Télévision
1. Mediterraneo
à Aqaba - Samedi 10 mars 2001
à 12h55 sur France 3 Méditerranée
Ce samedi, à 12h55 ne manquez pas (une fois encore) "Mediterraneo" sur
"France 3 Méditerranée" (rediffusions sur "TV5" et sur la chaine cablée
"Régions"). Ce magazine, que nous vous avons souvent conseillé, vous propose
(entre autre) cette semaine, un reportage de 45 minutes consacré à la Jordanie
:
- Aqaba - 10 ans après la guerre du Golfe, la Jordanie est
le premier pays qui a brisé l'embargo contre l'Irak en organisant en septembre
2000 un vol de solidarité vers Bagdad, dirigé par des ministres. Il faut dire
que ce pays a particulièrement souffert d'un blocus qui ne le concernait pas
mais qui s'imposait de fait au port d'Aqaba sur la mer Rouge, unique débouché
maritime jordanien. Limitrophe d'Israël et de l'Arabie Saoudite, Aqaba est une
zone sensible où les autorités jordaniennes ont dû renoncer à développer
davantage le tourisme en raison des turbulences politiques de la région. Quant
au trafic commercial lié à l'Irak voisin, jadis florissant, il s'est réduit
comme une peau de chagrin sous les effets de l'embargo. Aqaba est désormais
un port aux abois.
[- Ne manquez-pas aussi : "Mediterraneo - Le Journal" chaque samedi à 18h56 - Un
journal tout en images, réalisé par cette même équipe, sur l'actualité du bassin
méditerranéen. Ce journal de 8 minutes nous confirme que l'on peut
présenter une information de qualité, lorsqu'on prend la peine de
s'entourer de journalistes compétents et
consciencieux.]
2.
La poudrière israélienne - lundi 12 mars à
21h05 sur TV5
Un reportage de Jean-François Lépine
et de Georges Amar - En septembre 2000, la visite d'Ariel Sharon à l'Esplanade
des Mosquées déclencha la reprise de l'Intifada. Les affrontements, depuis, ne
se sont pas calmés, et la formation d'un gouvernement d'union nationale en
Israël ne devrait pas changer le cours des choses.
3.
La liste Golda - jeudi 15 mars à 00h15 sur
France 3
Un documentaire inédit de Arnaud
Hamelin et Emmanuel François réalisé en 2001.
En 1972, pendant les Jeux
olympiques de Munich, un commando palestinien assassina des athlètes israéliens.
Cette opération provoqua la consternation de la communauté sportive
internationale, mais suscita également la réprobation politique. Golda Meir,
alors premier ministre de l'Etat isarélien, décida que ces assassinats seraient
impitoyablement vengés. Le Mossad établit une liste, sous l'autorité du Premier
ministre, comportant les noms des Palestiniens à exécuter. Aujourd'hui encore,
nul ne sait combien de noms furent couchés sur cette liste, dite "Golda". En
vingt ans, treize assassinats furent perpétrés, notamment à Beyrouth en 1973, où
un certain Ehud Barak, grimé en femme, participa à la liquidation physique de
trois Palestiniens, mais aussi à Rome,
Paris...
1.
Samih Al-Qassim - Récital de poésie à
Genève et à Paris
L'Association les Racines
Palestiniennes organise le mardi 13 mars 2001 à 19h à l'Hôtel
Intercontinental de Genève un récital de poésie exceptionnel, de
Samih Al-Qassim, accompagné au nay par Iyad
Haimour. Ce même récital sera présenté le vendredi 16 mars
2001 à 18h à l' Institut du Monde Arabe à Paris, accompagné à l'oud par
Ahmad Dari.
[Renseignements et réservation - Tél : +41 22 771 12
20 (Suisse) ou +33 450 39 74 39 (France)]
2.
Le Monde diplomatique
- au sommaire du numéro du mois de mars 2000
ENQUÊTE - Les preuves
trafiquées du terrorisme libyen par Pierre Péan
PROCHE-ORIENT -
D'une intifada à l'autre, une société palestinienne en mouvement
par Nadine Picaudou
- Islamisation du langage
par Nadine Picaudou
Réseau
Cette lettre bi-mensuelle d'informations réalisée par Jean-Michel
Staebler, explore la géopolitique et l'économie de la Méditerranée, du Maghreb
et du Machrek. Victime (lui aussi) d'une attaque de virus informatiques qui l'a
bailloné quelques semaines, cet excellent site a repris sa publication avec son
N° 32, le 3 mars dernier, à notre grande satisfaction.
- Jean-Michel Staebler
: "Dans ce genre de conflit, il n'est d'autre
solution que politique. Si Israël est fort aujourd'hui, qu'en sera-t-il demain
après des années d'intifada ? Il est temps que l'Etat hébreu se conduise enfin
comme tous les pays qui ont adhéré à la Charte des Nations unies, et cesse de
différer l'inévitable en pratiquant la politique de l'autruche. Il y a toujours
un prix à payer, mais plus l'on attend, plus le prix est élevé. Et ce prix,
il se chiffre en vies humaines. Le malheur veut que ces vies soient
palestiniennes !"
2.
Les liens d'Israël avec l'Allemagne rendent les Juifs américains
perplexes par Roger Cohen
in The New York Times (quotidien
américain) du lundi 5 mars 2001
[traduit
de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Avi Primor,
ancien ambassadeur d'Israël en Allemagne, voyage régulièrement aux Etats-Unis
pour dire à différents groupes de Juifs américains à quel point les relations
israélo-allemandes sont devenues excellentes. "Leur réaction", dit-il, "c'est
souvent un choc, de la peine et l'indignation. Ils veulent garder l'image
mentale d'une Allemagne-nation néfaste".
D'entre les cendres de l'holocauste
est née une étrange amitié : cinquante six ans après la chute du Reich d'Hitler,
36 ans après l'établissement de relations diplomatiques, l'Allemagne est devenue
le plus important allié d'Israël, après les Etats-Unis, lui apportant un soutien
absolument décisif dans les domaines militaire, sécuritaire, politique et
économique.
Mais ce rapprochement - qui, s'il ne fait pas l'objet d'un grand
tapage médiatique, n'en est pas, pour autant, moins actif - est loin de trouver
une traduction dans les relations entre l'Allemagne et les Juifs
américains.
En effet, alors que la mémoire de l'Holocauste joue un rôle
patent dans la vie américaine et que persistent des querelles sur la nécessité
d'une compensation pour les victimes juives des Nazis, les Juifs américains ont
une perception de l'Allemagne qui, bien souvent, semble s'arrêter au seul passé
nazi.
"Les Juifs américains ont toujours été en retrait dans la compréhension
de l'évolution de l'Allemagne après la guerre", commente David A. Harris,
directeur du Comité Juif Américain.
"Les Juifs américains ont pu se payer le
luxe d'occulter l'Allemagne, et même d'en boycotter les productions - un luxe
qu'Israël n'a pas pu s'offrir".
Le résultat en est une étrange disparité : au
cours des dernières années, l'Allemagne a intensifié ses liens avec Israël, lui
fournissant en douce trois sous-marins, tandis que les difficultés entre les
Juifs américains et l'Allemagne se multipliaient et qu'une vague impression
s'est répandue chez les Allemands : celle d'être les dindons de la farce d'une
"industrie de l'Holocauste".
"Les négociations récentes sur les compensations
du travail forcé, de l'esclavage devrait-on dire, du temps des Nazis, a laissé
de la rancoeur, en Allemagne", dit Deidre Berger, qui dirige le bureau du Comité
Juif Américain à Berlin. "Beaucoup de compagnies allemandes ont le sentiment
d'être soumises à un véritable racket par les Juifs américains. De l'autre côté,
la communauté juive américaine est habitée par un préjugé tenace : celui que
l'on ne peut jamais faire confiance à l'Allemagne."
Bien entendu, il existe
une certaine hostilité envers les Allemands en Israël, également, et la
commémoration de l'Holocauste y demeure extrêmement importante. Kirsten
Praefcke-Meron, une Allemande mariée à un Israélien et vivant à Tel Aviv,
raconte qu'un enfant israélien avait pointé le doigt en direction de sa fille,
au cours d'une célébration récente du Jour du Souvenir (de l'Holocauste) en
disant : "c'est une nazie".
Parmi les Juifs américains, cependant, on peut
trouve des signes d'un intérêt croissant pour la réalité démocratique
contemporaine de l'Allemagne, plutôt que pour son passé nazi. Le déplacement de
la capitale vers Berlin a causé un regain de curiosité ; et les visites de cinq
groupements juifs d'importance majeure sont programmées cette année - il s'agit
là d'un mouvement d'échanges de visites sans précédent.
Mais il n'en reste
pas moins que les sentiments vis-à-vis de l'Allemagne éprouvés par les Juifs de
l'Etat juif et ceux d'Amérique restent un sujet d'étude pour les spécialistes de
psychologie comparée.
Les relations des premiers avec l'Allemagne ont été
façonnées par le pragmatisme, des difficultés d'après-guerre partagées et
l'effet de l'expérience acquise par Israël qui n'a cessé de mener des guerres
depuis l'holocauste, ce dernier ne définissant en rien l'identité d'Israël.
Les premiers passeports israéliens, délivrés après la création de l'Etat, en
1948, se proclamaient "valides pour tous pays, excepté l'Allemagne". Mais, bien
avant que des relations diplomatiques soient établies entre les deux pays, en
1965, un premier rapprochement s'était produit, dès 1952, avec l'accord sur les
réparations allemandes, obtenu par des négociations entre David Ben-Gurion, le
premier ministre israélien, et le chancelier Konrad Adenauer.
Les réparations
devaient comporter le paiement de plus de 50 milliards de $, à des particuliers
israéliens et à l'Etat d'Israël. Certaines de ces réparations étant payables en
nature - sous forme d'équipements, d'investissements industriels, de pièces
détachés, de navires, de locomotives - elles ont amené les Allemands de
l'après-guerre et les Israéliens à se rapprocher, d'une manière qui n'a eu aucun
équivalent dans leurs relations avec les Juifs américains.
Les Israéliens
durent apprendre des Allemands comment utiliser les équipements et les navires
qu'ils leur fournissaient - et des amitiés en découlèrent. La plupart des
Israéliens acquirent le sentiment que les conséquences financières de
l'Holocaustes étaient apurées - d'où leur indifférence, quand ce n'est pas leur
irritation, devant la pression des Juifs américains visant à obliger les
industries allemandes à verser des compensations.
En total contraste, les
relations de l'Allemagne avec les Juifs américains ont souvent souffert d'une
distance, d'une amertume et de ce qui semble aux Allemands une fixation des
Juifs américains sur un passé traumatisant.
La guerre froide étant terminée,
la dernière génération des survivants de l'Holocauste étant en voie
d'extinction, d'autres sources de l'identité juive s'estompant, l'Holocauste est
devenue une sorte de pierre de touche dirimante. Les Juifs américains avaient
pour habitude de s'identifier à un Israël, Etat juif isolé et courageux, et avec
la cause des Juifs d'Union soviétique. Mais aujourd'hui Israël est devenu une
puissance régionale dont la politique dans les territoires occupés est, tout au
moins pour certains, difficile à défendre, et les Juifs soviétiques ne sont plus
à l'ordre du jour.
Aujourd'hui, une enquête menée en Allemagne et en Israël
montre que le soutien de l'Allemagne est central, pour la sécurité d'Israël,
même s'il tient à rester discret, en partie à cause des craintes de l'Allemagne
au sujet des réactions possibles du monde arabe, certes, mais aussi de l'opinion
publique allemande elle-même.
Des officiels n'ont pas caché que les relations
entre les services secrets des deux pays sont particulièrement intenses.
L'Allemagne fournit à Israël des informations extrêmement complètes sur le monde
arabe, en échange de quoi Israël - échange de bons procédés - fournit à
l'Allemagne des données secrètes sur l'Europe de l'Est et la Russie, régions
dans lesquelles, selon les propres termes d'un Israélien au parfum, "nous avons
des gens qui comprennent beaucoup de choses".
Ainsi, par exemple, l'Allemagne
est-elle en train de travailler tranquillement à la libération de trois soldats
israéliens capturés en octobre dernier par le Hizbollah, groupe militant
musulman shiite basé au Liban.
L'Allemagne est aussi le deuxième partenaire
d'Israël en matière d'échanges militaires, après les Etats-Unis. Les deux pays
coopèrent à la mise au point de nouvelles armes, échangent des technologies,
l'Allemagne fournissant à Israël deux sous-marins extrêmement sophistiqués (tout
en en bradant un troisième) dans un mouvement de générosité consécutif à la
guerre du Golfe.
L'Allemagne est devenue le deuxième partenaire commercial
d'Israël, après les Etats-Unis, et envoie plus de touristes en Israël qu'aucun
autre pays, à l'exception, toujours, des Etats-Unis. En ce qui concerne la
politique, l'Allemagne "est désormais notre soutien principal et notre avocat en
chef en Europe", a déclaré Reuven Merhav, ancien directeur au ministère
israélien des Affaires Etrangères.
Et il est de fait que la politique
européenne au Moyen-Orient est très largement déterminée par le rôle d'une
Allemagne contre-balançant la position de la France, principal héraut de la
cause palestinienne en Europe.
