"L'éventuel avènement de Sharon par le biais des urnes exprimerait la nature
raciste et extrémiste de la société israélienne"
Sultan Aboul Aynaïn
 
 
Point d'information Palestine > N°128 du 03/02/2001

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Dépêche de l'agence Med Press du samedi 3 février 2001, 7h30
Un Marseillais abattu dans les quartier sud
MARSEILLE, France - Un Marseillais a été tué par balles vendredi par des colons dans les quartiers sud de Marseille, près de la Vieille Chapelle. Selon le Chef de la sécurité française, la victime, Charles Vernet, 51 ans, rentrait en voiture chez lui quand il a été ''tué de sang froid''. Depuis le début des nouveaux affrontements fin septembre, 8.740 français ont été tués (soit l'équivalent de la population de Cassis) et 268.920 blessés (soit l'équivalent de la population de Strasbourg) essentiellement par les forces militaires d'occupation. Notons que sur l'ensemble de ces blessés, 89.640 sont des enfants (soit l'équivalent de la population de Nanterre) et 33.615 sont devenus des handicapés lourds (soit l'équivalent de la population de Marignanne).
> Pas de panique, ce n'est qu'une fiction ! Depuis le 28 septembre 2000, le Peuple Palestiniens enterre ses morts, et soigne ses blessés. Le bilan ne cesse de s'alourdir d'heure en heure, aussi, je me suis livré à cette "projection" du bilan, sur la base suivante : Une population en France métropolitaine de 58.518.395 habitants et 2.611.000 Palestiniens en Cisjordanie et Gaza. Le bilan des quatre premiers mois d'Intifada en Palestine s'élevant à environ 390 morts, 12.000 blessés dont 4.000 enfants et 1.500 blessés devenus des handicapés lourds...
 
>>> Med Intelligence - Géopolitique et économie de la Méditerranée, du Maghreb et du Machrek - Le dernier numéro de la lettre bi-mensuelle d'informations (N° 31 - 3 au 16 février 2001) réalisée par Jean-Michel Staebler est disponible dès maintenant et gratuitement à l'adresse : http://medintelligence.free.fr
 
Au sommaire
 
Réseau
  1. Le viol de Dulcinée par Israël Shamir [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  2. Jérusalem au coeur par Elie Wiesel in The New York Times (quotidien américain) du mercredi 24 janvier 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  3. L'Amérique, les Arabes et l'avenir de l'Intifada - L'indépendance de la Palestine, passage vers une ère nouvelle de libération pour les Arabes et l'humanité toute entière par Muta' Safadi (écrivain arabe résidant à Paris) in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 18 décembre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
  4. Israël : la démission des clercs par Jean Liberman in Transversales Science/Culture de décembre 2000
  5. Que tu sois noir, juif, beau, chinois, raélien, gros ou amérindien : je m'en fous ! Quand je te vois tu es Toi ! par Gaëlle Dessus, bénévole d'Enfants Réfugiés du Monde (Al Qod's, le 24 janvier 2001)
  6. Une manifestation pour soutenir le peuple palestinien par Mélina Rigot in Le Progrès (quotidien régional publié à Saint-Etienne) du dimanche 21 janvier 2001
Revue de presse
  1. Les dunes de Gaza pour terre promise par Didier François in Libération du samedi 3 février 2001
  2. "L'Europe doit prendre la place de parrain du processus de paix" entretien avec Nabil Chaath, Ministre de la Coopération internationale de l'Autorité palestinienne réalisé par Baudoin Loos in Le Soir (quotidien belge) du vendredi 2 février 2001
  3. Henri Hajdenberg : "Si Sharon est élu, ce sera le vote d'Arafat" propos recueillis par Jean-Sébastien Stehli in L'Express du jeudi 1er février 2001
  4. Rony Brauman : "Ma judaïté n'est ni un drapeau ni une honte" propos recueillis par Vincent Hugeux in L'Express du jeudi 1er février 2001
  5. “Je ne bouffe pas de l’Arabe au petit déjeuner” par Smadar Pri in Yediot Aharonot (quotidien israélien publié à Tel-Aviv) traduit dans Courrier International du jeudi 1er février 2001
  6. Repousser la frontière vers l’est par Allouf Ben in Ha’Aretz (quotidien israélien publié à Tel-Aviv) traduit dans Courrier International du jeudi 1er février 2001
  7. L’appel au boycott des partis arabes israéliens in Kul al-Arab (quotidien palestinien publié à Nazareth) traduit dans Courrier International du jeudi 1er février 2001
  8. Washington sera moins proche d’Israël par Yoël Markus in Ha’Aretz (quotidien israélien publié à Tel-Aviv) traduit dans Courrier International du jeudi 1er février 2001
  9. Saddam soigne son image en aidant les familles des "martyrs" palestiniens Dépêche de l'Agence France Presse du jeudi 1er février 2001, 9h32
  10. Ariel Sharon au pouvoir ? Tragédie garantie, selon des Palestiniens du Liban Dépêche de l'Agence France Presse du jeudi 1er février 2001, 9h22
  11. Assil avait 17 ans et croquait la vie par Baudoin Loos in Le Soir (quotidien belge) du mercredi 31 janvier 2001
  12. La colère des Arabes d'Israël par Baudoin Loos in Le Soir (quotidien belge) du mercredi 31 janvier 2001
  13. L’Autorité palestinienne souhaite publiquement l’échec d’Ariel Sharon aux élections in Le Monde du jeudi 1er février 2001
  14. Un rapport du Comité de suivi pour les Arabes israéliens dénonce la responsabilité d’Ehoud Barak dans le drame d’octobre par Catherine Dupeyron in Le Monde du jeudi 1er février 2001
  15. Ehud Barak : "nous allons gagner" par Alexandra Schwartzbrod in Libération du 31 janvier 2001
  16. Les Bédouins du Néguev en ont assez de l'apartheid par Alexandra Schwartzbrod in Libération du 31 janvier 2001
  17. Hausse du chômage, baisse des revenus... Implantation : un coût alarmant  par Hicham Bou Nassif n Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 26 janvier 2001
  18. Farid el-Khazen : "L'implantation n'aura pas lieu" in Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 26 janvier 2001
Réseau
 
1. Le viol de Dulcinée par Israël Shamir
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Les mots touchants d'Elie Wiesel (voir son article, "Jérusalem au coeur" publié le 24 janvier 2001 in le New York Times, ci-dessous) brossent un beau portrait du peuple juif, attaché à Jérusalem, l'aimant et priant pour elle à travers les siècles, chérissant son nom de génération en génération.
Cette image évocatrice m'a rappelé, à moi, écrivain israélien vivant à Jaffa, quelque chose de familier mais, néanmoins, insaisissable. J'ai fini par trouver ce dont il s'agissait en revisitant mon bon vieux volume corné de Don Quichotte. L'article évocateur de Wiesel évoque d'une manière étonnante l'amour éternel du Chevalier à la Triste Figure pour la belle Dulcinée du Toboso. Don Quichotte a parcouru l'Espagne de long en large, célébrant partout son nom. Il a affronté des défis formidables, battu des géants à plate couture (géants qui s'avérèrent être des moulins à vent) rendu justice aux opprimés et accumulé bien d'autres prouesses pour les beaux yeux de sa bien-aimée. Ayant décidé, au bout d'un certain temps, que ses hauts-faits l'avaient désormais rendu digne de respect, il envoya son écuyer, Sancho Pança, auprès de sa Dame, en le chargeant de lui apporter un message d'adoration.
Aujourd'hui, je me retrouve dans la position, somme toute embarrassante, de Sancho Pança. Je dois informer mon maître, Wiesel Quichotte, que sa Dulcinée va bien. Elle est heureuse en ménage, a une douzaine de rejetons et fort à faire avec la lessive et autres tâches domestiques. Pendant qu'il était, lui, fort occupé à pourchasser les brigands et à réinstaller les gouverneurs sur leur trône, quelqu'un d'autre a pris soin de la femme de ses pensées, l'a nourrie, lui a procuré des provisions afin qu'elle ne manque de rien et, vivant avec elle maritalement, l'a rendue mère ; elle est même grand-mère...
Alors, ne vous précipitez pas, cher chevalier, à Toboso : cela vous briserait le coeur... 
Elie, la Jérusalem que vous décrivez avec tellement d'émotion n'est pas une désolation ; elle ne l'a jamais été. Elle a vécu heureuse, traversant les siècles dans les bras d'un autre peuple, les Palestiniens de Jérusalem, qui en ont bien pris soin. Ils en ont fait cette ville superbe, parée d'un joyau magnifique -  la Coupole Dorée du Haram al-Sharif - ils y ont construit leurs maisons, avec des arcs brisés et de vastes arcades, ils y ont planté des cyprès et des palmiers.
Ils ne voient aucun inconvénient à ce que le prince-errant visite leur bonne ville, en passant, lorsqu'il se rend de New York à Saragosse. Mais prenez garde tout de même, mon vieux. Restez dans le cadre de l'histoire et ne dépassez pas les bornes de la bienséance. Don Quichotte n'est pas entré à Toboso en jeep, lorsqu'il est allé enlever sa Dulcinée. OK, vous l'aimiez, vous y pensiez, mais cela ne vous donne pas le droit de tuer ses enfants, d'écrabouiller au bulldozer sa roseraie, ni de poser vos rangers sur la table de son salon. Tout ce que vous dites ne prouve qu'une seule chose : vous prenez vos désirs pour la réalité. Et vous vous posez encore la question de savoir pourquoi les Palestiniens veulent-ils Jérusalem ? Je vais vous le dire : Jérusalem leur appartient, c'est là qu'ils vivent, c'est leur ville natale. D'accord, vous en rêviez lorsque vous habitiez encore votre hameau perdu au fin fond de la Pologne. Mais beaucoup de gens, de par le monde, en rêvaient aussi. Elle est magnifique, certes : on peut rêver d'elle, à juste titre.
Elie, beaucoup de gens ont adoré cette ville au cours des siècles. Des artisans suédois ont abandonné leurs villages et sont venus ici construire la pimpante Colonie Américaine, avec les Vesters, une famille chrétienne dévote de Chicago. Vous pouvez lire ça dans les oeuvres de Selma Lagerlof, autre lauréate du prix Nobel. Sur les pentes du Mont des Oliviers, les Russes ont bâti la délicate église Marie Madeleine, les Ethiopiens ont érigé leur monastère de la Résurrection au milieu des ruines laissées derrière eux par les Croisés.
Les Britanniques sont parfois morts pour elle, ils lui ont laissé en héritage architectural la cathédrale Saint-George et Saint-André. Les Allemands ont construit leur pimpante Colonie Allemande et a assuré les soins aux malades à l'Hôpital Schneller. Mon grand-père, très croyant, est venu se mettre à l'abri de ses murailles, en 1870, après avoir laissé un village juif de Lithuanie pour venir partager le sort des Hyérosolomitains si hospitaliers. Il y a trouvé le repos éternel, jusqu'au jour de la Résurrection, sur les pentes du Mont des Oliviers. Personne, parmi tous ces gens, n'a été traversé par l'idée de violer leur Dulcinée. Non, ils se sont contenté de déposer des gerbes de fleurs architecturales en marque de dévotion.
Ceux qui aiment Jérusalem sont légion. Il est blâmable, venant d'Elie Wiesel, de réduire la lutte pour la ville à un bras de fer entre Musulmans et Juifs. Ce dont il s'agit, c'est de l'opposition entre convoiter une propriété, et en détenir le titre. La solution à ce conflit devrait être basée sur le dixième commandement, que nos pères respectaient. Ils savaient, eux, que la vénération ne saurait aller jusqu'à la prédation. Des millions de Protestants vénèrent le Jardin de Jethsémani, que l'Eglise catholiques possède : cela ne leur en attribue pas pour autant la propriété. Des multitudes de Catholiques visitent le Tombeau de Marie, mais cela n'empêche pas qu'il reste sous la bonne garde de l'Eglise Orthodoxe. Durant des générations, les Musulmans sont venus s'agenouiller sur le lieu où Jésus est né, à Bethlehem, mais l'église qui y a été érigée est, par définition, chrétienne et elle le demeurera pour toujours.
Le sionisme a infligé au peuple juif enjoué d'Europe orientale ce que l'eau fait aux Gremlins dans les films de Spielberg. Il les a amenés à éliminer ethniquement les Gentils de Jérusalem Ouest, à convertir l'hôpital Schneller et sa chapelle en base militaire, à construire un Holiday Inn sur le tombeau vénéré de Sheikh Bader... L'Etat d'Israël interdit aux Chrétiens de Bethléem de venir prier au Saint-Sépulcre, et il empêche les Musulmans d'assister à la grande prière du vendredi à la mosquée al-Aqsa, s'ils n'ont pas quarante ans accomplis. Ces changements, apportés à la ville par le gouvernement israélien, ne sont pas autre chose que son viol. Afin de tenter de justifier ce viol, vous invoquez les noms du Roi Salomon et de Jérémie, et vous citez le Coran et la Bible. Laissez-moi vous raconter une histoire juive hassidique, que vous auriez pu entendre raconter dans votre schtetl, en Pologne. Une légende juive, un midrash, rapporte qu'Abraham avait une fille. Un hassid simplet demande à son rabbin pourquoi Abraham n'a pas marié sa fille à son fils Isaac. Et le rabbin de lui répondre qu'Abraham ne voulait pas marier un fils réel à une fille imaginaire...
Les légendes sont l'étoffe dont sont faits les rêves. Certaines sont charmantes, d'autres sont horrifiantes, mais aucune n'a la valeur d'un titre de propriété ou d'un programme politique. Elie, vous ne voudriez sans doute pas perdre votre appartement, à New York, à cause de quelques versets écrits dans le Livre de Mormon. Cette manie de rabâcher le catéchisme sioniste ne tient plus, mais je vais refaire une partie avec vous, pour la récréation du public. Comme n'importe quel archéologue vous le dirait, le Roi Salomon et son temple sont tout aussi imaginaires que la fille d'Abraham. D'ailleurs, ce n'est pas que ce soit tellement important, mais le nom de Jérusalem n'est pas mentionné une seule fois dans la Torah, le livre sacré des Juifs...
Elie, vous voulez toujours jouer ? Je vais vous dire plus. Les Juifs ne sont même pas mentionnés dans la Bible juive. Prenez donc votre gros bouquin, sur votre étagère, et vérifiez. Aucun des grands hommes légendaires que vous citez, depuis le Roi David jusqu'aux Prophètes, n'y sont qualifiés de "Juifs". Ce nom d'ethnie apparaît pour la première - et unique - fois, dans la Bible, dans la version persane du tout dernier Livre d'Esther. L'identification des Juifs avec les tribus d'Israël et les héros de la Bible est aussi valide que l'histoire de la fondation de Rome par le prince Enée de Troie. Si les Turcs actuels, qui se prétendent les "descendants de Troie" se mettaient à conquérir Rome, à dynamiter les chefs-d'oeuvre baroques de Borromini et à expulser les habitants afin de réinstaller l'héritage d'Enée, ils ne feraient que répéter la folie des Sionistes.
Nos ancêtres, l'humble peuple est-européen des Yids, dont la langue était le Yiddish, avaient pour tradition de se parer des lions héraldiques impressionnants des héros bibliques. Leur prétention de descendre de ces héros légendaires avait la validité de celle de Tess, la fille de ferme ambitieuse de Thomas Hardy. Mais même la Tess imaginaire ne conspire pas afin d'évincer les maîtres de leur château ; elle ne s'arroge pas le manoir pour elle-même.
Un jour, je marchais avec un groupe de pèlerins chrétiens en direction de l'Eglise du Saint-Sépulcre. J'ai été arrêté par un Juifs hassidique. Il m'a demandé si mes compagnons étaient juifs et, à ma réponse que "non", il s'est exclamé, interloqué : "Mais qu'est-ce que ces Gentils, ces goyyim, f... là, dans la Ville Sainte ?" . Il n'avait jamais entendu parler de la Passion du Christ, dont il n'utilisait le nom que pour jurer. Je ne suis pas moins étonné de voir qu'un professeur juif de l'Université de Boston puisse être aussi ignorant que ce Juif traditionaliste et simple d'esprit. Jérusalem est sacrée pour des millions de croyants : Catholiques, Protestants, Orthodoxes, Musulmans sunnites et shiites, des milliers de Juifs, hassidiques et sépharades. Il n'en demeure pas moins qu'en tant que ville, Jérusalem n'est pas différente de toutes les villes, ailleurs dans le monde : elle appartient à ses habitants.
Encore vingt ans de contrôle sioniste transformeraient cette ville ancestrale en un nouveau Milwaukee et en ruineraient le charme, d'une manière irréversible. Jérusalem doit être restituée à ses habitants. Les propriétés réquisitionnées, à Talbiey et à Lifta, à Katamon et à Malcha, doivent être rendues à leurs propriétaires. Professeur Wiesel, respectez la propriété des Gentils comme vous entendez que les Gentils respectent votre droit à posséder votre bel appartement. Les lieux saints de Jérusalem sont régis par un accord international vieux de cent cinquante ans (le Status Quo), avec lequel il ne faut pas plaisanter. La dernière tentative d'y toucher a causé le siège de Sébastopol et la charge de la brigade légère à Balaklava. La prochaine pourrait déclencher une guerre nucléaire.
 
