1. Dans la Vieille Ville de Jérusalem, ne vous
rebellez pas, vous êtes filmés
Dépêche de l'Agence France Presse du
lundi 2 avril 2001, 12h06
JERUSALEM - Le policier israélien, fusil
M-16 en bandoulière, file à travers les ruelles de la Vieille Ville de
Jérusalem. Grâce à un imposant système de vidéo-surveillance, il est guidé, via
une oreillette glissée sous son casque, vers de jeunes "rebelles"
palestiniens.
Installé à l'occasion des fêtes de l'an 2000, et notamment pour
le pèlerinage du pape dans la Ville Sainte, le système s'avère être du pain béni
pour la police israélienne à l'heure de l'Intifada, où il faut surveiller une
population potentiellement insurrectionnelle.
Environ 420 caméras sont
disposées à travers le dédale de ruelles de la Vieille Ville, qui s'étend sur à
peine un kilomètre carré à Jérusalem-est.
Difficile de passer à travers ce
maillage vidéo, disposé tous les cinquante mètres sur les grands "axes", souvent
à chaque intersection, et parfois juste pour avoir l'oeil sur la porte, blindée,
d'une habitation juive installée en plein quartier musulman.
Près de la porte
de Jaffa, l'un des principaux accès à la Vieille Ville, un lampadaire a même
troqué sa lanterne pour un bouquet de quatre caméras.
Toutes ces caméras sont
reliées au quartier général de la police, situé dans le quartier arménien. Là,
un immense écran présente en permanence les images d'une bonne vingtaine
d'appareils.
Si les policiers de permanence repèrent un individu qu'ils
considèrent suspect, il leur suffit de "cliquer" sur la rue concernée pour
l'avoir immédiatement à l'écran, section par section. Les caméras filment 24
heures sur 24 et tout est enregistré.
"C'est très très fliqué. Un jeune qui
rentre avec une pierre, la police le sait dans les minutes qui suivent", observe
un résident étranger, installé depuis un an à Jérusalem.
"J'ai l'impression
d'être plus surveillé qu'un prisonnier dans sa cellule", proteste un jeune
Arabe, "né ici comme déjà mes parents et grands-parents". Assis sur le seuil de
sa porte, il lance un signe rageur vers une caméra.
Pas toujours bien
acceptées, certaines caméras ont été détruites au début de l'Intifada.
Pour
les occasions spéciales, comme lors des "journées de la colère" régulièrement
décrétées par les mouvements palestiniens, la police sort même les gros moyens
vidéo.
Un ballon de type Zeppelin survole alors la Vieille Ville avec des
caméras panoramiques suspendues à un filin.
"Elles prennent des images avec
un grossissement suffisant pour identifier un groupe de personnes ou la plaque
d'immatriculation d'une voiture", indique Shmuel Ben-Ruby, porte-parole de la
police de Jérusalem.
Pour compléter le dispositif lors de ces "journées
spéciales", un hélicoptère tourne autour de la zone. Et à terre, des policiers
filment toutes les entrées à la mosquée al-Aqsa. "C'est pour faciliter les
arrestations des terroristes", justifie M. Ben-Ruby.
"On a toujours été
surveillés de près", observe un vieux commerçant. "Mais là, on est dans un film.
C'est Hollywood!".
2. Le chercheur israélien Menahem Klein redoute un
conflit ethnique violent : "L'armée israélienne n'est qu'au service des colons"
par Alexandra Schwartzbrod
in Libération du samedi 31 mars 2001
Menahem Klein est chercheur à l'Institut de Jérusalem pour les études
israéliennes, et orientaliste à l'université de Bar-Ilan. Cet Israélien de
gauche porte un regard critique sur «le camp de la paix» en Israël et sur le
gouvernement Sharon. Pour lui, un «conflit ethnique très violent» se prépare
entre Israéliens et Palestiniens.
- La spirale de la violence se remet-elle en marche ?
- Israéliens et Palestiniens vont vers un conflit total, la situation ici
est très dangereuse. Le gouvernement Sharon considère Arafat et son équipe comme
les ennemis numéro un. Il veut casser l'Autorité palestinienne mais il échouera.
C'est vrai que, du fait du bouclage et de l'impossibilité de communiquer avec le
pouvoir central, des pouvoirs locaux se forment dans les territoires. Mais
ceux-ci essaient juste d'améliorer leur statut au sein de l'Autorité
palestinienne, ils n'entendent pas se rebeller contre Arafat. Contrairement à ce
que les Israéliens font savoir, l'Autorité palestinienne n'est pas près de
s'effondrer. Au contraire, le peuple palestinien est en train de s'unir autour
d'un seul objectif: la lutte pour la liberté. Le problème du gouvernement
israélien c'est qu'il est incapable d'analyser la situation du point de vue
palestinien, il garde un mode de pensée colonial. Les accords d'Oslo, qui
légitimaient l'occupation israélienne, sont bel et bien morts. Les Palestiniens
ne veulent plus entendre parler du moindre accord intérimaire. Et il n'y a pas
de retour en arrière possible. Sans volonté d'Israël d'en finir avec
l'occupation et de reprendre les négociations, il y aura un conflit. Et celui-ci
sera extrêmement violent à cause des colons. Car c'est eux qui dictent la
stratégie d'Israël, personne ne les envoie jamais promener. L'armée israélienne
n'est ainsi qu'au service des colons.
- Comment expliquez-vous le basculement à droite de la gauche
israélienne ?
- Le camp de la paix est en crise, c'est vrai. J'y vois deux raisons: le
comportement des Palestiniens, et notamment les attaques terroristes de ces
derniers temps; et aussi une mauvaise perception de ce qu'a été le processus de
paix. Par exemple, beaucoup croient que Barak a été très généreux et que les
Palestiniens ont cherché la guerre en refusant ses propositions, en d'autres
termes, que les Israéliens sont les gentils et les Palestiniens les méchants.
C'est faux, le camp de la paix a été induit en erreur par la campagne électorale
de Barak. Bien sûr, les Palestiniens ne sont pas exempts de reproches, mais il
est temps de dire que les Israéliens ont une grande part de responsabilité dans
la situation actuelle.
- Comment voyez-vous la suite ?
- Il y avait deux scénarios possibles: une guerre de libération, type FLN
algérien, ou un conflit ethnique comme en Macédoine. Le gouvernement israélien
refusant de considérer l'Intifada comme une guerre de libération, on s'achemine
vers un conflit ethnique entre juifs et arabes. Et c'est ce qui pouvait arriver
de pire. Les attaques terroristes en Israël en sont le signe, il n'y a plus de
«ligne verte» (ligne de séparation entre Israël et les Territoires), les
Palestiniens sont partis en guerre contre l'ensemble de la population
israélienne. C'est une tragédie. D'autant que, si le conflit devient ethnique,
les Arabes israéliens s'identifieront aux Palestiniens.
- Ariel Sharon contrôle-t-il la situation ?
- Non, je pense qu'il en perd le contrôle. Car il est tenu par les plus
radicaux.
- Quelle est la solution ?
- Il ne faut surtout pas que le gouvernement prenne fait et cause pour les
colons. Sinon, chacun deviendra un colon en Israël. Et il y a un urgent besoin
d'une force d'interposition internationale assortie d'un accord qui
contraindrait les Palestiniens à arrêter toute forme de violence en échange de
l'évacuation des colonies et des territoires par les Israéliens.
3. La haine radicalise les deux camps par
Baudoin Loos
in Le Soir (quotidien belge) du samedi 31 mars
2001
Plus rien ne semble devoir- être comme avant entre Palestiniens
et Israéliens. La nouvelle intifada palestinienne a six mois et son bilan se
révèle dramatique : 459 tués. Six Palestiniens l'ont encore été vendredi. Et
cent autres blessés. Vendredi, l'Autorité palestinienne a accusé les forces
israéliennes d'avoir commis un " crime barbare " et a dénoncé le " silence " de
la communauté internationale.
Parmi les morts de l'intifada, on compte aussi
69 Israéliens.
Ces six mois d'intifada ont engendré rage et désespoir dans
les deux camps, qui capitalisent jour après jour une haine devenue tout
simplement terrifiante envers l'autre.
Chez les Palestiniens, dont les villes
et villages vivent en état de siège permanent à divers degrés selon les
endroits, la population rumine sa misère aggravée dans un déroutant mélange de
détermination, de fatalisme et de ressentiment.
Les colons symbolisent ici
l'échec d'Oslo
Oslo [le processus de paix commencé en 1993] a été une erreur,
explique à Ramallah un médecin arborant une fière moustache poivre et sel. Tout
le monde vous le dira. Après huit ans, Israël nous occupe toujours et nous ne
contrôlons rien, ni la terre ni les frontières ni même notre eau; et les colons
juifs sont deux fois plus nombreux.
Les colons ! Objets d'une animosité
générale, ils focalisent, avec les soldats qui les protègent, l'amertume. Ils
symbolisent effectivement l'échec d'Oslo, donnant raison aux oiseaux de mauvais
augure qui avaient prédit le drame depuis des années.
On sent, ici, que
l'Autorité palestinienne n'a guère eu le choix : depuis cinq ans, elle
collaborait avec les services de sécurité israéliens dans la répression des
islamistes palestiniens, apparaissant de plus en plus comme l'auxi-liaire de
l'armée israélienne dans la protection des colons. Une image détestable pour
l'opinion.
Israël voulait que nous protégions ces colons juifs pour perpétuer
son hégémonie sur nous, s'indigne Hisham Mustapha, cadre supérieur au ministère
palestinien de l'Education. Nous refusons ce rôle, d'ailleurs plus personne ne
peut contenir la colère de la population. Vous avez ici tout un peuple, trois
millions d'âmes, en résidence surveillée
La question de savoir si le chef de
l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, dirige la révolte déclenche en général
une même réponse, comme le résume Mohammed Issa, qui vit à Karawat, un village
coupé du monde - n'étaient les chemins de traverse ou plutôt de montagne qui
multiplient la longueur des trajets par cinq : On peut dire qu'il n'y a pas de
stratégie, personne ne dirige rien, les gens en ont tout simplement marre de
l'occupation, des colons et des soldats et voilà pourquoi ceux-là sont
maintenant des cibles que tout le monde estime légitimes. Un discours entendu
maintes fois.
