Télévision
1. FRANCE 3 présente samedi 23 décembre 2000 à 22h45 "Jérusalem
ou les défits du christianisme"
Dans le cadre de sa série "Les Cités
de Dieu" France 3 présente ce reportage inédit, réalisé par Jean-François
Colisimo, Olivier Mille et Christian Makarian (2000).
A Jérusalem, les dix mille chrétiens
servent de "pont" entre les communautés arabe et juive déchirées par
Henri Tincq in Le Monde Télévision du 17 décembre
2000
La gloire et la croix. Dans la Washington
protestante comme dans la Moscou orthodoxe et la Rome catholique - les trois
premiers numéros des Cités de Dieu -, on voyait un christianisme effervescent,
ressuscitant, triomphant. A Jérusalem, il est archi-minoritaire, enfoui, caché,
désuni.
Pas moins de treize Eglises et une palette de rites - arménien,
copte, latin, grec, syriaque, etc. - campent au milieu des pierres - le Cénacle,
la Via Dolorosa serpentant dans la vieille ville, Gethsémani, le Golgotha, le
Saint-Sépulcre -, qui témoignent des dernières heures de la vie de Jésus, son
procès, sa Passion, sa crucifixion. Des pierres qui entretiennent la mémoire de
vingt siècles de foi chrétienne, qui, au-delà de la diversité des races, des
cultures, des confessions, attirent des millions de pèlerins dans cette ville
trois fois sainte.
On en oublierait presque leurs hôtes locaux, ces
chrétiens héritiers des premières communautés qui ont suivi Jésus et qui, malgré
conquêtes militaires et occupations, sont restés fidèles à leurs origines. Leur
présence en Terre sainte se rétrécit comme peau de chagrin : ils ne sont plus
que 2% de la population en Cisjordanie, à Gaza, à Jérusalem. Dans cette
dernière, le nombre des chrétiens a été divisé par trois depuis 1948 : ils sont
moins de dix mille.
Le responsable de cette série, Jean-François Colosimo, et
son réalisateur, Olivier Mille, ont réuni un nombre impressionnant de témoins,
parmi lesquels Michel Sabah, patriarche latin, Lutfi Laham, métropolite melkite,
Alexandre Winogradsky, prêtre orthodoxe, Franz Bouwen, Père blanc, un évêque
anglican, une pasteur luthérienne, etc. Tous admettent l'"exode". Tous parlent
de la présence chrétienne à Jérusalem en termes de "survie" et d'enjeu de
civilisation.
Dans cette ville qui est l'épicentre des tensions de tout
l'Orient, les chrétiens vivent et prient sous le regard croisé des Israéliens et
des Palestiniens, des juifs et des musulmans. Ils constituent ce "tiers" dont on
ne parle jamais ou presque, comme s'ils étaient voués à devenir étrangers sur
leur propre terre, gardiens de reliques ou de vieilles pierres. Comme si l'on
oubliait qu'ils étaient à la fois des Arabes Palestiniens et des héritiers du
peuple juif de Jésus et de Marie. Leur vocation est d'être un "pont" entre
communautés arabe et juive livrées à elles-mêmes.
2. PLANETE présente lundi 25 décembre
2000 à 22h50 "A la recherche de la Palestine perdue"
Planète
présente un reportage exceptionnel, réalisé en 1998 par Charles Bruce,
autour de l'écrivain palestinien Edward Saïd.
A la recherche de ses racines
palestiniennes, Edward Saïd, un New-Yorkais atteint de leucémie, retourne sur la
terre de ses ancêtres avec son fils Wadir. En 1998, alors qu'Israël fêtait les
cinquante ans de sa création, les Palestiniens luttaient toujours pour récupérer
leurs territoires. Edward Saïd habite New York et a quitté la Palestine il y a
cinquante ans, alors qu'il était enfant. Ses parents, aujourd'hui décédés,
s'étaient mariés à Nazareth en 1932 et n'ont jamais pu y revenir. Atteint de
leucémie, Edward revient sur cette terre chérie et regrettée dont plus d'un
million de Palestiniens furent expulsés au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale. Accompagné de son fils Wadir, qui porte le nom de son grand-père, il
raconte l'expérience de sa famille, la perte de leur maison et l'assassinat de
ses vingt-cinq parents par des Juifs, tout en visitant les lieux de son histoire
personnelle.
3. PLANETE présente vendredi 29 décembre
2000 à 21h50 "Les Palestiniens"
Documentaire réalisé en 1975 par Johan Van der
Keuken. Les tensions politiques au Liban, en 1975, à quelques mois du
déclenchement de la guerre et les revendications des Palestiniens. Le Liban en
1975, à quelques mois du déclenchement de la guerre sanglante qui devait
endeuiller et ruiner le pays pendant plus de quinze ans. A une répartition de la
population par classes sociales s'en superpose une autre, par origine ethnique
et pratique religieuse, chrétiens maronites, druzes, musulmans sunnites et
chiites vivant tant bien que mal ensemble, aux côtés d'une forte communauté
palestinienne en exil.
CHRONIQUE PALESTINIENNE : Occupation, violences et
humiliations au
quotidien
Un rapport de
Médecins Sans Frontières
Témoignages recueillis
par les équipes présentes dans les Territoires de Palestine (Décembre
2000)
Plus
de deux mois après le début de l'Intifada d'Al-Aqsa, la réalité quotidienne des
populations civiles confrontées à la violence est extrêmement préoccupante. La
violence de l'occupation israélienne, le piège dans lequel est prise la
population palestinienne, la disproportion des moyens employés ont de lourdes
conséquences pour les civils qui les subissent. La répression israélienne prend
des allures de punition collective et les moyens militaires utilisés sont ceux
habituellement déployés dans les situations de guerre conventionnelle, et non
contre des civils.
Le blocus économique imposé par Israël aux territoires
palestiniens fragilise encore une structure sociale déjà précaire et souligne
l'extrême dépendance dans laquelle sont maintenues les familles
palestiniennes.
De fait, les conditions de vie quotidienne de ces familles ne
cessent de se dégrader. Les Palestiniens vivent dans la peur permanente des
représailles de l'armée israélienne et des colons juifs. Leur frustration à
l'égard de l'Autorité Palestinienne augmente. Les familles palestiniennes
disposent de moins en moins de revenus pour vivre. Les Palestiniens employés en
Israël ne peuvent plus se rendre à leur travail, la circulation des personnes et
des biens est régulièrement entravée.
Sous prétexte de prévenir des actes terroristes, des
maisons palestiniennes, situées à proximité de colonies juives, ou de routes
utilisées par les colons, sont rasées, réquisitionnées, en toute impunité ; des
familles palestiniennes se voient contraintes de fuir leur foyer en raison de
tirs réguliers contre leur village. Les intimidations et les humiliations sont
quotidiennes.
Les obstacles à l'accès aux soins sont nombreux. Il est
devenu difficile de circuler librement ; les contrôles sont fréquents, longs et
humiliants. Autant dire que, pour certaines familles, il devient impossible de
se rendre dans les structures médicales palestiniennes ou d'avoir accès à un
médecin. Pour certains malades, la peur de voir leur maison réquisitionnée ou
détruite pendant leur absence est si grande qu'elle les pousse à renoncer à se
faire soigner. L'accès aux soins pour la population est dès lors soumis à de
nombreux aléas, alors même que la violence exercée contre les familles
palestiniennes et le climat de terreur dans lequel elles vivent génèrent des
états de stress et de peur panique très intenses, réclamant une prise en charge
soutenue.
Dans ce nouveau contexte de violence, Médecins Sans
Frontières vient d'ouvrir deux nouvelles missions d'assistance en Palestine.
L'une dans la bande de Gaza, la deuxième dans la vieille ville
d'Hébron.
Adaptées à un contexte de violence très particulier, ces
interventions ont pour spécificité :
1. de rassembler des médecins et des
psychologues dans une pratique clinique conjointe, car les événements actuels
provoquent à la fois des troubles physiologiques et psychologiques :
accentuation des pathologies chroniques ou antérieures par le stress, colère,
angoisses, peur " d'avoir été empoisonné ", troubles du sommeil ou de
l'alimentation… La consultation médicale permet de détecter et de soigner les
troubles physiologiques. Parallèlement, le psychologue peut commencer un travail
thérapeutique permettant aux patients d'exprimer leur peur, de traiter leurs
traumatismes et de réduire leur stress.
2. d'être axées sur des visites à domicile, car les
entraves opposées à la circulation des personnes ainsi que la terreur ressentie
par les patients les empêchent le plus souvent de se déplacer pour
consulter.
3. de s'adresser en priorité aux personnes (adultes et
enfants) les plus exposées, c'est-à-dire celles qui vivent à proximité de lieux
d'affrontements, de zones bombardées, de colonies juives ou de camps militaires
israéliens.
Ce document présente les observations des équipes de
Médecins Sans Frontières en Palestine recueillies depuis novembre 2000, lors de
leurs premières visites dans les familles. Les extraits du journal de bord de
l'équipe de Gaza, et le témoignage de l'anesthésiste qui a travaillé dans
l'hôpital de Qalqylia en Cisjordanie décrivent, tous deux, les conditions de vie
quotidienne des familles palestiniennes, entre violences, peur, intimidations et
humiliations. Ils soulignent également les contraintes imposées au travail des
équipes médicales.
JOURNAL DE BORD DE L'EQUIPE
PSYCHO-MEDICALE MSF - GAZA, NOVEMBRE-DECEMBRE 2000
- Dimanche 12/11/00
Visite dans le quartier Salah'edine à
Rafah.
Première famille
Nous retournons voir un petit
garçon de 8 ans qui présente des troubles depuis la destruction de l'étage de la
maison où il dormait avec ses frères. Il est un peu mieux que lors de notre
précédente visite, mais reste encore fragile. Il dit tout le temps qu'il a peur,
il est anxieux. Sa famille le trouve changé, il n'est plus comme avant, il a
perdu sa gaieté, il est inquiet.
On entend des tirs qui passent au dessus de
la maison.
Nous parlons avec lui et son frère aîné (l'enfant ne veut pas
rester tout seul avec nous), nous l'aidons à exprimer ce qu'il ressent et à
raconter lui-même ce qu'il a vécu durant cette attaque de la
maison.
Deuxième famille.
Dans cette rue très
exposée, nous voyons une maison criblée d'impacts de tirs, et nous demandons aux
personnes qui sont là dans la rue si des gens habitent ici. La maison est
occupée par un couple plus très jeune, sans enfants. Le mari est un ancien
professeur d'anglais de collège. Ils nous invitent à entrer et se montrent très
enclins à nous parler. Ils vivent dans un stress permanent depuis le début de
l'intifada, ils sont juste en face du poste militaire israélien, à portée de
tir. Les balles ont traversé le salon à plusieurs reprises, juste là où nous
sommes assis en train de discuter (!). Ils vivent désormais repliés dans la
pièce du fond, sortent par la porte de derrière pour aller voir leurs voisins,
mais ne s'éloignent pas, de peur qu'en leur absence un incendie ne se
déclare.
Ils ne dorment plus, ne mangent plus ou très peu car plus rien ne
passe, le monsieur âgé de 58 ans se plaint de douleurs articulaires et
musculaires, la dame âgée de 37 ans se plaint surtout de la peur qui ne la
quitte pas. Ils nous racontent tout cela avec pourtant un certain humour et
remercient Dieu de ne pas avoir d'enfants, sinon ils seraient certainement plus
mal, vu le sort réservé aux jeunes en ce moment.
Toutefois, derrière cet
humour de surface, on devine une sourde angoisse qui filtre à travers des propos
très amers contre l'Autorité palestinienne " qui s'en est mis plein les poches,
et en qui on ne peut avoir confiance ". Ils se sentent isolés, sans appui,
abandonnés et livrés à un grand pessimisme.
Troisième famille
En face de celle-ci
mais tout à fait adossée au poste israélien, une autre maison devant laquelle se
tient un homme. Aux fenêtres, des femmes et des enfants. Le monsieur nous invite
à entrer, il habite là avec sa famille. Pour entrer chez lui, il faut tourner à
l'angle de la maison, là où les jeunes viennent s'affronter. C'est exactement
ici que certains ont été blessés et tués. En montant l'escalier, on se baisse en
passant devant les ouvertures, impacts de tirs et trous larges comme une main
dans les cloisons. Deux étages, deux familles, l'une est partie se réfugier
ailleurs. Pendant que nous parlons dans une pièce close et calfeutrée, on entend
les tirs tout proches et les gaz commencent à nous piquer les yeux . Les enfants
sont calmes et silencieux, ils ont l'air grave, écoutent leur père parler. Ils
partent chaque soir avec leur mère dormir ailleurs, le père revient seul dormir
ici pour garder la maison (peur de l'incendie toujours). Le jeune de 15 ans ne
participe pas aux affrontements, du moins c'est ce qu'il affirme devant son
père. Celui-ci a essayé de dissuader les jeunes de venir s'affronter, il n'en
peut plus de les voir tomber et aussi que cela se passe si près de chez lui,
mais il reconnaît qu'il est impuissant à les empêcher.
Khan Yunis
A l'extrémité ouest de la
ville, le camp de réfugiés est situé aux abords directs d'une zone de colonies.
Il est comme enclavé en son extrémité dans une zone entièrement contrôlée par
l'armée israélienne, les dernières maisons sont exposée aux affrontements
quotidiens, les immeubles de plusieurs étages qui dominent ces maisons sont
criblés d'impact de tirs. Ce sont aujourd'hui des immeubles vides.
Nous
rendons visite aux deux familles qui vivent dans les deux maisons les plus
exposées car situées au bout de la ruelle, et face aux installations militaires
qui sont à peine à 20 mètres.
Les affrontements ont eu lieu ici depuis le
début de l'Intifada, et depuis deux jours ils se sont déplacés à 100 mètres
d'ici, ce qui n'est pas beaucoup, mais assez pour qu'un peu de calme revienne
pour ces familles.
Presque toutes les familles ont quitté ce quartier, au
moins pour la nuit.
C'est le père qui parle, il est très anxieux et s'exprime
dans une logorrhée abondante. Il a sept enfants de 2 à 14 ans, il craint pour
leur vie, pour leur santé, il ne travaille plus, il est très inquiet. Il évoque
les drames antérieurs de la guerre pour sa famille : sa fille aînée de huit ans
a été tuée en 1993, elle portait un t-shirt à l'effigie de Saddam Hussein le
jour où elle a été tuée. Deux de ses frères ont été tués, l'un en 1976 et
l'autre en 1991 lors d'affrontements. Il y a quelques jours, sa fille de 7 ans a
voulu renverser la télévision alors qu'elle regardait les images de l'Intifada.
Il est dans un état de stress permanent, il ne dort plus, il a vu les jeunes
blessés, il exprime son impuissance devant les événements. " Nous, les
Palestiniens, nous sommes instruits et intelligents, mais nous n'avons pas de
chance, votre visite nous apporte un peu de réconfort ".
- Lundi 13/11
Erez
Ce village bédouin se trouve face
à un lieu où les affrontements sont quotidiens.
Nous rencontrons des gens épuisés par la situation. Ils
vivent en contrebas de la route, devant eux les installations militaires,
derrière eux le quartier de Beit Hanoun. Ils sont en face ou au-dessous des
tirs. C'est un camp assez pauvre, les hommes travaillaient presque tous en
Israël. Nous nous installons d'abord dans la cour de l'une des maisons pour
parler avec les gens qui sont là : des hommes, des femmes et de très jeunes
enfants. Ce sont en général des maisons en tôle, certaines sont en dur mais de
construction plus que légère. Ils n'ont aucune protection solide, ni vis à vis
des tirs, ni vis à vis des gaz. On ne compte pas les impacts de balles qui
trouent les " murs " de ces habitations. Les installations de l'IDF (Forces de
Défense Israéliennes) surplombent le village, ce sont des filets de camouflage,
on ne voit pas les soldats, on devine leurs présence et les armes pointées en
permanence, une menace invisible mais omniprésente.
Aujourd'hui et pour la
première fois depuis le début de l'Intifada, il n'y a pas eu d'affrontements, il
est 13 heures, hier à la même heure nous n'aurions pu pénétrer ici, et demain ?
Mieux vaut revenir plus tôt dans la journée.
Les gens souffrent des gaz, ils
n'arrivent plus à protéger leurs enfants et eux-mêmes depuis l'apparition de ces
nouvelles grenades lacrymogènes plus concentrées. Ils se protègent en appliquant
des oignons sur le visage, mais cette protection est devenue inefficace.
Un
homme raconte qu'il y a eu des jeunes blessés lors des affrontements, ils se
sont réfugiés dans le village pour se mettre à l'abri des tirs et trouver du
secours, il a vu ces blessés et l'un mort, que l'on a dû traîner sur le sable
pour aller jusqu'à l'ambulance. Ils avaient les jambes touchées, il y avait
beaucoup de sang, cet homme pense tout le temps à ces jeunes qu'il a vu souffrir
devant ses yeux. Il sait que deux d'entre eux ont dû être amputés. Il est envahi
par ces images de mort. Ce monsieur nous confiera plus tard d'autres problèmes
qui traduisent une grande anxiété, il nous demande de revenir pour qu'il puisse
nous parler en privé, ce que nous ferons.
Un autre homme, plus jeune, est
désigné par les autres comme très souffrant. " Hier il était comme fou "
disent-ils. Il raconte comment son père, un homme âgé, a été asphyxié lors d'un
jet de gaz, il y a environ un mois, au début de l'Intifada. Le jeune, voyant son
père en difficulté, est allé vers lui pour le secourir, ils ont alors été tous
deux exposés. Cet homme nous confie qu'il a eu du mal à maîtriser sa peur. Il a
transporté son père à l'abri des tirs, celui-ci avait perdu connaissance. Hier
cet homme a été pris de panique lors de nouveaux tirs de gaz, il a fait
irruption par la fenêtre chez son voisin pour se protéger, lui, sa jeune femme
enceinte et ses deux enfants en bas âge. Il a perdu le contrôle de ses nerfs, et
sa femme est aujourd'hui alitée, malade.
Nous avons rendu visite à cette
jeune femme. Elle présente des troubles consécutifs au stress aigu dont elle a
été l'objet, nous pouvons parler avec elle, elle réagit positivement à notre
approche. Nous la reverrons demain avec le médecin pour un examen somatique très
utile dans ce cas, du fait de symptômes physiques qu'elle présente, puis
continuerons à la suivre sur le plan psychologique.
Les inquiétudes exprimées
à propos des gaz sont récurrentes, stérilité, maladies qui se déclareront dans
vingt ans sont à l'esprit de chacun. Réflexion d'un homme après la visite du
médecin auprès de cette femme : ça va mieux pour elle aujourd'hui, mais que
va-t-il arriver à son bébé ?
La sensation d'étouffement consécutive à
l'inhalation de ces gaz provoque une sensation de mort imminente, aggravée par
la croyance en leur nocivité chimique. On ne connaissait pas ces petites
bonbonnes, très concentrées et qui libèrent une quantité supérieure de gaz à
celles utilisées auparavant. Celles-ci, qui étaient en caoutchouc noir,
pouvaient être saisies et relancées au loin ; les nouvelles sont en métal
brûlant, tournoyant sur elles-mêmes, impossibles à saisir.
Proximité de la colonie
Netzarim
Quatre maisons se trouvent sur un même terrain, juste
derrière les deux immeubles qui ont été dynamités par l'IDF pour faire place
nette (lieu où a été tué le petit Mohamed Dura et son père blessé), à ce
carrefour qui mène à la colonie de Netzarim.
Quatre familles vivent là (des
frères) avec leurs nombreux enfants. Ce sont d'anciens réfugiés, ils ont
construit là en 1990. Nous nous installons dans la grande pièce, le sens de
notre visite est bien compris. Un seul des pères est présent, deux mères
soucieuses pour leurs filles, l'une surtout qui ne cesse de demander à partir
d'ici. Les murs, pourtant épais, ne rassurent plus, le récit de cette nuit
interminable (explosion des immeubles) se fait à plusieurs voix. " On a pensé
qu'on n'en sortirait pas vivants ". La jeune fille qui a peur s'exprime,
encouragée par sa cousine qui parle plus volontiers. La grand-mère, qui s'est
jointe à nous, raconte la terreur qu'elle a ressentie, trouvant refuge sous
l'escalier. Elle se demande si elle ne devrait pas prendre des médicaments pour
dormir. Au dehors, on entend les chars qui passent et repassent, rappel de
l'omniprésence militaire que chacun ici ne peut oublier. Les enfants ne sortent
que pour aller à l'école, accompagnés par les parents.
- Mardi 14/11
Nouvelle visite au village d'Eretz
La
jeune femme enceinte fait l'objet de cette visite.
Dans une autre maison, on
nous demande pour une femme et un enfant. En peu de temps arrivent d'autres
femmes avec des enfants en bas âge. La maison ressemble alors à un petit
dispensaire improvisé de PMI.
Deux enfants présentent des troubles liés à
l'anxiété ; une petite fille de 2 ans qui était propre recommence à faire pipi,
un autre enfant plus grand présente les mêmes symptômes. Nous nous entretenons
avec les mères et leurs enfants, pour expliquer le lien entre le ressenti de la
peur et les régressions qui peuvent survenir en conséquence chez les enfants
petits. Il s'agit d'une réaction normale face à une situation anormale.
Rassurer, consoler, protéger, entourer, comment faire face quand on a trois ou
quatre enfants qui demandent tous cette même attention ? La jeune mère exprime
son débordement.
Nous reviendrons dans ce village pour prendre soin de ces
familles et les aider à prendre soin de ces tout-petits, qui passent de la
maison aux jardins où ils se réfugient lors de chaque affrontements et
menaces.
- Mercredi 15/11
Camp de Khan Yunis
Nous visitons cette
fois l'autre partie du camp qui est exposée aux tirs ; la distance qui
sépare du poste militaire est infime, et les jeunes ici sont nombreux à venir
chaque jour. Plusieurs d'entre eux ont été tués depuis le début des
affrontements.
Il est évident que ces gens vivent dans un stress permanent.
Il règne une ambiance survoltée, tout le monde veut parler en même temps, la
présence du médecin est sollicitée.
Les gens sont dans un état que je
qualifierais d'hypomaniaque : des rires, des cris, des enfants très excités, des
cailloux (petits) qui volent ici où là. Mais des gens qui sont contents de nous
recevoir parmi eux, et de nous expliquer ce qu'ils vivent. Ceux qui le peuvent
ne dorment pas ici. Il y a dans chaque maison une pièce calfeutrée pour se
protéger des gaz.
Lors de cette première visite, nous voyons aussi des mères
inquiètes pour les enfants, un bébé qui ne grossit pas, un enfant qui présente
une énurésie.
- Jeudi 16/11
Camp de Khan Yunis
Lors de notre
seconde visite, nous avons un long entretien avec la mère d'un bébé âgé de 7
mois, au cours duquel nous approchons la problématique qui relève à la fois de
l'anxiété et de la honte d'avoir un bébé qui ne grossit plus depuis trois mois.
Cet enfant présente pourtant un développement psychomoteur normal, il interagit
et se montre éveillé. C'est surtout l'anxiété de la mère qu'il faut
apaiser.
Une autre mère, déjà rencontrée hier, vient nous parler de
l'énurésie de son garçon de 5 ans, nous pouvons lui donner quelques conseils et
nous adresser au petit, qui hier s'était montré comme un " petit dur
".
Le grand frère du bébé est un garçon de 11 ans, aux yeux
pétillants d'intelligence. Il raconte qu'il connaît le jeune qui a été tué hier
(peu de temps après notre visite). Il était dans sa classe. Il revient des
funérailles (que nous avons croisées). Il est fier de parler, et il prend un ton
presque arrogant pour dire que lui aussi va aux affrontements, qu'il n'a pas
peur, et que celui qui n'y va pas après l'école manquerait de courage. Tout le
monde y va, ce n'est pas possible de ne pas y aller. Puis il ajoute que le mort,
le " chahid " (martyr), était " majnoun " (fou), qu'il provoquait les soldats
israéliens (insultes, sexe exhibé). Selon lui, l'enfant qui a été tué a été visé
une première fois, il s'est caché derrière un bloc de béton, puis il a passé sa
tête, et là, il a reçu une balle dans le front. Il parle sans tristesse, il
cherche à nous impressionner, il ne sera pas dit qu'il a éprouvé de la peur. Une
psychologue palestinienne qui m'accompagne est assez troublée par l'expression
de ce petit garçon.
Les jeunes se rassemblent sur le lieu des affrontements
habituels et le lancement de gaz lacrymogènes commencent. Nous ne pouvons pas
rester, nous quittons le camp sans pouvoir prévenir les gens qui attendent le
médecin, et sans pouvoir prévenir de notre prochaine visite.
Un peu plus
loin, nous nous arrêtons et sommes entourées de dizaines de jeunes, surtout des
filles qui viennent de s'approcher très près des postes de l'IDF, et ont reçu du
gaz: Un petit moment d'hystérie collective qui nous fait mesurer à nouveau
l'ambiance très chaude du lieu: " Pourquoi voulez-vous nous tuer ? " crie l'une
d'elles. La psychologue palestinienne et francophone qui nous accompagne
aujourd'hui lui dit que nous sommes français, et que nous sommes venus pour
aider. La jeune fille n'écoute pas et dit que c'est pareil. Nous partons donc
dans une sorte de confusion, qui nous rend un peu pensifs.
