260 000 Palestiniens sont au chômage en Cisjordanie (ONU) et dans la bande de Gaza, soit près de 40 % de la population active. Le taux de chômage avait baissé de 30 % à 12 % entre 1996 et 1999. Environ la moitié des Palestiniens vivent à présent avec moins de 9 shekels (2,10 dollars) par jour. En bouclant hermétiquement les territoires occupés, l'Etat hébreu prive automatiquement 120 000 Palestiniens de leur travail en Israël, soit un manque à gagner d'environ 3,4 millions de dollars par jour. 
(Brève in L'Humanité du jeudi 7 décembre 2000)
 
 Point d'information Palestine > N°120 du 14/12/2000

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La situation se dégrade chaque jour en Palestine. On nous annonce quotidiennement des morts (de plus en plus anonymes) et des milliers blessés. Exprimer sa solidarité avec le Peuple Palestinien est aujourd'hui un devoir ! L'information est plus que jamais une priorité, aussi, nous vous invitons à vous rendre sur les trois sites suivants. Réalisé par Giorgio Basile, "Solidaires du peuple palestinien" sur http://www.solidarite-palestine.org/, le site francophone de référence ! Frederic Darondeau présente sur "Israël-Monde Arabe", une revue de presse francophone quotidienne sur le Proche-Orient sur http://www.multimania.com/ima. Enfin, Jean-Michel Staebler, rédacteur en chef de "Med Intelligence", propose un webzine bi-mensuel très pertinent sur http://medintelligence.free.fr/. A vos souris !
 
 
Au sommaire
 
Prochains rendez-vous
  1. FILM "Paul le charpentier" aujourd'hui, jeudi 14 décembre 2000 à 19h30 à la Maison de l'UNESCO à Paris
  2. RASSEMBLEMENT de soutien au Peuple Palestinien le samedi 16 décembre 2000 à 15h à Aubagne (13)
  3. RENCONTRE autour de la Palestine le dimanche 17 décembre 2000 de 10h à 17h à Marseille
  4. SOIREE de solidarité avec la Palestine le vendredi 22 décembre 2000, à partir de 19h, à Namur (Belgique)
Revue de presse
  1. "Tous les Palestiniens sont fichés, Israël peut s'attaquer à des cibles très précises" entretien avec Eric Micheletti réalisée in Libération du jeudi 14 décembre 2000
  2. Générosité trompeuse par Amira Hass in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 13 décembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  3. Les larmes d'un peuple par Régine Deforges in L'Humanité du mercredi 13 décembre 2000
  4. Les Arabes d'Israël par Mohamed Sid-Ahmed in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 13 décembre 2000
  5. Il faut revenir aux principes de Madrid, entretien avec Miguel Angel Moratinos réalisé par Hicham Mourad in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 13 décembre 2000
  6. La paix hypothéquée par Abir Taleb in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 13 décembre 2000
  7. Ouvrant sa campagne, Netanyahu invoque "la volonté de la Nation" par Deborah Sontag in The New York Times (quotidien américain) du lundi 11 décembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  8. La démission de Barak a surpris la Maison Blanche par Jane Perlez in The New York Times (quotidien américain) du dimanche 10 décembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  9. Les réfugiés palestiniens doivent avoir le droit de choisir par Elia Zureïk in Los Angeles Times (quotidien américain)  du dimanche 10 décembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  10. La France refuse d´équiper Israël en lance-grenades lacrymogènes par Georges Marion in Le Monde du samedi 9 décembre 2000
  11. L'échec étant la porte du succès, pourquoi n'essayerions-nous pas ? Les relations arabo-américaines : l'hégémonie n'est pas une malédiction éternelle par Burhan Al-Jalabi in Al-Quds Al-Arabi (hebdomadaire arabe publié à Paris) du vendredi 08 décembre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
  12. Les chebab à qui-meurt-gagne par Jean-Pierre Perrin in Libération du vendredi 8 décembre 2000
  13. Y a-t-il un vote juif ? par Jacky Akoka in Nouvel Observateur du jeudi 7 décembre 2000
  14. Le portrait d'un juste par Philippe Clanché in Témoignage Chrétien du jeudi 7 décembre 2000
  15. L’heure du troc est arrivée par Hazem Saghié in "Al Hayat" (Londres) publié dans Courrrier International du jeudi 7 décembre 2000
  16. Les limites de Yasser Arafat par Zeev Schiff in "Ha’Aretz" (Tel-Aviv) publié dans Courrrier International du jeudi 7 décembre 2000
  17. “Ce conflit transforme nos deux peuples en monstres” par Saray Makover in "Maariv" (Tel-Aviv) publié dans Courrrier International du jeudi 7 décembre 2000
  18. Arrêtons cette stratégie suicidaire par Saleh Abdel Jawad in "Amin" (Ramallah) publié dans Courrrier International du jeudi 7 décembre 2000
  19. La tragédie s'épaissit par Edward Saïd in AMIN - Arabic Media Internet Network du jeudi 7 décembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  20. Les oliviers de la colère à Gaza par Didier François in Libération du jeudi 7 décembre 2000
  21. Financial Times (quotidien britannique) du vendredi 1er décembre 2000
    Le couvre-feu vide les rues de la Vieille Ville d'Hébron
    par Judy Dempsey [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  22. L'illusion de la paix par Mustafa Al-Barghouti in AMIN - Arabic Media Internet Network du jeudi 30 novembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Prochains rendez-vous
 
1. FILM "Paul le charpentier" aujourd'hui, jeudi 14 décembre 2000 à 19h30 à la Maison de l'UNESCO à Paris
A l'occasion de la "Journée internationale de solidarité avec le Peuple Palestinien", Koichiro Matsuura, Directeur général de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, Mougi Bousnina, Ambassadeur, Délégué Permanent de Tunisie auprès de l'Unesco, Président du Groupe Arabe, Ali Maher Essayed, Doyen du corps diplomatique arabe, ambassadeur de la République Arabe d'Egypte en France, Ahmad Abdelrazek, Ambassadeur, Observateur Permanent de Palestine auprès de l'Unesco, vous prient d'assister à la projection du film "Paul le charpentier" réalisé par le cinéaste palestinien Ibrahim Khill, le jeudi 14 décembre 2000, à 19h30, à la Maison de l'Unesco - Salle I - 125, avenue de Suffren - Paris 7e (Métro Ségur) - sur invitation -
[lire aussi dans ce Point d'information Palestine N° 120, la critique du film par Philippe Clanché in Témoignage Chrétien dans la rubrique Revue de presse >> Article N° 14]
 
2. RASSEMBLEMENT de soutien au Peuple Palestinien le samedi 16 décembre 2000 à 15h à Aubagne (13)
A l'initiative de l'Association Médicale Franco-Palestinienne (Comité Pierre Llucia d'Aubagne) se tiendra, ce samedi 16 décembre 2000, à partir de 15h, un rassemblement de soutien au Peuple Palestinien, sur la Place du 14 juillet, à Aubagne dans les Bouches du Rhône. Exposition, rencontre, témoignages autour et dans un bus "anglais" pour exprimer son soutien et sa solidarité !
[AMFP-Aubagne - CO/ Sabine Gherrak - 14, cours Barthélémy - 13400 Aubagne - Tél. 04 42 84 11 21]
 
3. RENCONTRE autour de la Palestine le dimanche 17 décembre 2000 de 10h à 17h à Marseille
Le groupe Témoignage Chrétien de Marseille organise ce dimanche 17 décembre 2000 de 10h à 17h à La Bétheline - 35, chemin de la Bétheline (Chateau Gombert) - Marseille 13e - une journée d'information et de débat autour de la situation en Palestine, avec la participation de représentants de l'AMFP-Marseille, et du groupe TC de Toulouse. A cette occasion, une projection du dernier film de Ibrahim Khill, "Paul le charpentier", sera présentée au participants.
[Témoignage Chrétien - CO/ Odile Hartmann-Mondon - La Mongrane Bât. C6 - 1, rue André Isaïa - 13007 Marseille - Tél/Fax. 04 91 70 95 21]
 
4. SOIREE de solidarité avec la Palestine le vendredi 22 décembre 2000, à partir de 19h, à Namur (Belgique)
Organisée à l'initiative de : Solidarité Socialiste - FGTB Namur - Amnesty International - Centre d'Action Interculturelle - CNCD - Oxfam - Ligue des Droits de l'Homme - Entraide & Fraternité - Centre des Immigrés - Justice & Paix - Association Belgo-Palestinienne - Espace Enfance & Jeunesse et Espace Pluriel de la Mutualité Socialiste - PAC - Fédération Namuroise du PS à 19h à la Maison syndicale André Genot - CGSP - Rue Armée Grouchy - 5000 Namur (Belgique) - Entrée gratuite -
PROGRAMME :
19h : Projection du reportage l'Hebdo - RTBF "Octobre Noir" d'Élisabeth Burdot
20h : Conférence-débat et témoignages sous la présidence du sénateur Philippe Mahoux, avec comme invités :
Shawki Armali, Ambassadeur de Palestine en Belgique, Henri Wajnblum, Président de l'Union des Progressistes Juifs de Belgique, Pierre GALAND, Président du CNCD, Élisabeth BURDOT, Journaliste RTBF
21h : Concert du groupe palestinien de musique et de chant, A'Arass, fondé et dirigé par Ahmad Dari
[Renseignements : Tél. 081/72.93.05 - 081/72.93.45 - 081/72.93.53]
 
Revue de presse

 
1. Libération du jeudi 14 décembre 2000
"Tous les Palestiniens sont fichés, Israël peut s'attaquer à des cibles très précises" entretien avec Eric Micheletti
réalisée par Jean-Dominique Merchet
L'expert militaire Eric Micheletti revient d'Israël et des territoires palestiniens, où il a enquêté sur la nouvelle Intifada. Auteur de nombreux ouvrages sur les forces spéciales, directeur d'une collection d'histoire militaire, il dirige le mensuel indépendant d'informations militaires Raids. A l'occasion de la sortie d'un numéro spécial «Israël-Palestine, l'appel aux armes» (1), il répond à nos questions.
Tsahal, l'armée israélienne, est généralement considérée comme l'une des meilleures du monde. Et pourtant, elle semble dépassée par les événements. Qu'en pensez-vous?
Les Israéliens ont en effet été surpris par l'ampleur du soulèvement. Mais le plus curieux est que les militaires avaient déjà été confrontés à l'Intifada, de 1987 à 1993. Ils n'ont pas appris grand-chose depuis lors. Durant sept ans, au lieu d'entraîner leurs hommes au maintien de l'ordre, ils se sont endormis sur les accords de paix avec les Palestiniens. Les militaires pensaient qu'ils n'avaient plus vraiment à s'occuper de défense intérieure. Ils ont bien acheté un peu de matériel, comme des casques à visière, des grands boucliers ou des gilets pare-coups, mais ils n'ont pas appris à manœuvrer à leurs soldats. On le constate tous les jours sur le terrain. L'état-major se déchargeait de la sécurité intérieure sur les 5 000 hommes du Mishmar HaGvul, les gardes frontières qui sont des appelés servant dans la police. Lorsque le soulèvement a commencé, la police a été débordée et l'armée a dû intervenir massivement.
Comment?
Ils ont sorti leurs chars et instauré un blocus très sévère des villes arabes. Les Israéliens ont mis plusieurs jours à comprendre que les blindés ne faisaient pas peur aux Palestiniens et que leur impact médiatique était très mauvais. Aujourd'hui, les chars sont retournés dans les camps militaires.
La stratégie de Tsahal a donc évolué?
Oui, les réactions sont aujourd'hui beaucoup plus ciblées, plus ponctuelles. Et ce n'est pas un hasard si, parmi les 2 000 réservistes rappelés, figurent de nombreux tireurs d'élite. Tout le système israélien repose sur un formidable appareil de renseignement. Il n'y a pas d'équivalent dans le monde, si ce n'est peut-être les Britanniques en Irlande du Nord.
Quelle est leur méthode?
Depuis trente-trois ans, les Israéliens tiennent le pays. Tous les Palestiniens ont été fichés. Leurs chefs sont repérés, localisés, suivis vingt-quatre heures sur vingt-quatre par un système d'écoute et de surveillance aérienne avec des hélicoptères et des drones (petits avions automatiques). Les services israéliens possèdent les numéros de téléphone de tous les militants et de tous les policiers palestiniens. Quant aux 35 000 à 40 000 armes légères des Palestiniens, les Israéliens possèdent même leurs numéros de série, puisque ce sont eux qui les ont fournies aux Palestiniens en vertu des accords d'Oslo. N'oublions pas non plus que les différents services israéliens possèdent des informateurs dans toute la société palestinienne. Nombre de ces «collabos», exécutés par les leurs, sont à compter parmi les victimes de ces dernières semaines. Cette connaissance d'un terrain, relativement étriqué, permet à Tsahal de s'attaquer à des cibles très précises, en visant par exemple tel ou tel individu. Ou de détruire des bureaux avec des missiles antichars tirés d'hélicoptères, mais en prévenant auparavant l'Autorité palestinienne.
Il y a donc une certaine retenue?
Oui. La preuve est que les forces spéciales, moins nombreuses qu'on ne le dit, sont quasiment inutilisées. Quelques unités comme les Duvdevanim interviennent déguisées en Arabes. Mais si Tsahal envoyait ces commandos grenouiller toutes les nuits dans les zones d'où partent les tirs de harcèlement palestiniens, cela se saurait... au vu des dégâts qu'ils causeraient. Ils ne le font quasiment pas, à la demande du gouvernement.
Constate-t-on des désaccords à ce sujet entre l'armée et l'exécutif?
On ne peut pas dire cela. En Israël, l'armée et la nation, c'est la même chose et la plupart des responsables politiques, dont le Premier ministre, sortent directement de l'armée. Tsahal, c'est une armée d'appelés et c'est aujourd'hui l'un de ses problèmes. Le gouvernement doit répondre de la vie de chacun de ses hommes et les soldats (qui font leur service de 18 à 21 ans) sont peu motivés. Le combattant de la guerre des six jours ne reconnaîtrait pas celui d'aujourd'hui. L'armée met d'abord l'accent sur la protection de ses hommes, d'où la multiplication des blindages et des fortifications. Beaucoup de technologie, mais peu d'engagement humain: c'est un des traits de l'américanisation de la société et de l'armée israéliennes.
Quelles sont les tactiques des Palestiniens?
Je ne sais pas si l'on peut parler de tactique... A Gaza et à Ramallah, il y a deux ou trois rues où se déroulent les manifestations, avec les enfants qui jettent des pierres. C'était surtout vrai durant les trois ou quatre premières semaines. L'essentiel aujourd'hui, c'est un harcèlement qui se déroule de nuit: les Palestiniens vont «rafaler» les colonies juives ou les postes militaires, puis ils regagnent leurs domiciles dans le secteur A, la zone où les Israéliens n'ont plus accès. Mais tout cela reste des actions de basse intensité, si l'on exclut les opérations du Hamas (islamiste) qui agit de son côté, avec des attentats à la bombe.
Que peut faire Israël?
Pas grand-chose. Occuper un pays est très difficile: toute l'histoire le montre. Certains parlent de construire un mur, mais il est illusoire de croire qu'on peut s'en sortir en bétonnant. La seule solution passe par la politique, pas par le militaire. Imaginons ce qui se passerait si les Palestiniens organisaient une grande «marche verte» pacifique sur Jérusalem. Aucune armée ne pourrait l'arrêter. Les militaires le savent bien.
(1) En vente dans les kiosques, 69 F.
 
2. Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 13 décembre 2000
Générosité trompeuse
par Amira Hass [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Je suppose que c'est le destin. Nous n'écoutons pas les Palestiniens, nous ne voulons pas entendre l'analyse qu'ils font de leur situation ou leurs avertissements, nous, en Israël. Non, nous ne les écoutons pas. Ce que nous écoutons, par contre, et ce que nous entendons, ce sont les avertissements et les descriptions de la situation, présentée comme une "occupation" (texto), lorsque c'est l'ancien chef du service de sécurité - Shin Beit - Ami Ayalon, qui les produit. Quiconque a essayé d'informer sur le comportement des Forces de Défense israéliennes sur le terrain, et non à travers le bureau de leur porte-parole, s'est vu agonir d'insultes et d'accusations infondées. Le camp de la paix israélien, qui se définit comme sioniste, a été frappé de mutisme : lui aussi a plus écouté le porte-parole de l'armée israélienne et les chefs d'état-major qu'il n'a rencontré les Palestiniens. Résultat : son cri de sursaut moral est arrivé trop tard.
Ca ne serait pas si grave si nous n'étions pas en train de parler de vies fauchées et d'infirmités à vie évitables ; ça ne serait pas aussi terrible si la même règle stupide avait prévalu à d'autres niveaux du conflit israélo-palestinien, particulièrement en ce qui concerne la question des implantations.
Nous entrons maintenant dans une nouvelle période électorale, durant laquelle le camp de la paix (israélien), dans sa majorité, va soutenir Ehud Barak, en se fondant sur sa "générosité à Camp David", qu'Arafat (aurait) rejetée. Les pourcentages jaugeant cette générosité diffèrent d'un analyste politique à un autre. Certains ont mentionné que ce qui était demandé aux Palestiniens, c'était de renoncer à 5% de la superficie de la Cisjordanie ; tandis que d'autres avançaient le chiffre de 9%, voire davantage. Jeff Aronson, qui étudie les politiques de colonisation israéliennes à la Fondation pour la Paix au Moyen-Orient de Washigton, donne un exemple de la nature trompeuse de pourcentages présentés comme des gages de générosité. Les zones métropolitaines (urbaines) des Etats-Unis, qui déterminent, dans une large mesure, l'identité du pays et sont vitales pour son existence, ne représentent pas plus de 4% de sa superficie totale. Le bassin du Mississipi couvre 2% du territoire américain (seulement) mais, sans le Mississipi, les Etats-Unis ne seraient plus les Etats-Unis...
Les plans-masses de l'ensemble des implantations de la Cisjordanie recouvrent pas moins de 8 à 9% de sa superficie totale, les zones construites représentant de 1 à 2%. Les plans généraux de l'ensemble des collectivités palestiniennes - villes et villages - occupent également seulement 8% de la superficie totale de la Cisjordanie. Résultat : égalité dans l'occupation territoriale, en Cisjordanie, entre 200 000 colons (excepté Jérusalem-Est), et quelque 2 millions de Palestiniens. Même si 3% étaient prélevés sur les aires d'extension (généreusement prévues larges) des implantations, cela ne changerait rien au fait que la majorité d'entre elles (répétons-le, prévues en s'arrogeant sans barguigner des possibilités d'agrandissement plus que confortables) resteraient intouchées, et toujours situées dans une région de la plus haute importance stratégique pour la cohésion territoriale de la Cisjordanie. L'implantation la plus étendue, et la plus consensuelle de toutes, Ma'aleh Adumim, coupe la Cisjordanie en deux : et n'allez pas imaginer que des acrobaties et des jongleries avec des bretelles d'autoroute et des tunnels pourraient y changer quoi que ce soit.
Les "généreux pourcentages" de Camp David n'ont pas précisément défini qui aurait le contrôle des routes de communication. Même si la "générosité israélienne" avait signifié que l'on ne conservait que Ma'ale Adumim, Ariel et le Complexe Etzion, les routes de liaison desservant ces implantations auraient continué à être patrouillées par les soldats israéliens. Qui, à ce compte là, peut envisager un instant qu'un Palestinien pourrait se sentir chez lui dans son propre Etat indépendant, alors que ses plus simples déplacements, ses trajets entre son travail et sa famille, par exemple, impliqueraient qu'il croise quotidiennement des soldats étrangers ?
Plus que tout autre chose, l'intifada d'Al-Aqsa apporte la preuve qu'elle est bien une révolte contre les implantations, les colonies, et contre l'illusion israélienne que les Palestiniens pourraient admettre une réalité dans laquelle leur "Etat indépendant" serait coupé par le milieu et sur les côtés par des "grappes d'implantations". L'opinion publique palestinienne est prête à continuer à supporter la brutalité du châtiment collectif et des mesures de rétorsion adoptés par l'Armée israélienne de défense en riposte à toute attaque contre un colon ou un soldat se trouvant là, précisément, pour défendre les colons.
Les Palestiniens sont unis dans leur opposition indéfectible à toute solution qui laisserait les colons au milieu d'eux. Cette opposition ne vise pas seulement Israël, mais aussi Yasser Arafat et les responsables de l'Autorité palestinienne, qui voudraient avaler (la couleuvre du maintien des) colonies dans le cadre d'un règlement définitif.
Vraisemblablement, ni les pierres ni les déclarations palestiniennes (grandiloquentes) n'apporteront quoi que ce soit. Nous aurons besoin d'encore quelques années sanglantes avant qu'un ancien chef d'état-major ou un directeur à la retraite du Shin-Bet - comme de Gaulle, en son temps - vienne nous voir et nous annonce l'inévitable : "Excusez-moi, résidents de Ma'aleh Adumim : nous nous sommes trompés, lorsque nous vous avons encouragés à vous installer ici en pensant que les Palestiniens accepteraient éternellement leurs vies (de parias) dans ce système d'apartheid. Excusez-moi, résidents de Givat Ze'ev, nous allons devoir vous trouver des maisons avec jardin ailleurs, à l'intérieur d'Israël"... Ou bien alors, autre solution : nous pourrions permettre aux habitants de Ramallah et d'Abu Dis, par exemple, de déménager à Ramat Aviv et de construire une ville (de colonisation) à Tantura...
 
