260 000 Palestiniens sont au chômage en Cisjordanie (ONU) et dans la
bande de Gaza, soit près de 40 % de la population active. Le taux de chômage
avait baissé de 30 % à 12 % entre 1996 et 1999. Environ la moitié des
Palestiniens vivent à présent avec moins de 9 shekels (2,10 dollars) par jour.
En bouclant hermétiquement les territoires occupés, l'Etat hébreu prive
automatiquement 120 000 Palestiniens de leur travail en Israël, soit un manque à
gagner d'environ 3,4 millions de dollars par jour.
(Brève in L'Humanité du jeudi 7 décembre 2000)
Point d'information Palestine > N°120
du 14/12/2000
Réalisé
par l'AMFP - BP 33 - 13191 Marseille FRANCE
Phone +
Fax : +33 491 089 017 - E-mail : amfpmarseille@wanadoo.fr
Association
loi 1901 - Membre de la Plateforme des ONG françaises pour la
Palestine
Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) -
Daniel Amphoux (Trésorier)
Si vous ne souhaitez plus
recevoir (temporairement ou définitivement)
nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux
destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante : amfpmarseille@wanadoo.fr.
Ce point d'information est envoyé
directement à 1570 destinataires.
La situation se dégrade chaque
jour en Palestine. On nous annonce quotidiennement des morts (de plus en plus
anonymes) et des milliers blessés. Exprimer sa solidarité avec le Peuple
Palestinien est aujourd'hui un devoir ! L'information est plus que jamais
une priorité, aussi, nous vous invitons à vous rendre sur les trois sites
suivants. Réalisé par Giorgio Basile, "Solidaires du peuple palestinien" sur
http://www.solidarite-palestine.org/, le
site francophone de référence ! Frederic Darondeau présente sur
"Israël-Monde Arabe", une revue de presse francophone quotidienne sur le
Proche-Orient sur http://www.multimania.com/ima. Enfin,
Jean-Michel Staebler, rédacteur en chef de "Med Intelligence", propose un
webzine bi-mensuel très pertinent sur http://medintelligence.free.fr/. A
vos souris !
Au
sommaire
Prochains rendez-vous
-
FILM "Paul
le charpentier" aujourd'hui, jeudi 14 décembre 2000 à 19h30 à la Maison
de l'UNESCO à Paris
-
RASSEMBLEMENT
de soutien au Peuple Palestinien le samedi 16
décembre 2000 à 15h à Aubagne
(13)
-
RENCONTRE
autour de la Palestine le dimanche 17 décembre 2000
de 10h à 17h à
Marseille
-
SOIREE de solidarité avec la Palestine le vendredi 22 décembre 2000, à
partir de 19h, à Namur
(Belgique)
Revue de
presse
- "Tous les Palestiniens
sont fichés, Israël peut s'attaquer à des cibles très précises" entretien avec
Eric Micheletti réalisée in Libération du jeudi 14 décembre
2000
- Générosité trompeuse
par Amira Hass in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 13
décembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
- Les larmes d'un peuple par Régine Deforges in L'Humanité du mercredi 13 décembre 2000
- Les Arabes d'Israël par Mohamed Sid-Ahmed in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 13
décembre 2000
- Il
faut revenir aux principes de Madrid, entretien avec Miguel Angel Moratinos
réalisé par Hicham Mourad in Al-Ahram Hebdo
(hebdomadaire égyptien) du mercredi 13 décembre 2000
- La
paix hypothéquée par Abir Taleb in Al-Ahram
Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 13 décembre 2000
- Ouvrant sa campagne, Netanyahu invoque "la volonté de la
Nation" par Deborah Sontag in The New York
Times (quotidien américain) du lundi 11 décembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
- La démission de Barak a surpris la Maison Blanche
par Jane Perlez in The New York Times
(quotidien américain) du dimanche 10 décembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
- Les réfugiés palestiniens doivent avoir le droit de
choisir par Elia Zureïk in Los Angeles Times
(quotidien américain) du dimanche 10 décembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
- La
France refuse d´équiper Israël en lance-grenades lacrymogènes par
Georges Marion in Le Monde du
samedi 9 décembre 2000
- L'échec étant la porte du succès, pourquoi
n'essayerions-nous pas ? Les relations arabo-américaines : l'hégémonie n'est
pas une malédiction éternelle par Burhan Al-Jalabi in Al-Quds Al-Arabi (hebdomadaire arabe publié à Paris) du
vendredi 08 décembre 2000 [traduit de
l'arabe par Marcel Charbonnier]
- Les chebab à qui-meurt-gagne par Jean-Pierre Perrin in
Libération du vendredi 8 décembre
2000
- Y
a-t-il un vote juif ? par Jacky Akoka in Nouvel Observateur du jeudi 7 décembre 2000
- Le
portrait d'un juste par Philippe Clanché in Témoignage Chrétien du
jeudi 7 décembre 2000
- L’heure du troc est arrivée par Hazem Saghié in "Al Hayat"
(Londres) publié dans Courrrier International du jeudi
7 décembre 2000
- Les limites de Yasser Arafat par Zeev Schiff
in "Ha’Aretz" (Tel-Aviv) publié dans Courrrier International du jeudi 7 décembre
2000
- “Ce conflit transforme nos deux peuples en monstres”
par Saray Makover in "Maariv" (Tel-Aviv) publié dans Courrrier International du jeudi 7 décembre 2000
- Arrêtons cette stratégie suicidaire
par Saleh Abdel Jawad in "Amin"
(Ramallah) publié dans Courrrier International du
jeudi 7 décembre 2000
- La
tragédie s'épaissit par Edward Saïd in AMIN -
Arabic Media Internet Network du jeudi 7 décembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
- Les oliviers de la colère à Gaza par Didier François
in Libération du jeudi 7
décembre 2000
- Financial Times (quotidien britannique) du
vendredi 1er décembre 2000
Le couvre-feu vide les rues de la Vieille Ville
d'Hébron par Judy Dempsey [traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
- L'illusion de la paix par Mustafa Al-Barghouti in
AMIN - Arabic Media Internet Network du jeudi 30
novembre 2000 [traduit de l'anglais par
Marcel Charbonnier]
Prochains
rendez-vous
1. FILM "Paul le
charpentier" aujourd'hui, jeudi 14 décembre 2000 à 19h30 à la Maison de
l'UNESCO à Paris
A l'occasion de la "Journée internationale de solidarité avec le Peuple
Palestinien", Koichiro Matsuura, Directeur général de l'Organisation des Nations
Unies pour l'éducation, la science et la culture, Mougi Bousnina, Ambassadeur,
Délégué Permanent de Tunisie auprès de l'Unesco, Président du Groupe Arabe, Ali
Maher Essayed, Doyen du corps diplomatique arabe, ambassadeur de la République
Arabe d'Egypte en France, Ahmad Abdelrazek, Ambassadeur, Observateur Permanent
de Palestine auprès de l'Unesco, vous prient d'assister à la projection du film
"Paul le charpentier" réalisé par le cinéaste palestinien Ibrahim Khill, le
jeudi 14 décembre 2000, à 19h30, à la Maison de l'Unesco - Salle I - 125, avenue
de Suffren - Paris 7e (Métro Ségur) - sur invitation -
[lire aussi dans ce Point d'information
Palestine N° 120, la critique du film par Philippe Clanché in Témoignage
Chrétien dans la rubrique Revue de presse >> Article N°
14]
2. RASSEMBLEMENT de
soutien au Peuple Palestinien le samedi 16 décembre 2000 à 15h à Aubagne
(13)
A l'initiative de l'Association Médicale Franco-Palestinienne (Comité
Pierre Llucia d'Aubagne) se tiendra, ce samedi 16 décembre 2000, à partir de
15h, un rassemblement de soutien au Peuple Palestinien, sur la Place du 14
juillet, à Aubagne dans les Bouches du Rhône. Exposition, rencontre,
témoignages autour et dans un bus "anglais" pour exprimer son soutien et sa
solidarité !
[AMFP-Aubagne - CO/ Sabine Gherrak - 14, cours
Barthélémy - 13400 Aubagne - Tél. 04 42 84 11 21]
3. RENCONTRE autour
de la Palestine le dimanche 17 décembre 2000 de 10h à 17h à
Marseille
Le groupe Témoignage Chrétien de Marseille organise ce dimanche 17 décembre
2000 de 10h à 17h à La Bétheline - 35, chemin de la Bétheline (Chateau Gombert)
- Marseille 13e - une journée d'information et de débat autour de la situation
en Palestine, avec la participation de représentants de l'AMFP-Marseille, et du
groupe TC de Toulouse. A cette occasion, une projection du dernier film de
Ibrahim Khill, "Paul le charpentier", sera présentée au participants.
[Témoignage Chrétien - CO/ Odile
Hartmann-Mondon - La Mongrane Bât. C6 - 1, rue André Isaïa - 13007 Marseille -
Tél/Fax. 04 91 70 95 21]
4. SOIREE de
solidarité avec la Palestine le vendredi 22 décembre 2000, à partir de 19h, à
Namur (Belgique)
Organisée à l'initiative de : Solidarité Socialiste - FGTB Namur - Amnesty
International - Centre d'Action Interculturelle - CNCD - Oxfam - Ligue des
Droits de l'Homme - Entraide & Fraternité - Centre des Immigrés - Justice
& Paix - Association Belgo-Palestinienne - Espace Enfance & Jeunesse et
Espace Pluriel de la Mutualité Socialiste - PAC - Fédération Namuroise du PS à
19h à la Maison syndicale André Genot - CGSP - Rue Armée Grouchy - 5000 Namur
(Belgique) - Entrée gratuite -
PROGRAMME :
19h : Projection du reportage l'Hebdo - RTBF "Octobre Noir" d'Élisabeth
Burdot
20h : Conférence-débat et témoignages
sous la présidence du sénateur Philippe Mahoux, avec comme invités :
Shawki
Armali, Ambassadeur de Palestine en Belgique, Henri Wajnblum, Président de
l'Union des Progressistes Juifs de Belgique, Pierre GALAND, Président du CNCD,
Élisabeth BURDOT, Journaliste RTBF
21h : Concert du groupe palestinien de musique et de chant, A'Arass, fondé
et dirigé par Ahmad Dari
[Renseignements : Tél. 081/72.93.05 -
081/72.93.45 - 081/72.93.53]
1. Libération du jeudi 14 décembre 2000
"Tous
les Palestiniens sont fichés, Israël peut s'attaquer à des cibles très précises"
entretien avec Eric Micheletti réalisée par Jean-Dominique
Merchet
L'expert militaire Eric Micheletti revient d'Israël et des territoires
palestiniens, où il a enquêté sur la nouvelle Intifada. Auteur de nombreux
ouvrages sur les forces spéciales, directeur d'une collection d'histoire
militaire, il dirige le mensuel indépendant d'informations militaires Raids. A
l'occasion de la sortie d'un numéro spécial «Israël-Palestine, l'appel aux
armes» (1), il répond à nos questions.
Tsahal, l'armée israélienne, est généralement considérée comme
l'une des meilleures du monde. Et pourtant, elle semble dépassée par les
événements. Qu'en pensez-vous?
Les Israéliens ont en effet été surpris par l'ampleur du soulèvement. Mais
le plus curieux est que les militaires avaient déjà été confrontés à l'Intifada,
de 1987 à 1993. Ils n'ont pas appris grand-chose depuis lors. Durant sept ans,
au lieu d'entraîner leurs hommes au maintien de l'ordre, ils se sont endormis
sur les accords de paix avec les Palestiniens. Les militaires pensaient qu'ils
n'avaient plus vraiment à s'occuper de défense intérieure. Ils ont bien acheté
un peu de matériel, comme des casques à visière, des grands boucliers ou des
gilets pare-coups, mais ils n'ont pas appris à manœuvrer à leurs soldats. On le
constate tous les jours sur le terrain. L'état-major se déchargeait de la
sécurité intérieure sur les 5 000 hommes du Mishmar HaGvul, les gardes
frontières qui sont des appelés servant dans la police. Lorsque le soulèvement a
commencé, la police a été débordée et l'armée a dû intervenir massivement.
Comment?
Ils ont sorti leurs chars et instauré un blocus très sévère des villes
arabes. Les Israéliens ont mis plusieurs jours à comprendre que les blindés ne
faisaient pas peur aux Palestiniens et que leur impact médiatique était très
mauvais. Aujourd'hui, les chars sont retournés dans les camps militaires.
La stratégie de Tsahal a donc évolué?
Oui, les réactions sont aujourd'hui beaucoup plus ciblées, plus
ponctuelles. Et ce n'est pas un hasard si, parmi les 2 000 réservistes rappelés,
figurent de nombreux tireurs d'élite. Tout le système israélien repose sur un
formidable appareil de renseignement. Il n'y a pas d'équivalent dans le monde,
si ce n'est peut-être les Britanniques en Irlande du Nord.
Quelle est leur méthode?
Depuis trente-trois ans, les Israéliens tiennent le pays. Tous les
Palestiniens ont été fichés. Leurs chefs sont repérés, localisés, suivis
vingt-quatre heures sur vingt-quatre par un système d'écoute et de surveillance
aérienne avec des hélicoptères et des drones (petits avions automatiques). Les
services israéliens possèdent les numéros de téléphone de tous les militants et
de tous les policiers palestiniens. Quant aux 35 000 à 40 000 armes légères des
Palestiniens, les Israéliens possèdent même leurs numéros de série, puisque ce
sont eux qui les ont fournies aux Palestiniens en vertu des accords d'Oslo.
N'oublions pas non plus que les différents services israéliens possèdent des
informateurs dans toute la société palestinienne. Nombre de ces «collabos»,
exécutés par les leurs, sont à compter parmi les victimes de ces dernières
semaines. Cette connaissance d'un terrain, relativement étriqué, permet à Tsahal
de s'attaquer à des cibles très précises, en visant par exemple tel ou tel
individu. Ou de détruire des bureaux avec des missiles antichars tirés
d'hélicoptères, mais en prévenant auparavant l'Autorité palestinienne.
Il y a donc une certaine retenue?
Oui. La preuve est que les forces spéciales, moins nombreuses qu'on ne le
dit, sont quasiment inutilisées. Quelques unités comme les Duvdevanim
interviennent déguisées en Arabes. Mais si Tsahal envoyait ces commandos
grenouiller toutes les nuits dans les zones d'où partent les tirs de harcèlement
palestiniens, cela se saurait... au vu des dégâts qu'ils causeraient. Ils ne le
font quasiment pas, à la demande du gouvernement.
Constate-t-on des désaccords à ce sujet entre l'armée et
l'exécutif?
On ne peut pas dire cela. En Israël, l'armée et la nation, c'est la même
chose et la plupart des responsables politiques, dont le Premier ministre,
sortent directement de l'armée. Tsahal, c'est une armée d'appelés et c'est
aujourd'hui l'un de ses problèmes. Le gouvernement doit répondre de la vie de
chacun de ses hommes et les soldats (qui font leur service de 18 à 21 ans) sont
peu motivés. Le combattant de la guerre des six jours ne reconnaîtrait pas celui
d'aujourd'hui. L'armée met d'abord l'accent sur la protection de ses hommes,
d'où la multiplication des blindages et des fortifications. Beaucoup de
technologie, mais peu d'engagement humain: c'est un des traits de
l'américanisation de la société et de l'armée israéliennes.
Quelles sont les tactiques des Palestiniens?
Je ne sais pas si l'on peut parler de tactique... A Gaza et à Ramallah, il
y a deux ou trois rues où se déroulent les manifestations, avec les enfants qui
jettent des pierres. C'était surtout vrai durant les trois ou quatre premières
semaines. L'essentiel aujourd'hui, c'est un harcèlement qui se déroule de nuit:
les Palestiniens vont «rafaler» les colonies juives ou les postes militaires,
puis ils regagnent leurs domiciles dans le secteur A, la zone où les Israéliens
n'ont plus accès. Mais tout cela reste des actions de basse intensité, si l'on
exclut les opérations du Hamas (islamiste) qui agit de son côté, avec des
attentats à la bombe.
Que peut faire Israël?
Pas grand-chose. Occuper un pays est très difficile: toute l'histoire le
montre. Certains parlent de construire un mur, mais il est illusoire de croire
qu'on peut s'en sortir en bétonnant. La seule solution passe par la politique,
pas par le militaire. Imaginons ce qui se passerait si les Palestiniens
organisaient une grande «marche verte» pacifique sur Jérusalem. Aucune armée ne
pourrait l'arrêter. Les militaires le savent bien.
(1) En vente dans les kiosques, 69 F.
2. Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 13
décembre 2000
Générosité trompeuse par Amira Hass [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Je suppose que c'est le destin. Nous n'écoutons
pas les Palestiniens, nous ne voulons pas entendre l'analyse qu'ils font de leur
situation ou leurs avertissements, nous, en Israël. Non, nous ne les écoutons
pas. Ce que nous écoutons, par contre, et ce que nous entendons, ce sont les
avertissements et les descriptions de la situation, présentée comme une
"occupation" (texto), lorsque c'est l'ancien chef du service de sécurité - Shin
Beit - Ami Ayalon, qui les produit. Quiconque a essayé d'informer sur le
comportement des Forces de Défense israéliennes sur le terrain, et non à travers
le bureau de leur porte-parole, s'est vu agonir d'insultes et d'accusations
infondées. Le camp de la paix israélien, qui se définit comme sioniste, a été
frappé de mutisme : lui aussi a plus écouté le porte-parole de l'armée
israélienne et les chefs d'état-major qu'il n'a rencontré les Palestiniens.
Résultat : son cri de sursaut moral est arrivé trop tard.
Ca ne serait pas si
grave si nous n'étions pas en train de parler de vies fauchées et d'infirmités à
vie évitables ; ça ne serait pas aussi terrible si la même règle stupide avait
prévalu à d'autres niveaux du conflit israélo-palestinien, particulièrement en
ce qui concerne la question des implantations.
Nous entrons maintenant dans
une nouvelle période électorale, durant laquelle le camp de la paix (israélien),
dans sa majorité, va soutenir Ehud Barak, en se fondant sur sa "générosité à
Camp David", qu'Arafat (aurait) rejetée. Les pourcentages jaugeant cette
générosité diffèrent d'un analyste politique à un autre. Certains ont mentionné
que ce qui était demandé aux Palestiniens, c'était de renoncer à 5% de la
superficie de la Cisjordanie ; tandis que d'autres avançaient le chiffre de 9%,
voire davantage. Jeff Aronson, qui étudie les politiques de colonisation
israéliennes à la Fondation pour la Paix au Moyen-Orient de Washigton, donne un
exemple de la nature trompeuse de pourcentages présentés comme des gages de
générosité. Les zones métropolitaines (urbaines) des Etats-Unis, qui
déterminent, dans une large mesure, l'identité du pays et sont vitales pour son
existence, ne représentent pas plus de 4% de sa superficie totale. Le bassin du
Mississipi couvre 2% du territoire américain (seulement) mais, sans le
Mississipi, les Etats-Unis ne seraient plus les Etats-Unis...
Les
plans-masses de l'ensemble des implantations de la Cisjordanie recouvrent pas
moins de 8 à 9% de sa superficie totale, les zones construites représentant de 1
à 2%. Les plans généraux de l'ensemble des collectivités palestiniennes - villes
et villages - occupent également seulement 8% de la superficie totale de la
Cisjordanie. Résultat : égalité dans l'occupation territoriale, en Cisjordanie,
entre 200 000 colons (excepté Jérusalem-Est), et quelque 2 millions de
Palestiniens. Même si 3% étaient prélevés sur les aires d'extension
(généreusement prévues larges) des implantations, cela ne changerait rien au
fait que la majorité d'entre elles (répétons-le, prévues en s'arrogeant sans
barguigner des possibilités d'agrandissement plus que confortables) resteraient
intouchées, et toujours situées dans une région de la plus haute importance
stratégique pour la cohésion territoriale de la Cisjordanie. L'implantation la
plus étendue, et la plus consensuelle de toutes, Ma'aleh Adumim, coupe la
Cisjordanie en deux : et n'allez pas imaginer que des acrobaties et des
jongleries avec des bretelles d'autoroute et des tunnels pourraient y changer
quoi que ce soit.
Les "généreux pourcentages" de Camp David n'ont pas
précisément défini qui aurait le contrôle des routes de communication. Même si
la "générosité israélienne" avait signifié que l'on ne conservait que Ma'ale
Adumim, Ariel et le Complexe Etzion, les routes de liaison desservant ces
implantations auraient continué à être patrouillées par les soldats israéliens.
Qui, à ce compte là, peut envisager un instant qu'un Palestinien pourrait se
sentir chez lui dans son propre Etat indépendant, alors que ses plus simples
déplacements, ses trajets entre son travail et sa famille, par exemple,
impliqueraient qu'il croise quotidiennement des soldats étrangers ?
