Les
rendez-vous de la semaine
1.
TELEVISION "Palestine" un documentaire de Richard
Broad
sur Planète lundi 19 février 2001 à
minuit (75 min)
Le destin controversé d'un Etat créé de toutes
pièces. Longtemps placée sous mandat britannique, la Palestine fut promise tant
aux Arabes qu'aux Juifs. Les Britanniques ont administré la Palestine de 1920 à
1948. Pendant la Première Guerre mondiale, toutes sortes de promesses ont été
faites tant aux Juifs qu'aux Arabes. Les deux peuples revendiquent en effet le
même droit sur ce territoire quasi-mythique. Les Juifs d'Europe centrale, par
leur immigration massive dans le nouvel Etat, seront le détonateur du conflit
qui déchire aujourd'hui encore cette partie du monde.
[Rediffusion le mardi 20 février à 6h50, le
mercredi 21 février à 10h20, le jeudi 22 février à 12h00 et le
vendredi 23 février à 15h00.]
2.
RENCONTRE avec Gadi
Algazy le mercredi 21 février 2001 à Paris
L'Association France-Palestine et l'Association Médicale
Franco-Palestinienne, en partenariat avec Le café errant de Délices &
Compagnie et l'Association des Travailleurs Maghrébins de France, organisent une
rencontre avec Gadi Algazy, militant israélien pour une paix équitable, le
mercredi 21 février à 20h00, au siège de l'AMFP-Paris - 21 Ter, rue
Voltaire - 75011 PARIS (M° Rue des boulets ligne 9).
Autour d'un buffet
préparé par "Délices & Compagnie", Gadi Algazy abordera notamment la
question du rôle du (des) mouvement(s) pacifiste(s) dans la société israélienne
dans le contexte actuel.
[Participation au frais
40 FF buffet, tapas et boissons compris. Renseignements : Tél. 01 43 72 15
79]
Actions urgentes
1. Morad Abdel
Aziz Kassem a été enlevé par les autorités israéliennes
[traduit de
l'anglais par Dominique Le
Duff]
Message urgent d'Adam Gaynor, militant pacifiste
israélien.
Ceci est une mise à jour de la situation à Harès, un village palestinien
près de Naplouse en Cisjordanie.
Le maire du village, Hussam Daud, qui avait été enlevé par les forces de
sécurité il y a plus d'une semaine, a finalement été relâché. Pour ceux qui
n'étaient pas au courant de son enlèvement, voilà ce qui s'est passé: environ 30
Jeeps de l'armée étaient entrées dans Harès à 1h30 du matin dans la nuit du 31
janvier, et avaient réveillé les 3.500 habitants du village en utilisant des
fusées éclairantes et des grenades assourdissantes. Ils avaient détruit la porte
de la maison de Daud, et l'avaient enlevé. De nombreux habitants du village
avaient été forcés à sortir de leur maison, des fusils pointés sur eux, et à se
tenir debout en pyjama dans le froid hivernal jusqu'à 3h30 du matin. Le soir
suivant, 8 Jeeps de l'armée étaient revenues avec des lumières et des sirènes,
terrorisant les villageois de 23h30 jusqu'à 3h30. Les soldats avaient arrêté un
homme mais l'avaient relâché à l'entrée du village.
Daud n'a été ni arrêté, ni dans un premier temps inculpé pour quoi que ce
soit, mais plutôt détenu à la prison de Hawara. Sa famille n'était pas informée
de sa situation. L'organisation "Les Rabbins pour les Droits de l'Homme" a
contacté le membre de la Knesset/ le parlementaire Ron Cohen afin d'obtenir des
informations sur la détention de Daud, mais a été informée qu'il s'agissait
d'une opération de Shabak (le service de sécurité intérieure israélien), et
qu'elle était donc "intouchable".
Après plus d'une semaine de détention, Daud a été relâché, non sans avoir
été cité pour jet de pierre sur des voitures de colons. L'absurdité d'une telle
suggestion, à savoir qu'un homme du rang et de la position de Daud jetterait des
pierres sur des voitures, n'échappe pas à ceux qui le connaissent. Quiconque
connaît Harès ne peut que contester la description faite du village par le
porte-parole de l'armée israélienne, comme un foyer de troubles qui mettrait en
danger la vie des «habitants de la région» (remplacez par : des « colons juifs
»), comme si les habitants de Harès n'étaient pas eux-mêmes des habitants de la
région – et ce alors qu'Harès a figuré plusieurs fois dans le quotidien Ha'aretz
comme un village qui, malgré le fait qu'il soit sans cesse fermé par l'armée et
attaqué par les colons, a participé à plusieurs actions communes avec des Juifs
israéliens pendant cette Intifada.
A peine un jour ou deux après la libération de Daud, les forces de sécurité
ont enlevé un habitant de Harès, Morad Abdel Aziz Kassem, 17 ans (Carte
d'identité n° 907-426-910, né le 29/10/82). Selon des témoins oculaires, les
soldats qui ont enlevé Kassem ont menacé de revenir dans le village pour violer
femmes et jeunes filles. A ce jour, la situation de Kassem est inconnue. La
police d'Ariel a dit à son avocat, lorsque celui-ci leur a téléphoné, qu'il ne
se trouvait pas dans leur prison; le même jour, la police a fait savoir au frère
de Kassem qu'il y était bien détenu.
Sans même mentionner les suspicions de jet de pierre qui pèsent sur Daud,
et maintenant sur Kassem, la simple idée qu'un Palestinien habitant dans les
Territoires Occupés puisse être détenu sans chef d'inculpation pour un laps de
temps indéterminé, est une violation flagrante des droits de l'homme. Et, ce qui
est plus terrible encore, le refus d'accorder à un prisonnier le droit de
téléphoner à sa famille ou son avocat, provoque une peur que nul parent ou
enfant ne devrait jamais connaître, particulièrement lorsque l'on songe à
l'usage légal et régulier qui est fait de la torture en Israël.
Veuillez prendre le temps de contacter votre ambassade ou votre
organisation des droits de l'homme locale pour leur demander de s'informer sur
la situation et l'état de Kassem. Son nom et les informations qui peuvent aider
à l'identifier :
Morad Abdel Aziz Kassem - Carte d'identité n°
907-426-910 - Date de naissance : le 10 octobre 1982
>> Nous devons
contacter D'URGENCE le Président de la République, le Ministère des
affaires étrangères, le Consul Général de France à Jérusalem, ainsi que le
Secrétaire Général de l'ONU. pour leur demander d'intervenir auprès des
institutions israéliennes.
- M Jacques Chirac, Président de la
République - Palais de l'Elysée - 55, rue du faubourg Saint-Honoré -
75008 Paris - http://www.elysee.fr/ecrire/mail_.htm
-
M. Hubert Védrine, Ministre des Affaires Etrangères - 37, Quai d'Orsay
- 75351 Paris - Tél. 33 (1) 43 17 53 53
- M. Denis Pietton, Consul
Général de France - 5, rue Paul Emile Botta - PO box 182 - 91001
Jérusalem - Tél : [972] (2) 625 94 81 (à 83) - Fax : [972] (2) 625 91 78 - http://www.consulfrance-jerusalem.org
-
M. Kofi Annan, Secrétaire Général de l'ONU - http://www.un.org/french/docs/sgsm.htm
2. El Mawasi - 22 habitations
palestiniennes menacées de destruction !
[Information transmise par Annie
Fiore]
Khan Younis (sud de la bande de Gaza) - Depuis quelques
jours, les habitants palestiniens de El Mawasi vivent dans l'angoisse d'un ordre
de destruction de leurs maisons par l'armée israélienne. Joint par téléphone,
Vincent Cauche, Directeur du Centre Culturel Français de Gaza, a confirmé
que la zone de El Mawasi était complètement bouclée. L'organisation Médecins du
Monde ne peut plus y pénétrer. El Mawasi est une zone agricole (maisons et
fermes) entourée de toutes parts par le bloc de colonies israéliennes de Gush
Katif. Les colons n'ont cessé de harceler leurs voisins palestiniens afin de se
débarrasser de leur présence. Il y a à peu prés un mois la télévision
israélienne a montré des colons qui mettaient le feu à des champs, des
vergers et des maisons de El Mawasi. Deux colons ont été arrêtés et rapidement
libérés sous caution. A la même époque la radio des colonies, Arutz 7 a transmis
des interviews de colons qui faisaient appel à l'armée pour détruire les
maisons palestiniennes de El Mawasi.
Reportée une première fois en raison
d'une campagne de protestation organisée par l'association israélienne Gush
Shalom (Bloc de la Paix), la destruction de ces 22 maisons, qui abritent environ
une centaine de personne, semble imminente.
>> Nous vous demandons d'adresser D'URGENCE le courrier
suivant à :
M. Elie Barnavi, Ambassadeur d'Israël - 3, rue
Rabelais - 75008 Paris - Tél : 01 40 76 55 00 - Fax : 01 40 76 55
55
Monsieur
l'Ambassadeur,
Je vous demande d'user de toute votre autorité pour que
la décision prise de démolir 22 maisons situées à El Mawasi, à l'ouest de Khan
Younis entre les colonies de Neve Dekalim et Gane Tal dans la bande de Gaza,
soit immédiatement annulée. Ces destructions, contraires à toutes les
conventions internationales, jetterait une centaine de civils
palestiniens à la rue.
Cette initiative ne peut que nuire à l'image d'Israël,
déjà ternie par la multiplication d'actions similaires menées depuis
quatre mois...
>> Gush Shalom vous demande aussi de
protester vigoureusement auprès des personnalités suivantes
:
Réseau
1. Relations bilatérales turco-israéliennes et
inquiétudes des tierces-parties
par
Abdullah Kiran in Birikim (mensuel turc) du mois de
décembre 2000
[traduit du turc par Marcel
Charbonnier]
La première partie de ce dossier a été publié dans le
Point d'information Palestine N°130 du 12/02/2001.
Les nouveaux abonnés qui souhaitent la recevoir peuvent nous la demander par
e-mail : amfpmarseille@wanadoo.fr
- SECONDE
PARTIE-
Réactions au pacte et
inquiétude de la/des tierce(s) partie(s)
Le pacte turco-israélien, ouvrant la voie, à
l'avenir, pour une modification de l'équilibre des forces régionales au
Moyen-Orient, a suscité des réactions diverses, tant à l'intérieur des pays
contractants qu'à l'extérieur. La première formation politique à réagir après la
conclusion du pacte de rapprochement entre la Turquie et Israël fut le parti
Refah, de Turquie.
(Abullah Gül, du Refah, déclara au journal Al-Hayat, le 2
juin 1996, que son parti, le Refah Partisi, mettrait immédiatement fin à cet
accord, s'il arrivait au pouvoir en Turquie. "Si certains pays arabes
s'avisaient de conclure des accords du même type avec Israël, nous ne
reconnaîtrions pas ces accords. Si nous étions en mesure de résilier cet accord,
je ne pense pas que l'armée turque tenterait de s'y opposer de quelque manière
que ce soit. Le rôle de l'armée a changé fondamentalement. Avec un gouvernement
fort, l'armée doit se conformer (aux décisions gouvernementales, NdT)." (Cf.
Aydogan Vatandas, Armagedon : La guerre secrète turco-israélienne, Editions
Timas - Armagedon : Türkiye-Israil Gizli Savasi, Timas Yayinlari, Istanbul,
1999, p. 26.)
Le parti Refah, qui avait montré cette opposition
farouche au pacte turco-israélien de coopération et de formation militaire, une
fois arrivé au pouvoir, conclut avec Israël un accord très important sur le plan
militaire : l'"Accord de coopération en matière d'industries de défense", signé
par le cinquante-quatrième gouvernement républicain turc, le 28 août 1996,
invoquant le principe que "ce sont les intérêts qui dictent les relations
bilatérales à avoir" (en la matière) et acceptant, de fait, le Pacte qu'il avait
bruyamment contesté.
(Les relations entre la Turquie et Israël, hier,
aujourd'hui et demain, Publications de l'Académie militaire - Türkiye-Israil
Iliskilerinin Dünü-Bugünü-Yarini, Harp Akademileri Komutanligi Yayinlari, Harp
Akademileri Basimevi, Yenilevent-Istanbul, avril 1997, p. 143)
Bien que la Turquie et Israël se soient employées
à insister sur le fait que leur Pacte bilatéral n'était dirigé contre aucune
tierce-partie, le monde arabe le considéra avec suspicion, en particulier, la
Syrie. Il est vrai qu'aucun pays arabe ne pouvait ressentir les effets de cet
accord plus que cette dernière. Et, bien qu'à chaque occasion la Turquie se soit
ingéniée à rappeler que des accords similaires avaient été signés entre elle et
plusieurs pays arabes, cela n'est jamais parvenu à les rassurer.
La Syrie
est fondée, à plus d'un titre, à manifester ouvertement son inquiétude, face à
cette alliance : au cas où le contentieux entre Israël et la Syrie
s'envenimerait, passant au stade d'un conflit ouvert, la Turquie (même si
elle ne devait pas intervenir directement aux côtés d'Israël) pourrait être
amenée à y jouer un rôle non négligeable. Dans une situation de ce type, la
Turquie, comme cela s'est déjà passé en 1991, au cours de la Guerre du Golfe,
contraindrait la Syrie à immobiliser des dizaines de milliers de ses soldats à
la frontière syro-turque. La Turquie, immobilisant l'armée de terre syrienne,
sur le terrain, pourrait ouvrir l'espace aérien et les bases aériennes turques
aux avions israéliens contraints, au cours des combats aériens, à des
atterrissages d'urgence. Cette situation assurerait à l'aviation israélienne la
possibilité de mener des attaques plus risquées contre des objectifs en Syrie
septentrionale. La Turquie, en effectuant des vols de reconnaissance au-dessus
de la frontière turco-syrienne, peut observer l'intérieur de la Syrie grâce à
des caméras à longue portée et des radars sophistiqués, et le traité lui permet
de faire profiter Israël de ces données d'observation. Il est même envisageable
que la Turquie accorderait à Israël la possibilité d'utiliser son espace
maritime. (Michael Eisenstadt, op. cit.)
Le ministre de la défense israélien du
gouvernement Pérès, Uri Or, commentant le rôle régional de la Turquie, déclare :
"La Turquie, même si elle n'entrait pas dans un conflit à nos côtés, représente,
en tant que pays ennemi de la Syrie, juste au nord de cette dernière, un facteur
éminemment positif. La Syrie n'attaquera jamais la Turquie, mais en revanche,
elle ne peut écarter l'éventualité que la Turquie ne l'attaque. La Turquie a une
expérience certaine de la guerre hors de ses frontières, en particulier dans le
Nord de l'Irak" (Alain Gresh, op. cit.)
Pour Israël, le pacte turco-israélien
fait aussi de l'Iran, soutien depuis des décennies de toutes les actions
anti-israéliennes, une sorte d'état frontalier. (Eisenstadt, op. cit.). Ainsi
Israël est en mesure d'obtenir des renseignements, grâce à l'espionnage, sur
l'Iran, qu'il a toujours considéré comme représentant pour lui un danger, dans
la région. Selon certaines allégations publiées dans la presse arabe, des
éléments des services secrets israéliens, infiltrés dans le Nord de l'Irak aux
côtés de l'armée turque, au cours d'une opération menée par cette dernière en
mai 1997, y auraient installé une station d'écoute. (Michael Eisenstadt, op.
cit.)
D'après Alan Makovsky, les premières cibles du pacte seraient, pour la
Turquie, la Syrie et le PKK, tandis que pour Israël, l'objectif serait
l'ouverture de l'espace aérien turc à son aviation militaire et la surveillance
de l'Iran. (Alan Makovski, La coopération turco-israélienne, le processus de
paix et le Moyen-Orient - Turkish/Israeli Cooperation, The Peace Process And The
Region).
Le pacte turco-israélien devait créer un choc énorme dans le monde
arabe. Mis à part la déception et les craintes qu'ils en concevaient, une partie
des pays arabes considérèrent le pacte comme la deuxième humiliation qu'ils
devaient subir de la part de la Turquie, qui n'a jamais cessé, depuis cinquante
ans, d'agir contre leurs intérêts. La première humiliation reçue de la Turquie a
été la reconnaissance par cette dernière de l'Etat d'Israël, en 1949. Les Arabes
ont considéré le choix de la date de signature de cet accord, intervenue juste
au moment où ils sont dans une position d'extrême faiblesse, comme un mauvais
procédé. En effet, il a été signé juste au moment où les Arabes étaient divisés
entre camps opposés, du fait de la Guerre du Golfe.
(Une source
d'information basée à Paris analyse la vision arabe de l'alliance turque,
Al-Muharrir, Paris, 10 août 2000, pp. 20-21 - Dans la suite du texte, cette
référence sera énoncée comme suit : Paris-based source Analyzes Arab View of
Turkish Alliance)
De leur point de vue, les Arabes ont trois
raisons principales de redouter ce pacte :
1 - il augmente les dangers
stratégiques auxquels sont exposés les pays arabes en général et, en
particulier, la Syrie et l'Irak ;
2 - il ne pourra qu'approfondir les
divisions inter-arabes, car il inclut l'un des Etats arabes : la Jordanie
;
(Au cours d'un sommet de la Ligue Arabe, tenu au Caire entre les 22 et 26
juin 2000, le premier ministre jordanien, Abdülkerim Kabariti, a déclaré que la
Turquie et Israël avaient bien le droit de conclure tous les accords militaires
entre elles qu'elles pouvaient désirer. D'ailleurs, la Jordanie devait voter
contre une résolution finale de ce sommet, condamnant la Turquie. Cf. Konuralp
Pamukçu, La politique de l'eau - Su Politikasi, Baglam Yayinlari, 2000, p.
273)
3 - le pacte va avoir un impact incertain sur le processus de paix
arabo-israélien, et ne pourra qu'affaiblir les possibilités de manoeuvre du camp
arabe dans ce processus.
(Paris-based source Analyzes Arab View of Turkish
Alliance)
Les craintes des Arabes au sujet du rôle de la Turquie dans la
région sont relatives à trois nouveaux développements internationaux : la fin de
la guerre froide, la guerre du Golfe et le nouvel ordre mondial. Dans le même
ordre d'idées, les hommes politiques arabes emploient désormais les expressions
"néo-ottomanisme" ou "néo-impérialisme turc", pour définir la nouvelle politique
turque (inaugurée par la signature de ce pacte avec Israël). D'après les Arabes,
toujours, cette nouvelle politique vise à étendre l'influence et
l'expansionnisme turcs depuis les Balkans jusqu'à la Chine. C'est la raison pour
laquelle les Arabes, considérant que ces ambitions de la Turquie entrent en
contradiction avec leurs intérêts propres, sont convaincus qu'elles constituent
une menace contre leur sécurité. Les Arabes, assez mécontents de l'ouverture
turque en direction de l'Asie Centrale, qui découle de l'ascendant naturel de la
Turquie sur des peuples turcophones, redoutent que ne se constitue de la sorte
dans la région un bloc géographique rival, et d'une étendue équivalente à celle
du monde arabe. Pour eux, un tel développement historique ne peut qu'attiser la
concurrence et l'hostilité entre les deux blocs (arabe et turcophone), et
déséquilibrer l'ensemble de la région (l'Asie occidentale, NdT)
(Paris-based
source Analyzes Arab View of Turkish Alliance)
Il est certain que la Syrie
est le pays qui ressent le plus d'inquiétude face au pacte turco-israélien. Pour
le nationalisme arabe, souverain en Syrie, l'Empire ottoman, aux mains de
l'hégémonie des Turcs, après une occupation de quatre siècles de la Syrie, a
entrepris de turquifier la nation arabe.
