Point d'information Palestine > N°119 du 06/12/2000

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Signez d'urgence la pétition on line http://www.PetitionOnline.com/cvprpro/ proposée par le Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient (Français/English)
 
 
Au sommaire
 
Prochains rendez-vous
  1. TELEVISION - "1948, l'expulsion" documentaire sur Planète le vendredi 8 décembre 2000 à 9h10
  2. RADIO - "Pour un retour du dialogue israélo-palestinien" sur France Culture le samedi 9 décembre 2000 à 15h00
Exclusif
  • "Le vrai problème : le sionisme américain" par Edward Saïd [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Réseau Palestine
  1. Et si on dînait à Paris avec un criminel de guerre... Ariel Sharon à Paris le 19 décembre prochain
  2. Appel à la manifestation pour la Liberté d'Expression le samedi 9 décembre 2000 à 14 h 30 à Marseille
Revue de presse
 
 
 
  1. Le vote musulman aux Etats-Unis in Middle East News & World Report (agence d'information américaine) du mercredi 6 décembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  2. Pas de paix sans respect des droits de l'homme - Interview de Joana Oyediran, responsable du programme Moyen-Orient à Amnesty International propos recueillis par Amer Sultan in Al-Ahram Hebdo du mercredi 6 décembre 2000
  3. Le mouvement israélien La Paix maintenant demande l'évacuation des colonies de peuplement par Georges Marion in Le Monde du mercredi 6 décembre 2000
  4. Mise en garde d'un ancien chef du Shin Beth in Le Monde du mercredi 6 décembre 2000
  5. Proche-Orient : "Nous discutons avec les Israéliens" par Alexandra Schwartzbrod (à Jérusalem) et Didier François (à Gaza) in Libération du mercredi 6 decembre 2000
  6. Proche-Orient : la terre ou la paix ? par Jimmy Carter in Le Monde du mardi 5 décembre 2000
  7. L'autre résistance des Palestiniens par Agnès Gorissen in Le Soir (quotidien belge) du samedi 2 décembre 2000
  8. Des appels au boycottage des produits américains et israéliens commencent à circuler en Egypte par Alexandre Buccianti in Le Monde du samedi 2 décembre 2000
  9. Poursuite de l'intifada, élections anticipées : Les choix restreints d'Israël in Le Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 1er décembre 2000
  10. Bons offices de Russie... par René Backmann in Le Nouvel Observateur du jeudi 30 novembre 2000
  11. Qui, à l'Autorité palestinienne, va s'occuper des sirènes ? in Arabic Media Internet Network du vendredi 30 novembre 2000 par Daoud Kuttab [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  12. Histoire de famille à Gaza par Bruno Philip in Le Monde du jeudi 30 novembre 2000
  13. Israël : crise politique dans la guerre par Deborah Sontag in The New York Times (quotidien américain) du vendredi 30 novembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  14. Aspects économiques de l'intifada palestinienne par Kamal Dib in Al-Nahar (quotidien libanais) du jeudi 29 novembre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
  15. Lettre ouverte au Président Arafat par Haydar Abd al-Shafi in Arabic Media Internet Network du mercredi 28 novembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  16. Les Palestiniens face aux conséquences du blocus économique israélien par Nahid Hattir in Al-Safir (quotidien libanais) du mercredi 27 novembre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
  17. Silence des intellectuels ? par le Dr. Talal al-Sharif in Al-Quds (quotidien palestinien) du mercredi 27 novembre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
  18. Washington n'est plus persuadé que Barak use de retenue par Nitsan Horovitz in Ha'Aretz (quotidien israélien) du jeudi 23 novembre 2000 [traduit de l'hébreu par le service de presse de l'ambassade de France à Tel-Aviv]
  19. L'exposition Bonnard, assurée contre les dommages de guerre, sera inaugurée demain au Musée de Tel-Aviv par Dana Gilerman in Ha'Aretz (quotidien israélien) du jeudi 23 novembre 2000 [traduit de l'hébreu par le service de presse de l'ambassade de France à Tel-Aviv]
  20. Hébron : "Interdit de circuler" par Joyce Napier in Le Devoir (quotidien canadien) du mercredi 22 novembre 2000
  21. Attention : ces tirs à balles réelles sont interdits aux moins de douze ans ! par Amira Hass in Ha'Aretz (édition anglaise du quotidien israélien) du lundi 20 novembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
  22. Israël : la guerre est devenue routine par Alexandre Verkhovski in Russkaïa Misl (hebdomadaire russe paraissant à Paris) du jeudi 16 novembre 2000 [traduit du russe par Marcel Charbonnier]
 
Prochains rendez-vous
 
1. TELEVISION - "1948, l'expulsion" documentaire sur Planète le vendredi 8 décembre 2000 à 9h10
La chaîne cablée Planète présente le vendredi 8 décembre 2000 de 09:10 à 09:40 (30 min), "1948, l'expulsion", un documentaire inédit, réalisé en 1998 par Samir Abdallah (récit d'Elias Sanbar). >> Antoine Perraud in Télérama du 2 décembre 2000 : "En 1998, Elias Sanbar, directeur de la Revue d'études palestiniennes, raconte sa vision de cinquante ans d'antagonismes en Palestine. Avec un ton calme, il entend tisser un récit qui s'oppose à celui, « mythique et propagandiste, des vainqueurs ». Pour lui, si seulement 150 000 Palestiniens (sur 1,4 million) restèrent en Israël après la guerre de 1948, c'est parce qu'un rapport de force déséquilibré au détriment des Arabes permit une « dépossession totale », une « négation d'existence », une « démarche totalitaire d'annihilation », bref un « crime contre un peuple ». Les Palestiniens « ont dû payer pour la Shoah », affirme Sembar, et cette réparation d'une injustice se fit au prix d'une autre, dont son peuple fit les frais et qui demande elle-même réparation ; voilà le gage essentiel à toute réconciliation. En vingt-sept minutes, Elias Sembar tente de mener de front l'exposé des faits, le commentaire, la déploration et le contre-catéchisme que la Palestine entend opposer au récit dominant israélien. Sa relation, érigée en doxa, apparaît parfois confuse dans la forme et sclérosée sur le fond (le partage proposé par l'ONU en novembre 1947 et malencontreusement refusé par les Arabes est escamoté). Se sentant mandaté par son peuple vaincu et souffrant, Sembar manque du recul critique propre aux nouveaux historiens israéliens (mais n'est-il pas plus facile aux vainqueurs de catapulter les mythes ?). Sembar, encore incapable de s'affranchir de l'affranchissement et de se libérer de la libération, offre donc une vision historique controuvée par moments mais relativement rare, pour avoir moins droit de cité que la thèse israélienne. Reste finalement à espérer que l'antithèse palestinienne se rapproche de la synthèse universelle..."
 
2. RADIO - "Pour un retour du dialogue israélo-palestinien" sur France Culture le samedi 9 décembre 2000 à 15h00
Laurence Bloch présente ce samedi, sur France Culture, "Radio Libre Emission spéciale : Pour un retour du dialogue israélo-palestinien". Depuis deux mois la guerre s'est installée entre Israéliens et Palestiniens, une guerre où les victimes palestiniennes s'accumulent, où le silence s'est imposé au cœur même des militants les plus déterminés du mouvement pour la Paix maintenant, où l'instrumentalisation - par les hommes politiques fragilisés dans leur propre camp, des rancœurs et des amertumes nées d'un processus de paix jamais achevé - rivalise avec les manipulations identitaires et religieuses. La mécanique du pire semble enclenchée pour longtemps, et pourtant, l'avenir n'appartient qu'à la paix et au dialogue, à la difficile mais indispensable reconnaissance d'une double souveraineté, au respect mutuel de deux peuples qui n'ont aucune autre terre pour faire grandir leurs enfants. Si le temps d'un après-midi le dialogue pouvait être renoué entre Israéliens et Palestiniens, intellectuels et politiques, rien ne serait gagné dans l'immédiat sur le terrain mais les vertus de la parole et de la négociation retrouveraient une place, si minime soit elle face à la haine... C'est à ce dialogue que France Culture va s'employer durant cette émission spéciale. 
 

 
Exclusif "Le vrai problème : le sionisme américain" par Edward Saïd
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
 
"Le vrai problème : le sionisme américain" a été publié en trois parties dans Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien anglophone) entre le 21 septembre et le 8 novembre 2000. Edward Saïd est professeur de littérature comparée à la Columbia University. Depuis longtemps engagé dans la lutte pour la reconnaissance des droits du peuple palestinien, il a démissionné en 1991 du Conseil national palestinien. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur la littérature, la musique et la politique, dont, traduits en français, "Israël, Palestine : l'égalité ou rien" aux éditions La Fabrique (1999), "Entre guerre et paix" aux éditions Arléa (1997), "Des intellectuels et du Pouvoir" aux éditions du Seuil (1996).
 
PREMIERE PARTIE
Ceci est un premier article d'une série consacrée au rôle malcompris et mal perçu du sionisme américain dans la question de la Palestine.  De mon point de vue, le rôle des groupes et des associations sionistes, très bien organisés, aux Etats-Unis, n'a pas été suffisamment pris en considération tout au long de la période du "processus de paix", négligence que je trouve stupéfiante, étant donné que la politique palestinienne a consisté, essentiellement, à remettre notre sort entre les mains des Etats-Unis, sans aucune conscience stratégique de la manière avec laquelle la politique américaine est réellement dominée - si ce n'est entièrement contrôlée - par une petite minorité de personnes dont les opinions sur la paix au Moyen-Orient sont, à bien des égards, encore plus extrémistes que celles du Likoud israélien.
Laissez-moi donner un petit exemple. Il y a un mois, le journal israélien Ha'Aretz a envoyé un de ses éditorialistes en vue, Ari Shavit, pour plusieurs jours d'entretien avec moi ; un bon compte-rendu de cette longue conversation a été publié sous la forme d'une interview avec questions et réponses, dans le supplément au numéro du 18 août, pratiquement in extenso, et sans censure. J'ai formulé mes vues de manière parfaitement candide, en insistant davantage sur le droit au retour, sur les événements de 1948 et sur les responsabilités d'Israël dans tout ça. J'ai été (agréablement) surpris de constater que mes opinions ont été exposées exactement comme je les ai formulées, sans la moindre tentation de sensationnalisme de la part du journaliste, dont la courtoisie et l'absence d'agressivité ne s'étaient jamais démenties.
Une semaine après l'interview, vint une réponse, celle de Meron Benvenisti, ancien adjoint au maire de Jérusalem à l'époque de Teddy Kollek. Elle était outrageusement personnelle, pleine d'insultes et d'accusations scandaleuses à l'égard de ma famille et de moi-même. Mais il n'a jamais dénié qu'il existât un peuple palestinien, ou que nous ayons été expulsés (hors de la Palestine) en 1948. En substance, il disait : "nous les avons vaincus, pourquoi devrions-nous nous sentir coupables ?" La semaine suivante, je répondais à Benvenisti dans les colonnes du même journal, Ha'Aretz : là encore, aucune coupure. Je rappelais aux lecteurs israéliens que Benvenisti était responsable de la destruction (et sans doute était-il au courant du massacre de plusieurs Palestiniens) du quartier des Maghrébins (à Jérusalem : Haret al-Magharibah), en 1967, qui entraîna pour des centaines de Palestiniens la perte de leur logement, pulvérisé par les bulldozers israéliens. Mais je n'avais pas à rappeler à Benvenisti ou aux lecteurs du Ha'Aretz que nous existions en tant que peuple et que nous avions au moins le droit de débattre de notre droit au retour. C'était (pour eux) une évidence.
Deux choses. L'une, c'est que l'ensemble de cette interview n'aurait jamais pu paraître dans un journal américain, et certainement pas dans l'un quelconque des journaux des Juifs-Américains. Si ces journaux m'avaient interviewé, les questions auraient été agressives, se seraient voulues destabilisantes, insultantes, du type : "pourquoi avez-vous prêté main-forte au terrorisme, pourquoi ne voulez-vous pas reconnaître Israël, Hajj Amin (al-Huseïny, mufti de Jérusalem, NdT) n'était-il pas un nazi ?, etc..." La deuxième, c'est qu'un sioniste israélien de droite, comme Benvenisti, quelque soit la détestation qu'il puisse concevoir pour mes idées ou ma personne, ne niera jamais qu'il y ait un peuple palestinien, qui a été forcé à partir en 1948. Un américain sioniste maintiendrait, lui, longtemps, qu'il n'y a eu aucune conquête ou bien, comme Joan Peters l'a prétendu dans un ouvrage publié en 1948, aujourd'hui épuisé en librairie et pratiquement tombé dans l'oubli, intitulé "Depuis la nuit des temps" (cet ouvrage a raflé tous les prix littéraires juifs l'année de sa parution aux Etats-Unis), qu'il n'y avait pas de Palestiniens en Palestine avant 1948 (!)...
Tout Israélien admet sur-le-champ et sait parfaitement bien que l'ensemble d'Israël était autrefois la Palestine, que (chose reconnue ouvertement par Dayan en 1976) chaque ville ou chaque village israélien portait autrefois un nom arabe. Et Benvenisti dit ouvertement : ""nous" avons vaincu (et conquis)", alors quoi ? Pourquoi nous sentir coupables d'avoir vaincu ?" Le discours sioniste américain n'est jamais aussi direct et honnête : il faut toujours qu'il tourne autour du pot, qu'il fasse fleurir le désert, qu'il vante la démocratie israélienne, etc... en occultant totalement les faits, essentiels, survenus en 1948, que pratiquement tout Israélien a vécu en direct. Pour les Américains, il s'agit presque d'imaginations, de mythes, non de réalités. Les partisans américains d'Israël sont si loin de la réalité, tellement pris dans les contradictions de la culpabilité de la diaspora (en effet, que signifie être sioniste et ne pas émigrer en Israël ?) et dans leur triomphalisme de minorité la plus parvenue et la plus puissante des USA, que ce qui (en) émerge est le plus souvent une mixture effrayante de violence perverse à l'encontre des Arabes, une peur et une haine profondes envers eux, qui résulte de leur absence totale de contacts avec eux, à la différence de ce qui se passe pour les Juifs israéliens.
Ainsi, pour le sioniste américain, les Arabes ne sont pas des êtres vivants, mais des incarnations de tout ce qui peut être démonisé et méprisé, plus spécialement : le terrorisme et l'antisémitisme. J'ai reçu, dernièrement, une lettre d'un de mes anciens étudiants, quelqu'un qui a bénéficié de la meilleure éducation possible aux Etats-Unis : il peut, malgré ça, avoir le culot de me demander, en toute honnêteté et courtoisie, pourquoi, en tant que Palestinien, est-ce que je laisse un nazi comme Hajji Amin (Al-Huseïni) déterminer mon programme politique ? "Avant Hajj Amin", argue-t-il, "Jérusalem n'avait aucune importance, pour les Arabes. Mais il était tellement diabolique qu'il en a fait un problème important pour les Arabes, juste pour frustrer les aspirations sionistes, qui ont toujours tenu Jérusalem pour quelque chose de capital". Ce n'est pas le raisonnement de quiconque a vécu avec les Arabes et sait un tout petit peu de choses concrètes à leur sujet. C'est le discours d'une personne qui produit un discours construit et qui est animé d'une idéologie qui considère les Arabes seulement d'un point de vue négatif, comme la personnification de passions antisémites violentes. Et qui, en conséquence, doivent être combattus et si possible éliminés. Ce ne pas un fruit du hasard si le Dr Baruch Goldstein, meurtrier monstrueux de 29 Palestiniens qui priaient paisiblement à la mosquée d'Hébron, était américain, tout comme l'était le rabbin Meir Kahane. Bien loin d'être des aberrations qui auraient placé leurs partisans dans l'embarras, Kahane et Goldstein sont révérés, de nos jours, par des gens de la même trempe. Beaucoup des colons d'extrême droite les plus zélés, installés sur des terres palestiniennes, qui parlent sans aucun remords de la "Terre d'Israël", comme leur appartenant, qui haïssent et ignorent les propriétaires et les résidents palestiniens qui les entourent, sont eux aussi américains. Les voir arpenter les rues d'Hébron comme si la ville arabe était entièrement à eux est un spectacle qui fait froid dans le dos, dont l'aspect effrayant est encore aggravé par la méfiance et l'agressivité dont ils font montre en permanence envers la majorité arabe.
Je donne ici tous ces éléments de manière à illustrer un point essentiel. Lorsque, après la guerre du Golfe, l'OLP a pris la décision stratégique - déjà prise avant elle par deux pays arabes de majeure importance - de travailler avec le gouvernement américain et, si possible, avec le puissant lobby qui contrôle tout examen de la politique américaine au Moyen-Orient, elle a pris cette décision (comme les deux états arabes qui l'avaient devancée) sur la base d'une profonde ignorance et de suppositions extraordinairement erronées. L'idée, telle que me l'a résumée un diplomate arabe de haut rang peu après 1967, était de se rendre, carrément, et de dire : "nous n'allons pas continuer à nous battre. Nous sommes désireux désormais d'accepter Israël et d'accepter, aussi, le rôle prépondérant des Américains dans notre futur". Il n'y avait aucune raison objective d'adopter une telle position, à l'époque - comme c'est aujourd'hui le cas : la continuation de la lutte par les Arabes, comme ils l'avaient pratiquée historiquement, n'était pas appelée inéluctablement à déboucher sur des défaites ou - a fortiori, un désastre - ultérieures. Mais je suis convaincu que remettre la politique des Arabes entre les mains des Etats-Unis, ce qui revient à dire : entre les mains des principales organisations sionistes, étant donné leur influence dans tous les secteurs aux Etats-Unis, a représenté une faute politique. Cela revenait à leur dire : "nous ne vous combattrons plus, à l'avenir, laissez-nous vous rejoindre... Mais, s'il vous plaît, traitez-nous convenablement". Ce qui était alors espéré, c'était qu'en faisant des concessions et en disant que nous n'étions plus leur ennemi, nous deviendrons leurs amis, nous les Arabes...
Le problème réside dans la disparité de puissance (entre les deux camps) qui n'a absolument pas été réduite. Du point de vue du puissant, quelle différence cela peut-il bien faire si votre faible adversaire met les pouces et dit qu'il n'a plus rien à gagner à l'avenir par la lutte, qu'il vous demande de l'adopter, qu'il veut être votre allié : "essaie juste de me comprendre un peu, et alors, peut-être seras-tu plus juste ?". Une bonne façon de répondre à cette question de manière concrète et pratique, c'est de regarder la manière dont les choses ont tourné dans la compétition pour les sénatoriales à New York, où Hillary Clinton est opposée au Républicain Ric Lazio pour le fauteuil occupé actuellement par Daniel Patrick Monihan (Démocrate), qui prend sa retraite. L'année dernière, Hillary a déclaré qu'elle était en faveur de l'établissement d'un Etat palestinien. Au cours d'une visite non-officielle à Gaza, avec son président de mari, elle a embrassé Soha Arafat. Mais depuis l'ouverture de sa campagne pour les sénatoriales à New York elle bat même les plus extrémistes des sionistes de droite dans sa dévotion totale à Israël et son opposition farouche aux Palestiniens, au point de se déclarer en faveur du transfert de l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem et (ce qui est pire) en réclamant la clémence pour Jonathan Pollard, un espion israélien accusé d'espionnage contre les Etats-Unis, et condamné à la prison à vie. Les candidats républicains opposés à Hillary Clinton ont tenté de l'embarrasser en la dépeignant comme une "philarabe" et en diffusant une photographie où on la voit embrassant Soha Arafat. New York étant la citadelle du pouvoir sioniste, attaquer quelqu'un en lui accolant les qualificatifs de "pro-arabe" ou d' "amie de Soha Arafat" équivaut à la pire des insultes. Tout cela, en dépit du fait qu'Arafat et l'OLP sont déclarés ouvertement alliés des Etats-Unis, qu'ils reçoivent des aides américaines tant militaire que financière, et qu'ils bénéficient des conseils de la CIA sur le plan de la sécurité. Pendant ce temps, la Maison Blanche faisait diffuser une photographie de Lazio et Arafat se serrant les mains, vieille de deux ans. Clairement, on répondait "coup contre coup"...
La réalité, c'est que le discours sioniste est un discours vecteur de pouvoir, et que les Arabes, dans ce discours, sont les objets de ce pouvoir. Les objets méprisés, est-il besoin de le préciser. Ayant remis leur sort entre les mains de ce pouvoir en tant que ses anciens opposants désormais soumis, comment (les Arabes) peuvent-ils imaginer se trouver sur un pied d'égalité avec lui ? De là, le spectacle dégradant et insultant d'Arafat (depuis toujours et pour toujours symbole de l'ennemi dans la mentalité sioniste) utilisé (comme pièce compromettante) dans un duel tout ce qu'il y a de plus local, aux Etats-Unis, entre deux candidats qui sont rentrés dans une surenchère afin de démontrer lequel des deux est plus pro-israélien que l'autre. Notons, d'ailleurs, qu'Hillary Clinton, pas plus que Ric Lazio, ne sont juifs.
Dans mon prochain article, j'examinerai comment la seule stratégie politique possible, pour les politiques arabe et palestinienne aux Etats-Unis, ne consiste ni en un pacte avec les sionistes ici (aux Etats-Unis), ni avec la politique américaine elle-même, mais bien en une campagne massive et mobilisée, en direction de la population américaine, pour le respect des droits humains, civils et politiques des Palestiniens. Tous les autres arrangements, qu'il s'agisse d'Oslo ou de Camp David, sont voués à l'échec tout simplement parce que le discours officiel est entièrement dominé par le sionisme et qu'il n'y existe aucune alternative, à quelques exceptions individuelles près. Par conséquent, tous les accords de paix conclus sur la base d'une alliance avec les Etats-Unis représentent des (signatures d') alliances qui ne font que renforcer le pouvoir sioniste, bien loin de le contrer. Se soumettre bien bas à une politique moyen-orientale contrôlée par les sionistes, comme les Arabes le font désormais depuis presque une génération, n'apportera jamais ni la stabilité sur place, ni l'égalité et la justice aux Etats-Unis.
Toutefois, l'ironie veut qu'une large couche de l'opinion publique américaine soit prête à se montrer critique tant envers Israël qu'envers la politique étrangère américaine. La tragédie, c'est que les Arabes sont trop faibles, trop divisés, trop désorganisés et trop ignorants pour tirer avantage de cette réalité. J'en examinerai les raisons dans mon prochain article, poussé que je suis par l'espoir que nous pouvons tenter d'atteindre une nouvelle génération qui pourrait s'avérer à la fois étonnée et révulsée par la place misérable, dénigrée à laquelle notre peuple et notre culture sont aujourd'hui relégués, et le sentiment constant de perte suscitant à la fois indignation et humiliation que nous en concevons tous.
 