La militarisation de l'intifada, le remplacement graduel des
manifestations de lanceurs de pierres par l'activisme de groupes armés
islamistes ou proches de l'Autorité palestinienne a renforcé l'impression de
guerre. Aux pierres, l'armée des Juifs réplique avec des balles réelles; aux
tirs de kalachnikovs, elle répond avec des chars, des canons, des hélicoptères à
roquettes, nous lance un paysan empêché de rejoindre ses champs et en proie à
une vive colère.
« Les gens en ont tout simplement marre de l'occupation, des
colons et des soldats »
Autre constat inquiétant, alors que la terrible vague
d'attentats-suicides commis par le Hamas islamiste en 1996 avait rencontré un
soutien très minoritaire de la population qui venait à peine de connaître
l'évacuation par Israël de plusieurs villes palestiniennes, les attentats commis
par de jeunes kamikazes ces derniers jours en Israël même suscitent une certaine
compréhension. Nous ressentons un malaise à cet égard, explique Oussama, un
membre chevronné d'une organisation non gouvernementale agricole basée à El
Bireh, mais les gens, humiliés, sans travail, presque affamés, souffrent
tellement, qu'ils se disent que « eux aussi » doivent payer. Nous sommes les
agressés, voilà ce qu'on pense tous. Une phrase que la plupart des Israéliens,
atterrés et enragés par ce qu'ils appellent unanimement le terrorisme
palestinien, pourraient reprendre à leur compte...
L'absence apparente de
stratégie cohérente de l'Autorité palestinienne commence à gêner certains. Des
intellectuels se sont élevés contre la militarisation de l'intifada, des
citoyens ont pétitionné, à Ramallah, contre les tirs dirigés par des groupes
armés depuis leurs quartiers sur des colonies juives qui attirent sur eux les
représailles israéliennes disproportionnées.
Et d'aucuns, en haut lieu, se
sont émus de ces remous, puisque même Marwan Barghouti, chef à Ramallah du
Fatah, le principal mouvement politique palestinien qui s'est singulièrement
radicalisé, a repris à son compte l'idée de lancer des manifestations massives
pacifiques. Quelques marches ont eu lieu non sans succès. Mais rien n'indique
pour le moment que les groupes armés risquent de se heurter à l'Autorité
palestinienne. Plus question de faire la police pour Israël, répète-t-on
invariablement...
4. L'armée israélienne abat six Palestiniens
par Jeffrey Heller
Dépêche de l'agence Reuters du vendredi 30 mars 2001,
22h51
JERUSALEM - L'armée israélienne a tué par balle six Palestiniens à
l'occasion de graves manifestations en Cisjordanie et dans la bande de Gaza
coïncidant avec la Journée de la terre.
Accentuant sa pression sur Yasser Arafat pour qu'il mette fin à six mois
d'intifada, l'Etat hébreu a interdit aux ministres palestiniens siégeant à Gaza
de transiter par Israël pour assister à la réunion hebdomadaire du conseil des
ministres, qui a dû être annulée.
La tension était à son comble après une semaine endeuillée par des
attentats à la bombe palestiniens, des raids de représailles de l'aviation
israélienne à Gaza et en Cisjordanie et la demande américaine adressée aux
Palestiniens de tout faire pour arrêter la violence.
Vendredi marquait la Journée annuelle de la terre célébrant le 25e
anniversaire du massacre de six Arabes israéliens par Tsahal en 1976.
Les soldats israéliens ont ainsi abattu cinq Palestiniens lors de
manifestations à coup de jets de pierres à Naplouse (Cisjordanie), où quelque
10.000 personnes étaient descendues dans les rues.
Un sixième Palestinien a été tué d'une balle dans la tête à Ramallah,
également en Cisjordanie, après qu'un millier de personnes eurent marché sur un
barrage routier érigé par Tsahal.
Menaces du Hamas
Dans cette ville, la foule a incendié l'effigie du Premier ministre
israélien, Ariel Sharon, et scandé "Brigades, brigades !" en guise de soutien
aux kamikazes qui ont tué deux adolescents israéliens cette semaine.
La violence a gagné la vieille ville fortifiée de Jérusalem, où les
policiers sont intervenus contre des Palestiniens qui jetaient depuis un site
musulman voisin des pierres et de bouteilles sur des fidèles juifs priant devant
le Mur des lamentations.
A Hébron, les Israéliens ont tiré avec des blindés et à la mitrailleuse sur
des faubourgs palestiniens après avoir repéré deux Palestiniens armés dans un
secteur où une fillette israélienne de dix mois avait été tué cette semaine par
un tireur embusqué.
Plusieurs dizaines de manifestants ont aussi été blessés lors de
manifestations anti-israéliennes à Gaza.
Après une semaine de déchaînement de passions sous l'effet d'attentats
palestiniens et de raids d'hélicoptères israéliens, les manifestants se
comptaient par milliers et avaient pour mot d'ordre "Fin de l'occupation".
Le groupe palestinien Hamas a continué à faire monter la tension en
menaçant de répliquer par des "bombes humaines", sur tout le territoire
d'Israël, aux raids aériens israéliens de mercredi sur la Cisjordanie et la
bande de Gaza.
"Nous répliquerons par tous les moyens. Nous frapperons sur tout le
territoire d'Israël", a déclaré un dirigeant du Hamas, Ismaïl Haniyah au cours
de la manifestation de Gaza. "Les Israéliens ont des hélicoptères et de
l'artillerie mais nous avons des bombes humaines qui peuvent exploser
partout".
5. "L'Autorité palestinienne en tant que telle est
devenue une cible" Interview de Guy Bechor,
journaliste à "Ha'Aretz", islamologue, professeur à l'université de Hertzlyah
propos recueillis par Serge Dumont
in Le Soir (quotidien belge) du
vendredi 30 mars 2001
- Pourquoi Ariel Sharon n'a-t-il pas réagi plus tôt aux attentats
qui se sont produits depuis son accession au pouvoir ?
- Parce qu'il sait que l'opinion internationale l'attend au tournant. En
dépit des pressions exercées par la base du Likoud (son parti, NDLR) et par les
ministres de l'aile la plus à droite de son gouvernement, il a prôné la patience
tout en tentant, en coulisse, de nouer des liens personnels avec des dirigeants
palestiniens.
Cela n'a pas marché et il doit réagir aux attentats de ces derniers jours
car ceux-ci ont accentué la paranoïa de nombreux citoyens juifs d'Israël qui se
sentent agressés, insécurisés, entourés d'ennemis et menacés de toute part. Elu
grâce à son image d'« homme fort », Sharon ne peut pas laisser ce phénomène se
développer. Voilà pourquoi son gouvernement a approuvé mercredi sa nouvelle
politique dite « de riposte au terrorisme ».
- Selon la presse israélienne, des responsables de la Force 17 (la
garde prétorienne d'Arafat), Cyril Rajoub (le responsable de la branche
cisjordanienne du Service palestinien de sécurité préventive), ainsi que Marwan
Barghouti (l'un des chefs du Fatah de Cisjordanie) figureraient sur la liste des
personnes a « liquider » soumise à l'approbation du Premier ministre Sharon.
Est-ce exact ?
- Pour plusieurs chefs de la Force 17, c'est évident. Quant aux autres,
rien n'est officiel. En fait, nous sommes entrés dans une phase d'escalade et si
l'Autorité palestinienne (AP) en tant que telle n'avait jamais, jusqu'à présent,
été considérée comme une cible, ce n'est plus le cas aujourd'hui : l'AP est
devenue une cible. Certains de ses organes sont effectivement devenus des
objectifs répertoriés par Tsahal (l'armée de l'Etat hébreu, NDLR). Des centres
de la Force 17 ainsi que des sièges de services de sécurité palestiniens, entre
autres. Ceux-là seront détruits dans les semaines, voire dans les jours à
venir.
- Ariel Sharon croit-il vraiment que cela suffira à empêcher
d'autres attentats ?
- Certainement pas et ce n'est d'ailleurs pas non plus ce que pensent les
spécialistes du renseignement, qui s'attendent plutôt à une aggravation de la
situation. A un certain moment, celle-ci deviendra tellement intolérable
qu'Arafat et son entourage se transformeront alors également en cibles
potentielles. Je ne partage pas l'opinion couramment répandue en Israël selon
laquelle Arafat serait le « responsable de tout » car de nombreux éléments
extérieurs comme le Hamas ou le Djihad islamique ont une responsabilité dans les
attentats de ces derniers jours.
En outre, ces mouvements - y compris le Fatah (le parti d'Arafat, NDLR) -
sont divisés en courants antagonistes. Il y a des branches dites « de
l'intérieur » (des territoires palestiniens, NDLR) et d'autres, dites « de
l'extérieur », dont les politiques divergent. Il est donc difficile d'accuser
Arafat de tous les maux même si la majorité des Israéliens ne s'en privent
pas.
- « La majorité des Israéliens veulent un mur devant les
territoires » Le bouclage hermétique des territoires palestiniens ne
contribue-t-il pas plus que le reste à la recrudescence du terrorisme
?
- La majorité des Israéliens ne le pensent pas. Ils croient, au contraire,
que le bouclage est nécessaire. Ils estiment aussi que le moment est venu de
couper définitivement les ponts avec les territoires palestiniens et de
construire un mur entre Israël et les territoires. Ce qui signifie que les
ouvriers palestiniens ne pourront plus venir travailler en Israël et qu'ils
devront se débrouiller sans nous comme nous devrons apprendre à vivre sans
eux.
- Cette solution est-elle réaliste ? Est-elle simplement réalisable
?
- C'est en tout cas vers cela que nous nous dirigeons.
Bien sûr, dans l'immédiat, l'escalade en cours entraînera la multiplication
de nos opérations militaires dans les territoires, y compris dans les « zones A
» sous contrôle intégral de l'Autorité Palestinienne.
Dans ce cadre, nous n'entrerons sans doute pas dans les villes
palestiniennes mais nous conquérrons temporairement une colline ici ou une route
là-bas. En revanche, à terme, lorsque la situation se sera calmée, nous finirons
par évacuer les colonies et par nous séparer unilatéralement des Palestiniens.