(Alan Makovsky, Eteignons la
mèche de la crise turco-syrienne : qui sera vainqueur ? - Defusing the
Turkish-Syrian Crisis : Whose Triumph ?, Middle East Insight, janvier-février
1999,
http://www.washingtoninstitute.org/media/makovsky.htm)
La
pensée nationaliste arabe moderne, attribuant le retard actuel de la Syrie à la
domination ottomane, joue un rôle négatif dans les tentatives de rapprochement
entre la Turquie moderne et la Syrie. Cela a été jusqu'au point qu'au cours de
la guerre froide, la Syrie et la Turquie ont opté pour les deux camps opposés.
La Turquie étant membre de l'OTAN depuis 1952, la Syrie fut très longtemps un
pays client de l'URSS, pour son armement, et un pays aligné, politiquement, sur
le bloc soviétique. (Alan Makovsky, op. cit.)
En 1957, la Turquie, invoquant
le danger que représentait la Syrie en tant qu'alliée à l'URSS, massera des
troupes à la frontière turco-syrienne.
Il est évident que le pacte
turco-israélien ne pourra que venir compliquer encore des relations
turco-syriennes déjà passablement problématiques et délicates, ajoutant un
nouvel élément à leur problématique. En août 1998, le nouveau général en chef de
l'armée syrienne, Ali Aslan, décrit comme suit les relations syro-turques
:
"Le but du pacte turco-israélien est, en contrôlant la nation arabe, au
risque de porter atteinte à la sécurité internationale, de contraindre les
Arabes en général, et en particulier, la Syrie, en exerçant une pression
maximale sur eux, à admettre les projets expansionnistes d'Israël" (Alan
Makovsky, op. cit.)
La politique interventionniste de la Turquie dans le Nord
de l'Irak constitue une des craintes des Arabes vis-à-vis du pacte
turco-israélien. Pour eux, l'Irak a été divisé de facto en trois à la suite de
la Guerre du Golfe, ce qui a aiguisé les vieux appétits expansionnistes de la
Turquie pour le Sancak de Mossoul qui, s'ils n'étaient pas dissuadés,
aboutiraient rapidement à l'annexion de tout le nord de l'Irak par la Turquie,
comme elle avait annexé le Sancak d'Alexandrette (Iskenderun), en 1939.
(Territoire "prélevé" à la Syrie et remis "gracieusement" à la Turquie kémaliste
par la France mandataire, NdT).
Bien sûr, tous les pays arabes ne réagissent
pas avec autant de virulence à la signature du traité entre la Turquie et
Israël. L'OLP, qui entretient de longue date des relations très suivies avec la
Turquie, n'a critiqué le pacte turco-israélien en aucune manière. Bien au
contraire, elle désire que la Turquie, en raison de ses relations avec Israël,
joue un rôle dans le processus de paix Palestine-israélien. (Paris-based source
Analyzes Arab View of Turkish Alliance)
L'Egypte, quant à elle, voit d'un
mauvais oeil la tentative faite par Israël de sortir de son isolement régional,
c'est pourquoi elle considère avec suspicion les intentions de la Turquie dans
la région. La Jordanie est très favorable au rapprochement entre la Turquie et
Israël, tandis que les pays du Golfe préfèrent ne pas s'exprimer sur ce sujet,
en dépit de leurs contacts suivis avec les deux pays contractants.
La dimension
kurde
En mai 1997, le ministre de la défense du
gouvernement Erbakan, Turhan Tayan, se rendit en visite officielle en Israël, et
même sur le plateau du Golan, sous occupation israélienne.
Israël, qui
jusqu'alors avait nié ouvertement toute hostilité envers des groupes kurdes que
rien n'opposait entre eux à l'époque, commença à changer d'attitude après la
visite de Turhan Tayan. Quelques jours après cette dernière, Netanyahu,
interviewé sur différentes chaînes turques de télévision, adopta une position
ouvertement hostile aux mouvements kurdes, pour la première fois et, rejetant
l'idée d'un Etat kurde indépendant, il fustigea le PKK., déclarant notamment
:
"La Turquie souffre beaucoup des attaques du PKK. Nous ne voyons aucune
différence entre le terrorisme du PKK et les attaques terroristes dont Israël
est trop souvent la cible". (Ce reportage a été publié à Tel-Aviv par le journal
Ha-Aretz du 17 mai 1997).
Examinons à présent une certaine conception arabe
du problème, qui fait remonter relativement loin dans le passé l'unité d'action,
à des degrés divers, entre l'armée turque et Israël contre le PKK. De ce point
de vue, la première étape dans cette coopération turco-israélienne s'étend du
milieu des années quatre-vingt jusqu'à la guerre du Golfe, au début de 1991,
phase où elle est restée secrète. La deuxième étape fait suite à la Guerre du
Golfe, c'est celle au cours de laquelle l'armée turque, tout en assurant sa
modernisation, se met en quête d'un intermédiaire fiable et ne suscitant aucun
soupçon, afin de modifier en toute quiétude ses plans stratégiques dans la
région. La troisième étape, commençant au moment de la signature du traité
d'Oslo, en 1993, entre Israël et l'OLP, est celle durant laquelle le PKK prend
une importance lourde de dangers pour la Turquie. La dernière étape, enfin,
commence en 1995 : c'est celle durant laquelle le mouvement séparatiste kurde et
les islamistes du Refah se font menaçants, d'une manière concomitante.
Dans
une étude de l'Académie militaire turque, intitulée "les relations entre la
Turquie et Israël - hier, aujourd'hui et demain" (Türkiye-Israil Iliskilerinin
Dünü-Bugünü-Yarini), le pacte turco-israélien est analysé ainsi qu'il suit
:
"Nous ne devons pas oublier que la question du PKK est très douloureuse,
pour la Turquie. L'Irak et la Syrie peuvent devenir un problème à tout moment
pour la Turquie. D'autre part, la question arménienne est à l'ordre du jour et
elle est loin d'être terminée. Quand au Caucase, il continue à connaître
l'hémorragie. La question grecque se concentre de nos jours à Chypre, demain ce
sera peut-être en Thrace occidentale, et après-demain elle peut surgir face à
nous ailleurs. Elle existera tant que durera la Grèce elle-même. Dans ces
conditions, nous aurons à tout moment besoin d'amis fidèles et d'alliés
raisonnables en Occident. Si nous parvenons à nous gagner le soutien du puissant
lobby juif aux Etats-Unis, grâce à l'entente turco-israélienne, nous aurons
réduit dans une très large mesure les actions hostiles à notre égard des lobbies
arménien, grec et kurde".
(Des actions en vue de faire proclamer le 24 avril
1989 Journée de Commémoration du Génocide des Arméniens, avec dépôt d'un projet
de loi allant en ce sens au Congrès américain ont été mises en échec par la
grâce des interventions du lobby juif américain en faveur de la Turquie.
Cf : Les relations entre la Turquie et Israël, hier, aujourd'hui et demain, p.
114)
Il est difficile de parler d'une politique israélienne générale en
matière de problème kurde. En effet, Israël, en particulier après la signature
du pacte dans lequel il s'est engagé avec la Turquie, et bien qu'il ait proclamé
la nature terroriste du PKK, fût-ce à son corps défendant, ne considère pas les
guérillas kurdes en Irak et en Iran comme des organisations terroristes, c'est
le moins qu'on puisse en dire. Ce sont les relations qu'Israël entretient avec
les divers pays où vivent des Kurdes qui doivent être prises en considération si
l'on veut obtenir une vision plus réaliste de son attitude. C'est en été 1963
que furent établis les premiers contacts entre Israël et les Kurdes d'Irak,
dirigés alors par le Molla Mustafa Barzani. Après juin 1963, le chef du Mosad
israélien, le Général Meir Amit, rencontra ses homologues iraniens, et leur
proposa d'apporter une aide militaire aux Kurdes (d'Irak, NdT) par le canal de
Téhéran. L'Iran accepta cette proposition, en mettant comme condition que l'aide
israélienne, tant qualitative que quantitative, soit acheminée avec
l'autorisation et par l'intermédiaire de la Savak (iranienne). C'est ainsi
qu'Israël allait acheminer son aide en armement destiné aux maquis du Parti
Démocratique du Kurdistan, dans le Nord de l'Irak, par l'intermédiaire des
services secrets iraniens, la Savak. Dans le cadre de la coopération entre le
Parti Démocratique du Kurdistan, la Savak et Israël, des officiers israéliens
furent amenés à servir, au titre de la coopération, au Kurdistan irakien. Mais
tout ceci se faisait sous le contrôle de l'Iran, en observant strictement les
conditions présidant à la coopération tripartite.
(Amatzia Baram : Israël et
la question kurde d'Irak, Dossiers d'Eurasie, printemps 1996, volume 3, n°1,
numéro spécial "Irak du Nord", pp. 149-150, traductrice : Cahide Ekiz - Israil
ve Irak'taki Kürt Sorunu).
La coopération israélo-kurde se poursuivit
jusqu'au mois de mars 1975, au cours duquel le Shah d'Iran et Saddam Huseïn
signèrent l'accord d'Alger. L'Iran étant pour Israël un allié stratégique
important, se gardera désormais de tout interventionnisme (dans la question
kurde) qui serait de nature à mettre en danger ses relations avec ce pays.
La relation entre Israël et les Kurdes, tout au long de trois décennies (les
années cinquante, puis les années soixante et, enfin, les années soixante-dix)
peut être considérée comme faisant partie intégrante de la "théorie des pays du
pourtour", qui caractérise la politique étrangère israélienne durant cette
période. Cette théorie, développée par l'ancien premier ministre israélien Ben
Gurion, est basée sur la nécessité de développer de bonnes relations avec les
pays non-arabes voisins d'Israël. Par la mise en application de cette théorie,
Israël escompte rétablir un certain équilibre face à une menace et une hostilité
arabes dirigées contre lui. Ainsi, pour Israël, la Turquie et l'Iran, pays du
Moyen-Orient non-arabes, font partie des "pays du pourtour". (Amatzia Baram, op.
cit.) Quant aux Kurdes, même s'ils ne disposent pas encore d'un Etat, ils ne
sont pas arabes, plus même : ils ont eu beaucoup à souffrir des Arabes, et de ce
fait, ils se rangent dans la catégorie israélienne des "pays du pourtour".
De
même que l'influence (d'une communauté israélienne) d'origine turque jouait un
rôle positif dans les relations israélo-turques, de même la communauté juive
originaire du Kurdistan (majoritairement, du Nord de l'Irak) joua un rôle
certain dans les relations israélo-kurdes. La population des Juifs kurdisés
originaires du Nord de l'Irak, dont une grande partie avaient été amenés en
Israël, dans les années cinquante, au cours de deux opérations baptisées "Ezra"
et "Nehemya", atteignaient environ 180 000 personnes, en 1988. (Ümit Özdag, op.
cit. P. 188. Dans son ouvrage "Les Juifs du Kurdistan" (Kürdistanli Yahudiler),
le Dr. A. Medyali évalue la population des Juifs originaires du Kurdistan vivant
de nos jours en Israël à plus de 200 000 personnes.)
Jusqu'aux années
cinquante, les Juifs du Kurdistan, en majorité paysans, vivaient une vie
villageoise typique de cette région. Ils habitaient, entre autres, dans les
villages agricoles de Revanduz, Barzan, Tel-Kabar, Duhok, Akra, Sanduka,
Bitanura, Baskale, Köy-Sandjak, Mirawa et Girzengal, tandis que les commerçants
et les artisans vivaient dans des gros villages ou des villes tels que Zakho,
Erbil, Bane et Amediye. (A. Medyalli, Les Juifs du Kurdistan, Berhem Yayinlari,
Ankara, 1992, p. 66)
Les relations commerciales
turco-israéliennes
Durant le mandat britannique, la balance
commerciale entre la Palestine et la Turquie était déséquilibrée en faveur de la
Turquie. Entre 1946 et 1949, la Palestine était le troisième marché en
importance, pour les exportations turques. Durant cette période, la Palestine
importa de Turquie des marchandises pour une valeur d'environ 180 millions de
dollars (soit environ 45 millions de $ par an, NdT). En 1950, la balance
commerciale entre les deux pays se rapprocha de l'équilibre, puis bascula à
l'avantage d'Israël, en 1954. En 1990, les exportations turques à destination
d'Israël dépassaient les 30 millions de $, ses importations en provenance
d'Israël dépassant, quant à elles, les 70 millions de $. (Amikan Nachami, op.
cit. pp.19-20).
Les exportations de la Turquie vers Israël s'établissent
comme suit (en millions de $) :
en 1992 : 90,088 ; en 1993 : 114,500 ; en
1994 : 163,113 ; en 1995 : 195,700.
Les importations turques en provenance
d'Israël s'établissent ainsi (en millions de $) :
en 1992 : 97,075 ; en 1993
: 135,100 ; en 1994 : 126,900 ; en 1995 : 128,100.
De 30 millions de $ en
1980, les exportations turques passent à 390 millions de $ en 1997, étant ainsi
multipliées par x13 !
Sur la même période, le volume des échanges commerciaux
globaux entre les deux pays, passant de 90 millions à 620 millions de $, connaît
une augmentation d'un facteur x7.
Israël passera , de treizième partenaire
commercial de la Turquie dans la région "Moyen-Orient et Afrique du Nord" qu'il
était en 1989, au deuxième rang, en 1997. (Alan Makovsky, "Le nouvel activisme
de la politique étrangère de la Turquie" - The New Activism inTurkish Foreign
Policy)
On escompte que le commerce entre la Turquie et Israël dépassera le
milliard de dollars à partir de l'an 2000. Quant au volume des échanges globaux
entre la Turquie et Israël, on s'attend à ce qu'il s'élève progressivement.
(Alan Makovsky, "Coopération israélo-turque : en avant, toutes !" -
Israeli-Turkish Cooperation : Full Steam Ahead, The Washington Institute for
Near East Policy, Policy-watch, n° 292, - janvier 1988,
http://www.washingtoninstitute.org)
L'avenir des relations
israélo-turques
Les relations entre la Turquie et
Israël, que l'on considérait comme suivant normalement leur cours, ont connu
quelques difficultés au cours des derniers mois (fin de l'année 2000, NdT).
Ainsi, contrairement aux engagements pris, l'adjudication pour l'élargissement
du port israélien d'Ashdod n'a pas échu à la Turquie. Mais l'acte indélicat, de
la part d'Israël, qui a le plus irrité son partenaire turc, ce furent les
efforts déployés par le ministre israélien Yossi Sarid afin de faire introduire
dans les programmes scolaires israéliens une présentation détaillée du génocide
arménien.
Il est question de certains marchés, énormes, de nature à jouer un
certain rôle, à l'avenir, dans les relations turco-israéliennes, dans le secteur
de la défense : la modernisation des tanks M60 de l'armée turque, l'achat d'un
satellite d'espionnage et d'hélicoptères de combat israéliens par la Turquie. La
Turquie a déjà fait appel à Israël, dans le passé, pour la modernisation de six
cent tanks M60, ce qui représente un marché d'une valeur de 4 milliards de $.
Mais les sociétés américaines d'armement, invoquant la distorsion de
concurrence, ont contraint la Turquie, au moyen de pressions diverses, à
procéder à un appel d'offres international en bonne et due forme.
Dans le
cadre des projets de réforme des Forces Armées Turques, ce sont 150 milliards de
$ de dépenses qui sont attendus pour les vingt années à venir. Les responsables
turcs désirent qu'Israël se mette sur les rangs des soumissionnaires aux marchés
publics qui vont être lancés prochainement. Dans le cadre de la coopération en
matière d'industries de défense, la Turquie a accordé des marchés à des firmes
israéliennes, pour une valeur dépassant le milliard de $, au cours des dernières
années. Mais Israël désire remporter des marchés pour des projets plus
importants et plus globaux, de la part de la Turquie, tels une adjudication pour
des hélicoptères d'assaut, pour une valeur de 4 milliards de $. Toutefois, la
Turquie est désireuse de conserver un certain équilibre entre ses divers
partenaires : les Etats-Unis, l'Union Européenne et Israël. On s'attend, ainsi,
à ce qu'elle accorde l'adjudication pour les hélicoptères d'assaut (4 milliards
de $) aux Etats-Unis, mais en accordant, en même temps, l'adjudication pour les
tanks, d'une valeur de 7 milliards de $, à l'Allemagne. (Cumhuriyyet,
30.08.2000)
Au cours de la visite effectuée en août dernier en Turquie par
Ehud Barak, il fut question, bien sûr, du processus de paix, mais aussi de la
plus grande ouverture, souhaitée par Israël, des marchés publics turcs en
matière de défense aux sociétés israéliennes. En dépits des efforts déployés par
Israël, on annonça que la firme française Alcatel avait remporté le marché
public pour la production d'un satellite-espion en Turquie, immédiatement après
la visite de Barak à Ankara. Pour ce marché, la société des Industries
Aéronautiques Israéliennes (IAI) était en concurrence avec Alcatel, mais la
firme américaine Lockheed, désireuse de participer à l'appel d'offres, usa de
pressions jusqu'à ce que la Turquie relance cet appel d'offres. (Demir Metahan,
The Jerusalem Post, 01.09.2000)
Mais il est de plus en plus question d'un
accord de principe sur la production d'un satellite commun turco-israélien,
permettant de surveiller les frontières des deux pays et d'observer les
infiltrations terroristes éventuelles. Ce projet est à l'ordre du jour depuis
1997, et l'on pense que la Turquie s'apprête à faire l'acquisition d'un
satellite du type Ofsek, de conception et de fabrication israéliennes.
(Demir Metahan, The Jerusalem Post, 01.09.2000)
Bien que les protestations et
objections qui s'élèvent du monde arabe puissent avoir un impact négatif sur
l'avenir des relations turco-israéliennes, il est vraisemblable qu'elles
connaîtront un renforcement supplémentaire, à l'avenir. Le fait que les pays
musulmans du Moyen-Orient perdent progressivement leur importance aux yeux de la
Turquie, sur le plan économique ne peut que jouer en faveur de la coopération
turco-israélienne. Ainsi, la part de la Turquie dans les importations des pays
arabes s'effondre, passant de 45% au début des années quatre-vingt, à 10%, de
nos jours. (Alan Makovsky, The New Activity in Turkish Foreign Policy - Nouvelle
activité de la politique extérieure turque), tandis qu'au contraire, les
échanges commerciaux globaux entre la Turquie et Israël ne faisaient que
croître.
La coopération turco-israélienne en matière stratégique, qui suit un
cours favorable, d'une manière générale, jusqu'à présent, est prometteuse pour
l'avenir, tout au moins dans la conjoncture présente. Mais il ne faut surtout
pas oublier les réalités régionales, qui sont assez labiles et instables. Moshé
Arens, à deux reprises ministre de la défense d'Israël (1983-1984 et 1990-1992)
et ministre des Affaires Etrangères, de 1988 à 1990, nous donne un commentaire
digne d'attention, sur les alliances au Moyen-Orient :
"Le Moyen-Orient
demeurera une région instable, au cours de la décennie à venir. L'alliance que
l'on peut conclure avec la Syrie n'a pas le poids d'une alliance que l'on
concluerait avec la Norvège, par exemple. Nous avions une relation parfaite avec
le Shah d'Iran, mais elle a été anéantie du jour au lendemain. Dans cette
région, ce ne sont pas les bulletins de vote qui dictent l'avenir des
gouvernements, ce sont les balles". (Alain Gresh, op. cit.)
