l'association médicale franco-palestinienne
vous présente ses meilleurs voeux pour cette nouvelle année
"koul am wantom bikher"
 
Point d'information Palestine > N°122 du 02/01/2001

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Dimanche 31 décembre 2000 en Palestine.
Alors que le monde entier préparait le Réveillon du Millénaire dans la joie...
 
A Tulkarem, le Dr. Thabet Ahmed Thabet, 48 ans, est abattu près de chez lui à 9h15. Le Dr. Thabet travaillait comme dentiste à Tulkarem, et était le Directeur Général du Ministère de la Santé local. Il était à la tête du Fatah dans le district de Tulkarem, et membre du comité central du Fatah en Cisjordanie. Alors qu'il quittait sa maison pour se rendre à son travail, des soldats israéliens à l'intérieur d'une jeep garée non loin de chez lui ont ouvert le feu sur sa voiture. Il a été touché par quatre ou cinq balles de 300mm, et est décédé à l'hôpital peu de temps après. Un porte-parole militaire israélien a déclaré que les soldats ripostaient à des tirs dans le quartier, et que le Dr. Thabet a été une victime malencontreuse de ces échanges de coups de feu. Cependant, des témoins et voisins ont déclaré sous serment qu'aucun coup de feu n'avait été tiré avant l'incident et qu'aucun affrontement ou manifestation n'avait lieu à ce moment aux abords de la maison du Dr. Thabet, qui était donc bien intentionnellement visé. A Jérusalem, des colons juifs massivement armés s'attaquent à des citoyens palestiniens de Jérusalem-Est, ouvrant le feu sur des magasins et se livrant à des violences sur les marchands. Nombreux blessés. A Hébron, pendant le bombardement de quartiers résidentiels, quatre Palestiniens sont blessés, dont un grièvement, un garçon âgé de 12 ans. A Qalqilia, alors que les forces d'occupation durcissent le siège du village de Jeen Safout, des bandes de colons armés continuent de s'attaquer aux citoyens palestiniens et à leurs propriétés. A Qalqilia, des affrontements opposent des civils palestiniens à l'armée israélienne, qui fait usage de balles réelles et de gaz lacrymogènes. Quatre blessés. A Gaza, des soldats israéliens postés à proximité du camp de réfugiés de Al-Buraij ouvrent le feu sur des civils palestiniens, blessant gravement à la tête Qarar Abu Shihada, 20 ans. Rafah est bombardée par deux fois. Cinq obus s'abattent d'abord sur des barricades, sans faire de dommages ni de victimes. Ce sont ensuite les quartiers résidentiels de Al-Salam qui sont visés, faisant quatre blessés. A Naplouse, des colons armés attaquent un taxi palestinien près d'une route de contournement dans le village de Beit Forik. Ils ouvrent le feu, blessant les passagers qui ont du être transférés à l'hôpital Rafida de Naplouse. A Jénine et Naplouse. Des dizaines de colons armés, venant des colonies de Shafi Shamroon et Anab, bloquent les routes reliant Jénine et Naplouse et s'attaquent à des civils palestiniens. A Naplouse, pendant la nuit, des tirs d'artillerie lourde sur des quartiers résidentiels du camp de réfugiés de Askar font trois blessés et de nombreuses maisons gravement endommagées. A Beit Hanoun - Erez, des militaires israéliens tirent une fois de plus sur des travailleurs palestiniens protestant contre les fouilles humiliantes dont ils font l'objet, blessant quatre d'entre eux : Sa'id Al Harazin, 23 ans, au genou gauche, Mohammad Nasir, 23 ans, au genou gauche, Yasir Al Rantisi, 21 ans, à l'estomac, Salman Al Aruki, 37, à la tête. Le conducteur de l'ambulance venue les évacuer, Ibrahim Shabat, 32 ans, est à son tour atteint d'une balle dans la cuisse.
Et vous, qu'avez-vous fait beau pour le Reveillon du Millénaire ?
Informations traduites de l'anglais par Giorgio Basile
 
Au sommaire
 
Livre
  • L'Europe et la Palestine : des Croisades à nos jours par Bichara Khader aux édition de L'Harmattan
Réseau Palestine
  • les constantes de la lutte palestinienne au cours du siècle par Jacques Gervet
Revue de presse
  1. "Israël au bord de la «guerre civile" par Alexandra Schwartzbrod in Libération du mardi 2 janvier 2001
  2. Palestine, la révolte d´un peuple par Fayçal Husseini in Le Monde du samedi 30 décembre 2000
  3. "Un certain nombre de points restent trop vagues" explique Leïla Shahid propos recueillis par Mouna Naïm in Le Monde du vendredi 29 décembre 2000
  4. Israël-Palestine : Camp David, une impossible négociation (1ère et 2ème partie) par Sylvain Cypel in Le Monde du jeudi 28 et vendredi 29 décembre 2000
  5. Les réfugiés rêvent de la Palestine, même s'ils ne comptent pas y retourner Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 29 décembre 2000, 15h56
  6. Les réfugiés ne veulent pas être une monnaie d'échange : Entretien avec Ziad Abbas, journaliste palestinien réalisé par Pierre Barbancey in L'Humanité du mercredi 27 décembre 2000
  7. Droit au retour : quatre millions de Palestiniens en exil par Michel Muller et Hassane Zerrouky in L'Humanité du mercredi 27 décembre 2000
  8. Barak et Arafat au tournant de l'Histoire par Baudouin Loos in Le Soir [quotidien belge] du mercredi 27 décembre 2000
  9. Le dernier dilemme d'Arafat par Baudoin Loos in Le Soir [quotidien belge] du mercredi 27 décembre 2000
  10. Dans un entretien croisé, le porte-parole des Eglises orthodoxes en Palestine, Atallah Hanna, et cheikh Mohamad Hussein, imam de la mosquée Al-Aqsa, parlent de la situation dans la Ville sainte et soulignent l'unité entre chrétiens et musulmans propos recueillis par Mohamed Amin Al-Masri in Al-Ahram Hebdo [hebdomadaire égyptien] du mercredi 27 décembre 2000
  11. Israël est-il prêt à faire des concessions ? par Mohamed Sid-Ahmed in Al-Ahram Hebdo [hebdomadaire égyptien] du mercredi 27 décembre 2000
  12. L'asphyxie par Salma Hussein in Al-Ahram Hebdo [hebdomadaire égyptien] du mercredi 27 décembre 2000
  13. Ehoud Barak se coupe de son propre camp in Le Soir [quotidien belge] du mardi 26 décembre 2000
  14. Noël lugubre à Bethléem, en proie à une violence latente par Laura King Dépêche de l'agence Associated Press du lundi 25 décembre 2000, 1h25
  15. A Mazraa Gharbié, en Cisjordanie, les colons interdisent la cueillette des olives par Gilles Paris in Le Monde du samedi 23 décembre 2000
  16. L'Allemagne ne financera pas la construction de 2 sous-marins supplémentaires pour la Marine israélienne in Ha'Aretz [quotidien israélien] du vendredi 22 décembre 2000 [traduit de l'hébreu par le Service de presse de l'ambassade de France à Tel-Aviv]
  17. L'honneur discuté de la France par Jean Daniel in Le Nouvel Observateur du jeudi 21 décembre 2000
Livre

 
L'Europe et la Palestine : des Croisades à nos jours par Bichara Khader 
aux édition de L'Harmattan (Collection Comprendre le Moyen-Orient)
Paru en février 2000 - 578 pages - 230.00 FRF / 35.06 Euros - ISBN : 2738486096

Cet ouvrage est une contribution importante à la compréhension de la place de la Palestine dans les consciences et les stratégies des peuples et des Etats européens depuis les croisades à nos jours. C'est une fresque historique sur la longue durée, et c'est ce qui fait son originalité. Le professeur Bichara Khader tient à souligner qu'il ne cherche ni à projeter une vision moralisatrice sur l'Histoire, faite de récriminations et d'anathèmes, ni à faire une histoire-plaidoyer prodomo, ni, a fortiori, à reconstruire une histoire sur les décombres d'un rêve blessé. Il rappelle à l'Europe, à travers ce cheminement historique, son devoir de mémoire face au problème palestinien qu'elle a largement contribué à créer, en même temps, qu'il lance un appel à l'Union Européenne pour un rôle accru en Méditerranée, et particulièrement en Palestine, rompant avec la logique de puissance et fondé davantage sur la communauté de destin. Par l'étendue du champ historique qu'il couvre, par la richesse de la documentation, par la multiplicité des thèmes abordés, cet ouvrage est appelé à devenir un instrument de travail indispensable à tous ceux qui s'intéressent à la Politique Etrangère et de Sécurité Commune de l'Union Européenne et aux relations entre l'Union Européenne et la Palestine en construction. 
 
Réseau Palestine
 
Les constantes de la lutte palestinienne au cours du siècle par Jacques Gervet
 
A l'occasion de la journée d'information et de débat autour de la situation en Palestine, organisée le dimanche 17 décembre dernier par le Groupe Témoignage Chrétien de Marseille, Jacques Gervet (Chercheur au CNRS) a présenté au public, un bref rappel historique de la lutte palestinienne dans le siècle. Nous vous proposons ci-joint, le texte de son intervention.
 
En ce qui me concerne, je voudrais seulement, apporter quelques données sur les constantes de la lutte palestinienne au cours du siècle.
1 - Cette lutte, cette guerre a dès le début concerné les populations arabes de tout le Machrek en visant à le libérer des occupants étrangers, au nom d'une histoire commune, parfois glorieuse. Les couleurs palestiniennes actuelles ont été brandies au cours de la révolte de 1916, contre l'occupant, qui était alors turc. Cette révolte a abouti à une très brève "Grande Syrie", dirigée par l'émir Fayçal, et bientôt démantelée par les puissances coloniales. Le Blanc des Omeyyades de Damas, le Noir des Abbassides de Bagdad, le Vert des Fatimides du Caire et le Rouge des Hachémites du Hedjaz sont alors unis dans un même emblème. Après la chute de l'empire ottoman, c'est contre les occupants anglais et français que la lutte continue, puis progressivement contre le mouvement sioniste.
2 - Car ce désir d'une indépendance arabe, voire d'une communauté de destin arabe, s'est vite heurté au projet sioniste de construction d'une communauté, puis d'un Etat spécifiquement juif. Vers le début du siècle, les premières vagues d'immigration ne sont pas mal accueillies par les paysans palestiniens : ils voient dans les arrivants des alliés possibles, à la fois pour un développement économique et une émancipation politique ; mais les évènements montrent vite l'objectif réel de cette venue.
En 1905, des achats massifs de terres par le Fonds National Juif à des propriétaires absentéistes entraînent l'expulsion de 5000 métayers palestiniens. Une agitation se développe dans tout le pays accélérant la prise de conscience : cette immigration n'est pas seulement l'arrivée de nouveaux paysans, ni celle de pèlerins pieux désireux d'un retour à Jérusalem. C'est l'amorce de la création d'un Etat. Le projet se montre tel que l'exprime la formule de Théodore Herzl : une terre sans peuple pour un peuple sans terre. Le projet d'expulsion massive est déjà en germe.
A cette époque le projet sioniste est dirigé par un Fonds National Juif, qui recueille les subsides des juifs fortunés du monde entier ; et longtemps encore c'est ce fonds qui fait la loi. En 1920 le Fonds décide que toute entreprise financée par lui ne devra employer que des travailleurs juifs, et licencier les travailleurs arabes qu'elle aurait embauchés auparavant. C'est le mot d'ordre de "Travail juif" qui introduit un régime d'Apartheid, distinguant entre les travailleurs selon leur origine nationale. La même année est fondée l'Histadrout, le syndicat ouvrier unique, alors réservé aux travailleurs juifs. Des grandes grèves, en 1924, 1926  etc... montrent que la lutte des classes prend progressivement un aspect national.
La construction d'une société d'exclusion ne date donc pas d'hier, et c'est ce vice fondamental, ce principe fondateur qui est à l'origine de tous les malheurs qui se sont abattus depuis sur ce pays. À long terme, une paix juste et durable ne pourra y régner tant que n'y sera pas renoncé au projet sioniste, de rassembler en un même lieu les juifs du monde entier, en chassant les précédents occupants.
3 - Mais c'est lors de la guerre de fondation d'Israël que ce projet d'expulsion montre toute son ampleur ; en 1948, les bandes israéliennes, armée et milices supplétives réunies, parviennent à chasser 800 000 palestiniens, par la peur, par les dynamitages de villages... Cette expulsion a longtemps été niée par les media israéliens, mais les historiens contemporains confirment sa réalité. En 1948, la population arabe de Haïfa a en moins d'un mois été ramenée de 80 000 à 3 500 habitants, puis du 2 au 9 juillet les 3 500 qui restaient sont transférés par camions militaires et leurs maisons détruites. À Jaffa, les 80 000 Arabes sont ramenés à 5 000, à Saint-Jean d'Acre... plus de 90 % des habitants arabes sont chassés ou tués. À la fin de la guerre de 1948, la Galilée était "ethniquement purifiée". Les protestations de quelques israéliens sont alors noyées dans l'approbation implicite de la majorité de la population juive. Effrayé de ce prétendu succès, Aaron Zisling, Ministre de l'Agriculture israélien, prophétise pourtant "des centaines de milliers d'Arabes dépossédés... grandissent dans la haine et nous feront la guerre à travers tout le Moyen-Orient... Ils porteront dans leur poitrine le désir de revanche, d'indemnisation et de retour". Cinquante ans de guerre allaient montrer la justesse de sa prédiction, et tout indique aujourd'hui que ce n'est pas terminé !
4 - De fait ce n'était pas terminé et le Tableau que je vous montre indique les principales campagnes de guerre qui se sont déroulées jusqu'aux accords d'Oslo. Je ne vais pas vous les raconter ; plusieurs d'entre vous les connaissent sans doute mieux que moi. Je ne voulais que souligner la permanence d'une lutte, qui se traduit tous les cinq ou six ans par un affrontement majeur :
Tableau des guerres
A part une chronique des évènements, que faut-il en retenir ?
- a - Tout d'abord la résolution montrée par les Palestiniens. Ce tableau serait trompeur s'il pensait décrire la totalité des actes de résistance. Entre ces grandes campagnes, marquant des affrontements majeurs, et pour certains particulièrement sanglants, mainte attaque plus restreinte, maint mouvement de commando, maint passage clandestin d'un Palestinien rejoignant la terre occupée... montre la permanence de la résistance ;
-  b - Le second point est le lien entre colonisation et militarisation progressive de la société israélienne. Confronté à l'impossibilité de maîtriser la situation, à l'insécurité aussi qui en résulte pour ses propres citoyens, l'Etat ne voit de solution que dans une confrontation militaire, qu'il pense gagner sans problème par la force d'une armée sans cesse accrue. Il ne s'agit pas d'un détail occasionnel : en 1969 déjà, le général Dayan, un prédécesseur de Sharon, à un moment où Israël occupait tout le Sinaï, déclarait que le défi le plus pressant était la création de faits nouveaux sur la carte, car, disait-il, " nous ne devons pas laisser d'option ouverte aux arabes. Nous devons fonder des colonies. Nous devons rendre israélien Sharm el Sheikh, de manière qu'ils ne puissent plus jamais nous en chasser". Il énonçait alors une doctrine un peu plus tard reprise par Golda Meir : " Les frontières sont là où se trouvent les juifs, pas là où il y a une ligne sur une carte".
- c - Le troisième point est le caractère partial des grandes puissances, habituées à soutenir Israël dans les situations décisives. On dénonce aujourd'hui le caractère partial des Etats-Unis. Il ne faudrait pourtant pas oublier la campagne de Suez, qui vit Anglais et Français attaquer le régime égyptien aux côtés de l'armée israélienne. Il se peut que, poussée par l'évidence de la résistance palestinienne, l'Europe ait aujourd'hui une attitude moins négative ; ce précédent ne doit pourtant pas être oublié, comme signe d'une tendance  lourde avec laquelle il faut composer.
- d - Le quatrième point est le soulèvement de ceux que l'on a appelés les Arabes israéliens, c'est à dire les palestiniens auxquels est reconnue la nationalité israélienne. D'ordinaire oubliés par l'opinion internationale, ils se sont battus pour obtenir une véritable égalité civile, pour défendre leurs terres et pour obtenir la transformation d'Israël en un Etat binational. Leur liaison avec les luttes dans les territoires occupés les expose aujourd'hui à une répression brutale, qui contraste avec la mansuétude envers les plus extrémistes des colons juifs. Leur engagement sera une composante importante de la lutte finale.
- e - Le cinquième point est le fait que ce qui a finalement conduit Israël à négocier à Oslo puis à camp David, c'est le déroulement de l'Intifada à partir de 1987. Je ne veux pas ici examiner le bilan d'Oslo, qui a au moins conduit à la reconnaissance irréversible des Palestiniens comme ayant vocation à constituer un Etat. Mais ce que je retiens - et qu'apparemment les Palestiniens dans leur masse ont retenu aussi - c'est le caractère décisif d'une guerre populaire prolongée. La résolution des Palestiniens, et notamment celle des jeunes de l'Intifada, a montré clairement aux Israéliens qu'ils n'auront jamais la paix, tant que n'aura pas été reconnu un Etat palestinien viable , possédant tous les attributs de la souveraineté. Les dernières propositions de Barak montrent qu'on en est encore loin.
- f  - Enfin, le sixième point est quand même le trouble apporté dans la société israélienne et la naissance d'un relatif soutien de l'opinion internationale, encore insuffisant. Des militaires israéliens sont aujourd'hui objecteurs de conscience, ne voulant pas participer à la répression des Palestiniens ; des membres, largement minoritaires, de l'establishment politique israélien préconisent l'abandon des colonies implantées en terre palestinienne, l'Europe a reconnu l'an dernier la légitimité inconditionnelle d'un Etat palestinien et demandé l'arrêt du processus de colonisation... Il ne faut pas surestimer ces signes d'avancée : ils ne représentent pas une conversion progressive à la suite d'un examen de la situation, mais reflètent simplement la force de l'offensive que mènent aujourd'hui les palestiniens. Nous devrons pourtant chercher à les développer.
Gardons-nous d'être triomphalistes : cette guerre est difficile, atroce... et je ne redis pas les bombardements, les assassinats d'enfants, les bouclages économiques, les destructions de maisons, de cultures qui l'accompagnent.  Mais les palestiniens ont estimé n'avoir d'autre choix que de la mener jusqu'à la victoire ; et le prix qu'ils auront à payer pour cela sera d'autant plus faible que nous saurons mobiliser l'opinion internationale, à travers celle de nos hommes politiques, et celle-ci à travers celle de nos concitoyens. C'est pourquoi je ne trouve d'autre conclusion que celle de l'habitant de Bethléem que nous avons transcrite sur le texte d'appel à cette rencontre :
Nous sommes ici, avec notre soleil, notre ciel, notre terre, notre sol et nos pierres, et nous n'avons pas peur,
Mais ce qui nous fait peur, c'est le silence des peuples du monde sur ce qui nous arrive,
Merci, mes amis, d'être ici,
Merci de penser à nous de temps à autre, et de ne pas nous oublier dans vos prières quand le soleil se couche, quand tout le monde s'en va, quand ces mères n'ont plus que leur douleur, leur solitude et la mémoire de leurs enfants morts,
Merci mes amis de ne pas nous laisser sous une chape de silence,
Croyez- moi, mes amis, nous n'avons pas peur. Ne vous inquiétez pas, nous allons très bien.
 
