Point d'information Palestine > N°119
du 06/12/2000
Réalisé
par l'AMFP - BP 33 - 13191 Marseille FRANCE
Phone +
Fax : +33 491 089 017 - E-mail : amfpmarseille@wanadoo.fr
Association
loi 1901 - Membre de la Plateforme des ONG françaises pour la
Palestine
Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) -
Daniel Amphoux (Trésorier)
Si vous ne souhaitez plus
recevoir (temporairement ou définitivement)
nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux
destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante : amfpmarseille@wanadoo.fr.
Ce point d'information est envoyé
directement à 1545 destinataires.
Au
sommaire
Prochains rendez-vous
- TELEVISION - "1948, l'expulsion" documentaire sur Planète le
vendredi 8 décembre 2000 à 9h10
- RADIO - "Pour un retour du dialogue israélo-palestinien" sur
France Culture le samedi 9 décembre 2000 à 15h00
Exclusif
Réseau Palestine
- Et si on dînait à Paris avec un criminel
de guerre... Ariel Sharon à Paris le 19 décembre prochain
- Appel à la manifestation pour la Liberté
d'Expression le samedi 9 décembre 2000 à 14 h 30 à Marseille
Revue de
presse
- Le vote musulman aux
Etats-Unis in Middle East News & World Report (agence
d'information américaine) du mercredi 6 décembre 2000
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
- Pas de paix sans respect
des droits de l'homme - Interview de Joana Oyediran, responsable du programme
Moyen-Orient à Amnesty International propos recueillis par Amer
Sultan in Al-Ahram Hebdo du mercredi 6 décembre 2000
- Le mouvement israélien La
Paix maintenant demande l'évacuation des colonies de peuplement par
Georges Marion in Le Monde du mercredi 6 décembre 2000
- Mise en garde d'un ancien
chef du Shin Beth in Le Monde du mercredi 6 décembre 2000
- Proche-Orient : "Nous
discutons avec les Israéliens" par Alexandra Schwartzbrod (à
Jérusalem) et Didier François (à Gaza) in Libération du mercredi 6 decembre
2000
- Proche-Orient : la terre ou la paix ? par Jimmy
Carter in Le Monde du mardi 5 décembre
2000
- L'autre
résistance des Palestiniens par Agnès Gorissen in Le
Soir (quotidien belge) du samedi 2 décembre 2000
- Des appels au boycottage
des produits américains et israéliens commencent à circuler en Egypte
par Alexandre Buccianti in Le Monde du samedi 2 décembre
2000
- Poursuite de l'intifada,
élections anticipées : Les choix restreints d'Israël in Le
Magazine (hebdomadaire libanais) du vendredi 1er décembre 2000
- Bons offices de Russie...
par René Backmann in Le Nouvel Observateur du jeudi 30 novembre
2000
- Qui, à
l'Autorité palestinienne, va s'occuper des sirènes ? in Arabic Media Internet Network du vendredi 30 novembre 2000
par Daoud Kuttab [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
- Histoire de famille à Gaza par Bruno Philip in
Le Monde du jeudi 30 novembre
2000
- Israël : crise politique dans la guerre
par Deborah Sontag in The New York Times (quotidien
américain) du vendredi 30 novembre 2000 [traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
- Aspects économiques de l'intifada
palestinienne par Kamal Dib in Al-Nahar (quotidien
libanais) du jeudi 29 novembre 2000 [traduit de
l'arabe par Marcel Charbonnier]
- Lettre
ouverte au Président Arafat par Haydar Abd al-Shafi in Arabic Media Internet Network du mercredi 28 novembre 2000
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
- Les
Palestiniens face aux conséquences du blocus économique israélien par
Nahid Hattir in Al-Safir (quotidien libanais) du mercredi 27
novembre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
- Silence
des intellectuels ? par le Dr. Talal al-Sharif in Al-Quds (quotidien palestinien) du mercredi 27 novembre 2000
[traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
- Washington n'est plus persuadé que Barak use de retenue
par Nitsan Horovitz in Ha'Aretz
(quotidien israélien) du jeudi 23 novembre 2000 [traduit de
l'hébreu par le service de presse de l'ambassade de France à
Tel-Aviv]
- L'exposition Bonnard, assurée contre les
dommages de guerre, sera inaugurée demain au Musée de Tel-Aviv
par Dana Gilerman in Ha'Aretz (quotidien israélien) du jeudi 23 novembre
2000 [traduit de l'hébreu par le service de presse de
l'ambassade de France à Tel-Aviv]
- Hébron :
"Interdit de circuler" par Joyce Napier in Le Devoir
(quotidien canadien) du mercredi 22 novembre 2000
- Attention
: ces tirs à balles réelles sont interdits aux moins de douze ans !
par Amira Hass in Ha'Aretz (édition anglaise du
quotidien israélien) du lundi 20 novembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
- Israël : la guerre est devenue routine
par Alexandre Verkhovski in Russkaïa Misl (hebdomadaire russe paraissant à
Paris) du jeudi 16 novembre 2000 [traduit du russe par Marcel
Charbonnier]
Prochains rendez-vous
1. TELEVISION - "1948, l'expulsion" documentaire sur Planète le
vendredi 8 décembre 2000 à 9h10
La chaîne cablée Planète présente le vendredi 8 décembre 2000 de 09:10 à
09:40 (30 min), "1948, l'expulsion", un documentaire inédit, réalisé en 1998 par
Samir Abdallah (récit d'Elias Sanbar). >> Antoine Perraud in Télérama
du 2 décembre 2000 : "En 1998, Elias Sanbar, directeur de la Revue d'études
palestiniennes, raconte sa vision de cinquante ans d'antagonismes en Palestine.
Avec un ton calme, il entend tisser un récit qui s'oppose à celui, « mythique et
propagandiste, des vainqueurs ». Pour lui, si seulement 150 000 Palestiniens
(sur 1,4 million) restèrent en Israël après la guerre de 1948, c'est parce qu'un
rapport de force déséquilibré au détriment des Arabes permit une « dépossession
totale », une « négation d'existence », une « démarche totalitaire
d'annihilation », bref un « crime contre un peuple ». Les Palestiniens « ont dû
payer pour la Shoah », affirme Sembar, et cette réparation d'une injustice se
fit au prix d'une autre, dont son peuple fit les frais et qui demande elle-même
réparation ; voilà le gage essentiel à toute réconciliation. En vingt-sept
minutes, Elias Sembar tente de mener de front l'exposé des faits, le
commentaire, la déploration et le contre-catéchisme que la Palestine entend
opposer au récit dominant israélien. Sa relation, érigée en doxa, apparaît
parfois confuse dans la forme et sclérosée sur le fond (le partage proposé par
l'ONU en novembre 1947 et malencontreusement refusé par les Arabes est
escamoté). Se sentant mandaté par son peuple vaincu et souffrant, Sembar manque
du recul critique propre aux nouveaux historiens israéliens (mais n'est-il pas
plus facile aux vainqueurs de catapulter les mythes ?). Sembar, encore incapable
de s'affranchir de l'affranchissement et de se libérer de la libération, offre
donc une vision historique controuvée par moments mais relativement rare, pour
avoir moins droit de cité que la thèse israélienne. Reste finalement à espérer
que l'antithèse palestinienne se rapproche de la synthèse universelle..."
2. RADIO - "Pour un retour du dialogue israélo-palestinien" sur
France Culture le samedi 9 décembre 2000 à 15h00
Laurence Bloch
présente ce samedi, sur France Culture, "Radio Libre Emission spéciale : Pour un
retour du dialogue israélo-palestinien". Depuis deux mois la guerre s'est
installée entre Israéliens et Palestiniens, une guerre où les victimes
palestiniennes s'accumulent, où le silence s'est imposé au cœur même des
militants les plus déterminés du mouvement pour la Paix maintenant, où
l'instrumentalisation - par les hommes politiques fragilisés dans leur propre
camp, des rancœurs et des amertumes nées d'un processus de paix jamais achevé -
rivalise avec les manipulations identitaires et religieuses. La mécanique du
pire semble enclenchée pour longtemps, et pourtant, l'avenir n'appartient qu'à
la paix et au dialogue, à la difficile mais indispensable reconnaissance d'une
double souveraineté, au respect mutuel de deux peuples qui n'ont aucune autre
terre pour faire grandir leurs enfants. Si le temps d'un après-midi le dialogue
pouvait être renoué entre Israéliens et Palestiniens, intellectuels et
politiques, rien ne serait gagné dans l'immédiat sur le terrain mais les vertus
de la parole et de la négociation retrouveraient une place, si minime soit elle
face à la haine... C'est à ce dialogue que France Culture va s'employer durant
cette émission spéciale.
