en demeurant à
l'abri de toute influence extérieure, arabe ou internationale. Ceci explique les
positions israéliennes et américaines refusant l'internationalisation de la
commission d'enquête sur les causes du déclenchement de l'intifada, tout comme
la constance avec laquelle les sionistes s'efforcent d'éloigner toute
tierce-partie, qu'elle soit européenne ou russe, de la participation aux
négociations (qui reviennent, déjà en elles-mêmes à s'écarter des Nations-Unies
et de leurs déclarations). En effet, la poursuite des négociations
israélo-palestiniennes coupe la route à toute exigence internationale de retrait
israélien de tous les territoires occupés et réaffirme ce que ces négociations
suggérent avec insistance : le fait qu'il s'agirait de territoires "contestés".
Le processus de paix, au cours de ces dernières années, a eu pour résultat qu'en
dépit du fait que le monde entier peut voir quotidiennement les pires méthodes
de répression, les massacres d'enfants et de civils, le bombardement et le siège
de villes et de villages, nous n'avons encore pas entendu jusqu'à présent un
seul pays, occidental ou oriental, exiger qu'il soit mis un terme à l'occupation
et que possibilité soit donnée au Peuple palestinien de déterminer son avenir
comme cela s'est produit dans les cas du Timor occidental ou du
Kosovo.
Israël est incapable de réaliser un règlement qui satisfasse au degré
minimal des aspirations palestiniennes et arabes, et il semble inenvisageable
qu'il procède à une révision et à une rectification de sa position sur ce point.
Bien loin de là, (Israël) se prépare à coexister avec l'intifada, dans l'espoir
de la faire avorter au moyen de la répression et de la violence : c'est la tâche
impartie au gouvernement Barak-Sharon ; ou au moyen de la séparation, qui vise à
étouffer les Palestiniens économiquement et à les contraindre au recul et à
accepter les propositions "généreuses" faites par Barak lors du dernier sommet
de Camp David.
Le premier correctif apporté par l'intifada au statu quo ante
est d'avoir redonné à la cause palestinienne sa dimension arabe, d'une manière
générale, et il est permis d'espérer de sa continuation qu'elle aboutisse à
faire peser de tout son poids le monde arabe aux côtés des Palestiniens, ce qui
ouvrirait la possibilité d'avancées arabes communes, accompagnant la lutte
palestinienne et lui fournissant le soutien arabe politique et économique
indispensable pour en finir avec le "traitement séparé" réservé par Israël aux
Palestiniens et pour parvenir à une solution acceptable tant pour les
Palestiniens que pour l'ensemble des Arabes. L'intifada a fait un sort aux
propos convenus, en cours depuis Oslo, selon lesquels "les solutions qui
conviennent aux frères palestiniens nous conviennent aussi". La rue arabe a
manifesté avec force ses sentiments de sympathie débordante, insistant sur (la
nécessité) de participer (à la lutte) aux côtés des Palestiniens et exigeant des
régimes arabes qu'ils apportent au peuple palestinien, au minimum, une aide lui
permettant de définir une ligne rouge dans les négociations et d'obliger Tel
Aviv et Washington à réviser leurs positions, et notamment (à admettre la
nécessité de) mettre fin à l'occupation israélienne, de créer l'Etat palestinien
et de trouver une solution au problème des réfugiés. A cette fin, les
propositions vont de ceux qui appellent à la rupture des relations diplomatiques
avec Israël au boycott des produits américains ou même à l'ouverture de
fronts multiples et à la déclaration du djihâd, en utilisant l'arme du pétrole
afin d'obliger la société internationale à modifier sa position, qui veut, à
l'instar de Washington, qu'il n'y ait pas de solution en-dehors de négociations
directes palestino-israéliennes et sans intervention extérieure.
Quant au
dernier sommet arabe et à ses résolutions de soutien à la position
palestinienne, la rue arabe n'y a pas trouvé le minimum requis correspondant
immédiatement avec l'exigence populaire palestinienne. Les positions de
l'administration américaine, méprisantes et provocatrices pour les Arabes, se
sont répétées, qu'il s'agisse de la condamnation par cette dernière des
Palestiniens et de la justification de l'assassinat de plus d'une centaine
d'entre eux ou de l'exigence qu'Arafat mette un terme à ce qu'elle appelle les
"actions violentes" ou encore de sa manière de qualifier la résolution finale du
sommet arabe, en dépit de sa modération, de "dure", ou qu'il s'agisse de la
résolution du Congrès américain assurant l'impunité à l'Etat hébreu et à ses
crimes et renouvelant son insistance à protéger cet Etat de toute condamnation
par le Conseil de Sécurité. Ainsi, il est naturel que l'action visant à modifier
la position américaine revête une importance extrême pour tout Arabe, où qu'il
se trouve, quelles que soient ses options idéologiques. Toutes les opinions,
aussi différentes soient-elles, sur le moyen d'exercer une pression efficace sur
l'Amérique sont bonnes à prendre.