Plus que
tout autre chose, l'intifada d'Al-Aqsa apporte la preuve qu'elle est bien une
révolte contre les implantations, les colonies, et contre l'illusion israélienne
que les Palestiniens pourraient admettre une réalité dans laquelle leur "Etat
indépendant" serait coupé par le milieu et sur les côtés par des "grappes
d'implantations". L'opinion publique palestinienne est prête à continuer à
supporter la brutalité du châtiment collectif et des mesures de rétorsion
adoptés par l'Armée israélienne de défense en riposte à toute attaque contre un
colon ou un soldat se trouvant là, précisément, pour défendre les colons.
Les Palestiniens sont unis dans leur opposition indéfectible à toute
solution qui laisserait les colons au milieu d'eux. Cette opposition ne vise pas
seulement Israël, mais aussi Yasser Arafat et les responsables de l'Autorité
palestinienne, qui voudraient avaler (la couleuvre du maintien des) colonies
dans le cadre d'un règlement définitif.
Vraisemblablement, ni les pierres ni
les déclarations palestiniennes (grandiloquentes) n'apporteront quoi que ce
soit. Nous aurons besoin d'encore quelques années sanglantes avant qu'un ancien
chef d'état-major ou un directeur à la retraite du Shin-Bet - comme de Gaulle,
en son temps - vienne nous voir et nous annonce l'inévitable : "Excusez-moi,
résidents de Ma'aleh Adumim : nous nous sommes trompés, lorsque nous vous avons
encouragés à vous installer ici en pensant que les Palestiniens accepteraient
éternellement leurs vies (de parias) dans ce système d'apartheid. Excusez-moi,
résidents de Givat Ze'ev, nous allons devoir vous trouver des maisons avec
jardin ailleurs, à l'intérieur d'Israël"... Ou bien alors, autre solution : nous
pourrions permettre aux habitants de Ramallah et d'Abu Dis, par exemple, de
déménager à Ramat Aviv et de construire une ville (de colonisation) à
Tantura...
3. L'Humanité du mercredi 13 décembre
2000
Les larmes d'un peuple par Régine Deforges
" Ecoute,
bûcheron, arrête un peu le bras !
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas
;
Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force,
Des nymphes qui
vivaient dessous la dure écorce ? " Pierre de Ronsard
Nous avons été
nombreux, à la fin de l'année dernière, à pleurer des arbres que la tempête
avait jetés à bas. Pour certains, dont je suis, abattre un arbre n'a jamais été
un acte anodin ; l'arbre représente la force, la durée, la vie. Je sais bien
que, de tout temps, son bois a été utile à l'homme mais, chaque fois que j'en ai
vu un, là, couché sur sa mère nourricière après le passage des bûcherons, devant
la plaie fatale d'où monte la forte odeur de la sève, j'ai presque toujours
versé des larmes. Grâce à lui, à l'arbre, l'homme a pu se préserver du froid,
faire cuire sa nourriture, fabriquer des huttes pour abriter sa famille, tailler
le berceau du nouveau-né, monter les charpentes des cathédrales, construire des
bateaux pour s'élancer à la conquête du monde... Il y a, entre nous et les
arbres, une complémentarité évidente. Entrer dans une forêt, c'est entrer dans
le vivant, c'est sentir autour de soi respirer le végétal et l'animal, c'est
redevenir partie intégrante de la nature. Cette nature que nous avons façonnée,
qui nous nourrit et que nous détruisons par inconscience, égoïsme, bêtise ou
goût de profit...
Autrefois, pour punir un seigneur félon, le roi ordonnait
de démanteler ses villes, de démolir les tours de ses châteaux et de procéder à
la déforestation de ses domaines. C'est ce qui se passe aujourd'hui à Gaza, où
l'armée israélienne a envoyé des bulldozers opérer l'arrachage des arbres qui
bordent la route de Kissufim, voie stratégique pour l'armée et les colons. Et
pas seulement les palmiers et les oliviers : tout ce qui pouvait permettre à un
combattant palestinien ou à l'enfant lanceur de pierres de se cacher a été
détruit, murs, hangars, maisons... Des familles ont été contraintes d'abandonner
leur demeure et leur mobilier que les soldats ont ensuite anéantis. Pour
certaines, c'était la seconde fois qu'elles étaient ainsi contraintes de quitter
la terre sur laquelle elles s'étaient établies. " 1 593 vieux oliviers et 172
jeunes plants, 669 palmiers, 1 973 citronniers et orangers, 998 amandiers, 24
goyaviers et 20 pieds de vigne ", a compté Eid Abdallah, le maire de Qara, pour
l'envoyé spécial de Libération, Didier François. Qu'en est-il dans les autres
villages bordant cette route maudite ? Croit-on qu'avec de tels procédés,
qu'avec les humiliations infligées à leurs parents et dont les enfants sont
témoins, ils cesseront de jeter des pierres à ceux qui les traitent ainsi ? " La
vraie violence (qui est révolte) n'a pas de venin. Quelquefois mortelle mais par
pur accident " (1).
"Inscris
Que je suis arabe
Que tu as raflé les
vignes de mes pères
Et la terre que je cultivais
Moi et mes enfants
ensemble
Tu nous as tout pris hormis
Pour la survie de mes
petits-fils
Les rochers que voici
Mais votre gouvernement va les saisir
aussi
...à ce que l'on dit ! " (2)
Ces " chebab " qui affrontent les
fusils israéliens, n'ont que mépris pour la mort ; ils se veulent martyrs. Les
parents sont impuissants à empêcher leurs enfants de participer à l'intifada et
les nombreuses morts ne font que renforcer la détermination des gamins et des
adolescents : c'est une question de dignité. Les mères s'en mêlent ; elles
feront plus d'enfants pour " remplacer " ceux qui auront été tués. Leur chagrin
a fait place à la colère. La colère, elle, engendre les cris, la haine, puis de
nouveau la colère... Pourtant, c'est encore la vie qui s'exprime là. Une vie
cependant dont nous, nous ne voudrions pas, une vie d'opprimés, de sans-terre.
Je voudrais que l'on m'explique, à moi qui ne suis pas une intellectuelle,
pourquoi l'Etat d'Israël continue de coloniser ces territoires, en dépit des
engagements pris devant la communauté internationale, alors qu'il a été
amplement démontré que la colonisation n'aboutissait qu'à l'échec, n'engendrant
qu'injustices et souffrances ?
(1) Jean Sénac.
(2) Mahmoud Darwish :
Identité, in Poèmes palestiniens. Editions du Cerf, 1989.
4. Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire
égyptien) du mercredi 13 décembre 2000
Les Arabes d'Israël
par Mohamed Sid-Ahmed
L'Intifada a atteint certains lieux en Israël
même. Et notamment la ville d'Oum Al-Fahm qui compte 40 000 habitants à majorité
musulmane. Ceux-ci ont été révoltés par le traitement barbare dont sont victimes
les enfants lanceurs de pierres. Les habitants d'Oum Al-Fahm sont alors sortis
manifester pour exprimer leur solidarité avec leurs frères palestiniens de
Cisjordanie, et se sont trouvés eux aussi exposés aux tirs des mitrailleuses de
la police israélienne. Le bilan : une dizaine de morts et 150 blessés. Ce qui a
rouvert le dossier des « Arabes d'Israël » et la possibilité de leur coexistence
avec les sionistes dans le cadre d'un Etat hébreu.
Pour éviter que des
mouvements pro-palestiniens naissent en Israël (à l'instar de ce qui s'est passé
à Oum Al-Fahm), il a été discuté à Camp David II l'échange de certains
territoires entre Israël et l'Etat palestinien une fois proclamé. Israël devrait
maintenir sa souveraineté sur certains territoires occupés où se concentrent les
colonies juives, et en contrepartie devraient être transférés à l'Etat
palestinien certains sites à majorité arabe, dont la ville d'Oum Al-Fahm.
Des
experts israéliens s'étaient opposés à cet échange sous prétexte que les Arabes
d'Israël préfèraient rester sous souveraineté israélienne plutôt que
palestinienne ! Un commentateur israélien avait écrit dans le journal Haaretz,
s'appuyant sur un sondage effectué auprès de 1 000 habitants d'Oum Al-Fahm,
montrant que 83 % de la population de la ville était opposée à un transfert à
l'Autorité palestinienne, que les habitants d'Oum Al-Fahm avaient fait part non
seulement de leurs opinions et sentiments, mais aussi qu'ils étaient les
porte-parole des Arabes d'Israël en général. Or, l'Intifada a réfuté
complètement ces arguments.
Le commentateur israélien était donc obligé de
renoncer à son opinion dans un article publié quelques jours après le
déclenchement de l'Intifada. Il a reconnu que deux phénomènes, contradictoires
mais en réalité complémentaires, ont pris naissance parmi les Arabes d'Israël.
Le premier est une tendance à la « palestinisation » des Arabes d'Israël qui ont
exprimé leur solidarité avec leurs frères, les Palestiniens de la Cisjordanie et
de la bande de Gaza. Le second est « l'israélisation » des Arabes d'Israël qui
ont exprimé leur désir de s'intégrer davantage aux institutions de la société
israélienne, et ce en entreprenant un long chemin tortueux et semé
d'embûches.
Pendant plus d'un demi-siècle, les Arabes d'Israël étaient soumis
à un Etat qui leur était imposé. Ils ont même enduré pendant 20 ans un régime
militaire strict qui a confisqué leurs terres pour assurer le caractère juif de
l'Etat sioniste. Ce dernier avait de même adopté la politique de deux poids,
deux mesures pour évaluer les fonds alloués aux communes : les villes et les
campagnes juives étaient traitées différemment des arabes. Ces dernières étaient
privées des services essentiels dans tous les domaines, notamment la santé et
l'éducation. C'est pour tenter de combler ce vide que le mouvement islamique a
eu une influence concrète dans certaines localités comme Oum Al-Fahm et
Nazareth.
La question qui se pose est donc : dans quel camp sont les Arabes
d'Israël ? Pendant des années, ils ont été persécutés par les juifs d'Israël.
Ils inspiraient en même temps la méfiance des sociétés arabes qui ont cru que
leur loyauté était en premier lieu à l'Etat hébreu. Ils ont été boycottés par
les peuples arabes comme le reste des citoyens israéliens. Mais depuis le
processus de paix, la position des arabes d'Israël a changé. Personne n'a plus
intérêt à les négliger ou à les marginaliser. Il ne s'agit plus de la
polarisation aiguë entre les deux parties qui avait précédé les négociations de
règlement. Les Arabes d'Israël possèdent actuellement 13 sièges parmi les 120 de
la Knesset. Et bien que les membres arabes de la Knesset relèvent de plusieurs
partis, ils forment aujourd'hui une force à ne pas négliger.
Les émigrés
étaient à la source du mouvement palestinien qui était d'abord représenté par le
Fatah et les autres factions ayant formé l'OLP à l'extérieur de la Palestine. Et
quand le processus de paix a été lancé à Madrid, le foyer du mouvement a été
transféré à des porte-parole de Gaza et de la Cisjordanie n'ayant aucun lien
direct avec l'OLP. Et ce fut grâce aux accords d'Oslo qu'Arafat et le Fatah se
sont créé une place dans les négociations et que l'Autorité palestinienne
présidée par Arafat a été habilitée à négocier au nom des Palestiniens. Ainsi,
le foyer du mouvement palestinien se trouvait transféré aux territoires
palestiniens occupés (soit ceux qui sont sous la souveraineté de l'Autorité
palestinienne ou ceux objets de négociation).
Quant aux Palestiniens résidant
en Israël, on peut citer comme exemple Azmi Bichara, membre de la Knesset, arabe
chrétien de Nazareth. Celui-ci a obtenu son doctorat de philosophie dans une
université allemande. Il utilise sa position parlementaire pour faire prévaloir
les aspirations nationales palestiniennes, qu'il s'agisse de la lutte pour
obtenir les mêmes droits que les juifs ou pour aboutir à l'indépendance
culturelle des Arabes d'Israël. Bichara a été inspiré par le mouvement des
droits civils mené dans les années 1960 par les Noirs Américains sous le
leadership de Martin Luther King. Bichara reconnaît que l'appartenance d'un
Arabe palestinien à la Knesset soulève de nombreuses contradictions qui ne se
limitent pas uniquement au fait qu'il s'agit d'un organe législatif israélien.
Sans doute, cette vérité accroît l'acuité des contradictions, mais ce n'est pas
leur seule cause. Il n'existe aucun moyen de les éviter si ce n'est de renoncer
à ce poste et de quitter le pays.
Il y a en Israël des partisans de l'idée de
création d'un Etat palestinien, ou même des parties qui saluent l'idée de
l'échange de terres entre leur Etat et l'Etat palestinien (pour garantir une
souveraineté israélienne sur la plupart des colonies juives et un transfert des
régions à majorité arabe à l'Autorité palestinienne). Ces Israéliens réalisent
que ne pas séparer Israéliens et Palestiniens exposera leur Etat tôt ou tard au
démantèlement. Ils réalisent de même que l'ancien emblème brandi par l'OLP,
celui de créer un Etat uni, démocratique et laïque en Palestine au lieu de la
diviser en un Etat juif et un autre palestinien n'est pas une simple illusion
sans avenir comme l'imaginaient nombre d'observateurs.
Depuis le processus de
paix, la position des Arabes d'Israël a changé. Personne n'a plus intérêt à les
négliger ou à les marginaliser.
5. Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire
égyptien) du mercredi 13 décembre 2000
Il faut revenir aux principes
de Madrid, entretien avec Miguel Angel Moratinos réalisé par Hicham
Mourad
Envoyé spécial de l'Union Européenne au Proche-Orient, Miguel Angel
Moratinos estime dépassées les propositions sur Jérusalem faites par Israël à
Camp David.
Al-Ahram Hebdo : Pourquoi l'Europe est-elle si neutre et si
passive dans la recherche d'un règlement au Proche-Orient ?
Miguel Angel
Moratinos : Je ne peux pas accepter cette nouvelle perception, ce nouveau
stéréotype qui est en train d'être véhiculé dans la société arabe et dans les
milieux politiques arabes d'une neutralité pernicieuse européenne. Le rôle
européen a été toujours une réalité mais maintenant il est devenu indispensable
pour faire avancer le processus, rétablir et consolider la paix dans la région.
L'Europe a toujours été constructive dans le chemin de la paix au Moyen-Orient.
A Marseille, il n'y a pas eu de grandes difficultés entre les représentants
arabes et les pays de l'Union européenne, au contraire, je crois que Marseille a
permis d'avoir un dialogue franc. On a organisé, suite au souhait de la partie
arabe, un dîner dédié exclusivement au processus de paix, une session formelle,
une réunion troïka avec les pays arabes, des travaux dans les couloirs de la
conférence pour aboutir à un texte final et à une plus grande sensibilisation de
la partie européenne. Ceci dit, ce qu'il faut reconnaître et en même temps
applaudir, c'est que le monde arabe réclame un rôle plus grand de l'UE et nous
sommes sensibles à cet appel. Et nous disons à nos amis arabes qu'il faut aussi
travailler main dans la main. Il faut aussi aider à ce que le rôle européen soit
plus efficace et pour cela il faut maintenir le dialogue de la coopération
euro-arabe. Il y a la conférence de Barcelone, il y a la présence permanente sur
le terrain, il y a des accords d'associations entre différents pays arabes et
l'UE. Mais tout peut être amélioré et il faut surtout établir un cadre clair de
ce que doit être notre prochain avenir. En d'autres termes, quel sera notre
avenir commun ? On est à un tournant. Il y a de nouveaux enjeux dans la région.
Il y a des changements d'opinions publiques dans le monde arabe et une réforme
institutionnelle au sein de l'UE. Nous assistons à une nouvelle phase entre le
monde arabe et l'UE et il faut rétablir les objectifs et les plans
d'action.
— Mais certains responsables européens lient un rôle accru de l'UE
à un accord préalable d'Israël ...
— C'est une fausse perception. Je pense
que l'Europe est mûre pour mener sa politique sans aucun complexe. Il est vrai
qu'on a maintenant de meilleurs rapports avec Israël et ce n'est pas là
simplement une bonne nouvelle, mais une nouvelle qui devrait être applaudie au
sein du monde arabe. On a de meilleures capacités de dialogue et d'influence sur
Israël pour pouvoir faire passer nos préoccupations, nos visions des choses et
nos objectifs qui sont très proches et pratiquement les mêmes que ceux du monde
arabe. Je me rappelle que lorsque l'Espagne a rétabli les relations
diplomatiques avec Israël en 1986, cela a été accueilli dans le monde arabe par
des déclarations annonçant la fin de l'amitié et de la fraternité avec le monde
arabe. On aurait dit qu'on assistait à une rupture définitive, à une cassure
entre l'Espagne et tout le legs historique avec le monde arabe. On a expliqué
que grâce au rétablissement des relations avec Israël, l'Espagne a pu jouer un
rôle plus positif et plus efficace et c'est pour cela qu'on a eu la conférence
de Madrid, qu'on a pu relancer le processus de paix. C'est pour cela aussi que
nous sommes plus efficaces dans le dialogue. C'est aussi pour cela qu'on m'a
nommé envoyé spécial de l'UE. Je crois que c'est sur cela qu'il faut se
concentrer. On ne préconditionne pas notre action au Moyen-Orient par un accord
ou un désaccord des uns et des autres. En conclusion, nous avons une vision
politique et des objectifs. Nous les menons avec objectivité, avec clarté et
avec détermination.
— Dans cette perception, n'y a-t-il pas lieu alors de
répondre positivement à certains responsables arabes qui demandent à l'UE, en
tant que premier partenaire économique de la région, d'imposer des sanctions à
Israël ?
— Les sanctions, les mesures, les pressions, ce sont des termes. Je
crois qu'on doit agir dans une globalité. Les sanctions, ça dépend du pourquoi,
du quand et à quel moment. Je pense qu'actuellement nous sommes dans un
processus de paix, de dialogue. Il y a eu la rupture et toute la crise à
laquelle nous assistons. Je pense que l'heure est au dialogue et non aux
sanctions. On verra dans le futur ce qui va se passer, mais aujourd'hui nous
disons qu'on a une volonté d'être utile et d'être efficace.
— Le projet
d'envoi d'observateurs de l'Onu dans les territoires palestiniens risque de
buter sur un veto américain. Quelle sera la position de l'UE ?
— Il y a un
consensus au sein de l'UE favorable au principe de l'envoi d'observateurs et
nous appuyons les efforts de la France et de la Grande-Bretagne pour arriver à
une adoption la plus immédiate d'une solution susceptible de permettre au
secrétaire général des Nations-Unies de mettre en application l'envoi de cette
mission d'observation. On espère dans les prochains jours arriver à un consensus
avec toutes les parties. Ceci étant, nous n'attendons pas une acceptation des
uns et des autres et je crois que le plus important c'est d'accepter le principe
de la mission et de donner un mandat au secrétaire général pour son application.
On aimerait qu'il n'y ait pas de veto. Sinon, on prendra nos responsabilités qui
sont toujours en faveur de cette mission.
— Vous avez parlé à plusieurs
reprises de « mesures de confiance » du côté palestinien et du côté israélien.
Qu'entendez-vous par mesures de confiance ?
— L'application des accords de
Charm Al-Cheikh comporte des obligations spécifiques qui exigent des uns et des
autres des actions concrètes. Quelquefois, on entend par mesures de confiance
des obligations du côté israélien : Israël doit immédiatement retirer ses
troupes jusqu'aux positions d'avant le 29 septembre, lever le bouclage des
territoires, faciliter le transfert des fonds à l'Autorité palestinienne. On
demande aussi aux autorités palestiniennes des efforts en matière de sécurité.
Toutefois, les mesures de confiance sont quelque chose qui va un peu plus loin
que tout cela. A titre d'exemple, les mesures de confiance politiques : une
volonté d'arrêter la politique d'implantation. Ainsi, lever le bouclage ne peut
pas être considéré comme une mesure de confiance. L'autre mesure est liée au
climat et à l'atmosphère qui doivent conduire aux négociations. L'envoi d'une
mission d'observation qui peut constituer un élément de reprise du dialogue
constitue aussi une mesure de confiance.
— Après le déclenchement des
affrontements entre Palestiniens et Israéliens, les responsables palestiniens et
arabes appellent à une reprise des négociations, mais sur de nouvelles bases.
Qu'en pensez-vous ?
— Je crois qu'ils ont raison. Nous devons tous réfléchir
à la nouvelle situation avec une vision de ce qui a été positif dans le passé.