- Samedi 18/11/00
Dans le quartier de Al Muragah
Depuis
que le carrefour de Netzarim a été nettoyé, destruction de tous les édifices,
arrachage des arbres, les affrontements se produisent au croisement suivant,
juste à coté d'une petite mosquée, où stationne en permanence une Jeep de l'IDF.
Un ou plusieurs tanks circulent sur la route que les colons empruntent.
Ce
samedi matin est calme, les gens se demandent quel est ce calme inhabituel, ils
n'ont pas connu cela depuis des jours, surtout depuis la nuit de jeudi, où les
bulldozers ont continué leur œuvre de nettoyage. Il y a maintenant de quoi faire
passer une route à quatre voies !
Nous allons de maison en maison, pas de
présence militaire jusqu'à 15 heures. Nous quitterons le quartier vers 16
heures, après avoir rencontré des gens abattus, sous le choc, visiblement
épuisés par des nuits sans sommeil. L'inquiétude est permanente, cela se voit,
s'entend, se dit. Une jeune femme, ayant des compétences de secourisme, se
propose de nous emmener dans les maisons les plus souffrantes. Elle est très
concernée par la souffrance des gens.
Nous identifions au moins 2 personnes
ayant besoin d'un soutien individuel : un homme de 27 ans dont la mère est venue
nous parler, et une mère de famille, qui habite dans une des maisons longeant la
route. Pendant la nuit, la famille a vu le bulldozer arriver sur leur maison,
ils l'ont vu s'arrêter à quelques mètres seulement, après avoir défoncé la
palissade et le puits qui se trouvait à l'entrée. Cette femme demande de l'aide,
elle n'en peut plus.
Une autre famille a vu sa maison se transformer en base
de tir, il y a deux semaines. Les militaires israéliens ont investi la maison
vide pour s'y installer et tirer. Une des petites filles est visiblement très
apeurée (nous reviendrons ultérieurement la voir) car la famille revient juste
aujourd'hui se réinstaller dans la maison.
Dans une autre maison, celle du
cheikh, juste en face de la mosquée, une jeune femme a fait une fausse couche il
y a quelques jours ; sa petite fille de 18 mois est décédée il y a un mois à
cause des gaz (elle a été hospitalisée mais n'a pu être sauvée).
Une autre
maison où des impacts de balle sont bien visibles et de taille assez importante
: là, la famille est en veille permanente, on attend, on surveille. Le père et
le fils (pharmacien) ont l'air solides.
Une autre femme dans une autre maison
a fait une fausse couche il y a quatre jours, elle dit qu'elle va bien, qu'elle
est forte, qu'elle n'a pas peur des militaires, avec son mari ils se feront
rouler dessus par les bulldozers plutôt que de partir !
Au moment où nous
partons, nous croisons les jeunes qui vont vers le carrefour des affrontements :
" nous n'avons pas encore commencé " disent-ils !
- Dimanche
19/11/00
Erez, le long de la mer.
Visite de
cette zone sous contrôle IDF, à l'extrême nord de la bande de Gaza, où se
trouvent les colonies de Alaï Sina et Nevetz Sala.
C'est une zone agricole où
les gens vivent entourés par deux implantations israéliennes, il n'y a pas eu
d'affrontements mais la peur s'est emparée des agriculteurs dont la majorité ne
dort plus ici, ils retournent au camp de la mer d'où ils sont originaires, et ne
viennent que pour travailler la journée. Seules quelques familles restent en
permanence mais leur sommeil n'est pas tranquille.
Vivent aussi ici des
familles bédouines, installées depuis l'arrivée de l'Autorité Palestinienne,
disséminées sur cette zone. Elles vivent de manière très traditionnelle et
clanique, à la différence de celles que nous avons vues à Erez, plus
sédentarisées. Nous avons visité une de ces familles, particulièrement
exposée puisqu'à portée de tir du char et du poste avancé de l'IDF (positionnés
à l'entrée de la colonie) que l'on aperçoit à environ 100 mètres. Cette famille
se sent extrêmement vulnérable, isolée, démunie : ils voient la nuit tomber avec
angoisse et ne dorment pas. Cette région où ils se sont installés il y a six ans
(ils venaient du Sud), parce qu'ils aimaient cet endroit, s'est transformée pour
eux en cauchemar, ils aspirent à une sécurité inexistante en ce moment. Un des
hommes qui nous accueille est asthmatique, ses crises sont plus nombreuses
depuis le début des événements.
Nous proposons de revenir le plus tôt
possible avec un médecin pour apporter un soutien approprié à cette famille, où
nous n'avons vu ni les femmes, ni tous les enfants .
- Lundi 20/11
Troisième visite au village
Bédouin d'Erez.
Nous devons rencontrer, pour un entretien
individuel, un homme de trente-neuf ans, pour des troubles qu'il ressent depuis
trois ans, mais qui sont réactivés par la situation actuelle.
Entretien long
et approfondi qui révèle un état de stress post-traumatique chez cet homme,
relatif à des événements anciens dont certains remontent à son enfance, en
relation ou non avec la situation politique. Il ne présente pas un état aigu,
mais est en proie à une anxiété aujourd'hui permanente, qui s'exprime sur le
versant somatique et psychique.
- Lundi soir, 18 heures : début des bombardements
sur Gaza jusqu'à 20 heures 45.
- Mardi 21/11/00
Nous avions prévu d'aller au sud de la bande de Gaza, pour
rencontrer les familles déjà vues le 12/11/00. Parmi eux, un petit garçon déjà
rencontré deux fois, mais nous nous trouvons bloqués au barrage de Kusufim,
fermé aux Palestiniens. Notre voiture n'est pas équipée pour être suffisamment
identifiable, nous renonçons donc pour aujourd'hui.
En raison des
bombardements de cette nuit, nous avions aussi prévu de visiter à Deir al Balah
(situé avant le point de passage de Kusufim), les familles qui vivent dans la
proximité d'une base bombardée.
Nous allons vers les trois maisons les plus proches du
site bombardé, et sommes reçus par la famille qui y vit. Le père, la mère et les
enfants sont là. Les enfants fréquentent peu les écoles ce matin, la nuit a été
peu reposante. Après quelques instants arrivent les autres membres de la
famille, au total trois frères avec leurs familles habitent ici.
Un petit
garçon de neuf ans a présenté durant toute la nuit un état de stress aigu, la
famille est partie dans le jardin durant deux bonnes heures, pour se protéger en
cas de nouveaux tirs sur la base. Il n'arrivait pas à se calmer, sa mère nous
dit qu'il n'a pu la quitter une seconde, faisant des allers et retours
incessants aux toilettes ; il n'a pu " dormir " dans sa chambre avec ses frères,
est resté avec ses parents en priant pour que le jour arrive ; c'est alors qu'il
a commencé à se calmer. Ce matin il est présent lors de notre visite, et se dit
soulagé ; il pense que ça va aller maintenant.
C'est la première fois qu'il
se passe quelque chose dans ce quartier situé au bord de la mer. Il n'y a pas eu
d'affrontements ici depuis le début des événements actuels, on est en effet à
distance des colonies, et même durant la première Intifada il ne s'est pas passé
de choses graves.
Sans relation directe avec les événements de la nuit, notre
expertise est sollicitée pour deux membres de cette famille, qui sont tous deux
présents : un petit garçon de 7 ans, le plus jeune fils du maître de maison, et
un homme de 32 ans, marié et père de famille, l'un des quatre frères vivant
ici.
Alors que je demande au plus jeune comment il s'appelle et comment il
va, son père répond à sa place en disant qu'il bégaye, que c'est à cause d'un
événement traumatisant qu'il a vécu lorsqu'il avait cinq ans : il était seul
dans une voiture attendant son père, un énorme chien a surgi, méchant et
aboyant, il a tournoyé autour de la voiture, terrorisant l'enfant qui hurlait,
jusqu'à ce que son père revienne. Ceci se passait en Arabie Saoudite où vivait
alors la famille. Depuis, le jeune garçon parle en bégayant. Aucun soin n'a été
donné à cet enfant. Je m'adresse à l'enfant pour l'inviter à s'exprimer sur cet
événement, il raconte avec émotion ce qu'il s'est passé, les yeux emplis de
larmes, il est très touchant, nous sommes émus. Il est très intelligent, bon
élève à l'école et se montre très ouvert à ce que nous pourrions faire pour lui
; il veut bien recevoir des soins. Je pense aux structures palestiniennes et
suggère que l'on prenne contact avec elles pour envisager une prise en charge
psychologique, le père est d'accord.
Le deuxième patient est un homme qui
présente des troubles manifestes ; il a un visage crispé et se tord les doigts
de manière compulsive, c'est son frère aîné qui expose sa situation. Il présente
d'importantes crises, des états catatoniques, où son corps se raidit, il
s'arrache les cheveux, se cogne la tête contre les murs et se frappe ; sa gorge
se bloque, il ne peut rien manger en dehors de yaourts, et ne dort pas. Cela a
commencé il y a 10 ans. Il présente ces troubles par intermittence, et les
frères s'accordent pour dire qu'ils sont augmentés lorsqu'il doit faire face à
des problèmes. Ce qui est le cas en ce moment, en raison des événements.
Le
jeune homme a été gravement maltraité durant l'Intifada, alors qu'il avait 22
ans : il a été arrêté et battu par l'IDF, les troubles auraient commencé à la
suite de ces maltraitances.
Cette description fait évoquer un tableau de PTSD
(Post Traumatic Stress Disorder), avec une expression psychotique : les frères
n'évoquent pas d'antécédents de troubles avant cette arrestation. Il est le 3ème
des quatre frères de cette fratrie, et est très soutenu par eux : il a été
soigné en Jordanie et dans un autre pays du Golfe où il voulait faire des
études. Il a été consulter partout où cela était possible, à l'hôpital
psychiatrique de Gaza, au Gaza Community Mental Health Programme (GCMHP) où il a
vu un médecin qui a pris des notes et lui a prescrit un traitement qui lui a
fait du bien, mais pas durablement. Il semble que cet homme n'ait pas eu
l'occasion de faire une psychothérapie et, s'il est encore temps, il serait
intéressant de lui en proposer une. Reste à s'assurer qu'il n'y a effectivement
pas de troubles psychotiques sous-jacents chez cet homme.
Quartier de Al Muragah vers
Netzarim.
Un jeune homme de 27 ans nous reçoit chez lui, sa mère est
présente durant l'entretien. Il explique ce qui lui est arrivé il y a une
quinzaine de jours, au retour de son travail quotidien dans un restaurant à Gaza
(il rentre tard le soir). Au passage devant la Jeep IDF, il a été arrêté par les
militaires de manière musclée, il a reçu des coups de crosse dans les côtes, les
militaires lui ont pris ses papiers et lui ont dit d'attendre, puis ils sont
partis. Il a eu très peur, du fait de cette attente, et aussi parce qu'étant un
ancien détenu (6 mois et demi en 1991 après avoir participé à une manifestation
à Gaza), il craignait que ces militaires ne regardent son identité sur un
ordinateur. Il se sentait en danger ; l'attente a duré deux heures, pendant
lesquelles il est allé discuter avec des jeunes qui se trouvaient à quelques
pas. Au retour de la Jeep, il a récupéré ses papiers et a été invité fermement à
rentrer chez lui, sans violence physique toutefois.
Depuis, il ne peut plus
se rendre à son travail, se sent extrêmement fatigué, asthénique, angoissé,
malade (en particulier, il a mal à la gorge). Il éprouve de l'inquiétude en
permanence, n'arrive pas à penser, parle peu, n'arrive pas à se détendre.
Il
doit retourner travailler car lui seul travaille en ce moment (ses frères sont
sans travail puisque employés en Israël). Le père a été tué dans un accident en
98.
Il est très inquiet aussi parce qu'après sa libération de prison, il a
mis quatre ans à se remettre, grâce à l'aide de sa mère : ce qu'il vient de
subir réactive sa fragilité d'alors, il craint de rechuter. Il est jeune marié
depuis deux mois, ceci est aussi un facteur d'inquiétude que l'on devine; il est
dans cette période de sa vie où il doit assumer de nouvelles responsabilités vis
à vis de sa jeune épouse, ce que le stress actuel vient peut-être compromettre.
Il ne peut répondre à ses questions, elle se rend bien compte qu'il ne va pas
bien, mais il ne lui parle pas de ce qu'il a.
- Mercredi 22/11/00
Impossible toujours d'aller à Rafah ni à Khan Yunis.
Depuis les derniers attentats dans la région de Rafah, l'armée israélienne a
coupé de fait la bande de Gaza en deux et contrôle de façon stricte la
circulation entre le nord et le sud. Il est actuellement impossible pour nous de
rejoindre le sud de la région.
Nous retournons à Al Muragah.
Nous
rencontrons une femme d'une quarantaine d'années qui est visiblement épuisée, en
proie à un inquiétude persistante depuis le premier jour des événements. La
maison (percée à différents endroits par des tirs) est située au bord de la
route qui conduit à la colonie de Netzarim, dans la bande de 70 mètres où il est
interdit de construire de plus haut qu'un étage. La maison de cette famille est
de construction légère mais tout de même en dur, et de plusieurs pièces. Notre
patiente est dans un état d'asthénie profonde, de stress sévère, elle ne dort
plus et mange peu, son regard est douloureux, elle exprime son épuisement. Elle
ne dort que lorsqu'ils vont quelquefois dans la famille, mais c'est le moins
souvent possible, car ils n'osent pas quitter la maison de peur qu'elle soit
détruite, même si l'une de ses filles, celle qui a 10 ans, demande souvent à
partir de la maison.
" Que deviendront les enfants si je meurs ? " Nous
l'écoutons et la soutenons longuement, et prévoyons une autre
visite.
Autre visite dans une maison voisine. La jeune mère est
venu nous chercher chez la famille précédente.
Nous trouvons cette jeune
femme seule avec trois enfants en bas âge dans une baraque en tôle : elle dit
que son mari est parti depuis les premiers jours des affrontements, il aurait
déclaré qu'il ne pouvait rester ici, que c'était trop dangereux, qu'il avait
peur. Il n'a pas réapparu depuis.
Le petit garçon de 18 mois a une énorme
brûlure sur les fesses ; il est tombé sur le feu il y a deux jours, alors que
des gaz lacrymogènes venaient d'être lancés dans la maison ; tout le monde a été
aveuglé. Elle est allée au dispensaire pour les soins et doit y retourner tous
les jours pour changer le pansement moyennant 2 nis qu'elle n'a plus. Cas social
et familial, que faire ?
En discutant avec les voisines présentes, l'une
pense que son mari est traumatisé, que c'est pour cela qu'il est parti en
abandonnant sa famille. Puisqu'il a été vu dans le quartier, nous proposons de
lui faire passer le message que nous reviendrons ici dimanche, il faudrait
essayer de parler avec lui.
Une autre mère nous sollicite pour son fils de neuf ans,
énurétique depuis les événements : nous proposons de le voir lors de notre
prochaine visite.
Gaza city
Visite dans le quartier où
est tombé la roquette "par erreur". C'est dans le Beach Camp, pas très loin de
chez nous, les gens voyaient passer les roquettes au dessus d'eux, tirées de la
mer, et soudain l'une est tombée au milieu des maisons dans une minuscule
ruelle. Une maison a été très endommagée, dans plusieurs autres une partie du
toit en tôle a été soufflée, une jeune fille a été blessée par un éclat dans
l'abdomen. Un père nous demande de voir son fils de 9 ans qui ne parvient pas à
se remettre depuis deux jours. Nous parlons avec l'enfant sur la terrasse de la
maison voisine, il exprime sa peur et ce qu'il a ressenti, il sent que ça va un
peu mieux qu'hier mais n'arrive pas à penser à autre chose, il est un peu timide
et réservé, son père le rassure autant qu'il le peut, malgré son désarroi devant
sa maison qu'il ne sait pas avec quel argent réparer. La police
palestinienne est venue juste après les bombardements pour rassurer les
gens.
- Jeudi 23/11/00
Visite au centre des femmes de
Nuseirat
Nuseirat est un camp où il n'y a pas d'affrontements, par
contre les jeunes vont s'affronter à Netzarim et Kfar Darom. Nous avons
rencontré certains d'entre eux, en train de dessiner et de monter une pièce de
marionnettes. Discussion très intéressante, où ces jeunes de quinze ans, mais
qui en paraissent moins, nous font part de leur détermination à aller " défendre
leur peuple ", envers et contre tout, en cachette de leurs parents, au mépris de
l'avis de l'animateur (un jeune de 22 ans qui a reçu deux balles dans la jambe
lors d'affrontements) qui leur conseille de ne pas y aller. Ils n'ont pas peur,
ils " entendent les balles arriver et les évitent ", ils vont chercher les
blessés, ils ne pensent pas au danger. Ceux qui parlent ne laissent paraître
aucun doute quant à leur détermination, ils sont fiers de ce qu'ils font. Ce
sont des gamins attachants, sympathiques. Celui qui a dessiné les événements a
réuni sur un seul dessin tous les éléments de la situation : les arbres
arrachés, les bombardements, un martyr, les tanks, les colonies, les maisons
détruites, les gens qui s'enfuient. Il voudrait que son dessin soit vu par le
monde entier.
- Samedi 25/11/2000
Nous pouvons enfin aller à Rafah.
A la faveur de ce samedi de Shabbat, nous espérons que le
passage de Kussufim sera plus facile (pas de passage de colons ce jour), et nous
avons prévu toutes les éventualités : voiture blanche avec identification MSF,
drapeau, conduite par un expatrié ; une seconde voiture, jaune, est conduite par
un chauffeur palestinien.
Finalement le check-point ouvre à 10 heures, il est
un peu lent à passer car le passage est étroit et il y a du monde, piétons,
voitures, camions... etc.
Aller à Rafah après une semaine d'intensification
des affrontements relève d'une priorité que nous avions identifiée sans pouvoir
la réaliser faute de liberté de circuler. Nous trouvons dans le quartier
Salaheddine des gens épuisés, menacés, effondrés tant la situation s'est
aggravée pour eux, du fait des tirs incessants qui sévissent dans ce
quartier.
Le professeur d'anglais exprime sans retenue sa colère, son
désespoir: il est dans un état d'agitation extrême, sa femme plus réservée nous
fait part de son épuisement au cours d'un long entretien que j'ai avec elle, ce
qui l'apaise et la rassure. Elle affirme que nos visites sont nécessaires et
réconfortantes. Un cousin de son mari, homme âgé d'une cinquantaine d'années, a
été tué il y a trois jours en rentrant de la prière, il a reçu en pleine tête un
tir, à environ trois cent mètres du point d'affrontements.
Plus aucun humour
dans les propos, mais de la colère et de la peur.
Le père de famille de la
maison d'en face est lui aussi bouleversé, il a les traits tirés, il parle avec
emportement, on a l'impression qu'il va pleurer à chaque fin de phrase, il
exprime son épuisement. Il a replié sa famille dans un garage au rez-de-chaussée
de la maison. Nous avons un entretien avec sa femme, elle fait face mais avec de
fortes angoisses pour les enfants. Nous sommes dans la maison quand éclatent des
tirs violents (des photographes viennent d'arriver et les jeunes veulent leur
montrer ce dont ils sont capables !). Riposte immédiate de l'IDF, avec des tirs
bruyants: ce sont des tirs destinés à faire du bruit comme de vrais tirs, pour
faire peur donc, sorte de sommation avant les tirs à balles réelles. Pour nous
qui ne sommes pas habitués, c'est assez impressionnant.
Nous revoyons ensuite
le petit garçon, qui va mieux (paradoxalement) : nous le voyons dans la voiture
MSF pour être au calme et surtout parce que sa maison envahie de gaz
lacrymogènes qui viennent d'être lancés ; on ne peut plus respirer. Il est
content de ce dispositif et les autres gamins l'envient. Il se sent protégé
maintenant, du fait que lui et sa famille vont dormir ailleurs.
Il y a dans
ce quartier environ 25 familles exposées et 8 familles très exposées.
Nous
retournerons à Rafah et trouverons un endroit pour recevoir nos patients au
calme dans le bus MSF, car il n'est pas possible de procurer un soin et un
soutien dans ces maisons trop exposées, et où nous nous mettons nous-mêmes en
état de stress !
- Dimanche 26/11/2000
Nous avons rendez-vous à El Muragah avec un patient. Il
nous attend car il a bien été prévenu de notre passage. Nous trouvons un homme
anxieux et gêné de nous expliquer sa situation : c'est lui qui a quitté sa
maison à cause de la peur ; il montre deux trous fait par des balles dans la
palissade qui entoure sa maison. Il s'est caché pour se protéger, puis est parti
chez ses parents, à 1,5 km de là, pris de panique ; il a décidé de ne pas rester
une minute de plus dans cet enfer. Ce jour là, sa femme et ses enfants n'étaient
pas là. Il est donc parti seul. Désormais sa femme se retrouve seule avec les
enfants là bas.
Depuis, il vit à côté de chez son frère. La situation lui est
insupportable depuis les événements ; de plus, il a perdu son travail et n'a
plus d'argent. Notre visite le soulage, il souhaite notre aide, il se sent
coupable, il a besoin d'appui. Sa femme est partie avec ses enfants ce matin
pour l'enterrement de son père (un homme âgé mort de vieillesse hier) ; au fond
ce sera peut-être l'occasion pour elle de se reposer ; elle nous a dit que ses
parents habitent vers Karni, dans un endroit calme.
Nous retournerons le voir
quand sa femme sera revenue, pour essayer de les aider à trouver une solution
acceptable pour tous. Il dit qu'il a des cauchemars, qu'il ne dort plus, il
parait assez désemparé.
Nous passons ensuite voir une patiente que nous suivons
pour la prévenir que nous reviendrons avec le médecin après-demain : elle est
très faible, presque inquiétante, dit ne plus pouvoir s'occuper des enfants,
paraît au bout de ses forces. Elle dit qu'elle ne peut se reposer que chez elle
malgré la situation. Chez sa soeur, à deux km de là, où elle va de temps en
temps, les enfants (nombreux) se disputent car ils sont énervés, l'espace est
tout petit, c'est presque pire. Je propose que nous voyons aussi son mari (il
rentre à 15 heures de son travail) qui, dit-elle, " a peur la nuit, plus que moi
".
Nous prenons au cours de l'entretien des nouvelles des
familles vivant dans les maison proches de la mosquée : nous voyons plusieurs
personnes, et particulièrement des femmes qui se sont regroupées pour s'épauler.
Discussion animée et riche ; chacune s'exprime et fait part de ses recettes pour
lutter contre la peur (massages aux huiles sur les articulations douloureuses,
relaxation), ce qui fait rire l'une d'elles qui trouve que c'est un peu dépassé
comme médecine !
Un char de l'IDF est là , stationné au bord de la route, on
entend au loin des coups de feu de temps à autre ; le calme est relatif mais
réel par rapport à ce qui se passe chaque après midi à partir de 15 ou 16
heures, et pendant la nuit. Harcèlement, " guerre psychologique " ? Oui,
sans aucun doute.
Dernière visite à la maison d'une autre famille ; des tirs
importants ont été fait contre leur maison, celle qui est la plus haute (de
nombreux et très gros impacts sont visibles) : les enfants sont à l'école, nous
reviendrons un autre jour après 13h30, pour les rencontrer.
Je m'aperçois que je n'ai pas écrit dans mes notes cette
phrase si souvent entendue, en particulier de la part de gens âgés : " ils vont
tous nous tuer, on va tous mourir ".
Nous entendons aussi l'espoir exprimé
par nos patients que nous témoignerons de ce que nous voyons et entendons, tant
il est clair que les Palestiniens se sentent abandonnés et oubliés. " Est-ce que
les gens chez vous savent ce que nous supportons ? ".
- Jeudi 30/11/2000
Nous voyons une détérioration de la situation de jour en
jour dans les quartiers à proximité des colonies ; de plus en plus de familles
sont affectées, maisons occupées, criblées de balles, détruites, des familles
sous tente ou réfugiées chez d'autres parents sans l'espoir de revoir leur biens
réquisitionnés, les animaux des fermes sauvagement tués... La peur s'installe au
quotidien dans ces quartiers ou villages isolés. Certains demeurent
inaccessibles à toute assistance humanitaire dans des garanties de sécurité
acceptables (Mawassi, Swidi).
Nos visites régulières auprès de ces familles
nous permettent de mesurer l'escalade dans le conflit. Les Palestiniens vivent
dans la peur des représailles de l'armée israélienne.
La liberté de
mouvement à l'intérieur de la Bande de Gaza est entravée par les restrictions
israéliennes. L'unique point de passage autorisé entre le Nord et le Sud est la
route de campagne passant par le carrefour de Kussufim. La route habituelle à
quatre voies, reliant les villes du Sud à celles du Nord, a été coupée à la
hauteur de Deir El Balah, parce qu'elle longe à distance la colonie de Kfar
Darom.
Les colonies sont devenues des places fortes, ou chaque homme à droit
au port d'arme, légalement accepté par l'armée israélienne. Les militaires des
Forces de défense israéliennes (IDF) protégeant les colonies profitent du
soutien logistique et moral des colons. Il n 'y a aucune comparaison possible
avec la population civile palestinienne, qui veille dans sa grande majorité à ne
pas s'associer aux opérations militaires palestiniennes, par peur des
représailles.
