3. Les
Palestiniens déplorent l'apathie de la diplomatie internationale par
Mouna Naïm
in Le Monde du mercredi 4 avril 2001
LA "DÉCEPTION" des
Palestiniens face à l'"absence de vision" de la diplomatie internationale est
très grande : autant que la "guerre" dont ils sont la cible de la part d'Israël,
"l'impunité totale" dont jouit l'Etat juif au sein de la communauté
internationale, l'opacité de la politique de la nouvelle administration
américaine, qui contribue à l'apathie d'une diplomatie européenne ayant déjà
bien du mal à se dessiner à Quinze, alimentent cette "déception", a déclaré,
mardi 3 avril, Leïla Shahid, déléguée générale de Palestine en France. Or si,
a-t-elle estimé lors d'une rencontre organisée par le Club de la presse arabe en
France, la communauté internationale n'assume pas ses responsabilités et si la
protection des Palestiniens n'est pas assurée, il sera impossible de relancer
les négociations bilatérales de paix.
Pour Mme Shahid, c'est une "vraie
guerre" que l'Etat juif livre aux Palestiniens lorsqu'il lance des raids ou
qu'il bombarde la Cisjordanie et Gaza, et qu'il n'hésite pas à pratiquer des
enlèvements en territoires sous autorité palestinienne. Moins médiatique, mais
tout aussi, sinon plus efficace, parce que plus insidieuse, l'autre dimension de
cette "guerre", a-t-elle insisté, est "l'asphyxie" de ces territoires par le
biais des bouclages – "la Cisjordanie est désormais divisée en soixante-quatre
cantons et la bande de Gaza en six autres" – et par le refus de verser aux
Palestiniens les taxes douanières qui leur sont dues.
Face à une situation
qui se dégrade de jour en jour, l'attitude des Etats-Unis, parrains du processus
de paix, est la grande inconnue – et "c'est un grand souci pour les Palestiniens
et pour l'ensemble des Arabes" – et l'Union européenne (UE) est d'une prudence
de serpent.
Pourquoi, s'est interrogée Mme Shahid, les Quinze, qui dans le
passé ont su user du levier de leurs accords avec l'Etat juif, ne suspendent-ils
pas l'accord d'association conclu avec lui dans le cadre du partenariat
euro-méditerranéen – "qui permet à Israël d'écouler 70% de ses produits comme
lettre à la poste" – pour exiger le respect de ce que le texte même de l'accord
stipule, à savoir: le respect du droit international et des traités de paix
signés ?
"Le partenaritat euro-méditerranéen ne peut exister que si la
stabilité des Etats concernés est assurée", a fait valoir Mme Shahid, qui
s'interroge sur le sens de la stabilité en Palestine, "lorsqu'on ne peut pas
circuler" entre une ville et une autre et que l'accord d'association conclu par
l'Autorité avec l'UE dès 1997 ne peut être appliqué. Quant à la "protection
internationale" réclamée par les Palestiniens, loin d'être, "comme l'affirment
les Israéliens, la preuve d'une volonté d'internationaliser le conflit", elle
n'est, "au contraire, a-t-elle assuré, qu'un mécanisme international visant à
mettre fin à l'impasse et à garantir la reprise des pourparlers"
bilatéraux.
"PAS DE SOLUTION MILITAIRE"
Car les Palestiniens, a-t-elle
affirmé, "sont convaincus qu'il n'y a pas de solution militaire" à la crise, et
veulent que ces négociations reprennent, à condition que soit mis fin au
bouclage des territoires et au siège des villes, que cessent les bombardements
et les assassinats et que soient mis en œuvre les accords déjà signés,
singulièrement le dernier en date, signé en octobre 1999 à Charm el-Cheikh et
qui prévoit en particulier un troisième redéploiement israélien en Cisjordanie.
Alors, les pourparlers sur le statut définitif des territoires palestiniens
reprendraient.
Il n'est pas question pour les Palestiniens d'accepter le
projet du premier ministre israélien Ariel Sharon de conclure un nouvel accord
intérimaire. Quant à "l'arrêt des violences palestiniennes", dont l'Etat juif
fait un préalable à la reprise des pourparlers de paix, il prouve, selon Mme
Shahid, la "cécité totale dont sont capables les Israéliens ; comme si la
violence tombait du ciel", alors qu'"elle n'est que la conséquence de la
démesure de la répression israélienne".
4. Les Arabes unis face aux défis d'Israël par
Randa Achmawi et Ahmed Loutfi
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du
mercredi 4 avril 2001
Hommage à l'Intifada et à ses martyrs,
solidarité totale avec la lutte des Palestiniens face à l'agression israélienne,
les chefs d'Etat et rois arabes réunis à Amman pour leur premier sommet régulier
ont paru plus unis que jamais manifestant une détermination de ne pas reculer
face aux différentes pressions exercées par Israël pour mettre fin à l'Intifada.
Cette unité des Arabes sur ce dossier vital a permis plus ou moins de racheter,
du moins d'atténuer, les divergences, voire l'échec de trouver un début de
réconciliation entre l'Iraq et le Koweït. De toute façon, le sommet semblait
résolument décidé à donner le maximum à la cause palestinienne. Un geste
symbolique très significatif à cet égard, les chefs d'Etat arabes ont récité la
sourate coranique de la fatiha (ouverture) en hommage aux martyrs palestiniens à
l'inauguration du sommet.
Tant l'opinion arabe que les observateurs ont voulu
voir dans ce sommet un tournant à cet égard. Des manifestations se sont
déroulées un peu partout dans le monde arabe pour demander au sommet d'adopter
des mesures énergiques à l'encontre d'Israël et des menées agressives du
gouvernement Sharon. Devant précéder par ailleurs une visite du président Hosni
Moubarak à Washington, suivie d'une autre d'Abdallah II de Jordanie, le sommet a
acquis ainsi une plus grande importance.
Toujours est-il que les défis qu'il
devait relever sont parus tout aussi importants.
D'une part, Israël a
accentué ses attaques contre les Palestiniens en menant des raids aux chars, aux
hélicoptères et à l'artillerie contre la Force-17, la garde personnelle de
Yasser Arafat, un défi direct lancé donc de ce dernier. D'autre part, les
Etats-Unis ont usé de leur droit de veto au Conseil de sécurité pour faire échec
à un projet de résolution pour la constitution d'une force internationale pour
la protection du peuple palestinien. Ainsi, la réponse n'a pas tardé à venir de
la part de Tel-Aviv et de Washington. Shimon Pérès, ministre israélien des
Affaires étrangères, avec son parler cauteleux ordinaire, a affirmé qu'il est «
impossible d'accepter l'interprétation que fait le sommet de la formule la paix
contre la terre qui consiste à demander à Israël de rendre des territoires sans
lui donner la paix en échange ». Or, le sommet a déclaré son attachement clair
et net au processus de paix, mettant Israël « en garde contre toute tentative de
se dérober de la paix ou d'ignorer les fondements et les principes qui ont lancé
le processus de paix ».
D'ailleurs, le premier ministre, Ariel Sharon, a
rejeté une initiative égypto-jordanienne visant à rétablir le calme dans les
territoires occupés en prévision d'une reprise des négociations. Tout porte à
croire que les Arabes se doivent de relever ces véritables défis. Le fait que le
sommet soit devenu régulier est un gage en quelque sorte, puisque le suivi sera
assuré et que le secrétaire général, qui sera Amr Moussa, fera le point de
l'application. De plus, relèvent les observateurs, Israël, en choisissant la
manière forte, ne fera qu'accroître son isolement. « Israël est revenu au point
zéro en ce qui concerne son intégration dans la région, lui qui avait l'ambition
de créer un espace économique commun dans cette dernière, le Moyen-Orient »,
souligne Hala Moustapha, chercheur au Centre d'Etudes Politiques et Stratégiques
(CEPS) d'Al-Ahram. Même si sur le plan économique Israël ne perd pas beaucoup,
sur le plan politique, il se trouve ainsi en difficulté. La réunion d'Amman
s'est déroulée dans un contexte particulier. Ses lendemains sont tout aussi
exceptionnels. Une page est tournée. Les Arabes sont unis bon gré mal gré et la
violence israélienne contribue à cela.