Le rapport annuel sur les droits de l'homme
édité par le ministère allemand des affaires étrangères ne comporte aucune
mention des agissements d'Israël dans les territoires occupés, contrairement aux
critiques adressées aux exécutions extra-judiciaires de Palestiniens (par
Israël) dans son équivalent américain.
"Les relations entre l'Allemagne et
Israël sont particulières et elle ne doivent jamais se normaliser, dans le sens
où nous avons des relations normales avec la Hollande ou les Etats-Unis", a
déclaré Rudolf Dressler, ambassadeur d'Allemagne en Israël. "Nous nous sentons
co-responsables de la garantie de l'existence d'Israël, et ceci a pour
conséquence politique que, lorsqu'il y a doute, nous prenons le parti d'Israël,
car c'est là ce que nous dicte notre seul devoir".
Né en 1940, fils d'un
Allemand opposant à Hitler, M. Dressler a dit qu'il avait le sentiment qu'il
pourrait légitimement se poser la question de savoir quelle part de
responsabilité il pouvait effectivement bien avoir, dans l'holocauste et dans la
sauvegarde de l'Etat juif, dont la naissance est liée, d'une certaine manière, à
l'agression d'Hitler contre les Juifs d'Europe.
"Bien entendu, je me demande
comment les Nazis ont pu faire ça, et ce que j'ai à voir, moi, avec ce qu'ils
ont fait ?", a dit l'ambassadeur. "Mais ils l'ont fait, et il nous faut vivre
avec ça. Il n'y a pas de prescription possible à ce que les Allemands ont fait.
Alors nous aidons Israël".
Bernhard Steubing a vingt et un ans, il est
volontaire, ayant opté de travailler, au lieu de faire son service militaire,
pour Aktion Sühnezeichen - littéralement "Signe d'expiation" - un groupe qui a
amené des centaines de jeunes Allemands en Israël depuis les années cinquante.
Il aide des handicapés et des survivants de l'Holocauste.
"J'ai pensé qu'il
était important de faire quelque chose, à cause du passé, et tant que des
survivants de l'Holocauste sont encore là, parmi nous", dit-il. "Je me sens
proche des Israéliens, bien qu'il soit parfois étrange pour moi de me retrouver
dans ce pays très nationaliste, alors que j'ai refusé de faire le service
militaire, en Allemagne, précisément, parce que je suis contre le
nationalisme."
En ce sens, le couple germano-israélien est effectivement un
couple étrange - le plus post-nationaliste des Etats européens allié avec l'un
des Etats les plus nationalistes. Mais leur rapprochement mutuel dépasse depuis
longtemps ce qui semblait jadis le mur représenté par l'annihilation des Juifs
d'Europe par Hitler.
En Allemagne, les années d'immédiat après-guerre furent
marquées par une tentative d'enterrer le passé, de trouver une manière de
refermer le couvercle sur l'holocauste, chose que beaucoup d'Allemands cherchent
à réaliser encore aujourd'hui.
En Israël la réaction initiale avait été celle
de l'esquive, également, parce que l'Holocauste provoquait un sentiment
d'humiliation auquel le pays préférait tourner le dos. "Nous avons été élevés
comme les meilleurs Juifs, fiers d'eux-mêmes, capables de répliquer, à la
différence de nos frères, qui ont marché comme des moutons à l'abattoir", dit M.
Primor. "Nous pensions, à tort, que les victimes nous humiliaient. On les
insultait en les traitant de "Sabunim" - les Juifs gazés et transformés en
savonnettes par les Nazis".
Au fil des décennies, l'Allemagne est parvenue à
assumer son passé nazi et Israël en est venu à adopter l'opinion que les
victimes d'Hitler avaient été attirées dans un piège et conduites de force à
leur destin fatal.
"La réconciliation a été un processus lent et douloureux",
dit M. Merhav, le haut diplomate en retraite, lui-même fils d'immigrants
allemands en Israël. "Mais l'Allemagne d'après-guerre a conquis le corps
politique d'Israël grâce à une politique constante d'amitié. Les Juifs
américains, bien entendu, n'ont jamais été exposé à cette sorte d'amitié
pratique, et je soupçonne que leur haine de l'Allemagne est aussi, quelque part,
de la haine d'eux-mêmes, car ils ont réalisé très très tard ce qui était en
train de se passer en Europe".
Un Israélien, Gabriel Bach - Juif né à Berlin
en 1927, chassé d'Allemagne en 1938, puis procureur général au procès d'Adolf
Eichmann - pense que la mémoire douloureuse du passé et l'appréciation pour la
nouvelle Allemagne sont encore en perpétuelle confrontation.
Récemment, à
Berlin, il se promenait dans un parc du centre-ville lorsque sa femme lui montra
du doigt les géraniums qui ornaient les fenêtres des immeubles tout autour.
"Alors, j'ai regardé en haut, et ce que j'ai vu, c'est la forêt de swastikas
(les croix gammées, NdT) qui ornaient ces mêmes fenêtres, dans les années
trente", dit M. Bach. "Il y avait des swastikas à tous les balcons. Ma femme me
montrait les fleurs, et c'est ça, ce que je voyais, moi..."
Le passé hante
toujours - mais, pour M. Bach, c'est le passé. Le procès d'Eichmann a été une
sorte d'épiphanie, dit-il, lorsque l'homme qui avait juré de détruire les Juifs
a dût se tenir au garde-à-vous devant les symboles de l'Etat juif, dans un
tribunal israélien.
La fierté nationale des Israéliens, et leurs combats,
semblent les avoir amenés - comme M. Bach - à considérer l'Allemagne avec moins
de préjugés, plus de confiance en eux-mêmes, et une attitude d'esprit plus
pragmatique que la plupart des Juifs américains.
"Je n'ai aucun ressentiment
à l'égard d'Allemands qui n'étaient pas encore nés à l'époque d'Hitler", dit M.
Bach.
Renhard Wiemer, un diplomate allemand marié à une Israélienne, en poste
actuellement à Tel Aviv, a été en poste précédemment aux Etats-Unis. A
Washington, dit-il, ils vivaient dans un quartier habité par une forte minorité
juive. "Les gens demandaient à ma femme : comment avez-vous pu épouser un
Allemand ?", se rappelle-t-il. "Cela n'arrive jamais, ici, à Tel-Aviv".
Il
voit plusieurs raisons à la différence entre les attitudes courantes, en Israël,
faites d'une certaine banalité, et ce qu'il appelle la suspicion et les préjugés
des Juifs américains à l'égard de l'Allemagne, et notamment entre une identité
israélienne moins liée à l'Holocauste que celle des Juifs américains, la
conscience largement répandue chez les Israéliens du fait que l'Allemagne a
beaucoup aidé leur pays, et les stéréotypes de l'Allemand répandus par le cinéma
et les séries télévisées américains.
La situation s'améliore, pense-t-il,
mais lentement, et l'augmentation récente des attaques antisémites, en
Allemagne, encourage, naturellement, ceux qui ne demandent qu'à geler l'image
- désormais dépassée -qu'ils ont conservée de l'Allemagne.
M. Wiemer
apprécie de vivre en Israël, mais il trouve que le fait d'être un diplomate
allemand le contraint, le plus souvent, à cette même réserve qui a contribué à
édifier la remarquable alliance entre les deux pays. "Je pense qu'Israël devrait
rendre les territoires occupés", dit M. Wiemer. "Je ne le cache pas, je le dis à
mes amis, et ils n'ont rien contre. Mais, en public, en tant qu'Allemand, la
seule chose que vous pouvez faire, c'est... la
fermer".
Revue de presse
1.
A la recherche d’une “stratégie intelligente” au Moyen-Orient
par Salama Nimat
in Al
Hayat (quotidien arabe publié à Londres) traduit dans Courrier International du
jeudi 8 mars 2001
L’administration Clinton n’a pas réussi à mater
Saddam Hussein et à résoudre le conflit israélo-arabe. L’équipe Bush, en
dissociant les deux problèmes, pourra-t-elle faire mieux ?
Dix ans après
l’amorce du processus de paix au Proche-Orient et onze ans après le début des
sanctions internationales contre l’Irak, consécutives à l’invasion du Koweït, il
semble que Washington ait décidé d’opter pour une nouvelle stratégie.
L’administration Bush, en effet, semble avoir décidé de dissocier le rapport -
jamais vraiment assumé publiquement - entre la politique américaine à l’égard du
conflit israélo-arabe, d’une part, et les intérêts des Etats-Unis dans la région
du Golfe, d’autre part.
L’échec des sanctions envers l’Irak (censées
déboucher sur le renversement du régime irakien actuel) et l’échec du processus
de paix ont porté un sérieux coup à l’influence et au rôle que jouent
traditionnellement les Etats-Unis dans la région. En effet, face au refus
d’Israël d’accepter un processus de paix dont les conditions avaient été fixées
par Washington à Madrid en 1991 (et qui vient notamment de se traduire par
l’élection d’Ariel Sharon au poste de Premier ministre), les Arabes ont répondu
par un rejet de la politique américaine sur le dossier des sanctions à l’égard
de l’Irak, qui s’est traduit - outre les campagnes appelant à la levée des
sanctions - par la normalisation des relations diplomatiques et la signature
d’accords économiques avec Bagdad.
C’est dans ce contexte d’échec de la
politique étasunienne qu’il faut comprendre les propositions américaines
d’appliquer désormais des “sanctions intelligentes” à l’égard de l’Irak, qui
déboucheraient sur une levée des sanctions purement économiques au profit d’un
renforcement du blocus militaire et de l’isolement du régime. Le recul des
Etats-Unis sur l’aspect économique des sanctions est donc une tentative de
sauver une politique unilatérale d’isolement de l’Irak tout en essayant de
satisfaire leurs alliés arabes et internationaux sur l’un des aspects les plus
controversés de ces sanctions.
Dans la mesure où Israël continue d’ignorer
superbement les résolutions de l’ONU, il devenait très difficile pour les
Etats-Unis de convaincre leurs alliés arabes dans la région d’appliquer les
résolutions des Nations unies à l’égard de l’Irak, surtout dans le contexte de
l’arrivée aux affaires de Sharon en Israël. A cela s’ajoute le fait que l’Irak a
réussi avec un certain brio à convaincre les Irakiens, les Arabes et même
l’opinion internationale que les Etats-Unis étaient les principaux responsables
des malheurs du peuple irakien, même si le programme des Nations unies “Pétrole
contre nourriture”, adopté en 1996, permet à l’Irak d’exporter une grande partie
de son pétrole pour garantir les besoins humanitaires de ses citoyens.
Hormis
les Américains et les Britanniques, personne ne se demande en effet pourquoi le
gouvernement irakien n’arrive pas à utiliser correctement les revenus issus de
la vente de pétrole. Ainsi, la valeur des contrats soumis par Bagdad au Comité
des sanctions ne dépasse pas le quart des revenus issus de la vente de pétrole
irakien, ce qui tend à prouver que l’Irak continue d’appliquer une politique qui
se fonde sur un chantage dont le peuple irakien est le premier à payer le prix.
Dans ces conditions, les Etats-Unis (et la Grande-Bretagne) n’ont d’autre choix
que d’adopter une nouvelle stratégie dénommée “sanctions intelligentes”, dont le
but est de faire en sorte que la responsabilité des malheurs du peuple irakien
soit transférée de Washington vers Bagdad, tout en maintenant un blocus
militaire continuant d’être soutenu par les Etats de la région et par la
communauté internationale.
Reste toutefois deux questions d’importance : les
Etats-Unis vont-ils conditionner la levée des sanctions économiques au retour
des experts de l’ONU chargés de contrôler le programme d’armement irakien ? Et,
surtout, l’Irak acceptera-t-il de dissocier la levée des sanctions économiques
de l’embargo militaire qui continuera alors de le frapper ?
2. A Naplouse,
une université sous haute surveillance par Gilles Paris
in Le Monde du jeudi 8
mars 2001
NAPLOUSE, de notre envoyé spécial
Depuis l'université, on
peut deviner le char israélien posté sur l'un des deux sommets qui enserrent
Naplouse. Installé à flanc de montagne, le campus bourdonne d'allers et venues.
Les groupes de jeunes hommes et de jeunes filles, voilées ou cheveux au vent,
s'interpellent bruyamment, comme s'il n'y avait pas d'Intifada. En dépit du
bouclage qui asphyxie la ville et qui l'isole des villages alentour, les cours
se poursuivent vaille que vaille. Les horaires ont été aménagés et des fonds ont
été débloqués pour venir en aide aux plus démunis. Al-Najah résiste, une fois de
plus.
Avec ses 10000 étudiants et ses 2000 enseignants, Al-Najah est le plus
important établissement universitaire de Cisjordanie. Ancien lycée devenu
université dans les années 1970 grâce aux bonnes grâces de la famille al-Masri,
l'une des plus puissantes de la ville, l'institution a toujours été un lieu et
un enjeu de pouvoir. En dépit de la tactique israélienne favorisant les notables
locaux pour marginaliser l'OLP, la centrale de Yasser Arafat était parvenue à
s'y implanter solidement quelques années plus tard.
L'OLP en avait fait un
foyer d'agitation et de mobilisation qui lui a valu d'être fermé par l'occupant
israélien avant même le début de l'Intifada.