- Lundi 04/12/2000
Au carrefour de Kussufim, les bulldozers ont continué leur
travail et détruit ce qu'il pouvait rester de végétation. Sur le chemin, le
trafic a été stoppé par deux chars qui barraient la route. Une sommation a fait
reculer les voitures qui essayaient de s'avancer.
A Khan Yunis, la situation paraît s'être stabilisée. Les
habitants sont encore très choqués malgré l'accalmie. Tous quittent le quartier
à la fin du jeûne et, après avoir mangé (chacun mange chez soi afin de ne pas
être une charge supplémentaire pour la famille qui l'accueille), pour aller se
réfugier dans le centre ville. Il faut dire que toutes les maisons présentent
des traces de balles et des trouées. Les parents nous décrivent des scènes de
panique assez pénibles : les tirs commencent et ils sont obligés de quitter leur
maison, les enfants pleurent et crient. Tout le monde se précipite dans les
petites ruelles pour trouver abri ailleurs. Certains parents paraissent très
démoralisés, résignés, n'espérant plus rien. D'autres clament qu'ils ne peuvent
aller se battre à cause des enfants. Tous souffrent d'un sentiment
d'insécurité.
Selon ce que l'on comprend, l'armée israélienne paraît vouloir
faire partir un certain nombre de familles de chez elles, ceci afin d'occuper
leurs maisons.
J'ai été interpellé par une dame suivie des ses enfants.
Elle nous a montré l'un d'eux en disant qu'il avait des problèmes et qu'il
fallait s'occuper de lui. J'ai suivi cette dame et ai vu l'enfant en entretien.
Il a 10 ans, et m'a alors expliqué qu'il était tous les jours pris de panique à
la même heure., après avoir été victime de tirs et de bombardements alors qu'il
se trouvait chez lui. Il répète, chaque jour à la même heure, la frayeur qu'il a
éprouvée à ce moment-là ; il pleure, tremble et crie pour qu'on l'emmène chez
son grand-père.
Son père, qui nous rejoindra par la suite, nous confirme que
son fils ne peut se remettre de cette peur. Ne sachant quoi faire, il lui donne
des calmants, le force à rester à la maison et à manger. Je lui conseille d'être
patient et de respecter la peur de son fils qui doit décider de lui-même s'il
veut rester à la maison. J'ai promis à cet enfant de revenir le
voir.
Nous avons également rencontré la directrice et les
institutrices de l'école de Netzarim, qui ont bien besoin d'une écoute et de
conseils. Alors que nous parlons avec elles, une rafale est tirée ; j'ai cru que
mon coeur allait lâcher. Les enfant, ainsi qu'elles-mêmes, vivent cela tous les
jours. Je ne sais pas comment ils font. Je crois en tout cas, à voir la réaction
des institutrices, qu'elles ne s'y font pas !
- Mercredi 6/12/2000
Rafah. La rue rappelle Beyrouth ou Kaboul. Des familles
s'accrochent à ces ruines, vivant dans la terreur. Où aller ? Alors elles
restent. Avec la peur au ventre. En priant qu'un bulldozer ne vienne pas raser
leur maison.
Nous passons dans la zone sous contrôle israélien pour
visiter un bidonville de réfugiés bédouins qui n'ont pas vu un médecin depuis
des mois. Nous sommes toujours en " Territoire Autonome de Palestine " mais, du
fait de la proximité des colonies israéliennes, le camp se trouve coupé du reste
du monde. Les colonies ressemblent à des îlots de prospérité, retranchées
derrière des clôtures électrifiées ou d'immenses murs de béton, avec des
miradors, des caméras de surveillance, protégées par des tanks, des dirigeables
fixés au sol qui assurent la surveillance et, en mer, par des vedettes
militaires. Les murs de béton sont formés de blocs déplaçables.
Dans la
bande de Gaza, quelques cinq mille colons israéliens, protégés par des milliers
de militaires, contrôlent quarante pour cent d'un territoire d'un million
d'habitants.
On nous indique la colonie de Qfariom : il y a là un couple avec
deux enfants, une vingtaine de militaires et des chiens. Parfois, les chiens
sortent et mordent des enfants palestiniens. Autour de ce camps retranché, une
population vivant dans la terreur et la misère. Les Palestiniens servent de main
d'œuvre bon marché dans les plantations israéliennes. Les routes empruntées par
les Israéliens sont interdites aux Palestiniens. L'axe principal de la zone est
formé de deux routes parallèles. Chaque communauté a donc ses bus, ses taxis,
ses écoles. Séparation totale des deux communautés.
Nous sommes allés dans le quartier de Rafah nommé al
Brasil. Là, nous avons constaté que des familles palestiniennes ont été exposées
aux tirs de l'IDF. Accolé à la frontière, ce quartier s'est vu pris entre deux
feux : l'un se situant le long de la frontière et nourri par un char, l'autre au
niveau de Salah Ad Din où se trouve un mirador de l'armée israélienne.
L'appartement de la famille que nous visitons est ainsi transpercé de part en
part, les tirs venant de deux côtés à la fois. Seule la cuisine n'est pas
touchée. Lorsque je rencontre cette famille, aucun des membres n'ose avouer sa
peur. On me montre le plus petit, en m'expliquant qu'il est devenu peureux et
qu'on ne le comprend plus. C'est en discutant plus avant que chacun avouera sa
peur, même ce grand frère qui dit ne plus avoir senti ses jambes pendant les
tirs. Le petit, lui, a frôlé la mort lorsqu'une balle est passée entre lui et
son frère. Depuis, il ne supporte même plus le bruit des chars et veut se
réfugier chez son oncle pour dormir. Il dit que là-bas il ne se sent pas non
plus en sécurité, mais qu'il peut dormir. Trois des quatre frères parlent de
leur peur. La quatrième affirme ne pas ressentir de peur. J'explique à la
famille que chacun possède son propre seuil de résistance et qu'il faut
respecter la peur de chacun. Je crois que, pour la première fois, les membres de
cette famille ont pu extérioriser, devant les autres, des sentiments qui jusque
là étaient restés inavouables.
Il me semble qu'ici chaque membre de la
famille essaie de vaincre sa peur et de résister à l'envie de fuir qui serait
vue comme une preuve de lâcheté ; le devoir de la famille est de garder la
maison. L'un se défend de toute émotion, un autre veut devenir militaire, un
troisième veut partir aux USA. Tous sont obligés de rester dans cette maison
reportant en quelque sorte leur frayeur sur le plus petit, dont la peur,
étrangère alors à chacun, devient incompréhensible. C'est la première fois que
je vois aussi nettement ce phénomène familial.
Un autre phénomène semble se
présenter. Malgré l'accalmie il semble que beaucoup de personnes ont du mal à se
détendre et à reprendre une vie normale. Peut-être y a-t-il ici les prémisses de
l'installation du trauma. Si tel est le cas, nous devrions observer bientôt une
symptomatologie de ce type. J'attends de recueillir davantage de témoignages
pour me faire une idée sur la question. Mais dès à présent, on peut dire que
l'humeur, malgré l'évolution rapide de la situation, reste morose. La peur est
encore dans tous les esprits et même dans tous les corps.
TEMOIGNAGE D'UN ANESTHESISTE MSF QALQILIA, LE 15
NOVEMBRE 2000
Le Croissant Rouge Palestinien nous a amené aux Urgences
un "chebab" de 15 ans, mourant d'une plaie par balle au niveau de l'abdomen.
L'Intifada était pour lui la seule manière de se construire un futur, elle en a
fait un martyr.
Comme lui, tous les jours, arrivent à l'hôpital des
adolescents et de jeunes adultes, blessés au cours des affrontements avec
l'armée israélienne au niveau des "check points" ou barrages militaires. Le
nombre de victimes augmente (autant de blessés et de morts lors des derniers
quinze jours que pendant tout le mois d'octobre) ; mais surtout, l'utilisation
par Tsahal de balles réelles à la place des balles caoutchouc s'intensifie :
parmi les victimes de l'Intifada admises à l'hôpital, 40% présentent des plaies
par balles réelles.
Du fait de la jeunesse des participants, de leur manque
d'organisation, de la légèreté de leur équipement, ces affrontements tiennent
plus de l'émeute que de la guérilla urbaine ; comment justifier alors le recours
aux balles réelles ? Le gouvernement israélien invoque la légitime défense. La
définition de celle-ci précise que l'intensité de la riposte doit être adaptée à
la gravité de l'agression. Alors, légitime défense, quand les armes de gros
calibre répondent aux frondes ? Légitime défense, quand un certain nombre de
blessés reçus à l'hôpital présentent des orifices d'entrée de projectiles au
niveau des parties postérieures du corps, signe qu'ils ont été atteints alors
qu'ils fuyaient les combats ? Légitime défense, quand deux personnes ont été
touchées dans leur appartement, situé au voisinage de la zone d'affrontement
?
Les chiffres d'activités relevés au cours de mon séjour (10 jours au total)
à l'hôpital de Qalqilia montrent une augmentation du nombre des blessés liés aux
affrontements de l'Intifada au cours de la première quinzaine de novembre par
rapport au mois précédent (51 en octobre, 49 sur les quinze premiers jours de
novembre). Parmi ces patients admis aux Urgences, 39% viennent pour des lésions
dues à des balles réelles (55% présentaient des blessures secondaires à
l'utilisation de balles en caoutchouc).
Les Palestiniens rencontrés à
Qalqilia, plus qu'une assistance sous forme de personnel ou de matériel, m'ont
demandé de témoigner, auprès de ma famille, mes amis, mes collègues, de ce que
j'avais vu chez eux. Je poursuis donc ici ma mission.
Philippe TRINH-DUC,
Anesthésiste.
Bande de Gaza : Médecins Sans Frontières
ouvre une mission de soutien médical et psychologique
Paris, le 13 novembre 2000
Pour faire face aux traumatismes des populations les plus
exposées aux violences Médecins Sans Frontières a ouvert au mois de novembre
2000 une mission de soutien médical et psychologique à Gaza.
Médecins Sans Frontières a ouvert à Gaza, dimanche 13
novembre, un programme mobile de soutien médical et psychologique destiné aux
personnes les plus exposées vivant à proximité des lieux d'affrontements, des
colonies et des camps militaires et souffrant de troubles liés à des épisodes de
violence, en particulier les enfants de moins de douze ans.
Le bouclage des
territoires et les contrôles permanents, les difficultés de se déplacer, le
spectacle d'affrontements ou d'épisodes violents ainsi que l'exposition
quotidienne aux tirs et aux bombardements ont considérablement dégradé les
conditions de vie quotidienne des familles habitant la bande de Gaza.
" Cette
situation génère des états de stress psychologique aigu qui nécessite une prise
en charge rapide et spécifique. La situation présente est pour tous, plus grave
et plus traumatisante que la première Intifada ", explique le Dr Christian
Lachal, psychiatre.
" Nous sommes allés voir une jeune femme enceinte
de trois mois ", raconte ainsi le Dr Pierre-Pascal Vandini. " Des grenades de
gaz lacrymogène avaient été lancées à l'intérieur même de sa maison. La famille
a pris peur, a été prise de panique ne pouvant plus respirer, et est sortie par
la fenêtre : elle, son mari et leurs deux enfants. Lors de la première
consultation, elle était incapable de se lever, elle craignait de rester
paralysée et elle s'inquiétait pour le bébé qu'elle portait. "
De tels événements provoquent à la fois des troubles
physiologiques (paralysies partielles et temporaires) et psychologiques :
colère, angoisse, peur d'avoir été empoisonné, troubles de la nutrition… La
consultation médicale permet de détecter et de soigner les troubles
physiologiques. Parallèlement le psychologue peut commencer un travail
thérapeutique permettant aux patients d'exprimer leur peur, de traiter leurs
traumatismes et de réduire leur stress. Ainsi, cette jeune femme qui n'ose pas
sortir de chez elle, de crainte de retrouver sa maison détruite sera suivie et
soutenue régulièrement par une équipe mobile composée d'un psychologue et d'un
médecin.
Les équipes de Médecins Sans Frontières sont présentes en
Cisjordanie depuis 1994. Elles ont été renforcées depuis le début des
affrontements, en octobre dernier .Les programmes se sont d'abord orientés
vers un soutien aux équipes chirurgicales palestiniennes( donation de kits
chirurgicaux) pour les aider à faire face à un afflux massif de blessés, leur
prise en charge médicale étant bien assurée. Devant la gravité des
traumatismes subis par la population dans les zones soumises à la violence, la
prise en charge psychologique des familles a été identifiée comme une urgence.
Actuellement, 10 volontaires de l'association sont présents en Cisjordanie et
dans la bande de Gaza.
Cisjordanie - Hébron : Médecins Sans Frontières
constate un état sanitaire préoccupant et des entraves aux activités
médicales
Paris, 7 décembre 2000
Constatant les obstacles croissants à l'accès aux soins
dans la vieille ville d'Hébron, en Cisjordanie, Médecins Sans Frontières y a mis
en place des équipes mobiles composées de médecins et de psychologues. Axé sur
des visites à domicile, ce travail a mis en évidence une dégradation de la santé
de la population palestinienne pendant ces deux derniers mois.
La vieille ville d'Hébron se trouve depuis le 28 septembre
sous couvre-feu permanent, allégé quelques heures par jour seulement. La plupart
des habitants hésitent à quitter leur maison, soit en raison du couvre-feu, soit
par peur des contrôles militaires, peur de la réquisition ou de la destruction
de leurs biens. Ils se rendent donc à l'hôpital ou chez le médecin avec
d'extrêmes difficultés.
L'aide médicale, publique ou privée, est officiellement
autorisée mais, dans les faits, les obstacles (contrôles, barrages,
intimidations) sont si nombreux que la présence de médecins dans la vieille
ville est irrégulière.
Dans cette zone sous contrôle israélien, qui compte 40 000
habitants, résident 400 colons protégés par 1 500 soldats ; " il n'y a presque
personne dans les rues. L'impression est celle d'une ville fantôme ", explique
le Dr Etcheverry. " Le 28 novembre, nous avons franchi cinq barrages militaires
avant d'atteindre un quartier proche du tombeau d'Abraham. Nous venions donner
des médicaments à une personne qui souffrait d'asthme et n'avait pas de quoi se
soigner. Quand nous avons frappé à la porte, les gens avaient peur de nous
ouvrir ".
" Dans une famille, ajoute le Dr Vandini, nous avons
trouvé un jeune homme qui avait eu les poignets cassés lors d'un contrôle de
police, une adolescente de 15 ans qui se plaignait d'une paralysie récente du
bras et un enfant de 5 ans, épileptique non suivi. Dans une autre, nous avons
rencontré une personne diabétique de 60 ans, qui présente aujourd'hui des
complications rares et graves.
Ces exemples montrent que les familles n'ont
quasiment plus de recours pour se faire soigner lorsque un nouvel épisode de
maladie survient. Ils mettent aussi en évidence un manque de soins chronique
pour cette population ".
Les consultations médicales et psychologiques à domicile
visent à répondre aux besoins de médecine générale mais aussi à traiter les
états de stress aigu et à prévenir la constitution de syndrome de stress
post-traumatique (PTSD). Elles concernent également les villages du district
environnant, souvent isolés par des barrages militaires. Un programme similaire
a été ouvert le 20 novembre dernier dans la bande de Gaza.
Les équipes de Médecins Sans Frontières sont
présentes en Cisjordanie depuis 1994. Elles ont été renforcées depuis le début
des affrontements. Actuellement, 13 volontaires de l'association sont présents
en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Revue de
presse
1.
Le Monde du mercredi 20 décembre 2000
En
douze semaines, l'Intifada a fait plus de morts en Palestine qu'en 1987
par Gilles Paris
Le bilan du nouvel embrasement des territoires,
depuis le 28 septembre, est lourd : 344 victimes, dont 292 Palestiniens, et
plusieurs milliers de blessés. A Gaza comme en Cisjordanie, la population voit
dans ce soulèvement un appel à une solution équitable avec Israël.
RAMALLAH,
GAZA de notre envoyé spécial
En quelques semaines, les affrontements entre
les Palestiniens et l'armée israélienne ont fait plus de pertes humaines (292
morts) que la première année de la première Intifada, de décembre 1987 à
décembre 1988. Le nombre des blessés palestiniens, qui dépasse désormais le
chiffre effarant de 10 000, contre trois fois moins il y a treize ans, témoigne
lui aussi du degré inouï de violence qui prévaut depuis deux mois et demi dans
les territoires palestiniens occupés, pour ne rien dire de la gravité des
blessures qui laisseront des centaines de Palestiniens durablement affectés.
Cette sinistre comptabilité figure bien évidemment au passif de ce soulèvement
qui, comme en décembre 1987, a pris une nouvelle fois de court les représentants
officiels des Palestiniens.
Aussi terrible soit-il, ce passif est effacé
cependant par ce que les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza
tiennent pour les principaux acquis de la nouvelle Intifada : la soudaine prise
de parole d'une opinion publique maintenue dans le mutisme par une Autorité
palestinienne omnipotente, et la formulation claire de « lignes rouges » pour
les négociations à venir, puisqu'il ne saurait y avoir de solution militaire à
ce conflit. Ces « lignes rouges » résident dans le surnom donné au soulèvement
en cours, l'Intifada El Aqsa, et dans les cibles choisies désormais par les
manifestants, les miliciens ou les poseurs de bombes palestiniens, qui
s'inspirent des méthodes qui ont fait le succès du Hezbollah libanais contre
l'occupation israélienne au Liban sud.
La revendication d'une souveraineté
palestinienne sur Jérusalem-Est n'est pas uniquement d'essence religieuse, mais
également politique. Pour les Palestiniens, Jérusalem, c'est tout autant
l'esplanade des Mosquées des musulmans, le mont du Temple pour les juifs, que la
capitale à installer dans la partie orientale conquise par Tsahal en 1967. Si le
tabou israélien levé à Camp David par Ehoud Barak à propos des Lieux saints a pu
être salué à juste titre, l'Intifada a montré qu'il y avait encore loin jusqu'à
la satisfaction des demandes palestiniennes sur ce point, et que la « générosité
» israélienne perçue çà et là en Occident restait obstinément à l'écart des
réalités.
PRESSION POPULAIRE
Le harcèlement pratiqué par les Palestiniens
contre les colonies et les forces armées israéliennes stationnées au-delà de la
« Ligne verte » de 1967 a également rappelé la réalité de l'occupation à une
opinion internationale anesthésiée par sept ans de négociations infructueuses.
Dénoncé par de nombreuses organisations non gouvernementales israéliennes,
l'entrain expansionniste manifesté depuis un an par les colons, avec le
blanc-seing de M. Barak, n'a pas peu contribué à brouiller l'image de ce dernier
auprès des Palestiniens. La politique des faits accomplis menée aujourd'hui à
Gaza ou en Cisjordanie n'est pas non plus de nature à convaincre les
Palestiniens d'une éventuelle « générosité » israélienne sur ce sujet. Les
Palestiniens estiment avoir fait une fois pour toutes leur part de concessions
en limitant leurs aspirations nationales à Gaza et à la Cisjordanie. S'ils sont
plus évasifs sur la question pourtant tout autant cruciale des réfugiés
installés au Liban, en Syrie ou en Jordanie, ils sont désormais convaincus que
sur Jérusalem, sur la physionomie de la future Palestine et le sort des
colonies, l'Intifada a fait bouger les lignes de forces, jusque dans la société
israélienne, et qu'une pression populaire pèse désormais sur leurs propres
négociateurs.
Car les semaines de combat n'ont pas comblé le fossé creusé
entre l'Autorité et son peuple. Coincé entre son statut international et la
pression de son opinion publique, Yasser Arafat a exprimé par quelques gestes
symboliques le consensus national provisoirement reconstruit, tout en
multipliant les rencontres avec les responsables israéliens ou américains
conspués par sa « rue ». Les morts de l'Intifada, plus que jamais, obligent,
mais une bonne partie des Palestiniens redoutent que l'Autorité ne s'accommode
une nouvelle fois de concessions jugées médiocres, et ces craintes justifient à
leurs yeux de rester mobilisés. Le dilemme est particulièrement fort au sein du
Fatah, le parti de Yasser Arafat, qui a pu récupérer une partie de la légitimité
perdue au cours des années d'Oslo en montant en première ligne, au risque de
tout perdre à nouveau en cas d'accords hâtifs.
S'ils tirent tous les mêmes
leçons des dernières semaines de feu, les Palestiniens s'interrogent donc sur
l'usage qui en sera fait par Yasser Arafat, et sont aussi perplexes quant aux
prochaines échéances électorales israéliennes. Les reproches adressés à Ehoud
Barak – et à travers lui au camp travailliste – sont terribles : la violence
inédite de la répression qui, par comparaison, fait de son prédécesseur du
Likoud, Benyamin Nétanyahou, un quasi-humaniste, mais aussi l'incapacité à payer
le prix d'un processus douloureux, conformément à un principe édicté depuis la
conférence de Madrid : la terre contre la paix. Même s'ils connaissent par cœur
les différences idéologiques qui font que la gauche israélienne est
fondamentalement plus ouverte aux compromis, ils devinent quel usage ils
pourraient faire au niveau international du retour au pouvoir d'une droite
israélienne indéfendable, arc-boutée sur des idées éculées. Faute de certitudes
ou de garanties sur ses acquis, mais aussi faute de véritables alternatives,
l'Intifada semble donc vouée à perdurer.
2. Le Monde du mercredi 20 décembre
2000
Dans la bande de Gaza, des routes bloquées, selon le bon vouloir de
Tsahal... par Gilles Paris
REPORTAGE : Tout autour de la colonie de
Kfar Darom, l'armée a abattu les arbres et détruit les plantations
GAZA de
notre envoyé spécial
Le taxi palestinien s'arrête à une vingtaine de mètres
du blindé israélien. Il attend un signe du servant de la mitrailleuse lourde qui
coiffe l'engin avant de pouvoir s'engager sur la portion de route contrôlée
désormais par Tsahal. Le soldat agite la main. La route à double voie est
séparée en son milieu par de lourds blocs de béton. L'un des deux côtés est
réservé aux colons israéliens, l'autre aux Palestiniens. Au bout d'une centaine
de mètres, nouveau blindé et nouvel arrêt, mais, cette fois-ci, l'ordre est
donné de ne pas avancer. Trois véhicules, qui circulaient à vive allure de
l'autre côté des blocs de béton, coupent la voie empruntée par les Palestiniens
et regagnent précipitamment la colonie de Kfar Darom.
Pour la première fois
de son histoire, l'étroite bande de Gaza qui subit déjà l'étouffement du
bouclage est désormais sporadiquement coupée en son milieu. La route
Salah-Eddine qui court de Erez, au nord, à Rafah, au sud, peut être bloquée
selon le bon vouloir d'Israël. Nombreux sont les Palestiniens qui renoncent à se
déplacer : il faut parfois plus de deux heures pour parcourir la trentaine de
kilomètres entre Rafah et Gaza.
Depuis l'attentat meurtrier qui a touché un
bus de transport scolaire pour les colons, les environs ont été labourés par les
blindés et les bulldozers israéliens. Autour de la colonie et tout le long de la
route empruntée par ses occupants, l'armée israélienne a systématiquement
détruit les plantations et abattu les arbres susceptibles d'abriter les tireurs
palestiniens. Sur plusieurs hectares, le paysage n'est plus que désolation.
Khalil Salman Bachir, dont les terres avoisinent pour son malheur la colonie (
Le Monde du 25 novembre), mesure l'étendue des dégâts. Après ses orangers, il y
a huit ans, puis ses palmiers, au début de l'Intifada, ses serres ont été à leur
tour ravagées par l'armée israélienne.
BATAILLE RANGÉE
« Entre le
matériel et la récolte espérée, j'ai perdu environ 150 000 dollars »,
soupire-t-il, en montrant du doigt les restes de ses plantations, qui
s'étendaient sur 10 000 mètres carrés. M. Bachir, dont la maison est
régulièrement prise pour cible par l'armée israélienne, pour dissuader
d'éventuels miliciens palestiniens d'y prendre position, raconte avoir subi
récemment une nouvelle forme d'intimidation. « Un soir, deux blindés israéliens
se sont installés juste devant ma chambre. Ils ont fait tourner leurs moteurs
toute la nuit, la maison empestait les gaz d'échappement et il n'était bien sûr
pas question de protester ! »
Les destructions subies par M. Bachir ont été
recensées par le Centre palestinien pour les droits de l'homme qui tient une
comptabilité quotidienne de ces déprédations. Figure également au rapport du
jour la démolition de la maison voisine du frère de M. Bachir, jetée à bas
quelques heures après que sa famille l'eut abandonnée, fatiguée par les tirs et
les menaces à répétition. Une étude du centre, publiée à la fin du mois de
novembre, faisait déjà état de 2 800 dunums [soit 280 hectares] de bois ou de
terres cultivées de Gaza ravagés depuis le début de la nouvelle
Intifada.
C'est au point de passage jouxtant Kfar Darom qu'a été tué, le
14 décembre, un militant du Mouvement de la résistance islamique Hamas, au
cours d'une opération manifestement préparée avec beaucoup de minutie. Le
minibus que conduisait Hani Abou Bakr s'est arrêté, puis a été encerclé par des
soldats. Selon la version des Israéliens, ces derniers n'ont tiré que pour se
défendre. Les Palestiniens assurent au contraire qu'ils ont ouvert le feu sitôt
le véhicule immobilisé. Depuis le début des affrontements, l'armée israélienne a
multiplié les éliminations physiques de cadres du Fatah, la principale
composante de l'OLP, et du Hamas, à Gaza comme en Cisjordanie, « avec l'aide
d'informateurs palestiniens » selon certains observateurs.