3. L'Humanité du mercredi 13 décembre 2000
Les larmes d'un peuple
par Régine Deforges
" Ecoute, bûcheron, arrête un peu le bras !
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas ;
Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force,
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ? " Pierre de Ronsard
Nous avons été nombreux, à la fin de l'année dernière, à pleurer des arbres que la tempête avait jetés à bas. Pour certains, dont je suis, abattre un arbre n'a jamais été un acte anodin ; l'arbre représente la force, la durée, la vie. Je sais bien que, de tout temps, son bois a été utile à l'homme mais, chaque fois que j'en ai vu un, là, couché sur sa mère nourricière après le passage des bûcherons, devant la plaie fatale d'où monte la forte odeur de la sève, j'ai presque toujours versé des larmes. Grâce à lui, à l'arbre, l'homme a pu se préserver du froid, faire cuire sa nourriture, fabriquer des huttes pour abriter sa famille, tailler le berceau du nouveau-né, monter les charpentes des cathédrales, construire des bateaux pour s'élancer à la conquête du monde... Il y a, entre nous et les arbres, une complémentarité évidente. Entrer dans une forêt, c'est entrer dans le vivant, c'est sentir autour de soi respirer le végétal et l'animal, c'est redevenir partie intégrante de la nature. Cette nature que nous avons façonnée, qui nous nourrit et que nous détruisons par inconscience, égoïsme, bêtise ou goût de profit...
Autrefois, pour punir un seigneur félon, le roi ordonnait de démanteler ses villes, de démolir les tours de ses châteaux et de procéder à la déforestation de ses domaines. C'est ce qui se passe aujourd'hui à Gaza, où l'armée israélienne a envoyé des bulldozers opérer l'arrachage des arbres qui bordent la route de Kissufim, voie stratégique pour l'armée et les colons. Et pas seulement les palmiers et les oliviers : tout ce qui pouvait permettre à un combattant palestinien ou à l'enfant lanceur de pierres de se cacher a été détruit, murs, hangars, maisons... Des familles ont été contraintes d'abandonner leur demeure et leur mobilier que les soldats ont ensuite anéantis. Pour certaines, c'était la seconde fois qu'elles étaient ainsi contraintes de quitter la terre sur laquelle elles s'étaient établies. " 1 593 vieux oliviers et 172 jeunes plants, 669 palmiers, 1 973 citronniers et orangers, 998 amandiers, 24 goyaviers et 20 pieds de vigne ", a compté Eid Abdallah, le maire de Qara, pour l'envoyé spécial de Libération, Didier François. Qu'en est-il dans les autres villages bordant cette route maudite ? Croit-on qu'avec de tels procédés, qu'avec les humiliations infligées à leurs parents et dont les enfants sont témoins, ils cesseront de jeter des pierres à ceux qui les traitent ainsi ? " La vraie violence (qui est révolte) n'a pas de venin. Quelquefois mortelle mais par pur accident " (1).
"Inscris
Que je suis arabe
Que tu as raflé les vignes de mes pères
Et la terre que je cultivais
Moi et mes enfants ensemble
Tu nous as tout pris hormis
Pour la survie de mes petits-fils
Les rochers que voici
Mais votre gouvernement va les saisir aussi
...à ce que l'on dit ! " (2)
Ces " chebab " qui affrontent les fusils israéliens, n'ont que mépris pour la mort ; ils se veulent martyrs. Les parents sont impuissants à empêcher leurs enfants de participer à l'intifada et les nombreuses morts ne font que renforcer la détermination des gamins et des adolescents : c'est une question de dignité. Les mères s'en mêlent ; elles feront plus d'enfants pour " remplacer " ceux qui auront été tués. Leur chagrin a fait place à la colère. La colère, elle, engendre les cris, la haine, puis de nouveau la colère... Pourtant, c'est encore la vie qui s'exprime là. Une vie cependant dont nous, nous ne voudrions pas, une vie d'opprimés, de sans-terre. Je voudrais que l'on m'explique, à moi qui ne suis pas une intellectuelle, pourquoi l'Etat d'Israël continue de coloniser ces territoires, en dépit des engagements pris devant la communauté internationale, alors qu'il a été amplement démontré que la colonisation n'aboutissait qu'à l'échec, n'engendrant qu'injustices et souffrances ?
(1) Jean Sénac.
(2) Mahmoud Darwish : Identité, in Poèmes palestiniens. Editions du Cerf, 1989.
 
 
4. Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 13 décembre 2000
Les Arabes d'Israël
par Mohamed Sid-Ahmed
L'Intifada a atteint certains lieux en Israël même. Et notamment la ville d'Oum Al-Fahm qui compte 40 000 habitants à majorité musulmane. Ceux-ci ont été révoltés par le traitement barbare dont sont victimes les enfants lanceurs de pierres. Les habitants d'Oum Al-Fahm sont alors sortis manifester pour exprimer leur solidarité avec leurs frères palestiniens de Cisjordanie, et se sont trouvés eux aussi exposés aux tirs des mitrailleuses de la police israélienne. Le bilan : une dizaine de morts et 150 blessés. Ce qui a rouvert le dossier des « Arabes d'Israël » et la possibilité de leur coexistence avec les sionistes dans le cadre d'un Etat hébreu.
Pour éviter que des mouvements pro-palestiniens naissent en Israël (à l'instar de ce qui s'est passé à Oum Al-Fahm), il a été discuté à Camp David II l'échange de certains territoires entre Israël et l'Etat palestinien une fois proclamé. Israël devrait maintenir sa souveraineté sur certains territoires occupés où se concentrent les colonies juives, et en contrepartie devraient être transférés à l'Etat palestinien certains sites à majorité arabe, dont la ville d'Oum Al-Fahm.
Des experts israéliens s'étaient opposés à cet échange sous prétexte que les Arabes d'Israël préfèraient rester sous souveraineté israélienne plutôt que palestinienne ! Un commentateur israélien avait écrit dans le journal Haaretz, s'appuyant sur un sondage effectué auprès de 1 000 habitants d'Oum Al-Fahm, montrant que 83 % de la population de la ville était opposée à un transfert à l'Autorité palestinienne, que les habitants d'Oum Al-Fahm avaient fait part non seulement de leurs opinions et sentiments, mais aussi qu'ils étaient les porte-parole des Arabes d'Israël en général. Or, l'Intifada a réfuté complètement ces arguments.
Le commentateur israélien était donc obligé de renoncer à son opinion dans un article publié quelques jours après le déclenchement de l'Intifada. Il a reconnu que deux phénomènes, contradictoires mais en réalité complémentaires, ont pris naissance parmi les Arabes d'Israël. Le premier est une tendance à la « palestinisation » des Arabes d'Israël qui ont exprimé leur solidarité avec leurs frères, les Palestiniens de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Le second est « l'israélisation » des Arabes d'Israël qui ont exprimé leur désir de s'intégrer davantage aux institutions de la société israélienne, et ce en entreprenant un long chemin tortueux et semé d'embûches.
Pendant plus d'un demi-siècle, les Arabes d'Israël étaient soumis à un Etat qui leur était imposé. Ils ont même enduré pendant 20 ans un régime militaire strict qui a confisqué leurs terres pour assurer le caractère juif de l'Etat sioniste. Ce dernier avait de même adopté la politique de deux poids, deux mesures pour évaluer les fonds alloués aux communes : les villes et les campagnes juives étaient traitées différemment des arabes. Ces dernières étaient privées des services essentiels dans tous les domaines, notamment la santé et l'éducation. C'est pour tenter de combler ce vide que le mouvement islamique a eu une influence concrète dans certaines localités comme Oum Al-Fahm et Nazareth.
La question qui se pose est donc : dans quel camp sont les Arabes d'Israël ? Pendant des années, ils ont été persécutés par les juifs d'Israël. Ils inspiraient en même temps la méfiance des sociétés arabes qui ont cru que leur loyauté était en premier lieu à l'Etat hébreu. Ils ont été boycottés par les peuples arabes comme le reste des citoyens israéliens. Mais depuis le processus de paix, la position des arabes d'Israël a changé. Personne n'a plus intérêt à les négliger ou à les marginaliser. Il ne s'agit plus de la polarisation aiguë entre les deux parties qui avait précédé les négociations de règlement. Les Arabes d'Israël possèdent actuellement 13 sièges parmi les 120 de la Knesset. Et bien que les membres arabes de la Knesset relèvent de plusieurs partis, ils forment aujourd'hui une force à ne pas négliger.
Les émigrés étaient à la source du mouvement palestinien qui était d'abord représenté par le Fatah et les autres factions ayant formé l'OLP à l'extérieur de la Palestine. Et quand le processus de paix a été lancé à Madrid, le foyer du mouvement a été transféré à des porte-parole de Gaza et de la Cisjordanie n'ayant aucun lien direct avec l'OLP. Et ce fut grâce aux accords d'Oslo qu'Arafat et le Fatah se sont créé une place dans les négociations et que l'Autorité palestinienne présidée par Arafat a été habilitée à négocier au nom des Palestiniens. Ainsi, le foyer du mouvement palestinien se trouvait transféré aux territoires palestiniens occupés (soit ceux qui sont sous la souveraineté de l'Autorité palestinienne ou ceux objets de négociation).
Quant aux Palestiniens résidant en Israël, on peut citer comme exemple Azmi Bichara, membre de la Knesset, arabe chrétien de Nazareth. Celui-ci a obtenu son doctorat de philosophie dans une université allemande. Il utilise sa position parlementaire pour faire prévaloir les aspirations nationales palestiniennes, qu'il s'agisse de la lutte pour obtenir les mêmes droits que les juifs ou pour aboutir à l'indépendance culturelle des Arabes d'Israël. Bichara a été inspiré par le mouvement des droits civils mené dans les années 1960 par les Noirs Américains sous le leadership de Martin Luther King. Bichara reconnaît que l'appartenance d'un Arabe palestinien à la Knesset soulève de nombreuses contradictions qui ne se limitent pas uniquement au fait qu'il s'agit d'un organe législatif israélien. Sans doute, cette vérité accroît l'acuité des contradictions, mais ce n'est pas leur seule cause. Il n'existe aucun moyen de les éviter si ce n'est de renoncer à ce poste et de quitter le pays.
Il y a en Israël des partisans de l'idée de création d'un Etat palestinien, ou même des parties qui saluent l'idée de l'échange de terres entre leur Etat et l'Etat palestinien (pour garantir une souveraineté israélienne sur la plupart des colonies juives et un transfert des régions à majorité arabe à l'Autorité palestinienne). Ces Israéliens réalisent que ne pas séparer Israéliens et Palestiniens exposera leur Etat tôt ou tard au démantèlement. Ils réalisent de même que l'ancien emblème brandi par l'OLP, celui de créer un Etat uni, démocratique et laïque en Palestine au lieu de la diviser en un Etat juif et un autre palestinien n'est pas une simple illusion sans avenir comme l'imaginaient nombre d'observateurs.
Depuis le processus de paix, la position des Arabes d'Israël a changé. Personne n'a plus intérêt à les négliger ou à les marginaliser.
 
5. Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 13 décembre 2000
Il faut revenir aux principes de Madrid, entretien avec Miguel Angel Moratinos
réalisé par Hicham Mourad
Envoyé spécial de l'Union Européenne au Proche-Orient, Miguel Angel Moratinos estime dépassées les propositions sur Jérusalem faites par Israël à Camp David.
Al-Ahram Hebdo : Pourquoi l'Europe est-elle si neutre et si passive dans la recherche d'un règlement au Proche-Orient ?
Miguel Angel Moratinos : Je ne peux pas accepter cette nouvelle perception, ce nouveau stéréotype qui est en train d'être véhiculé dans la société arabe et dans les milieux politiques arabes d'une neutralité pernicieuse européenne. Le rôle européen a été toujours une réalité mais maintenant il est devenu indispensable pour faire avancer le processus, rétablir et consolider la paix dans la région. L'Europe a toujours été constructive dans le chemin de la paix au Moyen-Orient. A Marseille, il n'y a pas eu de grandes difficultés entre les représentants arabes et les pays de l'Union européenne, au contraire, je crois que Marseille a permis d'avoir un dialogue franc. On a organisé, suite au souhait de la partie arabe, un dîner dédié exclusivement au processus de paix, une session formelle, une réunion troïka avec les pays arabes, des travaux dans les couloirs de la conférence pour aboutir à un texte final et à une plus grande sensibilisation de la partie européenne. Ceci dit, ce qu'il faut reconnaître et en même temps applaudir, c'est que le monde arabe réclame un rôle plus grand de l'UE et nous sommes sensibles à cet appel. Et nous disons à nos amis arabes qu'il faut aussi travailler main dans la main. Il faut aussi aider à ce que le rôle européen soit plus efficace et pour cela il faut maintenir le dialogue de la coopération euro-arabe. Il y a la conférence de Barcelone, il y a la présence permanente sur le terrain, il y a des accords d'associations entre différents pays arabes et l'UE. Mais tout peut être amélioré et il faut surtout établir un cadre clair de ce que doit être notre prochain avenir. En d'autres termes, quel sera notre avenir commun ? On est à un tournant. Il y a de nouveaux enjeux dans la région. Il y a des changements d'opinions publiques dans le monde arabe et une réforme institutionnelle au sein de l'UE. Nous assistons à une nouvelle phase entre le monde arabe et l'UE et il faut rétablir les objectifs et les plans d'action.
— Mais certains responsables européens lient un rôle accru de l'UE à un accord préalable d'Israël ...
— C'est une fausse perception. Je pense que l'Europe est mûre pour mener sa politique sans aucun complexe. Il est vrai qu'on a maintenant de meilleurs rapports avec Israël et ce n'est pas là simplement une bonne nouvelle, mais une nouvelle qui devrait être applaudie au sein du monde arabe. On a de meilleures capacités de dialogue et d'influence sur Israël pour pouvoir faire passer nos préoccupations, nos visions des choses et nos objectifs qui sont très proches et pratiquement les mêmes que ceux du monde arabe. Je me rappelle que lorsque l'Espagne a rétabli les relations diplomatiques avec Israël en 1986, cela a été accueilli dans le monde arabe par des déclarations annonçant la fin de l'amitié et de la fraternité avec le monde arabe. On aurait dit qu'on assistait à une rupture définitive, à une cassure entre l'Espagne et tout le legs historique avec le monde arabe. On a expliqué que grâce au rétablissement des relations avec Israël, l'Espagne a pu jouer un rôle plus positif et plus efficace et c'est pour cela qu'on a eu la conférence de Madrid, qu'on a pu relancer le processus de paix. C'est pour cela aussi que nous sommes plus efficaces dans le dialogue. C'est aussi pour cela qu'on m'a nommé envoyé spécial de l'UE. Je crois que c'est sur cela qu'il faut se concentrer. On ne préconditionne pas notre action au Moyen-Orient par un accord ou un désaccord des uns et des autres. En conclusion, nous avons une vision politique et des objectifs. Nous les menons avec objectivité, avec clarté et avec détermination.
— Dans cette perception, n'y a-t-il pas lieu alors de répondre positivement à certains responsables arabes qui demandent à l'UE, en tant que premier partenaire économique de la région, d'imposer des sanctions à Israël ?
— Les sanctions, les mesures, les pressions, ce sont des termes. Je crois qu'on doit agir dans une globalité. Les sanctions, ça dépend du pourquoi, du quand et à quel moment. Je pense qu'actuellement nous sommes dans un processus de paix, de dialogue. Il y a eu la rupture et toute la crise à laquelle nous assistons. Je pense que l'heure est au dialogue et non aux sanctions. On verra dans le futur ce qui va se passer, mais aujourd'hui nous disons qu'on a une volonté d'être utile et d'être efficace.
— Le projet d'envoi d'observateurs de l'Onu dans les territoires palestiniens risque de buter sur un veto américain. Quelle sera la position de l'UE ?
— Il y a un consensus au sein de l'UE favorable au principe de l'envoi d'observateurs et nous appuyons les efforts de la France et de la Grande-Bretagne pour arriver à une adoption la plus immédiate d'une solution susceptible de permettre au secrétaire général des Nations-Unies de mettre en application l'envoi de cette mission d'observation. On espère dans les prochains jours arriver à un consensus avec toutes les parties. Ceci étant, nous n'attendons pas une acceptation des uns et des autres et je crois que le plus important c'est d'accepter le principe de la mission et de donner un mandat au secrétaire général pour son application. On aimerait qu'il n'y ait pas de veto. Sinon, on prendra nos responsabilités qui sont toujours en faveur de cette mission.
— Vous avez parlé à plusieurs reprises de « mesures de confiance » du côté palestinien et du côté israélien. Qu'entendez-vous par mesures de confiance ?
— L'application des accords de Charm Al-Cheikh comporte des obligations spécifiques qui exigent des uns et des autres des actions concrètes. Quelquefois, on entend par mesures de confiance des obligations du côté israélien : Israël doit immédiatement retirer ses troupes jusqu'aux positions d'avant le 29 septembre, lever le bouclage des territoires, faciliter le transfert des fonds à l'Autorité palestinienne. On demande aussi aux autorités palestiniennes des efforts en matière de sécurité. Toutefois, les mesures de confiance sont quelque chose qui va un peu plus loin que tout cela. A titre d'exemple, les mesures de confiance politiques : une volonté d'arrêter la politique d'implantation. Ainsi, lever le bouclage ne peut pas être considéré comme une mesure de confiance. L'autre mesure est liée au climat et à l'atmosphère qui doivent conduire aux négociations. L'envoi d'une mission d'observation qui peut constituer un élément de reprise du dialogue constitue aussi une mesure de confiance.
— Après le déclenchement des affrontements entre Palestiniens et Israéliens, les responsables palestiniens et arabes appellent à une reprise des négociations, mais sur de nouvelles bases. Qu'en pensez-vous ?
— Je crois qu'ils ont raison. Nous devons tous réfléchir à la nouvelle situation avec une vision de ce qui a été positif dans le passé. Identifier ce qui n'a pas donné de résultats et l'échec qui a mené à cette situation, et envisager le futur avec un regard nouveau. Tout le monde est d'accord, l'UE et le monde arabe, et je crois qu'Israël aussi, sur le fait qu'il faut reprendre les termes de référence de la conférence de Madrid. Il faut signaler que sans l'application des résolutions 242 et 338, il sera pratiquement impossible et inacceptable d'arriver à un accord définitif entre Israël, les Palestiniens et les pays arabes. Il faut faire une lecture réaliste et positive de ce qui a fait la réussite d'Oslo. Il ne faut pas non plus sacraliser Oslo. Oslo avait des éléments de méthodologie, un terrain d'approche graduelle avec des éléments substantiels. Aussi, il faut garder ce qui est substantiel et laisser ce qui est intérimaire, et dans ce sens ce qui reste d'Oslo est très clair, c'est la négociation du statut final : Oslo est passé. On a les bases de Madrid qu'il faut maintenant reprendre pour le statut final. Par ailleurs, il faut avoir un nouveau regard ; il faut garder l'acquis substantiel du processus car on ne peut pas dire que l'on n'a pas avancé durant ces neuf dernières années. Beaucoup a changé dans les attitudes, les esprits et les propositions israéliennes. Donc, il faut garder tout cela et se dire comment aboutir à une solution définitive, du point de vue substantiel et procédural et c'est là une réflexion tout à fait légitime sur laquelle on doit se concerter avec nos amis, égyptiens, arabes et avec Israël ainsi que les Américains.
— La Russie a proposé la tenue d'une conférence internationale pour remettre sur les rails le processus de paix. Qu'en pensez-vous ?
— Je crois que c'est là une proposition valable, mais quand et comment ? Là est la question. Il faut travailler pour créer une réflexion conjointe et créer les conditions de remise sur pied des négociations. Si les Américains n'arrivent pas à faire bouger la situation, il faut envisager toutes les formules utiles. Pour l'instant, c'est un peu prématuré. Les efforts de la Russie sont valables et il faut les prendre en considération.
— Les Palestiniens ont à plusieurs reprises parlé de la proclamation unilatérale d'un Etat palestinien en cas de non accord. Quelle est votre position ?
— Nous avons été très clairs. Nous soutenons la création d'un Etat palestinien. On l'a dit en mars 1999, on l'a redit à Biarritz, en octobre, et par la suite à Marseille, en novembre. Les Arabes ont dit que le communiqué de Marseille était très mauvais. Ceci n'est pas vrai puisque même Israël a adopté le communiqué qui mentionne un Etat palestinien. Les Palestiniens doivent décider et proclamer leur Etat. Une fois que cela sera fait, on assumera nos responsabilités. Pour l'instant, les Palestiniens pensent que le moment n'est pas encore arrivé.
— Mais les Européens, ainsi que les Américains et les Russes, ont conseillé aux Palestiniens de reporter la proclamation de leur Etat …
— Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Nous avons conseillé aux Palestiniens en 1999 d'attendre pour cause d'élections en Israël. Evidemment, on voudrait que la proclamation de l'Etat ait l'accord de tout le monde. Ce serait l'idéal. Ceci dit, les Palestiniens sont seuls à décider.
— La question de Jérusalem reste la principale pierre d'achoppement à un accord de paix. Pensez-vous qu'une solution est possible ?
— Les points positifs concernant cette question sont que, pour la première fois, il y a un débat sur la question de Jérusalem. Il faut reconnaître que même les plus grands experts appréhendaient d'aborder la question de Jérusalem d'une façon si claire et si nette, et pourtant la question est abordée. On peut trouver une solution à la question de Jérusalem. Je crois qu'aujourd'hui il y a une volonté de surmonter ce qui a été proposé par les Israéliens à Camp David, à savoir leur souveraineté sur les lieux religieux et historiques. Les Européens peuvent aider à trouver une solution à cette question. Je suis plutôt optimiste.
 
6. Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 13 décembre 2000
La paix hypothéquée
par Abir Taleb
Les chances déjà minimes d’un règlement de la crise dans les territoires occupés et d’un accord israélo-palestinien se sont carrément volatilisées à la suite des développements politiques intérieurs en Israël et de la démission, samedi dernier, du premier ministre israélien Ehud Barak. En effet, les Palestiniens qui s’étaient réjouis, en mai 1999, lors de l’élection de Barak, du retour de la gauche, ne se font désormais plus d’illusions. Et maintenant que la paix est dans l'impasse, les Palestiniens estiment n'avoir pas grand-chose à perdre, même avec un possible retour de la droite au pouvoir. Le président palestinien Yasser Arafat a lui-même écarté l'idée d'une percée et d'un accord d'ici aux prochaines élections, bien qu'il s'agisse là, de l'avis général, de la meilleure chance — voire de la seule — pour M. Barak de se maintenir au pouvoir. « Il n'y a pas de doute que cette démission aura pour conséquence de geler le processus de paix jusqu'à la tenue de l'élection », a déclaré le président palestinien, en ajoutant : « Tout le monde sait qu'il (Barak) ne se sentait pas engagé (par le processus de paix) et qu'il gagnait du temps. Ce n'est pas la première fois que le processus de paix est entravé ». Une manière de dire qu'il ne compte pas faire de concessions pour parvenir à tout prix à un accord de paix, même partiel, sur lequel M. Barak pourrait ensuite faire campagne pour vaincre le candidat du Likoud.
Une responsable palestinienne, Hanane Achraoui, a elle aussi confirmé que plus de dix semaines après le début de l'Intifada, qui a déjà coûté la vie à près de 300 Palestiniens, il n'est pas question de jeter une bouée de sauvetage à M. Barak. « Vous ne verrez pas les Palestiniens se précipiter au secours de Barak », a-t-elle déclaré, reconnaissant toutefois qu'il y aura « des pressions politiques massives sur les Palestiniens (...) pour qu'ils signent un accord défectueux afin de sauver le premier ministre ». M. Barak « a montré qu'il pouvait être aussi mauvais que l'alternative », c'est-à-dire que la droite, a ainsi déclaré Mme Achraoui.
Car, en Israël, c’est désormais dans une véritable course électorale que se sont engagés le premier ministre démissionnaire, qui a été aussitôt désigné candidat du Parti travailliste pour l’élection au poste de chef du gouvernement, et l'ancien premier ministre Benyamin Netanyahu, qui a annoncé dimanche sa candidature et qui compte bien marquer ainsi son retour sur la scène politique et pourquoi pas à la tête du gouvernement israélien.
Face à cette frénésie électorale israélienne, les avis palestiniens se rejoignent, du moins sur un point. Droite ou gauche, pour les Palestiniens, c’est en quelque sorte la même chose. Certains Palestiniens pensent même que l’éventuel retour au pouvoir du Likoud serait plutôt avantageux pour eux, dans la mesure où il pourrait se traduire par un isolement quasi immédiat d'Israël sur la scène internationale, comme ce fut le cas entre 1996 et 1999 durant le gouvernement Netanyahu. Ceci dit, aussi isolé qu’Israël puisse être, il aura toujours les Etats-Unis à ses côtés.
Poursuite de l’Intifada
Au même moment, la violence se poursuivait dans les territoires occupés, où deux Palestiniens, dont un membre du Fatah, ont été tués par balles par des soldats israéliens lors de deux incidents séparés dimanche en Cisjordanie.
Lundi, un enfant palestinien, blessé vendredi par des tirs de soldats israéliens à Hébron, a succombé à ses blessures. Un décès qui porte à 320 le nombre de tués depuis le début de l'Intifada le 28 septembre dernier, en grande majorité des Palestiniens. Mais c’est vendredi, décrété journée de la colère, qui a été la journée la plus meurtrière avec huit tués palestiniens. Le ministre palestinien de l'Information, Yasser Abd Rabbo, a d’ailleurs dénoncé les « crimes commis vendredi par l'armée d'occupation israélienne », accusant l'armée israélienne d'avoir perpétré un « crime de sang-froid » à Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, où quatre policiers et un civil ont été tués par des obus de chars israéliens. Le ministre palestinien a appelé, de nouveau, le Conseil de sécurité des Nations-Unies à « assurer immédiatement une protection au peuple palestinien » et la Commission internationale présidée par l'ancien sénateur américain George Mitchell à « enquêter de manière objective » sur les violences. Cette commission d'« établissement des faits » a entamé ses travaux lundi par une rencontre avec Ehud Barak à Jérusalem puis une autre à Gaza avec Yasser Arafat.
En attendant les résultats de cette enquête, Saëb Eraqat, l’un des négociateurs palestiniens, a estimé que l'instabilité va se poursuivre au Proche-Orient tant qu'Israël occupera les territoires palestiniens. « Les partisans de l'extrême droite en Israël veulent maintenir cette occupation et avec elle, vous aurez toujours une situation anormale », a-t-il indiqué. Pour M. Eraqat toutefois, la démission de M. Barak est une affaire intérieure à Israël. « Nous avons toujours dit que nous allions faire la paix avec tous les Israéliens, pas avec tel ou tel parti en Israël », a-t-il conclu.
Toutefois, avant la démission de M. Barak, Israël se préparait à des élections générales vers le mois de mai, ce qui donnait en théorie au premier ministre un délai de six mois pour tenter de faire baisser la violence et relancer les négociations. Mais M. Barak a, au contraire, justifié sa démission par le fait que « des élections dans un délai de cinq mois auraient empêché toute chance d'un accord avec les Palestiniens ». « Maintenant, même si aucun accord n'est conclu, les élections constitueront un véritable référendum sur la voie de la paix » entre le Parti travailliste et l'opposition de droite, a-t-il ajouté.
Quoi qu’il en soit, les Palestiniens devront attendre au moins encore 60 jours, délai accordé avant l’élection pour la désignation d’un nouveau premier ministre en Israël, avant de savoir ce qu’adviendra de leur sort. Mais aujourd’hui, dans les Territoires, on ne s’attend plus à des miracles. Pour nombre de Palestiniens, la seule option est de poursuivre l’Intifada, car Barak, Netanyahu ou même Sharon, c'est bonnet blanc, blanc bonnet.
 
7. The New York Times (quotidien américain) du lundi 11 décembre 2000
Ouvrant sa campagne, Netanyahu invoque "la volonté de la Nation" par Deborah Sontag [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Jérusalem, 10 décembre - Après une éclipse de la scène politique israélienne qui s'est prolongée 19 mois, l'ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu est de retour, ce soir, avec l'art consommé de la mise en scène médiatique du Netanyahu de naguère. Fraîchement débarqué de son avion, il s'est précipité devant les caméras du journal télévisé du soir pour annoncer son intention de reconquérir la présidence du Likoud, avant le fauteuil de Premier ministre.
De retour dans le champ des caméras, M. Netanyahu a déclaré qu'on ne devrait pas laisser le Premier ministre actuel, Ehud Barak, "frustrer la volonté de la Nation", en bloquant sa capacité à se porter candidat.
M. Netanyahu a ajouté qu'il allait s'atteler à écarter tous les obstacles politiques et légaux que la démission de M. Barak, annoncée aujourd'hui, avait pour effet de mettre sur sa route.
"L'homme qui a ignoré la volonté de la nation alors qu'il était au pouvoir tente maintenant de l'ignorer pour y rester", a commenté M. Netanyahu, donnant un avant-goût de sa combativité. "Il ne démissionne pas pour restaurer le calme ou mettre un terme à la violence palestinienne, ni pour rendre la sécurité à notre peuple. C'est autre chose qui est en train de se passer : la pire des manipulations politiques de l'histoire d'Israël. Il démissionne pour empêcher le peuple d'élire librement et démocratiquement un nouveau premier ministre et un nouveau parlement". Néanmoins, devenir un candidat officiel ne sera pas aussi facile pour M. Netanyahu, qui se détache nettement du peloton dans les sondages, qu'annoncer sa candidature. M. Barak a, en effet, au cours du week-end, contré la candidature probable de son rival par un stratagème totalement imprévisible, et M. Netanyahu devra déployer des prodiges de procédures politiques et légales pour se remettre du coup asséné par M. Barak.
Samedi soir, M. Barak a réussi à souffler l'initiative politique d'un parlement prêt à voter sa dissolution et à s'orienter vers de nouvelles élections générales à la fin du printemps.
Il a annoncé que c'est lui qui allait démissionner, provoquant des élections spéciales sous soixante jours, pour la désignation du seul premier ministre. En vertu de la loi régissant les élections spéciales, les candidatures sont exclusivement réservées à des membres du Parlement, ce qui exclut M. Netanyahu.
M. Netanyahu, 51 ans, a quitté son siège et la direction du Likud le jour où M. Barak, 58 ans, l'a vaincu de manière écrasante et l'a remplacé au poste de premier ministre, en mai 1999. Il avait alors remis les rênes d'un Likud affaibli à Ariel Sharon, 72 ans, et abandonné la politique pour mener une existence de consultant et de maître de conférence. Dans le camp nationaliste israélien, les tam-tam n'ont jamais cessé de résonner pour appeler son retour, tout particulièrement depuis le déclenchement de la révolte (palestinienne), il y a maintenant dix semaines.
Mais M. Sharon a écarté depuis longtemps l'idée qu'il aurait été un simple gardien du parti, et il ambitionne désormais être candidat au poste de premier ministre pour le Likud, représentant ainsi une autre pierre d'achoppement, fût-elle mineure, pour M. Netanyahu.
A en juger par les sondages, M. Barak a beaucoup plus de chances d'être élu face à M. Sharon, c'est ce qui l'a incité, de toute évidence, à présenter sa démission.
Il y a presque deux semaines, lorsque le Parlement a approuvé un projet de loi pour sa dissolution, M. Barak avait dit qu'il ne se battrait pas contre la volonté des législateurs de le déposer. A ce moment-là, il avait aussi dit qu'il ne chercherait pas à les court-circuiter en démissionnant afin de maintenir M. Netanyahu hors-course.
Lors d'une conférence de presse télévisée, ce soir, M. Netanyahu, dont le surnom est "Bibi", a cité les propos que M. Barak avait alors tenus : "J'ai d'ores et déjà battu Bibi. Il ne me fait pas peur. L'éventualité de démissionner juste pour le neutraliser ne m'a pas traversé l'esprit une seconde".
Mais, au cours des deux semaines suivantes, M. Barak a déclaré qu'il en était venu à penser que bien des membres du Parlement ne désiraient pas vraiment aller à de nouvelles élections. Il a dit qu'il avait décidé de ne pas les "tirer" contre leur gré à de nouvelles élections, mais qu'il allait chercher à obtenir un nouveau mandat du peuple pour lui-même, et seul.
Ces deux semaines ont aussi été caractérisées par une succession de sondages qui le montraient obstinément comme perdant face à M. Netanyahu. Les sondages montraient le parti travailliste de M. Barak comme affecté par un coup fatal, lui aussi, et le parti était en pleine discorde interne. M. Barak a donc changé d'avis. 
Cet après-midi, le Président Moshé Katsav a accepté la démission du Premier ministre, qui sera effective mardi prochain, et il l'a félicité pour sa détermination à affronter les élections de manière à savoir si la Nation toute entière le soutient.
M. Barak, un sourire pincé sur les lèvres, a corrigé le président israélien. En 1999, il avait souhaité devenir le leader de "tout-le-mon-de", comme le disait son slogan électoral. Maintenant, il en a quelque peu rabattu de ses ambitions : ce qu'il veut, c'est "une majorité". "Pour moi, une majorité des gens, cela suffit".
Plus tard, aujourd'hui, après un vote informel, le comité central du parti Travailliste a rapidement choisi M. Barak comme candidat au poste de premier ministre. Ce vote a mis un terme à une brève période de turbulences à l'intérieur du parti, au cours de laquelle une faction pacifiste envisageait même de présenter un candidat contre lui à la présidence du parti.
Avec les élections au coin du bois, ce n'était pas le moment d'avoir une compétition interne, et M. Barak s'est présenté, sans opposition, devant le vote à main levée d'aujourd'hui. Shimon Pérès, leader des colombes et ancien premier ministre, était absent.
"Il a été élu à la majorité, et c'était un vote démocratique", a commenté Avraham Burg, porte-parole du Parlement, qui avait abandonné l'idée de se présenter contre le premier ministre (sortant) à cause d'un calendrier électoral accéléré.
M. Barak a toutefois réussi à calmer une opposition potentielle au sein de son propre parti, même s'il quelques rumeurs suggèrent encore que le camp de la paix pourrait encore mettre sur pied la candidature d'un parti tiers. Les législateurs arabes israéliens envisagent également de porter quelqu'un candidat, ce qui représenterait une sérieuse menace pour M. Barak. Plusieurs législateurs du Likud envisagent de mettre sur pied une concurrence à M. Sharon si M. Netanyahu se voit écarté de la candidature.
Mais, pour M. Barak, le concurrent le plus dangereux est M. Netanyahu. M. Netanyahu a deux options pour trouver une manière d'entrer en lice. Ses partisans suivent les deux pistes à la fois. Tout d'abord, ils cherchent à amender la loi qui régit les élections spéciales de manière à autoriser une personne non-membre du Parlement à devenir candidate au poste de Premier ministre.
C'est une route incertaine, car elle nécessite de proposer très rapidement un projet de loi, et ensuite, à remporter une majorité absolue parmi les 120 membres d'un Parlement on ne peut plus divisé. Un tel projet de loi pourrait avoir à relever sans tarder un défi : Israël n'a jamais eu de premier ministre qui n'ait été également membre du Parlement.
M. Netanyahu semblait désireux de pousser ses partisans sur une autre piste. Il a déclaré qu'il pensait que le Parlement devrait continuer ce qu'il avait entrepris deux semaines auparavant et procéder au vote final pour décider de sa dissolution.
Dans ce cas, a stipulé le conseiller juridique du Parlement, M. Netanyahu devrait être autorisé à se présenter que le vote pour la désignation du Premier ministre et les élections parlementaires devraient être tenues simultanément. La date du 6 février est celle qui revient le plus souvent.
Mais les analystes politiques israéliens disaient aujourd'hui qu'il était bien loin d'être certain qu'une large majorité se prononcerait en faveur de la dissolution. Des partis qui craignent de perdre des sièges ne sont pas enthousiasmés par cette perspective. Ainsi les réticences du Shas, parti orthodoxe intégriste représentatif des Juifs sépharades ouvriers, sont connues.
Des leaders du Shas ont déclaré qu'ils attendaient une décision des rabbins qui puisse les guider dans leurs choix.
Ainsi, éperonné par la manoeuvre de M. Barak, le système politique israélien s'est retrouvé pris dans un tourbillon d'activité intense, aujourd'hui, tandis que les associés du Premier ministre, comme ses opposants, consultaient des experts juristes afin de trouver dans quelles voies ils pouvaient s'engager.
Nombreux furent-ils à prévoir que ces sujets, extraordinairement complexes d'un point de vue légal, allaient aboutir au tribunal. Inévitablement, par conséquent, les Israéliens se sont fait la réflexion qu'après avoir construit leurs banlieues et leurs centres commerciaux sur le modèle américain, c'était maintenant le dérèglement du système politique américain qu'ils singeaient.
"Dans un acte d'identification symbiotique, Barak a mis Israël dans une folie constitutionnelle qui évoque celle qui s'est emparée de l'Amérique", écrit Chemi Shalev sous le titre "L'acte d'un Kamikaze", dans le journal Maariv. "La différence, c'est que - et d'une -  les Américains ont déjà eu leurs élections et que - et de deux - ils ne savent pas encore, eux, qui les a perdues..."
De même, Nahum Barnea, éditorialiste du journal Yediot Ahronot, écrit qu' "aucune manip trouvée dans un manuel de droit ne saurait empêcher M. Netanyahu de se présenter s'il est bien le candidat favori de la droite". Puis Nahum Barnea pose la question : "On n'est pas en Amérique, tout de même ?..."
 
