La Région Provence-Alpes-Côte d'Azur est la première région de France productrice de fleurs coupées (50% de la production nationale). Nous avons joint ce matin un homme en colère, M. Raoul Mathieu, Président de l'Union des producteurs de fleurs coupées Provence-Alpes-Côte d'Azur, nous a confirmé qu'à l'occasion de  Sommet de Nice (Conférence européenne entre les Etats membres de l'UE et les pays candidats à l'adhésion, suivi du Conseil européen réunissant les chefs d'Etat et de gouvernement des Quinze) qui s'est déroulé du 7 au 10 décembre dernier, le budget accordé aux déclorations florales s'élevait à 250.000 Francs, qui a pour l'essentiel été utilisé à l'importation de fleurs... israéliennes !
 
 Point d'information Palestine > N°121 du 22/12/2000

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Au sommaire
 
Télévision
  1. FRANCE 3 présente samedi 23 décembre 2000 à 22h45 "Jérusalem ou les défits du christianisme
  2. PLANETE présente lundi 25 décembre 2000 à 22h50 "A la recherche de la Palestine perdue"
  3. PLANETE présente vendredi 29 décembre 2000 à 21h50 "Les Palestiniens"
CHRONIQUE PALESTINIENNE : Occupation, violences et humiliations au quotidien
Revue de presse
  1. En douze semaines, l'Intifada a fait plus de morts en Palestine qu'en 1987 par Gilles Paris in Le Monde du mercredi 20 décembre 2000
  2. Dans la bande de Gaza, des routes bloquées, selon le bon vouloir de Tsahal... par Gilles Paris in Le Monde du mercredi 20 décembre 2000
  3. L'ONU rejette l'envoi d'une mission d'observateurs par Afsané Bassir in Le Monde du mercredi 20 décembre 2000
  4. L'ONU rejette l'envoi de troupes dans les territoires palestiniens par Barbara Crossette in The New York Times (quotidien américain) du mardi 19 décembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  5. Israël Palestine : le gâchis par Joseph Maïla in Etvdes (revue des Pères de la Compagnie de Jésus fondée en 1856) du mois de décembre 2000
  6. Un responsable de la police palestinienne tué dans une explosion par Amos Harel et Amira Hass in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mardi 19 décembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  7. Israël-Palestine : le choc des perceptions par Mouna Naïm in Le Monde du mardi 19 décembre 2000
  8. Négocier ? Ça n'est pas le moment ! par Ali Hammadeh in Al-Nahar (quotidien libanais) du lundi 18 décembre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
  9. Au milieu de pronostics contradictoires sur la période post-électorale aux Etats-Unis et en Israël, le Liban ne pourra pas résoudre ses problèmes avant la réalisation d’une paix globale par Emile Khoury in Al-Nahar (quotidien libanais) du lundi 18 décembre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
  10. La terre et la paix (éditorial) in Le Monde du dimanche 17 décembre 2000
  11. Observateurs et paix au menu des discussions Arafat-Védrine in Tageblatt (quotidien luxembourgeois) du vendredi 15 décembre 2000
  12. Barak : l'élection doit être "un référendum pour la paix" propos recueillis à Jérusalem par Charles Lambroschini et Pierre Prier in Le Figaro du mercredi 15 décembre 2000
  13. Création d'un Collectif judéo-arabe de soutien aux Palestiniens en France par Mouna Naïm in Le Monde du jeudi 14 décembre 2000
  14. Youssef et Muriel, colons sans états d´âme par Bruno Philip in Le Monde du mercredi 13 décembre 2000
  15. Netanyahu n'y participant pas, car non-parlementaire, les élections pour la désignation du premier ministre auront lieu avant le 6 février 2001, dernier délai par Ariyeh Beinder in Yediot Aharonot (quotidien israélien) du dimanche 10 décembre 2000 (cité par Al-Quds Al-Arabi du lundi 11 décembre 2000) [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
  16. La lettre de démission de Barak in Yedioth Aharonot du dimanche 10 décembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  17. Syrie et Palestine : vers des relations nouvelles ? par Michel Kilo in Al-Nahar (quotidien libanais) du jeudi 7 décembre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
  18. Israël : la paix s'éloigne par Alexandre Verkhovski in Russkaïa Misl (hebdomadaire des "Russes blancs" de Paris, NdT) du jeudi 7 décembre 2000 [traduit du russe par Marcel Charbonnier]
 
Télévision

 
1. FRANCE 3 présente samedi 23 décembre 2000 à 22h45 "Jérusalem ou les défits du christianisme"
Dans le cadre de sa série "Les Cités de Dieu" France 3 présente ce reportage inédit, réalisé par Jean-François Colisimo, Olivier Mille et Christian Makarian (2000).
A Jérusalem, les dix mille chrétiens servent de "pont" entre les communautés arabe et juive déchirées par Henri Tincq in Le Monde Télévision du 17 décembre 2000
La gloire et la croix. Dans la Washington protestante comme dans la Moscou orthodoxe et la Rome catholique - les trois premiers numéros des Cités de Dieu -, on voyait un christianisme effervescent, ressuscitant, triomphant. A Jérusalem, il est archi-minoritaire, enfoui, caché, désuni.
Pas moins de treize Eglises et une palette de rites - arménien, copte, latin, grec, syriaque, etc. - campent au milieu des pierres - le Cénacle, la Via Dolorosa serpentant dans la vieille ville, Gethsémani, le Golgotha, le Saint-Sépulcre -, qui témoignent des dernières heures de la vie de Jésus, son procès, sa Passion, sa crucifixion. Des pierres qui entretiennent la mémoire de vingt siècles de foi chrétienne, qui, au-delà de la diversité des races, des cultures, des confessions, attirent des millions de pèlerins dans cette ville trois fois sainte.
On en oublierait presque leurs hôtes locaux, ces chrétiens héritiers des premières communautés qui ont suivi Jésus et qui, malgré conquêtes militaires et occupations, sont restés fidèles à leurs origines. Leur présence en Terre sainte se rétrécit comme peau de chagrin : ils ne sont plus que 2% de la population en Cisjordanie, à Gaza, à Jérusalem. Dans cette dernière, le nombre des chrétiens a été divisé par trois depuis 1948 : ils sont moins de dix mille.
Le responsable de cette série, Jean-François Colosimo, et son réalisateur, Olivier Mille, ont réuni un nombre impressionnant de témoins, parmi lesquels Michel Sabah, patriarche latin, Lutfi Laham, métropolite melkite, Alexandre Winogradsky, prêtre orthodoxe, Franz Bouwen, Père blanc, un évêque anglican, une pasteur luthérienne, etc. Tous admettent l'"exode". Tous parlent de la présence chrétienne à Jérusalem en termes de "survie" et d'enjeu de civilisation.
Dans cette ville qui est l'épicentre des tensions de tout l'Orient, les chrétiens vivent et prient sous le regard croisé des Israéliens et des Palestiniens, des juifs et des musulmans. Ils constituent ce "tiers" dont on ne parle jamais ou presque, comme s'ils étaient voués à devenir étrangers sur leur propre terre, gardiens de reliques ou de vieilles pierres. Comme si l'on oubliait qu'ils étaient à la fois des Arabes Palestiniens et des héritiers du peuple juif de Jésus et de Marie. Leur vocation est d'être un "pont" entre communautés arabe et juive livrées à elles-mêmes.
 
2. PLANETE présente lundi 25 décembre 2000 à 22h50 "A la recherche de la Palestine perdue"
Planète présente un reportage exceptionnel, réalisé en 1998 par Charles Bruce, autour de l'écrivain palestinien Edward Saïd.
A la recherche de ses racines palestiniennes, Edward Saïd, un New-Yorkais atteint de leucémie, retourne sur la terre de ses ancêtres avec son fils Wadir. En 1998, alors qu'Israël fêtait les cinquante ans de sa création, les Palestiniens luttaient toujours pour récupérer leurs territoires. Edward Saïd habite New York et a quitté la Palestine il y a cinquante ans, alors qu'il était enfant. Ses parents, aujourd'hui décédés, s'étaient mariés à Nazareth en 1932 et n'ont jamais pu y revenir. Atteint de leucémie, Edward revient sur cette terre chérie et regrettée dont plus d'un million de Palestiniens furent expulsés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Accompagné de son fils Wadir, qui porte le nom de son grand-père, il raconte l'expérience de sa famille, la perte de leur maison et l'assassinat de ses vingt-cinq parents par des Juifs, tout en visitant les lieux de son histoire personnelle.
 
3. PLANETE présente vendredi 29 décembre 2000 à 21h50 "Les Palestiniens"
Documentaire réalisé en 1975 par Johan Van der Keuken. Les tensions politiques au Liban, en 1975, à quelques mois du déclenchement de la guerre et les revendications des Palestiniens. Le Liban en 1975, à quelques mois du déclenchement de la guerre sanglante qui devait endeuiller et ruiner le pays pendant plus de quinze ans. A une répartition de la population par classes sociales s'en superpose une autre, par origine ethnique et pratique religieuse, chrétiens maronites, druzes, musulmans sunnites et chiites vivant tant bien que mal ensemble, aux côtés d'une forte communauté palestinienne en exil.
 
CHRONIQUE PALESTINIENNE : Occupation, violences et humiliations au quotidien

Un rapport de Médecins Sans Frontières
Témoignages recueillis par les équipes présentes dans les Territoires de Palestine (Décembre 2000)

Plus de deux mois après le début de l'Intifada d'Al-Aqsa, la réalité quotidienne des populations civiles confrontées à la violence est extrêmement préoccupante. La violence de l'occupation israélienne, le piège dans lequel est prise la population palestinienne, la disproportion des moyens employés ont de lourdes conséquences pour les civils qui les subissent. La répression israélienne prend des allures de punition collective et les moyens militaires utilisés sont ceux habituellement déployés dans les situations de guerre conventionnelle, et non contre des civils.
Le blocus économique imposé par Israël aux territoires palestiniens fragilise encore une structure sociale déjà précaire et souligne l'extrême dépendance dans laquelle sont maintenues les familles palestiniennes.
De fait, les conditions de vie quotidienne de ces familles ne cessent de se dégrader. Les Palestiniens vivent dans la peur permanente des représailles de l'armée israélienne et des colons juifs. Leur frustration à l'égard de l'Autorité Palestinienne augmente. Les familles palestiniennes disposent de moins en moins de revenus pour vivre. Les Palestiniens employés en Israël ne peuvent plus se rendre à leur travail, la circulation des personnes et des biens est régulièrement entravée.
Sous prétexte de prévenir des actes terroristes, des maisons palestiniennes, situées à proximité de colonies juives, ou de routes utilisées par les colons, sont rasées, réquisitionnées, en toute impunité ; des familles palestiniennes se voient contraintes de fuir leur foyer en raison de tirs réguliers contre leur village. Les intimidations et les humiliations sont quotidiennes.
Les obstacles à l'accès aux soins sont nombreux. Il est devenu difficile de circuler librement ; les contrôles sont fréquents, longs et humiliants. Autant dire que, pour certaines familles, il devient impossible de se rendre dans les structures médicales palestiniennes ou d'avoir accès à un médecin. Pour certains malades, la peur de voir leur maison réquisitionnée ou détruite pendant leur absence est si grande qu'elle les pousse à renoncer à se faire soigner. L'accès aux soins pour la population est dès lors soumis à de nombreux aléas, alors même que la violence exercée contre les familles palestiniennes et le climat de terreur dans lequel elles vivent génèrent des états de stress et de peur panique très intenses, réclamant une prise en charge soutenue.
Dans ce nouveau contexte de violence, Médecins Sans Frontières vient d'ouvrir deux nouvelles missions d'assistance en Palestine. L'une dans la bande de Gaza, la deuxième dans la vieille ville d'Hébron.
Adaptées à un contexte de violence très particulier, ces interventions ont pour spécificité :
1. de rassembler des médecins et des psychologues dans une pratique clinique conjointe, car les événements actuels provoquent à la fois des troubles physiologiques et psychologiques : accentuation des pathologies chroniques ou antérieures par le stress, colère, angoisses, peur " d'avoir été empoisonné ", troubles du sommeil ou de l'alimentation… La consultation médicale permet de détecter et de soigner les troubles physiologiques. Parallèlement, le psychologue peut commencer un travail thérapeutique permettant aux patients d'exprimer leur peur, de traiter leurs traumatismes et de réduire leur stress.
2. d'être axées sur des visites à domicile, car les entraves opposées à la circulation des personnes ainsi que la terreur ressentie par les patients les empêchent le plus souvent de se déplacer pour consulter.
3. de s'adresser en priorité aux personnes (adultes et enfants) les plus exposées, c'est-à-dire celles qui vivent à proximité de lieux d'affrontements, de zones bombardées, de colonies juives ou de camps militaires israéliens.
Ce document présente les observations des équipes de Médecins Sans Frontières en Palestine recueillies depuis novembre 2000, lors de leurs premières visites dans les familles. Les extraits du journal de bord de l'équipe de Gaza, et le témoignage de l'anesthésiste qui a travaillé dans l'hôpital de Qalqylia en Cisjordanie décrivent, tous deux, les conditions de vie quotidienne des familles palestiniennes, entre violences, peur, intimidations et humiliations. Ils soulignent également les contraintes imposées au travail des équipes médicales.
 
JOURNAL DE BORD DE L'EQUIPE PSYCHO-MEDICALE MSF - GAZA, NOVEMBRE-DECEMBRE 2000
 
- Dimanche 12/11/00
Visite dans le quartier Salah'edine à Rafah.
Première famille
Nous retournons voir un petit garçon de 8 ans qui présente des troubles depuis la destruction de l'étage de la maison où il dormait avec ses frères. Il est un peu mieux que lors de notre précédente visite, mais reste encore fragile. Il dit tout le temps qu'il a peur, il est anxieux. Sa famille le trouve changé, il n'est plus comme avant, il a perdu sa gaieté, il est inquiet.
On entend des tirs qui passent au dessus de la maison.
Nous parlons avec lui et son frère aîné (l'enfant ne veut pas rester tout seul avec nous), nous l'aidons à exprimer ce qu'il ressent et à raconter lui-même ce qu'il a vécu durant cette attaque de la maison.
Deuxième famille.
Dans cette rue très exposée, nous voyons une maison criblée d'impacts de tirs, et nous demandons aux personnes qui sont là dans la rue si des gens habitent ici. La maison est occupée par un couple plus très jeune, sans enfants. Le mari est un ancien professeur d'anglais de collège. Ils nous invitent à entrer et se montrent très enclins à nous parler. Ils vivent dans un stress permanent depuis le début de l'intifada, ils sont juste en face du poste militaire israélien, à portée de tir. Les balles ont traversé le salon à plusieurs reprises, juste là où nous sommes assis en train de discuter (!). Ils vivent désormais repliés dans la pièce du fond, sortent par la porte de derrière pour aller voir leurs voisins, mais ne s'éloignent pas, de peur qu'en leur absence un incendie ne se déclare.
Ils ne dorment plus, ne mangent plus ou très peu car plus rien ne passe, le monsieur âgé de 58 ans se plaint de douleurs articulaires et musculaires, la dame âgée de 37 ans se plaint surtout de la peur qui ne la quitte pas. Ils nous racontent tout cela avec pourtant un certain humour et remercient Dieu de ne pas avoir d'enfants, sinon ils seraient certainement plus mal, vu le sort réservé aux jeunes en ce moment.
Toutefois, derrière cet humour de surface, on devine une sourde angoisse qui filtre à travers des propos très amers contre l'Autorité palestinienne " qui s'en est mis plein les poches, et en qui on ne peut avoir confiance ". Ils se sentent isolés, sans appui, abandonnés et livrés à un grand pessimisme.
Troisième famille
En face de celle-ci mais tout à fait adossée au poste israélien, une autre maison devant laquelle se tient un homme. Aux fenêtres, des femmes et des enfants. Le monsieur nous invite à entrer, il habite là avec sa famille. Pour entrer chez lui, il faut tourner à l'angle de la maison, là où les jeunes viennent s'affronter. C'est exactement ici que certains ont été blessés et tués. En montant l'escalier, on se baisse en passant devant les ouvertures, impacts de tirs et trous larges comme une main dans les cloisons. Deux étages, deux familles, l'une est partie se réfugier ailleurs. Pendant que nous parlons dans une pièce close et calfeutrée, on entend les tirs tout proches et les gaz commencent à nous piquer les yeux . Les enfants sont calmes et silencieux, ils ont l'air grave, écoutent leur père parler. Ils partent chaque soir avec leur mère dormir ailleurs, le père revient seul dormir ici pour garder la maison (peur de l'incendie toujours). Le jeune de 15 ans ne participe pas aux affrontements, du moins c'est ce qu'il affirme devant son père. Celui-ci a essayé de dissuader les jeunes de venir s'affronter, il n'en peut plus de les voir tomber et aussi que cela se passe si près de chez lui, mais il reconnaît qu'il est impuissant à les empêcher.
Khan Yunis
A l'extrémité ouest de la ville, le camp de réfugiés est situé aux abords directs d'une zone de colonies. Il est comme enclavé en son extrémité dans une zone entièrement contrôlée par l'armée israélienne, les dernières maisons sont exposée aux affrontements quotidiens, les immeubles de plusieurs étages qui dominent ces maisons sont criblés d'impact de tirs. Ce sont aujourd'hui des immeubles vides.
Nous rendons visite aux deux familles qui vivent dans les deux maisons les plus exposées car situées au bout de la ruelle, et face aux installations militaires qui sont à peine à 20 mètres.
Les affrontements ont eu lieu ici depuis le début de l'Intifada, et depuis deux jours ils se sont déplacés à 100 mètres d'ici, ce qui n'est pas beaucoup, mais assez pour qu'un peu de calme revienne pour ces familles.
Presque toutes les familles ont quitté ce quartier, au moins pour la nuit.
C'est le père qui parle, il est très anxieux et s'exprime dans une logorrhée abondante. Il a sept enfants de 2 à 14 ans, il craint pour leur vie, pour leur santé, il ne travaille plus, il est très inquiet. Il évoque les drames antérieurs de la guerre pour sa famille : sa fille aînée de huit ans a été tuée en 1993, elle portait un t-shirt à l'effigie de Saddam Hussein le jour où elle a été tuée. Deux de ses frères ont été tués, l'un en 1976 et l'autre en 1991 lors d'affrontements. Il y a quelques jours, sa fille de 7 ans a voulu renverser la télévision alors qu'elle regardait les images de l'Intifada. Il est dans un état de stress permanent, il ne dort plus, il a vu les jeunes blessés, il exprime son impuissance devant les événements. " Nous, les Palestiniens, nous sommes instruits et intelligents, mais nous n'avons pas de chance, votre visite nous apporte un peu de réconfort ".
 
- Lundi 13/11
Erez
Ce village bédouin se trouve face à un lieu où les affrontements sont quotidiens.
Nous rencontrons des gens épuisés par la situation. Ils vivent en contrebas de la route, devant eux les installations militaires, derrière eux le quartier de Beit Hanoun. Ils sont en face ou au-dessous des tirs. C'est un camp assez pauvre, les hommes travaillaient presque tous en Israël. Nous nous installons d'abord dans la cour de l'une des maisons pour parler avec les gens qui sont là : des hommes, des femmes et de très jeunes enfants. Ce sont en général des maisons en tôle, certaines sont en dur mais de construction plus que légère. Ils n'ont aucune protection solide, ni vis à vis des tirs, ni vis à vis des gaz. On ne compte pas les impacts de balles qui trouent les " murs " de ces habitations. Les installations de l'IDF (Forces de Défense Israéliennes) surplombent le village, ce sont des filets de camouflage, on ne voit pas les soldats, on devine leurs présence et les armes pointées en permanence, une menace invisible mais omniprésente.
Aujourd'hui et pour la première fois depuis le début de l'Intifada, il n'y a pas eu d'affrontements, il est 13 heures, hier à la même heure nous n'aurions pu pénétrer ici, et demain ? Mieux vaut revenir plus tôt dans la journée.
Les gens souffrent des gaz, ils n'arrivent plus à protéger leurs enfants et eux-mêmes depuis l'apparition de ces nouvelles grenades lacrymogènes plus concentrées. Ils se protègent en appliquant des oignons sur le visage, mais cette protection est devenue inefficace.
Un homme raconte qu'il y a eu des jeunes blessés lors des affrontements, ils se sont réfugiés dans le village pour se mettre à l'abri des tirs et trouver du secours, il a vu ces blessés et l'un mort, que l'on a dû traîner sur le sable pour aller jusqu'à l'ambulance. Ils avaient les jambes touchées, il y avait beaucoup de sang, cet homme pense tout le temps à ces jeunes qu'il a vu souffrir devant ses yeux. Il sait que deux d'entre eux ont dû être amputés. Il est envahi par ces images de mort. Ce monsieur nous confiera plus tard d'autres problèmes qui traduisent une grande anxiété, il nous demande de revenir pour qu'il puisse nous parler en privé, ce que nous ferons.
Un autre homme, plus jeune, est désigné par les autres comme très souffrant. " Hier il était comme fou " disent-ils. Il raconte comment son père, un homme âgé, a été asphyxié lors d'un jet de gaz, il y a environ un mois, au début de l'Intifada. Le jeune, voyant son père en difficulté, est allé vers lui pour le secourir, ils ont alors été tous deux exposés. Cet homme nous confie qu'il a eu du mal à maîtriser sa peur. Il a transporté son père à l'abri des tirs, celui-ci avait perdu connaissance. Hier cet homme a été pris de panique lors de nouveaux tirs de gaz, il a fait irruption par la fenêtre chez son voisin pour se protéger, lui, sa jeune femme enceinte et ses deux enfants en bas âge. Il a perdu le contrôle de ses nerfs, et sa femme est aujourd'hui alitée, malade.
Nous avons rendu visite à cette jeune femme. Elle présente des troubles consécutifs au stress aigu dont elle a été l'objet, nous pouvons parler avec elle, elle réagit positivement à notre approche. Nous la reverrons demain avec le médecin pour un examen somatique très utile dans ce cas, du fait de symptômes physiques qu'elle présente, puis continuerons à la suivre sur le plan psychologique.
Les inquiétudes exprimées à propos des gaz sont récurrentes, stérilité, maladies qui se déclareront dans vingt ans sont à l'esprit de chacun. Réflexion d'un homme après la visite du médecin auprès de cette femme : ça va mieux pour elle aujourd'hui, mais que va-t-il arriver à son bébé ?
La sensation d'étouffement consécutive à l'inhalation de ces gaz provoque une sensation de mort imminente, aggravée par la croyance en leur nocivité chimique. On ne connaissait pas ces petites bonbonnes, très concentrées et qui libèrent une quantité supérieure de gaz à celles utilisées auparavant. Celles-ci, qui étaient en caoutchouc noir, pouvaient être saisies et relancées au loin ; les nouvelles sont en métal brûlant, tournoyant sur elles-mêmes, impossibles à saisir.
Proximité de la colonie Netzarim
Quatre maisons se trouvent sur un même terrain, juste derrière les deux immeubles qui ont été dynamités par l'IDF pour faire place nette (lieu où a été tué le petit Mohamed Dura et son père blessé), à ce carrefour qui mène à la colonie de Netzarim.
Quatre familles vivent là (des frères) avec leurs nombreux enfants. Ce sont d'anciens réfugiés, ils ont construit là en 1990. Nous nous installons dans la grande pièce, le sens de notre visite est bien compris. Un seul des pères est présent, deux mères soucieuses pour leurs filles, l'une surtout qui ne cesse de demander à partir d'ici. Les murs, pourtant épais, ne rassurent plus, le récit de cette nuit interminable (explosion des immeubles) se fait à plusieurs voix. " On a pensé qu'on n'en sortirait pas vivants ". La jeune fille qui a peur s'exprime, encouragée par sa cousine qui parle plus volontiers. La grand-mère, qui s'est jointe à nous, raconte la terreur qu'elle a ressentie, trouvant refuge sous l'escalier. Elle se demande si elle ne devrait pas prendre des médicaments pour dormir. Au dehors, on entend les chars qui passent et repassent, rappel de l'omniprésence militaire que chacun ici ne peut oublier. Les enfants ne sortent que pour aller à l'école, accompagnés par les parents.
 
- Mardi 14/11
Nouvelle visite au village d'Eretz
La jeune femme enceinte fait l'objet de cette visite.
Dans une autre maison, on nous demande pour une femme et un enfant. En peu de temps arrivent d'autres femmes avec des enfants en bas âge. La maison ressemble alors à un petit dispensaire improvisé de PMI.
Deux enfants présentent des troubles liés à l'anxiété ; une petite fille de 2 ans qui était propre recommence à faire pipi, un autre enfant plus grand présente les mêmes symptômes. Nous nous entretenons avec les mères et leurs enfants, pour expliquer le lien entre le ressenti de la peur et les régressions qui peuvent survenir en conséquence chez les enfants petits. Il s'agit d'une réaction normale face à une situation anormale. Rassurer, consoler, protéger, entourer, comment faire face quand on a trois ou quatre enfants qui demandent tous cette même attention ? La jeune mère exprime son débordement.
Nous reviendrons dans ce village pour prendre soin de ces familles et les aider à prendre soin de ces tout-petits, qui passent de la maison aux jardins où ils se réfugient lors de chaque affrontements et menaces.
 
