1. Libération du mardi 2 janvier 2001
"Israël au bord de la «guerre civile" par Alexandra
Schwartzbrod
Après les attentats, les extrémistes juifs crient vengeance.
Jérusalem de notre correspondante
Entre attentats meurtriers et risques de guerre civile, Israël semble bel
et bien au bord de l'embrasement. Alors qu'extrémistes juifs et palestiniens
avaient multiplié les appels à la violence au fil de la journée, une voiture
piégée explosait hier soir à une heure de grande affluence, près d'un arrêt de
bus en plein centre de Netanya, une ville balnéaire située à trente kilomètres
au nord de Tel-Aviv. «Les gens sont hystériques. Les fenêtres des boutiques ont
volé en éclats. Il y a de la fumée partout...», rapportait un témoin quelques
instants après le drame. Une vingtaine de personnes auraient été blessées, dont
une sérieusement, qui pourrait être l'un des auteurs de l'attentat.
Les services du Premier ministre israélien ont aussitôt qualifié cet
attentat d'«attaque terroriste», l'attribuant ainsi à mots couverts aux
Palestiniens. Dans la soirée, l'armée israélienne a fermé l'aéroport
international de Gaza. Ehud Barak a réuni le cabinet de sécurité à Jérusalem
pour débattre d'une possible réplique. Jeudi dernier, une bombe avait déjà
explosé dans un bus à Tel-Aviv, blessant une quinzaine de personnes.
«Eclaircissements». Cette nouvelle vague de violences intervient alors que
le processus de paix est totalement enlisé. Le leader palestinien, Yasser
Arafat, refuse de donner à l'administration américaine sortante une réponse à
ses propositions de paix tant qu'il n'aura pas obtenu les «éclaircissements»
demandés la semaine dernière. Les Etats-Unis, de leur côté, exigent d'abord
d'Arafat qu'il considère ce plan comme une «base de travail». De retour d'un
voyage à Tunis via le Caire, où il avait rencontré le chef de l'Etat égyptien,
Hosni Moubarak, Arafat a dit s'attendre à une réponse des Etats-Unis «dans les
prochaines vingt-quatre heures». Une façon de déplacer sur les épaules de Bill
Clinton la pression qui pèse sur lui. Et cette fermeté semble payer. Après une
longue conversation téléphonique dans la soirée, les deux hommes auraient évoqué
la possibilité de se rencontrer à Washington «très bientôt», a déclaré un
conseiller politique du dirigeant palestinien.
La marge de manœuvre de Yasser Arafat reste très étroite, ses troupes se
montrant de plus en plus hostiles au moindre compromis avec les Israéliens.
Hier, des milliers de Palestiniens ont manifesté en Cisjordanie pour
l'anniversaire de la première opération du Fatah contre Israël. Quelque 3 000
partisans de ce mouvement d'Arafat, dont une cinquantaine d'hommes armés et
masqués, ont défilé à Naplouse, brûlant un drapeau israélien et tirant en l'air
en hommage à la «révolution palestinienne».
Les menaces les plus préoccupantes sont venus d'un dirigeant du Hamas
récemment libéré de prison par l'Autorité palestinienne. Dans une interview
publiée par le quotidien des Emirats arabes unis al-Khaleej, Abdel-Aziz el
Rantissi a appelé hier les Palestiniens à passer de la guerre des pierres à la
lutte armée. «Le Hamas a intensifié ses opérations et a mené des attaques à la
bombe à distance pour protéger la vie de ses combattants, mais nous pourrions
être contraints de recourir aux vieilles méthodes (les attentats suicides, ndlr)
si c'est la seule façon d'infliger des pertes à l'ennemi, dit-il. L'Intifada va
continuer encore longtemps et doit évoluer de la guerre des pierres à de
véritables opérations militaires. S'il ne peut y avoir un équilibre de la
puissance militaire, il faut qu'il y ait un équilibre de la dissuasion.» Hier,
quatre Palestiniens ont encore été tués dans les territoires occupés: deux
policiers, dont les corps ont été retrouvés mutilés et criblés de balles; un
civil attaqué par des colons; et un enfant de 11 ans à Hébron.
«Situation explosive». Côté israélien, on se prépare de plus en plus à un
échec des négociations. Le Premier ministre a estimé que, faute d'un accord,
Israël devrait se préparer à une nouvelle vague d'attentats et à une rupture
unilatérale avec les Palestiniens. Il a demandé à l'état-major des armées de se
préparer à «une confrontation généralisée». C'est que, outre les affrontements
israélo-palestiniens, le gouvernement Barak n'hésite plus à évoquer le risque
d'une «guerre civile». Avec l'entrée des extrémistes juifs dans la bataille, les
violences secouent à nouveau une société israélienne profondément divisée sur
les négociations. «Nous sommes vraiment dans une situation explosive», a déclaré
le ministre des Affaires étrangères, aussi ministre de l'Intérieur, Shlomo Ben
Ami, en indiquant que la sécurité israélienne était en état d'alerte maximum. Au
lendemain de l'assassinat, dimanche, du fils et de la belle-fille de
l'extrémiste juif Meir Kahane, Ben Ami a appelé les rabbins et les hommes
politiques de droite à empêcher leurs partisans de se venger: «Ils doivent
demander à leurs troupes de s'arrêter avant qu'il ne soit trop tard, parce
qu'elles sont en train de créer une situation de guerre civile.»
Risques. Trois scénarios catastrophe seraient aujourd'hui étudiés de près
par les forces de sécurité intérieure israéliennes. Le premier est le
bombardement de la mosquée d'al-Aqsa (il suffirait d'un missile lancé du mont
des Oliviers). Le processus de paix serait alors un lointain souvenir et un
embrasement de la région quasi assuré. «La police est déployée de façon optimum
autour des Lieux saints pour éviter une telle catastrophe», a déclaré hier Ben
Ami à la radio, montrant ainsi que ce risque était pris au sérieux.
Autre scénario envisagé, un massacre de Palestiniens à l'image de celui
commis en 1994 par l'extrémiste juif Baruch Goldstein à Hébron. Le quotidien
Maariv raconte ainsi comment, dimanche, après l'assassinat des époux Kahane,
certains ont appelé à «imiter les actions du saint Baruch Goldstein». Dans une
déclaration d'une rare violence, la sœur du fils Kahane assassiné a demandé de
son côté que «chaque cheveu qui tombe d'une tête juive fasse tomber la tête d'un
Arabe». Enfin, les risques d'une tentative d'assassinat du Premier ministre Ehud
Barak ou de certains de ses ministres semblent réels. Selon de nombreux
analystes, les incitations à la haine sont bien plus fortes encore qu'elles ne
l'étaient à la veille de l'assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin par un
extrémiste juif.
2. Le Monde du samedi 30 décembre 2000
Palestine, la révolte d´un peuple par Fayçal
Husseini
NOMBREUX sont ceux qui demandent pourquoi s´est produite une nouvelle
Intifada, ce soulèvement palestinien, à un moment précisément où tout le monde
croyait que Palestiniens et Israéliens étaient tout près de parvenir à une paix
durable. La question est légitime.
Le processus de négociation qui s´est amorcé avec l´accord d´Oslo en 1993
visait à instaurer la paix et la prospérité dans la région, mais, en réalité,
les Palestiniens se trouvent aujourd´hui dans une situation économique et
politique pire qu´avant le début du processus d´Oslo. Il faut revenir sur les
racines véritables des toutes dernières tentatives conduites pour résoudre le
conflit et concilier nos différences.
En 1988, le Conseil national palestinien (CNP) élu, alors réuni en exil, se
prononçait pour l´existence de deux Etats s´appuyant sur les résolutions 242 et
338 des Nations unies, qui mettent en demeure Israël de restituer toutes les
terres occupées lors de la guerre de 1967. Cette décision marquante
reconnaissait non seulement le droit à l´existence d´Israël mais également son
droit d´exister sur 78 % de la Palestine historique.
Le CNP acceptait qu´un Etat palestinien indépendant soit créé à Gaza et en
Cisjordanie. Par ce fait, le peuple autochtone de Palestine assurait à Israël un
Etat en paix à l´intérieur des frontières d´avant le 4 juin 1967. Cette décision
ouvrait la voie aux pourparlers de Madrid, au cours desquels, de son côté,
Israël acceptait (pour la première fois) les résolutions 242 et 338 des Nations
unies, ainsi qu´aux discussions qui ont abouti à l´accord d´Oslo. Les deux
parties approuvaient désormais l´application des résolutions de l´ONU et le
principe de la terre contre la paix. Enfin – du moins le pensions-nous alors –,
Israéliens et Palestiniens avaient une chance de transformer la physionomie de
la région et de renoncer à la haine et au sang versé pour choisir la paix et la
coopération.
Franchissons à présent rapidement les années jusqu´au début de l´an 2000.
Les Palestiniens ne contrôlent partiellement que 40 % de la Cisjordanie et 70 %
de Gaza, et cela dans certaines limites strictes, tandis qu´Israël continue de
chicaner sur les termes d´un retrait provisoire. Entre-temps, notamment sous le
gouvernement Barak, Israël a continué sa politique du fait accompli en
accélérant la construction de colonies et la confiscation de terres (plus de 50
000 colons juifs se sont installés en Cisjordanie depuis Oslo) ; Jérusalem reste
fermée à la majorité des Palestiniens, qui font, par ailleurs, l´objet de
contrôles sévères lors de leurs déplacements d´une ville palestinienne à
l´autre, et entre Gaza et la Cisjordanie. A l´évidence, Oslo a donné à Israël le
temps de cimenter à proprement parler son occupation des territoires, qui
devaient constituer l´Etat palestinien. En dépit de ces violations continues,
les Palestiniens s´en sont tenus au processus de paix, essayant de s´accommoder
des difficultés quotidiennes qu´il impliquait.
Quand l´administration Clinton a fait pression pour que nous participions
au sommet de Camp David, nous l´avons avertie qu´aucune des deux parties n´était
prête à une négociation sur le statut définitif. N´en étions-nous pas encore à
tenter de faire respecter par Israël ses engagements provisoires antérieurs ?