C'est inéductable. Je sais que cette situation est difficile à comprendre à
partir de la Belgique mais si on commettait trois attentats-suicide par jour
dans les rues de Bruxelles, votre vision ne serait pas très différente de la
nôtre.
- La thèse du cabinet Sharon selon laquelle Arafat donnerait les
ordres aux poseurs de bombes vous semble-t-elle crédible ?
- Arafat a perdu beaucoup de son pouvoir et de son influence. Avant
l'intifada, il était à la fois un symbole et un dirigeant. Maintenant, il est
juste un symbole. Pour ce que j'en sais, il dirige encore la Force 17, mais
paradoxalement, les soldats d'élite ne lui demandent pas son autorisation pour
passer à l'action contre Israël. Disons que sur le papier, Arafat dirige encore
effectivement l'AP et que s'il le voulait vraiment, il pourrait, au terme de
quelques palabres, arrêter ceux de ses hommes qui commettent des attentats. Mais
en réalité, beaucoup d'éléments armés palestiniens se passent de son avis. En
outre, il n'a quasiment aucune influence sur le Hamas et sur le Djihad islamique
dont les activistes impliqués dans les attentats de ces derniers jours ont
pourtant été libérés des prisons palestiniennes avec son approbation.
6. Forte participation attendue à la commémoration de
la Journée de la Terre, aujourd'hui, dans un climat tendu par Ori
Nir
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 30 mars 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Le vingt-cinquième anniversaire des Journées de
la Terre des Arabes israéliens, au cours desquelles six manifestants protestant
contre les expropriations avaient été tués, sera célébré, aujourd'hui, dans un
contexte très tendu, créé par les émeutes sanglantes du mois d'octobre dernier
et l'intifada, qui poursuit son cours dans les territoires occupés. Tandis que
des dirigeants de la communauté arabe (d'Israël), qui se disent prêts à tout
faire pour prévenir toute explosion de violence, semblent s'attendre à ce que
les manifestations se déroulent sans heurts, les mêmes avertissent que toute
tentative d'intervention policière pourrait donner lieu à des débordements
incontrôlables.
Les responsable du Comité Supérieur Arabe de Surveillance
Nationale, fédération-parapluie non partisane des dirigeants de la communauté
arabe, ont appelé cette dernière à "conserver une approche digne à la
manifestation" et d'"éviter de se laisser entraîner à des provocations par la
police-si tant est qu'elle soit présente".
Les leaders, aux niveaux tant
national que local, ont eu des rencontres, au cours de la semaine écoulée, avec
des commandants des forces de police, le Premier ministre Ariel Sharon et le
Ministre de la sécurité publique, Uzi Landau, afin de trouver un moyen d'assurer
un "désengagement des forces en présence" entre manifestants et forces de police
en cas de nécessité.
Au cours d'une réunion avec le Chef de la Police, Shlomo
Aharonishki, les leaders arabes ont demandé qu'en cas de frictions entre les
manifestants et la police, on leur laisse la possibilité de dialoguer avec les
manifestants, sans violence policière. Parmi d'autres responsables, ceux de
Sakhnin ont rencontré le nouveau chef de la police du commissariat de Misgav,
tout proche, et à les entendre, ce dernier a indiqué qu'il était prêt à
maintenir ses forces hors de la ville lors du meeting central de commémoration
de ja Journée de la Terre, prévu cet après-midi.
Une grève générale a
été décrétée dans tout le secteur arabe. Les citoyens arabes n'iront pas au
travail, maintiendront fermées échoppes et entreprises, les enfants ne seront
pas admis à l'école (bien qu'il n'y ait jamais classe, le vendredi, en temps
ordinaire, pour la communauté arabe). La grève générale doit permettre à un
maximum de personnes de prendre part aux défilés et aux rassemblements planifiés
- et des leaders politiques de la communauté disent qu'elle permettra de mieux
contrôler les événements, en réduisant au minimum les risques de
débordements.
Les principales manifestations marquant la journée :
- un
grand rassemblement à Sakhnin, dans l'ouest de la Galilée, auquel participeront
des responsables locaux et des Arabes venus de tout Israël. Des Juifs y
participeront aussi pour marquer leur solidarité, avec La Paix Maintenant, parmi
les mouvements inscrits. Ce rassemblement est prévu devant le collège commun aux
localités de Sakhnin et de Arabé, où aboutiront deux cortèges qui quitteront
simultanément le centre des deux villages voisins. L'endroit a été choisi en
commémoration de trois victimes tombées là, le 30 mars 1976. Le principal
monument érigé à la mémoire des victimes de la première Journée de la Terre se
trouve à cet endroit.
- une marche et un rassemblement à Kfar Kana, près de
Nazareth, à dix heures du matin, environ. Un manifestant à été tué, dans cette
localité, en 1976, et une plaque commémorative apposée sur une maison du village
le rappelle.
- un olivier sera planté sur le territoire de la commune d'Umm
al-Fahm, sur les terres d'Al-Ruha, que le ministère de la défense avait planifié
de confisquer pour en faire un terrain d'entraînement pour les Forces
israéliennes de défense. Après de très dures manifestations de protestation
contre cette confiscation, les collectivités locales et le Ministère de la
défense étaient parvenus à un accord aux termes duquel les paysans étaient
autorisés à poursuivre l'exploitation de ces terrains.
- un olivier sera
planté dans chacun des villages non-reconnus, ainsi que des panneaux
indicateurs.
Plusieurs villages ont prévu de tenir leurs propres
rassemblements pour célébrer cette Journée.
Dans la communauté arabe prévaut
l'impression que, cette année, la Journée de la Terre connaîtra un hausse dans
le ton, due aux événements des six mois écoulés, dans les territoires, certes,
mais surtout à l'émeute du mois d'octobre dernier, qui s'est achevée sur un
bilan de treize manifestants arabes abattus par la police israélienne. Ce ne
sont pas moins de quatre-vingt trois pour cent, environ, des personnalités
d'opinion, tels que les journalistes, les enseignants, les leaders politiques et
autres, dans la communauté arabe, qui s'attendent à une escalade dans les
activités, mais pas nécessairement à des violences, d'après une étude réalisée
par Marktest-Mideast, un institut de sondages spécialisé dans l'étude de la
communauté arabe d'Israël.
Des experts qui suivent le développement de la
commémoration de la Journée de la Terre depuis 1976 pensent que la manifestation
de cette année pourrait représenter un test pour les personnalités d'un certain
âge, plutôt traditionnelles, tandis que la nouvelle génération cherche à
dynamiser le discours.
La tension entre les deux générations ne trouvera pas
nécessairement sa traduction dans une expression violente, mais plutôt dans une
sorte d'émulation dans les manières dont chacun des deux groupes tentent
d'influer sur l'organisation des manifestations. Les leaders plus âgés, et
reconnus, auraient désiré la tenue d'un unique rassemblement comme clou de
l'ensemble de la journée, de manière à réduire au maximum les risques
d'affrontements avec la police et à contrôler les événements.
La nouvelle
génération, en grande partie universitaire et engagée dans la société civile au
travers du bénévolat dans des ONG, aurait préféré des activités plus enracinées
dans les réalités locales, réparties dans l'ensemble de la communauté arabe,
tant en Galilée que dans le Sud. Leur succès se mesurera aujourd'hui au nombre
de manifestations spontanées se produisant dans les différentes localités de
Galilée et du Néguev, sortant de la routine des célébrations
traditionnelles.
Certains experts pensent que, cette année, la Journée de la
Terre, qui se produit au lendemain de l'émeute d'octobre 2000 et du boycott
massif des élections, représentera une étape majeure vers l'union d'une
communauté (arabe) trop longtemps divisée entre différentes appartenances
idéologiques, économiques et partisanes.
Le principal apport de la
célébration de la Journée de la Terre, dit Sarah Ossetzky-Lazar, du Centre pour
la Paix Givat Haviva, c'est "qu'il s'est, depuis toujours, agi d'une journée de
consensus, de la seule célébration civique, fériée, pour les Arabes d'Israël. Il
s'agit là de leur principale contribution, fondamentale, au concept plus général
de l'identité palestinienne".
7. Sharon : "Finie la retenue !" par Michel
Muller
in L'Humanité du vendredi 30 mars 2001
Les bombardements
israéliens de mercredi soir seront suivis d'autres.
Constitué mercredi, un
triumvirat composé du premier ministre Sharon et des ministres Shimon Peres et
Benjamin Ben Eliezer s'est donné tous les pouvoirs pour la répression du
soulèvement palestinien.
" L'époque de la retenue est terminée ", a proclamé
le premier ministre israélien, Ariel Sharon, mercredi soir au moment même où ses
hélicoptères, ses chars et même sa marine bombardaient la bande de Gaza et
Ramallah en Cisjordanie.
Les bombardements israéliens ont officiellement visé
la garde rapprochée du président palestinien Yasser Arafat, la " Force 17 ",
selon l'armée. Mais la résidence personnelle de Yasser Arafat a également été
frappée par un missile. Les bombardements ont provoqué la mort d'un garde et
d'une femme de trente ans frappée d'une balle de mitrailleuse lourde en pleine
rue à Ramallah. Soixante autres personnes ont été blessées. Les frappes, qui ont
duré une vingtaine de minutes, ont déclenché de très nombreux incendies et la
panique de la population. L'attaque la plus spectaculaire a été celle d'un dépôt
de carburant à Gaza à quelques centaines de mètres des bureaux de Yasser Arafat,
qui a provoqué une série d'énormes explosions. · Ramallah, le quartier général
local de la Force 17 a été carbonisé.