SECONDE PARTIE
Je dois vous relater un petit incident, qui s'est produit, depuis mon premier article, il y a quinze jours de cela. Martin Indyk, ambassadeur des Etats-Unis en Israël (pour la deuxième fois sous l'administration Clinton), a été brutalement déchu de son agrément de sécurité diplomatique par le Département d'Etat (Affaires Etrangères, aux Etats-Unis, NdT). Le prétexte invoqué étant qu'il aurait utilisé son ordinateur portable (son "sur les genoux", "laptop", comme on dit outre-atlantique, NdT), sans utiliser les mesures de sécurité en vigueur et que, de ce fait, il aurait pu révéler des informations secrètes ou livrer des informations semi-secrètes à des personnes non-habilitées... Résultat : il ne peut plus ni entrer au Département d'Etat, ni en sortir, sans être escorté. Il ne peut pas non plus demeurer en Israël et il doit même, aux dernières nouvelles, subir un interrogatoire poussé.
Peut-être ne saurons-nous jamais ce qui s'est réellement passé. Mais ce qui est public, et n'en a pas moins été totalement occulté par les médias, c'est le scandale que représente la nomination-même de cet Indyk. A la veille de l'intronisation de Clinton, en janvier 1993, on a annoncé que Martin Indyk, né à Londres et citoyen australien, venait d'être naturalisé américain à la demande expresse du président nouvellement élu, mais non encore en charge. Les procédures habituelles n'ont pas été respectées : il s'agissait d'un "abus de pouvoir légal" de l'exécutif, si bien qu'Indyk, à peine naturalisé citoyen américain, put devenir immédiatement membre du personnel du Conseil de Sécurité Nationale, en charge... du Moyen-Orient. Ca, c'était un vrai scandale, pour moi, et non pas ce qui a pu lui arriver par la suite du fait de son je-m'en-foutisme ou de son indiscrétion, ou même de sa complicité dans l'ignorance des codes de conduite officiels. Car, avant de parvenir au coeur-même du gouvernement américain, à un poste suprême et largement couvert par le secret, Indyk était le directeur de l'Institut Washington pour la politique au Moyen-Orient, un "réservoir à idées" (thinktank) pseudo-intellectuel dévoué à la propagande active en faveur d'Israël. Il y a assuré la coordination des travaux avec l'AIPAC (Comité des Affaires Publiques Américano-Israéliennes), le lobby le plus influent - et aussi le plus craint - à Washington. Il convient de noter qu'avant de rentrer dans l'administration Bush, Dennis Ross, consultant au Département d'Etat qui a piloté le "processus de paix" américain, était aussi à l'époque le directeur de l'Institut Washington, si bien que les ponts entre le lobbying israélien et la politique extérieure américaine au Moyen-Orient étaient très bien ancrés, et - osons le mot - très fréquentés.
Si l'AIPAC a été aussi puissant, durant des années, ce n'est pas seulement à cause du fait qu'il repose sur une population juive bien organisée, ayant beaucoup de relations, très en vue, ayant beaucoup de réussite, et très riche, mais parce qu'il ne s'est heurté, dans une grande mesure, qu'à une résistance fort réduite. L'AIPAC inspire, dans tout le pays, une crainte salutaire et un respect circonspect, mais c'est encore plus vrai à Washington, où en quelques heures, pratiquement la quasi-totalité du Sénat peut recevoir l'injonction de signer une lettre au Président, en faveur d'Israël (et y obtempérer). Qui pourrait se permettre de résister à l'AIPAC sans crainte de voir briser sa carrière au Sénat, ou a fortiori s'y opposer en invoquant, disons, la cause palestinienne, alors que rien de concret ne saurait être offert en compensation de la défense de cette cause à quiconque oserait défier (cette organisation) ? Par le passé, un ou deux sénateurs ont tenu tête ouvertement à l'AIPAC, mais peu après, leur réélection a été bloquée par les principaux comités d'action politique contrôlés par l'AIPAC, et voilà : aussi simple que cela... Le seul sénateur qui ait adopté ce qui ressemble de loin à une sorte de position opposée à l'AIPAC a été un certain James Abu Rezk, mais il ne désirait pas être réélu et a présenté sa démission, en invoquant des raisons personnelles, après la fin de son unique mandat de six ans.
Aux Etats-Unis, il n'y a pas un seul commentateur politique qui soit ouvertement et clairement opposé à Israël. Quelques éditorialistes libéraux, comme Anthony Lewis, du New York Times écrivent de temps en temps une critique des pratiques israéliennes en matière d'occupation, mais rien n'est jamais dit au sujet de 1948 et de l'ensemble du problème de la dépossession originelle des Palestiniens, qui se trouve (pourtant) à la racine de l'existence-même d'Israël et de son attitude depuis sa fondation. Dans un article publié récemment, un ancien haut-fonctionnaire du Département d'Etat, Henry Pracht, a relevé que l'unanimité écrasante de l'opinion publique dans tous les secteurs des médias américains, cinéma, télévision, radio, journaux, hebdomadaires, mensuels, trimestriels et quotidiens : tout le monde, peu ou prou, suit la ligne officielle israélienne, qui est devenue aussi la ligne officielle américaine. Telle est l'identification à laquelle est parvenu le sionisme américain au cours des années écoulées depuis 1967, et qui est exploitée dans la plupart des discours publics relatifs au Moyen-Orient. Ainsi, politique américaine = politique israélienne, excepté pour de trop rares occasions (par exemple, le procès Pollard), lorsqu'Israël dépasse les bornes et présume qu'il a le droit de se servir (dans la bonbonnière) sans demander la permission.
La critique des pratiques israéliennes est, ainsi, strictement limitée à des "sorties" occasionnelles qui sont si rares qu'elles en sont pratiquement littéralement invisibles. Le consensus général est quasi-invincible et tellement puissant qu'il peut être imposé partout en restant dans les limites du consensus socialement admis ("mainstream"= le "lit principal du fleuve"). Ce consensus est fait de vérités inattaquables concernant le fait qu'Israël est une démocratie, ses vertus fondamentales, la modernité et le caractère raisonnable de sa population et de ses politiques. Le rabbin Arthur Hertzberg, un religieux américain libéral respecté, a dit un jour que le sionisme était "la religion séculaire de la communauté juive américaine"... Ceci est confirmé, visiblement, par plusieurs organisations américaines dont le rôle est de réprimer les tendances du public à commettre des infractions, même si de nombreuses autres associations juives animent des hôpitaux, des musées, des centres de recherche pour le bien du pays tout entier. Cette dualité ressemble à un paradoxe insolvable dans lequel des initiatives publiques parmi les plus louables coexistent avec les plus mesquines et les plus inhumaines. Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple récent, l'Organisation sioniste américaine (ZOA : Zionist Organisation of America), groupe de zélotes peu nombreux mais forts en gueule, a payé un encart publicitaire dans le New York Times du 10 septembre dernier, s'adressant à Ehud Barak comme s'il se fût agi d'un homme-à-tout-faire des Juifs américains, lui rappelant que les six millions qu'ils représentent dépassent de loin les cinq millions d'Israéliens, qui ont osé, pourtant, prendre l'initiative d'ouvrir des négociations sur Jérusalem... Le communiqué n'était pas seulement sur le ton de l'avertissement, mais presque de la menace, disant en substance que le premier ministre d'Israël avait décidé non-démocratiquement d'entreprendre ce qui était inconcevable ("anathema"), pour les Juifs américains, et que ces derniers étaient extrêmement fâchés par son comportement. On ne sait pas très clairement qui a mandaté cette petite troupe de zélotes teigneux pour faire la leçon au premier ministre d'Israël sur un tel ton, mais l'Organisation sioniste américaine ZOA se sent le droit d'interférer dans les affaires de n'importe qui. Ils écrivent fréquemment (c'est presque devenu une routine) au président de mon université pour lui demander de me licencier ou de me censurer pour un propos que j'ai tenu, comme si les universités étaient des sortes de jardins d'enfants et comme si les professeurs devaient être réprimandés comme des mineurs délinquants. L'année dernière, ils ont monté une campagne pour que je sois viré de mon poste électif en tant que président de l'Association pour les Langues Modernes, dont les 30 000 membres ont été chapitrés comme autant de demeurés. C'est digne du stalinisme le plus préhistorique, mais c'est typique du sionisme américain organisé dans ses pompes et ses oeuvres.
De même, au cours des derniers mois, divers écrivains et éditeurs juifs de droite (par exemple, Norman Podhoretz, Charles Krauthammer et William Kristol, pour ne mentionner que quelques-uns des propagandistes les plus persifleurs) ont critiqué Israël essentiellement parce que sa politique leur déplaisait, comme s'ils avaient plus de titres que quiconque d'autre à le faire. Leur ton, dans ces articles, et dans d'autres, était effrayant : une mixture peu appétissante d'arrogance éhontée, de prêche morale, et de la forme la plus rébarbative d'hypocrisie, le tout avec un air de totale confiance en soi. Ils supposent qu'avec le soutien des organisations sionistes, qui appuient et encouragent leurs débordements répréhensibles, ils peuvent persévérer dans leurs excès verbaux ahurissants, mais c'est surtout parce que la plupart des Américains sont totalement béotiens dans les problèmes qu'ils abordent ou bien parce qu'ils sont réduits au silence que ces gens peuvent continuer à proférer leurs insanités, dont la plupart ont peu à voir avec les développements réels de la situation politique moyen-orientale. La plupart des Israéliens modérés les considèrent avec dégoût.
Le sionisme américain a désormais atteint un niveau de pure fantasme dans lequel ce qui est bon pour les sionistes américains dans leur apanage et dans leur discours en grande partie complètement déconnecté des réalités, est bon pour l'Amérique et pour Israël, et bon aussi, en toute certitude, pour les Arabes, les Musulmans et les Palestiniens, qui semblent bien n'être guère plus qu'un ramassis de gêneurs négligeables. Quiconque défie ou ose les contester (particulièrement s'il s'agit d'un (ou d'une) Arabe ou Juif (ve) antisioniste) devient l'objet des formes les plus grossières d'agression verbale et de vitupération, toutes plus personnelles, racistes et idéologiques les unes que les autres. Ils sont acharnés, totalement dépourvus de générosité ou de compréhension authentiquement humaine. Dire que leurs diatribes et analyses adoptent un style "vétérotestamentaire", ce serait blasphémer en insultant l'Ancien Testament.
En d'autres termes, une alliance avec eux, telle celle que les Etats arabes et l'OLP ont essayé de mettre sur pied depuis la guerre du Golfe, dénote une ignorance des plus invétérées. Ils sont opposés, de manière viscérale, à tout ce que les Arabes, les Musulmans, et tout particulièrement, les Palestiniens défendent, et ils attendent la meilleure occasion - la première - pour tout faire sauter, plutôt que faire la paix avec eux. Toutefois, il est vrai aussi que la plupart des citoyens ordinaires sont souvent stupéfaits de constater la violence de leur discours, mais ils n'ont pas réellement conscience de ce qu'il y a derrière elle. Lorsque vous parlez avec des Américains qui ne sont ni Juifs, ni Arabes, et qui ne savent rien du Moyen-Orient, vous trouvez chez eux, le plus souvent, une interrogation et une certaine exaspération devant les tartarinades constantes (de ces sionistes extrémistes), comme si l'ensemble du Moyen-Orient était à eux et qu'ils n'avaient qu'à tendre le bras pour s'en emparer. J'en ai déduit que le sionisme, aux Etats-Unis, est non seulement un fantasme construit sur des fondations on ne peut plus branlantes, mais qu'il est impossible de conclure avec lui une quelconque alliance ou d'en attendre de quelconques échanges rationnels. Mais aussi qu'il peut être disqualifié et vaincu.
Je n'ai pas cessé, depuis le milieu des années quatre-vingt, de proposer à la direction de l'OLP et à tout Palestinien ou tout Arabe que j'ai pu rencontrer l'idée que la tentative de l'OLP d'attirer l'attention du président (Clinton, NdT) était totalement illusoire, étant donné que tous les présidents (américains) récents se sont avérés être des sionistes zélés, et que la seule manière d'amener un changement de la politique américaine et de pouvoir réaliser l'autodétermination (palestinienne), c'était d'avoir recours à une large campagne de mobilisation en faveur des droits humains des Palestiniens, campagne qui aurait pour effet de gagner du terrain sur le monopole actuel des sionistes et d'atteindre l'opinion publique américaine. Non-informés, et cependant ouverts à des appels à la justice comme ils le sont, les Américains auraient réagi comme ils l'ont fait pour la campagne de l'ANC contre l'apartheid, qui a fini par aboutir au changement de l'équilibre des forces à l'intérieur même de l'Afrique du Sud. Pour être honnête, je dois mentionner que James Zoghby, alors activiste énergique des droits de l'homme (avant qu'il ne se jette entre les bras d'Arafat, du Gouvernement américain et du Parti démocrate), a été l'un des initiateurs de cette idée. Le fait qu'il l'ait complètement abandonnée indique bien plus à quel point James a changé qu'il ne signifie que cette idée elle-même serait dépassée.
Mais il est également devenu très clair pour moi que l'OLP ne le fera jamais, pour plusieurs raisons. Cela lui demanderait du travail et du dévouement. Cela reviendrait aussi à épouser une philosophie politique qui serait celle d'une organisation réellement démocratique. Ensuite, cela devrait relever d'un mouvement, beaucoup plus que d'une initiative personnelle attribuable au leader actuel. Enfin, cela demanderait une connaissance réelle - et non une connaissance superficielle - de la société américaine. S'ajoute à cela le fait que j'avais acquis la conviction que la mentalité traditionnelle qui n'a jamais cessé de nous maintenir dans une mauvaise position serait très difficile à changer, et le temps m'a, hélas, donné raison. Les accords d'Oslo ont été beaucoup plus l'acceptation dépourvue de toute perspective par les Palestiniens de la suprématie israélo-américaine plus qu'une tentative d'y porter remède.
En tous les cas, toute alliance ou tout compromis avec Israël dans les circonstances actuelles, avec une politique américaine totalement dominée par le sionisme américain, serait promis(e) en gros aux mêmes résultats pour les Arabes, en général et les Palestiniens, en particulier. Israël doit dominer, les préoccupations d'Israël sont premières, l'injustice systémique d'Israël se poursuivra. A moins que l'on ne s'occupe du sionisme américain et qu'on ne le force à changer - ce qui n'est pas si difficile que cela en a l'air, comme j'essaierai de le démontrer dans mon prochain article - les résultats seront les mêmes : déconvenue et discrédit pour nous, les Arabes.
 
 
TROISIEME PARTIE
Les événements de ces quatre dernières semaines, en Palestine, ont été un triomphe quasi-total pour les sionisme, aux Etats-Unis, pour la première fois depuis la ré-émergence moderne du mouvement national palestinien à la fin des années soixante. Les discours, tant politique que public, ont à tel point fait d'Israël la victime des affrontements actuels qu'en dépit du fait que 140 Palestiniens aient perdu la vie (à la date de l'article NdT) et que 5 000 blessés graves palestiniens aient été recensés, c'est en permanence d'une fable intitulée "violence palestinienne" qui aurait interrompu le cours tranquille et régulier du "processus de paix" qu'il est question.
Nous sommes désormais en présence d'une petite litanie de phrases que tout éditorialiste soit répète "verbatim" (telles quelles), soit prend pour argent comptant : ces phrases-slogans ont été gravées dans les tympans, les esprits et les mémoires en guise de guide pour les égarés, de manuel ou de machine à dupliquer des phrases qui encombrent l'atmosphère depuis au moins un mois maintenant. Je pourrais citer la plupart de ces phrases par coeur : Barak a offert plus de concessions à Camp David qu'aucun premier ministre israélien ne l'avait jamais fait (90 % des territoires et souveraineté partielle sur Jérusalem-Est) ; Arafat s'est montré lâche, il lui a manqué le courage nécessaire pour accepter les offres d'Israël permettant de mettre un terme au conflit ; la violence palestinienne, orchestrée par Arafat, a menacé Israël (toutes sortes de variantes pour cette dernière assertion, allant du désir d'éliminer Israël de la carte, l'antisémitisme, une rage suicidaire motivée par le désir de passer à la télévision, en mettant les enfants en première ligne afin que ce soient eux qui deviennent des martyrs  (!), prouvant qu'une vieille "haine" des Juifs est le vrai mobile des Palestiniens ; Arafat est un leader déconsidéré, qui laisse son peuple attaquer les Juifs et qui les incite même à le faire en libérant des terroristes (emprisonnés) et en laissant publier des livres scolaires qui dénient à Israël le droit à l'existence...
J'oublie certainement une ou deux formules, mais l'image générale est qu'Israël est à tel point cerné de barbares lanceurs de pierres que même les missiles, les tanks et les mitrailleuses héliportées qui ont été utilisés par les Israéliens de manière à "résister" à la violence (palestinienne) réussissent à grand-peine à contenir une force terrifiante. Les injonctions de Bill Clinton (rabâchées consciencieusement, tel un perroquet, par sa Secrétaire d'Etat (Madeleine Albright, NdT)) aux Palestiniens de "se retirer" poussent le bouchon un peu loin dans la suggestion que ce serait les Palestiniens qui empiéteraient sur le territoire israélien, et non le contraire...
Il faut aussi noter que la sionisation des médias a été si efficace qu'aucune carte n'a été publiée ou montrée à la télévision qui aurait pu rappeler aux téléspectateurs ou aux lecteurs américains - dont l'ignorance tant en géographie qu'en histoire est notoire - que les colonies, les implantations, les routes et les barrages israéliens zèbrent littéralement le territoire palestinien, à Gaza comme en Cisjordanie. Plus, comme cela avait déjà été le cas, à Beyrouth, en 1982, les Palestiniens sont soumis à un véritable siège israélien, y compris Arafat et ses hommes. Complètement oublié aussi - encore eût-il fallu qu'il ait été compris - le système des zones A, B et C qui permet à l'occupation militaire de 40 % de la superficie de la bande de Gaza et à 60 % de celle de la Cisjordanie de se perpétuer, occupation à laquelle les accords d'Oslo n'avaient jamais envisagé de mettre un terme, ils n'envisageaient d'ailleurs même pas de lui apporter une quelconque modification.
Comme l'absence de toute référence géographique dans ce conflit de nature essentiellement géographique le laisse prévoir, le vide résultant est un élément fondamental dès lors que les images qui sont montrées ou décrites (par les médias) le sont en l'absence de tout contexte. Je pense que l'omission de tout contexte géographique par les médias sionisés était délibérée, à l'origine, et qu'elle est désormais devenue systématique. Ceci a permis à des commentateurs-maison, tels que Thomas Friedman, de passer en contrebande ses câbles d'une manière éhontée, en se répandant sur l'équité américaine, la souplesse et la générosité israéliennes, et son propre pragmatisme personnel, grâce auquel il descend en flammes les leaders arabes et assomme ses lecteurs qui bâillent d'ennui. Ceci a pour effet, non seulement de permettre à la notion complètement ahurissante de l'agression palestinienne contre Israël de prévaloir, mais aussi de déshumaniser encore un peu plus les Palestiniens, d'en faire des bêtes sans conscience, agissant sans raison. Aussi ne faut-il pas être étonné, lorsque les chiffres des morts  et des blessés sont cités, si on ne précise pas de nationalités : ceci laisse entendre aux Américains que les souffrances sont divisées à parts égales entre les "belligérants", ce qui a pour effet d'augmenter la souffrance des Juifs et de diminuer d'autant, voire d'éliminer complètement les sentiments des Arabes, sauf, évidemment, leur rage. La rage et ses dérivés restent ainsi les seules émotions palestiniennes, elles en deviennent même, pour le coup, la caractéristique. Ceci explique la violence, et véritablement, la réifie, si bien qu'Israël en arrive à représenter un Etat normal, démocratique, à jamais cerné par la rage et la violence. Aucun autre processus ne saurait expliquer logiquement la confrontation opposant des lanceurs de pierres à la vaillante "défense" israélienne.
Pas un mot sur les démolitions de maisons, les expropriations de terres, les arrestations illégales, la torture, etc... Rien n'est cité au sujet de ce qui est (à l'exception de l'occupation  de la Corée par les Japonais) la plus longue occupation militaire de l'histoire moderne, rien non plus au sujet des résolutions de l'ONU, rien sur les souffrance d'un peuple entier et la dureté d'un autre. Oubliés la catastrophe de 1948, le nettoyage ethnique et ses massacres, la dévastation de Qibya, de Kafr Qassem, de Sabra et Shatila, les longues années de gouvernement militaire imposé aux citoyens non-juifs, pour ne rien dire de leur oppression continuelle en tant que minorité persécutée de 20% de la population de l'Etat juif. Ariel Sharon, dans le meilleur des cas, est un provocateur, et non un criminel de guerre. Ehud Barak est un homme d'état, jamais le bourreau de Beyrouth. Le terrorisme est toujours inscrit au crédit des Palestiniens, et l'auto-défense à celui d'Israël, dans une sorte de grand livre de comptabilité.
Ce que Friedman et les "peaceniks" pro-israéliens se gardent de mentionner, lorsqu'ils célèbrent la générosité inouïe de Barak, c'est sa réelle substance. On se garde de nous rappeler que son engagement à un troisième retrait (d'environ 12% des territoires), à Wye Plantation, il y a 18 mois, n'a jamais été honoré. Quelle valeur pourraient donc avoir de telles "concessions" ? On nous dit que Barak envisageait de rendre 90% des territoires occupés. Ce qu'on ne nous dit pas, en revanche, c'est qu'il s'agit de 90% des territoires extérieurs à ce qu'Israël n'a aucune intention de rendre. Le grand Jérusalem représente plus de 30 % de la Cisjordanie ; de vastes colonies promises à l'annexion représentent 15 % supplémentaires ; les routes militaires occupent une superficie qui reste encore à déterminer. Ainsi, une fois tout ceci déduit, 90 % du restant ne représentent pas grand-chose.
Ainsi, pour Jérusalem : la concession israélienne était essentiellement de consentir à ouvrir des discussions et peut-être - peut-être, seulement - d'offrir une autorité conjointe sur l'esplanade des Mosquées (Al-Haram al-Sharif). La malhonnêteté, qui coupe le souffle, là-dedans, c'est que la totalité de Jérusalem-Ouest (principalement arabe, en 1948) avait déjà été concédée par Arafat, plus la majorité de Jérusalem-Est, qui a connu une expansion urbaine énorme. Encore un détail : les tirs palestiniens, avec des armes légères, contre Gilo sont généralement présentés comme de la violence gratuite, alors que personne ne rappelle que Gilo est lui-même un quartier installé sur des terres confisquées au quartier de Beit Jala, d'où proviennent les tirs mentionnés. De plus, Beit Jala a subi un bombardement complètement disproportionné, infligé par des hélicoptères israéliens utilisant des missiles pour détruire des maisons d'habitation.
J'ai procédé à un suivi des principaux journaux. Continûment, depuis le 28 septembre, le New York Times, le Washington Post, le Wall Street Journal, le Los Angeles Times et le Boston Globe ont comporté quotidiennement, en moyenne, trois tribunes libres. A l'exception, peut-être, de deux ou trois articles écrits d'un point de vue pro-palestinien dans le Los Angeles Times, de deux autres (l'un, écrit par une juriste israélienne, Alegra Pacheco, l'autre par un journaliste libéral jordanien pro-Oslo, Rami Khoury), dans le New York Times, tous les articles - (en y incluant ceux écrits par des éditorialistes réguliers comme Friedman, William Safire, Charles Krauthammer et assimilés), ont été favorables à Israël, au processus de paix sponsorisé par les Etats-Unis, et à l'idée que la violence palestinienne, le manque de coopération d'Arafat, le fondamentalisme islamique étaient les coupables. Les auteurs (de ces articles) étaient d'anciens militaires américains, des officiels civils, des apologistes et des officiels d'Israël, des experts et autres spécialistes de "réservoirs à idées" (think tanks) des officiels de lobbies et d'organisations pro-israéliens. Autrement dit, la couverture du consensus admis (mainstream) a été réalisée en supposant qu'aucune position palestinienne, arabe, ou islamique sur des sujets tels que les tactiques de terreur employées par Israël à l'encontre des civils, le colonialisme de peuplement ou l'occupation militaire, n'existait ou ne méritait d'être entendue. Ceci est sans précédent dans les annales de l'histoire du journalisme aux Etats-Unis, et reflète bien une mentalité sioniste qui fait d'Israël la norme en matière de comportement humain, et qui, par conséquent, élimine d'une telle catégorisation l'existence de 300 millions d'Arabes et de 1,2 milliards de Musulmans. A long terme, il s'agit pour les Sionistes d'une position suicidaire, mais l'arrogance que leur donne leur position de pouvoir semble faire que cette idée n'a apparemment encore effleuré personne.
La mentalité que je viens de décrire est réellement renversante et l'on pourrait, s'il ne s'agissait tout simplement d'une distorsion pratique aussi bien que réelle de la réalité, évoquer aisément une forme particulière de dérangement mental. Mais elle correspond très exactement à la politique israélienne officielle, qui consiste à ne pas considérer les Palestiniens comme un peuple ayant une histoire de dépossession dont Israël est, dans une large mesure, directement responsable, mais comme une nuisance périodique contre laquelle la force, et surtout pas la compréhension ni un réel compromis, est la seule réponse possible. Quoi que ce soit d'autre serait littéralement impensable. Cette cécité étonnante est aggravée, aux Etats-Unis, par le fait que ni les Arabes, ni les Musulmans ne font l'objet d'une grande curiosité, sauf en tant que têtes de Turcs pour tout aspirant-politicien (comme je l'ai indiqué dans un précédent article).  Il y a quelques jours de cela, Hillary Clinton a annoncé, dans un mise en scène d'une hypocrisie des plus abjectes, qu'elle allait rendre 50 000 dollars de dons reçus d'une association de Musulmans américains parce que, a-t-elle déclaré, ils encourageaient le terrorisme : il s'agit-là, bien sûr, d'un mensonge éhonté, le groupe en cause ayant seulement déclaré qu'il soutenait la résistance des Palestiniens face à Israël dans la crise actuelle, ce qui ne représente pas, en soi, une position malencontreuse, mais ce qui est criminalisé, dans le système américain uniquement parce qu'un sionisme totalitaire exige que toute critique - je dis bien : toute - de ce qu'Israël fait est tout bonnement intolérable et considéré comme de l'antisémitisme à l'état pur. Et cela, malgré le fait que (là encore, littéralement) le monde entier a critiqué les politiques israéliennes d'occupation militaire, de violence disproportionnée, d'état de siège imposé aux Palestiniens. En Amérique, vous devez vous abstenir de tout forme de critique, car, sinon, vous êtes pourchassé en votre qualité d'antisémite méritant l'opprobre le plus sévère.
Une autre particularité du sionisme américain, qui est un système de pensée antithétique et de distorsion Orwellienne, est qu'il est impardonnable de parler de violence juive, ou d'actions menées par les Juifs lorsqu'il s'agit d'Israël, même si tout ce que fait Israël est fait au nom du peuple juif, pour et par un Etat juif. Le fait que cet Etat est mal-nommé, étant donné que vingt pour cent de sa population ne sont pas des Juifs, n'est jamais mentionné, et ceci est à prendre en compte également, dans le hiatus étonnant, entièrement délibéré entre ce que les médias nomment les "Arabes israéliens" et les "Palestiniens" : aucun lecteur ou aucun téléspectateur ne peut censément savoir qu'il s'agit du même peuple, en réalité divisé par la politique sioniste, ni que les deux communautés représentent le résultat de la politique israélienne : apartheid, dans un cas ; occupation militaire et nettoyage ethnique, de l'autre.
Enfin, le sionisme américain a fait de toute discussion sérieuse au sujet d'Israël, de loin l'Etat qui reçoit le plus d'aide aux pays étrangers accordée par les Etats-Unis, ou au sujet de son passé et de son futur, des tabous qui ne sauraient être brisés sous aucun prétexte. Qualifier cela de dernier tabou dans le discours public américain, n'est absolument pas exagéré. L'avortement, l'homosexualité, la peine de mort, même le sacro-saint budget de l'armée ont été discutés avec une certaine liberté (mais, toujours, dans certaines limites). Le drapeau américain peut être brûlé en public, alors que le traitement infligé sans discontinuer par Israël aux Palestiniens depuis 52 ans est virtuellement inimaginable, comme s'il s'agissait d'un roman n'ayant pas reçu l'imprimatur.
Ce consensus serait peut-être tolérable s'il ne hissait pas le châtiment continu et la déshumanisation du peuple palestinien au rang d'une authentique vertu. Il n'y a tout simplement pas d'autre peuple, dans le monde d'aujourd'hui, dont le massacre (montré) sur les écrans de télévision semble être considéré par la plupart des téléspectateurs américains comme acceptable, en tant que punition bien méritée. C'est le cas des Palestiniens dont les morts quotidiennes, durant le mois écoulé, sont mises sous la rubrique "la violence des deux côtés", comme si les pierres et les frondes des jeunes gens poussés à bout par l'injustice et la répression représentaient un délit majeur plutôt qu'une résistance courageuse opposée au sort avilissant que leur réservent non seulement les soldats israéliens armés par les Etats-Unis, mais aussi par processus de paix prévu pour les parquer dans des bantoustans et des réserves dignes d'animaux.
Que les partisans d'Israël aient pu comploter, sept ans durant, pour finir par produire un document destiné essentiellement à enfermer un peuple comme des internés dans un asile ou une prison : voilà quel est le vrai crime. Quant à présenter cela comme une paix et non comme la pure et simple désolation que cela a toujours été depuis le début, voilà qui dépasse mes capacités à le comprendre ou à le décrire autrement que par les termes d'immoralité débridée. Ce qui est pire que tout, c'est que le mur protégeant le discours américain sur Israël est si blindé qu'aucune question ne peut être adressée aux cerveaux qui ont produit Oslo et qui ont continué à vendre leur schéma au monde entier, sept ans durant, en le faisant passer pour la paix. On ne sait pas ce qui est plus pernicieux, la mentalité qui pense que les Palestiniens n'ont même pas le droit d'exprimer un sentiment d'injustice (ils sont trop primitifs pour cela) ou celle qui continue, d'une manière impavide,  à fomenter leur futur esclavage.
Si c'était là tout, ce serait déjà trop. Mais notre statut misérable, d'après la cosmogonie imposée par  le sionisme américain, est aggravé par l'absence d'une quelconque institution ici (aux Etats-Unis, NdT) ou dans le monde arabe, qui soit prête et capable de produire une alternative. J'ai bien peur que la couverture (médiatique) des manifestants qui lancent des pierres à Bethlehem, Gaza, Ramallah, Naplouse et Hébron risque fort de ne pas être prise en compte de manière adéquate par une direction palestinienne paniquée, incapable de se retirer ou d'aller de l'avant. C'est on ne peut plus regrettable.
 
