Dernières
parutions
1.
Palestine(s) Les déchirures de Valérie Féron aux
Editions du Félin
[288 pages - 135 FF - 2001 - ISBN
2-86645-391-3]
Ce livre, résultat d'une longue enquête, tient
compte des développements survenus à la fin 2000 dans le cours de la " question
palestinienne ", et fournit les clés pour comprendre les événements dans "les
territoires occupés".
Il est fondé sur de nombreux entretiens et reportages
que l'auteur a effectués dans des familles palestiniennes, principalement en
Israël à Nazareth, en Cisjordanie à Bethléem, ainsi que dans la bande de Gaza.
Une grande part de ces entretiens concerne la jeunesse. Celle-ci exprime ses
espoirs, sa révolte et souvent son désarroi. L'accent est mis à la fois sur la
situation des Palestiniens citoyens d'Israël, appelés généralement Arabes
israéliens, et ceux des territoires.
C'est une "histoire en direct" et une
mise en perspective du passé des cinquante dernières années. Le livre rappelle
ainsi l'évolution contemporaine d'Israël, particulièrement depuis l'exode forcé
des Palestiniens après 1948. Colonisation, problème des réfugiés, statut de
Jérusalem, Droits de l'homme, autant de questions qui sont au cœur des débats
actuels.
De nombreuses rencontres avec des intellectuels et des personnalités
politiques palestiniens (l'historien Elias Sanbar, le député "arabe israélien"
Azmi Bichara, le ministre palestinien chargé du dossier de Jérusalem pour l'OLP,
Fayçal Husseini...) permettent de comprendre les débats en cours pour l'avenir
de l'État palestinien et les critiques qui émergent parfois à propos de
l'Autorité palestinienne. Un ouvrage pour comprendre l'accélération des
événements en Palestine et saisir les enjeux à court et à moyen terme d'un
conflit central dans cette région.
L'auteur, Valérie Féron, est née en 1967,
journaliste, elle a collaboré à Radio-Orient pendant une dizaine d'années et a
effectué de nombreux voyages en Israël et en Palestine depuis la fin des années
80.
2.
Palestine, mon histoire de Raymonda Hawa-Tawil aux
Editions du Seuil
[247 pages - 110
FF - 2001 - ISBN 2020316560]
Raymonda Hawa-Tawil est
l'une des femmes palestiniennes les plus célèbres au monde. Née en 1940 dans une
famille chrétienne de Saint-Jean-d'Acre, elle s'est fait connaître dès la fin
des années 60 de la presse internationale dont elle deviendra, au coeur même des
territoires occupés, la principale interlocutrice. Celle qu'on appelait " la
lionne de Naplouse " fut traquée, incarcérée, brutalisée par le pouvoir
israélien de façon arbitraire. Véritable pasionaria de l'intérieur, elle s'est
toujours battue pour la réconciliation entre Palestiniens et Israéliens, y
compris lors de son exil en France. S'exprimant à titre personnel, elle raconte
ici plusieurs décennies de lutte aux côtés du peuple palestinien pour le droit à
la patrie. Elle évoque aussi son combat sans cesse recommencé pour
l'émancipation de la femme arabe. Alors que la tension au Moyen-Orient est de
nouveau extrême, ce livre nous apprend qu'on peut faire la paix à condition que
celle-ci soit juste. L'une des filles de Raymonda Hawa-Tawil, Soha, est
aujourd'hui la femme de Yasser Arafat.
Réseau
1. Relations bilatérales turco-israéliennes et
inquiétudes des tierces-parties par Abdullah Kiran
in
Birikim (mensuel "socialiste de culture" turc) du mois de décembre
2000
[traduit du turque par Marcel
Charbonnier]
- PREMIERE PARTIE
-
La sympathie réciproque entre les
Turcs et les Juifs remonte à une époque assez ancienne. Cette affection mutuelle
date du quinzième siècle, époque où les Juifs persécutés en Espagne se
réfugièrent dans l'Empire ottoman, dirigé alors par le Sultan Beyazit (Bajazet).
Les Juifs, chassés d'Espagne par le roi catholique Ferdinand et son épouse
Isabelle (époque de la Reconquista, NdT) vinrent se réfugier en Turquie, en
particulier dans les deux grandes villes de l'époque, Istanbul et Salonique, où
ils s'établirent durablement. Le Sultan Beyazit II, qui ouvrira largement les
portes de l'Empire ottoman aux Juifs d'Espagne et du Portugal, ordonna que
ceux-ci s'installent dans l'île de Sakiz.
(Source : Avram Galanti : Histoire
des Turcs et des Juifs : enquête politique. Deuxième édition augmentée, Tan
Matbaasi, Istanbul 1947, p. 16 : "les Juifs d'Espagne et du Portugal, convertis
au catholicisme en apparence seulement, et le plus souvent artisans spécialisés
et aisés, ont commencé à quitter la péninsule ibérique, à partir de 1532. Une
partie d'entre eux est venue se réfugier en Turquie).
La bienveillance et la
sympathie entre les deux peuples se sont renforcées, au cours des siècles, à
l'occasion de différents événements bien documentés par les historiens de
l'Empire ottoman. Alors que des Juifs, fuyant la Russie tsariste, étaient venus
se réfugier à Istanbul, dans les années 1891-1892, le Sultan Abdülhamit invita
au sérail, au mois d'avril 1893, le grand rabbin de Turquie, Moshé Lévy, pour
lui faire cette proposition :
"Je sais que des Juifs, qui subissaient des
persécutions dans différents pays, sont venus se réfugier en grand nombre dans
le nôtre. Notre intention est d'installer ces Juifs réfugiés dans l'Est de
l'Anatolie, afin qu'ils forment, avec des Juifs locaux, turcs, une formation
militaire de cent mille hommes, qui sera rattachée à la Quatrième Armée de
Turquie. Si un problème de nourriture casher devait se poser, je donnerais les
ordres nécessaires afin que l'on prépare de la nourriture casher pour les Juifs,
dans les casernes concernées. Qu'en pensez-vous, Monsieur le Grand Rabbin Efendi
?" (Avram Galanti, op. cit. , p. 18)
Les Juifs accueillis par la Turquie aux
jours difficiles, tout comme les Juifs turcs, défendirent vaillamment la
Turquie, au cours de la Guerre d'Indépendance, contre les forces d'occupation
occidentales, en particulier, contre la Grèce. Ce sacrifice fait par les Juifs a
entraîné la nomination du rabbin Haïm Naum, grand intellectuel, en tant que
conseiller de la délégation turque à la conférence de Lausanne, en 1922, par
l'Assemblée Nationale (Millet Meclisi).
Le tribut payé par les Juifs au cours
des combats a été grandement pris en compte par Kemal Atatürk. Le 2 février
1923, à Izmir (Smyrne), l'avocat Rafaël Amato demanda à ce dernier :
"Excellence, que pensez-vous des citoyens turcs de la religion mosaïque (les
Juifs), qui sont heureux lorsque les Turcs sont heureux, et attristés, lorsque
les Turcs sont en deuil ?"
Le Gazi (Mustafa Kemal Atatürk) lui répondit
:
"Il y a parmi nous des éléments de différents peuples, qui ont uni leur
destinée à celle des Turcs, peuple majoritaire de la Turquie. Parmi ces
minorités, il y a les Israélites. Ceux-ci ont fait la démonstration de leur
loyauté envers notre peuple et notre pays. Ils ont toujours mené chez nous une
vie confortable, digne et constructive, et ils continueront, à l'avenir, à mener
une vie aisée et heureuse chez nous, en Turquie". (Avram Galanti, op. cit., p.
86)
(référence : Ali Karaosmanoglu : A Turkish View of Bilateral Relations
with Israël. Actual Situation and Prospect of Turkey's Bilateral Relations with
Israël. Potential and Opportunities", modérateur : Pr. Ali Ihsan Bagis, Ter-Ar
Yayinlari, n° 4, avril 1992, p. 2)
La Turquie vota contre la résolution des
Nations-Unies préconisant, en 1947, le partage de la Palestine en deux Etats et
reconnaissant la création de l'Etat d'Israël. Elle se tint à l'écart, ne prenant
pas partie et observant une stricte neutralité, dans le conflit qui éclata, en
1948, entre Israël et les pays arabes. Mais, en mars 1949, les puissances
occidentales ayant reconnu Israël, la Turquie fit de même : elle établit des
relations diplomatiques avec ce pays. Les relations bilatérales
turco-israéliennes suivirent un cours normal jusqu'en 1956, année où la Turquie
rappela à Ankara son ambassadeur en Israël, sans toutefois rompre ses relations
diplomatiques avec ce pays, après l'occupation du Sinaï par l'armée israélienne.
Mais les relations entre les deux pays ne tardèrent pas à retourner à la
normale. Ces relations se sont poursuivies, depuis lors, sans interruption
jusqu'à nos jours, ne connaissant que des incidents mineurs, sans gravité. Le
rôle joué au Moyen-Orient par les Etats-Unis est un élément non-négligeable du
rapprochement et de l'amitié entre la Turquie et Israël. La Turquie a toujours
pensé, dès la création de l'Etat d'Israël, que ce dernier pouvait jouer un rôle
important en sa faveur, auprès de Washington... A un point tel qu'Ankara ira
même jusqu'à demander l'aide d'Israël pour se faire admettre dans l'OTAN. (et
envoyer des Turcs se faire tuer en Corée, NdT).