Revue de presse

 
1. Libération du mardi 2 janvier 2001
"Israël au bord de la «guerre civile" par Alexandra Schwartzbrod
Après les attentats, les extrémistes juifs crient vengeance.
Jérusalem de notre correspondante
Entre attentats meurtriers et risques de guerre civile, Israël semble bel et bien au bord de l'embrasement. Alors qu'extrémistes juifs et palestiniens avaient multiplié les appels à la violence au fil de la journée, une voiture piégée explosait hier soir à une heure de grande affluence, près d'un arrêt de bus en plein centre de Netanya, une ville balnéaire située à trente kilomètres au nord de Tel-Aviv. «Les gens sont hystériques. Les fenêtres des boutiques ont volé en éclats. Il y a de la fumée partout...», rapportait un témoin quelques instants après le drame. Une vingtaine de personnes auraient été blessées, dont une sérieusement, qui pourrait être l'un des auteurs de l'attentat.
Les services du Premier ministre israélien ont aussitôt qualifié cet attentat d'«attaque terroriste», l'attribuant ainsi à mots couverts aux Palestiniens. Dans la soirée, l'armée israélienne a fermé l'aéroport international de Gaza. Ehud Barak a réuni le cabinet de sécurité à Jérusalem pour débattre d'une possible réplique. Jeudi dernier, une bombe avait déjà explosé dans un bus à Tel-Aviv, blessant une quinzaine de personnes.
«Eclaircissements». Cette nouvelle vague de violences intervient alors que le processus de paix est totalement enlisé. Le leader palestinien, Yasser Arafat, refuse de donner à l'administration américaine sortante une réponse à ses propositions de paix tant qu'il n'aura pas obtenu les «éclaircissements» demandés la semaine dernière. Les Etats-Unis, de leur côté, exigent d'abord d'Arafat qu'il considère ce plan comme une «base de travail». De retour d'un voyage à Tunis via le Caire, où il avait rencontré le chef de l'Etat égyptien, Hosni Moubarak, Arafat a dit s'attendre à une réponse des Etats-Unis «dans les prochaines vingt-quatre heures». Une façon de déplacer sur les épaules de Bill Clinton la pression qui pèse sur lui. Et cette fermeté semble payer. Après une longue conversation téléphonique dans la soirée, les deux hommes auraient évoqué la possibilité de se rencontrer à Washington «très bientôt», a déclaré un conseiller politique du dirigeant palestinien.
La marge de manœuvre de Yasser Arafat reste très étroite, ses troupes se montrant de plus en plus hostiles au moindre compromis avec les Israéliens. Hier, des milliers de Palestiniens ont manifesté en Cisjordanie pour l'anniversaire de la première opération du Fatah contre Israël. Quelque 3 000 partisans de ce mouvement d'Arafat, dont une cinquantaine d'hommes armés et masqués, ont défilé à Naplouse, brûlant un drapeau israélien et tirant en l'air en hommage à la «révolution palestinienne».
Les menaces les plus préoccupantes sont venus d'un dirigeant du Hamas récemment libéré de prison par l'Autorité palestinienne. Dans une interview publiée par le quotidien des Emirats arabes unis al-Khaleej, Abdel-Aziz el Rantissi a appelé hier les Palestiniens à passer de la guerre des pierres à la lutte armée. «Le Hamas a intensifié ses opérations et a mené des attaques à la bombe à distance pour protéger la vie de ses combattants, mais nous pourrions être contraints de recourir aux vieilles méthodes (les attentats suicides, ndlr) si c'est la seule façon d'infliger des pertes à l'ennemi, dit-il. L'Intifada va continuer encore longtemps et doit évoluer de la guerre des pierres à de véritables opérations militaires. S'il ne peut y avoir un équilibre de la puissance militaire, il faut qu'il y ait un équilibre de la dissuasion.» Hier, quatre Palestiniens ont encore été tués dans les territoires occupés: deux policiers, dont les corps ont été retrouvés mutilés et criblés de balles; un civil attaqué par des colons; et un enfant de 11 ans à Hébron.
«Situation explosive». Côté israélien, on se prépare de plus en plus à un échec des négociations. Le Premier ministre a estimé que, faute d'un accord, Israël devrait se préparer à une nouvelle vague d'attentats et à une rupture unilatérale avec les Palestiniens. Il a demandé à l'état-major des armées de se préparer à «une confrontation généralisée». C'est que, outre les affrontements israélo-palestiniens, le gouvernement Barak n'hésite plus à évoquer le risque d'une «guerre civile». Avec l'entrée des extrémistes juifs dans la bataille, les violences secouent à nouveau une société israélienne profondément divisée sur les négociations. «Nous sommes vraiment dans une situation explosive», a déclaré le ministre des Affaires étrangères, aussi ministre de l'Intérieur, Shlomo Ben Ami, en indiquant que la sécurité israélienne était en état d'alerte maximum. Au lendemain de l'assassinat, dimanche, du fils et de la belle-fille de l'extrémiste juif Meir Kahane, Ben Ami a appelé les rabbins et les hommes politiques de droite à empêcher leurs partisans de se venger: «Ils doivent demander à leurs troupes de s'arrêter avant qu'il ne soit trop tard, parce qu'elles sont en train de créer une situation de guerre civile.»
Risques. Trois scénarios catastrophe seraient aujourd'hui étudiés de près par les forces de sécurité intérieure israéliennes. Le premier est le bombardement de la mosquée d'al-Aqsa (il suffirait d'un missile lancé du mont des Oliviers). Le processus de paix serait alors un lointain souvenir et un embrasement de la région quasi assuré. «La police est déployée de façon optimum autour des Lieux saints pour éviter une telle catastrophe», a déclaré hier Ben Ami à la radio, montrant ainsi que ce risque était pris au sérieux.
Autre scénario envisagé, un massacre de Palestiniens à l'image de celui commis en 1994 par l'extrémiste juif Baruch Goldstein à Hébron. Le quotidien Maariv raconte ainsi comment, dimanche, après l'assassinat des époux Kahane, certains ont appelé à «imiter les actions du saint Baruch Goldstein». Dans une déclaration d'une rare violence, la sœur du fils Kahane assassiné a demandé de son côté que «chaque cheveu qui tombe d'une tête juive fasse tomber la tête d'un Arabe». Enfin, les risques d'une tentative d'assassinat du Premier ministre Ehud Barak ou de certains de ses ministres semblent réels. Selon de nombreux analystes, les incitations à la haine sont bien plus fortes encore qu'elles ne l'étaient à la veille de l'assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin par un extrémiste juif.
 
2. Le Monde du samedi 30 décembre 2000
Palestine, la révolte d´un peuple par Fayçal Husseini
NOMBREUX sont ceux qui demandent pourquoi s´est produite une nouvelle Intifada, ce soulèvement palestinien, à un moment précisément où tout le monde croyait que Palestiniens et Israéliens étaient tout près de parvenir à une paix durable. La question est légitime.
Le processus de négociation qui s´est amorcé avec l´accord d´Oslo en 1993 visait à instaurer la paix et la prospérité dans la région, mais, en réalité, les Palestiniens se trouvent aujourd´hui dans une situation économique et politique pire qu´avant le début du processus d´Oslo. Il faut revenir sur les racines véritables des toutes dernières tentatives conduites pour résoudre le conflit et concilier nos différences.
En 1988, le Conseil national palestinien (CNP) élu, alors réuni en exil, se prononçait pour l´existence de deux Etats s´appuyant sur les résolutions 242 et 338 des Nations unies, qui mettent en demeure Israël de restituer toutes les terres occupées lors de la guerre de 1967. Cette décision marquante reconnaissait non seulement le droit à l´existence d´Israël mais également son droit d´exister sur 78 % de la Palestine historique.
Le CNP acceptait qu´un Etat palestinien indépendant soit créé à Gaza et en Cisjordanie. Par ce fait, le peuple autochtone de Palestine assurait à Israël un Etat en paix à l´intérieur des frontières d´avant le 4 juin 1967. Cette décision ouvrait la voie aux pourparlers de Madrid, au cours desquels, de son côté, Israël acceptait (pour la première fois) les résolutions 242 et 338 des Nations unies, ainsi qu´aux discussions qui ont abouti à l´accord d´Oslo. Les deux parties approuvaient désormais l´application des résolutions de l´ONU et le principe de la terre contre la paix. Enfin – du moins le pensions-nous alors –, Israéliens et Palestiniens avaient une chance de transformer la physionomie de la région et de renoncer à la haine et au sang versé pour choisir la paix et la coopération.
Franchissons à présent rapidement les années jusqu´au début de l´an 2000. Les Palestiniens ne contrôlent partiellement que 40 % de la Cisjordanie et 70 % de Gaza, et cela dans certaines limites strictes, tandis qu´Israël continue de chicaner sur les termes d´un retrait provisoire. Entre-temps, notamment sous le gouvernement Barak, Israël a continué sa politique du fait accompli en accélérant la construction de colonies et la confiscation de terres (plus de 50 000 colons juifs se sont installés en Cisjordanie depuis Oslo) ; Jérusalem reste fermée à la majorité des Palestiniens, qui font, par ailleurs, l´objet de contrôles sévères lors de leurs déplacements d´une ville palestinienne à l´autre, et entre Gaza et la Cisjordanie. A l´évidence, Oslo a donné à Israël le temps de cimenter à proprement parler son occupation des territoires, qui devaient constituer l´Etat palestinien. En dépit de ces violations continues, les Palestiniens s´en sont tenus au processus de paix, essayant de s´accommoder des difficultés quotidiennes qu´il impliquait.
Quand l´administration Clinton a fait pression pour que nous participions au sommet de Camp David, nous l´avons avertie qu´aucune des deux parties n´était prête à une négociation sur le statut définitif. N´en étions-nous pas encore à tenter de faire respecter par Israël ses engagements provisoires antérieurs ? Les questions relatives au statut définitif, dont celles de Jérusalem et du droit au retour des réfugiés palestiniens, n´avaient pas été abordées depuis sept ans. Nous avons cependant accepté de participer, en raison notamment des assurances données par la secrétaire d´Etat Madeleine Albright au président Yasser Arafat que, quoi qu´il arrive à Camp David, la responsabilité d´un éventuel échec ne serait imputée à aucun des deux camps.
Le moment du sommet était mal choisi, et les propositions qui y furent présentées n´ont fait que confirmer nos soupçons. Les dirigeants palestiniens ont affronté à Camp David un Israël beaucoup plus fort, et nous avons découvert que les Etats-Unis, au lieu de se comporter en médiateur désintéressé, appuyaient les Israéliens pour obtenir de nous des concessions d´une ampleur telle qu´elles auraient été inacceptables pour le peuple palestinien. Concernant Jérusalem aussi, l´offre qui nous a été faite aurait été inacceptable pour le reste du monde arabe et islamique. Ainsi le sommet s´est-il soldé par un échec, et, quelques heures plus tard, malgré la promesse de Mme Albright, l´administration Clinton en rejetait publiquement la faute sur les Palestiniens.
Si les Israéliens ont prétendu que M. Barak était allé plus loin qu´aucun autre leader israélien, les propositions présentées par lui à Camp David n´offraient toujours pas les conditions minimales d´un Etat palestinien viable, pas plus qu´elles ne satisfaisaient nos droits sur Jérusalem-Est ou n´abordaient comme il convient le drame des réfugiés. Peut-être étaient-elles moins inacceptables que les précédentes propositions israéliennes, elles n´en restaient pas moins irrecevables.
Camp David, cependant, fit faire un grand pas aux deux parties, et beaucoup d´obstacles ont été levés. M. Barak, hélas, était si préoccupé de politique intérieure à son retour qu´il a commencé par prendre une série de mesures à courte vue dans le but de sauver son gouvernement. La plus tragique fut l´autorisation donnée à Ariel Sharon, avec lequel il espérait former un gouvernement de coalition, de se rendre sur l´esplanade des Mosquées, troisième lieu saint de l´islam.
Les Palestiniens ont, en cinquante-deux ans, appris à vivre avec l´injustice, et nous avons fait beaucoup de concessions dans la recherche de la paix. Mais notre dignité d´homme n´est pas négociable. Quand M. Sharon a cherché la provocation en marchant vers la mosquée Al-Aqsa en compagnie de quelque trois mille soldats israéliens en armes, le peuple palestinien – aussi bien chrétien que musulman – s´est senti au plus haut point trahi par M. Barak et par Israël. C´était plus que nous ne pouvions tolérer.
L´agitation qui a suivi a rapidement tourné à l´émeute, attisée par des années de frustration et d´humiliation. C´est la révolte d´un peuple, toutes conditions sociales confondues. L´occupation par Israël des territoires palestiniens est la dernière occupation militaire dans le monde. Or l´occupé exige simplement son droit à la liberté, à l´autodétermination et à la démocratie.
En Yougoslavie, la population s´est soulevée et a renversé son gouvernement afin de faire valoir ses droits : le monde entier l´en a félicité. Les Palestiniens se soulèvent contre une occupation militaire étrangère, et on condamne leur action. Les Etats-Unis et Israël exigent que les dirigeants palestiniens stoppent la violence et mettent un terme aux émeutes, comme s´il suffisait d´appuyer sur un bouton magique pour convaincre la population de rentrer chez elle et de tranquillement continuer à vivre sous l´occupation militaire.
L´utilisation par Israël d´une force brutale et démesurée est en train de déstabiliser la région tout entière. L´envoi de tanks, de missiles et des hélicoptères Apache de fabrication américaine contre des manifestants sans armes dans nos villes et nos villages terrorise et radicalise la population. Il faut que cesse la violence israélienne, que soit levé le siège de nos villages. Une force de paix internationale doit être constituée afin d´assurer la protection des droits élémentaires de l´homme et la mise en place de tout accord futur. Ainsi seulement sera créé un climat propice à l´application de la résolution 242 sans que le sang soit encore versé.
Une telle démarche nouvelle, si elle est claire pour les Palestiniens, nous donnera l´espoir qu´il existe une chance de progresser. Le processus de paix, tel que l´ont amorcé les pourparlers de Madrid en 1991, doit une fois de plus se substituer au processus de guerre, et la logique de la raison prendre le pas sur celle du pouvoir.
Fayçal Husseini est membre du comité exécutif de l´OLP, chargé des affaires de Jérusalem. (Traduit de l´anglais par Sylvette Gleize). © New York Times
 
3. Le Monde du vendredi 29 décembre 2000
"Un certain nombre de points restent trop vagues" explique Leïla Shahid propos recueillis par Mouna Naïm
Entretien avec Leïla Shahid, déléguée générale de la Palestine en France.
Mouna Naïm – Yasser Arafat a-t-il répondu aux idées proposées par le président Bill Clinton pour un accord de paix entre les Palestiniens et Israël ?
Leïla Shahid – Oui, il a envoyé la réponse, mercredi [27 décembre].
– Ces idées vous paraissent-elles satisfaisantes ?
– Il est évident qu'elles sont principalement puisées dans les propositions israéliennes, qui sont elles essentiellement motivées par le fait que Ehoud Barak n'a aucune chance de remporter les élections sans un accord de paix.
Sur chacun des dossiers, il n'y a pas beaucoup de différence avec ce qui a été proposé au sommet de Camp David. Il y a même, dans l'expression des propositions de M. Clinton, des choses qui sont moins précises que [ce qui a été débattu] à Camp David. A Camp David, il n'y pas eu de déclaration finale écrite, mais des discussions très poussées sur certains sujets, tel que celui des réfugiés. Le principe de base étant alors “un accord sur tout, ou rien”, nous n'avions rien rédigé, puisque nous ne nous étions finalement pas mis d'accord.
Ce qui est nouveau, c'est le fait que ces questions soient rédigées par M. Clinton, mais un certain nombre de points restent trop vagues. Or, dans la mesure où il va s'agir d'un accord visant à mettre fin au conflit de manière définitive, et que les Palestiniens doivent s'engager à ne plus avoir aucune revendication, il est évident qu'ils ne peuvent répondre avant d'avoir des éclaircissements sur un certain nombre de points. Ils ont également besoin de cartes géographiques très précises sur la répartition de la souveraineté, qu'il s'agisse de Jérusalem – puisque Israël garde toutes les colonies qui sont à l'intérieur du périmètre urbain de Jérusalem et autour de la ville – ou de la Cisjordanie.
On parle d'un retrait israélien de 95 % [de la Cisjordanie]. Nous voulons savoir 95 % de quoi exactement. On dit que 80 % des colonies resteront sous souveraineté israélienne et seront annexées à Israël. Nous voulons savoir très précisément lesquelles seront démantelées, pour ne pas avoir de surprise et pour mesurer ce que cela signifie par rapport à la continuité géographique du territoire qui devra devenir l'Etat palestinien. Dans l'aménagement territorial fait par les autorités israéliennes pour les années à venir, l'extension de la Jérusalem dite métropolitaine inclura 15 % de la Cisjordanie, c'est-à-dire toutes les nouvelles colonies que les Israéliens ont créées autour de la ville et qui seront incluses dans le périmètre urbain de ce qu'eux-mêmes appellent Jérusalem. Est-ce que les 95 % dont on parle excluent ces territoires ? Auquel cas il ne s'agira plus de la restitution par Israël de 95 % de la Cisjordanie mais de ce qui en restera une fois qu'on aura agrandi le périmètre urbain de Jérusalem.
– Et sur la question du retour des réfugiés ?
– Il est évident que personne ne cherche à modifier le caractère juif de l'Etat israélien. Mais de la même manière que nous avons dit que nous accepterons des citoyens israéliens juifs qui vivraient sous la souveraineté de l'Etat palestinien, nous demandons l'application du droit au retour [des Palestiniens] reconnu par la résolution 194 de l'Assemblée générale de l'ONU. Cela permettra à des citoyens palestiniens de retourner vivre en Israël, sous souveraineté israélienne, en tant que Palestiniens. Ce principe est très important. Il s'agit du fondement de la cause palestinienne, puisque la lutte du peuple palestinien a commencé longtemps avant l'occupation de la Cisjordanie et de Gaza en juin 1967. Sa raison principale était le droit au retour des réfugiés expulsés en 1948.
Il est évident que ce droit au retour ne pourra pas s'appliquer à tous les réfugiés. Il faudra donc discuter de son application, mais il est tout aussi évident que le principe doit être reconnu. C'est une vraie réconciliation historique qui doit se faire entre Israël et les Palestiniens.
Ce sont là les principales questions incluses dans la lettre adressée par le président Yasser Arafat à M. Clinton, et c'est à la lumière des réponses qui seront apportées que les négociations pourront avancer ou non et qu'un sommet avec M. Clinton pourra se tenir ou non. Le principe selon lequel c'est à prendre ou à laisser est un principe irréaliste lorsqu'il s'agit de mettre fin à cent ans de conflit.
Il serait inadmissible de laisser des zones d'ombre sur des questions qui, si elles ne sont pas réglées de manière très claire, avec des cartes géographiques très précises, constitueront une menace qui fera voler en éclats l'accord quelques mois après sa signature. Il ne s'agit pas d'être irrédentiste, mais d'avoir le sens des responsabilités par rapport aux populations palestinienne et israélienne, et de nommer les choses de manière précise, pour que les opinions publiques puissent s'exprimer lors d'un référendum du côté palestinien comme du côté israélien.
Il ne faut pas non plus être otage des échéances : la fin du mandat Clinton le 20 janvier et les élections israéliennes le 6 février. Ce qui est en jeu est beaucoup trop important pour ne pas régler sérieusement des questions fondamentales si nous voulons signer un accord qui mette fin au conflit. Lundi, les ministres des affaires étrangères des pays arabes se réuniront au Caire à la demande de la Palestine, qui tient à les informer des détails des propositions américaines. Ces pays sont eux aussi concernés, en particulier par la question des réfugiés et celle de Jérusalem, parce qu'ils en ont assumé avec nous la responsabilité depuis 1948 pour la première et depuis l'occupation de 1967 pour la seconde. »
 
4. Le Monde du jeudi 28 et vendredi 29 décembre 2000
Israël-Palestine : Camp David, une impossible négociation
par Sylvain Cypel 
Au terme d´une enquête auprès des principaux négociateurs, Sylvain Cypel raconte de l´intérieur ce qui s´est vraiment passé à Camp David entre le 11 et le 25 juillet. Récit d´un échec où se font jour la crainte des Israéliens de céder trop, l´exaspération des Palestiniens de n´être pas souverains.
 