Un peu plus au
sud, entre le camp de réfugiés de Khan Younis et le bloc de colonies de Goush
Katif, la guerre dicte également sa loi. Le quartier de Toufah se trouve enclavé
entre la colonie et des postes militaires qui le tiennent sous leur feu. Au bout
de la rue El-Bahar qui se dirige vers la colonie, une imposante barricade de
sacs de sable est escaladée pendant la journée par les jeunes gavroches
palestiniens, qui défient les soldats israéliens postés en contrebas.
Si
l'Intifada s'est progressivement militarisée côté palestinien, les tirs
nocturnes prenant progressivement le pas sur les jets de pierres, les murs des
maisons avoisinantes, piquetés d'impacts de mitrailleuses lourdes et d'obus,
témoignent de la disproportion des moyens engagés de part et d'autre.
Dans la
nuit du mercredi 13 au jeudi 14 décembre, une véritable bataille rangée a opposé
les Israéliens aux Palestiniens dans cette zone théoriquement sous contrôle
exclusif de l'Autorité de Yasser Arafat. Des blindés sont montés à l'aube pour «
nettoyer » l'endroit, poste de tir idéal pour les miliciens lorsque la nuit
vient. Mais la riposte palestinienne a été forte. « Par haut-parleurs, il a été
ordonné aux hommes disposant d'armes de défendre le camp », raconte un témoin.
Devant le feu nourri, les blindés ont préféré opérer un retrait en bon ordre.
Quatre policiers palestiniens ont été tués au cours des affrontements.
Avec
Khan Younis, la localité de Rafah, à l'extrémité sud, constitue actuellement
l'autre point le plus chaud de la bande de Gaza. La « porte de Salah-Eddine »
bute sur le no man's land qui sépare la bande de Gaza de l'Egypte. Le point de
passage a été déplacé à l'intérieur des terres et un mur surmonté de grillages
et de fils barbelés condamne l'ancienne frontière. L'armée israélienne y est
soumise depuis le début de la nouvelle Intifada à une pression
constante.
3. Le Monde du mercredi 20 décembre
2000
L'ONU rejette l'envoi d'une mission d'observateurs par Afsané
Bassir
NEW YORK (Nations unies) de notre correspondante
Les Palestiniens
ont subi un échec au Conseil de sécurité de l'ONU qui a rejeté, lundi 18
décembre, le déploiement d'observateurs internationaux au Proche-Orient. Contre
l'avis d'une majorité des pays membres du Conseil, ils avaient quand même
insisté, avec le soutien des pays non alignés, sur la mise au vote d'un projet
de résolution demandant la création d'une mission d'observation internationale
qui, comme prévu, n'a pu recueillir que huit votes favorables, et sept
abstentions dont celles, notamment, des Etats-Unis, de la France, de la
Grande-Bretagne et de la Russie pour lesquels le moment choisi, à la veille de
contacts prévus à Washington, mardi, était « inopportun ».
Il n'en demeure
pas moins que, pour la première fois, aucun pays, pas même les Etats-Unis, ne
s'est prononcé contre l'idée d'une mission d'observation de l'ONU dans les
territoires palestiniens. Reflétant le point de vue des abstentionnistes,
l'ambassadeur français, Jean-David Levitte, a dit : « La France estime que le
moment choisi, compte tenu de la reprise des négociations bilatérales, n'est pas
le plus favorable. Nous aurions préféré attendre le résultat des discussions
avant de nous prononcer. C'est pour cette raison seulement que la France
s'abstient, mais elle ne renonce en rien au projet d'envoi d'observateurs qui
est plus que jamais nécessaire. »
Paris, qui est à l'origine de l'idée d'un
groupe d'observateurs, avait avec la Grande Bretagne tenté – en vain – depuis
plusieurs jours de dissuader les Palestiniens de mettre leur texte aux voix,
parce qu'il n'avait aucune chance d'être adopté « pour l'heure », les Américains
ayant clairement dit qu'ils opposeraient leur veto, dans la mesure où pour eux,
l'accord d'Israël est la condition préalable à la création d'un groupe
d'observateurs.
SATISFACTION ISRAÉLIENNE
« C'est une triste journée pour
le Conseil de sécurité qui ne devient actif que lorsqu'il a affaire avec les
ennemis des Etats-Unis », a commenté après le vote le représentant palestinien à
l'ONU, Nasser El Kidwa. « Cela fait deux mois que nous avons ce texte en mains.
Ne pas le soumettre au vote aurait été fuir nos responsabilités et absoudre le
Conseil de sécurité de ses obligations », a-t-il ajouté. Quant à la reprise des
négociations à Washington et aux contacts que les deux parties devaient avoir, à
partir de mardi, avec l'administration américaine, ils serviront, à ses yeux, «
à démontrer que Washington n'a même pas un minimum de neutralité dans cette
affaire ».
L'ambassadeur israélien, Yehuda Lancry, qui, dans son intervention
au Conseil, a accusé le chef de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, d'avoir
« délibérément » encouragé l'Intifada, affichait une satisfaction évidente après
le vote. Le Conseil de sécurité, a-t-il dit, « a finalement pris une décision
sage permettant la reprise des négociations ».
Tandis que jusqu'ici, M.
Lancry opposait un refus « catégorique » de son gouvernement à une présence
internationale en Palestine, il s'est dit ce lundi « prêt à envisager une telle
possibilité, à condition que la décision du déploiement des observateurs soit
prise par Israël et les Palestiniens ».
Au nom des pays arabes qui ont
soutenu la mise aux voix de la résolution, un ambassadeur a expliqué au Monde :
« Nous comprenons l'abstention de la France, de la Grande-Bretagne et de la
Russie mais ils doivent aussi comprendre que le niveau de frustration chez les
palestiniens devenait insoutenable. C'est pour cela que le texte devait être
soumis au vote », a-t-il ajouté. Bien que l'idée d'une présence internationale
soit désormais acquise, a-t-il souligné, « aucun pays, pas même la France,
n'était prêt à fournir un calendrier pour sa mise en œuvre…
».
4. The New York Times
(quotidien américain) du
mardi 19 décembre 2000
L'ONU rejette l'envoi de troupes dans les territoires
palestiniens par Barbara Crossette
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
Palais de l'ONU, 18 décembre - Les Palestiniens ne sont pas parvenus,
cette nuit, à gagner un nombre suffisant de votes au Conseil de Sécurité des
Nations Unies, en faveur de l'envoi d'une force internationale de protection en
Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Israël et les Etats-Unis se sont
opposés à cette proposition de résolution d'une manière acharnée et
l'ambassadeur américain à l'ONU, Richard C. Holbrooke, avait annoncé qu'il
opposerait le veto de son pays à cette résolution si elle devait obtenir la
majorité nécessaire, de neuf voix sur les quinze membres du Conseil. Finalement,
le veto américain n'a pas été nécessaire. Le vote sur la résolution a recueilli
huit voix favorables, et sept abstentions.
Les pays à s'être abstenus sont :
les Etats-Unis, l'Argentine, la Grande-Bretagne, le Canada, la France, les
Pays-Bas et la Russie. Les pays soutenant la résolution - le Bangladesh, la
Jamaïque, la Malaisie, le Mali, la Namibie et la Tunisie - ont été rejoints par
la Chine et l'Ukraine. Les Etats-Unis préféraient laisser la mesure être écartée
par défaut plutôt que d'avoir à recourir à son droit de veto, dont disposent les
cinq membres permanents dans le cas où ils veulent rejeter une résolution.
La
décision de la Russie de s'abstenir, et non de soutenir la résolution
palestinienne, a été considérée comme le facteur décisif ayant entraîné le rejet
de cette dernière. En s'abstenant, les Russes voulaient aussi éviter une
confrontation avec les Etats-Unis.
"Cette résolution ne passera jamais",
avait dit M. Holbrooke en quittant le Conseil de Sécurité avant le vote, auquel
il a été procédé à la fin d'une longue journée de négociations, de conciliabules
et d'apartés dans les couloirs et dans les salles de réunion adjacents à la
grande salle du Conseil. Des efforts de dernière minute avaient été déployés de
manière à édulcorer le ton de la résolution, qui avait déjà fait l'objet
d'amendements au long de plusieurs semaines.
A l'origine, les Palestiniens
voulaient (l'envoi) d'une force armée de protection de 2 000 membres, mais le
dernier projet de résolution appelait seulement à un nombre non-précisé
d'"observateurs, militaires et policiers". La résolution demandait au Secrétaire
général Kofi Annan de procéder à des consultations des deux parties de manière à
déterminer comment et où la force (d'interposition) se positionnerait,
toutefois, M. Annan a indiqué que l'envoi de troupes internationales était
impossible tant qu'Israël en écartait la simple idée.
Les diplomates arabes
et palestiniens ont rejeté l'argument selon lequel, avec la reprise de
pourparlers de paix à Washington, fût-ce sur une échelle modeste, il serait
inapproprié d'insister sur une résolution dont tant Israël que les Etats-Unis ne
veulent entendre parler ("anathema"). Plusieurs membres du Conseil ont indiqué
avoir pris cette donnée en compte dans leur décision de vote. L'ambassadeur de
France à l'ONU, Jean-David Levitte, a déclaré que c'est le calendrier qui ne lui
avait pas permis de voter en faveur de la proposition (palestinienne)... Les
Pays-Bas et l'Argentine ont fait le même commentaire.
Nasser al-Qidwa, chef
de la mission d'observation palestinienne à l'ONU, a déclaré qu'il n'y avait
aucune relation entre les événements à Washington et les efforts visant à créer
une force de protection (des civils) dans les territoires occupés. Il a exprimé
l'avis que le vote avait été retardé déjà trop longtemps. Les Palestiniens
avaient espéré obtenir un vote vendredi dernier, mais avaient dû, pour la énième
fois, ronger leur frein...
5. Etvdes (revue des Pères
de la Compagnie de Jésus fondée en 1856) du mois de décembre
2000
Israël Palestine : le gâchis
par Joseph Maïla
Comme une frustration rentrée qui s'est longtemps
cachée dans les replis de tractations diplomatiques subtiles, comme une
confiance déçue qui s'est durablement nourrie de l'inéluctable lenteur du
processus de paix, l'explosion de violence en Palestine aura surpris et pris de
court. Pourtant, rien n'aurait dû surprendre. Le dernier sommet de Camp David,
qui avait réuni le Premier ministre israélien Barak et le Chef de l'Autorité
palestinienne Arafat, s'était soldé en juillet dernier par un échec. Nul n'avait
cependant pris en compte ce nouvel accident de parcours. Une opinion publique
habituée à la dramatisation des échéances et aux arrêts brusques d'une
négociation sinueuse, lasse, en outre, de suivre le feuilleton complexe de
pourparlers interminables, n'avait pu percevoir la gravité que prenait cette
fois la tournure des relations israélo-palestiniennes. En réalité, le vrai
problème, nous le signalions (cf. Etudes, juin 2000), ne se situait pas au plan
des discussions diplomatiques, mais bien à celui du dangereux malaise qui
s'était installé dans les opinions publiques arabes, au fossé qui ne cessait de
s'élargir entre les sociétés civiles de la région et leurs dirigeants, et au
doute sur les chances d'un règlement négocié du contentieux israélo-palestinien.
Le retrait d'Israël du Sud-Liban sous les coups du Hezbollah, en mai dernier,
avait montré qu'il existait des voies "payantes", concluantes, autres que la
négociation. La normalisation des rapports entre les quelques Etats arabes qui
avaient signé la paix avec Israël ou établi des relations diplomatiques et
économiques, à modeste échelon, avec lui, ne pouvait faire illusion : elle
demeurait fragile. Des comités de boycottage d'Israël dans ces pays s'étaient
créés, qui soulignaient le divorce croissant entre une diplomatie soucieuse de
"réalisme" régional, surtout sensible aux pressions américaines, et des peuples
arabes, le peuple palestinien au premier chef, qui ne voyaient rien se
concrétiser des promesses supposées d'Oslo.
La responsabilité du gâchis repose, en tout premier
lieu, sur une longue suite de reports d'échéances, une gestion arbitraire d'un
agenda diplomatique établi en commun, une intransigeance israélienne face à un
pouvoir palestinien mal établi, talonné par des extrémistes qui ne souhaitaient
que la rupture du dialogue. Au fil des années de négociation, Israël a fini par
apparaître, aux yeux des Palestiniens et des Arabes, en situation de juge et
partie. Plus grave encore, le résultat des discussions est décevant. Au bout de
sept ans de tractations, les Palestiniens contrôlent de dérisoires poches
territoriales sans aucune continuité, qui préfigurent une juxtaposition de
points de peuplement qu'il serait bien difficile de nommer Etat. Gaza à moitié
concédée, la Cisjordanie aux quatre cinquièmes contrôlée par Israël et
Jérusalem-Est entièrement exclue du champ de pouvoir palestinien, sont un bilan
très maigre par rapport aux espoirs entrevus et aux "mesures de confiance"
laborieusement bâties.
Côté palestinien, les pratiques désastreuses d'un
pouvoir embryonnaire et pourtant déjà pléthorique ont sapé le moral des nouveaux
citoyens de l'Autorité, tout autant que celui des vieux militants du Fatah. Pire
encore, la gestion calamiteuse des attentes d'une indépendance promise par de
tonitruantes déclarations pour le 13 septembre dernier, et sèchement abandonnée
comme une concession faite à la paix, a grandement discrédité Yasser Arafat. Ce
gage des bonnes intentions palestiniennes en direction de chancelleries
occidentales courroucées, craignant l'unilatéralisme palestinien plus que la
poursuite, non moins unilatérale et insensée, de la construction de colonies en
Cisjordanie, paraît dérisoire au regard des illusions entretenues. A coup sûr,
la provocation d'Ariel Sharon, se rendant sur l'esplanade des Mosquées,
représentait une occasion inouïe pour faire oublier une diplomatie hasardeuse et
laisser s'exprimer la colère et l'humiliation.
La réponse israélienne qui fit suite à la révolte
nouvelle, ou plutôt renouvelée, des Palestiniens, appartient, elle, à l'ordre de
la démesure. Les tirs au fusil mitrailleur, les chars et les missiles, ne sont
pas des moyens de maintenir l'ordre : ce sont des instruments de guerre. La
réponse aux pierres jetées ne saurait être la mort donnée par le plus puissant
arsenal de guerre du Proche-Orient. De plus, rien ne justifie que ce bilan de
morts soit dominé par celui des enfants. Et si le déchaînement dont furent
victimes des Israéliens apparaît tout aussi inadmissible, c'est sans commune
mesure que s'impose la mort donnée par la machine de guerre israélienne. Le plus
choquant dans tout cela est sans doute ce qui se donne à voir : une inversion de
logique, une disproportion dans la riposte qui tient d'une montée délibérée aux
extrêmes, un excès de violence qui excède toute retenue politique, qui déborde
tout cadre diplomatique, au point de boucher l'horizon de toute discussion, de
signifier l'annihilation de la parole, et comme la fin de tout scénario. Comme
si le temps s'était retourné et que, redevenu réversible, il était indicatif de
toute la méconnaissance d'hier...
Comment en est-on arrivé à ce déchaînement de
violences ? Qu'est-ce qui a rendu possible cette rupture qui revêt tous les
signes d'un arrêt ?
En tout premier lieu, la poursuite des
implantations en territoire palestinien. Ce "non-dit" d'Oslo - il n'avait pas
été formellement explicité dans l'accord du 13 septembre 1993 - aura été à
l'origine des multiples soubresauts qu'a connus le processus de paix. A de
nombreuses reprises, l'Administration américaine avait pourtant demandé aux deux
parties (mais l'admonestation était d'abord à l'adresse d'Israël) de ne rien
entreprendre qui puisse menacer le déroulement des négociations. En vain. S'il y
a une politique partagée par les gouvernements d'Israël, qu'ils soient de droite
ou de gauche, c'est bien celle qui consiste, en toute conjoncture, à poursuivre
la colonisation des territoires palestiniens. Yehoud Barak aura construit trois
fois plus de logements que Benjamin Netanyahu. En ce sens, on peut dire que la
gauche a rivalisé avec la droite pour donner à l'extrême-droite les meilleurs
moyens de se développer. L'extension de Jérusalem, l'encerclement des villes
palestiniennes, la garde sur le Jourdain, concrétisée par un chapelet de fortins
coloniaux, symbolisent cette politique de l'encerclement.
L'encerclement géographique traduisait, à sa
manière, un enfermement politique, dans la mesure où, en parallèle, la
négociation sur les retraits de l'armée israélienne et le statut final des
territoires palestiniens avançaient avec difficulté. Il serait fastidieux de
reprendre l'échéancier des retraits prévus (et jamais exécutés) des forces
israéliennes de Cisjordanie et de Gaza. Tout se passait comme si la peur de
l'Etat palestinien animait les gouvernements d'Israël. La restitution de
territoires rendait cette échéance de plus en plus concrète. L'arrêt de la
négociation en exorcisait presque l'avènement ou, du moins, repoussait la
perspective d'un véritable Etat, flanqué de vrais attributs, doté d'une
souveraineté et d'un pouvoir propres. Car, à l'évidence, les formules proposées
jusque-là par le Premier Ministre israélien, si elles avaient le mérite de
concéder la forme de l'Etat aux Palestiniens, leur en contestaient la réalité.
Le débat autour de Jérusalem résume à lui seul la querelle. La capitale voulue
par le Palestiniens pour leur futur Etat est à l'opposé de celle que proposent
les Israéliens, pour qui la Jérusalem palestinienne se doit d'exister à côté de
Jérusalem et non dans Jérusalem. La symbolique des Lieux Saints musulmans, de
leur garde, ainsi que le libre accès aux sites de la partie orientale de
Jérusalem, représentent pour les Palestiniens la dimension religieuse d'une
revendication nationaliste. Sans parler du caractère sacré de l'esplanade des
Mosquées, où les Palestiniens se considèrent comme les dépositaires d'une
mission à eux confiée par la Umma.
Enfin, comment ne pas voir que l'échec d'Oslo est,
d'une certaine manière, l'échec de la communauté internationale ? Non pas, bien
évidemment, que la communauté internationale soit directement à l'origine du
désordre qui s'est abattu en Terre Sainte - cela serait absurde -, mais qu'en
laissant les Etats-Unis conduire les négociations, elle s'exposait à voir
triompher une certaine logique sécuritaire pour laquelle les garanties apportées
à l'Etat d'Israël et le contrôle du mouvement national palestinien sont à eux
seuls susceptibles de mettre un terme au conflit. Du coup, s'estompe le rôle des
Nations Unies, invitées ailleurs à enquêter sur les violences et les massacres,
à contrôler des cessez-le-feu ou à superviser des trêves, mais exclues en
Palestine de toute participation à avancer la paix. Exit, aussi, le rôle de
l'Europe, bailleur de fonds, jamais pourvoyeur d'idées ; observateur de l'ombre,
jamais acteur. Pourtant, sur la rive orientale de la Méditerranée se joue une
part du destin européen.
Faut-il toutefois, pour toutes ces raisons, estimer
le processus d'Oslo et ses acquis dépassés ? Au vu de la tragédie qui se déroule
actuellement, on pourrait le penser. Comment des partenaires de paix peuvent-ils
garder intactes leurs intentions lorsqu'ils en viennent à se tirer dessus,
lorsque, en l'occurrence, les polices des deux parties se trouvent impliquées
dans les violences, et lorsqu'une armée, celle d'Israël, écrase à coups d'obus
de chars ou de missiles héliportés des maisons palestiniennes ? Qu'est-ce qu'un
processus de paix qui fait plus de cent morts en un mois, pour la plupart des
enfants ? Quel avenir se prépare-t-on, quand ceux-là mêmes qui le représentent
sont tués ?
Ces questions, qui sont de crainte et de doute,
appellent pourtant des réponses nuancées. Toute solution qui ne serait pas
concertée conforterait chacune des parties dans ses certitudes. Elle aboutirait
inéluctablement à la fin du processus d'Oslo, non par opposition et conflit,
mais par séparation et différenciation. Car la tentation existe que chacun des
peuples en arrive à envisager son avenir en rupture avec l'autre. Dès lors
prendrait corps une partition du territoire qui renverrait chacun dans ses
terres, développant une "ségrégation" entre les deux sociétés, la hafrada,
brandie dans certains milieux israéliens, qui tournerait définitivement le dos à
la paix, à l'interaction, et alimenterait, à n'en pas douter, les guerres du
futur.
Y a-t-il d'autre possibilité que de renouer le
dialogue là où il a été stoppé, c'est-à-dire au point de jonction entre la
nécessaire sécurité des uns et le besoin vital d'indépendance des autres ? A
moins de s'exposer à d'autres faux-fuyants, qui sont autant de motifs de guerre,
ou à d'autres colères, qui sont le lot de ceux que l'Histoire ne parvient pas à
consoler.
Etvdes - 14, rue d'Assas -
75006 Paris
6. Ha'Aretz
(quotidien israélien) du mardi 19 décembre
2000
Un responsable de
la police palestinienne tué dans une explosion par Amos Harel et Amira
Hass [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Le commandant de la police
Palestinienne pour Gaza, Abd al-Mu’ti Sabawi, a été tué hier dans une explosion
survenue dans la bande de Gaza.
M. Sabawi, 54 ans, était l’adjoint de
M. Razi Jibali, chef de la police palestinienne. Il était chargé de la division
opérationnelle de la police, ainsi que de l’unité des sapeurs. L’explosion s’est
produite au sud de l’implantation de Dugit, où les forces de sécurité
palestiniennes tiennent un poste de contrôle.
D’après le témoignage de M. Jibali,
M. Sabawi aurait été tué alors qu’il tentait de désamorcer une bombe qui avait
été lancée en direction du territoire palestinien. Toutefois, les sources de
l’armée israélienne ont indiqué que ni les forces armées israéliennes de
défense, ni les services de sécurité (Shin Beit) n’avaient un quelconque rapport
avec l’incident. M. Sabawi aurait été soit victime d’un accident, ou aurait été
tué alors qu’il tentait de fabriquer un engin destiné à être utilisé contre les
Israéliens, avancent les mêmes sources.
Deux Israéliens ont été légèrement
blessés, hier, par des éclats de verre, lors de tirs essuyés par un bus sur la
route de contournement de Jéricho. Après cet incident, les forces de sécurité
(israéliennes) ont décidé de maintenir le blocus de Jéricho, qui avait été
décrété, il y a dix jours de cela, après que le sergent Tal Gordon ait été tué
par un tir.
A noter également, des tirs intenses
contre la colonie de Psagot, à proximité de Ramallah, la nuit dernière. Les tirs
provenaient de différents endroits, et étaient d’une intensité telle que, pour
la première fois, les forces armées de défense israélienne ont été contraintes
de procéder à l’évacuation temporaire de certains des colons pour les mettre à
l’abri. Les soldats israéliens ont répliqué. Au cours de la journée précédente,
les Palestiniens avaient tiré contre une voiture israélienne sur la route
desservant cette même colonie.
Les Palestiniens ont tiré également
sur un poste temporaire de l’armée israélienne à Gaza, à proximité de la
frontière avec l’Egypte, et contre des hommes du génie qui travaillaient dans
les environs. Les soldats israéliens ont répliqué, blessant un Palestinien. Un
autre Palestinien a été blessé près de la ligne verte, hier, alors que quatre
Palestiniens tentaient de pénétrer en Israël en forçant une barrière : les
soldats israéliens ont alors ouvert le feu.
Le corps d’un activiste du Fatah a
été retrouvé, dimanche dernier, à proximité du camp de réfugié de Nur al-Shams,
près de Tulkarem. D’autres activistes du Fatah ont accusé des Palestiniens
collaborant avec Israël de l’avoir assassiné. Rashid Haroun, 34 ans, n’avait pas
reparu depuis vendredi. Les Palestiniens ont arrêté un suspect.
Reuters a rapporté hier que deux
autres enfants palestiniens, âgés de 3 et de 12 ans, ont été touchés aux jambes
par des balles recouvertes de caoutchouc, durant des affrontements entre
Palestiniens et forces de sécurité israéliennes à Qalqiliyah.
Un autre enfant, Ali Jamil Khalil,
âgé de 12 ans, de Silat ad-Dahar, région de Jenin, est encore en soins intensifs
après avoir été atteint par une balle tirée par les soldats israéliens dimanche
dernier.
Les forces israéliennes de sécurité
ont levé hier le blocus du village de Koshin, au nord-ouest de Naplouse, et
elles envisagent de faire de même à Qalqiliyah, ce jour.
7. Le Monde du mardi 19 décembre 2000
Israël-Palestine : le choc des perceptions par Mouna
Naïm
LA DÉMISSION surprise d´Ehoud Barak et l´approche
des élections législatives anticipées en Israël n´y changent rien : le futur
premier ministre aura fort à faire pour que la paix puisse être conclue entre
Palestiniens et Israéliens. Même si le ministre israélien des affaires
étrangères, Shlomo Ben Ami, a pu annoncer la semaine dernière, après un
entretien avec Yasser Arafat, le président de l´Autorité palestinienne, une
reprise prochaine des contacts entre les deux parties, la tâche sera rude, tant
les positions, et les perceptions, paraissent éloignées.