Les défis au sommet arabe
La conclusion la plus généralement admise par les observateurs est
donc que le sommet d'Amman a été un succès en ce qui concerne le soutien de la
cause palestinienne, alors que pour le dossier Iraq-Koweït, cela a été un échec
manifeste. Mais peut-on parler d'un véritable tournant en ce qui concerne les
Palestiniens ?
Au-delà des résolutions (lire encadré), la situation sur le
terrain est une grande source de préoccupation. Tout d'abord, les Israéliens ont
choisi au lendemain du sommet d'escalader leur répression dans les territoires
occupés avec des raids à l'artillerie et les hélicoptères contre la garde
rapprochée d'Arafat (Force 17) à Gaza et Ramallah, faisant un grand nombre de
victimes parmi les Palestiniens, y compris les civils. Ces attaques sont les
plus violentes depuis celles d'octobre dernier suite auxquelles l'Egypte avait
rappelé son ambassadeur à Tel-Aviv, Mohamad Bassiouni, qui n'a pas encore
regagné son poste. Ces frappes, contrairement à leur effet de dissuasion voulu
par Sharon, n'ont fait qu'exacerber les sentiments des Palestiniens et renforcer
leur résolution à poursuivre l'Intifada. « Nous allons poursuivre l'Intifada
jusqu'à ce qu'un de nos enfants ou de nos petites-filles lève le drapeau
palestinien sur la mosquée Al-Aqsa », a déclaré Arafat à son retour d'Amman.
Ainsi, le gouvernement israélien n'a pas attendu la conclusion du sommet d'Amman
pour frapper les Palestiniens, en réaction au soutien politique et financier que
leur a apporté celui-ci, relèvent les observateurs. A cela est venu se greffer
le veto américain au projet de résolution du Conseil de sécurité pour l'envoi
d'une force de protection des Palestiniens dans les territoires occupés. C'est
avec un vif regret que les chefs d'Etat arabes ont réagi à ce veto qui, pour la
direction palestinienne, a été un feu vert aux raids israéliens. « Nous sommes
perplexes par l'usage de l'Administration américaine de ce veto. En l'utilisant,
les Etats-Unis ont encouragé le gouvernement, qui y a vu un feu vert pour son
agression contre le peuple palestinien », a indiqué un communiqué publié par
l'agence Wafa à l'issue d'une réunion de la direction palestinienne à Ramallah
en présence du président Yasser Arafat. C'était la première fois depuis 4 ans
que les Etats-Unis faisaient usage de leur droit de veto pour s'opposer à
l'établissement d'une force de protection des Palestiniens. De cette manière,
les Etats-Unis ont perdu « une chance historique de calmer la situation dans les
territoires », a déclaré de son côté le ministre palestinien de la Coopération
internationale, Nabil Chaath.
Pressions sur Arafat
C'est
dire que le sommet, tout en posant les jalons d'une politique apparemment plus
dynamique, s'est heurté à de nouveaux obstacles et une tentative des Etats-Unis
et d'Israël de mettre toute la pression sur Yasser Arafat. C'est à lui qu'on
demande de mettre fin à l'Intifada. Washington l'a même accusé de ne pas faire
grand-chose « pour réduire la violence anti-israélienne et les attentats suicide
». Le président américain, qui s'exprimait pour l'une des premières fois de
manière directe sur le processus de paix, a appelé Arafat « à dénoncer à haute
voix la violence de manière qui soit compréhensible aux Palestiniens »,
demandant à son secrétaire d'Etat Colin Powell de contacter le chef de
l'Autorité palestinienne pour lui faire passer directement le message. C'est au
risque de mécontenter davantage le monde arabe au lendemain du sommet que Bush a
pris ces initiatives. Et même s'il a pris soin d'appeler également le
gouvernement israélien « à faire preuve de retenue dans ses ripostes militaires
et prendre des mesures pour rétablir la vie normale pour le peuple palestinien
», les Arabes n'ont pas manqué de relever ici une politique des deux poids, deux
mesures. « La perception des Arabes est que nous ignorons les Palestiniens »,
relève William Quandt, professeur à l'université de Virginie et l'un des
négociateurs américains sur le Proche-Orient sous les présidents Richard Nixon
et Jimmy Carter. Yasser Arafat a été invité aux Etats-Unis une douzaine de fois
au moins sous le président Bill Clinton, tandis que la nouvelle Administration «
masque à peine son manque d'intérêt » pour le dirigeant palestinien, fait-il
remarquer. C'est l'influence d'Israël, dit-on de source diplomatique égyptienne.
Sharon a demandé à Washington de ne pas accorder d'aide économique ou même
d'importance à Arafat, parce que toute aide « est investie dans le terrorisme
».
Et cette source de relever que tant Israël que les Etats-Unis font fausse
route. Et que la paix est un choix stratégique. Et dans le même ordre d'idées, «
même si Israël est une puissance militaire et stratégique importante, et même
après avoir signé des traités de paix avec certains de ses voisins, il n'y a
jamais eu de réceptivité de la part des peuples arabes parce que la véritable
normalisation ne serait possible que dans le cadre d'une paix globale et
durable. Ni les traités partiels, ni le support d'une puissance militaire
peuvent assurer à ce pays une existence en harmonie avec les pays de la région
», estime Hala Moustapha, chercheur au Centre d'Etudes Politiques et
Stratégiques (CEPS) d'Al-Ahram.
Le sommet a ainsi mis Israël en garde contre
toute tentative de se dérober à la paix ou d'ignorer les fondements et les
principes qui ont lancé le processus de paix. Or, la paix implique une harmonie
et une intégration régionale d'Israël. « Concrètement, toutes les mesures
décidées au sommet ont pour objet des pressions politiques sur Israël pour le
convaincre que la paix est l'unique option à tous les niveaux, que ce soit au
niveau de la coopération régionale ou de la sécurité de ses citoyens », ajoute
Hala Moustapha. Et de rappeler que même les guerres n'ont pas résolu le problème
d'Israël, puisque son acceptation dans la région dépend directement de la
normalisation avec les peuples. D'ailleurs, le ministre égyptien des Affaires
étrangères et futur secrétaire général de la Ligue arabe a bien souligné durant
le sommet qu'Israël ne faisait plus peur à personne et que somme toute, « c'est
un petit pays » qui a donc intérêt à s'engager sur la voie d'un
règlement.
Un retour aux principes
Or, ce règlement
repose, comme cela a été confirmé à Amman et comme l'envisagent des propositions
égypto-jordano-palestiniennes présentées dernièrement à Israël, selon une source
diplomatique israélienne, « sur un respect des termes de la conférence de
Madrid, ceux de Charm Al-Cheikh 1 (les 3 et 4 septembre 1999) et Charm Al-Cheikh
II (les 16 et 17 octobre 2000), qui impliquent notamment la paix et la sécurité
contre les territoires conformément aux résolutions 234 et 338 du Conseil de
sécurité ». Outre les principes de Madrid, le plan prévoit la création de deux
commissions, l'une pour un règlement intérimaire et l'autre pour un règlement
définitif dans un délai d'un an, ajoute la source. Mais pour le moment, Sharon
ne veut qu'une chose : l'arrêt de l'Intifada pour ensuite revenir à la table des
négociations. Or, Sharon veut-il vraiment retourner aux négociations ou
tente-t-il de gagner du temps et faire avorter l'Intifada ? « L'expérience avec
les Israéliens n'encourage pas les Palestiniens ni les Arabes à leur faire
confiance. Au contraire, tout ce que l'on tire des leçons du passé, c'est que
l'Etat hébreu n'applique jamais les accords ».