- Mercredi 15/11
Camp de Khan Yunis
Nous visitons cette fois  l'autre partie du camp qui est exposée aux tirs ; la distance qui sépare du poste militaire est infime, et les jeunes ici sont nombreux à venir chaque jour. Plusieurs d'entre eux ont été tués depuis le début des affrontements.
Il est évident que ces gens vivent dans un stress permanent. Il règne une ambiance survoltée, tout le monde veut parler en même temps, la présence du médecin est sollicitée.
Les gens sont dans un état que je qualifierais d'hypomaniaque : des rires, des cris, des enfants très excités, des cailloux (petits) qui volent ici où là. Mais des gens qui sont contents de nous recevoir parmi eux, et de nous expliquer ce qu'ils vivent. Ceux qui le peuvent ne dorment pas ici. Il y a dans chaque maison une pièce calfeutrée pour se protéger des gaz.
Lors de cette première visite, nous voyons aussi des mères inquiètes pour les enfants, un bébé qui ne grossit pas, un enfant qui présente une énurésie.
 
- Jeudi 16/11
Camp de Khan Yunis
Lors de notre seconde visite, nous avons un long entretien avec la mère d'un bébé âgé de 7 mois, au cours duquel nous approchons la problématique qui relève à la fois de l'anxiété et de la honte d'avoir un bébé qui ne grossit plus depuis trois mois. Cet enfant présente pourtant un développement psychomoteur normal, il interagit et se montre éveillé. C'est surtout l'anxiété de la mère qu'il faut apaiser.
Une autre mère, déjà rencontrée hier, vient nous parler de l'énurésie de son garçon de 5 ans, nous pouvons lui donner quelques conseils et nous adresser au petit, qui hier s'était montré comme un " petit dur ".
Le grand frère du bébé est un garçon de 11 ans, aux yeux pétillants d'intelligence. Il raconte qu'il connaît le jeune qui a été tué hier (peu de temps après notre visite). Il était dans sa classe. Il revient des funérailles (que nous avons croisées). Il est fier de parler, et il prend un ton presque arrogant pour dire que lui aussi va aux affrontements, qu'il n'a pas peur, et que celui qui n'y va pas après l'école manquerait de courage. Tout le monde y va, ce n'est pas possible de ne pas y aller. Puis il ajoute que le mort, le " chahid " (martyr), était " majnoun " (fou), qu'il provoquait les soldats israéliens (insultes, sexe exhibé). Selon lui, l'enfant qui a été tué a été visé une première fois, il s'est caché derrière un bloc de béton, puis il a passé sa tête, et là, il a reçu une balle dans le front. Il parle sans tristesse, il cherche à nous impressionner, il ne sera pas dit qu'il a éprouvé de la peur. Une psychologue palestinienne qui m'accompagne est assez troublée par l'expression de ce petit garçon.
Les jeunes se rassemblent sur le lieu des affrontements habituels et le lancement de gaz lacrymogènes commencent. Nous ne pouvons pas rester, nous quittons le camp sans pouvoir prévenir les gens qui attendent le médecin, et sans pouvoir prévenir de notre prochaine visite.
Un peu plus loin, nous nous arrêtons et sommes entourées de dizaines de jeunes, surtout des filles qui viennent de s'approcher très près des postes de l'IDF, et ont reçu du gaz: Un petit moment d'hystérie collective qui nous fait mesurer à nouveau l'ambiance très chaude du lieu: " Pourquoi voulez-vous nous tuer ? " crie l'une d'elles. La psychologue palestinienne et francophone qui nous accompagne aujourd'hui lui dit que nous sommes français, et que nous sommes venus pour aider. La jeune fille n'écoute pas et dit que c'est pareil. Nous partons donc dans une sorte de confusion, qui nous rend un peu pensifs.
 
- Samedi 18/11/00
Dans le quartier de Al Muragah
Depuis que le carrefour de Netzarim a été nettoyé, destruction de tous les édifices, arrachage des arbres, les affrontements se produisent au croisement suivant, juste à coté d'une petite mosquée, où stationne en permanence une Jeep de l'IDF. Un ou plusieurs tanks circulent sur la route que les colons empruntent.
Ce samedi matin est calme, les gens se demandent quel est ce calme inhabituel, ils n'ont pas connu cela depuis des jours, surtout depuis la nuit de jeudi, où les bulldozers ont continué leur œuvre de nettoyage. Il y a maintenant de quoi faire passer une route à quatre voies !
Nous allons de maison en maison, pas de présence militaire jusqu'à 15 heures. Nous quitterons le quartier vers 16 heures, après avoir rencontré des gens abattus, sous le choc, visiblement épuisés par des nuits sans sommeil. L'inquiétude est permanente, cela se voit, s'entend, se dit. Une jeune femme, ayant des compétences de secourisme, se propose de nous emmener dans les maisons les plus souffrantes. Elle est très concernée par la souffrance des gens.
Nous identifions au moins 2 personnes ayant besoin d'un soutien individuel : un homme de 27 ans dont la mère est venue nous parler, et une mère de famille, qui habite dans une des maisons longeant la route. Pendant la nuit, la famille a vu le bulldozer arriver sur leur maison, ils l'ont vu s'arrêter à quelques mètres seulement, après avoir défoncé la palissade et le puits qui se trouvait à l'entrée. Cette femme demande de l'aide, elle n'en peut plus.
Une autre famille a vu sa maison se transformer en base de tir, il y a deux semaines. Les militaires israéliens ont investi la maison vide pour s'y installer et tirer. Une des petites filles est visiblement très apeurée (nous reviendrons ultérieurement la voir) car la famille revient juste aujourd'hui se réinstaller dans la maison.
Dans une autre maison, celle du cheikh, juste en face de la mosquée, une jeune femme a fait une fausse couche il y a quelques jours ; sa petite fille de 18 mois est décédée il y a un mois à cause des gaz (elle a été hospitalisée mais n'a pu être sauvée).
Une autre maison où des impacts de balle sont bien visibles et de taille assez importante : là, la famille est en veille permanente, on attend, on surveille. Le père et le fils (pharmacien) ont l'air solides.
Une autre femme dans une autre maison a fait une fausse couche il y a quatre jours, elle dit qu'elle va bien, qu'elle est forte, qu'elle n'a pas peur des militaires, avec son mari ils se feront rouler dessus par les bulldozers plutôt que de partir !
Au moment où nous partons, nous croisons les jeunes qui vont vers le carrefour des affrontements : " nous n'avons pas encore commencé " disent-ils !
 
- Dimanche 19/11/00
Erez, le long de la mer.
Visite de cette zone sous contrôle IDF, à l'extrême nord de la bande de Gaza, où se trouvent les colonies de Alaï Sina et Nevetz Sala.
C'est une zone agricole où les gens vivent entourés par deux implantations israéliennes, il n'y a pas eu d'affrontements mais la peur s'est emparée des agriculteurs dont la majorité ne dort plus ici, ils retournent au camp de la mer d'où ils sont originaires, et ne viennent que pour travailler la journée. Seules quelques familles restent en permanence mais leur sommeil n'est pas tranquille.
Vivent aussi ici des familles bédouines, installées depuis l'arrivée de l'Autorité Palestinienne, disséminées sur cette zone. Elles vivent de manière très traditionnelle et clanique, à la différence de celles que nous avons vues à Erez, plus sédentarisées. Nous avons  visité une de ces familles, particulièrement exposée puisqu'à portée de tir du char et du poste avancé de l'IDF (positionnés à l'entrée de la colonie) que l'on aperçoit à environ 100 mètres. Cette famille se sent extrêmement vulnérable, isolée, démunie : ils voient la nuit tomber avec angoisse et ne dorment pas. Cette région où ils se sont installés il y a six ans (ils venaient du Sud), parce qu'ils aimaient cet endroit, s'est transformée pour eux en cauchemar, ils aspirent à une sécurité inexistante en ce moment. Un des hommes qui nous accueille est asthmatique, ses crises sont plus nombreuses depuis le début des événements.
Nous proposons de revenir le plus tôt possible avec un médecin pour apporter un soutien approprié à cette famille, où nous n'avons vu ni les femmes, ni tous les enfants .

- Lundi 20/11
Troisième visite au village Bédouin d'Erez.

Nous devons rencontrer, pour un entretien individuel, un homme de trente-neuf ans, pour des troubles qu'il ressent depuis trois ans, mais qui sont réactivés par la situation actuelle.
Entretien long et approfondi qui révèle un état de stress post-traumatique chez cet homme, relatif à des événements anciens dont certains remontent à son enfance, en relation ou non avec la situation politique. Il ne présente pas un état aigu, mais est en proie à une anxiété aujourd'hui permanente, qui s'exprime sur le versant somatique et psychique.
 
- Lundi soir, 18 heures : début des bombardements sur Gaza jusqu'à 20 heures 45.
 
- Mardi 21/11/00
Nous avions prévu d'aller au sud de la bande de Gaza, pour rencontrer les familles déjà vues le 12/11/00. Parmi eux, un petit garçon déjà rencontré deux fois, mais nous nous trouvons bloqués au barrage de Kusufim, fermé aux Palestiniens. Notre voiture n'est pas équipée pour être suffisamment identifiable, nous renonçons donc pour aujourd'hui.
En raison des bombardements de cette nuit, nous avions aussi prévu de visiter à Deir al Balah (situé avant le point de passage de Kusufim), les familles qui vivent dans la proximité d'une base bombardée.
Nous allons vers les trois maisons les plus proches du site bombardé, et sommes reçus par la famille qui y vit. Le père, la mère et les enfants sont là. Les enfants fréquentent peu les écoles ce matin, la nuit a été peu reposante. Après quelques instants arrivent les autres membres de la famille, au total trois frères avec leurs familles habitent ici.
Un petit garçon de neuf ans a présenté durant toute la nuit un état de stress aigu, la famille est partie dans le jardin durant deux bonnes heures, pour se protéger en cas de nouveaux tirs sur la base. Il n'arrivait pas à se calmer, sa mère nous dit qu'il n'a pu la quitter une seconde, faisant des allers et retours incessants aux toilettes ; il n'a pu " dormir " dans sa chambre avec ses frères, est resté avec ses parents en priant pour que le jour arrive ; c'est alors qu'il a commencé à se calmer. Ce matin il est présent lors de notre visite, et se dit soulagé ; il pense que ça va aller maintenant.
C'est la première fois qu'il se passe quelque chose dans ce quartier situé au bord de la mer. Il n'y a pas eu d'affrontements ici depuis le début des événements actuels, on est en effet à distance des colonies, et même durant la première Intifada il ne s'est pas passé de choses graves.
Sans relation directe avec les événements de la nuit, notre expertise est sollicitée pour deux membres de cette famille, qui sont tous deux présents : un petit garçon de 7 ans, le plus jeune fils du maître de maison, et un homme de 32 ans, marié et père de famille, l'un des quatre frères vivant ici.
Alors que je demande au plus jeune comment il s'appelle et comment il va, son père répond à sa place en disant qu'il bégaye, que c'est à cause d'un événement traumatisant qu'il a vécu lorsqu'il avait cinq ans : il était seul dans une voiture attendant son père, un énorme chien a surgi, méchant et aboyant, il a tournoyé autour de la voiture, terrorisant l'enfant qui hurlait, jusqu'à ce que son père revienne. Ceci se passait en Arabie Saoudite où vivait alors la famille. Depuis, le jeune garçon parle en bégayant. Aucun soin n'a été donné à cet enfant. Je m'adresse à l'enfant pour l'inviter à s'exprimer sur cet événement, il raconte avec émotion ce qu'il s'est passé, les yeux emplis de larmes, il est très touchant, nous sommes émus. Il est très intelligent, bon élève à l'école et se montre très ouvert à ce que nous pourrions faire pour lui ; il veut bien recevoir des soins. Je pense aux structures palestiniennes et suggère que l'on prenne contact avec elles pour envisager une prise en charge psychologique, le père est d'accord.
Le deuxième patient est un homme qui présente des troubles manifestes ; il a un visage crispé et se tord les doigts de manière compulsive, c'est son frère aîné qui expose sa situation. Il présente d'importantes crises, des états catatoniques, où son corps se raidit, il s'arrache les cheveux, se cogne la tête contre les murs et se frappe ; sa gorge se bloque, il ne peut rien manger en dehors de yaourts, et ne dort pas. Cela a commencé il y a 10 ans. Il présente ces troubles par intermittence, et les frères s'accordent pour dire qu'ils sont augmentés lorsqu'il doit faire face à des problèmes. Ce qui est le cas en ce moment, en raison des événements.
Le jeune homme a été gravement maltraité durant l'Intifada, alors qu'il avait 22 ans : il a été arrêté et battu par l'IDF, les troubles auraient commencé à la suite de ces maltraitances.
Cette description fait évoquer un tableau de PTSD (Post Traumatic Stress Disorder), avec une expression psychotique : les frères n'évoquent pas d'antécédents de troubles avant cette arrestation. Il est le 3ème des quatre frères de cette fratrie, et est très soutenu par eux : il a été soigné en Jordanie et dans un autre pays du Golfe où il voulait faire des études. Il a été consulter partout où cela était possible, à l'hôpital psychiatrique de Gaza, au Gaza Community Mental Health Programme (GCMHP) où il a vu un médecin qui a pris des notes et lui a prescrit un traitement qui lui a fait du bien, mais pas durablement. Il semble que cet homme n'ait pas eu l'occasion de faire une psychothérapie et, s'il est encore temps, il serait intéressant de lui en proposer une. Reste à s'assurer qu'il n'y a effectivement pas de troubles psychotiques sous-jacents chez cet homme.
Quartier de Al Muragah vers Netzarim.
Un jeune homme de 27 ans nous reçoit chez lui, sa mère est présente durant l'entretien. Il explique ce qui lui est arrivé il y a une quinzaine de jours, au retour de son travail quotidien dans un restaurant à Gaza (il rentre tard le soir). Au passage devant la Jeep IDF, il a été arrêté par les militaires de manière musclée, il a reçu des coups de crosse dans les côtes, les militaires lui ont pris ses papiers et lui ont dit d'attendre, puis ils sont partis. Il a eu très peur, du fait de cette attente, et aussi parce qu'étant un ancien détenu (6 mois et demi en 1991 après avoir participé à une manifestation à Gaza), il craignait que ces militaires ne regardent son identité sur un ordinateur. Il se sentait en danger ; l'attente a duré deux heures, pendant lesquelles il est allé discuter avec des jeunes qui se trouvaient à quelques pas. Au retour de la Jeep, il a récupéré ses papiers et a été invité fermement à rentrer chez lui, sans violence physique toutefois.
Depuis, il ne peut plus se rendre à son travail, se sent extrêmement fatigué, asthénique, angoissé, malade (en particulier, il a mal à la gorge). Il éprouve de l'inquiétude en permanence, n'arrive pas à penser, parle peu, n'arrive pas à se détendre.
Il doit retourner travailler car lui seul travaille en ce moment (ses frères sont sans travail puisque employés en Israël). Le père a été tué dans un accident en 98.
Il est très inquiet aussi parce qu'après sa libération de prison, il a mis quatre ans à se remettre, grâce à l'aide de sa mère : ce qu'il vient de subir réactive sa fragilité d'alors, il craint de rechuter. Il est jeune marié depuis deux mois, ceci est aussi un facteur d'inquiétude que l'on devine; il est dans cette période de sa vie où il doit assumer de nouvelles responsabilités vis à vis de sa jeune épouse, ce que le stress actuel vient peut-être compromettre. Il ne peut répondre à ses questions, elle se rend bien compte qu'il ne va pas bien,  mais il ne lui parle pas de ce qu'il a.
 
- Mercredi 22/11/00
Impossible toujours d'aller à Rafah ni à Khan Yunis. Depuis les derniers attentats dans la région de Rafah, l'armée israélienne a coupé de fait la bande de Gaza en deux et contrôle de façon stricte la circulation entre le nord et le sud. Il est actuellement impossible pour nous de rejoindre le sud de la région.
Nous retournons à Al Muragah.
Nous rencontrons une femme d'une quarantaine d'années qui est visiblement épuisée, en proie à un inquiétude persistante depuis le premier jour des événements. La maison (percée à différents endroits par des tirs) est située au bord de la route qui conduit à la colonie de Netzarim, dans la bande de 70 mètres où il est interdit de construire de plus haut qu'un étage. La maison de cette famille est de construction légère mais tout de même en dur, et de plusieurs pièces. Notre patiente est dans un état d'asthénie profonde, de stress sévère, elle ne dort plus et mange peu, son regard est douloureux, elle exprime son épuisement. Elle ne dort que lorsqu'ils vont quelquefois dans la famille, mais c'est le moins souvent possible, car ils n'osent pas quitter la maison de peur qu'elle soit détruite, même si l'une de ses filles, celle qui a 10 ans, demande souvent à partir de la maison.
" Que deviendront les enfants si je meurs ? " Nous l'écoutons et la soutenons longuement, et prévoyons une autre visite.
Autre visite dans une maison voisine. La jeune mère est venu nous chercher chez la famille précédente.
Nous trouvons cette jeune femme seule avec trois enfants en bas âge dans une baraque en tôle : elle dit que son mari est parti depuis les premiers jours des affrontements, il aurait déclaré qu'il ne pouvait rester ici, que c'était trop dangereux, qu'il avait peur. Il n'a pas réapparu depuis.
Le petit garçon de 18 mois a une énorme brûlure sur les fesses ; il est tombé sur le feu il y a deux jours, alors que des gaz lacrymogènes venaient d'être lancés dans la maison ; tout le monde a été aveuglé. Elle est allée au dispensaire pour les soins et doit y retourner tous les jours pour changer le pansement moyennant 2 nis qu'elle n'a plus. Cas social et familial, que faire ?
En discutant avec les voisines présentes, l'une pense que son mari est traumatisé, que c'est pour cela qu'il est parti en abandonnant sa famille. Puisqu'il a été vu dans le quartier, nous proposons de lui faire passer le message que nous reviendrons ici dimanche, il faudrait essayer de parler avec lui.
Une autre mère nous sollicite pour son fils de neuf ans, énurétique depuis les événements : nous proposons de le voir lors de notre prochaine visite.
Gaza city
Visite dans le quartier où est tombé la roquette "par erreur". C'est dans le Beach Camp, pas très loin de chez nous, les gens voyaient passer les roquettes au dessus d'eux, tirées de la mer, et soudain l'une est tombée au milieu des maisons dans une minuscule ruelle. Une maison a été très endommagée, dans plusieurs autres une partie du toit en tôle a été soufflée, une jeune fille a été blessée par un éclat dans l'abdomen. Un père nous demande de voir son fils de 9 ans qui ne parvient pas à se remettre depuis deux jours. Nous parlons avec l'enfant sur la terrasse de la maison voisine, il exprime sa peur et ce qu'il a ressenti, il sent que ça va un peu mieux qu'hier mais n'arrive pas à penser à autre chose, il est un peu timide et réservé, son père le rassure autant qu'il le peut, malgré son désarroi devant sa maison qu'il ne sait pas avec quel argent réparer. La  police palestinienne est venue juste après les bombardements pour rassurer les gens.
- Jeudi 23/11/00
Visite au centre des femmes de Nuseirat
Nuseirat est un camp où il n'y a pas d'affrontements, par contre les jeunes vont s'affronter à Netzarim et Kfar Darom. Nous avons rencontré certains d'entre eux, en train de dessiner et de monter une pièce de marionnettes. Discussion très intéressante, où ces jeunes de quinze ans, mais qui en paraissent moins, nous font part de leur détermination à aller " défendre leur peuple ", envers et contre tout, en cachette de leurs parents, au mépris de l'avis de l'animateur (un jeune de 22 ans qui a reçu deux balles dans la jambe lors d'affrontements) qui leur conseille de ne pas y aller. Ils n'ont pas peur, ils " entendent les balles arriver et les évitent ", ils vont chercher les blessés, ils ne pensent pas au danger. Ceux qui parlent ne laissent paraître aucun doute quant à leur détermination, ils sont fiers de ce qu'ils font. Ce sont des gamins attachants, sympathiques. Celui qui a dessiné les événements a réuni sur un seul dessin tous les éléments de la situation : les arbres arrachés, les bombardements, un martyr, les tanks, les colonies, les maisons détruites, les gens qui s'enfuient. Il voudrait que son dessin soit vu par le monde entier.
 
- Samedi 25/11/2000
Nous pouvons enfin aller à Rafah.
A la faveur de ce samedi de Shabbat, nous espérons que le passage de Kussufim sera plus facile (pas de passage de colons ce jour), et nous avons prévu toutes les éventualités : voiture blanche avec identification MSF, drapeau, conduite par un expatrié ; une seconde voiture, jaune, est conduite par un chauffeur palestinien.
Finalement le check-point ouvre à 10 heures, il est un peu lent à passer car le passage est étroit et il y a du monde, piétons, voitures, camions... etc.
Aller à Rafah après une semaine d'intensification des affrontements relève d'une priorité que nous avions identifiée sans pouvoir la réaliser faute de liberté de circuler. Nous trouvons dans le quartier Salaheddine des gens épuisés, menacés, effondrés tant la situation s'est aggravée pour eux, du fait des tirs incessants qui sévissent dans ce quartier.
Le professeur d'anglais exprime sans retenue sa colère, son désespoir: il est dans un état d'agitation extrême, sa femme plus réservée nous fait part de son épuisement au cours d'un long entretien que j'ai avec elle, ce qui l'apaise et la rassure. Elle affirme que nos visites sont nécessaires et réconfortantes. Un cousin de son mari, homme âgé d'une cinquantaine d'années, a été tué il y a trois jours en rentrant de la prière, il a reçu en pleine tête un tir, à environ trois cent mètres du point d'affrontements.
Plus aucun humour dans les propos, mais de la colère et de la peur.
Le père de famille de la maison d'en face est lui aussi bouleversé, il a les traits tirés, il parle avec emportement, on a l'impression qu'il va pleurer à chaque fin de phrase, il exprime son épuisement. Il a replié sa famille dans un garage au rez-de-chaussée de la maison. Nous avons un entretien avec sa femme, elle fait face mais avec de fortes angoisses pour les enfants. Nous sommes dans la maison quand éclatent des tirs violents (des photographes viennent d'arriver et les jeunes veulent leur montrer ce dont ils sont capables !). Riposte immédiate de l'IDF, avec des tirs bruyants: ce sont des tirs destinés à faire du bruit comme de vrais tirs, pour faire peur donc, sorte de sommation avant les tirs à balles réelles. Pour nous qui ne sommes pas habitués, c'est assez impressionnant.
Nous revoyons ensuite le petit garçon, qui va mieux (paradoxalement) : nous le voyons dans la voiture MSF pour être au calme et surtout parce que sa maison envahie de gaz lacrymogènes qui viennent d'être lancés ; on ne peut plus respirer. Il est content de ce dispositif et les autres gamins l'envient. Il se sent protégé maintenant, du fait que lui et sa famille vont dormir ailleurs.
Il y a dans ce quartier environ 25 familles exposées et 8 familles très exposées.
Nous retournerons à Rafah et trouverons un endroit pour recevoir nos patients au calme dans le bus MSF, car il n'est pas possible de procurer un soin et un soutien dans ces maisons trop exposées, et où nous nous mettons nous-mêmes en état de stress !
 
