"Faire une concession douloureuse, c'est : ne pas reconquérir Naplouse et Jéricho"
 
Ariel Sharon - Criminel de guerre et candidat aux élections israéliennes -
 
 
Point d'information Palestine > N°126 du 23/01/2001

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Sélections, traductions et adaptations de la presse étrangère par Marcel Charbonnier
 
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Au sommaire
 
Rendez-vous
  • EXPOSITION
    Fenêtres sur mer, Gaza, Sheikh Ajlin
    Photographies de Georges A. Bertrand à Dunkerque    
Histoire
  • Les paradoxes du Tombeau de Rachel et autres sépultures par Bassem Ra'ad [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  • Noury Saïd et la question de Palestine (1936-1943) par Zuhaïr al-Mukhkh in Al-Quds Al-Arabi (hebdomadaire arabe publié à Londres) du vendredi 12 janvier 2001[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Revue de presse
    1. Robert Malley, spécialiste des relations internationales : "Au Proche-Orient, on en reviendra toujours à l'équation posée par Bill Clinton" propos recueillis par Sylvain Cypel in Le Monde du mardi 23 janvier 2001
    2. Jérusalem (réponse à l'article d'Elie Wiesel : Il est urgent d'attendre, publié le 18/01/2001) in le courrier des lecteurs du quotidien Le Monde du lundi 22 janvier 2001
    3. Tandis que les élections israéliennes approchent, les négociateurs se réunissent en Egypte par William A. Orme Jr. in The New York Times (quotidien américain) du lundi 22 janvier 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
    4. Pour Abraham Diskin, professeur à Jérusalem, la situation peut s'améliorer. Guère plus : "Je ne crois plus en la paix" par  Alexandra Schwartzbrod in Libération du lundi 22 janvier 2001
    5. Ramallah-sur-Seine par Stéphane Pichelin in L'Humanité du samedi 20 janvier 2001
    6. Arafat est son gendre, Raymonda Hawa-Tawil, la belle-mère du vieux président, incarne elle aussi la cause palestinienne par Michel Vagner in L'Est Républicain (quotidien régional) du samedi 20 janvier 2001
    7. Amazon et Microsoft pro-Palestiniens à l'insu de leur plein gré par Thierry Guilbert in ZDNet France du samedi 20 janvier 2001
    8. Uranium appauvri : le Liban aussi ? par Paul Khalifeh sur Radio France International (RFI) le vendredi 19 janvier 2001
    Rendez-vous
     
    EXPOSITION
    Fenêtres sur mer, Gaza, Sheikh Ajlin
    Photographies de Georges A. Bertrand à Dunkerque
     
    Le Musée Portuaire de Dunkerque présente jusqu'au 10 mars 2001, Fenêtres sur mer, Gaza, Sheikh Ajlin une exposition de photographies de Georges A. Bertrand. Pendant plus d'un an, l'artiste a photographié la mer à Gaza, tous les jours, de la fenêtre d'un immeuble situé dans le quartier de Sheikh Ajlin, et donnant sur le rivage. C'est un choix de ces images que propose aujourd'hui le Musée Portuaire de Dunkerque, images qu'aucun filtre n'a transformées et qui rendent compte des couleurs, selon les  heures, les jours et les saisons, du ciel et de la mer, mais également des activités humaines. Comme la mer, à  Gaza, est souvent entrevue  par les châssis vitrés ou non des camps de réfugiés, les images proposées sont à  regarder par la petite fenêtre de grands cadres. Dans cette région malheureusement célèbre  aujourd'hui  pour ses tensions et ses drames, elles donnent une autre vision de Gaza,  proposent une autre réalité, portant témoignage du vide et du rien, d'un désert d'eau bleue, rose, ou grise, parfois à la limite de l'abstraction.
    Musée Portuaire de Dunkerque
    9, quai de la Citadelle - 59140 Dunkerque
    Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 10h à 12h45 et de 13h30 à 18h. Renseignements : 03 28 63 33 39
     
    Histoire 
     
    Les paradoxes du Tombeau de Rachel et autres sépultures par Bassem Ra'ad
    [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