PREMIERE PARTIE
Un fait, au moins, est communément admis, tant par les Israéliens, les Américains que les Palestiniens : ce sommet de Camp David (11-25 juillet), Yasser Arafat n´en voulait pas. Trop tôt, mal préparé, insistait-il. Le “ canal suédois ”– des rencontres secrètes, en mai, à Stockholm – n´avait pas abouti. Les suivantes, sur les bases américaines d´Andrews et Bolling, non plus. Les Israéliens avaient beau répéter depuis des mois que les discussions avançaient positivement, elles stagnaient. “ Pour avoir une chance sérieuse de signer un accord-cadre pour la paix à venir, un événement historique, dit Saeb Erakat, l´un des principaux négociateurs palestiniens, il fallait que le terrain soit déblayé, qu´il ne reste qu´aux deux chefs suprêmes, Ehoud Barak et Yasser Arafat, que trois ou quatre points, les plus épineux, à finaliser. On en était loin. ”
Un autre élément joue dans les réticences palestiniennes : l´extraordinaire méfiance qui s´est installée parmi eux à l´égard d´Ehoud Barak. “ Dès sa première rencontre avec Abou Amar [Yasser Arafat], raconte un ministre palestinien, Barak nous a dit : passons directement à la négociation finale. Donnons-nous quelques mois. Si on échoue, on reviendra aux pourparlers intérimaires. Nous nous sommes dit : cet homme est-il idiot ou nous prend-il pour des imbéciles ? Si la négociation finale échoue, lui-même ne voudra plus nous lâcher quoi que ce soit ! ”De fait, depuis son élection, le premier ministre israélien n´a plus “ lâché ” un centimètre de territoire. Il a même imposé de renégocier un accord déjà signé par son prédécesseur (Benyamin Nétanyahou), celui de Wye River, et poursuivi à rythme accéléré la colonisation en territoires palestiniens. Le “ troisième redéploiement ” prévu par l´accord d´Oslo (septembre 1993) et qu´attendait Arafat, qui lui aurait permis d´élargir son “ territoire libéré ” et aurait obligé Israël à démanteler certaines colonies, n´a pas eu lieu.
Enfin, un dernier élément reste en travers de la gorge des Palestiniens, démontrant à leurs yeux la “ mesquinerie ” d´Ehoud Barak tout au long de ses négociations. Certes, il a appliqué l´accord signé de Charm el-Cheikh (septembre 1999) sur les prisonniers politiques – des militants d´organisations qui soutiennent Arafat –, mais dans le sens le plus restrictif qui soit. On ne se comporte pas ainsi vis-à-vis d´un “ partenaire ” avec qui l´on dit vouloir faire la paix, déplorent les Palestiniens. Mais, au final, la “ méthode Barak ” a fini par prévaloir. L´Autorité palestinienne, comprenant qu´elle n´obtiendrait plus un pouce de territoire supplémentaire dans des accords intérimaires, a fini par se résoudre à ce qu´exigeait le premier ministre israélien : passer directement à la négociation sur le “ statut final ”.
Ancien négociateur palestinien, Ghassan Al Khatib résume la période qui va d´Oslo (13 septembre 1993) à Camp David par une histoire de Bernard Shaw. Lors d´un cocktail, un homme dit à une jeune femme : “ Acceptez de faire l´amour avec moi, je vous donnerai beaucoup d´argent. ” La femme réfléchit et finit par dire : “ D´accord. Combien me donnerez-vous ? ” “ Dix livres. ” “ Vous me prenez pour une prostituée ! ”,s´insurge-t-elle. “ Ce fait, Madame, est acquis. Vous avez dit oui, maintenant nous parlons business. ”A Oslo, les Palestiniens avaient cru comprendre qu´ils recevraient “ beaucoup ”, au cours des négociations. Sept ans après, ils n´ont quasiment rien obtenu : 70 % de la bande de Gaza, coupée en deux par l´armée israélienne au profit des colons juifs, et 13,5 % de territoires éparpillés en confettis en Cisjordanie. Echaudés, ils ont décidé d´être fermes sur les principes avant de “ faire l´amour ” dans un accord de paix final.
A l´inverse, c´est à cause du blocage des pourparlers qu´Ehoud Barak, mal en point sur le plan intérieur, veut absolument un sommet, et tout de suite. Dès la fin des négociations avortées de Stockholm (22 mai), il n´a de cesse d´appeler Bill Clinton. Il joint plusieurs fois Jacques Chirac et le Portugais Antonio Guterres, président en exercice de l´Union européenne, pour les convaincre qu´Israéliens et Palestiniens sont près d´aboutir. “ Les Israéliens, dit un responsable du Conseil national de sécurité américain, ont tendance à surinterpréter les ouvertures qu´ils croient percevoir chez leurs interlocuteurs. ” Bill Clinton, indique un autre haut responsable américain au département d´Etat, “ va résister un mois à la demande de Barak ”. Trois éléments finissent par convaincre le président américain : d´abord, les deux parties lui ont assuré souhaiter un accord avant la fin de son mandat ; ensuite, la crainte de voir le numéro un israélien être renversé au Parlement par la droite nationaliste (une perspective qui, pense-t-il, devrait aussi effrayer les Palestiniens) ; enfin, les informations qui indiquent que, en Palestine, la frustration populaire monte dangereusement. L´armée israélienne procède d´ailleurs à des exercices en prévision d´un éventuel soulèvement dans les territoires.
Le 3 juillet, à Ramallah, Yasser Arafat répète à la secrétaire d´Etat américaine Madeleine Albright qu´un sommet sans issue serait une catastrophe pour la région. Mais Bill Clinton est persuadé que si les parties ont la volonté d´aboutir, tout n´est qu´une question de détermination. Et le président américain est un homme très obstiné. Sa conviction : Israël devra abandonner en grande partie une terre revendiquée depuis des millénaires par le peuple juif ; les Palestiniens devront, eux, accepter une certaine férule permanente d´Israël. Le 4 juillet, le président américain annonce donc à Abou Amar qu´il convoque le sommet pour le 11. “ Barak, indique-t-il, a de nouvelles propositions. ” Il ajoute que “ rien ne sera imposé aux Palestiniens à l´encontre de leurs aspirations ”. “ On ne pouvait pas répondre non à l´homme qui, en 1998, avait reconnu devant le Conseil national palestinien le droit de notre peuple à l´autodétermination ”, dit un membre de la délégation palestinienne.
Les premiers négociateurs arrivent à Washington entre le 6 et le 8 juillet. Le 11, les délégations sont au grand complet à Camp David. Loin des regards, le lieu est immense et bucolique, en pleines montagnes de Catoctin, au Maryland. De multiples chemins sont propices aux promenades discrètes. La nourriture est fine, même si fort peu orientale (le chef est espagnol). Les participants sont répartis dans des chalets, confortables mais sans ostentation, aux noms champêtres. Certains Israéliens notent avec une pointe de dépit qu´ils sont le plus souvent à deux par chambre, alors que la plupart de leurs homologues palestiniens disposent de chambres individuelles. Piscine, gymnase, golf, tennis sont à disposition. Des voiturettes de golf permettent de se déplacer (en nombre moins important que celui des participants, elles feront la convoitise des délégués israéliens dont certains “ chiperont ” les clefs pour les garder). Yasser Arafat est logé au Birch (Bouleau). Ehoud Barak, non loin, au Dogwood (Cornouiller). Il dispose de deux terrasses séparées. Un élément important pour un homme qui a le goût du secret et aime rencontrer ses collaborateurs individuellement. Il tiendra parfois deux réunions concomitantes avec deux d´entre eux, une sur chaque terrasse. La plupart des réunions auront lieu au chalet Holly (Houx), ou dans les salles attenantes au restaurant du Laurel (Laurier).
Ce soir-là, Bill Clinton prononce sa première allocution. Sont là, côté américain, en particulier Madeleine Albright, Sandy Berger, qui dirige le Conseil national de sécurité (NSC), George Tenet, directeur de la CIA, Dennis Ross, le “ coordinateur ” pour le Proche-Orient, ainsi que divers conseillers, tels Aaron Miller (adjoint de Ross), Rob Malley et Bruce Riedel de la NSC. Côté israélien, entourent Barak ses deux principaux collaborateurs, Gilad Sher et Dany Yatom (ex-chef du Mossad, service secret extérieur), les ministres Shlomo Ben Ami et Amnon Lipkin-Shahak, Shlomo Yanaï (chef de la planification de l´armée), Ysraël Hasson (ex-numéro deux du Shabak, service de sécurité intérieur), Eliakim Rubinstein (conseiller juridique du gouvernement), Gidi Grinstein, un jeune juriste, et Yossi Ginossar, l´homme des missions secrètes, “ invité spécial ” du président Clinton. Dan Meridor, un ancien ministre du Likoud, et Oded Eran, qui a participé à de nombreuses négociations, les rejoindront plus tard. Accompagnent, entre autres, Yasser Arafat : Abou Mazen, Abou Alaa, Mohamad Dahlan (l´homme de la sécurité), Mohamed Rachid (conseiller financier), les ministres Nabil Shaath, Hassan Asfour et Yasser Abed Rabo, le conseiller Akkram Hanniyyé. Tous, hormis Barak et Arafat, ont reçu un badge avec leur photo, leur nom, et l´inscription “ délégué ”. Yasser Arafat est en tenue militaire et keffieh, qu´il ne quittera pas quinze jours durant. Décontracté, Bill Clinton leur souhaite bonne chance, propose que les commissions de travail – territoires et sécurité, Jérusalem, réfugiés – se réunissent vite. Il évoque la promesse d´une très importante aide financière internationale s´ils aboutissent.
La tension est surtout palpable dès l´abord chez les Palestiniens. Ceux-ci constatent l´absence, côté israélien, de Shimon Pérès, Yossi Beilin et Ouri Savir, les trois architectes des accords d´Oslo. Ils savent qu´Ehoud Barak souhaite un accord-cadre (environ vingt pages) qui fixera les grandes lignes de la paix, lesquelles devront être ensuite discutées en détail. Or le diable, pour eux, se loge précisément dans les détails, qui, depuis sept ans, reportent ad libidum l´application d´accords précédemment signés.
Enfin, même s´ils ne l´avoueront jamais publiquement, par crainte d´être taxés d´antisémitisme, beaucoup (pas tous) ne font pas confiance à l´entourage de Bill Clinton, ce baptiste nourri de culture biblique. Un entourage essentiellement composé de juifs américains, à commencer par Dennis Ross, qui ne cache pas la force de l´affect qui le lie à Israël. Les Israéliens, eux, craignent que “ Yasser Arafat, comme d´habitude, nous fasse danser devant lui sans s´engager ”.
Les premières réunions des commissions, le 14, confirment les Israéliens dans leurs appréhensions. Les Palestiniens les exaspèrent avec d´interminables déclarations de principes. “ Arafat attend pour dévoiler ses cartes ”, pensent les Américains, qui s´en formalisent moins. Ils ont tort. Si les Palestiniens rappellent aussi fermement les “ principes ”, c´est qu´ils ont du se plier à la “ méthodologie ” imposée par Ehoud Barak et acceptée par Bill Clinton. Le chef du gouvernement israélien propose d´avancer, parallèlement, dans chaque commission, pour fixer progressivement un niveau de “ compromis ” acceptable et voir si l´accumulation des compromis sujet par sujet permet de signer la paix. Les Palestiniens ont, vainement, exigé une procédure inverse : puisqu´il s´agira d´un accord historique, fixons-en les principes, puis voyons comment les appliquer cas par cas. La base de ces principes ne peut être que les résolutions 242 et 338 de l´ONU, sur lesquelles est explicitement fondé l´accord d´Oslo, et qui fixent “ l´inadmissibilité de l´acquisition de territoires par la guerre ”, “ le retrait des forces armées israéliennes des (ou de, selon la version britannique) territoires occupés ” et l´illégalité de toutes les colonies construites depuis trente-trois ans dans les territoires occupés, Jérusalem-Est incluse.
La différence entre les deux “ méthodes ” est évidente. Pour Israël, les deux partenaires doivent trouver un point d´équilibre sur chaque sujet. Accepter la logique palestinienne les obligerait à concéder tous les territoires à leurs adversaires en préambule, avant de négocier des concessions de leur part pour en garder une partie et certaines colonies. Donnant-donnant entre deux partenaires qui doivent avoir un intérêt mutuel à la paix, disent les premiers. Un occupant dans l´illégalité et un occupé, disent les seconds. “ Depuis deux ans, insiste un négociateur israélien, la méthodologie pourrissait les négociations. Chacun a son interprétation du droit et de l´histoire, cela ne mène à rien. Plus les Palestiniens évoquaient les principes, plus notre méfiance grandissait ”. “ La 242 est la base des négociations, ajoute un autre, mais nous n´acceptons pas sa réalisation. ” Les Palestiniens, eux, s´inquiètent de phrases israéliennes tenues dans des conversations privées, comme “ Oslo est loin, il faut regarder devant, pas derrière ”. Et quand, au tout début, Bill Clinton a une expression malheureuse, évoquant les “ territoires en dispute ” (“ disputed things ; disputed territories ”), ils sentent le piège : “ Occupés, Monsieur le Président, ces territoires sont occupés aux yeux du droit international. ” Le président américain n´y reviendra plus, qui cherche à faire avancer des discussions “ pragmatiques, en pyramides ” sur chaque thème.
La “ méthode ” adoptée ne permet pas aux Palestiniens de s´en tenir aux déclarations d´intention. Dès le 15, Bill Clinton prend un premier coup de sang. Venu à la commissions sur les territoires, il s´emporte contre le négociateur palestinien Abou Alaa. Les Israéliens ont présenté une carte. Hors le maintien sous leur souveraineté sur le Grand Jérusalem, ils “ restituent ” aux Palestiniens 84 % de leurs territoires. C´était donc cela, les “ nouvelles propositions de Barak ? ” Elles avaient déjà été présentées, deux mois avant, à des négociations à Eilat. Abou Alaa refuse d´en discuter. “ Ce n´est pas une manière de négocier, vous ne faites aucune contre-proposition ”, lance Clinton, qui quitte la salle. Abou Alaa est blême. Désormais, dans chaque commission, cartes et textes vont être réellement échangés.
Dans la commission Territoires et sécurité (qui inclut aussi frontières et colonies – Ben Ami d´un côté, avec une fréquente présence de Gilad Sher, Abou Alaa en face), les Israéliens “ offrent ” vite aux Palestiniens 89 % de leur territoire hors Jérusalem (76 % immédiatement et 13 % “ graduellement ”), contre l´annexion de 11 % des terres à Israël, là se trouvent trois grands blocs de colonies. Leur proposition prévoit de couper la Cisjordanie en trois morceaux, avec des passages routiers entre eux (“ protégés ” mais sous souveraineté israélienne), sans accès palestinien au Jourdain. “ Trois bantoustans ”, rétorquent les Palestiniens. Leur carte propose de “ laisser ” à Israël 2 % de leur propre territoire et de recevoir en échange 2 % de territoire israélien, près de Gaza et Bethléem. Les Israéliens acceptent le principe du “ swap ”, mais ne “ lâchent ” que 1 %, près de Gaza.
La commission Réfugiés sera la plus intense d´un point de vue émotionnel, et la plus étrange. C´est la seule qui traite de questions remontant à la guerre de 1948 – et non à la guerre de juin 1967 – c´est-à-dire à la source du contentieux israélo-palestinien. L´Autorité a envoyé ses deux représentants supposés les plus accommodants (Abou Mazen et Nabil Shaath), flanqués de deux “ durs ” (Abed Rabo et Hanniyyé). Les Israéliens ont fait l´inverse. Leurs deux négociateurs sont Eliakim Rubinstein et Dan Meridor, les moins enclins aux concessions sur tous les plans, accompagnés du juriste Gidi Grinstein et bientôt d´Oded Eran. Très vite, les trois autres Palestiniens abandonnent Nabil Shaath à son sort. Ils craignent d´être impliqués dans un accord “ indigne ” sur la question qui sera la plus lourde à assumer vis-à-vis de leur peuple. Shaath, lui, assume, d´autant plus facilement que les Israéliens se réfugient dans un déni total.
Les Palestiniens fondent leur revendication sur la résolution 194 de l´ONU : “ L´Assemblée générale décide qu´il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers (…) et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées [par Israël] à ceux qui décident de ne pas rentrer ”. Les Israéliens avancent que ce n´est pas un hasard si l´accord d´Oslo ne fait pas référence à la résolution 194, qu´ils n´ont d´ailleurs jamais reconnue. “ Oh que si ! ”, rétorque Shaath. “ Vous avez dû la reconnaître pour être admis à l´ONU et Oslo se fonde sur la 242, qui prévoit un juste règlement du problème des réfugiés. ” Les Israéliens prétendent n´avoir “ aucune idée ” des biens et avoirs perdus par les Palestiniens. “ Pas grave, répond Shaath, nous les avons pour vous. ”Et de ressortir les données fournies de 1947 à 1961 par le conservateur israélien des biens des absents à la commission de conciliation de l´ONU pour la Palestine (UNCCP), et la liste des 400 villages rasés par Israël de 1949 à 1953, avec les terres attenantes, le nombre des maisons des habitants des bourgs de Ramleh, Lyddah (aujourd´hui Lod) et Majdal (Ashkelon) où les Israéliens ont organisé l´expulsion des habitants en 1948 et 1950.
Ce qui suscite le plus la fureur des Israéliens, ce n´est pas tant la masse des documents amenés par leurs interlocuteurs, c´est la volonté, qu´ils croient déceler chez les Palestiniens, d´établir un parallèle entre l´indemnisation par l´Allemagne des victimes juives de la Shoah et leur propre drame. Effectivement, un Palestinien dira sous forme de boutade au président Clinton, dans une conversation privée : “ Pour mieux négocier, vous devriez nous prêter Stuart Eisenstadt ” (le secrétaire au commerce américain, qui a efficacement négocié avec les institutions et les banques allemandes, autrichiennes et suisses la restitution ou l´indemnisation des biens juifs en déshérence). Les Palestiniens se défendent de toute analogie, mais sont ulcérés par le déni systématique des Israéliens, qui récusent toute responsabilité essentielle dans la création du problème des réfugiés.
Au final, les positions vont peu évoluer. Jusqu´au bout, les Israéliens refusent l´inscription de toute référence à leur “ responsabilité ” dans le drame des réfugiés. Le “ droit au retour ” des réfugiés en Israël est également récusé. L´Etat juif accepte la rentrée de quelques-uns (10 000 à 30 000, sur 4 millions de réfugiés) “ pour raisons humanitaires ”, sur dix ans. Les autres seront indemnisés par un Fonds international, dans lequel Israël n´aura qu´une participation réduite. Les juifs partis des pays arabes doivent aussi bénéficier de ce fond (ce point est l´un des rares à être jugé par les Américains “ provocateur ”).
Pour les Palestiniens, les réfugiés doivent se voir offrir quatre choix : le retour en Israël, celui dans la future Palestine, rester où ils sont et être aidés pour leur “ réinsertion ”, pouvoir émigrer dans des pays d´accueil. Ils exigent que l´organisme israélien nommé conservateur des biens des absents soit chargé des indemnisations, et peu importe comment il se procure l´argent, le Fonds international ne servant qu´à aider la réinsertion ou l´émigration de ceux qui n´optent pas pour le retour. Pourtant, chacun va faire une concession de taille : les Israéliens finissent par écrire (à la main) que leur document se fonde “ sur la résolution 194 ”de l´ONU. Les Palestiniens, eux, vont accepter l´exigence israélienne : tout revenant dans l´Etat juif devra accepter de devenir israélien. L´idée, évidente, est qu´un nombre infime de réfugiés souhaiteront le faire. Cette “ avancée ” ne parviendra pas à rassurer les Israéliens. Pour eux, en exigeant le droit au retour, Arafat vise à maintenir une “ tumeur ” permanente au sein d´Israël, qui empêchera la paix pour des dizaines d´années.
Entre Saeb Erakat et Gilad Sher se joue, dans la commission Jérusalem, une partie exceptionnellement difficile. Depuis leur conquête de la ville arabe, en 1967, les Israéliens ont élargi par vingt les limites municipales de Jérusalem-Est, y intégrant une quinzaine de villages et expropriant des propriétaires palestiniens sur 4 000 hectares pour y construire de nouveaux quartiers juifs. Rapidement, ils acceptent de “ restituer ” à l´Autorité palestinienne certains de ces villages, considérés par eux comme faisant partie du Grand Jérusalem. Rattachés à la bourgade d´Abou Dis, les Palestiniens pourraient y installer leur capitale et l´appeler Al Qods. Mais Israël refuse une quelconque souveraineté palestinienne en Vieille Ville (où se trouvent des lieux saints musulmans, juifs et chrétiens) et alentour, dans le Jérusalem-Est originel. Bref, disent les Palestiniens, on discute de Paris occupé et l´on nous répond : on vous rend Créteil, vous n´avez qu´à l´appeler Paris… Enumérer les diverses variantes proposées ensuite par Israël serait fastidieux. Toutes maintiennent une souveraineté exclusive israélienne sur la ville arabe originelle et la Vieille Ville, dont un quart est désormais habitée par des juifs.
Lorsque, à un moment, Israël accepte d´envisager une “ gestion autonome ” palestinienne en Vieille Ville mais propose de récupérer alors certains quartiers de Jérusalem-Est que Gilad Sher avait, dans une autre formule, accepté d´abandonner, Saeb Erakat éructe : “ Nous ne sommes pas au souk, ici. ” Les Palestiniens sont exaspérés. Avec les Israéliens, dit un de leurs négociateurs, “ c´est toujours donnant-donnant. Vous voulez ça ? D´accord, mais on vous reprend ça. On devenait dingues. ” Les Israéliens, eux, ne comprennent pas. Si les Palestiniens veulent réellement un accord, eux aussi doivent “ lâcher ” quelque chose à chaque étape de la négociation. Seule l´intervention énergique, en deuxième semaine, du président Clinton, qui va multiplier les “ propositions créatives ”, débloquera la dicussion.
La sous-commission sécurité (le général Yanaï pour Israël, Mohamed Dahlan côté palestinien), enfin, est celle qui progresse le mieux. Les Israéliens acceptent une proposition américaine : leur présence ne sera maintenue que sur un tiers de la rive du Jourdain, et une police palestinienne occupera les deux autres tiers. Les Palestiniens acceptent de réfléchir au maintien de trois stations d´alerte radar israéliennes chez eux. Le maintien de cinq “ bases d´intendance utilisables en cas d´urgence ” semble plus problématique. La démilitarisation de l´Etat palestinien est examinée. Mais la volonté israélienne de contrôler toute marchandise entrant en Palestine est jugée inconcevable. C´est à nous à le faire, rétorquent les Palestiniens, pour qui, décidément, les Israéliens n´envisagent pour eux rien d´autre qu´un Etat-croupion, pas un Etat souverain.
Cependant, les trois parties admettent que, si un accord global était intervenu, les arrangements sécuritaires auraient ensuite été les plus faciles à finaliser. Pourtant, cette commission symbolise la paralysie qui s´impose aux négociateurs, dont Bill Clinton va prendre conscience. Tous les dossiers sont liés, et rien, dans aucune commission, n´est jamais finalisé. La“ règle du jeu ”des négociations parallèles par thématiques empêche tout progrès. Cette règle dit que “ rien n´est acquis tant que tout n´est pas acquis ”. Ainsi, toute proposition peut être retirée par chaque partie si l´accord global n´est pas signé. “ J´admets que cette logique est problématique ”, reconnaît aujourd´hui un négociateur israélien. En effet, dans ces conditions, personne n´est disposé à montrer ses atouts à l´autre, de peur qu´ensuite il les utilise après un éventuel échec. Chacun avance donc à reculons. “ On n´est jamais parvenu à savoir quelle était la limite des concessions que Barak était prêt à faire, ni celle des entorses au droit qu´acceptaient les Palestiniens ”, dit un intermédiaire américain. “ Chaque camp négociait avec en tête l´idée de l´échec et de ce qu´il dirait alors aux siens pour se justifier. ”
Bill Clinton a compris qu´il s´agit là d´un jeu à somme nulle. Le 16 au soir, il voit successivement Yasser Arafat puis Ehoud Barak. Il leur propose de désigner deux représentants chacun. Isolés, à quatre, sans interférence américaine, leur mission consistera à rédiger un projet d´accord-cadre. Les Palestiniens sont relativement satisfaits. On va enfin commencer par parler de l´essentiel, des principes devant présider à la paix annoncée. Yasser Arafat nomme Saeb Erakat, le plus au fait de l´ensemble des dossiers, et Mohamed Dahlan, l´homme de la sécurité et des contacts avec la CIA, qui jouit d´une confiance relativement supérieure aux autres Palestiniens parmi les Israéliens. Barak, lui, opte pour Gilad Sher, son directeur de cabinet et homme de confiance, et pour Shlomo Ben Ami.
Dans les deux camps, la journée du 17 se passe à concocter les grandes lignes d´un accord-cadre. Chez les Palestiniens, la règle est vite fixée : encore et toujours le respect du droit international. Si cet élément cardinal est acquis, ils peuvent accepter des aménagements pour le maintien de blocs de colonies en Cisjordanie (sur plus de 2 % du territoire, peut-être 4 % ou 5 %). Ils proposeront aussi la souveraineté à Jérusalem-Est selon la règle “ là où la population est arabe, c´est aux Palestiniens, là où elle est juive, aux Israéliens ”. La reconnaissance par Israël de sa responsabilité dans l´expulsion des Palestiniens en 1948 et le droit au retour des réfugiés sont jugés impératifs pour envisager des modalités d´application garantissant aux Israéliens le retour le plus limité possible de réfugiés dans leur Etat.
Barak, lui, a convoqué sa délégation au grand complet dans son chalet. La réunion va durer cinq heures. La question des réfugiés est vite réglée : pas question de discuter tant que les Palestiniens exigent le droit au retour. La sécurité ne fait pas l´objet de grands débats pour la raison inverse : les négociations sont relativement satisfaisantes. Restent les frontières et Jérusalem. Déchirante, la discussion, très vite, se focalise sur le second sujet : “ Jérusalem, capitale éternelle et indivisible d´Israël. ”Dan Méridor et Eliakim Rubinstein rejettent tout abandon de cet axiome, martelé sans cesse par Israël depuis la conquête de la ville arabe, en 1967. Gilad Sher, Amnon Shahak et Shlomo Ben Ami proposent de rechercher divers régimes de “ souveraineté palestinienne ” sur certains lieux, mais inférieure à la souveraineté israélienne, et la restitution de certains villages palestiniens périphériques du Grand Jérusalem (tous trois insistent sur le “ danger démographique ” que représentent les 230 000 Palestiniens de Jérusalem-Est). Israël Hasson, l´homme des services de sécurité, préfère l´octroi d´un “ statut spécial ” pour toute la Vieille Ville, avec une présence éventuelle de policiers palestiniens en certains endroits (comme l´esplanade des Mosquées). De souveraineté palestinienne réelle, point. Yossi Guinossar intervient alors. Il est, de tous les présents, celui qui connaît le mieux les Palestiniens. Il déclare, en substance : nous décidons ce que nous voulons, mais sachez que sans souveraineté palestinienne en Vieille Ville, il n´y aura pas d´accord.
Jusque-là, Ehoud Barak a écouté. Lui est très sensible à l´argument “ démographique ”. Il interdit à ses négociateurs tout renoncement au mont du Temple - esplanade des Mosquées et privilégie l´option de la gestion municipale aux Palestiniens dans les villages périphériques du Grand Jérusalem, maintenus sous souveraineté israélienne. Option de repli : “ lâcher ” ces villages, mais alors procéder à un échange de territoires permettant d´intégrer de grosses colonies (Givat Zeev, Maaléh Edoumim) au Grand Jérusalem. Dès lors, un nouveau concept apparaît du côté israélien : le ZOJ, ou Zone of Jerusalem, une “ zone ” deux fois plus grande que le Grand Jérusalem. Dernière directive de Barak : tout texte d´accord-cadre devra inclure les termes “ fin du conflit ”, les Palestiniens renonçant à toute revendication ultérieure. Le final du sommet de Camp David peut commencer.
 