On ne saurait tenir pour
négligeable non plus, le rôle joué, dans le rapprochement entre les deux pays,
par la communauté juive de Turquie. Bien que le sionisme soit un mouvement
interdit en Turquie, et en dépit du fait que la Turquie ait voté, en 1975, la
résolution assimilant le sionisme à une forme de racisme, aux côtés d'une
majorité de pays membres de l'ONU, les Juifs n'ont jamais subi, au cours de
l'histoire, une quelconque pression de la part des Turcs. Les Juifs, dont la
majorité vivent à Istanbul, ont pu continuer à respecter le plus librement qu'il
soit leurs coutumes ancestrales, leurs rites et leurs pratiques religieuses,
comme ils le désiraient. Après la création d'Israël, les Juifs qui quittèrent la
Turquie pour y immigrer étaient, pour ainsi dire, des ambassadeurs en puissance
entre les deux pays, dans les deux sens d'ailleurs (car ils parlaient d'Israël
aux Turcs, NdT). Les Juifs d'origine turque se sont établis, en Israël,
majoritairement dans la ville de Bat Yam. Ils continuent à y parler le turc, et
beaucoup d'entre eux viennent en visite, de temps en temps, en Turquie.
La
Turquie joue un rôle de pont, d'étape, pour les Juifs de différents pays du
monde qui vont s'installer en Israël. (La géographie explique aisément que) les
Juifs d'Iran ou de Bulgarie immigrant en Israël faisaient étape en Turquie. Mais
ceux qui avaient quitté la Syrie ou l'Irak faisaient de même (avec le détour que
cela représente, NdT). Ankara, ayant souvent servi d'intermédiaire avec l'Irak,
dans l'assistance aux Juifs que l'on y jetait en prison, adoptait souvent, aux
Nations-Unies, des positions communes avec Israël, à ce sujet.
Certains
dirigeants éminents d'Israël, comme le Président de la République Yitzhak Ben
Zvi, le Premier ministre David Ben-Gurion et le ministre des Affaires Etrangères
Moshé Sharett, ont reçu leur éducation en Turquie, à l'époque de l'Empire
ottoman. Ces dirigeants historiques d'Israël, très au fait des usages turcs et
parfaitement turcophones, ont joué, bien évidemment, un rôle certain dans le
rapprochement entre les deux pays.
En 1989, en préparation de la
commémoration du cinq centième anniversaire (proche) de l'immigration massive de
Juifs espagnols et portugais dans l'Empire ottoman, de 1492, fut créée en
Turquie la Fondation du Demi-millénaire, qui joua un rôle important dans le
renforcement et le développement des relations turco-israéliennes. Cette
Fondation joua un rôle utile, du point de vue de la Turquie, par sa contribution
au rayonnement du pays dans le monde entier. On ne peut ignorer, notamment, le
rôle décisif que cette Fondation a joué, avec le soutien du lobby juif aux
Etats-Unis, dans le rejet par le Congrès américain d'un projet de loi
établissant officiellement la responsabilité de la Turquie dans le génocide des
Arméniens (comparer avec : la France, NdT).
Le changement dans les
grands équilibres et le pacte turco-israélien
Tout au long des années de la guerre
froide, la Turquie, au premier rang des pays "sous la menace de l'URSS",
revêtait une importance particulière pour l'OTAN et les Etats-Unis. Mais la
Turquie, après avoir reçu des aides très importantes, des décennies durant, de
l'OTAN et des Etats-Unis, perdit ce rôle essentiel, après la disparition de
l'URSS et, par voie de conséquence, du danger potentiel que ce pays représentait
pour elle. La crainte de voir le pays marginalisé amena l'armée turque à
s'orienter vers une stratégie dans laquelle celui-ci assumerait un nouveau rôle
dans le cadre des sphères d'influence américaine et européenne, au Moyen-Orient.
Le rapprochement entre Israël et la Turquie représentait le maillon le plus
important de cette nouvelle stratégie. En se rapprochant d'Israël, la Turquie
mettait de son côté, en sus des Etats-Unis et du soutien du Congrès américain,
le puissant lobby pro-israélien américain.
(Les Juifs vivant aux Etats-Unis,
qui ne représentent que 4% de la population américaine, sont influents sur les
plans économique et politique. Ils constituent le lobby le plus influent des
USA, dans l'entourage des institutions dirigeantes. La principale institution de
lobbying pro-israélien est l'AIPAC (American Israël Public Affairs Committee -
Comité américano-israélien pour les affaires publiques). De plus, les Juifs
américains, dont les succès dans les domaines politique et économique sont
éclatants, exercent une grande influence sur le front des médias. Ainsi, ils
exercent une grande influence dans deux des trois plus importantes chaînes de
télévision, NBC (National Broadcasting Company), et CBS (Columbia Broadcasting
System). Ils possèdent les journaux les plus influents sur le plan politique,
qui sont aussi ceux qui connaissent les plus forts tirages : le New York Times,
le New York News et le Washington Post).
Ainsi, la Turquie, en raison de son
dossier chargé en matière de non-respect des droits de l'homme et de ses
problèmes endémiques avec la Grèce, pourrait se procurer, grâce à son pacte avec
Israël, les nouvelles technologies et les armements du Pentagone qu'elle aurait
eu de grandes difficultés à obtenir en s'adressant directement aux Etats-Unis et
à l'Union européenne...
Les rôles parallèles tenus tant par Israël que par la
Turquie au cours de la crise du Golfe ont joué un rôle certain dans leur
rapprochement mutuel. D'ailleurs, à la fin de cette crise, le renforcement des
relations bilatérales ayant été très important, comme nous l'avons indiqué, les
relations diplomatiques furent pleinement rétablies le 31 décembre 1991 ; elles
furent élevées au niveau plénier d'ambassades, en même temps que se produisait
la reconnaissance mutuelle entre Israël et les Palestiniens. Comme nous le
savons, les relations entre les deux pays avaient été établies au niveau des
consulats, en 1949, un an après la création de l'Etat d'Israël. Mais, en 1980,
après qu'Israël eût annoncé l'annexion de Jérusalem-Est, ces relations avaient
été ramenées au niveau des représentants des intérêts des deux pays respectifs
auprès du pays partenaire (maslahatgüzar seviyesi). Néanmoins, en 1991, Israël
s'étant engagé de manière déterminée dans le processus de paix au Moyen-Orient
découlant de l'accord de Madrid, sa position sincère joua un rôle décisif dans
le rétablissement, au niveau des ambassades, des relations diplomatiques
entre les deux pays, et leur renforcement.
En fait, la Turquie considéra les
accords d'Oslo, entre Israël et l'OLP, comme une porte ouverte au développement
de relations encore plus intenses avec Israël. Ankara, qui défendit la position
de l'OLP durant les longues années du processus de paix, fut parmi les premières
capitales à endosser la "déclaration d'indépendance de la Palestine" proclamée
au cours du Conseil National Palestinien de 1989. Par conséquent, après la
reconnaissance d'Israël par l'OLP, il ne restait plus aucun obstacle de nature à
retenir la Turquie de considérer Israël comme son partenaire privilégié, en vue
d'une très large collaboration.
(Alan Makovsky, "The New Activism in Turkish
Foreign Policy", The Washington Institute for Near East Policy, SAIS Review,
printemps 1999,
http://www.washingtoninstitute.org).
La
Turquie, ayant pris en compte les changements intervenus dans la conjoncture
internationale, après le discours de Yasser Arafat, le leader de l'OLP, devant
l'Assemblée Générale de l'ONU, en 1974, reconnut officiellement l'OLP comme
représentant légitime du peuple palestinien. Elle devint membre de la Conférence
des Pays Islamiques, en 1976. Mais, tout en reconnaissant l'OLP, cette
organisation était traitée ainsi qu'il suit par les milieux militaires et de
droite, en Turquie :
"on a oublié de tenir compte du fait que (l'OLP),
prenant modèle sur les organisations terroristes kurdes et arméniennes, pourrait
à l'avenir porter atteinte aux intérêts de la Turquie et lui causer bien des
"maux de tête". (Source : Türkiye-Israil Iliskilerinin Dünü-Bugünü-Yarini : Les
relations turco-israéliennes, hier, aujourd'hui, demain).
En regard de la
pauvreté de ses relations existantes avec les pays arabes, il était d'autant
plus facile pour la Turquie de conclure un pacte avec Israël. Bien que la
Turquie soutînt ouvertement l'OLP, elle n'a bénéficié d'aucun soutien du monde
arabe, dont elle aurait bien eu besoin, au plus fort de la tension avec la
Grèce, née de la question de Chypre, ni au cours des années quatre-vingt, face à
l'oppression et à la politique d'assimilation forcée subies par la minorité
turque en Bulgarie. La Turquie, extrêmement déçue de l'attitude des pays arabes
à propos de la crise chypriote, ne rencontra pas plus de compréhension de leur
part au sujet du problème du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) ou du
partage des eaux du Tigre et de l'Euphrate.