La logique qui sous-tend ces
bombardements, qualifiés de représailles contre les attentats du début de la
semaine, est particulièrement inquiétante. Sharon, les travaillistes Shimon
Peres, chef de la diplomatie et Benjamin Ben Eliezer, ministre de la Défense,
qui se sont accordé un blanc-seing, ont décidé, mercredi, d'intensifier la
guerre qu'ils ont lancée contre les Palestiniens. Le triumvirat israélien a
annoncé, mercredi soir, que les nouvelles agressions projetées ne seront " pas
seulement de ripostes à des attentats palestiniens, mais des actions offensives
ponctuelles ". Il est de plus en plus clair que pour ces dirigeants israéliens,
il s'agit de s'attaquer directement à l'Autorité palestinienne et à Yasser
Arafat et, dans le même temps, de lancer un processus de réoccupation rampante
des territoires palestiniens autonomes. " Nous n'avons pas l'intention de tuer
les chefs des Palestiniens, mais il est parfois nécessaire d'empêcher des
attentats ", a assuré le ministre israélien des Affaires étrangères, Shimon
Peres. Ce qui équivaut à une menace non déguisée : Sharon a répété mercredi soir
que le dirigeant palestinien était " resté un terroriste ". Et le ministre de la
Défense, Ben Eliezer, a confirmé : " Les raids sont un message adressé à Yasser
Arafat afin qu'il comprenne que notre patience est à bout. "
Une rhétorique
particulièrement perverse qui ne fera qu'encourager les opérations suicides
palestiniennes individuelles ou les attentats initiées par des organisations
extrémistes palestiniennes échappant au contrôle des forces de police régulières
de l'autorité palestinienne, paralysées par la répression israélienne et le
bouclage des villes et villages palestiniens.
Hier, deux adolescents (quinze
et dix-huit ans) qui lançaient des pierres contre des militaires israéliens ont
été tués d'une balle dans le cour au point de passage d'Erez, dans la bande de
Gaza. L'armée a affirmé que ses soldats ne faisaient " que se défendre " et
avaient " tiré uniquement dans les jambes " des enfants... un policier
palestinien a été par ailleurs abattu.
C'est à Hebron - où le tireur isolé
qui avait tué en début de semaine un enfant de colon âgé de dix mois, a été
arrêté par les policiers palestiniens - que la tension est la plus grave. Les
habitants de la colonie juive - une enclave israélienne de quelque 400 personnes
située au centre de cette ville palestinienne de 120 000 habitants - affirment
vouloir attendre que l'armée aille à la reconquête du quartier palestinien
d'Abou Sneineh qui surplombe la colonie. L'armée semble vouloir aller dans cette
direction, puisqu'hier encore les chars israéliens ont tiré sur ce quartier dont
les habitants ont été chassés.
De retour d'Amman hier matin à Ramallah, le
président palestinien a indiqué que l'agression israélienne constituait " le
début du plan de cent jours " de Sharon contre les Palestiniens. " Le peuple
palestinien continuera avec force et détermination son soulèvement jusqu'à ce
que le drapeau palestinien soit hissé sur les murailles, les mosquées et les
églises de Jérusalem, capitale du futur Etat palestinien, que cela plaise ou non
", a-t-il rappelé.
8. Interview de Fayçal Husseini : "Pas de retour à la
case départ" propos recueillis par Mirna Bassil
in Le Magazine
(hebdomadaire libanais) du vendredi 30 mars 2001
A Beyrouth la semaine
dernière pour participer au congrès de l'Union des avocats arabes, le
responsable palestinien chargé du dossier de Jérusalem, Fayçal Husseini, a
accordé une interview à Magazine. «Négocier avec Sharon est possible à condition
que les négociations soient reprises là où elles s'étaient arrêtées»,
déclare-t-il.
- Attendez-vous encore quelque chose des pays arabes six mois après
le début de l'intifada ?
- Nous souhaitons le soutien de tous les
pays arabes qui se traduirait par la rupture des relations diplomatiques avec
Israël. Ceci ne devrait pas être difficile en ce moment surtout que le Premier
ministre israélien Ariel Sharon a entamé la construction d'une nouvelle colonie
de peuplement dans le Golan occupé. D'autre part, Sharon revient au refrain que
la Jordanie est palestinienne, ce qui constitue une menace directe au régime
hachémite. Pour toutes ces raisons, les pays arabes devraient se ranger derrière
la position palestinienne. De plus, la rue arabe exige de ses gouvernements une
telle attitude. Adopter une position intransigeante à l'égard d'Israël aboutira
à l'échec du gouvernement de Sharon.
- Les Palestiniens veulent-ils faire la paix aujourd'hui
?
- Le peuple palestinien veut la paix mais pas la reddition. Dans
le premier cas, les deux parties sont égales dans leur droit et la relation
entre elles est régie par la loi. Dans le deuxième, une des deux parties
considère détenir tous les droits et la relation est alors dominée par la
logique de la force.
- Vos partenaires d'Oslo sont-ils prêts à faire la paix
?
- Le peuple israélien, dans son for intérieur, veut la paix comme
n'importe quel autre peuple au monde. Mais certains responsables politiques
israéliens veulent réaliser leurs rêves. Ils croient que grâce à la supériorité
militaire de leur pays ils pourront imposer leurs visions politiques. De ce fait
résultent, en réalité, un chaos complet dans la rue israélienne et une
inquiétude sur la situation politique en Israël. C'est un terrain fertile pour
le développement de l'extrémisme sur l'échiquier politique israélien.
- Etes-vous prêt à négocier avec Sharon et est-ce possible
d'arriver à un arrangement avec lui ?
- Négocier avec Sharon est
possible à condition que les négociations soient reprises là où elles s'étaient
arrêtées avec l'ancien Premier ministre israélien Ehud Barak. Impossible de
retourner à la case départ. Les négociations sont possibles surtout que le
dossier de Jérusalem n'est plus un tabou. Il a été abordé lors du sommet de Camp
David II, en août dernier.
- Quelle est votre solution pour la Ville sainte ?
-
Qu'Israël admette que les frontières entre Jérusalem-Est et Jérusalem-Ouest sont
bien celles du 4 juin 1967. C'est seulement dans ce cas que les Palestiniens
admettront à leur tour des frontières ouvertes divisant la Ville sainte en deux
capitales. L'une, Jérusalem-Est, serait sous souveraineté palestinienne;
l'autre, Jérusalem-Ouest, serait sous souveraineté israélienne. Ensuite, il
serait temps de se retrouver autour d'une table pour parler des problèmes qui
pourraient résulter d'un tel accord comme, par exemple, les visites des Lieux
saints juifs dans la partie est et des Lieux saints chrétiens et musulmans dans
le quartier ouest. Le dossier de Jérusalem n'est pas une affaire palestinienne;
il concerne aussi tous les musulmans et les chrétiens.
- Ce qui a déclenché l'intifada, c'est la visite de Sharon sur
l'esplanade des Mosquées. N'était-ce pas justement pour démontrer
l'indivisibilité de Jérusalem ?
- Au contraire. La visite de Sharon
sur l'esplanade des Mosquées a consacré la divisibilité de la Ville sainte. A
tel point que de nombreux Israéliens ont commencé, dès ce moment-là, à parler
non pas de deux capitales dont les frontières seraient ouvertes, mais de deux
capitales complètement séparées l'une de l'autre.
- Sharon réclame l'arrêt de la violence dans les territoires. La
présidence palestinienne a-t-elle le pouvoir d'arrêter ces violences
?
- Un bulldozer qui détruit une maison, c'est de la violence. Un
bulldozer qui perce une route sur une terre réquisitionnée, cela s'appelle aussi
de la violence. La violence n'est pas seulement militaire; elle est aussi
politique.
- Et la question des réfugiés palestiniens ?
- Il
régnait une panique en Israël quand le dossier du droit au retour des réfugiés
palestiniens a été évoqué. Les Israéliens craignaient un retour en masse des
Palestiniens. Aujourd'hui, on a réussi à transformer la panique en une simple
peur. Ça promet.
9. Sous les bombes à Ramallah par Baudoin
Loos
in Le Soir (quotidien belge) du jeudi 29 mars
2001
Maha, notre guide, membre d'une ONG palestinienne, avait insisté : ses
parents allaient- nous recevoir en cette fin de journée et offrir le thé. Réunie
devant le téléviseur, la famille venait d'assister dans un silence pesant au
journal en arabe de la télévision israélienne relatant les attentats
palestiniens du jour quand, peu après, une terrible explosion retentit, comme si
elle s'était produite là, à quelques pas de l'immeuble. En un éclair, toute la
ville se retrouva dans le noir.
Les cris des enfants apeurés avaient à peine éclaté que d'autres
explosions, moins puissantes, déchiraient la nuit. De la fenêtre, on distinguait
clairement l'impact des roquettes tirées à partir de deux hélicoptères, des
Apache : nous n'étions qu'à quelques centaines de mètres des bâtiments
visés.
C'est un casernement de la " Force 17 " (la garde personnelle d'Arafat)
s'écria quelqu'un. Une accalmie se rompit brutalement par une nouvelle série
d'explosions. Ils se vengent, dit le père de notre guide, tout en grondant sa
cadette qui s'approchait de la fenêtre.
Les habitants mâles de l'immeuble se retrouvèrent devant l'entrée, comme
pour mieux sentir le danger. De hautes flammes signalaient un incendie sur le
site visé. Un voisin, membre des forces de sécurité, expliquait à qui voulait
l'entendre que toutes les cibles potentielles avaient été évacuées. Une radio à
piles promptement allumée donnait les premières informations sur une chaîne
palestinienne : au même moment, l'armée israélienne avait frappé à Gaza, à KHan
Younès, à El Bireh et à Ramallah.
Après environ une demi-heure, le calme sembla revenir. Une grand-mère
surgie d'un autre étage nous apostropha d'un ton peu amène : Dommage que je ne
connais pas un mot d'anglais, car je vous aurais fait comprendre ce que je pense
du soutien de l'Occident à Israël. Avec prudence, nous nous fîmes- l'avocat de
ce qui est bien ici ressenti comme le diable et évoquâmes la vague actuelle
d'attentats, une audace vite regrettée : Mais Monsieur, qui nous occupe, nous
vole, confisque nos terres, notre eau, nous enferme dans des prisons à ciel
ouvert ?
Yehya, notre chauffeur, nous proposa opportunément de rentrer à Jérusalem,
un court trajet qu'il effectuera sans phares. Mais la nuit était claire. Et le
ciel magnifique, avec des centaines d'étoiles et un croissant de lune
majestueux. Quel beau pays, non ?, nous dit-il dans un frisson.
10. Paris critique les raids israéliens contre des
localités palestiniennes
in Le Soir (quotidien belge) du jeudi 29 mars
2001
La France a critiqué jeudi les raids israéliens de la veille contre les
localités palestiniennes de Ramallah et dans la bande de Gaza, estimant qu'ils
ne contribueront certainement pas à l'apaisement des tensions.