Du moins est-ce la conclusion qui s´imposait à
l´issue d´un débat organisé samedi 9 décembre par France-Culture, sur le thème :
« Israël-Palestine, pour une paix viable ». En dépit d´une volonté commune de
voir les négociations reprendre le plus rapidement et malgré des convergences de
vues, les participants, israéliens et palestiniens, mais aussi français, ont une
lecture divergente de la nouvelle Intifada, du sommet de Camp David et des
conditions de la reprise des pourparlers. En revanche, ils sont tous d´accord
sur la nécessité de démanteler les colonies de peuplement israéliennes en
territoires palestiniens.
Pour tous, l´acquis irrévocable des accords d´Oslo
est la reconnaissance mutuelle qui a mis fin à un « déni d´existence réciproque
» entre Israël et l´OLP, comme l´a souligné d´entrée de jeu Elias Sanbar,
directeur de la Revue d´études palestiniennes. « Oslo a [aussi] mis fin à la
politique du tout ou rien tant du côté palestinien que de la grande majorité des
Israéliens », a noté Zeev Sternhell, historien et professeur à l´Université
hébraïque de Jérusalem.
Mais, dans la pratique, loin de préparer le terrain
à un accord définitif entre Palestiniens et Israéliens, comme ils étaient
supposés le faire, les accords d´Oslo ont été pervertis parce que « leur logique
n´a pas été respectée », a avancé Alain Dieckhoff, directeur de recherches au
CNRS. Signés par des politiques, les accords d´Oslo, a plaidé Camille Mansour,
professeur à l´Institut d´études politiques et ancien professeur à l´université
de Bir Zeït, ont été dénaturés dès lors que leur application a été confiée par
Israël à des militaires, avec, pour unique objectif, la sécurité de l´Etat
hébreu conçue à court terme, alors que la seule vraie sécurité est tributaire
d´un accord de paix. Oslo est caduc, a plaidé Eric Rouleau, ancien ambassadeur
de France, parce qu´il portait en lui « deux anomalies qui le condamnaient à
l´échec » : la première tient à une situation unique, « occupants et occupés
négociant sur un même territoire », dont l´occupant contrôle tous les accès et
les clefs de fonctionnement ; ensuite, les pourparlers se déroulent « sous le
patronage exclusif des Etats-Unis », un « allié inconditionnel et stratégique
d´Israël, [ce qui] aggrave le déséquilibre ».
Pour Alain Dieckhoff, Oslo a fait son temps, parce
que la « logique de réciprocité » qui y était contenue et qui « implique que les
Palestiniens aient un Etat » a été « malmenée, dénaturée et altérée ». Les
raisons, a-t-il dit, en sont conjoncturelles, mais aussi structurelles, en
particulier la poursuite de la colonisation, qui rend « l´Etat palestinien
virtuel de plus en plus contracté,sa continuité territoriale finissant peu à peu
par disparaître dans la réalité du terrain ».Et, tandis que pour les Israéliens
« la paix était assez largement bénéfique », la société palestinienne ne voyait,
elle, que « les effets négatifs » d´une « paix chaotique ».
Pour tous, la négociation doit reprendre, mais sur
de nouvelles bases : elle doit être internationalisée dans la forme – les
Etats-Unis ne doivent pas en être les seuls médiateurs – et le contenu – par un
retour à la résolution 242 du Conseil de sécurité –, a estimé M. Mansour. Elle
doit conduire à la « réconciliation » entre les deux peuples, et pour cela «
tous les abcès doivent être crevés », y compris « celui de 1947 », c´est-à-dire
les conditions de la création de l´Etat d´Israël, a dit M. Sanbar. La
négociation devra impérativement inclure la question des colonies, élément «
central » du dossier, a souligné M. Dieckhoff.
Du côté israélien, Zeev Sternhell pas davantage que
Jacques Refah, chargé d´affaires à l´ambassade d´Israël en France, ou Claude
Klein, juriste et professeur à l´Université hébraïque de Jérusalem, ne se sont
prononcés sur la conduite des futures négociations. Pour eux, elles doivent et
peuvent reprendre à condition que les choses se décantent et que le calme
revienne.
EMBRASEMENT INÉLUCTABLE
Pour la majorité des participants, la nouvelle
Intifada était inscrite dans les faits, tant il est vrai que la perpétuation de
l´occupation sous différentes formes, les manquements aux accords conclus et les
conditions de vie difficiles rendaient l´embrasement inéluctable. L´Intifada, a
dit Leïla Shahid, déléguée générale de Palestine en France, était « un message
(…) destiné à mettre fin à la cécité des Israéliens, qui refusent aux autres ce
qu´ils revendiquent pour eux-mêmes ». Le « message » n´a visiblement pas été
reçu en Israël, où, selon Zeev Sternhell, l´Intifada a engendré « un sentiment
de défaite ou de déception très profond » : elle traduit « le retour, du côté
palestinien, à la politique du tout ou rien », au moment, a-t-il dit, où « la
grande masse des Israéliens » acceptent aujourd´hui ce qui était « inacceptable
il y a quelques années », c´est-à-dire la fin de l´occupation et la paix avec
les Palestiniens.
Dans le même ordre d´idées, Claude Klein, mettant
l´accent sur le « désarroi » de l´opinion publique israélienne, a assuré que
l´idée d´un État palestinien était désormais acquise en Israël. Et, a-t-il dit,
pour « 95 % des Israéliens », la nécessité du démantèlement des colonies est
également une idée acquise. « Il n´y a pas [en Israël] de public moins légitime
que les colons », a-t-il souligné, mais « la raison profonde de la difficulté à
avancer est l´idée, chez la plupart des Israéliens – et j´espère qu´elle est
fausse –, que les Arabes ne nous ont pas acceptés, ne nous acceptent pas. Dès
lors, peu importe les concessions. Ça ne sert à rien. Ce qu´il faut c´est tenir,
quelques mois, quelques années ». Les colonies sont « un malheur, un désastre »,
a renchéri M. Sternhell. Mais leur démantèlement amènera Israël « très près de
quelque chose qui ressemble à une petite guerre civile ». Il ne pourra donc se
faire que si la société israélienne est convaincue d´avoir « un partenaire qui
veut prendre lui aussi ses responsabilités ».
Concédant que M. Barak n´a peut-être pas fait
preuve d´un grand savoir-faire politique lors du sommet de Camp David, tous deux
ont estimé qu´il était allé bien au-delà de l´opinion publique israélienne et
que les Palestiniens ne l´ont pas aidé à réussir. Ce à quoi leurs vis-à-vis ont
répondu que la direction palestinienne n´avait pas vocation à sauver un premier
ministre israélien, mais à défendre les droits de son peuple : en l´occurrence,
les propositions de M. Barak étaient bien en deçà de ces intérêts et revenaient
à morceler l´Etat palestinien en trois, voire quatre parties.
8. Al-Nahar (quotidien
libanais) du lundi 18 décembre
2000
Négocier ? Ça n'est pas le moment ! par Ali Hammadeh [traduit de l'arabe par
Marcel Charbonnier]
Le retour à la table des négociations
palestino-israéliennes en ce moment précis ne pourrait être justifié que dans
deux cas. De deux choses, l'une :
a/ soit la position israélienne fondée sur
les "arrangements" de Camp David a évolué vers un Camp David + comportant une
solution satisfaisante pour les Palestiniens, en matière de Jérusalem, à savoir
leur souveraineté sur la Vieille Ville, exceptés le Mur des Lamentations
(Al-Buraq) et le Quartier juif (à l'origine, Quartier des Maghrébins), avec
l'affirmation du droit au retour total aux territoires de 1967 et d'un retour
partiel aux territoires de 1948 ;
b/ soit la position de principe
palestinienne a été ébranlée à Camp David, à quoi s'ajoute le fait que les
Palestiniens auraient accepté un marchandage entre une souveraineté
palestinienne limitée sur les Lieux Saints musulmans et chrétiens, avec
l'abandon du Quartier juif et du Quartier arménien (de Jérusalem), un
ajournement de l'étude du problème des fouilles (israéliennes) au-dessous de
l'esplanade des Mosquées, que les Israéliens appellent "le Mont du Temple", en
contre-partie, d'autre part, de l'abandon par les Palestiniens du droit au
retour sur les terres de 1948, et d'une limitation apportée au maintien de
colonies israéliennes sur les territoires (occupés) de 1967.
Quoi qu'il en
soit, la partie palestinienne ne peut compter sur les propositions américaines
tendant à suggérer qu'il existerait une certaine souplesse israélienne,
tout-à-fait nouvelle, offrant une occasion "en or" que l'Autorité palestinienne
ne devrait surtout pas laisser lui échapper, de peur que l'extrémisme ne se
déchaîne, de part et d'autre, afin de marquer des points. Sinon, Barak pourrait
laisser la place à un Netanyahu ou un Sharon, Arafat pourrait s'effacer,
abandonnant la scène à un Shaykh Ahmad Yasin, et à des leaders de l'intifada, du
Fath, de la jeune génération ou de la génération précédente ayant évolué,
détenteurs réels des clés de la rue palestinienne...
Le problème étant
qu'aucun miracle ne saurait être produit par Washington ou le président au
mandat finissant, Bill Clinton, en matière de processus israélo-palestinien. En
effet, la paix sous l'intifada, n'est pas la paix d'avant l'intifada, et la
deuxième intifada diffère de la première. Les négociations ou les accords
intérimaires ne sont plus possibles sur fond d'embrasement de la confrontation
sur les points à l'ordre du jour d'un accord définitif. La scène appartient
aujourd'hui aux causes de Jérusalem, de l'eau, des réfugiés, des frontières et
des implantations, et il n'est plus possible d'en ajourner aucune. Il est clair
que le Barak d'après l'intifada n'est plus le Barak d'avant l'intifada et que ce
qu'il pouvait offrir en fait de bouquet de propositions acceptables par les
Palestiniens n'est plus réaliste, aujourd'hui, à l'ombre de sondages répétés qui
donnent à Netanyahu une avance écrasante (dans les élections) sur le premier
ministre démissionnaire.
Ce qui est notable, dans le contexte d'un possible
retour aux négociations et de préparatifs des deux parties à se rendre à
Washington pour y tenir une nouvelle conférence tripartite, c'est le fait que le
"mécano" de "la percée", le président égyptien Husni Mubarak, s'est empressé
d'indiquer, hier, que la question de Jérusalem dépassait (les compétences) du
seul négociateur palestinien, car elle concernait l'ensemble des Musulmans et
des Chrétiens, tandis que le Liban s'empressait, par la bouche de son président,
Emile Lahud, d'élever la voix face au danger d'abandon du droit au retour des
réfugiés (palestiniens), fût-ce en échange de concessions plus favorables aux
Palestiniens dans le dossier de Jérusalem... Nous tenons à rappeler, ici, que la
question de Jérusalem, qui a fait éclater Camp David, l'été dernier, ne saurait,
en dépit de son importance capitale, masquer celle des réfugiés ou, pour être
précis, de leur droit au retour, d'autant plus que nous parlons, en
l'occurrence, d'une population concernée qui dépasse les quatre millions de
personnes. Si une avancée se réalise, dans le dossier de Jérusalem, au détriment
des réfugiés, la prochaine explosion ne manquera pas de provenir de ce dernier
dossier épineux et explosif, s'il en est : en tout cas, au moins aussi explosif
que le dossier de Jérusalem. Que pourrait dire Arafat aux millions de réfugiés,
au moment-même où est "régularisée" la situation des plus grandes implantations
en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ?
Ça n'est certainement pas le moment
de négocier, et ça ne le sera pas tant que les Etats-Unis seront incapables
d'impulser une avancée fondamentale dans les propositions israéliennes. Par
conséquent, des négociations, quelques négociations que ce soient, menées sous
la menace du retour aux affaires de l'épouvantail-Benjamin Netanyahu, ne
pourraient que faire le lit d'une crise future qui ne manquerait pas d'éclater
après qu'ait avorté l'intifada, qui reste la conquête essentielle sur laquelle
il faut (maintenant) parier et dont il faut tirer profit. A cette fin, nous
devons cesser de redouter l'extrémisme israélien, qui ne saurait en rien
représenter une solution pour la crise interne israélienne, qui est de nature
existentielle.
La position du président de la république libanaise peut
représenter un prolégomène au renforcement de la position du négociateur
palestinien en matière (d'exigence) du droit au retour (des réfugiés). Nous
posons la question : qui garantira la sécurité des frontières
libano-israéliennes si les réfugiés palestiniens décident de retourner sur leurs
terres de force ? Vous souvenez-vous de qui a posé cette question, il y a
quelques mois ?
9. Al-Nahar (quotidien
libanais) du lundi 18 décembre 2000
Au milieu de pronostics
contradictoires sur la période post-électorale aux Etats-Unis et en Israël, le
Liban ne pourra pas résoudre ses problèmes avant la réalisation d’une paix
globale par Emile Khoury [traduit de
l'arabe par Marcel Charbonnier]
Un ministre (libanais) généralement réaliste a dit
récemment qu’il ne voyait pas le Liban revenir à une situation normale sur les
plans sécuritaire, politique, économique, financier, ni même sur celui de la
souveraineté, tant qu’une paix ne sera pas instaurée dans la région, qui soit à
la fois globale et juste. En effet, sans une telle paix, le Liban éprouvera les
plus grandes difficultés à attirer les investisseurs, tant que la situation dans
le Sud, en dépit du retrait israélien, ne sera pas celle d’un calme et d’une
stabilisation durables et solides, tant que la résistance continuera à jouer son
rôle (jusqu’à ce que soit obtenu le retrait israélien des fermes de Shebaa et
que les prisonniers libanais soient libérés des geôles israéliennes) et tant que
l’armée libanaise ne pourra se déployer tout au long de la frontière avec
Israël, en signe de clôture du dossier "Sud", en certification du recouvrement
d’une sécurité pérenne et continue dans la région, qui est aussi celle de la fin
du rôle joué par la résistance.
Le désarmement des camps palestiniens s’avérera
également difficile, tout comme la mise d’un terme à l’existence d’îlots
sécuritaires au Liban, dans lesquels se réfugient des gens recherchés par la
justice, tant que ne sera pas réglée la question des réfugiés palestiniens sur
la base de la mise en application de la résolution 194, qui garantit leur droit
au retour ou l’indemnisation de ceux qui ne désirent pas retourner dans leurs
foyers d’origine.
Il sera très difficile aussi de désarmer le
"Hizbollah", ainsi que tous les groupes armés, à quelque mouvance ou à quelque
secte ils appartiennent, tant que les causes de leur armement et de l’usage
qu’ils en font en cas de besoin perdureront, tant que ne seront pas appliqués
les accords de Taëf, qui stipulent la dissolution de toutes les milices
libanaises ou autres et la remise par celles-ci de leurs armes à l’Etat
libanais. De même, il sera difficile d’exiger de la Syrie qu’elle retire
complètement ses troupes du Liban si Israël ne se retire pas du Golan et tant
que la Syrie et le Liban n’auront pas signé d’accord de paix avec
Israël.
De même, il sera difficile d’admettre le retour du
général Michel Aoun au Liban et la poursuite de son activité politique et
l’amnistie du Dr Samir Gea’gea’, tant que les troupes syriennes ne se seront pas
retirées complètement du Liban, chose qui ne sera possible qu’après qu’Israël se
soit retiré du Golan et qu’une paix dans la région ait été signée.
C’est pourquoi la question sur laquelle les
réponses divergent tant est : une paix globale est-elle possible dans la
région, et si oui, quand, afin que le Liban connaisse le retrait des forces
syriennes de son territoire et des forces israéliennes des fermes, libanaises,
de Shebaa, que les prisonniers libanais soient libérés des prisons et des camps
israéliens, que la question des réfugiés palestiniens trouve une solution par la
garantie de leur retour à leurs villages, afin qu’il soit possible de détruire
les camps de réfugiés et d’en éliminer les armes ?
Lahud est optimiste
Le président Lahud est quasiment le seul à
escompter des développements régionaux importants d’ici une huitaine de mois,
soit au début de l’été prochain, qui seraient de nature à renforcer les chances
de la conclusion d’une paix globale et juste dans la région : il considère
que l’élection de George Bush junior à la présidence des Etats-Unis est de
nature à redonner espoir en un manière nouvelle pour ce pays d’appréhender le
processus de paix, dans un sens favorable à un règlement global et
équitable.
Le président Lahud considère que la paix est
impossible dans la région si le Golan n’est pas restitué à la Syrie, si le
retour des réfugiés palestiniens sur leurs terres n’est pas assuré, car la
naturalisation au Liban des réfugiés palestiniens serait de nature à remettre en
cause toute possibilité de trouver une issue positive au processus
israélo-libanais, il insiste également sur la nécessité de permettre aux
Palestiniens de proclamer leur Etat indépendant, ayant Jérusalem pour
capitale.
Le président Lahoud avait prévu le retrait des
forces israéliennes du Sud et de la Beqaa occidentale sous les coups portés par
la résistance, alors que la majorité des observateurs rejetaient cette hypothèse
et s’attendaient au déclenchement d’un affrontement militaire, en se basant sur
la conviction qu’Israël ne céderait pas et ne se retirerait pas sous la pression
de la résistance.
Et, tandis que le président Lahud insistait sur la
nécessité que le retrait israélien du Sud Liban et de la Beqaa occidentale soit
total, jusqu’aux frontières libanaises reconnues internationalement, et sur le
refus du redéploiement des forces internationales avant que ce retrait israélien
soit effectif et qu’aient cessé toutes les violations israéliennes de ces
frontières, certains le blâmaient pour cette fermeté de principes, de crainte
qu’elle n’entraîne un différent, voire une confrontation politique, avec l’ONU,
qui n’aurait pas été de l’intérêt du Liban, le résultat de sa fermeté avait été
la récupération de millions de mètres carrés de terre libanaise, qu’Israël
occupait, en dépit d’une proclamation du secrétaire général de l’ONU, Kofi
Annan, dans laquelle il annonçait le retrait israélien du Sud-Liban, en
conformité avec la résolution 425. Il s’était rendu compte, par la suite, de
l’erreur qu’il avait commise en publiant ce communiqué par trop
hâtif.
Le président Lahud s’attend à ce que l’intifada
palestinienne en Cisjordanie et à Gaza réalisera ce que la résistance a pu
réaliser au Sud Liban : Israël se retirera des territoires palestiniens
d’où il doit se retirer conformément à la résolution 242, tout comme il a été
contraint de se retirer du Sud Liban, en application de la résolution
425.
Le président Lahud affiche un certain optimisme
quant à la possibilité de la reprise du processus de paix dans la région. Il
pense également que la nouvelle administration américaine ne tardera pas à
s’atteler au dossier de la paix au Moyen-Orient, et il espère qu’elle jouera un
rôle effectif et qu’elle se comportera en intermédiaire équitable entre les
parties concernées, à la recherche d’une paix globale et juste.
Mais certains milieux politiques ne partagent pas
les attentes du président Lahud quant à la réalisation de la paix dans la région
d’ici huit mois. Ces milieux fondent leur pessimisme sur deux facteurs : le
premier est le fait qu’il faudra un certain temps au président Bush pour pouvoir
se consacrer au dossier de la paix dans la région, car il aura vraisemblablement
d’autres priorités. Ceci, en faisant abstraction du "lobby juif" qui a soutenu
Al Gore aux présidentielles sans pouvoir garantir son succès, et qui ne
facilitera sans doute pas la tâche du président Bush voire, qui exercera sur lui
certaines pressions pour l’amener, tout du moins durant la première année de son
mandat, à se désintéresser de la question, à moins qu’il ne l’envisage sur des
bases différentes de celles que son père avait définies à Madrid, en tant que
président des Etats-Unis. Le second facteur est lié au choix du nouveau premier
ministre israélien, choix que doivent fixer les élections prochaines, et à sa
capacité à aller de l’avant, vers la réalisation d’une paix globale et
équitable, compte tenu de la composition actuelle de la Knesseth. Le problème
réside en effet moins dans la personne du premier ministre que dans la
composition du parlement israélien, où des petits partis minoritaires, parmi
lesquels des partis extrémistes-religieux, exercent leur diktat sur les partis
majoritaires, paralysant leurs avancées en direction de la paix. Si des
élections législatives, en Israël, n’amènent pas au pouvoir une majorité
désireuse de paix, le chemin vers cette dernière restera ardu et peu
sûr.
10. Le Monde du dimanche 17 décembre
2000
La terre et la paix
(éditorial)
La terre, comme enjeu et symbole. C´est avant tout
d´elle qu´il s´agit dans l´interminable conflit israélo-palestinien. La terre
conquise, occupée, fractionnée. « On ne fait pas la paix en coupant la Palestine
en morceaux. » Cette formule du romancier israélien David Grossman résume la
contradiction majeure qui a miné le processus d´Oslo, qu´Israéliens et
Palestiniens tentent aujourd´hui de ranimer. Elle éclaire aussi la colère dont
se nourrit la révolte des Palestiens, qui, en douze semaines, a déjà fait
quelque trois cents morts (essentiellement parmi eux).
Hostile à un Etat palestinien – et logique avec
elle-même –, la droite israélienne n´a cessé d´encourager depuis trente ans l´«
annexion rampante » de la Cisjordanie, en créant des « faits accomplis ». La
méthode était toujours la même : quelques caravanes sur une crête, un réservoir
d´eau, un drapeau israélien, une route, et une nouvelle colonie voyait le jour.
L´objectif était avoué : transformer la Cisjordanie en une « peau de léopard »
inapte à devenir un Etat viable. Les accords d´Oslo induisaient une logique
contraire : « geler » la colonisation, annexer à Israël quelques gros blocs
d´implantations, et évacuer les autres, afin de favoriser un partage équitable
de la terre.
Cette stratégie n´est pas entrée dans les faits. Le
premier ministre travailliste Ehoud Barak – aujourd´hui démissionnaire – avait
promis de décourager les colons. Il n´a pas tenu parole. De « nouveaux sionistes
», souvent fraîchement débarqués d´Amérique, avec en tête de fous rêves
messianiques, ont occupé de nouvelles collines. Pour relier ces familles au
réseau des implantations existantes, l´armée a continué de confisquer des
terres, de construire des routes, de détruire des vergers, d´arracher des
oliviers. Ainsi, en même temps qu´il faisait courageusement, à la table de
négociation, des offres sans précédent – sur les frontières ou sur Jérusalem –,
le gouvernement israélien laissait s´installer de nouveaux colons ayant pour
raison d´être de faire obstacle à la paix. En même temps qu´il se proclamait
l´avocat d´un compromis territorial généreux, il le rendait plus compliqué,
voire infaisable.
Pas plus que ses prédécesseurs travaillistes Shimon
Pérès et Itzhak Rabin, Ehoud Barak n´a osé démanteler la moindre implantation.
Pour des motifs politiciens : ne pas s´aliéner les nationalistes et les
extrémistes religieux indispensables à toute majorité parlementaire. Pour des
raisons tactiques : conserver le maximum d´espace dans la perspective de
l´ultime marchandage. Mais aussi par crainte du traumatisme national
qu´entraînerait l´éviction des colons, et à cause, enfin, d´une vieille fidélité
au sionisme pionnier dont se réclame encore la gauche.
Or, aucune paix ne sera juste ni durable sans
l´évacuation préalable de ces colonies qui brisent l´unité territoriale du futur
Etat palestinien. Un autre écrivain israélien, Avraham B. Yehoshua, exhortait
récemment les colons à faire preuve d´« audace » et de « raison » en « revenant
sur la terre d´Israël »(celle d´avant 1967). L´arrêt des implantations,
l´abandon d´une mentalité coloniale ne suffiront pas à faire la paix. Mais ils
en sont la condition nécessaire et préalable.
11. Tageblatt (quotidien
luxembourgeois) du vendredi
15 décembre 2000
Observateurs et paix au menu des discussions
Arafat-Védrine
Les Palestiniens ont
insisté jeudi sur le déploiement d'observateurs internationaux tout en
s'affirmant "prêts" à reprendre les négociations de paix lors d'une rencontre à
Gaza entre le président Yasser Arafat et le ministre français des Affaires
étrangères Hubert Védrine.
Le chef de la diplomatie française, qui effectue
une tournée au Proche-Orient au nom de la présidence de l'Union européenne a
indiqué qu'il était venu pour "avoir une analyse directe de la part des
responsables, au plus haut niveau, sur la situation actuelle, sur l'état de la
tragédie et sur la façon d'en sortir".
Les Palestiniens ont mis en avant la question du
déploiement d'une force d'observateurs et souhaité que la France, et l'Europe,
soient plus actives sur cette question.
Le ministre palestinien de la Coopération
internationale Nabil Chaath, qui a participé à l'entretien entre MM. Arafat et
Védrine, a souligné "la nécessité absolue de constituer une force d'observateurs
pour assurer la protection de la population palestinienne".
De son côté, le ministre de l'Information Yasser
Abed Rabbo, également présent à la réunion, a indiqué à l'AFP que les
Palestiniens "voulaient une position claire (de l'Europe et de la France) sur la
question des observateurs".
"Nous ne voulons plus entendre que les Etats-Unis
ne l'acceptent pas ou qu'Israël n'aime pas cette idée, cela nous le savons
déjà", a-t-il ajouté.