2. Jérusalem au coeur par Elie Wiesel
in The New York Times (quotidien américain) du mercredi 24 janvier 2001

[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

En tant que Juif vivant aux Etats-Unis, je me suis toujours dénié le droit d'intervenir dans les débats internes d'Israël. Je considère la destinée d'Israël comme la mienne propre, tant ma propre mémoire est liée à l'histoire de ce pays. Mais la vie politique israélienne ne me concerne qu'indirectement. Je trouve ses polémiques électorales intéressantes, ses erreurs embarrassantes, mais je ne suis pas citoyen israélien, je ne suis pas directement impliqué. Je peux avoir plus de sympathie pour tel politicien ou plus de réserves à l'égard de tel autre, mais cela ne regarde que moi : je n'en parle jamais.
Parfois, cette attitude me doit des "lettres ouvertes" et des articles acerbes me reprochant de ne pas protester lorsque d'aventure des policiers ou des soldats israéliens réagissent avec excès contre la violence de soldats ou de civils palestiniens. Je n'y réponds que rarement. Mes critiques ont leur propre conception des éthiques individuelle et sociale ; j'ai les miennes propres. Mais tandis que je leur laisse entier leur droit à me critiquer, ils me refusent parfois le droit de me taire.
Ainsi, le sujet du moment, c'est Jérusalem. Son destin affecte pas seulement les Israéliens, mais aussi les Juifs de la diaspora, comme moi-même. Le fait que je ne vive pas à Jérusalem est secondaire ; Jérusalem vit en moi. A jamais inhérente à ma judéité, elle est au centre de mes engagements et de mes rêves.
Jérusalem, pour moi, est au-dessus de la politique. Mentionnée plus de six cents fois dans la Bible, Jérusalem, ancrée dans la tradition juive, en constitue le cadre, le paysage national. Elle représente notre âme collective. C'est Jérusalem qui unit les Juifs entre eux. Il n'y a pas de prière plus belle ou plus nostalgique que celle qui évoque la splendeur de son passé et le souvenir, à la fois déchirant et permanent, de sa destruction.
Je me souviens de ma première visite à Jérusalem ; j'ai eu le sentiment que je ne la visitais pas pour la première fois. Et pourtant, chaque fois que je retourne dans cette ville, c'est toujours pour la première fois. Ce que j'y ressens, ce que j'y éprouve, je ne le ressens nulle part ailleurs. Je retourne à la demeure de mes ancêtres ; le Roi David et Jérémie m'y attendent.
Dans la solution consistant à diviser la ville, discutée actuellement, la plus grande partie de la Vieille Ville passerait sous souveraineté palestinienne. Le Mont du Temple, au-dessous duquel se trouvent les vestiges des temples de Salomon et d'Hérode, serait ainsi contrôlé par le nouvel Etat palestinien.
Que les Musulmans veuillent maintenir des liens étroits avec cette ville à nulle autre pareille, voilà qui est compréhensible. Bien que son nom n'apparaisse pas dans le Coran, Jérusalem est la troisième ville sainte de l'Islam. Mais pour les Juifs, Jérusalem reste la première ville sainte. Pas seulement la première ; l'unique.
Comment pourrions-nous oublier qu'entre 1948 et 1967, quand la Vieille Ville était occupée par la Jordanie, les Juifs étaient interdits d'accès au Mur des Lamentations, malgré l'accord signé entre les deux gouvernements ? A cette époque, les Arabes, qui revendiquaient un Etat arabe, n'ont jamais mentionné Jérusalem.
Pourquoi alors les Palestiniens sont-ils aujourd'hui tellement entichés de faire de Jérusalem leur capitale ? Assez entichés pour mettre les accords d'Oslo dans la balance ?
On nous dit que les concessions sans précédent d'Israël, notamment celles concernant Jérusalem, ont été faites pour une bonne cause. Pour la paix. C'est là un argument de poids. La paix est la plus noble des aspirations ; elle mérite le sacrifice de ce que nous avons de plus précieux. J'en conviens. Mais ce sacrifice est-il acceptable quelles que soient les circonstances ? Quelqu'un peut-il être fondé à dire, en permanence, "la paix, à mes conditions" ? Faire des concessions sur un territoire peut sembler, à certaines conditions, impératif, ou tout au moins politiquement opportun. Mais faire des compromis sur l'histoire, voilà qui est totalement impossible.
Vous allez me demander, qu'est-ce que tout ça a avoir avec la paix ? Je continue à croire en la paix de tout mon coeur. Je suis méfiant, toutefois, contre tout ce qui se voudrait une forme d'apaisement. Donne-t-on la plus grande partie de la Vieille Ville de Jérusalem à Yasser Arafat et aux extrémistes en remerciement de leurs actes ?
Les Palestiniens insistent, d'autre part, sur un "droit au retour" pour plus de trois millions de réfugiés. Sur cette question, Israël est uni, il rejette unanimement cette perspective. Il est sans doute nécessaire de rappeler l'histoire de cette tragédie pour les Palestiniens. En 1947, Israël a accepté le plan de partage de la Palestine ; les Arabes l'ont rejeté.
En 1948, David Ben-Gurion a atteint les frontières de ce qui devait devenir l'Etat palestinien. Non seulement les Arabes rejetèrent la main qu'il leur tendait, mais ils envoyèrent six armées étrangler l'Etat juif nouveau-né. A l'instigation de leurs dirigeants, 600 000 Palestiniens quittèrent le pays convaincus que, une fois Israël vaincu, ils pourraient retourner chez eux. J'ai vu leurs enfants, dans les camps de réfugiés, à Gaza ; leur sort ne saurait laisser quiconque indifférent. Il est impératif de résoudre ce problème. Mais la solution d'un retour massif est impensable. Pour beaucoup d'Israéliens, cela serait se suicider, tout comme couper Jérusalem de ses racines reviendrait à un suicide spirituel.
Ce que je vais dire, je vais le dire avec une grande amertume : après avoir vu, à la télévision, les visages de certains jeunes Palestiniens déformés par la haine, il m'est plus difficile que jamais de croire en la volonté de paix des Palestiniens. Le problème n'est pas qu'ils veulent un Israël plus petit ; ils ne veulent pas d'Israël du tout.
Et pourtant. Bien que toutes les options semblent avoir été épuisées, la paix demeure notre seul espoir commun ; la violence et la guerre ont rempli bien trop de sépultures, des deux côtés. Cela ne peut pas - ne doit pas - continuer. Bien des Israéliens pensent comme moi : les Palestiniens doivent avoir le droit de vivre librement et dignement, sans peur et sans honte. Il est de la responsabilité du monde et d'Israël de faire tout ce qui est possible afin de les aider, et de le faire d'une manière qui ne leur fasse pas perdre la face. Je suis tout particulièrement préoccupé pour les Arabes israéliens. Ils sont citoyens d'Israël, et leurs droits civils doivent être protégés ; c'est un impératif absolu.
Quand à Jérusalem, ne vaudrait-il pas mieux résoudre toutes les autres questions pendantes d'abord et renvoyer à plus tard les décisions fixant le sort de la plus sainte des villes ? Je n'ai pas cessé de croire que des ponts humains peuvent être lancés entre les deux communautés, grâce à des visites réciproques entre étudiants, enseignants, musiciens, écrivains, artistes, hommes d'affaires et journalistes. Peut-être, dans vingt ans, les enfants de ces (deux) peuples seront-ils mieux outillés pour approcher la plus brûlante des questions : Jérusalem. Peut-être comprendront-ils pourquoi l'âme juive porte en elle la blessure et l'amour d'une ville dont les clés ont été confiées à sa mémoire.
Elie Wiesel, professeur de sciences humaines à l'Université de Boston, est lauréat du Prix Nobel pour la Paix 1986. 
 
3. L'Amérique, les Arabes et l'avenir de l'Intifada - L'indépendance de la Palestine, passage vers une ère nouvelle de libération pour les Arabes et l'humanité toute entière par Muta' Safadi (écrivain arabe résidant à Paris)
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 18 décembre 2000

[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Le monde politique arabe vit, en ces derniers jours de la première année du nouveau millénaire, au rythme de l'événement national le plus important, depuis deux mois et demi : l'intifada palestinienne et les probabilités qu'elle connaisse une fin problématique et déplorable. Il est, à l'instar de toutes les aires politiques de par le monde, préoccupé par les conséquences possibles de la crise constitutionnelle majeure américaine, qui a fini par amener Bush junior à la Maison Blanche. Cet intérêt, cette préoccupation, semblent suggérer que le maître de Washington serait le maître des maîtres du monde, ou leur leader numéro un et incontesté, un peu comme si les Etats de la Planète étaient devenus, en réalité, autant d'Etats des Etats-Unis Planétaires. Ainsi, l'événement présidentiel américain a été suivi, heure par heure, par tous les médias de toutes les contrées du monde. Et voilà que les plus puissants d'entre eux, en Occident comme en Orient, se livrent à une concurrence acharnée pour livrer les premiers des analyses sur les conséquences hypothétiques de la crise constitutionnelle américaine et les traces qu'elle ne peut manquer d'avoir laissées sur la nouvelle présidence. Sans doute les Arabes sont-ils les premiers fondés à se perdre en conjectures les plus variées sur les intentions et les orientations du nouvel hôte de la Maison Blanche, appelé à y demeurer quatre ans, si ce n'est huit. Ils vont entendre répéter quotidiennement, à "pleins médias", les noms du président et des membres de son administration, et peut-être même ces noms seront-ils encore plus serinés à leurs oreilles que ceux de leurs propres présidents et de leurs propres souverains, tant il est vrai que l'influence américaine est une affaire intérieure, chez nous, les Arabes, bien loin de n'être qu'une donnée de nos politiques étrangères... La Palestine et l'Irak, ces deux pays blessés, saignés à blanc par des tueries pures et simples et que l'on affame délibérément, ont un destin lié, dans une très large mesure, aux lectures faussées que les administrations américaines successives font immanquablement des réalités arabes, et en particulier de leurs aspects les plus brûlants. Il n'est pas douteux que la part de modération dont la nouvelle administration pourrait faire montre vis-à-vis de la Palestine et de l'Irak -dût-elle être toute relative - aura un impact des plus décisifs sur l'ensemble des relations entre les deux continents arabe et américain.
Mais tout optimisme ne saurait produire ses fruits prometteurs si Bush n'enchaînait pas, après sa première victoire sur Al Gore et Lieberman, avec une bataille nouvelle, qui sera vraisemblablement sans relâche ni merci, pour repousser la contre-offensive sioniste, prévisible, après l'écroulement infamant de son rêve : contrôler la plus haute instance du pouvoir - rêve qu'elle était à deux doigts de transformer en réalité. Beaucoup de gens au parfum des luttes feutrées qui se mènent dans les coulisses du pouvoir américain s'attendent à ce que les ambiguïtés de la période électorale s'effacent des mémoires, grâce à la solution retenue par la Cour Suprême : une voix de majorité en faveur de Bush, considérée plus stratégique que juridique, étant celle qui a eu pour effet de paralyser la prise d'assaut en règle du sommet de l'Etat par les Juifs. Gageons que ce dont nous pourrions bien ne pas tarder à entendre parler, c'est de l'ouverture du dossier des mécanismes électoraux pour la désignation de la présidence fédérale américaine, pour la première fois depuis la fondation des Etats-Unis, le dossier de ce que l'on qualifie de "dangereuse crise institutionnelle sans précédent", brouet peu alléchant mijotant déjà dans les cuisines juives, aux périphéries du pouvoir comme en ses centres nerveux.
La question de savoir qui détient, en réalité, le pouvoir suprême à la tête du géant américain, bien loin de n'être qu'une simple question domestique, est appelée à devenir le foyer de l'intérêt curieux et circonspect des principales puissances mondiales, et non pas des seuls Arabes. L'Union Européenne, par exemple, détermine ses évolutions structurelles futures en fonction des évolutions de la stratégie américaine et des divergences entre les principaux acteurs de sa planification et de sa mise en oeuvre, entre les lobbies actifs à Washington et ceux qui le sont à New York, notamment. Le sommet européen tenu dernièrement n'aurait pu parvenir à des résolutions décisives - au tout premier chef, celle qui a tranché positivement la question de la mise sur pied d'une armée européenne - si les chefs d'Etats européens n'avaient pas eu le sentiment que le développement d'une polarisation duale avec les Etats-Unis est inéluctable, malgré les surenchères et la concurrence qu'il ne manquera pas d'entraîner. Celles-ci ne se limiteront pas aux frontières de la lutte entre les deux plus grandes puissances économiques du monde. En effet, l'Amérique ne se contentera pas de la seule supériorité économique : ses projets de développer des armes de destruction massive indiquent qu'elle n'a pas l'intention d'abandonner progressivement sa supériorité militaire, pas même à ses alliés historiques les plus proches, et certainement moins encore, face à ses ennemis supposés : la Chine, les Arabes, l'Islam et la Russie éternelle, "constante et changeante". En d'autres termes, l'Europe fédérale est déterminée à réclamer sa part du poids politique et militaire correspondant à son poids économique, civilisationnel et historique, à l'échelle mondiale.
Ainsi, alors même que l'Europe était focalisée sur les résultats du sommet réuni sur la Côte d'Azur française, avec les difficultés rencontrée par ses épigones éminents durant le plus long et le plus ardu des sommets tenus par l'Union Européenne depuis sa création, ses dirigeants et ses peuples-dirigeants n'en suivaient pas moins, de près, et avec passion, la difficulté la plus sérieuse jamais vécue par la présidence américaine, en se posant la même question : qui détient, en réalité, le pouvoir, derrière l'apparence du nouveau gouvernant ; quelle minorité s'est-elle emparée du gouvernement de la majorité dans l'Etat premier du gouvernement mondialisé, en sachant que les données ethniques et sociales ne peuvent être totalement écartées de l'arrière-fond de la mentalité européenne. Cette mentalité ne peut lire un quelconque pouvoir politique ou une quelconque influence internationale globale qu'en référence à des concurrences entre ethnies, ou entre classes sociales, qui les animeraient. Le problème juif, en dépit de l'effacement visible de ses épigones, a suscité, par ses conséquences positives ou négatives sur la scène américaine, des échos directs dans ses propres développements au plus profond des différentes problématiques européennes vitales.
En effet, les Arabes ne seront pas les seuls à se réjouir du phénomène nouveau de la défaillance juive, in extremis, juste devant le seuil de la Maison Blanche, dût-elle être seulement passagère ; mais, avec eux, la profondeur germanique, et avec elle une partie des mondes latin et slave, jusqu'à Moscou qui assiste - et participe - à son corps défendant à ce qu'elle appelle, entre soi, le complot juif visant à détruire le grand empire soviétique de l'intérieur et à donner ses immenses richesses industrielles, scientifiques et informationnelles en héritage aux mafias sionistes. Car l'épidémie sioniste ne met plus à l'épreuve les seuls Arabes, il s'agit désormais d'un phénomène mondial, qui jette son dévolu sur les Etats, grands ou petits, en fonction de ce qu'ils possèdent de richesses et de potentialités, de l'Europe - occidentale comme orientale - aux nouveaux pays industrialisés du Sud-est asiatique. Naturellement, le sionisme nourrit un rêve particulier, qui lui est propre, après le rêve américain : celui de fonder l'empire de son influence affichée et totale sur toute l'étendue du monde arabe, à partir de la centralité de son premier Etat politique : Israël. Il convient de rappeler, à ce sujet, que l'actuelle éruption - dévastatrice - d'affichage de l'expansion sioniste est redevable de son existence, avant quiconque, aux Arabes, qui se sont mobilisés comme un seul homme pour offrir sur un plateau la levée d'un embargo - existentiel - sur l'Etat hébreu embryonnaire, ce qui a contribué grandement à conférer une manière de droit à l'existence à l'entité (sioniste) artificielle, et à ce que les deux tiers des pays du monde lui ont accordé la légitimité diplomatique, qui lui faisait cruellement défaut, en un demi-siècle. Ceci montre l'étendue de la trahison de la direction palestinienne et, avec elle, de certains régimes arabes, qui ont donné eux-mêmes à l'Etat hébreu une partie de sa force régionale et de son influence internationale, de son emprise croissante sur l'Amérique, en particulier, où le sionisme ne recule pas devant le projet insensé de s'emparer de la fonction suprême ou de ce qui en est tout proche et cela, excusez du peu, dans la première puissance planétaire. De même, devient plus clair, avec le déclenchement de l'intifada, à quel point la relation d'Israël avec les Palestiniens se répercute sur sa situation interne, sur les plans tant politique qu'économique, ce qui amène le gouvernement Barak démissionnaire - et, néanmoins, maintenu - à tenter l'impossible pour arrêter l'enchaînement des déflagrations quotidiennes de la résistance révolutionnaire juvénile, aidé en cela par l'obsession clintonienne de marquer un point pour sa politique étrangère en inventant une solution, quelle qu'elle soit, en Palestine, avant son départ définitif de la Maison Blanche, dans quelques semaines. (en janvier 2001 : l'article est écrit en décembre 2000, NdT).
L'Autorité palestinienne osera-t-elle procéder à une nouvelle braderie de ses intérêts en décernant royalement à Barak la clé du succès aux élections prochaines (pour la désignation du Premier ministre israélien, le 6 février 2001, NdT), tout en faisant à Clinton l'aumône d'un lot de consolation en gloire historique pour le remercier de ses services signalés au sionisme, et en laissant la vague du mouvement d'implantations sauvages réduire en miettes les restes du territoire national palestinien et créer ce qui ressemble fort à un Etat d'Israël-bis, sous couvert de slogans invoquant une paix technique totalement fallacieuse (la "paix des braves" ? NdT). Au cours de la décennie écoulée et, cela, par un retour suspect dans le giron des mêmes négociations, "pour sauver la paix" ou, plus exactement, pour sauver les intérêts des trafiquants de la basse politique et du business, avec la participation de l'ennemi, derrière le dos de centaines de tués et de milliers de blessés relevés au cours de la plus noble des révolutions palestiniennes et arabes, et même mondiales, au moment-même où les peuples du monde entier, sans aucune exception, sont écrasés par l'oppression de la barbarie mondialisatrice conquérante.
Sans doute limité - géographiquement - l'événement-intifada s'amplifiera, de par sa signification exceptionnelle, et finira par atteindre le niveau lui permettant d'avoir un impact sur une transition, que l'on peut à juste titre qualifier d'universelle, qui porte en elle les prémisses d'intifadas populaires successives, depuis l'Amérique jusqu'en Europe, dirigées contre la tyrannie de l'institution de l'argent politique, immense ventilateur brassant le vent de la mondialisation de ses deux ailes américaine et sioniste. L'intifada, la révolte, annonce la venue d'une ère nouvelle de libération nationale, dont les causes et les prolégomènes sont d'ores et déjà réunis, depuis les places de l'Occident lui-même. Mais, dans ses contextes du tiers-monde, au tout premier rang desquels le contexte arabe, ce nouveau mouvement d'émancipation est appelé à écrire un chapitre novateur de l'histoire de la résistance au colonialisme, sous ses avatars économiques mondialisés les plus d'actualité, ("in" et "up to date"). Et, bientôt, grâce aux coups portés par l'intifada et grâce à la compatibilité arabe fondamentale avec les conditions globales de sa survenance historique, l'étaticule sioniste sera mis à nu, non pas en tant que tête de pont militaire colonialiste, comme par le passé, mais, bien mieux, en tant que locomotive, dans la région, pour l'instauration d'une ère de servitude économique, partout où les richesses des nations sont vendues - au prix de gros - aux profiteurs du marché mondialisé conjointement par les USA et le sionisme.
C'est de là que la question de l'indépendance de la Palestine tire ses dimensions, tout à la fois, nationale et mondiale. En effet, si cette indépendance palestinienne advient en tant que fruit d'une intifada libre et préservée du détournement délibéré et de l'exploitation opportuniste, construite avec les seuls matériaux de la spontanéité désintéressée et de l'abnégation héroïque, elle ne se réduira pas à n'être qu'une indépendance nationale de plus, d'un peuple modeste en nombre et d'un Etat ordinaire : elle constituera véritablement les prolégomènes pour une indépendance arabe globale, qui pourrait bien être à même de tirer le peuple arabe des pièges d'une dépendance politique illimitée, instituée par des projets moyen-orientaux aux contenus et aux objectifs des plus suspects, désormais exposés aux regards et au jugement de tous. Mais la stratégie qui a inspiré ces projets ne manquera pas de les remettre en lice sous des dénominations différentes, en recourant à des manoeuvres plus alambiquées et plus dissimulées et sournoises, faisant éclore des projets auto-récupérateurs auxquels les Etats (arabes) ('aqtar) divisés ne sauraient résister et auxquels ils ne sauraient mettre un terme qu'en recouvrant la primauté de leur conscience nationale (panarabe - wa'y qawmiyy) en la forçant à s'élever au-dessus de son attristante actualité caporalisée et en proie aux luttes intestines (qutriyy mutanahir). Alors seulement, le temps de l'intifada deviendra l'aube d'une ère que l'on pourrait ne pas tarder à être fondé à qualifier d'ère du retour de la conscience nationale panarabe (qawmiyy),sur les bases de la modernité politique et de l'ouverture économique impulsée tant verticalement ('amudiyyan), du gouvernement (panarabe) en direction de ses différents peuples, qu'horizontalement (istiwa'iyyan), entre les divers intérêts des pays (arabes), les plus proches comme les plus lointains, car il s'agirait-là de l'ouverture la plus digne de porter ce nom, et de l'intérieur de l'ensemble du peuple arabe en direction des intérieurs de l'ensemble de ses pays régionaux (qutriyy) constitutifs. L'Orient arabe (al-Mashriq) est tout prêt à présenter le modèle de cet intérieur national (panarabe - qawmiyy) nouveau, dont les intérieurs des Etats régionaux ('aqtar) deviennent des diversifications. Ainsi, l'Irak... oui : l'Irak, ce pays blessé, l'Irak, donc, a pris l'initiative de consacrer une partie de son pétrole à la constitution d'un capital, précieux pour le financement d'échanges commerciaux et industriels avec la Syrie, le Liban et la Jordanie, sans oublier la Palestine, à laquelle il fournit une partie de ses besoins en pétrole.
Ce que nous n'avions cessé de répéter, au sujet de l'émancipation de la volonté arabe - émancipation, en priorité, de l'illusion de sa faiblesse et de l'inéluctabilité de sa soumission passive au diktat terroriste des grandes puissances - voilà qu'enfin l'intifada vient nous en apporter une première application novatrice, baptisée dans le sang et dans une conscience d'une pureté immaculée. Et, si les Arabes peuvent être rassurés sur leur capacité à recouvrer un peu de leur capital symbolique - notamment la signification de l'auto-émancipation et les valeurs de l'abnégation allant jusqu'au sacrifice suprême - les évolutions internationales (en cours) - à commencer par celles survenues en Europe et en Amérique - devraient être amenées à tenir compte des causes arabes d'une manière nouvelle, différente, (novatrice). Cela dépend, d'ores et déjà, de ce qu'il adviendra de l'intifada (palestinienne) et de sa capacité à se garder de ses caciques les plus affairés.
 