ÉLECTIONS REPOUSSÉES
Lorsque
Naplouse a été enfin évacuée par Tsahal, à la fin de l'année 1995, l'Autorité
palestinienne n'a pas hésité à employer la manière forte vis-à-vis de
l'université et à entrer sur le campus – ce que les Israéliens n'avaient jamais
osé faire – pour y mettre au pas le Hamas, le Mouvement de la résistance
islamique, favorisé à ses débuts par les Israéliens, toujours pour faire
obstacle à l'OLP, et par le conservatisme de la ville. Car, rapidement, le Hamas
a disputé au Fatah, la principale composante de l'OLP, le premier rang des
instances enseignantes ou étudiantes.
La concurrence est tout aussi sévère
aujourd'hui, même si elle disparaît officiellement pour laisser la place à un
front commun contre les troupes d'occupation qui assiègent Naplouse. Les
élections étudiantes, annuelles, ont été repoussées à des jours meilleurs. Pas
question en effet pour le Fatah de prendre le risque de se voir détrôné par le
Hamas, dont les thèses contre le processus de paix sont schématiquement validées
par l'Intifada.
De même, les autorités de l'université, après avoir plaidé en
faveur de ce processus et d'une ouverture vis-à-vis des Israéliens, ont opéré en
quelques semaines un virage à 180degrés. Un tract endossé par la direction de
l'université a récemment stigmatisé les enseignants qui ont eu par le passé des
contacts avec des homologues israéliens, oubliant qu'ils répondaient
généralement aux demandes de cette même direction!
"L'université est
surveillée de très près, assure un professeur de Naplouse. Les services de
sécurité y ont placé des étudiants qui leur rendent compte de se qui s'y passe.
Il y a aussi des étudiants armés, chacun le sait, qui peuvent à l'occasion
pratiquer l'intimidation." Le bastion de Al-Najah fait décidément l'objet de
toutes les attentions.
3. Une société
plongée tout entière dans le désarroi par Gilles Paris
in Le Monde du jeudi 8
mars 2001
GAZA, de notre envoyé spécial
La fin provisoire du
processus de paix et le succès écrasant d'Ariel Sharon à l'élection au poste de
premier ministre en Israël ont plongé la société palestinienne tout entière dans
le plus profond désarroi. La voici captive d'une Intifada que son nombre
effarant de tués et de blessés ainsi que la dureté du blocus israélien
condamnent au radicalisme, alors même qu'aucun objectif politique précis ne lui
a été assigné.
De 1987 à 1993, la première "révolte des pierres" avait assuré
aux Palestiniens une large reconnaissance internationale. En Israël, elle avait
interpellé nombre de militants et d'organisations pacifistes et de gauche. Rien
de tel aujourd'hui.
Contrairement aux attentes, les attaques militaires
ciblées contre l'armée et les colons menées par le Fatah n'ont pas rouvert le
débat sur l'occupation. Après quelques semaines de trouble, les Israéliens ont
fait bloc de part et d'autre de la "ligne verte", et le défunt camp de la paix
voit désormais dans l'attachement des Palestiniens au droit de retour de leurs
réfugiés la preuve éclatante d'une volonté longtemps dissimulée de remise en
cause de l'existence même d'Israël. "L'intifada est émotionnelle, nous ne savons
pas parler aux Israéliens", se lamente le psychiatre Iyad Sarraj.
Alors que
de nouvelles règles du jeu sont en passe d'être dictées par les Israéliens, les
Palestiniens semblent dépourvus de perspectives et de projets.
Cela vaut pour
la gauche contestataire, contemptrice des accords d'Oslo, qui ne tire pourtant
pas profit de leur échec pour imposer un agenda politique précis. Confusément,
elle exprime le souhait que les Palestiniens se reprennent en main. C'est ce que
traduit la perspective de gouvernement d'union nationale avancée notamment par
Haider Abdel Chafi, ou bien la volonté exprimée par Mustafa Barghouti de voir
rapidement de nouvelles élections qui pourraient à la fois contraindre les
acteurs à sortir de leur mutisme et relancer des institutions vidées de sens.
Ainsi le Conseil législatif palestinien ne s'est plus réuni depuis le début de
l'Intifada, principalement du fait des bouclages qui empêchent les députés de
Gaza et de Cisjordanie de siéger ensemble.
"METTRE UN TERME À
L'APATHIE"
Alors que le Fatah, la principale composante de l'OLP, s'efforce
de rester en première ligne de l'Intifada tout en réaffirmant son soutien à
Yasser Arafat, le Hamas, le Mouvement de la résistance islamique, ne tranche pas
non plus par la clarté de ses choix. Alors qu'il avait fait lui aussi le pari de
l'échec d'Oslo, il apparaît divisé entre ceux qui ont fait tactiquement le choix
de l'union nationale avec l'Autorité palestinienne face aux Israéliens et ceux
qui ne désespèrent pas de s'imposer comme solution de rechange politique à
Yasser Arafat.
Ce mutisme se double d'une panne du leadership palestinien,
que ne masquent pas les Comités nationaux et islamiques mis en place depuis cinq
mois et qui tournent à vide. Dépassée par un mouvement à l'origine populaire,
l'Autorité s'est efforcée, tout au long des derniers mois d'Ehoud Barak, de
jouer sur deux tableaux en apportant un soutien minimum à l'Intidada tout en
poursuivant en parallèle les négociations et en utilisant au maximum la pression
entretenue sur le terrain par des groupes qu'elle souhaiterait sans doute
contrôler aussi bien que le pensent les militaires israéliens. L'arrivée d'Ariel
Sharon ne va-t-elle pas la contraindre à trancher ?
Depuis le début de
l'Intifada, Yasser Arafat ne s'est jamais adressé à son peuple. Il ne s'est
rendu que deux fois en Cisjordanie, à Bethléem, à l'occasion de la messe de
Noël, et à Ramallah, pour rencontrer Colin Powell. "Il faudrait pouvoir
revitaliser l'ordre politique et l'ordre social, mettre un terme à cette
apathie, mais cette Intifada n'y est pas parvenue", soupire le député
indépendant Ziad Abou Amr.
4. L'Intifada se
poursuivra jusqu'à la fin de l'occupation, entretien avec Ahmad Abdel-Rahmane,
Secrétaire général du Conseil des ministres palestiniens, réalisé par
Mohamed Amin Al-Masry
in Al-Ahram Hebdo
(hebdomadaire égyptien) du mercredi 7 mars 2001
Secrétaire général du
Conseil des ministres palestiniens, Ahmad Abdel-Rahmane évoque l'avenir du
processus de paix à la lumière de la formation du gouvernement israélien d'union
nationale.
— Al-Ahram Hebdo : Le nouveau premier ministre israélien Ariel
Sharon a annoncé qu'il ne respecterait aucun des engagements pris par son
prédécesseur Ehud Barak. Qu'en pense l'Autorité palestinienne ?
— Ahmad
Abdel-Rahmane : Ariel Sharon n'a qu'à dire ce qu'il veut. Les négociations se
basent sur une toute autre logique fondée sur les résolutions du Conseil de
sécurité des Nations-Unies et sur les accords signés par les deux côtés
palestinien et israélien. Après toutes ces années, il est inacceptable qu'un
démagogue comme Sharon débite des charlataneries pour finalement revenir à zéro,
ou qu'un imposteur comme Barak affirme qu'il se désengage de tout ce qu'il avait
signé. La question qui nous préoccupe est la suivante : quelle sera la position
des Israéliens si l'Autorité palestinienne et l'OLP annoncent leur désengagement
de tous les accords conclus avec les Israéliens ? J'affirme que nous sommes plus
responsables qu'Israël. Nous n'accordons pas beaucoup d'importance à ce genre de
bouffonneries de la part des nouveaux leaders israéliens. Nous allons patienter
un peu jusqu'à la formation définitive du gouvernement israélien en vue de
connaître sa vraie politique. Là, nous aurons une position bien déterminée. Si
ce gouvernement revient sur les accords préalablement signés, nous en ferons de
même. Cependant, nous sommes prêts à signer un accord qui reconnaît deux Etats
palestinien et israélien qui souhaitent une paix réelle dans le cadre des
résolutions de la légitimité internationale.
— Quel est donc l'avenir du
processus de paix à la lumière des déclarations des nouveaux dirigeants
israéliens et de la formation d'un gouvernement d'union nationale ?
— Le
nouveau gouvernement israélien n'est pas un gouvernement de coalition ou d'union
nationale, c'est le gouvernement d'un « seul homme ». C'est un gouvernement de
généraux qui dévoile la fausse démocratie en Israël. Ce gouvernement prouve que
ce pays n'est qu'une société militaire dirigée par les généraux, en particulier
Sharon et Barak. Ces deux-là comptent sur la force militaire pour réaliser des
objectifs sionistes. Ce gouvernement aura des répercussions fâcheuses sur la
région arabe et sur Israël même.
— A quel point existe-t-il une coordination
palestinienne avec des forces de paix israéliennes, et avec les Palestiniens de
1948 ?
— Les Palestiniens de 1948 font partie de notre peuple. Nous les
félicitons pour leur vote ayant entraîné la chute de Barak aux dernières
élections. Quant aux forces de paix israéliennes, elles ont disparu. Nous nous
interrogeons d'ailleurs : que deviennent-elles dans la situation actuelle ?
Jusqu'à l'instant, le camp de la paix en Israël n'a pas pris de position. Barak
l'a écrasé.
— Qu'attendez-vous du prochain sommet arabe qui se tiendra à
Amman en Jordanie, les 27 et 28 mars ?
— Israël est un danger qui menace tous
les Etats arabes. nous avons donc besoin d'une position arabe plus ferme. Il
n'est pas suffisant que le sommet déclare dans un communiqué qu'il soutient
l'Intifada. Il y a une véritable interaction entre la politique arabe, le sort
de l'Intifada et la résistance palestinienne contre Israël. En effet, l'Autorité
nationale tente actuellement de modifier le mécanisme de versement des
subventions financières adoptées par le sommet du Caire. Ce dernier pensait que
l'Intifada allait durer une semaine ou deux. La Déclaration du Caire a donc
compris des clauses qui n'abordent pas le soutien à la lutte du peuple
palestinien, mais qui s'attaquent plutôt au développement des territoires
palestiniens. Nous appelons le comité ministériel arabe de suivi à modifier ce
mécanisme le plus vite possible.
— Comment évaluez-vous le soutien des Etats
islamiques à l'Intifada ?
— Les Etats islamiques ont annoncé une position
politique et diplomatique de soutien. Ce sont là les limites du sommet
islamique. Mais pourquoi les Etats islamiques payent-ils 18 milliards de US$ aux
parties en conflit en Afghanistan et ne payent pas un seul milliard au peuple
palestinien qui défend la troisième Ville sainte de l'islam ?
— L'Intifada
dure déjà depuis 5 mois. Quelles sont ses plus importantes réalisations sur le
plan politique ?
— L'Intifada a réussi à réaliser une érosion et un
effondrement dans la classe politique israélienne. Ce combat a également permis
d'éliminer les illusions que les leaders israéliens pensaient pouvoir mettre en
exécution par la force militaire. Les sionistes ont ainsi tiré leur dernière
cartouche.
— Comment la révolte palestinienne peut-elle être soutenue et
développée à votre avis ?
— En tant qu'Autorité et peuple, nous ne possédons
pas d'armes secrètes pouvant être employées dans le combat actuel. Ce sont de
grands secteurs du peuple palestinien qui organisent chaque jour l'Intifada.
Chaque occupation provoque une résistance qui commence par des pionniers, puis
d'autres secteurs se rejoignent à cette résistance, pour que finalement le
peuple palestinien dans son intégralité résiste à l'occupation israélienne.
—
Jusqu'où cette révolte des pierres a-t-elle réussi à réaliser les volontés de
tout un peuple ?
— C'est une longue guerre. Ce n'est pas un affrontement
entre deux armées, mais entre une armée d'occupation et un peuple qui lutte
contre cette occupation et dont l'arme ultime demeure les manifestations
pacifiques, la pierre, la justice d'une cause et une opinion publique qui
l'appuie. Ce sont là les armes utilisées par un peuple en état
d'occupation.
— Mais Israël répond par une campagne de liquidation des
commandants de l'Intifada à Gaza et en Cisjordanie ...
— Telle est la réalité
de Barak. Il présentait ainsi ses lettres de créance à l'extrême droite et à son
maître Sharon. Le gouvernement israélien menait ses attaques militaires, en
employant les hélicoptères et les gaz toxiques contre les Palestiniens de
l'Intifada, pour faire une démonstration de force. Barak est égoïste et
arrogant. Mais ses crimes ne pourront pas empêcher le peuple palestinien de
poursuivre sa lutte pour expulser l'occupant israélien, obtenir l'indépendance,
instaurer un Etat avec Jérusalem comme capitale et le retour des réfugiés. Comme
Barak a échoué dans sa politique de répression militaire, Sharon échouera.
—
Les médias israéliens ne cessent de répéter dernièrement que l'Autorité
palestinienne est sur le point de s'effondrer ...
— Nous n'avons pas entendu
des déclarations officielles à ce propos. Israël impose un blocus complet au
peuple palestinien pour l'affamer et l'étouffer. Nous sommes une vraie famille.