SECONDE PARTIE
Au sixième jour du sommet de Camp David, les négociations bloquées, Bill Clinton change les règles. Fini les pourparlers parallèles en commissions. Chaque camp doit désigner deux négociateurs pour rédiger un projet d’accord-cadre (Le Monde du 28 décembre). Les quatre – les Israéliens Sher et Ben Ami, les Palestiniens Dahlan et Erakat – se retrouvent le 17 juillet à 0h30 dans une salle du pavillon Laurel. Le président américain, auparavant, a proposé de réduire l’annexion israélienne des territoires occupés de 11% à 9%. « On partait en mission historique », dit un Israélien, qui a amené une magnifique carte aérienne de la Vieille Ville de Jérusalem, au 1/2000, où apparaissent, en bleu, les maisons habitées par des juifs.
La question des réfugiés est mise de côté. On y reviendra si l’on aboutit sur le reste. On n’aboutit à rien. Des heures durant, les quatre tentent de rédiger le préambule d’un texte commun. Au bout de douze heures, l’échec est patent. « Comment Arafat peut-il “vendre” à son peuple ce que vous proposez? Comment y survivrait-il? Vous non plus n’êtes pas prêts à la paix », lance un Palestinien aux Israéliens. « Là, on a senti que leur discours n’est que de la rhétorique, ajoute-t-il. Pour en finir avec un conflit de cent ans, il faut avoir le sens de l’Histoire, pas une mentalité de marchand de tapis dans un perpétuel rapport de forces. » Verdict d’un Israélien: « Cette nuit-là, on a compris qu’il n’y avait pas avec qui parler, ni sur les principes ni en pratique. »
Pourtant, pour la première fois, les deux camps ont discuté globalement des problèmes. Ehoud Barak prend conscience que « Arafat ne sera pas le premier leader arabe à lâcher Jérusalem »; que, sur l’esplanade des Mosquées (le Haram al-Sharif, où se trouve la mosquée sainte Al-Aqsa et sous lequel sont situés les ruines du Temple hébraïque), il ne représente pas que l’OLP, mais le monde arabo-musulman. De leur côté, les Palestiniens sont stupéfaits de l’importance accordée par Israël aux vestiges du mont du Temple. « On voulait exclure les questions religieuses pour ne parler que de territoires, sinon, c’était la porte ouverte à tous les débordements. » Et voilà que le mont du Temple devient le cœur du conflit!
Bill Clinton va, dès lors, chercher des « solutions créatives ». Offrir par exemple une « forme de souveraineté » sur les quartiers dits musulman et chrétien de la Vieille Ville aux Palestiniens, la souveraineté sur le mont du Temple restant à Israël. Est-ce une « base de négociation »? Barak dit oui du bout des lèvres. Arafat refuse. Il estime la concession palestinienne – laisser le quartier juif et le mur des Lamentations à Israël – la plus aboutie possible. Clinton s’emporte contre le chef palestinien. « Vous persistez dans votre obstruction! » Yasser Arafat : « Monsieur le président, les Égyptiens se sont montrés inflexibles sur un kilomètre de désert [pour signer la paix avec Israël]. Et moi, il faudrait que je renonce à Jérusalem! » Saeb Erakat apporte une réponse écrite: non, la proposition Clinton ne constitue pas une « base » de discussion. « Alors, répond l’Américain Bruce Riedel, c’est fini. »
Pour les Israéliens aussi, c’est fini. Le 19, Clinton tente de convaincre l’Egyptien Hosni Moubarak, le Saoudien Abdallah et le roi de Jordanie de persuader Arafat de transiger. Sans succès. Barak lui envoie alors une lettre –« Arafat n’est pas disposé à accepter une décision historique et ne négocie pas en toute bonne foi. » – puis ordonne à ses ouailles de plier bagage. Le président américain doit bientôt s’envoler vers Okinawa, pour une réunion du G7. Il propose que les deux dirigeants repartent, laissant les commissions négocier. Arafat ne dit pas non. Barak refuse. A 23 heures, le porte-parole de la Maison Blanche, Joe Lockhart, annonce : « Camp David s’est terminé sans accord. » Mais, à minuit, Clinton est de nouveau chez Barak. Ce dernier se laisse enfin infléchir. Il ne sera pas celui qui aura fait échouer le sommet. Déjà pointe ce qui va devenir son obsession : démontrer qu’à Camp David, la bonne volonté n’a été qu’israélienne. Un sentiment partagé par les Américains. « Les Palestiniens, juge l’un d’eux, n’ont jamais fait de proposition positive. Par exemple, ils ne voulaient pas échanger 9% de territoires pour n’en récupérer que 1%. Ils ont dit “copie refusée” sans faire une contre-proposition. »
Certains Palestiniens développeront ensuite l’idée qu’à Camp David, Israéliens et Américains se coordonnaient pour les faire « capituler », Ehoud Barak négociant par Bill Clinton interposé. « C’est bien mal connaître Barak que d’imaginer que l’on peut négocier à sa place », dit un haut responsable du département d’Etat.
L’explication est plus prosaïque. Américains et Israéliens sont profondément « en phase ». Ils partagent une même conception « pragmatique » d’une négociation « donnant-donnant », et la même vision – quelquefois, la même ignorance – des Palestiniens. Ces derniers ont parfois été stupéfiés par leurs interlocuteurs. Lorsque Yasser Arafat dit à Bill Clinton qu’il ne peut transiger sur Al-Aqsa, qu’il est président de la Conférence islamique, ce dernier lui demande de lui « expliquer ce qu’est précisément la Conférence islamique »... «S’il y avait un tremblement de terre, pourquoi seriez-vous autorisés à reconstruire Al-Aqsa alors que nous ne pouvons reconstruire notre Temple? », leur demandera un Israélien. Un autre proposera, si le Haram al-Sharif passe sous « régime international », d’y construire une synagogue. « Devant ces arguments, dit un intermédiaire américain, Al-Aqsa est devenue une obsession pour Arafat. Psychologiquement, il s’est convaincu que les juifs voulaient une victoire sur les musulmans. » Lui a accepté que le mur des Lamentations reste israélien. Pourquoi Israël lui refuse-t-il la souveraineté sur le troisième lieu saint de l’islam, sinon pour l’anéantir?
Israéliens et Palestiniens usent parfois de termes identiques pour expliquer que, au fond, le principal problème de Camp David fut « culturel ». Pour les premiers, l’OLP « refuse de prendre ses responsabilités » historiques, pour les seconds, Israël « refuse d’assumer » les siennes. Les Américains, eux, ont souvent été exaspérés par leur incapacité à saisir la « lisibilité » palestinienne. « Certains Palestiniens nous disaient: “N’écoutez pas Untel, il n’a pas l’oreille d’Arafat.” Un autre disait le contraire. Qui représentait l’opinion d’Arafat? Nous n’arrivions pas à le savoir. » A ce jour, ils restent convaincus qu’« une majorité de Palestiniens voulaient aboutir », mais que « le sphinx » Arafat a tout fait échouer.
Problème: cette « majorité » est représentée pour eux par Mohamed Dahlan, Mohamed Rachid ou Hassan Asfour, lesquels, en Palestine, sont considérés (surtout Rachid) comme les principaux vecteurs du système de corruption lié aux Israéliens au sein de l’OLP...
Et puis, il y a le « cas » Barak. « Une catastrophe », juge un responsable du Conseil national de sécurité (NSC) américain. Malgré les multiples sollicitations sollicitations de Wahington, celui-ci refusera obstinément tout tête-à-tête avec Yasser Arafat à Camp David. « Nous lui avons dit : “C’est vous qui avez voulu ce sommet, vous devez faire le premier pas.” Pour Arafat, le lien personnel entre chefs est essentiel. Barak s’y est toujours refusé.» « Pérès, lui, aurait petit-déjeuné, déjeuné et dîné avec Arafat. Et dormi dans sa chambre s’il avait pu », dit en riant un ministre palestinien. « Le problème n’était pas psychologique, juge un Américain. C’était une décision politique. Barak disait en avoir soupé des rencontres inutiles avec Arafat. Si la négociation aboutit, disait-il, je le verrai. Pas avant. » Reste que cette attitude a profondément blessé les Palestiniens. Lors d’un dîner, le 16 au soir, Barak est assis à la gauche de Bill Clinton, entre lui et sa fille Chelsea. Arafat est à la droite du président. Deux heures durant, Ehoud Barak se tournera vers sa gauche, n’adressant la parole qu’à Chelsea...
Le président américain parti au G7 pendant deux jours, il ne se passe rien d’important. Bill Clinton rentre le dimanche 23 à 18 h 25. Là, il va montrer son incroyable force de travail, mêlée, disent les Palestiniens, à « un charme et une ténacité rares ». Il rencontre Barak puis Arafat et propose une « négociation marathon ». A 23 heures, il se rend à la commission sécurité. Il en sortira à 6 heures du matin, pour dormir un peu avant de rejoindre, à 10 heures le 24, la commission réfugiés. Il demande ensuite à chaque camp de lui envoyer un représentant. Saeb Erakat et Shlomo Ben Ami se présentent. De source palestinienne, Bill Clinton aurait proposé de ramener les annexions israéliennes à 5% seulement, et un Etat palestinien démilitarisé mais maître de ses frontières, laissant à Israël un « droit d’intervention en cas de grave menace extérieure ». Il propose aussi de diviser la souveraineté sur l’Esplanade entre le sol (aux Palestiniens) et le sous-sol (aux Israéliens). Ben Ami refuse. Les Palestiniens avaient déjà fait savoir que l’idée était inacceptable. A 20 heures, Clinton « convoque » Arafat: « Les Israéliens ont fait de nombreuses concessions alors que vous ne donnez rien sur Jérusalem. » Le ton est agressif. « Israël, rétorque le leader palestinien, ne fait aucune concession sur du territoire qui lui appartient. Je ne braderai ni Jérusalem ni les Lieux saints. Souhaitez-vous participer à mes funérailles? ». A 22 heures, Bill Clinton fait une ultime proposition : la souveraineté sur l’Esplanade à Israël, avec une « tutelle souveraine » palestinienne garantie par le Conseil de sécurité et le Maroc, qui préside le Comité Al Qods (Jérusalem, en arabe). Barak a « des réserves ». Les Palestiniens refusent, dans une lettre amenée le 25 à 2h30 par Saeb Erakat et Mohamed Dahlan.
Camp David a vécu. Pour un Israélien, « là, Arafat a déchiré le masque ». Le matin du 25, Bill Clinton, Ehoud Barak et Yasser Arafat adoptent un texte en cinq points. Israël et l’Autorité palestinienne « s’engagent à poursuivre leurs efforts pour conclure le plus tôt possible un accord ». Les parties conviennent de garder un mutisme absolu sur ce qui s’est dit à Camp David. A midi, à la Maison Blanche, Bill Clinton prononce la phrase qui, jusqu’à ce jour, résonne comme un camouflet aux oreilles des Palestiniens: « Le premier ministre israélien a fait plus de chemin que le président Arafat. » Les Israéliens exultent.
Après son retour, Ehoud Barak dira : « J’ai encerclé Arafat comme dans Beyrouth, il n’a plus de porte de sortie. » Mais la déception l’emporte autour de lui: les pressions israélo-américaines n’ont pas suffi. « Nous nous sommes trompés quant au processus de décision palestinien. Arafat reste une énigme pour ses interlocuteurs, mais aussi pour ses proches », dit un de ses hommes de confiance. Le sentiment domine que le numéro un israélien a réussi « une opération historique. En deux semaines, il a fait sauter quelques générations au débat public en Israël », brisé des tabous sans rien lâcher sur les intérêts vitaux d’Israël. Pour les Palestiniens, la négociation a, au contraire, montré que ces « intérêts vitaux » changent d’un jour à l’autre. Ils étaient chaque fois révisés pour peu que Bill Clinton propose une nouvelle «idée créative». Dans ces conditions, pourquoi auraient-ils modifié leur stratégie de négociation, eux qui n’ont qu’un seul « joker », l’acceptation ou non de signer la « fin du conflit »? Israël, « engoncé dans une mentalité coloniale », muré dans le déni du droit, de l’Histoire et des réalités, « ne nous considère pas comme des égaux », tranche enfin un proche d’Arafat.
Un haut responsable du département d’Etat tire le bilan suivant: « A la différence de l’Irlande, au Proche-Orient, les opinions publiques sont plus radicales que les dirigeants, qu’elles ne poussent pas au compromis. Barak a fait un effort de socialisation de son opinion. Insuffisant mais réel. Arafat ne fait aucun effort de socialisation vers la paix. » Un autre Américain présent à Camp David porte un verdict plus nuancé : « Les Palestiniens ont eux aussi fait des concessions considérables. L’accord à venir, dit-il, devra plus tenir compte du droit international et conférer à l’Etat palestinien une souveraineté qui ne soit pas que de façade. Les Etats-Unis ont beaucoup mésestimé l’importance du soutien du monde arabe à Arafat. Israël devra lâcher beaucoup plus qu’il n’a fait à ce jour. »
Les trois parties, cependant, se rejoignent sur deux acceptations fondamentales: le sommet s’est fracassé, dans les faits, sur Jérusalem. Mais les autres problèmes ne changeront pas – en particulier ceux des réfugiés et des colonies, non moins importants. Et Camp David aura posé les fondations de ce qui sera peut-être, un jour, une paix israélo-palestinienne.

Les ultimes propositions
Les réfugiés : “ responsabilité ” et “ droit au retour ”
Ces documents inédits constituent la dernière version des propositions – très éloignées – présentées par chaque partie dans la Commission Réfugiés, à Camp David. Les débats furent souvent orageux dans cette commission qui fut la seule à traiter des problèmes remontant à la source du conflit israélo-palestinien. Le document israélien est court et général, le palestinien plus long et détaillé. Rédigés en anglais et considérés comme des “ documents de travail ” (“ non paper ”), ceux-ci dénotent cependant une certaine évolution des positions respectives.
 