4. Israël : la démission des clercs par Jean Liberman
in Transversales Science/Culture de décembre 2000
http://www.globenet.org/transversales
Mon propos n'est pas de porter un jugement d'ensemble sur les raisons et les torts plus ou moins partagés du dernier acte de la tragédie israélo-palestinienne, déclenché à la suite de l'irruption du général Sharon sur l'esplanade des mosquées de Jérusalem, mais de m'interroger sur l'un de ses aspects peut-être les plus lourds de sens : l'effondrement idéologique constaté, à cette occasion, de la gauche israélienne (sioniste dans son immense majorité), y compris de la gauche de la gauche (le Meretz), à l'origine en gros des accords de paix d'Oslo.
Non-sioniste mais observateur et soutien, de longue date, de cette gauche, certes sioniste mais laïque et en opposition ouverte avec l'usage croissant de l'argumentation historico-religieuse dans le règlement du conflit israélo-palestinien, quel a été mon accablement d'assister ces dernières semaines à une sorte de glissement vers la récupération de cette argumentation par ses intellectuels et leaders les plus éminents! N'alignons pas les noms célèbres, des écrivains Amos Oz à Abraham B. Yehoshua, mais qu'est-ce qui a pu amener des hommes de paix et des intellectuels aussi justement réputés et aussi laïques qu'un historien comme Zev Sternhell ou un juriste comme Claude Klein, parmi d'autres, à invoquer explicitement aujourd'hui, au nom d'Israël, le Mont du Temple, symbole religieux s'il en est, comme élément de négociation politique avec les Palestiniens ? Un amalgame d'autant moins naïf que depuis la "guerre des six jours", le grand théologien israélien Yehoshua Leibowitz avait condamné catégoriquement toute justification religieuse d'un "Eretz Israël" (grand Israël) biblique par les politiques. Sans doute, comme me le rappelait le chercheur Alain Dieckoff, faut-il y voir la rémanence d'une contradiction originelle du sionisme, dont l'aspiration moderne et séculière à un Etat trouvait tout de même sa légitimité ultime dans la Bible. La gauche pourtant avait fait du chemin depuis et Rabin, en affirmant que "la Bible ne doit pas nous servir de cadastre", annonçait, avec les accords de paix d'Oslo, le compromis territorial nécessaire sur Eretz Israël et ses lieux saints.
Il faut croire que la dissociation n'avait pas été faite vraiment, au moins pour Jérusalem, et que la confusion est revenue. En tout cas, cette régression du langage politique, ce "retour du refoulé", risque d'être désastreux. Car quelle paix juste, dans la constitution d'un véritable Etat palestinien à côté d'Israël, est-elle concevable sans que les réalités politiques démocratiques d'aujourd'hui - celles des droits de l'homme - ne prennent le pas sur le religieux ? On peut dès lors nourrir les plus grandes inquiétudes d'avenir quant aux conséquences pour la paix de cette démission intellectuelle des clercs israéliens... Heureusement pas de tous, cependant !
 
5. Que tu sois noir, juif, beau, chinois, raélien, gros ou amérindien : je m'en fous ! Quand je te vois tu es Toi ! par Gaëlle Dessus, bénévole d'Enfants Réfugiés du Monde (Al Qod's, le 24 janvier 2001)
Que tu sois noir, juif, beau, chinois, raélien, gros ou amérindien : je m'en fous ! Quand je te vois tu es Toi ! Alors j'en ai marre que parce que je crie qu'Israël est une armée d'occupation avec une population à majorité réactionnaire qui ne veut pas payer le prix de la paix mais celui du sang, le sien et celui surtout des palestiniens (que depuis longtemps elle tente de nier), que les juifs sont LE peuple élu de Dieu (et moi alors je suis rien du tout ?), on me traite forcément d'antisémite (ô insulte suprême) car ils n'acceptent aucune critique (même lorsque cela vient d'un juif),  alors que le bilan d'Israël est plutôt minable (en guerre depuis 50 ans d'existence, blanchiment d'argent, mafia, surarmé, justice à 2 vitesses, discrimination raciale...), qu'ils soutiennent que « nous, nous avons souffert plus que n'importe qui » (quelle fierté à être en haut d'un hit parade de ce genre et quel mépris pour les autres, les rwandais ils en pensent quoi de ce genre d'affirmation, et les 40 millions d'amérindiens ?) et que « nous devons survivre et donc nous battre car les pays arabes veulent nous rejeter à la mer » (personne ne nous aime). Voilà comment à se vouloir entièrement différent des autres, à penser que vous avez souffert plus, qu'à être devenu complètement parano vous avez perdu ce qui aurait dû faire d'Israël un pays plein d'espoir et un exemple pour le monde. Est-ce là votre humanité ? Comment en êtes-vous arrivés là ? Car la responsabilité ne peut pas toujours être celle des autres et que ce pays c'est vous qui l'avez construit avec l'appui inconditionnel des pays occidentaux par culpabilité de n'avoir rien fait (ô honte) contre la Shoa (mais vous n'étiez pas les seuls : n'oublions pas les communistes, les homosexuels, les tziganes, les débiles). Pendant des siècles vous avez pu rejeter la faute sur autrui (et à juste titre) mais maintenant il faut assumer votre part de responsabilité et accepter que les palestiniens ont aussi le droit de vivre, comme vous, qu'il faut partager cette terre qui était aussi la leur alors que vous en avez fait partir un nombre certain en la conquérant. On dira ce qu'on voudra des palestiniens qui eux vivent dans la violence, la négation et l'humiliation depuis 50 ans. Avez-vous déjà imaginé ce que cela pouvait engendrer comme comportements ? Mais qui est le pays riche et développé ? Qui a une diaspora puissante et lobbyiste ? Pourquoi n'y-a-t-il que les USA lors des négociations ? Pourquoi les résolutions de l'ONU sont depuis 50 ans bafouées ? Arrêtez de vous mentir, de vous lamenter, d'être dans une spirale sans cesse négative et prenez cette paix comme le seul avenir pour que votre peuple puisse construire et vivre dans un monde meilleur. Enfin ! Non je ne suis pas antisémite ! Je suis contre la connerie et pour l'Humanité ! La paix c'est pour les plus intelligents mais surtout les plus humains. Alors montrez votre humanité !
 
6. Une manifestation pour soutenir le peuple palestinien par Mélina Rigot
in Le Progrès (quotidien régional publié à Saint-Etienne) du dimanche 21 janvier 2001
Lors d'une marche silencieuse de la place Carnot à la place Jean-Jaurès, près de deux cents personnes ont exprimé hier leur désaccord avec la répression de l'armée et du gouvernement israéliens.
"Non à la répression sanglante opérée par l'armée israélienne ; oui à la création de l'Etat palestinien souverain". Ce sont les revendications que clamait hier le conducteur de la voiture qui menait la manifestation.
Peu après 14 heures, depuis la place Carnot, un cortège silencieux a en effet descendu la Grand-Rue pour exprimer son "soutien au peuple palestinien opprimé depuis si longtemps", expliquait Mme Charbonnier, présidente de l'Association Médicale franco-palestinienne. Près de deux cents personnes avaient répondu à l'appel des associations organisatrices, l'Association médicale franco-palestinienne, l'Association culturelle de Saint-Etienne, l'Association culturelle de Bellevue, l'Association Action-espoir, l'Association Jeunesse et espoir et le Relais Maghreb-Méditerrannée.
Brandissant banderoles et pancartes, les manifestants montraient ainsi leur refus "du blocus imposé par l'Etat d'Israël et des spoliations telles que l'arrachage d'oliviers". Ils réclamaient de même "une commission internationale pour la protection du peuple palestinien, le respect des résolutions des Nations-Unies qui préservent les droits des Palestiniens".
Arrivés place Jean-Jaurès, les organisateurs ont brièvement pris la parole, réitérant leur espoir de trouver "une solution de paix au conflit politique, fondée sur les droits et la sécurité de tous".
 
