1. Ariel Sharon a très mauvaise presse dans les pays
arabes par Mouna Naïm
in Le Monde du mercredi 7 février 2001
CONTRAIREMENT
à l’ancien chef du Likoud et ancien premier ministre Benyamin Nétanyahou, Ariel
Sharon n’a droit à aucun bénéfice du doute dans les pays arabes. L’expérience
leur a appris que, comme il le dit lui-même, le candidat de la droite au poste
de premier ministre fait toujours ce qu’il dit, et ce qu’il dit est aux
antipodes de leurs attentes. Qui plus est, la pratique du Likoud au pouvoir,
après les précédents Nétanyahou et Itzhak Shamir, a détrompé tous ceux d’entre
eux qui ont pu croire que seule la droite israélienne peut faire la paix sans
être accusée de trahison par les siens. A cet égard, tous ceux qui, aujourd’hui,
au sein de la gauche israélienne, pensent que Yasser Arafat et les dirigeants
arabes souhaitent le succès de M. Sharon sont en retard d’une
décennie.
Qu’ils soient gouvernants ou gouvernés, les Arabes n’ont pas oublié
les résistances qu’Itzhak Shamir avait opposées au lancement du processus de
paix, fin octobre 1991, au point de mettre hors de lui l’ancien secrétaire
d’Etat américain James Baker, pourtant réputé avoir des nerfs d’acier. Ils
gardent également en mémoire la devise maîtresse d’Itzhak Shamir: "beaucoup de
processus et peu de paix". Ils se souviennent d’un M. Nétanyahou, crédité par la
communauté internationale d’un désir sincère de faire la paix, mais qui y est
allé à reculons. Avec Ariel Sharon au pouvoir en Israël, ce sera pareil, voire
pire, pensent-ils aujourd’hui.
M. Sharon a d’ailleurs annoncé la couleur :
s’il est élu premier ministre, il ne négociera en aucun cas "sous la menace de
la violence" et réprimera plus brutalement encore toute révolte palestinienne.
Il maintiendra la souveraineté israélienne sur Jérusalem-Est et ne démantèlera
aucune colonie de peuplement. Il ne reconnaîtra en aucun cas le droit au retour
des réfugiés palestiniens, tout en se vantant d’être le principal artisan de la
venue en Israël d’un million de juifs russes au nom d’un autre droit au
"retour". Il accepte la création d’un Etat palestinien, mais uniquement sur 40%
de la Cisjordanie – et à Gaza – et à condition que cet Etat soit démilitarisé.
Bref, M. Sharon promet bien moins que ce que le premier ministre sortant, Ehoud
Barak, a déjà accepté et que les Palestiniens ont jugé nettement insuffisant.
PROVOCATEUR PYROMANE
M. Sharon, qui a toujours clamé que la patrie des
Palestiniens est la Jordanie, mais qui a fini par se résoudre à l’idée que,
depuis le lancement du processus de paix, cette thèse n’était plus défendable,
n’en demeure pas moins un boutefeu. Tout récemment encore, il affirmait que les
dirigeants jordaniens lui avaient confié leurs craintes de voir le président
palestinien, Yasser Arafat, renverser le roi Abdallah II. Amman en est resté
interloqué et Abdallah II n’est sans doute pas disposé à jouer, pour le chef du
Likoud, le rôle de Monsieur relations publiques au sein des pays arabes que feu
son père le roi Hussein s’était chargé de camper pour Benyamin Nétanyahou.
Le
passé du chef actuel de la droite israélienne est également gravé dans toutes
les mémoires arabes. Les massacres des camps de réfugiés palestiniens de Sabra
et Chatila, en septembre 1982, sont certes la partie la plus noire et la plus
connue de son parcours et sa visite-provocation sur l’esplanade des Mosquées, le
28 septembre 2000, l’exemple le plus récent de ses turbulences. De plus en plus,
l’expression "criminel de guerre" est employée à son propos et des comités se
sont constitués dans de nombreux pays pour réunir les preuves de ses "crimes" et
les porter devant la justice. M. Sharon est enfin l’emblème du provocateur
pyromane, qui n’a pas hésité à élire domicile au cœur de la partie arabe de
Jérusalem, qui a multiplié la construction de colonies de peuplement lorsqu’il
était ministre de l’habitat du gouvernement Shamir, qui s’est ultérieurement
fait le champion de la colonisation à outrance, qui a enfin humilié Yasser
Arafat en refusant de lui serrer la main lorsqu’il était ministre des affaires
étrangères du gouvernement Nétanyahou…
COLONISATION
Certains, tels le
Hezbollah libanais et, plus généralement, les mouvements islamistes, disent
qu’il n’y a pas de différence en Israël entre le Parti travailliste et la
droite, voire que cette dernière, dont M. Sharon est le parangon, a au moins le
"mérite" d’agir "à découvert", montrant ainsi ce qui, à leurs yeux, est le vrai
visage de l’Etat juif. Pour d’autres, la dégradation jugée inévitable de la
situation sous un gouvernement conduit par Ariel Sharon est un mal quasi
souhaitable, l’abcès ne pouvant crever que s’il est surinfecté, étant entendu
que les Etats-Unis, parrains du processus de paix, et la communauté
internationale seront forcés de mettre le holà. D’autres encore se raccrochent à
l’espoir que M. Sharon ne sera pas en mesure de gouverner, tout simplement parce
que l’éclatement de la scène politique en Israël rend ce pays ingouvernable.
L’Etat juif, disent-ils, ira, à plus ou moins brève échéance, vers de nouvelles
élections anticipées. Les Palestiniens des territoires occupés et une partie au
moins des Palestiniens israéliens estiment quant à eux, depuis la nouvelle
Intifada, que le choix entre Ehoud Barak et Ariel Sharon est un choix entre deux
"bourreaux" et qu’en tout état de cause les travaillistes et le Likoud ont
rivalisé de zèle en matière de colonisation.
En attendant le verdict des
urnes, peu de dirigeants arabes se sont publiquement prononcés. Tandis que M.
Arafat s’est abstenu de dire quoi que ce soit, le ministre palestinien de la
culture et de l’information, Yasser Abed Rabbo, lui, n’a pas hésité à appeler le
"camp de la paix" en Israël et les Palestiniens israéliens – qui représentent 13
% de l’électorat – à barrer la route au chef du Likoud. L’abstention ou le vote
blanc seraient une faute, a-t-il martelé.
Sur un ton plus diplomatique, mais
non moins éloquent, le président égyptien, Hosni Moubarak, sachant que les
Arabes risquent de devoir traiter avec M. Sharon s’il est élu premier ministre,
a déclaré à la télévision israélienne : "J’ai un traité de paix avec vous.
Dois-je pour autant parler à M. Sharon ? (…) S’il porte un intérêt à la
stabilité de la région, il sera le bienvenu" en Egypte. "S’il veut quelque chose
et s’il vient vers moi, il sera le bienvenu, mais s’il ne veut rien, alors,
qu’il reste là où il est." Le premier ministre libanais, Rafic Hariri, qui
n’avait pas hésité à dire que l’avènement éventuel d’Ariel Sharon sonnerait le
clairon de la guerre, a préféré, à la veille du scrutin, "ne préjuger de
rien".
2. Bush n'est pas pressé de se jeter à l'eau en
matière de Moyen-Orient par Robin Wright
in The Los Angeles Times (quotidien américain) du mercredi 7
février 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Diplomatie : Powell pense qu'il est
urgent d'attendre que Sharon ait formé le nouveau gouvernement israélien. Les
Etats-Unis sont confrontés également à des défis croissants, avec l'Irak et la
Libye.
Washington - Les élections israéliennes passées, l'administration Bush
va bientôt lancer sa propre version de la diplomatie américaine au Moyen-Orient
: elle devra faire face à un ensemble complexe de problèmes et d'obstacles, au
premier rang desquels le choix opéré par les Israéliens du faucon Ariel Sharon
pour le poste de Premier ministre.
Le président Bush doit affronter une
triade de défis croissants : le processus de paix au Moyen-Orient, l'Irak et la
Libye ; ces dossiers étant, du reste, de plus en plus liés entre eux. Une
avancée sur l'un d'entre eux nécessite désormais d'avoir progressé au préalable
sur les trois, pris de front, à en croire un ancien officiel de l'administration
américaine, expert en politique moyen-orientale.
"Une approche par étapes,
les navettes à la Kissinger, ce n'est pas envisageable actuellement", a averti
Augustin Richard Norton, professeur de sciences politiques à l'Université de
Boston. "Nous devons réfléchir de manière systématique aux trois problèmes à la
fois, en tant qu'ils sont liés entre eux. Si nous ne le faisions pas, nous nous
retrouverions isolés de beaucoup de nos alliés et dans une situation dans
laquelle nous mettrions en danger le soutien dont nous bénéficions dans
certaines zones critiques du Moyen-Orient et, du fait même, notre capacité à
réaliser la paix".
Les Etats-Unis devront prendre ces problèmes à
bras-le-corps lorsque Colin L. Powell entreprendra sa première tournée
internationale officielle, en tant que Secrétaire d'Etat, à la fin de ce mois,
au Moyen-Orient et en Europe, visite dont il a annoncé l'itinéraire, mardi
dernier, à l'issue d'une rencontre avec son homologue britannique, Robin
Cook.
En dépit de prédictions largement répandues, selon lesquelles les
Etats-Unis ne peuvent éviter de se trouver concernés par le conflit
israélo-arabe, Powell a indiqué que la nouvelle administration américaine n'est
pas impatiente de se retrouver profondément impliquée, comme l'administration
Clinton avait pu l'être, jusqu'à son dernier jour aux affaires. Powell a déclaré
que la période post-électorale en Israël est, au contraire, "une période où ils
convient d'être patients, dans l'attente que le vainqueur des élections forme un
nouveau gouvernement";
"Serrer les dents est vraiment la seule chose que nous
puissions faire, pour le moment", a-t-il déclaré. Powell a exhorté les
différents acteurs de la région à reconnaître "l'impérieuse nécessité qu'il y a
de contrôler les passions" et "de s'abstenir de tout acte qui pourrait conduire
à la violence".
Bien qu'ayant promis que les Etats-Unis ne resteraient pas
"sur la touche", Powell a dit clairement que Bush et lui-même n'entendaient pas
être impliqués dans la recherche d'une solution au problème, à moins que toutes
les parties concernées ne soient prêtes à garantir le calme absolument
nécessaire au déploiement de toute initiative diplomatique.
"Après tout",
a-t-il dit, Israël et les Palestiniens "doivent vouloir la paix plus que nous
pouvons souhaiter nous-même qu'ils la fassent. En fin de compte, ils doivent
aller les uns à la rencontre des autres et négocier entre eux".
"Dans la
stricte mesure où ils estiment utiles, à cette fin, l'aide, la présence et
l'autorité américaines, je pense qu'il est de notre devoir de les leur
accorder", a ajouté Powell.
Bush a conféré avec Sharon, au téléphone, mardi
dernier, pour lui dire qu'il était impatient de travailler avec lui,
"particulièrement en ce qui concerne l'avancée de la paix et de la stabilité
dans la région", à en croire un communiqué publié par les services de
communication de la Maison-Blanche.
Toutefois, Powell a indiqué, au cours de
sa conférence de presse, que si la nouvelle administration entend bien
contribuer à la recherche d'une solution, ce n'est pas à travers des
négociations entre les seuls Israéliens et Palestiniens : "Nous voulons nous
assurer que la recherche de la paix est abordée dans un large contexte régional,
afin que la solution qui en résulterait éventuellement ne soit pas isolée en
elle-même et ne soit pas cohérente, seulement, sortie de tout contexte", a-t-il
déclaré. Mais les analystes du Moyen-Orient prédisent que le contexte élargi est
précisément celui où la nouvelle administration pourrait bien voir ses
initiatives contrées et rendues extrêmement difficiles.
Depuis la signature
par Israël et les Palestiniens des accords d'Oslo, en 1993, les Etats arabes de
la ligne de confrontation se sont montrés désireux d'engager des discussions
avec les Etats-Unis sur un large éventail de questions pendantes et sensibles et
cela, grâce au fait que Washington a contribué efficacement à faciliter des
négociations avec Israël, afin de régler des contentieux entre ce pays et le
monde arabe remontant à plus de cinquante ans.
Le processus de paix, aussi
cahoteux ait-t-il parfois été, a pavé la voie à une tentative de partenariat
tripartite, jusqu'ici non abouti, certes, mais qui n'en a pas moins été
prometteur.
Mais les événements des quatre mois écoulés, qui ont débuté avec
la visite controversée de Sharon dans un lieu saint disputé de la Vieille Ville
de Jérusalem, acte que d'aucuns considèrent comme le facteur déclenchant d'une
nouvelle insurrection populaire (et sanglante) des Palestiniens - événements qui
ont trouvé en quelque sorte un aboutissement avec la victoire de Sharon aux
élections, mardi dernier - ont sérieusement miné ces relations actives, mais
aussi fragiles.
Cette période incertaine a coïncidé, également, avec une
exigence pressante ,de la plus grande partie des pays arabes, que les sanctions
imposées depuis dix ans à l'Irak soient allégées et que la Libye soit réadmise
dans le concert des nations, après que le procès des deux agents libyens accusés
d'avoir commis l'attentat contre le vol 103 de la compagnie aérienne Pan Am,
commis en 1988, ait abouti à la condamnation de l'un d'entre eux.
Au cours de
la quinzaine écoulée, toutefois, la nouvelle administration américaine s'est
engagée à maintenir les sanctions contre l'Irak tant que ce pays ne se
conformera pas à la résolution de l'ONU qui lui enjoint de remettre ses armes de
destruction massive.
Malgré un rapprochement entre l'Europe et la Libye, la
Maison Blanche a exigé également que le régime du colonel Muammar al-Qaddafi
paie des réparations aux victimes et reconnaisse sa responsabilité pleine et
entière dans l'attentat commis contre l'avion de la Pan Am, avant que Washington
ne donne son feu vert à la levée des sanctions de l'ONU qui frappent ce
pays.
Ces deux prises de position sont de nature à exacerber, éventuellement,
les relations d'ores et déjà assez tendues que les Etats-unis entretiennent avec
certains de leurs alliés proches. Elles pourraient aussi obérer sérieusement
tout effort américain visant à inciter les Arabes à accepter Sharon, un faucon
qui a d'ores et déjà désavoué les compromis offerts par le Premier ministre
sortant (et sorti, NdT), Ehud Barak, indiquent certains spécialistes de la
région.
"La région est parcourue d'une nouvelle tendance", a commenté Shibley
Telhami, spécialiste du Moyen-Orient à l'Université du Maryland : "l'opinion
publique, dans le monde arabe, est beaucoup plus focalisée sur ses propres
problèmes, aujourd'hui, que par le passé. Cela est dû, dans une large mesure, au
fait qu'elle n'entrevoit pas de perspectives réelles de paix, avec Sharon au
pouvoir en Israël".
M. Norton, spécialiste en sciences politiques déjà cité,
a ajouté : "Nous avons assisté à une remarquable reconstitution de l'unité
arabe, qui a renforcé la position des pays arabes face aux Etats-Unis" (...)