(Alan Makovsky, "Turkish/Israeli
Cooperation, The Peace Process and the Region")
Les relations bilatérales
furent renforcées, au cours des années quatre-vingt dix, grâce à des visites
réciproques de hauts responsables des deux pays. Immédiatement après la
signature des accords d'Oslo, en 1993, le ministre turc des Affaires Etrangères
d'alors, M. Hikmet Cetin effectua la première visite officielle de responsables
gouvernementaux turcs en Israël. Cette visite fut suivie par celle du Premier
Ministre (donc au plus haut niveau) Tansu Ciller, du 5 au 7 novembre 1994.
(La visite de Tansu Ciller fut précédée, en octobre 1994, par la signature entre
les services de sécurité des deux pays, d'un accord sur la "lutte contre le
traffic de drogues et le terrorisme".) C'est surtout dans les années 1994 et
1995, que les efforts du Premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, allaient
contribuer au renforcement des relations bilatérales, d'une manière décisive. A
la suite de la visite en Israël, en 1996, du Président de la République de
Turquie, Süleyman Demirel, le Président d'Israël, Weizman vint en Turquie en
visite officielle. Ces visites mutuelles se poursuivirent, avec, à la
suite de la visite du ministre des Armées, Ismail Hakki Karadayi, le 24 février
1997, celle du ministre des Affaires Etrangères d'Israël, David Levy, qui vint
en Turquie le 8 décembre 1997. Puis le ministre israélien de la Défense, Itzhak
Mordechai (le 2 février 1998), le ministre du Parlement israélien, Dan Tichon
(le 23 mars 1998), le ministre de l'Industrie et du Commerce, Natan Sharansky,
se succédèrent, en visite officielle à Ankara. Tout récemment, le 28 août
2000, le Premier ministre Ehud Barak a rendu une visite officielle d'une journée
en Turquie.
L'accord militaire
turco-israélien
Au cours des dernières années, la
Turquie et Israël ont signé dix-neuf accords bilatéraux. Dix-sept de ces accords
avaient pour objectif d'accélérer le rythme de la coopération entre les deux
pays dans les domaines scientifiques, économiques et technologiques. Parmi
ceux-ci, citons l'accord, signé en 1996, sur la "liberté des échanges
commerciaux entre les deux pays".
(Oguz Celikkol, "Turkey and Middle East :
Policy and Prospect", the Washington Institute for Near East Policy,
http://www.washingtoninstitute.org/media/celikkol.htm)
Les
accords de défense commune signés entre la Turquie et Israël en février et août
1996 ont été tenus secrets. Bien que quelques informations aient filtré sur le
contenu de l'accord de février, nous ne savons pratiquement rien de celui qui a
été conclu au mois d'août 1996...
La rumeur publique rapporte que ce qui a
été signé entre le ministère des Armées de la République de Turquie et le
ministère de la Défense Nationale d'Israël, le 23 février 1996, à Tel-Aviv,
était un "accord sur la coopération et la formation militaire" (il fut signé par
le Général Cevik Bir, pour la Turquie, et David Ivry, au nom d'Israël). (voir le
texte de cet accord dans Aksiyon, 18-24 mai 1996). Cet accord, qui aurait dû
rester secret, entre les deux partenaires, a été rendu public, le 5 avril 1996,
par le quotidien israélien Yediot Aharonot, ce qui donna lieu à beaucoup de
commentaires, tant dans les pays contractants qu'à l'extérieur. L'accord, ayant
un caractère militaire, n'aurait pas dû être révélé au public, car cela
contrevenait à un accord signé préalablement par les deux pays, en mars 1994,
portant sur "la sécurité et la confidentialité" des échanges entre les deux
gouvernements. (Les relations entre la Turquie et Israël, hier,
aujourd'hui, demain, p. 137)
Le pacte de coopération et de formation
militaires signé par la Turquie et Israël en 1996, peut être considéré comme
similaire à un accord passé entre eux, en été 1958, sous le nom
d'"Accord-Cadre". Cet accord, classifié "secret défense" par Israël, et qui ne
pouvait pas être, par conséquent, rendu public avant un délai de cinquante ans,
comportait la volonté de développer une coopération tous azimuts entre les deux
pays. En sus des services de renseignement, de la diplomatie, du domaine
militaire, il prévoyait des échanges commerciaux et scientifiques intenses.
C'est dans le cadre de la conclusion de cet accord que le Premier ministre
israélien, David Ben-Gurion était venu en visite officielle en Turquie et que
son homologue Adnan Mendérès s'était rendu en Israël. (Nachami Amikan : "Afin de
ménager la possibilité d'une rencontre secrète entre Ben-Gurion et Mendérès,
pour des raisons de confidentialité, ce sont les hauts-fonctionnaires du
Ministère des Affaires Etrangères qui firent fonction de serveurs, au cours du
déjeuner"...)
L'Accord-Cadre israélo-turc de 1958 ayant pu rester secret, il
ne fit l'objet d'aucune polémique.
L'accord de coopération militaire signé
en 1996 l'était pour une durée de cinq ans. Dans le cas où l'un des deux
partenaires n'informerait pas son homologue de sa volonté de mettre un terme à
l'accord en respectant un délai minimal de quatre-vingt dix jours avant le terme
prévu, cet accord était prorogeable pour une année supplémentaire. Dans le texte
de l'accord, les autorités contractantes sont désignées ainsi qu'il suit :
a/
en Turquie, l'autorité représentative de la partie contractante turque est le
Général en chef des Armées et, pour le côté israélien, l'autorité contractante
est l'ambassadeur d'Israël à Ankara ;
b/ en Israël, l'autorité représentative
de la partie contractante turque est l'ambassadeur de Turquie à Tel-Aviv et
l'autorité représentative de la partie contractante israélienne, le Ministre de
la Défense d'Israël. (Ahmet Güner, "Ce que l'on ne sait pas sur l'accord
turco-israélien" - "Türk Israil Anlasmasinin Bilinmeyenleri", Aksiyon, 18-24 mai
1996, n° 76).
Dans l'accord conclu, les concepts de "parties contractantes",
"objectifs", "étendue" et "autorité responsable" ayant été explicités, les
mesures à prendre en matière de formation militaire sont énumérées comme suit,
sous le titre "Contenu en matière de formation" :
1 - En matière de formation
(militaire), la coopération comprend ce qui suit :
a- l'assurance d'une
coopération, à tous les niveaux, sur la base de la réciprocité, dans les
différents domaines de l'expertise professionnelle ;
b- des visites
réciproques entre académies militaires, entre unités combattantes et entre
quartiers généraux (des deux pays) ;
c- des échanges de programmes de
formation et d'exercices militaires sur théâtre d'opérations ;
d- l'envoi
d'observateurs chargés de suivre les exercices militaires entre les deux pays
;
e- des échanges de personnels d'encadrement, afin d'accroître leurs
connaissances et leur expérience, en particulier dans les domaines de l'histoire
militaire, de la muséologie militaire, des archives militaires, y compris les
domaines sociaux et culturels ;
f- des visites mutuelles d'escadrons
militaires dans les ports des deux pays ;
g- des échanges de visites
d'équipes sportives et de tournées de formations artistiques ;
h- la
coopération mutuelle des studios de réalisation de films et de photographies
militaires ;
2 - les deux parties s'engagent à coopérer à la mise en place de
préparatifs et d'une coordination entre elles pour assurer la réalisation des
actions de formation mutuelle ci-dessus énumérés, dans les domaines suivants
:
a- les contenus de la formation
b- les principes de la formation
c-
les durées adéquates des formations, les dates de sortie des promotions...
d-
les critères retenus pour la sélection des personnels envoyés en mission dans le
pays partenaire.
e- la langue utilisée
f- les sommes et les méthodes de
comptabilité des fonds devant être assurés par l'Etat envoyant en mission des
personnes en vue de leur formation et d'autres activités, dans le pays
partenaire
g- les autres points à prendre en compte
h- la forme
d'organisation des activités socio-culturelles
i- les méthodes de cessation
des activités de coopération.
3 - les unités échangées, les personnels
échangés et les détails relatifs aux formations devront être précisés au pays
les recevant en formation chez lui
4 - les deux parties s'attacheront à
encourager les visites mutuelles d'avions de combat et de flottilles militaires
dans leurs ports et aéroports militaires
5 - les deux parties s'attacheront
à développer les rencontres sportives mutuelles entre leurs équipes de leurs
différents corps d'armée
6 - les actions de formation seront mises en place,
à tour de rôle, par Israël et la Turquie .
Le rapprochement entre la Turquie
et Israël ne pouvait manquer d'attirer l'attention du lobby juif des Etats-Unis
et de ses différentes organisations vers la Turquie. Le premier ministre turc,
Mesut Yilmaz, au cours d'une visite à New York, le 17 décembre 1997, rencontra
plusieurs associations juives, et fut honoré, grâce à ces contacts, de recevoir
de la part du Congrès Juif américain (AJC) le "Prix International d'Humanité".
Il fut gratifié, également, de la part de deux institutions juives, le B'nai
Brith et la Ligue Anti-Diffamation, du titre de "Grand Homme d'Etat".
Les
Etats-Unis accueillirent l'accord avec la plus grande bienveillance. Le
porte-parole du Secrétariat d'Etat, Nicholas Burns, déclara, en mai 1997 : "Que
la Turquie et Israël marquent leur volonté de renforcer leur amitié, voilà qui
ne saurait nous laisser indifférents" (Turkish Daily News, 11.05.1997).