FIN DE LA SECONDE ET DERNIERE
PARTIE
2. Un courrier de Charles Enderlin in Le Monde du
vendredi 16 février 2001
"L'INJURE FAITE A TALAL
- Talal Abou Rahmed est le journaliste reporter d'images qui a filmé la
mort du petit Mohamed devant la position israélienne de Netzarim à Gaza. Il est
employé par France 2 depuis douze ans. Lorsque je lui ai traduit le passage le
concernant dans le point de vue de Claude Lanzmann que Le Monde a publié le 7
février, il n'a pas compris l'allusion qui se cachait dernière la phrase "le
cameraman arabe d'une chaîne française...".
Talal est effectivement arabe,
palestinien et fier de l'être, tout comme les cameramen de notre bureau de
Jérusalem sont fiers d'être israéliens et juifs. Devons-nous signer nos
reportages en signalant au téléspectateurs, notre appartenance nationale ou
religieuses : journaliste juif, cameraman arabe, preneur de son chrétien,
monteur vidéo vietnamien ?
Monsieur Lanzmann laisse également planer
l'accusation de non-assistance à personne en danger : "moi, si je vois un gosse
qui risque d'être tué sous mes yeux, ma tendance serait plutôt d'y courir et
d'essayer de le sauver..." Là encore, Talal ne comprend pas le procès qu'on lui
fait. Sous le feu pendant quarante minutes, il a craint lui même d'y laisser sa
vie, m'appelant plusieurs fois depuis son téléphone portable pour me demander de
m'occuper de sa famille si lui aussi était tué. Les autres cameramen présents
sur les lieux ont filmé la scène, Talal et son assistant se protégeant derrière
une camionnette blanche au milieu du carrefour. Un ambulancier a tenté de porter
secours au petit Mohamed et à son père. Il a été tué. Mais faut-il souligner
qu'il était arabe, palestinien et musulman ? - Charles Enderlin
Journaliste juif de la chaîne française France 2 -"
3.
Le cinéaste palestinien Ibrahim Khill reçoit le "Prix du Jury
Jeunes" pour son film "Paul Le charpentier" au "Festival du film asiatique" de
Vesoul
Ce 7ème
rendez-vous des cinématographies du continent asiatique, du Proche à l'Extrême
Orient, présentait cette année du 6 au 13 février 2001, 44 films. Près de
9000 entrées et un prix mérité pour ce film dont nous ne vous redirons
pas de nouveau, tout le bien que l'on en pense.
"La loi du plus fort"
par Maud Salignat
in L'Est Républicain (quotidien
régional) du vendredi 9 février 2001
Ibrahim Khill,
réalisateur palestinien, présent à Vesoul au Festival du cinéma asiatique,
réagit à l'élection de Sharon.
Il est né en 1942 à Nazareth. Avant de migrer à
Paris un mois après la Guerre des six jours. Et s'il retourne souvent sur ses
terres, c'est parce que "les événements que je filme, je les ai vécus à
l'époque". La fiction d'Ibrahim Khill est celle du documentaire.
Qui est-t-il ? Difficile de faire rentrer son identité dans un curriculum vitae.
Israélien naturalisé français, arabe, palestinien... Et pour couronner le tout,
chrétien. Et il se retrouve là, à Vesoul, pour présenter son dernier
documentaire dans le cadre du festival du cinéma asiatique, tourné avec ses
propres deniers, du moins ceux de sa petite maison de production "Nazareth
films". [...]
"Paul le Charpentier" retrace l'histoire de Paul
Gauthier, prêtre-ouvrier qui abandonna en 1957 son séminaire de Dijon pour être
charpentier à Nazareth et fonder un quartier où vivent aujourd'hui 8.000
Palestiniens... avant de quitter le pays révolté par les horreurs dont il a été
témoin pendent la guerre des Six jours à Jérusalem.
"J'ai eu la chance de vivre dans une ville
sainte à l'intérieur d'Israël. Mais nous avions d'autres problèmes. Comme sortir
de la ville pour aller travailler". Sur le thème des droits des
arabes israéliens, Ibrahim a fait un film : "Et la paix alors". Avant cela,
il était allé dans le nord d'Israël, retrouver des traces de l'un des "400
villages rayés de la carte", Biram. Nul besoin de lui en conter,
sur le processus de paix, ni sur l'élection de Sharon. "C'est la loi du plus
fort et cela fait 52 ans que ça dure. On avait le choix entre le pire et le
moins pire. La paix ne se fera pas parce que deux hommes l'on décidée. Elle ne
sera possible que quand les deux peuples arriveront à vivre ensemble. Et jusqu'à
maintenant, je n'ai pas perçu d'évolution."
Comment en serait-il autrement ? Interroge-t-il en substance. "Je suis
allé tourner à Bethléhem. Vous n'imaginez pas dans quel dénuement vivent les
gens. Ils ont de l'eau deux jours par semaine alors que de l'autre côté du point
de contrôle il y a de la pelouse verte... et on s'étonne de la violence. Moi, je
me demande comment ils font pour vivre !"
Revue de
presse
1. Proche-Orient : la tentation de l'attentisme
par Alain Frachon
in Le Monde du dimanche 18 février 2001
L'IDÉAL d'Ariel Sharon sur la question palestinienne : en faire le moins
possible... Deux éléments l'en empêchent. D'abord, la spirale d'une violence qui
s'est emballée avant même qu'il ne s'installe dans son fauteuil de premier
ministre. Ensuite, sa faiblesse politique intérieure l'oblige à une alliance
avec les travaillistes qui lui interdit d'enterrer le dossier palestinien. Mais
il faut garder à l'esprit que la tentation est là, chez le chef du Likoud :
chercher à geler la question palestinienne, gagner du temps. A court terme, sur
cette base, il peut compter sur le soutien d'une administration Bush qui dit
ouvertement qu'elle n'a pas l'intention de s'impliquer autant que la précédente
dans l'imbroglio proche-oriental.
M. Sharon et le chef travailliste qu'il a
défait, Ehoud Barak, ont décrété la mort du « processus d'Oslo ». La nouvelle
administration américaine qualifie de « caduques » les dernières conversations
israélo-palestiniennes. Majoritairement, Israël perçoit comme des « concessions
»ce qu'Ehoud Barak a proposé aux Palestiniens pour définir le cadre de leur
Etat. Et Israël ne comprend pas que les Palestiniens y aient répondu par la
violence – la deuxième Intifada. Majoritairement, les Palestiniens jugent que
leurs chefs, à commencer par Yasser Arafat, n'ont, depuis Oslo, cessé de faire
des « concessions » à l'Etat hébreu. Et ils estiment ne pas avoir été payés en
retour, soumis qu'ils sont quotidiennement à la violence de la
colonisation.
Ariel Sharon peut espérer exploiter cette situation de blocage.
Dans sa perspective, l'important est, si possible, de minorer la priorité
jusque-là accordée à la négociation avec les Palestiniens. Le vieux discours du
Likoud est sous-jacent : ce ne sont pas les Palestiniens qui menacent
l'existence de l'Etat hébreu ; l'Intifada d'aujourd'hui devrait pouvoir être
militairement contenue ; le vrai danger reste l'hostilité fondamentale du monde
arabe à Israël ; rien ne sert de faire des « concessions » aux Palestiniens, ils
voudront toujours plus ; seuls le temps et l'affirmation d'un Etat hébreu de
plus en plus fort ramèneront leur ambition à la mesure de ce qu'Israël estime
pouvoir leur consentir. Le temps, qu'il faut gagner.
Voilà ce qu'on peut
entendre chez les stratèges qui entourent le premier ministre israélien, Moshe
Arens, Dore Gold et Zalman Shoval. Ils estiment que le conflit avec les
Palestiniens peut être apaisé, fût-ce au prix d'un gel de la colonisation en
Cisjordanie et à Gaza. Ils jugent que la priorité pour Israël est de conserver
son avantage technologique dans l'équilibre des forces avec le monde arabe. Ils
considèrent que la prolifération de la technologie des missiles balistiques au
Proche-Orient est le vrai danger pour Israël. Enfin, ils refusent que l'état de
la relation entre Israël et Washington dépende exclusivement de l'avancement de
la négociation israélo-palestinienne : bon quand elle avance, mauvais quand elle
stagne. Or ils savent que, sur tous ces sujets, ils ont, momentanément, une très
bonne carte à jouer avec l'administration Bush. Au Congrès, la droite chrétienne
républicaine est devenue, depuis une dizaine d'années déjà, le plus formidable
groupe de pression pro-israélien qui soit. Le Parti républicain de George W.
Bush n'a, de ce point de vue, plus grand-chose à voir avec celui de Bush senior.
Mais les préoccupations de l'entourage d'Ariel Sharon rejoignent aussi,
largement, celles de la nouvelle administration.Avec Israël, celle-ci a,
d'évidence, un partenaire qui accueille plus que favorablement son projet de
bouclier antimissiles. L'Etat hébreu, à portée de missiles de tous ses voisins,
est lui même très avancé dans ce domaine. Il collabore de près avec les
Etats-Unis : Moshe Arens, ancien ambassadeur à Washington, ancien ministre de la
défense, est un ingénieur aéronautique qui a les meilleurs contacts au Pentagone
; Dore Gold est un spécialiste de la question de la prolifération des missiles
balistiques, qui a des liens étroits avec la nébuleuse académico-gouvernementale
des stratèges américains.
Tout comme M. Sharon, le secrétaire d'Etat, Colin
Powell, entend que les efforts de paix au Proche-Orient se déploient dans un
contexte « plus régional ». Il refuse de donner une manière de priorité ou
d'exclusivité à la question palestinienne. Il ne veut pas que les Etats-Unis
s'impliquent directement dans la négociation israélo-palestinienne, préférant –
à l'instar du chef du Likoud – laisser les deux parties face à face. Au moins
autant qu'au dossier israélo-palestinien, l'administration Bush affirme vouloir
s'attaquer au dossier irakien.
On imagine les réunions à Washington du
cabinet de sécurité, le premier briefing sur l'Irak. Autour du fils de George H.
Bush, le vice-président Richard Cheney, secrétaire à la défense en 1991, au
moment de « Tempête du désert » ; le chef d'état-major de l'époque, le général
Colin Powell, aujourd'hui secrétaire d'Etat. Sur la table, le « position paper
», qui dresse l'horrible constat : en ce début 2001, Saddam Hussein, le vieil
ennemi, paraît moins inquiété que jamais.
DÉTOURNEMENT D'ATTENTION
Et de
plus en plus inquiétant, jugent, à tort ou à raison, les Américains et les
Israéliens. Pis, jamais Saddam Hussein n'a été aussi populaire dans le monde
arabe, et tout particulièrement en Cisjordanie et à Gaza. Colin Powell veut
affiner une stratégie américaine qui, jusqu'à présent, s'est soldée par un
fiasco. Il veut des sanctions mieux ajustées, épargnant la population, ciblant
le régime. Il entend convaincre les alliés arabes des Etats-Unis de la nocivité
et de la dangerosité de Saddam Hussein. Lors de sa prochaine tournée au
Proche-Orient, il aimerait reformer la coalition de « Tempête du désert », celle
qui réunissait l'Arabie saoudite, l'Egypte et la Syrie contre l'Irak.
Ce
détournement d'attention du dossier palestinien ne peut que ravir Ariel Sharon.
Au moins momentanément. Car, très vite, le Likoud et l'administration Bush, sous
la pression de la violence, vont comprendre que ledit dossier ne peut être isolé
ou longtemps marginalisé. Aucun des alliés arabes des Etats-Unis ne peut être
indifférent à l'impact qu'a sur son opinion la situation à Jérusalem, en
Cisjordanie et à Gaza. Impossible d'ignorer l'effet des images de l'Intifada
quand l'affrontement israélo-palestinien au quotidien fait de nouveau,
inévitablement, la « une » des télévisions du Proche-Orient et nourrit
l'antiaméricanisme des opinions arabes. Inconcevable d'embrigader une nouvelle
coalition arabe contre le régime de Bagdad sans progrès parallèle et rapide de
la négociation israélo-palestinienne. La popularité de Saddam Hussein fleurit
sur l'affrontement israélo-palestinien. Pour M. Sharon comme pour M. Bush, une
stratégie de « benign neglect » – de moindre attention – à l'égard de la
question palestinienne ne serait pas longtemps tenable. Il y a fort à parier
que, d'ici quelques mois, les Etats-Unis seront de nouveau profondément
impliqués dans le dossier israélo-palestinien.
2. L'Irak menace de se venger des raids
américano-britanniques
Dépêche de l'Agence France Presse du samedi 17 février 2001,
20h56
BAGDAD - L'Irak s'est dit samedi déterminé à se venger des raids
de la veille près de Bagdad, motivés selon lui par la volonté de maintenir la
domination des Etats-Unis et d'Israël sur le monde arabe.
Le président
irakien Saddam Hussein a présidé samedi une réunion conjointe du Conseil de
commandement de la Révolution (CCR) et de la direction du parti Baas (panarabe,
au pouvoir) pour "examiner les mesures militaires à adopter pour riposter aux
Etats-Unis en cas de nouvelle agression".
Les consultations ont également
porté sur "les mesures militaires à prendre contre ceux (les pays) qui accordent
des facilités aux Etats-Unis, en cas de répétition de ces agressions", selon
l'agence officielle INA.
Les avions faisant respecter les deux zones
d'interdiction de survol aérien, dans le nord et le sud de l'Irak, imposées par
les Alliés occidentaux après la guerre du Golfe (janvier-février 1991), sont
basés d'une part en Turquie, et d'autre part en Arabie saoudite et au
Koweit.
A Bagdad, des milliers de personnes ont manifesté samedi pour
dénoncer les frappes aériennes.
Quelque 5.000 manifestants, dont des
responsables du Baas, ont déployé des banderoles proclamant: "Bush, Bush, écoute
bien, nous aimons Saddam Hussein! et "les frappes américaines et sionistes
n'arrêteront pas la marche des Irakiens vers la victoire!".
Un millier de
Palestiniens ont de leur côté manifesté dans les rues de Bagdad en appelant
Saddam Hussein à "bombarder Tel-Aviv".
Lors des funérailles d'une jeune fille
tuée dans les bombardements, des centaines de personnes ont exprimé leur colère
en scandant des slogans hostiles aux Etats-Unis et à Israël.
Le président
irakien, cité par INA, a en outre annoncé samedi la formation de 21 divisions de
volontaires pour se joindre à "l'Armée de libération de Jérusalem", dont la mise
sur pied a été annoncée le 7 février.
L'Irak affirme avoir mobilisé en 2000
plus de 6,5 millions de volontaires pour "la libération de la Palestine" et
souhaite que les pays limitrophes d'Israël, dont la Syrie et la Jordanie,
rouvrent leurs frontières aux combattants anti-israéliens.
Le Parlement
irakien avait auparavant estimé dans un communiqué que les raids visaient à
"soumettre la nation arabe, à maintenir l'hégémonie (de l'Occident) sur ses
ressources et à perpétuer l'occupation sioniste de la Palestine".
Le
quotidien Al-Qadissiya, organe des forces armées, a estimé que "le nouveau crime
américain ne resterait pas impuni".
Pour sa part, le quotidien Babel, dirigé
par Oudaï Saddam Hussein, fils du président irakien, a publié samedi une édition
spéciale dans laquelle il affirme que "l'agression américano-britannique ouvre
la voie à une opération (israélienne) dans les jours qui viennent contre un pays
arabe proche de la Palestine".
Selon le journal, l'attaque israélienne
pourrait être dirigée "soit contre le Golan (Syrie), soit contre le Liban
sud".
L'Irak a affirmé que les raids, sans commune mesure depuis deux ans,
avaient fait deux morts et plus de 20 blessés civils.
Washington et Londres
ont affirmé que leurs avions avaient pris pour cible des postes de commandement
et de radars proches de Bagdad hors de la zone d'exclusion aérienne du sud de
l'Irak, et justifié l'opération par l'augmentation, selon eux, des opérations
irakiennes de défense anti-aérienne.
Un haut responsable du parti Baas, Saad
Kassem Hammoudi, a appelé les "masses arabes à laisser éclater leur immense
colère en s'attaquant aux intérêts américains et britanniques dans le monde
arabe".
"Les gouvernements des pays arabes frères inscrits dans la tournée
(du secrétaire d'Etat américain) Colin Powell doivent refuser de recevoir ce
criminel de guerre pour exprimer leur rejet de la politique d'agression
américaine", a-t-il dit à l'AFP.
M. Powell a maintenu sa tournée régionale,
prévue du 24 au 26 février qui doit le conduire en Egypte, en Arabie saoudite,
en Israël, dans les territoires palestiniens, en Jordanie, en Syrie et s'achever
au Koweït.
M. Powell, chef d'état-major interarmes durant la guerre du Golfe,
a tenu à être présent pour le 10ème anniversaire de la libération de l'émirat
après sept mois d'occupation irakienne.
Sa tournée vise notamment à plaider
pour le maintien du strict régime de sanctions contre l'Irak, en vigueur depuis
plus de 10 ans, qui s'est considérablement effrité en 2000.
3. Qui demande à
Israël de se suicider ? par Lucien Bitterlin
in France-Pays Arabes du
mois de février 2001
La lecture du Monde daté du 18 janvier 2001, me
laisse quelque peu sceptique - si je ne l'étais déjà - sur la possibilité d'un
règlement complet, équitable et définitif de la Déclaration de principes sur des
arrangements intérimaires d'autonomie signés à Washington le 13 septembre 1993,
entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin. En effet, les propos « des amis d' Israël
» que sont le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) et
le Prix Nobel Elie Wiesel, vont à l'encontre de ce que sont sensés obtenir les
négociateurs israéliens et palestiniens, engagés depuis des mois, voire des
années, dans les dernières séances-marathon du processus de paix.
Ainsi, le
CRIF, dont toute la classe politique, médiatique et de l'intelligentsia
française, était l'invitée récemment dans un dîner-débat, pour y entendre donner
au Premier ministre Lionel Jospin des leçons de moralité et d'humanité sur la
guerre menée par les Français en Algérie, se paie une pleine page de publicité
avec un gros titre : « Israël doit-il se suicider », par Yasser Arafat demande
l'application du droit de retour des réfugiés dans leur patrie. Pourquoi les
Juifs ont-ils obtenu ce droit des Nations-Unies après 2000 ans d'exil, alors que
50 ans après avoir été chassés de la Palestine, les Arabes ne peuvent pas
revenir chez eux ?
Le député Claude Goasguen a déclaré à Radio J : « La Shoah
a créé Israël ». Mais les musulmans et les chrétiens de Palestine n'y étaient
pour rien ! Ils ne sont pas responsables des crimes de l'antisémitisme
européen.
C'est la même argumentation que présente le même jour dans Le
Monde, Elie Wiesel, dans son article Jérusalem, il est urgent d'attendre. Pour
cet illustre Prix Nobel, il n'est pas question de céder aux Arabes un seul
quartier de la ville trois fois sainte, occupée par l'armée israélienne en juin,
1967, puis annexée. Pour ce qui concerne « le droit au retour », pour lui, «
Israël est uni dans son refus », là encore ce serait « le suicide physique de
l'État juif ».
C'est dire que le droit international, les résolutions du
Conseil de Sécurité, les engagements israéliens sur la déclarations de principe
des Accords d'Oslo, signés entre Arafat et Rabin, tout cela Israël s'en
moqueraient totalement.