    Bassem Ra'ad est un universitaire palestinien, professeur à l'Université de Toronto (Canada), dont les recherches comportent l'étude des écrivains voyageurs, la littérature américaine, l'ethnologie culturelle  et l'esthétique des paysages. Son intérêt constant pour le paysage palestinien remonte à plusieurs années ; il a créé une chaire consacrée à cette discipline à l'université de Birzeit, en 1998. Il compte retourner en Palestine prochainement pour y enseigner et continuer ses recherches sur le sujet : "historiographie de la Palestine et information".
    "Comme Homère, Nimrod a la réputation d'être enterré en plusieurs endroits"
    Mark Twain in Innocents à l'Etranger
    Les religions ont sans doute connu une évolution, dans le passé, faite de pas en avant très lents et mesurés. De nos jours, malgré que nous en connaissions les modes d'évolution, les religions continuent à être utilisées pour appuyer toutes sortes de revendications, partout sur la Planète. Ce qui ne relève pas toujours de la pure foi ou de la spiritualité la plus désincarnée. Cela ne relève pas même de l'ignorance, mais cela se produit par ce qu'être littéraliste, c'est avant tout être expéditif, politiquement parlant. Une illustration éloquente nous en est donnée par le conflit à mort qui prend pour centres des sites tels la Tombe de Rachel ou la Tombe de Joseph, dans une contrée appelée, (par antiphrase ?) la "Terre Sainte"...
    Lorsqu'on étudie les paradoxes et les contradictions qui entourent l'évolution de ces sites, les revendications et les assomptions populaires qui y ont trait nous paraissent de plus en plus évidentes et transparentes. La plupart sont bien menacées, par l'étude, de voler en éclats, non seulement physiquement et politiquement, mais aussi, en termes de conscience. Si l'on veut éviter que le conflit actuel ne suscite une nouvelle flambée d'extrémisme, il est absolument essentiel, pour les deux parties opposées, de commencer à voir l'histoire d'un autre oeil. Il pourrait bien s'avérer indispensable, aussi, d'envisager de réviser la notion de "sacré"...
    Des constructions "turques"
    En 1703, Henry Maundrell écrit, décrivant le Tombeau de Rachel, près de Béthleem : "Il apparaît clairement qu'il s'agit d'une construction turque récente". Pour Maundrell, un missionnaire fondamentaliste de la Compagnie du Levant, "turc" signifie "musulman" - et non : "ottoman". William Thomson, un missionnaire auteur de "La Terre et le Livre" (1859), fait remarquer que la "tombe" de Joseph, près de Naplouse, est bien connue des Musulmans de la région, qui en assurent l'entretien. De même, l'humoriste sceptique Mark Twain observe que la Tombe de Joseph est "construite à la manière des Musulmans". En faisant ces observations, les voyageurs ne faisaient preuve d'aucune sympathie particulière pour les habitants du coin, ni pour leurs traditions. En fait, beaucoup de voyageurs-pèlerins occidentaux exprimaient des vues proto-sionistes. Dans une ère où on ne savait pas grand-chose, ils ne pouvaient pas combler entièrement le fossé qui séparait leurs espérances des réalités du terrain. Ainsi, loin de considérer la Bible comme une tradition littéraire et comme la source d'un système de croyance, ils voulaient la remettre en vigueur en tant qu'histoire et projeter cette histoire fantasmatique sur la topographie régionale.
    Tous les voyageurs n'étaient pas obsédés, de la sorte, par la découverte ou l'imagination de la véracité des récits bibliques. Quelques-uns (très peu nombreux), comme Herman Melville, se sont aventurés au-delà des conventions afin d'expliquer l'origine des croyances religieuses sur la base de leur situation géographique. Nombreux étaient les observateurs à se garder d'établir des connexions littéralistes entre des lieux et des récits bibliques - ils arguaient souvent des incohérences entre certains de ces récits et la proximité bien pratique des sites (ou, comme avait conclu George Sandys, de "leur antiquité fabriquée"). Mais d'autres, plus crédules, ne purent s'empêcher d'avancer que les bergers et les paysans palestiniens ressemblaient à des héros de l'Orient biblique ! Pour ces idéologues enclins à trouver une preuve à tout prix,  quelle qu'elle fût, les villageois de la Palestine étaient les seules vestiges des temps anciens (bibliques) - et, par tant, ils étaient paradoxalement devenus invisibles en tant que personnes en chair et en os !  Nous pouvons encore trouver de tels stéréotypes surannés dans les prospectus touristiques vantant la "Terre Sainte", mais les médias se chargent d'en mettre de nouveaux en vigueur...
    1948 et 1967
    Tout ce qui a pu se passer au cours des décennies écoulées relève de la pire régression. Les traditions (ou superstitions) locales, sur bien des sites, ont été transformées en réalités politiques, d'un goût des plus douteux, sur le terrain. Après 1948, puis après 1967, à nouveau, le gouvernement israélien a pris le dessus et a commencé à revendiquer des sites comme la Tombe de Joseph, à Naplouse, et la Mosquée d'Abraham à Hébron, sous prétexte que leurs dénominations étaient associées à des récits bibliques. Les Israéliens ont converti ces "tombeaux" en enclaves armées, au milieu de zones palestiniennes. Ces "tombeaux" sont devenus, dans les faits, des avant-postes de l'occupation israélienne, d'où l'on peut contrôler les Palestiniens (et, le cas échéant, leur tirer dessus).
    En un reversement pervers des réalités, des sites qui étaient sacrés, quelques décennies auparavant seulement, pour les indigènes palestiniens étaient accaparés par les nouveaux venus israéliens, si bien que les tombeaux, devenus des forteresses, font désormais (d'une manière tout-à-fait paradoxale) l'objet de l'hostilité et de la frustration des Palestiniens... Ces "tombes" sont désormais l'enjeu de nouvelles querelles et de nouvelles morts. Protégés derrières d'énormes fortifications édifiées autour du "Tombeau de Rachel", de jeunes soldats israéliens tirent et tuent des jeunes Palestiniens lanceurs de pierres.
    Par tant, les officiels israéliens peuvent se targuer que des  "tombes" telles que celles associées à "Joseph" ou "Rachel" est "juive" et que les Palestiniens s'ingénient à les "transformer en mosquées" (voir, notamment : International Jerusalem Post, 20.10.2000). Les sites investis par l'armée israélienne sont, invariablement, des sites musulmans. Il n'y a pas d'exemple qu'un seul site chrétien ait jamais été revendiqué par Israël, en dépit du fait que leurs emplacements présumés pourraient être tout aussi pertinents avec les récits de l'Ancien Testament.
    Ces sites sont différents de ces quelques lieux (comme le Mur des Lamentations) qui sont attestés dans la tradition des petites communautés juives ou samaritaines, avant la politisation contemporaine de la situation. En effet, des Samaritains et des Juifs locaux n'ont jamais pensé une minute revendiquer ou même songé à contester des lieux comme la Tombe de Joseph. Leur  revendication par les Juifs et la velléité de ces derniers de les contrôler ont connu deux paliers d'exacerbation après la création de l'Etat d'Israël, en 1948, puis après l'occupation par ce dernier de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, en 1967. Par une étrange ironie de l'histoire, c'est le caractère tout à fait similaire des différentes traditions religieuses qui a permis à l'occupation israélienne de trouver opportunément les justifications de son contrôle sur ces sites...
    La situation comporte des contradictions plus sérieuses qui remontent à la surface lorsqu'on explore l'histoire de la détermination arbitraire des sites et la manière dont cette histoire remet en question des revendications littéralistes attachées à ces sites, de nos jours. Nul étonnement à ce que nous découvrions que ce qui est mis en oeuvre, aujourd'hui, par la domination, est tout-à-fait semblable à ce qui a été commis par d'autres autorités, il y a fort longtemps...
    Hélène et l'éradication du paganisme
    Comment certains sites sont-ils devenus "sacrés", d'ailleurs ? Hélène, la mère de l'empereur byzantin Constantin, est généralement vénérée pour avoir déterminé l'emplacement de nombreux sites bibliques, au quatrième siècle. Personne ne sait précisément quel rôle exact
    elle entendait jouer en "parvenant à trouver", mais les résultats sont bien établis. L'empereur Constantin ordonna que l'on construisît des églises sur ces différents sites, dans le cadre d'une campagne visant à éradiquer le paganisme : en effet, la plupart de ces sites avaient été des lieux de pratiques païennes. Les spécialistes savent, de nos jours, que l'église du Saint Sépulcre est construite à l'emplacement d'un temple dédié à la déesse Vénus. En plus de sites tels le tombeau du Christ et le lieu de sa crucifixion (le Golgotha, NdT), Héléne est réputée avoir identifié celui où avait été enterré Abraham (à Mamre), environ deux mille ans après la date supposée de cet événement, d'après les sources bibliques. Pour plusieurs de ses "enquêtes", Héléne s'appuya sur des traditions locales, des superstitions et, à défaut, l'invention pure et simple. Les spécialistes, de nos jours, insistent sur le fait avéré que le site de Mamre continua à attirer des sacrifices païens, même après qu'une basilique eût été édifiée sur cet emplacement. Au début du cinquième siècle, Saint Jérôme admit qu'un autre site, à Bethléem, vénéré pour ses associations avec la Vierge Marie et la naissance du Christ, était le lieu-même où les femmes de la localité venaient, dans le passé, se lamenter pour honorer le souvenir du dieu Adonis (ou Tammuz).
    Le paganisme ancien
    Aujourd'hui, nous pouvons aller plus loin. Il existait un paganisme plus ancien, encore plus originel. Les études spécialisées ont soulevé des questions fondamentales sur la véracité des récits bibliques, questions basées sur les découvertes archéologiques et le décryptage de textes - de beaucoup - antérieurs à la Bible. Les contradictions et les inconsistances se multiplient lorsqu'on veut bien considérer la Bible comme un récit historique, plutôt que comme une tradition littéraire. Le travail de certains chercheurs (Keith Whitelam, Thomas L. Thompson, Lester Grabge, Donald B. Redford, pour ne citer que certains d'entre eux) a mis au jours des doutes irrévocables sur la question de savoir si David a jamais existé en tant que roi réel et si la "conquête" décrite dans "Josué" a jamais eu lieu. Le récit de l'Exode n'est rien de plus qu'une tradition culturelle cananéenne, que les "Israélites" ont faite leur. Ce qu'on appelle la "Tour de David", à Jérusalem, n'a rien à voir avec David, elle a été construite beaucoup plus récemment.
    Les relevés archéologiques ne confirment aucunement les récits bibliques (pas plus qu'ils ne les infirment). Il y a une évidence encore plus probante, c'est celle qu'à de nombreux récits, dans les écrits monothéistes, correspondent des copies quasi-conformes dans les littératures paléo-mésopotamiennes, paléo-ougaritique, ou dans d'autres littératures régionales de haute époque. Ainsi, la Bible peut être plus exactement définie comme une adaptation d'un héritage littéraire plus ancien de la région. "Yahweh" trouve ses origine dans l'un des dieux du temps (météorologique) du panthéon cananéen : c'est ce que nous révèlent des inscriptions mises au jour récemment. Des traductions plus attentives, par exemple, de certains psaumes et d'Exode 6:2-3 donnent la confirmation intra-biblique de ces avancées archéologiques.
    Le Temple
    L'un des principaux brûlots qui aient mis à feu les événements actuels est le complexe de la Coupole du Rocher, à Jérusalem (appelé également  "Mont du Temple", ou "Mont Moriah"). De premières informations indiquèrent qu'Ariel Sharon avait l'intention de déposer la pierre angulaire pour la fondation d'un "troisième temple" au cours de sa visite provocatrice sur le site. Auparavant, plusieurs attaques, très graves, avaient été commises par des extrémistes déterminés à détruire la Coupole du Rocher. Certains médias israéliens appellent à construire un temple juif à la place de la Coupole d'Omar et de la mosquée Al-Aqsa (voir, par exemple, Ha-Aretz, 17 septembre 1998 ; 20 décembre 2000 ; 7 janvier 2001). Il n'en reste pas moins que la Coupole du Rocher occupe toujours sa place de choix dans les affiches de l'office de tourisme israélien...
    Que cela déplaise à certains, ou non, la Coupole du Rocher est un centre pour la vénération des Musulmans. C'est aussi une merveille architecturale. Son histoire appartient au domaine de l'histoire documentée, elle remonte au septième siècle après Jésus-Christ, à l'époque où l'Islam parvint à Jérusalem. Le khalife musulman commanda la construction de la Coupole dans une zone dont des témoignages nous enseignent qu'elle était alors inhabitée (bien que cet endroit ait vraisemblablement présenté d'autres résonances religieuses qu'il est difficile d'identifier aujourd'hui). Les témoignages diffèrent pour ce qui est de savoir qui, dans la population locale, a conseillé le khalife dans le choix de son emplacement. A ce sujet, il semble bien qu'il y ait une certaine compétition entre les sources chrétiennes et juives, qui résulte d'animosités opposant ces deux groupes au cours des siècles antérieurs : les Romains, puis les Chrétiens byzantins, avaient interdit aux Juifs d'habiter à Jérusalem depuis des centaines d'années. (On peut se demander, dès lors, comment l'emplacement d'un ancien temple pourrait bien avoir été conservée pieusement...) A en croire les sources chrétiennes et juives, les deux sectes avaient été engagées dans un jeu incessant d'expulsions et de massacres réciproques tout au long des occupations byzantine, puis perse, au cours des premières décennies du septième siècle...
    L'arrivée de l'Islam, à Jérusalem, en 638 après Jésus-Christ eut pour effet, de cela on est absolument certains, de créer une situation dans laquelle les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans vivaient ensemble comme un même "peuple du Livre" - en dépit de certaines déformations historiques qu'il ne coûte rien à certains d'invoquer. Les religions se développèrent et se succédèrent, à travers les siècles, sans affecter la continuité du peuplement indigène de la Palestine, qui hérita d'un legs de tolérance religieuse. Un nouveau paradoxe, étudié par Karen Armstrong, fut que lorsque les Musulmans conquirent Jérusalem, "ils invitèrent les Juifs à revenir dans la Ville Sainte et ne portèrent pas la main sur les sanctuaires, ni sur les quartiers, chrétiens" (The New York Times, 16 juillet 2000). Et en effet, ce n'est pas avant cette date qu'un quartier juif fut construit à Jérusalem...
    De sérieux dégâts ne se produisirent qu'après que des mouvements et des interprétations furent importés d'ailleurs, comme les Croisades, le Sionisme, les activités missionnaires, divers fondamentalismes chrétiens, musulmans et juifs. Ce n'est qu'une fois les droits d'usage et les appropriations politisés que les sentiments religieux s'exaspèrent et se polarisent et que la tolérance diminue ou disparaît complètement.
    Le Mur des Lamentations
    Le Mur des Lamentations est l'un des foyers de la vénération des Juifs. C'est le site associé à une mémoire ancienne, par excellence. En raison de la division de la Palestine, en 1948, il demeura inaccessible aux fidèles juifs d'Israël, jusqu'en 1967. Le Mur des lamentations semble être ce qui reste du Temple d'Hérode. Hérode construisit un "temple", durant la période romaine, que l'on désigne comme le "Second Temple". Mais le judaïsme d'Hérode fait encore l'objet de débats (il était originaire d'une tribu vivant à l'est du Jourdain), et certains juifs le dénient. Le temple d'Hérode a été totalement détruit au premier siècle après Jésus-Christ et le judaïsme a été exclu de la ville durant plusieurs siècles après sa destruction. On ne peut pas réellement prouver que le Mur ait un quelconque lien avec un temple, ou que le "temple" ait eu un quelconque rapport avec le complexe actuel de la Coupole du Rocher (alors que l'expression "Mont du Temple" impliquerait qu'il y en eût un). Les spécialistes ont pu établir que le "premier temple" (celui qui est attribué à Salomon) était un temple pré-monothéiste, dans lequel plusieurs dieux étaient révérés. A l'origine, ces dieux dérivés de croyances cananéennes étaient des dieux et des déesses, notamment les couples Asherah (la Mère des Dieux) - Le (le Père des Dieux), Anat - Baal et, plus tard, Asherah - Yahweh ("Jéhovah", NdT).
    Toutefois, personne n'a jamais remis en question, ou tenté de limiter, le droit pour les Juifs de vénérer le Mur et d'y pratiquer leurs rites. Personne ne revendique le Mur des Lamentations ni ne profère la menace de le détruire, contrairement à ce que fut le sort, au cours des trente dernières années, du complexe de la Coupole du Rocher (ou : Esplanade des Mosquées, NdT). D'autre part, les actes posés officiellement par Israël, comme les fouilles archéologiques, semblent avoir visé bien plus à porter atteinte aux structures émergentes qu'à trouver de quelconques éléments historiques dans les couches archéologiques sous-jacentes. Le gouvernement israélien a détruit plusieurs monuments situés à proximité du Mur des Lamentation - après avoir expulsé leurs occupants, le cas échéant - afin de libérer l'espace ("dégagement" du parvis du Mur = destruction du quartier - historique - des Maghrébins, NdT).
    L'Histoire est insondable
    La "Terre Sainte" a toujours été, de tous temps, une terre de diversité religieuse et ethnique. Dans l'antiquité palestinienne, la période cananéenne (couvrant les trois millénaires avant Jésus-Christ) a sans aucun doute été la plus riche en termes de culture matérielle et d'innovations pratiques (notamment, celle de la première écriture alphabétique). La Palestine a été soumise à de nombreuses mutations depuis lors. Elle en a hérité une grande diversité dans sa population, bien qu'elle ait été soumise à diverses formes d'hégémonie, civile et religieuse. Cette histoire et nos connaissances d'aujourd'hui étant ce qu'elles sont, il n'est plus crédible de continuer à maintenir des prétentions basées sur des notions exclusives de propriété ou d'identité et sur des assomptions démographiques monolithiques concernant les des populations disparues.
    La Palestine, comme le reste de la région du Moyen-Orient, est enracinée dans l'histoire - une histoire qui annonce des identités et des conflits plus récents. Toutes les traditions religieuses, dans la régions, sont nées et sont la continuation de croyances plus anciennes (y compris les différentes formes du paganisme), qui ont continué à exister même après l'établissement de la domination de religions monothéistes. La population palestinienne d'origine est la seule qui ait conservé les traditions et l'héritage culturel les plus anciens en raison de la permanence de sa présence sur les terres qui englobent aujourd'hui la "Palestine" et "Israël". A présent, authentifier quoi que ce soit semble bien être une préoccupation secondaire, on use - et on abuse - du littéralisme sans trouver beaucoup de résistance face à soi. Ceci crée une situation dans laquelle notre compréhension de l'histoire - l'histoire elle-même, en réalité - est en jeu. Ceci obère tout effort visant à construire une forme intégrative de compréhension humaine (inter culturelle et inter confessionnelle, NdT).
    Il y a des raisons parfaitement recevables de rester respectueux des symboles et des sensibilités traditionnelles. Mais ceci ne signifie en aucun cas que les gens doivent accepter de continuer à être trompés, ou réduits à ne rien dire, par des manipulations politiques et des conceptions étriquées de la tradition religieuse. Dans un tel contexte, il échoit aux Israéliens de remettre au goût du jour un système de connaissances et une historiographie à partir de laquelle ils ont élaboré leur discours national monolithique. La volonté manifestée par le ministre israélien de l'éducation d'introduire un programme d'histoire révisé était encourageante, mais une commission parlementaire de la Knesseth vient d'en empêcher l'officialisation (Ha-Aretz, 20 novembre 2000). Les Palestiniens, de leur côté, doivent dépasser les identités fracturées qui les divisent et reconnaître, plus utilement, leurs réelles connexions avec l'histoire ancienne.
    Tous les Palestiniens et les Israéliens désireux de s'entendre - et toutes les personnes avides de savoir - doivent rechercher une mémoire plus équilibrée, moins monolithique, de la signification de la Terre. Cette signification ne saurait être ni à courte vue, ni volontairement amnésique. Elle ne devrait pas plus être soumise au contrôle de quelque obsession négatrice de l'autre ni de quelque mythe fabriqué de toutes pièces. Les études philologiques peuvent contribuer à donner à l'histoire de la région ses dimensions réelles : c'est là le pas indispensable si l'on veut que le futur ait des fondations solides basées sur un niveau de véracité suffisant. Ce dont nous avons besoin, avant tout, c'est d'une historiographie dégagée de toutes scories, seule à même à contribuer à la mise en forme d'un futur plus harmonieux.
     