"Résultat : un bras-de-fer qui pourrait bien amener l'administration Bush à
prendre beaucoup plus la diplomatie au Moyen-Orient dans le sens du poil, au
risque, à défaut, d'avoir à affronter un blocage durable des trois dossiers les
plus délicats dans cette région du monde".
"Nous pourrions être tentés de les
traiter séparément, mais il serait très difficile, pour les Etats-Unis,
d'inciter les Arabes à s'engager dans des négociations, sur cette base. Les pays
arabes sont tous parties constitutives d'une même et unique mosaïque, dans les
relations globales entre les Etats-Unis et le Moyen-Orient", indique James A.
Placke, un ancien diplomate en poste en Irak, associé du Centre Cambridge pour
les Recherches en matière Energétique, à Washington.
Les spécialistes de
cette région attirent l'attention sur le fait que les Etats-Unis ne pourront
sans doute pas s'offrir le luxe d'attendre que l'insurrection palestinienne
contre Israël soit terminée pour descendre dans l'arène.
"Si vous regardez
l'historique de la médiation américaine, vous verrez qu'à chaque fois qu'il y a
eu violence, les Etats-Unis ont dû se jeter à l'eau. L'administration Bush va
sans doute se trouver impliquée elle aussi, plus tôt qu'elle ne le voudrait", a
indiqué M. Telhami. Reste à savoir : plus tôt ; de combien ?
3. Bush félicite Sharon, Occidentaux et Arabes
l'invitent à faire la paix avec les Palestiniens
Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 7 février 2001,
4h20
NICOSIE - Le président américain George W. Bush a félicité mardi
soir Ariel Sharon pour son élection triomphale au poste de Premier ministre
d'Israël alors que les chancelleries occidentales et les dirigeants arabes et
palestiniens l'invitaient à ne pas abandonner la quête de la paix.
A Gaza, le
président palestinien Yasser Arafat a indiqué dans une brève déclaration qu'il
"respectait le choix du peuple israélien et espèrait la poursuite du processus
de paix".
De son côté, son conseiller politique, Nabil Abou Roudeina, a
affirmé à l'AFP que l'Autorité palestinienne "traitera avec tout gouvernement
choisi par le peuple israélien".
"Ce qui est important, c'est le respect des
accords entre l'OLP et les gouvernements israéliens", a-t-il ajouté, affirmant
que "la seule voie pour la paix passe par le respect des droits du peuple
palestinien à établir un Etat indépendant avec Jérusalem pour capitale".
Les
propositions présentées par M. Sharon, durant la campagne électorale, "ne
constituent pas une base de discussions", a affirmé à l'AFP le secrétaire
général du cabinet palestinien, Ahmad Abdel Rahmane.
Toujours chez les
Palestiniens, un responsable du mouvement intégriste Hamas a déclaré que la
victoire de M. Sharon constituait "une raison pour poursuivre la
résistance".
"Sharon ne nous fait pas peur et ne fait pas peur à notre
peuple. Au contraire, son élection est une raison pour poursuivre la
résistance", a déclaré à l'AFP Ismaïl Abou Chanab, l'un des dirigeants du
mouvement opposé au processus de paix et responsable de la plupart des attentats
anti-israéliens depuis 1994.
Quelque sept heures après la première annonce de
sa victoire par les chaînes de télévision israéliennes, les télégrammes de
félicitations adressés au chef de la droite israélienne restaient très
rares.
La Maison Blanche a annoncé que le président Bush, dont le pays
parraine le processus de paix au Proche-Orient, avait téléphoné à M. Sharon pour
le féliciter et l'assurer de sa coopération pour faire avancer la paix et la
stabilité dans la région.
"Le président a dit au Premier ministre élu Sharon
qu'il aurait plaisir à travailler avec lui, spécialement pour faire avancer la
paix et la stabilité dans la région", a déclaré le porte-parole de la Maison
Blanche Ari Fleischer.
La présidence suédoise de l'Union européenne a
félicité M. Sharon en espérant que le nouveau Premier ministre "poursuive le
processus de paix et le dialogue avec toutes les parties impliquées".
En
revanche, le ministre norvégien des Affaires étrangères, Thorbjoern Jagland, a
déclaré avoir "toutes les raisons de craindre pour la situation au Proche-Orient
si Ariel Sharon applique son programme de campagne".
Le ton était prudent à
Paris, où le chef de la diplomatie Hubert Védrine a déclaré que la France
appréciera la politique du nouveau Premier ministre israélien en fonction de ses
actes.
"Nous allons apprécier en fonction des actes et des faits", a déclaré
M. Védrine.
A Londres, le Foreign Office a invité M. Sharon à ne pas
abandonner les efforts en faveur d'une paix avec les Palestiniens et à préserver
l'acquis des négociations menées sous son prédécesseur Ehud Barak.
"Les
grandes lignes de l'accord permanent sont claires. Il appartient au premier
ministre Sharon et au président (palestinien Yasser) Arafat de décider si le
moment est maintenant venu de conclure cet accord", a dit un porte-parole des
affaires étrangères.
De leur coté, la plupart des quotidiens britanniques ont
exprimé leur inquiétude.
La victoire d'Ariel Sharon est "aussi choquante que
si Jean-Marie Le Pen était devenu président de la République française et Jorg
Haider chancelier d'Autriche", a affirmé le Guardian (gauche). "Pour quiconque
souhaite la paix pour cette nation et ses voisins, ce jour est l'un des plus
sombres", ajoute-t-il.
Les autres capitales européennes sont restées
silencieuses.
Plusieurs dirigeants arabes ont également affiché leur prudence
après l'élection de M. Sharon.
Le ministre jordanien des Affaires étrangères
Abdel Ilah Khatib a déclaré que son pays "jugerait l'action du gouvernement que
dirigera Ariel Sharon selon son engagement pour la paix et son action pour la
réaliser".
A Damas, le directeur général de l'agence officielle SANA, Ali
Abdel Karim Ali, a déclaré que la Syrie maintient sa revendication d'une paix
basée sur la restitution de tous les territoires arabes occupés par
Israël.
En Asie, le Japon a également invité Ariel Sharon à faire la
paix.
"Le Japon croit qu'une paix négociée est la seule option réaliste et il
souhaite ardemment que M. Sharon, en qualité de premier ministre israélien,
fasse tous ses efforts pour parvenir à une paix juste, durable et globale,
prenant largement en compte ce qui a été réalisé dans les négociations passées",
a dit le le ministre des affaires étrangères Yohei Kono.
4. Une vie passée à faire la guerre - Sharon atteint son but,
malgré les massacres et les fiascos par Jean-Pierre
Perrin
in Libération du mercredi 7 février 2001
Jérusalem
envoyé spécial
Ariel Sharon habite au 35, rue Al-Wad, dans la partie arabe et
musulmane de la vieille ville de Jérusalem. A cause de l'immense drapeau
israélien qui la signale, on ne peut manquer cette belle demeure de pierre qui
coiffe la ruelle, laquelle conduit à la fois à l'Esplanade des mosquées et au
Mur des lamentations. Autour, des soldats veillent, de même que des individus
armés, cachés derrière leurs lunettes noires. Bien sûr, il n'y réside jamais -
il habite un ranch du Néguev. Cette maison, acquise par Ateret Kohanim, une
organisation d'extrême droite dont la vocation est de judaïser les quartiers
arabes de la vieille ville, est considérée par les habitants du quartier comme
une provocation permanente. Arik, comme on le surnomme, n'en a cure. Il n'a
jamais eu peur de déranger. La demeure de la rue Al-Wad, il l'a d'ailleurs
achetée en 1987, l'année où commença la première Intifada. Treize ans plus tard,
le 28 septembre 2000, sa visite à l'Esplanade des mosquées, perçue par les
Palestiniens comme une autre provocation, servira de détonateur à la seconde
Intifada, qui sera son tremplin pour s'emparer du pouvoir et devenir Premier
ministre d'Israël.
Dangereux. C'est donc à un politicien dangereux que les
électeurs israéliens ont confié leur destin. Des années auparavant, alors que la
région - de Hafez el-Assad à Saddam Hussein - n'en manquait pas, Henry Kissinger
lui avait demandé abruptement s'il n'était pas l'homme le plus dangereux du
Moyen-Orient. Aujourd'hui, la question reste posée.
Ariel Sharon, de son
vrai nom Ariel Scheinerman, est né le 27 septembre 1928 de parents, modestes
fermiers, originaires de Biélorussie. Engagé dès l'âge de 17 ans dans la milice
armée de la Hagana, on le retrouve dans toutes les guerres d'Israël. La première
fois où l'on commence à parler de lui, c'est à la bataille de Latrun, le 23 mai
1948, pendant la guerre d'indépendance. Agé de 20 ans et sans avoir jamais
fréquenté d'école militaire, il dirige une section de pointe de la milice armée
de la Hagana contre la Légion arabe. Blessé lors de la bataille, il y a montré
beaucoup de courage et des dispositions naturelles au commandement. Le revers de
la médaille, on le découvre quelques années plus tard, le 14 octobre 1953. A la
tête de l'unité 101, spécialisée dans les représailles, il punit le village de
Kibiya en dynamitant 45 maisons avec leurs habitants à l'intérieur (voir
Libération du 5 février). Bilan: 69 tués, surtout des femmes et des enfants.
Sharon ne s'en émeut guère. «Pour la première fois, nous disposions d'une
réponse efficace - une unité qui obligerait tous ceux qui voulaient notre perte
à bien réfléchir avant de commettre leurs crimes», écrit-il dans ses mémoires
(éd. Stock, 1990). En février 1955, au cours d'un raid sur une caserne
égyptienne dans la bande de Gaza, lui et ses hommes tuent 38 soldats égyptiens.
Selon Uzi Benziman, biographe de Sharon, la violence de cette attaque a
convaincu Nasser que la paix avec Israël était impossible.
Tête brûlée. Il
fait reparler de lui lors de la campagne du Sinaï, au moment de l'intervention
franco-britannique à Suez. Sous le prétexte d'améliorer ses positions, il
désobéit à Moshe Dayan en envoyant ses parachutistes au défilé de Mitla prendre
une position égyptienne. Ce sera l'une des batailles les plus sanglantes de
Tsahal qui perdra 36 hommes, le quart des effectifs tués pendant la campagne.
Ses supérieurs sont furieux et son indiscipline est vivement critiquée par ses
propres soldats qui l'accusent d'avoir voulu briller à leurs dépens. Il survivra
à cette tempête, prendra encore du galon. En 1967, lors de la guerre des Six
jours, il commande une division blindée et accumule les succès militaires.
Nouvelles médailles, nouveaux revers. Il fera détruire des milliers de maisons
dans les camps de réfugiés de la bande de Gaza pour y construire des routes,
exilera des centaines de jeunes Palestiniens en Jordanie et au Liban. Quelque
600 proches de «terroristes» présumés, dont des femmes et des enfants, seront
enfermés dans un camp de détention du Sinaï. Cette politique ultra-répressive
donne de formidables résultats: en juin 1971, 34 actes de sabotage sont signalés
à Gaza contre un seul en décembre. En juin 1973, jugeant trop minces ses chances
de devenir chef d'état-major, il quitte l'armée pour une carrière politique.
Mais la guerre le rappelle.
Pendant la guerre de Kippour, on le retrouve à
la tête d'une division blindée dans le Sinaï avec laquelle il franchit de nuit
le canal de Suez. Beaucoup d'Israéliens croient que c'est lui qui a renversé le
cours de la bataille. Pourtant, les relations vont se tendre avec le haut
commandement qui annule sa nomination comme général de division et laisse même
entendre qu'il pourrait être jugé. Cette réputation de tête brûlée se retrouve
très vite dans sa carrière politique qu'il a reprise en décembre 1973. Nommé
ministre de la Défense par Begin en 1981, il inquiète déjà les Israéliens. A
juste titre. Deux mois après sa nomination, il demande déjà à l'état-major de
préparer l'invasion du Liban. Elle commence le 6 juin 1982. Il berne Begin en
lui faisant croire qu'elle ne durera que quatre jours et sera limitée à une zone
frontalière de 40 km. Puis, viendront les massacres des camps palestiniens de
Sabra et Chatila, à Beyrouth, par des phalangistes libanais sous le regard de
Tsahal. Un millier de morts. Le 8 février 1983, la commission d'enquête
israélienne accuse Arik de «responsabilité indirecte» dans ces tueries et
recommande son limogeage. 400 000 personnes dans les rues de Tel-Aviv demandent
son départ. Et l'obtiennent.
«Un loup». Après tant de fiascos, on croit
qu'il a définitivement mordu la poussière. Erreur. D'ailleurs, son conseiller
Uri Dan avait fait cette prédiction: «Ceux qui n'ont pas voulu l'avoir comme
chef d'état-major l'auront comme ministre de la Défense; Ceux qui n'en veulent
pas comme ministre de la Défense l'auront comme Premier ministre.» Pourtant,
même la droite le trouve encombrant et préférerait le voir rester dans son
ranch. En 1996, Benyamin Netanyahou fera tout pour l'empêcher d'entrer dans son
gouvernement. En vain.
Il faut dire que l'homme est un habile tacticien. Il
l'a montré le 28 septembre sur l'Esplanade des mosquées. Devenu chef de
l'opposition, grâce à la démission de Netanyahou, il a, par sa visite, contré
celui qui essayait de reprendre la tête du Likoud. Et en même temps, il a fait
flamber l'Intifada, brûlant les dernières cartes d'un Barak fragilisé par
l'éclatement de sa coalition. Aujourd'hui, l'homme qui, ministre de
l'Agriculture il y a vingt ans, dessinait la carte de la colonisation
israélienne en Cisjordanie, maillant les régions autonomes palestiniennes
d'implantations juives pour empêcher la création d'un Etat palestinien, a-t-il
un peu changé? Oui, si l'on en croit ses déclarations dans lesquelles il prend
acte de l'existence de facto d'un Etat palestinien depuis Oslo. Oui, si l'on en
croit ses dires dans le journal Ma'ariv: «Moi qui ai connu toutes les guerres
d'Israël, vécu toutes ses peurs et vu mourir mes camarades au combat, je sais
combien nous avons besoin de la paix [...]. C'est pourquoi il ne faut pas
désespérer de la paix mais changer de voie pour parvenir à une vraie paix.» Mais
beaucoup d'Israéliens n'en sont pas convaincus. «A son âge, Arik ne peut pas
changer. Il ne faut pas se laisser prendre par les spots publicitaires le
représentant en gentleman farmer entourés de ses moutons. Il reste un loup»,
souligne un officiel israélien.
5. Calme armé
à Hébron - La "journée de la colère" a peu mobilisé les Arabes par
Didier François
in Libération du mercredi 7 février 2001
Hébron
envoyé spécial
Point de cortèges, peu d'affrontements. Dans une ville
hermétiquement close, lourdement patrouillée par les soldats israéliens, la
population arabe a préféré éviter la confrontation. En guise de résistance, les
habitants d'Hébron ont choisi la désobéissance. Par petits groupes, passifs,
sirotant un café sur les trottoirs, ils ont bravé le couvre-feu imposé la veille
dans le centre, sourds aux appels à la dispersion diffusés par les haut-parleurs
des Jeep de la police. Aux abords des postes de contrôle, des poignées d'enfants
affrontent les forces de sécurité, rapidement dispersés par les grenades
lacrymogènes. Dans les territoires occupés, cette «Journée de la colère»
décrétée par la direction palestinienne à l'occasion des élections israéliennes,
n'a guère mobilisé.
