L'Onu a évalué à plus d'un milliard de dollars les pertes pour l'économie palestinienne depuis le début de la nouvelle Intifada.
(Agence Reuters 16/02/2001)
 
 
Point d'information Palestine > N°132 du 19/02/2001

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Au sommaire
 
Témoignage de Palestine
  • Journée d'enfer et jours d'horreur, ou comment on ne pourra jamais oublier par le Dr Annie Dudin, pédiatre française à l'Hôpital Al-Yamamah de Bethléhem
Les rendez-vous de la semaine
  1. TELEVISION "Palestine" un documentaire de Richard Broad sur Planète le lundi 19 février 2001 à minuit (75 min)
  2. RENCONTRE avec Gadi Algazy le mercredi 21 février 2001 à Paris
Actions urgentes
  1. Morad Abdel Aziz Kassem a été enlevé par les autorités israéliennes [traduit de l'anglais par Dominique Le Duff]
  2. El Mawasi - 22 habitations palestiniennes menacées de destruction ! [Information transmise par Annie Fiore]
Réseau
  1. Relations bilatérales turco-israéliennes et inquiétudes des tierces-parties par Abdullah Kiran in Birikim (mensuel turc) du mois de décembre 2000 - SECONDE PARTIE- [traduit du turc par Marcel Charbonnier] La première partie de ce dossier a été publié dans le Point d'information Palestine N°130 du 12/02/2001. Les nouveaux abonnés qui souhaitent la recevoir peuvent nous la demander par e-mail : amfpmarseille@wanadoo.fr
  2. Un courrier de Charles Enderlin in Le Monde du vendredi 16 février 2001
  3. Le cinéaste palestinien Ibrahim Khill reçoit le "Prix du Jury Jeunes" pour son film "Paul Le charpentier" au "Festival du film asiatique" de Vesoul suivi de "La loi du plus fort" par Maud Salignat in L'Est Républicain (quotidien régional) du vendredi 9 février 2001
Revue de presse
  1. Proche-Orient : la tentation de l'attentisme par Alain Frachon in Le Monde du dimanche 18 février 2001
  2. L'Irak menace de se venger des raids américano-britanniques Dépêche de l'Agence France Presse du samedi 17 février 2001, 20h56
  3. Qui demande à Israël de se suicider ? par Lucien Bitterlin in France-Pays Arabes du mois de février 2001
  4. L'économie palestinienne au bord de l'effondrement, selon l'Onu Dépêche de l'agence Reuters du vendredi 16 février 2001, 22h40
  5. Adieu d'une ville israélienne à quatre de "ses meilleurs enfants" par Joel Greenberg in The New York Times (quotidien américain) du vendredi 16 février 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  6. Rafic Hariri : le Liban toujours prêt à négocier propos recueillis par Pierre-André Chanzy in L'Humanité du vendredi 16 février 2001
  7. Abu Albéh le Palestinien par Talal Salman in Al-Safir (quotidien libanais) du jeudi 15 février 2001 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
  8. Un Arabe fonce sur la foule au volant de son bus, tuant huit Israéliens par Deborah Sontag in The New York Times (quotidien américain) du jeudi 15 février 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  9. Interview du président du Conseil législatif palestinien : "Si Sharon veut vraiment discuter..." par René Backmann in Le Nouvel Observateur du jeudi 15 février 2001
  10. Les casseroles des amis d'Ariel par René Backmann et Victor Cygielman in Le Nouvel Observateur du jeudi 15 février 2001
  11. Le dilemme d’Arafat face aux exigences d’Israël par Zeev Schiff in Ha’Aretz (quotidien israélien) traduit dans Courrier International du jeudi 15 février 2001
  12. Michel Warschawski : "Barak et Sharon ont choisi l'escalade" propos recueillis par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du jeudi 15 février 2001
  13. Israël, Palestine. L'attentat anti-israélien à Tel-Aviv et les nouvelles liquidations de dirigeants palestiniens par Tsahal enveniment encore le climat au Proche-Orient par Pierre Barbancey in L'Humanité du jeudi 15 février 2001
  14. Israël : sanglant attentat palestinien près de Tel-Aviv Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 14 février 2001, 9h15
  15. Dans l'œil du cyclone par Ahmed Loutfi et Randa Achmawi in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 14 février 2001
  16. Israël abat un officier supérieur de la sécurité d'Arafat par Deborah Sontag in The New York Times (quotidien américain) du mercredi 14 février 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  17. Deux martyrs à Ramallah et Bethléem. Boucherie dans le camp de Khan Younis. Incendie de dizaines de maisons à proximité du point de contrôle d'Al-Tuffah : des centaines de personnes sans abri. Les forces d'occupation utilisent des gaz causant des cas d'épilepsie in Al-Hayat Al-Jadidah (quotidien palestinien) du mardi 13 février 2001 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
 
Témoignage de Palestine
 
Journée d'enfer et jours d'horreur, ou comment on ne pourra jamais oublier
par le Dr Annie Dudin, pédiatre française à l'Hôpital Al-Yamamah de Bethléhem

Mercredi 14 février 2001 - C'était le 1er novembre 2000,  jour de la Toussaint  en France, journée de souvenir des morts, journée où je me souviens  encore plus de mon père et de ses idées pacifiques,  journée que nous n'oublierons-nous, jamais à l'hôpital, …journée d'enfer…
J'ai vu les yeux angoissés de notre interne de garde vers 13 heures, me disant : "Vous ne partez pas".  Comment aurais-je pu le faire alors que l'on entendait des tirs proches de l'hôpital ?  Il n'y a que les sourds qui ne les entendent pas.
J'ai vu les yeux de Wael, marié et père d'une petite fille de 4 mois,  quand il est arrivé aux urgences ; il était encore conscient mais, blessé en pleine poitrine, il n'a pas survécu malgré tous nos efforts. J'ai vu mes mains se poser sur ses paupières pour les fermer. J'ai vu Sana, une infirmière, me regarder, les yeux embués de larmes alors que nous le "préparions"  pour pouvoir donner son corps à sa famille. 
J'ai vu les yeux de Marouan, hurlant de douleur sur le lit d'urgences à côté, blessé mortellement lui aussi, essayer de savoir si son "voisin" était encore vivant.
J'ai vu cet homme marié et père de famille, blessé à la jambe qui, entre deux cris de douleur, appeler sa mère comme un petit enfant : "Je veux voir ma mère avant de mourir". Il n'est pas mort mais pourra-t'il marcher un jour ?
J'ai vu cette jeune fille de 17 ans, en uniforme d'école, blessée par une balle en caoutchouc à la cuisse, devant sa maison, arriver en pleurs, pleurs d'angoisse et de douleur. J'ai vu avec quelle rapidité je la soignais pour qu'elle reparte le plus vite possible, peur d'avoir besoin des lits pour plus urgent et peur que son angoisse augmente devant les horreurs d'une salle d'urgence.
J'ai vu toute l'équipe médicale travailler sans relâche dans une ambiance d'extrême urgence alors que l'on entendait des tirs tout autour de l'hôpital. J'ai vu des médecins, des infirmiers, enlever des chaussures, couper des vêtements, faire des bandages, poser des perfusions, intuber, ventiler, réanimer parfois en vain.  J'ai vu des secrétaires, débordées par les coups de téléphone, se protéger derrière le bureau de réception, s'imaginant qu'un bout de bois empêche une balle de passer. J'ai vu des agents hospitaliers courant avec leurs balais et serpillières pour nettoyer le sang qui régulièrement inondait les sols.
J'ai vu les infirmières du service hospitalier descendre en catastrophe tous les malades du deuxième au premier étage alors que des balles touchaient une chambre de malades et un bureau.
J'ai vu ces deux jeunes blessés, qui devaient être transférés dans un autre hôpital, obliger d'attendre pendant deux heures parce que les ambulances ne pouvaient pas atteindre notre hôpital.
J'ai vu cet homme de la cinquantaine, le visage pâle, essayer désespérément de téléphoner chez lui voyant de loin sa maison incendiée par une roquette "tombée" d'un hélicoptère. Je l'ai entendu dire :  "Mais il n'y a que des femmes (6) et des enfants (20) dans cette maison, tous les hommes sont au travail".
J'ai vu les yeux de Malak m'expliquant comment elle avait cherché son passeport pendant 3 heures dans les décombres brûlés de son appartement. Elle avait tout perdu, tout était noir et au milieu de ces immondices deux bombes brillantes, bien voyantes.
Tout cela, je l'ai vu, vu de mes propres yeux et le lendemain et après, j'ai entendu.
J'ai entendu Amal me raconter comment elle avait couru en pleine nuit dans Bet Jala, sa petite fille de 1 an et demi dans les bras, pour rejoindre la maison de ses parents, fuyant les tirs et sa maison bombardée, avec à ses côtés son mari pieds-nus !
J'ai entendu cette mère me dire comment Bayan, sa petite fille de 5 ans, se terrait dans un coin de la maison pendant 4-5 heures sans bouger et sans rien dire, dès qu'elle entendait des tirs.
J'ai entendu Yakoub, un petit garçon de 4 ans, me raconter des histoires folles de gens sans bras sans jambes qui couraient en tout sens, et me dire qu'il avait mal au ventre et qu'il voyait le sang couler par son nombril.
J'ai entendu Valérie me raconter comment une balle était entrée dans les toilettes de sa maison et avait traversé le mur pour atterrir dans le salon et me dire en "riant" qu'heureusement personne n'avait eu un besoin pressant à ce moment-là.
J'ai entendu ce technicien de laboratoire me raconter comment il avait dû descendre de sa voiture et se cacher derrière un mur pour se protéger des balles qui sifflaient à ses oreilles, alors qu'il rentrait chez lui après sa journée de travail.
J'ai entendu cette mère me dire comment elle avait dû passer par-dessus les tas de terre de 2 mètres de haut pour contourner les barrages, alors qu'elle portait son fils de 4 ans avec 40°C de température et incapable de marcher. Et j'ai vu ses chaussures pleines de terre et sa robe toute tachetée de boue.
J'ai entendu tous ces enfants, grands et petits, venir consulter pour des maux de tête, des maux de ventre, des cauchemars, des troubles du sommeil, des énurésies nocturnes, … et j'ai écouté. Que pouvais-je faire d'autre ?
J'ai entendu ces mères et pères dépassés par leurs enfants, épuisés par les nuits sans sommeil, essayant de chercher un réconfort  dans leur détresse et ne sachant plus comment soutenir leurs "petits", ni comment leur assurer un minimum de sécurité.
J'en ai vu et entendu et ce n'est pas fini. Les langues mettent du temps à se délier.
Je n'ai pas encore tout dit, il faut pouvoir le mettre sur papier et passer outre le remue-ménage que ça fait à l'intérieur de soi-même. On essaye souvent d'enfouir ça très loin, pour oublier et tenir.
Et puis on ne peut jamais tout raconter, il y a des choses qui ne se disent pas mais se vivent, c'est tout. Celles-là, elles font encore trop mal.
 
Les rendez-vous de la semaine
 
1. TELEVISION "Palestine" un documentaire de Richard Broad
sur Planète lundi 19 février 2001 à minuit (75 min) 
Le destin controversé d'un Etat créé de toutes pièces. Longtemps placée sous mandat britannique, la Palestine fut promise tant aux Arabes qu'aux Juifs. Les Britanniques ont administré la Palestine de 1920 à 1948. Pendant la Première Guerre mondiale, toutes sortes de promesses ont été faites tant aux Juifs qu'aux Arabes. Les deux peuples revendiquent en effet le même droit sur ce territoire quasi-mythique. Les Juifs d'Europe centrale, par leur immigration massive dans le nouvel Etat, seront le détonateur du conflit qui déchire aujourd'hui encore cette partie du monde.
[Rediffusion le mardi 20 février à 6h50, le mercredi 21 février à 10h20, le jeudi 22 février à 12h00 et le vendredi 23 février à 15h00.]
 
2. RENCONTRE avec Gadi Algazy le mercredi 21 février 2001 à Paris
L'Association France-Palestine et l'Association Médicale Franco-Palestinienne, en partenariat avec Le café errant de Délices & Compagnie et l'Association des Travailleurs Maghrébins de France, organisent une rencontre avec Gadi Algazy, militant israélien pour une paix équitable, le mercredi 21 février à 20h00, au siège de l'AMFP-Paris - 21 Ter, rue Voltaire - 75011 PARIS (M° Rue des boulets ligne 9).
Autour d'un buffet préparé par "Délices & Compagnie", Gadi Algazy abordera notamment la question du rôle du (des) mouvement(s) pacifiste(s) dans la société israélienne dans le contexte actuel.
[Participation au frais 40 FF buffet, tapas et boissons compris. Renseignements : Tél. 01 43 72 15 79]
 
Actions urgentes
 
1. Morad Abdel Aziz Kassem a été enlevé par les autorités israéliennes
[traduit de l'anglais par Dominique Le Duff]
Message urgent d'Adam Gaynor, militant pacifiste israélien.
Ceci est une mise à jour de la situation à Harès, un village palestinien près de Naplouse en Cisjordanie.
Le maire du village, Hussam Daud, qui avait été enlevé par les forces de sécurité il y a plus d'une semaine, a finalement été relâché. Pour ceux qui n'étaient pas au courant de son enlèvement, voilà ce qui s'est passé: environ 30 Jeeps de l'armée étaient entrées dans Harès à 1h30 du matin dans la nuit du 31 janvier, et avaient réveillé les 3.500 habitants du village en utilisant des fusées éclairantes et des grenades assourdissantes. Ils avaient détruit la porte de la maison de Daud, et l'avaient enlevé. De nombreux habitants du village avaient été forcés à sortir de leur maison, des fusils pointés sur eux, et à se tenir debout en pyjama dans le froid hivernal jusqu'à 3h30 du matin. Le soir suivant, 8 Jeeps de l'armée étaient revenues avec des lumières et des sirènes, terrorisant les villageois de 23h30 jusqu'à 3h30. Les soldats avaient arrêté un homme mais l'avaient relâché à l'entrée du village.
Daud n'a été ni arrêté, ni dans un premier temps inculpé pour quoi que ce soit, mais plutôt détenu à la prison de Hawara. Sa famille n'était pas informée de sa situation. L'organisation "Les Rabbins pour les Droits de l'Homme" a contacté le membre de la Knesset/ le parlementaire Ron Cohen afin d'obtenir des informations sur la détention de Daud, mais a été informée qu'il s'agissait d'une opération de Shabak (le service de sécurité intérieure israélien), et qu'elle était donc "intouchable".
Après plus d'une semaine de détention, Daud a été relâché, non sans avoir été cité pour jet de pierre sur des voitures de colons. L'absurdité d'une telle suggestion, à savoir qu'un homme du rang et de la position de Daud jetterait des pierres sur des voitures, n'échappe pas à ceux qui le connaissent. Quiconque connaît Harès ne peut que contester la description faite du village par le porte-parole de l'armée israélienne, comme un foyer de troubles qui mettrait en danger la vie des «habitants de la région» (remplacez par : des « colons juifs »), comme si les habitants de Harès n'étaient pas eux-mêmes des habitants de la région – et ce alors qu'Harès a figuré plusieurs fois dans le quotidien Ha'aretz comme un village qui, malgré le fait qu'il soit sans cesse fermé par l'armée et attaqué par les colons, a participé à plusieurs actions communes avec des Juifs israéliens pendant cette Intifada.
A peine un jour ou deux après la libération de Daud, les forces de sécurité ont enlevé un habitant de Harès, Morad Abdel Aziz Kassem, 17 ans  (Carte d'identité n° 907-426-910, né le 29/10/82). Selon des témoins oculaires, les soldats qui ont enlevé Kassem ont menacé de revenir dans le village pour violer femmes et jeunes filles. A ce jour, la situation de Kassem est inconnue. La police d'Ariel a dit à son avocat, lorsque celui-ci leur a téléphoné, qu'il ne se trouvait pas dans leur prison; le même jour, la police a fait savoir au frère de Kassem qu'il y était bien détenu.
Sans même mentionner les suspicions de jet de pierre qui pèsent sur Daud, et maintenant sur Kassem, la simple idée qu'un Palestinien habitant dans les Territoires Occupés puisse être détenu sans chef d'inculpation pour un laps de temps indéterminé, est une violation flagrante des droits de l'homme. Et, ce qui est plus terrible encore, le refus d'accorder à un prisonnier le droit de téléphoner à sa famille ou son avocat, provoque une peur que nul parent ou enfant ne devrait jamais connaître, particulièrement lorsque l'on songe à l'usage légal et régulier qui est fait de la torture en Israël.
Veuillez prendre le temps de contacter votre ambassade ou votre organisation des droits de l'homme locale pour leur demander de s'informer sur la situation et l'état de Kassem. Son nom et les informations qui peuvent aider à l'identifier :
Morad Abdel Aziz Kassem - Carte d'identité n° 907-426-910 - Date de naissance : le 10 octobre 1982
>> Nous devons contacter D'URGENCE le Président de la République, le Ministère des affaires étrangères, le Consul Général de France à Jérusalem, ainsi que le Secrétaire Général de l'ONU. pour leur demander d'intervenir auprès des institutions israéliennes.
- M Jacques Chirac, Président de la République
- Palais de l'Elysée - 55, rue du faubourg Saint-Honoré - 75008 Paris - http://www.elysee.fr/ecrire/mail_.htm
- M. Hubert Védrine, Ministre des Affaires Etrangères - 37, Quai d'Orsay - 75351 Paris - Tél. 33 (1) 43 17 53 53
- M. Denis Pietton, Consul Général de France - 5, rue Paul Emile Botta - PO box 182 - 91001 Jérusalem - Tél : [972] (2) 625 94 81 (à 83) - Fax : [972] (2) 625 91 78 - http://www.consulfrance-jerusalem.org
- M. Kofi Annan, Secrétaire Général de l'ONU - http://www.un.org/french/docs/sgsm.htm
  
2. El Mawasi - 22 habitations palestiniennes menacées de destruction !
[Information transmise par Annie Fiore]
Khan Younis (sud de la bande de Gaza) - Depuis quelques jours, les habitants palestiniens de El Mawasi vivent dans l'angoisse d'un ordre de destruction de leurs maisons par l'armée israélienne. Joint par téléphone, Vincent Cauche, Directeur du Centre Culturel Français de Gaza, a confirmé que la zone de El Mawasi était complètement bouclée. L'organisation Médecins du Monde ne peut plus y pénétrer. El Mawasi est une zone agricole (maisons et fermes) entourée de toutes parts par le bloc de colonies israéliennes de Gush Katif. Les colons n'ont cessé de harceler leurs voisins palestiniens afin de se débarrasser de leur présence. Il y a à  peu prés un mois la télévision israélienne a montré des colons qui mettaient le feu à  des champs, des vergers et des maisons de El Mawasi. Deux colons ont été arrêtés et rapidement libérés sous caution. A la même époque la radio des colonies, Arutz 7 a transmis des interviews de colons qui faisaient appel à l'armée pour détruire les maisons palestiniennes de El Mawasi.
Reportée une première fois en raison d'une campagne de protestation organisée par l'association israélienne Gush Shalom (Bloc de la Paix), la destruction de ces 22 maisons, qui abritent environ une centaine de personne, semble imminente.
>> Nous vous demandons d'adresser D'URGENCE le courrier suivant à :
M. Elie Barnavi, Ambassadeur d'Israël - 3, rue Rabelais - 75008 Paris - Tél : 01 40 76 55 00 - Fax : 01 40 76 55 55
Monsieur l'Ambassadeur,
Je vous demande d'user de toute votre autorité pour que la décision prise de démolir 22 maisons situées à El Mawasi, à l'ouest de Khan Younis entre les colonies de Neve Dekalim et Gane Tal dans la bande de Gaza, soit immédiatement annulée. Ces destructions, contraires à toutes les conventions internationales, jetterait une centaine de civils palestiniens à la rue.
Cette  initiative ne peut que nuire à  l'image d'Israël, déjà  ternie par la multiplication d'actions similaires menées depuis quatre mois...
>> Gush Shalom vous demande aussi de protester vigoureusement auprès des personnalités suivantes :
- Premier Ministre israélien, M. Ehud Barak : pm@gov.il et  e.barak@pmo.gov.il
- Ministre de la Défense israélien, M. Ehud Barak : sar@mod.gov.il
- Vice Ministre de la Défense, M. Ephraim Sneh : sgansar@mod.gov.il
- Porte parole du Premier Ministre, M. Merav Parsi-Zadok : dover@pmo.gov.il

et de porter en copie :
- M. le Président George W. Bush President@Whitehouse.gov
- M. le Secrétaire d'Etat Colin Powell : secretary@state.gov
- Gush Shalom info@gush-shalom.org
 