8. The New York Times (quotidien américain) du dimanche 10 décembre 2000
La démission de Barak a surpris la Maison Blanche par Jane Perlez [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Washington, 9 décembre - L'administration Clinton n'avait pas été prévenue des projets de démission du Premier ministre israélien, M. Ehud Barak, si bien que les médiateurs chargés du Moyen-Orient, ici aux Etats-Unis, continuaient à se creuser la cervelle à la recherche d'un accord de dernière minute entre M. Barak et le leader palestinien, Yasser Arafat.
Dennis B. Ross, le négociateur en chef de l'administration (Clinton), doit se rendre prochainement en visite auprès de M. Arafat, pour ce qui était supposé être une rencontre secrète, à Rabat, au Maroc, destinée à déterminer si le leader palestinien est intéressé à retourner à la table des négociations, a déclaré un haut responsable.
Cette réunion va désormais revêtir un caractère d'urgence d'une nature nouvelle, a précisé un autre haut-fonctionnaire. Il a expliqué que l'un des objectifs visés par M. Barak en programmant des élections anticipées pourrait bien d'avoir été de forcer M. Arafat à opérer un choix entre obtenir un accord avec lui, ou avoir à affronter la perspective de Sharon, leader de l'opposition conservatrice, au poste de Premier ministre.
Mais, avant tout, les officiels de l'administration ont suggéré que la possibilité que l'actuelle Maison Blanche soit capable de mettre un terme aux violences entre Palestiniens et Israéliens et d'aboutir ensemble à un accord était très faible, sinon inexistante.
"Nous n'avions aucun indice nous laissant prévoir cette décision", a déclaré aujourd'hui un officiel à propos de la démission-surprise de M. Barak.
Le Président Clinton a parlé à M. Barak, au téléphone, pour la dernière fois, le vendredi 1er décembre, a ajouté cet officiel, qui a précisé que le premier ministre israélien n'avait alors rien laissé paraître d'une possible démission ou de l'organisation d'élections aussi rapprochées.
M. Clinton avait su établir une relation chaleureuse avec M. Barak, l'invitant à la Maison Blanche une semaine, seulement, après son intronisation en tant que premier ministre. Les deux hommes avaient déterminé ensemble une stratégie dont ils espéraient qu'elle pourrait aboutir à un règlement pacifique global au Moyen-Orient.
Cette stratégie était basée sur la notion que M. Barak était un leader israélien ambitieux, désireux de briser les tabous, que M. Clinton, en tant que président arrivé au terme de son mandat et familiarisé avec le Moyen-Orient, se trouvait dans une position sans précédant, lui permettant d'utiliser le prestige de la Maison-Blanche et que, de plus, M. Arafat était bien disposé pour un règlement.
Mais lorsque la Syrie opposa une fin de non recevoir à la médiation de Clinton, et que le sommet de Camp David, réuni avec tellement d'empressement par M. Barak et M. Clinton, échoua, la stratégie des deux hommes s'effondra.
 Au cours des dernières semaines, M. Barak a signalé à l'administration Clinton qu'il voulait tenter de négocier à nouveau. Son ministre de la justice, Yossi Beilin, était à Washington la semaine dernière. Il a expliqué à la Maison Blanche que si M. Barak voulait rester premier ministre, un accord avec les Palestiniens était indispensable, ont rapporté des officiels américains.
Mais avec le drame des élections présidentielles (américaines) toujours incertaines quant à leur résultat et de la fin du mandat de M. Clinton approchant à grands pas, M. Beilin s'était vu signifier qu'il y avait peu d'espoirs.
Du côté de M. Arafat, il semblait improbable que M. Clinton ait pu avoir encore un rôle à jouer, a indiqué M. Edward Abington, représentant de l'Autorité palestinienne aux Etats-Unis.
"Je ne peux croire une minute que M. Clinton puisse faire quoi que ce soit", a déclaré M. Abington. "Il faudra attendre la nomination du futur président (américain), qui trouvera le Moyen-Orient sur son agenda, qu'il le veuille ou non."
Par ailleurs, les Palestiniens étaient tellement "déçus" de M. Barak qu'il était peu vraisemblable que M. Arafat se "précipiterait pour conclure un marché" avec lui, simplement pour tenir l'hypothèque Sharon à l'écart, a ajouté M. Abington.
La fixation des élections en Israël dans soixante jours impose un emploi du temps très chargé. "Nous sommes dans un contexte nouveau, dans lequel des choix devront être faits", a indiqué l'officiel américain. "Nous ne pouvons pas savoir si ce noveau contexte va créer une nouvelle dynamique, ou s'il va amener à beaucoup de surenchères entre Israéliens et Palestiniens, étant donné le délai très court", a-t-il ajouté.
Ari Fleischer, un porte-parole du Gouverneur du Texas, George W. Bush, a indiqué que les conseillers en politique étrangère de M. Bush ne feraient aucun commentaire sur une décision israélienne "intérieure".
Dans leurs déclarations faites au cours de la campagne électorale, des officiels du camp Bush (Républicain) avaient indiqué que, s'ils arrivaient au pouvoir, ils traiteraient le conflit palestino-israélien d'une manière plus objective.
M. Bush avait accusé M. Clinton de vouloir forcer les choses en convoquant le sommet de Camp David de manière à ce que celui-ci intervienne au moment opportun pour assurer (le couronnement) de son legs à la Maison-Blanche, plutôt que de bien prendre la mesure de ce dont les parties prenantes avaient besoin.
Si Ariel Sharon devait s'avérer être le candidat du parti Likoud, et si M. Bush devient président des USA, un petit problème hérité du mandat du père de M. Bush Junior pourrait bien être comme suspendu au-dessus de ces élections.
C'était en 1992. M. Sharon était alors ministre de la construction d'Israël, et le principal instigateur d'un boum dans la construction d'implantations (dans les territoires occupés),  quand le Secrétaire d'Etat (Ministre des Affaires Etrangères, NdT) James A. Baker III avait indiqué très fermement que les garanties d'investissement américain ne seraient pas honorées tant qu'un terme n'aurait pas été mis à la construction (de nouvelles colonies, NdT)...
 
9. Los Angeles Times (quotidien américain)  du dimanche 10 décembre 2000
Les réfugiés palestiniens doivent avoir le droit de choisir par Elia Zureïk [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Moyen-Orient : le rejet par Israël du droit au retour contrevient à la légalité internationale
En 1948, 800 000 Palestiniens ont été expulsés, ou ont fui de leurs maisons, dans ce qui est devenu aujourd'hui Israël, et n'ont jamais été autorisés à revenir. Aujourd'hui, ces réfugiés et leur descendance représentent plus de 4 millions de personnes. Plus que tout autre facteur, la dépossession et la souffrance subies par les réfugiés palestiniens ont alimenté le conflit palestino-israélien. Et plus qu'aucun autre facteur, leur sort est la clé de la résolution de ce conflit.
Au sommet de Camp David, les négociateurs palestiniens et israéliens ont franchi un obstacle majeur en discutant pour la première fois du problème des réfugiés palestiniens, mais ils sont restés totalement opposés sur ce point. Comme par le passé, les officiels israéliens continuent à affirmer que le problème des réfugiés palestiniens n'a rien à voir avec les politiques et pratiques israéliennes. Ils prétendent, au contraire, que l'exode des Palestiniens a été déclenché par des appels à fuir que leur auraient lancés des leaders arabes - ou simplement par les tragiques événements de la guerre - en dépit du fait que des preuves irréfutables apportées par des archives officielles israéliennes, récemment rendues publiques, montrent que des plans préétablis d'expulsion et de transfert d'indigènes palestiniens, au-delà des frontières, vers d'autres pays arabes, existaient bel et bien.
Quand bien même nous admettrions que l'exode aurait été causé par les conséquences involontaires de la guerre, il serait difficile de comprendre en quoi cela justifierait l'opposition constante d'Israël au retour des réfugiés. Nombreux (en effet) sont les peuples qui ont été déplacés par la guerre, mais autorisés à regagner leurs foyers une fois la paix rétablie ; les exemples les plus récents peuvent en être trouvés dans le cas des conflits balkaniques. Il s'agit là de ce que le droit international prescrit. Et c'est d'ailleurs la solution proposée par les Nations Unies, en 1948, solution reconfirmée à plus de cent reprises depuis lors.
Le rejet par Israël du droit au retour (des réfugiés) n'a, tout simplement, aucun fondement dans le droit international ou dans sa pratique. Le refus de permettre aux réfugiés de retourner a une base idéologique plus profonde : Israël veut préserver sa majorité juive. Autoriser les réfugiés palestiniens à retourner pourrait perturber le "fragile équilibre démographique" d'Israël ou "changer le caractère" de l'Etat, pour utiliser les euphémismes en cours. Il en résulte que ce qui présente toutes les caractéristiques de l'épuration ethnique est défendu par Israël en tant que moyen d'auto-conservation.
Nonobstant la tendance, relevée au plan international, à une mobilité accrue, au pluralisme et à une diversité croissante à l'intérieur de la société israélienne elle-même - résultant, en partie, de l'arrivée de nombreux immigrants de l'ancienne Union soviétique - Israël continue à se concevoir comme un Etat réservé au seul peuple juif.
Mais, quid, alors, des réfugiés palestiniens ? Ils ne sont pas moins attachés à la terre de leurs ancêtres que leurs voisins juifs. Les données des Nations Unies indiquent que, parmi les résidents palestiniens de Jérusalem-Ouest, qui sont devenus des réfugiés en 1948, les deux tiers vivent encore à proximité (de cette ville), à Jérusalem-Est, ou dans les localités avoisinantes. Beaucoup parmi eux peuvent apercevoir leurs anciennes demeures dans le lointain ; certains - rares - "chanceux" détenteurs de visas leur permettant de pénétrer en Israël peuvent même passer devant leurs anciennes maisons. Mais il leur est interdit d'y revenir et d'en revendiquer la propriété.
Il ne reste plus aux réfugiés plus éloignés, au Liban, en Syrie et dans d'autres pays encore, que leurs souvenirs et, pour les générations suivantes, élevées dans des camps de réfugiés sordides et surpeuplés, leur imagination. J'ai lu, récemment, l'interview d'une vieille femme palestinienne vivant dans le camp de Ein al-Hilwa, au Liban. Tenant serrée dans sa main la clé rouillée de la ferme familiale située près de Jaffa, elle demandait à son interviewer comment pourrait-elle bien expliquer à son petit-fils, qui n'avait jamais connu autre chose que la puanteur des égouts à ciel ouvert de ce camp, à quoi cela ressemble, de se réveiller chaque matin, entourés de la fragrance des citrons frais ?
Ces réfugiés ont dû ressentir une bien cruelle amertume lorsqu'ils ont pu assister au spectacle d'un Israël admettant chez lui 6 000 Libanais clients de l'Armée du Sud-Liban, en récompense pour leur collaboration avec l'occupation israélienne du Sud-Liban, ce même Israël qui a toujours refusé mordicus aux Palestiniens le droit de retourner chez eux.
Les réfugiés palestiniens n'ont pas choisi leur passé : ils y ont été précipités par la violence. Si paix il doit y avoir, toutefois, ils doivent pouvoir choisir leur destin. Cette simple évidence est l'essence de la position palestinienne en matière de réfugiés, dans les négociations qui se poursuivent avec Israël (nous sommes en août 2000, NdT).
Pour que le droit au retour ait un sens, chaque réfugié palestinien doit se voir garantir le droit de choisir où vivre. Un nombre conséquent d'entre eux choisiront vraisemblablement de ne pas exiger de pouvoir retourner dans leurs domiciles en Israël, a fortiori si on leur donne la possibilité de s'installer ailleurs et si l'on améliore leurs conditions de vie.
Nombreux sont ceux qui se sont établis dans d'autres pays et qui préféreraient y demeurer. Mais le choix leur revient. Et c'est à eux, seuls, qu'il échoit.
(Elia Zureik, professeur de sociologie à Queen's University, Kingston, Canada, est consultant près l'OLP pour les questions relatives aux réfugiés).
 
10. Le Monde du samedi 9 décembre 2000
La France refuse d´équiper Israël en lance-grenades lacrymogènes par Georges Marion
JÉRUSALEM de notre correspondant -
Vivement critiqué pour son « usage excessif de la force »et préoccupé par la dégradation de son image de marque, Israël a cherché à se procurer du matériel anti-émeutes moins dangereux que les balles, caoutchoutées ou non, qu´utilisent ses soldats dans la répression de l´Intifada. Une vingtaine de pays ont été approchés afin d´examiner le matériel de maintien de l´ordre le mieux adapté. Un seul – la France – possédait ce que recherchait Israël. Mais Paris a refusé l´autorisation d´exportation, obligatoire pour ce type de matériels, en invoquant, selon des sources israéliennes, « l´image de la France ».
Contrairement à la France, qui aligne CRS et gendarmes mobiles avec du matériel ad hoc, Israël ne possède pas de forces spécialisées dans le maintien de l´ordre. En cas de violences de la part de manifestants juifs, la police utilise quelques rares canons à eau, tire quelques grenades lacrymogènes et termine en faisant charger, matraque haute, quelques cavaliers. Les manifestants palestiniens étant implicitement perçus comme des soldats ennemis, c´est le plus souvent l´armée et ses méthodes d´intervention de guerre qui prévalent. Dans ce cas, l´usage des armes à feu est fréquent.
Depuis le 29 septembre, cette logique a fait 274 victimes, Palestiniens et Arabes israéliens confondus. Sous la pression de la réprobation internationale, Israël a enfin cherché à changer de méthode d´intervention. Comment tenir à distance une foule derrière laquelle s´abritent des tireurs isolés ? Une société française, Nobel Sécurité, a apporté sa réponse : des lance-grenades lacrymogènes de nouvelle technologie, capables de tirer ses projectiles à une distance de 150 à 200 mètres, soit le double d´un « lance-patates » traditionnel. La société produit également un engin monté sur véhicule, constitué de plusieurs tubes assemblés, sur le modèle des célèbres orgues de Staline de la deuxième guerre mondiale. C´est un véritable rideau de gaz réputé intraversable qui est alors lancé sur les manifestants.
En septembre, par l´intermédiaire de TAR Ideal Concept, société israélienne spécialisée dans la fourniture d´équipements policiers et militaires, plusieurs centaines de tubes accompagnés de plusieurs milliers de grenades ont été commandés à Nobel Sécurité pour évaluation. Si le produit donnait satisfaction, était-il précisé, 100 000 autres lance-grenades, pour une valeur de quelque 6 millions de dollars, devaient suivre. Mais à la demande du représentant du Quai d´Orsay, le comité interministériel pour l´exportation du matériel de guerre (CIEMG), duquel dépend toute autorisation d´exportation pour ce type de matériel, a mis son veto et le marché a été suspendu.
Comme c´est l´usage, Paris n´a fourni aucune explication. Mais dans les milieux officiels israéliens, où l´on n´a pas oublié la sortie de Jacques Chirac reprochant à Ehoud Barak le nombre de morts palestiniens, on y voit l´illustration de ce qu´un haut responsable appelle « le double langage de la France, qui nous somme de ne pas utiliser nos armes, mais bloque la livraison de moyens alternatifs ». Le dossier devrait être à nouveau évoqué lors de la prochaine visite d´Hubert Védrine en Israël, le 13 décembre.
 
