Hier, le quotidien britannique "The Guardian" écrit : La victoire d'Ariel Sharon est "aussi choquante que si Jean-Marie Le Pen était devenu président de la République française et Jorg Haïder chancelier d'Autriche", et de poursuivre, "Pour quiconque souhaite la paix pour cette nation et ses voisins, ce jour est l'un des plus sombres". Il y a quelques années, Henry Kissinger avait demandé à Sharon, s'il n'était pas l'homme le plus dangereux du Moyen-Orient...
 
 
Point d'information Palestine > N°129 du 08/02/2001

Réalisé par l'AMFP - BP 33 - 13191 Marseille FRANCE
Phone + Fax : +33 491 089 017 - E-mail : amfpmarseille@wanadoo.fr
Association loi 1901 - Membre de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux (Trésorier)
Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
 
Si vous ne souhaitez plus recevoir (temporairement ou définitivement) nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante : amfpmarseille@wanadoo.fr. Ce point d'information est envoyé directement à 1868 destinataires.
 
Au sommaire
 
Réseau
  1. INFO PRATIQUE - Avant de vous rendre en Israël... Connaissez vos droits en matière de "fouilles de sécurité". Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l'aéroport Ben-Gourion (... mais sans savoir à qui le demander) par Michel Warschawski, Directeur du Centre d'Informations Alternatives de Jérusalem - http://www.alternativenews.org [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  2. TEMOIGNAGE - A travers la Palestine pendant l'Intifada par Bertrand Dalimier - De retour d'un voyage en Palestine et en Israël, Bertrand Dalimier, ancien coopérant du service national à Tel-Aviv, et fondateur du site Palestine Biladi  http://www.citeweb.net/biladi nous fait parvenir son témoignage
  3. FAIT DIVERS - Deux patrouilles israéliennes renversent quatre lycéennes palestiniennes in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 23 janvier 2001 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Revue de presse
  1. Ariel Sharon a très mauvaise presse dans les pays arabes par Mouna Naïm in Le Monde du mercredi 7 février 2001
  2. Bush n'est pas pressé de se jeter à l'eau en matière de Moyen-Orient par Robin Wright in The Los Angeles Times (quotidien américain) du mercredi 7 février 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  3. Bush félicite Sharon, Occidentaux et Arabes l'invitent à faire la paix avec les Palestiniens Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 7 février 2001, 4h20
  4. Une vie passée à faire la guerre - Sharon atteint son but, malgré les massacres et les fiascos par  Jean-Pierre Perrin in Libération du mercredi 7 février 2001
  5. Calme armé à Hébron - La "journée de la colère" a peu mobilisé les Arabes par Didier François in Libération du mercredi 7 février 2001
  6. "Les Arabes sont discriminés et la société ne croit pas à la paix". Né dans un village de Haute-Galilée, Issam Makhoul a fait son entrée à la Knesset en 1999, représentant le Hadash, le parti communiste judéo-arabe. Il s'est prononcé contre le boycott prôné par certains Arabes israéliens du scrutin du 6 février. Les Arabes sont discriminés et la société ne croit pas à la paix propos recueillis par Hélène Bourdan in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 7 février 2001
  7. L'importance grandissante des Arabes d'Israël par Mohamed Sid-Ahmed in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 7 février 2001
  8. Les Palestiniens resteront engagés dans une stratégie de paix, selon Leïla Shahid Dépêche de l'Agence France Presse du mardi 6 février 2001, 22h28
  9. A Jérusalem, deux mille manifestants de La Paix maintenant résignés au pire par Catherine Dupeyron in Le Monde du mardi 6 février 2001
  10. Israël ouvre ses bras à Ariel Sharon par Baudoin Loos in Le Soir (quotidien belge) du lundi 5 février 2001
  11. Les réfugiés, clef de la paix ou de la guerre ? par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du lundi 5 février 2001
  12. Les droits de citoyen par Michel Muller in L'Humanité du lundi 5 février 2001
  13. "On nous dénie nos droits" témoignage recueilli par Thomas Cantaloube in L'Humanité du lundi 5 février 2001
  14. Pour certains Israéliens, Sharon a un lourd passé. Certains considèrent l'ex-général candidat au poste de Premier ministre comme un héros. D'autres se souviennent des massacres par Tracy Wilkinson in The Los Angeles Times (quotidien américain) du samedi 3 février 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  15. La première tentation de Sharon : La guerre par Walid Charara in Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 2 février  2001
  16. Avec des élections israéliennes sans surprise, le Jour d'Après semble proche par Deborah Sontag in The New York Times (quotidien américain) du lundi 5 février 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  17. Un jeune commandant nommé Ariel - 69 morts à Qibiya, en 1953. Des survivants témoignent par Jean-Pierre Perrin in Libération du lundi 5 février 2001
  18. Ariel Sharon : "Juifs et Arabes peuvent cohabiter"  propos recueillis par Patrick Wajsman et André Soussan in Le Figaro Magazine du samedi 3 février 2000
  19. Gaza, à mille lieues d'Israël par Baudoin Loos in Le Soir (quotidien belge) du samedi 3 février 2001
  20. Impressionnant hôpital de campagne israélien à Bhuj Dépêche de l'Agence France Presse du samedi 3 février 2001, 9h12
  21. L'économie palestinienne a perdu deux milliards de dollars en trois mois in Al Hayat (Quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 24 janvier 2001 [traduit de l'arabe par P. Vanrie pour l'Institut Européen de Recherche sur la Coopération Méditerranéenne et Euro-Arabe http://www.medea.be]
Réseau
 
1. INFO PRATIQUE - Avant de vous rendre en Israël... Connaissez vos droits en matière de "fouilles de sécurité". Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l'aéroport Ben-Gourion (... mais sans savoir à qui le demander) par Michel Warschawski, Directeur du Centre d'Informations Alternatives de Jérusalem - http://www.alternativenews.org
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Les contrôles de sécurité aux points d'embarquement sont légaux, en Israël ; ils sont d'ailleurs justifiés par la garantie de votre propre sécurité. Mais ils peuvent être de plusieurs types. Certaines personnes sont soumises à des procédures spéciales au moment où elles quittent - (et parfois, lorsqu'elles arrivent dans - ) les territoires occupés par Israël : des Arabes, des personnes portant un nom arabe, des personnes ayant un "type arabe", ainsi que des personnes soupçonnées d'entretenir une quelconque sorte de "relations" avec des Arabes.
En 1990, un membre de notre groupe, le Centre d'Informations Alternatives (en anglais : Alternative Information Center - AIC), le Dr. Tikva Parnass, le réalisateur de cinéma franco-israélien Eyal Siwan et le journaliste hollandais Beni Bruner (tous trois ayant été soumis, systématiquement, par le passé, à des procédure spéciales de contrôle) ont fait appel auprès de la Cour Suprême d'Israël afin de contester la légalité de ces procédures ou, tout au moins, d'être informés de leurs droits lorsqu'ils étaient confrontés à des mesures de cet ordre. Après pas loin de deux ans d'audiences, la Cour Suprême a statué que les fouilles, ainsi que la liste de personnes présumées suspectes, étaient légales. Toutefois, elle ne l'a fait qu'après que le Procureur général ait fait adopter une déclaration formelle dans laquelle les procédures des contrôles, et les droits des personnes contrôlées et fouillées, sont bien définis. Les attendus du document en question sont impératifs. Tout contrôle ne répondant pas aux directives de la Cour Suprême, enfreignant la loi, est du fait même, illégal.
- La liste noire
Qui est sur la liste noire ?
Selon le rapport du Procureur général à la Cour Suprême, cette liste est composée des noms de personnes soupçonnées d'avoir des "relations avec des personnes dont le "style de vie" (sic) ou l'idéologie expriment leur soutien au terrorisme".
Vous avez le droit de savoir
D'après le rapport de l'Avocat Général, vous avez le droit de savoir si vous êtes sur la liste noire, en adressant votre requête au Commandement Central de la police israélienne (Commandant de la police de l'Embarquement, Commandement central de la Police israélienne, Sheikh Jarach, Jérusalem/Commander of the Board-Police, Central Command of the Israeli Police, Sheikh Jarach, Jérusalem). Celui-ci est tenu de répondre à votre demande, en spécifiant tant les garanties légales présidant aux fouilles, que le sens du passage pour lequel vous pourriez le plus vraisemblablement être soumis à une fouille (à votre arrivée, à votre départ, en arrivant et en partant).
Vous avez le droit de faire appel
Deux fois par an, vous avez le droit de demander à ce que votre nom soit rayé de la liste noire, ou changé de catégorie (par exemple, demander à n'être fouillé qu'au moment de votre départ).
- Les types de fouille
Trois textes autorisent la fouille sur la personne du passager :
A/ La Loi sur l'aviation (1977)
Cette loi autorise des fouilles visant à éviter un détournement ou la destruction à l'explosif d'un aéronef ou d'un aéroport. Pourtant, ces fouilles ne s'appliquent pas aux documents écrits, à l'exception de documents qui établissent le but de votre voyage, ou indiquent de quelle manière votre billet a été acquis.
B/ La Loi sur les Fouilles de Sécurité en situation d'Urgence (1969)
Cette loi est moins précise que celle mentionnée ci-dessus, mais elle a les mêmes objectifs (recherche d'armes ou d'explosifs).
C/Le Règlement d'Urgence (1945) - partie H
La Partie H du Règlement d'Urgence (britannique) de 1945 concerne la censure imposée sur les documents, dont le "censeur peut supposer qu'ils portent atteinte à la sécurité de la zone concernée ou du public..." Selon ces règlements, le censeur - ou toute personne par lui désignée - peut fouiller, prendre des clichés ou confisquer tout document de nature à menacer la sécurité.
- Les procédures de fouille
A/ Identification et explication

La personne (homme ou femme) chargée de la fouille doit, tout d'abord, se présenter, en déclinant son nom et sa fonction ; ensuite, elle doit expliquer pourquoi il/elle effectue cette fouille spécifique et, enfin, quelle loi ou quel règlement la codifie. Généralement, il/elle porte (au revers du col) un badge spécial indiquant que la fouille est faite en application de la Loi de Protection de l'Aviation. Ceci signifie que l'employé(e) n'a pas le droit de vérifier vos documents écrits (notes, livres, agendas) sauf s'ils sont liés à votre identité ou aux raisons de votre voyage en Israël.
B/ L'interrogatoire
Une fouille N'EST PAS un interrogatoire. Les seules questions que les préposé(e)s peuvent vous poser sont celles qui visent à s'assurer que vous n'êtes pas un "terroriste" et que vous n'êtes pas utilisé par quelqu'un qui aurait un "mode de vie terroriste". Les questions appropriées à cet effet sont, par exemple : Qui a fait vos bagages ? Qui a acheté votre billet ? Pourquoi êtes-vous venu(e) en Israël ? Quels lieux avez-vous visités au cours de votre séjour en Israël ? etc. Si vous pensez que les questions dépassent le but annoncé, vous devriez indiquer clairement que vous avez répondu à toutes les questions nécessaires et que vous refusez d'être soumis(e) à un interrogatoire politique.
C/ La fouille
- Vous avez le droit d'assister à toutes les phases de l'inspection de vos effets personnels.
- Vous avez le droit de demander que l'employé(e) procédant à la fouille remette vos vêtements et effets personnels à leur place, propres et correctement pliés.
- En cas de fouille au corps, vous avez le droit d'exiger des conditions convenables (par exemple, être fouillé(e) exclusivement par une personne du même sexe, ou ne pas être obligé(e) à rester pieds-nus sur le sol).
Si vous pensez que la fouille dépasse l'objectif officiellement recherché (généralement, la protection de l'aviation), vous avez le droit d'exiger qu'on y mette fin sans délai. En de tels cas, demandez à voir le responsable - vous avez le droit de porter plainte et de maintenir que vous n'autoriserez pas la poursuite de la fouille, à moins qu'elle ne soit menée dans le cadre des règlements en vigueur.
- Les dommages
Si des objets vous appartenant ont été cassés ou endommagés, demandez immédiatement un formulaire de dépôt de plainte. Les autorités devront vous fournir un imprimé spécial sur lequel vous devrez spécifier les dommages et demander les compensations appropriées. Si elles n'ont pas le formulaire ad hoc, demandez à rédiger votre plainte sur feuille volante et efforcez-vous d'obtenir la signature de la personne chargée de la fouille.
Une fois arrivé(e) à bon port, remplissez un formulaire de plainte officielle à la Police des Frontières, ainsi qu'une requête demandant le remboursement des dommages.
- Quelques "tuyaux"
 - faites savoir, d'entrée de jeu, que vous connaissez vos droits
- ne soyez ni grossier(e), ni familier(e), avec les personnels procédant à la fouille
- ne cherchez pas à mentir et n'offrez pas d'information
- comportez-vous dignement, vous n'en serez traité(e) qu'avec plus de respect.
 
2. TEMOIGNAGE - A travers la Palestine pendant l'Intifada par Bertrand Dalimier
De retour d'un voyage en Palestine et en Israël, Bertrand Dalimier, ancien coopérant du service national à Tel-Aviv, et fondateur du site Palestine Biladi  http://www.citeweb.net/biladi nous fait parvenir son témoignage.
"Aujourd'hui, nous sommes tous des terroristes", c'est sur ces mots que m'accueille Oussam (1) sur les marches de la Porte de Damas, à Jérusalem. Oussam travaille en Israël sans posséder le permis de circulation nécessaire. Il s'est marié l'année dernière avec une Jordanienne qu'il souhaitait faire venir chez lui. Son père malade, il s'interdit de quitter son village de la banlieue de Jérusalem-Est. Oussam a alors tout fait pour obtenir un visa d'entrée en Autonomie palestinienne pour sa femme. En guise de réponse, il a eu droit aux entretiens du Shin Beth. Le visa ne lui sera remis que s'il devient informateur pour Israël. Avec ce statut de collabo, il aura également un permis de circulation en Israël et des sommes d'argent qui l'aideront à rembourser les dettes qu'il contracte pour couvrir les frais médicaux pour son père. Il a refusé.
La presse donnait un sondage il y a 3 semaines où les trois quarts de la population palestinienne était favorable aux missions suicides, bien au delà des chiffres lors de la vague d'attentats de 1996. On explique ici pourtant que, loin de l'engagement massif de la première Intifada, en 1987, le nouveau soulèvement ne concerne qu'une jeune population des camps de réfugiés de Gaza et de Cisjordanie. "En plus de surprendre l'opinion travailliste sioniste israélienne, l'Intifada a pris de court la bourgeoisie palestinienne. Mais si les moyens de la lutte ne font pas l'unanimité, les objectifs d'indépendance sont les mêmes."
Les Palestiniens disent qu'ils sont rares à croire encore à la possibilité d'un règlement du conflit par la négociation. Certains se résignent à un avenir sacrifié pour une lutte de libération dont l'issue n'est plus perçue qu'après une ou plusieurs générations. La population a généralement un regard sans illusion sur les huit années de négociation, qui n'ont produit pour elle qu'une Autorité palestinienne répressive, corrompue et pieds et poings liés au pouvoir israélien. Lors d'une manifestation unitaire des partis de gauche palestiniens à Ramallah, Abou Leïla, un des responsables du FDLP, le Front démocratique de libération de la Palestine, accorde son soutien à la continuation de la lutte jusqu'à la reconnaissance de tous les droits nationaux palestiniens. "Nous sommes aujourd'hui solidaires de tous les combattants détenus en Israël. Les négociations se déroulant cette semaine à Taba sont stériles à nos yeux, Israël ne montrant absolument aucun désir de reconnaître pleinement les résolutions internationales à la base du processus de paix."
On reconnaît ici qu'il y a, depuis quelques semaines, une certaine désaffection des jeunes vers les affrontements aux pierres, mais que les attaques sporadiques de groupes islamistes ou radicaux palestiniens se multiplient. Les accrochages décrits dans la presse traduisent la guérilla, après une courte parenthèse d'affrontements nocturnes durant lesquels l'armée israélienne répliquait par les canons ou les missiles aux tirs isolés des camps de réfugiés. Des groupes armés palestiniens tirent désormais sur les voitures de colons ou mettent en place ponctuellement des embuscades. Les représailles de l'Etat israélien consistent en commandos chargés d'assassiner des responsables du Fatah, le parti de Yasser Arafat, ou se traduisent par une gâchette plus facile près des colonies.
Les premières semaines d'affrontements, dans lesquels majoritairement, selon des rapports concordant d'ONG sur le terrain, aucun tireur palestinien n'était présent, ont fait un nombre très important de victimes palestiniennes. Plus de 300 morts et 10 000 blessés (pour 4,5 millions d'habitants), dont plus d'un millier garderont des séquelles permanentes. Ce vendredi (26/01/01) à Ramallah, le rituel hebdomadaire conduit après la prière des groupes du Hamas et du Fatah vers le cimetière. Le responsable du Fatah pour la région de Ramallah, chef des Tanzims, les forces para-militaires du parti, le très populaire Marwane Barghouti, rappelle à ses militants le souvenir des martyrs.
"Faites parvenir à ceux qui sont tombés le message que nous poursuivons la résistance, nous n'arrêterons pas la lutte ! Les actes d'Israël, la poursuite de la colonisation, contredisent leur engagement vers la paix, la continuation de ce qui a été signé. Les Israéliens agitent le spectre de Sharon pour nous obliger à faire aujourd'hui des concessions. Non ! Nous seront fidèles à ceux qui sont tombés, nous continuerons jusqu'à ce que les colons quittent cette terre."
Un vieil homme près d'une tombe à l'écart s'étonne des réactions internationales. "Comment parler de sécurité dans le monde alors qu'il y a ici un peuple d'exilés, chassé de sa terre ? Où se trouvent les médecins pour guérir la paralysie mentale américaine ? Quelle paix veulent-ils au moment où la présence des colonies nous est imposée ? Nous sommes dit-on dans le siècle du progrès et de la civilisation, mais où voit-on cela ici ? C'est cette "justice", cette logique américaine qui décide de l'abandon du droit de retour des réfugiés en Israël. Les Etats-Unis ne craignent-ils pas pour leurs intérêts dans la région s'ils continuent à soutenir le cancer de l'occupation israélienne ? Il semble que 4 millions d'Israéliens ne prennent pas en compte le fait qu'un milliard d'Arabes soutiennent notre cause, et que même si des dirigeants nous trahissent, les peuples resteront derrière nous. Seule une solution basée sur la justice garantira la paix pour nous et les Israéliens."
Les banderoles repartent alors vers l'intersection de l'hôtel City Inn, à El Bireh, où attendent 4 ou 5 jeeps de Tsahal, l'armée israélienne. Une cinquantaine de jeunes lancent à l'aide de frondes des pierres en direction des jeeps, lesquelles répliquent par des grenades lacrymogènes très concentrées (les hôpitaux leur attribuent la mort directe de 4 personnes) ou des balles recouvertes d'une pellicule de caoutchouc. Des blessés légers sont ramenés en ambulance, pas une égratignure pour les soldats israéliens, qui n'ont cette semaine pas tiré à balles réelles.
D'après les statistiques du Medical Relief Center de Ramallah et du Health, Development, Information and Policy Institute [http://www.hdip.org] , les blessures des jeunes mêlés aux affrontements populaires concernent essentiellement la tête et la poitrine, et 6 ou 7 % des tués ne sont pas l'œuvre de l'armée mais de colons. Une soixantaine d'ambulanciers ont été blessés depuis 3 mois, l'un d'entre eux est décédé.
Des rencontres me conduisent à monter dans le nord de la Cisjordanie. Autour des grandes agglomérations, ce sont surtout les camps de réfugiés qui ont été les premiers touchés, comme celui de Balata près de Naplouse, ou s'entassent près de 20 000 personnes, réfugiés de 1948, essentiellement de Jaffa, Haïfa, Lydda (Lod) et Ramlah. Le camp a compté plusieurs morts et une centaine de blessés lors des premiers affrontements. Le bloc militaire israélien, aux abords de la colonie Berakha, pilonnait du Mont Jersi les habitations, tandis que les hélicoptères survolaient la zone. Ici, seul l'axe principal est correctement goudronné, le camp devient un cloaque invivable dès que la pluie se met à tomber. Les enfants s'entassent dans les salles de classes des 3 seules écoles de Balata, essentiellement financées par l'UNRWA, l'organisme de l'ONU pour les réfugiés.
Si l'on doutait qu'il s'agit de territoires occupés, les conditions de circulation sont là pour nous le rappeler. Les blocages sont régulièrement enlevés ou remis selon des critères qui répondent davantage de la punition collective que de raisons dites sécuritaires. Les voitures bifurquent 50 mètres avant les barrages militaires, présents surtout pour rendre la vie plus pénible. Prendre le moyen de transport quotidien des Palestiniens, le taxi collectif, devient très aléatoire. En montant de Ramallah en direction du camp de Jalazoun ou de Naplouse plus au nord, le taxi emprunte des chemins de terres entre les routes goudronnées, évitant les voies longeant les colonies israéliennes. Les pierres jetées ou les balles tirées de colonies vers tout véhicule prenant le risque de longer d'un peu trop près les implantations, sont monnaie courante. De même, la sécurité sur certaines routes n'est plus assurée par l'armée, mais directement par des milices de colons. Un déplacement de 35 minutes devient, par les détours et les barrages, un parcours de 2 heures et demi. A ce jeu-là, la durée et le risque d'un trajet se traduit dans le prix de la course : au départ d'Al Manara, la place centrale de Ramallah, 10 shekels sont demandés pour une route dégagée jusqu'à Naplouse, le tarif passe à 25 si les risques sont importants… Les taxis ne sortent plus de Jalazoun après la nuit tombée vers 17h30, craignant les tirs en provenance de la colonie de Beit El.
On me décrit la situation de certains camps militaires qui jouissent d'une très grande autonomie vis-à-vis du commandement de Tsahal autour de quelques collines des zones rurales palestiniennes. Ainsi l'ordre de bouclage total d'un village palestinien peut être décidé sans préavis par le poste assurant la sécurité d'un point d'eau ou des entrées d'une colonie. Cette semaine, plusieurs villages ont vu toutes leurs routes d'accès coupées à la circulation, comme le bourg de Nabi Saleh, les habitants du village racontant les rodéos nocturnes de colons depuis mercredi (24/01/01), tirant dans les citernes des maisons. Les familles du village étaient restées terrées toute la nuit.
Une méfiance s'est installée dans les camps de réfugiés à l'encontre des étrangers. Les habitants craignent les colons ou les mousta'ribin, les membres d'unités spéciales israéliennes se faisant passer pour des Arabes, parfois chargés de liquider des Palestiniens en zone A, les zones sous contrôle administratif et sécuritaire palestinien. Les journaux arabes rappellent le statut des Palestiniens face à la quasi-impunité accordée aux colons dans les tribunaux de l'Etat hébreu. Le jugement est rendu la même semaine pour un colon qui avait battu à mort le jeune Almi Shousha, 10 ans, en 1998, et la Palestinienne qui avait blessé au dos à l'arme blanche un Juif à Jérusalem. 6 mois de travaux communautaires pour le premier, 6 ans pour la seconde.
Dimanche (28/01/01), entrée dans la bande de Gaza. Le passage de la bande vers Israël est partiellement rouvert. Plusieurs centaines d'ouvriers palestiniens parcourent à pied le couloir couvert de 2 kilomètres du check point Erez, sous les ordres criés des militaires israéliens.
A Gaza-City, sur le long boulevard où se font face l'Université financée par le Hamas et celle financée par le Fatah, Ihab, délégué des jeunes du FPLP, le Front populaire de libération de la Palestine, communiste et athée, critique sévèrement le gouvernement né des accords d'Oslo. "Nous récusons la légitimité du Parlement palestinien dans la mesure où son action est tributaire des accords d'Oslo. Quant au principal parti de libération, le Fatah de Yasser Arafat, il reste un parti sans idéologie ni projet de société." A l'approche de l'Université islamique, une fresque représente l'explosion d'un bus israélien. Un peu plus loin, les amis d'Ihab ont dessiné des portraits de Che Guevara ou du Handala, ce petit personnage qui nous tourne le dos, misérable mais déterminé, symbole du réfugié, création et autoportrait du dessinateur Nadji Alali. L'artiste fut assassiné il y a quelques années, probablement en raison de ses critiques du régime d'Arafat.
Ihab travaillait cette année pour une pièce d'Abdelhamid El Khorti. Au début du mois, ce jeune artiste, poète et peintre, s'est fait descendre d'une balle dans la tête. Il marchait non loin de Netzarim, une implantation israélienne au milieu de la bande de Gaza, un sac sur le dos, situation jugée menaçante par les soldats chargés de la sécurité des dizaines de famille de colons qui y vivent.
Retour à Tel-Aviv. Jacques est thésard à l'Institut Weizmann, centre de recherche près de Tel-Aviv. Il me dit que la "camp de la Paix" israélien est profondément divisé sur l'Intifada dont il ne comprend pas les causes et l'ampleur. "Les premières semaines ont été très pénibles, je n'arrivais pas à travailler, je pensais que l'occasion avait été ratée à Camp David quand Arafat avait dit non. Maintenant, je me dis que cette violence est peut-être une étape nécessaire du processus de paix, mais ne montre pas Israël sous le profil qu'il devrait tenir, ne négociant que sous la pression des armes".
Jacques : "si ça ne dépendait que de moi, je rendrais tout, la Cisjordanie et Jérusalem-Est tout entier, je suis contre les colonies, je suis pour une souveraineté totale des Palestiniens chez eux... mais il y a un point sur lequel je ne peux pas être d'accord, c'est sur le droit au retour des réfugiés."
Oussam : "ton ami Jacques, il est né en France, il n'est pas originaire du Moyen-Orient, et pourtant il a le droit de vivre ici, de se déplacer comme il veut, d'avoir tous les droits de citoyen... et c'est lui qui me dit que mes amis et moi, si notre famille vient de Haïfa, on n'a pas le droit de revenir vivre à Haïfa ? Personne ne peut nous enlever ce droit, Ramlah, Lydda, Haïfa, Jaffa, Nazareth, ce sont nos villes, beaucoup d'entre nous viennent de là, comment peut-il nous demander de renoncer à ce droit ?"
 