Réseau Palestine

 
1. Et si on dînait à Paris avec un criminel de guerre... Ariel Sharon à Paris le 19 décembre prochain
Mme Eva Krespi, Présidente du Comité des Fêtes de l'ADKAH, M.Jacques Kupfer, Président adjoint du Likoud Mondial, Président du Likoud de France, ont l'honneur de vous convier au dîner exceptionnel de soutien à l'Etat d'Israël, à Tsahal, à Jérusalem, et aux habitants de Judée-Samarie et Gaza le mardi 19 décembre 2000 (22 kislev 5761) dans les Salons Equinoxe - 20, rue du Colonel Pierre Avia - 75015 Paris, en présence de Mme Naomi Blumenthal, Présidente du Likoud mondial et de nombreuses personnalités françaises et israéliennes Hôte d'honneur, M. Ariel Sharon, Président du Likoud.
Dîner à 20h30 précises - Cocktail à partir de 19h30 - PAF : 300 FF.
Merci de nous faire parvenir toutes vos informations et suggestions concernant cette visite : amfpmarseille@wanadoo.fr
 
2. Appel à la manifestation pour la Liberté d'Expression le samedi 9 décembre 2000 à 14 h 30 à Marseille
Dans plusieurs quartiers de Marseille, des militants associatifs sont menacés, condamnés ou assignés... Leur tort ? Vouloir défendre leur quartier ou l’environnement ! A la Maison des Associations de Marseille, sur la Canebière, centre culturel municipal "dédié" aux associations, des conférences prévues de longue date par la Libre Pensée, l’association Mille Bâbords et l'Association Médicale Franco-Palestinienne sont censurées ou interdites de fait. Le Séminaire universitaire du CREOPS consacré à la Mémoire de l’immigration algérienne et à La guerre d’Algérie en France se voit fermer les différents lieux institutionnels sous la pression des nostalgiques de l’ Algérie française et est obligé de se réfugier dans un local d’une mairie de quartier où même là il est menacé. Bravo pour l’encouragement au travail des historiens promis dernièrement ! Et la subvention de fonctionnement du CREOPS est supprimée par une coalition droite - extrême droite qui met la gauche en minorité au Conseil Régional Provence - Alpes - Côte d'Azur ! En octobre dernier, la même hystérie avait empêché la représentation au Centre d’animation municipal de la Barasse d’une pièce de théâtre présentée par une troupe palestinienne (notons que Al Midan Theater de Haïfa n'a jamais été interdit en Israël !). Le tableau ne serait pas complet si on ne se rappelait le scandaleux passage à tabac des "taties" qui avaient osé manifester sous les fenêtres de Monsieur le Sénateur-Maire Jean-Claude Gaudin et l’interdiction du rassemblement organisé en mai dernier par le groupe des 10 au cours Julien. Rejoints par les manifestants d’AC ! pour un pique-nique commun, les participants à cette réunion pacifique ont rencontré la BAC. Et ce n’est pas la première fois que la Brigade Anti Criminalité est utilisée contre de simples manifestants ! Notre Maire en tant que premier magistrat de la ville porte une lourde responsabilité dans ces dérapages qui menacent l’ensemble de la vie citoyenne dans notre ville. Pour toutes ces raisons, pour la première fois en dix ans d'existence, l'AMFP-Marseille appelle à manifester le samedi 9 décembre 2000 à 14 h 30 aux côtés de nombreuses autres associations et syndicats... pour témoigner son attachement à la Liberté d'Expression. Parce que le Maire de Marseille doit réaliser qu'il ne dirige pas une colonie israélienne d'ou l'on terrorise la Démocratie, nous vous invitons à participer à la marche qui sera organisée, le samedi 9 décembre 2000 à 14 h 30, des Mobiles (en haut de la Canebière - M° Réformés) à L'Hotel de Ville (Quai du Vieux-Port) à Marseille.

Revue de presse

 
1. Middle East News & World Report (agence d'information américaine) du mercredi 6 décembre 2000
Le vote musulman aux Etats-Unis [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Washington, D.C., 17.11.2000 - Un sondage "sortie des urnes" publié ce jour indique que plus de 70% des électeurs (américains) musulmans ont suivi les consignes des organisations politiques musulmanes nationales et ont voté majoritairement en faveur de George W. Bush le 7 novembre. 36% des Musulmans ayant répondu aux questions du sondage ont indiqué qu'ils votaient pour la première fois.
Dans ce sondage effectué auprès de 1774 électeurs de confession musulmane, 72% ont déclaré avoir voté pour Bush, 19% pour Ralph Nader (candidat écologiste d'origine libanaise NdT) et seuls, 8% en faveur d'Al Gore. Ces résultats représentent un changement majeur par rapport à un sondage similaire effectué au mois de septembre, qui avait montré un soutien plus important pour Al Gore (24%). Le Conseil pour les Relations Américano-Islamiques (CAIR), une association basée à Washington, a commandité les deux sondages.
Le changement constaté dans les préférences partisanes est attribué à la déclaration de la préférence pour Bush, en date du 23 octobre, du Conseil Musulman de Coordination Politique - Comité d'Action Politique (AMPCC-PAC). L'appel de ce groupe a invoqué les efforts faits par Bush en direction de la communauté musulmane et sa promesse de mettre un terme à l'utilisation des preuves secrètes dans les enquêtes relatives aux atteintes à la sécurité nationale américaine (INS). 
94% des électeurs interrogés ont indiqué avoir entendu l'appel du conseil (à voter en faveur de Bush). 85% des répondants ont mentionné le fait que l'appel a été soit le facteur principal, soit l'un des facteurs, seulement, ayant déterminé leur choix.
Tous les chiffres sont basés sur des réponses données par des électeurs musulmans représentatifs. Les questionnaires ont été distribués de la main à la main, par fax ou par courrier électronique, à des Musulmans ou à des associations (musulmanes) dans l'ensemble des Etats-Unis.
"Les électeurs musulmans ont très nettement suivi les consignes données par les associations politiques musulmanes, en votant pour George Bush. Ceci est le signe qu'un électorat musulman existe bien, et qu'il faudra en tenir compte à l'avenir", a commenté le président de CAIR (Council on American-Islamic Relations), Nihad Awad.
"Avec la marge infime en faveur de Bush, en Floride, les électeurs musulmans pourraient avoir un rôle décisif dans le choix du futur président", a indiqué le secrétaire général du CAIR, Omar Ahmad. La Floride s'est classée au troisième rang (3%) en termes de taux de réponses au sondage "sortie des urnes".
Des Musulmans de pratiquement tous les Etats (américains) ont répondu au sondage "sortie des urnes", avec des taux de réponses plus importants, toutefois, en Californie (22%), en Virginie (10%), dans l'Illinois (8%), le Maryland (8%), l'Etat de New York (8%), le Texas (7%) et le New Jersey (6%).
La majorité des Musulmans ayant répondu étaient de sexe masculin (61%) et âgés de 39 ans et moins (68%).
Au mois d'août, des milliers d'activistes et de leaders musulmans avaient reçu, dans tout le pays, un guide explicatif destiné à accroître la participation de la communauté musulmane aux élections locales. Ce guide, intitulé "Guide pour l'Enregistrement des Electeurs Americains Musulmans" (The American Muslim Voter Registration Guide) avait été distribué par le CAIR dans le cadre d'une grande campagne, sans précédent, en direction des électeurs musulmans. Le 15 septembre a été déclaré : "Journée pour l'enregistrement des électeurs musulmans" (Muslim Voter Registration Day).
On estime qu'environ six millions de Musulmans vivent en Amérique (1,2 milliards dans le monde). L'Islam est l'une des religions qui connaissent la plus forte croissance dans ce pays.
(Source : CAIR, reçu le 17.11.2000)
 
2. Al-Ahram Hebdo du mercredi 6 décembre 2000
Pas de paix sans respect des droits de l'homme - Interview de Joana Oyediran, responsable du programme Moyen-Orient à Amnesty International
propos recueillis par Amer Sultan
Al-Ahram Hebdo : Vous êtes responsable du programme Moyen-Orient à Amnesty International, comment jugez-vous la situation dans les territoires palestiniens occupés ?
Joana Oyediran : Nous avons passé dix jours dans les territoires occupés et en Israël et nous pouvons affirmer qu'Israël emploie la force militaire, contredisant de la sorte les normes internationales relatives aux droits de l'homme et violant les règles d'usage des armes à feu de l'Etat hébreu lui-même. Cet état de choses mène à l'assassinat de nombreux Palestiniens. Nous avons élaboré un rapport sur le recours de l'armée israélienne à la force militaire pour contrer les civils. Nous avons également tenu une réunion avec le directeur du département de droit international au sein de l'armée israélienne et nous lui avons déclaré notre inquiétude quant aux méthodes de l'Etat hébreu. Nous avons insisté sur la nécessité de mener une enquête sur les meurtres commis par les soldats israéliens.
— Et quelle a été sa réaction ?
— Il a refusé le principe d'ouvrir une telle enquête tout en assurant qu'une enquête est menée sur le meurtre de l'enfant Mohamed Al-Dorra, perpétré à proximité de la colonie de Netzarim, dans la bande de Gaza.
— Vous êtes concernée par la question des prisonniers palestiniens. Quelle est la situation ?
— Nous avons découvert que les services de sécurité israéliens ont arrêté des centaines de personnes en Israël depuis l'éclatement de l'Intifada, le 29 septembre dernier. Selon nos rapports, deux tiers d'entre eux sont des Palestiniens d'Israël alors que le tiers restant sont des juifs d'Israël. Par ailleurs, une des ONG locale assure que plus de 200 détenus sont des Palestiniens qui ont la nationalité israélienne et que 32 sont des juifs d'Israël. Quoi qu'il en soit, nos rapports démontrent la cruauté de la police israélienne envers les Palestiniens de nationalité israélienne.
— Le désir d'une coexistence pacifique existe-t-il entre Palestiniens et Israéliens ?
— La crainte domine les deux côtés. Les Palestiniens dans la bande de Gaza ne sortent pas de leurs maisons et évitent de se déplacer entre les villes et les villages, de crainte d'être attaqués.
— Les Palestiniens croient-ils en la paix ?
— Les gens estiment qu'il ne peut y avoir de paix sans le respect des droits de l'homme. La déclaration universelle des droits de l'homme assure qu'il ne peut y avoir de paix sans le respect de ces droits.
— Qu'allez-vous faire pour forcer l'Etat hébreu à respecter les droits de l'homme que vous défendez ?
— Notre organisation lance des campagnes visant à protéger les droits de l'homme. Nous cherchons à dévoiler ce qui se passe dans les territoires occupés. Nous demandons à la communauté internationale d'assumer sa responsabilité pour mettre un terme aux violations des droits de l'homme.
 
3. Le Monde du mercredi 6 décembre 2000
Le mouvement israélien La Paix maintenant demande l'évacuation des colonies de peuplement par Georges Marion
Le nombre de logements construits dans les territoires a augmenté de 52,5 % depuis les accords d'Oslo
Le nombre de logements construits dans les colonies juives des territoires palestiniens a augmenté de 52,5 % depuis la signature, en 1993, des accords d'Oslo sur l'autonomie palestinienne, a indiqué, lundi 4 décembre, le mouvement israélien La Paix maintenant. Selon le mouvement, des milliers de logements ont été construits depuis l'arrivée au pouvoir, en mai 1999, du gouvernement travailliste d'Ehoud Barak.
JÉRUSALEM de notre correspondant
La coïncidence ne pouvait être plus significative : le jour même où, pour assurer la sécurité des colons, Israël ouvrait dans la bande de Gaza une nouvelle route tracée d'urgence sur des terres palestiniennes saisies en tout arbitraire, le mouvement pacifiste La Paix maintenant rendait public, lors d'une conférence de presse tenue à Jérusalem, lundi 4 décembre, le résultat de mois de travaux concernant les colonies. La conclusion, minutieusement chiffrée, conforte ce que n'ont cessé de répéter les autorités palestiniennes : non seulement la colonisation a connu un rythme soutenu depuis l'arrivée d'Ehoud Barak au pouvoir, en mai 1999, mais le plan du premier ministre visant à négocier l'annexion de trois blocs de colonies, où vivent quelque 80 % des colons, est « impraticable » sans morceler le territoire palestinien. Autrement dit, sans maintenir l'une des raisons majeures du conflit.
Il n'est pas facile de s'y retrouver dans le maquis des chiffres lorsqu'il s'agit de colonisation. Les données sont éclatées entre plusieurs ministères qui répugnent à ouvrir leurs dossiers. Et pourtant, il y a un mois, La Paix maintenant avait révélé que les colonies recevraient quelque 1,2 milliard de shekels (environ 300 millions de dollars) au titre du budget de 2001. Réparties entre les ministères des transports, du logement, de l'agriculture, des finances et du commerce, ces allocations budgétaires nouvelles établissaient qu'en dépit d'un discours visant à la signature d'un accord de paix les autorités israéliennes n'avaient guère changé leurs pratiques anciennes.
La même conclusion peut être tirée en ce qui concerne la construction de logements dans les colonies. D'après La Paix maintenant, qui a compilé les chiffres émanant des services israéliens et palestiniens, et y a ajouté ses propres études et observations, quelque 200 000 colons vivent aujourd'hui en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, répartis en 161 implantations, dont 90 comptent moins de 500 habitants. S'ajoutent à ces colonies les quartiers juifs construits autour de Jérusalem, sur des territoires annexés après la guerre de 1967 et qui comptent quelque 180 000 habitants.
Depuis 1993, année où furent signés les accords d'Oslo, le nombre des logements dans les colonies a augmenté de 52,5 %. Le rythme de la construction, qui s'était maintenu sous le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, ne s'est pas ralenti sous celui d'Ehoud Barak, puisque 2 830  logements ont été construits depuis son arrivée au pouvoir. Durant la même période, 3 500 appels d'offres ont été lancés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, pour des programmes de logements et d'équipements liés à la construction. Ces chiffres vont de pair avec une augmentation de la population des implantations (+ 72 % entre décembre 1993 et décembre 2000), des routes de contournement pour que les habitants puissent accéder à leur colonie sans traverser des villes arabes, des démolitions de maisons palestiniennes (740 maisons détruites entre fin 1994 et novembre 2000), et même des jours de bouclage consécutifs à divers incidents.
« Oslo a laissé croire qu'il était possible de faire la paix sans s'attaquer au problème de la colonisation, a déclaré l'un des dirigeants de La Paix maintenant. Nous pensons qu'il n'en est rien. Seule une évacuation quasi totale des colonies le permettra. » Pour des raisons géographiques, prenant en compte le besoin de continuité territoriale du futur Etat palestinien, l'organisation pacifiste estime qu'Israël ne peut négocier l'annexion de plus de 5,5 % de territoires palestiniens, contigus à la frontière de 1967, sur lesquels vivent 42 % des colons. Les autres colonies devront être « graduellement, et dans un délai raisonnable », démantelées et leurs habitants rapatriés à l'intérieur des frontières de 1967.
La Paix maintenant se dit convaicu que le démantèlement des colonies est une idée aujourd'hui majoritairement acceptée en Israël, et encore plus depuis que la reprise des affrontements impose aux soldats et aux réservistes d'aller faire leur service dans les territoires.
 
4. Le Monde du mercredi 6 décembre 2000
Mise en garde d'un ancien chef du Shin Beth
Ami Ayalon, ancien chef du Shin Beth, le service de sécurité intérieure israélien, a mis en garde, lundi 4 décembre, contre un « système d'apartheid » dans les territoires palestiniens. « Israël doit choisir rapidement l'environnement où il souhaite vivre car le modèle actuel, où se mêlent des caractéristiques de l'apartheid, n'est pas compatible avec les principes juifs », a-t-il dit. Il a regretté qu'Israël n'avance, dans la plupart des cas, dans le processus de paix qu'après une explosion de violence. Il a également déploré que le gouvernement refuse de libérer des prisonniers du Fatah, mouvement « avec lequel nous avons signé la paix », et qu'il remette en liberté des terroristes en échange de soldats israéliens faits prisonniers, citant comme exemple le Hezbollah chiite libanais. « Quelle leçon les Palestiniens peuvent-ils en tirer ? », s'est-il interrogé.
 
5. Libération du mercredi 6 decembre 2000
Proche-Orient : "Nous discutons avec les Israéliens"
par Alexandra Schwartzbrod (à Jérusalem) et Didier François (à Gaza)
Le porte-parole d'Arafat évoque des tractations en cours.
«L'Intifada n'a été décrétée par personne, elle ne sera stoppée par personne. Nous ne pouvons pas nous arrêter là... nous sommes malades et fatigués de l'occupation israélienne», a déclaré, hier à Jérusalem, le négociateur palestinien Saëb Erekat. «Barak dit qu'il veut un accord de paix avant les élections. C'est très facile, il lui suffit de mettre fin à l'occupation et de retirer ses troupes jusqu'aux frontières de 1967.» L'Intifada d'al-Aqsa, qui connaissait un léger répit depuis plusieurs jours, semble loin d'être terminée. Hier, de nouveaux affrontements meurtriers ont eu lieu en Cisjordanie, à six jours de l'arrivée dans la région de la Commission internationale d'établissement des faits sur les violences. Alors qu'aucun mort n'avait été déploré depuis samedi, deux Palestiniens ont été abattus par des soldats israéliens à Ramallah et dans le village d'al-Khader, près de Bethléem.
«Heure de vérité». Pour Saëb Erekat, un proche de Yasser Arafat, qui a été de toutes les discussions à haut niveau durant ces dernières années, «l'heure de vérité» a sonné pour les Israéliens et les Palestiniens. «Même dans les pires moments de l'apartheid, les Noirs n'ont pas subi ce que nous subissons aujourd'hui dans nos villages!...», a-t-il clamé devant la presse. «A ceux qui brandissent leurs fusils devant nous, nous disons: "Il y a un moyen plus facile de régler le problème, c'est de mettre fin à l'occupation israélienne!"»
«Le vrai courage, en ce moment, ce n'est pas de tirer mais de parler», a déclaré de son côté l'envoyé spécial de l'ONU au Proche-Orient, Terje-Roed Larsen, en critiquant sèchement Israël pour avoir procédé au blocus économique des zones autonomes palestiniennes et ainsi provoqué une dégradation rapide des conditions de vie des Palestiniens. «La situation actuelle n'est pas tenable. Elle pourrait se poursuivre pendant quelques semaines encore, mais elle pourrait se détériorer spectaculairement et tragiquement, avec des implications régionales et une possible guerre, a déclaré le diplomate norvégien à l'agence Reuters. La seule façon de redresser la situation, c'est que les parties reviennent rapidement à la table des négociations et y fassent les compromis douloureux qu'on attend d'elles.»
Tractations. Pour l'instant, aucune négociation n'est en cours, a assuré Erekat en réponse à des rumeurs récurrentes. «Il est temps que les Israéliens comprennent que la paix et les colonies, ce sont deux parallèles qui ne se rejoindront jamais.»
Moins catégorique dans ses démentis, Marwan Kalafani, le porte-parole de Yasser Arafat, reconnaît que des tractations sont en cours depuis maintenant une bonne semaine avec le gouvernement d'Ehud Barak. «Nous discutons avec les Israéliens, nous a-t-il assuré à Gaza, ce ne sont pas des négociations à proprement parler mais des contacts, des échanges de vues. Nous avons eu des réunions, directes et indirectes.»
Après deux mois et demi d'Intifada, les initiatives diplomatiques se multiplient. «La communauté internationale s'inquiète pour la stabilité de la région, déclare Kalafani, elle ne peut plus laisser les Israéliens et les Palestiniens chercher seuls à calmer les tensions. Nous devons maintenant faire un véritable pas pour relancer le processus de paix. Et pour que cela soit possible, il faut que les Israéliens prennent des mesures concrètes qui prouvent aux Palestiniens qu'ils entendent négocier sérieusement la phase finale des accords d'Oslo.» Si Yasser Arafat «n'a jamais posé de conditions» à la reprise des pourparlers, souligne Kalafani, «il est clair que les négociations ne pourront pas reprendre tant qu'Israël poursuivra son agression contre nous. Nous n'accepterons pas sous la menace de la force les compromis que nous avions refusés dans les discussions lors de la rencontre de Camp David». Quatre exigences «immédiates» ont été transmises à Ehud Barak: «Le retrait des forces israéliennes des positions qu'elles occupent depuis le début de l'Intifada, la levée du siège des villes, la réouverture des routes autour et dans les territoires palestiniens, la libre circulation des travailleurs et des marchandises.»
Négociations. Hier, sur une base militaire du nord d'Israël, le Premier ministre israélien laissait miroiter l'ouverture de prochaines négociations, «seul moyen de résoudre le conflit». «Mais nous allons en même temps rester fermes et résister à toute tentative de nous imposer (des concessions, ndlr) par la force», a-t-il asséné. Depuis le 28 septembre, 304 personnes ont été tuées dans le cadre de l'Intifada, pour la plupart des Palestiniens.
Un membre de l'ambassade d'Israël en Jordanie a été blessé par balle, mardi à Amman. C'est le deuxième attentat contre un représentant de l'Etat hébreu dans la capitale jordanienne en l'espace de deux semaines.
 