La reprise des bombardements contre des localités palestiniennes ne
contribuera certainement pas à l'apaisement des tensions et à la nécessaire
recherche d'une solution politique, a déclaré le porte-parole adjoint du quai
d'Orsay Bernard Valéro. L'urgence est à la désescalade et à la reprise du
dialogue pour mettre un terme aux souffrances des populations de la région,
a-t-il ajouté.
Les raids d'hélicoptères israéliens mercredi soir sur Ramallah
(Cisjordanie) et la bande de Gaza, qui visaient des positions de la Force-17, la
garde personnelle du président de l'Autorité palestinienne Yasser Arafat, ont
fait deux morts, et plus de 60 blessés.
Ces raids ont été lancés après trois attentats palestiniens, dont deux
revendiqués par des mouvements islamistes, en 24 heures en Israël, qui avaient
coûté la vie à deux lycéens et blessé au total près de 40 Israéliens. Deux
autres avaient été déjoués. Mercredi, le quai d'Orsay avait condamné la
succession d'attentats en Israël et dans les Territoires palestiniens, et avait
appelé les deux parties à tout faire pour enrayer le cycle de la violence et à
ne pas céder à la tentation du pire.
11. Un nouveau langage de paix pour le Proche-Orient
par John V. Whibeck (avocat international)
in Le Soir (quotidien belge) du jeudi 29 mars
2001
Les mots que l'on emploie peuvent souvent, de manière inconsciente, avoir
un impact décisif sur les pensées et les attitudes de ceux qui écrivent et
parlent, comme sur ceux qui écoutent et lisent. Une terminologie induisant
dangereusement à l'erreur demeure ainsi un obstacle véritable à toute paix entre
Israël et la Palestine.
Il est habituel de voir les parties d'un conflit utiliser une terminologie
qui favorise leur propre point de vue. A cet égard, Israël a réussi à imposer
son propre vocabulaire de manière spectaculaire, non seulement auprès de la
population israélienne et dans les usages américains, mais aussi, de manière
encore plus étonnante, auprès d'une partie des commentateurs arabes. De façon
évidente, des termes comme « terrorisme », « sécurité », « Eretz Israël » ou «
Judée et Samarie » se sont incrustés dans le vocabulaire.
De manière subtile, cette manipulation linguistique s'étend pourtant encore
plus loin et elle finit par avoir un impact négatif profond sur la perception
des questions les plus substantielles.
Il est souvent question, par exemple, de « concessions » demandées à ou
proposées par Israël. Ce mot suppose cependant l'abandon d'un droit ou d'une
prise de position légitime. En réalité, c'est Israël qui demande de nombreuses
concessions à la Palestine, et non le contraire. Ce que la Palestine recherche,
c'est la « mise en conformité » avec des accords déjà signés, avec le droit
international, avec les résolutions des Nations unies, rien de moins, rien de
plus. La mise en conformité n'est pas une concession. C'est une obligation
légale et morale. Pour l'Irak, toute autre solution que la mise en conformité
totale équivaut à un « défi », du moins dans l'esprit des Etats-Unis.
(...)
La manipulation du langage a un impact négatif profond sur la perception
des questions substantielles
Nonobstant l'acceptation certes longuement
retardée, mais totale néanmoins, de la part d'Israël des résolutions des Nations
unies au sujet de ses frontières avec l'Egypte, la Jordanie ou le Liban, la
majorité des Israéliens croient encore, encouragés par toute une série
d'administrations américaines, que la paix avec la Palestine peut être réalisée
sans une telle mise en conformité. Une telle éventualité est fort peu probable :
combien de morts faudra-t-il de part et d'autre avant que la logique implacable
de la « mise en conformité » remplace celle, faussement généreuse, des «
concessions » ?
Les territoires palestiniens conquis par Israël en 1967 sont de même
souvent décrits comme « contestés », alors qu'ils ne le sont pas du tout. Ils
sont « occupés » et qui plus est, de manière illégale. Tandis que la
souveraineté exercée sur la zone élargie de Jérusalem-Est demeure explicitement
contestée, aucun des 192 Etats souverains qui existent dans le monde n'a
d'ailleurs accepté la position israélienne sur ce point. La souveraineté de la
Palestine sur la bande de Gaza et le reste de la Cisjordanie est, au sens propre
comme au sens légal, incontestée.
En réalité, Israël n'a jamais prétendu annexer ces territoires. Depuis le
15 novembre 1988, lorsque l'existence de l'Etat palestinien et son indépendance
ont été formellement proclamées, le seul Etat prétendant posséder la
souveraineté sur les parties de la Palestine historique occupée par Israël en
1967 (à l'exception de Jérusalem-Est élargie) est en effet l'Etat de Palestine,
un Etat reconnu comme tel par plus de cent autres pays.
Des commentateurs de tous bords évoquent la « cession » de territoires par
Israël à la Palestine (si ce n'est « aux Palestiniens », puisqu'on refuse
communément d'admettre que la Palestine existe). Ce mot laisse supposer qu'il y
aurait transfert de ces territoires de la part de leur légitime propriétaire.
Or, à moins qu'il ne soit question, dans un futur accord de paix, d'échanges de
territoires, le principe même de « cession » de la part d'Israël ne se pose pas.
Israël peut en effet se retirer des territoires occupés, ou céder le contrôle
administratif de ces zones; mais pour « céder » une propriété, l'on doit dans un
premier temps en être son propriétaire légitime. Israël ne peut davantage céder
la souveraineté des territoires palestiniens occupés qu'un squatter ne peut
céder la propriété d'un appartement qu'il occupe illégalement. En réalité, c'est
Israël qui insiste pour que la Palestine cède des territoires qui lui
appartiennent manifestement, et ce, sur une partie des maigres 22 % de la
Palestine historique non occupée avant 1967. Est-ce bien raisonnable ? Est-ce
bien une attitude qui correspond à une véritable recherche de la paix ?
L'emploi de termes induisant en erreur a été particulièrement destructeur
dans le cas de Jérusalem. Depuis des années, des hommes politiques israéliens
répètent, tel un mantra, la phrase « Jérusalem doit rester unie sous la
souveraineté israélienne ». Dans ce climat, il est compréhensible que les
Israéliens pensent que leur Etat possède la souveraineté sur Jérusalem. Tel
n'est pas le cas. Il n'en possède que le contrôle administratif. Alors qu'un
Etat peut obtenir le contrôle administratif d'un territoire par la force des
armes, il ne peut en acquérir la souveraineté (l'équivalent, pour un Etat, de la
propriété) sans l'accord de la communauté internationale.
L'emploi de termes induisant en erreur a été destructeur dans le cas de
Jérusalem.
La position de la communauté internationale est claire et sans
ambiguïté : Israël occupe Jérusalem-Est sur le plan militaire et n'a qu'une
autorité de facto sur Jérusalem-Ouest. Le refus de la quasi-totalité des pays (y
compris des Etats-Unis) de reconnaître Jérusalem-Ouest comme capitale d'Israël,
qui va de pair avec le maintien de l'ensemble des ambassades (à l'exception de
celles de Costa-Rica et du Salvador) à Tel-Aviv, illustre, de manière probante,
le rejet par la communauté internationale de la reconnaissance d'une quelconque
souveraineté d'Israël sur Jérusalem, en attendant un accord définitif sur cette
ville.
En réalité, la seule manière envisageable pour Israël d'obtenir un jour une
telle souveraineté serait de trouver un accord juste et équitable visant à la
division ou au partage de la ville avec la Palestine, et que cet accord soit
accepté par la communauté internationale.
La distinction est d'une importance fondamentale pour l'opinion publique
israélienne d'un point de vue intellectuel et psychologique. Il y a en effet une
différence capitale entre un dirigeant qui obtiendrait, pour la première fois en
deux mille ans, une souveraineté juive sur Jérusalem, et celui qui serait perçu
comme ayant sacrifié une partie d'une telle souveraineté. Cela pourrait
signifier pour lui la vie ou la mort.
Un mot trop rarement utilisé dans le contexte du « processus de paix » est
celui de « justice ». Pour des raisons évidentes, ce terme n'est jamais employé
par les hommes politiques israéliens ou américains dans le contexte de la
version de la « paix » qu'ils ont à l'esprit. Une paix véritable et durable, à
la différence d'un arrêt temporaire des hostilités, est pourtant inconcevable si
la justice n'est pas au rendez-vous pour les deux parties du conflit.
Il est temps pour toutes les parties concernées d'accepter ces réalités
pourtant évidentes. Si un « nouveau langage de paix » peut être instauré pendant
la période Sharon, les mois difficiles à venir ne seront pas perdus et une paix
véritable, durable, pourra enfin être construite par la suite.
12. Sharon fait fausse route par Victor
Cygielman
in Le Nouvel Observateur du jeudi 29 mars 2001
Pour l'ancien ministre de la Justice d'Ehoud Barak, le gouvernement Sharon
a tort de refuser le déploiement d'un corps d'observateurs de l'ONU dans les
territoires occupés. Et sans une relance du processus de paix, toute coopération
dans le domaine de la sécurité sera impossible. Porte-parole des colombes du
Parti travailliste et artisan majeur du processus d'Oslo, Yossi Beilin a été,
après la victoire d'Ariel Sharon, l'un des principaux opposants à la
participation de son parti au gouvernement d'union nationale proposé par le
Likoud. Choix qui l'a amené à entrer en conflit ouvert avec l'homme dont il
avait été des années durant le proche collaborateur, Shimon Peres, aujourd'hui
ministre des Affaires étrangères de Sharon. Devenu chef de file de l'opposition
au sein du Parti travailliste, il juge sévèrement les premières décisions du
nouveau gouvernement israélien.
Le Nouvel Observateur. - Au nom du gouvernement Sharon, Shimon
Peres vient de se prononcer contre le déploiement d'observateurs des Nations
unies dans les territoires occupés. Qu'en pensez-vous ?