En
septembre 1997, l'ambassade d'Israël à Ankara annonça que des exercices
militaires seraient menés en Méditerranée, conjointement par Israël et la
Turquie, avec le soutien logistique des Etats-Unis, fournissant tous les détails
quant aux dates et aux manoeuvres programmées. Israël pensait que ces exercices
auraient lieu, vraisemblablement, en novembre de la même année. Mais, malgré les
objections d'Israël, les Etats-Unis exigèrent que ces exercices soient renvoyés
à plus tard, jusqu'en 1998. Washington, en effet, tenant compte des
protestations que ces exercices conjoints ne manqueraient pas de soulever dans
le monde arabe, et afin de tenter de les apaiser, ne serait-ce que très
modestement, s'efforçait de convaincre l'un au moins des Etats arabes d'envoyer
un observateur participer à ces exercices. (Alain Gresh : "Turkish-Israël-Syrian
Relations and Their Impact on the Middle East, The Middle East Journal, vol. 52,
n° 2, printemps 1998 - Les relations entre Israël, la Turquie et la Syrie, et
leur impact sur le Moyen-Orient).
Les Etats-Unis réussirent, finalement, à
convaincre Israël d'accepter que les exercices conjoints aient lieu en janvier
1998, en présence d'un commandant de l'armée de terre jordanienne. (C'est
l'amiral de la Marine, Huseyin Ali Muhammed, qui représenta, en fait, la
Jordanie, en tant qu'observateur, à ces exercices conjoints
israélo-turco-américains, baptisés du nom (poétique, NdT) de "Sirène Digne de
Confiance" (Güvenilir Denizkizi)).
L'accord turco-israélien, en particulier
dans le domaine de la coopération militaire, allait assez rapidement donner ses
fruits. En mars 1996, des sociétés israéliennes remportèrent un marché pour la
modernisation de cinquante-quatre avions F-4 de l'Aviation militaire turque,
pour une valeur d'un demi-milliard de dollars. Dans le cadre de ses relations
avec la Turquie, Israël devait vendre des tanks à ce pays, et, en sus d'une
production commune de missiles, la Turquie devait donner à Israël un marché pour
la modernisation de 48 de ses avions F-5. C'est d'ailleurs ce qu'elle fit, en
signant ce contrat avec Israël, en décembre 1997. (Financial Times, 02.12.1997).
Par la suite, les deux pays parvinrent à un accord pour la production commune de
missile Arrow à moyenne portée. (Turkish Daily News, 24.12.1997) Ainsi, la
coopération et les transferts de technologie, en matière militaire,
constituent les champs les plus profitables du rapprochement turco-israélien.
(Ümit Özdag, Turquie, Irak du Nord et PKK, Anatomie d'une guerre irrégulière,
Publications du Centre d'Etudes Stratégiques d'Eurasie, Ankara, 1999, p. 197 -
Türkiye-Kuzey Irak ve PKK, Bir Gayri Nizami Savasin Anatomisi, Avrasya Stratejik
Arastirmalar Merkezi).
La conviction générale prévaut, que sur la base des
deux accords déjà conclus, on est en voie de passer à des arrangements sur des
sujets généraux, tels que la menée d'exercices aériens et maritimes communs, la
possibilité de bénéficier des facilités portuaires mutuelles, de procéder à des
vols d'entraînement d'aviateurs turcs en Israël et israéliens, en Turquie, la
coopération en matière de lutte contre le terrorisme et la sécurité des
frontières, la coopération en matière d'industries de défense, l'échange de
personnels spécialisés... (Michael Eisenstadt : La coopération militaire
turco-israélienne : évaluation - Turkish-Israeli Military Cooperation : An
Assessment. The Washington Insitute for Near East Policy, Policywatch, n° 262,
24.07.1997;
http://www.washingtoninstitute.org.
Alan Makovsky : La copération militaire turco-israélienne, le processus de paix
et la région - The Washington Institute for Near East Policy, Policywatch, n°
195, 26.04.1996. Alain Gresh : op. cit.).
Dans le cadre de l'accord conclu
enfévrier 1996, huit F-16 israéliens sont venus se poser en Turquie, sur la base
aérienne d'Akinci, dans la région d'Ankara, où ils sont restés une semaine.
(Michael Eisenstadt, op. cit.)
FIN DE LA PREMIERE
PARTIE
[Birikim Yayinlari, Klodfarer Cad - Iletisim Han,
n° 7, Coagaloglu, 34400 Istanbul - TURQUIE]
2. Processus de paix ou de guerre ? par
Michel Warschawski
[Michel Warschawski est Directeur du
Centre d'Informations Alternatives de Jérusalem. Nous vous proposons la
retranscription intégrale d'une Conférence qu'il a donné à Grenoble, le 25
janvier 2001, à l'invitation du CCFD, de l'Association Médicale
Franco-Palestinienne et de Chrétiens Proche
Orient.]
Le conflit, les espoirs au Moyen Orient soulèvent l’intérêt mais
aussi l’inquiétude, les interrogations que tout le monde se pose sur le
terrain.
Je voudrais commencer par cette question : comment ce qui
apparaissait, il y a encore six mois, comme un processus de paix sur le point
d’aboutir, et c’est ainsi que les médias en France et en Europe, en Israël même
présentaient la situation, comment, alors qu’on était à deux doigts de réussir,
qu’on négociait les derniers obstacles, le processus d’Oslo, le processus
négocié lui même semble, après ces quelques mois, être parvenu à une impasse
Alors deux questions se posent : qu’est-ce qui s’est passé,
pourquoi en est-on là, mais aussi une deuxième question : pourquoi cette
mauvaise lecture de la réalité, pourquoi cette surprise ? Je voudrais dire
deux mots sur le concept de surprise, parce que je crois qu’il nous permet
d’entrer directement dans le cœur du sujet. L’opinion publique israélienne et
internationale, mais je parlerai d’abord de l’opinion publique israélienne qui
est directement concernée, a été surprise. Un de mes amis palestiniens me
disait, il y a quelques semaines : " je ne comprends pas, vous êtes
toujours surpris. Il y a eu la guerre du Kippour et vous étiez surpris, votre
armée a été prise de court, vos services de sécurité, l’information, le deuxième
bureau qui est censé être d’une efficacité rare, ont été surpris par la guerre.
Puis il y a eu l’Intifada et vous avez été surpris, vous ne vous y attendiez
pas. Et à la guerre du Liban, vous avez été surpris aussi par la résistance
libanaise qui semblait pourtant évidente. Et voilà, qu’une fois de plus, vous
êtes surpris par le soulèvement palestinien. Alors qu’est-ce qui se passe ?
Pourquoi n’êtes vous pas capable de comprendre, d’anticiper ce qui, à nos yeux
palestiniens et aux yeux de quelques uns de la communauté israélienne, semble
presque inévitable " ? Des Israéliens disaient depuis des années,
depuis quatre ans maintenant : " attention ! Ca risque
d’exploser ".
Ma surprise à moi, ce n’est pas que ça a explosé, ma surprise
est que ça a pris si longtemps, ma surprise est l’étonnante patience des
palestiniens qui, dans un cadre qui était censé mener à la réconciliation, un
cadre caractérisé par les négociations, la reconnaissance mutuelle, ce cadre
établi par la déclaration de principe de Washington, ce qu’on appelle la
déclaration d’Oslo, avaient vécu l’humiliation, la poursuite de l’occupation, un
élargissement sans précédent de la colonisation et surtout, une humiliation
permanente, beaucoup plus difficile à vivre que les coups que l’on reçoit dans
le combat. Attraper un coup de poing dans la figure quand on se bagarre, ça fait
mal mais ça n’humilie pas. On donne des coups, on attrape des coups et quand on
est plus faible, on en attrape plus qu’on en donne. S’attraper une gifle quand
on est entrain de construire un bon voisinage et qu’on a tendu la main, ça,
c’est humiliant. Ce que les palestiniens ont vécu au cours des sept dernières
années, ça a été une innombrable série de gifles, d’accords non respectés,
d’accords négociés, re-négociés et re-re-négociés.
Jusqu’à aujourd’hui, une partie substantielle de ce qui a été
signé et contre signé et resigné par les différents gouvernements israéliens
n’est toujours pas mis en œuvre. Il y a des prisonniers dont le nom apparaît
dans les accords signés au début du gouvernement Netagnyahou qui sont encore en
prison. Il y a des territoires par rapport auxquels le gouvernement israélien
avait annoncé le redéploiement de l’armée israélienne où celle ci se trouve
toujours (région d’Hébron par exemple).
Et malgré cela, le processus de négociation continuait, malgré
cela les palestiniens étaient prêts à renouveler depuis maintenant sept ans le
cessez le feu qu’ils avaient annoncé solennellement à Washington et qu’ils ont
tout fait pour respecter et faire respecter, y compris par les courants les plus
radicaux souvent opposés à ces négociations, coopérant, certains diraient
collaborant avec l’armée israélienne pour empêcher que des actions terroristes
comme on dit, ne fasse dérailler ce train de la paix, ce processus qui devait
conduire à la paix et à la réconciliation.