- Dimanche 26/11/2000
Nous avons rendez-vous à El Muragah avec un patient. Il nous attend car il a bien été prévenu de notre passage. Nous trouvons un homme anxieux et gêné de nous expliquer sa situation : c'est lui qui a quitté sa maison à cause de la peur ; il montre deux trous fait par des balles dans la palissade qui entoure sa maison. Il s'est caché pour se protéger, puis est parti chez ses parents, à 1,5 km de là, pris de panique ; il a décidé de ne pas rester une minute de plus dans cet enfer. Ce jour là, sa femme et ses enfants n'étaient pas là. Il est donc parti seul. Désormais sa femme se retrouve seule avec les enfants là bas.
Depuis, il vit à côté de chez son frère. La situation lui est insupportable depuis les événements ; de plus, il a perdu son travail et n'a plus d'argent. Notre visite le soulage, il souhaite notre aide, il se sent coupable, il a besoin d'appui. Sa femme est partie avec ses enfants ce matin pour l'enterrement de son père (un homme âgé mort de vieillesse hier) ; au fond ce sera peut-être l'occasion pour elle de se reposer ; elle nous a dit que ses parents habitent vers Karni, dans un endroit calme.
Nous retournerons le voir quand sa femme sera revenue, pour essayer de les aider à trouver une solution acceptable pour tous. Il dit qu'il a des cauchemars, qu'il ne dort plus, il parait assez désemparé.
Nous passons ensuite voir une patiente que nous suivons pour la prévenir que nous reviendrons avec le médecin après-demain : elle est très faible, presque inquiétante, dit ne plus pouvoir s'occuper des enfants, paraît au bout de ses forces. Elle dit qu'elle ne peut se reposer que chez elle malgré la situation. Chez sa soeur, à deux km de là, où elle va de temps en temps, les enfants (nombreux) se disputent car ils sont énervés, l'espace est tout petit, c'est presque pire. Je propose que nous voyons aussi son mari (il rentre à 15 heures de son travail) qui, dit-elle, " a peur la nuit, plus que moi ".
Nous prenons au cours de l'entretien des nouvelles des familles vivant dans les maison proches de la mosquée : nous voyons plusieurs personnes, et particulièrement des femmes qui se sont regroupées pour s'épauler. Discussion animée et riche ; chacune s'exprime et fait part de ses recettes pour lutter contre la peur (massages aux huiles sur les articulations douloureuses, relaxation), ce qui fait rire l'une d'elles qui trouve que c'est un peu dépassé comme médecine !
Un char de l'IDF est là , stationné au bord de la route, on entend au loin des coups de feu de temps à autre ; le calme est relatif mais réel par rapport à ce qui se passe chaque après midi à partir de 15 ou 16 heures, et pendant  la nuit. Harcèlement, " guerre psychologique " ? Oui, sans aucun doute.
Dernière visite à la maison d'une autre famille ; des tirs importants ont été fait contre leur maison, celle qui est la plus haute (de nombreux et très gros impacts sont visibles) : les enfants sont à l'école, nous reviendrons un autre jour après 13h30, pour les rencontrer.
Je m'aperçois que je n'ai pas écrit dans mes notes cette phrase si souvent entendue, en particulier de la part de gens âgés : " ils vont tous nous tuer, on va tous mourir ".
Nous entendons aussi l'espoir exprimé par nos patients que nous témoignerons de ce que nous voyons et entendons, tant il est clair que les Palestiniens se sentent abandonnés et oubliés. " Est-ce que les gens chez vous savent ce que nous supportons ? ".
 
- Jeudi 30/11/2000
Nous voyons une détérioration de la situation de jour en jour dans les quartiers à proximité des colonies ; de plus en plus de familles sont affectées, maisons occupées, criblées de balles, détruites, des familles sous tente ou réfugiées chez d'autres parents sans l'espoir de revoir leur biens réquisitionnés, les animaux des fermes sauvagement tués... La peur s'installe au quotidien dans ces quartiers ou villages isolés. Certains demeurent inaccessibles à toute assistance humanitaire dans des garanties de sécurité acceptables (Mawassi, Swidi).
Nos visites régulières auprès de ces familles nous permettent de mesurer l'escalade dans le conflit. Les Palestiniens vivent dans la peur des représailles de l'armée israélienne.
La liberté de mouvement à l'intérieur de la Bande de Gaza est entravée par les restrictions israéliennes. L'unique point de passage autorisé entre le Nord et le Sud est la route de campagne passant par le carrefour de Kussufim. La route habituelle à quatre voies, reliant les villes du Sud à celles du Nord, a été coupée à la hauteur de Deir El Balah, parce qu'elle longe à distance la colonie de Kfar Darom.
Les colonies sont devenues des places fortes, ou chaque homme à droit au port d'arme, légalement accepté par l'armée israélienne. Les militaires des Forces de défense israéliennes (IDF) protégeant les colonies profitent du soutien logistique et moral des colons. Il n 'y a aucune comparaison possible avec la population civile palestinienne, qui veille dans sa grande majorité à ne pas s'associer aux opérations militaires palestiniennes, par peur des représailles.
 
- Lundi 04/12/2000
Au carrefour de Kussufim, les bulldozers ont continué leur travail et détruit ce qu'il pouvait rester de végétation. Sur le chemin, le trafic a été stoppé par deux chars qui barraient la route. Une sommation a fait reculer les voitures qui essayaient de s'avancer.
A Khan Yunis, la situation paraît s'être stabilisée. Les habitants sont encore très choqués malgré l'accalmie. Tous quittent le quartier à la fin du jeûne et, après avoir mangé (chacun mange chez soi afin de ne pas être une charge supplémentaire pour la famille qui l'accueille), pour aller se réfugier dans le centre ville. Il faut dire que toutes les maisons présentent des traces de balles et des trouées. Les parents nous décrivent des scènes de panique assez pénibles : les tirs commencent et ils sont obligés de quitter leur maison, les enfants pleurent et crient. Tout le monde se précipite dans les petites ruelles pour trouver abri ailleurs. Certains parents paraissent très démoralisés, résignés, n'espérant plus rien. D'autres clament qu'ils ne peuvent aller se battre à cause des enfants. Tous souffrent d'un sentiment d'insécurité.
Selon ce que l'on comprend, l'armée israélienne paraît vouloir faire partir un certain nombre de familles de chez elles, ceci afin d'occuper leurs maisons.
J'ai été interpellé par une dame suivie des ses enfants. Elle nous a montré l'un d'eux en disant qu'il avait des problèmes et qu'il fallait s'occuper de lui. J'ai suivi cette dame et ai vu l'enfant en entretien. Il a 10 ans, et m'a alors expliqué qu'il était tous les jours pris de panique à la même heure., après avoir été victime de tirs et de bombardements alors qu'il se trouvait chez lui. Il répète, chaque jour à la même heure, la frayeur qu'il a éprouvée à ce moment-là ; il pleure, tremble et crie pour qu'on l'emmène chez son grand-père.
Son père, qui nous rejoindra par la suite, nous confirme que son fils ne peut se remettre de cette peur. Ne sachant quoi faire, il lui donne des calmants, le force à rester à la maison et à manger. Je lui conseille d'être patient et de respecter la peur de son fils qui doit décider de lui-même s'il veut rester à la maison. J'ai promis à cet enfant de revenir le voir.
Nous avons également rencontré la directrice et les institutrices de l'école de Netzarim, qui ont bien besoin d'une écoute et de conseils. Alors que nous parlons avec elles, une rafale est tirée ; j'ai cru que mon coeur allait lâcher. Les enfant, ainsi qu'elles-mêmes, vivent cela tous les jours. Je ne sais pas comment ils font. Je crois en tout cas, à voir la réaction des institutrices, qu'elles ne s'y font pas !
 
- Mercredi 6/12/2000
Rafah. La rue rappelle Beyrouth ou Kaboul. Des familles s'accrochent à ces ruines, vivant dans la terreur. Où aller ? Alors elles restent. Avec la peur au ventre. En priant qu'un bulldozer ne vienne pas raser leur maison.
Nous passons dans la zone sous contrôle israélien pour visiter un bidonville de réfugiés bédouins qui n'ont pas vu un médecin depuis des mois. Nous sommes toujours en " Territoire Autonome de Palestine " mais, du fait de la proximité des colonies israéliennes, le camp se trouve coupé du reste du monde. Les colonies ressemblent à des îlots de prospérité, retranchées derrière des clôtures électrifiées ou d'immenses murs de béton, avec des miradors, des caméras de surveillance, protégées par des tanks, des dirigeables fixés au sol qui assurent la surveillance et, en mer, par des vedettes militaires. Les murs de béton sont formés de blocs déplaçables.
Dans la bande de Gaza, quelques cinq mille colons israéliens, protégés par des milliers de militaires, contrôlent quarante pour cent d'un territoire d'un million d'habitants.
On nous indique la colonie de Qfariom : il y a là un couple avec deux enfants, une vingtaine de militaires et des chiens. Parfois, les chiens sortent et mordent des enfants palestiniens. Autour de ce camps retranché, une population vivant dans la terreur et la misère. Les Palestiniens servent de main d'œuvre bon marché dans les plantations israéliennes. Les routes empruntées par les Israéliens sont interdites aux Palestiniens. L'axe principal de la zone est formé de deux routes parallèles. Chaque communauté a donc ses bus, ses taxis, ses écoles. Séparation totale des deux communautés.
Nous sommes allés dans le quartier de Rafah nommé al Brasil. Là, nous avons constaté que des familles palestiniennes ont été exposées aux tirs de l'IDF. Accolé à la frontière, ce quartier s'est vu pris entre deux feux : l'un se situant le long de la frontière et nourri par un char, l'autre au niveau de Salah Ad Din où se trouve un mirador de l'armée israélienne. L'appartement de la famille que nous visitons est ainsi transpercé de part en part, les tirs venant de deux côtés à la fois. Seule la cuisine n'est pas touchée. Lorsque je rencontre cette famille, aucun des membres n'ose avouer sa peur. On me montre le plus petit, en m'expliquant qu'il est devenu peureux et qu'on ne le comprend plus. C'est en discutant plus avant que chacun avouera sa peur, même ce grand frère qui dit ne plus avoir senti ses jambes pendant les tirs. Le petit, lui, a frôlé la mort lorsqu'une balle est passée entre lui et son frère. Depuis, il ne supporte même plus le bruit des chars et veut se réfugier chez son oncle pour dormir. Il dit que là-bas il ne se sent pas non plus en sécurité, mais qu'il peut dormir. Trois des quatre frères parlent de leur peur. La quatrième affirme ne pas ressentir de peur. J'explique à la famille que chacun possède son propre seuil de résistance et qu'il faut respecter la peur de chacun. Je crois que, pour la première fois, les membres de cette famille ont pu extérioriser, devant les autres, des sentiments qui jusque là étaient restés inavouables.
Il me semble qu'ici chaque membre de la famille essaie de vaincre sa peur et de résister à l'envie de fuir qui serait vue comme une preuve de lâcheté ; le devoir de la famille est de garder la maison. L'un se défend de toute émotion, un autre veut devenir militaire, un troisième veut partir aux USA. Tous sont obligés de rester dans cette maison reportant en quelque sorte leur frayeur sur le plus petit, dont la peur, étrangère alors à chacun, devient incompréhensible. C'est la première fois que je vois aussi nettement ce phénomène familial.
Un autre phénomène semble se présenter. Malgré l'accalmie il semble que beaucoup de personnes ont du mal à se détendre et à reprendre une vie normale. Peut-être y a-t-il ici les prémisses de l'installation du trauma. Si tel est le cas, nous devrions observer bientôt une symptomatologie de ce type. J'attends de recueillir davantage de témoignages pour me faire une idée sur la question. Mais dès à présent, on peut dire que l'humeur, malgré l'évolution rapide de la situation, reste morose. La peur est encore dans tous les esprits et même dans tous les corps.
 
TEMOIGNAGE D'UN ANESTHESISTE MSF QALQILIA, LE 15 NOVEMBRE 2000
Le Croissant Rouge Palestinien nous a amené aux Urgences un "chebab" de 15 ans, mourant d'une plaie par balle au niveau de l'abdomen. L'Intifada était pour lui la seule manière de se construire un futur, elle en a fait un martyr.
Comme lui, tous les jours, arrivent à l'hôpital des adolescents et de jeunes adultes, blessés au cours des affrontements avec l'armée israélienne au niveau des "check points" ou barrages militaires. Le nombre de victimes augmente (autant de blessés et de morts lors des derniers quinze jours que pendant tout le mois d'octobre) ; mais surtout, l'utilisation par Tsahal de balles réelles à la place des balles caoutchouc s'intensifie : parmi les victimes de l'Intifada admises à l'hôpital, 40% présentent des plaies par balles réelles.
Du fait de la jeunesse des participants, de leur manque d'organisation, de la légèreté de leur équipement, ces affrontements tiennent plus de l'émeute que de la guérilla urbaine ; comment justifier alors le recours aux balles réelles ? Le gouvernement israélien invoque la légitime défense. La définition de celle-ci précise que l'intensité de la riposte doit être adaptée à la gravité de l'agression. Alors, légitime défense, quand les armes de gros calibre répondent aux frondes ? Légitime défense, quand un certain nombre de blessés reçus à l'hôpital présentent des orifices d'entrée de projectiles au niveau des parties postérieures du corps, signe qu'ils ont été atteints alors qu'ils fuyaient les combats ? Légitime défense, quand deux personnes ont été touchées dans leur appartement, situé au voisinage de la zone d'affrontement ?
Les chiffres d'activités relevés au cours de mon séjour (10 jours au total) à l'hôpital de Qalqilia montrent une augmentation du nombre des blessés liés aux affrontements de l'Intifada au cours de la première quinzaine de novembre par rapport au mois précédent (51 en octobre, 49 sur les quinze premiers jours de novembre). Parmi ces patients admis aux Urgences, 39% viennent pour des lésions dues à des balles réelles (55% présentaient des blessures secondaires à l'utilisation de balles en caoutchouc).
Les Palestiniens rencontrés à Qalqilia, plus qu'une assistance sous forme de personnel ou de matériel, m'ont demandé de témoigner, auprès de ma famille, mes amis, mes collègues, de ce que j'avais vu chez eux. Je poursuis donc ici ma mission.
Philippe TRINH-DUC, Anesthésiste.
 
Bande de Gaza : Médecins Sans Frontières ouvre une mission de soutien médical et psychologique
Paris, le 13 novembre 2000
Pour faire face aux traumatismes des populations les plus exposées aux violences Médecins Sans Frontières a ouvert au mois de novembre 2000 une mission de soutien médical et psychologique à Gaza.
Médecins Sans Frontières a ouvert à Gaza, dimanche 13 novembre, un programme mobile de soutien médical et psychologique destiné aux personnes les plus exposées vivant à proximité des lieux d'affrontements, des colonies et des camps militaires et souffrant de troubles liés à des épisodes de violence, en particulier les enfants de moins de douze ans.
Le bouclage des territoires et les contrôles permanents, les difficultés de se déplacer, le spectacle d'affrontements ou d'épisodes violents  ainsi que l'exposition quotidienne aux tirs et aux bombardements ont considérablement dégradé les conditions de vie quotidienne des familles habitant la bande de Gaza.
" Cette situation génère des états de stress psychologique aigu qui nécessite une prise en charge rapide et spécifique. La situation présente est pour tous, plus grave et plus traumatisante que la première Intifada ", explique le Dr Christian Lachal, psychiatre.
 " Nous sommes allés voir une jeune femme enceinte de trois mois ", raconte ainsi le Dr Pierre-Pascal Vandini. " Des grenades de gaz lacrymogène avaient été lancées à l'intérieur même de sa maison. La famille a pris peur, a été prise de panique ne pouvant plus respirer, et est sortie par la fenêtre : elle, son mari et leurs deux enfants. Lors de la première consultation, elle était incapable de se lever, elle craignait de rester paralysée et elle s'inquiétait pour le bébé qu'elle portait. "
De tels événements provoquent à la fois des troubles physiologiques (paralysies partielles et temporaires) et psychologiques : colère, angoisse, peur d'avoir été empoisonné, troubles de la nutrition… La consultation médicale permet de détecter et de soigner les troubles physiologiques. Parallèlement le psychologue peut commencer un travail thérapeutique permettant aux patients d'exprimer leur peur, de traiter leurs traumatismes et de réduire leur stress. Ainsi, cette jeune femme qui n'ose pas sortir de chez elle, de crainte de retrouver sa maison détruite sera suivie et soutenue régulièrement par une équipe mobile composée d'un psychologue et d'un médecin.
Les équipes de Médecins Sans Frontières sont présentes en Cisjordanie depuis 1994. Elles ont été renforcées depuis le début des affrontements, en octobre dernier .Les programmes se sont d'abord orientés  vers un soutien aux équipes chirurgicales palestiniennes( donation de kits chirurgicaux) pour les aider à faire face à un afflux massif de blessés, leur prise en charge médicale étant bien assurée.  Devant la gravité des traumatismes subis par la population dans les zones soumises à la violence, la prise en charge psychologique des familles a été identifiée comme une urgence. Actuellement, 10 volontaires de l'association sont présents en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
 
Cisjordanie - Hébron : Médecins Sans Frontières constate un état sanitaire préoccupant et des entraves aux activités médicales
Paris, 7 décembre 2000
Constatant les obstacles croissants à l'accès aux soins dans la vieille ville d'Hébron, en Cisjordanie, Médecins Sans Frontières y a mis en place des équipes mobiles composées de médecins et de psychologues. Axé sur des visites à domicile, ce travail a mis en évidence une dégradation de la santé de la population palestinienne pendant ces deux derniers mois.
La vieille ville d'Hébron se trouve depuis le 28 septembre sous couvre-feu permanent, allégé quelques heures par jour seulement. La plupart des habitants hésitent à quitter leur maison, soit en raison du couvre-feu, soit par peur des contrôles militaires, peur de la réquisition ou de la destruction de leurs biens. Ils se rendent donc à l'hôpital ou chez le médecin avec d'extrêmes difficultés.
L'aide médicale, publique ou privée, est officiellement autorisée mais, dans les faits, les obstacles (contrôles, barrages, intimidations) sont si nombreux que la présence de médecins dans la vieille ville est irrégulière.
Dans cette zone sous contrôle israélien, qui compte 40 000 habitants, résident 400 colons protégés par 1 500 soldats ; " il n'y a presque personne dans les rues. L'impression est celle d'une ville fantôme ", explique le Dr Etcheverry. " Le 28 novembre, nous avons franchi cinq barrages militaires avant d'atteindre un quartier proche du tombeau d'Abraham. Nous venions donner des médicaments à une personne qui souffrait d'asthme et n'avait pas de quoi se soigner. Quand nous avons frappé à la porte, les gens avaient peur de nous ouvrir ".
" Dans une famille, ajoute le Dr Vandini, nous avons trouvé un jeune homme qui avait eu les poignets cassés lors d'un contrôle de police, une adolescente de 15 ans qui se plaignait d'une paralysie récente du bras et un enfant de 5 ans, épileptique non suivi. Dans une autre, nous avons rencontré une personne diabétique de 60 ans, qui présente aujourd'hui des complications rares et graves.
Ces exemples montrent que les familles n'ont quasiment plus de recours pour se faire soigner lorsque un nouvel épisode de maladie survient. Ils mettent aussi en évidence un manque de soins chronique pour cette population ".
Les consultations médicales et psychologiques à domicile visent à répondre aux besoins de médecine générale mais aussi à traiter les états de stress aigu et à prévenir la constitution de syndrome de stress post-traumatique (PTSD). Elles concernent également les villages du district environnant, souvent isolés par des barrages militaires. Un programme similaire a été ouvert le 20 novembre dernier dans la bande de Gaza.
Les équipes de Médecins Sans Frontières sont présentes en Cisjordanie depuis 1994. Elles ont été renforcées depuis le début des affrontements. Actuellement, 13 volontaires de l'association sont présents en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
 
Revue de presse

 
1. Le Monde du mercredi 20 décembre 2000
En douze semaines, l'Intifada a fait plus de morts en Palestine qu'en 1987
par Gilles Paris
Le bilan du nouvel embrasement des territoires, depuis le 28 septembre, est lourd : 344 victimes, dont 292 Palestiniens, et plusieurs milliers de blessés. A Gaza comme en Cisjordanie, la population voit dans ce soulèvement un appel à une solution équitable avec Israël.
RAMALLAH, GAZA de notre envoyé spécial
En quelques semaines, les affrontements entre les Palestiniens et l'armée israélienne ont fait plus de pertes humaines (292 morts) que la première année de la première Intifada, de décembre 1987 à décembre 1988. Le nombre des blessés palestiniens, qui dépasse désormais le chiffre effarant de 10 000, contre trois fois moins il y a treize ans, témoigne lui aussi du degré inouï de violence qui prévaut depuis deux mois et demi dans les territoires palestiniens occupés, pour ne rien dire de la gravité des blessures qui laisseront des centaines de Palestiniens durablement affectés. Cette sinistre comptabilité figure bien évidemment au passif de ce soulèvement qui, comme en décembre 1987, a pris une nouvelle fois de court les représentants officiels des Palestiniens.
Aussi terrible soit-il, ce passif est effacé cependant par ce que les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza tiennent pour les principaux acquis de la nouvelle Intifada : la soudaine prise de parole d'une opinion publique maintenue dans le mutisme par une Autorité palestinienne omnipotente, et la formulation claire de « lignes rouges » pour les négociations à venir, puisqu'il ne saurait y avoir de solution militaire à ce conflit. Ces « lignes rouges » résident dans le surnom donné au soulèvement en cours, l'Intifada El Aqsa, et dans les cibles choisies désormais par les manifestants, les miliciens ou les poseurs de bombes palestiniens, qui s'inspirent des méthodes qui ont fait le succès du Hezbollah libanais contre l'occupation israélienne au Liban sud.
La revendication d'une souveraineté palestinienne sur Jérusalem-Est n'est pas uniquement d'essence religieuse, mais également politique. Pour les Palestiniens, Jérusalem, c'est tout autant l'esplanade des Mosquées des musulmans, le mont du Temple pour les juifs, que la capitale à installer dans la partie orientale conquise par Tsahal en 1967. Si le tabou israélien levé à Camp David par Ehoud Barak à propos des Lieux saints a pu être salué à juste titre, l'Intifada a montré qu'il y avait encore loin jusqu'à la satisfaction des demandes palestiniennes sur ce point, et que la « générosité » israélienne perçue çà et là en Occident restait obstinément à l'écart des réalités.
PRESSION POPULAIRE
Le harcèlement pratiqué par les Palestiniens contre les colonies et les forces armées israéliennes stationnées au-delà de la « Ligne verte » de 1967 a également rappelé la réalité de l'occupation à une opinion internationale anesthésiée par sept ans de négociations infructueuses. Dénoncé par de nombreuses organisations non gouvernementales israéliennes, l'entrain expansionniste manifesté depuis un an par les colons, avec le blanc-seing de M. Barak, n'a pas peu contribué à brouiller l'image de ce dernier auprès des Palestiniens. La politique des faits accomplis menée aujourd'hui à Gaza ou en Cisjordanie n'est pas non plus de nature à convaincre les Palestiniens d'une éventuelle « générosité » israélienne sur ce sujet. Les Palestiniens estiment avoir fait une fois pour toutes leur part de concessions en limitant leurs aspirations nationales à Gaza et à la Cisjordanie. S'ils sont plus évasifs sur la question pourtant tout autant cruciale des réfugiés installés au Liban, en Syrie ou en Jordanie, ils sont désormais convaincus que sur Jérusalem, sur la physionomie de la future Palestine et le sort des colonies, l'Intifada a fait bouger les lignes de forces, jusque dans la société israélienne, et qu'une pression populaire pèse désormais sur leurs propres négociateurs.
Car les semaines de combat n'ont pas comblé le fossé creusé entre l'Autorité et son peuple. Coincé entre son statut international et la pression de son opinion publique, Yasser Arafat a exprimé par quelques gestes symboliques le consensus national provisoirement reconstruit, tout en multipliant les rencontres avec les responsables israéliens ou américains conspués par sa « rue ». Les morts de l'Intifada, plus que jamais, obligent, mais une bonne partie des Palestiniens redoutent que l'Autorité ne s'accommode une nouvelle fois de concessions jugées médiocres, et ces craintes justifient à leurs yeux de rester mobilisés. Le dilemme est particulièrement fort au sein du Fatah, le parti de Yasser Arafat, qui a pu récupérer une partie de la légitimité perdue au cours des années d'Oslo en montant en première ligne, au risque de tout perdre à nouveau en cas d'accords hâtifs.
S'ils tirent tous les mêmes leçons des dernières semaines de feu, les Palestiniens s'interrogent donc sur l'usage qui en sera fait par Yasser Arafat, et sont aussi perplexes quant aux prochaines échéances électorales israéliennes. Les reproches adressés à Ehoud Barak – et à travers lui au camp travailliste – sont terribles : la violence inédite de la répression qui, par comparaison, fait de son prédécesseur du Likoud, Benyamin Nétanyahou, un quasi-humaniste, mais aussi l'incapacité à payer le prix d'un processus douloureux, conformément à un principe édicté depuis la conférence de Madrid : la terre contre la paix. Même s'ils connaissent par cœur les différences idéologiques qui font que la gauche israélienne est fondamentalement plus ouverte aux compromis, ils devinent quel usage ils pourraient faire au niveau international du retour au pouvoir d'une droite israélienne indéfendable, arc-boutée sur des idées éculées. Faute de certitudes ou de garanties sur ses acquis, mais aussi faute de véritables alternatives, l'Intifada semble donc vouée à perdurer.
 