3. FAIT DIVERS - Deux patrouilles israéliennes renversent quatre lycéennes palestiniennes
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 23 janvier 2001
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Naplouse - La jeune Bayan Rawmal al-Suwayty (15 ans), originaire du village de Hawarah, au sud de Naplouse, n'a pu retenir ses larmes lorsque ses professeurs se sont rendues ce matin à son chevet, à l'hôpital Ittihad de Naplouse, alors qu'elle aurait dû se trouver, à cette heure précise, dans sa classe. Ses larmes dues à la tristesse de devoir abandonner momentanément le lycée se mêlaient à celles que lui causaient le choc et les douleurs de ses blessures : elle avait été la victime, l'avant-veille, avec trois de ses camarades, d'une tentative d'écrasement délibéré de deux patrouilles israéliennes, sur la route principale Jérusalem-Naplouse, qui traverse leur village.
Il était un peu plus d'une heure de l'après-midi lorsque la plupart des lycéennes ont quitté le lycée de jeunes filles de Hawarah, pour rentrer chez elles. Quatre d'entre elles, habitant un quartier un peu excentré, au nord du village, s'étaient mises en route, à pied, comme elles ont l'habitude de le faire tous les jours. A une assez grande distance du lycée, un Palestinien, Nizam Mahmud Muharib aperçut les quatre jeunes filles tandis qu'il passait sur la route, au volant de sa voiture particulière : deux d'entre elles étaient parentes avec lui. Il les dépassa et s'arrêta au bord de la route afin de les faire monter pour les emmener chez elles.
Tandis qu'il attendait, toujours dans sa voiture, les quatre jeunes filles, une jeep de garde-frontière israéliens est venue se placer devant sa voiture pour la bloquer, tandis qu'une deuxième jeep israélienne renversait les quatre lycéennes, qui furent blessées à des degrés divers. Il s'agissait des jeunes : Bayan Shahrur al-Suwayty, Malak Isam Muharib, Maysun Jasir et Shuruq Ghassan. Elles ont été secourues par une ambulance palestinienne, qui a emmené Bayan Suwaity et Malak Muharib à l'hôpital Ittihad de Naplouse, tandis que les deux autres blessées, Jasir et Ghassan étaient admises à l'hôpital Tell Hashomer en raison de la gravité de leur état. Quant au conducteur palestinien de la voiture, Nizam Muharib, blessé au dos et à l'abdomen, il a été transporté en ambulance à l'hôpital Ittihad.
Après l'"accident", les habitants de la localité se sont rassemblés sur les lieux : ils disent qu'il s'agissait d'une agression délibérée. Ils ont été horrifiés de ce qu'ils ont vu : des efforts délibérés pour faire passer les roues des jeeps sur les corps des jeunes filles. Immédiatement, des renforts très importants ont été dépêchés par l'armée israélienne : ce sont une trentaine de jeeps qui ont investi le théâtre de l'agression. La route a été coupée et un poste militaire, établi sur la terrasse d'une maison proche. Bayan, qui est la fille du journaliste palestinien Rawmal al-Suwayty est toujours inquiète de savoir ce qu'est devenu son cartable, qui n'a pas été retrouvé. Sa mère nous a dit que sa fille est encore sous le choc de l'accident prémédité. Elle a repris connaissance alors qu'elle était en sang et qu'elle redoutait encore que les soldats israéliens ne reviennent à la charge.
La mère de Bayan a ajouté que sa fille se plaignait continuellement du comportement des soldats garde-frontières, de leurs insultes et de leurs obscénités qu'elle devait affronter quotidiennement sur le chemin du lycée, et des simulacres qu'ils faisaient de foncer avec leurs jeeps sur les passants, dans l'objectif de "taquiner" les lycéennes. Des tentatives du même acabit se sont produites au cours des affrontements de l'intifada, causant plusieurs morts et un nombre important de blessés chez les civils palestiniens.
Revue de presse

 
1. Ariel Sharon a très mauvaise presse dans les pays arabes par Mouna Naïm
in Le Monde du mercredi 7 février 2001
CONTRAIREMENT à l’ancien chef du Likoud et ancien premier ministre Benyamin Nétanyahou, Ariel Sharon n’a droit à aucun bénéfice du doute dans les pays arabes. L’expérience leur a appris que, comme il le dit lui-même, le candidat de la droite au poste de premier ministre fait toujours ce qu’il dit, et ce qu’il dit est aux antipodes de leurs attentes. Qui plus est, la pratique du Likoud au pouvoir, après les précédents Nétanyahou et Itzhak Shamir, a détrompé tous ceux d’entre eux qui ont pu croire que seule la droite israélienne peut faire la paix sans être accusée de trahison par les siens. A cet égard, tous ceux qui, aujourd’hui, au sein de la gauche israélienne, pensent que Yasser Arafat et les dirigeants arabes souhaitent le succès de M. Sharon sont en retard d’une décennie.
Qu’ils soient gouvernants ou gouvernés, les Arabes n’ont pas oublié les résistances qu’Itzhak Shamir avait opposées au lancement du processus de paix, fin octobre 1991, au point de mettre hors de lui l’ancien secrétaire d’Etat américain James Baker, pourtant réputé avoir des nerfs d’acier. Ils gardent également en mémoire la devise maîtresse d’Itzhak Shamir: "beaucoup de processus et peu de paix". Ils se souviennent d’un M. Nétanyahou, crédité par la communauté internationale d’un désir sincère de faire la paix, mais qui y est allé à reculons. Avec Ariel Sharon au pouvoir en Israël, ce sera pareil, voire pire, pensent-ils aujourd’hui.
M. Sharon a d’ailleurs annoncé la couleur : s’il est élu premier ministre, il ne négociera en aucun cas "sous la menace de la violence" et réprimera plus brutalement encore toute révolte palestinienne. Il maintiendra la souveraineté israélienne sur Jérusalem-Est et ne démantèlera aucune colonie de peuplement. Il ne reconnaîtra en aucun cas le droit au retour des réfugiés palestiniens, tout en se vantant d’être le principal artisan de la venue en Israël d’un million de juifs russes au nom d’un autre droit au "retour". Il accepte la création d’un Etat palestinien, mais uniquement sur 40% de la Cisjordanie – et à Gaza – et à condition que cet Etat soit démilitarisé. Bref, M. Sharon promet bien moins que ce que le premier ministre sortant, Ehoud Barak, a déjà accepté et que les Palestiniens ont jugé nettement insuffisant.
PROVOCATEUR PYROMANE
M. Sharon, qui a toujours clamé que la patrie des Palestiniens est la Jordanie, mais qui a fini par se résoudre à l’idée que, depuis le lancement du processus de paix, cette thèse n’était plus défendable, n’en demeure pas moins un boutefeu. Tout récemment encore, il affirmait que les dirigeants jordaniens lui avaient confié leurs craintes de voir le président palestinien, Yasser Arafat, renverser le roi Abdallah II. Amman en est resté interloqué et Abdallah II n’est sans doute pas disposé à jouer, pour le chef du Likoud, le rôle de Monsieur relations publiques au sein des pays arabes que feu son père le roi Hussein s’était chargé de camper pour Benyamin Nétanyahou.
Le passé du chef actuel de la droite israélienne est également gravé dans toutes les mémoires arabes. Les massacres des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, en septembre 1982, sont certes la partie la plus noire et la plus connue de son parcours et sa visite-provocation sur l’esplanade des Mosquées, le 28 septembre 2000, l’exemple le plus récent de ses turbulences. De plus en plus, l’expression "criminel de guerre" est employée à son propos et des comités se sont constitués dans de nombreux pays pour réunir les preuves de ses "crimes" et les porter devant la justice. M. Sharon est enfin l’emblème du provocateur pyromane, qui n’a pas hésité à élire domicile au cœur de la partie arabe de Jérusalem, qui a multiplié la construction de colonies de peuplement lorsqu’il était ministre de l’habitat du gouvernement Shamir, qui s’est ultérieurement fait le champion de la colonisation à outrance, qui a enfin humilié Yasser Arafat en refusant de lui serrer la main lorsqu’il était ministre des affaires étrangères du gouvernement Nétanyahou…
COLONISATION
Certains, tels le Hezbollah libanais et, plus généralement, les mouvements islamistes, disent qu’il n’y a pas de différence en Israël entre le Parti travailliste et la droite, voire que cette dernière, dont M. Sharon est le parangon, a au moins le "mérite" d’agir "à découvert", montrant ainsi ce qui, à leurs yeux, est le vrai visage de l’Etat juif. Pour d’autres, la dégradation jugée inévitable de la situation sous un gouvernement conduit par Ariel Sharon est un mal quasi souhaitable, l’abcès ne pouvant crever que s’il est surinfecté, étant entendu que les Etats-Unis, parrains du processus de paix, et la communauté internationale seront forcés de mettre le holà. D’autres encore se raccrochent à l’espoir que M. Sharon ne sera pas en mesure de gouverner, tout simplement parce que l’éclatement de la scène politique en Israël rend ce pays ingouvernable. L’Etat juif, disent-ils, ira, à plus ou moins brève échéance, vers de nouvelles élections anticipées. Les Palestiniens des territoires occupés et une partie au moins des Palestiniens israéliens estiment quant à eux, depuis la nouvelle Intifada, que le choix entre Ehoud Barak et Ariel Sharon est un choix entre deux "bourreaux" et qu’en tout état de cause les travaillistes et le Likoud ont rivalisé de zèle en matière de colonisation.
En attendant le verdict des urnes, peu de dirigeants arabes se sont publiquement prononcés. Tandis que M. Arafat s’est abstenu de dire quoi que ce soit, le ministre palestinien de la culture et de l’information, Yasser Abed Rabbo, lui, n’a pas hésité à appeler le "camp de la paix" en Israël et les Palestiniens israéliens – qui représentent 13 % de l’électorat – à barrer la route au chef du Likoud. L’abstention ou le vote blanc seraient une faute, a-t-il martelé.
Sur un ton plus diplomatique, mais non moins éloquent, le président égyptien, Hosni Moubarak, sachant que les Arabes risquent de devoir traiter avec M. Sharon s’il est élu premier ministre, a déclaré à la télévision israélienne : "J’ai un traité de paix avec vous. Dois-je pour autant parler à M. Sharon ? (…) S’il porte un intérêt à la stabilité de la région, il sera le bienvenu" en Egypte. "S’il veut quelque chose et s’il vient vers moi, il sera le bienvenu, mais s’il ne veut rien, alors, qu’il reste là où il est." Le premier ministre libanais, Rafic Hariri, qui n’avait pas hésité à dire que l’avènement éventuel d’Ariel Sharon sonnerait le clairon de la guerre, a préféré, à la veille du scrutin, "ne préjuger de rien".
 