Yossi Beilin. - Je ne comprends pas l'attitude du gouvernement. De toute
façon, il y a déjà des observateurs internationaux sur place - les médias. Et ce
que les médias montrent au monde, c'est le David palestinien face au Goliath
israélien. Israël affirme que les membres de ses forces de sécurité n'ouvrent le
feu qu'en cas de légitime défense. En ce cas, nous avons tout intérêt à prouver
au monde que nous ne faisons que nous défendre. Et nous devrions approuver la
présence d'observateurs objectifs qui circuleraient sur le terrain et rendraient
compte de ce qui s'y passe. Israël a tort d'apparaître dans cette affaire comme
la partie qui redoute la présence de témoins. Je vous rappelle, de toute
manière, que des observateurs de l'ONU se trouvent ici depuis 1948. Ils sont
déployés à Jérusalem et sur la frontière israélo-libanaise. Si le déploiement
d'un nouveau groupe d'observateurs peut contribuer à rétablir le calme dans les
territoires, s'y opposer est un non-sens. Les Palestiniens réclament leur
présence. Souhaitons-leur la bienvenue. Nous n'avons rien à cacher.
N. O. - Est-ce bien vrai ? Le blocus instauré par le gouvernement
Sharon rend quasiment impossible toute circulation libre entre les villes et les
villages palestiniens. Les tirs sur les lanceurs de pierres ont fait jusqu'ici
près de 370 morts palestiniens, dont un quart étaient des enfants de moins de 16
ans. Et je ne parle pas des tracasseries sans fin aux barrages militaires...
Y. Beilin. - Certaines mesures sont en effet excessives et devraient être
réexaminées.
N. O. - L'un des arguments avancés par ceux qui s'opposent à la
présence des observateurs est que leur déploiement sur la « ligne verte » qui
sépare Israël des territoires occupés risquerait de figer le tracé de cette
ligne, donc d'apparaître comme une approbation de la position des Palestiniens
qui réclament le retrait d'Israël derrière cette frontière.
Y. Beilin. - Pas nécessairement. Les observateurs pourraient en réalité
être déployés sur les points de tension et d'affrontement. Si, au lieu de
rejeter en bloc leur présence, Israël en acceptait le principe, nous pourrions
discuter des conditions de leur déploiement et de la nature de leur rôle. Je
pense d'ailleurs que le moment est venu de nous débarrasser de notre méfiance à
l'égard de l'ONU. Ce rejet des observateurs, cette peur du Conseil de Sécurité
et d'une solution imposée remontent au temps de la guerre froide, lorsque les
deux grandes puissances, les Etats-Unis d'Eisenhower et l'URSS de Boulganine,
forcèrent Israël à se retirer du Sinaï après la guerre de 1956. Le monde a
changé. Il faut cesser d'être parano...
N. O. - ...Même face à la candidature de la Syrie à un siège au
Conseil de Sécurité de l'ONU ?
Y. Beilin. - Oui. Sur ce point aussi, je suis en désaccord avec le
gouvernement Sharon. Au lieu de s'opposer par principe à la présence syrienne
dans le Conseil de Sécurité des Nations unies, il me semble qu'il serait plus
judicieux d'y mettre des conditions : la Syrie devrait, par exemple, s'engager à
ne plus encourager la tension à la frontière israélo-libanaise et à cesser son
soutien aux terroristes du Hezbollah. Ce serait dans l'intérêt d'Israël. Et si
la Syrie acceptait ces conditions et respectait ses engagements, j'estime qu'il
ne faudrait pas s'opposer à la présence de Damas au Conseil de Sécurité.
N. O. - Même au sein du camp de la paix, des voix affirment
aujourd'hui que le processus d'Oslo doit être interrompu car, en exigeant
d'Israël l'acceptation du droit au retour pour les réfugiés, les responsables
palestiniens disent en clair : nous voulons la fin de l'Etat juif.
Y. Beilin. - Je ne pense pas que cette crainte soit fondée. Les accords
d'Oslo, signés par Arafat et Rabin, expriment une reconnaissance mutuelle,
débouchant à terme sur la naissance d'un Etat palestinien aux côtés de l'Etat
israélien. Je pense que les Palestiniens, tout comme plusieurs Etats arabes
d'ailleurs, se sont résignés à la présence d'Israël dans la région. Pas par
conversion au sionisme ou par amour pour nous, mais par acceptation de la
réalité, des faits. C'est vrai, dans les manuels scolaires palestiniens, il n'y
a pas un mot sur Israël, pas une seule carte d'Israël. Il en va de même pour les
manuels scolaires égyptiens et jordaniens. Cela veut dire que la paix entre
Israël et ces deux pays arabes n'existe pas, qu'elle n'est pas une réalité
concrète, inscrite dans les faits.
Je regrette la façon dont Israël est présenté dans les écoles arabes, je
pense qu'il faut travailler pour que cela change. Mais ce n'est pas nouveau. Le
combat mené par les sionistes pour faire reconnaître par les pays arabes le
droit à l'existence d'Israël a commencé il y a longtemps. Cela ne veut pas dire
que nous devons mettre un terme à nos efforts pour atteindre la paix. Et cela
même si nous rejetons telle ou telle demande palestinienne que nous jugeons
inacceptable. Je pense d'ailleurs que les dirigeants palestiniens comprennent
fort bien que nous ne pouvons accepter des revendications - telles que le droit
au retour des réfugiés - dont l'application bouleverserait l'équilibre
démographique d'Israël, menaçant la survie de l'Etat juif. Survie qui dépend du
maintien d'une majorité juive, aujourd'hui comme demain.
N. O. - Les dirigeants palestiniens le comprennent peut-être, mais
le peuple palestinien est-il prêt à l'accepter ?
Y. Beilin. - Je le pense. Les Palestiniens le savent : s'ils persistent à
revendiquer le droit au retour des réfugiés en territoire israélien, c'est comme
s'ils disaient : il n'y aura jamais de paix ici.
N. O. - Certains dirigeants palestiniens estiment que l'article du
futur accord de paix traitant du problème des réfugiés devrait avoir deux
paragraphes : le premier affirmant qu'Israël reconnaît le droit des réfugiés à
choisir entre le retour et la compensation financière ; le second indiquant que
l'application pratique de ce droit doit être mise au point au cours de
négociations entre l'Etat d'Israël et le futur Etat palestinien...
Y. Beilin. - Beaucoup de formules peuvent être discutées. Aux pourparlers
de Taba [en janvier, interrompus par les élections israéliennes qui ont vu
Sharon triompher de Barak], nous étions à deux doigts d'une solution acceptable
pour les deux parties.
N. O. - Réellement ?
Y. Beilin. - S'il n'était resté à l'ordre du jour qu'une seule question,
celle des réfugiés, cela n'aurait pas retardé la conclusion d'un accord de paix
à Taba. Je l'affirme en connaissance de cause (1).
N. O. - Sharon affirme que George Bush a approuvé sa formule : «
Aussi longtemps qu'on tire, on ne discute pas. » Comment dans ces conditions
mettre fin aux affrontements palestino-israéliens et relancer le processus de
paix ?
Y. Beilin. - Sharon dit en effet que Bush est d'accord. Mais la position
qui consiste à ne pas négocier sous le feu empêche en fait tout accord éventuel,
même dans le domaine de la sécurité.
N. O. - Qu'entendez-vous par là ?
Y. Beilin. - Sharon s'imagine qu'il peut obtenir la reprise de la
coopération israélo-palestinienne pour rétablir le calme et la sécurité. Il se
trompe. Sans une relance du processus de paix, une coopération dans le domaine
de la sécurité sera impossible. L'absence de tout espoir politique et la
détresse socio-économique dans laquelle vivent aujourd'hui les Palestiniens ne
peuvent qu'entretenir et renforcer la violence. Même si les dirigeants
palestiniens décident d'ordonner l'arrêt des violences, ils auront du mal à se
faire obéir sur le terrain. Car, pour atteindre cet objectif, il faut créer un
nouveau climat, c'est-à-dire rouvrir les négociations et, parallèlement,
travailler ensemble à un apaisement sur le terrain. Cette stratégie peut réduire
la tension actuelle en quelques semaines.
Mais si Sharon persiste à vouloir appliquer sa formule, il va au-devant
d'un échec certain. Pis : en agissant ainsi, il accorde au dernier des
terroristes un droit de veto sur la poursuite de toute négociation. Même la
droite israélienne ne veut pas de cela. Je me rappelle que la France a longtemps
refusé de discuter avec le FLN pendant l'insurrection algérienne, mais que de
Gaulle a fini par engager des négociations avec lui malgré la poursuite des
combats meurtriers.
N. O. - Le gouvernement Sharon multiplie, depuis sa prise de
fonctions, les accusations contre l'Autorité palestinienne, tenue pour
responsable des actes de terrorisme. Ces accusations vous semblent-elles fondées
?
Y. Beilin. - Il y a, selon moi, une différence entre les attentats
déclenchés par des groupes terroristes et les violences organisées par
l'Autorité palestinienne. Israël a signé des accords avec l'Autorité d'Arafat,
des villes et des villages ont été rendus aux Palestiniens, des procédures de
travail commun ont été établies. Si nous devions arriver à la conclusion que
l'Autorité est impliquée, même indirectement, dans les violences
anti-israéliennes, qu'elle est devenue une « entité terroriste », il faudrait
arrêter tout contact avec les représentants d'Arafat. Ces messieurs devraient
plier bagages et repartir pour Tunis. Mais ce n'est pas le cas. Il faut donc
relancer au plus vite la négociation.
[1). Yossi Beilin appartenait à la délégation israélienne à Taba, qui
comprenait également Amnon Lipkin-Shahak et Gilad Sher.]
13. Quand la violence ne paie plus par Victor
Cygielman
in Le Nouvel Observateur du jeudi 29 mars 2001
Les
dirigeants palestiniens changent de stratégie
Pourquoi Marwan Barghouti, l’un des principaux chefs des Tanzim (milices
armées du Fatah) en Cisjordanie, préconise-t-il soudain le recours à une « lutte
populaire, non-violente » ? D’abord parce que la « lutte armée contre l’occupant
», c’est-à-dire les tirs sporadiques sur des véhicules ou des quartiers
d’habitation israéliens, n’a pas eu les résultats escomptés. Certes, la riposte
des autorités israéliennes, souvent outrancière, a reflété leur nervosité, leur
exaspération. Mais si les dirigeants palestiniens imaginaient que ce
harcèlement, ajouté aux pressions internationales, conduirait Israël à évacuer
unilatéralement les territoires occupés (comme il l’a fait au Liban), ils savent
maintenant qu’il se sont trompés. Car jusqu’ici tout cela n’a abouti qu’à
resserrer les rangs des Israéliens autour de leur nouveau gouvernement, sans
faire pour autant avancer la cause palestinienne auprès de l’opinion
internationale.