2. Le Monde du mercredi 20 décembre 2000
Dans la bande de Gaza, des routes bloquées, selon le bon vouloir de Tsahal...
par Gilles Paris
REPORTAGE : Tout autour de la colonie de Kfar Darom, l'armée a abattu les arbres et détruit les plantations
GAZA de notre envoyé spécial
Le taxi palestinien s'arrête à une vingtaine de mètres du blindé israélien. Il attend un signe du servant de la mitrailleuse lourde qui coiffe l'engin avant de pouvoir s'engager sur la portion de route contrôlée désormais par Tsahal. Le soldat agite la main. La route à double voie est séparée en son milieu par de lourds blocs de béton. L'un des deux côtés est réservé aux colons israéliens, l'autre aux Palestiniens. Au bout d'une centaine de mètres, nouveau blindé et nouvel arrêt, mais, cette fois-ci, l'ordre est donné de ne pas avancer. Trois véhicules, qui circulaient à vive allure de l'autre côté des blocs de béton, coupent la voie empruntée par les Palestiniens et regagnent précipitamment la colonie de Kfar Darom.
Pour la première fois de son histoire, l'étroite bande de Gaza qui subit déjà l'étouffement du bouclage est désormais sporadiquement coupée en son milieu. La route Salah-Eddine qui court de Erez, au nord, à Rafah, au sud, peut être bloquée selon le bon vouloir d'Israël. Nombreux sont les Palestiniens qui renoncent à se déplacer : il faut parfois plus de deux heures pour parcourir la trentaine de kilomètres entre Rafah et Gaza.
Depuis l'attentat meurtrier qui a touché un bus de transport scolaire pour les colons, les environs ont été labourés par les blindés et les bulldozers israéliens. Autour de la colonie et tout le long de la route empruntée par ses occupants, l'armée israélienne a systématiquement détruit les plantations et abattu les arbres susceptibles d'abriter les tireurs palestiniens. Sur plusieurs hectares, le paysage n'est plus que désolation. Khalil Salman Bachir, dont les terres avoisinent pour son malheur la colonie ( Le Monde du 25 novembre), mesure l'étendue des dégâts. Après ses orangers, il y a huit ans, puis ses palmiers, au début de l'Intifada, ses serres ont été à leur tour ravagées par l'armée israélienne.
BATAILLE RANGÉE
« Entre le matériel et la récolte espérée, j'ai perdu environ 150 000 dollars », soupire-t-il, en montrant du doigt les restes de ses plantations, qui s'étendaient sur 10 000 mètres carrés. M. Bachir, dont la maison est régulièrement prise pour cible par l'armée israélienne, pour dissuader d'éventuels miliciens palestiniens d'y prendre position, raconte avoir subi récemment une nouvelle forme d'intimidation. « Un soir, deux blindés israéliens se sont installés juste devant ma chambre. Ils ont fait tourner leurs moteurs toute la nuit, la maison empestait les gaz d'échappement et il n'était bien sûr pas question de protester ! »
Les destructions subies par M. Bachir ont été recensées par le Centre palestinien pour les droits de l'homme qui tient une comptabilité quotidienne de ces déprédations. Figure également au rapport du jour la démolition de la maison voisine du frère de M. Bachir, jetée à bas quelques heures après que sa famille l'eut abandonnée, fatiguée par les tirs et les menaces à répétition. Une étude du centre, publiée à la fin du mois de novembre, faisait déjà état de 2 800 dunums [soit 280 hectares] de bois ou de terres cultivées de Gaza ravagés depuis le début de la nouvelle Intifada.
C'est au point de passage jouxtant Kfar Darom qu'a été tué, le 14  décembre, un militant du Mouvement de la résistance islamique Hamas, au cours d'une opération manifestement préparée avec beaucoup de minutie. Le minibus que conduisait Hani Abou Bakr s'est arrêté, puis a été encerclé par des soldats. Selon la version des Israéliens, ces derniers n'ont tiré que pour se défendre. Les Palestiniens assurent au contraire qu'ils ont ouvert le feu sitôt le véhicule immobilisé. Depuis le début des affrontements, l'armée israélienne a multiplié les éliminations physiques de cadres du Fatah, la principale composante de l'OLP, et du Hamas, à Gaza comme en Cisjordanie, « avec l'aide d'informateurs palestiniens » selon certains observateurs.
Un peu plus au sud, entre le camp de réfugiés de Khan Younis et le bloc de colonies de Goush Katif, la guerre dicte également sa loi. Le quartier de Toufah se trouve enclavé entre la colonie et des postes militaires qui le tiennent sous leur feu. Au bout de la rue El-Bahar qui se dirige vers la colonie, une imposante barricade de sacs de sable est escaladée pendant la journée par les jeunes gavroches palestiniens, qui défient les soldats israéliens postés en contrebas.
Si l'Intifada s'est progressivement militarisée côté palestinien, les tirs nocturnes prenant progressivement le pas sur les jets de pierres, les murs des maisons avoisinantes, piquetés d'impacts de mitrailleuses lourdes et d'obus, témoignent de la disproportion des moyens engagés de part et d'autre.
Dans la nuit du mercredi 13 au jeudi 14 décembre, une véritable bataille rangée a opposé les Israéliens aux Palestiniens dans cette zone théoriquement sous contrôle exclusif de l'Autorité de Yasser Arafat. Des blindés sont montés à l'aube pour « nettoyer » l'endroit, poste de tir idéal pour les miliciens lorsque la nuit vient. Mais la riposte palestinienne a été forte. « Par haut-parleurs, il a été ordonné aux hommes disposant d'armes de défendre le camp », raconte un témoin. Devant le feu nourri, les blindés ont préféré opérer un retrait en bon ordre. Quatre policiers palestiniens ont été tués au cours des affrontements.
Avec Khan Younis, la localité de Rafah, à l'extrémité sud, constitue actuellement l'autre point le plus chaud de la bande de Gaza. La « porte de Salah-Eddine » bute sur le no man's land qui sépare la bande de Gaza de l'Egypte. Le point de passage a été déplacé à l'intérieur des terres et un mur surmonté de grillages et de fils barbelés condamne l'ancienne frontière. L'armée israélienne y est soumise depuis le début de la nouvelle Intifada à une pression constante.
 
3. Le Monde du mercredi 20 décembre 2000
L'ONU rejette l'envoi d'une mission d'observateurs
par Afsané Bassir
NEW YORK (Nations unies) de notre correspondante
Les Palestiniens ont subi un échec au Conseil de sécurité de l'ONU qui a rejeté, lundi 18 décembre, le déploiement d'observateurs internationaux au Proche-Orient. Contre l'avis d'une majorité des pays membres du Conseil, ils avaient quand même insisté, avec le soutien des pays non alignés, sur la mise au vote d'un projet de résolution demandant la création d'une mission d'observation internationale qui, comme prévu, n'a pu recueillir que huit votes favorables, et sept abstentions dont celles, notamment, des Etats-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie pour lesquels le moment choisi, à la veille de contacts prévus à Washington, mardi, était « inopportun ».
Il n'en demeure pas moins que, pour la première fois, aucun pays, pas même les Etats-Unis, ne s'est prononcé contre l'idée d'une mission d'observation de l'ONU dans les territoires palestiniens. Reflétant le point de vue des abstentionnistes, l'ambassadeur français, Jean-David Levitte, a dit : « La France estime que le moment choisi, compte tenu de la reprise des négociations bilatérales, n'est pas le plus favorable. Nous aurions préféré attendre le résultat des discussions avant de nous prononcer. C'est pour cette raison seulement que la France s'abstient, mais elle ne renonce en rien au projet d'envoi d'observateurs qui est plus que jamais nécessaire. »
Paris, qui est à l'origine de l'idée d'un groupe d'observateurs, avait avec la Grande Bretagne tenté – en vain – depuis plusieurs jours de dissuader les Palestiniens de mettre leur texte aux voix, parce qu'il n'avait aucune chance d'être adopté « pour l'heure », les Américains ayant clairement dit qu'ils opposeraient leur veto, dans la mesure où pour eux, l'accord d'Israël est la condition préalable à la création d'un groupe d'observateurs.
SATISFACTION ISRAÉLIENNE
« C'est une triste journée pour le Conseil de sécurité qui ne devient actif que lorsqu'il a affaire avec les ennemis des Etats-Unis », a commenté après le vote le représentant palestinien à l'ONU, Nasser El Kidwa. « Cela fait deux mois que nous avons ce texte en mains. Ne pas le soumettre au vote aurait été fuir nos responsabilités et absoudre le Conseil de sécurité de ses obligations », a-t-il ajouté. Quant à la reprise des négociations à Washington et aux contacts que les deux parties devaient avoir, à partir de mardi, avec l'administration américaine, ils serviront, à ses yeux, « à démontrer que Washington n'a même pas un minimum de neutralité dans cette affaire ».
L'ambassadeur israélien, Yehuda Lancry, qui, dans son intervention au Conseil, a accusé le chef de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, d'avoir « délibérément » encouragé l'Intifada, affichait une satisfaction évidente après le vote. Le Conseil de sécurité, a-t-il dit, « a finalement pris une décision sage permettant la reprise des négociations ».
Tandis que jusqu'ici, M. Lancry opposait un refus « catégorique » de son gouvernement à une présence internationale en Palestine, il s'est dit ce lundi « prêt à envisager une telle possibilité, à condition que la décision du déploiement des observateurs soit prise par Israël et les Palestiniens ».
Au nom des pays arabes qui ont soutenu la mise aux voix de la résolution, un ambassadeur a expliqué au Monde : « Nous comprenons l'abstention de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie mais ils doivent aussi comprendre que le niveau de frustration chez les palestiniens devenait insoutenable. C'est pour cela que le texte devait être soumis au vote », a-t-il ajouté. Bien que l'idée d'une présence internationale soit désormais acquise, a-t-il souligné, « aucun pays, pas même la France, n'était prêt à fournir un calendrier pour sa mise en œuvre… ».
 
4. The New York Times (quotidien américain) du mardi 19 décembre 2000
L'ONU rejette l'envoi de troupes dans les territoires palestiniens
par Barbara Crossette [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Palais de l'ONU, 18 décembre - Les Palestiniens ne sont pas parvenus, cette nuit, à gagner un nombre suffisant de votes au Conseil de Sécurité des Nations Unies, en faveur de l'envoi d'une force internationale de protection en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Israël et les Etats-Unis se sont opposés à cette proposition de résolution d'une manière acharnée et l'ambassadeur américain à l'ONU, Richard C. Holbrooke, avait annoncé qu'il opposerait le veto de son pays à cette résolution si elle devait obtenir la majorité nécessaire, de neuf voix sur les quinze membres du Conseil. Finalement, le veto américain n'a pas été nécessaire. Le vote sur la résolution a recueilli huit voix favorables, et sept abstentions.
Les pays à s'être abstenus sont : les Etats-Unis, l'Argentine, la Grande-Bretagne, le Canada, la France, les Pays-Bas et la Russie. Les pays soutenant la résolution - le Bangladesh, la Jamaïque, la Malaisie, le Mali, la Namibie et la Tunisie - ont été rejoints par la Chine et l'Ukraine. Les Etats-Unis préféraient laisser la mesure être écartée par défaut plutôt que d'avoir à recourir à son droit de veto, dont disposent les cinq membres permanents dans le cas où ils veulent rejeter une résolution.
La décision de la Russie de s'abstenir, et non de soutenir la résolution palestinienne, a été considérée comme le facteur décisif ayant entraîné le rejet de cette dernière. En s'abstenant, les Russes voulaient aussi éviter une confrontation avec les Etats-Unis.
"Cette résolution ne passera jamais", avait dit M. Holbrooke en quittant le Conseil de Sécurité avant le vote, auquel il a été procédé à la fin d'une longue journée de négociations, de conciliabules et d'apartés dans les couloirs et dans les salles de réunion adjacents à la grande salle du Conseil. Des efforts de dernière minute avaient été déployés de manière à édulcorer le ton de la résolution, qui avait déjà fait l'objet d'amendements au long de plusieurs semaines.
A l'origine, les Palestiniens voulaient (l'envoi) d'une force armée de protection de 2 000 membres, mais le dernier projet de résolution appelait seulement à un nombre non-précisé d'"observateurs, militaires et policiers". La résolution demandait au Secrétaire général Kofi Annan de procéder à des consultations des deux parties de manière à déterminer comment et où la force (d'interposition) se positionnerait, toutefois, M. Annan a indiqué que l'envoi de troupes internationales était impossible tant qu'Israël en écartait la simple idée.
Les diplomates arabes et palestiniens ont rejeté l'argument selon lequel, avec la reprise de pourparlers de paix à Washington, fût-ce sur une échelle modeste, il serait inapproprié d'insister sur une résolution dont tant Israël que les Etats-Unis ne veulent entendre parler ("anathema"). Plusieurs membres du Conseil ont indiqué avoir pris cette donnée en compte dans leur décision de vote. L'ambassadeur de France à l'ONU, Jean-David Levitte, a déclaré que c'est le calendrier qui ne lui avait pas permis de voter en faveur de la proposition (palestinienne)... Les Pays-Bas et l'Argentine ont fait le même commentaire.
Nasser al-Qidwa, chef de la mission d'observation palestinienne à l'ONU, a déclaré qu'il n'y avait aucune relation entre les événements à Washington et les efforts visant à créer une force de protection (des civils) dans les territoires occupés. Il a exprimé l'avis que le vote avait été retardé déjà trop longtemps. Les Palestiniens avaient espéré obtenir un vote vendredi dernier, mais avaient dû, pour la énième fois, ronger leur frein...
 
5. Etvdes (revue des Pères de la Compagnie de Jésus fondée en 1856) du mois de décembre 2000
Israël Palestine : le gâchis par Joseph Maïla
Comme une frustration rentrée qui s'est longtemps cachée dans les replis de tractations diplomatiques subtiles, comme une confiance déçue qui s'est durablement nourrie de l'inéluctable lenteur du processus de paix, l'explosion de violence en Palestine aura surpris et pris de court. Pourtant, rien n'aurait dû surprendre. Le dernier sommet de Camp David, qui avait réuni le Premier ministre israélien Barak et le Chef de l'Autorité palestinienne Arafat, s'était soldé en juillet dernier par un échec. Nul n'avait cependant pris en compte ce nouvel accident de parcours. Une opinion publique habituée à la dramatisation des échéances et aux arrêts brusques d'une négociation sinueuse, lasse, en outre, de suivre le feuilleton complexe de pourparlers interminables, n'avait pu percevoir la gravité que prenait cette fois la tournure des relations israélo-palestiniennes. En réalité, le vrai problème, nous le signalions (cf. Etudes, juin 2000), ne se situait pas au plan des discussions diplomatiques, mais bien à celui du dangereux malaise qui s'était installé dans les opinions publiques arabes, au fossé qui ne cessait de s'élargir entre les sociétés civiles de la région et leurs dirigeants, et au doute sur les chances d'un règlement négocié du contentieux israélo-palestinien. Le retrait d'Israël du Sud-Liban sous les coups du Hezbollah, en mai dernier, avait montré qu'il existait des voies "payantes", concluantes, autres que la négociation. La normalisation des rapports entre les quelques Etats arabes qui avaient signé la paix avec Israël ou établi des relations diplomatiques et économiques, à modeste échelon, avec lui, ne pouvait faire illusion : elle demeurait fragile. Des comités de boycottage d'Israël dans ces pays s'étaient créés, qui soulignaient le divorce croissant entre une diplomatie soucieuse de "réalisme" régional, surtout sensible aux pressions américaines, et des peuples arabes, le peuple palestinien au premier chef, qui ne voyaient rien se concrétiser des promesses supposées d'Oslo.
La responsabilité du gâchis repose, en tout premier lieu, sur une longue suite de reports d'échéances, une gestion arbitraire d'un agenda diplomatique établi en commun, une intransigeance israélienne face à un pouvoir palestinien mal établi, talonné par des extrémistes qui ne souhaitaient que la rupture du dialogue. Au fil des années de négociation, Israël a fini par apparaître, aux yeux des Palestiniens et des Arabes, en situation de juge et partie. Plus grave encore, le résultat des discussions est décevant. Au bout de sept ans de tractations, les Palestiniens contrôlent de dérisoires poches territoriales sans aucune continuité, qui préfigurent une juxtaposition de points de peuplement qu'il serait bien difficile de nommer Etat. Gaza à moitié concédée, la Cisjordanie aux quatre cinquièmes contrôlée par Israël et Jérusalem-Est entièrement exclue du champ de pouvoir palestinien, sont un bilan très maigre par rapport aux espoirs entrevus et aux "mesures de confiance" laborieusement bâties.
Côté palestinien, les pratiques désastreuses d'un pouvoir embryonnaire et pourtant déjà pléthorique ont sapé le moral des nouveaux citoyens de l'Autorité, tout autant que celui des vieux militants du Fatah. Pire encore, la gestion calamiteuse des attentes d'une indépendance promise par de tonitruantes déclarations pour le 13 septembre dernier, et sèchement abandonnée comme une concession faite à la paix, a grandement discrédité Yasser Arafat. Ce gage des bonnes intentions palestiniennes en direction de chancelleries occidentales courroucées, craignant l'unilatéralisme palestinien plus que la poursuite, non moins unilatérale et insensée, de la construction de colonies en Cisjordanie, paraît dérisoire au regard des illusions entretenues. A coup sûr, la provocation d'Ariel Sharon, se rendant sur l'esplanade des Mosquées, représentait une occasion inouïe pour faire oublier une diplomatie hasardeuse et laisser s'exprimer la colère et l'humiliation.
La réponse israélienne qui fit suite à la révolte nouvelle, ou plutôt renouvelée, des Palestiniens, appartient, elle, à l'ordre de la démesure. Les tirs au fusil mitrailleur, les chars et les missiles, ne sont pas des moyens de maintenir l'ordre : ce sont des instruments de guerre. La réponse aux pierres jetées ne saurait être la mort donnée par le plus puissant arsenal de guerre du Proche-Orient. De plus, rien ne justifie que ce bilan de morts soit dominé par celui des enfants. Et si le déchaînement dont furent victimes des Israéliens apparaît tout aussi inadmissible, c'est sans commune mesure que s'impose la mort donnée par la machine de guerre israélienne. Le plus choquant dans tout cela est sans doute ce qui se donne à voir : une inversion de logique, une disproportion dans la riposte qui tient d'une montée délibérée aux extrêmes, un excès de violence qui excède toute retenue politique, qui déborde tout cadre diplomatique, au point de boucher l'horizon de toute discussion, de signifier l'annihilation de la parole, et comme la fin de tout scénario. Comme si le temps s'était retourné et que, redevenu réversible, il était indicatif de toute la méconnaissance d'hier...
Comment en est-on arrivé à ce déchaînement de violences ? Qu'est-ce qui a rendu possible cette rupture qui revêt tous les signes d'un arrêt ?
En tout premier lieu, la poursuite des implantations en territoire palestinien. Ce "non-dit" d'Oslo - il n'avait pas été formellement explicité dans l'accord du 13 septembre 1993 - aura été à l'origine des multiples soubresauts qu'a connus le processus de paix. A de nombreuses reprises, l'Administration américaine avait pourtant demandé aux deux parties (mais l'admonestation était d'abord à l'adresse d'Israël) de ne rien entreprendre qui puisse menacer le déroulement des négociations. En vain. S'il y a une politique partagée par les gouvernements d'Israël, qu'ils soient de droite ou de gauche, c'est bien celle qui consiste, en toute conjoncture, à poursuivre la colonisation des territoires palestiniens. Yehoud Barak aura construit trois fois plus de logements que Benjamin Netanyahu. En ce sens, on peut dire que la gauche a rivalisé avec la droite pour donner à l'extrême-droite les meilleurs moyens de se développer. L'extension de Jérusalem, l'encerclement des villes palestiniennes, la garde sur le Jourdain, concrétisée par un chapelet de fortins coloniaux, symbolisent cette politique de l'encerclement.
L'encerclement géographique traduisait, à sa manière, un enfermement politique, dans la mesure où, en parallèle, la négociation sur les retraits de l'armée israélienne et le statut final des territoires palestiniens avançaient avec difficulté. Il serait fastidieux de reprendre l'échéancier des retraits prévus (et jamais exécutés) des forces israéliennes de Cisjordanie et de Gaza. Tout se passait comme si la peur de l'Etat palestinien animait les gouvernements d'Israël. La restitution de territoires rendait cette échéance de plus en plus concrète. L'arrêt de la négociation en exorcisait presque l'avènement ou, du moins, repoussait la perspective d'un véritable Etat, flanqué de vrais attributs, doté d'une souveraineté et d'un pouvoir propres. Car, à l'évidence, les formules proposées jusque-là par le Premier Ministre israélien, si elles avaient le mérite de concéder la forme de l'Etat aux Palestiniens, leur en contestaient la réalité. Le débat autour de Jérusalem résume à lui seul la querelle. La capitale voulue par le Palestiniens pour leur futur Etat est à l'opposé de celle que proposent les Israéliens, pour qui la Jérusalem palestinienne se doit d'exister à côté de Jérusalem et non dans Jérusalem. La symbolique des Lieux Saints musulmans, de leur garde, ainsi que le libre accès aux sites de la partie orientale de Jérusalem, représentent pour les Palestiniens la dimension religieuse d'une revendication nationaliste. Sans parler du caractère sacré de l'esplanade des Mosquées, où les Palestiniens se considèrent comme les dépositaires d'une mission à eux confiée par la Umma.
Enfin, comment ne pas voir que l'échec d'Oslo est, d'une certaine manière, l'échec de la communauté internationale ? Non pas, bien évidemment, que la communauté internationale soit directement à l'origine du désordre qui s'est abattu en Terre Sainte - cela serait absurde -, mais qu'en laissant les Etats-Unis conduire les négociations, elle s'exposait à voir triompher une certaine logique sécuritaire pour laquelle les garanties apportées à l'Etat d'Israël et le contrôle du mouvement national palestinien sont à eux seuls susceptibles de mettre un terme au conflit. Du coup, s'estompe le rôle des Nations Unies, invitées ailleurs à enquêter sur les violences et les massacres, à contrôler des cessez-le-feu ou à superviser des trêves, mais exclues en Palestine de toute participation à avancer la paix. Exit, aussi, le rôle de l'Europe, bailleur de fonds, jamais pourvoyeur d'idées ; observateur de l'ombre, jamais acteur. Pourtant, sur la rive orientale de la Méditerranée se joue une part du destin européen.
Faut-il toutefois, pour toutes ces raisons, estimer le processus d'Oslo et ses acquis dépassés ? Au vu de la tragédie qui se déroule actuellement, on pourrait le penser. Comment des partenaires de paix peuvent-ils garder intactes leurs intentions lorsqu'ils en viennent à se tirer dessus, lorsque, en l'occurrence, les polices des deux parties se trouvent impliquées dans les violences, et lorsqu'une armée, celle d'Israël, écrase à coups d'obus de chars ou de missiles héliportés des maisons palestiniennes ? Qu'est-ce qu'un processus de paix qui fait plus de cent morts en un mois, pour la plupart des enfants ? Quel avenir se prépare-t-on, quand ceux-là mêmes qui le représentent sont tués ?
Ces questions, qui sont de crainte et de doute, appellent pourtant des réponses nuancées. Toute solution qui ne serait pas concertée conforterait chacune des parties dans ses certitudes. Elle aboutirait inéluctablement à la fin du processus d'Oslo, non par opposition et conflit, mais par séparation et différenciation. Car la tentation existe que chacun des peuples en arrive à envisager son avenir en rupture avec l'autre. Dès lors prendrait corps une partition du territoire qui renverrait chacun dans ses terres, développant une "ségrégation" entre les deux sociétés, la hafrada, brandie dans certains milieux israéliens, qui tournerait définitivement le dos à la paix, à l'interaction, et alimenterait, à n'en pas douter, les guerres du futur.
Y a-t-il d'autre possibilité que de renouer le dialogue là où il a été stoppé, c'est-à-dire au point de jonction entre la nécessaire sécurité des uns et le besoin vital d'indépendance des autres ? A moins de s'exposer à d'autres faux-fuyants, qui sont autant de motifs de guerre, ou à d'autres colères, qui sont le lot de ceux que l'Histoire ne parvient pas à consoler.
Etvdes - 14, rue d'Assas - 75006 Paris
 
6. Ha'Aretz (quotidien israélien) du mardi 19 décembre 2000
Un responsable de la police palestinienne tué dans une explosion par Amos Harel et Amira Hass [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Le commandant de la police Palestinienne pour Gaza, Abd al-Mu’ti Sabawi, a été tué hier dans une explosion survenue dans la bande de Gaza.
M. Sabawi, 54 ans, était l’adjoint de M. Razi Jibali, chef de la police palestinienne. Il était chargé de la division opérationnelle de la police, ainsi que de l’unité des sapeurs. L’explosion s’est produite au sud de l’implantation de Dugit, où les forces de sécurité palestiniennes tiennent un poste de contrôle.
D’après le témoignage de M. Jibali, M. Sabawi aurait été tué alors qu’il tentait de désamorcer une bombe qui avait été lancée en direction du territoire palestinien. Toutefois, les sources de l’armée israélienne ont indiqué que ni les forces armées israéliennes de défense, ni les services de sécurité (Shin Beit) n’avaient un quelconque rapport avec l’incident. M. Sabawi aurait été soit victime d’un accident, ou aurait été tué alors qu’il tentait de fabriquer un engin destiné à être utilisé contre les Israéliens, avancent les mêmes sources.
Deux Israéliens ont été légèrement blessés, hier, par des éclats de verre, lors de tirs essuyés par un bus sur la route de contournement de Jéricho. Après cet incident, les forces de sécurité (israéliennes) ont décidé de maintenir le blocus de Jéricho, qui avait été décrété, il y a dix jours de cela, après que le sergent Tal Gordon ait été tué par un tir.
A noter également, des tirs intenses contre la colonie de Psagot, à proximité de Ramallah, la nuit dernière. Les tirs provenaient de différents endroits, et étaient d’une intensité telle que, pour la première fois, les forces armées de défense israélienne ont été contraintes de procéder à l’évacuation temporaire de certains des colons pour les mettre à l’abri. Les soldats israéliens ont répliqué. Au cours de la journée précédente, les Palestiniens avaient tiré contre une voiture israélienne sur la route desservant cette même colonie.
Les Palestiniens ont tiré également sur un poste temporaire de l’armée israélienne à Gaza, à proximité de la frontière avec l’Egypte, et contre des hommes du génie qui travaillaient dans les environs. Les soldats israéliens ont répliqué, blessant un Palestinien. Un autre Palestinien a été blessé près de la ligne verte, hier, alors que quatre Palestiniens tentaient de pénétrer en Israël en forçant une barrière : les soldats israéliens ont alors ouvert le feu.
Le corps d’un activiste du Fatah a été retrouvé, dimanche dernier, à proximité du camp de réfugié de Nur al-Shams, près de Tulkarem. D’autres activistes du Fatah ont accusé des Palestiniens collaborant avec Israël de l’avoir assassiné. Rashid Haroun, 34 ans, n’avait pas reparu depuis vendredi. Les Palestiniens ont arrêté un suspect.
Reuters a rapporté hier que deux autres enfants palestiniens, âgés de 3 et de 12 ans, ont été touchés aux jambes par des balles recouvertes de caoutchouc, durant des affrontements entre Palestiniens et forces de sécurité israéliennes à Qalqiliyah.
Un autre enfant, Ali Jamil Khalil, âgé de 12 ans, de Silat ad-Dahar, région de Jenin, est encore en soins intensifs après avoir été atteint par une balle tirée par les soldats israéliens dimanche dernier.
Les forces israéliennes de sécurité ont levé hier le blocus du village de Koshin, au nord-ouest de Naplouse, et elles envisagent de faire de même à Qalqiliyah, ce jour.
 
