"Je suis moi-même un
réfugié d'Irak. Plus de la moitié des Israéliens sont des réfugiés qui ont dû
quitter leur pays d'origine. Je suis prêt à donner la maison de mon enfance à
Bagdad à des réfugiés palestiniens. Mais un retour dans les limites du
territoire israélien me paraît impossible. D'une part, parce qu'il remet en
cause les fondements de l'état juif. En outre, le pays est surpeuplé, nous
n'avons pas suffisamment d'eau ou de terres pour tout le monde. Il faudrait
supprimer le droit au retour des réfugiés mais également geler la loi du retour
qui autorise les juifs à venir vivre en Israël."
Sami Michaël -
Ecrivain israélien in L'Humanité du 10 février 2001
Point d'information Palestine
> N°131 du 14/02/2001
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Palestine
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Sélections, traductions et adaptations
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Chronique d'un trajet par Chantal Abu Eisheh citoyenne
d'El Khalil (Hébron)
Lundi 12 février 2001
- Saint Félix (Saïd en arabe). 8 heures, je m'approche de la station
des Fords (c'est ainsi qu'on appelle ici les taxis collectifs non officiels qui
sont actuellement les seuls à pouvoir se rendre à Jérusalem puisqu'ils ont un
plaque minéralogique jaune). "Al Quds, Al Quds !" Tiens, la route n'est donc pas
totalement coupée comme je le croyais, après qu'un Israélien ait été tué hier
soir entre les tunnels à l`entrée sud de Jérusalem. Je monte et les autres
passagers demandent quel est le montant de la course. En effet depuis le début
de l'Intifada, on ne demande plus au chauffeur quelle route il emprunte (il ne
le sait d'ailleurs pas forcément mais il se fera piloter et renseigner grâce à
son téléphone portable.) mais le tarif . Celui-ci donne une idée du chemin à
parcourir. En temps "normal" (hors blocus), c'est 7 shekels. Si Hébron est
bouclée, c'est 10 (il faut alors contourner toute la ville par le sud et l'ouest
et longer la colonie de Kyriat Arba, quelle ironie.) si l'armée ou les colons
bloquent la route à la hauteur de Gush Etzion cela peut être 15 ou 20 ou 25 .
Tout dépend ! Donc on sait quand on part mais rarement quand on arrive, ni par
où. Le « rabatteur » annonce au moins 10 et le mot «moustaoutinin » (colons, en
arabe) revient souvient. Il ajoute que seules les personnes vraiment obligées de
se déplacer ont intérêt à monter car il semble que les colons soient bien
présents sur la route, et l'armée israélienne aussi (mais pas forcément là où il
y a les colons.). Tout le monde semble avoir une bonne raison de vouloir aller à
Jérusalem : ma voisine pour aller à l'hôpital, un étudiant pour aller passer son
examen, une jeune mère avec son tout petit bébé pour rejoindre sa famille et un
sheikh déterminé. Il dira même au chauffeur qu'il est prêt à payer 25 shekels et
que Dieu nous protégera !
On contourne donc la sortie nord, par
le sud et l'ouest. Premier checkpoint, l'armée nous fait reculer, deuxième
embranchement : des chars aux accès des petits villages environnants mais la
route est bien vide. Le Sheikh entame à haute voix une série de prières que
parfois les femmes reprennent après lui. Je regrette de temps à autre de ne pas
être croyante. Passons près de la sortie de Halhoul, un gros embouteillages de
taxis attendent les piétons qui escaladent le gros talus de terre et pierres mis
en place par l'armée. Et puis un autre char et des soldats, ils laissent passer
quelques véhicules dont notre Ford. Pourquoi ? Parce qu'un bouclage n'est que
rarement hermétique à 100%, l'armée sachant pertinemment qu'on ne peut pas
totalement fermer la cocotte minute et que les chauffeurs, Palestiniens
résidents de Jérusalem, contribuent en quelque sorte à laisser passer un peu
d'air et éventuellement de marchandises (cartons de vêtements fabriqués à Hébron
par exemple). Arrivons près du camp de réfugiés d'Al Aroub, encore un char et
des soldats et des piétons qui se demandent que faire : rebrousser chemin ou
attendre. Puis carrefour de Gush Etzion, la plus importante des colonies entre
Hébron et Jérusalem. Re-soldats sur le côté de la route puis d'autres au milieu
dela route : on s'arrête, ils demandent les papiers d'identité des passagers :
tous sont de Jérusalem, sauf moi mais curieusement mon passeport n'intéresse
quasiment jamais.Ma voisine me dit malgré tout que c'est grâve à ma présence
qu'ils nous laissent passer. Bof.On passe et puis moins d'un kilomètre plus loin
à l'embranchement d'Efrata un groupe de colons. Le chauffeur nous demande de
fermer les petits rideaux, une femme rétorque que de toute façon ils verront les
foulards des passagères et le keffieh du passager avant (et les floches "Allah"
accrochées au retroviseur, me dis-je),on s'exécute néanmoins et là, en une
fraction de seconde, je vois un colon ajustant son fusil en direction de notre
taxi, coup de volant du chauffeur qui appuye sur le champignon. Il y a eu un
blanc dans la psalmodie du Sheikh. Une balle de ping-pong dans ma poitrine puis
une succession de soupirs de la part des passagers. qui reprennent une autre
prière !
On approche des tunnels dits "de
Gilo". Petite précision pour ceux qui ne connaissent pas les lieux : il est
correct de dire en fait Beit Jala puisque la colline sous laquelle ont été
percés les tunnels est sur la commune de Beit Jala -comme la colonie de Gilo,
d'ailleurs. Et, pour la petite histoire, la route sous le pont qui relie les
deux tunnels, dans la vallée, est en zone palestinienne .mais le pont entre les
tunnels est lui, bien sûr, sous contrôle israélien.
Nouvel embouteillage, les tunnels
semblent fermés.A droite la route vers Al Khader est aussi bloquée par des
véhicules militaires. On prend la route de Bet Shemesh et on se dit que pour le
coup on paiera sans doute 25 shekels (compter un détour d'une quizaine de
kilomètres au moins, de 40 au plus.) puis demi-tour, la voiture de l'armée qui
bloquait la file à l'entrée des fameux tunnels se met en branle et la colonne de
véhicules avance. On la rejoint et on finit par arriver à Jérusalem, Porte de
Damas. On sort chacun 10 shekels de notre poche et on se dit que ce n'est pas
cher payé. Certains passagers montent dans un deuxième Ford pour rejoindre
Ramallah. Je leur souhaite bonne route ! Moi, j'en ai assez pour ce matin. Je
verrai à 13h si je rentre sur Hébron .En effet, en arrivant rue Salah El Din, on
me raconte qu'un bus de travailleurs palestiniens a été mitraillé par l'armée
près de Behtléem ! Mais tout-à-l'heure est un autre jour. Je vais bosser !
PS : Je suis finalemement rentrée à
Hébron en début d'après-midi, avec un autre Ford : même tarif mais sans émotion
: il n'y avait plus de colons, moins de soldats, mais encore les chars et comme
je connais trop bien ce paysage je me suis plongée dans ma lecture ! Et puis
cette nuit les tirs ont repris à Hébron, heureusement les enfants dormaient à
poings fermés. Ils m'ont demandé pourquoi je n'allais pas à Jérusalem ce matin,
j'ai juste dit que j'avais changé de programme pour aujourd`hui. Je pense ce
matin à ceux qui sont obligés de faire ce genre de gymkana en permanence et
j`espère que ce récit ne tombera pas entre les mains de
ma mère !
Au
sommaire de la Revue de
presse
-
Retour à Sabra et Chatila
par Mouna Naïm in Le Monde du mercredi 14 février 2001
-
Proche-Orient : Tsahal
élimine un officier palestinien Dépêche de l'Agence France Presse du
mardi 13 février 2001, 12h42
-
Le blocus israélien menace
l’autorité de Yasser Arafat par Georges Marion in Le Monde du mardi
13 février 2001
-
Rafic Hariri, premier
ministre libanais : "Les Israéliens restent taraudés par des idées
expansionnistes" propos recueillis par Mouna Naïm et Lucien George in
Le Monde du mardi 13 février 2001
-
Tant d'yeux grand fermés
par Dominique Eddé in Le Monde du mardi 13 février
2001
-
Guerre d'influence chez les
Palestiniens à Gaza par Didier François in Libération du mardi 13
fevrier 2001
-
Tsahal "recycle" ses
mercenaires libanais par Georges Malbrunot in Le Figaro du lundi 12
février 2001
-
Te souviens-tu de l’arbre que tu as planté ? par
Gideon Levy in Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 11 février 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
-
Un Britannique, soupçonné d'appartenir au Hezbollah, écroué en
Israël Dépêche de l'agence Associated Press du dimanche 11 février
2001, 23h37
-
Au lendemain de l'élection
d'Ariel Sharon, entretien avec l'écrivain israélien Sami Michaël
réalisé par Yaël Avran in L'Humanité du samedi 10 février 2001
-
Explosion de violence à
Ramallah, avec tirs d'un tank israélien par Phil Reeves in The
Independent (quotidien britanique) du samedi 10 février 2001 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
-
Barak et Pérès prêts à
discuter avec Sharon par Didier François in Libération du samedi 10
et dimanche 11 fevrier 2001
-
Un photographe belge blessé
par balle in La Meuse (quotidien belge) du samedi 10 février
2001
-
Le criminel par Seumas
Milne in The Guardian (quotidien britanique) du vendredi 9 février 2001
[traduit de l'anglais par Giorgio
Basile]
-
"Le peuple palestinien est
le plus humilié" in Le Soir (quotidien belge) du vendredi 9 février
2001
-
Les réfugiés palestiniens en
Jordanie se réjouissent de la victoire de Sharon par Sulayman
Al-Khalidi in Al-Quds Al-Arabi (hebdomadaire arabe publié à Londres) du jeudi
8 février 2001 [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
-
Les Palestiniens ont perdu
leur chance par Norman Spector in Le Devoir (quotidien quebécois) du
jeudi 8 février 2001
-
Israël le vote des
sans-mémoire par Josette Alia in Le Nouvel Observateur du jeudi 8
février 2001
-
Ils ne croient plus à la
paix par Victor Cygielman in Le Nouvel Observateur du jeudi 8 février
2001
-
Israël n'est pas mûr pour la
paix par David Grossman in Libération du jeudi 8 février
2001
-
Lieu saint ou lieu
symbolique par Michaël Illouz in Libération du jeudi 8 février
2001
-
Analyse des informations :
beaucoup de défis à relever, en peu de temps, pour Sharon par Deborah
Sontag in The New York Times (quotidien américain) du jeudi 8 février 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
-
Au Liban, le souvenir de
Sabra et Chatila par Doha Chamouss in L'Humanité du jeudi 8 février
2001
-
Sharon l'obstiné
par Vincent Hugeux, Hesi Carmel, Axel Gyldén in L'Express du jeudi 8
février 2001
-
L'évolution démographique de
l'ensemble Israël-Palestine nourrit les inquiétudes et les dilemmes de l'Etat
juif par Jean-Pierre Langellier in Le Monde du jeudi 8 février
2000
-
Vives tensions dans la
région, tandis que les missiles Patriot américains arrivent en Israël
par Steve Rodan in Middle East Newsline du mardi 6 février 2001 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Revue de presse
1.
Retour à Sabra et
Chatila par Mouna Naïm
in Le Monde du mercredi
14 février 2001
En septembre 1982, les Forces libanaises massacraient
plusieurs milliers de Palestiniens réfugiés dans les camps de Sabra et Chatila,
au sud de Beyrouth, avec la bénédiction d’Ariel Sharon. Des rescapés se
souviennent.
NIHAD HAMAD a quarante-deux ans aujourd’hui. D’une voix
étrangement posée, elle raconte, dans le moindre détail, comme si cela s’était
passé hier, le cauchemar des réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila en ces
journées des 14, 15, 16 et 17 septembre 1982. De ces horribles massacres, la
commission israélienne d’enquête Kahane a, en février 1983, soit six mois plus
tard, rejeté la responsabilité indirecte sur l’ensemble de la chaîne de
commandement israélienne, en particulier le ministre de la défense d’alors,
Ariel Sharon, aujourd’hui premier ministre élu. Sur ses ordres, en effet,
l’armée israélienne avait, pour la seule fois à ce jour, occupé une capitale
arabe, Beyrouth, avec pour objectif de bouter l’Organisation de libération de la
Palestine hors du Liban.
Après le meurtre, mardi 14 septembre 1982, du
président élu libanais Bechir Gemayel, qui était l’ami des Israéliens, M.Sharon
et les chefs de l’armée avaient autorisé les milices chrétiennes des Forces
libanaises à pénétrer à Sabra et Chatila, dans la banlieue sud de Beyrouth, pour
déloger deux mille combattants prétendument restés sur place après l’évacuation
de l’OLP. De combattants il n’y en avait point. L’affaire tourna à la tuerie de
civils. « J’avais vingt-trois ans », raconte Nihad, qui habite toujours à
Chatila, à quelques centaines de mètres de la rue où le plus grand nombre de
civils ont été tués. « Mercredi, après le meurtre de Bechir Gemayel, l’aviation
israélienne s’était livrée à des raids fictifs. Les gens avaient peur. On avait
le sentiment d’être sans protection. L’OLP était partie. Où pouvions-nous aller?
On était sûr qu’on nous ferait payer le meurtre de Bechir. Très vite le
meurtrier a été arrêté. C’était un libanais. On ne s’était pas trompé. L’armée
israélienne a assiégé le camp et dans la nuit de mercredi, et encore jeudi
matin, ils ont essayé de pénétrer du côté est. Nos combattants étaient partis.
Il n’y avait plus ici que des jeunes de quinze-seize ans. Ils bouillonnaient. Il
y avait parmi eux un Libanais de Tripoli qui savait qu’il y avait une cache
d’armes. Il leur a distribué des armes légères parce que les gens ne voulaient
pas mourir sans se défendre. Ils se sont spontanément mobilisés et nous aussi.
Nous leur apportions de l’eau et de la nourriture. »
« Dans la nuit du jeudi,
les bombardements ont redoublé d’intensité, poursuit Nihad. Nous avons vite
compris que les armes légères n’y pourraient rien. Alors les jeunes ont décidé
de dynamiter la cache d’armes, histoire de faire croire aux Israéliens que le
camp pouvait résister. Ce sont des choses que peu de gens savent », insiste
Nihad.
« Entre l’explosion du dépôt et les bombardements israéliens, c’était
l’apocalypse. On s’est tous réfugiés dans les abris. Mais on avait peur. Alors
les notables, les gens les plus âgés ont décidé d’aller dire aux Israéliens que
le camp se rendait. Ils ont pris un chiffon blanc et ils sont partis en voiture.
Ils ne sont jamais revenus. Les jeunes en armes, qui allaient dans la même
direction, ne revenaient pas non plus, pas plus que ceux qui allaient à leur
recherche. On a alors compris qu’il valait mieux quitter les lieux. »
Nihad
raconte ensuite l’enfer des bombardements, les tirs de fusées éclairantes – « On
aurait pu ramasser une aiguille dans la poussière », dit-elle –, la fuite
éperdue de centaines de personnes vers une salle commune, à la périphérie nord
du camp – « nous étions si nombreux qu’on en étouffait presque ». Elle parle du
retour chez soi, au petit matin, dans un camp «plongé dans un silence de mort,
une ville fantôme ». Les bombardements avaient cessé, « on entendait parfois
quelques tirs isolés, au coup par coup. Puis, déchirant le silence, les
hurlements d’une femme, du côté de la mosquée.» Elle avait les cheveux en
bataille, les vêtements déchirés couverts de sang, l’air d’une folle. Ses
enfants, disait-elle, « ont été égorgés sur ses genoux. Elle ne savait pas à qui
ni à quoi elle devait elle-même la vie…» . A quoi les gens ont-ils reconnu les
miliciens des Forces libanaises? « Ils avaient l’insigne du cèdre sur l’épaule,
parlaient l’arabe avec un accent libanais et s’interpellaient. Leurs noms
n’étaient pas juifs », répond Nihad. Y avait-il aussi des Israéliens? « Ils leur
assuraient un cordon de sécurité, dit-elle. Eux sont entrés et ont sévi, au
couteau et à l’arme blanche pour que le massacre se déroule en silence.
Les
gens se sont mis à crier, à parler d’une tuerie dans le quartier occidental. On
a pris la fuite. Des voisins qui étaient restés chez eux ont été tués. On nous a
dit que mon cousin était blessé, qu’il était à l’hôpital de Gaza. On y est allé.
C’était noir de monde. Des enfants, des femmes, des hommes avaient été la cible
de francs-tireurs. Mon cousin a été évacué avec d’autres vers des hôpitaux de
Beyrouth-Ouest grâce à la Croix-Rouge. Il a eu de la chance car les miliciens,
après en avoir fini dans le camp, sont allés terminer leur sale besogne à
l’hôpital de Gaza. Ils ont tué et emmené des blessés, des médecins et des
infirmiers. »
Nihad n’en a pas fini. Elle raconte la fuite des siens, un
chiffon à la main et la peur au ventre, vers les quartiers ouest de Beyrouth
occupés par Tsahal. Elle raconte l’asile offert pour une nuit « dans son garage
et à condition de ne laisser filtrer aucun signe de vie » par une « connaissance
libanaise». Elle raconte le refus des gens de croire au massacre jusqu’à ce que
les radios en parlent; elle raconte la recherche d’un nouvel abri le lendemain;
elle parle de «gens enterrés vivants», de «la disparition» d’autres dont on n’a
jamais retrouvé la trace. «On a parlé de 3000 à 3500 victimes, dit-elle, à cause
de tous ces non-retrouvés. Le problème, c’est qu’il n’y avait aucun référent
pour dresser un bilan exhaustif.»
« On dit que 1500 victimes sont aujourd’hui
ensevelies dans le terrain vague baptisé cimetière des Martyrs de Sabra et
Chatila, à l’entrée sud du camp, dit Abou Moujahed, qui était alors secrétaire
du comité populaire du lieu et qui dirige aujourd’hui un centre pour l’enfance.
Mais nul ne connaît le nombre exact des victimes. Il n’y avait pas uniquement
des Palestiniens. Il y avait aussi des Libanais de Tripoli, de la Bekaa, du Sud.
J’ai eu moi-même connaissance d’un Syrien venu rapatrier le corps d’un parent.
Des familles ont elles-mêmes enterré des corps. D’autres ont été ensevelis au
cimetière des Martyrs à Beyrouth-Ouest. Il y avait les victimes visibles, parce
que laissées à découvert, mais il y en a eu d’autres, mortes sous les décombres
de leurs habitations. Les gens parlent aujourd’hui du quartier ouest, mais
certaines personnes ont été enlevées au cœur du camp. J’en connais deux, les
frères Mohamad et Aberd El Saga. Sans oublier que des massacres ont eu lieu du
côté sud du camp. »
KHADIJA KHALIB a perdu, elle, dix membres de sa propre
famille: sa mère, sa sœur et les huit enfants de cette dernière. « Je les avais
pourtant mis à l’abri, dit-elle, à Beyrouth-Ouest. Mais mes parents étaient des
gens simples; ils ont remis leur sort entre les mains de Dieu et sont rentrés
chez eux sans me prévenir. J’avais de leurs nouvelles par des gens qui venaient
du camp. Ce jour-là ce devait être le 17 septembre, j’ai acheté trois journaux à
la fois. Les massacres faisaient la manchette, avec une photo des victimes.
Aucune mention de noms. J’ai eu comme un pressentiment. Là, sous la couverture,
sur la photo, c’était ma mère.»
« Nous nous sommes précipitées, une autre
sœur et moi, vers le camp. Mais à l’entrée mes jambes ne me portaient plus. Je
n’avais pas le courage d’avancer entre une haie de corps, de personnes tuées
d’une horrible manière. Les gens fuyaient encore. On parlait de nouveaux
massacres. Ma sœur y est allée. Je m’en voulais de la laisser partir seule et je
me suis évanouie… Ma mère avait bien été tuée. Ma sœur et ses enfants aussi.
»
Les massacres de Sabra et Chatila ont coûté à Ariel Sharon son poste de
ministre de la défense. La commission Kahane l’a de fait accablé et a vivement
critiqué huit autres dirigeants israéliens, principalement le chef d’état-major,
le chef du Mossad, mais aussi le premier ministre d’alors, Menahem Begin. Quant
au général Sharon, « il est impossible, a jugé la commission, de justifier de la
part du ministre de la défense l’ignorance du danger ». Non seulement M.Sharon
s’est abstenu, pendant deux jours, d’informer M.Begin de ce qui s’est passé,
mais il porte, selon elle, « la responsabilité de n’avoir pas donné les ordres
appropriés pour que soient réduits les risques que comportait l’intervention des
phalangistes c’est-à- dire les Forces libanaises » dans le camp. Ces ordres «
auraient dû être la condition du feu vert accordé à l’opération », ont insisté
les membres de la commission, compte tenu du fait que, après sept années de
relations suivies entre les milices chrétiennes et les dirigeants israéliens,
ceux-ci auraient dû savoir à quoi s’en tenir. Les responsables du Mossad en
particulier savaient, selon la commission, que les phalangistes voulaient
«éliminer le problème palestinien au Liban, (…) au besoin en ayant recours à des
méthodes inqualifiables ». Soulignant que « le ministre de la défense n’a pas
rempli son devoir », la commission l’invitait à « tirer lui-même les
conséquences de ses erreurs ».
Le 11 février 1983, M.Sharon présentait sa
démission. Le rapport Kahane nommait en toutes lettres le responsable du groupe
de miliciens chrétiens entré dans Sabra et Chatila. Il s’agit d’Elie Hobeika,
qui était au poste de commandement avancé installé par les forces israéliennes
sur le toit d’un immeuble distant de deux cents mètres seulement des limites du
camp de Chatila. C’était de là que M.Sharon et le chef d’état-major de l’armée
israélienne supervisaient l’occupation de Beyrouth-Ouest, après l’assassinat de
Bechir Gemayel. C’était aussi de là que M.Hobeika dirigeait les opérations de
ses hommes. Ses ordres, qui ne laissaient aucun doute sur ses intentions,
soulignait la commission d’enquête israélienne, ont été rapportés au fur et à
mesure et sur-le-champ par des officiers israéliens au chef d’état-major, qui
n’en a tenu aucun compte. Mais au Liban, on a refusé en bloc les conclusions de
la commission d’enquête israélienne et rejeté sur Tsahal seule la responsabilité
des massacres. M.Hobeika n’a jamais été inquiété, voire a été longtemps ministre
après la fin de la guerre civile en 1990. Devenu, il y a quelques années, très
proche de la Syrie, il coule des jours tranquilles au Liban.