A suivre la situation sur le
terrain et surtout les actions israéliennes, on se rend compte que le
gouvernement de Sharon se prépare plutôt à intensifier ses actes de violence.
Non seulement les assassinats et les arrestations d'activistes palestiniens et
de membres de la Force 17 se poursuivent, mais aussi les bombardements avec
l'usage même des blindés. Le ministre israélien du Tourisme d'extrême droite,
Rechavam Zeevi, a préconisé dimanche dernier en séance hebdomadaire du Conseil
des ministres de bombarder le domicile privé de Yasser Arafat à Gaza. Les
Palestiniens, quant à eux, s'attendent à « une offensive de cent jours » contre
eux, et la sécurité publique dans la bande de Gaza a procédé à des manœuvres
militaires face à d'éventuelles opérations israéliennes contre les zones
autonomes.
Cette position d'Israël, si elle représente un défi aux Arabes au
lendemain du sommet, n'a cependant rien de nouveau, expliquent les observateurs.
Elle était attendue dès la formation du gouvernement d'union nationale d'Ariel
Sharon. Ce dernier a mis ses menaces à exécution avec l'idée d'assurer la
sécurité par la force.
Mais avec l'escalade de la violence israélienne,
l'Intifada a pris plus d'ampleur. La preuve en est les milliers de Palestiniens
et d'Arabes israéliens ayant manifesté à l'occasion de la Journée de la terre.
Un peu partout, les Palestiniens ont crié leur colère à l'exemple de cet
officier de police palestinien de Naplouse qui a dit : « Je suis tellement en
colère. Je ne peux pas décrire ce que je ressens. Que puis-je dire ? Je ne veux
plus voir de soldats israéliens dans notre pays, la Palestine. Je veux la
sécurité. Nous ne sommes pas des assassins ! ».
L'Intifada sous toutes ses
formes reste une réponse, voire une riposte pour démontrer aux Israéliens que ce
n'est pas par les méthodes de Sharon qu'ils auront la sécurité. Le sommet
d'Amman a bien compris cet aspect des choses en mettant au point les mécanismes
visant à faire parvenir l'aide financière arabe décidée lors du sommet
extraordinaire du Caire en octobre dernier, aux Palestiniens, notamment à
l'Autorité palestinienne. « Ce fonds de l'Intifada et le fonds des martyrs
étaient destinés aux familles des martyrs et à la lutte contre la judaïsation de
Jérusalem. Aujourd'hui, il sera adapté de manière à ce que l'assistance
parvienne directement à l'Autorité palestinienne », indique Wahid Abdel-Magued,
du CEPS. La déclaration finale a appelé les pays arabes à verser rapidement leur
contribution aux deux fonds d'aide aux Palestiniens d'un montant d'un milliard
de dollars. Les dirigeants arabes ont aussi apporté leur soutien à la demande de
l'Iraq adressée au Conseil de sécurité de prélever un milliard d'euros sur ses
revenus pétroliers pour venir en aide aux familles des martyrs palestiniens, et
demandé à leurs délégués à l'Onu d'agir pour faire aboutir cette offre. Yasser
Arafat s'est félicité de ce soutien financier venu conforter un soutien
politique. Mais tout ceci suffira-t-il ?
Un nouvel atout, Amr
Moussa
Les Arabes, de toute façon, espèrent que les choses seront
plus énergiques avec Amr Moussa aux commandes de l'organisation panarabe à
partir du 15 mai. Moussa, qui a été l'architecte de la politique égyptienne à
l'égard d'Israël, devrait apporter un plus au soutien accordé aux Palestiniens.
« Il aura été le premier secrétaire général à être élu à l'unanimité. C'est un
symbole capable de réaliser la concorde arabe sur de nombreux points, notamment
celui de la Palestine », affirme Hala Moustapha. « Cela va faciliter le fait que
la Ligue arabe soit perçue de l'extérieur comme un bloc uni important parmi les
organisations régionales. Cela va renforcer son aspect institutionnel et sa
crédibilité ». De nombreux chefs d'Etat, notamment Hosni Moubarak et Bachar
Al-Assad, demandent que l'action du secrétaire général ne subisse pas de
restrictions. Une des résolutions adoptées a été que le « secrétaire général
n'ait pas à consulter les Etats membres pour chaque détail ». Plus de liberté,
plus de défis. La Ligue arabe entre dans une nouvelle ère. Mais les défis qui
l'attendent sont encore plus graves qu'auparavant, avec l'avènement de Sharon,
la léthargie qui frappe le processus d'Oslo et une Administration américaine
résolument perçue comme ignorant les
Palestiniens.
[Les principaux points de la
résolution finale du sommet d'Amman.
> Question palestinienne
:
— Le sommet exprime « sa solidarité totale avec la lutte des
Palestiniens pour recouvrer tous leurs droits et salue la résistance héroïque du
peuple palestinien face à l'agression israélienne. Il rend un vibrant hommage à
l'Intifada et à ses martyrs ».
— Forces de protection de l'Onu dans les
territoires palestiniens : les dirigeants arabes renouvellent leur appel au
Conseil de sécurité pour qu'il assume ses responsabilités dans la protection du
peuple palestinien sous l'occupation israélienne et la constitution d'une force
internationale à cette fin. Ils demandent aux pays membres du Conseil de
sécurité, particulièrement aux membres permanents, de prendre les mesures
nécessaires pour mettre en application cette demande.
— Les dirigeants arabes
« demandent au Conseil de sécurité de juger les criminels de guerre israéliens,
responsables des massacres et des crimes contre les citoyens arabes dans les
territoires ».
— Aide à l'Intifada et à l'Autorité palestinienne : « Le
sommet se félicite de la décision des deux fonds créés par le sommet du Caire en
octobre d'octroyer 240 millions de dollars au total pour les six prochains mois
pour soutenir l'Autorité palestinienne à faire face à ses difficultés
financières ».
— Le sommet se félicite de l'offre de l'Iraq de prélever 1
milliard d'euros sur ses recettes pétrolières sous contrôle de l'Onu pour venir
en aide aux familles des martyrs palestiniens et charge les délégués arabes à
l'Onu d'agir auprès du Conseil de sécurité pour faire aboutir l'offre
iraqienne.
> Israël et le processus de paix :
— Le
sommet « met en garde Israël contre toute tentative de se dérober à la paix ou
d'ignorer les fondements et les principes qui ont lancé le processus de paix
».
— Le sommet réclame la réactivation du boycottage d'Israël et le maintien
du gel de la normalisation économique avec l'Etat hébreu, la suspension de la
participation arabe aux négociations multilatérales. Il réitère la menace de
rompre toute relation avec les pays qui transféreraient leur ambassade à
Jérusalem ou qui reconnaîtraient la Ville sainte comme capitale
d'Israël.
> Liban-Syrie :
Le sommet proclame sa
solidarité avec le Liban pour parachever la libération de ses territoires encore
sous occupation israélienne et l'assure de son soutien pour reconstruire le
Sud-Liban. Il exprime son soutien à la Syrie face aux menaces
israéliennes.
> Souveraineté sur trois îles dans le Golfe
:
Le sommet réitère sa position de soutien aux Emirats arabes unis
dans le conflit l'opposant à l'Iran sur trois îles dans le Golfe et demande le
règlement de ce conflit par des voies pacifiques dont l'arbitrage de la Cour
Internationale de Justice (CIJ).