    Noury Saïd et la question de Palestine (1936-1943) par Zuhaïr al-Mukhkh
    in Al-Quds Al-Arabi du vendredi 12 janvier 2001
    [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
    Zuhaïr al-Mukhkh est un universitaire irakien résidant à Vienne.
    La Grande-Bretagne qualifiait Noury Saïd d'"extrémiste" et ses propositions pour un règlement du problème palestinien d'"irréalistes". L'homme politique irakien proposait l'établissement d'un royaume englobant l'Irak, la Jordanie et la Palestine, et d'y autoriser l'installation de deux millions de Juifs.
    Noury Saïd demeure une personnalité controversée dans l'histoire politique irakienne, et arabe. Il a servi le régime monarchique, établi d'excellentes relations avec les Britanniques, incarné ce que la politique arabe pouvait avoir de plus pragmatique et opportuniste. Tout comme sa biographie et son action politique, en Irak, font l'objet d'analyses et de discussions controversées, sa position sur la cause palestinienne et ses développements est soumise, de nos jours, à l'étude et à l'interprétation. Dans cette approche, l'universitaire irakien Zuhaïr al-Mukhkh présente une analyse basée sur les archives officielles britanniques et sur les diverses sources disponibles sur cette période historique, des sources qui nous éclairent sur le rôle joué par Noury Saïd dans la problématique de la Palestine. L'auteur considère Noury Saïd comme l'un des politiciens arabes les plus éminents à s'être préoccupés de la Palestine, à laquelle il s'est consacré pour des raisons pratiques, concrètes, qui ne doivent rien à l'obédience politique ou aux options idéologiques. Noury Saïd, en effet, considérait que la création d'un Etat juif en Palestine représentait un très grave danger pour les intérêts économiques de l'Irak. Il avait exprimé sa crainte que le port de Haïfa - débouché vital pour l'exportation du pétrole irakien - ne tombe aux mains d'un pays inamical. C'est de là que part notre chercheur irakien dans sa revue des principaux efforts déployés par le politicien irakien éminent, et des plans que celui-ci avait élaborés, alors, pour faire face à la situation.
    Différents efforts, au cours des dernières décennies, ont été déployés par des institutions ou des personnalités arabes et, dans une moindre mesure, étrangères, afin d'éclairer le rôle joué par Noury Saïd dans différents domaines, en se basant, globalement, sur l'étude des documents disponibles, publiés ou non, ou en adoptant la forme du récit biographico-chronologique de la vie de cette haute personnalité. Il reste que la nature particulière de la période considérée, avec ses événements précipités et ses contradictions évidentes, constitue, en elle-même, la première difficulté à se dresser devant quiconque a le courage de s'attaquer à l'étude de telle ou telle facette des idées et des initiatives de Noury Saïd. En effet, le comblement des nombreuses solutions de continuité (nombreuses, mais aussi ; imbriquées les unes dans les autres) est très difficile. En effet, les archives personnelles de Noury Saïd ne sont pas toutes disponibles. De plus, si beaucoup d'informations existent sur son action tandis qu'il occupait la position du décideur, elles ne donnent qu'une faible lueur sur tel ou tel aspect du rôle joué par notre homme d'Etat, en coulisse, lorsqu'il en était écarté. Ceci amène l'analyste, dans bien des cas, à procéder à des comparaisons, des analyses, des extrapolations, mais aussi, parfois, à recourir à l'intuition - pour ne pas dire : à un certain impressionnisme - pour interpréter les mobiles de Noury Saïd en telle ou telle occurrence. Ajoutons à cela que l'étude d'une personnalité de l'envergure de Noury Saïd, à qui il fut donné de jouer un rôle central dans la recherche d'une solution à la question palestinienne, est une entreprise qu'entourent d'énormes difficultés, dont son contemporain Tewfiq al-Suwaïdi avait sans doute pleine conscience lorsqu'il affirmait : "le biographe de Noury aura bien des difficultés à cerner les contradictions dans lesquelles il se débattait..."
    On peut remarquer qu'une unanimité se fait sur le rôle central joué par Noury Saïd, cet homme ayant été sans doute le plus actif, parmi tous les hommes politiques arabes de son temps, dans la recherche d'une issue à l'impasse palestinienne, à un point tel que d'aucuns pensent, à juste raison, qu'il était "l'homme providentiel" dans ce domaine. On peut dire, à ce sujet, que plusieurs facteurs ont contribué, à des degrés divers, à amener Noury à s'intéresser à la question de la Palestine, dont certains n'avaient rien à voir avec des calculs politiques à courte vue, et notamment : le fait, tout d'abord, que la création d'un Etat juif en Palestine était considéré comme un grave danger pour l'économie irakienne ; c'est ce qu'indique un communiqué de l'ambassade britannique à Bagdad mentionnant que l'intérêt de Noury Saïd pour la Palestine n'avait rien d'"académique" ou d'"idéologique", mais qu'il s'agissait d'un intérêt tout-à-fait pragmatique. Il considérait, en effet, la Palestine comme le port naturel (de l'Irak) sur la Méditerranée, comme une fenêtre commerciale absolument indispensable, en particulier pour l'exportation du pétrole irakien. C'est pourquoi Noury était très soucieux de la possibilité que le port stratégique de Haïfa ne tombât sous l'influence ou sous le contrôle direct d'un état "inamical". Ensuite, l'Irak était légitimement fondé à intervenir dans la recherche d'une solution à la question palestinienne, sur la base des déclarations de Noury Saïd, jamais démenties, visant à définir le rôle de l'Irak dans le cadre régional, d'une part, et sur les conséquences que la question palestinienne ne manquait pas d'avoir sur la situation politique interne, en Irak. Il pensait que le règlement de la question palestinienne pourrait épargner des troubles dont pourraient avoir à souffrir les Juifs irakiens, empêchant l'incendie d'atteindre le coeur de l'Irak et d'autres régions, permettant de sauvegarder la paix civile dont jouissait le pays. Enfin, son intérêt pour la cause de la Palestine était, pour Noury, à défaut d'autre chose, une sorte d'assurance de conserver le pouvoir, lorsqu'on connaît la passion manifestée par les Irakiens pour elle. Son comportement, en la matière, venait corroborer, dans une large mesure, la nature des relations qu'il entretenait avec le bloc nationaliste - à l'intérieur comme à l'extérieur - de l'armée irakienne.
    Les prémisses de la relation avec la Palestine
    Quoi qu'il en soit, l'année 1934 marque l'entrée en scène de Noury Saïd dans la lutte résultant du problème de la Palestine et des nombreux événements qu'il suscita. En septembre de cette année-là, Noury représente son pays en sa qualité de ministre des affaires étrangères à la Commission Arabe hexapartite que devait rencontrer la "Ligue des Nations", afin d'étudier les attendus de la question palestinienne. Toutefois, son rôle sur le terrain palestinien ne devait s'affirmer pleinement qu'un peu plus tard, particulièrement au cours de la révolution palestinienne de 1936. C'est en juin de cette année 1936 qu'il rencontra, mandaté personnellement par le Premier ministre irakien Yasin al-Hashimi, le président de l'Agence juive, Hayim Weissmann, pour lui présenter deux propositions, dont la première demandait à l'organisation sioniste de mettre un terme, d'elle-même, à l'"immigration juive" en Palestine, tant que la Commission royale d'enquête britannique, chargée par le gouvernement anglais d'enquêter sur les troubles, n'aurait pas rendu son rapport, appuyant sa plaidoirie sur l'effet très important que cette mesure aurait sur l'opinion publique arabe, ce qui contribuerait grandement à "calmer la situation" en Palestine. La seconde proposition visait à préparer les Juifs à accepter, fût-ce implicitement, "une situation dans laquelle ils constitueraient une minorité au sein d'un pays arabe". Il n'est pas douteux que les ambiguïtés qui ont entouré la rencontre en Noury et Weissmann étaient fort nombreuses, et elles ne doivent pas échapper à notre attention : l'idée qui prévaut est que tous les hommes politiques, ses contemporains, ont tous, sans exception, tenté de surenchérir sur ses propositions, d'une manière ou d'une autre. Le résultat fut que la rencontre se conclut sur une ambiguïté totale. Tandis que Noury était ressorti de la rencontre avec l'impression générale que le leader sioniste ne faisait aucune objection à sa proposition d'arrêter l'immigration juive en Palestine, ne fût-ce que temporairement, Weissmann rejetait catégoriquement, de son côté, les propositions que Noury avançait de bonne foi, si bien que les deux hommes se séparèrent dans une atmosphère de tension, à couper au couteau... Cela ne dissuada nullement Noury Saïd de poursuivre ses efforts de médiation, en vue de trouver une issue à la crise. Ainsi, il rencontra, à Bagdad, tant le Roi Ghazi que le Premier ministre Yasin al-Hashimi et l'ambassadeur de Grande-Bretagne à Bagdad, Sir Archibald Clarck, afin d'étudier le rôle qu'il pouvait jouer en tant que médiateur, pour mettre fin à la grande grève palestinienne de 1936. Et, en effet, Noury se rendit à Jérusalem, le 20 août 1936, au plus fort des événements violents, parfaitement conscient de l'importance du rôle de médiation dont il était porteur, dans la recherche d'une issue. Il entreprit ses rencontres avec les membres de la Haute Commission Arabe Palestinienne, qui se poursuivirent quatre jours durant. Il y posait des questions, analysait les données sur la situation régnante et recensait les dangers potentiels dont chaque pas pouvait être porteur, recherchant les moyens les plus assurés de parvenir à un règlement. Noury espérait parvenir, à travers sa démarche, à des résultats pratiques. Mais il semble qu'il ait été pris en tenaille entre deux complexes de revendications palestiniennes et britanniques, qu'il lui était extrêmement difficile de concilier. Il ne trouva pas d'autre solution que de "couper la poire en deux". Au cours de sa rencontre avec des membres de la Haute Commission Arabe, il avait affirmé sans ambages l'impossibilité pour eux de mener des négociations directes avec les autorités du mandat britannique, pour deux raisons principales, la première étant le fait que "le gouvernement britannique ne pouvait pas apparaître comme vaincu aux yeux de tout le monde", et la deuxième, que ce même gouvernement britannique avait annoncé "qu'il enverrait une mission royale d'enquête sur la plainte des Arabes, et qu'il convenait d'attendre la publication de son rapport avant de pouvoir proclamer notre avis à son sujet". Noury avait poursuivi : "dans les circonstances présentes, ce serait déjà assez si le gouvernement britannique acceptait la médiation et l'intervention de l'Irak, d'une manière officielle, basée l'exigence de la satisfaction des revendications légitimes des Arabes de Palestine sans conditions ni limitations, pour l'immédiat, et à l'avenir". "Cela est de nature à apporter une garantie au gouvernement irakien et aux Arabes de Palestine qu'il pourront mettre en oeuvre une politique nouvelle, dont les modalités seront fixées dans un avenir prochain".
    Une politique qui satisfait tout le monde, mais ne réjouit personne
    Les circonstances ne permettaient à Noury qu'une seule attitude : poursuivre une politique qui, si elle satisfaisait tout le monde, ne réjouissait personne, visant essentiellement à limiter les dangers redoutés, dans la mesure du possible. A cet effet, il envoya une lettre personnelle aux membres de la Haute Commission Arabe dans laquelle il assura que le gouvernement irakien, ressentant intimement les liens nationaux qui unissent les deux peuples irakien et le peuple arabe de Palestine, considère qu'il est de son devoir de tenter une médiation efficace entre ce dernier et le gouvernement britannique, afin de mettre un terme à la situation actuelle en Palestine". La lettre de Noury comportait deux propositions dont la première était que la Haute Commission Arabe "prenne toutes les dispositions nécessaires afin de mettre un terme à la grève et aux troubles actuels", la seconde étant que le gouvernement irakien intervienne auprès du gouvernement britannique "afin de satisfaire aux revendications légitimes des Arabes de Palestine et qu'il prenne à cet effet toutes les dispositions nécessaires afin d'assurer la satisfaction des revendications déjà mentionnées, que celles-ci résultent du mouvement (social) en cours en Palestine ou de tout ce qui y a trait à la situation politique générale".