Exclusif
"Le vrai problème : le sionisme américain" par Edward Saïd
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
"Le vrai problème : le sionisme américain" a été publié en
trois parties dans Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien anglophone) entre le
21 septembre et le 8 novembre 2000. Edward Saïd est professeur de littérature
comparée à la Columbia University. Depuis longtemps engagé dans la lutte pour la
reconnaissance des droits du peuple palestinien, il a démissionné en 1991 du
Conseil national palestinien. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur la
littérature, la musique et la politique, dont, traduits en français, "Israël,
Palestine : l'égalité ou rien" aux éditions La Fabrique (1999), "Entre guerre et
paix" aux éditions Arléa (1997), "Des intellectuels et du Pouvoir" aux éditions
du Seuil (1996).
PREMIERE
PARTIE
Ceci est un premier article d'une série consacrée au rôle
malcompris et mal perçu du sionisme américain dans la question de la
Palestine. De mon point de vue, le rôle des groupes et des associations
sionistes, très bien organisés, aux Etats-Unis, n'a pas été suffisamment pris en
considération tout au long de la période du "processus de paix", négligence que
je trouve stupéfiante, étant donné que la politique palestinienne a consisté,
essentiellement, à remettre notre sort entre les mains des Etats-Unis, sans
aucune conscience stratégique de la manière avec laquelle la politique
américaine est réellement dominée - si ce n'est entièrement contrôlée - par une
petite minorité de personnes dont les opinions sur la paix au Moyen-Orient sont,
à bien des égards, encore plus extrémistes que celles du Likoud
israélien.
Laissez-moi donner un petit exemple. Il y a un mois, le journal
israélien Ha'Aretz a envoyé un de ses éditorialistes en vue, Ari Shavit, pour
plusieurs jours d'entretien avec moi ; un bon compte-rendu de cette longue
conversation a été publié sous la forme d'une interview avec questions et
réponses, dans le supplément au numéro du 18 août, pratiquement in extenso, et
sans censure. J'ai formulé mes vues de manière parfaitement candide, en
insistant davantage sur le droit au retour, sur les événements de 1948 et sur
les responsabilités d'Israël dans tout ça. J'ai été (agréablement) surpris de
constater que mes opinions ont été exposées exactement comme je les ai
formulées, sans la moindre tentation de sensationnalisme de la part du
journaliste, dont la courtoisie et l'absence d'agressivité ne s'étaient jamais
démenties.
Une semaine après l'interview, vint une réponse, celle de Meron
Benvenisti, ancien adjoint au maire de Jérusalem à l'époque de Teddy Kollek.
Elle était outrageusement personnelle, pleine d'insultes et d'accusations
scandaleuses à l'égard de ma famille et de moi-même. Mais il n'a jamais dénié
qu'il existât un peuple palestinien, ou que nous ayons été expulsés (hors de la
Palestine) en 1948. En substance, il disait : "nous les avons vaincus, pourquoi
devrions-nous nous sentir coupables ?" La semaine suivante, je répondais à
Benvenisti dans les colonnes du même journal, Ha'Aretz : là encore, aucune
coupure. Je rappelais aux lecteurs israéliens que Benvenisti était responsable
de la destruction (et sans doute était-il au courant du massacre de plusieurs
Palestiniens) du quartier des Maghrébins (à Jérusalem : Haret al-Magharibah), en
1967, qui entraîna pour des centaines de Palestiniens la perte de leur logement,
pulvérisé par les bulldozers israéliens. Mais je n'avais pas à rappeler à
Benvenisti ou aux lecteurs du Ha'Aretz que nous existions en tant que peuple et
que nous avions au moins le droit de débattre de notre droit au retour. C'était
(pour eux) une évidence.
Deux choses. L'une, c'est que l'ensemble de cette
interview n'aurait jamais pu paraître dans un journal américain, et certainement
pas dans l'un quelconque des journaux des Juifs-Américains. Si ces journaux
m'avaient interviewé, les questions auraient été agressives, se seraient voulues
destabilisantes, insultantes, du type : "pourquoi avez-vous prêté main-forte au
terrorisme, pourquoi ne voulez-vous pas reconnaître Israël, Hajj Amin
(al-Huseïny, mufti de Jérusalem, NdT) n'était-il pas un nazi ?, etc..." La
deuxième, c'est qu'un sioniste israélien de droite, comme Benvenisti, quelque
soit la détestation qu'il puisse concevoir pour mes idées ou ma personne, ne
niera jamais qu'il y ait un peuple palestinien, qui a été forcé à partir en
1948. Un américain sioniste maintiendrait, lui, longtemps, qu'il n'y a eu aucune
conquête ou bien, comme Joan Peters l'a prétendu dans un ouvrage publié en 1948,
aujourd'hui épuisé en librairie et pratiquement tombé dans l'oubli, intitulé
"Depuis la nuit des temps" (cet ouvrage a raflé tous les prix littéraires juifs
l'année de sa parution aux Etats-Unis), qu'il n'y avait pas de Palestiniens en
Palestine avant 1948 (!)...
Tout Israélien admet sur-le-champ et sait
parfaitement bien que l'ensemble d'Israël était autrefois la Palestine, que
(chose reconnue ouvertement par Dayan en 1976) chaque ville ou chaque village
israélien portait autrefois un nom arabe. Et Benvenisti dit ouvertement :
""nous" avons vaincu (et conquis)", alors quoi ? Pourquoi nous sentir coupables
d'avoir vaincu ?" Le discours sioniste américain n'est jamais aussi direct et
honnête : il faut toujours qu'il tourne autour du pot, qu'il fasse fleurir le
désert, qu'il vante la démocratie israélienne, etc... en occultant totalement
les faits, essentiels, survenus en 1948, que pratiquement tout Israélien a vécu
en direct. Pour les Américains, il s'agit presque d'imaginations, de mythes, non
de réalités. Les partisans américains d'Israël sont si loin de la réalité,
tellement pris dans les contradictions de la culpabilité de la diaspora (en
effet, que signifie être sioniste et ne pas émigrer en Israël ?) et dans leur
triomphalisme de minorité la plus parvenue et la plus puissante des USA, que ce
qui (en) émerge est le plus souvent une mixture effrayante de violence perverse
à l'encontre des Arabes, une peur et une haine profondes envers eux, qui résulte
de leur absence totale de contacts avec eux, à la différence de ce qui se passe
pour les Juifs israéliens.
Ainsi, pour le sioniste américain, les Arabes ne
sont pas des êtres vivants, mais des incarnations de tout ce qui peut être
démonisé et méprisé, plus spécialement : le terrorisme et l'antisémitisme. J'ai
reçu, dernièrement, une lettre d'un de mes anciens étudiants, quelqu'un qui a
bénéficié de la meilleure éducation possible aux Etats-Unis : il peut, malgré
ça, avoir le culot de me demander, en toute honnêteté et courtoisie, pourquoi,
en tant que Palestinien, est-ce que je laisse un nazi comme Hajji Amin
(Al-Huseïni) déterminer mon programme politique ? "Avant Hajj Amin", argue-t-il,
"Jérusalem n'avait aucune importance, pour les Arabes. Mais il était tellement
diabolique qu'il en a fait un problème important pour les Arabes, juste pour
frustrer les aspirations sionistes, qui ont toujours tenu Jérusalem pour quelque
chose de capital". Ce n'est pas le raisonnement de quiconque a vécu avec les
Arabes et sait un tout petit peu de choses concrètes à leur sujet. C'est le
discours d'une personne qui produit un discours construit et qui est animé d'une
idéologie qui considère les Arabes seulement d'un point de vue négatif, comme la
personnification de passions antisémites violentes. Et qui, en conséquence,
doivent être combattus et si possible éliminés. Ce ne pas un fruit du hasard si
le Dr Baruch Goldstein, meurtrier monstrueux de 29 Palestiniens qui priaient
paisiblement à la mosquée d'Hébron, était américain, tout comme l'était le
rabbin Meir Kahane. Bien loin d'être des aberrations qui auraient placé leurs
partisans dans l'embarras, Kahane et Goldstein sont révérés, de nos jours, par
des gens de la même trempe. Beaucoup des colons d'extrême droite les plus zélés,
installés sur des terres palestiniennes, qui parlent sans aucun remords de la
"Terre d'Israël", comme leur appartenant, qui haïssent et ignorent les
propriétaires et les résidents palestiniens qui les entourent, sont eux aussi
américains. Les voir arpenter les rues d'Hébron comme si la ville arabe était
entièrement à eux est un spectacle qui fait froid dans le dos, dont l'aspect
effrayant est encore aggravé par la méfiance et l'agressivité dont ils font
montre en permanence envers la majorité arabe.