L’ACCESSION de
M.Sharon au poste de premier ministre en Israël ne fait ni chaud ni froid à
Nihad et Khadija. Pour elles, d’autres dirigeants israéliens « n’ont rien à lui
envier en matière de crimes ». « N’est-ce pas Ehoud Barak le premier ministre
sortant qui est responsable aujourd’hui des dizaines de morts de l’Intifada? Et
Shimon Pérès ne doit-il pas être tenu pour responsable de la mort de 107 civils
libanais à Qana » en 1996, lors de l’opération dite «Raisins de la colère»,
interroge Nihad? A ses yeux, tous les Israéliens se valent: « Les intermèdes
pseudo-pacifistes ne servent qu’à permettre à l’Etat juif de reprendre son
souffle avant de nouvelles batailles. »
L’une et l’autre originaires de la
région de Safad, elles ne rêvent que de «retour». La nouvelle Intifada et la
détermination dont a fait preuve l’Autorité palestinienne en exigeant la
reconnaissance par Israël du droit au retour des réfugiés leur ont mis du baume
au cœur et ravivé leurs espoirs. «Je marche la tête dans les nuages», assure
Nihad. Lorsque l’armée israélienne a achevé son retrait du sud du Liban, le 24
mai 2000, Khadija est allée jusqu’à la frontière pour voir ElKhalsa, où elle est
née. « S’il ne m’est pas donné de vivre jusqu’au “retour”, au moins l’aurai-je
vue de loin », explique-t-elle, assise à la petite table de la minuscule
épicerie remarquablement bien tenue qu’elle a ouverte dans le camp. « Si
seulement je pouvais me rapprocher, aller chez mes deux sœurs qui vivent en
Cisjordanie et à Gaza, soupire-t-elle. Ce n’est malheureusement pas possible
avec une carte de réfugiée! » « Les gens, ici, explique Souhed Natour, membre du
comité central du Front démocratique de libération de la Palestine, fondent un
immense espoir dans l’Intifada. »
On n’en est certes pas là. Pour l’heure,
Sabra et Chatila, qui n’ont jamais été un havre de prospérité et où les
conditions de vie ont toujours été à la limite de la décence, sont aujourd’hui
un quart-monde surpeuplé où se côtoient Palestiniens, Libanais déshérités,
Syriens, Asiatiques, Ethiopiens – tous travailleurs immigrés –, bref un
échantillon des malchanceux de ce monde, selon l’expression d’Abou Moujahed.
Beaucoup de Palestiniens sont partis d’ici pour l’étranger, pour un autre camp
ou pour un quartier populeux de Beyrouth, parce que 1982 n’a pas sonné la fin
des drames. Il y eut, trois ans plus tard, ce que l’on a appelé la «guerre des
camps» conduite par la milice libanaise chiite, Amal, avec son cortège de
nouvelles destructions et de victimes. Et puis il y a toutes les restrictions
imposées par les autorités libanaises aux réfugiés, qui les empêchent de gagner
décemment leur vie. « On ne vit pas, on survit, dit Khadija. Les morts, ce ne
sont pas seulement ceux qui sont sous terre. Il y a aussi des morts vivants. »
2.
Proche-Orient :
Tsahal élimine un officier palestinien
Dépêche de l'Agence
France Presse du mardi 13 février 2001, 12h42
GAZA - L'armée
israélienne a assassiné mardi, dans un raid par hélicoptère, un officier de la
garde personnelle e Yasser Arafat dans le cadre de sa politique d'élimination de
Palestiniens qu'elle soupçonne d'avoir perpétré des attentats
anti-israéliens.
Cet assassinat, qui porte à une vingtaine le nombre de
victimes de cette politique d'élimination depuis novembre, est survenu après que
le Premier ministre sortant Ehud Barak eut, pour la première fois,
officiellement reconnu l'existence de cette politique et l'eut justifiée par "le
droit international".
M. Barak a immédiatement envoyé un message de
félicitations à l'armée et aux services de sécurité, affirmant que cet
assassinat constituait "un avertissement clair à tous ceux qui envisageraient de
s'attaquer à des Israéliens".
Massoud Ayyad, 50 ans, un commandant de la
Force 17, la garde prétorienne d'Arafat, a été tué lorsqu'un hélicoptère
d'assaut israélien a attaqué le véhicule qu'il conduisait près du camp de
Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza. D'après les témoins, l'attaque a été
effectuée par un hélicoptère Apache qui a tiré cinq roquettes alors que le
véhicule était arrêté à un feu rouge.
L'armée a affirmé, dans un communiqué,
que Massoud Ayyad était en fait un agent du mouvement chiite libanais Hezbollah.
Mais le ministre palestinien de la Justice, Freih Abou Meddeine, a qualifié
d'"énorme mensonge" cette accusation, assurant que la victime était un membre du
Fatah, le mouvement du dirigeant palestinien, et dénoncé ce qu'il a qualifié de
"terrorisme d'Etat" et de "crime de guerre".
C'est la première fois depuis le
début de l'Intifada, fin septembre, que Tsahal affirme avoir tué un agent du
Hezbollah, le mouvement qui constitua le fer de lance de la lutte contre
l'occupation israélienne du Liban sud. L'Etat hébreu a évacué cette région en
mai.
Selon l'armée, Massoud Ayyad "dirigeait une organisation palestinienne
dangereuse du Hezbollah à Gaza et a mené un grand nombre d'attaques
terroristes". Les deux principales ont été, selon ce communiqué, le tir d'obus
de mortier contre la colonie juive de Netzarim à Gaza le 30 janvier et le 10
février.
Selon l'armée, Ayyad, qui était au Liban l'été dernier, "maintenait
des contacts réguliers avec des responsables du Hezbollah qui l'activaient pour
perpétrer des attaques terroristes à Gaza" et avait été "impliqué dans la
préparation et une tentative d'enlèvement de soldats israéliens". Il dirigeait
"une cellule terroriste" à laquelle appartenait son fils Nasser, détenu en
Israël. Sur les cinq actions qui lui sont imputées depuis le 24 décembre, aucune
n'a fait de victime. L'armée l'a aussi accusé de trafic d'armes et de
drogue.
La première cible de cette politique d'exécutions sommaires, Hussein
Abayat, chef de la milice du Fatah pour le sud de la Cisjordanie, avait été
éliminé en novembre dans des circonstances identiques: un missile tiré par un
hélicoptère d'assaut avait pulvérisé son véhicule. Deux passantes palestiniennes
avaient également péri dans l'attaque.
Dans une lettre adressée lundi à la
Cour suprême, la plus haute institution judiciaire du pays, et dont l'AFP a
obtenu une copie mardi, Barak a justifié cette politique d'élimination en
affirmant que "le droit international permet de frapper en cours d'opération
quelqu'un qui a été identifié avec certitude comme s'apprêtant à commettre un
attentat contre des objectifs israéliens".
M. Barak, également ministre
sortant de la Défense, répondait à une plainte de la veuve de Sabet Sabet, un
responsable palestinien assassiné le 31 décembre à Tulkarem en Cisjordanie,
apparemment par des tireurs d'élite israéliens.
3.
Le blocus
israélien menace l’autorité de Yasser Arafat par Georges
Marion
in Le Monde du mardi 13
février 2001
Près d’une semaine après l’élection d’Ariel Sharon au
poste de premier ministre en Israël, la violence reste très vive dans les
territoires palestiniens. Ces affrontements ont lieu sur fond de crise
financière dramatique pour l’Autorité palestinienne de Yasser Arafat.
JÉRUSALEM de notre correspondant
Simplement posé, le problème se résume
en quelques chiffres : à cause de l’Intifada, les 120 000 fonctionnaires
palestiniens, dont une bonne moitié sont des policiers, n’ont pas été payés
depuis deux mois. Leur salaire constitue le seul revenu des quelque 1 200 000
personnes qui composent leur famille, soit le tiers de la population
palestinienne, désormais réduites à des expédients ou à la solidarité des
mouvements islamistes.
Après quatre mois d’une Intifada qui a rompu la
plupart des liens économiques et financiers tissés pour faire fonctionner son
embryon d’Etat, l’Autorité palestinienne n’a pas le premier cent des 110
millions de dollars nécessaires au paiement des salaires en retard. La première
tranche des 650 millions de dollars de solidarité promis lors du sommet arabe du
Caire, en octobre, n’a toujours pas été versée. Et le Trésor israélien, au
mépris de ses engagements internationaux, rechigne à virer les 60 millions de
dollars qu’il doit encore à l’Autorité au titre des taxes douanières collectées
par le premier au bénéfice du second.
La situation est si sérieuse que les
experts financiers internationaux en poste à Jérusalem, Ramallah ou Gaza
craignent un effondrement de l’appareil palestinien, voire une catastrophe
politique pour Yasser Arafat, dont le pouvoir commence à être sérieusement
contesté parmi les siens. Un tel scénario, soulignent certains, aurait de graves
conséquences pour Israël qui serait immanquablement entraîné dans les désordres
de son voisin.
AUCUNE EXPLICATION
A plusieurs reprises, l’Union européenne
et, tout récemment encore, l’administration américaine, sont intervenus pour
tenter de faire donner un peu d’oxygène à la machine administrative
palestinienne. En trois mois, l’Europe a versé aux services de M.Arafat, en
prêts d’urgence ou en aides non remboursables, 72,5 millions de dollars. Le 31
janvier, à Bruxelles, devant le Parlement européen, le commissaire européen pour
les relations extérieures, Chris Patten, invitait une nouvelle fois l’Etat juif
à débloquer l’argent dû à l’Autorité palestinienne.
En pure perte. Israël
n’a fourni aucune explication à son refus qui a tous les aspects d’une pression
destinée à faire céder Yasser Arafat, mais à en juger par les violents
affrontements des derniers jours, la démarche n’est pas très
fructueuse.
Vendredi 9 février, Yasser Arafat a téléphoné à Ariel Sharon.
Officiellement, le premier voulait féliciter le second pour son élection et pour
la récente naissance de ses deux petits-enfants. Mais, d’après la transcription
précise qu’en a donnée le quotidien Maariv, la conversation a rapidement pris un
tour moins convenu. "Nous avons besoin d’argent ; mes concitoyens meurent de
faim", a plaidé Yasser Arafat. Ariel Sharon lui a alors répété ce qu’il a dit
durant sa campagne électorale : qu’il jugeait les sanctions collectives
improductives et qu’il désirait aider ceux qui, parmi les Palestiniens,
"n’étaient pas impliqués dans les actes de terrorisme" contre la population
israélienne. Mais, a-t-il ajouté, toutes les mesures d’apaisement
n’interviendront qu’"après l’arrêt absolu de la violence", lorsque l’Autorité
palestinienne "agira contre les terroristes". En clair : pas un centime si
l’Autorité ne reprend pas la coopération antiterroriste avec Israël, notamment
en réemprisonnant les membres du Hamas et du Djihad islamique libérés dans le
cadre de l’accord d’unité nationale et islamique conclu dans les premiers jours
de l’Intifada. Autant dire que l’impasse demeure totale.
GESTION
OPAQUE
Pour Yasser Arafat, qui tient son pouvoir de sa légitimité historique
autant que du contrôle personnel exercé sur les finances de l’Autorité
palestinienne, la situation n’a jamais été aussi grave. Chaque mois, c’est lui
qui signe personnellement les chèques nécessaires au fonctionnement de la
machine administrative palestinienne, gestion opaque qui, à plusieurs reprises,
a suscité les critiques des donateurs internationaux. Mais quand l’argent
manque, les fidélités se distendent. Beaucoup, en Cisjordanie, n’hésitent
désormais plus à critiquer le "Vieux" et l’affaiblissement de l’Etat. D’autres
craignent que ne s’étendent les désordres larvés que, déjà, ils dénoncent en
dressant la liste des exécutions sommaires, des intimidations, des affrontements
claniques ou des initiatives anti-israéliennes aventuristes et humainement
coûteuses qui se sont succédé au cours des dernières semaines.
"La violence
et l’énergie palestinienne qui étaient dirigées contre l’ennemi commun israélien
s’exercent désormais contre nous-mêmes", déplorait récemment un psychiatre
renommé de Gaza, le docteur Iyad Sarraj, dans un entretien accordé au magazine
palestinien indépendant Palestine Report. Dans un texte diffusé récemment dans
les milieux intellectuels palestiniens, la députée et ancienne ministre, Hanane
Achraoui, de façon plus académique, renchérissait : "Plus que jamais, et de
façon urgente, il nous faut affronter les problèmes de l’ordre public, de la
responsabilité collective, de la cohésion sociale et des normes
institutionnelles de la réalité palestinienne."
4.
Rafic
Hariri, premier ministre libanais : "Les Israéliens restent taraudés par des
idées expansionnistes" propos recueillis par Mouna Naïm et Lucien
George
in Le Monde du mardi 13
février 2001
BEYROUTH, de nos envoyés spéciaux
"Avant votre visite
en France, les 14 et 15 février, comment réagissez-vous à l’élection d’Ariel
Sharon à la tête du gouvernement israélien?
–Le Liban garde d’Ariel Sharon un
souvenir très douloureux. C’est le souvenir de l’invasion de 1982, de
l’occupation de la capitale, Beyrouth, de milliers de morts, hommes, femmes et
enfants, des massacres de Sabra et de Chatila, qui sont les plus connus, mais
aussi d’autres tueries dont on n’a pas parlé; tels ces civils ensevelis sous les
décombres de l’école dans laquelle ils s’étaient réfugiés, à Saïda (capitale du
Sud), et qui a été détruite par un bombardement israélien. Sans oublier tous les
jeunes qui ont été tués, ceux qui ont été conduits en Israël et ont été
torturés. Pour les Libanais, le souvenir d’Ariel Sharon est fait de souffrances,
de sang et de larmes: c’est celui d’une très grande catastrophe. Et si, de 1982
à 1990, les affrontements à l’intérieur du Liban se sont généralisés, c’est
également Sharon qui en est responsable.
Maintenant qu’il a été élu premier
ministre, c’est à lui de dire comment il conçoit l’avenir. Considère-t-il que
son passé est un idéal ou a-t-il compris que le monde a changé depuis 1982 et
qu’il doit en tenir compte? En tout cas, à cause de son passé, tout ce qu’il
fera ou qu’il dira ne pourra que susciter la plus grande méfiance.
–Vous
attendez-vous à des changements dans la politique américaine après l’accession
de George W. Bush à la présidence?
–Il existe une constance de la politique
américaine: qu’ils soient républicains ou démocrates, les Américains se
considèrent engagés dans la défense de la sécurité d’Israël. Ce que les Arabes
leur demandent, ce n’est pas de renoncer à cet engagement, mais d’adopter une
politique équilibrée qui ne soit pas une politique de deux poids deux mesures.
Sans tourner le dos à Israël, les Etats-Unis peuvent être aussi les amis des
Arabes et prendre leurs intérêts en considération.
Israël se trompe s’il
croit que les Arabes n’ont fait le choix stratégique de la paix que parce qu’ils
sont faibles. C’est au contraire parce qu’ils sont forts, sûrs d’eux-mêmes et
confiants dans leur capacité à relever les défis de la paix qu’ils ont fait ce
choix. Ils ont opté pour une paix fondée sur la légalité internationale. Ils y
sont prêts, quelles que soient les difficultés. Ce sont les Israéliens qui
hésitent, s’interrogent, y compris sur eux-mêmes.
C’est à eux de décider
s’ils veulent un Etat qui vit en paix avec ses voisins ou un Etat dominateur qui
veut s’étendre aux dépens de ses derniers. Visiblement, les idées
expansionnistes continuent de les tarauder; ils réclament quelques mètres
par-ci, quelques pouces par-là, quelques pierres ailleurs… pour le
principe.
–Pourquoi, malgré l’insistance de l’ONU et de pays amis, dont la
France, l’armée libanaise ne s’est-elle toujours pas amplement déployée au Liban
sud, neuf mois après le retrait israélien?
–Ecoutez, le Proche-Orient est
très compliqué. Des choses et des actes qui paraissent relever de l’évidence et
de la pure logique ne correspondent pas à la logique régionale. Bien sûr,
déployer l’armée dans le Sud n’aurait rien que de très normal 1500 soldats et
gendarmes sont déjà sur place. Si nous ne le faisons pas, c’est parce que nous
voulons qu’Israël revienne à la table des négociations. Israël n’a toujours pas
évacué le lieu-dit les fermes de Chebaa et n’a pas conclu avec la Syrie et les
Palestiniens. Il maintient ainsi le Liban, la Syrie et les Palestiniens dans une
situation d’instabilité. Pour qu’il revienne à la table des négociations, il
faut qu’il connaisse lui aussi une situation d’instabilité. Nous ne cherchons ni
la violence ni la guerre. Nous voulons la négociation et la paix.
–Les
Européens, la France en particulier, n’ont pas apprécié le refus du Liban de
participer au Forum euro-méditerranéen de Marseille, en décembre
2000…
–Peut-être ne nous sommes-nous pas bien expliqués. L’opinion publique,
ici, est très sensible à ce qui se passe en Palestine. Les gens qui voyaient à
la télévision des soldats israéliens tuer des enfants, des femmes, des jeunes
désarmés n’auraient pas compris que des ministres des affaires étrangères arabes
s’asseoient à la même table que leur homologue israélien, même si cela se passe
à Marseille.
Nous savons très bien qu’il est de notre intérêt de participer à
un tel forum, mais il faut que l’Europe comprenne qu’il existe une opinion
publique arabe et que les dirigeants doivent de plus en plus en tenir compte,
surtout à l’heure actuelle.
–Où en sont les discussions sur l’accord
d’association avec l’Union européenne?
–Nous n’en sommes pas loin. Nous avons
établi un calendrier et tout doit être terminé avant l’été. Nous avons la
volonté politique d’y parvenir. Il existe encore quelques difficultés, mais des
réunions intensives vont se tenir pour les aplanir. Le Liban, qui est un petit
pays et qui vient de sortir de la guerre, a des problèmes économiques énormes
et, sans l’assistance de nos amis, nous ne pourrons pas remettre l’économie sur
pied.
–Vous admettez qu’en matière de démocratie et d’indépendance de la
justice il y aurait beaucoup à redire?
–La démocratie existe. La loi existe.
S’il y a des erreurs ou des défaillances, elles doivent être corrigées tout de
suite. Nous devons en permanence nous employer à renforcer la démocratie, le
respect des droits de l’homme, la liberté d’opinion et l’indépendance de la
justice.
–Comment entendez-vous régler le problème de la dette publique? –La
dette publique est importante et le déficit budgétaire aussi. Notre programme
est en trois volets: la privatisation – que nous devons avoir réussie dans trois
ans, en commençant dès cette année – nous permettra de diminuer la dette
publique; la réduction des dépenses de l’Etat, là où c’est possible – je ne
crois pas qu’il y ait beaucoup à faire – contribuera un peu à la réduction du
déficit budgétaire, mais nous devons en même temps prendre en considération les
conséquences sociales d’une telle mesure; enfin, la croissance devrait apporter
des recettes plus importantes.
–De plus en plus de voix réclament une
réorganisation de la présence syrienne au Liban…
–Il y a quelques mois, nous
avons effectivement entendu des centaines de déclarations sur la présence
syrienne. Les choses se sont à présent calmées et l’émotion a fait place à la
raison. Nul ne demande que les Syriens se retirent aujourd’hui. De la droite à
la gauche, il existe un consensus sur la légitimité et la nécessité de la
présence syrienne aujourd’hui. Autrement dit, cette présence est temporaire. Le
débat porte sur le moment où les Syriens doivent partir. Certains veulent d’ores
et déjà fixer une date. D’autres, dont le président de la République et
moi-même, estiment que ce n’est pas nécessaire, les Syriens étant des amis. Les
Syriens sont là pour nous aider. Lorsque nous n’aurons plus besoin de leur
présence, nous leur demanderons de partir. La situation régionale étant ce
qu’elle est, il me paraît plus important que nous réfléchissions aux moyens
d’assurer la sécurité, la stabilité et le développement de notre pays plutôt que
de créer des problèmes avec des frères, des amis et des pays arabes.»
5.
Tant d'yeux
grand fermés par Dominique Eddé in Le Monde du mardi 13 février
2001
QUI est responsable, outre les Israéliens qui l'ont élu, de
l'arrivée d'Ariel Sharon au pouvoir ?
La toute-puissance américaine
qui, non contente d'être juge et partie d'un conflit incendiaire, affranchit son
protégé du droit international, attise ses peurs et son jusqu'au-boutisme au
lieu de s'atteler à la sécurité de son avenir, retarde indéfiniment le moment du
face-à-face d'Israël avec lui-même et, du même coup, celui d'une possible paix
entre son identité singulière et celle d'une région qui n'est pas née
hier.
Un certain nombre de médias qui rapportent l'événement sur ce ton
neutre et impartial dont ils ont le secret chaque fois qu'un scandale n'a pas
encore reçu le visa de l'horreur.
Les régimes arabes qui donnent à leurs
peuples, depuis cinquante ans, le même os à ronger – la lutte sacro-sainte
contre Israël qu'ils se gardent bien de mener – usant de cette diversion
commode pour maintenir leurs pouvoirs répressifs et corrompus.
Les membres de
l'Autorité palestinienne qui ont cédé, lors des accords d'Oslo, sur la question
des colonies dont le démantèlement aurait dû être un préalable inconditionnel
aux pourparlers de paix.
Les régimes occidentaux qui choisissent d'avaliser
les uns et de diaboliser les autres au gré d'intérêts économiques et
géostratégiques grossièrement déguisés en plaidoyer pour les droits de
l'homme ; ainsi le bombardement de l'Irak et son résultat sans
nuance : la mise à sac d'un pays rendu en miettes à un tyran indemne et
plus nocif que jamais.
Les intellectuels arabes dont je suis et qui
souhaitent légitimement qu'Ariel Sharon soit traduit devant un tribunal de
guerre mais qui n'ont ni la cohérence ni le cran de réclamer le même sort pour
les chefs de guerre, libanais par exemple, qui, après avoir perpétré les
massacres de Sabra et Chatila se sont, pour certains, trouvés promus au rang de
ministres.
Tous ceux, parmi nous, qui préfèrent fermer un œil sur leurs
gouvernements, fermer l'autre sur les dangers du fanatisme religieux et
continuer à bouder le dialogue avec des intellectuels israéliens au travail et
au courage exemplaires.
Un bon nombre d'intellectuels européens, allemands et
français en particulier, que l'opprobre de la seconde guerre mondiale a frappés
d'un traumatisme tel qu'ils se révèlent incapables – on peut le comprendre
mais jusqu'à quand ? – de purger leur culpabilité sans la payer
d'une nouvelle cécité.
Le titre du dernier film de Kubrick, Eyes Wide Shut
(Les Yeux grand fermés), était bien trouvé.
Dominique Eddé est
écrivain.
6.
Guerre
d'influence chez les Palestiniens à Gaza par Didier
François
in Libération du mardi 13
fevrier 2001
S'appuyant sur ses services de sécurité, l'Autorité
palestienne tente de désarmer le Fatah et d'en arrêter les activistes. D'où
rixes et émeutes.
Gaza envoyé spécial
Depuis plusieurs jours, la police a
déserté les rues de Gaza, remplacée par les troupes de choc de la garde
présidentielle de Yasser Arafat, renforcées de détachements de la marine. Deux
unités plus réputées pour leur fidélité sans faille à la personne de Yasser
Arafat que pour leurs compétences en maintien de l'ordre public. Une
automitrailleuse ferme désormais le débouché de la corniche. Pièce de collection
semblant tout droit sortie d'un musée militaire soviétique. Ses serveurs montent
une faction débonnaire. Mais l'écusson de la Force 17, peint sur ses flancs,
nourrit les anxiétés. Le déploiement d'un blindé en pleine ville, fût-il un
engin d'un autre âge, n'est jamais un augure de quiétude. Alors, les rumeurs
vont bon train, sur fond de lutte d'influence entre, d'une part, le Fatah, le
propre parti de Yasser Arafat, et, d'autre part, l'Autorité palestinienne et ses
services de sécurité.