Réseau
 
1. Relations bilatérales turco-israéliennes et inquiétudes des tierces-parties
par Abdullah Kiran in Birikim (mensuel turc) du mois de décembre 2000
[traduit du turc par Marcel Charbonnier]
 
La première partie de ce dossier a été publié dans le Point d'information Palestine N°130 du 12/02/2001. Les nouveaux abonnés qui souhaitent la recevoir peuvent nous la demander par e-mail : amfpmarseille@wanadoo.fr

- SECONDE PARTIE-
 
Réactions au pacte et inquiétude de la/des tierce(s) partie(s)
Le pacte turco-israélien, ouvrant la voie, à l'avenir, pour une modification de l'équilibre des forces régionales au Moyen-Orient, a suscité des réactions diverses, tant à l'intérieur des pays contractants qu'à l'extérieur. La première formation politique à réagir après la conclusion du pacte de rapprochement entre la Turquie et Israël fut le parti Refah, de Turquie.
(Abullah Gül, du Refah, déclara au journal Al-Hayat, le 2 juin 1996, que son parti, le Refah Partisi, mettrait immédiatement fin à cet accord, s'il arrivait au pouvoir en Turquie. "Si certains pays arabes s'avisaient de conclure des accords du même type avec Israël, nous ne reconnaîtrions pas ces accords. Si nous étions en mesure de résilier cet accord, je ne pense pas que l'armée turque tenterait de s'y opposer de quelque manière que ce soit. Le rôle de l'armée a changé fondamentalement. Avec un gouvernement fort, l'armée doit se conformer (aux décisions gouvernementales, NdT)." (Cf. Aydogan Vatandas, Armagedon : La guerre secrète turco-israélienne, Editions Timas - Armagedon : Türkiye-Israil Gizli Savasi, Timas Yayinlari, Istanbul, 1999, p. 26.)
Le parti Refah, qui avait montré cette opposition farouche au pacte turco-israélien de coopération et de formation militaire, une fois arrivé au pouvoir, conclut avec Israël un accord très important sur le plan militaire : l'"Accord de coopération en matière d'industries de défense", signé par le cinquante-quatrième gouvernement républicain turc, le 28 août 1996, invoquant le principe que "ce sont les intérêts qui dictent les relations bilatérales à avoir" (en la matière) et acceptant, de fait, le Pacte qu'il avait bruyamment contesté.
(Les relations entre la Turquie et Israël, hier, aujourd'hui et demain, Publications de l'Académie militaire - Türkiye-Israil Iliskilerinin Dünü-Bugünü-Yarini, Harp Akademileri Komutanligi Yayinlari, Harp Akademileri Basimevi, Yenilevent-Istanbul, avril 1997, p. 143)
Bien que la Turquie et Israël se soient employées à insister sur le fait que leur Pacte bilatéral n'était dirigé contre aucune tierce-partie, le monde arabe le considéra avec suspicion, en particulier, la Syrie. Il est vrai qu'aucun pays arabe ne pouvait ressentir les effets de cet accord plus que cette dernière. Et, bien qu'à chaque occasion la Turquie se soit ingéniée à rappeler que des accords similaires avaient été signés entre elle et plusieurs pays arabes, cela n'est jamais parvenu à les rassurer.
La Syrie est fondée, à plus d'un titre, à manifester ouvertement son inquiétude, face à cette alliance : au cas où le contentieux entre Israël et la Syrie s'envenimerait,  passant au stade d'un conflit ouvert, la Turquie (même si elle ne devait pas intervenir directement aux côtés d'Israël) pourrait être amenée à y jouer un rôle non négligeable. Dans une situation de ce type, la Turquie, comme cela s'est déjà passé en 1991, au cours de la Guerre du Golfe, contraindrait la Syrie à immobiliser des dizaines de milliers de ses soldats à la frontière syro-turque. La Turquie, immobilisant l'armée de terre syrienne, sur le terrain, pourrait ouvrir l'espace aérien et les bases aériennes turques aux avions israéliens contraints, au cours des combats aériens, à des atterrissages d'urgence. Cette situation assurerait à l'aviation israélienne la possibilité de mener des attaques plus risquées contre des objectifs en Syrie septentrionale. La Turquie, en effectuant des vols de reconnaissance au-dessus de la frontière turco-syrienne, peut observer l'intérieur de la Syrie grâce à des caméras à longue portée et des radars sophistiqués, et le traité lui permet de faire profiter Israël de ces données d'observation. Il est même envisageable que la Turquie accorderait à Israël la possibilité d'utiliser son espace maritime. (Michael Eisenstadt, op. cit.)
Le ministre de la défense israélien du gouvernement Pérès, Uri Or, commentant le rôle régional de la Turquie, déclare : "La Turquie, même si elle n'entrait pas dans un conflit à nos côtés, représente, en tant que pays ennemi de la Syrie, juste au nord de cette dernière, un facteur éminemment positif. La Syrie n'attaquera jamais la Turquie, mais en revanche, elle ne peut écarter l'éventualité que la Turquie ne l'attaque. La Turquie a une expérience certaine de la guerre hors de ses frontières, en particulier dans le Nord de l'Irak" (Alain Gresh, op. cit.)
Pour Israël, le pacte turco-israélien fait aussi de l'Iran, soutien depuis des décennies de toutes les actions anti-israéliennes, une sorte d'état frontalier. (Eisenstadt, op. cit.). Ainsi Israël est en mesure d'obtenir des renseignements, grâce à l'espionnage, sur l'Iran, qu'il a toujours considéré comme représentant pour lui un danger, dans la région. Selon certaines allégations publiées dans la presse arabe, des éléments des services secrets israéliens, infiltrés dans le Nord de l'Irak aux côtés de l'armée turque, au cours d'une opération menée par cette dernière en mai 1997, y auraient installé une station d'écoute. (Michael Eisenstadt, op. cit.)
D'après Alan Makovsky, les premières cibles du pacte seraient, pour la Turquie, la Syrie et le PKK, tandis que pour Israël, l'objectif serait l'ouverture de l'espace aérien turc à son aviation militaire et la surveillance de l'Iran. (Alan Makovski, La coopération turco-israélienne, le processus de paix et le Moyen-Orient - Turkish/Israeli Cooperation, The Peace Process And The Region).
Le pacte turco-israélien devait créer un choc énorme dans le monde arabe. Mis à part la déception et les craintes qu'ils en concevaient, une partie des pays arabes considérèrent le pacte comme la deuxième humiliation qu'ils devaient subir de la part de la Turquie, qui n'a jamais cessé, depuis cinquante ans, d'agir contre leurs intérêts. La première humiliation reçue de la Turquie a été la reconnaissance par cette dernière de l'Etat d'Israël, en 1949. Les Arabes ont considéré le choix de la date de signature de cet accord, intervenue juste au moment où ils sont dans une position d'extrême faiblesse, comme un mauvais procédé. En effet, il a été signé juste au moment où les Arabes étaient divisés entre camps opposés, du fait de la Guerre du Golfe.
(Une source d'information basée à Paris analyse la vision arabe de l'alliance turque, Al-Muharrir, Paris, 10 août 2000, pp. 20-21 - Dans la suite du texte, cette référence sera énoncée comme suit : Paris-based source Analyzes Arab View of Turkish Alliance)
De leur point de vue, les Arabes ont trois raisons principales de redouter ce pacte :
1 - il augmente les dangers stratégiques auxquels sont exposés les pays arabes en général et, en particulier, la Syrie et l'Irak ;
2 - il ne pourra qu'approfondir les divisions inter-arabes, car il inclut l'un des Etats arabes : la Jordanie ;
(Au cours d'un sommet de la Ligue Arabe, tenu au Caire entre les 22 et 26 juin 2000, le premier ministre jordanien, Abdülkerim Kabariti, a déclaré que la Turquie et Israël avaient bien le droit de conclure tous les accords militaires entre elles qu'elles pouvaient désirer. D'ailleurs, la Jordanie devait voter contre une résolution finale de ce sommet, condamnant la Turquie. Cf. Konuralp Pamukçu, La politique de l'eau - Su Politikasi, Baglam Yayinlari, 2000, p. 273)
3 - le pacte va avoir un impact incertain sur le processus de paix arabo-israélien, et ne pourra qu'affaiblir les possibilités de manoeuvre du camp arabe dans ce processus.
(Paris-based source Analyzes Arab View of Turkish Alliance)
Les craintes des Arabes au sujet du rôle de la Turquie dans la région sont relatives à trois nouveaux développements internationaux : la fin de la guerre froide, la guerre du Golfe et le nouvel ordre mondial. Dans le même ordre d'idées, les hommes politiques arabes emploient désormais les expressions "néo-ottomanisme" ou "néo-impérialisme turc", pour définir la nouvelle politique turque (inaugurée par la signature de ce pacte avec Israël). D'après les Arabes, toujours, cette nouvelle politique vise à étendre l'influence et l'expansionnisme turcs depuis les Balkans jusqu'à la Chine. C'est la raison pour laquelle les Arabes, considérant que ces ambitions de la Turquie entrent en contradiction avec leurs intérêts propres, sont convaincus qu'elles constituent une menace contre leur sécurité. Les Arabes, assez mécontents de l'ouverture turque en direction de l'Asie Centrale, qui découle de l'ascendant naturel de la Turquie sur des peuples turcophones, redoutent que ne se constitue de la sorte dans la région un bloc géographique rival, et d'une étendue équivalente à celle du monde arabe. Pour eux, un tel développement historique ne peut qu'attiser la concurrence et l'hostilité entre les deux blocs (arabe et turcophone), et déséquilibrer l'ensemble de la région (l'Asie occidentale, NdT)
(Paris-based source Analyzes Arab View of Turkish Alliance)
Il est certain que la Syrie est le pays qui ressent le plus d'inquiétude face au pacte turco-israélien. Pour le nationalisme arabe, souverain en Syrie, l'Empire ottoman, aux mains de l'hégémonie des Turcs, après une occupation de quatre siècles de la Syrie, a entrepris de turquifier la nation arabe. 
(Alan Makovsky, Eteignons la mèche de la crise turco-syrienne : qui sera vainqueur ? - Defusing the Turkish-Syrian Crisis : Whose Triumph ?, Middle East Insight, janvier-février 1999, http://www.washingtoninstitute.org/media/makovsky.htm)
La pensée nationaliste arabe moderne, attribuant le retard actuel de la Syrie à la domination ottomane, joue un rôle négatif dans les tentatives de rapprochement entre la Turquie moderne et la Syrie. Cela a été jusqu'au point qu'au cours de la guerre froide, la Syrie et la Turquie ont opté pour les deux camps opposés. La Turquie étant membre de l'OTAN depuis 1952, la Syrie fut très longtemps un pays client de l'URSS, pour son armement, et un pays aligné, politiquement, sur le bloc soviétique. (Alan Makovsky, op. cit.)
En 1957, la Turquie, invoquant le danger que représentait la Syrie en tant qu'alliée à l'URSS, massera des troupes à la frontière turco-syrienne.
Il est évident que le pacte turco-israélien ne pourra que venir compliquer encore des relations turco-syriennes déjà passablement problématiques et délicates, ajoutant un nouvel élément à leur problématique. En août 1998, le nouveau général en chef de l'armée syrienne, Ali Aslan, décrit comme suit les relations syro-turques :
"Le but du pacte turco-israélien est, en contrôlant la nation arabe, au risque de porter atteinte à la sécurité internationale, de contraindre les Arabes en général, et en particulier, la Syrie, en exerçant une pression maximale sur eux, à admettre les projets expansionnistes d'Israël" (Alan Makovsky, op. cit.)
La politique interventionniste de la Turquie dans le Nord de l'Irak constitue une des craintes des Arabes vis-à-vis du pacte turco-israélien. Pour eux, l'Irak a été divisé de facto en trois à la suite de la Guerre du Golfe, ce qui a aiguisé les vieux appétits expansionnistes de la Turquie pour le Sancak de Mossoul qui, s'ils n'étaient pas dissuadés, aboutiraient rapidement à l'annexion de tout le nord de l'Irak par la Turquie, comme elle avait annexé le Sancak d'Alexandrette (Iskenderun), en 1939. (Territoire "prélevé" à la Syrie et remis "gracieusement" à la Turquie kémaliste par la France mandataire, NdT).
Bien sûr, tous les pays arabes ne réagissent pas avec autant de virulence à la signature du traité entre la Turquie et Israël. L'OLP, qui entretient de longue date des relations très suivies avec la Turquie, n'a critiqué le pacte turco-israélien en aucune manière. Bien au contraire, elle désire que la Turquie, en raison de ses relations avec Israël, joue un rôle dans le processus de paix Palestine-israélien. (Paris-based source Analyzes Arab View of Turkish Alliance)
L'Egypte, quant à elle, voit d'un mauvais oeil la tentative faite par Israël de sortir de son isolement régional, c'est pourquoi elle considère avec suspicion les intentions de la Turquie dans la région. La Jordanie est très favorable au rapprochement entre la Turquie et Israël, tandis que les pays du Golfe préfèrent ne pas s'exprimer sur ce sujet, en dépit de leurs contacts suivis avec les deux pays contractants.

La dimension kurde
En mai 1997, le ministre de la défense du gouvernement Erbakan, Turhan Tayan, se rendit en visite officielle en Israël, et même sur le plateau du Golan, sous occupation israélienne.
Israël, qui jusqu'alors avait nié ouvertement toute hostilité envers des groupes kurdes que rien n'opposait entre eux à l'époque, commença à changer d'attitude après la visite de Turhan Tayan. Quelques jours après cette dernière, Netanyahu, interviewé sur différentes chaînes turques de télévision, adopta une position ouvertement hostile aux mouvements kurdes, pour la première fois et, rejetant l'idée d'un Etat kurde indépendant, il fustigea le PKK., déclarant notamment :
"La Turquie souffre beaucoup des attaques du PKK. Nous ne voyons aucune différence entre le terrorisme du PKK et les attaques terroristes dont Israël est trop souvent la cible". (Ce reportage a été publié à Tel-Aviv par le journal Ha-Aretz du 17 mai 1997).
Examinons à présent une certaine conception arabe du problème, qui fait remonter relativement loin dans le passé l'unité d'action, à des degrés divers, entre l'armée turque et Israël contre le PKK. De ce point de vue, la première étape dans cette coopération turco-israélienne s'étend du milieu des années quatre-vingt jusqu'à la guerre du Golfe, au début de 1991, phase où elle est restée secrète. La deuxième étape fait suite à la Guerre du Golfe, c'est celle au cours de laquelle l'armée turque, tout en assurant sa modernisation, se met en quête d'un intermédiaire fiable et ne suscitant aucun soupçon, afin de modifier en toute quiétude ses plans stratégiques dans la région. La troisième étape, commençant au moment de la signature du traité d'Oslo, en 1993, entre Israël et l'OLP, est celle durant laquelle le PKK prend une importance lourde de dangers pour la Turquie. La dernière étape, enfin, commence en 1995 : c'est celle durant laquelle le mouvement séparatiste kurde et les islamistes du Refah se font menaçants, d'une manière concomitante.
Dans une étude de l'Académie militaire turque, intitulée "les relations entre la Turquie et Israël - hier, aujourd'hui et demain" (Türkiye-Israil Iliskilerinin Dünü-Bugünü-Yarini), le pacte turco-israélien est analysé ainsi qu'il suit :
"Nous ne devons pas oublier que la question du PKK est très douloureuse, pour la Turquie. L'Irak et la Syrie peuvent devenir un problème à tout moment pour la Turquie. D'autre part, la question arménienne est à l'ordre du jour et elle est loin d'être terminée. Quand au Caucase, il continue à connaître l'hémorragie. La question grecque se concentre de nos jours à Chypre, demain ce sera peut-être en Thrace occidentale, et après-demain elle peut surgir face à nous ailleurs. Elle existera tant que durera la Grèce elle-même. Dans ces conditions, nous aurons à tout moment besoin d'amis fidèles et d'alliés raisonnables en Occident. Si nous parvenons à nous gagner le soutien du puissant lobby juif aux Etats-Unis, grâce à l'entente turco-israélienne, nous aurons réduit dans une très large mesure les actions hostiles à notre égard des lobbies arménien, grec et kurde".
(Des actions en vue de faire proclamer le 24 avril 1989 Journée de Commémoration du Génocide des Arméniens, avec dépôt d'un projet de loi allant en ce sens au Congrès américain ont été mises en échec par la grâce des interventions du lobby juif américain en faveur de la Turquie.  Cf : Les relations entre la Turquie et Israël, hier, aujourd'hui et demain, p. 114)
Il est difficile de parler d'une politique israélienne générale en matière de problème kurde. En effet, Israël, en particulier après la signature du pacte dans lequel il s'est engagé avec la Turquie, et bien qu'il ait proclamé la nature terroriste du PKK, fût-ce à son corps défendant, ne considère pas les guérillas kurdes en Irak et en Iran comme des organisations terroristes, c'est le moins qu'on puisse en dire. Ce sont les relations qu'Israël entretient avec les divers pays où vivent des Kurdes qui doivent être prises en considération si l'on veut obtenir une vision plus réaliste de son attitude. C'est en été 1963 que furent établis les premiers contacts entre Israël et les Kurdes d'Irak, dirigés alors par le Molla Mustafa Barzani. Après juin 1963, le chef du Mosad israélien, le Général Meir Amit, rencontra ses homologues iraniens, et leur proposa d'apporter une aide militaire aux Kurdes (d'Irak, NdT) par le canal de Téhéran. L'Iran accepta cette proposition, en mettant comme condition que l'aide israélienne, tant qualitative que quantitative, soit acheminée avec l'autorisation et par l'intermédiaire de la Savak (iranienne). C'est ainsi qu'Israël allait acheminer son aide en armement destiné aux maquis du Parti Démocratique du Kurdistan, dans le Nord de l'Irak, par l'intermédiaire des services secrets iraniens, la Savak. Dans le cadre de la coopération entre le Parti Démocratique du Kurdistan, la Savak et Israël, des officiers israéliens furent amenés à servir, au titre de la coopération, au Kurdistan irakien. Mais tout ceci se faisait sous le contrôle de l'Iran, en observant strictement les conditions présidant à la coopération tripartite.
(Amatzia Baram : Israël et la question kurde d'Irak, Dossiers d'Eurasie, printemps 1996, volume 3, n°1, numéro spécial "Irak du Nord", pp. 149-150, traductrice : Cahide Ekiz - Israil ve Irak'taki Kürt Sorunu).
La coopération israélo-kurde se poursuivit jusqu'au mois de mars 1975, au cours duquel le Shah d'Iran et Saddam Huseïn signèrent l'accord d'Alger. L'Iran étant pour Israël un allié stratégique important, se gardera désormais de tout interventionnisme (dans la question kurde) qui serait de nature à mettre en danger ses relations avec ce pays.
La relation entre Israël et les Kurdes, tout au long de trois décennies (les années cinquante, puis les années soixante et, enfin, les années soixante-dix) peut être considérée comme faisant partie intégrante de la "théorie des pays du pourtour", qui caractérise la politique étrangère israélienne durant cette période. Cette théorie, développée par l'ancien premier ministre israélien Ben Gurion, est basée sur la nécessité de développer de bonnes relations avec les pays non-arabes voisins d'Israël. Par la mise en application de cette théorie, Israël escompte rétablir un certain équilibre face à une menace et une hostilité arabes dirigées contre lui. Ainsi, pour Israël, la Turquie et l'Iran, pays du Moyen-Orient non-arabes, font partie des "pays du pourtour". (Amatzia Baram, op. cit.) Quant aux Kurdes, même s'ils ne disposent pas encore d'un Etat, ils ne sont pas arabes, plus même : ils ont eu beaucoup à souffrir des Arabes, et de ce fait, ils se rangent dans la catégorie israélienne des "pays du pourtour".
De même que l'influence (d'une communauté israélienne) d'origine turque jouait un rôle positif dans les relations israélo-turques, de même la communauté juive originaire du Kurdistan (majoritairement, du Nord de l'Irak) joua un rôle certain dans les relations israélo-kurdes. La population des Juifs kurdisés originaires du Nord de l'Irak, dont une grande partie avaient été amenés en Israël, dans les années cinquante, au cours de deux opérations baptisées "Ezra" et "Nehemya", atteignaient environ 180 000 personnes, en 1988. (Ümit Özdag, op. cit. P. 188. Dans son ouvrage "Les Juifs du Kurdistan" (Kürdistanli Yahudiler), le Dr. A. Medyali évalue la population des Juifs originaires du Kurdistan vivant de nos jours en Israël à plus de 200 000 personnes.)
Jusqu'aux années cinquante, les Juifs du Kurdistan, en majorité paysans, vivaient une vie villageoise typique de cette région. Ils habitaient, entre autres, dans les villages agricoles de Revanduz, Barzan, Tel-Kabar, Duhok, Akra, Sanduka, Bitanura, Baskale, Köy-Sandjak, Mirawa et Girzengal, tandis que les commerçants et les artisans vivaient dans des gros villages ou des villes tels que Zakho, Erbil, Bane et Amediye. (A. Medyalli, Les Juifs du Kurdistan, Berhem Yayinlari, Ankara, 1992, p. 66)
 