Je donne ici tous ces éléments
de manière à illustrer un point essentiel. Lorsque, après la guerre du Golfe,
l'OLP a pris la décision stratégique - déjà prise avant elle par deux pays
arabes de majeure importance - de travailler avec le gouvernement américain et,
si possible, avec le puissant lobby qui contrôle tout examen de la politique
américaine au Moyen-Orient, elle a pris cette décision (comme les deux états
arabes qui l'avaient devancée) sur la base d'une profonde ignorance et de
suppositions extraordinairement erronées. L'idée, telle que me l'a résumée un
diplomate arabe de haut rang peu après 1967, était de se rendre, carrément, et
de dire : "nous n'allons pas continuer à nous battre. Nous sommes désireux
désormais d'accepter Israël et d'accepter, aussi, le rôle prépondérant des
Américains dans notre futur". Il n'y avait aucune raison objective d'adopter une
telle position, à l'époque - comme c'est aujourd'hui le cas : la continuation de
la lutte par les Arabes, comme ils l'avaient pratiquée historiquement, n'était
pas appelée inéluctablement à déboucher sur des défaites ou - a fortiori, un
désastre - ultérieures. Mais je suis convaincu que remettre la politique des
Arabes entre les mains des Etats-Unis, ce qui revient à dire : entre les mains
des principales organisations sionistes, étant donné leur influence dans tous
les secteurs aux Etats-Unis, a représenté une faute politique. Cela revenait à
leur dire : "nous ne vous combattrons plus, à l'avenir, laissez-nous vous
rejoindre... Mais, s'il vous plaît, traitez-nous convenablement". Ce qui était
alors espéré, c'était qu'en faisant des concessions et en disant que nous
n'étions plus leur ennemi, nous deviendrons leurs amis, nous les Arabes...
Le
problème réside dans la disparité de puissance (entre les deux camps) qui n'a
absolument pas été réduite. Du point de vue du puissant, quelle différence cela
peut-il bien faire si votre faible adversaire met les pouces et dit qu'il n'a
plus rien à gagner à l'avenir par la lutte, qu'il vous demande de l'adopter,
qu'il veut être votre allié : "essaie juste de me comprendre un peu, et alors,
peut-être seras-tu plus juste ?". Une bonne façon de répondre à cette question
de manière concrète et pratique, c'est de regarder la manière dont les choses
ont tourné dans la compétition pour les sénatoriales à New York, où Hillary
Clinton est opposée au Républicain Ric Lazio pour le fauteuil occupé
actuellement par Daniel Patrick Monihan (Démocrate), qui prend sa retraite.
L'année dernière, Hillary a déclaré qu'elle était en faveur de l'établissement
d'un Etat palestinien. Au cours d'une visite non-officielle à Gaza, avec son
président de mari, elle a embrassé Soha Arafat. Mais depuis l'ouverture de sa
campagne pour les sénatoriales à New York elle bat même les plus extrémistes des
sionistes de droite dans sa dévotion totale à Israël et son opposition farouche
aux Palestiniens, au point de se déclarer en faveur du transfert de l'ambassade
américaine de Tel-Aviv à Jérusalem et (ce qui est pire) en réclamant la clémence
pour Jonathan Pollard, un espion israélien accusé d'espionnage contre les
Etats-Unis, et condamné à la prison à vie. Les candidats républicains opposés à
Hillary Clinton ont tenté de l'embarrasser en la dépeignant comme une
"philarabe" et en diffusant une photographie où on la voit embrassant Soha
Arafat. New York étant la citadelle du pouvoir sioniste, attaquer quelqu'un en
lui accolant les qualificatifs de "pro-arabe" ou d' "amie de Soha Arafat"
équivaut à la pire des insultes. Tout cela, en dépit du fait qu'Arafat et l'OLP
sont déclarés ouvertement alliés des Etats-Unis, qu'ils reçoivent des aides
américaines tant militaire que financière, et qu'ils bénéficient des conseils de
la CIA sur le plan de la sécurité. Pendant ce temps, la Maison Blanche faisait
diffuser une photographie de Lazio et Arafat se serrant les mains, vieille de
deux ans. Clairement, on répondait "coup contre coup"...
La réalité, c'est
que le discours sioniste est un discours vecteur de pouvoir, et que les Arabes,
dans ce discours, sont les objets de ce pouvoir. Les objets méprisés, est-il
besoin de le préciser. Ayant remis leur sort entre les mains de ce pouvoir en
tant que ses anciens opposants désormais soumis, comment (les Arabes)
peuvent-ils imaginer se trouver sur un pied d'égalité avec lui ? De là, le
spectacle dégradant et insultant d'Arafat (depuis toujours et pour toujours
symbole de l'ennemi dans la mentalité sioniste) utilisé (comme pièce
compromettante) dans un duel tout ce qu'il y a de plus local, aux Etats-Unis,
entre deux candidats qui sont rentrés dans une surenchère afin de démontrer
lequel des deux est plus pro-israélien que l'autre. Notons, d'ailleurs,
qu'Hillary Clinton, pas plus que Ric Lazio, ne sont juifs.
Dans mon prochain
article, j'examinerai comment la seule stratégie politique possible, pour les
politiques arabe et palestinienne aux Etats-Unis, ne consiste ni en un pacte
avec les sionistes ici (aux Etats-Unis), ni avec la politique américaine
elle-même, mais bien en une campagne massive et mobilisée, en direction de la
population américaine, pour le respect des droits humains, civils et politiques
des Palestiniens. Tous les autres arrangements, qu'il s'agisse d'Oslo ou de Camp
David, sont voués à l'échec tout simplement parce que le discours officiel est
entièrement dominé par le sionisme et qu'il n'y existe aucune alternative, à
quelques exceptions individuelles près. Par conséquent, tous les accords de paix
conclus sur la base d'une alliance avec les Etats-Unis représentent des
(signatures d') alliances qui ne font que renforcer le pouvoir sioniste, bien
loin de le contrer. Se soumettre bien bas à une politique moyen-orientale
contrôlée par les sionistes, comme les Arabes le font désormais depuis presque
une génération, n'apportera jamais ni la stabilité sur place, ni l'égalité et la
justice aux Etats-Unis.
Toutefois, l'ironie veut qu'une large couche de
l'opinion publique américaine soit prête à se montrer critique tant envers
Israël qu'envers la politique étrangère américaine. La tragédie, c'est que les
Arabes sont trop faibles, trop divisés, trop désorganisés et trop ignorants pour
tirer avantage de cette réalité. J'en examinerai les raisons dans mon prochain
article, poussé que je suis par l'espoir que nous pouvons tenter d'atteindre une
nouvelle génération qui pourrait s'avérer à la fois étonnée et révulsée par la
place misérable, dénigrée à laquelle notre peuple et notre culture sont
aujourd'hui relégués, et le sentiment constant de perte suscitant à la fois
indignation et humiliation que nous en concevons tous.
SECONDE
PARTIE
Je dois vous relater un petit incident, qui s'est produit,
depuis mon premier article, il y a quinze jours de cela. Martin Indyk,
ambassadeur des Etats-Unis en Israël (pour la deuxième fois sous
l'administration Clinton), a été brutalement déchu de son agrément de sécurité
diplomatique par le Département d'Etat (Affaires Etrangères, aux Etats-Unis,
NdT). Le prétexte invoqué étant qu'il aurait utilisé son ordinateur portable
(son "sur les genoux", "laptop", comme on dit outre-atlantique, NdT), sans
utiliser les mesures de sécurité en vigueur et que, de ce fait, il aurait pu
révéler des informations secrètes ou livrer des informations semi-secrètes à des
personnes non-habilitées... Résultat : il ne peut plus ni entrer au Département
d'Etat, ni en sortir, sans être escorté. Il ne peut pas non plus demeurer en
Israël et il doit même, aux dernières nouvelles, subir un interrogatoire poussé.
Peut-être ne saurons-nous jamais ce qui s'est réellement passé. Mais ce qui
est public, et n'en a pas moins été totalement occulté par les médias, c'est le
scandale que représente la nomination-même de cet Indyk. A la veille de
l'intronisation de Clinton, en janvier 1993, on a annoncé que Martin Indyk, né à
Londres et citoyen australien, venait d'être naturalisé américain à la demande
expresse du président nouvellement élu, mais non encore en charge. Les
procédures habituelles n'ont pas été respectées : il s'agissait d'un "abus de
pouvoir légal" de l'exécutif, si bien qu'Indyk, à peine naturalisé citoyen
américain, put devenir immédiatement membre du personnel du Conseil de Sécurité
Nationale, en charge... du Moyen-Orient. Ca, c'était un vrai scandale, pour moi,
et non pas ce qui a pu lui arriver par la suite du fait de son je-m'en-foutisme
ou de son indiscrétion, ou même de sa complicité dans l'ignorance des codes de
conduite officiels. Car, avant de parvenir au coeur-même du gouvernement
américain, à un poste suprême et largement couvert par le secret, Indyk était le
directeur de l'Institut Washington pour la politique au Moyen-Orient, un
"réservoir à idées" (thinktank) pseudo-intellectuel dévoué à la propagande
active en faveur d'Israël. Il y a assuré la coordination des travaux avec
l'AIPAC (Comité des Affaires Publiques Américano-Israéliennes), le lobby le plus
influent - et aussi le plus craint - à Washington. Il convient de noter qu'avant
de rentrer dans l'administration Bush, Dennis Ross, consultant au Département
d'Etat qui a piloté le "processus de paix" américain, était aussi à l'époque le
directeur de l'Institut Washington, si bien que les ponts entre le lobbying
israélien et la politique extérieure américaine au Moyen-Orient étaient très
bien ancrés, et - osons le mot - très fréquentés.