2. Bush n'est pas pressé de se jeter à l'eau en matière de Moyen-Orient par Robin Wright
in The Los Angeles Times (quotidien américain) du mercredi 7 février 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Diplomatie : Powell pense qu'il est urgent d'attendre que Sharon ait formé le nouveau gouvernement israélien. Les Etats-Unis sont confrontés également à des défis croissants, avec l'Irak et la Libye.
Washington - Les élections israéliennes passées, l'administration Bush va bientôt lancer sa propre version de la diplomatie américaine au Moyen-Orient : elle devra faire face à un ensemble complexe de problèmes et d'obstacles, au premier rang desquels le choix opéré par les Israéliens du faucon Ariel Sharon pour le poste de Premier ministre.
Le président Bush doit affronter une triade de défis croissants : le processus de paix au Moyen-Orient, l'Irak et la Libye ; ces dossiers étant, du reste, de plus en plus liés entre eux. Une avancée sur l'un d'entre eux nécessite désormais d'avoir progressé au préalable sur les trois, pris de front, à en croire un ancien officiel de l'administration américaine, expert en politique moyen-orientale.
"Une approche par étapes, les navettes à la Kissinger, ce n'est pas envisageable actuellement", a averti Augustin Richard Norton, professeur de sciences politiques à l'Université de Boston. "Nous devons réfléchir de manière systématique aux trois problèmes à la fois, en tant qu'ils sont liés entre eux. Si nous ne le faisions pas, nous nous retrouverions isolés de beaucoup de nos alliés et dans une situation dans laquelle nous mettrions en danger le soutien dont nous bénéficions dans certaines zones critiques du Moyen-Orient et, du fait même, notre capacité à réaliser la paix".
Les Etats-Unis devront prendre ces problèmes à bras-le-corps lorsque Colin L. Powell entreprendra sa première tournée internationale officielle, en tant que Secrétaire d'Etat, à la fin de ce mois, au Moyen-Orient et en Europe, visite dont il a annoncé l'itinéraire, mardi dernier, à l'issue d'une rencontre avec son homologue britannique, Robin Cook.
En dépit de prédictions largement répandues, selon lesquelles les Etats-Unis ne peuvent éviter de se trouver concernés par le conflit israélo-arabe, Powell a indiqué que la nouvelle administration américaine n'est pas impatiente de se retrouver profondément impliquée, comme l'administration Clinton avait pu l'être, jusqu'à son dernier jour aux affaires. Powell a déclaré que la période post-électorale en Israël est, au contraire, "une période où ils convient d'être patients, dans l'attente que le vainqueur des élections forme un nouveau gouvernement";
"Serrer les dents est vraiment la seule chose que nous puissions faire, pour le moment", a-t-il déclaré. Powell a exhorté les différents acteurs de la région à reconnaître "l'impérieuse nécessité qu'il y a de contrôler les passions" et "de s'abstenir de tout acte qui pourrait conduire à la violence".
Bien qu'ayant promis que les Etats-Unis ne resteraient pas "sur la touche", Powell a dit clairement que Bush et lui-même n'entendaient pas être impliqués dans la recherche d'une solution au problème, à moins que toutes les parties concernées ne soient prêtes à garantir le calme absolument nécessaire au déploiement de toute initiative diplomatique.
"Après tout", a-t-il dit, Israël et les Palestiniens "doivent vouloir la paix plus que nous pouvons souhaiter nous-même qu'ils la fassent. En fin de compte, ils doivent aller les uns à la rencontre des autres et négocier entre eux".
"Dans la stricte mesure où ils estiment utiles, à cette fin, l'aide, la présence et l'autorité américaines, je pense qu'il est de notre devoir de les leur accorder", a ajouté Powell.
Bush a conféré avec Sharon, au téléphone, mardi dernier, pour lui dire qu'il était impatient de travailler avec lui, "particulièrement en ce qui concerne l'avancée de la paix et de la stabilité dans la région", à en croire un communiqué publié par les services de communication de la Maison-Blanche.
Toutefois, Powell a indiqué, au cours de sa conférence de presse, que si la nouvelle administration entend bien contribuer à la recherche d'une solution, ce n'est pas à travers des négociations entre les seuls Israéliens et Palestiniens : "Nous voulons nous assurer que la recherche de la paix est abordée dans un large contexte régional, afin que la solution qui en résulterait éventuellement ne soit pas isolée en elle-même et ne soit pas cohérente, seulement, sortie de tout contexte", a-t-il déclaré. Mais les analystes du Moyen-Orient prédisent que le contexte élargi est précisément celui où la nouvelle administration pourrait bien voir ses initiatives contrées et rendues extrêmement difficiles.
Depuis la signature par Israël et les Palestiniens des accords d'Oslo, en 1993, les Etats arabes de la ligne de confrontation se sont montrés désireux d'engager des discussions avec les Etats-Unis sur un large éventail de questions pendantes et sensibles et cela, grâce au fait que Washington a contribué efficacement à faciliter des négociations avec Israël, afin de régler des contentieux entre ce pays et le monde arabe remontant à plus de cinquante ans.
Le processus de paix, aussi cahoteux ait-t-il parfois été, a pavé la voie à une tentative de partenariat tripartite, jusqu'ici non abouti, certes, mais qui n'en a pas moins été prometteur.
Mais les événements des quatre mois écoulés, qui ont débuté avec la visite controversée de Sharon dans un lieu saint disputé de la Vieille Ville de Jérusalem, acte que d'aucuns considèrent comme le facteur déclenchant d'une nouvelle insurrection populaire (et sanglante) des Palestiniens - événements qui ont trouvé en quelque sorte un aboutissement avec la victoire de Sharon aux élections, mardi dernier - ont sérieusement miné ces relations actives, mais aussi fragiles.
Cette période incertaine a coïncidé, également, avec une exigence pressante ,de la plus grande partie des pays arabes, que les sanctions imposées depuis dix ans à l'Irak soient allégées et que la Libye soit réadmise dans le concert des nations, après que le procès des deux agents libyens accusés d'avoir commis l'attentat contre le vol 103 de la compagnie aérienne Pan Am, commis en 1988, ait abouti à la condamnation de l'un d'entre eux.
Au cours de la quinzaine écoulée, toutefois, la nouvelle administration américaine s'est engagée à maintenir les sanctions contre l'Irak tant que ce pays ne se conformera pas à la résolution de l'ONU qui lui enjoint de remettre ses armes de destruction massive.
Malgré un rapprochement entre l'Europe et la Libye, la Maison Blanche a exigé également que le régime du colonel Muammar al-Qaddafi paie des réparations aux victimes et reconnaisse sa responsabilité pleine et entière dans l'attentat commis contre l'avion de la Pan Am, avant que Washington ne donne son feu vert à la levée des sanctions de l'ONU qui frappent ce pays.
Ces deux prises de position sont de nature à exacerber, éventuellement, les relations d'ores et déjà assez tendues que les Etats-unis entretiennent avec certains de leurs alliés proches. Elles pourraient aussi obérer sérieusement tout effort américain visant à inciter les Arabes à accepter Sharon, un faucon qui a d'ores et déjà désavoué les compromis offerts par le Premier ministre sortant (et sorti, NdT), Ehud Barak, indiquent certains spécialistes de la région.
"La région est parcourue d'une nouvelle tendance", a commenté Shibley Telhami, spécialiste du Moyen-Orient à l'Université du Maryland : "l'opinion publique, dans le monde arabe, est beaucoup plus focalisée sur ses propres problèmes, aujourd'hui, que par le passé. Cela est dû, dans une large mesure, au fait qu'elle n'entrevoit pas de perspectives réelles de paix, avec Sharon au pouvoir en Israël".
M. Norton, spécialiste en sciences politiques déjà cité, a ajouté : "Nous avons assisté à une remarquable reconstitution de l'unité arabe, qui a renforcé la position des pays arabes face aux Etats-Unis" (...)
"Résultat : un bras-de-fer qui pourrait bien amener l'administration Bush à prendre beaucoup plus la diplomatie au Moyen-Orient dans le sens du poil, au risque, à défaut, d'avoir à affronter un blocage durable des trois dossiers les plus délicats dans cette région du monde".
"Nous pourrions être tentés de les traiter séparément, mais il serait très difficile, pour les Etats-Unis, d'inciter les Arabes à s'engager dans des négociations, sur cette base. Les pays arabes sont tous parties constitutives d'une même et unique mosaïque, dans les relations globales entre les Etats-Unis et le Moyen-Orient", indique James A. Placke, un ancien diplomate en poste en Irak, associé du Centre Cambridge pour les Recherches en matière Energétique, à Washington.
Les spécialistes de cette région attirent l'attention sur le fait que les Etats-Unis ne pourront sans doute pas s'offrir le luxe d'attendre que l'insurrection palestinienne contre Israël soit terminée pour descendre dans l'arène.
"Si vous regardez l'historique de la médiation américaine, vous verrez qu'à chaque fois qu'il y a eu violence, les Etats-Unis ont dû se jeter à l'eau. L'administration Bush va sans doute se trouver impliquée elle aussi, plus tôt qu'elle ne le voudrait", a indiqué M. Telhami. Reste à savoir : plus tôt ; de combien ?

3. Bush félicite Sharon, Occidentaux et Arabes l'invitent à faire la paix avec les Palestiniens
Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 7 février 2001, 4h20
NICOSIE - Le président américain George W. Bush a félicité mardi soir Ariel Sharon pour son élection triomphale au poste de Premier ministre d'Israël alors que les chancelleries occidentales et les dirigeants arabes et palestiniens l'invitaient à ne pas abandonner la quête de la paix.
A Gaza, le président palestinien Yasser Arafat a indiqué dans une brève déclaration qu'il "respectait le choix du peuple israélien et espèrait la poursuite du processus de paix".
De son côté, son conseiller politique, Nabil Abou Roudeina, a affirmé à l'AFP que l'Autorité palestinienne "traitera avec tout gouvernement choisi par le peuple israélien".
"Ce qui est important, c'est le respect des accords entre l'OLP et les gouvernements israéliens", a-t-il ajouté, affirmant que "la seule voie pour la paix passe par le respect des droits du peuple palestinien à établir un Etat indépendant avec Jérusalem pour capitale".
Les propositions présentées par M. Sharon, durant la campagne électorale, "ne constituent pas une base de discussions", a affirmé à l'AFP le secrétaire général du cabinet palestinien, Ahmad Abdel Rahmane.
Toujours chez les Palestiniens, un responsable du mouvement intégriste Hamas a déclaré que la victoire de M. Sharon constituait "une raison pour poursuivre la résistance".
"Sharon ne nous fait pas peur et ne fait pas peur à notre peuple. Au contraire, son élection est une raison pour poursuivre la résistance", a déclaré à l'AFP Ismaïl Abou Chanab, l'un des dirigeants du mouvement opposé au processus de paix et responsable de la plupart des attentats anti-israéliens depuis 1994.
Quelque sept heures après la première annonce de sa victoire par les chaînes de télévision israéliennes, les télégrammes de félicitations adressés au chef de la droite israélienne restaient très rares.
La Maison Blanche a annoncé que le président Bush, dont le pays parraine le processus de paix au Proche-Orient, avait téléphoné à M. Sharon pour le féliciter et l'assurer de sa coopération pour faire avancer la paix et la stabilité dans la région.
"Le président a dit au Premier ministre élu Sharon qu'il aurait plaisir à travailler avec lui, spécialement pour faire avancer la paix et la stabilité dans la région", a déclaré le porte-parole de la Maison Blanche Ari Fleischer.
La présidence suédoise de l'Union européenne a félicité M. Sharon en espérant que le nouveau Premier ministre "poursuive le processus de paix et le dialogue avec toutes les parties impliquées".
En revanche, le ministre norvégien des Affaires étrangères, Thorbjoern Jagland, a déclaré avoir "toutes les raisons de craindre pour la situation au Proche-Orient si Ariel Sharon applique son programme de campagne".
Le ton était prudent à Paris, où le chef de la diplomatie Hubert Védrine a déclaré que la France appréciera la politique du nouveau Premier ministre israélien en fonction de ses actes.
"Nous allons apprécier en fonction des actes et des faits", a déclaré M. Védrine.
A Londres, le Foreign Office a invité M. Sharon à ne pas abandonner les efforts en faveur d'une paix avec les Palestiniens et à préserver l'acquis des négociations menées sous son prédécesseur Ehud Barak.
"Les grandes lignes de l'accord permanent sont claires. Il appartient au premier ministre Sharon et au président (palestinien Yasser) Arafat de décider si le moment est maintenant venu de conclure cet accord", a dit un porte-parole des affaires étrangères.
De leur coté, la plupart des quotidiens britanniques ont exprimé leur inquiétude.
La victoire d'Ariel Sharon est "aussi choquante que si Jean-Marie Le Pen était devenu président de la République française et Jorg Haider chancelier d'Autriche", a affirmé le Guardian (gauche). "Pour quiconque souhaite la paix pour cette nation et ses voisins, ce jour est l'un des plus sombres", ajoute-t-il.
Les autres capitales européennes sont restées silencieuses.
Plusieurs dirigeants arabes ont également affiché leur prudence après l'élection de M. Sharon.
Le ministre jordanien des Affaires étrangères Abdel Ilah Khatib a déclaré que son pays "jugerait l'action du gouvernement que dirigera Ariel Sharon selon son engagement pour la paix et son action pour la réaliser".
A Damas, le directeur général de l'agence officielle SANA, Ali Abdel Karim Ali, a déclaré que la Syrie maintient sa revendication d'une paix basée sur la restitution de tous les territoires arabes occupés par Israël.
En Asie, le Japon a également invité Ariel Sharon à faire la paix.
"Le Japon croit qu'une paix négociée est la seule option réaliste et il souhaite ardemment que M. Sharon, en qualité de premier ministre israélien, fasse tous ses efforts pour parvenir à une paix juste, durable et globale, prenant largement en compte ce qui a été réalisé dans les négociations passées", a dit le le ministre des affaires étrangères Yohei Kono.
 
4. Une vie passée à faire la guerre - Sharon atteint son but, malgré les massacres et les fiascos par  Jean-Pierre Perrin
in Libération du mercredi 7 février 2001
Jérusalem envoyé spécial
Ariel Sharon habite au 35, rue Al-Wad, dans la partie arabe et musulmane de la vieille ville de Jérusalem. A cause de l'immense drapeau israélien qui la signale, on ne peut manquer cette belle demeure de pierre qui coiffe la ruelle, laquelle conduit à la fois à l'Esplanade des mosquées et au Mur des lamentations. Autour, des soldats veillent, de même que des individus armés, cachés derrière leurs lunettes noires. Bien sûr, il n'y réside jamais - il habite un ranch du Néguev. Cette maison, acquise par Ateret Kohanim, une organisation d'extrême droite dont la vocation est de judaïser les quartiers arabes de la vieille ville, est considérée par les habitants du quartier comme une provocation permanente. Arik, comme on le surnomme, n'en a cure. Il n'a jamais eu peur de déranger. La demeure de la rue Al-Wad, il l'a d'ailleurs achetée en 1987, l'année où commença la première Intifada. Treize ans plus tard, le 28 septembre 2000, sa visite à l'Esplanade des mosquées, perçue par les Palestiniens comme une autre provocation, servira de détonateur à la seconde Intifada, qui sera son tremplin pour s'emparer du pouvoir et devenir Premier ministre d'Israël.
Dangereux. C'est donc à un politicien dangereux que les électeurs israéliens ont confié leur destin. Des années auparavant, alors que la région - de Hafez el-Assad à Saddam Hussein - n'en manquait pas, Henry Kissinger lui avait demandé abruptement s'il n'était pas l'homme le plus dangereux du Moyen-Orient. Aujourd'hui, la question reste posée.
Ariel Sharon, de son vrai nom Ariel Scheinerman, est né le 27 septembre 1928 de parents, modestes fermiers, originaires de Biélorussie. Engagé dès l'âge de 17 ans dans la milice armée de la Hagana, on le retrouve dans toutes les guerres d'Israël. La première fois où l'on commence à parler de lui, c'est à la bataille de Latrun, le 23 mai 1948, pendant la guerre d'indépendance. Agé de 20 ans et sans avoir jamais fréquenté d'école militaire, il dirige une section de pointe de la milice armée de la Hagana contre la Légion arabe. Blessé lors de la bataille, il y a montré beaucoup de courage et des dispositions naturelles au commandement. Le revers de la médaille, on le découvre quelques années plus tard, le 14 octobre 1953. A la tête de l'unité 101, spécialisée dans les représailles, il punit le village de Kibiya en dynamitant 45 maisons avec leurs habitants à l'intérieur (voir Libération du 5 février). Bilan: 69 tués, surtout des femmes et des enfants. Sharon ne s'en émeut guère. «Pour la première fois, nous disposions d'une réponse efficace - une unité qui obligerait tous ceux qui voulaient notre perte à bien réfléchir avant de commettre leurs crimes», écrit-il dans ses mémoires (éd. Stock, 1990). En février 1955, au cours d'un raid sur une caserne égyptienne dans la bande de Gaza, lui et ses hommes tuent 38 soldats égyptiens. Selon Uzi Benziman, biographe de Sharon, la violence de cette attaque a convaincu Nasser que la paix avec Israël était impossible.
Tête brûlée. Il fait reparler de lui lors de la campagne du Sinaï, au moment de l'intervention franco-britannique à Suez. Sous le prétexte d'améliorer ses positions, il désobéit à Moshe Dayan en envoyant ses parachutistes au défilé de Mitla prendre une position égyptienne. Ce sera l'une des batailles les plus sanglantes de Tsahal qui perdra 36 hommes, le quart des effectifs tués pendant la campagne. Ses supérieurs sont furieux et son indiscipline est vivement critiquée par ses propres soldats qui l'accusent d'avoir voulu briller à leurs dépens. Il survivra à cette tempête, prendra encore du galon. En 1967, lors de la guerre des Six jours, il commande une division blindée et accumule les succès militaires. Nouvelles médailles, nouveaux revers. Il fera détruire des milliers de maisons dans les camps de réfugiés de la bande de Gaza pour y construire des routes, exilera des centaines de jeunes Palestiniens en Jordanie et au Liban. Quelque 600 proches de «terroristes» présumés, dont des femmes et des enfants, seront enfermés dans un camp de détention du Sinaï. Cette politique ultra-répressive donne de formidables résultats: en juin 1971, 34 actes de sabotage sont signalés à Gaza contre un seul en décembre. En juin 1973, jugeant trop minces ses chances de devenir chef d'état-major, il quitte l'armée pour une carrière politique. Mais la guerre le rappelle.
Pendant la guerre de Kippour, on le retrouve à la tête d'une division blindée dans le Sinaï avec laquelle il franchit de nuit le canal de Suez. Beaucoup d'Israéliens croient que c'est lui qui a renversé le cours de la bataille. Pourtant, les relations vont se tendre avec le haut commandement qui annule sa nomination comme général de division et laisse même entendre qu'il pourrait être jugé. Cette réputation de tête brûlée se retrouve très vite dans sa carrière politique qu'il a reprise en décembre 1973. Nommé ministre de la Défense par Begin en 1981, il inquiète déjà les Israéliens. A juste titre. Deux mois après sa nomination, il demande déjà à l'état-major de préparer l'invasion du Liban. Elle commence le 6 juin 1982. Il berne Begin en lui faisant croire qu'elle ne durera que quatre jours et sera limitée à une zone frontalière de 40 km. Puis, viendront les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila, à Beyrouth, par des phalangistes libanais sous le regard de Tsahal. Un millier de morts. Le 8 février 1983, la commission d'enquête israélienne accuse Arik de «responsabilité indirecte» dans ces tueries et recommande son limogeage. 400 000 personnes dans les rues de Tel-Aviv demandent son départ. Et l'obtiennent.
«Un loup». Après tant de fiascos, on croit qu'il a définitivement mordu la poussière. Erreur. D'ailleurs, son conseiller Uri Dan avait fait cette prédiction: «Ceux qui n'ont pas voulu l'avoir comme chef d'état-major l'auront comme ministre de la Défense; Ceux qui n'en veulent pas comme ministre de la Défense l'auront comme Premier ministre.» Pourtant, même la droite le trouve encombrant et préférerait le voir rester dans son ranch. En 1996, Benyamin Netanyahou fera tout pour l'empêcher d'entrer dans son gouvernement. En vain.
Il faut dire que l'homme est un habile tacticien. Il l'a montré le 28 septembre sur l'Esplanade des mosquées. Devenu chef de l'opposition, grâce à la démission de Netanyahou, il a, par sa visite, contré celui qui essayait de reprendre la tête du Likoud. Et en même temps, il a fait flamber l'Intifada, brûlant les dernières cartes d'un Barak fragilisé par l'éclatement de sa coalition. Aujourd'hui, l'homme qui, ministre de l'Agriculture il y a vingt ans, dessinait la carte de la colonisation israélienne en Cisjordanie, maillant les régions autonomes palestiniennes d'implantations juives pour empêcher la création d'un Etat palestinien, a-t-il un peu changé? Oui, si l'on en croit ses déclarations dans lesquelles il prend acte de l'existence de facto d'un Etat palestinien depuis Oslo. Oui, si l'on en croit ses dires dans le journal Ma'ariv: «Moi qui ai connu toutes les guerres d'Israël, vécu toutes ses peurs et vu mourir mes camarades au combat, je sais combien nous avons besoin de la paix [...]. C'est pourquoi il ne faut pas désespérer de la paix mais changer de voie pour parvenir à une vraie paix.» Mais beaucoup d'Israéliens n'en sont pas convaincus. «A son âge, Arik ne peut pas changer. Il ne faut pas se laisser prendre par les spots publicitaires le représentant en gentleman farmer entourés de ses moutons. Il reste un loup», souligne un officiel israélien.
 
5. Calme armé à Hébron - La "journée de la colère" a peu mobilisé les Arabes par Didier François
in Libération du mercredi 7 février 2001
Hébron envoyé spécial
Point de cortèges, peu d'affrontements. Dans une ville hermétiquement close, lourdement patrouillée par les soldats israéliens, la population arabe a préféré éviter la confrontation. En guise de résistance, les habitants d'Hébron ont choisi la désobéissance. Par petits groupes, passifs, sirotant un café sur les trottoirs, ils ont bravé le couvre-feu imposé la veille dans le centre, sourds aux appels à la dispersion diffusés par les haut-parleurs des Jeep de la police. Aux abords des postes de contrôle, des poignées d'enfants affrontent les forces de sécurité, rapidement dispersés par les grenades lacrymogènes. Dans les territoires occupés, cette «Journée de la colère» décrétée par la direction palestinienne à l'occasion des élections israéliennes, n'a guère mobilisé.
Lourd tribut. Le cœur n'y est plus. «On s'en fout de ce scrutin, grommelle Robin Al Qaraqi, les juifs peuvent bien voter pour qui ils veulent, ça ne changera rien à notre quotidien. Blocus, état d'urgence, tirs toutes les nuits. On vit dans une grande prison. Alors à quoi bon une journée de colère? La colère est en nous chaque jour que Dieu fait.» La rage subsiste. Mais c'est la lassitude qui l'emporte. Quatre mois de répression. Trop de «martyrs», souvent trop jeunes, tombés en vain, lançant leurs pierres sur des soldats bien équipés, décidés à user de leurs armes. Lourd tribut payé pour une révolte que chaque Palestinien sait désormais qu'elle s'inscrira dans la durée. Certains ont pu croire, au début de l'Intifada, qu'un embrasement général des territoires arracherait de rapides concessions au gouvernement Barak. Avec la victoire annoncée d'Ariel Sharon, tous ont la conviction que la nature du conflit se transforme. Il s'agit maintenant de prouver aux Israéliens, dans leur ensemble, que leur sécurité dépend d'une paix juste. Lutte de longue haleine dans laquelle il serait imprudent de s'essouffler. Rangées les pierres, place aux fusils.
Balles traçantes. Les premières ombres tombées sur la cité des Patriarches, les tireurs embusqués prennent la relève des émeutiers fatigués. Une détonation, une rafale. La riposte ne se fait pas attendre. Embossés dans la cour d'une école réquisitionnée sur les hauteurs de la ville, les chars lourds de l'armée entrent dans la danse, pilonnant de leurs mitrailleuses les immeubles suspects d'abriter des tireurs. Sur la falaise qui surplombe la vieille ville et sa colonie de juifs ultra-orthodoxes, les impacts des balles traçantes gravent leur sillon. En quelques secondes, les rues sont vides, les fenêtres calfeutrées.
La nuit, les incidents s'étendaient aux autres villes de Cisjordanie, des tirs entre le camp de réfugiés de Beit Jala et l'implantation de Gilo, à la porte ouest de Jérusalem, entraînant la fermeture de la «route de contournement», principale voie utilisée par les colons installés dans les territoires occupés. Engrenage létal.
 