Identifier ce qui n'a pas donné de résultats et l'échec qui a mené à cette
situation, et envisager le futur avec un regard nouveau. Tout le monde est
d'accord, l'UE et le monde arabe, et je crois qu'Israël aussi, sur le fait qu'il
faut reprendre les termes de référence de la conférence de Madrid. Il faut
signaler que sans l'application des résolutions 242 et 338, il sera pratiquement
impossible et inacceptable d'arriver à un accord définitif entre Israël, les
Palestiniens et les pays arabes. Il faut faire une lecture réaliste et positive
de ce qui a fait la réussite d'Oslo. Il ne faut pas non plus sacraliser Oslo.
Oslo avait des éléments de méthodologie, un terrain d'approche graduelle avec
des éléments substantiels. Aussi, il faut garder ce qui est substantiel et
laisser ce qui est intérimaire, et dans ce sens ce qui reste d'Oslo est très
clair, c'est la négociation du statut final : Oslo est passé. On a les bases de
Madrid qu'il faut maintenant reprendre pour le statut final. Par ailleurs, il
faut avoir un nouveau regard ; il faut garder l'acquis substantiel du processus
car on ne peut pas dire que l'on n'a pas avancé durant ces neuf dernières
années. Beaucoup a changé dans les attitudes, les esprits et les propositions
israéliennes. Donc, il faut garder tout cela et se dire comment aboutir à une
solution définitive, du point de vue substantiel et procédural et c'est là une
réflexion tout à fait légitime sur laquelle on doit se concerter avec nos amis,
égyptiens, arabes et avec Israël ainsi que les Américains.
— La Russie a
proposé la tenue d'une conférence internationale pour remettre sur les rails le
processus de paix. Qu'en pensez-vous ?
— Je crois que c'est là une
proposition valable, mais quand et comment ? Là est la question. Il faut
travailler pour créer une réflexion conjointe et créer les conditions de remise
sur pied des négociations. Si les Américains n'arrivent pas à faire bouger la
situation, il faut envisager toutes les formules utiles. Pour l'instant, c'est
un peu prématuré. Les efforts de la Russie sont valables et il faut les prendre
en considération.
— Les Palestiniens ont à plusieurs reprises parlé de la
proclamation unilatérale d'un Etat palestinien en cas de non accord. Quelle est
votre position ?
— Nous avons été très clairs. Nous soutenons la création
d'un Etat palestinien. On l'a dit en mars 1999, on l'a redit à Biarritz, en
octobre, et par la suite à Marseille, en novembre. Les Arabes ont dit que le
communiqué de Marseille était très mauvais. Ceci n'est pas vrai puisque même
Israël a adopté le communiqué qui mentionne un Etat palestinien. Les
Palestiniens doivent décider et proclamer leur Etat. Une fois que cela sera
fait, on assumera nos responsabilités. Pour l'instant, les Palestiniens pensent
que le moment n'est pas encore arrivé.
— Mais les Européens, ainsi que les
Américains et les Russes, ont conseillé aux Palestiniens de reporter la
proclamation de leur Etat …
— Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Nous avons
conseillé aux Palestiniens en 1999 d'attendre pour cause d'élections en Israël.
Evidemment, on voudrait que la proclamation de l'Etat ait l'accord de tout le
monde. Ce serait l'idéal. Ceci dit, les Palestiniens sont seuls à décider.
—
La question de Jérusalem reste la principale pierre d'achoppement à un accord de
paix. Pensez-vous qu'une solution est possible ?
— Les points positifs
concernant cette question sont que, pour la première fois, il y a un débat sur
la question de Jérusalem. Il faut reconnaître que même les plus grands experts
appréhendaient d'aborder la question de Jérusalem d'une façon si claire et si
nette, et pourtant la question est abordée. On peut trouver une solution à la
question de Jérusalem. Je crois qu'aujourd'hui il y a une volonté de surmonter
ce qui a été proposé par les Israéliens à Camp David, à savoir leur souveraineté
sur les lieux religieux et historiques. Les Européens peuvent aider à trouver
une solution à cette question. Je suis plutôt optimiste.
6. Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire
égyptien) du mercredi 13 décembre 2000
La paix hypothéquée
par Abir Taleb
Les chances déjà minimes d’un règlement de la crise
dans les territoires occupés et d’un accord israélo-palestinien se sont
carrément volatilisées à la suite des développements politiques intérieurs en
Israël et de la démission, samedi dernier, du premier ministre israélien Ehud
Barak. En effet, les Palestiniens qui s’étaient réjouis, en mai 1999, lors de
l’élection de Barak, du retour de la gauche, ne se font désormais plus
d’illusions. Et maintenant que la paix est dans l'impasse, les Palestiniens
estiment n'avoir pas grand-chose à perdre, même avec un possible retour de la
droite au pouvoir. Le président palestinien Yasser Arafat a lui-même écarté
l'idée d'une percée et d'un accord d'ici aux prochaines élections, bien qu'il
s'agisse là, de l'avis général, de la meilleure chance — voire de la seule —
pour M. Barak de se maintenir au pouvoir. « Il n'y a pas de doute que cette
démission aura pour conséquence de geler le processus de paix jusqu'à la tenue
de l'élection », a déclaré le président palestinien, en ajoutant : « Tout le
monde sait qu'il (Barak) ne se sentait pas engagé (par le processus de paix) et
qu'il gagnait du temps. Ce n'est pas la première fois que le processus de paix
est entravé ». Une manière de dire qu'il ne compte pas faire de concessions pour
parvenir à tout prix à un accord de paix, même partiel, sur lequel M. Barak
pourrait ensuite faire campagne pour vaincre le candidat du Likoud.
Une
responsable palestinienne, Hanane Achraoui, a elle aussi confirmé que plus de
dix semaines après le début de l'Intifada, qui a déjà coûté la vie à près de 300
Palestiniens, il n'est pas question de jeter une bouée de sauvetage à M. Barak.
« Vous ne verrez pas les Palestiniens se précipiter au secours de Barak »,
a-t-elle déclaré, reconnaissant toutefois qu'il y aura « des pressions
politiques massives sur les Palestiniens (...) pour qu'ils signent un accord
défectueux afin de sauver le premier ministre ». M. Barak « a montré qu'il
pouvait être aussi mauvais que l'alternative », c'est-à-dire que la droite, a
ainsi déclaré Mme Achraoui.
Car, en Israël, c’est désormais dans une
véritable course électorale que se sont engagés le premier ministre
démissionnaire, qui a été aussitôt désigné candidat du Parti travailliste pour
l’élection au poste de chef du gouvernement, et l'ancien premier ministre
Benyamin Netanyahu, qui a annoncé dimanche sa candidature et qui compte bien
marquer ainsi son retour sur la scène politique et pourquoi pas à la tête du
gouvernement israélien.
Face à cette frénésie électorale israélienne, les
avis palestiniens se rejoignent, du moins sur un point. Droite ou gauche, pour
les Palestiniens, c’est en quelque sorte la même chose. Certains Palestiniens
pensent même que l’éventuel retour au pouvoir du Likoud serait plutôt avantageux
pour eux, dans la mesure où il pourrait se traduire par un isolement quasi
immédiat d'Israël sur la scène internationale, comme ce fut le cas entre 1996 et
1999 durant le gouvernement Netanyahu. Ceci dit, aussi isolé qu’Israël puisse
être, il aura toujours les Etats-Unis à ses côtés.
Poursuite de l’Intifada
Au
même moment, la violence se poursuivait dans les territoires occupés, où deux
Palestiniens, dont un membre du Fatah, ont été tués par balles par des soldats
israéliens lors de deux incidents séparés dimanche en Cisjordanie.
Lundi, un
enfant palestinien, blessé vendredi par des tirs de soldats israéliens à Hébron,
a succombé à ses blessures. Un décès qui porte à 320 le nombre de tués depuis le
début de l'Intifada le 28 septembre dernier, en grande majorité des
Palestiniens. Mais c’est vendredi, décrété journée de la colère, qui a été la
journée la plus meurtrière avec huit tués palestiniens. Le ministre palestinien
de l'Information, Yasser Abd Rabbo, a d’ailleurs dénoncé les « crimes commis
vendredi par l'armée d'occupation israélienne », accusant l'armée israélienne
d'avoir perpétré un « crime de sang-froid » à Jénine, dans le nord de la
Cisjordanie, où quatre policiers et un civil ont été tués par des obus de chars
israéliens. Le ministre palestinien a appelé, de nouveau, le Conseil de sécurité
des Nations-Unies à « assurer immédiatement une protection au peuple palestinien
» et la Commission internationale présidée par l'ancien sénateur américain
George Mitchell à « enquêter de manière objective » sur les violences. Cette
commission d'« établissement des faits » a entamé ses travaux lundi par une
rencontre avec Ehud Barak à Jérusalem puis une autre à Gaza avec Yasser
Arafat.
En attendant les résultats de cette enquête, Saëb Eraqat, l’un des
négociateurs palestiniens, a estimé que l'instabilité va se poursuivre au
Proche-Orient tant qu'Israël occupera les territoires palestiniens. « Les
partisans de l'extrême droite en Israël veulent maintenir cette occupation et
avec elle, vous aurez toujours une situation anormale », a-t-il indiqué. Pour M.
Eraqat toutefois, la démission de M. Barak est une affaire intérieure à Israël.
« Nous avons toujours dit que nous allions faire la paix avec tous les
Israéliens, pas avec tel ou tel parti en Israël », a-t-il conclu.
Toutefois,
avant la démission de M. Barak, Israël se préparait à des élections générales
vers le mois de mai, ce qui donnait en théorie au premier ministre un délai de
six mois pour tenter de faire baisser la violence et relancer les négociations.
Mais M. Barak a, au contraire, justifié sa démission par le fait que « des
élections dans un délai de cinq mois auraient empêché toute chance d'un accord
avec les Palestiniens ». « Maintenant, même si aucun accord n'est conclu, les
élections constitueront un véritable référendum sur la voie de la paix » entre
le Parti travailliste et l'opposition de droite, a-t-il ajouté.
Quoi qu’il en
soit, les Palestiniens devront attendre au moins encore 60 jours, délai accordé
avant l’élection pour la désignation d’un nouveau premier ministre en Israël,
avant de savoir ce qu’adviendra de leur sort. Mais aujourd’hui, dans les
Territoires, on ne s’attend plus à des miracles. Pour nombre de Palestiniens, la
seule option est de poursuivre l’Intifada, car Barak, Netanyahu ou même Sharon,
c'est bonnet blanc, blanc bonnet.
7. The New York Times (quotidien
américain) du lundi 11 décembre 2000
Ouvrant sa campagne, Netanyahu invoque "la
volonté de la Nation" par Deborah Sontag [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Jérusalem, 10
décembre - Après une éclipse de la scène
politique israélienne qui s'est prolongée 19 mois, l'ancien Premier ministre
Benjamin Netanyahu est de retour, ce soir, avec l'art consommé de la mise en
scène médiatique du Netanyahu de naguère. Fraîchement débarqué de son avion, il
s'est précipité devant les caméras du journal télévisé du soir pour annoncer son
intention de reconquérir la présidence du Likoud, avant le fauteuil de Premier
ministre.
De retour dans le champ des caméras, M. Netanyahu a
déclaré qu'on ne devrait pas laisser le Premier ministre actuel, Ehud Barak,
"frustrer la volonté de la Nation", en bloquant sa capacité à se porter
candidat.
M. Netanyahu a ajouté qu'il allait s'atteler à
écarter tous les obstacles politiques et légaux que la démission de M. Barak,
annoncée aujourd'hui, avait pour effet de mettre sur sa route.
"L'homme qui a ignoré la volonté de la nation alors
qu'il était au pouvoir tente maintenant de l'ignorer pour y rester", a commenté
M. Netanyahu, donnant un avant-goût de sa combativité. "Il ne démissionne pas
pour restaurer le calme ou mettre un terme à la violence palestinienne, ni pour
rendre la sécurité à notre peuple. C'est autre chose qui est en train de se
passer : la pire des manipulations politiques de l'histoire d'Israël. Il
démissionne pour empêcher le peuple d'élire librement et démocratiquement un
nouveau premier ministre et un nouveau parlement". Néanmoins, devenir un
candidat officiel ne sera pas aussi facile pour M. Netanyahu, qui se détache
nettement du peloton dans les sondages, qu'annoncer sa candidature. M. Barak a,
en effet, au cours du week-end, contré la candidature probable de son rival par
un stratagème totalement imprévisible, et M. Netanyahu devra déployer des
prodiges de procédures politiques et légales pour se remettre du coup asséné par
M. Barak.
Samedi soir, M. Barak a réussi à souffler
l'initiative politique d'un parlement prêt à voter sa dissolution et à
s'orienter vers de nouvelles élections générales à la fin du
printemps.
Il a annoncé que c'est lui qui allait démissionner,
provoquant des élections spéciales sous soixante jours, pour la désignation du
seul premier ministre. En vertu de la loi régissant les élections spéciales, les
candidatures sont exclusivement réservées à des membres du Parlement, ce qui
exclut M. Netanyahu.
M. Netanyahu, 51 ans, a quitté son siège et la
direction du Likud le jour où M. Barak, 58 ans, l'a vaincu de manière écrasante
et l'a remplacé au poste de premier ministre, en mai 1999. Il avait alors remis
les rênes d'un Likud affaibli à Ariel Sharon, 72 ans, et abandonné la politique
pour mener une existence de consultant et de maître de conférence. Dans le camp
nationaliste israélien, les tam-tam n'ont jamais cessé de résonner pour appeler
son retour, tout particulièrement depuis le déclenchement de la révolte
(palestinienne), il y a maintenant dix semaines.
Mais M. Sharon a écarté depuis longtemps l'idée
qu'il aurait été un simple gardien du parti, et il ambitionne désormais être
candidat au poste de premier ministre pour le Likud, représentant ainsi une
autre pierre d'achoppement, fût-elle mineure, pour M. Netanyahu.
A en juger par les sondages, M. Barak a beaucoup
plus de chances d'être élu face à M. Sharon, c'est ce qui l'a incité, de toute
évidence, à présenter sa démission.
Il y a presque deux semaines, lorsque le Parlement
a approuvé un projet de loi pour sa dissolution, M. Barak avait dit qu'il ne se
battrait pas contre la volonté des législateurs de le déposer. A ce moment-là,
il avait aussi dit qu'il ne chercherait pas à les court-circuiter en
démissionnant afin de maintenir M. Netanyahu hors-course.
Lors d'une conférence de presse télévisée, ce soir,
M. Netanyahu, dont le surnom est "Bibi", a cité les propos que M. Barak avait
alors tenus : "J'ai d'ores et déjà battu Bibi. Il ne me fait pas peur.
L'éventualité de démissionner juste pour le neutraliser ne m'a pas traversé
l'esprit une seconde".
Mais, au cours des deux semaines suivantes, M.
Barak a déclaré qu'il en était venu à penser que bien des membres du Parlement
ne désiraient pas vraiment aller à de nouvelles élections. Il a dit qu'il avait
décidé de ne pas les "tirer" contre leur gré à de nouvelles élections, mais
qu'il allait chercher à obtenir un nouveau mandat du peuple pour lui-même, et
seul.
Ces deux semaines ont aussi été caractérisées par
une succession de sondages qui le montraient obstinément comme perdant face à M.
Netanyahu. Les sondages montraient le parti travailliste de M. Barak comme
affecté par un coup fatal, lui aussi, et le parti était en pleine discorde
interne. M. Barak a donc changé d'avis.
Cet après-midi, le Président Moshé Katsav a accepté
la démission du Premier ministre, qui sera effective mardi prochain, et il l'a
félicité pour sa détermination à affronter les élections de manière à savoir si
la Nation toute entière le soutient.
M. Barak, un sourire pincé sur les lèvres, a
corrigé le président israélien. En 1999, il avait souhaité devenir le leader de
"tout-le-mon-de", comme le disait son slogan électoral. Maintenant, il en a
quelque peu rabattu de ses ambitions : ce qu'il veut, c'est "une majorité".
"Pour moi, une majorité des gens, cela suffit".
Plus tard, aujourd'hui, après un vote informel, le
comité central du parti Travailliste a rapidement choisi M. Barak comme candidat
au poste de premier ministre. Ce vote a mis un terme à une brève période de
turbulences à l'intérieur du parti, au cours de laquelle une faction pacifiste
envisageait même de présenter un candidat contre lui à la présidence du
parti.
Avec les élections au coin du bois, ce n'était pas
le moment d'avoir une compétition interne, et M. Barak s'est présenté, sans
opposition, devant le vote à main levée d'aujourd'hui. Shimon Pérès, leader des
colombes et ancien premier ministre, était absent.
"Il a été élu à la majorité, et c'était un vote
démocratique", a commenté Avraham Burg, porte-parole du Parlement, qui avait
abandonné l'idée de se présenter contre le premier ministre (sortant) à cause
d'un calendrier électoral accéléré.
M. Barak a toutefois réussi à calmer une opposition
potentielle au sein de son propre parti, même s'il quelques rumeurs suggèrent
encore que le camp de la paix pourrait encore mettre sur pied la candidature
d'un parti tiers. Les législateurs arabes israéliens envisagent également de
porter quelqu'un candidat, ce qui représenterait une sérieuse menace pour M.
Barak. Plusieurs législateurs du Likud envisagent de mettre sur pied une
concurrence à M. Sharon si M. Netanyahu se voit écarté de la
candidature.
Mais, pour M. Barak, le concurrent le plus
dangereux est M. Netanyahu. M. Netanyahu a deux options pour trouver une manière
d'entrer en lice. Ses partisans suivent les deux pistes à la fois. Tout d'abord,
ils cherchent à amender la loi qui régit les élections spéciales de manière à
autoriser une personne non-membre du Parlement à devenir candidate au poste de
Premier ministre.
C'est une route incertaine, car elle nécessite de
proposer très rapidement un projet de loi, et ensuite, à remporter une majorité
absolue parmi les 120 membres d'un Parlement on ne peut plus divisé. Un tel
projet de loi pourrait avoir à relever sans tarder un défi : Israël n'a jamais
eu de premier ministre qui n'ait été également membre du Parlement.
M. Netanyahu semblait désireux de pousser ses
partisans sur une autre piste. Il a déclaré qu'il pensait que le Parlement
devrait continuer ce qu'il avait entrepris deux semaines auparavant et procéder
au vote final pour décider de sa dissolution.
Dans ce cas, a stipulé le conseiller juridique du
Parlement, M. Netanyahu devrait être autorisé à se présenter que le vote pour la
désignation du Premier ministre et les élections parlementaires devraient être
tenues simultanément. La date du 6 février est celle qui revient le plus
souvent.
Mais les analystes politiques israéliens disaient
aujourd'hui qu'il était bien loin d'être certain qu'une large majorité se
prononcerait en faveur de la dissolution. Des partis qui craignent de perdre des
sièges ne sont pas enthousiasmés par cette perspective. Ainsi les réticences du
Shas, parti orthodoxe intégriste représentatif des Juifs sépharades ouvriers,
sont connues.
Des leaders du Shas ont déclaré qu'ils attendaient
une décision des rabbins qui puisse les guider dans leurs choix.
Ainsi, éperonné par la manoeuvre de M. Barak, le
système politique israélien s'est retrouvé pris dans un tourbillon d'activité
intense, aujourd'hui, tandis que les associés du Premier ministre, comme ses
opposants, consultaient des experts juristes afin de trouver dans quelles voies
ils pouvaient s'engager.
Nombreux furent-ils à prévoir que ces sujets,
extraordinairement complexes d'un point de vue légal, allaient aboutir au
tribunal. Inévitablement, par conséquent, les Israéliens se sont fait la
réflexion qu'après avoir construit leurs banlieues et leurs centres commerciaux
sur le modèle américain, c'était maintenant le dérèglement du système politique
américain qu'ils singeaient.
"Dans un acte d'identification symbiotique, Barak a
mis Israël dans une folie constitutionnelle qui évoque celle qui s'est emparée
de l'Amérique", écrit Chemi Shalev sous le titre "L'acte d'un Kamikaze", dans le
journal Maariv. "La différence, c'est que - et d'une - les Américains ont
déjà eu leurs élections et que - et de deux - ils ne savent pas encore, eux, qui
les a perdues..."
De même, Nahum Barnea, éditorialiste du journal Yediot
Ahronot, écrit qu' "aucune manip trouvée dans un manuel de droit ne saurait
empêcher M. Netanyahu de se présenter s'il est bien le candidat favori de la
droite". Puis Nahum Barnea pose la question : "On n'est pas en Amérique, tout de
même ?..."
