1. Réfugiés : quel droit au retour ? par
Baudouin Loos
in Le Soir (quotidien belge) du vendredi 5 janvier
2001
Plus encore que le tracé des frontières de l'Etat palestinien
(donc, le sort des colonies juives) et que la souveraineté à Jérusalem-Est, la
question des réfugiés palestiniens reste le dossier le plus douloureux. Et le
plus inextricable.
En réaffirmant, ce jeudi au Caire en présence de Yasser
Arafat, son soutien unanime à la position palestinienne sur le droit au retour
des réfugiés, le comité de la Ligue arabe n'a pas créé l'événement. Il reste que
cette question du droit au retour risque bien de faire, en dernier ressort,
échouer tout accord israélo-palestinien si, par miracle, les protagonistes
finissaient par s'entendre sur les autres grands dossiers. Voyons ce qu'en
disent les parties et ce que propose le « plan Clinton ».
Une quasi-unanimité
règne en Israël au sein de la population juive pour s'opposer au principe du
droit au retour des quelque 4 millions de Palestiniens (dont leurs descendants)
qui avaient fui ou avaient été chassés de ce qui devint Israël en 1948. Le motif
? Ce retour mettrait en danger le caractère juif d'Israël, un Etat qui n'a
aucune propension au suicide. Même la plupart des intellectuels de gauche, qui
appuient depuis longtemps l'établissement d'un Etat palestinien, s'alignent sur
cette intransigeance.
« Israël doit préciser qu'il n'y a pas de compromis
dans le dossier »
De son côté, Zeev Schiff, un célèbre chroniqueur du «
Haaretz », écrivait mercredi : Israël doit préciser une fois de plus qu'il n'y a
pas de compromis dans le dossier du droit au retour et que, s'il faut choisir
entre des concessions et la guerre, il serait préférable de risquer la
possibilité d'une confrontation violente. Le Premier ministre Ehoud Barak laisse
la porte ouverte pour quelques milliers de retours à titre de regroupement
familial et refuse d'admettre la responsabilité d'Israël dans la création du
problème.
S'appuyant sur la résolution 194 de l'Assemblée générale des
Nations unies de 1948, les Palestiniens exigent que les réfugiés puissent
choisir entre retour et compensations. Officieusement, ils se font plus
pragmatiques. Comme le ministre Fayçal Husseini, qui déclarait au « Maariv » :
La panique qui s'empare d'Israël n'a aucun fondement. Seule une minorité de
500.000 à 1 million de réfugiés reviendront et ceux-ci ne s'installeront pas
seulement en Israël mais aussi et surtout dans un Etat palestinien souverain à
côté d'Israël. Ce qu'ils veulent, c'est la reconnaissance de la responsabilité
israélienne dans leur tragédie et une indemnisation pour leurs biens confisqués
ou détruits (...). Ce droit au retour ne serait appliqué que progressivement et
en concertation avec Israël. L'OLP a officiellement déclaré sa disposition à
réfléchir de manière flexible et créative sur les mécanismes d'application du
droit au retour.
Le « plan Clinton » remplace la reconnaissance du droit au
retour par Israël par une admission des souffrances palestiniennes comme
conséquence de la guerre de 1948, et propose un effort international pour
compenser, réhabiliter, réinstaller les réfugiés, énumérant cinq « points de
chute » pour ces réfugiés : l'Etat de Palestine, les régions d'Israël
transférées à la Palestine dans un échange de territoires, la réhabilitation
dans un pays d'accueil, une résinstallation dans un pays tiers, l'admission en
Israël, selon le bon gré de ce pays.
Pour les Palestiniens, ce plan reprend
les idées israéliennes. Nous ne serons pas le premier peuple au monde à renoncer
à son droit fondamental à revenir dans ses foyers, dit l'OLP.
Le sujet porte
une lourde charge émotionnelle, historique, patriotique et humaine.
D'expérience, nous pouvons dire que les réfugiés, que ce soit au Liban, en
Syrie, en Jordanie ou dans les territoires palestiniens, s'accrochent avec
l'énergie du désespoir au droit au retour, quand bien même ils savent que leurs
quatre cents villages ont été rasés par Israël entre 1948 et 1950 ou que leurs
maisons dans les villes mixtes ont été distribuées à des immigrants juifs il y a
des décennies. Croyez-vous que ma terre est à vendre ?, nous a-t-on souvent
assené au détour des inextricables ruelles boueuses ou poussiéreuses dans les
camps de réfugiés.
En fait, si les dirigeants palestiniens acceptent les
conditions israéliennes, l'accord qui serait signé risquerait de miner
l'autorité (et la sécurité) d'Arafat au point de mettre à mort le processus de
paix et de déstabiliser les régimes arabes voisins. La solution qui sera un jour
élaborée devra tenir compte de ce double impératif... inconciliable :
s'approcher le plus possible de la justice vue d'un point de vue palestinien
sans qu'Israël s'en sente menacé dans son existence.·
2. Les réfugiés plus que réticents par
Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du vendredi 5 janvier 2001
Ahmed
Mehessen est l'une des personnalités les plus populaires du camp de réfugiés de
Deisheh, près de Bethléem, ville autonome de Cisjordanie. Il fut à l'initiative
du premier jumelage d'un camp de réfugiés palestiniens avec une ville française,
celle de Montataire, dans l'Oise. Un exemple suivi de beaucoup d'autres. Après
avoir été responsable des jumelages auprès de l'Autorité palestinienne, Ahmed
Mehessen est passé au service de la préservation de la terre et de l'eau. C'est
dire que les questions sur lesquels butent les discussions avec Israël sont au
cour de sa vie. Son épouse, Muna Hamzeh, vient de publier une bouleversante
chronique de l'Intifada, Jours ordinaires à Dheisheh (1).
Ahmed Mehessen nous
livre son point de vue sur les perspectives de négociations annoncées pour les
jours à venir sur le plan Clinton.
- Ahmed Mehessen. Personne, ici,
n'approuve ce plan, de près ou de loin. Le désaccord va bien au-delà des camps
de réfugiés. Il est général dans toute la Palestine. D'ailleurs les dirigeants
de l'ensemble des organisations nationales palestiniennes, depuis le Fatah
jusqu'au FDLP et au FPLP en passant par Hamas et le Jihad islamique, ont publié
aujourd'hui même un texte condamnant la reprise des négociations sur la base du
plan Clinton. Je pense que les négociations vont néanmoins reprendre mais qu'il
n'y aura pas d'accord final, car même Yasser Arafat ne peut pas dire ouvertement
qu'il est prêt à abandonner les réfugiés à leur sort. Il y aura sans doute,
parce que les Américains et Israël en ont besoin, un nouvel accord intérimaire
pour cinq ans. Comme ce fut le cas à Oslo, avec les résultats que l'on voit
aujourd'hui. C'est pourquoi nous sommes contre.
- Est-ce à dire que vous êtes
contre toute nouvelle négociation avec Israël ?
- Ahmed Mehessen. Pas du
tout. Nous sommes contre des négociations sur la base du plan Clinton parce
qu'il ne propose pas de solution acceptable aux principales questions : les
réfugiés, les frontières, Jérusalem, les colonies. Mais nous sommes pour des
négociations véritables sur la base des résolutions de l'ONU et pas sous l'égide
des seuls Américains.
- Ne pensez-vous pas qu'il est impossible pour Israël
d'accepter le retour de près de quatre millions de réfugiés ?
- Ahmed
Mehessen. La reconnaissance du droit au retour est une chose, la possibilité
réelle de revenir en est une autre. Ce qu'on demande, c'est la reconnaissance de
nos droits, après, on peut négocier sa mise en ouvre et trouver des arrangements
ou des compensations. Quant à l'argument selon lequel il n'y a pas assez de
place pour tout le monde, il ne tient pas : Israël est prêt à accueillir toute
la diaspora juive du monde. La vérité, c'est qu'ils veulent un Etat
exclusivement juif.
(1) Jours ordinaires à Dheisheh, de Muna Hamzeh, préface
d'Alain Gresh, Editions Zéro heure.
3. La blessure ouverte d'Eilaboun par Henri
Guirchoun
in le Nouvel Observateur du jeudi 4 janvier 2001
Le
30 octobre 1948, 13 habitants du village chrétien d'Eilaboun, en Galilée,
étaient massacrés par l'armée d'Israël tandis que les autres étaient expulsés
vers le Liban, avant d'être, par exception, autorisés à regagner leurs foyers et
leurs champs dévastés. Un demi-siècle plus tard, la douleur n'est toujours pas
éteinte et les souvenirs des survivants, corroborés par les travaux des
chercheurs israéliens, sont accablants. Retour sur un drame ignoré qui éclaire
les débats d'aujourd'hui sur le destin des réfugiés
Je place mon village
sous la protection du gouvernement d'Israël. » Sur la place centrale, près de
l'église où est rassemblée toute la population, le père Markos, curé d'Eilaboun,
présente d'un ton solennel la soumission du village à l'officier de l'armée
d'Israël qui vient de conquérir la localité, après une journée et une nuit de
durs combats. Ce samedi 30 octobre 1948, à l'aube, les quelque 700 habitants de
ce petit bourg de Galilée, tous chrétiens, sont loin d'imaginer qu'ils sont aux
portes de l'horreur. Ils ne savent pas qu'ils vont devenir malgré eux les
victimes d'un drame, celui de la Nakba, la Catastrophe, au cours de laquelle
plus de 600 000 Palestiniens vont perdre leurs maisons et leurs terres, avant de
prendre le chemin de l'exil et peupler les camps de réfugiés. Ils ne savent pas
non plus qu'ils bénéficieront un an plus tard d'une mesure d'exception qui les
autorisera à rentrer chez eux et à demeurer au sein de la communauté arabe
d'Israël, réduite en 1949 à 160 000 membres. Ils ignorent enfin qu'au-delà des
questions de frontières, du sort des colonies de peuplement ou de l'autorité sur
les Lieux saints, c'est la négation par Israël de sa responsabilité dans cette
tragédie qui interdit encore, un demi-siècle plus tard, l'établissement d'une
paix juste, sincère et durable entre Israéliens et Palestiniens.
Aujourd'hui, pourtant, Eilaboun est comme tant d'autres un petit village
tranquille de Galilée, niché au-dessus de la route principale qui mène d'Afula à
Tibériade. Comme en 1948, ses habitants - 4 200 personnes - sont toujours en
grande majorité des chrétiens. Mais ils sont maintenant citoyens d'Israël,
Arabes israéliens, ou plutôt Palestiniens israéliens, comme se revendiquent
désormais la plupart d'entre eux. A la suite de la visite de Sharon sur
l'Esplanade des Mosquées et de la mort de sept Palestiniens à Jérusalem, ils ont
certes répondu au mot d'ordre de grève générale lancé par les responsables du
Haut Comité arabe d'Israël. Mais il n'y a pas eu d'émeutes ni de blocage des
routes, et l'armée n'est pas intervenue. L'explosion de violence qui, de Jaffa à
Nazareth, de Haïfa à toute la Galilée, a entraîné la mort de 12 Arabes
israéliens et traumatisé Israël, aura donc épargné la petite localité
d'Eilaboun. Comme si, par sagesse, par expérience, les uns et les autres avaient
voulu éviter de se voir rattraper une fois de plus par un passé trop lourd.
Celui de « l'affaire d'Eilaboun »...
« L'affaire d'Eilaboun », c'est d'abord
l'histoire d'un massacre perpétré par l'armée d'Israël, au moment de la guerre
d'indépendance. Il y en a eu d'autres, parfois plus importants par le nombre de
victimes, et surtout plus connus, plus médiatisés, comme celui de Deir Yassine.
A tel point qu'on a longtemps pu penser à tort qu'il s'agissait là de dérapages,
d'excès commis par des extrémistes, bref, d'actes regrettables mais isolés. Or
le drame d'Eilaboun, par sa cruelle banalité, montre précisément que tel n'était
pas le cas. Il aura fallu le courage, le sérieux et les immenses efforts d'une
nouvelle génération d'historiens israéliens, comme Benny Morris (1), pour que
cette page sombre ressorte enfin des oubliettes de la propagande, des secrets
militaires et de la raison d'Etat, enfouis sous des tonnes d'archives.
«
L'affaire d'Eilaboun », c'est aussi l'histoire d'un remords, puisque après
plusieurs mois de discussions les plus hautes instances de l'Etat juif - dont le
fondateur David Ben Gourion, qui a tenté de réconcilier la morale et sa
politique - autoriseront les habitants du village, prisonniers de guerre ou
exilés au Liban, à rentrer chez eux. Mais pour ceux qui en furent les victimes,
« l'affaire d'Eilaboun » n'est pas de l'histoire. C'est une blessure restée
ouverte, comme une tache sur l'éternité...
« Il n'était pas encore 6 heures
du matin. A cause des combats, nous avions tous passé la nuit dans l'église. Par
mégaphone, on nous a prévenus que nous devions nous regrouper sur la place, et
que ceux qui resteraient à l'intérieur de l'église ou dans leurs maisons
seraient abattus. Nous sommes sortis les mains en l'air. Certains d'entre nous
ont été frappés à coups de crosse. Un homme est arrivé avec un peu de retard.
Ils l'ont abattu là, devant la maison du curé. C'était le premier mort... »,
raconte Farid Zreik, 90 ans, un ancien paysan qui a toujours vécu dans la
commune.
A l'hospice d'Eilaboun, les vieux ont interrompu leur partie de
cartes. Cinquante-deux ans après, leurs souvenirs sont intacts, précis, clairs,
incontestables. « Le curé a tenté de calmer les soldats, mais il n'y avait rien
à faire. Ils sont passés dans la foule et ont choisi au hasard une vingtaine
d'hommes, pour la plupart des jeunes, qu'ils ont mis sur le côté. J'en faisais
partie. Nous étions terrorisés », poursuit Farid. J'entendais les coups de feu
dans les ruelles où 12 jeunes sont exécutés, sans aucune raison, puisque
personne d'entre nous n'avait pris les armes. Avec 4 autres hommes, on m'a
conduit à l'entrée du village devant le commandant israélien. Là, on nous a
expliqué qu'on allait nous amener là-haut, au camp des Arabes où nous serions
exécutés. Puis après quelques minutes ils se sont ravisés et nous ont installés
dans un véhicule en tête de colonne, pour servir de bouclier humain contre les
mines et les snipers. Sur la route, c'était terrible, ils tiraient sur tout ce
qui bougeait, y compris les animaux... »
Farid sera conduit à la prison de
Saint-Jean-d'Acre, puis transféré dans deux autres prisons où il restera plus de
six mois, sans aucune nouvelle de sa femme ni de leurs cinq enfants. Car à
Eilaboun les soldats israéliens ne se contentent pas de commettre des crimes de
guerre en exécutant des civils, ils chassent aussi l'ensemble de la population.
« C'était terrible. Nous n'avons même pas eu le droit de repasser par chez nous
pour prendre quelques affaires, raconte Sliman Barakat, 70 ans, dont le frère
cadet est l'un des 13 hommes abattus, ils nous ont conduits sur la route où tout
le monde, hommes, femmes, enfants, a dû se mettre en marche en direction du
nord, poussés par des véhicules militaires. Le curé Markos a tenté de protester
en leur demandant de ne prendre que les hommes. Mais le commandant juif lui a
répondu : "Vous avez voulu la guerre, vous l'avez ! " »
A pied, sans vivres,
contraints d'abandonner tous leurs biens derrière eux, et encadrés par une
escorte brutale, les habitants d'Eilaboun marchent vers le nord. Ils survivent
en cueillant quelques olives sur le bord de la route. Au fur et à mesure des
villages traversés, leur colonne s'augmente d'autres pauvres hères contraints au
même exode. Parfois, des soldats en patrouille ne résistent pas au plaisir de
s'offrir un carton en tirant sur eux au hasard, ou même à les dépouiller du peu
d'argent qu'ils ont réussi à conserver. A l'entrée de la ville de Safed enfin,
des camions les attendent pour les conduire vers la frontière du Liban, qu'ils
atteindront hagards, exténués, et surtout désespérés.
Pourquoi les
villageois d'Eilaboun ont-ils été victimes de cette punition collective ?
S'agit-il d'une vengeance consécutive à l'âpreté des combats des dernières
semaines ? Ou bien les soldats de l'armée juive ont-ils suivi des ordres secrets
qui visaient à vider la Galilée de sa population arabe ? Un mois après les
faits, ce sont déjà les questions que s'étaient posées le lieutenant-colonel
Sore, officier d'un groupe d'observateurs de l'ONU, qui a pu mener une enquête
sur le terrain dont nous publions les extraits. Mais le doute est-il encore
possible aujourd'hui ?
Au petit matin de ce 30 octobre 1948, la bataille
d'Eilaboun est terminée. Débordées, les forces arabes, essentiellement
constituées de volontaires, ont profité de la nuit pour fuir, à l'exception de
quelques tireurs isolés. Pour l'armée d'Israël, l'opération Hiram (du nom du roi
de Tyr), destinée à prendre le contrôle du nord et du centre de la Galilée, est
dores et déjà un succès puisque les hauteurs d'Eilaboun, qui constituaient un
verrou, sont prises. Les combats ont certes été rudes, mais une fois la victoire
acquise, on voit mal ce qui pouvait justifier le massacre, le pillage
systématique des maisons et la mesure d'expulsion dont fut victime la population
du village. Sa participation aux combats, son assistance aux forces arabes ?
Rien n'est moins sûr.
« Au cours de l'été, l'armée israélienne était
parvenue à 2 kilomètres, au sud du village. Un jour, un avion israélien nous a
bombardés, il y a eu un mort et une maison totalement détruite. Puis les
volontaires arabes sont arrivés ici. Nos champs se sont retrouvés sur la ligne
de front. C'était l'époque de la cueillette, on ne pouvait plus travailler,
affirme Habib Zreik, 70 ans, le frère cadet de Farid, qui avait lui aussi été
fait prisonnier au cours de la longue marche. Les volontaires arabes se
comportaient comme s'ils étaient chez eux. Ils exigeaient qu'on leur fournisse
de la nourriture, du matériel. Nos relations avec eux étaient plutôt mauvaises,
ils n'étaient pas d'ici. Et à ma connaissance, personne du village ne les avait
rejoints. »
Il y aurait pourtant, selon les archives de l'armée et les
débats de l'époque, cette histoire des deux soldats israéliens décapités au
cours des semaines qui ont précédé l'assaut, et dont on aurait promené les
têtes, comme des trophées, dans le village. Mais là encore les témoignages sont
formels : « C'est vrai qu'un jour ce Fawzi Mansour qui venait peut-être de
Jénine ou de Naplouse est arrivé à cheval, exhibant deux têtes qu'il tenait dans
ses mains, se rappelle Farid. Le curé Markos est venu à sa rencontre pour lui
demander en criant d'aller les enterrer ailleurs. Fawzi lui a répondu que s'il
n'était pas prêtre il l'aurait tué. Mais il est quand même remonté vers son
camp, sur la colline. Et on ne l'a jamais revu... »
C'est peut-être grâce au
rapport de l'ONU (voir page 44), et sans doute aussi parce qu'il a frappé une
population chrétienne (et non musulmane, donc considérée a priori comme moins
hostile à l'Etat juif) que le drame d'Eilaboun va provoquer une polémique au
sein de l'establishment israélien.
Au cours de l'été 1948, le cabinet
israélien a pris la décision historique de refuser le retour des réfugiés,
officiellement tant que durera l'état de guerre. Mais les responsables du Mapam,
la gauche du Parti travailliste, insistent pour que les villageois d'Eilaboun
soient, eux, autorisés à rentrer. Le ministère de la Justice refuse. Et
l'affaire remonte jusqu'au Premier ministre Ben Gourion. Parmi les documents
recueillis par l'historien Benny Morris, deux lettres rapportent bien l'état
d'esprit réel des dirigeants israéliens de l'époque. Celle d'un haut responsable
de l'administration militaire, qui recommande au Premier ministre de refuser,
sous prétexte que le fait d'accepter le retour des exilés d'Eilaboun
constituerait un mauvais exemple au moment où « l'armée est confrontée à de
nombreuses tentatives d'infiltration de la part des réfugiés palestiniens qui
veulent rentrer ». Celle au contraire du major-général Moshe Karmel, commandant
du front Nord, patron direct de l'opération Hiram et futur ministre, qui, lui, y
serait plutôt favorable. Pas, comme on pourrait le croire, en fonction de ses
responsabilités directes dans l'affaire, pour des raisons de mauvaise
conscience, mais simplement parce que « nous n'avons pas actuellement
l'intention d'établir de point de peuplement particulier sur cette zone... ».
L'autorisation de rentrer sera finalement accordée lors de l'été 1949. Les
résidants du village d'Eilaboun se verront immédiatement accorder la nationalité
israélienne et des cartes d'identité. Mais ce retour sera douloureux et
difficile : « Nos maisons étaient saccagées. Tout avait disparu, même les portes
et les fenêtres. Nos champs étaient à l'abandon ou confisqués. Nous avons dû
repartir de zéro, explique Sliman Barakat. Ensuite, pendant longtemps ils ont
tenté de nous inciter à partir. Nous avons résisté et nous sommes restés. Mais à
quel prix ? A l'époque du mandat britannique, nous possédions 18 000 dunams (2)
de terres pour 750 habitants. Aujourd'hui, nous sommes 7 200 avec seulement 5
000 dunams de terres. Qui peut l'admettre ? Et peut-on sérieusement parler de
justice entre citoyens juifs et arabes dans ce pays ? »
En Israël,
d'habitude personne ou presque ne conteste le bien-fondé des revendications
formulées régulièrement par la minorité arabe. En matière d'éducation, de
budgets d'équipement ou de permis de construire, l'injustice manifeste dont elle
est victime par rapport aux localités juives est un thème récurrent de toutes
les campagnes électorales. Mais traditionnellement le vote arabe est acquis à la
gauche : 95% des voix de la population arabe d'Israël s'étaient ainsi portées
sur Ehoud Barak lors des dernières élections.
Cette fois, pourtant, la donne
semble avoir changé. La brutale répression des manifestations de l'automne
dernier a consterné la communauté arabe, qui doute plus que jamais de la réalité
de sa citoyenneté israélienne. Tandis que la plupart des Israéliens, y compris
ceux de gauche, n'ont vu dans ces manifestations qu'une nouvelle trahison des «
Arabes de l'intérieur », c'est-à-dire une menace à l'existence même d'Israël. «
Nous vivons dans un Etat juif, mais nous ne sommes pas juifs et nous n'allons
pas le devenir. Nous avons changé de carte d'identité mais pas d'identité. Nous
sommes simplement restés chez nous, s'insurge Hanna Sweid, maire d'Eilaboun et
membre du Haut Comité arabe. Or si nous réclamons nos droits légitimes, ou si
nous manifestons notre solidarité avec les autres Palestiniens on pense aussitôt
que nous cherchons à détruire ce pays, n'est-ce pas ridicule ? Il faudra bien
qu'un jour Israël reconnaisse la réalité de nos souffrances et admette ses
responsabilités. C'est le seul moyen d'envisager la paix, puis peut-être, un
jour, la réconciliation. »
Ce n'est pas pour demain. Au moshav Massad, un
village communautaire israélien, à 1 kilomètre d'Eilaboun, personne n'a jamais
entendu parler de « l'affaire »...
(1) « The Birth of the Palestinian
Refugee Problem, 1947-1949 », par Benny Morris, Cambridge University Press,
1998.
(2) 1 hectare = 10 dunams.
4. Il y a eu, c'est certain, prise et fusillade
d'otages... par le Lieutenant-Colonel Sore
in Le Nouvel Observateur du jeudi 4 janvier 2001
Un
mois après « l'affaire d'Eilaboun », un officier français des Nations unies, le
lieutenant-colonel Sore, a mené sur le terrain une enquête approfondie. Son
rapport a été exhumé des archives de l'ONU par l'historien israélien Benny
Morris. Ce sont des extraits de ce documents que nous publions ici.
I. -
Sommaire de l'affaire
Le vendredi 29 octobre, les forces juives de Galilée,
entreprenant une opération en direction générale du nord, attaquaient, en
particulier sur l'axe Lubiya-Eilabun-Machar.
L'attaque entreprise comprenant
en premier lieu une action de force sur les hauteurs immédiatement sud
d'Eilabun, occupées depuis un mois environ par des forces de Fawdji Kawdji.
Dans la matinée du samedi 30 octobre, entre 5 heures et 6 heures (heure
locale), les forces juives entraient dans le village dont les habitants (arabes
chrétiens) faisaient soumission ; après rassemblement hâtif de la population,
ordonné par les forces juives, 13 habitants du village (hommes en état de porter
les armes) étaient exécutés, tandis que quelques hommes (une vingtaine environ)
étaient faits prisonniers. Le reste de la population était invitée à évacuer
sans délai le village en direction de Machar.
Depuis, la majeure partie de
la population s'est réfugiée au Liban, tandis qu'une infime minorité est revenue
au bout de quelques jours. [...]
Les rapports d'enquêtes fournis jusqu'à ce
jour à l'état-major du médiateur manquant de précision en ce qui concerne
notamment le meurtre des 13 habitants, l'expulsion par la force de la
population, le pillage du village, une enquête spéciale a été menée le 12/11/48
de 11 heures à 14 heures [...]
II. - Renseignements divers sur Eilabun
Le village d'Eilabun est composé de deux parties groupées autour de deux
églises de rites grec orthodoxe et grec catholique. Dominé au sud par une série
de hauteurs orientées est-ouest, qui en commandent l'accès, c'est un village
agricole cultivant céréales (blé, orge, lentilles) et oliviers.
Peuplé en
temps normal de 750 Arabes chrétiens - 600 de rite grec catholique, 150 de rite
grec orthodoxe -, Eilabun avait, avant l'attaque juive, un cheptel vif d'environ
400 chèvres et moutons, 200 vaches, 5 chevaux, 50 ânes, 1 000 têtes de
volailles.
Sur le plan tactique, pour une agression venant du sud,
l'ensemble, village et hauteurs le dominant immédiatement au sud, constitue un
verrou de première importance sur l'axe Afula-Meirun.
Depuis l'entrée des
Juifs, le 30 octobre au matin, 60 habitants seulement (femmes, enfants, hommes
âgés) sont revenus.
Tout le cheptel vif a disparu, à l'exception de quelques
poulets et pigeons.
Il n'y a pas eu de destructions d'immeubles, par contre
la presque totalité des habitations a été pillée, meubles fracturés, images
pieuses brisées. [...]
III. - Renseignements d'enquête proprement dits
1) Le village était occupé, ainsi que ses environs sud, depuis un mois
environ par une compagnie de 150 hommes (Alaouites, Bédouins, musulmans
européens) appartenant aux forces de Fawdji Kawdji. Seuls 5 habitants du village
servaient, régulièrement équipés et armés dans cette unité.
2) Lorsque les
troupes juives sont entrées dans le village, le 30 octobre, vers 5 heures, la
presque totalité de la population était groupée dans les deux églises autour de
leurs pasteurs.
3) L'église orthodoxe portait à son clocher un drapeau
jaune, l'église catholique un drapeau blanc.
4) Bien que le curé Markos ait
présenté sur la place proche de son église la soumission du village au chef
juif, accompagné de 4 soldats, sous la forme littérale suivante : « Je place mon
village sous la protection du gouvernement d'Israël », l'ordre était
immédiatement donné de rassembler tous les habitants du village.
5) 13
hommes en âge de porter les armes étaient tués, avant 6 heures du matin. [...]
Avant de tirer sur ces hommes, le chef juif aurait dit : « Vous avez voulu la
guerre, vous l'avez. »
6) Quant au reste de la population, elle a reçu
l'ordre - à l'exception de 50 à 60 femmes et enfants partis avant l'arrivée des
Juifs, d'une vingtaine d'hommes jeunes faits prisonniers après l'entrée des
troupes d'Israël - de se porter sur Machar (village en partie druze).
Au
village, les quelques personnes qui y sont actuellement sont incapables de dire
où sont les autres membres de leurs familles. Beaucoup pensant qu'ils sont au
Liban.
7) Durant les cinq jours qui ont suivi l'entrée des Juifs à Eilabun,
le village a été pillé, portes fracturées, meubles détruits, images pieuses
souillées...
8) Pendant l'exode vers Machar et le nord, quelques habitants
(hommes, femmes et enfants) auraient été tués ou blessés.
9) Le village a
remis, de sa propre initiative, 7 armes portatives (anglaises, françaises, etc.)
à la police d'Israël. Reçu en a été remis au père Markos.
10) Les prêtres
demandent que la population soit autorisée à rentrer, étant donné que, d'une
part, la population proprement dite du village n'a pas pris part à la lutte,
d'autre part, c'est l'époque des labours et de la récolte des olives.
11) Le
père Markos fait connaître qu'un mois avant l'entrée des Juifs à Eilabun deux
Juifs auraient été tués par des hommes de Fawdji Kawdji. Leurs têtes coupées
auraient été rendues à des Israéliens. [...]
IV. - Conclusions
1) Il y a
eu, c'est certain : prise et fusillade d'otages (13), capture d'hommes en état
de porter les armes, expulsion forcée de la population, pillage.
2) Une
partie de ces faits peut s'expliquer en partie par : la mort des 2 Juifs (têtes
coupées) ; la résistance d'Eilabun et l'exaspération des troupes juives ; des
raisons de sécurité immédiate.
Elle ne peut se justifier sur le plan
juridique.
3) Un point reste à élucider.
Les faits incriminés sont-ils
imputables à un commandement local fatigué et énervé après plus de douze heures
de combat pénible (combat de nuit en partie), ou aux ordres d'une autorité
supérieure décidée à se montrer implacable à l'égard des populations arabes de
Palestine (musulmanes et chrétiennes) ? Quand on lit la presse locale, qui fait
appel à une collaboration sincère des éléments israélites et arabes de la
population palestinienne, il est permis d'hésiter.
Ni l'une ni l'autre de
ces hypothèses ne peut néanmoins expliquer la mort des 13 habitants d'Eilabun
tués avant le lever du soleil, le 30 octobre 1948.
5. La dernière chance du plan Clinton par
René Backmann avec Victor Cygielman à Tel Aviv
in Le Nouvel Observateur du jeudi 4 janvier 2001
Le
président américain réussira-t-il à arracher un accord de paix entre les
Israéliens et les Palestiniens avant son départ de la Maison-Blanche ? Ni Arafat
ni Barak ne cachent leur pessimisme.
