1. Les dunes de Gaza pour terre promise par
Didier François in Libération du samedi 3 février 2001
La victoire
annoncée de Sharon redonne de l'espoir aux colons.
"Le plus difficile
pour nous, les Palestiniens, c'est d'être des esclaves sur notre propre terre."
Ibrahim, ouvrier agricole
Gush Qatif envoyé spécial
Des serres,
à perte de vue. Alignement de pépinières ceint de clôtures électrifiées. Une
industrie ultramoderne, en bordure du désert, poumon économique des colonies
juives de Gaza. Sous plastique poussent des fraises, des tomates, des fleurs.
Primeurs d'hiver. Un petit tour de passe-passe à l'étiquetage et ces «produits
d'Israël», cultivés en territoires palestiniens, prennent le chemin des tables
européennes. Responsable de la filière agricole pour un moshav de Gush Qatif,
une coopérative de paysans indépendants, Yossi Serfati refuse d'y déceler
malice. «Près de 90 % de nos récoltes sont destinés à l'exportation. Nous
livrons nos clients bien après que l'Espagne a cessé et bien avant que la
Hollande s'y mette.»
Sourire ravi, Yossi Serfati ne discourt pas. Il prêche.
Une homélie à la gloire du poivron «nourri au compost, mûri par le soleil».
Preuve comestible de ce «miracle» qui légitime, à ses yeux, l'implantation des
colons dans le désert palestinien. Car l'occupant se voit pionnier. Les dunes de
Gaza pour terre promise. L'agriculture biologique pour profession de foi. Les
résidents de Gush Qatif ne cherchent pas dans la religion une justification à la
présence israélienne sur cette bande de sable dévolue aux Arabes par les accords
d'Oslo. Rares sont ici les exaltés de l'orthodoxie, qui pullulent en
Cisjordanie. Mais l'attachement au projet sioniste de développement n'en est pas
moins solide. Et l'engagement des travaillistes à démanteler les enclaves juives
dans les territoires occupés depuis 1967, pour tout récent qu'il soit, fait les
choux gras des formations de droite.
Cote abyssale. Voitures, pick-up,
tracteurs, tout ce qui roule sur les «voies de contournement», ces rocades
réservées aux colons et protégées par l'armée, arbore l'autocollant: «Ariel
Sharon pour l'unité d'Israël». Auréolé de sa gloire militaire passée, le général
a désormais conquis les cœurs des rejetons de sa victoire. Prouesse, au vrai,
sans grand panache. La cote de son adversaire est abyssale. Et si, à l'aune de
son palmarès guerrier, Ehud Barak n'a en rien à rougir, ses girations dans la
menée du processus de paix lui ont coûté tout crédit.
Yehouda Morin ne se
fait guère d'illusion. «Nous savons que Sharon devra aussi lâcher les colonies
pour obtenir un accord. Mais, avec lui, nous pourrons nous retirer la tête
haute.» Pour cet informaticien marseillais reconverti dans la pizza à emporter,
la distinction importe. «Nous avons le sentiment d'avoir été lâchés par Barak.
Le reste d'Israël a toujours exécré les gens des territoires. Mais les
Palestiniens ont fait une grave faute psychologique. S'ils avaient cantonné
leurs attentats contre les colonies, les autres Israéliens auraient applaudi à
notre départ. Menacés par l'Intifada, ils ont maintenant pris conscience que
nous étions en première ligne dans une guerre totale. Et Sharon symbolise ce
retournement d'opinion.»
La pilule est amère pour Barak. Jamais la
croissance des colonies n'avait été aussi rapide que sous son gouvernement.
Malgré les accords d'Oslo. «Toutes les implantations qui forment le bloc de Gush
Qatif ont été fondées par des gens de gauche, appuyés par un gouvernement de
gauche. Dans les années 70, il s'agissait de créer une ceinture juive le long de
la frontière égyptienne», rappelle Laurence Baziz. Installée à Newe Deqalim
depuis quatorze ans, elle a vu prospérer la petite enclave. «Quand les pionniers
sont arrivés, il n'y avait rien. Pour attirer les gens, l'Etat nous a offert des
avantages. Gush Qatif est classé zone de développement. Chaque famille qui s'y
installe reçoit un prêt pour l'aider à démarrer. Le prix des maisons y est très
attractif, et les réservistes effectuent leurs périodes de service sur place.»
Déséquilibre explosif. Jamais les colonies n'ont cessé de s'étendre, au
point de déborder sur près de 40 % de la bande de Gaza. Un grignotage
insupportable pour les Palestiniens. Ils sont 1,2 million à s'entasser sur ce
qui reste libre de ce territoire que leur accordent tant les résolutions de
l'ONU que les promesses israéliennes faites à Oslo. Les édiles des implantations
revendiquent 8 000 résidents. Déséquilibre intrinsèquement explosif. D'autant
que les disparités son flagrantes. Sans être luxueux, les lotissements
israéliens sont coquets. Les hameaux palestiniens qui les bordent sont loin de
disposer du même espace. Mais les colons réfutent la moindre responsabilité dans
ce dénuement, rejetant la faute sur la grivèlerie des dirigeants arabes, accusés
de maintenir à dessein leur peuple dans la misère pour attiser la haine du juif
ou sur la nonchalance supposée atavique des fellahs.
Ibrahim travaille dans
les serres depuis son plus jeune âge. Pour un salaire journalier de 80 francs.
Ses camarades confirment, quand son patron jure les payer «autour de 120 francs,
plus le bonus à la cueillette et les heures sup». De toute façon, une paie
inférieure à celle des ouvriers thaïlandais rémunérés 160 francs par jour. Cette
main-d'œuvre asiatique engagée durant deux ans «pour raisons de sécurité»
bénéficie d'un logement avec eau et électricité gratuites, ainsi que d'un sac de
riz mensuel. Une clause prévient les femmes que toute grossesse vaut l'expulsion
d'Israël. Même si les Thaïs tendent à remplacer les Arabes, Ibrahim ne leur en
veut pas. «Comme nous, ils doivent nourrir leurs familles. Le plus difficile
pour nous, les Palestiniens, c'est d'être des esclaves sur notre propre terre.»
Espoir. Déçus par les accords d'Oslo, les travailleurs arabes n'attendent
plus rien des négociations. Avec la victoire annoncée de Sharon, en revanche,
l'espoir renaît chez les colons. «Bien sur, les implantations semblent
aujourd'hui condamnées, admet Laurence Baziz, et si le gouvernement nous demande
de partir, nous partirons. Mais on ne sait jamais. Ce pays a été créé par un
miracle, il a survécu par miracle, son développement économique est un miracle
et nous avons toujours l'espoir qu'un miracle nous sauvera. Alors, nous vivons
ici comme si c'était pour l'éternité.».
2. "L'Europe doit prendre la place de parrain du
processus de paix" entretien avec Nabil Chaath, Ministre de la Coopération
internationale de l'Autorité palestinienne réalisé par Baudoin
Loos
in Le Soir (quotidien belge) du vendredi 2 février
2001
- Quel est le point de la situation à quelques jours de l'élection
israélienne ?
- Il y a toujours une chance qu'un sommet se tienne entre Barak et Arafat
dimanche, peut-être au Caire. Sans certitude aucune.
- Y a-t-il eu des résultats restés secrets des négociations de
Taba, la semaine passée ?
- Pas vraiment. Le but des Israéliens était de montrer des progrès sans
donner l'impression de faire des concessions juste avant l'élection de mardi. On
n'a jamais été si proches d'un accord, mais ce qui reste à faire se révèle très
difficile. Dire que rien n'a avancé avec Ehoud Barak n'a pas de sens : avec lui,
Israël s'est résigné à démanteler beaucoup de colonies juives, à partager
Jérusalem, etc. Mais à Camp David, en juillet, Barak nous avait dit « C'est à
prendre ou à laisser » alors que ses positions étaient tout à fait
inacceptables. Et cela a mené à l'explosion.
- Le droit au retour des réfugiés effraie les Israéliens. Avez-vous
un avis pragmatique ?
- Pragmatique ? (Sourire perplexe.) Il n'y a pas de droit au retour sans
mise en œuvre, comme certains l'espèrent. Sinon, ce n'est pas un droit mais un
tranquillisant. Comment veut-on que nous disions aux réfugiés palestiniens de
1948 que leur droit disparaît alors que toute personne dans le monde qui a eu un
grand-père juif ou des ancêtres partis il y a deux mille ans est le bienvenu en
Israël ? Ce qui est sûr, c'est que tous les 3,7 millions de réfugiés ne vont pas
revenir. Mais ils doivent tous avoir le choix.
- Les Palestiniens doivent-ils tout faire pour aider Barak
?
- Question difficile. On ne veut pas sembler interférer dans le processus
électoral israélien comme on ne voudrait pas qu'ils s'immiscent dans nos
affaires intérieures. Mais, bon, nous sommes allés à Taba et on a fait des
déclarations optimistes. On ne pouvait pas faire plus. D'ailleurs, si des
Israéliens accusent Barak d'avoir échoué en matière de paix et de sécurité, nous
pouvons dire que sa politique à notre égard ces derniers mois, le véritable
siège que subissent les villes palestiniennes et l'usage d'une force bien
excessive se révèlent bien pires que ce que Begin ou Shamir, deux célèbres
Premiers ministres de droite, avaient fait en leur temps... sauf ce que fit
Sharon à Sabra et Chatila, évidemment.
- Et l'Europe, dans tout cela ?
- Nous sommes victimes d'un gros paradoxe : l'Europe, avec treize
gouvernements comprenant des sociaux-démocrates, est paralysée quand il y a un
Premier ministre israélien travailliste, et elle n'exerce aucune pression sur
lui, même s'il applique la pire politique de bouclage des territoires sous notre
contrôle, comme maintenant. Au sommet euroméditerranéen de Marseille, en
novembre, les Européens ont même refusé de condamner le siège de nos
villes Depuis toujours, les Européens nous avaient promis leur soutien
actif pour les négociations sur le statut permanent et ils n'ont strictement
rien fait. Pourquoi ? Ils nous ont juste conseillé d'accepter les propositions
israéliennes à Camp David en juillet, puis celles de décembre, alors que nous
avons obtenu plus en continuant à négocier.
- Mais Sharon va gagner...
- Tout l'indique, oui. Nous espérons qu'alors l'Europe saura lui rappeler
les termes de références du processus de paix, les résolutions 242 et 338 du
Conseil de sécurité (« échange de la paix contre les territoires »), les accords
déjà signés et insistera sur l'arrêt du siège que nous subissons. L'Europe doit
prendre la place de parrain du processus de paix que vont laisser les Américains
pendant plusieurs mois, le temps nécessaire à l'administration Bush de
s'installer.
- Le programme de Sharon, tel que divulgué par le journal « Haaretz
», vous promet un « Etat » sur 42 % de la Cisjordanie, rien sur Jérusalem, rien
sur les réfugiés...