11. Al-Quds Al-Arabi (hebdomadaire arabe publié à Paris) du vendredi 08 décembre 2000
L'échec étant la porte du succès, pourquoi n'essayerions-nous pas ? Les relations arabo-américaines : l'hégémonie n'est pas une malédiction éternelle
par Burhan Al-Jalabi [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
(Burhan Al-Jalabi est un écrivain irakien)
Il n'est personne, dans le monde arabe, qui ne ressente l'ampleur des pressions extérieures auxquelles les gouvernements arabes s'exposent, non seulement lorsqu'il s'agit pour eux d'adopter des politiques qui pourraient porter atteinte aux intérêts de certains partenaires étrangers, mais même lorsqu'ils doivent prendre des décisions de nature purement interne.
A titre d'illustration, il n'est que de voir des termes tels qu' "hégémonie", "dépendance", "soumission", constituer, presque à eux seuls, la substance de toute question de politique arabe. Et, de même que l'écrasante majorité des citoyens des différentes régions du monde arabe se rendent bien compte du fait que leurs gouvernements n'osent même pas convoquer un sommet arabe sans "consulter" au préalable les Etats-Unis, il est juste de dire que cet état de fait est loin de réjouir ces gouvernements. Autant tomber sous la dépendance de pressions extérieures représente une atteinte portée aux valeurs essentielles de l'indépendance et de la souveraineté, autant cela constitue une source d'embarras pour les gouvernements. En effet, obtempérer aux dictées de l'extérieur ne peut, en général, qu'affaiblir leur légitimité sur le plan intérieur et fournir à leur opposition ample matière à les critiquer, avant qu'ils ne perdent, en fin de compte, leur capacité à défendre leurs choix politiques et stratégiques les plus élémentaires.
Point n'est besoin de beaucoup d'imagination pour saisir l'ampleur de l'atteinte portée aux gouvernements soumis à l'hégémonie (extérieure) par la simple entrée en scène d'Israël. Alors que les peuples arabes attendent de leurs gouvernements qu'ils fassent quelque chose pouvant contribuer à la recouvrance des droits arabes légitimes, l'occupation et l'agression permanentes exercées par Israël constituent une source inépuisable d'ironie à l'encontre de ces gouvernements impuissants et une mise en question de leur légitimité.
Et, bien que les gouvernements arabes ressentent fortement le poids du fardeau que les pressions extérieures représentent pour eux, la plupart d'entre eux tentent de présenter une image déformée de la réalité de leurs relations extérieures (en particulier, des relations arabo-américaines). Cette falsification repose sur trois a-priori principaux, qui visent à faire admettre leur incapacité à exercer leur souveraineté, d'une part et, d'autre part, à fournir une base permettant la perpétuation de leur maintien aux affaires.
Ces trois a-priori sont :
1 - les Etats-Unis peuvent être amis des pays arabes et, donc, soutenir les droits arabes, si l'on est capable de satisfaire à leurs exigences stratégiques dans la région ;
2 - Israël croit en la paix par principe, car il en a besoin pour garantir les bases de son existence comme Etat, ses relations futures avec la Nation arabe peuvent être basées sur la paix en tant qu'objectif stratégique commun permettant de satisfaire aux intérêts de tous les peuples dans la région ;
3 - les gouvernements arabes hostiles aux Etats-Unis, non seulement ne comprennent pas la stratégie américaine, mais contribuent à faire de cette stratégie un instrument permettant aux pressions et à l'hégémonie américaines de s'exercer, car ces gouvernements éveillent les craintes des Américains pour leurs intérêts vitaux dans la région.
Empressons-nous de dire que ces suppositions sont erronées, non seulement parce qu'elles ne reposent sur aucune réalité digne d'être prise en considération, mais aussi parce qu'elles trahissent un manque de logique.
Primo, les Etats-Unis, à l'instar de la Grande-Bretagne, n'établissent pas leur politique sur les bases de l'amitié. Leurs intérêts sont le seul ami qu'elles connaissent. La proposition suivante, qui constitue la première leçon des manuels de diplomatie occidentale est bien connue : "il n'est pas d'ennemis qui le soient à jamais, pas plus que d'amis. Seuls les intérêts sont permanents"... Ceci étant rappelé, tout effort visant à gagner l'amitié de l'Amérique en vue de s'assurer de son soutien aux intérêts arabes revient à mettre la charrue avant les boeufs, tandis que le volontariat pour satisfaire aux intérêts américains dans l'espoir de servir, ce faisant, les intérêts arabes, revient à mettre les boeufs derrière la charrue. En effet, il convient de se poser la question : si les pays arabes continuent à devancer l'appel pour servir les intérêts américains, sans contre-partie, à quel titre pourraient-ils réclamer d'être payés en retour pour un service dont ils ont toujours montré au monde qu'ils l'offraient gratis ?
Secundo : le conflit arabo-israélien ne se limite pas à un simple différent frontalier, comme celui qui oppose l'Arabie Saoudite au Yémen, par exemple. La pétition de principe selon laquelle Israël croit en la paix se détruit d'elle-même, Israël essayant de convaincre les Arabes d'une seule chose, à savoir que notre conflit avec lui serait un simple contentieux frontalier, et que la paix pourrait être instaurée par le simple fait que les Arabes reconnaîtraient le tracé frontalier défini par les négociations... Ici, nous posons la question : est-ce bien là l'essence du conflit avec Israël ? Qui pourrait être assez naïf pour le croire ? Israël, sous couvert d'en appeler à la "paix des braves" ne cherche qu'à imposer ses vues à la nation arabe, avec ses richesses et ses potentialités. Le projet de coopération régionale moyen-oriental exposé par Shimon Pérès dans son dernier ouvrage en donne une illustration particulièrement éclairante. Tandis que l'homme authentiquement courageux est celui qui lutte pour défendre ses droits et s'efforce de les conserver à tout prix, les "braves", dans la vision israélienne des choses, sont ces gens prêts à renoncer à leurs droits légitimes, qui contribuent à avaliser l'occupation, à faire fi des décisions de la légalité internationale afin de satisfaire aux aspirations expansionnistes de leur "associé" à la table des négociations.
Tertio : l'hostilité des Etats-Unis envers les pays arabes qui défendent les intérêts arabes est une preuve en elle-même de la validité des positions adoptées par ces pays, et non pas le contraire. Si, par exemple, les Irakiens étaient prêts à s'engager dans le processus de la "paix des braves", et si les Palestiniens étaient prêts à renoncer à leurs droits légitimes, ils ne seraient pas en butte, comme c'est le cas actuellement, à des opérations de siège et de liquidation physique. Ces deux peuples ne font que payer le prix de leur attachement aux droits légitimes des Arabes, ils paient leur attachement à leur droit à définir les politiques correspondant à leurs intérêts nationaux propres et cela, parce qu'ils refusent de renoncer à ces intérêts avec l'objectif (chimérique) de se gagner l'amitié de grandes puissances pour lesquelles l'amitié est un concept inconnu.
Il est, par contre, clair que la résistance du peuple irakien et l'intifada du peuple palestinien, d'une part, et la solidarité du peuple arabe, pris dans sa globalité, avec ces deux peuples, d'autre part, marquent un tournant notable : le peuple arabe, de l'Océan au Golfe, a pris une profonde conscience de son besoin de reprendre en main les décisions qui engagent son avenir. Que les gouvernements concernés aient compris - ou non - le sens de cette mutation, la réalité est là : la résistance et l'intifada des deux peuples irakien et palestinien tracent les délinéaments d'un horizon libérateur qui dicte aux gouvernements arabes l'obligation de reconsidérer leurs relations avec les Etats-unis, tout comme elles leur enjoignent de remettre en question leurs prises de position mollassonnes face à l'agression israélienne. En ce sens, les gouvernements arabes concernés n'ont le choix qu'entre deux options (pas trois) : soit ils prêtent l'oreille à la voix de la liberté qui ne peut plus être retenue dans des millions de poitrines prêtes à éclater, soit - ce qui reviendrait pour eux à creuser leur tombe de leurs propres mains - ils sont victimes des politiques qu'ils ont, certes, eux-mêmes tracées, mais qui remettent en cause leur légitimité et qui menacent leur propre stabilité.
Il faut se poser la question : le peuple arabe peut-il reprendre son destin et sa capacité de décision en mains ? Les Etats arabes peuvent-ils, séparément ou collégialement, faire face à l'axe israélo-américain et à tout ce qui en découle en matière de politique et de stratégie ? Notre réponse est simple : Oui !
L'argument-massue invoqué par ceux qui ne partagent pas cet avis, est qu'Israël est plus fort, militairement, que tous les pays arabes réunis et que, de plus, ce pays bénéficie d'un appui sans aucun équivalent, de la part de la grande puissance unique de notre monde (devenu) unipolaire. La réalité, indéniable, est que le conflit arabo-israélien n'est pas simplement une confrontation militaire : la capacité à mener une guerre n'est pas le critère dirimant et unique qui déterminerait la durabilité de la supériorité stratégique de tel ou tel camp. Si l'équipement militaire était le Critère, il serait loisible de considérer que le Japon et l'Allemagne sont à ranger parmi les états les plus faibles au monde et les plus menacées dans leur souveraineté, les moins maîtres des décisions engageant leur destin.
Mais si l'on prenait en considération les atouts économiques, physiques et humains, en plus des ressources et des revenus pratiquement illimités (du monde arabe), il serait évident que la puissance militaire israélienne ne représente de réelle menace pour personne... Certes, Israël peut procéder à toutes les agressions et à tous les massacres qu'il veut : ce n'est pas lui qui pourra décider de quelle manière les Arabes entendent utiliser leurs revenus pétrolier, ce n'est pas Israël qui va déterminer combien d'universités nous allons créer, ce n'est pas lui qui va trancher sur la question de savoir si nous sommes capables ou non de réaliser l'inter complémentarité arabe, en conformité avec nos intérêts nationaux, tant au niveau de la nation arabe que de chacun des pays qui la constituent.
Cette décision, c'est la nôtre, c'est à nous de la prendre.
Il n'est pas douteux qu'Israël peut mettre son nez dans nos affaires, sans doute y a-t-il des gens pour tolérer qu'Israël se voit décerner l'immense avantage de pouvoir s'immiscer dans les tenants et les aboutissants de nos affaires intérieures, mais un tel degré de décadence et de perversion politiques ne saurait perdurer indéfiniment. Les faibles (les "courageux", dans la vision israélienne des choses) ne font qu'ébranler leur propre légitimité, que révéler au grand jour leur véritable nature : ils peuvent beaucoup manoeuvrer, mais, en fin de compte, ils ne dureront pas éternellement.
Les gouvernements arabes ont vraisemblablement perdu, provisoirement, la guerre de propagande, dans leur lutte contre Israël et les Etats-Unis. Mais la philosophie politique britannique nous enseigne qu'il est préférable de perdre, de re-perdre et de perdre encore, que de ne jamais rien tenter. La défaite, en dernière analyse, représente un gain net si on l'envisage du point de vue de l'(acquisition de) la connaissance et de (sa) transmission. Sommes-nous dépourvus de toute capacité à prendre une décision qui engage notre avenir ? Ployons-nous (oui ou non) sous le (triple) joug de l'"hégémonie", de la "dépendance" et de la "soumission" ? Alors, pourquoi ne pas tenter (quelque chose) ? Pourquoi n'essaierions-nous pas d'échouer, ne serait-ce qu'une centaine de fois ?
 
12. Libération du vendredi 8 décembre 2000
Les chebab à qui-meurt-gagne par Jean-Pierre Perrin
Les gamins palestiniens qui lancent des pierres ont la culture de la rue et celle du martyr. La seconde Intifada, au contraire de la première, est le fait de jeunes issus des couches les plus défavorisées de la société palestinienne, des camps de réfugiés.
Ramallah, Naplouse, Bethléem envoyé spécial
Comme presque tous les gamins du monde, les jeunes Palestiniens sont gavés de télévision. Plus exactement de télévision palestinienne, ce qui n'est pas la même chose. Cette télévision, on la voit et on l'entend sans cesse, partout. Dans les ministères, dans les bureaux de la sécurité, chez les chefs de l'Intifada. Elle ronfle, ronronne ou hurle, mais diffuse sans arrêt les mêmes images, boucle mortifère et morbide, comme si elle avait passé un pacte avec un dieu des enfers. Car, si on la regarde un moment, on voit d'abord de jeunes Palestiniens qui courent dans les rues, qui courent à perdre haleine, tantôt pour lancer des pierres, tantôt pour fuir des soldats israéliens. Sans transition, on passe à d'autres séquences, terribles celles-ci, des images d'enterrements, de mourants, d'agonisants, avec de gros plans pour détailler les visages saisis dans leur douleur et les blessures dans leur gravité. Après, les caméras s'attardent sur les visages des mères et des sœurs. Litanies, pleurs, cris, transes. Et l'on revient aux jeunes Palestiniens qui courent. Les chebab approvisionnent la télévision de leurs images, lesquelles nourrissent à leur tour leur colère.
Majdi, 13 ans : libérer la Palestine
C'est notamment à cause de cette télévision que Majdi est aujourd'hui à la sortie nord de Ramallah. Il y vient chaque jour après l'école. «Parce que j'ai vu les soldats israéliens tirer sur les chebab. Je suis venu ici pour riposter.» Ici, c'est l'entre-deux-mondes. Un territoire où l'on est entre la vie et la mort. D'un côté, la ville palestinienne. De l'autre, les soldats israéliens qui protègent leur quartier général de Cisjordanie et un bouquet de colonies. Au milieu, il y a cet espace flou, ingouverné ou plutôt gouverné par la haine et la colère. Il se compose d'un petit bout d'avenue, au goudron brûlé et rebrûlé par les incendies de voitures, de quelques bâtiments et de terrains vagues. C'est sur ce morceau d'avenue que les chebab palestiniens viennent défier les combattants de Tsahal à coups de pierres et de bouteilles incendiaires. Des centaines d'entre eux y sont déjà tombés, blessés ou morts, fauchés par une balle en caoutchouc ou réelle. Majdi n'a que 13 ans. On lui en donne moins en le voyant parce qu'il est tout frêle, plus en l'écoutant à cause de sa voix rocailleuse. Majdi jette lui aussi des pierres «à l'occupant sioniste», geste à la fois tragique et dérisoire, qui n'a quasiment aucune chance d'atteindre le soldat israélien à l'abri dans son véhicule blindé. Pourquoi? «Parce que je veux libérer la Palestine, Jérusalem et tout ce que les juifs nous ont pris. Et puis je veux que tout ça s'arrête», répond-il simplement en montrant l'avenue empoisonnée par un brouillard de gaz lacrymogènes et de pneus enflammés, traversée sans cesse par des ambulances aux sirènes folles, dont les hurlements impriment longtemps les mémoires.
Chaque jour, Majdi a donc hâte que les cours se terminent pour pouvoir aller lancer des pierres. Mais il préférerait passer davantage de temps à l'école. Pour une seule raison: «Je voudrais devenir médecin et soigner tous ceux qui sont blessés ici.»
«ça fait partie de la vie normale»
Pour les chebab, l'Intifada est plus qu'une référence, une valeur. C'est à la fois une bataille et un jeu, une activité quotidienne et un absolu, et elle les habite complètement. «Jeter des pierres, ça fait partie de la vie normale. C'est comme aller au travail», raconte Baha, 25 ans, un technicien qui s'occupe aussi d'un café Internet à Ramallah et l'un des rares chebab à avoir fait quelques études. Bilal, 14 ans, un peu chétif lui aussi par rapport à son âge, intercale très bien cette révolte dans sa vie: «Je viens lancer des pierres en sortant de l'école. Après, je rentre faire mes devoirs.» Pendant combien de temps est-il prêt à risquer sa vie? «Je veux que l'Intifada continue jusqu'à ce que nous ayons libéré Al-Qods («Jérusalem», en arabe) et toutes nos terres.»
L'actuel soulèvement est d'autant plus un absolu qu'il est sacralisé par le combat pour Jérusalem. Ce n'est pas sans raison que l'actuelle Intifada s'appelle Intifada al-Aqsa (le principal lieu saint musulman de la vieille ville, situé sur l'esplanade des Mosquées). Pour les chebab, la mosquée Al-Aqsa est leur bien le plus précieux. Et, le 28 septembre, lorsque Ariel Sharon, le chef de la droite israélienne, s'est rendu sur l'esplanade du Temple, sa visite a été ressentie comme une profanation. «Le problème des Israéliens, c'est qu'ils ont peur pour leur vie. Mais, nous, on aime autant Al-Aqsa que les Israéliens aiment la vie», dit à Naplouse une jeune fille de 22 ans.
A Naplouse, à la sortie de la ville, il y a aussi un entre-deux-mondes où les chebab viennent jouer à la vie et à la mort. Ce matin-là, quasiment à chaque fois qu'un soldat israélien tire, un gamin tombe. Les jeunes Palestiniens répondent par des cailloux et des injures. Et c'est en entendant ces insultes - souvent explicitement sexuelles et qui s'adressent aux mères et aux sœurs des militaires israéliens - que l'on sait tout de suite à quel milieu appartiennent les chebab. Pour une très grande majorité d'entre eux, ils viennent des camps de réfugiés et des milieux les plus défavorisés de la société palestinienne. Comme Nabil, 20 ans, qui a abandonné l'école et tout espoir d'une vie meilleure. Il dit simplement: «Je me bats pour défendre le peu de dignité qu'il me reste. La dignité d'abord, la terre ensuite et moi-même. J'espère que les affrontements vont s'aggraver. Il ne faut surtout pas arrêter l'Intifada. Si on l'arrête, ceux qui sont morts seraient morts pour rien.» Majdi el-Malki, professeur à l'université de Bir Zeit et chercheur à l'Institut palestinien de recherches en économie politique, souligne combien cette Intifada est différente de la précédente. «La première était plus populaire. Des Palestiniens de tous les âges, de tous les milieux, de tous les partis y participaient. Aujourd'hui, les lanceurs de pierres appartiennent aux couches les plus défavorisées. S'ils sont dans la rue, c'est parce qu'ils sont habitués à y vivre pour des raisons démographiques, parce que les familles sont trop nombreuses et qu'ils n'ont pas de place à la maison.» «C'est vrai, renchérit Anouk Rivière, une jeune sociologue française qui étudie le comportement des jeunes Palestiniens, la première Intifada connaissait une participation massive. La petite comme la moyenne bourgeoisie y était active. Ce n'est plus le cas. Le lanceur de pierres d'aujourd'hui est totalement désespéré. Il a l'impression d'être au fond d'une impasse et ne voit aucune autre possibilité d'action politique.» Des chebab, cette chercheuse en fait le portrait suivant: entre 14 et 28 ans, pas mariés et pas de travail ou alors des petits boulots en Israël. Ils viennent de familles très nombreuses et ont arrêté tôt l'école. C'est ce qui explique aussi pourquoi la rue est leur milieu naturel. Chez eux, le rôle des bandes, voire des gangs, est fondamental. Cela n'empêche pas un certain encadrement de la part du Fatah, en particulier du Maktab al-Chebiba, son organisation de jeunesse, et des hommes du Tanzim, sa branche armée.
1 000 dollars par enfant tué
Les chebab vivent également dans une ambiance totalement mortifère. Leur seule culture est celle du jihad et du martyre. Tous, quel que soit leur âge, avouent ne pas craindre la mort et prétendent n'avoir jamais peur face aux soldats israéliens. On le voit dans les manifestations: plus les morts ont été nombreux, plus la participation le lendemain sera importante. «Ceux qui lancent des pierres ne peuvent pas craindre les balles. Et puis, le jour du jugement dernier, Dieu nous récompensera», raconte tout simplement Nabil. Anouk Rivière explique ainsi leur goût du sacrifice: «Ils font de leur corps un sanctuaire religieux, un espace sacré qui leur permet de se sentir invulnérable et de s'inscrire dans l'intemporalité de la victoire. Actuellement, ils n'arrêtent pas de perdre, mais l'image du martyre est une image victorieuse. Et elle leur permet de s'insérer dans l'intemporalité religieuse, qui est beaucoup plus longue.» La sociologue met aussi en parallèle le chiffre des suicides, qui, depuis 1996, a doublé chez les jeunes Palestiniens.
La principale référence des chebab est le Hezbollah, un mouvement libanais qui a beaucoup prôné les opérations-suicides et a libéré le sud du Liban. En général, ils aiment aussi le Hamas et le Jihad islamique, parce qu'«ils ont sauvé l'honneur des Palestiniens» en refusant les accords d'Olso. Et, quand on demande à Nabil quels sont ses chanteurs préférés, il cite uniquement le nom de Julia Boutros, curieusement une interprète chrétienne libanaise mais qui a célébré dans ses textes la résistance à l'occupation israélienne du sud du Liban. Sont-ils prêts toutefois à troquer leurs pierres contre des armes à feu? Tous répondent oui, sans que l'on sache s'ils disent vrai. Baha, qui s'occupe du café Internet, est plus sincère: «Dans notre tête, il nous semble qu'on est prêt. En fait, on ne sait pas.»
A Ramallah, à Bethléem ou à Naplouse, les chebab ne sont parfois pas plus d'une quarantaine à défier les soldats israéliens. On se dit que les parents pourraient intervenir et mettre facilement fin à l'hécatombe. «Non, on ne peut pas leur demander de rentrer à la maison. Dans leur regard, on se sentirait tout petit. Mon frère a 12 ans, quand ma mère ferme la porte à clé, il sort par la fenêtre pour rejoindre l'Intifada», assure Rana, une jeune Palestinienne membre du Fatah. Dans ce soulèvement, les mères palestiniennes jouent aussi un rôle, terrible, celui de se féliciter de la mort de leurs enfants devant les caméras. «Elles admettent que certains de leurs fils vont mourir au combat et souhaitent donc avoir beaucoup de garçons. Si vous leur parlez de programme familial, elles s'en offusquent et disent qu'elles doivent donner naissance à davantage d'enfants pour que l'Intifada continue», reconnaît Aitemad Mouhanna, responsable des programmes de planning familial pour une ONG basée à Gaza. Anouk Rivière ajoute: «En réalité, elles ne peuvent pas exprimer leurs sentiments de mère à cause de la pression sociale. Elles n'ont pas la liberté de dire ce qu'elles éprouvent. Et puis, avoir un chahid («martyr»), c'est valorisant et honorifique pour la famille, sans parler de l'aide financière de l'Autorité palestinienne.» En général, celle-ci s'élève à 1 000 dollars par enfant tué au combat. Une somme considérable pour les familles pauvres. Une bagatelle pour les riches familles liées au pouvoir palestinien, dont les fils étudient dans les universités américaines ou dans les capitales arabes et qui suivent l'Intifada à la télévision.
 
13. Nouvel Observateur du jeudi 7 décembre 2000
Y a-t-il un vote juif ? par Jacky Akoka
Jacky Akoka est professeur au Conservatoire national des Arts et Métiers.
Les derniers événements du Proche- Orient ont amené certains membres de la communauté juive à vouloir sanctionner Jacques Chirac pour son attitude négative durant les négociations Arafat-Barak à l'Elysée le 4 octobre dernier. Cette attitude tend à raviver un vieux mythe, celui du vote juif. Rappelons qu'un vote juif se définit par un comportement électoral exclusivement déterminé par l'appartenance à une communauté et non par d'autres caractéristiques, notamment socio-économiques. Or l'existence d'un vote juif nécessiterait la coïncidence des trois conditions suivantes : une détermination idéologique exclusive de l'électorat juif, un engagement monolithique et une efficacité décisive de l'action commune pour influer sur le choix national.
De nombreuses études récentes ou plus anciennes ont réfuté ces hypothèses. Bien que traditionnellement situé pour sa majorité au centre-gauche, les sondages montrent que l'électorat juif ne se caractérise pas par une position idéologique arrêtée. Son souci est largement semblable à celui de l'électorat national moyen. Il fluctue, comme l'opinion, au gré des événements et des conditions socio-économiques. Quels que soient les critères utilisés pour mesurer cette détermination idéologique - soutien à un parti, constance dans le vote, raisons des choix, etc. -, rien ne permet d'affirmer que les électeurs juifs se distinguent de manière significative.
Sur le deuxième point, rappelons que la communauté juive est loin d'être monolithique tant dans sa structure sociale que dans ses choix politiques et idéologiques. Des études ont montré que la répartition des électeurs entre la droite et la gauche va en général de pair avec l'appartenance aux catégories socioprofessionnelles. On peut seulement affirmer que la diffraction politique des juifs suit la ligne générale mais avec une plus forte amplitude et un marquage au centre-gauche très important.
Quant à la troisième condition, la taille estimée de la population juive française - entre 600 000 et 700 000 - ne lui permet pas de peser de façon significative dans un vote national. Elle le pourrait tout au plus dans un scrutin local où la communauté juive serait plus largement présente, ou dans un cas de resserrement exceptionnel des votes tel celui observé en Floride entre Gore et Bush.
Cependant, les mêmes études ont montré que cette diversité relative pouvait se transformer en un engagement massif face à un double danger menaçant les libertés fondamentales - et par là même, l'existence de la communauté juive -, ou bien la survie de l'Etat d'Israël. Comme l'a montré Sylvie Strudel, le vote des juifs apparaît à la fois comme captif et réactif : captif des traces laissées par l'histoire, et réactif face aux menaces potentielles (1). La communauté juive est diversifiée et intégrée à tous les secteurs de la société. C'est son intérêt, et plus généralement celui de la France, qu'elle le demeure.
(1) « Votes juifs - Itinéraires migratoires, religieux et politiques », par Sylvie Strudel, Presses de Sciences-Po, 1996.
 