Les ressources palestiniennes ne peuvent plus répondre aux besoins de tout un
peuple de 3 millions d'habitants. Cette politique israélienne est la guerre
même. Sinon que signifieraient un blocus, les massacres, l'emploi de gaz
toxiques, les bombardements de l'infrastructure ? L'objectif de cette politique
est de faire obéir le peuple palestinien et son Autorité nationale. Cependant,
nous voulons une paix favorisant l'établissement de deux Etats, l'un palestinien
et l'autre israélien, et non de deux Etats, l'un israélien et l'autre pour les
colons. La pierre et l'Intifada se poursuivront à jamais contre l'occupation
israélienne.
5. Sharon fait monter la tension par Abir
Taleb
in Al-Ahram Hebdo
(hebdomadaire égyptien) du mercredi 7 mars 2001
L'attentat
anti-israélien de dimanche à Netanya, au nord de Tel-Aviv, qui a fait 4 morts (3
Israéliens et 1 kamikaze palestinien) est arrivé à point nommé pour les
Israéliens. Ceux-ci n'ont en effet pas laissé échapper cette occasion pour
déclarer leur intention d'intensifier leur politique répressive contre les
Palestiniens. D'ailleurs, immédiatement après l'attentat, le premier ministre
israélien élu, Ariel Sharon, à pointé un doigt accusateur vers le président
palestinien Yasser Arafat : « Certaines des forces les plus fidèles à M. Arafat
participent à ces attaques », a-t-il déclaré, ajoutant qu'il était « évident que
rien n'est fait (côté palestinien) pour les stopper ».
M. Sharon a promis que
le futur gouvernement d'union nationale, qui sera probablement proclamé ce
mercredi, « devra trouver les réponses appropriées pour rétablir la sécurité des
citoyens d'Israël ». Tout indique donc qu'il frappera encore plus fort que le
premier ministre sortant, le Travailliste Ehud Barak, qui n'avait d'ailleurs pas
lésiné sur les moyens de répression. Pour preuve, aucun pas n'a été franchi dans
la voie des négociations sous Barak, dont le mandat a même connu le
déclenchement de l'Intifada.
Avant même l'entrée en fonction d'un
gouvernement Sharon, le chef de l'armée, le général Shaul Mofaz, avait annoncé
samedi un durcissement de la répression face à la recrudescence des attaques
palestiniennes dans les territoires occupés et des attentats en Israël. Les
menaces israéliennes se font par ailleurs claires. En imputant la responsabilité
de l'attaque à l'Autorité palestinienne, le vice-ministre de la Défense sortant,
Ephraïm Sneh, a indiqué qu'Israël allait continuer « à frapper ceux qui sont
derrière ces attentats comme nous l'avons fait ces derniers mois », faisant
ainsi allusion à la politique de liquidation d'activistes palestiniens qu'Israël
mène depuis novembre dernier.
Un super-faucon à la Défense israélienne
Du
côté palestinien, ces accusations ont été immédiatement rejetées. Dans un
communiqué publié dimanche à Gaza, les Brigades Ezzedine Al-Qassam, branche
armée du principal mouvement islamiste palestinien, le Hamas, ont proclamé leur
intention de passer à l'action contre Israël. « Le jour où l'assassin Sharon
prendra la tête du gouvernement israélien », assurant avoir « plus de 10
kamikazes prêts à frapper l'entité sioniste à l'intérieur (de son territoire) ».
« Toute escalade de la part du terroriste Sharon sera suivie par une riposte
plus dure qui lui fera regretter le jour où il a été élu et même le jour où il a
vu le monde », affirme également le communiqué de la branche armée du Hamas, qui
n'a toutefois pas revendiqué l'attentat.
Quoi qu'il en soit, cet attentat
confirme la détérioration spectaculaire de la situation, puisqu'il survient
après la mort vendredi et samedi de 7 Palestiniens tués par l'armée israélienne,
dont un enfant de 9 ans. C'est dire que la riposte israélienne a été menée avant
même l'attentat de Netanya. Ainsi, le cercle vicieux de la violence ne risque
pas de prendre fin de sitôt, puisque chaque nouvel acte de violence alimente un
cycle de représailles sans fin.
Si Sharon n'a pas précisé quel genre de
mesures il compte prendre, il n'y a pas de doute que sur le plan militaire, la
riposte sera sévère. La nomination vendredi d'un homme considéré comme un
super-faucon, le Travailliste Benyamin ben Eliezer, au poste de ministre de la
Défense dans le cabinet d'union nationale dirigé par Sharon, n'arrangera pas les
choses pour les Palestiniens. Certains observateurs prédisent même une riposte
israélienne tous azimuts, à la fois militaire, économique et
diplomatique.
Pour seule réponse aux menaces israéliennes, faites avant même
l'attentat de dimanche, le président palestinien a déclaré ironiquement : « Que
reste-t-il à utiliser ? L'arme atomique ? ». M. Arafat insiste sur la nécessité
de reprendre les négociations avec Israël sur la base des résultats atteints
avec les Travaillistes. « Tout ce sur quoi il y a eu accord doit être respecté »
par les deux parties, a indiqué le président Arafat, mentionnant en vrac Taba,
Charm Al-Cheikh, Paris, Washington, Le Caire, lieux soit de rencontres, soit
d'accords.
Ce qui semble plutôt dérisoire à l'heure qu'il est, d'autant plus
que M. Sharon a d'ores et déjà fait savoir que son gouvernement ne serait pas
lié par les discussions de Taba, qui avaient eu lieu sur la base du plan de
compromis de l'ancien président américain Bill Clinton, ni même sur les accords
préalablement conclus. A cette intransigeance israélienne s'ajoute donc la
situation alarmante sur le terrain. Un cocktail explosif qui n'augure rien de
bon pour les semaines, voire les mois à venir.
6. Après
l'interdiction faite aux citoyens d'utiliser les routes principales, le plus
court chemin moderne entre les villes de l'"Etat" de Gaza, c'est... la mer !
par Tawfiq Al-Sayyid Salim
in Al-Istiqlal (hebdomadaire palestinien)
du mercredi 7 mars 2001
[traduit de l'arabe par
Marcel Charbonnier]
Quelques mètres avant le barrage,
Ismaïl, 36 ans, sortit de la voiture, avec tous les passagers, à l'exception du
chauffeur qui s'apprêtait à faire le chemin inverse et revivre le scénario
coutumier des jours de bouclage et de blocus imposés à la bande de Gaza. Puis
Ismaïl et ses compagnons de route se dirigèrent vers la plage, qu'ils longèrent
durant environ un quart d'heure de marche dans le sable, devant aussi parfois
marcher dans l'eau, tant la plage est encombrée de marcheurs. Après environ un
kilomètre parcouru ainsi, on arrive à un autre point de départ en voiture, vers
la ville de Gaza, où travaille Ismaïl...
Ce sont des centaines de nos
compatriotes du sud qui revivent ce spectacle désolant au cours de leurs trajets
pour se rendre à Gaza et retour, après que des tanks israéliens soient venus
couper la route principale qui parcourt toute la bande de Gaza, du Nord au Sud,
gênant considérablement les déplacements des habitants.
Au nouveau point de
départ des taxis, une longue file de voitures attendant de prendre en charge les
voyageurs fatigués par leur longue marche dans le sable de la plage, leur
permettant enfin de poursuivre leur trajet vers l'"Etat de Gaza", comme
l'appellent ironiquement certains, signifiant par là qu'il est aussi difficile
d'atteindre cette ville que de se rendre dans un Etat étranger !
Nasméh Abu
Daqqa, enseignante d'informatique, habite à Khan Yunis. Elle travaille dans une
école de Baït Lahiya, au nord de la bande de Gaza. Elle nous dit : "les jours où
je travaille le matin, je sors de chez moi à l'aube, à cinq heures du mat', afin
d'arriver à l'heure, c'est-à-dire à sept heures. Les jours où je travaille
l'après-midi, je dois partir de chez moi à environ huit heures du matin, sachant
que lundi dernier, j'ai dû attendre à trois barrages, sur la route, et j'ai été
en retard au travail, n'ayant pu franchir le dernier barrage qu'à midi et demi,
alors que j'aurais dû être sur place à midi..."
Madame Abu Daqqa exhorte les
responsables à trouver une solution à ce problème qui ne fait qu'empirer, jour
après jour.
Muhammad Abdallah, quant à lui, un étudiant à l'Université
islamique de Gaza, habitant Khan Yunis, lui aussi, a dû louer, avec des
camarades d'études, un petit studio dans le quartier de Shaykh Radwan, à Gaza,
afin de ne pas compromettre son année universitaire en perdant son temps dans
des trajets interminables chaque week-end pour rentrer dans sa
famille.
Abdallah ajoute qu'il a eu recours à cette solution afin d'échapper
au danger que ne manque pas de présenter le franchissement des barrages, et afin
de ne pas rater certaines des conférences au programme et cela, malgré le coût
financier assumé par sa famille, qui doit payer pour lui son loyer à
Gaza.
Cette situation a inspiré les caricaturistes palestiniens qui s'en sont
donné à coeur joie pour portraiturer le calvaire quotidien des Palestiniens du
Sud. Le quotidien Al-Ayyam a publié, mardi dernier, une caricature où l'on voit
des voyageurs faisant la queue, les pieds dans l'eau, tandis que passe, derrière
eux, un taxi des mers plein à craquer, aux passagers visiblement épuisés et
excédés...
Le même journal est revenu à l'assaut, hier, avec une caricature
sur le barrage des routes : on peut y voir un père et une mère de famille
apprenant à nager à leurs enfants, tout en leur disant : "il ne nous reste plus
qu'à vous apprendre le tir et l'équitation..."
Le quotidien Al-Quds a, pour
sa part, publié une caricature illustrant bien, elle aussi, la situation vécue
par les habitants d'une bande de Gaza saucissonnée par les barrages : on y voit
une succession de dessins exposant la difficulté croissante des déplacements, à
commencer par le recours aux automobiles, en passant ensuite aux carrioles
tirées par des chevaux, puis la marche à pied sur la plage, pour finir par la
nage et le canotage sur les eaux d'une Méditerrannée plutôt glaciale, ces
jours-ci !
Il faut rappeler ici que les citoyens désireux de se déplacer
entre le Nord et le Sud de la bande de Gaza doivent passer devant plusieurs
colonies, dont les principales sont celles de Netsarim et de Kfar Darom, ainsi
que devant le complexe d'implantations de Ghush Katif. C'est à ces endroits-là
que les citoyens sont soumis à nombre de vexations, qui peuvent aller jusqu'à la
mort entraînée par les tirs des soldats d'occupation, concentrés aux carrefours.
Plusieurs Palestiniens ont été tués sur ces barrages, sans sommations, d'autres
ont été arrêtés car suspectés d'avoir participé aux actions quotidiennes de
l'intifada, sans oublier les humiliations délibérées, des citoyens ayant été
contraints de se dévêtir et de marcher entièrement nus.
Toutes ces avanies
sont vécues quotidiennement par les citoyens palestiniens en un temps où les
moyens de la propagande israélienne se répandent pour faire croire que les
barrages ont été levés, que les routes ont été ouvertes entre le nord et le sud
de la bande de Gaza. Les citoyens palestiniens n'ont été nullement surpris,
lundi matin, de voir fermer devant eux la route Salah al-Din (Saladin), à neuf
heures et demie, contrairement aux allégations des médias israéliens, ni
lorsqu'ils ont pu voir les autorités d'occupation édifier de hauts remparts de
moellons entre les tanks stationnés au barrage de Abu Hawli, et à celui
d'al-Matahin (les Moulins), entraînant un embouteillage monstre, dans les deux
sens.
Les citoyens nous ont dit que, dans une nouvelle mesure provocatrice,
les soldats répètent sur un ton ironique et méprisant : "Allez-y, les Arabes,
tuez-nous !", "Maman, au secours !", etc...
Dans un communiqué, la Sécurité
générale de Gaza affirme que les autorités des forces d'occupation israéliennes
ont fait monter d'un degré les difficultés auxquelles les citoyens sont
confrontés dans leurs déplacements sur la route Saladin, qui relie le Nord au
Sud de la bande de Gaza.
Un communiqué de la direction de la sécurité, signé
par le commandant Abd al-Razzaq al-Majayidéh, directeur de la sécurité publique
de la bande de Gaza, relève que les forces d'occupation ont procédé à l'escalade
dans leur agression contre notre peuple, en recourant à tous les moyens
possibles et imaginables.
Ce communiqué ajoute que les forces d'occupation ne
se contentent plus de tuer des centaines de martyrs et de blesser des milliers
de Palestiniens au cours d'une litanie interminable d'agressions armées : elles
ont créé dix chicanes métalliques nouvelles, entre le carrefour d'al-Qararah et
la route d'Abu Hawli, au cours des deux journées écoulées.
Ainsi, la vie du
citoyen palestinien est tenue en otage par des groupes de soldats sionistes qui
n'épargnent aucun effort pour l'humilier et le rudoyer, au su et au vu d'un
monde qui nous casse les oreilles avec la Déclaration des droits de l'homme
!
7. "Que n'a-t-il déjà employé ? La bombe atomique
?"
in Al-Quds (quotidien palestinien) du mardi 6 mars 2001
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
- Le Président palestinien ironise sur
les menaces de Mofaz et appelle Israël à respecter tout ce qui a été
signé.