Le texte israélien (extraits)
Document de travail 1. Les Parties sont conscientes des souffrances qui ont été infligées, pendant et après la guerre de 1948, aux personnes et aux communautés des deux côtés. Israël reconnaît par ailleurs qu´il est urgent de régler le sort des réfugiés palestiniens de façon humaine, juste et réaliste, (rajouté à la main : en s´appuyant sur les normes du droit international et la résolution 194) dans le contexte de la fin du conflit israélo-palestinien.
2. Le problème des réfugiés palestiniens pourra être résolu grâce à un effort international. (…) Israël prendra part à cet effort. (…)
3. La résolution du problème (…) couvrira le retour en Israël et dans l´Etat palestinien, l´intégration dans les pays d´accueil et l´immigration dans des pays tiers.
4. (…) La Partie palestinienne reconnaît que le droit au retour des réfugiés palestiniens s´appliquera uniquement à l´Etat palestinien. (…)
5. Israël facilitera, à son entière discrétion, pour des raisons humanitaires, l´entrée échelonnée de XX réfugiés palestiniens sur son territoire. Ils (…) accepteront la citoyenneté israélienne et renonceront à leur statut juridique de réfugiés.
6. Une Commission internationale sera constituée. (…)
7. Un Fonds international sera créé. (…)
9. Le Fonds créera et gérera un Comité d´enregistrement destiné à constituer le registre définitif et complet des réclamations des réfugiés. (…)
11. Durant une période convenue, il sera possible à tout ménage palestinien, devenu réfugié en 1948, ou à ses descendants directs, de déposer une seule plainte auprès du Comité d´enregistrement afin d´obtenir réparation. (…)
12. (…) Le règlement équitable du conflit israélo-arabe devra résoudre la question de l´ensemble des réclamations résultant du conflit, y compris celles déposées par les particuliers et les communautés juifs. (…)
15. Les Parties inviteront la communauté internationale à financer le règlement permanent de la question des réfugiés palestiniens en fixant un montant forfaitaire (de X). (…)
16. Le choix d´un demandeur d´indemnisation pour ses biens se fera en fonction des ressources accumulées par le Fonds. (…)L´indemnisation s´effectuera à condition que le demandeur renonce à toute nouvelle revendication. (…)
18. Dans le contexte d´aide internationale, Israël abordera la question d´une contribution financière annuelle de XX durant XX années.
20. La Commission, le Fonds et l´Etat palestinien mettront en œuvre un programme (…) pour résoudre définitivement le problème des réfugiés palestiniens dans l´Etat palestinien, dix ans maximum après la conclusion de l´accord-cadre de paix. La réalisation de ce projet mettra définitivement un terme aux revendications de l´Etat palestinien à cet égard. (…)
24. Israël ne sera lié par aucun engagement ni obligation (…) autres que ceux précisés dans le présent Accord.
 
Le texte palestinien (extraits)
Document de travail
Importance de la résolution de la question des réfugiés 1. Les Parties reconnaissent qu´il est nécessaire de résoudre le problème des réfugiés de façon équitable pour parvenir à une paix juste, globale et durable.
Responsabilité morale 2. Israël reconnaît être moralement et juridiquement responsable du déplacement forcé et de la spoliation dont a été victime la population civile palestinienne pendant la guerre de 1948 ainsi que d´avoir empêché les réfugiés de rentrer dans leur foyer, conformément à la résolution 194 des Nations unies. 3. La responsabilité de la résolution du problème des réfugiés incombe à Israël. (…)
Droit au retour 5. Conformément à la résolution 194, tous les réfugiés qui souhaitent retourner dans leur foyer en Israël et vivre en paix avec leurs voisins ont le droit de le faire. (…) 6a. Est considéré comme réfugié palestinien toute personne palestinienne qui a été empêchée de retourner chez elle après le 29 novembre 1947, qu´elle soit restée sur le territoire devenu Israël ou en dehors. b. (…)Le terme “ réfugié ” s´appliquera aussi à un descendant ou un conjoint de réfugié. c. (…) Toute personne immatriculée auprès de l´UNRWA (Agence des Nations unies pour les réfugiés de Palestine) sera considérée comme réfugiée. (…)
Commission de rapatriement 7. Une Commission de rapatriement [composée de représentants des Nations unies, des Etats-Unis, des Parties, de l´UNRWA, de l´Union Européenne et du Canada] sera créée afin de garantir et gérer la réalisation du droit au retour. (…) 10. Les Parties devront appliquer les décisions de la Commission et modifier leurs lois internes de manière à faciliter l´exécution de ces décisions.
Conditions du retour 15. Tous les réfugiés qui résident actuellement au Liban auront le droit de retourner en Israël dans un délai de deux ans à compter de la signature du présent Accord. 16. (…) Chaque année, au moins XX réfugiés seront autorisés à rentrer en Israël. 19.(…) Le rapatriement devra reposer sur une décision prise librement et être effectué de manière à maintenir l´unité familiale. (…) 26. A leur retour, les réfugiés devront prendre la citoyenneté israélienne. Cela mettra fin à leur statut de réfugié.
Restitution de leurs biens immobiliers aux réfugiés 27. Les biens immobiliers que possédait un réfugié au moment de son déplacement seront rendus à ce réfugié ou à ses successeurs légaux. 28. Dans les cas où (…) il sera impossible, peu pratique ou inéquitable de remettre le réfugié propriétaire dans ses biens, (…) les réfugiés ou leurs successeurs légaux seront habilités à recevoir sur le territoire israélien une terre ou des biens de remplacement. (…)
Indemnisation 30. L´Etat d´Israël indemnisera les réfugiés pour les cas de décès, blessures personnelles, déplacement physique, traumatisme psychologique et perte de biens. (…) 31a. Les réfugiés qui souhaitent rentrer obtiendront une aide au rapatriement leur permettant de se réinstaller dans leur lieu d´origine. b. Les réfugiés qui ne souhaitent pas rentrer seront indemnisés pour renoncer à leur droit au retour et recevront une aide à la réinsertion. (…) 32. Le fait qu´un réfugié exerce son droit au retour en Israël ne devra pas léser son droit à être indemnisé. (…)
34.Comme il incombe à Israël d´indemniser les réfugiés, il avancera les fonds nécessaires. Les moyens dont dispose le Conservateur [israélien] des biens des absents devraient servir à indemniser les réfugiés. Des sommes provenant du Fonds international mentionné ci-dessous pourront être utilisées pour compléter ce qu´Israël doit à titre de réparation.
Indemnisation pour les biens collectifs 35. L´Etat d´Israël indemnisera l´OLP pour les biens collectifs palestiniens existant à l´intérieur des frontières de l´Etat d´Israël, internationalement reconnues. (…)
Commission d´indemnisation 41. La Commission [d´indemnisation créée pour évaluer les pertes matérielles subies par les Palestiniens] acceptera les dossiers de la Commission de conciliation pour la Palestine des Nations unies comme preuve de prime abord des pertes des réfugiés. La Commission pourra aussi utiliser les fichiers de l´UNRWA. (…) 42. (…) L´Etat d´Israël devra adopter, dans un délai de six mois à compter du présent Accord, une législation garantissant aux requérants individuels ou à leur représentant autorisé d´avoir accès aux archives israéliennes pertinentes afin de faciliter la constitution de leur dossier. (…)
Fonds international 46. Un Fonds international sera créé pour soutenir et financer la mise en œuvre des dispositions du présent Accord. (…) 53. Les bénéficiaires des sommes drainées par le Fonds comprendront les réfugiés, les ministères et collectivités publiques palestiniens pertinents, les ministères et organismes publics des pays d´accueil ainsi que les organismes publics ou privés choisis pour mettre en œuvre l´aide ou assurer un appui technique ou de transition.
Traduit de l´anglais par M.C. Stark
 
Une Palestine sans continuité territoriale ?
A aucun moment, à Camp David, les Israéliens n´ont accepté la création d´un Etat palestinien possédant une continuité territoriale en Cisjordanie (la bande de Gaza, elle, étant intégralement restituée). Leur carte initiale divisait la Cisjordanie en trois, Israël maintenant deux larges bandes au milieu et l´intégralité de la vallée du Jourdain en sa possession. L´ultime proposition israélienne ne conservait qu´une seule “ saillie ”, au sud, ainsi qu´une frontière palestinienne avec la Jordanie sur 85 % du Jourdain, “ offrant ” aux Palestiniens deux “ passages protégés ” entre les deux parties de leur Etat (sous forme de pont ou de tunnel routier), mais maintenus sous souveraineté israélienne. Cette proposition restitue environ 90 % de leur territoire aux Palestiniens en Cisjordanie.
Elle a été rejetée par l´OLP, qui exigeait une réelle continuité territoriale pour garantir la souveraineté de son Etat, annulant la coupure israélienne entre Maalé Edoumim et Jéricho-Sud, ainsi que la maîtrise de sa frontière le long du Jourdain et sur la mer Morte. Les Palestiniens acceptaient l´annexion de trois grands blocs de colonies israéliennes (Shomron, autour de Jérusalem, et Goush Etzion), mais exigeaient qu´elle ne dépasse pas 2 % de leur territoire, et qu´ils reçoivent en échange 2 % de territoire israélien, près de Gaza et entre Bethléem et Hébron.

L´enjeu de Jérusalem
A Camp David, le débat sur Jérusalem-Est (conquise en juin 1967 par Israël) s´est focalisé sur la vieille ville, où se trouvent les lieux saints musulmans, juifs et chrétiens, d´une part, et sur les “ quartiers périphériques ” arabes, des villages intégrés par Israël dans le “ Grand Jérusalem ”, qui ne faisaient pas partie initialement de la ville, de l´autre. L´Autorité palestinienne a exigé qu´Israël reconnaisse les multiples résolutions de l´ONU sur Jérusalem. Comme la résolution 476 du Conseil de sécurité (30 juin 1980), qui “ réaffirme la nécessité impérieuse de mettre fin à l´occupation prolongée des territoires occupés par Israël depuis 1967, y compris Jérusalem ”. Depuis 1967, l´Etat hébreu a poursuivi une politique de “ judaïsation ” de la ville et de sa périphérie en territoires palestiniens, et d´élargissement continu de ses limites municipales.
Israël a accepté de “ lâcher ” certains quartiers arabes périphériques, mais pas la vieille ville. Celle-ci est divisée en quatre quartiers. Leur nom (musulman, chrétien, juif et arménien) correspond aux sites et lieux saints qui s´y trouvent, mais la population y est partout très majoritairement palestinienne, sauf dans le quartier dit juif, massivement investi par des Israéliens depuis 1967. Un gros pâté d´habitations est aussi habité par des juifs au cœur du quartier musulman. Après quelques jours, les Palestiniens ont proposé de fixer la souveraineté en fonction de la règle : là où la population est majoritairement arabe, à la Palestine, là où elle est juive, à Israël. Ce qui revenait à accepter l´annexion par Israël des nouveaux quartiers juifs à l´Est et du quartier juif en vieille ville.
Le Haram al-Sharif ou esplanade des Mosquées (dôme du Rocher et mosquée Al-Aqsa) est le troisième lieu saint de l´islam. En dessous restent des vestiges du Deuxième Temple (son accès est interdit par l´immense majorité des rabbins). Du mur occidental du Temple, il ne subsiste que des vestiges, seul un tiers – le mur des lamentations – est apparent. Israël n´a accepté qu´une “ gestion souveraine ” de l´Esplanade par les autorités musulmanes, sans souveraineté de l´Etat palestinien. A la fin du sommet, Bill Clinton proposera une souveraineté aux Palestiniens sur les quartiers dits chrétien et musulman, incluant l´Esplanade, Israël y maintenant cependant une “ souveraineté du sous-sol ”.
 
5. Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 29 décembre 2000, 15h56
Les réfugiés rêvent de la Palestine, même s'ils ne comptent pas y retourner
TYR (Liban) - Les Palestiniens du Liban peuvent avoir des avis divergents sur le pays où ils veulent vivre, mais tous, sans exception, attendent le jour où ils auront droit à une patrie et un passeport.
"Je ne retournerai peut-être pas en Palestine, je suis née et j'ai été élevée au Liban, mais quand même, je veux pouvoir choisir moi-même. Nous en avons assez qu'Israël décide de notre sort", affirme Yousra Salem.
"Mon rêve est d'avoir une patrie et de faire le tour du monde en montrant fièrement mon passeport palestinien", ajoute cette comptable de 39 ans, dont les parents ont été contraints de fuir leur maison à Jaffa (près de Tel-Aviv) lors de la création de l'Etat juif en Palestine en 1948.
Comme tous les réfugiés palestiniens du Liban, l'anxiété l'a gagnée avec la reprise des pourparlers israélo-palestiniens sur le statut final, qui portent également sur le sort des réfugiés.
Et la seule idée que les 3,7 millions de Palestiniens de la diaspora pourraient ne pas obtenir le droit au retour ravivent leur colère.
"C'est très simple. Nous avons été chassés de nos foyers par les juifs qui ont crée leur propre Etat sur notre terre. Il est grand temps pour nous d'y retourner, c'est un droit sacré", insiste-t-elle.
Dans le camp de Rachidiyé, près de Tyr (sud), Ibrahim Ahmad désire ardemment "toucher les murs" de sa maison en Palestine. "Tous ici partagent ce rêve. Nous n'avons pas lutté pour rien pendant des décennies. Nos combattants continuent d'ailleurs à s'entraîner dans ce but", ajoute-t-il.
Le problème du retour reste sujet à controverse pour les 367.000 réfugiés enregistrés au Liban, qu'ils résident dans les villes ou dans les camps.
Des dizaines de milliers d'entre eux ont déjà émigré. Les autres, surtout ceux qui vivent misérablement dans les douze camps disséminés à travers le pays, veulent retourner sur la terre de leurs ancêtres ou rêvent d'un emploi décent dans les pays arabes du Golfe, en Europe, au Canada ou aux Etats-Unis.
La plupart des réfugiés qui envisagent de demeurer au Liban, où ils sont parfaitement intégrés, gèrent des affaires florissantes ou ont été naturalisés.
Pourtant, tous, même ceux qui n'envisagent pas de quitter le Liban, conviennent que le droit au retour ne saurait faire l'objet d'un compromis.
Devant sa boutique de poulets dans le camp de Bass, à l'entrée de Tyr, Moustapha al-Ahmad, rend hommage au soulèvement palestinien.
"L'Intifada contre les sionistes nous a réveillés. Notre peuple a versé si bravement le sang de centaines de martyrs au cours des trois derniers mois que nous sentons tous que Jérusalem est désormais très proche", affirme-t-il.
Chez les Kamal, une famille aisée d'entrepreneurs, propriétaire de magasins dans le port de Tyr, ce sujet fait souvent l'objet de débats houleux.
Chawkat, le grand frère détenteur d'un passeport américain depuis 1998, a regagné le Liban. "Je ne voulais pas que mes enfants grandissent aux Etats Unis et oublient leur patrie. Nous sommes originaires de Haïfa et je veux qu'ils vivent le plus près possible de la Palestine".
Son frère Walid l'interrompt: "J'avais 6 ans quand j'ai quitté Haïfa et je ne me souviens de rien. Ma famille, mon travail, toute ma vie est au Liban. Je ne veux retourner nulle part mais, quand même, je devrais bénéficier du droit au retour".
Chehadé Zahiddine, qui gère à 61 ans une petite société de transport, affiche son pragmatisme. "Jamais je n'accepterai de retourner en Palestine tant que l'Etat juif existera. Je préfère obtenir une compensation".
"Si j'y vais, explique-t-il, je serai en train de commettre un suicide car une fois là-bas, je devrais venger le meurtre de mon père et de mon oncle tués par les juifs qui nous ont chassés hors de nos foyers, je serais alors tué ou emprisonné".
 
6. L'Humanité du mercredi 27 décembre 2000
Les réfugiés ne veulent pas être une monnaie d'échange : Entretien avec Ziad Abbas, journaliste palestinien réalisé par Pierre Barbancey
Ziad Abbas vit dans le camp de Dheisheh, près de Bethléem. Journaliste, militant, il crée de nombreux projets avec les enfants du camp. Lui qui n'a connu sa vie durant que les camps de réfugiés dit " ne pas vouloir y mourir ". Il explique à l'Humanité pourquoi les réfugiés palestiniens refusent d'être une monnaie d'échange et continuent à exiger le respect de leurs droits, en conformité avec les résolutions de l'ONU.
- La question des réfugiés est une des questions majeures actuellement entre Palestiniens et Israéliens. Quel est votre sentiment ?
- Ziad Abbas. Nos droits en tant que réfugiés palestiniens sont encore ignorés. Ils tentent de jouer avec. Le gouvernement israélien et les Israéliens essaient de trouver une " entente " pour détruire notre droit au retour. Nous continuerons notre lutte jusqu'à obtenir nos droits. Ils tentent de faire chanter les Palestiniens en acceptant quelques avancées sur la question de Jérusalem et, dans le même temps, en forçant à un compromis sur les réfugiés. Mais ils ne parviendront pas à leurs fins. Les réfugiés se sont réveillés et participent à l'Intifada parce qu'ils pensent que c'est une question de principe et non pas qu'il s'agit d'obtenir 5 % ici ou là. C'est se battre sur tous les principes, sur tous les droits politiques et humains pour les réfugiés palestiniens.
- Votre idée est de faire respecter les résolutions de l'ONU ?
- Ziad Abbas. Absolument. Si l'Autorité palestinienne conclut un accord avec les Israéliens dans lequel le droit total au retour de tous les réfugiés n'est pas inscrit, alors nous combattrons un tel accord. Aucun accord qui ne serait pas en phase avec la charte de l'ONU serait une violation des droits de l'Homme et, bien sûr, une violation des résolutions de l'ONU, en particulier la résolution 194 qui réitère le droit au retour des réfugiés palestiniens.
- Lorsque vous parlez des réfugiés palestiniens, vous faites référence à ceux de 1948 et de 1967 ?
- Ziad Abbas. On parle d'un côté de déplacés, de l'autre de réfugiés, comme s'il ne s'agissait pas de la même chose. Nous sommes tous des réfugiés. Nous avons été expulsés de nos villages par la force, par des groupes sionistes, en 1948 et en 1967. Les gens ont le droit de revenir, en accord avec les résolutions de l'ONU et avec les accords de Genève. Le droit au retour doit être appliqué à tous ces gens. Ceux qui veulent rentrer doivent pouvoir le faire et ceux qui veulent rester là où ils sont doivent garder ce droit pour rentrer quand ils le souhaiteront.
- Quelle est la situation dans les camps de réfugiés ?
- Ziad Abbas. Nous mettons en place un certain nombre d'activités, notamment par le biais d'Internet qui permet de maintenir le contact entre les différents camps et de se tenir informé les uns les autres (1). Pour l'instant, l'Autorité palestinienne (AP) n'a rien annoncé qui pourrait minimiser le droit au retour. L'AP insiste dans les médias sur le droit au retour. Pour l'instant donc, il n'y a pas de différence entre l'AP et les réfugiés. Mais si une position différente se dégage, je pense que les réfugiés palestiniens feront valoir leurs idées dans la rue, pas dans les médias.
Moi, par exemple, je suis né dans un camp de réfugiés, j'y ai grandi mais je ne veux pas y mourir. Dans le même temps, s'il est vrai que Jérusalem-Est est un pays sacré, pour moi, c'est aussi le cas de Haïfa, de Jaffa et de beaucoup d'autres villages. Je continuerai la lutte de différentes manières pour obtenir mes droits en tant que réfugié.
 