Revue de presse

 
1. Les dunes de Gaza pour terre promise par Didier François in Libération du samedi 3 février 2001
La victoire annoncée de Sharon redonne de l'espoir aux colons.
"Le plus difficile pour nous, les Palestiniens, c'est d'être des esclaves sur notre propre terre." Ibrahim, ouvrier agricole
Gush Qatif envoyé spécial
Des serres, à perte de vue. Alignement de pépinières ceint de clôtures électrifiées. Une industrie ultramoderne, en bordure du désert, poumon économique des colonies juives de Gaza. Sous plastique poussent des fraises, des tomates, des fleurs. Primeurs d'hiver. Un petit tour de passe-passe à l'étiquetage et ces «produits d'Israël», cultivés en territoires palestiniens, prennent le chemin des tables européennes. Responsable de la filière agricole pour un moshav de Gush Qatif, une coopérative de paysans indépendants, Yossi Serfati refuse d'y déceler malice. «Près de 90 % de nos récoltes sont destinés à l'exportation. Nous livrons nos clients bien après que l'Espagne a cessé et bien avant que la Hollande s'y mette.»
Sourire ravi, Yossi Serfati ne discourt pas. Il prêche. Une homélie à la gloire du poivron «nourri au compost, mûri par le soleil». Preuve comestible de ce «miracle» qui légitime, à ses yeux, l'implantation des colons dans le désert palestinien. Car l'occupant se voit pionnier. Les dunes de Gaza pour terre promise. L'agriculture biologique pour profession de foi. Les résidents de Gush Qatif ne cherchent pas dans la religion une justification à la présence israélienne sur cette bande de sable dévolue aux Arabes par les accords d'Oslo. Rares sont ici les exaltés de l'orthodoxie, qui pullulent en Cisjordanie. Mais l'attachement au projet sioniste de développement n'en est pas moins solide. Et l'engagement des travaillistes à démanteler les enclaves juives dans les territoires occupés depuis 1967, pour tout récent qu'il soit, fait les choux gras des formations de droite.
Cote abyssale. Voitures, pick-up, tracteurs, tout ce qui roule sur les «voies de contournement», ces rocades réservées aux colons et protégées par l'armée, arbore l'autocollant: «Ariel Sharon pour l'unité d'Israël». Auréolé de sa gloire militaire passée, le général a désormais conquis les cœurs des rejetons de sa victoire. Prouesse, au vrai, sans grand panache. La cote de son adversaire est abyssale. Et si, à l'aune de son palmarès guerrier, Ehud Barak n'a en rien à rougir, ses girations dans la menée du processus de paix lui ont coûté tout crédit.
Yehouda Morin ne se fait guère d'illusion. «Nous savons que Sharon devra aussi lâcher les colonies pour obtenir un accord. Mais, avec lui, nous pourrons nous retirer la tête haute.» Pour cet informaticien marseillais reconverti dans la pizza à emporter, la distinction importe. «Nous avons le sentiment d'avoir été lâchés par Barak. Le reste d'Israël a toujours exécré les gens des territoires. Mais les Palestiniens ont fait une grave faute psychologique. S'ils avaient cantonné leurs attentats contre les colonies, les autres Israéliens auraient applaudi à notre départ. Menacés par l'Intifada, ils ont maintenant pris conscience que nous étions en première ligne dans une guerre totale. Et Sharon symbolise ce retournement d'opinion.»
La pilule est amère pour Barak. Jamais la croissance des colonies n'avait été aussi rapide que sous son gouvernement. Malgré les accords d'Oslo. «Toutes les implantations qui forment le bloc de Gush Qatif ont été fondées par des gens de gauche, appuyés par un gouvernement de gauche. Dans les années 70, il s'agissait de créer une ceinture juive le long de la frontière égyptienne», rappelle Laurence Baziz. Installée à Newe Deqalim depuis quatorze ans, elle a vu prospérer la petite enclave. «Quand les pionniers sont arrivés, il n'y avait rien. Pour attirer les gens, l'Etat nous a offert des avantages. Gush Qatif est classé zone de développement. Chaque famille qui s'y installe reçoit un prêt pour l'aider à démarrer. Le prix des maisons y est très attractif, et les réservistes effectuent leurs périodes de service sur place.»
Déséquilibre explosif. Jamais les colonies n'ont cessé de s'étendre, au point de déborder sur près de 40 % de la bande de Gaza. Un grignotage insupportable pour les Palestiniens. Ils sont 1,2 million à s'entasser sur ce qui reste libre de ce territoire que leur accordent tant les résolutions de l'ONU que les promesses israéliennes faites à Oslo. Les édiles des implantations revendiquent 8 000 résidents. Déséquilibre intrinsèquement explosif. D'autant que les disparités son flagrantes. Sans être luxueux, les lotissements israéliens sont coquets. Les hameaux palestiniens qui les bordent sont loin de disposer du même espace. Mais les colons réfutent la moindre responsabilité dans ce dénuement, rejetant la faute sur la grivèlerie des dirigeants arabes, accusés de maintenir à dessein leur peuple dans la misère pour attiser la haine du juif ou sur la nonchalance supposée atavique des fellahs.
Ibrahim travaille dans les serres depuis son plus jeune âge. Pour un salaire journalier de 80 francs. Ses camarades confirment, quand son patron jure les payer «autour de 120 francs, plus le bonus à la cueillette et les heures sup». De toute façon, une paie inférieure à celle des ouvriers thaïlandais rémunérés 160 francs par jour. Cette main-d'œuvre asiatique engagée durant deux ans «pour raisons de sécurité» bénéficie d'un logement avec eau et électricité gratuites, ainsi que d'un sac de riz mensuel. Une clause prévient les femmes que toute grossesse vaut l'expulsion d'Israël. Même si les Thaïs tendent à remplacer les Arabes, Ibrahim ne leur en veut pas. «Comme nous, ils doivent nourrir leurs familles. Le plus difficile pour nous, les Palestiniens, c'est d'être des esclaves sur notre propre terre.»
Espoir. Déçus par les accords d'Oslo, les travailleurs arabes n'attendent plus rien des négociations. Avec la victoire annoncée de Sharon, en revanche, l'espoir renaît chez les colons. «Bien sur, les implantations semblent aujourd'hui condamnées, admet Laurence Baziz, et si le gouvernement nous demande de partir, nous partirons. Mais on ne sait jamais. Ce pays a été créé par un miracle, il a survécu par miracle, son développement économique est un miracle et nous avons toujours l'espoir qu'un miracle nous sauvera. Alors, nous vivons ici comme si c'était pour l'éternité.».
2. "L'Europe doit prendre la place de parrain du processus de paix" entretien avec Nabil Chaath, Ministre de la Coopération internationale de l'Autorité palestinienne réalisé par Baudoin Loos
in Le Soir (quotidien belge) du vendredi 2 février 2001
- Quel est le point de la situation à quelques jours de l'élection israélienne ?
- Il y a toujours une chance qu'un sommet se tienne entre Barak et Arafat dimanche, peut-être au Caire. Sans certitude aucune.
- Y a-t-il eu des résultats restés secrets des négociations de Taba, la semaine passée ?
- Pas vraiment. Le but des Israéliens était de montrer des progrès sans donner l'impression de faire des concessions juste avant l'élection de mardi. On n'a jamais été si proches d'un accord, mais ce qui reste à faire se révèle très difficile. Dire que rien n'a avancé avec Ehoud Barak n'a pas de sens : avec lui, Israël s'est résigné à démanteler beaucoup de colonies juives, à partager Jérusalem, etc. Mais à Camp David, en juillet, Barak nous avait dit « C'est à prendre ou à laisser » alors que ses positions étaient tout à fait inacceptables. Et cela a mené à l'explosion.
- Le droit au retour des réfugiés effraie les Israéliens. Avez-vous un avis pragmatique ?
- Pragmatique ? (Sourire perplexe.) Il n'y a pas de droit au retour sans mise en œuvre, comme certains l'espèrent. Sinon, ce n'est pas un droit mais un tranquillisant. Comment veut-on que nous disions aux réfugiés palestiniens de 1948 que leur droit disparaît alors que toute personne dans le monde qui a eu un grand-père juif ou des ancêtres partis il y a deux mille ans est le bienvenu en Israël ? Ce qui est sûr, c'est que tous les 3,7 millions de réfugiés ne vont pas revenir. Mais ils doivent tous avoir le choix.
- Les Palestiniens doivent-ils tout faire pour aider Barak ?
- Question difficile. On ne veut pas sembler interférer dans le processus électoral israélien comme on ne voudrait pas qu'ils s'immiscent dans nos affaires intérieures. Mais, bon, nous sommes allés à Taba et on a fait des déclarations optimistes. On ne pouvait pas faire plus. D'ailleurs, si des Israéliens accusent Barak d'avoir échoué en matière de paix et de sécurité, nous pouvons dire que sa politique à notre égard ces derniers mois, le véritable siège que subissent les villes palestiniennes et l'usage d'une force bien excessive se révèlent bien pires que ce que Begin ou Shamir, deux célèbres Premiers ministres de droite, avaient fait en leur temps... sauf ce que fit Sharon à Sabra et Chatila, évidemment.
- Et l'Europe, dans tout cela ?
- Nous sommes victimes d'un gros paradoxe : l'Europe, avec treize gouvernements comprenant des sociaux-démocrates, est paralysée quand il y a un Premier ministre israélien travailliste, et elle n'exerce aucune pression sur lui, même s'il applique la pire politique de bouclage des territoires sous notre contrôle, comme maintenant. Au sommet euroméditerranéen de Marseille, en novembre, les Européens ont même refusé de condamner le siège de nos villes  Depuis toujours, les Européens nous avaient promis leur soutien actif pour les négociations sur le statut permanent et ils n'ont strictement rien fait. Pourquoi ? Ils nous ont juste conseillé d'accepter les propositions israéliennes à Camp David en juillet, puis celles de décembre, alors que nous avons obtenu plus en continuant à négocier.
- Mais Sharon va gagner...
- Tout l'indique, oui. Nous espérons qu'alors l'Europe saura lui rappeler les termes de références du processus de paix, les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité (« échange de la paix contre les territoires »), les accords déjà signés et insistera sur l'arrêt du siège que nous subissons. L'Europe doit prendre la place de parrain du processus de paix que vont laisser les Américains pendant plusieurs mois, le temps nécessaire à l'administration Bush de s'installer.
- Le programme de Sharon, tel que divulgué par le journal « Haaretz », vous promet un « Etat » sur 42 % de la Cisjordanie, rien sur Jérusalem, rien sur les réfugiés...
- On sait cela, comme on sait son rôle dans la colonisation des territoires occupés depuis 1967, sa responsabilité dans les massacres de Sabra et Chatila, sa visite sur l'esplanade des Mosquées le 28 septembre, etc. On n'oublie pas, mais on traite avec le représentant d'Israël. Evidemment, si celui-ci vient avec une politique qui viole les références du processus de paix, nous nous opposerons à lui et nous serons soutenus de par le monde.
 
3. Henri Hajdenberg : "Si Sharon est élu, ce sera le vote d'Arafat" propos recueillis par Jean-Sébastien Stehli
in L'Express du jeudi 1er février 2001
Avocat, Henri Hajdenberg est président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), qui regroupe 61 associations représentant l'ensemble de la communauté juive de France.
«Les élections en Israël sont toujours importantes parce que c'est un pays qui se trouve toujours dans une situation sensible. Qui gouverne Israël n'a pas droit à l'erreur. C'est une question de paix ou de guerre, aujourd'hui plus que jamais.
L'évolution de la politique israélienne n'a pas été suffisamment analysée. Il y avait auparavant deux grands blocs idéologiques qui s'affrontaient: d'un côté, les militants du Grand Israël, englobant tous les territoires considérés comme bibliques et incorporant quelque 2 millions de Palestiniens sous souveraineté israélienne; de l'autre côté, les partisans de la paix en échange de territoires. Jusqu'à l'élection de Benyamin Netanyahu, ces deux conceptions s'affrontaient encore. Depuis, la droite israélienne a accepté le processus d'Oslo et le principe de la restitution des Territoires, conduisant inévitablement à la constitution d'un Etat palestinien.
Nombre de juifs de France ne se sentaient pas concernés par ce débat idéologique parce que, s'ils avaient choisi de vivre en France, comme citoyens français, c'est qu'ils ne revendiquaient pas de vivre sur les territoires palestiniens. Mais ils étaient divisés sur la façon d'assurer la sécurité d'Israël, préoccupation principale des juifs. Les affrontements récents amplifient cette inquiétude, cette angoisse que nous portons en nous du fait de notre histoire.
Une très large majorité des dirigeants de la communauté juive française a estimé qu'ils devaient appuyer le processus de paix. Quand nous sommes allés voir Yasser Arafat en avril 1999, la décision a été prise à l'unanimité du bureau exécutif du Crif. Nous pensions que, citoyens d'un Etat en bons termes avec les pays arabes, nous pouvions faciliter le dialogue. Mais nous avons été déçus par le comportement des représentants de l'Autorité palestinienne depuis Camp David. Face à un Premier ministre israélien qui a avancé à pas de géant vers les Palestiniens, ceux-ci n'ont fait que reculer, comme si, en définitive, ils n'acceptaient pas d'aller au bout du processus de paix.
«Une sorte de vote de tribu, selon les origines ethniques»
On est très proche d'une solution qui permettrait la paix entre Palestiniens et Israéliens, d'un compromis acceptable par tous. Le fanatisme et la haine, qui se sont manifestés de manière si violente, font perdre confiance. C'est une rupture psychologique majeure qui a fait reculer le processus de paix. Le pessimisme prévaut donc, mais il faudra bien que le peuple palestinien comprenne que les Israéliens ont leur place sur cette terre et qu'il devra bien vivre et coopérer avec eux. C'est leur propre intérêt, pour résoudre leurs problèmes économiques et sociaux, et vivre, eux aussi, en démocratie.
Si Ariel Sharon est élu, ce sera le vote de Yasser Arafat: c'est le leader palestinien qui aura amené la défaite d'Ehud Barak en déclenchant des émeutes et en refusant de conclure la paix avec l'actuel Premier ministre israélien, dont Sharon ne maintiendra certainement pas les propositions.
Alors qu'Israël est en conflit, on peut reprocher à son système électoral de ne pas permettre de véritablement gouverner. Il s'agit d'une pratique politique comparable à celle de la IVe République en France, avec une majorité introuvable. Ce système a également engendré une sorte de vote de tribu, selon les origines ethniques, qui va à l'encontre des objectifs des fondateurs de cet Etat et qui crée un climat d'affrontements internes dans une société qui ne peut pas se le permettre. Sans réelle influence sur cette situation, témoins d'une société qui se déchire entre religieux et non-religieux, les dirigeants de la Diaspora ne peuvent que le regretter. Ils doivent lancer un cri d'alarme aux Israéliens.
S'agissant de la France et de ses représentants, on attend plus de compréhension. Nos dirigeants ne peuvent pas ignorer qu'Israël vit entouré de sociétés arabes qui lui sont farouchement hostiles et qu'il doit se défendre dans ce Proche-Orient qui n'a pas encore définitivement accepté sa légitimité. Cela devrait amener à des prises de position plus mesurées et plus équilibrées.»

4. Rony Brauman : "Ma judaïté n'est ni un drapeau ni une honte" propos recueillis par Vincent Hugeux
in L'Express du jeudi 1er février 2001
Pionnier exigeant et sagace de l'aventure humanitaire, Rony Brauman rechigne d'ordinaire à s'exprimer «en tant que juif». Il le fait ici.
- Quelle image symbolise, à vos yeux, le destin d'Israël ?
- Ce n'est pas une image, mais un slogan: le rêve brisé. Un rêve d'émancipation enfermé dans un ghetto, un rêve d'affranchissement où le libérateur se fait oppresseur. Constat partagé le plus souvent par les sionistes idéalistes. Pourtant, jusqu'en 1967, tout allait bien. J'avais alors 17 ans. Hanté par la destruction d'Israël, je partageais mon temps entre la préparation du bac et une écoute fiévreuse de la radio. La victoire d'Israël fut un soulagement. A l'époque, je me disais ceci: ceux qui méritent de vivre vivront.
- Votre entourage était-il sioniste ?
- De souche polonaise, profondément religieux, mes grands-parents parlaient le yiddish. Adolescent, je subissais les fêtes religieuses, que mes parents célébraient par respect pour les leurs, comme une corvée. Mon père était quant à lui un résistant et un vrai sioniste. Il a milité très jeune, avant de s'établir dès 1948 en Israël. Je suis né deux ans plus tard à Jérusalem, mais je ne garde aucun souvenir de ma petite enfance: j'avais à peine 5 ans quand ma mère m'a emmené en France. Mis à part de brèves vacances familiales en 1961, pendant le procès du criminel nazi Adolf Eichmann, je n'ai pas remis les pieds en Israël avant l'âge adulte. Depuis lors, j'y ai séjourné trois fois.
- Pourquoi cette apparente distance ?
- Mon éveil politique passe par la guerre d'Espagne et le Vietnam. Longtemps j'ai suivi le Proche-Orient de loin. Avant de m'y plonger en 1988, à l'heure de la première Intifada. Jusque-là, je bossais davantage sur le Rwanda, l'Afghanistan ou l'Amérique centrale. Et j'avais du conflit une vision simple et claire: un îlot de démocratie - Israël - perdu au milieu d'un océan de totalitarisme arabe soutenu par l'URSS. En ce temps-là, on considérait que les Palestiniens, dont on niait d'ailleurs l'existence, avaient un pays, à savoir la Jordanie. La guerre des pierres et le naufrage soviétique ont mis à mal ce schéma. Et hâté la fin d'un aveuglement organisé.
- A quoi attribuer cette «conversion» ?
- Un film, oeuvre de mon cousin Eyal Sivan, Israélien antisioniste, a servi de catalyseur. Il bousculait les mythes fondateurs d'Israël, dénonçant l'usage de la mémoire juive à des fins de propagande. Ce qui me fout encore en pétard, ce sont ces sionistes de France prêts à se battre jusqu'au dernier Israélien. Pas question, assènent-ils de Paris, de restituer le Sud-Liban aux Libanais, le plateau du Golan à la Syrie, de transiger sur le mont du Temple ou la vallée du Jourdain... Mais de quel droit?
- Vous sentez-vous plus français que juif ?
- Je me vois comme un être composite. Ma judaïté forge une partie de mon identité. Ce n'est ni un drapeau ni une honte, mais une donnée. Juif français ou Français juif? La question est un peu vaine. Car j'y vois deux catégories disjointes. L'une familiale; l'autre civile et politique. Ce qui, au passage, atteste la réussite de l'intégration. Je ne me reconnais nullement dans les institutions dites «représentatives». Non que je conteste leur légitimité, mais parce qu'elles parlent en fait au nom d'à peine 10% de la communauté. Quand le Crif décrète, péremptoire, que les juifs de France sont tous du côté d'Israël, je bouillonne!
- Quels dangers pèsent sur Israël ?
- D'abord, l'unanimisme avec lequel les Israéliens perçoivent la question du droit au retour des réfugiés palestiniens. Un droit qui devient à leurs yeux un péril existentiel, vital. Au-delà de cette crispation identitaire, je vois une autre menace: la sacralisation de la terre et de l'Etat, porteuse à mon sens de guerre civile.
 