Il y a quelques jours, une rixe a éclaté dans le camp
de Nuseirat, au centre de la bande de Gaza. Preuve de l'ampleur du malaise dans
cette région frondeuse, une foule d'émeutiers, dont bon nombre de militants du
Fatah venus de Deir al-Balah, avait déjà pris pour cible la caserne des forces
nationales de sécurité à l'entrée de Khan Younis, la semaine précédente. Les
soldats avaient reçu de Yasser Arafat l'ordre de désarmer certains groupes
clandestins et de récupérer une importante cargaison de munitions. Mission
impossible, tant les habitants de toute la partie sud de Gaza, soumise à une
intense pression militaire israélienne, se sentent abandonnés par l'Autorité.
«Qui nous défendra si nous rendons nos fusils?, grogne le responsable d'une
cellule d'activistes. Les juifs tirent au canon de char sur nos maisons, tous
les soirs, et notre police n'a ni le droit ni les moyens de riposter.»
Pugilat et déroute. Déjà, au tout début du mois, il y avait eu l'attaque du
commissariat de Jabalia. Une bataille à coups de poing, de gourdins et de
pierres a opposé plusieurs heures durant les habitants de cet immense camp de
réfugiés, berceau de la première Intifada, aux hommes de la très puissante
Sécurité préventive. Le pugilat a tourné à la déroute pour le service de
contre-espionnage du colonel Mohamed Dahalan, contraint de relâcher des
militants islamistes arrêtés la veille et détenus dans les locaux assiégés.
«Tout le monde a été surpris par l'ampleur de la résistance, assure un officier.
D'autant qu'il y avait beaucoup de membres du Fatah parmi les manifestants.»
Mais les activistes du parti de Yasser Arafat, qui prônent une alliance entre
forces nationalistes et islamistes pour la poursuite de l'Intifada, n'entendent
apparemment plus se laisser dicter leur conduite par l'Autorité palestinienne.
«Le Fatah, en tant qu'organisation, a été marginalisé par l'Autorité, qui
préfère s'appuyer sur les services de sécurité, souligne un dirigeant du Front
populaire de libération de la Palestine, et nous voyons se développer
aujourd'hui une lutte d'influence. L'appareil d'Etat s'inquiète du fait que des
groupes armés, hors de son contrôle direct, gagnent en puissance et en pouvoir
dans la rue. Le Fatah s'est renforcé pendant l'Intifada, grâce à son alliance
avec les autres partis de la résistance, islamiste ou nationaliste. Je pense que
l'Autorité a voulu lui rappeler les règles du jeu. Les arrestations de ces
derniers jours ne peuvent pas s'expliquer par une volonté de faire plaisir aux
Israéliens. Le processus de paix est mort. La coopération sécuritaire ne
fonctionne plus. En revanche, avec la situation économique qui empire, la
répression israélienne qui s'accentue, les membres de sa police se tournent de
plus en plus vers les réseaux de solidarité traditionnels, particulièrement dans
le sud de Gaza. En cas de crise, leur loyauté sera plus forte envers leur clan,
leur famille, qu'envers le gouvernement.»
Colère et frustration. Formule
hautement instable quand les territoires palestiniens subissent leur cinquième
mois de siège. Israël a gelé toutes les rentrées financières régulières de
l'Autorité. Les droits de douane perçus par les Israéliens, et qui rapportaient
60 millions de dollars par mois, ne sont plus reversés depuis le début de
l'Intifada. Un manque à gagner insupportable quand les salaires de quelque 120
000 fonctionnaires coûtent environ 50 millions de dollars mensuels. Les paies du
service public sont sérieusement amputées, drame pour de très nombreuses
familles privées des revenus de l'embauche journalière en Israël depuis le
bouclage des territoires. Policiers et soldats n'ont perçu, hier, leurs soldes
de février que grâce à un montage acrobatique fait d'un don norvégien de 10
millions de dollars, d'un reliquat de fonds de caisse et d'emprunts de
l'Autorité sur le marché bancaire. «Si les choses continuent à ce rythme, nous
courons à la guerre civile», prédit un jeune économiste palestinien travaillant
dans un organisme international. A moins que Yasser Arafat parvienne à détourner
la colère et la frustration contre les Israéliens.»
«Jeu avec le feu». Cet
oracle est largement répété parmi les élites palestiniennes qui redoutent que
les dirigeants d'Israël aient décidé de se passer de leur ancien partenaire de
paix. «Tout semble pousser à la confrontation, craint un cadre du privé aux
options plutôt modérées. Ehud Barak veut sa revanche. Il estime qu'Arafat lui a
fait perdre les élections et remet en question toutes les idées avancées lors
des pourparlers de Taba pour mieux marchander son entrée dans un gouvernement
d'union nationale. Le président George Bush veut se démarquer de son
prédécesseur et abandonne les principes de négociation définis par Bill Clinton.
Cela laisse les mains libres à Ariel Sharon et pousse Arafat dans une impasse. A
croire que les Israéliens et les Américains veulent le voir tomber pour
qu'émerge une nouvelle direction. Je ne sais s'il s'agit d'une politique
consciente ou pas, mais ils jouent avec le feu. La chute de Yasser Arafat
pourrait entraîner une déstabilisation de toute la région. Elle provoquera
certainement un regain de violence contre Israël.»
7.
Tsahal "recycle"
ses mercenaires libanais par Georges Malbrunot
in Le Figaro du lundi 12
février 2001
Au moins deux positions militaires israéliennes à
l'extrême sud de la bande de Gaza comptent dans leurs rangs des
ex-collaborateurs arabes de l'Armée du Liban-Sud pour réprimer l'intifada, selon
les nombreux témoignages recueillis sur place auprès de travailleurs
palestiniens qui ont reconnu leur accent libanais. 1 500 mercenaires ont fui en
Israël, fin mai, lors du départ de Tsahal du Sud-Liban. Depuis, plus de 400 sont
rentrés à Beyrouth pour être jugés. Les autres, confinés au nord de l'Etat
hébreu, attendent un hypothétique pays d'accueil.
Selon un diplomate
américain qui a confirmé l'information, les ex-miliciens seraient une trentaine.
En uniforme, ils sont postés aux barrages de Rafiah Yiam, sur une dune, à
l'écart des habitations, en face de la position palestinienne de Tel Sultan et à
l'intérieur de la colonie juive de Newe Dekalim, face au poste de Touffah à Khan
Younès. Ce sont deux points chauds isolés, régulièrement le théâtre d'échanges
de tirs nocturnes, par lesquels transitent ouvriers et pêcheurs
palestiniens.
Hatem, 22 ans, travaillait dans une
entreprise de production de jus de fruits à Newe Dekalim, lorsque plusieurs
militaires sont venus le voir. «Lorsque j'ai repéré leur accent, dit-il, je leur
ai demandé: d'où êtes-vous? Ils m'ont dit: on est de l'armée de Lahad» (du nom
de leur principal dirigeant libanais).
Les enquêteurs du Palestinian Human
Rights Monitoring Group (PHRMG), dirigé par Bassam Eid, ont récolté, de leur
côté, plus d'une trentaine de témoignages concordants. «Pour dire tirer,
explique M. Eid, ils disent awas, c'est typiquement libanais, et non pas tourh,
comme en Palestine.» Dans les rangs de Tsahal, les druzes et les bédouins,
placés souvent en première ligne, parlent arabe, mais avec un accent
local.
De nombreux pêcheurs ont été la cible
de moqueries en présentant leur pièce d'identité aux barrages. «Ils nous disent:
combien tu veux? 1 000 ou 2 000 dollars», raconte l'un d'eux. Le premier montant
correspond à l'indemnité reçue par la famille d'un blessé, le second à celle
d'un martyr tué. «Je hais ces gens-là, dit un habitant de Khan Younès, ce sont
des traîtres à la cause arabe.» Chez les ex-miliciens libanais, le sentiment
antipalestinien était fort. Dès 1976, beaucoup de phalangistes se sont alliés à
Israël pour expulser les fedayins qui attaquaient l'Etat hébreu à partir du
Sud-Liban.
Interrogé par le PHMG, un officier de
Tsahal a répondu qu'ils pouvaient être «en vacances» là-bas. Olivier Rafowicz,
porte-parole de l'armée, ajoute: «Ces rumeurs sont fausses, ce sont peut-être
des soldats druzes, il n'y a pas d'ex-Als dans l'armée.» Après son retrait du
Sud-Liban, Tsahal a «recyclé» dans le Shin Bet (services de renseignement
intérieurs israéliens) certains des 200 agents de la police secrète de l'ex-Als.
Des membres de l'unité 504, des Libanais qui espionnaient pour Israël au-delà de
la zone dite de sécurité au pays du Cèdre, ont été également rapatriés à cette
occasion et continuent de travailler pour les services israéliens.
8.
Te souviens-tu de l’arbre que tu as planté ?
par Gideon Levy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 11 février
2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
On dit que Dieu est dans les petits détails. Mais peut-être bien que le
Diable y est aussi. Parfois les récits qui sont faits de petites conquêtes en
disent bien plus long que les histoires d’atrocités à grande échelle.
L’arrachage en masse d’arbres, au cours des derniers mois, dans les territoires
occupés, par l’armée israélienne et les colons, n’ont pas entraîné
- n’entraînent pas - généralement, d’effusion de sang. Les conquêtes
d’Israël ont bien souvent été accompagnées d’actes cruels dont les arbres sont
loin d’avoir été les seules victimes. Mais, à l’occasion de Tu Bishvat, le Jour
des Arbres, commémoré en Israël, mardi dernier, l’hypocrisie crevait les yeux,
encore une fois. Ce pays, qui dévoue tant d’efforts au reboisement, qui a une
fête spéciale pour célébrer les arbres, dont les enfants sont mobilisés depuis
fort longtemps pour participer à cette noble cause, la cause des arbres, ce pays
dont les poètes ont composé des centaines d’élégies dédiées aux arbres,
déracine, arrache et débite sans états d’âme des milliers d’arbres, tant il est
vrai qu’il s’agit de ceux des autres...
Depuis le verset biblique "... et vous viendrez sur votre Terre et vous y
planterez des arbres" jusqu’au "Ne déracinez pas ce qui a été planté", de Naomi
Shemer ; depuis les arbres que nous avons plantés, du temps de notre
enfance, et les piécette déposées le vendredi dans les petites tire-lire bleues
du Fonds National Juif, l’arbre tient dans nos coeurs une place particulière.
Lorsque le jour de Tu Bishvat arrive et que le pays célèbre mille cérémonies,
élève mille hymnes, chants et slogans en l’honneur des arbres, tandis qu’au même
moment des milliers d’arbres, en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, sont
arrachés délibérément par la même nation dendrophile, la belle Fête des Arbres
de l’enfance devient le hideux festival de l’hypocrisie des adultes.
"Te souvient-il de l’arbre que tu as planté dans ton enfance ?" :
telle était la question posée par un présentateur à la voix suave, au cours
d’émissions récentes du JNF ( Fonds National Juif, NdT), sur un fond sonore
d’oiseaux gazouillants. "Maintenant, ces arbres sont devenus une vraie forêt".
Le fermier Yassin Shamalwa se souvient, lui aussi, des arbres que son père et
son grand-père avaient plantés. Mais ils ne sont pas devenus une forêt,
aujourd’hui, ces arbres-là. Non. Aujourd’hui, ces arbres sont devenus un tas de
branches desséchées. Il y a quelques semaines de cela, Shamalwa a eu le sang
glacé par le bruit lancinant d’un bulldozer dans son oliveraie. Il se précipita,
au pas de course, mais des soldats, fusil en joue, lui barrèrent le chemin. Il
courut jusqu’à la mosquée de son village, Kafr Hares, près d’Ariel (une colonie,
NdT) et utilisa le haut-parleur du muezzin pour lancer un appel à l’aide
désespéré. En vain. Le bulldozer arracha trente des arbres plantés par son
grand-père et son père.
Il n’avait reçu aucun avertissement, comme le stipule pourtant la loi, et
personne ne prit la peine de lui expliquer les raisons de ces actes. Personne ne
lui présenta un ordre écrit, aucune possibilité d’appel ne lui fut laissée,
personne ne lui offrit la moindre compensation pour cet acte de vandalisme
d’Etat contre sa propriété. "Pourquoi faites-vous cela ?" "Why do you do
this ?", se risqua-t-il à demander, en anglais. Un soldat aurait répondu à
Shamalwa : "Va voir Arafat et Yossi Sarid : ils vont
t’expliquer..."
La justification officielle, comme de bien entendu, c’est la
sécurité : des pierres avaient été jetées contre des voyageurs passant sur
la route d’à côté, et ces jets de pierres provenaient, apparemment, de
l’oliveraie. Désormais, en lieu et place d’arbres qui pourraient éventuellement
servir de cachette à quelqu’un, il y a des piles de bûches qui pourraient tout
aussi aisément servir de cachette à quelqu’un, et un vieux paysan palestinien,
qui a vu son monde s’écrouler autour de lui. Pour lui, les arbres étaient
beaucoup plus que son bien, sa propriété. Comme le dit la radio du JNF (Fonds
National Juif) dans ses annonces, ils sont "entourés d’amour", et les abattre
entraîne un dommage bien plus grave qu’une simple perte de revenus. La venue
d’un petit groupe de militants dévoués de B’Tselem, organisation de défense des
droits de l’homme israélienne, pour apporter à Shamalwa, le jour de l’Arbre, Tu
Bishvat, de jeunes scions d’olivier, l’ont ému, tout en lui apportant un peu de
baume au coeur. Il faut bien y insister : c’est B’Tselem, et non le JNF (Fonds
National Juif), qui aime véritablement les forêts.
Conduire sur les routes de Samarie permet de découvrir un spectacle bien
attristant. Au bord des routes, on voit des centaines d’arbres déracinés, fruit
de "travaux" récents, au cours des dernières semaines. Des
enquêteurs-chercheurs, sur le terrain, de B’Tselem, ont recensé 2 200
arbres déracinés pour les seuls environs de Naplouse, qui s’ajoutent aux
2 100 arbres détruits depuis le début de l’intifada. Des organisations
palestiniennes donnent des chiffres encore plus élevés. Parfois, les arbres sont
extirpés avec leurs racines, parfois, les branches sont sciées. Parfois des
parcelles de terrain, de chaque côté de la route, ont été creusées, parfois,
c’est d’un seul côté de la route seulement - ce qui pose moult questions.
Parfois, les agriculteurs palestiniens rendent leur tablier, capitulent,
parfois, comme dans le cas des vergers du village de Dir Istiya, ils replantent
les souches avec une dévotion qui n’a d’égale que leur détermination. Parfois la
destruction des arbres est attribuable à l’armée (Forces israéliennes de
défense), parfois, aux colons, à titre de représailles. Tabeth Iyov, fermier du
village de Nebi Saleh, à l’ouest de Ramallah, a vu la totalité de son verger de
cent quarante-six arbres détruite par des colons qui vinrent déverser leur
haine, le lendemain du jour où Sarah Lisha, du village d’Halamish avait été
tuée, au mois de novembre dernier. Bien entendu, Iyov n’est pas le seul
agriculteur a avoir été victime de ces actes de vengeance. La destruction du
paysage ne défrise pas les colons plus que ça, malgré leur prétention d’être les
plus grands "amoureux de la terre".
"Dans la terre d’Israël, les arbres pleurent. Les soldats de Rome rasent
(les arbres) dunam après dunam. Ils n’ont pas de compassion pour la vêture de la
terre, pour les sept espèces".
Ainsi s’exprimait Aharon Shabtai, dans un poème publié dans le supplément
littéraire hebdomadaire du journal israélien, en hébreu, Ha-Aretz. Shabtai
déplore l’arrachage d’arbres en Israël, pour "libérer le terrain pour construire
des fast-foods Burger King et Kentucky Fried Chicken", ce qui est une autre
histoire. Mais non loin de là, il y a plus choquant encore : Israël abat
sans merci d’autres arbres, des arbres "non-juifs" ; ce faisant, non
seulement Israël fait pleurer les arbres, mais il fait pleurer aussi ceux qui
les ont plantés : ceux qui se souviennent des arbres plantés du temps de
leur enfance - des arbres qui ne pousseront plus désormais.
9.
Un Britannique,
soupçonné d'appartenir au Hezbollah, écroué en Israël
Dépêche de l'agence
Associated Press du dimanche 11 février 2001, 23h37
JERUSALEM - La
détention d'un ressortissant britannique, arrêté pour appartenance présumée au
Hezbollah il y a plus d'un mois à Jérusalem et apparemment victime de mauvais
traitements, a été prolongée dimanche d'une semaine par un tribunal de
Jérusalem, selon son avocate. Après que Jihad Schuman se fut plaint de ''mauvais
traitements physiques'' dans les geôles israéliennes, le ministère des Affaires
étrangères britanniques a déclaré avoir exigé que ''les mauvais traitements
envers Schuman cessent''. Arrêté le 5 janvier, quelques jours après son arrivée
en Israël, selon son avocate Leah Tsemel, ce Britannique a été interrogé depuis
par les services de sécurité israéliens, qui le soupçonnent de faire partie du
mouvement chiite pro-iranien et d'être venu commettre un attentat. Il n'est
accusé formellement de rien et a toujours nié les allégations faites à son
encontre. Un médecin envoyé par le ministère des Affaires étrangères britannique
a trouvé que l'état de santé de Jihad Schuman ''corroborait ses allégations de
mauvais traitements physiques''. ''Nous n'avons pas vérifier par nous-mêmes que
ces mauvais traitements avaient cessé''.
10.
Au lendemain de
l'élection d'Ariel Sharon, entretien avec l'écrivain israélien Sami Michaël
réalisé par Yaël Avran
in L'Humanité du samedi
10 février 2001
Une région enrôlée par la
religion
Sami Michaël est un écrivain
israélien. Né à Bagdad en 1926, il adhère très jeune au Parti communiste. Lors
des premières hostilités entre Juifs et Arabes en 1947, il fuit l'Irak avec sa
famille et s'installe en Israël. Auteur de nombreux romans, il s'inspire souvent
de son propre parcours. Son roman Victoria, traduit en français. (Ed Denoël,
1996), retrace l'histoire de la communauté juive de Bagdad.
De notre correspondante en
Israël.
- Comment analysez-vous les
résultats des élections du 6 février, où une majorité écrasante d'Israéliens a
voté en faveur de Sharon ?
- Sami Michaël. Cette élection
témoigne de la nature du conflit actuel entre Israéliens et Palestiniens. Le
conflit dépasse le cadre d'une confrontation entre nations. Il est devenu
religieux. Aujourd'hui, ce sont les mouvements religieux extrémistes ou modérés
qui influent sur l'opinion publique, du côté israélien comme du côté
palestinien. Ce n'est pas Arafat qui donne le ton en Cisjordanie ou à Gaza, mais
les imams dans les mosquées. Il en est de même en Israël. Après 100 ans de
conflit, les relations entre les deux peuples ont été empoisonnées par la haine
et par la défiance mutuelle.
- La gauche israélienne
est-elle responsable de cette situation ?
- Sami Michaël. La gauche n'est pas
responsable de cette situation, de même qu'Arafat ou Barak ne sont pas
responsables. Ehud Barak a réellement cherché la paix à tout prix. Aucun
dirigeant israélien n'est allé aussi loin que lui dans sa volonté de paix ou
dans les concessions qu'il a proposées. Mais Barak est tombé en disgrâce aux
yeux des Palestiniens et au sein de son propre peuple.
- Plus profondément, ce vote
ne traduit-il pas le fait que les Israéliens ont renoncé à la paix
?
- Sami Michaël. Ce vote reflète la
déception des Israéliens face au blocage du processus de paix. Ce blocage est le
fait des deux parties : d'une part la classe politique israélienne, tous partis
confondus, mais également les politiciens palestiniens. Aucun dirigeant n'a
réussi à convaincre son peuple que la voie des concessions est la seule
envisageable. Par conséquent, nous sommes en proie à une guerre qui vise la
destruction totale de l'autre : les Juifs doivent être jetés à la mer, et les
Palestiniens repoussés vers le désert.
- Avec l'arrivée d'Ariel
Sharon au pouvoir, les Palestiniens peuvent-ils espérer une reprise du processus
de paix ?
- Sami Michaël. Il n'y aura pas de
reprise du processus de paix. Ni les Israéliens, ni les Palestiniens ne sont
mûrs pour la paix et les deux peuples ont besoin d'une guerre supplémentaire
pour être convaincus de la nécessité d'un accord.
La droite palestinienne, et notamment
les mouvements islamistes, ont manifesté clairement ces derniers mois leur
opposition à la paix, et le changement de majorité en Israël leur convient
parfaitement. Ils ont tout fait pour que Sharon soit élu, par le biais de
l'intifada ou du terrorisme. Ils préfèrent voir à la tête d'Israël un dirigeant
de droite, dont l'histoire personnelle est marquée par la violence, plutôt qu'un
dirigeant de gauche qui appelle à la paix. Cette force montante actuellement
dans les territoires oblige la majorité palestinienne à suivre leur ligne. De la
même manière, la droite israélienne préfère voir les mouvements extrémistes
contrôler la rue palestinienne.
- Les pays arabes avoisinants
risquent-ils de changer d'attitude envers Israël dirigée par Sharon
?
- Sami Michaël. L'Egypte a montré à
plusieurs reprises sa fidélité au processus de paix. Le peuple égyptien et ses
dirigeants ont prouvé qu'ils respectaient les accords signés. Même durant la
guerre du Liban, l'Egypte n'a pas cherché à annuler le traité signé en 1979 par
Begin et Sadate. Les relations israélo-égyptiennes risquent peut-être de subir
un refroidissement mais la situation interne de l'Egypte, qui traverse
actuellement une grave crise économique, ne lui permet pas de s'aventurer vers
un conflit armé. C'est le cas également de la Jordanie, qui lutte pour redresser
son économie. En outre, elle est divisée par un conflit interne entre les
Palestiniens habitant la Jordanie et la majorité hachémite. Les Jordaniens n'ont
aucun intérêt à faire la guerre. Quant à la Syrie, elle est surtout préoccupée
par la succession de Bachar El Assad après la mort de son père. Aucun des pays
arabes avoisinants ne se lancera dans un conflit direct avec Israël, l'une des
puissances militaires de la région. Même l'Irak ne représente pas une menace
directe. Malgré la rhétorique de guerre ou des menaces, je n'imagine guère les
troupes irakiennes attaquant Israël.
- De nombreux Israéliens
pensent qu'Ehud Barak est allé trop loin dans les concessions qu'il a proposées
aux Palestiniens, notamment sur la question de Jérusalem. Partagez-vous cet avis
?
- Sami Michaël. Non, il aurait pu
aller plus loin encore. Mais je ne le blâme pas. Il a fait tout son possible
pour obtenir la paix. Je le vois comme un précurseur qui s'est sacrifié dans sa
démarche. Je l'admire pour sa détermination. Il est le premier dirigeant depuis
cinquante ans qui ait mis en péril son poste pour parvenir à ses fins, mais il
était en avance sur son temps. Concernant Jérusalem, le partage est la seule
solution envisageable. Cette ville est divisée de facto, et quiconque prétend le
contraire ment. Les Israéliens ont été abreuvés de mythes pendant des années,
comme celui de la " ville unifiée ". Or il s'agit de deux capitales pour deux
peuples. Quant aux lieux saints, ils ne devraient pas constituer une pomme de
discorde. Après tout, les deux peuples prient le même Dieu et lisent les mêmes
livres saints. Malheureusement, la religion a été empoisonnée par le
nationalisme et le nationalisme a été déformé par la religion. Ces lieux sont
saints aux yeux des deux peuples. La croyance en Dieu unit juifs et
musulmans.