- On sait cela, comme on sait son rôle dans la colonisation des territoires
occupés depuis 1967, sa responsabilité dans les massacres de Sabra et Chatila,
sa visite sur l'esplanade des Mosquées le 28 septembre, etc. On n'oublie pas,
mais on traite avec le représentant d'Israël. Evidemment, si celui-ci vient avec
une politique qui viole les références du processus de paix, nous nous
opposerons à lui et nous serons soutenus de par le monde.
3. Henri Hajdenberg : "Si Sharon est élu, ce sera le
vote d'Arafat" propos recueillis par Jean-Sébastien Stehli
in L'Express du jeudi 1er février 2001
Avocat,
Henri Hajdenberg est président du Conseil représentatif des institutions juives
de France (Crif), qui regroupe 61 associations représentant l'ensemble de la
communauté juive de France.
«Les élections en Israël sont toujours importantes parce que c'est un pays
qui se trouve toujours dans une situation sensible. Qui gouverne Israël n'a pas
droit à l'erreur. C'est une question de paix ou de guerre, aujourd'hui plus que
jamais.
L'évolution de la politique israélienne n'a pas été suffisamment analysée.
Il y avait auparavant deux grands blocs idéologiques qui s'affrontaient: d'un
côté, les militants du Grand Israël, englobant tous les territoires considérés
comme bibliques et incorporant quelque 2 millions de Palestiniens sous
souveraineté israélienne; de l'autre côté, les partisans de la paix en échange
de territoires. Jusqu'à l'élection de Benyamin Netanyahu, ces deux conceptions
s'affrontaient encore. Depuis, la droite israélienne a accepté le processus
d'Oslo et le principe de la restitution des Territoires, conduisant
inévitablement à la constitution d'un Etat palestinien.
Nombre de juifs de France ne se sentaient pas concernés par ce débat
idéologique parce que, s'ils avaient choisi de vivre en France, comme citoyens
français, c'est qu'ils ne revendiquaient pas de vivre sur les territoires
palestiniens. Mais ils étaient divisés sur la façon d'assurer la sécurité
d'Israël, préoccupation principale des juifs. Les affrontements récents
amplifient cette inquiétude, cette angoisse que nous portons en nous du fait de
notre histoire.
Une très large majorité des dirigeants de la communauté juive française a
estimé qu'ils devaient appuyer le processus de paix. Quand nous sommes allés
voir Yasser Arafat en avril 1999, la décision a été prise à l'unanimité du
bureau exécutif du Crif. Nous pensions que, citoyens d'un Etat en bons termes
avec les pays arabes, nous pouvions faciliter le dialogue. Mais nous avons été
déçus par le comportement des représentants de l'Autorité palestinienne depuis
Camp David. Face à un Premier ministre israélien qui a avancé à pas de géant
vers les Palestiniens, ceux-ci n'ont fait que reculer, comme si, en définitive,
ils n'acceptaient pas d'aller au bout du processus de paix.
«Une sorte de vote de tribu, selon les origines ethniques»
On est très
proche d'une solution qui permettrait la paix entre Palestiniens et Israéliens,
d'un compromis acceptable par tous. Le fanatisme et la haine, qui se sont
manifestés de manière si violente, font perdre confiance. C'est une rupture
psychologique majeure qui a fait reculer le processus de paix. Le pessimisme
prévaut donc, mais il faudra bien que le peuple palestinien comprenne que les
Israéliens ont leur place sur cette terre et qu'il devra bien vivre et coopérer
avec eux. C'est leur propre intérêt, pour résoudre leurs problèmes économiques
et sociaux, et vivre, eux aussi, en démocratie.
Si Ariel Sharon est élu, ce sera le vote de Yasser Arafat: c'est le leader
palestinien qui aura amené la défaite d'Ehud Barak en déclenchant des émeutes et
en refusant de conclure la paix avec l'actuel Premier ministre israélien, dont
Sharon ne maintiendra certainement pas les propositions.
Alors qu'Israël est en conflit, on peut reprocher à son système électoral
de ne pas permettre de véritablement gouverner. Il s'agit d'une pratique
politique comparable à celle de la IVe République en France, avec une majorité
introuvable. Ce système a également engendré une sorte de vote de tribu, selon
les origines ethniques, qui va à l'encontre des objectifs des fondateurs de cet
Etat et qui crée un climat d'affrontements internes dans une société qui ne peut
pas se le permettre. Sans réelle influence sur cette situation, témoins d'une
société qui se déchire entre religieux et non-religieux, les dirigeants de la
Diaspora ne peuvent que le regretter. Ils doivent lancer un cri d'alarme aux
Israéliens.
S'agissant de la France et de ses représentants, on attend plus de
compréhension. Nos dirigeants ne peuvent pas ignorer qu'Israël vit entouré de
sociétés arabes qui lui sont farouchement hostiles et qu'il doit se défendre
dans ce Proche-Orient qui n'a pas encore définitivement accepté sa légitimité.
Cela devrait amener à des prises de position plus mesurées et plus équilibrées.»
4. Rony Brauman : "Ma judaïté n'est ni un drapeau
ni une honte" propos recueillis par Vincent Hugeux
in L'Express du jeudi 1er février 2001
Pionnier
exigeant et sagace de l'aventure humanitaire, Rony Brauman rechigne d'ordinaire
à s'exprimer «en tant que juif». Il le fait ici.
- Quelle image
symbolise, à vos yeux, le destin d'Israël ?
- Ce n'est pas une
image, mais un slogan: le rêve brisé. Un rêve d'émancipation enfermé dans un
ghetto, un rêve d'affranchissement où le libérateur se fait oppresseur. Constat
partagé le plus souvent par les sionistes idéalistes. Pourtant, jusqu'en 1967,
tout allait bien. J'avais alors 17 ans. Hanté par la destruction d'Israël, je
partageais mon temps entre la préparation du bac et une écoute fiévreuse de la
radio. La victoire d'Israël fut un soulagement. A l'époque, je me disais ceci:
ceux qui méritent de vivre vivront.
- Votre entourage était-il sioniste ?
- De souche
polonaise, profondément religieux, mes grands-parents parlaient le yiddish.
Adolescent, je subissais les fêtes religieuses, que mes parents célébraient par
respect pour les leurs, comme une corvée. Mon père était quant à lui un
résistant et un vrai sioniste. Il a milité très jeune, avant de s'établir dès
1948 en Israël. Je suis né deux ans plus tard à Jérusalem, mais je ne garde
aucun souvenir de ma petite enfance: j'avais à peine 5 ans quand ma mère m'a
emmené en France. Mis à part de brèves vacances familiales en 1961, pendant le
procès du criminel nazi Adolf Eichmann, je n'ai pas remis les pieds en Israël
avant l'âge adulte. Depuis lors, j'y ai séjourné trois fois.
- Pourquoi cette apparente distance ?
- Mon éveil
politique passe par la guerre d'Espagne et le Vietnam. Longtemps j'ai suivi le
Proche-Orient de loin. Avant de m'y plonger en 1988, à l'heure de la première
Intifada. Jusque-là, je bossais davantage sur le Rwanda, l'Afghanistan ou
l'Amérique centrale. Et j'avais du conflit une vision simple et claire: un îlot
de démocratie - Israël - perdu au milieu d'un océan de totalitarisme arabe
soutenu par l'URSS. En ce temps-là, on considérait que les Palestiniens, dont on
niait d'ailleurs l'existence, avaient un pays, à savoir la Jordanie. La guerre
des pierres et le naufrage soviétique ont mis à mal ce schéma. Et hâté la fin
d'un aveuglement organisé.
- A quoi attribuer cette «conversion» ?
- Un film,
oeuvre de mon cousin Eyal Sivan, Israélien antisioniste, a servi de catalyseur.
Il bousculait les mythes fondateurs d'Israël, dénonçant l'usage de la mémoire
juive à des fins de propagande. Ce qui me fout encore en pétard, ce sont ces
sionistes de France prêts à se battre jusqu'au dernier Israélien. Pas question,
assènent-ils de Paris, de restituer le Sud-Liban aux Libanais, le plateau du
Golan à la Syrie, de transiger sur le mont du Temple ou la vallée du Jourdain...
Mais de quel droit?
- Vous sentez-vous plus français que juif ?
- Je me
vois comme un être composite. Ma judaïté forge une partie de mon identité. Ce
n'est ni un drapeau ni une honte, mais une donnée. Juif français ou Français
juif? La question est un peu vaine. Car j'y vois deux catégories disjointes.
L'une familiale; l'autre civile et politique. Ce qui, au passage, atteste la
réussite de l'intégration. Je ne me reconnais nullement dans les institutions
dites «représentatives». Non que je conteste leur légitimité, mais parce
qu'elles parlent en fait au nom d'à peine 10% de la communauté. Quand le Crif
décrète, péremptoire, que les juifs de France sont tous du côté d'Israël, je
bouillonne!
- Quels dangers pèsent sur Israël ?
- D'abord,
l'unanimisme avec lequel les Israéliens perçoivent la question du droit au
retour des réfugiés palestiniens. Un droit qui devient à leurs yeux un péril
existentiel, vital. Au-delà de cette crispation identitaire, je vois une autre
menace: la sacralisation de la terre et de l'Etat, porteuse à mon sens de guerre
civile.
5. “Je ne bouffe pas de l’Arabe au petit déjeuner”
par Smadar Pri
in Yediot Aharonot (quotidien israélien publié à Tel-Aviv)
traduit dans Courrier International du jeudi 1er février 2001
Dans un entretien exclusif aux "Yediot Aharonot", Ariel Sharon,
probable futur Premier ministre israélien, présente sa vision de la paix avec
les Palestiniens.
- En tant que Premier ministre, vous allez hériter d’une situation
dans laquelle nos rapports avec les Etats arabes sont au plus mal.
-
ARIEL SHARON C’est effectivement un lourd héritage. Si vous me demandez si je
respecterai les accords existants, je vous répondrai que je ne respecterai que
ceux ratifiés par la Knesset, et seulement ceux-là.
- Quel est votre agenda politique ?
- Il faut avant
tout restaurer nos relations avec le Congrès [américain], des relations qui sont
à la base de notre puissance, mais que Barak, par inexpérience, a totalement
négligées. Il faudra également restaurer nos rapports avec la France,
l’Allemagne et la Russie.
- Comment comptez-vous résoudre le problème du mont du Temple ?
Vous ne pouvez tout de même pas ignorer ce qui lie l’islam à ce lieu
?
- Non seulement je ne peux pas, mais je ne veux pas l’ignorer. Je
n’ai pas la moindre intention de changer les règles existantes. Nous ne nous
ingérerons jamais dans la gestion du culte. Mais transférer à d’autres ce que
certains appellent le “Haram esh-Sharif” [en arabe] est impensable. Jérusalem
doit rester une ville unifiée avec le mont du Temple en son coeur.
- Il y aujourd’hui une continuité territoriale quasi complète entre
Ramallah et Jérusalem. Jusqu’où pourra-t-on reculer le tracé de la frontière
?
- La frontière englobera les quartiers qui surplombent la ville,
ainsi que l’aéroport d’Atarot [Jérusalem-Est]. Mais je ne vois aucune objection
à créer des axes routiers palestiniens qui ne traversent pas la ville. Il y a
une solution à tout.