D’autre part, la population palestinienne s’est amèrement plainte des
lourdes représailles israéliennes qu’elle subit. Et ici ou là, les habitants
palestiniens de certains quartiers menacés ont eux-mêmes chassé les tireurs
embusqués dans les cours de leurs maisons. Si bien que Yasser Arafat avait déjà
dû interdire toute action armée déclenchée à partir des territoires placés sous
le contrôle de l’Autorité palestinienne.
Les leaders du Fatah estiment que cette nouvelle stratégie non-violente,
mise au point avec Arafat, portera vite ses fruits : « Je ne vois pas comment
Sharon pourra envoyer des tanks et ordonner d’ouvrir le feu sur des défilés
pacifiques composés de milliers d’étudiants, de femmes, d’ouvriers, d’infirmiers
», a affirmé Marwan Barghouti dans un entretien à l’agence Reuter. Plusieurs de
ces marches pacifiques se sont déjà déroulées en Cisjordanie occupée, où l’armée
israélienne a cependant répliqué par des tirs de grenades lacrymogènes, puis de
balles métalliques recouvertes de caoutchouc. Et parmi les blessés, on trouve
désormais de nombreuses femmes, dont deux sérieusement touchées.
Pour l’instant, du côté israélien, on demeure sceptique en constatant que
si les incidents armés ont diminué en Cisjordanie, ils n’ont pas disparu,
surtout à Gaza. Les instructions d’Arafat - et de Barghouti - sont-elles
ignorées par la base ? Ou Arafat joue-t-il, « une fois de plus sur les deux
tableaux », comme on le répète au ministère israélien de la Défense ?
14. Walker : Washington se tiendra à l'écart des
négociations par Jonathan Right
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe
publié à Londres) du vendredi 23 mars 2001
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Un haut responsable américain a déclaré
que les Etats-Unis se tiendront à l'écart des négociations de paix entre Israël
et les Palestiniens, se limitant à apporter leur aide, leur soutien et leurs
encouragements.
Edward Walker, vice-ministre des Affaires Etrangères chargé
du Proche-Orient a informé l'Institut Washington que "lorsqu'il s'agit des
négociations, ce n'est pas nous qui négocions". Il a ajouté : "nous
soutiendrons, nous aiderons, nous encouragerons. Nous proposerons, bien entendu,
nos bons services si nécessaire, mais les négociations proprement dites ne
peuvent se dérouler qu'entre les parties concernées".
Il a indiqué également
que les Etats-Unis ne proposeront pas non plus de cadre de travail à de
quelconques négociations et qu'ils n'en fixeront pas les objectifs. Les
commentaires de Walker renforcent l'impression régnante qui veut que le
gouvernement du Président américain George Bush ne marchera pas dans les brisées
de son prédécesseur Bill Clinton, qui participait activement aux négociations
entre Israël et les Palestiniens.
Mais Walker a également indiqué que le
gouvernement du Président Bush ne se désintéressait nullement du Moyen-Orient.
Il a ajouté : "en ce qui concerne ce gouvernement, que d'aucuns ont accusé de
vouloir se retirer du Moyen-Orient et de la résolution de ce conflit, je peux
vous dire qu'il s'agit là de la dernière chose envisageable". Le président
George Bush, après ses conversations avec le premier ministre israélien, Ariel
Sharon, mardi dernier, a indiqué "lui avoir dit que notre pays ne tentera pas
d'imposer la paix, et que nous allons faciliter le processus de paix et nous
employer à aider ceux qui y participent".
Le Secrétaire d'Etat Colin Powell,
a déclaré, lundi dernier : "Les Etats-Unis sont prêts à apporter une aide, mais
pas à houspiller".
Un haut responsable américain, qui a demandé à conserver
l'anonymat, a renforcé l'impression que les Etats-Unis ne veulent plus être
engagés dans la région comme par le passé, lorsqu'il a dit que les Israéliens et
les Palestiniens étaient seuls juges lorsqu'il s'agit de décider si les mesures
unilatérales de la partie adverse sont agressives ou non. Il a indiqué qu'il "ne
prendrait aucune position d'où défier telle ou telle partie au sujet d'actions
données... S'il y a une chose que l'administration américaine ne veut plus
faire, c'est bien servir de balle de ping-pong entre les deux parties".
Mais
ce même responsable a ajouté qu'il est une forme d'action unilatérale, nommément
la construction de nouvelles colonies en Cisjordanie, qui ne pourra qu'avoir des
résultats négatifs, en suscitant les doutes des Palestiniens sur l'engagement
d'Israël à oeuvrer dans le sens de la paix.
Il a ajouté : "nous appellerons
un chat : un chat", faisant allusion à la critique américaine visant la
construction de plus de deux mille unités d'habitation dans la colonie de Har
Homa, dans les faubourgs de Jérusalem-Est. Il a donné des éclaircissements sur
la promesse faite par le gouvernement américain de suivre une méthode adaptée à
la région du Moyen-Orient, prenant en compte le lien, évoqué de plus en plus
souvent, que les Arabes établissent entre les actions imposées par les Nations
Unies à l'Irak et l'aide que les Etats-Unis apportent à Israël.
"Nous devons
nous préoccuper de plus en plus de l'opinion prévalant dans pratiquement toute
la région. Quelle est son importance ? Les gens ont-ils l'impression que la
politique américaine est hostile aux Arabes ? Comment cela peut-il exercer une
influence sur notre capacité à contribuer à l'établissement d'une atmosphère
nouvelle ?". Un autre responsable américain a dit que le gouvernement Bush
n'écartait pas la possibilité de jouer un rôle de médiateur dans les
négociations entre Israéliens et Palestiniens, voire même de participer à des
négociations tripartites.
Ce responsable a ajouté que ce que l'administration
Bush veut éviter, c'est de se charger du rôle que tenaient le président
précédent, Bill Clinton et son Secrétaire d'Etat, Madeleine Albright, comme
principal canal pour l'échange des positions de négociation entre les Israéliens
et les Palestiniens.
Il a ajouté qu'il y avait un unique changement réel dans
la politique des Etats-Unis, qui est le fait que la CIA n'occupera plus la place
prépondérante qui était la sienne dans les négociations en matière de
coopération sécuritaire au Moyen-Orient. Les représentants de la CIA avaient en
effet, leur place assignée à la table des négociations, durant la présidence de
Bill Clinton, et ils jouaient, généralement, le rôle d'arbitres tranchant les
dissensions.
15. Sharon : l'Amérique partage notre point de vue sur
la violence. Nous allons développer nos relations avec l'Egypte - Que la Syrie
cesse de faire passer des armes au Liban, "centre international du
terrorisme"
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres)
du vendredi 23 mars 2001
[traduit de l'arabe par
Marcel Charbonnier]
Ariel Sharon a déclaré, hier
jeudi, après sa visite aux Etats-Unis, que Washington soutient sa position
refusant la capitulation face à la "violence et au terrorisme"
palestiniens.
Sharon a déclaré à la Radio de l'Armée (israélienne), au cours
d'une interview réalisée à bord de l'avion le ramenant en Israël, "qu'il y avait
un accord général et une grande compréhension américaine pour l'impossibilité
que nous capitulions devant la violence et le terrorisme".
Renouvelant son
refus de reprendre les négociations de paix avec les Palestiniens tant que
l'intifada se poursuivrait contre l'occupation israélienne, Sharon a déclaré :
"pas de négociations sous la menace de la violence et du terrorisme".
Les
Etats-Unis n'ont pas commenté les déclarations de Sharon sur le vif. Le premier
ministre israélien avait eu des conversations avec le Président américain,
George Bush, au cours de sa visite, ainsi qu'avec Kofi Anan, secrétaire général
de l'ONU.
Avant-hier, Sharon a dit aux responsables des organisations juives
américaines, à New York qu'Arafat " est retourné au terrorisme", le qualifiant
de principal obstacle à la paix.
Au cours de plusieurs interviews avec des
chaînes de télévision américaines, Sharon a mis en garde ses interlocuteurs
contre le fait qu'envoyer une invitation officielle à Arafat à se rendre en
visite officielle aux Etats-Unis pouvait représenter une incitation à des
attaques de la part d'extrémistes, tant que le président palestinien n'appelle
pas à mettre un terme à la violence.
Le premier ministre israélien a lancé un
avertissement effronté, avant-hier, aux Nations-Unies, déclarant que l'envoi
d'une force d'observation pour protéger les Palestiniens ne pourrait qu'aboutir
à l'escalade de la violence en Cisjordanie et à Gaza. Mais les responsables de
l'ONU ont indiqué que le Secrétaire général a incité le premier ministre
israélien à relâcher les restrictions imposées aux Palestiniens, et lui a
demandé quelles étaient ses intentions en matière d'extension de la colonie du
Jabal Abu Ghunaïm (Har-Huma).
Des sources proches de ces conversations ont
indiqué que le Secrétaire général a mis en garde également sur le danger
potentiel que représenterait l'effondrement de l'Autorité palestinienne.
Fred
Ekhard, porte-parole des Nations-Unies, a dit qu'Anan avait évoqué la question
de l'envoi d'une force d'observation et que Sharon a répondu qu'"il s'opposerait
au déploiement de tous observateurs de l'ONU dans les territoires
palestiniens".
Afin d'expliquer son refus de l'idée de la force proposée,
Sharon a dit qu'il serait possible aux "terroristes" de s'y mêler et que cela
pourrait entraîner des accrochages entre eux et l'armée israélienne. Le Conseil
de Sécurité étudie une demande palestinienne visant à constituer une force
d'observation, non armée, afin de protéger les civils palestiniens. Les
Européens tentent de trouver une formulation alternative (à cette demande), qui
permette d'échapper au veto américain sur le projet de résolution nécessaire à
sa création.
Le début du vote sur le projet de résolution commencera
vraisemblablement avant le sommet arabe prévu la semaine prochaine à Amman. Des
informations rapportent que Sharon a demandé à Anan d'exercer des pressions dans
le sens de l'adoption de résolutions modérées lors de ce sommet.