6. Le Monde du mardi 5 décembre 2000
Proche-Orient : la terre ou la paix ?
par Jimmy Carter
LA politique du fait accompli que continuent de mener certains dirigeants israéliens par l´implantation de colonies en territoire occupé est une raison profonde de l´échec de la diplomatie américaine depuis des années et de la permanence de la violence au Proche-Orient. Leur caractère délibéré d´îlots ou de forteresses sur des terres palestiniennes rend les colons vulnérables aux attaques, en l´absence de protection militaire massive, et fait échouer les Israéliens qui recherchent la paix, en même temps qu´il prive tout gouvernement palestinien d´une intégrité territoriale effective.
En septembre 1978 à Camp David, le président Anouar El Sadate, le premier ministre Menahem Begin et moi-même avons passé l´essentiel de notre temps à débattre de cette question avant de finalement nous mettre d´accord sur les termes d´une paix entre l´Egypte et Israël et sur une solution des problèmes liés au peuple palestinien. Les dispositions bilatérales qui ont été prises ont abouti à un traité global et durable pour l´Egypte et Israël, rendu possible en dernière minute par l´acceptation israélienne d´évacuer ses colons du Sinaï. Le non-respect de semblables contraintes, en revanche, à propos du statut de la Cisjordanie et de Gaza a conduit à la confrontation et à une violence persistantes.
L´ensemble de mes propositions aux deux intéressés reprenait la position officielle du gouvernement américain, se fondant sur la législation internationale acceptée à la fois par les Etats-Unis, l´Egypte, Israël, ainsi que par d´autres pays, et reprise dans la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies. L´engagement légitime de notre gouvernement à soutenir cette résolution équilibrée n´a pas changé.
Si l´acceptation de la résolution 242 a été à Camp David une question litigieuse, le premier ministre Menahem Begin l´a finalement reconnue applicable, « en toutes ses parties ». Le texte souligne « le caractère inadmissible de l´acquisition de territoire par la guerre et la nécessité d´œuvrer à l´établissement d´une paix juste et durable dans laquelle chaque Etat de la région pourra vivre en sécurité ». Il y est demandé le « retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit [de 1967] » et le droit de chaque Etat à « vivre en paix à l´intérieur de frontières sûres et reconnues, libre de toutes menaces ou actes de violence ».
Il était clair que les colonies d´implantation israéliennes dans les territoires occupés constituaient une violation directe de cet accord et, selon la position américaine depuis longtemps établie, représentaient tout à la fois « un fait illégal et un obstacle à la paix ». En conséquence, M. Begin s´engageait à ce qu´il n´y ait pas d´implantations nouvelles jusqu´à la conclusion des dernières négociations de paix. Mais, sous la pression du Likoud, il refusa par la suite de tenir cet engagement, en donnant comme explication que, pour lui, l´ensemble des discussions devaient s´achever dans les trois mois.
Certaines conditions importantes figuraient dans les accords de Camp David concernant l´autonomie palestinienne et l´occupation des terres. Avec ce point clé : « Le gouvernement militaire israélien et son administration civile se retireront dès qu´une autorité indépendante aura été librement élue par les habitants de ces régions en remplacement de l´actuel gouvernement militaire ». Cette période de transition a fait suite dans les territoires occupés à des élections approuvées par les Palestiniens et le gouvernement d´Israël, qui se sont déroulées en janvier 1996 sous la surveillance du Carter Center. Ont été élus 88 membres du Conseil palestinien, présidé par Yasser Arafat. Cette autorité indépendante, dotée d´une autonomie limitée, s´est réunie pour la première fois en mars 1996.
Il a alors été également convenu qu´une fois établis les pouvoirs et les responsabilités de l´Autorité palestinienne, il serait opéré « un retrait des forces armées israéliennes et le redéploiement de ce qui restait de ces forces sur des positions spécifiques de sécurité ».
Très tôt au cours des pourparlers de Camp David, nous avons compris qu´il ne serait pas possible de résoudre la question de la souveraineté sur Jérusalem-Est, et avons proposé concernant cette ville le paragraphe suivant, sur lequel nous étions parvenus à un accord complet : « Cité de la paix, Jérusalem est sacrée pour le judaïsme, pour la chrétienté et pour l´islam, et tous les peuples doivent y avoir libre accès et jouir du libre exercice de leur culte et du droit de visite et de passage sur les Lieux saints sans distinction ni discrimination. Les Lieux saints propres à chaque religion seront placés sous l´administration et le contrôle de leurs représentants respectifs. Un membre du conseil municipal supervisera les principales activités revenant à la ville telles que services publics, transports publics et tourisme, et s´assurera que chaque communauté peut y maintenir ses institutions culturelles et éducatives. »
A la dernière minute, pourtant, après plusieurs jours de consentement unanime, Sadate et Begin tombèrent d´accord sur le fait qu´il y avait déjà suffisamment de sujets à controverse dans les pourparlers pour demander que ce paragraphe, bien que conservant le soutien de l´une et l´autre parties, soit supprimé du texte final. Des lettres furent échangées par les deux dirigeants, exprimant les positions légitimes de leur gouvernement sur le statut de Jérusalem-Est. Leur avis divergeait quant à la souveraineté, évidemment, mais l´un et l´autre affirmaient que la ville ne devait pas être divisée.
Comme convenu, je les informai que « la position des Etats-Unis sur Jérusalem restait celle qui avait été exprimée par l´ambassadeur Arthur Goldberg à l´Assemblée générale des Nations unies du 14 juillet 1967, puis par l´ambassadeur Charles Yost au Conseil de sécurité des Nations unies le 1er juillet 1969 ». De fait, Jérusalem-Est y était considéré comme faisant partie des territoires occupés, au même titre que la Cisjordanie et Gaza.
L´accord de Camp David fut signé et proclamé dans l´enthousiasme par les trois dirigeants que nous étions. Avec l´arrivée de Ronald Reagan à la présidence, il advint une période de relative inactivité au Proche-Orient, exception faite de l´invasion israélienne du Liban et de l´expulsion de Beyrouth des forces de l´OLP qui s´en est suivie. Le président Reagan se saisit de l´annonce de cet événement, le 1er septembre 1982, pour s´adresser à la nation sur la Cisjordanie et les Palestiniens. Il déclara en toute clarté : « L´accord de Camp David reste le fondement de notre politique. » Son discours comportait, par ailleurs, les déclarations suivantes : « Les Palestiniens résidant en Cisjordanie et à Gaza auront pleine autonomie dans leurs affaires propres. »
« Les Etats-Unis n´accepteront pas que soit accaparée quelque terre que ce soit dans le but d´implanter des colonies pendant la période de transition. En vérité, plus que toute autre action, le gel immédiat des implantations par Israël pourrait créer la confiance indispensable à une participation plus large à ces discussions. La poursuite des implantations n´est en aucun cas nécessaire à la sécurité d´Israël et ne fait que réduire la foi des Arabes dans la possible négociation finale d´une issue libre et juste. »
En 1991, un affrontement majeur s´est produit entre les gouvernements d´Itzhak Shamir et de George Bush au sujet des colonies israéliennes de Cisjordanie, les Américains menaçant de retirer leur soutien financier si les implantations se poursuivaient. Une rencontre fut organisée cette même année à Madrid, à laquelle participaient les Etats-Unis, la Syrie et d´autres pays arabes, ainsi qu´un certain nombre de Palestiniens qui ne représentaient pas officiellement l´OLP. Lors de la conférence de presse tenue le 1er novembre, le secrétaire d´Etat James Baker déclarait : « Lorsque nous avons négocié avec Israël, nous avons négocié sur le principe de la terre contre la paix, sur le principe d´un retrait total du territoire en échange de relations pacifiques… Telle est exactement notre position, et nous souhaitons qu´elle soit aussi appliquée dans les négociations entre Israéliens et Syriens, entre Israéliens et Palestiniens. Cette position qui est la nôtre n´a été modifiée en rien. »
Les médiateurs norvégiens ont, en septembre 1993, échafaudé un accord entre le premier ministre israélien, Itzhak Rabin, et le président de l´OLP, Yasser Arafat, engageant les deux parties dans un processus en plusieurs étapes. Bien qu´il n´ait pas participé à ces négociations, notre gouvernement a célébré les accords d´Oslo à la Maison Blanche et a bâti les pourparlers de paix ultérieurs sur ces accords et sur ceux de Camp David. De tels efforts n´ont pas abouti à ce jour et cette année ont ressurgi entre Israéliens et Arabes une violence et une animosité sans égales depuis plus d´un quart de siècle.
Les grandes questions restées non résolues sont toujours celles des frontières définitives de l´Etat d´Israël, du retour des Palestiniens chassés de leur foyer ou des compensations à leur accorder, du statut enfin de Jérusalem. Il apparaît quasi inévitable que les Etats-Unis s´engagent dans de nouveaux efforts de paix, mais il est improbable qu´un véritable progrès puisse être réalisé sur l´une quelconque de ces questions aussi longtemps qu´Israël persistera dans sa politique d´implantations, illégales selon les lois internationales que soutiennent les Etats-Unis ainsi que toutes les nations.
Beaucoup de questions se posent dans la recherche d´une solution à la fin de la violence au Proche-Orient, mais l´on n´échappera pas à celle qui est essentielle : la terre ou la paix ?
Jimmy Carter est ancien président des Etats-Unis. Traduit de l´anglais (Etats-Unis) par Sylvette Gleize
 
7. Le Soir (quotidien belge) du samedi 2 décembre 2000
L'autre résistance des Palestiniens
par Agnès Gorissen
Tous les Palestiniens ne lancent pas des pierres. Certains ont choisi de lutter par la contrebande, d'autres par les études.
BETHLÉEM, RAMALLAH de notre envoyée spéciale
Le minibus s'enfonce dans les petites rues de Bethléem, puis grimpe sur les hauteurs de la cité. Arrivé au milieu de nulle part, le chauffeur s'arrête, regarde partout autour de lui, à l'affût du moindre indice d'une présence. Apparemment convaincu, il se remet en route résolument, quitte la route et s'engage sur un chemin de terre. Un des passagers, un chrétien, esquisse un signe de croix.
Le voyage se poursuit ainsi, chaotique, pendant une période qui semble infinie. Voies caillouteuses et champs se succèdent. Ici et là, dans le faisceau des phares qui déchire la nuit noire, un véhicule calciné apparaît. Soudain, le chauffeur, à nouveau, s'arrête et coupe toute source lumineuse. Nouveau signe de croix.
Prudemment, en évitant de pousser le moteur, le conducteur avance le nez du minibus sur la route qui s'étale au bout du champ. Avant de démarrer en trombe puis d'emprunter, l'air de rien, l'allure de n'importe quel véhicule. En route pour Jérusalem. Sans passer par le checkpoint israélien. Les sacs de fruits et légumes qui encombrent les moindres recoins du véhicule pourront être vendus.
Combien sont-ils, les Palestiniens qui déjouent ainsi le bouclage imposé par l'Etat hébreu ? Impossible à dire. Mais ils sont nombreux. A dos d'âne ou en voiture, ils le font par nécessité, pour se rendre à l'hôpital d'une autre zone palestinienne dont ils sont coupés ou pour gagner quelques sous en faisant un peu de commerce. Mais, dans l'esprit de beaucoup, c'est aussi une forme de résistance, une façon de dire aux Israéliens que personne ne peut contrôler leur vie.
C'est dangereux, reconnaît un volailler de Bethléem, qui préfère évidemment ne pas donner son nom. Hier, une balle a atteint mon véhicule. Et, si je me fais prendre, je risque une forte amende et la confiscation de mon moyen de transport et de mes marchandises. En fait, c'est interdit aussi bien par les Israéliens que par l'Autorité palestinienne. Mais je n'ai pas le choix. Et personne ne peut m'obliger à mourir de faim.
Le volailler est passé maître dans l'art du commerce par « voies non officielles », selon l'expression qu'il emploie lui-même. J'utilise des camions avec des plaques israéliennes et un chauffeur palestinien. Pour éviter les contrôles israéliens, on passe par des routes en terre. Apparemment, il n'est pas le seul à connaître le filon. Ici et là, sur les étals, des caisses portant des inscriptions en hébreu traduisent clairement la provenance des produits.
ÉTUDIER, C'EST L'AVENIR
Les Palestiniens ont développé d'autres formes de résistance pacifique. Sur les hauteurs de Ramallah se dresse l'imposant campus de l'université de Birzeit. En cet après-midi ensoleillé, à la sortie des cours, des grappes d'étudiants discutent devant le bâtiment administratif. On commente la situation politique et militaire, le bouclage des territoires palestiniens, les difficultés de la vie quotidienne. La décision de l'Autorité palestinienne de maintenir les cours, aussi.
C'est bien, cette décision, estime Jamil. Il est important que les jeunes Palestiniens continuent malgré tout. Moi, je veux montrer aux Israéliens qu'ils peuvent faire tout ce qu'ils veulent, ils n'arriveront pas à gâcher ma vie en m'empêchant d'étudier et d'obtenir mon diplôme. Iyad renchérit : Pourquoi les Israéliens étudieraient-ils et pas nous ? L'éducation est une autre sorte d'arme, elle permet d'être maître de son environnement, de son avenir.
Continuer à suivre les cours représente pourtant des sacrifices. Avec le bouclage israélien, les étudiants, qui viennent des quatre coins des territoires palestiniens, sont coincés dans l'enclave de Ramallah et obligés de louer des chambres sur le campus - heureusement pas trop chères. Mais ils ignorent quand ils pourront rentrer chez eux. Tant pis. On ne veut pas rester à la maison, affirme Nadeem. Etudier, c'est notre avenir et celui de notre pays.
UNE PALESTINE DÉMOCRATIQUE
Sagement installées dans le bureau de leur professeur de français - un Belge -, Sirin, Rana, Abeer et May partagent le même avis. Ce pays a besoin de bons cerveaux, fait valoir Sirin. C'est notre forme de guerre contre Israël. Rana va plus loin. Pour cette jeune fille au français parfait, l'éducation est la clé de l'indépendance. Moi, par exemple, je voudrais m'orienter vers l'activité du tourisme. C'est un domaine qui permet d'être en contact avec les autres pays et de réduire la dépendance, économique et intellectuelle, des Palestiniens vis-à-vis d'Israël.
Cet avenir que les étudiants veulent construire, comment le voient-ils ? Hormis Sirin, qui se prononce pour une Palestine s'étendant jusqu'à Tel-Aviv, la plupart reconnaissent qu'il faudra bien arriver à un partage et à une coexistence pacifique avec Israël. Quant au système politique de la future Palestine, ils sont unanimes : elle doit être démocratique. Et, insiste Rana, débarrassée de la corruption.
 
8. Le Monde du samedi 2 décembre 2000
Des appels au boycottage des produits américains et israéliens commencent à circuler en Egypte
par Alexandre Buccianti
Ces actions de solidarité avec les « frères de l'Intifada » ont le soutien des religieux. Des campagnes de boycottage de produits américains, destinées à protester contre ce qui est perçu comme un soutien inconditionnel des Etats-Unis à Israël, ont été lancées dans plusieurs pays arabes. En Egypte, des listes d'articles mis à l'index circulent, et leurs auteurs n'hésitent pas devant les dérives racistes. D'abord circonscrite au courrier électronique, leur diffusion a été relayée par la presse d'opposition.
LE CAIRE de notre correspondant
La « guerre » contre les Etats-Unis a commencé en Egypte à la mi-octobre, par la prise du Kentucky Fried Chicken de l'université du Caire. Pour les étudiants en colère qui saccageaient le fast-food, c'était une manière de venger les « frères palestiniens de l'Intifada ». En s'en prenant à l'établissement fondé par le colonel Sanders, les manifestants envoyaient « se faire frire » les Américains, « ces alliés inconditionnels des Israéliens ».
Ce qui n'aurait pu être qu'un geste symbolique est devenu au bout de six semaines un véritable djihad. Le grand mufti d'Egypte a décrété une fatwa (avis de jurisprudence islamique), apparentant le boycottage des produits américains et israéliens à la guerre sainte, qui est du devoir de tout musulman. Il a même qualifié de « criminel » l'importateur de tels produits. Le cheikh d'Al-Azhar, la plus haute autorité morale de l'islam sunnite, lui a emboîté le pas, vendredi 1er décembre, en déclarant que « tout produit étranger pouvant aider l'ennemi, qu'il soit américain ou autre, doit être boycotté ».
PEPSI-COLA, McDONALD'S...
Pour donner plus de poids à sa sentence, le dignitaire musulman a fait sa déclaration lors d'une conférence devant l'association des hommes d'affaires d'Alexandrie. Un auditoire qui était pratiquement acquis à la cause, puisque le président de la chambre de commerce de la deuxième ville d'Egypte avait publié, le 6 novembre, un communiqué affirmant que les commerçants alexandrins allaient rompre tout lien économique avec Israël. Cet exercice est relativement facile vu la faiblesse des échanges économiques avec l'Etat hébreu (54,4 millions de dollars hors pétrole en 1999), mais plus difficile quand il s'agit des Etats-Unis (3,4 milliards de dollars, soit 4 milliards d'euros, en 1999).
Les hommes d'affaires, dont l'image est déjà ternie par une série de scandales financiers, ne peuvent pas ignorer la grogne croissante de l'opinion publique contre l' « Oncle Sam ». Cette colère s'est traduite par la mise en circulation d'une série de listes de produits « américains et juifs » à boycotter. Les listes ont d'abord circulé par courrier électronique, avant d'être mises sur papier. Leurs auteurs n'ont hésité devant aucun abus ni aucune dérive, y compris raciste.
La première société touchée a été Pepsi-Cola. « Pepsi est le diminutif de Pay Every Penny to Save Israel » (payez jusqu'au dernier centime pour sauver Israël), pouvait-on lire sur Internet. Puis cette interprétation a été mise à la portée de tout le monde par la presse d'opposition, qui s'est empressée d'affirmer que la multinationale subventionnait « l'entité sioniste ». McDonald's n'a pas échappé aux pourfendeurs des « sionistes impérialistes américains » et, pour contrer la baisse d'affluence, le clown Ronald a dû se résoudre à vendre deux « Big Mac » pour le prix d'un.
Entre autres produits de fabrication américaine, Marlboro a elle aussi été visée, ce qui a forcé la compagnie à reporter d'une semaine la hausse de 5 % du prix de ses cigarettes. Ariel, la lessive de l'Américain Proctor & Gamble, a été identifiée au chef du Likoud israélien « le boucher Ariel Sharon ». Dans son logo de trois atomes tournoyants, les pourfendeurs d'Israël et des Etats-Unis ont vu une étoile de David.
Le gouvernement a refusé de prendre part à la campagne de boycottage, mais la télévision d'Etat, elle, ne s'est pas privée de surfer sur la vague. Le présentateur d'un programme très populaire a détaillé la liste des produits incriminés et conseillé aux téléspectateurs de boire, par exemple, des jus de fruit plutôt que des boissons gazeuses américaines. Pour amortir les choses, l'un des hommes d'affaires invités par le programme a estimé que plutôt que de menacer des milliers de postes de travail et un capital égyptien dans son écrasante majorité, il vaudrait mieux « faire dans le sérieux en cessant, par exemple, d'acheter des Boeing ».
 
9. Le Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 1er décembre 2000
Poursuite de l'intifada, élections anticipées : Les choix restreints d'Israël
La position palestinienne actuelle est autrement meilleure qu'avant l'intifada, et ce malgré les coûts humains et matériels exorbitants. Du côté israélien, les élections anticipées et le changement gouvernemental qui en résultera ne modifieront pas la nature des choix auxquels sera confronté le nouveau gouvernement.
PARIS, DE NOTRE CORRESPONDANT
«Pour vos enfants, pour nos enfants, de grâce, colons, soyez courageux, faites preuve d'audace et de raison et revenez de votre gré au sein de l'Etat d'Israël. A l'heure où les endeuillés pleurent leurs morts et où les blessés luttent pour survivre, réfléchissons ensemble à la manière d'éviter la mort et la blessure, la destruction et le deuil. Examinons ce qui est digne de combat au prix de la vie pour la défense de l'Etat d'Israël et ce pour quoi la mort n'a ni de sens ni de raison.» L'auteur de ces lignes, le romancier israélien Abraham B. Yehoshua, loin de faire partie de la poignée de militants antisionistes engagés dans la lutte pour les droits des Palestiniens, exprime ici un état d'esprit encore minoritaire mais digne d'attention, car pouvant porter des significations importantes pour l'avenir. A l'instar du mouvement des quatre mères, également minoritaire à ses débuts, il pourrait, en fonction des évolutions politiques et militaires, s'étendre à différents secteurs de l'opinion publique israélienne et faire éclater le consensus qui y règne. Les faits sont têtus... Ils témoignent que malgré les tueries quotidiennes, l'assassinat des cadres et militants, les bombardements, le bouclage des zones palestiniennes et l'asphyxie des populations, l'intifada continue.
Le scénario de la liquidation de Arafat
Les menaces d'Ehud Barak, de ses ministres et de ses généraux n'y changeront rien. Elles reflètent, au contraire, leur embarras face à la marge de manœuvre de plus en plus étroite dont ils disposent. De son côté, la partie palestinienne, bien qu'étant au début de sa longue marche, a réalisé d'indéniables avancées.
Dans son éditorial du 21 novembre du Yediot Aharonot, le journaliste Ron Ben Yishaï, très proche de l'actuel gouvernement israélien, envisageait trois scénarios relatifs à la confrontation actuelle en Palestine. Le premier serait la guerre totale. Son objectif sera l'écrasement de l'Autorité palestinienne ou l'obtention de sa part d'une reddition inconditionnelle. Cette option ne lésinera ni sur les moyens à utiliser ni sur l'ampleur des dégâts à infliger aux Palestiniens. Elle supposerait la disparition de toutes les «lignes rouges», donc la possible liquidation physique des responsables de l'Autorité, voire de son président lui-même. L'exacerbation de la tension qu'elle provoquerait augmentera nécessairement les risques de dérapage vers un conflit régional avec les pays arabes avoisinants (ce risque a été longuement évoqué lors d'une conférence organisée au Caire par le Centre arabe d'étude stratégique). Le journaliste Mohammad Saïd Ahmad a signalé que l'existence d'un «vide de pouvoir» à Washington à cause des résultats de l'élection présidentielle, d'un gouvernement israélien affaibli et d'une direction palestinienne qui contrôle de moins en moins ses troupes, augmente le risque considérablement. Un tel conflit mènera à une internationalisation de la crise et à la tenue d'une conférence de paix dans le cadre de laquelle se déroulerait une re-négociation globale israélo-arabe. Celle-ci sera autrement plus défavorable à Israël que l'actuelle formule de «paix séparée».
Le second scénario suppose une acceptation par Israël d'un déploiement d'observateurs internationaux sans armes. Une telle force ne pourrait empêcher les attentats contre les colons et les actions de guérillas contre les forces d'occupation mais embarrasserait ces derniers par sa simple présence, limitant ainsi l'ampleur de leurs ripostes. L'aboutissement, à terme, de cette situation serait une reprise des négociations dans de mauvaises conditions pour Israël.
La séparation unilatérale
Le troisième scénario serait une action militaire d'envergure, prolongée dans le temps, qui causerait des dommages graves à l'Autorité palestinienne et à la population jusqu'à ce que, épuisées, elles acceptent un cessez-le-feu. L'action militaire ira de pair avec la mise en œuvre de ce qu'Ehud Barak appelle la séparation unilatérale, c'est-à-dire la détermination par Israël en fonction de ses seuls impératifs nationaux, d'une ligne frontalière avec l'entité palestinienne et le déploiement de l'armée le long de cette zone qui serait matérialisée par des clôtures et des checkpoints. Ce troisième scénario soulève d'abord le problème de la mobilisation des réservistes car sa réalisation l'implique. Cette mobilisation pour un conflit de longue durée, coûteux en vies humaines, aura comme effet, expérience libanaise à l'appui, d'accélérer la crise en Israël et d'engendrer un mouvement pour le retrait des forces d'occupation. Quant à la proposition de retrait unilatéral, Alain Diekhoff, politologue français aux convictions pro-israéliennes, souligne son irréalisme: «D'abord, le tracé de cette frontière inclura-t-il uniquement les trois blocs de colonies métropolitaines (proches de Tel-Aviv et Jérusalem)? Quid de la vallée du Jourdain? Si aucune implantation n'était évacuée et si Israël maintenait un contrôle total sur toutes les frontières, la séparation ne changerait strictement rien à la situation actuelle. Barak voudrait que la frontière soit la plus étanche possible, l'installation de barrière physique allant de pair avec un découplage économique, la césure économique étant impossible à mettre en pratique. La Palestine demeure le quatrième partenaire commercial d'Israël... Quant aux Palestiniens, leur dépendance par rapport à Israël est énorme en termes d'échanges comme de transferts salariaux. Toute rupture brutale aurait des conséquences économiques catastrophiques et des répercussions politiques dévastatrices.»
Entraîné par une étroite logique militaire, Ehud Barak, tenté par ce troisième scénario, se trouve débordé à sa droite par le Likoud qui a réussi à mobiliser une majorité absolue à la Knesset pour voter une proposition de loi en faveur d'élections générales anticipées. Témoins de la radicalisation d'une partie importante de la société israélienne, les résultats de ces élections, qu'ils accouchent d'un gouvernement Likoud ou d'un gouvernement d'union nationale, ne pourront qu'accentuer le risque de dérapage signalé plus haut. La répression tous azimuts érigée en projet politique avec le slogan démagogique «Laisser l'armée vaincre» ne permettra pas pour autant de venir à bout de l'intifada et augmentera les risques d'extension du conflit au-delà des frontières palestiniennes. L'expérience a par ailleurs prouvé que les actuels leaders de la droite sont de piètres dirigeants: qui d'autre que Sharon mène l'armée israélienne dans «l'aventure libanaise» avec les conséquences que l'on connaît? L'isolement politique et diplomatique d'Israël n'a-t-il pas été l'un des résultats de l'action du gouvernement Natanyahu?
Deux mois après le début de l'intifada, la partie palestinienne a marqué indéniablement des points. Elle a prouvé sa «capacité de nuisance» en rendant les territoires «ingouvernables» pour les forces d'occupation et «invivables» pour les colons. Elle se retrouve aujourd'hui renforcée par une unité nationale qui englobe l'ensemble des factions palestiniennes, toutes tendances confondues. Cette unité, il faut le rappeler, était perdue depuis 1982.
Le deuxième point, c'est le retour de la centralité de la cause palestinienne dans le monde arabe. Même si cette centralité est plus symbolique qu'autre chose pour le moment, l'aide financière décidée au sommet du Caire tardant à être déboursée, elle a réussi à bloquer le processus de normalisation israélo-arabe qui constituait un objectif stratégique majeur de la politique américaine. La mobilisation populaire arabe a baissé d'intensité en comparaison avec les premières semaines de l'intifada, mais elle s'installe aussi dans la durée avec des périodes d'intensification ou de relâchement. La partie palestinienne prône aux Etats-Unis et à toutes les puissances concernées par la «stabilité» dans la région que sa «capacité de nuisance», en cas de non-satisfaction de ses revendications, dépasse de loin les frontières de la Palestine.
 