Lourd tribut. Le cœur n'y est plus. «On s'en fout de ce
scrutin, grommelle Robin Al Qaraqi, les juifs peuvent bien voter pour qui ils
veulent, ça ne changera rien à notre quotidien. Blocus, état d'urgence, tirs
toutes les nuits. On vit dans une grande prison. Alors à quoi bon une journée de
colère? La colère est en nous chaque jour que Dieu fait.» La rage subsiste. Mais
c'est la lassitude qui l'emporte. Quatre mois de répression. Trop de «martyrs»,
souvent trop jeunes, tombés en vain, lançant leurs pierres sur des soldats bien
équipés, décidés à user de leurs armes. Lourd tribut payé pour une révolte que
chaque Palestinien sait désormais qu'elle s'inscrira dans la durée. Certains ont
pu croire, au début de l'Intifada, qu'un embrasement général des territoires
arracherait de rapides concessions au gouvernement Barak. Avec la victoire
annoncée d'Ariel Sharon, tous ont la conviction que la nature du conflit se
transforme. Il s'agit maintenant de prouver aux Israéliens, dans leur ensemble,
que leur sécurité dépend d'une paix juste. Lutte de longue haleine dans laquelle
il serait imprudent de s'essouffler. Rangées les pierres, place aux fusils.
Balles traçantes. Les premières ombres tombées sur la cité des Patriarches,
les tireurs embusqués prennent la relève des émeutiers fatigués. Une détonation,
une rafale. La riposte ne se fait pas attendre. Embossés dans la cour d'une
école réquisitionnée sur les hauteurs de la ville, les chars lourds de l'armée
entrent dans la danse, pilonnant de leurs mitrailleuses les immeubles suspects
d'abriter des tireurs. Sur la falaise qui surplombe la vieille ville et sa
colonie de juifs ultra-orthodoxes, les impacts des balles traçantes gravent leur
sillon. En quelques secondes, les rues sont vides, les fenêtres calfeutrées.
La nuit, les incidents s'étendaient aux autres villes de Cisjordanie, des
tirs entre le camp de réfugiés de Beit Jala et l'implantation de Gilo, à la
porte ouest de Jérusalem, entraînant la fermeture de la «route de
contournement», principale voie utilisée par les colons installés dans les
territoires occupés. Engrenage létal.
6. "Les
Arabes sont discriminés et la société ne croit pas à la paix". Né dans un
village de Haute-Galilée, Issam Makhoul a fait son entrée à la Knesset en 1999,
représentant le Hadash, le parti communiste judéo-arabe. Il s'est prononcé
contre le boycott prôné par certains Arabes israéliens du scrutin du 6 février.
Les Arabes sont discriminés et la société ne croit pas à la paix propos
recueillis par Hélène Bourdan
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 7
février 2001
— World News Link : Pensez-vous que l'appel des Arabes
israéliens à un boycott du scrutin du 6 février en Israël était une stratégie
judicieuse ?
— Issam Makhoul : Je suis contre le boycottage, c'est une ligne
rouge que nous, Arabes israéliens, ne devons pas franchir. Une minorité
nationale comme la nôtre doit exercer son droit de vote et ne doit pas y
renoncer. Ce serait faire un cadeau à la droite qui attaque constamment le droit
des Arabes à participer aux élections, et ainsi peser dans les décisions
nationales. Nous devons donc voter. Mais nous avions un problème : pour qui
?
— Vous n'avez pas voulu voter pour Barak parce qu'il a répondu par la force
aux manifestations de soutien à l'Intifada des Arabes israéliens, lesquelles se
sont soldées par 13 morts ?
— Ehud Barak nous a mis en effet dans une
mauvaise situation et sanglante. En 1999, nous n'avions d'ailleurs pas voté pour
lui, mais contre Benyamin Netanyahu. Barak a été élu comme promesse de paix, de
démocratie, d'égalité, mais il a échoué. Il a trahi personnellement les Arabes
et ceux qui soutiennent la paix. Pour nous convaincre de voter pour lui, il
aurait fallu que le parti travailliste suscite de nouveaux espoirs sur les
questions de justice sociale, du processus de paix, de citoyenneté, d'égalité
entre juifs et Arabes. Il aurait dû également adopter une nouvelle attitude
concernant les relations entre l'Etat et les Arabes.
— Mais boycotter ou
voter blanc a fait le jeu d'Ariel Sharon ...
— La responsabilité en incombera
alors au parti travailliste ! Celui-ci n'a jamais saisi l'occasion des élections
pour changer d'attitude.
— Quels changements dans les relations entre l'Etat
et les Arabes israéliens attendez-vous ? Etes-vous partisan d'une autonomie
culturelle et éducative de la population arabe ?
— Non, ce n'est ni sage ni
souhaitable. Ce serait une façon de perpétuer notre faiblesse dans l'Etat et la
discrimination. C'est aussi une façon d'échanger des droits contre des intérêts.
Nous devons plutôt trouver un moyen de promouvoir notre culture dans la société
israélienne, car nous voulons que notre culture fasse partie de celle de l'Etat
et l'influence. Nous ne voulons pas d'une culture arabe fermée réservée aux
Arabes.
— Vous voulez donc jouer un plus grand rôle dans l'Etat ...
— Oui,
notre choix stratégique, c'est d'être partie intégrante de l'Etat et de changer
la situation en Israël. La réalité politique et sociale dans ce pays est
mauvaise. Les Arabes sont discriminés, la société ne croit pas à la paix. Selon
un récent rapport sur la pauvreté, 49 % de ceux qui vivent en dessous du seuil
de pauvreté sont Arabes. La moitié des adolescents qui n'étudient plus sont
Arabes. Le chômage touche 80 % de notre population, c'est un désastre ! Ce n'est
pas seulement un problème social, mais celui de la démocratie israélienne. La
légitimation des droits des Arabes doit être reconnue. Les Arabes, qui
constituent 18 % de la population, ont du mal à changer tout cela seuls. En même
temps, aucune autre force de la société israélienne ne pourra amener la paix
sans nous.
— Selon les derniers sondages, 18 % des Arabes israéliens déçus
par Barak auront voté pour Ariel Sharon. Ce serait la première fois que les
Arabes donnent autant de voix à un candidat de droite. Qu'en pensez-vous ?
—
Si c'est vrai, je dirais que c'est l'autre ligne rouge que les Arabes israéliens
n'auraient pas dû franchir. Nous ne devons pas donner une légitimité à Ariel
Sharon, qui est un criminel de guerre. De plus, son programme politique est
dangereux et rime avec occupation, oppression, agrandissement des colonies et
même guerre.
— Vous ne partagez donc pas l'opinion dominante dans la
population arabe qui considère qu'Ariel Sharon et Ehud Barak sont bonnet blanc
et blanc bonnet ?
— Non. Ce n'est pas un point de vue intelligent. Même si
Barak est responsable des crimes contre des Arabes israéliens et des
Palestiniens, les deux hommes ne sont pas identiques.
— Quel bilan
faites-vous de la conduite de Barak dans le processus de paix ?
— Il a fait
toutes les erreurs possibles ! Il a cru pouvoir imposer ses propositions de
paix, qu'il croyait généreuses, aux Palestiniens. Comme les Palestiniens ont
refusé ses diktats à Camp David, Barak a brandi le spectre d'une explosion de
violence. Il a en fait utilisé une logique de guerre pour promouvoir la paix. Je
vois un autre problème qui concerne aussi l'Administration américaine et le
Parti travailliste. Ils veulent imposer une nouvelle réalité qui n'est pas la
fin de l'occupation.
— Pourriez-vous préciser ?
— Ils font comme si le
problème entre Israéliens et Palestiniens se résumait à la satisfaction
d'intérêts entre deux peuples. On ne parle plus d'un compromis historique basé
sur les résolutions des Nations-Unies.
— Vous voulez dire que le plan Clinton
ne respectait pas ces résolutions ?
— Non, il cherchait à se substituer à
elles. Pour les Palestiniens, les frontières de 1967 sont une paix juste et un
compromis de leur part, car elles représentent 22 % de la Palestine (Ndlr :
définie par le plan de partage de 1947). La responsabilité d'Israël pour le
problème des réfugiés et le droit au retour doivent être une partie du
compromis. Ensuite, il faudra déterminer comment les appliquer par la
négociation. Le problème avec Barak, c'était qu'il négociait avec la droite et
les colons, pour ensuite essayer d'imposer ses conclusions aux Palestiniens. Il
ne parlait pas du tout de leurs droits. C'est la même chose pour la sécurité.
Américains et Israéliens continuent à la percevoir seulement pour Israël, alors
que les Palestiniens aussi en ont besoin.
— Selon vous, Barak n'aurait donc
fait aucun compromis ?
— Au contraire, mais ils sont insuffisants. Barak
n'était pas préparé à la réalité de la situation dans laquelle il voulait
imposer sa paix. Sa logique est de faire sentir aux Palestiniens combien leur
vie serait insupportable s'ils n'acceptent pas ses vues. Pour avoir la paix, les
dirigeants israéliens, quels qu'ils soient, doivent passer par un profond
changement et répondre par la paix aux questions posées.
— Quelle solution
voyez-vous pour les deux peuples ?
— Une séparation politique. Autrement dit,
deux Etats basés sur les résolutions de l'Onu. Il faut aussi mettre un terme aux
colonies, aux colons plutôt. Les colonies pourraient servir pour accueillir les
réfugiés. Car il n'y aura pas de paix juste avec les colonies. C'est, à mon
avis, le problème majeur. Les Israéliens doivent aussi se convaincre que la paix
est dans leur intérêt.
— La mosquée d'Al-Aqsa, qui a donné son nom à cette
Intifada, n'est donc pas une question plus difficile à résoudre que les
colonies, selon vous ?
— Non. Pour moi, les problèmes sont politiques, pas
religieux. Comme la souveraineté sur Jérusalem, les colonies, le droit au retour
des réfugiés.
— Au commencement de l'Intifada, les Arabes israéliens ont
déclaré la grève générale qui a dégénéré en émeutes. Quelles étaient les raisons
des manifestations ?
— Il y en avait plusieurs, entremêlées : nationalistes,
religieuses, sociales. Nous voulions prendre part à la lutte contre l'occupation
et l'oppression de nos frères en Palestine. Il y avait aussi un volet interne :
demander plus de droits aussi pour nous en Israël. Je crois que le meurtre du
petit Mohamad Al-Dorra devant une caméra de télévision a naturellement poussé
les Arabes israéliens à manifester dans les rues. Nous l'avions déjà fait après
Sabra et Chatila par exemple. Mais la réaction brutale de la police à nos
manifestations a démontré que Barak ne nous traitait pas comme des citoyens,
même mauvais, mais comme des ennemis. Les Israéliens voulaient envoyer un
message aux Palestiniens et au monde sur la question du droit au retour.
—
C'est-à-dire ?
— Ils voulaient dire non seulement qu'il est impossible
d'accorder ce droit, mais aussi que notre citoyenneté israélienne n'était même
pas garantie pour nous après 52 ans passés au sein de l'Etat, et qu'elle était
conditionnelle de notre comportement durant la phase finale des négociations de
paix. Quant au droit au retour, je pense qu'Israël doit reconnaître ce droit et
déclarer qu'il est responsable de la création de ce problème. Après, il faut
négocier sur l'application de ce droit. J'ignore combien voudront revenir, mais
je crois que les réfugiés préféreront s'intégrer dans un Etat palestinien. Pour
l'heure, c'est une question impossible à résoudre en détail, mais pour
progresser il faut reconnaître ce droit. Ce sera la seule façon d'obtenir un
compromis historique entre les deux peuples.
— Avant l'Intifada, peu d'Arabes
israéliens demandaient à rejoindre l'Etat palestinien. Aujourd'hui, leur nombre
a augmenté, selon des sondages, notamment dans la région dite du triangle où
vivent 200 000 personnes. Pensez-vous qu'il faut rattacher cette région avec
leurs habitants au futur Etat palestinien ?
— Je pense qu'il est très
important de ne pas donner l'impression aux Arabes israéliens qu'ils sont une
partie négociable d'un règlement de paix. Nous ne sommes pas des colons ici et
nous ne sommes pas venus dans cet Etat. J'ignore combien de personnes souhaitent
cette alternative. Je préférerais les convaincre que notre rôle national est
d'aider à servir une paix juste et la démocratie. Israël, selon moi, n'est pas
un Etat juif, car il possède une grande minorité arabe. Il n'est pas
démocratique non plus, car il nous impose, dans sa déclaration d'indépendance
(1948), sa conception d'un Etat juif. Je crois donc dans la force de notre
citoyenneté et dans ce que nous pouvons offrir pour la cause de notre peuple
dans cet Etat, et même aux deux peuples. Israël doit construire de nouvelles
lois et des valeurs universelles, pas juives.
— Quelles leçons tirez-vous de
l'Intifada ?
— D'abord, l'Intifada est une réponse à la tentative des
Etats-Unis et d'Israël d'imposer une solution de paix. Elle nous montre aussi
que la véritable violence dans la région, c'est celle de l'occupation, qui viole
les droits de l'homme. C'est un désastre pour les opprimés comme pour les
oppresseurs qui se comportent d'une façon fasciste. Je pense à l'image de jeunes
soldats israéliens traînant dans une rue d'Hébron, et devant les photographes de
presse, le corps d'un Palestinien abattu par eux. L'Intifada a fait prendre
conscience au gouvernement israélien qu'il ne peut plus continuer sa politique
d'occupation, de colonisation et d'oppression. Je suis convaincu que c'est la
dernière révolte palestinienne qui mettra fin à l'occupation
israélienne.
7. L'importance grandissante des
Arabes d'Israël par Mohamed Sid-Ahmed
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 7
février 2001
Avec l'accession d'Ariel Sharon à la tête du
gouvernement israélien, une nouvelle et dangereuse phase du conflit
arabo-israélien commence. Le besoin de resserrer les rangs arabes devient plus
impérieux en même temps que plusieurs points, pas forcément négatifs, se font
jour :
1. Le dossier de Jérusalem fait désormais partie des négociations. Il
n'est plus — comme auparavant — ajourné. Ainsi, ce dossier, aussi épineux
soit-il, figure-t-il en tête des préoccupations des Arabes ; et malgré les
problèmes, il est à même de les réunir. Notons également que l'Iraq n'est plus
la pomme de discorde insoluble entre les régimes arabes, et la souffrance de son
peuple prend actuellement le dessus sur les actes de ses dirigeants. Bref,
l'Iraq n'est plus un élément semant la discorde dans les rangs arabes.
2. Il
a été décidé de tenir régulièrement un sommet arabe annuel et le prochain se
tiendra à Amman en mars prochain. Cette régularité crée qualitativement un
nouveau mécanisme et permet un meilleur suivi des décisions.