Les questions relatives au statut définitif, dont celles de Jérusalem et du
droit au retour des réfugiés palestiniens, n´avaient pas été abordées depuis
sept ans. Nous avons cependant accepté de participer, en raison notamment des
assurances données par la secrétaire d´Etat Madeleine Albright au président
Yasser Arafat que, quoi qu´il arrive à Camp David, la responsabilité d´un
éventuel échec ne serait imputée à aucun des deux camps.
Le moment du sommet était mal choisi, et les propositions qui y furent
présentées n´ont fait que confirmer nos soupçons. Les dirigeants palestiniens
ont affronté à Camp David un Israël beaucoup plus fort, et nous avons découvert
que les Etats-Unis, au lieu de se comporter en médiateur désintéressé,
appuyaient les Israéliens pour obtenir de nous des concessions d´une ampleur
telle qu´elles auraient été inacceptables pour le peuple palestinien. Concernant
Jérusalem aussi, l´offre qui nous a été faite aurait été inacceptable pour le
reste du monde arabe et islamique. Ainsi le sommet s´est-il soldé par un échec,
et, quelques heures plus tard, malgré la promesse de Mme Albright,
l´administration Clinton en rejetait publiquement la faute sur les
Palestiniens.
Si les Israéliens ont prétendu que M. Barak était allé plus loin qu´aucun
autre leader israélien, les propositions présentées par lui à Camp David
n´offraient toujours pas les conditions minimales d´un Etat palestinien viable,
pas plus qu´elles ne satisfaisaient nos droits sur Jérusalem-Est ou n´abordaient
comme il convient le drame des réfugiés. Peut-être étaient-elles moins
inacceptables que les précédentes propositions israéliennes, elles n´en
restaient pas moins irrecevables.
Camp David, cependant, fit faire un grand pas aux deux parties, et beaucoup
d´obstacles ont été levés. M. Barak, hélas, était si préoccupé de politique
intérieure à son retour qu´il a commencé par prendre une série de mesures à
courte vue dans le but de sauver son gouvernement. La plus tragique fut
l´autorisation donnée à Ariel Sharon, avec lequel il espérait former un
gouvernement de coalition, de se rendre sur l´esplanade des Mosquées, troisième
lieu saint de l´islam.
Les Palestiniens ont, en cinquante-deux ans, appris à vivre avec
l´injustice, et nous avons fait beaucoup de concessions dans la recherche de la
paix. Mais notre dignité d´homme n´est pas négociable. Quand M. Sharon a cherché
la provocation en marchant vers la mosquée Al-Aqsa en compagnie de quelque trois
mille soldats israéliens en armes, le peuple palestinien – aussi bien chrétien
que musulman – s´est senti au plus haut point trahi par M. Barak et par Israël.
C´était plus que nous ne pouvions tolérer.
L´agitation qui a suivi a rapidement tourné à l´émeute, attisée par des
années de frustration et d´humiliation. C´est la révolte d´un peuple, toutes
conditions sociales confondues. L´occupation par Israël des territoires
palestiniens est la dernière occupation militaire dans le monde. Or l´occupé
exige simplement son droit à la liberté, à l´autodétermination et à la
démocratie.
En Yougoslavie, la population s´est soulevée et a renversé son gouvernement
afin de faire valoir ses droits : le monde entier l´en a félicité. Les
Palestiniens se soulèvent contre une occupation militaire étrangère, et on
condamne leur action. Les Etats-Unis et Israël exigent que les dirigeants
palestiniens stoppent la violence et mettent un terme aux émeutes, comme s´il
suffisait d´appuyer sur un bouton magique pour convaincre la population de
rentrer chez elle et de tranquillement continuer à vivre sous l´occupation
militaire.
L´utilisation par Israël d´une force brutale et démesurée est en train de
déstabiliser la région tout entière. L´envoi de tanks, de missiles et des
hélicoptères Apache de fabrication américaine contre des manifestants sans armes
dans nos villes et nos villages terrorise et radicalise la population. Il faut
que cesse la violence israélienne, que soit levé le siège de nos villages. Une
force de paix internationale doit être constituée afin d´assurer la protection
des droits élémentaires de l´homme et la mise en place de tout accord futur.
Ainsi seulement sera créé un climat propice à l´application de la résolution 242
sans que le sang soit encore versé.
Une telle démarche nouvelle, si elle est claire pour les Palestiniens, nous
donnera l´espoir qu´il existe une chance de progresser. Le processus de paix,
tel que l´ont amorcé les pourparlers de Madrid en 1991, doit une fois de plus se
substituer au processus de guerre, et la logique de la raison prendre le pas sur
celle du pouvoir.
Fayçal Husseini est membre du comité exécutif de l´OLP, chargé des affaires
de Jérusalem. (Traduit de l´anglais par Sylvette Gleize). © New York Times
3. Le Monde du vendredi 29 décembre 2000
"Un certain nombre de points restent trop vagues" explique Leïla
Shahid propos recueillis par Mouna Naïm
Entretien avec Leïla Shahid, déléguée générale de la Palestine en
France.
Mouna Naïm – Yasser Arafat a-t-il répondu aux idées proposées par le
président Bill Clinton pour un accord de paix entre les Palestiniens et Israël ?
Leïla Shahid – Oui, il a envoyé la réponse, mercredi [27 décembre].
– Ces idées vous paraissent-elles satisfaisantes ?
– Il est évident qu'elles sont principalement puisées dans les propositions
israéliennes, qui sont elles essentiellement motivées par le fait que Ehoud
Barak n'a aucune chance de remporter les élections sans un accord de
paix.
Sur chacun des dossiers, il n'y a pas beaucoup de différence avec ce
qui a été proposé au sommet de Camp David. Il y a même, dans l'expression des
propositions de M. Clinton, des choses qui sont moins précises que [ce qui a été
débattu] à Camp David. A Camp David, il n'y pas eu de déclaration finale écrite,
mais des discussions très poussées sur certains sujets, tel que celui des
réfugiés. Le principe de base étant alors “un accord sur tout, ou rien”, nous
n'avions rien rédigé, puisque nous ne nous étions finalement pas mis
d'accord.
Ce qui est nouveau, c'est le fait que ces questions soient rédigées
par M. Clinton, mais un certain nombre de points restent trop vagues. Or, dans
la mesure où il va s'agir d'un accord visant à mettre fin au conflit de manière
définitive, et que les Palestiniens doivent s'engager à ne plus avoir aucune
revendication, il est évident qu'ils ne peuvent répondre avant d'avoir des
éclaircissements sur un certain nombre de points. Ils ont également besoin de
cartes géographiques très précises sur la répartition de la souveraineté, qu'il
s'agisse de Jérusalem – puisque Israël garde toutes les colonies qui sont à
l'intérieur du périmètre urbain de Jérusalem et autour de la ville – ou de la
Cisjordanie.
On parle d'un retrait israélien de 95 % [de la Cisjordanie].
Nous voulons savoir 95 % de quoi exactement. On dit que 80 % des colonies
resteront sous souveraineté israélienne et seront annexées à Israël. Nous
voulons savoir très précisément lesquelles seront démantelées, pour ne pas avoir
de surprise et pour mesurer ce que cela signifie par rapport à la continuité
géographique du territoire qui devra devenir l'Etat palestinien. Dans
l'aménagement territorial fait par les autorités israéliennes pour les années à
venir, l'extension de la Jérusalem dite métropolitaine inclura 15 % de la
Cisjordanie, c'est-à-dire toutes les nouvelles colonies que les Israéliens ont
créées autour de la ville et qui seront incluses dans le périmètre urbain de ce
qu'eux-mêmes appellent Jérusalem. Est-ce que les 95 % dont on parle excluent ces
territoires ? Auquel cas il ne s'agira plus de la restitution par Israël de 95 %
de la Cisjordanie mais de ce qui en restera une fois qu'on aura agrandi le
périmètre urbain de Jérusalem.
– Et sur la question du retour des réfugiés ?
– Il est évident que personne ne cherche à modifier le caractère juif de
l'Etat israélien. Mais de la même manière que nous avons dit que nous
accepterons des citoyens israéliens juifs qui vivraient sous la souveraineté de
l'Etat palestinien, nous demandons l'application du droit au retour [des
Palestiniens] reconnu par la résolution 194 de l'Assemblée générale de l'ONU.
Cela permettra à des citoyens palestiniens de retourner vivre en Israël, sous
souveraineté israélienne, en tant que Palestiniens. Ce principe est très
important. Il s'agit du fondement de la cause palestinienne, puisque la lutte du
peuple palestinien a commencé longtemps avant l'occupation de la Cisjordanie et
de Gaza en juin 1967. Sa raison principale était le droit au retour des réfugiés
expulsés en 1948.
Il est évident que ce droit au retour ne pourra pas
s'appliquer à tous les réfugiés. Il faudra donc discuter de son application,
mais il est tout aussi évident que le principe doit être reconnu. C'est une
vraie réconciliation historique qui doit se faire entre Israël et les
Palestiniens.
Ce sont là les principales questions incluses dans la lettre
adressée par le président Yasser Arafat à M. Clinton, et c'est à la lumière des
réponses qui seront apportées que les négociations pourront avancer ou non et
qu'un sommet avec M. Clinton pourra se tenir ou non. Le principe selon lequel
c'est à prendre ou à laisser est un principe irréaliste lorsqu'il s'agit de
mettre fin à cent ans de conflit.
Il serait inadmissible de laisser des zones
d'ombre sur des questions qui, si elles ne sont pas réglées de manière très
claire, avec des cartes géographiques très précises, constitueront une menace
qui fera voler en éclats l'accord quelques mois après sa signature. Il ne s'agit
pas d'être irrédentiste, mais d'avoir le sens des responsabilités par rapport
aux populations palestinienne et israélienne, et de nommer les choses de manière
précise, pour que les opinions publiques puissent s'exprimer lors d'un
référendum du côté palestinien comme du côté israélien.
Il ne faut pas non
plus être otage des échéances : la fin du mandat Clinton le 20 janvier et les
élections israéliennes le 6 février. Ce qui est en jeu est beaucoup trop
important pour ne pas régler sérieusement des questions fondamentales si nous
voulons signer un accord qui mette fin au conflit. Lundi, les ministres des
affaires étrangères des pays arabes se réuniront au Caire à la demande de la
Palestine, qui tient à les informer des détails des propositions américaines.