Alors pourquoi l’opinion publique israélienne a-t-elle été une
fois de plus surprise ? Parce que et c’est peut-être le plus grand paradoxe
de ces sept dernières années, israéliens et palestiniens, et quand je dis
israéliens, j’y inclus une grande partie du mouvement de la Paix des hommes et
des femmes de bonne volonté qui effectivement veulent la paix et qui se
déclarent prêts à des compromis importants, israéliens et palestiniens vivent
des réalités complètement différentes. Quel paradoxe ! Alors que le
soulèvement palestinien de 87 à 91 avait réussi à faire percevoir qu’israéliens
et palestiniens parlaient les uns et les autres de la même réalité sans être
forcément d’accord sur comment résoudre les problèmes, mais au moins on était
conscient du problème lui même et c’était peut être un des grands acquis de
l’Intifada, voilà qu’après la signature d’Oslo, la reconnaissance mutuelle entre
Israël et l’OLP, israéliens et palestiniens recommencent à vivre deux réalités
complètement séparées.
Alors on se rencontre, ce qui est nouveau, officiellement, nos
représentants se rencontrent, négocient, discutent, collaborent même au niveau
des forces de police, des services de sécurité, du business, mais par contre, au
niveau des opinions publiques, nos perceptions se séparent de plus en plus.
Alors, on est surpris parce que depuis sept ans, ici, de notre côté de la
frontière qui est celle d’un bouclage des territoires occupés et je rappelle que
le bouclage n’est pas quelque chose de nouveau, il existe depuis 1992, du côté
israélien du bouclage, on vit la paix, c’est à dire la sécurité. Jamais la
sécurité collective et individuelle n’avait été si bonne et ce, malgré cette
courte période dramatique des attentats, des bus qui sautaient à Tel Aviv ou à
Jerusalem. La prospérité aussi. Suite à la déclaration de principe, Israël
devient un pays stable, au niveau des investisseurs internationaux et les
investissements se multiplient, ce qui provoque un véritable boom économique que
nous vivons encore, une réduction du chômage, un taux de croissance appréciable,
des investissements.
Alors c’est la sécurité, la prospérité, la reconnaissance
internationale et arabe, de nombreux pays musulmans et plusieurs pays arabes qui
n’avaient pas de relations diplomatiques avec Israël, sur la lancée de la
déclaration de principe d’Oslo, ouvrent des relations diplomatiques et/ou
économiques avec Israël, certaines officielles, d’autres officieuses, d’autres
plus clandestines, mais qui créent une nouvelle réalité, brisent l’isolement et
affirment une reconnaissance d’Israël. C’est la paix avec la Jordanie, et c’est
la presque paix avec la Syrie qui a capoté sur les 300 derniers mètres. Donc,
c’est la prospérité, la sécurité, la reconnaissance, l’élargissement du cadre de
coopération avec Israël et finalement, peut-être le plus important pour les
forces progressistes israéliennes, pour les forces de la paix en Israël, la
possibilité de se regarder dans un miroir, la bonne conscience. Après avoir
signé la paix, on a les mains propres, on se sent libérés de l’accusation, y
compris de celle dont on s’accuse soi même, d’être les occupants, de réprimer un
mouvement de libération, de réprimer des manifestations d’enfants, de femmes. On
se sent enfin un peuple, une nation, un état civilisé, avec un horizon de
normalité dans la région.
C’est cela que nous vivons depuis sept ans en Israël : la
paix et les fruits de la paix, et les dividendes de la paix. Et on est tellement
à notre aise dans cette nouvelle réalité qu’on a cessé d’écouter ce que les
pierres de la première Intifada nous avaient fait comprendre. C’est que tant
qu’il y aura une occupation, il n’y aura pas la paix, tant qu’il y aura des
colonies, il n’y aura pas de normalisation, tant que Jerusalem Est sera aux
mains de la souveraineté israélienne, il n’y aura pas de réconciliation. Et
cela, petit à petit, on l’oublie. Et on l’oublie à travers les années et on
commence à développer une nouvelle philosophie consensuelle en Israël, selon
laquelle on peut avoir et la paix et les territoires, au moins une partie
d’entre eux, et la sécurité et les colonies, au moins une partie d’entre elles,
et la normalité et la poursuite de l’occupation, même si celle-ci sera
partielle, comme on dit en français, et le beurre et l’argent du beurre.
Et ce nouveau consensus s’affirme derrière un objectif qui
devient prioritaire, surtout depuis l’assassinat d’Ytzahk Rabin : la
réconciliation nationale. Si, en 93, avec la déclaration de principe d’Oslo, on
parle de réconciliation avec les palestiniens, celle ci semblant acquise, mais
pas encore dans les faits, il est temps de se tourner vers la réconciliation
nationale et créer un nouveau consensus qui serait la base de ce qui pourrait
permettre une réconciliation avec les palestiniens, mais c’est une erreur, une
immense erreur parce que le prix nécessaire à se mettre d’accord entre droite et
gauche, entre colons et ceux qui s’opposent à cette colonisation est un prix
inacceptable par les palestiniens. Mais là, s’affirme l’arrogance d’un pays
fort, d’un pays en pleine prospérité, d’un pays qui se sent en sécurité et qui a
une armée extrêmement puissante. C’est qu’on est persuadé qu’on arrivera à
dicter aux palestiniens les conditions de cette paix. Lorsque les palestiniens
disent : " mais non, cette paix exige le démantèlement des
colonies ", de plus en plus, il existe un discours en Israël pour
dire : " ne vous en faites pas, on arrivera à les convaincre ".
Et quand les palestiniens disent : " il n’y aura pas de paix sans
souveraineté palestinienne sur Jérusalem Est, " on leur dit :
" Mais notre consensus ne le permet pas. Nous sommes tous d’accord pour
dire : Jérusalem Est ne sera plus arabe ". Et lorsque les palestiniens
disent : " mais c’est le prix ou alors, tout le processus va
tomber ", on leur dit : " c’est à prendre ou à laisser ",
étant persuadés que les palestiniens feraient marche arrière au moment voulu et
accepteraient nos conditions pour la paix.
Alors, on fête la paix, on célèbre, on profite des résultats de
la paix qui n’existe pas encore, alors que les palestiniens continuent à vivre
l’occupation, à laquelle s’ajoute cette dimension d’humiliation qu’il n’y avait
pas avant. Une avocate disait, il y a quelques années, la grande différence
entre les procédures des tribunaux militaires, que ce soit au niveau des peines,
au niveau des chefs d’accusation, des procédures entre la situation après Oslo
et avant Oslo, c’est que, depuis la signature des accords d’Oslo, d’une manière
plus précise, depuis 94- 95, s’ajoute la méchanceté gratuite. Avant Oslo,
l’appareil de répression, de punition mis en œuvre par la justice militaire, les
services de sécurité dans les territoires occupés était motivé par leur
conception de la sécurité, par une conception de la sécurité exagérée dont on
abusait, qui permettait tout, mais qui avait un objectif : garantir le
maximum de sécurité, faire régner l’ordre de l’occupation. Après la signature
des accords d’Oslo, s’ajoute une autre dimension, celle de montrer tout
simplement qui est le chef. Ce n’est plus une répression fonctionnelle utilisée
souvent avec beaucoup d’exagération, que ceux d’entre vous qui avez fait votre
service militaire, ou été en prison ou dans toute structure de domination, où il
y a un rapport de dominant dominé, connaissent, plus on se rapproche de la fin,
plus l’adjudant ou le maton fait preuve de méchanceté pour montrer jusqu’au
dernier moment qui est le chef. " demain, tu seras un civil, mais
aujourd’hui, tu es encore un soldat sous mes ordres ". C’est un peu ce que
les palestiniens ont connu au cours de ces dernières années, " peut-être
vous serez indépendants mais tant qu’on sera là, n’oubliez pas que nous ne
sommes pas égaux, que c’est nous qui fixons les règles du jeu ", c’est ce
que cette amie appelait la méchanceté gratuite, une méchanceté qui n’est plus
fonctionnelle, qui n’est plus là pour défendre un certain ordre, celui de
l’occupation mais qui est là pour démontrer un supériorité et pour exprimer le
refus d’accepter une égalité. Or, précisément, ce que les palestiniens
attendaient avant les accords d’Oslo, bien avant de recevoir leur terre, bien
avant de gagner la souveraineté, c’était de gagner la dignité. Pour les
palestiniens, la signature de la reconnaissance mutuelle impliquait une
réciprocité, non pas l’égalité, parce qu’il est évident qu’entre une société
comme la société palestinienne qui ne s’est pas encore organisée sous forme
d’état, qui a vécu 30 ans d’occupation et de dé-développement face à un état
fort, développé, qui a eu le soutien de la communauté internationale pendant 50
ans, il y a une inégalité flagrante. Ce que les palestiniens attendaient au
moins, c’est qu’on les traite sur un pied d’égalité, c’est qu’on les regarde
comme ils disaient, au niveau des yeux, d’égal à égal, et qu’on négocie d’égal à
égal. Mais plus le temps avançait, plus les négociations devenaient des
négociations inter-israéliennes entre droite et gauche, entre partisans du Grand
Israël et partisans des compromis et le résultat de ces négociations était
imposé ou voulait s’imposer aux palestiniens en disant : " de toute
façon, c’est la seule option en Israël, il n’y a personne qui vous proposera
mieux que çà ".
Et c’est ainsi qu’arrive le grand malentendu de Camp David.