3. Au niveau
international, les accusés de « crimes contre l'humanité » sont aujourd'hui
poursuivis d'une manière sans précédent. Citons les exemples de Pinochet et de
Milosevic, ainsi que d'autres, accusés d'avoir perpétré des génocides contre des
civils innocents au Rwanda, au Burundi, en Bosnie, en Serbie et au Kosova. Sans
oublier le jugement des deux Libyens accusés d'avoir fait exploser l'avion
américain de la PanAm au-dessus de Lockerbie. L'ingérence pour des raisons
humanitaires est presque devenue une partie intégrante du droit international.
Ce qui pourrait dissuader Sharon, l'architecte du massacre de Sabra et Chatila,
de commettre des actes similaires dans l'avenir.
Ainsi, il est facile de
resserrer l'étau autour de Sharon et de l'empêcher d'aller plus loin dans ses
plans. Mais il existe un autre sujet qui mérite plus d'intérêt : « les Arabes
d'Israël », qui occupent une position sensible leur permettant de jouer, dans
les circonstances actuelles, un rôle particulier et de plus en plus important.
Ceci remet sur le tapis la question de la gestion des rapports avec Israël à
partir d'Israël même. Question qui a fait l'objet de divergences dans les rangs
égyptiens et arabes et qui a fait exploser ce qu'on a appelé « le problème de
Copenhague ». Problème ayant divisé les intellectuels égyptiens en deux camps
opposés : les partisans de la normalisation, avec certaines catégories
israéliennes, et ceux du boycott de tous les Israéliens sans exception. On peut
diverger sur la question de la normalisation avec les Israéliens juifs, mais pas
sur celle des Arabes d'Israël. Ceux-ci ont résisté en 1948, tenu fermement à
leurs terres, refusant de les abandonner.
Nous devons reconnaître que nous
nous sommes trompés dans l'attitude que nous avons adoptée à leur égard. Alors
que les Israéliens juifs les maltraitaient et les considéraient comme des
citoyens de seconde zone. Nous en avons fait de même en les regardant d'un œil
suspect. Avoir des contacts avec eux était considéré comme un danger menaçant la
sécurité nationale. Ils étaient considérés comme des agents et des espions. La
vérité est que si nous les avions mieux traités et considérés comme une partie
intégrante de la nation, même avec leur situation anormale suscitant danger et
confusion, nous aurions soutenu leur résistance plus positivement. Or, nous
avons facilité la tâche d'Israël dans sa tentative de les contenir et les
neutraliser en tant qu'éléments de résistance. Il est donc grand temps de les
réhabiliter et de les considérer comme un groupe faisant partie des forces
nationalistes, déchiré entre l'identité nationale d'une part et l'appartenance
aux institutions sionistes d'autre part. Il est vrai que ces Arabes d'Israël
n'ont pas tous le même degré de loyauté envers leur identité arabe. Or, ceci ne
justifie guère de les rejeter tous en bloc. Plus encore, après leur
confrontation avec la police israélienne à Om Al-Fahm à la suite du
déclenchement de l'Intifada, nous devons reconnaître qu'ils constituent l'autre
aile de l'Intifada, le prolongement de la confrontation jusqu'au sein même
d'Israël. Il est probable que toutes les parties sur la scène égyptienne,
qu'elles soient pro-normalisation ou pas, traitent avec les Arabes d'Israël.
Est-il concevable de boycotter le grand poète Samih Al-Qassem ? Ou bien le
résistant national, membre à la Knesset, Azmi Bichara ? Ce sont les Arabes
d'Israël qui sont les plus aptes à être notre référence et notre guide dans nos
relations avec les juifs israéliens. C'est ainsi qu'ils parviendront à réaliser
une réconciliation entre les Egyptiens mêmes à cet égard.
Nous devons
réaliser que le boycott est un moyen avant d'être une fin. Moyen visant à
prouver à Israël que la formule de la paix à laquelle il tient est
catégoriquement refusée sur le plan arabe. D'autant plus qu'il s'agit plus d'un
contrat de soumission que d'une formule de paix. L'objectif du boycott est de
dire à Israël que l'on résiste. Il est évident que nous ne voulons pas que
l'arme du boycott se retourne contre nous, car son but premier est de nuire à
l'ennemi, de le priver de certaines choses et pas de nous priver nous. Et si la
levée du boycott nous permet de réaliser ce que nous n'avons pu réaliser par le
boycott, alors levons-le ! Reste à dire que l'accession de Sharon au pouvoir
n'est que la réaction israélienne à l'échec du processus de paix. l'Intifada a
exprimé la rébellion des Palestiniens contre un processus qui s'est décrit comme
un processus de paix mais qui a fini par être l'opposé de la paix, infligeant
davantage de souffrance aux Palestiniens. En contrepartie, la majorité des
Israéliens s'opposent en ce moment à ce processus de paix, et ce en votant pour
Sharon, symbole de l'hostilité à la paix.
Il est à noter que la popularité de
Sharon n'est pas due à son extrémisme et son hostilité envers les Palestiniens.
C'est plutôt l'expression de la situation générale en Israël, à savoir une perte
de confiance dans le processus de paix et la réapparition du sentiment
pathologique que l'existence d'Israël est menacée. Le dilemme est que Sharon
n'est pas apte à changer cette situation ; mais c'est elle, en changeant, qui
peut le renverser. Comment est-il donc possible de l'évincer sans recourir au
combat à l'intérieur même d'Israël ? En d'autres termes, sans profiter de la
position des Arabes d'Israël, nos alliés naturels à cet égard
?
8. Les Palestiniens resteront engagés dans
une stratégie de paix, selon Leïla Shahid
Dépêche de l'Agence France Presse du mardi 6 février 2001,
22h28
PARIS - ''Nous ne pouvons pas dire que nous sommes heureux des
résultats des élections'', a déclaré mardi soir la déléguée générale de
Palestine en France, tout en soulignant que les Palestiniens ''continueront à
être engagés dans une stratégie de paix''.
Cette stratégie avait été
''choisie déjà'' du temps d'Yitzhak Rabin et de Shimon Peres, a-t-elle déclaré
sur France-Infos. ''Nous l'avons continuée au temps où M. Nétanyahou était au
pouvoir, nous l'avons continuée avec M. Barak nous la continuerons avec M.
Sharon, si M. Sharon respecte les engagements pris par l'Etat israélien''.
''Ils (les Israéliens) continuent à chercher leur sécurité en tant que
société, ce qui est légitime, mais ils la cherchent dans des réponses
militaires, dans des réponses policières, répressives. Or la seule solution de
la sécurité du peuple et de l'Etat israélien, c'est une paix réelle'', a-t-elle
ajouté.
Estimant qu'Ariel Sharon, ''n'est pas seulement l'homme de Sabra et
Chatila'', mais également ''l'homme de l'invasion du Liban'' et celui ''qui a
été défier tout le monde sur le Mont du temple, l'Esplanade des Mosquées il y a
trois mois et qui a déclenché l'intifada'', elle a ajouté: ''Il est ce qu'il est
et maintenant il faudrait que les Israéliens assument l'homme pour lequel ils
ont voté''.
9. A Jérusalem, deux mille manifestants de La Paix
maintenant résignés au pire par Catherine Dupeyron
in Le Monde du mardi 6 février 2001
JÉRUSALEM, correspondance
Résignés. Les quelque deux mille manifestants qui défilaient samedi soir 3
février dans les rues de Jérusalem, sous la bannière du mouvement La Paix
maintenant, étaient résignés. Résignés à la victoire d’Ariel Sharon, contre
lequel ils manifestaient. Résignés à la certitude d’une guerre imminente dans
laquelle les entraînera, pensent-ils, le responsable de la guerre du
Liban.
"Il n’y a aucune chance que cela influence le résultat de l’élection. C’est
fichu", confiait Itzhak, totalement dépourvu d’illusions sur l’impact politique
de ce rassemblement. "Je suis venu simplement pour me souvenir", ajoutait-il. A
76 ans, Itzhak, s’appuyant sur une canne, marchait d’un bon pas, presque aussi
alerte que le 10 février 1983, lorsque, protestant déjà contre Ariel Sharon, il
avait emprunté avec d’autres ce même chemin partant de la place de Sion dans le
centre ville pour arriver devant les bureaux de la présidence du conseil.
Ce soir-là, les manifestants demandaient le départ du ministre de la
défense, Ariel Sharon, au chef du gouvernement Menahem Begin, une solution
préconisée par la commission Kahane, chargée d’enquêter sur la responsabilité de
M.Sharon dans les massacres des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et
Chatila, à Beyrouth.
Alors que les participants commençaient à se
disperser, un contre-manifestant d’extrême-droite avait lancé une grenade dans
la foule, tuant Emile Grunzsweig, âgé de 35ans, et faisant plusieurs blessés,
dont Avraham Burg, l’actuel président de la Knesset.
"A l’époque, sur tout le parcours, on s’est pris des tomates, des œufs, des
pierres et même de la merde, et on s’est fait insulter aux cris de “Vous êtes
tous des ordures”", raconte Naftali, la cinquantaine grisonnante. "Aujourd’hui,
c’est beaucoup plus calme, peut-être parce que la droite est sur le point de
revenir au pouvoir", précise-t-il, guère plus optimiste qu’Itzhak sur l’issue du
prochain scrutin.
BEAUCOUP DE JEUNES
Samedi 3 février, jour choisi pour commémorer cet événement tragique, les
incidents furent mineurs : un peu d’eau versée d’un appartement en étage, dans
la rue piétonnière de Ben Yehuda, alors que le défilé commençait à peine, des
fanions portant l’inscription "Seul Sharon apportera la paix" agités sur quatre
ou cinq balcons, et quelques rares anathèmes, "Gauchistes, traîtres", lancés
dans le lointain, au moment où les manifestants observaient une minute de
silence à la mémoire du défunt.
Dans la foule, beaucoup de jeunes étaient venus pour dire leur inquiétude.
Le flambeau à la main, sous une pluie battante, ils hurlaient: "Paix, oui.
Occupation, non", "Barak, oui. Sharon, non", ou bien encore: "Israël-Palestine:
deux Etats pour deux peuples".
Yaïr, 18 ans, la mèche rebelle, avançait en cadence avec son copain Yuval,
tenant à bout de bras, une large banderole portant l’inscription: "Il est
interdit de sacrifier l’espoir d’un accord". "Je ne crois pas à la violence",
expliquait Yaïr. Je suis là parce que dans sept mois je pars à l’armée et j’ai
peur des choix de Sharon. Je ne veux pas que ma mère tremble à chaque coup de
téléphone, craignant qu’on lui annonce que je suis mort."
10. Israël ouvre ses bras à Ariel Sharon
par Baudoin Loos
in Le Soir (quotidien belge) du lundi 5 février
2001
En proie au doute, les Israéliens s'apprêtent à se confier au
plus faucon d'entre eux
Ce mardi, les Israéliens sont appelés à élire leur
Premier ministre. Pour la première fois, cette élection singulière n'est pas
accompagnée par un scrutin législatif. Elle résulte d'une crise dans le
processus de paix israélo-palestinien qui a d'abord privé le Premier ministre de
gauche, Ehoud Barak, de sa majorité parlementaire, il est vrai hétéroclite,
avant de verser dans la violence, après la visite le 28 septembre d'Ariel
Sharon, chef de la droite, sur l'esplanade des Mosquées, qui est aussi le mont
du Temple vénéré par les Juifs.
Par un extraordinaire concours de
circonstances, Sharon va, selon toute vraisemblance, battre Ehoud Barak ce
mardi, et cela alors même qu'une majorité constante d'Israéliens continue à se
déclarer favorable à une paix négociée avec les Palestiniens.
Comment
expliquer ce paradoxe ? Comment expliquer que celui qui incarne l'usage des
méthodes les plus brutales de répression, que celui qui n'a pas cessé, depuis 23
ans, de consacrer son énergie à la colonisation juive des territoires
palestiniens pour anéantir tout rêve d'Etat palestinien, que le vétéran Ariel
Sharon va sans doute bientôt occuper les plus hautes responsabilités dans la
hiérarchie exécutive israélienne ?
Dans les chiffres, en tout cas, le
suspense a disparu depuis belle lurette. L'avance de Sharon, selon les instituts
de sondage unanimes, oscille toujours entre 16 et 21 points. Pourtant, Ehoud
Barak s'est lancé ces dernières heures dans un fougueux baroud d'honneur. Cette
élection, a-t-il déclaré samedi à Kiryat Shmoneh, au nord d'Israël, est
peut-être la plus fatidique de la génération actuelle. Elle déterminera quelle
direction les citoyens du pays entendront prendre dans les prochaines années :
notre chemin vers deux nations, deux peuples côte à côte, ou bien la route du
danger et de l'extrémisme, qui ne connaît aucune retenue.
« Un chemin vers
deux peuples côte à côte ou la route de l'extrémisme»
Mais le problème de
Barak est celui de sa crédibilité auprès des Israéliens. Sans même insister sur
son arrogance naturelle et ses zigzags politiciens, ceux-ci lui reprochent
surtout d'avoir échoué dans le processus de paix, ce qui a finalement abouti à
une nouvelle intifada - la révolte des Palestiniens - d'une grande violence
(près de 400 tués, dont une cinquantaine de Juifs israéliens). D'un point de vue
largement partagé en Israël, cette vague de violence palestinienne répondait aux
offres pourtant les plus généreuses, comme la division de Jérusalem, que Barak
avait faites à Arafat, le président palestinien.
Que ces offres ne
répondaient pas aux attentes minimalistes des Palestiniens ni ne correspondaient
au prescrit du droit international compte finalement assez peu dans le tableau
électoral : saisie d'un vertige presque existentiel, en l'espèce irrationnel,
devant la violence et les revendications palestiniennes (comme celle du droit au
retour des réfugiés), une bonne partie de la population juive israélienne
préfère donner sa confiance en un homme au passé certes controversé, mais qui,
lui au moins, inspire la crainte dans le camp arabe.
N'est-ce pas Sharon qui
déclarait récemment à Netanya qu'il saurait faire la paix avec les Arabes : Ils
savent que quand je dis oui, c'est oui, et que quand je dis non, c'est
non.
Le non l'emporte souvent. Ses projets pour conclure la paix avec les
Palestiniens - un « Etat » sur 42 % de la Cisjordanie, pas de colonie juive
démantelée, rien sur les réfugiés et rien sur Jérusalem - augurent ainsi mal de
la négociation, si elle a lieu.
Ariel Sharon, que la rumeur dit physiquement
affaibli, n'a pas beaucoup expliqué son programme. Ce n'était visiblement pas ce
que les Israéliens attendaient de lui.
11. Les réfugiés, clef de la paix ou de la guerre ?
par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du lundi 5 février 2001
Réfugiés palestiniens : l'ambassadeur d'Israël en France voit dans la
mobilisation pour la reconnaissance de leur droit au retour " la plus grosse
supercherie politique de ces négociations ".