7. Le Monde du mardi 19 décembre 2000
Israël-Palestine : le choc des perceptions
par Mouna Naïm
LA DÉMISSION surprise d´Ehoud Barak et l´approche des élections législatives anticipées en Israël n´y changent rien : le futur premier ministre aura fort à faire pour que la paix puisse être conclue entre Palestiniens et Israéliens. Même si le ministre israélien des affaires étrangères, Shlomo Ben Ami, a pu annoncer la semaine dernière, après un entretien avec Yasser Arafat, le président de l´Autorité palestinienne, une reprise prochaine des contacts entre les deux parties, la tâche sera rude, tant les positions, et les perceptions, paraissent éloignées.
Du moins est-ce la conclusion qui s´imposait à l´issue d´un débat organisé samedi 9 décembre par France-Culture, sur le thème : « Israël-Palestine, pour une paix viable ». En dépit d´une volonté commune de voir les négociations reprendre le plus rapidement et malgré des convergences de vues, les participants, israéliens et palestiniens, mais aussi français, ont une lecture divergente de la nouvelle Intifada, du sommet de Camp David et des conditions de la reprise des pourparlers. En revanche, ils sont tous d´accord sur la nécessité de démanteler les colonies de peuplement israéliennes en territoires palestiniens.
Pour tous, l´acquis irrévocable des accords d´Oslo est la reconnaissance mutuelle qui a mis fin à un « déni d´existence réciproque » entre Israël et l´OLP, comme l´a souligné d´entrée de jeu Elias Sanbar, directeur de la Revue d´études palestiniennes. « Oslo a [aussi] mis fin à la politique du tout ou rien tant du côté palestinien que de la grande majorité des Israéliens », a noté Zeev Sternhell, historien et professeur à l´Université hébraïque de Jérusalem.
Mais, dans la pratique, loin de préparer le terrain à un accord définitif entre Palestiniens et Israéliens, comme ils étaient supposés le faire, les accords d´Oslo ont été pervertis parce que « leur logique n´a pas été respectée », a avancé Alain Dieckhoff, directeur de recherches au CNRS. Signés par des politiques, les accords d´Oslo, a plaidé Camille Mansour, professeur à l´Institut d´études politiques et ancien professeur à l´université de Bir Zeït, ont été dénaturés dès lors que leur application a été confiée par Israël à des militaires, avec, pour unique objectif, la sécurité de l´Etat hébreu conçue à court terme, alors que la seule vraie sécurité est tributaire d´un accord de paix. Oslo est caduc, a plaidé Eric Rouleau, ancien ambassadeur de France, parce qu´il portait en lui « deux anomalies qui le condamnaient à l´échec » : la première tient à une situation unique, « occupants et occupés négociant sur un même territoire », dont l´occupant contrôle tous les accès et les clefs de fonctionnement ; ensuite, les pourparlers se déroulent « sous le patronage exclusif des Etats-Unis », un « allié inconditionnel et stratégique d´Israël, [ce qui] aggrave le déséquilibre ».
Pour Alain Dieckhoff, Oslo a fait son temps, parce que la « logique de réciprocité » qui y était contenue et qui « implique que les Palestiniens aient un Etat » a été « malmenée, dénaturée et altérée ». Les raisons, a-t-il dit, en sont conjoncturelles, mais aussi structurelles, en particulier la poursuite de la colonisation, qui rend « l´Etat palestinien virtuel de plus en plus contracté,sa continuité territoriale finissant peu à peu par disparaître dans la réalité du terrain ».Et, tandis que pour les Israéliens « la paix était assez largement bénéfique », la société palestinienne ne voyait, elle, que « les effets négatifs » d´une « paix chaotique ».
Pour tous, la négociation doit reprendre, mais sur de nouvelles bases : elle doit être internationalisée dans la forme – les Etats-Unis ne doivent pas en être les seuls médiateurs – et le contenu – par un retour à la résolution 242 du Conseil de sécurité –, a estimé M. Mansour. Elle doit conduire à la « réconciliation » entre les deux peuples, et pour cela « tous les abcès doivent être crevés », y compris « celui de 1947 », c´est-à-dire les conditions de la création de l´Etat d´Israël, a dit M. Sanbar. La négociation devra impérativement inclure la question des colonies, élément « central » du dossier, a souligné M. Dieckhoff.
Du côté israélien, Zeev Sternhell pas davantage que Jacques Refah, chargé d´affaires à l´ambassade d´Israël en France, ou Claude Klein, juriste et professeur à l´Université hébraïque de Jérusalem, ne se sont prononcés sur la conduite des futures négociations. Pour eux, elles doivent et peuvent reprendre à condition que les choses se décantent et que le calme revienne.
EMBRASEMENT INÉLUCTABLE
Pour la majorité des participants, la nouvelle Intifada était inscrite dans les faits, tant il est vrai que la perpétuation de l´occupation sous différentes formes, les manquements aux accords conclus et les conditions de vie difficiles rendaient l´embrasement inéluctable. L´Intifada, a dit Leïla Shahid, déléguée générale de Palestine en France, était « un message (…) destiné à mettre fin à la cécité des Israéliens, qui refusent aux autres ce qu´ils revendiquent pour eux-mêmes ». Le « message » n´a visiblement pas été reçu en Israël, où, selon Zeev Sternhell, l´Intifada a engendré « un sentiment de défaite ou de déception très profond » : elle traduit « le retour, du côté palestinien, à la politique du tout ou rien », au moment, a-t-il dit, où « la grande masse des Israéliens » acceptent aujourd´hui ce qui était « inacceptable il y a quelques années », c´est-à-dire la fin de l´occupation et la paix avec les Palestiniens.
Dans le même ordre d´idées, Claude Klein, mettant l´accent sur le « désarroi » de l´opinion publique israélienne, a assuré que l´idée d´un État palestinien était désormais acquise en Israël. Et, a-t-il dit, pour « 95 % des Israéliens », la nécessité du démantèlement des colonies est également une idée acquise. « Il n´y a pas [en Israël] de public moins légitime que les colons », a-t-il souligné, mais « la raison profonde de la difficulté à avancer est l´idée, chez la plupart des Israéliens – et j´espère qu´elle est fausse –, que les Arabes ne nous ont pas acceptés, ne nous acceptent pas. Dès lors, peu importe les concessions. Ça ne sert à rien. Ce qu´il faut c´est tenir, quelques mois, quelques années ». Les colonies sont « un malheur, un désastre », a renchéri M. Sternhell. Mais leur démantèlement amènera Israël « très près de quelque chose qui ressemble à une petite guerre civile ». Il ne pourra donc se faire que si la société israélienne est convaincue d´avoir « un partenaire qui veut prendre lui aussi ses responsabilités ».
Concédant que M. Barak n´a peut-être pas fait preuve d´un grand savoir-faire politique lors du sommet de Camp David, tous deux ont estimé qu´il était allé bien au-delà de l´opinion publique israélienne et que les Palestiniens ne l´ont pas aidé à réussir. Ce à quoi leurs vis-à-vis ont répondu que la direction palestinienne n´avait pas vocation à sauver un premier ministre israélien, mais à défendre les droits de son peuple : en l´occurrence, les propositions de M. Barak étaient bien en deçà de ces intérêts et revenaient à morceler l´Etat palestinien en trois, voire quatre parties.
 
8. Al-Nahar (quotidien libanais) du lundi 18 décembre 2000
Négocier ? Ça n'est pas le moment !
par Ali Hammadeh [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Le retour à la table des négociations palestino-israéliennes en ce moment précis ne pourrait être justifié que dans deux cas. De deux choses, l'une :
a/ soit la position israélienne fondée sur les "arrangements" de Camp David a évolué vers un Camp David + comportant une solution satisfaisante pour les Palestiniens, en matière de Jérusalem, à savoir leur souveraineté sur la Vieille Ville, exceptés le Mur des Lamentations (Al-Buraq) et le Quartier juif (à l'origine, Quartier des Maghrébins), avec l'affirmation du droit au retour total aux territoires de 1967 et d'un retour partiel aux territoires de 1948 ;
b/ soit la position de principe palestinienne a été ébranlée à Camp David, à quoi s'ajoute le fait que les Palestiniens auraient accepté un marchandage entre une souveraineté palestinienne limitée sur les Lieux Saints musulmans et chrétiens, avec l'abandon du Quartier juif et du Quartier arménien (de Jérusalem), un ajournement de l'étude du problème des fouilles (israéliennes) au-dessous de l'esplanade des Mosquées, que les Israéliens appellent "le Mont du Temple", en contre-partie, d'autre part, de l'abandon par les Palestiniens du droit au retour sur les terres de 1948, et d'une limitation apportée au maintien de colonies israéliennes sur les territoires (occupés) de 1967.
Quoi qu'il en soit, la partie palestinienne ne peut compter sur les propositions américaines tendant à suggérer qu'il existerait une certaine souplesse israélienne, tout-à-fait nouvelle, offrant une occasion "en or" que l'Autorité palestinienne ne devrait surtout pas laisser lui échapper, de peur que l'extrémisme ne se déchaîne, de part et d'autre, afin de marquer des points. Sinon, Barak pourrait laisser la place à un Netanyahu ou un Sharon, Arafat pourrait s'effacer, abandonnant la scène à un Shaykh Ahmad Yasin, et à des leaders de l'intifada, du Fath, de la jeune génération ou de la génération précédente ayant évolué, détenteurs réels des clés de la rue palestinienne...
Le problème étant qu'aucun miracle ne saurait être produit par Washington ou le président au mandat finissant, Bill Clinton, en matière de processus israélo-palestinien. En effet, la paix sous l'intifada, n'est pas la paix d'avant l'intifada, et la deuxième intifada diffère de la première. Les négociations ou les accords intérimaires ne sont plus possibles sur fond d'embrasement de la confrontation sur les points à l'ordre du jour d'un accord définitif. La scène appartient aujourd'hui aux causes de Jérusalem, de l'eau, des réfugiés, des frontières et des implantations, et il n'est plus possible d'en ajourner aucune. Il est clair que le Barak d'après l'intifada n'est plus le Barak d'avant l'intifada et que ce qu'il pouvait offrir en fait de bouquet de propositions acceptables par les Palestiniens n'est plus réaliste, aujourd'hui, à l'ombre de sondages répétés qui donnent à Netanyahu une avance écrasante (dans les élections) sur le premier ministre démissionnaire.
Ce qui est notable, dans le contexte d'un possible retour aux négociations et de préparatifs des deux parties à se rendre à Washington pour y tenir une nouvelle conférence tripartite, c'est le fait que le "mécano" de "la percée", le président égyptien Husni Mubarak, s'est empressé d'indiquer, hier, que la question de Jérusalem dépassait (les compétences) du seul négociateur palestinien, car elle concernait l'ensemble des Musulmans et des Chrétiens, tandis que le Liban s'empressait, par la bouche de son président, Emile Lahud, d'élever la voix face au danger d'abandon du droit au retour des réfugiés (palestiniens), fût-ce en échange de concessions plus favorables aux Palestiniens dans le dossier de Jérusalem... Nous tenons à rappeler, ici, que la question de Jérusalem, qui a fait éclater Camp David, l'été dernier, ne saurait, en dépit de son importance capitale, masquer celle des réfugiés ou, pour être précis, de leur droit au retour, d'autant plus que nous parlons, en l'occurrence, d'une population concernée qui dépasse les quatre millions de personnes. Si une avancée se réalise, dans le dossier de Jérusalem, au détriment des réfugiés, la prochaine explosion ne manquera pas de provenir de ce dernier dossier épineux et explosif, s'il en est : en tout cas, au moins aussi explosif que le dossier de Jérusalem. Que pourrait dire Arafat aux millions de réfugiés, au moment-même où est "régularisée" la situation des plus grandes implantations en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ?
Ça n'est certainement pas le moment de négocier, et ça ne le sera pas tant que les Etats-Unis seront incapables d'impulser une avancée fondamentale dans les propositions israéliennes. Par conséquent, des négociations, quelques négociations que ce soient, menées sous la menace du retour aux affaires de l'épouvantail-Benjamin Netanyahu, ne pourraient que faire le lit d'une crise future qui ne manquerait pas d'éclater après qu'ait avorté l'intifada, qui reste la conquête essentielle sur laquelle il faut (maintenant) parier et dont il faut tirer profit. A cette fin, nous devons cesser de redouter l'extrémisme israélien, qui ne saurait en rien représenter une solution pour la crise interne israélienne, qui est de nature existentielle.
La position du président de la république libanaise peut représenter un prolégomène au renforcement de la position du négociateur palestinien en matière (d'exigence) du droit au retour (des réfugiés). Nous posons la question : qui garantira la sécurité des frontières libano-israéliennes si les réfugiés palestiniens décident de retourner sur leurs terres de force ? Vous souvenez-vous de qui a posé cette question, il y a quelques mois ?
 
9. Al-Nahar (quotidien libanais) du lundi 18 décembre 2000
Au milieu de pronostics contradictoires sur la période post-électorale aux Etats-Unis et en Israël, le Liban ne pourra pas résoudre ses problèmes avant la réalisation d’une paix globale par Emile Khoury [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Un ministre (libanais) généralement réaliste a dit récemment qu’il ne voyait pas le Liban revenir à une situation normale sur les plans sécuritaire, politique, économique, financier, ni même sur celui de la souveraineté, tant qu’une paix ne sera pas instaurée dans la région, qui soit à la fois globale et juste. En effet, sans une telle paix, le Liban éprouvera les plus grandes difficultés à attirer les investisseurs, tant que la situation dans le Sud, en dépit du retrait israélien, ne sera pas celle d’un calme et d’une stabilisation durables et solides, tant que la résistance continuera à jouer son rôle (jusqu’à ce que soit obtenu le retrait israélien des fermes de Shebaa et que les prisonniers libanais soient libérés des geôles israéliennes) et tant que l’armée libanaise ne pourra se déployer tout au long de la frontière avec Israël, en signe de clôture du dossier "Sud", en certification du recouvrement d’une sécurité pérenne et continue dans la région, qui est aussi celle de la fin du rôle joué par la résistance.
Le désarmement des camps palestiniens s’avérera également difficile, tout comme la mise d’un terme à l’existence d’îlots sécuritaires au Liban, dans lesquels se réfugient des gens recherchés par la justice, tant que ne sera pas réglée la question des réfugiés palestiniens sur la base de la mise en application de la résolution 194, qui garantit leur droit au retour ou l’indemnisation de ceux qui ne désirent pas retourner dans leurs foyers d’origine.
Il sera très difficile aussi de désarmer le "Hizbollah", ainsi que tous les groupes armés, à quelque mouvance ou à quelque secte ils appartiennent, tant que les causes de leur armement et de l’usage qu’ils en font en cas de besoin perdureront, tant que ne seront pas appliqués les accords de Taëf, qui stipulent la dissolution de toutes les milices libanaises ou autres et la remise par celles-ci de leurs armes à l’Etat libanais. De même, il sera difficile d’exiger de la Syrie qu’elle retire complètement ses troupes du Liban si Israël ne se retire pas du Golan et tant que la Syrie et le Liban n’auront pas signé d’accord de paix avec Israël.
De même, il sera difficile d’admettre le retour du général Michel Aoun au Liban et la poursuite de son activité politique et l’amnistie du Dr Samir Gea’gea’, tant que les troupes syriennes ne se seront pas retirées complètement du Liban, chose qui ne sera possible qu’après qu’Israël se soit retiré du Golan et qu’une paix dans la région ait été signée.
C’est pourquoi la question sur laquelle les réponses divergent tant est : une paix globale est-elle possible dans la région, et si oui, quand, afin que le Liban connaisse le retrait des forces syriennes de son territoire et des forces israéliennes des fermes, libanaises, de Shebaa, que les prisonniers libanais soient libérés des prisons et des camps israéliens, que la question des réfugiés palestiniens trouve une solution par la garantie de leur retour à leurs villages, afin qu’il soit possible de détruire les camps de réfugiés et d’en éliminer les armes ?
Lahud est optimiste
Le président Lahud est quasiment le seul à escompter des développements régionaux importants d’ici une huitaine de mois, soit au début de l’été prochain, qui seraient de nature à renforcer les chances de la conclusion d’une paix globale et juste dans la région : il considère que l’élection de George Bush junior à la présidence des Etats-Unis est de nature à redonner espoir en un manière nouvelle pour ce pays d’appréhender le processus de paix, dans un sens favorable à un règlement global et équitable.
Le président Lahud considère que la paix est impossible dans la région si le Golan n’est pas restitué à la Syrie, si le retour des réfugiés palestiniens sur leurs terres n’est pas assuré, car la naturalisation au Liban des réfugiés palestiniens serait de nature à remettre en cause toute possibilité de trouver une issue positive au processus israélo-libanais, il insiste également sur la nécessité de permettre aux Palestiniens de proclamer leur Etat indépendant, ayant Jérusalem pour capitale.
Le président Lahoud avait prévu le retrait des forces israéliennes du Sud et de la Beqaa occidentale sous les coups portés par la résistance, alors que la majorité des observateurs rejetaient cette hypothèse et s’attendaient au déclenchement d’un affrontement militaire, en se basant sur la conviction qu’Israël ne céderait pas et ne se retirerait pas sous la pression de la résistance.
Et, tandis que le président Lahud insistait sur la nécessité que le retrait israélien du Sud Liban et de la Beqaa occidentale soit total, jusqu’aux frontières libanaises reconnues internationalement, et sur le refus du redéploiement des forces internationales avant que ce retrait israélien soit effectif et qu’aient cessé toutes les violations israéliennes de ces frontières, certains le blâmaient pour cette fermeté de principes, de crainte qu’elle n’entraîne un différent, voire une confrontation politique, avec l’ONU, qui n’aurait pas été de l’intérêt du Liban, le résultat de sa fermeté avait été la récupération de millions de mètres carrés de terre libanaise, qu’Israël occupait, en dépit d’une proclamation du secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, dans laquelle il annonçait le retrait israélien du Sud-Liban, en conformité avec la résolution 425. Il s’était rendu compte, par la suite, de l’erreur qu’il avait commise en publiant ce communiqué par trop hâtif.
Le président Lahud s’attend à ce que l’intifada palestinienne en Cisjordanie et à Gaza réalisera ce que la résistance a pu réaliser au Sud Liban : Israël se retirera des territoires palestiniens d’où il doit se retirer conformément à la résolution 242, tout comme il a été contraint de se retirer du Sud Liban, en application de la résolution 425.
Le président Lahud affiche un certain optimisme quant à la possibilité de la reprise du processus de paix dans la région. Il pense également que la nouvelle administration américaine ne tardera pas à s’atteler au dossier de la paix au Moyen-Orient, et il espère qu’elle jouera un rôle effectif et qu’elle se comportera en intermédiaire équitable entre les parties concernées, à la recherche d’une paix globale et juste.
Mais certains milieux politiques ne partagent pas les attentes du président Lahud quant à la réalisation de la paix dans la région d’ici huit mois. Ces milieux fondent leur pessimisme sur deux facteurs : le premier est le fait qu’il faudra un certain temps au président Bush pour pouvoir se consacrer au dossier de la paix dans la région, car il aura vraisemblablement d’autres priorités. Ceci, en faisant abstraction du "lobby juif" qui a soutenu Al Gore aux présidentielles sans pouvoir garantir son succès, et qui ne facilitera sans doute pas la tâche du président Bush voire, qui exercera sur lui certaines pressions pour l’amener, tout du moins durant la première année de son mandat, à se désintéresser de la question, à moins qu’il ne l’envisage sur des bases différentes de celles que son père avait définies à Madrid, en tant que président des Etats-Unis. Le second facteur est lié au choix du nouveau premier ministre israélien, choix que doivent fixer les élections prochaines, et à sa capacité à aller de l’avant, vers la réalisation d’une paix globale et équitable, compte tenu de la composition actuelle de la Knesseth. Le problème réside en effet moins dans la personne du premier ministre que dans la composition du parlement israélien, où des petits partis minoritaires, parmi lesquels des partis extrémistes-religieux, exercent leur diktat sur les partis majoritaires, paralysant leurs avancées en direction de la paix. Si des élections législatives, en Israël, n’amènent pas au pouvoir une majorité désireuse de paix, le chemin vers cette dernière restera ardu et peu sûr.
 
10. Le Monde du dimanche 17 décembre 2000
La terre et la paix (éditorial)
La terre, comme enjeu et symbole. C´est avant tout d´elle qu´il s´agit dans l´interminable conflit israélo-palestinien. La terre conquise, occupée, fractionnée. « On ne fait pas la paix en coupant la Palestine en morceaux. » Cette formule du romancier israélien David Grossman résume la contradiction majeure qui a miné le processus d´Oslo, qu´Israéliens et Palestiniens tentent aujourd´hui de ranimer. Elle éclaire aussi la colère dont se nourrit la révolte des Palestiens, qui, en douze semaines, a déjà fait quelque trois cents morts (essentiellement parmi eux).
Hostile à un Etat palestinien – et logique avec elle-même –, la droite israélienne n´a cessé d´encourager depuis trente ans l´« annexion rampante » de la Cisjordanie, en créant des « faits accomplis ». La méthode était toujours la même : quelques caravanes sur une crête, un réservoir d´eau, un drapeau israélien, une route, et une nouvelle colonie voyait le jour. L´objectif était avoué : transformer la Cisjordanie en une « peau de léopard » inapte à devenir un Etat viable. Les accords d´Oslo induisaient une logique contraire : « geler » la colonisation, annexer à Israël quelques gros blocs d´implantations, et évacuer les autres, afin de favoriser un partage équitable de la terre.
Cette stratégie n´est pas entrée dans les faits. Le premier ministre travailliste Ehoud Barak – aujourd´hui démissionnaire – avait promis de décourager les colons. Il n´a pas tenu parole. De « nouveaux sionistes », souvent fraîchement débarqués d´Amérique, avec en tête de fous rêves messianiques, ont occupé de nouvelles collines. Pour relier ces familles au réseau des implantations existantes, l´armée a continué de confisquer des terres, de construire des routes, de détruire des vergers, d´arracher des oliviers. Ainsi, en même temps qu´il faisait courageusement, à la table de négociation, des offres sans précédent – sur les frontières ou sur Jérusalem –, le gouvernement israélien laissait s´installer de nouveaux colons ayant pour raison d´être de faire obstacle à la paix. En même temps qu´il se proclamait l´avocat d´un compromis territorial généreux, il le rendait plus compliqué, voire infaisable.
Pas plus que ses prédécesseurs travaillistes Shimon Pérès et Itzhak Rabin, Ehoud Barak n´a osé démanteler la moindre implantation. Pour des motifs politiciens : ne pas s´aliéner les nationalistes et les extrémistes religieux indispensables à toute majorité parlementaire. Pour des raisons tactiques : conserver le maximum d´espace dans la perspective de l´ultime marchandage. Mais aussi par crainte du traumatisme national qu´entraînerait l´éviction des colons, et à cause, enfin, d´une vieille fidélité au sionisme pionnier dont se réclame encore la gauche.
Or, aucune paix ne sera juste ni durable sans l´évacuation préalable de ces colonies qui brisent l´unité territoriale du futur Etat palestinien. Un autre écrivain israélien, Avraham B. Yehoshua, exhortait récemment les colons à faire preuve d´« audace » et de « raison » en « revenant sur la terre d´Israël »(celle d´avant 1967). L´arrêt des implantations, l´abandon d´une mentalité coloniale ne suffiront pas à faire la paix. Mais ils en sont la condition nécessaire et préalable.
 