6. "Les Arabes sont discriminés et la société ne croit pas à la paix". Né dans un village de Haute-Galilée, Issam Makhoul a fait son entrée à la Knesset en 1999, représentant le Hadash, le parti communiste judéo-arabe. Il s'est prononcé contre le boycott prôné par certains Arabes israéliens du scrutin du 6 février. Les Arabes sont discriminés et la société ne croit pas à la paix propos recueillis par Hélène Bourdan
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 7 février 2001
— World News Link : Pensez-vous que l'appel des Arabes israéliens à un boycott du scrutin du 6 février en Israël était une stratégie judicieuse ?
— Issam Makhoul : Je suis contre le boycottage, c'est une ligne rouge que nous, Arabes israéliens, ne devons pas franchir. Une minorité nationale comme la nôtre doit exercer son droit de vote et ne doit pas y renoncer. Ce serait faire un cadeau à la droite qui attaque constamment le droit des Arabes à participer aux élections, et ainsi peser dans les décisions nationales. Nous devons donc voter. Mais nous avions un problème : pour qui ?
— Vous n'avez pas voulu voter pour Barak parce qu'il a répondu par la force aux manifestations de soutien à l'Intifada des Arabes israéliens, lesquelles se sont soldées par 13 morts ?
— Ehud Barak nous a mis en effet dans une mauvaise situation et sanglante. En 1999, nous n'avions d'ailleurs pas voté pour lui, mais contre Benyamin Netanyahu. Barak a été élu comme promesse de paix, de démocratie, d'égalité, mais il a échoué. Il a trahi personnellement les Arabes et ceux qui soutiennent la paix. Pour nous convaincre de voter pour lui, il aurait fallu que le parti travailliste suscite de nouveaux espoirs sur les questions de justice sociale, du processus de paix, de citoyenneté, d'égalité entre juifs et Arabes. Il aurait dû également adopter une nouvelle attitude concernant les relations entre l'Etat et les Arabes.
— Mais boycotter ou voter blanc a fait le jeu d'Ariel Sharon ...
— La responsabilité en incombera alors au parti travailliste ! Celui-ci n'a jamais saisi l'occasion des élections pour changer d'attitude.
— Quels changements dans les relations entre l'Etat et les Arabes israéliens attendez-vous ? Etes-vous partisan d'une autonomie culturelle et éducative de la population arabe ?
— Non, ce n'est ni sage ni souhaitable. Ce serait une façon de perpétuer notre faiblesse dans l'Etat et la discrimination. C'est aussi une façon d'échanger des droits contre des intérêts. Nous devons plutôt trouver un moyen de promouvoir notre culture dans la société israélienne, car nous voulons que notre culture fasse partie de celle de l'Etat et l'influence. Nous ne voulons pas d'une culture arabe fermée réservée aux Arabes.
— Vous voulez donc jouer un plus grand rôle dans l'Etat ...
— Oui, notre choix stratégique, c'est d'être partie intégrante de l'Etat et de changer la situation en Israël. La réalité politique et sociale dans ce pays est mauvaise. Les Arabes sont discriminés, la société ne croit pas à la paix. Selon un récent rapport sur la pauvreté, 49 % de ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté sont Arabes. La moitié des adolescents qui n'étudient plus sont Arabes. Le chômage touche 80 % de notre population, c'est un désastre ! Ce n'est pas seulement un problème social, mais celui de la démocratie israélienne. La légitimation des droits des Arabes doit être reconnue. Les Arabes, qui constituent 18 % de la population, ont du mal à changer tout cela seuls. En même temps, aucune autre force de la société israélienne ne pourra amener la paix sans nous.
— Selon les derniers sondages, 18 % des Arabes israéliens déçus par Barak auront voté pour Ariel Sharon. Ce serait la première fois que les Arabes donnent autant de voix à un candidat de droite. Qu'en pensez-vous ?
— Si c'est vrai, je dirais que c'est l'autre ligne rouge que les Arabes israéliens n'auraient pas dû franchir. Nous ne devons pas donner une légitimité à Ariel Sharon, qui est un criminel de guerre. De plus, son programme politique est dangereux et rime avec occupation, oppression, agrandissement des colonies et même guerre.
— Vous ne partagez donc pas l'opinion dominante dans la population arabe qui considère qu'Ariel Sharon et Ehud Barak sont bonnet blanc et blanc bonnet ?
— Non. Ce n'est pas un point de vue intelligent. Même si Barak est responsable des crimes contre des Arabes israéliens et des Palestiniens, les deux hommes ne sont pas identiques.
— Quel bilan faites-vous de la conduite de Barak dans le processus de paix ?
— Il a fait toutes les erreurs possibles ! Il a cru pouvoir imposer ses propositions de paix, qu'il croyait généreuses, aux Palestiniens. Comme les Palestiniens ont refusé ses diktats à Camp David, Barak a brandi le spectre d'une explosion de violence. Il a en fait utilisé une logique de guerre pour promouvoir la paix. Je vois un autre problème qui concerne aussi l'Administration américaine et le Parti travailliste. Ils veulent imposer une nouvelle réalité qui n'est pas la fin de l'occupation.
— Pourriez-vous préciser ?
— Ils font comme si le problème entre Israéliens et Palestiniens se résumait à la satisfaction d'intérêts entre deux peuples. On ne parle plus d'un compromis historique basé sur les résolutions des Nations-Unies.
— Vous voulez dire que le plan Clinton ne respectait pas ces résolutions ?
— Non, il cherchait à se substituer à elles. Pour les Palestiniens, les frontières de 1967 sont une paix juste et un compromis de leur part, car elles représentent 22 % de la Palestine (Ndlr : définie par le plan de partage de 1947). La responsabilité d'Israël pour le problème des réfugiés et le droit au retour doivent être une partie du compromis. Ensuite, il faudra déterminer comment les appliquer par la négociation. Le problème avec Barak, c'était qu'il négociait avec la droite et les colons, pour ensuite essayer d'imposer ses conclusions aux Palestiniens. Il ne parlait pas du tout de leurs droits. C'est la même chose pour la sécurité. Américains et Israéliens continuent à la percevoir seulement pour Israël, alors que les Palestiniens aussi en ont besoin.
— Selon vous, Barak n'aurait donc fait aucun compromis ?
— Au contraire, mais ils sont insuffisants. Barak n'était pas préparé à la réalité de la situation dans laquelle il voulait imposer sa paix. Sa logique est de faire sentir aux Palestiniens combien leur vie serait insupportable s'ils n'acceptent pas ses vues. Pour avoir la paix, les dirigeants israéliens, quels qu'ils soient, doivent passer par un profond changement et répondre par la paix aux questions posées.
— Quelle solution voyez-vous pour les deux peuples ?
— Une séparation politique. Autrement dit, deux Etats basés sur les résolutions de l'Onu. Il faut aussi mettre un terme aux colonies, aux colons plutôt. Les colonies pourraient servir pour accueillir les réfugiés. Car il n'y aura pas de paix juste avec les colonies. C'est, à mon avis, le problème majeur. Les Israéliens doivent aussi se convaincre que la paix est dans leur intérêt.
— La mosquée d'Al-Aqsa, qui a donné son nom à cette Intifada, n'est donc pas une question plus difficile à résoudre que les colonies, selon vous ?
— Non. Pour moi, les problèmes sont politiques, pas religieux. Comme la souveraineté sur Jérusalem, les colonies, le droit au retour des réfugiés.
— Au commencement de l'Intifada, les Arabes israéliens ont déclaré la grève générale qui a dégénéré en émeutes. Quelles étaient les raisons des manifestations ?
— Il y en avait plusieurs, entremêlées : nationalistes, religieuses, sociales. Nous voulions prendre part à la lutte contre l'occupation et l'oppression de nos frères en Palestine. Il y avait aussi un volet interne : demander plus de droits aussi pour nous en Israël. Je crois que le meurtre du petit Mohamad Al-Dorra devant une caméra de télévision a naturellement poussé les Arabes israéliens à manifester dans les rues. Nous l'avions déjà fait après Sabra et Chatila par exemple. Mais la réaction brutale de la police à nos manifestations a démontré que Barak ne nous traitait pas comme des citoyens, même mauvais, mais comme des ennemis. Les Israéliens voulaient envoyer un message aux Palestiniens et au monde sur la question du droit au retour.
— C'est-à-dire ?
— Ils voulaient dire non seulement qu'il est impossible d'accorder ce droit, mais aussi que notre citoyenneté israélienne n'était même pas garantie pour nous après 52 ans passés au sein de l'Etat, et qu'elle était conditionnelle de notre comportement durant la phase finale des négociations de paix. Quant au droit au retour, je pense qu'Israël doit reconnaître ce droit et déclarer qu'il est responsable de la création de ce problème. Après, il faut négocier sur l'application de ce droit. J'ignore combien voudront revenir, mais je crois que les réfugiés préféreront s'intégrer dans un Etat palestinien. Pour l'heure, c'est une question impossible à résoudre en détail, mais pour progresser il faut reconnaître ce droit. Ce sera la seule façon d'obtenir un compromis historique entre les deux peuples.
— Avant l'Intifada, peu d'Arabes israéliens demandaient à rejoindre l'Etat palestinien. Aujourd'hui, leur nombre a augmenté, selon des sondages, notamment dans la région dite du triangle où vivent 200 000 personnes. Pensez-vous qu'il faut rattacher cette région avec leurs habitants au futur Etat palestinien ?
— Je pense qu'il est très important de ne pas donner l'impression aux Arabes israéliens qu'ils sont une partie négociable d'un règlement de paix. Nous ne sommes pas des colons ici et nous ne sommes pas venus dans cet Etat. J'ignore combien de personnes souhaitent cette alternative. Je préférerais les convaincre que notre rôle national est d'aider à servir une paix juste et la démocratie. Israël, selon moi, n'est pas un Etat juif, car il possède une grande minorité arabe. Il n'est pas démocratique non plus, car il nous impose, dans sa déclaration d'indépendance (1948), sa conception d'un Etat juif. Je crois donc dans la force de notre citoyenneté et dans ce que nous pouvons offrir pour la cause de notre peuple dans cet Etat, et même aux deux peuples. Israël doit construire de nouvelles lois et des valeurs universelles, pas juives.
— Quelles leçons tirez-vous de l'Intifada ?
— D'abord, l'Intifada est une réponse à la tentative des Etats-Unis et d'Israël d'imposer une solution de paix. Elle nous montre aussi que la véritable violence dans la région, c'est celle de l'occupation, qui viole les droits de l'homme. C'est un désastre pour les opprimés comme pour les oppresseurs qui se comportent d'une façon fasciste. Je pense à l'image de jeunes soldats israéliens traînant dans une rue d'Hébron, et devant les photographes de presse, le corps d'un Palestinien abattu par eux. L'Intifada a fait prendre conscience au gouvernement israélien qu'il ne peut plus continuer sa politique d'occupation, de colonisation et d'oppression. Je suis convaincu que c'est la dernière révolte palestinienne qui mettra fin à l'occupation israélienne.
 
7. L'importance grandissante des Arabes d'Israël par Mohamed Sid-Ahmed
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 7 février 2001
Avec l'accession d'Ariel Sharon à la tête du gouvernement israélien, une nouvelle et dangereuse phase du conflit arabo-israélien commence. Le besoin de resserrer les rangs arabes devient plus impérieux en même temps que plusieurs points, pas forcément négatifs, se font jour :
1. Le dossier de Jérusalem fait désormais partie des négociations. Il n'est plus — comme auparavant — ajourné. Ainsi, ce dossier, aussi épineux soit-il, figure-t-il en tête des préoccupations des Arabes ; et malgré les problèmes, il est à même de les réunir. Notons également que l'Iraq n'est plus la pomme de discorde insoluble entre les régimes arabes, et la souffrance de son peuple prend actuellement le dessus sur les actes de ses dirigeants. Bref, l'Iraq n'est plus un élément semant la discorde dans les rangs arabes.
2. Il a été décidé de tenir régulièrement un sommet arabe annuel et le prochain se tiendra à Amman en mars prochain. Cette régularité crée qualitativement un nouveau mécanisme et permet un meilleur suivi des décisions.
3. Au niveau international, les accusés de « crimes contre l'humanité » sont aujourd'hui poursuivis d'une manière sans précédent. Citons les exemples de Pinochet et de Milosevic, ainsi que d'autres, accusés d'avoir perpétré des génocides contre des civils innocents au Rwanda, au Burundi, en Bosnie, en Serbie et au Kosova. Sans oublier le jugement des deux Libyens accusés d'avoir fait exploser l'avion américain de la PanAm au-dessus de Lockerbie. L'ingérence pour des raisons humanitaires est presque devenue une partie intégrante du droit international. Ce qui pourrait dissuader Sharon, l'architecte du massacre de Sabra et Chatila, de commettre des actes similaires dans l'avenir.
Ainsi, il est facile de resserrer l'étau autour de Sharon et de l'empêcher d'aller plus loin dans ses plans. Mais il existe un autre sujet qui mérite plus d'intérêt : « les Arabes d'Israël », qui occupent une position sensible leur permettant de jouer, dans les circonstances actuelles, un rôle particulier et de plus en plus important. Ceci remet sur le tapis la question de la gestion des rapports avec Israël à partir d'Israël même. Question qui a fait l'objet de divergences dans les rangs égyptiens et arabes et qui a fait exploser ce qu'on a appelé « le problème de Copenhague ». Problème ayant divisé les intellectuels égyptiens en deux camps opposés : les partisans de la normalisation, avec certaines catégories israéliennes, et ceux du boycott de tous les Israéliens sans exception. On peut diverger sur la question de la normalisation avec les Israéliens juifs, mais pas sur celle des Arabes d'Israël. Ceux-ci ont résisté en 1948, tenu fermement à leurs terres, refusant de les abandonner.
Nous devons reconnaître que nous nous sommes trompés dans l'attitude que nous avons adoptée à leur égard. Alors que les Israéliens juifs les maltraitaient et les considéraient comme des citoyens de seconde zone. Nous en avons fait de même en les regardant d'un œil suspect. Avoir des contacts avec eux était considéré comme un danger menaçant la sécurité nationale. Ils étaient considérés comme des agents et des espions. La vérité est que si nous les avions mieux traités et considérés comme une partie intégrante de la nation, même avec leur situation anormale suscitant danger et confusion, nous aurions soutenu leur résistance plus positivement. Or, nous avons facilité la tâche d'Israël dans sa tentative de les contenir et les neutraliser en tant qu'éléments de résistance. Il est donc grand temps de les réhabiliter et de les considérer comme un groupe faisant partie des forces nationalistes, déchiré entre l'identité nationale d'une part et l'appartenance aux institutions sionistes d'autre part. Il est vrai que ces Arabes d'Israël n'ont pas tous le même degré de loyauté envers leur identité arabe. Or, ceci ne justifie guère de les rejeter tous en bloc. Plus encore, après leur confrontation avec la police israélienne à Om Al-Fahm à la suite du déclenchement de l'Intifada, nous devons reconnaître qu'ils constituent l'autre aile de l'Intifada, le prolongement de la confrontation jusqu'au sein même d'Israël. Il est probable que toutes les parties sur la scène égyptienne, qu'elles soient pro-normalisation ou pas, traitent avec les Arabes d'Israël. Est-il concevable de boycotter le grand poète Samih Al-Qassem ? Ou bien le résistant national, membre à la Knesset, Azmi Bichara ? Ce sont les Arabes d'Israël qui sont les plus aptes à être notre référence et notre guide dans nos relations avec les juifs israéliens. C'est ainsi qu'ils parviendront à réaliser une réconciliation entre les Egyptiens mêmes à cet égard.
Nous devons réaliser que le boycott est un moyen avant d'être une fin. Moyen visant à prouver à Israël que la formule de la paix à laquelle il tient est catégoriquement refusée sur le plan arabe. D'autant plus qu'il s'agit plus d'un contrat de soumission que d'une formule de paix. L'objectif du boycott est de dire à Israël que l'on résiste. Il est évident que nous ne voulons pas que l'arme du boycott se retourne contre nous, car son but premier est de nuire à l'ennemi, de le priver de certaines choses et pas de nous priver nous. Et si la levée du boycott nous permet de réaliser ce que nous n'avons pu réaliser par le boycott, alors levons-le ! Reste à dire que l'accession de Sharon au pouvoir n'est que la réaction israélienne à l'échec du processus de paix. l'Intifada a exprimé la rébellion des Palestiniens contre un processus qui s'est décrit comme un processus de paix mais qui a fini par être l'opposé de la paix, infligeant davantage de souffrance aux Palestiniens. En contrepartie, la majorité des Israéliens s'opposent en ce moment à ce processus de paix, et ce en votant pour Sharon, symbole de l'hostilité à la paix.
Il est à noter que la popularité de Sharon n'est pas due à son extrémisme et son hostilité envers les Palestiniens. C'est plutôt l'expression de la situation générale en Israël, à savoir une perte de confiance dans le processus de paix et la réapparition du sentiment pathologique que l'existence d'Israël est menacée. Le dilemme est que Sharon n'est pas apte à changer cette situation ; mais c'est elle, en changeant, qui peut le renverser. Comment est-il donc possible de l'évincer sans recourir au combat à l'intérieur même d'Israël ? En d'autres termes, sans profiter de la position des Arabes d'Israël, nos alliés naturels à cet égard ?
 
8. Les Palestiniens resteront engagés dans une stratégie de paix, selon Leïla Shahid
Dépêche de l'Agence France Presse du mardi 6 février 2001, 22h28
PARIS - ''Nous ne pouvons pas dire que nous sommes heureux des résultats des élections'', a déclaré mardi soir la déléguée générale de Palestine en France, tout en soulignant que les Palestiniens ''continueront à être engagés dans une stratégie de paix''.
Cette stratégie avait été ''choisie déjà'' du temps d'Yitzhak Rabin et de Shimon Peres, a-t-elle déclaré sur France-Infos. ''Nous l'avons continuée au temps où M. Nétanyahou était au pouvoir, nous l'avons continuée avec M. Barak nous la continuerons avec M. Sharon, si M. Sharon respecte les engagements pris par l'Etat israélien''.
''Ils (les Israéliens) continuent à chercher leur sécurité en tant que société, ce qui est légitime, mais ils la cherchent dans des réponses militaires, dans des réponses policières, répressives. Or la seule solution de la sécurité du peuple et de l'Etat israélien, c'est une paix réelle'', a-t-elle ajouté.
Estimant qu'Ariel Sharon, ''n'est pas seulement l'homme de Sabra et Chatila'', mais également ''l'homme de l'invasion du Liban'' et celui ''qui a été défier tout le monde sur le Mont du temple, l'Esplanade des Mosquées il y a trois mois et qui a déclenché l'intifada'', elle a ajouté: ''Il est ce qu'il est et maintenant il faudrait que les Israéliens assument l'homme pour lequel ils ont voté''.
 