Ces pays sont eux aussi concernés, en particulier par la question des réfugiés
et celle de Jérusalem, parce qu'ils en ont assumé avec nous la responsabilité
depuis 1948 pour la première et depuis l'occupation de 1967 pour la seconde.
»
4. Le Monde du jeudi 28 et vendredi 29
décembre 2000
Israël-Palestine : Camp David, une impossible négociation
par Sylvain Cypel
Au terme d´une enquête auprès des
principaux négociateurs, Sylvain Cypel raconte de l´intérieur ce qui s´est
vraiment passé à Camp David entre le 11 et le 25 juillet. Récit d´un échec où se
font jour la crainte des Israéliens de céder trop, l´exaspération des
Palestiniens de n´être pas souverains.
PREMIERE PARTIE
Un fait, au
moins, est communément admis, tant par les Israéliens, les Américains que les
Palestiniens : ce sommet de Camp David (11-25 juillet), Yasser Arafat n´en
voulait pas. Trop tôt, mal préparé, insistait-il. Le “ canal suédois ”– des
rencontres secrètes, en mai, à Stockholm – n´avait pas abouti. Les suivantes,
sur les bases américaines d´Andrews et Bolling, non plus. Les Israéliens avaient
beau répéter depuis des mois que les discussions avançaient positivement, elles
stagnaient. “ Pour avoir une chance sérieuse de signer un accord-cadre pour la
paix à venir, un événement historique, dit Saeb Erakat, l´un des principaux
négociateurs palestiniens, il fallait que le terrain soit déblayé, qu´il ne
reste qu´aux deux chefs suprêmes, Ehoud Barak et Yasser Arafat, que trois ou
quatre points, les plus épineux, à finaliser. On en était loin. ”
Un autre élément joue dans les réticences
palestiniennes : l´extraordinaire méfiance qui s´est installée parmi eux à
l´égard d´Ehoud Barak. “ Dès sa première rencontre avec Abou Amar [Yasser
Arafat], raconte un ministre palestinien, Barak nous a dit : passons directement
à la négociation finale. Donnons-nous quelques mois. Si on échoue, on reviendra
aux pourparlers intérimaires. Nous nous sommes dit : cet homme est-il idiot ou
nous prend-il pour des imbéciles ? Si la négociation finale échoue, lui-même ne
voudra plus nous lâcher quoi que ce soit ! ”De fait, depuis son élection, le
premier ministre israélien n´a plus “ lâché ” un centimètre de territoire. Il a
même imposé de renégocier un accord déjà signé par son prédécesseur (Benyamin
Nétanyahou), celui de Wye River, et poursuivi à rythme accéléré la colonisation
en territoires palestiniens. Le “ troisième redéploiement ” prévu par l´accord
d´Oslo (septembre 1993) et qu´attendait Arafat, qui lui aurait permis d´élargir
son “ territoire libéré ” et aurait obligé Israël à démanteler certaines
colonies, n´a pas eu lieu.
Enfin, un dernier élément reste en travers de la
gorge des Palestiniens, démontrant à leurs yeux la “ mesquinerie ” d´Ehoud Barak
tout au long de ses négociations. Certes, il a appliqué l´accord signé de Charm
el-Cheikh (septembre 1999) sur les prisonniers politiques – des militants
d´organisations qui soutiennent Arafat –, mais dans le sens le plus restrictif
qui soit. On ne se comporte pas ainsi vis-à-vis d´un “ partenaire ” avec qui
l´on dit vouloir faire la paix, déplorent les Palestiniens. Mais, au final, la “
méthode Barak ” a fini par prévaloir. L´Autorité palestinienne, comprenant
qu´elle n´obtiendrait plus un pouce de territoire supplémentaire dans des
accords intérimaires, a fini par se résoudre à ce qu´exigeait le premier
ministre israélien : passer directement à la négociation sur le “ statut final
”.
Ancien négociateur palestinien, Ghassan Al Khatib
résume la période qui va d´Oslo (13 septembre 1993) à Camp David par une
histoire de Bernard Shaw. Lors d´un cocktail, un homme dit à une jeune femme : “
Acceptez de faire l´amour avec moi, je vous donnerai beaucoup d´argent. ” La
femme réfléchit et finit par dire : “ D´accord. Combien me donnerez-vous ? ” “
Dix livres. ” “ Vous me prenez pour une prostituée ! ”,s´insurge-t-elle. “ Ce
fait, Madame, est acquis. Vous avez dit oui, maintenant nous parlons business.
”A Oslo, les Palestiniens avaient cru comprendre qu´ils recevraient “ beaucoup
”, au cours des négociations. Sept ans après, ils n´ont quasiment rien obtenu :
70 % de la bande de Gaza, coupée en deux par l´armée israélienne au profit des
colons juifs, et 13,5 % de territoires éparpillés en confettis en Cisjordanie.
Echaudés, ils ont décidé d´être fermes sur les principes avant de “ faire
l´amour ” dans un accord de paix final.
A l´inverse, c´est à cause du blocage des
pourparlers qu´Ehoud Barak, mal en point sur le plan intérieur, veut absolument
un sommet, et tout de suite. Dès la fin des négociations avortées de Stockholm
(22 mai), il n´a de cesse d´appeler Bill Clinton. Il joint plusieurs fois
Jacques Chirac et le Portugais Antonio Guterres, président en exercice de
l´Union européenne, pour les convaincre qu´Israéliens et Palestiniens sont près
d´aboutir. “ Les Israéliens, dit un responsable du Conseil national de sécurité
américain, ont tendance à surinterpréter les ouvertures qu´ils croient percevoir
chez leurs interlocuteurs. ” Bill Clinton, indique un autre haut responsable
américain au département d´Etat, “ va résister un mois à la demande de Barak ”.
Trois éléments finissent par convaincre le président américain : d´abord, les
deux parties lui ont assuré souhaiter un accord avant la fin de son mandat ;
ensuite, la crainte de voir le numéro un israélien être renversé au Parlement
par la droite nationaliste (une perspective qui, pense-t-il, devrait aussi
effrayer les Palestiniens) ; enfin, les informations qui indiquent que, en
Palestine, la frustration populaire monte dangereusement. L´armée israélienne
procède d´ailleurs à des exercices en prévision d´un éventuel soulèvement dans
les territoires.
Le 3 juillet, à Ramallah, Yasser Arafat répète à
la secrétaire d´Etat américaine Madeleine Albright qu´un sommet sans issue
serait une catastrophe pour la région. Mais Bill Clinton est persuadé que si les
parties ont la volonté d´aboutir, tout n´est qu´une question de détermination.
Et le président américain est un homme très obstiné. Sa conviction : Israël
devra abandonner en grande partie une terre revendiquée depuis des millénaires
par le peuple juif ; les Palestiniens devront, eux, accepter une certaine férule
permanente d´Israël. Le 4 juillet, le président américain annonce donc à Abou
Amar qu´il convoque le sommet pour le 11. “ Barak, indique-t-il, a de nouvelles
propositions. ” Il ajoute que “ rien ne sera imposé aux Palestiniens à
l´encontre de leurs aspirations ”. “ On ne pouvait pas répondre non à l´homme
qui, en 1998, avait reconnu devant le Conseil national palestinien le droit de
notre peuple à l´autodétermination ”, dit un membre de la délégation
palestinienne.
Les premiers négociateurs arrivent à Washington
entre le 6 et le 8 juillet. Le 11, les délégations sont au grand complet à Camp
David. Loin des regards, le lieu est immense et bucolique, en pleines montagnes
de Catoctin, au Maryland. De multiples chemins sont propices aux promenades
discrètes. La nourriture est fine, même si fort peu orientale (le chef est
espagnol). Les participants sont répartis dans des chalets, confortables mais
sans ostentation, aux noms champêtres. Certains Israéliens notent avec une
pointe de dépit qu´ils sont le plus souvent à deux par chambre, alors que la
plupart de leurs homologues palestiniens disposent de chambres individuelles.
Piscine, gymnase, golf, tennis sont à disposition. Des voiturettes de golf
permettent de se déplacer (en nombre moins important que celui des participants,
elles feront la convoitise des délégués israéliens dont certains “ chiperont ”
les clefs pour les garder). Yasser Arafat est logé au Birch (Bouleau). Ehoud
Barak, non loin, au Dogwood (Cornouiller). Il dispose de deux terrasses
séparées. Un élément important pour un homme qui a le goût du secret et aime
rencontrer ses collaborateurs individuellement. Il tiendra parfois deux réunions
concomitantes avec deux d´entre eux, une sur chaque terrasse. La plupart des
réunions auront lieu au chalet Holly (Houx), ou dans les salles attenantes au
restaurant du Laurel (Laurier).
Ce soir-là, Bill Clinton prononce sa première
allocution. Sont là, côté américain, en particulier Madeleine Albright, Sandy
Berger, qui dirige le Conseil national de sécurité (NSC), George Tenet,
directeur de la CIA, Dennis Ross, le “ coordinateur ” pour le Proche-Orient,
ainsi que divers conseillers, tels Aaron Miller (adjoint de Ross), Rob Malley et
Bruce Riedel de la NSC. Côté israélien, entourent Barak ses deux principaux
collaborateurs, Gilad Sher et Dany Yatom (ex-chef du Mossad, service secret
extérieur), les ministres Shlomo Ben Ami et Amnon Lipkin-Shahak, Shlomo Yanaï
(chef de la planification de l´armée), Ysraël Hasson (ex-numéro deux du Shabak,
service de sécurité intérieur), Eliakim Rubinstein (conseiller juridique du
gouvernement), Gidi Grinstein, un jeune juriste, et Yossi Ginossar, l´homme des
missions secrètes, “ invité spécial ” du président Clinton. Dan Meridor, un
ancien ministre du Likoud, et Oded Eran, qui a participé à de nombreuses
négociations, les rejoindront plus tard. Accompagnent, entre autres, Yasser
Arafat : Abou Mazen, Abou Alaa, Mohamad Dahlan (l´homme de la sécurité), Mohamed
Rachid (conseiller financier), les ministres Nabil Shaath, Hassan Asfour et
Yasser Abed Rabo, le conseiller Akkram Hanniyyé. Tous, hormis Barak et Arafat,
ont reçu un badge avec leur photo, leur nom, et l´inscription “ délégué ”.