5. “Je ne bouffe pas de l’Arabe au petit déjeuner” par Smadar Pri
in Yediot Aharonot (quotidien israélien publié à Tel-Aviv) traduit dans Courrier International du jeudi 1er février 2001
Dans un entretien exclusif aux "Yediot Aharonot", Ariel Sharon, probable futur Premier ministre israélien, présente sa vision de la paix avec les Palestiniens.
- En tant que Premier ministre, vous allez hériter d’une situation dans laquelle nos rapports avec les Etats arabes sont au plus mal.
- ARIEL SHARON C’est effectivement un lourd héritage. Si vous me demandez si je respecterai les accords existants, je vous répondrai que je ne respecterai que ceux ratifiés par la Knesset, et seulement ceux-là.
- Quel est votre agenda politique ?
- Il faut avant tout restaurer nos relations avec le Congrès [américain], des relations qui sont à la base de notre puissance, mais que Barak, par inexpérience, a totalement négligées. Il faudra également restaurer nos rapports avec la France, l’Allemagne et la Russie.
- Comment comptez-vous résoudre le problème du mont du Temple ? Vous ne pouvez tout de même pas ignorer ce qui lie l’islam à ce lieu ?
- Non seulement je ne peux pas, mais je ne veux pas l’ignorer. Je n’ai pas la moindre intention de changer les règles existantes. Nous ne nous ingérerons jamais dans la gestion du culte. Mais transférer à d’autres ce que certains appellent le “Haram esh-Sharif” [en arabe] est impensable. Jérusalem doit rester une ville unifiée avec le mont du Temple en son coeur.
- Il y aujourd’hui une continuité territoriale quasi complète entre Ramallah et Jérusalem. Jusqu’où pourra-t-on reculer le tracé de la frontière ?
- La frontière englobera les quartiers qui surplombent la ville, ainsi que l’aéroport d’Atarot [Jérusalem-Est]. Mais je ne vois aucune objection à créer des axes routiers palestiniens qui ne traversent pas la ville. Il y a une solution à tout.
- Nous parlons bien d’un Etat palestinien ?
- L’Etat palestinien est un Etat en devenir. Ce qu’il faut, c’est parvenir à un accord et finaliser le conflit. Si j’ai un conseil à donner aux Palestiniens, c’est de ne pas procéder à une proclamation unilatérale. Ils disposent déjà d’organes dignes d’un Etat : un président, un gouvernement, des ministres et un Parlement.
- Ils désirent également un passage garanti entre les deux parties de leur Etat.
- Yasser Arafat manoeuvre depuis des années pour ressusciter le plan de partition de 1947. Ses revendications sur une partie du Néguev s’inspirent de ce plan. Ce qu’il voudrait, c’est obtenir une continuité territoriale qui couperait notre pays en deux. C’est hors de question.
- Comment circuleront les Palestiniens entre Gaza et Ramallah ?
- Ce que je leur propose, c’est de créer une société de chemins de fer qui utiliserait notre réseau ferroviaire. Il serait interdit de descendre de l’“express Gaza-Toulkarm” en cours de route, et l’utilisation de notre réseau serait payante. Pour moi, c’est une solution originale. Ce que les Palestiniens veulent, c’est un territoire à eux pour ne plus être humiliés à nos barrages. Il n’est pas facile d’être palestinien. Je voudrais revenir sur la diabolisation dont je fais l’objet. On me dépeint souvent comme quelqu’un qui bouffe de l’Arabe au petit déjeuner. C’est tout à fait faux. Dans une guerre, des hommes sont tués. Mais je n’ai jamais admis que l’on maltraite les prisonniers ou qu’on les humilie. Je n’ai jamais manqué de respect à personne. Les Arabes se battraient jusqu’à la mort mais je n’ai pas envie de faire la guerre au monde arabe.
- Vous avez fait un bout de chemin avec Arafat. Vous l’avez traité de criminel de guerre et avez refusé de lui serrer la main. Mais, fin décembre, vous lui avez fait parvenir une lettre de voeux. Quels sont vos rapports ?
- Je sais qui est Arafat. A la mort de Lili [la femme d’Ariel Sharon], il m’a transmis ses condoléances. Je lui ai répondu selon l’usage. Après la fête du Ramadan, je lui envoyé une lettre, comme c’est de règle entre deux dirigeants. Mais je ne lui serrerai pas la main. Cela signifierait la fin du conflit.
 
6. Repousser la frontière vers l’est par Allouf Ben
in Ha’Aretz (quotidien israélien publié à Tel-Aviv) traduit dans Courrier International du jeudi 1er février 2001
“La paix n’est pas notre intérêt principal”, disait Ben Gourion. En ce sens, Barak est resté fidèle aux objectifs stratégiques et territoriaux fixés par les fondateurs de l’Etat d’Israël.
Le discours confus du Premier ministre Barak rend incompréhensibles les objectifs diplomatiques d’Israël. Pourtant, les consignes données par Barak aux négociateurs israéliens de Taba s’inscrivent dans la ligne de la politique étrangère et de défense tracée par les fondateurs de l’Etat d’Israël. Shlomo Ben-Ami, Yossi Beilin et Amnon Shahak étaient à Taba pour atteindre trois objectifs ayant obtenu l’aval de Bill Clinton : repousser la frontière orientale d’Israël au-delà de la Ligne verte, conserver un contrôle sur les lieux saints de Jérusalem et retenir les réfugiés palestiniens à l’extérieur d’Israël. Yasser Arafat les a rejetés et a préféré poursuivre la lutte contre Israël. Les ultimes négociations de Taba furent en fait une tentative israélienne d’effrayer les Palestiniens en leur disant ce à quoi ils devaient s’attendre avec un Sharon extrémiste et un Bush indifférent. Il s’agissait de les forcer à accepter la carte proposée par Israël. Le plan de “séparation unilatérale” élaboré par Barak était censé atteindre les mêmes objectifs en cas de rupture des négociations par Arafat.
Les positions israéliennes remontent aux premières années de l’Etat. L’historien Shimon Golan vient de publier Gvoul ham, Milhama kara (“Frontière chaude, guerre froide”), un livre consacré au développement de la politique israélienne de sécurité entre 1949 et 1953. Bien qu’issu du coeur de l’establishment militaire israélien, Golan ne tire pas d’autres conclusions que celles tirées par les “nouveaux historiens” : après la guerre d’indépendance, Israël n’était pas pressé d’aboutir à la paix, car il craignait de devoir payer le prix demandé par les superpuissances en termes de frontières et de réfugiés.
Le refus des pays arabes de négocier sans conditions préalables ne fit que permettre à Israël d’atteindre ses objectifs à long terme. Golan rappelle que l’objectif principal de la politique étrangère et de défense d’Israël était de consolider les acquis territoriaux et démographiques de la guerre d’Indépendance et des accords d’armistice. Et ce sont précisément ces problèmes qui demeurent les obstacles essentiels dans les négociations avec les Palestiniens et les Syriens.
David Ben Gourion ne croyait pas en un Israël intégré parmi les nations arabes. En ce sens, il ne fait qu’inspirer Ehoud Barak et Shlomo Ben-Ami, pour qui la seule paix possible repose sur la séparation et les barbelés. “Nous sommes une nation européenne. Nous n’avons pas d’affinité avec les Arabes ; notre régime, notre culture et nos rapports ne sont pas issus de cette région.”
L’establishment militaire israélien n’a jamais réellement accepté les lignes d’armistice de 1949 et a toujours attendu l’occasion propice pour les repousser vers l’est. Aujourd’hui, ce que Barak veut obtenir par la négociation, c’est le recul de la frontière vers l’est afin d’élargir le corridor de Jérusalem et de rapprocher Israël de la ligne de crête de Samarie [partie nord de la Cisjordanie]. C’est dans cette logique stratégique que s’inscrit la demande israélienne d’annexer les blocs de colonies implantés en Samarie et autour de Jérusalem et sur laquelle se sont affrontés Ben-Ami et Abou Alaa [négociateur palestinien].
 
7. L’appel au boycott des partis arabes israéliens
in Kul al-Arab (quotidien palestinien publié à Nazareth) traduit dans Courrier International du jeudi 1er février 2001
Dans un appel* publié par le quotidien palestinien "Kul al-Arab", les formations politiques arabes d’Israël expliquent pourquoi elles ne veulent plus être la roue de secours des travaillistes.
Jour après jour, le soutien de la population arabe à la campagne de boycott des élections au poste de Premier ministre (d’Israël) ne cesse de s’amplifier. Plus la date de ces élections approche, plus la décision de ne pas aller voter pour un candidat du Parti travailliste ou du Likoud devient évidente (pour les Arabes d’Israël). Sur ce point, les forces politiques qui ont appelé à ce boycott expriment le sentiment de toute la population (arabe d’Israël). Dans ce contexte, ces différentes forces politiques se sont mises d’accord pour diffuser un appel au boycott des élections au poste de Premier ministre, ainsi que pour se coordonner entre elles. Pour cela, il convient de resserrer les rangs et de mobiliser la population (arabe) dans le cadre d’une campagne populaire destinée à la convaincre de boycotter cette élection et de ne pas se rendre aux urnes.
Devoir faire un choix entre Barak ou Sharon n’a pour nous aucun sens. En effet, Sharon est célèbre pour ses actes inqualifiables à l’égard des Arabes et du peuple palestinien, ainsi que pour ses prises de position qui ont fait de lui le symbole politique d’une droite extrémiste violente et expansionniste et qui s’est rendue coupable de crimes de guerre. Dès lors, toute personne qui appellera à voter pour Sharon ou qui votera pour lui deviendra un ennemi pour sa communauté et pour son peuple.
Il convient, dans ces conditions, de s’opposer fermement à l’idée que voter pour Sharon serait un moyen de pénaliser Barak. De même, nous n’acceptons pas que l’on nous effraie avec Sharon pour mieux nous pousser à voter pour Barak.
L’expérience a d’ailleurs montré par le passé que, même en votant à 95 % pour un candidat du Parti travailliste, nous n’obtenions de toute façon rien. En effet, ce parti a continué à appliquer une politique bien connue à l’égard des citoyens arabes et du peuple palestinien en général. Bien que le gouvernement Barak ne cesse de parler de paix, il continue en effet à s’en prendre à notre peuple et à tuer ses enfants. Ainsi, plus de 400 martyrs palestiniens sont tombés depuis le début de l’Intifada d’Al Aqsa, parmi lesquels 12 sont des citoyens arabes (d’Israël).
Cela aurait-il donc un sens si nous votions à nouveau pour ceux qui se comportent avec nous comme si nous étions leurs ennemis ? Pour ceux qui nous ont exclus et qui nous persécutent ? Nous sommes certains qu’à partir de maintenant la population arabe n’acceptera plus d’être le dernier recours électoral du Parti travailliste. Il est donc de notre droit, et même de notre devoir, de punir les responsables des crimes qui ont été commis à l’encontre de notre peuple. Ces derniers nous massacrent et nous torturent, ensuite ils se mettent à arborer des sourires électoralistes pour essayer de récupérer nos suffrages. Toute voix arabe pour Barak ne fera donc qu’encourager les prochains gouvernements israéliens à poursuivre sur la lancée d’une politique criminelle à l’égard de la population arabe.
Par ailleurs, en boycottant ces élections, nous exprimons aussi notre loyauté à l’égard des martyrs qui sont tombés au cours de l’Intifada ainsi que pour la cause qui les a poussés à ce sacrifice. Cette cause est le droit pour les Palestiniens de pouvoir vivre en liberté et indépendants sur une terre dans le respect du droit au retour et dans le cadre de la défense de Jérusalem et de la mosquée Al Aqsa.
Ehoud Barak est tombé parce qu’il n’a pas su imposer de solution définitive au conflit en cours et parce qu’il n’a pas réussi à mettre un terme à l’Intifada. Ces élections anticipées se déroulent sur fond de résolution définitive de la question palestinienne. Pourtant, les deux candidats en lice, quelles que soient leurs différences, refusent avec la même véhémence que le droit international puisse servir de base à une résolution finale. En réalité, ils sont d’accord pour priver les Palestiniens de leurs droits minimaux.
Dans ces conditions, voter pour un de ces deux candidats équivaudrait en réalité à renoncer au droit au retour des réfugiés palestiniens, au droit du peuple palestinien à se libérer de l’occupation et à construire un Etat indépendant et souverain avec pour capitale Jérusalem. De même, l’affirmation selon laquelle “voter pour Barak c’est soutenir la paix” se révèle n’être qu’un mensonge et une supercherie. Boycottons tous ensemble ces prochaines élections.
* Signataires de l’appel : le Parti national arabe, le Mouvement islamique (à l’intérieur de l’organisation Ligne verte-Liste arabe unifiée), le Rassemblement national démocratique, le Front de l’unité nationale, le Mouvement des enfants du pays (Abna al-Balad), le Parti progressiste socialiste et le Mouvement islamique (sous la direction du cheikh Raed Salah).
 
8. Washington sera moins proche d’Israël par Yoël Markus
in Ha’Aretz (quotidien israélien publié à Tel-Aviv) traduit dans Courrier International du jeudi 1er février 2001
L’arrivée de George W. Bush au pouvoir et la victoire probable d’Ariel Sharon changent la donne. L’amitié israélo-américaine risque de se dégrader.
Avec le départ de Bill Clinton, nous perdons l’un des présidents américains les mieux intentionnés qu’Israël ait jamais connus. Mais il n’est pas du tout certain que George W. Bush reprendra l’oeuvre de Bill Clinton là où celui-ci l’a laissée. Bush manque de ce que Clinton avait : sa “chaude amitié” pour Israël. Son attitude envers les Juifs est moins chaleureuse, et on ne compte aucun Juif parmi les membres de la nouvelle administration, à l’exception de son porte-parole. Le vice-président Richard Cheney et le secrétaire du département d’Etat Colin Powell ne sont pas des judéophobes (Powell parle même yiddish), mais leur approche du Moyen-Orient est guidée par le cerveau, non par le coeur. Une coterie issue de l’industrie pétrolière est toujours plus sensible aux intérêts américains dans le monde arabe. Or, ces dernières années, l’influence américaine dans la région s’est vue lentement contestée.
A travers la “fenêtre d’opportunité” ouverte par les arrangements de paix, on peut de nouveau voir des drapeaux américains mis en flammes. L’hostilité manifestée par le Pentagone envers Israël sous le mandat de l’actuel secrétaire à la Défense (surtout lors de la vente d’avions AWACS israéliens à la Chine) n’est à ce titre pas très encourageante. Lorsqu’il sera question de déployer une force internationale telle qu’envisagée dans la proposition Clinton, une forte opposition se manifestera quant à la présence de soldats américains. Notre prochain Premier ministre peut sans doute d’ores et déjà oublier les conversations téléphoniques nocturnes et chaleureuses avec un président américain. L’erreur de Barak fut de privilégier les relations personnelles avec Clinton tout en négligeant les relations avec le Congrès et avec les Juifs américains, nos deux principaux soutiens.
Israël n’aurait pu choisir moment plus crucial pour des élections et un changement de gouvernement. Il y a une légère majorité républicaine à la Chambre des représentants, mais c’est la première fois en un siècle que le Sénat est littéralement coupé en deux. Vu le changement dans le découpage des districts électoraux, les élections de 2002 pour le Congrès seront cruciales pour un George Bush élu sur le fil.
Cette situation donne à Israël une occasion de réparer ses erreurs et de remédier à ses omissions. Les résultats des prochaines élections pèseront lourd dans la nature de nos relations avec la nouvelle administration américaine. Soit elle marchera main dans la main avec nous. Soit elle s’opposera à nous en donnant au Conseil de sécurité de l’ONU carte blanche pour imposer sa solution.
Pour avoir dépassé l’ancien Premier ministre Yitzhak Shamir sur sa droite et torpillé les concessions que Benyamin Nétanyahou avait consenties lors de l’accord de Wye River [23 octobre 1998], le candidat du Likoud Ariel Sharon est perçu par les Américains comme un fauteur de troubles. Son simple nom résonne avec guerre, agressions et colonies. “Chaque fois que ma venue en Israël était annoncée”, se plaignait James Baker, le secrétaire d’Etat de Bush senior, “Sharon m’enfonçait une nouvelle colonie dans l’oeil”. La montée au pouvoir de Sharon, qui a juré de ne pas démanteler une seule implantation, risque de causer de gros problèmes dans nos relations avec la nouvelle administration américaine. La combinaison Sharon-Bush pourrait même se révéler fatale.