Si l'AIPAC a été aussi
puissant, durant des années, ce n'est pas seulement à cause du fait qu'il repose
sur une population juive bien organisée, ayant beaucoup de relations, très en
vue, ayant beaucoup de réussite, et très riche, mais parce qu'il ne s'est
heurté, dans une grande mesure, qu'à une résistance fort réduite. L'AIPAC
inspire, dans tout le pays, une crainte salutaire et un respect circonspect,
mais c'est encore plus vrai à Washington, où en quelques heures, pratiquement la
quasi-totalité du Sénat peut recevoir l'injonction de signer une lettre au
Président, en faveur d'Israël (et y obtempérer). Qui pourrait se permettre de
résister à l'AIPAC sans crainte de voir briser sa carrière au Sénat, ou a
fortiori s'y opposer en invoquant, disons, la cause palestinienne, alors que
rien de concret ne saurait être offert en compensation de la défense de cette
cause à quiconque oserait défier (cette organisation) ? Par le passé, un ou deux
sénateurs ont tenu tête ouvertement à l'AIPAC, mais peu après, leur réélection a
été bloquée par les principaux comités d'action politique contrôlés par l'AIPAC,
et voilà : aussi simple que cela... Le seul sénateur qui ait adopté ce qui
ressemble de loin à une sorte de position opposée à l'AIPAC a été un certain
James Abu Rezk, mais il ne désirait pas être réélu et a présenté sa démission,
en invoquant des raisons personnelles, après la fin de son unique mandat de six
ans.
Aux Etats-Unis, il n'y a pas un seul commentateur politique qui soit
ouvertement et clairement opposé à Israël. Quelques éditorialistes libéraux,
comme Anthony Lewis, du New York Times écrivent de temps en temps une critique
des pratiques israéliennes en matière d'occupation, mais rien n'est jamais dit
au sujet de 1948 et de l'ensemble du problème de la dépossession originelle des
Palestiniens, qui se trouve (pourtant) à la racine de l'existence-même d'Israël
et de son attitude depuis sa fondation. Dans un article publié récemment, un
ancien haut-fonctionnaire du Département d'Etat, Henry Pracht, a relevé que
l'unanimité écrasante de l'opinion publique dans tous les secteurs des médias
américains, cinéma, télévision, radio, journaux, hebdomadaires, mensuels,
trimestriels et quotidiens : tout le monde, peu ou prou, suit la ligne
officielle israélienne, qui est devenue aussi la ligne officielle américaine.
Telle est l'identification à laquelle est parvenu le sionisme américain au cours
des années écoulées depuis 1967, et qui est exploitée dans la plupart des
discours publics relatifs au Moyen-Orient. Ainsi, politique américaine =
politique israélienne, excepté pour de trop rares occasions (par exemple, le
procès Pollard), lorsqu'Israël dépasse les bornes et présume qu'il a le droit de
se servir (dans la bonbonnière) sans demander la permission.
La critique des
pratiques israéliennes est, ainsi, strictement limitée à des "sorties"
occasionnelles qui sont si rares qu'elles en sont pratiquement littéralement
invisibles. Le consensus général est quasi-invincible et tellement puissant
qu'il peut être imposé partout en restant dans les limites du consensus
socialement admis ("mainstream"= le "lit principal du fleuve"). Ce consensus est
fait de vérités inattaquables concernant le fait qu'Israël est une démocratie,
ses vertus fondamentales, la modernité et le caractère raisonnable de sa
population et de ses politiques. Le rabbin Arthur Hertzberg, un religieux
américain libéral respecté, a dit un jour que le sionisme était "la religion
séculaire de la communauté juive américaine"... Ceci est confirmé, visiblement,
par plusieurs organisations américaines dont le rôle est de réprimer les
tendances du public à commettre des infractions, même si de nombreuses autres
associations juives animent des hôpitaux, des musées, des centres de recherche
pour le bien du pays tout entier. Cette dualité ressemble à un paradoxe
insolvable dans lequel des initiatives publiques parmi les plus louables
coexistent avec les plus mesquines et les plus inhumaines. Ainsi, pour ne
prendre qu'un exemple récent, l'Organisation sioniste américaine (ZOA : Zionist
Organisation of America), groupe de zélotes peu nombreux mais forts en gueule, a
payé un encart publicitaire dans le New York Times du 10 septembre dernier,
s'adressant à Ehud Barak comme s'il se fût agi d'un homme-à-tout-faire des Juifs
américains, lui rappelant que les six millions qu'ils représentent dépassent de
loin les cinq millions d'Israéliens, qui ont osé, pourtant, prendre l'initiative
d'ouvrir des négociations sur Jérusalem... Le communiqué n'était pas seulement
sur le ton de l'avertissement, mais presque de la menace, disant en substance
que le premier ministre d'Israël avait décidé non-démocratiquement
d'entreprendre ce qui était inconcevable ("anathema"), pour les Juifs
américains, et que ces derniers étaient extrêmement fâchés par son comportement.
On ne sait pas très clairement qui a mandaté cette petite troupe de zélotes
teigneux pour faire la leçon au premier ministre d'Israël sur un tel ton, mais
l'Organisation sioniste américaine ZOA se sent le droit d'interférer dans les
affaires de n'importe qui. Ils écrivent fréquemment (c'est presque devenu une
routine) au président de mon université pour lui demander de me licencier ou de
me censurer pour un propos que j'ai tenu, comme si les universités étaient des
sortes de jardins d'enfants et comme si les professeurs devaient être
réprimandés comme des mineurs délinquants. L'année dernière, ils ont monté une
campagne pour que je sois viré de mon poste électif en tant que président de
l'Association pour les Langues Modernes, dont les 30 000 membres ont été
chapitrés comme autant de demeurés. C'est digne du stalinisme le plus
préhistorique, mais c'est typique du sionisme américain organisé dans ses pompes
et ses oeuvres.
De même, au cours des derniers mois, divers écrivains et
éditeurs juifs de droite (par exemple, Norman Podhoretz, Charles Krauthammer et
William Kristol, pour ne mentionner que quelques-uns des propagandistes les plus
persifleurs) ont critiqué Israël essentiellement parce que sa politique leur
déplaisait, comme s'ils avaient plus de titres que quiconque d'autre à le faire.
Leur ton, dans ces articles, et dans d'autres, était effrayant : une mixture peu
appétissante d'arrogance éhontée, de prêche morale, et de la forme la plus
rébarbative d'hypocrisie, le tout avec un air de totale confiance en soi. Ils
supposent qu'avec le soutien des organisations sionistes, qui appuient et
encouragent leurs débordements répréhensibles, ils peuvent persévérer dans leurs
excès verbaux ahurissants, mais c'est surtout parce que la plupart des
Américains sont totalement béotiens dans les problèmes qu'ils abordent ou bien
parce qu'ils sont réduits au silence que ces gens peuvent continuer à proférer
leurs insanités, dont la plupart ont peu à voir avec les développements réels de
la situation politique moyen-orientale. La plupart des Israéliens modérés les
considèrent avec dégoût.
Le sionisme américain a désormais atteint un niveau
de pure fantasme dans lequel ce qui est bon pour les sionistes américains dans
leur apanage et dans leur discours en grande partie complètement déconnecté des
réalités, est bon pour l'Amérique et pour Israël, et bon aussi, en toute
certitude, pour les Arabes, les Musulmans et les Palestiniens, qui semblent bien
n'être guère plus qu'un ramassis de gêneurs négligeables. Quiconque défie ou ose
les contester (particulièrement s'il s'agit d'un (ou d'une) Arabe ou Juif (ve)
antisioniste) devient l'objet des formes les plus grossières d'agression verbale
et de vitupération, toutes plus personnelles, racistes et idéologiques les unes
que les autres. Ils sont acharnés, totalement dépourvus de générosité ou de
compréhension authentiquement humaine. Dire que leurs diatribes et analyses
adoptent un style "vétérotestamentaire", ce serait blasphémer en insultant
l'Ancien Testament.