- Nous parlons bien d’un Etat palestinien ?
- L’Etat
palestinien est un Etat en devenir. Ce qu’il faut, c’est parvenir à un accord et
finaliser le conflit. Si j’ai un conseil à donner aux Palestiniens, c’est de ne
pas procéder à une proclamation unilatérale. Ils disposent déjà d’organes dignes
d’un Etat : un président, un gouvernement, des ministres et un Parlement.
- Ils désirent également un passage garanti entre les deux parties
de leur Etat.
- Yasser Arafat manoeuvre depuis des années pour
ressusciter le plan de partition de 1947. Ses revendications sur une partie du
Néguev s’inspirent de ce plan. Ce qu’il voudrait, c’est obtenir une continuité
territoriale qui couperait notre pays en deux. C’est hors de question.
- Comment circuleront les Palestiniens entre Gaza et Ramallah
?
- Ce que je leur propose, c’est de créer une société de chemins de
fer qui utiliserait notre réseau ferroviaire. Il serait interdit de descendre de
l’“express Gaza-Toulkarm” en cours de route, et l’utilisation de notre réseau
serait payante. Pour moi, c’est une solution originale. Ce que les Palestiniens
veulent, c’est un territoire à eux pour ne plus être humiliés à nos barrages. Il
n’est pas facile d’être palestinien. Je voudrais revenir sur la diabolisation
dont je fais l’objet. On me dépeint souvent comme quelqu’un qui bouffe de
l’Arabe au petit déjeuner. C’est tout à fait faux. Dans une guerre, des hommes
sont tués. Mais je n’ai jamais admis que l’on maltraite les prisonniers ou qu’on
les humilie. Je n’ai jamais manqué de respect à personne. Les Arabes se
battraient jusqu’à la mort mais je n’ai pas envie de faire la guerre au monde
arabe.
- Vous avez fait un bout de chemin avec Arafat. Vous l’avez traité
de criminel de guerre et avez refusé de lui serrer la main. Mais, fin décembre,
vous lui avez fait parvenir une lettre de voeux. Quels sont vos rapports
?
- Je sais qui est Arafat. A la mort de Lili [la femme d’Ariel
Sharon], il m’a transmis ses condoléances. Je lui ai répondu selon l’usage.
Après la fête du Ramadan, je lui envoyé une lettre, comme c’est de règle entre
deux dirigeants. Mais je ne lui serrerai pas la main. Cela signifierait la fin
du conflit.
6. Repousser la frontière vers l’est
par Allouf Ben
in Ha’Aretz (quotidien israélien publié à Tel-Aviv) traduit
dans Courrier International du jeudi 1er février 2001
“La paix n’est pas notre intérêt principal”, disait Ben Gourion. En ce
sens, Barak est resté fidèle aux objectifs stratégiques et territoriaux fixés
par les fondateurs de l’Etat d’Israël.
Le discours confus du Premier ministre Barak rend incompréhensibles les
objectifs diplomatiques d’Israël. Pourtant, les consignes données par Barak aux
négociateurs israéliens de Taba s’inscrivent dans la ligne de la politique
étrangère et de défense tracée par les fondateurs de l’Etat d’Israël. Shlomo
Ben-Ami, Yossi Beilin et Amnon Shahak étaient à Taba pour atteindre trois
objectifs ayant obtenu l’aval de Bill Clinton : repousser la frontière orientale
d’Israël au-delà de la Ligne verte, conserver un contrôle sur les lieux saints
de Jérusalem et retenir les réfugiés palestiniens à l’extérieur d’Israël. Yasser
Arafat les a rejetés et a préféré poursuivre la lutte contre Israël. Les ultimes
négociations de Taba furent en fait une tentative israélienne d’effrayer les
Palestiniens en leur disant ce à quoi ils devaient s’attendre avec un Sharon
extrémiste et un Bush indifférent. Il s’agissait de les forcer à accepter la
carte proposée par Israël. Le plan de “séparation unilatérale” élaboré par Barak
était censé atteindre les mêmes objectifs en cas de rupture des négociations par
Arafat.
Les positions israéliennes remontent aux premières années de l’Etat.
L’historien Shimon Golan vient de publier Gvoul ham, Milhama kara (“Frontière
chaude, guerre froide”), un livre consacré au développement de la politique
israélienne de sécurité entre 1949 et 1953. Bien qu’issu du coeur de
l’establishment militaire israélien, Golan ne tire pas d’autres conclusions que
celles tirées par les “nouveaux historiens” : après la guerre d’indépendance,
Israël n’était pas pressé d’aboutir à la paix, car il craignait de devoir payer
le prix demandé par les superpuissances en termes de frontières et de
réfugiés.
Le refus des pays arabes de négocier sans conditions préalables ne fit que
permettre à Israël d’atteindre ses objectifs à long terme. Golan rappelle que
l’objectif principal de la politique étrangère et de défense d’Israël était de
consolider les acquis territoriaux et démographiques de la guerre d’Indépendance
et des accords d’armistice. Et ce sont précisément ces problèmes qui demeurent
les obstacles essentiels dans les négociations avec les Palestiniens et les
Syriens.
David Ben Gourion ne croyait pas en un Israël intégré parmi les nations
arabes. En ce sens, il ne fait qu’inspirer Ehoud Barak et Shlomo Ben-Ami, pour
qui la seule paix possible repose sur la séparation et les barbelés. “Nous
sommes une nation européenne. Nous n’avons pas d’affinité avec les Arabes ;
notre régime, notre culture et nos rapports ne sont pas issus de cette
région.”
L’establishment militaire israélien n’a jamais réellement accepté les
lignes d’armistice de 1949 et a toujours attendu l’occasion propice pour les
repousser vers l’est. Aujourd’hui, ce que Barak veut obtenir par la négociation,
c’est le recul de la frontière vers l’est afin d’élargir le corridor de
Jérusalem et de rapprocher Israël de la ligne de crête de Samarie [partie nord
de la Cisjordanie]. C’est dans cette logique stratégique que s’inscrit la
demande israélienne d’annexer les blocs de colonies implantés en Samarie et
autour de Jérusalem et sur laquelle se sont affrontés Ben-Ami et Abou Alaa
[négociateur palestinien].
7. L’appel au boycott des partis arabes
israéliens
in Kul al-Arab (quotidien palestinien publié à Nazareth)
traduit dans Courrier International du jeudi 1er février 2001
Dans un appel* publié par le quotidien palestinien "Kul al-Arab", les
formations politiques arabes d’Israël expliquent pourquoi elles ne veulent plus
être la roue de secours des travaillistes.
Jour après jour, le soutien de la population arabe à la campagne de boycott
des élections au poste de Premier ministre (d’Israël) ne cesse de s’amplifier.
Plus la date de ces élections approche, plus la décision de ne pas aller voter
pour un candidat du Parti travailliste ou du Likoud devient évidente (pour les
Arabes d’Israël). Sur ce point, les forces politiques qui ont appelé à ce
boycott expriment le sentiment de toute la population (arabe d’Israël). Dans ce
contexte, ces différentes forces politiques se sont mises d’accord pour diffuser
un appel au boycott des élections au poste de Premier ministre, ainsi que pour
se coordonner entre elles. Pour cela, il convient de resserrer les rangs et de
mobiliser la population (arabe) dans le cadre d’une campagne populaire destinée
à la convaincre de boycotter cette élection et de ne pas se rendre aux
urnes.
Devoir faire un choix entre Barak ou Sharon n’a pour nous aucun sens. En
effet, Sharon est célèbre pour ses actes inqualifiables à l’égard des Arabes et
du peuple palestinien, ainsi que pour ses prises de position qui ont fait de lui
le symbole politique d’une droite extrémiste violente et expansionniste et qui
s’est rendue coupable de crimes de guerre. Dès lors, toute personne qui
appellera à voter pour Sharon ou qui votera pour lui deviendra un ennemi pour sa
communauté et pour son peuple.
Il convient, dans ces conditions, de s’opposer fermement à l’idée que voter
pour Sharon serait un moyen de pénaliser Barak. De même, nous n’acceptons pas
que l’on nous effraie avec Sharon pour mieux nous pousser à voter pour
Barak.
L’expérience a d’ailleurs montré par le passé que, même en votant à 95 %
pour un candidat du Parti travailliste, nous n’obtenions de toute façon rien. En
effet, ce parti a continué à appliquer une politique bien connue à l’égard des
citoyens arabes et du peuple palestinien en général. Bien que le gouvernement
Barak ne cesse de parler de paix, il continue en effet à s’en prendre à notre
peuple et à tuer ses enfants. Ainsi, plus de 400 martyrs palestiniens sont
tombés depuis le début de l’Intifada d’Al Aqsa, parmi lesquels 12 sont des
citoyens arabes (d’Israël).
Cela aurait-il donc un sens si nous votions à nouveau pour ceux qui se
comportent avec nous comme si nous étions leurs ennemis ? Pour ceux qui nous ont
exclus et qui nous persécutent ? Nous sommes certains qu’à partir de maintenant
la population arabe n’acceptera plus d’être le dernier recours électoral du
Parti travailliste. Il est donc de notre droit, et même de notre devoir, de
punir les responsables des crimes qui ont été commis à l’encontre de notre
peuple. Ces derniers nous massacrent et nous torturent, ensuite ils se mettent à
arborer des sourires électoralistes pour essayer de récupérer nos suffrages.
Toute voix arabe pour Barak ne fera donc qu’encourager les prochains
gouvernements israéliens à poursuivre sur la lancée d’une politique criminelle à
l’égard de la population arabe.
Par ailleurs, en boycottant ces élections, nous exprimons aussi notre
loyauté à l’égard des martyrs qui sont tombés au cours de l’Intifada ainsi que
pour la cause qui les a poussés à ce sacrifice. Cette cause est le droit pour
les Palestiniens de pouvoir vivre en liberté et indépendants sur une terre dans
le respect du droit au retour et dans le cadre de la défense de Jérusalem et de
la mosquée Al Aqsa.
Ehoud Barak est tombé parce qu’il n’a pas su imposer de solution définitive
au conflit en cours et parce qu’il n’a pas réussi à mettre un terme à
l’Intifada. Ces élections anticipées se déroulent sur fond de résolution
définitive de la question palestinienne. Pourtant, les deux candidats en lice,
quelles que soient leurs différences, refusent avec la même véhémence que le
droit international puisse servir de base à une résolution finale. En réalité,
ils sont d’accord pour priver les Palestiniens de leurs droits minimaux.
Dans ces conditions, voter pour un de ces deux candidats équivaudrait en
réalité à renoncer au droit au retour des réfugiés palestiniens, au droit du
peuple palestinien à se libérer de l’occupation et à construire un Etat
indépendant et souverain avec pour capitale Jérusalem. De même, l’affirmation
selon laquelle “voter pour Barak c’est soutenir la paix” se révèle n’être qu’un
mensonge et une supercherie. Boycottons tous ensemble ces prochaines
élections.