Le président Yasser Arafat a ironisé hier à propos de l'annonce faite
par le chef d'état-major israélien d'une intensification de la répression contre
l'intifada, affirmant que les négociations avec Israël doivent reprendre sur la
base des résultats atteints avec le gouvernement précédent (travailliste).
Le
président Arafat a par ailleurs déclaré à l'Agence France-Presse, à son QG de
Gaza, en répondant à une question sur les menaces proférées par le chef
d'état-major israélien, le général Shaul Mofaz : "Que n'a-t-il déjà employé ? La
bombe atomique ?"
Refusant de commenter la nomination du travailliste
Benjamin Ben Elizer, considéré comme le plus "grand faucon" dans son parti,
nommé ministre de la défense du gouvernement d'union nationale présidé par le
leader de droite Ariel Sharon, il a déclaré : "Wait and see..." ("Attendons pour
voir..."), affirmant ne pas vouloir "s'immiscer dans les affaires intérieures
d'Israël". Répondant à une question sur la possibilité d'une rencontre avec le
leader du Likud Ariel Sharon, Arafat s'est contenté de rappeler qu'il lui avait
envoyé un message de félicitation (pour son élection) et qu'il avait conféré
avec lui au téléphone après les élections du six février dernier. Il a affirmé
qu'il n'y avait aucune sorte de prises de contact indirectes entre Sharon et
lui-même.
En ce qui concerne l'éventualité d'une reprise des négociations de
paix israélo-palestiniennes, suspendues depuis la fin du mois de janvier, le
président Arafat a affirmé que "les deux parties doivent respecter tout ce qui a
été conclu", faisant allusion à "Taba, Sharm al-Shaykh, Paris, Washington et Le
Caire", villes ayant vu se dérouler, successivement, des négociations suivies
d'accords.
Alors qu'on lui rappelait que "les négociations menées à Taba
n'avaient abouti à aucun accord", Arafat a affirmé qu'"on y était parvenu à des
résultats tangibles".
"Nous avons obtenu des résultats, nous avons des
témoins : le représentant de la Communauté Européenne Moratinos, et les délégués
Egyptiens".
Le président Arafat n'a pas voulu révéler la position
palestinienne dans l'éventualité où Sharon persisterait à refuser les acquis de
Taba, se contentant de commenter : "Attendons de voir..."
Répondant à une
question sur ses attentes par rapport à la nouvelle administration américaine,
présidée par le Républicain George W. Bush, après sa rencontre avec le
Secrétaire d'Etat Colin Powell, le 25 février dernier, il a fait part de son
espoir dans une "continuation de ce que nous avons pu réaliser avec
l'administration américaine sortante".
Au cours de l'interview, Arafat, de
retour d'une visite en Libye, vendredi dernier, semblait détendu et en parfaite
santé. Mais les mesures de sécurité renforcées, autour de lui, n'échappaient à
personne.
8. Comment sortir
d'un cycle infernal ? par Baudoin Loos
in Le Soir (quotidien
belge) du mardi 6 mars 2001
Après un nouveau week-end marqué par une
violence extrême qui a coûté la vie à plusieurs Palestiniens dans des incidents
séparés et à trois Israéliens lors d'un attentat-suicide à Netanya, tout se
passe comme si l'étreinte mortelle qui unit les deux peuples était destinée à se
perpétuer au gré aléatoire d'une interminable spirale haineuse.
Pour la
grande majorité des Israéliens, le Palestinien Arafat a manqué une occasion
unique de conclure la paix en des termes très favorables que lui offrait leur
Premier ministre Ehoud Barak, et il a même recouru à la violence pour tenter
d'engranger de nouveaux points. Dans un récent sondage, 71,5 % des Israéliens
interrogés voyaient ainsi en Arafat plus un terroriste qu'un homme d'Etat. Plus
nuancé, Shlomo Ben Ami, ministre des Affaires étrangères sortant, déclarait à «
Libération » vendredi qu'Arafat lui faisait penser à un homme qui va au souk,
fait baisser le prix au maximum, puis s'en va sans rien acheter. Il ne veut
faire la paix que si toutes les composantes de son camp sont satisfaites. C'est
impossible.
Preuve d'une perception radicalement différente, dans l'autre
camp, beaucoup se félicitent qu'« Abou Ammar » n'ait pas cédé aux pressions
israéliennes et américaines. Marwan Barghouti, chef du Fatah à Ramallah, est de
ceux-là, qui déclarait à « La Croix » le 28 février : L'objectif de l'intifada,
c'est la libération de Gaza et de la Cisjordanie, y compris Jérusalem. Tant que
nous ne rendons pas l'occupation extrêmement coûteuse aux Israéliens à tous les
niveaux, je ne pense pas qu'ils accepteront un retrait complet. Voilà le message
que nous voulons leur faire passer : pas de paix, pas de sécurité tant qu'il y
aura occupation.
Une occupation qui a deux visages pour les Palestiniens :
celui de l'armée qui les assiège depuis des mois - d'habitude, des check-points
parsèment leurs territoires, mais désormais toutes les agglomérations sont
bouclées et plus personne ne peut en sortir, quel que soit son état de santé -
et celui de la colonisation - durant le règne de Barak, entre juin 1999 et
décembre 2000, 22.419 nouveaux colons juifs se sont installés (une augmentation
de 12 %), le total dépassant maintenant les 200.000, ceci sans compter le même
nombre à l'Est de Jérusalem.
« Pas de paix ni de sécurité tant qu'il y aura
occupation »
Arafat en a-t-il conclu qu'il n'avait d'autre choix que de
suivre les aspirations de son peuple et donc de s'aligner sur sa fermeté ?
Peut-être, mais le résultat s'avère catastrophique pour lui : les Israéliens,
consternés par la violence, ont invité le super faucon Sharon à les diriger,
l'économie locale flirte avec la banqueroute et l'Autorité palestinienne paraît
sur le point de s'effondrer, selon les estimations concordantes livrées ces
derniers jours par les Nations unies, l'Union européenne, les Etats-Unis et même
Israël. Au point que les premières voix se font entendre, chez les Palestiniens,
pour se demander quelle stratégie, s'il y en a une, l'Autorité palestinienne
mène au-delà d'une simple ambition de survie...
De son côté, Ariel Sharon va
se retrouver à la tête d'une formation où les « durs » ne manquent pas,
conformément aux désirs d'une population lasse d'être attaquée. Mais le nouveau
Premier ministre et son premier diplomate, Shimon Peres, savent que la solution,
si elle existe, ne pourra être que politique. Va-t-on vers un retrait israélien
unilatéral d'une portion de la Cisjordanie ? La chose semble étudiée, mais les
seuls 43 % de la Cisjordanie envisagés par Sharon pour y établir un Etat
palestinien ne feront que galvaniser les énergies palestiniennes
militantes.
Pour le moment, la violence des uns justifie la violence des
autres et vice-versa. Une vraie spirale infernale dont profitent les
extrémistes. Telles que les choses se présentent des deux côtés, de nombreuses
victimes devront encore être comptabilisées avant que la raison ne l'emporte.
Ressemblera-t-elle à la légalité internationale, qui prescrit l'échange des
territoires contre la paix et proscrit la colonisation de territoires occupés
?
9. Les colons
israéliens veulent annexer Mawasi par Pénélope Larzillière
in La Croix du lundi 5
mars 2001
Les 7 000 Palestiniens de ce village situé au sud de Gaza,
sous contrôle israélien, sont harcelés par les colons qui détruisent leurs
cultures, veulent les expulser et leur couper l'accès à la mer
MAWASI (bande
de Gaza) De notre envoyée spéciale
Des hommes lourdement chargés attendent le
droit de traverser à pied les 200 mètres du check point israélien qui marque
l'entrée dans le district de Mawasi, à côté de Khan Younis. Depuis un mois
et demi, les voitures n'ont plus le droit d'entrer dans cette bande de
terre de 14 km² au sud de Gaza, le long de la mer. Sur les bâtiments
palestiniens qui précèdent le check point, de larges impacts de tirs sont
visibles, des façades entières détruites. C'est ici que l'armée israélienne a
utilisé un nouveau gaz lacrymogène les 12 et 18 février qui a envoyé 280
personnes à l'hôpital.
Sept mille Palestiniens, en majorité agriculteurs,
vivent à l'intérieur de Mawasi, zone sous contrôle israélien entourée de toutes
parts par la colonie de Gush Katif. Sur les dunes de sable, les habitants ont
planté des vergers de citronniers, de goyaviers. Ils cultivent aussi, en serre,
fraises, tomates et concombres. Sans eau courante, ils irriguent à partir de
puits à 1,50 m de profondeur dont beaucoup sont contaminés par les eaux salines.
Il leur est interdit d'asphalter leurs chemins ou d'emprunter les routes des
colons qui traversent la zone.
Leur situation est devenue très difficile
depuis que le bouclage du district les empêche d'aller vendre leur production à
la ville voisine de Khan Younis ou même, certains jours, de rejoindre leur lieu
de travail. Certains travaillent encore dans la colonie, mais tous les nouveaux
permis de travail ont été annulés. Sur place aucune infrastructure médicale en
dehors d'un médecin. « Ma femme a accouché il y a une semaine et demie, explique
Abd al-Nasser, un grossiste en légumes de 37 ans. On a mis plus de trois heures
à quitter la zone. » Quant à l'école primaire, elle est fermée puisque les
enseignants de Khan Younis, comme toute personne étrangère à la zone, sont
interdits d'accès.
Laisser les cultures à l'abandon
Cette situation
pourrait encore empirer. Les colons voudraient annexer cette zone qui leur est
limitrophe. Il y a un peu plus d'un mois, certains d'entre eux ont attaqué
le district, s'en prenant aux serres qu'ils ont brûlées ou déchirées et à
quelques habitations. « Comme vous voyez, nous sommes à 100 mètres du
poste militaire israélien, s'indigne Kin'an, femme d'une quarantaine d'années.
Ils n'ont pas bougé. » Les propriétaires des serres les plus proches de la
colonie n'ont pas osé les réparer et doivent laisser leur culture à l'abandon.
Un hectare supplémentaire a été confisqué pour empêcher l'accès direct aux
serres palestiniennes situées plus loin. « Un jour, j'avais laissé ma porte
ouverte, reprend Abd al Nasser. Des colons sont entrés. Ils ont frappé le gamin.
Une autre fois, ils ont tiré sur la maison. Le lendemain, j'ai porté plainte
auprès des autorités militaires israéliennes. Ils ont dit qu'il ne s'était rien
passé. Maintenant, tous les samedis ils font des descentes. » Plus au nord, le
long de la route des colons qui longe la mer, les vergers ont été détruits sur
quelques hectares. Le 11 février, les habitants de 22 maisons toutes proches ont
été prévenus qu'ils allaient être expulsés le lendemain et leurs maisons
détruites. Ces habitations constituent en effet la dernière partie de Mawasi qui
a accès à la mer. Le but est de terminer l'encerclement. « Il n'y a jamais eu un
d'incident ici », s'étrangle Ibrahim al-Jabala, 70 ans responsable du village.
Je suis moi-même un réfugié d'Ashkelon, aujourd'hui en Israël. Où dois--je
encore aller ? Qu'ils prennent ma maison ici et moi je reprends la mienne
à Ashkelon. » La moitié de la population de Mawasi est composée de réfugiés
d'Ashkelon arrivés en 1948 et qui habitent quelques pièces de ciment
autour desquelles ils ont installé des clôtures et des appentis en branchages.
La plupart ne disposent d'aucune terre et ne peuvent cultiver qu'un
potager. « Depuis une semaine et demie, même l'accès à la mer nous est interdit
et nous ne pouvons plus pêcher au filet, poursuit Ibrahim al-Jabala. Ces
derniers temps, nous nous nourrissons essentiellement de roubza (sorte de
blettes). »
Le jour de l'évacuation, le 12 février, les habitants ont décidé
de rester dans leurs maisons, des drapeaux blancs sur les portes. Des
associations comme Gush Shalom, le Bloc de la paix, association israélienne, et
le Centre palestinien des droits de l'homme se sont mobilisées. Jusqu'ici les
démolitions n'ont pas été effectuées.
10. Des soldats israéliens tuent un
Palestinien
in The New York Times (quotidien américain) du lundi 5
mars 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Jérusalem (Agence Associated Press) 3h59
temps Européen
Des soldats israéliens ont tué un Palestinien au cours d'un
échange de tirs nocturne, et la police israélienne a été placée en état d'alerte
maximale, ce lundi : il lui a été ordonné de laisser de côté momentanément
certaines de ses tâches jugées non-prioritaires, et de se concentrer sur la
prévention d'attaques-suicides palestiniennes, après le dernier attentat mortel
à la voiture piégée.
Le premier ministre, Ariel Sharon, reste campé sur sa
fermeté, une semaine avant sa prise de fonction, la semaine prochaine, et sa
promesse de restaurer la sécurité (pour Israël), après plus de cinq mois
d'affrontements avec les Palestiniens.
Sharon est parvenu à un accord avec le
parti Shaas, ultra-orthodoxe, dimanche, et il dispose désormais d'un soutien
suffisant pour pouvoir former un gouvernement de coalition. On s'attend à ce
qu'il présente son gouvernement au parlement cette semaine, vraisemblablement
mercredi prochain. Il prendrait ses fonctions immédiatement, si la coalition
obtient un vote majoritaire.