- Certains écrivains et
intellectuels se sont prononcés récemment contre le droit au retour des réfugiés
palestiniens. Quelle est votre position ?
- Sami Michaël. Je suis moi-même un
réfugié d'Irak. Plus de la moitié des Israéliens sont des réfugiés qui ont dû
quitter leur pays d'origine. Je suis prêt à donner la maison de mon enfance à
Bagdad à des réfugiés palestiniens. Mais un retour dans les limites du
territoire israélien me paraît impossible. D'une part, parce qu'il remet en
cause les fondements de l'état juif. En outre, le pays est surpeuplé, nous
n'avons pas suffisamment d'eau ou de terres pour tout le monde. Il faudrait
supprimer le droit au retour des réfugiés mais également geler la loi du retour
qui autorise les juifs à venir vivre en Israël. En outre, les réfugiés ont droit
à des compensations, ainsi qu'à une reconnaissance de l'implication israélienne
dans leur sort. Parallèlement, les pays arabes doivent agir de même envers les
juifs qui ont fui durant la guerre.
- Comment expliquez-vous
l'embarras de la gauche durant ces derniers mois ?
- Sami Michaël. La gauche israélienne
est complètement déconnectée de la réalité et de son peuple. Elle représente
uniquement l'élite israélienne et, en ce sens, elle puise ses racines dans les
mouvements de gauche européens. C'est une gauche de salon, prompte à tenir de
grands discours ou à recevoir des prix Nobel, mais incapable d'agir. Il s'agit
d'un mouvement isolé, tout juste bon à organiser des manifestations spectacles
pour la télévision. J'ai été extrêmement déçu par le comportement de la gauche
israélienne ces derniers mois. Elle a une lourde part de responsabilité dans
l'échec d'Ehud Barak. Outre son silence face au drame palestinien, elle ne
parvient pas à s'occuper des problèmes de son propre peuple. Une gauche
véritable se soucie avant tout du bien-être de sa propre nation. Or celle-ci se
complaît dans un sentiment de supériorité vis-à-vis du peuple qu'elle est censée
représenter. Je pense en particulier aux Arabes israéliens. La coexistence entre
Juifs et Arabes n'existe pas et elle n'a jamais existé.
- Le fait que les Israéliens
soient appelés aux urnes de plus en plus fréquemment signifie-t-il qu'une
réforme du système électoral soit nécessaire ?
- Sami Michaël. Je ne veux pas
remettre en cause la méthode. Depuis la guerre de Kippour, en 1973,
l'instabilité fait partie de notre lot quotidien. Dans ce contexte, le vote est
avant tout un acte de protestation envers le gouvernement au pouvoir et il est
surtout révélateur des dissensions profondes au sein de la société israélienne.
Cette tendance caractérise tout le Moyen-Orient, et elle s'amplifie en Israël,
comme le prouvent les fréquentes élections.
- Les divisions existent
surtout au sein de la Knesset, qui est contrôlée par les partis religieux.
Peut-on envisager une "révolution civile" qui ôterait la force démesurée détenue
actuellement pas ces partis ?
- Sami Michaël. Les deux principaux
partis (le Likoud et les travaillistes) se livrent à une guerre mutuelle par le
biais des partis religieux. Ces derniers sont donc en position de force et ils
peuvent monnayer leur soutien dans la coalition gouvernementale.
Quant à la révolution civile, elle
n'est pour l'instant qu'un simple souhait. Le conflit national que nous vivons
actuellement empêche tout règlement de questions intérieures. Tant que le
conflit est religieux, il ne permet aucune réforme visant à séparer l'Etat de la
religion. La religion a enrôlé le pays et le pays est enrôlé par la
religion...
11.
Explosion de
violence à Ramallah, avec tirs d'un tank israélien par Phil
Reeves
in The Independent
(quotidien britanique) du samedi 10 février 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Moyen-Orient : Sharon prend un premier
contact direct avec Arafat, tandis que les Palestiniens manifestent leur colère
au cours de deux heures d'échauffourées en Cisjordanie.
Hier, les bruits
sourds des impacts des obus de tanks résonnaient au-dessus des collines de
Ramallah. Deux heures d'une véritable bataille sont venues apporter une preuve,
s'il était besoin, de l'escalade de l'insurrection des Palestiniens, qui entre
dans son cinquième mois, au lendemain de l'élection en Israël d'Ariel Sharon, un
homme considéré par les Arabes comme un criminel de guerre.
Au cours de ces
violences, les pires des deux semaines écoulées, dans cette ville de Cisjordanie
déjà marquée des stigmates visibles du conflit, les Israéliens ont eu recours
jusqu'à des snipers et des tirs de mitraillettes contre les guérilleros
Palestiniens, qui leur tiraient dessus depuis l'hôtel City Inn d'El-Bireh, champ
de bataille bien établi de l'intifada, où le territoire sous contrôle militaire
israélien exclusif est au contact d'une zone gérée par l'Autorité
palestinienne.
L'excitation était si importante que de jeunes hommes
palestiniens, le visage masqué, que l'on emmenait à une clinique improvisée
voisine, afin de les traiter après qu'ils eûrent inhalé des gaz lacrymogènes,
étaient ramenés sur le champ des opérations, "requinqués" après quelques
bouffées d'oxygène... Ici, les soldats israéliens, abrités derrière des jeeps
blindées, tiraient des balles revêtues de caoutchouc - mortelles - sur la foule.
Celle-ci les bombardait, en retour, de pierres, de cocktails molotov et divers
projectiles lancés avec des frondes.
La bataille, qui s'est engagée après que
des activistes palestiniens aient annoncé une nouvelle "Journée de Colère", et
après un attentat à la voiture piégée, mardi dernier, à Jérusalem-Ouest, a
commencé lorsqu'une foule de plusieurs centaines de Palestiniens s'est mise en
mouvement en direction du point-frontière, pour marquer l'anniversaire de la
fondation d'un petit parti d'extrême-gauche, le PPP.
Ce fut le premier jour
de violence sérieuse à Ramallah, nid de résistance à Israël, et siège des
administrations de l'Autorité palestinienne, en Cisjordanie, depuis l'élection,
mardi 6 février, de M. Sharon, que les Palestiniens détestent au moins autant
(si ce n'est encore plus) que son rival défait, Ehud Barak.
"C'est un signal
délibéré donné par l'armée israélienne afin de montrer aux Palestiniens qu'ils
sont très heureux que Sharon soit passé", a déclaré le Dr Mustafa Barghouthi,
président de l'Union des Comités de Secours Médical Palestiniens, tandis que le
bruit des tirs de mitraillettes se répandait, en échos, au-dessus des terrasses,
et tandis que des Palestiniens progressaient dans les rues, en longeant les murs
et en se risquant, au pas de course, d'une entrée de maison à l'autre.
M.
Sharon - l'homme qui n'a fait se déclencher l'insurrection que dans un seul but
: devenir Premier ministre - a tenu hier des conversations avec M. Barak à
propos de la possibilité pour le Parti Travailliste - battu à plate couture - de
rejoindre un gouvernement d'union nationale. Il a aussi eu son premier contact
direct avec Yasser Arafat, au cours d'une conversation téléphonique. Le leader
israélien parle désormais d'efforts pour obtenir un pacte de non-belligérance
laissant ouvertes les possibilités de négociations à venir, avec les
Palestiniens, plutôt qu'un traité de paix définitif.
Mais il y a des limites
très claires à ce que M. Arafat peut faire, à supposer que tel soit son désir,
afin de mettre un terme à l'intifada. Son Autorité palestinienne est chancelante
et prête à s'écrouler, économiquement parlant. L'anarchie guette. L'insurrection
est menée désormais par des groupes radicaux, qui incluent des éléments de sa
propre organisation, le Fath, qui respectent le fait qu'il incarne le
nationalisme palestinien sur la scène internationale, mais qui ne reçoivent pas
d'ordres de lui.
Hier, à Gaza, une nouvelle preuve du soutien populaire dont
jouissent ces militants a été donnée, lorsque des milliers de manifestants se
sont déversés dans les rues pour se rassembler sous les bannières du Jihad
islamique et du Hamas, brûlant des effigies de M. Sharon et de George W. Bush.
La bataille, à Ramallah, était pathétiquement inégale, c'était un conflit
opposant des combattants palestiniens armés de Kalashnikovs à des troupes
d'occupation hyper-protégées et équipées d'une panoplie d'artillerie lourde
faite plus (et de beaucoup) pour affronter une armée ennemie bien équipée,
qu'une guérilla équipée d'armes légères, et a fortiori des émeutiers non-armés.
Des médecins palestiniens ont déclaré qu'au moins vingt-sept personnes ont été
blessées, dont huit par balles réelles, parmi lesquelles un photographe
belge.
Dans cette véritable boucherie, le sang et la souffrance étaient mêlés
à l'humour : parmi les gens qui faisaient la guerre à Israël, hier, se trouvait
un apiculteur d'une cinquantaine d'années, qui a délaissé ses ruches pour se
livrer à une bataille quotidienne contre les occupants ennemis, sous le nom de
guerre d'Abu Atef.
Engoncé dans une armure maison - un gilet pare-balles
fabriqué sur ses indications par le ferronnier du coin - et la tête protégée par
un vieux casque de l'armée jordanienne, il renyait sur les soldats, à l'aide
d'une catapulte personnelle bricolée, les billes d'acier récupérées en "pelant"
les balles revêtues de caoutchouc israéliennes.
Il a libéré ses abeilles.
Bien qu'ayant la charge de six enfants, beaucoup plus âgés que les jeunes qui
s'exposent aux balles, il ne pense plus désormais qu'à son combat quotidien
contre les Israéliens. "Nous devons f... les Juifs hors d'ici", dit-il, avant de
reprendre ses tirs de billes d'acier. "Sharon y compris".
12.
Barak et Pérès
prêts à discuter avec Sharon par Didier François
in Libération du samedi
10 et dimanche 11 fevrier 2001
Le futur Premier ministre cherche
l'union nationale.
Jérusalem envoyé spécial
Les chebab sont de retour. Un
tee-shirt noué sur le visage en guise de masque à gaz, les jeunes frondeurs
palestiniens ont retrouvé le chemin des carrefours où stationne l'armée
israélienne. Partout dans les territoires occupés, les heurts ont repris de plus
belle, vendredi, à l'occasion d'une «journée de colère». Comme si l'élection
d'Ariel Sharon avait redonné quelque souffle à une Intifada moins combative. Les
émeutiers ont vite été relayés par les tireurs embusqués. Et de sévères échanges
de feu se sont multipliés, les forces d'Israël usant à plusieurs reprises de
leurs chars. Un adolescent a été tué à Gaza. Une cinquantaine de blessés au
total, dont une vingtaine dans la seule ville de Ramallah, en Cisjordanie, où le
photographe français, Laurent Van Der Stock a également été touché par une balle
à la jambe.
Fausse sortie. Pendant ce temps, à Jérusalem, le Premier
ministre élu rencontrait son prédécesseur Ehud Barak pour tenter de mettre sur
pied une coalition gouvernementale sous les dix jours. Vendredi, il a eu aussi
son premier entretien téléphonique avec Yasser Arafat depuis sa victoire mardi
dernier. Selon un communiqué, Sharon s'est voulu rassurant, affirmant qu'il
fallait «avancer en direction de la paix».
Barak l'avait pourtant juré. Pas
question de participer à un gouvernement dirigé par Sharon, alors dénoncé comme
un dangereux va-t-en-guerre. Promesse de campagne, elle n'aura guère résisté à
la sanction des urnes. Le Premier ministre défait a rencontré son tombeur. «Le
peuple veut l'unité», avait-il lâché jeudi devant le Parti travailliste réuni à
Tel-Aviv pour digérer sa déculottée électorale: «je ne pense pas qu'un mouvement
comme le nôtre puisse se boucher les yeux et les oreilles». Le candidat battu
avait également annoncé son intention d'abandonner la présidence de sa
formation, ainsi que son siège de député.
La gauche du Parti travailliste,
attachée au processus de paix, dénonce une capitulation indigne. Et d'agiter le
spectre de la scission. Chef de file des opposants à une coalition, le ministre
sortant de la Justice menace de créer un groupe parlementaire indépendant. Yossi
Beilin assure qu'il peut d'ores et déjà compter sur le soutien de neuf députés,
le tiers des élus travaillistes à la Knesset.
Cette nouvelle fraction
envisagerait une alliance avec les six élus du Meretz, la moitié du Parti du
centre et les deux députés du Choix démocratique. Le président de Meretz a déjà
répondu favorablement à la formation d'un «bloc d'opposition active». Membre de
l'équipe de négociation des travaillistes, Avi Yehezkel a, lui, estimé que «ceux
qui soutiennent l'établissement d'un gouvernement d'union nationale tirent une
balle dans la tête du parti. Nous devons laisser Sharon s'étouffer dans une
coalition nationaliste serrée avec les Haredim», les religieux orthodoxes qui
ont largement contribué à sa victoire.
Caution de Barak. Les «colombes»
craignent que les conditions du compromis ne passent par l'abandon des principes
fondateurs des accords d'Oslo. Dès la victoire de Sharon, son entourage a
lourdement répété son rejet des concessions israéliennes proposées lors des
pourparlers de ces derniers mois. On voit mal comment le nouveau Premier
ministre pourra abandonner subitement son attitude de fermeté. D'autant que
Barak vient de lui offrir une caution inespérée. «Les idées soulevées au cours
des négociations avec le président de l'Autorité palestinienne Yasser Arafat,
notamment celles évoquées au sommet de Camp David, n'engagent pas le nouveau
gouvernement qui sera formé en Israël», écrit-il dans une missive adressée au
président Georges Bush.
Chasse aux maroquins. Grand prince, Sharon propose
aux courtisés travaillistes un nombre de portefeuilles égal à celui qu'obtiendra
son mouvement, le Likoud. Avec au choix, cerise sur le gâteau, deux des trois
grandes charges: la Défense, les Affaires étrangères ou les Finances.
Le
doux crissement des maroquins ministériels attise donc quelques ambitions et
nombreux sont les prétendants à la succession de Barak que sa fausse sortie
irrite. Favorable à la formation d'un gouvernement d'union, le vieux routier
Shimon Pérès ne cache plus son agacement. «La période est finie où le parti
était dirigé par télécommande, sans discussions et sans instances», a-t-il
prévenu. Autre candidat à la direction des travaillistes, le président de
l'Assemblée Avraham Burg pousse à la tenue de primaires rapides pour trouver un
nouveau chef à une gauche israélienne atomisée par l'ampleur de sa défaite.
Le secrétaire d'Etat américain Colin Powell a annoncé vendredi qu'il
effectuerait fin février une tournée marathon dans cinq pays du Proche-Orient -
l'Egypte, l'Arabie saoudite, Israël, la Jordanie et le Koweït - ainsi que dans
les territoires palestiniens.
13.
Un photographe
belge blessé par balle
in La Meuse (quotidien
belge) du samedi 10 février 2001
Laurent Van der Stockt, un
photographe belge de 36 ans qui travaille pour l'agence de presse Gamma, a été
blessé au tibia par une balle de M16, lors d'une émeute qui a opposé, vendredi,
«jour de colère», des Palestiniens à l'armée israélienne en Cisjordanie. Il a
été transporté à l'hôpital de Ramallah avant d'être transféré à Jérusalem. Ses
jours ne sont pas en danger. Originaire de Haine-St-Paul (Hainaut), Van der
Stockt est spécialisé dans les reportages de guerre. Il a notamment couvert les
conflits du Rwanda, de la Tchétchénie, de l'Afghanistan et de l'ex-Yougoslavie.
Il a par ailleurs couvert la première Intifada, en 1987. Ce n'est pas la
première fois qu'il est blessé.
14.
Le criminel par Seumas
Milne
in The Guardian (quotidien britanique) du
vendredi 9 février 2001
[traduit de l'anglais par
Giorgio Basile]
Nous qualifions ces hommes de
criminels de guerre lorsqu'ils s'appellent Milosevic ou Pinochet. Mais pas
Sharon
On nous l'a régulièrement réaffirmé, les gouvernements et leurs
dirigeants ne peuvent plus se soustraire à la justice globale. Ils ne peuvent
plus s'abriter derrière des juridictions nationales et des souverainetés d'État.
Ceux qui se sont rendus responsables de violations des droits de l'homme,
d'épuration ethnique, d'atrocités et, plus encore, de crimes de guerre, doivent
être et seront poursuivis, sans tenir compte des frontières nationales, dans un
monde interdépendant.
Tel fut le thème de la «guerre humanitaire» menée par
l'OTAN contre la Yougoslavie - soutenue avec enthousiasme par Tony Blair -, de
la traque menée contre les chefs de guerre serbes et croates, du projet d'une
Cour Internationale contre les crimes de guerre, et des millions de dollars
accordés par le Congrès américain en vue des poursuites engagées contre les
dirigeants irakiens et leurs familles.
Tel fut aussi le message lors de la
tentative citoyenne de poursuivre le dictateur chilien Augusto Pinochet, et lors
de la rupture des relations politiques entre l'Autriche et le reste de l'Union
Européenne, en réponse à l'arrivée au pouvoir du parti d'extrême-droite conduit
par Jörg Haider. Mais les partisans de cette nouvelle «doctrine de la communauté
internationale» se sont fait étrangement discrets depuis l'élection au poste de
premier ministre d'Israël du leader de l'extrême-droite, le général Ariel
Sharon. Relations de routine, à ce qu'il semble, avec l'homme tenu pour
personnellement responsable du plus important massacre de civils de l'histoire
du conflit israélo-arabe.
Le premier ministre britannique a eu mercredi avec
Sharon un entretien qualifié de cordial, pendant que Robin Cook envisageait avec
plaisir la perspective de «construire sur des bases communes» et de «faire
avancer le processus de paix» avec un homme politique dont la parade
provocatrice l'an passé à Jérusalem a déclenché le soulèvement palestinien
actuel, et qui suggère, pour venir à bout des manifestants, de «leur couper les
testicules». Pendant ce temps, le président Bush assurait à Sharon que le
soutien des États-Unis à Israël est «solide comme le roc».
Bien sûr, les
gouvernements ont affaire avec toutes sortes de dirigeants au passé pas toujours
brillant. Mais Sharon est plus que cela. Sous n'importe quel angle raisonnable,
il doit être considéré comme un criminel de guerre. C'est un assassin, dont
l'histoire, faite de terreur et de violations du droit de la guerre, remonte au
début des années cinquante, lorsque son unité massacra des villageois
palestiniens, se poursuit par l'assaut brutal infligé aux réfugiés de Gaza dans
les années 70, pour aboutir à son rôle central dans l'invasion du Liban en 1982,
au cours de laquelle 20.000 personnes trouvèrent la mort.
Environ 2.000
d'entre eux furent massacrés dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et
Chatila, en 36 heures, au cours d'une boucherie dont les auteurs, les
Phalangistes libanais, étaient en effet placés sous le contrôle de Sharon.
Sharon a régulièrement prétendu que ces camps étaient infestés de terroristes.
En réalité, les victimes étaient, à une écrasante majorité, des civils non
armés, les combattants de l'OLP ayant été évacués après la promesse, dont les
États-Unis s'étaient portés garants, que leurs familles seraient
protégées.
La commission Kahan, mise en place par Israël, déclara Sharon
«personnellement» mais «indirectement» responsable du massacre; savoir si une
cour indépendante serait aussi généreuse reste une question ouverte.
Le
retour au pouvoir de Sharon va mettre à l'épreuve la bonne foi des défenseurs
d'un système juridique international. Leurs critiques prétendent que la nouvelle
doctrine supranationale d'intervention et de légalité extra-territoriale est une
imposture, conçue par les grandes puissances pour maquiller d'un vernis de
légitimité leurs manœuvres d'intimidation à l'égard des États plus faibles qui
menacent leur autorité ou leurs intérêts. Selon eux, les crimes de guerre ou les
violations des droits humains, lorsqu'ils sont le fait des grandes puissances,
ou de leurs alliés occidentaux en particulier, seront toujours traités selon
d'autres critères, et resteront impunis.
Les perspectives ne sont
certainement pas encourageantes dans le cas d'Israël, autorisé depuis longtemps
par ses parrains occidentaux à violer une série de résolutions du Conseil de
Sécurité de l'ONU, alors que d'autres États de la région sont soumis, pour les
avoir transgressées, à un régime de sanctions meurtrières et d'attaques
aériennes.
Les crimes les plus horribles de Sharon sont plus récents que ceux
de Pinochet, et sa responsabilité dans les tueries de Sabra et Chatila est mieux
documentée que, par exemple, celle dont est accusé l'ancien dirigeant yougoslave
Slobodan Milosevic pour le massacre comparable de Srebrenica. On pourra objecter
que Sharon a été porté au pouvoir par une élection démocratique, et que le
poursuivre pour des crimes vieux de 18 ans ne fera en rien avancer les chances
d'un règlement pacifique du conflit israélo-palestinien.
Un tel règlement
deviendra plus probable une fois que la majorité des Israéliens aura pris
conscience que la ligne dure de la politique de répression de Sharon ne
débouchera pas sur la sécurité à laquelle ils aspirent; et des sanctions
semblent mieux convenir à un État dont les citoyens ont la possibilité
d'exprimer leur volonté politique, qu'à une dictature, dans laquelle ils en sont
privés.
Bien sûr, aucun gouvernement occidental ne lèvera le petit doigt
contre Sharon, bien que des organisations de défense des droits humains et des
organisations pro-palestiniennes soient déjà en train de mettre sur pied une
action légale dans le genre de celle menée contre Pinochet, pour le cas où il
s'aventurerait à l'étranger. Il y a peu de chances d'entendre des remarques de
désapprobation, dans le style des protestations diplomatiques à l'égard de
Haider, ou d'assister à une suspension des ventes d'armes, comme l'a réclamée
mercredi un groupe de parlementaires travaillistes. Cela pourrait pourtant
envoyer aux électeurs israéliens le signal qu'il existe des limites au soutien
matériel de l'étranger.
Durant la guerre du Kosovo, Tony Blair fit savoir que
sa politique d'intervention étrangère était basée sur un «subtil mélange»
d'intérêt personnel et d'intention morale. Compte tenu des réactions à
l'élection de Sharon, elle semble plutôt se réduire à une intention morale avec
les ennemis, et à l'intérêt personnel quand il est question d'amis.
15.
"Le peuple
palestinien est le plus humilié"
in Le Soir (quotidien
belge) du vendredi 9 février 2001
Après l'élection d'Ariel sharon
comme Premier ministre israélien, les deux vice-présidents de la commission des
Affaires étrangères du Sénat belge, Alain Destexhe (PRL) et Josy Dubié (Ecolo)
ont écrit aux présidents du Sénat et de la commission des Affaires étrangères du
Sénat cette demande d'envoi d'une mission parlementaire dans les territoires
occupés.
L'élection d'Ariel Sharon risque d'entraîner un nouveau regain de
tension et de violence dans les territoires occupés alors qu'il a déjà eu plus
de 400 morts depuis le début de la nouvelle Intifada et que la répression
israélienne a entraîné le nombre hallucinant de plus de 10.000 blessés dont
4.000 enfants ou adolescents.