* Signataires de l’appel : le Parti national arabe, le Mouvement
islamique (à l’intérieur de l’organisation Ligne verte-Liste arabe unifiée), le
Rassemblement national démocratique, le Front de l’unité nationale, le Mouvement
des enfants du pays (Abna al-Balad), le Parti progressiste socialiste et le
Mouvement islamique (sous la direction du cheikh Raed Salah).
8. Washington sera moins proche d’Israël par
Yoël Markus
in Ha’Aretz (quotidien israélien publié à Tel-Aviv) traduit
dans Courrier International du jeudi 1er février 2001
L’arrivée de George W. Bush au pouvoir et la victoire probable d’Ariel
Sharon changent la donne. L’amitié israélo-américaine risque de se
dégrader.
Avec le départ de Bill Clinton, nous perdons l’un des présidents américains
les mieux intentionnés qu’Israël ait jamais connus. Mais il n’est pas du tout
certain que George W. Bush reprendra l’oeuvre de Bill Clinton là où celui-ci l’a
laissée. Bush manque de ce que Clinton avait : sa “chaude amitié” pour Israël.
Son attitude envers les Juifs est moins chaleureuse, et on ne compte aucun Juif
parmi les membres de la nouvelle administration, à l’exception de son
porte-parole. Le vice-président Richard Cheney et le secrétaire du département
d’Etat Colin Powell ne sont pas des judéophobes (Powell parle même yiddish),
mais leur approche du Moyen-Orient est guidée par le cerveau, non par le coeur.
Une coterie issue de l’industrie pétrolière est toujours plus sensible aux
intérêts américains dans le monde arabe. Or, ces dernières années, l’influence
américaine dans la région s’est vue lentement contestée.
A travers la “fenêtre d’opportunité” ouverte par les arrangements de paix,
on peut de nouveau voir des drapeaux américains mis en flammes. L’hostilité
manifestée par le Pentagone envers Israël sous le mandat de l’actuel secrétaire
à la Défense (surtout lors de la vente d’avions AWACS israéliens à la Chine)
n’est à ce titre pas très encourageante. Lorsqu’il sera question de déployer une
force internationale telle qu’envisagée dans la proposition Clinton, une forte
opposition se manifestera quant à la présence de soldats américains. Notre
prochain Premier ministre peut sans doute d’ores et déjà oublier les
conversations téléphoniques nocturnes et chaleureuses avec un président
américain. L’erreur de Barak fut de privilégier les relations personnelles avec
Clinton tout en négligeant les relations avec le Congrès et avec les Juifs
américains, nos deux principaux soutiens.
Israël n’aurait pu choisir moment plus crucial pour des élections et un
changement de gouvernement. Il y a une légère majorité républicaine à la Chambre
des représentants, mais c’est la première fois en un siècle que le Sénat est
littéralement coupé en deux. Vu le changement dans le découpage des districts
électoraux, les élections de 2002 pour le Congrès seront cruciales pour un
George Bush élu sur le fil.
Cette situation donne à Israël une occasion de réparer ses erreurs et de
remédier à ses omissions. Les résultats des prochaines élections pèseront lourd
dans la nature de nos relations avec la nouvelle administration américaine. Soit
elle marchera main dans la main avec nous. Soit elle s’opposera à nous en
donnant au Conseil de sécurité de l’ONU carte blanche pour imposer sa
solution.
Pour avoir dépassé l’ancien Premier ministre Yitzhak Shamir sur sa droite
et torpillé les concessions que Benyamin Nétanyahou avait consenties lors de
l’accord de Wye River [23 octobre 1998], le candidat du Likoud Ariel Sharon est
perçu par les Américains comme un fauteur de troubles. Son simple nom résonne
avec guerre, agressions et colonies. “Chaque fois que ma venue en Israël était
annoncée”, se plaignait James Baker, le secrétaire d’Etat de Bush senior,
“Sharon m’enfonçait une nouvelle colonie dans l’oeil”. La montée au pouvoir de
Sharon, qui a juré de ne pas démanteler une seule implantation, risque de causer
de gros problèmes dans nos relations avec la nouvelle administration américaine.
La combinaison Sharon-Bush pourrait même se révéler fatale.
9. Saddam soigne son image en aidant les familles
des "martyrs" palestiniens Dépêche de l'Agence France
Presse du jeudi 1er février 2001, 9h32
RAMALLAH (Cisjordanie) -
A peine une semaine après la mort de son fils, tué lors de l'explosion d'un obus
de l'armée israélienne à Ramallah, Najah Ahmed Mahmoud a reçu la visite des
hommes du président irakien Saddam Hussein venus apporter à la famille du
"martyr" une aide financière.
"Saddam est le seul qui nous a aidé", déclare Najah, enveloppée dans un
châle noir, assise, dans sa maison de Ramallah, sous un portrait du président
irakien en tenue militaire.
"Saddam Hussein a fait quelque chose de bien en nous donnant de l'argent de
la main à la main, dans une période très difficile", ajoute-t-elle, décrivant la
visite en octobre de la délégation du Front de libération arabe -financé par
l'Irak- venue lui remettre un chèque de 10.000 dollars, un portrait de Saddam et
un drapeau irakien.
La campagne d'aide irakienne -la plus importante en Cisjordanie et dans le
bande de Gaza selon les familles des victimes- a renforcé l'image du président
irakien, déjà très populaire dans les territoires palestiniens.
Il est devenu courant de voir, lors des marches de protestation qui se
déroulent presque quotidiennement en Cisjordanie et à Gaza, des manifestants
brandir des affiches de Saddam et scander: "Saddam, frappe, frappe Tel
Aviv!"
L'aide irakienne aux familles des "martyrs" n'est pas sans susciter des
inquiétudes chez les Israéliens. Selon la radio militaire israélienne, le
général Amos Malka, responsable des services de renseignements de Tsahal, a
déclaré mardi devant la commission parlementaire israélienne chargée des
Affaires étrangères et des questions de sécurité que l'Irak finançait le
soulèvement palestinien.
Toujours selon la radio militaire, Malka a affirmé devant la commission que
Saddam utilisait le programme d'aide aux victimes palestiniennes afin
d'orchestrer son retour sur le front arabe après une décennie d'isolement suite
à son invasion du Koweit en 1990.
Rakad Sallim, secrétaire général du Front de libération arabe -une branche
du parti baas au pouvoir en Irak- a déclaré à l'AFP que quelque 300 familles de
"martyrs" de l'Intifada, le soulèvement palestinien contre l'occupation
israélienne, avaient reçu un chèque de 10.000 dollars.
"Le président irakien a promis une aide financière d'un milliard d'euros
(940 millions de dollars) à la population palestinienne, en plus des sommes
versées aux familles des martyrs et aux blessés", explique-t-il, dans son bureau
de Ramallah. Dans la pièce sont accrochés une photo le montrant en compagnie du
président irakien, ainsi qu'un calendrier montrant un montage avec une photo de
Saddam et la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem, troisième lieu saint de l'islam, en
arrière plan.
Des centaines de Palestiniens grièvement blessés ont par ailleurs reçu 1.
000 dollars, et les blessés légers 500 dollars, ajoute M. Sallim, sans préciser
le nombre exact de personnes indemnisées.
"Les Palestiniens n'ont pas oublié que Saddam Hussein a frappé Tel Aviv
durant la guerre du Golfe et que l'Irak n'a pas fait la paix (avec Israël) comme
l'ont fait l'Egypte et la Jordanie et n'est pas prête à discuter de paix comme
d'autres Etats arabes", dit-il.
Selon Najah Ahmed Mahmoud, bien que plusieurs pays arabes et musulmans se
soient engagés à verser en tout un milliard de dollars afin de soutenir les
Palestiniens dans leur soulèvement, seul l'argent du fonds d'aide du leader
irakien est parvenu directement aux familles des victimes.
"L'aide financière en provenance des autres pays arabes fait certains
détours avant d'arriver", affirme-t-elle, expliquant qu'elle a reçu 2.500
dollars du gouvernement d'Oman, et 700 dollars d'hommes d'affaires palestiniens
installés aux Etats-Unis.
10. Ariel Sharon au pouvoir ? Tragédie garantie, selon
des Palestiniens du Liban Dépêche de l'Agence France Presse du jeudi
1er février 2001, 9h22
BEYROUTH - "Barak ou Sharon? C'est comme nous
demander si nous voulions être tués un par un ou bien en groupe", répond Nouhad
Srour, une réfugiée palestinienne rescapée du massacre des camps de Sabra et
Chatila.
Lors des tueries (700 à 1.500 morts) perpétrées en septembre 1982 par des
miliciens chrétiens alliés d'Israël, Nouhad, qui avait 16 ans à l'époque, a vu
mourir sous ses yeux cinq membres de sa famille, deux autres étant, comme elle,
blessés.
Sa réponse résume brutalement l'état d'esprit d'une partie des quelque 367.
000 Palestiniens du Liban. Pour eux, l'arrivée au pouvoir d'Ariel Sharon en
Israël à la faveur des élections du 6 février raviverait de cruels souvenirs,
mais ne traduirait pas un changement fondamental de la politique
israélienne.
Certes, le chef du Likoud reste dans leur mémoire comme l'homme qui,
ministre de la Défense d'Israël, a, malgré ses dénégations, orchestré à Beyrouth
le carnage commis contre des Palestiniens sans défense.
"C'était un acte délibéré de terreur pour pousser les Palestiniens à
l'exode et nettoyer Beyrouth", après le départ négocié des combattants de l'OLP
de la capitale libanaise, estime Abou Salim, 80 ans.
Le vieux monsieur, qui n'avait dû alors son salut qu'à la fuite avec sa
famille, est, comme Nouhad Srour, l'un des 4.000 Palestiniens qui vivent encore
dans ce quartier déshérité.
Mais il n'en éprouve pas plus de sympathie pour l'actuel Premier ministre
israélien Ehud Barak, donné battu par les sondages à quelques jours de
l'échéance électorale: "Dans le fond, Barak et Sharon c'est pareil. On voit ce
que Barak est en train de faire avec l'Intifada".
Un chef militaire du Fatah dans le grand camp de Aïn Héloué (près de Saïda,
sud), Mounir Maqdah, abonde dans le même sens : "Sharon et Barak sont les deux
faces d'une même pièce", dit-il.
Pour d'autres au contraire, et tout particulièrement des responsables
politiques, une victoire d'Ariel Sharon serait un scénario catastrophe.
Pour Souheil Natour, membre du comité central du FDLP (Front démocratique
de libération de la Palestine), "ce qui est inquiétant, c'est l'atmosphère
d'extrémisme en Israël", que reflète la position d'Ariel Sharon dans les
sondages.
"Si Sharon vient au pouvoir, il y aura radicalisation de la politique
israélienne. Cela se traduira par une aggravation du recours à la force dans
tous les domaines, notamment en ce qui concerne les implantations juives en
Cisjordanie, ou la répression de l'intifada", estime-t-il.