> Sanctions contre la Libye
:
Les dirigeants « demandent au Conseil de sécurité de lever les
sanctions imposées à La Libye ». Ils estiment que leur maintien est injustifié
après le verdict dans l'affaire de Lockerbie et déclarent qu'ils ne sont pas
tenus de respecter les sanctions dans la mesure où la Libye a respecté ses
engagements. Ils demandent aussi la libération du Libyen condamné à perpétuité
par leur cour écossaise.
> Economie :
Le sommet
accueille favorablement la proposition égyptienne d'accueillir la première
conférence économique arabe, en novembre 2001 au Caire, avec la participation de
représentants des gouvernements, du secteur privé, d'institutions régionales et
internationales.
> Nouveau secrétaire général de La Ligue arabe
:
Les dirigeants arabes se déclarent unanimes dans leur choix d'Amr
Moussa, ministre égyptien des Affaires étrangères, comme nouveau secrétaire
général de la Ligue arabe.
> Sur l'Iraq :
Dans un
document annexe intitulé Déclaration d'Amman, le sommet a appelé à « la levée de
l'embargo contre l'Iraq et à traiter les questions humanitaires relatives aux
prisonniers et aux disparus koweïtiens et iraqiens et d'autres pays ».]
5. La paix dans le gouffre par Abir
Taleb
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 4 avril
2001
Les espoirs d’un retour au calme s'amenuisent, alors que le
retour aux négociations devient carrément une utopie.
Dans les territoires
occupés, qui ont connu le week-end dernier des violences pareilles à celles des
débuts de l’Intifada, le 28 septembre 2000, la tension est grandissante. Lundi,
un responsable du Djihad islamique a promis une riposte « appropriée et forte »
à l'assassinat de l'un de ses membres, tué par des hélicoptères israéliens à
Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.
La veille, près de Ramallah, un
garçon palestinien de 12 ans, atteint d'une balle réelle à la tête la semaine
dernière, a succombé à ses blessures, alors que le même jour, un soldat
israélien était tué près de Naplouse, dans une attaque revendiquée par une
organisation palestinienne peu connue : les « Brigades du jour ».
Mais c’est
surtout vendredi dernier, Journée de la terre, qui a été l’une des journées les
plus sanglantes de l’Intifada, avec six martyrs palestiniens, tombés sous les
balles israéliennes à Naplouse, et une centaine de blessés. Les affrontements
ont pris un nouveau tournant et les unités spéciales de l'armée israélienne ont
arrêté près de Ramallah, en Cisjordanie, six activistes palestiniens, dont cinq
appartenant à la Force-17, garde personnelle du président Yasser Arafat, forte
de 3 500 hommes. Parallèlement, les blindés israéliens ont bombardé dimanche
pendant près d'une heure des positions de la Force-17 à Cheikh Ijlin, au sud de
la ville de Gaza, à partir de leurs positions proches de la colonie de Netzarim,
dans des opérations considérées par l’armée israélienne comme « anti-terroristes
».
La politique agressive du premier ministre israélien Ariel Sharon se
dévoile de plus en plus et les dirigeants israéliens n’ont pas hésité à annoncer
haut et fort une politique plus offensive contre les Palestiniens, visant
notamment la Force-17, qu'ils accusent de commanditer des attentats
anti-israéliens. Plus encore, le ministre du Tourisme d'extrême droite, Rechavam
Zeevi, a haussé le ton en préconisant dimanche en séance hebdomadaire du cabinet
de bombarder le domicile privé du président palestinien Yasser Arafat à Gaza,
selon la radio. C’est donc à un véritable gouvernement de guerre que les
Palestiniens font face. De surcroît, l'armée israélienne a pénétré dimanche en
zone autonome palestinienne, dans une incursion inédite depuis le début de
l'Intifada. Cette incursion d'unités spéciales israéliennes pour enlever des
militants palestiniens a été perçue par le principal négociateur palestinien
avec Israël, Saëb Eraqat, comme un « acte de piraterie ». « C'est une nouvelle
preuve qu'Israël est déterminé à poursuivre son plan de terrorisme organisé et
d'assassinat de dirigeants palestiniens », a-t-il affirmé.
La violence s’est
poursuivie également à Hébron, où les colons juifs se sont livrés à de nombreux
actes de vandalisme anti-palestiniens à Hébron depuis la mort lundi dernier dans
cette ville d'un bébé israélien tué par un tireur embusqué. L’occasion pour
Sharon d’affirmer en Conseil des ministres que l'enclave des quelque 400 colons
juifs extrémistes retranchés à Hébron au milieu de plus de 100 000 Palestiniens
resterait « pour toujours ».
Et ce n’est pas fini, le commandant de la police
israélienne, Shlomo Aharonishki, a mis en garde contre ce qu’il considère l'«
intensification du terrorisme », avertissant que « le cauchemar allait continuer
et qu'il fallait procéder à une séparation » d'Israël et des
Palestiniens.
Autre preuve d'un durcissement israélien, la Radio publique a
annoncé que M. Sharon a repoussé un projet proposé par l'Egypte et la Jordanie
visant à réduire la violence et relancer les pourparlers de paix. Selon la
radio, citant d'importantes sources au bureau du premier ministre, les
Palestiniens ont transmis ces propositions visant surtout à la reprise de la
coopération sécuritaire, à l'application d'un retrait israélien de Cisjordanie
et à la reprise des discussions en vue d'un règlement définitif.
Côté
palestinien, c’est le pessimisme qui règne. L’utilisation par les Etats-Unis de
leur droit de veto au Conseil de sécurité de l'Onu contre l'envoi dans la région
d'observateurs internationaux a été fortement critiquée et considérée comme « un
feu vert à l'agression israélienne contre le peuple palestinien ». Yasser Arafat
a accusé Ariel Sharon de préparer « une offensive de 100 jours » contre les
Palestiniens, et la sécurité publique dans la bande de Gaza a procédé samedi à
des manœuvres militaires face à d'éventuelles opérations israéliennes contre les
zones autonomes.
En outre, une coalition élargie des principaux mouvements
palestiniens, les « Forces nationales et populaires », dont le Fatah du
président Yasser Arafat et les formations islamistes, a appelé samedi, lors
d'une manifestation à Gaza, à la poursuite de l'Intifada, « jusqu'à la fin de
l'occupation israélienne de notre sol, la création d'un Etat palestinien avec
Jérusalem pour capitale et le retour des réfugiés palestiniens ». D’ailleurs, de
plus en plus nombreux sont ceux qui pensent que la poursuite du soulèvement est
bien la seule alternative. Le président palestinien avait lui-même proclamé
jeudi dernier que l'Intifada se poursuivrait jusqu'à ce que le drapeau
palestinien soit hissé à Jérusalem, « capitale du futur Etat palestinien
».
6. La
métamorphose de l'Intifada par Véronique Hayoune
in al-Ahram Hebdo
(hebdomadaire égyptien) du mercredi 4 avril 2001
Des intellectuels,
des militants des droits de l'homme, des membres de l'Autorité Palestinienne
(AP), dont Ahmed Koreï (Abou-Ala), président du Conseil législatif et important
négociateur, et des hommes d'affaires s'interrogent de plus en plus ouvertement
sur la nature que devrait désormais prendre l'Intifada, à savoir confrontations
avec les Israéliens ou manifestations pacifiques. Ces derniers temps, plusieurs
manifestations pacifiques sans armes ni pierres ont eu lieu en Cisjordanie et à
Gaza. Ainsi un groupe de femmes, dont la députée Hanane Achrawi, ont marché
jusqu'à un point de passage près de Ramallah (Cisjordanie). Autre scène peu
ordinaire : des artistes chantant et jouant de leurs instruments devant un point
de passage au nord de Jérusalem sur la route de Ramallah. « Les gens sont
fatigués et veulent voir leurs souffrances diminuer », explique Bassem Eid,
directeur du Groupe palestinien de contrôle des droits de l'homme (Palestinian
Human Rights Monitoring Group).