Nous avons le sentiment que la communauté
internationale est tellement habituée à cette occupation que nos capacités
d'analyse et d'indignation en sont singulièrement émoussées.
Nous nous sommes
rendus dans les territoires occupés à plusieurs reprises, l'un comme
journaliste, l'autre en mission humanitaire. Pourtant coutumiers des conflits et
catastrophes humanitaires, cette situation unique au monde nous a profondément
marqués et choqués, même si nous ne partageons pas nécessairement la même
analyse du conflit.
Ce que nous avons découvert sur place était au-delà de ce
que nous avions pu voir, lire ou entendre depuis notre enfance. Trop d'hommes
politiques européens croient connaître ce problème si ancien alors que, à notre
avis, seule une visite sur place peut permettre de voir et de comprendre la
situation d'occupation dans laquelle vivent les Palestiniens. Avons-nous oublié
ce que ce terme signifie ? Les Palestiniens ne sont sans doute pas le peuple le
plus opprimé de la terre (certaines dictatures arabes sont mal placées pour
donner des leçons), mais c'est, à notre avis, le plus humilié. Il faut
comprendre la réalité humaine qui se cache derrière des mots abstraits comme «
fermeture des territoires », « implantation de colonies juives » ou « action de
représailles ». Et à notre connaissance, Israël, dont nous nous sentons aussi
solidaire dans son destin, est la seule démocratie au monde qui a légalisé la
torture et qui tire à balles réelles sur des enfants et des adolescents, même si
nous n'ignorons ni l'instrumentalisation de la violence par les autorités
palestiniennes, ni l'endoctrinement d'une jeunesse désespérée et sans avenir, ni
le fanatisme extrémiste de certains.
Nous pensons qu'il est urgent qu'une
délégation de parlementaires belges se rende sur place. D'une part pour
redécouvrir, à partir d'une expérience de terrain, une situation que l'on croit
bien connaître. D'autre part, pour témoigner de ce que nous aurons vu à un
moment particulièrement critique dans les rapports entre Israël et les
Palestiniens. Enfin, pour affirmer une présence de l'Europe qui doit s'exprimer
à plusieurs niveaux (Union, gouvernements, parlements). Nous constatons
qu'aucune délégation officielle de parlementaires ne s'est jamais rendue sur
place.
C'est pour ces raisons que nous demandons d'urgence à la commission
des affaires étrangères, au président De Decker et au bureau du Sénat
d'organiser une mission parlementaire sur place.
16.
Les réfugiés
palestiniens en Jordanie se réjouissent de la victoire de Sharon par
Sulayman Al-Khalidi
in Al-Quds Al-Arabi (hebdomadaire arabe publié à Londres)
du jeudi 8 février 2001
[traduit de l'arabe par
Marcel Charbonnier]
Camp de réfugiés d'Al-Buq'a
(Jordanie)
Les réfugiés palestiniens en Jordanie ont accueilli la victoire
d'Ariel Sharon, chef d'extrême droite du Likoud, hier mercredi, en disant que
cette victoire est de nature à dévoiler enfin le "mensonge" de la paix avec
l'Etat hébreu. Beaucoup des réfugiés du camp d'al-Buq'a ont exprimé leur joie à
la nouvelle de la victoire écrasante de Sharon sur son concurrent Ehud Barak,
aux élections de la veille, pour la désignation du premier ministre
israélien.
Le camp d'al-Buq'a est le plus grand des camps de réfugiés
palestiniens enregistrés à l'ONU. Les réfugiés qui y vivent pensent que leur
leader les a trahis et qu'Israël les a humiliés ; ils ont perdu tout espoir en
l'avenir. Imad Salaméh, cantonnier de la municipalité, nous dit : "Nous avons
besoin de quelqu'un comme Sharon ; lui seul peut infliger une leçon aux régimes
arabes". Ceci reflète les doutes qui envahissent un camp qui abrite 120 000
réfugiés vivant en exil depuis qu'ils ont tenté d'échapper aux guerres de 1948
et de 1967. Certains des habitants de ce camp disent qu'ils n'ont jamais cru en
la paix avec Israël ou aux accords promettant une solution définitive. Bassam
Salih, employé dans un commerce, nous dit : "Sharon est un homme de guerre...
Les Arabes ont de la chance : Sharon est devenu le dirigeant d'Israël".
Ahmad
Jamil, 72 ans et père de sept enfants, nous dit : "peut-être Sharon va-t-il
réveiller les Arabes tant qu'il est encore temps... Je préfère Sharon à Barak,
il est plus fiable et il n'a pas la même duplicité... lui, au moins, c'est un
homme dont on sait où il veut aller..."
Mustafa Turki, 45 ans, instituteur :
"j'espère que Sharon frappera les intérêts des Arabes afin que la patrie arabe
('umma) se secoue et sorte de sa léthargie".
La Jordanie accueille plus de
quarante pour cent des 3,6 millions de réfugiés palestiniens enregistrés auprès
de l'ONU, au Moyen-Orient. Les camps provisoires qui encerclent les hauteurs
dominant les principales villes jordaniennes sont un mémorial tangible du
conflit.
Un jeune garçon nous dit, la mine réjouie : "je suis heureux de la
victoire de Sharon ; ce que nous voulons, c'est la guerre." Il ajoute qu'il mène
une vie misérable en Jordanie où il est réfugié, et qu'il n'espère plus pouvoir
retourner chez lui.
Pour lui, Sharon va ranimer l'esprit de résistance chez
les Palestiniens, les droits arabes ne pouvant être obtenus qu'à travers la
lutte armée contre Israël. Des jeunes au chômage et des ouvriers faisant leurs
courses dans la rue principale du camp m'ont dit que les Palestiniens n'avaient
rien à perdre et qu'ils sont prêts au pire. Pour Ibrahim Ayish, vendeur de
légumes -qu'il produit lui-même - dans les rues surpeuplées du camp, "Sharon va
mettre de l'huile sur le feu, c'est sûr..."
Mais d'autres voient en la
victoire de Sharon un mauvais augure, ils pensent qu'il va renforcer la
répression contre les Palestiniens. Pour Aïman Abu Dayyéh, trente-six ans, "la
victoire de Sharon signifie, pour nous, les Palestiniens, l'extermination... il
va apporter la destruction totale dans la région. C'est un criminel de
guerre".
La majorité de la population jordanienne, qui atteint cinq millions
d'âmes, est constituée de Palestiniens qui s'y sont réfugiés, fuyant les combats
qui ont accompagné la création d'Israël, en 1948.
17.
Les Palestiniens
ont perdu leur chance par Norman Spector
in Le Devoir (quotidien
quebécois) du jeudi 8 février 2001
(Norman Spector est ex-ambassadeur
du Canada en Israël et auprès de l'Autorité palestinienne, et éditeur du
"Jerusalem Post" en 1997 et 1998.)
Yasser Arafat et Ariel Sharon se
ressemblent comme deux gouttes d'eau, ce que ni l'un ni l'autre - ni leurs
défenseurs les plus acharnés - n'admettront jamais. Mardi, les Israéliens ont
élu comme premier ministre un guerrier, pour faire face à celui des
Palestiniens. M. Sharon, un ancien général qui a la réputation de tromper ses
supérieurs, a récemment dit à un journaliste de la revue américaine New Yorker
que Yasser Arafat est «un menteur et un meurtrier». Il répète souvent également
que ses mains sont trempées de sang.
Vous ne le sauriez pas en rencontrant
le chef palestinien: ses mains sont petites et blanches, avec de grandes taches
brunes. La poignée de main - que Sharon a toujours refusée - est molle, presque
féminine. Yasser Arafat est un hôte charmant et courtois. Il accueille ses
visiteurs à l'extérieur de son bureau à Gaza. Il vous emmène par les escaliers à
une salle de réunion construite pour des invités étrangers. Après les
courtoisies diplomatiques habituelles, il vous conduit dans la salle à manger
adjacente. De jeunes Palestiniens, vêtus en blanc, circulent autour de la grande
table rectangulaire, servant un potage de poulet qui est aussi savoureux que
celui de ma grand-mère. Plus tard, nous savourons des mets arabes plus
traditionnels, y compris un q'atayef merveilleux pour le dessert.
Sous le
regard des soldats en uniforme, armés avec des Kalachnikovs, Arafat essuie son
humus délicatement, faisant une pause pour servir ses invités personnellement -
transperçant un autre morceau de poulet ici, une boule de kibbeh là. Exsudant la
modération et le compromis, ses mots sont rassurants. Il est difficile de croire
que cet homme a donné l'ordre qui a mené à la mort des athlètes israéliens aux
Jeux olympiques en 1972, encore plus difficile d'accepter qu'il ait envoyé les
terroristes qui ont tué 19 écoliers israéliens à Ma'alot. Et ceci n'est qu'une
courte liste de ses énormités.
Une visite à la ferme d'Ariel Sharon,
Ha'shikmim, provoque des émotions semblables, malgré les déclarations
palestiniennes qu'il s'agit d'un criminel de guerre. Après avoir quitté
l'autoroute à l'endroit où des troupes égyptiennes envahissantes ont été
arrêtées en 1948, votre regard se porte bientôt sur la plus grande ferme en
Israël, 400 hectares au coeur du désert de Néguev.
Ariel Sharon a participé à
toutes les guerres principales d'Israël. Les images de 1948 montrent un soldat
mince avec de longs cheveux et un large sourire sur son visage. Maintenant, ses
cheveux sont blancs comme neige et il est énorme - particulièrement autour de la
taille. Son épouse, Lily, était encore vivante lorsque je l'ai rencontré. Nous
amadouant habilement avec son gâteau, à juste titre célèbre, elle remplit nos
tasses de café à intervalles réguliers et, attentive à la conversation,
intervient de temps en temps.
Sharon est détendu mais il n'est pas un penseur
organisé. Parlant lentement et pensivement, il entremêle son message d'humour et
même d'émotion. Il éprouve beaucoup de difficulté à sortir de sa chaise pour
aller chercher les cartes qu'il veut me montrer.
La terre est l'essence de
son existence. Même lorsqu'il était dans l'opposition, il invitait des
diplomates à voyager avec lui en Cisjordanie, leur montrant les emplacements
stratégiques et du même coup insistant sur son rapport intime avec la terre et
entremêlant des allusions fréquentes à l'histoire juive dans la région.
Tout
au long de sa carrière, il affirme les droits du peuple juif de vivre au
Proche-Orient, même en Cisjordanie. Le défunt président égyptien, Anwar Sadat,
lui a expliqué comment, pour les Arabes, la terre équivaut à l'honneur, et il
dit que les juifs devraient avoir le même attachement. C'est simplement une
question de dignité, un de ses mots préférés.
Notre conversation continue
dans l'après-midi, et je me pince pour me rappeler que cet homme a été forcé de
démissionner dans le déshonneur après les massacres des réfugiés à Sabra et à
Shatila en 1982, pour lesquels il a été jugé indirectement responsable. Je me
rappelle également que, en 1953, il a ordonné des représailles impitoyables à
Kibya contre les guérilleros palestiniens, laissant 69 Arabes morts - la moitié
d'entre eux des femmes et des enfants. Et il y a plus, beaucoup plus, dans son
passé.
Cela étant, les Israéliens ont voté pour Sharon en raison de sa
tactique brillante de combat dans les guerres de 1967 et de 1973, y compris ses
manoeuvres audacieuses pour traverser le canal de Suez. Les Israéliens se sont
fâchés avec Arafat - récemment filmé portant un fusil automatique et continuant,
malgré son prix Nobel de la paix pour l'accord d'Oslo, d'apparaître en uniforme
militaire.
Les Israéliens craignent pour leur sécurité, et sont fâchés avec
leur soldat le plus décoré, Éhoud Barak, qu'ils blâment pour la violence qui
dure maintenant depuis plus de quatre mois. Barak a détruit toutes les illusions
en proposant les concessions les plus importantes que n'importe quel chef
israélien ait été disposé à faire, y compris la division de Jérusalem.
Le
refus d'Arafat de rendre la pareille avec des concessions, la violence qui
s'ensuivit et les maladresses de Barak lui-même ont éloigné ses constituants,
particulièrement les Arabes israéliens, aussi bien que les électeurs du centre
qui, bien que sceptiques, avaient cru que la paix était possible. Ils croient
maintenant qu'Arafat les a pris pour des freyerim, ou des dupes, une des pires
insultes que vous pouvez faire à un Israélien.
Tandis que certains indiquent
qu'il entendra maintenant raison, les Palestiniens sont fâchés et la majorité
croient que leurs objectifs ne peuvent être réalisés que par la violence. Moins
de 24 heures après que ses négociateurs eurent obtenu une réponse favorable à
presque toutes leurs revendications, le chef palestinien s'est lancé dans une
diatribe contre Israël à Davos, traitant ses partenaires pour la paix de
«fascistes».
Essayer de tirer des concessions ultimes de Barak à la veille
des élections, c'est de bonne guerre. Et beaucoup de personnes espèrent qu'Ariel
Sharon voudra maintenant rejoindre le panthéon des conciliateurs du
Proche-Orient, parce qu'il verra que la majorité des Israéliens soutiennent
toujours le processus de paix. Comme Richard Nixon qui a ouvert des relations
avec la Chine, M. Sharon est le seul chef israélien qui n'a jamais démantelé une
colonie juive et ses défenseurs indiquent qu'il peut faire la paix avec les
Arabes.
Je souhaite que ce soit vrai, mais crains que ce ne soit pas le cas.
Ariel Sharon est fier d'avoir établi 240 colonies, et il ne croit pas qu'une
seule devrait être évacuée. En rejetant des concessions importantes d'Éhoud
Barak, Yasser Arafat a pu avoir manqué le bateau. Les Israéliens ont cessé de
l'écouter quand il a contesté n'importe quel lien juif au Temple Mount/Haram
al-Sharif et a exigé un droit au retour pour les réfugiés palestiniens, ce qui
voudrait dire l'abolition d'Israël comme État juif.
On dit que les gens
obtiennent les gouvernements qu'ils méritent. Tandis qu'Ariel Sharon et Yasser
Arafat se méritent, je ne puis croire, connaissant les deux peuples, que l'un ou
l'autre mérite le chef qu'il a maintenant. Leurs amis au Canada et dans le monde
peuvent seulement espérer que ces deux chefs disparaîtront de la scène politique
avant trop longtemps et que d'ici là les souffrances seront réduites au
maximum.
18.
Israël le vote
des sans-mémoire par Josette Alia
in Le Nouvel Observateur
du jeudi 8 février 2001
Fermier paisible, grand-père souriant,
guerrier prestigieux... On l'a montré ainsi tout au long d'une campagne
électorale tragiquement démagogique. Comme si Israël avait oublié subitement que
son nouveau Premier ministre était en réalité un boutefeu imprévisible qui ne
croit qu'à la force
Lundi 1er février, cinq jours avant
l'élection, on fêtait déjà au Likoud la victoire de Sharon. Dans une salle
surchauffée ornée de drapeaux et de banderoles, des garçons et des filles en
tee-shirt bleu et blanc se bousculent, rient, s'excitent, boivent du Coca. C'est
la grande kermesse. « On a gagné, envoyez le champagne ! », crie un ado survolté
aux cheveux hérissés en crête de coq. Les gosses grimpent sur les chaises,
agitent des drapeaux, hissent des cartons : « Barak, rentre chez toi ! », « Seul
Sharon nous protégera ! ». La sono entame à fond le tube du jour, « Seul Sharon
apportera la paix », repris en choeur en tapant des pieds et des mains. Ça
chauffe.
Sharon entre. Délire. Les gorilles
serrent les rangs et lancent des regards inquiets. On ne voit plus que la
crinière blanche de Sharon, un moment submergé. Un militant boutonneux qui a
réussi à serrer la main du leader vient serrer la main des copains,
impressionnés. Le premier discours tombe un peu à plat. Un professeur de philo -
assez peu doué, il faut dire - s'enflamme : « On dit qu'il n'y a pas
d'intellectuels au Likoud, ce sont des calomnies ! On lit au Likoud, on joue du
violon, et même on écrit des livres. Moi-même, j'en ai écrit trois... » Bide
total. La petite classe se dissipe, bavarde, téléphone aux amis. Se réveille
pour huer une déléguée qui lance un ballon d'essai : « Après les élections, il
faudra faire une union nationale. » Enfin Sharon parle, sans cesse interrompu
par les cris « Arik ! Arik ! », « Jérusalem ! Jérusalem ! ». Lorsqu'il affirme :
« Nous vaincrons Barak », les hurlements et les sifflets se déchaînent. « Nous
ne vaincrons pas par l'insulte mais par le vote », réussit à placer l'orateur.
Fin. La sono repart. Sharon est fatigué. Visiblement, ce public n'est plus de
son âge.
Pourtant, il se force à sourire. Car
pendant toute la campagne il a essayé de donner l'image d'un nouveau Sharon,
relooké, ouvert et tolérant. Prêt à conclure avec les Palestiniens une paix «
réaliste ». Capable surtout de gagner au centre les voix indispensables à sa
victoire électorale. Pendant trois mois, tout a donc été mis en oeuvre pour
rendre Sharon présentable. On l'a montré en fermier paisible, en grand-père
jouant avec son petit-fils. Des conseillers en communication l'ont marqué à la
culotte pour tenter de prévenir ou de corriger ses dérives verbales. Ils ont eu
du travail. Ce nouveau Sharon assagi était-il crédible ? Pas vraiment. Car en
Israël tout le monde connaît depuis longtemps les qualités et les défauts de
Sharon.
Docteur Jekyll et Mister Hyde, dit-on
souvent de lui. Il peut être charmeur, affable. Né en Palestine en 1928 dans une
famille de paysans pauvres venue de Russie, il a inscrit sur sa fiche d'entrée à
la Knesset « profession : paysan ». Il aime, un Stetson sur la tête, jouer au
pionnier sioniste dans sa luxueuse ferme de 40 hectares, avec piscine entourée
de palmiers. Car cet homme massif est aussi un hédoniste, fin mélomane. Il a été
marqué par des tragédies personnelles : la mort de sa première femme dans un
accident de voiture et celle de son fils de 11 ans qui se tua en nettoyant un
revolver. Il vient de perdre sa deuxième femme, Lili, « mon amie et l'amour de
ma vie ». En privé, il a, dit-on, de la sensibilité, de l'humour. Mais il peut
aussi se montrer brutal et malmener, voire humilier ceux qui travaillent pour
lui. Son passage comme ministre des Affaires étrangères a laissé aux diplomates
le souvenir d'un vrai cauchemar. « Pire que David Lévy », d'après l'un d'eux.
C'est dire !
Le personnage public de Sharon n'est
pas moins ambigu. Dernier survivant des héros nationaux que furent Dayan, Allon,
Rabin, Bar-Lev, il est aussi le plus controversé. Aujourd'hui, quel est le
Sharon qui occupera le poste de Premier ministre ? Est-ce le guerrier
prestigieux qui combattit à 14 ans dans la Haganah, l'armée secrète juive, et
prouva son courage dans toutes les guerres d'Israël ? Le général capable
d'initiatives fulgurantes, comme celle qui le conduisit, en 1973, pendant la
guerre de Kippour, à désobéir à son état-major et à lancer son armée dans une
traversée risquée du canal de Suez ? Sans attendre l'arrivée des ponts
flottants, il fit passer ses chars sur des radeaux. Par chance, le coup réussit,
la IIIe armée égyptienne fut prise à revers et Israël, qui avait frôlé la
défaite, gagna la guerre in extremis. Dayan, ulcéré par l'indiscipline de
Sharon, rengaina pourtant ses critiques.
Mais on peut aussi s'attendre au
Sharon boutefeu, à l'homme de commando spécialiste des répressions brutales : 69
morts, femmes et enfants compris, dans le village jordanien de Qibya, rasé en
1953. Gaza entourée de barbelés et des routes ouvertes à la dynamite dans les
camps de réfugiés en 1973. Ou au Sharon qui mentit à Begin, entraîna Israël dans
la guerre du Liban en 1982 et fut condamné par la justice israélienne pour
responsabilité indirecte dans le massacre des Palestiniens des camps de Sabra et
Chatila par les phalangistes libanais. Ce qui lui valut l'interdiction d'occuper
le poste de ministre de la Défense. Personne ne pensait alors qu'il pourrait un
jour occuper celui de Premier ministre.
Quoi qu'il en soit, il reste, sur le
plan politique, celui qui développa les colonies « idéologiques » pour en faire
autant d'obstacles à la paix ; qui qualifia Oslo de « suicide national » ; qui,
par provocation, a jeté une allumette dans la poudrière en allant se promener en
septembre dernier sur l'esplanade des Mosquées. Il a toujours été incontrôlable,
impulsif, ne comprenant que les rapports de force. Même relooké en pacifiste, on
voit mal comment un tel Premier ministre pourrait, sauf retournement total de la
situation, se convertir demain en apôtre de la paix avec ces Arabes qu'il dit
respecter mais qu'au fond il méprise.
La paix, est-ce d'ailleurs ce que ses
électeurs attendent aujourd'hui de lui ? « Si j'ai voté Sharon, c'est parce je
pense qu'il va faire peur aux Arabes. Barak a eu tort de leur faire confiance.
On dit chez nous que même si un Arabe est depuis quarante ans sous terre, on ne
peut pas se fier à lui », affirme d'une voix douce cette femme arrivée en 1955
du Maroc, qui a « toujours voté Likoud ». « Arafat ne veut pas la paix, on l'a
bien vu. » Elle soupire : « Ne croyez pas que je souhaite la guerre, mon
petit-fils est à l'armée et je tremble pour lui. Mais que faire ? Nous n'avons
plus d'autre choix. » A côté, le marchand qui range ses pulls sur un étal dans
le marché du Shouk Hacarmel tient un discours plus élaboré. Lui aussi a voté
Sharon. Pourtant, en 1999, il avait voté Barak parce qu'il croyait que Barak
allait obtenir la paix. Mais Barak a échoué. « Pas de sa faute : il avait tout
proposé à Arafat, 97% des territoires, la moitié de Jérusalem, et qu'a fait
Arafat ? Il a voulu envoyer en Israël ses 3 millions de réfugiés. C'est clair,
non ? Il n'y aura pas de paix. Peut-être dans cent ans. En attendant, je suis
prêt à repartir pour une quatrième guerre. »
Partout se retrouvent les mêmes thèmes
: la paix n'est plus possible, Arafat, au fond, n'en veut pas, d'ailleurs il
n'est plus crédible. Alors il faut à Israël un dirigeant à poigne. Avec Sharon,
au moins on sera protégé. « Si les Arabes commencent à tirer, il détruira une
première rangée de maisons. Si ça continue, une deuxième rangée. Alors les
Arabes comprendront. » Plus loin, un immigrant iranien complète : « L'exigence
d'un retour des réfugiés signifie que les Arabes veulent nous détruire. Moi,
j'ai fait la guerre du Liban et j'y ai souffert, mais je repartirai me battre
s'il le faut. "Ein breira", nous n'avons pas le choix. » Un ami israélien qui
m'accompagne est désespéré : « Nous voici revenus des années en arrière. Je
n'avais pas entendu ce langage depuis la veille de la guerre de 1967. C'est
celui de la peur. »
La peur, peut-être. L'incompréhension,
sûrement. Aujourd'hui, d'après une étude récente (1), 69% des Palestiniens
pensent que c'est l'« Intifada al-Aqsa » qui a forcé Israël à faire des
concessions alors que 53% des Israéliens pensent au contraire que quatre mois de
violence n'ont pu que durcir les positions d'Israël. Le fossé qu'on pensait peu
à peu comblé s'est de nouveau creusé. Et on ne peut pas ne pas tenir compte de
cette détérioration pour expliquer l'ampleur de la victoire de Sharon. Certes,
Sharon a rassemblé ses troupes habituelles : le Likoud, la droite et
l'extrême-droite. S'y sont ajoutés les Russes, qui ne comprennent pas qu'un
gouvernement puisse restituer des territoires (« Le pays est déjà si petit ! »,
me dit un ancien Moscovite effaré, habitué aux grands espaces) et encore moins
qu'on les rende aux Arabes.