"Son refus total du droit au retour des Palestiniens présente des risques
de déstabilisation pour les pays arabes où il y a de fortes communautés
palestiniennes, notamment la Jordanie, et de tension avec la Syrie et le Liban",
ajoute-t-il.
Enfin, selon Souheil Natour, "cela va encourager le fondamentalisme
musulman chez les Palestiniens".
Un avis partagé dans ses grandes lignes par le représentant de Yasser
Arafat au Liban, Sultan Aboul Aynaïn, interrogé par l'AFP au camp de Rachidiyé,
près de Tyr (sud): "l'éventuel avènement de Sharon par le biais des urnes
exprimerait la nature raciste et extrémiste de la société israélienne".
Pour lui, "le programme de Sharon vise à enterrer toute possibilité
d'application des résolution internationales sur lesquelles se base le processus
(de paix) en cours".
Au cas où il accède au pouvoir, "nous nous attendons à davantage de
tragédies", affirme le dirigeant palestinien, considérant que "les massacres de
Sabra et Chatila représentent un tournant dans notre époque" et qu'Ariel Sharon
est "plus dangereux que les autres généraux israéliens".
Les Palestiniens, déclare Aboul Aynaïn, "doivent se préparer à faire face y
compris à l'intérieur des villes libérées de Palestine parce que c'est là-bas
que la lutte aura lieu dans l'avenir, que nous ayons ou pas un
Etat".
11. Assil avait 17 ans et croquait la vie
par Baudoin Loos
in Le Soir (quotidien belge) du mercredi 31 janvier
2001
Reportage à Arrabeh (Haute-Galilée)
C'était un jeune
homme qui mordait dans la vie à pleines dents. Doué. Pour les contacts, pour les
études. Il allait se spécialiser en informatique, c'est sûr. Mais le sort en a
décidé autrement. Le sort ? Ce jour-là, le 2 octobre dernier, entre Arrabeh et
Sahnin, deux petites villes arabes de Haute-Galilée, des manifestants s'en
étaient pris à la police israélienne. Des jets de pierres accueillis, d'abord,
par des grenades lacrymogènes et des tirs de balles plastifiées. Assil, lui, a
reçu trois balles de guerre à bout portant, selon plusieurs témoins. Et il est
mort, comme douze autres Arabes d'Israël à travers le pays.
J'étais là,
raconte Hassan, son père, d'une voix monocorde, comme s'il s'imposait un devoir.
La police tirait des gaz et Assil regardait la scène, assis. Il n'a pas vu trois
policiers qui ont surgi dans son dos. Je lui ai crié, mais ils l'ont rattrapé et
frappé. Soudain, ils l'ont abattu. De sang-froid. J'ai perdu connaissance.
«
Ils l'ont rattrapé et frappé. Soudain, ils l'ont abattu. De sang-froid »
A
son réveil, Hassan apprit qu'Assil avait été emmené en ambulance à Sahnin, où il
fut décidé de transférer le jeune homme à l'hôpital de Nahariya, à 30 km de là.
Il ne tarda pas à rejoindre en voiture et avec sa femme le véhicule de secours
arrêté par un barrage policier. On nous a fait faire demi-tour, malgré l'extrême
gravité de ses blessures. Par un autre chemin, et après avoir dû convaincre un
autre barrage de nous laisser passer, tout le monde a pu arriver à Nahariya. En
tout, une heure a été perdue. Là, après quelques minutes, un docteur m'a dit
trois mots : « Assil est mort ». J'ai pu voir son corps et pleurer en silence.
Dix minutes plus tard, on m'a demandé de partir. A l'hôpital, ils avaient mis un
écriteau sur le lit renseignant : « Action hostile ».
Le lendemain, Assil et
une autre victime d'Arrabeh seront enterrés. Sans autopsies.
Les Palestiniens
d'Israël se sont battus pour obtenir une commission d'enquête pour mettre au
jour les responsabilités dans le décès de leurs treize martyrs d'octobre.
Adalah, une organisation à caractère juridique pour la défense de la minorité
arabe israélienne, a consigné tous les témoignages disponibles, dont celui de
Hassan. Après lecture des dossiers, un journaliste du « Haaretz » a estimé que
le cas d'Assil comptait parmi les plus embarrassants pour la police.
Cette
dernière, à travers les explications du chef du conseil régional local, Erez
Kreisler, a expliqué qu'au moment des faits les seuls quatre policiers présents
ne disposaient plus de gaz lacrymogènes ni de balles plastifiées et qu'ils
faisaient face à une foule nombreuse menaçante. Kreisler a écrit une lettre de
remerciement au ministre de la Police pour la protection assurée pendant les
émeutes.
Le père d'Assil espère bien que les auteurs du meurtre seront punis.
Mais nous, Arabes, avons une expérience horrible du système judiciaire
israélien...
Assil, parmi ses activités, militait dans « The Seed of Peace »
(le germe de la paix), une organisation d'origine américaine qui promeut
l'amitié israélo-arabe notamment à travers des voyages mixtes en Amérique. Assil
était allé dans le Maine. Plusieurs Israéliens juifs lui rendaient parfois
visite, chez son père. Son charme faisait des ravages, racontent ses amis.
Pourtant, il ne cachait pas ses problèmes d'identité, en tant qu'Arabe
israélien. A Arrabeh, le 3 octobre, son cercueil était recouvert du drapeau
palestinien.
12. La colère des Arabes d'Israël par
Baudoin Loos
in Le Soir (quotidien belge) du mercredi 31 janvier
2001
Depuis longtemps habitée par un sentiment d'injustice en raison des
discriminations quotidiennes, une majorité des Arabes israéliens veut maintenant
« punir » le Premier ministre sortant, Ehoud Barak, pour la sanglante répression
subie en octobre.
Reportage à Sahnin (haute Galilée)
Des « regrets », des « condoléances
». Mais pas d'excuses. Les Arabes d'Israël, un sixième de la population, n'en
finissent pas de ressasser leur amertume. Une amertume teintée de réelle colère.
Maintenant, les choses ont le mérite d'être claires, lâche un quinquagénaire
arborant une impressionnante moustache. Nous ne sommes pas et nous ne serons
jamais considérés comme des citoyens à part entière. Dites, Monsieur,
croyez-vous vraiment qu'ils auraient tiré à balles réelles sur une foule de
manifestants juifs ?
A Sahnin, comme à Arrabeh, Nazareth, Oum el-Fahem et ailleurs, le souvenir
des émeutes des premiers jours d'octobre 2000, quand la population arabe
d'Israël voulut exprimer sa solidarité avec ses frères de Palestine occupée,
reste vivace.
« Barak ou Sharon, c'est du pareil au même : deux tueurs d'Arabes
»
Treize morts, tel avait été le prix du sang pour des routes coupées, des
pierres jetées (l'une fut mortelle pour l'automobiliste visé). Des morts que les
Arabes israéliens ne pardonnent pas à l'Etat d'Israël, accusé de répression à
caractère raciste.
D'ici, l'élection pour le poste de Premier ministre à laquelle les
Israéliens seront conviés le 6 février prend des allures surréalistes. Vous
verrez, s'emporte l'oncle d'une des victimes, 99 % des Palestiniens porteurs
d'un passeport israélien s'abstiendront de voter ou déposeront un bulletin
blanc. Voilà de quoi nous débattons : voter blanc ou rester à la maison
Pour Ehoud Barak, le Premier ministre sortant, la différence ne compte pas
pour rien. En 1999, en effet, 95 % des Arabes qui avaient voté - soit 76 % des
électeurs de cette communauté - avaient appuyé le chef des travaillistes. Déjà
fort à la traîne dans les sondages - mardi, un « Gallup » lui donnait 20 % de
retard sur son challenger de droite Ariel Sharon -, Barak espérait un accord
avec Arafat, fût-il symbolique, pour convaincre les Arabes de l'appuyer malgré
tout. Là aussi, c'est l'échec. De toute façon, ajoute le quinquagénaire
moustachu, Barak ou Sharon, c'est du pareil au même : deux tueurs d'Arabes
incapables ou plutôt non désireux de mettre un terme aux discriminations dont
nous sommes victimes depuis la création d'Israël.
Pourtant, tout le monde, chez les Palestiniens d'Israël, ne se contente pas
de laisser parler le sentiment de vengeance. Quelques-uns, assez rares, osent
dire qu'une fois de plus, ils vont se tirer une balle dans le pied, car ne pas
voter Barak, c'est aider à la victoire de Sharon, bien pire encore au bout du
compte s'agissant des intérêts de la communauté arabe.
Mais ce type d'avis demeure bien difficile à trouver dans la population. Au
moins publiquement. Car la colère contre Barak l'emporte sans conteste. Et les
nuances exprimées ne remontent le moral de personne, comme ce commentaire
d'Elias Jabour Jabour, ancien maire de Shefaram, également en Galilée, récemment
publié dans un hebdomadaire de Nazareth, « Kol al-Arab » : Nous mourrons si nous
votons Sharon, nous mourrons si nous votons Barak, nous mourrons si nous votons
blanc et nous mourrons si nous nous abstenons. (...) Dans les derniers jours
avant l'élection, nous devons décider quelle forme de mort nous choisissons. Que
Dieu nous vienne en aide
Déchirés entre leur nationalité israélienne et leur identité palestinienne,
les Arabes d'Israël ont perdu toute illusion. Comme leurs semblables réfugiés,
ils ne cessent d'évoquer les terres confisquées - sept huitièmes des terres de
Sahnin, nous assure-t-on - au profit des collectivités juives des environs. Ils
nous étouffent pour que nous partions, lance un vétéran des geôles israéliennes,
mais nous avons compris la leçon de 1948.
13. L’Autorité palestinienne souhaite publiquement
l’échec d’Ariel Sharon aux élections
in Le Monde du jeudi 1er février 2001
Alors que tous
les sondages donnent le chef du Likoud, Ariel Sharon, vainqueur de l’élection du
6 février qui désignera le prochain premier ministre en Israël, l’Autorité
palestinienne a pour la première fois invité tous les partisans de la paix à
empêcher cette victoire. Le quotidien Maariv a rapporté, mercredi 31janvier, de
source israélienne, que les deux parties ont tracé à Taba les grandes lignes
d’un accord.
LORS DES NÉGOCIATIONS de Taba, en Egypte, les Israéliens et les
Palestiniens auraient tracé les grandes lignes d’un accord sur le statut
définitif des territoires palestiniens, à en croire l’édition du 31 janvier du
quotidien israélien Maariv, qui cite "une source très haut placée à Jérusalem".
Ces informations n’avaient encore été ni confirmées ni démenties, mercredi
matin, par les Palestiniens. L’ébauche d’accord concernerait, selon Maariv, les
questions des territoires, de Jérusalem, des réfugiés et de la sécurité. Cette
esquisse d’accord prévoirait notamment, à en croire le journal, de restituer aux
Palestiniens de 94% à 96% de la Cisjordanie pour constituer, avec la bande de
Gaza, un Etat palestinien indépendant. Les 5% restants, englobant 80% des
colons, seraient annexés à Israël.