Ainsi, depuis un mois, des voix de la société
civile déclarent que ce serait une bonne tactique de passer à une Intifada
populaire massive. Le premier intellectuel à avoir condamné publiquement les
attaques contre les soldats et les colons et également l'utilisation des armes
par le Tanzim (Organisation en arabe, elle regroupe des activistes jeunes,
éduqués, et motivés) pendant les manifestations populaires, c'est Saleh
Abdel-Jawad, directeur du département d'histoire et de sciences politiques à
l'Université de Bir-Zeit (Cisjordanie). Il a qualifié cela de « stratégie
erronée, désastreuse ».
Une nouvelle tactique de manifestations pacifiques a
commencé donc à prendre forme et a même été annoncée dans les médias étrangers
et palestiniens par Marwan Barghouti, chef du Fatah (le mouvement de Yasser
Arafat) en Cisjordanie et du Tanzim à Ramallah. C'est le Fatah de Ramallah qui,
le premier, a organisé une importante manifestation non violente, composée
également d'intellectuels, de personnalités politiques de l'Autorité
palestinienne, en réaction au bouclage de la ville. Devant l'impact médiatique,
d'autant plus grand que les militaires israéliens ont répondu par des gaz
lacrymogènes et des balles en caoutchouc, l'initiative a été systématisée et
s'est répétée dans d'autres villes. De nouveaux rassemblements du genre sont
prévus.
Selon Marwan Barghouti, l'utilisation de « moyens pacifiques » vise à
rallier au soulèvement « divers secteurs de la société comme les étudiants et
les membres des syndicats ». Contrairement à la première Intifada (1987-1993),
la seconde mobilise peu les étudiants et la population, sauf lors des
funérailles. Elle attire en revanche les villageois et les réfugiés des camps de
Cisjordanie et de Gaza, où le Tanzim recrute de nombreux combattants. Pour un
producteur de télévision arabe qui a requis l'anonymat, le principal rôle du
Tanzim c'est de « tenir la rue entre les mains de Yasser Arafat et de l'empêcher
de tomber dans celles du Hamas ». Jusqu'ici, ce sont les chefs locaux du Tanzim
qui occupaient le terrain. Le plus connu d'entre eux, et le plus médiatisé,
étant Marwan Barghouti qui, selon Bassem Eid, « est un très bon outil dans les
mains d'Arafat ».
Mais les derniers attentats du Djihad et du Hamas et le
regain de tirs entre les milices du Tanzim et Tsahal, viennent de démontrer que
les manifestations non violentes ne signifient pas un arrêt des actions
militaires. Ce que Bassem Eid critique : « Cela ne nous mène nulle part ». Il
doute cependant que les manifestations « pacifiques » mobilisent la société, à
cause de la réaction violente et dissuasive d'Israël contre les manifestants.
Selon lui, le bouclage des territoires palestiniens couplé aux sanctions
économiques israéliennes a provoqué une baisse de la participation du public
palestinien dans l'Intifada et atteint son moral. « Pendant le premier
soulèvement, raconte-t-il, nous pouvions bouger, travailler, gagner de l'argent
».
Ali Shikaki, directeur du Centre palestinien de recherche politique et de
sondage à Ramallah, souligne en revanche que les Palestiniens veulent poursuivre
la lutte qui représente « un désir d'indépendance, un futur meilleur » et que ni
les Israéliens ni l'Autorité palestinienne ne leur ont présenté une
alternative.
Malgré les divergences d'opinions sur la tactique à suivre,
l'Intifada n'est pas prête de s'achever. Les analystes palestiniens s'accordent
sur une chose : l'Intifada ne peut s'arrêter sans que Yasser Arafat ne ramène un
gain politique.
7. Il n'y a pas
de solution par Baudouin Loos
in Le Soir (quotidien belge) du mardi
3 avril 2001
L'infini désespoir. Il n'y a pas de solution au conflit
israélo-palestinien. Du moins, il n'y a pas de solution satisfaisante pour les
deux parties.
En Israël, la gauche s'acharne sur Yasser Arafat, coupable de
ne pas avoir eu le courage d'accepter les propositions d'Ehoud Barak, l'année
dernière. Des propositions « audacieuses, généreuses comme jamais auparavant,
bien supérieures à ce à quoi les Palestiniens pouvaient s'attendre »,
répète-t-on en Israël, où la gauche se meut entre déception, découragement,
ressentiment et colère.
Rien de tel chez les Palestiniens. Beaucoup de gens
rencontrés se disent positivement étonnés qu'Arafat eût su résister aux
pressions israélo-américaines. Un marché « inacceptable », « inférieur à ce que
le droit international prévoit ». « Abou Ammar » l'a bien dit à Clinton à Camp
David : « Si je signe, je vous invite en même temps à mes obsèques ».
Les
commentateurs doivent se contenter de confidences et autres fuites, car ni à
Camp David ni à Taba, en février dernier, n'a-t-on livré au public les
propositions israéliennes. Mais on sait qu'il n'a pas été question d'un Etat
palestinien indépendant sur tous les territoires occupés par Israël en 1967 - 22
% de la Palestine originelle. Il s'est agi de négocier sur ces 22 %. De les
raboter.
Tout continue à opposer les deux camps. Israël n'a pas compris que
paix et colonisation restent incompatibles. Que la question des réfugiés
palestiniens ne se réglera pas avec un simple carnet de chèques de la communauté
internationale. Arafat demeure obtus s'agissant du lien religieux et émotionnel
qui lie les Juifs à leurs lieux saints à Jérusalem, qu'il nie absolument.
Le
vétéran de la lutte nationale palestinienne n'a jamais osé s'écarter de ce qu'il
percevait comme le « consensus » au sein de son peuple pour une compensation
politique minimale après l'injustice historique vécue par chaque famille
palestinienne. Il n'a jamais dit à ses ouailles que le droit au retour ne se
conteste pas mais que sa mise en œuvre serait immanquablement partielle.
Que
dire alors des dirigeants israéliens, qui ont continué à coloniser les
Territoires occupés - et, sous Barak, avec une intensité inégalée - tout en
prétendant négocier la « paix » ? Tous les gouvernements israéliens, depuis
trente-quatre ans, ont été les otages d'une petite minorité nationaliste et
religieuse qu'ils n'ont jamais osé affronter. Même quand un Barouch Goldstein
abattit 29 Palestiniens en prière, à Hébron en 1994, Yitzhak Rabin, qui
méprisait pourtant les colons, n'a pas osé faire évacuer les 400 forcenés qui
vivent parmi 130.000 Palestiniens.
L'historien israélien Zeev Sternhell
prévoit une mini-guerre civile si une évacuation de colons extrémistes doit
avoir lieu. Il a raison. Quel Premier ministre israélien prendra cette lourde
décision ? Ariel Sharon ? Poser la question c'est y répondre. L'étreinte
mortelle et inégale des deux peuples va continuer. Longtemps encore.
8. Karawat, un
village si paisible, entre deux check-points israéliens par Baudoin
Loos
in Le Soir (quotidien belge) du mardi 3 avril 2001
Karawat,
Cisjordanie - C'est une histoire de check-points militaires israéliens. Une
histoire de colons juifs, aussi. Et de Palestiniens. Une histoire où les mots
humiliation et occupation charrient leurs corollaires : frustration,
ressentiment et haine.