10. Le Nouvel Observateur du jeudi 30 novembre 2000
Bons offices de Russie... par René Backmann
La crise israélo-palestinienne permet à Moscou de retrouver son rôle de « parrain » du processus de paix...
Six mois après le retrait de l'armée israélienne du Sud-Liban, des chasseurs bombardiers frappés de l'étoile de David ont tiré six missiles, dimanche, sur des collines et des vallons proches des villages libanais de Chebaa et Kfar Chouba, tandis que des hélicoptères de combat et des canons à longue portée pilonnaient le même secteur. Cette offensive, présentée par l'état-major israélien comme « une frappe ponctuelle et limitée », répondait à l'explosion, quelques heures plus tôt, d'une charge télécommandée qui avait tué un sergent-chef de l'armée israélienne et blessé deux autres soldats. L'engin explosif avait été placé au bord d'une route dans le secteur « des fermes de Chebaa », occupé depuis 1967 par Israël mais revendiqué par la Syrie et le Liban. C'est dans ce même secteur que le Hezbollah a enlevé trois soldats israéliens, le mois dernier.
« Israël doit réagir avec force et intelligence et ne pas se laisser entraîner dans des aventures », a déclaré Ehoud Barak, en annonçant que son pays s'apprêtait à saisir l'ONU d'une plainte contre le Liban. Aux prises avec l'Intifada armée des Palestiniens et avec une situation intérieure difficile (voir l'article de Victor Cygielman), le Premier ministre cherche visiblement à éviter l'internationalisation de la crise au moment où les voisins arabes d'Israël semblent tentés, eux, par l'escalade diplomatique. Beyrouth et Damas, que Jérusalem tient pour responsables des activités du Hezbollah sur la frontière nord d'Israël et qui ne sont pas connus pour leur soutien résolu à la cause palestinienne ont certes d'autres chats à fouetter avec leurs problèmes domestiques - notamment le retrait du Liban des 35 000 soldats syriens, réclamé avec une insistance croissante par l'opinion libanaise - mais il en va différemment avec l'Egypte et la Jordanie.
Premier pays arabe à signer un accord de paix avec Israël, en mars 1979, l'Egypte a protesté contre « le recours excessif à la force » par Israël en rappelant son ambassadeur à Tel-Aviv, mais entend poursuivre son rôle d'intermédiaire entre Israéliens et Palestiniens. « La situation sur le terrain reste la même mais il y a une volonté d'Israël de mettre fin à la crise actuelle », déclarait dimanche le ministre des Affaires étrangères égyptien, Amr Moussa, après un entretien d'une heure entre le président Moubarak et le conseiller d'Ehoud Barak pour les questions de sécurité, Danny Yatom. Quant au souverain jordanien, Abdallah II, dont le royaume a également conclu un traité de paix avec Israël en 1994, il a de son côté décidé de ne pas nommer - pour le moment - de nouvel ambassadeur en Israël, tout en appelant, comme le président égyptien, à la mise en place rapide de la commission internationale d'enquête sur les vio- lences en Cisjordanie et à Gaza.
Même la Russie, parrain jusqu'alors distant du processus de paix d'Oslo, semble décidée à utiliser la crise israélo-palestinienne pour tenter un retour sur la scène diplomatique du Proche-Orient. Vladimir Poutine, qui recevait la semaine dernière au Kremlin Yasser Arafat, a pris l'initiative de le mettre en communication téléphonique avec Ehoud Barak avant de se déclarer favorable « à une présence internationale » dans les territoires occupés.
Ces grandes manoeuvres diplomatiques, qui se sont poursuivies à Vienne avec la rencontre entre la secrétaire d'Etat américaine Madeleine Albright et son homologue russe, Igor Ivanov, n'ont débouché, pour l'instant, sur aucun résultat concret. Le déploiement en Cisjordanie et à Gaza des 2000 mille « observateurs non-armés » demandés par l'Autorité palestinienne n'est toujours pas programmé. Mais Ehoud Barak aurait indiqué dimanche à un diplomate étranger qu'il était - pour la première fois - « disposé à l'envisager si le niveau de violence baissait de manière sensible ».
 
11. Arabic Media Internet Network du vendredi 30 novembre 2000
Qui, à l'Autorité palestinienne, va s'occuper des sirènes ? par Daoud Kuttab [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Mon ami, Khaled Batrawi, est ingénieur. Il travaille à Ramallah. Je suis aller le voir mardi soir, et je l'ai trouvé abattu par l'absence de réponse internationale à ce qui se passe chez nous. Entre autres choses, Khaled est en colère, car il pense que les officiels locaux de l'Autorité palestinienne ne font pas ce qu'il faudrait pour préparer les civils contre les raids actuels au mortier lourd ou les bombardements de missiles.
Les autorités municipales ne mettent pas comme condition aux permis de construire l'équipement des bâtiments en abris anti-aériens. Le résultat, c'est que la plupart de maisons et des immeubles d'appartements n'offrent aucun endroit où les habitants pourraient s'abriter lorsque les bombardements commencent.
Khaled a rencontré le gouverneur de Ramallah et d'autres responsables, il leur a suggéré que certains parkings souterrains pourraient être convertis en abris temporaires en y aménageant des salles de bains et des cuisines, ainsi que des entrepôts pour des biens non-périssables de première nécessité.
Radwan Shalbi est musicien et compositeur. Il était chez lui, dans son appartement situé au quatrième étage, avec son épouse et leur bébé lorsque Ramallah a été bombardée, la semaine dernière.
En l'absence d'abri dans l'immeuble, les Shalbi ont tout simplement décidé de rester là où ils se trouvaient et de laisser faire la chance. Ils ont entendu un bruit assourdi, provenant de la terrasse, mais n'y ont pas apporté beaucoup d'importance. Ce n'est que le lendemain qu'ils se sont rendu compte, une fois montés à la terrasse de l'immeuble, qu'il s'y trouvait une bombe non-explosée. Ils sont certains que si cette bombe avait explosé, ils auraient été tués.
Les histoires analogues de personnes qui ne savent où aller durant les bombardements abondent.
Un autre sujet de préoccupation pour mon ami Khaled, c'est l'absence de sirène qui pourrait permettre d'avertir les gens de l'imminence d'un raid. Il s'inquiète, parce que si, sous un quelconque prétexte, Israël décidait de bombarder un quartier en pleine nuit, par exemple, les gens pourraient être tués dans leur lit, à cause de l'impossibilité de les avertir pour qu'ils se mettent à l'abri dans un lieu plus sûr.
M. Abdel-Aziz Abu Sneneh, soixante ans, qui dormait dans sa chambre lorsqu'une bombe a complètement détruit sa maison, a été tué sur le coup.
L'idée des sirènes d'alarme semble surréaliste. Seuls les pays avec de vraies frontières ont recours aux sirènes d'alarme...
La Palestine n'est pas un état, en vertu du droit international, Israël est toujours responsable de la sécurité générale des Palestiniens vivant sous son occupation militaire... sauf dans les enclaves contrôlées par l'Autorité palestinienne...
Des pays équipés de systèmes de surveillance aérienne sophistiqués peuvent estimer l'approche des avions ennemis, des sirènes peuvent être utilisées afin de donner aux civils un temps parfois largement suffisant pour rejoindre des abris. Nous l'avons vu lorsque des missiles Scud irakiens ont été lancés ; nous le constatons régulièrement lorsque des roquettes Katiusha sont tirées contre le nord d'Israël.
Les Palestiniens n'ont pas de système de surveillance aérienne ; ils sont en contact régulier avec les Israéliens, via les comités de liaison.
Après le lynchage de deux soldats israéliens dans le centre de Ramallah, Israël a informé l'Autorité palestinienne de son intention de bombarder son QG. C'était la manière de procéder initiale, mais ce type de coordination s'est perdue dans les sables, et Israël a de plus en plus souvent recours à des bombardements de zones résidentielles sans aucune forme d'avertissement.
J'ai été interpellé par la question des sirènes d'alarme, si bien que j'ai décidé d'y donner suite avec un certain nombre d'officiels de l'Autorité. J'ai contacté Sami, un ancien officier de la caserne de pompiers de Jérusalem Est, qui a travaillé à Jérusalem comme membre du réseau national israélien des urgences. Il a reçu une formation en Israël et en Angleterre.
Maintenant à la retraite, Sami a été chargé par l'Autorité palestinienne d'assurer une mission d'assistant au ministère de la protection civile. Il a été nommé numéro deux en Cisjordanie dans ce domaine et promu au grade de colonel dans la police palestinienne.
Sami n'étant pas, de ce fait, disponible, j'ai parlé avec son chef, le brigadier-général Abdel Hayy Abdel Wahid, directeur de l'Unité de Défense passive dans les forces de la Sécurité publique palestinienne. Wahid a accueilli très favorablement la suggestion d'un système d'alerte par sirènes et il m'a indiqué qu'il y songeait très sérieusement, mais que l'autorisation présidentielle était indispensable.
"Pourquoi demandez-vous au Président Arafat d'approuver ce genre de détails ?" lui ai-je demandé.
Wahid m'a expliqué qu'étant donné que les sirènes peuvent aussi effrayer la population, elles pourraient avoir un effet contraire au but recherché. Il a aussi fait valoir qu'il serait nécessaire de déterminer différentes modulations, correspondant à différents types d'urgences. Wahid a évoqué la nécessité de mettre sur pied un programme d'information au plan national, en collaboration avec les stations télévision et radio régionales.
Une infrastructure électronique, avec un poste de commande central doit aussi être mise en place. Avec la séparation entre Gaza et la Cisjordanie, cela n'irait pas sans difficulté, si bien qu'il serait peut-être nécessaire d'opter pour des systèmes d'alerte régionaux. Chaque municipalité serait responsable de ses propres sirènes d'alarme.
Je ne sais pas si le Brigadier-général Abdel Wahid pourra rencontrer le Président Arafat, et, le cas échéant, s'il recevra le feu vert et les fonds indispensables au financement de l'installation d'un réseau de sirènes d'alarme national, voire même de réseaux régionaux.
Ce qui, pour moi, est clair, c'est que le peuple palestinien n'est absolument pas préparé au type de bombardements qui se produisent, parfois de manière quotidienne, dans la plupart des grandes villes et autour de ces dernières.
Ce qui est arrivé à M. Abu Sneneh et ce qui aurait pu arriver à mon ami Radwan et à sa famille ne peut qu'être qualifié de crimes de guerre. Néanmoins, les responsables palestiniens ont à charge de protéger la population civile contre ces actions criminelles des Israéliens.
 
12. Le Monde du jeudi 30 novembre 2000
Histoire de famille à Gaza par Bruno Philip
Père, fils, petit-fils, trois hommes, trois générations parlent de leur peuple, de leur pays perdu, du camp « provisoire » où ils vivent ensemble depuis plus d´un demi-siècle. L´un, nostalgique, ne croit plus à la paix ; le second, pratique, y aspire encore ; le troisième, membre des forces de sécurité de Yasser Arafat, se bat
TROIS hommes : le grand-père, massif dans sa « jalabiya » bleue, visage ridé et affable sous le keffieh traditionnel ; l´un des fils, chemise à carreaux et pantalon de velours, moustache sévère et regard un peu sombre qu´éclaire soudain un sourire inattendu ; et l´un des fils de ce fils, blouson et jeans noirs, le kalachnikov à portée de main, genre voyou sympa, la lèvre un rien moqueuse. Mohamad, Ibrahim et Maher, trois hommes sirotant leur café noir dans une grande pièce dénudée couverte de minces tapis, trois personnages incarnant trois périodes d´une histoire tourmentée, trois générations de la famille Mabho. Une famille pléthorique, comme souvent en Palestine : environ soixante-dix personnes, soixante-dix réfugiés, résidents du plus grand et du plus peuplé des camps de la bande de Gaza, celui de Jabalia.
Mohamad, le patriarche, soixante-huit ans, fut un fellah, fils de fellah d´une grande famille de propriétaires terriens du village de Beit Tina, près de l´actuel Ashkelon israélien, anciennement Majda, ville arabe du temps de l´empire ottoman puis du mandat britannique. « Mon père était le plus grand agriculteur du village, on possédait cinquante hectares de terre. » Mohamad Mabho a seize ans en 1948, lors de la déroute des armées arabes devant les soldats israéliens. Il doit quitter ses terres, avec toute sa famille. « Nous étions onze, mes parents, mes frères et sœurs, ma femme – car j´étais déjà marié –, et la femme de mon frère. Je me souviens du jour où mon père nous a dit : »Partons ! On ne va pas mourir ici !« Alors nous sommes partis. A pied, sur des ânes, sur des chameaux. La nuit, les avions israéliens nous bombardaient, nous et les soldats égyptiens en fuite. On s´en est allé vers Gaza, quelques dizaines de kilomètres plus loin. » Mohamad ouvre sa boîte de tabac en métal et se roule méthodiquement une cigarette. Il fait un geste ample de la main : « C´était une nation tout entière qui fuyait ! »
Les chiffres sont à la hauteur de cette affirmation : entre 1947 et fin 1948, durant un affrontement en trois temps, suivant d´abord l´affrontement intercommunautaire judéo-arabe, puis l´offensive militaire sioniste précédant la création de l´Etat d´Israël, et enfin le déclenchement de la guerre israélo-arabe après le 15 mai 1948, environ huit cent mille des neuf cent mille Palestiniens résidant sur le territoire du futur Israël vont devoir quitter leur domicile.
Les Mabho s´installent à Gaza. D´abord, ils louent une chambre chez des particuliers. « Onze personnes dans une pièce de quatre mètres sur cinq. On y a vécu plus d´un an. A onze dans la même pièce. » En 1950, les Nations unies leur fournissent des tentes. Ils couchent sur la plage de Gaza. Une autre année à vivre le long de la Méditerranée, puis la famille déménage pour le camp de Jabalia. Les années passant, le camp de toiles devient bidonville et le bidonville une ville de béton bientôt surpeuplée. Entre-temps, le fils de fellah est devenu vendeur de légumes au marché. « On avait des vergers de citrons, d´oliviers, d´amandiers, de coton. On a tout laissé derrière nous. Quand on est arrivé à Gaza, il nous restait seulement l´or des bracelets de nos femmes à vendre. Et le » tapu «, les actes de propriété de nos terres. »
Comme la plupart des réfugiés, les Mabho n´imaginaient pas, à l´arrivée dans Gaza, que leur exode allait durer. « On se disait : c´est pour une semaine, un mois, un an. Puis on s´est dit, c´est pour quelques années. Mais un demi-siècle, plus d´un demi-siècle, ça non, jamais ! »
Mohamad est retourné, à plusieurs reprises, sur ses terres. La première fois, en 1967, juste avant la guerre de six jours. La dernière fois en 1986, à la veille de la première Intifada. Là-bas, il a revu les champs et les vergers de son père. Mais sa maison n´existait plus : « Les colons l´avaient détruite. » Il a parlé aux Israéliens qui s´y étaient installés. Il leur a dit : « Vous habitez chez moi ! » Ils lui ont dit : « Ce n´est plus chez vous ! »Et puis, soutient Mohamad, « les colons juifs ont ajouté : »Nous vous avons pris vos terres de force, si vous les voulez, reprenez-les donc par la force !« »
A la réflexion, estime Mohamad, ce qui se passe aujourd´hui, en ces temps violents de deuxième Intifada, en ces temps où le processus de paix s´est réincarné en processus de guerre, n´est pas si différent de l´époque de la « nakba », ce « désastre » de 1948, qui reste dans la mémoire collective palestinienne comme l´une des étapes décisives de l´interminable affrontement israélo-arabe : « Les Juifs sont les plus forts aujourd´hui, ils l´étaient déjà hier. C´est la même histoire. » Pour le vieux fellah, fils de propriétaire devenu vendeur de légumes d´un camp de réfugiés, la paix semble, pour toujours, une impossible perspective. « Entre les Juifs et les Arabes, il n´y aura jamais le calme, assène-t-il avec un geste désabusé, même s´ils nous donnent une partie de la Palestine d´avant. Les Juifs d´aujourd´hui, ceux qui ont le pouvoir, ce sont des gens venus de l´étranger. Pas comme ceux avec qui on coexistait du temps de mon enfance. »
Mohamad explique : « A cette époque, on était voisins, on était amis avec les Juifs de Palestine, les Juifs qui habitaient ici avant l´arrivée des sionistes. On faisait la fête avec eux. Ils nous invitaient à leurs mariages, on les invitait aux nôtres. On était comme des frères. Aujourd´hui, les Juifs sont des oppresseurs. Et si Arafat a voulu enclencher le processus de paix, c´est par faiblesse. Les Juifs peuvent rester ici, en Palestine, mais sous souveraineté palestinienne. S´ils le veulent, on les acceptera et ils seront les bienvenus. Mais pas au prix de la confiscation de notre terre ! En tant qu´Etat, Israël est un corps étranger en Palestine ! »
IBRAHIM, l´un des fils de Mohamad (ils sont sept enfants), a quarante-deux ans. Ibrahim avoue volontiers, désignant son père : « Nous n´avons pas la même histoire. Il a vécu des choses que je ne peux même pas imaginer. Ça a été dur pour lui ! Moi, cela fait quinze ans que je travaille en Israël, comme carreleur, pour le compte d´une entreprise israélienne avec un patron juif. » Ibrahim est l´un de ces dizaines de milliers de travailleurs palestiniens des zones contrôlées par l´Autorité palestinienne depuis les accords de paix d´Oslo à aller quotidiennement travailler en Israël. Il ne le peut plus depuis deux mois, depuis le début de l´Intifada, l´Etat hébreu ayant bouclé les frontières de Gaza et de Cisjordanie. Mais Ibrahim réserve son amertume aux dirigeants israéliens. Pas au peuple de cet Israël où il a « plein d´amis ».
« Quand les hélicoptères israéliens ont bombardé Gaza [lundi 20 novembre], mon patron m´a appelé d´Israël pour demander comment ça allait, si je n´avais pas trop peur. »Fais attention à toi«, m´a-t-il dit. Vous savez, les Juifs, ils sont comme nous. Ils sont aussi écœurés que nous par la politique de leurs leaders, la seule chose qu´ils veulent c´est ce que nous voulons : la paix ! Durant la première Intifada, en 1987, quand l´armée, comme aujourd´hui, a bouclé Gaza, j´ai été hébergé pendant quinze jours à Ashdod, en Israël, chez des Juifs originaires de Turquie. Même qu´un soir, alors que les militaires patrouillaient les rues pour voir si des Arabes ne se seraient pas cachés en ville, mes amis juifs leur ont dit : »Non, il n´y a pas d´Arabe chez nous.« Et moi, j´étais chez eux, nourri logé ! », raconte Ibrahim en s´esclaffant. Il ajoute, sérieux : « Je n´ai pas travaillé depuis deux mois. Mais mon patron me paie encore et continue à m´envoyer un chèque chaque mois. Mon père ne peut pas penser de la même façon. Il ne les connaît pas, les Israéliens. Moi, ça fait tellement d´années que je les côtoie, je parle hébreu, j´ai appris à les connaître. Eux et nous savons que, si on arrive à s´entendre, ce pays sera le Singapour du Proche-Orient. Il y a de la place pour nos deux peuples. Mais à la condition d´arriver à une paix équitable pour eux et pour nous. »
Et l´Intifada, dans tout cela ? Qu´en pense donc Ibrahim, le travailleur immigré en Israël, l´ami des Juifs ? Le fils Mabho réfléchit un long moment avant de répondre. La réponse semble lui coûter. Il allume encore une cigarette puis finit par lâcher : « Si cette révolte sert à quelque chose, alors faisons-la. Sinon, je ne vois pas pourquoi on continuerait. » Mais qu´en pense-t-il ? « Je ne sais pas. Je ne peux pas vous dire. Mais je crois que nos dirigeants doivent mûrement réfléchir, peser le pour et le contre avant de prendre la décision de savoir s´il faut prolonger cette révolte. » Puis il s´explique : « J´ai commencé à travailler quand j´avais quinze ans. J´ai dix enfants, six garçons et quatre filles. Je n´ai jamais lancé de pierres sur un soldat israélien. Ni durant la première Intifada ni maintenant. J´ai une famille à nourrir. Et je n´ai pas envie que mes enfants y participent non plus. Alors que voulez-vous que je vous dise : les Israéliens sont les forts, nous, on est les faibles. »
Maher, vingt-deux ans, fils d´Ibrahim, petit-fils de Mohamad. Le jeune homme, qui tient un kalachnikov sur ses genoux, est policier. Pas n´importe quelle police : il est membre de la sécurité préventive, les redoutables et redoutées forces de sécurité et de renseignement intérieur du puissant Mohamad Dahlan, l´homme fort, l´homme lige de Yasser Arafat. Qui, après une longue lune de miel avec l´armée israélienne au temps du « processus d´Oslo », est désormais décrit chaque jour par Israël – à tort ou à raison – comme le cerveau des opérations de guérilla contre Tsahal. Mais le jeune Maher, lui, est aussi un « vieux » militant du Fatah, parti d´Arafat et principale formation de ce qui fut l´OLP, l´Organisation de libération de la Palestine.
Lors de la première Intifada, à quinze ans, Maher était sur les barricades, jetant des pierres aux soldats d´Israël. Il a été blessé en 1993. A trois reprises. Il lève la jambe de son pantalon, montre les cicatrices que lui ont laissées les balles. Il a été en prison. Une fois, durant dix-huit jours, en 1992. Il se rappelle comment les matons faisaient semblant de lui apporter une cigarette et finissaient par l´écraser devant lui pour le narguer. Comment ils faisaient de même avec un verre d´eau quand il avait très soif. « Mais que peut-on attendre d´une force d´occupation ? », commente Maher.
Quand la paix se profile, après la signature des accords d´Oslo, en 1993, le jeune militant se souvient avoir été « plein d´espoir ». « Je n´étais pas pleinement satisfait, concède-t-il ; bien sûr, c´était une paix tronquée et après la reconnaissance de l´Etat d´Israël par Arafat, on savait que l´on ne récupérerait jamais la Palestine de mon grand-père. Mais, comme dit un vieux proverbe de chasseur arabe, »mieux vaut un oiseau capturé dans la main que dix autres inaccessibles sur leurs branches«. Oui, nous avons cru à cette paix, l´espoir, pour nous les jeunes, était immense. Et on savait qu´il fallait nous adapter à une nouvelle situation : c´est-à-dire coexister avec les Juifs. » Mais aujourd´hui ? Maher fait une moue en se levant. Le jeune homme est pressé et doit se rendre à un rendez-vous « secret », ainsi l´exige son travail. « L´Intifada d´aujourd´hui, on la voit venir depuis longtemps. Ça fait un bout de temps qu´on savait que tout allait exploser. »
Maher disparaît. Mohamad l´aïeul est parti se coucher. Il est tard. Son fils Ibrahim désigne de la main l´étroite ruelle qui court dans l´immense camp de Jabalia : « Je parlais de la paix. Mais pas à n´importe quel prix. Je suis né dans ce camp il y a quarante-deux ans. Je travaille en Israël, mais j´ai toujours vécu ici, à Gaza. Et j´ai toujours su que je n´étais pas chez moi. Un jour, je le sais, et nous le savons tous, je retournerai sur la terre de ma famille. Et mon père le sait aussi. Et si lui n´y retourne pas, et si moi je n´y retourne pas, ce sera mon fils qui ira. »Il montre l´immeuble sans grâce qu´est sa maison. « Ici, en comparaison de ce que nous avons eu, c´est rien. Ici, en comparaison de ce que nous étions, nous ne sommes rien ! »
 