Yasser Arafat est en tenue militaire et keffieh, qu´il ne quittera pas quinze
jours durant. Décontracté, Bill Clinton leur souhaite bonne chance, propose que
les commissions de travail – territoires et sécurité, Jérusalem, réfugiés – se
réunissent vite. Il évoque la promesse d´une très importante aide financière
internationale s´ils aboutissent.
La tension est surtout palpable dès l´abord chez
les Palestiniens. Ceux-ci constatent l´absence, côté israélien, de Shimon Pérès,
Yossi Beilin et Ouri Savir, les trois architectes des accords d´Oslo. Ils savent
qu´Ehoud Barak souhaite un accord-cadre (environ vingt pages) qui fixera les
grandes lignes de la paix, lesquelles devront être ensuite discutées en détail.
Or le diable, pour eux, se loge précisément dans les détails, qui, depuis sept
ans, reportent ad libidum l´application d´accords précédemment signés.
Enfin, même s´ils ne l´avoueront jamais
publiquement, par crainte d´être taxés d´antisémitisme, beaucoup (pas tous) ne
font pas confiance à l´entourage de Bill Clinton, ce baptiste nourri de culture
biblique. Un entourage essentiellement composé de juifs américains, à commencer
par Dennis Ross, qui ne cache pas la force de l´affect qui le lie à Israël. Les
Israéliens, eux, craignent que “ Yasser Arafat, comme d´habitude, nous fasse
danser devant lui sans s´engager ”.
Les premières réunions des commissions, le 14,
confirment les Israéliens dans leurs appréhensions. Les Palestiniens les
exaspèrent avec d´interminables déclarations de principes. “ Arafat attend pour
dévoiler ses cartes ”, pensent les Américains, qui s´en formalisent moins. Ils
ont tort. Si les Palestiniens rappellent aussi fermement les “ principes ”,
c´est qu´ils ont du se plier à la “ méthodologie ” imposée par Ehoud Barak et
acceptée par Bill Clinton. Le chef du gouvernement israélien propose d´avancer,
parallèlement, dans chaque commission, pour fixer progressivement un niveau de “
compromis ” acceptable et voir si l´accumulation des compromis sujet par sujet
permet de signer la paix. Les Palestiniens ont, vainement, exigé une procédure
inverse : puisqu´il s´agira d´un accord historique, fixons-en les principes,
puis voyons comment les appliquer cas par cas. La base de ces principes ne peut
être que les résolutions 242 et 338 de l´ONU, sur lesquelles est explicitement
fondé l´accord d´Oslo, et qui fixent “ l´inadmissibilité de l´acquisition de
territoires par la guerre ”, “ le retrait des forces armées israéliennes des (ou
de, selon la version britannique) territoires occupés ” et l´illégalité de
toutes les colonies construites depuis trente-trois ans dans les territoires
occupés, Jérusalem-Est incluse.
La différence entre les deux “ méthodes ” est
évidente. Pour Israël, les deux partenaires doivent trouver un point d´équilibre
sur chaque sujet. Accepter la logique palestinienne les obligerait à concéder
tous les territoires à leurs adversaires en préambule, avant de négocier des
concessions de leur part pour en garder une partie et certaines colonies.
Donnant-donnant entre deux partenaires qui doivent avoir un intérêt mutuel à la
paix, disent les premiers. Un occupant dans l´illégalité et un occupé, disent
les seconds. “ Depuis deux ans, insiste un négociateur israélien, la
méthodologie pourrissait les négociations. Chacun a son interprétation du droit
et de l´histoire, cela ne mène à rien. Plus les Palestiniens évoquaient les
principes, plus notre méfiance grandissait ”. “ La 242 est la base des
négociations, ajoute un autre, mais nous n´acceptons pas sa réalisation. ” Les
Palestiniens, eux, s´inquiètent de phrases israéliennes tenues dans des
conversations privées, comme “ Oslo est loin, il faut regarder devant, pas
derrière ”. Et quand, au tout début, Bill Clinton a une expression malheureuse,
évoquant les “ territoires en dispute ” (“ disputed things ; disputed
territories ”), ils sentent le piège : “ Occupés, Monsieur le Président, ces
territoires sont occupés aux yeux du droit international. ” Le président
américain n´y reviendra plus, qui cherche à faire avancer des discussions “
pragmatiques, en pyramides ” sur chaque thème.
La “ méthode ” adoptée ne permet pas aux
Palestiniens de s´en tenir aux déclarations d´intention. Dès le 15, Bill Clinton
prend un premier coup de sang. Venu à la commissions sur les territoires, il
s´emporte contre le négociateur palestinien Abou Alaa. Les Israéliens ont
présenté une carte. Hors le maintien sous leur souveraineté sur le Grand
Jérusalem, ils “ restituent ” aux Palestiniens 84 % de leurs territoires.
C´était donc cela, les “ nouvelles propositions de Barak ? ” Elles avaient déjà
été présentées, deux mois avant, à des négociations à Eilat. Abou Alaa refuse
d´en discuter. “ Ce n´est pas une manière de négocier, vous ne faites aucune
contre-proposition ”, lance Clinton, qui quitte la salle. Abou Alaa est blême.
Désormais, dans chaque commission, cartes et textes vont être réellement
échangés.
Dans la commission Territoires et sécurité (qui
inclut aussi frontières et colonies – Ben Ami d´un côté, avec une fréquente
présence de Gilad Sher, Abou Alaa en face), les Israéliens “ offrent ” vite aux
Palestiniens 89 % de leur territoire hors Jérusalem (76 % immédiatement et 13 %
“ graduellement ”), contre l´annexion de 11 % des terres à Israël, là se
trouvent trois grands blocs de colonies. Leur proposition prévoit de couper la
Cisjordanie en trois morceaux, avec des passages routiers entre eux (“ protégés
” mais sous souveraineté israélienne), sans accès palestinien au Jourdain. “
Trois bantoustans ”, rétorquent les Palestiniens. Leur carte propose de “
laisser ” à Israël 2 % de leur propre territoire et de recevoir en échange 2 %
de territoire israélien, près de Gaza et Bethléem. Les Israéliens acceptent le
principe du “ swap ”, mais ne “ lâchent ” que 1 %, près de Gaza.
La commission Réfugiés sera la plus intense d´un
point de vue émotionnel, et la plus étrange. C´est la seule qui traite de
questions remontant à la guerre de 1948 – et non à la guerre de juin 1967 –
c´est-à-dire à la source du contentieux israélo-palestinien. L´Autorité a envoyé
ses deux représentants supposés les plus accommodants (Abou Mazen et Nabil
Shaath), flanqués de deux “ durs ” (Abed Rabo et Hanniyyé). Les Israéliens ont
fait l´inverse. Leurs deux négociateurs sont Eliakim Rubinstein et Dan Meridor,
les moins enclins aux concessions sur tous les plans, accompagnés du juriste
Gidi Grinstein et bientôt d´Oded Eran. Très vite, les trois autres Palestiniens
abandonnent Nabil Shaath à son sort. Ils craignent d´être impliqués dans un
accord “ indigne ” sur la question qui sera la plus lourde à assumer vis-à-vis
de leur peuple. Shaath, lui, assume, d´autant plus facilement que les Israéliens
se réfugient dans un déni total.
Les Palestiniens fondent leur revendication sur
la résolution 194 de l´ONU : “ L´Assemblée générale décide qu´il y a lieu de
permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers (…) et de
vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées [par
Israël] à ceux qui décident de ne pas rentrer ”. Les Israéliens avancent que ce
n´est pas un hasard si l´accord d´Oslo ne fait pas référence à la résolution
194, qu´ils n´ont d´ailleurs jamais reconnue. “ Oh que si ! ”, rétorque Shaath.
“ Vous avez dû la reconnaître pour être admis à l´ONU et Oslo se fonde sur la
242, qui prévoit un juste règlement du problème des réfugiés. ” Les Israéliens
prétendent n´avoir “ aucune idée ” des biens et avoirs perdus par les
Palestiniens. “ Pas grave, répond Shaath, nous les avons pour vous. ”Et de
ressortir les données fournies de 1947 à 1961 par le conservateur israélien des
biens des absents à la commission de conciliation de l´ONU pour la Palestine
(UNCCP), et la liste des 400 villages rasés par Israël de 1949 à 1953, avec les
terres attenantes, le nombre des maisons des habitants des bourgs de Ramleh,
Lyddah (aujourd´hui Lod) et Majdal (Ashkelon) où les Israéliens ont organisé
l´expulsion des habitants en 1948 et 1950.
Ce qui suscite le plus la fureur des Israéliens,
ce n´est pas tant la masse des documents amenés par leurs interlocuteurs, c´est
la volonté, qu´ils croient déceler chez les Palestiniens, d´établir un parallèle
entre l´indemnisation par l´Allemagne des victimes juives de la Shoah et leur
propre drame. Effectivement, un Palestinien dira sous forme de boutade au
président Clinton, dans une conversation privée : “ Pour mieux négocier, vous
devriez nous prêter Stuart Eisenstadt ” (le secrétaire au commerce américain,
qui a efficacement négocié avec les institutions et les banques allemandes,
autrichiennes et suisses la restitution ou l´indemnisation des biens juifs en
déshérence). Les Palestiniens se défendent de toute analogie, mais sont ulcérés
par le déni systématique des Israéliens, qui récusent toute responsabilité
essentielle dans la création du problème des réfugiés.
Au final, les positions vont peu évoluer.
Jusqu´au bout, les Israéliens refusent l´inscription de toute référence à leur “
responsabilité ” dans le drame des réfugiés. Le “ droit au retour ” des réfugiés
en Israël est également récusé. L´Etat juif accepte la rentrée de quelques-uns
(10 000 à 30 000, sur 4 millions de réfugiés) “ pour raisons humanitaires ”, sur
dix ans. Les autres seront indemnisés par un Fonds international, dans lequel
Israël n´aura qu´une participation réduite. Les juifs partis des pays arabes
doivent aussi bénéficier de ce fond (ce point est l´un des rares à être jugé par
les Américains “ provocateur ”).