Qu’est-ce que c’est que ce malentendu ? Si vous lisez des journaux sérieux
comme Le Monde ou Libération, vous voyez et c’est le mot dont on a usé et abusé
durant les derniers mois, Barak a fait preuve d’une extrême générosité. Il a
vraiment donné beaucoup plus que tout ce qu’on pouvait espérer. Et voilà que les
palestiniens, ces ingrats, ceux qui ne loupent jamais une occasion de louper une
occasion, ceux qui ne savent jamais comprendre que c’est le moment de dire oui,
disent NON. Alors pourquoi ce malentendu, cette surprise qui s’exprime en colère
en Israël ? Parce qu’il y avait deux façons de négocier : on
négociait, on était très proches, physiquement, à la même table et pourtant, on
parlait deux langages complètement séparés, comme deux lignes parallèles, comme
deux rails qui ne se rencontrent jamais.
Pour les palestiniens, ce que l’on négociait, c’était leurs
droits : le droit, tel qu’il s’exprime dans les résolutions de l’ONU, dans
la 4ème convention de Genève, tel qu’il a été affirmé et
réaffirmé par la communauté internationale et en particulier l’Europe, le droit
à l’autodétermination, le non droit d’acquisition d’un territoire conquis par la
guerre, l’illégalité totale, flagrante et considérée comme crime de guerre des
colonies de peuplement, le droit des réfugiés à rentrer chez eux. Ce sont des
droits, non pas un marchandage et, pour eux, les négociations étaient là pour
affirmer le droit et négocier les modalités de leur mise en œuvre.
Pour les israéliens, au contraire, ce qui se négociait, c’était
des choses, des sujets. Les territoires n’étaient plus des territoires occupés.
Territoire occupé est un concept du droit international, défini très précisément
par la 4ème convention de Genève, il donne des droits et
des devoirs à la force occupante et aux populations occupées. Sur les cartes du
département américain, jusqu’en 1995, cela s’appelait territoires occupés.
Depuis, pour les israéliens autant que pour les américains, pas encore pour les
européens, j’espère, jamais, ces territoires ne sont plus des territoires
occupés mais des territoires en négociation, des régions en conflit, en litige.
C’est une région neutre, un peu comme le colonialisme français, anglais
considérait l’Afrique au 19ème siècle, comme une jungle neutre qui
n’appartient à personne et qu’on se partage en fonction d’un certain rapport de
forces, d’une histoire, de qui était le premier, qui était le deuxième et on se
le divise. C’est ni à toi, ni à moi, c’est quelque chose qu’on trouve dans la
rue et qu’on se partage. Les territoires occupés sont devenus des territoires en
litige, ce n’est ni palestinien, ni israélien, ni jordanien, c’est pour
l’instant neutre et on négocie combien reçoit chacun. Les colonies ne sont plus
des entités illégales, ce qui était admis par le mouvement de la paix israélien,
par 50% de la population israélienne au moins, par toute la communauté
internationale y compris l’Amérique, les colonies étaient des sujets en litige.
Les colonies, ce sont des lieux de peuplement en litige et qui sont l’objet de
négociations.
Alors évidemment, si tout est neutre, si tout est en litige,
s’il n’y a rien qui soit permis ou interdit, s’il n’y a rien qui est à toi ou à
lui, mais que tout est ouvert, alors, quand un gouvernement israélien suggère
90% des territoires, voire 94% des territoires, il est effectivement extrêmement
généreux et encore, c’est le plus fort. Le plus fort se contente de 6%, c’est
plus que de la générosité, c’est de la charité chrétienne. Lorsque Israël
reconnaît qu’il est prêt à ce que 75% ou 80% des colonies soient démantelées,
c’est d’une générosité extraordinaire. Et c’est ce que l’opinion publique
israélienne a cru et a réussi à faire passer à travers une partie importante de
l’opinion publique internationale. Puisqu’il n’y a rien de permis et d’interdit,
de légal et d’illégal, 96%, il faut vraiment être obstiné ou vouloir saboter le
processus pour dire non. S’il y a un droit, si c’est à moi, c’est à moi, point.
Et même si vous me donnez 95%, vous n’avez pas fait acte de très grande
générosité, vous êtes encore un voleur qui ne m’avez rendu qu’une partie
substantielle de mon du.
Ca, c’est le grand malentendu de Camp David. Ce sont deux
conceptions très différentes de quoi on négocie. Non pas que les palestiniens ne
soient pas prêts à négocier, tous les dossiers à l’ordre du jour, ils l’ont dit
et répété, ils sont prêts à écouter les revendications israéliennes sur le
maintien de certaines colonies. Ils sont prêts à entendre parler d’échanges
territoriaux, d’annexions d’une partie du territoire, mais ils veulent, et c’est
la condition sine qua non sans laquelle il n’y aura pas d’accord et les
négociations ne continueront pas, qu’il soit clair qu’on négocie sur une
certaine base, que les territoires qui se trouvent à l’est de la ligne verte,
des frontières du cessez le feu de 1967 sont occupés et doivent être rétrocédés,
que les colonies sont illégales et doivent être démantelées, que Jérusalem Est
n’est pas israélienne et doit être rendue. Une fois cela mis au clair sur le
papier, on peut négocier les échanges, les exceptions. Les palestiniens
disent : " on est prêts à être assez généreux, NOUS sommes prêts à
être généreux, NOUS sommes prêts à être compréhensifs mais sur la base de ce qui
NOUS revient. Et ce n’est pas à NOUS parce que ça nous revient mais à VOUS à
demander et de justifier pourquoi nous devrions renoncer à telle ou telle
région, pourquoi ces blocs de colonies devraient être annexés à Israël et
qu’est-ce que l’on aurait en échange, pourquoi le mur des lamentations et le
quartier juif de Jérusalem Est qui fait partie des territoires occupés depuis
1967 et en conséquence, d’après la résolution du Conseil de Sécurité et de
l’Assemblée Générale des Nations Unies doivent être rétrocédées aux
palestiniens, pourquoi faire une exception,. Nous ne sommes pas sourds à vos
arguments mais c’est à vous à justifier cela, ce n’est pas à nous à justifier
pourquoi nous voulons nos territoires.
Il y a là deux conceptions contradictoires et, contrairement à
ce que prédisaient certains intellectuels palestiniens, Arafat a été ferme sur
ces questions et a surpris l’opinion publique israélienne parce qu’il avait fait
preuve d’un extrême souplesse dans les négociations sur les statuts
interimaires. Mais il a été d’une extrême rigueur sur le statut définitif. Le
statut interimaire était interimaire, comme des acomptes :vous nous avez
promis 40%, puis 30%, puis 20%, ce n’est pas tout ce qu’on vous avait
promis mais c’est des acomptes. Sur le prix définitif, ce n’est pas la même
chose. Là, vous payez cash ce à quoi vous vous êtes engagés et ce à quoi la
justice ou, si l’on veut, la légalité vous engage.
Et l’opinion publique a réagi avec une extrême surprise et avec
beaucoup de colère. " Comment pouvez vous être aussi ingrats, on vous a
donné 40% des territoires occupés, on vous en donne encore 50%, on est même
prêts à démanteler une partie importante des colonies, on est même prêts à une
forme de compromis sur Jérusalem Est et vous dites non, alors tout est fini
entre nous ". Et cette réponse, " tout est fini entre nous ",
nous l’avons entendue à droite, ce qui était évident, mais aussi à gauche. Ca a
été quasiment à l’unanimité que la population israélienne a accusé le président
Arafat, l’autorité palestinienne, le peuple palestinien, d’avoir mis fin au
processus négocié, de l’avoir saboté et de l’avoir remplacé par une réouverture
du conflit représenté par cette intifada. Les réactions des forces de la paix
israéliennes ont été très dures parce que ce sont ceux qui ont le plus profité,
le plus intériorisé cette fête de la paix, cette fête dans laquelle on dévorait
à pleine bouche les fruits de la paix. Les professeurs de l’université de Tel
Aviv ou de Jérusalem pouvaient enfin rencontrer leurs collègues à travers tout
le monde et parfois même au Maroc ou en Indonésie où ils étaient persona non
grata auparavant : " Voyez, tout s’arrange, nous sommes en paix, nous
sommes devenus une nation normale, civilisée et reconnue par nos ennemis les
plus immédiats ".
Et tout d’un coup, voilà un doigt accusateur qui vient de
Palestine et qui vient aussi de Londres, de Paris, de Bruxelles, en
disant : " Mais qu’est-ce que vous faites ? Vous tirez sur
les enfants, vous affamez une population entière, vous n’avez dons pas changé,
vous refaites ce que l’on croyait que vous aviez arrêté de faire ". Alors,
ils sont très en colère, ils accusent les palestiniens : " vous nous
repoussez dans ce rôle que nous ne voulions pas, vous nous obligez à nouveau à
être l’occupant et nous ne voulions pas être l’occupant ". Mais les
palestiniens ont été extrêmement clairs et très didactiques en disant :
" bien sûr, nous ne voulons pas que vous jouiez ce rôle, mais nous vous
avions dit dès le premier jour à quelles conditions les rôles changent. Vous
n’avez pas voulu entendre. Nous ne l’avons jamais caché, vous n’avez pas voulu
écouter. Nous vous avions dit : il s’agit de mettre fin à l’occupation, non
pas de renégocier l’occupation. Nous vous avons aussi dit le droit au retour des
réfugiés, nous sommes prêts à négocier les modalités, les rythmes, à écouter vos
problèmes, mais ne dites pas qu’on n’a jamais parlé du retour, comme si c’était
quelque chose de neuf ".