8. The New York Times (quotidien
américain) du dimanche 10 décembre 2000
La démission de Barak a surpris la Maison
Blanche par Jane Perlez [traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
Washington, 9 décembre - L'administration Clinton n'avait pas été
prévenue des projets de démission du Premier ministre israélien, M. Ehud Barak,
si bien que les médiateurs chargés du Moyen-Orient, ici aux Etats-Unis,
continuaient à se creuser la cervelle à la recherche d'un accord de dernière
minute entre M. Barak et le leader palestinien, Yasser Arafat.
Dennis B.
Ross, le négociateur en chef de l'administration (Clinton), doit se rendre
prochainement en visite auprès de M. Arafat, pour ce qui était supposé être une
rencontre secrète, à Rabat, au Maroc, destinée à déterminer si le leader
palestinien est intéressé à retourner à la table des négociations, a déclaré un
haut responsable.
Cette réunion va désormais revêtir un caractère d'urgence
d'une nature nouvelle, a précisé un autre haut-fonctionnaire. Il a expliqué que
l'un des objectifs visés par M. Barak en programmant des élections anticipées
pourrait bien d'avoir été de forcer M. Arafat à opérer un choix entre obtenir un
accord avec lui, ou avoir à affronter la perspective de Sharon, leader de
l'opposition conservatrice, au poste de Premier ministre.
Mais, avant tout,
les officiels de l'administration ont suggéré que la possibilité que l'actuelle
Maison Blanche soit capable de mettre un terme aux violences entre Palestiniens
et Israéliens et d'aboutir ensemble à un accord était très faible, sinon
inexistante.
"Nous n'avions aucun indice nous laissant prévoir cette
décision", a déclaré aujourd'hui un officiel à propos de la démission-surprise
de M. Barak.
Le Président Clinton a parlé à M. Barak, au téléphone, pour la
dernière fois, le vendredi 1er décembre, a ajouté cet officiel, qui a précisé
que le premier ministre israélien n'avait alors rien laissé paraître d'une
possible démission ou de l'organisation d'élections aussi rapprochées.
M.
Clinton avait su établir une relation chaleureuse avec M. Barak, l'invitant à la
Maison Blanche une semaine, seulement, après son intronisation en tant que
premier ministre. Les deux hommes avaient déterminé ensemble une stratégie dont
ils espéraient qu'elle pourrait aboutir à un règlement pacifique global au
Moyen-Orient.
Cette stratégie était basée sur la notion que M. Barak était un
leader israélien ambitieux, désireux de briser les tabous, que M. Clinton, en
tant que président arrivé au terme de son mandat et familiarisé avec le
Moyen-Orient, se trouvait dans une position sans précédant, lui permettant
d'utiliser le prestige de la Maison-Blanche et que, de plus, M. Arafat était
bien disposé pour un règlement.
Mais lorsque la Syrie opposa une fin de non
recevoir à la médiation de Clinton, et que le sommet de Camp David, réuni avec
tellement d'empressement par M. Barak et M. Clinton, échoua, la stratégie des
deux hommes s'effondra.
Au cours des dernières semaines, M. Barak a
signalé à l'administration Clinton qu'il voulait tenter de négocier à nouveau.
Son ministre de la justice, Yossi Beilin, était à Washington la semaine
dernière. Il a expliqué à la Maison Blanche que si M. Barak voulait rester
premier ministre, un accord avec les Palestiniens était indispensable, ont
rapporté des officiels américains.
Mais avec le drame des élections
présidentielles (américaines) toujours incertaines quant à leur résultat et de
la fin du mandat de M. Clinton approchant à grands pas, M. Beilin s'était vu
signifier qu'il y avait peu d'espoirs.
Du côté de M. Arafat, il semblait
improbable que M. Clinton ait pu avoir encore un rôle à jouer, a indiqué M.
Edward Abington, représentant de l'Autorité palestinienne aux Etats-Unis.
"Je
ne peux croire une minute que M. Clinton puisse faire quoi que ce soit", a
déclaré M. Abington. "Il faudra attendre la nomination du futur président
(américain), qui trouvera le Moyen-Orient sur son agenda, qu'il le veuille ou
non."
Par ailleurs, les Palestiniens étaient tellement "déçus" de M. Barak
qu'il était peu vraisemblable que M. Arafat se "précipiterait pour conclure un
marché" avec lui, simplement pour tenir l'hypothèque Sharon à l'écart, a ajouté
M. Abington.
La fixation des élections en Israël dans soixante jours impose
un emploi du temps très chargé. "Nous sommes dans un contexte nouveau, dans
lequel des choix devront être faits", a indiqué l'officiel américain. "Nous ne
pouvons pas savoir si ce noveau contexte va créer une nouvelle dynamique, ou
s'il va amener à beaucoup de surenchères entre Israéliens et Palestiniens, étant
donné le délai très court", a-t-il ajouté.
Ari Fleischer, un porte-parole du
Gouverneur du Texas, George W. Bush, a indiqué que les conseillers en politique
étrangère de M. Bush ne feraient aucun commentaire sur une décision israélienne
"intérieure".
Dans leurs déclarations faites au cours de la campagne
électorale, des officiels du camp Bush (Républicain) avaient indiqué que, s'ils
arrivaient au pouvoir, ils traiteraient le conflit palestino-israélien d'une
manière plus objective.
M. Bush avait accusé M. Clinton de vouloir forcer
les choses en convoquant le sommet de Camp David de manière à ce que celui-ci
intervienne au moment opportun pour assurer (le couronnement) de son legs à la
Maison-Blanche, plutôt que de bien prendre la mesure de ce dont les parties
prenantes avaient besoin.
Si Ariel Sharon devait s'avérer être le candidat du
parti Likoud, et si M. Bush devient président des USA, un petit problème hérité
du mandat du père de M. Bush Junior pourrait bien être comme suspendu au-dessus
de ces élections.
C'était en 1992. M. Sharon était alors ministre de la
construction d'Israël, et le principal instigateur d'un boum dans la
construction d'implantations (dans les territoires occupés), quand le
Secrétaire d'Etat (Ministre des Affaires Etrangères, NdT) James A. Baker III
avait indiqué très fermement que les garanties d'investissement américain ne
seraient pas honorées tant qu'un terme n'aurait pas été mis à la construction
(de nouvelles colonies, NdT)...
9. Los Angeles Times (quotidien
américain) du dimanche 10 décembre 2000
Les réfugiés palestiniens doivent avoir le
droit de choisir par Elia Zureïk [traduit
de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Moyen-Orient : le rejet
par Israël du droit au retour contrevient à la légalité
internationale
En 1948, 800 000 Palestiniens
ont été expulsés, ou ont fui de leurs maisons, dans ce qui est devenu
aujourd'hui Israël, et n'ont jamais été autorisés à revenir. Aujourd'hui, ces
réfugiés et leur descendance représentent plus de 4 millions de personnes. Plus
que tout autre facteur, la dépossession et la souffrance subies par les réfugiés
palestiniens ont alimenté le conflit palestino-israélien. Et plus qu'aucun autre
facteur, leur sort est la clé de la résolution de ce conflit.
Au sommet de Camp David, les négociateurs
palestiniens et israéliens ont franchi un obstacle majeur en discutant pour la
première fois du problème des réfugiés palestiniens, mais ils sont restés
totalement opposés sur ce point. Comme par le passé, les officiels israéliens
continuent à affirmer que le problème des réfugiés palestiniens n'a rien à voir
avec les politiques et pratiques israéliennes. Ils prétendent, au contraire, que
l'exode des Palestiniens a été déclenché par des appels à fuir que leur auraient
lancés des leaders arabes - ou simplement par les tragiques événements de la
guerre - en dépit du fait que des preuves irréfutables apportées par des
archives officielles israéliennes, récemment rendues publiques, montrent que des
plans préétablis d'expulsion et de transfert d'indigènes palestiniens, au-delà
des frontières, vers d'autres pays arabes, existaient bel et bien.
Quand bien même nous admettrions que l'exode aurait
été causé par les conséquences involontaires de la guerre, il serait difficile
de comprendre en quoi cela justifierait l'opposition constante d'Israël au
retour des réfugiés. Nombreux (en effet) sont les peuples qui ont été déplacés
par la guerre, mais autorisés à regagner leurs foyers une fois la paix rétablie
; les exemples les plus récents peuvent en être trouvés dans le cas des conflits
balkaniques. Il s'agit là de ce que le droit international prescrit. Et c'est
d'ailleurs la solution proposée par les Nations Unies, en 1948, solution
reconfirmée à plus de cent reprises depuis lors.
Le rejet par Israël du droit au retour (des
réfugiés) n'a, tout simplement, aucun fondement dans le droit international ou
dans sa pratique. Le refus de permettre aux réfugiés de retourner a une base
idéologique plus profonde : Israël veut préserver sa majorité juive. Autoriser
les réfugiés palestiniens à retourner pourrait perturber le "fragile équilibre
démographique" d'Israël ou "changer le caractère" de l'Etat, pour utiliser les
euphémismes en cours. Il en résulte que ce qui présente toutes les
caractéristiques de l'épuration ethnique est défendu par Israël en tant que
moyen d'auto-conservation.
Nonobstant la tendance, relevée au plan
international, à une mobilité accrue, au pluralisme et à une diversité
croissante à l'intérieur de la société israélienne elle-même - résultant, en
partie, de l'arrivée de nombreux immigrants de l'ancienne Union soviétique -
Israël continue à se concevoir comme un Etat réservé au seul peuple
juif.
Mais, quid, alors, des réfugiés palestiniens ? Ils
ne sont pas moins attachés à la terre de leurs ancêtres que leurs voisins juifs.
Les données des Nations Unies indiquent que, parmi les résidents palestiniens de
Jérusalem-Ouest, qui sont devenus des réfugiés en 1948, les deux tiers vivent
encore à proximité (de cette ville), à Jérusalem-Est, ou dans les localités
avoisinantes. Beaucoup parmi eux peuvent apercevoir leurs anciennes demeures
dans le lointain ; certains - rares - "chanceux" détenteurs de visas leur
permettant de pénétrer en Israël peuvent même passer devant leurs anciennes
maisons. Mais il leur est interdit d'y revenir et d'en revendiquer la
propriété.
Il ne reste plus aux réfugiés plus éloignés, au
Liban, en Syrie et dans d'autres pays encore, que leurs souvenirs et, pour les
générations suivantes, élevées dans des camps de réfugiés sordides et
surpeuplés, leur imagination. J'ai lu, récemment, l'interview d'une vieille
femme palestinienne vivant dans le camp de Ein al-Hilwa, au Liban. Tenant serrée
dans sa main la clé rouillée de la ferme familiale située près de Jaffa, elle
demandait à son interviewer comment pourrait-elle bien expliquer à son
petit-fils, qui n'avait jamais connu autre chose que la puanteur des égouts à
ciel ouvert de ce camp, à quoi cela ressemble, de se réveiller chaque matin,
entourés de la fragrance des citrons frais ?
Ces réfugiés ont dû ressentir une bien cruelle
amertume lorsqu'ils ont pu assister au spectacle d'un Israël admettant chez lui
6 000 Libanais clients de l'Armée du Sud-Liban, en récompense pour leur
collaboration avec l'occupation israélienne du Sud-Liban, ce même Israël qui a
toujours refusé mordicus aux Palestiniens le droit de retourner chez
eux.
Les réfugiés palestiniens n'ont pas choisi leur
passé : ils y ont été précipités par la violence. Si paix il doit y avoir,
toutefois, ils doivent pouvoir choisir leur destin. Cette simple évidence est
l'essence de la position palestinienne en matière de réfugiés, dans les
négociations qui se poursuivent avec Israël (nous sommes en août 2000,
NdT).
Pour que le droit au retour ait un sens, chaque
réfugié palestinien doit se voir garantir le droit de choisir où vivre. Un
nombre conséquent d'entre eux choisiront vraisemblablement de ne pas exiger de
pouvoir retourner dans leurs domiciles en Israël, a fortiori si on leur donne la
possibilité de s'installer ailleurs et si l'on améliore leurs conditions de
vie.
Nombreux sont ceux qui se sont établis dans
d'autres pays et qui préféreraient y demeurer. Mais le choix leur revient. Et
c'est à eux, seuls, qu'il échoit.
(Elia Zureik, professeur de sociologie à Queen's
University, Kingston, Canada, est consultant près l'OLP pour les questions
relatives aux réfugiés).
10. Le Monde du samedi 9 décembre
2000
La France refuse d´équiper Israël en
lance-grenades lacrymogènes par Georges
Marion
JÉRUSALEM de notre correspondant - Vivement critiqué pour son « usage excessif de la force »et préoccupé par
la dégradation de son image de marque, Israël a cherché à se procurer du
matériel anti-émeutes moins dangereux que les balles, caoutchoutées ou non,
qu´utilisent ses soldats dans la répression de l´Intifada. Une vingtaine de pays
ont été approchés afin d´examiner le matériel de maintien de l´ordre le mieux
adapté. Un seul – la France – possédait ce que recherchait Israël. Mais Paris a
refusé l´autorisation d´exportation, obligatoire pour ce type de matériels, en
invoquant, selon des sources israéliennes, « l´image de la France
».
Contrairement à la France, qui aligne CRS et
gendarmes mobiles avec du matériel ad hoc, Israël ne possède pas de forces
spécialisées dans le maintien de l´ordre. En cas de violences de la part de
manifestants juifs, la police utilise quelques rares canons à eau, tire quelques
grenades lacrymogènes et termine en faisant charger, matraque haute, quelques
cavaliers. Les manifestants palestiniens étant implicitement perçus comme des
soldats ennemis, c´est le plus souvent l´armée et ses méthodes d´intervention de
guerre qui prévalent. Dans ce cas, l´usage des armes à feu est
fréquent.
Depuis le 29 septembre, cette logique a fait 274
victimes, Palestiniens et Arabes israéliens confondus. Sous la pression de la
réprobation internationale, Israël a enfin cherché à changer de méthode
d´intervention. Comment tenir à distance une foule derrière laquelle s´abritent
des tireurs isolés ? Une société française, Nobel Sécurité, a apporté sa réponse
: des lance-grenades lacrymogènes de nouvelle technologie, capables de tirer ses
projectiles à une distance de 150 à 200 mètres, soit le double d´un «
lance-patates » traditionnel. La société produit également un engin monté sur
véhicule, constitué de plusieurs tubes assemblés, sur le modèle des célèbres
orgues de Staline de la deuxième guerre mondiale. C´est un véritable rideau de
gaz réputé intraversable qui est alors lancé sur les manifestants.
En septembre, par l´intermédiaire de TAR Ideal
Concept, société israélienne spécialisée dans la fourniture d´équipements
policiers et militaires, plusieurs centaines de tubes accompagnés de plusieurs
milliers de grenades ont été commandés à Nobel Sécurité pour évaluation. Si le
produit donnait satisfaction, était-il précisé, 100 000 autres lance-grenades,
pour une valeur de quelque 6 millions de dollars, devaient suivre. Mais à la
demande du représentant du Quai d´Orsay, le comité interministériel pour
l´exportation du matériel de guerre (CIEMG), duquel dépend toute autorisation
d´exportation pour ce type de matériel, a mis son veto et le marché a été
suspendu.
Comme c´est l´usage, Paris n´a fourni aucune
explication. Mais dans les milieux officiels israéliens, où l´on n´a pas oublié
la sortie de Jacques Chirac reprochant à Ehoud Barak le nombre de morts
palestiniens, on y voit l´illustration de ce qu´un haut responsable appelle « le
double langage de la France, qui nous somme de ne pas utiliser nos armes, mais
bloque la livraison de moyens alternatifs ». Le dossier devrait être à nouveau
évoqué lors de la prochaine visite d´Hubert Védrine en Israël, le 13
décembre.
11. Al-Quds Al-Arabi (hebdomadaire
arabe publié à Paris) du vendredi 08 décembre 2000
L'échec étant la
porte du succès, pourquoi n'essayerions-nous pas ? Les relations
arabo-américaines : l'hégémonie n'est pas une malédiction éternelle par
Burhan Al-Jalabi [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
(Burhan Al-Jalabi
est un écrivain irakien)
Il n'est personne, dans le monde arabe, qui ne
ressente l'ampleur des pressions extérieures auxquelles les gouvernements arabes
s'exposent, non seulement lorsqu'il s'agit pour eux d'adopter des politiques qui
pourraient porter atteinte aux intérêts de certains partenaires étrangers, mais
même lorsqu'ils doivent prendre des décisions de nature purement
interne.
A titre d'illustration, il n'est que de voir des
termes tels qu' "hégémonie", "dépendance", "soumission", constituer, presque à
eux seuls, la substance de toute question de politique arabe. Et, de même que
l'écrasante majorité des citoyens des différentes régions du monde arabe se
rendent bien compte du fait que leurs gouvernements n'osent même pas convoquer
un sommet arabe sans "consulter" au préalable les Etats-Unis, il est juste de
dire que cet état de fait est loin de réjouir ces gouvernements. Autant tomber
sous la dépendance de pressions extérieures représente une atteinte portée aux
valeurs essentielles de l'indépendance et de la souveraineté, autant cela
constitue une source d'embarras pour les gouvernements. En effet, obtempérer aux
dictées de l'extérieur ne peut, en général, qu'affaiblir leur légitimité sur le
plan intérieur et fournir à leur opposition ample matière à les critiquer, avant
qu'ils ne perdent, en fin de compte, leur capacité à défendre leurs choix
politiques et stratégiques les plus élémentaires.
Point n'est besoin de beaucoup d'imagination pour
saisir l'ampleur de l'atteinte portée aux gouvernements soumis à l'hégémonie
(extérieure) par la simple entrée en scène d'Israël. Alors que les peuples
arabes attendent de leurs gouvernements qu'ils fassent quelque chose pouvant
contribuer à la recouvrance des droits arabes légitimes, l'occupation et
l'agression permanentes exercées par Israël constituent une source inépuisable
d'ironie à l'encontre de ces gouvernements impuissants et une mise en question
de leur légitimité.
Et, bien que les gouvernements arabes ressentent
fortement le poids du fardeau que les pressions extérieures représentent pour
eux, la plupart d'entre eux tentent de présenter une image déformée de la
réalité de leurs relations extérieures (en particulier, des relations
arabo-américaines). Cette falsification repose sur trois a-priori principaux,
qui visent à faire admettre leur incapacité à exercer leur souveraineté, d'une
part et, d'autre part, à fournir une base permettant la perpétuation de leur
maintien aux affaires.
Ces trois a-priori sont :
1 - les Etats-Unis
peuvent être amis des pays arabes et, donc, soutenir les droits arabes, si l'on
est capable de satisfaire à leurs exigences stratégiques dans la région ;
2 -
Israël croit en la paix par principe, car il en a besoin pour garantir les bases
de son existence comme Etat, ses relations futures avec la Nation arabe peuvent
être basées sur la paix en tant qu'objectif stratégique commun permettant de
satisfaire aux intérêts de tous les peuples dans la région ;
3 - les
gouvernements arabes hostiles aux Etats-Unis, non seulement ne comprennent pas
la stratégie américaine, mais contribuent à faire de cette stratégie un
instrument permettant aux pressions et à l'hégémonie américaines de s'exercer,
car ces gouvernements éveillent les craintes des Américains pour leurs intérêts
vitaux dans la région.
Empressons-nous de dire que ces suppositions sont
erronées, non seulement parce qu'elles ne reposent sur aucune réalité digne
d'être prise en considération, mais aussi parce qu'elles trahissent un manque de
logique.
Primo, les Etats-Unis, à l'instar de la
Grande-Bretagne, n'établissent pas leur politique sur les bases de l'amitié.
Leurs intérêts sont le seul ami qu'elles connaissent. La proposition suivante,
qui constitue la première leçon des manuels de diplomatie occidentale est bien
connue : "il n'est pas d'ennemis qui le soient à jamais, pas plus que d'amis.
Seuls les intérêts sont permanents"... Ceci étant rappelé, tout effort visant à
gagner l'amitié de l'Amérique en vue de s'assurer de son soutien aux intérêts
arabes revient à mettre la charrue avant les boeufs, tandis que le volontariat
pour satisfaire aux intérêts américains dans l'espoir de servir, ce faisant, les
intérêts arabes, revient à mettre les boeufs derrière la charrue. En effet, il
convient de se poser la question : si les pays arabes continuent à devancer
l'appel pour servir les intérêts américains, sans contre-partie, à quel titre
pourraient-ils réclamer d'être payés en retour pour un service dont ils ont
toujours montré au monde qu'ils l'offraient gratis ?