9. Saddam soigne son image en aidant les familles des "martyrs" palestiniens Dépêche de l'Agence France Presse du jeudi 1er février 2001, 9h32
RAMALLAH (Cisjordanie) - A peine une semaine après la mort de son fils, tué lors de l'explosion d'un obus de l'armée israélienne à Ramallah, Najah Ahmed Mahmoud a reçu la visite des hommes du président irakien Saddam Hussein venus apporter à la famille du "martyr" une aide financière.
"Saddam est le seul qui nous a aidé", déclare Najah, enveloppée dans un châle noir, assise, dans sa maison de Ramallah, sous un portrait du président irakien en tenue militaire.
"Saddam Hussein a fait quelque chose de bien en nous donnant de l'argent de la main à la main, dans une période très difficile", ajoute-t-elle, décrivant la visite en octobre de la délégation du Front de libération arabe -financé par l'Irak- venue lui remettre un chèque de 10.000 dollars, un portrait de Saddam et un drapeau irakien.
La campagne d'aide irakienne -la plus importante en Cisjordanie et dans le bande de Gaza selon les familles des victimes- a renforcé l'image du président irakien, déjà très populaire dans les territoires palestiniens.
Il est devenu courant de voir, lors des marches de protestation qui se déroulent presque quotidiennement en Cisjordanie et à Gaza, des manifestants brandir des affiches de Saddam et scander: "Saddam, frappe, frappe Tel Aviv!"
L'aide irakienne aux familles des "martyrs" n'est pas sans susciter des inquiétudes chez les Israéliens. Selon la radio militaire israélienne, le général Amos Malka, responsable des services de renseignements de Tsahal, a déclaré mardi devant la commission parlementaire israélienne chargée des Affaires étrangères et des questions de sécurité que l'Irak finançait le soulèvement palestinien.
Toujours selon la radio militaire, Malka a affirmé devant la commission que Saddam utilisait le programme d'aide aux victimes palestiniennes afin d'orchestrer son retour sur le front arabe après une décennie d'isolement suite à son invasion du Koweit en 1990.
Rakad Sallim, secrétaire général du Front de libération arabe -une branche du parti baas au pouvoir en Irak- a déclaré à l'AFP que quelque 300 familles de "martyrs" de l'Intifada, le soulèvement palestinien contre l'occupation israélienne, avaient reçu un chèque de 10.000 dollars.
"Le président irakien a promis une aide financière d'un milliard d'euros (940 millions de dollars) à la population palestinienne, en plus des sommes versées aux familles des martyrs et aux blessés", explique-t-il, dans son bureau de Ramallah. Dans la pièce sont accrochés une photo le montrant en compagnie du président irakien, ainsi qu'un calendrier montrant un montage avec une photo de Saddam et la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem, troisième lieu saint de l'islam, en arrière plan.
Des centaines de Palestiniens grièvement blessés ont par ailleurs reçu 1. 000 dollars, et les blessés légers 500 dollars, ajoute M. Sallim, sans préciser le nombre exact de personnes indemnisées.
"Les Palestiniens n'ont pas oublié que Saddam Hussein a frappé Tel Aviv durant la guerre du Golfe et que l'Irak n'a pas fait la paix (avec Israël) comme l'ont fait l'Egypte et la Jordanie et n'est pas prête à discuter de paix comme d'autres Etats arabes", dit-il.
Selon Najah Ahmed Mahmoud, bien que plusieurs pays arabes et musulmans se soient engagés à verser en tout un milliard de dollars afin de soutenir les Palestiniens dans leur soulèvement, seul l'argent du fonds d'aide du leader irakien est parvenu directement aux familles des victimes.
"L'aide financière en provenance des autres pays arabes fait certains détours avant d'arriver", affirme-t-elle, expliquant qu'elle a reçu 2.500 dollars du gouvernement d'Oman, et 700 dollars d'hommes d'affaires palestiniens installés aux Etats-Unis.
 
10. Ariel Sharon au pouvoir ? Tragédie garantie, selon des Palestiniens du Liban Dépêche de l'Agence France Presse du jeudi 1er février 2001, 9h22
BEYROUTH - "Barak ou Sharon? C'est comme nous demander si nous voulions être tués un par un ou bien en groupe", répond Nouhad Srour, une réfugiée palestinienne rescapée du massacre des camps de Sabra et Chatila.
Lors des tueries (700 à 1.500 morts) perpétrées en septembre 1982 par des miliciens chrétiens alliés d'Israël, Nouhad, qui avait 16 ans à l'époque, a vu mourir sous ses yeux cinq membres de sa famille, deux autres étant, comme elle, blessés.
Sa réponse résume brutalement l'état d'esprit d'une partie des quelque 367. 000 Palestiniens du Liban. Pour eux, l'arrivée au pouvoir d'Ariel Sharon en Israël à la faveur des élections du 6 février raviverait de cruels souvenirs, mais ne traduirait pas un changement fondamental de la politique israélienne.
Certes, le chef du Likoud reste dans leur mémoire comme l'homme qui, ministre de la Défense d'Israël, a, malgré ses dénégations, orchestré à Beyrouth le carnage commis contre des Palestiniens sans défense.
"C'était un acte délibéré de terreur pour pousser les Palestiniens à l'exode et nettoyer Beyrouth", après le départ négocié des combattants de l'OLP de la capitale libanaise, estime Abou Salim, 80 ans.
Le vieux monsieur, qui n'avait dû alors son salut qu'à la fuite avec sa famille, est, comme Nouhad Srour, l'un des 4.000 Palestiniens qui vivent encore dans ce quartier déshérité.
Mais il n'en éprouve pas plus de sympathie pour l'actuel Premier ministre israélien Ehud Barak, donné battu par les sondages à quelques jours de l'échéance électorale: "Dans le fond, Barak et Sharon c'est pareil. On voit ce que Barak est en train de faire avec l'Intifada".
Un chef militaire du Fatah dans le grand camp de Aïn Héloué (près de Saïda, sud), Mounir Maqdah, abonde dans le même sens : "Sharon et Barak sont les deux faces d'une même pièce", dit-il.
Pour d'autres au contraire, et tout particulièrement des responsables politiques, une victoire d'Ariel Sharon serait un scénario catastrophe.
Pour Souheil Natour, membre du comité central du FDLP (Front démocratique de libération de la Palestine), "ce qui est inquiétant, c'est l'atmosphère d'extrémisme en Israël", que reflète la position d'Ariel Sharon dans les sondages.
"Si Sharon vient au pouvoir, il y aura radicalisation de la politique israélienne. Cela se traduira par une aggravation du recours à la force dans tous les domaines, notamment en ce qui concerne les implantations juives en Cisjordanie, ou la répression de l'intifada", estime-t-il.
"Son refus total du droit au retour des Palestiniens présente des risques de déstabilisation pour les pays arabes où il y a de fortes communautés palestiniennes, notamment la Jordanie, et de tension avec la Syrie et le Liban", ajoute-t-il.
Enfin, selon Souheil Natour, "cela va encourager le fondamentalisme musulman chez les Palestiniens".
Un avis partagé dans ses grandes lignes par le représentant de Yasser Arafat au Liban, Sultan Aboul Aynaïn, interrogé par l'AFP au camp de Rachidiyé, près de Tyr (sud): "l'éventuel avènement de Sharon par le biais des urnes exprimerait la nature raciste et extrémiste de la société israélienne".
Pour lui, "le programme de Sharon vise à enterrer toute possibilité d'application des résolution internationales sur lesquelles se base le processus (de paix) en cours".
Au cas où il accède au pouvoir, "nous nous attendons à davantage de tragédies", affirme le dirigeant palestinien, considérant que "les massacres de Sabra et Chatila représentent un tournant dans notre époque" et qu'Ariel Sharon est "plus dangereux que les autres généraux israéliens".
Les Palestiniens, déclare Aboul Aynaïn, "doivent se préparer à faire face y compris à l'intérieur des villes libérées de Palestine parce que c'est là-bas que la lutte aura lieu dans l'avenir, que nous ayons ou pas un Etat".

11. Assil avait 17 ans et croquait la vie par Baudoin Loos
in Le Soir (quotidien belge) du mercredi 31 janvier 2001
Reportage à Arrabeh (Haute-Galilée)
C'était un jeune homme qui mordait dans la vie à pleines dents. Doué. Pour les contacts, pour les études. Il allait se spécialiser en informatique, c'est sûr. Mais le sort en a décidé autrement. Le sort ? Ce jour-là, le 2 octobre dernier, entre Arrabeh et Sahnin, deux petites villes arabes de Haute-Galilée, des manifestants s'en étaient pris à la police israélienne. Des jets de pierres accueillis, d'abord, par des grenades lacrymogènes et des tirs de balles plastifiées. Assil, lui, a reçu trois balles de guerre à bout portant, selon plusieurs témoins. Et il est mort, comme douze autres Arabes d'Israël à travers le pays.
J'étais là, raconte Hassan, son père, d'une voix monocorde, comme s'il s'imposait un devoir. La police tirait des gaz et Assil regardait la scène, assis. Il n'a pas vu trois policiers qui ont surgi dans son dos. Je lui ai crié, mais ils l'ont rattrapé et frappé. Soudain, ils l'ont abattu. De sang-froid. J'ai perdu connaissance.
« Ils l'ont rattrapé et frappé. Soudain, ils l'ont abattu. De sang-froid »
A son réveil, Hassan apprit qu'Assil avait été emmené en ambulance à Sahnin, où il fut décidé de transférer le jeune homme à l'hôpital de Nahariya, à 30 km de là. Il ne tarda pas à rejoindre en voiture et avec sa femme le véhicule de secours arrêté par un barrage policier. On nous a fait faire demi-tour, malgré l'extrême gravité de ses blessures. Par un autre chemin, et après avoir dû convaincre un autre barrage de nous laisser passer, tout le monde a pu arriver à Nahariya. En tout, une heure a été perdue. Là, après quelques minutes, un docteur m'a dit trois mots : « Assil est mort ». J'ai pu voir son corps et pleurer en silence. Dix minutes plus tard, on m'a demandé de partir. A l'hôpital, ils avaient mis un écriteau sur le lit renseignant : « Action hostile ».
Le lendemain, Assil et une autre victime d'Arrabeh seront enterrés. Sans autopsies.
Les Palestiniens d'Israël se sont battus pour obtenir une commission d'enquête pour mettre au jour les responsabilités dans le décès de leurs treize martyrs d'octobre. Adalah, une organisation à caractère juridique pour la défense de la minorité arabe israélienne, a consigné tous les témoignages disponibles, dont celui de Hassan. Après lecture des dossiers, un journaliste du « Haaretz » a estimé que le cas d'Assil comptait parmi les plus embarrassants pour la police.
Cette dernière, à travers les explications du chef du conseil régional local, Erez Kreisler, a expliqué qu'au moment des faits les seuls quatre policiers présents ne disposaient plus de gaz lacrymogènes ni de balles plastifiées et qu'ils faisaient face à une foule nombreuse menaçante. Kreisler a écrit une lettre de remerciement au ministre de la Police pour la protection assurée pendant les émeutes.
Le père d'Assil espère bien que les auteurs du meurtre seront punis. Mais nous, Arabes, avons une expérience horrible du système judiciaire israélien...
Assil, parmi ses activités, militait dans « The Seed of Peace » (le germe de la paix), une organisation d'origine américaine qui promeut l'amitié israélo-arabe notamment à travers des voyages mixtes en Amérique. Assil était allé dans le Maine. Plusieurs Israéliens juifs lui rendaient parfois visite, chez son père. Son charme faisait des ravages, racontent ses amis. Pourtant, il ne cachait pas ses problèmes d'identité, en tant qu'Arabe israélien. A Arrabeh, le 3 octobre, son cercueil était recouvert du drapeau palestinien.

12. La colère des Arabes d'Israël par Baudoin Loos
in Le Soir (quotidien belge) du mercredi 31 janvier 2001
Depuis longtemps habitée par un sentiment d'injustice en raison des discriminations quotidiennes, une majorité des Arabes israéliens veut maintenant « punir » le Premier ministre sortant, Ehoud Barak, pour la sanglante répression subie en octobre.
Reportage à Sahnin (haute Galilée)
Des « regrets », des « condoléances ». Mais pas d'excuses. Les Arabes d'Israël, un sixième de la population, n'en finissent pas de ressasser leur amertume. Une amertume teintée de réelle colère. Maintenant, les choses ont le mérite d'être claires, lâche un quinquagénaire arborant une impressionnante moustache. Nous ne sommes pas et nous ne serons jamais considérés comme des citoyens à part entière. Dites, Monsieur, croyez-vous vraiment qu'ils auraient tiré à balles réelles sur une foule de manifestants juifs ?
A Sahnin, comme à Arrabeh, Nazareth, Oum el-Fahem et ailleurs, le souvenir des émeutes des premiers jours d'octobre 2000, quand la population arabe d'Israël voulut exprimer sa solidarité avec ses frères de Palestine occupée, reste vivace.
« Barak ou Sharon, c'est du pareil au même : deux tueurs d'Arabes »
Treize morts, tel avait été le prix du sang pour des routes coupées, des pierres jetées (l'une fut mortelle pour l'automobiliste visé). Des morts que les Arabes israéliens ne pardonnent pas à l'Etat d'Israël, accusé de répression à caractère raciste.
D'ici, l'élection pour le poste de Premier ministre à laquelle les Israéliens seront conviés le 6 février prend des allures surréalistes. Vous verrez, s'emporte l'oncle d'une des victimes, 99 % des Palestiniens porteurs d'un passeport israélien s'abstiendront de voter ou déposeront un bulletin blanc. Voilà de quoi nous débattons : voter blanc ou rester à la maison
Pour Ehoud Barak, le Premier ministre sortant, la différence ne compte pas pour rien. En 1999, en effet, 95 % des Arabes qui avaient voté - soit 76 % des électeurs de cette communauté - avaient appuyé le chef des travaillistes. Déjà fort à la traîne dans les sondages - mardi, un « Gallup » lui donnait 20 % de retard sur son challenger de droite Ariel Sharon -, Barak espérait un accord avec Arafat, fût-il symbolique, pour convaincre les Arabes de l'appuyer malgré tout. Là aussi, c'est l'échec. De toute façon, ajoute le quinquagénaire moustachu, Barak ou Sharon, c'est du pareil au même : deux tueurs d'Arabes incapables ou plutôt non désireux de mettre un terme aux discriminations dont nous sommes victimes depuis la création d'Israël.
Pourtant, tout le monde, chez les Palestiniens d'Israël, ne se contente pas de laisser parler le sentiment de vengeance. Quelques-uns, assez rares, osent dire qu'une fois de plus, ils vont se tirer une balle dans le pied, car ne pas voter Barak, c'est aider à la victoire de Sharon, bien pire encore au bout du compte s'agissant des intérêts de la communauté arabe.
Mais ce type d'avis demeure bien difficile à trouver dans la population. Au moins publiquement. Car la colère contre Barak l'emporte sans conteste. Et les nuances exprimées ne remontent le moral de personne, comme ce commentaire d'Elias Jabour Jabour, ancien maire de Shefaram, également en Galilée, récemment publié dans un hebdomadaire de Nazareth, « Kol al-Arab » : Nous mourrons si nous votons Sharon, nous mourrons si nous votons Barak, nous mourrons si nous votons blanc et nous mourrons si nous nous abstenons. (...) Dans les derniers jours avant l'élection, nous devons décider quelle forme de mort nous choisissons. Que Dieu nous vienne en aide
Déchirés entre leur nationalité israélienne et leur identité palestinienne, les Arabes d'Israël ont perdu toute illusion. Comme leurs semblables réfugiés, ils ne cessent d'évoquer les terres confisquées - sept huitièmes des terres de Sahnin, nous assure-t-on - au profit des collectivités juives des environs. Ils nous étouffent pour que nous partions, lance un vétéran des geôles israéliennes, mais nous avons compris la leçon de 1948.