En d'autres termes, une alliance avec eux, telle celle
que les Etats arabes et l'OLP ont essayé de mettre sur pied depuis la guerre du
Golfe, dénote une ignorance des plus invétérées. Ils sont opposés, de manière
viscérale, à tout ce que les Arabes, les Musulmans, et tout particulièrement,
les Palestiniens défendent, et ils attendent la meilleure occasion - la première
- pour tout faire sauter, plutôt que faire la paix avec eux. Toutefois, il est
vrai aussi que la plupart des citoyens ordinaires sont souvent stupéfaits de
constater la violence de leur discours, mais ils n'ont pas réellement conscience
de ce qu'il y a derrière elle. Lorsque vous parlez avec des Américains qui ne
sont ni Juifs, ni Arabes, et qui ne savent rien du Moyen-Orient, vous trouvez
chez eux, le plus souvent, une interrogation et une certaine exaspération devant
les tartarinades constantes (de ces sionistes extrémistes), comme si l'ensemble
du Moyen-Orient était à eux et qu'ils n'avaient qu'à tendre le bras pour s'en
emparer. J'en ai déduit que le sionisme, aux Etats-Unis, est non seulement un
fantasme construit sur des fondations on ne peut plus branlantes, mais qu'il est
impossible de conclure avec lui une quelconque alliance ou d'en attendre de
quelconques échanges rationnels. Mais aussi qu'il peut être disqualifié et
vaincu.
Je n'ai pas cessé, depuis le milieu des années quatre-vingt, de
proposer à la direction de l'OLP et à tout Palestinien ou tout Arabe que j'ai pu
rencontrer l'idée que la tentative de l'OLP d'attirer l'attention du président
(Clinton, NdT) était totalement illusoire, étant donné que tous les présidents
(américains) récents se sont avérés être des sionistes zélés, et que la seule
manière d'amener un changement de la politique américaine et de pouvoir réaliser
l'autodétermination (palestinienne), c'était d'avoir recours à une large
campagne de mobilisation en faveur des droits humains des Palestiniens, campagne
qui aurait pour effet de gagner du terrain sur le monopole actuel des sionistes
et d'atteindre l'opinion publique américaine. Non-informés, et cependant ouverts
à des appels à la justice comme ils le sont, les Américains auraient réagi comme
ils l'ont fait pour la campagne de l'ANC contre l'apartheid, qui a fini par
aboutir au changement de l'équilibre des forces à l'intérieur même de l'Afrique
du Sud. Pour être honnête, je dois mentionner que James Zoghby, alors activiste
énergique des droits de l'homme (avant qu'il ne se jette entre les bras
d'Arafat, du Gouvernement américain et du Parti démocrate), a été l'un des
initiateurs de cette idée. Le fait qu'il l'ait complètement abandonnée indique
bien plus à quel point James a changé qu'il ne signifie que cette idée elle-même
serait dépassée.
Mais il est également devenu très clair pour moi que l'OLP
ne le fera jamais, pour plusieurs raisons. Cela lui demanderait du travail et du
dévouement. Cela reviendrait aussi à épouser une philosophie politique qui
serait celle d'une organisation réellement démocratique. Ensuite, cela devrait
relever d'un mouvement, beaucoup plus que d'une initiative personnelle
attribuable au leader actuel. Enfin, cela demanderait une connaissance réelle -
et non une connaissance superficielle - de la société américaine. S'ajoute à
cela le fait que j'avais acquis la conviction que la mentalité traditionnelle
qui n'a jamais cessé de nous maintenir dans une mauvaise position serait très
difficile à changer, et le temps m'a, hélas, donné raison. Les accords d'Oslo
ont été beaucoup plus l'acceptation dépourvue de toute perspective par les
Palestiniens de la suprématie israélo-américaine plus qu'une tentative d'y
porter remède.
En tous les cas, toute alliance ou tout compromis avec Israël
dans les circonstances actuelles, avec une politique américaine totalement
dominée par le sionisme américain, serait promis(e) en gros aux mêmes résultats
pour les Arabes, en général et les Palestiniens, en particulier. Israël doit
dominer, les préoccupations d'Israël sont premières, l'injustice systémique
d'Israël se poursuivra. A moins que l'on ne s'occupe du sionisme américain et
qu'on ne le force à changer - ce qui n'est pas si difficile que cela en a l'air,
comme j'essaierai de le démontrer dans mon prochain article - les résultats
seront les mêmes : déconvenue et discrédit pour nous, les
Arabes.
TROISIEME PARTIE
Les événements de ces quatre dernières semaines, en Palestine,
ont été un triomphe quasi-total pour les sionisme, aux Etats-Unis, pour la
première fois depuis la ré-émergence moderne du mouvement national palestinien à
la fin des années soixante. Les discours, tant politique que public, ont à tel
point fait d'Israël la victime des affrontements actuels qu'en dépit du fait que
140 Palestiniens aient perdu la vie (à la date de l'article NdT) et que 5 000
blessés graves palestiniens aient été recensés, c'est en permanence d'une fable
intitulée "violence palestinienne" qui aurait interrompu le cours tranquille et
régulier du "processus de paix" qu'il est question.
Nous sommes désormais en
présence d'une petite litanie de phrases que tout éditorialiste soit répète
"verbatim" (telles quelles), soit prend pour argent comptant : ces
phrases-slogans ont été gravées dans les tympans, les esprits et les mémoires en
guise de guide pour les égarés, de manuel ou de machine à dupliquer des phrases
qui encombrent l'atmosphère depuis au moins un mois maintenant. Je pourrais
citer la plupart de ces phrases par coeur : Barak a offert plus de concessions à
Camp David qu'aucun premier ministre israélien ne l'avait jamais fait (90 % des
territoires et souveraineté partielle sur Jérusalem-Est) ; Arafat s'est montré
lâche, il lui a manqué le courage nécessaire pour accepter les offres d'Israël
permettant de mettre un terme au conflit ; la violence palestinienne, orchestrée
par Arafat, a menacé Israël (toutes sortes de variantes pour cette dernière
assertion, allant du désir d'éliminer Israël de la carte, l'antisémitisme, une
rage suicidaire motivée par le désir de passer à la télévision, en mettant les
enfants en première ligne afin que ce soient eux qui deviennent des
martyrs (!), prouvant qu'une vieille "haine" des Juifs est le vrai mobile
des Palestiniens ; Arafat est un leader déconsidéré, qui laisse son peuple
attaquer les Juifs et qui les incite même à le faire en libérant des terroristes
(emprisonnés) et en laissant publier des livres scolaires qui dénient à Israël
le droit à l'existence...
J'oublie certainement une ou
deux formules, mais l'image générale est qu'Israël est à tel point cerné de
barbares lanceurs de pierres que même les missiles, les tanks et les
mitrailleuses héliportées qui ont été utilisés par les Israéliens de manière à
"résister" à la violence (palestinienne) réussissent à grand-peine à contenir
une force terrifiante. Les injonctions de Bill Clinton (rabâchées
consciencieusement, tel un perroquet, par sa Secrétaire d'Etat (Madeleine
Albright, NdT)) aux Palestiniens de "se retirer" poussent le bouchon un peu loin
dans la suggestion que ce serait les Palestiniens qui empiéteraient sur le
territoire israélien, et non le contraire...
Il faut aussi noter que la
sionisation des médias a été si efficace qu'aucune carte n'a été publiée ou
montrée à la télévision qui aurait pu rappeler aux téléspectateurs ou aux
lecteurs américains - dont l'ignorance tant en géographie qu'en histoire est
notoire - que les colonies, les implantations, les routes et les barrages
israéliens zèbrent littéralement le territoire palestinien, à Gaza comme en
Cisjordanie. Plus, comme cela avait déjà été le cas, à Beyrouth, en 1982, les
Palestiniens sont soumis à un véritable siège israélien, y compris Arafat et ses
hommes. Complètement oublié aussi - encore eût-il fallu qu'il ait été compris -
le système des zones A, B et C qui permet à l'occupation militaire de 40 % de la
superficie de la bande de Gaza et à 60 % de celle de la Cisjordanie de se
perpétuer, occupation à laquelle les accords d'Oslo n'avaient jamais envisagé de
mettre un terme, ils n'envisageaient d'ailleurs même pas de lui apporter une
quelconque modification.