Lors de la constitution du Collectif européen de soutien aux réfugiés
palestiniens qui s'est réalisée à Montataire (Oise), plusieurs dirigeants
palestiniens ont apporté leur pierre au débat qui fait rage depuis quelques
semaines sur le droit au retour des réfugiés palestiniens. Cette question,
épineuse s'il en est, concerne, selon les chiffres de l'ONU, 3,7 millions de
personnes vivant pour la plupart dans des camps. Alors que le droit " de rentrer
dans leurs foyers " pour tous les réfugiés de Palestine figure dans la
résolution 194 (adoptée en 1948 par l'Assemblée générale de l'ONU), le fait que
les Palestiniens voient dans la reconnaissance de ce droit l'une des conditions
d'une paix définitive est considéré comme un casus belli à Tel-Aviv : Israël
accuse les Palestiniens de vouloir noyer Israël sous un flot démographique qui
ferait perdre à l'Etat son caractère juif.
· Montataire, plusieurs dirigeants palestiniens se sont exprimés sur cette
question. Pour Elias Sanbar, historien, directeur de la Revue d'études
palestiniennes, qui dirigea la délégation chargée des négociations avec Israël
sur la question des réfugiés après la conférence de Madrid en 1991, " rien ne
peut être résolu si cette question ne l'est pas. Elle est au centre du problème,
elle en est le noud et donc la clef ". " Le droit au retour, explique-t-il, est
un droit humain fondamental qui ne peut être négocié. La résolution 194 de l'ONU
est claire : le droit au retour ne peut être remplacé par une indemnisation,
sauf pour les réfugiés qui y renoncent volontairement. Pour les autres, c'est le
retour et l'indemnisation. Nous ne pouvons négocier l'application de ce droit
que s'il a d'abord été reconnu. " Et de conclure : " Israël a eu toutes les
reconnaissances possibles de tous les Etats importants du monde. Mais il lui
manque l'essentiel : la légitimité. Aucun Etat ne peut la lui donner. Seules les
victimes de 1948 peuvent le faire. Ce sont donc les réfugiés palestiniens qui
détiennent la clef de la légitimité d'Israël dans la région. "
Abdelaziz Shaheen, ministre palestinien, qui a passé vingt ans dans les
prisons israéliennes, récuse l'argument démographique : " Israël vient de fêter
l'arrivée du millionième immigrant russe. Selon l'agence juive, 530 000 de ces
immigrants ne sont pas juifs. Mais ils ont le droit d'habiter nos maisons et de
cultiver nos terres parce qu'en 1947, la Knesset a voté une loi qui donne ce
droit à tous les juifs du monde. Pourquoi, quand on évoque notre propre droit au
retour, reconnu par l'ONU, y a-t-il un tel branle-bas de combat ? Nous voulons
juste retrouver nos biens dont nous avons été spoliés par une agression. Nous
refusons d'aller vivre ailleurs."
Pour Elie Barnavi, ambassadeur d'Israël en France, cette mobilisation des
Palestiniens autour du droit au retour " constitue l'une des plus grosses
supercheries politiques des négociations ". " Personne n'en parlait, et tout à
coup il y a une radicalisation de l'Autorité palestinienne sur cette question ",
dit-il, faisant mine de s'étonner de " cette exigence nouvelle ". Affirmant que
" la résolution 194 ne mentionne pas ce droit et que de toute façon, elle n'a
pas force de loi ", Elie Barnavi ajoute : " Le droit au retour des réfugiés peut
paraître une exigence de bon sens et d'humanité, mais elle est totalement fausse
sur le plan des principes. La logique de la création d'Israël était d'en faire
un lieu de refuge pour les juifs. Pourquoi le monde arabe n'a-t-il pas pu
absorber 700 000 réfugiés alors que nous venons d'absorber 1 million de Russes ?
Même la reconnaissance du principe, dont parle Elias Sanbar, serait néfaste.
Elle risquerait de créer un irrédentisme palestinien. Sur ce point, je suis en
désaccord total avec lui. Nous ne voulons pas de droit au retour. C'est une
question qui unifie tous les Israéliens, de la droite à la gauche. "
12. Les droits de citoyen par Michel
Muller
in L'Humanité du lundi 5 février 2001
Ahmed Muhaisen est le coprésident de l'association pour le jumelage des
villes françaises avec les camps de réfugiés palestiniens. Il habite dans le
camp de Dheisheh (80 000 habitants), non loin de Bethléem en Cisjordanie
occupée.
" Les réfugiés de Dheisheh sont originaires de trente-neuf localités dont
Zakaria, une ville située à environ 6 kilomètres du camp, de l'autre côté de la
ligne de démarcation d'avant juin 1967. Ils en ont été chassés par la guerre en
1947-1948. Aujourd'hui, ils sont très motivés par le combat contre l'occupation.
Dans le même temps, la situation s'est dramatiquement aggravée : nous ne pouvons
plus aller travailler en Israël à cause des bouclages. Pour nous, travailler en
Israël - et pour certains même dans des colonies juives - est une question de
survie.
La question essentielle est le droit au retour. Nous craignons tous que,
d'une manière ou d'une autre, ce droit ne sera pas réellement mis en application
avec les négociations actuelles. Nous combattrons tout accord qui transigerait
avec ce droit. Le seul problème est l'attitude des Israéliens. Ils veulent un
pays " pur ". Les autorités israéliennes affirment elles-mêmes être en mesure
d'accueillir 10 millions de juifs de la diaspora. Alors pourquoi y aurait-il des
difficultés d'accueillir 4 millions de Palestiniens ?
Pour nous, en Israël et en Palestine, ce qui est essentiel, c'est d'avoir
tous les droits d'un citoyen, ce qui n'est même pas le cas actuellement pour les
Arabes d'Israël. Le nom du territoire dans lequel nous vivrons importe peu. Par
exemple, je suis originaire de Zakaria. Cette ville se trouve en Israël. Je
vivrai donc en Israël. Si je venais d'un village en Palestine, je vivrais en
Palestine. "
13. "On nous dénie nos droits" témoignage
recueilli par Thomas Cantaloube
in L'Humanité du lundi 5 février 2001
Mahmoud M. Abbas vit depuis 1948 dans le tristement célèbre camp de
réfugiés de Chatila, au Liban, où il s'occupe d'une association d'aide aux
enfants. " De tous les réfugiés palestiniens, nous avons les conditions les plus
difficiles, à cause du gouvernement libanais qui est très agressif à notre
égard. Le Liban nous dénie les droits sociaux et économiques élémentaires : il
faut verser des pots-de-vin pour pouvoir travailler. On nous refuse le droit
d'association : nous ne pouvons pas fonder de syndicats ou d'associations
culturelles sous peine d'être arrêtés. Cela me fait mal de dire cela à propos
d'un pays arabe, mais le Liban traite les Palestiniens comme des citoyens au bas
de l'échelle, alors qu'en Jordanie ou en Syrie, même si leurs conditions de vie
sont difficiles, ils sont au moins considérés comme égaux avec le reste de la
population. De plus, nous sommes considérés comme " dangereux " par Israël car
nous demandons à pouvoir bénéficier du droit au retour en Palestine pour tout le
monde sans exception. Nous n'accepterons pas d'être divisés en admettant, par
exemple, le seul retour des enfants et des vieillards. Nous considérons que le
retour est notre droit individuel, comme l'ONU l'a reconnu dans sa charte sur le
droit au retour des réfugiés. "
14. Pour certains Israéliens, Sharon a un lourd passé.
Certains considèrent l'ex-général candidat au poste de Premier ministre comme un
héros. D'autres se souviennent des massacres par Tracy
Wilkinson
in The Los Angeles Times (quotidien américain) du samedi 3
février 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Jérusalem -- L'homme qui semble promis à
la victoire, aux élections, mardi prochain, pour la désignation du Premier
ministre d'Israël, a amassé au cours de sa carrière le score le plus controversé
de toute l'histoire de l'Etat juif.
L'histoire personnelle d'Ariel Sharon est
intimement associée à celle de sa nation. Il a combattu au cours de trois
guerres et il est le cerveau de l'invasion du Liban, en 1982. Il est aussi le
concepteur d'une politique de colonisation agressive en Cisjordanie, territoire
revendiqué par les Palestiniens. Ce général à la retraite, âgé de soixante-douze
ans, politicien vétéran de la droite, est pour certains un héros qui a joué un
rôle décisif dans l'évolution d'Israël, lui faisant occuper le rang de puissance
dominante dans la région. Mais pour d'autres, Sharon est un extrémiste prêt à
tout pour arriver au pouvoir.
Sharon voit dans son élection probable une
revanche, une chance d'effacer les taches noires qui déparent sa carrière
politique. Si les sondages disent vrai, il arrivera au sommet du pouvoir, en
Israël, dans ce qui sera un véritable raz-de-marée politique. Le poste de
premier ministre est celui qu'il n'a encore jamais occupé, c'est aussi le poste
auquel beaucoup de gens pensaient qu'il n'accéderait jamais...
En dehors d'un
noyau de droite qui soutient Sharon de manière fervente, les Israéliens qui
s'apprêtent à voter pour le candidat du Likud comportent ceux qui croient que sa
campagne montrerait qu'il s'est adouci, avec les ans ; ceux qui pensent qu'il
s'agit toujours du militaire extrêmement dur, et qui pensent que c'est ce dont
le pays a besoin en ces temps d'escalade de la violence avec les Palestiniens ;
et enfin, ceux qui ne savent pas grand-chose de lui, à l'instar des immigrants
récents ou des jeunes, mais qui sont farouchement opposés à son rival, Ehud
Barak.
Les efforts déployés par les partisans du rival de Sharon, le Premier
ministre démissionnaire Ehud Barak, du parti travailliste, afin de dénoncer les
aspects les plus négatifs de la personnalité du candidat du Likud, ne sont pas
parvenus à dynamiser les électeurs.
Certains Israéliens s'en sont tenus au
mythe qui voudrait que seule la droite peut faire la paix, en faisant remarquer
que l'ancien Premier ministre Menachem Begin avait contribué à la signature du
traité (de paix) le plus effectif jamais conclus par Israël : le traité avec
l'Egypte, de 1979. Ils se basent aussi sur le fait que Sharon a fait évacuer les
implantations juives dans la Péninsule du Sinaï de manière à mettre cet accord
en application et qu'il a contribué, par la suite, à la négociation de l'accord
de Wye Plantation, en 1998, qui comportait la rétrocession de territoires aux
Palestiniens.
Mais d'autres Israéliens citent des événements, dans le passé
de Sharon, qui reflètent la propre histoire - sanglante - d'Israël. Au cours des
premières années d'existence de l'Etat juif, alors assiégé, il a mené des raids
anti-terroristes secrets, contre des villages arabes, au cours desquels des
femmes et des enfants ont été tués, ce qui lui a valu sa réputation de
commandant de guerre flamboyant et zélé. En 1982, il a fait plonger Israël,
vingt années durant, dans une occupation mortelle, traumatisante et
finalement désastreuse du Liban.
La visite de Sharon, en septembre dernier,
sur le Mont du Temple, le lieu saint le plus disputé de Jérusalem, est considéré
par certains comme l'événement qui a déclenché l'effusion de sang qui n'a pas
cessé, depuis lors, dans cette région du monde. Sharon, lui, accuse les
Palestiniens.
"Il a toujours été sur le front aux moments les plus critiques,
qu'il s'agisse du front militaire ou du front politique, dans l'histoire
d'Israël", dit son associé de toujours, Raanan Gissin, "et il s'est toujours
attiré les critiques".
Sharon a décliné une demande d'interview que lui
présentait un journaliste israélien, mais non sans prendre le soin de lui dire
qu'il avait été démonisé d'une manière injuste comme quelqu'un "qui mangerait de
l'Arabe au petit-déjeuner".
En tant que ministre des transports, puis, plus
tard, des infrastructures, Sharon a parsemé la Cisjordanie d'implantations
juives et de routes de contournement afin de rendre impossible un contrôle
éventuel de la région par les Palestiniens. En tant que ministre des affaires
étrangères, il y a deux ans, il s'est rangé aux côtés de la Russie et des Serbes
contre les Albanais du Kosovo, majoritairement musulmans, alors même que l'OTAN
avait engagé sa campagne aérienne contre la Yougoslavie. Il considère encore le
Président de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, comme un criminel auquel
il exclut de serrer la main.
Sharon est né dans la Palestine mandataire, en
1928, dans une famille d'immigrants russes (biélorusses, NdT). Il a hérité de
ses parents un profond attachement à la terre et une profonde méfiance pour les
Arabes, qui encerclaient les fermes juives, à l'époque, et étaient considérés
comme une menace.
La famille Sharon était tenue à l'écart et considérée comme
querelleuse, au sein de la communauté juive. D'après sa biographie, publiée en
1985 "Sharon : un César israélien", par Uzi Benziman, le père du futur général,
très strict et la tête près du bonnet, avait équipé son fils , âgé alors de six
ans, d'un bâton plus grand que sa taille : il était censé en user contre les
petits camarades qui oseraient l'embêter. A dix ans, Ariel utilisait son bâton,
au cours de meetings de gamins qu'il réunissait, pour les faire se tenir
cois.
Sharon s'est engagé dans la Haganah, une force paramilitaire
clandestine, alors qu'il n'avait pas encore vingt ans. Il est devenu un
combattant endurci et respecté au cours de la Guerre d'Indépendance de 1948. En
1953, il a été nommé commandant de l'Unité 101, une unité spéciale qui menait
des raids de représailles contre des combattants arabes qui planifiaient des
incursions ("infiltrations") en Israël.
"Il a appris à ses hommes que les
Juifs ne doivent pas se contenter de rester passifs et d'être pris pour cibles,
et que l'agression arabe devait être rendue au centuple", écrit Benziman, son
biographe.
En représailles de l'égorgement d'une femme juive et de ses deux
enfants, Sharon a mené, en 1953, un raid contre le village de Kibya, en
Cisjordanie alors sous souveraineté jordanienne. Ses troupes ont détruit à
l'explosif 45 maisons ; 69 villageois, dont la moitié de femmes et d'enfants,
furent tués. Sharon déclara, à l'époque, qu'il croyait que les maisons étaient
vides de leurs habitants. Cet épisode sanglant valut à Israël sa première
condamnation aux Nations-Unies.
Durant la campagne du Sinaï, en 1956, des
parachutistes commandés par Sharon furent lâchés sur le col de Mitla. Cette
opération coûta 28 morts et 120 blessés à Israël, et Sharon échappa de justesse
à la cour martiale. Ses supérieurs l'accusèrent d'indiscipline et de s'être
aventuré dans une manoeuvre injustifiée et mal préparée : sa promotion au grade
de général en fut repoussée pour de nombreuses années.
Il devint, enfin,
brigadier général en 1967, et sa réputation de stratège de champ de bataille fut
soulignée au cours de la guerre dite "des Six Jours" et au cours de la guerre de
1973, dite du "Yom Kippur". Durant ce deuxième conflit majeur, il a été crédité
d'être parvenu à faire basculer le sort de la bataille en franchissant le Canal
de Suez, afin de prendre l'armée égyptienne à revers.