14. Témoignage Chrétien du jeudi 7 décembre 2000
Le portrait d'un juste par Philippe Clanché
Prêtre-ouvrier à Nazareth et défenseur des palestiniens, à l'automne de sa vie, Paul Gauthier méritait ce film en forme d'hommage : "Paul la charpentier". En 1957, l'abbé Paul Gauthier voit passer des ouvriers misérables sous les fenêtres du grand séminaire de Dijon où il enseigne. "Je menait une vie bourgeoise et confortable quand j'ai eu l'idée de devenir prêtre ouvrier et partir à Nazareth." La voix est celle d'un vieil homme de 84 ans, fatigué. Devant la caméra bienveillante d'Ibrahim Khill, il raconte son histoire pas banale. Aux images d'archives montrant la misère montrant la misère des palestiniens aux lendemain de la création de l'état d'Israël succèdent les témoignages de ceux qui ont connu Paul Gauthier. L'actuel curé de Nazareth, le père Shouffani, raconte la fondation d'une coopérative de construction d'habitation pour les travailleurs. "Nous n'avons que deux solutions : mourir ensemble ou s'en sortir", disait Paul Gauthier, dans un document d'époque. Rapidement, des amis les rejoignent et des petites fraternités naissent. Parmi ses compagnons, Myriam deviendra son amie et sa femme. Des maisons poussent ainsi qu'à Bethléem et ailleurs. Après la guerre des Six jours (1967) et le durcissement israélien, Paul et Myriam sont chassés et doivent partir vers l'Asie. Venu voir Mère Teresa à Calcutta, il rentrent en France avec deux enfants qu'ils adoptent. Aujourd'hui à Marseille, Paul se remet très douloureusement de quelques jours de coma, soutenu par son épouse. "J'attends de revoir Nazareth pour y mourir", dit-il, tout en sachant que son retour n'est pas du goût d'Israël. Ce documentaire révèle un personnage hors du commun, mais aujourd'hui oublié, en France comme dans le quartier de Nazareth qu'il a fondé et qui compte 7000 habitants aujourd'hui. "Il a choisi la cause des pauvres, les Palestiniens", dit le père Shouffani. Par ses interviews et ses documents historiques (on aperçoit Itzhak Rabin, jeune soldat), par la qualité de ses images, ce film, produit et diffusé par son réalisateur, est un document riche pour aujourd'hui.
* Paul le charpentier, documentaire de 52 minutes.
Contact : Nazareth films - 30, rue du Pont - 92200 Neuilly-sur-Seine - Tél : 01 47 47 14 28 / Fax : 01 47 22 99 14
 
15. Courrrier International du jeudi 7 décembre 2000 
L’heure du troc est arrivée par Hazem Saghié in "Al Hayat" (Londres)
Face à un Ehoud Barak affaibli, les Palestiniens ne doivent pas pratiquer la politique du pire et faciliter la victoire d’un Benyamin Nétanyahou, estime l’éditorialiste d’"Al Hayat".
Israël, l’Autorité palestinienne, la présidence américaine : ces trois acteurs se trouvent tous en position de faiblesse. Ce qui, par un effet domino, affaiblit leurs autres partenaires. L’Etat hébreu est amoindri car il éprouve beaucoup de difficultés à convaincre les Palestiniens du bien-fondé des propositions faites par Ehoud Barak lors des négociations de Camp David. Par ailleurs, le recours croissant à des moyens de répression de plus en plus violents à l’encontre des Palestiniens traduit également la faiblesse israélienne. En outre, le gouvernement d’Ehoud Barak se trouve en minorité à la Knesset. Ses démonstrations de force n’ont, semble-t-il, pas suffi à séduire la droite, tandis que les propositions qu’il a faites à Camp David ont provoqué une guerre avec les Palestiniens.
L’Autorité palestinienne, affaiblie, ne pouvait guère accepter les “propositions” d’Ehoud Barak. Elle est de plus incapable d’affronter les conséquences d’un soulèvement qui semble parti pour durer. Dans ces conditions, elle ne pourra pas garder longtemps le contrôle de la situation.
La présidence américaine, elle, se trouve diminuée car Bill Clinton achève son mandat par un échec au Proche-Orient, mais surtout à cause de la crise constitutionnelle provoquée par l’élection présidentielle américaine, qui risque de porter un coup à l’influence des Etats-Unis dans la région.
Nous sommes dans un cercle vicieux où Ehoud Barak, ne voyant pas les Palestiniens réagir positivement à ses propositions, ne trouve rien d’autre à faire que les réprimer violemment, les affaiblissant encore plus. De même, les Américains, en ne réussissant pas à ramener la paix dans la région, poussent Ehoud Barak à ne s’en remettre qu’à la seule opinion israélienne et à s’enfermer dans une logique sécuritaire de plus en plus violente. Enfin, dans un tel contexte, Yasser Arafat essaie d’échapper à la seule tutelle de Washington. Dans ces conditions, on constate que les deux leaders se sont mutuellement affaiblis.
Les élections législatives anticipées sont censées sortir Israël de l’impasse. On souligne beaucoup que cette crise politique concerne Ehoud Barak, mais c’est aussi celle de la classe politique israélienne dans son ensemble.[...]
Pour les Palestiniens, l’important n’est pas seulement que l’Intifada ne s’achève pas par une catastrophe. Ils doivent également tout faire pour conserver et faire fructifier les acquis de ce soulèvement. Cela signifie que les Palestiniens doivent tenir compte des élections israéliennes et faire en sorte qu’elles ne débouchent pas sur le retour d’Ariel Sharon ou de Benyamin Nétanyahou. Le retour de ces hommes au pouvoir signifierait la mort du processus politique. Cela ne veut pas dire que l’initiative doive venir d’un seul côté, mais plutôt qu’Ehoud Barak propose quelque chose d’ici aux élections législatives. Or l’Intifada offre précisément des possibilités de troc. En d’autres termes, le seul arrangement possible consiste en un accord avec Ehoud Barak intégrant les acquis de cette deuxième Intifada dans un processus d’Oslo revivifié.
 
16. Courrrier International du jeudi 7 décembre 2000
Les limites de Yasser Arafat par Zeev Schiff in "Ha’Aretz" (Tel-Aviv)
Certains pensent qu’Arafat est l’instigateur de la révolte palestinienne. D’autres estiment que celle-ci est en partie tournée contre lui. La vérité se situe plutôt à mi-chemin.
Lorsqu’on se demande si Arafat contrôle les événements, il faut envisager différentes perspectives. D’un point de vue politique, la gauche prétend qu’Arafat a le contrôle de la situation, mais qu’il n’est néanmoins pas responsable des incidents graves qui surviennent çà et là. De son côté, la droite affirme qu’Arafat, parce qu’il a le contrôle, est responsable de tout ce qui se passe. Comme c’est souvent le cas, la vérité se trouve quelque part entre ces deux interprétations. Arafat n’a pas un contrôle total et il ne s’est d’ailleurs pas privé d’émettre de sévères critiques quant à certaines actions de ses forces.
En pratique, la réalité est bien plus complexe. Si Arafat voulait faire cesser les tirs, il le pourrait. Mais il pense sans doute qu’il ne peut pas se le permettre pour le moment. Ni le peuple palestinien ni les milices du Tanzim [branche armée du Fatah] n’ont envie de faire cesser la violence.
Arafat est souvent présenté comme un “magicien de la survie”, tant est grande sa capacité à s’assurer un niveau suffisant de légitimité interne pour préserver son autorité. Peut-être craint-il la réaction qu’auraient les milices paramilitaires s’il venait à ordonner une suspension immédiate des hostilités sans avoir obtenu de résultats diplomatiques tangibles. Mais, même si les forces du Tanzim devaient respecter un appel du dirigeant palestinien à une cessation des hostilités, des sources proches du Fatah craignent que le Hamas ne prenne la relève. Des Palestiniens affirment que certes le Fatah, par le biais de sa milice Tanzim, affronte Israël, mais que, au final, c’est le Fatah et non le Hamas qui retournera à la table de négociations. Quoi qu’il en soit, Arafat est responsable des événements, même si le tigre qu’il est en train de chevaucher n’a pas l’intention de s’arrêter de sitôt. Dès lors, Arafat est notre seul interlocuteur, pour le pire comme pour le meilleur.
La détérioration de la situation sur le terrain est vertigineuse. Nous sommes passés d’émeutes incontrôlées à un conflit armé. Nous ne sommes pour autant pas engagés dans la guerre totale que nous décrivent ceux qui voudraient voir Israël riposter par des tueries aveugles, des destructions massives et l’expulsion des populations [arabes]. Non seulement les représentants israéliens continuent de rencontrer leurs homologues palestiniens, mais la police palestinienne dans son ensemble n’est pas impliquée dans les affrontements armés. Certes, certains officiers de police, en uniforme ou en civil, participent à des attaques, mais cela ne répond pas à un plan militaire coordonné.
Si des colonies juives sont la cible de tirs palestiniens, aucune tentative de les prendre d’assaut n’a eu lieu jusqu’à ce jour. Cette possibilité et d’autres doivent toutefois être prises en compte car elles pourraient affecter la position et le statut de l’Etat d’Israël. Cela signifierait une nette aggravation du conflit et sa transformation en guerre limitée, les cibles militaires et stratégiques s’en voyant radicalement redéfinies. En attendant, vu la décision des Palestiniens de repousser à nouveau la proclamation unilatérale de leur Etat, leurs objectifs opérationnels et leurs slogans devraient connaître une évolution. Les Palestiniens devront sans doute mettre entre parenthèses la proclamation d’indépendance et la reprise des négociations de paix pour se concentrer plutôt sur la cessation de l’occupation israélienne des Territoires, y compris l’“occupation israélienne” de Jérusalem.
Enfin, il importe de garder à l’esprit que, du point de vue des Palestiniens, la fin de l’occupation ne signifie pas la fin du conflit, ce dernier ne pouvant cesser sans une résolution du problème des réfugiés et une prise en compte de leur “droit au retour”. Bref, la fin de l’occupation israélienne ne débouchera pas automatiquement sur un accord de paix définitif.
 
17. Courrrier International du jeudi 7 décembre 2000
“Ce conflit transforme nos deux peuples en monstres”
par Saray Makover in
"Maariv" (Tel-Aviv)
Fayçal el-Husseini gère le dossier de Jérusalem pour l’Autorité palestinienne. Dans un entretien accordé à "Maariv", ce fin politique explique quelles sont à ses yeux les conditions d’une issue à l’affrontement.
Comment Fayçal el-Husseini explique-t-il cette insurrection alors que Barak et Arafat semblaient si proches d’un accord de paix historique ? “Les Israéliens m’ont déjà posé mille fois la question. Personne chez vous ne semble comprendre que l’Intifada actuelle a éclaté précisément en raison du contenu des accords proposés par Barak et Clinton. Les Palestiniens ont le sentiment qu’un tel accord de paix leur aurait interdit de résister à l’occupation. Imaginez un peu : le conflit n’est pas terminé, les réfugiés continuent à vivre en exil et dans la misère, les terres confisquées ne sont pas rendues à leurs propriétaires, les colonies juives ne sont pas démantelées, les habitants arabes d’Israël ne bénéficient toujours pas des mêmes droits que leurs concitoyens juifs, mais on parle d’un accord de paix ! Ariel Sharon n’a été que l’étincelle ; sa visite a servi d’exutoire à la frustration palestinienne. C’est ce que j’ai tenté d’expliquer en vain au ministre [israélien] de l’Intérieur, quarante-huit heures avant que Sharon ne se rende sur le mont du Temple, mais il ne m’a pas écouté. On lui a permis d’effectuer cette visite en lui fournissant la protection de centaines de policiers. Les pierres ont volé et la riposte s’est faite à balles réelles, à coups de tanks et d’hélicoptères. Vous avez enclenché un cycle infernal. Les enfants palestiniens prennent le pouvoir et méprisent leurs pères, humiliés par les soldats israéliens. Le peuple palestinien se révolte contre ses dirigeants, incapables d’obtenir quoi que ce soit d’Israël par la négociation.”
Après avoir expliqué que les armes utilisées par les Palestiniens pour tirer sur l’implantation juive de Gilo, depuis le village palestinien de Beit Jala, étaient des armes vendues par des conscrits israéliens, El Husseini expose les conditions posées par les Palestiniens pour qu’ait lieu une reprise des pourparlers de paix. Bien qu’une partie d’entre elles soient inacceptables par Israël, il se dit convaincu qu’il est possible de trouver des solutions constructives : il en est ainsi du droit au retour des réfugiés. Il reconnaît que, si 6 millions de réfugiés arabes devaient s’installer dans un Etat de 5 millions de Juifs, cela signifierait la fin de l’Etat d’Israël en tant qu’Etat juif, mais précise que ce dont il est question, c’est de la reconnaissance du droit palestinien au retour, et non de son application réelle. “La panique qui s’empare d’Israël n’a aucun fondement. Seule une minorité de 500 000 à 1 million de réfugiés palestiniens reviendra, et ceux-ci ne s’installeront pas seulement en Israël, mais aussi et surtout dans un Etat de Palestine souverain, à côté d’Israël. Ce qu’ils veulent, c’est la reconnaissance de la responsabilité israélienne dans leur tragédie et une indemnisation pour leurs biens confisqués ou détruits. Lorsque l’Etat d’Israël a été créé et a accordé le droit au retour aux Juifs du monde entier, seuls 1 à 2 millions d’entre eux ont émigré en Israël ; les autres sont restés dans leurs patries d’adoption. Bref, ce que nous voulons, c’est la reconnaissance de notre droit au retour, lequel ne serait appliqué que progressivement et en concertation avec Israël. C’est aux dirigeants israéliens de s’y préparer.”
Fayçal el-Husseini se montre tout aussi convaincu de parvenir à une solution durable pour Jérusalem. “Je ne veux pas d’une Jérusalem divisée, mais d’une capitale bi-étatique et ouverte à tous. Pourquoi les uns devraient-ils dominer les autres ? J’ai toujours été choqué de devoir prier sous le regard des soldats israéliens et je ne veux pas infliger la même chose aux fidèles juifs du Mur occidental. La zone du mont du Temple doit être ouverte à tous, mais sous l’autorité de l’Etat de Palestine. Sur le mont du Temple se dresse la mosquée Al Aqsa. Et, sauf votre respect, qu’est-ce que les Juifs ont à faire dans cette mosquée ? Ce qui préoccupe les Juifs, c’est le Mur occidental et il sera placé sous autorité cultuelle juive. Le Mur ne nous intéresse pas. Je ne comprends pas la volonté israélienne de s’accaparer nos lieux saints. Les Juifs se disent sensibles au sort de leurs lieux saints, pourquoi ne comprennent-ils pas notre propre sensibilité ? Accepteriez-vous que des soldats palestiniens surveillent et fouillent les fidèles juifs ? Jérusalem-Ouest sera la capitale d’Israël, Jérusalem-Est celle de la Palestine. Mais toutes deux devront être ouvertes aux deux peuples et aux trois religions.”
“Le monde doit comprendre que, jusqu’au début de ce siècle, les Palestiniens constituaient la majorité au sein de ce pays, répète-t-il à qui veut l’entendre. Turcs, Arabes et Juifs vivaient ensemble sans trop de problèmes. Les problèmes sérieux ont commencé lorsque des Juifs de Pologne, de Russie et d’Allemagne sont arrivés en affirmant que, d’après la Torah, la Palestine appartenait aux Juifs. A ce compte-là, pourquoi ne pas invoquer le Coran et le Nouveau Testament ? Comment peut-on s’installer sur des terres et en chasser leurs habitants au nom d’un livre saint ? Voilà d’où vient notre aversion pour le sionisme. Nous avons lutté de toutes nos forces pour le rejeter, mais nous n’y sommes pas parvenus. Nous voulions nous libérer d’un Etat étranger qui nous avait occupés, chassés de nos terres, et qui avait détruit notre structure sociale. Lorsqu’Israël est parvenu à repousser l’OLP jusqu’en Tunisie, au Maroc et au Yémen, tous nos espoirs de libération sont partis en poussière. C’est de là qu’est née la première Intifada. Nous avons alors cru que si les Israéliens comprenaient que nous leur reconnaissions enfin un droit national et historique dans ce pays, il serait possible de formuler ensemble une solution où chaque peuple exercerait conjointement une partie de ses droits et mettrait fin à ce conflit. En 1988, nous nous sommes résolus à édifier un Etat de Palestine à côté de l’Etat d’Israël, dans les frontières du 1er juin 1967. Ce n’étaient certes pas les frontières dont nous avions rêvé, mais nous estimions qu’elles étaient vivables.”
Que pense El Husseini des Israéliens depuis les événements de ces deux derniers mois ? “Au début, j’ai cru que le peuple israélien nous comprendrait, sans forcément dire à haute voix que nous avions raison sur tout. Mais, quand j’ai vu ce que Barak était prêt à nous proposer, j’ai compris qu’il y avait une incompréhension totale de nos besoins. Et cela me désespère. Le problème du peuple israélien est qu’il souffre également de son histoire et qu’il est incapable de nous envisager sans nous associer injustement à cette histoire tragique. J’ai longtemps été incapable de prononcer le mot Israël. Il a fallu la guerre de 1967 pour que, en promenade à Jérusalem-Ouest, je voie des gens comme moi, des gens normaux, des couples de septuagénaires amoureux. C’est ensuite que j’ai découvert qu’il était possible de rencontrer des Israéliens avec qui il était possible de parler au nom de la justice, et non pas de la Bible. Et, malgré toutes les horreurs qu’ils peuvent proférer à notre encontre, je continue de croire qu’il est possible de rencontrer des Israéliens capables de reconnaître la souffrance du peuple palestinien et la légitimité de ses revendications.”
“Ce conflit doit prendre fin. La mort des deux petites jumelles palestiniennes de Jénine et le lynchage des soldats israéliens à Ramallah sont deux incidents horribles. Certes, ce dernier incident s’est déroulé pendant un enterrement palestinien et alors que les Palestiniens sont victimes depuis trente ans d’unités spéciales israéliennes ayant assassiné près de 200 civils. Mais ce conflit est en passe de faire de nos deux peuples des monstres. Il fait exprimer ce qu’il y a de plus vil et de plus exécrable en nous. Nous sommes devenus des proies les uns pour les autres. Si je suis capable de comprendre cela, vous pourrez vous aussi le comprendre, que cela vous prenne un mois, six mois ou dix ans. Ce sont la bêtise et la folie des adultes qui sont en train de mettre à mort nos enfants.”
 