Comme l'absence de toute
référence géographique dans ce conflit de nature essentiellement géographique le
laisse prévoir, le vide résultant est un élément fondamental dès lors que les
images qui sont montrées ou décrites (par les médias) le sont en l'absence de
tout contexte. Je pense que l'omission de tout contexte géographique par les
médias sionisés était délibérée, à l'origine, et qu'elle est désormais devenue
systématique. Ceci a permis à des commentateurs-maison, tels que Thomas
Friedman, de passer en contrebande ses câbles d'une manière éhontée, en se
répandant sur l'équité américaine, la souplesse et la générosité israéliennes,
et son propre pragmatisme personnel, grâce auquel il descend en flammes les
leaders arabes et assomme ses lecteurs qui bâillent d'ennui. Ceci a pour effet,
non seulement de permettre à la notion complètement ahurissante de l'agression
palestinienne contre Israël de prévaloir, mais aussi de déshumaniser encore un
peu plus les Palestiniens, d'en faire des bêtes sans conscience, agissant sans
raison. Aussi ne faut-il pas être étonné, lorsque les chiffres des morts
et des blessés sont cités, si on ne précise pas de nationalités : ceci laisse
entendre aux Américains que les souffrances sont divisées à parts égales entre
les "belligérants", ce qui a pour effet d'augmenter la souffrance des Juifs et
de diminuer d'autant, voire d'éliminer complètement les sentiments des Arabes,
sauf, évidemment, leur rage. La rage et ses dérivés restent ainsi les seules
émotions palestiniennes, elles en deviennent même, pour le coup, la
caractéristique. Ceci explique la violence, et véritablement, la réifie, si bien
qu'Israël en arrive à représenter un Etat normal, démocratique, à jamais cerné
par la rage et la violence. Aucun autre processus ne saurait expliquer
logiquement la confrontation opposant des lanceurs de pierres à la vaillante
"défense" israélienne.
Pas un mot sur les démolitions
de maisons, les expropriations de terres, les arrestations illégales, la
torture, etc... Rien n'est cité au sujet de ce qui est (à l'exception de
l'occupation de la Corée par les Japonais) la plus longue occupation
militaire de l'histoire moderne, rien non plus au sujet des résolutions de
l'ONU, rien sur les souffrance d'un peuple entier et la dureté d'un autre.
Oubliés la catastrophe de 1948, le nettoyage ethnique et ses massacres, la
dévastation de Qibya, de Kafr Qassem, de Sabra et Shatila, les longues années de
gouvernement militaire imposé aux citoyens non-juifs, pour ne rien dire de leur
oppression continuelle en tant que minorité persécutée de 20% de la population
de l'Etat juif. Ariel Sharon, dans le meilleur des cas, est un provocateur, et
non un criminel de guerre. Ehud Barak est un homme d'état, jamais le bourreau de
Beyrouth. Le terrorisme est toujours inscrit au crédit des Palestiniens, et
l'auto-défense à celui d'Israël, dans une sorte de grand livre de comptabilité.
Ce que Friedman et les
"peaceniks" pro-israéliens se gardent de mentionner, lorsqu'ils célèbrent la
générosité inouïe de Barak, c'est sa réelle substance. On se garde de nous
rappeler que son engagement à un troisième retrait (d'environ 12% des
territoires), à Wye Plantation, il y a 18 mois, n'a jamais été honoré. Quelle
valeur pourraient donc avoir de telles "concessions" ? On nous dit que Barak
envisageait de rendre 90% des territoires occupés. Ce qu'on ne nous dit pas, en
revanche, c'est qu'il s'agit de 90% des territoires extérieurs à ce qu'Israël
n'a aucune intention de rendre. Le grand Jérusalem représente plus de 30 % de la
Cisjordanie ; de vastes colonies promises à l'annexion représentent 15 %
supplémentaires ; les routes militaires occupent une superficie qui reste encore
à déterminer. Ainsi, une fois tout ceci déduit, 90 % du restant ne représentent
pas grand-chose.
Ainsi, pour Jérusalem : la
concession israélienne était essentiellement de consentir à ouvrir des
discussions et peut-être - peut-être, seulement - d'offrir une autorité
conjointe sur l'esplanade des Mosquées (Al-Haram al-Sharif). La malhonnêteté,
qui coupe le souffle, là-dedans, c'est que la totalité de Jérusalem-Ouest
(principalement arabe, en 1948) avait déjà été concédée par Arafat, plus la
majorité de Jérusalem-Est, qui a connu une expansion urbaine énorme. Encore un
détail : les tirs palestiniens, avec des armes légères, contre Gilo sont
généralement présentés comme de la violence gratuite, alors que personne ne
rappelle que Gilo est lui-même un quartier installé sur des terres confisquées
au quartier de Beit Jala, d'où proviennent les tirs mentionnés. De plus, Beit
Jala a subi un bombardement complètement disproportionné, infligé par des
hélicoptères israéliens utilisant des missiles pour détruire des maisons
d'habitation.
J'ai procédé à un suivi des
principaux journaux. Continûment, depuis le 28 septembre, le New York Times, le
Washington Post, le Wall Street Journal, le Los Angeles Times et le Boston Globe
ont comporté quotidiennement, en moyenne, trois tribunes libres. A l'exception,
peut-être, de deux ou trois articles écrits d'un point de vue pro-palestinien
dans le Los Angeles Times, de deux autres (l'un, écrit par une juriste
israélienne, Alegra Pacheco, l'autre par un journaliste libéral jordanien
pro-Oslo, Rami Khoury), dans le New York Times, tous les articles - (en y
incluant ceux écrits par des éditorialistes réguliers comme Friedman, William
Safire, Charles Krauthammer et assimilés), ont été favorables à Israël, au
processus de paix sponsorisé par les Etats-Unis, et à l'idée que la violence
palestinienne, le manque de coopération d'Arafat, le fondamentalisme islamique
étaient les coupables. Les auteurs (de ces articles) étaient d'anciens
militaires américains, des officiels civils, des apologistes et des officiels
d'Israël, des experts et autres spécialistes de "réservoirs à idées" (think
tanks) des officiels de lobbies et d'organisations pro-israéliens. Autrement
dit, la couverture du consensus admis (mainstream) a été réalisée en supposant
qu'aucune position palestinienne, arabe, ou islamique sur des sujets tels que
les tactiques de terreur employées par Israël à l'encontre des civils, le
colonialisme de peuplement ou l'occupation militaire, n'existait ou ne méritait
d'être entendue. Ceci est sans précédent dans les annales de l'histoire du
journalisme aux Etats-Unis, et reflète bien une mentalité sioniste qui fait
d'Israël la norme en matière de comportement humain, et qui, par conséquent,
élimine d'une telle catégorisation l'existence de 300 millions d'Arabes et de
1,2 milliards de Musulmans. A long terme, il s'agit pour les Sionistes d'une
position suicidaire, mais l'arrogance que leur donne leur position de pouvoir
semble faire que cette idée n'a apparemment encore effleuré
personne.
La mentalité que je viens de
décrire est réellement renversante et l'on pourrait, s'il ne s'agissait tout
simplement d'une distorsion pratique aussi bien que réelle de la réalité,
évoquer aisément une forme particulière de dérangement mental. Mais elle
correspond très exactement à la politique israélienne officielle, qui consiste à
ne pas considérer les Palestiniens comme un peuple ayant une histoire de
dépossession dont Israël est, dans une large mesure, directement responsable,
mais comme une nuisance périodique contre laquelle la force, et surtout pas la
compréhension ni un réel compromis, est la seule réponse possible. Quoi que ce
soit d'autre serait littéralement impensable. Cette cécité étonnante est
aggravée, aux Etats-Unis, par le fait que ni les Arabes, ni les Musulmans ne
font l'objet d'une grande curiosité, sauf en tant que têtes de Turcs pour tout
aspirant-politicien (comme je l'ai indiqué dans un précédent article). Il
y a quelques jours de cela, Hillary Clinton a annoncé, dans un mise en scène
d'une hypocrisie des plus abjectes, qu'elle allait rendre 50 000 dollars de dons
reçus d'une association de Musulmans américains parce que, a-t-elle déclaré, ils
encourageaient le terrorisme : il s'agit-là, bien sûr, d'un mensonge éhonté, le
groupe en cause ayant seulement déclaré qu'il soutenait la résistance des
Palestiniens face à Israël dans la crise actuelle, ce qui ne représente pas, en
soi, une position malencontreuse, mais ce qui est criminalisé, dans le système
américain uniquement parce qu'un sionisme totalitaire exige que toute critique -
je dis bien : toute - de ce qu'Israël fait est tout bonnement intolérable et
considéré comme de l'antisémitisme à l'état pur. Et cela, malgré le fait que (là
encore, littéralement) le monde entier a critiqué les politiques israéliennes
d'occupation militaire, de violence disproportionnée, d'état de siège imposé aux
Palestiniens. En Amérique, vous devez vous abstenir de tout forme de critique,
car, sinon, vous êtes pourchassé en votre qualité d'antisémite méritant
l'opprobre le plus sévère.