C'est contre l'avis de certains de ses
proches, comme le ministre de la Culture Yasser Abed Rabbo, et après deux
longues conversations téléphoniques avec Bill Clinton que Yasser Arafat s'est
envolé lundi soir pour Washington, cédant aux pressions d'une quarantaine de
chefs d'Etats et de gouvernements qui avaient profité de la tradition des voeux
pour conseiller au président palestinien de ne pas laisser passer une « dernière
chance » d'aboutir à un accord. Même si le principal négociateur palestinien,
Saeb Erakat, reste partisan de la poursuite des pourparlers - malgré les
réticences de la base du Fatah - la majorité des dirigeants de l'OLP et
l'entourage du Premier ministre israélien Ehoud Barak ne cachent pas leur
pessimisme.
En dépit de l'acharnement diplomatique de Bill Clinton, il
faudrait en effet un véritable miracle pour qu'Ehoud Barak et Yasser Arafat
parviennent à un accord sur le « règlement définitif » du problème palestinien
et se retrouvent à la Maison Blanche avant le 20 janvier, date à laquelle
s'achèvera le mandat du président américain. Destinées, en principe, à « jeter
un pont » entre les positions israéliennes et palestiniennes, les propositions
formulées à la veille de Noël par Bill Clinton au terme de négociations entamées
cinq jours plus tôt sur la base de Bolling, près de Washington, n'ont débouché
sur aucun compromis acceptable par les deux parties. En fait, ces propositions
ont surtout permis de constater l'ampleur du gouffre qui sépare aujourd'hui les
signataires des accords d'Oslo.
Gouffre psychologique, d'abord. Creusé par
l'interminable agonie d'un « processus de paix » moribond et aggravé par des
affrontements qui ont fait en trois mois près de 350 morts en majorité
Palestiniens. Gouffre diplomatique et politique aussi, révélé par les
divergences radicales entre les deux parties sur des points essentiels des
discussions - Jérusalem, les frontières, les colonies, les réfugiés - et sur le
mécanisme même de la négociation. Alors que les dirigeants israéliens - soutenus
sur ce point capital par Washington - continuent de défendre le principe d'un
accord global suivi de multiples négociations techniques, les Palestiniens
défendent une construction pyramidale de la paix : une série d'accords
pratiques, détaillés, sur tous les dossiers en discussion, assortis d'un
calendrier précis et suivis d'un accord global marquant solennellement la fin du
conflit.
Invoquant leurs déboires avec le dispositif de négociation élaboré
à Oslo - sept ans après la signature par Rabin et Arafat de la « Déclaration de
principes », ils ne contrôlent que 60% de Gaza et 17,2% de la Cisjordanie,
éparpillés en quinze confettis - les dirigeants palestiniens affirment que les
impératifs de calendrier qui sous-tendent la stratégie de Bill Clinton et Ehoud
Barak - la succession à la Maison-Blanche, dans deux semaines et l'élection du
Premier ministre israélien le 6 février - sont assez secondaires au regard de la
tâche historique qu'ils doivent affronter. Et ils rappellent qu'ils ne prendront
une décision définitive sur la poursuite de la négociation qu'après avoir reçu
des réponses aux demandes d'éclaircissements adressées par Yasser Arafat à Bill
Clinton le 27 décembre.
Du côté israélien, l'entourage d'Ehoud Barak ne
cachait, mardi matin, ni sa surprise ni sa déception. Alors que le Premier
ministre et ses conseillers s'apprêtaient à lancer une campagne de relations
publiques présentant Arafat comme « l'homme qui dit toujours non à la paix »,
l'annonce de son départ pour Washington est venue compliquer leur tâche. La
situation est d'autant plus difficile pour Ehoud Barak que son autorité dans le
pays s'effrite d'heure en heure. Le conseiller juridique du gouvernement, les
deux grands rabbins d'Israël et un ancien ministre travailliste viennent de
joindre leurs voix à celles des responsables de l'opposition pour exiger du
Premier ministre l'arrêt immédiat des négociations, même indirectes, avec
Arafat. Cela au moment où les attentats palestiniens au coeur même d'Israël
contribuent à renforcer le camp des adversaires de la paix...
6. Les périls de la paix par Bernard
Guetta
in L'Express du jeudi 4 janvier 2001
Ça fait peur,
la paix. Israéliens et Palestiniens la craignent tant qu'ils auront tout fait,
jusqu'au bout, jusqu'à l'heure où Bill Clinton recevait Yasser Arafat, pour
empêcher leurs dirigeants d'accepter les propositions américaines. Mais
pourquoi? Pourquoi ces sondages donnant des deux côtés des majorités hostiles au
plan Clinton? Pourquoi ces assassinats qui voulaient tuer la paix, cette
exacerbation de la haine au moment où l'accord s'approchait?
Il y a des
raisons à cela. La paix venue, tous ceux des 3,5 millions de réfugiés
palestiniens dont les familles ont vécu sur des terres devenues israéliennes
devront renoncer à rentrer chez eux. La maison perdue le sera à jamais. Pour
eux, c'en sera fini d'un rêve et, pour tous les Palestiniens, la paix aura
forcément un drôle de goût.
Elle consacrera, par définition, l'existence
d'Israël, sa victoire politique après ses victoires militaires. Après cinquante
ans de guerre, la paix sera, pour les Palestiniens, la reconnaissance de leur
défaite, mais elle ouvrira, parallèlement, une période d'immense incertitude
pour les Israéliens.
En guerre, Israël est assuré du soutien américain et de
la bienveillance européenne. Dans la guerre, laïques et religieux, Marocains ou
Polonais, sabras ou nouveaux venus constituent une nation à laquelle le danger
fait surmonter ses divergences. Avec la paix, rien ne serait plus pareil. Il
faudrait non seulement inventer une coexistence avec la Palestine, mais aussi
trouver une place au Proche-Orient, s'y faire accepter, s'habituer à moins
compter sur les Etats-Unis, choisir entre laïcité et cléricalisme, savoir éviter
la désunion des nouvelles tribus d'Israël, tout aussi déchirées que dans la
Bible.
La paix est un défi. Elle l'est pour les uns et pour les autres. A le
nier, on s'interdirait de comprendre l'incertitude du moment, le possible échec
de cette énième tentative ou les fragilités de son éventuel succès. Dans cet
affrontement, il n'y a ni «terroristes» ni «tueurs d'enfants», ni gentils ni
méchants. Il y a deux peuples face à face, deux peuples pour une seule terre,
tellement terrifiés l'un par l'autre et par le choix à faire qu'ils ont besoin -
même et surtout si l'échec s'avérait - qu'on leur dise, leur crie, leur martèle
que les périls de la paix sont infiniment moins grands que ceux de la
guerre.
La Palestine existe, forgée par l'exil et les combats. Face à elle,
pour Israël, le choix est simple. Ou bien il préside à sa naissance et fait de
cet Etat un partenaire, ou bien cet Etat se fera contre lui, deviendra la
bannière d'un nouveau radicalisme arabo-musulman et constituera, tôt ou tard,
une menace autrement plus sérieuse que les armées arabes des guerres
d'antan.
Pour les Palestiniens, l'alternative est tout aussi claire. Ou bien
ils peuvent fonder leur développement économique sur la prospérité israélienne
et affirmer, avec Israël, un pôle démocratique au Proche-Orient, ou bien ils se
condamnent à de nouvelles décennies de chômage, de misère et de
jusqu'au-boutisme. Entre Israéliens et Palestiniens, la guerre n'est un bon pari
pour personne. Il ne suffit malheureusement pas de le savoir pour faire la paix.
Ça ne fait qu'y aider.
7. Bachar el-Assad face à la crise du Proche-Orient
par Patrick Seale
in Al Hayat (quotidien arabe publié à Londres) traduit dans
Courrier international du jeudi 4 janvier 2001
Patrick Seale est un
journaliste et écrivain britannique spécialiste du Proche-Orient.
La Syrie
tente de se repositionner au Moyen-Orient. Néanmoins, le nouveau président ne
peut sortir à sa guise de la voie tracée par son père, soutient l’analyste
britannique Patrick Seale.
Avec leur Intifada, les Palestiniens se sont
lancés dans une guerre de libération dont l’objectif est de mettre fin à
l’occupation militaire israélienne. Ce soulèvement a provoqué un véritable
séisme, pas seulement sur le terrain, mais aussi dans les esprits. Dans ces
conditions, quels sont les choix possibles ? Israël - empêtré dans ses querelles
internes, tenaillé par ses vieilles peurs et qui, de plus, entre en campagne
électorale - ne semble pas prêt à modifier son approche des problèmes régionaux.
Dès lors, Ehoud Barak aura-t-il la sagesse et le courage nécessaires pour
choisir la voie de la paix et préparer son opinion à un retrait des territoires
palestiniens occupés ? Ou bien continuera-t-il à privilégier la méthode
militaire ? L’absence de clarté quant aux choix futurs de l’Etat hébreu dans ce
domaine constitue déjà en soi un élément d’instabilité pour la région.
Le
changement régional le plus notable est la perte de confiance envers les
Etats-Unis. Il y a dix ans à peine, au sortir de la guerre du Golfe et alors que
l’Union soviétique venait de s’effondrer, les Etats-Unis étaient au faîte de
leur puissance. En libérant le Koweït et en “contenant” l’Irak et l’Iran, les
Américains lançaient le processus de Madrid et instauraient le “nouvel ordre
mondial”. Pourtant, aujourd’hui, qu’il s’agisse de l’Irak ou du processus de
paix israélo-palestinien, l’échec de la politique américaine est patent. En
laissant passer l’occasion d’imposer une paix juste et durable et en soutenant
aveuglément Israël, les Etats-Unis ont déçu et sont désormais haïs par les
opinions publiques de l’ensemble des pays arabes et musulmans. Les Etats-Unis,
tout-puissants au Proche-Orient depuis le déclin de l’influence
franco-britannique, ont, par leur manque d’imagination, créé un vide inquiétant
dans la région.
L’Europe est-elle capable de remplir ce vide ? Beaucoup
d’Arabes le souhaiteraient et reprochent dès lors aux Européens leurs divisions
et leur silence par rapport à la situation actuelle. Certes, on peut reprocher
son manque de clarté à l’Europe, d’autant plus que les Européens se sentent très
concernés par la crise actuelle et qu’ils ont beaucoup d’intérêts au
Proche-Orient. Néanmoins, il faut également comprendre qu’ils ne sont pas
toujours convaincus de la sincérité des intentions arabes à leur égard. En
effet, par le passé, les Arabes ont souvent agité l’option européenne pour faire
peur à l’Amérique. Mais, dès qu’ils obtenaient ce qu’ils voulaient, ils
rejoignaient rapidement le giron américain. Dans ce contexte, les chefs d’Etats
arabes, et parmi eux le président Bachar el-Assad, cherchent à se
positionner.
Ce qui frappe en Syrie, aujourd’hui, c’est à la fois la
continuité et le changement. La légitimité de Bachar el-Assad n’est pas
seulement due au fait qu’il est le fils de l’ancien président, mais provient de
son rôle de gardien de l’héritage politique d’Hafez el-Assad. Dans ces
conditions, il ne peut quitter à sa guise la voie tracée par son père et il doit
tolérer que certains conseillers influents de son père demeurent encore à leurs
postes, au moins à court terme.
Pour autant, le jeune président syrien a
conscience qu’il doit répondre au besoin de changement et revoir certaines
stratégies afin de pouvoir affronter les nouveaux défis qui l’attendent. Il doit
d’abord se positionner vis-à-vis d’Israël et des Etats-Unis. Lors du dernier
sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), au Qatar, Bachar
el-Assad a fait part de sa déception à l’égard des Etats-Unis, sans toutefois
les citer nommément, et il a critiqué l’hypocrisie du nouvel ordre
mondial.
Dès lors, quelle est la marge de manoeuvre du Dr Bachar ? Il
semblerait que le président syrien ait décidé de chercher de nouvelles alliances
régionales qui assureraient à la Syrie une profondeur stratégique et lui
permettraient aussi de ne plus dépendre d’un seul allié. Dans ce contexte,
l’alliance avec l’Iran et la poursuite d’une bonne coopération avec l’Egypte et
l’Arabie Saoudite restent la pierre angulaire de la politique étrangère de la
Syrie.
Les relations entre la Syrie et la Turquie se sont considérablement
améliorées depuis que Damas a cessé de soutenir le Parti des travailleurs du
Kurdistan (PKK). Les contacts entre les deux pays se sont intensifiés, au point
que l’on parle d’une possible visite d’El Assad à Ankara après la fin du
ramadan. Les discussions sur la répartition des eaux de l’Euphrate devraient
dans ces conditions évoluer favorablement. En entretenant de bonnes relations
avec la Turquie, les Syriens espèrent obtenir que celle-ci ne compromette pas
leurs intérêts (ni ceux des pays arabes) au profit de son alliance avec
Israël.
Le rapprochement avec l’Irak est encore plus important pour la Syrie
que l’ouverture sur la Turquie. Celui-ci a déjà débuté avec la reprise du
commerce transfrontalier et s’est poursuivi avec la visite récente à Damas du
vice-Premier ministre irakien Tarek Aziz, ainsi que celle du vice-président
Izzet Dawri, signe supplémentaire de la prochaine relance des relations
diplomatiques entre les deux pays. L’Irak offre ainsi à la Syrie la profondeur
stratégique dont elle a besoin. Dès lors, les Syriens espèrent que la levée de
l’embargo sur l’Irak permettra aux ports syriens d’être le point de transit
principal des importations et des exportations irakiennes.
Si des divergences
persistent entre Yasser Arafat et le nouveau président syrien, elles ne vont pas
jusqu’à empêcher le début d’un dialogue entre la Syrie et l’Autorité
palestinienne. D’après certaines sources, il semble même qu’Arafat pourrait se
rendre à Damas “dans les prochaines semaines”. L’approche globale syrienne de la
crise au Proche-Orient confirme l’amélioration des relations
syro-palestiniennes. En effet, avant la nouvelle Intifada, Damas considérait que
les Palestiniens, en entamant seuls des pourparlers de paix avec Israël à Oslo,
en 1993, avaient brisé l’unité arabe, dégageant ainsi la Syrie - désormais
uniquement préoccupée par le Sud-Liban et par le Golan - de toute responsabilité
dans ce processus. Or, aujourd’hui, la Syrie réclame un règlement global de la
crise au Proche-Orient, en exigeant notamment la création d’un Etat palestinien
indépendant avec pour capitale Jérusalem-Est, ce qui constitue un
repositionnement important de l’un des acteurs principaux de la scène
régionale.
Bachar el-Assad tente également un rapprochement avec la Jordanie
- avec laquelle son père avait entretenu de très mauvaises relations - dans le
but de soustraire un tant soit peu le royaume hachémite à l’influence
israélienne et américaine. Toutefois, compte tenu de la position délicate du roi
Abdallah II, qui ne souhaite pas irriter ses alliés occidentaux outre mesure,
les relations syro-jordaniennes restent laborieuses.
Quant aux rapports entre
la Syrie et le Liban, ils font visiblement l’objet de discussions à l’intérieur
du régime syrien. Certains continuent de privilégier un contrôle fort du Liban,
tandis que d’autres, parmi lesquels se trouverait Bachar el-Assad, seraient
prêts à admettre une certaine émancipation du voisin libanais pour peu que cela
ne menace pas les intérêts syriens.
8. Quel retour après cinquante ans d'exil ?
par Avraham B. Yehoshua
in Libération du jeudi 4 janvier 2001
Avraham
B. Yehoshua est un écrivain israélien. Dernier roman traduit en français:
«Voyage vers l'an mil», Calmann-Lévy, 1998.
Désormais, tout est clair :
l'accord de paix entre Israël et l'Autorité palestinienne risque d'échouer à
cause de l'impossibilité pour Israël d'accepter le droit au retour des
Palestiniens. Alors qu'à Jérusalem il est possible de trouver une solution de
partage, que le problème de la souveraineté sur le mont du Temple (l'esplanade
des Mosquées) peut être résolu de manière symbolique et pragmatique. Même
l'obstacle des blocs de colonies fait l'objet d'un consensus avec les
Palestiniens, et, pour prix du maintien de certains d'entre eux, ceux-là
recevront une compensation territoriale à l'intérieur des limites de l'Etat
d'Israël. Quant aux problèmes de sécurité d'Israël, ils sont susceptibles d'un
accord grâce à l'interposition de forces internationales... Seul le droit au
retour représente un casus belli aux yeux de chaque Israélien.
Il y a
quelques jours, un certain nombre de militants éminents et vétérans du camp de
la paix en Israël ont rédigé une déclaration, dont voici un résumé: d'accord
pour le retour, la réhabilitation et l'indemnisation des réfugiés à l'intérieur
de l'Etat de Palestine. Mais de retour à l'intérieur d'Israël, il n'en est pas
question.
Je voudrais expliquer au lecteur français qui porterait encore un
intérêt quelconque au conflit israélo-palestinien, pourquoi j'ai signé, moi
aussi, de bon cœur cette déclaration du camp de la paix.
Et je désirerais,
cette fois, expliquer ce sujet non de manière abstraite mais par le biais d'un
récit concernant un réfugié palestinien qui aurait nom Abou Salam et qui
voudrait revenir en Israël plutôt que de s'installer en Palestine. Je veux
montrer clairement, à travers un tel récit, pourquoi même ceux qui se battent
depuis de nombreuses années pour la paix et le compromis ne peuvent accepter la
logique d'une telle volonté de retour.
Supposons qu'Abou Salam ait 60 ans et
qu'il soit originaire de Lod (Lydda, en arabe), ville israélienne moyenne, à 10
kilomètres de Tel-Aviv et à portée de l'aéroport principal d'Israël (Ben-
Gourion). Cette ville se situe à 45 kilomètres de Jérusalem et à une distance de
50 kilomètres du camp de réfugiés de Kalendya, à la lisière de la ville de
Ramallah où demeure, depuis cinquante-deux ans, Abou Salam. Sa famille a fui (ou
a été expulsée, c'est selon les circonstances) de Lod pendant la guerre de 1948,
après que les Palestiniens eurent refusé la décision de partage des Nations
unies, qui proposait l'établissement d'un Etat juif à côté d'un Etat
palestinien. Abou Salam avait alors 8 ans et, depuis, il demeure dans un camp de
réfugiés à quelque 50 kilomètres de la ville de ses aïeux, dont il se souvient
de manière estompée, tandis que ses enfants et petits-enfants n'en connaissent
rien. Pourquoi Abou Salam habite-t-il depuis ces dernières cinquante-deux années
dans un camp de réfugiés? Sans doute parce qu'il refuse de s'établir de manière
définitive à Kalendya et que son rêve le porte au retour vers le foyer de ses
aïeux. Mais, tout en affichant un tel rêve, il pouvait le préserver en menant
une vie normale dans une véritable maison et non dans une sorte de pitoyable
cabane, dans un camp de réfugiés surpeuplé et misérable, dans des conditions
sanitaires déplorables et dans une dépendance à l'endroit des subventions de
l'Unrwa (organisme spécifique des Nations unies d'aide aux réfugiés
palestiniens). Il pouvait aisément construire une véritable vie à 50 kilomètres
de sa ville natale et attendre l'occasion, que ce fût par la guerre ou par un
accord de paix, de retourner dans son foyer ou dans celui de ses parents. Mais
lui et, surtout, ses dirigeants ont décidé de l'installer dans un état perpétuel
de réfugié dans sa patrie, malgré la honte et l'humiliation, afin qu'il puisse
être à même un jour de revenir dans ses foyers. Livrons-nous maintenant à un
exercice de simulation et réfléchissons au cas où Israël accepterait la
revendication de retour et permettrait à Abou Salam, dans un accord de paix, de
revenir dans sa maison de Lod. Cette maison n'existe plus. Ou elle a été
détruite et, à sa place, s'élève désormais un immeuble de plusieurs étages. Ou,
encore, quelqu'un d'autre l'habite-t-il depuis de nombreuses années et y a tout
changé au point de la rendre méconnaissable. Il ne viendrait à l'esprit de
quiconque qu'afin de restituer à Abou Salam sa maison ou la parcelle de sol sur
laquelle est construit l'immeuble, que l'on détruise l'édifice et que l'on
évacue deux cents ou trois cents occupants de leur appartement. Et qu'on les
transforme en réfugiés dans le but de rendre à Abou Salam son lopin de terre
afin qu'il y reconstruise la maison de ses parents qui y vécurent il y a un
demi-siècle et pour laquelle on doute qu'il se souvienne encore de son aspect.
Dans la plupart des lieux où demeuraient, il y a cinquante-deux ans, des
Palestiniens, ont été tracées des routes, des usines ont été construites, des
cités ont été érigées. La ville de Lod s'est développée, s'est agrandie au cours
du dernier demi-siècle, et il faudrait détruire une grande partie de la ville
pour restaurer la maison d'Abou Salam et de celles de ses compagnons d'exil.
Il se peut qu'alors Abou Salam dise : Oui, bien sûr, je comprends, il est
difficile d'édifier de nouveau la maison originelle où mes parents habitaient et
de me rendre mon lieu natal car, pour cela, il faudrait détruire trop de choses.
Mais, au moins, permettez-moi de revenir à Lod, dans cette ville où mes parents
ont habité.
Poursuivons notre fiction jusqu'au bout... Supposons que l'Etat
d'Israël accorde un lopin de terre à la périphérie de Lod, là même où l'on
érigerait une cité pour Abou Salam et ses compagnons réfugiés. Cette zone de Lod
n'a jamais fait partie du Lod de leurs ancêtres. Là, ils ne retrouveraient pas
l'odeur des orangeraies et des oliveraies, dont ils sont nostalgiques. Ils
habiteraient certes Lod, mais une Lod administrative, municipale, et non la Lod
de leur enfance. Désormais, ils résideraient dans un Etat juif, dont ils ne
connaissent pas la langue, dont la culture leur est étrangère, dont la religion
de la majorité de ses habitants est une autre religion que la leur. Ils
vivraient dans un Etat dont l'hymne et le drapeau sont sionistes. Dont le mode
de vie est occidental et où ils seraient une minorité nationale, subissant une
vie insatisfaisante et aliénée, beaucoup plus dure que celle que mènent les
Arabes citoyens d'Israël, qui y vivent depuis sa fondation et qui se battent
encore pour jouir de leurs droits pléniers. Sera-ce donc la réalisation pleine
et entière de leur rêve de retour? Abou Salam et ses compagnons se heurteront,
dès le premier moment, à l'hostilité de leur environnement juif, se feront
toujours suspecter de menées à l'encontre d'un Etat haï dans son principe même.
Quel sens a et quelle utilité a un tel retour, alors que l'autre terme de
l'alternative apparaît plus adéquat?
Oui, le bon choix est là: vivre en
effet à 50 kilomètres de Lod. Recevoir des indemnisations généreuses pour les
biens qui étaient les leurs et de leurs parents jadis. Construire de nouvelles
maisons sur les collines de Ramallah, vivre dans leur propre Etat, sous leur
drapeau, avec leurs frères et compatriotes, dans la patrie palestinienne. Un
Etat dont ils connaissent la langue, les lois, un pays où ils ont vécu pendant
cinquante-deux années. Devenir des citoyens de plein droit qui pourront
contribuer, entièrement, à façonner la souveraineté du nouvel Etat palestinien.
N'est-ce pas là le bon choix? N'est-ce pas la solution logique qui puisse
conduire à la réhabilitation des réfugiés, sans essayer de transformer l'Etat
d'Israël en Etat binational, avec tous les malheurs et les handicaps qu'engendre
une telle cohabitation?
Dans le monde moderne, des milliers d'hommes
changent de résidence, non pas à une distance de 50 kilomètres mais de centaines
de kilomètres, et peu se considèrent comme réfugiés ou comme déracinés.
En
fait, les Palestiniens qui s'obstinent dans ce droit au retour absurde ne
veulent pas la paix mais la justice. Comme Michael Kohlhaas, le héros de von
Kleist, ils sont prêts à anéantir la région pourvu qu'apparaisse la justice
absolue (selon leur conception). Mais comme dit le merveilleux poète israélien
Yéhouda Amihaï, décédé l'an dernier, dans un lieu où l'on exige de faire régner
à tout prix la justice, jamais ne fleuriront les fleurs.
Traduit de l'hébreu
par Jean-Luc Allouche.
9. Israël-Palestine : une querelle de légitimité
par Elie Barnavi
in Le Monde du jeudi 4 janvier 2001
FAYÇAL HUSSEINI
est un honnête homme, et je ne doute pas qu´il désire sincèrement la paix.
Certes, l´article qu´il a publié dans Le Monde (“Palestine, la révolte d´un
peuple”, Le Monde du 30 décembre 2000) fourmille d´inexactitudes factuelles, de
vérités tronquées et d´omissions. Mais comment en serait-il autrement ? M.
Husseini n´est pas un observateur impartial, si tant est que, s´agissant de
notre malheureuse contrée, cet oiseau rare existe ; il est un membre important
d´un mouvement national.
Je lui ferai donc grâce des détails (ainsi, les “
trois mille soldats israéliens en armes ” qui auraient accompagné M. Sharon sur
le mont du Temple). Je ne lui tiendrai pas rigueur de la comparaison, à
l´évidence absurde, entre un conflit centenaire opposant deux mouvements
nationaux et le soulèvement des Serbes contre un dictateur issu de leur sein. Je
ne m´arrêterai même pas sur la lecture cavalière de notre histoire récente (“
Franchissons à présent rapidement les années jusqu´au début de l´an 2000 ”). Je
préfère aller à l´essentiel, c´est-à-dire à la signification profonde des
derniers événements et aux enjeux véritables de la négociation en cours – une
négociation heurtée et désespérée, marquée par la violence, conditionnée par
l´urgence et handicapée par une impotence politique partagée.
Le maître mot
est légitimité. Vous avez acheté une maison, vous l´avez payée argent comptant,
elle est dûment enregistrée au cadastre, elle est à vous en toute légalité. Mais
voilà, elle est située dans un quartier hostile, où l´on n´aime pas votre peau,
ou votre style de vie, ou vos fréquentations. Aucun titre de propriété, aussi
indiscutable soit-il, ne protégera durablement votre possession si vos voisins
refusent de vous reconnaître comme le propriétaire légitime. Bien sûr, si vous
êtes plus riche qu´eux, vous hérisserez votre propriété de barbelés et de
miradors et vous serez en mesure de tenir en respect vos ennemis. Mais votre vie
sera un enfer. Cependant, vos voisins ne sont pas mieux lotis. Vous vivez dans
un camp retranché, mais eux vivent dans un bidonville ouvert à tout vent. Pour
faire de ce quartier un lieu vivable, ils ont besoin de vous autant que vous
d´eux, peut-être même davantage.
Voilà l´enjeu véritable de la négociation
qui s´est péniblement nouée à Madrid, a connu une brusque accélération à Oslo et
hésite maintenant, depuis Camp David, entre une conclusion heureuse et une
rupture grosse de malheurs. Pour Israël, la reconnaissance des Palestiniens
signifie l´ultime victoire du mouvement national juif moderne, autrement dit du
sionisme. Que la paix avec les Palestiniens soit enfin signée, que nos
frontières soient enfin arrêtées et reconnues, et nous aurons enfin obtenu ce
que nous avons toujours ardemment désiré : être admis comme membre à part
entière de cette région qui nous a vus naître comme peuple, propriétaires
légitimes de ce pays où, comme le dit notre Proclamation d´indépendance, “ se
forma [le] caractère spirituel, religieux et national[de ce peuple], [où] il
acquit son indépendance et créa une culture d´une portée à la fois nationale et
universelle,[où] il écrivit la Bible et en fit don au monde ”.
Ce qui est
vrai pour les Israéliens l´est tout autant pour les Palestiniens. Leur propre
mouvement national s´est forgé dans la lutte avec le nôtre. Par une ironie de
l´Histoire qui vaut son poids de souffrances, c´est le sionisme et l´Etat qu´il
a enfanté qui auront permis à terme la création d´un État palestinien souverain.
Imagine-t-on un instant que les pays arabes auraient permis à un tel État de
voir le jour, la Syrie surtout, pour qui la Palestine n´a jamais été que sa
province méridionale, tout comme elle n´a jamais considéré le Liban que comme sa
province occidentale ?
Afin d´aboutir à la reconnaissance mutuelle, il a
fallu que les deux parties mesurent les limites de leur puissance. L´écrasante
supériorité militaire israélienne a suffi pour remporter les affrontements qui
ont jalonné le demi-siècle d´existence de l´Etat hébreu. Mais ces affrontements
n´ont jamais été qu´autant de batailles dans une longue guerre qui, elle, n´est
pas gagnable sur le terrain. Inversement, les Arabes ont fini par comprendre
qu´Israël est décidément indéracinable et que, faute de pouvoir remporter une
seule bataille, le sort de la guerre restera à jamais indécis.
De Camp David
à Camp David, autrement dit de la paix avec l´Egypte à la tentative avortée d´en
finir avec le conflit israélo-palestinien, c´est ce constat d´impuissance
mutuelle qui nous a conduits, les uns et les autres, sur le chemin cahoteux de
la négociation. L´Egypte s´y est engagée la première, ce qui est logique : sa
prééminence naturelle au sein du monde arabe la rendait moins vulnérable.
Quarante et un ans après la décision de partage des Nations unies qui prévoyait
la création de deux Etats sur le territoire de la Palestine mandataire, les
Palestiniens y sont venus les derniers, ce qui est tout aussi logique : ce sont
eux qui ont payé le prix le plus lourd de la guerre, eux qui, de tous les
Arabes, paieront le prix le plus lourd de la paix.
Nous avons négocié donc,
directement et indirectement, secrètement et ouvertement, au Proche-Orient, en
Europe et aux Etats-Unis. Etrange négociation. D´un côté, un Etat puissant,
certes, mais que sa qualité même d´Etat constitué et de démocratie oblige à
rendre des comptes à ses citoyens et à la communauté internationale. De l´autre,
un semi-Etat qui a gardé la marge de manœuvre des mouvements de libération
nationale en lutte. Celui-là, sur la défensive, est comptable du moindre coup de
feu de ses troupes. Celui-ci, protégé par sa faiblesse et corseté dans une
espèce d´arrogance morale, n´est comptable de rien. Voyons, ce n´est pas moi,
c´est le Hamas, ou le Djihad islamique, ou les Tanzim, ou, mieux encore, “ tout
un peuple en colère ”.
Pourtant, petit à petit, l´écart s´est resserré.