7. L'Humanité du mercredi 27 décembre 2000
Droit au retour : quatre millions de Palestiniens en exil par Michel Muller et Hassane Zerrouky
Le refus des autorités israéliennes d'assumer la responsabilité de l'exode des Palestiniens est une constante depuis la fondation de l'Etat d'Israël en mai 1948. L'été dernier encore, Ehud Barak avait placé ce refus dans ses cinq " non " fixant, selon lui, les " lignes rouges " qu'Israël ne franchirait pas.
La résolution 194 adoptée le 11 décembre 1948 par l'Assemblée générale de l'ONU fait partie des principes fondamentaux d'un règlement juste et durable du conflit israélo-palestinien. Ce texte précise que l'Assemblée générale " décide qu'il a lieu de permettre aux réfugiés de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible (...) et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé ".
Il est évident qu'aujourd'hui, compte tenu du nombre de personnes concernées - la diaspora palestinienne compte aujourd'hui près de 4 millions de réfugiés - et de l'exiguïté des terres habitables tant en Israël qu'en Palestine, cette question est difficilement résoluble. Une réalité que les autorités palestiniennes prennent en compte.
En revanche, elles considèrent qu'Israël doit assumer sa responsabilité morale de l'exode. · partir de là, toutes les solutions sont ouvertes, y compris la mise en place d'un fonds d'indemnisation - qui peut être international - pour ceux qui ne pourront ou ne voudront pas rentrer. Il s'agira aussi - et dans ce domaine l'ONU a toute sa place - d'organiser l'intégration effective des réfugiés et de leurs enfants dans leur pays d'accueil.
La marge de manouvre de Yasser Arafat est étroite, constatait lundi dans Ha'aretz Danny Rubistein, ancien correspondant dans les territoires occupés. Pour les Palestiniens, souligne ce spécialiste, l'abandon de ce droit au retour " est l'équivalent, pour les juifs, de l'abandon du mont du Temple " (l'esplanade des Mosquée). · son avis, il est difficile d'imaginer que les réfugiés accepteront un tel abandon, et " le problème le plus épineux sera celui des réfugiés au Liban ".
Pour mémoire
Quatre millions de Palestiniens vivent en exil. Ils auraient quitté leurs foyers au moment de la création de l'Etat d'Israël, affirment les dirigeants successifs de cet Etat. En fait, le massacre de 250 hommes, femmes et enfants dans le village de Deir Yassine en 1948, puis, au début des années cinquante, de plus d'une centaine de personnes, femmes et enfants compris, dans le village de Kfar Kassem par des commandos de l'Irgoun, dirigé par Menahem Begin, a été un des éléments décisifs de la panique qui s'est emparée de la population. L'exode de plusieurs centaines de milliers de Palestiniens a été qualifié par l'ancien président d'Israël, Haïm Herzog, de " miraculeuse simplification des tâches d'Israël ". La guerre des Six-Jours en juin 1967, qui s'est traduite par l'occupation de la Cisjordanie et Gaza, a poussé vers l'exode plusieurs dizaines de milliers de Palestiniens. Spoliation des terres et dynamitage de villages entiers et d'habitations dans et autour de Jérusalem, expulsions, sans que cela n'émeuve la communauté internationale, ont fait le reste. De ce fait, trois pays - le Liban, la Syrie et surtout la Jordanie - accueillent à eux seuls plus de deux millions de réfugiés sur les quatre millions qui ont quitté la Palestine.
Liban : 365 000 sans-droits
Près de 600 000 Palestiniens vivent au Liban, dont 365 000 considérés comme réfugiés. Sur ce dernier chiffre, 53 % sont parqués dans des camps. La première vague est arrivée au Liban en 1948, chassée par les troupes israéliennes.
Les partis politiques libanais s'opposent à l'installation des Palestiniens - majoritairement de confession musulmane sunnite - parce qu'elle modifierait le fragile équilibre démographique entre les différentes communautés confessionnelles. Toutefois, dans les années cinquante, le président Camille Chamoun a accordé la nationalité libanaise à 40 000 palestiniens chrétiens. Vivant dans une pauvreté effroyable, les Palestiniens sont de plus victimes de vexations quotidiennes et d'une ségrégation sociale institutionnalisée : ils n'ont pas le droit d'exercer une soixantaine de métiers, dont le métier d'avocat et de médecin. Le Fatah de Yasser Arafat est la principale force encadrant les Palestiniens du Liban. Mais, depuis quelques années, le Hamas commence à s'installer parmi les réfugiés.
Syrie : tolérés mais surveillés.
En Syrie, ils sont 310 000, dont 29 % vivent dans des camps. Contrairement au Liban, ils ne font pas l'objet d'une ségrégation sociale. En théorie, ils ont les mêmes droits sociaux que les Syriens et beaucoup travaillent dans les administrations et les entreprises syriennes, mais ils ne bénéficient pas de la nationalité syrienne. Ils font l'objet d'une sévère surveillance policière. Damas n'admet que les Palestiniens qui adhèrent à sa politique. Ainsi, si les dix organisations palestiniennes qui encadrent les réfugiés palestiniens sont tolérées, c'est bien parce qu'elles s'inscrivent dans la droite ligne du pouvoir syrien, comme notamment le FPLP et le FDPLP. Le Fatah d'Arafat, par exemple, est interdit d'activité en Syrie. En revanche, des concessions sont faites au Hamas .
En Syrie, les Palestiniens constituent de fait un moyen de pression dont s'est toujours servi le régime contre Arafat et contre Israël. Aussi, rien d'étonnant que les dix organisations palestiniennes " résidantes " en Syrie aient dénoncé unanimement les accords d'Oslo.
Jordanie : 1,6 million de citoyens du royaume.
C'est en Jordanie que se trouve la plus grande partie des réfugiés palestiniens : 1,6 million de personnes, dont près d'un million de réfugiés. Sur ce dernier chiffre, 23 % vivent dans des camps. C'est le seul pays de la région où les Palestiniens bénéficient de la nationalité du pays d'accueil et où ils ne sont pas considérés comme des citoyens de seconde zone. En Jordanie, où la jeune reine Rania est-elle même d'origine palestinienne, les Palestiniens ont largement contribué à l'essor économique du pays. De plus, l'argent envoyé par les émigrés palestiniens installés dans les monarchies pétrolières, surtout avant la guerre du Golfe, a été d'un apport substantiel à l'économie du royaume hachémite. Même si les Palestiniens de Cisjordanie ont le droit conserver leur nationalité jordanienne, ceux résidant en Jordanie ont été invités de se " jordaniser ". Pour ces réfugiés, mieux lotis que leurs frères du Liban et de Syrie, le retour en Palestine est peu probable.

8. Le Soir [quotidien belge] du mercredi 27 décembre 2000
Barak et Arafat au tournant de l'Histoire
par Baudouin Loos
Le mont du Temple donné aux Palestiniens contre leur renonciation au droit au retour dans ce qui est devenu Israël ? Ce marché, qui comporte les deux concessions les plus douloureuses, est sur la table.
ANALYSE
Et si le miracle survenait ? Et si l'Israélien Barak et le Palestinien Arafat arrivaient soudain à s'entendre sur les bases d'un accord scellant la paix et le statut permanent des territoires palestiniens à l'occasion du forcing américain actuel ? Le président Clinton a fait des propositions et il a demandé une réponse aux deux hommes pour ce mercredi. Ehoud Barak a dit qu'il accepterait si Yasser Arafat le précédait dans cette démarche. Le suspense demeurait entier hier, alors que les Palestiniens émettaient des commentaires perplexes ou négatifs envers les propositions américaines.
Malgré l'imprécision des informations sur le « plan clinton » qui n'a pas été divulgué, il semble que le plan se base sur une énorme concession que chaque camp ferait à l'autre : Israël renoncerait à la souveraineté sur les quartiers arabes de Jérusalem dont, surtout, le mont du Temple (premier lieu saint juif, aussi sacré pour les musulmans sous le nom d'esplanade des Mosquées), et les Palestiniens renonceraient au droit au retour des réfugiés (consigné dans le droit international depuis 1948) sur leurs terres devenues Israël (voir ci-contre).
N'ayons pas peur des mots : il s'agirait des deux concessions les plus douloureuses qui soient pour les deux parties. A un tel point qu'il est permis de se demander si elles se révéleront vraiment praticables.
Le Premier ministre israélien prendrait, avec un courage sans précédent dans son pays, la responsabilité de remettre aux Palestiniens quelques hectares qui sont pour les Juifs au cœur même de leur histoire, de leur religion, de leur attachement à Jérusalem (tout en conservant, il est vrai, la souveraineté sur les soubassements et sur le mur des Lamentations, qui jouxte le mont et où prient les fidèles). La mesure aurait toutes les allures d'un tremblement de terre en Israël - et pourrait se retourner contre Barak -, même si elle ne ferait qu'officialiser une situation de fait, les musulmans gérant l'esplanade avec le consentement d'Israël.
En face, Arafat devrait sacrifier ce qu'une majorité de son peuple a de plus sacré, le droit au retour, ce droit qui fondit l'existence même du mouvement national palestinien (et donc de l'OLP), ce droit chéri dans les cœurs des quelque 3,5 millions de réfugiés vivant dans des camps en territoires palestiniens, au Liban, en Syrie et en Jordanie. Sans doute, ce renoncement serait-il assorti d'une possibilité, pour un nombre important d'intéressés, de s'installer dans le futur Etat palestinien, mais ici aussi la notion de tremblement de terre vient à l'esprit, sachant en outre que le Liban et la Jordanie pourraient en payer les conséquences sous la forme d'une possible déstabilisation. Pour Arafat, qui a au moins la qualité de savoir prendre le pouls de son peuple, une telle décision se révèle donc d'une extrême cruauté. Et d'un grand danger pour son intégrité physique.
Ehoud Barak partage ce dernier risque avec son alter ego palestinien, puisqu'il existe des centaines d'Israéliens prêts à tout - tuer un Premier ministre, par exemple comme Yitzhak Rabin l'apprit à ses dépens en 1995, ou faire un massacre de Palestiniens, comme il s'en produisit un à Hébron en 1994 - pour faire échouer une solution qui sonnerait le glas d'Israël sur des parties « sacrées » de la « Terre promise ».
Les concessions concernent deux sujets que l'« Autre » n'a jamais réussi à intégrer
Les deux concessions dont question concernent deux sujets que l'« Autre » n'a jamais réussi à intégrer. En effet, aussi curieux que cela puisse paraître, les Palestiniens n'ont jamais compris ni donc admis le fort lien sentimental des Juifs avec le mont du Temple, alors que les Israéliens n'ont jamais reconnu leur responsabilité dans le drame des réfugiés palestiniens, malgré les travaux de leurs propres historiens basés sur les archives israéliennes, qui attestent clairement cette responsabilité.
La tâche d'Ehoud Barak paraît bien risquée : à six semaines d'une élection pour le poste de Premier ministre qui l'opposera au nationaliste Sharon, il mise tout sur un accord de paix avec un partenaire qui, aux yeux d'une bonne partie des Israéliens, a perdu beaucoup de sa crédibilité depuis la seconde Intifada qui démarra le 29 septembre. En outre, l'ex-général contemple ce qu'il a toujours juré d'éviter : le partage de Jérusalem. S'il gagne l'élection, il n'aura pas de parlement pour appuyer ses concessions.
Le dilemme que, pour sa part, Arafat doit gérer s'apparente à une difficulté insurmontable. D'un genre pire encore que les décisions les plus dures qu'il eut à prendre dans le passé. L'abandon du droit au retour dans ce qui est maintenant Israël serait en outre coulé pour toujours dans une déclaration des parties annonçant la fin du conflit et la renonciation à toute revendication ultérieure. Comment Arafat s'y prendrait-il pour « vendre » cette concession quand nombre de Palestiniens conditionnent la paix au droit au retour ?
Pourtant, le marché pourrait se conclure. Pourquoi ? Danny Rubinstein, analyste du Haaretz », le disait lundi : Cela peut marcher car Israël continuera à exister sans Jérusalem-Est ni souveraineté sur le mont du Temple, mais ne survivrait pas s'il avait à prendre un million de réfugiés. Et un Etat palestinien survivra s'il n'y a pas de droit au retour, mais ne pourrait exister sans Jérusalem et la mosquée Al Aqsa.·
 
9. Le Soir [quotidien belge] du mercredi 27 décembre 2000
Le dernier dilemme d'Arafat
par Baudoin Loos
Le « raïs » palestinien peut-il renoncer au droit au retour des réfugiés contre la souveraineté à Jérusalem ?
La tragédie proche-orientale prendra-t-elle une nouvelle tournure ce mercredi ? La question hantait les responsables mardi, alors que le Premier ministre israélien Ehoud Barak et le président palestinien Yasser Arafat devaient remettre ce mercredi à Bill Clinton leur réponse au « plan » que le président américain leur a soumis. Une réponse positive pourrait signifier le début de la fin du conflit israélo-palestinien, rien moins. Mais les obstacles, de toute façon, restent nombreux sur le chemin de la paix.
Selon des fuites diplomatiques, Clinton propose que le futur Etat palestinien inclue la partie arabe de Jérusalem, y compris l'esplanade des Mosquées, vénérée par les Juifs comme le mont du Temple. En échange de cette énorme concession, qui rend déjà la droite israélienne furieuse, Arafat renoncerait au droit au retour pour les réfugiés palestiniens dans ce qui est devenu Israël en 1948. Ce renoncement représenterait un nouveau déchirement historique dont il est malaisé de mesurer les retombées, y compris chez les voisins d'Israël comme le Liban et la Jordanie, qui abritent des centaines de milliers de réfugiés.
Pour le reste, le plan prévoirait que l'Etat palestinien s'étende sur 95 % de la Cisjordanie, Israël concédant 5 % de son territoire aux Palestiniens contre l'annexion par l'Etat juif des 5 % de la Cisjordanie qui abrite les trois quarts au moins de colons juifs. Un peu moins de 50.000 colons juifs seraient transférés en Israël, ce qui pourrait induire des heurts importants.
Des zones d'ombre subsistent, et non des moindres, comme le contrôle des frontières externes du futur Etat palestinien, mais on peut d'ores et déjà dire qu'Arafat se trouve placé devant le plus grave dilemme de sa longue carrière : accepter le marché et sacrifer les réfugiés ou refuser le marché, tendre la main aux réfugiés et poursuivre le conflit. Ehoud Barak, audacieux selon les concessions non officielles annoncées, dit attendre une réponse positive d'Arafat avant d'en faire autant.
 
10. Al-Ahram Hebdo [hebdomadaire égyptien] du mercredi 27 décembre 2000
Dans un entretien croisé, le porte-parole des Eglises orthodoxes en Palestine, Atallah Hanna, et cheikh Mohamad Hussein, imam de la mosquée Al-Aqsa, parlent de la situation dans la Ville sainte et soulignent l'unité entre chrétiens et musulmans
propos recueillis par Mohamed Amin Al-Masri
Les balles israéliennes ne font aucune distinction entre musulman et chrétien
— Al-Ahram Hebdo : Comment évaluez-vous la situation depuis la mosquée Al-Aqsa aujourd'hui ?
— Cheikh Mohamad Hussein : La situation à la mosquée Al-Aqsa depuis la visite de Sharon et le massacre qui s'en est suivi le 29 septembre est très difficile. Les autorités israéliennes interdisent à ceux qui veulent faire leurs prières dans la mosquée d'y pénétrer. Sans oublier les nombreuses barrières militaires qu'elles ont dressées et qui isolent la Ville sainte du reste de la nation palestinienne. Ces barrières ont des mauvaises répercussions sur la vie économique, culturelle, scientifique et éducative.
— Comment ces mesures israéliennes affectent-elles l'accomplissement par les musulmans et les chrétiens de leurs devoirs religieux ?
— Les mesures imposées par les autorités israéliennes sur la Ville sainte empêchent l'accès des musulmans à la mosquée Al-Aqsa et l'accès des chrétiens à l'église de la Nativité et les autres lieux saints chrétiens. En effet, ces autorités ne font aucune distinction entre musulmans et chrétiens. Les mesures israéliennes touchent tout le peuple palestinien, chrétiens et musulmans.
— Comment les musulmans et les chrétiens font-ils face à ces mesures ?
— Les musulmans et les chrétiens appartiennent à un seul peuple. Leurs espoirs et leurs souffrances sont les mêmes. Ensemble, ils font face quotidiennement à l'agression israélienne. Les balles israéliennes ne font aucune distinction entre musulman et chrétien. Le bombardement touche les villes habitées par une majorité musulmane ainsi que celles peuplées par une majorité chrétienne.
— Comment évaluez-vous les relations entre musulmans et chrétiens en Palestine ?
— Les relations islamo-chrétiennes à Jérusalem, Bethléem et les autres villes palestiniennes sont très fortes et peuvent être qualifiées d'exceptionnelles. Elles sont basées sur l'unité nationale qui lie notre peuple.
— Vous avez remporté le « prix Palestine », conjointement avec Atallah Hanna, le porte-parole des Eglises orthodoxes en Palestine. Quelle signification donnez-vous à ce prix ?
— Nous appartenons au même peuple. Pas de différence entre les honneurs accordés à un musulman ou à un chrétien. Ceci signifie que notre sort est le même. Nous nous sacrifions pour défendre les lieux saints islamiques tout comme les lieux saints chrétiens.
— Avec l'Intifada, Comment allez-vous fêter cette année le petit Baïram ?
— La joie de la fête a disparu cette année. Chaque maison palestinienne vit un drame. Les martyrs se comptent par centaines, les blessés par milliers et les détenus sont toujours dans les prisons palestiniennes. On se contentera des prières et des rites religieux. Sans plus.
— Qu'attendez-vous des nations arabes et islamiques pour défendre les droits des Palestiniens ?
— La nation arabe et islamique doit défendre nos lieux saints et notre peuple que l'occupant veut éliminer. Et il existe effectivement un mouvement actif dans les deux mondes islamique et arabe pour la défense des droits et des lieux saints palestiniens.
— Quelle solution pour Jérusalem ?
— L'occupant doit quitter Jérusalem. Cette ville doit être restituée aux Arabes et aux musulmans. Les Israéliens ont prouvé qu'ils n'étaient pas dignes de gouverner cette ville. Pour ce, elle doit être restituer aux Palestiniens.
— Que demandez-vous de la communauté internationale ?
— Ce qui arrive aux Palestiniens réveille toutes les consciences. Il incombe à tous les Etats du monde une responsabilité humaine, sociale et politique vis-à-vis du peuple palestinien. Il faut le soutenir afin qu'il recouvre ses droits en vue d'une vie libre et indépendante sur ses territoires occupés. Et puisque la plupart des pays qui détiennent en leurs mains tous les pouvoirs sont des pays chrétiens, ils doivent assumer leurs responsabilités vis-à-vis du peuple palestinien, de Jérusalem, d'Al-Aqsa et de l'église de la Nativité.
L'unité est notre force face à l'occupation
— Al-Ahram Hebdo : Quelle est la situation à Jérusalem aujourd'hui, trois mois après le déclenchement de l'Intifada ?
—- Atallah Hanna : Israël tente d'imposer par la force sa souveraineté sur tous les lieux sacrés qui se trouvent à Jérusalem, qu'ils soient islamiques ou chrétiens. En effet, depuis 1967, l'Etat hébreu adopte une politique visant à judaïser cette ville et effacer son caractère arabe, palestinien, islamique et chrétien. La visite de Sharon se situe dans le cadre de cette politique. Elle avait pour objectif de démontrer que cette ville est israélienne et qu'elle est la capitale de l'Etat hébreu. Mais le grand nombre de policiers et de militaires qui entouraient Sharon ce jour-là a démontré qu'elle est au contraire une ville soumise à l'occupation. Cela étant, l'Eglise orthodoxe à laquelle j'appartiens a condamné cette visite qui a provoqué les sentiments des musulmans. D'autant plus qu'elle a été suivie le lendemain par un massacre perpétré par les Israéliens à Al-Aqsa. Et ce, sans compter les attaques lancées dès lors contre le peuple palestinien. Je pense que nous, en tant que nation arabe et islamique, nous devons unifier nos rangs afin de libérer notre terre et nos lieux saints.
— A quel point les restrictions prises par Israël à Jérusalem ont affecté les pratiques religieuses des musulmans et des chrétiens ?
— On sait que la Ville sainte et les autres zones palestiniennes souffrent d'un blocus qui leur a été imposé. Ce blocus signifie qu'on ne peut se déplacer d'une ville à l'autre au sein des territoires occupés que grâce à une autorisation, délivrée rarement par les Israéliens. C'est ce qui prive les croyants palestiniens non seulement de pratiquer leur culte, mais aussi d'avoir accès à leurs écoles et leur travail. Le blocus imposé à la Ville sainte est une vraie catastrophe pour le peuple palestinien. Il vise non seulement à isoler la Ville sainte du reste du territoire palestinien, mais encore à exercer des pressions sur le peuple afin qu'il s'incline et renonce à ses droits. Mais le peuple palestinien n'y renoncera jamais et Jérusalem restera toujours pour nous une ville sainte bénie et arabe. Empêcher les musulmans et les chrétiens d'avoir accès à leurs lieux saints constitue une violation des droits de l'homme, des lois internationales et des religions. Est-il logique d'interdire à une personne de se rendre à son église ou à sa mosquée ? La situation est de fait très dangereuse. L'Onu et tous ceux qui parlent des droits de l'homme dans le monde doivent intervenir afin de sauver notre peuple et notre pays du joug de l'odieuse occupation.
— Les mesures israéliennes font-elles une distinction entre musulmans et chrétiens ?
— Non, les forces d'occupation ne font aucune distinction entre musulmans et chrétiens. En effet, les deux appartiennent à la même nation et au même peuple. Les Israéliens lorsqu'ils ouvrent le feu, ne distinguent pas entre musulman et chrétien, entre église et mosquée. Ceux qui s'en doutent peuvent venir voir sur place comment on trouve dans les villes sinistrées à côté d'une mosquée démolie, une église démolie, à côté d'une maison démolie d'un chrétien, une maison démolie d'un musulman.
— Comment musulmans et chrétiens font-ils face à ces mesures ?
— Musulmans et chrétiens, nous vivons ensemble. Nous résistons ensemble aux forces d'occupation. Ceci est légitime, c'est un devoir national. Notre unité nationale est une chose à laquelle nous tenons. C'est la source de notre force face aux défis, et nous avons l'intention de la fortifier.
— Que pensez-vous des relations islamo-chrétiennes en Palestine ?
— Il s'agit de la relation qui unit les membres d'une même famille. Non seulement à Jérusalem et Bethléem, mais dans tous les territoires palestiniens. C'est une chose normale et historique.
— Vous avez reçu cette année le « prix de la Palestine » conjointement avec cheikh Mohamad Hussein, imam de la mosquée Al-Aqsa. Quelle signification donnez-vous à cette distinction ?
— Je crois que ce prix ne m'a pas été décerné à titre personnel, mais qu'il a été décerné à mon Eglise, aux chrétiens arabes qui tiennent à leur identité, leur appartenance et défendent leurs constantes nationales. Je remercie tous ceux qui m'ont choisi. Ce prix dont je suis fier est destiné à ceux qui défendent notre cause nationale.
— Comment se sont déroulées les festivités de Noël à Bethléem cette année ?
— Il n'y avait pas de festivités. Elles auraient été absurdes avec tant de martyrs et de blessés. On s'était limité aux prières et aux rites religieux. Notre vrai fête aura lieu le jour de la libération, le jour où le peuple jouira de la stabilité et la paix dans un Etat indépendant ayant Jérusalem pour capitale.
— Pensez-vous que les nations arabes et islamiques ne font pas assez pour défendre les lieux saints en Palestine ?
— Je ne le crois pas. J'ai participé au sommet islamique, à la réunion du comité Al-Qods au Maroc et au comité des droits de l'homme à Genève. A mon avis, notre problème est que notre position se confine à des allocutions et des communiqués. Je ne minimise pas leur importance, mais il faut en même temps passer à l'action. Les nations arabes et islamiques doivent prendre des mesures pratiques et fortes afin de faire face à l'occupation.
— Quelle solution pour la question palestinienne, et spécialement Jérusalem ?
— Toutes négociations, secrètes ou déclarées, seront vouées à l'échec si elles ne garantissent pas le droit du peuple palestinien et ne libèrent pas ses territoires. La seule solution que nous pouvons accepter est la proclamation d'un Etat palestinien ayant Jérusalem pour capitale. Sans oublier la libération du Golan et la restitution du reste des territoires libanais.
— Qu'attendez-vous de la communauté internationale ?
— La communauté internationale doit soutenir le peuple palestinien qui tient à ses droits et à son identité.
 