13. L’Autorité palestinienne souhaite publiquement l’échec d’Ariel Sharon aux élections
in Le Monde du jeudi 1er février 2001
Alors que tous les sondages donnent le chef du Likoud, Ariel Sharon, vainqueur de l’élection du 6 février qui désignera le prochain premier ministre en Israël, l’Autorité palestinienne a pour la première fois invité tous les partisans de la paix à empêcher cette victoire. Le quotidien Maariv a rapporté, mercredi 31janvier, de source israélienne, que les deux parties ont tracé à Taba les grandes lignes d’un accord.
LORS DES NÉGOCIATIONS de Taba, en Egypte, les Israéliens et les Palestiniens auraient tracé les grandes lignes d’un accord sur le statut définitif des territoires palestiniens, à en croire l’édition du 31 janvier du quotidien israélien Maariv, qui cite "une source très haut placée à Jérusalem". Ces informations n’avaient encore été ni confirmées ni démenties, mercredi matin, par les Palestiniens. L’ébauche d’accord concernerait, selon Maariv, les questions des territoires, de Jérusalem, des réfugiés et de la sécurité. Cette esquisse d’accord prévoirait notamment, à en croire le journal, de restituer aux Palestiniens de 94% à 96% de la Cisjordanie pour constituer, avec la bande de Gaza, un Etat palestinien indépendant. Les 5% restants, englobant 80% des colons, seraient annexés à Israël.
TOUCHE FINALE
A Jérusalem, le principe de base serait que ce qui est juif irait aux juifs et ce qui est palestinien aux Palestiniens, le Bassin sacré étant placé sous "administration conjointe" pour une durée de cinq ans, Israël "gérant le Mur occidental et les Palestiniens les Mosquées". Au cours de cette période, la souveraineté serait "suspendue" ou transférée à une tierce partie. En matière de sécurité, "la majorité des demandes israéliennes" auraient été acceptées par les Palestiniens. Quant aux réfugiés, leur droit au retour serait exercé dans "l’Etat palestinien qui serait établi et dans les territoires qui seraient transférés aux Palestiniens par Israël, c’est-à-dire les dunes d’Halutza, dans le Néguev. Là, Israël aiderait à la création d’une ou de plusieurs villes pour les réfugiés. Il apporterait sa contribution aux infrastructures et à la logistique de la création de ces "villes de réfugiés” qui seraient construites sur des territoires sous souveraineté israélienne, devant être transférés aux Palestiniens dans le cadre d’un échange territorial". Les équipes de négociateurs, toujours selon Maariv, auraient laissé au premier ministre Ehoud Barak et au président Yasser Arafat "l’honneur", non pas de signer l’accord, mais de mettre la touche finale aux questions en suspens. Une rencontre était programmée à Stockholm, mais M.Barak y a renoncé, à cause de propos très durs tenus dimanche par le président palestinien. Mardi soir toutefois, M. Barak n’a pas exclu une telle rencontre. "Il y a des personnalités internationales qui tentent d’amener Arafat à nous rencontrer", a-t-il déclaré. "Nous les respectons. Si une suggestion est faite, nous l’examinerons sérieusement, mais je ne peux pas vous affirmer que nous allons nous rencontrer", a-t-il ajouté. Quelques heures plus tôt, le ministre palestinien de la culture, Yasser Abed Rabbo, avait indiqué qu’"il pourrait y avoir un sommet avant l’élection", ajoutant: "Ce pourrait être n’importe où."
ÉVITER UN RETOUR EN ARRIÈRE
Par ailleurs, pour la première fois depuis l’annonce d’un scrutin anticipé en Israël pour l’élection d’un premier ministre, et à une semaine de la date du scrutin, l’Autorité palestinienne est sortie de sa réserve pour exhorter "le camp de la paix" et les Palestiniens israéliens à contribuer à l’échec du candidat de la droite, le chef du Likoud, Ariel Sharon. M. Abed Rabbo a, en effet, invité mardi "tous les Palestiniens, où qu’ils soient, à s’unir pour s’opposer à l’accession au pouvoir de Sharon et éviter un retour en arrière du processus de paix". "Pas une seule voix arabe ne doit manquer pour s’opposer à Sharon, a-t-il affirmé. La bataille contre Sharon commence aujourd’hui et non pas après son élection." "Même un vote blanc pourrait être considéré par Sharon comme une victoire. La question n’est pas de savoir qui gagne ou qui perd. Le problème c’est que Sharon est l’ennemi de la paix", a souligné M. Abed Rabbo, faisant valoir que tous les Palestiniens, "chez eux ou dans la diaspora", doivent être conscients que "leurs efforts doivent se conjuguer pour isoler la politique extrémiste de droite et ouvrir la voie à une paix véritable". Selon un sondage rendu public mercredi en Israël et effectué par l’institut Smith Research and Consulting, 49% des personnes interrogées voteront pour Sharon, contre 27% pour Barak. La marge d’erreur est de 4,5%. 16% refusent de se prononcer ou affirment qu’ils n’iront pas voter, et 8% sont indécis.
[LA CENTRALE SYNDICALE israélienne Histadrout a annoncé, mardi 30 janvier, qu’elle était parvenue à un accord avec le gouvernement pour mettre fin à une grève qui a affecté le trafic aérien, maritime et ferroviaire dans le pays, ainsi que les services municipaux. La Histadrout avait lancé, il y a une semaine, une série d’actions pour obtenir une hausse des salaires en faveur des 400 000 travailleurs membres du syndicat. Les grèves avaient été étendues au secteur public dimanche. Avec AFP]

14. Un rapport du Comité de suivi pour les Arabes israéliens dénonce la responsabilité d’Ehoud Barak dans le drame d’octobre par Catherine Dupeyron
in Le Monde du jeudi 1er février 2001
JÉRUSALEM, correspondance
Trop tard. Les excuses présentées aux Arabes israéliens par Ehoud Barak et Shimon Pérès, à plusieurs reprises la semaine dernière, suffiront-elles pour apaiser la colère de cette population et la réconcilier avec le candidat Barak pour les élections du 6 février ? Plus de trois mois après que treize des leurs eurent été tués au cours d’affrontements avec la police, le premier ministre israélien a déploré les "tragiques événements" d’octobre, et s’est engagé à ce que le gouvernement respecte les futures recommandations de la commission d’enquête destinée à faire la lumière sur ce drame. Quant à Shimon Pérès, officiellement responsable de la campagne électorale dans le secteur arabe, il a présenté des excuses "au nom du gouvernement pour la douleur et la souffrance causées".
A la veille de ce double repentir, le Comité de suivi pour les Arabes israéliens, une institution représentative des Arabes israéliens notamment composée d’élus locaux, avait présenté à la presse les principales conclusions d’un rapport de mille pages faisant le point sur cette semaine de violences. Remis début janvier à la commission d’enquête, ce document présente les faits de manière détaillée et désigne les responsables.
Il ne préjuge pas des conclusions de la commission d’enquête, mais met explicitement en cause le chef de la police de la région Nord, Alik Ron, suspecté d’avoir une attitude très dure à l’égard des Arabes, et surtout l’échelon politique. Ehoud Barak aurait donné le feu vert à toute action nécessaire "pour maintenir l’ordre". La réponse identique apportée par la police dans toutes les villes indique, pour les auteurs du rapport, qu’il existait "un plan prédéterminé pour répondre violemment à toute expression de solidarité des citoyens palestiniens d’Israël avec les Palestiniens des territoires occupés en 1967".
Pourquoi le Comité de suivi des Arabes israéliens a-t-il décidé de rendre ses conclusions publiques avant même que la commission Or, du nom de son président, n’ait commencé ses auditions? Parce qu’il craint que la police exerce des pressions sur les témoins et parce que ladite commission ne lui inspire guère confiance.
OBJECTIF ÉLECTORAL
A l’origine de ce scepticisme, les conditions difficiles qui ont présidé à sa mise en place.
Tentant d’abord d’esquiver une enquête, puis de créer un comité dit "de clarification des faits", qu’il aurait en fait contrôlé, le gouvernement israélien a finalement été obligé d’accepter cette commission d’enquête indépendante, dont les trois membres sont désignés par le président de la Cour suprême. L’un d’entre eux, Sahal Jarakh, lui-même arabe, est vice-président de la cour de district de Nazareth, ville de Galilée où sont mortes trois des treize victimes.
Si ce type de commission n’a pas de pouvoirs judiciaires, ses recommandations, qui peuvent concerner les politiques comme les fonctionnaires, sont généralement respectées par les gouvernements. A cet égard, les conclusions de la commission Kahane, ayant entraîné la démission d’Ariel Sharon de ses fonctions de ministre de la défense en 1983 pour responsabilité indirecte dans les massacres de Sabra et Chatila, en sont un bon exemple.
Néanmoins, le doute persiste parmi les Arabes israéliens sur son indépendance, un point qui a d’ailleurs été souligné dans le rapport du Comité de suivi. "On veut croire que la commission fera son travail comme elle le doit, mais la mission qui lui a été confiée est suspecte", remarque Suhad Hammoud, avocate et membre d’Adalah (Justice), un centre qui milite pour les droits de la minorité arabe en Israël. "La Commission doit déterminer l’“enchaînement des événements, y compris le comportement des provocateurs et des organisateurs des manifestations”, et nous ne sommes pas parvenus à faire modifier ce libellé. En outre, les travaux de la commission risquent d’être affectés par l’atmosphère générale qui règne en Israël", ajoute Mme Hammoud, qui n’en attend absolument aucun résultat concret. Pis, elle craint que celle-ci porte le blâme sur les victimes et non les policiers. D’où la nécessité de faire "connaître la vérité à l’opinion publique israélienne sur cet octobre noir", précise-t-elle.
La publicité faite à ce rapport a sans doute aussi un autre objectif: rappeler aux Arabes israéliens ce qui s’est passé afin que, quelles que soient les pressions qui s’exercent sur eux pendant la campagne électorale, ils ne votent pas pour Ehoud Barak, tenu pour responsable de cette tragédie. Jusqu’à présent, ni le programme de développement de 4milliards de shekels (455 millions d’euros) sur quatre ans, décidé fin octobre 2000 par le gouvernement, ni l’adoption de la loi sur la discrimination positive, adoptée fin novembre par la Knesset, ni la campagne travailliste qui présente l’élection d’Ariel Sharon comme la pire des catastrophes, ni les remords tardifs n’ont convaincu les citoyens arabes –12,3% de l’électorat– de voter pour Ehoud Barak, le 6 février, comme ils l’avaient fait massivement en mai 1999.
En l’absence d’accord de paix avec les Palestiniens et malgré les appels de l’Autorité palestinienne à soutenir M.Barak, les Arabes israéliens pourraient majoritairement s’abstenir ou déposer dans l’urne ce qu’ils appellent un bulletin "noir", signe de "deuil" et de "désolation".
[177 personnes seraient toujours en prison
En huit jours, treize personnes ont trouvé la mort alors qu’elles participaient à des manifestations sévèrement réprimées par la police, un fait sans précédent depuis la fin de la guerre de 1948. Tout a commencé le 1er octobre dernier, journée de grève générale dans le secteur arabe afin de protester contre la visite le 28 septembre d’Ariel Sharon, chef du Likoud, sur l’esplanade des Mosquées, et de dénoncer "le massacre des Palestiniens" perpétré les jours suivants. Ensuite, les Arabes israéliens enterront leurs propres morts. Dès le premier jour de manifestation, deux personnes sont tuées dans la localité d’Oum el-Fahm. Puis c’est l’enchaînement: des centaines de personnes sont blessées, par balles caoutchoutées ou réelles, souvent au buste ou à la tête. Plus d’un millier de personnes auraient été arrêtées et cent soixante-dix-sept, dont certaines n’ont pas encore été jugées, seraient toujours en prison.]
 
15. Ehud Barak : "nous allons gagner" par Alexandra Schwartzbrod
in Libération du 31 janvier 2001
Le Premier ministre israélien dédaigne l'avance de Sharon.
Jérusalem de notre correspondante
Il a la voix cassée, mais il y croit toujours. «Nous allons gagner!» a clamé hier Ehud Barak devant la presse étrangère, dédaignant les derniers sondages qui donnent une avance considérable à son rival de droite Ariel Sharon aux élections. «Je ne crois pas aux sondages. Le seul devant lequel je m'inclinerai, c'est celui du 6 février.» Pour le Premier ministre sortant, tout ira mieux à partir de vendredi quand l'hypothèque Pérès sera levée et que la gauche réalisera enfin qu'il est seul en course. «Le public va devoir se réveiller et réaliser que ce n'est pas seulement une course entre Sharon et moi mais le sort d'Israël qui est en jeu.» Et le sort des Israéliens, pour lui, reste lié à celui des Palestiniens. «Un pays ne peut pas choisir ses voisins. Le président Arafat n'est pas le leader idéal mais il se trouve qu'il est le leader des Palestiniens et on doit faire de notre mieux pour faire la paix avec lui», a-t-il martelé, confirmant les rumeurs selon lesquelles il pourrait rencontrer Arafat cette semaine. «Certaines personnalités internationales essaient de convaincre Arafat de nous rencontrer, a-t-il déclaré. Nous les respectons, et si elle nous suggèrent quelque chose, nous l'étudierons.» C'est que, hier, le ministre palestinien de l'Information, Yasser Abed Rabbo, a appelé «le camp de la paix» et les Arabes israéliens à voter massivement contre Sharon. Un appel qui vaut bien un revirement. Dimanche, Barak avait solennellement annoncé qu'il n'y aurait plus aucun contact à haut niveau entre Israéliens et Palestiniens alors que, le même jour à Davos, Arafat accusait Israël de mener une «guerre barbare» contre les Palestiniens. C'est que Barak n'a plus grand-chose à perdre. Plus les jours passent, plus sa cote dégringole face à un Sharon qui reste en retrait. «Ne pas voter pour moi, c'est risquer que la situation se détériore, et que des enfants d'Israël soient envoyés au combat. Et quand on aura enterré tous ces enfants, on sera contraints de revenir à la table de négociations et de rentrer dans les mêmes points de détail... C'est une perte d'énergie et de vies humaines que l'on risque à ne pas faire la paix.».

16. Les Bédouins du Néguev en ont assez de l'apartheid par Alexandra Schwartzbrod
in Libération du 31 janvier 2001
Déçus par Barak qu'ils avaient plébiscité en 1999, ils voteront Sharon.
Beer Sheva envoyée spéciale
Avec la défection des Arabes israéliens qui devrait peser lourd lors de l'élection au poste de Premier ministre le 6 février, Ehud Barak a aussi perdu le soutien des Bédouins - moins de 200000 personnes. Lors du dernier scrutin de 1999, ceux-ci, séduits par ses promesses de paix et son programme social, avaient voté à 99 % pour lui. Cette fois, ils devraient majoritairement se détourner du Premier ministre sortant. «On va mettre un bulletin blanc, assure Meigel el-Awachla, responsable d'un village bédouin du Néguev, on veut que Sharon arrive au pouvoir pour que le vrai visage d'Israël soit montré au monde entier. Notre espoir, c'est que les organisations des droits de l'homme viennent ici et témoignent.» Il y a une dizaine de jours, les chefs des conseils de Bédouins de Galilée (une autre catégorie de Bédouins, issus de Syrie et de Jordanie, alors que ceux du Néguev viennent d'Arabie et d'Egypte) ont carrément appelé à voter Sharon, arguant que Barak n'avait «pas respecté ses promesses».
Confort sommaire. A perte de vue le Néguev et, par endroits, des «tentes» où la peau de mouton a été remplacée par du ciment et de la tôle ondulée. Sur le flanc d'une colline, une femme cachée sous ses voiles noirs fait paître ses troupeaux. Le silence est total. «Voilà comment les gens vivent ici: en haut un troupeau de chèvres, en bas un peu de terrain, ni électricité ni chauffage», déclare el-Awachla. Il habite quelques vallons plus loin dans deux pièces en dur qu'il a fait bâtir l'année dernière pour abriter ses deux femmes et ses quinze enfants. Les intérieurs sont sommaires - quelques tapis, deux ou trois coussins -, l'eau arrive par un tuyau d'arrosage, un groupe électrogène peine à alimenter les campements environnants. Les enfants doivent faire des kilomètres en bus pour atteindre l'école, les médecins refusent de venir à cause de l'état déplorable du chemin creusé par les Bédouins.
Réserves. El-Awachla vit là, à l'est de Beer Sheva, dans l'un des 45 villages bédouins du Néguev «non reconnus» par Israël - sans existence officielle. Quelque 65000 Bédouins - des Arabes ayant obtenu la nationalité israélienne en 1953 - y vivent dans un état proche de la misère. Une situation issue de la politique de ségrégation du gouvernement israélien. «Les Bédouins du Néguev ont d'abord été parqués, au début des années 50, dans des espèces de "réserves" fermées et placées sous le contrôle de l'armée. Le but était de les éloigner de l'économie israélienne et de dissoudre le lien avec leur terre», explique Cédric Parizot, qui prépare une thèse sur l'attitude des Bédouins pendant les élections israéliennes de 1999. «Puis, à partir de 1965, on leur a construit de vraies cité-dortoirs sans activités économiques ni infrastructures correctes. Beaucoup ont refusé et se sont accrochés à leur terre, au risque de n'être pas reconnus.»
Moyen Age. A Beer Sheva, le député Taleb Hasseini, seul Bédouin de la Knesset, explose. «Les Bédouins vivent dans l'Etat d'Israël qui prétend être un des plus développés du monde mais cette population vit au Moyen Age à cause d'une politique d'apartheid, explique-t-il. Chez nous, un enfant sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté. On prive les Bédouins de tout et on les transforme en mendiants vivant de la charité publique.» Parizot estime que beaucoup pourraient voter Sharon «convaincus qu'il va gagner et entendant monnayer leurs voix en échange d'avantages après les élections».
Dans le shigg de son village où les hommes viennent partager un verre de thé, al-Awachla s'enflamme: «L'Intifada? Bien sûr que je m'en sens solidaire. C'est mon peuple qui se bat. Je suis bédouin, arabe, musulman, palestinien et israélien.»
 