Déterminé à arracher la paix, coûte que coûte, Israël a fini par admettre que
les Juifs ne sont pas partout chez eux en Judée, que les frontières du futur
Etat palestinien, dont nul, ou peu s´en faut, de droite ou de gauche, ne
conteste plus le droit à l´existence, fassent référence aux lignes de
cessez-le-feu de mai 1967, que l´unité de Jérusalem même passe par profits et
pertes.
Tout cela s´est dit à Camp David, en juillet 2000, et tout de suite
après. Mal préparé, le sommet de Camp David ? C´est probable. Les Palestiniens
n´étaient pas heureux des propositions qu´on leur a faites ? Cela se conçoit. Eh
bien, il aurait fallu continuer de négocier, négocier sans relâche, jusqu´à ce
qu´on aperçoive enfin, dans le ciel de Camp David ou d´ailleurs, la fumée
blanche des conclaves réussis. Au lieu de quoi, nous avons eu droit à un nouveau
round de violence.
Qu´on ne s´y trompe pas, cette “ deuxième Intifada ” n´a
rien à voir avec la première. D´abord, parce que l´horizon bouché qui, à la fin
des années 80, justifiait la première ne saurait plus servir de justification à
la seconde. Ensuite, parce que derrière les gamins à fronde se tiennent des
hommes à kalachnikov. Explosion de colère d´une population frustrée par sept
années de négociation stérile, excédée par les privations et excitée par la
visite d´Ariel Sharon sur le mont du Temple ? Si l´on veut. Mais surtout
soulèvement préparé de longue main, dès la fin du sommet avorté de Camp David,
par l´Autorité palestinienne, de l´aveu même de membres en vue de
celle-ci.
Or, si je comprends que le président de l´Autorité palestinienne ne
puisse éteindre à volonté le feu populaire, je comprends moins bien qu´il ne
puisse contrôler ses policiers et les francs-tireurs de son parti. Aussi, cela
expliquant ceci, parce que cette Intifada est dirigée non seulement contre une
occupation israélienne en voie de liquidation mais tout autant, sinon plus,
contre la direction palestinienne elle-même. Enfin, et peut-être surtout, parce
que les Palestiniens, y compris le premier parmi eux, ont choisi de placer leur
action sous le signe d´el-Aksa. Ce faisant, ils jouent avec le feu, le feu des
guerres de religion. L´islamisation volontaire du conflit israélo-palestinien
est une faute majeure, qui risque de s´avérer lourde de conséquences.
Où l´on
découvre que le constat d´impuissance qui a permis les négociations ne suffit
pas pour en assurer la conclusion : il faut maintenant franchir le pas ultime de
la légitimité. Un jour, dans la foulée des accords d´Oslo, une journaliste
française m´a fait rencontrer l´intellectuel palestinien Sari Nusseibeh, un
autre honnête homme, je le dis sans ironie aucune. Au terme d´un dialogue
courtois, et, tout compte fait, consensuel, j´ai demandé à mon interlocuteur si
désormais ma présence dans ce pays lui paraissait légitime. “ Non, cela ne sera
jamais, m´a-t-il répondu en souriant. Je l´accepte car je ne puis faire
autrement, et qu´il faut bien que cette guerre s´arrête un jour. Mais vous ne
serez jamais à nos yeux qu´un intrus. ”
Tout au long de ces jours fiévreux,
pendant et depuis Camp David, j´ai souvent pensé à cette étrange conversation.
Ce n´est pas un hasard si la négociation bute sur la question des réfugiés et
sur celle du mont du Temple. Le “ droit au retour ” de 3,7 millions de réfugiés
sur le sol d´Israël est une autre manière de dire qu´est illégitime l´Etat dont
la vocation historique est de constituer le refuge du peuple juif et le cadre où
doit s´affirmer son être collectif.
L´exigence d´une souveraineté
palestinienne exclusive sur le mont du Temple revient à dénier aux Juifs toute
légitimité historique à Jérusalem. Les négociateurs israéliens ont été
stupéfaits de découvrir à quel point leurs partenaires palestiniens, par
ailleurs si fins connaisseurs des réalités israéliennes, ignoraient les ressorts
profonds du nationalisme juif. “ Vous n´avez rien à faire sur l´esplanade des
Mosquées ”, leur a asséné, péremptoire, l´un d´entre eux. Nous n´y avons rien à
faire, vraiment ? Et pourquoi donc y a-t-il des mosquées sur le “ Noble
Sanctuaire ”, sinon parce qu´il y eut autrefois un premier Temple, puis un
second ? Mais lorsqu´on refuse aux Juifs tout lien avec le mont du Temple, alors
même que tant de formules de compromis ont été avancées (souveraineté divine,
souveraineté partagée, voire souveraineté internationale), c´est tout bonnement
qu´on leur refuse la légitimité.
Ainsi, sept ans après Oslo, les vents
mauvais qui soufflent sur notre pays en ont éteint l´esprit. Nous voici à la
fois plus proches que jamais d´un accord dans les faits, plus éloignés que
jamais dans l´esprit. Comment tout cela finira-t-il ? Je l´ignore. Car les clés
de la paix ou de la guerre ne se trouvent plus dans mon camp.
Élie Barnavi
est ambassadeur d´Israël en France.
10. Le désespoir des pacifistes israéliens
par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du mercredi 3 janvier 2001
Hannah et
Maurice n'ont jamais été aussi désemparés. Ce couple de kibboutzim appartenant à
un kibboutz du Meretz a toujours milité pour la paix israélo-palestinienne et
pour la création d'un Etat palestinien à côté d'Israël. Il y a un peu plus d'un
an, juste après l'élection d'Ehud Barak au poste de premier ministre, ces
militants de la paix avaient repris espoir. Ils espéraient que la parenthèse
noire de l'ère Netanyahu était fermée une bonne fois pour toutes, que le
processus de paix engagé par Yitzhak Rabin, qu'ils avaient appuyé de tout leur
enthousiasme, allait reprendre et être rapidement mené à bon port. Barak ne
l'avait-il pas promis pendant sa campagne ? N'en avait-il pas fait le serment au
soir de la victoire ?
Je me souviens d'Hannah rêvant déjà tout haut de
pouvoir aller bientôt faire son marché à Gaza, traçant des plans sur la comète
pour aider les femmes de Gaza à commercialiser leur artisanat d'art, elle qui a
acquis une expérience internationale en faisant connaître dans le monde les
bijoux du kibboutz Revadim : étrange coïncidence, il s'agit de copies de bijoux
créés par les Philistins dont on dit qu'ils sont les ancêtres des Palestiniens.
Maurice, cadre d'une entreprise de construction, espérait, lui, pouvoir
embaucher à nouveau des ouvriers palestiniens qu'il juge " les meilleurs,
irremplaçables ".
Aujourd'hui, Hannah et Maurice ont déchanté. Barak les a
déçus : " Il n'a pas rempli ses promesses. Il s'est comporté comme un militaire
et a pris ses décisions seules, en secret, sans consulter personne. Résultat :
il a fait beaucoup d'erreurs. "
La reprise de la violence entre les deux
peuples les horrifie et les désespère. " Nous ne savons plus quoi faire. Nous
voyons s'effondrer tout ce pour quoi nous nous sommes battus pendant tant
d'années. Nous ne faisons plus confiance à personne. Nous ne croyons même plus
que les Palestiniens désirent vraiment la paix. Au fond, ils n'ont jamais
accepté Israël ", dit Hannah qui ajoute : " Quoi qu'il arrive, il faudra des
années pour rétablir la confiance entre eux et nous. Je pense que de toute
façon, il y aura un Etat palestinien parce que c'est la seule solution juste,
mais ses relations avec Israël seront longtemps froides et limitées ; ce ne sera
pas la coopération amicale dont nous rêvions. Il y a eu trop de sang et trop de
haine. Tous ces meurtres, ces vengeances laisseront des traces profondes."
11. Le Napoléon de la Palestine trace les lignes de
bataille par Ewen Mac Askill
in The Guardian (quotidien britanique) du mardi 2 janvier
200
[traduit de l'anglais par Dr Christine
Vassiliadis]
En Cisjordanie, le soutien grandit pour le général du peuple et le
successeur potentiel de Yasser Arafat. Marouanne Bargouti est une compagnie
dangereuse. En tant que leader de la révolte palestinienne, il est la principale
cible des Israéliens. Un Palestinien nerveux, le regardant dévaler les escaliers
vers la sortie d'un groupe d'immeubles à Ramallah hier, a dit: "Donnez-lui
quelques minutes au cas où les Israéliens l'attendraient." Ceux qui l'entourent
ont été particulièrement nerveux pendant ces dernières 48 heures, alors
qu'augmentait le nombre d'assassinats. Parmi les victimes, un collègue de
Bargouti au Fatah, le parti dominant de l'OLP, abattu dimanche par les forces de
sécurité israélienne. Mr Bargouti dirige le Fatah en Cisjordanie et son armée de
lanceur de pierres, les jeunes du Fatah appelé Tanzim par les Israéliens. Il a
été baptisé par la presse arabe "le Napoléon du Fatah", en partie à cause de sa
petite taille et en partie à cause de son énergie et de son charisme. C'est un
général de terrain, que l'on peut trouver au coin des rues pendant les jets de
pierres, son téléphone mobile en main. Le premier ministre israélien Ehoud Barak
l'a personnellement blâmé pour l'intifada. Mais la révolte l'a rendu à la fois
populaire et puissant, et candidat à la succession du leader palestinien Yasser
Arafat après le départ de celui-ci. Mr Bargouti fait partie du dilemme de Mr
Arafat. Le leader palestinien est pris entre le président des Etats-Unis, Bill
Clinton, qui veut lui faire accepter ses propositions de paix, et Mr Bargouti,
qui veut les rejeter. Mr Bargouti, l'un de la jeune génération des dirigeants
palestiniens, pose problème à Mr Arafat, parce qu'il vient représenter l'humeur
des Palestiniens sur le terrain. Dans une interview au Guardian, Mr
Bargouti était sans équivoque : "Les plans américains sont très mauvais. Ils
doivent être rejetés. Ils vont à l'encontre des résolutions des Nations Unies
[qui appellent à un retour aux frontières qui existaient avant la guerre
israélo-arabe de 1967, et aux retour des réfugiés]. Tout journaliste souhaitant
rencontrer Mr Bargouti sera dirigé vers
Ramallah, mais sans recevoir
d'adresse, au cas où les Israéliens l'écouteraient ou le suivraient. Il fait
tout son possible pour minimiser les risque d'assassinat. Une fois en ville,
après une série de coups de téléphone, des indications lui seront données sur le
lieu où Bargouti aura installé son bureau ce jour particulier, habituellement
dans un bloc gris d'appartements résidentiels.
L'interview fut menée dans un
bureau aux murs blanc sale, à peine meublé, avec des hommes en jeans et
tee-shirts armés de AK-47 et installés tout autour. Au-dessus de sa tête, un
immense portrait du lieu saint disputé de Jérusalem, appelé Haram al-Sharif par
les Musulmans, et Mont du Temple par les Juifs. Les deux parties le
réclament.
Anniversaire
Hier était un jour important pour Mr Bargouti, le 36ème anniversaire de la
fondation du Fatah (Victoire). Peu après son établissement, des
commandos palestiniens commencèrent leurs raids en Israël. De larges
rassemblements eurent lieu à travers toute la Cisjordanie hier pour célébrer ce
jour, ajoutant à son caractère explosif. De façon cruciale, Mr
Bargouti émerge comme le sceptique palestinien le plus important en ce qui
concerne la conduite des négociations de paix par Mr Arafat au cours de ces sept
dernières années, surtout lorsque pendant ce temps, le nombre de colonies juives
en Cisjordanie n'a cessé d'augmenter. Il a publiquement déclaré que le Fatah
refuserait d'obéir à un ordre de stopper d'intifada sur les bases du plan
américain actuellement sur la table. Celui-ci propose un contrôle partagé sur
Haram al-Sharif, et une division territoriale plus favorable aux Palestiniens
qu'avant. Mais les Palestiniens ont des difficultés, en particulier avec la
proposition américaine de renoncer aux droits au retour en Israël des 3.5
millions de réfugiés. Et si Mr Arafat devait faire un accord sur les bases
du plan américain? Est-ce qu'il s'opposerait à son propre leader? "Il [Arafat]
ne le fera pas. J'ai confiance qu'il n'acceptera pas cette suggestion parce que
c'est une offre de réorganisation de l'occupation israélienne, plutôt que d'un
retrait israélien." Il a construit le Fatah en Cisjordanie comme une base de
pouvoir séparée, séparée de l'Autorité Palestinienne, le
gouvernement embryonnaire. "Nous sommes un parti qui est le parti
dirigeant, mais nous ne sommes pas l'Autorité Palestinienne", dit-il. Il a
provoqué une controverse lorsqu'il a critiqué la police de l'Autorité
Palestinienne pour n'avoir pas réussi à rejoindre l'intifada. "Le Fatah a sept
ans d'expérience d'intifada sans Autorité Palestinienne, et sept ans
d'expérience d'une Autorité sans intifada." Dans un défi directement adressé à
Mr Arafat, il veut que l'équipe de négociation avec les Israéliens soient
élargie au-delà de Mr Arafat et de son cercle, pour inclure des voix telles que
celles du Hamas, le groupe palestinien impliqué dans la violence. La raison de
la popularité de Mr Bargouti chez les Palestiniens, en particulier chez les
jeunes, est sa très grande implication dans l'intifada. Au contraire de Mr
Arafat et de son cercle, qui ont rarement été vus dans les rues pendant la
révolte, Mr Bargouti est visible a chaque étape du cycle violent:
rassemblements, émeutes et funérailles.
Mr Bargouti, à 41 ans, appartient à
la génération montante des dirigeants palestiniens. Il fut élevé en Cisjordanie,
contrairement aux plus proches collègues de Mr Arafat, la plupart en exil à
Tunis avec lui. Mr Arafat, à 71 ans, montre des signes de maladie. Les
Palestiniens en général rechignent à spéculer sur qui le remplacerait, bien
qu'on fasse l'hypothèse que son successeur soit parmi le groupe de Tunis. Les
noms généralement cités sont Abu Mazin, Abu Ala et Faruq Qaddumi. Même si l'un
d'eux prend le pouvoir, la génération de Mr Bargouti, avec sa vision différente,
sait que son temps ne sera pas long à venir. Quand Mr Arafat partira, les
Palestiniens iront peut-être même directement à Mr Bargouti ou l'un de sa
génération. Ca ne serait pas la première fois qu'une société vivant un conflit
choisisse de suivre l'homme qui tient une arme.
Critique ouverte.
Mr Bargouti est un fils de fermier, élevé dans un village de Cisjordanie,
Kafr Kuber. A l'université, il était à la tête du mouvement étudiant du Fatah,
et il alla en prison plusieurs fois pendant six ans avant d'être envoyé en exil
en Jordanie par Israël. Pendant son exil, il fut élu au Conseil Révolutionnaire
du Fatah, devenant son plus jeune membre. Il est retourné en Cisjordanie en
1994, avec le premier groupe de déportés qui rentrèrent chez eux sous les
accords d'Oslo signés par les Israéliens et les Palestiniens et mettant fin à
l'intifada. Dans une société où peu de Palestiniens critiquent publiquement Mr
Arafat, Mr Bargouti a parlé ouvertement, surtout de la corruption générale
impliquant l'entourage du leader palestinien. Le style de vie extravagant de
certains d'entre eux a apporté beaucoup de désillusions sur le groupe de Tunis
aux jeunes Palestiniens. Mr Bargouti a répété que le seul langage qu'Israël
comprenait était la force. Il a appelé de façon cohérente à une approche plus
agressive envers Israël. Quand les forces israéliennes se sont retirées du Liban
cet été après les attaques soutenues de la guérillas du groupe islamique
Hezbollah, la leçon que Mr Bargouti en a tirée était qu'Israël répondait à la
force. Face à cet arrière-plan, il n'est pas surprenant que les Israéliens aient
déjà frappé l'un de ses bureau depuis le début de la révolte: il était absent
lorsque l'hélicoptère a tiré son missile. Il a alors dit:" Les israéliens disent
qu'ils ont bombardés le quartier général du Tanzim et les bureaux de Marouanne
Bargouti, mais comme vous le constatez, ce n'est pas vrai. Marouanne Bargouti
est ici-même. Ils disent qu'ils voulaient m'envoyer un message personnel. Mais
vous pouvez leur dire que je n'ai pas reçu ce message." Ils l'ont manqué cette
fois. Il se peut qu'il ne le rate pas la prochaine fois. Lui et son entourage
ont de bonnes raisons d'être nerveux.
12. Le mémorandum de l'équipe palestinienne
de négociation
du lundi 1er janvier 2001
[traduit de l'anglais par
Jean-Michel Staebler]
Extrait de "Med
Intelligence", un webzine bi-mensuel très pertinent sur la géopolitique et l'économie de la Méditerranée, du Maghreb et du
Machrek sur http://medintelligence.free.fr.
Les négociateurs palestiniens et israéliens se sont rencontrés
la semaine dernière à Washington DC pour poursuivre les efforts destinés à
établir un accord de paix complet. A l'issue de cette semaine, le président
Clinton a présenté un certain nombre de propositions afin de définir les
paramètres qui devraient conduire à un accord définitif. Nous tenons à remercier
les Etats-Unis pour leur contribution exceptionnelle pour aboutir à la paix et
considérons avec faveur leur implication dans les négociations futures.
Nous
sommes particulièrement reconnaissants au président Clinton pour les efforts
extraordinaires qu'il a accompli pour promouvoir une paix juste et durable entre
Palestiniens et Israéliens. Il faut en effet mettre à son crédit le fait que
chacune des parties ont réussi à se rapprocher durant les sept années écoulées.
Mais l'action du président Clinton ne doit cependant pas faire perdre du vue
qu'une paix permanente ne saurait s'imposer que si les préoccupations des deux
parties sont prises en considération, afin que Palestiniens, Arabes ou
musulmans, tout comme Israël obtiennent satisfaction sur les bases de
négociations, c'est à dire dans le cadre des résolutions 242 et 338 du conseil
de sécurité.
Nous tenons à expliquer pourquoi les dernières propositions
américaines dont la clarté n'est pas évidente, ne satisfont pas les conditions
qui doivent présider à une paix permanente. Dans sa version actuelle, le plan
américain conduit à :
1) La division de l'Etat palestinien en trois cantons
striés de routes uniquement israéliennes et reliés entre eux par des routes à
usage palestinien, ce qui met en péril la viabilité du futur Etat.
2) Le
morcèlement de la Jérusalem palestinienne en plusieurs îlots séparés et isolés
du reste de la Palestine
3) Au renoncement forcé de la partie palestinienne
au droit au retour des réfugiés.
Les propositions américaines omettent
d'évoquer aussi les arrangements de sécurité entre la Palestine et Israël, et
laissent de coté d'autres questions importantes pour le peuple palestinien. Le
plan américain semble endosser les revendications israéliennes en négligeant la
nécessité de base pour les Palestiniens : un Etat viable.
Les propositions
américaines sont présentées en termes généraux qui excluent les détails et
exigent des clarifications. Davantage qu'un projet d'accord permanent, elles
constituent un instrument de travail qui ne tient pas compte des détails, des
modalités et du calendrier d'achèvement du conflit palestino-israélien. Pour
qu'un tel accord devienne effectif, il doit recevoir des garanties
internationales réelles et sans équivoque. Nous considérons qu'un accord général
et vagueà ce stade avancé du processus de paix serait contre-productif. Nous
tenons cette conviction de notre expérience passée où les accords vagues n'ont
pas été honorés par Israël. Le statut permanent doit être véritablement un
accord final et non des termes à encore négocier.
Le plan américain examine
quatre problèmes majeurs : le territoire, Jérusalem, les réfugié et la
sécurité.
Le territoire de l'Etat palestinien
Sur la
question du territoires, les Etats-Unis proposent qu'Israël annexe 4 à 6 % de la
rive occidentale. Cette annexion serait compensée par un "échange de terres" de
1 à 3 % ; les parties devraient aussi considérer l'idée d'échanges de terres
louées. Les Etats-Unis préconisent l'établissement d'une carte finale de telle
sorte que 80 % des colonies juives soient regroupées dans des blocs
d'implantation afin de ne pas gêner la continuité territoriale de l'Etat
palestinien, de réduire les annexions et de minimiser le nombre de Palestiniens
affectés.
Cette proposition pose nombre de problèmes sérieux. N'étant
accompagnée d'aucune carte et alors que la base territoriale sur laquelle les
calculs sont effectués n'est pas connue, il est difficile d'imaginer le
pourcentage qui permettra d'établir une continuité territoriale. C'est
particulièrement révélateur dès lors qu'Israël, que les Etats-Unis n'ont jamais
interrogé sur ces points, continue à définir Jérusalem comme no man's land et
exclue la mer Morte du calcul des pourcentages. De plus, l'idée américaine d'un
échange de terres louées ne sert pas les intérêts des Palestiniens qui n'ont nul
besoin de terres présentement israélienne, à l'exception du corridor qui doit
joindre la bande de Gaza à la rive occidentale et qui doit faire l'objet d'un
"échange de terres". Confrontée aux cartes présentées par la partie israélienne
lors des derniers rounds de négociations, cette proposition donne à Israël le
contrôle de larges parties du territoire, rendant l'Etat palestinien non viable
et sans accès aux frontières internationales.
Sans une carte éliminant ces
ambiguités, les Etats-Unis n'effacent pas la proposition israélienne faite à
Camp David d'annexer 10 % de la Cisjordanie, et d'en maintenir 10 %
supplémentaires sous contrôle au titre d'arrangements de sécurité mal définis.
Il est important de garder en mémoire que l'ensemble des implantations
israéliennes sur la rive occidentale occupée représente approximativement 2 % de
ce territoire.
Dans ce contexte, la partie palestinienne rejette le principe
de "blocs d'implantation" en tant que base de négociation proposée par les
Etats-Unis. L'utilisation de ce critère subordonnerait les intérêts
palestiniens, notamment la continuité territoriale et la maîtrise des ressources
naturelles, aux intérêts des Israéliens d'assurer la continuité territoriale de
leurs colonies, au demeurant reconnues illégales par la communauté
internationale. La proposition est de plus contraire à la position américaine
qui préconise la minimum d'annexion et la minimisation du nombre de Palestiniens
affectés. En définitive, la partie palestinienne a besoin de savoir exactement
quelles colonies l'Etat hébreu entend annexer.
En tout état de cause, il est
imposible d'accepter une proposition qui punit les Palestiniens, alors que la
colonisation israélienne est illégale. Un marché qui impliquerait l'annexion de
4 à 6 % (sans parler de 10 %) du territoire, causerait un inévitable dommage aux
intérêts vitaux des Palestiniens. Il conduirait Israël à annexer un certain
nombre de villages palestiniens dont les habitants iraient grossir la masse déjà
importante des personnes déplacées. Par surcroît comme le démontre la carte
produite, une grande quantité de terres non-colonisées dans des zones de
développement tels que Jérusalem ou Bethléem, seraient également annexées,
interdisant la continuité territoriale de l'Etat palestinien. Compromettant la
liberté de déplacement des Palestiniens dans leur propre Etat, un tel projet
nuirait au développement du pays et causerait un préjudice irrémédiable sur les
droits des Palestiniens sur leurs eaux.
De même que pour "l'échange de
terres", les Etats-Unis n'identifient pas les territoires qui compenseront les
annexions israéliennes. La partie palestinienne insiste pour qu'à chaque espace
annexé, corresponde une superficie équivalente en taille et en potentiel.
Jusqu'à présent, aucun argument n'a été avancé pour justifier que ce ne soit pas
le cas. Aujourd'hui, les propositions américaines rejettent explicitement le
principe d'une compensation égalitaire et demeurent silencieuses sur
l'emplacement et la qualité des terres devant faire l'objet d'échanges. Toutes
les précédentes offres américaines ou israéliennes ont fait référence à des
zones proches de la bande de Gaza en compensation de terres de grande valeur sur
la rive occidentale. Or, outre qu'elles sont situées en zone désertique, les
terres proposées servent actuellement à Israël de décharge à produits toxiques.
Il est bien évident que nous ne saurions accepter l'échange de terrains
productifs pour des poubelles à produits toxiques.
Jérusalem
Sur la question de Jérusalem, le président
Clinton a avancé le principe général que les zones arabes seraient
palestiniennes et les zones juives seraient israéliennes, tout en incitant les
parties à travailler sur carte pour créer le maximum de continuité de part et
d'autre. Deux propositions conjointes ont été présentées qui donnent la
souveraineté sur la Haram al-Sharif aux Palestiniens et celle sur le Mur
occidental aux Israéliens. Les deux formulations excluent des travaux sous le
Haram ou devant le Mur.
Les formulations américaines sur le Haram sont
problématiques. D'abord, leurs termes semblent reconnaître implicitement à
Israël un droit sur le sous-sol du Haram puisqu'ils impliquent le renoncement à
creuser devant le Mur des lamentations, c'est à dire la zone située sous le
Haram même. Le Mur occidental s'étend en effet au delà de Wailing Wall, et
inclue le tunnel ouvert en 1996 par l'ancien premier ministre Benyamin
Netayahou, ce qui avait provoqué des émeutes importantes.
L'aspect
territorial de Jérusalem des propositions américaines pose aussi problème et
appelle des éclaircissements. Comme le montrent les cartes et en raison de la
condamnation internationale de l'occupation de Jérusalem -Est, la formulation
selon laquelle "les zones arabes sont Palestiniennes et les zones juives,
Israéliennes" est incompatible avec le principe de la continuité territoriale
des zones attribuées à chacune des parties. Cette formulation entraînera
inévitablement la formation d'îlots palestiniens isolés les uns des autres.
Israël, en revanche, pourra maintenir la contiguité des zones qui lui
reviennent. Ainsi l'offre de maintenir le maximum de contiguité pour tous se
traduit en fait par un maximum de contiguité pour les Israéliens.
Les
demandes israéliennes pour obtenir la souveraineté sur un certain nombre de
lieux saints non-définis à Jérusalem, ainsi que son refus de présenter des
cartes claires qui établissent ses prétentions entretiennent les craintes
palestiniennes. Pour être acceptable par les Palestiniens, toute formulation
doit garantir la contiguité des zones arabes et la continuité de ces zones avec
le reste de la Palestine.
L'élément clef de la position palestinienne sur
Jérusalem, c'est son statut de ville ouverte offrant un libre accès à chacun. Ce
statut est non seulement indispensable pour garantir l'accès et les services
dans les lieux saints pour tous ceux qui estiment cette zone sacrée, mais aussi
pour ménager la liberté de mouvement dans l'Etat de palestine. Les propositions
américaines ne font malheureusement pas référence à ce principe essentiel.
Les réfugiés palestiniens
Sur la question des réfugiés
palestiniens, chassés de leurs foyers en conséquence de la proclamation de
l'Etat d'Israël, les Etats-Unis proposent que chaque partie reconnaissent le
droit au retour des Palestiniens dans la Palestine historique ou dans leur
patrie, mais ajoutent que l'accord devra spécifier qu'il n'y a pas de droit au
retour sur le territoire maintenant israélien. Ils formulent en conséquences
cinq options ou destinations possibles :
1) L'Etat palestinien ;
2) Les
zones transférées à l'Etat palestinien à titre d'échange ;
3) L'implantation
dans le pays d'accueil ;
4) L'émigration dans un pays tiers ;
5)
L'admission en Israël.
Tous les réfugiés auront le droit de retour dans
l'Etat palestinien. En révanche, l'implantation dans le pays hôte, l'émigration
vers un pays tiers et l'admission en Israël dépendront des politiques adoptées
par ces différents pays.
Les propositions américaines reflètent entièrement
les positions israéliennes selon lesquelles le droit au retour est entièrement à
la discrétion de l'Etat hébreu. Il est important à cet égard de rappeler que la
résolution 194, depuis toujours considérée comme la base d'un juste règlement du
problème des réfugiés, exige le retour dans leurs foyers des Palestiniens exilés
et non le retour dans leur "patrie" ou la "Palestine historique".
Par
essence, le droit au retour donne un choix : les Palestiniens doivent choisir
l'endroit où ils veulent s'établir, y compris dans leur ancien foyer d'où ils
ont été expulsés. Il n'existe pas de précédent historique d'un peuple
abandonnant son droit fondamental de retrouver le domicile qu'il a été forcé de
quitter ou d'où il a fui dans la peur. Nous ne serons pas le premier peuple à
l'admettre. La fin du conflit est subordonnée à la reconnaissance du droit au
retour et au choix des options par les réfugiés.
Les Palestiniens sont prêts
à envisager ce droit au retour de manière flexible et créative dans sa
réalisation matérielle. Dans nombre de discussions avec Israël, les problèmes
posés par la mise en oeuvre du droit au retour, tant en ce qui concerne les
réfugiés que'en ce qui concerne les conséquences pour l'Etat hébreu, ont été
identifiés et des solutions détaillées ont été avancées. Le plan américain fait
l'impasse sur ces avancées et se réfère à des positions israéliennes anciennes.
Pas davantage, ce plan n'offre de quelconques garanties quant au droit à
restitution auquel les réfugiés peuvent prétendre.
Sécurité
En ce qui
concerne la sécurité, les Etats-Unis proposent la mise en place d'une force
internationale pour garantir l'application de l'accord. Cette formulation
suggère un retrait israélien sur trois ans, avec une montée en puissance
graduelle de cette force internationale. A la fin de cette période, une présence
militaire israélienne sera autorisée dans la vallée du jourdain, sous
supervisions de la forces internationale.
Les Etats-Unis proposent aussi
qu'Israël soit autorisé à maintenir trois stations de pré-alerte pour au moins
dix ans et à disposer d'une faculté de déploiement de ses forces sur le
territoire palestinien en cas "d'état national d'urgence". De plus, le plan
américain propose que la Palestine soit un "Etat démilitarisé" qui, bien
qu'ayant la souveraineté sur son espace aérien, accorde aux Israéliens un droit
d'entraînement et de survol pour les besoins opérationnels de leur aviation.
Bien que le plan américain lève des obstacles à la souveraineté
palestinienne par rapport aux propositions israéliennes, il ignore un certain
nombre de problèmes. Il n'y a aucune raison qu'Israël demande un délai de trois
ans pour se retirer de la bande de Gaza et de la rive occidentale. Israël a été
en effet en mesure d'installer en quelques années un million d'immigrants venant
de l'ancienne Union soviétique, si bien qu'un délai d'un an semble bien
suffisant pour réimplanter 60 000 colons. La proposition américaine est
d'ailleurs peu claire en ce qu'elle prévoit un retrait simultané de l'armée et
des colons, lesquels sont en tout état de cause considérés comme des occupants
dans les territoires palestiniens. Un processus trop lent de retrait mettrait en
danger l'application de l'accord et constituerait une source de tension
permanente.