Entre ces deux guerres,
Sharon a mené une campagne anti-terroriste destinée à "nettoyer" la bande de
Gaza. Des milliers de maisons palestiniennes des camps de réfugiés furent
rasées, des centaines de Palestiniens furent arrêtés, et les parents de
terroristes présumés furent placés dans des camps de détention.
Ces méthodes
furent condamnées, en leur temps, à l'intérieur et à l'extérieur d'Israël, mais
Sharon affirme aujourd'hui qu'il était capable de faire la différence entre les
terroristes et les civils.
Après la guerre de 73, Sharon quitta l'armée,
contribua à créer le parti Likud (droite) et fut élu à la Knesset, le parlement
israélien. Il occupa différents postes ministériels, jusqu'au jour où il fut
nommé ministre de la défense par Begin, en 1981.
Sharon se mit sans plus
tarder à planifier l'invasion du Liban. Les buts affichés de cette opération
étaient de protéger les implantations israéliennes du nord contre les
bombardements des formations de guérilla opérant depuis le Liban et de chasser
de ce pays l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP).
Le 6 juin
1982, le gouvernement israélien donna le feu vert à ce qu'il affirmait devoir
être une opération-éclair, qui ne devait pas entraîner de pénétration de l'armée
israélienne au-delà d'une profondeur de 25 miles (une trentaine de kilomètres) à
l'intérieur du territoire libanais. Des membres du gouvernement déclarèrent, par
la suite, que Sharon les avait trompés et qu'il avait l'intention, dès le début,
de mener une guerre totale. Sharon prétend que les officiels du gouvernement
étaient au courant de ses plans et qu'ils n'ont jamais prétendu avoir été
trompés par lui avant que de vastes manifestations de protestation contre la
guerre aient rassemblé des centaines de milliers de personnes dans les rues de
Tel-Aviv.
Naftali Raz, un militant pacifiste participant activement à la
campagne électorale de Barak, avait été envoyé au Liban, comme parachutiste, en
juin 1982. Il se revoit, au bout de quatre jours de campagne, arpentant avec son
unité les rues de Beyrouth-Est, à plus de soixante-dix kilomètres à l'intérieur
du Liban.
"J'étais au centre de Beyrouth. J'ai entendu sur mon poste de
radio-transistor, Ariel Sharon déclarer à la Knesseth qu'Israël ne se trouvait
pas dans - et ne s'approcherait jamais de - la ville de Beyrouth", nous a
raconté Raz, se souvenant de cette semaine tragique. "J'ai regardé l'un des
autres parachutistes : nous ne savions pas s'il fallait en rire, ou en
pleurer... Non seulement Sharon nous avait menti, à nous, ses soldats, mais il
mentait aussi au parlement et au gouvernement. Il mentait à tout le monde, parce
qu'il avait d'autres objectifs".
Sharon considère l'aventure au Liban comme
une victoire, parce qu'il a réussi à en éliminer la présence de l'OLP. Mais
beaucoup d'Israéliens pensent que Sharon les a plongés dans la première "guerre
choisie" de la nation israélienne : une guerre choisie délibérément, qui aurait
pu être évitée. Environ un millier d'Israéliens et des milliers d'Arabes
périrent au cours de cette longue occupation, qui a infligé à la société
israélienne le tribut d'un profond traumatisme psychologique.
Plusieurs mois
après l'invasion initiale, un chrétien libanais maronite, Bashir Gemayel, fut
élu président de la république libanaise, et immédiatement assassiné : il
n'avait pas eu le temps de prendre ses fonctions. Deux jours plus tard, Sharon
autorisait les milices phalangistes chrétiennes à pénétrer dans les camps de
réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, à Beyrouth-Ouest, placée sous
contrôle israélien.
Les Phalangistes se sont déchaînés trois jours durant,
égorgeant des centaines de Palestiniens civils pour prétendument venger
l'assassinat de Gemayel. L'indignation internationale fut immédiate et générale.
Le gouvernement israélien diligenta une enquête, et Sharon fut tenu
indirectement responsable des massacres, pour avoir été incapable de prévoir et
d'empêcher les atrocités commises dans ces deux camps.
"Il s'agit d'une
faute, de défaillance à faire face à un devoir dont le ministre de la défense
était chargé", conclut la commission Kahana.
Sharon fut contraint à se
démettre, bien qu'il continuât à diriger d'autres ministères. Mais il fut, en
quelque sorte, réhabilité, et se vit confier des maroquins de plus en plus
importants dans les gouvernements dirigés par la droite. Il prit le contrôle du
parti Likud, en 1999, après l'échec aux élections du Premier ministre d'alors,
Benjamin Netanyahu. Depuis lors, il a repris l'opposition en main, l'amenant aux
portes du pouvoir, avec sa victoire prévisible et prévue aux élections du mardi
6 février 2001.
15. La première tentation de Sharon : La guerre
par Walid Charara
in Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 2
février 2001
La première tentation d'Ariel Sharon, s'il est élu
Premier ministre en Israël le 6 février prochain, sera... la guerre. Il en a
déjà élaboré les plans et les objectifs et construit une argumentation pour
convaincre la nouvelle administration américaine au sein et autour de laquelle
il a de nombreux amis. Politique fiction.
Trois jours après son accession au
poste de Premier ministre, Ariel Sharon se rend à Washington pour une visite de
concertation. Parmi les raisons invoquées, il y a sa volonté de démentir les
rumeurs faisant état d'un refroidissement des relations israélo-américaines avec
l'arrivée d'une administration américaine moins philo-sioniste que la précédente
et sa propre victoire électorale interprétée comme un coup fatal au processus de
paix. Il y a aussi la nécessité d'une réflexion commune sur les moyens de
relancer ce même processus. La raison officieuse est tout autre: l'inquiétude
grandissante des deux parties face au rapprochement syro-irako-iranien qui
pourrait évoluer vers la constitution d'un axe entre les trois pays.
Sharon
est un familier de la nouvelle administration et surtout de ses faucons:
*
Condoliza Rice, la conseillère nationale de sécurité du président Bush, qui,
dans un article exposant les grandes lignes de la politique étrangère des
républicains américains, disait que les Etats-Unis ont au Moyen-Orient des amis
et des alliés (Israël et la Turquie) faisant passer les seconds avant les
premiers.
* Donald Rumsfeld, actuel ministre de la Défense, est l'un des
concepteurs du projet de bouclier antimissile et partisan d'une politique
étrangère plus offensive contre les Etats voyous (rogue states).
Sharon est
aussi très lié à certains conseillers très influents de la nouvelle
administration, comme Alexandre Haig, ministre de la Défense de l'administration
Reagan, avec lequel il avait scellé l'alliance stratégique israélo-américaine en
1981 et qui lui avait donné le feu vert pour l'invasion du Liban, un an plus
tard. Ce même Haig a contribué, avec une dizaine d'autres experts, à la
rédaction d'un rapport du Washington Institute for Near East Policy à l'adresse
de la nouvelle administration, lui conseillant de perpétuer la suprématie
militaire d'Israël sur l'ensemble de ses voisins.
Sharon compte en partie sur
lui et sur les autres vétérans de la guerre froide ainsi que sur l'Aipac (lobby
pro-israélien) pour la réalisation de ses desseins. Comme en 1982, il voudrait
convaincre les Etats-Unis que l'action d'Israël s'inscrit dans le cadre de leur
stratégie globale. Ceux-ci, après avoir subi plusieurs défaites au Vietnam, en
1975, au Nicaragua, en 1978, en Iran, en 1979, et vu les Soviétiques envahir
l'Afghanistan et se rapprocher des mers chaudes, en 1980, portent Ronald Reagan
au pouvoir sous le signe de la revanche. Il se livrera à une offensive tous
azimuts, armant et formant les moudjahidin afghans, les Contras nicaraguayens et
l'Unita angolaise. L'invasion du Liban en 1982 s'inscrivait dans cette offensive
car il s'agissait de détruire une force alliée à l'URSS, l'OLP, et d'en
affaiblir une autre, la Syrie, tout en amenant le Liban dans le giron américain.
Bien que nombre d'observateurs mettent en garde l'Administration américaine
contre le soutien inconditionnel à la politique du gouvernement Begin et ses
effets déstabilisateurs sur la région et sur les intérêts américains, celle-ci
pensait au contraire qu'elle pouvait instrumentaliser l'extrémisme israélien
pour pousser le monde arabe à un plus grand alignement sur sa politique. La
médiation américaine devenait le seul recours pour modérer cet extrémisme et
gagner en échange de substantielles concessions politiques de la part des Etats
arabes. Du côté israélien, en plus de tous les avantages politiques, économiques
et militaires tirés de ce rôle fonctionnel dans le cadre de la stratégie
américaine qui le consacrera «atout stratégique majeur» (major strategic
assets), l'objectif était d'éradiquer le mouvement national
palestinien.
Sharon interprète donc le retour aux affaires de ses amis
faucons républicains comme un prélude à une nouvelle offensive américaine sur le
plan mondial et régional. A ses yeux, le bilan de l'Administration Clinton au
Moyen-Orient est une série d'échecs: échec de «l'endiguement dual» contre l'Irak
et l'Iran. L'Iran est devenu une puissance régionale ayant normalisé ses
relations avec les pays avoisinants ainsi qu'avec les pays de l'Union
européenne. Sa coopération militaire avec la Russie et la Chine est une source
d'inquiétude grandissante à Washington et à Tel-Aviv.
* L'embargo contre
l'Irak est en voie de délitement et le pays effectue un retour progressif sur
les scènes régionale et internationale.
* La division provoquée dans le monde
arabe par la guerre du Golfe, qui a nourri tant de fantasmes à Washington,
Tel-Aviv ou Paris sur la fin du nationalisme arabe, la fin de la centralité de
la cause palestinienne et le triomphe du réalisme, est en voie de dépassement
avec le retour d'un minimum de concertations interarabes et la réhabilitation
d'institutions comme le sommet arabe. Même les amis de Washington, comme Le
Caire et Riyad, ont montré à plusieurs occasions des velléités d'indépendance
(l'agression d'avril 1996 contre le Liban, le boycott du sommet de Doha, la
normalisation avec l'Iran, etc.).
* Le blocage du processus de paix sur les
volets libanais, syrien et dernièrement palestinien a permis une victoire
militaire contre Israël au Liban-Sud et une insurrection populaire contre son
occupation des territoires palestiniens.
* Le plus inquiétant reste le
rapprochement irano-irako-syrien signalé précédemment et la possibilité de la
constitution d'un axe politico-militaire entre les trois pays au cas où la
situation régionale actuelle perdurerait.
La conclusion qui s'impose aux yeux
de Sharon, et qu'il espère entendre à Washington, c'est la nécessité de briser
le nouveau statu quo. La nouvelle politique américaine plus offensive contre
l'Irak est la bienvenue mais reste insuffisante. Une politique israélienne
d'escalade contre la Syrie au Liban serait un moyen de pression sur cette
dernière, permettant de l'éloigner de l'Irak et de l'Iran et de l'obliger à
retourner à la table des négociations en revoyant ses conditions à la
baisse.
Il estime que la Syrie souffre aujourd'hui de l'absence d'un
allié international véritable. Sa coopération avec une Russie caractérisée par
l'éclatement du centre de décision entre la présidence, le ministère de la
Défense et le ministère des Affaires étrangères n'est pas comparable à son
alliance avec l'ex-URSS. Israël pourra user de son influence dans l'entourage de
la présidence et de la familiarité qui caractérise les relations de son nouveau
ministre de l'Intérieur Nathan Chtaransky, d'origine russe, avec les cercles
dirigeants et les entrepreneurs politico-financiers, comme Boris Perezovsky.
pour neutraliser les velléités pro-arabes de certains secteurs de l'armée russe
et des Affaires étrangères. Plusieurs déclarations du président Vladimir Poutine
et de ses proches conseillers sur la nécessité d'une coopération internationale
contre l'islamisme, et plus particulièrement d'une collaboration avec Israël
qualifié par le président russe de modèle de lutte efficace contre le
terrorisme, sont des signes encourageants dans cette direction.
S'il use de
ces arguments focalisés sur la dimension régionale pour séduire Washington, les
considérations intérieures de Sharon sont sa véritable priorité. Depuis quatre
mois, Israël fait face à une intifada populaire qui s'est transformée en un
conflit de basse intensité rendant les territoires palestiniens ingouvernables
pour l'armée d'occupation et invivables pour les colons. La répression sanglante
et massive n'a fait qu'accélérer cette transformation et le conflit n'a pas
baissé qualitativement d'intensité. Il voit, comme une partie importante de
l'état-major, dans ce mouvement insurrectionnel le fruit d'une contagion
libanaise due à l'exemplarité de la résistance armée menée par le Hezbollah
contre l'occupation israélienne aux yeux des Palestiniens. Les preuves ne
manquent pas: drapeaux du Hezbollah dans les manifestations, portraits de sayyed
Hassan Nasrallah, déclarations des dirigeants de l'intifada comme Marwan
Barghouthi qui déclara (dans une interview à Magazine) que «les actions
héroïques du Hezbollah ont eu un impact fondamental sur le moral de notre peuple
et nous ont incités à redoubler d'ardeur dans notre lutte contre
l'occupation».
A côté de l'important mouvement de solidarité qu'elle suscita
dans le monde arabe et qui se traduira par un arrêt du processus de
normalisation entre les pays arabes et Israël, l'intifada a provoqué un début de
fracture dans la société israélienne et conduit à soumettre au débat public des
questions jusque-là restées taboues, comme le démantèlement des colonies, le
statut de Jérusalem-Est, le droit au retour des réfugiés, même si sur ce dernier
point il y a consensus en Israël. Cette fracture et ce débat sont une
catastrophe nationale pour la droite et l'extrême droite israélienne, dont
l'obsession de certains dirigeants pour l'unité va jusqu'à théoriser la
nécessité de maintenir une situation d'hostilité permanente avec l'entourage
arabe pour préserver la cohésion de la société israélienne. Le vote pour Sharon
s'explique aussi en partie par le fait que c'est le candidat qui permet de
transcender les clivages entre religieux et laïques, entre séfarades et
ashkénazes, clivages qui s'approfondissent ces derniers temps.
Laisser l'armée vaincre
Porté au pouvoir pour laver
l'affront, ayant mobilisé son public autour du mot d'ordre «Laisser l'armée
vaincre», Sharon pense que la seule solution pour sortir Israël de l'impasse
actuelle est l'élévation du niveau du conflit. Le début de la mise en œuvre de
cette stratégie ne sera pas dans les territoires palestiniens, car
l'insurrection qui s'y déroule jouit d'une certaine compréhension dans l'opinion
publique mondiale. Ce sera plutôt au Liban qu'elle sera mise en œuvre et
l'argument israélien sera: «Nous nous sommes retirés mais sommes toujours
attaqués. Nous avons le droit de nous défendre.» Il est évident que l'agression
se résumera essentiellement à un bombardement intensif des infrastructures du
pays, des bases et institutions du Hezbollah, ainsi que des armées libanaise et
syrienne. Il n'y aura pas d'offensive terrestre ni d'occupation d'une quelconque
parcelle du territoire libanais, Israël ayant longuement médité les leçons de
son expérience libanaise.