TOUCHE FINALE
A Jérusalem, le principe
de base serait que ce qui est juif irait aux juifs et ce qui est palestinien aux
Palestiniens, le Bassin sacré étant placé sous "administration conjointe" pour
une durée de cinq ans, Israël "gérant le Mur occidental et les Palestiniens les
Mosquées". Au cours de cette période, la souveraineté serait "suspendue" ou
transférée à une tierce partie. En matière de sécurité, "la majorité des
demandes israéliennes" auraient été acceptées par les Palestiniens. Quant aux
réfugiés, leur droit au retour serait exercé dans "l’Etat palestinien qui serait
établi et dans les territoires qui seraient transférés aux Palestiniens par
Israël, c’est-à-dire les dunes d’Halutza, dans le Néguev. Là, Israël aiderait à
la création d’une ou de plusieurs villes pour les réfugiés. Il apporterait sa
contribution aux infrastructures et à la logistique de la création de ces
"villes de réfugiés” qui seraient construites sur des territoires sous
souveraineté israélienne, devant être transférés aux Palestiniens dans le cadre
d’un échange territorial". Les équipes de négociateurs, toujours selon Maariv,
auraient laissé au premier ministre Ehoud Barak et au président Yasser Arafat
"l’honneur", non pas de signer l’accord, mais de mettre la touche finale aux
questions en suspens. Une rencontre était programmée à Stockholm, mais M.Barak y
a renoncé, à cause de propos très durs tenus dimanche par le président
palestinien. Mardi soir toutefois, M. Barak n’a pas exclu une telle rencontre.
"Il y a des personnalités internationales qui tentent d’amener Arafat à nous
rencontrer", a-t-il déclaré. "Nous les respectons. Si une suggestion est faite,
nous l’examinerons sérieusement, mais je ne peux pas vous affirmer que nous
allons nous rencontrer", a-t-il ajouté. Quelques heures plus tôt, le ministre
palestinien de la culture, Yasser Abed Rabbo, avait indiqué qu’"il pourrait y
avoir un sommet avant l’élection", ajoutant: "Ce pourrait être n’importe
où."
ÉVITER UN RETOUR EN ARRIÈRE
Par ailleurs, pour la première fois
depuis l’annonce d’un scrutin anticipé en Israël pour l’élection d’un premier
ministre, et à une semaine de la date du scrutin, l’Autorité palestinienne est
sortie de sa réserve pour exhorter "le camp de la paix" et les Palestiniens
israéliens à contribuer à l’échec du candidat de la droite, le chef du Likoud,
Ariel Sharon. M. Abed Rabbo a, en effet, invité mardi "tous les Palestiniens, où
qu’ils soient, à s’unir pour s’opposer à l’accession au pouvoir de Sharon et
éviter un retour en arrière du processus de paix". "Pas une seule voix arabe ne
doit manquer pour s’opposer à Sharon, a-t-il affirmé. La bataille contre Sharon
commence aujourd’hui et non pas après son élection." "Même un vote blanc
pourrait être considéré par Sharon comme une victoire. La question n’est pas de
savoir qui gagne ou qui perd. Le problème c’est que Sharon est l’ennemi de la
paix", a souligné M. Abed Rabbo, faisant valoir que tous les Palestiniens, "chez
eux ou dans la diaspora", doivent être conscients que "leurs efforts doivent se
conjuguer pour isoler la politique extrémiste de droite et ouvrir la voie à une
paix véritable". Selon un sondage rendu public mercredi en Israël et effectué
par l’institut Smith Research and Consulting, 49% des personnes interrogées
voteront pour Sharon, contre 27% pour Barak. La marge d’erreur est de 4,5%. 16%
refusent de se prononcer ou affirment qu’ils n’iront pas voter, et 8% sont
indécis.
[LA CENTRALE SYNDICALE israélienne Histadrout a annoncé, mardi 30
janvier, qu’elle était parvenue à un accord avec le gouvernement pour mettre fin
à une grève qui a affecté le trafic aérien, maritime et ferroviaire dans le
pays, ainsi que les services municipaux. La Histadrout avait lancé, il y a une
semaine, une série d’actions pour obtenir une hausse des salaires en faveur des
400 000 travailleurs membres du syndicat. Les grèves avaient été étendues au
secteur public dimanche. Avec AFP]
14. Un rapport du Comité de suivi pour les Arabes
israéliens dénonce la responsabilité d’Ehoud Barak dans le drame d’octobre
par Catherine Dupeyron
in Le Monde du jeudi 1er février 2001
JÉRUSALEM,
correspondance
Trop tard. Les excuses présentées aux Arabes israéliens par
Ehoud Barak et Shimon Pérès, à plusieurs reprises la semaine dernière,
suffiront-elles pour apaiser la colère de cette population et la réconcilier
avec le candidat Barak pour les élections du 6 février ? Plus de trois mois
après que treize des leurs eurent été tués au cours d’affrontements avec la
police, le premier ministre israélien a déploré les "tragiques événements"
d’octobre, et s’est engagé à ce que le gouvernement respecte les futures
recommandations de la commission d’enquête destinée à faire la lumière sur ce
drame. Quant à Shimon Pérès, officiellement responsable de la campagne
électorale dans le secteur arabe, il a présenté des excuses "au nom du
gouvernement pour la douleur et la souffrance causées".
A la veille de ce
double repentir, le Comité de suivi pour les Arabes israéliens, une institution
représentative des Arabes israéliens notamment composée d’élus locaux, avait
présenté à la presse les principales conclusions d’un rapport de mille pages
faisant le point sur cette semaine de violences. Remis début janvier à la
commission d’enquête, ce document présente les faits de manière détaillée et
désigne les responsables.
Il ne préjuge pas des conclusions de la commission
d’enquête, mais met explicitement en cause le chef de la police de la région
Nord, Alik Ron, suspecté d’avoir une attitude très dure à l’égard des Arabes, et
surtout l’échelon politique. Ehoud Barak aurait donné le feu vert à toute action
nécessaire "pour maintenir l’ordre". La réponse identique apportée par la police
dans toutes les villes indique, pour les auteurs du rapport, qu’il existait "un
plan prédéterminé pour répondre violemment à toute expression de solidarité des
citoyens palestiniens d’Israël avec les Palestiniens des territoires occupés en
1967".
Pourquoi le Comité de suivi des Arabes israéliens a-t-il décidé de
rendre ses conclusions publiques avant même que la commission Or, du nom de son
président, n’ait commencé ses auditions? Parce qu’il craint que la police exerce
des pressions sur les témoins et parce que ladite commission ne lui inspire
guère confiance.
OBJECTIF ÉLECTORAL
A l’origine de ce scepticisme, les
conditions difficiles qui ont présidé à sa mise en place.
Tentant d’abord
d’esquiver une enquête, puis de créer un comité dit "de clarification des
faits", qu’il aurait en fait contrôlé, le gouvernement israélien a finalement
été obligé d’accepter cette commission d’enquête indépendante, dont les trois
membres sont désignés par le président de la Cour suprême. L’un d’entre eux,
Sahal Jarakh, lui-même arabe, est vice-président de la cour de district de
Nazareth, ville de Galilée où sont mortes trois des treize victimes.
Si ce
type de commission n’a pas de pouvoirs judiciaires, ses recommandations, qui
peuvent concerner les politiques comme les fonctionnaires, sont généralement
respectées par les gouvernements. A cet égard, les conclusions de la commission
Kahane, ayant entraîné la démission d’Ariel Sharon de ses fonctions de ministre
de la défense en 1983 pour responsabilité indirecte dans les massacres de Sabra
et Chatila, en sont un bon exemple.
Néanmoins, le doute persiste parmi les
Arabes israéliens sur son indépendance, un point qui a d’ailleurs été souligné
dans le rapport du Comité de suivi. "On veut croire que la commission fera son
travail comme elle le doit, mais la mission qui lui a été confiée est suspecte",
remarque Suhad Hammoud, avocate et membre d’Adalah (Justice), un centre qui
milite pour les droits de la minorité arabe en Israël. "La Commission doit
déterminer l’“enchaînement des événements, y compris le comportement des
provocateurs et des organisateurs des manifestations”, et nous ne sommes pas
parvenus à faire modifier ce libellé. En outre, les travaux de la commission
risquent d’être affectés par l’atmosphère générale qui règne en Israël", ajoute
Mme Hammoud, qui n’en attend absolument aucun résultat concret. Pis, elle craint
que celle-ci porte le blâme sur les victimes et non les policiers. D’où la
nécessité de faire "connaître la vérité à l’opinion publique israélienne sur cet
octobre noir", précise-t-elle.
La publicité faite à ce rapport a sans doute
aussi un autre objectif: rappeler aux Arabes israéliens ce qui s’est passé afin
que, quelles que soient les pressions qui s’exercent sur eux pendant la campagne
électorale, ils ne votent pas pour Ehoud Barak, tenu pour responsable de cette
tragédie. Jusqu’à présent, ni le programme de développement de 4milliards de
shekels (455 millions d’euros) sur quatre ans, décidé fin octobre 2000 par le
gouvernement, ni l’adoption de la loi sur la discrimination positive, adoptée
fin novembre par la Knesset, ni la campagne travailliste qui présente l’élection
d’Ariel Sharon comme la pire des catastrophes, ni les remords tardifs n’ont
convaincu les citoyens arabes –12,3% de l’électorat– de voter pour Ehoud Barak,
le 6 février, comme ils l’avaient fait massivement en mai 1999.
En l’absence
d’accord de paix avec les Palestiniens et malgré les appels de l’Autorité
palestinienne à soutenir M.Barak, les Arabes israéliens pourraient
majoritairement s’abstenir ou déposer dans l’urne ce qu’ils appellent un
bulletin "noir", signe de "deuil" et de "désolation".
[177 personnes seraient
toujours en prison
En huit jours, treize personnes ont trouvé la mort alors
qu’elles participaient à des manifestations sévèrement réprimées par la police,
un fait sans précédent depuis la fin de la guerre de 1948. Tout a commencé le
1er octobre dernier, journée de grève générale dans le secteur arabe afin de
protester contre la visite le 28 septembre d’Ariel Sharon, chef du Likoud, sur
l’esplanade des Mosquées, et de dénoncer "le massacre des Palestiniens" perpétré
les jours suivants. Ensuite, les Arabes israéliens enterront leurs propres
morts. Dès le premier jour de manifestation, deux personnes sont tuées dans la
localité d’Oum el-Fahm. Puis c’est l’enchaînement: des centaines de personnes
sont blessées, par balles caoutchoutées ou réelles, souvent au buste ou à la
tête. Plus d’un millier de personnes auraient été arrêtées et cent
soixante-dix-sept, dont certaines n’ont pas encore été jugées, seraient toujours
en prison.]
15. Ehud Barak : "nous allons gagner" par
Alexandra Schwartzbrod
in Libération du 31 janvier 2001
Le Premier ministre
israélien dédaigne l'avance de Sharon.