Secundo : le conflit arabo-israélien ne se limite
pas à un simple différent frontalier, comme celui qui oppose l'Arabie Saoudite
au Yémen, par exemple. La pétition de principe selon laquelle Israël croit en la
paix se détruit d'elle-même, Israël essayant de convaincre les Arabes d'une
seule chose, à savoir que notre conflit avec lui serait un simple contentieux
frontalier, et que la paix pourrait être instaurée par le simple fait que les
Arabes reconnaîtraient le tracé frontalier défini par les négociations... Ici,
nous posons la question : est-ce bien là l'essence du conflit avec Israël ? Qui
pourrait être assez naïf pour le croire ? Israël, sous couvert d'en appeler à la
"paix des braves" ne cherche qu'à imposer ses vues à la nation arabe, avec ses
richesses et ses potentialités. Le projet de coopération régionale
moyen-oriental exposé par Shimon Pérès dans son dernier ouvrage en donne une
illustration particulièrement éclairante. Tandis que l'homme authentiquement
courageux est celui qui lutte pour défendre ses droits et s'efforce de les
conserver à tout prix, les "braves", dans la vision israélienne des choses, sont
ces gens prêts à renoncer à leurs droits légitimes, qui contribuent à avaliser
l'occupation, à faire fi des décisions de la légalité internationale afin de
satisfaire aux aspirations expansionnistes de leur "associé" à la table des
négociations.
Tertio : l'hostilité des Etats-Unis envers les pays
arabes qui défendent les intérêts arabes est une preuve en elle-même de la
validité des positions adoptées par ces pays, et non pas le contraire. Si, par
exemple, les Irakiens étaient prêts à s'engager dans le processus de la "paix
des braves", et si les Palestiniens étaient prêts à renoncer à leurs droits
légitimes, ils ne seraient pas en butte, comme c'est le cas actuellement, à des
opérations de siège et de liquidation physique. Ces deux peuples ne font que
payer le prix de leur attachement aux droits légitimes des Arabes, ils paient
leur attachement à leur droit à définir les politiques correspondant à leurs
intérêts nationaux propres et cela, parce qu'ils refusent de renoncer à ces
intérêts avec l'objectif (chimérique) de se gagner l'amitié de grandes
puissances pour lesquelles l'amitié est un concept inconnu.
Il est, par contre, clair que la résistance du
peuple irakien et l'intifada du peuple palestinien, d'une part, et la solidarité
du peuple arabe, pris dans sa globalité, avec ces deux peuples, d'autre part,
marquent un tournant notable : le peuple arabe, de l'Océan au Golfe, a pris une
profonde conscience de son besoin de reprendre en main les décisions qui
engagent son avenir. Que les gouvernements concernés aient compris - ou non - le
sens de cette mutation, la réalité est là : la résistance et l'intifada des deux
peuples irakien et palestinien tracent les délinéaments d'un horizon libérateur
qui dicte aux gouvernements arabes l'obligation de reconsidérer leurs relations
avec les Etats-unis, tout comme elles leur enjoignent de remettre en question
leurs prises de position mollassonnes face à l'agression israélienne. En ce
sens, les gouvernements arabes concernés n'ont le choix qu'entre deux options
(pas trois) : soit ils prêtent l'oreille à la voix de la liberté qui ne peut
plus être retenue dans des millions de poitrines prêtes à éclater, soit - ce qui
reviendrait pour eux à creuser leur tombe de leurs propres mains - ils sont
victimes des politiques qu'ils ont, certes, eux-mêmes tracées, mais qui
remettent en cause leur légitimité et qui menacent leur propre
stabilité.
Il faut se poser la question : le peuple arabe
peut-il reprendre son destin et sa capacité de décision en mains ? Les Etats
arabes peuvent-ils, séparément ou collégialement, faire face à l'axe
israélo-américain et à tout ce qui en découle en matière de politique et de
stratégie ? Notre réponse est simple : Oui !
L'argument-massue invoqué par ceux qui ne partagent
pas cet avis, est qu'Israël est plus fort, militairement, que tous les pays
arabes réunis et que, de plus, ce pays bénéficie d'un appui sans aucun
équivalent, de la part de la grande puissance unique de notre monde (devenu)
unipolaire. La réalité, indéniable, est que le conflit arabo-israélien n'est pas
simplement une confrontation militaire : la capacité à mener une guerre n'est
pas le critère dirimant et unique qui déterminerait la durabilité de la
supériorité stratégique de tel ou tel camp. Si l'équipement militaire était le
Critère, il serait loisible de considérer que le Japon et l'Allemagne sont à
ranger parmi les états les plus faibles au monde et les plus menacées dans leur
souveraineté, les moins maîtres des décisions engageant leur
destin.
Mais si l'on prenait en considération les atouts
économiques, physiques et humains, en plus des ressources et des revenus
pratiquement illimités (du monde arabe), il serait évident que la puissance
militaire israélienne ne représente de réelle menace pour personne... Certes,
Israël peut procéder à toutes les agressions et à tous les massacres qu'il veut
: ce n'est pas lui qui pourra décider de quelle manière les Arabes entendent
utiliser leurs revenus pétrolier, ce n'est pas Israël qui va déterminer combien
d'universités nous allons créer, ce n'est pas lui qui va trancher sur la
question de savoir si nous sommes capables ou non de réaliser l'inter
complémentarité arabe, en conformité avec nos intérêts nationaux, tant au niveau
de la nation arabe que de chacun des pays qui la constituent.
Cette décision, c'est la nôtre, c'est à nous de la
prendre.
Il n'est pas douteux qu'Israël peut mettre son nez
dans nos affaires, sans doute y a-t-il des gens pour tolérer qu'Israël se voit
décerner l'immense avantage de pouvoir s'immiscer dans les tenants et les
aboutissants de nos affaires intérieures, mais un tel degré de décadence et de
perversion politiques ne saurait perdurer indéfiniment. Les faibles (les
"courageux", dans la vision israélienne des choses) ne font qu'ébranler leur
propre légitimité, que révéler au grand jour leur véritable nature : ils peuvent
beaucoup manoeuvrer, mais, en fin de compte, ils ne dureront pas éternellement.
Les gouvernements arabes ont vraisemblablement
perdu, provisoirement, la guerre de propagande, dans leur lutte contre Israël et
les Etats-Unis. Mais la philosophie politique britannique nous enseigne qu'il
est préférable de perdre, de re-perdre et de perdre encore, que de ne jamais
rien tenter. La défaite, en dernière analyse, représente un gain net si on
l'envisage du point de vue de l'(acquisition de) la connaissance et de (sa)
transmission. Sommes-nous dépourvus de toute capacité à prendre une décision qui
engage notre avenir ? Ployons-nous (oui ou non) sous le (triple) joug de
l'"hégémonie", de la "dépendance" et de la "soumission" ? Alors, pourquoi ne pas
tenter (quelque chose) ? Pourquoi n'essaierions-nous pas d'échouer, ne serait-ce
qu'une centaine de fois ?
12. Libération du vendredi 8 décembre
2000
Les chebab à qui-meurt-gagne par
Jean-Pierre Perrin
Les gamins palestiniens qui lancent des pierres ont la
culture de la rue et celle du martyr. La seconde Intifada, au contraire de la
première, est le fait de jeunes issus des couches les plus défavorisées de la
société palestinienne, des camps de réfugiés.
Ramallah, Naplouse, Bethléem envoyé spécial
Comme presque tous les gamins du monde, les jeunes
Palestiniens sont gavés de télévision. Plus exactement de télévision
palestinienne, ce qui n'est pas la même chose. Cette télévision, on la voit et
on l'entend sans cesse, partout. Dans les ministères, dans les bureaux de la
sécurité, chez les chefs de l'Intifada. Elle ronfle, ronronne ou hurle, mais
diffuse sans arrêt les mêmes images, boucle mortifère et morbide, comme si elle
avait passé un pacte avec un dieu des enfers. Car, si on la regarde un moment,
on voit d'abord de jeunes Palestiniens qui courent dans les rues, qui courent à
perdre haleine, tantôt pour lancer des pierres, tantôt pour fuir des soldats
israéliens. Sans transition, on passe à d'autres séquences, terribles celles-ci,
des images d'enterrements, de mourants, d'agonisants, avec de gros plans pour
détailler les visages saisis dans leur douleur et les blessures dans leur
gravité. Après, les caméras s'attardent sur les visages des mères et des sœurs.
Litanies, pleurs, cris, transes. Et l'on revient aux jeunes Palestiniens qui
courent. Les chebab approvisionnent la télévision de leurs images, lesquelles
nourrissent à leur tour leur colère.
Majdi, 13 ans : libérer la Palestine
C'est notamment à cause de cette télévision que
Majdi est aujourd'hui à la sortie nord de Ramallah. Il y vient chaque jour après
l'école. «Parce que j'ai vu les soldats israéliens tirer sur les chebab. Je suis
venu ici pour riposter.» Ici, c'est l'entre-deux-mondes. Un territoire où l'on
est entre la vie et la mort. D'un côté, la ville palestinienne. De l'autre, les
soldats israéliens qui protègent leur quartier général de Cisjordanie et un
bouquet de colonies. Au milieu, il y a cet espace flou, ingouverné ou plutôt
gouverné par la haine et la colère. Il se compose d'un petit bout d'avenue, au
goudron brûlé et rebrûlé par les incendies de voitures, de quelques bâtiments et
de terrains vagues. C'est sur ce morceau d'avenue que les chebab palestiniens
viennent défier les combattants de Tsahal à coups de pierres et de bouteilles
incendiaires. Des centaines d'entre eux y sont déjà tombés, blessés ou morts,
fauchés par une balle en caoutchouc ou réelle. Majdi n'a que 13 ans. On lui en
donne moins en le voyant parce qu'il est tout frêle, plus en l'écoutant à cause
de sa voix rocailleuse. Majdi jette lui aussi des pierres «à l'occupant
sioniste», geste à la fois tragique et dérisoire, qui n'a quasiment aucune
chance d'atteindre le soldat israélien à l'abri dans son véhicule blindé.
Pourquoi? «Parce que je veux libérer la Palestine, Jérusalem et tout ce que les
juifs nous ont pris. Et puis je veux que tout ça s'arrête», répond-il simplement
en montrant l'avenue empoisonnée par un brouillard de gaz lacrymogènes et de
pneus enflammés, traversée sans cesse par des ambulances aux sirènes folles,
dont les hurlements impriment longtemps les mémoires.
Chaque jour, Majdi a donc hâte que les cours se
terminent pour pouvoir aller lancer des pierres. Mais il préférerait passer
davantage de temps à l'école. Pour une seule raison: «Je voudrais devenir
médecin et soigner tous ceux qui sont blessés ici.»
«ça fait partie de la vie normale»
Pour les chebab, l'Intifada est plus qu'une
référence, une valeur. C'est à la fois une bataille et un jeu, une activité
quotidienne et un absolu, et elle les habite complètement. «Jeter des pierres,
ça fait partie de la vie normale. C'est comme aller au travail», raconte Baha,
25 ans, un technicien qui s'occupe aussi d'un café Internet à Ramallah et l'un
des rares chebab à avoir fait quelques études. Bilal, 14 ans, un peu chétif lui
aussi par rapport à son âge, intercale très bien cette révolte dans sa vie: «Je
viens lancer des pierres en sortant de l'école. Après, je rentre faire mes
devoirs.» Pendant combien de temps est-il prêt à risquer sa vie? «Je veux que
l'Intifada continue jusqu'à ce que nous ayons libéré Al-Qods («Jérusalem», en
arabe) et toutes nos terres.»
L'actuel soulèvement est d'autant plus un absolu
qu'il est sacralisé par le combat pour Jérusalem. Ce n'est pas sans raison que
l'actuelle Intifada s'appelle Intifada al-Aqsa (le principal lieu saint musulman
de la vieille ville, situé sur l'esplanade des Mosquées). Pour les chebab, la
mosquée Al-Aqsa est leur bien le plus précieux. Et, le 28 septembre, lorsque
Ariel Sharon, le chef de la droite israélienne, s'est rendu sur l'esplanade du
Temple, sa visite a été ressentie comme une profanation. «Le problème des
Israéliens, c'est qu'ils ont peur pour leur vie. Mais, nous, on aime autant
Al-Aqsa que les Israéliens aiment la vie», dit à Naplouse une jeune fille de 22
ans.
A Naplouse, à la sortie de la ville, il y a aussi
un entre-deux-mondes où les chebab viennent jouer à la vie et à la mort. Ce
matin-là, quasiment à chaque fois qu'un soldat israélien tire, un gamin tombe.
Les jeunes Palestiniens répondent par des cailloux et des injures. Et c'est en
entendant ces insultes - souvent explicitement sexuelles et qui s'adressent aux
mères et aux sœurs des militaires israéliens - que l'on sait tout de suite à
quel milieu appartiennent les chebab. Pour une très grande majorité d'entre eux,
ils viennent des camps de réfugiés et des milieux les plus défavorisés de la
société palestinienne. Comme Nabil, 20 ans, qui a abandonné l'école et tout
espoir d'une vie meilleure. Il dit simplement: «Je me bats pour défendre le peu
de dignité qu'il me reste. La dignité d'abord, la terre ensuite et moi-même.
J'espère que les affrontements vont s'aggraver. Il ne faut surtout pas arrêter
l'Intifada. Si on l'arrête, ceux qui sont morts seraient morts pour rien.» Majdi
el-Malki, professeur à l'université de Bir Zeit et chercheur à l'Institut
palestinien de recherches en économie politique, souligne combien cette Intifada
est différente de la précédente. «La première était plus populaire. Des
Palestiniens de tous les âges, de tous les milieux, de tous les partis y
participaient. Aujourd'hui, les lanceurs de pierres appartiennent aux couches
les plus défavorisées. S'ils sont dans la rue, c'est parce qu'ils sont habitués
à y vivre pour des raisons démographiques, parce que les familles sont trop
nombreuses et qu'ils n'ont pas de place à la maison.» «C'est vrai, renchérit
Anouk Rivière, une jeune sociologue française qui étudie le comportement des
jeunes Palestiniens, la première Intifada connaissait une participation massive.
La petite comme la moyenne bourgeoisie y était active. Ce n'est plus le cas. Le
lanceur de pierres d'aujourd'hui est totalement désespéré. Il a l'impression
d'être au fond d'une impasse et ne voit aucune autre possibilité d'action
politique.» Des chebab, cette chercheuse en fait le portrait suivant: entre 14
et 28 ans, pas mariés et pas de travail ou alors des petits boulots en Israël.
Ils viennent de familles très nombreuses et ont arrêté tôt l'école. C'est ce qui
explique aussi pourquoi la rue est leur milieu naturel. Chez eux, le rôle des
bandes, voire des gangs, est fondamental. Cela n'empêche pas un certain
encadrement de la part du Fatah, en particulier du Maktab al-Chebiba, son
organisation de jeunesse, et des hommes du Tanzim, sa branche armée.
1 000 dollars par enfant tué
Les chebab vivent également dans une ambiance
totalement mortifère. Leur seule culture est celle du jihad et du martyre. Tous,
quel que soit leur âge, avouent ne pas craindre la mort et prétendent n'avoir
jamais peur face aux soldats israéliens. On le voit dans les manifestations:
plus les morts ont été nombreux, plus la participation le lendemain sera
importante. «Ceux qui lancent des pierres ne peuvent pas craindre les balles. Et
puis, le jour du jugement dernier, Dieu nous récompensera», raconte tout
simplement Nabil. Anouk Rivière explique ainsi leur goût du sacrifice: «Ils font
de leur corps un sanctuaire religieux, un espace sacré qui leur permet de se
sentir invulnérable et de s'inscrire dans l'intemporalité de la victoire.
Actuellement, ils n'arrêtent pas de perdre, mais l'image du martyre est une
image victorieuse. Et elle leur permet de s'insérer dans l'intemporalité
religieuse, qui est beaucoup plus longue.» La sociologue met aussi en parallèle
le chiffre des suicides, qui, depuis 1996, a doublé chez les jeunes
Palestiniens.
La principale référence des chebab est le
Hezbollah, un mouvement libanais qui a beaucoup prôné les opérations-suicides et
a libéré le sud du Liban. En général, ils aiment aussi le Hamas et le Jihad
islamique, parce qu'«ils ont sauvé l'honneur des Palestiniens» en refusant les
accords d'Olso. Et, quand on demande à Nabil quels sont ses chanteurs préférés,
il cite uniquement le nom de Julia Boutros, curieusement une interprète
chrétienne libanaise mais qui a célébré dans ses textes la résistance à
l'occupation israélienne du sud du Liban. Sont-ils prêts toutefois à troquer
leurs pierres contre des armes à feu? Tous répondent oui, sans que l'on sache
s'ils disent vrai. Baha, qui s'occupe du café Internet, est plus sincère: «Dans
notre tête, il nous semble qu'on est prêt. En fait, on ne sait pas.»
A Ramallah, à Bethléem ou à Naplouse, les chebab ne
sont parfois pas plus d'une quarantaine à défier les soldats israéliens. On se
dit que les parents pourraient intervenir et mettre facilement fin à
l'hécatombe. «Non, on ne peut pas leur demander de rentrer à la maison. Dans
leur regard, on se sentirait tout petit. Mon frère a 12 ans, quand ma mère ferme
la porte à clé, il sort par la fenêtre pour rejoindre l'Intifada», assure Rana,
une jeune Palestinienne membre du Fatah. Dans ce soulèvement, les mères
palestiniennes jouent aussi un rôle, terrible, celui de se féliciter de la mort
de leurs enfants devant les caméras. «Elles admettent que certains de leurs fils
vont mourir au combat et souhaitent donc avoir beaucoup de garçons. Si vous leur
parlez de programme familial, elles s'en offusquent et disent qu'elles doivent
donner naissance à davantage d'enfants pour que l'Intifada continue», reconnaît
Aitemad Mouhanna, responsable des programmes de planning familial pour une ONG
basée à Gaza. Anouk Rivière ajoute: «En réalité, elles ne peuvent pas exprimer
leurs sentiments de mère à cause de la pression sociale. Elles n'ont pas la
liberté de dire ce qu'elles éprouvent. Et puis, avoir un chahid («martyr»),
c'est valorisant et honorifique pour la famille, sans parler de l'aide
financière de l'Autorité palestinienne.» En général, celle-ci s'élève à 1 000
dollars par enfant tué au combat. Une somme considérable pour les familles
pauvres. Une bagatelle pour les riches familles liées au pouvoir palestinien,
dont les fils étudient dans les universités américaines ou dans les capitales
arabes et qui suivent l'Intifada à la télévision.
13. Nouvel Observateur du jeudi 7 décembre
2000
Y a-t-il un vote juif ? par Jacky
Akoka
Jacky Akoka est professeur au Conservatoire national des Arts et
Métiers.
Les derniers événements du Proche- Orient ont amené
certains membres de la communauté juive à vouloir sanctionner Jacques Chirac
pour son attitude négative durant les négociations Arafat-Barak à l'Elysée le 4
octobre dernier. Cette attitude tend à raviver un vieux mythe, celui du vote
juif. Rappelons qu'un vote juif se définit par un comportement électoral
exclusivement déterminé par l'appartenance à une communauté et non par d'autres
caractéristiques, notamment socio-économiques. Or l'existence d'un vote juif
nécessiterait la coïncidence des trois conditions suivantes : une détermination
idéologique exclusive de l'électorat juif, un engagement monolithique et une
efficacité décisive de l'action commune pour influer sur le choix national.
De nombreuses études récentes ou plus anciennes ont
réfuté ces hypothèses. Bien que traditionnellement situé pour sa majorité au
centre-gauche, les sondages montrent que l'électorat juif ne se caractérise pas
par une position idéologique arrêtée. Son souci est largement semblable à celui
de l'électorat national moyen. Il fluctue, comme l'opinion, au gré des
événements et des conditions socio-économiques. Quels que soient les critères
utilisés pour mesurer cette détermination idéologique - soutien à un parti,
constance dans le vote, raisons des choix, etc. -, rien ne permet d'affirmer que
les électeurs juifs se distinguent de manière significative.
Sur le deuxième point, rappelons que la communauté
juive est loin d'être monolithique tant dans sa structure sociale que dans ses
choix politiques et idéologiques. Des études ont montré que la répartition des
électeurs entre la droite et la gauche va en général de pair avec l'appartenance
aux catégories socioprofessionnelles. On peut seulement affirmer que la
diffraction politique des juifs suit la ligne générale mais avec une plus forte
amplitude et un marquage au centre-gauche très important.
Quant à la troisième condition, la taille estimée
de la population juive française - entre 600 000 et 700 000 - ne lui permet pas
de peser de façon significative dans un vote national. Elle le pourrait tout au
plus dans un scrutin local où la communauté juive serait plus largement
présente, ou dans un cas de resserrement exceptionnel des votes tel celui
observé en Floride entre Gore et Bush.