Pour accéder à Karawat, située en « zone A » (contrôle
palestinien complet) en venant de Ramallah (ville palestinienne « autonome »
depuis décembre 1995), la route sinueuse fait 25 km environ, dont un court
passage en « zone C » (contrôle israélien total). Pour nous, pas de problèmes.
Le minibus du Parc, une très active ONG palestinienne agricole, qui nous emmène
arrive au premier point de contrôle israélien, peu après le bourg de Birzeit, où
se trouve la fameuse université du même nom. Notre chauffeur, de Jérusalem, peut
passer. Mais pas Ghassan, natif du coin. Israeli road, assène le soldat, qui
refuse toute espèce de discussion. Ghassan doit faire demi-tour.
Les
étrangers et les Palestiniens possesseurs d'un permis de résidence de Jérusalem,
assimilés à des Israéliens, peuvent donc emprunter la route qui mène à Karawat.
Les autochtones, eux, doivent recourir à des chemins de montagne, des détours
énormes jusque dans la vallée du Jourdain, qui transforment les 25 km en 120,
qui font passer le trajet de 30 minutes à bien plus de 2 heures. Même si une
urgence de santé se déclare ou si une dialyse bihebdomadaire se révèle
indispensable à tel octogénaire. Dans ces environs-ci, 25 villages connaissent
ce traitement depuis des mois, soit 50.000 habitants.
Il n'y a pourtant
quasiment pas eu d'attentats ici depuis l'intifada. Mais il y a Halamish et ses
951 colons juifs. Il y a aussi Ateret, un peu plus loin, et ses 268 colons. Pour
la protection de ces citoyens israéliens, Tsahal a bouclé la zone, et pour mieux
se faire comprendre, les entrées de chaque village ont été rendues
impraticables, par des blocs de béton ou des tranchées déchirant la
route.
Dans le village de Karawat, les 2.000 habitants rongent leur frein. La
plupart des hommes travaillaient en Israël. Avant l'intifada. Ils ont désormais
tout le temps d'admirer le paysage, des collines de pierres et d'oliviers. Si
paisibles.
Dans son berceau, Inas regarde le visiteur en souriant. Elle est
née le 2 janvier. Dans une ambulance. Sa mère, Sana'a, une jolie Jordanienne de
21 ans dont c'est le second enfant, se souviendra de cette nuit-là. Nous sommes
partis d'ici à minuit, raconte-t-elle. Cela devenait urgent. Mais au check-point
avant Halamish, les soldats n'ont rien voulu entendre. J'ai eu de la chance :
rentrés au village, nous avons trouvé une sage-femme avant de reprendre la
route, du moins les chemins de montagne. Las à 4 heures, j'ai dû accoucher
dans le véhicule, et, grâce à Dieu, tout s'est bien passé
Chacun, ici, a son
histoire. Et hèle le journaliste occidental, denrée rare, pour la lui raconter.
Voici celle d'Ahmed Arar, contée par lui-même.
Comme employé au Medical
Relief Committee à Ramallah, j'étais aide-infirmier lors de la manifestation
pacifique massive organisée avec des députés, des consuls occidentaux, des
professeurs d'université le 12 mars quand Israël avait ouvert une tranchée entre
la ville et Birzeit, route qui ne dessert pourtant aucune colonie juive. Quand
un bulldozer palestinien s'est approché du trou dans la route pour le reboucher,
les soldats ont lancé des grenades lacrymogènes vers le chauffeur, qui s'est
trouvé mal. Je me suis précipité pour l'aider. Les tirs ont commencé (il y aura
un mort, NDLR). Pendant quelques mètres seul au milieu d'un carrefour, bien
identifiable avec mes habits blanc et orange d'infirmier, j'ai été mis en joue
par un soldat israélien à douze mètres de moi, qui a soudain tiré une balle
caoutchoutée dans l'œil gauche.
« Quand les enfants ont faim, il n'y a pas de
lumière au bout du tunnel »
Cet œil est perdu. Ahmed, 35 ans, père de cinq
enfants, a été opéré il y a dix jours à Vienne, en Autriche, grâce à une chaîne
de solidarité.
Autour de lui, plusieurs hommes se sont maintenant agglutinés
dans son salon, où le thé est servi. Les commentaires fusent. Tous incriminent
les colons. Ou l'armée d'occupation. Les attentats suicide sont le résultat du
désespoir, lance un homme âgé, qu'on nous décrit comme jusqu'ici très modéré.
Les colons nous agressent physiquement, les soldats leur servent
d'auxiliaires Alors, vous savez, quand les enfants ont faim, il n'y a pas
de lumière au bout du tunnel. La paix n'est pas possible...
Il est temps de
partir. A un check-point israélien, une file de véhicules longue de 200 mètres
est à l'arrêt. Nous dépassons les voitures à pied. Au sommet de la colline,
quelques soldats font le tri. Ils ont entre 18 et 21 ans. Trois autres se
reposent sur une chenillette armée d'une lourde mitrailleuse. L'un d'eux parle
anglais. Vous croyez que cela nous amuse de leur faire cela ? répond-il avant
même d'entendre la question. C'est de notre faute s'ils nous attaquent ?
Croyez-moi, j'aimerais mieux être chez moi et boire mon verre en paix.
Quel
dialogue ? Une voiture palestinienne doit faire demi-tour. Israeli road, sans
doute. Nous sommes en territoire occupé.·
9. Ecrire au milieu du champ de tir par
Marie-Claire Bourdoux, médiatrice du "Soir"
in Le Soir (quotidien belge) du
mardi 3 avril 2001
Depuis de nombreuses années, au « Soir », les
relations israélo-arabes sont essentiellement couvertes par Baudouin Loos, qui a
succédé à Michel Dubuisson et à Jean-Paul Collette, avec, comme correspondant
particulier à Tel-Aviv, Victor Cygielman qu'a remplacé Serge Dumont.
Le moins
qu'on puisse dire, c'est que ces collègues travaillent constamment sous
pression... comme leurs confrères de tous les autres journaux du monde
occidental. La plupart de leurs articles, qu'il s'agisse de comptes rendus
factuels sur base de dépêches d'agences, de commentaires ou de reportages,
suscitent des réactions, principalement de pro-israéliens : des personnes
privées, des associations et/ou l'ambassade d'Israël écrivent au rédacteur en
chef, critiquent, exigent des mises au point.
Relais des Palestiniens ou du
lobby sioniste ?
Quelques exemples de courriers récents. Pierre Wolkowicz,
d'Anvers, nous reproche vivement d'avoir ouvert nos colonnes à un « Manifeste
pour la paix » (« Le Soir » du 8 février). Il qualifie ses auteurs de
groupuscule de Juifs essayant de travestir les vérités et, surtout, tentant de
se présenter comme le représentant d'une partie de la communauté juive de
Belgique, alors qu'en fait, ils ne représentent qu'eux-mêmes. Nous n'exigeons
évidemment pas des auteurs de Carte blanche, isolés ou groupés, qu'ils
représentent la totalité d'une communauté - les textes ne seraient pas
nombreux - et, en l'occurrence, ce groupe de signataires n'affirmait rien
de tel. Relevons d'autre part que notre correspondant assure admirer le courage
du « Soir » qui ouvre ses colonnes de Carte Blanche à des organisations ou à des
personnalités de toutes tendances. Plutôt contradictoire... mais merci quand
même.
Jean-Marie Gilles, de Woluwe-Saint-Lambert, déçu par Israël après
l'avoir longtemps soutenu, reproche, lui, aux médias et au « Soir » en
particulier leur lâcheté à ne pas combattre cette extrême droite religieuse,
fanatique et malfaisante avec tous les moyens utilisés pour lutter contre
Haider, qui n'a tué personne, lui. Plus agressif, il termine : Réveille-toi, «
Le Soir ». Ton audience est en chute libre. Ton « politiquement correct » te tue
petit à petit car tes rédacteurs bien-pensants n'ont plus ni originalité ni
courage.