Jérusalem de notre
correspondante
Il a la voix cassée, mais il y croit toujours. «Nous allons
gagner!» a clamé hier Ehud Barak devant la presse étrangère, dédaignant les
derniers sondages qui donnent une avance considérable à son rival de droite
Ariel Sharon aux élections. «Je ne crois pas aux sondages. Le seul devant lequel
je m'inclinerai, c'est celui du 6 février.» Pour le Premier ministre sortant,
tout ira mieux à partir de vendredi quand l'hypothèque Pérès sera levée et que
la gauche réalisera enfin qu'il est seul en course. «Le public va devoir se
réveiller et réaliser que ce n'est pas seulement une course entre Sharon et moi
mais le sort d'Israël qui est en jeu.» Et le sort des Israéliens, pour lui,
reste lié à celui des Palestiniens. «Un pays ne peut pas choisir ses voisins. Le
président Arafat n'est pas le leader idéal mais il se trouve qu'il est le leader
des Palestiniens et on doit faire de notre mieux pour faire la paix avec lui»,
a-t-il martelé, confirmant les rumeurs selon lesquelles il pourrait rencontrer
Arafat cette semaine. «Certaines personnalités internationales essaient de
convaincre Arafat de nous rencontrer, a-t-il déclaré. Nous les respectons, et si
elle nous suggèrent quelque chose, nous l'étudierons.» C'est que, hier, le
ministre palestinien de l'Information, Yasser Abed Rabbo, a appelé «le camp de
la paix» et les Arabes israéliens à voter massivement contre Sharon. Un appel
qui vaut bien un revirement. Dimanche, Barak avait solennellement annoncé qu'il
n'y aurait plus aucun contact à haut niveau entre Israéliens et Palestiniens
alors que, le même jour à Davos, Arafat accusait Israël de mener une «guerre
barbare» contre les Palestiniens. C'est que Barak n'a plus grand-chose à perdre.
Plus les jours passent, plus sa cote dégringole face à un Sharon qui reste en
retrait. «Ne pas voter pour moi, c'est risquer que la situation se détériore, et
que des enfants d'Israël soient envoyés au combat. Et quand on aura enterré tous
ces enfants, on sera contraints de revenir à la table de négociations et de
rentrer dans les mêmes points de détail... C'est une perte d'énergie et de vies
humaines que l'on risque à ne pas faire la paix.».
16. Les Bédouins du Néguev en ont assez de
l'apartheid par Alexandra Schwartzbrod
in Libération du 31 janvier 2001
Déçus par Barak
qu'ils avaient plébiscité en 1999, ils voteront Sharon.
Beer Sheva envoyée
spéciale
Avec la défection des Arabes israéliens qui devrait peser lourd lors
de l'élection au poste de Premier ministre le 6 février, Ehud Barak a aussi
perdu le soutien des Bédouins - moins de 200000 personnes. Lors du dernier
scrutin de 1999, ceux-ci, séduits par ses promesses de paix et son programme
social, avaient voté à 99 % pour lui. Cette fois, ils devraient majoritairement
se détourner du Premier ministre sortant. «On va mettre un bulletin blanc,
assure Meigel el-Awachla, responsable d'un village bédouin du Néguev, on veut
que Sharon arrive au pouvoir pour que le vrai visage d'Israël soit montré au
monde entier. Notre espoir, c'est que les organisations des droits de l'homme
viennent ici et témoignent.» Il y a une dizaine de jours, les chefs des conseils
de Bédouins de Galilée (une autre catégorie de Bédouins, issus de Syrie et de
Jordanie, alors que ceux du Néguev viennent d'Arabie et d'Egypte) ont carrément
appelé à voter Sharon, arguant que Barak n'avait «pas respecté ses promesses».
Confort sommaire. A perte de vue le Néguev et, par endroits, des «tentes» où
la peau de mouton a été remplacée par du ciment et de la tôle ondulée. Sur le
flanc d'une colline, une femme cachée sous ses voiles noirs fait paître ses
troupeaux. Le silence est total. «Voilà comment les gens vivent ici: en haut un
troupeau de chèvres, en bas un peu de terrain, ni électricité ni chauffage»,
déclare el-Awachla. Il habite quelques vallons plus loin dans deux pièces en dur
qu'il a fait bâtir l'année dernière pour abriter ses deux femmes et ses quinze
enfants. Les intérieurs sont sommaires - quelques tapis, deux ou trois coussins
-, l'eau arrive par un tuyau d'arrosage, un groupe électrogène peine à alimenter
les campements environnants. Les enfants doivent faire des kilomètres en bus
pour atteindre l'école, les médecins refusent de venir à cause de l'état
déplorable du chemin creusé par les Bédouins.
Réserves. El-Awachla vit là, à
l'est de Beer Sheva, dans l'un des 45 villages bédouins du Néguev «non reconnus»
par Israël - sans existence officielle. Quelque 65000 Bédouins - des Arabes
ayant obtenu la nationalité israélienne en 1953 - y vivent dans un état proche
de la misère. Une situation issue de la politique de ségrégation du gouvernement
israélien. «Les Bédouins du Néguev ont d'abord été parqués, au début des années
50, dans des espèces de "réserves" fermées et placées sous le contrôle de
l'armée. Le but était de les éloigner de l'économie israélienne et de dissoudre
le lien avec leur terre», explique Cédric Parizot, qui prépare une thèse sur
l'attitude des Bédouins pendant les élections israéliennes de 1999. «Puis, à
partir de 1965, on leur a construit de vraies cité-dortoirs sans activités
économiques ni infrastructures correctes. Beaucoup ont refusé et se sont
accrochés à leur terre, au risque de n'être pas reconnus.»
Moyen Age. A Beer
Sheva, le député Taleb Hasseini, seul Bédouin de la Knesset, explose. «Les
Bédouins vivent dans l'Etat d'Israël qui prétend être un des plus développés du
monde mais cette population vit au Moyen Age à cause d'une politique
d'apartheid, explique-t-il. Chez nous, un enfant sur deux vit en dessous du
seuil de pauvreté. On prive les Bédouins de tout et on les transforme en
mendiants vivant de la charité publique.» Parizot estime que beaucoup pourraient
voter Sharon «convaincus qu'il va gagner et entendant monnayer leurs voix en
échange d'avantages après les élections».
Dans le shigg de son village où
les hommes viennent partager un verre de thé, al-Awachla s'enflamme:
«L'Intifada? Bien sûr que je m'en sens solidaire. C'est mon peuple qui se bat.
Je suis bédouin, arabe, musulman, palestinien et israélien.»
17. Hausse du chômage, baisse des revenus...
Implantation : un coût alarmant par Hicham Bou
Nassif
in Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 26 janvier
2001
Stagnation, chômage, surendettement, l'économie libanaise se
porte mal depuis plusieurs années. Certains misent sur la réussite du processus
de paix pour lui permettre une relance. D'autres, par contre, craignent que ce
même processus ne se solde par un cadeau empoisonné: l'implantation des
Palestiniens, fardeau lourd à porter pour un pays en sérieuse crise économique.
Quel sera l'impact de l'implantation sur l'économie libanaise? La première
réaction à cette question pourra être d'en refuser le principe même. En effet,
le consensus interne rejette tout plan de paix régionale ne permettant pas
d'assurer aux Palestiniens le droit au retour en application de la résolution
194 du Conseil de sécurité des Nations unies. Cependant, les droits légitimes
des peuples ont été trop souvent sacrifiés sur l'autel des intérêts des
puissances.
L'histoire tumultueuse du Liban l'a déjà maintes fois prouvé.
Ainsi, la crainte de voir les réfugiés laissés à la charge des pays d'accueil
semble fondée. Or, si certains effets de l'implantation peuvent être vite
déterminés augmentation de la densité démographique, déséquilibre
communautaire interne, etc. , son coût économique reste peu clair. Qu'en
disent les spécialistes?
Le Dr Elie Yachouï, économiste, soutient avec
insistance la position officielle refusant l'implantation. «Le droit au retour
est consacré par plusieurs résolutions internationales. Les effets de
l'implantation seront catastrophiques pour les Libanais et les Palestiniens»,
affirme-t-il.
Chute du revenu par habitant
Du point de vue
économique, sa conséquence directe sera l'aggravation du problème du chômage.
«45% des Palestiniens vivant au Liban soit quelque 150000 personnes
sont considérés comme étant une population active. Une grande partie est
actuellement sans emplois. Si les portes de l'embauche sont ouvertes après une
éventuelle annulation de la décision interdisant aux Palestiniens de pratiquer
quelque 70 métiers au Liban, les difficultés de la main-d'œuvre libanaise, déjà
très concurrencée, ne feront qu'accroître.» En outre, le corollaire automatique
de la surabondance des demandeurs d'emplois ne saura tarder: la chute des
salaires. «Les pays du Tiers-Monde peuvent être classés en trois catégories: la
première est celle des plus démunis, le revenu annuel par habitant ne dépassant
pas les 300 dollars. La seconde est d'un niveau moyen; ce revenu y varie entre 2
et 5000 dollars. La troisième, plus riche, assure à ses habitants un revenu
individuel oscillant entre 5 et 7000 dollars par an», explique l'économiste. Il
prédit que le niveau actuel du salarié libanais 4500 dollars annuellement
chutera à 4000 dollars si le cauchemar de l'implantation se concrétise.
Selon lui, insérer tout un peuple dans une société quelconque ne peut se faire
sans causer de graves problèmes économiques. «L'une des conditions de base de la
richesse d'un pays est la nécessité d'y voir le taux de croissance économique
dépasser celui de la croissance démographique. Au Liban, le premier est de 1%
annuellement alors que le second est de 2,5%. Tel qu'il est, ce résultat est
dangereux. Or 350.000 Palestiniens forment 10% de l'ensemble du peuple libanais.
L'année en laquelle ils lui seront ajoutés connaîtra un taux de croissance
démographique de 12,5% pour un taux de croissance économique invariable.
Catastro-phique. Nous avons besoin de douze ans de croissance économique stable
pour supporter l'impact de l'implantation», dit-il. Le Dr Yachouï n'oublie pas
de mentionner les charges supplémentaires qui incomberont à l'Etat libanais.
«L'Unrwa cessera d'aider les Palestiniens dès qu'ils auront perdu le statut de
réfugiés», dit-il. La sécurité sociale en fera les frais. En effet, les services
qu'elle offre resteront au même niveau puisque l'énorme déficit budgétaire
ne permet pas de les développer , alors que le nombre de bénéficiaires
augmentera...
D'autre part, il rappelle que les trois éléments de toute
activité économique sont: les ressources humaines, financières et naturelles.
L'implantation affectera directement les premières. «Or l'une des conditions
primordiales du succès en économie est d'avoir une main-d'œuvre qualifiée. La
palestinienne l'est-elle?»