La tâche la plus urgente, pour Sharon, sera de
faire face à l'escalade de la violence actuelle.
Un homme-bombe palestinien
s'est fait sauter, tuant trois Israéliens, dimanche, dans la ville côtière
israélienne de Netanya. Il s'agissait là de la seconde attaque à la bombe à
l'intérieur d'Israël en quatre jours. Par ailleurs, sept Palestiniens ont été
tués vendredi et samedi derniers.
Un autre Palestinien, Osama Naghnaghia, 21
ans, a été tué dimanche soir, alors qu'un groupe d'hommes armés avaient engagé
le combat contre une patrouille de l'armée israélienne près de la ville de
Jenin, en Cisjordanie, ont indiqué l'armée israélienne et un porte-parole de la
milice palestinienne Tanzim.
Des milliers de personnes ont assisté à
l'enterrement de Naghnaghia, tôt dans la matinée de lundi, premier jour du Aïd
al-Adha, la fête musulmane du Sacrifice.
Sharon, de son côté, a déclaré que
l'attentat de dimanche était "très grave" et montrait que l'Autorité
palestinienne ne prend pas les mesures nécessaires pour "mettre un terme à la
violence".
"Nous savons très bien que les forces les plus loyales (au leader
palestinien Yasser Arafat) sont impliquées dans certains attentats", a déclaré
Sharon. Il n'a pas établi de lien direct entre les forces loyales à Arafat et,
précisément, l'attentat de dimanche.
Arafat a déclaré que l'insurrection
palestinienne se poursuivra "jusqu'à ce que nous élevions le drapeau palestinien
sur la muraille de Jérusalem, ses minarets et ses clochers".
Après avoir
assisté aux prières de l'aube à la mosquée Khalil al-Wazir, dans la bande de
Gaza, pour marquer la fête musulmane, Arafat a déposé une gerbe au Cimetière des
Martyrs, où sont enterrés des Palestiniens tués lors des affrontements.
En
Israël, des milliers de policiers étaient en état d'alerte, lundi, afin de
tenter de déjouer de probables nouveaux attentats.
Le commissaire de police
Shlomo Aharonishki a indiqué avoir ordonné aux policiers de laisser de côté
leurs tâches routinières afin de se concentrer sur la sécurité des centres
commerciaux et autres lieux publics.
"Nos unités ont reçu l'instruction
d'intensifier leurs passages sur le terrain, fût-ce au détriment de la lutte
anti-criminalité", a-t-il déclaré à la radio de l'armée. "Nous avons suspendu
certaines de nos sessions de formation, des volontaires vont se joindre à nous
et nous avons demandé de l'aide à l'armée".
L'attentat de Netanya n'a pas été
revendiqué, mais les deux principaux mouvements islamistes, le Hamas et le
Jihad, ont déclaré qu'ils poursuivraient leur campagne d'attentats afin
d'affaiblir le gouvernement Sharon.
Israël s'était efforcé d'empêcher
l'entrée de militants palestiniens sur son territoire en imposant un blocus
total sur les déplacements de tous les Palestiniens qui auraient voulu y
pénétrer depuis la Cisjordanie ou la bande de Gaza.
Alors que la bande de
Gaza est entourée d'une haute barrière de fils de fer barbelés, les officiels
israéliens reconnaissent qu'il est impossible de rendre complètement hermétique
la frontière avec la Cisjordanie, des centaines de pistes et de chemins non
goudronnés permettant aux Palestiniens de contourner les points de contrôles
frontaliers.
Le blocus israélien a étranglé l'économie palestinienne,
empêchant 120 000 Palestiniens de se rendre à leur travail en Israël, comme ils
le faisaient quotidiennement auparavant.
Shimon Pérès, qui sera le ministre
des Affaires Etrangères du gouvernement Sharon, a appelé à une reprise de la
coopération en matière de sécurité avec les Palestiniens. Il a dit qu'Israël
devrait s'efforcer de les aider à redresser leur économie.
Le colombe Pérès a
dit également que la notion de séparation totale entre les Israéliens et
Palestiniens était irréalisable. "La situation est très compliquée, regardez la
carte...", a-t-il déclaré à la radio israélienne.
Sharon a dit qu'il ne
rouvrirait pas les négociations avant la fin des violences. Il est également
opposé au compromis proposé par son prédécesseur, Ehud Barak, consistant en
l'établissement d'un Etat palestinien sur la plus grande partie de la
Cisjordanie et de la bande de Gaza et sur une partie de Jérusalem. Sharon a dit
que cette offre allait trop loin, alors que les Palestinien l'ont rejetée pour
la raison exactement inverse.
Au total, 423 personnes ont été tuées depuis le
début des affrontements, en septembre 2000.
11. Epouvantable équation par Gideon
Levy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 4 mars 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Demain, les cimetières palestiniens vont
s'emplir de visiteurs. Chaque année, les Palestiniens se rendent, en effet, sur
les tombes de leurs chers disparus, au matin de la Fête du Sacrifice, Aïd
al-Adha ; demain, c'est à plus de trois cents tombes fraîchement creusées qu'ils
rendront visite, parmi lesquelles quatre-vingt sept renferment les dépouilles
d'enfants. Puis les familles rentreront chez elles, pour partager un repas de
fête. Mais, cette année, bien peu de familles auront droit à la viande de
moutons sacrifiés, traditionnelle pour cette fête, mais devront se contenter de
poulet, en raison du prix. Beaucoup d'enfants ne porteront pas de vêtements
flambant neufs, comme le voudrait la tradition, parce que leurs parents n'ont
pas l'argent pour leur les acheter. Il y aura aussi moins d'invités que
d'habitude - certains proches ne pourront pas venir, à cause du bouclage des
territoires.
Cela fait très longtemps - il faut remonter à la catastrophe de
1948 - que les Palestiniens n'ont connu une Fête du Sacrifice en des temps d'une
telle dureté. A une heure de route de Jérusalem se déroule un drame, depuis cinq
mois, sans équivalent depuis les premiers temps de l'occupation israélienne,
mais cela n'intéresse absolument pas les Israéliens. La poigne de fer du blocus
nouvelle manière étrangle de plus en plus une population de 2,8 millions de
personnes, mais on ne dit rien, en tous les cas, pas autour de la table du
gouvernement sortant - le "gouvernement de la paix" - ni parmi ceux qui
s'apprêtent à servir dans le nouveau, ni même dans l'opposition sioniste de
gauche.
Il faut le dire sans détour : il n'y a jamais eu un tel blocus, au
pays des barrages et des bouclages. Aux pires moments de la première intifada,
lorsque les Forces israéliennes de défense étaient partout et où le couvre-feu
était total, nous n'avions pas cette situation où tout un peuple est emprisonné
sans jugement et sans appel. Vous avez dit "appel" ? Par le passé, le sort d'une
femme sur le point d'accoucher ou d'un malade à l'agonie, était suspendu au sens
d'humanité du jeune soldat de faction au barrage routier, qui laissait - ou non
- passer. Maintenant, les Palestiniens ne peuvent que rêver du bon soldat qui
naguère aurait pu, éventuellement, lever la barrière. Israël a découpé la
Cisjordanie par des centaines de tranchées, de remparts de terre et de cubes de
béton placés à l'entrée de la plupart des villes et villages. Personne n'entre,
personne ne sort ; ni celles qui sont enceintes, ni celles et ceux qui sont
mourants. Il n'y a même pas de soldat à convaincre ou à supplier. Le village, le
camp de réfugiés ou la ville sont en état de siège et leurs habitants sont tenus
prisonniers. L'écolier ne peut se rendre à son école en sécurité, ni le lycéen à
son lycée, ni l'adulte à son travail.
Un entrelacs de pistes tortueuses
permet de déjouer le siège, contraignant un peuple entier à utiliser des chemins
détournés, boueux ou poussiéreux, la situation étant aggravée par le risque réel
d'être arrêté ou tué par des soldats qui tirent souvent sur les voyageurs du
désespoir qui tentent, tant bien que mal, de conserver quelque chose de leur vie
habituelle. Seules les personnes qui ont pu emprunter les routes de Cisjordanie
peuvent se faire une idée réelle de l'étendue de cette situation atroce.
Cet
enfermement massif d'un peuple entier, sur une échelle monstrueusement
inhumaine, assène également un coup mortel à l'économie. Selon des données
publiées par l'envoyé spécial de l'ONU, Terje Roed-Larsen, dont la fiabilité ne
saurait être mise en doute, les Palestiniens perdent 6,8 millions de dollars par
jour à cause du bouclage actuel des territoires, et les pertes cumulées jusqu'à
ce jour s'élèvent pour eux à plus d'un milliard de dollars. Pour une économie
déjà chancelante, ceci représente le coup de grâce. Un quart de million de
chômeurs, un million de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté (1,20
dollar/jour), avec une chute du P.I.B. de cinquante pour cent : ce sont là des
données statistiques cauchemardesques non seulement pour les Palestiniens, mais,
y compris, pour les Israéliens eux-mêmes.
Jamais auparavant avait-on assisté
à une telle détresse et à de telles souffrances sur une telle échelle, dans les
territoires, chez les Palestiniens. Elles ne manqueront pas d'engendrer un
désespoir sans précédent et de déclencher, en fin de compte, plus de violence,
plus cruelle et plus douloureuse que ce qu'on a jamais pu constater jusqu'à
présent. D'ores et déjà, 84% des Palestiniens, généralement blindés contre
l'adversité, font état de "souffrances psychologiques", d'après une étude
récente réalisée par l'Université de Bir Zeit. Ce pourcentage augmente de jour
en jour.
Ces difficultés vont se traduire en un nombre croissant d'attentats.
C'est là le noeud du problème : la terrible détresse des Palestiniens, causée
par le bouclage actuel, va se traduire très vite en détresse pour les
Israéliens. En dépit de sa simplicité, personne ne semble prendre en compte la
gravité de cette équation terrifiante. Même ceux qui ont dans le coeur une place
pour des considérations basées sur une approche humanitaire ou morale, devraient
avoir calculé depuis longtemps la part des profits et des pertes pour Israël,
dans cette situation.
Le bouclage actuel n'a rien à voir avec des mesures de
sécurité. Quiconque en douterait est invité à se rendre aux barrages routiers et
y constater que des milliers de piétons et de véhicules parviennent, en dépit de
tout, à pénétrer en territoire israélien au nez et à la barbe des soldats. Ceux
qui sont prêts à en prendre le risque pour se rendre à leur travail sont
certainement prêts à le faire, tout aussi bien, pour aller commettre un
attentat. L'objectif réel du bouclage, c'est de complaire aux colons qui ont
peur et, peut-être, aussi, le soupçon s'en fait jour, de détruire l'Autorité
palestinienne, pour des raisons difficilement explicables.
Le siège actuel,
opération honteusement barbare, doit être levé au plus tôt. Ceci ne doit pas
être conditionné par la cessation des violences, car le siège est l'éperon le
plus efficace qui soit pour les susciter. Il n'est même plus question de la
possibilité d'entrer en Israël, mais de celle d'entrer librement dans Naplouse.
Le nouveau premier ministre, Ariel Sharon, ne pourrait prendre une mesure plus
avisée pour débloquer la situation actuelle, de manière radicale, que celle
consistant à éliminer, immédiatement et sans conditions, les tranchées et les
barrages en remblai qui rendent impossible la vie - déjà difficile - des
Palestiniens.
Ce ne serait pas simplement une mesure humaine : ce serait une
mesure intelligente.
12. Tristesse dans les Territoires à la veille de
l'Aïd-el-Kébir par Ibrahim Hazboun
Dépêche de l'agence Associated Press du dimanche 4 mars 2001,
22h37
ZATARA, Cisjordanie - A la veille de l'Aïd el-Kébir, la liesse
précédant traditionnellement la plus grande fête musulmane avait cédé dimanche
la place à la tristesse dans les Territoires palestiniens, le blocage imposé par
Israël limitant les visites familiales et accroissant surtout la pauvreté.
Affectés par une pauvreté grandissante, nombre de Palestiniens n'ont plus
les moyens de célébrer la fête comme par le passé. Un Palestinien sur trois vit
actuellement sous le seuil de pauvreté, contre un sur cinq l'automne dernier.
Khaled Abdel Majed, chauffeur de taxi, se désole de ne pas pouvoir égorger
de mouton cette année, pour la première fois depuis dix ans. ''C'est difficile
de nourrir mes enfants en ce moment et j'espère que Dieu me pardonnera de ne pas
pouvoir lui offrir de sacrifice'', explique-t-il.
Ali Abu Ramsis, un concierge palestinien, a dépensé ses dernières économies
et a dû emprunter 210 dollars (1.473FF/225 euros) pour acheter un mouton destiné
à être égorgé lundi. Cet homme de 31 ans est persuadé que cette offrande faite à
Dieu lors de la fête du mouton (également appelée fête du sacrifice,
Aïd-el-Adha), est sa seule chance d'améliorer sa vie.
Pour ce Palestinien, au chômage depuis le début de la nouvelle Intifada il
y a cinq mois, cet achat a été un crève-coeur, dans la mesure où il l'empêche
d'offrir de nouveaux vêtements et de nouveaux jouets à ses enfants, âgés de
quatre, trois et un an. ''Je n'ai pas de mots pour leur expliquer'', lâche-t-il
en sirotant une tisane à la sauge dans son baraquement d'une pièce.