Les relations commerciales turco-israéliennes
Durant le mandat britannique, la balance commerciale entre la Palestine et la Turquie était déséquilibrée en faveur de la Turquie. Entre 1946 et 1949, la Palestine était le troisième marché en importance, pour les exportations turques. Durant cette période, la Palestine importa de Turquie des marchandises pour une valeur d'environ 180 millions de dollars (soit environ 45 millions de $ par an, NdT). En 1950, la balance commerciale entre les deux pays se rapprocha de l'équilibre, puis bascula à l'avantage d'Israël, en 1954. En 1990, les exportations turques à destination d'Israël dépassaient les 30 millions de $, ses importations en provenance d'Israël dépassant, quant à elles, les 70 millions de $. (Amikan Nachami, op. cit. pp.19-20).
Les exportations de la Turquie vers Israël s'établissent comme suit (en millions de $) :
en 1992 : 90,088 ; en 1993 : 114,500 ; en 1994 : 163,113 ; en 1995 : 195,700.
Les importations turques en provenance d'Israël s'établissent ainsi (en millions de $) :
en 1992 : 97,075 ; en 1993 : 135,100 ; en 1994 : 126,900 ; en 1995 : 128,100.
De 30 millions de $ en 1980, les exportations turques passent à 390 millions de $ en 1997, étant ainsi multipliées par x13 !
Sur la même période, le volume des échanges commerciaux globaux entre les deux pays, passant de 90 millions à 620 millions de $, connaît une augmentation d'un facteur x7.
Israël passera , de treizième partenaire commercial de la Turquie dans la région "Moyen-Orient et Afrique du Nord" qu'il était en 1989, au deuxième rang, en 1997. (Alan Makovsky, "Le nouvel activisme de la politique étrangère de la Turquie" - The New Activism inTurkish Foreign Policy)
On escompte que le commerce entre la Turquie et Israël dépassera le milliard de dollars à partir de l'an 2000. Quant au volume des échanges globaux entre la Turquie et Israël, on s'attend à ce qu'il s'élève progressivement. (Alan Makovsky, "Coopération israélo-turque : en avant, toutes !" - Israeli-Turkish Cooperation : Full Steam Ahead, The Washington Institute for Near East Policy, Policy-watch, n° 292, - janvier 1988, http://www.washingtoninstitute.org)
 
L'avenir des relations israélo-turques
Les relations entre la Turquie et Israël, que l'on considérait comme suivant normalement leur cours, ont connu quelques difficultés au cours des derniers mois (fin de l'année 2000, NdT). Ainsi, contrairement aux engagements pris, l'adjudication pour l'élargissement du port israélien d'Ashdod n'a pas échu à la Turquie. Mais l'acte indélicat, de la part d'Israël, qui a le plus irrité son partenaire turc, ce furent les efforts déployés par le ministre israélien Yossi Sarid afin de faire introduire dans les programmes scolaires israéliens une présentation détaillée du génocide arménien.
Il est question de certains marchés, énormes, de nature à jouer un certain rôle, à l'avenir, dans les relations turco-israéliennes, dans le secteur de la défense : la modernisation des tanks M60 de l'armée turque, l'achat d'un satellite d'espionnage et d'hélicoptères de combat israéliens par la Turquie. La Turquie a déjà fait appel à Israël, dans le passé, pour la modernisation de six cent tanks M60, ce qui représente un marché d'une valeur de 4 milliards de $. Mais les sociétés américaines d'armement, invoquant la distorsion de concurrence, ont contraint la Turquie, au moyen de pressions diverses, à procéder à un appel d'offres international en bonne et due forme.
Dans le cadre des projets de réforme des Forces Armées Turques, ce sont 150 milliards de $ de dépenses qui sont attendus pour les vingt années à venir. Les responsables turcs désirent qu'Israël se mette sur les rangs des soumissionnaires aux marchés publics qui vont être lancés prochainement. Dans le cadre de la coopération en matière d'industries de défense, la Turquie a accordé des marchés à des firmes israéliennes, pour une valeur dépassant le milliard de $, au cours des dernières années. Mais Israël désire remporter des marchés pour des projets plus importants et plus globaux, de la part de la Turquie, tels une adjudication pour des hélicoptères d'assaut, pour une valeur de 4 milliards de $. Toutefois, la Turquie est désireuse de conserver un certain équilibre entre ses divers partenaires : les Etats-Unis, l'Union Européenne et Israël. On s'attend, ainsi, à ce qu'elle accorde l'adjudication pour les hélicoptères d'assaut (4 milliards de $) aux Etats-Unis, mais en accordant, en même temps, l'adjudication pour les tanks, d'une valeur de 7 milliards de $, à l'Allemagne. (Cumhuriyyet, 30.08.2000)
Au cours de la visite effectuée en août dernier en Turquie par Ehud Barak, il fut question, bien sûr, du processus de paix, mais aussi de la plus grande ouverture, souhaitée par Israël, des marchés publics turcs en matière de défense aux sociétés israéliennes. En dépits des efforts déployés par Israël, on annonça que la firme française Alcatel avait remporté le marché public pour la production d'un satellite-espion en Turquie, immédiatement après la visite de Barak à Ankara. Pour ce marché, la société des Industries Aéronautiques Israéliennes (IAI) était en concurrence avec Alcatel, mais la firme américaine Lockheed, désireuse de participer à l'appel d'offres, usa de pressions jusqu'à ce que la Turquie relance cet appel d'offres. (Demir Metahan, The Jerusalem Post, 01.09.2000)
Mais il est de plus en plus question d'un accord de principe sur la production d'un satellite commun turco-israélien, permettant de surveiller les frontières des deux pays et d'observer les infiltrations terroristes éventuelles. Ce projet est à l'ordre du jour depuis 1997, et l'on pense que la Turquie s'apprête à faire l'acquisition d'un satellite du type Ofsek, de conception et de fabrication israéliennes.  (Demir Metahan, The Jerusalem Post, 01.09.2000)
Bien que les protestations et objections qui s'élèvent du monde arabe puissent avoir un impact négatif sur l'avenir des relations turco-israéliennes, il est vraisemblable qu'elles connaîtront un renforcement supplémentaire, à l'avenir. Le fait que les pays musulmans du Moyen-Orient perdent progressivement leur importance aux yeux de la Turquie, sur le plan économique ne peut que jouer en faveur de la coopération turco-israélienne. Ainsi, la part de la Turquie dans les importations des pays arabes s'effondre, passant de 45% au début des années quatre-vingt, à 10%, de nos jours. (Alan Makovsky, The New Activity in Turkish Foreign Policy - Nouvelle activité de la politique extérieure turque), tandis qu'au contraire, les échanges commerciaux globaux entre la Turquie et Israël ne faisaient que croître.
La coopération turco-israélienne en matière stratégique, qui suit un cours favorable, d'une manière générale, jusqu'à présent, est prometteuse pour l'avenir, tout au moins dans la conjoncture présente. Mais il ne faut surtout pas oublier les réalités régionales, qui sont assez labiles et instables. Moshé Arens, à deux reprises ministre de la défense d'Israël (1983-1984 et 1990-1992) et ministre des Affaires Etrangères, de 1988 à 1990, nous donne un commentaire digne d'attention, sur les alliances au Moyen-Orient :
"Le Moyen-Orient demeurera une région instable, au cours de la décennie à venir. L'alliance que l'on peut conclure avec la Syrie n'a pas le poids d'une alliance que l'on concluerait avec la Norvège, par exemple. Nous avions une relation parfaite avec le Shah d'Iran, mais elle a été anéantie du jour au lendemain. Dans cette région, ce ne sont pas les bulletins de vote qui dictent l'avenir des gouvernements, ce sont les balles". (Alain Gresh, op. cit.)
FIN DE LA SECONDE ET DERNIERE PARTIE
 
2. Un courrier de Charles Enderlin in Le Monde du vendredi 16 février 2001
"L'INJURE FAITE A TALAL - Talal Abou Rahmed est le journaliste reporter d'images qui a filmé la mort du petit Mohamed devant la position israélienne de Netzarim à Gaza. Il est employé par France 2 depuis douze ans. Lorsque je lui ai traduit le passage le concernant dans le point de vue de Claude Lanzmann que Le Monde a publié le 7 février, il n'a pas compris l'allusion qui se cachait dernière la phrase "le cameraman arabe d'une chaîne française...".
Talal est effectivement arabe, palestinien et fier de l'être, tout comme les cameramen de notre bureau de Jérusalem sont fiers d'être israéliens et juifs. Devons-nous signer nos reportages en signalant au téléspectateurs, notre appartenance nationale ou religieuses : journaliste juif, cameraman arabe, preneur de son chrétien, monteur vidéo vietnamien ?
Monsieur Lanzmann laisse également planer l'accusation de non-assistance à personne en danger : "moi, si je vois un gosse qui risque d'être tué sous mes yeux, ma tendance serait plutôt d'y courir et d'essayer de le sauver..." Là encore, Talal ne comprend pas le procès qu'on lui fait. Sous le feu pendant quarante minutes, il a craint lui même d'y laisser sa vie, m'appelant plusieurs fois depuis son téléphone portable pour me demander de m'occuper de sa famille si lui aussi était tué. Les autres cameramen présents sur les lieux ont filmé la scène, Talal et son assistant se protégeant derrière une camionnette blanche au milieu du carrefour. Un ambulancier a tenté de porter secours au petit Mohamed et à son père. Il a été tué. Mais faut-il souligner qu'il était arabe, palestinien et musulman ? - Charles Enderlin Journaliste juif de la chaîne française France 2 -"
 
3. Le cinéaste palestinien Ibrahim Khill reçoit le "Prix du Jury Jeunes" pour son film "Paul Le charpentier" au "Festival du film asiatique" de Vesoul
Ce 7ème rendez-vous des cinématographies du continent asiatique, du Proche à l'Extrême Orient, présentait cette année du 6 au 13 février 2001, 44 films. Près de 9000 entrées et un prix mérité pour ce film dont nous ne vous redirons pas de nouveau, tout le bien que l'on en pense.
"La loi du plus fort" par Maud Salignat
in L'Est Républicain (quotidien régional) du vendredi 9 février 2001
Ibrahim Khill, réalisateur palestinien, présent à Vesoul au Festival du cinéma asiatique, réagit à l'élection de Sharon.
Il est né en 1942 à Nazareth. Avant de migrer à Paris un mois après la Guerre des six jours. Et s'il retourne souvent sur ses terres, c'est parce que "les événements que je filme, je les ai vécus à l'époque". La fiction d'Ibrahim Khill est celle du documentaire. Qui est-t-il ? Difficile de faire rentrer son identité dans un curriculum vitae. Israélien naturalisé français, arabe, palestinien... Et pour couronner le tout, chrétien. Et il se retrouve là, à Vesoul, pour présenter son dernier documentaire dans le cadre du festival du cinéma asiatique, tourné avec ses propres deniers, du moins ceux de sa petite maison de production "Nazareth films". [...]
"Paul le Charpentier" retrace l'histoire de Paul Gauthier, prêtre-ouvrier qui abandonna en 1957 son séminaire de Dijon pour être charpentier à Nazareth et fonder un quartier où vivent aujourd'hui 8.000 Palestiniens... avant de quitter le pays révolté par les horreurs dont il a été témoin pendent la guerre des Six jours à Jérusalem.
"J'ai eu la chance de vivre dans une ville sainte à l'intérieur d'Israël. Mais nous avions d'autres problèmes. Comme sortir de la ville pour aller travailler". Sur le thème des droits des arabes israéliens, Ibrahim a fait un film : "Et la paix alors". Avant cela, il était allé dans le nord d'Israël, retrouver des traces de l'un des "400 villages rayés de la carte", Biram. Nul besoin de lui en conter, sur le processus de paix, ni sur l'élection de Sharon. "C'est la loi du plus fort et cela fait 52 ans que ça dure. On avait le choix entre le pire et le moins pire. La paix ne se fera pas parce que deux hommes l'on décidée. Elle ne sera possible que quand les deux peuples arriveront à vivre ensemble. Et jusqu'à maintenant, je n'ai pas perçu d'évolution."
Comment en serait-il autrement ? Interroge-t-il en substance. "Je suis allé tourner à Bethléhem. Vous n'imaginez pas dans quel dénuement vivent les gens. Ils ont de l'eau deux jours par semaine alors que de l'autre côté du point de contrôle il y a de la pelouse verte... et on s'étonne de la violence. Moi, je me demande comment ils font pour vivre !"
 
Revue de presse

 
1. Proche-Orient : la tentation de l'attentisme par Alain Frachon
in Le Monde du dimanche 18 février 2001
L'IDÉAL d'Ariel Sharon sur la question palestinienne : en faire le moins possible... Deux éléments l'en empêchent. D'abord, la spirale d'une violence qui s'est emballée avant même qu'il ne s'installe dans son fauteuil de premier ministre. Ensuite, sa faiblesse politique intérieure l'oblige à une alliance avec les travaillistes qui lui interdit d'enterrer le dossier palestinien. Mais il faut garder à l'esprit que la tentation est là, chez le chef du Likoud : chercher à geler la question palestinienne, gagner du temps. A court terme, sur cette base, il peut compter sur le soutien d'une administration Bush qui dit ouvertement qu'elle n'a pas l'intention de s'impliquer autant que la précédente dans l'imbroglio proche-oriental.
M. Sharon et le chef travailliste qu'il a défait, Ehoud Barak, ont décrété la mort du « processus d'Oslo ». La nouvelle administration américaine qualifie de « caduques » les dernières conversations israélo-palestiniennes. Majoritairement, Israël perçoit comme des « concessions »ce qu'Ehoud Barak a proposé aux Palestiniens pour définir le cadre de leur Etat. Et Israël ne comprend pas que les Palestiniens y aient répondu par la violence – la deuxième Intifada. Majoritairement, les Palestiniens jugent que leurs chefs, à commencer par Yasser Arafat, n'ont, depuis Oslo, cessé de faire des « concessions » à l'Etat hébreu. Et ils estiment ne pas avoir été payés en retour, soumis qu'ils sont quotidiennement à la violence de la colonisation.
Ariel Sharon peut espérer exploiter cette situation de blocage. Dans sa perspective, l'important est, si possible, de minorer la priorité jusque-là accordée à la négociation avec les Palestiniens. Le vieux discours du Likoud est sous-jacent : ce ne sont pas les Palestiniens qui menacent l'existence de l'Etat hébreu ; l'Intifada d'aujourd'hui devrait pouvoir être militairement contenue ; le vrai danger reste l'hostilité fondamentale du monde arabe à Israël ; rien ne sert de faire des « concessions » aux Palestiniens, ils voudront toujours plus ; seuls le temps et l'affirmation d'un Etat hébreu de plus en plus fort ramèneront leur ambition à la mesure de ce qu'Israël estime pouvoir leur consentir. Le temps, qu'il faut gagner.
Voilà ce qu'on peut entendre chez les stratèges qui entourent le premier ministre israélien, Moshe Arens, Dore Gold et Zalman Shoval. Ils estiment que le conflit avec les Palestiniens peut être apaisé, fût-ce au prix d'un gel de la colonisation en Cisjordanie et à Gaza. Ils jugent que la priorité pour Israël est de conserver son avantage technologique dans l'équilibre des forces avec le monde arabe. Ils considèrent que la prolifération de la technologie des missiles balistiques au Proche-Orient est le vrai danger pour Israël. Enfin, ils refusent que l'état de la relation entre Israël et Washington dépende exclusivement de l'avancement de la négociation israélo-palestinienne : bon quand elle avance, mauvais quand elle stagne. Or ils savent que, sur tous ces sujets, ils ont, momentanément, une très bonne carte à jouer avec l'administration Bush. Au Congrès, la droite chrétienne républicaine est devenue, depuis une dizaine d'années déjà, le plus formidable groupe de pression pro-israélien qui soit. Le Parti républicain de George W. Bush n'a, de ce point de vue, plus grand-chose à voir avec celui de Bush senior. Mais les préoccupations de l'entourage d'Ariel Sharon rejoignent aussi, largement, celles de la nouvelle administration.Avec Israël, celle-ci a, d'évidence, un partenaire qui accueille plus que favorablement son projet de bouclier antimissiles. L'Etat hébreu, à portée de missiles de tous ses voisins, est lui même très avancé dans ce domaine. Il collabore de près avec les Etats-Unis : Moshe Arens, ancien ambassadeur à Washington, ancien ministre de la défense, est un ingénieur aéronautique qui a les meilleurs contacts au Pentagone ; Dore Gold est un spécialiste de la question de la prolifération des missiles balistiques, qui a des liens étroits avec la nébuleuse académico-gouvernementale des stratèges américains.
Tout comme M. Sharon, le secrétaire d'Etat, Colin Powell, entend que les efforts de paix au Proche-Orient se déploient dans un contexte « plus régional ». Il refuse de donner une manière de priorité ou d'exclusivité à la question palestinienne. Il ne veut pas que les Etats-Unis s'impliquent directement dans la négociation israélo-palestinienne, préférant – à l'instar du chef du Likoud – laisser les deux parties face à face. Au moins autant qu'au dossier israélo-palestinien, l'administration Bush affirme vouloir s'attaquer au dossier irakien.
On imagine les réunions à Washington du cabinet de sécurité, le premier briefing sur l'Irak. Autour du fils de George H. Bush, le vice-président Richard Cheney, secrétaire à la défense en 1991, au moment de « Tempête du désert » ; le chef d'état-major de l'époque, le général Colin Powell, aujourd'hui secrétaire d'Etat. Sur la table, le « position paper », qui dresse l'horrible constat : en ce début 2001, Saddam Hussein, le vieil ennemi, paraît moins inquiété que jamais.
DÉTOURNEMENT D'ATTENTION
Et de plus en plus inquiétant, jugent, à tort ou à raison, les Américains et les Israéliens. Pis, jamais Saddam Hussein n'a été aussi populaire dans le monde arabe, et tout particulièrement en Cisjordanie et à Gaza. Colin Powell veut affiner une stratégie américaine qui, jusqu'à présent, s'est soldée par un fiasco. Il veut des sanctions mieux ajustées, épargnant la population, ciblant le régime. Il entend convaincre les alliés arabes des Etats-Unis de la nocivité et de la dangerosité de Saddam Hussein. Lors de sa prochaine tournée au Proche-Orient, il aimerait reformer la coalition de « Tempête du désert », celle qui réunissait l'Arabie saoudite, l'Egypte et la Syrie contre l'Irak.
Ce détournement d'attention du dossier palestinien ne peut que ravir Ariel Sharon. Au moins momentanément. Car, très vite, le Likoud et l'administration Bush, sous la pression de la violence, vont comprendre que ledit dossier ne peut être isolé ou longtemps marginalisé. Aucun des alliés arabes des Etats-Unis ne peut être indifférent à l'impact qu'a sur son opinion la situation à Jérusalem, en Cisjordanie et à Gaza. Impossible d'ignorer l'effet des images de l'Intifada quand l'affrontement israélo-palestinien au quotidien fait de nouveau, inévitablement, la « une » des télévisions du Proche-Orient et nourrit l'antiaméricanisme des opinions arabes. Inconcevable d'embrigader une nouvelle coalition arabe contre le régime de Bagdad sans progrès parallèle et rapide de la négociation israélo-palestinienne. La popularité de Saddam Hussein fleurit sur l'affrontement israélo-palestinien. Pour M. Sharon comme pour M. Bush, une stratégie de « benign neglect » – de moindre attention – à l'égard de la question palestinienne ne serait pas longtemps tenable. Il y a fort à parier que, d'ici quelques mois, les Etats-Unis seront de nouveau profondément impliqués dans le dossier israélo-palestinien.
 