C'était don un paradoxe que le Premier ministre
Yitzhak Rabin s'adressant à Arafat le 13 septembre 1993 déclarait « Laissez-moi
vous dire, Palestiniens, nous sommes destinées à vivre ensemble sur le même sol
de la même terre ». Il estimait qu'il y avait eu déjà trop de sang versé et il
savait que de toute façon, les Juifs étaient condamnés à vivre aux côtés des
Arabes, « dans la dignité, en affinité, comme des êtres humaines, comme des
hommes libres ».
Le CRIF, et ceux de nos compatriotes qui se sentent liés à
Israël pour le meilleur et pour le pire, ont-ils conscience que le désir
légitime de sécurité de l'État hébreu ne sera jamais obtenu par l'occupation et
la domination ?
L'exemple de l'évacuation du Liban par Tsahal en mai dernier,
démontre que l'esprit de résistance à l'oppression fait l'unanimité, en
Palestine comme en Syrie. L'histoire contemporaine n'a pas d'exception.
Ce
qui reste des propos du CRIF et d'Elie Wiesel, c'est qu'ils relaient pour
l'opinion française les objectifs de la diplomatie israélienne, laquelle ne vise
qu'à gagner du temps pour ne rien accorder aux Arabes qui ne soit fondamental,
donc qu'il n'est pas question d'aboutir à la paix par la voie
pacifique.
C'est donc une grave erreur aux conséquences dangereuses pour tout
le monde qu'Israël prend, s'il en est ainsi, pour son avenir au Proche-Orient,
alors que les États arabes - comme la Syrie - ont choisi la paix comme objectif
stratégique.
Il y a fort à parier aussi que les Français, même parmi ceux qui
ont toujours eu un penchant pour Israël, soient las de cet amalgame entre la
sécurité d'Israël mise en péril par les Arabes qui veulent libérer leurs terres,
sauf celle sur laquelle Israël est établi dans ses frontières du 4 juin1967, et
la repentance distillée quotidiennement sous toutes ses formes, et par
l'ensemble des media. Si l'on voulait faire des citoyens français de religion
juive ou d'origine juive, des citoyens à part, des Français provisoires, on ne
s'y prendrait pas autrement.
Personne ne demande à Israël de se suicider,
seulement de laisser les Palestiniens vivre en paix chez eux, sur le sol de leur
patrie.
4. L'économie palestinienne au bord de l'effondrement,
selon l'Onu
Dépêche de l'agence Reuters du vendredi 16 février 2001,
22h40
NATIONS UNIES - L'émissaire de l'Onu pour le Proche-Orient,
Terje Roed-Larsen, avertit que l'Autorité palestinienne risque de sombrer dans
l'"anarchie et le chaos" si la communauté internationale ne débloque pas des
fonds d'urgence pour aider l'économie palestinienne à sortir de la crise.
L'Autorité palestinienne a besoin d'une aide internationale de 50 millions
de dollars par mois pour se maintenir à flot en attendant la réouverture des
territoires.
Si les fonds nécessaires ne sont pas débloqués, la crise
fiscale résultant du blocage des territoires palestiniens par Israël finira par
entraîner un effondrement des institutions.
L'ampleur de la crise est telle
que l'autorité palestinienne pourrait ne plus pouvoir verser ses salaires d'ici
quelques semaines.
Le diplomate norvégien, qui s'exprimait à l'issue d'un
entretien avec le secrétaire général de l'Onu Kofi Annan, a également prédit une
nouvelle escalade de la violence qui pourrait atteindre des proportions
inégalées.
Kofi Annan est "extrêmement préoccupé et m'a demandé de faire une
tournée dans les principales capitales européennes et à Washington pour discuter
de la situation", a-t-il ajouté, précisant qu'il se rendrait dans la capitale
fédérale américaine mardi et mercredi. L'Onu a évalué à plus d'un milliard de
dollars les pertes pour l'économie palestinienne depuis le début de la nouvelle
intifada.
5. Adieu d'une ville israélienne à quatre de "ses
meilleurs enfants" par Joel Greenberg
in The New York Times (quotidien américain) du vendredi 16
février 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Ashkelon, Israël, 15 février -- Sous un ciel plombé, Yasmin Karissi, âgée
de dix-huit ans, a été portée en terre, aujourd'hui, dans le cimetière militaire
qui jouxte cette ville côtière. Elle a été ensevelie dans la première de quatre
tombes fraîchement creusées.
Caporal d'armée et cadet en formation pour
devenir officier, elle a été enterrée avec les honneurs militaires pléniers,
mais pour tous ceux qui la pleuraient, sa famille, ses amis et Israël tout
entier, elle était simplement une jeune fille en uniforme à qui la vie a été
arrachée.
Le caporal Karissi a été tuée mercredi dernier, en même temps que
six autres soldats et un civil, après que le conducteur palestinien d'un autobus
ait précipité son véhicule sur un arrêt de bus, situé sur une route à grande
circulation, au sud de Tel-Aviv. Ce fut l'attentat le plus meurtrier commis en
Israël depuis plus de trois ans.
Quatre parmi les victimes décédées étaient
des soldats originaires d'Ashkelon, et leurs funérailles ont eu lieu,
aujourd'hui, en une succession émouvante, un groupe de personnes en deuil
quittant le cimetière tandis que le suivant s'avançait, derrière un autre
cercueil recouvert du drapeau national.
Des photographies des jeunes victimes
ont été publiées en première page par tous les journaux israéliens de ce jour,
et certains présentateurs de chaînes de radio ou de télévision ont énuméré leurs
prénoms : "Yasmin, Rahel, Kochava, Julie, Simcha, Alexander, David,
Ofir".
Devant la tombe du caporal Karissi, Benny Vaknin, le maire de cette
ville en deuil, a évoqué le "meurtre de jeunes gens, de soldats innocents",
fauchés tandis qu'ils attendaient sur le bord d'une route. "Nous enterrons
aujourd'hui nos meilleurs fils et nos meilleures filles", a-t-il dit, ce qui
reflètait bien le sentiment de perte familiale ressenti par tous.
Depuis
Gaza, Ismail Abu Elba, le frère du conducteur de bus, a présenté des
condoléances au cours d'une interview avec une chaîne de télévision israélienne.
"Je suis extrêmement peiné", a-t-il déclaré, en hébreu. "Je n'ai pas cessé de
pleurer depuis hier"
"Je suis absolument désolé. Je dis aux familles frappées
dans leur affection que jamais je n'aurais souhaité qu'une chose comme celle-là
arrive. Je condamne cet acte de tout mon coeur".
Les Palestiniens ont eu
leurs propres funérailles, aujourd'hui. Ils ont enterré Nasser al-Hasanat, 23
ans, un officier de police tué par des soldats israéliens à proximité d'une
colonie de la bande de Gaza. L'armée a déclaré que M. Hasanat tentait de
pénétrer dans la colonie, porteur d'un pistolet et d'un exemplaire du Coran,
lorsqu'il a été surpris. Des centaines de personnes en deuil ont psalmodié des
slogans tandis que son corps était porté en procession par les rues de Gaza, ses
collègues tirant en l'air.
Pour bien des participants aux funérailles du
caporal Karissi, l'espoir de paix est mort en même temps que cette jeune
fille.
Lorsque son père, Chaim, commença à réciter le Kaddish, la prière de
deuil des Juifs, demandant à Dieu "la paix pour nous et pour tout Israël", sa
mère s'écria : "Quelle paix ?"
Revital Messika, 22 ans, un ami, dit que le
futur était terriblement clair. "Il n'y aura pas de paix", dit-elle. "Nous
sommes haïs, les Arabes ne veulent pas de nous, ici, et ça va rester comme ça.
Une seule chose : la guerre".
Chaim Azran, 19 ans, alla plus loin : "J'ai
voté pour Ariel Sharon, afin qu'il y ait la guerre, parce que ce n'est que grâce
à la guerre que nous pourrons mettre un terme à ce b...", dit-il. M. Sharon,
leader faucon du parti de droite Likud, a remporté une victoire raz-de-marée, la
semaine dernière, sur la promesse de rendre aux Israéliens leur sécurité.
"Si
les choses continuent comme ça, les tombes ne seront que de notre côté", ajouta
M. Azran, tandis qu'un emplacement était préparé pour l'enterrement
suivant.
Shimon Golan, 54 ans, un ami de la famille Karissi, a dit avoir
perdu, lui aussi, l'espoir d'une paix avec les Palestiniens, bien qu'il ait voté
pour le rival de M. Sharon, le Premier ministre Ehud Barak.
"Je suis en plus
en plus résigné : quoi que nous fassions, il n'y aura pas de paix avec eux", dit
M. Golan, "parce qu'après Jérusalem, ils réclameront Jaffa et Haifa : en fin de
compte, ce qui'ils veulent, c'est nous jeter à la mer. Ca ne servirait à rien de
nous venger en rasant Gaza, parce que quelqu'un d'autre surgira d'ailleurs pour
venir nous attaquer. Je n'y vois pas de fin. Nous sommes condamnés à vivre avec
le revolver sous l'oreiller".
Après l'enterrement, les gens s'attardaient en
silence autour de la tombe du caporal Karissi, recouvert désormais de couronnes
mortuaires qui allaient devenir, au cours de l'après-midi, une colline de
fleurs, comme les quatre nouvelles tombes autour d'elle.
Yoel Sela, 18 ans,
qui était allé au lycée avec le caporal Karissi, observait les funérailles de
loin, assis sur un muret. Il nous dit qu'il n'avait pas perdu espoir, malgré la
perte de son ancienne camarade de classe.
"Elle croyait en la paix", dit-il,
"elle était toujours optimiste, et pensait qu'il finirait bien par y avoir la
paix, en dépit de tout. Nous devons continuer dans ce sens. Il s'agit d'un
processus qui prendra du temps. Nous sommes en train de payer le prix, mais je
suis sûr qu'un jour mes enfants n'auront pas à faire leur service
militaire".
6. Rafic Hariri :
le Liban toujours prêt à négocier propos recueillis
par Pierre-André Chanzy
in L'Humanité du vendredi
16 février 2001
Le premier ministre libanais, Rafic
Hariri, a réuni la presse à l'occasion de sa visite officielle en France.
L'actualité s'y prêtant, l'essentiel des questions eut pour objet la situation
au Proche-Orient après l'arrivée au pouvoir en Israël d'Ariel Sharon. Lundi, un
membre de la garde d'Arafat, a été tué par les Israéliens. Quatre roquettes
tirées par un hélicoptère... Cet officier, dit-on à Tel-Aviv était un "
terroriste " ayant partie liée avec le Hezbollah libanais. M. Hariri réagit
vivement : " Faux ! C'est à tort que les Israéliens affirment cela. " Et il
ajoute : " Depuis l'arrivée de Sharon nous sommes soucieux de ne pas céder à des
provocations. Notre histoire est connue, celle du premier ministre israélien
aussi. La mémoire de Sabra et Chatila est présente dans le monde entier. Aussi,
suis-je sans optimisme, mais nous ne voulons pas fermer la porte. Israël n'a pas
besoin de prouver qu'il est fort : nous le savons. La seule politique possible
est la négociation en vue d'établir la paix. Nous demeurons en contact avec nos
amis dans le monde, les Etats-Unis, la France et d'autres... "
- Qu'attend M. Hariri de la
nouvelle administration américaine ?
- " Qu'elle pratique une politique
équilibrée entre les Arabes et les Israéliens. Pas plus. Nous savons les liens
existants entre l'Amérique et Israël, mais nous attendons des Etats-Unis une
attitude équitable. D'ailleurs, on perçoit dès à présent des changements. Nous
sommes déterminés à montrer aux Américains que les Arabes se sont décidés à
faire la paix. Non par faiblesse mais parce que nous avons confiance en nous.
C'est notre force. Nous sommes la majorité. " Il précise encore qu'il n'envisage
pas un déploiement de l'armée libanaise au Liban sud " sans accord de paix ".
Mais, dit-il, " toutes les composantes nationales s'accordent pour condamner les
violences qui y seraient commises ". Il se montre attentif, dans tous les
dossiers, à s'en tenir aux résolutions des Nations unies.
Rafic Hariri a conclu sur une note
propre à renforcer les relations avec Paris. Il s'est vivement réjoui du sommet
de la francophonie qui réunira cette année cinquante-cinq pays au Liban.
7. Abu Albéh le
Palestinien par Talal Salman
in Al-Safir (quotidien
libanais) du jeudi 15 février 2001
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Dénué de tout, si ce n'est de sa
volonté, à visage, à coeur, à corps découverts, ne possédant pour le couvrir que
son sang, un chauffeur, un simple chauffeur, de ces chauffeurs qui conduisent
leur bus qui connaît la route par coeur et le code qui la régit, les points de
contrôle, les passages, les heures de passage libre et les heures de fermeture,
où il doit ouvrir ses portes, les intentions de ses passagers, qui peut monter à
son bord, et avec quel billet, et avec quelle autorisation de travail...
Un
Palestinien, un simple Palestinien, étranger sur sa terre et étranger à sa
terre, poursuivi par le soupçon, les sentiments d'hostilité, les services
secrets dont l'importance croît à proportion des "terroristes" qu'ils
"découvrent", avant qu'ils ne deviennent des héros ou des martyrs. Unifiant tout
cela en lui, comme s'il était la Palestine à lui tout seul. Il dort chaque nuit
au coeur de la mort, il se réveille chaque matin pour entreprendre sa randonnée
au coeur de la mort. Alors, s'il lui arrive de rentrer vivant à la maison, il se
met à attendre le lendemain, en proie à la fébrilité : il a gagné une nouvelle
vie, alors : il va pouvoir nourrir ses enfants encore un jour...
Un homme
sans histoire, les écrits ne le mentionnent pas, et les "chiens de chasse"
spécialisés dans l'élimination des hommes jugés dangereux ne remarquent pas son
existence. Il a passé les examens d'auto-négation avec succès, alors la société
israélienne l'a nommé chauffeur de l'un de ses autobus dressés comme au cirque.
C'est un simple chauffeur, auquel on dit : avance! , alors il avance. Arrête! ,
alors il arrête, comme un automate.
Palestinien, simple Palestinien, il vit à
l'intérieur de sa mémoire. Un parmi trois millions de rêveurs comme lui, qui
parlent au passé et oublient le futur, et se contentent, en guise de présent, du
pain qui leur permet juste de survivre. Il vit avec un million de ses semblables
dans la "banlieue sud" de la Palestine, plus précisément dans le quartier Shaykh
Radwan, de la ville de Gaza, qu'il attribue, ainsi que ses semblables, aux Bani
Hashim, les Hashémites.
Il n'est personne. Un simple chauffeur, au chômage
les trois quarts du temps, vendant sa propre chair pour une journée de travail,
afin de pouvoir donner à manger à ses cinq enfants et à son épouse qui ne cesse
d'être enceinte que lorsqu'elle allaite. Il a dépassé la trentaine il y a un
bail, il est donc sorti de l'âge des folies et des incartades, d'ailleurs s'il
n'avait pas de telles qualités, il n'aurait jamais pu conduire le bus qui amène,
depuis la banlieue sud de la Palestine, Gaza, vers son coeur, dont les Arabes
ont d'ores et déjà admis qu'il portait un autre nom, "Israël", cinquante
ouvriers, parfois même plus, qui viennent de la Palestine "autoritaire" à la
Palestine "occupée" pour construire les maisons et fournir les services à leurs
propres ennemis, à ceux qui leur ont pris leur terre et le droit de
vivre.
C'est quelqu'un de raisonnable... à preuve, il a amené ses
"passagers", les ouvriers venus, comme lui, de Gaza, jusqu'à leurs lieux de
travail, puis il est revenu, seul, à bord de son bus, jusqu'au "théâtre du
crime", au sud de Tel Aviv. Quel est le secret ? Qu'est-ce qui a rendu furieux
ce chauffeur domestiqué par la pauvreté et l'humiliation quotidienne, d'une
furie qui lui a fait "attaquer", avec son grand bus, ce groupe de soldats qu'il
a trouvés, rassemblés, presque comme pour un rendez-vous ? Il a alors fait
passer le grand coffre d'acier au milieu d'eux, le pied sur l'accélérateur,
comme s'il ne voulait en rater un seul!
De toute évidence, il n'était pas en
état d'ébriété... Avec quoi aurait-il acheté des boissons alcoolisées, lui , le
chômeur depuis si longtemps, sans le sou, évidemment, il n'en était qu'à son
troisième voyage, et chez lui, dans sa "maison" composée de deux pièces, il n'y
a pas de quoi se caler le ventre, alors des boissons alcoolisées ? On aurait pu
en parler - et encore -avant la vague d'intégrisme religieux qui règne
maintenant sur les communautés palestiniennes, tant rurales que citadines, qu'il
s'agisse d'habitants d'origine ou de réfugiés ayant fui les massacres qui ont
fait monter sur le podium cette starlette politique à l'ascension irrésistible :
Ariel Sharon, parmi d'autres "héros"qui ont dû se donne la peine de vider la
terre de ses occupants temporaires, qui n'étaient là que depuis quelques
millénaires, afin de la restituer à ceux qui oubliant leurs pays effectifs, en
émigrèrent pour revenir en "terre promise" ?
Quel est donc ce mystère, qui a
transformé un chauffeur expérimenté, qui a passé plusieurs examens avec succès,
à qui on a délivré la carte magnétique et le visa d'entrée au paradis du dollar,
des pin-ups et des boîtes branchées, en dangereux "terroriste" écrasant avec son
bus cet échantillon élitaire de l'armée israélienne, sans motif et sans prévenir
?
Pour l'élucider, il faut des psychiatres, il faut des psychanalystes
spécialisés dans le diagnostic des tendances au terrorisme dans le coeur des
humains.
Sont-ce les spectacles quotidiens, qui lui remplissent les yeux :
des bulldozers israéliens écrabouillant le pauvres masures de Palestiniens
indigents ? Sont-ce les tanks israéliens bombardant des gamins palestiniens, ou
les soldats les poursuivant et leur lançant des grenades aux gaz innervants dans
les ruelles de terre de quartiers dont la population ne fait que s'accroître
d'heure en heure ? Sont-ce les hélicoptères américains du type Apache, dont
chacun représente, à lui tout seul, une escadrille complète, pourchassant un
homme isolé et le bombardant d'une volée de missiles parce que le Mosad suspecte
son fils ? Sont-ce les cortèges funèbres - quotidiens - des martyrs tués par les
colons irrités de la vaine opposition de paysans palestiniens à la confiscation
de leurs terres ?
Ou bien, est-ce Muhammad Al-Dirra, qui ne cesse d'être tué
chaque jour, et qui ne cesse de tenter de s'abriter entre les bras de son père ?
Et ces autres enfants, là, qui ne trouvent pas de bras, qui sans doute ne les
protégeront pas, mais leur donneront au moins un peu de chaleur au moment de la
grande séparation ?
Ou bien alors, seraient-ce les cortèges des femmes
poussant des you-yous d'adieu aux martyrs, et les cortèges des hommes qui crient
d'une voix étranglée de larmes : "le martyr est l'aimé de Dieu", tandis que dans
leurs yeux brille la lueur d'une colère sacrée et d'un défi lancé : celui de
prouver que ceux qui les ont précédés n'étaient pas encore les meilleurs, et que
ceux qui ont survécu n'étaient pas les lâches, ou les mous, ou ceux qui font peu
de cas du droit sacré qui ne saurait être vendu ni gagé et qui ne saurait mourir
même si son détenteur meurt sans le récupérer ?