17. Hausse du chômage, baisse des revenus... Implantation : un coût alarmant  par Hicham Bou Nassif
in Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 26 janvier 2001
Stagnation, chômage, surendettement, l'économie libanaise se porte mal depuis plusieurs années. Certains misent sur la réussite du processus de paix pour lui permettre une relance. D'autres, par contre, craignent que ce même processus ne se solde par un cadeau empoisonné: l'implantation des Palestiniens, fardeau lourd à porter pour un pays en sérieuse crise économique.
Quel sera l'impact de l'implantation sur l'économie libanaise? La première réaction à cette question pourra être d'en refuser le principe même. En effet, le consensus interne rejette tout plan de paix régionale ne permettant pas d'assurer aux Palestiniens le droit au retour en application de la résolution 194 du Conseil de sécurité des Nations unies. Cependant, les droits légitimes des peuples ont été trop souvent sacrifiés sur l'autel des intérêts des puissances.
L'histoire tumultueuse du Liban l'a déjà maintes fois prouvé. Ainsi, la crainte de voir les réfugiés laissés à la charge des pays d'accueil semble fondée. Or, si certains effets de l'implantation peuvent être vite déterminés ­ augmentation de la densité démographique, déséquilibre communautaire interne, etc. ­, son coût économique reste peu clair. Qu'en disent les spécialistes?
Le Dr Elie Yachouï, économiste, soutient avec insistance la position officielle refusant l'implantation. «Le droit au retour est consacré par plusieurs résolutions internationales. Les effets de l'implantation seront catastrophiques pour les Libanais et les Palestiniens», affirme-t-il.
Chute du revenu par habitant
Du point de vue économique, sa conséquence directe sera l'aggravation du problème du chômage. «45% des Palestiniens vivant au Liban ­ soit quelque 150000 personnes ­ sont considérés comme étant une population active. Une grande partie est actuellement sans emplois. Si les portes de l'embauche sont ouvertes après une éventuelle annulation de la décision interdisant aux Palestiniens de pratiquer quelque 70 métiers au Liban, les difficultés de la main-d'œuvre libanaise, déjà très concurrencée, ne feront qu'accroître.» En outre, le corollaire automatique de la surabondance des demandeurs d'emplois ne saura tarder: la chute des salaires. «Les pays du Tiers-Monde peuvent être classés en trois catégories: la première est celle des plus démunis, le revenu annuel par habitant ne dépassant pas les 300 dollars. La seconde est d'un niveau moyen; ce revenu y varie entre 2 et 5000 dollars. La troisième, plus riche, assure à ses habitants un revenu individuel oscillant entre 5 et 7000 dollars par an», explique l'économiste. Il prédit que le niveau actuel du salarié libanais ­ 4500 dollars annuellement ­ chutera à 4000 dollars si le cauchemar de l'implantation se concrétise. Selon lui, insérer tout un peuple dans une société quelconque ne peut se faire sans causer de graves problèmes économiques. «L'une des conditions de base de la richesse d'un pays est la nécessité d'y voir le taux de croissance économique dépasser celui de la croissance démographique. Au Liban, le premier est de 1% annuellement alors que le second est de 2,5%. Tel qu'il est, ce résultat est dangereux. Or 350.000 Palestiniens forment 10% de l'ensemble du peuple libanais. L'année en laquelle ils lui seront ajoutés connaîtra un taux de croissance démographique de 12,5% pour un taux de croissance économique invariable. Catastro-phique. Nous avons besoin de douze ans de croissance économique stable pour supporter l'impact de l'implantation», dit-il. Le Dr Yachouï n'oublie pas de mentionner les charges supplémentaires qui incomberont à l'Etat libanais. «L'Unrwa cessera d'aider les Palestiniens dès qu'ils auront perdu le statut de réfugiés», dit-il. La sécurité sociale en fera les frais. En effet, les services qu'elle offre resteront au même niveau ­ puisque l'énorme déficit budgétaire ne permet pas de les développer ­, alors que le nombre de bénéficiaires augmentera...
D'autre part, il rappelle que les trois éléments de toute activité économique sont: les ressources humaines, financières et naturelles. L'implantation affectera directement les premières. «Or l'une des conditions primordiales du succès en économie est d'avoir une main-d'œuvre qualifiée. La palestinienne l'est-elle?»
L'économie des Palestiniens
Face à ce tableau pessimiste dressé par le Dr Yachouï, certains prétendent que l'implantation pourra avoir un avantage financier indéniable: la liquidation de la dette monumentale accumulée ces dernières années. Bien entendu, cette dette est largement interne. Mais si ce scénario est exécuté, le Liban se verrait offrir des sommes d'argent suffisantes pour la juguler. Il sera ainsi débarrassé de son coût qui asphyxie l'économie libanaise. Les milliards régulièrement engouffrés dans les caisses des créanciers trouveront leur chemin vers des secteurs plus productifs. Toutefois, l'implantation ­ effets catastrophiques politiques mis à part ­ ne débarrassera le Liban d'un problème économique que pour le mettre face à un autre de même nature: le dénuement total de ses milliers de réfugiés qui seront alors totalement à sa charge.
La situation économique des Palestiniens du Liban n'est pas à envier. En effet, 35% des réfugiés palestiniens y vivent au-dessous du seuil de pauvreté tel que fixé par le FMI (Fonds monétaire international): leur revenu individuel annuel ne dépasse pas les 730 dollars, soit quelque 2 dollars par jour. 15% sont même au-dessous du seuil de pauvreté maximale (Ultra Poverty Line). Pour cette catégorie vivant dans une misère noire, le revenu individuel est de 365 dollars par an. La majorité de ces laissés-pour-compte ont dans leurs familles une personne active au moins. Ceci indique que les salaires payés aux Palestiniens sont des plus dérisoires.
«Le réfugié vivant au Liban est traité comme n'importe quel autre étranger. Pour pouvoir être employé dans des conditions légitimes, il a besoin d'un permis de travail. Or ce dernier n'est octroyé qu'à une infime minorité de Palestiniens (ceux soutenus par des compagnies influentes). La majorité de la main-d'œuvre ne le possède pas. Conséquences: absence de garanties sociales, renvois sans notification préalable et, bien entendu, de très bas salaires», explique le Dr Mohammad Ali Khalidi, membre de la Fondation des études palestiniennes. En d'autres termes, tous les aspects classiques de l'exploitation économique. Le Dr Khalidi indique que les statistiques récentes des fondations européennes d'études révèlent que le niveau familial des revenus pour les réfugiés au Liban avoisine les 3666 dollars annuellement. Quelque 2,5% seulement des familles palestiniennes contre 25% des familles libanaises gagnent plus de 12800 dollars par an. Quant au revenu individuel palestinien, les mêmes statistiques l'estiment à 795 dollars par an. Les débouchés diffèrent selon les régions. A Beyrouth, Tripoli et Sidon, les Palestiniens travaillent essentiellement dans la construction, l'industrie et le commerce. A Tyr, ils gagnent leur pain dans le domaine de l'agriculture. Peu travaillent dans les transports.
Aucun dans l'Administration publique réservée exclusivement aux Libanais (au contraire de la Syrie où certains d'entre eux sont arrivés aux plus hauts échelons de la hiérarchie administrative). A l'intérieur même des camps, un commerce à petite échelle existe: minimarkets, boucheries... Globalement, la moitié des hommes travaillent dans la construction ou le commerce, tandis que le tiers des femmes s'orientent vers les domaines éducatifs, sanitaires ou autres relatifs aux services sociaux. A l'inverse des hommes, la majorité d'entre elles travaillent au sein des camps. D'autre part, nombre de Palestiniens sont des employés de l'OLP. «Nos salaires sont assez bas. Les plus hauts cadres ne touchent pas plus de 270 dollars mensuellement. Quant aux membres de l'Armée de libération palestinienne ­ relevant de l'OLP ­, leurs soldes varient entre 100 et 200 dollars par mois. La même somme est versée aux familles des martyrs, mais, hélas, très irrégulièrement», explique Samira Salah, directrice de la section des affaires sociales à l'Organisation de libération palestinienne. En ce qui concerne les autres factions partisanes, Mme Salah révèle que les membres du Fath (parti de Yasser Arafat) sont les mieux payés. Les autres, par contre ­ Front populaire pour la libération de la Palestine (Georges Habach), Front démocratique pour la libération de la Palestine (Nayef Hawatmé) ­, connaissent de graves difficultés financières.
Le taux de chômage reste très élevé: 58% selon les statistiques citées par le Dr Khalidi contre 15% et 19% seulement respectivement en Syrie et en Jordanie. En effet, 33% des hommes et 83% des femmes ne travaillent pas. 40% des inactifs entre 25 et 44 ans disent même avoir perdu tout espoir d'être embauchés. Mme Salah affirme que le chômage touche les différentes catégories sociales des réfugiés, même les mieux éduqués. «De jeunes universitaires ayant décroché leurs diplômes d'universités françaises ou allemandes restent sans emplois ou se voient obligés de vendre des légumes dans de petites boutiques. Cette situation les démoralise totalement», déclare la militante.
Le problème du chômage ­ dont souffrent surtout les réfugiés habitant Beyrouth ­ s'est d'ailleurs aggravé depuis la seconde guerre du Golfe: pour punir l'OLP de son soutien à l'Irak durant la crise, les Etats pétroliers n'ont pas trouvé mieux que de procéder à des expulsions massives de la main-d'œuvre palestinienne.
Face à cette situation désastreuse, les ONG (Organisations non gouvernementales) s'activent de plus en plus. «Elles nous offrent de précieuses aides en nature: médicaments, nourritures... Certaines sont palestiniennes, d'autres européennes (française, italienne, allemande, norvégienne et belge)», indique Mme Salah. Mais les ONG assurent aussi des transferts financiers à 10% des familles palestiniennes. 28% de ces dernières profitent des aides de l'Unrwa, alors que 18% d'entre elles comptent sur les transferts effectués par des proches parents plus aisés.
Les répercussions sociales
Ce marasme économique provoque une migration intense. La jeunesse éduquée tente sa chance sous d'autres cieux, notamment en Allemagne, au Canada et en Belgique. Les réfugiés qui restent envisagent leur avenir avec un désespoir de plus en plus croissant. D'ailleurs, selon les statistiques européennes, 21% d'entre eux souffrent de détresse psychique et sont accros aux calmants... D'autre part, 20% de la population totale est analphabète (13% des hommes et 26% des femmes).
L'analphabétisme persiste même parmi les jeunes: 8% des Pales-tiniens âgés entre 15 et 39 ans n'ont pas reçu d'éducation, bien que les écoles gérées par l'Unrwa soient gratuites. «Des enfants en phase primaire ou complémentaire quittent leurs établissements scolaires pour travailler. Ce fléau social est particulièrement observé dans les camps du Sud, à Aïn el-Heloué, Bourj al-Chamali et Bass. Les institutions commerciales ou industrielles les embauchent en grand nombre, d'autant plus qu'il est facile de les exploiter. Sous-payés, ils travaillent 13 à 14 heures par jour dans des conditions inacceptables», affirme Mme Salah. Les difficultés économiques affectent aussi le niveau de fertilité qui ne dépasse pas les trois enfants par couple, alors qu'il est deux fois plus élevé pour les Palestiniens vivant en Cisjordanie et à la bande de Gaza, malgré leur drame interminable. Face à cette situation socio-économique qu'ils jugent insoutenable, les Palestiniens du Liban ne cessent de réitérer leur demande primordiale: l'acquisition des droits civiques. Ce qui leur permettrait, en effet, d'être traités à égalité avec les Libanais, hormis le domaine politique, évidemment. Certains responsables arguent du fait que ces droits ancreront les réfugiés au Liban, alors que l'intérêt national exige de les encourager à le quitter. Mais les Palestiniens refusent cette logique. «Il y a une grande différence entre l'implantation et les droits civiques. En Syrie, ces derniers sont acquis depuis longtemps. Cependant, les réfugiés qui y vivent sont parmi les plus zélés à demander l'application de la résolution 194. Une patrie est irremplaçable», affirme Mme Salah. Et de continuer: «Notre situation est la plus mauvaise, comparée à celle des réfugiés vivant dans les autres pays arabes. Même en acquérant les droits civiques, les difficultés persisteront probablement. Mais, du moins, nous n'aurons plus le sentiment de subir une sorte d'apartheid. L'important est de respecter la dignité humaine des Palestiniens», déclare-t-elle.
«N'oubliez pas que le réfugié travaillant au Liban y dépense aussi son argent. Il ne peut donc être confondu avec la main-d'œuvre étrangère qui transfert dans ses pays d'origine presque la totalité de ses gains», précise-t-elle. Mme Salah nie, en outre, que l'implantation pourra améliorer les conditions socio-économiques palestiniennes. «Au cas où ce cauchemar se réalisait, les indemnités seraient payées aux pays d'accueil. Les Palestiniens n'en profiteront pas.»
L'économie libanaise se dirige-t-elle vers des lendemains qui chantent, rendus possibles par une paix stable et définitive? Se prépare-t-elle, au contraire, à s'enfoncer encore plus dans le marasme à cause d'une paix partielle et injuste qui n'apporterait aucune solution au problème des réfugiés? Les Palestiniens verront-ils leur situation politique et socio-économique virer au mieux ou resteront-ils à jamais réfugiés dans des camps de misère? Les développements à venir au niveau du processus de paix apporteront, peut-être, des réponses à ces questions.
 
18. Farid el-Khazen : "L'implantation n'aura pas lieu"
in Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 26 janvier 2001
Farid el-Khazen, politologue et professeur à l'Université américaine de Beyrouth, indique que la position de la communauté internationale vis-à-vis du problème de l'implantation a sensiblement changé. «Il y a cinq ans, elle semblait inévitable. Aujourd'hui, les récentes déclarations des parties concernées assurent donner la priorité à la solution du problème de la présence palestinienne au Liban», affirme-t-il. D'après lui, la majorité des réfugiés regagneront les territoires du futur Etat palestinien. Il sera même permis à une tranche d'entre eux de s'installer en Israël au titre de la réunification des familles disloquées. Un troisième groupe sera encouragé à émigrer. Une minorité de réfugiés resteront au Liban mais ceux-là seront détenteurs de la nationalité palestinienne. D'autres observateurs sont cependant moins optimistes. Ils indiquent que le nombre de Palestiniens vivant en Cisjordanie et à Gaza est de 3,5 millions. Ajoutés aux 970000 Arabes israéliens, ils forment un ensemble de 4 millions de personnes. Face à eux, Israël ne compte que 4800000 Juifs ne formant que 54% de l'ensemble de la population. Cet avantage de 4% est minime, vu la fertilité prodigieuse des femmes palestiniennes: six enfants par couple contre trois pour les Juifs. Si le taux de croissance démographique reste tel quel, les Palestiniens seront plus nombreux que les Israéliens entre 2007 et 2013. D'autre part, si les Palestiniens qui ont acquis la nationalité israélienne ne sont actuellement que 17% de la société de l'Etat hébreu, ils en formeront 25% vers l'an 2025. Devant ces chiffres alarmants pour un peuple hanté par la conscience de sa minorité démographique face à un entourage hostile, comment espérer que les responsables israéliens pourront vraiment permettre le retour des centaines de milliers de réfugiés ?