Les Palestiniens nourrissent aussi d'autres inquiétudes. En
effet, Israël doit faire le choix entre une présence dans la vallée du Jourdain
et un droit de déploiement d'urgence, d'autant qu'une force internationale sera
présente sur les lieux. En outre, Israël ne demande pas davantage qu'une station
de pré-alerte en Cisjordanie pour satisfaire ses besoins stratégiques. Le
maintien des stations actuellement implantées près de Ramallah, Naplouse et à
l'Est de Jérusalem pertuberait le développement palestinien. En tout état de
cause, le projet américain laisse à la discrétion d'Israël le temps pendant
lequel ces stations resteront opérationnelles.
Le suggestion américaine de
conclure des arrangements pour que les Israéliens puisse utiliser l'espace
aérien palestinien dans le cadre d'entraînements ou pour leurs besoins
opérationnels est aussi très problématique. Sans éclaircissements, cette
disposition permettrait aux Israéliens d'utiliser le ciel palestinien pour ses
exercices aériens avec tous les dangers que cela représente pour la population
civile et l'environnement, tandis que les civils israéliens se verraient, eux,
dispensés de ces risques. Les Palestiniens entendent travailler à toute
convention concernant l'aviation civile, selon les normes internationalement
admises. Tout arrangement contraire diminuerait la souveraineté palestinienne et
pourrait avoir des conséquences sur les rapports avec les pays voisins.
Autres questions
Les Etats-Unis font l'impasse sur
nombre de problèmes qui doivent être réglés si l'on veut établir une paix juste
et durable. En se focalisant sur les quatre questions ci-dessus évoquées, le
projet américain néglige non seulement le réglement des questions de nature à
mettre fin au conflit, mais barrent aussi le chemin qui devrait conduire à des
relations bénéfiques entre les deux peuples. Plus précisément, le plan ne
prévoit rien sur les problèmes de l'eau, des compensations pour les dommages
résultant de plus de trente ans d'occupation, de l'environnement, des relations
économiques futures et des autres questions qui se traitent d'Etat à Etat.
Fin du conflit
Convaincus qu'il nous faut absolument mettre
fin au conflit, nous estimons que cela ne sera possible qu'une fois tous les
problèmes qui l'ont provoqué auront été entièrement résolus. Cette fin ne peut
être envisagée que dans le cadre d'un accord équilibré qui stipulera les
solutions détaillées aux questions qui sont au coeur du conflit. Il faut
d'ailleurs se souvenir que la normalisation entre Israël, l'Egypte et la
Jordanie n'est intervenue qu'après la signature d'un traité détaillé.
Conclusion
A nouveau, nous entendons dire que nous
voulons une solution pacifique au conflit dans le cadre des résolutions 242 et
338 du Conseil de sécurité et de la légalité internationale. Compte tenu des
énormes pertes humaines provoquées par chaque interruption des négociations,
nous reconnaissons qu'il est indispensable de résoudre ce conflit le plus tôt
possible. Nous ne saurions cependant accepter des propositions qui mettent en
péril la viabilité de l'Etat palestinien ou nient le droit des réfugiés de
rentrer dans leurs foyers. L'équipe palestinienne de négociation
13. “Perestroïka” saoudienne ! par Subhi
Hadidi
in Le Nouvel Afrique Asie du mois de janvier 2001
Le
royaume wahhabite semble sortir ces derniers temps de son immobilisme. A preuve,
les nombreuses mesures publiques qui se succèdent à un rythme accéléré mais qui
ne sont, en fait, que le sommet de l’iceberg. Elles sont en tout cas
symptomatiques d’un grand bouillonnement dans les profondeurs de la société
saoudienne, annonciateur d’une lame de fond qui va déferler sur le royaume,
emportant un certain nombre de positions acquises, non seulement au sein du
microcosme politique, de l’économie et de la société, mais aussi au niveau de la
famille royale. Dans les prochains mois, le vent de changement qui commence à
souffler sur l’Arabie Saoudite va donc redoubler de force, imposant un agenda de
réformes exceptionnelles, pour ne pas dire radicales.
L’hebdomadaire
américain Business Week, fin juillet dernier, identifie cinq grandes têtes de
chapitre pour le changement à venir.
* Premièrement, la tentative du royaume
de réduire sa dépendance exclusive vis-à-vis du pétrole en dynamisant
l’exploitation de ses réserves gazières. D’abord pour les exporter, ensuite pour
en faire une source supplémentaire d’approvisionnement en énergie, parallèlement
au développement des industries pétrochimiques et aux projets de dessalement de
l’eau de mer.
* Deuxièmement, les démarches saoudiennes en vue d’adhérer à
l’Organisation mondiale du commerce (OMC), avec tout ce que cela comporte comme
réformes structurelles dans les lois et règlements qui régissent
l’import-export, le système de tarification, la protection du droit de propriété
pour les étrangers et le démantèlement de la protection douanière.
*
Troisièmement, un train d’incitations aux investisseurs saoudiens et étrangers
en abaissant les impôts et en permettant aux étrangers l’acquisition de sociétés
et de propriétés foncières sur le sol saoudien. De telles mesures seront de
nature à redynamiser le marché du travail et à limiter la hausse du taux de
chômage qui varie entre 24 et 30 %.
* Quatrièmement, la moralisation des
pratiques dans le monde des affaires et de l’investissement en contraignant les
sociétés opérant sur le marché saoudien à ne plus recourir aux intermédiaires
(généralement des membres de la famille royale) pour faciliter la signature de
contrats. Cela implique, on l’aura deviné, une certaine transparence et
l’ouverture du marché saoudien à tous, avec des règles de concurrence libres et
égales pour tous les opérateurs, sans ingérence des puissants et des grands
émirs.
* Cinquièmement, enfin, la réforme du mode de fonctionnement au sein
de la dynastie régnante par la création d’un “Conseil familial” qui aura pour
mission de réglementer les questions relatives à la succession, la limitation de
la corruption et de la dilapidation des deniers publics par certains richissimes
émirs et la création d’un fond destiné à venir en aide aux émirs les “moins
fortunés” et qui serait alimenté par les autres membres riches de la famille !
L’architecte de toutes ces grandes réformes en gestation n’est autre que le
prince héritier, l’émir Abdallah bin Abdelaziz (77 ans) qui dirige de fait le
royaume depuis 1995, après que le roi Fahd, victime d’une attaque cérébrale qui
l’a invalidé, fut pratiquement obligé de cesser toute activité autre que
protocolaire. A l’époque, personne ne pariait sur les qualités ou les
dispositions du nouvel homme fort saoudien à conduire un grand mouvement de
changement vers le libéralisme et l’ouverture. Il était connu pour ses idées
conservatrices, son manque de contact avec l’Occident et ses suspicions
épidermiques vis-à-vis des sociétés multinationales, notamment celles qui
travaillent dans le pétrole ou les ventes d’armes. Contrairement au roi Fahd,
l’émir Abdallah n’est pas un inconditionnel de l’amitié “éternelle” avec les
Etats-Unis. Il prône une position ferme dans le processus de paix israélo-arabe
en général et sur la question du retrait israélien total du secteur oriental de
Jérusalem en particulier. Last but not least, il voudrait que son pays joue un
rôle plus actif et plus ambitieux sur la scène arabe et islamique. Autant
d’orientations qui contrastent avec celles de son prédécesseur.
Un
responsable américain a confié à l’hebdomadaire britannique The Economist :
“Avec le roi Fahd nous entretenions des relations spéciales. Avec l’émir
Abdallah, nous n’aurons que des divergences spéciales !”
Pour mener à bien
sa politique, l’actuel prince héritier ne peut pas faire l’économie d’un grand
changement, voire d’un chambardement, qui lui permettrait d’établir un réseau
d’alliances et de soutiens relativement homogènes et jeunes qu’il pourrait
mettre à contribution pour contrecarrer les vastes réseaux d’allégeance tissés
par les “sept Soudeiry”, à savoir le roi Fahd et ses six frères issus d’une même
mère. Certes, l’actuel détenteur du pouvoir exécutif n’est pas si démuni que
cela puisqu’il a toujours occupé le poste stratégique de commandant en chef de
la Garde nationale qui comprend soixante mille combattants bien entraînés et
puissamment armés. Il occupait, de plus, sous le règne du feu roi Khaled
(1975-1982) le poste de deuxième vice-président du Conseil des ministres. Le roi
Fahd l’a nommé prince héritier en 1982 et premier vice-président du Conseil des
ministres avant de lui confier pratiquement les rênes du pouvoir en 1996 (voir
n° 77 de février 1996). Le prince héritier peut aussi compter, par ses alliances
matrimoniales, sur l’allégeance des puissantes tribus Shammar dont le
“territoire” s’étend de l’Arabie centrale jusqu’au triangle syro-irako-turc, en
passant par la Jordanie.
Malgré ces atouts considérables, Abdallah doit
compter avec l’influence de ses demi-frères Soudeiry qui ne se font pas à l’idée
de voir le pouvoir leur échapper. Certes, la solidarité familiale au sein du
clan saoudien a jusqu’ici plutôt bien fonctionné et les règles de succession
définies en 1933 par le fondateur du royaume, Abdelaziz bin Saoud, et redéfinies
par le roi Fahd en 1994, lui garantissent une accession paisible au trône le
moment venu. Rien n’exclut toutefois qu’à la mort de l’actuel roi ne s’ouvre une
période de turbulences intérieures fortes, non pas nécessairement pour le trône,
mais plutôt pour le partage du gâteau du pouvoir et la délimitation des
privilèges des uns et des autres, ce qui pourrait se solder par un blocage des
réformes.
Le premier point de friction, à la mort de Fahd, aura lieu autour
de la question de la transmission du pouvoir. L’émir Abdallah ne cache pas, en
effet, son intention de remettre le trône, après lui bien sûr, aux “jeunes
générations”... pas si jeunes que cela et qui ne figurent actuellement dans
aucun scénario de succession. Certains n’hésitent pas à avancer l’hypothèse
qu’Abdallah, une fois sur le trône, nommera comme prince héritier l’émir le plus
populaire en Arabie Saoudite, Salman bin Abdelaziz (64 ans), actuel gouverneur
de Ryadh. Ce scénario constituerait une entorse au sacro-saint ordre de la
succession en éliminant de la course le prince Sultan, 76 ans, deuxième
vice-président du Conseil et ministre de la Défense et de l’Aviation, et le
prince Nayef (67 ans), ministre de l’Intérieur. S’il était mis à exécution, il
signifierait le déclenchement d’un vaste processus de redéfinition des rapports
des forces au sein de la monarchie.
Devenu roi, Abdallah assiéra son pouvoir
sur un réseau d’alliances allant de son demi-frère, le prince Badr, actuel
commandant en chef adjoint de la Garde nationale, en passant par les fils de
l’ancien roi Fayçal, Saoud al-Fayçal (59 ans), actuel ministre des Affaires
étrangères, et Turki al-Fayçal (55 ans), le patron des Moukhabarat, pour finir
par ses propres fils (Khaled, Mout’eb et Abdelaziz), sans oublier certaines
figures marquantes des ulémas, des tribus et des commerçants.
L’émir
Abdallah n’ignore rien des défis qui l’attendent. Le royaume entame sa
dix-huitième année de déficit budgétaire. La dette publique représente 120 % du
PIB, un taux qui avoisine celui d’un pays comme le Liban. Si la récente remontée
des prix du pétrole (avec un baril entre 26 et 34 dollars) soulage quelque peu
les maux financiers du royaume, qu’adviendrait-il si la crise de 1998 se
répétait ? Les prix pétroliers étaient alors au plus bas (aux alentours de 10
dollars le baril) et l’économie enregistrait une croissance négative de 12 %.
D’où l’urgence du changement.
Outre les réformes nécessaires de l’économie,
le changement est également vital pour l’avenir du futur roi d’Arabie. Du moins
s’il tient à élargir son assise dans la population, tant parmi les
intellectuels, les technocrates ou les hommes d’affaires que dans les milieux
populaires et auprès des femmes en particulier. A plusieurs reprises, il a fait
allusion à la nécessité d’accorder à la femme quelques droits, dans un pays où
elles ne sont que 5 % à travailler, où elles n’ont toujours pas le droit de
conduire une voiture. L’émir Abdallah s’emploie aussi à gagner le soutien des
jeunes, les plus touchés par la crise. Sur cent dix mille jeunes arrivant sur le
marché du travail chaque année, seulement quarante mille trouvent un emploi.
Tous ces changements annoncés ne sauraient cependant élargir son assise
populaire s’ils ne sont pas accompagnés de modifications de politique étrangère,
notamment en ce qui concerne la question palestinienne et la poursuite de
l’embargo contre l’Irak. Ce qui implique, en dernière analyse, un changement
vis-à-vis des Etats-Unis. Or, force est de reconnaître que les critiques les
plus acerbes contre la politique américaine dans le dossier palestinien sont
venues de l’émir Abdallah en personne lors du dernier sommet arabe du Caire,
réuni exceptionnellement vers la fin d’octobre. Ce ton inhabituel a été perçu
dans toute la région comme annonciateur du nouveau discours saoudien à l’égard
de l’allié historique le plus ancien et le plus puissant.
Cela ne signifie
pas pour autant que les réformes annoncées – tant à l’égard de l’allié américain
qu’à propos de l’OMC ou encore du droit de la femme à conduire une voiture –
interviendront demain, ou après demain. Mais, comme toutes les données
objectives le prévoient, ils interviendront nécessairement.
[Une Saoudienne à l’Onu - L’émir Abdallah bin
Abdelaziz, qui n’a pas caché sa volonté de promouvoir les droits des femmes, au
demeurant quasi inexistants dans son pays, ne peut qu’être comblé. Depuis le 1er
janvier 2001, une Saoudienne, Thoraya Obaid (photo), est directrice exécutive du
Fonds des Nations unies pour la population, avec rang de secrétaire général
adjoint de l’Onu. Elle succède à une autre musulmane, la pakistanaise Nafis
Sadik.
Première Saoudienne à diriger une agence des Nations unies, Mme Obaid
était, depuis décembre 1998, directrice du Fnuap (Fonds des Nations unies pour
les activités en matière de population) pour les pays arabes et l’Europe.
Auparavant, depuis 1975 elle a occupé diverses responsabilités à la Commission
économique et sociale de l’Onu pour le Moyen-Orient. Toute la carrière de Mme
Obaid a été consacrée à l’amélioration de la situation des femmes. Première
Saoudienne à avoir eu la possibilité d’étudier aux Etats-Unis, elle a notamment,
dès 1975, élaboré le premier programme de développement destiné aux femmes
jamais imaginé au Moyen-Orient.]
14. Une occasion de finir toute guerre par
Moustafa El-Barghouti
in Arabic Media Internet Network (AMIN) le jeudi 28 décembre
2000
[traduit de l'anglais par Dr Christine
Vassiliadis]Moustafa El-Barghouti est Président de l'Union of
Palestinian Medical Relief Committees
http://www.upmrc.org Les négociations à
Washington sont entrée une nouvelle fois dans la même phase de marchandage sur
des morceaux et pourcentages de territoire. Malgré trois mois d'intifada, aucun
changement significatif n'est intervenu dans le cadre général des négociations.
En vérité, Israël a recouru à ses manières habituelles afin de déjouer chaque
initiative prise par le Conseil de Sécurité pour envoyer des observateurs
internationaux, et afin de couper court au mandat déjà affaibli du comite
d'enquête [fact-finding committee].
Alors que les négociations étaient en
cours, Israël a continué son siège militaire de chaque ville et village
palestinien, réduisant la Cisjordanie et la bande de Gaza à un paysage de
prisons Pendant ce temps, les assassinats et les opérations militaires tuent et
blessent toujours plus de Palestiniens chaque jour.
En d'autres termes,
comme la répression militaire et le siège, les négociations sont utilisées de
façon systématique pour briser la volonté du peuple palestinien, et pour
circonvenir toute possibilité d'établir une paix véritable et durable basée sur
un niveau minimum de justice. Nous vivons un moment critique, qui pourrait
laisser une marque indélébile sur l'avenir de la région. Israël peut choisir de
mettre fin au conflit en répondant aux exigences du droit international, et en
reconnaissant les droits du peuple palestinien à son retour dans sa patrie, à
son indépendance, et à l'exercice d'une vraie souveraineté sur son propre pays.
Quant à Jérusalem, les propositions des Américains et des Israéliens n'ont
rien à offrir de plus que de convertir une souveraineté sur la partie occupée de
la capitale, Jérusalem-Est, en seulement une autonomie exercée par certaines
entités palestiniennes dispersées, sans lien physique ni frontières communes sur
le terrain. Israël poursuit inlassablement sa tentative de convertir une
souveraineté sur les sites religieux en quelque obscure "administration" par
laquelle le mandat palestinien sur Jérusalem n'excéderait pas une autonomie dans
le cadre d'une souveraineté israélienne.
En ce qui concerne les colonies,
Israël insiste sur l'annexion de massives colonies juives, un plan qui déchire
simplement la Cisjordanie en fragments rappelant des Bantoustans sous un régime
d'apartheid.
Les colonies sont utilisées par Israël comme outil permettant
de vider l'état palestinien de tout contenu réel, et d'en faire effectivement un
système d'autonomie plutôt qu'un état souverain. Selon le droit international,
l'annexion de colonies illégales équivaut à légaliser la piraterie et le vol.
Les colonies furent construites sur des terres palestiniennes confisquées à
leurs propriétaires légitimes.
Les propositions israéliennes concernant les
réfugiés ne sont rien d'autres que des tentatives d'abroger les droits
historiques des réfugiés palestiniens, par une décision signée par des
négociateurs palestiniens. Si jamais un accord était conclu, Israël réclamerait
deux ou trois ans pour le mettre en pratique. Les propositions ne donnent aucune
garanties que ce qui a été signé sera effectivement réalisé, surtout depuis que
l'opposition israélienne, un candidat aux prochaines élection, n'honorera aucun
accord signé par Barak. Naturellement, le président américain, à qui il ne reste
que trois semaines, n'a aucun pouvoir pour donner une garantie ferme. Et on ne
peut non plus attendre des Etats-Unis eux-mêmes, eux qui ont régulièrement
échoué lorsqu'ils ont essayé d'amener Israël à implémenter ses accords (alors
même qu'Israël est parrainé par les Etats-Unis), de concocter des idées
nouvelles.
Tout le monde est d'accord sur le fait que le droit international
doit servir de base à la paix. Cependant, personne ne peut convaincre les
Palestiniens de la raison pour laquelle les résolutions 242, 338 et 425 [du
Conseil de Sécurité des Nations Unies] sont interprétées comme un appel au
retrait des forces israéliennes de toutes les terres occupées au Sinaï, au Liban
et en Syrie, mais, dans le cas des territoires palestiniens occupés, sont
interprétées comme le partage de la Cisjordanie, Jérusalem et Gaza entre
Palestiniens et colons illégaux.
En dépit de son coût élevé en pertes
humaines, l'intifada fournit aux Israéliens une occasion qu'ils ne doivent pas
manquer: une occasion de revenir sur le chemin de la paix véritable, de renoncer
à leur arrogance militaire et d'abandonner leurs illusions de vouloir dicter
leurs propres conditions de paix.
La voie vers la paix est ouverte: Israël
doit se retirer des frontières de 1967, l'occupation doit cesser, l'état
indépendant de Palestine exerçant une pleine souveraineté doit être établi, et
les réfugiés doivent obtenir leur droit au rapatriement. Israël est sûrement
conscient que tout accord imposé aux Palestiniens (une éventualité hautement
improbable) qui n'atteindrait pas ces buts ne sera jamais une base pour une
vraie paix, mais reportera seulement le conflit, comme Oslo l'a fait, en le
faisant s'enflammer plus tard.
Les palestiniens sont aujourd'hui fatigués des
promesses, des illusions, des atermoiements, de la fragmentation et de la
discrimination. Au début du 21ème siècle, il est temps que ce peuple regagne sa
liberté, sa dignité et son état indépendant.
Ceux qui voudrait encore
troquer un état contre une entité autonome appelée état - ceux qui voudraient
perpétrer l'apartheid - sont en train de commettre une grossière erreur. Les
palestiniens sont beaucoup trop conscients pour suivre de telles
concessions.
De même que c'est le droit des Israéliens de soumettre tous les
accords, ainsi que les gouvernements qui les ont signés, à la volonté de leur
peuple en tenant des élections générales démocratiques, le peuple palestinien
est également autorisé à sanctionner tout accord signé par des élections
générales. Les Palestinien aussi ont le droit d'élire des entités nationales,
que ce soit le parlement ou le Conseil National Palestinien, pour approuver ces
accords.
La chronique des guerres et paix en Europe prouve suffisamment que
le partenariat et la démocratie vont de pair pour établir une paix durable pour
toutes les nations, sans exception ni discrimination.
15. L'erreur des sionistes par Michelle
Parent
in Le Devoir (quotidien québécois) du mercredi 27 décembre
2000
De nombreux rabbins considéraient la doctrine politique de
Theodore Hertzl comme une «insulte pour la judaïsme»
Michelle Parent est
l'auteur de "Palestine ma déchirure" publié chez Stanké. Depuis 15 ans, elle
séjourne régulièrement dans les Territoires palestiniens, en Israël et dans la
région.
Nous avons vu et voyons encore des scènes atroces à la télévision.
Des enfants, des adolescents sont tués par balles, des soldats israéliens sont
lynchés, des édifices sont bombardés. Des mosquées, des synagogues ont été
attaquées. Partout dans le monde, on a vu au cours des derniers mois des
démonstrations pro-israéliennes et pro-palestiniennes.
Pourquoi en
sommes-nous arrivés là ? Pourquoi tant de violence? Pour répondre à ces
questions, il nous faut remonter au XIXe siècle au moment de la naissance du
sionisme.
Des spécialistes croient qu'il ne serait pas faux d'affirmer que
les perceptions racistes et colonialistes des sionistes, ces juifs venus de
l'extérieur s'installer en Palestine, ont contribué et contribuent encore au
climat d'exaspération que les Palestiniens et les Arabes ressentent vivement.
Ces spécialistes maintiennent que si les sionistes, à la fin du XIXe siècle
et au début du XXe siècle, avaient considéré les points de vue des autres juifs
vivant en Palestine et ailleurs, peut-être n'en serions-nous pas là aujourd'hui.
Ces juifs, majoritaires à l'époque, avaient rejeté vivement le sionisme. Ils
voyaient en cette doctrine une idéologie diamétralement opposée aux idéaux
anti-racistes et anti-colonialistes du judaïsme.
Au XIXe siècle, les juifs
participaient aux transformations économiques et sociales qui marquaient ce
siècle. Ils étaient à l'origine du nationalisme de l'époque. C'est dans ce
contexte que se situe la naissance du mouvement sioniste qui jettera les
fondements de l'État d'Israël.
Tout a commencé quand Hertzl et d'autres
sionistes, voulaient désespérement avoir un pays pour les juifs . Aux XIXe et
XXe siècles les juifs souffraient d'antisémitisme - cet antisémitisme était plus
économique que religieux.
Pour certains sionistes l'antisémitisme prenait sa
racine dans l'absence d'une patrie. Le sioniste Léo Pinsker, croyait qu'en ayant
un État cet antisémitisme disparaîtrait. Theodore Hertzl, le fondateur du
Mouvement sioniste mondial, partageait cette pensée. Pendant qu'il était
journaliste il avait couvert le procès Dreyfus en France. Dreyfus, ce jeune
officier juif, avait été accusé d'espionnage en 1894 et condamné à mort par le
gouvernement français. Il fut gracié et réhabilité à la suite d'une longue
enquête.
Hertzl avait été profondément meurtri par cette injustice subie par
l'un des siens. Et s'était juré que seul un État pourrait faire disparaître
l'antisémitisme. Il croyait aussi que les bienfaits techniques et sociaux
qu'apportaient les juifs aux arabes suffiraient pour qu'ils accueillent bien les
juifs en Palestine.
Cette vision n'était pas partagée par Ahaad Haam, le
père du sionisme spirituel. À la même époque (à la fin du XIXe siècle), il avait
averti les autres sionistes, qui pensaient que les populations arabes
collaboreraient avec les juifs à la mise en valeur de l'État juif en Palestine,
de bien traiter les arabes s'ils voulaient avoir leur collaboration. Autrement,
avait-il dit, les arabes se révolteraient.
Dans La Vérité sur le pays
d'Israël publié en 1891, six ans avant la fondation du Mouvement sioniste
mondial, Haam avait écrit:
«Il nous faut traiter la population locale avec
amour et respect, conformément au droit et à la justice. Et que font nos frères
au Pays d'Israël! Exactement le contraire. L'Arabe respecte les hommes qui font
montre de valeur et de courage. Mais il le fait seulement quand il a le
sentiment que la partie a la justice pour elle. Il en va tout autrement quand
l'Arabe pense que l'attitude de son adversaire est injuste et illégale. Dans ce
cas, il peut réprimer sa colère longtemps. Mais elle reste en lui et il finira
par se montrer vindicatif et avide de châtier ses adversaires».
Pour
comprendre le sionisme
En dépit de ces avertissements, Théodore Hertzl
poursuivit son ambition. En 1896 parut le livre l'État Juif. Ce livre deviendra
la doctrine du sionisme politique. Hertzl, juif autrichien, préconise une
colonisation soit de l'Argentine, soit de la Palestine où les juifs du monde
entier viendraient s'installer.
Dans les années qui suivirent, Hertzl
parviendra à intéresser à son projet sioniste les Allemands, les Russes, les
Français, les Anglais puis les Américains.
Pour comprendre le sionisme, nous
devons considérer l'aspect religieux ou plutôt l'utilisation abusive des
Écritures Saintes par les sionistes.
Originaires de la Palestine (unité
administrative de la Grande-Syrie, laquelle était une province de l'Empire
Ottoman), les juifs ont vécu au cours des siècles en tant que minorités
religieuses au sein des différents pays du monde.
Ils ont pu y pratiquer
librement leur culte, leur religion. Mais quelques anagogistes hébreux sont
allés jusqu'à prétendre que les promesses contenues dans les livres sacrés
donnaient le droit au «peuple» juif de recouvrer sa souveraineté sur la
Palestine considérée comme sa «terre promise».
Le mouvement sioniste
politique, après son premier congrès tenu à Bâle en 1897, s'est efforcé de
consolider le facteur religieux pour établir un lien entre les juifs et la
Palestine.
Ce mouvement s'est évertué à combiner les concepts religieux
juifs avec les visées politiques sionistes sur la Palestine. Mais, dans ces
conditions, ne faut-il pas aussi prendre en considération le sentiment religieux
qui établit un lien entre musulmans d'une part et chrétiens d'autre part avec la
Palestine?
Les sionistes ont livré une fausse exégèse des textes sacrés. Et
de nombreux théologiens juifs et chrétiens n'ont pas manqué de dénoncer dès la
naissance du sionisme politique l'utilisation abusive des Écritures Saintes par
les sionistes.
L'apparition du sionisme n'était pas aussi bien perçue par de
nombreux rabbins. Ils considéraient cette doctrine politique comme «une insulte
pour le judaïsme». Et au début du XXe siècle, les juifs anti-sionistes étaient
encore majoritaires et voyaient dans le projet colonial des sionistes une
hérésie qu'ils qualifiaient d'aventure dangereuse. Le directeur de l'Alliance
Israélite écrivait:
«Chez nous, on n'a pas changé d'opinion sur les dangers
du sionisme. On reste convaincu que ce mouvement aboutira à un insuccès final,
et peut-être même à une catastrophe» Ces paroles ont été citées par la Revue
d'Études Théologiques et Religieuses, de Montpellier.
La réaction au projet
sioniste fut violente surtout chez les rabbins profondément attachés au
judaïsme. Le grand rabbin Yaakon Kappel Rottblum dénonça vigoureusement le
sionisme politique qu'il qualifia de «danger mortel pour le judaïsme». Il
écrivait dans une de ses lettres rapportée dans Judaïsme contre sionisme
(Édition Cujas, Paris, 1969), que :
«Le danger du sionisme c'est qu'il fait
accomplir au peuple juif des péchés, des choses mauvaises en lui faisant croire
qu'ainsi il accomplit la loi divine. C'est en cela que consistait le péché des
habitants de Sodome: ils n'avaient pas conscience de faire le mal; ils pensaient
au contraire qu'ils s'acquittaient de leur devoir de citoyens, qu'ils
accomplissaient la loi de leur pays. Tels sont les sionistes.»
«Par l'argent
et les armes»
De son côté, le grand rabbin français Emmanuel Levyne, dans son
livre Judaisme contre sionisme (Édit. Cujas), écrivait en 1969 que:
«Reconquérir la terre d'Israël par l'argent et les armes, c'est manquer de
foi: c'est-à-dire commettre le péché principal qui a été la cause de l'exil
(Zohar 1, 2196). C'est le plus sûr moyen d'en repartir et d'en être chassé
totalement et définitivement.»
Poursuivant son argumentation, il ajoute:
«Le sionisme politique nie la foi essentielle d'Israël. C'est la plus
dangereuse hérésie de toute l'histoire juive. Elle menace l'existence du
judaïsme. Il faut donc la combattre avec la plus grande énergie».
Les
rabbins n'ont pas été les seuls à dénoncer l'utilisation abusive de la Bible par
les sionistes. Les chrétiens se sont aussi démarqués du sionisme sur ce terrain
religieux...
En 1970, eut lieu la 1ere Conférence mondiale des chrétiens
pour la Palestine. Cette conférence qui regroupait 400 anglicans, catholiques,
orthodoxes, protestants de 37 pays lança un appel aux chrétiens du monde entier.
«Affirmant que l'Évangile nous révèle un messie dont le royaume n'est pas de
ce monde, nous refusons la manipulation des textes bibliques à des fins de
puissance politique. Étant contraire à l'esprit du christianisme,
l'interprétation politique sioniste de ces textes nous paraît inacceptable pour
les chrétiens, comme elle est inacceptable pour les juifs fidèles à
l'interprétation spirituelle de l'Ancien Testament. Elle conduit en fait à
légitimer par l'Écriture Sainte les graves injustices qu'ont subies le peuple
palestinien et les autres peuples arabes, devant lesquelles la conscience
humaine ne peut que s'insurger. Ainsi, l'État sioniste s'oppose à la dignité et
à la liberté de l'homme.»