Est-ce cette démocratie
raciste qui ne sait que produire un guerrier assoiffé de sang après un guerrier
de sang assoiffé ?
Ou bien serait-ce en désespoir de voir quelque jour la
bête féroce s'humaniser, en Israël ?
Est-ce la douleur causée par les
marchandages de l'Autorité, dont, à chaque fois qu'il pensait qu'elles étaient
arrivées au niveau impensable à ne pas dépasser et qu'elles allaient s'arrêter
d'elles-mêmes, il voyait qu'elles continuaient par illusion ou par souci
d'éviter le pire, comme si le pire n'était pas déjà là ?
Est-ce l'infamie de
l'humiliation et de l'écrasement sous le poids du défaitisme arabe, que ne
parvient pas à faire oublier la densité de la couverture télévisuelle présentant
sur un même pied le criminel et la victime, à une petite différence près : le
criminel cause, accuse, condamne et justifie, alors que la victime se tait, même
si ses blessures parlent plus éloquemment que des mots ?
Sont-ce tous ces
éléments, qui ont fait de Ala Khalil Albé un chauffeur tellement habile à
franchir les barrages, bien qu'il porte son identité sur sa figure, jusqu'à
arriver jusqu'à ceux dont il considère qu'ils ont tué et qu'ils continuent à
tuer le soleil, l'espoir, la vérité, la terre et ses enfants généreux, sur toute
l'étendue de la Palestine, celle d'avant 1948 et celle d'après Ariel Sharon,
digne successeur du prédécesseur éminent Ehud Barak, et tous les généraux de la
paix israéliens, qu'ils appartinssent à la droite sioniste ou au sionisme de
gauche ?
Est-ce la victoire de ce frère libanais, par ses seules volonté et
âme, sur l'occupation ?
Dépouillé désormais de tout, sauf de son sang et de
sa volonté, qui affirme son droit à un pays.
Qui est dans son pays n'est pas
seul. Le pays, c'est l'arme absolue. Le pays, c'est la vie. Le pays, c'est
l'avenir des enfants laissés à Shaykh Radwan, ces enfants qui se sont blottis au
coeur de ceux de sa famille, qui ne les abandonneront jamais, sauf si le pays
les réclame eux aussi.
Ala Khalil Abu Albéh : le plus grand des héros, c'est
l'homme ordinaire que tu es.
Ala Khalil Abu Albéh : le plus grand des hommes,
c'est celui qui devient un héros dans son pays.
8. Un Arabe fonce
sur la foule au volant de son bus, tuant huit Israéliens par Deborah
Sontag
in The New York Times
(quotidien américain) du jeudi 15 février 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Azur, Israël, 14.02 -- Après avoir
conduit des années durant des travailleurs gaziotes faisant la navette pour se
rendre sur leur lieu de travail en Israël, un conducteur de bus palestinien, qui
avait été soumis à un contrôle de sécurité très strict par l'administration
israélienne, quinze jours auparavant seulement, a brusquement quitté la route,
hier, avec des conséquences mortelles.
Plongeant dans une foule de soldats
et de banlieusards qui attendaient à un arrêt de bus, le chauffeur palestinien a
tué huit Israéliens, à l'heure de pointe matinale. Son agression du type "frappe
et tire-toi", qui a été présumée être une attaque terroriste pas très catholique
menée par un terroriste improbable, a causé le nombre de mort le plus élevé
jamais relevé au cours d'une seule journée, en Israël, depuis le début de
l'insurrection palestinienne, l'automne dernier.
Un Israélien, Moshe Saroussi
(19 ans), cheveux noirs en bataille et les yeux encore lourds de sommeil, a vu
un bus - vide - approcher et s'étira, laissant ses camarades soldats courir en
estafettes. Mais, au lieu de s'arrêter, le bus monta sur le trottoir et faucha
les amis de Saroussi, envoyant des corps tournoyer en l'air et s'écraser
lourdement en retombant sur le macadam, tandis que le bus s'éloignait à pleine
vitesse. Sept des personnes tuées étaient des soldats, et un civil a été tué.
Soixante-dix personnes ont été blessées.
"Après, c'était presque le silence,
beaucoup de gens étaient passés sous les roues", a raconté le témoin, M.
Saroussi, qui a eu le temps d'échapper à l'accident en sautant par-dessus une
barrière. "Après ce que j'ai vu, par terre - des membres arrachés, des crânes
ouverts, des entrailles répandues - j'ai peur de me retrouver seul. Le cauchemar
est dans ma tête".
Le chauffeur du bus, Khalil Abu Elba, qui s'est livré à
une course-poursuite avec la police, avant de finir dans le décor et d'être
arrêté, est passé à l'acte au lendemain de l'assassinat d'un officier de la
sécurité palestinienne. Son "acte désespéré", comme l'a qualifié son frère, un
peu plus tard, marquait le dernier degré d'escalade dans une résurgence de
violence dont beaucoup redoutent qu'elle n'échappe à tout contrôle.
M. Abu
Elba, 36 ans, semblait être un candidat bien improbable pour devenir le
protagoniste d'un drame fatal qui a fait l'objet d'une couverture médiatique
mondiale. Il ne correspondait absolument pas au portrait-robot du terroriste
suspecté.
Père de cinq enfants, il possédait depuis longtemps un permis de
travail israélien, qui lui avait été renouvelé il y a juste deux semaines, au
cours d'un examen de sécurité particulièrement sévère, en raison de la
situation. Durant de longues années, il avait exercé la profession de chauffeur
intermittent dans la compagnie de transport la plus importante d'Israël - Egged
- conduisant des travailleurs palestiniens du point de passage d'Erez jusqu'à
leurs lieux de travail en Israël, les ramenant chez eux, à Gaza, à la fin de la
journée.
Mais aujourd'hui, au lieu de laisser cinquante travailleurs à Ramle,
M. Abu Elba a continué son chemin, afin de mener à bien une mission criminelle
sous la dictée d'une organisation terroriste, ont indiqué les autorités
israéliennes. Celles-ci ont écarté toute avarie mécanique du bus, en raison de
la manière dont M. Abu Elba a pu le manoeuvrer pour quitter la scène de
l'attentat et tenter d'échapper à la police, avec laquelle il s'est livré à une
course-poursuite folle, qui s'est prolongée sur plus de 13 kilomètres.
A
Gaza, le frère de M. Abu Elba, Hussein, a dit à des journalistes que M. Abu Elba
avait un comportement de plus en plus désemparé, ces derniers temps, à cause des
fermetures de la frontière imposées par les Israéliens, qui limitaient ses
possibilités de travailler. Ceci l'a amené à commettre son "acte désespéré", a
dit son frère, ainsi que sa colère face à la répression violente opposée par
Israël à l'insurrection palestinienne, qui a causé la mort de plusieurs
centaines de personnes, des Palestiniens, dans l'écrasante majorité des
cas.
Qualifiant l'acte de M. Abu Elba de "coup de foudre par jour clair",
Shlomo Ben-Ami, le ministre de l'intérieur israélien sortant, a dit que les
agents israéliens de la sécurité ne pouvaient pas le prévoir. M. Ben-Ami l'a
qualifié de dernière contribution du moment à un "cycle de sang versé entre nous
et eux".
Le niveau d'anxiété en Israël s'est accru de manière palpable, à
peine une semaine après que les Israéliens aient élu le faucon Ariel Sharon pour
amener plus de sécurité à leur pays. M. Sharon qui n'a pas encore prêté serment,
a condamné les attaques par bus, y voyant une preuve, a-t-il dit, que ceux qui
veulent attaquer Israël ne font pas la différence entre les forces israéliennes
en Cisjordanie et à Gaza et celles qui sont à l'intérieur d'Israël.
"La
terreur frappe les Israéliens, où qu'ils soient", a dit M. Sharon.
Ehud
Barak, premier ministre démissionnaire et chargé de l'expédition des affaires
courantes, a immédiatement isolé les territoires de Cisjordanie et de Gaza,
ainsi que l'aéroport de Gaza, qu'il venait juste de rouvrir afin de permettre à
environ 7 000 musulmans d'effectuer leur pèlerinage à la Mekke, cette semaine.
Les pèlerins se sont retrouvés coincés, ainsi que plusieurs officiels
palestiniens de haut rang, qui restèrent bloqués au pont Allenby jusqu'à ce que
le Secrétaire d'Etat Colin L. Powell intervienne auprès de M. Barak pour les
laisser passer, a indiqué la télévision israélienne.
M. Barak a également
sommé ses conseillers en matière de sécurité d'envisager d'autres mesures afin
de combattre le terrorisme, et notamment l'élargissement des interdictions de
travailler en Israël pour les Palestiniens.
Israël avait commencé à lever
son bouclage total des territoires palestiniens, et aujourd'hui, des hauts
responsables donnaient des arguments allant contre le renversement de la
tendance, disant que des fermetures de frontières totalement hermétiques ne font
qu'asphyxier l'économie palestinienne et alimenter le désespoir et la violence.
Les mêmes voix mettent également en garde contre toutes représailles
armées.
Mais Danny Yatom, haut responsable de la sécurité de M. Barak, a
prévenu que si l'Autorité palestinienne n'agissait pas pour contrôler la
violence, Israël s'en prendrait à l'Autorité elle-même, lui infligeant des
dommages qui pourraient aller jusqu'à son écroulement.
Il a ajouté que cette
élimination de l'Autorité n'amènerait vraisemblablement pas le calme escompté,
mais que, "poussé dans ses retranchements, Israël serait obligé de passer à
l'action".
A Ankara, Yasser Arafat a déclaré que la question de savoir s'il
ne s'agissait pas simplement d'un accident de la route n'a pas encore été
tranchée avec certitude.
"Quoi qu'il en soit, nous sommes contre le recours à
la violence et bien entendu, contre le fait de s'en prendre aux civils", a-t-il
ajouté. "Cela s'est passé sur leur territoire, c'est eux qui mènent l'enquête.
C'est tout, pour ce qui me concerne. Je n'en sais pas plus".
Le président
Bush a appelé M. Barak cet après-midi pour lui exprimer ses condoléances.
"Durant ces moments difficiles, le peuple américain et moi-même, à titre
personnel, sommes à côtés de vous, partageant votre peine, avec beaucoup de
chagrin", a déclaré M. Bush, d'après un communiqué publié par les services du
Premier ministre israélien.
Ce communiqué ne mentionnait pas que M. Bush
avait lancé un appel à mettre "une fin au cycle de violences et de réactions".
Mais il comprenait, par contre, bel et bien, ce qui peut apparaître comme la
réplique de M. Barak, à savoir que la réponse d'Israël à la violence ne saurait
être mise sur un même pied avec "la terreur palestinienne qui s'en prend à des
civils innocents". "La réponse d'Israël à la terreur", a-t-il dit, "est apportée
d'une manière mesurée, avec discernement et dans les strictes limites de son
auto-défense".
Les officiels palestiniens pensent tout autrement. "La
violence n'attire que la violence", a dit Ahmed Abdel Rahman, un conseiller de
M. Arafat. Plus tard, un haut responsable palestinien, Nabil Shaath, a condamné
l'attaque.
Le Centre d'Information Palestinien - Palestine Media Center -
toutefois, a publié un communiqué qualifiant l'attentat au bus de "réponse à
laquelle on pouvait s'attendre, aux bombardements, aux assassinats et à
l'utilisation de gaz de combat contre des Palestiniens soumis à une occupation
militaire et un blocus économiques insupportables depuis plus de quatre mois."
Israël rejette les assertions palestiniennes selon lesquelles son armée
utiliserait des gaz innervants causant des convulsions et des
hallucinations.
Des pays européens ont condamné pour la première fois Israël
pour un assassinat (programmé) exécuté mardi dernier. Cet assassinat avait été
autorisé personnellement par M. Barak, qui en avait notifié M. Sharon
auparavant, ont indiqué les moyens d'information israéliens.
Condamnant ces
"exécutions extra-judiciaires", le ministre français des Affaires Étrangères, M.
Védrine, a déclaré : "Nous ne saurions accepter de telles méthodes qui ne
peuvent que mener à encore plus de haine et de ressentiment".
L'attaque menée
au moyen d'un autobus dans cette localité de la banlieue sud de Tel-Aviv a
modifié le ton utilisé vis-à-vis d'Israël, où affluaient les messages de
sympathie.
Rina Aharon, embrassant sur le front de son fils, attendant une
intervention chirurgicale à la jambe au centre médical Assaf Harofé, admettait
être une mère juive superstitieuse et hyperprotectrice. "J'ai eu un
pressentiment, ce matin", a-t-elle dit. "J'ai cassé un verre, et je me suis dit
: aujourd'hui, il va se passer quelque chose".
Tôt, ce matin-là, elle avait
préparé le petit déjeuner habituel de son fils, Ami, âgé de 20 ans, mais il y
avait à peine touché. "Pourquoi es-tu si pressé ?", lui avait-elle demandé.
"Maintenant, je sais qu'il se précipitait vers ce carnage".
Comme Ami
Aharon, la plupart des blessés et sept des morts, sur huit, étaient de jeunes
soldats, dont beaucoup originaires de la ville voisine d'Askelon. Bien
qu'affectés à différentes bases militaires, ils se rassemblaient à cet arrêt de
bus, tous les matins, et avaient développé une sorte de camaraderie de
banlieusards que leur expérience militaire partagée ne faisait que
renforcer.
"Cela s'est passé tellement vite", a dit le témoin Saroussi, qui a
dû être traité pour choc psychologique. "Mais tout le monde a tout de suite
compris qu'il s'agissait d'une attaque. Nous sommes à l'armée. Nous sommes
conditionnés pour être sur nos gardes face à ce genre de choses".
Sur le
terrain, peu de temps après l'attaque, la police, les paramédicaux et les
soldats religieux recherchaient et collectaient des débris humains avec une
efficacité routinière. Des corps étaient prestement roulés dans des couvertures
et étiquetés. Les blessés étaient pris en charge en toute hâte par les
ambulances. Des lambeaux de cerveaux et de chair étaient repérés et étiquetés.
Le sang fut lavé des trottoirs au moyen de jets d'eau. Plus rien ne paraissait,
quelques heures après.
"Je donne actuellement un cours sur l'identification
des restes humains", me dit Yisrael Russet de la société de pompes funèbres
Orthodoxe, financée par le gouvernement. "Nous sommes venus, nous avons
rassemblé les corps et les restes humains. Malheureusement, mes étudiants ont eu
droit à des travaux pratiques".
Alors que le bus tentait de s'échapper de la
scène du drame, un chauffeur de taxi l'avait pris en chasse, entrant en contact
avec la police. Celle-ci lui demanda de ne pas perdre la trace du bus, mais de
faire attention. Uri Altman, le chauffeur de taxi, a indiqué que le chauffeur du
bus conduisait à 90 kilomètres/heure en direction de Gaza. Finalement, il fut
pris dans un embouteillage et la police arriva à son niveau, tira dans les
pneus. Mais il put continuer, nous dit M. Altman. Finalement, le bus dérapa sur
des herses munies de pointes qui avaient été disposées en travers de la route,
et il vint s'écraser contre un camion. M. Abu Elba fut blessé aux
jambes.
"J'ai été complètement sonné", a déclaré le chauffeur du camion,
Yisrael. "J'ai eu le réflexe de sauter de mon camion sans réfléchir, parce que
j'ai eu peur que le bus ne soit piégé. J'ai alors vu les policiers, prêts à
tirer, et j'ai entendu des coups de feu".
9. Interview du
président du Conseil législatif palestinien : "Si Sharon veut vraiment
discuter..." par René Backmann
in Le Nouvel Observateur
du jeudi 15 février 2001
Nous sommes prêts à dialoguer avec le
nouveau Premier ministre israélien, affirme Ahmed Qorei - Abou Ala, qui fut l'un
des artisans des accords d'Oslo -, à condition qu'il accepte de reprendre les
négociations là où nous les avons interrompues avec le gouvernement Barak. »
Sinon...
- Le Nouvel Observateur. - Après
l'élection d'Ariel Sharon, Yasser Arafat a indiqué qu'il était prêt à reprendre
les négociations au point où elles avaient été interrompues à Taba. Sharon
répond que l'arrêt total des violences est pour lui la condition indispensable à
la reprise des pourparlers. Et Ehoud Barak affirme que son successeur n'est pas
lié par les propositions avancées à Camp David et à Taba. La relance du
processus de paix s'annonce difficile...
- Ahmed Qorei. - C'est vrai. Mais nous
ne sommes pas prêts à reprendre les négociations sur une autre base que celle
définie par Yasser Arafat. Après des mois de discussions, des avancées, des
blocages, nous avons accompli à Taba des progrès importants. Pourquoi
faudrait-il aujourd'hui revenir au point de départ alors que nous sommes déjà si
en retard sur le calendrier d'Oslo ?
- N. O. - Le soir de son élection,
Sharon a déclaré que l'une de ses tâches serait de préserver Jérusalem comme
capitale unifiée et éternelle de l'Etat d'Israël. Ces propos sont en
contradiction avec les propositions de Bill Clinton - que vous jugiez
insuffisantes - selon lesquelles les quartiers juifs de Jérusalem-Est seraient
israéliens tandis que les quartiers arabes seraient palestiniens... Il s'agit,
là encore, d'un désaccord majeur...
- A. Qorei. - Souvenez-vous : à son
arrivée au pouvoir, Barak, lui aussi, affirmait que Jérusalem unifiée était la
capitale éternelle d'Israël. Ensuite, des membres de son gouvernement ont
proposé que les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est passent sous
souveraineté palestinienne. Barak avait aussi affirmé que le droit au retour des
Palestiniens n'était pas imaginable. Et sur ce point aussi les positions des
négociateurs israéliens ont évolué. Nous verrons si Sharon, lorsqu'il sera
officiellement installé dans les fonctions de Premier ministre, restera dans les
mêmes dispositions. Cela dit, je le répète, il n'y aura pas d'autre base de
discussion que celle-là. Je tiens aussi à préciser que pour nous un nouvel
accord intérimaire ne serait pas acceptable. Nous avons entamé la négociation
sur le statut final. C'est cette négociation qu'il faut poursuivre.
- N. O. - Vous dites que des progrès
ont été accomplis à Taba. Dans quels domaines ?
- A. Qorei. - D'abord, soyons clairs.
Taba n'était ni le début ni la fin des pourparlers. C'était la suite de nombreux
mois de négociations sur le statut final, et notamment du sommet de Camp David
où nous sommes allés en dépit de nos réticences. Nous estimions qu'un sommet
Clinton-Arafat-Barak n'avait de sens que s'il s'agissait de finaliser des
accords déjà négociés. Ce qui n'était pas le cas. Comme on pouvait s'y attendre,
ce sommet, très mal préparé par les Américains, a été un échec. En fait, je
crois que Barak y tenait parce qu'il estimait que les Palestiniens finiraient
par plier sous la pression des Américains. Le fait est que nous avons perdu
beaucoup de temps. Après, alors que l'Intifada avait fait près de 400 morts,
pour la plupart palestiniens, et qu'Israël était en pleine campagne électorale,
il y a eu Taba. Le temps était hélas limité puisqu'il y avait la date butoir de
l'élection israélienne. Mais après les premières discussions et la définition
des termes de référence - les résolutions 242 et 338 - les Israéliens nous ont
proposé pour la première fois une carte à partir de laquelle on pouvait
discuter. Ils acceptaient le passage de la vallée du Jourdain sous souveraineté
palestinienne et la présence temporaire dans le secteur d'une force
internationale. Ils ont également proposé de substituer aux « blocs » de
colonies qu'ils entendaient annexer, autour d'Ariel et de Gush Etzion, des «
grappes » de colonies qui englobent beaucoup moins de territoire palestinien.