    Conformément à ce cadre général, Noury Saïd proposa les délinéaments d'un projet de solution dans lequel il insistait sur la possibilité que le gouvernement irakien "saisisse l'opportunité" de la grève générale afin d'augmenter son prestige diplomatique aux yeux du gouvernement britannique "en soutenant les revendications des Arabes de Palestine, qui sont légitimes, d'une manière déclarée, non pas seulement pour la durée des troubles actuels, mais bien après leur résolution, afin que se réalisent progressivement les objectifs des nationalistes palestiniens, et qu'on ne les abandonne pas, seuls, face à la grande puissance qui se tient aux côtés des Sionistes"; et également sur la possibilité pour le gouvernement irakien de tenir une place sur la scène internationale "qui lui permette de mettre en pratique ce soutien", que le gouvernement britannique lui reconnaisse cette place "dans toutes les circonstances tant actuelles que futures", bien mieux : Noury considérait que l'issue pratique de la crise passait par "la proclamation de l'arrêt de l'immigration sioniste tant que ne sera pas déterminée la politique nouvelle", proclamation à laquelle s'ajoutait la "compensation des pertes en vies humaines et en biens matériels subies par les Palestiniens". Il affirmait également la nécessité de "soutenir les revendications des nationalistes (palestiniens) lors de la visite de la commission royale (britannique) d'enquête et que le gouvernement irakien leur apporte son appui" : il exigeait, à cette fin, la mise sur pied d'une "délégation dirigée par un représentant du gouvernement irakien, dont les membres seraient Palestiniens, et dont l'objectif serait de soutenir les revendications des Arabes de Palestine et une nouvelle politique à Londres, en tenant cette nouvelle politique à l'abri des pressions des Sionistes dans cette capitale".
    La situation semblait à Noury assez favorable, il était même optimiste quant au succès de sa mission, convaincu que le gouvernement mandataire ordonnerait l'arrêt de l'immigration juive tant que les affrontements n'auraient pas cessé. Mais lorsqu'il apprit que ses propositions n'avaient pas suscité une réponse unifiée des membres de la Haute Commission Arabe, il redouta que les discussions ne s'enlisent dans ce qui ressemblait fort à des sables mouvants, et qu'elles ne finissent par créer de nouveaux problèmes qui n'étaient certainement pas, selon ses propres termes "de l'intérêt du peuple de Palestine". Face à cette situation, il affirma "qu'il valait mieux pour eux (les membres de la Haute Commission Arabe) conserver l'unanimité qui les réunissait, qui était un moindre mal, plutôt que de suivre une voie qui les amènerait à la division, tout particulièrement dans les circonstances présentes" et, sur cette base, les négociations se poursuivirent entre les deux parties irakienne et palestinienne, pour aboutir à une compréhension mutuelle totale. On tomba d'accord pour souscrire - à l'unanimité - à un communiqué que la Haute Commission Arabe publia le 30 août, préconisant l'intervention du gouvernement irakien. Mais la Haute Délégation Arabe précisait, pour sa part, que la grève générale se poursuivrait sine die.
    En dépit de ces avancées encourageantes, et malgré la prudence de Noury Saïd, son réalisme et sa patience, sa médiation se heurta à une fin de non-recevoir du gouvernement britannique. De plus, les milieux britanniques concernés exprimèrent, dans leurs documents secrets, leur irritation extrême devant les propos contenus dans le mémorandum de Noury adressé à la Haute Commission Arabe, en ce qui concerne l'intervention officielle de son pays en soutien aux revendications, qualifiées de "légitimes", des Palestiniens. Ils considérèrent ces faits comme, tout à la fois,  "un grave défi lancé aux Juifs" et "une provocation directe aux autorités mandataires". Bien plus, on peut lire dans ces archives secrètes : "Noury Saïd est allé trop loin en acceptant qu'on lui demande d'intervenir à titre personnel et non à titre officiel : il apparaît ainsi, désormais, (personnellement) comme le représentant de l'Irak". Ces milieux britanniques relevaient qu'il était clair "que Noury utilisait la situation actuelle afin de réunir le plus de probabilités possible pour une intervention irakienne future dans les affaires internes palestiniennes, et afin de faire le lit de ses visées arabes générales".
    Durant toute cette période, Noury mobilisa toutes ses forces afin de ne pas décevoir les attentes (nombreuses) dont il était investi, et de ne pas céder au diktat britannique. Dans un mémorandum qu'il envoya au Premier ministre (irakien), le premier septembre 1936, il déclare ne "pas avoir digéré l'arrêt des dirigeants britanniques", mieux, "avoir exercé des pressions sur le Haut Commissaire britannique", afin de le pousser à adopter une politique nouvelle "en faveur d'une médiation irakienne officielle", politique qu'il décrivit comme comportant "grosso-modo les lignes générales exposées dans mon précédent communiqué". Mais la présidence du conseil irakienne ne partageait pas l'enthousiasme de Noury Saïd : elle manifesta un recul évident face à la pression britannique, en demandant des explications au cours d'une rencontre organisée entre le représentant du ministre des affaires étrangères irakien et le chargé d'affaires britanniques à Bagdad, le 30 août 1936, rencontre qui a tourné autour de la possibilité pour Noury de poursuivre sa médiation en vue de rechercher une issue à l'impasse palestinienne, ainsi qu'autour de la possibilité d'envoyer une mission diplomatique irakienne à Jérusalem.
    Noury Saïd et Herbert Samuel
    Les espoirs de Noury ne se sont pas évanouis d'un seul coup, et il ne cessa pas de poursuivre ses efforts. Ainsi, il mit la cause palestinienne sur la table dans tous les cercles politiques. En octobre 1936, il rencontra à Paris le Haut Commissaire britannique précédent, Herbert Samuel. Au cours de cette rencontre, ce dernier demanda à Noury d'"accepter d'être médiateur dans ce conflit", mais en tant qu'"ami" (du peuple palestinien) et non en sa qualité de "ministre". Il semble que Noury ait refusé, tout au long de cet entretien, d'accepter cette proposition, mais qu'il ait senti, en revanche, que les circonstances devenaient de plus en plus favorables à l'exposition de son point de vue, de manière exhaustive et approfondie, sur le coeur de l'impasse palestinienne, c'est pourquoi il réaffirma que l'attitude (britannique) consistant à faciliter l'immigration des Juifs (en Palestine) commençait à entrer en contradiction avec les attendus de la "promesse Balfour" eux mêmes. Il indiqua également que la question de la levée des barrières douanières entre les pays arabes devait excepter la Palestine, car cette mesure ne pouvait que profiter d'une manière ou d'une autre aux industries juives, de création récente, dans les circonstances de l'époque. Bien plus : Noury n'a pas laissé échapper l'occasion d'utiliser cette rencontre pour présenter son projet, qui comportait les conditions préalables suivantes : arrêt de l'immigration juive en Palestine, annonce d'une amnistie générale en gage de "bonne volonté"des autorités britanniques envers les Arabes, compensation aux Arabes palestiniens des pertes subies au cours des opérations militaires. Le projet de Noury comportait, également, l'établissement d'une union fédérale, sur le modèle du Commonwealth britannique, qui rassemblerait aux côtés de l'Irak la Transjordanie et la Palestine, confédération dans laquelle chaque pays membre jouirait de son indépendance, à l'instar des membres du condominium britannique, et les Juifs obtenaient, dans le cadre de cette confédération, une sorte de "quota" ou de "parité" de population, équivalant à 7 Arabes pour 4 Juifs. Aux yeux de Noury Saïd, son plan comportait plusieurs avantages, parmi lesquels, à titre d'exemple, et non exhaustivement, celui de garantir les Arabes contre une hégémonie juive en Palestine, si les portes de l'immigration devaient être grand ouvertes aux Juifs, et si on leur accordait une superficie d'un demi-million d'hectares en Palestine, comme le revendiquait le président de l'Agence juive Hayim Weissmann. Parmi les avantages de son plan, Noury citait également la protection des intérêts de la Grande-Bretagne, résultant de la garantie du maintien du mandat britannique sur la Palestine.
    Naturellement, le sort des idées et des dernières propositions de Noury ne fut pas meilleur que celui des précédentes, car elles furent "dépassées" par les événements qui suivirent l'entrée des troupes britanniques dans la répression et les engagements militaires avec les révolutionnaires palestiniens. Mais l'homme s'efforça, de son côté, de prendre des mesures d'urgence pour unifier les efforts diplomatiques de l'Irak, de l'Arabie Saoudite et du Yémen, afin d'exercer des pressions sur le gouvernement britannique en vue de trouver une issue équitable à la crise. Mais un coup d'état militaire, survenu à Bagdad le 29 octobre 1936, lui empêcha de poursuivre la réalisation de son nouveau projet.
    Le gouvernement putschiste de 1936 et la Palestine
    Il semble que le gouvernement putschiste ait adopté lui aussi des positions correspondant point pour point à celles de Noury Saïd, qu'il essayait de "vendre" aux parties concernées par le problème palestinien. Il semble, de même, que l'action diplomatique du gouvernement de Hikmet Suleïman, dans ce domaine, ait été la copie conforme, dans une large mesure, des efforts diplomatiques de Noury. Ainsi, en avril 1937, le gouvernement irakien annonça son opposition déterminée au projet de partage de la Palestine, et il présenta un memorandum au gouvernement britannique, trois mois avant la publication du rapport de la Commission royale d'investigation, memorandum dans lequel il mettait en garde contre les dangers d'une telle partition. Le gouvernement irakien demandait au gouvernement Britannique de prendre l'initiative de créer les institutions requises par l'autonomie, "en vue de faire de la Palestine un pays libre et souverain". Après la publication du rapport (de la Commission d'investigation), le ministre irakien des affaires étrangères, le Docteur Naji al-Asil, envoya un mémorandum à ce sujet à la Ligue des Nations. Mais un communiqué britannique spécial indiqua que le projet présenté par le ministre des affaires étrangères du gouvernement putshiste irakien pour le règlement du problème palestinien n'était, lui aussi, qu'une copie conforme des thèses connues de Noury Saïd, qui insistait sur la "constitution d'une confédération rassemblant la Palestine, la Transjordanie et l'Irak".
    Le coup d'état militaire ne dissuada nullement Noury Saïd de poursuivre son action depuis son exil, mais il dut le faire, désormais, dans des circonstances objectivement peu favorables, ce qui n'entama pas son enthousiasme, ni ses capacités imaginatives. Un télégramme des services spéciaux britanniques mentionne la poursuite par Noury de ses efforts en vue de trouver une solution à la question palestinienne. Et en effet, à peine avait-il remis les pieds en Irak qu' il reprit son action en ce sens, mais muni, cette fois, d'une vision nouvelle, qu'il exposa, en septembre 1937, au secrétaire d'Orient, à l'ambassade de Grande-Bretagne au Caire (il n'était pas au pouvoir, à cette date). Sa nouvelle vision comportait des réponses aux recommandations de la Commission Peel (britannique), dont il considérait qu'elle ne pouvait obtenir comme résultat que celui d'attiser, de plus en plus, les braises de la haine entre les Arabes et les Juifs. Les réponses de Noury consistaient en la levée du mandat britannique sur la Palestine, la partition du pays en trois unités fondamentales : la première unité comprenait la plaine côtière et la Galilée : un gouvernement autonome juif y serait installé ; la deuxième unité territoriale englobait Jérusalem, avec un couloir la reliant à la Méditerranée, sous contrôle britannique, et la dernière, enfin, composée du reste de la Palestine, serait annexée à l'émirat de Transjordanie. Ainsi aurait cessé tout prétexte à compétition et à conflictualité de tous contre tous. Noury considérait aussi ce projet de solution comme visant à établir un Etat national pour les Juifs en Palestine mais, cette fois, d'une manière acceptable pour les Arabes, surtout si la Palestine et la Jordanie voulaient bien se joindre à l'Irak pour passer certains compromis, indispensables, avec les Juifs.