13. The New York Times (quotidien américain) du vendredi 30 novembre 2000
Israël : crise politique dans la guerre par Deborah Sontag [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Jérusalem, 29 novembre. Tandis que la campagne électorale israélienne venait d'être lancée officieusement aujourd'hui, les experts politique locaux prévoyaient déjà des turbulences sur tous les fronts.
Anticipant un remake de la compétition entre Barak et Netanyahu, dans les élections du printemps prochain, ils y voient l'affrontement de deux premiers ministres déchus, sur le fond d'un système politique profondément en crise, et au beau milieu d'un conflit très violent avec les Palestiniens.
Et encore, là, je vous parle des experts optimistes...
"C'est une crise extrêmement sérieuse", a déclaré Yaron Ezrahi, un politologue éminent. "Au beau milieu d'une situation d'urgence entre nous et les Palestiniens, la Knesset déclare une guerre politique entre Juifs. Généralement, les démocraties suspendent le débat politique durant de telles périodes d'urgence. Pas nous. Nous accentuons délibérément nos conflits internes au moment même où le pays est en état de siège".
Il est clair que le conflit affectera la campagne, et que la campagne affectera le déroulement du conflit.
Déjà, aujourd'hui, M. Barak a annulé un séminaire de brainstorming axé sur la manière de retourner à la table des négociations, pour consacrer son temps aux considérations de politique intérieure. Mais la violence, elle, ne pouvait pas être mise de côté : les soldats israéliens ont tué quatre Palestinien à Gaza, des terroristes selon leurs dires, et des Palestiniens armés ont blessé grièvement un automobiliste israélien en Cisjordanie.
Lundi, M. Barak, le soldat le plus décoré d'Israël, a revêtu sa tenue de combat face au Parlement, la Knesset, en ébullition contre lui. Il a pris de court ses opposants en leur donnant ce qu'ils disaient vouloir : la possibilité de tenir de nouvelles élections.
Dans ses remarques, M. Barak, politicien qui ne se reconnaît pas comme tel, s'est plaint du fait que la politicaillerie avait gagné. Un gouvernement responsable ne peut se permettre d'envisager la tenue d'élections dans une situation d'urgence nationale, a-t-il dit aux législateurs.
Aujourd'hui, en revanche, M. Barak allait plus loin que simplement "envisager". Il se préparait pour les primaires. Il a rencontré Avraham Burg, le président du parlement, pour lui demander s'il était prêt à être candidat, face à lui, pour la direction du parti Travailliste. M. Burg, qui est resté silencieux toute la journée, contrairement à son habitude, envisage sérieusement cette éventualité, que M. Barak semble considérer plus comme une épine dans le pied que comme une menace.
"Le premier ministre préfère considérer les primaires comme un épisode qui sera très vite dépassé", a commenté Binyamin Ben-Eliezer, ministre de la communication fidèle de Barak. "Elles doivent être tenues d'ici un mois, ou une quarantaine de jours, si bien que nous serons libres, après ça, lui, Barak, pour conduire les affaires diplomatiques et militaires et le parti, pour préparer les élections."
Plusieurs experts estiment que M. Barak a besoin de restaurer le calme et d'assurer un certain modus vivendi avec les Palestiniens s'il veut être réélu. "Le sort de M. Barak est désormais entre les mains de l'homme qu'il méprise apparemment le plus au monde : Yasser Arafat", a écrit hier l'éditorialiste politique Nahum Barnea. 
Mais les initiatives diplomatiques seront très difficiles à prendre dans le contexte d'une campagne électorale difficile, quelles que soient par ailleurs les inclinations personnelles de M. Arafat. Les opposants à M. Barak arguent d'ores et déjà du fait qu'il n'est plus mandaté pour prendre des décisions cruciales. "Avec 79 députés votant contre lui, M. Barak a perdu la capacité à conduire le processus de paix dans la période qui s'ouvre", a dit Dore Gold, ancien ambassadeur d'Israël à l'ONU. "Ajoutez à cela qu'Arafat est parfaitement conscient des besoins de Barak, ce qui signifie que l'avantage de ce dernier est réduit comme jamais il ne l'a été et qu'il devrait se montrer encore plus conciliant, au moment où l'opinion publique est devenue plus intransigeante".
Ariel Sharon, leader du parti d'opposition Likud, a déclaré aujourd'hui qu'il se portait candidat contre M. Barak au poste de premier ministre. Mais aucun député Likud n'a exprimé son soutien à M. Sharon publiquement jusqu'à maintenant. La plupart des gens s'attendent à ce que M. Netanyahu, qui a abandonné l'arène politique après sa défaite cuisante face à M. Barak en mai 1999, va y revenir afin de contester à M. Sharon la direction du parti, avant de se porter candidat aux législatives face à M. Barak.
"Dans les sondages dont j'ai eu connaissance, Netanyahu battrait n'importe quel autre candidat, et de beaucoup", a indiqué Meir Sheetrit, un député du Likud. "C'est pourquoi je sais que si Netanyahu revient, c'est en vue des élections".
Limor Livnat, un officiel du Likud bardé de ses propres ambitions, a fait la confidence suivante : "Quiconque prendra la tête du Likud sera le futur premier ministre d'Israël. Même si on mettait un balai à la tête du parti - et ça ne sera pas un balai - il battrait Barak". 
M. Barak est convenu de tenir de nouvelles élections juste dix-sept mois après sa prise de fonction, en principe pour un mandat de quatre ans. M. Netanyahu a chuté après 19 mois à la tête du gouvernement. Ceci amène certains Israéliens à se demander si le système politique n'est pas au moins aussi fautif que les leaders eux-mêmes.
"Quand je regarde la situation d'un point de vue non politique, je vois le deuxième premier ministre à tomber au milieu de son mandat, et je commence à me demander, avec inquiétude, si nous ne sommes pas entrés dans une bourrasque d'instabilité politique chronique", a commenté Yuval Steinitz, un député Likud.
Certains Israéliens blâment le système électoral adopté il y a quatre ans, qui a fait du système politique israélien un hybride entre les régimes quasi-parlementaire et quasi-présidentiel. M. Netanyahu et M. Barak sont, en effet, les deux (premiers) premiers ministres israéliens à avoir été élus au suffrage universel. En les élisant, les Israéliens étaient invités à déposer deux bulletins, l'un pour le choix du premier ministre, et l'autre pour la détermination des composantes du parlement. Ceci a donné un pouvoir important à une multitude de petits partis, affaibli le parti Travailliste et le Likud, et dilué le lien existant auparavant entre le Parlement et le premier ministre.
Dalia Itzik, ministre de l'environnement, a déclaré que la capacité de M. Barak à gouverner était obérée par la faiblesse du parti Travailliste (à la Knesset). C'est encore le parti le plus important. Mais, avec seulement 23 députés sur 120 (au total), M. Barak ne dispose pas de l'"outil parlementaire" lui évitant des négociations de marchands de tapis destinées à gagner le soutien de petites formations, a-t-elle ajouté.
Une campagne pour revenir à l'ancien système de vote unique, dès les élections du printemps prochain, est en train de gagner de l'audience : un projet de loi a d'ores et déjà été déposé au parlement. 21 députés travaillistes (sur les 23) ont décidé de soutenir cette initiative, les deux députés travaillistes opposés à cette proposition de loi étant Haïm Ramon, autre rival potentiel de M. Barak, et M. Barak lui-même, qui aurait bien du mal à la soutenir publiquement, étant donné que les électeurs pourraient en déduire qu'il est effrayé de la perspective d'un affrontement seul-à-seul avec M. Netanyahu. Les députés du Likud sont nombreux à la soutenir, également. Mais, et ce n'est pas une surprise, les petits partis qui sont les principaux bénéficiaires du système des deux votes (pour la charge de premier ministre et pour l'élection des députés, NdT) ne seront vraisemblablement pas favorable à un changement en ce sens.
Si le système (électoral) ne change pas, M. Barak aura-t-il assez de troupes pour diriger ? Lui qui voulait être le premier ministre de "tout-le-mon-de", comme l'assénait son slogan de campagne, a fini par se retrouver on ne peut plus seul. Il a commencé son mandat avec une méga-coalition de 75 députés (sur 120 au total, rappelons-le), de droite comme de gauche, laïcs comme religieux. Il ne lui en reste plus que 30. Il a commencé avec des ambitions d'étendre le parti Travailliste en une nouvelle coalition appelée "Un Israël", et il se retrouve avec un parti affaibli, démoralisé, inquiet de son identité.
 
14. Al-Nahar (quotidien libanais) du jeudi 29 novembre 2000
Aspects économiques de l'intifada palestinienne par Kamal Dib [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
(Kamal Dib est un économiste libanais, résidant au Canada.)
Sur le terrain, Israël enregistre un succès éclatant, puisque la bourse des victimes, morts et blessés, relève 250 morts et 10 000 blessés palestiniens, en deux mois d'intifada, tandis que le nombre des morts israéliens ne dépasse pas vingt personnes (non-arabes) et cent blessés. Mais il existe un marché d'une autre nature, très actif lui aussi, dans le contexte de cet affrontement militaire inégal. Cet autre affrontement, c'est la guerre économique, dans laquelle plusieurs indices montrent que les pertes d'Israël sont plus importantes que les pertes palestiniennes.
Le Conseil économique palestinien estime que l'économie palestinienne a subi des pertes d'un montant total de 900 millions de dollars au cours des quarante-quatre jours écoulés depuis le déclenchement de l'intifada, le 28 septembre dernier, tandis qu'Israël perdait cette même somme dans le seul secteur du tourisme.  Mais la question est posée de la pertinence d'une comparaison entre les deux économies israélienne et palestinienne. En effet, Israël est un pays industriel hautement développé, dont la production intérieure brute atteint 120 milliards de dollars annuellement, tandis que la "Palestine" représente, en réalité, un ensemble de régions soumises à l'occupation, jouissant d'une autonomie restreinte et d'une infrastructure économique embryonnaire, dont le produit intérieur brut ne dépasse pas les 4 milliards de dollars annuels.
Ainsi, les pertes enregistrées par l'économie palestinienne s'élèvent à 25% de son produit intérieur brut annuel, environ, tandis que les pertes de l'économie israélienne ne représentent pas plus de 5% du produit intérieur brut israélien. Mais la comparaison ne s'arrête pas là, car l'économie israélienne ne manquera pas de subir des pertes plus importantes si la situation reste aussi explosive jusqu'à l'année prochaine.
L'économie palestinienne
Le Conseil économique palestinien a estimé les pertes subies au cours des six premières semaines de l'intifada comme suit :
- 300 millions de dollars de pertes dues à des destructions d'infrastructures et aux dégâts subis par les biens immobiliers privés ;
- 100 millions de manque à gagner pour l'autorité palestinienne, attribuables au gel des redevances dues par Israël, au marasme des échanges commerciaux et au déficit des taxes sur ces derniers ;
- 100 millions de dollars de pertes dans le secteur agricole ;
- 260 millions de dollars de salaires non-perçus, en raison de l'interdiction faite aux travailleurs palestiniens de rejoindre leur lieux de travail en Israël (rappelons que 125 000 travailleurs de Gaza et de Cisjordanie travaillent à l'intérieur de la "ligne verte") ;
- 220 millions de dollars de pertes diverses, liées au blocus, à la fragmentation du territoire palestinien, à la politique visant à affamer et à paupériser la population, à entraîner la fermeture des institutions éducatives et des services économiques pour des périodes indéterminées.
Les médias palestiniens estiment les pertes quotidiennes subies par l'économie palestinienne à 19,5 millions de dollars, en prenant en compte la totalité des secteurs productifs.
En sus de ces pertes directes, le directeur de la Monnaie palestinienne, Monsieur Fuad Bsiso, estime que "les pertes induites seront très importantes, à court terme, en particulier sur le plan des investissements et des opportunités de développement." En effet, un grand nombre d'investisseurs ont décidé de geler des projets en cours de réalisation, pour une valeur de 80 millions de dollars, tandis que les états donateurs décidaient de geler de nombreux projets à cause du blocus imposé par Israël aux territoires palestiniens.
Le ministère palestinien de l'industrie estime les pertes quotidiennes du secteur industriel à 5 millions de dollars, soit 220 millions de dollars sur les 44 jours d'intifada. Il faut noter une grave crise d'approvisionnement en matières premières, qui représentent 75 pour cent des intrants, en raison de la fermeture par Israël des ports et des aéroports, et du blocus qu'il impose aux territoires palestiniens. La production est réduite aux 20% des capacités.
Ces données confirment l'avertissement lancé par la Banque Mondiale, dans un communiqué détaillé, publié le 17 novembre, sur le fait que le blocus provoque des pertes catastrophiques à l'économie palestinienne, qui s'élèvent à 210 millions de dollars, et qui estime que la prolongation du blocus jusqu'à la fin de cette année aurait pour effet de porter ces pertes à 620 millions de dollars, tandis que, si le blocus devait durer toute l'année 2001, les pertes se monteraient alors à 1,7 milliard de dollars, ce qui correspondrait à une réduction de l'économie à la moitié de sa capacité au bout de six mois, ce qui obérerait gravement la capacité de l'économie palestinienne de se redresser à l'avenir, sa situation ressemblant fortement à celle du Liban au sortir de la guerre civile, en 1990.
A l'intérieur de la ligne verte, existe une deuxième économie palestinienne : celle des Palestiniens de 1948, qui représentent 20% de la population israélienne et qui sont en butte au boycott des achats de leurs productions ou de leurs prestations de services de la part des Juifs. La plupart des entreprises arabes, en Israël, dépendent de la demande juive. La clientèle juive représente, en effet, 80% de l'ensemble de la demande de produits et de services arabes. Les patrons arabes ont recours, actuellement, à des licenciements massifs, confrontés qu'ils sont à des pertes énormes de chiffre d'affaires.
Il est vraisemblable que l'effondrement économique des Arabes israéliens entraînera une recrudescence de violences et de problèmes sociaux. La Galilée et la région de Safad sont les plus menacées par une explosion sociale consécutive à l'effondrement de l'économie arabe israélienne.
De même, la crise économique frappe la Jordanie et l'Egypte, deux pays arabes entretenant avec Israël des relations économiques, industrielles, commerciales et touristiques. Le Liban n'est pas épargné, en raison de la tension régnant dans la région. L'un des indices de la manière dont le Liban est affecté est le grave revers subi par le secteur touristique : il y a eu une affluence minime aux compétitions sportives pour la Coupe asiatique, qui se déroulaient à Beyrouth et dans la plupart des régions libanaises, si bien que l'on a pu comparer les stades à des cimetières désertiques entre les tombes desquels siffle un vent mauvais, tandis que les hôtels de la capitale étaient loin d'enregistrer les nuitées escomptées.
L'économie israélienne
Les pertes de l'économie israélienne sont multiples et ramifiées, car l'économie israélienne est très développée et sophistiquée. Il y a les coûts militaires, estimés à 1,5 million de dollars chaque jour, soit environ 100 millions de dollars sur deux mois (d'intifada). La bourse subit des baisses en valeurs et en effets de commerce, le shekel (monnaie israélien) s'effondre face au dollar, tandis que la valeur des exportations vers les territoires palestiniens est en chute libre. Les pertes liées à l'absence de la main-d'oeuvre palestinienne des entreprises israéliennes s'élèvent à 600 millions de dollars. Le secteur touristique a perdu, à lui seul, 900 millions de dollars. Sur le plan monétaire, l'indicateur d'inflation s'est élevé pour la première fois depuis plusieurs années, tandis que la banque centrale israélienne s'est avérée incapable d'obtenir l'avance de 800 millions de dollars qu'elle escomptait recevoir de Washington en rétribution du retrait israélien du Liban.
Le tourisme
Le secteur touristique israélien est promis à des chocs dévastateurs à court terme. Alors que le pourcentage des annulations de réservations de voyages atteignait, au cours du mois d'octobre, environ le tiers, on s'attend à ce qu'elles atteignent 80% en novembre. Cela n'est pas sans conséquences pour les visites de groupes qui comportent des sites palestiniens, en particulier Bethléem, Ramallah et Jérusalem-Est et, pour certaines d'entre elles, la Jordanie et l'Egypte. Trois millions de touristes étaient attendus en Israël durant l'an 2000, et trois millions cinq cent mille touristes en 2001. Les prévisions pour 2000 ont été ramenées à deux millions de visiteurs, et à moins de deux millions pour 2001. En tenant compte du fait que la préparation des voyages des touristes américains et européens nécessite, en moyenne, neuf mois, on peut escompter que le tourisme ne redeviendrait florissant, si les troubles cessaient demain, pas avant la fin 2001 (Source : Ha-Aretz, 19 octobre 2000).
Au congrès mondial du tourisme de Londres (15 novembre), le ministre palestinien du tourisme a indiqué que le tourisme israélien enregistrait des pertes de 90%, tandis qu'il était réduit à sa plus simple expression dans les territoires palestiniens. En 1999, Israël a pu tirer plus de 4 milliards de dollars de son secteur touristique : 3,8 millions de touristes s'y sont rendus cette même année. Il est probable que les pertes, pour l'ensemble de l'année 2000, représenteront le tiers d'une activité normale, environ. Il y a un lien organique entre l'activité touristique israélienne et l'activité du secteur touristique palestinien : le blocus des régions palestiniennes et le bombardement d'infrastructures touristiques, hôtels, casinos..., se traduisant obligatoirement par une diminution du nombre de visiteurs dans les territoires palestiniens et par la quasi-absence de pélerins désireux de se rendre sur les lieux saints de Cisjordanie.
Le marché financier
Sur le plan monétaire, la banque centrale israélienne poursuivait un programme échelonné d'abaissement du coût de l'escompte. Mais, depuis la fin octobre, elle n'a pas réussi à soutenir le rythme des ajustements à la baisse de ce taux, dans un contexte inflationniste dépassant de 80 points le taux de référence américain, pour atteindre 250 points actuellement, ce qui représente la différence entre le taux de l'escompte américain (6,5%) et le taux relevé en Israël (8,3%).
Ceci signifie qu'Israël ne sera pas en mesure d'abaisser son taux d'escompte pour de nombreux mois à venir, dans un contexte de déplacement de capitaux quittant le shekel israélien pour le dollar. Ce contexte monétaire affecte la bourse de Tel-Aviv, qui a baissé, à son tour, comme baissaient les obligations et les bons du trésor israéliens, fierté et valeurs sûres du système financier israélien.
Les Palestiniens perdront vraisemblablement beaucoup, et leurs difficultés quotidiennes ne pourront que s'aggraver de part le repli de leur économie à la moitié de ses capacités. Mais le temps ne travaille pas pour Israël, dont les activités sont extrêmement diversifiées, car ce pays s'oriente depuis plusieurs années vers une économie de services, dont la bonne marche dépend avant tout de la sécurité et de la stabilité. La prolongation de l'intifada jusqu'au printemps prochain signifierait une récession économique, voire un effondrement, en Israël, situation que ce pays n'a jamais connu depuis sa création, en 1948, puisqu'au contraire, ses guerres contre les Arabes ont toutes correspondu à des paliers dans l'expansion de son économie florissante...
Qui souffrira le plus ? Les Palestiniens, à n'en pas douter. Mais qui pourra retirer sa main de l'étau de l'autre le premier ? C'est la Question.
 
15. Arabic Media Internet Network du mercredi 28 novembre 2000
Lettre ouverte au Président Arafat par Haydar Abd al-Shafi [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Excellence,
L'intifada palestinienne unique, dont nous vivons les gloires et les difficultés, n'a pas été déclenchée par un événement fortuit ou sous l'empire d'une réaction émotionnelle, mais elle résulte de la conviction renforcée par l'expérience que nos droits spoliés ne pourront être recouvrés et rendus effectifs au moyen de négociations vidées de leur contenu, mais bien grâce à une lutte organisée, seule à même de donner aux négociations le contenu garantissant leur efficacité et l'obtention de l'intégralité de nos droits. De plus, l'intifada, avec ses multiples gages de courage, d'esprit de sacrifice et d'abnégation, nous place tous - et vous, en premier lieu, Excellence - devant des responsabilités historiques, sur les modalités de sa prise en considération sous tous aspects et avec tout ce qui en découle en matière de devoirs et de responsabilités, en vue de la rendre efficace, de faire aboutir sa mission en répondant à ses exigences en ce qui concerne les différents aspects de la vie des citoyens, organisationnels, économiques et en matière de mobilisation.
Excellence,
Nous avons besoin d'un effort organisationnel effectif et persévérant, allant dans le sens de la mobilisation des potentialités négligées et inutilisées dont nous ne manquons pas, d'une manière objective n'obéissant pas à des considérations personnelles ou de caste, en veillant en tout à l'affirmation du règne de l'état de droit et du respect des droits de l'homme et en mobilisant le principe de la responsabilité et de la transparence dans l'utilisation de l'argent public. Je vous demande, en faisant appel à vos responsabilités historiques, de veiller à l'établissement et au renforcement d'un gouvernement d'unité nationale, qui établisse un modèle d'action organisée, seul à même de répondre de manière effective aux besoins essentiels des citoyens, dans les circonstances présentes, de manière à assurer la continuation de la lutte (intifada), d'en renforcer l'efficacité et de garantir le succès de sa mission.
Salutations - le 28 novembre 2000 (2 Ramadan 1421 de l'Hégire).
 
16. Al-Safir (quotidien libanais) du mercredi 27 novembre 2000
Les Palestiniens face aux conséquences du blocus économique israélien
par Nahid Hattir [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
(Nahid Hattir est économiste du bureau palestinien des statistiques à Damas)
Durant les années d'occupation, de 1967 à 2000, les autorités occupantes israéliennes ont confisqué, au bénéfice des colonies, 85% des ressources hydriques palestiniennes totales, estimées à 750 millions de m3, entraînant la crise du secteur agricole palestinien. La puissance occupante en est arrivée à contrôler 90% du commerce extérieur palestinien global, plaçant la balance commerciale palestinienne sous le signe constant du déficit en faveur d'Israël, jusqu'en 2000 compris. En conséquence de quoi, environ 120 000 Palestiniens ont été contraints de travailler dans les emplois inférieurs de l'économie israélienne - ceux qui étaient délaissés par la main-d'oeuvre israélienne.
Depuis le début des années 80, les revenus des Palestiniens travaillant en Israël ont commencé à s'élever peu à peu, pour atteindre à la fin de la décennie un quart du produit national palestinien, soit, en 1999, environ 4,2 milliards d'US$, rendant la main-d'oeuvre palestinienne plus captive que jamais du marché de l'emploi israélien, sur le fond d'une économie palestinienne incapable d'absorber la force de travail disponible, bien qu'un mot d'ordre de boycott du "travail juif" ait été proclamé dès l'occupation, en 1967. Ainsi, la main-d'oeuvre palestinienne employée en Israël est devenue une carte politique entre les mains de ce dernier. Ce phénomène s'est accentué au cours de l'Intifada, qui a éclaté le 7 décembre 1987 et s'est poursuivie sept années durant. La pression économique israélienne a été remise à l'ordre du jour, avec l'Intifada "d'Al-Aqsa", qui a débuté le 28 septembre 2000. L'interdiction totale opposée aux Palestiniens de se rendre à leur travail en Israël a des conséquences graves pour le fonctionnement de l'économie palestinienne générale, causant à cette dernière un manque à gagner estimé à 8 millions d'US$ par jour, soit 240 millions d'US$ par mois.
Ce manque à gagner est appelé à être cumulatif si l'intifada devait se prolonger, entraînant les bouclages des territoires et la pression économique de la part d'Israël, pour aboutir, le cas échéant, à un manque à gagner annuel de 2 800 millions d'US$. L'interdiction du travail, frappant 120 000 travailleurs palestiniens, a des conséquences graves immédiates pour un nombre équivalent de familles palestiniennes, qui représentent environ 720 000 personnes, soit 24% de la population des Territoires (environ 3 millions de personnes, en 2000). Cette situation rend indispensable l'ouverture des marchés arabes du travail, en particulier dans les pays du Golfe, à la main-d'oeuvre palestinienne, afin que les Palestiniens puissent résister aux coups de force économiques qu'Israël tente de leur asséner de manière quotidienne et qui visent à épuiser l'intifada économiquement, afin de contraindre les Palestiniens à se soumettre aux conditions édictées par Israël dans le cadre de négociations qui, déjà, penchent structurellement en faveur de la partie israélienne.
Les décisions du sommet arabe du Caire, en particulier, celle de créer deux fonds d'aide, atteignant la somme d'environ un milliard de dollars, étaient absolument nécessaires pour soutenir la résistance du peuple palestinien et la défense de son droit à vivre sur ses terres et à conserver ses lieux saints. Mais, seule, l'ouverture des marchés arabes du travail présenterait un intérêt économique, politique et stratégique, sur le long terme, par ses effets induits positifs sur la capacité de l'économie palestinienne à échapper progressivement à l'emprise de l'économie israélienne.
 