18. Courrrier International du jeudi 7 décembre 2000
Arrêtons cette stratégie suicidaire par Saleh Abdel Jawad in "Amin" (Ramallah)
(Saleh Abdel Jawad est Directeur du département d’histoire et de sciences politiques de l’université de Bir Zeit)
Pour Saleh Abdel Jawad, intellectuel palestinien, un certain amateurisme caractérise la conduite de l’actuelle Intifada. Son analyse du conflit, discutée en Palestine, a été reprise dans la presse israélienne.
Malgré son héroïsme et les sacrifices consentis, l’Intifada aura surtout révélé le manque flagrant de préparation de la partie palestinienne - Autorité, opposition et société palestiniennes confondues - à l’affrontement armé. Cette impréparation est d’autant plus surprenante si l’on se remémore les déclarations des responsables politiques et militaires palestiniens avant le début de cette deuxième Intifada. En effet, à l’époque, les responsables de l’Autorité palestinienne, sûrs d’eux, nous assuraient qu’ils étaient prêts à toute éventualité face à une menace israélienne qui devenait imminente au fur et à mesure qu’approchait la date de proclamation unilatérale de l’Etat palestinien. Bien entendu, cet amateurisme tranche avec le niveau de préparation des Israéliens, qui, à l’évidence, ont tiré les leçons des affrontements qui ont eu lieu en 1996 lors de l’affaire du tunnel, à Jérusalem.
Le manque de préparation se ressent également dans l’improvisation d’une stratégie tout aussi spontanée qu’erronée, peu en phase avec la réalité du terrain, et qui risque tout simplement de mener à la catastrophe. Dans ces conditions, il ne faut plus permettre que des éléments palestiniens “armés” participent à des manifestations de masse. De même, ceux-ci ne devraient plus tirer contre les soldats israéliens et contre les colonies, même si nous savons tous que cela relève de la légitime défense. En effet, ces coups de feu sont inutiles et ne sont pas sérieux dans la mesure où ceux qui les tirent, s’ils sont déterminés et capables de sacrifice, manquent en revanche cruellement de moyens (pas d’armes adéquates, peu de munitions, pas d’entraînement, pas de discipline et pas de commandement bien structuré).
Les actions menées par ces éléments armés, dont la portée reste purement symbolique, ont rendu service à nos ennemis, qui peuvent ainsi justifier aux yeux de l’opinion publique l’usage de chars, d’hélicoptères et de missiles pour écraser un soulèvement d’essence véritablement populaire. Cette situation a permis à l’ennemi, pour la première fois depuis 1967, de bombarder et de détruire des quartiers palestiniens. Les Israéliens pourront toujours utiliser ce prétexte pour chasser les Palestiniens temporairement ou définitivement de leurs villages ou même de leurs villes. Dans ce contexte, un débat national sur cette question s’impose.
Cette tactique a montré ses limites. Selon certains, la récupération du tombeau de Joseph, à Naplouse, constituerait la preuve que cette stratégie de l’affrontement est payante. En réalité, ce discours illustre tragiquement le fait que certains Palestiniens ne parviennent pas à tirer les leçons du passé. En effet, il est tout à fait impossible de répéter ce genre de “succès” face à des positions militaires ou à des colonies qui sont en terrain découvert et où toute attaque frontale se solderait par un échec stratégique et par des dizaines de morts. N’oublions pas que le tombeau de Joseph se trouvait en plein centre-ville de Naplouse et constituait dès lors une exception.
A ce sujet, il est intéressant de revenir sur la guerre de 1948. A cette époque, toutes les attaques menées contre des positions israéliennes fortifiées ont conduit, à quelques exceptions près, à de lourdes pertes dans les rangs palestiniens et arabes, dans un contexte où le déséquilibre en moyens matériels entre les Palestiniens et les Israéliens n’était pourtant pas aussi important qu’aujourd’hui. Cette politique d’attaques frontales contre des colonies et d’autres places fortes a surtout conduit, à l’époque, au découragement des troupes arabes, dont l’élan ne tarda pas à être brisé. Lorsque, dans des cas précis, les Arabes ne se montraient pas enclins à mener des attaques de front, les services de renseignement de la Haganah essayaient de les pousser à la faute par le biais de certains de leurs agents infiltrés. Dans d’autres cas, lorsque les services israéliens ne parvenaient pas à recruter des collaborateurs locaux, ils envoyaient des colons tirer sur des colonies juives dont les habitants entretenaient des relations plutôt cordiales avec leurs voisins arabes, afin de les exciter, ce qui débouchait finalement sur l’expulsion des habitants de ces villages palestiniens.
D’ailleurs, il suffit de s’en tenir au nombre des victimes pour se rendre compte des conséquences de cette tactique. En 1996, lors de l’affaire du tunnel, 80 Palestiniens avaient été tués et 16 soldats israéliens, soit une proportion de un pour cinq. Aujourd’hui, cette proportion est encore en train de s’agrandir, d’autant plus qu’en cas de conflit armé généralisé ce seront toujours les Israéliens qui auront l’initiative, alors que les Palestiniens seront constamment sur la défensive.
Dès lors, la confusion entre le recours aux armes à feu et les affrontements d’essence populaire s’apparente à un suicide politique et militaire. Il convient en effet de bien faire la distinction entre les deux, comme ce fut le cas lors de la première Intifada, dont on peut s’inspirer sur le plan de l’organisation (comités populaires, solidarité sociale, boycott économique, intérêt pour l’opinion publique, etc.). Il faut développer une nouvelle forme de mobilisation qui intégrerait une action militaire posée et soigneusement étudiée. Il est impératif d’adopter une stratégie qui ne risque pas de conduire à un affrontement entre deux peuples qui prendrait des allures de guerre civile. En effet, il est important de donner à cet affrontement une image réelle, à savoir celle d’un peuple sans défense subissant une armée d’occupation appuyée par des colons. Dès lors, il convient d’adopter une attitude capable de mettre en échec une stratégie israélienne fondée sur trois axes, politique et diplomatique, socio-économique et, enfin, militaire.
Sur le plan politique, il s’agit tout d’abord, pour les Israéliens, de créer un consensus national autour de l’idée d’un conflit religieux et duel qui se transformerait en guerre totale et nécessiterait dès lors la mobilisation de toute la société israélienne contre la résistance des Palestiniens, qui s’apparente pour eux ni plus ni moins à une déclaration de guerre. Sur le plan diplomatique, les Israéliens doivent essayer de gagner la guerre médiatique en faisant passer les Palestiniens pour des agresseurs.
Ensuite, il s’agit d’affaiblir les Palestiniens économiquement. Cette idée n’est pas nouvelle et a déjà été appliquée au cours de la première Intifada. Ce concept a été élaboré notamment par Arié Shaliff, chercheur au Centre d’études stratégiques de l’université de Tel-Aviv, général de réserve proche du Parti travailliste et qui fut gouverneur militaire de la Cisjordanie au début des années 70. Shaliff proposait alors d’appliquer toute une série de mesures, dont les plus importantes sont les suivantes :
instaurer un système de couvre-feu sur de longues périodes pouvant durer plusieurs mois ;
- instaurer un blocus autour des villes et des villages afin d’empêcher toute communication entre leurs habitants ;
- empêcher les ouvriers palestiniens d’aller travailler en Israël ;
- frapper les secteurs de production palestiniens.
Dans les conditions particulières de l’après-Oslo, d’autres mesures de rétorsion économique sont possibles, telles que la fermeture de l’aéroport de Gaza et l’arrêt des transferts financiers que l’Autorité palestinienne reçoit via Israël.
Sur le plan militaire, enfin, Israël voudrait pousser l’Autorité palestinienne à la faute en l’entraînant vers un conflit décisif sans que cela signifie nécessairement l’occupation des grandes villes palestiniennes, tout au moins dans un premier temps. Dans ce cas de figure, les Israéliens commenceraient d’abord par frapper des bâtiments officiels et militaires par des bombardements aériens “précis” et occuperaient ensuite les villages d’une zone B dont ils reprendraient entièrement le contrôle, avec l’aide des colons, dont le rôle se révèle désormais essentiel. Ce processus peut mener in fine à l’occupation des villes palestiniennes à la suite du découragement total des Palestiniens.
Lors des combats violents qui ont eu lieu entre les Palestiniens et l’armée israélienne en 1996, au moment de l’affaire du tunnel, les Israéliens, qui n’étaient pas encore préparés à ce genre de situation, n’ont pas pu appliquer cette tactique, inspirée de la “théorie de la matraque”, développée par l’armée américaine. Dans ces conditions, les Palestiniens doivent tout faire pour déjouer les plans israéliens et ne pas s’engager dans un conflit frontal suicidaire.
 
19. AMIN - Arabic Media Internet Network du jeudi 7 décembre 2000
La tragédie s'épaissit par Edward Saïd [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Personne ne sait vraiment si l'Intifada "al-Aqsa" a connu une rémission temporaire à cause de la désapprobation exprimée en public à son sujet par Yasser Arafat le 17 novembre, ou bien si cette relative trêve ne devait s'avérer que temporaire et résulter d'une lassitude ou de la recherche de nouveaux positionnements. Malgré le coût - énorme - en vies et en biens, pour les Palestiniens, toutefois, les problèmes essentiels demeurent. Et les Israéliens, de leur côté, poursuivent leur assaut stupide et aveugle contre les Palestiniens, leur étranglement, leur blocus économique, les bombardements de quartiers et de centre-villes continuant sans répit.
Tout leader arabe à s'être bruyamment réjoui de l'élection de Barak, il y a un an et demi de cela, devrait être sommé de répéter ses déclarations d'alors, afin que l'on puisse en démontrer à nouveau la vacuité, opération à répéter sans relâche. Je trouve les attitudes officielles arabes virtuellement incompréhensibles, bien que j'aie passé la plus grande partie de ma vie à tenter de les déchiffrer en faisant référence aux lois de la raison et du bon sens élémentaire. Pensaient-ils, sérieusement, que Barak était le sauveur du processus de paix ? Et, si tel était le cas, n'avaient-ils pas conscience du fait que sauver le processus de paix ne revenait pas à autre chose qu'à prolonger l'agonie palestinienne ? Pensaient-ils vraiment que Barak était différent des autres grands "héros" de guerre, lui qui a consacré la totalité de sa carrière à tuer des Arabes ? Et si Barak n'était pas le "héros" supposé, pourquoi a-t-il fallu aux officiels arabes si longtemps pour s'en rendre compte ? La soumissions aux Etats-Unis exige-t-elle une telle veulerie, autant de contorsions, autant de circonvolutions autour du pot, et une telle profonde prostration ? Combien de temps, et dans quel objectif, vont-ils s'obstiner à préserver un statu-quo répressif et fondamentalement négationiste, en l'absence de volonté et même de capacité à mener une guerre, ni non plus à vivre en paix, au simple motif de complaire à une superpuissance distante et arrogante, qui a fait preuve, envers eux et envers leurs peuples, d'une telle haine, d'une telle inhumanité, d'une cruauté extrême, proprement indescriptible ?
Sont-ils incapables de faire autre chose que ce qu'ils sont en train de faire, tandis qu'Israël continue à utiliser des mitrailleuses héliportées pour tuer des civils palestiniens et détruire leurs habitations, que les Etats-Unis livrent à ce pays la plus grande commande d'hélicoptères d'assaut jamais passée par Israël depuis dix ans et qu'Israël vote une rallonge de 500 millions de dollars à son budget pour les colonies ? Aucune protestation officielle (arabe) contre une politique américaine directement responsable de la catastrophe sans précédent vécue par notre peuple. C'est cette pusillanimité même qui donne carte blanche aux décideurs politiques américains (parmi lesquels, pour n'en citer qu'un,  le non-regretté et non moins médiocre Dennis Ross, qui a fait plus à lui seul pour la promotion des intérêts israéliens que quiconque), pour dire que les Arabes ont confiance en eux et en la politique américaine, qu'ils restent des amis intimes et des alliés des Etats-Unis. Il est plus que temps de parler franchement d'une hypocrisie et d'une brutalité sans précédent, au lieu de rester plantés là, (au cimetière), silencieux et le chapeau à la main, alors que de plus en plus de Palestiniens continuent à se faire tuer par des armes payées par les contribuables américains.
Mais le noeud de la tragédie, c'est ce qui arrive aux victimes elles-mêmes : le peuple palestinien. Ici, il faut parler et penser rationnellement, et ne pas laisser l'émotion et les passions du moment égarer par trop les esprits. Mon impression générale est que les Palestiniens, où qu'ils soient, ressentent bien l'absence d'un leadership réel, d'une voix ou d'une autorité à même d'exprimer le présent et le futur avec un minimum de hauteur de vue, une certaine capacité à définir un objectif cohérent, global, au-delà des habituelles platitudes qui ne font que rabâcher ce qui ne sert, de toute évidence, qu'à ajourner décisions et visions (d'avenir) au moyen d'une rhétorique creuse. Personne ne doute que les Palestiniens sont en train de lutter contre une occupation militaire et que ça fait trente-trois ans que cela dure. Mais il y a (aussi) quatre millions de réfugiés, qui luttent contre l'exil, auxquels il faut ajouter un millions de Palestiniens citoyens d'Israël, qui vivent sous un régime de discrimination raciale et religieuse que l'on a trop longtemps essayé de cacher sous la feuille de vigne (qui ne cache plus rien) de la "démocratie israélienne". L'un des multiples problèmes que pose Oslo, c'est que les négociateurs palestiniens ont tout focalisé sur l'occupation, en négligeant complètement les deux autres dimensions (des réfugiés et des Palestiniens d'Israël, NdT). Mais il devrait être bien clair, une fois pour toutes, que dans les trois occurrences, c'est bien contre le sionisme que nous nous battons et que, tant que nous n'aurons pas une direction capable de définir une stratégie intégrée pour les trois fronts à la fois, nous n'aurons pas de direction du tout. Ce qui est tragique, c'est que l'intifada continue, avec des vies perdues, dramatiquement, tous les jours, dans une typologie politique qui approfondit les différences entre Palestiniens, bien loin de les rapprocher. Il nous faut une nouvelle vision, une nouvelle voix, une nouvelle vérité.
N'est-il pas évident désormais que des vieux slogans du type "un Etat palestinien" ou "Jérusalem-notre capitale" nous ont amenés à l'impasse ? Ne devrions-nous pas attendre d'un leader authentique qu'il s'adresse à tous les Palestiniens, honnêtement, sans crainte, sans duplicité, sans clins d'oeil aux Etats-Unis et à Israël, qu'il trace un plan d'action qui englobe les résistances, à la fois, à l'occupation, à l'exil, et à la discrimination raciale ? Pourquoi continuer à bercer le peuple de l'espoir illusoire que la "lutte", un mot qui semble signifier que c'est à d'autres que revient la tâche de crever, va apporter au monde arabe, en général, et aux Palestiniens, en particulier, ce qu'ils veulent l'un et l'autre depuis si longtemps ? N'est-il pas tout simplement alarmant que, après plus d'un demi-siècle de frustration, de sang versé et d'argent dépensé, de militarisation, de suspension de la démocratie et des prérogatives élémentaires de la citoyenneté dans le monde arabe, nous nous retrouvions face au même ennemi, aux mêmes défaites, aux mêmes revirements tacticiens et aux-mêmes volte-face hypocrites, avec le même arsenal éculé de menaces, de promesses, de slogans et de clichés, qui ont tous fait la démonstration, peu ou prou, de leur totale inutilité et qui ont produit les mêmes échecs, de 1967 à Amman (Septembre Noir, NdT), d'octobre 73 à Oslo, en passant par Beyrouth (1982, NdT) ?
Personne ne peut nier que la Palestine représente une exception dans pratiquement tous les problèmes coloniaux des deux siècles écoulés. La Palestine est exceptionnelle, mais n'échappe pas au mouvement de l'histoire. L'histoire humaine est faite de cas similaires, à défaut d'être absolument semblables, et ce qui me surprend, moi qui vis loin du Moyen-Orient, mais près du Moyen-Orient quand même à bien des points de vue, c'est à quel point nous sommes capables de nous maintenir à l'écart du reste du monde, alors que (c'est du moins ce que je crois) nous avons beaucoup à apprendre de l'histoire d'autres peuples opprimés en Amérique(s), en Afrique, en Asie, et même en Europe. Pourquoi nous obstinons-nous à ne pas nous comparer avec, disons, les Noirs d'Afrique du Sud, ou avec les Indiens d'Amérique, ou encore avec les Vietnamiens ? En disant "comparer", je ne veux pas dire le faire d'une manière mécanique ou servile mais, bien au contraire, de manière créative et imaginative.
Le regretté Eqbal Ahmad, qui était certainement l'un des deux ou trois plus brillants analystes des histoire et politique contemporaines que je n'aie jamais connus, attirait en permanence l'attention sur le fait que les mouvements de libération victorieux l'avaient été précisément parce qu'ils mobilisaient des idées créatives, des idées originales, des idées imaginatives alors que d'autres mouvements (de libération) moins heureux (comme, hélas, le nôtre) avaient une tendance prononcée aux formules et à la répétition mal inspirée de slogans obsolètes et de modes de comportement dépassés. Prenons, à titre d'exemple, l'idée de la lutte armée. Durant des décennies, nous nous sommes reposés, dans nos esprits, sur des idées d'armes, de tuerie, des idées qui, des années trente jusqu'à nos jours, nous ont apporté une abondance de martyrs, mais qui n'ont eu qu'un impact réel fort limité, pas tant d'ailleurs sur le sionisme, que sur nos propres idées en ce qui concerne ce que nous allions faire après. Dans notre cas, la lutte (militaire) est menée par un petit nombre de gens courageux confrontés à une inégalité de moyens impitoyable : contre les mitrailleuses d'hélicoptères, les tanks Merkava, les missiles : des pierres ! Pourtant, un rapide regard vers d'autres mouvements (par exemple, le mouvement nationaliste indien, le mouvement de libération de l'Afrique du Sud, les mouvements américains pour les droits civiques...) nous enseigne qu'avant tout, un mouvement de masse, recourant à des actes et à une stratégie qui maximalisent l'élément populaire, est le seul type de mouvement qui ait jamais pu faire une quelconque différence pour l'occupant et/ou l'oppresseur. Ensuite, seul un mouvement de masse, politisé et imprégné d'une vision de participation directe à un futur en voie d'élaboration, seul un mouvement d'une telle nature a une quelconque chance de pouvoir se libérer d'une oppression ou d'une occupation militaire. Le futur, à l'instar du passé, est construit par des êtres humains. Ce sont eux, et non je ne sais quel médiateur ou sage, qui sont les agents du changement.   
Pour moi, il est clair, par exemple, que la tâche la plus urgente, en Palestine, est de nous fixer pour objectif de nous débarrasser de l'occupation en recourant à des moyens de lutte créatifs. Ceci impliquerait nécessairement de larges groupes de Palestiniens intervenant directement contre le processus de création de (nouvelles) implantations (israéliennes), en bloquant les routes, en empêchant l'entrée des matériaux de construction, en d'autres termes : en isolant les implantations, au lieu de les laisser, alors même qu'elles sont, paradoxalement, de moins en moins peuplées, isoler et cerner les Palestiniens, chose qui se passe de nos jours. Il reste vrai, par exemple, que les ouvriers qui ont construit les colonies israéliennes, jour après jour, sont bien palestiniens : ceci devrait suffire à nous donner une idée bien concrète d'à quel point le peuple palestinien est aujourd'hui égaré, mal guidé, sous-mobilisé et dépolitisé. Après trente trois ans de construction de colonies, les ouvriers-maçons palestiniens devraient se voir offrir des emplois alternatifs par l'Autorité (palestinienne). Une poignée de dollars ne pourrait-elle pas être utilement prélevée, à cette fin, sur les millions dépensés pour une sécurité inutile (on le voit bien) et une bureaucratie improductive ? Il s'agit là, certes, d'un échec de la direction palestinienne, mais en fin de compte, c'est aussi celui des individus les plus au courant - les professionnels, les intellectuels, les enseignants, les médecins, etc... - qui ont les capacités à s'exprimer et les moyens de le faire mais qui n'ont pas su exercer suffisamment de pressions sur cette direction afin de la contraindre à faire face à la situation. 
Et voilà la plus grande tragédie de toutes : un peuple donne de lui-même passionnément, perdant la fine fleur de sa jeunesse et toutes ses énergies en une vaillante confrontation avec un ennemi sadique et implacablement cruel qui ne recule pas devant l'étouffement des Palestiniens jusqu'à ce que mort s'ensuive, et malgré tout cela, M. Arafat garde le silence. Il ne s'est jamais adressé réellement et sincèrement à son peuple depuis le début de la crise : même pas une intervention radiodiffusée pour lui donner courage, lui exposer sa politique, lui dire où nous en sommes, comment nous en sommes arrivés là, et où allons-nous, après tout ce sang versé et toutes ces souffrances ? Pas une minute passée à dire la vérité à son propre peuple : il faut le faire, lorsqu'on fait le tour du monde, de la France à la Chine, et que l'on rencontre présidents et premiers ministres pour, finalement, ne rien obtenir du tout. A-t-il un coeur de pierre ou bien est-ce que sa conscience est complètement anesthésiée ? Je trouve cette attitude totalement incompréhensible, d'autant plus qu'il l'adopte après nous avoir menés trente ans durant d'une catastrophe et d'une aventure mal emmanchée à l'autre, sans répit et sans même le moindre remerciement murmuré : "merci de me supporter si longtemps, moi, mes erreurs funestes et mes bévues ahurissantes !"... J'en ai plus qu'assez de son attitude de mépris du peuple, de son imperturbabilité autocratique marmoréenne, de son inaptitude à écouter les autres et à les prendre au sérieux, de ses éternels ambiguïté, dissimulation et virevoltes aveuglément irrationnelles d'un patron à un autre, laissant, pendant tout ce temps-là, son peuple - qui souffre depuis si longtemps - tenter de se défendre tout seul. Dirigez, Monsieur Arafat, dirigez votre peuple, et si vous ne le pouvez pas ou ne le voulez pas, s'il vous plaît, dites-le franchement. Depuis Oslo, vous n'avez fait qu'égarer (le peuple), le tromper, passer des marchés secrets qui ont profité à une poignée parmi les nombreux politiciens corrompus qui vous entourent, mais ont rendu notre situation générale pire, bien pire.
L'Intifada d'Al-Aqsa est une intifada contre Oslo et contre les gens qui ont pondu ces accords, et pas seulement Dennis Ross et Barak, mais aussi une petite coterie irresponsable d'officiels palestiniens. Ces gens devraient avoir la décence, aujourd'hui, de venir devant leur peuple, admettre leurs erreurs et demander (s'ils peuvent jamais l'obtenir) son soutien pour un projet, s'il existe. S'il n'y en a pas (comme je le crains) ils devraient avoir la courtoisie élémentaire, d'au moins, le dire. Cela, seul, permettrait qu'au bout du chemin il y ait autre chose d'autre que la tragédie. Les officiels palestiniens ont signé l'accord de partition d'Hébron, ils ont signé bien d'autres documents sans obtenir au préalable l'assurance que la colonisation allait cesser (et que le nombre des colonies, tout au moins, n'allait pas augmenter) et que toutes traces de l'occupation militaire seraient effacées. Ils doivent aujourd'hui expliquer publiquement ce qu'ils pensaient faire et pourquoi ils l'ont fait. Ensuite, ils doivent nous laisser exprimer notre avis sur leurs actes et sur leur devenir. Pour une fois, ils devront écouter et essayer de mettre l'intérêt général avant leur intérêt propre, malgré les millions de dollars qu'ils ont soit jetés par les fenêtres soit placés (comme des écureuils leurs noisettes, "squirreled away", NdT) en appartements luxueux à Paris et en immobilier et contrats d'affaires lucratifs avec Israël. Assez, c'est assez. (Trop serait trop).
 