Une proposition franco-britannique est actuellement
en discussion au sein du Conseil de sécurité de l'ONU. Mais la France a indiqué
qu'il était prématuré de passer à un vote, étant donné le désaccord américain,
et leur possible veto, sur les formules proposées.
La reprise des négociations était également au
centre des discussions.
A cet égard, M. Védrine a estimé que "l'absence de
processus est en soi un facteur de tension, d'inquiétude, et
d'angoisse".
Les Palestiniens sont "prêts" à reprendre les
négociations, a déclaré M. Chaath.
"Mais le temps est court et limité", a-t-il ajouté,
en allusion au mandat du président américain Bill Clinton, qui prend fin le 20
janvier, et que les deux parties perçoivent quasiment comme une date-butoir pour
renouer le dialogue.
De plus, "Barak n'a pas agi comme quelqu'un qui
veut relancer les négociations", a-t-il poursuivi. "Il n'utilise pas les
possibilités qui lui sont offertes pour mettre fin à l'état de siège, aux
tueries quotidiennes, et à la grande vague de colonisation" des territoires
palestiniens, a ajouté M. Chaath.
En coulisse, se sont renouées des discussions à
différents niveaux, entre Israël et les Palestiniens, mais également avec des
tierces parties comme les Etats-Unis, sur une reprise des négociations, a-t-on
affirmé de source européenne.
"Des contacts discrets ont repris entre
Palestiniens et Israéliens sur les sujets les plus sensibles comme Jérusalem et
les réfugiés", a indiqué à l'AFP un diplomate européen, qui a requis
l'anonymat.
Selon lui, M. Barak serait prêt à faire encore plus
de concessions sur le statut de Jérusalem, et exigerait une plus grande
"souplesse" des Palestiniens sur la question des réfugiés.
"C'est loin d'être gagné", a-t-il cependant
estimé.
Un haut responsable palestinien, qui a requis
l'anonymat, a qualifié lui ces rencontres de "ballons d'essais".
M. Védrine doit se rendre dans la soirée à Tel-Aviv
pour y rencontrer le ministre israélien des Affaires étrangères Shlomo Ben Ami
et s'entretenir vendredi matin avec le Premier ministre démissionnaire Ehud
Barak, avant de s'envoler pour Amman.
12. Le Figaro du mercredi 15 décembre
2000
Barak : l'élection doit être "un
référendum pour la paix" propos recueillis à Jérusalem par Charles
Lambroschini et Pierre Prier
Après seulement 18 mois au pouvoir, le premier
ministre israélien démissionne pour être candidat à sa succession. Il revient
sur son geste et explique au Figaro sa position sur les prochaines élections,
l'intifada et la paix. Entretien exclusif.
- LE FIGARO – Monsieur le Premier
Ministre, pourquoi avez-vous démissionné ?
- Ehud BARAK – Israël
vit une situation d'urgence. Mais la Knesset est en pleine confusion: elle ne
parvient pas à décider si elle veut ou non aller aux élections. Notre nouveau
système constitutionnel distingue, d'une part, le premier ministre, élu seul au
suffrage universel direct, et d'autre part, les parlementaires, désignés à
l'issue d'élections générales. Or, pour moi, le véritable enjeu politique est
d'obtenir le renouvellement du mandat personnel que les électeurs m'avaient
accordé il y a dix-huit mois. L'impasse actuelle a une explication très simple:
j'ai été élu sur un programme de paix avec une majorité très importante, mais la
paix n'a pas de majorité à la Knesset. Du coup, je me retrouve prisonnier d'un
système politique bizarre, car il paralyse un premier ministre directement issu
de la volonté du peuple. Pour sortir de cette impasse, il faut une solution
radicale. J'ai démissionné pour que l'élection soit un référendum sur la
paix.
- Selon vos adversaires, cette démission
n'est qu'un alibi pour empêcher Bibi Netanyahu de se présenter contre vous.
N'étant plus député, il n'a pas le droit d'entrer dans la course. Il ne pourrait
le faire que dans deux hypothèses: si la Knesset change la loi pour lui
permettre de se présenter; si la Knesset se saborde et décide des élections
générales. Que répondez-vous aux soupçons de vos adversaires
?
- Je vous dirai deux choses. D'abord, que la
Knesset, comme vous le remarquez vous-même, est libre de déclencher des
élections générales auxquelles Netanyahu pourrait participer sans violer la
Constitution. Deuxièmement, je suis prêt à appuyer tout amendement à la loi qui
autoriserait Netanyahu à se joindre à la compétition pour le poste de premier
ministre.
- Quelles différences fondamentales vous
séparent de Netanyahu ?
- Nous avons en commun de vouloir, pour Israël, la
paix dans la sécurité. Mais je préfère une stratégie qui pousse Israël à aller
de l'avant, à prendre des initiatives avec détermination, au lieu de simplement
attendre que quelque chose se passe. Je suis convaincu que la passivité, même
camouflée en doctrine, ne peut que finir en désastre. C'est pourquoi je
préconise l'activisme: je veux que les Israéliens parviennent à se «désengager»
des Palestiniens. Pour trouver une solution au conflit israélo-palestinien, nous
devons changer totalement de perspective. Entre Netanyahu et moi, il y a aussi
une grande différence de conception du leadership. Contrairement à lui, je veux
m'attaquer aux problèmes de la société israélienne. Je crois à une approche
différente des citoyens: je veux être franc et ouvert, je veux gouverner de
façon propre.
- Vos différences ne se ramènent-elles pas
à une opposition gauche-droite que l'on croyait disparue de la vie politique
israélienne ?
- A l'occasion de cette nouvelle intifada, Israël a
été obligé d'ouvrir les yeux. Ce fut très pénible. Les gens de gauche ont
soudain constaté que leurs partenaires, leurs voisins, leurs concurrents, en un
mot les Palestiniens, ne correspondaient pas du tout à l'idéal que la gauche
s'en faisait. Quelle découverte! Les Palestiniens ne sont pas comme la gauche
veut qu'ils soient. Dans le même temps, la droite a été obligée de se résigner à
l'idée que tout accord doit aussi être signé par l'adversaire, qu'il est donc
inutile de s'entêter sur un objectif utopique. La droite a fait la même
découverte que la gauche: la réalité est bien plus pénible que le rêve. Ces
révélations ont plongé les deux principaux blocs politiques d'Israël dans une
même déception, et je pense que cette expérience les a fait mûrir.
- La réforme constitutionnelle, qui a
permis l'élection directe du premier ministre, avait pour but de renforcer la
légitimité du premier ministre vis-à-vis des partis et de faciliter la formation
d'une majorité gouvernementale. Mais les premiers ministres ainsi désignés n'ont
guère eu de raison de s'en féliciter: au lieu de durer quatre ans, Netanyahu n'a
duré que trois ans, et vous démissionnez après seulement 18 mois au pouvoir. Ne
faudrait-il pas profiter de la crise actuelle pour aller encore plus loin et
supprimer le scrutin proportionnel intégral au profit de la règle majoritaire
?
- Je regarde vers l'avant, pas vers l'arrière. Les
juristes sont partagés. Quant à moi, je pense qu'il vaut mieux corriger les
défauts actuels que revenir à l'ancien système. Ainsi, j'entends dire qu'il
faudrait relever la barre pour le nombre de voix autorisant l'entrée d'un parti
à la Knesset. Aujourd'hui, le minimum requis est de 1,5%; certains experts
préconisent 3%.
- D'ici aux élections, avez-vous le temps
de réussir ce que vous avez manqué, l'été dernier, à Camp David, c'est-à-dire la
signature d'un accord avec Yasser Arafat ?
- Honnêtement, je ne sais pas. Nous ne pouvons pas
nous permettre de fixer une date limite à la signature d'un accord. Cela
signifierait que nous voulons un accord à tout prix. Or, aujourd'hui, nous nous
concentrons sur la nécessité de réduire la violence, et donc sur la mise en
application des décisions qui avaient été annoncées cet été à Charm el-Sheikh.
Toutefois, nous maintenons le contact avec les Palestiniens. Qu'une ouverture se
produise, et les Israéliens seront immédiatement prêts à reprendre la
négociation.
- Aujourd'hui, avez-vous des contacts
avec les Palestiniens ?
- Oui, puisque ces contacts ont lieu en permanence.
Mais dans ces échanges, nous traitons surtout des moyens de réduire la violence
et de rétablir la coopération contre le terrorisme. Nous attendons de Yasser
Arafat qu'il exerce son influence pour arrêter la violence, et donc pour
remettre derrière les barreaux les terroristes qu'il avait libérés ces dernières
semaines.
- Yasser Arafat fait-il des efforts pour
réduire la violence ?
Il essaie. Mais j'espère qu'on se dirige vers
quelque chose de plus durable que les habituels coups d'accordéon.
- Le président palestinien a-t-il toujours
envie de négocier avec vous ?
- C'est à lui qu'il faut poser cette question. Mais
j'espère qu'il reste intéressé. Si les Palestiniens sont prêts à parler, les
Israéliens seront prêts à parler. Je suis convaincu que la négociation est la
seule solution: même si, devant l'escalade de la violence, je me prends parfois
à douter. C'est une erreur de croire qu'on pourrait résoudre le problème par une
frappe militaire massive. Notre armée est puissante, et elle pourrait faire
beaucoup plus. Mais nous devons adapter nos actions à l'intérêt national: notre
objectif est de préserver Israël, pas de le démolir.
- Fin novembre, vous avez proposé à Yasser
Arafat un accord intérimaire qu'il a aussitôt refusé. Le président palestinien
avait alors expliqué que l'accord d'Oslo était aussi un accord intérimaire, et
que, datant pourtant de 1993, il n'a toujours pas été appliqué dans sa totalité.
Par exemple, le troisième redéploiement, prévu, de l'armée israélienne n'a pas
eu lieu. Pour répondre aux objections d'Arafat, ne feriez-vous pas mieux de lui
offrir un accord global ?
- Notre objectif est d'arriver à un accord global.
C'est bien ce que nous avions proposé à Camp David, et jamais un gouvernement
israélien n'était allé aussi loin. Comme preuve de notre souplesse à Camp David,
j'ajoute que nous étions également prêts à envisager des positions de repli.
Nous pensions à un accord intérimaire. Nous pensions aussi à un arrangement par
«phases»: on s'entend sur un cadre général, mais, pour les dossiers qui n'ont
pas encore pu être réglés, on continue d'avancer à un rythme plus
lent.
- Qu'y avait-il dans l'accord intérimaire
rejeté par le président palestinien ?
- Soyons précis. Je n'ai pas proposé à Arafat un
accord intérimaire. J'ai évoqué l'hypothèse de «phases» qui interviendraient une
fois conclu un accord-cadre sur le statut final de la Palestine. En clair: si un
ou deux sujets fondamentaux n'ont pu être résolus, on signe quand même l'accord.
Ensuite, on se donne un ou deux ans pour continuer à négocier sur les dossiers
bloqués. C'est à cette proposition de «phases» que Yasser Arafat a dit
non.
- Mais un accord par «phases» n'est-il pas
une façon de camoufler un simple accord partiel ?
- C'est une question de vocabulaire. Vous pouvez
baptiser votre document «accord partiel» parce qu'il comprend certains éléments
dont on traitera plus tard. Ou bien vous le qualifiez d'accord final tout en
prévoyant des délais supplémentaires pour venir à bout de certains dossiers plus
délicats. Chez les diplomates, la sémantique peut être la clé du
succès.
- Pourquoi les négociations de Camp David
ont-elles échoué ?
- Je ne sais pas. Je ne peux pas pénétrer l'âme de
Yasser Arafat, et je ne suis pas en position de le juger. Mais j'ai du mal à
comprendre quelle raison nous a empêchés de nous entendre sur ce qui aurait dû
être un accord raisonnable. Tout ce que je puis dire, c'est que nous avions pour
objectif un accord cadre sur le statut final de la Palestine. Entre les 11 et 24
juillet, nous avons donc abordé les dossiers les plus sensibles: Jérusalem, les
réfugiés, les frontières, les questions de sécurité. Ces sujets étaient très
délicats parce qu'ils concernaient la nation, la religion et même la
psychologie. J'étais prêt à prendre des décisions historiques et à les présenter
ensuite au peuple israélien. Nous avons travaillé jour et nuit, nous avons
montré notre souplesse, nous avons retourné chaque pierre. Pour en finir avec le
conflit israélo-palestinien, nous étions prêts à proposer aux Palestiniens un
Etat assuré de la continuité territoriale et vivant en bon voisinage avec
Israël. Nous étions prêts à payer un prix qui, pour Israël, aurait été très dur.
Malheureusement, les Palestiniens, eux, n'étaient pas prêts à prendre des
décisions historiques.
- Les Palestiniens affirment que c'est
votre intransigeance qui a fait échouer Camp David...
- La négociation ne pouvait être que difficile.
Mais dans l'espoir de nous arracher des concessions supplémentaires, les
Palestiniens ont choisi de préparer un nouveau conflit avec Israël. La vérité
est aveuglante: les Palestiniens ont pensé qu'ils pourraient atteindre leurs
buts politiques en utilisant la force.
- A en croire la gauche israélienne, ce
sont les colons, en augmentation constante, qui expliquent la réticence des
Palestiniens à signer un accord de paix. Dans les neuf premiers mois de l'année
2000, il y aurait eu 13 000 colons de plus dans les territoires occupés, et
depuis l'accord d'Oslo, en 1993, leur total aurait doublé: de 100 000 à 200 000.
La gauche dit qu'il faudrait les rapatrier; pourquoi les laissez-vous venir
toujours plus nombreux ?
- Je n'ai pas créé une seule colonie de peuplement.
Pour la première fois, j'en ai même démantelé quelques-unes, les plus isolées.
Nous ne laissons la construction se poursuivre que dans les villes déjà très
peuplées, qui, quel que soit l'accord de paix, resteront sur le territoire
d'Israël. Je ne crois pas que ce sont les colons qui représentent un obstacle.
Il y a quinze ans, dix ans ou cinq ans, la solution semblait si lointaine que
les Palestiniens pouvaient effectivement dire que la poursuite de ce mouvement
de peuplement fermerait des portes. Aujourd'hui, il est clair que, si les deux
camps y sont disposés, nous pouvons conclure un accord assez rapidement. Le fait
que nous ayons construit un peu plus ici ou là n'aura donc aucune conséquence
sur le résultat final.
- Combien de temps les Israéliens
pourront-ils résister à cette deuxième intifada? Combien de temps
accepteront-ils des pertes qui augmentent chaque jour ?
- Nous pouvons supporter ces affrontements très
longtemps. Les Palestiniens aussi, bien que leurs pertes soient beaucoup plus
élevées. Les faits sont têtus: il est impossible de trouver une autre solution
que la négociation, mais il est tout aussi impossible de négocier pendant que la
violence continue.
- Certains spécialistes s'inquiètent d'un
risque de guerre régionale qui pourrait être déclenchée par des affrontements
avec la Syrie. En effet, Damas est accusé par Israël d'encourager les agressions
du Hezbollah libanais. Partagez-vous ce pessimisme ?
- Israël ne veut pas de nouvelle guerre. Mais si la
guerre nous est imposée, Israël se battra, et Israël sera assez fort pour
gagner. Nous sommes déterminés à défendre notre droit à vivre sur cette terre
libres et en sécurité. Mais, comme ancien général, je peux vous le dire: une
guerre, ce n'est jamais un pique-nique. Il est donc exclu qu'Israël prenne
l'initiative d'un conflit de plus.
- Il ne reste qu'un mois de présidence à
Bill Clinton. Une ultime médiation de sa part vous intéresse-t-elle encore
?
- Oui, une intervention du président américain peut
encore être utile. Mais à condition que la négociation reprenne. Si les
Israéliens et les Palestiniens se retrouvent autour d'une table de conférence,
Bill Clinton pourra nous aider. Et je crois qu'alors son intervention sera
importante.
- Selon la presse israélienne, vous avez
pourtant déploré l'absence d'un plan de paix américain...
- Je n'ai rien dit de tel. Mais le fait d'être cité
dans la presse israélienne n'a jamais signifié que vous avez effectivement dit
quelque chose. Je pense, au contraire, que les Américains ont un plan. C'est une
évidence que, dans l'interrègne qu'ils vivent depuis leur élection
présidentielle du 7 novembre, les Américains sont moins efficaces. Il reste que
Bill Clinton est personnellement engagé dans notre affaire, et qu'il est
apprécié par toutes les parties. Si l'occasion d'une percée se présente, Clinton
aura donc un grand impact.
- Qu'attendez-vous de la visite de M.
Védrine, qui, venu du sommet européen de Nice, représente à la fois la France et
la présidence européenne ?
- M. Védrine milite pour la cause de la paix, et
les deux camps lui portent une égale estime. Le ministre français connaît
parfaitement les détails du dossier, et chacune de ses visites en Israël permet
d'effectuer un tour d'horizon politique mutuellement bénéfique. Le fait que,
cette fois, il représente aussi l'Europe est un atout supplémentaire. Nous
tenons au soutien de l'Union européenne pour faire avancer le processus de paix.
Après tout, l'Amérique se trouve à l'autre bout du monde. L'Europe est notre
arrière-cour, et Chypre, candidate à l'entrée dans l'UE, se trouve à 150
kilomètres des côtes d'Israël.
- Êtes-vous toujours en colère contre
Jacques Chirac, que les Israéliens ont accusé d'avoir saboté le sommet de Paris?
Lors de ce sommet, en octobre, le président français aurait conseillé à Yasser
Arafat de ne pas signer les documents qui avaient été préparés pour
l'occasion...
- Je ne suis en colère contre personne. Mais, lors
de ce séjour, j'ai été témoin d'un certain nombre de choses qui n'ont pas
vraiment contribué au succès du sommet de Paris. Désormais, tout cela appartient
au passé. Depuis, j'ai reparlé à Jacques Chirac. La France occupe une place
centrale en Europe, et ses relations avec le Proche-Orient sont anciennes. A ce
titre, elle peut contribuer à la relance du processus de paix.
- Israël se trouve dans une situation
paradoxale. Grâce à la haute technologie, le pays connaît un véritable boom
économique, tandis que l'arrivée massive des juifs russes, qui a porté sa
population à six millions d'habitants, lui a permis de corriger un peu son
équilibre démographique vis-à-vis des Arabes. Pourtant, Israël est divisé.
Êtes-vous inquiet ?
- Je vois un grand avenir pour Israël. Dans notre
courte histoire, nous avons surmonté bien des difficultés. Aujourd'hui, nous
nous trouvons pris dans un conflit armé avec les Palestiniens, mais j'espère
qu'il sera bientôt derrière nous, et qu'Israël pourra alors se lancer sur la
voie de la croissance intensive. Nous pourrons accélérer l'intégration des juifs
de Russie. Nous pourrons transformer le pays en un centre technologique dont les
retombées positives se feront sentir à travers tout le Moyen-Orient. Nous
pourrons travailler à réparer les accrocs dans le tissu de la société
israélienne. Enfin, en investissant dans l'éducation, Israël atteindra un niveau
de vie et une qualité de vie qui hisseront notre pays au premier rang des
nations les plus développées du monde.
- Il reste quand même beaucoup de points
noirs. Un exemple: le problème des Arabes israéliens. Ils sont un million, un
habitant sur six, et dans trente ans, ils pourraient bien constituer la majorité
de la population. Lors de la deuxième intifada, ils se sont ralliés à la cause
palestinienne, au point que certains Israéliens les traitent de «cinquième
colonne». Croyez-vous possible de réconcilier Israël avec ses Arabes israéliens
?
- Cette analyse négative est fausse. Bien sûr qu'il
sera possible de combler le fossé entre nos deux communautés. La plupart des
Arabes israéliens mènent une vie parfaitement équilibrée entre leurs deux
identités: 99,5% d'entre eux n'ont pas participé aux violences. Grâce à cette
double identité, ils ont un rôle unique à jouer: citoyens israéliens à part
entière, ils peuvent créer des liens avec l'ensemble du monde
arabe.
- Les Palestiniens semblent convaincus
qu'il leur suffit d'être patients pour gagner. Ils calculent que dans vingt ou
trente ans ils auront fait tellement d'enfants qu'ils noieront Israël sous le
flot de leur population. Ils auront alors répété l'exploit de Saladin, qui
détruisit le royaume chrétien de Jérusalem. Vous arrive-t-il de penser à ce
scénario catastrophe ?
- Je crois que les Israéliens doivent se désengager
des Palestiniens. De préférence, sur la base d'un accord signé. Mais si les
choses tournent au pire, il faudra prévoir un désengagement unilatéral. Et si
l'initiative vient des Palestiniens, nous devrons répondre de la même façon.
Mais je ne crois pas que nous en arriverons à de telles extrémités. Le
désengagement avec consentement mutuel est la meilleure solution. Il permettra à
deux Etats de vivre côte à côte en bons voisins. Les Palestiniens seront libres
d'aller et de venir. Mais ils ne seront jamais capables de nous
noyer.
- Ce désengagement ne risque-t-il pas de
ramener Israël à son point de départ? Celui de la forteresse encerclée qui se
referme sur son «syndrome de Massada» ?
- Pas du tout. Nous pouvons vivre en paix avec nos
voisins. Cette région ne deviendra pas un paradis du jour au lendemain, car il
faudra longtemps pour que le Moyen-Orient ressemble à l'Europe ou aux
Etats-Unis. Mais nous finirons par faire la paix avec les Palestiniens, même
avec les jeunes qui aujourd'hui nous lancent des pierres. Il n'y a pas d'autre
choix: il faut être deux pour danser le tango.
13. Le Monde du jeudi 14 décembre
2000
Création d'un Collectif judéo-arabe de soutien aux Palestiniens en
France par Mouna Naïm
Il souhaite rencontrer Hubert Védrine à son
retour du Proche-Orient
UN COLLECTIF DE CITOYENS français d'origine juive ou
arabe et d'Arabes résidant en France vient de se constituer pour soutenir les
droits du peuple palestinien. La création de ce collectif a été annoncée lors
d'une conférence de presse, mardi 12 décembre, avec le concours de la Ligue des
droits de l'homme (LDH) et dans ses locaux. Proclamant son souci de prendre
parti pour « le camp du droit », le Collectif en « appelle aux citoyens de
toutes origines vivant en France et qui partagent [ses] analyses et [ses] buts
».
Il s'est défini quelques premiers objectifs :
intervenir auprès des pouvoirs publics pour « des prises de position claires et
surtout des actions efficaces afin d'assurer la protection des populations
palestiniennes et l'application sans réserve des résolutions de l'ONU ». A ce
sujet, il sollicitera une rencontre avec le ministre des affaires étrangères,
Hubert Védrine, dès le retour de ce dernier d'un voyage qu'il effectue du
mercredi 13 au vendredi 15 décembre en Israël et en Palestine. Il apporte par
ailleurs son soutien à une initiative prise par certains de ses membres de
constituer un dossier accusant de « crimes de guerre » Ariel Sharon, le chef du
Likoud, principal parti de la droite israélienne. M. Sharon, d'après le Likoud
de France, est attendu à Paris le 19 décembre.
Le Collectif se propose également de dépêcher sur
le terrain, dans les premières semaines de 2001, une délégation qui, entre
autres, s'adresserait aux forces de paix en Israël, qui sont « au moins aussi
fortes que celles qui ont existé en France lors de la guerre d'Algérie, ou aux
Etats-Unis au moment de la guerre du Vietnam, et qui sont paralysées par la
chape de plomb de l'identification qui se fait entre Israël et juifs ». « On
peut être juif et contre la politique d'Israël », estiment les membres du
Collectif, qui refusent ce que Michel Tubiana, président de la LDH, a appelé «
le schéma d'identification communautaire ou religieuse d'un problème
essentiellement politique ».
LA FUSION DE DEUX INITIATIVES
Le Collectif veut également « aller sur le terrain
». Il est faux de dire qu'Israël « concède » le démantèlement des colonies ou
les territoires palestiniens, Jérusalem incluse, pense le Collectif. Israël «
occupe » ces territoires et doit appliquer le droit, estiment ses membres, qui
veulent par ailleurs briser la symétrie entre Israël et les Palestiniens, entre
« l'Etat le plus puissant de la région » soutenu par les Etats-Unis et « une
population palestinienne aux mains nues », a dit Gisèle Halimi, ancienne
ambassadrice de France à l'Unesco.
Outre M. Tubiana et Mme Halimi, Marcel-Francis
Kahn, Rony Brauman, Marie-Claire Mendès France, Daniel Bensaïd, Stanislas
Tomkiiewicz, Eric Rouleau, Mohamed Berrada, Mohamad Harbi, Nahla Chahal,
participaient, entre autres, à la conférence de presse.
La décision de constituer ce Collectif a été prise
par les personnalités qui étaient à l'origine de deux initiatives prises
séparément en octobre et novembre. Les cinquante signataires de la première -
devenus deux cents aujourd'hui -, intitulée « En tant que juifs » ( Le Monde du
10 octobre), tenaient, « parce que juifs », à se dissocier de « la logique
suicidaire des paniques identitaires », dénonçaient le déni par Israël des
droits du peuple palestinien et réclamaient « l'application des résolutions de
l'ONU (...), la reconnaissance d'un Etat palestinien et [le] droit au retour des
Palestiniens chassés de leur terre ».