Cependant, les mêmes études ont montré que cette
diversité relative pouvait se transformer en un engagement massif face à un
double danger menaçant les libertés fondamentales - et par là même, l'existence
de la communauté juive -, ou bien la survie de l'Etat d'Israël. Comme l'a montré
Sylvie Strudel, le vote des juifs apparaît à la fois comme captif et réactif :
captif des traces laissées par l'histoire, et réactif face aux menaces
potentielles (1). La communauté juive est diversifiée et intégrée à tous les
secteurs de la société. C'est son intérêt, et plus généralement celui de la
France, qu'elle le demeure.
(1) « Votes juifs - Itinéraires migratoires,
religieux et politiques », par Sylvie Strudel, Presses de Sciences-Po, 1996.
14. Témoignage Chrétien du jeudi 7 décembre
2000
Le portrait d'un juste par Philippe
Clanché
Prêtre-ouvrier à Nazareth et défenseur des palestiniens, à
l'automne de sa vie, Paul Gauthier méritait ce film en forme d'hommage : "Paul
la charpentier". En 1957, l'abbé Paul Gauthier voit passer des
ouvriers misérables sous les fenêtres du grand séminaire de Dijon où il
enseigne. "Je menait une vie bourgeoise et confortable quand j'ai eu l'idée de
devenir prêtre ouvrier et partir à Nazareth." La voix est celle d'un vieil homme
de 84 ans, fatigué. Devant la caméra bienveillante d'Ibrahim Khill, il raconte
son histoire pas banale. Aux images d'archives montrant la misère montrant la
misère des palestiniens aux lendemain de la création de l'état d'Israël
succèdent les témoignages de ceux qui ont connu Paul Gauthier. L'actuel curé de
Nazareth, le père Shouffani, raconte la fondation d'une coopérative de
construction d'habitation pour les travailleurs. "Nous n'avons que deux
solutions : mourir ensemble ou s'en sortir", disait Paul Gauthier, dans un
document d'époque. Rapidement, des amis les rejoignent et des petites
fraternités naissent. Parmi ses compagnons, Myriam deviendra son amie et sa
femme. Des maisons poussent ainsi qu'à Bethléem et ailleurs. Après la guerre des
Six jours (1967) et le durcissement israélien, Paul et Myriam sont chassés et
doivent partir vers l'Asie. Venu voir Mère Teresa à Calcutta, il rentrent en
France avec deux enfants qu'ils adoptent. Aujourd'hui à Marseille, Paul se remet
très douloureusement de quelques jours de coma, soutenu par son épouse.
"J'attends de revoir Nazareth pour y mourir", dit-il, tout en sachant
que son retour n'est pas du goût d'Israël. Ce documentaire révèle un personnage
hors du commun, mais aujourd'hui oublié, en France comme dans le quartier de
Nazareth qu'il a fondé et qui compte 7000 habitants aujourd'hui. "Il a
choisi la cause des pauvres, les Palestiniens", dit le père Shouffani. Par
ses interviews et ses documents historiques (on aperçoit Itzhak Rabin, jeune
soldat), par la qualité de ses images, ce film, produit et diffusé par son
réalisateur, est un document riche pour aujourd'hui.
* Paul le charpentier, documentaire de 52 minutes.
Contact : Nazareth films - 30, rue du Pont - 92200 Neuilly-sur-Seine -
Tél : 01 47 47 14 28 / Fax : 01 47 22 99 14
15. Courrrier International du jeudi 7
décembre 2000
L’heure du troc est arrivée par
Hazem Saghié in "Al Hayat" (Londres)
Face à un Ehoud Barak affaibli, les Palestiniens ne
doivent pas pratiquer la politique du pire et faciliter la victoire d’un
Benyamin Nétanyahou, estime l’éditorialiste d’"Al Hayat".
Israël, l’Autorité palestinienne, la présidence
américaine : ces trois acteurs se trouvent tous en position de faiblesse. Ce
qui, par un effet domino, affaiblit leurs autres partenaires. L’Etat hébreu est
amoindri car il éprouve beaucoup de difficultés à convaincre les Palestiniens du
bien-fondé des propositions faites par Ehoud Barak lors des négociations de Camp
David. Par ailleurs, le recours croissant à des moyens de répression de plus en
plus violents à l’encontre des Palestiniens traduit également la faiblesse
israélienne. En outre, le gouvernement d’Ehoud Barak se trouve en minorité à la
Knesset. Ses démonstrations de force n’ont, semble-t-il, pas suffi à séduire la
droite, tandis que les propositions qu’il a faites à Camp David ont provoqué une
guerre avec les Palestiniens.
L’Autorité palestinienne, affaiblie, ne pouvait
guère accepter les “propositions” d’Ehoud Barak. Elle est de plus incapable
d’affronter les conséquences d’un soulèvement qui semble parti pour durer. Dans
ces conditions, elle ne pourra pas garder longtemps le contrôle de la
situation.
La présidence américaine, elle, se trouve diminuée car Bill
Clinton achève son mandat par un échec au Proche-Orient, mais surtout à cause de
la crise constitutionnelle provoquée par l’élection présidentielle américaine,
qui risque de porter un coup à l’influence des Etats-Unis dans la
région.
Nous sommes dans un cercle vicieux où Ehoud Barak,
ne voyant pas les Palestiniens réagir positivement à ses propositions, ne trouve
rien d’autre à faire que les réprimer violemment, les affaiblissant encore plus.
De même, les Américains, en ne réussissant pas à ramener la paix dans la région,
poussent Ehoud Barak à ne s’en remettre qu’à la seule opinion israélienne et à
s’enfermer dans une logique sécuritaire de plus en plus violente. Enfin, dans un
tel contexte, Yasser Arafat essaie d’échapper à la seule tutelle de Washington.
Dans ces conditions, on constate que les deux leaders se sont mutuellement
affaiblis.
Les élections législatives anticipées sont censées sortir Israël
de l’impasse. On souligne beaucoup que cette crise politique concerne Ehoud
Barak, mais c’est aussi celle de la classe politique israélienne dans son
ensemble.[...]
Pour les Palestiniens, l’important n’est pas
seulement que l’Intifada ne s’achève pas par une catastrophe. Ils doivent
également tout faire pour conserver et faire fructifier les acquis de ce
soulèvement. Cela signifie que les Palestiniens doivent tenir compte des
élections israéliennes et faire en sorte qu’elles ne débouchent pas sur le
retour d’Ariel Sharon ou de Benyamin Nétanyahou. Le retour de ces hommes au
pouvoir signifierait la mort du processus politique. Cela ne veut pas dire que
l’initiative doive venir d’un seul côté, mais plutôt qu’Ehoud Barak propose
quelque chose d’ici aux élections législatives. Or l’Intifada offre précisément
des possibilités de troc. En d’autres termes, le seul arrangement possible
consiste en un accord avec Ehoud Barak intégrant les acquis de cette deuxième
Intifada dans un processus d’Oslo revivifié.
16. Courrrier
International du jeudi 7 décembre 2000
Les limites de Yasser Arafat par
Zeev Schiff in "Ha’Aretz" (Tel-Aviv)
Certains pensent qu’Arafat est l’instigateur de la
révolte palestinienne. D’autres estiment que celle-ci est en partie tournée
contre lui. La vérité se situe plutôt à mi-chemin.
Lorsqu’on se demande si Arafat contrôle les
événements, il faut envisager différentes perspectives. D’un point de vue
politique, la gauche prétend qu’Arafat a le contrôle de la situation, mais qu’il
n’est néanmoins pas responsable des incidents graves qui surviennent çà et là.
De son côté, la droite affirme qu’Arafat, parce qu’il a le contrôle, est
responsable de tout ce qui se passe. Comme c’est souvent le cas, la vérité se
trouve quelque part entre ces deux interprétations. Arafat n’a pas un contrôle
total et il ne s’est d’ailleurs pas privé d’émettre de sévères critiques quant à
certaines actions de ses forces.
En pratique, la réalité est bien plus
complexe. Si Arafat voulait faire cesser les tirs, il le pourrait. Mais il pense
sans doute qu’il ne peut pas se le permettre pour le moment. Ni le peuple
palestinien ni les milices du Tanzim [branche armée du Fatah] n’ont envie de
faire cesser la violence.
Arafat est souvent présenté comme un “magicien de
la survie”, tant est grande sa capacité à s’assurer un niveau suffisant de
légitimité interne pour préserver son autorité. Peut-être craint-il la réaction
qu’auraient les milices paramilitaires s’il venait à ordonner une suspension
immédiate des hostilités sans avoir obtenu de résultats diplomatiques tangibles.
Mais, même si les forces du Tanzim devaient respecter un appel du dirigeant
palestinien à une cessation des hostilités, des sources proches du Fatah
craignent que le Hamas ne prenne la relève. Des Palestiniens affirment que
certes le Fatah, par le biais de sa milice Tanzim, affronte Israël, mais que, au
final, c’est le Fatah et non le Hamas qui retournera à la table de négociations.
Quoi qu’il en soit, Arafat est responsable des événements, même si le tigre
qu’il est en train de chevaucher n’a pas l’intention de s’arrêter de sitôt. Dès
lors, Arafat est notre seul interlocuteur, pour le pire comme pour le
meilleur.
La détérioration de la situation sur le terrain est
vertigineuse. Nous sommes passés d’émeutes incontrôlées à un conflit armé. Nous
ne sommes pour autant pas engagés dans la guerre totale que nous décrivent ceux
qui voudraient voir Israël riposter par des tueries aveugles, des destructions
massives et l’expulsion des populations [arabes]. Non seulement les
représentants israéliens continuent de rencontrer leurs homologues palestiniens,
mais la police palestinienne dans son ensemble n’est pas impliquée dans les
affrontements armés. Certes, certains officiers de police, en uniforme ou en
civil, participent à des attaques, mais cela ne répond pas à un plan militaire
coordonné.
Si des colonies juives sont la cible de tirs
palestiniens, aucune tentative de les prendre d’assaut n’a eu lieu jusqu’à ce
jour. Cette possibilité et d’autres doivent toutefois être prises en compte car
elles pourraient affecter la position et le statut de l’Etat d’Israël. Cela
signifierait une nette aggravation du conflit et sa transformation en guerre
limitée, les cibles militaires et stratégiques s’en voyant radicalement
redéfinies. En attendant, vu la décision des Palestiniens de repousser à nouveau
la proclamation unilatérale de leur Etat, leurs objectifs opérationnels et leurs
slogans devraient connaître une évolution. Les Palestiniens devront sans doute
mettre entre parenthèses la proclamation d’indépendance et la reprise des
négociations de paix pour se concentrer plutôt sur la cessation de l’occupation
israélienne des Territoires, y compris l’“occupation israélienne” de
Jérusalem.
Enfin, il importe de garder à l’esprit que, du
point de vue des Palestiniens, la fin de l’occupation ne signifie pas la fin du
conflit, ce dernier ne pouvant cesser sans une résolution du problème des
réfugiés et une prise en compte de leur “droit au retour”. Bref, la fin de
l’occupation israélienne ne débouchera pas automatiquement sur un accord de paix
définitif.
17. Courrrier International du jeudi 7 décembre 2000
“Ce
conflit transforme nos deux peuples en monstres” par Saray Makover in "Maariv" (Tel-Aviv)
Fayçal el-Husseini gère le dossier de Jérusalem
pour l’Autorité palestinienne. Dans un entretien accordé à "Maariv", ce fin
politique explique quelles sont à ses yeux les conditions d’une issue à
l’affrontement.
Comment Fayçal el-Husseini explique-t-il cette
insurrection alors que Barak et Arafat semblaient si proches d’un accord de paix
historique ? “Les Israéliens m’ont déjà posé mille fois la question. Personne
chez vous ne semble comprendre que l’Intifada actuelle a éclaté précisément en
raison du contenu des accords proposés par Barak et Clinton. Les Palestiniens
ont le sentiment qu’un tel accord de paix leur aurait interdit de résister à
l’occupation. Imaginez un peu : le conflit n’est pas terminé, les réfugiés
continuent à vivre en exil et dans la misère, les terres confisquées ne sont pas
rendues à leurs propriétaires, les colonies juives ne sont pas démantelées, les
habitants arabes d’Israël ne bénéficient toujours pas des mêmes droits que leurs
concitoyens juifs, mais on parle d’un accord de paix ! Ariel Sharon n’a été que
l’étincelle ; sa visite a servi d’exutoire à la frustration palestinienne. C’est
ce que j’ai tenté d’expliquer en vain au ministre [israélien] de l’Intérieur,
quarante-huit heures avant que Sharon ne se rende sur le mont du Temple, mais il
ne m’a pas écouté. On lui a permis d’effectuer cette visite en lui fournissant
la protection de centaines de policiers. Les pierres ont volé et la riposte
s’est faite à balles réelles, à coups de tanks et d’hélicoptères. Vous avez
enclenché un cycle infernal. Les enfants palestiniens prennent le pouvoir et
méprisent leurs pères, humiliés par les soldats israéliens. Le peuple
palestinien se révolte contre ses dirigeants, incapables d’obtenir quoi que ce
soit d’Israël par la négociation.”
Après avoir expliqué que les armes utilisées par
les Palestiniens pour tirer sur l’implantation juive de Gilo, depuis le village
palestinien de Beit Jala, étaient des armes vendues par des conscrits
israéliens, El Husseini expose les conditions posées par les Palestiniens pour
qu’ait lieu une reprise des pourparlers de paix. Bien qu’une partie d’entre
elles soient inacceptables par Israël, il se dit convaincu qu’il est possible de
trouver des solutions constructives : il en est ainsi du droit au retour des
réfugiés. Il reconnaît que, si 6 millions de réfugiés arabes devaient
s’installer dans un Etat de 5 millions de Juifs, cela signifierait la fin de
l’Etat d’Israël en tant qu’Etat juif, mais précise que ce dont il est question,
c’est de la reconnaissance du droit palestinien au retour, et non de son
application réelle. “La panique qui s’empare d’Israël n’a aucun fondement. Seule
une minorité de 500 000 à 1 million de réfugiés palestiniens reviendra, et
ceux-ci ne s’installeront pas seulement en Israël, mais aussi et surtout dans un
Etat de Palestine souverain, à côté d’Israël. Ce qu’ils veulent, c’est la
reconnaissance de la responsabilité israélienne dans leur tragédie et une
indemnisation pour leurs biens confisqués ou détruits. Lorsque l’Etat d’Israël a
été créé et a accordé le droit au retour aux Juifs du monde entier, seuls 1 à 2
millions d’entre eux ont émigré en Israël ; les autres sont restés dans leurs
patries d’adoption. Bref, ce que nous voulons, c’est la reconnaissance de notre
droit au retour, lequel ne serait appliqué que progressivement et en
concertation avec Israël. C’est aux dirigeants israéliens de s’y
préparer.”
Fayçal el-Husseini se montre tout aussi convaincu
de parvenir à une solution durable pour Jérusalem. “Je ne veux pas d’une
Jérusalem divisée, mais d’une capitale bi-étatique et ouverte à tous. Pourquoi
les uns devraient-ils dominer les autres ? J’ai toujours été choqué de devoir
prier sous le regard des soldats israéliens et je ne veux pas infliger la même
chose aux fidèles juifs du Mur occidental. La zone du mont du Temple doit être
ouverte à tous, mais sous l’autorité de l’Etat de Palestine. Sur le mont du
Temple se dresse la mosquée Al Aqsa. Et, sauf votre respect, qu’est-ce que les
Juifs ont à faire dans cette mosquée ? Ce qui préoccupe les Juifs, c’est le Mur
occidental et il sera placé sous autorité cultuelle juive. Le Mur ne nous
intéresse pas. Je ne comprends pas la volonté israélienne de s’accaparer nos
lieux saints. Les Juifs se disent sensibles au sort de leurs lieux saints,
pourquoi ne comprennent-ils pas notre propre sensibilité ? Accepteriez-vous que
des soldats palestiniens surveillent et fouillent les fidèles juifs ?
Jérusalem-Ouest sera la capitale d’Israël, Jérusalem-Est celle de la Palestine.
Mais toutes deux devront être ouvertes aux deux peuples et aux trois
religions.”
“Le monde doit comprendre que, jusqu’au début de ce
siècle, les Palestiniens constituaient la majorité au sein de ce pays,
répète-t-il à qui veut l’entendre. Turcs, Arabes et Juifs vivaient ensemble sans
trop de problèmes. Les problèmes sérieux ont commencé lorsque des Juifs de
Pologne, de Russie et d’Allemagne sont arrivés en affirmant que, d’après la
Torah, la Palestine appartenait aux Juifs. A ce compte-là, pourquoi ne pas
invoquer le Coran et le Nouveau Testament ? Comment peut-on s’installer sur des
terres et en chasser leurs habitants au nom d’un livre saint ? Voilà d’où vient
notre aversion pour le sionisme. Nous avons lutté de toutes nos forces pour le
rejeter, mais nous n’y sommes pas parvenus. Nous voulions nous libérer d’un Etat
étranger qui nous avait occupés, chassés de nos terres, et qui avait détruit
notre structure sociale. Lorsqu’Israël est parvenu à repousser l’OLP jusqu’en
Tunisie, au Maroc et au Yémen, tous nos espoirs de libération sont partis en
poussière. C’est de là qu’est née la première Intifada. Nous avons alors cru que
si les Israéliens comprenaient que nous leur reconnaissions enfin un droit
national et historique dans ce pays, il serait possible de formuler ensemble une
solution où chaque peuple exercerait conjointement une partie de ses droits et
mettrait fin à ce conflit. En 1988, nous nous sommes résolus à édifier un Etat
de Palestine à côté de l’Etat d’Israël, dans les frontières du 1er juin 1967. Ce
n’étaient certes pas les frontières dont nous avions rêvé, mais nous estimions
qu’elles étaient vivables.”
Que pense El Husseini des Israéliens depuis les
événements de ces deux derniers mois ? “Au début, j’ai cru que le peuple
israélien nous comprendrait, sans forcément dire à haute voix que nous avions
raison sur tout. Mais, quand j’ai vu ce que Barak était prêt à nous proposer,
j’ai compris qu’il y avait une incompréhension totale de nos besoins. Et cela me
désespère. Le problème du peuple israélien est qu’il souffre également de son
histoire et qu’il est incapable de nous envisager sans nous associer injustement
à cette histoire tragique. J’ai longtemps été incapable de prononcer le mot
Israël. Il a fallu la guerre de 1967 pour que, en promenade à Jérusalem-Ouest,
je voie des gens comme moi, des gens normaux, des couples de septuagénaires
amoureux. C’est ensuite que j’ai découvert qu’il était possible de rencontrer
des Israéliens avec qui il était possible de parler au nom de la justice, et non
pas de la Bible. Et, malgré toutes les horreurs qu’ils peuvent proférer à notre
encontre, je continue de croire qu’il est possible de rencontrer des Israéliens
capables de reconnaître la souffrance du peuple palestinien et la légitimité de
ses revendications.”
“Ce conflit doit prendre fin. La mort des deux
petites jumelles palestiniennes de Jénine et le lynchage des soldats israéliens
à Ramallah sont deux incidents horribles. Certes, ce dernier incident s’est
déroulé pendant un enterrement palestinien et alors que les Palestiniens sont
victimes depuis trente ans d’unités spéciales israéliennes ayant assassiné près
de 200 civils. Mais ce conflit est en passe de faire de nos deux peuples des
monstres. Il fait exprimer ce qu’il y a de plus vil et de plus exécrable en
nous. Nous sommes devenus des proies les uns pour les autres. Si je suis capable
de comprendre cela, vous pourrez vous aussi le comprendre, que cela vous prenne
un mois, six mois ou dix ans. Ce sont la bêtise et la folie des adultes qui sont
en train de mettre à mort nos enfants.”
18. Courrrier International du jeudi 7 décembre
2000
Arrêtons cette stratégie suicidaire
par Saleh Abdel Jawad in "Amin"
(Ramallah)
(Saleh Abdel Jawad
est Directeur du département d’histoire et de sciences politiques de
l’université de Bir Zeit)
Pour Saleh Abdel Jawad, intellectuel
palestinien, un certain amateurisme caractérise la conduite de l’actuelle
Intifada. Son analyse du conflit, discutée en Palestine, a été reprise dans la
presse israélienne.
Malgré son héroïsme et les sacrifices consentis,
l’Intifada aura surtout révélé le manque flagrant de préparation de la partie
palestinienne - Autorité, opposition et société palestiniennes confondues - à
l’affrontement armé. Cette impréparation est d’autant plus surprenante si l’on
se remémore les déclarations des responsables politiques et militaires
palestiniens avant le début de cette deuxième Intifada. En effet, à l’époque,
les responsables de l’Autorité palestinienne, sûrs d’eux, nous assuraient qu’ils
étaient prêts à toute éventualité face à une menace israélienne qui devenait
imminente au fur et à mesure qu’approchait la date de proclamation unilatérale
de l’Etat palestinien. Bien entendu, cet amateurisme tranche avec le niveau de
préparation des Israéliens, qui, à l’évidence, ont tiré les leçons des
affrontements qui ont eu lieu en 1996 lors de l’affaire du tunnel, à
Jérusalem.