17. Al-Quds (quotidien palestinien) du mercredi 27 novembre 2000
Silence des intellectuels ? par le Dr. Talal al-Sharif [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Des amis me demandent pourquoi j'écris moins d'articles, depuis le début de l'intifada, alors que j'étais assez prolixe avant qu'elle n'éclate ? Comment expliquer cette régression, dans le contexte de crise actuel, alors qu'on a besoin plus que jamais d'expression, de publication, d'idées ? Certes, la période est avide d'idées et de prises de parole. Mais il s'agit, en l'occurrence, de la parole du leader politique et de l'idée directrice de la lutte populaire, avec toutes ses forces vives, et ce rôle échoit à des responsables, à des personnes spécialisées dans la gestion d'un front et dans l'influence directe que pourraient exercer des personnalités compétentes et expérimentées dans la mobilisation des troupes et la conduite des opérations, et Dieu sait qu'il n'en manque pas. Quant aux écrivains, aux intellectuels, aux penseurs, leur rôle est d'entrer en résonnance avec la nouvelle réalité, après avoir vibré avec le statu quo ante et en avoir analysé les tenants et les aboutissants, après avoir construit une vision et une pensée, exposée dans des articles afin qu'on s'en approprie et qu'elle devienne un bien social général sur lequel le politique puisse appuyer son traitement de la crise.
En d'autres termes, pour moi, l'écrivain authentique est celui qui entre en interaction avec le réel, qui en rejette les scories et en met en valeur les aspects positifs, le poussant dans le sens du changement et avertissant des dangers futurs dont il est porteur, et c'est ce que je pense avoir fait, avant l'intifada. Nous vivions une situation faite d'angoisse réelle, face à un avenir peut-être plus létal que les bombardements que nous subissons en cet instant, ces bombardements qui constituent, en dépit de toutes leurs victimes, une sorte d'aiguillon poussant notre peuple à aller de l'avant et cela, d'autant plus qu'une lecture approfondie de tout ce qui se passe nous montre que nous sommes plus en position de force qu'auparavant, et que nous sommes plus sereins en ce qui concerne ce qui menaçait nos constantes, nos principes et notre avenir, avant cette intifada, qui met un terme à sept années stériles, au cours desquelles nous mourrions chaque jour d'abattement, de temporisation, de l'arrogance israélienne, du complot international. Aujourd'hui, nous incarnons la volonté, nous ne sommes plus anesthésiés à la paix frelatée et aux négociations stériles, utilisées par Israël comme un paravent pour continuer à s'emparer de territoires et à imposer de nouveaux faits accomplis. C'est ce même paravent qui cachait la réalité aux yeux du monde et jouait le rôle d'une drogue, pour nous, afin de nous amener à patienter encore de longues années en nous berçant de rêves et d'illusions.
L'écrivain authentique est celui qui recompose le puzzle, qui replace les moellons, pour reconstruire une position solide. Avant l'intifada, c'était la mission des décideurs chargés de capter la résultante du mouvement populaire. L'écrivain, à l'instar de tout citoyen, demeure un participant, un observateur, un combattant, accumulant, rassemblant, analysant, déconstruisant l'événement inédit afin de déterminer s'il peut se reposer, confiant, sur son orientation, tant au niveau du peuple qu'au niveau directionnel : tel est l'écrivain utile à son peuple, l'écrivain donnant pour la simple beauté du don, et non parce qu'il est contraint de noircir deux colonnes d'un journal chaque jour, ou d'exercer la profession de l'écriture dans un but alimentaire, ou parce qu'il est prêt à écrire vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sans se soucier de savoir si ce qu'il écrit est juste ou non, si l'idée est exposée au moment idoine ou non. Ceux-là ne bâtissent pas une prise de position, ils ne font qu'enregistrer leurs états d'âme et leurs réactions.
Mais un écrivain capable d'observer la réalité, de vivre en symbiose avec cette dernière pour la refléter dans ses écrits, en écarter ce qu'il juge négatif, a besoin de concentration, de précision, il n'a pas besoin d'idée trouvée par hasard ou laborieusement fabriquée afin qu'elle accompagne le réel : de telles idées sont incapables d'en changer quoi que ce soit. Nous sommes confrontés à une situation à laquelle aucun élément ne manque, dans laquelle le but est clair. Cette situation nous dit qu'une étape, avec toutes ses données propres, est terminée, et qu'une étape nouvelle a commencé, dont le mot d'ordre a été lancé avant-même l'éclatement de l'intifada, chose qui confirme que cette étape nouvelle est l'instrument destiné à amender les aspects négatifs de l'étape précédente et leurs conséquences.
Cette étape nouvelle est celle d'un pas en avant, pour notre peuple, et non d'un pas en arrière. Dans le sens où le sang qui coule nous dit, avant toute chose, qu'il ne saurait y avoir de concessions sur une quelconque des causes remises à plus tard (dans les négociations, NdT), ni sur l'application scrupuleuse des résolutions de l'ONU, ni en matière de retrait de tous les territoires occupés en 1967. Il nous dit aussi que la décision palestinienne est claire et nette, et que cette clarté implique que tous les éléments de la force permettant de la faire prévaloir soient réunis, au premier chef desquels l'élargissement de la participation à la lutte afin de partager les charges et d'affronter collectivement les défis, une direction nationale unitaire, afin d'assurer la continuation du mouvement jusqu'à la réalisation de ses objectifs et l'établissement d'un Etat indépendant ayant la totalité de Jérusalem pour capitale, le retour des réfugiés sans obstruction et le changement de bien des symboles et des aspects négatifs de l'étape précédente.
Nous avons besoin de réunir toutes les potentialités palestiniennes afin d'atteindre cet objectif. Et, si nous sommes plus forts que par le passé, ceci nécessite toutefois une impulsion plus forte afin de ne pas être confrontés à des revers dramatiques contre lesquels nous aurions négligé de nous prémunir.
Un gouvernement d'unité nationale est plus que jamais nécessaire et urgent pour pouvoir commencer à construire notre nouvelle position sur des fondations bâties réellement par l'ensemble du peuple et de ses représentants, afin de pouvoir traverser les écueils de l'étape présente et atteindre le port du succès.
C'est ce que peut faire un écrivain, dans les fumées des batailles, dans lesquelles il s'efforce de découvrir les éléments de la force, et de les consolider, en ne se contentant nullement de "jubiler" de ce qui advient, ou de stigmatiser les insuffisances des acteurs sur le champ de bataille, mais en rassemblant les éléments permettant le renouvellement de la force en vue de la réalisation de l'espérance.
 
18. Ha'Aretz (quotidien israélien) du jeudi 23 novembre 2000
Washington n'est plus persuadé que Barak use de retenue par Nitsan Horovitz [traduit de l'hébreu par le service de presse de l'ambassade de France à Tel-Aviv]
L'attentat de Hadéra a porté un énième coup aux efforts de paix de l'administration démocrate sortante. Mais dans la condamnation que les Américains se sont empressés de rendre publique hier, on pouvait déceler un ton nouveau qui caractérise depuis quelques jours les propos émis par Washington : une volonté de tenir la balance égale. Si après Camp-David les Américains rejetaient de façon générale la responsabilité sur les Palestiniens, ce qui ressort aujourd'hui, c'est que les Etats-Unis soulignent la nécessité pour les deux parties d'arrêter les violences et d'agir en faveur de la paix.
A la suite du bombardement à Gaza, le département d'Etat a publiquement exprimé sa réprobation. "Les Israéliens doivent comprendre qu'un recours disproportionné à la force n'est pas la manière adéquate de résoudre les problèmes." L'AIPAC a réagi avec virulence. "Dans une période de crise comme celle-ci, les Etats-Unis doivent soutenir Israël et non pas exprimer des critiques à son encontre alors qu'Israël défend ses citoyens", a déclaré Tom Walliger qui préside l'influent groupe de pression qu'est l'AIPAC.
" Quels citoyens Israël défend-il au juste en bombardant Gaza ?", se demandait un haut fonctionnaire américain. "Frapper aveuglément des civils, est-ce cela qui conduira à réduire la violence ? Une opération de ce type est en soit un acte de violence grave." Dans une allocution publique, le porte-parole de la Maison-Blanche a précisé qu'une riposte aussi disproportionnée ne faisait qu'alimenter l'engrenage de la violence, un cercle vicieux que les deux parties doivent rompre.
Les Américains sont en désaccord avec la vision selon laquelle il serait possible de conduire à un retour au calme par une surenchère de la violence. "La violence ne peut pas régler des problèmes de sécurité", ne cesse de répéter Madeleine Albright. A Washington, la confiance faite à Barak se lézarde en ce qui concerne sa politique de retenue. "A en juger par ce qui se passe sur le terrain, ce n'est pas de retenue dont il s'agit", faisait remarquer avec diplomatie un haut fonctionnaire américain.
Ce changement de ton de la part des Américains n'est pas surprenant. Après les élections, alors que les considérations électorales ne sont plus un sujet brûlant, l'administration américaine sortante se sent libre d'agir de façon mieux adaptée à la situation sur le terrain. L'administration américaine est arrivée à la conclusion qu'il fallait faire preuve d'une approche plus équilibrée afin de promouvoir une solution et, également, de préserver des intérêts particulièrement importants.
Washington est soumis aux pressions de pays arabes alliés des Etats-Unis. Les Etats-Unis cherchent à éviter ce qui pourrait nuire aux régimes en place dans ces pays et redoutent un embrasement régional, une recrudescence du terrorisme, l'effondrement de la politique menée envers l'Irak. Aussi les Etats-Unis ont-ils accepté l'exigence des Palestiniens d'associer des acteurs internationaux à une commission d'enquête et n'ont-ils pas manifesté à haute voix d'opposition particulière à diverses initiatives visant à envoyer des forces internationales sur le terrain, qu'il s'agisse de forces d'observation, de forces de l'ordre, etc. Avant-hier, malgré l'opposition d'Israël, les Etats-Unis ont fait savoir que la commission d'établissement des faits allait se mettre au travail dans les plus brefs délais possibles.
Il est indubitable que le président Clinton continue de consacrer, durant les derniers jours qui restent avant la fin de son mandat, "toute l'énergie et l'effort" nécessaires pour ramener les parties à la table des négociations. L'incertitude qui règne en ce moment au sujet du résultat définitif des élections présidentielles aux Etats-Unis confère à l'action de Clinton un poids inattendu. Il n'y a toujours pas de président élu, et il n'y a donc pas non plus d'équipe de transition, ni de définition précise des fonctions, notamment de celles du secrétaire d'Etat et du conseiller pour la sûreté nationale. Toute l'attention continue de se porter sur Bill Clinton.
Toutefois, il a lui-même reconnu qu'il serait difficile d'organiser une conférence au sommet tant que la violence continuerait avec l'intensité qu'elle a atteinte à présent. Clinton ne demande plus une cessation de la violence pour les besoins de la reprise des négociations, mais il se contentera désormais "d'une diminution relative" de la violence. Néanmoins, les événements amers de ces derniers temps ne cessent de lui infliger camouflet sur camouflet, et dans les interviews qu'il accorde en ce moment, alors qu'il est temps de faire le bilan, il définit déjà l'échec au Moyen-Orient comme la plus grande déception de son mandat présidentiel.
 
19. Ha'Aretz (quotidien israélien) du jeudi 23 novembre 2000
L'exposition Bonnard, assurée contre les dommages de guerre, sera inaugurée demain au Musée de Tel-Aviv par Dana Gilerman [traduit de l'hébreu par le service de presse de l'ambassade de France à Tel-Aviv]
Avec un retard de deux semaines, l'exposition Pierre Bonnard sera inaugurée demain au Musée de Tel-Aviv. L'exposition était censée commencer au début du mois de novembre, avant la réunion du conseil d'administration du musée, mais avait été repoussée en raison des problèmes de sécurité liés à la situation actuelle.
Le musée fait savoir que la Direction des Musées de France a autorisé le prêt des oeuvres de Bonnard, revenant en cela sur sa décision prise au mois de septembre au vu de la situation en matière de sécurité. C'est après l'intervention de M. le président de la République française Jacques Chirac, de M. le Premier ministre Lionel Jospin et de Mme la ministre de la Culture Catherine Tasca que la Direction des Musées de France a finalement de nouveau accordé son autorisation pour l'envoi des tableaux.
L'autorisation a été donnée dès que la compagnie d'assurances a accepté d'établir un contrat spécial couvrant les oeuvres en cas de dommages de guerre, ce qui a entraîné, aux dires du musée, un surcoût important dans la mise en oeuvre de l'exposition. Ce surcoût se traduira par un supplément de 10 shekels prélevés sur chaque billet d'entrée. Le prix du billet comprend un audio-guide et l'accès aux collections permanentes du musée. La quasi-totalité des oeuvres de l'exposition Bonnard sera exposée, puisque seuls 9 tableaux n'ont pu être prêtés. Conservatrice : Nehama Gourelnik.
 
20. Le Devoir (quotidien canadien) du mercredi 22 novembre 2000
Hébron : "Interdit de circuler"
par Joyce Napier
Mauvais jour pour le Proche-Orient, hier, où la violence s'est poursuivie, faisant au moins deux autres morts. L'Égypte a rappelé son ambassadeur en Israël pour répondre à «l'utilisation délibérée de la force». De son côté, Washington s'est fait critique à l'égard d'Israël, pressant l'État hébreu de ne pas alimenter un cycle de violence et se disant préoccupé par la puissance de feu utilisée contre les Palestiniens. Nos informations en page B 7.
Hébron, Cisjordanie - La jeep de l'armée, munie d'un haut-parleur, parcourt les rues qui se vident petit à petit. Assis sur la banquette arrière, un soldat, à peine sorti de l'adolescence, aboie des ordres au micro.
«Gens d'Hébron, il est interdit de circuler. Interdiction de circuler. Un couvre-feu est de rigueur. Gens d'Hébron, il est interdit de circuler, un couvre-feu est en vigueur.»
La voix métallique retentit dans les ruelles, dans les échoppes, jusqu'à l'intérieur des maisons.
La jeep arrive au marché, le souk, comme on l'appelle ici, où une demi-douzaine de maraîchers traînent encore. Les autres, les collègues et les clients, chassés par la voix métallique, sont déjà rentrés chez eux. La jeep s'immobilise à deux mètres à peine de là.
«Gens d'Hébron, il est interdit de circuler. Interdiction de circuler. Un couvre-feu est de rigueur.»
Un homme âgé, coiffé de la keffieh traditionnelle palestinienne, se tourne vers la jeep et commence à hurler, en arabe, aux trois jeunes soldats à l'intérieur: «Non, je ne veux pas rentrer chez moi, je ne veux pas, je n'irai pas!», lance-t-il en agitant les bras. «Je ne veux pas, je ne veux pas!»
La jeep ne bouge pas, la voix métallique reprend, en arabe, avec l'accent hébreu: «Gens d'Hébron, il est interdit de circuler... »
Le vieil homme continue de crier encore un moment et, une fois lassé de lancer des injures au véhicule de l'armée israélienne, il se défoule sur les boîtes vides qui jonchent le sol du souk abandonné, en parlant tout seul.
Il finira par obtempérer et rentrera chez lui, comme les 40 000 autres Palestiniens qui vivent dans cette petite tranche de la ville d'Hébron.
À Hébron, en Cisjordanie, dans cette tranche israélienne, tous les Palestiniens sont punis. Tous, femmes, personnes âgées, nouveaux-nés, commerçants et fripons, jusqu'au dernier qui se promène dans les rues de la ville assiégée et qui parle tout seul.
Une garde à vue collective
Depuis plus de 40 jours, Israël impose à cette population arabe un couvre-feu presque complet, interrompu par de brefs moments de liberté: les Palestiniens d'Hébron peuvent alors sortir de chez eux pour faire des courses, voir les amis, la famille, ouvrir la boutique, passer chez le pharmacien, faire du vélo.
Douze mille écoliers ne vont plus à l'école, la clinique est vide, la pharmacie est ouverte, quelques heures par-ci, quelques heures par-là. Pour les urgences, «on s'en remet à Dieu».
Hébron est une ville divisée: un côté est contrôlé par l'autorité palestinienne, l'autre par Israël. Jeu du destin, quelque 40 000 Palestiniens vivent dans la tranche israélienne, dominée par trois colonies juives qui forment une sorte de forteresse en plein centre de la ville et qui abrite 500 colons venus s'y installer illégalement à partir de 1967. Ces 500 résidants juifs ne sont pas visés par le couvre-feu. Lorsque les Palestiniens sont enfermés chez eux, la ville appartient à 500 résidants privilégiés.
Depuis le début des affrontements, la colonie juive d'Hébron est l'une des cibles préférées des hommes armés palestiniens, qui prennent position sur les collines qui surplombent l'îlot juif. Tous les jours, les hommes armés, qui se trouvent du côté palestinien, tirent sur la colonie, et les 12 bataillons israéliens, qui sont là pour protéger la colonie, ripostent à coups de roquettes.
Les 40 000 Palestiniens sont coincés entre les deux.
«Non seulement nous sommes enfermés chez nous, nous devons de plus nous éloigner des fenêtres et rester allongés quand les combats commencent», raconte Ahmad Ali, un instituteur temporairement au chômage.
Avant le passage de la jeep à la voix métallique, en cette journée de novembre, les 40 000 Palestiniens d'Hébron ont eu cinq heures de liberté. C'est-à-dire que le couvre-feu a été levé de 8h à 13h. Cinq heures à l'air libre pour aérer les échoppes, faire les courses ou tout simplement pédaler dans les rues où il est désormais interdit aux Arabes de circuler en voiture.
«Je suis en prison», explique Ihab Abou Snene, dix ans, assis sur son vélo. «Nous sommes chez nous à ne rien faire de la journée.»
«Qu'est-ce que je vais faire quand je vais rentrer chez moi?», demande un client qui profite de ces rares heures de liberté au souk. «Je vais me disputer avec ma femme, voilà ce que je vais faire, c'est tout ce qu'il y a faire.»
Le marché est bondé, le Tout-Hébron est dehors, tout le monde parle du couvre-feu.
«En 40 jours, on nous a permis de sortir sept fois, explique un maraîcher. On ne peut plus travailler, on n'a plus d'argent. Au marché, on échange des denrées, on fait du troc, on achète nos provisions à crédit.»
Mais ce n'est pas le premier couvre-feu à Hébron, bien au contraire. On peut dire qu'Hébron est renommée pour ses couvre-feux. Quand vous dites aux gens ailleurs dans les territoires palestiniens qu'il y a un couvre-feu à Hébron, la chose suscite à peine l'intérêt de votre interlocuteur: «Ah! bon, un couvre-feu, encore?»
Par exemple, en 1994, un colon juif nommé Baruch Goldstein est entré dans la mosquée à la Tombe des Patriarches, à Hébron, et a ouvert le feu: 29 fidèles musulmans ont été massacrés.
Pour maintenir l'ordre et prévenir un soulèvement, Israël a imposé un couvre-feu à toute la population palestinienne sous son contrôle ainsi qu'à toutes les familles en deuil.
Même le premier ministre israélien de l'époque, Yitzhak Rabin, un des architectes du processus de paix, assassiné l'année suivante, avait confié aux journalistes qui le suivaient lors d'une visite à Washington qu'il était «très mal à l'aise» à cause de cette affaire. «La colonie juive d'Hébron est une folie», avait-il déclaré.
C'est la cinquième fois que la jeep passe dans la rue des Martyrs, qui longe le souk. Il ne reste qu'un homme qui empile patiemment des boîtes de carton vides qu'il tente en vain de placer en équilibre sur son âne. Debout à côté de lui, un jeune soldat qui pourrait être son fils, en tenue de combat, lui enjoint de se dépêcher et de rentrer chez lui. Assis à leurs fenêtres jusqu'à la prochaine «sortie collective», les gens d'Hébron regardent passer les soldats et les colons juifs, les seuls qui ont le droit d'être dehors.
De chez lui, Idres Zahde, un boucher de 52 ans, voit la caserne militaire au pied de la colline où sa maison est perchée. La ville est tellement silencieuse qu'on peut entendre les conversations des soldats en bas.
Dans cette maison qui appartenait à son grand-père, ils sont huit. Dans un mois, sa femme Fatayeh accouchera du septième enfant. «Quand tu es Palestinien, tu es coupable. Un Palestinien vivant est un Palestinien coupable», dit Idres Zahde.
Il est 15h. Au loin, on entend des coups de feu sporadiques. Les Palestiniens du secteur palestinien, de l'autre côté, commencent l'attaque sur la colonie juive que protègent les soldats. La soirée et la nuit seront mouvementées. Idres Zahde se blottira avec sa famille dans la pièce à l'arrière de la maison.
 