Un mois plus tard, cent Français d'origine arabe et
Arabes résidant en France lançaient un « Appel pour la Palestine » ( Le Monde
daté 19-20 novembre) dénonçant le « régime d'apartheid » imposé par l'Etat
hébreu aux Palestiniens et réclamant eux aussi le respect de toutes les
résolutions de l'ONU afférentes.
Dans un texte commun rendu public mardi, le
Collectif met l'accent sur « la tragique solitude des Palestiniens » trois mois
après le début de l'Intifada, alors que « le bilan du côté palestinien dépasse
déjà les trois cents morts (...) et neuf mille blessés » et que « l'armée
israélienne a tué aussi une quinzaine de ses propres citoyens arabes israéliens
». « Partout ailleurs dans le monde, ces crimes auraient suscité une vague de
protestations et d'indignation », notent les auteurs.
Ils affirment que « seule la reconnaissance de
droits nationaux et civiques égaux, sans oppression ni discrimination, peut
créer les conditions d'une paix durable », et réclament notamment «
l'application des résolutions de l'ONU, le retrait inconditionnel d'Israël des
territoires occupés depuis 1967, le démantèlement des colonies d'occupation, la
création d'un Etat palestinien souverain, le droit au retour des réfugiés
chassés de leur terre depuis 1948 ».
14. Le Monde du mercredi 13 décembre
2000
Youssef et
Muriel, colons sans états d´âme par Bruno Philip
Dans leur « paradis » assiégé de Goush Katif,
la plus grande colonie juive de la bande de Gaza, Youssef Krieff et sa femme,
Muriel, ne se posent pas de questions. Exaltés, mystiques, ils n´ont pas
l´impression de vivre sur une terre palestinienne. Ils sont « chez eux » et
entendent y rester.
YOUSSEF KRIEFF désigne au loin la mer
invisible et noire. Puis il lève la main vers les étoiles : « Goush Katif, c´est
là où je me sens le plus près du ciel, le plus près de Dieu. » Youssef est un
colosse, il a la quarantaine et le sourire large. Dans une vie antérieure, il
s´appelait Hervé. Il était chauffeur de taxi à Paris et habitait rue
César-Franck, à Créteil. Depuis huit ans, lui, son épouse, Muriel, et leurs
enfants vivent à Goush Katif, la plus grande des colonies juives de la bande de
Gaza, territoire de la Palestine autonome. Quelques milliers de colons se
répartissent dans les treize moshav (« villages », en hébreu) que compte Goush
Katif, elle-même cernée par le gros million de Palestiniens peuplant Gaza. Et du
coup fortement défendue par des centaines de soldats israéliens qui, depuis le
début des troubles, il y a deux mois, assurent la protection de ces farouches
partisans du « Eretz Israël », vision messianique et élargie de l´Etat hébreu
idéal.
Les colons juifs vivent ici en état de siège. Le 20
novembre, une bombe a explosé au passage d´un bus de ramassage scolaire le long
de la route reliant la colonie de Kfar Darom à celle de Goush Katif, située tout
au sud de la bande de Gaza. Deux personnes ont été tuées et neuf autres ont été
grièvement blessées. Certaines des victimes étaient des enfants et plusieurs
d´entre eux ont dû être amputés. « Depuis, affirme Muriel, la femme d´Hervé, on
vit dans la peur. Le jour de l´attentat, l´une de mes filles est rentrée de
l´école en pleurs : son institutrice venait d´être tuée dans l´explosion du bus.
» Mais Muriel ajoute aussitôt : « Je ne partirai pas. Ici, on a travaillé dur.
On a relevé nos manches. Avant l´arrivée des colons, il n´y avait rien. Rien que
du sable et du désert. Les Palestiniens n´avaient jamais rien fait de cet
endroit. Nous, on a fait de ce désert un paradis. »
Deux mois d´Intifida auront suffi pour que ce «
paradis » ne soit plus toujours « paradisiaque » : Goush Katif est désormais
coupée du reste de la bande de Gaza, depuis que l´armée israélienne a fermé la
route à la circulation des Palestiniens. Seul cordon ombilical avec l´extérieur,
une route qui vient d´Israël et sous contrôle de Tsahal. Mais l´itinéraire,
encore emprunté par nombre de colons et de camions assurant le ravitaillement,
n´est pas sûr : il y a peu, un jeune homme qui partait faire son service
militaire a été tué d´une balle en pleine tête au moment où il sortait de la
colonie. Depuis, les soldats israéliens se sont employés à abattre les arbres
plantés au bord de la route et à détruire, le cas échéant, des maisons pouvant
servir d´éventuels abris à des tireurs embusqués. L´armée a même coupé les
routes reliant les parties nord et sud de Gaza, ne laissant les Palestiniens
traverser l´axe emprunté par les colons que quelques heures par
jour.
Devant l´entrée de Goush Katif veille un char, la
tourelle pointée vers les maisons palestiniennes avoisinantes. A l´intérieur de
cet énorme territoire, chacun des treize moshav est lui-même protégé par une
ceinture de barbelés, défendu par une solide grille commandée électriquement et
gardé par des soldats en armes. Une route relie entre elles ces colonies dans la
colonie. Installé au bord de la plage il y a une vingtaine d´années, le coin de
paradis pour pionniers s´est ainsi transformé en un camp retranché, provoquant
la colère et la rancœur des Palestiniens. Tout comme les autres colonies de Gaza
et de Cisjordanie, il est devenu l´un des points de friction principaux de
l´Intifada et l´une des raisons essentielles de la reprise du conflit avec
Israël. « Tant qu´il y aura des colonies, il y aura des affrontements »,
répètent les Palestiniens.
L´usine où travaille Youssef est la parfaite
illustration de cet adage : situés aux abords de la ville arabe de Khan Younis,
où jets de pierres et affrontements armés sont quotidiens, les ateliers de cette
fabrique de portes blindées résonnent du bruit de la guerre. A l´intérieur,
Youssef, kippa sur la tête, polo, jean et revolver glissé dans la ceinture – «
Je ne m´en suis jamais servi, sauf pour m´entraîner »,dit-il –, découpe
tranquillement des tôles en acier. Dehors, la fusillade se déclenche. Des tirs
de kalachnikovs viennent du côté palestinien. Provoquant la réplique
israélienne, à coups de fusil M-16 et de mitrailleuse lourde : les hauteurs de
l´usine sont dominées par le poste militaire de Tsahal. « C´est comme ça tous
les jours, soupire Youssef, l´autre fois, j´ai même reçu une pierre en pleine
tête ! » A quelques centaines de mètres de là, tout est calme sur la place
centrale de Newe Deqalim, la plus grande des treize « implantations » de Goush
Katif.
L´endroit, sur le plan esthétique, ressemble à une
ville nouvelle de la banlieue parisienne : disposés autour d´une sorte d´agora
de ciment où se reposent, en uniforme, des soldats à l´air épuisé, on trouve un
petit supermarché, divers magasins, une pizzeria, la mairie, une grande école,
une synagogue et un minuscule restaurant de nourriture orientale – falafel,
shawarma, houmous.
Des colons barbus en tee-shirts, coiffés d´une
kippa noire, un fusil d´assaut M-16 en bandoulière, déambulent. Un autre monde :
Gaza ville n´est qu´à une dizaine de kilomètres ; Jérusalem, à une heure de
voiture.
Youssef ne sait plus trop quoi penser de ce conflit
alors que des ouvriers arabes venus des villages palestiniens alentour
continuent de travailler avec lui et ses collègues. « Mon contremaître est
palestinien. Je suis sans doute le seul Israélien à travailler sous les ordres
d´un Arabe. Il s´appelle Nabil et me dit que lui et moi, on est des amis, on est
comme des frères. Mais il me dit aussi : »C´est entre toi et moi. Les autres, y
faut pas qu´ils sachent ce qu´on est l´un pour l´autre.« » Youssef réfléchit et
ajoute, avec une grimace : « Il y a deux mois, j´avais confiance dans les
Arabes. Eux et nous, on n´est ni pire ni meilleur. Avant d´arriver ici, je
pensais qu´ils étaient des idiots, les Arabes. Mais je crois qu´ils ne le sont
pas. Juifs et Arabes, on est très proches les uns des autres, finalement. On a
la même façon de parler. On est presque des cousins. On pourrait s´entendre.
Moi, par exemple, avec eux, j´ai essayé d´être sympa. J´ai joué les diplomates,
du temps de la paix. Quand ils me voyaient, ils disaient : »Shalom Youssef !,
Salam Aléikoum Youssef !« A l´époque, les Arabes, ils nous jetaient des dattes,
pas des pierres. Mais maintenant, après toutes ces violences, je ne sais plus
quoi penser. Je ne sais plus si je peux encore avoir confiance en eux.
»
Youssef est arrivé à Goush Katif en 1992. Il avait
trente-deux ans. Il n´en pouvait plus de la France et des Français. Même si,
rappelle- t-il, « j´aime la France, qui m´a beaucoup donné ». Quand ils arrivent
en voyage de reconnaissance, Youssef et sa femme ont le coup de foudre. « Goush
Katif, c´est l´endroit le plus beau de la Terre, c´est l´endroit où j´ai enfin
connu le bonheur », confie-t-il avec un sourire béat. Youssef est un colon
doublé d´une sorte de mystique exalté, qui célèbre ici, dans cette forteresse
surréaliste, le nom de Dieu et la force de la Torah. Il fut sioniste, il ne
l´est plus, dans le sens originel du terme. « Le sionisme, ça m´est totalement
sorti de l´esprit. » Pour lui, ici, ce qu´il y a de plus fondamental c´est le
dialogue avec Dieu qu´il a découvert dans « ce jardin d´Eden ». Et puis
l´endroit sied bien à son tempérament, à son côté bâtisseur en terre hostile. «
Je suis aussi un peu cow-boy. Ici, je me sens bien dans le décor. Ça a des
allures de western. Je vis comme un pacha. J´ai pas des milliers de shekels,
mais je vis comme un milliardaire ! » Youssef n´a pas le sentiment d´être sur
une terre étrangère, de vivre sur une terre appartenant aux Palestiniens. « Chez
moi, c´est là où j´ai construit, avertit-il sentencieusement. Je ne me sens pas
colonisateur. Je me sens chez moi ! »
De retour à la maison, située dans une autre petite
implantation de Goush Katif, la colonie de Bedolah, à quelques kilomètres de son
travail, Youssef s´ébroue avec violence. « Ah ! quelle journée ! ras le bol ! Je
suis crevé », lance-t-il à la cantonade. D´un geste preste, il donne son
pistolet à Muriel, de l´autre, il enlace l´une de ses filles. La maison est
petite, composée de quelques pièces où les enfants entretiennent un joyeux
désordre. Une cuisine-salle à manger simple et un grand réfrigérateur. Peu de
meubles, intérieur humble. Des murs blancs, une toiture de tuiles rouges, un
petit jardin. Derrière, une autre maison, plus petite encore, que Youssef est
fier d´avoir construite lui-même.
ON se croirait dans un pavillon de banlieue modeste
d´une ville européenne. Dehors, des enfants jouent dans la rue, il y a des vélos
posés contre le mur, des voitures parquées le long des maisons. Tout est calme à
Bedolah.
Mais Muriel Krief, bientôt quarante ans, jolie,
souriante, est une femme en colère. Sa haine contre les Palestiniens, elle
l´exprime avec violence : « Les Arabes sont des gens génétiquement malades.
Forcément, ils n´arrêtent pas de se marier en famille ! Ils ne peuvent pas
penser normalement, éructe-t-elle dans sa cuisine. Il faut entendre les cris que
leurs gosses poussent quand ils montent à l´assaut de nos soldats. On dirait des
animaux ! Et quand je pense que l´on pleure sur le sort de ces pauvres gosses
tués par nos soldats ! Mais ils n´ont qu´à pas les envoyer au combat les
enfants, leurs parents ! Mais, bien sûr, ils en ont plein des enfants, alors ils
peuvent se le permettre : ils en gardent deux pour eux et en donnent deux au
Hamas [le mouvement islamiste palestinien], dit-on. Pas de ma faute s´ils en ont
tant, des enfants ! La pilule, c´est pas fait pour les chiens », conclut Muriel,
qui a huit enfants, toutes des filles.
Pour Mme Krief, qui ne fait jamais dans la dentelle
argumentaire, « il y a eu Hitler et la Shoah, ici, nous on a Arafat et
l´Intifada. Hitler avait donné des raisons de vivre aux enfants des Jeunesses
hitlériennes, Arafat fait la même chose avec la jeunesse palestinienne. Ne me
dites tout de même pas que le Coran recommande l´assassinat ! Les enfants,
l´autorité palestinienne les envoie par camions jeter des pierres sur nos
soldats. » Il n´est jamais venu à l´esprit de Muriel Krief qu´elle pourrait
vivre sur une terre revendiquée par les Palestiniens au nom de résolutions de
l´ONU qui font des colonies de Gaza et de Cisjordanie une occupation illégale :
« Quand je suis arrivée, je ne savais pas que c´était la bande de Gaza ici. On
m´avait dit que c´était la bande de Goush Katif… Car il ne faut pas confondre
les deux bandes ! »Elle sourit, s´agite de nouveau : « Je n´ai jamais pensé que
j´occupais quoi que ce soit ! D´ailleurs, l´ambition de départ n´était pas de
venir jouer les colons. »
Quand le couple s´est installé, il a eu droit à des
prêts intéressants pour construire la maison. Un terrain leur a été alloué. Avec
possibilité de ne pas commencer à le rembourser avant dix ans. Dans les
colonies, les immigrants bénéficient d´avantages supérieurs à tout autre juif
arrivant en Israël : réduction d´impôts, éducation gratuite pour les enfants dès
leur plus jeune âge, prêts avantageux, etc. L´Etat hébreu continue d´ailleurs de
définir près de 90 % des colonies de peuplement comme zone de priorité numéro
un. Ainsi l´affirme le mouvement israélien La Paix maintenant, qui vient de
dénoncer le grignotage constant des colonies sur les zones autonomes
palestiniennes : une augmentation de plus de 50 % du nombre de logements
construits dans les territoires depuis les accords d´Oslo, signés en
1993.
Muriel et Youssef ont aussi des serres, où ils ont
cultivé des tomates. Aujourd´hui, ils les louent à d´autres agriculteurs. Quand
on leur demande si, un jour, ils ne risquent pas d´être sacrifiés par leur
propre gouvernement, au nom d´un futur accord israélo-palestinien qui devrait
nécessairement inclure le démantèlement des colonies, ils disent simplement,
comme le résume Muriel : « Ici, à Goush Katif, on est en Israël. J´ai une carte
d´identité israélienne. Je suis chez moi. Les Palestiniens qui viennent
travailler ici doivent posséder une carte de travail. C´est bien la preuve que
ce sont eux les étrangers. Comme les Arabes qui viennent travailler en France.
Je vais vous dire : le problème des Arabes, il est mondial. Il faut toujours
qu´ils partent de chez eux pour trouver du boulot ! »
15. Yediot Aharonot
(quotidien israélien) du dimanche 10 décembre 2000
(cité par Al-Quds Al-Arabi du lundi 11 décembre
2000)
Netanyahu n'y participant pas, car
non-parlementaire, les élections pour la désignation du premier ministre auront
lieu avant le 6 février 2001, dernier délai par Ariyeh Beinder [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Quant les élections pour la désignation du premier
ministre auront-elles lieu ?
La loi du suffrage direct énonce que, en cas de
démission du premier ministre, des élections ad hoc sont tenues sous soixante
jours. Barak ira présenter aujourd'hui sa démission au Président de la
République. Celle-ci devient effective quarante-huit heures après qu'elle ait
été ainsi remise. Dès son entrée en vigueur, commence un compte à rebours dont
le terme est fixé à soixante jours. La loi précise également que les élections
ont lieu le dernier mardi avant le terme des soixante jours : dans le cas
d'espèce, ce sera le 6 février 2001.
Barak peut-il encore retirer sa démission ?
Le
chef du gouvernement peut retirer sa démission tant que son entrée en vigueur
effective n'est pas proclamée.
Les élections serviront-elles uniquement au choix
du premier ministre, ou permettront-elles d'élire également les membres de la
Knesseth (députés) ?
Ceci dépend des députés à la Knesseth, qui sont appelés
à voter en deuxième et troisième lectures la loi de dissolution de la Knesseth
et d'extension éventuelle des élections. Barak se repose sur le fait que les
députés ne sont pas désireux de mettre en jeu leur siège un an et demi seulement
après les dernières élections (législatives). Si la Knesseth adopte la
dissolution en deuxième et troisième lectures, les élections pour la désignation
du premier ministre et les élections législatives auront lieu, sur proposition
de Barak, le même jour, soit dans quatre-vingt dix jours.
Netanyahu peut-il être candidat face à Barak
?
Si les élections ne concernent que la seule désignation du premier
ministre, Netanyahu en sera exclu, car seuls les membres de la Knesseth (les
députés) peuvent se présenter à ces élections. Un certain nombre de députés ont
annoncé qu'ils allaient déposer aujourd'hui plusieurs projets de loi visant à
permettre à tout citoyen d'être candidat.
Il n'est pas certain que cette loi
soit approuvée, ni qu'il reste assez de temps à la Knesseth, même si elle le
voulait, pour l'entériner. Ce type de projet de loi nécessite l'approbation
d'une majorité d'au moins 61 membres de la Knesseth, à chacune des trois
lectures successives. Il n'est pas certain que les partisans de Netanyahu
pourront réunir un nombre de suffrages suffisant. Il faut rappeler qu'aucun
premier ministre n'a été élu, depuis la fondation de l'Etat, qui n'ait été
membre du parlement. En tous les cas, cet amendement à la constitution aura un
impact très important, car il modifie profondément le style parlementaire
traditionnel en Israël, chose qui pourrait justifier un recours à la Cour
suprême, prélude éventuel à une crise constitutionnelle.
Si les élections législatives sont avancées,
Netanyahu peut-il s'y présenter ?
Oui, dans le cas de législatives
anticipées, Netanyahu peut se présenter, face à Barak, à condition que le Likoud
le choisisse comme candidat à la Knesseth. Il en va de même, d'ailleurs, pour
Barak, qui doit être retenu comme candidat par le parti
Travailliste.
Une majorité se dessine-t-elle, à la Knesseth, en
faveur d'élections anticipées ?
Pour l'instant, une telle majorité n'existe
pas. Comme dans d'autres occurrences, la clé de la situation est entre les mains
du parti Shaas. Le président de ce parti a déclaré que son mouvement ne devait
se prononcer, à ce sujet, qu' après mûre réflexion.
Le gouvernement peut-il continuer son travail
normalement, après la démission de Barak ?
Le gouvernement devient un
gouvernement de transition, muni de l'ensemble des prérogatives d'un
gouvernement : il peut signer des accords internationaux, même déclarer la
guerre. Mais il est de tradition, dans un contexte tel que celui-là, que le
gouvernement se consacre aux questions intérieures.
Après l'annonce de Barak, est-il possible de
modifier le système électoral ?
Il semble que non. Dès l'entrée en vigueur de
la démission annoncée du premier ministre, le système électoral, sous la forme
actuelle, se met en branle. Si le système électoral devait être modifié entre
l'annonce de la démission et le jour fixé pour les élections, dans un délai de
soixante jours, il serait rétroactif. Dans ce cas, à nouveau, la crise
constitutionnelle serait très complexe. La logique, la carte politique du pays,
la dynamique en cours : tout plaide en faveur du maintien du système électoral
en vigueur.
Le Président de la Knesseth a rendu visite à Barak.
La Knesseth peut-elle tenter de le retenir, avant que sa démission ne devienne
effective ?
Oui. Lundi sera présentée à la Knesseth une motion de censure par
le député Mikhaïl Klaïner (du parti Herout). Si cette motion remporte plus de 61
voix, la Knesseth pourra s'auto-dissoudre. Dans ce cas, les élections
législatives et celles destinées à la désignation du premier ministre auront
lieu simultanément, sous quatre-vingt dix jours.
16. Yedioth Aharonot du dimanche 10
décembre 2000
La lettre de démission de Barak [traduit de l'anglais par
Marcel Charbonnier]
"Réunis en
famille, Nafa, Mikhaïl, Zeïf et moi-même, nous avons parlé de la situation,
comme cela se passe dans toute famille israélienne. J'ai indiqué que je pensais
que notre peuple traverse des temps difficiles, avec des espoirs qui se sont
évanouis et un réveil difficile pour les deux bords de la carte politique.
Certains mettent en doute le mandat que vous m'avez accordé, vous les citoyens
de ce pays, pour amener Israël à des accords de paix audacieux et à des réformes
économiques et sociales à même de garantir la sécurité et l'avenir de tous les
citoyens.
Ce mandat est très important pour moi, et je crois que ce mandat
existe toujours, c'est pourquoi, faisant face à mes responsabilités nationales
et personnelles, à la lumière de la situation d'urgence que traverse le pays,
j'ai décidé de demander à nouveau la confiance du pays, et d'en recevoir le
mandat à nouveau pour conduire Israël sur le chemin de la paix et de la sécurité
et pour fixer un ordre du jour socio-économique adapté. Demain matin, je
remettrai officiellement au Président ma démission et l'informerai de ma
candidature, en tant que président du Parti Travailliste, aux élections
spéciales pour la désignation du premier ministre. Je remettrai ma lettre de
démission au gouvernement immédiatement après, conformément à la constitution.
Ma décision est personnelle, je l'ai prise après avoir consulté ma famille et
mes proches.
En tant que chef du gouvernement, je réponds de la politique
menée et de son style. Je ne pense pas nécessaire d'entraîner l'ensemble du
gouvernement dans une campagne électorale inutile. Personnellement, en tant que
premier ministre élu à une large majorité, je demanderai à nouveau au peuple son
mandat afin de poursuivre le chemin que nous avons commencé sur la base de la
confiance et de la conviction qu'il s'agit du chemin juste, unique et vrai pour
Israël. Avant soixante jours, nous allons voter pour désigner le futur chef du
gouvernement : c'est là la solution la plus simple, la plus rapide et la plus
convenable dans la situation présente. Si le gouvernement décide de se
dissoudre, en deuxième et en troisième lecture (à la Knesseth), nous procéderons
aux deux élections le même jour, pour la désignation des députés et pour celle
du premier ministre. Comme cela est je pense compréhensible, si la Knesseth
procède à l'adoption d'un amendement à la constitution permettant à tout citoyen
israélien de se porter candidat (au poste de premier ministre), je voterai en
faveur de cet amendement et nous serons concurrents (allusion à Netanyahu, que
Barak ne cite pas, NdT).
Je redis que j'aurais préféré constituer un
gouvernement d'union nationale dans les circonstances difficiles que nous
traversons. Mais puisque cela n'a pas été possible, je veillerai à ce que nous
constituions après les élections un nouveau gouvernement que j'espère le plus
large possible et chargé d'une nouvelle mission (par le peuple). Il s'agit d'un
véritable référendum populaire sur la manière de mener la paix et sur la manière
de diriger Israël. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir, avec mes collègues
du parti travailliste et tous ceux qui croient en notre action, afin de mériter
à nouveau la confiance du peuple pour le travail que nous accomplissons. Nous
n'avons pas de pays de rechange, si nous nous unissons après les élections afin
de lutter ensemble pour sa sécurité et son avenir, nous vaincrons. Que Dieu
accorde à son peuple la force et qu'Il lui accorde la bénédiction de la
paix."
17. Al-Nahar (quotidien
libanais) du jeudi 7 décembre
2000
Syrie et Palestine : vers des relations nouvelles ?
par Michel Kilo [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
(Michel Kilo est
un écrivain syrien)
Au cours des trois décennies écoulées, la Palestine et la
Syrie n'ont pas partagé un même destin, en dépit de ce que nous leur connaissons
d'intérêts objectifs concordants et des défis et dangers communs auxquels ces
deux pays ont été exposés. Si l'OLP et le gouvernement syrien n'ont pas établi
de projets unifiés, c'est parce que la première s'est vue contrainte, de par sa
situation géo-politique, à admettre une relation inégale avec le second,
lui-même soumis à une idéologie pan-arabe (qawmiyya) au niveau du discours.
Cette idéologie - déjà répandue avant la défaite de juin 1967, qui a contribué à
sa diffusion - prône l'édification d'un état (arabe unifié) englobant tout le
monde arabe du Mashriq autour de la Syrie, fait de Damas le centre de la
révolution, de l'arabité et de la libération et de l'OLP sa marge ou son
ambitus, auxquels elle accorde soutien et protection, ce qui l'amène à
considérer qu'elle peut légitimement lui donner des ordres.
Cette "histoire
politique" explique pourquoi les relations entre la Syrie et l'OLP ont pris une
tournure tantôt menaçante, tantôt paternaliste, pourquoi elles ont oscillé entre
une concorde superficielle et une tension résultant de divergences et
d'oppositions multiples, qui les ont conduites l'une et l'autre, finalement, à
l'affrontement ouvert, au Liban. Cet affrontement s'est poursuivi, avec des
trêves et des combats alternés, durant la période s'étendant de 1975 à 1983.