11. Tageblatt (quotidien luxembourgeois) du vendredi 15 décembre 2000  
Observateurs et paix au menu des discussions Arafat-Védrine
Les Palestiniens ont insisté jeudi sur le déploiement d'observateurs internationaux tout en s'affirmant "prêts" à reprendre les négociations de paix lors d'une rencontre à Gaza entre le président Yasser Arafat et le ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine.
Le chef de la diplomatie française, qui effectue une tournée au Proche-Orient au nom de la présidence de l'Union européenne a indiqué qu'il était venu pour "avoir une analyse directe de la part des responsables, au plus haut niveau, sur la situation actuelle, sur l'état de la tragédie et sur la façon d'en sortir".
Les Palestiniens ont mis en avant la question du déploiement d'une force d'observateurs et souhaité que la France, et l'Europe, soient plus actives sur cette question.
Le ministre palestinien de la Coopération internationale Nabil Chaath, qui a participé à l'entretien entre MM. Arafat et Védrine, a souligné "la nécessité absolue de constituer une force d'observateurs pour assurer la protection de la population palestinienne".
De son côté, le ministre de l'Information Yasser Abed Rabbo, également présent à la réunion, a indiqué à l'AFP que les Palestiniens "voulaient une position claire (de l'Europe et de la France) sur la question des observateurs".
"Nous ne voulons plus entendre que les Etats-Unis ne l'acceptent pas ou qu'Israël n'aime pas cette idée, cela nous le savons déjà", a-t-il ajouté.
Une proposition franco-britannique est actuellement en discussion au sein du Conseil de sécurité de l'ONU. Mais la France a indiqué qu'il était prématuré de passer à un vote, étant donné le désaccord américain, et leur possible veto, sur les formules proposées.
La reprise des négociations était également au centre des discussions.
A cet égard, M. Védrine a estimé que "l'absence de processus est en soi un facteur de tension, d'inquiétude, et d'angoisse".
Les Palestiniens sont "prêts" à reprendre les négociations, a déclaré M. Chaath.
"Mais le temps est court et limité", a-t-il ajouté, en allusion au mandat du président américain Bill Clinton, qui prend fin le 20 janvier, et que les deux parties perçoivent quasiment comme une date-butoir pour renouer le dialogue.
De plus, "Barak n'a pas agi comme quelqu'un qui veut relancer les négociations", a-t-il poursuivi. "Il n'utilise pas les possibilités qui lui sont offertes pour mettre fin à l'état de siège, aux tueries quotidiennes, et à la grande vague de colonisation" des territoires palestiniens, a ajouté M. Chaath.
En coulisse, se sont renouées des discussions à différents niveaux, entre Israël et les Palestiniens, mais également avec des tierces parties comme les Etats-Unis, sur une reprise des négociations, a-t-on affirmé de source européenne.
"Des contacts discrets ont repris entre Palestiniens et Israéliens sur les sujets les plus sensibles comme Jérusalem et les réfugiés", a indiqué à l'AFP un diplomate européen, qui a requis l'anonymat.
Selon lui, M. Barak serait prêt à faire encore plus de concessions sur le statut de Jérusalem, et exigerait une plus grande "souplesse" des Palestiniens sur la question des réfugiés.
"C'est loin d'être gagné", a-t-il cependant estimé.
Un haut responsable palestinien, qui a requis l'anonymat, a qualifié lui ces rencontres de "ballons d'essais".
M. Védrine doit se rendre dans la soirée à Tel-Aviv pour y rencontrer le ministre israélien des Affaires étrangères Shlomo Ben Ami et s'entretenir vendredi matin avec le Premier ministre démissionnaire Ehud Barak, avant de s'envoler pour Amman.
 
12. Le Figaro du mercredi 15 décembre 2000
Barak : l'élection doit être "un référendum pour la paix" propos recueillis à Jérusalem par Charles Lambroschini et Pierre Prier
Après seulement 18 mois au pouvoir, le premier ministre israélien démissionne pour être candidat à sa succession. Il revient sur son geste et explique au Figaro sa position sur les prochaines élections, l'intifada et la paix. Entretien exclusif.
- LE FIGARO – Monsieur le Premier Ministre, pourquoi avez-vous démissionné ?
- Ehud BARAK – Israël vit une situation d'urgence. Mais la Knesset est en pleine confusion: elle ne parvient pas à décider si elle veut ou non aller aux élections. Notre nouveau système constitutionnel distingue, d'une part, le premier ministre, élu seul au suffrage universel direct, et d'autre part, les parlementaires, désignés à l'issue d'élections générales. Or, pour moi, le véritable enjeu politique est d'obtenir le renouvellement du mandat personnel que les électeurs m'avaient accordé il y a dix-huit mois. L'impasse actuelle a une explication très simple: j'ai été élu sur un programme de paix avec une majorité très importante, mais la paix n'a pas de majorité à la Knesset. Du coup, je me retrouve prisonnier d'un système politique bizarre, car il paralyse un premier ministre directement issu de la volonté du peuple. Pour sortir de cette impasse, il faut une solution radicale. J'ai démissionné pour que l'élection soit un référendum sur la paix.
- Selon vos adversaires, cette démission n'est qu'un alibi pour empêcher Bibi Netanyahu de se présenter contre vous. N'étant plus député, il n'a pas le droit d'entrer dans la course. Il ne pourrait le faire que dans deux hypothèses: si la Knesset change la loi pour lui permettre de se présenter; si la Knesset se saborde et décide des élections générales. Que répondez-vous aux soupçons de vos adversaires ?
- Je vous dirai deux choses. D'abord, que la Knesset, comme vous le remarquez vous-même, est libre de déclencher des élections générales auxquelles Netanyahu pourrait participer sans violer la Constitution. Deuxièmement, je suis prêt à appuyer tout amendement à la loi qui autoriserait Netanyahu à se joindre à la compétition pour le poste de premier ministre.
- Quelles différences fondamentales vous séparent de Netanyahu ?
- Nous avons en commun de vouloir, pour Israël, la paix dans la sécurité. Mais je préfère une stratégie qui pousse Israël à aller de l'avant, à prendre des initiatives avec détermination, au lieu de simplement attendre que quelque chose se passe. Je suis convaincu que la passivité, même camouflée en doctrine, ne peut que finir en désastre. C'est pourquoi je préconise l'activisme: je veux que les Israéliens parviennent à se «désengager» des Palestiniens. Pour trouver une solution au conflit israélo-palestinien, nous devons changer totalement de perspective. Entre Netanyahu et moi, il y a aussi une grande différence de conception du leadership. Contrairement à lui, je veux m'attaquer aux problèmes de la société israélienne. Je crois à une approche différente des citoyens: je veux être franc et ouvert, je veux gouverner de façon propre.
- Vos différences ne se ramènent-elles pas à une opposition gauche-droite que l'on croyait disparue de la vie politique israélienne ?
- A l'occasion de cette nouvelle intifada, Israël a été obligé d'ouvrir les yeux. Ce fut très pénible. Les gens de gauche ont soudain constaté que leurs partenaires, leurs voisins, leurs concurrents, en un mot les Palestiniens, ne correspondaient pas du tout à l'idéal que la gauche s'en faisait. Quelle découverte! Les Palestiniens ne sont pas comme la gauche veut qu'ils soient. Dans le même temps, la droite a été obligée de se résigner à l'idée que tout accord doit aussi être signé par l'adversaire, qu'il est donc inutile de s'entêter sur un objectif utopique. La droite a fait la même découverte que la gauche: la réalité est bien plus pénible que le rêve. Ces révélations ont plongé les deux principaux blocs politiques d'Israël dans une même déception, et je pense que cette expérience les a fait mûrir.
- La réforme constitutionnelle, qui a permis l'élection directe du premier ministre, avait pour but de renforcer la légitimité du premier ministre vis-à-vis des partis et de faciliter la formation d'une majorité gouvernementale. Mais les premiers ministres ainsi désignés n'ont guère eu de raison de s'en féliciter: au lieu de durer quatre ans, Netanyahu n'a duré que trois ans, et vous démissionnez après seulement 18 mois au pouvoir. Ne faudrait-il pas profiter de la crise actuelle pour aller encore plus loin et supprimer le scrutin proportionnel intégral au profit de la règle majoritaire ?
- Je regarde vers l'avant, pas vers l'arrière. Les juristes sont partagés. Quant à moi, je pense qu'il vaut mieux corriger les défauts actuels que revenir à l'ancien système. Ainsi, j'entends dire qu'il faudrait relever la barre pour le nombre de voix autorisant l'entrée d'un parti à la Knesset. Aujourd'hui, le minimum requis est de 1,5%; certains experts préconisent 3%.
- D'ici aux élections, avez-vous le temps de réussir ce que vous avez manqué, l'été dernier, à Camp David, c'est-à-dire la signature d'un accord avec Yasser Arafat ?
- Honnêtement, je ne sais pas. Nous ne pouvons pas nous permettre de fixer une date limite à la signature d'un accord. Cela signifierait que nous voulons un accord à tout prix. Or, aujourd'hui, nous nous concentrons sur la nécessité de réduire la violence, et donc sur la mise en application des décisions qui avaient été annoncées cet été à Charm el-Sheikh. Toutefois, nous maintenons le contact avec les Palestiniens. Qu'une ouverture se produise, et les Israéliens seront immédiatement prêts à reprendre la négociation.
- Aujourd'hui, avez-vous des contacts avec les Palestiniens ?
- Oui, puisque ces contacts ont lieu en permanence. Mais dans ces échanges, nous traitons surtout des moyens de réduire la violence et de rétablir la coopération contre le terrorisme. Nous attendons de Yasser Arafat qu'il exerce son influence pour arrêter la violence, et donc pour remettre derrière les barreaux les terroristes qu'il avait libérés ces dernières semaines.
- Yasser Arafat fait-il des efforts pour réduire la violence ?
Il essaie. Mais j'espère qu'on se dirige vers quelque chose de plus durable que les habituels coups d'accordéon.
- Le président palestinien a-t-il toujours envie de négocier avec vous ?
- C'est à lui qu'il faut poser cette question. Mais j'espère qu'il reste intéressé. Si les Palestiniens sont prêts à parler, les Israéliens seront prêts à parler. Je suis convaincu que la négociation est la seule solution: même si, devant l'escalade de la violence, je me prends parfois à douter. C'est une erreur de croire qu'on pourrait résoudre le problème par une frappe militaire massive. Notre armée est puissante, et elle pourrait faire beaucoup plus. Mais nous devons adapter nos actions à l'intérêt national: notre objectif est de préserver Israël, pas de le démolir.
- Fin novembre, vous avez proposé à Yasser Arafat un accord intérimaire qu'il a aussitôt refusé. Le président palestinien avait alors expliqué que l'accord d'Oslo était aussi un accord intérimaire, et que, datant pourtant de 1993, il n'a toujours pas été appliqué dans sa totalité. Par exemple, le troisième redéploiement, prévu, de l'armée israélienne n'a pas eu lieu. Pour répondre aux objections d'Arafat, ne feriez-vous pas mieux de lui offrir un accord global ?
- Notre objectif est d'arriver à un accord global. C'est bien ce que nous avions proposé à Camp David, et jamais un gouvernement israélien n'était allé aussi loin. Comme preuve de notre souplesse à Camp David, j'ajoute que nous étions également prêts à envisager des positions de repli. Nous pensions à un accord intérimaire. Nous pensions aussi à un arrangement par «phases»: on s'entend sur un cadre général, mais, pour les dossiers qui n'ont pas encore pu être réglés, on continue d'avancer à un rythme plus lent.
- Qu'y avait-il dans l'accord intérimaire rejeté par le président palestinien ?
- Soyons précis. Je n'ai pas proposé à Arafat un accord intérimaire. J'ai évoqué l'hypothèse de «phases» qui interviendraient une fois conclu un accord-cadre sur le statut final de la Palestine. En clair: si un ou deux sujets fondamentaux n'ont pu être résolus, on signe quand même l'accord. Ensuite, on se donne un ou deux ans pour continuer à négocier sur les dossiers bloqués. C'est à cette proposition de «phases» que Yasser Arafat a dit non.
- Mais un accord par «phases» n'est-il pas une façon de camoufler un simple accord partiel ?
- C'est une question de vocabulaire. Vous pouvez baptiser votre document «accord partiel» parce qu'il comprend certains éléments dont on traitera plus tard. Ou bien vous le qualifiez d'accord final tout en prévoyant des délais supplémentaires pour venir à bout de certains dossiers plus délicats. Chez les diplomates, la sémantique peut être la clé du succès.
- Pourquoi les négociations de Camp David ont-elles échoué ?
- Je ne sais pas. Je ne peux pas pénétrer l'âme de Yasser Arafat, et je ne suis pas en position de le juger. Mais j'ai du mal à comprendre quelle raison nous a empêchés de nous entendre sur ce qui aurait dû être un accord raisonnable. Tout ce que je puis dire, c'est que nous avions pour objectif un accord cadre sur le statut final de la Palestine. Entre les 11 et 24 juillet, nous avons donc abordé les dossiers les plus sensibles: Jérusalem, les réfugiés, les frontières, les questions de sécurité. Ces sujets étaient très délicats parce qu'ils concernaient la nation, la religion et même la psychologie. J'étais prêt à prendre des décisions historiques et à les présenter ensuite au peuple israélien. Nous avons travaillé jour et nuit, nous avons montré notre souplesse, nous avons retourné chaque pierre. Pour en finir avec le conflit israélo-palestinien, nous étions prêts à proposer aux Palestiniens un Etat assuré de la continuité territoriale et vivant en bon voisinage avec Israël. Nous étions prêts à payer un prix qui, pour Israël, aurait été très dur. Malheureusement, les Palestiniens, eux, n'étaient pas prêts à prendre des décisions historiques.
- Les Palestiniens affirment que c'est votre intransigeance qui a fait échouer Camp David...
- La négociation ne pouvait être que difficile. Mais dans l'espoir de nous arracher des concessions supplémentaires, les Palestiniens ont choisi de préparer un nouveau conflit avec Israël. La vérité est aveuglante: les Palestiniens ont pensé qu'ils pourraient atteindre leurs buts politiques en utilisant la force.
- A en croire la gauche israélienne, ce sont les colons, en augmentation constante, qui expliquent la réticence des Palestiniens à signer un accord de paix. Dans les neuf premiers mois de l'année 2000, il y aurait eu 13 000 colons de plus dans les territoires occupés, et depuis l'accord d'Oslo, en 1993, leur total aurait doublé: de 100 000 à 200 000. La gauche dit qu'il faudrait les rapatrier; pourquoi les laissez-vous venir toujours plus nombreux ?
- Je n'ai pas créé une seule colonie de peuplement. Pour la première fois, j'en ai même démantelé quelques-unes, les plus isolées. Nous ne laissons la construction se poursuivre que dans les villes déjà très peuplées, qui, quel que soit l'accord de paix, resteront sur le territoire d'Israël. Je ne crois pas que ce sont les colons qui représentent un obstacle. Il y a quinze ans, dix ans ou cinq ans, la solution semblait si lointaine que les Palestiniens pouvaient effectivement dire que la poursuite de ce mouvement de peuplement fermerait des portes. Aujourd'hui, il est clair que, si les deux camps y sont disposés, nous pouvons conclure un accord assez rapidement. Le fait que nous ayons construit un peu plus ici ou là n'aura donc aucune conséquence sur le résultat final.
- Combien de temps les Israéliens pourront-ils résister à cette deuxième intifada? Combien de temps accepteront-ils des pertes qui augmentent chaque jour ?
- Nous pouvons supporter ces affrontements très longtemps. Les Palestiniens aussi, bien que leurs pertes soient beaucoup plus élevées. Les faits sont têtus: il est impossible de trouver une autre solution que la négociation, mais il est tout aussi impossible de négocier pendant que la violence continue.
- Certains spécialistes s'inquiètent d'un risque de guerre régionale qui pourrait être déclenchée par des affrontements avec la Syrie. En effet, Damas est accusé par Israël d'encourager les agressions du Hezbollah libanais. Partagez-vous ce pessimisme ?
- Israël ne veut pas de nouvelle guerre. Mais si la guerre nous est imposée, Israël se battra, et Israël sera assez fort pour gagner. Nous sommes déterminés à défendre notre droit à vivre sur cette terre libres et en sécurité. Mais, comme ancien général, je peux vous le dire: une guerre, ce n'est jamais un pique-nique. Il est donc exclu qu'Israël prenne l'initiative d'un conflit de plus.
- Il ne reste qu'un mois de présidence à Bill Clinton. Une ultime médiation de sa part vous intéresse-t-elle encore ?
- Oui, une intervention du président américain peut encore être utile. Mais à condition que la négociation reprenne. Si les Israéliens et les Palestiniens se retrouvent autour d'une table de conférence, Bill Clinton pourra nous aider. Et je crois qu'alors son intervention sera importante.
- Selon la presse israélienne, vous avez pourtant déploré l'absence d'un plan de paix américain...
- Je n'ai rien dit de tel. Mais le fait d'être cité dans la presse israélienne n'a jamais signifié que vous avez effectivement dit quelque chose. Je pense, au contraire, que les Américains ont un plan. C'est une évidence que, dans l'interrègne qu'ils vivent depuis leur élection présidentielle du 7 novembre, les Américains sont moins efficaces. Il reste que Bill Clinton est personnellement engagé dans notre affaire, et qu'il est apprécié par toutes les parties. Si l'occasion d'une percée se présente, Clinton aura donc un grand impact.
- Qu'attendez-vous de la visite de M. Védrine, qui, venu du sommet européen de Nice, représente à la fois la France et la présidence européenne ?
- M. Védrine milite pour la cause de la paix, et les deux camps lui portent une égale estime. Le ministre français connaît parfaitement les détails du dossier, et chacune de ses visites en Israël permet d'effectuer un tour d'horizon politique mutuellement bénéfique. Le fait que, cette fois, il représente aussi l'Europe est un atout supplémentaire. Nous tenons au soutien de l'Union européenne pour faire avancer le processus de paix. Après tout, l'Amérique se trouve à l'autre bout du monde. L'Europe est notre arrière-cour, et Chypre, candidate à l'entrée dans l'UE, se trouve à 150 kilomètres des côtes d'Israël.
- Êtes-vous toujours en colère contre Jacques Chirac, que les Israéliens ont accusé d'avoir saboté le sommet de Paris? Lors de ce sommet, en octobre, le président français aurait conseillé à Yasser Arafat de ne pas signer les documents qui avaient été préparés pour l'occasion...
- Je ne suis en colère contre personne. Mais, lors de ce séjour, j'ai été témoin d'un certain nombre de choses qui n'ont pas vraiment contribué au succès du sommet de Paris. Désormais, tout cela appartient au passé. Depuis, j'ai reparlé à Jacques Chirac. La France occupe une place centrale en Europe, et ses relations avec le Proche-Orient sont anciennes. A ce titre, elle peut contribuer à la relance du processus de paix.
- Israël se trouve dans une situation paradoxale. Grâce à la haute technologie, le pays connaît un véritable boom économique, tandis que l'arrivée massive des juifs russes, qui a porté sa population à six millions d'habitants, lui a permis de corriger un peu son équilibre démographique vis-à-vis des Arabes. Pourtant, Israël est divisé. Êtes-vous inquiet ?
- Je vois un grand avenir pour Israël. Dans notre courte histoire, nous avons surmonté bien des difficultés. Aujourd'hui, nous nous trouvons pris dans un conflit armé avec les Palestiniens, mais j'espère qu'il sera bientôt derrière nous, et qu'Israël pourra alors se lancer sur la voie de la croissance intensive. Nous pourrons accélérer l'intégration des juifs de Russie. Nous pourrons transformer le pays en un centre technologique dont les retombées positives se feront sentir à travers tout le Moyen-Orient. Nous pourrons travailler à réparer les accrocs dans le tissu de la société israélienne. Enfin, en investissant dans l'éducation, Israël atteindra un niveau de vie et une qualité de vie qui hisseront notre pays au premier rang des nations les plus développées du monde.
- Il reste quand même beaucoup de points noirs. Un exemple: le problème des Arabes israéliens. Ils sont un million, un habitant sur six, et dans trente ans, ils pourraient bien constituer la majorité de la population. Lors de la deuxième intifada, ils se sont ralliés à la cause palestinienne, au point que certains Israéliens les traitent de «cinquième colonne». Croyez-vous possible de réconcilier Israël avec ses Arabes israéliens ?
- Cette analyse négative est fausse. Bien sûr qu'il sera possible de combler le fossé entre nos deux communautés. La plupart des Arabes israéliens mènent une vie parfaitement équilibrée entre leurs deux identités: 99,5% d'entre eux n'ont pas participé aux violences. Grâce à cette double identité, ils ont un rôle unique à jouer: citoyens israéliens à part entière, ils peuvent créer des liens avec l'ensemble du monde arabe.
- Les Palestiniens semblent convaincus qu'il leur suffit d'être patients pour gagner. Ils calculent que dans vingt ou trente ans ils auront fait tellement d'enfants qu'ils noieront Israël sous le flot de leur population. Ils auront alors répété l'exploit de Saladin, qui détruisit le royaume chrétien de Jérusalem. Vous arrive-t-il de penser à ce scénario catastrophe ?
- Je crois que les Israéliens doivent se désengager des Palestiniens. De préférence, sur la base d'un accord signé. Mais si les choses tournent au pire, il faudra prévoir un désengagement unilatéral. Et si l'initiative vient des Palestiniens, nous devrons répondre de la même façon. Mais je ne crois pas que nous en arriverons à de telles extrémités. Le désengagement avec consentement mutuel est la meilleure solution. Il permettra à deux Etats de vivre côte à côte en bons voisins. Les Palestiniens seront libres d'aller et de venir. Mais ils ne seront jamais capables de nous noyer.
- Ce désengagement ne risque-t-il pas de ramener Israël à son point de départ? Celui de la forteresse encerclée qui se referme sur son «syndrome de Massada» ?
- Pas du tout. Nous pouvons vivre en paix avec nos voisins. Cette région ne deviendra pas un paradis du jour au lendemain, car il faudra longtemps pour que le Moyen-Orient ressemble à l'Europe ou aux Etats-Unis. Mais nous finirons par faire la paix avec les Palestiniens, même avec les jeunes qui aujourd'hui nous lancent des pierres. Il n'y a pas d'autre choix: il faut être deux pour danser le tango.
 
13. Le Monde du jeudi 14 décembre 2000
Création d'un Collectif judéo-arabe de soutien aux Palestiniens en France par Mouna Naïm
Il souhaite rencontrer Hubert  Védrine à son retour du Proche-Orient
UN COLLECTIF DE CITOYENS français d'origine juive ou arabe et d'Arabes résidant en France vient de se constituer pour soutenir les droits du peuple palestinien. La création de ce collectif a été annoncée lors d'une conférence de presse, mardi 12 décembre, avec le concours de la Ligue des droits de l'homme (LDH) et dans ses locaux. Proclamant son souci de prendre parti pour « le camp du droit », le Collectif en « appelle aux citoyens de toutes origines vivant en France et qui partagent [ses] analyses et [ses] buts ».
Il s'est défini quelques premiers objectifs : intervenir auprès des pouvoirs publics pour « des prises de position claires et surtout des actions efficaces afin d'assurer la protection des populations palestiniennes et l'application sans réserve des résolutions de l'ONU ». A ce sujet, il sollicitera une rencontre avec le ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, dès le retour de ce dernier d'un voyage qu'il effectue du mercredi 13 au vendredi 15 décembre en Israël et en Palestine. Il apporte par ailleurs son soutien à une initiative prise par certains de ses membres de constituer un dossier accusant de « crimes de guerre » Ariel Sharon, le chef du Likoud, principal parti de la droite israélienne. M. Sharon, d'après le Likoud de France, est attendu à Paris le 19 décembre.
Le Collectif se propose également de dépêcher sur le terrain, dans les premières semaines de 2001, une délégation qui, entre autres, s'adresserait aux forces de paix en Israël, qui sont « au moins aussi fortes que celles qui ont existé en France lors de la guerre d'Algérie, ou aux Etats-Unis au moment de la guerre du Vietnam, et qui sont paralysées par la chape de plomb de l'identification qui se fait entre Israël et juifs ». « On peut être juif et contre la politique d'Israël », estiment les membres du Collectif, qui refusent ce que Michel Tubiana, président de la LDH, a appelé « le schéma d'identification communautaire ou religieuse d'un problème essentiellement politique ».
LA FUSION DE DEUX INITIATIVES
Le Collectif veut également « aller sur le terrain ». Il est faux de dire qu'Israël « concède » le démantèlement des colonies ou les territoires palestiniens, Jérusalem incluse, pense le Collectif. Israël « occupe » ces territoires et doit appliquer le droit, estiment ses membres, qui veulent par ailleurs briser la symétrie entre Israël et les Palestiniens, entre « l'Etat le plus puissant de la région » soutenu par les Etats-Unis et « une population palestinienne aux mains nues », a dit Gisèle Halimi, ancienne ambassadrice de France à l'Unesco.
Outre M. Tubiana et Mme Halimi, Marcel-Francis Kahn, Rony Brauman, Marie-Claire Mendès France, Daniel Bensaïd, Stanislas Tomkiiewicz, Eric Rouleau, Mohamed Berrada, Mohamad Harbi, Nahla Chahal, participaient, entre autres, à la conférence de presse.
La décision de constituer ce Collectif a été prise par les personnalités qui étaient à l'origine de deux initiatives prises séparément en octobre et novembre. Les cinquante signataires de la première - devenus deux cents aujourd'hui -, intitulée « En tant que juifs » ( Le Monde du 10 octobre), tenaient, « parce que juifs », à se dissocier de « la logique suicidaire des paniques identitaires », dénonçaient le déni par Israël des droits du peuple palestinien et réclamaient « l'application des résolutions de l'ONU (...), la reconnaissance d'un Etat palestinien et [le] droit au retour des Palestiniens chassés de leur terre ».
Un mois plus tard, cent Français d'origine arabe et Arabes résidant en France lançaient un « Appel pour la Palestine » ( Le Monde daté 19-20 novembre) dénonçant le « régime d'apartheid » imposé par l'Etat hébreu aux Palestiniens et réclamant eux aussi le respect de toutes les résolutions de l'ONU afférentes.
Dans un texte commun rendu public mardi, le Collectif met l'accent sur « la tragique solitude des Palestiniens » trois mois après le début de l'Intifada, alors que « le bilan du côté palestinien dépasse déjà les trois cents morts (...) et neuf mille blessés » et que « l'armée israélienne a tué aussi une quinzaine de ses propres citoyens arabes israéliens ». « Partout ailleurs dans le monde, ces crimes auraient suscité une vague de protestations et d'indignation », notent les auteurs.
Ils affirment que « seule la reconnaissance de droits nationaux et civiques égaux, sans oppression ni discrimination, peut créer les conditions d'une paix durable », et réclament notamment « l'application des résolutions de l'ONU, le retrait inconditionnel d'Israël des territoires occupés depuis 1967, le démantèlement des colonies d'occupation, la création d'un Etat palestinien souverain, le droit au retour des réfugiés chassés de leur terre depuis 1948 ».
 