Le sionisme représente une aventure colonialiste
regrettable qui n'est pas basée sur les droits humains les plus élémentaires. Il
importe de retenir que même si les sionistes ont réalisé leur rêve, ils n'ont pu
réussir à faire disparaître l'antisémitisme. Dans ce contexte on peut poser
quelques questions aux dirigeants israéliens.
Auront-ils le courage de
retirer leurs colonies implantées en Cisjordanie, à Gaza et sur les hauteurs du
Golan? Auront-ils le courage aussi de libérer les prisonniers, d'accepter le
retour des réfugiés et de donner des compensations aux familles qui ont perdu
leurs maisons?
En 50 ans, Israël s'est développé graduellement, non seulement
dans le domaine technologique, mais aussi dans le domaine de l'agriculture, de
l'éducation et de la médecine. Mais ce pays acquis grâce à la détermination des
sionistes saura-t-il créer un climat de paix autour de lui?
D'autre part, on
sent qu'il y a une ouverture de pensée parmi des juifs. Certains ne sont pas
d'accord sur les méthodes qu'emploient les dirigeants israéliens.
Il y a
même des colons qui sont prêts à quitter leur colonie pour avoir la paix; ce
sont des membres du mouvement «Peace Now».
L'histoire démontre que les
Palestiniens n'ont pas reçu l'appui politique nécessaire pour réaliser leurs
objectifs. Pendant le mandat anglais, les britanniques favorisaient l'entrée des
juifs en Palestine. Et aujourd'hui, les États-Unis peuvent difficilement agir en
honest broker car ils sont les alliés d'Israël. Certes, ils essaient, mais
comment les Palestiniens et les Arabes peuvent-ils les prendre au sérieux? Les
États-Unis ne continuent-ils pas à fournir des armes et des Apaches pour tuer
les Palestiniens? On ne peut donc pas s'étonner que Yasser Arafat cherche
l'appui des Européens, des Chinois et des Russes.
Les Palestiniens veulent
être respectés. Depuis longtemps, ils sont considérés par Israël comme des
citoyens de deuxième classe. Malgré l'occupation, les Palestiniens ont réussi à
ériger six universités où des professeurs compétents enseignent.
Des hommes
d'affaires, des économistes, des groupes de femmes travaillent chaque jour à la
création de leur pays.
Israël doit comprendre que la force, si puissante que
soit son armée, ne réussira pas à calmer l'ardeur des Palestiniens car il y en
aura toujours parmi eux qui continueront la lutte jusqu'au moment où ils auront
obtenu leur pays.
16. Sous les fusils : un voyage palestinien
par Ahdaf Soueif
in The Guardian (quotidien britannique) du lundi 18 décembre
2000
[traduit de l'anglais par Dr Christine
Vassiliadis]
Fin novembre, le Guardian a envoyé la célèbre romancière
Ahdaf Soueif en Israël et dans les territoires occupés. Certains noms dans ce
récit ont été changés.
Je n'ai jamais vu un Israélien, à part à la télévision. Je n'ai jamais
parlé avec un Israélien. Je ne peux pas dire que je l'aie voulu. Ma vie, comme
celle de tous les Egyptiens de ma génération, a été dominée par l'ombre
d'Israël. J'ai souhaité aller en Palestine, mais jamais en Israël. Et
maintenant, je pars là-bas. Je n'avais pas senti une telle appréhension ou une
telle peur depuis mon enfance. Au cours des deux derniers mois, j'ai suivi les
informations sur l'intifada. J'ai comparé les images de la BBC et de CNN avec
celles d’al-Jazira et d'autres chaînes arabes. J'ai démêlé des histoires, j’ai
enragé devant les journaux américains, et j'ai été reconnaissante envers
certains reportages de la presse britannique. J'ai commencé et fini mes journées
en lisant des appels à l'aide sur internet. Et encore et toujours je me suis
demandé: "Qu'est-ce que je peux faire?". Maintenant, enfin, je peux faire
quelque chose; je peux partir voir par moi-même, et écrire. Mais partir signifie
partir là-bas.
Lundi [27 novembre 2000]
C'est le premier jour du Ramadan
et nous sommes sur la route d'Amman vers le pont et je regarde dehors le désert
et je pense - comme toujours- combien cela me manque quand je suis en
Angleterre: 10 minutes de dunes ondulantes, puis des formations rocheuses qui
s'élèvent comme d'énormes gâteaux au chocolat, encore suivis par des dunes -
mais cette fois se gondolant comme si elles blaguaient, un dernier virage puis
une vallée verte s'ouvre et soudain, une colonne de femmes bédouin cheminent
élégamment le long d'une arête, puis encore le sable et nous arrivons au
terminal jordanien qui semble presque vide. Nous déchargeons la voiture et notre
chauffeur va se renseigner. La Cisjordanie, al-Daffa, est fermée. Il nous
indique un grand bâtiment pas très haut, et à travers les fenêtres, nous voyons
qu'il est plein de gens à craquer. "Mais Jérusalem?" demande la femme avec qui
j'ai partagé le taxi. Jérusalem, apparemment, est ouvert.
Je ne sais rien de
cette femme, sauf que sa jeune fille assise à côté d'elle s'appelle Malak -
Ange. Un prêtre orthodoxe en robe noire et portant une tresse grise sort de la
pièce et reprend un taxi pour Amman. Nous allons vers un autre endroit du
terminal. Des bus attendent, pleins de monde. La mère d'Ange décide d'aller du
côté des "VIP" [personnes importantes, privilégiées, NDLT], pour le bien de son
enfant. Je la suis. Nous montrons nos passeports et sommes conduites vers une
grande salle avec des canapés et des journaux arabes. Une femme épuisée entre.
Elle dit qu'elle est restée dans cette salle hier de 2h de l'après midi à 8h du
soir, puis elle a appris que Jérusalem était fermé et elle a dû rentrer à Amman.
Mais un officiel entre, et nous fait signe de sortir.
Une
camionnette cette fois, et quand nos sortons - le voici: "al-Jisr", dit Umm
Angel (la mère d'Ange) - le pont. Une construction en bois, comme sur les
photos, avec des murs en bois pour empêcher de sauter dans le Jourdain. Nous
traversons, deux femmes et un enfant roux et là, au-dessus de nos têtes, voici
les soldats israéliens, exactement comme je les ai vus à la télévision depuis
quarante ans: leurs yeux cachés derrière des ombres, leurs visages derrière des
mitraillettes et au-dessus d'eux deux drapeaux israéliens croisés: l'un flotte
dans la brise, et l'autre, pris dans un clou, pend mollement.
Nous nous
arrêtons à un kiosque, et montrons nos passeport à travers une vitre à une jeune
femme en uniforme militaire. Elle nous fait signe d'avancer. Une autre
camionnette et nous allons vers un autre bâtiment du terminal. Est-ce qu'il y
avait seulement des soldats et fusils jordaniens de l'autre côté? Je n'en ai pas
vu, mais peut-être n'ai-je simplement pas fait attention. Nous sommes assises
dans une petite pièce brillamment éclairée avec des fauteuils bleu vif. De
sérieuses tentatives de décor ont été faites: un cactus qui pousse dans une demi
noix de coco se penche sur une table en bois gravée de style arabe, des plantes
en caoutchouc et des fleurs en plastique dégringolent depuis des étagères en
verre poussiéreuses, un distributeur de boissons vide luit froidement dans un
coin. Sur les murs, trois reproductions: deux de style Kandinski, mais la
troisième est un agrandissement du doigt de Dieu et celui d'Adam, qui se
manquent tout juste.
Un jeune Israélien poli entre et me demande, dans un
arabe brisé, de remplir quelques formulaires. Puis il revient nous escorter
jusqu’au guichet du passeport. Je dis: "Je ne veux pas de tampon sur mon
passeport". Il dit : "Je sais."
14h30 Jérusalem
Je sors de mon hôtel et
commence à marcher. A chaque voiture que je croise, j'imagine qu'elle explose. A
quelle distance faut-il être pour ne pas se faire tuer par une voiture piégée?
Mais le soleil brille et je descends la rue Salah el-Din - et je suis chez moi.
La rue est bordée de boulangeries, merceries, magasins de chaussures, petites
épiceries, coiffeurs. Des filles en uniforme d'écolière et en foulards marchent
en groupes, en bavardant et en riant. Des garçons oisifs les regardent.
Les noms des magasins et des enseignes de docteurs sont des mélanges familiers
d'Arabe musulman et chrétien, de Français et d'Arménien. Le centre culturel
français a ouvert grand ses portes vers un jardin accueillant, il y a une odeur
de café torréfié. C'est comme un Caire plus petit, plus propre et sans la foule.
Mais deux bâtiments se distinguent des autres: ils sont modernes, précis, aux
angles tranchants, ils portent le drapeau israélien, et ils sont les seuls dont
les portes, faites de barreaux d'acier, sont fermées.
Mais ensuite
apparaissent devant moi les murs de la vieille ville. De plus près je vois la
vieille porte et à côté une voiture de l'armée israélienne et cinq soldats armés
de mitraillettes. Je me noue un foulard sous le menton et je passe près d'eux,
par la porte al-Zahra, et me voici dans la ville arabe médiévale: Orsalim
al-Quds, Jérusalem la Sacrée, une ville faite de pierre de teinte rose. Les rues
en sont pavées, comme des galets, un peu plus larges, les pierres sont polies
par l'usure et brillent au soleil. Je descends les marches, passe quelques
virages et une autre allée rose s'étend devant moi. Les maisons semblent pousser
de la rue. Leurs portes vertes en fer sont fermées et autour de plusieurs
d'entre elles des décorations proclament que l’habitant a fait le pèlerinage à
la Mecque. Vous trouvez ceci dans n'importe quel village égyptien, mais ici, au
lieu des représentations du pèlerin et de son voyage, vous avez de délicats
dessins de fleurs et d'oiseaux.
Un petit signe manuscrit sur le mur indique
la direction d'al-Aqsa. Je descends la rue des Mojahedin (guerriers saints). Un
petit garçon, quatre ans peut-être, gambade en chantant " ya Saddam, ya Saddam,
vient et fait exploser Tel Abeeb [Tel Aviv, NDLT]". Quelques pas derrière lui sa
mère me sourit. Et maintenant me voici devant la porte d'al-Haram al-Sharif (le
Noble Sanctuaire). Sous la porte, assis à une table en bois se trouvent trois
soldats armés. L'un d'eux se lève et me bloque le passage: "Papiers." Je n'aime
pas leur allure. Je suis seule et ils sont trois. Mon passeport est britannique
mais montre que je suis née au Caire. L'Egypte vient juste de rappeler son
ambassadeur. Mais quelques agents administratifs de la Mosquée se tiennent juste
à l'intérieur de la porte. Je lève mon passeport. Le soldat le feuillette. "En
Angleterre, vous vivez?" Il a un lourd accent d'Europe de l'Est.
"Oui".
On m'a dit de ne pas expliquer, ne pas justifier, ne pas être sur
la défensive. Réponse minimale.
"Quelle ville?"
"Londres."
"Pourquoi
est ce que vous entrez?"
Je décide: "Pour prier."
"Vous êtes
musulmane?"
"Oui"
Les Israéliens ont fermé le Haram [Sanctuaire] à tous
les Palestiniens musulmans, sauf aux habitants de Jérusalem. Et les hommes
doivent avoir plus de 45 ans. Le soldat fouille mon sac, que j'avais vidé de
tout sauf de mon porte-monnaie, des mouchoirs et un peigne. Ses compagnons
regardent aussi dans le sac. Il me fait signe d'avancer avec la tête.
Quelques pas et me voici dans le vaste enclos de Haram. De la terre brune
avec des buissons, des taches d'herbe, des arbres. A ma gauche, les murs de la
ville; à ma droite, le mur du Sanctuaire s’adosse aux maisons et églises, et
face à moi le chemin monte vers une grande série de marches blanches menant vers
une grande terrasse en pierre, d'où émerge, doré, le Dôme du Rocher. Je m'assois
sur une muret de pierre sous le ciel ouvert entouré par de petites structures
mamelouk et ressens une paix absolue.
Plus tard des femmes sortent de
prière. Elles me regardent avec une curiosité ouverte:
"Salamu
aleikum!"
Je retourne le salut.
"D'où es-tu,
sœur?"
"D'Egypte".
Elles veulent savoir si j'ai un endroit où dormir,
sinon n’importe laquelle me prendrait chez elle. Elles vivent toutes dans la
vieille ville, le Dôme du rocher est leur mosquée locale; elles se pressent ici
chaque jour pour prier.
En deux minutes je tourne un coin de rue, monte des
escaliers et entre dans la maison d’Umm Yaser [la mère de Yaser, NDLT]. Ses deux
belles-filles sont étudiantes. Elles murmurent et rient ensemble penchées sur
leur livres.
"Elle s'est mariée il y a trois jours" dit Umm Yaser, désignant
l'une des filles. "Juste avec une tasse de café. Qui peut faire la noce
maintenant, alors que des gens sont tués chaque jour?"
"Est-ce que la
situation vous affecte ici, dans la Vieille Ville?"
"Regardez!" dit Umm
Yaser, en m'emmenant à la porte où elle me désigne la maison fermée de l'autre
côté de la rue:"Les colons l'ont prise. Ils mettent des chaises dehors dans la
rue et provoquent des bagarres avec les jeunes qui passent."
Mais comment
l'ont-ils prise?
"Depuis qu'Ariel Sharon a acheté deux maisons ici, il leur
facilite la tâche."
Mais comment? Qui vendrait à Sharon?
"Awwad Abu
Sneina. Tout le monde savait qu'il était un espion. Il a disparu du voisinage et
juste après on a appris que le drapeau israélien flottait sur la maison et que
Sharon l'avait achetée. Mais quand Abu Sneina est mort, personne n’a voulu
l'enterrer. Ce jour-là mon fils jouait au football, et la balle a frappé l'un
d'eux (les colons), ils ont attrapé mon fils et dit qu'ils appelleraient la
police. Nous leur avons dit d'appeler la police. Mais ils ont appelé d'autres
colons à la place. Deux cents sont venus d’Atarot Cohunim et nous ont battus
avec tout ce qu'ils avaient sous la main - même des talkies-walkies. Les gens
qui priaient à la Mosquée ont entendu le bruit et sont venus nous aider et ce
fut la bataille. La police a dit que nous étions les agresseurs. A l'hôpital
Hadasa ils ne voulaient pas nous soigner même sous assurance. Ils nous ont fait
payer 450 shekels [env. 900F, NDLT]. Est-ce que cela nous affecte? Ils font ce
qu'ils veulent de nous."
Elle parle de gaz lacrymogènes injectés à
l’intérieur des maisons, de balles couvertes de caoutchouc que les enfants
épluchent pour en extraire le noyau d'acier et qu'ils tirent ensuite sur les
soldats avec leurs frondes. Elle parle de la menace sur leur Mosquée, d'une
ambulance qui ramène un voisin de 78 ans de l'hôpital, comment les soldats l'ont
cherché et mis à poil devant l'unité de refroidissement: "Ils ont peur de tout,
même de l’air." J'ai le vertige avec les détails qui s'empilent dans ma tête et
je pars avant qu'on ne puisse m'inviter à rester dîner.
A travers Bab
el-Silsila je vois plusieurs jeunes hommes juifs en habit noir se hâter vers le
tunnel qui - j'imagine - mène au Mur des Lamentations. Un peu plus loin un homme
à l’air doux portant la kippa conduisant deux enfants sort d'un bâtiment. De
l'intérieur, j'entends des voix d'enfants chantant en hébreu. Le soleil s'est
couché et il est temps de rompre mon jeûne.
A Bab el-Amoud un homme dans une
cabane me remplit une pitta de falafel, salade et tahina. Il trouve une chaise
pour moi et place un verre d'eau sur le sol à mes côtés. Je m'installe dans
cette ancienne porte et mange - avec la vue sur la voiture militaire et les
soldats et derrière eux un magnifique bâtiment de style Indien, isolé. Deux
jeunes hommes s'appuient contre un mur et discutent de ce que l'on peut
raisonnablement attendre des Etats arabes. Si seulement l'Egypte et la Jordanie
ouvraient leurs frontières, disent-ils, nous ne serions pas piégés comme des
rats.
De retour à l'hôtel je téléphone à un contact, une journaliste. Une
américaine je crois. Je pose quelques questions puis mon enthousiasme pour la
ville explose - et se heurte à son silence.
"Quoi? Vous n'êtes pas de mon
avis?"
"Eh bien, si," dit-elle. "C'est juste que je pense que tout serait
plus facile si ça n'était pas là."
Je sors vers l'épicerie juste à côté. Je
veux acheter du yaourt et des dattes pour mon repas avant l'aube. L'appareil de
télévision sur le mur est allumé sur une chaîne palestinienne qui montre les
nouvelles. Chaque pot de yaourt que je trouve porte une étiquette en Hébreu
seulement. Je demande: "N'avez-vous pas du yaourt palestinien?" et l'homme
m'ouvre un autre réfrigérateur.
Les informations parlent maintenant de cinq
ouvriers tués par des colons. Un sixième homme a pu s'échapper. Les ambulances
se sont dépêchées vers l'endroit mais ont été stoppées par l'armée. Tout le
monde dans le magasin s'est arrêté en plein mouvement et regarde le poste. Les
larmes coulent le long de mes joues comme l'épouse de quelqu'un se lamente à
l'écran mais tous les autres restent impassibles. Quand le sujet est fini, ils
retournent à leurs occupations. La clef de ma chambre d'hôtel ne ferme pas de
l'intérieur. De l'extérieur ça va, mais pas de l'intérieur. J'essaie plusieurs
fois. Je ne me sens pas à l'aise d'alerter les gens sur le fait que ma porte ne
se ferme pas de l'intérieur. Je décide que je suis suffisamment en sécurité ici.
Je m'assois pour reprendre mes notes d'aujourd'hui.
Bientôt il me faudra
essayer de rencontrer des Israéliens.
Mardi [28 novembre]
Abraham, Ibrahim
al-Khalil, l’Ami de Dieu, père des Arabes par Ismaël fils d'Hagar, et des Juifs
par Isaac fils de Sarah. A midi je suis dans la ville qui porte son nom et dans
laquelle se trouve sa magnifique mosquée.
Nous avons traversé deux barrages
routiers pour arriver ici, ce qui a allongé un trajet d'une demi-heure en une
heure et demie. Notre voiture a une plaque d'immatriculation israélienne, donc –
alors que nous passons à côté du camp de réfugiés Uruba - mon chauffeur place
sur le pare-brise un large panneau indiquant "presse" en arabe pour nous éviter
d'être lapidés.
Quand nous longeons la colonie géante de Kiryat Araba, mon
chauffeur retourne le panneau pour montrer la version anglaise. "Ils sont venus
en 1969. Ils se prétendaient un groupe de touristes suédois et sont restés dans
un hôtel. Leur chef était Moshe Levinger. Puis ils ont commencé à se battre avec
les gens et ils étaient soutenus par le gouverneur militaire, ils ont pris le
terrain et construit la colonie."
Imaginez al-Khalil (ou Hébron) en deux
parties: la vieille ville qui entoure la mosquée, et les nouvelles banlieues qui
se sont étendues autour. La place principale de la partie neuve fourmille de
monde. Des étals de fruits et légumes vacillent sur les bords du trottoir et sur
des îlots au milieu du trafic. Les Israéliens ont exproprié la vieille place du
marché et l'ont passée au bulldozer. Levez vos yeux au-dessus de l'animation et
vous voyez les marques des bombardements et tirs de mortier sur les bâtiments
entourant la place. Un trou béant à l'endroit où se trouvaient les bureaux du
journal al-Ayyam (les Jours). Des cliniques, des magasins de jouets, un
coiffeur: des décombres, de la suie, des bris de verres, et des murs criblés de
trous. Levez vos yeux un peu plus haut et vous voyez les sacs de sable de
l'armée israélienne sur les toits des gens, leurs fusils domptant la foule
en-dessous. "Douze tonnes d'équipement sur mon toit," me raconte un homme, "et
ils pissent dans nos réservoirs d'eau."
La rue al-Shuhada (des Martyrs) mène
à la vielle ville. Elle est vide et les rideaux des magasins sont fermés. Au
bout je vois des blocs de béton sur la route et, alors que je regarde,
j’aperçois un soldat sortir de derrière un bâtiment au-delà du barrage routier ;
il nous toise, sa mitraillette pointée sur nous. Lorsqu'il disparaît, je
commence à descendre la rue. Mon guide me tire en arrière: "Non. Il y a déjà eu
des tirs aujourd'hui." Le soldat réapparaît, suivi par un autre. Vingt mètres
peut-être nous séparent. Un jeune homme sort d'un bâtiment et dit: "Vous n'avez
rien à craindre d’eux. Regardez!" Il court quelques enjambées dans leur
direction, saute sur place et piétine le sol, bouge ses bras et crie
l'équivalent arabe de "Bouuuh!" Le soldat cache sa tête derrière le mur. "Vous
voyez! Ce sont des lâches!" dit-il en riant, et il part en flânant.
Comme
nous restons parler, surgit un homme grand portant un appareil photo, et un
casque et un gilet pare-balles blancs, avec la mention "Press" écrit en noir en
travers. Awad Awad travaille pour l'Agence France Presse, il s'arrête de parler
et mon guide lui raconte que j'écris un article pour le Guardian. "Vous voulez
entrer?" demande-t-il.
Je le suis à travers le barrage routier et
tourne au coin du mur. Maintenant je peux voir les soldats regroupés derrière le
mur au bout le la rue al-Shuhada. Derrière un bâtiment de l'autre côté de la rue
se trouvent un journaliste et trois autres photographes. Nous passons devant les
soldats, puis Awad dit "Courez!" et nous traversons la rue en courant pour
rejoindre le groupe de photographes de l'autre côté. Nous faisons les
présentations et nous serrons la main. "Qu'est-ce qu'ils fabriquent?" demande un
homme désignant de la tête les sept soldats recroquevillés derrière le mur. "Ils
préparent un plan", répond un autre en riant.
Les soldats se séparent, trois
d'entre eux traversent la rue en courant vers nous. Ils s'accroupissent derrière
les blocs de béton, leurs fusils pointés vers la rue vide. Si je tends le bras
je peux toucher leurs sacs à dos. Après un moment une pierre vient frapper l'un
des blocs de béton pour se briser en morceaux. Un garçon traverse la rue en
dansant. Une balle est tirée. La détonation est alarmante. Le même évènement va
se reproduire six fois dans la demi-heure suivante. Deux fois, pendant le
silence qui suit le tir, une femme traverse rapidement la rue. Trois personnes
en salopette et casques bleus avec "IPIF" écrit en rouge en travers de leur
gilet pare-balles [observateurs internationaux] se tiennent en travers de la
rue. Je ne peux distinguer si ce sont des hommes ou des femmes. Ils ont des
tableaux de note et des chronomètres, et semblent enregistrer le nombre de tirs.
Les photographes me disent que des que ça devient sérieux, les soldats chassent
simplement les IPIF. Un téléphone mobile sonne, c'est mon guide qui me supplie
de revenir.
Je veux entrer dans la vieille ville mais mon guide et mon
chauffeur ont peur et hésitent. Comme nous discutons dans la rue apparaît un
homme imposant en pardessus de cachemire gris. Il semble les impressionner.
J'apprends plus tard que c'est un journaliste palestinien qui s'est fait tirer
dessus au cours de cinq incidents différents. Il leur dit : "Allez les gars.
C'est votre devoir de la faire entrer. Vous avez une plaque israélienne. Elle a
un passeport britannique. Faites-la entrer."
A contre-cœur, ils font un
détour et essaient d'entrer en voiture dans la vieille ville. Quarante mille
personnes vivent ici sous le couvre-feu, 12000 enfants ne peuvent aller à
l'école. Quinze mosquées sont fermées. Dans le centre, armés, vivent d'après les
Israéliens 400 colons, 100 d'après les Palestiniens. Tout ça pour eux.
"Si
l'armée devait partir," demandé-je, "et si les colons se contentaient de vivre
parmi vous, vous les laisseriez?"
"Ils partiraient."
"Mais s'ils voulaient
rester, ils le pourraient?"
"Mais ils leur ont pris leurs maisons. Si vous
pouviez aller dans le centre, vous verriez des familles camper près de leurs
maisons, refusant de partir, et les colons leur jeter des ordures et leur donner
des coups. Ce ne sont même pas de vrais colons; ce sont des étudiants religieux,
qui viennent volontairement la plupart des Etats-Unis pour un ou deux ans faire
leur service religieux en étant ici."
La ville est magnifique. Comme le vieux
Jérusalem, elle est faite de pierres roses. Les rues étroites montent et
descendent en s'entremêlant comme les rues d'une ville étrusque. Les maisons
s'appuient les unes contre les autres, le toit de l'une formant le patio de
l'autre. Des balcons de pierre sculptée donnent sur la rue vide. Le soleil
brille, l'air est pur et frais, la lumière est si parfaite que l'on se croirait
dans un décor de cinéma. Une voiture de patrouille vert sombre passe sans nous
arrêter. Le haut-parleur fait retentir dans un mauvais : " O habitants
d’al-Khalil. Attention à ne pas rompre le couvre-feu." Derrière le virage
suivant, un taxi jaune est arrêté au milieu de la route, s'appuyant sur un côté.
Un groupe d'enfant s'est rassemblé autour et regarde, silencieux. Nous nous
arrêtons près d'un mur. Une femme s'appuie contre le taxi, un bébé dans les
bras. "Je sais bien que c'est le couvre-feu," dit le chauffeur, "mais elle vient
juste de sortir de l'hôpital ou elle vient d’accoucher, alors je l'ai conduite
ici. Regardez ce qu'ils ont fait." Un soldat a sorti un couteau et tailladé les
deux pneus du côté du conducteur. Naturellement, le chauffeur n'a qu'un pneu de
rechange. Avec le couvre-feu, comment va-t-il en trouver un autre? Deux garçons
l'aident à changer sa roue. Les autres enfants regardent en silence. La femme
commence à s'éloigner doucement.
Nous continuons, à pied. En haut de
quelques marches menant vers le centre, un vieil homme grimpe. "Peut-on aller au
centre?"
"Non. Ils l'ont bouclé."
"Y a-t-il un endroit d'où je puisse au
moins voir le centre et la mosquée?"
"Oui, depuis chez moi," et il fait
demi-tour pour nous montrer le chemin.
Je franchis une porte verte en fer, et
j'entre au paradis. Terrasses de pierre rose se succèdent, plantes vertes et
fleurs poussent dans des boîtes de fer-blanc, des treilles de vigne, des portes
que le vieil homme ouvre avec de grosses clefs et qui conduisent dans des pièces
voûtées, où d'anciens Soufis méditaient et priaient pour qu'une vision leur soit
accordée. Certaines des pièces ont des niches mamelouk où j'imagine que les
Soufis gardaient leur jarre d'eau et leur gerbe de dattes. Je sors d'une pièce
pour me retrouver face à un mur aux fenêtres grillagées avec, au-dessus, le
drapeau israélien.
"Oui. Ils sont ici," dit-il. Ils nous regardent, et nous
détournons les yeux. "Ils ont occupé le bâtiment voisin et ont essayé de me
faire sortir de celui-ci. J'ai dit que je sortirais mon sabre et que je tuerais
le premier homme qui passerait mon seuil."
"Que s'est-il passé?"
"Ils ont
mis des portes de fer tout ce qui s’ouvrait sur la rue entre ma maison et la
mosquée - et ils ont installé cette caméra de surveillance, là-haut."
"Et
maintenant, ils vous laissent tranquille?" pendant que je prends la camera en
photo.
" Maintenant je n'ai plus ni d'enfants ni de jeunes hommes pour leur
causer des ennuis. Il n’y a que moi et ma femme. L'Autorité (Palestinienne) est
venue et a dit: Donnez la plus grande salle. Nous allons en faire un
musée.
"Et?"
"Je les ai aussi menacés de mon sabre. Ils l'auraient donnée
aux Israéliens."
Une vieille femme apparaît sur un balcon et l'appelle pour
qu’il fasse entrer les invités. Sur le patio devant la maison, deux très
vieilles machines à coudre Singer côte à côte. "Je les ai juste huilées hier",
il fait tourner la roue pour prouver qu'elles fonctionnent merveilleusement
bien.
Dans le salon il y a une autre machine à coudre. "Mais celle-ci peut
faire de la broderie." Dit-il, et il tire un tiroir pour nous montrer les
différents points." Je ne sais pas ce qu'il veut avec toutes ces vieilles
machines," dit sa femme. Sur le mur il y a trois jeunes hommes. Sur chacun est
écrit un nom, précédé de la mention "le martyr". "Mes neveux", dit la vieille.
Venez, vous pouvez voir la mosquée depuis la fenêtre de la cuisine." Je vois les
murs roses du sanctuaire d'Ibrahim, et au-delà, dans la place centrale, le camp
militaire avec les sacs de sable, les fusils, les soldats et le drapeau blanc
avec l'étoile bleue. Mon guide me raconte que le samedi est la journée la pire
parce que les colons ont plus de temps pour se promener, renverser les étals de
légumes et donner des coups de pied aux gens. L'armée les protège, dit-il. Mon
chauffeur perd patience :"Nous avons suivi la route de la ‘paix’ comme on nous
l'avait demandé. Rassemblements et sommets sans fin. Et quel en est le résultat?
Est-ce juste? Qu'une population lésée doive être punie? En 94, Baruch Goldstein
a assassiné les gens qui priaient, et c'est ce que nous obtenons? La mosquée est
divisée et maintenant, avec le couvre-feu, ce vieil homme qui y priait chaque
jour de sa vie ne peut plus y mettre les pieds?"
"Les injustes recevront leur
salaire," dit doucement le vieil homme, "et je prie sur ma terrasse avec la vue
sur les murs du Sanctuaire."
Je pense à la bataille décisive de 1517, quand
l'Egypte mamelouk est tombée entre les mains des Turcs ottomans. Quand les
chevaliers mamelouk, jusque-là la plus puissante force de combat au monde, se
précipitèrent à cheval pour se battre, et se retrouvèrent face à la technologie
moderne des fusils ottomans et trahis par derrière.