    Même si les mobiles étaient différents, la position britannique sur les propositions de Noury ne différa pas beaucoup des précédentes. Dans un rapport secret télégraphié par l'ambassade britannique à Bagdad au ministère des colonies, à Londres, celle-ci exprimait son opposition résolue à la proposition de Noury de se rendre en Jordanie et en Arabie Saoudite afin d'y mener des pourparlers sur la question de Palestine, considérant que "Noury est un extrémiste" sur cette question, et qu'il prône "un plan qui est totalement irréaliste" pour ce qui est des solutions à y apporter.
    En réalité, Noury Saïd était pris entre deux refus : le refus des Britanniques et celui des Juifs. La position de ces derniers n'était en rien affaiblie, au contraire : elle ne faisait que se renforcer, s'organiser, gagner en influence. Ceci l'amena à constater, avec une amertume et un réalisme mêlés, au début de 1938 : "la crainte principale des Arabes, c'est celle que la Grande-Bretagne n'ait l'intention secrète d'établir un Etat juif en Palestine dans lequel le nombre des Juifs serait supérieur à celui des Arabes... " A ce sujet, Noury semblait douter de la possibilité de trouver un quelconque règlement au problème palestinien, en dépit des efforts britanniques allant en ce sens. Il prit conscience que la promesse Balfour et le projet de partition étaient la pierre angulaire de la politique de la Couronne. Et afin de ne pas devenir la proie du sentiment que les choses lui échappaient et qu'il était dépassé par les événements, il se rendit à Londres, le 11 novembre 1938 et il y mena de multiples rencontres avec certains des plus hautes personnalités politiques britanniques..Ainsi, au Ministère des affaires étrangères, Noury rencontra George Randal et il lui proposa de modifier la promesse Balfour, afin que la création d'un foyer national spirituel et culturel pour les Juifs en Palestine soit accompagnée d'une limitation de l'immigration juive vers ce pays. Noury évoqua, au cours de rencontre avec d'autres hauts responsables britanniques, ses craintes devant l'augmentation du nombre des immigrants juifs en Palestine, et en particulier l'afflux de Juifs provenant d'Europe centrale, et fit part de "son profond pessimisme" quand à l'idée de la partition, affirmant ouvertement "le refus catégorique des Arabes de Palestine de devenir une minorité dans leur propre pays" et qu'ils "ne pouvaient accepter de concéder, dans les faits, une partie de la Palestine aux Juifs". Il insista également sur la nécessité de conserver la souveraineté arabe sur la Palestine, dont les habitants ne feraient pas d'objection, cette souveraineté étant garantie, "à l'existence d'une minorité juive dans cette partie du pays dont il est suggéré à l'heure actuelle qu'elle devienne à l'avenir un Etat juif". Il proposa un projet alternatif, comportant "la présence d'une minorité juive non séparée en Palestine, à laquelle seraient garantis les droits naturels d'une minorité qui pourraient prendre, à l'avenir, la forme d'une autonomie".
    Au Caire, Noury redoubla ses tentatives visant à rapprocher les différentes conceptions de solution. Ainsi, le 13 janvier 1938, il rencontra l'ambassadeur britannique, Handel James, afin d'éviter le pire, il exprima sa conviction que la situation en Palestine était "dans l'impasse : c'est pourquoi toute solution, pour avoir quelque chance d'aboutir, devra partir de nouvelles prémisses, d'une manière ou d'une autre", qu'il s'agît de la considérer comme "un casus separatus" ou qu'on l'envisageât comme "partie de la question de la création d'une confédération arabe dans la région". Afin de rendre cela possible, il proposa la "tenue d'un congrès international, dans un pays neutre, qui réunirait des représentants de toutes les parties concernées". Mais Noury fit également un ensemble de propositions au sujet de l'immigration juive en Palestine, de l'établissement d'un état dans cette dernière, qui se ramenaient à "apporter certaines modifications au projet juif visant à autoriser une immigration juive illimitée", les modifications mentionnées devaient comporter le plafonnement du nombre des Juifs, en Palestine, à cinquante pour cent de la population totale, "quels que soient les cas de figures, et sans dépassement possible".
    Noury expliqua que cette limitation visait seulement à rendre "l'immigration (juive) acceptable pour les Arabes". Il exigea, de plus, que cette limitation soit formulée de manière officielle afin de dissiper le "sentiment de désespoir" qui s'était emparé des Arabes à cause de leurs craintes que la politique britannique ne finisse par "les soumettre totalement aux Juifs dans toutes les régions de la Palestine". Il semble que Noury ait évoqué également, au cours de la même réunion, ses idées sur l'établissement d'une entité politique juive en Palestine, car l'ambassadeur britannique considéra que "Noury était convaincu que les Arabes, d'une manière générale, ne feront aucune objection à un Etat juif, tant qu'il ne s'agit pas d'un projet aboutissant à une main-mise totale des Juifs sur la Palestine". Noury a indiqué, à ce propos, que la "promesse Balfour" ne comportait, dans son essence, "aucun engagement à établir un Etat juif", mais qu'elle faisait seulement mention d'"un foyer national juif en Palestine".
    Noury défendit, au Caire et à Londres, avec beaucoup d'intelligence et de brio ses visions sur une solution, mais les autorités britanniques ne les prirent pas au sérieux : il tenta alors de justifier et d'expliciter sa position aux yeux des dirigeants palestiniens, mais il souleva une controverse aigue et complexe au sujet de la confédération qu'il proposait, à laquelle on opposait la formation d'un gouvernement national indépendant en Palestine, et il rappela, à nouveau, que la solution ne pourrait être imposée par la force ou sous la contrainte, ni en accumulant les conditions préalables. Elle ne pouvait provenir que de la conjonction des volontés. Il n'était pas nécessaire de réaliser un consensus unanime, mais il était indispensable de parvenir à une majorité mixte, palestinienne et juive. Ainsi, lorsque Noury rencontra le mufti, il lui demanda d'abandonner "les négociations avec la partie juive", car, de son point de vue, il n'était d'aucune utilité d'étudier les aspects secondaires du problème. Mais il considérait, en même temps, que la constitution d'un gouvernement nationaliste indépendant en Palestine était "prématurée", voire même "irréalisable", si l'on n'accordait pas aux Juifs "certains privilèges, afin de les tranquilliser" dès cet instant. Il était d'avis que l'arrêt de l'immigration juive "était le souhait de tout le monde". Il pensait qu'il était préférable de se montrer conciliant à leur égard en matière de privilèges accordés localement, d'autant plus qu'il serait garanti que ces privilèges ne sauraient porter atteinte à la souveraineté de l'Etat. Il déclara également que la constitution d'un gouvernement national, "sans accorder aucun privilège particulier représente notre revendication maximale, mais que cette revendication est irréalisable, pour peu que nous soyons réalistes et ne cherchions pas à nous bercer d'illusions. A moins que les Arabes ne soient assez forts pour l'obtenir". Au cours d'une rencontre avec le leader palestinien Awdi Abd al-Hadi, au Caire, le 14 janvier 1938, Noury se montra ferme sur ses positions appelant à l'unité entre la Palestine, la Transjordanie et l'Irak "sous la souveraineté du roi Ghazi (d'Irak)", à la condition expresse que soit fixé un plafond à l'immigration juive et aux privilèges à accorder nécessairement à la minorité juive, on permettrait ainsi à deux millions de Juifs de venir s'établir dans le royaume ainsi proposé, en sus des Juifs qui y résidaient déjà.
    D'une manière générale, les avancées de Noury Saïd étaient perçues comme sans surprise et même ennuyeuses, comme s'il se fût agi de meubler l'attente de qui saurait renverser la table pour parvenir à une solution. A la fin du mois de mars 1938, Noury Saïd se rendit une nouvelle fois à Londres, où il resta quelque temps, menant des conversations avec un certain nombre de responsables britanniques et insistant sur la nécessité que la Grande-Bretagne soit prête à faire des concessions essentielles face aux exigences arabes. Malgré le refus britannique, Noury ne fut pas désespéré, il conservait l'espoir de soulever la question au congrès de la "table ronde", que Londres s'apprêtait à organiser, en mettant les bouchées doubles, d'autant plus que le gouvernement britannique avait abandonné, pour un temps, tout du moins, l'idée du partage de la Palestine...
    Noury considérait, à juste titre, que la simple tenue de cette table ronde représentait, en elle-même, un choc psychologique salvateur, de nature à créer une certaine dynamique dans le sens d'une compréhension mutuelle. Mais, par contre, il tentait de persuader tous les protagonistes de donner leur agrément à un plan de travail basé sur le projet "New Camp" révisé, afin de demander un règlement de la question palestinienne. Ce projet préconisait, entre autres choses, l'établissement d'un Etat palestinien dont la souveraineté comporterait les droits de tous et accorderait de larges prérogatives aux différentes communautés (religieuses), sans exception, dans le cadre du mandat britannique.
    Ainsi, l'espace d'action laissé à Noury Saïd devint extrêmement étroit. Au Caire, où il était arrivé à la fin d'octobre 1938, à la demande du gouvernement Al-Midfa'i, il effectua de vastes tours d'horizon avec les deux parties concernées : les Arabes et les Britanniques. Le gouvernement britannique ayant déclaré au préalable son refus de reconnaître la représentativité de la "Haute Commission Arabe" au congrès, Noury Saïd dut rencontrer le Ministre plénipotentiaire britannique au Caire, Charles Batman, auprès duquel il insista sur la nécessité de donner la possibilité au (mufti de Jérusalem) al-Hajj Amin al-Husseïni de "présenter à ce sujet une autre proposition pratique" qu'il considérait comme une issue convenable, et qui stipulait que la représentation des Palestiniens se limiterait aux quatre partis légalisés dont se composait la "Haute Commission Arabe", tant que les Britanniques considérerait cette dernière comme illégale. Il indiqua à ce sujet qu'il convenait de nommer membres de cette délégation : le mufti, Awni Abd al-Hadi, Raghib al-Nashashibi et Huseïn Fakhri al-Khalidi, et que cette mesure était "de nature à convaincre les Arabes de Palestine de la volonté sincère du gouvernement de Sa Majesté d'aller de l'avant".
    Mais les événements eux-mêmes devaient en décider autrement, tant à Londres qu'au Caire ou à Beyrouth : d'une capitale à l'autre, ces événements prenaient une dimension et des orientations différentes. C'est face à ces réalité que Noury Saïd rencontra Handel, le 30 janvier 1938, et déclara qu'il estimait que la tenue du congrès serait sans objet si la politique arrêtée par Londres, sur ce que ferait la Grande-Bretagne si le congrès ne devait pas atteindre ses objectifs,  n'était pas rendue publique.
    Les réunions préparatoires, tenues au Caire, le 20 janvier 1939, entre les représentants arabes et palestiniens, furent le plus représentatives possible, mais Noury souhaita, quant à lui, que ces discussions débouchent sur des résultats pratiques, et ses efforts furent couronnés de succès, puisqu'on parvint à décider d'un plan de travail commun, qui comportait l'établissement d'un Etat indépendant en Palestine, à la condition que le gouvernement britannique conclût avec son homologue palestinien ainsi proposé un pacte de défense mutuelle, comme il en existait entre la Grande-Bretagne et l'Egypte, d'une part, et entre la Grande-Bretagne et l'Irak, d'autre part, et que les Juifs soit représentés dans ce gouvernement par deux ministres, aux deux  conditions expresses que l'immigration juive s'arrête et que la "promesse Balfour" soit déclarée caduque...
     