Pour les Palestiniens, les réfugiés doivent se
voir offrir quatre choix : le retour en Israël, celui dans la future Palestine,
rester où ils sont et être aidés pour leur “ réinsertion ”, pouvoir émigrer dans
des pays d´accueil. Ils exigent que l´organisme israélien nommé conservateur des
biens des absents soit chargé des indemnisations, et peu importe comment il se
procure l´argent, le Fonds international ne servant qu´à aider la réinsertion ou
l´émigration de ceux qui n´optent pas pour le retour. Pourtant, chacun va faire
une concession de taille : les Israéliens finissent par écrire (à la main) que
leur document se fonde “ sur la résolution 194 ”de l´ONU. Les Palestiniens, eux,
vont accepter l´exigence israélienne : tout revenant dans l´Etat juif devra
accepter de devenir israélien. L´idée, évidente, est qu´un nombre infime de
réfugiés souhaiteront le faire. Cette “ avancée ” ne parviendra pas à rassurer
les Israéliens. Pour eux, en exigeant le droit au retour, Arafat vise à
maintenir une “ tumeur ” permanente au sein d´Israël, qui empêchera la paix pour
des dizaines d´années.
Entre Saeb Erakat et Gilad Sher se joue, dans la
commission Jérusalem, une partie exceptionnellement difficile. Depuis leur
conquête de la ville arabe, en 1967, les Israéliens ont élargi par vingt les
limites municipales de Jérusalem-Est, y intégrant une quinzaine de villages et
expropriant des propriétaires palestiniens sur 4 000 hectares pour y construire
de nouveaux quartiers juifs. Rapidement, ils acceptent de “ restituer ” à
l´Autorité palestinienne certains de ces villages, considérés par eux comme
faisant partie du Grand Jérusalem. Rattachés à la bourgade d´Abou Dis, les
Palestiniens pourraient y installer leur capitale et l´appeler Al Qods. Mais
Israël refuse une quelconque souveraineté palestinienne en Vieille Ville (où se
trouvent des lieux saints musulmans, juifs et chrétiens) et alentour, dans le
Jérusalem-Est originel. Bref, disent les Palestiniens, on discute de Paris
occupé et l´on nous répond : on vous rend Créteil, vous n´avez qu´à l´appeler
Paris… Enumérer les diverses variantes proposées ensuite par Israël serait
fastidieux. Toutes maintiennent une souveraineté exclusive israélienne sur la
ville arabe originelle et la Vieille Ville, dont un quart est désormais habitée
par des juifs.
Lorsque, à un moment, Israël accepte d´envisager
une “ gestion autonome ” palestinienne en Vieille Ville mais propose de
récupérer alors certains quartiers de Jérusalem-Est que Gilad Sher avait, dans
une autre formule, accepté d´abandonner, Saeb Erakat éructe : “ Nous ne sommes
pas au souk, ici. ” Les Palestiniens sont exaspérés. Avec les Israéliens, dit un
de leurs négociateurs, “ c´est toujours donnant-donnant. Vous voulez ça ?
D´accord, mais on vous reprend ça. On devenait dingues. ” Les Israéliens, eux,
ne comprennent pas. Si les Palestiniens veulent réellement un accord, eux aussi
doivent “ lâcher ” quelque chose à chaque étape de la négociation. Seule
l´intervention énergique, en deuxième semaine, du président Clinton, qui va
multiplier les “ propositions créatives ”, débloquera la dicussion.
La sous-commission sécurité (le général Yanaï
pour Israël, Mohamed Dahlan côté palestinien), enfin, est celle qui progresse le
mieux. Les Israéliens acceptent une proposition américaine : leur présence ne
sera maintenue que sur un tiers de la rive du Jourdain, et une police
palestinienne occupera les deux autres tiers. Les Palestiniens acceptent de
réfléchir au maintien de trois stations d´alerte radar israéliennes chez eux. Le
maintien de cinq “ bases d´intendance utilisables en cas d´urgence ” semble plus
problématique. La démilitarisation de l´Etat palestinien est examinée. Mais la
volonté israélienne de contrôler toute marchandise entrant en Palestine est
jugée inconcevable. C´est à nous à le faire, rétorquent les Palestiniens, pour
qui, décidément, les Israéliens n´envisagent pour eux rien d´autre qu´un
Etat-croupion, pas un Etat souverain.
Cependant, les trois parties admettent que, si un
accord global était intervenu, les arrangements sécuritaires auraient ensuite
été les plus faciles à finaliser. Pourtant, cette commission symbolise la
paralysie qui s´impose aux négociateurs, dont Bill Clinton va prendre
conscience. Tous les dossiers sont liés, et rien, dans aucune commission, n´est
jamais finalisé. La“ règle du jeu ”des négociations parallèles par thématiques
empêche tout progrès. Cette règle dit que “ rien n´est acquis tant que tout
n´est pas acquis ”. Ainsi, toute proposition peut être retirée par chaque partie
si l´accord global n´est pas signé. “ J´admets que cette logique est
problématique ”, reconnaît aujourd´hui un négociateur israélien. En effet, dans
ces conditions, personne n´est disposé à montrer ses atouts à l´autre, de peur
qu´ensuite il les utilise après un éventuel échec. Chacun avance donc à
reculons. “ On n´est jamais parvenu à savoir quelle était la limite des
concessions que Barak était prêt à faire, ni celle des entorses au droit
qu´acceptaient les Palestiniens ”, dit un intermédiaire américain. “ Chaque camp
négociait avec en tête l´idée de l´échec et de ce qu´il dirait alors aux siens
pour se justifier. ”
Bill Clinton a compris qu´il s´agit là d´un jeu à
somme nulle. Le 16 au soir, il voit successivement Yasser Arafat puis Ehoud
Barak. Il leur propose de désigner deux représentants chacun. Isolés, à quatre,
sans interférence américaine, leur mission consistera à rédiger un projet
d´accord-cadre. Les Palestiniens sont relativement satisfaits. On va enfin
commencer par parler de l´essentiel, des principes devant présider à la paix
annoncée. Yasser Arafat nomme Saeb Erakat, le plus au fait de l´ensemble des
dossiers, et Mohamed Dahlan, l´homme de la sécurité et des contacts avec la CIA,
qui jouit d´une confiance relativement supérieure aux autres Palestiniens parmi
les Israéliens. Barak, lui, opte pour Gilad Sher, son directeur de cabinet et
homme de confiance, et pour Shlomo Ben Ami.
Dans les deux camps, la journée du 17 se passe à
concocter les grandes lignes d´un accord-cadre. Chez les Palestiniens, la règle
est vite fixée : encore et toujours le respect du droit international. Si cet
élément cardinal est acquis, ils peuvent accepter des aménagements pour le
maintien de blocs de colonies en Cisjordanie (sur plus de 2 % du territoire,
peut-être 4 % ou 5 %). Ils proposeront aussi la souveraineté à Jérusalem-Est
selon la règle “ là où la population est arabe, c´est aux Palestiniens, là où
elle est juive, aux Israéliens ”. La reconnaissance par Israël de sa
responsabilité dans l´expulsion des Palestiniens en 1948 et le droit au retour
des réfugiés sont jugés impératifs pour envisager des modalités d´application
garantissant aux Israéliens le retour le plus limité possible de réfugiés dans
leur Etat.
Barak, lui, a convoqué sa délégation au grand
complet dans son chalet. La réunion va durer cinq heures. La question des
réfugiés est vite réglée : pas question de discuter tant que les Palestiniens
exigent le droit au retour. La sécurité ne fait pas l´objet de grands débats
pour la raison inverse : les négociations sont relativement satisfaisantes.
Restent les frontières et Jérusalem. Déchirante, la discussion, très vite, se
focalise sur le second sujet : “ Jérusalem, capitale éternelle et indivisible
d´Israël. ”Dan Méridor et Eliakim Rubinstein rejettent tout abandon de cet
axiome, martelé sans cesse par Israël depuis la conquête de la ville arabe, en
1967. Gilad Sher, Amnon Shahak et Shlomo Ben Ami proposent de rechercher divers
régimes de “ souveraineté palestinienne ” sur certains lieux, mais inférieure à
la souveraineté israélienne, et la restitution de certains villages palestiniens
périphériques du Grand Jérusalem (tous trois insistent sur le “ danger
démographique ” que représentent les 230 000 Palestiniens de Jérusalem-Est).
Israël Hasson, l´homme des services de sécurité, préfère l´octroi d´un “ statut
spécial ” pour toute la Vieille Ville, avec une présence éventuelle de policiers
palestiniens en certains endroits (comme l´esplanade des Mosquées). De
souveraineté palestinienne réelle, point. Yossi Guinossar intervient alors. Il
est, de tous les présents, celui qui connaît le mieux les Palestiniens. Il
déclare, en substance : nous décidons ce que nous voulons, mais sachez que sans
souveraineté palestinienne en Vieille Ville, il n´y aura pas d´accord.
Jusque-là, Ehoud Barak a écouté. Lui est très
sensible à l´argument “ démographique ”. Il interdit à ses négociateurs tout
renoncement au mont du Temple - esplanade des Mosquées et privilégie l´option de
la gestion municipale aux Palestiniens dans les villages périphériques du Grand
Jérusalem, maintenus sous souveraineté israélienne. Option de repli : “ lâcher ”
ces villages, mais alors procéder à un échange de territoires permettant
d´intégrer de grosses colonies (Givat Zeev, Maaléh Edoumim) au Grand Jérusalem.
Dès lors, un nouveau concept apparaît du côté israélien : le ZOJ, ou Zone of
Jerusalem, une “ zone ” deux fois plus grande que le Grand Jérusalem. Dernière
directive de Barak : tout texte d´accord-cadre devra inclure les termes “ fin du
conflit ”, les Palestiniens renonçant à toute revendication ultérieure. Le final
du sommet de Camp David peut commencer.
SECONDE PARTIE
Au sixième jour du sommet de Camp David, les négociations bloquées, Bill
Clinton change les règles. Fini les pourparlers parallèles en commissions.