Par e-mail, Jean Morren nous morigène : On a l'impression souvent
que vous vous contentez d'être le relais des Palestiniens. Il ajoute : En
privilégiant une version, vous empêchez vos lecteurs de se faire valablement une
opinion : informer, c'est le devoir de tout dire, sans prendre parti pour l'un
ou l'autre.
Il y a aussi des articles ou courriers agressifs dans des
publications. Nous avons ainsi contesté (le 20.2) des accusations de racisme
lancées par des lecteurs de « Contact-J - Le mensuel juif de Belgique ». Dans «
Solidaire », l'organe du PTB (Parti du travail de Belgique, extrême gauche),
Raed Atieh, responsable d'un projet pédagogique Palestine pour Oxfam, déclare,
lui : La presse belge, à de rares exceptions près, a franchement pris position
en faveur de l'Etat d'Israël. (...) En tant que membre de l'OLP, j'ai envoyé
plusieurs mises au point aux journaux belges, dont « Le Soir », mais aucune n'a
été publiée. C'est vous dire toute la puissance du lobby sioniste en Belgique,
comme partout ailleurs en Europe d'ailleurs.
Et Serge Dumont, à son dernier
passage en Belgique, nous racontait qu'un chef du Fatah avait récemment déclaré
qu'il flinguerait le premier journaliste israélien qui se pointerait à
Bethléem...
Le droit international et les droits de l'Homme
Cependant,
Baudouin Loos en sait quelque chose, c'est surtout du côté des Juifs de Belgique
(qui seraient, selon lui, entre 40.000 et 50.000, dont 10 à 15 % très politisés)
que viennent les attaques : Depuis douze ans que je couvre le conflit
israélo-arabe, je suis soumis à un tir de barrage régulier, avec des temps forts
et des temps faibles. Quand on critique Israël, c'est comme si on était
antisioniste... et donc antisémite au fond de soi-même. On m'accuse d'inciter à
la haine d'Israël et donc à l'antisémitisme - et je crois que la plupart de ces
critiques sont sincères, mais, selon moi, évidemment erronées. Moins ingénus,
d'autres font simplement leur travail de « lobbyistes »
pro-israéliens.
Blessé par certaines attaques (qui aime entendre traiter ses
articles de pestilentiels, par exemple ?), Baudouin Loos tient à préciser qu'il
vient de se rendre pour la dix-neuvième fois en Israël, qu'il a lu au moins cent
livres et d'innombrables articles sur le sujet, rencontré des centaines de gens
de tous bords. J'ai vraiment l'impression de bien connaître le sujet. Sa ligne
de conduite ? Mes analyses sont faites à l'aune du droit international
(conventions de Genève, résolutions de l'ONU, accords israélo-arabes) et des
droits de l'homme. Les ennuis que j'ai avec nombre de régimes arabes en
témoignent par ailleurs.
Pierre Lefèvre, rédacteur en chef, renchérit : Je
veille à ce que notre devoir de pluralisme et d'objectivité soit parfaitement
rempli et que nous ouvrions nos colonnes à l'ensemble des tendances. Il
reconnaît toutefois que nous prenons position dans nos commentaires dans la
mesure où il nous semble qu'il y a une profonde injustice quant au sort du
peuple palestinien à la fois en termes humains, sociaux, économiques, politiques
et de respect du droit international. Et il précise : Nous nous permettons
d'être exigeants avec l'Etat israélien dès lors qu'il nous est culturellement
proche, qu'il se revendique des valeurs humanistes largement partagées par le
monde occidental et qu'il s'affiche comme une démocratie. Nous dénonçons bien
entendu aussi toutes les formes d'agression incompatibles avec la paix, que ce
soient des actes de terrorisme palestiniens ou la poursuite des colonies de
peuplement dans les territoires
occupés.
10. Au cours d'une session du "Forum de la Liberté",
des journalistes lancent un appel en vue d'une couverture plus dense des drames
vécus par les réfugiés palestiniens, avec moins d'insistance sur la difficulté
de trouver une solution et les violences par Samir Nasif
in Al-Quds
Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du samedi 24 mars
2001
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Londres - L'association "Freedom Forum"
(Forum des Libertés) a organisé, à son siège londonien, une rencontre axée sur
"Israël et les Palestiniens : entendons-nous la vérité ?", à laquelle ont
participé des journalistes britanniques, européens et arabes travaillant dans
les différents secteurs médiatiques (presse écrite, télévision, radio,
etc...)
Les débats ont rapidement abordé la question de la couverture
médiatique du conflit arabo-israélien et celle de savoir si l'image produite par
cette couverture médiatique reflète bien la réalité objective, ou s'il était
nécessaire d'y apporter certaines corrections.
Il s'agissait de la première
d'une série de rencontres visant à améliorer le niveau de la couverture
médiatique des problèmes du monde, sous le titre général de "couverture des
événements mondiaux", sous la direction d'Anabell MacOldrick et de Jack Lynch.
Tim Loyeln, ancien correspondant de la BBC, a insisté lors de son
intervention sur l'importance qu'il y a à densifier les programmes
informationnels et documentaires et d'aborder les événements mondiaux de manière
équilibrée. Il a critiqué les chaînes de télévision, d'une manière générale, qui
n'accordent pas à ce nécessaire équilibre la même importance que par le passé.
Il a critiqué également la tendance à couvrir les informations militaires et les
résultats des opérations (tels que les dégâts, les victimes, morts et blessés
des bombardements, par exemple) et le sensationnalisme. Il a mis en cause les
expressions employées de manière sélective pour décrire les catégories couvertes
médiatiquement afin d'orienter l'opinion de l'auditeur de manière tendancieuse.
Ainsi, on emploie des termes tels qu'"extrémistes"ou "terroristes" pour désigner
les Palestiniens, sans que ces termes ne soient employés pour décrire ceux qui
usent de violence à l'encontre des Palestiniens, comme certains responsables
israéliens qui ont bâti leur carrière sur la terreur. Il a dit avoir le
sentiment que la couverture médiatique assurée par la BBC est sous l'influence
d'orientations officielles, même si elle s'efforce d'y échapper.
Le
responsable des questions arabes du journal Al-Hayat, Mahir Othman, s'est dit
d'accord avec Loyeln, insistant à son tour sur les expressions lourdes de
connotations politiques et raciales, faisant allusion à certains bulletins
d'information qui parlent de l'accroissement des colonies israéliennes comme
s'il s'agissait d'un phénomène naturel, ou qui tentent d'en dissimuler
l'illégalité ainsi que celle, d'ailleurs, de l'occupation de territoires
palestiniens. Il a relevé, par exemple, que l'expression "territoires
palestiniens" s'était substituée au fil du temps à celle de "territoires
palestiniens occupés", comme si le qualificatif "occupé" avait été occulté à
dessein, insistant sur l'importance qu'il y a à attirer l'attention de
l'auditeur sur la ségrégation raciale pratiquée par Israël à l'encontre des
Palestiniens. Il a montré également toute l'importance qu'il y a à insister sur
le contexte ayant entraîné les violences, notamment les abus contre les droits
de l'homme, et à ne pas exposer les violences en question sans y faire
référence.
L'écrivain palestinien Saïd Abu al-Rish a indiqué que la création
de l'Autorité palestinienne, et la densification des informations concernant
cette dernière et ses activités, ont empiété sur la couverture des nouvelles
concernant le peuple palestinien, qui souffre et dont la souffrance n'est pas
couverte médiatiquement de manière idoine : les nouvelles de l'Autorité
occupent, en quelque sorte, la tribune d'où les Palestiniens devraient pouvoir
exprimer leurs souffrances.