11. Al-Ahram Hebdo [hebdomadaire égyptien] du mercredi 27 décembre 2000
Israël est-il prêt à faire des concessions ?
par Mohamed Sid-Ahmed
L'Intifada commence à porter ses fruits et à changer le rapport de force entre Palestiniens et Israéliens. Israël accepte aujourd'hui ce qu'il a toujours refusé. Non seulement l'Etat palestinien est devenu un postulat, mais encore il est clair qu'il aura pour capitale Jérusalem-Est et qu'il récupérera 90 % (au minimum) des territoires de la Cisjordanie et de Gaza.
Ces points ont été déterminés lors des entretiens effectués à Washington il y a quelques jours. Clinton avait soumis un « document » qui n'a pas été qualifié de « document américain », mais de résumé des points préalablement agréés lors des négociations tenues depuis Camp David II. Ce sommet a essuyé un échec puisqu'il avait suivi une méthode de négociation refusant tout accord partiel. Mais aucun accord global n'a été conclu malgré le progrès indéniable réalisé sur certaines questions. Et c'étaient les divergences concernant le dossier de Jérusalem qui ont fait échouer le sommet.
Encore une fois la négociation n'a pas abouti, mais ce qui est nouveau c'est que la partie israélienne accepte aujourd'hui plus qu'elle n'avait accepté auparavant, notamment en ce qui concerne Jérusalem ... Mais sans pour autant atteindre le minimum acceptable pour la partie palestinienne. Cette dernière doit-elle continuer à boycotter les négociations tout en poursuivant l'Intifada ? Ou bien accepter le principe de la reprise des négociations sans renoncer à l'Intifada ?
Jusqu'à récemment, ce sont les Israéliens qui refusaient la reprise des négociations tant que l'Autorité palestinienne n'aurait pas mis un terme à l'Intifada et donné un ordre clair d'arrêter la violence. Or, les Israéliens ne peuvent plus prétendre que la violence provient des pierres lancées par les enfants palestiniens et non pas des chars, des hélicoptères et des mitrailleuses des forces israéliennes contre des enfants armés seulement de pierres !
C'est ainsi qu'ont été reprises les négociations à la demande de Clinton. Devait-on les refuser ? A mon avis, il ne le fallait pas. Et ce tant qu'on ne renonce pas à l'Intifada et qu'on vise uniquement à entrevoir dans quelle mesure peut être réalisé un changement dans le rapport de force pour obtenir davantage de concessions de la partie israélienne. Mais il faut rejeter le sentiment que la reprise des négociations signifie une approbation — même implicite — de la nécessité de signer un accord.
Je suis pour la reprise actuelle des négociations, car je pense que Clinton, Barak et l'Autorité palestinienne se trouvent dans des impasses. Sachant que celle des Palestiniens est la moins grave.
Clinton est dans une impasse, car il n'a que quelques semaines pour conclure un accord. Il a fixé le 10 janvier comme date butoir, avant de quitter la Maison Blanche le 20 janvier. Il est à noter que Clinton vise à conclure cet accord pour des raisons qui ne concernent pas en premier lieu le conflit au Proche-Orient, mais plutôt pour des raisons personnelles relatives à sa place dans l'Histoire et pour effacer certains scandales qui l'ont atteint. Il a besoin de redorer son image et de devenir lauréat d'un prix aussi important que le Nobel si possible. Il parie que le règlement d'un conflit aussi dangereux que l'israélo-palestinien est susceptible de réaliser ses ambitions.
Quant à Barak, il se trouve lui aussi dans une impasse. Il a démissionné pour gagner du temps et faire avorter les manœuvres de ses adversaires politiques visant à le renverser et le remplacer à la tête du gouvernement. Mais Barak n'aura aucun avenir politique sans accord conclu. A l'inverse, un accord obligera ses adversaires à se déterminer par rapport à lui. Or, pour parvenir rapidement à un tel accord, il est indispensable de suivre le désir de Clinton d'aboutir à ce même résultat avant le 20 janvier prochain.
L'impasse d'Arafat est la moins grave : échouer à conclure un accord ne le fera sortir ni de l'Histoire — tel Clinton — ni du pouvoir — tel Barak. Plus encore, la situation qui s'est détériorée en Israël lui a permis de reprendre les entretiens sans être obligé de mettre un terme à l'Intifada. Il est vrai que l'absence d'un accord signifiera la poursuite du blocus et davantage de problèmes pour l'économie palestinienne. Il est aussi vrai — peut-être — que traiter avec Sharon, en cas d'échec des négociations avec Barak, est plus difficile que de traiter avec les Travaillistes. Mais, ses problèmes pourront être compensés par l'accession du Parti républicain au pouvoir aux Etats-Unis. Il n'est pas exclu que les relations avec Bush soient meilleures qu'avec les Démocrates connus pour leur alignement extrême sur Israël. Ajoutons que les Israéliens considèrent Bush père comme un des présidents américains qui ont manifesté le moins de sympathie vis-à-vis de certaines orientations de la politique israélienne.
La situation de Barak est tellement fragile que ses adversaires politiques n'avaient pas hésité à l'exploiter pour le renverser. Netanyahu avait pris en charge cette mission. Mais le parti religieux Shass (17 sièges à la Knesset) a fait avorter son complot visant à la dissolution de la Knesset. Le Shass est parfaitement conscient que les nouvelles élections ne lui donneront pas une aussi forte représentation au sein de la Knesset. Pérès avait tenté de prendre cette mission en charge, mais le parti de gauche Meretz l'a fait avorter de crainte que la compétition entre deux candidats du Parti travailliste n'amène à la victoire du chef du Likoud, Ariel Sharon, connu pour son hostilité affichée à toutes les clauses du règlement proposé.
Cependant, l'unique objectif de Clinton est de conclure un accord avant la fin de son mandat. Mais il est hors question au cours de cette période limitée de discuter de la mise en application de l'accord. D'où les expressions vagues auxquelles Clinton a eu recours dans son document en vue d'éviter et de reporter les divergences. L'Autorité palestinienne doit considérer les négociations comme étant en premier lieu une disposition d'Israël à faire des concessions, et ce à la lumière des réalisations de l'Intifada. La préservation des acquis dépend de la poursuite de l'Intifada, en insistant à effacer toute confusion ou ambiguïté. La partie palestinienne est la seule à négocier sans être contrainte à agir avant une date précise : ni le 20 janvier (fin du mandat de Clinton) ni le 6 février, date de l'élection d'un nouveau premier ministre israélien. L'essentiel est la résistance de l'Intifada, clé de la situation entière.
Il est indispensable de recourir à la sagesse pour transformer le vague du document de Clinton en des formules précises répondant aux demandes palestiniennes. La sagesse et le courage sont nécessaires pour refuser ce qu'il faut refuser et accepter ce qu'il faut accepter. Telle est la question du moment en vertu de laquelle sera tranché le destin de la cause palestinienne et l'avenir de la région en entier.
 
12. Al-Ahram Hebdo [hebdomadaire égyptien] du mercredi 27 décembre 2000
L'asphyxie
par Salma Hussein
Palestine - Chômage record, production au ralenti et exportations interrompues, le strict embargo israélien depuis le début de la nouvelle Intifada paralyse l'économie
19,5 millions de dollars par jour. Tel est le montant des pertes quotidiennes de l'économie palestinienne depuis le début, il y a trois mois, du blocus imposé par Israël sur les territoires. En ce qui concerne la main d'œuvre palestinienne, le manque à gagner s'élève à 6, 6 millions de dollars par jour. « Ma famille qui vit à Gaza a vendu ses bijoux pour s'en sortir, mais de toute façon les magasins sont vides, même les produits de bas ont disparu », explique Chaza, une Palestinienne qui vit au Caire depuis des années. Du coup les files d'attente s'allongent notamment, devant les stations-service. En temps normal, chaque mois, les Palestiniens importent 46 millions de dollars de produits de base. Mais aujourd'hui plus rien ne passe.
Premiers touchés, les 130 000 Palestiniens qui travaillaient en Israël. Un rapport présenté lors de la réunion d'urgence des ministres de l'Emploi arabes, qui s'est tenue au Caire le 22 novembre, estime le manque à gagner journalier de ces frontaliers à 3,6 millions de dollars depuis le début du nouvel Intifada. Les 450 000 personnes qui travaillent dans les territoires sous administration palestinienne se trouvent dans une situation similaire, connaissant de nombreuses difficultés pour travailler normalement. « Les forces israéliennes ont fermé tous les accès principaux aux villes. Je mets plus d'une heure et demie pour aller au travail en passant par des rues parallèles. Je perds du temps et de l'argent aussi car j'utilise plus d'essence. A certains moments, je préférerais rester à la maison », dit un banquier palestinien de Gaza. Ceux qui vivent dans les villages voisins d'Hébron ne peuvent plus se déplacer jusqu'à la ville, soit à cause du couvre-feu, soit en raison des barrages que Tsahal, l'armée israélienne, a érigés sur les routes et à l'entrée de Gaza.
Les entreprises palestiniennes sont également touchées puisqu'elles n'ont le droit ni d'importer ni d'exporter. C'est toute l'activité économique qui se trouve presque à l'arrêt. La production industrielle a baissé de 80 % en moyenne et les exportations qui atteignent en temps normal 2 millions de dollars par jour ont cessé.
35 % de chômeurs
Les douanes, qui sont toujours sous administration israélienne, retiennent les produits importés dans le port de Gaza. Ce qui ne les a pas empêchées d'infliger 1,5 million de dollars d'amendes aux sociétés d'import-export pour payer les frais engendrés par la gestion de ces stocks. Selon le rapport du 22 novembre, les pertes journalières des entreprises industrielles palestiniennes s'élèvent à 4,3 millions de dollars. Devant cette baisse de leurs activités, plusieurs entreprises ont réduit leurs effectifs, soit par une mise en chômage technique soit par des licenciements et certains salaires ont été réduits de moitié. Ces mesures concernent environ 200 000 personnes.
Le chômage atteint le taux record de 35 %, contre un taux moyen de 9 à12 % avant l'embargo. Conséquence : le niveau de vie, déjà médiocre avant l'Intifada, puisque selon la Banque mondiale, 25 % de la population vivait au dessous du seuil de pauvreté (estimé de 650 dollars /an) en 1998, se détériore de jour en jour.
Certains impacts de l'embargo sont moins visibles, mais tout aussi inquiétants. Plusieurs projets industriels qui représentent un investissement de 80 millions de dollars ont été gelés.
Entre 1993 et 1996, on comptait déjà 342 jours de blocus militaire et économique à Gaza, et 291 en Cisjordanie. La situation actuelle n'est donc pas une nouveauté pour le peuple palestinien, même si certains facteurs font de ce blocus le plus dur depuis 1987.
Selon une étude menée par l'Institut méditerranéen en novembre 2000, 40 % des recettes intérieures de l'Autorité palestinienne proviennent des taxes et des impôts prélevés par l'Etat israélien pour son compte, alors que 85 % du volume des transactions se fait avec l'Etat hébreux. A chaque fois qu'Israël impose un embargo, c'est tout le commerce palestinien qui s'arrête. L'économie palestinienne, qui ne possède pas de monnaie propre, dépend entièrement du Shekel israélien et du dinar jordanien. « Cette forte dépendance financière et économique caractérise la Palestine. Elle l'amène à une grande vulnérabilité face aux chocs extérieurs », constate cette étude. Les dépréciations du Shekel en 1997 et 1998 face au dollar avaient eu des effets négatifs sur la croissance palestinienne. D'abord en provoquant une forte inflation locale. En outre, la remise des émigrés ne peut amortir le choc. Depuis le début des années 90, elle n'a plus la même importance. Et nombreux sont les Palestiniens qui ont quitté le Golfe encouragés par les déclarations de l'Autorité palestinienne.
Or, les emplois publics créés (dont les salaires ont représenté 56 % des dépenses publiques en 1998) n'ont pu absorber toute la main-d'œuvre disponible. Cela a mené à une hausse considérable voire continue des Palestiniens travaillant en Israël. Ils sont passés à 131 000 en 1999, contre 39 000 en 1995. 62,5 % d'entre eux travaillent sans permis, c'est-à-dire dans des conditions précaires.
De même, l'économie palestinienne dépend de l'aide internationale. Celle-ci a atteint en 1998 un chiffre record de 416 millions de dollars, soit 10,7 % du PIB. Cette aide est d'habitude utilisée comme instrument de pression sur les Palestiniens. Ainsi, en 1999, à cause des obstacles que rencontre le processus de paix, elle a baissé à 274 millions de dollars.
Bref, pour les Palestiniens, l'indépendance économique sera tout aussi difficile à atteindre que l'indépendance politique.
 
13. Le Soir [quotidien belge] du mardi 26 décembre 2000
Ehoud Barak se coupe de son propre camp

Si nous devions voter maintenant, même un balai battrait Ehoud Barak.
Cette remarque de l'éditorialiste de la radio israélienne qui commentait les derniers sondages préélectoraux reflète parfaitement la situation du Premier ministre démissionnaire. Et, à travers lui, celle de la gauche en général dont Barak est devenu le champion officiel après avoir réussi à éliminer le président de la Knesset Avraham Burg et le Prix Nobel de paix Shimon Peres.
En parfait militaire, Barak a fait le vide autour de lui. Personne au sein du parti travailliste (qu'il préside), ou au sein du reste du camp progressiste, n'est plus en état de contester son leadership.
Mais, à force de couper des têtes, le Premier ministre sortant semble avoir oublié qu'une élection ne se gagne pas à coups de manœuvre dans les couloirs des états-majors, mais dans la rue. En présentant un projet susceptible d'attirer l'adhésion du plus grand nombre.
Certes, Barak multiplie les visites de maisons de retraite, d'hôpitaux (où les malades dorment dans les couloirs faute de place), et les familles dans le besoin. C'est sympathique, c'est même parfois humain lorsque le Premier ministre sortant se force à embrasser un vieillard, et cela fait au moins trente secondes au JT du soir.
Mais cela suffit-il à redonner du souffle au « camp de la paix » ? Il fut un temps - pas si lointain - ou la gauche travailliste représentée par le tandem Shimon Peres - Yitzhak Rabin et poussée par le mouvement La paix maintenant, foisonnait d'idées sur l'avenir de la région.
C'était l'époque du « nouveau Moyen-Orient », des manifestations géantes en faveur de la création d'un Etat palestinien, et du projet fou de construire une autoroute reliant Paris au Caire en passant par Istanbul, Beyrouth, Damas et Tel-Aviv.
C'était aussi l'époque où les Israéliens et les Palestiniens apprenaient enfin à mieux se connaître. Lorsqu'ils se lançaient quelque chose à la tête, c'était des invitations et non des pierres.
Que reste-t-il de tout cela aujourd'hui ? De la nostalgie. La paix maintenant est en état de mort clinique, et le parti travailliste s'est transformé en un club de notables centro-centristes à peine capable d'organiser un congrès annuel.
Du passé faisons table rase, dit l'« Internationale ». Ehoud Barak a retenu la leçon, et il l'applique avec zèle.
 