Chaque camp doit désigner deux négociateurs pour rédiger un projet
d’accord-cadre (Le Monde du 28 décembre). Les quatre – les Israéliens Sher et
Ben Ami, les Palestiniens Dahlan et Erakat – se retrouvent le 17 juillet à 0h30
dans une salle du pavillon Laurel. Le président américain, auparavant, a proposé
de réduire l’annexion israélienne des territoires occupés de 11% à 9%. « On
partait en mission historique », dit un Israélien, qui a amené une magnifique
carte aérienne de la Vieille Ville de Jérusalem, au 1/2000, où apparaissent, en
bleu, les maisons habitées par des juifs.
La question des réfugiés est mise de côté. On y reviendra si l’on aboutit
sur le reste. On n’aboutit à rien. Des heures durant, les quatre tentent de
rédiger le préambule d’un texte commun. Au bout de douze heures, l’échec est
patent. « Comment Arafat peut-il “vendre” à son peuple ce que vous proposez?
Comment y survivrait-il? Vous non plus n’êtes pas prêts à la paix », lance un
Palestinien aux Israéliens. « Là, on a senti que leur discours n’est que de la
rhétorique, ajoute-t-il. Pour en finir avec un conflit de cent ans, il faut
avoir le sens de l’Histoire, pas une mentalité de marchand de tapis dans un
perpétuel rapport de forces. » Verdict d’un Israélien: « Cette nuit-là, on a
compris qu’il n’y avait pas avec qui parler, ni sur les principes ni en
pratique. »
Pourtant, pour la première fois, les deux camps ont discuté globalement des
problèmes. Ehoud Barak prend conscience que « Arafat ne sera pas le premier
leader arabe à lâcher Jérusalem »; que, sur l’esplanade des Mosquées (le Haram
al-Sharif, où se trouve la mosquée sainte Al-Aqsa et sous lequel sont situés les
ruines du Temple hébraïque), il ne représente pas que l’OLP, mais le monde
arabo-musulman. De leur côté, les Palestiniens sont stupéfaits de l’importance
accordée par Israël aux vestiges du mont du Temple. « On voulait exclure les
questions religieuses pour ne parler que de territoires, sinon, c’était la porte
ouverte à tous les débordements. » Et voilà que le mont du Temple devient le
cœur du conflit!
Bill Clinton va, dès lors, chercher des « solutions créatives ». Offrir par
exemple une « forme de souveraineté » sur les quartiers dits musulman et
chrétien de la Vieille Ville aux Palestiniens, la souveraineté sur le mont du
Temple restant à Israël. Est-ce une « base de négociation »? Barak dit oui du
bout des lèvres. Arafat refuse. Il estime la concession palestinienne – laisser
le quartier juif et le mur des Lamentations à Israël – la plus aboutie possible.
Clinton s’emporte contre le chef palestinien. « Vous persistez dans votre
obstruction! » Yasser Arafat : « Monsieur le président, les Égyptiens se sont
montrés inflexibles sur un kilomètre de désert [pour signer la paix avec
Israël]. Et moi, il faudrait que je renonce à Jérusalem! » Saeb Erakat apporte
une réponse écrite: non, la proposition Clinton ne constitue pas une « base » de
discussion. « Alors, répond l’Américain Bruce Riedel, c’est fini. »
Pour les Israéliens aussi, c’est fini. Le 19, Clinton tente de convaincre
l’Egyptien Hosni Moubarak, le Saoudien Abdallah et le roi de Jordanie de
persuader Arafat de transiger. Sans succès. Barak lui envoie alors une lettre –«
Arafat n’est pas disposé à accepter une décision historique et ne négocie pas en
toute bonne foi. » – puis ordonne à ses ouailles de plier bagage. Le président
américain doit bientôt s’envoler vers Okinawa, pour une réunion du G7. Il
propose que les deux dirigeants repartent, laissant les commissions négocier.
Arafat ne dit pas non. Barak refuse. A 23 heures, le porte-parole de la Maison
Blanche, Joe Lockhart, annonce : « Camp David s’est terminé sans accord. » Mais,
à minuit, Clinton est de nouveau chez Barak. Ce dernier se laisse enfin
infléchir. Il ne sera pas celui qui aura fait échouer le sommet. Déjà pointe ce
qui va devenir son obsession : démontrer qu’à Camp David, la bonne volonté n’a
été qu’israélienne. Un sentiment partagé par les Américains. « Les Palestiniens,
juge l’un d’eux, n’ont jamais fait de proposition positive. Par exemple, ils ne
voulaient pas échanger 9% de territoires pour n’en récupérer que 1%. Ils ont dit
“copie refusée” sans faire une contre-proposition. »
Certains Palestiniens développeront ensuite l’idée qu’à Camp David,
Israéliens et Américains se coordonnaient pour les faire « capituler », Ehoud
Barak négociant par Bill Clinton interposé. « C’est bien mal connaître Barak que
d’imaginer que l’on peut négocier à sa place », dit un haut responsable du
département d’Etat.
L’explication est plus prosaïque. Américains et Israéliens sont
profondément « en phase ». Ils partagent une même conception « pragmatique »
d’une négociation « donnant-donnant », et la même vision – quelquefois, la même
ignorance – des Palestiniens. Ces derniers ont parfois été stupéfiés par leurs
interlocuteurs. Lorsque Yasser Arafat dit à Bill Clinton qu’il ne peut transiger
sur Al-Aqsa, qu’il est président de la Conférence islamique, ce dernier lui
demande de lui « expliquer ce qu’est précisément la Conférence islamique »...
«S’il y avait un tremblement de terre, pourquoi seriez-vous autorisés à
reconstruire Al-Aqsa alors que nous ne pouvons reconstruire notre Temple? »,
leur demandera un Israélien. Un autre proposera, si le Haram al-Sharif passe
sous « régime international », d’y construire une synagogue. « Devant ces
arguments, dit un intermédiaire américain, Al-Aqsa est devenue une obsession
pour Arafat. Psychologiquement, il s’est convaincu que les juifs voulaient une
victoire sur les musulmans. » Lui a accepté que le mur des Lamentations reste
israélien. Pourquoi Israël lui refuse-t-il la souveraineté sur le troisième lieu
saint de l’islam, sinon pour l’anéantir?
Israéliens et Palestiniens usent parfois de termes identiques pour
expliquer que, au fond, le principal problème de Camp David fut « culturel ».
Pour les premiers, l’OLP « refuse de prendre ses responsabilités » historiques,
pour les seconds, Israël « refuse d’assumer » les siennes. Les Américains, eux,
ont souvent été exaspérés par leur incapacité à saisir la « lisibilité »
palestinienne. « Certains Palestiniens nous disaient: “N’écoutez pas Untel, il
n’a pas l’oreille d’Arafat.” Un autre disait le contraire. Qui représentait
l’opinion d’Arafat? Nous n’arrivions pas à le savoir. » A ce jour, ils restent
convaincus qu’« une majorité de Palestiniens voulaient aboutir », mais que « le
sphinx » Arafat a tout fait échouer.
Problème: cette « majorité » est représentée pour eux par Mohamed Dahlan,
Mohamed Rachid ou Hassan Asfour, lesquels, en Palestine, sont considérés
(surtout Rachid) comme les principaux vecteurs du système de corruption lié aux
Israéliens au sein de l’OLP...
Et puis, il y a le « cas » Barak. « Une catastrophe », juge un responsable
du Conseil national de sécurité (NSC) américain. Malgré les multiples
sollicitations sollicitations de Wahington, celui-ci refusera obstinément tout
tête-à-tête avec Yasser Arafat à Camp David. « Nous lui avons dit : “C’est vous
qui avez voulu ce sommet, vous devez faire le premier pas.” Pour Arafat, le lien
personnel entre chefs est essentiel. Barak s’y est toujours refusé.» « Pérès,
lui, aurait petit-déjeuné, déjeuné et dîné avec Arafat. Et dormi dans sa chambre
s’il avait pu », dit en riant un ministre palestinien. « Le problème n’était pas
psychologique, juge un Américain. C’était une décision politique. Barak disait
en avoir soupé des rencontres inutiles avec Arafat. Si la négociation aboutit,
disait-il, je le verrai. Pas avant. » Reste que cette attitude a profondément
blessé les Palestiniens. Lors d’un dîner, le 16 au soir, Barak est assis à la
gauche de Bill Clinton, entre lui et sa fille Chelsea. Arafat est à la droite du
président. Deux heures durant, Ehoud Barak se tournera vers sa gauche,
n’adressant la parole qu’à Chelsea...
Le président américain parti au G7 pendant deux jours, il ne se passe rien
d’important. Bill Clinton rentre le dimanche 23 à 18 h 25. Là, il va montrer son
incroyable force de travail, mêlée, disent les Palestiniens, à « un charme et
une ténacité rares ». Il rencontre Barak puis Arafat et propose une «
négociation marathon ». A 23 heures, il se rend à la commission sécurité. Il en
sortira à 6 heures du matin, pour dormir un peu avant de rejoindre, à 10 heures
le 24, la commission réfugiés. Il demande ensuite à chaque camp de lui envoyer
un représentant. Saeb Erakat et Shlomo Ben Ami se présentent. De source
palestinienne, Bill Clinton aurait proposé de ramener les annexions israéliennes
à 5% seulement, et un Etat palestinien démilitarisé mais maître de ses
frontières, laissant à Israël un « droit d’intervention en cas de grave menace
extérieure ». Il propose aussi de diviser la souveraineté sur l’Esplanade entre
le sol (aux Palestiniens) et le sous-sol (aux Israéliens). Ben Ami refuse. Les
Palestiniens avaient déjà fait savoir que l’idée était inacceptable. A 20
heures, Clinton « convoque » Arafat: « Les Israéliens ont fait de nombreuses
concessions alors que vous ne donnez rien sur Jérusalem. » Le ton est agressif.
« Israël, rétorque le leader palestinien, ne fait aucune concession sur du
territoire qui lui appartient. Je ne braderai ni Jérusalem ni les Lieux saints.