Sur la route du retour le
taxi est encore là. Nous sortons d'al-Khalil, franchissons les barrages routiers
et continuons sur l'autoroute. Devant nous, un camion militaire. Il conduit
lentement et nous n'avons pas le droit de le dépasser. A l'arrière, trois jeunes
soldats nous regardent. C'est bientôt le coucher de soleil et le moment de
rompre le jeûne. Un barrage près de Bethlehem et nous sommes arrêtés. Mon
chauffeur ouvre sa fenêtre et montre ses papiers. Je regarde devant, mais
soudain ma porte est brutalement ouverte. Un jeune soldat plutôt grassouillet se
penche, souriant.
"Qu'est-ce qu'ils ont dit, auzourd'hui? Le tanzim? Qu'ils
allaient arrêter de tirer?"[il zozote] Le blèsement me rassure quelque
part.
"Qui?" demandé-je.
"Le tanzim."
Je le regarde froidement, et il
dit: "Fatah. Qu'est-ce qu'ils ont dit auzourd'hui?"
"Je suis terriblement
désolée," dis-je, en parlant avec beaucoup de distinction. "Je l'ignore. J'étais
en sortie toute la journée, et n'ai pas vu les informations."
"Mais vous avez
la radio dans la voiture?"
Mon chauffeur se penche et lui parle en Hébreu:
"Qu'est-ce qu'elle saurait? Ne voyez-vous pas qu'elle est étrangère?"
Ils
nous font signe d'avancer. Mon chauffeur est convaincu que les questions du
soldat étaient piégées. "Fils de p…", dit-il en riant, "ils n'en manquent pas
une."
Peut-être qu'il y a des cafés à Jérusalem-Ouest ou Tel-Aviv où des
intellectuels, artistes, et autres personnes s'assoient ensemble pour débattre
de la situation du pays et du "problème palestinien." Peut-être qu'ils débattent
du problème moral d’avoir une armée d'occupation tenant une population en otage,
ou des droits civiques d'une population arabe dans un état sioniste, mais ces
endroits - les endroits éclairés la nuit - comment puis-je les trouver? Dans le
guide des sorties je regarde le programme: films, récitals, cabarets. J'envisage
de prendre un taxi et d'acheter simplement un billet. Mais l'idée même me met
mal à l'aise.
Mercredi [29 novembre]
Albert Agazerian enseigne l'histoire à l'Université de Bir Zeit. Il me
rencontre juste sous la porte Bab el-Khalil et nous marchons vers la maison ou
il vit avec sa famille à l'intérieur des terres du couvent arménien. Il me
montre le premier consulat britannique et la première église britannique. "Des
couches d'histoire," dit-il. "Creusez ici et vous trouverez au moins 17 couches
d'histoire - et leurs histoires sont toutes entremêlées. Ici à Jérusalem nous
avons ce vers quoi le monde entier s'oriente: la pluralité. Mais les Israéliens
veulent annuler l'histoire de tous, sauf la leur."
Madeleine, sa femme,
insiste pour me donner un bocal de leurs olives. Sa famille a toujours eu ses
olives d'une ferme près de Naplouse. Maintenant les fermiers combattent non
seulement les bouclages, dit-elle, mais les colons qui mettent le feu aux champs
d'oliviers ou les coupent à la tronçonneuse. "Les fermiers," me dit-elle, "se
glissent dehors le vendredi soir et récoltent leurs olives pendant que les
colons font le sabbat." C'est comme s'ils devaient dérober leur propre récolte.
Mes tentatives pour atteindre l'autre côté de tout ceci n'ont rien donné
jusque-là. Shlomo Shamir, ex-ambassadeur d'Israël en Egypte, ne pouvait pas me
voir car il participait à l'enquête sur le meurtre des 13 Arabes israéliens en
Israël.
Ne pourrions-nous pas parler de sujets plus vastes?
Non. Tout
est lié.
Gershon Baskin, dont la spécialité est de rassembler Arabes et
Israéliens, n'a pas répondu à mes appels.
J'essaie encore de parler à
quelqu'un du Yesha Council pour organiser une rencontre avec un colon. Ce n'est
pas simple. Dès le premier mot, ce n'est pas simple: on m'a souvent demandé si
je n'avais pas un problème avec l'anglais comme étant la "langue de mon
oppresseur". Je comprends la question, mais je ne la sens pas; l'occupation
britannique en Egypte avait cessé avant ma naissance. L'anglais a été la langue
de ma première lecture et je l'adore.
Quand la voix à l'autre bout du
téléphone a dit "Shalom", j'ai répondu "Shalom" par politesse. Cela m'a donné un
mauvais sentiment, le sentiment que j'avais été, d'une certaine manière,
complice. Pendant les sept appels suivants, je répondrais avec
"bonjour/bonsoir". Quand la force d’occupation israélienne se sera retirée des
rues de Palestine, je dirai "Shalom" à un visiteur juif dans la Terre Sainte, de
même que je joindrai mes mains et inclinerai la tête pour saluer un Indien.
Et si une rencontre devait s'arranger, comment est-ce que je m'y rendrais?
Mon chauffeur palestinien n’irait pas près d'une colonie. Et avec qui est-ce que
j'irai? Car il n'est pas question que je m’y rende seule.
Hier soir, je suis
rentrée à l'hôtel à pied en montant la rue Salah el-Din. Je portais encore le
foulard que j'avais à al-Aqsa et ma robe atteignait mes chevilles. Je suis
passée devant le bâtiment interdit, le tribunal israélien comme je l'ai appris
plus tard. Devant, il y avait une voiture blindée et quatre soldats avec leurs
inévitables mitraillettes. Ils riaient ensemble, et j'ai réalisé qu'en deux
jours ma crainte avait disparu, mon cœur restait calme. J'ai dû faire environ 30
pas et j'allais tourner au coin de la rue, quand j'ai senti quelque chose
frapper mon épaule gauche et j'ai entendu le bruit de cette chose toucher le
sol. Qu'est-ce que j'ai ressenti? J’étais sous le choc, je me suis sentie
devenir glaciale, puis bouillante. J'ai senti ma gorge se nouer et les larmes me
monter aux yeux, et puis j'ai senti de la colère pure et je me suis retournée.
Comme je regardais par terre pour identifier ce qui m'avait frappée, un des
transports interurbains a freiné en crissant pour s'arrêter à mon niveau. La
porte s'est ouverte et à l’intérieur j'ai vu des femmes qui me ressemblaient, et
des enfants. Le chauffeur s'est penché: "Ca va?"
"Oui," dis-je. J'ai
découvert que j'avais honte, honte d'avoir été frappée. "Avez-vous vu qui m'a
frappée?" J'ai regardé la rue, qui était déserte, mis à part les soldats.
"Non, nous avons juste entendu le bruit. Vous avez besoin d'aide? Nous
allons à Ramallah."
"Mon hôtel est juste au coin de la rue."
"N'attendez
pas ici. Montez. Je vous emmène à l'hôtel."
"Ca va", dis-je.
"Dieu les
punisse" dit une femme. Ils ont attendu que j'aie passé le coin de la rue et
sois hors de vue pour partir.
Quand je suis entrée dans ma chambre, j'ai
poussé la lourde table contre la porte avec ma valise dessus. J'ai enlevé mon
manteau et ma robe. Dans le miroir, je pouvais voir le bleu sur mon épaule
gauche. Ca ne faisait pas mal, mais dans ma tête, je continuais à retourner vers
les soldats pour les défier "Avez-vous vu qui m'a frappée?"
Jeudi [30
nov.]
16h30
Je suis assise dans le couloir de l'hôtel lorsque Judy Blanc
[NDLT : membre actif du groupe Bat Shalom, mouvement féministe pacifiste
israélien] entre. Petite et chic avec des cheveux courts gris et des vêtements
ajustés, elle est immanquablement New-Yorkaise. Son mari a eu un poste de
professeur d'Arabe à l’Université hébraïque en 1954 et elle est venue avec lui.
Des amis palestiniens m'ont dit qu'elle était "une parmi un million". Je lui ai
demandé si c'était vrai et elle a ri : "Pas exactement". Elle dit que les
évènements récents - aussi terribles qu'ils soient - ont été utiles en ce qu'ils
ont clarifié les priorités des Palestiniens. Que le gouvernement israélien ne
peu plus continuer à manipuler la confusion entre les principes et les positions
de négociation.
Je lui ai demandé - il semble nécessaire de poser des
questions de base - où se trouvaient les "bons" Israéliens? Comment un peuple,
peuple qui est conscient que son gouvernement soumet une population entière,
coupant leur eau et leur électricité, les battant - je suis embarrassée de lui
faire la liste de tous les méfaits du gouvernement israélien - comment un
peuple, qui a une âme, peut-il tolérer ceci?
"Mais ils n'en sont pas
conscients, dit-elle. Il est si facile de ne pas le voir. Vous vivez à Jérusalem
ou à Tel-Aviv. Vous n'avez pas besoin de remarquer les Palestiniens. S'ils sont
là, c'est à l’arrière plan. Et il y a un racisme fondamental dans cette société
qui rend possible aux gens de se duper eux-mêmes, de ne pas voir ce qui se
passe. Si vous voulez savoir ce qui se passe, vous devez aller le chercher, à
Jérusalem-Est ou en Cisjordanie. Pas beaucoup d'Israéliens feront cela."
Y
a-t-il des Israéliens travaillant avec des Palestiniens maintenant?
"Non.
Les Palestiniens ont vu que la position libérale d’établir des contacts
personnels était corrompue par le processus politique. Maintenant, ils font ce
que l'université de Bir Zeit a toujours fait: chaque collaboration entre
Palestiniens et Israéliens doit être basée sur un engagement explicite aux
exigences minimales des Palestiniens: 242 et le droit au retour."
Et le
mouvement "la Paix Maintenant" [Peace Now, Shalom Ashav] et les organisations
similaires?
"Ils ont un problème. Ils ont soutenu Ehoud Barak et maintenant,
ils disent qu'il est allé aussi loin qu'il pouvait, et que la violence doit
s'arrêter. Les libéraux sont vraiment gênés par le fait qu'ils l'ont soutenu.
Vous savez, une de mes amies, une vraie libérale, m'a dit la semaine dernière
:'j'ai finalement compris qu'Oslo n'était pas le même pour les Palestiniens que
pour nous.' Ca lui a pris sept ans.
2h du matin
Pendant les quatre
dernières heures j'étais dans ma chambre à reprendre mes notes. Il y a tant à
écrire. J'ai ouvert en grand les rideaux de ma grande fenêtre : dehors, les
maisons massées, et au-dessus, le faible éclat du croissant de quatre jours de
Ramadan.
Jeûner n'a jamais été aussi facile qu'ici. De temps en temps,
j'entends une rapide série d'explosions, mais je ne suis pas experte, et ça
pourrait aussi bien être des enfants en train de jouer.
Depuis que je suis
ici, je semble avoir perdu toute forme d'appréhension (mise à part la table
calée contre ma porte). Le mépris dans lequel les gens tiennent l'armée est
contagieux. "Ils sont lâches," m'a dit un jeune homme. "Qu'ils sortent seulement
de leurs barricades, de leurs casques, et laissent leurs mitraillettes, tanks et
technologie américaine. Qu'ils se battent d’homme à homme, pierre contre
pierre."
J'ôte tous les aspects de moi qui sont superflus à la situation. Je
ne me demande pas une seconde si je dois ou ne dois pas poser une question. Je
n'ai pas le souci de plaire. Pas une seule fois je n'ai dû ramener mon esprit
indocile à l’affaire en cours. Chaque fois que je l’ai surveillé, il
travaillait, complètement concentré, enregistrant, enregistrant. Peut-être
est-ce que je mets de côté "moi". Et les morceaux de moi qui restent sont les
morceaux qui pleurent lorsque je couche sur le papier les histoires que
j'entends. Et les enfants regardent mes larmes, étonnés, et leur mères
expliquent: "C'est tout neuf pour elle."
Et si ce n'était pour mes propres
enfants à Londres, je resterais. Je resterais dans cette ville qui fait
ressortir le plus propre et le plus clair de moi - et je
témoignerais.
17. Notre monde est sens dessus-dessous par
Ahdaf Soueif
in The Guardian (quotidien britannique) du mardi 19 décembre
2000
[traduit de l'anglais par Dr Christine
Vassiliadis]
Jeudi [30 novembre]
Depuis trois nuits
maintenant je suis restée à écrire jusqu’à deux heures du matin, et pourtant je
n’ai pas encore rendu compte de tout ce que j’ai vu et entendu. Je n’ai même pas
encore vraiment pensé à tout ce que j’ai vu et entendu – ça viendra plus tard.
Pour le moment, les faits présents sont tout ce que je peux gérer.
Nous
partons tôt vers Ramallah et à quelques minutes de mon hôtel, je vois deux
drapeaux israéliens fixés sur le toit plat d’une maison. A côté, quatre garçons
en civil tiennent des mitraillettes. Mon chauffeur, Abu Karim, me dit que ce
sont quatre maisons qui ont été récemment prises à leurs habitants arabes.
Hors de Jérusalem, de larges routes sont construites pour relier les
colonies. Les travaux routiers sont gardés par les camions de l’armée
israélienne.
La route au nord de Ramallah – la route que les Palestiniens
peuvent utiliser – va nous conduire à travers la ville de Bireh et aux
informations, ils disent que Bireh a été bombardé hier soir. Bientôt, nous
voyons les blocs de bétons, les voitures qui attendent, les soldats, et nous
dévions à droite pour rouler sur des routes de terre. Abu Karim me montre un
cratère rectangulaire au milieu de la route, de la taille d’une tombe. L’armée,
dit-il, fait ceci juste pour nous rendre la vie encore plus difficile. Après 20
minutes de secousses, nous rejoignons la route principale à environ un kilomètre
de là où nous l’avions quittée.
Une heure et demie plus tard (et après une
distance, disons, de Chelsea à Kingston), nous sommes assis dans le salon de
Rita Haniyya et nous l’écoutons, elle et son amie Layla Qasim. Ces femmes, l’une
chrétienne, l’autre musulmane, sont les fondatrices de l’union nationale pour
les femmes palestiniennes [National Union of Palestinian Women, NUPW] et ont
travaillé dur pour installer le centre de soutien familial [Centre for the
Support of the Family] à Ramallah, un centre ouvert chaque jour où les enfants
apprennent la musique, et où on les encourage à dessiner : “Les enfants n’ont
pas le droit de voir des cartes de Palestine ni d’apprendre leur propre
histoire”, me disent-elles. Il y a 18 mois, les Israéliens ont fermé le centre
accusé d’”inspirer la sédition.”
“Sédition !” grogne Layla Qasim. “Nous
essayions d’aider les mères à donner à leurs enfants une enfance ‘normale’. Vous
savez ce que chantent les enfants ? Ils chantent : ‘Papa m’a acheté une babiole
/ une mitraillette et un fusil’. “Nous nous battions pour leur faire chanter des
chansons d’enfants normales. Mais les chansons d’enfants normales n’ont rien à
voir avec la réalité de leur vie. Quand les enfants disaient ‘Les Juifs sont
venus et ont emporté mon cousin / mélange notre riz avec la farine et le sucre’,
nous disions ne dites pas les Juifs, ce sont les Israéliens, les Sionistes. Nous
nous battions sur l’éthique du langage.”
“Les médias en Grande Bretagne”,
dis-je, “demandent pourquoi les mères permettent à leurs enfants de sortir et de
jeter des pierres à m’armée.”
“Permettent ?” dit Rita Haniyya, “Vous devriez
voir les quantités de valium que nous avons distribué aux femmes dans les camps,
simplement pour les aider à tenir le coup : quand leurs enfants sortent jouer
dehors, ils jouent sous les fusils du poste d’observation de l’armée juste
au-dessus d’eux – ces gens ont vécu dans des conditions d’”urgence temporaire”
pendant 33 ans, et certains depuis 1948. Ils ne vont pas chercher l’armée,
l’armée est juste au pas de leur porte.”
”Il n’y a pas un enfant”, dit Layla,
“qui n’a pas un père ou un frère banni, emprisonné ou tué. Quand les soldats
entrent et battent un père – les enfant le voient – ils n’ont qu’un seule pièce.
Ils voient leur père se faire battre. Que pensez-vous que cela leur fait ? Ils
nous demandent si les gens dans le monde entier vivent comme cela. Que peut-on
leur dire ? Un enfant de trois ans vient me dire : ‘Les Juifs sont venus et ont
battu mon père et son ventre est tombé sur le sol mais on l’a emmené à l’hôpital
et ils vont le réparer.’”
Les noms tombent dru et vite, Jihad Badr qui
élevait ses petits frères et sœurs après que sa mère soit morte du cancer, qui a
survécu à une opération d’une tumeur au cerveau mais a été tué aux
manifestations d’al-Aqsa ; Hania, 13 ans, sur la jambe de qui on a tiré, puis
qui a été emmaillotée dans une voiture militaire et frappée à nouveau sur la
même jambe : “Je n’ai pas crié”, m’ont-elles rapporté ses paroles, “pas parce
que je me sentais courageuse, seulement parce que j’avais peur qu’ils me tuent.”
Les jumeaux Hamouri, 19 ans, tués le même jour. Encore et encore.
Le NUPW
entraîne maintenant des femmes pour les aides d’urgences et la défense civile,
il organise des vaccinations, il donne des conseils sur l’économie domestique
(ce qui inclut le boycott des produits américains et israéliens). Il est
entièrement financé par les dons de ses membres les plus aisés – nombre d’entre
eux à l’étranger. Il y a deux millions de Palestiniens en Israël et dans les
territoires occupés, et cinq millions dans la diaspora.
“Nous avons fait des
compromis”, dit Rita Haniyya, “ils ont Jérusalem-Ouest, le Carmel, Jaffa et
Haifa etc. Ils ont Israël. Mais ils veulent tout, c’est leur nature. Ils nous
attaquent – physiquement – de trois façons : par l’armée, les colons, et les
Moustaribs (agents qui prétendent être des Arabes).”
Les Moustaribs,
dit-elle, se mêlent aux gens pendant les manifestations : “Ils choisissent un
enfant, l’attrapent, jettent leur keffiehs sur leurs visages (pour qu’ils
puissent se mêler à nouveau sans être identifiés) sortent brusquement leurs
kippa et une arme et se précipitent avec l’enfant vers une voiture
militaire.”
“Vous savez le pire”, disent-elles, “c’est qu’ils vous laissent
deviner. Vous ne savez jamais si une route va être ouverte ou fermée. Quand ils
vont couper l’eau ou l’électricité. S’ils vont autoriser un enterrement. S’ils
vont vous donner un permis pour se déplacer. Vous ne pouvez jamais prévoir. Ils
créent les conditions pour vous laisser tourner sur place à vous rendre malade
et fatigué.”
A Oslo, Israël a accepter de livrer les principales villes
arabes à l’Autorité Palestinienne. Israël, cependant, a gardé toutes les zones
entourant les villes, de sorte que, pour se rendre d’une ville à l’autre, les
Palestiniens doivent avoir des permis, qui sont vérifiés aux check points
israéliens. Avec l’intifada, l’armée israélienne a simplement encerclé les
villes, empêchant les habitants d’entrer ou de sortir. Les critiques d’Oslo en
même temps avaient dit que c’était un plan qui menait au désastre. Personne de
comprend pourquoi l’Autorité Palestinienne a accepté cet accord. Certains disent
qu’ils n’avaient tout simplement pas de cartes. C’est aux soldats encerclant
leurs villes que les jeunes de l’intifada jettent des pierres.
Il y a de bons
Israéliens, dit Rita, des gens de conscience. “Regardez ce qu’écrit Amira Hass
dans Ha’aretz. Et Uri Avnery. Mais ils sont marginalisés.”
Etes-vous en
contact avec eux ?
“Plus maintenant. Nous avons réalisé qu’ils iraient loin,
mais pas plus loin. Les meilleurs d’entre eux rechignent au droit au retour des
réfugiés. Même Leah Rabin voulait Jérusalem-Est. Au début de l’intifada, quand
ils nous ont contactés, nous leur avons dit que nous leur parlions depuis des
années, et que maintenant c’était à leur tour de parler à leur
gouvernement.”
De retour à Jérusalem, je romps mon jeûne dans un petit café
hors de la porte al-Zahra. Dehors dans la rue il y a la voiture militaire et les
soldats. A la table derrière moi, trois hommes mûrs glorifient l’époque de Gamal
Abdul Nasser et l’idée du pan-arabisme. Ils finissent par chanter des chansons
populaires égyptiennes des années 60 : “Ya Gamal/aimé par des millions de gens”
et “nous avons dit qu’on le bâtirait et nous l’avons bâti/le gra-and
barrage”.
Le propriétaire, reconnaissant mon dialecte égyptien, me donne un
jus de tamarin et du gâteau maison. Il me demande si ça va bien à l’hôtel. Sa
famille serait heureuse de m’accueillir chez eux, mais ils sont à al-Khalil
(Hébron). Il faisait le trajet, c’est à une demi-heure seulement, mais
maintenant avec les barrages il peut seulement se glisser pour les voir une fois
par semaine.
Une manifestation silencieuse avec des bougies hors de la
Nouvelle Porte de la vielle ville. Soixante flammes vacillent dans les mains de
60 femmes palestiniennes juste devant la Porte. A l’opposé, de l’autre
côté de la route 15 femmes israéliennes vêtues de noir tiennent 15
bougies.
Vendredi [1er décembre]
C’est le premier vendredi du Ramadan et
Barak, dans un mouvement destiné à “obtenir le calme pendant le mois du
Ramadan”, a annulé l’interdiction aux hommes de moins de 45 ans de prier à la
mosquée d’al-Aqsa.
La police montée israélienne, armée et vêtue d’équipements
anti-émeute, garde les portes de la vieille ville comme si nous étions de
dangereux hooligans armés. Nous franchissons la Porte al-Zahra en file indienne,
entre deux rangée de soldats armés de mitraillettes. Chaque homme doit s’arrêter
et montrer ses papiers d’identité. Les femmes, si elles gardent la tête baissée
et leurs yeux rivés au sol, sont laissées tranquilles. A Bab Hutta, la véritable
porte vers Haram al-Sharif, ils y a encore plus de soldats armés. A l’intérieur,
les hommes se dirigent vers al-Aqsa, les femmes vers ce joyaux de choix, le Dome
du Rocher. Parce que l’amnistie israélienne ne s’étend pas aux habitants de
Cisjordanie, il y a peut-être 20 à 25 000 personnes ici aujourd’hui au lieu des
500 000 que l’on attendrait d’habitude.
Au Dome, je me glisse par Bab
al-Janna (la Porte du Paradis). En lignes droites, épaules contre épaule, nous
prions puis écoutons le sermon. L’Imam prêche la patience, le jeûne et
l’opposition. Il nous rappelle les paroles du Prophète : il y a ceux qui jeûnent
et ne gagnent rien d’autre que la faim, jeûner c’est renoncer à la fausseté, à
l’hypocrisie et à toutes les mauvaises actions. Il fait la liste des crimes de
l’armée israélienne d’occupation contre les gens.
Il fait la liste des
demandes des gens : la fin de l’occupation, la mise en application de la
résolution 242 de l’ONU et le retour aux frontières du 4 juin 1967, un état
palestinien souverain et indépendant en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem Est,
la libération des prisonniers palestiniens des geôles israéliennes, le droit au
retour dans leur pays de tous les réfugiés palestiniens. Il répète la promesse
de Dieu que les justes l’emporteront, puis il prie pour al-Aqsa elle-même.
Encore et encore il implore la protection divine contre les complots qui se
trament contre elle, encore et encore les voix des femmes depuis le Dome, et les
voix des hommes depuis al-Aqsa s’élèvent : Amen.
L’al-Aqsa, où les hommes
prient, est tout proche de Bab el-Magharba (la Porte des Marocains), qui est à
côté du Mur des Lamentations. A la fin de la prière, des groupes de jeunes
hommes et garçons se rassemblent ici. Mais l’armée et la police les attendent
fermement et chacun sait que si une pierre vient frapper ce mur, quelqu’un sera
fusillé. Mais les chebab (les jeunes) sont en prise à la ferveur et un homme,
que certains disent être un “élément du Fatah”, commence à hurler des slogans du
Hamas et, jouant du flûteau, les conduit hors du danger certain de Bab
el-Magharba à travers les terrasses d’al-Haram vers la sécurité relative de Bab
el-Sabbat. Ils s’arrêtent ici.
Hors de la porte, une station de police
incendiée il y a un moment. Les administrateurs de la mosquée se précipitent
pour mettre des barrières de bois entre les chebab et la petite armée de soldats
et policiers qui prend position dehors avec leurs armes menaçantes. Les chebab
chantent la victoire du Prophète contre les Juifs à Khaybar au 7ème siècle,
certains retournent en courant dans Haram et cherchent à briser la porte de fer
menant aux escaliers du minaret. Elle ne rompra pas. Un jeune homme escalade un
mur et essaie d’ouvrir une porte un peu plus haut sur le minaret.
Sur les
murs des terrasses des centaines de femmes et de vieillards se tiennent debout
et regardent. L’atmosphère est presque celle d’un carnaval. Un millier peut-être
de chebab font face aux soldats, mais la porte est étroite et il n’est donc pas
difficile aux plus vieux de les retenir. Sur les marches en face de la porte,
les marches qui mènent au sommet des murs de la ville, se tiennent les
photographes avec leurs appareils, leurs casques et gilets pare-balles. Quelque
chose se passe dehors et les chebab se dispersent un moment puis se regroupent.
Une femme en robe de bédouin brodée vient se fourrer au milieu d’eux, en hurlant
avec eux, et un homme cherche à la retenir :”Ils pourraient te tirer dessus
!”
“Qu’ils me tirent dessus. Est-ce que je ne vaux pas mieux que n’importe
lequel de ces jeunes ?”
Une femme à lunettes de corne agite ses bras en
direction des soldats depuis le mur où elle se tient : “Sortez !” crie-t-elle,
“Sortez ! Vous nous étranglez, que Dieu vous étrangle.”
Un jeune homme
ordonne à son petit frère de rentrer à la maison. “Laisse-moi rester”, supplie
l’enfant. “Seulement quelques minutes. Laisse-moi rester.” Il lui faut un coup
de taloche sur la tête pour le renvoyer à la maison. Quelques petites pierres
sont jetées par-dessus le mur. “Je parie que ça va atterrir sur notre voiture”,
dit un jeune homme très élégant à sa compagne.
Un jeune bien bâti ramasse
une grosse pierre et la jette au sol pour la briser. Elle ne se brise pas, et il
la ramasse à nouveau. Comme il la soulève, un fonctionnaire de la mosquée se
précipite et la lui prend des mains, calmement, sans un mot. Il la place
soigneusement sous un arbre, et le jeune homme s’éloigne. Une dispute éclate sur
le côté :”Ils ne devraient pas causer de trouble” crie un bel homme imposant.
“Les Israéliens vont tout fermer. Laissez les gens prier.”
Un badaud rit :
”Vous avez prié pendant 50 ans. Quel bien cela vous a-t-il fait ?”
Un petit
sheikh dans un costume très décoré et un chapeau clérical rouge tout neuf marche
de long en large à côté des manifestants, et hurle dans un porte-voix : “Votre
présence ici les provoque. Dispersez-vous. Dispersez-vous.” Personne ne fait
attention à lui sauf un homme, qui glisse à son voisin : ”Il fait ça chaque
vendredi.” Des femmes et jeunes filles bavardent assises sous les arbres.
Finalement, les chebabs commencent à partir. Cela a pris deux heures mais cette
fois, ici, les Palestiniens n’auront pas de martyrs.
Samedi [2
decembre]
Midi, Ramallah
La grande salle de l’école indépendante Notre
Dame des Evangiles à Ramallah se remplit d’étudiants. Des centaines de filles et
de garçons affluent et s’assoient en riant et bavardant. Sur la scène, la
principale, Madame Samira, et l’orateur invité, Dr Moustafa Barghouti installent
le rétroprojecteur. Dr Barghouti fait partie du triumvirat qui dirige Le Parti
Populaire de Palestine (People’s Party of Palestine), et – plus important - il a
organisé toute l’aide médicale pour l’intifada.
Ce discours fait partie de
l’initiative commune des écoles indépendantes de Ramallah pour “documenter la
vérité et exiger nos droits légitimes face au monde”. Ce groupe d’enfants fait
partie de l’élite économique, leurs parents ont les moyens de les mettre dans
des écoles privées, et peuvent les empêcher d’aller sur les barricades. Leurs
cheveux brillent, leurs dents sont saines. Quand Mme Samira donne la liste des
noms des écoles participant, ils applaudissent et trépignent et elle interdit
les sifflets.
Ils veulent tous savoir comment apporter leur contribution. Ils
demandent pourquoi l’Autorité n’a pas déclaré la mort d’Oslo, pourquoi elle
arrête des membres du Hamas, ce que fait l’Autorité pour protéger les civils
contre les attaques des colons, pourquoi est-ce que l’Autorité continue à
essayer de coordonner la sécurité avec Israël. Ils veulent un programme pour
soutenir les milliers de travailleurs qui ont perdu leur travail en Israël. Ils
veulent que les dirigeants s’unissent pour mettre fin aux factions. Ils veulent
parler au monde. Ils veulent l’indépendance et ils veulent savoir ce qu’ils
peuvent faire.
Dr Barghouti leur dit qu’ils peuvent rejoindre les ONG de
l’autre côté de la rue. Ils peuvent apprendre les prmiers soins, à gérer la
crise. Ils peuvent travailler avec les médias, sur Internet, répondre aux
articles… Ils se pressent tous autour de lui pour écrire leurs noms, avant de
sortir en vitesse pour être emmenés par leurs parents à14h30 précises.
15h,
Ramallah
Un autre Barghouti (c’est une très grande famille), Marouane
Barghouti, est dans le mouvement. A 41 ans, il est à la tête de l’exécutif du
Fatah. Depuis l’intifada, il est dans les rues avec les chebab et il a formé le
“People’s Watch”, des groupes dans chaque village qui essaient de défendre les
villageois contre les colons. Tout le monde dit qu’il est la cible des
Israéliens (Ma’ariv l’a appelé l’un du “triangle de la terreur : Arafat,
Barghouti et Raggoub, la tête des renseignements palestiniens”). Certains disent
qu’il est la cible de L’Autorité Palestinienne – pour être trop populaire.
Dans son bureau, devant un immense poster d’al-Aqsa, il répète que
l’intifada et la négociation ne s’excluent pas l’une l’autre ; que l’intifada
est le seul moyen pour le peuple d’exprimer sa propre voix, sa propre volonté
dans les négociations. Il montre un poster de Mohammad al-Durra et dit : “Nous
avons besoin de nous débarrasser de l’image du Palestinien comme victime. Voici
un meilleur poster”, dit-il en montrant un poster d’un enfant faisant face à un
char.