20. Libération du jeudi 7 décembre 2000
Les oliviers de la colère à Gaza par Didier François
Les arbres sont rasés pour sécuriser une route empruntée par les colons.
Gaza envoyé spécial
Plus un arbre, pas un buisson. Rien que du sable cent fois retourné par les chenilles des chars. De ces fondrières dardent des branches brisées, des racines dénudées, comme autant de squelettes enterrés à la hâte qui chercheraient à s'extirper d'une sépulture par trop sommaire. Etrange ossuaire végétal traversé d'une bande d'asphalte. Baptisée «Golf» sur les cartes d'état-major dressées lors de la signature des accords d'Oslo, la route de Kissufim coupe en deux la bande de Gaza, courant de la colonie juive de Kfar Darom vers Israël. Une voie stratégique pour son armée qui en contrôle l'usage, l'accès et tous les bas-côtés.
Sur une cinquantaine de mètres, de part et d'autre de la chaussée, le paysage n'est que désolation. Plantations, bâtiments, puits, murets ont été rasés, privant les francs-tireurs palestiniens d'un couvert propice aux embuscades. De loin en loin, des casemates bétonnées surveillent ce glacis, parfois érigées sur des fermes réquisitionnées sans la moindre sollicitude pour les familles riveraines de ce champ de bataille, victimes d'un bras de fer dont l'enjeu leur échappe.
Plus que des dettes. De sa belle demeure construite en bordure de route, Sadia Bayouk n'a sauvé qu'un matelas, deux paillasses et une batterie de casseroles cabossées. Extirpés des décombres. Les résidences de ses cinq fils ont également été détruites, «avec tous les meubles», souligne cette maîtresse femme qui mène son foyer à la baguette depuis la mort de son mari. «Tout a commencé à minuit. Mon cadet se mariait cette nuit-là et venait d'emménager dans sa nouvelle maison. Il avait reçu de nombreux cadeaux, ses frères avaient participé au financement de son installation. Puis les soldats israéliens sont arrivés. Avec leurs blindés, ils ont détruit nos six habitations, ils ont rasé notre palmeraie, nos oliviers, qui, depuis des générations, faisaient vivre notre famille. Avant le lever du jour, nous n'avions plus que des dettes. Que Dieu nous prête sa clémence.»
«Un olivier ne commence à produire qu'après cinq ans et donne peu tant qu'il n'a pas vieilli, explique Eid Abdallah, le maire de Qara. Un arbre cinquantenaire produit entre 50 et 60 kilos d'huile d'olive, soit un revenu d'environ 2 500 F. Une vingtaine d'oliviers assurent donc un rapport suffisant pour nourrir une large famille. D'autant que les paysans produisent leurs légumes, élèvent poulets et moutons. Sur ma commune, les Israéliens ont déraciné 1 593 vieux oliviers et 172 jeunes plants, 669 palmiers, 1 973 citronniers et orangers, 998 amandiers, 24 goyaviers et 20 vignes. Or les gens d'ici dépendent totalement de l'agriculture pour leur survie.»
Exode. A 80 ans, Abdelaziz Suleiman paraît la moitié de son âge. Altier, chenu, le regard franc et énergique. Du paysan, il a les mains solides, durcies par le manche de la houe. Le fatalisme aussi, devant des événements qui depuis trop longtemps le dépassent. Un premier exode, en 1948, l'a privé de ses terres ancestrales, champs vallonnés des collines de Pair Saba'a, aujourd'hui renommée Bersheva. Le souvenir reste vivace de la fuite devant les armées d'un Etat d'Israël en formation. «Leurs soldats sont entrés dans la ferme et nous ont dit de partir. Tout de suite. Nous avons tout laissé derrière nous et marché pendant deux semaines avant d'arriver à Gaza. Mon père y avait acheté ce lopin. Nous y avons reconstruit une maison, planté des oliviers. C'était notre seule richesse.»
Ces mêmes soldats sont revenus. Un demi-siècle plus tard. Le temps nécessaire aux arbres pour atteindre leur maturité. Privés de toit, de travail et de revenus, Abdelaziz Suleiman ne peut désormais compter que sur l'aide de ses voisins. Ils lui ont cédé un terrain sablonneux, bordé de figuiers de Barbarie, pour que les siens plantent les tentes fournies par la Croix-Rouge internationale. Les sociétés d'entraide islamiques ont apporté des couvertures, un sac de riz et de quoi faire le thé. La municipalité de Qarara a installé une citerne de fer-blanc, seule source d'eau potable pour les vingt familles déplacées de la commune.
Comme des esclaves. Dans le petit camp de fortune, les conditions d'hygiène sont épouvantables. Jamais ne cesse le harcèlement des mouches. Véritable fléau. Les femmes se voilent d'une mousseline, couvrant leur visage après chaque gorgée de thé noir. «De l'Autorité palestinienne, nous n'avons rien reçu, gronde Sadia Bayouk, de toutes façons, ce n'est pas même un Etat. Sans moyens, sans pouvoir, les Palestiniens ne peuvent rien faire. Il faut arrêter cette Intifada. A quoi servent tous ces morts ? Nous n'avons trouvé de solutions ni dans la guerre ni dans la paix. Israël est trop fort. Sans l'aide d'un grand pays étranger, nous vivrons toujours comme des esclaves.».
 
21. Financial Times (quotidien britannique) du vendredi 1er décembre 2000
Le couvre-feu vide les rues de la Vieille Ville d'Hébron
par Judy Dempsey [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
On dirait une ville abandonnée, dévastée par la guerre. Les rues sont vides, le marché fermé, les échoppes cadenassées. Le sol est maculé de taches noirâtres de suie : les restes de pneus brûlés. Les balles ont criblé des façades, fait voler en éclats des fenêtres, troué les rideaux de fer. Un silence, effrayant, règne.
Nous sommes dans la Vieille Ville d'Hébron, encore récemment un quartier très animé qui pouvait s'enorgueillir de l'un des marchés les plus fréquentés de toute la Cisjordanie. Mais ce n'est pas que la guerre aurait fait fuir les hébronites palestiniens : c'est le couvre-feu qui les contraint à se terrer chez eux.
Dès le début des neuf semaines de révolte palestinienne contre l'occupation israélienne, Israël a imposé un couvre-feu total aux 16 000 habitants de la Vieille Ville. Les autres résidents, 450 colons israéliens zélotes religieux, ne sont en butte à aucune restriction : protégés par des soldats israéliens lourdement équipés, ils peuvent aller et venir librement.
Le couvre-feu confine les Palestiniens chez eux. Ils ne peuvent ni marcher, ni se déplacer en voiture, ni acheter de la nourriture. Le souq, les boutiques et les services publics sont fermés, ainsi que les écoles. L'armée israélienne dit que le couvre-feu est levé plusieurs heures par jour, généralement le matin. Mais la semaine que nous avons passée sur place ne nous a pas permis de constater quoi que ce soit de nature à confirmer ces dires.
"Il ne s'agit pas d'une punition collective que nous infligerions aux Palestiniens", a déclaré un officiel de l'armée israélienne. "Le but est de contrôler. Nous ne voulons pas être inhumains. C'est la seule manière possible de maintenir le calme sur le terrain."
Mais, tous les jours, il y a des tirs. Des Palestiniens venus d'autres quartiers, poussés à bout par le couvre-feu, la discrimination et les privilèges des colons, donnent libre cours à leur colère dans les rues. Certains d'entre eux, armés, tirent contre les colonies avoisinantes. Les manifestants lancent des pierres aux soldats israéliens. L'armée riposte. Les morts et les funérailles supplémentaires ajoutent encore à la frustration. Et, toujours, le couvre-feu...
Cela rend la vie de Jaber Saher (38 ans) impossible. "J'essaie de me faufiler entre les charrettes de légumes pour pouvoir acheter de quoi manger, rencontrer des amis", nous raconte-t-il, entouré de six de ses enfants, pieds nus. "Les écoles sont fermées, les magasins aussi. Que puis-je faire ? demande M. Saher, qui exerce la profession de chauffeur.
Tariq, 13 ans, veut nous parler : "Je vous en prie, écoutez-moi!" implore-t-il. "Mon père ne travaille plus depuis deux mois. Ils ne le laissent pas passer pour aller à son travail. Nous avions quelques réserves, des haricots secs, des lentilles. Il ne reste presque plus rien. Nous sommes prisonniers ici."
Les pères, comme leurs enfants, désespéraient de pouvoir parler à quelqu'un. Aucun Palestinien du reste d'Hébron, ou habitant où que ce soit en dehors de la ville, n'est autorisé à pénétrer dans cette enclave. Elle est coupée du reste du monde par des soldats israéliens engoncés dans leurs gilets pare-balles et dont presque la totalité du corps disparaît dans des bunkers en béton.
L'enclave a été découpée dans le tissu urbain par les Etats-Unis et Benjamin Netanyahu, ancien premier ministre israélien, dans le cadre des accords d'Hébron signés en janvier 1997. Les Israéliens ont remis 80% de la ville (zone H1) au contrôle des Palestiniens. Le reste (zone H2), comprenant 450 colons juifs et 16 000 Palestiniens, est demeuré sous le contrôle d' Israël. 
L'accord ne faisait qu'aggraver les failles divisant cette ville historique et sainte, où Abraham aurait été enterré.
En 1929, les Arabes avaient tué 60 Juifs au cours d'un pogrome. En 1994, Baruch Goldstein, Juif américain, avait tué 29 Palestiniens en prières à la mosquée d'Abraham, durant le mois sacré du Ramadan. Certains hommes politiques israéliens pensaient qu'il était grand temps de faire évacuer les colons et d'éviter, ce faisant, un autre massacre venu d'un côté ou de l'autre. Mais le gouvernement avait refusé. Le retrait partiel de 1997 n'a fait qu'exacerber la tension.
Les Palestiniens vivant dans la zone H2 voient leur vie empoisonnée par la présence permanente de soldats israéliens et des colons. Les soldats sont là pour protéger les colons qui, jusqu'à l'instauration du couvre-feu, passaient leur temps à narguer les Palestiniens, renversant leurs étals et les empêchant d'emprunter certaines rues en voiture, et même, à pied.
"Je sais ce que les Juifs attendent de nous", nous a dit Murad Quijk. Ce cordonnier avait décidé, depuis le début de la semaine, d'ignorer le couvre-feu et de se rendu à son échoppe. Il avait laissé la porte grande ouverte. Une ampoule, nue, pendait au-dessus de son établi usé. "Ils veulent qu'on f... le camp. Ils veulent prendre le contrôle de toute la Vieille Ville. Mais je resterai."
Les Juifs habitent dans l'autre moitié de l'enclave, la plus proche du marché. (Nous avons rencontré)  Nomi Horowitz, 35 ans, mère de sept enfants : elle était en train de réviser en vue d'un examen. Son appartement, spacieux, était bien chauffé. Elle avait disposé des sacs de sable, à l'extérieur, pour protéger ses fenêtres. "C'est l'armée qui aurait dû le faire, pas nous", nous a-t-elle dit.
A notre question de savoir quels étaient ses sentiments au sujet d'un couvre-feu imposé aux seuls Palestiniens, elle nous a répondu que c'était de leur faute. "Je n'ai pas peur. Les Palestiniens ont un peu sauté les plombs. Ils savent très bien ce qu'ils devraient faire. J'espère qu'Hébron sera (bientôt) une ville juive". Et elle ajouta, pointant l'index vers le ciel : "Dieu est de mon côté."
 
22. AMIN - Arabic Media Internet Network du jeudi 30 novembre 2000
L'illusion de la paix par Mustafa Al-Barghouti [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Mustafa Al-Barghouti est Président de l'Union des Comités de Secours Médical Palestiniens - UPMRC)
D'une manière cynique et parfaitement calculée, Israël a procédé à l'escalade dans les affrontements, dans les territoires occupés, son objectif étant de tenter de masquer sa simple nature réelle d'occupant menant une guerre brutale contre un peuple presque totalement désarmé, à l'exception de très peu de gens en possession d'armes légères. 
Naturellement, il est dans l'intérêt à court terme d'Israël de présenter son agression comme une bataille entre deux camps opposés d'égale force, plutôt que pour ce qu'elle est en réalité : une répression sauvage dirigée contre la résistance d'un peuple à une occupation qui a duré bien plus longtemps que ce qu'aucun peuple ne saurait tolérer. Mais il est impossible de dissimuler la délectation visible avec laquelle les généraux israéliens savourent l'excitation de pouvoir mener leur propre guerre électronique, jeu dont ils ont été privés au moment de la guerre du Golfe, à l'écart de laquelle on leur avait enjoint de se tenir, que n'égale que leur plaisir de contempler leurs Apaches, leurs blindés et leurs vedettes high-tech bombardant des civils palestiniens sans défense, comme ce fut le cas à Gaza, à Beit Sahour et à Le-Biréh.
Pour comprendre l'ampleur de l'atrocité qu'Israël est en train de perpétrer, il suffit de noter que l'agression israélienne a tué, jusqu'à ce jour, 240 Palestiniens, en blessant environ 7 500. Si ce ratio de victimes était appliqué à un pays de la taille des Etats-Unis, par exemple, cela représenterait 20 000 morts et 690 000 blessés, en cinquante jours.
Israël, état le plus puissant de la région, a produit, de nos jours, le régime le plus belliqueux de toute son histoire. Barak est un général médaillé de l'armée israélienne, tout comme l'est aussi le leader de l'opposition, à la notoriété particulièrement sinistre d'homme assoiffé de sang, dont les massacres de Sabra et Shatila sont les témoins éloquents. La troisième formation politique, en importance, dans le pays, le Shas, est dirigée par un autre général, ancien chef d'état-major. N'était le scandale qui a coûté à Yitzhak Mordechai son maroquin, le gouvernement israélien comporterait trois anciens chefs de l'armée, en plus des dizaines de généraux qui se pressent dans les rangs de l'armée et des services de sécurité.
On ne saurait être étonné, avec un tel leadership, que l'élite politique israélienne se retrouve marginalisée, que la mentalité militariste de Barak soit prédominante, particulièrement pour ce qui relève de ses échecs répétés en tant que chef d'Etat, ni que l'extrémisme des colons puisse représenter le premier mobile des bombardements israéliens dirigés contre les civils palestiniens.
Néanmoins, toute la puissance de la machine militaire israélienne et toute la belliquosité de ses leaders ne sauraient occulter une vérité première. La solution militaire ne pourra pas venir à bout de l'intifada palestinienne car, comme l'histoire l'a montré à d'innombrables reprises, la force des armes ne peut vaincre un peuple déterminé à recouvrer ses droits à la liberté, à l'indépendance et à la dignité. Les leaders israéliens se trompent aussi, s'ils pensent que leurs bombes et leur massacre délibéré de manifestants palestiniens (98% des Palestiniens tués ont été atteints par balles dans la partie supérieure du corps) va les amener à renoncer, vaincus par la terreur.
Dans sa guerre unilatérale contre les territoires occupés, Israël a créé le précédent de première nation à mener une guerre contre un pays qu'il occupe déjà. Dans le même temps, l'agression israélienne a eu aussi pour résultat de faire voler en éclats les illusions que le processus d'Oslo cherchait à alimenter. Il est désormais plus clair que jamais auparavant que le peuple palestinien n'acceptera jamais une forme de bantoustan auto-administré comme alternative à un état palestinien indépendant, totalement souverain, établi sur la totalité de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de Jérusalem-Est.
Le temps est maintenant venu pour les Israéliens de bien se regarder dans la glace, et de scruter la réalité crue de leur Etat. Israël est une puissance occupante qui est en train d'infliger au peuple dominé bien des outrages que les Juifs eux-mêmes ont eu à subir dans d'autres parties du monde. Les Israéliens doivent maintenant se rendre compte du fait qu'aucune chirurgie esthétique, aussi massive soit-elle, ne saurait parvenir à maquiller le visage hideux de l'occupation.
Il est aussi grand temps, pour le monde, à n'en pas douter, d'admettre qu'il y a une manière simple et directe de faire régner la paix et de mettre un terme aux souffrances. C'est qu'Israël mette un terme à son occupation, qu'il retire ses forces de tous les territoires qu'il a occupés en 1967 et de donner aux Palestiniens la possibilité de fonder un état viable, indépendant et démocratique. La conscience croissante, parmi les sphères de pouvoir mondiales, du fait que les Palestinien, bien que peu nombreux, ont en mains les clés de la stabilité dans la région plaide également en ce sens. L'intifada s'est fixé un but très spécifique - la liberté et la citoyenneté - et elle ne s'achèvera pas avant que cet objectif ne soit atteint.
La seule manière viable et humaine de mettre un terme à la crise actuelle est, pour la communauté internationale, d'intervenir de manière à assurer la protection du peuple palestinien et de créer un cadre plus équitable pour le processus de paix, un cadre satisfaisant à l'impérieuse nécessité de mettre un terme à l'occupation israélienne et de mettre en application les résolutions des Nations Unies ad hoc. Retourner à la formule des négociations faillies d'Oslo-Camp David, qui ne sont pas autre chose qu'une tentative de mettre en place des accords qui ne satisfont pas aux principes reconnus par la communauté internationale, ne pourrait qu'infliger une nouvelle déconvenue à ceux-là mêmes qui y ont été trop longtemps exposés. Enfin, il n'est plus possible de substituer une illusion de paix à la paix véritable.