Souhaitez-vous participer à mes funérailles? ». A 22 heures, Bill Clinton fait
une ultime proposition : la souveraineté sur l’Esplanade à Israël, avec une «
tutelle souveraine » palestinienne garantie par le Conseil de sécurité et le
Maroc, qui préside le Comité Al Qods (Jérusalem, en arabe). Barak a « des
réserves ». Les Palestiniens refusent, dans une lettre amenée le 25 à 2h30 par
Saeb Erakat et Mohamed Dahlan.
Camp David a vécu. Pour un Israélien, « là, Arafat a déchiré le masque ».
Le matin du 25, Bill Clinton, Ehoud Barak et Yasser Arafat adoptent un texte en
cinq points. Israël et l’Autorité palestinienne « s’engagent à poursuivre leurs
efforts pour conclure le plus tôt possible un accord ». Les parties conviennent
de garder un mutisme absolu sur ce qui s’est dit à Camp David. A midi, à la
Maison Blanche, Bill Clinton prononce la phrase qui, jusqu’à ce jour, résonne
comme un camouflet aux oreilles des Palestiniens: « Le premier ministre
israélien a fait plus de chemin que le président Arafat. » Les Israéliens
exultent.
Après son retour, Ehoud Barak dira : « J’ai encerclé Arafat comme dans
Beyrouth, il n’a plus de porte de sortie. » Mais la déception l’emporte autour
de lui: les pressions israélo-américaines n’ont pas suffi. « Nous nous sommes
trompés quant au processus de décision palestinien. Arafat reste une énigme pour
ses interlocuteurs, mais aussi pour ses proches », dit un de ses hommes de
confiance. Le sentiment domine que le numéro un israélien a réussi « une
opération historique. En deux semaines, il a fait sauter quelques générations au
débat public en Israël », brisé des tabous sans rien lâcher sur les intérêts
vitaux d’Israël. Pour les Palestiniens, la négociation a, au contraire, montré
que ces « intérêts vitaux » changent d’un jour à l’autre. Ils étaient chaque
fois révisés pour peu que Bill Clinton propose une nouvelle «idée créative».
Dans ces conditions, pourquoi auraient-ils modifié leur stratégie de
négociation, eux qui n’ont qu’un seul « joker », l’acceptation ou non de signer
la « fin du conflit »? Israël, « engoncé dans une mentalité coloniale », muré
dans le déni du droit, de l’Histoire et des réalités, « ne nous considère pas
comme des égaux », tranche enfin un proche d’Arafat.
Un haut responsable du département d’Etat tire le bilan suivant: « A la
différence de l’Irlande, au Proche-Orient, les opinions publiques sont plus
radicales que les dirigeants, qu’elles ne poussent pas au compromis. Barak a
fait un effort de socialisation de son opinion. Insuffisant mais réel. Arafat ne
fait aucun effort de socialisation vers la paix. » Un autre Américain présent à
Camp David porte un verdict plus nuancé : « Les Palestiniens ont eux aussi fait
des concessions considérables. L’accord à venir, dit-il, devra plus tenir compte
du droit international et conférer à l’Etat palestinien une souveraineté qui ne
soit pas que de façade. Les Etats-Unis ont beaucoup mésestimé l’importance du
soutien du monde arabe à Arafat. Israël devra lâcher beaucoup plus qu’il n’a
fait à ce jour. »
Les trois parties, cependant, se rejoignent sur deux acceptations
fondamentales: le sommet s’est fracassé, dans les faits, sur Jérusalem. Mais les
autres problèmes ne changeront pas – en particulier ceux des réfugiés et des
colonies, non moins importants. Et Camp David aura posé les fondations de ce qui
sera peut-être, un jour, une paix israélo-palestinienne.
Les ultimes propositions
Les réfugiés : “ responsabilité ”
et “ droit au retour ”
Ces documents inédits constituent la dernière version des propositions –
très éloignées – présentées par chaque partie dans la Commission Réfugiés, à
Camp David. Les débats furent souvent orageux dans cette commission qui fut la
seule à traiter des problèmes remontant à la source du conflit
israélo-palestinien. Le document israélien est court et général, le palestinien
plus long et détaillé. Rédigés en anglais et considérés comme des “ documents de
travail ” (“ non paper ”), ceux-ci dénotent cependant une certaine évolution des
positions respectives.
Le texte israélien (extraits)
Document de travail 1. Les Parties sont conscientes des souffrances qui ont
été infligées, pendant et après la guerre de 1948, aux personnes et aux
communautés des deux côtés. Israël reconnaît par ailleurs qu´il est urgent de
régler le sort des réfugiés palestiniens de façon humaine, juste et réaliste,
(rajouté à la main : en s´appuyant sur les normes du droit international et la
résolution 194) dans le contexte de la fin du conflit israélo-palestinien.
2. Le problème des réfugiés palestiniens pourra être résolu grâce à un
effort international. (…) Israël prendra part à cet effort. (…)
3. La résolution du problème (…) couvrira le retour en Israël et dans
l´Etat palestinien, l´intégration dans les pays d´accueil et l´immigration dans
des pays tiers.
4. (…) La Partie palestinienne reconnaît que le droit au retour des
réfugiés palestiniens s´appliquera uniquement à l´Etat palestinien. (…)
5. Israël facilitera, à son entière discrétion, pour des raisons
humanitaires, l´entrée échelonnée de XX réfugiés palestiniens sur son
territoire. Ils (…) accepteront la citoyenneté israélienne et renonceront à leur
statut juridique de réfugiés.
6. Une Commission internationale sera constituée. (…)
7. Un Fonds international sera créé. (…)
9. Le Fonds créera et gérera un Comité d´enregistrement destiné à
constituer le registre définitif et complet des réclamations des réfugiés.
(…)
11. Durant une période convenue, il sera possible à tout ménage
palestinien, devenu réfugié en 1948, ou à ses descendants directs, de déposer
une seule plainte auprès du Comité d´enregistrement afin d´obtenir réparation.
(…)
12. (…) Le règlement équitable du conflit israélo-arabe devra résoudre la
question de l´ensemble des réclamations résultant du conflit, y compris celles
déposées par les particuliers et les communautés juifs. (…)
15. Les Parties inviteront la communauté internationale à financer le
règlement permanent de la question des réfugiés palestiniens en fixant un
montant forfaitaire (de X). (…)
16. Le choix d´un demandeur d´indemnisation pour ses biens se fera en
fonction des ressources accumulées par le Fonds. (…)L´indemnisation s´effectuera
à condition que le demandeur renonce à toute nouvelle revendication. (…)
18. Dans le contexte d´aide internationale, Israël abordera la question
d´une contribution financière annuelle de XX durant XX années.
20. La Commission, le Fonds et l´Etat palestinien mettront en œuvre un
programme (…) pour résoudre définitivement le problème des réfugiés palestiniens
dans l´Etat palestinien, dix ans maximum après la conclusion de l´accord-cadre
de paix. La réalisation de ce projet mettra définitivement un terme aux
revendications de l´Etat palestinien à cet égard. (…)
24. Israël ne sera lié par aucun engagement ni obligation (…) autres que
ceux précisés dans le présent Accord.
Le texte palestinien (extraits)
Document de travail
Importance de la résolution de la question des réfugiés 1. Les Parties
reconnaissent qu´il est nécessaire de résoudre le problème des réfugiés de façon
équitable pour parvenir à une paix juste, globale et durable.
Responsabilité morale 2. Israël reconnaît être moralement et juridiquement
responsable du déplacement forcé et de la spoliation dont a été victime la
population civile palestinienne pendant la guerre de 1948 ainsi que d´avoir
empêché les réfugiés de rentrer dans leur foyer, conformément à la résolution
194 des Nations unies. 3. La responsabilité de la résolution du problème des
réfugiés incombe à Israël. (…)
Droit au retour 5. Conformément à la résolution 194, tous les réfugiés qui
souhaitent retourner dans leur foyer en Israël et vivre en paix avec leurs
voisins ont le droit de le faire. (…) 6a. Est considéré comme réfugié
palestinien toute personne palestinienne qui a été empêchée de retourner chez
elle après le 29 novembre 1947, qu´elle soit restée sur le territoire devenu
Israël ou en dehors. b. (…)Le terme “ réfugié ” s´appliquera aussi à un
descendant ou un conjoint de réfugié. c. (…) Toute personne immatriculée auprès
de l´UNRWA (Agence des Nations unies pour les réfugiés de Palestine) sera
considérée comme réfugiée. (…)
Commission de rapatriement 7. Une Commission de rapatriement [composée de
représentants des Nations unies, des Etats-Unis, des Parties, de l´UNRWA, de
l´Union Européenne et du Canada] sera créée afin de garantir et gérer la
réalisation du droit au retour. (…) 10. Les Parties devront appliquer les
décisions de la Commission et modifier leurs lois internes de manière à
faciliter l´exécution de ces décisions.
Conditions du retour 15. Tous les réfugiés qui résident actuellement au
Liban auront le droit de retourner en Israël dans un délai de deux ans à compter
de la signature du présent Accord. 16. (…) Chaque année, au moins XX réfugiés
seront autorisés à rentrer en Israël. 19.(…) Le rapatriement devra reposer sur
une décision prise librement et être effectué de manière à maintenir l´unité
familiale. (…) 26. A leur retour, les réfugiés devront prendre la citoyenneté
israélienne. Cela mettra fin à leur statut de réfugié.
Restitution de leurs biens immobiliers aux réfugiés 27. Les biens
immobiliers que possédait un réfugié au moment de son déplacement seront rendus
à ce réfugié ou à ses successeurs légaux. 28. Dans les cas où (…) il sera
impossible, peu pratique ou inéquitable de remettre le réfugié propriétaire dans
ses biens, (…) les réfugiés ou leurs successeurs légaux seront habilités à
recevoir sur le territoire israélien une terre ou des biens de remplacement.
(…)
Indemnisation 30. L´Etat d´Israël indemnisera les réfugiés pour les cas de
décès, blessures personnelles, déplacement physique, traumatisme psychologique
et perte de biens. (…) 31a. Les réfugiés qui souhaitent rentrer obtiendront une
aide au rapatriement leur permettant de se réinstaller dans leur lieu d´origine.
b. Les réfugiés qui ne souhaitent pas rentrer seront indemnisés pour renoncer à
leur droit au retour et recevront une aide à la réinsertion. (…) 32. Le fait
qu´un réfugié exerce son droit au retour en Israël ne devra pas léser son droit
à être indemnisé. (…)
34.Comme il incombe à Israël d´indemniser les réfugiés, il avancera les
fonds nécessaires. Les moyens dont dispose le Conservateur [israélien] des biens
des absents devraient servir à indemniser les réfugiés. Des sommes provenant du
Fonds international mentionné ci-dessous pourront être utilisées pour compléter
ce qu´Israël doit à titre de réparation.