2. L'Irak menace de se venger des raids américano-britanniques
Dépêche de l'Agence France Presse du samedi 17 février 2001, 20h56
BAGDAD - L'Irak s'est dit samedi déterminé à se venger des raids de la veille près de Bagdad, motivés selon lui par la volonté de maintenir la domination des Etats-Unis et d'Israël sur le monde arabe.
Le président irakien Saddam Hussein a présidé samedi une réunion conjointe du Conseil de commandement de la Révolution (CCR) et de la direction du parti Baas (panarabe, au pouvoir) pour "examiner les mesures militaires à adopter pour riposter aux Etats-Unis en cas de nouvelle agression".
Les consultations ont également porté sur "les mesures militaires à prendre contre ceux (les pays) qui accordent des facilités aux Etats-Unis, en cas de répétition de ces agressions", selon l'agence officielle INA.
Les avions faisant respecter les deux zones d'interdiction de survol aérien, dans le nord et le sud de l'Irak, imposées par les Alliés occidentaux après la guerre du Golfe (janvier-février 1991), sont basés d'une part en Turquie, et d'autre part en Arabie saoudite et au Koweit.
A Bagdad, des milliers de personnes ont manifesté samedi pour dénoncer les frappes aériennes.
Quelque 5.000 manifestants, dont des responsables du Baas, ont déployé des banderoles proclamant: "Bush, Bush, écoute bien, nous aimons Saddam Hussein! et "les frappes américaines et sionistes n'arrêteront pas la marche des Irakiens vers la victoire!".
Un millier de Palestiniens ont de leur côté manifesté dans les rues de Bagdad en appelant Saddam Hussein à "bombarder Tel-Aviv".
Lors des funérailles d'une jeune fille tuée dans les bombardements, des centaines de personnes ont exprimé leur colère en scandant des slogans hostiles aux Etats-Unis et à Israël.
Le président irakien, cité par INA, a en outre annoncé samedi la formation de 21 divisions de volontaires pour se joindre à "l'Armée de libération de Jérusalem", dont la mise sur pied a été annoncée le 7 février.
L'Irak affirme avoir mobilisé en 2000 plus de 6,5 millions de volontaires pour "la libération de la Palestine" et souhaite que les pays limitrophes d'Israël, dont la Syrie et la Jordanie, rouvrent leurs frontières aux combattants anti-israéliens.
Le Parlement irakien avait auparavant estimé dans un communiqué que les raids visaient à "soumettre la nation arabe, à maintenir l'hégémonie (de l'Occident) sur ses ressources et à perpétuer l'occupation sioniste de la Palestine".
Le quotidien Al-Qadissiya, organe des forces armées, a estimé que "le nouveau crime américain ne resterait pas impuni".
Pour sa part, le quotidien Babel, dirigé par Oudaï Saddam Hussein, fils du président irakien, a publié samedi une édition spéciale dans laquelle il affirme que "l'agression américano-britannique ouvre la voie à une opération (israélienne) dans les jours qui viennent contre un pays arabe proche de la Palestine".
Selon le journal, l'attaque israélienne pourrait être dirigée "soit contre le Golan (Syrie), soit contre le Liban sud".
L'Irak a affirmé que les raids, sans commune mesure depuis deux ans, avaient fait deux morts et plus de 20 blessés civils.
Washington et Londres ont affirmé que leurs avions avaient pris pour cible des postes de commandement et de radars proches de Bagdad hors de la zone d'exclusion aérienne du sud de l'Irak, et justifié l'opération par l'augmentation, selon eux, des opérations irakiennes de défense anti-aérienne.
Un haut responsable du parti Baas, Saad Kassem Hammoudi, a appelé les "masses arabes à laisser éclater leur immense colère en s'attaquant aux intérêts américains et britanniques dans le monde arabe".
"Les gouvernements des pays arabes frères inscrits dans la tournée (du secrétaire d'Etat américain) Colin Powell doivent refuser de recevoir ce criminel de guerre pour exprimer leur rejet de la politique d'agression américaine", a-t-il dit à l'AFP.
M. Powell a maintenu sa tournée régionale, prévue du 24 au 26 février qui doit le conduire en Egypte, en Arabie saoudite, en Israël, dans les territoires palestiniens, en Jordanie, en Syrie et s'achever au Koweït.
M. Powell, chef d'état-major interarmes durant la guerre du Golfe, a tenu à être présent pour le 10ème anniversaire de la libération de l'émirat après sept mois d'occupation irakienne.
Sa tournée vise notamment à plaider pour le maintien du strict régime de sanctions contre l'Irak, en vigueur depuis plus de 10 ans, qui s'est considérablement effrité en 2000.
3. Qui demande à Israël de se suicider ? par Lucien Bitterlin
in France-Pays Arabes du mois de février 2001
La lecture du Monde daté du 18 janvier 2001, me laisse quelque peu sceptique - si je ne l'étais déjà - sur la possibilité d'un règlement complet, équitable et définitif de la Déclaration de principes sur des arrangements intérimaires d'autonomie signés à Washington le 13 septembre 1993, entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin. En effet, les propos « des amis d' Israël » que sont le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) et le Prix Nobel Elie Wiesel, vont à l'encontre de ce que sont sensés obtenir les négociateurs israéliens et palestiniens, engagés depuis des mois, voire des années, dans les dernières séances-marathon du processus de paix.
Ainsi, le CRIF, dont toute la classe politique, médiatique et de l'intelligentsia française, était l'invitée récemment dans un dîner-débat, pour y entendre donner au Premier ministre Lionel Jospin des leçons de moralité et d'humanité sur la guerre menée par les Français en Algérie, se paie une pleine page de publicité avec un gros titre : « Israël doit-il se suicider », par Yasser Arafat demande l'application du droit de retour des réfugiés dans leur patrie. Pourquoi les Juifs ont-ils obtenu ce droit des Nations-Unies après 2000 ans d'exil, alors que 50 ans après avoir été chassés de la Palestine, les Arabes ne peuvent pas revenir chez eux ?
Le député Claude Goasguen a déclaré à Radio J : « La Shoah a créé Israël ». Mais les musulmans et les chrétiens de Palestine n'y étaient pour rien ! Ils ne sont pas responsables des crimes de l'antisémitisme européen.
C'est la même argumentation que présente le même jour dans Le Monde, Elie Wiesel, dans son article Jérusalem, il est urgent d'attendre. Pour cet illustre Prix Nobel, il n'est pas question de céder aux Arabes un seul quartier de la ville trois fois sainte, occupée par l'armée israélienne en juin, 1967, puis annexée. Pour ce qui concerne « le droit au retour », pour lui, « Israël est uni dans son refus », là encore ce serait « le suicide physique de l'État juif ».
C'est dire que le droit international, les résolutions du Conseil de Sécurité, les engagements israéliens sur la déclarations de principe des Accords d'Oslo, signés entre Arafat et Rabin, tout cela Israël s'en moqueraient totalement.
C'était don un paradoxe que le Premier ministre Yitzhak Rabin s'adressant à Arafat le 13 septembre 1993 déclarait « Laissez-moi vous dire, Palestiniens, nous sommes destinées à vivre ensemble sur le même sol de la même terre ». Il estimait qu'il y avait eu déjà trop de sang versé et il savait que de toute façon, les Juifs étaient condamnés à vivre aux côtés des Arabes, « dans la dignité, en affinité, comme des êtres humaines, comme des hommes libres ».
Le CRIF, et ceux de nos compatriotes qui se sentent liés à Israël pour le meilleur et pour le pire, ont-ils conscience que le désir légitime de sécurité de l'État hébreu ne sera jamais obtenu par l'occupation et la domination ?
L'exemple de l'évacuation du Liban par Tsahal en mai dernier, démontre que l'esprit de résistance à l'oppression fait l'unanimité, en Palestine comme en Syrie. L'histoire contemporaine n'a pas d'exception.
Ce qui reste des propos du CRIF et d'Elie Wiesel, c'est qu'ils relaient pour l'opinion française les objectifs de la diplomatie israélienne, laquelle ne vise qu'à gagner du temps pour ne rien accorder aux Arabes qui ne soit fondamental, donc qu'il n'est pas question d'aboutir à la paix par la voie pacifique.
C'est donc une grave erreur aux conséquences dangereuses pour tout le monde qu'Israël prend, s'il en est ainsi, pour son avenir au Proche-Orient, alors que les États arabes - comme la Syrie - ont choisi la paix comme objectif stratégique.
Il y a fort à parier aussi que les Français, même parmi ceux qui ont toujours eu un penchant pour Israël, soient las de cet amalgame entre la sécurité d'Israël mise en péril par les Arabes qui veulent libérer leurs terres, sauf celle sur laquelle Israël est établi dans ses frontières du 4 juin1967, et la repentance distillée quotidiennement sous toutes ses formes, et par l'ensemble des media. Si l'on voulait faire des citoyens français de religion juive ou d'origine juive, des citoyens à part, des Français provisoires, on ne s'y prendrait pas autrement.
Personne ne demande à Israël de se suicider, seulement de laisser les Palestiniens vivre en paix chez eux, sur le sol de leur patrie.
4. L'économie palestinienne au bord de l'effondrement, selon l'Onu
Dépêche de l'agence Reuters du vendredi 16 février 2001, 22h40
NATIONS UNIES - L'émissaire de l'Onu pour le Proche-Orient, Terje Roed-Larsen, avertit que l'Autorité palestinienne risque de sombrer dans l'"anarchie et le chaos" si la communauté internationale ne débloque pas des fonds d'urgence pour aider l'économie palestinienne à sortir de la crise.
L'Autorité palestinienne a besoin d'une aide internationale de 50 millions de dollars par mois pour se maintenir à flot en attendant la réouverture des territoires.
Si les fonds nécessaires ne sont pas débloqués, la crise fiscale résultant du blocage des territoires palestiniens par Israël finira par entraîner un effondrement des institutions.
L'ampleur de la crise est telle que l'autorité palestinienne pourrait ne plus pouvoir verser ses salaires d'ici quelques semaines.
Le diplomate norvégien, qui s'exprimait à l'issue d'un entretien avec le secrétaire général de l'Onu Kofi Annan, a également prédit une nouvelle escalade de la violence qui pourrait atteindre des proportions inégalées.
Kofi Annan est "extrêmement préoccupé et m'a demandé de faire une tournée dans les principales capitales européennes et à Washington pour discuter de la situation", a-t-il ajouté, précisant qu'il se rendrait dans la capitale fédérale américaine mardi et mercredi. L'Onu a évalué à plus d'un milliard de dollars les pertes pour l'économie palestinienne depuis le début de la nouvelle intifada.
  
5. Adieu d'une ville israélienne à quatre de "ses meilleurs enfants" par Joel Greenberg
in The New York Times (quotidien américain) du vendredi 16 février 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Ashkelon, Israël, 15 février -- Sous un ciel plombé, Yasmin Karissi, âgée de dix-huit ans, a été portée en terre, aujourd'hui, dans le cimetière militaire qui jouxte cette ville côtière. Elle a été ensevelie dans la première de quatre tombes fraîchement creusées.
Caporal d'armée et cadet en formation pour devenir officier, elle a été enterrée avec les honneurs militaires pléniers, mais pour tous ceux qui la pleuraient, sa famille, ses amis et Israël tout entier, elle était simplement une jeune fille en uniforme à qui la vie a été arrachée.
Le caporal Karissi a été tuée mercredi dernier, en même temps que six autres soldats et un civil, après que le conducteur palestinien d'un autobus ait précipité son véhicule sur un arrêt de bus, situé sur une route à grande circulation, au sud de Tel-Aviv. Ce fut l'attentat le plus meurtrier commis en Israël depuis plus de trois ans.
Quatre parmi les victimes décédées étaient des soldats originaires d'Ashkelon, et leurs funérailles ont eu lieu, aujourd'hui, en une succession émouvante, un groupe de personnes en deuil quittant le cimetière tandis que le suivant s'avançait, derrière un autre cercueil recouvert du drapeau national.
Des photographies des jeunes victimes ont été publiées en première page par tous les journaux israéliens de ce jour, et certains présentateurs de chaînes de radio ou de télévision ont énuméré leurs prénoms : "Yasmin, Rahel, Kochava, Julie, Simcha, Alexander, David, Ofir".
Devant la tombe du caporal Karissi, Benny Vaknin, le maire de cette ville en deuil, a évoqué le "meurtre de jeunes gens, de soldats innocents", fauchés tandis qu'ils attendaient sur le bord d'une route. "Nous enterrons aujourd'hui nos meilleurs fils et nos meilleures filles", a-t-il dit, ce qui reflètait bien le sentiment de perte familiale ressenti par tous.
Depuis Gaza, Ismail Abu Elba, le frère du conducteur de bus, a présenté des condoléances au cours d'une interview avec une chaîne de télévision israélienne. "Je suis extrêmement peiné", a-t-il déclaré, en hébreu. "Je n'ai pas cessé de pleurer depuis hier"
"Je suis absolument désolé. Je dis aux familles frappées dans leur affection que jamais je n'aurais souhaité qu'une chose comme celle-là arrive. Je condamne cet acte de tout mon coeur".
Les Palestiniens ont eu leurs propres funérailles, aujourd'hui. Ils ont enterré Nasser al-Hasanat, 23 ans, un officier de police tué par des soldats israéliens à proximité d'une colonie de la bande de Gaza. L'armée a déclaré que M. Hasanat tentait de pénétrer dans la colonie, porteur d'un pistolet et d'un exemplaire du Coran, lorsqu'il a été surpris. Des centaines de personnes en deuil ont psalmodié des slogans tandis que son corps était porté en procession par les rues de Gaza, ses collègues tirant en l'air.
Pour bien des participants aux funérailles du caporal Karissi, l'espoir de paix est mort en même temps que cette jeune fille.
Lorsque son père, Chaim, commença à réciter le Kaddish, la prière de deuil des Juifs, demandant à Dieu "la paix pour nous et pour tout Israël", sa mère s'écria : "Quelle paix ?"
Revital Messika, 22 ans, un ami, dit que le futur était terriblement clair. "Il n'y aura pas de paix", dit-elle. "Nous sommes haïs, les Arabes ne veulent pas de nous, ici, et ça va rester comme ça. Une seule chose : la guerre".
Chaim Azran, 19 ans, alla plus loin : "J'ai voté pour Ariel Sharon, afin qu'il y ait la guerre, parce que ce n'est que grâce à la guerre que nous pourrons mettre un terme à ce b...", dit-il. M. Sharon, leader faucon du parti de droite Likud, a remporté une victoire raz-de-marée, la semaine dernière, sur la promesse de rendre aux Israéliens leur sécurité.
"Si les choses continuent comme ça, les tombes ne seront que de notre côté", ajouta M. Azran, tandis qu'un emplacement était préparé pour l'enterrement suivant.
Shimon Golan, 54 ans, un ami de la famille Karissi, a dit avoir perdu, lui aussi, l'espoir d'une paix avec les Palestiniens, bien qu'il ait voté pour le rival de M. Sharon, le Premier ministre Ehud Barak.
"Je suis en plus en plus résigné : quoi que nous fassions, il n'y aura pas de paix avec eux", dit M. Golan, "parce qu'après Jérusalem, ils réclameront Jaffa et Haifa : en fin de compte, ce qui'ils veulent, c'est nous jeter à la mer. Ca ne servirait à rien de nous venger en rasant Gaza, parce que quelqu'un d'autre surgira d'ailleurs pour venir nous attaquer. Je n'y vois pas de fin. Nous sommes condamnés à vivre avec le revolver sous l'oreiller".
Après l'enterrement, les gens s'attardaient en silence autour de la tombe du caporal Karissi, recouvert désormais de couronnes mortuaires qui allaient devenir, au cours de l'après-midi, une colline de fleurs, comme les quatre nouvelles tombes autour d'elle.
Yoel Sela, 18 ans, qui était allé au lycée avec le caporal Karissi, observait les funérailles de loin, assis sur un muret. Il nous dit qu'il n'avait pas perdu espoir, malgré la perte de son ancienne camarade de classe.
"Elle croyait en la paix", dit-il, "elle était toujours optimiste, et pensait qu'il finirait bien par y avoir la paix, en dépit de tout. Nous devons continuer dans ce sens. Il s'agit d'un processus qui prendra du temps. Nous sommes en train de payer le prix, mais je suis sûr qu'un jour mes enfants n'auront pas à faire leur service militaire".
6. Rafic Hariri : le Liban toujours prêt à négocier propos recueillis par Pierre-André Chanzy
in L'Humanité du vendredi 16 février 2001
Le premier ministre libanais, Rafic Hariri, a réuni la presse à l'occasion de sa visite officielle en France. L'actualité s'y prêtant, l'essentiel des questions eut pour objet la situation au Proche-Orient après l'arrivée au pouvoir en Israël d'Ariel Sharon. Lundi, un membre de la garde d'Arafat, a été tué par les Israéliens. Quatre roquettes tirées par un hélicoptère... Cet officier, dit-on à Tel-Aviv était un " terroriste " ayant partie liée avec le Hezbollah libanais. M. Hariri réagit vivement : " Faux ! C'est à tort que les Israéliens affirment cela. " Et il ajoute : " Depuis l'arrivée de Sharon nous sommes soucieux de ne pas céder à des provocations. Notre histoire est connue, celle du premier ministre israélien aussi. La mémoire de Sabra et Chatila est présente dans le monde entier. Aussi, suis-je sans optimisme, mais nous ne voulons pas fermer la porte. Israël n'a pas besoin de prouver qu'il est fort : nous le savons. La seule politique possible est la négociation en vue d'établir la paix. Nous demeurons en contact avec nos amis dans le monde, les Etats-Unis, la France et d'autres... "
- Qu'attend M. Hariri de la nouvelle administration américaine ?
- " Qu'elle pratique une politique équilibrée entre les Arabes et les Israéliens. Pas plus. Nous savons les liens existants entre l'Amérique et Israël, mais nous attendons des Etats-Unis une attitude équitable. D'ailleurs, on perçoit dès à présent des changements. Nous sommes déterminés à montrer aux Américains que les Arabes se sont décidés à faire la paix. Non par faiblesse mais parce que nous avons confiance en nous. C'est notre force. Nous sommes la majorité. " Il précise encore qu'il n'envisage pas un déploiement de l'armée libanaise au Liban sud " sans accord de paix ". Mais, dit-il, " toutes les composantes nationales s'accordent pour condamner les violences qui y seraient commises ". Il se montre attentif, dans tous les dossiers, à s'en tenir aux résolutions des Nations unies.
Rafic Hariri a conclu sur une note propre à renforcer les relations avec Paris. Il s'est vivement réjoui du sommet de la francophonie qui réunira cette année cinquante-cinq pays au Liban.
  