9. A Jérusalem, deux mille manifestants de La Paix maintenant résignés au pire par Catherine Dupeyron
in Le Monde du mardi 6 février 2001
JÉRUSALEM, correspondance
Résignés. Les quelque deux mille manifestants qui défilaient samedi soir 3 février dans les rues de Jérusalem, sous la bannière du mouvement La Paix maintenant, étaient résignés. Résignés à la victoire d’Ariel Sharon, contre lequel ils manifestaient. Résignés à la certitude d’une guerre imminente dans laquelle les entraînera, pensent-ils, le responsable de la guerre du Liban.
"Il n’y a aucune chance que cela influence le résultat de l’élection. C’est fichu", confiait Itzhak, totalement dépourvu d’illusions sur l’impact politique de ce rassemblement. "Je suis venu simplement pour me souvenir", ajoutait-il. A 76 ans, Itzhak, s’appuyant sur une canne, marchait d’un bon pas, presque aussi alerte que le 10 février 1983, lorsque, protestant déjà contre Ariel Sharon, il avait emprunté avec d’autres ce même chemin partant de la place de Sion dans le centre ville pour arriver devant les bureaux de la présidence du conseil.
Ce soir-là, les manifestants demandaient le départ du ministre de la défense, Ariel Sharon, au chef du gouvernement Menahem Begin, une solution préconisée par la commission Kahane, chargée d’enquêter sur la responsabilité de M.Sharon dans les massacres des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, à Beyrouth. 
Alors que les participants commençaient à se disperser, un contre-manifestant d’extrême-droite avait lancé une grenade dans la foule, tuant Emile Grunzsweig, âgé de 35ans, et faisant plusieurs blessés, dont Avraham Burg, l’actuel président de la Knesset.
"A l’époque, sur tout le parcours, on s’est pris des tomates, des œufs, des pierres et même de la merde, et on s’est fait insulter aux cris de “Vous êtes tous des ordures”", raconte Naftali, la cinquantaine grisonnante. "Aujourd’hui, c’est beaucoup plus calme, peut-être parce que la droite est sur le point de revenir au pouvoir", précise-t-il, guère plus optimiste qu’Itzhak sur l’issue du prochain scrutin.
BEAUCOUP DE JEUNES
Samedi 3 février, jour choisi pour commémorer cet événement tragique, les incidents furent mineurs : un peu d’eau versée d’un appartement en étage, dans la rue piétonnière de Ben Yehuda, alors que le défilé commençait à peine, des fanions portant l’inscription "Seul Sharon apportera la paix" agités sur quatre ou cinq balcons, et quelques rares anathèmes, "Gauchistes, traîtres", lancés dans le lointain, au moment où les manifestants observaient une minute de silence à la mémoire du défunt.
Dans la foule, beaucoup de jeunes étaient venus pour dire leur inquiétude. Le flambeau à la main, sous une pluie battante, ils hurlaient: "Paix, oui. Occupation, non", "Barak, oui. Sharon, non", ou bien encore: "Israël-Palestine: deux Etats pour deux peuples".
Yaïr, 18 ans, la mèche rebelle, avançait en cadence avec son copain Yuval, tenant à bout de bras, une large banderole portant l’inscription: "Il est interdit de sacrifier l’espoir d’un accord". "Je ne crois pas à la violence", expliquait Yaïr. Je suis là parce que dans sept mois je pars à l’armée et j’ai peur des choix de Sharon. Je ne veux pas que ma mère tremble à chaque coup de téléphone, craignant qu’on lui annonce que je suis mort."

10. Israël ouvre ses bras à Ariel Sharon par Baudoin Loos
in Le Soir (quotidien belge) du lundi 5 février 2001
En proie au doute, les Israéliens s'apprêtent à se confier au plus faucon d'entre eux
Ce mardi, les Israéliens sont appelés à élire leur Premier ministre. Pour la première fois, cette élection singulière n'est pas accompagnée par un scrutin législatif. Elle résulte d'une crise dans le processus de paix israélo-palestinien qui a d'abord privé le Premier ministre de gauche, Ehoud Barak, de sa majorité parlementaire, il est vrai hétéroclite, avant de verser dans la violence, après la visite le 28 septembre d'Ariel Sharon, chef de la droite, sur l'esplanade des Mosquées, qui est aussi le mont du Temple vénéré par les Juifs.
Par un extraordinaire concours de circonstances, Sharon va, selon toute vraisemblance, battre Ehoud Barak ce mardi, et cela alors même qu'une majorité constante d'Israéliens continue à se déclarer favorable à une paix négociée avec les Palestiniens.
Comment expliquer ce paradoxe ? Comment expliquer que celui qui incarne l'usage des méthodes les plus brutales de répression, que celui qui n'a pas cessé, depuis 23 ans, de consacrer son énergie à la colonisation juive des territoires palestiniens pour anéantir tout rêve d'Etat palestinien, que le vétéran Ariel Sharon va sans doute bientôt occuper les plus hautes responsabilités dans la hiérarchie exécutive israélienne ?
Dans les chiffres, en tout cas, le suspense a disparu depuis belle lurette. L'avance de Sharon, selon les instituts de sondage unanimes, oscille toujours entre 16 et 21 points. Pourtant, Ehoud Barak s'est lancé ces dernières heures dans un fougueux baroud d'honneur. Cette élection, a-t-il déclaré samedi à Kiryat Shmoneh, au nord d'Israël, est peut-être la plus fatidique de la génération actuelle. Elle déterminera quelle direction les citoyens du pays entendront prendre dans les prochaines années : notre chemin vers deux nations, deux peuples côte à côte, ou bien la route du danger et de l'extrémisme, qui ne connaît aucune retenue.
« Un chemin vers deux peuples côte à côte ou la route de l'extrémisme»
Mais le problème de Barak est celui de sa crédibilité auprès des Israéliens. Sans même insister sur son arrogance naturelle et ses zigzags politiciens, ceux-ci lui reprochent surtout d'avoir échoué dans le processus de paix, ce qui a finalement abouti à une nouvelle intifada - la révolte des Palestiniens - d'une grande violence (près de 400 tués, dont une cinquantaine de Juifs israéliens). D'un point de vue largement partagé en Israël, cette vague de violence palestinienne répondait aux offres pourtant les plus généreuses, comme la division de Jérusalem, que Barak avait faites à Arafat, le président palestinien.
Que ces offres ne répondaient pas aux attentes minimalistes des Palestiniens ni ne correspondaient au prescrit du droit international compte finalement assez peu dans le tableau électoral : saisie d'un vertige presque existentiel, en l'espèce irrationnel, devant la violence et les revendications palestiniennes (comme celle du droit au retour des réfugiés), une bonne partie de la population juive israélienne préfère donner sa confiance en un homme au passé certes controversé, mais qui, lui au moins, inspire la crainte dans le camp arabe.
N'est-ce pas Sharon qui déclarait récemment à Netanya qu'il saurait faire la paix avec les Arabes : Ils savent que quand je dis oui, c'est oui, et que quand je dis non, c'est non.
Le non l'emporte souvent. Ses projets pour conclure la paix avec les Palestiniens - un « Etat » sur 42 % de la Cisjordanie, pas de colonie juive démantelée, rien sur les réfugiés et rien sur Jérusalem - augurent ainsi mal de la négociation, si elle a lieu.
Ariel Sharon, que la rumeur dit physiquement affaibli, n'a pas beaucoup expliqué son programme. Ce n'était visiblement pas ce que les Israéliens attendaient de lui.
 
11. Les réfugiés, clef de la paix ou de la guerre ? par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du lundi 5 février 2001
Réfugiés palestiniens : l'ambassadeur d'Israël en France voit dans la mobilisation pour la reconnaissance de leur droit au retour " la plus grosse supercherie politique de ces négociations ".
Lors de la constitution du Collectif européen de soutien aux réfugiés palestiniens qui s'est réalisée à Montataire (Oise), plusieurs dirigeants palestiniens ont apporté leur pierre au débat qui fait rage depuis quelques semaines sur le droit au retour des réfugiés palestiniens. Cette question, épineuse s'il en est, concerne, selon les chiffres de l'ONU, 3,7 millions de personnes vivant pour la plupart dans des camps. Alors que le droit " de rentrer dans leurs foyers " pour tous les réfugiés de Palestine figure dans la résolution 194 (adoptée en 1948 par l'Assemblée générale de l'ONU), le fait que les Palestiniens voient dans la reconnaissance de ce droit l'une des conditions d'une paix définitive est considéré comme un casus belli à Tel-Aviv : Israël accuse les Palestiniens de vouloir noyer Israël sous un flot démographique qui ferait perdre à l'Etat son caractère juif.
· Montataire, plusieurs dirigeants palestiniens se sont exprimés sur cette question. Pour Elias Sanbar, historien, directeur de la Revue d'études palestiniennes, qui dirigea la délégation chargée des négociations avec Israël sur la question des réfugiés après la conférence de Madrid en 1991, " rien ne peut être résolu si cette question ne l'est pas. Elle est au centre du problème, elle en est le noud et donc la clef ". " Le droit au retour, explique-t-il, est un droit humain fondamental qui ne peut être négocié. La résolution 194 de l'ONU est claire : le droit au retour ne peut être remplacé par une indemnisation, sauf pour les réfugiés qui y renoncent volontairement. Pour les autres, c'est le retour et l'indemnisation. Nous ne pouvons négocier l'application de ce droit que s'il a d'abord été reconnu. " Et de conclure : " Israël a eu toutes les reconnaissances possibles de tous les Etats importants du monde. Mais il lui manque l'essentiel : la légitimité. Aucun Etat ne peut la lui donner. Seules les victimes de 1948 peuvent le faire. Ce sont donc les réfugiés palestiniens qui détiennent la clef de la légitimité d'Israël dans la région. "
Abdelaziz Shaheen, ministre palestinien, qui a passé vingt ans dans les prisons israéliennes, récuse l'argument démographique : " Israël vient de fêter l'arrivée du millionième immigrant russe. Selon l'agence juive, 530 000 de ces immigrants ne sont pas juifs. Mais ils ont le droit d'habiter nos maisons et de cultiver nos terres parce qu'en 1947, la Knesset a voté une loi qui donne ce droit à tous les juifs du monde. Pourquoi, quand on évoque notre propre droit au retour, reconnu par l'ONU, y a-t-il un tel branle-bas de combat ? Nous voulons juste retrouver nos biens dont nous avons été spoliés par une agression. Nous refusons d'aller vivre ailleurs."
Pour Elie Barnavi, ambassadeur d'Israël en France, cette mobilisation des Palestiniens autour du droit au retour " constitue l'une des plus grosses supercheries politiques des négociations ". " Personne n'en parlait, et tout à coup il y a une radicalisation de l'Autorité palestinienne sur cette question ", dit-il, faisant mine de s'étonner de " cette exigence nouvelle ". Affirmant que " la résolution 194 ne mentionne pas ce droit et que de toute façon, elle n'a pas force de loi ", Elie Barnavi ajoute : " Le droit au retour des réfugiés peut paraître une exigence de bon sens et d'humanité, mais elle est totalement fausse sur le plan des principes. La logique de la création d'Israël était d'en faire un lieu de refuge pour les juifs. Pourquoi le monde arabe n'a-t-il pas pu absorber 700 000 réfugiés alors que nous venons d'absorber 1 million de Russes ? Même la reconnaissance du principe, dont parle Elias Sanbar, serait néfaste. Elle risquerait de créer un irrédentisme palestinien. Sur ce point, je suis en désaccord total avec lui. Nous ne voulons pas de droit au retour. C'est une question qui unifie tous les Israéliens, de la droite à la gauche. "
 
12. Les droits de citoyen par Michel Muller
in L'Humanité du lundi 5 février 2001
Ahmed Muhaisen est le coprésident de l'association pour le jumelage des villes françaises avec les camps de réfugiés palestiniens. Il habite dans le camp de Dheisheh (80 000 habitants), non loin de Bethléem en Cisjordanie occupée.
" Les réfugiés de Dheisheh sont originaires de trente-neuf localités dont Zakaria, une ville située à environ 6 kilomètres du camp, de l'autre côté de la ligne de démarcation d'avant juin 1967. Ils en ont été chassés par la guerre en 1947-1948. Aujourd'hui, ils sont très motivés par le combat contre l'occupation. Dans le même temps, la situation s'est dramatiquement aggravée : nous ne pouvons plus aller travailler en Israël à cause des bouclages. Pour nous, travailler en Israël - et pour certains même dans des colonies juives - est une question de survie.
La question essentielle est le droit au retour. Nous craignons tous que, d'une manière ou d'une autre, ce droit ne sera pas réellement mis en application avec les négociations actuelles. Nous combattrons tout accord qui transigerait avec ce droit. Le seul problème est l'attitude des Israéliens. Ils veulent un pays " pur ". Les autorités israéliennes affirment elles-mêmes être en mesure d'accueillir 10 millions de juifs de la diaspora. Alors pourquoi y aurait-il des difficultés d'accueillir 4 millions de Palestiniens ?
Pour nous, en Israël et en Palestine, ce qui est essentiel, c'est d'avoir tous les droits d'un citoyen, ce qui n'est même pas le cas actuellement pour les Arabes d'Israël. Le nom du territoire dans lequel nous vivrons importe peu. Par exemple, je suis originaire de Zakaria. Cette ville se trouve en Israël. Je vivrai donc en Israël. Si je venais d'un village en Palestine, je vivrais en Palestine. "
 
13. "On nous dénie nos droits" témoignage recueilli par Thomas Cantaloube
in L'Humanité du lundi 5 février 2001
Mahmoud M. Abbas vit depuis 1948 dans le tristement célèbre camp de réfugiés de Chatila, au Liban, où il s'occupe d'une association d'aide aux enfants. " De tous les réfugiés palestiniens, nous avons les conditions les plus difficiles, à cause du gouvernement libanais qui est très agressif à notre égard. Le Liban nous dénie les droits sociaux et économiques élémentaires : il faut verser des pots-de-vin pour pouvoir travailler. On nous refuse le droit d'association : nous ne pouvons pas fonder de syndicats ou d'associations culturelles sous peine d'être arrêtés. Cela me fait mal de dire cela à propos d'un pays arabe, mais le Liban traite les Palestiniens comme des citoyens au bas de l'échelle, alors qu'en Jordanie ou en Syrie, même si leurs conditions de vie sont difficiles, ils sont au moins considérés comme égaux avec le reste de la population. De plus, nous sommes considérés comme " dangereux " par Israël car nous demandons à pouvoir bénéficier du droit au retour en Palestine pour tout le monde sans exception. Nous n'accepterons pas d'être divisés en admettant, par exemple, le seul retour des enfants et des vieillards. Nous considérons que le retour est notre droit individuel, comme l'ONU l'a reconnu dans sa charte sur le droit au retour des réfugiés. "
 
14. Pour certains Israéliens, Sharon a un lourd passé. Certains considèrent l'ex-général candidat au poste de Premier ministre comme un héros. D'autres se souviennent des massacres par Tracy Wilkinson
in The Los Angeles Times (quotidien américain) du samedi 3 février 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Jérusalem -- L'homme qui semble promis à la victoire, aux élections, mardi prochain, pour la désignation du Premier ministre d'Israël, a amassé au cours de sa carrière le score le plus controversé de toute l'histoire de l'Etat juif.
L'histoire personnelle d'Ariel Sharon est intimement associée à celle de sa nation. Il a combattu au cours de trois guerres et il est le cerveau de l'invasion du Liban, en 1982. Il est aussi le concepteur d'une politique de colonisation agressive en Cisjordanie, territoire revendiqué par les Palestiniens. Ce général à la retraite, âgé de soixante-douze ans, politicien vétéran de la droite, est pour certains un héros qui a joué un rôle décisif dans l'évolution d'Israël, lui faisant occuper le rang de puissance dominante dans la région. Mais pour d'autres, Sharon est un extrémiste prêt à tout pour arriver au pouvoir.
Sharon voit dans son élection probable une revanche, une chance d'effacer les taches noires qui déparent sa carrière politique. Si les sondages disent vrai, il arrivera au sommet du pouvoir, en Israël, dans ce qui sera un véritable raz-de-marée politique. Le poste de premier ministre est celui qu'il n'a encore jamais occupé, c'est aussi le poste auquel beaucoup de gens pensaient qu'il n'accéderait jamais...
En dehors d'un noyau de droite qui soutient Sharon de manière fervente, les Israéliens qui s'apprêtent à voter pour le candidat du Likud comportent ceux qui croient que sa campagne montrerait qu'il s'est adouci, avec les ans ; ceux qui pensent qu'il s'agit toujours du militaire extrêmement dur, et qui pensent que c'est ce dont le pays a besoin en ces temps d'escalade de la violence avec les Palestiniens ; et enfin, ceux qui ne savent pas grand-chose de lui, à l'instar des immigrants récents ou des jeunes, mais qui sont farouchement opposés à son rival, Ehud Barak.
Les efforts déployés par les partisans du rival de Sharon, le Premier ministre démissionnaire Ehud Barak, du parti travailliste, afin de dénoncer les aspects les plus négatifs de la personnalité du candidat du Likud, ne sont pas parvenus à dynamiser les électeurs.
Certains Israéliens s'en sont tenus au mythe qui voudrait que seule la droite peut faire la paix, en faisant remarquer que l'ancien Premier ministre Menachem Begin avait contribué à la signature du traité (de paix) le plus effectif jamais conclus par Israël : le traité avec l'Egypte, de 1979. Ils se basent aussi sur le fait que Sharon a fait évacuer les implantations juives dans la Péninsule du Sinaï de manière à mettre cet accord en application et qu'il a contribué, par la suite, à la négociation de l'accord de Wye Plantation, en 1998, qui comportait la rétrocession de territoires aux Palestiniens.
Mais d'autres Israéliens citent des événements, dans le passé de Sharon, qui reflètent la propre histoire - sanglante - d'Israël. Au cours des premières années d'existence de l'Etat juif, alors assiégé, il a mené des raids anti-terroristes secrets, contre des villages arabes, au cours desquels des femmes et des enfants ont été tués, ce qui lui a valu sa réputation de commandant de guerre flamboyant et zélé. En 1982, il a fait plonger Israël, vingt années durant,  dans une occupation mortelle, traumatisante et finalement désastreuse du Liban.
La visite de Sharon, en septembre dernier, sur le Mont du Temple, le lieu saint le plus disputé de Jérusalem, est considéré par certains comme l'événement qui a déclenché l'effusion de sang qui n'a pas cessé, depuis lors, dans cette région du monde. Sharon, lui, accuse les Palestiniens.
"Il a toujours été sur le front aux moments les plus critiques, qu'il s'agisse du front militaire ou du front politique, dans l'histoire d'Israël", dit son associé de toujours, Raanan Gissin, "et il s'est toujours attiré les critiques".
Sharon a décliné une demande d'interview que lui présentait un journaliste israélien, mais non sans prendre le soin de lui dire qu'il avait été démonisé d'une manière injuste comme quelqu'un "qui mangerait de l'Arabe au petit-déjeuner".
En tant que ministre des transports, puis, plus tard, des infrastructures, Sharon a parsemé la Cisjordanie d'implantations juives et de routes de contournement afin de rendre impossible un contrôle éventuel de la région par les Palestiniens. En tant que ministre des affaires étrangères, il y a deux ans, il s'est rangé aux côtés de la Russie et des Serbes contre les Albanais du Kosovo, majoritairement musulmans, alors même que l'OTAN avait engagé sa campagne aérienne contre la Yougoslavie. Il considère encore le Président de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, comme un criminel auquel il exclut de serrer la main.
Sharon est né dans la Palestine mandataire, en 1928, dans une famille d'immigrants russes (biélorusses, NdT). Il a hérité de ses parents un profond attachement à la terre et une profonde méfiance pour les Arabes, qui encerclaient les fermes juives, à l'époque, et étaient considérés comme une menace.
La famille Sharon était tenue à l'écart et considérée comme querelleuse, au sein de la communauté juive. D'après sa biographie, publiée en 1985 "Sharon : un César israélien", par Uzi Benziman, le père du futur général, très strict et la tête près du bonnet, avait équipé son fils , âgé alors de six ans, d'un bâton plus grand que sa taille : il était censé en user contre les petits camarades qui oseraient l'embêter. A dix ans, Ariel utilisait son bâton, au cours de meetings de gamins qu'il réunissait, pour les faire se tenir cois.
Sharon s'est engagé dans la Haganah, une force paramilitaire clandestine, alors qu'il n'avait pas encore vingt ans. Il est devenu un combattant endurci et respecté au cours de la Guerre d'Indépendance de 1948. En 1953, il a été nommé commandant de l'Unité 101, une unité spéciale qui menait des raids de représailles contre des combattants arabes qui planifiaient des incursions ("infiltrations") en Israël.
"Il a appris à ses hommes que les Juifs ne doivent pas se contenter de rester passifs et d'être pris pour cibles, et que l'agression arabe devait être rendue au centuple", écrit Benziman, son biographe.
En représailles de l'égorgement d'une femme juive et de ses deux enfants, Sharon a mené, en 1953, un raid contre le village de Kibya, en Cisjordanie alors sous souveraineté jordanienne. Ses troupes ont détruit à l'explosif 45 maisons ; 69 villageois, dont la moitié de femmes et d'enfants, furent tués. Sharon déclara, à l'époque, qu'il croyait que les maisons étaient vides de leurs habitants. Cet épisode sanglant valut à Israël sa première condamnation aux Nations-Unies.
Durant la campagne du Sinaï, en 1956, des parachutistes commandés par Sharon furent lâchés sur le col de Mitla. Cette opération coûta 28 morts et 120 blessés à Israël, et Sharon échappa de justesse à la cour martiale. Ses supérieurs l'accusèrent d'indiscipline et de s'être aventuré dans une manoeuvre injustifiée et mal préparée : sa promotion au grade de général en fut repoussée pour de nombreuses années.
Il devint, enfin, brigadier général en 1967, et sa réputation de stratège de champ de bataille fut soulignée au cours de la guerre dite "des Six Jours" et au cours de la guerre de 1973, dite du "Yom Kippur". Durant ce deuxième conflit majeur, il a été crédité d'être parvenu à faire basculer le sort de la bataille en franchissant le Canal de Suez, afin de prendre l'armée égyptienne à revers.
Entre ces deux guerres, Sharon a mené une campagne anti-terroriste destinée à "nettoyer" la bande de Gaza. Des milliers de maisons palestiniennes des camps de réfugiés furent rasées, des centaines de Palestiniens furent arrêtés, et les parents de terroristes présumés furent placés dans des camps de détention.
Ces méthodes furent condamnées, en leur temps, à l'intérieur et à l'extérieur d'Israël, mais Sharon affirme aujourd'hui qu'il était capable de faire la différence entre les terroristes et les civils.
Après la guerre de 73, Sharon quitta l'armée, contribua à créer le parti Likud (droite) et fut élu à la Knesset, le parlement israélien. Il occupa différents postes ministériels, jusqu'au jour où il fut nommé ministre de la défense par Begin, en 1981.
Sharon se mit sans plus tarder à planifier l'invasion du Liban. Les buts affichés de cette opération étaient de protéger les implantations israéliennes du nord contre les bombardements des formations de guérilla opérant depuis le Liban et de chasser de ce pays l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP).
Le 6 juin 1982, le gouvernement israélien donna le feu vert à ce qu'il affirmait devoir être une opération-éclair, qui ne devait pas entraîner de pénétration de l'armée israélienne au-delà d'une profondeur de 25 miles (une trentaine de kilomètres) à l'intérieur du territoire libanais. Des membres du gouvernement déclarèrent, par la suite, que Sharon les avait trompés et qu'il avait l'intention, dès le début, de mener une guerre totale. Sharon prétend que les officiels du gouvernement étaient au courant de ses plans et qu'ils n'ont jamais prétendu avoir été trompés par lui avant que de vastes manifestations de protestation contre la guerre aient rassemblé des centaines de milliers de personnes dans les rues de Tel-Aviv.
Naftali Raz, un militant pacifiste participant activement à la campagne électorale de Barak, avait été envoyé au Liban, comme parachutiste, en juin 1982. Il se revoit, au bout de quatre jours de campagne, arpentant avec son unité les rues de Beyrouth-Est, à plus de soixante-dix kilomètres à l'intérieur du Liban.
"J'étais au centre de Beyrouth. J'ai entendu sur mon poste de radio-transistor, Ariel Sharon déclarer à la Knesseth qu'Israël ne se trouvait pas dans - et ne s'approcherait jamais de - la ville de Beyrouth", nous a raconté Raz, se souvenant de cette semaine tragique. "J'ai regardé l'un des autres parachutistes : nous ne savions pas s'il fallait en rire, ou en pleurer... Non seulement Sharon nous avait menti, à nous, ses soldats, mais il mentait aussi au parlement et au gouvernement. Il mentait à tout le monde, parce qu'il avait d'autres objectifs".
Sharon considère l'aventure au Liban comme une victoire, parce qu'il a réussi à en éliminer la présence de l'OLP. Mais beaucoup d'Israéliens pensent que Sharon les a plongés dans la première "guerre choisie" de la nation israélienne : une guerre choisie délibérément, qui aurait pu être évitée. Environ un millier d'Israéliens et des milliers d'Arabes périrent au cours de cette longue occupation, qui a infligé à la société israélienne le tribut d'un profond traumatisme psychologique.
Plusieurs mois après l'invasion initiale, un chrétien libanais maronite, Bashir Gemayel, fut élu président de la république libanaise, et immédiatement assassiné : il n'avait pas eu le temps de prendre ses fonctions. Deux jours plus tard, Sharon autorisait les milices phalangistes chrétiennes à pénétrer dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, à Beyrouth-Ouest, placée sous contrôle israélien.
Les Phalangistes se sont déchaînés trois jours durant, égorgeant des centaines de Palestiniens civils pour prétendument venger l'assassinat de Gemayel. L'indignation internationale fut immédiate et générale. Le gouvernement israélien diligenta une enquête, et Sharon fut tenu indirectement responsable des massacres, pour avoir été incapable de prévoir et d'empêcher les atrocités commises dans ces deux camps.
"Il s'agit d'une faute, de défaillance à faire face à un devoir dont le ministre de la défense était chargé", conclut la commission Kahana.
Sharon fut contraint à se démettre, bien qu'il continuât à diriger d'autres ministères. Mais il fut, en quelque sorte, réhabilité, et se vit confier des maroquins de plus en plus importants dans les gouvernements dirigés par la droite. Il prit le contrôle du parti Likud, en 1999, après l'échec aux élections du Premier ministre d'alors, Benjamin Netanyahu. Depuis lors, il a repris l'opposition en main, l'amenant aux portes du pouvoir, avec sa victoire prévisible et prévue aux élections du mardi 6 février 2001.
 