Dans la ville de Bethléem, rares étaient les clients au marché aux bestiaux
local du vendredi.
Ahmed Salim affirme que ses ventes ont diminué de moitié. ''J'ai placé tous
mes espoirs dans les ventes destinées à la fête, mais tous les clients manquent
d'argent. J'ai le sentiment que les moutons vont mourir avant que je ne les
vende'', ajoute-t-il, en faisant rentrer les animaux dans son camion.
La consternation des commerçants n'est pas moindre dans la bande de Gaza.
Ahmed Abou Nour, propriétaire d'un petit magasin de vêtements à Gaza, évalue ses
pertes à 3.000 dollars (21.042FF/3.208 euros) par rapport aux autres périodes
précédant l'Aïd. Exhalant la fumée de son narguilé, il raconte que les heures
passent parfois sans qu'il aperçoive un seul client.
''Les gens n'ont quasiment plus d'argent, si bien qu'ils ne peuvent même
pas acheter les produits de base, vu qu'ils ont dépensé toutes leurs
économies''.
Dans la ville divisée d'Hébron en Cisjordanie, Israël a levé en début de
semaine un couvre-feu permanent, qui assignait de facto à résidence les 30.000
Palestiniens, pour protéger 450 colons juifs vivant dans des enclaves.
Malgré la levée de cette restriction, Mahmoud Zahdah, un habitant du
centre-ville âgé de 32 ans, n'attend nullement l'Aïd el-Kébir avec impatience,
ne pouvant pas le passer avec les membres de sa famille, qui vivent dans
d'autres parties de la Cisjordanie.
''Cette année, il n'y a aucun signe de joie'', souligne-t-il. ''Mon fils a
six ans. Il ne comprend pas la politique. Il veut des jouets''.
13. Enquête sur le vrai pouvoir d'Arafat par
René Backmann
in Nouvel Observateur du
samedi 3 mars 2001
Les Palestiniens croient-ils encore à
la paix ?
Au bord de la suffocation après cinq
mois de siège qui ont mis leur économie à genoux, les Palestiniens de
Cisjordanie et de Gaza sont déboussolés par les hésitations de leurs dirigeants,
qui demandent à la fois la reprise des négociations et l'intensification de la
résistance. Voyage au coeur d'un peuple en proie au doute
Nous avons commis une lourde erreur :
passer des manifestations populaires aux actions armées. Il était clair que le
rapport des forces nous était très nettement défavorable et que les Israéliens,
sans avoir à envahir les zones sous notre contrôle, pouvaient nous infliger des
coups très durs. Ce qu'ils ont fait. » Tout en buvant à petites gorgées un thé
brûlant, Mamdoh Nofal promène son regard sur les collines arides qui cernent les
faubourgs de Ramallah. Le restaurant du BesAt Eastern, l'un des nouveaux hôtels
construits après la signature des accords de paix, est désert. L'établissement
est vide. Comme la plupart des jeunes entreprises de la plus grande ville de
l'Autorité palestinienne, il tourne au ralenti, guetté par la faillite, après
cinq mois de bouclages et de tension qui ont mis à l'agonie l'économie des «
territoires autonomes ». Ancien chef militaire du Front démocratique de
Libération de la Palestine (FDLP) de Nayef Hawatmeh, longtemps recherché par le
Mossad pour avoir organisé des opérations terroristes sanglantes en Israël,
Mamdoh Nofal a été l'un des derniers chefs de fedayins à rentrer en Palestine en
1996. « C'est la guerre des pierres qui m'a convaincu de la vanité de la lutte
armée, raconte ce costaud aux cheveux poivre et sel, qui a du mal à se défaire
de ses habitudes furtives de guérillero et qui partage aujourd'hui son temps
entre la rédaction de ses Mémoires, des chroniques pour le quotidien "Al-Ayyam"
et les réunions du conseil militaire de Yasser Arafat. J'ai constaté que les
gamins de l'Intifada avaient obtenu davantage avec leurs mains nues que nous
avec nos Kalachnikovs. C'est pourquoi, quelques jours avant la visite de Sharon
sur l'esplanade des Mosquées, lorsque Yasser Arafat nous a demandé d'être prêts
à nous battre, j'ai plaidé pour des manifestations populaires massives et contre
l'usage des armes. C'est vrai que les Israéliens ne respectaient pas leurs
engagements et faisaient traîner les négociations, mais il fallait, une nouvelle
fois, utiliser contre eux l'arme qui nous avait attiré la sympathie du monde
entier et qui avait contraint Rabin à ouvrir le dialogue. Djibril Rajoub, le
chef de la sécurité préventive en Cisjordanie, n'a cessé, lui aussi, de mettre
en garde Arafat contre le danger d'une confrontation armée. En vain. Abou Amar
(Arafat) était convaincu qu'au bout de deux ou trois jours, le déséquilibre des
forces serait si intolérable que les Américains, les Européens et les Arabes
conseilleraient à Barak de reprendre les négociations. »
Depuis le début de « l'Intifada
al-Aqsa », il y a cinq mois, d'autres voix palestiniennes ont plus ou moins
ouvertement critiqué le recours aux armes. Pour Saleh Abdel Jawad, directeur du
département d'histoire et de sciences politiques à l'université de Bir-Zeit, il
s'agit d'une « stratégie erronée, désastreuse ». Fondateur du Jerusalem Media
and Communication Center (JMCC), un centre d'études politiques de Jérusalem-Est,
Ghassan Khatib dénonce, lui, « une erreur stupide ». A Gaza, le psychiatre Eyad
el-Sarraj, président du Centre de Santé mentale, qui a déjà eu des déboires avec
l'Autorité palestinienne pour avoir dénoncé la corruption de certains de ses
responsables, estime que Yasser Arafat est « tombé dans le piège que lui
tendaient les Israéliens. Je crois à la résistance non violente. Mais elle
suppose chez nous la création d'un véritable camp de la paix. Sadate a été
capable, en quelques mots, de gagner la sympathie des Israéliens. Arafat aurait
dû s'en souvenir. Nous pouvons tuer des Israéliens, bien sûr. Mais avec quel
résultat ? Chaque mort chez eux, c'est une famille de plus qui nous hait ».
Arafat pouvait-il adopter une autre
stratégie ? En public, le débat est abordé avec réticence par les responsables
palestiniens : « Lorsque les canons des chars israéliens sont braqués sur les
villes et les villages où nous sommes confinés par les bouclages, explique un
universitaire, il n'est pas très décent de contester les choix de ceux que nous
avons élus. » Ce qui est clair, c'est que, surtout depuis l'échec du sommet de
Camp David, en juillet, la population de Cisjordanie et de Gaza était « un baril
de poudre », selon l'expression d'un notable de Jérusalem. Des émeutes avaient
éclaté, à Khan Younis, à Rafah, et les manifestations se succédaient.
L'émiettement des zones autonomes, l'humiliation à répétition des check-points,
la paralysie du processus de paix, en retard de deux ans sur le calendrier
initial, les terres agricoles confisquées pour ouvrir des routes aux colons ou
étendre leurs implantations : tout alimentait cette colère de la base, mélange
de révolte contre l'arbitraire et d'espoirs déçus.
Colère que, depuis son bureau de Gaza,
Yasser Arafat ne pouvait pas ne pas entendre monter. « Les plus jeunes, entre 15
et 22 ans, qui ont grandi dans l'Intifada puis sous l'Autorité palestinienne, ne
supportaient pas qu'elle reste passive devant l'accroissement constant de la
population des colonies », constate Akram Haniyye, directeur du journal «
Al-Ayyam » et membre de la délégation palestinienne à Camp David. A cela
s'ajoutait un mécontentement réel, de plus en plus bruyant, provoqué par les
abus et les dysfonctionnements de l'administration mise en place depuis 1994 par
Yasser Arafat. Les rumeurs de corruption et de népotisme, les villas et les BMW
un peu trop voyantes de certains protégés du président, les cartes de VIP qui
leur épargnaient les attentes aux check-points, les abus de pouvoir des
multiples services de police, les accusations d'incompétence et de gabegie, qui
n'épargnaient que deux ministères - l'Education et la Santé - nourrissaient
aussi la colère de la rue.
« Les gens du Hamas ne cessaient de
répéter qu'Arafat avait vendu l'Intifada aux Israéliens sans rien obtenir en
échange. Même si beaucoup de Palestiniens se méfient des islamistes et
critiquent leurs attentats suicides, leurs arguments, dans ce climat de révolte
larvée, commençaient à mordre, explique Akram Haniyye dont le journal défend
généralement les positions de l'Autorité palestinienne. Il n'avait pas d'autre
choix, pour prendre les islamistes de vitesse et garder le contrôle de la
situation que de laisser exploser la révolte, en confiant à son parti, le Fatah,
le soin de l'endiguer. La visite de Sharon sur l'esplanade des Mosquées a fourni
l'étincelle, mais n'importe quel autre incident aurait produit le même résultat.
»
« Le seul moyen d'éviter de graves
problèmes internes, c'était d'encadrer le sursaut de colère de la population,
admet Abdalhakim Awad, 35 ans, président des Jeunes du Fatah, qui revendique 70
000 militants de 16 à 35 ans, dont 3 000 ont reçu un entraînement militaire.
Nous y sommes arrivés, explique dans son bureau de Gaza cet ancien étudiant en
sciences politiques, en mettant sur pied une coordination avec le Hamas et les
communistes, pour qu'aucune initiative ne nous échappe. Il fallait que cette
révolte soit l'Intifada du Fatah. Ce qu'elle est. »
Chef de Tanzim - l'organisation
militante du Fatah (1) en Cisjordanie -, Marwan Barghouti, 41 ans, qui a été
emprisonné pendant six ans puis déporté en Jordanie par le gouvernement
israélien pour sa participation à la guerre des pierres, ne dit pas autre chose
: « Nous sommes le fer de lance de l'Intifada. Nous ne sommes pas l'Autorité
mais le parti qui fournit les dirigeants de l'Autorité. » « Ceux qui croient que
Barghouti est en révolte contre Arafat se trompent, explique un ancien du Fatah.
Il retournerait en prison demain si Arafat le lui demandait. Ceux qui le
prennent pour un anti-israélien fanatique font également fausse route. Il
connaît personnellement une dizaine de membres de la Knesset, et c'est en hébreu
qu'il discute avec eux. Sa décision de créer des comités de défense populaires,
ses discours sur les Israéliens qui ne comprennent que la force n'ont qu'un but
: conserver le contrôle de la rue, au bénéfice d'Arafat. »
La partie n'est pas jouée. D'abord
parce que le Fatah est tout aussi morcelé que le territoire de l'Autorité
palestinienne, éparpillé en une multitude de confettis qui ne représentent que
40% de la Cisjordanie et 70% de la bande de Gaza. Ce qui complique
singulièrement les communications, surtout lorsque l'armée assiège chaque zone
autonome. Ensuite parce que la plupart des nouveaux cadres du Fatah, ceux qui
sont issus des Comités de l'Intifada créés après 1987, n'appartiennent ni au
cercle des notables de la diaspora arrivés de Tunis avec Yasser Arafat, ni aux
grandes familles de propriétaires terriens nationalistes de Naplouse, Jérusalem,
Ramallah ou Hébron. Nés dans les villages ou les camps de réfugiés de
l'intérieur, confrontés depuis leur enfance à l'occupation, ils rêvent avant
tout de mettre un terme à la présence israélienne et ne cachent plus leur colère
contre un processus de paix qui ne leur a rien apporté. Ils sont reconnaissants
à Arafat de n'avoir cédé ni sur Jérusalem, ni sur le droit au retour, ni sur les
frontières, mais semblent aujourd'hui convaincus que la négociation doit être
accompagnée d'une « pression militaire crédible », selon la formule de l'un
d'entre eux, originaire de Ramallah. « J'obéis à Abou Amar, affirme Issam Abou
Baker, ancien détenu en Israël et chef de Tanzim à Naplouse, mais j'ai conclu
une alliance de circonstance avec le Hamas et le Djihad islamique. Et quand on
m'attaque, je réclame le droit de me défendre. »
« Le processus de paix, la
construction de la confiance, n'en parlons plus. Tout cela est mort. Nous sommes
en guerre. Une guerre où nous n'avons aucune chance. Regardez les armes que les
Israéliens emploient contre nous. » Président du Centre palestinien des Droits
de l'Homme, Raji Sourani, 48 ans, avocat à Gaza, montre les pièces à conviction
alignées sur son bureau : des douilles de Galil et de M-16, des balles de
mitrailleuses de gros calibre et un cylindre métallique déchiqueté, débris d'une
roquette tirée par un hélicoptère. « Nous sommes en état de suffocation.