7. Abu Albéh le Palestinien par Talal Salman
in Al-Safir (quotidien libanais) du jeudi 15 février 2001
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Dénué de tout, si ce n'est de sa volonté, à visage, à coeur, à corps découverts, ne possédant pour le couvrir que son sang, un chauffeur, un simple chauffeur, de ces chauffeurs qui conduisent leur bus qui connaît la route par coeur et le code qui la régit, les points de contrôle, les passages, les heures de passage libre et les heures de fermeture, où il doit ouvrir ses portes, les intentions de ses passagers, qui peut monter à son bord, et avec quel billet, et avec quelle autorisation de travail...
Un Palestinien, un simple Palestinien, étranger sur sa terre et étranger à sa terre, poursuivi par le soupçon, les sentiments d'hostilité, les services secrets dont l'importance croît à proportion des "terroristes" qu'ils "découvrent", avant qu'ils ne deviennent des héros ou des martyrs. Unifiant tout cela en lui, comme s'il était la Palestine à lui tout seul. Il dort chaque nuit au coeur de la mort, il se réveille chaque matin pour entreprendre sa randonnée au coeur de la mort. Alors, s'il lui arrive de rentrer vivant à la maison, il se met à attendre le lendemain, en proie à la fébrilité : il a gagné une nouvelle vie, alors : il va pouvoir nourrir ses enfants encore un jour...
Un homme sans histoire, les écrits ne le mentionnent pas, et les "chiens de chasse" spécialisés dans l'élimination des hommes jugés dangereux ne remarquent pas son existence. Il a passé les examens d'auto-négation avec succès, alors la société israélienne l'a nommé chauffeur de l'un de ses autobus dressés comme au cirque. C'est un simple chauffeur, auquel on dit : avance! , alors il avance. Arrête! , alors il arrête, comme un automate.
Palestinien, simple Palestinien, il vit à l'intérieur de sa mémoire. Un parmi trois millions de rêveurs comme lui, qui parlent au passé et oublient le futur, et se contentent, en guise de présent, du pain qui leur permet juste de survivre. Il vit avec un million de ses semblables dans la "banlieue sud" de la Palestine, plus précisément dans le quartier Shaykh Radwan, de la ville de Gaza, qu'il attribue, ainsi que ses semblables, aux Bani Hashim, les Hashémites.
Il n'est personne. Un simple chauffeur, au chômage les trois quarts du temps, vendant sa propre chair pour une journée de travail, afin de pouvoir donner à manger à ses cinq enfants et à son épouse qui ne cesse d'être enceinte que lorsqu'elle allaite. Il a dépassé la trentaine il y a un bail, il est donc sorti de l'âge des folies et des incartades, d'ailleurs s'il n'avait pas de telles qualités, il n'aurait jamais pu conduire le bus qui amène, depuis la banlieue sud de la Palestine, Gaza, vers son coeur, dont les Arabes ont d'ores et déjà admis qu'il portait un autre nom, "Israël", cinquante ouvriers, parfois même plus, qui viennent de la Palestine "autoritaire" à la Palestine "occupée" pour construire les maisons et fournir les services à leurs propres ennemis, à ceux qui leur ont pris leur terre et le droit de vivre.
C'est quelqu'un de raisonnable... à preuve, il a amené ses "passagers", les ouvriers venus, comme lui, de Gaza, jusqu'à leurs lieux de travail, puis il est revenu, seul, à bord de son bus, jusqu'au "théâtre du crime", au sud de Tel Aviv. Quel est le secret ? Qu'est-ce qui a rendu furieux ce chauffeur domestiqué par la pauvreté et l'humiliation quotidienne, d'une furie qui lui a fait "attaquer", avec son grand bus, ce groupe de soldats qu'il a trouvés, rassemblés, presque comme pour un rendez-vous ? Il a alors fait passer le grand coffre d'acier au milieu d'eux, le pied sur l'accélérateur, comme s'il ne voulait en rater un seul!
De toute évidence, il n'était pas en état d'ébriété... Avec quoi aurait-il acheté des boissons alcoolisées, lui , le chômeur depuis si longtemps, sans le sou, évidemment, il n'en était qu'à son troisième voyage, et chez lui, dans sa "maison" composée de deux pièces, il n'y a pas de quoi se caler le ventre, alors des boissons alcoolisées ? On aurait pu en parler - et encore -avant la vague d'intégrisme religieux qui règne maintenant sur les communautés palestiniennes, tant rurales que citadines, qu'il s'agisse d'habitants d'origine ou de réfugiés ayant fui les massacres qui ont fait monter sur le podium cette starlette politique à l'ascension irrésistible : Ariel Sharon, parmi d'autres "héros"qui ont dû se donne la peine de vider la terre de ses occupants temporaires, qui n'étaient là que depuis quelques millénaires, afin de la restituer à ceux qui oubliant leurs pays effectifs, en émigrèrent pour revenir en "terre promise" ?
Quel est donc ce mystère, qui a transformé un chauffeur expérimenté, qui a passé plusieurs examens avec succès, à qui on a délivré la carte magnétique et le visa d'entrée au paradis du dollar, des pin-ups et des boîtes branchées, en dangereux "terroriste" écrasant avec son bus cet échantillon élitaire de l'armée israélienne, sans motif et sans prévenir ?
Pour l'élucider, il faut des psychiatres, il faut des psychanalystes spécialisés dans le diagnostic des tendances au terrorisme dans le coeur des humains.
Sont-ce les spectacles quotidiens, qui lui remplissent les yeux : des bulldozers israéliens écrabouillant le pauvres masures de Palestiniens indigents ? Sont-ce les tanks israéliens bombardant des gamins palestiniens, ou les soldats les poursuivant et leur lançant des grenades aux gaz innervants dans les ruelles de terre de quartiers dont la population ne fait que s'accroître d'heure en heure ? Sont-ce les hélicoptères américains du type Apache, dont chacun représente, à lui tout seul, une escadrille complète, pourchassant un homme isolé et le bombardant d'une volée de missiles parce que le Mosad suspecte son fils ? Sont-ce les cortèges funèbres - quotidiens - des martyrs tués par les colons irrités de la vaine opposition de paysans palestiniens à la confiscation de leurs terres ?
Ou bien, est-ce Muhammad Al-Dirra, qui ne cesse d'être tué chaque jour, et qui ne cesse de tenter de s'abriter entre les bras de son père ? Et ces autres enfants, là, qui ne trouvent pas de bras, qui sans doute ne les protégeront pas, mais leur donneront au moins un peu de chaleur au moment de la grande séparation ?
Ou bien alors, seraient-ce les cortèges des femmes poussant des you-yous d'adieu aux martyrs, et les cortèges des hommes qui crient d'une voix étranglée de larmes : "le martyr est l'aimé de Dieu", tandis que dans leurs yeux brille la lueur d'une colère sacrée et d'un défi lancé : celui de prouver que ceux qui les ont précédés n'étaient pas encore les meilleurs, et que ceux qui ont survécu n'étaient pas les lâches, ou les mous, ou ceux qui font peu de cas du droit sacré qui ne saurait être vendu ni gagé et qui ne saurait mourir même si son détenteur meurt sans le récupérer ?
Est-ce cette démocratie raciste qui ne sait que produire un guerrier assoiffé de sang après un guerrier de sang assoiffé ?
Ou bien serait-ce en désespoir de voir quelque jour la bête féroce s'humaniser, en Israël ?
Est-ce la douleur causée par les marchandages de l'Autorité, dont, à chaque fois qu'il pensait qu'elles étaient arrivées au niveau impensable à ne pas dépasser et qu'elles allaient s'arrêter d'elles-mêmes, il voyait qu'elles continuaient par illusion ou par souci d'éviter le pire, comme si le pire n'était pas déjà là ?
Est-ce l'infamie de l'humiliation et de l'écrasement sous le poids du défaitisme arabe, que ne parvient pas à faire oublier la densité de la couverture télévisuelle présentant sur un même pied le criminel et la victime, à une petite différence près : le criminel cause, accuse, condamne et justifie, alors que la victime se tait, même si ses blessures parlent plus éloquemment que des mots ?
Sont-ce tous ces éléments, qui ont fait de Ala Khalil Albé un chauffeur tellement habile à franchir les barrages, bien qu'il porte son identité sur sa figure, jusqu'à arriver jusqu'à ceux dont il considère qu'ils ont tué et qu'ils continuent à tuer le soleil, l'espoir, la vérité, la terre et ses enfants généreux, sur toute l'étendue de la Palestine, celle d'avant 1948 et celle d'après Ariel Sharon, digne successeur du prédécesseur éminent Ehud Barak, et tous les généraux de la paix israéliens, qu'ils appartinssent à la droite sioniste ou au sionisme de gauche ?
Est-ce la victoire de ce frère libanais, par ses seules volonté et âme, sur l'occupation ?
Dépouillé désormais de tout, sauf de son sang et de sa volonté, qui affirme son droit à un pays.
Qui est dans son pays n'est pas seul. Le pays, c'est l'arme absolue. Le pays, c'est la vie. Le pays, c'est l'avenir des enfants laissés à Shaykh Radwan, ces enfants qui se sont blottis au coeur de ceux de sa famille, qui ne les abandonneront jamais, sauf si le pays les réclame eux aussi.
Ala Khalil Abu Albéh : le plus grand des héros, c'est l'homme ordinaire que tu es.
Ala Khalil Abu Albéh : le plus grand des hommes, c'est celui qui devient un héros dans son pays.
8. Un Arabe fonce sur la foule au volant de son bus, tuant huit Israéliens par Deborah Sontag
in The New York Times (quotidien américain) du jeudi 15 février 2001   
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Azur, Israël, 14.02 -- Après avoir conduit des années durant des travailleurs gaziotes faisant la navette pour se rendre sur leur lieu de travail en Israël, un conducteur de bus palestinien, qui avait été soumis à un contrôle de sécurité très strict par l'administration israélienne, quinze jours auparavant seulement, a brusquement quitté la route, hier, avec des conséquences mortelles.
Plongeant dans une foule de soldats et de banlieusards qui attendaient à un arrêt de bus, le chauffeur palestinien a tué huit Israéliens, à l'heure de pointe matinale. Son agression du type "frappe et tire-toi", qui a été présumée être une attaque terroriste pas très catholique menée par un terroriste improbable, a causé le nombre de mort le plus élevé jamais relevé au cours d'une seule journée, en Israël, depuis le début de l'insurrection palestinienne, l'automne dernier.
Un Israélien, Moshe Saroussi (19 ans), cheveux noirs en bataille et les yeux encore lourds de sommeil, a vu un bus - vide - approcher et s'étira, laissant ses camarades soldats courir en estafettes. Mais, au lieu de s'arrêter, le bus monta sur le trottoir et faucha les amis de Saroussi, envoyant des corps tournoyer en l'air et s'écraser lourdement en retombant sur le macadam, tandis que le bus s'éloignait à pleine vitesse. Sept des personnes tuées étaient des soldats, et un civil a été tué. Soixante-dix personnes ont été blessées.
"Après, c'était presque le silence, beaucoup de gens étaient passés sous les roues", a raconté le témoin, M. Saroussi, qui a eu le temps d'échapper à l'accident en sautant par-dessus une barrière. "Après ce que j'ai vu, par terre - des membres arrachés, des crânes ouverts, des entrailles répandues - j'ai peur de me retrouver seul. Le cauchemar est dans ma tête".
Le chauffeur du bus, Khalil Abu Elba, qui s'est livré à une course-poursuite avec la police, avant de finir dans le décor et d'être arrêté, est passé à l'acte au lendemain de l'assassinat d'un officier de la sécurité palestinienne. Son "acte désespéré", comme l'a qualifié son frère, un peu plus tard, marquait le dernier degré d'escalade dans une résurgence de violence dont beaucoup redoutent qu'elle n'échappe à tout contrôle.
M. Abu Elba, 36 ans, semblait être un candidat bien improbable pour devenir le protagoniste d'un drame fatal qui a fait l'objet d'une couverture médiatique mondiale. Il ne correspondait absolument pas au portrait-robot du terroriste suspecté.
Père de cinq enfants, il possédait depuis longtemps un permis de travail israélien, qui lui avait été renouvelé il y a juste deux semaines, au cours d'un examen de sécurité particulièrement sévère, en raison de la situation. Durant de longues années, il avait exercé la profession de chauffeur intermittent dans la compagnie de transport la plus importante d'Israël - Egged - conduisant des travailleurs palestiniens du point de passage d'Erez jusqu'à leurs lieux de travail en Israël, les ramenant chez eux, à Gaza, à la fin de la journée.
Mais aujourd'hui, au lieu de laisser cinquante travailleurs à Ramle, M. Abu Elba a continué son chemin, afin de mener à bien une mission criminelle sous la dictée d'une organisation terroriste, ont indiqué les autorités israéliennes. Celles-ci ont écarté toute avarie mécanique du bus, en raison de la manière dont M. Abu Elba a pu le manoeuvrer pour quitter la scène de l'attentat et tenter d'échapper à la police, avec laquelle il s'est livré à une course-poursuite folle, qui s'est prolongée sur plus de 13 kilomètres.
A Gaza, le frère de M. Abu Elba, Hussein, a dit à des journalistes que M. Abu Elba avait un comportement de plus en plus désemparé, ces derniers temps, à cause des fermetures de la frontière imposées par les Israéliens, qui limitaient ses possibilités de travailler. Ceci l'a amené à commettre son "acte désespéré", a dit son frère, ainsi que sa colère face à la répression violente opposée par Israël à l'insurrection palestinienne, qui a causé la mort de plusieurs centaines de personnes, des Palestiniens, dans l'écrasante majorité des cas.
Qualifiant l'acte de M. Abu Elba de "coup de foudre par jour clair", Shlomo Ben-Ami, le ministre de l'intérieur israélien sortant, a dit que les agents israéliens de la sécurité ne pouvaient pas le prévoir. M. Ben-Ami l'a qualifié de dernière contribution du moment à un "cycle de sang versé entre nous et eux".
Le niveau d'anxiété en Israël s'est accru de manière palpable, à peine une semaine après que les Israéliens aient élu le faucon Ariel Sharon pour amener plus de sécurité à leur pays. M. Sharon qui n'a pas encore prêté serment, a condamné les attaques par bus, y voyant une preuve, a-t-il dit, que ceux qui veulent attaquer Israël ne font pas la différence entre les forces israéliennes en Cisjordanie et à Gaza et celles qui sont à l'intérieur d'Israël.
"La terreur frappe les Israéliens, où qu'ils soient", a dit M. Sharon.
Ehud Barak, premier ministre démissionnaire et chargé de l'expédition des affaires courantes, a immédiatement isolé les territoires de Cisjordanie et de Gaza, ainsi que l'aéroport de Gaza, qu'il venait juste de rouvrir afin de permettre à environ 7 000 musulmans d'effectuer leur pèlerinage à la Mekke, cette semaine. Les pèlerins se sont retrouvés coincés, ainsi que plusieurs officiels palestiniens de haut rang, qui restèrent bloqués au pont Allenby jusqu'à ce que le Secrétaire d'Etat Colin L. Powell intervienne auprès de M. Barak pour les laisser passer, a indiqué la télévision israélienne.
M. Barak a également sommé ses conseillers en matière de sécurité d'envisager d'autres mesures afin de combattre le terrorisme, et notamment l'élargissement des interdictions de travailler en Israël pour les Palestiniens.
Israël avait commencé à lever son bouclage total des territoires palestiniens, et aujourd'hui, des hauts responsables donnaient des arguments allant contre le renversement de la tendance, disant que des fermetures de frontières totalement hermétiques ne font qu'asphyxier l'économie palestinienne et alimenter le désespoir et la violence. Les mêmes voix mettent également en garde contre toutes représailles armées.
Mais Danny Yatom, haut responsable de la sécurité de M. Barak, a prévenu que si l'Autorité palestinienne n'agissait pas pour contrôler la violence, Israël s'en prendrait à l'Autorité elle-même, lui infligeant des dommages qui pourraient aller jusqu'à son écroulement.
Il a ajouté que cette élimination de l'Autorité n'amènerait vraisemblablement pas le calme escompté, mais que, "poussé dans ses retranchements, Israël serait obligé de passer à l'action".
A Ankara, Yasser Arafat a déclaré que la question de savoir s'il ne s'agissait pas simplement d'un accident de la route n'a pas encore été tranchée avec certitude.
"Quoi qu'il en soit, nous sommes contre le recours à la violence et bien entendu, contre le fait de s'en prendre aux civils", a-t-il ajouté. "Cela s'est passé sur leur territoire, c'est eux qui mènent l'enquête. C'est tout, pour ce qui me concerne. Je n'en sais pas plus".
Le président Bush a appelé M. Barak cet après-midi pour lui exprimer ses condoléances. "Durant ces moments difficiles, le peuple américain et moi-même, à titre personnel, sommes à côtés de vous, partageant votre peine, avec beaucoup de chagrin", a déclaré M. Bush, d'après un communiqué publié par les services du Premier ministre israélien.
Ce communiqué ne mentionnait pas que M. Bush avait lancé un appel à mettre "une fin au cycle de violences et de réactions". Mais il comprenait, par contre, bel et bien, ce qui peut apparaître comme la réplique de M. Barak, à savoir que la réponse d'Israël à la violence ne saurait être mise sur un même pied avec "la terreur palestinienne qui s'en prend à des civils innocents". "La réponse d'Israël à la terreur", a-t-il dit, "est apportée d'une manière mesurée, avec discernement et dans les strictes limites de son auto-défense".
Les officiels palestiniens pensent tout autrement. "La violence n'attire que la violence", a dit Ahmed Abdel Rahman, un conseiller de M. Arafat. Plus tard, un haut responsable palestinien, Nabil Shaath, a condamné l'attaque.
Le Centre d'Information Palestinien - Palestine Media Center - toutefois, a publié un communiqué qualifiant l'attentat au bus de "réponse à laquelle on pouvait s'attendre, aux bombardements, aux assassinats et à l'utilisation de gaz de combat contre des Palestiniens soumis à une occupation militaire et un blocus économiques insupportables depuis plus de quatre mois." Israël rejette les assertions palestiniennes selon lesquelles son armée utiliserait des gaz innervants causant des convulsions et des hallucinations.
Des pays européens ont condamné pour la première fois Israël pour un assassinat (programmé) exécuté mardi dernier. Cet assassinat avait été autorisé personnellement par M. Barak, qui en avait notifié M. Sharon auparavant, ont indiqué les moyens d'information israéliens.
Condamnant ces "exécutions extra-judiciaires", le ministre français des Affaires Étrangères, M. Védrine, a déclaré : "Nous ne saurions accepter de telles méthodes qui ne peuvent que mener à encore plus de haine et de ressentiment".
L'attaque menée au moyen d'un autobus dans cette localité de la banlieue sud de Tel-Aviv a modifié le ton utilisé vis-à-vis d'Israël, où affluaient les messages de sympathie.
Rina Aharon, embrassant sur le front de son fils, attendant une intervention chirurgicale à la jambe au centre médical Assaf Harofé, admettait être une mère juive superstitieuse et hyperprotectrice. "J'ai eu un pressentiment, ce matin", a-t-elle dit. "J'ai cassé un verre, et je me suis dit : aujourd'hui, il va se passer quelque chose".
Tôt, ce matin-là, elle avait préparé le petit déjeuner habituel de son fils, Ami, âgé de 20 ans, mais il y avait à peine touché. "Pourquoi es-tu si pressé ?", lui avait-elle demandé. "Maintenant, je sais qu'il se précipitait vers ce carnage".
Comme Ami Aharon, la plupart des blessés et sept des morts, sur huit, étaient de jeunes soldats, dont beaucoup originaires de la ville voisine d'Askelon. Bien qu'affectés à différentes bases militaires, ils se rassemblaient à cet arrêt de bus, tous les matins, et avaient développé une sorte de camaraderie de banlieusards que leur expérience militaire partagée ne faisait que renforcer.
"Cela s'est passé tellement vite", a dit le témoin Saroussi, qui a dû être traité pour choc psychologique. "Mais tout le monde a tout de suite compris qu'il s'agissait d'une attaque. Nous sommes à l'armée. Nous sommes conditionnés pour être sur nos gardes face à ce genre de choses".
Sur le terrain, peu de temps après l'attaque, la police, les paramédicaux et les soldats religieux recherchaient et collectaient des débris humains avec une efficacité routinière. Des corps étaient prestement roulés dans des couvertures et étiquetés. Les blessés étaient pris en charge en toute hâte par les ambulances. Des lambeaux de cerveaux et de chair étaient repérés et étiquetés. Le sang fut lavé des trottoirs au moyen de jets d'eau. Plus rien ne paraissait, quelques heures après.
"Je donne actuellement un cours sur l'identification des restes humains", me dit Yisrael Russet de la société de pompes funèbres Orthodoxe, financée par le gouvernement. "Nous sommes venus, nous avons rassemblé les corps et les restes humains. Malheureusement, mes étudiants ont eu droit à des travaux pratiques".
Alors que le bus tentait de s'échapper de la scène du drame, un chauffeur de taxi l'avait pris en chasse, entrant en contact avec la police. Celle-ci lui demanda de ne pas perdre la trace du bus, mais de faire attention. Uri Altman, le chauffeur de taxi, a indiqué que le chauffeur du bus conduisait à 90 kilomètres/heure en direction de Gaza. Finalement, il fut pris dans un embouteillage et la police arriva à son niveau, tira dans les pneus. Mais il put continuer, nous dit M. Altman. Finalement, le bus dérapa sur des herses munies de pointes qui avaient été disposées en travers de la route, et il vint s'écraser contre un camion. M. Abu Elba fut blessé aux jambes.
"J'ai été complètement sonné", a déclaré le chauffeur du camion, Yisrael. "J'ai eu le réflexe de sauter de mon camion sans réfléchir, parce que j'ai eu peur que le bus ne soit piégé. J'ai alors vu les policiers, prêts à tirer, et j'ai entendu des coups de feu".
   