Les religieux, discrets au début
(comment choisir entre deux laïques convaincus ?), ont pris finalement position
: lundi, veille du vote, le Shass a rejoint les ultra-orthodoxes qui appellent à
voter Sharon. Ils ont fixé un prix élevé, consistant notamment à geler la loi
autorisant les étudiants des écoles religieuses à ne pas faire de service
militaire. Mais Sharon a aussi été favorisé par l'abstention des Arabes
israéliens, sans lesquels la gauche n'a jamais pu gagner en Israël, et par les
hésitations d'une partie de la gauche israélienne, finalement incapable de
surmonter sa rancoeur contre Barak accusé de tous les maux (« Il est nul, il n'a
rien fait sur le plan social ou éducatif, il a gâché les chances d'une paix avec
les Palestiniens en gérant les négociations d'une manière catastrophique »).
La presse a mené jusqu'au dernier
moment des campagnes vigoureuses pour convaincre les déçus de Barak de voter
quand même pour leur bête noire. « Gauchistes, servez-vous de votre cerveau, pas
de vos tripes ! », écrivait vendredi Yoel Marcus dans « Haaretz ». Cela n'a pas
suffi. Demain, on sortira les couteaux. Demain, on passera aux règlements de
comptes. Car aujourd'hui la question est : que va faire Sharon ? Et,
accessoirement, que va devenir la gauche vaincue ?
Sharon a deux options. Ou il propose
au Parti travailliste d'entrer avec lui dans un gouvernement d'union nationale
en lui offrant des postes importants, Défense et/ou Affaires étrangères. Ou, si
le Parti travailliste refuse cette proposition, il forme un gouvernement
restreint.
Le Parti travailliste - conduit par
Barak, Peres ou quelqu'un d'autre - peut fort bien accepter, avec des arguments
du genre : il vaut mieux être au pouvoir lorsque l'avenir du pays est en jeu. Ou
encore : le seul moyen de prévenir les excès prévisibles de Sharon et de sauver
les meubles en participant au gouvernement. Mais en ce cas une crise s'ouvrira à
l'intérieur du Parti travailliste. L'aile gauche - Ben Ami, Beilin, Burg, Ramon,
Colette Avital, Yaelle Dayan, entre autres - pourrait faire scission et
rejoindre le Meretz, avec lequel elle formerait un nouveau parti
social-démocrate et laïque nettement marqué à gauche, partisan de la paix et de
justice sociale, riche d'une vingtaine de députés, qui constituerait une
opposition cohérente et attendrait son heure. Le calcul est qu'un gouvernement
d'union nationale, incapable de définir une politique commune à partir d'options
de départ aussi radicalement opposées, ne peut qu'éclater à court terme. D'où
des élections anticipées, une redistribution des cartes, une nouvelle donne
politique pour tout le pays.
Deuxième cas de figure : le Parti
travailliste refuse l'union nationale et Sharon forme son gouvernement
restreint. Pour faire quelle politique ? Prisonnier de son extrême-droite,
comment espère-t-il tenir ses promesses de paix et de sécurité ? Echec
prévisible de Sharon auquel on donne entre quatre et huit mois avant de
nouvelles élections. A ce moment entrerait en scène comme candidat de la droite
Netanyahou, le grand oublié d'aujourd'hui. Et on repartirait pour un tour !
Entre-temps, le Parti travailliste aura dû procéder à un grand ménage interne et
à une reconstruction qui semble inéluctable s'il veut rester dans le jeu.
L'inconnue est le sort de Barak. Sera-t-il la victime expiatoire, jouera-t-il le
retour du Juste ou tombera-t-il simplement dans les oubliettes de l'histoire,
comme il arrive souvent à ceux qui ont eu raison trop tôt ? Il restera en tout
cas comme un personnage romanesque, et il en sera sans doute le premier surpris.
Ces hypothèses qui agitent la classe
politique sont évidemment prématurées, ne serait-ce que parce qu'elles ne
prennent en compte ni l'image internationale d'Israël ni les réactions des
Palestiniens. Comme souvent en Israël, on bat et rebat les cartes politiques
sans se soucier de ce qui se passera de l'autre côté. Sans entendre Marwan
Barghouti qui proclame « un jour de colère » en Palestine, le Hamas qui menace
de poser des bombes à Tel-Aviv, les tirs qui continuent à Hébron, à Gaza.
Question à mille dollars : en attendant la sortie du labyrinthe, combien de
morts de part et d'autre, combien d'attentats, combien de sang versé ? Quel sera
le prix à payer pour tout ce temps perdu ?
(1) Enquête du Tel Aviv University's
Tami Steinmeitz Center for Peace Research and Hebrew University's Jerusalem
Media and Communications Center (JMCC).
19.
Ils ne
croient plus à la paix par Victor Cygielman
in Le Nouvel Observateur
du jeudi 8 février 2001
L'amertume des Palestiniens
Entre Barak et Sharon, l'Autorité
palestinienne a refusé de choisir. Non seulement pour des raisons formelles - ne
pas intervenir dans les affaires intérieures d'Israël -, mais aussi parce que
les responsables palestiniens semblent parvenus à la conclusion qu'à ce stade,
peu importait lequel des deux leaders serait Premier ministre : le peuple
d'Israël n'est pas prêt à approuver un accord de paix prenant en compte les
intérêts vitaux du peuple palestinien. Au cours d'une conférence de presse, la
veille du scrutin israélien, Ahmed Abdoul Rahman, secrétaire général de
l'Autorité palestinienne, a affirmé que les Palestiniens sont prêts à reprendre
les négociations avec n'importe quel gouvernement israélien. « Nous sommes prêts
à discuter avec tout Premier ministre élu par le peuple d'Israël, tout comme le
gouvernement israélien devrait être prêt à discuter avec les dirigeants
palestiniens élus », a dit Abdoul Rahman, ajoutant que ces pourparlers devraient
recommencer au point où ils s'étaient interrompus lors du dernier round de
négociations. Ariel Sharon, on le sait, rejette ce principe, estimant que seuls
les accords signés l'engagent. Et il estime ne devoir tenir compte ni des
discussions de Camp David ni de celles, plus récentes, de Taba, puisque rien n'y
a été formellement conclu.
Pour les Palestiniens, Ehoud Barak ne
demeurait-il tout de même pas le meilleur interlocuteur possible ? « Les
Israéliens ne sont pas mûrs pour la paix, répond Ziad Abou Zayyad, membre du
cabinet d'Arafat. Les concessions faites par Barak sur la question de Jérusalem
et sur l'évacuation des territoires occupés sont rejetées par une opinion
publique qui reste sous l'influence de la droite nationaliste et religieuse. Il
faudra de nouveaux affrontements, sans doute encore plus violents, avant que la
majorité des Israéliens comprennent ce que la réalité sur le terrain exige d'eux
», conclut-il.
Voilà pour la position officielle. En
privé, les responsables palestiniens s'avouent très préoccupés par la
perspective d'un gouvernement Sharon. Ils connaissent l'homme et sa brutalité,
son opposition à des accords de paix fondés sur des compromis territoriaux de la
part d'Israël. Aussi, à la veille des élections, plusieurs personnalités
palestiniennes ont-elles incité les Arabes palestiniens et la gauche en Israël à
ne pas boycotter le scrutin. Yasser Abed Rabo, ministre de la Culture et de
l'Information d'Arafat, a ainsi publiquement exhorté les Palestiniens citoyens
d'Israël à voter Barak. Tandis que Samir Rantissi, directeur de l'officiel
Palestine Media Center, s'est, lui, directement adressé aux électeurs israéliens
: « Pour nous et pour beaucoup d'autres dans le monde arabe, votre vote
exprimera le choix entre la paix et une nouvelle période de souffrances
mutuelles... »
Autre donnée essentielle : la nouvelle
Intifada a souligné que l'autorité d'Arafat est de plus en plus contestée dans
son propre camp. Dans un manifeste, Salim Zanoun, président du Conseil national
palestinien, la plus haute instance du peuple palestinien, exige à la fois
d'Arafat la nomination d'un Premier ministre afin qu'il délègue ses pouvoirs, le
renforcement de la lutte contre la corruption en haut lieu et la proclamation
d'un Etat palestinien dans les frontières prévues par la résolution 181 de l'ONU
du 29 novembre 1947 recommandant le partage de la Palestine. Cette revendication
constitue une remise en cause de la position officielle de l'OLP et de
l'Autorité palestinienne qui ne prévoit l'émergence d'un Etat palestinien qu'en
Cisjordanie et à Gaza, dans les frontières du 4 juin 1967, c'est-à-dire aux
côtés de l'Etat d'Israël. Certes, plusieurs des personnalités dont la signature
figure sous le manifeste nient aujourd'hui avoir approuvé ce texte. Mais Salim
Zanoun ne s'est pas rétracté. Or, signe de temps nouveaux, Arafat ne l'a pas
désavoué, du moins publiquement. A vrai dire, ce raidissement de certains
notables correspond aux attentes d'un peuple palestinien meurtri par la
poursuite des humiliations et frustré par l'échec des pourparlers de paix avec
Barak.
Tout comme les Israéliens, les
Palestiniens ne croient plus à la paix. Selon les derniers sondages, 22% d'entre
eux seulement ont encore foi en une négociation avec Israël ; 25% estiment que
seule la force amènera Israël à la raison, 14% estiment qu'il faut combiner les
démonstrations de force et les pourparlers, et, surtout, 36% d'entre eux ne
croient plus du tout à la probabilité d'aboutir à un véritable accord de paix.
20.
Israël n'est pas
mûr pour la paix par David Grossman
in Libération du jeudi 8
février 2001
David Grossman est un écrivain israélien. Dernier livre
traduit en français: «Tu seras mon couteau», Seuil, 2000.
Parce qu'aucun des deux camps n'a voulu accepter de compromis
douloureux lorsqu'il était temps, Ariel Sharon va pouvoir appliquer ses vues et
ses instincts.
Pendant le discours de victoire de Sharon, ses partisans ont
lâché des sifflets de mépris et des cris de haine chaque fois que les mots de
«Barak», de «gauche» ou de «Palestiniens» ont été évoqués. Pas de doute: le
public a «puni» ceux-là de la façon la plus douloureuse qui soit, et comme l'a
dit quelqu'un avec une entière naïveté: «Je ne suis pas sûr que Sharon soit le
meilleur pour Israël, mais c'est bien fait pour les Palestiniens!»
Est-il
permis de soupçonner qu'Ariel Sharon lui-même ne croit pas à ce qui lui arrive?
Cet homme, dont on a souvent prononcé l'oraison funèbre; ce politicien brutal,
rusé, extrémiste et à la conduite souvent douteuse; l'homme qui a échoué dans
presque chaque fonction publique qu'il a occupée et qui a trahi, ou presque,
tous ceux qui lui furent associés, a reçu aujourd'hui tout un pays entre ses
mains. Désormais, il pourra mettre en application ses vues, et aussi ses
instincts. Et cette fois-ci, à rebours du passé, il n'y a presque personne pour
l'arrêter. C'est peut-être d'ailleurs là la raison pour laquelle, ces derniers
jours, alors que sa victoire était quasi assurée, que soudain l'état d'esprit de
Sharon a changé... Doué d'un humour cynique et cinglant, en proie à un activisme
forcené, Sharon est apparu, pendant les jours qui ont précédé le scrutin, triste
et presque sans vie, au point que l'un de ses proches a lâché: «Comme si quelque
chose s'est éteint en lui...» Pour la première fois peut-être de sa vie, il a
semblé presque craintif, comme angoissé.
Toute sa vie, Sharon a agi en opposant
(même lorsqu'il a été ministre), et, toujours, il a remis en cause les
prérogatives de ses supérieurs: à l'armée, au gouvernement. Pendant une grande
partie de sa carrière politique et militaire, il a contourné l'autorité, en
désobéissant aux ordres, se dressant contre les dirigeants et même, pendant la
guerre du Liban, trompant ses supérieurs.
Et soudain, à 73 ans, il incarne seul
le pouvoir. Il est l'autorité. Il détient la responsabilité. Et personne pour
l'arrêter.
Désormais, le voilà chef d'un des
Etats les plus compliqués dans le monde, d'un pays plongé dans une situation
inextricable, inconnue depuis des décennies. Au tréfonds de son cœur, Sharon
sait: s'il veut vraiment garantir l'avenir d'Israël, il devra renoncer à une
partie importante des opinions, des croyances et des symboles qu'il a prônés
pendant des années. S'il s'y refuse, nul doute qu'il conduira Israël à une
confrontation, non seulement avec les Palestiniens, mais aussi avec toutes les
nations arabes.
C'est sans doute pour que cela que
Sharon se montre préoccupé. De manière paradoxale, cette inquiétude, cette prise
de conscience d'une responsabilité entière et de la complexité des dilemmes, que
seul un dirigeant est obligé d'affronter, représentent des signes encourageants
en mesure de nous consoler (en l'absence de tout autre espoir).
Dans ce contexte, il est intéressant
de relever que, chaque fois que la droite est parvenue au pouvoir, émergeait
l'impression que ses dirigeants se sentaient incertains: quelque chose dans la
rhétorique des chefs de la droite, depuis Bégin jusqu'à Netanyahou, maintenait
une rhétorique d'opposition, de défi contre un régime légal... A certaines
périodes, sous Netanyahou par exemple, ce pouvoir se conduisait comme un
groupuscule pourchassé par un «pouvoir hostile artificiel», sans croire à sa
propre légitimité.
S'il devait en être ainsi aujourd'hui,
nous serions témoins bientôt de dangereux débordements de la politique
israélienne; cela peut se traduire par une attitude plus agressive à l'égard de
l'extérieur et par de l'arrogance à l'encontre des pays voisins (comme on sait,
Sharon a été à l'origine de la guerre du Liban, afin de provoquer, en fin de
compte, la mainmise des Palestiniens sur la Jordanie...). L'expérience du
pouvoir de la droite nous met en garde contre sa tendance aux actes
spectaculaires, extrémistes, en lesquels elle voit, croit-elle, de la
«splendeur» (hadar), mot magique de la droite depuis Jabotinsky (1). En fait, le
plus souvent, cette agitation s'épanouit à la lisère du grotesque et du
calamiteux. Sur le devant de la scène publique s'avancent aujourd'hui
l'extrémisme, le fanatisme et le fondamentalisme le plus cru d'Israël. Les
espoirs du centre modéré, libéral, laïque, de transformer Israël en un pays
véritablement démocratique, moins militant, plus civique, plus égalitaire, ont
essuyé un terrible revers.
Et toujours ce même sentiment, ancien
et désastreux: à cause d'événements malheureux et d'une histoire éprouvante et
traumatique, voici les Israéliens condamnés à revenir aux mêmes erreurs, à subir
les mêmes maladies, à s'écraser sur les mêmes obstacles. Comme si, d'un coup,
nous étions reportés trente ou quarante ans en arrière, aux temps de la
rhétorique guerrière, du fanatisme religieux, de l'«essor des colonies», à la
honte du conflit entre nous et nos voisins. Serions-nous donc nos propres
geôliers, alors même que nous avons besoin de nous délivrer et de nous enfanter
de nouveau?
Aussitôt élu, et pendant toute sa
campagne, Sharon a convié les travaillistes à un gouvernement d'union. Nul doute
qu'il exprime ainsi le vœu de nombreux Israéliens, de droite comme de gauche,
qui brûlent de rendre au pays unité et fraternité, qui manquent tant. Mais il
est difficile de percevoir quels liens peuvent unir ces deux partis,
trouveraient-ils quelque «voie médiane». Israël se verrait enferrée dans la même
erreur tragique dans laquelle elle est prise au piège depuis des années; à
nouveau, Israël se présenterait devant le monde arabe avec un compromis
honorable entre les blocs du centre gauche et entre ceux du centre droit.
Compromis sans presque de rapport avec les revendications, la détresse et les
espoirs des Palestiniens, en un mot, entre lui et la réalité. A nouveau, Israël
mènerait une négociation virtuelle avec lui-même, entre lui-même et ses peurs,
et il serait très surpris, et se sentirait même trahi, lorsque les Palestiniens
lui jetteraient à la face ses propositions, sans compter l'extension d'une
nouvelle Intifada.
Quant aux Palestiniens, même
lorsqu'ils déclarent qu'à leurs yeux il n'y a pas de réelle différence entre
Sharon et Barak, ils connaissent bien la profondeur du fossé et les conséquences
de cette élection. Il semble que ce soit pour cela qu'ils aient commencé, dans
les deux dernières semaines, à précipiter un compromis avec les Israéliens à
Taba. Dommage que cette hâte n'eût pas été manifeste quelques semaines (ou mois)
auparavant. Il est désolant qu'Arafat n'ait pas réussi à juguler ses hommes et à
utiliser les énergies du début de l'Intifada afin de les transformer en un
levier d'accord avec Barak. Des dizaines d'Israéliens innocents, des femmes et
des enfants ont été assassinés par des bandes de Palestiniens pendant la
campagne électorale. Chaque enterrement, chaque pleur d'orphelin ont «prouvé»
aux Israéliens la «faute» de Barak pour avoir accepté un compromis, et les ont
poussés dans les bras de celui qui prétendait de ne pas négocier sous la menace
du feu. Le désespoir et la peur qui ont saisi les Israéliens - tout comme
l'indifférence à l'égard de la douleur et de la souffrance des Palestiniens -
ont porté Sharon au pouvoir. Et, paradoxe, ce désespoir et cette peur risquent
désormais d'avoir des raisons d'être.
Il faut donc conclure de ces élections
que l'opinion israélienne n'est pas encore mûre pour la paix. Certes, elle veut
la paix, mais elle n'est pas encore prête à payer le lourd prix d'un tel accord.
Et, de l'autre côté, les Palestiniens, eux aussi, semble-t-il, n'ont pas encore
accepté l'idée de compromis douloureux, nécessaires à la paix. Il est difficile
de voir comment sortir d'une telle impasse sans un nouvel épisode sanglant.
L'honnêteté commande d'offrir à Sharon
la possibilité de prouver la justesse de sa voie. Mais le sentiment qui serre le
cœur est dur et accablant. Ces lignes même sont douloureuses: une chose est de
se tenir devant les rails du train et de décrire comment il déraille. Une autre
est de raconter l'accident quand on est soi-même dans le wago
(1) Le hadar est une idée clé de la
droite révisionniste. On peut la traduire par «splendeur», «gloire»,
«prestance»... Elle est forgée par son idéologue, Vladimir Zéev Jabotinsky
(1880-1940).
(Traduit de l'hébreu par Jean-Luc
Allouche).
21.
Lieu saint ou
lieu symbolique par Michaël Illouz
in Libération du jeudi 8
février 2001
Michael Illouz est journaliste.
Que
représente le mont du Temple pour Israël ? Une réponse ferait avancer le
règlement du conflit.
Mont du Temple contre esplanade des Mosquées,
excroissance face à la platitude, unité ou pluriel? Le conflit
israélo-palestinien, et donc israélo-arabe, semble se focaliser sur cet espace
sacré. Si le monde musulman a toujours adopté un discours très clair quant à son
troisième lieu saint, Israël bégaye.
Le juif moderne aborde l'unique lieu
saint de son patrimoine avec une très certaine réticence, comme une rencontre
inéluctable et redoutée. Lors des négociations de paix, on a même vu apparaître
du côté israélien le concept surprenant de «souveraineté souterraine». Désormais
maître de son destin national, le juif affirme ses droits mais les cache, il
tâtonne. Cette attitude inquiète les Palestiniens qui voient là une manœuvre
sioniste pour remonter à la surface par les énigmatiques tunnels creusés dans
les vestiges d'un passé évacué, comme autant de méandres d'une identité qui se
cherche et qui les menace. Car, pour l'islam, il ne peut exister une autre
réalité qui aurait précédé son avènement. Avant le Prophète régnait la jahilyah,
la «barbarie». Exit le temple et ses mythes.
Ce rapport à l'autre renvoie
l'Israélien à lui-même, à une conscience, politique ou révélée. Quand, en juin
1967, le général Motta Gur annonce: «Le mont du Temple est entre nos mains», il
affirme surtout une victoire militaire écrasante sur la précarité de la vie
juive pendant deux mille ans d'exil. C'est sur ce lieu et à ce moment que l'Etat
juif fait la preuve, par l'armée, de sa force. Il existe un «après la Shoah», la
pérennité du peuple peut enfin être envisagée.
Evacuer l'esplanade serait remettre en
question cette toute relative tranquillité. C'est ici aussi que les laïcs
aimeraient pouvoir confirmer par l'archéologie qu'une identité juive politique
non religieuse est envisageable et relire les Ecritures à la lumière de
découvertes scientifiques. Mais voilà, depuis 1967, la gestion du site est
restée au Waqf (l'administration islamique), comme pour ne pas concrétiser la
victoire, et fouiller son passé. On prête à Moshe Dayan les propos suivants
prononcés du mont Scopus, les yeux tournés vers la mosquée d'Omar: «Pourquoi
a-t-on besoin de tout ce Vatican là?»
Mais pour les religieux aussi la
situation est ambiguë. Le lieu est saint mais interdit pour des raisons de
pureté rituelle. Même le Rav Kook, maître à penser du sionisme religieux en
1967, remet à plus tard le sort du mont; dans l'immédiat, il faut construire
dans les nouveaux territoires. Cette notion de souveraineté souterraine est
beaucoup plus qu'un os jeté à la droite nationaliste, c'est sans doute
l'expression la plus précise qu'il soit du rapport des Israéliens à l'endroit.
Dans la pensée sioniste, l'Israélien succède au juif, le sujet devient
responsable. Pas en ce qui concerne l'esplanade. Un discours responsable
consisterait à affirmer une souveraineté totale ou une évacuation totale. Le
flou artistique actuel illustre le devenir d'une identité.
Mais la pensée sioniste est-elle
pertinente en la matière? Cette mère patrie, est à partager. Sur ce point au
moins se dessine une très claire majorité d'Israéliens, prêts à payer le prix
d'un accord avec les Palestiniens. Accepter la séparation avec la mère, signe
patent de la maturité. Refus du partage, indice flagrant du chemin qu'il reste à
parcourir.
Nous sommes là bien loin du politique.
Itzhak Bloom, psychanalyste à Jérusalem, pense que «certains estiment que le
cœur de cette terre nourricière est justement le mont du Temple, la matrice vers
laquelle on aspire à retourner, le rêve messianique. L'anxiété générée par la
crainte de la perte de cette terre et de la sécurité qu'elle représente provoque
de l'anxiété. Une très grave anxiété paranoïde à propos du danger physique, de
l'annihilation psychologique, de la perte d'identité, et de l'intrusion de
l'autre.»