15. La première tentation de Sharon : La guerre par Walid Charara
in Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 2 février  2001
La première tentation d'Ariel Sharon, s'il est élu Premier ministre en Israël le 6 février prochain, sera... la guerre. Il en a déjà élaboré les plans et les objectifs et construit une argumentation pour convaincre la nouvelle administration américaine au sein et autour de laquelle il a de nombreux amis. Politique fiction.
Trois jours après son accession au poste de Premier ministre, Ariel Sharon se rend à Washington pour une visite de concertation. Parmi les raisons invoquées, il y a sa volonté de démentir les rumeurs faisant état d'un refroidissement des relations israélo-américaines avec l'arrivée d'une administration américaine moins philo-sioniste que la précédente et sa propre victoire électorale interprétée comme un coup fatal au processus de paix. Il y a aussi la nécessité d'une réflexion commune sur les moyens de relancer ce même processus. La raison officieuse est tout autre: l'inquiétude grandissante des deux parties face au rapprochement syro-irako-iranien qui pourrait évoluer vers la constitution d'un axe entre les trois pays.
Sharon est un familier de la nouvelle administration et surtout de ses faucons:
* Condoliza Rice, la conseillère nationale de sécurité du président Bush, qui, dans un article exposant les grandes lignes de la politique étrangère des républicains américains, disait que les Etats-Unis ont au Moyen-Orient des amis et des alliés (Israël et la Turquie) faisant passer les seconds avant les premiers.
* Donald Rumsfeld, actuel ministre de la Défense, est l'un des concepteurs du projet de bouclier antimissile et partisan d'une politique étrangère plus offensive contre les Etats voyous (rogue states).
Sharon est aussi très lié à certains conseillers très influents de la nouvelle administration, comme Alexandre Haig, ministre de la Défense de l'administration Reagan, avec lequel il avait scellé l'alliance stratégique israélo-américaine en 1981 et qui lui avait donné le feu vert pour l'invasion du Liban, un an plus tard. Ce même Haig a contribué, avec une dizaine d'autres experts, à la rédaction d'un rapport du Washington Institute for Near East Policy à l'adresse de la nouvelle administration, lui conseillant de perpétuer la suprématie militaire d'Israël sur l'ensemble de ses voisins.
Sharon compte en partie sur lui et sur les autres vétérans de la guerre froide ainsi que sur l'Aipac (lobby pro-israélien) pour la réalisation de ses desseins. Comme en 1982, il voudrait convaincre les Etats-Unis que l'action d'Israël s'inscrit dans le cadre de leur stratégie globale. Ceux-ci, après avoir subi plusieurs défaites au Vietnam, en 1975, au Nicaragua, en 1978, en Iran, en 1979, et vu les Soviétiques envahir l'Afghanistan et se rapprocher des mers chaudes, en 1980, portent Ronald Reagan au pouvoir sous le signe de la revanche. Il se livrera à une offensive tous azimuts, armant et formant les moudjahidin afghans, les Contras nicaraguayens et l'Unita angolaise. L'invasion du Liban en 1982 s'inscrivait dans cette offensive car il s'agissait de détruire une force alliée à l'URSS, l'OLP, et d'en affaiblir une autre, la Syrie, tout en amenant le Liban dans le giron américain. Bien que nombre d'observateurs mettent en garde l'Administration américaine contre le soutien inconditionnel à la politique du gouvernement Begin et ses effets déstabilisateurs sur la région et sur les intérêts américains, celle-ci pensait au contraire qu'elle pouvait instrumentaliser l'extrémisme israélien pour pousser le monde arabe à un plus grand alignement sur sa politique. La médiation américaine devenait le seul recours pour modérer cet extrémisme et gagner en échange de substantielles concessions politiques de la part des Etats arabes. Du côté israélien, en plus de tous les avantages politiques, économiques et militaires tirés de ce rôle fonctionnel dans le cadre de la stratégie américaine qui le consacrera «atout stratégique majeur» (major strategic assets), l'objectif était d'éradiquer le mouvement national palestinien.
Sharon interprète donc le retour aux affaires de ses amis faucons républicains comme un prélude à une nouvelle offensive américaine sur le plan mondial et régional. A ses yeux, le bilan de l'Administration Clinton au Moyen-Orient est une série d'échecs: échec de «l'endiguement dual» contre l'Irak et l'Iran. L'Iran est devenu une puissance régionale ayant normalisé ses relations avec les pays avoisinants ainsi qu'avec les pays de l'Union européenne. Sa coopération militaire avec la Russie et la Chine est une source d'inquiétude grandissante à Washington et à Tel-Aviv.
* L'embargo contre l'Irak est en voie de délitement et le pays effectue un retour progressif sur les scènes régionale et internationale.
* La division provoquée dans le monde arabe par la guerre du Golfe, qui a nourri tant de fantasmes à Washington, Tel-Aviv ou Paris sur la fin du nationalisme arabe, la fin de la centralité de la cause palestinienne et le triomphe du réalisme, est en voie de dépassement avec le retour d'un minimum de concertations interarabes et la réhabilitation d'institutions comme le sommet arabe. Même les amis de Washington, comme Le Caire et Riyad, ont montré à plusieurs occasions des velléités d'indépendance (l'agression d'avril 1996 contre le Liban, le boycott du sommet de Doha, la normalisation avec l'Iran, etc.).
* Le blocage du processus de paix sur les volets libanais, syrien et dernièrement palestinien a permis une victoire militaire contre Israël au Liban-Sud et une insurrection populaire contre son occupation des territoires palestiniens.
* Le plus inquiétant reste le rapprochement irano-irako-syrien signalé précédemment et la possibilité de la constitution d'un axe politico-militaire entre les trois pays au cas où la situation régionale actuelle perdurerait.
La conclusion qui s'impose aux yeux de Sharon, et qu'il espère entendre à Washington, c'est la nécessité de briser le nouveau statu quo. La nouvelle politique américaine plus offensive contre l'Irak est la bienvenue mais reste insuffisante. Une politique israélienne d'escalade contre la Syrie au Liban serait un moyen de pression sur cette dernière, permettant de l'éloigner de l'Irak et de l'Iran et de l'obliger à retourner à la table des négociations en revoyant ses conditions à la baisse.
 Il estime que la Syrie souffre aujourd'hui de l'absence d'un allié international véritable. Sa coopération avec une Russie caractérisée par l'éclatement du centre de décision entre la présidence, le ministère de la Défense et le ministère des Affaires étrangères n'est pas comparable à son alliance avec l'ex-URSS. Israël pourra user de son influence dans l'entourage de la présidence et de la familiarité qui caractérise les relations de son nouveau ministre de l'Intérieur Nathan Chtaransky, d'origine russe, avec les cercles dirigeants et les entrepreneurs politico-financiers, comme Boris Perezovsky. pour neutraliser les velléités pro-arabes de certains secteurs de l'armée russe et des Affaires étrangères. Plusieurs déclarations du président Vladimir Poutine et de ses proches conseillers sur la nécessité d'une coopération internationale contre l'islamisme, et plus particulièrement d'une collaboration avec Israël qualifié par le président russe de modèle de lutte efficace contre le terrorisme, sont des signes encourageants dans cette direction.
S'il use de ces arguments focalisés sur la dimension régionale pour séduire Washington, les considérations intérieures de Sharon sont sa véritable priorité. Depuis quatre mois, Israël fait face à une intifada populaire qui s'est transformée en un conflit de basse intensité rendant les territoires palestiniens ingouvernables pour l'armée d'occupation et invivables pour les colons. La répression sanglante et massive n'a fait qu'accélérer cette transformation et le conflit n'a pas baissé qualitativement d'intensité. Il voit, comme une partie importante de l'état-major, dans ce mouvement insurrectionnel le fruit d'une contagion libanaise due à l'exemplarité de la résistance armée menée par le Hezbollah contre l'occupation israélienne aux yeux des Palestiniens. Les preuves ne manquent pas: drapeaux du Hezbollah dans les manifestations, portraits de sayyed Hassan Nasrallah, déclarations des dirigeants de l'intifada comme Marwan Barghouthi qui déclara (dans une interview à Magazine) que «les actions héroïques du Hezbollah ont eu un impact fondamental sur le moral de notre peuple et nous ont incités à redoubler d'ardeur dans notre lutte contre l'occupation».
A côté de l'important mouvement de solidarité qu'elle suscita dans le monde arabe et qui se traduira par un arrêt du processus de normalisation entre les pays arabes et Israël, l'intifada a provoqué un début de fracture dans la société israélienne et conduit à soumettre au débat public des questions jusque-là restées taboues, comme le démantèlement des colonies, le statut de Jérusalem-Est, le droit au retour des réfugiés, même si sur ce dernier point il y a consensus en Israël. Cette fracture et ce débat sont une catastrophe nationale pour la droite et l'extrême droite israélienne, dont l'obsession de certains dirigeants pour l'unité va jusqu'à théoriser la nécessité de maintenir une situation d'hostilité permanente avec l'entourage arabe pour préserver la cohésion de la société israélienne. Le vote pour Sharon s'explique aussi en partie par le fait que c'est le candidat qui permet de transcender les clivages entre religieux et laïques, entre séfarades et ashkénazes, clivages qui s'approfondissent ces derniers temps.
Laisser l'armée vaincre
Porté au pouvoir pour laver l'affront, ayant mobilisé son public autour du mot d'ordre «Laisser l'armée vaincre», Sharon pense que la seule solution pour sortir Israël de l'impasse actuelle est l'élévation du niveau du conflit. Le début de la mise en œuvre de cette stratégie ne sera pas dans les territoires palestiniens, car l'insurrection qui s'y déroule jouit d'une certaine compréhension dans l'opinion publique mondiale. Ce sera plutôt au Liban qu'elle sera mise en œuvre et l'argument israélien sera: «Nous nous sommes retirés mais sommes toujours attaqués. Nous avons le droit de nous défendre.» Il est évident que l'agression se résumera essentiellement à un bombardement intensif des infrastructures du pays, des bases et institutions du Hezbollah, ainsi que des armées libanaise et syrienne. Il n'y aura pas d'offensive terrestre ni d'occupation d'une quelconque parcelle du territoire libanais, Israël ayant longuement médité les leçons de son expérience libanaise.
Les attaques israéliennes auront pour effet d'exacerber les contradictions internes libanaises ainsi que l'opposition de certains courants aux relations spéciales avec la Syrie. Ces derniers établiront une causalité directe entre ces relations et la transformation du Liban en un champ de confrontation régional. Ils seront tentés de suivre la même stratégie que l'opposition serbe durant et après la guerre contre la Serbie. Cette dernière fera porter à Milosevic la responsabilité de la guerre et capitalisera le mécontentement né des difficultés provoquées par les conséquences de la guerre (destruction des infrastructures, délabrement de l'économie, isolement international) dans sa confrontation avec le pouvoir. A la différence de la Serbie, cette stratégie aiguisera les clivages intercommunautaires, suscitant une recomposition des alliances politiques, et ramènera le Liban à un contexte comparable à celui de la guerre civile. Il n'est pas à exclure que Sharon renoue le contact avec certaines de ses vieilles connaissances et leur fasse miroiter l'idée d'un soutien possible à leur action. Cette situation de quasi-guerre permettra à Israël de passer à la phase II de son plan: déclarer l'Etat d'exception dans les territoires palestiniens qui se traduira par un bouclage des enclaves autonomes, pouvant aller jusqu'à la coupure totale de l'eau et de l'électricité, un bombardement massif de ces zones après chaque opération de résistance et l'intensification des opérations spéciales contre les cadres et dirigeants des organisations palestiniennes.
Les conditions américaines
Le pari de Sharon s'appuie sur un équilibre précaire: mener une quasi-guerre sans basculer dans la guerre totale. Il mise évidemment sur le fait que les autres Etats arabes, l'Egypte en tête, s'opposeront par des moyens exclusivement politiques et diplomatiques à l'agression israélienne tant que celle-ci concerne les territoires palestinien et libanais. Leurs efforts consisteront essentiellement à presser les Etats-Unis à intervenir pour arrêter une escalade dangereuse pour la stabilité dans la région. Les conditions américaines seront explicites:
* Acceptation par la direction palestinienne d'une solution au conflit sans le droit au retour des réfugiés.
* Désarmement du Hezbollah et reprise des négociations israélo-syriennes.
* Arrêt de la coopération syro-irakienne et participation de Damas aux efforts visant à réunifier l'opposition irakienne et à renverser le régime de Saddam Hussein.
* Arrêt de la coopération politique syro-iranienne et refroidissement des relations entre les pays du Golfe, l'Egypte et l'Iran en attendant que ce pays accepte les conditions américaines pour le début du dialogue.
Dans les calculs de Sharon, il n'y a pas de place à l'Union européenne qui est pour lui un nain politique et dont certains pays se réjouiront de voir l'influence syrienne affaiblie au Liban. Quant à la Chine, sa coopération avec Israël dans le domaine des technologies militaires l'incitera à se limiter à une condamnation de principe de l'agression israélienne qui ne sera suivie d'aucune mesure concrète.
Ce qui a précédé n'est que de la politique fiction. Nombreux sont les facteurs qui pourraient empêcher la réalisation d'un tel scénario:
* Un refus des éléments pragmatiques dans l'actuelle administration américaine par crainte des répercussions régionales d'une politique d'escalade israélienne.
* La résistance des acteurs palestinien, libanais et syrien qui ont prouvé qu'ils étaient des «durs» à cuir et ne fléchiront pas tel que le souhaite Sharon. Leur capacité de nuisance est peut-être sous-estimée par le «bulldozer» mais elle est bien réelle et pourrait lui réserver de véritables surprises.
* La réaction du monde arabe peut être imprévisible. Qui peut assurer que l'Egypte pourrait rester les bras croisés en cas d'agression israélienne? L'opinion publique égyptienne pardonnera-t-elle au régime une neutralité, dans le contexte actuel, en cas de conflit? La Jordanie survivra-t-elle à un tel conflit? La population, majoritairement d'origine palestinienne, restera-t-elle les bras croisés à contempler le massacre de son peuple de l'autre côté de la frontière?
Une telle escalade pourrait entraîner toute la région dans la guerre avec des effets directs sur les intérêts américains. Cependant, connaissant le personnage et son histoire, il y a matière à examiner tous les scénarios imaginables quelle que soit leur probabilité. Depuis le début de l'intifada, la concertation arabe est une nécessité impérieuse, surtout pour les trois parties les plus directement concernées: les Libanais, les Syriens et les Palestiniens. Si l'éventualité de la victoire d'un Sharon pouvait la hâter, ce serait une bonne chose...
-----
Israël vu par Sharon
Fin 1981, Ariel Sharon préfaça un rapport écrit par Oded Yemon, spécialiste du monde arabe, intitulé Stratégie d'Israël pour les années 80. Dans sa préface, Sharon considérait que l'espace sécuritaire d'Israël s'étendait du Pakistan jusqu'au Tchad. Il estimait toute forme de coopération rapprochée entre les pays arabes, notamment entre les pays frontaliers avec Israël, comme un casus belli. Il épousait, par ailleurs, la thèse centrale de l'éminent spécialiste. Ce dernier ne fit que répéter la théorie orientaliste classique selon laquelle la région du Moyen-Orient n'est qu'une mosaïque de religions, d'ethnies et de tribus dont les conflits sont antagonistes car chargés d'histoires et de sacré. C'est ce qui explique pour lui le manque de légitimité et de cohésion nationales dans les Etats-nations modernes issus de la décolonisation. Israël a tout intérêt à exploiter cette situation et à instrumentaliser ces contradictions en apportant un soutien direct aux minorités. Ces derniers devront être encouragés à suivre une stratégie séparatiste menant à la division des Etats arabes actuels en une multitude de mini-Etats ethniques, religieux, communautaires ou tribaux. L'auteur fera ensuite l'inventaire des minorités à soutenir: les maronites au Liban, les chiites et les kurdes en Irak, les coptes en Egypte, les chrétiens et animistes du Soudan-Sud, les kabyles en Algérie, les berbères au Maroc, les chiites en Arabie Saoudite, etc. Il faudrait signaler qu'avant la date de la rédaction du rapport, Israël avait signé un accord de paix avec l'Egypte. Ce fait n'empêcha pas Oded Yemon de préconiser sa division. L'autre partie du rapport préconise un renforcement de la stratégie périphérique d'Israël, c'est-à-dire de son alliance avec les Etats à la périphérie du monde arabe que sont la Turquie et l'Ethiopie. La configuration géopolitique ayant connu certaines modifications, il faudra s'attendre à ce que Sharon s'attache à l'esprit du rapport.
------
Administration Bush : une politique étrangère plus offensive
La politique étrangère de la nouvelle administration s'annonce bien plus offensive que la précédente. Le secrétaire d'Etat à la Défense, Donald Rumsfeld, à peine ses fonctions prises, a déclaré que les Etats-Unis ne se considéraient plus liés par le traité antimissile balistique (ABM) signé avec l'ex-URSS en 1972. Le prétexte invoqué n'est autre que... la disparition de l'URSS. La nouvelle administration se lance dans le programme du bouclier antimissile (NMD) sans se soucier de l'opposition de la Russie, de la Chine ou des Européens ni de leurs mises en garde contre le risque d'une relance de la course aux armements. Par ailleurs, Colin Powell, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, a annoncé sa volonté de revitaliser les sanctions contre l'Irak sans annoncer la forme que prendra cette revitalisation. Ce durcissement touche aussi la Chine: la nouvelle administration a clamé haut et fort sa volonté d'armer Taiwan. Les experts les plus durs en politique étrangère ont à nouveau voix au chapitre. Ainsi Kenneth Allard, expert au Center for Strategic and International Studies, se félicite de la résolution de la nouvelle administration à s'opposer ouvertement à l'initiative de défense européenne qui, non seulement ne tient pas debout financièrement, mais risque d'affaiblir l'Otan.
Henry Kissinger dresse de son côté un constat très critique du bilan de la politique étrangère de la précédente administration: sur les sanctions contre l'Irak, Cuba, l'Iran, sur la politique au Moyen-Orient, sur le projet NMD, sur le commerce, les politiques énergétiques, les relations avec l'Europe, etc. Il appelle la nouvelle administration à convaincre les Européens d'adhérer au bouclier antimissile et à renoncer à une défense autonome. Dans les capitales européennes, on espère que les Cold warriors (vétérans de la guerre froide), représentés par Rumsfeld et Cheney, ne domineront pas l'équipe de Bush. Au Moyen-Orient, contrairement à une conviction très répandue, le danger de ces vétérans ne devrait pas être sous-estimé. Il est vrai que l'administration Clinton était la plus philo-sioniste des administrations américaines et que son soutien à Israël était inconditionnel et total. Le fondement de ce soutien était la convergence des intérêts stratégiques israélien et américain. L'ensemble des membres de la nouvelle administration ont souligné l'importance de cette convergence et leur attachement... à la sécurité d'Israël au nom de laquelle toutes ses guerres ont été justifiées. Dans le cadre de leur nouvelle offensive mondiale, ils pourraient être tentés de commencer par le maillon faible, mais d'une grande importance géostratégique et économique, qu'est le Moyen-Orient. Leur ami Sharon serait comblé d'être l'instrument d'une telle stratégie.
-----
Sharon le «bulldozer»
Né à Kfar Malal en 1929, Ariel Sharon, surnommé le «bulldozer» à cause de sa corpulence massive, a commencé tôt sa vie active dans les forces armées israéliennes. Il occupa plusieurs postes, surtout le commandement du redoutable commando, connu sous le nom d'Unité 101, créé en 1953 par Moshé Dayan qui avait élaboré sa politique de «représailles massives» contre les pays arabes.
Lors de la guerre du Kippour en 1973, Sharon joua en tant que commandant de réserve un rôle prépondérant dans la percée sur l'ouest du canal de Suez.
Après avoir démissionné des forces armées en 1973, il participa à la formation du Likoud et fut conseiller du gouvernement à la Défense de 1975 à 1976. En 1977, Sharon devint le chef du parti Shlomzion, qui remporta deux sièges aux élections. C'est le Likoud qui remporta les élections cette année-là. Le Shlomzion fusionna avec le Likoud et Sharon fut nommé ministre de l'Agriculture. Il fut le responsable de la colonisation juive en Cisjordanie et à Gaza. Après la victoire du Likoud aux élections de 1981, il fut nommé ministre de la Défense.
Sharon a alors été le principal artisan de l'invasion du Liban en 1982. La commission d'enquête israélienne Kahan, créée après le massacre de réfugiés palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila, conclut à la responsabilité indirecte de Sharon dans le massacre, celui-ci n'ayant pas cherché à empêcher les tueries. Il démissionna alors de son poste de ministre de la Défense.
L'actuel chef de la droite israélienne s'est toujours signalé au cours de sa carrière militaire et politique comme un partisan de la manière forte avec les Arabes. Habile manœuvrier, il a toujours été un agressif et un empêcheur de tourner en rond, en même temps qu'un appui indispensable pour les chefs de gouvernement de droite. Israël avait été critiqué devant le Conseil de sécurité, dont les membres ont vivement condamné la visite en septembre dernier d'Ariel Sharon sur l'esplanade des Mosquées à Jérusalem, qualifiée de provocation par de nombreux ambassadeurs.
Il fut ministre du Commerce et de l'Industrie dans le gouvernement d'unité nationale formé par le Likoud et le Parti travailliste en 1984. Le 12 février 1990, Sharon, chef de file de l'aile dure du Likoud, démissionne du gouvernement. Puis, ministre de l'Habitat dans le gouvernement dirigé par le Likoud, il quitta son poste à la chute du gouvernement en 1992. Le 9 octobre 1998, Benyamin Netanyahu le nomme au poste de ministre des Affaires étrangères. Il est ensuite porté à la tête du Likoud après la démission de Netanyahu suite à sa défaite dans les élections.
 