Assiégés, à la merci des frappes israéliennes. Tout déplacement d'une zone
autonome à l'autre est impossible, même pour aller à l'hôpital. Faute de
matières premières - que les Israéliens ne laissent plus entrer - et dans
l'impossibilité de vendre leurs produits, la plupart des entreprises ont fermé
leurs portes. Ceux qui avaient un emploi en Israël - ils étaient 25 000 ici - ne
peuvent plus se rendre à leur travail. La moitié des Palestiniens ont perdu
leurs sources de revenu et vivent désormais au-dessous du seuil de pauvreté. »
Privée de l'essentiel de ses
ressources - d'autant que les aides promises par les Etats arabes se font
attendre -, l'Autorité palestinienne a dû emprunter pour payer ses 120 000
fonctionnaires. Tous les grands chantiers - le port de Gaza, les égouts de
Naplouse, le réseau électrique de Jenine - sont interrompus. Le total des pertes
atteignait en janvier 2 milliards de dollars. Lundi, l'ONU et la Croix-Rouge
internationale ont dû commencer à distribuer de l'aide alimentaire à 250 000
personnes. « Trois années de progrès ont été balayés en deux mois », constate
l'envoyé spécial de l'ONU, Terje Roed-Larsen.
Vu d'Israël, ce qui se passe dans «
les territoires » est une éruption de violence absurde et inutile qui plonge les
familles des soldats dans la peur et ressuscite l'angoisse du terrorisme, mais
qui n'a rien changé à la vie quotidienne des habitants de Tel-Aviv ou de Haïfa.
Vu de Ramallah, de Hébron ou de Gaza, c'est la guerre. Oui, la guerre, avec son
cortège d'arbitraire et de cruauté, dénoncé par Amnesty International et Human
Rights Watch, à une heure de voiture des terrasses de la rue Dizengoff. Et cette
différence de perception est l'une des clés du problème israélo-palestinien.
Pour protéger les colonies et fournir
un appui aux soldats, des chars ont été déployés par dizaines en Cisjordanie et
à Gaza. Ici et là, des bâtiments éventrés ou détruits portent la trace de leurs
obus guidés par laser. Des hélicoptères de combat, armés de roquettes et de
missiles, tournoient au-dessus des points sensibles, prêts à ouvrir le feu pour
détruire un bâtiment suspect ou éliminer un « terroriste ». Et ce sont désormais
des soldats casqués, en gilet pare-balles, qui tiennent les check-points
transformés en fortins par des blocs de béton et des sacs de sable.
Depuis le 29 septembre 2000, cette
guerre inavouée a fait plus de 400 morts - dont 345 Palestiniens, 13 Arabes
israéliens et 61 Israéliens. Elle a aussi fait, en Cisjordanie et à Gaza, près
de 10 000 blessés et provoqué la destruction de plus de 500 maisons, rasées pour
ouvrir des angles de tir ou pour punir leurs habitants. Utilisée depuis
longtemps par l'armée israélienne, la technique des punitions collectives -
fermeture des routes, démolition des maisons, destruction des vergers,
confiscation de terres, couvre-feu - est aujourd'hui systématique. « Sans
améliorer la sécurité, elle paralyse la vie de millions de personnes et viole
leurs droits élémentaires », accusait le mois dernier B'Tselem, l'organisation
israélienne de défense des droits de l'homme. « D'une certaine manière, cet
usage démesuré de la force par les Israéliens a servi Arafat, constate Raji
Sourani. Aujourd'hui, même ceux qui critiquaient la nature autoritaire de son
pouvoir et la corruption de ses proches font la part des choses. Notre problème,
pour l'instant, ce n'est pas Arafat, ce sont les Israéliens. »
L'une des conséquences les plus
visibles de ces cinq mois de violence est la paralysie presque totale des
institutions de l'Autorité palestinienne que les vieilles structures de l'OLP,
conçues pour les années de résistance, ne peuvent remplacer. Les ministres, les
députés et les fonctionnaires sont cloués chez eux par les bouclages. Le
gouvernement et le Parlement ne se sont pas réunis depuis plusieurs mois et
Yasser Arafat ne met plus les pieds en Cisjordanie où vivent pourtant les deux
tiers de ses concitoyens. Que contrôle-t-il aujourd'hui ? « Beaucoup plus de
choses que pendant la première Intifada, dit Ahmed Qorei (Abou Ala), président
du Conseil législatif et vétéran des négociations avec Israël. N'oubliez pas
qu'à présent la direction palestinienne est sur le terrain, ce qui n'était pas
le cas entre 1987 et 1993. . « Grâce au Fatah, assure un conseiller du président
palestinien, j'estime qu'Arafat est à 70% maître de la situation. » Affirmation
qui fait sourire Ismaïl Abou Chanab, membre du bureau politique du Hamas à Gaza
: « Au sein du Front national et islamique qu'il a dû créer sous la pression de
la rue, Arafat est bien obligé de nous entendre. C'est pourquoi il a remis en
liberté tous nos militants emprisonnés. Nous avions raison hier de rejeter les
accords d'Oslo. Nous avons raison aujourd'hui de proclamer que l'exemple à
suivre est celui du Hezbollah libanais : c'est la résistance armée, pas la
négociation, qui nous libérera de l'occupation. »
Déboussolée par les discours
contradictoires des dirigeants, la société palestinienne est taraudée par le
doute. L'âge de Yasser Arafat - 72 ans - et sa santé chancelante, qui ont
entrouvert quelques débats discrets sur sa succession, inquiètent. Après le chef
historique, généralement épargné par les critiques adressées à son entourage,
lequel de ses lieutenants incarnera l'ensemble des légitimités complexes qui
fondent le pouvoir palestinien ? La peur, diffuse, d'une succession chaotique
rôde. Et les liquidations à répétition de responsables politiques et militaires
par des unités spéciales israéliennes infiltrées - à quoi l'Autorité a répondu
de la pire des manières, en exécutant, après des simulacres de procès, trois «
collabos » accusés d'avoir servi d'indicateurs - sont venues ajouter une
véritable psychose de trahison à ce climat incertain. Cela au moment même où
deux piliers du régime de Yasser Arafat, Djibril Rajoub et Mohammed Dahlan, sont
déstabilisés. Acteurs majeurs du processus de paix et artisans de la coopération
policière avec Israël, les chefs de la sécurité préventive en Cisjordanie et à
Gaza, accusés d'avoir fait trop de concessions à Barak, sont aujourd'hui en
porte-à-faux avec une partie de l'opinion, voire avec leurs propres troupes.
D'autant que leurs sources de revenus, les taxes sur le casino de Jéricho et les
droits de douane à Gaza, sont taries.
« L'Intifada est nécessaire, mais la
négociation reste une possibilité », continue de proclamer « Al-Hayat Al-Jadida
», quotidien officieux du régime. Ce discours sinueux semble refléter le
désarroi présent de l'Autorité, qui tente, depuis quelques semaines, de
récupérer une partie des armes détenues par le Fatah, tout en se déclarant prête
à se battre pour mettre un terme à l'occupation. « Arafat louvoie, hésite, se
tait. Voilà quatre mois qu'il ne s'est pas adressé à son peuple, dit Eyad
el-Sarraj. C'est pourtant le moment de savoir ce que nous voulons. La paix ou la
guerre ? Nous sommes en pleine ambiguïté, je dirais même : en pleine
schizophrénie. Y a-t-il quelque chose de pire pour un peuple ? » « L'option
militaire n'a aucun sens, martèle Mamdoh Nofal. Il n'y a pas d'autre voie que
l'application loyale, par les deux parties, des accords déjà signés et le retour
à la table des négociations. Avec Sharon ou avec son successeur. »
(1) Tanzim, « l'organisation »,
désigne la « base » du Fatah.
14. Les Druzes,
une minorité à l'intérieur de la minorité arabe
israélienne
Dépêche de l'Agence
France Presse du vendredi 2 mars 2001, 17h08
JERUSALEM - Les Druzes
israéliens, dont un représentant sera bientôt le premier ministre arabe de
l'histoire de l'Etat juif, sont une minorité à l'intérieur d'une minorité:
arabes par la culture, druzes par la religion et israéliens par la
citoyenneté.
Le député travailliste Salah Tarif, un Druze, a été désigné
vendredi par le comité central de ce parti ministre sans portefeuille dans le
gouvernement d'union nationale que met actuellement sur pied le Premier ministre
élu et chef de la droite israélienne, Ariel Sharon. M. Tarif sera ainsi le
premier arabe, et a fortiori le premier non-juif, à être ministre depuis la
création d'Israël, en 1948.
Au nombre d'envion 80.000, les Druzes --une
branche de l'islam créée au 11ème siècle-- sont des arabes, mais les Israéliens
ne les considèrent pas comme tels. De manière significative, les radios
israéliennes ont ainsi présenté M. Tarif comme le premier non-juif --plutôt que
comme le premier arabe-- à devenir ministre en Israël. De fait, depuis qu'ils
ont accepté de servir sous l'uniforme israélien en 1957, les Druzes sont tenus
de faire leur service militaire, contrairement aux autres Arabes
israéliens.
Mobilisés dans l'armée et la police, ils participent ainsi à la
répression dans les territoires palestiniens. M. Tarif a été lui même officier
dans une unité de parachutistes avant de se lancer dans la politique. La
première victime israélienne de l'Intifada, le soulèvement palestinien, qui a
débuté le 28 septembre, fut d'ailleurs un garde-frontière druze tombé sous les
balles de tireurs palestiniens alors qu'il défendait à Naplouse (nord de la
Cisjordanie) la tombe de Joseph, l'un des hauts-lieux du judaïsme.
Mais bien
qu'ils versent leur sang pour l'Etat juif, les Druzes, qui vivent dans leur
majorité dans le nord du pays, se plaignent d'être victimes de discriminations,
au même titre que les autres Arabes israéliens. Les localités et villages druzes
reçoivent ainsi 15 à 30% de moins d'aides que les communes juives et les revenus
mensuels des ouvriers druzes sont inférieurs de 25 à 35% à ceux des juifs
israéliens, avait déclaré M. Tarif à l'AFP en février. Quant aux 18.000 druzes
du Golan, un plateau syrien qu'Israël a conquis lors de la guerre des Six Jours
en juin 1967, puis annexé en 1981, il s'agit encore d'un cas différent. Ils se
considèrent, en effet, comme Syriens à part entière et ont refusé dans leur
immense majorité de prendre la nationalité israélienne. Ils ne sont pas non plus
astreints à faire le service militaire et manifestent régulièrement pour
demander leur rattachement à la Syrie. La communauté druze compte également
quelque 225.000 membres au Liban et près de 150.000 en Syrie.
15. Israël
annonce un durcissement
in Le Figaro du
jeudi 1er mars 2001
Plus de 8 000 Palestiniens ont crié vengeance
samedi en Cisjordanie, aux funérailles de trois d'entre eux tués la veille par
Tsahal qui a menacé de durcir sa répression de l'Intifada. L'armée israélienne
entend «faire monter d'un cran la riposte, notamment après l'attentat de jeudi
qui a coûté la vie à un Israélien.
"Nous allons faire monter d'un cran la
riposte car nous sommes déterminés à combattre le terrorisme de toutes nos
forces", a déclaré à la radio publique le chef d'état-major israélien, le
général Shaul Mofaz. "L'escalade de la violence se poursuivra si l'Autorité
palestinienne ne fait rien pour la stopper, ce qui nous obligera à réexaminer
notre stratégie et à étendre notre champ d'intervention", a-t-il menacé, tout en
écartant l'entrée de l'armée dans les zones autonomes palestiniennes.
Le
président de l'Autorité palestinienne Yasser Arafat a répliqué par la dérision.
"Que reste-t-il à utiliser? l'arme atomique?" a dit M. Arafat. Le général Mofaz
a accusé la direction palestinienne d'avoir "donné son feu vert il y a près de
cinq mois" à la violence et "au terrorisme". Le 28 février, dans une attaque
sans précédent, il avait estimé que l'Autorité palestinienne devenait une
"entité terroriste".
En Cisjordanie et dans la bande de
Gaza, plus de 8.000 Palestiniens ont participé aux funérailles de trois
personnes, dont deux enfants, tués par l'armée. Arborant des drapeaux
palestiniens et irakiens, quelque 3.000 manifestants ont fustigé le Premier
ministre israélien élu de droite Ariel Sharon, le traitant de "criminel" et
appelant les pays arabes et islamiques à soutenir l'Intifada. "Vengeance,
vengeance!", a scandé la foule à Ramallah en Cisjordanie, qui marchait derrière
les corps d'un enfant de neuf ans, et d'un jeune de 24 ans, placés sur une
voiture de police. L'enfant a été atteint par une balle de mitrailleuse dans la
poitrine alors qu'il se trouvait dans l'appartement de sa famille, près de
Ramallah. Un porte-parole militaire a laissé entendre qu'il s'agissait d'une
balle perdue lors d'un échange de tirs. Le jeune homme a, lui, été tué près du
camp de réfugiés de Kalandia lors d'affrontements.
A Gaza, des cris de vengeance ainsi
que des slogans de soutien au mouvement groupe islamiste radical palestinien
Jihad islamique ont retenti lors des obsèques, suivies par quelque 5.000
personnes, d'un enfant de 13 ans. Il a été tué alors qu'il rentrait de l'école
près de Karni, un point de passage entre la bande de Gaza et Israël, selon des
témoins.
Le nombre de morts depuis le début de
l'Intifada, provoquée par la visite de M. Sharon le 28 septembre sur l'Esplanade
des mosquées, qui abrite le troisième lieu saint de l'islam, à Jérusalem-est,
s'élève à 426: 350 Palestiniens, un Allemand, 13 Arabes israéliens et 62 autres
Israéliens.