Mais, en hébreu, la terre n'est pas
d'essence féminine. Il s'agit de «la terre des pères». L'amour n'est pas au
centre de cette relation, c'est la loi qui lie le peuple a son terroir. Israël
Feldman, psychanalyste et docteur en victimologie, opte donc pour une autre
direction :«La judéité aux temps bibliques était transmise par le père; avec le
retour des juifs sur leur terre, cette ancienne pratique est rétablie. Pendant
l'exil, les juifs victimes ont développé un sentiment de culpabilité. Les
bourreaux aussi bien évidemment. La loi seule permet de sortir de ce cercle
vicieux. Mais cette mutation est longue et difficile.»
Quelle que soit l'attitude choisie
pour aborder la relation équivoque des Israéliens à leur terre, force est de
constater que ce rapport est intrinsèquement lié à leur identité
elle-même.
22.
Analyse des
informations : beaucoup de défis à relever, en peu de temps, pour Sharon
par Deborah Sontag
in The New York Times
(quotidien américain) du jeudi 8 février 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Jérusalem, 7 février -- Après une
ascension de plusieurs décades, déterminée mais tortueuse, jusqu'au pinacle de
la politique israélienne, le nouveau Premier ministre, Ariel Sharon est
confronté, du jour au lendemain, à l'obligation d'avoir la légèreté de la
gazelle. Il a très peu de temps devant lui, pour mettre sur pied une coalition
qui fonctionne, à partir d'un parlement ingouvernable, tandis que le conflit
avec les Palestiniens n'est certainement pas enclin à se laisser reléguer
facilement au "brûleur du fond de la gazinière" (= "sous le coude").
Les
propos de M. Sharon laissent entendre qu'il veut donner une nouvelle image de
lui-même et déjouer les attentes du monde entier. Il n'a pas l'intention de se
reposer sur un gouvernement restreint à la droite, et il veut éviter, sur le
plan diplomatique, d'être l'éléphant dans un magasin de porcelaine. Il entend
être ferme et conciliant et durer plus longtemps que le premier ministre
sortant, Ehud Barak, au poste de dirigeant de cette contrée versatile. Mais les
circonstances, la politique partisane et ses dispositions personnelles
d'aventurier pourraient rapidement saper son piédestal.
Le parti Likud, de
M. Sharon, ne détient que dix-neuf sièges sur les cent-vingt, au total, du
Parlement. Le Likud, parti de droite et le parti Travailliste, de gauche,
étaient jusqu'à présent les deux formations importantes du Parlement, mais
désormais, ces deux formations ne sont plus que l'ombre d'elles-mêmes, perdues
dans une multitude de petits partis sectaires.
Ce Parlement- patchwork n'a
pas été remodelé, mardi dernier, les élections n'ayant visé, pour la première
fois, qu'à la seule désignation du premier ministre. De ce fait, la base
parlementaire, très réduite, de M. Sharon, ne s'est en rien élargie, et le
Parlement n'est pas devenu plus gérable qu'il ne l'était la veille, du jour au
lendemain.
Les alliés naturels de M. Sharon sont, bien sûr, les membres de
droite du camp nationaliste, qui les dépasse sur sa gauche. Mais il s'agit d'une
cohorte particulièrement auto-inflammable, surtout lorsqu'on sait qu'elle
comporte un cocktail d'ultra-orthodoxes et de partis d'immigrants russes dont
les positions sont l'exact opposé de celles des premiers cités, par rapport à la
ligne de séparation entre religieux et séculier... Ils incluent aussi des
politiciens d'extrême-droite qui vont s'efforcer de réveiller le guerrier qui
sommeille en M. Sharon, et les représentants des colons, qui vont le presser de
défendre de manière forcenée et de développer la construction de colonies qu'il
a, en personne, grandement contribué à initialiser.
Il ne faut pas aller
chercher plus loin les raisons de l'appel lancé, le soir même des élections, au
parti Travailliste, afin qu'il vienne le rejoindre dans un gouvernement d'union
nationale, gouvernement des deux plus importants partis.
Avec ces deux partis
nationaux défendant la paix dans la sécurité, d'aucune arguent du fait que les
différences entre les deux se sont estompées et qu'ils devraient former un
gouvernement centriste. Et il est de fait qu'il est impossible de distinguer
entre des Likudniks "colombe" et des Travaillistes "faucon", sur le plan
idéologique.
D'autres observateurs pensent que le centre s'est effondré au
cours du cyclone de la deuxième moitié de l'année écoulée, après l'échec des
pourparlers de paix de Camp David II et la violence qui en a découlé, et qu'il
ne devrait pas - qu'il ne peut pas - être recréé artificiellement. Non, en lieu
et place, disent-ils, la démarche de paix des vétérans colombes, avec leur désir
encore présent de rechercher une fin au conflit, devrait être clairement mise en
opposition avec la préférence de Sharon pour un accord intérimaire sur le
long-terme avec les Palestiniens.
Si le parti Travailliste devait se livrer à
l'introspection (exercice auquel il ne nous a pas habitués) après la
démission-éclair de M. Barak de sa direction, mardi soir, il pourrait y avoir un
authentique débat idéologique autour de ces préoccupations. Mais le parti peut,
tout aussi bien, sombrer dans une lutte de dévolution, entre personnes et non
pas entre écoles de pensée. Avraham Burg, le porte-parole du Parlement, a d'ores
et déjà annoncé sa candidature, aujourd'hui, (à la présidence du parti
Travailliste), lançant le mouvement.
M. Sharon a, ainsi, lancé une invitation
à un parti d'opposition sans leader, qui sera fort occupé par ses élections
primaires internes, et enclin à penser plus à son propre avenir qu'à celui du
pays. Il existe aussi, au sein du parti Travailliste, un fort courant qui
préconise que l'on devrait laisser à M. Sharon sa chance de se casser la figure,
quel qu'en soit le coût pour le pays.
De par la constitution, M. Sharon
dispose de quarante-cinq jours pour former une coalition, M. Barak demeurant
Premier ministre démissionnaire d'ici là. La loi israélienne stipule également
que le budget 2001 doit être adopté à la majorité absolue du Parlement avant la
fin mars. Si ces deux conditions ne sont pas remplies, le Parlement sera dissout
et le pays appelé à de nouvelles élections. Pour éviter cela, l'objectif de M.
Sharon est de mettre sur pied une coalition le plus tôt possible, mais sa hâte
n'est pas partagée par le parti Travailliste, ce qui pourrait signifier qu'il
pourrait être amené à former un gouvernement restreint, en laissant certains
fauteuils ministériels vacants, dans l'expectative que le parti Travailliste
rejoigne le gouvernement ultérieurement.
Certaines forces, à droite, sont
impatientes de voir M. Sharon prendre les responsabilités de sa fonction et
montrer aux Palestiniens de quel bois il se chauffe. "Nous sommes face à une
vraie guerre", a dit Shlomo Filber, secrétaire général du Conseil des Colons.
"Un officiel du Likud, futur ministre, m'a dit ce matin : "jusque là, c'était de
la rigolade. Maintenant, c'est le début des choses sérieuses"".
Et,
effectivement, quelques colons se sont empressés d'aller célébrer la victoire de
M Sharon en allant jeter leur dévolu sur des terrains en Cisjordanie,
contraignant M. Sharon a compliquer son travail en matière diplomatique par des
considérations politiques (internes). Des officiels palestiniens disent que les
colons ont parqué cinq camions sur un terrain relevant du village de Halhul,
dans la région d'Hébron.
"Les colons sont ravis de la victoire de Sharon, et
s'il ne leur avait pas donné lui-même le feu vert pour ce faire, il n'en
auraient rien fait", a indiqué Mohammad Mashal, adjoint au maire de Halhul.
"Nous avons le pressentiment que les colons vont se livrer à une campagne
d'expansion sauvage et que cela va raviver l'intifada".
Tandis que Yasser
Arafat envoyait un télégramme de félicitations à M. Sharon, aujourd'hui, le
leader du Fatah palestinien gratifiait le nouvel élu de "boucher sanguinaire",
publiant une pétition qui appelle les Palestiniens à retourner affronter les
soldats israéliens dans les rues. M. Arafat a dit à M. Sharon qu'il espérait
qu'ils pourraient travailler ensemble à la paix, mais le Fatah a estimé qu'à son
avis, la direction palestinienne ne devrait pas discuter avec M. Sharon,
appelant les leaders arabes à l'isoler sur le plan diplomatique.
Les
objectifs déclarés de M. Sharon, dans les pourparlers de paix (conserver
Jérusalem unie sous souveraineté israélienne, maintenir les colonies en l'état,
ne pas lâcher la vallée du Jourdain) sont incompatibles avec des négociations
sérieuses, disent les officiels palestiniens. Il est ainsi difficile d'imaginer
comment ce qui nous attend pourrait être autre chose qu'une période de blocage
diplomatique, à moins que M. Sharon ne parvienne à persuader les Palestiniens de
s'engager dans des négociations sur le problème de l'heure : la levée du blocus
des territoires palestiniens et l'allégement du blocus économique qui les
frappe, en échange d'une coopération renforcée en matière de sécurité, par
exemple.
Reste à voir comment M. Sharon va répondre à la violence, à de
nouvelles flambées d'émeutes ou des attaques terroristes. M. Sharon a dit qu'il
ne participerait pas à des discussions de paix sur un arrière-fond imbibé de
sang, chose que beaucoup ici reprennent à leur compte sans états d'âme. Mais
d'autres pensent que cette attitude apporte de l'eau au moulin des forces
opposées à la paix, dans le monde arabe.
Face à une résurgence de la violence
en Cisjordanie, ou face à une incursion en Israël, au nord, M. Sharon devra
choisir entre son désir de restaurer la tranquillité, rechercher la paix et
développer des relations internationales constructives, et sa promesse de
répondre à la violence d'une manière beaucoup plus déterminée que M. Barak.
Beaucoup pensent ici que M. Sharon veut racheter son passé et se présenter en
homme d'Etat avisé ; ils ne pensent pas qu'il veuille se lancer de manière
irréfléchie dans une guerre régionale. Toutefois, sa propension à user de la
force, largement démontrée par le passé, sera certainement mise à
l'épreuve.
Ainsi, M. Sharon se trouve confronté à un terrain miné, qui
requiert autant de trésors de savoir-faire politique, diplomatique et militaire
qu'une maîtrise de soi à toute épreuve.
"Le virage en épingle à cheveu d'hier
transfère le centre de la décision politique, en Israël, de la gauche à la
droite", écrit aujourd'hui l'éditorialiste Nahum Barnea dans le Yedioth
Aharonoth. "Cela ne change rien à la dure réalité à laquelle le pays est
confronté. La crise qui a porté Sharon au gouvernement pourrait fort bien, d'ici
quelques mois, être, aussi, celle qui le renverra chez lui, en
retraite".
23.
Au Liban, le
souvenir de Sabra et Chatila par Doha Chamouss
in L'Humanité du jeudi 8
février 2001
De notre correspondante à Beyrouth.
Les deux silhouettes qui s'agitent
dans l'obscurité de la nuit tombante sur les étroites ruelles des camps
tristement célèbre de Sabra et Chatila (banlieue sud-est de Beyrouth) se
rapprochent : une Palestinienne, accompagnée d'un jeune homme. Dès qu'elle
distingue les visages qu'elle connaît bien, Zeinab demande si par hasard l'un
d'entre eux ne serait pas " A+". Depuis une heure, elle cherche 4 unités de sang
pour son fils hospitalisé après avoir reçu des coups de poignard lors d'une
bagarre. " Les jeunes se désespèrent, ils cherchent de plus en plus à se battre.
La situation des réfugiés palestiniens se détériore ", dit Ali Taha, le
compagnon de Zeinab. Il ajoute : " Dès qu'on a commencé à parler du droit du
retour, le processus de paix s'est effondré ! L'arrivée de Sharon, le bourreau
de 2 500 Palestiniens ici même, n'améliore pas les choses. Les gens dépriment et
les jeunes ne croient plus qu'en l'action. "
La situation des réfugiés ne
s'améliore pas : les Palestiniens vivent depuis 1948 dans le provisoire, droit
de retour oblige. Mais, entre-temps, les camps de Sabra et Chatila sont devenus
surpeuplés (16 000 personnes vivent avec, en moyenne, un dollar par jour pour la
plupart). " C'est un bidonville qui subit la négligence des infrastructures de
la part de l'Etat libanais et les organes de l'ONU et les " sanctions "
économiques imposées par Arafat parce qu'il sait que les habitants de Sabra et
Chatila lui sont opposés ", souligne Yassine, un militant du Front populaire
pour la libération de la Palestine (FPLP). Il explique : " Pas d'aides
financières ici. C'est surtout aux camps d'Ain el-Heloue et de Rachidie qu'il
envoie de l'argent. 100 dollars par famille et par mois pour les proches du
Fatah. Mais les militants, eux, reçoivent jusqu'à 200 dollars par mois. "
Pendant plusieurs jours, les élections
israéliennes ont fait la une des journaux. Les télévisions n'ont pas chômé :
analyses, présence d'experts du conflit israélo-arabe, émissions spéciales. Les
titres des journaux libanais ont reflété les craintes et l'amertume : " Le
peuple d'Israël a élu son nouveau roi : le programme guerrier de Sharon ",
pouvait-on lire à la une d'As Safir, quotidien de gauche. Pour An Nahar
(conservateur), " Israël fait un coup d'Etat contre le processus de paix ".
Mais, dans les camps de Beyrouth, une indifférence apparente masquait une
dépression totale. " On n'a pas pu suivre les élections israéliennes. Vous voyez
bien que l'électricité est coupée depuis des jours ici ", ironise Imad Saliby,
dix-sept ans, en continuant à surveiller les boules du billard sous la lumière
froide d'un néon. Il poursuit : " Mais pourquoi s'en préoccuper ? Est-ce que
Sharon est pire que Barak ? Vous dites les massacres de Sabra et Chatila. Et les
massacres de Barak en Palestine ? Qui donnait aux soldats l'ordre d'abattre les
enfants ? Qui a protégé Sharon pendant sa visite provocante sur l'esplanade des
Mosquées ? Les deux sont vraiment du pareil au même. " Imad est cependant
d'accord avec les propos de son copain Khalil : " Je suis content de l'arrivée
de Sharon, dit-il. Ça va remuer cette situation stagnante. Enfin de l'action !
". C'est aussi l'avis d'Abou Mouhamad, pourtant leur aîné de plus de trente ans.
" Sharon veut la guerre ? Très bien. Nous pensons aussi que la guerre est la
seule possibilité pour que nos droits nous soient rendus. "
" C'est un vote agressif ", estime
Idriss, le propriétaire d'un magasin de vêtements de seconde main. Il explique :
" Cela montre que les Israéliens ne sont pas encore prêts pour la paix ! Au
moins, nous pouvons dire aujourd'hui que 62 % des Israéliens sont pour la
guerre. "
Dans une épicerie, une femme est
assise devant un poste noir et blanc, suivant avec des yeux tristes un talk-show
sur la télévision de l'Autorité palestinienne, Palestine, qui analyse les
retombées de l'arrivée de Sharon au pouvoir. Shahira Abou Roudaina
(quarante-deux ans) est une des figures les plus sollicitées par les médias ces
derniers jours. Elle est une des rares survivantes du massacre supervisé en 1982
par celui qui est maintenant le premier ministre israélien. " J'ai passé la nuit
à regarder les élections à la télé. Depuis le massacre je n'arrive pas à dormir
facilement. " La mémoire de Shahira est restée vive : " øJe me rappelle comme si
c'était hier. Ce jour-là, en début de soirée, on a entendu des tirs de
mitraillettes et des obus qui éclataient près de nous. On était très inquiet. Ma
sour est sortie pour voir ce qui se passait. Dès qu'elle est sortie, on a
entendu les mitraillettes et ma sour qui criait " ya baba " (oh ! papa). Mon
père est sorti en courant, criant " ils ont tué ma fille. " Alors on a entendu
le même bruit. Ils l'ont mitraillé à son tour. On a été terrorisés, n'osant plus
bouger. Les enfants pleuraient tout le temps, ils ne comprenaient pas mais ils
pressentaient le danger. · l'aube, " ils " ont pénétré chez nous et c'était
l'enfer : ils ont mitraillé les hommes d'abord puis ils les ont finis à la
hache. Nous, ils nous ont traînés par les cheveux jusqu'à la cité sportive, là
où ils rassemblaient les survivants pour les fusiller collectivement. Comme la
cité sportive avait été minée pendant l'encerclement de Beyrouth, des mines,
pour notre chance, ont sauté. Nos geôliers ont pris peur et ont fui. On en a
profité pour sauver nos vies et celle de nos enfants. " Des larmes coulent des
yeux de Shahira.
Lorsqu'on lui demande ce qu'elle pense
du résultat des élections israéliennes, elle répond : " Je ne demande que le
repos pour nos martyrs qui doivent maintenant se retourner dans leurs tombes.
"
24.
Sharon
l'obstiné par Vincent Hugeux, Hesi Carmel, Axel Gyldén
in L'Express du jeudi 8
février 2001
Longtemps écarté du pouvoir pour sa brutalité et ses
actions d'éclat imprévisibles, il devra rompre avec ses visions guerrières
archaïques s'il veut laisser une chance à la paix au Proche-Orient
Ariel
Sharon aime le fracas des armes, les raids nocturnes et le son du clairon.
Massif, ventru, ce Falstaff sioniste aura traversé au pas de charge le premier
demi-siècle de l'Etat juif. Laissant de tenaces relents de soufre dans son
sillage d'homme de coups. Coups d'éclat, coups de main, coups de sang, coups
tordus. Sans doute «Arik», 72 ans révolus, espérait-il enfin redorer au fond des
urnes, à la faveur de la bataille électorale du 6 février, son honneur terni
d'officier. Et gommer avant tout le sceau d'infamie - la «marque de Caïn»,
injuste à ses yeux - que lui vaut encore le carnage de Sabra et Chatila,
épilogue atroce de l'opération «Paix en Galilée», désastreuse aventure
libanaise. Le 14 septembre 1982, son protégé Bachir Gemayel, chrétien à peine
élu à la tête du pays du Cèdre, périt dans un attentat. Deux jours plus tard,
les miliciens phalangistes, avides de venger leur idole, investissent deux des
camps de la banlieue de Beyrouth, où s'entassent les réfugiés palestiniens. Et
dont l'armée de l'Etat hébreu contrôle les accès. En trente heures, plus de 800
civils, hommes, femmes, enfants et vieillards, seront massacrés. Avec l'aval
tacite de Tsahal.
Une commission d'enquête israélienne
dénonce la «responsabilité indirecte» d'Ariel Sharon. Lequel doit renoncer, la
mort dans l'âme, à son portefeuille de la Défense. Un mea culpa? Jamais! Au
mieux, cette «terrible tragédie» lui inspire des «regrets». Le plus souvent, il
n'a «rien à voir» avec la tuerie perpétrée par des «Arabes chrétiens aux dépens
d'Arabes musulmans». Au fond, le général déchu, prétorien obstiné, n'aura de
cesse de récuser le verdict, y compris devant les tribunaux. Fin 1984, il campe
deux mois durant dans un prétoire new-yorkais, pour un procès en diffamation
intenté au magazine Time. Puis Arik poursuit en vain Uzi Benziman. Cet
éditorialiste avait eu le tort de rappeler, dans le quotidien Haaretz, comment
le faucon galonné sut fourvoyer Menahem Begin, alors chef du gouvernement. «Je
ne vois pas d'exemple plus éloquent de sa méthode, confie Benziman, auteur par
ailleurs d'un portrait incisif du baroudeur. Manipulateur hors pair, Sharon
promet au cabinet une incursion de 48 heures sur 40 kilomètres, le temps de
refouler loin de la frontière les fedayin de Yasser Arafat. En fait, il avait
tout planifié: foncer jusqu'à Beyrouth pour y installer un régime docile,
pulvériser l'OLP et, si possible, chasser les Palestiniens vers la Jordanie,
considérée comme leur Etat naturel.» La campagne devait durer deux jours. Tsahal
ne s'arrachera du bourbier que dix-huit ans plus tard, sur ordre du sortant,
Ehud Barak.
Pieux mensonges, demi-mensonges,
mensonges par omission: «Si Arik ne malmenait pas autant la vérité, grommelait
David Ben Gourion, il ferait un chef formidable.» Disséqué avec une implacable
minutie par Zeev Schiff et Ehud Yaari dans La Guerre des dupes, son passé
libanais le poursuit sans relâche. On le vit encore voilà peu, en pleine
campagne électorale, blêmir et se cabrer sous les griefs d'une lycéenne de 16
ans, dont le père revint anéanti du front.
Très tôt, Ariel le téméraire n'en fait
qu'à sa tête. Quitte à défier les ordres. Aguerri à la rude école de la Haganah
- l'armée clandestine des juifs de Palestine, fer de lance du combat pour
l'indépendance - il dirige dès sa création, en 1951, le «commando 101», unité
d'élite chargée de mener des raids de représailles en territoire ennemi. Deux
ans plus tard, au lendemain d'un attentat à la grenade meurtrier, ses hommes
piègent à l'explosif une quarantaine de maisons du village jordanien de Kibya.
On sortira des décombres 69 cadavres. Cette sanglante «bavure» coûtera à Israël
sa première condamnation au Conseil de sécurité des Nations unies. Impulsif,
audacieux, sûr de son art, le «guerrier» - ainsi a-t-il intitulé son
autobiographie - manifeste une fâcheuse propension à envoyer ses hommes au
casse-pipe. En 1956, loin de se borner à verrouiller le passage de Mitla, il y
engouffre sa brigade parachutiste, la livrant à l'embuscade tendue par les
Egyptiens. C'est Roncevaux dans le Sinaï: 36 morts, une centaine de blessés.
Fureur du chef d'état-major, Moshe Dayan. Sharon échappe de peu à la cour
martiale. Mais pas au réquisitoire d'un quatuor d'officiers rescapés, qui lui
reprochent de sacrifier la troupe à sa légende naissante. Ni aux imprécations du
Caire, où on l'accuse de liquider blessés et prisonniers. En 1973, lors de la
guerre de Kippour, le bulldozer Sharon, réserviste étoilé, récidive. Bien sûr,
ses tanks franchissent en force, et sans attendre les ponts flottants promis, le
canal de Suez. Bien sûr, cette offensive blindée disloque les armées de Sadate
et change le cours d'un conflit mal engagé. Reste que, là encore, Arik n'obéit
qu'à son instinct et s'aliène le clan des généraux, exaspérés par son
égocentrisme. Entre-temps, Ariel - «le lion» en hébreu - aura alterné le
meilleur et le pire. Le meilleur quand, au plus fort de la guerre des Six-Jours
(1967), il orchestre, avec une époustouflante maestria, une offensive combinée
de l'infanterie, des blindés et des troupes héliportées sur Abu Agheila. Le
pire, lorsque, maître de la bande de Gaza, ravie à l'Egypte, il brise férocement
à l'orée des années 70 toute velléité de résistance. A l'époque, il est vrai,
une vague d'attentats meurtriers ensanglante cette étroite langue de sable et de
terre, aride et surpeuplée. Au-dessus de son bureau, le commandant de la région
sud a épinglé une liste noire de 90 activistes palestiniens. Il en éliminera
trois fois plus. A ce jeu-là, Sharon excelle. Un jour, un bateau de pêche en
apparence libanais accoste sur une plage de Gaza. A son bord, une équipe
d'agents israéliens, déguisés en fedayin traqués. On les accueille, on les
nourrit, on les cache. Mieux, une poignée de «frères d'armes» vient les saluer.