Le manque de préparation se ressent également dans
l’improvisation d’une stratégie tout aussi spontanée qu’erronée, peu en phase
avec la réalité du terrain, et qui risque tout simplement de mener à la
catastrophe. Dans ces conditions, il ne faut plus permettre que des éléments
palestiniens “armés” participent à des manifestations de masse. De même, ceux-ci
ne devraient plus tirer contre les soldats israéliens et contre les colonies,
même si nous savons tous que cela relève de la légitime défense. En effet, ces
coups de feu sont inutiles et ne sont pas sérieux dans la mesure où ceux qui les
tirent, s’ils sont déterminés et capables de sacrifice, manquent en revanche
cruellement de moyens (pas d’armes adéquates, peu de munitions, pas
d’entraînement, pas de discipline et pas de commandement bien
structuré).
Les actions menées par ces éléments armés, dont la
portée reste purement symbolique, ont rendu service à nos ennemis, qui peuvent
ainsi justifier aux yeux de l’opinion publique l’usage de chars, d’hélicoptères
et de missiles pour écraser un soulèvement d’essence véritablement populaire.
Cette situation a permis à l’ennemi, pour la première fois depuis 1967, de
bombarder et de détruire des quartiers palestiniens. Les Israéliens pourront
toujours utiliser ce prétexte pour chasser les Palestiniens temporairement ou
définitivement de leurs villages ou même de leurs villes. Dans ce contexte, un
débat national sur cette question s’impose.
Cette tactique a montré ses limites. Selon
certains, la récupération du tombeau de Joseph, à Naplouse, constituerait la
preuve que cette stratégie de l’affrontement est payante. En réalité, ce
discours illustre tragiquement le fait que certains Palestiniens ne parviennent
pas à tirer les leçons du passé. En effet, il est tout à fait impossible de
répéter ce genre de “succès” face à des positions militaires ou à des colonies
qui sont en terrain découvert et où toute attaque frontale se solderait par un
échec stratégique et par des dizaines de morts. N’oublions pas que le tombeau de
Joseph se trouvait en plein centre-ville de Naplouse et constituait dès lors une
exception.
A ce sujet, il est intéressant de revenir sur la
guerre de 1948. A cette époque, toutes les attaques menées contre des positions
israéliennes fortifiées ont conduit, à quelques exceptions près, à de lourdes
pertes dans les rangs palestiniens et arabes, dans un contexte où le
déséquilibre en moyens matériels entre les Palestiniens et les Israéliens
n’était pourtant pas aussi important qu’aujourd’hui. Cette politique d’attaques
frontales contre des colonies et d’autres places fortes a surtout conduit, à
l’époque, au découragement des troupes arabes, dont l’élan ne tarda pas à être
brisé. Lorsque, dans des cas précis, les Arabes ne se montraient pas enclins à
mener des attaques de front, les services de renseignement de la Haganah
essayaient de les pousser à la faute par le biais de certains de leurs agents
infiltrés. Dans d’autres cas, lorsque les services israéliens ne parvenaient pas
à recruter des collaborateurs locaux, ils envoyaient des colons tirer sur des
colonies juives dont les habitants entretenaient des relations plutôt cordiales
avec leurs voisins arabes, afin de les exciter, ce qui débouchait finalement sur
l’expulsion des habitants de ces villages palestiniens.
D’ailleurs, il suffit de s’en tenir au nombre des
victimes pour se rendre compte des conséquences de cette tactique. En 1996, lors
de l’affaire du tunnel, 80 Palestiniens avaient été tués et 16 soldats
israéliens, soit une proportion de un pour cinq. Aujourd’hui, cette proportion
est encore en train de s’agrandir, d’autant plus qu’en cas de conflit armé
généralisé ce seront toujours les Israéliens qui auront l’initiative, alors que
les Palestiniens seront constamment sur la défensive.
Dès lors, la confusion entre le recours aux armes à
feu et les affrontements d’essence populaire s’apparente à un suicide politique
et militaire. Il convient en effet de bien faire la distinction entre les deux,
comme ce fut le cas lors de la première Intifada, dont on peut s’inspirer sur le
plan de l’organisation (comités populaires, solidarité sociale, boycott
économique, intérêt pour l’opinion publique, etc.). Il faut développer une
nouvelle forme de mobilisation qui intégrerait une action militaire posée et
soigneusement étudiée. Il est impératif d’adopter une stratégie qui ne risque
pas de conduire à un affrontement entre deux peuples qui prendrait des allures
de guerre civile. En effet, il est important de donner à cet affrontement une
image réelle, à savoir celle d’un peuple sans défense subissant une armée
d’occupation appuyée par des colons. Dès lors, il convient d’adopter une
attitude capable de mettre en échec une stratégie israélienne fondée sur trois
axes, politique et diplomatique, socio-économique et, enfin,
militaire.
Sur le plan politique, il s’agit tout d’abord, pour
les Israéliens, de créer un consensus national autour de l’idée d’un conflit
religieux et duel qui se transformerait en guerre totale et nécessiterait dès
lors la mobilisation de toute la société israélienne contre la résistance des
Palestiniens, qui s’apparente pour eux ni plus ni moins à une déclaration de
guerre. Sur le plan diplomatique, les Israéliens doivent essayer de gagner la
guerre médiatique en faisant passer les Palestiniens pour des
agresseurs.
Ensuite, il s’agit d’affaiblir les Palestiniens économiquement.
Cette idée n’est pas nouvelle et a déjà été appliquée au cours de la première
Intifada. Ce concept a été élaboré notamment par Arié Shaliff, chercheur au
Centre d’études stratégiques de l’université de Tel-Aviv, général de réserve
proche du Parti travailliste et qui fut gouverneur militaire de la Cisjordanie
au début des années 70. Shaliff proposait alors d’appliquer toute une série de
mesures, dont les plus importantes sont les suivantes :
instaurer un système
de couvre-feu sur de longues périodes pouvant durer plusieurs mois ;
-
instaurer un blocus autour des villes et des villages afin d’empêcher toute
communication entre leurs habitants ;
- empêcher les ouvriers palestiniens
d’aller travailler en Israël ;
- frapper les secteurs de production
palestiniens.
Dans les conditions particulières de l’après-Oslo,
d’autres mesures de rétorsion économique sont possibles, telles que la fermeture
de l’aéroport de Gaza et l’arrêt des transferts financiers que l’Autorité
palestinienne reçoit via Israël.
Sur le plan militaire, enfin, Israël voudrait
pousser l’Autorité palestinienne à la faute en l’entraînant vers un conflit
décisif sans que cela signifie nécessairement l’occupation des grandes villes
palestiniennes, tout au moins dans un premier temps. Dans ce cas de figure, les
Israéliens commenceraient d’abord par frapper des bâtiments officiels et
militaires par des bombardements aériens “précis” et occuperaient ensuite les
villages d’une zone B dont ils reprendraient entièrement le contrôle, avec
l’aide des colons, dont le rôle se révèle désormais essentiel. Ce processus peut
mener in fine à l’occupation des villes palestiniennes à la suite du
découragement total des Palestiniens.
Lors des combats violents qui ont eu lieu entre les
Palestiniens et l’armée israélienne en 1996, au moment de l’affaire du tunnel,
les Israéliens, qui n’étaient pas encore préparés à ce genre de situation, n’ont
pas pu appliquer cette tactique, inspirée de la “théorie de la matraque”,
développée par l’armée américaine. Dans ces conditions, les Palestiniens doivent
tout faire pour déjouer les plans israéliens et ne pas s’engager dans un conflit
frontal suicidaire.
19. AMIN - Arabic Media Internet Network du
jeudi 7 décembre 2000
La tragédie
s'épaissit par Edward Saïd [traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
Personne ne sait vraiment si l'Intifada "al-Aqsa" a connu une rémission
temporaire à cause de la désapprobation exprimée en public à son sujet par
Yasser Arafat le 17 novembre, ou bien si cette relative trêve ne devait s'avérer
que temporaire et résulter d'une lassitude ou de la recherche de nouveaux
positionnements. Malgré le coût - énorme - en vies et en biens, pour les
Palestiniens, toutefois, les problèmes essentiels demeurent. Et les Israéliens,
de leur côté, poursuivent leur assaut stupide et aveugle contre les
Palestiniens, leur étranglement, leur blocus économique, les bombardements de
quartiers et de centre-villes continuant sans répit.
Tout leader arabe à s'être bruyamment réjoui de
l'élection de Barak, il y a un an et demi de cela, devrait être sommé de répéter
ses déclarations d'alors, afin que l'on puisse en démontrer à nouveau la
vacuité, opération à répéter sans relâche. Je trouve les attitudes officielles
arabes virtuellement incompréhensibles, bien que j'aie passé la plus grande
partie de ma vie à tenter de les déchiffrer en faisant référence aux lois de la
raison et du bon sens élémentaire. Pensaient-ils, sérieusement, que Barak était
le sauveur du processus de paix ? Et, si tel était le cas, n'avaient-ils pas
conscience du fait que sauver le processus de paix ne revenait pas à autre chose
qu'à prolonger l'agonie palestinienne ? Pensaient-ils vraiment que Barak était
différent des autres grands "héros" de guerre, lui qui a consacré la totalité de
sa carrière à tuer des Arabes ? Et si Barak n'était pas le "héros" supposé,
pourquoi a-t-il fallu aux officiels arabes si longtemps pour s'en rendre compte
? La soumissions aux Etats-Unis exige-t-elle une telle veulerie, autant de
contorsions, autant de circonvolutions autour du pot, et une telle profonde
prostration ? Combien de temps, et dans quel objectif, vont-ils s'obstiner à
préserver un statu-quo répressif et fondamentalement négationiste, en l'absence
de volonté et même de capacité à mener une guerre, ni non plus à vivre en paix,
au simple motif de complaire à une superpuissance distante et arrogante, qui a
fait preuve, envers eux et envers leurs peuples, d'une telle haine, d'une telle
inhumanité, d'une cruauté extrême, proprement indescriptible ?
Sont-ils incapables de faire autre chose que ce
qu'ils sont en train de faire, tandis qu'Israël continue à utiliser des
mitrailleuses héliportées pour tuer des civils palestiniens et détruire leurs
habitations, que les Etats-Unis livrent à ce pays la plus grande commande
d'hélicoptères d'assaut jamais passée par Israël depuis dix ans et qu'Israël
vote une rallonge de 500 millions de dollars à son budget pour les colonies ?
Aucune protestation officielle (arabe) contre une politique américaine
directement responsable de la catastrophe sans précédent vécue par notre peuple.
C'est cette pusillanimité même qui donne carte blanche aux décideurs politiques
américains (parmi lesquels, pour n'en citer qu'un, le non-regretté et non
moins médiocre Dennis Ross, qui a fait plus à lui seul pour la promotion des
intérêts israéliens que quiconque), pour dire que les Arabes ont confiance en
eux et en la politique américaine, qu'ils restent des amis intimes et des alliés
des Etats-Unis. Il est plus que temps de parler franchement d'une hypocrisie et
d'une brutalité sans précédent, au lieu de rester plantés là, (au cimetière),
silencieux et le chapeau à la main, alors que de plus en plus de Palestiniens
continuent à se faire tuer par des armes payées par les contribuables
américains.
Mais le noeud de la tragédie, c'est ce qui arrive
aux victimes elles-mêmes : le peuple palestinien. Ici, il faut parler et penser
rationnellement, et ne pas laisser l'émotion et les passions du moment égarer
par trop les esprits. Mon impression générale est que les Palestiniens, où
qu'ils soient, ressentent bien l'absence d'un leadership réel, d'une voix ou
d'une autorité à même d'exprimer le présent et le futur avec un minimum de
hauteur de vue, une certaine capacité à définir un objectif cohérent, global,
au-delà des habituelles platitudes qui ne font que rabâcher ce qui ne sert, de
toute évidence, qu'à ajourner décisions et visions (d'avenir) au moyen d'une
rhétorique creuse. Personne ne doute que les Palestiniens sont en train de
lutter contre une occupation militaire et que ça fait trente-trois ans que cela
dure. Mais il y a (aussi) quatre millions de réfugiés, qui luttent contre
l'exil, auxquels il faut ajouter un millions de Palestiniens citoyens d'Israël,
qui vivent sous un régime de discrimination raciale et religieuse que l'on a
trop longtemps essayé de cacher sous la feuille de vigne (qui ne cache plus
rien) de la "démocratie israélienne". L'un des multiples problèmes que pose
Oslo, c'est que les négociateurs palestiniens ont tout focalisé sur
l'occupation, en négligeant complètement les deux autres dimensions (des
réfugiés et des Palestiniens d'Israël, NdT). Mais il devrait être bien clair,
une fois pour toutes, que dans les trois occurrences, c'est bien contre le
sionisme que nous nous battons et que, tant que nous n'aurons pas une direction
capable de définir une stratégie intégrée pour les trois fronts à la fois, nous
n'aurons pas de direction du tout. Ce qui est tragique, c'est que l'intifada
continue, avec des vies perdues, dramatiquement, tous les jours, dans une
typologie politique qui approfondit les différences entre Palestiniens, bien
loin de les rapprocher. Il nous faut une nouvelle vision, une nouvelle voix, une
nouvelle vérité.
N'est-il pas évident désormais que des vieux
slogans du type "un Etat palestinien" ou "Jérusalem-notre capitale" nous ont
amenés à l'impasse ? Ne devrions-nous pas attendre d'un leader authentique qu'il
s'adresse à tous les Palestiniens, honnêtement, sans crainte, sans duplicité,
sans clins d'oeil aux Etats-Unis et à Israël, qu'il trace un plan d'action qui
englobe les résistances, à la fois, à l'occupation, à l'exil, et à la
discrimination raciale ? Pourquoi continuer à bercer le peuple de l'espoir
illusoire que la "lutte", un mot qui semble signifier que c'est à d'autres que
revient la tâche de crever, va apporter au monde arabe, en général, et aux
Palestiniens, en particulier, ce qu'ils veulent l'un et l'autre depuis si
longtemps ? N'est-il pas tout simplement alarmant que, après plus d'un
demi-siècle de frustration, de sang versé et d'argent dépensé, de
militarisation, de suspension de la démocratie et des prérogatives élémentaires
de la citoyenneté dans le monde arabe, nous nous retrouvions face au même
ennemi, aux mêmes défaites, aux mêmes revirements tacticiens et aux-mêmes
volte-face hypocrites, avec le même arsenal éculé de menaces, de promesses, de
slogans et de clichés, qui ont tous fait la démonstration, peu ou prou, de leur
totale inutilité et qui ont produit les mêmes échecs, de 1967 à Amman (Septembre
Noir, NdT), d'octobre 73 à Oslo, en passant par Beyrouth (1982, NdT)
?
Personne ne peut nier que la Palestine représente
une exception dans pratiquement tous les problèmes coloniaux des deux siècles
écoulés. La Palestine est exceptionnelle, mais n'échappe pas au mouvement de
l'histoire. L'histoire humaine est faite de cas similaires, à défaut d'être
absolument semblables, et ce qui me surprend, moi qui vis loin du Moyen-Orient,
mais près du Moyen-Orient quand même à bien des points de vue, c'est à quel
point nous sommes capables de nous maintenir à l'écart du reste du monde, alors
que (c'est du moins ce que je crois) nous avons beaucoup à apprendre de
l'histoire d'autres peuples opprimés en Amérique(s), en Afrique, en Asie, et
même en Europe. Pourquoi nous obstinons-nous à ne pas nous comparer avec,
disons, les Noirs d'Afrique du Sud, ou avec les Indiens d'Amérique, ou encore
avec les Vietnamiens ? En disant "comparer", je ne veux pas dire le faire d'une
manière mécanique ou servile mais, bien au contraire, de manière créative et
imaginative.
Le regretté Eqbal Ahmad, qui était certainement
l'un des deux ou trois plus brillants analystes des histoire et politique
contemporaines que je n'aie jamais connus, attirait en permanence l'attention
sur le fait que les mouvements de libération victorieux l'avaient été
précisément parce qu'ils mobilisaient des idées créatives, des idées originales,
des idées imaginatives alors que d'autres mouvements (de libération) moins
heureux (comme, hélas, le nôtre) avaient une tendance prononcée aux formules et
à la répétition mal inspirée de slogans obsolètes et de modes de comportement
dépassés. Prenons, à titre d'exemple, l'idée de la lutte armée. Durant des
décennies, nous nous sommes reposés, dans nos esprits, sur des idées d'armes, de
tuerie, des idées qui, des années trente jusqu'à nos jours, nous ont apporté une
abondance de martyrs, mais qui n'ont eu qu'un impact réel fort limité, pas tant
d'ailleurs sur le sionisme, que sur nos propres idées en ce qui concerne ce que
nous allions faire après. Dans notre cas, la lutte (militaire) est menée par un
petit nombre de gens courageux confrontés à une inégalité de moyens impitoyable
: contre les mitrailleuses d'hélicoptères, les tanks Merkava, les missiles : des
pierres ! Pourtant, un rapide regard vers d'autres mouvements (par exemple, le
mouvement nationaliste indien, le mouvement de libération de l'Afrique du Sud,
les mouvements américains pour les droits civiques...) nous enseigne qu'avant
tout, un mouvement de masse, recourant à des actes et à une stratégie qui
maximalisent l'élément populaire, est le seul type de mouvement qui ait jamais
pu faire une quelconque différence pour l'occupant et/ou l'oppresseur. Ensuite,
seul un mouvement de masse, politisé et imprégné d'une vision de participation
directe à un futur en voie d'élaboration, seul un mouvement d'une telle nature a
une quelconque chance de pouvoir se libérer d'une oppression ou d'une occupation
militaire. Le futur, à l'instar du passé, est construit par des êtres humains.
Ce sont eux, et non je ne sais quel médiateur ou sage, qui sont les agents du
changement.
Pour moi, il est clair, par exemple, que la tâche
la plus urgente, en Palestine, est de nous fixer pour objectif de nous
débarrasser de l'occupation en recourant à des moyens de lutte créatifs. Ceci
impliquerait nécessairement de larges groupes de Palestiniens intervenant
directement contre le processus de création de (nouvelles) implantations
(israéliennes), en bloquant les routes, en empêchant l'entrée des matériaux de
construction, en d'autres termes : en isolant les implantations, au lieu de les
laisser, alors même qu'elles sont, paradoxalement, de moins en moins peuplées,
isoler et cerner les Palestiniens, chose qui se passe de nos jours. Il reste
vrai, par exemple, que les ouvriers qui ont construit les colonies israéliennes,
jour après jour, sont bien palestiniens : ceci devrait suffire à nous donner une
idée bien concrète d'à quel point le peuple palestinien est aujourd'hui égaré,
mal guidé, sous-mobilisé et dépolitisé. Après trente trois ans de construction
de colonies, les ouvriers-maçons palestiniens devraient se voir offrir des
emplois alternatifs par l'Autorité (palestinienne). Une poignée de dollars ne
pourrait-elle pas être utilement prélevée, à cette fin, sur les millions
dépensés pour une sécurité inutile (on le voit bien) et une bureaucratie
improductive ? Il s'agit là, certes, d'un échec de la direction palestinienne,
mais en fin de compte, c'est aussi celui des individus les plus au courant - les
professionnels, les intellectuels, les enseignants, les médecins, etc... - qui
ont les capacités à s'exprimer et les moyens de le faire mais qui n'ont pas su
exercer suffisamment de pressions sur cette direction afin de la contraindre à
faire face à la situation.
Et voilà la plus grande tragédie de toutes : un
peuple donne de lui-même passionnément, perdant la fine fleur de sa jeunesse et
toutes ses énergies en une vaillante confrontation avec un ennemi sadique et
implacablement cruel qui ne recule pas devant l'étouffement des Palestiniens
jusqu'à ce que mort s'ensuive, et malgré tout cela, M. Arafat garde le silence.