Le bureau du
ministre israélien de la défense, Benjamin Ben Eliezer a déclaré, hier, dans un
communiqué, avoir informé la commission des affaires étrangères et de la défense
du parlement israélien (la Knesseth) du fait que l'armée se préparait "à
poursuivre le combat pour une longue période". Au cours de ses conversations
avec Bush, Sharon a dit lui avoir donné des éclaircissements sur la position
d'Israël dans tous les domaines, afin d'éviter tout malentendu. Il a dit,
notamment : "les choses sont claires... ce qu'Israël peut faire, ce qu'il ne
peut pas faire, notre position sur Jérusalem. Tout a été exposé en toute
clarté".
Anan a joué un rôle modérateur dans le processus de paix au
Moyen-Orient, durant le mandat du premier ministre israélien précédent, Ehud
Barak. Certaines sources indiquent qu'il a eu un différend avec Sharon, qui ne
démord pas de la nécessité de l'arrêt "des violences" en cours depuis six mois
avant toute reprise des négociations. L'une de ces sources rapporte qu'Anan a
insisté sur le fait que le retour à la normale de la vie économique, la tenue de
discussions de paix et la fin des violences "étaient intrinsèquement liés entre
eux et qu'on ne pouvait traiter ces objectifs dans un ordre préétabli".
Par
ailleurs, Sharon a déclaré, hier jeudi : "nous (Israël) n'avons pas l'intention
d'isoler Arafat", tout en indiquant avoir dit clairement aux Américains "qu'il
ne voulait pas se mêler de leurs affaires, la question de savoir qui ils
invitent et qui ils n'invitent pas à la Maison Blanche"... mais que
"l'invitation (aux Etats-Unis) d'Arafat, dont les forces armées opèrent contre
les colons et les soldats israéliens, qui ne fait rien pour mettre un terme aux
opérations "terroristes" et qui n'est pas prêt à lancer un appel, en arabe, à
mettre un terme à la "terreur", constituerait une légitimation du
"terrorisme"".
Sharon qui a achevé sa visite aux Etats-unis avant-hier, a
ajouté, au cours d'une interview à la radio israélienne, hier matin, au sujet de
la possibilité de parvenir à un accord de paix avec le président de l'Autorité
palestinienne : "c'est Arafat qui est à la tête de l'Autorité palestinienne.
Nous ne décidons pas à la place des Palestiniens de qui doit les diriger. Arafat
sait très bien, et c'est aussi la position des Etats-Unis, que nous ne mènerons
aucune négociation politique sous la pression des affrontements et du
"terrorisme"".
Au sujet des relations israélo-égyptiennes, Sharon a déclaré
que l'"Egypte est un pays qui occupe une place très importante, c'est sans doute
le pays arabe le plus important, au Moyen-Orient.". Il a affirmé qu'il a
toujours "soutenu et continue à soutenir la paix avec l'Egypte" et qu'il
"continuera à développer les relations d'Israël avec ce pays au cours de la
période à venir" et que "nous réaliserons des avancées dans notre coopération
avec l'Egypte". Il a ajouté qu'il aurait souhaité que la paix avec l'Egypte soit
une paix "plus chaleureuse" (ou "moins froide" ? NdT) que ce n'est le cas
actuellement.
A propos de la Syrie, Sharon a déclaré que le fait que "le
Liban devienne un centre régional et mondiale pour le "terrorisme"" serait
"impossible sans l'appui total du régime syrien". La Syrie doit, selon ses
termes, "oeuvrer afin d'empêcher le transfert d'armes telles que les katiouchas
(missiles, NdT) d'Iran vers les organisations "terroristes" au Liban." Il
a affirmé qu'il fallait "que nos exigences vis-à-vis de Damas soient claires, si
la Syrie veut s'intégrer au concert des nations désireuses de paix"...
16. Les enquêteurs des Nations Unies soutiennent
l'envoi d'observateur internationaux par Robert Evans
in Al-Quds
Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 23 mars 2001
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Genève - La commission d'enquête
tripartite envoyée par la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies a
rendu public son soutien au déploiement d'urgence d'observateurs internationaux
dans les territoires palestiniens occupés afin d'assurer la protection des
droits du peuple palestinien en butte à l'"emploi exagéré" de la force, à son
encontre, par l'armée et la police israéliennes.
Les trois enquêteurs (John
Dougard, sud-africain ; Kamal Husseïn, bengali ; et Ritchard Folk, américain)
ont estimé que les forces de sécurité israéliennes (armée et police) recourent
"sans conteste possible" à l'emploi de la force d'une manière exagérée et
disproportionnée, depuis le début de l'intifada, le 28 septembre 2000.
Ce
rapport, très attendu, et diffusé mercredi, sera vraisemblablement transmis à la
session annuelle de la Commission des Droits de l'Homme, qui a commencé ses
travaux lundi dernier.
Dans leur conclusion, les enquêteurs ont formulé
l'espoir de voir adoptée une résolution "en faveur d'un présence internationale
immédiate", afin de veiller au respect des droits de l'homme et d'une
application humaine du droit. Ils recommandent également aux forces de sécurité
israéliennes de veiller tout particulièrement à éviter de s'en prendre aux
civils qui ne prennent pas part aux affrontements, et tout particulièrement les
femmes, les enfants et les réfugiés, et de ne pas employer de tirs à balles
réelles, "caoutchoutées" ou non.
Les enquêteurs internationaux ont indiqué
que l'utilisation de la force dans l'entourage immédiat des colonies israélienne
n'était pas justifié à l'encontre de civils palestiniens désarmés, et qu'il en
allait de même de la destruction de leurs biens. Ils ont rappelé à ce propos les
exigences formulées par la quatrième Convention de Genève, signée en 1949, sur
la protection des civils lors des conflits.
Ils ont exprimé leur soutien à la
prise de mesures "immédiates et effectives" visant à prévenir la destruction de
maisons d'habitation dans les territoires palestiniens, de terrains cultivés, ou
de récoltes des Palestiniens, en faisant usage de bulldozers ou de tout autre
moyen.
Dans leur rapport, les enquêteurs ont demandé que soient étudiées les
plaintes formulées par les victimes de l'usage exagéré de la force, et que
soient poursuivis ceux qui s'en sont rendus responsables, ainsi que le
dédommagement des victimes des violences ou de leurs ayant-droit.
Enfin, ils
ont demandé que des mesures soient prises mettant un terme aux entraves à la
liberté de se déplacer, ce qui comporte la possibilité pour les enfants de se
rendre à l'école et, pour tous, le droit aux soins médicaux et la liberté de
pénétrer dans les lieux saints.
Israël, qui avait refusé de coopérer avec
cette mission ou de s'engager à s'abstenir de lui faire obstacle, a rejeté la
décision de la Commission qu'il a qualifiée d'"hostile (à Israël), injuste et
inutile".
On s'attend à ce que la question des atteintes aux droits de
l'homme dans les territoires palestiniens occupés par Israël domine la
cinquante-septième session de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU. Le
vice-ministre israélien des Affaires étrangères, Michel Melchior, a mis en garde
la commission, lors de son assemblé générale tenue à Genève, mercredi, contre
"l'adoption de toute décision extrémiste à l'encontre de son pays".
Par
ailleurs, les Etats-Unis ont critiqué l'envoyée des Nations-Unies pour les
Droits de l'Homme, Mary Robinson, mercredi dernier, lui reprochant d'avoir,
d'après eux, adopté une position partisane, dans son rapport consacré au conflit
israélo-palestinien.
Cette critique a été formulée par Shirin Takhirli,
présidente de la délégation américaine à la Commission des Droits de l'Homme de
l'ONU, dans son allocution devant ses délégués réunis en sa cinquante-troisième
session annuelle.
Ces critiques sont arrivées deux jours après la publication
du rapport de Madame Robinson, ex-présidente de la République d'Irlande, qui a
surpris (non seulement les diplomates, mais également les fonctionnaires qui
travaillaient avec elle), en annonçant sa décision de ne pas renouveler son
mandat à la fin de celui-ci, en septembre prochain.
Madame Robinson a dit
dans son rapport, rédigé à l'issue de sa visite au Moyen-Orient, en octobre
dernier, qu'elle "avait été choquée et effrayée, même épouvantée" par la
situation des civils palestiniens cernés par les violences depuis le mois de
septembre de l'année dernière. Elle a appelé, par la suite, au démantèlement de
nombreuses colonies israéliennes dans les territoires palestiniens, qu'elle a
désignées comme principale cause de la tension.
Madame Takhirli, une
universitaire nommée par le président Bush, a déclaré que les Etats-Unis sont
profondément angoissés par l'effondrement du processus de paix au Moyen-Orient
et les violences entre Israéliens et Palestiniens. Elle a ajouté, au cours de sa
première allocution prononcée devant la Commission : "les causes de cette
situation sont nombreuses et complexes, et personne ne doit s'imaginer qu'elles
sont à trouver d'un seul côté".
Elle a poursuivi : "nous pensons que
l'envoyée spéciale aurait pu mieux mettre en valeur ce point essentiel, dans son
rapport".
Des responsables israéliens ont critiqué le rapport de Madame
Robinson très violemment. Ainsi, l'ambassadeur israélien à Genève, Yacov Lévy, a
déclaré que ce rapport "était totalement dépourvu du sens de l'équilibre"dans la
formulation de ses critiques.
Madame Takhirli avait rendu hommage, peu
auparavant, à Madame Robinson pour s'être dédiée à la cause des droits de
l'homme, et elle avait regretté publiquement sa décision de ne pas renouveler
son mandat. Le rapport de la mission spéciale d'enquête, publié sur le site
internet de la Commission des Droits de l'Homme (sans avoir été soumis à une
relecture préalable suffisamment attentive, disent ses contempteurs) a repris
largement les appels lancés par Madame Robinson, dans lesquels elle exigeait une
présence internationale dans la région, chargée de contrôler l'observance
scrupuleuse par les parties en conflit des conventions de protection des droits
de l'homme. Israël, qui avait refusé de coopérer avec la délégation tripartite,
sans s'opposer à son inspection, effectuée entre les 11 et 18 février derniers,
a déclaré rejeter cette demande,qu'il ne considère, d'ailleurs, que comme une
simple
suggestion.