Les attaques israéliennes auront pour effet
d'exacerber les contradictions internes libanaises ainsi que l'opposition de
certains courants aux relations spéciales avec la Syrie. Ces derniers établiront
une causalité directe entre ces relations et la transformation du Liban en un
champ de confrontation régional. Ils seront tentés de suivre la même stratégie
que l'opposition serbe durant et après la guerre contre la Serbie. Cette
dernière fera porter à Milosevic la responsabilité de la guerre et capitalisera
le mécontentement né des difficultés provoquées par les conséquences de la
guerre (destruction des infrastructures, délabrement de l'économie, isolement
international) dans sa confrontation avec le pouvoir. A la différence de la
Serbie, cette stratégie aiguisera les clivages intercommunautaires, suscitant
une recomposition des alliances politiques, et ramènera le Liban à un contexte
comparable à celui de la guerre civile. Il n'est pas à exclure que Sharon renoue
le contact avec certaines de ses vieilles connaissances et leur fasse miroiter
l'idée d'un soutien possible à leur action. Cette situation de quasi-guerre
permettra à Israël de passer à la phase II de son plan: déclarer l'Etat
d'exception dans les territoires palestiniens qui se traduira par un bouclage
des enclaves autonomes, pouvant aller jusqu'à la coupure totale de l'eau et de
l'électricité, un bombardement massif de ces zones après chaque opération de
résistance et l'intensification des opérations spéciales contre les cadres et
dirigeants des organisations palestiniennes.
Les conditions américaines
Le pari de Sharon s'appuie
sur un équilibre précaire: mener une quasi-guerre sans basculer dans la guerre
totale. Il mise évidemment sur le fait que les autres Etats arabes, l'Egypte en
tête, s'opposeront par des moyens exclusivement politiques et diplomatiques à
l'agression israélienne tant que celle-ci concerne les territoires palestinien
et libanais. Leurs efforts consisteront essentiellement à presser les Etats-Unis
à intervenir pour arrêter une escalade dangereuse pour la stabilité dans la
région. Les conditions américaines seront explicites:
* Acceptation par la
direction palestinienne d'une solution au conflit sans le droit au retour des
réfugiés.
* Désarmement du Hezbollah et reprise des négociations
israélo-syriennes.
* Arrêt de la coopération syro-irakienne et participation
de Damas aux efforts visant à réunifier l'opposition irakienne et à renverser le
régime de Saddam Hussein.
* Arrêt de la coopération politique syro-iranienne
et refroidissement des relations entre les pays du Golfe, l'Egypte et l'Iran en
attendant que ce pays accepte les conditions américaines pour le début du
dialogue.
Dans les calculs de Sharon, il n'y a pas de place à l'Union
européenne qui est pour lui un nain politique et dont certains pays se
réjouiront de voir l'influence syrienne affaiblie au Liban. Quant à la Chine, sa
coopération avec Israël dans le domaine des technologies militaires l'incitera à
se limiter à une condamnation de principe de l'agression israélienne qui ne sera
suivie d'aucune mesure concrète.
Ce qui a précédé n'est que de la politique
fiction. Nombreux sont les facteurs qui pourraient empêcher la réalisation d'un
tel scénario:
* Un refus des éléments pragmatiques dans l'actuelle
administration américaine par crainte des répercussions régionales d'une
politique d'escalade israélienne.
* La résistance des acteurs palestinien,
libanais et syrien qui ont prouvé qu'ils étaient des «durs» à cuir et ne
fléchiront pas tel que le souhaite Sharon. Leur capacité de nuisance est
peut-être sous-estimée par le «bulldozer» mais elle est bien réelle et pourrait
lui réserver de véritables surprises.
* La réaction du monde arabe peut être
imprévisible. Qui peut assurer que l'Egypte pourrait rester les bras croisés en
cas d'agression israélienne? L'opinion publique égyptienne pardonnera-t-elle au
régime une neutralité, dans le contexte actuel, en cas de conflit? La Jordanie
survivra-t-elle à un tel conflit? La population, majoritairement d'origine
palestinienne, restera-t-elle les bras croisés à contempler le massacre de son
peuple de l'autre côté de la frontière?
Une telle escalade pourrait entraîner
toute la région dans la guerre avec des effets directs sur les intérêts
américains. Cependant, connaissant le personnage et son histoire, il y a matière
à examiner tous les scénarios imaginables quelle que soit leur probabilité.
Depuis le début de l'intifada, la concertation arabe est une nécessité
impérieuse, surtout pour les trois parties les plus directement concernées: les
Libanais, les Syriens et les Palestiniens. Si l'éventualité de la victoire d'un
Sharon pouvait la hâter, ce serait une bonne chose...
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Israël vu par Sharon
Fin 1981, Ariel Sharon préfaça un
rapport écrit par Oded Yemon, spécialiste du monde arabe, intitulé Stratégie
d'Israël pour les années 80. Dans sa préface, Sharon considérait que l'espace
sécuritaire d'Israël s'étendait du Pakistan jusqu'au Tchad. Il estimait toute
forme de coopération rapprochée entre les pays arabes, notamment entre les pays
frontaliers avec Israël, comme un casus belli. Il épousait, par ailleurs, la
thèse centrale de l'éminent spécialiste. Ce dernier ne fit que répéter la
théorie orientaliste classique selon laquelle la région du Moyen-Orient n'est
qu'une mosaïque de religions, d'ethnies et de tribus dont les conflits sont
antagonistes car chargés d'histoires et de sacré. C'est ce qui explique pour lui
le manque de légitimité et de cohésion nationales dans les Etats-nations
modernes issus de la décolonisation. Israël a tout intérêt à exploiter cette
situation et à instrumentaliser ces contradictions en apportant un soutien
direct aux minorités. Ces derniers devront être encouragés à suivre une
stratégie séparatiste menant à la division des Etats arabes actuels en une
multitude de mini-Etats ethniques, religieux, communautaires ou tribaux.
L'auteur fera ensuite l'inventaire des minorités à soutenir: les maronites au
Liban, les chiites et les kurdes en Irak, les coptes en Egypte, les chrétiens et
animistes du Soudan-Sud, les kabyles en Algérie, les berbères au Maroc, les
chiites en Arabie Saoudite, etc. Il faudrait signaler qu'avant la date de la
rédaction du rapport, Israël avait signé un accord de paix avec l'Egypte. Ce
fait n'empêcha pas Oded Yemon de préconiser sa division. L'autre partie du
rapport préconise un renforcement de la stratégie périphérique d'Israël,
c'est-à-dire de son alliance avec les Etats à la périphérie du monde arabe que
sont la Turquie et l'Ethiopie. La configuration géopolitique ayant connu
certaines modifications, il faudra s'attendre à ce que Sharon s'attache à
l'esprit du rapport.
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Administration Bush : une politique étrangère plus offensive
La politique étrangère de la nouvelle administration s'annonce bien
plus offensive que la précédente. Le secrétaire d'Etat à la Défense, Donald
Rumsfeld, à peine ses fonctions prises, a déclaré que les Etats-Unis ne se
considéraient plus liés par le traité antimissile balistique (ABM) signé avec
l'ex-URSS en 1972. Le prétexte invoqué n'est autre que... la disparition de
l'URSS. La nouvelle administration se lance dans le programme du bouclier
antimissile (NMD) sans se soucier de l'opposition de la Russie, de la Chine ou
des Européens ni de leurs mises en garde contre le risque d'une relance de la
course aux armements. Par ailleurs, Colin Powell, secrétaire d'Etat aux Affaires
étrangères, a annoncé sa volonté de revitaliser les sanctions contre l'Irak sans
annoncer la forme que prendra cette revitalisation. Ce durcissement touche aussi
la Chine: la nouvelle administration a clamé haut et fort sa volonté d'armer
Taiwan. Les experts les plus durs en politique étrangère ont à nouveau voix au
chapitre. Ainsi Kenneth Allard, expert au Center for Strategic and International
Studies, se félicite de la résolution de la nouvelle administration à s'opposer
ouvertement à l'initiative de défense européenne qui, non seulement ne tient pas
debout financièrement, mais risque d'affaiblir l'Otan.
Henry Kissinger dresse
de son côté un constat très critique du bilan de la politique étrangère de la
précédente administration: sur les sanctions contre l'Irak, Cuba, l'Iran, sur la
politique au Moyen-Orient, sur le projet NMD, sur le commerce, les politiques
énergétiques, les relations avec l'Europe, etc. Il appelle la nouvelle
administration à convaincre les Européens d'adhérer au bouclier antimissile et à
renoncer à une défense autonome. Dans les capitales européennes, on espère que
les Cold warriors (vétérans de la guerre froide), représentés par Rumsfeld et
Cheney, ne domineront pas l'équipe de Bush. Au Moyen-Orient, contrairement à une
conviction très répandue, le danger de ces vétérans ne devrait pas être
sous-estimé. Il est vrai que l'administration Clinton était la plus
philo-sioniste des administrations américaines et que son soutien à Israël était
inconditionnel et total. Le fondement de ce soutien était la convergence des
intérêts stratégiques israélien et américain. L'ensemble des membres de la
nouvelle administration ont souligné l'importance de cette convergence et leur
attachement... à la sécurité d'Israël au nom de laquelle toutes ses guerres ont
été justifiées. Dans le cadre de leur nouvelle offensive mondiale, ils
pourraient être tentés de commencer par le maillon faible, mais d'une grande
importance géostratégique et économique, qu'est le Moyen-Orient. Leur ami Sharon
serait comblé d'être l'instrument d'une telle stratégie.
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Sharon le «bulldozer»
Né à Kfar Malal en 1929, Ariel
Sharon, surnommé le «bulldozer» à cause de sa corpulence massive, a commencé tôt
sa vie active dans les forces armées israéliennes. Il occupa plusieurs postes,
surtout le commandement du redoutable commando, connu sous le nom d'Unité 101,
créé en 1953 par Moshé Dayan qui avait élaboré sa politique de «représailles
massives» contre les pays arabes.
Lors de la guerre du Kippour en 1973,
Sharon joua en tant que commandant de réserve un rôle prépondérant dans la
percée sur l'ouest du canal de Suez.
Après avoir démissionné des forces
armées en 1973, il participa à la formation du Likoud et fut conseiller du
gouvernement à la Défense de 1975 à 1976. En 1977, Sharon devint le chef du
parti Shlomzion, qui remporta deux sièges aux élections. C'est le Likoud qui
remporta les élections cette année-là. Le Shlomzion fusionna avec le Likoud et
Sharon fut nommé ministre de l'Agriculture. Il fut le responsable de la
colonisation juive en Cisjordanie et à Gaza. Après la victoire du Likoud aux
élections de 1981, il fut nommé ministre de la Défense.
Sharon a alors été le
principal artisan de l'invasion du Liban en 1982. La commission d'enquête
israélienne Kahan, créée après le massacre de réfugiés palestiniens dans les
camps de Sabra et Chatila, conclut à la responsabilité indirecte de Sharon dans
le massacre, celui-ci n'ayant pas cherché à empêcher les tueries. Il démissionna
alors de son poste de ministre de la Défense.
L'actuel chef de la droite
israélienne s'est toujours signalé au cours de sa carrière militaire et
politique comme un partisan de la manière forte avec les Arabes. Habile
manœuvrier, il a toujours été un agressif et un empêcheur de tourner en rond, en
même temps qu'un appui indispensable pour les chefs de gouvernement de droite.
Israël avait été critiqué devant le Conseil de sécurité, dont les membres ont
vivement condamné la visite en septembre dernier d'Ariel Sharon sur l'esplanade
des Mosquées à Jérusalem, qualifiée de provocation par de nombreux
ambassadeurs.
Il fut ministre du Commerce et de l'Industrie dans le
gouvernement d'unité nationale formé par le Likoud et le Parti travailliste en
1984. Le 12 février 1990, Sharon, chef de file de l'aile dure du Likoud,
démissionne du gouvernement. Puis, ministre de l'Habitat dans le gouvernement
dirigé par le Likoud, il quitta son poste à la chute du gouvernement en 1992. Le
9 octobre 1998, Benyamin Netanyahu le nomme au poste de ministre des Affaires
étrangères. Il est ensuite porté à la tête du Likoud après la démission de
Netanyahu suite à sa défaite dans les élections.
16. Avec des élections israéliennes sans surprise, le
Jour d'Après semble proche par Deborah Sontag
in The New York Times (quotidien américain) du lundi 5 février
2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Jérusalem, 4 février - Deux jours avant une élection potentiellement fatale
pour le Premier ministre, la présomption d'une victoire d'Ariel Sharon, le
leader de la droite, a créé une fin de campagne dénuée de tout lustre. La
plupart des Israéliens scrutent d'ores et déjà, par-delà la Soirée des Elections
les répercussions diplomatiques et politiques de ce que les bulletins
d'information appellent "le Jour d'Après".
Tenez, prenons Shabi Mizrahi, 26
ans, et son cousin, qui s'appelle, lui aussi, Shabi Mizrahi, 45 ans. A la fin
d'une journée glaciale et pluvieuse, au marché central de plein-air local, ces
deux membres encartés du Likud attendaient patiemment un chargement de
tomates-cerises et - avec impatience - l'ascension de M. Sharon.
"Loué soit
le Seigneur, il saura y faire, avec les Arabes", dit le plus jeune M. Mizrahi,
en se frottant les mains, qu'il avait gelées, d'impatience.
Son cousin plus
âgé ajoute : "les missiles vont voler. La paix ? C'est ce que Sharon dit dans sa
campagne. Mais une seule petite attaque terroriste malencontreuse et vous allez
voir ce qui va arriver. Il répondra bien comme il faut".
A une année-lumière
de là, dans la station balnéaire huppée d'Herzliya, sur la Méditerranée, Kobi
Davidovich, 24 ans, tortillait son catogan anxieusement en envisageant la
victoire de M. Sharon.
Serviteur de l'Etat depuis toujours et ancien
général, M. Sharon est surtout connu en tant qu'inspirateur de l'invasion du
Liban, en 1982, qui a entraîné l'enlisement d'Israël au Liban durant dix-huit
ans.
"Si Sharon gagne les élections, j'envisage de quitter Israël", dit M.
Davidovich, attablé devant un plat de lasagnes d'une couleur orange pas des plus
naturelles, au centre Technology Park Avenue, rue de l'Etat des Juifs. "C'est
dur, de savoir ce dont il est capable. J'ai passé huit mois au Liban, huit mois
de cauchemar que je dédie à Ariel Sharon".
Avec des sondages montrant M.
Sharon devançant le Premier Ministre Ehud Barak de 17 à 21 points, l'issue des
élections est acceptée comme jouée d'avance par pratiquement tout le monde. Même
un proche associé de M. Barak a dit aujourd'hui que la question était non pas de
savoir si le premier ministre perdrait les élections, mais quand ?
Dans le
hall conduisant au bureau de M. Barak, cet associé a indiqué que personne ne
savait ce que M. Barak ferait : quitter la direction du parti Travailliste,
rejoindre un gouvernement d'union nationale dirigé par M. Sharon ou tenter de
demeurer le leader de l'opposition.