Nous ne sommes pas allés jusqu'à un accord. Mais nous avons avancé. C'est
pourquoi il serait désastreux de faire comme si tout cela n'avait pas existé et
de reprendre la négociation à zéro.
- N. O. - Sharon peut-il être, comme
on le dit parfois à Jérusalem, un de Gaulle israélien ?
- A. Qorei. - Non. Hélas non. Je
ne le crois pas, même s'il est capable de pragmatisme, comme je l'ai constaté au
cours des cinq rencontres que j'ai eues avec lui lorsqu'il était dans le
gouvernement de Netanyahou. Nous avons dit à Barak : « Soyez de Gaulle. Ayez le
courage de dire que la Palestine appartient aux Palestiniens. Les Israéliens
vous soutiendront parce que vous êtes un général. » Il ne l'a pas fait. Son
problème, c'est qu'il était sans cesse réticent, hésitant devant tout.
- N. O. - L'arrivée au pouvoir de
Sharon vous inquiète-t-elle ?
- A. Qorei. - Il est clair que s'il ne
s'engage pas réellement, sérieusement dans la voie de la paix, il ne pourra pas
contrôler la situation en Cisjordanie et à Gaza. Je redoute, dans ces
circonstances, une escalade de l'Intifada et une nouvelle effusion de sang. S'il
accepte au contraire de reprendre les négociations là où elles se sont arrêtées,
nous sommes prêts à discuter. La composition de son gouvernement nous donnera
déjà une idée assez précise de ses intentions.
10. Les
casseroles des amis d'Ariel par René Backmann et Victor
Cygielman
in Le Nouvel Observateur
du jeudi 15 février 2001
Abus de confiance, menaces,
interférence...
Ariel Sharon risque de devoir renoncer à offrir des
portefeuilles ministériels ou des responsabilités au sein de son cabinet à
plusieurs de ses proches à cause de leurs démêlés avec la justice ou d'autres
obstacles juridiques, réglementaires ou politiques. Soupçonné d'abus de
confiance et autres délits en raison des graves anomalies relevées dans la
gestion de l'association à but non lucratif qu'il anime, l'ancien ministre
(Likoud) de la Justice Tsahi Hanegbi sera inculpé dès que le procureur général
Elyakim Rubinstein aura obtenu de la Knesset la levée de son immunité
parlementaire. Or la Cour suprême interdit à un citoyen mis en examen de devenir
ministre.
Dans le cas de l'ex-ministre des
Communications (Likoud) Limor Livnat, candidate au portefeuille de l'Education,
aucune inculpation n'a encore été prononcée ou annoncée mais elle est toujours
soupçonnée d'avoir, en 1996, averti les responsables de la radio pirate des
colons, Arutz-Sheva, qu'une opération de police était en préparation contre
leurs installations. Elle pourrait être accusée d'interférence dans l'enquête
menée par les services de sécurité contre cet émetteur illégal, ce qui lui
fermerait la porte du gouvernement. Le chef de file du parti « russe »
d'extrême-droite, Avigdor Lieberman, est lui aussi sous le coup d'une
inculpation pour menaces contre le chef de la police criminelle, qui sera
effective dès que la Knesset aura levé son immunité parlementaire. Décision à
laquelle Lieberman a déjà donné son accord.
L'avenir est tout aussi incertain pour
Uri Shani, secrétaire général du Likoud, candidat au poste de directeur de
cabinet du Premier ministre. Plus que tout autre, il est celui qui a aidé Sharon
à reconstruire un Likoud désemparé et criblé de dettes, au lendemain de la
défaite de Netanyahou, en 1999. Mais, jugé et condamné en 1997 à une peine de
prison avec sursis et à une lourde amende pour abus de confiance dans le cadre
de ses fonctions au sein d'une société de logement public, il devra obtenir,
s'il est nommé par Sharon, l'avis favorable du commissaire de l'administration
et d'une commission spéciale. L'ancien ministre des Affaires étrangères David
Levy, lui, n'est sous le coup d'aucune poursuite, mais il a été élu à la Knesset
sous l'étiquette de la coalition favorable à Barak « Israël uni » et la Loi
fondamentale lui interdit d'être, au cours d'une même session parlementaire,
ministre d'un gouvernement issu d'une autre coalition.
Brusquement apparu sur le devant de la
scène au cours de la campagne électorale, il y a aussi Omri, né du second
mariage d'Ariel Sharon avec Lily, son épouse défunte. Jusqu'ici responsable de
la ferme de son père, une exploitation de 40 hectares dans le Néguev, consacrée
à l'élevage des moutons, Omri Sharon serait à l'origine de la campagne autour de
l'image d'un « nouveau Sharon », grand-père attentionné qui a si bien réussi. Le
Premier ministre ne prendrait pas la moindre décision importante sans consulter
son fils. Mais Omri pourra difficilement être nommé, comme le bruit en avait
circulé, au sein du cabinet de son père, car les règles de l'administration
interdisent à un Premier ministre de recruter parmi son personnel des parents au
premier degré.
Quant au général Meir Dagan, qui a
servi sous les ordres de Sharon dans les années 70 et a participé à la fameuse «
pacification » des camps de réfugiés de Gaza orchestrée par Sharon, il pourrait
devenir patron du Conseil national de Sécurité. Mais ses récentes déclarations à
la télévision sur « le terrorisme qu'il faut frapper à la tête » font frémir.
Aux journalistes qui lui demandaient si cela concernait aussi les leaders de
l'Autorité palestinienne et Arafat, il avait répondu : « Si, en remontant les
filières des responsabilités directes, on arrive jusqu'à Arafat, alors, oui :
aussi Arafat... »
11. Le dilemme
d’Arafat face aux exigences d’Israël par Zeev Schiff
in Ha’Aretz (quotidien
israélien) traduit dans Courrier International du jeudi 15 février
2001
Sharon demande l’arrêt de la violence
pour reprendre des pourparlers, mais le leader de l’Autorité palestinienne
a-t-il les moyens de l’imposer à ses troupes ?
Ariel Sharon et Yasser Arafat doivent
affronter deux problèmes. Le premier est de décider à quel stade relancer les
pourparlers diplomatiques. Faut-il redémarrer à partir des seuls accords signés
(Oslo, Taba, Wye River et Charm el-Cheikh) et ratifiés par la Knesset, comme le
préconise Sharon ? Ou alors les engagements (existent-ils réellement ?)
enregistrés à Camp David et le document Clinton sont-ils à prendre en compte ?
Bien que les négociateurs palestiniens aient refusé de signer le moindre
document et se soient même montrés très virulents à l’égard des propositions
israéliennes et américaines, la direction palestinienne exige de se servir de
ces engagements comme point de départ de toute nouvelle négociation.
Le second problème est de décider si,
oui ou non, des pourparlers peuvent reprendre alors que les violences
palestiniennes n’ont pas cessé. Avant toute poursuite des négociations, Ehoud
Barak avait d’abord exigé un arrêt préalable des violences, pour finalement
accepter de négocier dans ce contexte. Pour certains responsables de Tsahal, il
était possible de tolérer un certain niveau de violence, à condition que l’armée
soit autorisée à prendre des initiatives militaires. Et c’est ce qui s’est
finalement passé. Mais, aujourd’hui, Sharon entend en revenir aux conditions
posées initialement par Barak. La question est de savoir combien de temps Sharon
pourra s’en tenir à cette exigence préalable.
En attendant, les Palestiniens
s’accrochent à l’idée qu’il devrait être possible de mener des négociations tout
en continuant à attaquer des cibles israéliennes. Non seulement Marwan
Barghouti, le chef des Tanzim, développe cette idée, mais elle est aussi
défendue par le pourtant très modéré Nabil Shaath. C’est dans ce contexte
qu’Arafat avait violemment rejeté les propositions de cessez-le-feu émises par
la France, les Etats-Unis et l’Egypte lors du sommet de Paris, en octobre 2000.
C’est pourquoi, également, il n’avait pas respecté l’engagement pris envers
Shimon Pérès (novembre 2000) de faire cesser les violences et avait rejeté les
appels au cessez-le-feu de l’ancien chef d’état-major et ministre centriste
sortant Amnon Lifkin-Shahak.
En Israël, la polémique continue de
faire rage sur la capacité d’Arafat à arrêter les violences. S’il n’en est pas
capable, alors se pose la question de savoir s’il est le partenaire avec qui
poursuivre des négociations crédibles ou s’il n’est plus qu’une icône nationale,
et, dans ce cas, se pose la question de trouver un autre interlocuteur. Les
services de renseignements de Tsahal affichent leur certitude d’une violence
initiée et contrôlée par Arafat. Ils en veulent pour preuve que les services de
sécurité de l’Autorité palestinienne offrent désormais un soutien logistique à
la plupart des actes de violence.
S’il en est réellement ainsi, alors
instruction devrait être donnée aux diplomates israéliens en poste aux
Etats-Unis de convaincre le Congrès de réinscrire Yasser Arafat et son Fatah sur
la liste des organisations terroristes. L’Iran, le Hezbollah, le Hamas et
d’autres organisations terroristes n’entretiennent-elles pas des rapports avec
l’Autorité palestinienne ? Le Hezbollah a ainsi pu mener et revendiquer une
action menée au mortier de 82 mm contre l’implantation de Netzarim, dans la
Bande de Gaza.
Ces dernières semaines, la plupart des
actes de violence perpétrés contre des civils israéliens voyageant pour affaires
en Cisjordanie portaient tous la trace des Tanzim ou d’autres organes de
l’Autorité palestinienne. L’attaque d’un bus israélien à Jéricho est ainsi
l’oeuvre de la Force 17 ; les restaurateurs Etgar Zeitani et Motti Dayan ont été
assassinés à Tulkarem par les Tanzim ; et les charges explosives récemment
découvertes près du carrefour de Netzarim semblent provenir d’une position
voisine tenue par la police palestinienne. Et ce ne sont là que quelques
exemples tirés d’une longue liste. Si Arafat se révèle incapable ou réticent
pour empêcher de telles actions, alors cela signifie que les règles du jeu
devront dramatiquement changer, tant sur le plan diplomatique que
militaire.
12. Michel
Warschawski : "Barak et Sharon ont choisi l'escalade" propos recueillis
par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du jeudi 15
février 2001
Michel Warschawski, un intellectuel
israélien, réagit aux liquidations de dirigeants palestiniens. Il évoque un
terrorisme d'Etat, qui ne peut qu'accélérer l'escalade de la violence.
Interview.
Michel Warschawski, fondateur du
Centre d'information alternative de Jérusalem. Intellectuel, journaliste,
militant de la paix, il répond à nos questions sur l'escalade de la violence de
ces derniers jours.
- Comment analysez-vous la
montée de la violence qui s'est manifestée ces derniers jours avec, lundi,
l'assassinat d'un officier palestinien de la force 17 à coups de roquettes
tirées d'un hélicoptère et, mardi, un attentat dans lequel ont péri sept
militaires et un civil israélien ? Ces actions sont-elles liées ?
- Michel Warschawski. Le choix du
gouvernement israélien est clair depuis le début du soulèvement, fin septembre.
Au lieu de s'attaquer aux causes du soulèvement, à l'immense amertume et à la
colère qui traversent la société palestinienne à la suite de la fin de
non-recevoir opposée à ses revendications de base, le choix de Barak, soutenu
par Sharon, est de punir. Comme si les Palestiniens étaient des mauvais élèves à
qui il faudrait apprendre par des coups, puisque les autres moyens n'ont pas
réussi, ce qui est bon et ce qui ne l'est pas, ce qui est acceptable et ce qui
ne l'est pas. Bien entendu, c'est le gouvernement israélien seul qui décide de
ce qui est bon, de ce qui est mal, et des limites du possible. De là résulte le
cercle infernal que l'on a déjà connu : la répression de l'armée provoque des
ripostes palestiniennes, que ce soit des manifestations, des opérations
militaires ou des attentats, qui provoquent de nouvelles ripostes. Lundi soir,
Bethléem a été bombardé comme jamais auparavant. On entendait les explosions
depuis Jérusalem comme si on était en pleine guerre : missiles, obus... Ce type
d'opérations convainc de plus en plus de Palestiniens qu'Israël ne met plus
aucune limite à son agressivité et que donc, de leur côté aussi, tout est
désormais permis. Il va falloir que l'opinion s'en rende compte. Depuis la vague
d'attentats dans les bus à Jérusalem et Tel-Aviv, il y a quelques années, les
Palestiniens avaient fait le choix de dire : tout n'est pas permis, il y a des
limites. Mais depuis deux mois ces limites sont en train de disparaître face à
la violence illimitée d'Israël et au terrorisme d'Etat, dont l'assassinat de
sang-froid de dirigeants palestiniens n'est que l'expression ultime.
- C'est donc, selon vous, du
terrorisme d'Etat ?
- Michel Warschawski. C'est du
terrorisme d'Etat, des crimes de guerre, c'est quelque chose d'absolument
inacceptable.
- Que pensez-vous de la
justification donnée par Barak à la Cour suprême qui examinait lundi la plainte
de la veuve du docteur Tabet, un des dirigeants de l'OLP assassiné ? Il a dit :
"Nous sommes en guerre, et la guerre justifie d'utiliser ce genre de moyens en
guise d'autodéfense."
- Michel Warschawski. C'est la
justification habituelle de tout Etat terroriste que de parler d'autodéfense et
d'état de guerre.
- Comment réagissent la
gauche, le Mouvement de la paix israéliens face à de tels actes ? Est-ce que
tout le monde les accepte ?
- Michel Warschawski. Non, tout le
monde n'accepte pas, loin de là. Il y a eu une pétition largement signée et
diffusée dans la presse après l'assassinat du docteur Tabet. Une partie de la
gauche et du Mouvement de la paix n'accepte pas et le dit, une partie plus
grande n'accepte pas mais ne dit rien et une grande partie entre dans cette
logique de guerre et dit " tout est permis ". Sans comprendre hélas que des
attentats comme ceux de ce matin vont se multiplier si on continue dans cette
voie. Ce qui est clair, c'est que l'accumulation de colère et cette idée que
tout est désormais permis se développent dans la population palestinienne. Il y
a deux jours, le responsable du Fatah pour Bethléem a annoncé que tout Israélien
qui entre à Bethléem, fût-il journaliste, n'en ressortira pas vivant. Cela
montre à quel point l'exaspération est grande. Les Palestiniens ont repris au
bond la politique de Barak en disant : si c'est la guerre totale, elle sera
totale des deux côtés.
- Le fait qu'on accuse Massoud
Ayyad, assassiné lundi à Gaza, d'appartenir au Hezbollah libanais signifie-t-il
que Barak ou Sharon ou les deux s'apprêtent à se retourner contre le Liban ?
- Michel Warschawski. Il y a une
tendance forte dans l'armée qui pousse à la guerre et qui voudrait réchauffer la
frontière libanaise. Je pense que cette tendance a le soutien des généraux qui
vont nous diriger, Sharon et Barak. Cela dit, il ne faut pas trop prendre au
sérieux ce qu'annoncent les autorités israéliennes dans ces cas-là, cela dépend
des besoins du moment. Mais qu'une partie de la classe politique et militaire
israélienne cherche une guerre au nord dans l'espoir de pouvoir redistribuer les
cartes ne fait pas l'ombre d'un doute. C'est même un débat public en Israël.
- N'est-ce pas curieux de la
part de Barak, qui a lui-même réalisé le retrait de l'armée de ce pays ?
- Michel Warschawski. Non, car il y a
une nouvelle situation face à laquelle Israël a un double sentiment : celui de
ne plus maîtriser le jeu. Le principal gain des dernières années, depuis Oslo,
c'est qu'Israël se sentait le seul metteur en scène de ce processus en dictant
ses conditions. Le fait qu'Arafat les ait refusées à Camp David a été la
première surprise. Après cela, les jeunes Palestiniens se révoltent et il y a
des opérations militaires. Tout cela n'était pas dans le scénario prévu. D'où
l'espoir que l'initiative d'une guerre lui permettra de reprendre les cartes en
main. La deuxième raison est qu'une partie de l'armée se sent humiliée : depuis
la guerre du Liban, elle n'a connu que des déroutes et elle n'est pas capable de
maîtriser les Palestiniens. Elle a le sentiment d'avoir perdu de son pouvoir de
dissuasion et veut le récupérer.
- L'escalade de la violence ne
risque-t-elle pas de hâter la formation du gouvernement d'union nationale ?
- Michel Warschawski. C'est une des
raisons de l'escalade. Barak éprouve des difficultés à rejoindre à froid le
gouvernement Sharon, alors que c'est ce qu'il veut, et depuis longtemps. Il a
dit ces derniers jours que si l'escalade se poursuit, il n'aura plus le choix.
Cela alors qu'il avait annoncé son retrait de la vie politique au soir des
élections. Il a donc besoin d'une situation de crise grave pour justifier son
nouveau zigzag.
13. Israël,
Palestine. L'attentat anti-israélien à Tel-Aviv et les nouvelles liquidations de
dirigeants palestiniens par Tsahal enveniment encore le climat au Proche-Orient
par Pierre Barbancey
in L'Humanité du jeudi 15
février 2001
L'engrenage sanglant
Les capitales occidentales expriment
leurs inquiétudes. La France condamne toutes les violences et " les méthodes "
de l'Etat israélien, " qui ajoutent à la haine et au ressentiment ".
Depuis l'élection d'Ariel Sharon au
poste de premier ministre, le 6 février, la situation se tend chaque jour
davantage. Au point que même les Etats-Unis s'inquiètent. L'attentat d'hier
matin est venu confirmer les prédictions les plus sombres. Le porte-parole du
département d'Etat, Richard Boucher, déplorait mardi " une très grave
détérioration de la situation sur le terrain, à un moment que tous reconnaissent
comme très sensible ", et mettait en garde contre " un cycle qui pourrait
devenir incontrôlable ". C'est effectivement ce qui est en train de se passer.
Ehud Barak, premier ministre sortant - qui réclame des pressions internationales
sur Arafat -- peut bien affirmer : " Nous sommes une nation forte et rien ne
freinera notre détermination à apporter la sécurité et la paix à notre peuple.
Nous ferons en sorte que ceux qui sont responsables de cet attentat pour l'avoir
planifié, lancé ou perpétré soient punis. (...) Israël réglera ses comptes avec
les responsables. Ils ne s'en sortiront pas.". Une fois de plus, il choisit la
voie de la confrontation. On sait pourtant bien où cela mène : plus de
souffrances, de morts et l'éloignement d'un règlement final. L'aile droite du
Parti travailliste, celle-là même qui pousse à la constitution d'un gouvernement
d'unité nationale avec le Likoud, n'est pas en reste. Le ministre sortant des
Télécommunications, Benjamin Ben-Eliezer, a immédiatement exigé " un bouclage
hermétique " des territoires palestiniens, " même pendant des mois, tant que des
balles siffleront. Ils veulent du sang et nous ne pouvons pas accepter cela ".
Un voeu exaucé presque immédiatement.
Ehud Barak a ordonné la fermeture des frontières extérieures de l'Autorité
palestinienne à la suite de l'attentat meurtrier au sud de Tel-Aviv, a annoncé
la présidence du Conseil à Jérusalem dans un communiqué. Israël a fermé le point
de passage entre la Cisjordanie et la Jordanie au pont Allenby, d'une part, et
le terminal routier de Rafah entre la bande de Gaza et l'Egypte, d'autre part.