16. Avec des élections israéliennes sans surprise, le Jour d'Après semble proche par Deborah Sontag
in The New York Times (quotidien américain) du lundi 5 février 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Jérusalem, 4 février - Deux jours avant une élection potentiellement fatale pour le Premier ministre, la présomption d'une victoire d'Ariel Sharon, le leader de la droite, a créé une fin de campagne dénuée de tout lustre. La plupart des Israéliens scrutent d'ores et déjà, par-delà la Soirée des Elections les répercussions diplomatiques et politiques de ce que les bulletins d'information appellent "le Jour d'Après".
Tenez, prenons Shabi Mizrahi, 26 ans, et son cousin, qui s'appelle, lui aussi, Shabi Mizrahi, 45 ans. A la fin d'une journée glaciale et pluvieuse, au marché central de plein-air local, ces deux membres encartés du Likud attendaient patiemment un chargement de tomates-cerises et - avec impatience - l'ascension de M. Sharon.
"Loué soit le Seigneur, il saura y faire, avec les Arabes", dit le plus jeune M. Mizrahi, en se frottant les mains, qu'il avait gelées, d'impatience.
Son cousin plus âgé ajoute : "les missiles vont voler. La paix ? C'est ce que Sharon dit dans sa campagne. Mais une seule petite attaque terroriste malencontreuse et vous allez voir ce qui va arriver. Il répondra bien comme il faut".
A une année-lumière de là, dans la station balnéaire huppée d'Herzliya, sur la Méditerranée, Kobi Davidovich, 24 ans, tortillait son catogan anxieusement en envisageant la victoire de M. Sharon.
Serviteur de l'Etat depuis toujours et ancien général, M. Sharon est surtout connu en tant qu'inspirateur de l'invasion du Liban, en 1982, qui a entraîné l'enlisement d'Israël au Liban durant dix-huit ans.
"Si Sharon gagne les élections, j'envisage de quitter Israël", dit M. Davidovich, attablé devant un plat de lasagnes d'une couleur orange pas des plus naturelles, au centre Technology Park Avenue, rue de l'Etat des Juifs. "C'est dur, de savoir ce dont il est capable. J'ai passé huit mois au Liban, huit mois de cauchemar que je dédie à Ariel Sharon".
Avec des sondages montrant M. Sharon devançant le Premier Ministre Ehud Barak de 17 à 21 points, l'issue des élections est acceptée comme jouée d'avance par pratiquement tout le monde. Même un proche associé de M. Barak a dit aujourd'hui que la question était non pas de savoir si le premier ministre perdrait les élections, mais quand ?
Dans le hall conduisant au bureau de M. Barak, cet associé a indiqué que personne ne savait ce que M. Barak ferait : quitter la direction du parti Travailliste, rejoindre un gouvernement d'union nationale dirigé par M. Sharon ou tenter de demeurer le leader de l'opposition.
A travers le pays, les Israéliens sont fatigués, après des mois qui ont causé une série de chocs qui les ont placés dans un profond désarroi. L'automne a amené la détérioration démoralisante des relations israélo-palestiniennes, qui a abouti aux violences en cours. L'hiver a amené une campagne électorale créatrice de divisions, après que M. Barak ait démissionné, acculé par un Parlement en révolte ouverte.
Sa démission a entraîné des élections, dix neuf mois seulement après son accession au poste de Premier ministre, fort d'un vote massif en sa faveur.
Hila Cohen, 30 ans et ses amis étaient allés danser sur la Place Rabin, à Tel-Aviv, le soir où M. Barak avait été élu, riant, se donnant l'accolade et se félicitant mutuellement. Cette fois, Mme Cohen envisage de ne pas aller voter.
Ses fortes espérances que M. Barak résoudrait, comme il s'y était engagé, le conflit israélo-palestinien, le conflit israélo-syrien, le conflit israélo-libanais et les conflits internes d'Israël ont été déçues.
Aujourd'hui, elle se sent tout simplement "indifférente, ou peut-être même, déprimée", dit-elle.
Mme Cohen, manager d'une compagnie de systèmes d'information, flânait sur l'Avenue du Parc Herzliya avec les mêmes amis, aujourd'hui, mais ils n'avaient absolument pas envie de danser.
"Nous n'aimons aucun des deux candidats", dit-elle. "Je pense que Barak a été lamentable. Regardez ce qui se passe ici ! Nous ne pouvons plus utiliser les routes que nous prenions habituellement pour nous rendre à Jérusalem, et nous avons peur de conduire la nuit. Nos maris sont en période de réservistes, et ils sont à l'entraînement militaire"
"Mais je suis de gauche. Et vraiment, vraiment - ça fait deux "vraiment" - je n'aime pas Sharon. Alors qu'est-ce que je peux faire ? Je retourne à Barak. Il a été très courageux en mettant les vrais sujets de la paix sur la table - Jérusalem, les réfugiés. Simplement, il ne l'a pas fait comme il fallait. Alors, finalement, mieux vaut lui que Sharon. J'ai peur que Sharon ne retarde le processus de paix d'une dizaine d'années supplémentaires".
Un tel délai supplémentaire ne gênerait en rien Aham, un jeune fidèle Hassidique propriétaire d'une boutique de sandwich immaculée dans le quartier ultra-orthodoxe de Jérusalem. Aham, qui a refusé de nous indiquer son nom de famille, porte une longue barbe, des cadenettes épaisses et une kippa blanche tricotée à pompon. Il nous a parlé, une image de la Partition des Eaux de la Mer Rouge au-dessus de lui, en sous-verre sur le mur : il s'apprêtait à voter pour Sharon, "le moins pire d'une bande de nuls".
"Nous préférons le Messie", m'a-t-il dit. "Mais, pour le moment, nous n'avons pas de Messie".
Un conseil directeur de rabbins ashkénazes ultra-orthodoxes a publié un appel, après de longues hésitations, aujourd'hui, incitant leurs fidèles à voter et soutenant M. Sharon de manière déguisée.
En effet, ils ont seulement recommandé à leurs ouailles de choisir le candidat "qui ne se prêtera pas à la destruction de la religion en Terre Sainte". Mais tout le monde a compris qu'ils déclaraient ainsi leur soutien, si tiède fût-il, au leader du Likud - en échange de la promesse fait par M. Sharon d'étendre le système des sursis militaires aux étudiants des yéshivas (écoles religieuses) pour huit mois, au minimum. Cette information a été donnée par Reuven Rivlin, député du Likud.
"Sharon et le Likud sont plus près du judaïsme", a dit le rabbin Yoel Malka, qui enseigne dans la colonie d'Alfei Menashe. "Je n'ai pas d'illusions au sujet de Sharon. Mais il n'a jamais été aussi grossier que Barak. Barak a décidé qu'il n'a pas besoin de nous. Il veut faire de ce pays un Etat israélien, et non pas un Etat juif".
Aharon et Bronia Shvartsman, un couple de retraités qui avaient immigré il y a trente ans de ce qui est aujourd'hui la Moldavie, m'ont dit que "la religion et le fanatisme" du Likud leur ont toujours donné la nausée.
Mais les Shvartsman vont voter Sharon parce qu'ils considèrent qu'aujourd'hui les querelles internes d'Israël sont un luxe. "Aujourd'hui, ce n'est pas de séculier contre religieux, d'économie et de politique qu'il s'agit", me dit M. Shvartsman, "ce dont il s'agit, c'est de la guerre avec les Palestiniens".
Le couple vit à Gilo, un faubourg du sud-est de Jérusalem qui a été la cible des tirs de Palestiniens armés durant tout l'automne, qui avaient causé des attaques routinières de l'armée israélienne contre la ville cisjordanienne de Beit Jala, située en face. Mme Shvartsman a passé ses nuits à avaler des somnifères pour calmer son tremblement incessant.
C'est la première fois, depuis son arrivée en Israël, qu'elle a eu le sentiment que sa vie était en danger, m'a-t-elle dit. Désormais, confinée dans un appartement dont toute les fenêtres sont protégées par des rideaux de fer, elle ne peut que blâmer M. Barak, me dit-elle.
"Nous avons voté pour Barak parce qu'il nous avait promis d'amener la paix", dit M. Shvartsman. "Mais aujourd'hui, les choses sont pire qu'avant. Ne confondez pas. Nous ne votons pas pour le Likud. Non. Nous votons pour Sharon dans l'espoir qu'il forme un gouvernement d'union nationale avec le parti Travailliste et qu'ensemble ils s'attelleront au problème".
D'autres personnes, interrogées, ne semblaient pas penser que la formation d'un gouvernement d'union nationale était possible.
"Un gouvernement d'union est un gouvernement paralysé", me dit Boaz Druker, 31 ans, directeur des ventes d'une société de produits de haute technologie. "Sharon va essayer d'en constituer un, et il n'y arrivera pas. Ou il y parviendra, mais ça ne marchera pas. Moi, je prévois qu'avant la fin de cette année, nous aurons de nouvelles élections. Ces élections-ci, ce n'est pas autre chose qu'un gaspillage pathétique d'argent du contribuable".
Son compagnon de table, Ilan Gur, 38 ans, acquiesce. Tous deux sont partisans de Barak. "Je pense que nous allons assister au retour de M. Bibi Netanyahu", me dit M. Gur, faisant allusion à l'ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu. "C'est peut-être lui qui signera un accord de paix avec les Palestiniens - après la guerre que Sharon va déclencher contre eux".
M. Drucker le coupe : "Je ne suis pas sûr que Sharon veuille être associé, dans l'histoire, seulement avec des guerres. Personne ne veut la guerre. Il ne veut pas la guerre, et les Arabes ne veulent pas la guerre".
A Jaffa, la population arabe semblait déterminée à boycotter les urnes, lundi prochain, malgré les exhortations que M. Barak leur a adressées pour les inciter à voter.
M. Barak a fait une dernière tentative aujourd'hui, utilisant un langage plus crédible pour exprimer son "profond regret" et sa responsabilité dernière pour le meurtre de 13 Arabes israéliens tués par la police israélienne durant les affrontements et les marches de protestation en octobre dernier. Mais il semble que ce soit trop tard.
Sur le petit port, dans lequel la tempête hivernale retenait les bateaux de pêche, aujourd'hui, Ismaël Atrash, 33 ans, observait, en compagnie de trois de ses amis, les vagues s'écrasant sur la jetée.
"Nous avons tous voté pour Barak, la dernière fois", dit-il, montrant de la main ses amis. "Tous les Arabes de Jaffa ont fait de même - quatre-vingt dix-neuf  pour cent, peut-être, même, cent pour cent. Qu'est-ce qui s'est passé, après ? Barak a dit au ministre de la police de tirer sur les gens, ici. De nous tirer dessus. Nous, les gens qui avions voté pour lui. Aussi, cette fois, nous allons rester chez nous".
Mais la perspective de M. Sharon au poste de Premier ministre ne manquait pas de l'inquiéter, m'a indiqué M. Atrash, un éboueur trilingue (!) de la ville. "Le Kotel appartient au peuple juif", me dit-il, utilisant le nom hébreu du Mur des Lamentations. "Et si Sharon veut le protéger, OK. Mais la mosquée Al-Aqsa est aux Musulmans, et si Sharon essaie de nous l'enlever..." : "Oy voy voy!" ajouta-t-il, usant de la version hébraïque de : "malheur de moi !"