J’ai vu dans certains journaux français : " les
soldats ont perdu les pédales, les officiers n’ont pas toujours contrôlé leurs
troupes ", non, c’est trop facile et ce n’est pas la vérité. La vérité est
que l’usage de la violence a été planifiée bien en avance, a été voulue dans les
moindres détails. Je ne prendrai que deux exemples très concrets, des
preuves : la première, c’est que dans les plans que le gouvernement
israélien, y compris le gouvernement précédent avait demandé à l’armée de
préparer au cas où les palestiniens auraient l’audace de déclarer l’état de
Palestine d’une façon unilatérale, l’armée devait préparer des plans de riposte.
" on ne va pas les laisser faire ce qu’ils veulent sans réagir ".
D’après ce que dit la presse quotidienne israélienne, il y a 4 plans, 4 dossiers
alternatifs. Dans trois d’entre eux, il y a un chapitre qui s’appelle " la
saignée ", (j’ai enfin traduit le mot juste : en hébreu : faire
couler le sang). Ce chapitre a été signé par le spécialiste des questions
militaires du quotidien Haaretz. Il explique au moins un des plans opératoires
suggérés par le département opérationnel de l’armée : dans la mesure où les
palestiniens prennent une initiative unilatérale, il faudra vite faire couler
beaucoup de sang pour les ramener au bon sens ; une philosophie qui,
malheureusement n’est pas unique à Israël, qui est assez classique, assez banale
chez les généraux dans toutes les armées du monde, que si on leur en donne les
moyens, les militaires peuvent résoudre tous les problèmes. Si ça ne marche pas,
c’est qu’on ne leur a pas donné assez de moyens. C’étaient certains généraux
français en Algérie, certains généraux portugais en Angola, ce n’est qu’une
question de moyens : " laissez nous faire et on résoudra les
problèmes ". Ca a toujours été un échec, ça n’a jamais fait ses preuves.
Mais ils auront toujours raison car on aurait toujours pu leur donner plus de
moyens. Donc, on ne pourra jamais prouver qu’ils n’ont pas eu raison, mais avec
tous les moyens qu’on leur a donnés, je rappelle qu’au Vietnam, ils étaient
infinis, jusqu’à la bombe atomique exclue, les bombardements massifs, la
destruction des digues, qu’est-ce qu’on pouvait faire de plus, le défoliant dans
une partie importante du territoire, des millions de morts et de victimes, et
malgré tout, ils n’ont pas réussi.
Et l’armée israélienne n’est pas différente de toutes les armées
du monde et les généraux israéliens sont les mêmes que partout ailleurs. Ils
pensent militairement et ils pensent que la force peut résoudre tout. Et donc,
la saignée était quelque chose de planifiée, elle a été immédiatement mise en
œuvre. Et pour preuve, et c’est le deuxième exemple que je veux vous donner, les
seuls réservistes qui ont été mobilisés, fin septembre, début octobre 2000 ont
été des tireurs d’élite. On n’a pas mobilisé les unités de réserve des
fantassins, les réservistes, infirmiers, chauffeurs qui sont en général les
premiers parce qu’ils sont assez nombreux parmi les appelés, on a appelé les
réservistes qui étaient tireurs d’élite. Et on ne mobilise pas les tireurs
d’élite uniquement pour disperser les manifestants. Pour ça, il y a la police
des frontières qui est extrêmement efficace, ou les soldats du contingent qui
sont moins efficaces parce qu’ils sont jeunes et qu’ils perdent un peu les
pédales. Les tireurs d’élite sont là pour tirer, pour tuer. C’est leur
profession, c’est leur expertise, c’est leur spécialité, c’est leur armement.
Ils tirent à travers la lunette et l’armée israélienne d’ailleurs, ne l’a jamais
caché, qui a même doté les tireurs d’élite à partir de novembre, de petites mini
caméras vidéo pour filmer. On a même eu le plaisir de voir, à la télévision,
tous les quelques jours, l’efficacité de nos tireurs d’élite puisque la caméra
vidéo était attachée à la lunette à travers laquelle ils visaient. Et, c’était,
ce qui était un peu stupide de la part de l’appareil de propagande de l’armée
israélienne, pour montrer qu’ils ne tiraient pas n’importe comment. Ils tiraient
un objectif précis, un palestinien précis qui s’apprêtait à lancer une pierre ou
à tirer sur un soldat. Mais par là même, ils prouvaient une chose, c’est qu’ils
étaient là pour tirer, pour tuer.
Et comme dernière preuve, je ne l’ai pas ici, mais lors de mon
dernier séjour en Europe, j’en avais besoin pour la présenter devant le
Parlement européen, c’est une lettre que nous avons reçue au centre
d’information alternative du général commandant le secteur opérationnel de
l’armée israélienne, c’est à dire le n° 3 de l’armée israélienne, en réponse à
une plainte que nous avons présentée devant la cour suprême sur l’usage excessif
de la force, prenant de nombreux exemples y compris le nombre impressionnant de
blessés. 80% des blessés le sont dans la partie supérieure du corps et nous
savons tous que si l’armée tire parce qu’elle perd les pédales, c’est alors
parfois dans les jambes, si les soldats tirent par panique, s’ils sont attaqués
ou s’ils se croient attaqués et qu’ils tirent dans le tas, alors les balles sont
partout. Logiquement, elles sont dispersées plus ou moins proportionnellement de
la tête aux pieds. Or 80% des blessures sont dans la partie supérieure du corps,
dans le thorax et dans la tête. Et le général nous répond d’une façon tellement
directe que j’ai cru au départ que c’était une réponse ironique et qu’il se
moquait de nous. Mais nos avocats nous ont dit : non, il répond tout à fait
sincèrement, en disant : " non seulement c’est vrai que nous visions
la partie supérieure du corps, mais nous regrettons que les soldats n’aient pas
réussi à viser, à savoir à tuer, car leur objectif est de tuer dans de pareils
cas ". Donc, ce n’est pas un usage excessif de la force, ce n’est pas une
armée mal contrôlée, des soldats qui tirent à tort et à travers, en soi, ce
serai déjà assez criminel, c’est un véritable crime de guerre.
Et à nouveau, pour ceux qui ne sont pas convaincus, prenons le
dernier exemple, et cela plus personne ne le cache, même les média européens le
reconnaissent, c’est la décision d’assassiner les dirigeants politiques, 9 ou 12
dirigeants palestiniens, les chiffres ne sont pas clairs, ont été assassinés de
sang froid, l’avant dernier en date étant un docteur, un ami très proche,
dentiste, dans la ville de Tul Karem. Il a été un des premiers palestiniens, et
je le dis par expérience car je connais très bien ce docteur, qui depuis 1987-88
a été un des premiers dirigeants du Fatah, un des premiers dirigeants de
l’organisation d’Arafat, à chercher le dialogue avec les israéliens, à lancer
les premières campagnes communes entre la ville de Tul Karem et les militants de
la paix de Tel Aviv, à continuer depuis 88 jusqu’à aujourd’hui des rencontres et
initiatives pour développer la solidarité, l’idée de réconciliation. Ce docteur
n’avait rien à voir avec les militaires, il était un politique qui, plus d’une
fois, s’est mis en danger dans sa propre communauté pour revendiquer l’action
pour la réconciliation, même dans les moments les plus difficiles où la
réconciliation n’était pas une évidence. Eh bien, ce docteur, avec 7 ou 11
autres palestiniens, a été assassiné de sang froid, tiré à bout portant par des
tireurs d’élite alors qu’il sortait de sa maison pour aller à son cabinet, parce
qu’il fallait se venger d’une opération qui avait eu lieu la veille.
Toutes les autorités israéliennes le reconnaissent, il n’y a
aucun lien entre la personne assassinée et l’opération à laquelle elle est
censée répondre, si ce n’est un lien dans le temps. " Nous ne laisserons
pas passer 24H sans qu’une opération soit impunie et peu importe qui sera
puni ". On dit que ce sont les Américains qui ont suggéré cette politique
parce que les missiles sur Gaza et Ramallah étaient impopulaires et inefficaces.
Pour moi, peu importe si les conseils ou les suggestions venaient de Washington,
c’est notre gouvernement, c’est notre armée qui est responsable et qui est
passible de fait de la cour pénale internationale pour crime de guerre, un sujet
qui tôt ou tard, sera à l’ordre du jour. Tôt ou tard, Israël cessera d’être
l’objet d’une impunité permanente, des choses qu’on interdit à juste titre, à
Milosevic, qu’on interdit à Saddam Hussein, à toutes les dictateurs et fauteurs
de guerre à travers le monde. Il n’y a pas de raison qu’on ferme les yeux, qu’on
détourne un regard pudique comme ça, ici, en Europe ou à travers le monde, parce
que c’est Israël.