Le représentant de notre journal, al-Quds
al-Arabi, a exprimé son accord avec ses collègues sur la nécessité d'assurer une
couverture suffisante des informations concernant directement le peuple
palestinien, indiquant qu'il était absolument nécessaire de développer les
programmes et les enquêtes documentaires sur la situation avilissante et
infamante que vivent les réfugiés palestiniens dans les camps répartis dans
l'ensemble des pays arabes, y compris, et non pas seulement, les territoires
occupés.
Il répondait, en cela, à un journaliste qui avait critiqué la
focalisation des médias palestiniens sur l'importance du droit au retour des
Palestiniens dans leurs foyers, en application de la résolution 194 des Nations
Unies. Le correspondant de notre journal a alors posé la question de savoir si
traiter médiatiquement du droit au retour des réfugiés palestiniens était devenu
un tabou dont la transgression appelerait sanction, au moment où un million de
Juifs ont immigré de Russie en Israël, tandis qu'empiraient les difficultés
auxquelles les Palestiniens sont confrontés tous les jours dans leurs camps de
réfugiés, en Syrie, au Liban, dans les autres pays arabes et en Palestine même
!?
La discussion s'est ensuite focalisée sur le respect de la déontologie en
matière de couverture journalistique, notamment sur la question de savoir s'il
était inévitable de diffuser les informations disponibles telles quelles sans se
poser la question de leur véridicité.
Mais Jack Lynch, l'un des
organisateurs du forum, a montré que le choix des sujets, celui des personnes
interviewées et la façon de présenter leurs points de vue équivalent, dans bien
des cas, à un choix moral ou ontologique et qu'on ne saurait complètement faire
le départ entre ces différents choix, indiquant qu'il en allait de même de la
suppression de vues des runnings ou de passages des articles de la presse
écrite, qui peut relever parfois, de son point de vue, d'un authentique choix
moral, qui ne ressortit pas toujours à l'objectivité, et posant la question de
savoir quels critères intrinsèques d'une information écrite lui valaient
d'occuper les gros titres en première page, et quels raisons aboutissaient à un
certain mimétisme entre journalistes.
Mais Liz Dossett, journaliste de la
chaîne d'information en continu de la BBC, 24 Heures, a dit qu'il était
impossible de faire retour sur toutes les données historiques à l'occasion de
toutes les informations télévisées, comme la question de l'occupation des
territoires (même si nous comprenons bien que ce sont les Palestiniens qui
souffrent le plus de cette situation). Elle a poursuivi : "Nous nous efforçons
de donner une certaine insistance sur la nécessité qu'il y a à faire cesser les
violences, en en montrant le spectacle repoussant, et nous demandons toujours
pourquoi ces violences ne cessent-elles pas. Il s'agit peut-être là d'une forme
étrange de prise de parti, et peut-être devrions-nous plus poser la question des
facteurs qui ont abouti au déclenchement et à l'extension de ces violences, à
l'origine..."
Le commentateur norvégien Johan Galtunk, directeur de la
fondation humanitaire Transend, a pris la parole pour dire qu'il fallait que les
informations insistent sur les secteurs et les sujets sur lesquels les
Palestiniens et les Israéliens pourraient coopérer entre eux, dans le futur. Il
s'agit là, de son point de vue, de l'erreur d'Ehud Barak, qui a fait le
contraire, rappelant que cette même erreur avait été commise dans le cas du
traitement de la couverture médiatique du conflit en Irlande du Nord, au plus
fort des affrontements entre les catholiques et les protestants. Si l'on insiste
sur la haine entre les deux groupes sans aucunement faire mention de la réalité
vécue, qui montre que quatre-vingt cinq pour cent de la population de l'Irlande
du Nord n'aspirent qu'à une chose : la paix, et la fin des violence, on commet
une grave faute morale et déontologique. L'intervenant ne doute pas que les
différents sont nombreux entre Palestiniens et Israéliens et que la situation
dans les camps de réfugiés palestiniens est déplorable, inacceptable, mais il
pense qu'il faut écouter également le point de vue de la majorité silencieuse
qui aspire à la paix, et se demander : "les journalistes ne peuvent-ils
s'appesantir plus sur les solutions d'avenir, plutôt qu'axer leurs informations
sur la violence, la difficulté qu'il y a de s'entendre, l'absence de solution
?"
Bob Jobins, correspondant à la section internationale de la BBC, a
critiqué la position de Galtunk, en ces termes : "Personnellement, je peux haïr
la violence, mais si la violence est au coeur d'une information, je la livre
quand même" : je dois la livrer, je suis journaliste, avant tout, et pas
académicien ou bénévole dans une association humanitaire. Les journalistes
doivent opérer continuellement des choix, ils doivent effectuer des pas en avant
qui mettent leur vie en danger, afin de couvrir des informations comme ils
doivent le faire. Tous les auditeurs n'attendent pas le même type
d'informations. La couverture de situations de violence peut être vitale pour
des personnes encerclées, assiégées, en danger ; elle peut les prévenir sur ce
qui risque de leur arriver. Notre mission de journaliste n'est pas de régler les
problèmes, la solution des problèmes peut intéresser certains, mais ce n'est
certainement pas l'unique sujet sur lequel nous devrions nous focaliser.
Une
discussion animée s'est ensuivie, sur ce sujet, qui fut suivie de la projection
d'un reportage télévisé au cours duquel une personne d'une association
réunissant des familles israéliennes ayant perdu certains des leurs au cours des
guerres israélo-arabes successives appelait à mettre un terme à la haine entre
les deux peuples, pour donner un nouveau départ à leurs relations mutuelles sans
qu'il soit besoin d'une quelconque forme de pardon. Adel Darwish, journaliste
égyptien, s'est déclaré prêt à couvrir un sujet sur la solution au conflit le
jour où le celui-ci et la violence cesseraient d'empirer.
Mais lorsqu'il y a
violence, il faut bien la couvrir, sans s'enquérir des prises de position
qu'elle suscite, car "ce n'est pas notre boulot". Jack Lynch lui a répondu : "Et
quid si la couverture médiatique entraîne encore plus de violence, par son
insistance à mettre en exergue la haine et le désir de vengeance ?"
Bryan
Whiteker, responsable du Moyen-Orient au journal "the Guardian" a déclaré que sa
récente visite en Syrie et au Sud Liban lui avaient montré l'exagération autour
du problème du détournement des eaux de la rivière Hasbani, et du désir du
Hezbollah de faire franchir un degré à son escalade contre Israël.
Il a
ajouté que les opérations hydrologiques en cours au Liban ont commencé depuis un
certain temps, et qu'elles ont pour objectif d'amener de l'eau à certains
villages libanais qui en sont privés (à cause du pompage des eaux du Hasbani
dans le cours du Wazzani), et que ces travaux ne représentaient pas un réel
détournement des eaux de cette rivière, et certainement pas un motif pour une
nouvelle guerre.
Un autre document fut alors projeté, où l'on vit Guila
Sevirsky, l'une des militantes de l'Union des mères israéliennes pour la paix,
appelant à la fin de l'occupation israélienne de certains territoires de
l'Autorité palestinienne, et évoquant le black-out médiatique total imposé à la
dernière manifestation organisée récemment par cette association dans les rues
de Jérusalem, au cours de laquelle les femmes, entièrement vêtues de noir,
réclamaient la fin de l'occupation et de la haine entre les deux peuples.
Le
forum s'est conclu avec une allocution de Lynch, dans laquelle il a insisté sur
l'importance de traiter des solutions (aux conflits) dans leur couverture
médiatique, et de ne pas simplement insister sur les violence et les
difficultés.