Ensuite s'ouvre le chapitre des mots-d'ordre hypocrites tels que "coordination
stratégique", revendiquée par la Syrie, et "indépendance de la décision
nationale", "défendue" par l'OLP, qui pensait que la "coordination"n'était pas
autre chose qu'une tentative (syrienne) de la contenir et de la soumettre à une
relation typiquement "centre-périphérie" habillée d'une idéologie prônant
l'unité de positionnement arabe avant la libération et l'unité arabe après
celle-ci. En face, la Syrie considérait l'"indépendance de la décision
nationale" (de l'OLP) comme la tentative de cette dernière d'échapper aux
"dimensions nationales (arabes)" (qawmiyya) de la cause (palestinienne), et de
mobiliser le peuple palestinien contre sa politique et ses intérêts.
Avec des
relations riches de tels sous-entendus, il était naturel que la Syrie et l'OLP
s'affrontent, au Liban, que Damas soutienne la scission de certains mouvements
(palestiniens), ne reconnaisse pas l'état (palestinien) proclamé par l'OLP à
Alger et que cette oppositions persiste, en s'aggravant, après le déclenchement
de l'intifada dans les territoires occupés, en 1987. L'intifada a, en effet,
permis à l'OLP d'échapper à l'emprise arabe, d'une manière générale et, en
particulier, syrienne. Puis, cette opposition a continué, après la conférence de
Madrid, qui a valu à l'OLP la reconnaissance américano-israélienne, et lui a
enjoint d'unir le destin de son état indépendant avec celui de la Jordanie, et
non de la Syrie.
Mais Madrid n'a pas représenté un tournant qualitatif dans
les relations syro-palestiniennes, même si elle a contribué à jeter de l'huile
sur le feu de leurs divergences, exacerbées par le refus opposé par la partie
palestinienne à une proposition syrienne de coordination - dont les Palestiniens
nient qu'elle leur ait jamais été signifiée - et le début d'un processus de
négociations israélo-palestinien, ainsi que par l'acceptation (par l'OLP et les
Arabes) du plan Begin-Sadate sur la Palestine, prônant des négociations
israélo-palestiniennes en deux phases (au cours de la première phase, la
Palestine rejoint une situation semblable à celle des pays arabes ayant des
territoires occupés, cette situation est maintenue durant cinq ans, période au
cours de laquelle mûrissent les conditions permettant le passage à la deuxième
phase, sur laquelle Palestiniens et Israéliens divergeaient ; les Palestiniens
prônant l'application des décisions 242 et 338 de l'ONU, en vue de
l'établissement de leur état indépendant en Cisjordanie et dans la bande de
Gaza, tandis qu'Israël prônait l'annexion de certaines parties de ces
territoires occupés, qu'elle considérait comme des "territoires contestés", et
des dispositions intégrant l'entité palestinienne dans un ensemble sécuritaire
commun israélo-jordanien).
La Syrie n'a pas formulé d'opposition à ce plan,
pourtant tout-à-fait contraire à ses options et à ses politiques déclarées :
ceci résulte-t-il d'une inattention, d'une erreur, de sa part, de promesses
américaines ou du consensus arabe autour de ce plan ? Celui-ci donnait la
priorité à la résolution du processus palestinien, et non syrien, contrairement
à ce qui était admis depuis les déclarations de Cyrus Vance et de Zbignew
Brjezinski, en 1977, mettant la Syrie sur une liste d'attente, exposée à toutes
sortes de pressions : elle n'a pas tardé à déverser le trop-plein de son
irritation face à la maigreur du gain territorial et politique (du processus
palestinien) - la Syrie a-t-elle perçu, à ce moment-là, ce que cet accord
comportait d'attendus dangereux pour elle ? - fixé dans l'accord d'Oslo (accord
de la première phase) et maintenu, par la non-application par Israël de nombreux
points et corollaires, en-deçà des attentes et des promesses, c'est-à-dire,
en-deçà du niveau (d'application) qui aurait autorisé la recouvrance des
territoires et des droits palestiniens au cours de la deuxième phase.
Après
presque une décennie de négociations, au cours desquelles les diplomaties
palestinienne et syrienne se sont appliquées à échanger ignorance affichée
contre irritation manifeste, Damas s'opposant à toute visite de Yasser Arafat et
coupant toutes ses relations avec l'Autorité nationale palestinienne, cette
dernière adoptant, de son côté, des positions caractérisées par une indifférence
croissante vis-à-vis de la Syrie et s'appuyant de plus en plus sur l'Egypte. Les
deux Etats en étaient arrivés pratiquement à un score nul : l'OLP avait conclu
des accords en série, qui avaient fait de sa grande cause (nationale) un paquet
de bouts de papiers, rendant impossible la réalisation d'une solution nationale
définitive. Les négociations syro-israéliennes passaient, pendant ce temps-là,
par des hauts et des bas, connaissant des interruptions et des suspensions qui
en ralentissaient le cours, puis finissaient par les stopper complètement.
En
dépit du spectacle affligeant donné par les deux victimes de l'expansionnisme
israélien s'échangeant une haine mutuelle incompréhensible et inadmissible, leur
ostracisme agressif mutuel a joué un rôle non-négligeable dans le résultat
auquel elles sont parvenues : la Syrie et la Palestine en sont arrivées au point
de s'affronter l'une à l'autre, bien loin de s'unir l'une à l'autre face à leur
ennemi commun au nom de tous les intérêts qu'elles partagent en commun. Le
résultat décevant (de cette attitude) pour les deux Etats les amènera-t-il à se
sortir de l'impasse de telles relations, qui ont perdu leur raison d'être. Avant
de répondre à cette question, permettez-moi de rappeler les points suivants
:
- tant la Syrie que la Palestine sont confrontées à une solution définitive
de leurs problèmes avec l'occupation israélienne, solution qui ne fait que
s'éloigner et gagner en complexité, après que les deux Etats aient présenté,
l'un comme l'autre, toutes les concessions possibles et qu'ils aient, tous deux,
accepté tous les règlements acceptables pour eux et qu'il leur soit devenu
impossible, comme l'un comme pour l'autre, de faire marche arrière, sous peine
de connaître une fin certaine ;
- Israël ne veut pas - et ne peut pas -
offrir une paix réelle à la Syrie et à la Palestine - pour de nombreuses
raisons, et notamment son glissement aux plans tant sociétal que gouvernemental
vers l'extrême-droite (nationale-religieuse), le passage de son centre
décisionnel, d'une manière de plus en plus affirmée, entre les mains des
militaires (en particulier pour les questions de la guerre et de la paix), la
réticence - voire, l'impuissance - des Etats-Unis à le contraindre à mettre en
application les décisions de la légalité internationale, les divergences entre
les positions arabes sur les questions de la négociation et l'absence d'un
minimum de concertation et de consensus entre elles.
- la Syrie et la
Palestine se retrouvent dans la même situation. La Syrie, parce qu'Israël a
toujours refusé, depuis 1967 jusqu'à ce jour, de lui faire la simple proposition
de se retirer du Golan (syrien) et la Palestine, parce qu'Israël s'est arrogé de
fait de grandes parcelles du territoire de son Etat à venir, notamment
Jérusalem, sa capitale. Ainsi, les deux Etats, Syrie et Palestine, se
trouvent-ils (actuellement) confrontés à la même grave question : "QUE FAIRE
?"
La réponse apportée par la Palestine - l'intifada en cours - a éliminé
bien des aspects négatifs d'Oslo, ouvrant la bataille pour l'application de
l'esprit et de la lettre de la résolution 242, dynamisant sa cause et lui
rendant son intégrité et son dynamisme, incarnant le fossé qui la sépare de la
position syrienne vis-à-vis des décisions de la légalité internationale.
L'intifada a aussi limité la capacité de la Jordanie à l'attirer dans sa
mouvance, a rapproché les positions palestiniennes des positions syriennes sur
des points importants et très divers. Au même moment, les manifestations de
soutien à l'intifada, dans les pays arabes, ont préparé le terrain à l'adoption
d'une position arabe nouvelle basée sur un rapprochement syro-palestino-irakien
centré sur le mouvement du peuple arabe renouant avec la politique, avec la
résistance à l'occupation, avec le refus du statu-quo arabe officiel, avec le
rôle croissant de l'Irak, ainsi que sur la crise vécue tant par Israël que par
les Etats-Unis, sur l'entrée en scène de forces à même de soutenir la lutte,
voire d'entamer une escalade, sur le mûrissement des conditions permettant la
constitution d'un cadre national (qawmi) nouveau - qui ne soit pas
nécessairement un axe nouveau - à même de renforcer les positions de tous les
Arabes face à l'Amérique et à Israël.
La Palestine et la Syrie vont-elles
enfin se décider à modifier les principes et les axes de leurs relations, dont
il devient urgent qu'elles reposent désormais sur des dénominateurs communs qui
leur enjoignent de conjoindre leurs efforts et de ne pas prendre d'initiatives
indépendamment l'une de l'autre en matière de solution, de ne pas laisser les
territoires et les droits de l'autre en pâture aux déprédations des sionistes,
de s'abstenir de faire quoi que ce soit qui puisse contribuer à affaiblir leur
position commune et leurs intérêts définis d'un commun accord ?
De nouvelles
relations syro-palestiniennes sont aujourd'hui plus nécessaires que jamais, afin
de tourner la page d'un passé sombre et néfaste, maintenant qu'il est devenu
évident que le devenir de l'intifada et de l'indépendance palestiniennes dépend
également de la Syrie comme le devenir du Golan et de la Syrie dépend de
l'intifada, qu'il est de l'intérêt de la Syrie d'y voir un fait national syrien
également, duquel dépendent ses intérêts supérieurs, en tant qu'Etat, et qu'elle
ne doit échouer, ni même céder du terrain, à aucun prix. Il est absolument
nécessaire aussi d'établir des liens qui fassent, d'une part, comprendre à la
Palestine que la coordination entre les deux pays est de l'intérêt national
palestinien et ne représente en rien l'instrument d'une hégémonie syrienne et,
d'autre part, persuadent la Syrie que l'indépendance de la décision
palestinienne n'est pas dirigée contre elle, mais représente bien, au contraire,
un espace donné à une complémentarité et une compréhension (mutuelle) avec elle,
ainsi qu'une arme dirigée contre l'ennemi commun.
Certaines accumulations de
faits et certaines mutations apparaissent, dans notre région arabe, depuis
quelque temps, dont l'importance et la nouveauté sont telles que la Syrie et la
Palestine commettraient une grave erreur en les considérant avec les yeux du
passé et avec les mêmes préventions. Ces accumulations imposent leur
contribution positive à la compréhension mutuelle dans l'approche d'une position
arabe sur la paix, dont l'absence a contribué depuis si longtemps à affaiblir
les positions de la Syrie et de la Palestine dans les négociations et à aiguiser
leurs problèmes bilatéraux et les problèmes interarabes ; elles imposent
également la nécessité de trouver une force (commune) qui leur permette de
conquérir la paix, de joindre les potentialités officielles et populaires de la
Syrie à l'intifada officialo-populaire de la Palestine, une force dont leur
position juste avait un tel besoin depuis si longtemps, dont les longues années
de négociation ont prouvé à quel point la Syrie comme la Palestine en étaient
dépourvues et à quel point elles ne pourraient jamais en disposer l'une sans
l'autre.
La Syrie et la Palestine sont à la croisée des chemins. Vont-elles
continuer à se suicider avec le poignard du passé ?
18. Russkaïa Misl
(hebdomadaire des "Russes blancs" de Paris, NdT) du jeudi
7 décembre 2000
Israël : la paix s'éloigne
par Alexandre Verkhovski [traduit du russe
par Marcel Charbonnier]
Moscou - Un troisième mois d'affrontements armés
vient de s'écouler. Tout le monde comprend que l'intifada actuelle durera
longtemps et se met en quête des moyens de préparer une issue, de façon à
prévenir l'extension de la guerre, qui pourrait déboucher sur un conflit
régional majeur semblable à ceux de 1967 ou de 1973.
Une communauté internationale
destructrice
La communauté internationale est préoccupée par
l'insécurité (qui règne) dans la région. Les représentants des gouvernements de
tous les pays, réunis à l'ONU en Assemblée Générale ordinaire, se sont prononcés
le 2 décembre dernier, d'un coup, en une seule séance, en faveur de six
résolutions sur le problème palestinien. Il convient de noter que l'avis des
états a été exceptionnellement unanime. N'ont voté contre ces (six) résolutions,
à part Israël et les Etats-Unis (et encore, pas toutes), que deux ou trois pays,
de l'importance de Vanuatu (!). L'assemblée a confirmé, en fait, les résolutions
qu'elle avait déjà prises : elle a exigé qu'Israël mette un terme à son annexion
de ce qu'on appelle "Jérusalem-Est" (y compris, en substance, toute la Vieille
Ville), rende à la Syrie les hauteurs du Golan et, d'une manière générale, se
retire jusqu'à la "ligne verte", la frontière antérieure à la Guerre des Six
Jours de 1967.
Quelle contribution l'ONU apporte-t-elle, ce
faisant, à la résolution du conflit au Moyen-Orient ? Une contribution purement
négative... L'Assemblée a réaffirmé qu'elle restait fermement sur ses positions
des années soixante-dix, époque où l'ONU s'était solidarisée à la majorité des
voix à cent pour cent avec les positions de l'OLP, organisation terroriste (mais
à l'époque honnête), avait désigné Israël comme étant l'agresseur, en dépit des
faits, et déclaré que le sionisme était une forme de racisme (le vingt-cinquième
anniversaire de cette résolution scandaleuse, récent, vient de passer inaperçu :
tout le monde l'a abolie, en 1991, après la disparition de l'URSS). Avec cela,
l'ONU exige même, (aujourd'hui), encore plus d'Israël que ne le fait l'actuelle
OLP (devenue l'Autonomie palestinienne). Cette dernière a montré au cours des
négociations qu'elle était prête, dans une certaine mesure, à partager
Jérusalem-Est et à renoncer à certaines parties des "territoires" en échange de
l'indépendance. Une telle position (de l'ONU) ne peut être qualifiée de
pacificatrice mais, bien plus justement, d'incitatrice.
Qui, maintenant, pourrait escompter qu'Israël
autorisera la venue dans les territoires contestés de forces d'interposition de
l'ONU, comme l'exige Arafat (avec le soutien de la Russie) ? Si ces forces
devaient être armées, alors, à en juger par les résolutions (précédentes) de
l'ONU et par les récits des membres de forces d'interposition sur la frontière
libano-israélienne, les Israéliens ne les défendraient pas, même en cas de
nécessité. Et si elles ne devaient pas être armées, elles ne serviraient à rien,
pour les deux camps adverses, tout comme ne servent à rien, de nos jours, les
observateurs de l'ONU qui ont pris position, il y a longtemps déjà, aux abords
du quartier juif d'Hébron. Ce n'est pas sans raison que le Conseil de Sécurité
ajourne sans cesse l'examen de la question de l'envoi de forces d'interposition
: il est acquis qu'Israël, quoi qu'il en soit, s'y opposera.
Il est loisible, bien entendu, d'envisager une
opération d'"imposition de la paix" (peace enforcement), c'est-à-dire une
intervention militaire directe de l'ONU. Les responsables politiques
palestiniens se plaisent à faire la comparaison avec le Kosovo. Eux non plus, on
peut le comprendre, ne veulent pas voir la différence dans l'essence du conflit.
Israël, contrairement à la Yougoslavie, est prêt à un compromis territorial, ce
pays ne pratique aucune "purification ethnique" et ne cherche d'ailleurs même
pas à écraser des "séparatistes" (pour reprendre la phraséologie yougoslave),
mais fait montre d'une résistance contre leurs agressions. Au demeurant, si l'on
s'en réfère au vote à l'ONU, ces arguments auraient très bien pu ne pas
convaincre les gouvernements européens. Ce sur quoi pourrait se reposer - pour
le coup, solidement - Israël, en dernier recours, c'est (bien) sur le véto des
Etats-Unis.
Toutefois, si une chose était de nature à détourner l'Europe
occidentale d'un alignement inconsidéré sur la politique arabe, c'est bien le
conflit réel, à bas bruit, mais ne datant néanmoins pas d'hier, (qui oppose)
Israël aux régimes extrémistes de la Syrie et de l'Irak. Le danger d'un tel
développement des événements s'est accru après la disparition d'Hafez al-Asad :
son fils (Bashar) est prêt à se réconcilier avec (Saddam) Husseïn (par le passé,
les branches syrienne et irakienne du parti Baath étaient des ennemies jurées),
et il n'est pas enclin à prolonger les négociations avec Israël. Au cours de la
semaine écoulée, Israël s'est efforcé d'entonner ce refrain, d'où les menaces
contre la Syrie, qui soutient ouvertement le Hizbollah, c'est-à-dire (pour
reprendre la définition onusienne), commet des actes d'agression contre Israël
(au demeurant, entre la Syrie et Israël, il existe aussi un cessez-le feu
provisoire). Les leaders israéliens, naturellement, prennent un risque, mais
faible : il est peu probable que la Syrie se décide à déclencher une guerre,
après le fiasco infamant de ses tentatives passées, mais Damas est prêt à
défendre les Palestiniens seulement dans les envolées de la rhétorique : il y a
beau temps que l'OLP a été chassée du pays et, depuis lors, les relations ne se
sont pas le moins du monde améliorées.
En ce qui concerne ses relations avec
les Palestiniens, Israël est ouvertement désenchanté de tous les médiateurs.
L'Europe occidentale s'est exclue d'elle-même, le 2 décembre, du processus de
paix. Quant à la Russie, n'en parlons même pas ! (le ministre des affaires
étrangères israélien, Shlomo Ben Ami, n'est pas encore venu à Moscou, et on ne
sait pas quand il y viendra...). Mais Barak demande même à Clinton de patienter
un peu avec la médiation. C'est égal, il est désormais beaucoup plus question de
"possibilités techniques de mettre fin à la violence et au terrorisme" que de
paix. Et, à cette fin, seules des discussions (bilatérales) directes - et, si
possible, ouvertes - pourraient être d'une quelconque utilité.
En même temps,
la seule chose à laquelle Israël ait consenti, c'est d'admettre enfin la
création d'une commission internationale d'enquête, présidée par l'ex-sénateur
américain George Mitchell.
L'avenir des négociations :
Mais les négociations, qui se sont prolongées, à
différents niveaux, presque sans interruption, n'ont pas encore donné, elles non
plus, un quelconque résultat. La passivité militaire d'Israël, au cours de la
première semaine du Ramadan (la chasse aux commandos de terroristes a été
suspendue, et l'aéroport de Gaza ouvert, par exemple), n'a pas donné de
résultats notables. Le vendredi s'est écoulé, à Jérusalem, tant bien que mal,
c'est-à-dire avec les rixes habituelles mais, par contre, dans les
"territoires", le niveau de la violence a recommencé à s'élever. Mais l'attaque,
dimanche, de nuit, du tombeau de Rachel, situé à l'entrée de Bethléem, a été
qualifiée par l'armée israélienne d'"attaque la plus sérieuse depuis la
destruction de la tombe de Joseph", au début des affrontements actuels.
Pour
l'instant, les négociations se trouvent dans une impasse totale. Israël exige
l'arrêt des attaques, tandis que la direction arafatienne, pour ne pas parler de
ses diverses organisations, qui dirigent officiellement l'"intifada", refuse
carrément de donner l'ordre de cessez-le-feu et insiste sur le fait que , dans
les conditions présentes, Israël ne doit pas signer un simple armistice, mais un
traité de paix en bonne et due forme. Si même on faisait abstraction de la tenue
de négociations proposée par les Palestiniens, il est clair qu'en signant une
paix dès la fin de la guerre, Israël s'avouerait vaincu. Cela serait -
là-dessus, les experts sont unanimes - pour les leaders palestiniens le signal
de nouvelles pressions militaires à venir.
Peu importe que Yasser Arafat
contrôle et déclenche personnellement les attaques armées, ou non (à ce sujet
même les services secrets israéliens ne sont pas d'accord entre eux), la
direction de l'ensemble des principaux courants politiques palestiniens est, à
peu ou prou, déterminée à poursuivre les actions armées. Sans doute les leaders
palestiniens espèrent-ils que la société israélienne, comme cela avait été le
cas durant les années de la première intifada, se fatiguera de la terreur et
lâchera des concessions supplémentaires. Mais, pour l'instant, leurs attentes ne
se vérifient pas.
Le conflit armé a déjà causé, selon l'UNICEF, environ 310
morts, parmi lesquels 260 Palestiniens, 13 Arabes israéliens et 35 Juifs. Mais,
désormais, même la société israélienne, qui accorde (pourtant) un très grand
prix à la vie de chacun de ses citoyens, n'est aucunement prête à rendre les
armes devant l'importance de ces pertes, ni, a fortiori, les Palestiniens. Quant
aux pertes économiques pour Israël, elle sont peu sensibles : les économistes
n'envisagent, pour l'année à venir, qu'un ralentissement de la croissance, qui
passerait de 5,4% à 4% (en année glissante). Quant aux régions autonomes, il n'y
existe pas à proprement parler d'économie normale, mais de très puissantes
accumulations de capitaux des classes dirigeantes oligarchiques (provenant
principalement de la corruption), qui ne souffrent absolument pas de la
guerre.
Certains analystes font le lien entre les espoirs de la conclusion
d'une paix proche et les élections anticipées annoncées en Israël. On dit
qu'Ehud Barak s'efforcera, d'ici les élections, d'atteindre la paix et, par là
même, d'améliorer son score (pour l'instant il obtiendrait 27% des voix contre
47% à l'ancien premier ministre Benjamin Netanyahu, candidat de la droite le
plus probable. Quant aux concurrents de Barak au sein du parti travailliste,
l'ex-premier ministre Shimon Pérès et le Président de la Knesseth, Avraham Burg,
ils se sont d'ores et déjà officiellement retirés). Il n'est jusqu'aux propres
ministres de Barak qui ne soutiennent cette légende. Barak lui-même a d'ailleurs
proposé un nouveau plan de paix, au demeurant assez raisonnable, consistant en
l'élargissement de l'autonomie (de 10% : aller au-delà n'est pas envisageable),
en la reconnaissance de l'indépendance de la Palestine dans ces frontières
(ainsi définies), en échange de l'annexion par Israël des territoires situés
dans la "zone d'influence" des implantations juives, les problèmes de Jérusalem
et du retour des réfugiés palestiniens devant, quant à eux, se voir ajourner à
d'ici deux ou trois ans.
Le plan de Barak revenait à repousser l'autonomie :
en face, (chez les Palestiniens), on n'a pas confiance en la possibilité de
s'entendre avec le cabinet sortant. D'un autre côté, Barak lui-même n'aurait pas
pu signer un quelconque accord. Dès le 28 novembre, ce même jour où il a décidé
de procéder à des élections (anticipées), la Knesseth a décidé que, sans
l'accord de la majorité des députés (61, sur 120) il était impossible
d'abandonner une quelconque parcelle de Jérusalem, ni de permettre le retour des
réfugiés. Si l'on tient compte du spectre politique actuel en Israël, on peut
dire, sans crainte de se tromper, que dans les années à venir, on ne trouvera
pas 61 députés prêt à voter, quelques soient les circonstances, en faveur d'une
telle chose. De plus, le 4 décembre, la Knesseth a adopté une loi (en première
lecture, pour l'instant, mais son adoption en deuxième et en troisième lectures
est assurée), interdisant à Barak de signer un quelconque accord international
sans son approbation préalable.
Ceci signifie qu'il n'y aura pas de paix sous
Barak. A moins d'un miracle. La paix sera-t-elle possible après les élections,
c'est-à-dire, après la victoire quasi-inéluctable de la droite ? Comme on
devrait s'y attendre, elle est plus vraisemblable (après les élections)
qu'aujourd'hui. Tout d'abord, Arafat aura moins d'espoirs de pouvoir exercer des
pressions sur le gouvernement israélien, par des tirs, des attentats, ou la
mauvaise volonté des Etats-Unis. Mais cela signifie que l'intifada, sous
beaucoup de rapports, perdra tout son sens. Ensuite, si le candidat au poste de
Premier ministre, pour le Likoud, n'est pas Sharon, mais Netanyahu, le leader le
plus populaire, on peut s'attendre, à peu de choses près, à la même ligne
politique que celle qu'il a suivie durant son premier mandat. Rappelons, entre
autres, que le "processus de paix" avait tout de même continué, à
l'époque.
Il est même certains politiciens palestiniens pour dire qu'ils
préfèrent la droite. C'est compréhensible : la gauche israélienne adopte les
accords obtenus (au cours des négociations) par la droite, mais l'inverse n'est
pas vrai. Si bien que, sous un gouvernement de droite, les négociations sont
plus lentes, mais leurs résultats sont, en revanche, plus durables. Le
gouvernement Barak est considéré, actuellement, par une majorité d'Arabes et de
Juifs, plutôt comme un facteur de destabilisation.
Ainsi, la seule
alternative sur laquelle on puisse compter, en matière de trêve, jusqu'au
printemps ou à l'été prochains, est la constitution d'un gouvernement d'urgence.
Aujourd'hui, cela redevient possible, étant donné que les principaux points de
différent entre Sharon et Barak ont été abandonnés : des élections anticipées
sont ainsi d'ores et déjà convoquées, et Barak ne peut pas signer de paix à Camp
David, comme ça. Un gouvernement d'urgence serait un partenaire suffisamment
autoritaire pour des négociations visant à une trêve et pourrait, en cas de
succès, entreprendre un nouveau cycle de négociations de paix, en ne perdant
surtout pas de vue que c'est un gouvernement de droite qui serait appelé à les
prolonger.