Je dis : ”Cet enfant a été tué deux jours après.”
Il dit
”Oui.”
Je me demande s’il il y a de la place pour sortir du Charybde
“victime” sans tomber dans le Scylla “terroriste islamiste fanatique”. La marge
est terriblement étroite. Puis un homme s’assoit avec nous – un vieil ami
visiblement - et dit : “Mais j’ai entendu que Qassam [le fils de 16 ans de
Barghouti] est descendu aux barricades. Pourquoi tu ne l’arrêtes pas ? “
Barghouti écarte la question d’un geste de la main. L’homme insiste : ”Tu dois
l’arrêter.” Et pendant un moment, le leader de la milice semble désemparé : ”Je
ne peux pas”, dit-il. “Comment puis-je ?”
15h45
Abu Karim s’inquiète. Il
veut être rentré chez lui à Jérusalem avant le coucher du soleil, mais j’ai
demandé à voir les barricades, et maintenant nous les examinons. Une zone de
désolation au bord de la ville – ce qui signifie à dix minutes du centre. Après
le coucher du soleil cela va se transformer en champ de bataille. Des blocs de
bétons, des pierres, des marques de feu, des bris de verre. Deux voitures
militaires israéliennes de l’autre côté des blocs.
Une femme surgit de nulle
part. La quarantaine, pauvre, vêtue de noir, c’est une Egyptienne qui a épousé
un Palestinien et vécu ici depuis 25 ans. Umm Basim, j’ai entendu parler d’elle,
entendu qu’elle a perdu son fils aîné à la dernière intifada et qu’elle est au
cœur de l’action dans les barricades chaque soir.
Est-ce à cause de votre
fils, lui demandé-je, que vous venez ici ?
“Non. J’en ai quatre autres, et
ils sont ici avec moi. Je viens parce que cette situation doit cesser. Nous ne
pouvons vivre ainsi.”
Je lui demande si je peux la prendre en photo. Elle
hésite : ”Cela ne paraîtra dans aucun journal égyptien ? Je ne voudrais pas que
ma mère sache ce que je fais. Elle s’inquièterait.” Comme je la prends en photo,
elle se tourne vers l’homme qui nous a amenés ici :”J’ai vu Qassam ici. Dites à
son père de l’en éloigner.”
Dimanche [3 décembre]
10h30
Psagot
(“Bascot”, avaient dit les étudiants de Bir Zeit, “Biscuits. Pensez aux cookies
américains”).
Psagot est une colonie construite il y a dix ans sur le sommet
d’une colline juste à la sortie de Ramallah et Bireh. Les Palestiniens disent
qu’elle fut construite par le gouvernement (comme les autres colonies) sur des
terres expropriées de Bireh. Ils disent qu’elle fut placée stratégiquement pour
empêcher l’expansion naturelle de la ville et contrôler la population arabe. Ils
disent que les colons sont armés, et que l’armée elle-même peut se déplacer dans
la colonie au tout dernier moment. Pendant les deux derniers mois, Bireh et
Ramallah ont été bombardés chaque nuit depuis Psagot.
Mes appels au Yesha
Council ont fini par payer, et ils m’ont envoyée ici pour rencontrer Chaim
Bloch.
Un journaliste occidental m’a mise en contact avec un chauffeur de
taxi qui ira jusqu’à la colonie (mais pour trois fois plus cher), et depuis le
début, ce voyage ne ressemble pas aux autres que j’ai pu faire ici. De larges
routes lisses, des voitures rapides, pas de barrages. Et Psagot, comme presque
toutes les colonies, sur le sommet d’une colline comme une prison, comme
l’effrayante petite ville dans “Edouard aux doigts d’argents” [Film de Tim
Burton, NDLT]. Barak a proposé un budget de 300 millions de dollars pour les
colonies l’année prochaine.
Chaim Bloch nous attend poliment devant sa
maison. Il porte un costume avec une chemise boutonnée jusqu’en haut, sans
cravate. Il a une longue barbe brun clair et parle doucement et prudemment. Son
père, ingénieur dans le textile, a reçu un travail en Israël il y a 31 ans, et
en en deux semaines, la famille a déménagé de Baltimore. Je calcule que Mr Bloch
a 39 ans. Je l’avais pensé plus vieux.
En Israël, si on choisit de faire des
études religieuses, on est exempté de service militaire. Pour les jeunes qui
veulent faire les deux, il y a des yeshivas spéciales, trente d’entre elles à
travers tout le pays. Bloch est un diplômé de l’une d’entre elles et, jusqu’à
récemment, il a toujours enseigné dans une autre. Maintenant, il enseigne les
liens du droit juif au management monétaire, dans une sorte de cours de
formation continue. Il est à Psagot depuis neuf ans.
Pourquoi Psagot
?
“Parce que c’est le pays de Judée et Samarie. C’est ici que doit se décider
le destin d’Israël.”
Les gens de l’autre côté de la vallée, à Ramallah et à
Bireh, disent qu’on les a expropriés de ces terres. Que sentez-vous par rapport
à cela ?
“Le gouvernement d’Israël n’a jamais pris ces terres sans payer pour
cela. Les Arabes ont essayé de nous faire un procès et à la fin, ils nous ont
suppliés de laisser tomber parce qu’ils allaient être ruinés.”
Il y a des
résolutions des Nations Unies qui disent que la Cisjordanie et Gaza sont
occupées illégalement.
“Israël est un état de droit mais il peut y avoir des
différences entre les interprétations de la loi. Ce que nous faisons ici n’est
pas contre le droit international.” Puis, il enchaîne :”Même si j’étais sûr à
100% que le droit international était contre moi, cela ne changerait pas mon
point de vue. Ce n’est pas parce que le droit international dit quelque chose
que cela se passe ainsi.”
Mais si ce n’est pas le droit, quelle est votre
référence ?
“Dieu nous a promis ce pays. L’état d’Israël était ici il y a
2000 ans et Dieu a promis ce pays à nos ancêtres il y a 37 000 ans. Il n’y a
jamais eu un état de Palestine ici.”
La pensée qui me vient est que je n’ai
plus peur, ni ne me sens mal à l’aise. Je ne sens rien. Je mène une interview.
Bien, dis-je, il n’y a jamais eu de Syrie, ni de Liban, ni de Jordanie ou
d’Iraq. Comme états. Cela faisait partie de l’empire ottoman qui a été découpé
par les Britanniques et les Français.
“C’est la terre que Dieu nous a
promise.”
OK. Vous dites que cette terre est la vôtre parce que vous étiez
ici il y a 2000 ans. De l’autre côté de la vallée, il y a un homme qui dit que
cette terre est la sienne parce qu’il est ici depuis 2000 ans. Si – juste un
instant - vous vous mettiez à sa place…
“Je ne me mets pas à sa place. On
fait ceci pour un ami, qui vous importe personnellement. C’est une question de
nations. Et mon affaire est de m’intéresser aux intérêts de la nation
Juive.”
Donc vous n’avez aucune responsabilité morale individuelle dans cette
affaire ?
“Non.”
Bien, de votre point de vue, que devraient faire les
Palestiniens ?
“Ils peuvent continuer à vivre ici. Personne ne va les mettre
dehors. Mais ils doivent comprendre qu’ils sont en train de vivre dans un état
juif. Si cela ne leur plaît pas, il y a beaucoup d’endroit où ils peuvent
aller.”
Mais s’ils vivent ici, dans un état juif, ils n’ont pas les mêmes
droits que les Juifs.
“Oui. C’est un état juif et ils vivent en minorité.
Croyez-moi, 90% des Palestiniens nous admirent et veulent vivre dans l’état
d’Israël.”
Je sais qu’une enquête menée auprès de jeunes Palestiniens a
montré qu’ils admirent la démocratie israélienne telle qu’elle s’applique aux
Juifs. Mais elle ne s’applique pas aux Arabes.
“Quatre vingt dix pour cent
des Palestiniens seraient heureux de vivre dans l’état d’Israël. Je sais
cela.”
Vous savez que 90% des Palestiniens seraient heureux de vivre comme
citoyen de seconde classe pour toujours ?
“C’est ce que me disent mes amis
palestiniens.”
Vous avez des amis palestiniens ?
“Oui.”
Pardonnez-moi,
mais – qui sont-ils ?
Silence.
Je ne veux pas de noms, seulement – où les
avez-vous rencontrés par exemple ?
“L’un est un mécanicien. Il a réparé ma
voiture. Et l’autre – il le connaît.”
Puis-je vous demander comment marche la
vie dans les colonies – économiquement ?
“Que voulez-vous dire ?”
Eh
bien, j’ai entendu que les colonies recevaient des aides du gouvernement.
“Le
gouvernement de Barak nous a coupé presque tout ce que nous recevions sous
Netanyahou. Nous ne recevons presque rien.”
(Ma compagne Judy Blanc affirme
que la maison dans laquelle il vit a été achetée pour un cinquième de sa valeur
sur le marché. Pour qu’un colon puisse entrer et sortir de sa colonie, le
gouvernement leur fournit un bus blindé escorté par deux voitures militaires.
L’eau, principale ressource sous le contrôle du gouvernement, est divisée entre
la population Arabe et les colons israéliens : chaque colon reçoit 1450 mètres
cubes d’eau par an. Chaque Palestinien en reçoit 83. L’électricité est coupée
régulièrement dans les villes palestiniennes pendant que les colonies restent
éclairées.)
Mr Bloch, vous avez Israël. Si vous ne permettez pas les
Palestiniens d’avoir leur propre état en Cisjordanie, ce conflit ne finira
jamais.
“Tout ne doit pas se régler maintenant.”
Etes-vous heureux de
laisser ce conflit en héritage à vos enfants?
“Heureux ?” Sa voix s’élève,
mais légèrement seulement. “Ma sœur était dans le bus qu’ils ont fait exploser.
La femme assise à côté d’elle a été tuée. Des enfants vont être amputés. Je ne
suis pas heureux.”
Mais croyez-vous que vos enfants doivent hériter de cette
situation ?
“Ces enfants dans le bus – je prie pour que Dieu ne me demande
jamais de payer un tel prix. Mais s’il le fait, je le paierai.”
Comme nous
nous éloignons de Psagot, je me sens vide. Je regarde mes notes et réalise que
je n’ai aucune impression de ce à quoi ressemblait le salon dans lequel
nous étions – sauf qu’il était nu, fonctionnel et ensoleillé – et donnait sur
Ramallah. Le chauffeur de taxi (même avec 100 dollars en poche) se dépêche, en
colère, et se dispute avec un jeune Israélien rapide. Par la fenêtre, j’entends
: “Kess ikhtak !” (le c… de ta sœur).
Est-ce pareil en hébreu ?
demandé-je.
Non, c’était de l’arabe, dit Judy.
“Je vois un terrible
incendie”, m’avait dit Mme Haniyya, “un terrible incendie venir nous avaler
tous, Israéliens et Palestiniens – sauf si les Palestiniens sont libérés de leur
esclavage.”
13h30
Sur la route du retour vers le pont, je vois que l’armée
a creusé une tranchée toute neuve entre la route et la ville d’Ariha
(Jericho).
Plus tard
La fatigue me frappe à la minute où j’arrive à
Londres. Ce conflit a fait partie de ma vie toute ma vie. Mais le voir là, sur
le terrain, c’est différent.
Que puis-je faire, sinon témoigner ?
Je suis
plus en colère qu’avant. Et je n’arrive pas à croire que ce qui se passe en
Palestine – chaque jour – pour les hommes, femmes et enfants, devrait être
autorisé à se poursuivre, par le monde entier.
Le choix est dans les mains
d’Israël.
Ils peuvent lâcher la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est, et vivre
à l’intérieur de leurs frontières comme une nations parmi les nations. Il n’y a
pas de choix pour le peuple de Palestine.
Ilan Halevi, un Juif qui a combattu
dans l’OLP, dit que c’est une question d’image macho : “ Israël ne veut pas être
vu comme le ‘garçon gras du Moyen-Orient’.” D’autres disent qu’Israël ne veut
pas être “une nations parmi les nations”, mais veut garder l’image du pays
assiégé, qui a du cran – et l’indulgence morale et les milliards de dollars
d’aide qui vont avec. S’il en est ainsi, alors le gouvernement israélien a
rejoint ceux de la région, qui ne travaillent pas pour les intérêts de leurs
propres peuples.
Awad Awad raconte que les Israéliens ont déclaré qu’ils ne
renouvelleraient pas les permis des photographes palestiniens travaillant pour
les médias occidentaux.
Qu’allez-vous faire ?
“Simplement continuer à
prendre des photos. Je suis photographe.”
J’ai vu des femmes pousser leurs
fils derrières elles, les forçant à s’enfuir, hurlant aux soldats :”Fichez le
camp d’ici. Arrêtez de tourmenter nos enfants.”
J’ai entendu un homme dire :
”J’ai quatre fils et pas de travail. Je ne peux pas les nourrir. Qu’ils aillent
mourir si cela va aider notre pays ; si cela va faire cesser l’état des choses.”
J’ai vu des enfants regarder calmement d’autres tirs, d’autres funérailles. Et
quand j’ai pleuré, ils ont dit : “C’est nouveau pour elle.”
J’ai écouté tout
le monde prédire que les leaders signeront un accord. “Mais s’ils ne nous
donnent pas l’indépendance et le droit au retour, les rues vont
s’enflammer.”
Les noces palestiniennes sont célébrées autour d’un café, mais
quand un jeune homme meurt, sa mère est portée au-dessus de sa tombe. “Lance ton
you-you, mère”, disent ses amis, les chebabs qui mourront peut-être demain. Une
mère me dit : ”Nos cris de joie éclatent seulement devant la mort. Notre monde
est sens dessus-dessous.”
[Ahdaf Soueif est une romancière née en Egypte, vivant à Londres avec
son mari le poète Ian Hamilton. Elle a publié Aisha (Cape London 1983), Fi 'Ein
El-Shams / In the Eye of the Sun (Bloomsbury 1992), Zammar el-Raml / Sandpiper
and Other Stories (Bloomsbury 1996), Zeenat al-Hayat (1996 au Caire par Kitab
al-Hilal), Mukhtarat min a'mal Ahdaf Soueif (1998 par General Egyptian Book
Organization) et The map of Love (Bloomsbury 1999), "Lady Pacha" traduit en
français chez J.-C. Lattès - Paris 2000 - 524 pages - 139 Francs.
NDLT]
Ahdaf Souief donnera une conférence le 14 février 2001, “Visons
of Palestine”, à la Royal Geographic Society de Londres, à 19h. Pour plus
d’informations, appeler Chris Doyle au 00 44 20 7373 8414.
18. Les Palestiniens assiégés par Edward
Said
in London Review of Book du jeudi 14 décembre 2000
[traduit de l'anglais par Dr Christine
Vassiliadis]
[Cet article fait référence à des cartes très détaillées
qui sont disponibles (par ces liens) au format PDF Acrobat.
La carte 1
http://www.lrb.co.uk/v22/n24/maps/map1.pdf
montre la situation actuelle à Hébron, avec la ville arabe dominée par les
colonies israéliennes.
La carte 2
http://www.lrb.co.uk/v22/n24/maps/map1.pdf
suit la succession de transferts par Israël de territoires de Cisjordanie sous
autonomie palestinienne, entre 1994 et 1999.
La carte 3
http://www.lrb.co.uk/v22/n24/maps/map3.pdf
donne une image détaillée de la Cisjordanie après le second redéploiement
israélien un peu plus tôt cette année.
La carte 4
http://www.lrb.co.uk/v22/n24/maps/map4.pdf
représente le statut démographique actuel de Jérusalem-Est.
La carte 5
http://www.lrb.co.uk/v22/n24/maps/map5.pdf
montre une analyse des expropriations de terres dans la même partie de la ville
entre 1967 et 1999.
Toutes les cartes ont été fournies par la Foundation for
Middle East Peace (Fondation pour la Paix au Moyen-Orient) basée à
Washinton.]
Le 29 septembre, le lendemain du jour où Ariel Sharon, escorté
d'un millier de policiers et soldats israéliens a arpenté le Haram al-Sharif (le
"Noble Sanctuaire") à Jérusalem dans un geste visant à affirmer ses droits en
tant qu'Israélien de visiter le lieu saint Musulman, une conflagration a
commencé, qui se poursuit alors que j'écris ces lignes fin novembre. Sharon
lui-même est impénitent, blâmant l'Autorité Palestinienne pour une 'incitation
délibérée' contre Israël 'en tant que forte démocratie', dont les Palestiniens
souhaiteraient changer 'le caractère Juif et démocratique'. Il est allé a Haram
al-Sharif, a-t-il écrit dans le Wall Street Journal quelques jours après, "pour
inspecter et constater que la liberté de culte et le libre accès au Mont du
Temple sont accordés à chacun". Mais il n'a pas mentionné son immense entourage
armé, ni le fait que l'endroit était bouclé avant, pendant et après sa visite,
ce qui assure à peine la liberté d'accès. Il a également omis de parler de la
conséquence de sa visite : le 29, l'armée israélienne a abattu huit
Palestiniens. Ce que tout le monde a ignore, de plus, est que les autochtones
d'un lieu sous occupation militaire - ce qui est le cas de Jérusalem-Est depuis
son annexion par Israël en 1967 - sont autorisés par la loi internationale à
résister par tous les moyens possibles. De plus, deux des plus anciens et plus
importants lieux saints musulmans du monde, datant d'environ 1500 ans, sont
supposés, d'après les archéologues, avoir été construits sur le site du Mont du
Temple - une convergence de sites religieux qu'une visite provocatrice d'un
général israélien extrémiste n'allait jamais aider à régler. Un général, c'est
aussi bien de le rappeler, qui avait joué un rôle dans de nombreuses atrocités
remontant aux années 50, et incluant Sabra, Chatila, Qibya et Gaza.
D'après
l'Union of Palestinian Medical Relief Committees [Union des Comités Palestiniens
de Soin Médical], à partir de début novembre, 170 personnes avaient été tuées,
6000 blessées: ces chiffres n'incluent pas 14 morts israéliens (dont huit
soldats) et un nombre de blessés un peu plus élevé. Parmi les morts
palestiniens, il faut compter au moins 22 garçons de moins de 15 ans, dit
l'organisation israélienne B'tselem, 13 palestiniens citoyens d'Israël, tués par
la police israélienne lors de manifestations en Israël. Les organisations
Amnesty International et Human Rights Watch ont toutes deux émis de sévères
condamnations d'Israël pour un usage disproportionné de la violence contre les
civils. Amnesty a publié un rapport détaillant la persécution, la torture et
l'arrêt illégal d'enfants arabes en Israël et à Jérusalem. Certains journaux de
la presse israélienne ont été considérablement plus francs et honnêtes dans
leurs rapports et commentaires sur les événements que les médias américains et
européens. Dans Ha'aretz, le 12 novembre, Gideon Levy notait avec effroi que la
plupart des quelques membres arabes de la Knesset avaient été punis pour avoir
objecté contre la politique d'Israël envers les Palestiniens: certains ont été
vidés des comités de travail, d'autres sont en procès, d'autres sont encore
interrogés par la police. Tout ceci, conclut-il, fait partie du "processus de
démonisation et délégitimisation conduit contre les Palestiniens" d'Israël et
des Territoires Occupés.
"Une vie normale", telle qu'elle l'était pour les
Palestiniens vivants en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, occupées, est
maintenant impossible. Même les trois cent et quelques Palestiniens, qui avaient
droit à la liberté de mouvement et à d'autres privilèges de VIP d'après les
termes du processus de paix, ont maintenant perdu ces avantages. Comme le reste
des trois millions et quelques personnes qui endurent de double fardeau de
l'Autorité Palestinienne et de l'occupation israélienne - sans parler de la
brutalité des milliers de colons israéliens, dont certains agissent comme des
miliciens terrorisant les villages palestiniens et des grandes villes comme
Hébron - ils sont soumis aux blocus, encerclements et routes barricadées, qui
ont rendu tout mouvement impossible. Même Yasser Arafat doit demander la
permission pour entrer ou sortir de Cisjordanie ou de Gaza, où son aéroport est
ouvert ou fermé selon le bon vouloir des Israéliens, et où son quartier général
a été bombardé par des missiles tirés d'un hélicoptère lors d'un raid punitif.
De même, le flux de marchandises vers et hors des Territoires s'est arrêté.
D'après le UN Special Co-0rdinator's Office in the Occupied Territories [Bureau
spécial des Coordinateurs dans les Territoires Occupés des Nations Unies], le
commerce avec Israël représente 79.8% des transactions commerciales
palestiniennes, et le commerce avec la Jordanie, pays suivant, représente 2.39%.
Que ce chiffre soit si faible est directement dû au contrôle israélien de la
frontière de la Palestine avec la Jordanie (en plus du contrôle de ses
frontières avec la Syrie, le Liban et l'Egypte). Avec Israël fermé, l'économie
palestinienne perd donc 19,5 millions de dollars par jour en moyenne - ce qui
représente déjà trois fois l'aide totale perçue pendant les six premiers mois de
cette année. Pour une population qui continue à dépendre de l'économie
israélienne - grâce aux accords économiques signés par l'OLP à Oslo - c'est une
très dure épreuve.
Ce qui n'a pas ralenti, c'est le taux de construction de
colonies israéliennes. Au contraire, selon le rapport officiel sur les colonies
israéliennes dans les Territoires Occupés (RISOT), ce taux a presque doublé au
cours des dernières années. Le rapport ajoute que "1924 unités de colonies ont
été commencées" depuis le début du régime "en faveur de la paix" d'Ehud Barak en
juillet 1999 - et de surcroît, il faut ajouter le programme toujours en cours de
construction de routes et d'expropriations dans ce même but, ainsi que la
dégradation des terres agricoles palestiniennes par l'armée et les colons. Le
Centre for Human Rights [centre pour les droits de l'homme] basé à Gaza a
documenté le "nettoyage" des champs d'oliviers et cultures maraîchères par
l'armée israélienne (ou, comme elle préfère se faire connaître, la Force de
Défense Israélienne - IDF) près de la frontière à Rafah, par exemple, et sur
chaque bord du bloc de colonie de Gush Katif. Gush Katif est une zone de Gaza -
environ 40% -occupée par quelques milliers de colons, qui peuvent arroser leur
pelouse et remplir leur piscine, pendant que le million d'habitants palestiniens
de la bande (dont 800 000 sont réfugiés de l'ancienne Palestine) vivent dans une
zone désertique, sans eau. En fait, Israël contrôle l'ensemble de l'alimentation
en eau des Territoires Occupés, et en accorde 80% aux besoins personnels de ses
citoyens juifs, rationnant le reste de la population palestinienne: ce problème
n'a jamais été discuté sérieusement pendant le processus de paix d'Oslo.
Que
dire de ce processus de paix que l'on a tant vanté ? Qu'a-t-il accompli et
pourquoi, si ce fut en réalité un processus de paix, alors que les conditions de
vie misérables des Palestiniens et les pertes de vie sont devenues tellement
pires qu'avant la signature des accords d'Oslo en septembre 1993? Et pourquoi,
comme le remarque le New York Times le 5 novembre, est-ce que "le paysage
palestinien est maintenant orné des ruines de projets qui avaient été fondés sur
une intégration pacifique"? Et qu'est ce que ça veut dire, de parler de paix, si
les troupes israéliennes et les colonies sont encore présentes en si grand
nombre? Encore selon RISOT, 110 000 Juifs vivaient dans des colonies illégales à
Gaza et en Cisjordanie avant Oslo; ce chiffre s'est depuis élevé à 195 000, sans
compter les Juifs - plus de 150 000 - qui ont pris résidence dans la
Jérusalem-Est arabe. Est-ce que tout le monde a été dupé ou bien est-ce que la
rhétorique de la "paix" a été, par essence, une gigantesque fraude? Quelques
réponses à ces questions se trouvent enterrées au cœur même des documents signes
par les deux parties sous les auspices américaines, documents restés non lus,
sauf par la petite poignée de personnes qui les ont négociés. D'autres réponses
sont simplement ignorées par les médias et les gouvernements, dont le travail,
cela apparaît maintenant, était de mettre la pression avec une information
désastreuse, des politiques d'investissement et de mise au pas, sans prendre en
compte les horreurs qui se passaient sur le terrain. Très peu de gens, moi y
compris, ont essayé de chroniquer ce qui se passait, depuis la reddition
palestinienne initiale à Oslo jusqu'à maintenant, mais en comparaison avec les
médias dominants et les gouvernements, sans mentionner les rapports de statut et
les recommandations émis par les énormes agences de fond comme la Banque
Mondiale, l'Union Européenne et de nombreuses fondations privées - qui ont
coopéré avec la supercherie, nos voix n'ont eu qu'un effet négligeable, sauf,
malheureusement, comme prophétie.
Les perturbations de ces dernières semaines
ne sont pas restées confinées en Israël et en Palestine. L'étalage de sentiments
anti-américain et anti-israélien dans les mondes arabes et islamiques sont
comparables à ceux de 1967. Des gens en colère manifestent chaque jour dans les
rues au Caire, à Damas, à Casablanca, à Tunis, à Beyrouth, et au Koweit. Des
millions de personnes ont exprimé leur soutien à l'Intifada d'al-Aqsa, comme
elle s'est fait appeler, ainsi que leur horreur face à la soumission de leurs
gouvernements. Le sommet arabe du Caire a produit les habituelles dénonciations
d'Israël, et quelques dollars de plus pour l'Autorité d'Arafat, mais même la
protestation diplomatique minimale - le rappel des ambassadeurs - n'a été
réalisée par aucun des participants. Le lendemain du Sommet, Abdullah de
Jordanie, qui a fait ses études aux Etats-Unis et dont la connaissance en Arabe
aurait progressé jusqu'au niveau du secondaire, s'est envolé vers Washington
pour signer un accord commercial avec les Etats-Unis, le principal partisan
d'Israël. Apres six semaines de turbulence, Moubarak a retiré à contre-cœur son
ambassadeur de Tel-Aviv, mais comme il dépend beaucoup des deux milliards de
dollars que l'Egypte reçoit annuellement des Etats-Unis, il n'ira
vraisemblablement pas plus loin. Comme les autres dirigeants du monde arabe, il
a aussi besoin des Etats-Unis pour le protéger contre son peuple. Pendant ce
temps, la colère, l'humiliation et la frustration des Arabes s'accumulent, que
ce soit parce que leurs régimes sont si peu démocratiques et si impopulaires, ou
parce que les bases - emploi, revenu, nourriture, santé, éducation,
infrastructures - sont tombées sous le niveau de tolérance. Les appels à l'Islam
et les expressions généralisées d'indignation tiennent lieu de sens civique et
de démocratie participative. Ceci est de mauvais augure pour l'avenir des Arabes
comme pour celui d'Israël.
Pendant ces 25 dernières années dans le monde des
affaires étrangères, on disait que la cause palestinienne était morte, que le
pan-arabisme était un mirage, et que les dirigeants arabes, la plupart
discrédités, avaient acceptés Israël et les Etats-Unis comme partenaires, et,
comme moyen de se débarrasser de leur nationalisme, s'étaient satisfait de la
panacée de la dérégulation d'une économie mondiale, dont le premier prophète
dans le monde arabe fut Anouar Al-Sadate, et dont le héraut influent fut le
chroniqueur du New York Times et expert du Moyen Orient Thomas Friedman. En
octobre dernier, après sept ans de chroniques chantant les louanges du processus
de paix, Friedman s'est retrouvé à Ramallah, sous le siège (et sous le feu) de
l'armée israélienne. "La propagande israélienne selon laquelle les Palestiniens
se gouvernent eux-mêmes est un parfait non-sens", annonça-t-il. "Bien sur, les
Palestiniens contrôlent leurs propres villes, mais les Israéliens contrôlent
toutes les routes reliant ces villes, et par conséquent tous leurs mouvements.
La confiscation israélienne de territoire palestinien pour augmenter les
colonies continue à ce jour - sept ans après Oslo." Il conclut que seul "un état
palestinien à Gaza et en Cisjordanie" peut apporter la paix, mais il ne dit rien
quelle sorte d'état cela serait. Et il ne dit rien non plus de la fin de
l'occupation militaire, mais les documents d'Oslo non plus. Pourquoi Friedman
n'a jamais discuté de cela dans les milliers de chroniques qu'il a publiées
depuis septembre 1993, et pourquoi, même maintenant, il ne dit pas que les
événements actuels sont le résultat logique d'Oslo, cela défie le bon sens, mais
c'est typique de la fausse ingénuité qui entoure ce sujet.
L'optimisme de
ceux qui ont pris sur eux d'assurer que la misère des Palestiniens était tenue
hors de l'actualité semble avoir disparu dans un nuage de poussière, avec la
"paix" pour laquelle les Etats-Unis et Israël ont travaillé si dur, dans leurs
propres intérêts étroits. En même temps, le vieux cadre qui a survécu à la
guerre froide s'écroule lentement avec le vieillissement des dirigeants arabes,
sans successeurs viables en vue. Moubarak a même refusé de nommer un
vice-président, Arafat n'a pas de successeur clair, dans les républiques Ba'ath
"démocratiques socialistes" d'Iraq et de Syrie, et dans le royaume de Jordanie,
les fils ont succédé (ou vont succéder ) aux pères, sans couvrir le processus
d'autocratie dynastique du moindre voile pudique de légitimité.
Un tournant
a été atteint, cependant, et pour cela, l'intifada palestinienne est un marqueur
significatif. Car non seulement c'est une rébellion anti-coloniale, de la même
sorte de celles qu'on a vues périodiquement à Sétif, Sharpeville, Soweto et
ailleurs, mais c'est un autre exemple du mécontentement général de l'ordre
mondial (économique et politique) après la guerre froide, mécontentement qui
s'est déjà manifesté à Seattle et à Prague. La plupart des musulmans dans le
monde voient cette révolte comme un morceau d'un plus grand tableau, qui inclut
Sarajevo, Mogadiscio, Bagdad sous les sanctions menées par les Etats-Unis, et la
Tchétchénie. Ce qui doit être clair pour chaque dirigeant, y compris Clinton et
Barak, c'est que la période de stabilité, garantie par la dominance tripartite
d'Israël, des Etats-Unis et des régimes arabes locaux, est maintenant menacée
par des forces populaires d'ampleur inconnue, de direction inconnue, et de
vision confuse. Quelle que soit la forme qu'elles prendront finalement, à elles
appartiendra une culture non officielle des gens dépossédés, réduits au silence
et méprisés. Très vraisemblablement, aussi, cette forme portera en soi les
distorsions d'années de politique officielle passée.