Indemnisation pour les biens collectifs 35. L´Etat d´Israël indemnisera
l´OLP pour les biens collectifs palestiniens existant à l´intérieur des
frontières de l´Etat d´Israël, internationalement reconnues. (…)
Commission d´indemnisation 41. La Commission [d´indemnisation créée pour
évaluer les pertes matérielles subies par les Palestiniens] acceptera les
dossiers de la Commission de conciliation pour la Palestine des Nations unies
comme preuve de prime abord des pertes des réfugiés. La Commission pourra aussi
utiliser les fichiers de l´UNRWA. (…) 42. (…) L´Etat d´Israël devra adopter,
dans un délai de six mois à compter du présent Accord, une législation
garantissant aux requérants individuels ou à leur représentant autorisé d´avoir
accès aux archives israéliennes pertinentes afin de faciliter la constitution de
leur dossier. (…)
Fonds international 46. Un Fonds international sera créé pour soutenir et
financer la mise en œuvre des dispositions du présent Accord. (…) 53. Les
bénéficiaires des sommes drainées par le Fonds comprendront les réfugiés, les
ministères et collectivités publiques palestiniens pertinents, les ministères et
organismes publics des pays d´accueil ainsi que les organismes publics ou privés
choisis pour mettre en œuvre l´aide ou assurer un appui technique ou de
transition.
Traduit de l´anglais par M.C. Stark
Une Palestine sans continuité territoriale ?
A aucun
moment, à Camp David, les Israéliens n´ont accepté la création d´un Etat
palestinien possédant une continuité territoriale en Cisjordanie (la bande de
Gaza, elle, étant intégralement restituée). Leur carte initiale divisait la
Cisjordanie en trois, Israël maintenant deux larges bandes au milieu et
l´intégralité de la vallée du Jourdain en sa possession. L´ultime proposition
israélienne ne conservait qu´une seule “ saillie ”, au sud, ainsi qu´une
frontière palestinienne avec la Jordanie sur 85 % du Jourdain, “ offrant ” aux
Palestiniens deux “ passages protégés ” entre les deux parties de leur Etat
(sous forme de pont ou de tunnel routier), mais maintenus sous souveraineté
israélienne. Cette proposition restitue environ 90 % de leur territoire aux
Palestiniens en Cisjordanie.
Elle a été rejetée par l´OLP, qui exigeait une réelle continuité
territoriale pour garantir la souveraineté de son Etat, annulant la coupure
israélienne entre Maalé Edoumim et Jéricho-Sud, ainsi que la maîtrise de sa
frontière le long du Jourdain et sur la mer Morte. Les Palestiniens acceptaient
l´annexion de trois grands blocs de colonies israéliennes (Shomron, autour de
Jérusalem, et Goush Etzion), mais exigeaient qu´elle ne dépasse pas 2 % de leur
territoire, et qu´ils reçoivent en échange 2 % de territoire israélien, près de
Gaza et entre Bethléem et Hébron.
L´enjeu de Jérusalem
A Camp David, le débat sur
Jérusalem-Est (conquise en juin 1967 par Israël) s´est focalisé sur la vieille
ville, où se trouvent les lieux saints musulmans, juifs et chrétiens, d´une
part, et sur les “ quartiers périphériques ” arabes, des villages intégrés par
Israël dans le “ Grand Jérusalem ”, qui ne faisaient pas partie initialement de
la ville, de l´autre. L´Autorité palestinienne a exigé qu´Israël reconnaisse les
multiples résolutions de l´ONU sur Jérusalem. Comme la résolution 476 du Conseil
de sécurité (30 juin 1980), qui “ réaffirme la nécessité impérieuse de mettre
fin à l´occupation prolongée des territoires occupés par Israël depuis 1967, y
compris Jérusalem ”. Depuis 1967, l´Etat hébreu a poursuivi une politique de “
judaïsation ” de la ville et de sa périphérie en territoires palestiniens, et
d´élargissement continu de ses limites municipales.
Israël a accepté de “ lâcher ” certains quartiers arabes périphériques,
mais pas la vieille ville. Celle-ci est divisée en quatre quartiers. Leur nom
(musulman, chrétien, juif et arménien) correspond aux sites et lieux saints qui
s´y trouvent, mais la population y est partout très majoritairement
palestinienne, sauf dans le quartier dit juif, massivement investi par des
Israéliens depuis 1967. Un gros pâté d´habitations est aussi habité par des
juifs au cœur du quartier musulman. Après quelques jours, les Palestiniens ont
proposé de fixer la souveraineté en fonction de la règle : là où la population
est majoritairement arabe, à la Palestine, là où elle est juive, à Israël. Ce
qui revenait à accepter l´annexion par Israël des nouveaux quartiers juifs à
l´Est et du quartier juif en vieille ville.
Le Haram al-Sharif ou esplanade des Mosquées (dôme du Rocher et mosquée
Al-Aqsa) est le troisième lieu saint de l´islam. En dessous restent des vestiges
du Deuxième Temple (son accès est interdit par l´immense majorité des rabbins).
Du mur occidental du Temple, il ne subsiste que des vestiges, seul un tiers – le
mur des lamentations – est apparent. Israël n´a accepté qu´une “ gestion
souveraine ” de l´Esplanade par les autorités musulmanes, sans souveraineté de
l´Etat palestinien. A la fin du sommet, Bill Clinton proposera une souveraineté
aux Palestiniens sur les quartiers dits chrétien et musulman, incluant
l´Esplanade, Israël y maintenant cependant une “ souveraineté du sous-sol
”.
5. Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 29 décembre 2000,
15h56
Les réfugiés rêvent de la Palestine, même s'ils ne comptent pas y
retourner
TYR (Liban) - Les Palestiniens du Liban peuvent avoir des
avis divergents sur le pays où ils veulent vivre, mais tous, sans exception,
attendent le jour où ils auront droit à une patrie et un passeport.
"Je ne retournerai peut-être pas en Palestine, je suis née et j'ai été
élevée au Liban, mais quand même, je veux pouvoir choisir moi-même. Nous en
avons assez qu'Israël décide de notre sort", affirme Yousra Salem.
"Mon rêve est d'avoir une patrie et de faire le tour du monde en montrant
fièrement mon passeport palestinien", ajoute cette comptable de 39 ans, dont les
parents ont été contraints de fuir leur maison à Jaffa (près de Tel-Aviv) lors
de la création de l'Etat juif en Palestine en 1948.
Comme tous les réfugiés palestiniens du Liban, l'anxiété l'a gagnée avec la
reprise des pourparlers israélo-palestiniens sur le statut final, qui portent
également sur le sort des réfugiés.
Et la seule idée que les 3,7 millions de Palestiniens de la diaspora
pourraient ne pas obtenir le droit au retour ravivent leur colère.
"C'est très simple. Nous avons été chassés de nos foyers par les juifs qui
ont crée leur propre Etat sur notre terre. Il est grand temps pour nous d'y
retourner, c'est un droit sacré", insiste-t-elle.
Dans le camp de Rachidiyé, près de Tyr (sud), Ibrahim Ahmad désire
ardemment "toucher les murs" de sa maison en Palestine. "Tous ici partagent ce
rêve. Nous n'avons pas lutté pour rien pendant des décennies. Nos combattants
continuent d'ailleurs à s'entraîner dans ce but", ajoute-t-il.
Le problème du retour reste sujet à controverse pour les 367.000 réfugiés
enregistrés au Liban, qu'ils résident dans les villes ou dans les camps.
Des dizaines de milliers d'entre eux ont déjà émigré. Les autres, surtout
ceux qui vivent misérablement dans les douze camps disséminés à travers le pays,
veulent retourner sur la terre de leurs ancêtres ou rêvent d'un emploi décent
dans les pays arabes du Golfe, en Europe, au Canada ou aux Etats-Unis.
La plupart des réfugiés qui envisagent de demeurer au Liban, où ils sont
parfaitement intégrés, gèrent des affaires florissantes ou ont été
naturalisés.
Pourtant, tous, même ceux qui n'envisagent pas de quitter le Liban,
conviennent que le droit au retour ne saurait faire l'objet d'un
compromis.
Devant sa boutique de poulets dans le camp de Bass, à l'entrée de Tyr,
Moustapha al-Ahmad, rend hommage au soulèvement palestinien.
"L'Intifada contre les sionistes nous a réveillés. Notre peuple a versé si
bravement le sang de centaines de martyrs au cours des trois derniers mois que
nous sentons tous que Jérusalem est désormais très proche", affirme-t-il.
Chez les Kamal, une famille aisée d'entrepreneurs, propriétaire de magasins
dans le port de Tyr, ce sujet fait souvent l'objet de débats houleux.
Chawkat, le grand frère détenteur d'un passeport américain depuis 1998, a
regagné le Liban. "Je ne voulais pas que mes enfants grandissent aux Etats Unis
et oublient leur patrie. Nous sommes originaires de Haïfa et je veux qu'ils
vivent le plus près possible de la Palestine".
Son frère Walid l'interrompt: "J'avais 6 ans quand j'ai quitté Haïfa et je
ne me souviens de rien. Ma famille, mon travail, toute ma vie est au Liban. Je
ne veux retourner nulle part mais, quand même, je devrais bénéficier du droit au
retour".
Chehadé Zahiddine, qui gère à 61 ans une petite société de transport,
affiche son pragmatisme. "Jamais je n'accepterai de retourner en Palestine tant
que l'Etat juif existera. Je préfère obtenir une compensation".
"Si j'y vais, explique-t-il, je serai en train de commettre un suicide car
une fois là-bas, je devrais venger le meurtre de mon père et de mon oncle tués
par les juifs qui nous ont chassés hors de nos foyers, je serais alors tué ou
emprisonné".