Une autre particularité du
sionisme américain, qui est un système de pensée antithétique et de distorsion
Orwellienne, est qu'il est impardonnable de parler de violence juive, ou
d'actions menées par les Juifs lorsqu'il s'agit d'Israël, même si tout ce que
fait Israël est fait au nom du peuple juif, pour et par un Etat juif. Le fait
que cet Etat est mal-nommé, étant donné que vingt pour cent de sa population ne
sont pas des Juifs, n'est jamais mentionné, et ceci est à prendre en compte
également, dans le hiatus étonnant, entièrement délibéré entre ce que les médias
nomment les "Arabes israéliens" et les "Palestiniens" : aucun lecteur ou aucun
téléspectateur ne peut censément savoir qu'il s'agit du même peuple, en réalité
divisé par la politique sioniste, ni que les deux communautés représentent le
résultat de la politique israélienne : apartheid, dans un cas ; occupation
militaire et nettoyage ethnique, de l'autre.
Enfin, le sionisme américain a
fait de toute discussion sérieuse au sujet d'Israël, de loin l'Etat qui reçoit
le plus d'aide aux pays étrangers accordée par les Etats-Unis, ou au sujet de
son passé et de son futur, des tabous qui ne sauraient être brisés sous aucun
prétexte. Qualifier cela de dernier tabou dans le discours public américain,
n'est absolument pas exagéré. L'avortement, l'homosexualité, la peine de mort,
même le sacro-saint budget de l'armée ont été discutés avec une certaine liberté
(mais, toujours, dans certaines limites). Le drapeau américain peut être brûlé
en public, alors que le traitement infligé sans discontinuer par Israël aux
Palestiniens depuis 52 ans est virtuellement inimaginable, comme s'il s'agissait
d'un roman n'ayant pas reçu l'imprimatur.
Ce consensus serait peut-être
tolérable s'il ne hissait pas le châtiment continu et la déshumanisation du
peuple palestinien au rang d'une authentique vertu. Il n'y a tout simplement pas
d'autre peuple, dans le monde d'aujourd'hui, dont le massacre (montré) sur les
écrans de télévision semble être considéré par la plupart des téléspectateurs
américains comme acceptable, en tant que punition bien méritée. C'est le cas des
Palestiniens dont les morts quotidiennes, durant le mois écoulé, sont mises sous
la rubrique "la violence des deux côtés", comme si les pierres et les frondes
des jeunes gens poussés à bout par l'injustice et la répression représentaient
un délit majeur plutôt qu'une résistance courageuse opposée au sort avilissant
que leur réservent non seulement les soldats israéliens armés par les
Etats-Unis, mais aussi par processus de paix prévu pour les parquer dans des
bantoustans et des réserves dignes d'animaux.
Que les partisans d'Israël aient
pu comploter, sept ans durant, pour finir par produire un document destiné
essentiellement à enfermer un peuple comme des internés dans un asile ou une
prison : voilà quel est le vrai crime. Quant à présenter cela comme une paix et
non comme la pure et simple désolation que cela a toujours été depuis le début,
voilà qui dépasse mes capacités à le comprendre ou à le décrire autrement que
par les termes d'immoralité débridée. Ce qui est pire que tout, c'est que le mur
protégeant le discours américain sur Israël est si blindé qu'aucune question ne
peut être adressée aux cerveaux qui ont produit Oslo et qui ont continué à
vendre leur schéma au monde entier, sept ans durant, en le faisant passer pour
la paix. On ne sait pas ce qui est plus pernicieux, la mentalité qui pense que
les Palestiniens n'ont même pas le droit d'exprimer un sentiment d'injustice
(ils sont trop primitifs pour cela) ou celle qui continue, d'une manière
impavide, à fomenter leur futur esclavage.
Si c'était là tout, ce serait
déjà trop. Mais notre statut misérable, d'après la cosmogonie imposée par
le sionisme américain, est aggravé par l'absence d'une quelconque institution
ici (aux Etats-Unis, NdT) ou dans le monde arabe, qui soit prête et capable de
produire une alternative. J'ai bien peur que la couverture (médiatique) des
manifestants qui lancent des pierres à Bethlehem, Gaza, Ramallah, Naplouse et
Hébron risque fort de ne pas être prise en compte de manière adéquate par une
direction palestinienne paniquée, incapable de se retirer ou d'aller de l'avant.
C'est on ne peut plus regrettable.
1. Et si on dînait à Paris avec un criminel de guerre... Ariel
Sharon à Paris le 19 décembre prochain
Mme Eva Krespi, Présidente du Comité des Fêtes de l'ADKAH, M.Jacques
Kupfer, Président adjoint du Likoud Mondial, Président du Likoud de France, ont
l'honneur de vous convier au dîner exceptionnel de soutien à l'Etat d'Israël, à
Tsahal, à Jérusalem, et aux habitants de Judée-Samarie et Gaza le mardi 19
décembre 2000 (22 kislev 5761) dans les Salons Equinoxe - 20, rue du Colonel
Pierre Avia - 75015 Paris, en présence de Mme Naomi Blumenthal, Présidente du
Likoud mondial et de nombreuses personnalités françaises et israéliennes Hôte
d'honneur, M. Ariel Sharon, Président du Likoud.
Dîner à 20h30 précises - Cocktail à partir de 19h30 - PAF : 300 FF.
2. Appel à la manifestation pour la Liberté
d'Expression le samedi 9 décembre 2000 à 14 h 30 à Marseille
Dans plusieurs quartiers de Marseille, des
militants associatifs sont menacés, condamnés ou assignés... Leur tort ? Vouloir
défendre leur quartier ou l’environnement ! A la
Maison des Associations de Marseille, sur la Canebière, centre culturel
municipal "dédié" aux associations, des conférences prévues de longue date par
la Libre Pensée, l’association Mille Bâbords et l'Association Médicale
Franco-Palestinienne sont censurées ou interdites de fait. Le Séminaire
universitaire du CREOPS consacré à la Mémoire de l’immigration algérienne et à
La guerre d’Algérie en France se voit fermer les différents lieux
institutionnels sous la pression des nostalgiques de l’ Algérie française et est
obligé de se réfugier dans un local d’une mairie de quartier où même là il est
menacé. Bravo pour l’encouragement au travail des historiens promis dernièrement
! Et la subvention de fonctionnement du CREOPS est supprimée par une coalition
droite - extrême droite qui met la gauche en minorité au Conseil Régional
Provence - Alpes - Côte d'Azur ! En octobre dernier, la même hystérie avait
empêché la représentation au Centre d’animation municipal de la Barasse d’une
pièce de théâtre présentée par une troupe palestinienne (notons que Al Midan
Theater de Haïfa n'a jamais été interdit en Israël !). Le tableau ne serait pas
complet si on ne se rappelait le scandaleux passage à tabac des "taties" qui
avaient osé manifester sous les fenêtres de Monsieur le Sénateur-Maire
Jean-Claude Gaudin et l’interdiction du rassemblement organisé en mai dernier
par le groupe des 10 au cours Julien. Rejoints par les manifestants d’AC ! pour
un pique-nique commun, les participants à cette réunion pacifique ont rencontré
la BAC. Et ce n’est pas la première fois que la Brigade Anti Criminalité est
utilisée contre de simples manifestants ! Notre Maire en tant que premier
magistrat de la ville porte une lourde responsabilité dans ces dérapages qui
menacent l’ensemble de la vie citoyenne dans notre ville. Pour toutes ces
raisons, pour la première fois en dix ans d'existence, l'AMFP-Marseille appelle
à manifester le samedi 9 décembre 2000 à 14 h 30 aux côtés de nombreuses autres
associations et syndicats... pour témoigner son attachement à la Liberté
d'Expression. Parce que le Maire de Marseille doit réaliser qu'il
ne dirige pas une colonie israélienne d'ou l'on terrorise la
Démocratie, nous vous invitons à participer à la marche qui sera organisée,
le samedi 9 décembre 2000 à 14 h 30, des Mobiles
(en haut de la Canebière - M° Réformés) à L'Hotel de Ville (Quai du Vieux-Port)
à Marseille.
Revue de
presse
1. Middle East News & World Report
(agence d'information américaine) du mercredi 6 décembre
2000
Le vote musulman aux Etats-Unis [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Washington, D.C., 17.11.2000 - Un sondage
"sortie des urnes" publié ce jour indique que plus de 70% des électeurs
(américains) musulmans ont suivi les consignes des organisations politiques
musulmanes nationales et ont voté majoritairement en faveur de George W. Bush le
7 novembre. 36% des Musulmans ayant répondu aux questions du sondage ont indiqué
qu'ils votaient pour la première fois.