Il ne s'est jamais adressé réellement et sincèrement à son peuple depuis le
début de la crise : même pas une intervention radiodiffusée pour lui donner
courage, lui exposer sa politique, lui dire où nous en sommes, comment nous en
sommes arrivés là, et où allons-nous, après tout ce sang versé et toutes ces
souffrances ? Pas une minute passée à dire la vérité à son propre peuple : il
faut le faire, lorsqu'on fait le tour du monde, de la France à la Chine, et que
l'on rencontre présidents et premiers ministres pour, finalement, ne rien
obtenir du tout. A-t-il un coeur de pierre ou bien est-ce que sa conscience est
complètement anesthésiée ? Je trouve cette attitude totalement incompréhensible,
d'autant plus qu'il l'adopte après nous avoir menés trente ans durant d'une
catastrophe et d'une aventure mal emmanchée à l'autre, sans répit et sans même
le moindre remerciement murmuré : "merci de me supporter si longtemps, moi, mes
erreurs funestes et mes bévues ahurissantes !"... J'en ai plus qu'assez de son
attitude de mépris du peuple, de son imperturbabilité autocratique marmoréenne,
de son inaptitude à écouter les autres et à les prendre au sérieux, de ses
éternels ambiguïté, dissimulation et virevoltes aveuglément irrationnelles d'un
patron à un autre, laissant, pendant tout ce temps-là, son peuple - qui souffre
depuis si longtemps - tenter de se défendre tout seul. Dirigez, Monsieur Arafat,
dirigez votre peuple, et si vous ne le pouvez pas ou ne le voulez pas, s'il vous
plaît, dites-le franchement. Depuis Oslo, vous n'avez fait qu'égarer (le
peuple), le tromper, passer des marchés secrets qui ont profité à une poignée
parmi les nombreux politiciens corrompus qui vous entourent, mais ont rendu
notre situation générale pire, bien pire.
L'Intifada d'Al-Aqsa est une
intifada contre Oslo et contre les gens qui ont pondu ces accords, et pas
seulement Dennis Ross et Barak, mais aussi une petite coterie irresponsable
d'officiels palestiniens. Ces gens devraient avoir la décence, aujourd'hui, de
venir devant leur peuple, admettre leurs erreurs et demander (s'ils peuvent
jamais l'obtenir) son soutien pour un projet, s'il existe. S'il n'y en a pas
(comme je le crains) ils devraient avoir la courtoisie élémentaire, d'au moins,
le dire. Cela, seul, permettrait qu'au bout du chemin il y ait autre chose
d'autre que la tragédie. Les officiels palestiniens ont signé l'accord de
partition d'Hébron, ils ont signé bien d'autres documents sans obtenir au
préalable l'assurance que la colonisation allait cesser (et que le nombre des
colonies, tout au moins, n'allait pas augmenter) et que toutes traces de
l'occupation militaire seraient effacées. Ils doivent aujourd'hui expliquer
publiquement ce qu'ils pensaient faire et pourquoi ils l'ont fait. Ensuite, ils
doivent nous laisser exprimer notre avis sur leurs actes et sur leur devenir.
Pour une fois, ils devront écouter et essayer de mettre l'intérêt général avant
leur intérêt propre, malgré les millions de dollars qu'ils ont soit jetés par
les fenêtres soit placés (comme des écureuils leurs noisettes, "squirreled
away", NdT) en appartements luxueux à Paris et en immobilier et contrats
d'affaires lucratifs avec Israël. Assez, c'est assez. (Trop serait
trop).
20. Libération du
jeudi 7 décembre 2000
Les oliviers de la colère à Gaza
par Didier François
Les arbres sont rasés pour sécuriser une route
empruntée par les colons.
Gaza envoyé
spécial
Plus un arbre, pas un buisson. Rien que du sable
cent fois retourné par les chenilles des chars. De ces fondrières dardent des
branches brisées, des racines dénudées, comme autant de squelettes enterrés à la
hâte qui chercheraient à s'extirper d'une sépulture par trop sommaire. Etrange
ossuaire végétal traversé d'une bande d'asphalte. Baptisée «Golf» sur les cartes
d'état-major dressées lors de la signature des accords d'Oslo, la route de
Kissufim coupe en deux la bande de Gaza, courant de la colonie juive de Kfar
Darom vers Israël. Une voie stratégique pour son armée qui en contrôle l'usage,
l'accès et tous les bas-côtés.
Sur une cinquantaine de mètres, de part et d'autre
de la chaussée, le paysage n'est que désolation. Plantations, bâtiments, puits,
murets ont été rasés, privant les francs-tireurs palestiniens d'un couvert
propice aux embuscades. De loin en loin, des casemates bétonnées surveillent ce
glacis, parfois érigées sur des fermes réquisitionnées sans la moindre
sollicitude pour les familles riveraines de ce champ de bataille, victimes d'un
bras de fer dont l'enjeu leur échappe.
Plus que des dettes. De sa belle demeure construite
en bordure de route, Sadia Bayouk n'a sauvé qu'un matelas, deux paillasses et
une batterie de casseroles cabossées. Extirpés des décombres. Les résidences de
ses cinq fils ont également été détruites, «avec tous les meubles», souligne
cette maîtresse femme qui mène son foyer à la baguette depuis la mort de son
mari. «Tout a commencé à minuit. Mon cadet se mariait cette nuit-là et venait
d'emménager dans sa nouvelle maison. Il avait reçu de nombreux cadeaux, ses
frères avaient participé au financement de son installation. Puis les soldats
israéliens sont arrivés. Avec leurs blindés, ils ont détruit nos six
habitations, ils ont rasé notre palmeraie, nos oliviers, qui, depuis des
générations, faisaient vivre notre famille. Avant le lever du jour, nous
n'avions plus que des dettes. Que Dieu nous prête sa clémence.»
«Un olivier ne commence à produire qu'après cinq
ans et donne peu tant qu'il n'a pas vieilli, explique Eid Abdallah, le maire de
Qara. Un arbre cinquantenaire produit entre 50 et 60 kilos d'huile d'olive, soit
un revenu d'environ 2 500 F. Une vingtaine d'oliviers assurent donc un rapport
suffisant pour nourrir une large famille. D'autant que les paysans produisent
leurs légumes, élèvent poulets et moutons. Sur ma commune, les Israéliens ont
déraciné 1 593 vieux oliviers et 172 jeunes plants, 669 palmiers, 1 973
citronniers et orangers, 998 amandiers, 24 goyaviers et 20 vignes. Or les gens
d'ici dépendent totalement de l'agriculture pour leur survie.»
Exode. A 80 ans, Abdelaziz Suleiman paraît la
moitié de son âge. Altier, chenu, le regard franc et énergique. Du paysan, il a
les mains solides, durcies par le manche de la houe. Le fatalisme aussi, devant
des événements qui depuis trop longtemps le dépassent. Un premier exode, en
1948, l'a privé de ses terres ancestrales, champs vallonnés des collines de Pair
Saba'a, aujourd'hui renommée Bersheva. Le souvenir reste vivace de la fuite
devant les armées d'un Etat d'Israël en formation. «Leurs soldats sont entrés
dans la ferme et nous ont dit de partir. Tout de suite. Nous avons tout laissé
derrière nous et marché pendant deux semaines avant d'arriver à Gaza. Mon père y
avait acheté ce lopin. Nous y avons reconstruit une maison, planté des oliviers.
C'était notre seule richesse.»
Ces mêmes soldats sont revenus. Un demi-siècle plus
tard. Le temps nécessaire aux arbres pour atteindre leur maturité. Privés de
toit, de travail et de revenus, Abdelaziz Suleiman ne peut désormais compter que
sur l'aide de ses voisins. Ils lui ont cédé un terrain sablonneux, bordé de
figuiers de Barbarie, pour que les siens plantent les tentes fournies par la
Croix-Rouge internationale. Les sociétés d'entraide islamiques ont apporté des
couvertures, un sac de riz et de quoi faire le thé. La municipalité de Qarara a
installé une citerne de fer-blanc, seule source d'eau potable pour les vingt
familles déplacées de la commune.
Comme des esclaves. Dans le petit camp de fortune,
les conditions d'hygiène sont épouvantables. Jamais ne cesse le harcèlement des
mouches. Véritable fléau. Les femmes se voilent d'une mousseline, couvrant leur
visage après chaque gorgée de thé noir. «De l'Autorité palestinienne, nous
n'avons rien reçu, gronde Sadia Bayouk, de toutes façons, ce n'est pas même un
Etat. Sans moyens, sans pouvoir, les Palestiniens ne peuvent rien faire. Il faut
arrêter cette Intifada. A quoi servent tous ces morts ? Nous n'avons trouvé de
solutions ni dans la guerre ni dans la paix. Israël est trop fort. Sans l'aide
d'un grand pays étranger, nous vivrons toujours comme des esclaves.».
21. Financial Times (quotidien
britannique) du vendredi 1er décembre 2000
Le couvre-feu vide les
rues de la Vieille Ville d'Hébron par Judy Dempsey [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
On dirait une ville abandonnée, dévastée par la
guerre. Les rues sont vides, le marché fermé, les échoppes cadenassées. Le sol
est maculé de taches noirâtres de suie : les restes de pneus brûlés. Les balles
ont criblé des façades, fait voler en éclats des fenêtres, troué les rideaux de
fer. Un silence, effrayant, règne.
Nous sommes dans la Vieille Ville
d'Hébron, encore récemment un quartier très animé qui pouvait s'enorgueillir de
l'un des marchés les plus fréquentés de toute la Cisjordanie. Mais ce n'est pas
que la guerre aurait fait fuir les hébronites palestiniens : c'est le couvre-feu
qui les contraint à se terrer chez eux.
Dès le début des neuf semaines de
révolte palestinienne contre l'occupation israélienne, Israël a imposé un
couvre-feu total aux 16 000 habitants de la Vieille Ville. Les autres résidents,
450 colons israéliens zélotes religieux, ne sont en butte à aucune restriction :
protégés par des soldats israéliens lourdement équipés, ils peuvent aller et
venir librement.
Le couvre-feu confine les Palestiniens chez eux. Ils ne
peuvent ni marcher, ni se déplacer en voiture, ni acheter de la nourriture. Le
souq, les boutiques et les services publics sont fermés, ainsi que les écoles.
L'armée israélienne dit que le couvre-feu est levé plusieurs heures par jour,
généralement le matin. Mais la semaine que nous avons passée sur place ne nous a
pas permis de constater quoi que ce soit de nature à confirmer ces dires.
"Il ne s'agit pas d'une punition collective que nous infligerions aux
Palestiniens", a déclaré un officiel de l'armée israélienne. "Le but est de
contrôler. Nous ne voulons pas être inhumains. C'est la seule manière possible
de maintenir le calme sur le terrain."
Mais, tous les jours, il y a des tirs.
Des Palestiniens venus d'autres quartiers, poussés à bout par le couvre-feu, la
discrimination et les privilèges des colons, donnent libre cours à leur colère
dans les rues. Certains d'entre eux, armés, tirent contre les colonies
avoisinantes. Les manifestants lancent des pierres aux soldats israéliens.
L'armée riposte. Les morts et les funérailles supplémentaires ajoutent encore à
la frustration. Et, toujours, le couvre-feu...
Cela rend la vie de Jaber
Saher (38 ans) impossible. "J'essaie de me faufiler entre les charrettes de
légumes pour pouvoir acheter de quoi manger, rencontrer des amis", nous
raconte-t-il, entouré de six de ses enfants, pieds nus. "Les écoles sont
fermées, les magasins aussi. Que puis-je faire ? demande M. Saher, qui exerce la
profession de chauffeur.
Tariq, 13 ans, veut nous parler : "Je vous en prie,
écoutez-moi!" implore-t-il. "Mon père ne travaille plus depuis deux mois. Ils ne
le laissent pas passer pour aller à son travail. Nous avions quelques réserves,
des haricots secs, des lentilles. Il ne reste presque plus rien. Nous sommes
prisonniers ici."
Les pères, comme leurs enfants, désespéraient de pouvoir
parler à quelqu'un. Aucun Palestinien du reste d'Hébron, ou habitant où que ce
soit en dehors de la ville, n'est autorisé à pénétrer dans cette enclave. Elle
est coupée du reste du monde par des soldats israéliens engoncés dans leurs
gilets pare-balles et dont presque la totalité du corps disparaît dans des
bunkers en béton.
L'enclave a été découpée dans le tissu urbain par les
Etats-Unis et Benjamin Netanyahu, ancien premier ministre israélien, dans le
cadre des accords d'Hébron signés en janvier 1997. Les Israéliens ont remis 80%
de la ville (zone H1) au contrôle des Palestiniens. Le reste (zone H2),
comprenant 450 colons juifs et 16 000 Palestiniens, est demeuré sous le contrôle
d' Israël.
L'accord ne faisait qu'aggraver les failles divisant cette
ville historique et sainte, où Abraham aurait été enterré.
En 1929, les
Arabes avaient tué 60 Juifs au cours d'un pogrome. En 1994, Baruch Goldstein,
Juif américain, avait tué 29 Palestiniens en prières à la mosquée d'Abraham,
durant le mois sacré du Ramadan. Certains hommes politiques israéliens pensaient
qu'il était grand temps de faire évacuer les colons et d'éviter, ce faisant, un
autre massacre venu d'un côté ou de l'autre. Mais le gouvernement avait refusé.
Le retrait partiel de 1997 n'a fait qu'exacerber la tension.
Les Palestiniens
vivant dans la zone H2 voient leur vie empoisonnée par la présence permanente de
soldats israéliens et des colons. Les soldats sont là pour protéger les colons
qui, jusqu'à l'instauration du couvre-feu, passaient leur temps à narguer les
Palestiniens, renversant leurs étals et les empêchant d'emprunter certaines rues
en voiture, et même, à pied.
"Je sais ce que les Juifs attendent de nous",
nous a dit Murad Quijk. Ce cordonnier avait décidé, depuis le début de la
semaine, d'ignorer le couvre-feu et de se rendu à son échoppe. Il avait laissé
la porte grande ouverte. Une ampoule, nue, pendait au-dessus de son établi usé.
"Ils veulent qu'on f... le camp. Ils veulent prendre le contrôle de toute la
Vieille Ville. Mais je resterai."
Les Juifs habitent dans l'autre moitié de
l'enclave, la plus proche du marché. (Nous avons rencontré) Nomi Horowitz,
35 ans, mère de sept enfants : elle était en train de réviser en vue d'un
examen. Son appartement, spacieux, était bien chauffé. Elle avait disposé des
sacs de sable, à l'extérieur, pour protéger ses fenêtres. "C'est l'armée qui
aurait dû le faire, pas nous", nous a-t-elle dit.
A notre question de savoir
quels étaient ses sentiments au sujet d'un couvre-feu imposé aux seuls
Palestiniens, elle nous a répondu que c'était de leur faute. "Je n'ai pas peur.
Les Palestiniens ont un peu sauté les plombs. Ils savent très bien ce qu'ils
devraient faire. J'espère qu'Hébron sera (bientôt) une ville juive". Et elle
ajouta, pointant l'index vers le ciel : "Dieu est de mon côté."
22. AMIN - Arabic Media Internet Network du
jeudi 30 novembre 2000
L'illusion de la paix par Mustafa
Al-Barghouti [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
(Mustafa Al-Barghouti est Président de l'Union des
Comités de Secours Médical Palestiniens - UPMRC)
D'une manière cynique et parfaitement calculée,
Israël a procédé à l'escalade dans les affrontements, dans les territoires
occupés, son objectif étant de tenter de masquer sa simple nature réelle
d'occupant menant une guerre brutale contre un peuple presque totalement
désarmé, à l'exception de très peu de gens en possession d'armes légères.
Naturellement, il est dans l'intérêt à court terme
d'Israël de présenter son agression comme une bataille entre deux camps opposés
d'égale force, plutôt que pour ce qu'elle est en réalité : une répression
sauvage dirigée contre la résistance d'un peuple à une occupation qui a duré
bien plus longtemps que ce qu'aucun peuple ne saurait tolérer. Mais il est
impossible de dissimuler la délectation visible avec laquelle les généraux
israéliens savourent l'excitation de pouvoir mener leur propre guerre
électronique, jeu dont ils ont été privés au moment de la guerre du Golfe, à
l'écart de laquelle on leur avait enjoint de se tenir, que n'égale que leur
plaisir de contempler leurs Apaches, leurs blindés et leurs vedettes high-tech
bombardant des civils palestiniens sans défense, comme ce fut le cas à Gaza, à
Beit Sahour et à Le-Biréh.
Pour comprendre l'ampleur de l'atrocité qu'Israël
est en train de perpétrer, il suffit de noter que l'agression israélienne a tué,
jusqu'à ce jour, 240 Palestiniens, en blessant environ 7 500. Si ce ratio de
victimes était appliqué à un pays de la taille des Etats-Unis, par exemple, cela
représenterait 20 000 morts et 690 000 blessés, en cinquante jours.
Israël, état le plus puissant de la région, a
produit, de nos jours, le régime le plus belliqueux de toute son histoire. Barak
est un général médaillé de l'armée israélienne, tout comme l'est aussi le leader
de l'opposition, à la notoriété particulièrement sinistre d'homme assoiffé de
sang, dont les massacres de Sabra et Shatila sont les témoins éloquents. La
troisième formation politique, en importance, dans le pays, le Shas, est dirigée
par un autre général, ancien chef d'état-major. N'était le scandale qui a coûté
à Yitzhak Mordechai son maroquin, le gouvernement israélien comporterait trois
anciens chefs de l'armée, en plus des dizaines de généraux qui se pressent dans
les rangs de l'armée et des services de sécurité.
On ne saurait être étonné, avec un tel leadership,
que l'élite politique israélienne se retrouve marginalisée, que la mentalité
militariste de Barak soit prédominante, particulièrement pour ce qui relève de
ses échecs répétés en tant que chef d'Etat, ni que l'extrémisme des colons
puisse représenter le premier mobile des bombardements israéliens dirigés contre
les civils palestiniens.
Néanmoins, toute la puissance de la machine
militaire israélienne et toute la belliquosité de ses leaders ne sauraient
occulter une vérité première. La solution militaire ne pourra pas venir à bout
de l'intifada palestinienne car, comme l'histoire l'a montré à d'innombrables
reprises, la force des armes ne peut vaincre un peuple déterminé à recouvrer ses
droits à la liberté, à l'indépendance et à la dignité. Les leaders israéliens se
trompent aussi, s'ils pensent que leurs bombes et leur massacre délibéré de
manifestants palestiniens (98% des Palestiniens tués ont été atteints par balles
dans la partie supérieure du corps) va les amener à renoncer, vaincus par la
terreur.
Dans sa guerre unilatérale contre les territoires
occupés, Israël a créé le précédent de première nation à mener une guerre contre
un pays qu'il occupe déjà. Dans le même temps, l'agression israélienne a eu
aussi pour résultat de faire voler en éclats les illusions que le processus
d'Oslo cherchait à alimenter. Il est désormais plus clair que jamais auparavant
que le peuple palestinien n'acceptera jamais une forme de bantoustan
auto-administré comme alternative à un état palestinien indépendant, totalement
souverain, établi sur la totalité de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de
Jérusalem-Est.
Le temps est maintenant venu pour les Israéliens de
bien se regarder dans la glace, et de scruter la réalité crue de leur Etat.
Israël est une puissance occupante qui est en train d'infliger au peuple dominé
bien des outrages que les Juifs eux-mêmes ont eu à subir dans d'autres parties
du monde. Les Israéliens doivent maintenant se rendre compte du fait qu'aucune
chirurgie esthétique, aussi massive soit-elle, ne saurait parvenir à maquiller
le visage hideux de l'occupation.
Il est aussi grand temps, pour le monde, à n'en pas
douter, d'admettre qu'il y a une manière simple et directe de faire régner la
paix et de mettre un terme aux souffrances. C'est qu'Israël mette un terme à son
occupation, qu'il retire ses forces de tous les territoires qu'il a occupés en
1967 et de donner aux Palestiniens la possibilité de fonder un état viable,
indépendant et démocratique. La conscience croissante, parmi les sphères de
pouvoir mondiales, du fait que les Palestinien, bien que peu nombreux, ont en
mains les clés de la stabilité dans la région plaide également en ce sens.
L'intifada s'est fixé un but très spécifique - la liberté et la citoyenneté - et
elle ne s'achèvera pas avant que cet objectif ne soit atteint.
La seule manière viable et humaine de mettre un
terme à la crise actuelle est, pour la communauté internationale, d'intervenir
de manière à assurer la protection du peuple palestinien et de créer un cadre
plus équitable pour le processus de paix, un cadre satisfaisant à l'impérieuse
nécessité de mettre un terme à l'occupation israélienne et de mettre en
application les résolutions des Nations Unies ad hoc. Retourner à la formule des
négociations faillies d'Oslo-Camp David, qui ne sont pas autre chose qu'une
tentative de mettre en place des accords qui ne satisfont pas aux principes
reconnus par la communauté internationale, ne pourrait qu'infliger une nouvelle
déconvenue à ceux-là mêmes qui y ont été trop longtemps exposés. Enfin, il n'est
plus possible de substituer une illusion de paix à la paix
véritable.