Toujours selon le communiqué, Ehud Barak a aussi ordonné la suppression de
toutes les récentes mesures d'allégement du bouclage des territoires de
Cisjordanie et Gaza. Quelque 16 000 ouvriers de ces territoires avaient été
autorisés à retrouver leurs emplois en Israël dans le cadre de ces mesures
d'allégement. Une fois de plus, il s'agit d'une punition collective qui va
asphyxier un peu plus les Palestiniens.
Comme on pouvait s'y attendre, Ariel
Sharon n'est pas en reste. Il a promis de déployer " tous les moyens nécessaires
" pour rétablir la sécurité. Et pour bien faire comprendre ses intentions, il a
accueilli le chef du gouvernement espagnol, José Maria Aznar, en ces termes : "
Je vous souhaite la bienvenue à Jérusalem, la capitale unifiée et éternelle du
peuple juif depuis 3 000 ans. "
L'Etat israélien ne s'embarrasse guère
de légalité internationale. On l'avait déjà remarqué à plusieurs reprises
(notamment la guerre du Liban). C'est aujourd'hui officiel : Barak en personne a
expliqué que les actions de représailles contre des dirigeants du Fatah (une
dizaine d'entre eux ont déjà été abattus, le plus souvent lors de raids menés
par des hélicoptères de l'armée israélienne) " ressortissent d'une situation de
guerre en général et du droit à l'autodéfense de façon concrète ". Une attitude
condamnée par de nombreux pays, dont la France. François Rivasseau, porte-parole
du ministère des Affaires étrangères, a ainsi expliqué que " la France ne peut
admettre les exécutions extrajudiciaires " de Palestiniens. Il a ajouté : " Nous
ne pouvons admettre de telles méthodes qui ajoutent à la haine et au
ressentiment. " Il a qualifié l'attentat d'hier matin de " particulièrement
dramatique " et a exhorté " toutes les parties à faire preuve de la plus grande
retenue. La protection des populations civiles doit être assurée. Tout doit être
mis en ouvre pour rétablir dans les meilleurs délais un climat de dialogue et de
respect mutuel ". L'Union européenne ne dit pas autre chose, qui juge "
inacceptables " de telles méthodes. Même le président américain, George W. Bush,
qui " condamne fermement ce terrible acte de violence ", appelle " toutes les
parties à faire le maximum pour mettre fin à la violence ".
De son côté, Yasser Arafat s'est dit "
contre le fait de tuer des gens ". Mais il a ajouté : " C'est l'escalade
militaire israélienne qui a des répercussions directes sur les sentiments du
peuple palestinien. " Auparavant, le secrétaire du cabinet palestinien, Ahmed
Abdel Rahmane, avait déclaré que l'attentat était une " opération individuelle
qui exprime la colère du peuple palestinien contre la politique israélienne de
liquidation de Palestiniens et contre le terrorisme d'Etat pratiqué par le
gouvernement sortant d'Ehud Barak".
Israël ne peut pourtant pas s'étonner
éternellement, faire l'autruche et rejeter la responsabilité du blocage des
négociations sur les Palestiniens. Non pas que l'Autorité palestinienne soit
exempte de reproches. Mais l'humiliation quotidienne imposée à un peuple se
traduit immanquablement par des actes de désespoirs et ouvre la porte aux
mouvements palestiniens les plus extrémistes. Le poète palestinien Mahmoud
Darwich l'exprimait en ces termes : " Inscris !/ En tête du premier feuillet/
Que je n'ai pas de haine pour les hommes/ Que je n'assaille personne mais que/
Si j'ai faim/ Je mange la chair de mon usurpateur/ Gare ! Gare ! Gare/ · ma
fureur ! " (1). Quel peuple au monde pourrait tolérer que sa liberté de
mouvement soit ainsi confisquée ? La journaliste israélienne Amira Hass - qui
vit dans les territoires palestiniens depuis huit ans - le sait bien, qui
demande à ses concitoyens d'imaginer un seul instant leur attitude si la route
reliant Tel-Aviv à Haïfa était bloquée ou contrôlée par les chars d'une armée
étrangère. C'est ce qui se passe actuellement entre Ramallah et Naplouse, entre
Gaza City et Khan Younès. De même, les territoires palestiniens sont au bord de
la faillite, du fait du bouclage imposé et du refus d'Israël de reverser à
l'Autorité palestinienne les droits de douane qu'elle perçoit sur les produits à
destination de la bande de Gaza et de la Cisjordanie, comme le stipulent les
accords d'Oslo. Autant de mesures qui, loin de calmer les esprits, attisent un
peu plus les haines et présagent de nouveaux attentats meurtriers. Il est encore
temps d'éviter le pire. L'espoir doit revenir dans la région. L'Union européenne
serait bien inspirée de prendre une série d'initiatives visant à la reprise du
dialogue dans des conditions acceptables pour les deux parties. Ariel Sharon a
dépêché des émissaires dans les principales capitales occidentales pour
expliquer qu'il n'est pas celui qu'on croit et qu'il aspire à la paix. Il tient
là une occasion de le montrer. Le fera-t-il ?
(1) cité par Valérie Féron , in "
Palestine(s), les déchirures. Kiron , éditions du Félin, 286 pages, 135 francs.
14. Israël :
sanglant attentat palestinien près de Tel-Aviv
Dépêche de l'Agence
France Presse du mercredi 14 février 2001, 9h15
JERUSALEM - Au moins
neuf Israéliens ont été tués et quatorze blessés, mercredi, lorsqu'un
Palestinien a volontairement écrasé, au volant d'un autobus, des civils et des
soldats qui attendaient à un arrêt de bus près de Tel-Aviv. [voir dossier]
Le
chauffeur, qui s'était enfui à bord du véhicule, a été grièvement blessé par
balles et capturé après une course-poursuite des forces de l'ordre qui ont tiré
en sa direction, a précisé, à la radio publique, le chef de la police Yossi
Setbon pour le district de Tel-Aviv. "Le chauffeur est coincé dans la cabine de
l'autobus", a-t-il poursuivi.
Selon lui, "c'est un Palestinien de Gaza, âgé
de 35 ans, qui faisait la ligne depuis des années pour transporter des
travailleurs de la bande de Gaza vers Israël". Un porte-parole de la compagnie
Egged, propriétaire du bus, a précisé qu'il travaillait pour la compagnie depuis
janvier 1996. Il a ajouté qu'il avait pris son service à 02h00 locale (00H00
GMT).
Le Premier ministre élu Ariel Sharon a qualifié de "très grave" cet
attentat. Selon lui, il "prouve une fois de plus que les Palestiniens ne font
pas de différences entre Israël et Netzarim", une colonie de peuplement juive
située dans le nord de la bande de Gaza.
Le drame a eu lieu à un arrêt situé
au carrefour Tempo, dans la localité de Hazor, près de Holon, à une vingtaine de
kilomètres au sud de Tel-Aviv. Selon des témoins, l'autobus a heurté un camion
dans sa fuite. "Le spectacle était tragique. Il y avait de nombreux corps gisant
au sol", a rapporté un témoin. "Les corps étaient mutilés et écrasés. Il y avait
du sang partout. La plupart des victimes sont des soldats", a indiqué une femme.
Les sapeurs de la police se sont assurés que l'autobus n'était pas piégé.
Par
ailleurs, un membre des forces de sécurité palestiniennes a été tué mercredi,
par des Israéliens selon des témoins, alors qu'il conduisait un véhicule entre
Tulkarem et Naplouse, en Cisjordanie. Ayed Abou Harb, un sergent âgé de 25 ans,
est mort des suites de ses blessures à l'hôpital de Tulkarem. Des témoins ont
indiqué à l'AFP qu'il a été touché par des tirs israéliens alors qu'il circulait
dans un secteur où se trouvaient des soldats.
15.
Dans l'œil du cyclone par Ahmed Loutfi et Randa
Achmawi
in Al-Ahram Hebdo
(hebdomadaire égyptien) du mercredi 14 février 2001
Processus de paix
. Déclarations enflammées de Sharon, annonce par Barak que les dernières
discussions de Taba sont caduques, la situation au Proche-Orient baigne dans
l'incertitude. Va-t-on vers l'explosion ou alors le realpolitik imposera-t-il sa
logique ?
L'heure est à l'incertitude et à la transition. En Israël, Ariel
Sharon a gagné, on s'y attendait il est vrai, mais pas à ce qu'il décide si
rapidement de ne pas tenir compte de ce qui a été réalisé jusqu'à présent dans
les négociations palestino-israéliennes, y compris la déclaration de Taba issue
le 27 janvier et qui fut un baroud d'honneur du gouvernement Barak. Les
Palestiniens, eux, ont voulu reprendre les pourparlers au point où ils avaient
abouti à Taba. Ce qu'a rejeté d'emblée Sharon soulignant, comme il l'avait
souvent répété, qu'il voulait négocier « sur une autre base », un accord
définitif avec les Palestiniens. Pour lui, cette déclaration ne constitue guère
un accord signé en bonne et due forme. Il ne l'engage donc en rien. Cette
violence du discours de Sharon est venue ajouter à son image bien connue celui
de boute à feu, l'homme sanguinaire qui a été l'origine des massacres de Sabra
et Chatila en septembre 1982 au Liban et du cercle de violence actuel. Celui-ci,
on ne l'a que souvent rappelé, résulte de sa visite sur l'Esplanade des
mosquées, le 28 septembre dernier. Pourtant, à Taba, Palestiniens et Israéliens
avaient engagé des négociations sur la base du plan du compromis de l'ancien
président Bill Clinton, accepté comme base de discussion par le gouvernement de
Barak. Selon les informations de presse, Israël aurait accepté un retrait de 94
à 95 % de la Cisjordanie, et l'évacuation de la totalité de la bande de Gaza
avec l'intention de maintenir 80 % des colons juifs sur place. De leur côté, les
Palestiniens auraient accepté l'existence de blocs d'implantation juifs en
Cisjordanie. L'étendue de ces blocs n'avaient cependant pas fait l'objet d'un
accord. A Taba, les deux parties seraient également tombées d'accord pour que
les quartiers juifs construits à Jérusalem-Est après l'annexion par Israël de
cette partie de la ville envahie en 1967 restent sous souveraineté israélienne
et que les quartiers arabes passent sous souveraineté palestinienne. Le tout
semble avoir été balayé par les déclarations de Sharon, à l'exemple de ce cas
précis de Jérusalem où il a plaidé une fois de plus pour une « Jérusalem
unifiée, capitale éternelle de l'Etat d'Israël ». Faut-il en conclure que le
processus de paix va marquer un nouveau temps d'arrêt, du moins une longue
transition ? Cette impression est d'ailleurs renforcée par les déclarations
américaines qui ne se réfèrent plus aux propositions Clinton. « Les idées et
paramètres que nous avons discutés au cours des derniers mois étaient ceux du
président Clinton, et puisqu'il a quitté ses fonctions, ils ne sont plus une
proposition américaine », a indiqué le porte-parole du département d'Etat,
Richard Boucher. Il a ajouté que Washington entendait désormais discuter avec le
futur gouvernement israélien que va former Sharon, avec les Palestiniens et avec
les pays voisins « pour avoir une meilleure idée de la manière dont les
Etats-Unis peuvent aider les parties à parvenir à la paix ». Est-ce un retour à
la case départ ? Des observateurs s'attendent au pire. Le politologue égyptien
Mohamed Sid-Ahmed évoque ainsi les menaces d'un député israélien d'extrême
droite, allié de Sharon, qui a lancé le 21 janvier des menaces contre l'Egypte,
le Liban et les Palestiniens. Le chef du parti russophone Israël Beitenou,
Avigdor Lieberman, avait « osé pour la première fois depuis la signature du
traité de paix entre l'Egypte et Israël de le remettre en question par un
bombardement du Haut-Barrage d'Assouan ». Une telle menace semble très grave
pour le politologue. Celui-ci s'attend à une escalade y compris le rappel de
l'ambassadeur d'Israël au Caire en guise de rétorsion à la précédente
convocation de Mohamad Bassiouni, ambassadeur d'Egypte à Tel-Aviv. Des secteurs
de l'électorat de droite qui a porté Sharon au triomphe l'ont exigé. « Il y a
toute une atmosphère d'extrémisme en Israël et c'est ce qu'il y a de plus
dangereux. La marge écrasante avec laquelle il a été élu (62 %) témoigne de la
frustration des Israéliens avec dix ans d'échec du processus de paix »,
ajoute-t-il. Au-delà des faits, des spécialistes comme Réda Hilal considèrent
qu'il y a un changement périlleux des mentalités dans la société israélienne. «
C'est une période de retour au sionisme après une période post-sioniste marquée
par une volonté de parvenir à la paix. Aujourd'hui, ce que vivent les Israéliens
c'est un rejet de tous les principes précédents. Dans la période post-sioniste
ils penchaient pour un Etat laïque, la paix et la reconnaissance de l'Etat
palestinien. Maintenant, ce dont ont témoigné les élections c'est un retour aux
principes du grand Israël ». Ce que voudrait Sharon, c'est un projet de paix de
droite, « une paix dans la dissuasion, à l'exemple de la politique de Netanyahu
», estime Hilal. « La sécurité et la voix d'Israël comptent et doivent se faire
respecter par la force », ajoute-t-il.
Un tableau sombre donc. Mais faut-il
croire à une explosion ou du moins à un pourrissement de la situation ? De
source diplomatique anonyme on hésite à franchir ce pas : « Il ne saurait y
avoir de retour en arrière dans les négociations ». Celle-ci tente de
relativiser et les déclarations israéliennes et américaines. « On ne peut pas
ignorer le fait que pour la première fois dans l'histoire des négociations, on
est parvenu à Taba à un accord sur une carte ».
Repartir à zéro
?
Pour ce diplomate qui a requis l'anonymat, la politique a horreur
du vide. On ne saurait faire table rase de tout ce qui a été fait auparavant,
même des progrès les plus minimes. Ainsi, Camp David II, qualifié d'échec, ne
peut être tout à fait ignoré. Il est vrai que Barak a déclaré que si on ne
sortait pas avec un accord écrit à Camp David II, rien de ce qui avait été
traité ne serait pris en considération. Or, dans les négociations qui ont suivi,
« on a toujours négocié sur les bases de Camp David II et tous les faits ont été
pris en considération officiellement », a-t-il ajouté.
Les changements de
termes ne devraient pas être pris pour des changements drastiques de politique,
considèrent à cet égard de nombreux analystes. Certes, si les Etats-Unis ne
veulent plus parler de « processus de paix », mais plutôt de « négociations de
paix », cela ne veut pas dire qu'ils ne tiendront pas compte des acquis. Les
approches peuvent changer, mais pas le fond même. Une telle analyse peut-elle
s'appliquer à Sharon ? Ses propositions faites lors de la campagne électorale
sont loin de satisfaire le minimum requis par les Palestiniens en particulier et
les Arabes en général (lire encadré). Tant et si bien que nombreuses sont les
voix qui s'élèvent dans le monde arabe regrettant que les Palestiniens n'aient
pas conclu un accord avant l'arrivée de Sharon. « Toutes les circonstances
étaient favorables. Aussi bien la présence de Bill Clinton à la Maison Blanche,
qui pour de nombreuses raisons, s'est impliqué d'une manière très acharnée dans
le processus que celle du gouvernement travailliste. Ce dernier s'était donné
pour objectif de réaliser la paix », estime Tahsine Béchir, écrivain politique
et ancien porte-parole des présidents Gamal Abdel-Nasser et Anouar
Al-Sadate.
Le Wait and See
Evidemment, les regrets ne
servent plus à rien. Il faut reconnaître comme un fait l'arrivée du Likoud au
pouvoir. Et les Arabes ne devraient pas perdre encore plus de temps en
s'occupant d'une prochaine chute du gouvernement Sharon en tablant sur les
alliances difficiles entre partis. Ce que soulignent les diplomates : « Les
Arabes n'ont pas une stratégie pour traiter avec Sharon. Ils n'ont que des plans
ponctuels, pour s'adapter au fur et à mesure à ce que Sharon fera ». En cas
d'escalade, « nous réagirons à la même hauteur », a déclaré le ministre égyptien
des Affaires étrangères, Amr Moussa. Or, une aventure de Sharon en dépit des
différentes menaces à caractère parfois emblématique, « détruire le Haut-Barrage
» ou bien un échauffement du côté de la Syrie et du Liban, semble peu probable.
« Ceci n'arrivera jamais. Les Etats-Unis feraient des pressions sur Israël pour
que celui-ci ne crée pas une situation régionale dangereuse », a également
estimé la source diplomatique. C'est d'ailleurs le point de vue officiel
égyptien. « Si nous jugeons Sharon sur les politiques et les comportements
passés et sur les déclarations faites jusqu'à présent, l'avenir de la paix est
sans doute obscur », a déclaré Amr Moussa. « Mais si nous considérons que le
nouveau premier ministre a une chance d'adopter une nouvelle politique en
acceptant notamment la reprise des négociations palestino-israéliennes au point
où elles s'étaient arrêtées, ceci ouvrira sûrement la voie à une atmosphère
différente ». C'est l'attentisme prudent. Et le prochain sommet arabe qui doit
avoir lieu en mars à Amman devrait examiner « les circonstances difficiles dans
lesquelles se trouverait le processus de paix après l'arrivée de Sharon au
pouvoir », a également précisé Moussa.
Agir sans trop
tarder
Trop de prudence nuit quand même, estime Tahsine Béchir.
L'Autorité palestinienne n'a pas manifesté beaucoup de dynamisme ni des contacts
intensifs avec la nouvelle Administration américaine, regrette-t-il. Il compare
cette passivité au dynamisme de Sharon qui tout en n'ayant pas encore formé son
gouvernement a déjà envoyé des émissaires dans les 4 coins du monde dans « le
but de gagner respectabilité et crédibilité auprès des Américains et des
Européens », ajoute Béchir. Celui-ci s'attend à ce que Sharon évite de
s'attaquer de front au traité d'Oslo pour lequel il n'a jamais été d'accord. Les
Palestiniens se limitent jusqu'à présent à des contacts avec l'Administration
américaine à travers le consul général américain à Jérusalem, Ron Schlicker.
Réda Hilal estime également que les Arabes ne devraient pas attendre le sommet
d'Amman pour arrêter une politique. Ils devraient parvenir à une attitude
commune tout en faisant une campagne à l'étranger. Le but est de faire pression
sur Sharon sur les plans extérieur et régional. « Si on attend encore 45 jours
(délai imparti pour former un gouvernement) pour voir ce qui va se passer, ceci
va donner une bonne marge d'avantages à Sharon », précise Hilal. Il faut agir
sur le plan médiatique, « en le dénonçant comme criminel de guerre et en
affirmant qu'il fait partie de la catégorie criminelle incluant Milosevic ». Une
autre raison d'accélérer les démarches est le fait que le gouvernement américain
de George W. Bush n'a pas encore d'a priori sur le gouvernement de Sharon. Mais
tous les deux ont déjà un point commun : « la condamnation de la violence
palestinienne sans faire référence à la violence israélienne », relève Tahsine
Béchir. Il s'agit donc d'une course d'obstacles. L'étape Sharon est difficile,
il faut la brûler, commente Réda Hilal. « Il faudrait que les Palestiniens
manifestent une unité interne entre les partenaires d'Oslo et ses adversaires.
Entre ceux qui ont des intérêts liés à Israël et ceux qui n'en ont pas. Puisque
Sharon va tenter de jouer sur les contradictions internes des Israéliens.