9. Interview du président du Conseil législatif palestinien : "Si Sharon veut vraiment discuter..." par René Backmann
in Le Nouvel Observateur du jeudi 15 février 2001
Nous sommes prêts à dialoguer avec le nouveau Premier ministre israélien, affirme Ahmed Qorei - Abou Ala, qui fut l'un des artisans des accords d'Oslo -, à condition qu'il accepte de reprendre les négociations là où nous les avons interrompues avec le gouvernement Barak. » Sinon...
- Le Nouvel Observateur. - Après l'élection d'Ariel Sharon, Yasser Arafat a indiqué qu'il était prêt à reprendre les négociations au point où elles avaient été interrompues à Taba. Sharon répond que l'arrêt total des violences est pour lui la condition indispensable à la reprise des pourparlers. Et Ehoud Barak affirme que son successeur n'est pas lié par les propositions avancées à Camp David et à Taba. La relance du processus de paix s'annonce difficile...
- Ahmed Qorei. - C'est vrai. Mais nous ne sommes pas prêts à reprendre les négociations sur une autre base que celle définie par Yasser Arafat. Après des mois de discussions, des avancées, des blocages, nous avons accompli à Taba des progrès importants. Pourquoi faudrait-il aujourd'hui revenir au point de départ alors que nous sommes déjà si en retard sur le calendrier d'Oslo ?
- N. O. - Le soir de son élection, Sharon a déclaré que l'une de ses tâches serait de préserver Jérusalem comme capitale unifiée et éternelle de l'Etat d'Israël. Ces propos sont en contradiction avec les propositions de Bill Clinton - que vous jugiez insuffisantes - selon lesquelles les quartiers juifs de Jérusalem-Est seraient israéliens tandis que les quartiers arabes seraient palestiniens... Il s'agit, là encore, d'un désaccord majeur...
- A. Qorei. - Souvenez-vous : à son arrivée au pouvoir, Barak, lui aussi, affirmait que Jérusalem unifiée était la capitale éternelle d'Israël. Ensuite, des membres de son gouvernement ont proposé que les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est passent sous souveraineté palestinienne. Barak avait aussi affirmé que le droit au retour des Palestiniens n'était pas imaginable. Et sur ce point aussi les positions des négociateurs israéliens ont évolué. Nous verrons si Sharon, lorsqu'il sera officiellement installé dans les fonctions de Premier ministre, restera dans les mêmes dispositions. Cela dit, je le répète, il n'y aura pas d'autre base de discussion que celle-là. Je tiens aussi à préciser que pour nous un nouvel accord intérimaire ne serait pas acceptable. Nous avons entamé la négociation sur le statut final. C'est cette négociation qu'il faut poursuivre.
- N. O. - Vous dites que des progrès ont été accomplis à Taba. Dans quels domaines ?
- A. Qorei. - D'abord, soyons clairs. Taba n'était ni le début ni la fin des pourparlers. C'était la suite de nombreux mois de négociations sur le statut final, et notamment du sommet de Camp David où nous sommes allés en dépit de nos réticences. Nous estimions qu'un sommet Clinton-Arafat-Barak n'avait de sens que s'il s'agissait de finaliser des accords déjà négociés. Ce qui n'était pas le cas. Comme on pouvait s'y attendre, ce sommet, très mal préparé par les Américains, a été un échec. En fait, je crois que Barak y tenait parce qu'il estimait que les Palestiniens finiraient par plier sous la pression des Américains. Le fait est que nous avons perdu beaucoup de temps. Après, alors que l'Intifada avait fait près de 400 morts, pour la plupart palestiniens, et qu'Israël était en pleine campagne électorale, il y a eu Taba. Le temps était hélas limité puisqu'il y avait la date butoir de l'élection israélienne. Mais après les premières discussions et la définition des termes de référence - les résolutions 242 et 338 - les Israéliens nous ont proposé pour la première fois une carte à partir de laquelle on pouvait discuter. Ils acceptaient le passage de la vallée du Jourdain sous souveraineté palestinienne et la présence temporaire dans le secteur d'une force internationale. Ils ont également proposé de substituer aux « blocs » de colonies qu'ils entendaient annexer, autour d'Ariel et de Gush Etzion, des « grappes » de colonies qui englobent beaucoup moins de territoire palestinien. Nous ne sommes pas allés jusqu'à un accord. Mais nous avons avancé. C'est pourquoi il serait désastreux de faire comme si tout cela n'avait pas existé et de reprendre la négociation à zéro.
- N. O. - Sharon peut-il être, comme on le dit parfois à Jérusalem, un de Gaulle israélien ?
- A. Qorei. - Non. Hélas non. Je ne le crois pas, même s'il est capable de pragmatisme, comme je l'ai constaté au cours des cinq rencontres que j'ai eues avec lui lorsqu'il était dans le gouvernement de Netanyahou. Nous avons dit à Barak : « Soyez de Gaulle. Ayez le courage de dire que la Palestine appartient aux Palestiniens. Les Israéliens vous soutiendront parce que vous êtes un général. » Il ne l'a pas fait. Son problème, c'est qu'il était sans cesse réticent, hésitant devant tout.
- N. O. - L'arrivée au pouvoir de Sharon vous inquiète-t-elle ?
- A. Qorei. - Il est clair que s'il ne s'engage pas réellement, sérieusement dans la voie de la paix, il ne pourra pas contrôler la situation en Cisjordanie et à Gaza. Je redoute, dans ces circonstances, une escalade de l'Intifada et une nouvelle effusion de sang. S'il accepte au contraire de reprendre les négociations là où elles se sont arrêtées, nous sommes prêts à discuter. La composition de son gouvernement nous donnera déjà une idée assez précise de ses intentions.
  
10. Les casseroles des amis d'Ariel par René Backmann et Victor Cygielman
in Le Nouvel Observateur du jeudi 15 février 2001
Abus de confiance, menaces, interférence...
Ariel Sharon risque de devoir renoncer à offrir des portefeuilles ministériels ou des responsabilités au sein de son cabinet à plusieurs de ses proches à cause de leurs démêlés avec la justice ou d'autres obstacles juridiques, réglementaires ou politiques. Soupçonné d'abus de confiance et autres délits en raison des graves anomalies relevées dans la gestion de l'association à but non lucratif qu'il anime, l'ancien ministre (Likoud) de la Justice Tsahi Hanegbi sera inculpé dès que le procureur général Elyakim Rubinstein aura obtenu de la Knesset la levée de son immunité parlementaire. Or la Cour suprême interdit à un citoyen mis en examen de devenir ministre.
Dans le cas de l'ex-ministre des Communications (Likoud) Limor Livnat, candidate au portefeuille de l'Education, aucune inculpation n'a encore été prononcée ou annoncée mais elle est toujours soupçonnée d'avoir, en 1996, averti les responsables de la radio pirate des colons, Arutz-Sheva, qu'une opération de police était en préparation contre leurs installations. Elle pourrait être accusée d'interférence dans l'enquête menée par les services de sécurité contre cet émetteur illégal, ce qui lui fermerait la porte du gouvernement. Le chef de file du parti « russe » d'extrême-droite, Avigdor Lieberman, est lui aussi sous le coup d'une inculpation pour menaces contre le chef de la police criminelle, qui sera effective dès que la Knesset aura levé son immunité parlementaire. Décision à laquelle Lieberman a déjà donné son accord.
L'avenir est tout aussi incertain pour Uri Shani, secrétaire général du Likoud, candidat au poste de directeur de cabinet du Premier ministre. Plus que tout autre, il est celui qui a aidé Sharon à reconstruire un Likoud désemparé et criblé de dettes, au lendemain de la défaite de Netanyahou, en 1999. Mais, jugé et condamné en 1997 à une peine de prison avec sursis et à une lourde amende pour abus de confiance dans le cadre de ses fonctions au sein d'une société de logement public, il devra obtenir, s'il est nommé par Sharon, l'avis favorable du commissaire de l'administration et d'une commission spéciale. L'ancien ministre des Affaires étrangères David Levy, lui, n'est sous le coup d'aucune poursuite, mais il a été élu à la Knesset sous l'étiquette de la coalition favorable à Barak « Israël uni » et la Loi fondamentale lui interdit d'être, au cours d'une même session parlementaire, ministre d'un gouvernement issu d'une autre coalition.
Brusquement apparu sur le devant de la scène au cours de la campagne électorale, il y a aussi Omri, né du second mariage d'Ariel Sharon avec Lily, son épouse défunte. Jusqu'ici responsable de la ferme de son père, une exploitation de 40 hectares dans le Néguev, consacrée à l'élevage des moutons, Omri Sharon serait à l'origine de la campagne autour de l'image d'un « nouveau Sharon », grand-père attentionné qui a si bien réussi. Le Premier ministre ne prendrait pas la moindre décision importante sans consulter son fils. Mais Omri pourra difficilement être nommé, comme le bruit en avait circulé, au sein du cabinet de son père, car les règles de l'administration interdisent à un Premier ministre de recruter parmi son personnel des parents au premier degré.
Quant au général Meir Dagan, qui a servi sous les ordres de Sharon dans les années 70 et a participé à la fameuse « pacification » des camps de réfugiés de Gaza orchestrée par Sharon, il pourrait devenir patron du Conseil national de Sécurité. Mais ses récentes déclarations à la télévision sur « le terrorisme qu'il faut frapper à la tête » font frémir. Aux journalistes qui lui demandaient si cela concernait aussi les leaders de l'Autorité palestinienne et Arafat, il avait répondu : « Si, en remontant les filières des responsabilités directes, on arrive jusqu'à Arafat, alors, oui : aussi Arafat... »
  
11. Le dilemme d’Arafat face aux exigences d’Israël par Zeev Schiff
in Ha’Aretz (quotidien israélien) traduit dans Courrier International du jeudi 15 février 2001
Sharon demande l’arrêt de la violence pour reprendre des pourparlers, mais le leader de l’Autorité palestinienne a-t-il les moyens de l’imposer à ses troupes ?
Ariel Sharon et Yasser Arafat doivent affronter deux problèmes. Le premier est de décider à quel stade relancer les pourparlers diplomatiques. Faut-il redémarrer à partir des seuls accords signés (Oslo, Taba, Wye River et Charm el-Cheikh) et ratifiés par la Knesset, comme le préconise Sharon ? Ou alors les engagements (existent-ils réellement ?) enregistrés à Camp David et le document Clinton sont-ils à prendre en compte ? Bien que les négociateurs palestiniens aient refusé de signer le moindre document et se soient même montrés très virulents à l’égard des propositions israéliennes et américaines, la direction palestinienne exige de se servir de ces engagements comme point de départ de toute nouvelle négociation.
Le second problème est de décider si, oui ou non, des pourparlers peuvent reprendre alors que les violences palestiniennes n’ont pas cessé. Avant toute poursuite des négociations, Ehoud Barak avait d’abord exigé un arrêt préalable des violences, pour finalement accepter de négocier dans ce contexte. Pour certains responsables de Tsahal, il était possible de tolérer un certain niveau de violence, à condition que l’armée soit autorisée à prendre des initiatives militaires. Et c’est ce qui s’est finalement passé. Mais, aujourd’hui, Sharon entend en revenir aux conditions posées initialement par Barak. La question est de savoir combien de temps Sharon pourra s’en tenir à cette exigence préalable.
En attendant, les Palestiniens s’accrochent à l’idée qu’il devrait être possible de mener des négociations tout en continuant à attaquer des cibles israéliennes. Non seulement Marwan Barghouti, le chef des Tanzim, développe cette idée, mais elle est aussi défendue par le pourtant très modéré Nabil Shaath. C’est dans ce contexte qu’Arafat avait violemment rejeté les propositions de cessez-le-feu émises par la France, les Etats-Unis et l’Egypte lors du sommet de Paris, en octobre 2000. C’est pourquoi, également, il n’avait pas respecté l’engagement pris envers Shimon Pérès (novembre 2000) de faire cesser les violences et avait rejeté les appels au cessez-le-feu de l’ancien chef d’état-major et ministre centriste sortant Amnon Lifkin-Shahak.
En Israël, la polémique continue de faire rage sur la capacité d’Arafat à arrêter les violences. S’il n’en est pas capable, alors se pose la question de savoir s’il est le partenaire avec qui poursuivre des négociations crédibles ou s’il n’est plus qu’une icône nationale, et, dans ce cas, se pose la question de trouver un autre interlocuteur. Les services de renseignements de Tsahal affichent leur certitude d’une violence initiée et contrôlée par Arafat. Ils en veulent pour preuve que les services de sécurité de l’Autorité palestinienne offrent désormais un soutien logistique à la plupart des actes de violence.
S’il en est réellement ainsi, alors instruction devrait être donnée aux diplomates israéliens en poste aux Etats-Unis de convaincre le Congrès de réinscrire Yasser Arafat et son Fatah sur la liste des organisations terroristes. L’Iran, le Hezbollah, le Hamas et d’autres organisations terroristes n’entretiennent-elles pas des rapports avec l’Autorité palestinienne ? Le Hezbollah a ainsi pu mener et revendiquer une action menée au mortier de 82 mm contre l’implantation de Netzarim, dans la Bande de Gaza.
Ces dernières semaines, la plupart des actes de violence perpétrés contre des civils israéliens voyageant pour affaires en Cisjordanie portaient tous la trace des Tanzim ou d’autres organes de l’Autorité palestinienne. L’attaque d’un bus israélien à Jéricho est ainsi l’oeuvre de la Force 17 ; les restaurateurs Etgar Zeitani et Motti Dayan ont été assassinés à Tulkarem par les Tanzim ; et les charges explosives récemment découvertes près du carrefour de Netzarim semblent provenir d’une position voisine tenue par la police palestinienne. Et ce ne sont là que quelques exemples tirés d’une longue liste. Si Arafat se révèle incapable ou réticent pour empêcher de telles actions, alors cela signifie que les règles du jeu devront dramatiquement changer, tant sur le plan diplomatique que militaire.
  
12. Michel Warschawski : "Barak et Sharon ont choisi l'escalade" propos recueillis par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du jeudi 15 février 2001
Michel Warschawski, un intellectuel israélien, réagit aux liquidations de dirigeants palestiniens. Il évoque un terrorisme d'Etat, qui ne peut qu'accélérer l'escalade de la violence. Interview.
Michel Warschawski, fondateur du Centre d'information alternative de Jérusalem. Intellectuel, journaliste, militant de la paix, il répond à nos questions sur l'escalade de la violence de ces derniers jours.
- Comment analysez-vous la montée de la violence qui s'est manifestée ces derniers jours avec, lundi, l'assassinat d'un officier palestinien de la force 17 à coups de roquettes tirées d'un hélicoptère et, mardi, un attentat dans lequel ont péri sept militaires et un civil israélien ? Ces actions sont-elles liées ?
- Michel Warschawski. Le choix du gouvernement israélien est clair depuis le début du soulèvement, fin septembre. Au lieu de s'attaquer aux causes du soulèvement, à l'immense amertume et à la colère qui traversent la société palestinienne à la suite de la fin de non-recevoir opposée à ses revendications de base, le choix de Barak, soutenu par Sharon, est de punir. Comme si les Palestiniens étaient des mauvais élèves à qui il faudrait apprendre par des coups, puisque les autres moyens n'ont pas réussi, ce qui est bon et ce qui ne l'est pas, ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. Bien entendu, c'est le gouvernement israélien seul qui décide de ce qui est bon, de ce qui est mal, et des limites du possible. De là résulte le cercle infernal que l'on a déjà connu : la répression de l'armée provoque des ripostes palestiniennes, que ce soit des manifestations, des opérations militaires ou des attentats, qui provoquent de nouvelles ripostes. Lundi soir, Bethléem a été bombardé comme jamais auparavant. On entendait les explosions depuis Jérusalem comme si on était en pleine guerre : missiles, obus... Ce type d'opérations convainc de plus en plus de Palestiniens qu'Israël ne met plus aucune limite à son agressivité et que donc, de leur côté aussi, tout est désormais permis. Il va falloir que l'opinion s'en rende compte. Depuis la vague d'attentats dans les bus à Jérusalem et Tel-Aviv, il y a quelques années, les Palestiniens avaient fait le choix de dire : tout n'est pas permis, il y a des limites. Mais depuis deux mois ces limites sont en train de disparaître face à la violence illimitée d'Israël et au terrorisme d'Etat, dont l'assassinat de sang-froid de dirigeants palestiniens n'est que l'expression ultime.
- C'est donc, selon vous, du terrorisme d'Etat ?
- Michel Warschawski. C'est du terrorisme d'Etat, des crimes de guerre, c'est quelque chose d'absolument inacceptable.
- Que pensez-vous de la justification donnée par Barak à la Cour suprême qui examinait lundi la plainte de la veuve du docteur Tabet, un des dirigeants de l'OLP assassiné ? Il a dit : "Nous sommes en guerre, et la guerre justifie d'utiliser ce genre de moyens en guise d'autodéfense."
- Michel Warschawski. C'est la justification habituelle de tout Etat terroriste que de parler d'autodéfense et d'état de guerre.
- Comment réagissent la gauche, le Mouvement de la paix israéliens face à de tels actes ? Est-ce que tout le monde les accepte ?
- Michel Warschawski. Non, tout le monde n'accepte pas, loin de là. Il y a eu une pétition largement signée et diffusée dans la presse après l'assassinat du docteur Tabet. Une partie de la gauche et du Mouvement de la paix n'accepte pas et le dit, une partie plus grande n'accepte pas mais ne dit rien et une grande partie entre dans cette logique de guerre et dit " tout est permis ". Sans comprendre hélas que des attentats comme ceux de ce matin vont se multiplier si on continue dans cette voie. Ce qui est clair, c'est que l'accumulation de colère et cette idée que tout est désormais permis se développent dans la population palestinienne. Il y a deux jours, le responsable du Fatah pour Bethléem a annoncé que tout Israélien qui entre à Bethléem, fût-il journaliste, n'en ressortira pas vivant. Cela montre à quel point l'exaspération est grande. Les Palestiniens ont repris au bond la politique de Barak en disant : si c'est la guerre totale, elle sera totale des deux côtés.
- Le fait qu'on accuse Massoud Ayyad, assassiné lundi à Gaza, d'appartenir au Hezbollah libanais signifie-t-il que Barak ou Sharon ou les deux s'apprêtent à se retourner contre le Liban ?
- Michel Warschawski. Il y a une tendance forte dans l'armée qui pousse à la guerre et qui voudrait réchauffer la frontière libanaise. Je pense que cette tendance a le soutien des généraux qui vont nous diriger, Sharon et Barak. Cela dit, il ne faut pas trop prendre au sérieux ce qu'annoncent les autorités israéliennes dans ces cas-là, cela dépend des besoins du moment. Mais qu'une partie de la classe politique et militaire israélienne cherche une guerre au nord dans l'espoir de pouvoir redistribuer les cartes ne fait pas l'ombre d'un doute. C'est même un débat public en Israël.
- N'est-ce pas curieux de la part de Barak, qui a lui-même réalisé le retrait de l'armée de ce pays ?
- Michel Warschawski. Non, car il y a une nouvelle situation face à laquelle Israël a un double sentiment : celui de ne plus maîtriser le jeu. Le principal gain des dernières années, depuis Oslo, c'est qu'Israël se sentait le seul metteur en scène de ce processus en dictant ses conditions. Le fait qu'Arafat les ait refusées à Camp David a été la première surprise. Après cela, les jeunes Palestiniens se révoltent et il y a des opérations militaires. Tout cela n'était pas dans le scénario prévu. D'où l'espoir que l'initiative d'une guerre lui permettra de reprendre les cartes en main. La deuxième raison est qu'une partie de l'armée se sent humiliée : depuis la guerre du Liban, elle n'a connu que des déroutes et elle n'est pas capable de maîtriser les Palestiniens. Elle a le sentiment d'avoir perdu de son pouvoir de dissuasion et veut le récupérer.
- L'escalade de la violence ne risque-t-elle pas de hâter la formation du gouvernement d'union nationale ?
- Michel Warschawski. C'est une des raisons de l'escalade. Barak éprouve des difficultés à rejoindre à froid le gouvernement Sharon, alors que c'est ce qu'il veut, et depuis longtemps. Il a dit ces derniers jours que si l'escalade se poursuit, il n'aura plus le choix. Cela alors qu'il avait annoncé son retrait de la vie politique au soir des élections. Il a donc besoin d'une situation de crise grave pour justifier son nouveau zigzag.
  