En même temps, il est
juste d'affirmer que la plupart des gens entendant des phrases telles que 'les
parties sont en train de négocier,' ou 'retournons à la table de négociation,'
ou 'vous êtes mon partenaire de paix,' ont fait l'hypothèse qu'il y a une parité
entre les Palestiniens et Israéliens et que, grâce aux âmes courageuses de
chaque côté qui se rencontrèrent secrètement à Oslo, les deux parties ont enfin
réglé les questions qui les 'divisaient', comme si chacun avait un morceau de
terre, un territoire à partir duquel il ferait face à l'autre. Ceci est
sérieusement trompeur, de façon vraiment machiavélique. En fait, la
disproportion entre les deux antagonistes est immense, en terme de territoires
qu'ils contrôlent et d'armes dont ils disposent. Des rapports biaisés déguisent
l'étendue de la disparité. Considérez ce qui suit : citant une étude menée par
l'Anti-Defamation League [Ligue Anti-diffamation] sur les éditoriaux publiés
dans la presse dominante aux Etats-Unis, Ha'aretz, le 25 octobre, a trouvé une
'forme de soutien' en faveur d'Israël dans 67 éditoriaux, 17 donnant une
'analyse équilibrée', et 9 seulement 'exprimant des critiques contre les
dirigeants israéliens (en particulier Ariel Sharon) accusés d'être responsables
de la conflagration'. En novembre, FAIR (Fairness and Accuracy in Reporting,
Equité et exactitude dans les comptes-rendus) a remarqué que sur les 99
histoires sur l'intifada diffusées par les trois principaux réseaux américains
entre le 28 septembre et le 2 novembre, seules quatre ont fait référence aux
'Territoires Occupés'. Le même rapport attire l'attention sur des phrases telles
que 'Israël…se sentant encore isolé et assiégé', 'les soldats israéliens soumis
à des attaques quotidiennes' et, dans une confrontation où des soldats ont dû
reculer, 'les Israéliens ont capitulé et rendu du territoire face à la violence
palestinienne'. Des formulations très partiales de ce genre sont infiltrées dans
le réseau de commentaires sur les actualités, obscurcissant les faits sur le
déséquilibre militaire et sur l'occupation : les Forces de Défense Israéliennes
ont utilisé des tanks, des hélicoptères d'assaut Cobra et Apache fournis par les
Américains et les Britanniques, des missiles, des mortiers, de l'artillerie
lourde ; les Palestiniens n'ont aucune de ces choses.
Le New York Times a
publié un seul éditorial écrit par un Palestinien ou un Arabe (qui se trouve
être un partisan d'Oslo), dans une tempête de commentaires éditoriaux en faveur
des positions américaines et israéliennes ; le Wall Street Journal n'a pas
publié de tels articles, ni le Washington Post. Le 12 novembre, l'un des
programmes télévisés les plus populaires aux Etats-Unis, les Soixante Minutes de
CBS, a diffusé une séquence qui semblait être conçue pour laisser à l'armée
israélienne 'prouver' que le meurtre de Mohammad al-Dura, 12 ans, l'icône de la
souffrance palestinienne, était une mise en scène de l'Autorité Palestinienne.
L'Autorité, ont-ils dit, avait planté le père du garçon devant les positions
armées israéliennes, et déplacé l'équipe de télévision française qui a
enregistré le meurtre vers une position voisine - tout ceci pour prouver une
position idéologique.[NDLT : cette 'contre-enquête' de l'armée israélienne a été
diffusée sur France 2 début décembre].
La mauvaise représentation a rendu
presque impossible pour le public américain de comprendre les bases
géographiques des événements, et ceci dans la plus géographique des
controverses. Personne ne peut suivre, ni, plus important, retenir une image de
plus en plus précise des dispositions obscures qui ont pris corps sur le
terrain, le résultat des négociations les plus secrètes entre Israël et une
équipe palestinienne désorganisée, pré-moderne et tragiquement incompétente,
sous la coupe d'Arafat. De façon cruciale, les résolutions pertinentes du
Conseil de Sécurité des Nations Unies - 242 et 338 - sont maintenant oubliées,
ayant été marginalisées par Israël et les Etats-Unis. Ces deux résolutions
stipulent sans équivoque que les terres acquises par Israël à la suite de la
guerre de 1967 doivent être rendues en échange de la paix. Le processus d'Oslo a
commencé en consignant effectivement ces résolutions à la poubelle - et ainsi ce
fut beaucoup plus facile, après l'échec de Camp David en juillet dernier, de
prétendre comme l'ont fait Barak et Clinton que c'était les Palestiniens, les
responsables de cette impasse, plutôt que les Israéliens dont la position reste
que les territoires de 1967 ne doivent pas être rendus. La presse américaine a
fait référence encore et toujours à l'offre 'généreuse' de Barak et à sa volonté
de céder aux Palestiniens une partie de Jérusalem-Est, plus quelque chose entre
90 et 94% de la Cisjordanie. Cependant, personne dans la presse américaine ou
européenne n'a établi précisément ce qui devait être 'concédé', ou plutôt, de
quel territoire de la Cisjordanie il 'offrait' 90%. Tout ceci était un
chimérique non-sens, comme Tanya Reinhart l'a montré dans Yediot Aharanot, le
plus grand quotidien israélien. Dans son article intitulé 'La fraude de Camp
David' (13 juillet), elle écrit qu'on offrait aux Palestiniens 50% de la
Cisjordanie en cantons séparés, 10% devaient être annexés par Israël, et pas
moins de 40% laissés 'en débat', euphémisme utilisé pour poursuite du contrôle
israélien. Si vous annexez 10%, refusez (comme Barak l'a fait) de démanteler ou
stopper les colonies, refusez encore et toujours de revenir aux frontières de
1967 ou de rendre Jérusalem-Est, en décidant en même temps de tenir des régions
entières comme la vallée du Jourdain, et ainsi d'encercler complètement les
territoires palestiniens de façon à ne leur laisser de frontières avec aucun
état sauf Israël, tout en conservant les fameuses routes de 'contournement' et
leurs zones adjacentes, les fameux '90%' sont rapidement réduits à quelque chose
comme 50-60%, dont la plus grande partie est laissée à des discussions
ultérieures pour un futur très lointain. Après tout, même le dernier
redéploiement israélien, accepté aux réunions de Wye River Plantation en 1998 et
confirmé à Charm el Cheikh en 1999, n'a toujours pas eu lieu. Cela suppose de
répéter, bien sûr, qu'Israël et encore le seul état dans le monde sans aucune
frontière déclarée officiellement. Et si nous regardons les 50-60% en terme de
Palestine historique, cela s'élève à 12% du pays dont les Palestiniens furent
chassés en 1948. Les Israéliens parlent de 'concéder' ces territoires. Mais ces
territoires furent conquis, et au sens strict, l'offre de Barak signifierait
seulement qu'ils soient rendus, et nullement dans leur totalité.
Tout
d'abord, quelques faits. En 1948 Israël a pris la plus grande partie de ce qui
fut la Palestine du Mandat, ou Palestine historique, détruisant et dépeuplant
531 villages arabes dans le processus. Les deux tiers de la population furent
chassés : ce sont les quatre millions de réfugiés d'aujourd'hui. La Cisjordanie
et Gaza, cependant, allèrent à la Jordanie et à l'Egypte respectivement. Ces
deux territoires furent ensuite perdus au bénéfice d'Israël et restent sous son
contrôle jusqu'à ce jour, sauf quelques zones qui opèrent sous une 'autonomie'
palestinienne très circonscrite. La taille et le contour de ces zones furent
décidés unilatéralement par Israël, comme le spécifie le processus d'Oslo. Très
peu de gens réalisent que, même d'après les termes d'Oslo, les zones
palestiniennes qui ont cette autonomie ne jouissent pas de la souveraineté :
celle-ci ne peut être décidée que dans les Négociations sur le Statut Final. En
d'autres termes, Israël a pris 78% de la Palestine en 1948 et les 22% restant en
1967. Seuls ces 22% sont actuellement en question, et cela sans compter
Jérusalem-Est (des 19 000 dunams, les Juifs en possédaient 4830 et les Arabes
11190, le reste apparentant à l'Etat ; voir note 1) qu'Arafat a entièrement
cédée par avance à Israël à Camp David.
Quelles terres, alors, Israël a-t-il
rendues jusqu'à maintenant ? Il est impossible de le détailler directement -
structurellement impossible. C'est un trait du malin génie d'Oslo que même les
'concessions' d'Israël étaient si lourdement encombrées de conditions, de
qualifications et d'implications - comme l'un de ces états sans cesse différés
et physiquement inaccessibles dans un roman de Jane Austen - que les
Palestiniens ne pouvaient sentir qu'ils jouissaient de la moindre
autodétermination. D'autre part, ces terres pouvaient être décrites comme des
concessions, rendant possible à chacun (y compris les dirigeants palestiniens)
de dire que certaines parties du territoire sont maintenant (principalement)
sous contrôle palestinien. C'est la carte géographique du processus de paix qui
montre de la façon la plus dramatique les distorsions qui ont été construites et
systématiquement déguisées dans les discours de paix et négociations
bilatérales. Ironiquement, dans aucun des dizaines de rapports d'actualités
publiés ou diffusés depuis le début de la crise, une carte n'a été fournie pour
aider à expliquer pourquoi le conflit a atteint un tel degré.
La stratégie
d'Oslo fut de rediviser et subdiviser un territoire palestinien déjà divisé en
trois sous-zones, A, B et C, et ceci de façon entièrement imaginée et contrôlée
par le côté israélien puisque, comme je l'ai déjà signalé depuis des années, les
Palestiniens eux-mêmes n'avaient pas de carte jusqu'à récemment. Ils n'avaient
pas de carte à eux, détaillée, à Oslo ; ni, c'est incroyable, de personne
suffisamment familière avec la géographie des Territoires Occupés dans leur
équipe de négociation pour contester les décisions, ou fournir d'autres plans.
D'où les arrangements bizarres pour subdiviser Hébron, après le massacre en 1994
de 29 Palestiniens à la mosquée Horahimi par Baruch Goldstein - mesures prises
pour 'protéger' les colons, pas les Palestiniens. La carte 1 montre ici le cœur
de la ville arabe d'Hébron (120 000 habitants) - dont 20% est en fait sous le
contrôle d'environ 400 colons juifs, soit 0,03% de la population, protégés par
l'armée israélienne.
La carte 2 montre le premier de ce qui voulait être une
série de retraits israéliens, réalisé dans des zones largement séparées - c'est
à dire non contiguës. Gaza est séparée de Jéricho par des kilomètres de
territoire tenu par les Israéliens, mais toutes deux appartiennent à la zone A
autonome, zone limitée à 1,1% du territoire de Cisjordanie. La zone A est
beaucoup plus importante à Gaza, parce qu'avec ses terres arides et ses masses
surpeuplées et rebelles, Gaza a toujours été considérée comme une gêne par
l'occupation israélienne, qui fut heureuse de se débarrasser de tout, sauf des
terres arables en son cœur, des colonies gardées jusqu'à maintenant par Israël
le long du port, et des frontières, entrées et sorties.
Les cartes 2, 3 et 4
(la carte 4 fut présentée par Israël comme une carte de retrait optimale au
sommet de Camp David, bien qu'annoncée plus tôt) montrent le rythme d'escargot
avec lequel l'infortunée Autorité Palestinienne a eu l'autorisation de prendre
la direction des centres largement peuplés (Zone A). Israël a permis à
l'Autorité d'aider à maintenir l'ordre dans la zone B, zone des principaux
villages, à côté desquels des colonies sont constamment en construction. Malgré
les patrouilles communes d'officiers palestiniens et israéliens, Israël tenait
entre ses mains en réalité toute la sécurité de la zone B. Dans la zone C elle a
gardé tous les territoires pour elle, 60% de la Cisjordanie, de façon à
construire plus de colonies, ouvrir plus de routes, et établir des zones
militaires, tout ce qui - pour reprendre les termes de Jeff Halper - avait pour
but d'établir une matrice de contrôle de laquelle les Palestiniens ne se
libèreraient jamais (voir note 2).
Un coup d'œil à l'une de ces cartes révèle
que non seulement les différentes parties de la zone A sont séparées les unes
des autres, mais qu'elles sont entourées par la zone B, et plus important, par
la zone C. En d'autres termes, les fermetures et encerclements qui ont
transformé les zones palestiniennes en places assiégées sur la carte ont été en
gestation depuis longtemps et, ce qui est pire, l'Autorité Palestinienne y a
concouru en approuvant tous les documents pertinents depuis 1994. En octobre,
Amira Hass, la correspondante de Ha'aretz dans les territoires palestiniens, a
écrit qu'en 1993, les deux parties se sont mises d'accord sur une période de
cinq ans pour achever le nouveau déploiement et les négociations sur un accord
final. La direction palestinienne a accepté encore et toujours d'étendre sa
période d'essai, à l'ombre des attaques terroristes du Hamas et des élections
israéliennes. La 'stratégie de paix' et la tactique du gradualisme adoptée par
la direction étaient au début soutenues par la plupart des Palestiniens, qui
avaient grand besoin de normalité - et, j'aurais pensé, d'une réelle fin de
l'occupation qui, je le répète, n'était nulle part mentionnée dans aucun des
documents d'Oslo. Amira Hass continue : Le Fatah (le principal parti de l'OLP)
était le pivot qui soutenait le concept du relâchement progressif du joug de
l'occupation militaire. Ses membres étaient ceux qui suivaient les mouvements de
l'opposition palestinienne, arrêtaient les suspects dont les noms leur étaient
donnés par Israël, et emprisonnaient les signataires de manifestes revendiquant
qu'Israël n'avait aucune intention d'annuler sa domination de la nation
palestinienne. Les avantages personnels gagnés par certains de ces membres du
Fatah ne suffisent pas à expliquer leur soutien au processus : pendant
longtemps, ils ont vraiment cru, sincèrement, que c'était la voie vers
l'indépendance.
Par 'avantages', Hass veut parler des privilèges des VIP que
j'ai mentionnés plus haut. Mais ensuite, comme elle le signale, ces hommes aussi
étaient des membres de la 'nation palestinienne', avec épouses, enfants et
parents qui souffraient des conséquences de l'occupation israélienne, et ils
furent obligés, à un certain point, de se demander si soutenir le processus de
paix ne signifiait pas aussi soutenir l'occupation. Elle conclut : Plus de sept
ans ont passé, et Israël a le contrôle administratif et policier de 61,2% de la
Cisjordanie, et de 20% de Gaza (Zone C), et de plus le contrôle policier sur
26,8% de Cisjordanie (Zone B).
Ce contrôle est ce qui a permis à Israël de
doubler le nombre de colons en dix ans, d'élargir les colonies, de poursuivre sa
politique discriminatoire de réduction des rations d'eau pour trois millions de
Palestiniens, d'empêcher le développement palestinien dans la plus grande partie
de Cisjordanie, et de cloîtrer une nation entière dans des zones restreintes,
emprisonnées dans un réseau de routes de contournements destinées aux Juifs
seulement. Pendant ces jours de sévère restriction interne de mouvement en
Cisjordanie, on peur voir comment chaque route a été soigneusement planifiée :
de façon à laisser aux 200 000 Juifs la liberté de mouvement, et à enfermer
environ trois millions de Palestiniens dans leurs Bantoustans, jusqu'à leur
soumission aux exigences israéliennes.
A ceci il faut ajouter, par souci de
clarification, que les principales nappes phréatiques d'alimentation en eau
d'Israël se trouvent en Cisjordanie, que la 'nation entière' ne comprend pas les
quatre millions de réfugiés à qui on enlève catégoriquement tout droit au
retour, même si n'importe quel Juif de n'importe quel endroit jouit encore d'un
droit au 'retour' absolu n'importe quand, que la restriction de mouvement est
aussi sévère à Gaza qu'en Cisjordanie ; et que le chiffres donné par Hass de 200
000 Juifs à Gaza et en Cisjordanie qui jouissent de la liberté de mouvement
n'inclut pas les 150 000 nouveaux habitants juifs israéliens amenés pour
'judaïser' Jérusalem-Est.
L'Autorité Palestinienne est enfermée dans cet
arrangement extraordinairement ingénieux - même s'il est stérile à long terme-
via des comités de sécurités, composés du Mossad, de la CIA et des services de
sécurité palestiniens. En même temps, Israël et les membres les plus élevés de
l'Autorité opèrent de lucratifs monopoles sur les matériaux de construction, le
tabac, l'huile, etc.…(dont les profits sont déposés dans les banques
israélienne). Non seulement les Palestiniens sont soumis au harcèlement des
troupes israéliennes, mais leurs propres hommes participent à cet abus de leurs
droits, à côté d'agences non-palestiniennes détestées. Ces comités de sécurité
largement secrets ont aussi un mandat pour censurer tout ce qui pourrait être
interprété comme une 'incitation' contre Israël. Les Palestiniens, bien sûr,
n'ont pas de tels droits contre les incitations américaines ou israéliennes.
Le rythme lent de développement de ce processus est justifié par les
Etats-Unis et Israël en terme de sauvegarde de la sécurité d'Israël ; on
n'entend rien à propos de la sécurité palestinienne. Nous devons conclure
clairement, comme le discours sioniste l'a toujours stipulé, que l'existence
même des Palestiniens, peu importe à quel point ils sont confinés et réduits à
l'impuissance, constitue une menace raciale et religieuse pour la sécurité
d'Israël. Le plus remarquable est qu'au milieu d'une telle stupéfiante
unanimité, au sommet de la crise actuelle, Danny Rabinowitz, un anthropologue
israélien, a parlé courageusement dans Ha'aretz (17 octobre) du 'péché originel'
d'Israël détruisant la Palestine en 1948, ce que, à quelques exceptions près,
les Israéliens ont choisi soit de nier, soit d'oublier complètement.
Si la
géographie de la Cisjordanie a été modifiée pour avantager Israël, celle de
Jérusalem a été entièrement changée. L'annexion de Jérusalem-Est en 1967 a
ajouté 70 kilomètres carrés à l'état d'Israël ; encore 54 kilomètres carrés ont
été volés de la Cisjordanie et ajoutés à la zone urbaine dirigée depuis
longtemps par le maire Teddy Kollek, le chéri des libéraux occidentaux, qui avec
son député, Meron Benvenisti, fut responsable de la démolition de plusieurs
centaines de maisons palestiniennes à Haret al-Maghariba pour faire de l'espace
à l'immense place devant le Mur des Lamentations (voir note 3). Depuis 1967,
Jérusalem-Est a été systématiquement judaïsée, ses frontières se sont élargies,
d'énormes projets immobiliers bâtis, de nouvelles routes et contournements
construites de façon à rendre ces changements indubitablement et pratiquement
irréversibles et, pour la population arabe de la ville, harcelée, diminuée, tout
sauf habitable. Comme le député maire Abraham Kehila l'a dit en juillet 1993,
'Je veux faire ouvrir leurs yeux aux Palestiniens à la réalité, et leur faire
comprendre que l'unification de Jérusalem sous la souveraineté israélienne est
irréversible.' (Voir carte 5. De récents tirs d'armes de petit calibre, dirigés
contre la récente colonie de Gilo depuis le village palestinien voisin de Beit
Jala, ont été unanimement rapportés dans les médias, sans que personne ne
mentionne le fait que Gilo fut construite sur des terres confisquées à Beit
Jala. (Peu de Palestiniens oublieront si facilement leur passé.)
Le sommet de
Camp David en juillet a échoué parce qu'Israël et les Etats-Unis ont présenté
tous les arrangements territoriaux que j'ai discutés ici - seulement légèrement
modifiés pour rendre aux Palestiniens des 'zones naturelles', un euphémisme pour
terres désertiques, de façon à augmenter leur portion de territoire totale -
comme base d'un règlement final du conflit israélo-palestinien. Les réparations
furent en effet écartées par les Israéliens, bien qu'elles ne soient pas une
idée complètement étrangère à beaucoup de Juifs. Je n'ai vu mention nulle part
dans les médias occidentaux d'un long rapport sur Camp David écrit par Akram
Haniyeh, éditeur du quotidien de Ramallah Al-Ayyam et fidèle membre du Fatah
qui, depuis son expulsion par les Israéliens en 1987, a été proche d'Arafat.
Haniyeh dit clairement que, du point de vue palestinien, Clinton renforce
simplement la position des Israéliens, et que, pour sauver sa carrière, Barak
voulait une conclusion rapide de problèmes critiques tels que les réfugiés et
Jérusalem, de même qu'une déclaration formelle d'Arafat mettant une fin
définitive au conflit. (Barak a depuis demandé des élections anticipées pour
éviter une défaite parlementaire totale). Le compte-rendu saisissant d'Haniyeh
doit bientôt paraître, traduit en anglais, dans le 'Journal of Palestine
Studies' [Journal d'Etudes Palestiniennes], basé à Washington. Il montre que la
position 'sans précédent' d'Israël sur Jérusalem est en fait la copie de celle
de la droite israélienne - en d'autres termes, qu'Israël retiendrait une
souveraineté décisive même sur la mosquée al-Aqsa. 'La position israélienne',
dit Haniyeh, 'était de tout moissonner' - et de ne donner presque rien en
retour. Israël aurait ainsi reçu 'la signature dorée' d'Arafat, la
reconnaissance finale et 'la précieuse promesse de 'fin du conflit''. Tout cela
sans rendre complètement les territoires occupés, ni reconnaître une pleine
souveraineté, ni reconnaître la question des réfugiés.
Depuis 1967, les
Etats-Unis ont déboursé plus de 200 milliards de dollars sous forme d'aide
financière et militaire inconditionnelle à Israël, pendant qu'ils lui offraient
un support politique dissimulé, qui permet à Israël de faire ce qui lui plaît.
La Grande-Bretagne, dont la politique étrangère est une copie conforme de celle
de Washington, fournit aussi du matériel militaire qui va directement en
Cisjordanie et à Gaza pour faciliter le meurtre des Palestiniens. Aucun état n'a
jamais reçu autant d'aide étrangère qu'Israël, et aucun état (mis à part les
Etats-Unis eux-mêmes) n'a défié ainsi la communauté internationale sur autant de
problèmes et pendant aussi longtemps. Si Al Gore devenait président, cette
politique resterait inchangée. Gore est fermement pro-israélien, et il est un
proche associé de Martin Peretz, leader en Israël pour le rejet et rhétoricien
anti-arabe aux Etats-Unis, et propriétaire de 'New Republic'. Au moins George W.
Bush a-t-il fait un effort pendant la campagne pour s'adresser aux problèmes des
arabes américains, mais comme la plupart des anciens présidents républicains, il
ne serait que légèrement moins pro-israélien que Gore.
Pendant sept ans,
Arafat a signé des accords de processus de paix avec Israël. Camp David devait
évidemment être le dernier. Il a rechigné, sans doute parce qu'il a ouvert les
yeux devant l'énormité de ce que qu'il avait déjà signé (j'aime à penser que ses
cauchemars sont faits de courses sans fin sur les routes de contournements de la
zone C), sans aucun doute aussi parce qu'il était conscient de la popularité
qu'il avait perdue. Peu importe la corruption, le despotisme, le chômage qui
monte et atteint maintenant 25%, la pauvreté absolue de la plupart de son peuple
: il a finalement compris que, ayant été maintenu en vie par Israël et les
Etats-Unis, il serait maintenant rejeté vers son peuple sans Haram al-Sharif et
sans un véritable état, ni même la perspective d'un état viable. Les jeunes
Palestiniens en eurent assez et, en dépit des faibles efforts d'Arafat pour les
contrôler, sont sortis dans les rues pour jeter des pierres et tirer avec leurs
frondes sur les Merkvas israéliens et les Cobras.
Ce dont dépendait Israël
dans le passé, l'ignorance, la complicité ou la paresse des journalistes hors
d'Israël, est maintenant neutralisé par la fantastique quantité d'information
alternative disponible sur Internet. Les cyber-activistes et les hackers ont
ouvert un vaste réservoir neuf de matériau dans lequel n'importe qui sachant
lire peut aller puiser. On y trouve des rapports non seulement des journalistes
de la presse britannique (sans équivalant dans les médias dominants américains),
mais aussi de la presse arabe basée en Israël et en Europe ; on y trouve la
recherche individuelle des universitaires et l'information glanée dans les
archives, les organisations internationales et agences des Nations Unies, de
même que des collectifs d'ONG en Palestine, en Israël, en Europe, en Australie
et en Amérique du Nord. Ici, comme dans beaucoup d'autres cas, l'information
fiable reste la plus grande ennemie de l'oppression et de
l'injustice.
L'aspect le plus démoralisant du conflit sioniste-palestinien
est la quasi-totale opposition entre les points de vue des Palestiniens d'une
part, et de la majorité des Israéliens d'autre part. Nous fûmes dépossédés et
déracinés en 1948 ; ils pensent qu'ils ont gagné l'indépendance avec des moyens
justes. Nous nous rappelons que le pays que nous avons quitté et que les
territoires que nous essayons de libérer de l'occupation font tous partie de
notre patrimoine national ; ils pensent que c'est le leur par décret biblique et
affiliation à la diaspora. Aujourd'hui, par n'importe quelle norme concevable,
nous sommes les victimes de la violence ; ils pensent qu'ils le sont. Il n'y a
tout simplement aucun terrain d'entente, aucun discours commun, aucune place
possible pour une véritable réconciliation. Nos réclamations sont mutuellement
exclusives. La notion même de vie commune partagée sur le même petit morceau de
terre est impensable. Chacun pense à la séparation, peut-être même à l'isolement
et à l'oubli de l'autre.
La plus grande pression morale pour le changement
s'exerce sur les Israéliens, dont les actions militaires et la stratégie
imprudente de paix dérivent d'un pouvoir prépondérant de leur côté, et de leur
mauvaise volonté à voir qu'ils sont en train d'engranger des années de
ressentiment et de haine de la part des Musulmans et des Arabes. Dans dix ans,
il y aura parité démographique entre Arabes et Juifs dans la Palestine
historique : quoi ensuite ? Est-ce que les déploiements de tanks, les barrages
routiers et les démolitions de maisons peuvent continuer comme avant ? Cela ne
serait-il pas possible et sensé qu'un groupe d'intellectuels et historiens
respectés, composé à part égale de Palestiniens et d'Israéliens, tiennent une
série de réunions pour essayer de se mettre d'accord sur une petite part de
vérité sur ce conflit, et pour voir si les sources connues peuvent guider les
deux parties à se mettre d'accord sur un corpus de faits - qui a pris quoi à
qui, qui a fait quoi à qui, etc.…- ce qui pourrait ouvrir une voie de sortie de
l'impasse actuelle ? Il est trop tôt, peut-être, pour établir une Commission sur
la Vérité et la Réconciliation [comme cela a été fait en Afrique du Sud après
l'apartheid, NDLT], mais quelque chose comme un Comité pour la Vérité Historique
et la Justice Politique serait approprié.
Il est clair pour chacun, sur le
terrain, que le vieux cadre d'Oslo, qui a fait tant de dégâts, n'est plus
exploitable (une récente enquête menée par l'Université de Bir Zeit montre
d'ailleurs que seulement 3% de la population palestinienne veut retourner aux
anciennes négociations), et que l'équipe de négociation palestinienne dirigée
par Arafat ne peut plus tenir le centre, et encore moins la nation. Chacun sent
que trop, c'est trop : l'occupation a duré trop longtemps, les pourparlers de
paix ont traîné avec trop peu de résultats, leur but, si c'était l'indépendance,
ne semble pas plus proche (grâce à Rabin, Pérès et leurs contreparties
palestiniennes pour cet échec particulier), et la souffrance des gens ordinaires
a été plus loin qu'ils ne peuvent l'endurer. D'où les jets de pierres dans les
rues, une autre activité vaine cependant, avec ses propres conséquences
tragiques. Le seul espoir est de continuer à faire confiance à l'idée d'une
coexistence entre deux peuples sur une terre. Car maintenant, pourtant, les
Palestiniens sont dans un besoin désespéré de conseils et de direction et,
pardessus tout, de protection physique. Le plan de Barak pour les punir, les
contenir et les étouffer a déjà produit ses résultats calamiteux, mais il ne
peut pas, comme Barak et ses mentors américains le supposent, les faire obéir à
leur botte. Pourquoi est-ce que pas plus d'Israéliens ne réalisent - comme
certains l'ont déjà fait - qu'une politique de violence contre les Arabes dans
une partie du monde contenant trois cent millions d'Arabes et 1,2 milliards de
Musulmans ne mettra pas l'état juif plus en sécurité ?
Notes:
1. Ces
données sont prises de 'Jerusalem 1948: The Arab Neighbourhoods and Their Fate
in the War' [Jérusalem 1948: les voisinages arabes et leur destin pendant la
guerre], édité par Salim Tamari (Institute of Jerusalem Studies, 1988).
2.
Halper a publié les études les plus impressionnantes sur les projets
territoriaux israéliens pendant le processus d'Oslo ; voyez, par exemple, son
étude sur l'autoroute trans-Israël 'The Road to Apartheid' [La route vers
l'apartheid], parue dans la revue 'News from Within' (mai 2000), et 'The 94 Per
Cent Solution: A Matrix of Control' [La solution des 94% : une matrice de
contrôle], parue dans 'Middle East Report 216' (automne 2000). Le géographe
hollandais Jan de Jong, qui a dessiné deux des cartes représentées ici, a fait
aussi un important travail dans ce domaine.
3. Un compte-rendu désenivrant
sur l'âge d'or de Kollek émerge du livre 'Separate and Unequal : The Inside
Story of Israeli Rule in East Jerusalem' [Séparés et inégaux : l'histoire
intérieure de la règle israélienne à Jérusalem-Est] par Amir Cheshin, Bill
Hutman et Avi Melamed (Harvard, 282 p., £17,50, 1 June 1999, 0 674 801 36
9).
[Edward Said enseigne à l'université de Columbia (Etats-Unis). Il
voudrait remercier Shifra Stern, Ali Abunimah, Andrew Rubin, Mostapha Barghouti,
Ibrahim Abu-Lughod, Linda Butler, Sara Roy, Raji Sourani, Noam Chomsky et
Jeffery Aronson pour leur aide sur cet article. Son livre 'Reflections on Exile'
[Réflexions sur l'exil] doit paraître début 2001 chez Granta au Royaume Uni et
chez Harvard aux
Etats-Unis.]