Pas un n'en réchappera.
A la guerre comme à la guerre? Soit.
Mais Sharon, s'il prétend déjà séparer, dans les rangs palestiniens, le bon
grain de l'ivraie, cogne sans discernement. Quand un gamin lance une pierre sur
une patrouille, il arrive qu'on châtie pour l'exemple le père ou le frère aîné,
lâché sur la rive du Jourdain avec une gourde d'eau, un bout de pain, un dinar
jordanien et un drapeau blanc. On bannit, on interne, on rase les maisons des
suspects. Si brutale soit-elle, la méthode paraît efficace. Succès éphémère...
Ces années de plomb forgent chez Arik, fonceur que jamais le doute n'effleure,
une certitude: je sais bien, moi, comment vaincre le terrorisme. Las! ses pairs
et ses chefs - des jaloux, à coup sûr - discutent les mérites du franc-tireur,
incontrôlable. Et freinent son avancement. «Il serait capable de tuer tous les
Arabes», bougonne Moshe Dayan. Jamais Arik n'accédera au rang de chef
d'état-major. Il en conçoit une amertume que rien n'adoucira. Pas même la
conquête, en 1981, du maroquin de la Défense, concédé par un Menahem Begin
méfiant et fasciné. Quatre ans plus tôt, le même Begin avait balayé d'une
boutade les prétentions ministérielles d'Arik: «Il serait capable d'encercler
mon bureau avec ses chars.»
Chez Sharon, le culte de la force
vient de loin. D'une enfance en milieu hostile. Le petit Ariel Schönerman voit
le jour en 1928 à Kfar Malal, un moshav - communauté coopérative agricole - de
la vallée du Sharon, non loin de Tel-Aviv, enclave pionnière entourée de
villages arabes. Clin d'œil du destin? Quinze ans plus tôt, sa grand-mère,
sage-femme à ses heures, veillait sur la naissance d'un certain Begin, prénommé
Menahem. A la maison, une bicoque de bois et de torchis, on ne plaisante guère.
Venu de Biélorussie, Shmuel, le père, est un sioniste fervent, têtu comme une
bourrique et vindicatif. Féru d'agronomie, il se lance dans la culture de
l'avocat, alors méconnu. Ce qui déroute ses voisins, déjà irrités par les
dérives droitières et les lubies du misanthrope. Car lui seul clôture ses champs
ou refuse de céder une parcelle aux nouveaux venus. Ariel, solitaire et
bagarreur, se balade armé d'un gourdin. A 13 ans, Shmuel lui offre un poignard,
dont il parle encore. Et c'est au petit sabra - natif de la Terre promise - que
revient l'honneur de planquer à l'étable le tromblon familial, quand les soldats
britanniques, gardes-chiourmes de la Palestine mandataire, pointent le nez.
Funeste coup du sort: devenu adulte, Arik perdra un jeune fils, tué en maniant
son fusil de chasse chargé. Vera, la mère, a quant à elle délaissé à contrecœur
ses études de médecine pour rejoindre un mari dont elle ne partage pas les élans
défricheurs. A l'inverse de l'héritier qui, dès 14 ans, rejoint les rangs d'un
mouvement paramilitaire, puis rallie la Haganah. Arik aura tôt fait de montrer
sa bravoure au feu. Et d'en payer le prix. Grièvement touché à l'estomac et à
une jambe lors de la bataille de Latroun, en 1948, le jeune commandant, laissé
pour mort, s'en sort par miracle. C'est de cette époque que date son credo: nul
n'a le droit d'abandonner un homme sur le champ de bataille.
Patriote en
treillis
Epouvantail des pacifistes, Sharon le superfaucon n'a pas
toujours campé à droite. Compagnon de route des travaillistes, nostalgique de
l'ère des pères fondateurs, le patriote en treillis erre sur l'échiquier
politique avant de prendre part à l'émergence du Likoud, qu'il quitte un temps
pour fonder son propre parti, Shlomzion (la Paix de Sion). Fiasco électoral?
Qu'importe, les deux sièges arrachés lors des législatives de 1977 lui suffisent
à monnayer auprès de Begin son ralliement contre le portefeuille de
l'Agriculture. Donc des colonies, en attendant mieux. Rare privilège, Arik
jouissait de l'estime du défunt Itzhak Rabin. Lequel sortit de l'ornière, dans
les années 60, la carrière de l'officier imprévisible, avant d'en faire en 1975,
envers et contre tous, son conseiller antiterrorisme. De même, malgré de
fracassantes querelles, Sharon ménage Shimon Peres, l'un des rares rescapés de
l'époque héroïque. S'il avoue un appétit d'ogre, le héros de la droite «ne
bouffe pas des Arabes au petit déjeuner». Mais se targue de les connaître,
quitte à puiser dans le catalogue des clichés. Ainsi, à l'en croire, le
Palestinien n'entend que le langage de la force. Il tente même, en vain,
d'approcher Yasser Arafat par l'entremise d'Uri Avneri, colombe impénitente et
pionnier d'un dialogue longtemps proscrit. Non pas, il est vrai, pour ébaucher
un compromis - synonyme d'aveu de faiblesse dans le lexique maison - mais dans
le dessein de promouvoir l'une de ses chimères: la création d'un Etat de
Palestine en Jordanie. En 1970, tandis que le trône du roi Hussein vacillait
sous les assauts des fedayin, Sharon aurait volontiers aidé l'OLP à renverser
une monarchie hachémite qu'il juge illégitime. Croyant ainsi régler le
casse-tête palestinien. Au fait, qu'a-t-il contre les dynasties, lui qui a fait
de son fils et clone Omri, doté de la même grâce de sumotori, un conseiller
influent? Le contact sera maintenu. Certes, le faucon refuse de serrer la main
d'Arafat, cet ennemi qu'il dépeint dans le New Yorker sous les traits d'un
«menteur» et d'un «criminel». Mais il reçoit discrètement son bras droit, Abou
Mazen, lui adresse un message à la faveur de la fête musulmane de l'Aïd, et
envoie un trio d'émissaires discuter avec le Kurde Mohammed Rachid, grand
argentier du raïs.
Opportuniste, pragmatique jusqu'au
cynisme, le «melech Yisrael» - roi d'Israël - rengaine sans états d'âme ses
convictions en cas de besoin. Avocat, auprès d'un Begin indécis, de la paix avec
l'Egypte, il démantèle à la hussarde, au lendemain de Camp David, les colonies
juives du Sinaï, dont il fut le parrain zélé. L'évacuation manu militari de
celle de Yamit laissera des traces chez les fidèles du Grand Israël. De même que
l'accord de Wye River, qu'il négocie en ministre des Affaires étrangères,
avalisant la cession à l'Autorité palestinienne de 13% de la Cisjordanie. Les
colons peuvent-ils lui tenir rigueur de ces replis tactiques? Car Arik, virtuose
du fait accompli, a toujours œuvré avec acharnement au quadrillage méthodique de
la «Judée-Samarie», antidote éprouvé à l'émergence d'un Etat palestinien viable.
A Jérusalem, il s'offre, histoire de prêcher l'exemple, une maison en plein cœur
du quartier arabe de la Vieille Ville. Titulaire du portefeuille du Logement, le
général retraité bâtit à tour de bras.
Attachement charnel à la
terre
Et quand, en 1996, Benyamin Netanyahu, alors chef du
gouvernement, confie à contrecœur à son rival un ministère des Infrastructures
taillé à sa démesure, il lui cède la haute main sur le foncier, l'eau,
l'énergie, les réseaux routier et ferré. Sioniste laïque, le fils Schönerman
éprouve pour la terre un attachement charnel. Au point de confesser le respect
que lui inspire, dans le monde arabe, cette même dévotion. C'est d'ailleurs avec
une ardeur de paysan qu'il gère son immense ranch de Shikmim - les sycomores -
en lisière du désert du Néguev, où les journaliers thaïlandais ont supplanté les
ouvriers palestiniens. Là, du vivant de sa femme Lily, vaincue l'an dernier par
un cancer, le vieux soldat deux fois veuf - sa première épouse, Margalit, sœur
de Lily, succomba en 1961 dans un accident de voiture - recevait en hôte
prévenant ses amis de tout bord. Car, en privé, Arik la terreur ne manque ni de
chaleur ni d'humour. Il ira jusqu'à «retourner» Avi Mograbi, cinéaste de gauche
vaincu par son charme. Et qui racontera cette volte-face dans un film goguenard:
Comment j'ai appris à ne plus craindre et à aimer Arik Sharon. Ce dernier,
arc-bouté sur les dogmes anachroniques, semble quant à lui à l'abri de toute
conversion. L'accord d'Oslo? Mort et enterré. Un traité de paix? Utopique. Au
mieux, un pacte de non-belligérance à long terme. La souveraineté sur Jérusalem?
Israélienne à jamais. Le droit au retour des réfugiés palestiniens? Exclu. Le
plateau du Golan? Hors de question de le restituer à la Syrie. L'Etat
palestinien? Envisageable sur la moitié, voire les deux tiers, de la bande de
Gaza et 40% de la Cisjordanie, mais corseté par deux «corridors de sécurité», un
le long de la vallée du Jourdain, l'autre à l'ouest. Voilà les contours de la
terre promise aux Palestiniens. Sharon professe d'ailleurs une vision très
personnelle des «concessions douloureuses» que suppose toute paix: il s'agit
pour lui de renoncer à reconquérir les villes autonomes... Mieux vaut s'abstenir
de suggérer que sa virée le 28 septembre 2000 sur l'esplanade des Mosquées de
Jérusalem - le mont du Temple pour les Juifs - déclencha «l'Intifada d'el-Aqsa».
«Ce n'était, assène-t-il, que le prétexte à un soulèvement armé
prémédité.»
Soucieux de ratisser large, le faucon
s'est limé les serres. Dans ses clips de campagne, il paradait dans un décor
bucolique en grand-père serein, sur fond de ritournelle doucereuse et dévote.
Rôle de composition. «J'aimerais me tromper, admet son biographe Uzi Benziman.
Mais j'ai la conviction qu'il n'a changé en rien.» «Sharon a tout pour faire un
parfait paria international», soupire en écho un diplomate proche de Barak.
Reste que sa prochaine bataille, le lion fourbu la livrera sur le front
intérieur. Et dans son propre camp. Car Bibi Netanyahu, tapi en embuscade, parie
sur son échec. D'autant que ses disciples tiennent encore l'appareil du Likoud.
Et que les deux hommes se vouent un mépris réciproque et vigilant. Avec de tels
amis, plus besoin d'ennemis. Arik hériterait, avec son sceptre, d'un Parlement
morcelé et d'un calendrier épineux. Le budget 2001 doit obtenir l'imprimatur de
la Knesset avant le 31 mars, sous peine de législatives anticipées, dont «Bibi»
rêve pour rafler la mise. Sans doute le salut de Sharon passe-t-il par un
gouvernement d'union nationale. A défaut, il demeurerait l'otage de ses alliés
d'extrême droite et d'une coalition aléatoire. Reste à persuader Barak et Peres,
pressentis à la Défense et aux Affaires étrangères, de voler à son secours. Si
Ariel Sharon tient à savourer sa revanche, qu'il ne tarde pas. L'Homme qui fonce
au feu rouge: ainsi Uzi Benziman avait-il intitulé son essai. Arik devrait se
méfier: le char de l'Etat est moins robuste qu'un tank Merkava.
25.
L'évolution démographique de l'ensemble Israël-Palestine nourrit
les inquiétudes et les dilemmes de l'Etat juif par Jean-Pierre
Langellier
in Le Monde du jeudi 8
février 2000
COMMENT rester à la fois un Etat juif et démocratique ?
Israël affronte ce dilemme existentiel depuis la conquête par son armée en 1967
de la Cisjordanie et de Gaza. Ne plus abriter une majorité de Juifs ôterait à
Israël sa raison d'être ; renoncer à la démocratie – pour imposer la loi d'une
minorité – lui ferait perdre son âme. Cette double hantise et ce double refus
ont largement contribué à forger les stratégies des deux grandes familles
politiques israéliennes, le Likoud et les travaillistes.
La droite s'est
toujours gardée d'annexer de jure les territoires occupés pour ne pas enfanter,
dans les frontières de l'ancienne Palestine mandataire, une entité binationale
vouée à devenir majoritairement arabe, et qui ruinerait ainsi, à terme, le
sionisme en tant que projet de peuplement. Pour les mêmes raisons, la gauche
s'est peu à peu convertie massivement à l'idée d'un partage de la terre, de la
restitution de la quasi-totalité des territoires, et de l'avènement d'un Etat
palestinien. "En cas d'annexion, disait déjà Golda Meir (alors premier ministre)
en 1970, nous nous réveillerions chaque matin en nous demandant combien de
nouveau-nés arabes ont été mis au monde dans la nuit." Soucieux de préserver le
caractère juif et démocratique d'Israël, les travaillistes préfèrent un pays
plus petit mais plus homogène. Inaugurée par Itzhak Rabin, prolongée par Ehoud
Barak, cette stratégie des "deux Etats" a failli sceller, d'Oslo (1993) à Camp
David (2000), la paix israélo-palestinienne si longtemps
espérée.
Aujourd'hui, l'examen de l'évolution démographique de l'ensemble
Israël-Palestine donne une saisissante acuité aux inquiétudes et aux dilemmes de
l'Etat juif. Les chiffres les plus récents ont été fournis notamment par deux
démographes, l'un français, Philippe Fargues, l'autre israélien, Sergio Della
Pergola, lors d'un débat organisé le 30 novembre dernier à Paris par l'Institut
national d'études démographiques (INED), avec la participation de la revue
Passages et de la Revue d'études palestiniennes.
Premier constat, dressé par
Philippe Fargues : les Palestiniens deviendront majoritaires dans l'ensemble
Israël-Palestine entre 2005 et 2010. En 2000, Israël – y compris Jérusalem-Est –
comptait 6,3 millions d'habitants, dont plus de 1 million d'Arabes ; les
territoires occupés abritaient 3 millions de personnes. Soit au total un rapport
55 % - 45 % en faveur des Juifs. Cet avantage s'évanouira avant dix ans, car le
temps joue démographiquement pour les Palestiniens. Dans cinquante ans, les
Juifs ne seront plus que 30 % de l'ensemble Israël-Palestine. Leur poids
démographique sera proche de celui qu'ils avaient dans la Palestine britannique
au cours des années 1930.
Une telle perspective ne peut qu'inciter les
partisans, de plus en plus rares il est vrai, d'une annexion formelle des
territoires par Israël, à enterrer leur projet, puisqu'une telle mesure
transformerait rapidement l'Etat juif en un pays à majorité
arabe.
IMMIGRATION DES NON-JUIFS
Second constat : les Juifs et les Arabes
de l'ensemble Israël-Palestine ont une natalité très forte, compte tenu de leur
niveau de développement, mais aussi très variable selon les groupes, dont
certains atteignent, d'un côté comme de l'autre, des records planétaires. Chez
les juifs ultra-orthodoxes – ashkénazes et séfarades –, la fécondité moyenne est
de 7,6 enfants par femme; elle atteint 7,4 enfants par femme à Gaza et même 10 à
12 enfants dans la petite communauté bédouine du sud d'Israël, record mondial
absolu en la matière.
A ce rythme, prévoit Sergio Della Pergola, l'ensemble
Israël-Palestine comprendrait 36 millions d'habitants en 2050. Or cet ensemble
(28 000 km2) équivaut aujourd'hui à la superficie de la région du
Languedoc-Roussillon. Dans les années 1930, à l'époque où les sionistes
commençaient de mettre en valeur ce "bout de sol" auquel avait rêvé Théodore
Herzl, les autorités britanniques fixaient sa capacité d'absorption à 2 millions
de personnes.
Troisième constat : la proportion de non-Juifs parmi les
immigrants en Israël a progressé de façon spectaculaire. Jusqu'en 1988, leur
nombre était dérisoire (0,7% du total). Il a commencé à s'élever en 1990 avec
l'arrivée massive d'une nouvelle vague d'immigrants venus d'ex-URSS et n'a cessé
d'augmenter depuis. Résultat : 40 % des immigrants n'étaient pas juifs en 1998,
compte non tenu des travailleurs étrangers, qui ne sont pas citoyens d'Israël.
C'est un tournant radical. Certains de ces immigrants ont rapidement émigré
ailleurs. Il n'empêche, sur la période 1989-1998, le solde migratoire net reste
impressionnant : plus de 650 000 entrées. Ce niveau n'avait jamais été atteint
depuis la naissance d'Israël. Et jamais le pourcentage des Juifs du monde vivant
en Israël n'a été aussi grand : 36,5 %. En outre, 95 % des Juifs israéliens sont
des immigrants ou des descendants d'immigrants arrivés depuis le début du mandat
britannique en 1918.
Quatrième constat : en Israël, la natalité remplace
maintenant l'immigration comme principale source de l'accroissement
démographique. Cela tient largement à la politique résolument nataliste
d'Israël, mise en œuvre par les dirigeants sionistes avant même la naissance de
l'Etat.
Le fondateur de l'Etat d'Israël, Ben Gourion, exhortait les femmes
juives à mettre au monde au moins quatre enfants. Aujourd'hui, cette politique
favorise fortement les familles à partir du cinquième enfant. En outre, le
mécanisme gouvernemental de soutien financier aux institutions religieuses
judaïques entraîne un transfert de fonds publics au profit des ultra-orthodoxes
qui leur permet d'entretenir des familles nombreuses. Le natalisme officiel, en
rien discriminatoire, profite surtout à la minorité palestinienne d'Israël : 40
% des "cinquièmes" naissances surviennent dans des familles arabes. La fécondité
moyenne des femmes musulmanes d'Israël reste nettement supérieure à celle des
femmes juives. Elle s'explique par la conjugaison de trois facteurs : une
situation économique relativement favorable, un système social et hospitalier
moderne, une vigoureuse tradition religieuse et culturelle pronataliste. Elle
est accentuée par le maintien d'une ségrégation urbaine : la plupart des Arabes
habitent loin de leur lieu de travail, situé dans des villes ou des quartiers
juifs, ce qui exclut de nombreuses femmes du marché de l'emploi, les cantonne
dans la vie domestique et encourage la procréation. Reste Gaza, et sa
démographie hors du commun. La situation y semble paradoxale. Les conditions
d'une baisse de la fécondité sont réunies : la population est beaucoup plus
instruite que dans les pays arabes voisins, son état de santé est satisfaisant,
son niveau d'information élevé. Mais l'état de belligérance annule tous ces
facteurs. Prise en charge par la solidarité internationale, la scolarisation ne
coûte pratiquement rien aux parents. Ailleurs dans le monde, ceux-ci font moins
d'enfants pour améliorer le sort de chacun d'eux. A Gaza, on ne choisit pas
entre la quantité des enfants et la qualité de leur éducation : la première
conditionne la seconde, du moins dans l'imaginaire collectif, car elle est
perçue comme un levain de la résistance à Israël. Partout dans le monde, les
citadins font moins d'enfants que les autres… sauf à Gaza. La population y est
urbaine à 96 %, mais ne jouit pas des avantages habituels de la ville. Le
bouclage du territoire, l'isolement, le couvre-feu entravent la communication.
Le foyer est l'univers quasi exclusif de sociabilité.
S'ils méditent ces
chiffres, les Israéliens durciront sans doute encore leur hostilité à la
reconnaissance du "droit au retour" des réfugiés palestiniens, dont la mise en
œuvre équivaudrait à leurs yeux à un "suicide démographique". Les Palestiniens,
quant à eux, seront tentés de continuer à livrer cette "guerre des berceaux" qui
ne dit pas son nom et qui consolide leur ancrage sur la terre ancestrale. Les
uns et les autres auraient plutôt intérêt à conclure rapidement la paix pour
désamorcer ensemble la bombe démographique qui menace leur avenir commun.
26.
Vives tensions
dans la région, tandis que les missiles Patriot américains arrivent en Israël
par Steve Rodan
in Middle East Newsline
du mardi 6 février 2001
[traduit de l'anglais par
Marcel Charbonnier]
Tel-Aviv - Une brigade de l'armée
américaine transportant des missiles anti-aériens Patriot est arrivée en Israël,
tandis que des sources d'information militaire, tant israéliennes qu'arabes,
font part d'un regain de tension dans la région. La brigade américaine, détachée
de la 69ème unité de DCA (Défense anti-aérienne) est arrivée à Haïfa et se
prépare en vue d'un exercice baptisé "Genièvre Cobra". Cet exercice, qui
débutera mercredi et se prolongera durant deux semaines, s'insère dans un projet
visant à renforcer la coordination américano-israélienne en matière de défense,
dans un contexte de menaces d'une guerre régionale qui pourrait impliquer l'Irak
et la Syrie. Les sources militaires citées font mention de mouvements de troupes
israéliennes, irakiennes et libanaises, durant le week-end. Au Liban, le
Hizbullah a déployé des lanceurs de missiles à courte portée, à proximité de la
frontière avec Israël. De sources militaires arabes, on informe qu'Israël et le
Hizbullah ont renforcé leurs troupes à proximité de la frontière avec le Liban.
En fin de journée de samedi dernier, ces sources ont rapporté une
intensification des patrouilles israéliennes, le déploiement de tanks
supplémentaires, ainsi que le creusement d'avant-postes fortifiés tant civils
que militaires. Pour sa part, le Hizbullah aurait acheminé vers la frontière de
nouvelles batteries de missiles Katyusha. Ces derniers, de différents types,
comportent des missiles d'une portée de 70 kilomètres, capables d'atteindre la
ville de Haïfa, au Nord d'Israël. A Beyrouth, le commandant en second du
Hizbullah, Naïm Kassem, a déclaré que cette formation était prête pour la
confrontation avec Israël. Kassem a indiqué, notamment, que la situation, en
Israël, était confuse, et que les responsables y étaient sous pression. Des
sources israéliennes ont indiqué, pour leur part, que l'Irak continue à
renforcer ses troupes derrière les frontières de la Syrie et de la Jordanie. Ces
sources ont précisé que pratiquement deux divisions irakiennes se trouvent à
proximité de la frontière syrienne, ce qui semble correspondre à un déploiement
militaire coordonné avec le régime de Damas. Le quotidien Sunday-Times, de
Londres, a révélé que les armées tant syrienne qu'israélienne sont en état
d'alerte maximale. Les Etats-Unis ont multiplié les messages en direction de
Damas pour mettre en garde cette capitale contre toute complaisance avec les
plans de Bagdad visant à l'escalade. Dimanche dernier, des officiels américains
ont appelé à la prudence, en particulier en Cisjordanie et dans la Bande de
Gaza, en proie à une guérilla israélo-palestinienne. Une source militaire
israélienne a indiqué que l'arrivée dans le pays des batteries de missiles
Patriot ne renforce pas réellement les capacités de défense aérienne d'Israël.
Le missile Patriot avait été conçu, au départ, comme missile sol-air destiné à
atteindre des aéronefs. Mais, au cours de la Guerre du Golfe, Raytheon (la
société productrice) avait amélioré ce missile afin de le rendre capable de
détruire des missiles ennemis en vol (avant qu'il ne touchent leur cible).
Toutefois, des sources de la défense (américaine) indiquent que le Patriot est,
en réalité, trop lent pour pouvoir intercepter les missiles les plus
sophistiqués mis au point par l'Egypte, la Syrie et
l'Iran.