13. Israël, Palestine. L'attentat anti-israélien à Tel-Aviv et les nouvelles liquidations de dirigeants palestiniens par Tsahal enveniment encore le climat au Proche-Orient par Pierre Barbancey
in L'Humanité du jeudi 15 février 2001
L'engrenage sanglant
Les capitales occidentales expriment leurs inquiétudes. La France condamne toutes les violences et " les méthodes " de l'Etat israélien, " qui ajoutent à la haine et au ressentiment ".
Depuis l'élection d'Ariel Sharon au poste de premier ministre, le 6 février, la situation se tend chaque jour davantage. Au point que même les Etats-Unis s'inquiètent. L'attentat d'hier matin est venu confirmer les prédictions les plus sombres. Le porte-parole du département d'Etat, Richard Boucher, déplorait mardi " une très grave détérioration de la situation sur le terrain, à un moment que tous reconnaissent comme très sensible ", et mettait en garde contre " un cycle qui pourrait devenir incontrôlable ". C'est effectivement ce qui est en train de se passer. Ehud Barak, premier ministre sortant - qui réclame des pressions internationales sur Arafat -- peut bien affirmer : " Nous sommes une nation forte et rien ne freinera notre détermination à apporter la sécurité et la paix à notre peuple. Nous ferons en sorte que ceux qui sont responsables de cet attentat pour l'avoir planifié, lancé ou perpétré soient punis. (...) Israël réglera ses comptes avec les responsables. Ils ne s'en sortiront pas.". Une fois de plus, il choisit la voie de la confrontation. On sait pourtant bien où cela mène : plus de souffrances, de morts et l'éloignement d'un règlement final. L'aile droite du Parti travailliste, celle-là même qui pousse à la constitution d'un gouvernement d'unité nationale avec le Likoud, n'est pas en reste. Le ministre sortant des Télécommunications, Benjamin Ben-Eliezer, a immédiatement exigé " un bouclage hermétique " des territoires palestiniens, " même pendant des mois, tant que des balles siffleront. Ils veulent du sang et nous ne pouvons pas accepter cela ".
Un voeu exaucé presque immédiatement. Ehud Barak a ordonné la fermeture des frontières extérieures de l'Autorité palestinienne à la suite de l'attentat meurtrier au sud de Tel-Aviv, a annoncé la présidence du Conseil à Jérusalem dans un communiqué. Israël a fermé le point de passage entre la Cisjordanie et la Jordanie au pont Allenby, d'une part, et le terminal routier de Rafah entre la bande de Gaza et l'Egypte, d'autre part. Toujours selon le communiqué, Ehud Barak a aussi ordonné la suppression de toutes les récentes mesures d'allégement du bouclage des territoires de Cisjordanie et Gaza. Quelque 16 000 ouvriers de ces territoires avaient été autorisés à retrouver leurs emplois en Israël dans le cadre de ces mesures d'allégement. Une fois de plus, il s'agit d'une punition collective qui va asphyxier un peu plus les Palestiniens.
Comme on pouvait s'y attendre, Ariel Sharon n'est pas en reste. Il a promis de déployer " tous les moyens nécessaires " pour rétablir la sécurité. Et pour bien faire comprendre ses intentions, il a accueilli le chef du gouvernement espagnol, José Maria Aznar, en ces termes : " Je vous souhaite la bienvenue à Jérusalem, la capitale unifiée et éternelle du peuple juif depuis 3 000 ans. "
L'Etat israélien ne s'embarrasse guère de légalité internationale. On l'avait déjà remarqué à plusieurs reprises (notamment la guerre du Liban). C'est aujourd'hui officiel : Barak en personne a expliqué que les actions de représailles contre des dirigeants du Fatah (une dizaine d'entre eux ont déjà été abattus, le plus souvent lors de raids menés par des hélicoptères de l'armée israélienne) " ressortissent d'une situation de guerre en général et du droit à l'autodéfense de façon concrète ". Une attitude condamnée par de nombreux pays, dont la France. François Rivasseau, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a ainsi expliqué que " la France ne peut admettre les exécutions extrajudiciaires " de Palestiniens. Il a ajouté : " Nous ne pouvons admettre de telles méthodes qui ajoutent à la haine et au ressentiment. " Il a qualifié l'attentat d'hier matin de " particulièrement dramatique " et a exhorté " toutes les parties à faire preuve de la plus grande retenue. La protection des populations civiles doit être assurée. Tout doit être mis en ouvre pour rétablir dans les meilleurs délais un climat de dialogue et de respect mutuel ". L'Union européenne ne dit pas autre chose, qui juge " inacceptables " de telles méthodes. Même le président américain, George W. Bush, qui " condamne fermement ce terrible acte de violence ", appelle " toutes les parties à faire le maximum pour mettre fin à la violence ".
De son côté, Yasser Arafat s'est dit " contre le fait de tuer des gens ". Mais il a ajouté : " C'est l'escalade militaire israélienne qui a des répercussions directes sur les sentiments du peuple palestinien. " Auparavant, le secrétaire du cabinet palestinien, Ahmed Abdel Rahmane, avait déclaré que l'attentat était une " opération individuelle qui exprime la colère du peuple palestinien contre la politique israélienne de liquidation de Palestiniens et contre le terrorisme d'Etat pratiqué par le gouvernement sortant d'Ehud Barak".
Israël ne peut pourtant pas s'étonner éternellement, faire l'autruche et rejeter la responsabilité du blocage des négociations sur les Palestiniens. Non pas que l'Autorité palestinienne soit exempte de reproches. Mais l'humiliation quotidienne imposée à un peuple se traduit immanquablement par des actes de désespoirs et ouvre la porte aux mouvements palestiniens les plus extrémistes. Le poète palestinien Mahmoud Darwich l'exprimait en ces termes : " Inscris !/ En tête du premier feuillet/ Que je n'ai pas de haine pour les hommes/ Que je n'assaille personne mais que/ Si j'ai faim/ Je mange la chair de mon usurpateur/ Gare ! Gare ! Gare/ · ma fureur ! " (1). Quel peuple au monde pourrait tolérer que sa liberté de mouvement soit ainsi confisquée ? La journaliste israélienne Amira Hass - qui vit dans les territoires palestiniens depuis huit ans - le sait bien, qui demande à ses concitoyens d'imaginer un seul instant leur attitude si la route reliant Tel-Aviv à Haïfa était bloquée ou contrôlée par les chars d'une armée étrangère. C'est ce qui se passe actuellement entre Ramallah et Naplouse, entre Gaza City et Khan Younès. De même, les territoires palestiniens sont au bord de la faillite, du fait du bouclage imposé et du refus d'Israël de reverser à l'Autorité palestinienne les droits de douane qu'elle perçoit sur les produits à destination de la bande de Gaza et de la Cisjordanie, comme le stipulent les accords d'Oslo. Autant de mesures qui, loin de calmer les esprits, attisent un peu plus les haines et présagent de nouveaux attentats meurtriers. Il est encore temps d'éviter le pire. L'espoir doit revenir dans la région. L'Union européenne serait bien inspirée de prendre une série d'initiatives visant à la reprise du dialogue dans des conditions acceptables pour les deux parties. Ariel Sharon a dépêché des émissaires dans les principales capitales occidentales pour expliquer qu'il n'est pas celui qu'on croit et qu'il aspire à la paix. Il tient là une occasion de le montrer. Le fera-t-il ?
(1) cité par Valérie Féron , in " Palestine(s), les déchirures. Kiron , éditions du Félin, 286 pages, 135 francs.
 
14. Israël : sanglant attentat palestinien près de Tel-Aviv
Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 14 février 2001, 9h15
JERUSALEM - Au moins neuf Israéliens ont été tués et quatorze blessés, mercredi, lorsqu'un Palestinien a volontairement écrasé, au volant d'un autobus, des civils et des soldats qui attendaient à un arrêt de bus près de Tel-Aviv. [voir dossier]
Le chauffeur, qui s'était enfui à bord du véhicule, a été grièvement blessé par balles et capturé après une course-poursuite des forces de l'ordre qui ont tiré en sa direction, a précisé, à la radio publique, le chef de la police Yossi Setbon pour le district de Tel-Aviv. "Le chauffeur est coincé dans la cabine de l'autobus", a-t-il poursuivi.
Selon lui, "c'est un Palestinien de Gaza, âgé de 35 ans, qui faisait la ligne depuis des années pour transporter des travailleurs de la bande de Gaza vers Israël". Un porte-parole de la compagnie Egged, propriétaire du bus, a précisé qu'il travaillait pour la compagnie depuis janvier 1996. Il a ajouté qu'il avait pris son service à 02h00 locale (00H00 GMT).
Le Premier ministre élu Ariel Sharon a qualifié de "très grave" cet attentat. Selon lui, il "prouve une fois de plus que les Palestiniens ne font pas de différences entre Israël et Netzarim", une colonie de peuplement juive située dans le nord de la bande de Gaza.
Le drame a eu lieu à un arrêt situé au carrefour Tempo, dans la localité de Hazor, près de Holon, à une vingtaine de kilomètres au sud de Tel-Aviv. Selon des témoins, l'autobus a heurté un camion dans sa fuite. "Le spectacle était tragique. Il y avait de nombreux corps gisant au sol", a rapporté un témoin. "Les corps étaient mutilés et écrasés. Il y avait du sang partout. La plupart des victimes sont des soldats", a indiqué une femme. Les sapeurs de la police se sont assurés que l'autobus n'était pas piégé.
Par ailleurs, un membre des forces de sécurité palestiniennes a été tué mercredi, par des Israéliens selon des témoins, alors qu'il conduisait un véhicule entre Tulkarem et Naplouse, en Cisjordanie. Ayed Abou Harb, un sergent âgé de 25 ans, est mort des suites de ses blessures à l'hôpital de Tulkarem. Des témoins ont indiqué à l'AFP qu'il a été touché par des tirs israéliens alors qu'il circulait dans un secteur où se trouvaient des soldats.
  
15. Dans l'œil du cyclone par Ahmed Loutfi et Randa Achmawi
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 14 février 2001
Processus de paix . Déclarations enflammées de Sharon, annonce par Barak que les dernières discussions de Taba sont caduques, la situation au Proche-Orient baigne dans l'incertitude. Va-t-on vers l'explosion ou alors le realpolitik imposera-t-il sa logique ?
L'heure est à l'incertitude et à la transition. En Israël, Ariel Sharon a gagné, on s'y attendait il est vrai, mais pas à ce qu'il décide si rapidement de ne pas tenir compte de ce qui a été réalisé jusqu'à présent dans les négociations palestino-israéliennes, y compris la déclaration de Taba issue le 27 janvier et qui fut un baroud d'honneur du gouvernement Barak. Les Palestiniens, eux, ont voulu reprendre les pourparlers au point où ils avaient abouti à Taba. Ce qu'a rejeté d'emblée Sharon soulignant, comme il l'avait souvent répété, qu'il voulait négocier « sur une autre base », un accord définitif avec les Palestiniens. Pour lui, cette déclaration ne constitue guère un accord signé en bonne et due forme. Il ne l'engage donc en rien. Cette violence du discours de Sharon est venue ajouter à son image bien connue celui de boute à feu, l'homme sanguinaire qui a été l'origine des massacres de Sabra et Chatila en septembre 1982 au Liban et du cercle de violence actuel. Celui-ci, on ne l'a que souvent rappelé, résulte de sa visite sur l'Esplanade des mosquées, le 28 septembre dernier. Pourtant, à Taba, Palestiniens et Israéliens avaient engagé des négociations sur la base du plan du compromis de l'ancien président Bill Clinton, accepté comme base de discussion par le gouvernement de Barak. Selon les informations de presse, Israël aurait accepté un retrait de 94 à 95 % de la Cisjordanie, et l'évacuation de la totalité de la bande de Gaza avec l'intention de maintenir 80 % des colons juifs sur place. De leur côté, les Palestiniens auraient accepté l'existence de blocs d'implantation juifs en Cisjordanie. L'étendue de ces blocs n'avaient cependant pas fait l'objet d'un accord. A Taba, les deux parties seraient également tombées d'accord pour que les quartiers juifs construits à Jérusalem-Est après l'annexion par Israël de cette partie de la ville envahie en 1967 restent sous souveraineté israélienne et que les quartiers arabes passent sous souveraineté palestinienne. Le tout semble avoir été balayé par les déclarations de Sharon, à l'exemple de ce cas précis de Jérusalem où il a plaidé une fois de plus pour une « Jérusalem unifiée, capitale éternelle de l'Etat d'Israël ». Faut-il en conclure que le processus de paix va marquer un nouveau temps d'arrêt, du moins une longue transition ? Cette impression est d'ailleurs renforcée par les déclarations américaines qui ne se réfèrent plus aux propositions Clinton. « Les idées et paramètres que nous avons discutés au cours des derniers mois étaient ceux du président Clinton, et puisqu'il a quitté ses fonctions, ils ne sont plus une proposition américaine », a indiqué le porte-parole du département d'Etat, Richard Boucher. Il a ajouté que Washington entendait désormais discuter avec le futur gouvernement israélien que va former Sharon, avec les Palestiniens et avec les pays voisins « pour avoir une meilleure idée de la manière dont les Etats-Unis peuvent aider les parties à parvenir à la paix ». Est-ce un retour à la case départ ? Des observateurs s'attendent au pire. Le politologue égyptien Mohamed Sid-Ahmed évoque ainsi les menaces d'un député israélien d'extrême droite, allié de Sharon, qui a lancé le 21 janvier des menaces contre l'Egypte, le Liban et les Palestiniens. Le chef du parti russophone Israël Beitenou, Avigdor Lieberman, avait « osé pour la première fois depuis la signature du traité de paix entre l'Egypte et Israël de le remettre en question par un bombardement du Haut-Barrage d'Assouan ». Une telle menace semble très grave pour le politologue. Celui-ci s'attend à une escalade y compris le rappel de l'ambassadeur d'Israël au Caire en guise de rétorsion à la précédente convocation de Mohamad Bassiouni, ambassadeur d'Egypte à Tel-Aviv. Des secteurs de l'électorat de droite qui a porté Sharon au triomphe l'ont exigé. « Il y a toute une atmosphère d'extrémisme en Israël et c'est ce qu'il y a de plus dangereux. La marge écrasante avec laquelle il a été élu (62 %) témoigne de la frustration des Israéliens avec dix ans d'échec du processus de paix », ajoute-t-il. Au-delà des faits, des spécialistes comme Réda Hilal considèrent qu'il y a un changement périlleux des mentalités dans la société israélienne. « C'est une période de retour au sionisme après une période post-sioniste marquée par une volonté de parvenir à la paix. Aujourd'hui, ce que vivent les Israéliens c'est un rejet de tous les principes précédents. Dans la période post-sioniste ils penchaient pour un Etat laïque, la paix et la reconnaissance de l'Etat palestinien. Maintenant, ce dont ont témoigné les élections c'est un retour aux principes du grand Israël ». Ce que voudrait Sharon, c'est un projet de paix de droite, « une paix dans la dissuasion, à l'exemple de la politique de Netanyahu », estime Hilal. « La sécurité et la voix d'Israël comptent et doivent se faire respecter par la force », ajoute-t-il.
Un tableau sombre donc. Mais faut-il croire à une explosion ou du moins à un pourrissement de la situation ? De source diplomatique anonyme on hésite à franchir ce pas : « Il ne saurait y avoir de retour en arrière dans les négociations ». Celle-ci tente de relativiser et les déclarations israéliennes et américaines. « On ne peut pas ignorer le fait que pour la première fois dans l'histoire des négociations, on est parvenu à Taba à un accord sur une carte ».
Repartir à zéro ?
Pour ce diplomate qui a requis l'anonymat, la politique a horreur du vide. On ne saurait faire table rase de tout ce qui a été fait auparavant, même des progrès les plus minimes. Ainsi, Camp David II, qualifié d'échec, ne peut être tout à fait ignoré. Il est vrai que Barak a déclaré que si on ne sortait pas avec un accord écrit à Camp David II, rien de ce qui avait été traité ne serait pris en considération. Or, dans les négociations qui ont suivi, « on a toujours négocié sur les bases de Camp David II et tous les faits ont été pris en considération officiellement », a-t-il ajouté.
Les changements de termes ne devraient pas être pris pour des changements drastiques de politique, considèrent à cet égard de nombreux analystes. Certes, si les Etats-Unis ne veulent plus parler de « processus de paix », mais plutôt de « négociations de paix », cela ne veut pas dire qu'ils ne tiendront pas compte des acquis. Les approches peuvent changer, mais pas le fond même. Une telle analyse peut-elle s'appliquer à Sharon ? Ses propositions faites lors de la campagne électorale sont loin de satisfaire le minimum requis par les Palestiniens en particulier et les Arabes en général (lire encadré). Tant et si bien que nombreuses sont les voix qui s'élèvent dans le monde arabe regrettant que les Palestiniens n'aient pas conclu un accord avant l'arrivée de Sharon. « Toutes les circonstances étaient favorables. Aussi bien la présence de Bill Clinton à la Maison Blanche, qui pour de nombreuses raisons, s'est impliqué d'une manière très acharnée dans le processus que celle du gouvernement travailliste. Ce dernier s'était donné pour objectif de réaliser la paix », estime Tahsine Béchir, écrivain politique et ancien porte-parole des présidents Gamal Abdel-Nasser et Anouar Al-Sadate.
Le Wait and See
Evidemment, les regrets ne servent plus à rien. Il faut reconnaître comme un fait l'arrivée du Likoud au pouvoir. Et les Arabes ne devraient pas perdre encore plus de temps en s'occupant d'une prochaine chute du gouvernement Sharon en tablant sur les alliances difficiles entre partis. Ce que soulignent les diplomates : « Les Arabes n'ont pas une stratégie pour traiter avec Sharon. Ils n'ont que des plans ponctuels, pour s'adapter au fur et à mesure à ce que Sharon fera ». En cas d'escalade, « nous réagirons à la même hauteur », a déclaré le ministre égyptien des Affaires étrangères, Amr Moussa. Or, une aventure de Sharon en dépit des différentes menaces à caractère parfois emblématique, « détruire le Haut-Barrage » ou bien un échauffement du côté de la Syrie et du Liban, semble peu probable. « Ceci n'arrivera jamais. Les Etats-Unis feraient des pressions sur Israël pour que celui-ci ne crée pas une situation régionale dangereuse », a également estimé la source diplomatique. C'est d'ailleurs le point de vue officiel égyptien. « Si nous jugeons Sharon sur les politiques et les comportements passés et sur les déclarations faites jusqu'à présent, l'avenir de la paix est sans doute obscur », a déclaré Amr Moussa. « Mais si nous considérons que le nouveau premier ministre a une chance d'adopter une nouvelle politique en acceptant notamment la reprise des négociations palestino-israéliennes au point où elles s'étaient arrêtées, ceci ouvrira sûrement la voie à une atmosphère différente ». C'est l'attentisme prudent. Et le prochain sommet arabe qui doit avoir lieu en mars à Amman devrait examiner « les circonstances difficiles dans lesquelles se trouverait le processus de paix après l'arrivée de Sharon au pouvoir », a également précisé Moussa.
Agir sans trop tarder
Trop de prudence nuit quand même, estime Tahsine Béchir. L'Autorité palestinienne n'a pas manifesté beaucoup de dynamisme ni des contacts intensifs avec la nouvelle Administration américaine, regrette-t-il. Il compare cette passivité au dynamisme de Sharon qui tout en n'ayant pas encore formé son gouvernement a déjà envoyé des émissaires dans les 4 coins du monde dans « le but de gagner respectabilité et crédibilité auprès des Américains et des Européens », ajoute Béchir. Celui-ci s'attend à ce que Sharon évite de s'attaquer de front au traité d'Oslo pour lequel il n'a jamais été d'accord. Les Palestiniens se limitent jusqu'à présent à des contacts avec l'Administration américaine à travers le consul général américain à Jérusalem, Ron Schlicker. Réda Hilal estime également que les Arabes ne devraient pas attendre le sommet d'Amman pour arrêter une politique. Ils devraient parvenir à une attitude commune tout en faisant une campagne à l'étranger. Le but est de faire pression sur Sharon sur les plans extérieur et régional. « Si on attend encore 45 jours (délai imparti pour former un gouvernement) pour voir ce qui va se passer, ceci va donner une bonne marge d'avantages à Sharon », précise Hilal. Il faut agir sur le plan médiatique, « en le dénonçant comme criminel de guerre et en affirmant qu'il fait partie de la catégorie criminelle incluant Milosevic ». Une autre raison d'accélérer les démarches est le fait que le gouvernement américain de George W. Bush n'a pas encore d'a priori sur le gouvernement de Sharon. Mais tous les deux ont déjà un point commun : « la condamnation de la violence palestinienne sans faire référence à la violence israélienne », relève Tahsine Béchir. Il s'agit donc d'une course d'obstacles. L'étape Sharon est difficile, il faut la brûler, commente Réda Hilal. « Il faudrait que les Palestiniens manifestent une unité interne entre les partenaires d'Oslo et ses adversaires. Entre ceux qui ont des intérêts liés à Israël et ceux qui n'en ont pas. Puisque Sharon va tenter de jouer sur les contradictions internes des Israéliens. Pourquoi Arafat ne formerait-il pas un nouveau gouvernement ? S'il est question de revenir à une formule proche de celle de Madrid (une conférence internationale), pourquoi ne pas réintégrer les gens de Madrid comme Hanane Achraoui et Haidar Abdel-Chafi ? », s'interroge Réda Hilal. Quoi qu'il en soit, nous ne sommes pas tant dans une période d'immobilisme, mais plutôt de transition. De nouveaux dispositifs sont en train d'être mis en marche. La paix reste éloignée, mais incontournable en même temps. « Il faut dominer la frustration globale dans la région qui constitue la principale cause de la tension et de la violence grandissantes et qui engendrera une multiplication des dangers si les négociations de paix échouent. Ou si l'on tente d'ignorer les réalisations des négociations acquises sur tous les volets ». Ce passage du communiqué officiel de la présidence égyptienne exprime le caractère complexe de la période à venir. L'image diabolique d'un Sharon criminel n'exclut pas le realpolitik. Sharon est là, on discutera avec lui. Le premier ministre israélien n'a pas lui aussi grand choix.
  