14. Le Monde du mercredi 13 décembre 2000
Youssef et Muriel, colons sans états d´âme par Bruno Philip
Dans leur « paradis » assiégé de Goush Katif, la plus grande colonie juive de la bande de Gaza, Youssef Krieff et sa femme, Muriel, ne se posent pas de questions. Exaltés, mystiques, ils n´ont pas l´impression de vivre sur une terre palestinienne. Ils sont « chez eux » et entendent y rester.
YOUSSEF KRIEFF désigne au loin la mer invisible et noire. Puis il lève la main vers les étoiles : « Goush Katif, c´est là où je me sens le plus près du ciel, le plus près de Dieu. » Youssef est un colosse, il a la quarantaine et le sourire large. Dans une vie antérieure, il s´appelait Hervé. Il était chauffeur de taxi à Paris et habitait rue César-Franck, à Créteil. Depuis huit ans, lui, son épouse, Muriel, et leurs enfants vivent à Goush Katif, la plus grande des colonies juives de la bande de Gaza, territoire de la Palestine autonome. Quelques milliers de colons se répartissent dans les treize moshav (« villages », en hébreu) que compte Goush Katif, elle-même cernée par le gros million de Palestiniens peuplant Gaza. Et du coup fortement défendue par des centaines de soldats israéliens qui, depuis le début des troubles, il y a deux mois, assurent la protection de ces farouches partisans du « Eretz Israël », vision messianique et élargie de l´Etat hébreu idéal.
Les colons juifs vivent ici en état de siège. Le 20 novembre, une bombe a explosé au passage d´un bus de ramassage scolaire le long de la route reliant la colonie de Kfar Darom à celle de Goush Katif, située tout au sud de la bande de Gaza. Deux personnes ont été tuées et neuf autres ont été grièvement blessées. Certaines des victimes étaient des enfants et plusieurs d´entre eux ont dû être amputés. « Depuis, affirme Muriel, la femme d´Hervé, on vit dans la peur. Le jour de l´attentat, l´une de mes filles est rentrée de l´école en pleurs : son institutrice venait d´être tuée dans l´explosion du bus. » Mais Muriel ajoute aussitôt : « Je ne partirai pas. Ici, on a travaillé dur. On a relevé nos manches. Avant l´arrivée des colons, il n´y avait rien. Rien que du sable et du désert. Les Palestiniens n´avaient jamais rien fait de cet endroit. Nous, on a fait de ce désert un paradis. »
Deux mois d´Intifida auront suffi pour que ce « paradis » ne soit plus toujours « paradisiaque » : Goush Katif est désormais coupée du reste de la bande de Gaza, depuis que l´armée israélienne a fermé la route à la circulation des Palestiniens. Seul cordon ombilical avec l´extérieur, une route qui vient d´Israël et sous contrôle de Tsahal. Mais l´itinéraire, encore emprunté par nombre de colons et de camions assurant le ravitaillement, n´est pas sûr : il y a peu, un jeune homme qui partait faire son service militaire a été tué d´une balle en pleine tête au moment où il sortait de la colonie. Depuis, les soldats israéliens se sont employés à abattre les arbres plantés au bord de la route et à détruire, le cas échéant, des maisons pouvant servir d´éventuels abris à des tireurs embusqués. L´armée a même coupé les routes reliant les parties nord et sud de Gaza, ne laissant les Palestiniens traverser l´axe emprunté par les colons que quelques heures par jour.
Devant l´entrée de Goush Katif veille un char, la tourelle pointée vers les maisons palestiniennes avoisinantes. A l´intérieur de cet énorme territoire, chacun des treize moshav est lui-même protégé par une ceinture de barbelés, défendu par une solide grille commandée électriquement et gardé par des soldats en armes. Une route relie entre elles ces colonies dans la colonie. Installé au bord de la plage il y a une vingtaine d´années, le coin de paradis pour pionniers s´est ainsi transformé en un camp retranché, provoquant la colère et la rancœur des Palestiniens. Tout comme les autres colonies de Gaza et de Cisjordanie, il est devenu l´un des points de friction principaux de l´Intifada et l´une des raisons essentielles de la reprise du conflit avec Israël. « Tant qu´il y aura des colonies, il y aura des affrontements », répètent les Palestiniens.
L´usine où travaille Youssef est la parfaite illustration de cet adage : situés aux abords de la ville arabe de Khan Younis, où jets de pierres et affrontements armés sont quotidiens, les ateliers de cette fabrique de portes blindées résonnent du bruit de la guerre. A l´intérieur, Youssef, kippa sur la tête, polo, jean et revolver glissé dans la ceinture – « Je ne m´en suis jamais servi, sauf pour m´entraîner »,dit-il –, découpe tranquillement des tôles en acier. Dehors, la fusillade se déclenche. Des tirs de kalachnikovs viennent du côté palestinien. Provoquant la réplique israélienne, à coups de fusil M-16 et de mitrailleuse lourde : les hauteurs de l´usine sont dominées par le poste militaire de Tsahal. « C´est comme ça tous les jours, soupire Youssef, l´autre fois, j´ai même reçu une pierre en pleine tête ! » A quelques centaines de mètres de là, tout est calme sur la place centrale de Newe Deqalim, la plus grande des treize « implantations » de Goush Katif.
L´endroit, sur le plan esthétique, ressemble à une ville nouvelle de la banlieue parisienne : disposés autour d´une sorte d´agora de ciment où se reposent, en uniforme, des soldats à l´air épuisé, on trouve un petit supermarché, divers magasins, une pizzeria, la mairie, une grande école, une synagogue et un minuscule restaurant de nourriture orientale – falafel, shawarma, houmous.
Des colons barbus en tee-shirts, coiffés d´une kippa noire, un fusil d´assaut M-16 en bandoulière, déambulent. Un autre monde : Gaza ville n´est qu´à une dizaine de kilomètres ; Jérusalem, à une heure de voiture.
Youssef ne sait plus trop quoi penser de ce conflit alors que des ouvriers arabes venus des villages palestiniens alentour continuent de travailler avec lui et ses collègues. « Mon contremaître est palestinien. Je suis sans doute le seul Israélien à travailler sous les ordres d´un Arabe. Il s´appelle Nabil et me dit que lui et moi, on est des amis, on est comme des frères. Mais il me dit aussi : »C´est entre toi et moi. Les autres, y faut pas qu´ils sachent ce qu´on est l´un pour l´autre.« » Youssef réfléchit et ajoute, avec une grimace : « Il y a deux mois, j´avais confiance dans les Arabes. Eux et nous, on n´est ni pire ni meilleur. Avant d´arriver ici, je pensais qu´ils étaient des idiots, les Arabes. Mais je crois qu´ils ne le sont pas. Juifs et Arabes, on est très proches les uns des autres, finalement. On a la même façon de parler. On est presque des cousins. On pourrait s´entendre. Moi, par exemple, avec eux, j´ai essayé d´être sympa. J´ai joué les diplomates, du temps de la paix. Quand ils me voyaient, ils disaient : »Shalom Youssef !, Salam Aléikoum Youssef !« A l´époque, les Arabes, ils nous jetaient des dattes, pas des pierres. Mais maintenant, après toutes ces violences, je ne sais plus quoi penser. Je ne sais plus si je peux encore avoir confiance en eux. »
Youssef est arrivé à Goush Katif en 1992. Il avait trente-deux ans. Il n´en pouvait plus de la France et des Français. Même si, rappelle- t-il, « j´aime la France, qui m´a beaucoup donné ». Quand ils arrivent en voyage de reconnaissance, Youssef et sa femme ont le coup de foudre. « Goush Katif, c´est l´endroit le plus beau de la Terre, c´est l´endroit où j´ai enfin connu le bonheur », confie-t-il avec un sourire béat. Youssef est un colon doublé d´une sorte de mystique exalté, qui célèbre ici, dans cette forteresse surréaliste, le nom de Dieu et la force de la Torah. Il fut sioniste, il ne l´est plus, dans le sens originel du terme. « Le sionisme, ça m´est totalement sorti de l´esprit. » Pour lui, ici, ce qu´il y a de plus fondamental c´est le dialogue avec Dieu qu´il a découvert dans « ce jardin d´Eden ». Et puis l´endroit sied bien à son tempérament, à son côté bâtisseur en terre hostile. « Je suis aussi un peu cow-boy. Ici, je me sens bien dans le décor. Ça a des allures de western. Je vis comme un pacha. J´ai pas des milliers de shekels, mais je vis comme un milliardaire ! » Youssef n´a pas le sentiment d´être sur une terre étrangère, de vivre sur une terre appartenant aux Palestiniens. « Chez moi, c´est là où j´ai construit, avertit-il sentencieusement. Je ne me sens pas colonisateur. Je me sens chez moi ! »
De retour à la maison, située dans une autre petite implantation de Goush Katif, la colonie de Bedolah, à quelques kilomètres de son travail, Youssef s´ébroue avec violence. « Ah ! quelle journée ! ras le bol ! Je suis crevé », lance-t-il à la cantonade. D´un geste preste, il donne son pistolet à Muriel, de l´autre, il enlace l´une de ses filles. La maison est petite, composée de quelques pièces où les enfants entretiennent un joyeux désordre. Une cuisine-salle à manger simple et un grand réfrigérateur. Peu de meubles, intérieur humble. Des murs blancs, une toiture de tuiles rouges, un petit jardin. Derrière, une autre maison, plus petite encore, que Youssef est fier d´avoir construite lui-même.
ON se croirait dans un pavillon de banlieue modeste d´une ville européenne. Dehors, des enfants jouent dans la rue, il y a des vélos posés contre le mur, des voitures parquées le long des maisons. Tout est calme à Bedolah.
Mais Muriel Krief, bientôt quarante ans, jolie, souriante, est une femme en colère. Sa haine contre les Palestiniens, elle l´exprime avec violence : « Les Arabes sont des gens génétiquement malades. Forcément, ils n´arrêtent pas de se marier en famille ! Ils ne peuvent pas penser normalement, éructe-t-elle dans sa cuisine. Il faut entendre les cris que leurs gosses poussent quand ils montent à l´assaut de nos soldats. On dirait des animaux ! Et quand je pense que l´on pleure sur le sort de ces pauvres gosses tués par nos soldats ! Mais ils n´ont qu´à pas les envoyer au combat les enfants, leurs parents ! Mais, bien sûr, ils en ont plein des enfants, alors ils peuvent se le permettre : ils en gardent deux pour eux et en donnent deux au Hamas [le mouvement islamiste palestinien], dit-on. Pas de ma faute s´ils en ont tant, des enfants ! La pilule, c´est pas fait pour les chiens », conclut Muriel, qui a huit enfants, toutes des filles.
Pour Mme Krief, qui ne fait jamais dans la dentelle argumentaire, « il y a eu Hitler et la Shoah, ici, nous on a Arafat et l´Intifada. Hitler avait donné des raisons de vivre aux enfants des Jeunesses hitlériennes, Arafat fait la même chose avec la jeunesse palestinienne. Ne me dites tout de même pas que le Coran recommande l´assassinat ! Les enfants, l´autorité palestinienne les envoie par camions jeter des pierres sur nos soldats. » Il n´est jamais venu à l´esprit de Muriel Krief qu´elle pourrait vivre sur une terre revendiquée par les Palestiniens au nom de résolutions de l´ONU qui font des colonies de Gaza et de Cisjordanie une occupation illégale : « Quand je suis arrivée, je ne savais pas que c´était la bande de Gaza ici. On m´avait dit que c´était la bande de Goush Katif… Car il ne faut pas confondre les deux bandes ! »Elle sourit, s´agite de nouveau : « Je n´ai jamais pensé que j´occupais quoi que ce soit ! D´ailleurs, l´ambition de départ n´était pas de venir jouer les colons. »
Quand le couple s´est installé, il a eu droit à des prêts intéressants pour construire la maison. Un terrain leur a été alloué. Avec possibilité de ne pas commencer à le rembourser avant dix ans. Dans les colonies, les immigrants bénéficient d´avantages supérieurs à tout autre juif arrivant en Israël : réduction d´impôts, éducation gratuite pour les enfants dès leur plus jeune âge, prêts avantageux, etc. L´Etat hébreu continue d´ailleurs de définir près de 90 % des colonies de peuplement comme zone de priorité numéro un. Ainsi l´affirme le mouvement israélien La Paix maintenant, qui vient de dénoncer le grignotage constant des colonies sur les zones autonomes palestiniennes : une augmentation de plus de 50 % du nombre de logements construits dans les territoires depuis les accords d´Oslo, signés en 1993.
Muriel et Youssef ont aussi des serres, où ils ont cultivé des tomates. Aujourd´hui, ils les louent à d´autres agriculteurs. Quand on leur demande si, un jour, ils ne risquent pas d´être sacrifiés par leur propre gouvernement, au nom d´un futur accord israélo-palestinien qui devrait nécessairement inclure le démantèlement des colonies, ils disent simplement, comme le résume Muriel : « Ici, à Goush Katif, on est en Israël. J´ai une carte d´identité israélienne. Je suis chez moi. Les Palestiniens qui viennent travailler ici doivent posséder une carte de travail. C´est bien la preuve que ce sont eux les étrangers. Comme les Arabes qui viennent travailler en France. Je vais vous dire : le problème des Arabes, il est mondial. Il faut toujours qu´ils partent de chez eux pour trouver du boulot ! »
 
15. Yediot Aharonot (quotidien israélien) du dimanche 10 décembre 2000 (cité par Al-Quds Al-Arabi du lundi 11 décembre 2000)
Netanyahu n'y participant pas, car non-parlementaire, les élections pour la désignation du premier ministre auront lieu avant le 6 février 2001, dernier délai par Ariyeh Beinder [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Quant les élections pour la désignation du premier ministre auront-elles lieu ?
La loi du suffrage direct énonce que, en cas de démission du premier ministre, des élections ad hoc sont tenues sous soixante jours. Barak ira présenter aujourd'hui sa démission au Président de la République. Celle-ci devient effective quarante-huit heures après qu'elle ait été ainsi remise. Dès son entrée en vigueur, commence un compte à rebours dont le terme est fixé à soixante jours. La loi précise également que les élections ont lieu le dernier mardi avant le terme des soixante jours : dans le cas d'espèce, ce sera le 6 février 2001.
Barak peut-il encore retirer sa démission ?
Le chef du gouvernement peut retirer sa démission tant que son entrée en vigueur effective n'est pas proclamée.
Les élections serviront-elles uniquement au choix du premier ministre, ou permettront-elles d'élire également les membres de la Knesseth (députés) ?
Ceci dépend des députés à la Knesseth, qui sont appelés à voter en deuxième et troisième lectures la loi de dissolution de la Knesseth et d'extension éventuelle des élections. Barak se repose sur le fait que les députés ne sont pas désireux de mettre en jeu leur siège un an et demi seulement après les dernières élections (législatives). Si la Knesseth adopte la dissolution en deuxième et troisième lectures, les élections pour la désignation du premier ministre et les élections législatives auront lieu, sur proposition de Barak, le même jour, soit dans quatre-vingt dix jours.
Netanyahu peut-il être candidat face à Barak ?
Si les élections ne concernent que la seule désignation du premier ministre, Netanyahu en sera exclu, car seuls les membres de la Knesseth (les députés) peuvent se présenter à ces élections. Un certain nombre de députés ont annoncé qu'ils allaient déposer aujourd'hui plusieurs projets de loi visant à permettre à tout citoyen d'être candidat.
Il n'est pas certain que cette loi soit approuvée, ni qu'il reste assez de temps à la Knesseth, même si elle le voulait, pour l'entériner. Ce type de projet de loi nécessite l'approbation d'une majorité d'au moins 61 membres de la Knesseth, à chacune des trois lectures successives. Il n'est pas certain que les partisans de Netanyahu pourront réunir un nombre de suffrages suffisant. Il faut rappeler qu'aucun premier ministre n'a été élu, depuis la fondation de l'Etat, qui n'ait été membre du parlement. En tous les cas, cet amendement à la constitution aura un impact très important, car il modifie profondément le style parlementaire traditionnel en Israël, chose qui pourrait justifier un recours à la Cour suprême, prélude éventuel à une crise constitutionnelle.
Si les élections législatives sont avancées, Netanyahu peut-il s'y présenter ?
Oui, dans le cas de législatives anticipées, Netanyahu peut se présenter, face à Barak, à condition que le Likoud le choisisse comme candidat à la Knesseth. Il en va de même, d'ailleurs, pour Barak, qui doit être retenu comme candidat par le parti Travailliste.
Une majorité se dessine-t-elle, à la Knesseth, en faveur d'élections anticipées ?
Pour l'instant, une telle majorité n'existe pas. Comme dans d'autres occurrences, la clé de la situation est entre les mains du parti Shaas. Le président de ce parti a déclaré que son mouvement ne devait se prononcer, à ce sujet, qu' après mûre réflexion.
Le gouvernement peut-il continuer son travail normalement, après la démission de Barak ?
Le gouvernement devient un gouvernement de transition, muni de l'ensemble des prérogatives d'un gouvernement : il peut signer des accords internationaux, même déclarer la guerre. Mais il est de tradition, dans un contexte tel que celui-là, que le gouvernement se consacre aux questions intérieures.
Après l'annonce de Barak, est-il possible de modifier le système électoral ?
Il semble que non. Dès l'entrée en vigueur de la démission annoncée du premier ministre, le système électoral, sous la forme actuelle, se met en branle. Si le système électoral devait être modifié entre l'annonce de la démission et le jour fixé pour les élections, dans un délai de soixante jours, il serait rétroactif. Dans ce cas, à nouveau, la crise constitutionnelle serait très complexe. La logique, la carte politique du pays, la dynamique en cours : tout plaide en faveur du maintien du système électoral en vigueur.
Le Président de la Knesseth a rendu visite à Barak. La Knesseth peut-elle tenter de le retenir, avant que sa démission ne devienne effective ?
Oui. Lundi sera présentée à la Knesseth une motion de censure par le député Mikhaïl Klaïner (du parti Herout). Si cette motion remporte plus de 61 voix, la Knesseth pourra s'auto-dissoudre. Dans ce cas, les élections législatives et celles destinées à la désignation du premier ministre auront lieu simultanément, sous quatre-vingt dix jours.
 
16. Yedioth Aharonot du dimanche 10 décembre 2000
La lettre de démission de Barak [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
"Réunis en famille, Nafa, Mikhaïl, Zeïf et moi-même, nous avons parlé de la situation, comme cela se passe dans toute famille israélienne. J'ai indiqué que je pensais que notre peuple traverse des temps difficiles, avec des espoirs qui se sont évanouis et un réveil difficile pour les deux bords de la carte politique. Certains mettent en doute le mandat que vous m'avez accordé, vous les citoyens de ce pays, pour amener Israël à des accords de paix audacieux et à des réformes économiques et sociales à même de garantir la sécurité et l'avenir de tous les citoyens.
Ce mandat est très important pour moi, et je crois que ce mandat existe toujours, c'est pourquoi, faisant face à mes responsabilités nationales et personnelles, à la lumière de la situation d'urgence que traverse le pays, j'ai décidé de demander à nouveau la confiance du pays, et d'en recevoir le mandat à nouveau pour conduire Israël sur le chemin de la paix et de la sécurité et pour fixer un ordre du jour socio-économique adapté. Demain matin, je remettrai officiellement au Président ma démission et l'informerai de ma candidature, en tant que président du Parti Travailliste, aux élections spéciales pour la désignation du premier ministre. Je remettrai ma lettre de démission au gouvernement immédiatement après, conformément à la constitution. Ma décision est personnelle, je l'ai prise après avoir consulté ma famille et mes proches.
En tant que chef du gouvernement, je réponds de la politique menée et de son style. Je ne pense pas nécessaire d'entraîner l'ensemble du gouvernement dans une campagne électorale inutile. Personnellement, en tant que premier ministre élu à une large majorité, je demanderai à nouveau au peuple son mandat afin de poursuivre le chemin que nous avons commencé sur la base de la confiance et de la conviction qu'il s'agit du chemin juste, unique et vrai pour Israël. Avant soixante jours, nous allons voter pour désigner le futur chef du gouvernement : c'est là la solution la plus simple, la plus rapide et la plus convenable dans la situation présente. Si le gouvernement décide de se dissoudre, en deuxième et en troisième lecture (à la Knesseth), nous procéderons aux deux élections le même jour, pour la désignation des députés et pour celle du premier ministre. Comme cela est je pense compréhensible, si la Knesseth procède à l'adoption d'un amendement à la constitution permettant à tout citoyen israélien de se porter candidat (au poste de premier ministre), je voterai en faveur de cet amendement et nous serons concurrents (allusion à Netanyahu, que Barak ne cite pas, NdT).
Je redis que j'aurais préféré constituer un gouvernement d'union nationale dans les circonstances difficiles que nous traversons. Mais puisque cela n'a pas été possible, je veillerai à ce que nous constituions après les élections un nouveau gouvernement que j'espère le plus large possible et chargé d'une nouvelle mission (par le peuple). Il s'agit d'un véritable référendum populaire sur la manière de mener la paix et sur la manière de diriger Israël. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir, avec mes collègues du parti travailliste et tous ceux qui croient en notre action, afin de mériter à nouveau la confiance du peuple pour le travail que nous accomplissons. Nous n'avons pas de pays de rechange, si nous nous unissons après les élections afin de lutter ensemble pour sa sécurité et son avenir, nous vaincrons. Que Dieu accorde à son peuple la force et qu'Il lui accorde la bénédiction de la paix." 
 