A travers le pays, les Israéliens sont
fatigués, après des mois qui ont causé une série de chocs qui les ont placés
dans un profond désarroi. L'automne a amené la détérioration démoralisante des
relations israélo-palestiniennes, qui a abouti aux violences en cours. L'hiver a
amené une campagne électorale créatrice de divisions, après que M. Barak ait
démissionné, acculé par un Parlement en révolte ouverte.
Sa démission a
entraîné des élections, dix neuf mois seulement après son accession au poste de
Premier ministre, fort d'un vote massif en sa faveur.
Hila Cohen, 30 ans et
ses amis étaient allés danser sur la Place Rabin, à Tel-Aviv, le soir où M.
Barak avait été élu, riant, se donnant l'accolade et se félicitant mutuellement.
Cette fois, Mme Cohen envisage de ne pas aller voter.
Ses fortes espérances
que M. Barak résoudrait, comme il s'y était engagé, le conflit
israélo-palestinien, le conflit israélo-syrien, le conflit israélo-libanais et
les conflits internes d'Israël ont été déçues.
Aujourd'hui, elle se sent tout
simplement "indifférente, ou peut-être même, déprimée", dit-elle.
Mme Cohen,
manager d'une compagnie de systèmes d'information, flânait sur l'Avenue du Parc
Herzliya avec les mêmes amis, aujourd'hui, mais ils n'avaient absolument pas
envie de danser.
"Nous n'aimons aucun des deux candidats", dit-elle. "Je
pense que Barak a été lamentable. Regardez ce qui se passe ici ! Nous ne pouvons
plus utiliser les routes que nous prenions habituellement pour nous rendre à
Jérusalem, et nous avons peur de conduire la nuit. Nos maris sont en période de
réservistes, et ils sont à l'entraînement militaire"
"Mais je suis de gauche.
Et vraiment, vraiment - ça fait deux "vraiment" - je n'aime pas Sharon. Alors
qu'est-ce que je peux faire ? Je retourne à Barak. Il a été très courageux en
mettant les vrais sujets de la paix sur la table - Jérusalem, les réfugiés.
Simplement, il ne l'a pas fait comme il fallait. Alors, finalement, mieux vaut
lui que Sharon. J'ai peur que Sharon ne retarde le processus de paix d'une
dizaine d'années supplémentaires".
Un tel délai supplémentaire ne gênerait en
rien Aham, un jeune fidèle Hassidique propriétaire d'une boutique de sandwich
immaculée dans le quartier ultra-orthodoxe de Jérusalem. Aham, qui a refusé de
nous indiquer son nom de famille, porte une longue barbe, des cadenettes
épaisses et une kippa blanche tricotée à pompon. Il nous a parlé, une image de
la Partition des Eaux de la Mer Rouge au-dessus de lui, en sous-verre sur le mur
: il s'apprêtait à voter pour Sharon, "le moins pire d'une bande de nuls".
"Nous préférons le Messie", m'a-t-il dit. "Mais, pour le moment, nous
n'avons pas de Messie".
Un conseil directeur de rabbins ashkénazes
ultra-orthodoxes a publié un appel, après de longues hésitations, aujourd'hui,
incitant leurs fidèles à voter et soutenant M. Sharon de manière déguisée.
En
effet, ils ont seulement recommandé à leurs ouailles de choisir le candidat "qui
ne se prêtera pas à la destruction de la religion en Terre Sainte". Mais tout le
monde a compris qu'ils déclaraient ainsi leur soutien, si tiède fût-il, au
leader du Likud - en échange de la promesse fait par M. Sharon d'étendre le
système des sursis militaires aux étudiants des yéshivas (écoles religieuses)
pour huit mois, au minimum. Cette information a été donnée par Reuven Rivlin,
député du Likud.
"Sharon et le Likud sont plus près du judaïsme", a dit le
rabbin Yoel Malka, qui enseigne dans la colonie d'Alfei Menashe. "Je n'ai pas
d'illusions au sujet de Sharon. Mais il n'a jamais été aussi grossier que Barak.
Barak a décidé qu'il n'a pas besoin de nous. Il veut faire de ce pays un Etat
israélien, et non pas un Etat juif".
Aharon et Bronia Shvartsman, un couple
de retraités qui avaient immigré il y a trente ans de ce qui est aujourd'hui la
Moldavie, m'ont dit que "la religion et le fanatisme" du Likud leur ont toujours
donné la nausée.
Mais les Shvartsman vont voter Sharon parce qu'ils
considèrent qu'aujourd'hui les querelles internes d'Israël sont un luxe.
"Aujourd'hui, ce n'est pas de séculier contre religieux, d'économie et de
politique qu'il s'agit", me dit M. Shvartsman, "ce dont il s'agit, c'est de la
guerre avec les Palestiniens".
Le couple vit à Gilo, un faubourg du sud-est
de Jérusalem qui a été la cible des tirs de Palestiniens armés durant tout
l'automne, qui avaient causé des attaques routinières de l'armée israélienne
contre la ville cisjordanienne de Beit Jala, située en face. Mme Shvartsman a
passé ses nuits à avaler des somnifères pour calmer son tremblement
incessant.
C'est la première fois, depuis son arrivée en Israël, qu'elle a eu
le sentiment que sa vie était en danger, m'a-t-elle dit. Désormais, confinée
dans un appartement dont toute les fenêtres sont protégées par des rideaux de
fer, elle ne peut que blâmer M. Barak, me dit-elle.
"Nous avons voté pour
Barak parce qu'il nous avait promis d'amener la paix", dit M. Shvartsman. "Mais
aujourd'hui, les choses sont pire qu'avant. Ne confondez pas. Nous ne votons pas
pour le Likud. Non. Nous votons pour Sharon dans l'espoir qu'il forme un
gouvernement d'union nationale avec le parti Travailliste et qu'ensemble ils
s'attelleront au problème".
D'autres personnes, interrogées, ne semblaient
pas penser que la formation d'un gouvernement d'union nationale était
possible.
"Un gouvernement d'union est un gouvernement paralysé", me dit Boaz
Druker, 31 ans, directeur des ventes d'une société de produits de haute
technologie. "Sharon va essayer d'en constituer un, et il n'y arrivera pas. Ou
il y parviendra, mais ça ne marchera pas. Moi, je prévois qu'avant la fin de
cette année, nous aurons de nouvelles élections. Ces élections-ci, ce n'est pas
autre chose qu'un gaspillage pathétique d'argent du contribuable".
Son
compagnon de table, Ilan Gur, 38 ans, acquiesce. Tous deux sont partisans de
Barak. "Je pense que nous allons assister au retour de M. Bibi Netanyahu", me
dit M. Gur, faisant allusion à l'ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu.
"C'est peut-être lui qui signera un accord de paix avec les Palestiniens - après
la guerre que Sharon va déclencher contre eux".
M. Drucker le coupe : "Je ne
suis pas sûr que Sharon veuille être associé, dans l'histoire, seulement avec
des guerres. Personne ne veut la guerre. Il ne veut pas la guerre, et les Arabes
ne veulent pas la guerre".
A Jaffa, la population arabe semblait déterminée à
boycotter les urnes, lundi prochain, malgré les exhortations que M. Barak leur a
adressées pour les inciter à voter.
M. Barak a fait une dernière tentative
aujourd'hui, utilisant un langage plus crédible pour exprimer son "profond
regret" et sa responsabilité dernière pour le meurtre de 13 Arabes israéliens
tués par la police israélienne durant les affrontements et les marches de
protestation en octobre dernier. Mais il semble que ce soit trop tard.
Sur le
petit port, dans lequel la tempête hivernale retenait les bateaux de pêche,
aujourd'hui, Ismaël Atrash, 33 ans, observait, en compagnie de trois de ses
amis, les vagues s'écrasant sur la jetée.
"Nous avons tous voté pour Barak,
la dernière fois", dit-il, montrant de la main ses amis. "Tous les Arabes de
Jaffa ont fait de même - quatre-vingt dix-neuf pour cent, peut-être, même,
cent pour cent. Qu'est-ce qui s'est passé, après ? Barak a dit au ministre de la
police de tirer sur les gens, ici. De nous tirer dessus. Nous, les gens qui
avions voté pour lui. Aussi, cette fois, nous allons rester chez nous".
Mais
la perspective de M. Sharon au poste de Premier ministre ne manquait pas de
l'inquiéter, m'a indiqué M. Atrash, un éboueur trilingue (!) de la ville. "Le
Kotel appartient au peuple juif", me dit-il, utilisant le nom hébreu du Mur des
Lamentations. "Et si Sharon veut le protéger, OK. Mais la mosquée Al-Aqsa est
aux Musulmans, et si Sharon essaie de nous l'enlever..." : "Oy voy voy!"
ajouta-t-il, usant de la version hébraïque de : "malheur de moi !"
17. Un jeune commandant nommé Ariel - 69 morts à
Qibiya, en 1953. Des survivants témoignent par Jean-Pierre
Perrin
in Libération du lundi 5 février 2001
Qibiya
(Cisjordanie) envoyé spécial
Dans une société aussi rigide, prude et vissée
par les traditions, l'islam et le regard des hommes, telle que se montre la
société rurale palestinienne, il est exceptionnel qu'une femme ose briser les
tabous du village pour livrer un pareil secret. «Nous étions quinze, cachés dans
une étable et nous avions peur, si peur que personne ne pouvait se retenir. Nous
faisions tous sur nous.» Autour d'elle, les hommes, un peu gênés par un tel
aveu, font silence. La villageoise ajoute: «Pour que les enfants ne pleurent
pas, on leur enfonçait le sein dans la bouche.» Alima Mahmoud avait 19 ans, ce
14 octobre 1953, lorsque l'unité 101 de l'armée israélienne enlève le gros
village, alors jordanien, de Qibiya, à quelques kilomètres de la frontière. La
formation était dirigée par un jeune commandant de 25 ans du nom d'Ariel Sharon.
Selon l'historien israélien Martin Van Creveld (1), la tuerie fit 69 morts, pour
la plupart des femmes et des enfants. Les autorités du village palestinien
avancent le chiffre de 76 morts.
Quarante-huit ans plus tard, le jeune
commandant s'apprête, si l'on en croit les sondages, à prendre la tête d'Israël.
A Qibiya, le passé, évidemment, est remonté à la surface. «Comment un homme de
massacres peut-il aujourd'hui faire la paix?», feint de s'interroger un jeune
Palestinien.
L'opération israélienne commence vers 7 heures du soir. L'unité
101 réagit à l'attaque d'un commando de fedayin infiltré en Israël, qui, en
regagnant la Jordanie, a tué une Israélienne et deux de ses enfants à Yehuda,
près de Tel-Aviv. Il s'agit donc d'un raid de représailles, l'unité 101 ayant
vocation à mener ce type de mission. Ahmed al-Badawi, l'un des deux gardes du
village, a vu s'approcher le commando de Tsahal, peut-être une quarantaine
d'hommes, avec des mulets dont les sabots étaient enveloppés d'étoffe. Les
montures portent 600 kg de TNT (2), qui doivent servir à faire exploser le
village. «Les soldats m'ont attaché et m'ont bandé les yeux. Mais je suis quand
même parvenu à m'enfuir. Ils m'ont tiré dessus et m'ont blessé deux fois»,
raconte-t-il. Il ajoute que l'autre garde, a été exécuté.
Familles
anéanties. C'est en se cachant dans les buissons de cactus qui, aujourd'hui
encore, envahissent le village, que Mohammed al-Masloud, 75 ans, assure avoir eu
la vie sauve. «Dans chaque maison où les soldats ont vu de la lumière ou entendu
du bruit, ils ont placé des explosifs», se rappelle ce chauffeur de taxi. Les
«loups» de Sharon tueront sa femme, Tuhifa, et leurs trois enfants, âgés
respectivement de 9 ans, 7 ans et 1 an. La plupart des victimes ont péri dans
les maisons que le commando a fait sauter. «Les soldats plaçaient les mines
devant les portes», relate un autre survivant, Ali Mahmoud, 80 ans, qui a perdu
cette nuit-là son frère, sa jeune femme et une nièce âgée de 7 jours. Des
familles entières seront ainsi anéanties. La famille Abou Qabous aura onze tués.
Abdel Majid Nasser perdra sa femme et leurs sept enfants. Mahmoud Ibrahim Gitan,
son épouse et leurs dix enfants. Le maire de Qibiya, Hassan Jaber, raconte cet
épisode horrible: «Une quarantaine de personnes s'étaient cachées dans une
étable. Comme les pleurs d'un bébé risquaient d'alerter les soldats, ses parents
l'ont étouffé accidentellement en le bâillonnant.»
Pardon. Curieusement, les
témoins sont aujourd'hui très réticents à parler de ce raid terrible. Leur
mémoire est-elle encore douloureuse? Est-ce parce que les hommes du village se
sentent toujours coupables d'avoir fui en abandonnant leurs familles? «Ils ont
pensé que les soldats ne tueraient pas des femmes et des enfants», avance le
maire. «Je les ai vus tuer une femme dans la rue à une centaine de mètres devant
moi. Il n'était plus temps de prendre les enfants. Tous ceux qui pouvaient fuir
l'ont fait. Sharon ne nous a rien laissé: ni femmes, ni enfants, personne»,
affirme Mohammed al-Masloud. L'ancien garde blessé se souvient aussi qu'en 1967,
peu après la conquête de la Cisjordanie par Israël, un soldat, fils d'un
combattant de l'unité 101, est venu lui demander pardon au nom de son père.
Dans ses mémoires, Ariel Sharon reconnaît avoir dirigé le raid sur Qibiya.
Il précise même que ses hommes ont fait exploser 42 maisons. Mais il assure
avoir cru que celles-ci étaient vides au moment du dynamitage et n'avoir appris
que le lendemain la mort des femmes et des enfants en écoutant la radio
jordanienne. «Je ne pouvais en croire mes oreilles [...] J'ai compris que des
familles arabes avaient dû rester dans les maisons au lieu de s'enfuir [...]»,
écrit-il. Après l'attaque de Qibyia, qui a provoqué une réaction internationale
très vive, il est convoqué par le Premier ministre et ministre de la Défense,
Ben Gourion. On ne sait exactement s'il fut félicité ou morigéné mais, quelques
mois plus tard, il est promu lieutenant-colonel. Début 1954, les ordres
d'opération vont désormais comporter régulièrement la mention «Les femmes et les
enfants doivent être systématiquement épargnés». La leçon de Qibiya...
«Tragédie». Dans ce village pauvre, où les hommes vont travailler en Israël,
pas une seule plaque commémorative ne rappelle ce que Sharon lui-même a qualifié
dans ses mémoires de «tragédie». «C'est parce que les Israéliens nous avaient
totalement interdit de faire une quelconque référence à la tuerie», explique
Ayed Mourab, un responsable local du Fatah. «Le nom de Sharon peut se traduire
par "guerre". Quand un peuple sait le passé d'un homme comme lui et veut
l'élire, cela signifie qu'il ne veut pas la paix», conclut-il.
1) Tsahal,
histoire critique de la force israélienne de défense. Editions du Rocher. 1998
pour son édition française.
2) Ces précisions figurent dans les Mémoires
d'Ariel Sharon.