L'économie des Palestiniens
Face à ce tableau
pessimiste dressé par le Dr Yachouï, certains prétendent que l'implantation
pourra avoir un avantage financier indéniable: la liquidation de la dette
monumentale accumulée ces dernières années. Bien entendu, cette dette est
largement interne. Mais si ce scénario est exécuté, le Liban se verrait offrir
des sommes d'argent suffisantes pour la juguler. Il sera ainsi débarrassé de son
coût qui asphyxie l'économie libanaise. Les milliards régulièrement engouffrés
dans les caisses des créanciers trouveront leur chemin vers des secteurs plus
productifs. Toutefois, l'implantation effets catastrophiques politiques
mis à part ne débarrassera le Liban d'un problème économique que pour le
mettre face à un autre de même nature: le dénuement total de ses milliers de
réfugiés qui seront alors totalement à sa charge.
La situation économique des
Palestiniens du Liban n'est pas à envier. En effet, 35% des réfugiés
palestiniens y vivent au-dessous du seuil de pauvreté tel que fixé par le FMI
(Fonds monétaire international): leur revenu individuel annuel ne dépasse pas
les 730 dollars, soit quelque 2 dollars par jour. 15% sont même au-dessous du
seuil de pauvreté maximale (Ultra Poverty Line). Pour cette catégorie vivant
dans une misère noire, le revenu individuel est de 365 dollars par an. La
majorité de ces laissés-pour-compte ont dans leurs familles une personne active
au moins. Ceci indique que les salaires payés aux Palestiniens sont des plus
dérisoires.
«Le réfugié vivant au Liban est traité comme n'importe quel autre
étranger. Pour pouvoir être employé dans des conditions légitimes, il a besoin
d'un permis de travail. Or ce dernier n'est octroyé qu'à une infime minorité de
Palestiniens (ceux soutenus par des compagnies influentes). La majorité de la
main-d'œuvre ne le possède pas. Conséquences: absence de garanties sociales,
renvois sans notification préalable et, bien entendu, de très bas salaires»,
explique le Dr Mohammad Ali Khalidi, membre de la Fondation des études
palestiniennes. En d'autres termes, tous les aspects classiques de
l'exploitation économique. Le Dr Khalidi indique que les statistiques récentes
des fondations européennes d'études révèlent que le niveau familial des revenus
pour les réfugiés au Liban avoisine les 3666 dollars annuellement. Quelque 2,5%
seulement des familles palestiniennes contre 25% des familles libanaises gagnent
plus de 12800 dollars par an. Quant au revenu individuel palestinien, les mêmes
statistiques l'estiment à 795 dollars par an. Les débouchés diffèrent selon les
régions. A Beyrouth, Tripoli et Sidon, les Palestiniens travaillent
essentiellement dans la construction, l'industrie et le commerce. A Tyr, ils
gagnent leur pain dans le domaine de l'agriculture. Peu travaillent dans les
transports.
Aucun dans l'Administration publique réservée exclusivement aux
Libanais (au contraire de la Syrie où certains d'entre eux sont arrivés aux plus
hauts échelons de la hiérarchie administrative). A l'intérieur même des camps,
un commerce à petite échelle existe: minimarkets, boucheries... Globalement, la
moitié des hommes travaillent dans la construction ou le commerce, tandis que le
tiers des femmes s'orientent vers les domaines éducatifs, sanitaires ou autres
relatifs aux services sociaux. A l'inverse des hommes, la majorité d'entre elles
travaillent au sein des camps. D'autre part, nombre de Palestiniens sont des
employés de l'OLP. «Nos salaires sont assez bas. Les plus hauts cadres ne
touchent pas plus de 270 dollars mensuellement. Quant aux membres de l'Armée de
libération palestinienne relevant de l'OLP , leurs soldes varient
entre 100 et 200 dollars par mois. La même somme est versée aux familles des
martyrs, mais, hélas, très irrégulièrement», explique Samira Salah, directrice
de la section des affaires sociales à l'Organisation de libération
palestinienne. En ce qui concerne les autres factions partisanes, Mme Salah
révèle que les membres du Fath (parti de Yasser Arafat) sont les mieux payés.
Les autres, par contre Front populaire pour la libération de la Palestine
(Georges Habach), Front démocratique pour la libération de la Palestine (Nayef
Hawatmé) , connaissent de graves difficultés financières.
Le taux de
chômage reste très élevé: 58% selon les statistiques citées par le Dr Khalidi
contre 15% et 19% seulement respectivement en Syrie et en Jordanie. En effet,
33% des hommes et 83% des femmes ne travaillent pas. 40% des inactifs entre 25
et 44 ans disent même avoir perdu tout espoir d'être embauchés. Mme Salah
affirme que le chômage touche les différentes catégories sociales des réfugiés,
même les mieux éduqués. «De jeunes universitaires ayant décroché leurs diplômes
d'universités françaises ou allemandes restent sans emplois ou se voient obligés
de vendre des légumes dans de petites boutiques. Cette situation les démoralise
totalement», déclare la militante.
Le problème du chômage dont
souffrent surtout les réfugiés habitant Beyrouth s'est d'ailleurs aggravé
depuis la seconde guerre du Golfe: pour punir l'OLP de son soutien à l'Irak
durant la crise, les Etats pétroliers n'ont pas trouvé mieux que de procéder à
des expulsions massives de la main-d'œuvre palestinienne.
Face à cette
situation désastreuse, les ONG (Organisations non gouvernementales) s'activent
de plus en plus. «Elles nous offrent de précieuses aides en nature: médicaments,
nourritures... Certaines sont palestiniennes, d'autres européennes (française,
italienne, allemande, norvégienne et belge)», indique Mme Salah. Mais les ONG
assurent aussi des transferts financiers à 10% des familles palestiniennes. 28%
de ces dernières profitent des aides de l'Unrwa, alors que 18% d'entre elles
comptent sur les transferts effectués par des proches parents plus aisés.
Les répercussions sociales
Ce marasme économique
provoque une migration intense. La jeunesse éduquée tente sa chance sous
d'autres cieux, notamment en Allemagne, au Canada et en Belgique. Les réfugiés
qui restent envisagent leur avenir avec un désespoir de plus en plus croissant.
D'ailleurs, selon les statistiques européennes, 21% d'entre eux souffrent de
détresse psychique et sont accros aux calmants... D'autre part, 20% de la
population totale est analphabète (13% des hommes et 26% des
femmes).
L'analphabétisme persiste même parmi les jeunes: 8% des
Pales-tiniens âgés entre 15 et 39 ans n'ont pas reçu d'éducation, bien que les
écoles gérées par l'Unrwa soient gratuites. «Des enfants en phase primaire ou
complémentaire quittent leurs établissements scolaires pour travailler. Ce fléau
social est particulièrement observé dans les camps du Sud, à Aïn el-Heloué,
Bourj al-Chamali et Bass. Les institutions commerciales ou industrielles les
embauchent en grand nombre, d'autant plus qu'il est facile de les exploiter.
Sous-payés, ils travaillent 13 à 14 heures par jour dans des conditions
inacceptables», affirme Mme Salah. Les difficultés économiques affectent aussi
le niveau de fertilité qui ne dépasse pas les trois enfants par couple, alors
qu'il est deux fois plus élevé pour les Palestiniens vivant en Cisjordanie et à
la bande de Gaza, malgré leur drame interminable. Face à cette situation
socio-économique qu'ils jugent insoutenable, les Palestiniens du Liban ne
cessent de réitérer leur demande primordiale: l'acquisition des droits civiques.
Ce qui leur permettrait, en effet, d'être traités à égalité avec les Libanais,
hormis le domaine politique, évidemment. Certains responsables arguent du fait
que ces droits ancreront les réfugiés au Liban, alors que l'intérêt national
exige de les encourager à le quitter. Mais les Palestiniens refusent cette
logique. «Il y a une grande différence entre l'implantation et les droits
civiques. En Syrie, ces derniers sont acquis depuis longtemps. Cependant, les
réfugiés qui y vivent sont parmi les plus zélés à demander l'application de la
résolution 194. Une patrie est irremplaçable», affirme Mme Salah. Et de
continuer: «Notre situation est la plus mauvaise, comparée à celle des réfugiés
vivant dans les autres pays arabes. Même en acquérant les droits civiques, les
difficultés persisteront probablement. Mais, du moins, nous n'aurons plus le
sentiment de subir une sorte d'apartheid. L'important est de respecter la
dignité humaine des Palestiniens», déclare-t-elle.
«N'oubliez pas que le
réfugié travaillant au Liban y dépense aussi son argent. Il ne peut donc être
confondu avec la main-d'œuvre étrangère qui transfert dans ses pays d'origine
presque la totalité de ses gains», précise-t-elle. Mme Salah nie, en outre, que
l'implantation pourra améliorer les conditions socio-économiques palestiniennes.
«Au cas où ce cauchemar se réalisait, les indemnités seraient payées aux pays
d'accueil. Les Palestiniens n'en profiteront pas.»
L'économie libanaise se
dirige-t-elle vers des lendemains qui chantent, rendus possibles par une paix
stable et définitive? Se prépare-t-elle, au contraire, à s'enfoncer encore plus
dans le marasme à cause d'une paix partielle et injuste qui n'apporterait aucune
solution au problème des réfugiés? Les Palestiniens verront-ils leur situation
politique et socio-économique virer au mieux ou resteront-ils à jamais réfugiés
dans des camps de misère? Les développements à venir au niveau du processus de
paix apporteront, peut-être, des réponses à ces questions.
18. Farid el-Khazen : "L'implantation n'aura pas
lieu"
in Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 26 janvier
2001
Farid el-Khazen, politologue et professeur à l'Université
américaine de Beyrouth, indique que la position de la communauté internationale
vis-à-vis du problème de l'implantation a sensiblement changé. «Il y a cinq ans,
elle semblait inévitable. Aujourd'hui, les récentes déclarations des parties
concernées assurent donner la priorité à la solution du problème de la présence
palestinienne au Liban», affirme-t-il. D'après lui, la majorité des réfugiés
regagneront les territoires du futur Etat palestinien. Il sera même permis à une
tranche d'entre eux de s'installer en Israël au titre de la réunification des
familles disloquées. Un troisième groupe sera encouragé à émigrer. Une minorité
de réfugiés resteront au Liban mais ceux-là seront détenteurs de la nationalité
palestinienne. D'autres observateurs sont cependant moins optimistes. Ils
indiquent que le nombre de Palestiniens vivant en Cisjordanie et à Gaza est de
3,5 millions. Ajoutés aux 970000 Arabes israéliens, ils forment un ensemble de 4
millions de personnes. Face à eux, Israël ne compte que 4800000 Juifs ne formant
que 54% de l'ensemble de la population. Cet avantage de 4% est minime, vu la
fertilité prodigieuse des femmes palestiniennes: six enfants par couple contre
trois pour les Juifs. Si le taux de croissance démographique reste tel quel, les
Palestiniens seront plus nombreux que les Israéliens entre 2007 et 2013. D'autre
part, si les Palestiniens qui ont acquis la nationalité israélienne ne sont
actuellement que 17% de la société de l'Etat hébreu, ils en formeront 25% vers
l'an 2025. Devant ces chiffres alarmants pour un peuple hanté par la conscience
de sa minorité démographique face à un entourage hostile, comment espérer que
les responsables israéliens pourront vraiment permettre le retour des centaines
de milliers de réfugiés
?