17. Al-Nahar (quotidien libanais) du jeudi 7 décembre 2000
Syrie et Palestine : vers des relations nouvelles ?
par Michel Kilo [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
(Michel Kilo est un écrivain syrien)
Au cours des trois décennies écoulées, la Palestine et la Syrie n'ont pas partagé un même destin, en dépit de ce que nous leur connaissons d'intérêts objectifs concordants et des défis et dangers communs auxquels ces deux pays ont été exposés. Si l'OLP et le gouvernement syrien n'ont pas établi de projets unifiés, c'est parce que la première s'est vue contrainte, de par sa situation géo-politique, à admettre une relation inégale avec le second, lui-même soumis à une idéologie pan-arabe (qawmiyya) au niveau du discours. Cette idéologie - déjà répandue avant la défaite de juin 1967, qui a contribué à sa diffusion - prône l'édification d'un état (arabe unifié) englobant tout le monde arabe du Mashriq autour de la Syrie, fait de Damas le centre de la révolution, de l'arabité et de la libération et de l'OLP sa marge ou son ambitus, auxquels elle accorde soutien et protection, ce qui l'amène à considérer qu'elle peut légitimement lui donner des ordres.
Cette "histoire politique" explique pourquoi les relations entre la Syrie et l'OLP ont pris une tournure tantôt menaçante, tantôt paternaliste, pourquoi elles ont oscillé entre une concorde superficielle et une tension résultant de divergences et d'oppositions multiples, qui les ont conduites l'une et l'autre, finalement, à l'affrontement ouvert, au Liban. Cet affrontement s'est poursuivi, avec des trêves et des combats alternés, durant la période s'étendant de 1975 à 1983. Ensuite s'ouvre le chapitre des mots-d'ordre hypocrites tels que "coordination stratégique", revendiquée par la Syrie, et "indépendance de la décision nationale", "défendue" par l'OLP, qui pensait que la "coordination"n'était pas autre chose qu'une tentative (syrienne) de la contenir et de la soumettre à une relation typiquement "centre-périphérie" habillée d'une idéologie prônant l'unité de positionnement arabe avant la libération et l'unité arabe après celle-ci. En face, la Syrie considérait l'"indépendance de la décision nationale" (de l'OLP) comme la tentative de cette dernière d'échapper aux "dimensions nationales (arabes)" (qawmiyya) de la cause (palestinienne), et de mobiliser le peuple palestinien contre sa politique et ses intérêts.
Avec des relations riches de tels sous-entendus, il était naturel que la Syrie et l'OLP s'affrontent, au Liban, que Damas soutienne la scission de certains mouvements (palestiniens), ne reconnaisse pas l'état (palestinien) proclamé par l'OLP à Alger et que cette oppositions persiste, en s'aggravant, après le déclenchement de l'intifada dans les territoires occupés, en 1987. L'intifada a, en effet, permis à l'OLP d'échapper à l'emprise arabe, d'une manière générale et, en particulier, syrienne. Puis, cette opposition a continué, après la conférence de Madrid, qui a valu à l'OLP la reconnaissance américano-israélienne, et lui a enjoint d'unir le destin de son état indépendant avec celui de la Jordanie, et non de la Syrie.
Mais Madrid n'a pas représenté un tournant qualitatif dans les relations syro-palestiniennes, même si elle a contribué à jeter de l'huile sur le feu de leurs divergences, exacerbées par le refus opposé par la partie palestinienne à une proposition syrienne de coordination - dont les Palestiniens nient qu'elle leur ait jamais été signifiée - et le début d'un processus de négociations israélo-palestinien, ainsi que par l'acceptation (par l'OLP et les Arabes) du plan Begin-Sadate sur la Palestine, prônant des négociations israélo-palestiniennes en deux phases (au cours de la première phase, la Palestine rejoint une situation semblable à celle des pays arabes ayant des territoires occupés, cette situation est maintenue durant cinq ans, période au cours de laquelle mûrissent les conditions permettant le passage à la deuxième phase, sur laquelle Palestiniens et Israéliens divergeaient ; les Palestiniens prônant l'application des décisions 242 et 338 de l'ONU, en vue de l'établissement de leur état indépendant en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, tandis qu'Israël prônait l'annexion de certaines parties de ces territoires occupés, qu'elle considérait comme des "territoires contestés", et des dispositions intégrant l'entité palestinienne dans un ensemble sécuritaire commun israélo-jordanien).
La Syrie n'a pas formulé d'opposition à ce plan, pourtant tout-à-fait contraire à ses options et à ses politiques déclarées : ceci résulte-t-il d'une inattention, d'une erreur, de sa part, de promesses américaines ou  du consensus arabe autour de ce plan ? Celui-ci donnait la priorité à la résolution du processus palestinien, et non syrien, contrairement à ce qui était admis depuis les déclarations de Cyrus Vance et de Zbignew Brjezinski, en 1977, mettant la Syrie sur une liste d'attente, exposée à toutes sortes de pressions : elle n'a pas tardé à déverser le trop-plein de son irritation face à la maigreur du gain territorial et politique (du processus palestinien) - la Syrie a-t-elle perçu, à ce moment-là, ce que cet accord comportait d'attendus dangereux pour elle ? - fixé dans l'accord d'Oslo (accord de la première phase) et maintenu, par la non-application par Israël de nombreux points et corollaires, en-deçà des attentes et des promesses, c'est-à-dire, en-deçà du niveau (d'application) qui aurait autorisé la recouvrance des territoires et des droits palestiniens au cours de la deuxième phase.
Après presque une décennie de négociations, au cours desquelles les diplomaties palestinienne et syrienne se sont appliquées à échanger ignorance affichée contre irritation manifeste, Damas s'opposant à toute visite de Yasser Arafat et coupant toutes ses relations avec l'Autorité nationale palestinienne, cette dernière adoptant, de son côté, des positions caractérisées par une indifférence croissante vis-à-vis de la Syrie et s'appuyant de plus en plus sur l'Egypte. Les deux Etats en étaient arrivés pratiquement à un score nul : l'OLP avait conclu des accords en série, qui avaient fait de sa grande cause (nationale) un paquet de bouts de papiers, rendant impossible la réalisation d'une solution nationale définitive. Les négociations syro-israéliennes passaient, pendant ce temps-là, par des hauts et des bas, connaissant des interruptions et des suspensions qui en ralentissaient le cours, puis finissaient par les stopper complètement.
En dépit du spectacle affligeant donné par les deux victimes de l'expansionnisme israélien s'échangeant une haine mutuelle incompréhensible et inadmissible, leur ostracisme agressif mutuel a joué un rôle non-négligeable dans le résultat auquel elles sont parvenues : la Syrie et la Palestine en sont arrivées au point de s'affronter l'une à l'autre, bien loin de s'unir l'une à l'autre face à leur ennemi commun au nom de tous les intérêts qu'elles partagent en commun. Le résultat décevant (de cette attitude) pour les deux Etats les amènera-t-il à se sortir de l'impasse de telles relations, qui ont perdu leur raison d'être. Avant de répondre à cette question, permettez-moi de rappeler les points suivants :
- tant la Syrie que la Palestine sont confrontées à une solution définitive de leurs problèmes avec l'occupation israélienne, solution qui ne fait que s'éloigner et gagner en complexité, après que les deux Etats aient présenté, l'un comme l'autre, toutes les concessions possibles et qu'ils aient, tous deux, accepté tous les règlements acceptables pour eux et qu'il leur soit devenu impossible, comme l'un comme pour l'autre, de faire marche arrière, sous peine de connaître une fin certaine ;
- Israël ne veut pas - et ne peut pas - offrir une paix réelle à la Syrie et à la Palestine - pour de nombreuses raisons, et notamment son glissement aux plans tant sociétal que gouvernemental vers l'extrême-droite (nationale-religieuse), le passage de son centre décisionnel, d'une manière de plus en plus affirmée, entre les mains des militaires (en particulier pour les questions de la guerre et de la paix), la réticence - voire, l'impuissance - des Etats-Unis à le contraindre à mettre en application les décisions de la légalité internationale, les divergences entre les positions arabes sur les questions de la négociation et l'absence d'un minimum de concertation et de consensus entre elles.
- la Syrie et la Palestine se retrouvent dans la même situation. La Syrie, parce qu'Israël a toujours refusé, depuis 1967 jusqu'à ce jour, de lui faire la simple proposition de se retirer du Golan (syrien) et la Palestine, parce qu'Israël s'est arrogé de fait de grandes parcelles du territoire de son Etat à venir, notamment Jérusalem, sa capitale. Ainsi, les deux Etats, Syrie et Palestine, se trouvent-ils (actuellement) confrontés à la même grave question : "QUE FAIRE ?"
La réponse apportée par la Palestine - l'intifada en cours - a éliminé bien des aspects négatifs d'Oslo, ouvrant la bataille pour l'application de l'esprit et de la lettre de la résolution 242, dynamisant sa cause et lui rendant son intégrité et son dynamisme, incarnant le fossé qui la sépare de la position syrienne vis-à-vis des décisions de la légalité internationale. L'intifada a aussi limité la capacité de la Jordanie à l'attirer dans sa mouvance, a rapproché les positions palestiniennes des positions syriennes sur des points importants et très divers. Au même moment, les manifestations de soutien à l'intifada, dans les pays arabes, ont préparé le terrain à l'adoption d'une position arabe nouvelle basée sur un rapprochement syro-palestino-irakien centré sur le mouvement du peuple arabe renouant avec la politique, avec la résistance à l'occupation, avec le refus du statu-quo arabe officiel, avec le rôle croissant de l'Irak, ainsi que sur la crise vécue tant par Israël que par les Etats-Unis, sur l'entrée en scène de forces à même de soutenir la lutte, voire d'entamer une escalade, sur le mûrissement des conditions permettant la constitution d'un cadre national (qawmi) nouveau - qui ne soit pas nécessairement un axe nouveau - à même de renforcer les positions de tous les Arabes face à l'Amérique et à Israël.
La Palestine et la Syrie vont-elles enfin se décider à modifier les principes et les axes de leurs relations, dont il devient urgent qu'elles reposent désormais sur des dénominateurs communs qui leur enjoignent de conjoindre leurs efforts et de ne pas prendre d'initiatives indépendamment l'une de l'autre en matière de solution, de ne pas laisser les territoires et les droits de l'autre en pâture aux déprédations des sionistes, de s'abstenir de faire quoi que ce soit qui puisse contribuer à affaiblir leur position commune et leurs intérêts définis d'un commun accord ?
De nouvelles relations syro-palestiniennes sont aujourd'hui plus nécessaires que jamais, afin de tourner la page d'un passé sombre et néfaste, maintenant qu'il est devenu évident que le devenir de l'intifada et de l'indépendance palestiniennes dépend également de la Syrie comme le devenir du Golan et de la Syrie dépend de l'intifada, qu'il est de l'intérêt de la Syrie d'y voir un fait national syrien également, duquel dépendent ses intérêts supérieurs, en tant qu'Etat, et qu'elle ne doit échouer, ni même céder du terrain, à aucun prix. Il est absolument nécessaire aussi d'établir des liens qui fassent, d'une part, comprendre à la Palestine que la coordination entre les deux pays est de l'intérêt national palestinien et ne représente en rien l'instrument d'une hégémonie syrienne et, d'autre part, persuadent la Syrie que l'indépendance de la décision palestinienne n'est pas dirigée contre elle, mais représente bien, au contraire, un espace donné à une complémentarité et une compréhension (mutuelle) avec elle, ainsi qu'une arme dirigée contre l'ennemi commun.
Certaines accumulations de faits et certaines mutations apparaissent, dans notre région arabe, depuis quelque temps, dont l'importance et la nouveauté sont telles que la Syrie et la Palestine commettraient une grave erreur en les considérant avec les yeux du passé et avec les mêmes préventions. Ces accumulations imposent leur contribution positive à la compréhension mutuelle dans l'approche d'une position arabe sur la paix, dont l'absence a contribué depuis si longtemps à affaiblir les positions de la Syrie et de la Palestine dans les négociations et à aiguiser leurs problèmes bilatéraux et les problèmes interarabes ; elles imposent également la nécessité de trouver une force (commune) qui leur permette de conquérir la paix, de joindre les potentialités officielles et populaires de la Syrie à l'intifada officialo-populaire de la Palestine, une force dont leur position juste avait un tel besoin depuis si longtemps, dont les longues années de négociation ont prouvé à quel point la Syrie comme la Palestine en étaient dépourvues et à quel point elles ne pourraient jamais en disposer l'une sans l'autre.
La Syrie et la Palestine sont à la croisée des chemins. Vont-elles continuer à se suicider avec le poignard du passé ?
 
18. Russkaïa Misl (hebdomadaire des "Russes blancs" de Paris, NdT) du jeudi 7 décembre 2000
Israël : la paix s'éloigne par Alexandre Verkhovski [traduit du russe par Marcel Charbonnier]
Moscou - Un troisième mois d'affrontements armés vient de s'écouler. Tout le monde comprend que l'intifada actuelle durera longtemps et se met en quête des moyens de préparer une issue, de façon à prévenir l'extension de la guerre, qui pourrait déboucher sur un conflit régional majeur semblable à ceux de 1967 ou de 1973.
Une communauté internationale destructrice
La communauté internationale est préoccupée par l'insécurité (qui règne) dans la région. Les représentants des gouvernements de tous les pays, réunis à l'ONU en Assemblée Générale ordinaire, se sont prononcés le 2 décembre dernier, d'un coup, en une seule séance, en faveur de six résolutions sur le problème palestinien. Il convient de noter que l'avis des états a été exceptionnellement unanime. N'ont voté contre ces (six) résolutions, à part Israël et les Etats-Unis (et encore, pas toutes), que deux ou trois pays, de l'importance de Vanuatu (!). L'assemblée a confirmé, en fait, les résolutions qu'elle avait déjà prises : elle a exigé qu'Israël mette un terme à son annexion de ce qu'on appelle "Jérusalem-Est" (y compris, en substance, toute la Vieille Ville), rende à la Syrie les hauteurs du Golan et, d'une manière générale, se retire jusqu'à la "ligne verte", la frontière antérieure à la Guerre des Six Jours de 1967.
Quelle contribution l'ONU apporte-t-elle, ce faisant, à la résolution du conflit au Moyen-Orient ? Une contribution purement négative... L'Assemblée a réaffirmé qu'elle restait fermement sur ses positions des années soixante-dix, époque où l'ONU s'était solidarisée à la majorité des voix à cent pour cent avec les positions de l'OLP, organisation terroriste (mais à l'époque honnête), avait désigné Israël comme étant l'agresseur, en dépit des faits, et déclaré que le sionisme était une forme de racisme (le vingt-cinquième anniversaire de cette résolution scandaleuse, récent, vient de passer inaperçu : tout le monde l'a abolie, en 1991, après la disparition de l'URSS). Avec cela, l'ONU exige même, (aujourd'hui), encore plus d'Israël que ne le fait l'actuelle OLP (devenue l'Autonomie palestinienne). Cette dernière a montré au cours des négociations qu'elle était prête, dans une certaine mesure, à partager Jérusalem-Est et à renoncer à certaines parties des "territoires" en échange de l'indépendance. Une telle position (de l'ONU) ne peut être qualifiée de pacificatrice mais, bien plus justement, d'incitatrice.
Qui, maintenant, pourrait escompter qu'Israël autorisera la venue dans les territoires contestés de forces d'interposition de l'ONU, comme l'exige Arafat (avec le soutien de la Russie) ? Si ces forces devaient être armées, alors, à en juger par les résolutions (précédentes) de l'ONU et par les récits des membres de forces d'interposition sur la frontière libano-israélienne, les Israéliens ne les défendraient pas, même en cas de nécessité. Et si elles ne devaient pas être armées, elles ne serviraient à rien, pour les deux camps adverses, tout comme ne servent à rien, de nos jours, les observateurs de l'ONU qui ont pris position, il y a longtemps déjà, aux abords du quartier juif d'Hébron. Ce n'est pas sans raison que le Conseil de Sécurité ajourne sans cesse l'examen de la question de l'envoi de forces d'interposition : il est acquis qu'Israël, quoi qu'il en soit, s'y opposera.
Il est loisible, bien entendu, d'envisager une opération d'"imposition de la paix" (peace enforcement), c'est-à-dire une intervention militaire directe de l'ONU. Les responsables politiques palestiniens se plaisent à faire la comparaison avec le Kosovo. Eux non plus, on peut le comprendre, ne veulent pas voir la différence dans l'essence du conflit. Israël, contrairement à la Yougoslavie, est prêt à un compromis territorial, ce pays ne pratique aucune "purification ethnique" et ne cherche d'ailleurs même pas à écraser des "séparatistes" (pour reprendre la phraséologie yougoslave), mais fait montre d'une résistance contre leurs agressions. Au demeurant, si l'on s'en réfère au vote à l'ONU, ces arguments auraient très bien pu ne pas convaincre les gouvernements européens. Ce sur quoi pourrait se reposer - pour le coup, solidement - Israël, en dernier recours, c'est (bien) sur le véto des Etats-Unis.
Toutefois, si une chose était de nature à détourner l'Europe occidentale d'un alignement inconsidéré sur la politique arabe, c'est bien le conflit réel, à bas bruit, mais ne datant néanmoins pas d'hier, (qui oppose) Israël aux régimes extrémistes de la Syrie et de l'Irak. Le danger d'un tel développement des événements s'est accru après la disparition d'Hafez al-Asad : son fils (Bashar) est prêt à se réconcilier avec (Saddam) Husseïn (par le passé, les branches syrienne et irakienne du parti Baath étaient des ennemies jurées), et il n'est pas enclin à prolonger les négociations avec Israël. Au cours de la semaine écoulée, Israël s'est efforcé d'entonner ce refrain, d'où les menaces contre la Syrie, qui soutient ouvertement le Hizbollah, c'est-à-dire (pour reprendre la définition onusienne), commet des actes d'agression contre Israël (au demeurant, entre la Syrie et Israël, il existe aussi un cessez-le feu provisoire). Les leaders israéliens, naturellement, prennent un risque, mais faible : il est peu probable que la Syrie se décide à déclencher une guerre, après le fiasco infamant de ses tentatives passées, mais Damas est prêt à défendre les Palestiniens seulement dans les envolées de la rhétorique : il y a beau temps que l'OLP a été chassée du pays et, depuis lors, les relations ne se sont pas le moins du monde améliorées.
En ce qui concerne ses relations avec les Palestiniens, Israël est ouvertement désenchanté de tous les médiateurs. L'Europe occidentale s'est exclue d'elle-même, le 2 décembre, du processus de paix. Quant à la Russie, n'en parlons même pas ! (le ministre des affaires étrangères israélien, Shlomo Ben Ami, n'est pas encore venu à Moscou, et on ne sait pas quand il y viendra...). Mais Barak demande même à Clinton de patienter un peu avec la médiation. C'est égal, il est désormais beaucoup plus question de "possibilités techniques de mettre fin à la violence et au terrorisme" que de paix. Et, à cette fin, seules des discussions (bilatérales) directes - et, si possible, ouvertes - pourraient être d'une quelconque utilité.
En même temps, la seule chose à laquelle Israël ait consenti, c'est d'admettre enfin la création d'une commission internationale d'enquête, présidée par l'ex-sénateur américain George Mitchell.
L'avenir des négociations :
Mais les négociations, qui se sont prolongées, à différents niveaux, presque sans interruption, n'ont pas encore donné, elles non plus, un quelconque résultat. La passivité militaire d'Israël, au cours de la première semaine du Ramadan (la chasse aux commandos de terroristes a été suspendue, et l'aéroport de Gaza ouvert, par exemple), n'a pas donné de résultats notables. Le vendredi s'est écoulé, à Jérusalem, tant bien que mal, c'est-à-dire avec les rixes habituelles mais, par contre, dans les "territoires", le niveau de la violence a recommencé à s'élever. Mais l'attaque, dimanche, de nuit, du tombeau de Rachel, situé à l'entrée de Bethléem, a été qualifiée par l'armée israélienne d'"attaque la plus sérieuse depuis la destruction de la tombe de Joseph", au début des affrontements actuels.
Pour l'instant, les négociations se trouvent dans une impasse totale. Israël exige l'arrêt des attaques, tandis que la direction arafatienne, pour ne pas parler de ses diverses organisations, qui dirigent officiellement l'"intifada", refuse carrément de donner l'ordre de cessez-le-feu et insiste sur le fait que , dans les conditions présentes, Israël ne doit pas signer un simple armistice, mais un traité de paix en bonne et due forme. Si même on faisait abstraction de la tenue de négociations proposée par les Palestiniens, il est clair qu'en signant une paix dès la fin de la guerre, Israël s'avouerait vaincu. Cela serait - là-dessus, les experts sont unanimes - pour les leaders palestiniens le signal de nouvelles pressions militaires à venir.
Peu importe que Yasser Arafat contrôle et déclenche personnellement les attaques armées, ou non (à ce sujet même les services secrets israéliens ne sont pas d'accord entre eux), la direction de l'ensemble des principaux courants politiques palestiniens est, à peu ou prou, déterminée à poursuivre les actions armées. Sans doute les leaders palestiniens espèrent-ils que la société israélienne, comme cela avait été le cas durant les années de la première intifada, se fatiguera de la terreur et lâchera des concessions supplémentaires. Mais, pour l'instant, leurs attentes ne se vérifient pas.
Le conflit armé a déjà causé, selon l'UNICEF, environ 310 morts, parmi lesquels 260 Palestiniens, 13 Arabes israéliens et 35 Juifs. Mais, désormais, même la société israélienne, qui accorde (pourtant) un très grand prix à la vie de chacun de ses citoyens, n'est aucunement prête à rendre les armes devant l'importance de ces pertes, ni, a fortiori, les Palestiniens. Quant aux pertes économiques pour Israël, elle sont peu sensibles : les économistes n'envisagent, pour l'année à venir, qu'un ralentissement de la croissance, qui passerait de 5,4% à 4% (en année glissante). Quant aux régions autonomes, il n'y existe pas à proprement parler d'économie normale, mais de très puissantes accumulations de capitaux des classes dirigeantes oligarchiques (provenant principalement de la corruption), qui ne souffrent absolument pas de la guerre.
Certains analystes font le lien entre les espoirs de la conclusion d'une paix proche et les élections anticipées annoncées en Israël. On dit qu'Ehud Barak s'efforcera, d'ici les élections, d'atteindre la paix et, par là même, d'améliorer son score (pour l'instant il obtiendrait 27% des voix contre 47% à l'ancien premier ministre Benjamin Netanyahu, candidat de la droite le plus probable. Quant aux concurrents de Barak au sein du parti travailliste, l'ex-premier ministre Shimon Pérès et le Président de la Knesseth, Avraham Burg, ils se sont d'ores et déjà officiellement retirés). Il n'est jusqu'aux propres ministres de Barak qui ne soutiennent cette légende. Barak lui-même a d'ailleurs proposé un nouveau plan de paix, au demeurant assez raisonnable, consistant en l'élargissement de l'autonomie (de 10% : aller au-delà n'est pas envisageable), en la reconnaissance de l'indépendance de la Palestine dans ces frontières (ainsi définies), en échange de l'annexion par Israël des territoires situés dans la "zone d'influence" des implantations juives, les problèmes de Jérusalem et du retour des réfugiés palestiniens devant, quant à eux, se voir ajourner à d'ici deux ou trois ans.
Le plan de Barak revenait à repousser l'autonomie : en face, (chez les Palestiniens), on n'a pas confiance en la possibilité de s'entendre avec le cabinet sortant. D'un autre côté, Barak lui-même n'aurait pas pu signer un quelconque accord. Dès le 28 novembre, ce même jour où il a décidé de procéder à des élections (anticipées), la Knesseth a décidé que, sans l'accord de la majorité des députés (61, sur 120) il était impossible d'abandonner une quelconque parcelle de Jérusalem, ni de permettre le retour des réfugiés. Si l'on tient compte du spectre politique actuel en Israël, on peut dire, sans crainte de se tromper, que dans les années à venir, on ne trouvera pas 61 députés prêt à voter, quelques soient les circonstances, en faveur d'une telle chose. De plus, le 4 décembre, la Knesseth a adopté une loi (en première lecture, pour l'instant, mais son adoption en deuxième et en troisième lectures est assurée), interdisant à Barak de signer un quelconque accord international sans son approbation préalable.
Ceci signifie qu'il n'y aura pas de paix sous Barak. A moins d'un miracle. La paix sera-t-elle possible après les élections, c'est-à-dire, après la victoire quasi-inéluctable de la droite ? Comme on devrait s'y attendre, elle est plus vraisemblable (après les élections) qu'aujourd'hui. Tout d'abord, Arafat aura moins d'espoirs de pouvoir exercer des pressions sur le gouvernement israélien, par des tirs, des attentats, ou la mauvaise volonté des Etats-Unis. Mais cela signifie que l'intifada, sous beaucoup de rapports, perdra tout son sens. Ensuite, si le candidat au poste de Premier ministre, pour le Likoud, n'est pas Sharon, mais Netanyahu, le leader le plus populaire, on peut s'attendre, à peu de choses près, à la même ligne politique que celle qu'il a suivie durant son premier mandat. Rappelons, entre autres, que le "processus de paix" avait tout de même continué, à l'époque.
Il est même certains politiciens palestiniens pour dire qu'ils préfèrent la droite. C'est compréhensible : la gauche israélienne adopte les accords obtenus (au cours des négociations) par la droite, mais l'inverse n'est pas vrai. Si bien que, sous un gouvernement de droite, les négociations sont plus lentes, mais leurs résultats sont, en revanche, plus durables. Le gouvernement Barak est considéré, actuellement, par une majorité d'Arabes et de Juifs, plutôt comme un facteur de destabilisation.
Ainsi, la seule alternative sur laquelle on puisse compter, en matière de trêve, jusqu'au printemps ou à l'été prochains, est la constitution d'un gouvernement d'urgence. Aujourd'hui, cela redevient possible, étant donné que les principaux points de différent entre Sharon et Barak ont été abandonnés : des élections anticipées sont ainsi d'ores et déjà convoquées, et Barak ne peut pas signer de paix à Camp David, comme ça. Un gouvernement d'urgence serait un partenaire suffisamment autoritaire pour des négociations visant à une trêve et pourrait, en cas de succès, entreprendre un nouveau cycle de négociations de paix, en ne perdant surtout pas de vue que c'est un gouvernement de droite qui serait appelé à les prolonger.