Pourquoi Arafat ne formerait-il pas un nouveau gouvernement ? S'il est question
de revenir à une formule proche de celle de Madrid (une conférence
internationale), pourquoi ne pas réintégrer les gens de Madrid comme Hanane
Achraoui et Haidar Abdel-Chafi ? », s'interroge Réda Hilal. Quoi qu'il en soit,
nous ne sommes pas tant dans une période d'immobilisme, mais plutôt de
transition. De nouveaux dispositifs sont en train d'être mis en marche. La paix
reste éloignée, mais incontournable en même temps. « Il faut dominer la
frustration globale dans la région qui constitue la principale cause de la
tension et de la violence grandissantes et qui engendrera une multiplication des
dangers si les négociations de paix échouent. Ou si l'on tente d'ignorer les
réalisations des négociations acquises sur tous les volets ». Ce passage du
communiqué officiel de la présidence égyptienne exprime le caractère complexe de
la période à venir. L'image diabolique d'un Sharon criminel n'exclut pas le
realpolitik. Sharon est là, on discutera avec lui. Le premier ministre israélien
n'a pas lui aussi grand choix.
16. Israël abat
un officier supérieur de la sécurité d'Arafat par Deborah
Sontag
in The New York Times
(quotidien américain) du mercredi 14 février 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Jérusalem, 13 février -- Deux
hélicoptères armés ont survolé Gaza, ce matin, et lancé quatre missiles contre
la voiture d'un haut-responsable de la sécurité palestinienne, tuant
instantanément un homme considéré par Israël comme un terroriste en uniforme.
Les officiels palestiniens ont immédiatement condamné Israël, disant qu'il
se comportait comme "un Etat se considérant au-dessus des lois", dans sa
politique d'assassinats systématiquement planifiés de militants palestiniens. De
tels actes, ont déclaré les Palestinien aujourd'hui, ne font que verser "de
l'huile sur le feu" dans les rues palestiniennes où, en effet, une escalade dans
la violence a accueilli le raz-de-marée électoral du nouveau Premier ministre
élu le 6 février dernier, Ariel Sharon.
Des hauts-responsables israéliens ont
exprimé tout-à-fait publiquement leur approbation de la mission, couronnée de
succès, qui a entraîné la mort de Massoud Ayyad, cinquante-trois ans, tenu
responsable par Israël d'une attaque au mortier (ratée) contre une colonie juive
de la bande de Gaza, cette semaine, et pour des plans visant au kidnapping de
hauts-responsables militaires israéliens (plan qui n'a pas encore connu de début
d'application).
Ehud Barak, premier ministre démissionnaire chargé de
l'expédition des affaires courantes, a envoyé ses félicitations à l'armée et aux
services de sécurité, déclarant que cet assassinat visait à envoyer à ceux qui
oseraient attaquer Israël le message suivant : "le long bras des Forces
Israéliennes de Défense vous atteindra, où que vous soyez".
L'assassinat a
été mené à bien tandis que les deux partis principaux, le Likud et le Parti
Travailliste, mettaient au point les lignes directrices d'un gouvernement
d'union nationale basé partiellement sur ce qui semble être la vision commune,
récente, qu'ils partagent désormais, selon laquelle un traité de paix final
israélo-palestinien est irréalisable dans un futur proche.
Selon ces lignes
directrices, les parties au conflit devraient admettre implicitement que des
sujets explosifs tels que l'avenir de Jérusalem, le problème des réfugiés et
celui des colonies sont appelés à être remis à plus tard, aussi loin que la
résolution de cinquante deux ans d'un conflit baigné dans le sang.
"Les
formulations sont basées sur l'hypothèse fondamentale que nous allons nous
focaliser sur des accords intérimaires", a indiqué le maire de Jérusalem, Ehud
Olmert, qui représente le Likud aux pourparlers en vue de la constitution de
l'union nationale. "L'idée de négociations sur un accord définitif n'étant plus
à l'ordre du jour".
Cette idée reste, par contre, bel et bien à l'ordre du
jour, pour les Palestiniens. Des officiels palestiniens rejettent l'idée d'un
accord intérimaire de plus. Ils insistent sur le fait que les accords, obtenus
le mois dernier à Taba, en Egypte, doivent constituer la base, le plancher, et
non l'avancée maximale indépassable, le "plafond", pour les discussions à mener
dorénavant.
Ce que sachant, le ministre de la justice démissionnaire de
facto, Yossi Beilin, a raillé ses collègues travaillistes, qu'il a décrit comme
admettant sans états d'âme l'idée que leur chemin vers la paix est dans un
cul-de-sac, tout du moins, temporairement. M. Beilin est l'un des rares
responsables du Parti Travailliste à refuser un partage du pouvoir entre le
Likud et ce dernier, sous la houlette de M. Sharon, qui devient de plus en plus
vraisemblable. "Si nous renoncions à l'idée d'obtenir un règlement définitif, si
nous, au Parti Travailliste, nous prêtions la main à ce gouvernement d'union
nationale, nous prêterions du même coup la main à l'instauration d'une situation
de grave détérioration dans la région, créatrice de violence", a-t-il dit.
"Parce que, sans un rayon de lumière, sans une lueur d'espoir en un règlement
définitif possible, tout le bla-bla-bla sur des arrangements intérimaires, c'est
des paroles en l'air".
En Cisjordanie et dans la bande de Gaza, l'espoir
limité qui restait à beaucoup de Palestiniens d'arriver à un accord définitif a
été anéanti, au cours des six derniers mois de négociations aboutissant à
l'échec, par les explosions de violence et le désastre économique.
Livrant
aujourd'hui au public les constatations d'une mission d'étude sur les effets
économiques du conflit et de la fermeture des frontières par Israël, le
coordonnateur spécial de l'ONU pour le processus de paix au Moyen-Orient, Terje
Rod-Larsen, a déclaré que "la haine et le doute" ont désormais remplacé, chez
beaucoup de Palestiniens, les espoirs de paix.
Selon la mission d'enquête,
l'économie palestinienne perd 8,6 millions d'US$ par jour. 250 000 Palestiniens,
représentant 38% de la main-d'oeuvre, sont au chômage (en comparaison de 11% de
chômage, en moyenne sur les neuf premiers mois de l'an 2000). 32% de la
population vit dans la pauvreté, ce qui représente une augmentation de 50%
depuis le début de la crise actuelle, à l'automne dernier.
L'Autorité
palestinienne est confrontée à une grave crise financière (fiscale), due en
grande partie au fait qu'Israël retient les revenus de la taxe à la valeur
ajoutée et des droits de douanes qu'il collecte au nom des Palestiniens. Israël
doit 50 millions d'US$ à l'Autorité palestinienne, indiquent des diplomates. Le
mois dernier, les Palestiniens étaient dans l'incapacité de verser leurs
salaires aux fonctionnaires, ils n'ont pu le faire qu'après que des donateurs
étrangers les aient dépannés.
"J'ai rencontré tant Barak que Sharon, et ma
position consiste à dire qu'il est également de l'intérêt d'Israël que
l'Autorité palestinienne ne s'effondre pas", a indiqué M. Rod-Larsen au cours
d'une interview, "parce que cela produirait une situation d'anarchie qui
créerait une situation très difficile sur le plan de la sécurité".
"Nous
sommes en présence, ici, d'une série de crises interconnectées entre elles, qui
mènent au désastre. Ce sont : la crise fiscale, la dégradation des conditions de
vie et la crise culturelle. Les gens ont non seulement perdu espoir dans le
processus de paix, mais dans toute forme de dialogue avec Israël, ce qui
alimente le soutien et la participation à la violence, auxquels nous assistons
actuellement".
Les Palestiniens ont fait monter d'un cran leurs attaques
contre les Israéliens, depuis l'élection de M. Sharon. Tirs depuis le bord des
routes, attentats à la bombe et tentatives d'attaques contre des soldats et des
colons se sont multipliés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Israël a
procédé à l'escalade dans ses répliques, recommençant à bombarder des bâtiments
palestiniens, tirant contre des manifestations "illégales" et visant
particulièrement certains activistes.
Dans la bande de Gaza, les échanges de
tirs se sont intensifiés, après l'assassinat de M. Ayyad. Une bataille
particulièrement acharnée faisait rage à proximité de la ville de Khan Younis,
où les Palestiniens tenaient l'implantation de Neve Dekalim sous un feu intense,
l'armée israélienne répliquant à ces tirs. Des dizaines de Palestiniens ont été
blessés.
La Voix de la Palestine, qui a repris ses programmes réguliers
récemment, après avoir consacré toutes ses émissions, depuis le mois de
septembre dernier, à la couverture de l'insurrection, a repris la diffusion
d'hymnes de guerre, ponctuée par le bruit des échanges de tirs et des sirènes
des ambulances.
L'armée israélienne a endossé l'assassinat de M. Ayyad. Un
porte-parole militaire, le brigadier général Ron Kitrey, a qualifié cette action
de "mission très bien préparée et menée à bien avec une précision chirurgicale".
Le Général Kitrey a indiqué que l'armée s'efforçait d'arrêter les suspects de
terrorisme, et qu'elle avait arrêté récemment le fils de M. Ayyad, Nasser, mais
qu'elle ne pouvait pas procéder à des arrestations dans les villes sous
souveraineté palestinienne.
L'armée israélienne avait déjà mené à bien, début
novembre dernier, un assassinat du même type, en utilisant, là déjà, des
hélicoptères afin de frapper un chef paramilitaire, dans sa voiture, en
Cisjordanie. Depuis lors, l'armée israélienne continue à pourchasser et à
éliminer des militants, sans fournir d'explications publiquement sur tous ces
cas individuels. Vers la fin décembre, des officiels de l'armée israélienne
reconnaissaient généralement ces attaques, disant qu'elles avaient un effet
dissuasif sur la violence des Palestiniens.
Les Palestiniens, de leur côté,
disent qu'Israël a assassiné au moins vingt des leurs, y inclus un
haut-responsable, le Dr Thabet Thabet, dont l'assassinat avait été dénoncé par
plusieurs avocats de la paix israéliens, qui le connaissaient. L'épouse du Dr.
Thabet a poursuivi le gouvernement israélien en justice ; sa démarche avait pour
objectif de tenter de faire mettre un terme à la politique des "assassinats
programmés".
Mais revenons-en à l'attaque de ce jour. Le Général Kitrey a
déclaré que M. Ayyad avait "deux casquettes", l'une en tant que lieutenant
colonel de la Force 17, le service de sécurité rapprochée du Président Arafat,
et la deuxième en tant que leader d'une cellule du Hezbollah libanais (ou "Parti
de Dieu"), basée à Gaza.
Le Général Kitrey a indiqué que M. Ayyad était au
Liban l'été dernier, qu'il avait maintenu un contact constant avec des officiels
du Hezbollah et qu'il avait été chargé, par ces derniers, de mener des attentats
terroristes à Gaza, au nom du Hezbollah. Il a ajouté que M. Ayyad était
également un trafiquant d'armes et de drogues.
Des officiels palestiniens ont
indiqué que M. Ayyad a été promu, du grade de major à celui de
lieutenant-colonel, à titre posthume, aujourd'hui, démentant qu'il ait eu un
quelconque rapport avec le Hezbollah. Certains d'entre eux reconnaissent qu'il
avait la réputation de faire du trafic d'armes.
La semaine dernière, M. Ayyad
a organisé le tir d'une roquette contre la colonie de Netzarim, dans la bande de
Gaza, a indiqué le Général Kitrey. Le projectile a atterri près d'une maison,
sans causer de dommages matériels ni de blessures.
A la question de savoir si
les activités de M. Ayyad avaient provoqué la mort d'Israéliens, le Général
Kitrey a répondu : "Je n'ai pas d'information que je sois en mesure de vous
livrer à ce sujet. Ses tentatives continuelles de kidnapper nos soldats et les
roquettes lancées contre Netzarim mettent, de toute évidence, la vie de nos
civils et de nos soldats en danger".
Le général ajouta qu'il n'était
absolument pas nécessaire "d'attendre que les tentatives de M. Ayyad réussissent
pour agir".
Envoi d'une déclaration à
Bush
Washington, 13 février - Des
représentants israéliens ont envoyé une déclaration d'Ariel Sharon au président
Bush, ce jour, dans laquelle il répète sa position, selon laquelle la violence
palestinienne doit cesser avant qu'Israël n'envisage de reprendre des
négociations de paix qui aient quelque chance d'être productives. L'ancien
ministre de la défense israélien, Moshé Arens, a indiqué que M. Sharon a fait
part de son désir de "renforcer à l'avenir" les liens d'Israël avec les
Etats-Unis et de "mener le Moyen-Orient à plus de stabilité et vers la
paix".
17. Deux martyrs
à Ramallah et Bethléem. Boucherie dans le camp de Khan Younis. Incendie de
dizaines de maisons à proximité du point de contrôle d'Al-Tuffah : des centaines
de personnes sans abri. Les forces d'occupation utilisent des gaz causant des
cas d'épilepsie
in Al-Hayat Al-Jadidah
(quotidien palestinien) du mardi 13 février 2001
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Différents départements, agences de
presse, Al-Hayat al-Jadidah -- Les forces d'occupation ont renforcé leur
agression militaire sauvage contre notre peuple désarmé : les soldats israéliens
ont tiré, hier à l'aube, contre une voiture près de Ramallah, causant la mort de
son conducteur, Atif Ahmad al-Nabulsi, 25 ans. Les soldats d'occupation s'en
sont pris à un autobus qui transportait des ouvriers, près du village
d'Al-Khudr, entraînant la mort du jeune Ziyad Abu Sawi, un autre citoyen
palestinien, Muhammad Barmil, âgé de 47 ans, ayant été grièvement
blessé.
Dans le camp de Khan Younis (bande de Gaza), les forces d'occupation
ont tiré avec leur artillerie lourde, blessant 95 personnes, dont quatre sont
dans un état extrêmement grave. L'armée d'occupation a bombardé le camp de
réfugiés, utilisant les mitrailleuses et les obus de mortier, depuis la colonie
de "Neveh Davalim", plongeant la population du camp dans un état de terreur et
d'hystérie.
Des sources palestiniennes, de l'hôpital Nasser, de Khan Younis,
ont indiqué que plus de 65 blessés ont été admis à l'hôpital, dont 4 ont dû être
transférés à l'hôpital Shifa' de Gaza en raison de la gravité de leurs
blessures, les autres blessés ayant été dispatchés, après de premiers soins
d'urgence, vers plusieurs centres médicaux.
Le Docteur Jumaa Al-Saqqaa, de
l'hôpital gaziote Al-Shifa', a indiqué que quatre blessés étaient dans un état
critique, à leur arrivée à l'hôpital : il s'agit du jeune Muhammad Yusuf
al-'Aqqad (14 ans), atteint à la tête, de deux autres citoyens atteints de
tétraplégie totale à la suite de blessures par balles à la colonne vertébrale,
Abd al-Hakim Ramadan Jawdéh (70 ans), qui a reçu une balle au-dessous de la
nuque, et les jeunes Muhamad Salih Sirhan (16 ans), de Khan Younis, et Muhammad
Salih al-'Uraïn (20 ans), tous deux atteints par balle au cou.
Un
responsable de la milice du Martyr Ahmad Abu al-Rish, affiliée au Fath, a
déclaré, en téléphonant à notre journal, que les groupes armés dépendant de
cette milice ont opposé une forte résistance à l'agression israélienne et aux
bombardements et tirs dirigés contre les maisons des civils, avant de réaffirmer
la nécessité de renforcer l'intifada armée afin de contraindre l'occupation à se
retirer de nos villes et de nos villages. Ce responsable a mentionné que des
dizaines d'hommes armés ont ouvert le feu, tirant avec leurs mitraillettes
contre les positions des occupants, et en particulier le barrage d'Al-Tuffah (le
Pommier, NdT), répliquant ainsi à l'escalade des violations israéliennes, et en
particulier les menaces proférées contre 66 familles de Khan Younis, de détruire
leurs maisons. Il a insisté sur le fait que les tirs visant les soldats de
l'occupation se poursuivraient afin de créer une situation d'instabilité et
d'absence de sécurité pour eux, dans la région.
Le bombardement intensif subi
par les habitations du quartier al-Amal, du camp de Khan Younis, a entraîné
l'incendie de dizaines d'entre elles, ainsi que d'une station-service du
quartier. La protection civile et les citoyens sont parvenus à maîtriser les
incendies qui ont détruit de grandes parties des maisons, tandis que le
bombardement incessant empêchait les voitures des pompiers d'arriver sur les
lieux ou de poursuivre la lutte contre l'incendie qui s'étendait à toujours plus
de maisons, causant des dégâts matériels très importants et la destruction
totale du marché aux fruits et légumes du quartier, ainsi que celle de plusieurs
dizaines de maisons proches du poste de contrôle militaire.
Les affrontements
se sont étendus, à partir de neuf heures du soir, hier, à la région d'Al-Rabwat
al-Gharbiyyéh (les Rives Occidentales), au nord du quartier d'al-Amal, où les
forces israéliennes ont bombardé un bastion des forces de sécurité de la
Présidence (de l'Autorité palestinienne, NdT) et plusieurs maisons de simples
citoyens habitant le quartier.
Le Dr. Muhammad Abd al-Mun'im, de l'hôpital
Nasser, a déclaré qu'il soupçonne les forces israéliennes d'avoir utilisé des
gaz innervants proscrits par le droit international, au cours de son
bombardement, hier, indiquant que plus de trente personnes étaient arrivées dans
différents hôpitaux en proie à un état d'hystérie évoquant également la crise
d'épilepsie, par suite de l'inhalation d'un gaz très dense diffusé par l'armée
israélienne dans les ruelles du camp de Khan Younis.
Le médecin a ajouté que
les personnes atteintes étaient arrivés dans les hôpitaux dans un état jamais
encore constaté auparavant, et que des recherches étaient en cours afin de
déterminer la nature des gaz utilisés par l'armée israélienne, dont de fortes
présomptions existent qu'il ne s'agisse de gaz innervants.
D'un autre côté,
une source de la sécurité palestinienne indique que les tirs de mitrailleuses
ont atteint plusieurs habitations dans le camp de Khan Younis, à l'ouest de la
région du projet autrichien de construction d'une cité d'habitation, ajoutant
que des dizaines de familles palestiniennes avaient dû évacuer leurs domiciles,
à Khan Younis, à cause des destructions causées par le bombardement. Cette
source a précisé que plus de 20 maisons ont subi des dégâts très importants au
cours du bombardement de Khan Younis et que plus de 300 personnes se retrouvent
sans abri.
Des témoins palestiniens ont indiqué que plusieurs rafales de
fusils-mitrailleurs ont atteint une mosquée située à l'entrée du camp.
A
Bethléem, le Fath a mis en garde contre les plans des moyens d'information
israéliens visant à plonger notre peuple dans une guerre de rumeurs et de
divisions, au moyen de la diffusion de communiqué fallacieux. Le mouvement a
adopté, à Bethléem, une décision stipulant le boycott des moyens d'information
israéliens et affirmant qu'il décline toute responsabilité pour tout journaliste
israélien se trouvant sur le territoire palestinien. Fath a affirmé que "les
colonies, que Sharon a passé sa vie à construire, seront transformées en
enfer".
Bethléem a accompagné, hier, à sa dernière demeure, son martyr Abu
Sawi, du village d'Artas. Des milliers de citoyens ont suivi le cortège funèbre,
dénonçant le crime qui lui a coûté la vie, exécuté de sang
froid.