14. Dépêche de l'agence Associated Press du lundi 25 décembre 2000, 1h25
Noël lugubre à Bethléem, en proie à une violence latente par Laura King
BETHLEEM - Trempée par une pluie froide, marquée par trois mois de violence ininterrompue, une foule de Palestiniens, à laquelle se sont joints quelques touristes, a assisté à la Messe de minuit à Bethléem, le lieu de naissance de Jésus.
Le Noël de l'an 2000 devait pourtant constituer le clou de l'année du Jubilé. Malheureusement, les treize semaines de conflit entre Israéliens et Palestiniens, qui ont causé la mort de 345 personnes, la plupart palestiniennes, ont jeté un voile noir sur cette ville de la bande occidentale du pays.
Ces dernières annnées, la Messe de minuit était précédée d'un défilé de Palestiniens qui mélaient chants de Noël et contines nationalistes. Mais cette année, l'accompagnement musical s'est résumé à des chants entonnés sans passion par des moines franciscains. A cause de la pluie, la cérémonie avait lieu dans le hall d'un immeuble situé à proximité du site.
22 choristes originaires des Etats-Unis et de Grande-Bretagne ont entonné des chants religieux, avant qu'une femme, tenant un bébé dans ses bras, ne célèbre Jésus et Marie.
Yasser Arafat, présent à Bethléem, assiste chaque année à la Messe de Minuit en l'église de la Nativité et n'a pas souhaité déroger à la tradition, malgré les difficultés dues à la situation présente.
Yasser Arafat est arrivé à Bethléem à bord d'un hélicoptère de l'armée jordanienne en provenance d'Amman, où il a rendu compte au roi Abdallah II de Jordanie des pourparlers israélo-palestiniens de Washington. Le dirigeant palestinien s'est entretenu durant toute la journée avec les principaux ministres de son cabinet, qu'il n'avait pas rencontrés en tête-à-tête depuis plusieurs semaines.
En prélude aux cérémonies de la soirée, le Patriarche Latin de Jérusalem Michel Sabbah avait de son côté conduit dans la journée la traditionnelle procession entre Jérusalem et Bethléem, à laquelle n'assistaient cette année qu'un nombre très restreint de pélerins.
''Nous espèrons que chacun comprendra la nécessité pour le peuple palestinien de jouir de la liberté'', a déclaré Monseigneur Sabbah. ''C'est la grâce que nous demandons à Dieu''.
L'atmosphère générale était à la morosité en cette veille de Noël. Le tourisme, normalement florissant à cette période de l'année, est en berne. La plupart des boutiques de souvenirs sont fermées, les autocars qui embouteillaient la ville les années précédentes sont absents. Un coup dur pour les Palestiniens qui avaient espéré que le dernier Noël du millénaire serait le point culminant d'un ambitieux projet de développement pour Bethléem.
''Ce qui se passe ici est triste, mais Noël est présent dans nos coeurs'', expliquait George Walter, un Américain de 59 ans venu de Pittsburgh en Pennsylvanie. Ce pélerin à la longue barbe a laissé derrière lui sa vie passée. Vêtu d'une tunique de jean, il arpente à pied la Terre Sainte depuis un an et demi.
Ceux qui bravaient la peur et les violences devaient franchir trois postes de contrôle, deux mis en place par les Israéliens, le troisième par les Palestiniens, pour entrer dans Bethléem. L'armée israélienne a autorisé les pélerins chrétiens à entrer librement, en avertissant que la ville serait bouclée en cas d'incidents.
Bethléem et ses environs ont été durement touchés par les combats. Encore récemment, des tirs ont opposé Palestiniens et Israéliens dans la localité voisine de Beit Jalla, tandis que les trois camps de réfugiés de Bethléem sont en proie à la colère et au mécontentement. Des dizaines de Palestiniens, certains âgés de seulement huit ou neuf ans, ont été tués ou blessés dans des affrontements avec les soldats israéliens à la périphérie de la ville.
''Je sais que Noël est censé parler de la paix. Mais je ne pense pas qu'on la verra cette année'', remarquait tristement Jimmy Al-Hayek, un chrétien de 22 ans.
Saïd Marcos, un Palestinien de 80 ans, n'a lui ''jamais vu ça depuis l'Intifida''. Son épouse Melia, de dix ans sa cadette, l'a repris gentiment. ''Tu veux dire la première'', de 1987 à 1993. ''Maintenant, nous sommes dans une autre Intifida''. 
 
15. Le Monde du samedi 23 décembre 2000
A Mazraa Gharbié, en Cisjordanie, les colons interdisent la cueillette des olives par Gilles Paris
MAZRAA GHARBIÉ (Cisjordanie) de notre envoyé spécial
Des trombes de pluie fouettent les collines de Cisjordanie. L'eau, rougie par les particules de terre qu'elle charrie, dégouline entre les cubes de pierre des maisons de Mazraa Gharbié, à une trentaine de kilomètres au nord de Jérusalem. La tête enroulée dans son keffieh pour lutter contre le froid, le vieux Abou Nidal grimace. Dans une semaine, il sera sans doute trop tard : la saison des olives sera passée. Au village, Samhan Chreteh est tout aussi pessimiste. « Les pressoirs pour faire l'huile sont en train de fermer. Ils ne rouvriront plus, à présent », assure-t-il. Là-haut, les oliviers attendent en vain les paysans.
L'huile d'olive a toujours été une source de revenus très importante en Cisjordanie. Pratiquement tout le monde, au village, possède des arbres. Ceux qui portent encore leurs fruits de l'année sont contigus à des implantations israéliennes et, depuis le début de la nouvelle Intifada, les colons ont décrété qu'il n'y aurait pas de cueillette cette année.
« Ils nous ont dit que c'était dangereux, qu'il ne fallait pas le faire ; alors, nous nous sommes inquiétés. Nous sommes allés voir les autorités militaires israéliennes responsables de la zone. On nous a promis une escorte, mais, le jour dit, personne n'est venu. Nous sommes allés ensuite jusqu'aux colonies, en délégation, pour demander de pouvoir enfin avoir la possibilité de ramasser ces olives. On nous a dit oui, puis, le lendemain, les menaces ont recommencé », raconte Samhan Chreteh. « Ils ont tiré à quatre reprises, heureusement, il n'y a pas eu de blessés.  »
La nouvelle Intifada n'a pourtant pas pris le village à bras-le-corps. « Ici, il n'y a rien eu ; pas de manifestations ni le moindre incident », assure-t-on. Les menaces des colons concernent une vingtaine de paysans. « Ces colonies, je les ai vues se construire au cours de ces dernières années (...) , et j'ai peur que cette interdiction de ramasser les olives ne soit qu'un premier pas. Après, ils prendront ces champs », s'inquiète Nabil Barghouti, qui habite Ramallah, mais qui vient enseigner au village.
DES VILLAGES COUPÉS DU MONDE
Heureusement pour eux, les oliviers de Mazraa Gharbié ne sont pas situés à proximité des axes routiers réservés aux colons et tracés unilatéralement par Israël sur les terres palestiniennes. Ils ont ainsi échappé aux bulldozers de l'armée, qui traquent le moindre abri pour des tireurs éventuels, voire aux tronçonneuses des colons.
Mazraa Gharbié se trouve en zone B, c'est-à-dire placée sous l'autorité administrative de l'Autorité palestinienne, mais Israël en garde le contrôle pour tout ce qui relève de sa « sécurité », une notion extrêmement floue qui permet une interprétation très extensive. Le directeur de l'école, Rawhi Agel, habite un village voisin, Attara, lui aussi situé en zone B. « C'est à seulement dix minutes d'ici en temps normal », annonce-t-il.
Mais, entre les deux villages, passe une route de contournement empruntée par les colons. La route est enjambée par un pont classé, lui, en zone C, zone où les Israéliens restent omnipotents. Depuis l'Intifada, le directeur met en moyenne deux heures pour effectuer le trajet qui ne lui prenait autrefois qu'une dizaine de minutes. Il lui faut utiliser des voies détournées pour pouvoir accéder à son école.
« C'est tout de même mieux qu'au début de l'Intifada, car, à ce moment-là, personne ne pouvait quitter le village. L'armée israélienne avait pris position sur les routes et elle ne laissait passer personne, pas même les malades. Mon jeune fils a été souffrant à ce moment et je n'ai pas pu le conduire auprès d'un médecin », assure Rawhi Agel. Des dizaines de petites localités de Cisjordanie se sont retrouvées également coupées du monde. Le Croissant-Rouge palestinien, soutenu par de nombreuses organisations humanitaires internationales, a dénoncé à plusieurs reprises cette autre forme de bouclage, plus discrète, mais en vain.
 
16. Ha'Aretz [quotidien israélien] du vendredi 22 décembre 2000
L'Allemagne ne financera pas la construction de 2 sous-marins supplémentaires pour la Marine israélienne 
[traduit de l'hébreu par le Service de presse de l'ambassade de France à Tel-Aviv]
C'est ce qu'a dit le ministre allemand de la Défense, Rudolph Scharping, en visite en Israël. Ehoud Barak, qui recevait Scharping au ministère de la Défense, l'a remercié pour les excellents rapports militaires entre les deux pays, y compris la livraison de 3 sous-marins "Dolphin" à la Marine israélienne. Il a ajouté que la politique équilibrée de l'Allemagne contribue à la stabilisation en cette période très délicate au Moyen-Orient.  Au ministère de la Défense, on étudiait ces derniers temps la possibilité de recevoir 2 nouveaux sous-marins "Dolphin", en sus des 3 déjà livrés... On avait ouï dire que le gouvernement allemand est intéressé à la survie des chantiers qui ont construit les 3 unités livrées, et dont les carnets de commandes étaient vides; Israël caressait l'espoir que Berlin financerait l'opération. Mais entre-temps, la fermeture de la plupart des chantiers qui construisent des sous-marins en Europe a regarni le carnet de commandes des chantiers allemands - et cette éventualité est tombée à l'eau...

17. Le Nouvel Observateur du jeudi 21 décembre 2000
L'honneur discuté de la France par Jean Daniel
Instruire - à nouveau - les jeunes générations de ce qui s'est passé pendant la guerre d'Algérie : pourquoi pas ? Les conduire à méditer sur le fait que l'homme, quel qu'il soit, peut devenir une bête dans certaines situations : rien de plus sain.
Rappeler que, parmi toutes les horreurs que s'infligent les uns aux autres les êtres humains, la torture est peut-être le procédé le plus humiliant pour la victime, le plus déshonorant pour le bourreau : voilà de la bonne pédagogie au lendemain d'un siècle qui fut celui des génocides et des massacres, et à l'aube d'un autre qu'assombrissent déjà des barbaries généralisées au Proche-Orient et surtout, surtout, dans cette Afrique délaissée, abandonnée, ignorée et qui sombre chaque jour un peu plus.
Cela dit, à propos de l'Algérie, on ne peut pas dire n'importe quoi avec l'idée qu'il est courageux de se flageller et audacieux de se repentir. La morale ne saurait régner aux dépens de l'Histoire. On avance parfois que raconter l'enchaînement des faits aboutit à excuser les comportements. Je n'en crois rien. Par respect pour la vérité, je m'interdis de le croire. Expliquer n'est pas pardonner, et ce n'est pas parce que nous admettons que les Allemands ont été humiliés en 1914 par le traité de Versailles que nous devrions être conduits à « comprendre » le nazisme. Sur l'Algérie, il y a des choses à rappeler, à reconstituer, à savoir. Par exemple le fait que, lorsque l'insurrection algérienne commence, en novembre 1954, la nation française n'a pas mauvaise conscience. Elle a commencé la grande aventure de la décolonisation avec la paix signée avec le Vietminh en Indochine et avec l'octroi à la Tunisie de l'autonomie interne. Sans doute le sultan du Maroc est-il encore, à l'époque, déporté à Madagascar, mais on parle déjà d'un possible retour.
A l'ONU, le tiers-monde salue les initiatives d'un chef de gouvernement français, Pierre Mendès France. Et lorsque surviennent les actes de rébellion d'un certain nombre de maquisards plus ou moins considérés comme des ban- dits d'honneur réfugiés dans les montagnes, il ne se trouve personne pour y voir les signes avant-coureurs d'une véritable insurrection. D'autant que les premiers actes de terrorisme - contre un instituteur français et un notable algérien - sont désavoués par ce que l'on appelle en France « les forces de progrès », comme ils le sont en Algérie par tous les nationalistes et par les communistes. L'Etat français, héritier d'une colonisation de cent trente ans jalonnée d'alternances de répits et de répressions, est garant de la sécurité de 1 million d'Européens nés en Algérie et d'une bonne partie des 9 millions de musulmans non encore instruits des ambitions insurrectionnelles des premiers maquisards. En attendant que les insurgés s'organisent, même les plus idéalistes qui auraient pu avoir l'idée - insensée pour l'époque - de proposer une indépendance de l'Algérie n'auraient pas su à qui l'accorder. Il fallait donc recourir à des comportements d'autodéfense.
Il paraît évident aujourd'hui, a posteriori, que le ministre de l'Intérieur, François Mitterrand, aurait dû aussitôt s'appuyer, pour rétablir l'ordre et pour annoncer des réformes, sur les nationalistes modérés réunis autour de Ferhat Abbas. C'est à quoi Mendès France se met à penser lorsque les lobbies coloniaux, conduits par René Mayer, font tomber son gouvernement. Plus tard cependant, lorsque Guy Mollet parviendra au pouvoir alors que c'est Mendès France que l'on attendait, une procédure politique va être lentement élaborée. C'est le mérite de Germaine Tillion, personnalité non suspecte de complaisance pour les tortionnaires, d'avoir rappelé qu'à partir de 1956 tous les gouvernements successifs ont cherché à prendre langue avec les représentants de mieux en mieux organisés de l'insurrection algérienne. Avec l'idée de leur proposer un schéma qui deviendra obsessionnel : le triptyque cessez-le-feu - élections - négociations. Le refus de cette proposition a servi d'alibi à la répression la plus déchaînée.
Mais ce que l'on oublie parfois, c'est que le général de Gaulle lui-même n'a abandonné ce triptyque que pour tout lâcher. Simplement, il pensait que le FLN, devenu entre-temps un gouvernement provisoire en exil, lui accorderait, à lui, de Gaulle, la confiance qu'il avait refusée à ses prédécesseurs pour organiser des élections honnêtes, ce qui n'avait pratiquement jamais eu lieu en Algérie. La répression s'est étendue et s'est amplifiée, tandis que le FLN continuait de refuser les propositions de Christian Pineau au Caire, faites au nom de Guy Mollet, comme celles de De Gaulle proclamant « la paix des braves », le collège unique et l'égalité de tous les électeurs devant la loi. L'idée permanente était de ne pas accorder au seul FLN, pour gérer l'Algérie nouvelle - qu'elle fût autonome, fédérée ou indépendante -, l'exclusivité de la représentation et de l'exécutif.
Pour assurer et organiser la répression, on a fait appel à l'armée avant de rappeler le contingent. Les chefs de cette armée étaient dans un état moral particulier. Ils revenaient d'Indochine, où ils avaient essuyé la première grande défaite de la décolonisation, à Diên Biên Phu. Certains d'entre eux avaient été « interrogés » de manière bien particulière par leurs geôliers vietnamiens. Tous savaient comment la guerre psychologique avait été théorisée par un ennemi acquis aux méthodes chinoises et qui infligeait à son propre peuple une terreur idéologique où la torture jouait un rôle déterminant. C'est à ce moment-là que quelques colonels français ont eu l'étrange idée que les méthodes utilisées par les Vietnamiens pour dominer leur peuple pourraient réussir si les Français les appliquaient aux Algériens. Il y a des zones, des territoires où ils se sont crus proches du succès. Ce fut là où les unités mal contrôlées de la résistance algérienne prenaient l'initiative de piller les villages et, à certains moments, de torturer les tièdes et de punir les suspects, y compris dans leurs familles.
C'est avec ces Algériens terrorisés que les Français devaient constituer des milices d'autodéfense réunissant ceux que l'on devait appeler les harkis, dont un très grand nombre devaient être, après l'indépendance, abandonnés par la France et massacrés par les Algériens. S'il y a une dimension pédagogique dans le rappel des épisodes de la guerre d'Algérie, il importe que cet abandon des harkis ne soit pas occulté. Lorsque le terrorisme urbain est devenu meurtrier et de plus en plus menaçant, les stratèges de la « guerre totale » ont décidé de recourir à un procédé pratiqué depuis 1945 en Algérie et de le perfectionner : l'interrogatoire avec torture, par l'immersion, la brûlure, l'électrocution. Cette pratique a été dénoncée par des hauts fonctionnaires, des généraux, des prêtres, des intellectuels et des journalistes. La nation en a eu connaissance et ses élites l'ont désavouée. La torture n'était d'ailleurs pas le seul forfait qui révoltait les protagonistes et les témoins. Les massacres collectifs ont empêché de dormir des générations de militaires d'active et de soldats du contingent. Mais ceux qui ont participé à cette mission de dénonciation retentissante et de contestation opiniâtre sont en droit d'estimer qu'il y avait plus de mérite à le faire lorsque leurs témoignages les exposaient à tous les risques qu'il n'y en a aujourd'hui à se livrer à des réquisitoires réducteurs et manichéens.
C'est pourquoi, après avoir à l'époque lutté au nom de la morale et pour sauver l'honneur, ils revendiquent aujourd'hui, pour juger l'affaire algérienne, la sérénité de l'historien. Cela ne les empêche pas d'adjurer les jeunes Français et les jeunes Algériens de proclamer : plus jamais ça ! Qui après Auschwitz pourrait reprocher à un juif, chaque fois qu'il se sent mis en question, chaque fois qu'il croit son peuple pris pour cible et chaque fois qu'il a le sentiment d'être seul contre tous, de rattacher le procès de circonstance à un destin éternel de persécution ? C'est un peuple qui a appris dans sa chair et dans son âme à redouter le pire. Au point que, parvenu au faîte de sa puissance, une sorte de détresse sourde le tenaille. Ne pas comprendre cette évidence traduit une inconscience souvent désarmante.
Cependant, peut-on lui rappeler aujourd'hui sans indécence que pendant le dernier demi-siècle il n'y a rien eu, ni dans le monde, ni en Europe, ni surtout en France, qui permette d'évoquer la fatalité d'un antisémitisme accompagné des éternelles malédictions ? Sans même parler de l'épanouissement dans tous les domaines que les Français nés juifs ou les juifs de toute origine ont connu en France, il faut être aveuglé par une passion bien ténébreuse pour ne pas se souvenir des peurs que les Français ont eues au moment où Israël leur paraissait menacé par les armées arabes, puis du soulagement euphorique et admiratif suscité par les victoires des armées israéliennes. Et comment ne pas rappeler, enfin et surtout, les espérances enthousiastes suscitées par le voyage de Sadate à Jérusalem et les accords d'Oslo ?
Dans l'inquiétude, dans la guerre et dans la paix, les Français, en dépit de la fameuse « politique arabe » de leurs diplomates, ont accompagné le destin israélien. Mais se déclarer aujourd'hui consterné par l'idée que les victimes s'exposent à devenir des bourreaux ; redouter que les Israéliens perdent leur âme en demeurant des occupants ; proclamer que les fameuses colonies implantées au coeur des territoires palestiniens sont de consternantes provocations, n'est-ce pas aussi se préoccuper du destin juif ? Ces réquisitoires contre un comportement ne sont en rien, ni de près ni de loin, l'expression d'un quelconque racisme qui rappellerait que la France a été sous Vichy l'alliée des nazis. En toute justice, c'est quelque chose que l'on ne doit pas dire. Que l'on ne doit pas penser. Il serait temps de procéder à une froide analyse des positions de la droite israélienne plutôt qu'à la psychanalyse de ceux qui les dénoncent. L'Etat israélien est un Etat comme tous les autres. Et ce n'est pas parce qu'il gère la mémoire d'un peuple qui ne ressemble à aucun autre qu'il doit espérer susciter des indulgences inconditionnelles. Après les lettres, les fax et les e-mails, nous recevons maintenant des cassettes vidéo qui prétendent nous éclairer sur le machiavélisme des Palestiniens, lesquels tiendraient un double langage selon qu'ils s'adressent aux Arabes ou aux étrangers.
Ainsi, les imams prêchent la guerre sainte dans les mosquées ; les manuels scolaires des petits Palestiniens sont rédigés de manière à former des esprits haineux et vindicatifs ; enfin, la presse du monde arabe - et singulièrement, hélas, celle du Maroc, en dépit des nobles recommandations du roi Mohammed VI - passe allègrement de l'antisionisme le moins responsable à l'antisémitisme le plus vulgaire. Rien de tout cela n'est faux ! Rien ! Comment peut-on penser que nous l'ignorons ? On ne le dit pas assez ? C'est possible. Si c'est vrai, nostra culpa. Mais attention : nous avons vu venir tout cela depuis quelques années. Nous avons guetté avec anxiété les moments où cela devait arriver. Nous avons adjuré les dieux de nous donner tort dans nos prévisions. Ma première inquiétude, personnellement ? Elle date du jour où il s'est trouvé un juif, un fils d'Abraham, un héritier du monothéisme, un Israélien, pour aller tirer, à Hébron, sur des fidèles en prière. Quel manuel scolaire avait-il lu, lui ? Que lui avait-on enseigné, à Brooklyn ou à Jérusalem ? Comment expliquer que soit née ensuite une secte pour adorer l'assassin ? A peine étions-nous disposés à considérer cette horreur comme exceptionnelle que survenait un autre juif, éduqué par d'autres fanatiques, qui assassinait Itzhak Rabin. Froidement, il tuait celui qui incarnait le miracle de l'espérance, grâce à qui les opinions publiques arabes étaient en train d'opérer une véritable conversion en faveur de la coexistence et de la réconciliation. Sont venus ensuite, avec le Hamas, les alliés intégristes musulmans de l'intégriste juif. Avec leur terrorisme, ils ont fait perdre les élections à Shimon Peres, et amené au pouvoir Benyamin Netanyahou.
C'est alors la nuit qui est tombée avec ce personnage. Il n'y a pas ici de fatalité de l'antisémitisme, il y a le malheur des passions aveugles. Ceux des Palestiniens qui avaient conclu les accords d'Oslo n'ont plus disposé d'armes contre les fanatiques, dont la propagande israélienne nous rappelle l'existence. En somme, on veut nous faire découvrir qu'il y a toujours eu dans les deux camps des ennemis fanatiques de la paix. Nous le savions, hélas, nous le savions !