Le premier acquis de l’Intifada a été d’ouvrir les yeux de
l’opinion publique israélienne et d’enclencher un processus de remise à l’heure
des montres, à savoir que le consensus en Israël éclate et qu’une partie
substantielle majoritaire de la population comprenne que l’occupation était un
problème, qu’il fallait y mettre fin et comprenne quel était le cadre global des
conditions qu’il fallait pour y mettre fin. Cette perception, petit à petit,
s’était atténuée depuis la signature des accords d’Oslo, elle avait rejoint un
nouveau consensus en Israël, mais il n’a fallu que trois mois de soulèvement
palestinien pour qu’à nouveau, une partie de plus en plus grande de l’opinion
israélienne retrouve ses repères. On le voit à travers des prises de position
d’intellectuels de la gauche israélienne les plus connus, qui, en septembre,
début octobre, ont appelé à l’utilisation de la main forte de l’armée pour
réprimer les palestiniens ingrats. Dès le mois de novembre, ils changent leur
fusil d’épaule et appellent le gouvernement israélien à retourner très vite à la
table des négociations, à menacer même de ne pas voter pour Barak si celui-ci ne
parvenait pas à obtenir un accord qui nécessite la reconnaissance par Israël de
la frontière des lignes de cessez le feu de 1967 et le démantèlement des
colonies.
Position qui n’est pas nouvelle : c’était la position des
forces de la paix il y a 10 ans mais elle a été un peu oubliée au cours des
années passées. Il faut être de retour à la case départ d’il y a 10 ans pour
sentir qu’on recommence à aller de l’avant. On a fait 10 ans de détours, on
s’est égarés dans les prés de l’illusion, du rêve du beurre et de l’argent du
beurre, ce rêve où on peut avoir et les colonies et la paix et la sécurité et
les territoires, et la réconciliation nationale et la réconciliation avec les
palestiniens, toute cette utopie stupide qui s’est imposée en Israël et qui est
tombée comme un château de cartes en deux mois d’Intifada. Et ça, c’est un
acquis.
Le problème est que cette polarisation qui se refait en Israël
entre une droite et une gauche, entre les extrémistes et les modérés, entre
partisans du compromis et de l’intransigeance, ne se retrouve pas derrière le
duel électoral auquel la population israélienne est confrontée et par rapport
auquel elle devra trancher dans une quinzaine de jours. C’est que les gens ne
reconnaissent pas dans Barak Sharon le choix entre la guerre et la paix, les
compromis et non compromis. Je ne me souviens pas, depuis 30 ans que je
participe au jeu électoral en Israël, d’une élection aussi terne et qui provoque
si peu d’intérêt dans l’opinion publique israélienne. Barak Sharon, Sharon
Barak, pour une grande partie de l’opinion publique, c’est une question qui, si
elle ne nous laisse pas tout à fait indifférent, est tout à fait secondaire.
Tout le monde sait que la marge de manœuvre des uns et des autres est très
limitée, que la base consensuelle qui les réunit est beaucoup plus grande que ce
qui les sépare, que ce n’est pas le choix entre une option résolument pour la
paix et une option qui tourne le dos à la paix. C’est le choix entre deux
options assez identiques qui voudraient bien la paix mais qui ne sont pas prêts
à en payer le prix. Un candidat comme Shimon Peres aurait pu exprimer cette
alternative, vue sa trajectoire, vu ce qu’il signifie, vues les positions
critiques qu’il a exprimées plusieurs fois autour du règne Barak, de la
dictature Barak comme on dit en Israël aujourd’hui, ce pouvoir d’un homme seul
qui dirigeait seul, envers et contre son parti, envers et contre sa coalition,
envers et contre l’opinion publique qui l’a mis au pouvoir, qui a lamentablement
échoué et qui ne sera pas réélu.
Mais entre les deux candidats d’aujourd’hui, cette voix qui
s’affirme sur ce qu’on entend à nouveau du côté palestinien et qu’on n’a
peut-être pas voulu entendre au cours de ces dernières années, cette voix qui
reconnaît ce que veulent les palestiniens sans pour autant toujours l’admettre,
mais au moins sont prêts à l’entendre, cette voix ne trouve pas sa traduction
dans la scène politique ou dans les candidatures qui se présentent à cette
élection, d’où le désintérêt total assez largement partagé. Il y aura un
pourcentage apparemment assez élevé et sans précédent, cela ne fait aucun doute,
d’abstentions et de bulletins blancs aux prochaines élections, ce qui signifie
une victoire certaine pour la droite. Sharon sera perçu comme un feu vert par
l’appareil militaire, l’état major israélien dont une partie importante veut
pousser à la guerre, parce qu’elle veut mettre fin dans ce qu’elle considère
comme une série trop longue de défaites ou de non victoires. La guerre du Golfe,
l’armée israélienne n’a pas pu réagir malgré les skuds sur Tel Aviv. Au sud
Liban, l’armée israélienne a été mise en déroute et a du se retirer
inconditionnellement jusqu’au dernier millimètre. Malgré les méthodes utilisées
et le prix énorme payé par les palestiniens, l’armée israélienne n’a pas les
moyens de résoudre militairement l’Intifada. Et l’armée veut une victoire comme
toutes les armées et veut une redistribution des cartes, globale, pour avoir à
nouveau son rôle à jouer et redonner ce qu’ils appellent la supériorité
psychologique d’Israël qu’ils croient complètement ébréchée par ces trois
défaites ou non victoires.
Personnellement, je suis plus sceptique par rapport à ça. Je
crois que les risques qu’implique un nouveau cycle de guerre au Moyen Orient
sont trop graves pour que l’Administration américaine donne à Israël le feu
vert. Tout le monde est d’accord qu’il y aura une prochaine guerre mais qui sera
notre ennemi ? Est-ce la Syrie, l’Irak ou l’Iran ? Il y a trois
tendances dans l’état major, chacun est persuadé que celui qui nous menace le
plus est différent mais une guerre avec en arrière fond le symbole de Jérusalem
risque fort de se transformer rapidement en une guerre de religion. On dit
l’Intifada de Jérusalem, je ne le crois pas, je crois que c’est l’Intifada de
l’indépendance. C’est aussi l’Intifada de l’humiliation, de mettre fin à cette
longue période d’humiliation mais Jérusalem a été la provocation absolue de
Barak à Camp David renforcée par cette visite provocatrice d’Ariel Sharon
soutenue par Barak sur l’esplanade des mosquées. Alors Jérusalem, dans le cas
d’une nouvelle guerre, deviendra la guerre de tous les musulmans, deviendra une
guerre qui ira bien au-delà des conflits militaires et d’un échange de coups de
feu, qu’une bataille de tanks ou de missiles entre Israël et l’Irak, entre
Israël et la Syrie, mais deviendra une guerre généralisée qui mettra à bas, et
c’est la raison pour laquelle, je crois, les américains n’y seront pas
intéressés, tous les acquis de la guerre du Golfe du point de vue de la
stratégie américaine.
En tant qu’israélien ou habitant de cette région, la fenêtre
d’opportunité, ouverte à Madrid ou à Oslo mais non ouverte pour l’éternité, qui
offrait à Israël la chance de pouvoir s’intégrer, de pouvoir être accepté,
malgré le passé, le péché originel qu’a représenté cette création d’Israël sur
les ruines de la Palestine, risque alors d’être fermée, le monde arabe
disant : " OK, tournons la page, nous n’oublions pas, nous ne
pardonnons pas mais nous tournons la page, on est prêts à ouvrir un nouveau
chapitre ". Loin de saisir cette opportunité, Israël a tout fait pour
essayer d’ouvrir la fenêtre mais d’y faire ce qu’elle voulait et donc, cette
fenêtre, si elle se ferme, risque d’ouvrir la porte à une bourrasque qui
entraînera tout le monde. Si la guerre des religions se développe dans cette
région, elle aura une caractéristique : il n’y aura pas de vainqueurs, il
n’y aura que des vaincus surtout quand on sait qu’Israël est dotée de l’arme
nucléaire et qu’elle n’a jamais caché, qu’en dernière analyse, s’il n’y a plus
le choix, selon l’expression israélienne consacrée, " nous mourrons avec
les Philistins ", référence à Sanson qui s’est tué en faisant tomber les
poutres du temple où il se trouvait.
C’est la question pour laquelle il faut faire tout ce qui est en
notre pouvoir en Israël mais aussi à travers le monde, pour empêcher que cette
dynamique de guerre qui s’est ouverte, avec l’échec des négociations, avec
l’échec de Camp David, aille de l’avant, parce que si elle va de l’avant, elle
nous mène tous à une catastrophe. Alors, il y a des données pour refermer vite
la porte de la guerre, les palestiniens ne l’ont jamais caché : elles
sont : le retrait de tous les territoires occupés, le démantèlement des
colonies, une souveraineté palestinienne sur tout Jérusalem Est, le droit au
retour des réfugiés. Ces données sont claires, simples, elles ont été affirmées
en 1988 et depuis, quotidiennement, par tous les portes paroles officiels,
officieux et populaires des palestiniens, toutes tendances confondues.
Et c’est à vous, dans une certaine mesure, en France et en
Europe, de faire comprendre à nos dirigeants politiques, mais aussi à notre
opinion publique, que c’est le prix à payer, que c’est un prix avantageux à
payer car l’alternative sera terrible. Plus vite on comprendra que c’est cela ou
la catastrophe, plus vite on arrivera à débloquer cette situation et à ouvrir de
véritables négociations. C’est là que les négociations commenceront, sur la mise
en œuvre de ces résolutions du droit international, de l’ONU, qui sont le seul
cadre accepté par les palestiniens et acceptable par la communauté
internationale pour que la paix devienne un horizon réaliste dans la région et
ouvre la voix vers une véritable réconciliation entre israéliens et
palestiniens.