    Revue de presse

     
    1. Robert Malley, spécialiste des relations internationales : "Au Proche-Orient, on en reviendra toujours à l'équation posée par Bill Clinton" propos recueillis par Sylvain Cypel
    in Le Monde du mardi 23 janvier 2001
    –  Vous avez été directement impliqué dans les négociations israélo-palestiniennes depuis quatre ans. Quel bilan en tirez-vous, du point de vue des Etats-Unis  ?
    –  Le président Clinton s'était fixé pour objectif, à son entrée en fonction, de créer un tissu de liens entre Israël et les pays arabes tels qu'ils deviennent une "routine". Avec les violences en Palestine, cette "routine" traverse aujourd'hui une période délicate. Mais en huit ans de mandat, une étape essentielle a été franchie  : le monde arabe reconnaît que la paix implique la reconnaissance d'Israël, et Israël que la paix ne viendra qu'avec la restitution des territoires aux Palestiniens. Désormais, la construction de la paix entre Israël et les pays arabes fait partie de l'ordre des choses, non remis en question par l'environnement régional. C'est un acquis irréversible du président Clinton.
    Je tirerai personnellement deux enseignements de mon expérience. D'abord, il est malaisé de conduire des négociations en faisant abstraction du terrain. Les Palestiniens n'ont jamais rompu avec la culture de la violence et du refus d'Israël. Mais il leur était difficile de négocier quand la construction des colonies, la politique de destruction de maisons et l'humiliation quotidienne de l'occupation israélienne perdurent.
    Ce sont là de véritables obstacles pour avancer vers la paix. Ensuite, on aboutit difficilement dans un climat de méfiance. Pour conclure un accord, il faut une certaine confiance entre les dirigeants, que chacun laisse le bénéfice du doute à son partenaire, au lieu de percevoir chaque proposition comme un piège.
    –  Les Israéliens disent que leur confiance s'est érodée sur les questions sécuritaires. Pour les Palestiniens, c'est la volonté d'Ehoud Barak de ne pas leur restituer les nouveaux territoires, comme le prévoyait l'accord d'Oslo, qui a brisé la confiance. Renoncer au "troisième redéploiement" israélien et passer directement à la négociation sur la "fin du conflit" n'a-t-il pas bloqué les négociations, au lieu de les faire avancer  ?
    –  Avec l'accession au pouvoir d'Ehoud Barak, en mai  1999, Bill Clinton est parvenu à la conclusion que la phase des accords intérimaires avait vécu. Un accord définitif et durable devenait plausible. Oslo avait prévu un accord final en cinq ans. Or sept années s'étaient écoulées. Il fallait engager la négociation pour résoudre une fois pour toutes le conflit israélo-palestinien.
    Cela dit, on aurait encore pu laisser des questions en suspens. Le président Clinton, à Camp David, a proposé à un moment de laisser de côté la question de Jérusalem. Arafat a refusé. A partir de là, il fallait impérativement que la fin du conflit soit inscrite dans un accord, sinon il n'aurait pas été «  vendable  » par Ehoud Barak aux Israéliens. Et nous avons été près de parvenir à l'équilibre dans l'équation fondamentale entre Israéliens et Palestiniens.
    Il faudra encore des retouches, mais l'équation a été posée  : un retrait israélien d'environ 95  % des territoires palestiniens avec des échanges de territoires et une souveraineté palestinienne sur la partie arabe de Jérusalem-Est, dont l'esplanade des Mosquées, qui reconnaisse les liens historico- religieux du peuple juif avec le mont du Temple. Cette équation donne aux Palestiniens leur Etat souverain et aux Israéliens les garanties de sécurité et l'assurance que les réfugiés palestiniens ne reviendront pas chez eux.  Cette nouvelle étape du dialogue, très au-delà de l'accord d'Oslo, force les deux parties à voir en face la réalité. Ainsi Bill Clinton a élevé le niveau du débat au sein des deux sociétés. Désormais, les Israéliens discutent ouvertement de la souveraineté palestinienne sur Jérusalem-Est, ce qui semblait auparavant impensable.
    Les Palestiniens, eux, discutent des modalités d'application des résolutions de l'ONU sur les réfugiés, pour ne pas mettre en péril l'existence d'Israël. Cet héritage perdurera.
    –  Les dernières propositions Clinton peuvent se résumer à deux "renoncements" distincts et liés. Pour les Palestiniens  : obtenir une souveraineté sur une partie de la Vieille Ville de Jérusalem et abandonner tout droit au retour des réfugiés en Israël. Pour les Israéliens, accepter la partition de fait de Jérusalem et obtenir la "fin du conflit". Cette "équation"-là restera-t- elle selon vous la clé de la paix dans l'avenir  ?
    –  L'esprit qui domine l'équation clintonienne est que la solution passe par l'instauration de deux Etats indépendants, souverains et viables. Les solutions aux quatre grandes questions – frontières et sécurité, Jérusalem, réfugiés – en découlent. Ainsi les réfugiés doivent pouvoir retourner dans une Palestine souveraine, mais ne peuvent remettre en cause les fondements de l'Etat d'Israël. Celui-ci doit être juif en grande majorité, comme l'Etat palestinien sera arabe. C'est une précondition à la viabilité des deux Etats.
    D'autres "utopies" pourront resurgir, comme un Etat d'Israël binational, ou un Etat palestinien en Jordanie. Mais elles ne fonctionneront pas. Avec, peut-être, des modifications, dans un mois ou dans dix ans, on reviendra toujours à l'équation posée par Bill Clinton  : deux Etats souverains, indépendants et viables.
    –  Les Palestiniens n'ont cessé d'exiger que les négociations s'inscrivent dans le respect des résolutions de l'ONU (retrait israélien des territoires conquis en juin  1967 et droit au retour des réfugiés). Pensez-vous que toute solution devra davantage tenir compte du droit international, ou que celui-ci, en posant des principes rejetés sur le fond par Israël, constitue de fait un obstacle à la paix  ?
    – Le droit international doit rester la base des négociations. Les propositions Clinton ne se substituent pas aux résolutions de l'ONU. La question est  : comment les appliquer  ? Car elles sont sujettes à interprétation. La  194 parle du retour des réfugiés, mais le terme "droit au retour" n'y figure pas. Il y a aussi débat sur la formulation de la  242 sur le retrait des territoires occupés. Personne n'imagine que les résolutions onusiennes s'appliqueront d'elles-mêmes.
    Pour bâtir la paix, il faut donc partir des besoins fondamentaux des uns et des autres, et construire un cadre qui les satisfasse. Je comprends les Palestiniens  : ils craignent que, s'ils disent oui à une négociation sur la base des propositions Clinton, on leur rétorque à l'avenir qu'ils ne sont plus en droit d'invoquer le droit international. Mais pour le président, tant qu'il n'y a pas d'accord signé, le point de référence demeure les résolutions de l'ONU et les accords intérimaires passés depuis Oslo. Seul un accord sera considéré comme l'application convenue par tous des résolutions onusiennes.
    –  Sur la question des réfugiés, ne pensez-vous pas que le problème ne tient pas uniquement au refus israélien de tout droit au retour, mais aussi au refus de reconnaître une quelconque responsabilité dans la création du problème. Sans qu'Israël assume moralement sa responsabilité, comment imaginer que Yasser Arafat accepte un compromis  ?
    –  Le rôle d'un accord n'est pas de faire un bilan de l'histoire. Dans l'affaire israélo-palestinienne, chacun développe un récit de sa propre histoire à très fort poids symbolique. Côté israélien, cela touche aux événements de 1948. Côté palestinien, au bilan du terrorisme ou à la reconnaissance du lien des juifs avec le mont du Temple.
    Chacun veut insérer sa vision de l'histoire dans l'accord. Mais demander aux négociateurs de résoudre aujourd'hui des questions qui touchent à l'identité des deux parties depuis des décennies, et alors que les débats internes à leurs sociétés n'y sont qu'émergents, c'est impensable. En 1948 et depuis, les deux camps ont fait des erreurs. Ce n'est qu'en posant les jalons politiques de la paix que le travail de mémoire pourra s'approfondir. Sur la question des réfugiés, un accord doit reconnaître que les Palestiniens sont les victimes et Israël doit accepter d'aider à la résolution du problème.
    – A l'issue de Camp David, Bill Clinton a explicitement imputé l'échec du sommet aux Palestiniens. Beaucoup considèrent qu'en tant que "médiateur", il a commis une erreur. Les Etats-Unis jugent-ils toujours que les Palestiniens sont responsables de l'échec des négociations  ?
    –  Bill Clinton n'a pas imputé l'échec aux Palestiniens, mais reconnu l'apport historique d'Ehoud Barak, un premier ministre visionnaire qui a suscité des déchirures dans la société israélienne, un homme d'Etat dont on a senti qu'il était capable d'aller parfois à l'encontre de ses propres sentiments et convictions, même si, à l'égard de ses interlocuteurs palestiniens, cela s'est manifesté sans chaleur humaine. Certes, après coup, on peut toujours penser que, sur certains points il aurait mieux valu s'y prendre différemment. Mais un fait reste  : Barak a su voir les bénéfices de la paix et les sacrifices nécessaires pour y parvenir. Cela étant, Arafat a lui aussi montré, depuis huit ans, et même plus, sa capacité à envisager un compromis historique. Bill Clinton reconnaît qu'il a également parcouru un chemin extraordinaire. Mais il a encore plus de difficultés sur le plan interne que les Israéliens. Peut-être que ce que l'on a demandé aux Palestiniens était prématuré.
    – L'image des Etats-Unis s'est nettement dégradée dans le monde arabe avec la nouvelle Intifada. Avez-vous des craintes pour la stabilité des régimes arabes alliés de l'Amérique dans la région  ?
    – L'année écoulée nous a rappelé que le conflit de la Palestine est au cœur de la conscience arabe. Ce qui se passe actuellement ne peut qu'avoir des répercussions dans la région. Pourtant, la logique de paix s'y est durablement installée. Même si la région reste potentiellement instable, il n'y a aucune indication d'une menace conséquente pour les régimes amis de l'Amérique. Oui, il y a des inquiétudes aux Etats-Unis. Et les dirigeants arabes ne peuvent ignorer les sentiments de leurs peuples. Mais, au  Caire, à Amman ou Riyad, tous favorisent un accord entre Israéliens et Palestiniens. L'hypothèse de la guerre n'est définitivement plus envisagée par le consensus arabe.
    – Une administration républicaine se met en place à Washington. Fera-t-elle de la paix israélo-palestinienne et de la médiation américaine une priorité, ou au contraire ce dossier sera-t-il relégué dans l'ordre de ses priorités  ?
    –  Quelles que soient les intentions de la nouvelle administration, le Proche-Orient demeurera prioritaire, pour des raisons qui tiennent aux intérêts historiques des Etats-Unis, mais aussi culturelles et émotionnelles, auxquelles on ne peut échapper. Cependant, un élément-clé va disparaître  : l'engagement personnel du président. On n'imagine pas combien Bill Clinton s'est constamment impliqué dans le processus de paix israélo-palestinien. Ce dialogue-là ne continuera sans doute pas de la même manière. Mais, quelle que soit la façon de George Bush de gérer le dossier, il lui sera impossible de se délester des questions fondamentales qui restent à régler dans la région.  »
    [Diplômé des universités Harvard en droit et Yale en relations internationales, Robert Malley est également docteur en sciences politiques de l'université d'Oxford. Il a publié, en 1996, L'Appel de l'Algérie, tiers-mondisme, révolution et tournant vers l'islam (The Call from Algeria – Third Worldism, Revolution and the Turn to Islam, California University Press). Spécialiste du Proche-Orient et du Maghreb, après deux années à la Cour suprême des Etats-Unis, il entre au Conseil national de sécurité américain (NSC) en 1994, d'abord comme chargé de la promotion de la démocratie (et plus particulièrement du dossier de Cuba), avant de devenir l'assistant du président de la NSC, Sandy Berger, et le directeur du bureau Proche-Orient. En septembre  1998, il est recruté par la Maison Blanche pour être le conseiller particulier du président Clinton pour les affaires israélo- arabes. Depuis 1996, M.  Malley a suivi toutes les négociations israélo-palestiniennes qui ont abouti au sommet de Camp David, auquel il a participé.]
     
    2. Jérusalem (réponse à l'article d'Elie Wiesel : Il est urgent d'attendre, publié le 18/01/2001)
    in le courrier des lecteurs du quotidien Le Monde du lundi 22 janvier 2001
    Elie Wiesel rapporte dans son texte un souvenir personnel : se rendant à Jérusalem pour la première fois, il a eu "l'impression" de s'y être déjà rendu. Il écrit : "Ce que j'y éprouve, je ne le ressens nulle part ailleurs. Un sentiment de retour à la maison de mes ancêtres. Le roi David et Jérémie m'y attendent." Lorsque nous nous sommes rendus à Jérusalem pour la première fois, nous avons eu, faut-il croire, sûrement moins de chance que lui. L'ambiance y portait certes à adhérer à une croyance en un originaire des lieux et des ancêtres, comme toute autre mythologie nationale, d'où qu'elle soit, mais nous n'avons ressenti aucune "impression" qui nous aurait fait vivre une quelconque vérité transcendante (...). Nous avons pensé que c'était une bonne chose que les Juifs puissent avoir quelques pierres pour prier, et nous pensons aussi que ce serait une bonne chose que les Arabes puissent en avoir autant.
    L'unité de Jérusalem sous une autorité juive n'évoque aucun intérêt pour nous. "L'impression" d'Elie Wiesel nous semble, pour tout dire, l'expression banale des groupes en recherche d'un je-ne-sais-quoi qui constituerait leur essence. Un je-ne-sais-quoi ressenti, vécu et non expliqué par la raison (...). Un tel phénomène est humain, il n'a rien de spécifiquement juif ou de lié à Jérusalem même.
    Juifs, nous sommes enfin indifférents à ce que le mont du Temple ait connu "la présence juive trois fois millénaire", comme le rappelle Elie Wiesel. Nous préférons qu'il appartienne à ceux qui y célèbrent maintenant leur culte. Se battre pour le garder ne vaut pas à nos yeux une seule vie humaine.
    Michel Sanchez-Cardenas, Nantes (Loire-Atlantique) et Maurice Wittenberg, Anglet (Pyrénées-Atlantiques)
     