21. Ha'Aretz (édition anglaise du quotidien israélien) du lundi 20 novembre 2000
Attention : ces tirs à balles réelles sont interdits aux moins de douze ans !
par Amira Hass [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Il ne sait pas combien d'enfants ont été tués au cours des violences des deux mois écoulés. Tout ce qu'il sait, c'est que l'armée vise quiconque mérite d'être visé. Une journée dans la vie ordinaire d'un sniper de l'armée israélienne.
Vous pouvez trouver des soldats comme lui à n'importe quel barrage militaire en Cisjordanie ou à Gaza. Mais nous l'avons rencontré dans une ville israélienne. Il a le même âge que bien de ceux qui affrontent les Forces israéliennes de Défense. Il sourit, timide mais franc, et a une prédilection pour les sciences humaines. En civil, on le verrait bien en partance pour l'Inde ou l'Amérique du Sud.
"Tous les jours, les consignes en matière d'ouverture du feu changent, et quelquefois, elles changent même plusieurs fois dans une même journée", dit-il.
"Chaque jour, avant notre sortie, ils définissent les principes régissant l'utilisation des armes. Ca aussi, ça change, selon les endroits. Il y a des endroits où les ordres sont moins sévères qu'à d'autres. Les ordres, et c'est bien ainsi, sont que nous devons être très sélectifs, très précis. Ou bien, ça dépend des jours. Après le lynchage (des deux soldats à Ramallah), par exemple, les ordres étaient beaucoup plus flous qu'ils ne l'étaient encore la veille. Mais généralement, les instructions en matière d'ouverture du feu ne sont pas du tout permissives. On pourrait avoir l'impression que je n'attends que ça, de pouvoir tirer mais, au contraire, je suis satisfait du fait que les ordres d'ouvrir le feu sont circonstanciés."
- Comment savez-vous qu'ils le sont ? Quels sont les critères ?
- "Les snipers reçoivent des ordres très précis lorsqu'il s'agit de tirer. Contre des gens qui lancent des cocktails molotov, vous visez les jambes, mais quelqu'un qui tire une arme peut être descendu direct."
On vous donne des caméras vidéo.
"Ils appellent çà un kit de documentation, et ils veillent à ce que toute personne tuée soit enregistrée en direct. De cette manière on pourra vérifier qu'elle avait plus de douze ans, et qu'elle était armée."
- Ca veut dire que les chiffres donnés par les Palestiniens sont faux ?
- "Ca m'est difficile à dire, mais je me souviens de certains cas où nous avons tiré contre des gens qui étaient certainement des adultes, en priant pour que le soldat "preneur de vues" ait bien filmé la scène, parce qu'autrement, on nous accuserait d'avoir abattu un enfant. Ca se pourrait qu'il y ait des déclarations erronées, il peut aussi y avoir eu des erreurs, qu'un enfant ait été tué à cause d'une erreur stupide d'un soldat. Et je n'ai jamais entendu les Forces israéliennes de Défense s'en vanter, après coup, évidemment..."
- Qu'est-ce qu'une erreur ? C'est quand le fusil bouge ?
- "Par exemple, quelqu'un dit à d'autres soldats qu'il a identifié un suspect - nous avons identifié un garçon qui fait des mouvements bizarre, peut-être veut-il prendre une pierre par terre, ou quelque chose dans ce genre. Le soldat qui a identifié le suspect demande avec insistance l'autorisation d'ouvrir le feu dans sa direction. L'autorité supérieure, l'officier, ne la donne pas, bien entendu, et le gars continue à insister. Si bien que l'officier finit par céder, par dire : " si tu penses qu'il est tellement suspect, fais un tir d'avertissement - un tir d'avertissement, c'est à 20 mètres, dans une zone ouverte. Au cours du de briefing, après coup, il s'avère qu'il a vu la tête du gars dans son viseur télescopique, il a déporté son arme de cinq mètres, mais le vent... Le fusil n'était pas pointé aussi précisément, mais il l'a atteint en pleine tête..."
- Savez-vous combien de personnes ont été tuées ?
- "Non. J'ai entendu plusieurs chiffres selon les endroits, mais je n'en donnerais pas ma main à couper..."
- Et combien d'enfants ?
- "Je ne peux pas estimer, du tout, le nombre d'enfants qui ont été tués".
- Comment expliquez-vous que des gens aient été atteints dans la partie supérieure du corps ? Subissez-vous un entraînement ?
- "L'armée israélienne tire de manière très sélective, elle descend tous ceux qui ont besoin d'être descendus - ou, au moins, quatre-vingt-dix pour cent. Ca veut dire, tous ceux qui lancent un cocktail Molotov et peuvent, de ce fait, tuer quelqu'un d'autre - alors, si quelqu'un détient un cocktail Molotov : on le descend. On ne lui tire pas dessus avec une arme automatique, mais on le vise avec une arme de précision, qui n'est généralement pas une arme à longue portée. Un sniper, de 200 mètres, n'a aucun problème pour atteindre la tête et, certainement, s'il vise la tête, la partie supérieure du corps - y'a pas de lézard. Un cocktail Molotov met en danger les soldats, dans la Jeep, 25 mètres plus loin..."
"Un sniper, c'est comme un pilote, son travail est très net, sûr, mais il y a aussi d'autres snipers, et alors là, le travail devient très dangereux. Le vrai danger, pour un sniper, c'est un autre sniper : un Palestinien. Et les Palestiniens en ont. Il y en a même certains qui ne sont pas manchots. Si vous avez les flingues qu'il faut et la bonne visibilité, vous avez, malheureusement, cinquante pour cent de chances d'atteindre la cible. Dans cette guerre, les portées sont rapprochées. Un sniper est testé sur des distances de 500-600 mètres. Le type qui atteint sa cible à ces distances-là, c'en est un, un vrai de vrai.
- Quand commencez-vous à être performants ?
- "En tant que snipers, nous prenons beaucoup de précautions et regardons, même si on ne nous le demande pas, en instruction, de façon à repérer les endroits où il pourrait y avoir d'autres snipers - des maisons, des fenêtres qui pourraient trahir le reflet de quelqu'un, parce que c'est ça qui flanque vraiment la trouille. Ce qui fait peur, aussi, c'est les balles perdues. En face, ils tirent sans viser. D'autant plus que l'armée israélienne est très inquiète du fait qu'Arafat pourrait décider de déployer les forces de police palestiniennes. Pour le moment, les policiers agissent, parfois, de leur propre initiative. Mais si Arafat prend la décision, l'armée aura plus d'un problème, tout simplement parce que les policiers palestiniens sont mieux entraînés. Les gars du Tanzim ne sont pas entraînés, personne ne les a aidés à faire de l'exercice, et parfois, quand la radio annonce "échanges de tirs", ça nous fait marrer. Ca n'est pas le Hizbollah, que l'armée israélienne a entraînés, autrefois, ça n'est pas le Hamas que l'Iran a entraînés, ça n'est même pas la police palestinienne qui a reçu toute l'assistance imaginable pour s'entraîner. L'armée israélienne l'a regardée s'entraîner, et elle en connaît le niveau. Les policiers palestiniens sont capables de tirer avec précision et ils ont des armes précises et fiables. C'est de ça, dont l'armée israélienne a peur.
"Je dois dire que l'armée de défense israélienne est prête à faire face à ce type de troubles. Je me rappelle que, environ deux mois avant que ça commence, je ne pensais pas pareil. J'étais heureux de vivre et optimiste, après l'élection de Barak, confiant dans la poursuite du processus de paix. Nous avions eu une discussion avec le commandement, et ils nous ont dit que, malheureusement, l'armée s'attendait à des troubles. Ils nous ont dit alors que c'était Arafat qui en avait, en quelque sorte, besoin, pour établir un état. Ils nous ont dit qu'Arafat avait pris modèle sur Israël, que l'établissement d'un état par la force et avec beaucoup de morts est une bonne chose : ça renforce le leader, un peu, mais ils nous ont dit que, surtout, ça donne aux habitants des valeurs, un "esprit de corps" (en français dans le texte), comme chez nous.
"Ca a été la même chose pour Israël, après trois guerres, au cours desquelles sept armées coalisées nous ont attaqués. Les officiers savaient que quelque chose allait se passer, ce qu'ils ne savaient pas, c'était quoi, exactement : une guerre, des troubles, des manifestations ? Mais ils se sont préparés à faire face à une guerre. Il y a des plans d'urgence qui prévoient, avec une précision étonnante, ce qui se passerait si les Palestiniens décident (la proclamation de l'Etat, NdT). Et s'ils décident, alors, en quelques jours, nous occupons les territoires que nous leur avons donnés (aux Palestiniens, NdT) et nous installons un gouvernement militaire, comme dans les années cinquante, quelque chose du genre. Bien sûr, c'est terrible. Même moi, simple soldat, j'ai entendu parler de ces plans..."
- Vous rappelez-vous comment tout ça a commencé ?
- "Mon père a pris la peine d'entrer dans une colère noire quand Sharon est allé visiter le Mont du Temple. Moi, je pensais, à l'époque, que c'était le non-événement-type".
- Ne saviez-vous pas que, la veille, quatre personnes avaient été tuées à la mosquée, et deux autres près de l'hôpital Makassed ?
- "Non, je n'en savais rien. Je pense que, le premier jour passé, vous êtes devenu un soldat. Le premier et le dernier jour du service militaire, vous redevenez vous-même, vous retournez à vos opinions politiques, et après vous essayez de vous extraire. A mon avis, la plupart des implantations juives au-delà des frontières de 1967 n'ont pas d'importance. Mais à partir du moment où vous êtes un soldat de la défense, et vous l'êtes à cent pour cent, les gens deviennent très importants pour vous. Nous, les Israéliens, nous devons décider sur une ligne claire, parce que si nous décidons que nous n'allons jamais rendre les colonies, nous, les soldats, il nous sera beaucoup plus facile de nous battre. En ce moment même, je suis persuadé qu'Arafat le sait aussi très bien."
- Quelqu'un qui s'apprête à jeter un cocktail Molotov bouge tout le temps. Comment faites-vous pour viser quelqu'un qui bouge tout le temps ?
- "Ca dépend des distances. A cent mètres, c'est pas difficile. Nous faisons des exercices là-dessus, et il y a aussi des cibles faciles, tout dépend de la distance. A cinq cent mètres, vous savez qu'il est inutile de viser la tête, mais que vous devez viser le milieu du corps, parce que c'est plus facile, et vous devez tenir compte du vent, de la déviation balistique, mais à cent mètre, c'est même pas la peine, c'est trop facile... Au Liban, un sniper devait être beaucoup mieux entraîné, les distances allaient de 700 m à 1000 m. Ici, c'est cent mètres."
- Viser la tête, c'est facile ?
- "Ouais... Les mecs, là-bas, et ceux qui lancent des cocktails Molotov, aussi, même ceux qui tirent, marquent instinctivement un temps d'arrêt, une seconde, pour décider contre quoi ils vont tirer ou lancer le cocktail : cette seconde donne au sniper cinq ou six secondes, et y'a pas de problème. Si le gars s'arrête, même si vous êtes loin, la tête n'est pas un problème.
- Derrière les Jeeps, je vois quelqu'un, debout, avec un fusil. N'est-ce pas un sniper ?
- "Ordinairement, ce gars-là tire des balles en caoutchouc".
- Et vous, vous tirez avec quoi ?
- "Un sniper tire des balles réelles, mortelles, des balles plus grosses que celles d'un M-16, mais la qualité de ces balles est supérieure à celles d'une mitraillette, par exemple";
- Les Palestiniens disent que l'armée israélienne utilise des canons à haute vélocité. Est-ce le cas ?
- "Pour les snipers, le canon à haute vélocité n'est pas si efficace que ça, moins efficace, en tout cas, que pour un M-16 ordinaire. La question, c'est de savoir si l'effet est aussi critique qu'on veut bien le dire. La balle d'un sniper tue si elle atteint sa cible. C'est une balle revêtue de métal : entièrement recouverte de métal. Dans une balle ordinaire, la partie inférieure n'est pas chemisée de métal, ce qui interfère avec son aérodynamisme : à la partie inférieure, non-recouverte, l'air attaque le plomb superficiellement, un peu à la manière dont l'air peut éroder la surface d'une montagne. Progressivement, l'air s'introduit à l'intérieur du projectile, ce qui en dévie la trajectoire. Avec les armes utilisées par les snipers, ce phénomène n'intervient pas. "
- Vous voulez dire que le plomb de leurs balles est entièrement recouvert de métal dur ?
- "Oui. Et, de ce fait, la balle est plus aérodynamique. Elle arrive plus loin et plus précisément. Ce qui est aussi important, c'est l'arme elle-même, le canon : rien ne doit lui être attaché. Idéalement, à côté de chaque sniper, il doit y avoir quelqu'un qui vise, équipé de jumelles".
- Mais, bien sûr, vous voyez, vous aussi ...
- "Vous voyez à travers le téléobjectif si vous avez eu la personne, mais vous ne voyez jamais exactement où la balle va. Et s'il y a quelqu'un dont le job est de viser, il peut voir même ça. Avec des jumelles ordinaires, vous pouvez voir les reflets laissés par la balle en mouvement, la poussière, l'étain, alors le gars vous dit que vous visez à deux heures, à soixante centimètres de votre cible. Si un sniper ne fait pas mouche dès la première balle, la seconde est la bonne, à tous les coups".
- Vous donne-t-on l'ordre de viser la tête, ou avez-vous le choix ?
- "Si on dit à un sniper de tirer, il va vouloir viser la tête. Parce que, si un sniper tire, c'est pour tuer et pas pour autre chose. Sauf dans certains cas particuliers - dans la guerre actuelle, ça n'arrive pas beaucoup - où on vous dit de viser les jambes, et c'est aussi à des snipers qu'on demande ce genre de services."
- Pourquoi ça n'arrive pas souvent ?
- "Il y avait une politique, voulant que l'on ne tire que contre des gens qui mettent réellement des vies en danger. Ceci est de nature à limiter les tirs de l'armée israélienne de défense et aussi le nombre de blessés, mais ça augmente sans doute le nombre de tués. En attendant, l'armée israélienne fait tout ce qu'elle peut pour ne pas tirer, pour ne pas tuer, pour les laisser manifester un peu - peut-être aussi à cause de ce dont ils nous ont parlé, deux mois avant que ça commence - pour permettre à Arafat d'avoir ses manifestations sans lui donner, à lui, mais aussi, à d'autres pays, de prétexte pour déclencher une guerre".
- N'y a-t-il pas un risque de voir se développer une compétition pour savoir qui va le plus utiliser de snipers ?
- "Avec nous, c'est hors de question. Quelqu'un m'a dit qu'à l'endroit où il était, des mecs sont venus (des manifestants, NdT) et que les vétérans étaient en colère parce que les jeunes recrues n'étaient pas assez maîtres d'eux-mêmes. Ils avaient la gâchette facile. Mais même moi, qui m'étais promis de tout faire pour ne pas tirer, avant mon service, si vous êtes à l'armée, avec votre arme et que vous faites une sortie alors qu'il y a un risque de tomber dans une embuscade, c'est terrible à dire, mais vous espérez que ça peut servir à quelque chose. Vous restez en faction toute la nuit, c'est terrible d'ennui et vous êtes crevé, et ce qui vous fait aller de l'avant, c'est l'idée que vous allez réellement attraper les méchants et que vous aller leur donner une bonne leçon."
"A une autre faction, des anciens sont venus pour prendre notre relève, et ils n'en revenaient pas de voir que les bleus tiraient autant. Dès qu'ils ont dit : "stop", vous devez cesser de tirer immédiatement. Mais ça leur prenait une minute, avant de s'arrêter. Ils étaient mordus. C'est ce genre de trucs, à mon avis, qui menace l'armée de défense : le manque de contrôle. Il y a même des soldats pour tirer des balles caoutchoutées, mais qui mettent une balle ordinaire par-dessus : ça en renforce encore la force. Généralement, ça tue."
- A votre connaissance, y a-t-il enquête en cas de tir injustifié ?
- "Tout tir de l'armée israélienne de défense fait l'objet d'un rapport et d'une enquête".
"Je me suis déjà trouvé à des endroits où il y a eu des manifestations, au cours desquelles les Palestiniens ont ouvert le feu les premiers."
- Voulez-vous dire que les tirs des Palestiniens sont pathétiques ?
- "Absolument. Oui. C'est le mot. Généralement, les tirs des Palestiniens sont pathétiques."
- Et l'armée savait que c'était pathétique...
- "Oui. Leurs tirs sont complètement pathétiques. Et avant même que leurs tirs ne commencent, vous savez qu'ils va s'agir, dans la majorité des cas, de tirs en l'air..."
- C'est de la gesticulation ?
- "Bien sûr, et l'armée israélienne le sait parfaitement."
- Alors, pourquoi tuer ? Pourquoi ne pas, simplement, blesser ?
- "Si vous décidez de blesser des gens, il y aura de plus en plus de blessés, et la question, c'est de savoir si ça serait mieux. Blesser les gens, ça suscite encore plus de haine".
- Qui vous le dit ?
- "C'est ce que je pense. C'est-à-dire, si vous blessez quelqu'un, même le simple fait d'être atteint, tandis qu'il crie, vous indique que c'est douloureux".
- L'armée de défense israélienne savait pertinemment que les tirs du Fatah était simple gesticulation, et que l'ajustement des tirs aurait pu être évité, mais néanmoins, "le tir des Palestiniens s'est amélioré", ce qui veut dire, en clair, que la politique de réponse sévère n'a servi à rien.
- "J'ai un ami colon, et pour lui, les tirs ne sont pas pathétiques du tout. D'après lui, chaque fois que ceux d'en face tirent, nous devons leur donner un avertissement en tirant en retour, mais beaucoup plus fort. Si c'était à lui que vous parliez en ce moment, la conversation serait toute autre. Vous me parlez, à moi, et par tempérament je me demande plutôt si je ne devrais pas me contenter de les laisser tirer, sans répliquer. Mais en tant que soldat, je ne me pose pas de questions. Ou plutôt, je me pose des questions, mais il y a les ordres, et je sais d'avance que si ceux d'en face tirent, la question que vous devez poser, c'est celle de savoir si vous devez continuer à tirer, ou si ça suffit comme ça ..."
"Ca serait triste pour l'armée israélienne de défense si ça ne se passait pas comme ça. Les erreurs se produisent par ce que les choses ne sont pas menées correctement. Quelqu'un décide de tirer, ou quelqu'un d'autre décide du contraire. Maintenant, je vais être plus direct : l'armée israélienne tire parce que, de toute manière, il y a des cas où des soldats sont tués."
- Pensez-vous que c'est par vengeance ?
- "Je ne sais pas si l'armée israélienne se venge. Mais à chaque fois, après chaque incident sérieux, c'est politique, c'est palpable. En tant que soldat, vous savez que si les journaux du jour relatent beaucoup de pépins arrivés à l'armée israélienne, on va vous donner l'autorisation de tirer davantage. Que, le soir-même, je vais tirer plus que je n'avais tiré la veille".
- Parce que vous le voulez, ou parce qu'on vous laisse faire ?
- "Parce qu'ils me laissent faire. Je ne voulais pas tirer autant, même si beaucoup de soldats aimeraient pouvoir tirer. Au début, moi aussi, je voulais tirer, et après avoir tiré deux ou trois fois, j'ai dit : basta".
- Vous n'avez pas tué d'enfants...
- Non, mais tous les snipers non plus, n'ont pas tué d'enfants.
- Mais, cependant, des enfants ont été atteints, blessés ou tués après avoir été atteints à la tête. A moins que ce n'aient été des erreurs...
- "Si c'étaient des enfants, c'étaient des erreurs".
- On en parle, de ça, dans l'armée ?
- "Ils nous en parlent beaucoup. Ils nous interdisent formellement de tirer sur des enfants."
- Comment formulent-ils cette interdiction ?
- "Vous ne pouvez pas tirer sur des enfants jusqu'à l'âge de douze ans"
- Comme ça... un enfant au-dessus de douze ans, c'est permis ?
- "Douze ans et plus, c'est permis. Ce n'est plus un enfant, à cet âge, le garçon a déjà fait sa Bar Mitzvah (!), quelque chose dans ce genre..."
- L'âge de la Bar Mitzvah, c'est treize ans...
- "Possible. Mais : douze ans et plus : vous pouvez tirer... voilà ce qu'ils nous disent..."
- Mais enfin : ça veut dire qu'à partir de douze ans, vous avez l'autorisation d'abattre des enfants...
- "De toute façon, douze ans et au-dessous, ça ne me semble pas correspondre à ce qu'est la définition d'un enfant, même si, aux Etats-Unis, un enfant peut avoir vingt-trois ans."
- D'après le droit international, la définition d'un enfant est : toute personne au-dessous de l'âge de dix-huit ans accomplis.
- "On est enfant jusqu'à dix-huit ans ?"
- Bon, alors, pour l'armée israélienne, on est adulte à douze ans ?
- "A en croire ce que l'armée dit à ses soldats. Je ne sais pas si c'est ce que l'armée de défense israélienne dit aux médias".
- Et, par conséquent, on est enfant jusqu'à douze ans. N'y a-t-il pas d'ordres de tirer dans les jambes, et non dans la tête, entre douze et dix-huit ans ?
- "Bien sûr, nous essayons de veiller à ce que celui qu'on vise ait plus de vingt ans".
- Avec dix secondes pour prendre la décision ?
- "Durant les dix secondes à ma disposition, je dois estimer quel est l'âge (de ma cible potentielle NdT)
- Et aussi, tenir compte de la direction du vent, de la déviation de la trajectoire dans tel ou tel sens, de la manière dont il peut faire un bond de côté au dernier moment...."
- "Certes. Mais les snipers ne commettent pratiquement jamais d'erreur. Les erreurs sont faites par des gens qui ne sont pas de vrais snipers"
- Et, comme par hasard, c'est ce qui aboutit aux enfants atteints à la tête, et tout ça, c'est la faute à pas de chance ?
- "Si vous me dites que vous avez vu beaucoup d'enfants atteints à la tête, alors, c'est des snipers".
- Bien. Donc, vous me dites que notre définition de ce qu'est un enfant n'est pas la vôtre ?
- "Eh oui, votre définition est différente..."
- Parce que pour vous, c'est quelqu'un qui n'a pas plus de douze ans ?
- "Yep"
- Mais un enfant de treize ans ne porte pas d'armes, quel que soit le nom que vous lui donniez : enfant, teenager, ou adulte...
- "Il ne porte pas d'arme, mais il porte un cocktail Molotov, et dans certains cas il est possible aussi de tirer sur des gens qui jettent des cocktails Molotov".
- Savez-vous combien de personnes ont été tuées hier ?
- "Non. Je le regrette".
- D'après ce que vous me dites, à savoir que des instructions de prudence vous sont donnés, à vous les snipers, je déduis que toutes les personnes qui ont été tuées étaient armées. Mais ce ne semble pas être le cas, parce que je connais bien les événements sur le terrain.
- "Pour moi non plus, ça ne semble pas être le cas. On ne peut rien y faire, si l'armée décide qu'elle doit réagir et répondre, il y aura beaucoup d'erreurs et un nombre relativement élevé de personnes vont être tuées. Mais, d'un autre côté, beaucoup plus de personnes encore pourraient être tuées."
- J'ai vu un document donnant des instructions en vue de l'ouverture des tirs
- "Impossible. Ils ne distribuent aucun document de ce genre. Tout est fait en conformité aux ordres donnés par le commandement le matin même".
- Je reviens à la limite des douze ans : pourquoi cet âge a-t-il été retenu ?
- "J'ai entendu dire qu'il était important, pour les forces de défense israéliennes, de savoir si quelqu'un avait ou non plus de douze ans, j'en ai déduit que douze ans était un âge-limite. Ils ne nous ont pas indiqué d'âge. Ils nous ont juste dit qu'on ne devait pas tirer sur des enfants. L'armée ne spécifie pas d'âge. Nous faisons tout notre possible pour ne pas tuer, pour ne pas avoir d'incidents avec de nombreux morts. Six morts, ça va. Il aurait pu y en avoir bien plus."
- Qu'entendez-vous, par "normal" ?
- "Parce qu'ils nous ont tiré dessus. Si quelqu'un vous tire dessus, même si c'est pathétique, vous devez répliquer".
 
22. Russkaïa Misl (hebdomadaire russe paraissant à Paris) du jeudi 16 novembre 2000
Israël : la guerre est devenue routine par Alexandre Verkhovski [traduit du russe par Marcel Charbonnier]
La première moitié du mois de novembre a convaincu tous les observateurs, et même les politiques, que la guerre en Palestine n’est pas une flambée passagère, mais bien une nouvelle phase, appelée - hélas - à se prolonger, d’un conflit cinquantenaire. On en veut pour preuve non seulement les reportages sur le terrain, mais aussi la lassitude visible des médiateurs, au premier rang desquels, les Etats-Unis. Les visites effectuées, la semaine dernière, par Yasser Arafat et Ehud Barak chez Clinton n’ont rien donné, et cela n’a apparemment étonné personne.
A proprement parler, les événements guerriers, au cours de ce mois, évoquent de moins en moins l’intifada, c’est-à-dire la "guerre des pierres", mais de plus en plus une guerre "normale". Au début novembre, les organisations radicales ont pris, en tous les cas, certaines mesures préventives de façon à limiter la participation des jeunes adolescents à la "guerre des pierres", si bien que le nombre des incidents semblables à ceux auxquels on a pu assister au cours de la première quinzaine a quelque peu diminué. En revanche, le nombre d’attaques à la bombe, l’utilisation de mines et d’armes à feu, notamment des mitrailleuses, a augmenté. De plus, les Israéliens répliquent eux aussi avec toutes les sortes possibles et imaginables d’armes et, parfois, même, avec des tirs de canons de tanks.
Le terrorisme classique n’est pas non plus démodé... L’explosion d’une voiture piégée, le 2 novembre, dans le marché juif de Jérusalem, a fait voler en éclats l’accord de cessez-le-feu conclu la veille au soir par Arafat et le ministre plénipotentiaire de Barak, l’ex-premier ministre Shimon Pérès. Naturellement, les chances que ce cessez-le-feu soit respecté étaient, dès le départ, extrêmement minces.
Mais, sitôt après l’attentat, au lieu déclarations apaisantes prévues, de la part de Barak et d’Arafat, on a entendu des menaces réciproques et les affrontements se sont poursuivis. Le 9 novembre, des hélicoptères israéliens ont tiré des roquettes contre une automobile dans laquelle se trouvait l’un des commandants éminents du Tanzim (la branche militaire de l’organisation d’Arafat : le Fatah) et chef de la section de Béthleem du Fatah, Husseïn Obeïd, accusé par les autorités israéliennes de trois assassinats. Obeïd a été tué, ses compagnons et quelques passants ont été blessés. En réplique, la direction du Fatah a déclaré que le mouvement n’était plus tenu d’observer une trêve durant quelques négociations de paix que ce soit, et qu’il se considérait en état de guerre. Arafat, quant à lui, a exprimé son attachement personnel au processus de paix, mais il a ajouté que tous ne pensaient pas comme lui. Et, en effet, déjà la veille, le commandant en chef du Tanzim, Marwan Barghuthi, avait déclaré : "l’Intifada continue, et les gens qui sont convaincus du contraire mettent leur vie en danger". Le 13 novembre, Arafat a rencontré, officiellement pour la première fois, le commandant en chef des brigades armées du Hamas, Khalid Meshaal.
On l’aura compris, Arafat ne se prononce pas - et ne se prononcera pas, à l’avenir - contre le "processus de paix" en tant que tel, car sinon, l’autonomie palestinienne s’effondrerait, et il lui faudrait survivre encore un siècle politique dans le rôle de leader dépourvu de perspective de la diaspora politique. Mais même le pacifisme proclamé du leader de l’OLP se fait de plus en plus rarement entendre. Et la ressemblance entre lui et Milosevitch devient de plus en plus frappante, ce Milosevitch dont le pouvoir dépendait, de la même manière, du soutien que lui apportait une tension internationale ininterrompue.
Dans l’ensemble, le monde musulman est sur des positions identiques. Toutefois, on y trouve des partisans fidèles du jihad contre Israël, mais aussi des pays qui coopèrent avec Israël et qui n’ont pas motif à s’en plaindre. Mais l’Organisation de la Confédération Islamique, qui rassemble des pays musulmans allant du Soudan et de l’Iran à l’Egypte et aux républiques musulmanes de l’ex-URSS, réunie en sommet le 12 novembre, a adopté des résolutions très fermes à l’encontre d’Israël, parmi lesquelles on trouvait même un appel à la rupture des relations diplomatiques avec ce pays. Toutefois, cet appel n’est pas une obligation faite aux membres de l’Organisation de la Confédération Islamique.
C’est dans ce contexte que la session du Comité Exécutif de l’OLP, durant laquelle aurait dû être prise la résolution de proclamer l’Etat palestinien indépendant, a été une nouvelle fois ajournée sine die. En guise de compensation, la police palestinienne et les combattants des organisations radicales se sont efforcés, depuis vendredi dernier, d’intensifier leurs attaques. Le 12 novembre, le quartier hiérosolymitain de Gilo a été atteint, pour la première fois, par des tirs diurnes. Le lendemain, là aussi, pour la première fois, des Palestiniens ont tiré, en plein jour, sur des automobiles, dans cette partie des "territoires" demeurée sous le contrôle des autorités israéliennes.
La pression occidentale
Dès les années soixante-dix, déjà, l’opinion publique occidentale, principalement européenne, considérait avec beaucoup de sympathie le mouvement national des Arabes palestiniens. Dans ce phénomène, l’ONU tient le pupitre de premier violon, puisqu’en son temps, l’Organisation a qualifié le sionisme d’avatar du racisme. De là découle l’extrême méfiance des Israéliens envers l’ONU et leur réticence vis-à-vis de l’idée avancée par Arafat d’envoyer des forces d’interposition de l’ONU dans les territoires. La proposition d’Arafat, formulée officiellement le 8 novembre, sera examinée par le Conseil de Sécurité le 22. Les Etats-Unis y opposeront vraisemblablement leur veto, et la résolution sera sans doute repoussée. Mais l’Europe est prête, d’ores et déjà, à réexaminer cette idée : la France a proposé, à titre de compromis, de mettre sur pied une mission de deux mille observateurs civils.
Une délégation d’Amnesty International, de retour de Palestine, a déjà énoncé ses conclusions. Selon les propres termes du directeur de la mission d’enquête Claudio Cordoné, l’armée et la police israéliennes font un tel usage excessif de la force, que leurs agissements peuvent être qualifiés de crimes de guerre. Claudio Cordoné considère que, pour faire face à des cocktails Molotov, la police doit utiliser des boucliers, et non des balles revêtues de caoutchouc.
Il convient de ne pas négliger l’opinion de l’Organisation de défense des droits de l’homme dépendant de l’Autorité palestinienne. Naturellement, les forces militaires et la police israéliennes sont très bien équipées pour leur propre défense, ayant tiré les leçons de la première Intifada. Ceci explique d’ailleurs que leurs pertes soient aussi peu importantes. Des suites de la crise actuelle, les victimes arabes ont été environ neuf fois plus nombreuses que les victimes israéliennes. Visiblement, les Israéliens auraient pu éviter de recourir à des tirs de balles caoutchoutées, qui entraînent des traumas sérieux et qui, parfois, tuent.
Amnistie Internationale a également critiqué les radicaux arabes, pour les tirs dirigés contre les implantations juives, mais cette critique a été formulée en des termes beaucoup moins virulents. Il est possible que la raison de cette relative clémence soit simplement que les défenseurs des droits de l’homme émettent des exigences beaucoup plus dures à l’endroit d’un gouvernement qu’ils ne le font lorsqu’il s’agit d’individus. Simplement, le problème est que, comme par hasard, ces "individus" constituent la direction et l’active de toutes les organisations politiques significatives de l’Autorité autonome palestinienne.