16. Israël abat un officier supérieur de la sécurité d'Arafat par Deborah Sontag
in The New York Times (quotidien américain) du mercredi 14 février 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Jérusalem, 13 février -- Deux hélicoptères armés ont survolé Gaza, ce matin, et lancé quatre missiles contre la voiture d'un haut-responsable de la sécurité palestinienne, tuant instantanément un homme considéré par Israël comme un terroriste en uniforme.
Les officiels palestiniens ont immédiatement condamné Israël, disant qu'il se comportait comme "un Etat se considérant au-dessus des lois", dans sa politique d'assassinats systématiquement planifiés de militants palestiniens. De tels actes, ont déclaré les Palestinien aujourd'hui, ne font que verser "de l'huile sur le feu" dans les rues palestiniennes où, en effet, une escalade dans la violence a accueilli le raz-de-marée électoral du nouveau Premier ministre élu le 6 février dernier, Ariel Sharon.
Des hauts-responsables israéliens ont exprimé tout-à-fait publiquement leur approbation de la mission, couronnée de succès, qui a entraîné la mort de Massoud Ayyad, cinquante-trois ans, tenu responsable par Israël d'une attaque au mortier (ratée) contre une colonie juive de la bande de Gaza, cette semaine, et pour des plans visant au kidnapping de hauts-responsables militaires israéliens (plan qui n'a pas encore connu de début d'application).
Ehud Barak, premier ministre démissionnaire chargé de l'expédition des affaires courantes, a envoyé ses félicitations à l'armée et aux services de sécurité, déclarant que cet assassinat visait à envoyer à ceux qui oseraient attaquer Israël le message suivant : "le long bras des Forces Israéliennes de Défense vous atteindra, où que vous soyez".
L'assassinat a été mené à bien tandis que les deux partis principaux, le Likud et le Parti Travailliste, mettaient au point les lignes directrices d'un gouvernement d'union nationale basé partiellement sur ce qui semble être la vision commune, récente, qu'ils partagent désormais, selon laquelle un traité de paix final israélo-palestinien est irréalisable dans un futur proche.
Selon ces lignes directrices, les parties au conflit devraient admettre implicitement que des sujets explosifs tels que l'avenir de Jérusalem, le problème des réfugiés et celui des colonies sont appelés à être remis à plus tard, aussi loin que la résolution de cinquante deux ans d'un conflit baigné dans le sang.
"Les formulations sont basées sur l'hypothèse fondamentale que nous allons nous focaliser sur des accords intérimaires", a indiqué le maire de Jérusalem, Ehud Olmert, qui représente le Likud aux pourparlers en vue de la constitution de l'union nationale. "L'idée de négociations sur un accord définitif n'étant plus à l'ordre du jour".
Cette idée reste, par contre, bel et bien à l'ordre du jour, pour les Palestiniens. Des officiels palestiniens rejettent l'idée d'un accord intérimaire de plus. Ils insistent sur le fait que les accords, obtenus le mois dernier à Taba, en Egypte, doivent constituer la base, le plancher, et non l'avancée maximale indépassable, le "plafond", pour les discussions à mener dorénavant.
Ce que sachant, le ministre de la justice démissionnaire de facto, Yossi Beilin, a raillé ses collègues travaillistes, qu'il a décrit comme admettant sans états d'âme l'idée que leur chemin vers la paix est dans un cul-de-sac, tout du moins, temporairement. M. Beilin est l'un des rares responsables du Parti Travailliste à refuser un partage du pouvoir entre le Likud et ce dernier, sous la houlette de M. Sharon, qui devient de plus en plus vraisemblable. "Si nous renoncions à l'idée d'obtenir un règlement définitif, si nous, au Parti Travailliste, nous prêtions la main à ce gouvernement d'union nationale, nous prêterions du même coup la main à l'instauration d'une situation de grave détérioration dans la région, créatrice de violence", a-t-il dit. "Parce que, sans un rayon de lumière, sans une lueur d'espoir en un règlement définitif possible, tout le bla-bla-bla sur des arrangements intérimaires, c'est des paroles en l'air".
En Cisjordanie et dans la bande de Gaza, l'espoir limité qui restait à beaucoup de Palestiniens d'arriver à un accord définitif a été anéanti, au cours des six derniers mois de négociations aboutissant à l'échec, par les explosions de violence et le désastre économique.
Livrant aujourd'hui au public les constatations d'une mission d'étude sur les effets économiques du conflit et de la fermeture des frontières par Israël, le coordonnateur spécial de l'ONU pour le processus de paix au Moyen-Orient, Terje Rod-Larsen, a déclaré que "la haine et le doute" ont désormais remplacé, chez beaucoup de Palestiniens, les espoirs de paix.
Selon la mission d'enquête, l'économie palestinienne perd 8,6 millions d'US$ par jour. 250 000 Palestiniens, représentant 38% de la main-d'oeuvre, sont au chômage (en comparaison de 11% de chômage, en moyenne sur les neuf premiers mois de l'an 2000). 32% de la population vit dans la pauvreté, ce qui représente une augmentation de 50% depuis le début de la crise actuelle, à l'automne dernier.
L'Autorité palestinienne est confrontée à une grave crise financière (fiscale), due en grande partie au fait qu'Israël retient les revenus de la taxe à la valeur ajoutée et des droits de douanes qu'il collecte au nom des Palestiniens. Israël doit 50 millions d'US$ à l'Autorité palestinienne, indiquent des diplomates. Le mois dernier, les Palestiniens étaient dans l'incapacité de verser leurs salaires aux fonctionnaires, ils n'ont pu le faire qu'après que des donateurs étrangers les aient dépannés.
"J'ai rencontré tant Barak que Sharon, et ma position consiste à dire qu'il est également de l'intérêt d'Israël que l'Autorité palestinienne ne s'effondre pas", a indiqué M. Rod-Larsen au cours d'une interview, "parce que cela produirait une situation d'anarchie qui créerait une situation très difficile sur le plan de la sécurité".
"Nous sommes en présence, ici, d'une série de crises interconnectées entre elles, qui mènent au désastre. Ce sont : la crise fiscale, la dégradation des conditions de vie et la crise culturelle. Les gens ont non seulement perdu espoir dans le processus de paix, mais dans toute forme de dialogue avec Israël, ce qui alimente le soutien et la participation à la violence, auxquels nous assistons actuellement".
Les Palestiniens ont fait monter d'un cran leurs attaques contre les Israéliens, depuis l'élection de M. Sharon. Tirs depuis le bord des routes, attentats à la bombe et tentatives d'attaques contre des soldats et des colons se sont multipliés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Israël a procédé à l'escalade dans ses répliques, recommençant à bombarder des bâtiments palestiniens, tirant contre des manifestations "illégales" et visant particulièrement certains activistes.
Dans la bande de Gaza, les échanges de tirs se sont intensifiés, après l'assassinat de M. Ayyad. Une bataille particulièrement acharnée faisait rage à proximité de la ville de Khan Younis, où les Palestiniens tenaient l'implantation de Neve Dekalim sous un feu intense, l'armée israélienne répliquant à ces tirs. Des dizaines de Palestiniens ont été blessés.
La Voix de la Palestine, qui a repris ses programmes réguliers récemment, après avoir consacré toutes ses émissions, depuis le mois de septembre dernier, à la couverture de l'insurrection, a repris la diffusion d'hymnes de guerre, ponctuée par le bruit des échanges de tirs et des sirènes des ambulances.
L'armée israélienne a endossé l'assassinat de M. Ayyad. Un porte-parole militaire, le brigadier général Ron Kitrey, a qualifié cette action de "mission très bien préparée et menée à bien avec une précision chirurgicale". Le Général Kitrey a indiqué que l'armée s'efforçait d'arrêter les suspects de terrorisme, et qu'elle avait arrêté récemment le fils de M. Ayyad, Nasser, mais qu'elle ne pouvait pas procéder à des arrestations dans les villes sous souveraineté palestinienne.
L'armée israélienne avait déjà mené à bien, début novembre dernier, un assassinat du même type, en utilisant, là déjà, des hélicoptères afin de frapper un chef paramilitaire, dans sa voiture, en Cisjordanie. Depuis lors, l'armée israélienne continue à pourchasser et à éliminer des militants, sans fournir d'explications publiquement sur tous ces cas individuels. Vers la fin décembre, des officiels de l'armée israélienne reconnaissaient généralement ces attaques, disant qu'elles avaient un effet dissuasif sur la violence des Palestiniens.
Les Palestiniens, de leur côté, disent qu'Israël a assassiné au moins vingt des leurs, y inclus un haut-responsable, le Dr Thabet Thabet, dont l'assassinat avait été dénoncé par plusieurs avocats de la paix israéliens, qui le connaissaient. L'épouse du Dr. Thabet a poursuivi le gouvernement israélien en justice ; sa démarche avait pour objectif de tenter de faire mettre un terme à la politique des "assassinats programmés".
Mais revenons-en à l'attaque de ce jour. Le Général Kitrey a déclaré que M. Ayyad avait "deux casquettes", l'une en tant que lieutenant colonel de la Force 17, le service de sécurité rapprochée du Président Arafat, et la deuxième en tant que leader d'une cellule du Hezbollah libanais (ou "Parti de Dieu"), basée à Gaza.
Le Général Kitrey a indiqué que M. Ayyad était au Liban l'été dernier, qu'il avait maintenu un contact constant avec des officiels du Hezbollah et qu'il avait été chargé, par ces derniers, de mener des attentats terroristes à Gaza, au nom du Hezbollah. Il a ajouté que M. Ayyad était également un trafiquant d'armes et de drogues.
Des officiels palestiniens ont indiqué que M. Ayyad a été promu, du grade de major à celui de lieutenant-colonel, à titre posthume, aujourd'hui, démentant qu'il ait eu un quelconque rapport avec le Hezbollah. Certains d'entre eux reconnaissent qu'il avait la réputation de faire du trafic d'armes.
La semaine dernière, M. Ayyad a organisé le tir d'une roquette contre la colonie de Netzarim, dans la bande de Gaza, a indiqué le Général Kitrey. Le projectile a atterri près d'une maison, sans causer de dommages matériels ni de blessures.
A la question de savoir si les activités de M. Ayyad avaient provoqué la mort d'Israéliens, le Général Kitrey a répondu : "Je n'ai pas d'information que je sois en mesure de vous livrer à ce sujet. Ses tentatives continuelles de kidnapper nos soldats et les roquettes lancées contre Netzarim mettent, de toute évidence, la vie de nos civils et de nos soldats en danger".
Le général ajouta qu'il n'était absolument pas nécessaire "d'attendre que les tentatives de M. Ayyad réussissent pour agir".
Envoi d'une déclaration à Bush
Washington, 13 février - Des représentants israéliens ont envoyé une déclaration d'Ariel Sharon au président Bush, ce jour, dans laquelle il répète sa position, selon laquelle la violence palestinienne doit cesser avant qu'Israël n'envisage de reprendre des négociations de paix qui aient quelque chance d'être productives. L'ancien ministre de la défense israélien, Moshé Arens, a indiqué que M. Sharon a fait part de son désir de "renforcer à l'avenir" les liens d'Israël avec les Etats-Unis et de "mener le Moyen-Orient à plus de stabilité et vers la paix".
  
17. Deux martyrs à Ramallah et Bethléem. Boucherie dans le camp de Khan Younis. Incendie de dizaines de maisons à proximité du point de contrôle d'Al-Tuffah : des centaines de personnes sans abri. Les forces d'occupation utilisent des gaz causant des cas d'épilepsie
in Al-Hayat Al-Jadidah (quotidien palestinien) du mardi 13 février 2001
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Différents départements, agences de presse, Al-Hayat al-Jadidah -- Les forces d'occupation ont renforcé leur agression militaire sauvage contre notre peuple désarmé : les soldats israéliens ont tiré, hier à l'aube, contre une voiture près de Ramallah, causant la mort de son conducteur, Atif Ahmad al-Nabulsi, 25 ans. Les soldats d'occupation s'en sont pris à un autobus qui transportait des ouvriers, près du village d'Al-Khudr, entraînant la mort du jeune Ziyad Abu Sawi, un autre citoyen palestinien, Muhammad Barmil, âgé de 47 ans, ayant été grièvement blessé.
Dans le camp de Khan Younis (bande de Gaza), les forces d'occupation ont tiré avec leur artillerie lourde, blessant 95 personnes, dont quatre sont dans un état extrêmement grave. L'armée d'occupation a bombardé le camp de réfugiés, utilisant les mitrailleuses et les obus de mortier, depuis la colonie de "Neveh Davalim", plongeant la population du camp dans un état de terreur et d'hystérie.
Des sources palestiniennes, de l'hôpital Nasser, de Khan Younis, ont indiqué que plus de 65 blessés ont été admis à l'hôpital, dont 4 ont dû être transférés à l'hôpital Shifa' de Gaza en raison de la gravité de leurs blessures, les autres blessés ayant été dispatchés, après de premiers soins d'urgence, vers plusieurs centres médicaux.
Le Docteur Jumaa Al-Saqqaa, de l'hôpital gaziote Al-Shifa', a indiqué que quatre blessés étaient dans un état critique, à leur arrivée à l'hôpital : il s'agit du jeune Muhammad Yusuf al-'Aqqad (14 ans), atteint à la tête, de deux autres citoyens atteints de tétraplégie totale à la suite de blessures par balles à la colonne vertébrale, Abd al-Hakim Ramadan Jawdéh (70 ans), qui a reçu une balle au-dessous de la nuque, et les jeunes Muhamad Salih Sirhan (16 ans), de Khan Younis, et Muhammad Salih al-'Uraïn (20 ans), tous deux atteints par balle au cou.
Un responsable de la  milice du Martyr Ahmad Abu al-Rish, affiliée au Fath, a déclaré, en téléphonant à notre journal, que les groupes armés dépendant de cette milice ont opposé une forte résistance à l'agression israélienne et aux bombardements et tirs dirigés contre les maisons des civils, avant de réaffirmer la nécessité de renforcer l'intifada armée afin de contraindre l'occupation à se retirer de nos villes et de nos villages. Ce responsable a mentionné que des dizaines d'hommes armés ont ouvert le feu, tirant avec leurs mitraillettes contre les positions des occupants, et en particulier le barrage d'Al-Tuffah (le Pommier, NdT), répliquant ainsi à l'escalade des violations israéliennes, et en particulier les menaces proférées contre 66 familles de Khan Younis, de détruire leurs maisons. Il a insisté sur le fait que les tirs visant les soldats de l'occupation se poursuivraient afin de créer une situation d'instabilité et d'absence de sécurité pour eux, dans la région.
Le bombardement intensif subi par les habitations du quartier al-Amal, du camp de Khan Younis, a entraîné l'incendie de dizaines d'entre elles, ainsi que d'une station-service du quartier. La protection civile et les citoyens sont parvenus à maîtriser les incendies qui ont détruit de grandes parties des maisons, tandis que le bombardement incessant empêchait les voitures des pompiers d'arriver sur les lieux ou de poursuivre la lutte contre l'incendie qui s'étendait à toujours plus de maisons, causant des dégâts matériels très importants et la destruction totale du marché aux fruits et légumes du quartier, ainsi que celle de plusieurs dizaines de maisons proches du poste de contrôle militaire.
Les affrontements se sont étendus, à partir de neuf heures du soir, hier, à la région d'Al-Rabwat al-Gharbiyyéh (les Rives Occidentales), au nord du quartier d'al-Amal, où les forces israéliennes ont bombardé un bastion des forces de sécurité de la Présidence (de l'Autorité palestinienne, NdT) et plusieurs maisons de simples citoyens habitant le quartier.
Le Dr. Muhammad Abd al-Mun'im, de l'hôpital Nasser, a déclaré qu'il soupçonne les forces israéliennes d'avoir utilisé des gaz innervants proscrits par le droit international, au cours de son bombardement, hier, indiquant que plus de trente personnes étaient arrivées dans différents hôpitaux en proie à un état d'hystérie évoquant également la crise d'épilepsie, par suite de l'inhalation d'un gaz très dense diffusé par l'armée israélienne dans les ruelles du camp de Khan Younis.
Le médecin a ajouté que les personnes atteintes étaient arrivés dans les hôpitaux dans un état jamais encore constaté auparavant, et que des recherches étaient en cours afin de déterminer la nature des gaz utilisés par l'armée israélienne, dont de fortes présomptions existent qu'il ne s'agisse de gaz innervants.
D'un autre côté, une source de la sécurité palestinienne indique que les tirs de mitrailleuses ont atteint plusieurs habitations dans le camp de Khan Younis, à l'ouest de la région du projet autrichien de construction d'une cité d'habitation, ajoutant que des dizaines de familles palestiniennes avaient dû évacuer leurs domiciles, à Khan Younis, à cause des destructions causées par le bombardement. Cette source a précisé que plus de 20 maisons ont subi des dégâts très importants au cours du bombardement de Khan Younis et que plus de 300 personnes se retrouvent sans abri.
Des témoins palestiniens ont indiqué que plusieurs rafales de fusils-mitrailleurs ont atteint une mosquée située à l'entrée du camp.
A Bethléem, le Fath a mis en garde contre les plans des moyens d'information israéliens visant à plonger notre peuple dans une guerre de rumeurs et de divisions, au moyen de la diffusion de communiqué fallacieux. Le mouvement a adopté, à Bethléem, une décision stipulant le boycott des moyens d'information israéliens et affirmant qu'il décline toute responsabilité pour tout journaliste israélien se trouvant sur le territoire palestinien. Fath a affirmé que "les colonies, que Sharon a passé sa vie à construire, seront transformées en enfer".
Bethléem a accompagné, hier, à sa dernière demeure, son martyr Abu Sawi, du village d'Artas. Des milliers de citoyens ont suivi le cortège funèbre, dénonçant le crime qui lui a coûté la vie, exécuté de sang froid.