    3. Tandis que les élections israéliennes approchent, les négociateurs se réunissent en Egypte par William A. Orme Jr.
    in The New York Times (quotidien américain) du lundi 22 janvier 2001
    [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
    Les négociateurs palestiniens et israéliens ont entamé une nouvelle session de discussions à Taba, station balnéaire sur la mer Rouge ; il s'agit là peut-être de la dernière chance, pour le Premier ministre israélien, Ehud Barak, de parvenir à un accord de paix définitif.
    Alors qu'il ne reste plus que deux semaines avant la tenue des élections au poste de premier ministre, en Israël, des ministres et des équipes de conseillers techniques représentant les deux parties se sont rencontrés hier, au cours d'un banquet qui a réuni quarante-deux personnes, afin de discuter des modalités de la reprise, assez abrupte, de ces négociations.
    Les négociateurs palestiniens, chargés de bagages et d'attaché-cases, ont déclaré être prêts à rester dix jours, ou plus, si nécessaire. Leurs homologues israéliens, qui ont prévu de retourner à Jérusalem avant trois jours, afin d'informer M. Barak et leurs collègues ministres, se sont eux aussi déclarés prêts à des négociations assez longues et substantielles.
    La semaine dernière, après une rencontre au Caire avec le ministre israélien des affaires étrangères, Shlomo Ben-Ami, le leader palestinien, Yasser Arafat, avait proposé - d'une manière inattendue - une nouvelle session de conversations intensives, similaires au marathon de marchandages tenue ici-même, il y a six ans de cela. Monsieur Barak a accepté, malgré les critiques acerbes venues tant de l'opposition de droite que de l'intérieur de son propre cabinet.
    Mais Gilead Sher, chef d'état-major de M. Barak, a indiqué que les chances de parvenir à un accord définitif avant les élections israéliennes étaient "très minces".
    "Je crois que nous devons nous efforcer de mettre en forme des compromis qui servent de lignes de référence, de guide, si vous préférez, pour la suite des négociations, qui reprendront de toutes manières, après les élections", a ajouté M. Sher.
    Toutefois, les Palestiniens disent n'être intéressés qu'à la recherche d'un accord final. "Nous ne sommes pas en quête de compromis ou de cadre général", a indiqué Ahmad Qure'i, leader du gouvernement palestinien. "Ce que nous voulons, c'est un accord global sur tous les sujets fondamentaux, les mécanismes pour le mettre en application, un calendrier pour ce faire, et des garanties".
    Mais il y a un danger de trop vouloir en faire d'un coup, avance Shimon Pérès, ministre sans portefeuille et chef- négociateur des accords historiques d'Oslo. Bien qu'il désire, lui aussi l'obtention d'"un accord global", M. Pérès est inquiet des conséquences possibles, pour la région d'"un échec global".
    La tension et la distance qui sépare les deux parties a été mise en évidence, avant même le début des négociations, ce jour, lorsque M. Barak a annoncé, au cours d'une réunion de son cabinet, que les négociations devraient être encadrées par trois principes.
    Tout d'abord, il a indiqué qu'Israël n'acceptera jamais le droit des réfugiés palestiniens à retourner dans leurs foyers à l'intérieur d'Israël. Ensuite, il "ne signera aucun document"qui donnerait aux Palestiniens la souveraineté sur le Mont du Temple, à Jérusalem, qui est le site des premier et Second Temples des Juifs de l'antiquité, et qui est aussi un lieu sacré pour les Musulmans, qui le nomment le "Noble Sanctuaire", d'où se serait produite l'ascension de Mahomet au Paradis.
    De plus, a indiqué M. Barak, 80 pour cent des 200 000 colons juifs, à Gaza et en Cisjordanie, devront rester où ils se trouvent, sous souveraineté israélienne.
    Ces trois principes vont, d'une manière brutale, à l'encontre des positions fondamentales des Palestiniens. "Il est clair que ces négociations échoueront si telle est la mentalité de la délégation israélienne", a dit Saeb Erakat, le négociateur palestinien, en se rendant aux discussions d'hier soir.
    La dernière fois où les Israéliens et les Palestiniens ont tenu des discussions de haut-niveau, d'une manière soutenue, à une centaine de kilomètres au sud d'ici, sur la côte longeant le Sinaï, au mois d'octobre, ils avaient échoué à obtenir ne fût-ce qu'un accord modeste, portant sur les objectifs de leur coopération en matière de sécurité.
    Les opposants palestiniens de gauche et les opposants israéliens de droite accusent M. Barak de s'engager dans des négociations avec des visées purement électoralistes et que M. Arafat, de plus en plus soucieux à la perspective que le leader de l'opposition (Ariel Sharon), connu pour la dureté de ses positions, puisse devenir Premier ministre d'Israël, le conforte dans cette stratégie délibérément.
    Négocier dans cette période comporte une autre sorte de risque encore, avertissent les commentateurs israéliens. Si l'impression ici, et à l'étranger, est bien que les élections du 6 février prochain valent référendum sur le processus de paix, plutôt que de n'être que la simple tentative d'un Premier ministre affaibli politiquement pour être réélu, les conséquences d'une défaite de Barak pourraient bien être, en ce cas, encore plus préoccupantes, pensent-ils.
    "Barak doit décider, rapidement, s'il veut courir le risque qu'un vote contre sa propre personne devienne un vote contre les accords de paix, que la majorité de l'opinion soutient encore", écrit aujourd'hui dans son éditorial le plus grand quotidien d'Israël, Yediot Ahronot.
    Toutefois, M. Ben-Ami a dit, peu avant le démarrage des négociations de ce soir, qu'il pensait qu'un accord définitif était plus proche que jamais. Les deux équipes incluent les négociateurs chevronnés qui ont été les promoteurs du processus de paix tout au long de la décennie écoulée. Bien que ni M. Arafat, ni M. Barak, ne participent aux discussions, ils se disent, tous deux, prêts à s'y joindre ultérieurement, si nécessaire.
    En dépit de nombreuses réserves, les Israéliens ont indiqué qu'ils entamaient les discussions avec l'approche du cadre fondamental dessiné par l'ancien président Clinton : un compromis passé par les Israéliens sur le partage de Jérusalem et le contrôle de ses lieux saints, en échange d'un compromis fait par les Palestiniens sur le droit au retour des réfugiés.
    Les Palestiniens, toutefois, continuent à affirmer la centralité des résolutions de l'ONU exigeant d'Israël le démantèlement de ses colonies et le retrait de son armée sur ses frontières antérieures à 1967.
    Les Palestiniens, craignant des fuites dans la presse et sensibles à ce qu'ils perçoivent comme un manque d'égards, ont été hérissés, dès l'entrée en matière, par la décision des Israéliens de repasser la frontière chaque soir pour aller passer la nuit à Eilat, le port de plaisance israélien sur la Mer rouge, tout proche. "Ce que nous proposons, nous, ce sont des négociations dans le style de celles de Camp-David, où deux délégations s'assoient à une même table pour discuter tous les sujets vingt-quatre heures sur vingt-quatre, à l'abri des médias", a déclaré M. Qure'i.
    D'autres désaccords, plus graves, subsistent, sur les conséquences des affrontements israélo-palestiniens. Aujourd'hui, Israël a indiqué qu'il suspendait sa coopération avec une commission d'enquête internationale sur les violences récentes, menée par l'ancien sénateur américain George Mitchell, après qu'une équipe de cette commission ait visité un site "disputé" de Jérusalem sans le notifier au préalable aux autorités israéliennes.
    D'autre part, une cour de justice départementale israélienne a condamné un colon juif à six mois de travaux d'intérêt collectif pour avoir tué un jeune garçon palestinien (onze ans) à coups de pied, a indiqué la radio israélienne. Un député israélien du parti de gauche Meretz, Naomi Chazan, a dénoncé cette sentence dérisoire, qui montre, a-t-il dit, "le peu de cas que l'on fait de  la vie d'un Palestinien."
     
    4. Pour Abraham Diskin, professeur à Jérusalem, la situation peut s'améliorer. Guère plus : "Je ne crois plus en la paix" par  Alexandra Schwartzbrod
    in Libération du lundi 22 janvier 2001
    Jérusalem de notre correspondante
    Abraham Diskin est professeur de sciences politiques à l'université hébraïque de Jérusalem. Après trois mois et trois semaines d'Intifada, il ne croit plus qu'une vraie paix soit possible entre Israéliens et Palestiniens. Son analyse reflète assez bien l'opinion dominante en Israël aujourd'hui. Ce n'est plus l'angélisme des années Oslo, ce n'est pas non plus une diabolisation des Palestiniens, c'est une sorte de pragmatisme pessimiste.
    - Pensez-vous qu'un accord de paix soit encore à portée de main ?
    - Ce n'est pas seulement une affaire de justice, mais aussi l'intérêt des Israéliens de voir un Etat palestinien s'établir sur la majeure partie de la Cisjordanie et de Gaza, et de voir la situation des Palestiniens s'améliorer. Mais, en même temps, je ne crois plus en la paix. Je ne crois pas qu'une vraie paix soit possible entre les deux peuples. Pas du vivant de notre génération. D'abord, la majeure partie du monde arabe continue à penser que l'existence d'Israël est une injustice. Ensuite, les Palestiniens, pour la plupart, ne connaissent que l'occupation israélienne, avec ce que cela comporte d'humiliations, de souffrances, d'emprisonnement, de perte d'êtres chers, ils ont trop de rage.
    - Vous êtes extrêmement pessimiste...
    - Non... Vous-même, vous savez que vous allez mourir un jour... Vous savez que vous ne pouvez rien y faire et qu'il vous faut vivre avec cette idée-là... Eh bien, c'est pareil avec les Palestiniens. Il y a des problèmes auxquels on peut trouver des solutions, d'autres avec lesquels il faut vivre... Je ne suis pas pessimiste, juste réaliste. Et, pourtant, j'ai beaucoup de sympathie pour la cause palestinienne; mon cœur se fend quand je pense à tout ce qu'on leur a fait subir. Je pense réellement que la situation peut s'améliorer considérablement entre les deux peuples, mais une solution idéale, ça non, je n'y crois plus.
    - L'élection d'Ariel Sharon est-elle inéluctable ?
    - Même si Shimon Pérès se substitue à Ehud Barak, les travaillistes ne gagneront pas les prochaines élections. Depuis le mois de septembre, près de 50 Israéliens ont été tués. Chaque jour, des déclarations plus guerrières les unes que les autres enflamment la région. Ainsi, la responsable palestinienne Hanane Achraoui déclarant que Barak doit être jugé pour crimes de guerre ou Saddam Hussein appelant à bombarder Israël. Chaque jour, quelqu'un est tué brutalement. Les gens ne le supportent plus. Ils veulent que cela change. Leur réaction est purement émotionnelle.
    - Barak a tout de même à son actif le désengagement sans heurts du Liban...
    - Détrompez-vous, le retrait du Liban est l'une des plus grosses erreurs de Barak. Ce que nous vivons aujourd'hui en est le résultat direct. Du point de vue des Arabes, le Liban a été une guerre d'usure qu'ils ont gagnée face aux Israéliens, elle sert d'exemple aujourd'hui aux Palestiniens.
    - Sharon ne risque-t-il pas de précipiter toute la région dans la guerre ?
    - Je ne connais plus personne à droite qui rêve encore d'un grand Israël. Ils ont tous compris qu'ils devaient accepter l'existence d'un Etat palestinien. De la même façon, je suis sûr que tout le monde a compris qu'il n'y avait pas d'autre possibilité que de démanteler des colonies. Même Sharon n'aura pas le choix. Il ne faut pas oublier non plus que Sharon a été celui qui a donné le feu vert à Begin pour qu'il retire les colonies du Sinaï. Je n'ai jamais pensé que Sharon était extrémiste, c'est juste un opportuniste qui bouge avec le vent. Aujourd'hui, le temps a fait son effet, il est devenu plus réaliste. Pendant des années, la droite a été aveugle. Aujourd'hui, c'est l'aveuglement de la gauche qui est évident. En plus, je ne crois pas que les différences soient si grandes entre Barak et Sharon.
    - Comment voyez-vous la suite ?
    - Je pense qu'Arafat a réalisé qu'il avait pressé le citron israélien jusqu'à la dernière goutte et qu'il n'aura pas davantage. Aujourd'hui, il n'a que deux options: accepter ce qu'on lui propose et abandonner son grand rêve ou attendre les nouvelles administrations américaines et israéliennes. Après tout, autour du nouveau président américain, il y a beaucoup de personnalités très critiques à l'égard d'Israël. Les Palestiniens peuvent très bien pousser Israël au bord de l'abîme en combinant poussée démographique et guerre d'usure.
     
    5. Ramallah-sur-Seine par Stéphane Pichelin
    in L'Humanité du samedi 20 janvier 2001
    El Menfi, fruit du jumelage des villes de Ramallah et d'Epinay-sur-Seine, se trouve être d'actualité. Ses initiateurs s'en seraient bien passés. En nos jours de communication immédiate universelle - universalité qui souvent ne pénètre qu'en boitant les niches de pauvreté, trop peu virtuelles pour être vraies - et de cyber-connexions en temps réels, il est de bon ton d'être d'actualité ; ainsi voit-on plus d'un artiste courir désespérément après cette actualité, manne médiatique qui toujours leur échappe et leur échappera. D'autres, au contraire, s'inscrivent dans la durée, aussi dans une certaine réalité du monde (réalité salissante mais têtue, salissante parce que têtue) et se trouvent soudain dramatiquement rattrapés par ce qu'ils souhaitaient éviter, tant pour eux-mêmes que pour leurs contemporains. Nadine Varoutsikos et Mohamed Rouabhi font sans doute partie de ces derniers et leur spectacle El Menfi, lié à la Palestine, se jouera sous l'éclairage cruel de la seconde Intifada, du bouclage des territoires et du sang toujours renouvelé d'un peuple arraché à lui-même.
    El Menfi (l'Exilé) a son origine en un temps absurdement lointain, 1996, époque à laquelle le processus de paix, malgré des vicissitudes, semblait pouvoir aboutir, et date du jumelage des villes de Ramallah en Cisjordanie et d'Epinay-sur-Seine. Metteur en scène ancrée dans la cité spinacienne depuis une dizaine d'années, et directrice de la Maison du théâtre et de la danse, Varoutsikos profite de ce jumelage pour tisser ses liens avec la Palestine et initie avec la collaboration, pour le texte, de Rouabhi, écrivain et homme de théâtre, ce qui deviendra El Menfi. Commence alors une longue suite d'allers-retours d'une rive à l'autre de la Méditerranée, pour des ateliers de jeu animés par l'une et d'écriture animés par l'autre ; puis pour deux premières représentations à Ramallah, en juillet 2000, avec une équipe franco-palestinienne ; enfin pour six représentations la semaine prochaine - à ceci près que la venue des cinq acteurs palestiniens prévus reste soumise à l'arbitraire des forces armées israéliennes.
    Ainsi est ce projet inséparablement théâtral et politique, mêlant les deux plans par choix ou par la force des faits. Mais il n'existe politiquement que parce qu'il est théâtre, et c'est bien à un spectacle que nous pourrons assister, qui parlera : d'un poète palestinien imaginaire, John Walid Jaber, improbable héritier de la mémoire d'un peuple amérindien et de son propre peuple menacé ; de ce que c'est qu'être maghrébin en France, du massacre du 17 octobre 1961 à la vie contemporaine des cités ; et plus généralement de la difficulté d'être arabe, victime en Palestine ou guerrier en Afghanistan. Varoutsikos, pour mettre en scène cette trame touffue - qu'elle qualifie de scénario -, a choisi comme elle le fait souvent de travailler avec des amateurs (sauf trois acteurs professionnels), voyant là les moyens d'opérer sur des groupes importants et d'atteindre certaines " liberté et inventivité " ; pour ce que nous en avons pu voir, elle les dirige d'une main de maître et, l'enthousiasme et une surprenante maturité théâtrale aidant, le spectacle devrait s'élever à une qualité que bien des professionnels lui envieront.
    Inversement, bien sûr, la plus noble politique traverse tout ce projet et il suffit d'entendre la révolte de ses protagonistes contre le sort réservé aux palestiniens, de savoir les messages que les jeunes palestiniens, via Internet, envoient à leurs collègues français, leur enjoignant de jouer quoiqu'il arrive, jouer pour qu'existe ce spectacle qui est le leur, et eux par ce spectacle, pour deviner que cette collaboration ne s'arrêtera pas là. Redisons-le, El Menfi n'est pas un coup médiatique, une instrumentalisation du malheur palestinien, mais le geste d'un partage et d'une rencontre véritables : dans leur démarche, Rouabhi et Varoutsikos tentent, du côté français, la découverte d'une culture palestinienne toujours vivante malgré le conflit ; et du côté palestinien, l'articulation d'une parole collective omniprésente et d'un intime étouffé par l'urgence incessante des cinquante dernières années. Immense ouvrage commun dont El Menfi sera une expression, importante pour nous, vitale pour la Palestine.
    "El Menfi" de Mohamed Rouabhi, mis en scène par Nadine Varoutsikos, du 23 au 28 janvier à la Maison du théâtre et de la danse d'Epinay-sur-Seine (Tél : 01 48 26 45 00).
     