C'est ce qu'exprime une défiance extrême
de la rue palestinienne et de la rue arabe vis-à-vis de la convocation d'un
sommet international ou arabe de nature à contribuer à mettre fin à l'intifada,
qui représente l'unique moyen de pression restant afin d'obtenir le changement
requis, et parce qu'elle représente une sorte de manifestation de fierté
nationale et panarabe, après une longue période de divisions et de réalisme
politique arrivé au point de l'acceptation du fait accompli et de l'impuissance
à faire front face au mépris sioniste et américain pour le droit des
Palestiniens, fondé sur sa constatation de l'état de déchirement inter-arabe et
sur le fait qu'il pouvait consacrer ses efforts (répressifs) contre les
Palestiniens et tenter d'imposer sa solution et ses conditions, profitant de ce
qu'il considérait comme son unique chance historique de mettre fin au conflit
avec le minimum de pertes possibles (pour lui, ndt). Barak a tenté, et Clinton
avec lui, au cours du sommet de Camp David, d'atteindre rapidement cet objectif,
s'illusionnant sur l'existence d'un état comateux arabo-palestinien, mais la
question de Jérusalem s'avéra plus coriace que toutes les autres et remit les
choses à leur place. D'aucuns, chez les Arabes, ne se contentent pas de
corriger (leurs) positions sur la question palestinienne, mais voient en
l'Intifada un point de départ vers la réforme de la situation (du monde) arabe
dans son ensemble, en recourant à une raison simplificatrice des choses : si le
sommet a réussi à réunir les dirigeants arabes, des années après le sommet du
Caire, en redonnant vie à l'institution "sommet arabe", pourquoi ce sommet ne
représenterait-il pas une issue permettant de dépasser le proche passé, lourd,
comme on le sait d'impasses inacceptables, sur le plan du processus de paix
comme sur celui des situations intérieures arabes, parcourues de multiples
crises. La période n'est pas sans similitudes avec celle qui avait vu le
lancement de la résistance palestinienne armée, après la défaite de 1967, avec
ses thèses de gauche et nationalistes qui voulaient en faire une révolution
arabe générale de nature à changer la réalité (arabe) responsable en elle-même
de la défaite.
Le caractère imprévisible de l'Intifada, qui a surpris tout
le monde, et la rhétorique fanfaronne de certains responsables arabes, ou les
appels à la lutte et au djihâd de la rue arabe, pleins de sentimentalité et peu
rationnels, mettent en évidence l'absence catastrophique de préparation en vue
d'une lutte de longue haleine, pacifique ou guerrière, seule à même d'imposer
les changements nécessaires à Washington et à Tel Aviv, impréparation résultant
de l'illusion que nous nous serions rapprochés d'une solution qui nous aurait
soulagés d'une cause si ancienne, face aux défis de laquelle nous avons échoué
et nous avons reculé, année après année, tandis qu'isl dévoilaient nos points
faibles et notre arriération, incitant au changement et au progrès. Dans le
climat créé par le processus de paix, l'intérêt arabe officiel pour la cause
palestinienne a régressé, il l'a laissée aux mains de l'Autorité palestinienne
et a laissé les négociations menée par cette dernière avec le gouvernement
israélien décider de son sort, même si l'intervention de la partie arabe a pu
apparaître comme celle d'un intermédiaire cherchant à favoriser la continuation
des négociations, et même si certains pays arabes sont allés jusqu'à établir des
relations commerciales et économiques avec Israël, sous prétexte de
l'"encourager" sur la voie de la paix.
L'intifada actuelle évoque le moment
où les peuples arabes ont offert à l'institution officielle arabe la maxime
désormais ancienne selon laquelle il n'est pas de paix ni de stabilité dans la
région tant que ne sera pas atteinte une solution garantissant aux Palestiniens
leurs droits nationaux légitimes : si le choix (stratégique) officiel arabe est
(bien) la paix, il faut dès lors travailler avec les Palestiniens de manière à
atteindre cet objectif et, par conséquent, il faut que les pays arabes oeuvrent
à soutenir le peuple palestinien dans sa lutte et à affirmer l'existence de
lignes rouges dans tout règlement futur, basées sur les résolutions de la
légalité internationale. Les propos du ministre égyptien des affaires
étrangères, Amr Moussa, pour qui "il faut fixer de nouvelles règles aux
négociations lorsqu'elles reprendront", donnent une indication importante de la
nature de l'action arabe collective, à l'avenir, et ils visent implicitement la
nécessité que des efforts actifs soient déployés dans les cercles diplomatiques
mondiaux afin de demander une protection internationale pour les Palestiniens et
que l'on redonne à la légalité internationale et à ses résolutions tout leur
prestige, tout en apportant une aide économique conséquente aux Palestiniens,
afin de les soutenir dans leur résistance. Dire qu'il est impossible
(actuellement) de mener une guerre ne signifie nullement le relâchement et
l'attente (passive) de la paix et de la prospérité, assurées à l'avenir, et sans
difficultés. Au contraire, il faut se préparer à mener le combat de la paix
juste, alors qu'en travers de sa route vient se dresser l'arrogance d'Israël,
qui bénéficie d'un gigantesque déséquilibre des forces en sa faveur, auquel
vient se surajouter la partialité de la plus grande puissance mondiale en faveur
de Tel-Aviv, quoi qu'il fasse.
Dimanche dernier, au cours d'un congrès tenu à
l'Université Hébraïque de Jérusalem, une thèse universitaire (réalisée grâce à
un donateur américain qui en a assuré le financement) a été citée : cette thèse
aboutit à la conclusion que si la situation des villages bédouins ne connaît pas
d'amélioration et si la discrimination à l'encontre des bédouins ne cesse pas,
on peut craindre "l'éclatement de l'intifada des bédouins", comme l'a déclaré
l'auteur de cette thèse, le docteur Isaac
Berley.