17. Un jeune commandant nommé Ariel - 69 morts à Qibiya, en 1953. Des survivants témoignent par Jean-Pierre Perrin
in Libération du lundi 5 février 2001
Qibiya (Cisjordanie) envoyé spécial
Dans une société aussi rigide, prude et vissée par les traditions, l'islam et le regard des hommes, telle que se montre la société rurale palestinienne, il est exceptionnel qu'une femme ose briser les tabous du village pour livrer un pareil secret. «Nous étions quinze, cachés dans une étable et nous avions peur, si peur que personne ne pouvait se retenir. Nous faisions tous sur nous.» Autour d'elle, les hommes, un peu gênés par un tel aveu, font silence. La villageoise ajoute: «Pour que les enfants ne pleurent pas, on leur enfonçait le sein dans la bouche.» Alima Mahmoud avait 19 ans, ce 14 octobre 1953, lorsque l'unité 101 de l'armée israélienne enlève le gros village, alors jordanien, de Qibiya, à quelques kilomètres de la frontière. La formation était dirigée par un jeune commandant de 25 ans du nom d'Ariel Sharon. Selon l'historien israélien Martin Van Creveld (1), la tuerie fit 69 morts, pour la plupart des femmes et des enfants. Les autorités du village palestinien avancent le chiffre de 76 morts.
Quarante-huit ans plus tard, le jeune commandant s'apprête, si l'on en croit les sondages, à prendre la tête d'Israël. A Qibiya, le passé, évidemment, est remonté à la surface. «Comment un homme de massacres peut-il aujourd'hui faire la paix?», feint de s'interroger un jeune Palestinien.
L'opération israélienne commence vers 7 heures du soir. L'unité 101 réagit à l'attaque d'un commando de fedayin infiltré en Israël, qui, en regagnant la Jordanie, a tué une Israélienne et deux de ses enfants à Yehuda, près de Tel-Aviv. Il s'agit donc d'un raid de représailles, l'unité 101 ayant vocation à mener ce type de mission. Ahmed al-Badawi, l'un des deux gardes du village, a vu s'approcher le commando de Tsahal, peut-être une quarantaine d'hommes, avec des mulets dont les sabots étaient enveloppés d'étoffe. Les montures portent 600 kg de TNT (2), qui doivent servir à faire exploser le village. «Les soldats m'ont attaché et m'ont bandé les yeux. Mais je suis quand même parvenu à m'enfuir. Ils m'ont tiré dessus et m'ont blessé deux fois», raconte-t-il. Il ajoute que l'autre garde, a été exécuté.
Familles anéanties. C'est en se cachant dans les buissons de cactus qui, aujourd'hui encore, envahissent le village, que Mohammed al-Masloud, 75 ans, assure avoir eu la vie sauve. «Dans chaque maison où les soldats ont vu de la lumière ou entendu du bruit, ils ont placé des explosifs», se rappelle ce chauffeur de taxi. Les «loups» de Sharon tueront sa femme, Tuhifa, et leurs trois enfants, âgés respectivement de 9 ans, 7 ans et 1 an. La plupart des victimes ont péri dans les maisons que le commando a fait sauter. «Les soldats plaçaient les mines devant les portes», relate un autre survivant, Ali Mahmoud, 80 ans, qui a perdu cette nuit-là son frère, sa jeune femme et une nièce âgée de 7 jours. Des familles entières seront ainsi anéanties. La famille Abou Qabous aura onze tués. Abdel Majid Nasser perdra sa femme et leurs sept enfants. Mahmoud Ibrahim Gitan, son épouse et leurs dix enfants. Le maire de Qibiya, Hassan Jaber, raconte cet épisode horrible: «Une quarantaine de personnes s'étaient cachées dans une étable. Comme les pleurs d'un bébé risquaient d'alerter les soldats, ses parents l'ont étouffé accidentellement en le bâillonnant.»
Pardon. Curieusement, les témoins sont aujourd'hui très réticents à parler de ce raid terrible. Leur mémoire est-elle encore douloureuse? Est-ce parce que les hommes du village se sentent toujours coupables d'avoir fui en abandonnant leurs familles? «Ils ont pensé que les soldats ne tueraient pas des femmes et des enfants», avance le maire. «Je les ai vus tuer une femme dans la rue à une centaine de mètres devant moi. Il n'était plus temps de prendre les enfants. Tous ceux qui pouvaient fuir l'ont fait. Sharon ne nous a rien laissé: ni femmes, ni enfants, personne», affirme Mohammed al-Masloud. L'ancien garde blessé se souvient aussi qu'en 1967, peu après la conquête de la Cisjordanie par Israël, un soldat, fils d'un combattant de l'unité 101, est venu lui demander pardon au nom de son père.
Dans ses mémoires, Ariel Sharon reconnaît avoir dirigé le raid sur Qibiya. Il précise même que ses hommes ont fait exploser 42 maisons. Mais il assure avoir cru que celles-ci étaient vides au moment du dynamitage et n'avoir appris que le lendemain la mort des femmes et des enfants en écoutant la radio jordanienne. «Je ne pouvais en croire mes oreilles [...] J'ai compris que des familles arabes avaient dû rester dans les maisons au lieu de s'enfuir [...]», écrit-il. Après l'attaque de Qibyia, qui a provoqué une réaction internationale très vive, il est convoqué par le Premier ministre et ministre de la Défense, Ben Gourion. On ne sait exactement s'il fut félicité ou morigéné mais, quelques mois plus tard, il est promu lieutenant-colonel. Début 1954, les ordres d'opération vont désormais comporter régulièrement la mention «Les femmes et les enfants doivent être systématiquement épargnés». La leçon de Qibiya...
«Tragédie». Dans ce village pauvre, où les hommes vont travailler en Israël, pas une seule plaque commémorative ne rappelle ce que Sharon lui-même a qualifié dans ses mémoires de «tragédie». «C'est parce que les Israéliens nous avaient totalement interdit de faire une quelconque référence à la tuerie», explique Ayed Mourab, un responsable local du Fatah. «Le nom de Sharon peut se traduire par "guerre". Quand un peuple sait le passé d'un homme comme lui et veut l'élire, cela signifie qu'il ne veut pas la paix», conclut-il.
1) Tsahal, histoire critique de la force israélienne de défense. Editions du Rocher. 1998 pour son édition française.
2) Ces précisions figurent dans les Mémoires d'Ariel Sharon.
 
18. Ariel Sharon : "Juifs et Arabes peuvent cohabiter"  propos recueillis par Patrick Wajsman et André Soussan
in Le Figaro Magazine du samedi 3 février 2000
Le Figaro magazine - Le courant passe-t-il entre les Arabes et vous ?
A. S. - Je connais bien les Arabes. Je ne les ai jamais humiliés. Ils me respectent et je les respecte. Ils savent que l'on peut me faire confiance, que je pense ce que je dis et que je fais ce que je promets. Ils savent, également, qu'il y a des lignes rouges à ne pas franchir et que je ne négocierai jamais sous le feu. En un mot, je fais partie de ceux qui croient que Juifs et Arabes peuvent cohabiter.  Il n'y a d'ailleurs aucune autre solution.
F. M. - Que ferez-vous si, au lendemain de votre élection, la violence continue ?
A. S. - On verra. Ce que je voudrais que les Français comprennent bien, c'est que le terrorisme fait désormais partie de notre vie de tous les jours. Chez vous, lorsque le terrorisme a frappé - rue de Rennes, à la station Saint-Michel...-, vos gouvernants successifs, avec une efficacité remarquable, ont aussitôt mis en place le plan Vigipirate. L'armée veillait à la sécurité de vos citoyens dans les gares, dans les aéroports... Nous avons su, nous aussi, jadis, trouver des réponses adéquates à ce terrorisme aveugle. Pourquoi ce qui vous paraît légitime lorsque vous êtes concernés ne le serait-il pas lorsque nous le sommes ? D'autant qu'Israël est la seule démocratie du Moyen-Orient et le seul pays au monde menacé dans son existence...
F. M. - Comment expliquez-vous que, selon certains sondages, 18 % des Arabes israéliens s'apprêtent à voter Sharon ?
A. S. - Apparemment, cette attitude peut sembler paradoxale. Mais elle ne m'étonne pas. J'ai toujours entretenu d'excellentes relations avec les Arabes d'Israël. Pour la plupart d'entre eux, comme pour la majorité de leurs frères de l'extérieur, je suis un homme crédible.
F. M. - Les dirigeants arabes ont-ils, eux aussi, confiance en vous ?
A. S. - Franchement, je le crois. Mon meilleur agent de relations publiques était, comme chacun le sait, feu le roi Hussein de Jordanie. Quant au président Sadate, il était devenu un véritable allié. Vous n'avez pas oublié, je pense, que lorsqu'il a effectué son voyage historique en Israël, en 1977, sa première phrase à Menahem Begin, venu l'accueillir à sa descente d'avion, fut : «Mais où est donc le général Sharon ?» Peut-être ne le savez-vous pas, mais j'ai même modernisé la ferme de Sadate en lui installant, en dix jours, à sa demande, le système d'irrigation le plus performant qu'utilisaient les Israéliens. Il était si fier qu'il avait convoqué la presse égyptienne pour lui montrer cette réalisation. Il s'était exclamé : «Voilà un bel exemple de coopération fructueuse entre nos deux pays !» Un peu plus tard, au Caire, il dira devant moi à ses ministres : «Nous avons la terre, nous avons l'eau, et maintenant nous avons Sharon. Alors, Messieurs, au boulot !»
F. M. - Revenons à l'actualité. Quel jugement portez-vous sur Yasser Arafat ? Pensez-vous qu'il est un bon leader pour les Palestiniens ? Pourquoi accepterait-il de vous moins que ce que monsieur Barak lui a déjà concédé ?
A. S. - On connaît très bien Arafat. Mais ce n'est pas à nous de décider qui doit être le leader des Palestiniens. Ce qui est clair, c'est que Barak a échoué : il a promis paix et sécurité ; or nous n'avons ni l'une ni l'autre. Il faut donc changer d'approche et adopter une démarche graduelle en commençant par une sorte d'accord de non-belligérance avec les Palestiniens. Cette démarche progressive, que je propose depuis très longtemps, vient d'être une nouvelle fois cautionnée intellectuellement par mon ami Henry Kissinger. En tout cas, moi, si les électeurs m'en donnent les moyens, je n'accepterai de faire des concessions que si mon adversaire agit de la même manière - contrairement à la gauche qui, l'Histoire le prouve, échoue le plus souvent parce qu'elle brade ses atouts avant même d'arriver à la table des négociations. Soit dit en passant, c'est toujours à Israël qu'on demande de consentir des concessions. Il y a là un mystère qui m'échappe !
F. M. - Posons la question autrement : à quelles conditions accepteriez-vous un Etat palestinien ?
A. S. - 1) Il devrait être le produit d'un accord entre les deux parties et non d'une proclamation unilatérale.
2) Les intérêts de sécurité d'Israël devraient être préservés et garantis.
3) Un tel Etat devrait être démilitarisé.
4) Cette négociation globale devrait être accompagnée de la reconnaissance claire et nette, par les Palestiniens, qu'il s'agit bien là de la fin du conflit, de la fin irréversible du conflit.
F. M. - Ne redoutez-vous pas que la nouvelle administration républicaine, aux Etats-Unis, soit tentée d'exercer davantage de pressions sur Israël que l'administration Clinton ?
A. S. - Absolument pas. Mais puis-je me permettre de vous rappeler, d'abord, une évidence : Israël est une grande démocratie et non une dictature comme il en existe tant, malheureusement, pas si loin de nos frontières... Dans cette démocratie, c'est le peuple qui décide par l'intermédiaire de ses représentants ; et cela, quelles que puissent être les pressions extérieures. Quant à George W. Bush, je l'ai emmené en hélicoptère survoler la Judée-Samarie et la vallée du Jourdain en décembre 1998. J'étais alors ministre des Affaires étrangères. Il a bien compris, je crois, nos problèmes de sécurité.
F. M. - Quel genre de gouvernement constituerez-vous si vous l'emportez dans trois jours ?
A. S. - Un gouvernement d'union nationale.

19. Gaza, à mille lieues d'Israël par Baudoin Loos
in Le Soir (quotidien belge) du samedi 3 février 2001
Plus d'un million d'âmes bouclées sur un minuscule territoire : les Gazaouis étouffent entre occupation et corruption. D'ici, le scrutin israélien de mardi, le choix entre Barak et Sharon paraît surréaliste.
Dans le sens Israël-bande de Gaza, le passage de la « frontière » ne présente pas de problème. De bonne composition, un policier palestinien note dans un registre soigné l'identité du visiteur. Bienvenue au paradis , s'exclame-t-il, sûr de son effet façon dérision.
De gigantesques flaques, souvenirs des pluies de la semaine précédente, rendent la circulation automobile délicate. A Gaza, le calme règne. Comme si le mot d'ordre avait été lancé, chacun, ici, professe un méprisant désintérêt pour l'élection du Premier ministre israélien de mardi prochain. Barak, Sharon, two sides of the same coin (les deux faces de la même pièce), lâche un boutiquier à la mine tout à la fois défraîchie et désabusée. Croyez-moi, corrige un coopérant belge, beaucoup savent que Sharon usera de plus de force encore, si c'est possible.
L'impression générale recueillie mêle une sourde inquiétude pour l'avenir et une lourde amertume rétrospective. Avec une volonté, souvent exprimée, de continuer la lutte contre l'occupation israélienne. Par tous les moyens. Le temps des manifestations avec lancers de pierres et de cocktails Molotov semble révolu. La place a été cédée aux activistes armés de kalachnikov et, parfois, de bombes. Des « terroristes » pour Israël, des résistants pour les autres. En tout cas, plus rien n'est comme avant. L'armée israélienne, pour protéger la minuscule colonie juive de Netzarim, tout près de Gaza, celle de Kfar Darom, au centre, et le bloc d'implantations de la côte sud, occupe plusieurs carrefours de l'unique grand-route du territoire. Des centaines d'arbres à proximité de cet axe ont été rasés par l'armée israélienne. Autant de blessures. Mais qui en parle ailleurs ? Des oliviers, des figuiers, des palmiers, qui pouvaient cacher des tireurs, dit Israël. Depuis janvier, la bande est ainsi coupée en trois dès qu'un attentat a eu lieu, interrompant tout trafic, éteignant les derniers souffles d'activités économiques locales.
Des mots comme processus de paix, élection israélienne résonnent ici comme des insultes à notre dignité, dit un étudiant à Gaza. Arafat a enfin compris certaines choses : il n'ose pas lâcher « notre » droit au retour des réfugiés car il sait qu'il serait immédiatement tué. L'Autorité en prend souvent pour son grade dans les conversations. En cause, le plus souvent : la corruption, phénomène que plus personne ne songerait à nier. Pas même Hassan al-Kashif, journaliste mais aussi ponte au ministère de l'Information. Il faut que l'Autorité palestinienne prenne les choses en main, déclare-t-il, avant que les gens ne commencent à se faire justice eux-mêmes.
Trop tard pour Hicham Mekki. Le directeur de la TV palestinienne a été abattu en plein Gaza par des inconnus le 17 janvier. L'Autorité palestinienne a mollement incriminé des « collaborateurs ». Pour tous, Mekki incarnait la corruption. D'ailleurs, le procureur général a ensuite révélé que ses avoirs se montaient à 17 millions de dollars  Et la famille Mekki a reçu l'ordre de ne pas quitter le territoire, selon la presse locale.
Pour tout le monde, Mekki incarnait la corruption
Ainsi, pour la première fois, un proche d'Arafat a été assassiné depuis l'installation du « Vieux » à Gaza en 1994. La « Brigade des martyrs d'El Aqsa », qui a revendiqué le meurtre, promet d'autres actions similaires. Le petit peuple, lui, semble presque s'en réjouir. Vous ne trouverez personne pour pleurer des gens comme Mekki, nous a-t-on dit plusieurs fois.
Le contrôle d'Arafat sur la bande de Gaza se fait donc plus volatil. En Cisjordanie, où il ne met plus jamais les pieds, les villes palestiniennes et les factions armées pourraient s'autonomiser, surtout si l'argent du pouvoir central continue à faire défaut.
 
20. Impressionnant hôpital de campagne israélien à Bhuj
Dépêche de l'Agence France Presse du samedi 3 février 2001, 9h12
BHUJ (Inde) - Une équipe médicale de l'armée israélienne comptant près de 200 personnes travaille jour et nuit dans un hôpital de campagne installé à Bhuj pour venir en aide aux victimes du séisme du 26 janvier dans l'Etat du Gujarat (ouest de l'Inde).
"C'est la catastrophe la plus terrible que j'ai jamais vue", dit Jacob Kuint, médecin israélien de 48 ans qui ne peut s'empêcher d'établir des comparaisons.
"Mes parents ont survécu à l'Holocauste (...) mais, à part ça, (la tragédie du Gujarat) est pour moi la pire calamité. Personne ne peut gérer ce genre de situation".
La mission israélienne est l'une des plus importantes parmi les dizaines d'équipes de secours étrangères déployées dans la région du séisme, qui a fait quelque 30.000 morts, selon les estimations du gouvernement du Gujarat.
Le drapeau israélien bleu et blanc frappé de l'étoile de David flotte aux côtés du drapeau orange-blanc-vert de l'Inde, à l'entrée de l'hôpital de campagne.
Des tentes militaires sont installées en haut d'une colline. Le camp est gardé par des agents israéliens en civil et des soldats indiens.
L'Inde et Israël ont établi des relations diplomatiques il y a seulement neuf ans, mais leurs rapports se sont réchauffés très rapidement depuis, notamment de l'arrivée au pouvoir à New Delhi du BJP (parti nationaliste hindou).
"Nous avons une équipe de 190 membres et travaillons par rotation", dit le docteur Kuint.
Le commandant adjoint de l'opération israélienne, le lieutenant-colonel Rafael Golani, précise que 200 blessés ou malades indiens sont soignés désormais quotidiennement dans cet hôpital de campagne.
"Nous serons là pendant encore au moins deux semaines. Après, nous prendrons une décision, en fonction des souhaits du gouvernement indien", ajoute l'officier.
L'hôpital israélien, qui fonctionne jour et nuit, a été divisé en dix sections qui comprennent notamment une unité d'urgence, un laboratoire et une salle d'opération. L'équipe est composée de médecins, de psychologues, de chirurgiens et d'infirmières.
Depuis leur arrivée, les Israéliens ont contribué à plusieurs accouchements, notamment d'une petite prématurée, née au sixième mois de grossesse.
Le séisme du 26 janvier au Gujarat a ravagé de nombreuses zones de l'Etat. Le district de Bhuj fait partie des plus affectées.
[Je ne peux m'empêcher de penser que cette même armée, laisse mourir des enfants palestiniens aux barrages, comme la petite Ella, 10 ans, décédée d'une banale appendicite, parce que "Tsahal" avait bouclé son village près de Naplouse et refusé à son père, l'accès à un hôpital - CF. Siège à deux pas de chez vous par Gideon Levy dans Ha'Aretz in Point d'information Palestine N° 127 - En Inde, "Tsahal" soigne 200 blessés par jours, c'est bien, en Palestine, cette même armée tue quotidiennement des enfants... c'est moins bien ! Alors, dans ces conditions, le Dr Jacob Kuint qui ne peut s'empêcher d'établir des comparaisons entre le séisme au Gujarat et l'Holocauste, devrait regarder un peu plus près, à sa porte, là ou le Peuple Palestinien meurt, dans l'indifférence générale de ses concitoyens juifs.]
 
21. L'économie palestinienne a perdu deux milliards de dollars en trois mois
in Al Hayat (Quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 24 janvier 2001
[traduit de l'arabe par P. Vanrie pour l'Institut Européen de Recherche sur la Coopération Méditerranéenne et Euro-Arabe - http://www.medea.be]
Le ministère palestinien de la Planification et de la Coopération internationale a évalué à 2,033 milliards de dollars les dégâts causés à l'économie palestinienne pour la période de trois mois allant depuis le début de l'intifada, le 28 octobre 2000, jusqu'au 31 décembre 2000. Quant aux dégâts qualifiés d'occasions perdues, ils sont estimés à 381,8 millions de dollars. Enfin, les pertes à long terme sont évaluées à 193 millions de dollars.
Le ministère palestinien a également indiqué dans un rapport intitulé "L'économie palestinienne entre développement et blocus israélien" que la moyenne des dégâts causés quotidiennement par le bouclage sur le Produit intérieur brut palestinien était estimé à environ 7,03 millions de dollars sur une moyenne quotidienne du PIB dont la valeur est de 13,55 millions de dollars, ce qui constitue une baisse du PIB de 51%.
Le rapport revient sur les dégâts occasionné par le bouclage dans le secteur touristique palestinien et qui s'est soldé par l'annulation de 2560 réservations dans des hôtels dont le prix moyen pour une nuit tourne autour de 50 dollars. L'emploi lié au secteur touristique a également été touché. En effet, le nombre d'emploi fournis par ce secteur a diminué de 65%. Il convient également de mentionner la perte de 2,4 millions de dollars occasionnée par l'occupation par l'armée israélienne de trois hôtels dans des villes palestiniennes.
Au niveau du secteur financier, on enregistre également une baisse des activités. Le nombre de grandes transactions bancaires qui étaient habituellement de 25 par jour n'est plus actuellement que de deux par jour, sachant que la valeur d'une seule de ces opérations atteint les 930.000 dollars. Les transferts extérieurs attendus pour un montant de 180 millions de dollars ont été stoppés et le transfert de devises vers l'extérieur a augmenté de 180% par rapport à ce qu'il était avant. Les gains des dépôts des banques palestiniennes placés en Israël, et estimés à 750 millions de dollars, ont également été gelés. De même, le taux des dépôts dans les banques travaillant dans les territoires palestiniens a lui aussi fortement diminué.
Le rapport met aussi l'accent sur les dégâts causés par le blocus israélien sur les secteurs du commerce, de l'industrie, de l'agriculture, des services et de la construction.