    6. Arafat est son gendre, Raymonda Hawa-Tawil, la belle-mère du vieux président, incarne elle aussi la cause palestinienne par Michel Vagner
    in L'Est Républicain (quotidien régional) du samedi 20 janvier 2001
    Elle ne l'appelle qu'Abou Ammar, de son nom de combattant. «Abou Ammar», lui a-t-elle demandé la semaine dernière à Washington, alors que le vieil homme au keffieh entamait une nouvelle série d'entretiens avec Bill Clinton, «avez-vous peur d'Ariel Sharon (que les sondages donnent favori comme futur Premier ministre d'Israël) ?». «Moi, peur», lui a répondu le président de l'Autorité palestinienne, «Sharon, je l'ai défait au Liban en 1982». Yasser Arafat enjolivait, elle le sait. Reclus dans le sous-sol d'un parking éclairé à la bougie, il est parti de Beyrouth, assiégée sous les bombes israéliennes, escorté par la marine française. Mais Raymonda Hawa-Tawil ne retient de sa réplique que cette «force positive» dont elle gratifie un gendre - il a épousé sa fille Soha (1) - qui est son aîné de onze ans.
    N'est-il pas malade ? D'un geste, elle écarte toute altération intellectuelle. «Sa lèvre tremble mais sa volonté est de fer», insiste-t-elle, «c'est un Ben Gourion, un De Gaulle, un visionnaire».
    «Soldats, passez votre chemin»
    Femme de tête, issue de la bourgeoisie chrétienne, mariée à un banquier, Raymonda Hawa-Tawil incarne d'une façon flamboyante la cause palestinienne. Pour Jean Lacouture, qui préface ses mémoires (2), elle est «l'héroïne de la résurrection de son peuple» : «Elle a dû se battre à la fois contre l'oubli arabe et le mépris israélien», écrit-il. Elle acquiesce : «Ce sont les soeurs françaises de Nazareth qui m'ont enseigné le refus». C'était en 1948, quand les troupes de la Haganah, l'organisation israélienne clandestine, menaient la lutte pour un Etat en Palestine. «J'entends encore l'air qu'elles nous avaient appris à chanter, imprégnées qu'elles étaient de la Résistance : ''Passez, soldats, votre chemin / Aux Allemands, je ne tends pas la main''. Tout est parti de là».
    La fillette déterminée de 1948 assiste plus tard, déjà militante, à la reddition de Naplouse, lors de la guerre des Six Jours de 1967 : «L'histoire se répétait tragiquement», lâche-t-elle. Mais elle ne désespère pas. Son salon reste ouvert aux intellectuels de tous bords. La paix l'anime, et la réconciliation.
    En 1976, celle que l'on ne surnomme plus que la «Lionne de Naplouse» est placée en résidence surveillée. En 1978, après qu'elle a ouvert à Jérusalem une agence de presse, Palestinian Press Service, elle se retrouve emprisonnée, accusée d'incitation à la violence : «Comment osaient-ils ?», s'exclame-t-elle, «alors que j'ai toujours tenté d'établir le dialogue entre Palestiniens et Israéliens». Frappée jusqu'à la perte de connaissance, elle est libérée après quarante-cinq jours de cachot et une mobilisation internationale.
    «Vivre en exil mourir en exil»
    Années 80 : elle quitte les territoires pour Paris : «La mort rôdait autour de nous». Quand elle revient, sa voiture est pulvérisée. Elle regagne la France, et cette fois, ce sont les «tueurs» d'Abou Nidal qui la traquent. Ils l'accusent de «collaboration avec le sionisme» : «Vivre en exil. Mourir en exil. Etre assassiné en exil. On va de port en port, de ville en ville, sans jamais savoir où s'arrêtera la route...» C'est au cimetière Montparnasse que son mari, Daoud, est enterré. «Si je mourais maintenant, où serais-je inhumée ?», se demande-t-elle. A Saint-Jean d'Acre, sa terre natale ? Les lois israéliennes le lui interdisent. Elle ne peut pas même dormir une nuit dans sa ville. Et avec le bouclage de la Cisjordanie, elle ne peut plus rentrer chez elle à Ramallah, sauf permis spécial qu'elle se refuse à réclamer.
    Raymonda Hawa-Tawil redoute toujours la haine : «Que peut-il advenir d'un enfant qui a embrassé son grand frère dans un cercueil ?» Mais elle s'accroche à l'espoir. Sharon le dur ? «On ne sait jamais comment les gens tournent. Après tout, il veut rester dans l'Histoire».
    (1) Une autre de ses filles, Diana, a épousé Ibrahim Souss, l'ancien délégué général de la Palestine en France, aujourd'hui haut fonctionnaire au Bureau international du Travail, à Beyrouth. «Palestine, mon histoire» , Le Seuil, 248 pages, 110 F
     
    7. Amazon et Microsoft pro-Palestiniens à l'insu de leur plein gré par Thierry Guilbert
    in ZDNet France du samedi 20 janvier 2001
    Deux annonceurs prestigieux, Microsoft et Amazon.com, ont disposé des bannières publicitaires sur un site d'informations libanais Al-Manar télévision, qui ne cache pas ses amitiés avec la cause palestinienne. C'est la découverte faite en début de semaine par le Centre Simon Wiesenthal, association américaine de lutte contre l'antisémitisme, qui présente le site comme proche du mouvement libanais Hezbollah, connu pour sa « guerre sainte » contre Israël.
    Le site en question, est celui de la chaîne Al-Manar, qui s'affiche clairement comme une « télévision libanaise qui a pour but de préserver les valeurs islamiques », et comme « le premier établissement arabe à engager résolument une guerre psychologique contre l'ennemi sioniste ».
    Mais pour le Centre Simon Wiesenthal, l'amalgame est facile entre un organe d'information, même politiquement très orienté, et une organisation terroriste. « Nous ne pouvons pas imaginer que l'association avec une organisation terroriste fasse partie de la politique de votre entreprise », a en effet écrit le rabbin Abraham Cooper, l'un des dirigeants du Centre Wiesenthal, dans une lettre adressée au fondateur de Microsoft, Bill Gates. « Il semble évident que ni Amazon ni Microsoft ne savaient qui étaient ces gens mais l'important, c'est qu'ils mettent un terme à cette relation ».
    Selon Amazon, qui s'est expliqué sur divers médias dont Wired News, le site libanais aurait obtenu ces publicités par le biais de programmes d'affiliation. Chez Microsoft, on affirme que les manchettes publicitaires auraient été utilisées sans permission et, depuis le début de la semaine, des contacts étaient entrepris pour les retirer.
    Appui à l'Intifada
    Le 17 janvier, Al-Manar télévision affirmait avoir retiré les publicités de son site de son propre chef démentant au passage un retrait à l'initiative des sociétés annonceurs. Selon un communiqué de la chaîne, « l'administration d'Al-Manar a elle-même pris l'initiative d'annuler les publicités de ces sociétés conformément aux consignes de boycott des produits américains en appui à l'Intifada » en Palestine.
     
    8. Uranium appauvri : le Liban aussi ? par Paul Khalifeh
    sur Radio France International (RFI) le vendredi 19 janvier 2001
    Branle-bas de combat diplomatique au Liban où l’affaire des munitions à l’uranium appauvri qui auraient été utilisées par Israël prend de l’ampleur. Beyrouth n’a pas encore exhibé des preuves, mais il envisage déjà de revoir à la hausse les dédommagements qu’il réclame à l’État hébreu.
    De notre correspondant au Liban
    Comme une boule de neige, l’affaire de l’uranium appauvri prend de l’ampleur au Liban. Le chef du gouvernement Rafic Hariri et le président de la Chambre Nabih Berri, ont annoncé la formation de commissions pour enquêter sur les informations selon lesquelles l’armée israélienne aurait utilisé ce genre de munitions à différentes étapes de son engagement militaire au Liban, ces vingt dernières années.
    L’affaire a été révélée au grand jour par la presse jeudi. Pourtant, les faits remontent à plusieurs mois, plus précisément à la nuit du 3 au 4 mai 2000. Trois semaines avant le retrait israélien, deux guérilleros du Hezbollah, surpris alors qu'ils s'infiltraient dans l’ancienne zone occupée, sont tués. Leurs corps désarticulés gisent sur une petite route, à 7 km à l’ouest de Hasbaya. Les débris de deux roquettes expliquent pourquoi les cadavres sont effroyablement mutilés. Des correspondants de presse présents sur les lieux découvrent, entre autres, les restes d’une roquette portant en anglais la mention: Radioactive Material.
    La Finul se refuse toujours à confirmer l’utilisation par Israël de ce type d’armement: «Je ne peux confirmer ou infirmer», déclare le porte-parole de la Finul, Timor Goksel. Mais un député de la Knesset, Issam Makhoul, a appelé à une réunion urgente de la Commission parlementaire des Affaires étrangères et de la Sécurité pour statuer sur l’utilisation de bombes à l’uranium appauvri par l’armée israélienne lors de ses confrontations avec les Palestiniens de la nouvelle intifada et dans sa guerre au Liban.
    Témoignages et enquêtes 
    Le député israélien affirme être en possession d’un rapport rédigé par l’organisation internationale International Action Center. Ce rapport, basé sur des témoignages et des enquêtes sur le terrain, apporte les preuves tangibles de l’utilisation par l’armée israélienne de bombes à l’uranium appauvri contre des objectifs civils et militaires dans les territoires palestiniens et au Liban.
    À Beyrouth, c’est le président de la Chambre Nabih Berry qui le premier en a parlé à l’émissaire de Kofi Annan au Liban. Se basant sur les informations fournies par le député israélien, il a réclamé l’ouverture d’une enquête internationale. «Nous sommes persuadés que le Liban a été un terrain d’expérimentation pour des obus à uranium», a-t-il dit. Quelques heures plus tard, c’est le premier ministre Rafic Hariri qui annonçait la formation d’une commission d’enquête.
    L’avocat Michel Tueni, membre du comité chargé de l’évaluation des dommages occasionnés par les agressions israéliennes au Liban ne cache pas, quant à lui, ses craintes. «Nous sommes inquiets pour la population, a-t-il déclaré. Si ces faits sont prouvés, cela pourrait expliquer l’augmentation des cas de cancer au sein de la population du Liban-Sud». L’affaire a rapidement occupé l’ensemble de l’appareil de l’État: «J’attends le feu vert pour revoir à la hausse notre demande de compensations financières réclamées à Israël», affirme l’avocat.
    Le Liban prend l’affaire très au sérieux et a déjà entrepris des investigations approfondies. Des preuves étayant les accusations pourraient être exhibées dans les prochains jours. En attendant, un vent de panique commence à souffler au sein de la population qui craint d’avoir été soumise à des radiations pendant des années sans le savoir.