Dans ce sondage effectué auprès de 1774 électeurs
de confession musulmane, 72% ont déclaré avoir voté pour Bush, 19% pour Ralph
Nader (candidat écologiste d'origine libanaise NdT) et seuls, 8% en faveur d'Al
Gore. Ces résultats représentent un changement majeur par rapport à un sondage
similaire effectué au mois de septembre, qui avait montré un soutien plus
important pour Al Gore (24%). Le Conseil pour les Relations Américano-Islamiques
(CAIR), une association basée à Washington, a commandité les deux
sondages.
Le changement constaté dans les préférences
partisanes est attribué à la déclaration de la préférence pour Bush, en date du
23 octobre, du Conseil Musulman de Coordination Politique - Comité d'Action
Politique (AMPCC-PAC). L'appel de ce groupe a invoqué les efforts faits par Bush
en direction de la communauté musulmane et sa promesse de mettre un terme à
l'utilisation des preuves secrètes dans les enquêtes relatives aux atteintes à
la sécurité nationale américaine (INS).
94% des électeurs interrogés ont indiqué avoir
entendu l'appel du conseil (à voter en faveur de Bush). 85% des répondants ont
mentionné le fait que l'appel a été soit le facteur principal, soit l'un des
facteurs, seulement, ayant déterminé leur choix.
Tous les chiffres sont basés sur des réponses
données par des électeurs musulmans représentatifs. Les questionnaires ont été
distribués de la main à la main, par fax ou par courrier électronique, à des
Musulmans ou à des associations (musulmanes) dans l'ensemble des
Etats-Unis.
"Les électeurs musulmans ont très nettement suivi
les consignes données par les associations politiques musulmanes, en votant pour
George Bush. Ceci est le signe qu'un électorat musulman existe bien, et qu'il
faudra en tenir compte à l'avenir", a commenté le président de CAIR (Council on
American-Islamic Relations), Nihad Awad.
"Avec la marge infime en faveur de Bush, en
Floride, les électeurs musulmans pourraient avoir un rôle décisif dans le choix
du futur président", a indiqué le secrétaire général du CAIR, Omar Ahmad. La
Floride s'est classée au troisième rang (3%) en termes de taux de réponses au
sondage "sortie des urnes".
Des Musulmans de pratiquement tous les Etats
(américains) ont répondu au sondage "sortie des urnes", avec des taux de
réponses plus importants, toutefois, en Californie (22%), en Virginie (10%),
dans l'Illinois (8%), le Maryland (8%), l'Etat de New York (8%), le Texas (7%)
et le New Jersey (6%).
La majorité des Musulmans ayant répondu étaient
de sexe masculin (61%) et âgés de 39 ans et moins (68%).
Au mois d'août, des milliers d'activistes et de
leaders musulmans avaient reçu, dans tout le pays, un guide explicatif destiné à
accroître la participation de la communauté musulmane aux élections locales. Ce
guide, intitulé "Guide pour l'Enregistrement des Electeurs Americains Musulmans"
(The American Muslim Voter Registration Guide) avait été distribué par le CAIR
dans le cadre d'une grande campagne, sans précédent, en direction des électeurs
musulmans. Le 15 septembre a été déclaré : "Journée pour l'enregistrement des
électeurs musulmans" (Muslim Voter Registration Day).
On estime qu'environ six millions de Musulmans
vivent en Amérique (1,2 milliards dans le monde). L'Islam est l'une des
religions qui connaissent la plus forte croissance dans ce pays.
(Source : CAIR, reçu le 17.11.2000)
2. Al-Ahram Hebdo du mercredi 6 décembre 2000
Pas de paix sans
respect des droits de l'homme - Interview de Joana Oyediran, responsable du
programme Moyen-Orient à Amnesty International propos recueillis par
Amer Sultan
Al-Ahram Hebdo : Vous êtes responsable du programme Moyen-Orient à Amnesty
International, comment jugez-vous la situation dans les territoires palestiniens
occupés ?
Joana Oyediran : Nous avons passé dix jours dans les territoires
occupés et en Israël et nous pouvons affirmer qu'Israël emploie la force
militaire, contredisant de la sorte les normes internationales relatives aux
droits de l'homme et violant les règles d'usage des armes à feu de l'Etat hébreu
lui-même. Cet état de choses mène à l'assassinat de nombreux Palestiniens. Nous
avons élaboré un rapport sur le recours de l'armée israélienne à la force
militaire pour contrer les civils. Nous avons également tenu une réunion avec le
directeur du département de droit international au sein de l'armée israélienne
et nous lui avons déclaré notre inquiétude quant aux méthodes de l'Etat hébreu.
Nous avons insisté sur la nécessité de mener une enquête sur les meurtres commis
par les soldats israéliens.
— Et quelle a été sa réaction ?
— Il a refusé
le principe d'ouvrir une telle enquête tout en assurant qu'une enquête est menée
sur le meurtre de l'enfant Mohamed Al-Dorra, perpétré à proximité de la colonie
de Netzarim, dans la bande de Gaza.
— Vous êtes concernée par la question des
prisonniers palestiniens. Quelle est la situation ?
— Nous avons découvert
que les services de sécurité israéliens ont arrêté des centaines de personnes en
Israël depuis l'éclatement de l'Intifada, le 29 septembre dernier. Selon nos
rapports, deux tiers d'entre eux sont des Palestiniens d'Israël alors que le
tiers restant sont des juifs d'Israël. Par ailleurs, une des ONG locale assure
que plus de 200 détenus sont des Palestiniens qui ont la nationalité israélienne
et que 32 sont des juifs d'Israël. Quoi qu'il en soit, nos rapports démontrent
la cruauté de la police israélienne envers les Palestiniens de nationalité
israélienne.
— Le désir d'une coexistence pacifique existe-t-il entre
Palestiniens et Israéliens ?
— La crainte domine les deux côtés. Les
Palestiniens dans la bande de Gaza ne sortent pas de leurs maisons et évitent de
se déplacer entre les villes et les villages, de crainte d'être attaqués.
—
Les Palestiniens croient-ils en la paix ?
— Les gens estiment qu'il ne peut y
avoir de paix sans le respect des droits de l'homme. La déclaration universelle
des droits de l'homme assure qu'il ne peut y avoir de paix sans le respect de
ces droits.
— Qu'allez-vous faire pour forcer l'Etat hébreu à respecter les
droits de l'homme que vous défendez ?
— Notre organisation lance des
campagnes visant à protéger les droits de l'homme. Nous cherchons à dévoiler ce
qui se passe dans les territoires occupés. Nous demandons à la communauté
internationale d'assumer sa responsabilité pour mettre un terme aux violations
des droits de l'homme.
3. Le Monde du mercredi 6 décembre 2000
Le mouvement israélien La Paix maintenant demande l'évacuation des
colonies de peuplement par Georges Marion
Le nombre de logements construits dans les territoires a augmenté de 52,5 %
depuis les accords d'Oslo
Le nombre de logements construits dans les
colonies juives des territoires palestiniens a augmenté de 52,5 % depuis la
signature, en 1993, des accords d'Oslo sur l'autonomie palestinienne, a indiqué,
lundi 4 décembre, le mouvement israélien La Paix maintenant. Selon le mouvement,
des milliers de logements ont été construits depuis l'arrivée au pouvoir, en mai
1999, du gouvernement travailliste d'Ehoud Barak.
JÉRUSALEM de notre
correspondant
La coïncidence ne pouvait être plus significative : le jour même où, pour
assurer la sécurité des colons, Israël ouvrait dans la bande de Gaza une
nouvelle route tracée d'urgence sur des terres palestiniennes saisies en tout
arbitraire, le mouvement pacifiste La Paix maintenant rendait public, lors d'une
conférence de presse tenue à Jérusalem, lundi 4 décembre, le résultat de mois de
travaux concernant les colonies. La conclusion, minutieusement chiffrée,
conforte ce que n'ont cessé de répéter les autorités palestiniennes : non
seulement la colonisation a connu un rythme soutenu depuis l'arrivée d'Ehoud
Barak au pouvoir, en mai 1999, mais le plan du premier ministre visant à
négocier l'annexion de trois blocs de colonies, où vivent quelque 80 % des
colons, est « impraticable » sans morceler le territoire palestinien. Autrement
dit, sans maintenir l'une des raisons majeures du conflit.
Il n'est pas facile de s'y retrouver dans le maquis des chiffres lorsqu'il
s'agit de colonisation. Les données sont éclatées entre plusieurs ministères qui
répugnent à ouvrir leurs dossiers. Et pourtant, il y a un mois, La Paix
maintenant avait révélé que les colonies recevraient quelque 1,2 milliard de
shekels (environ 300 millions de dollars) au titre du budget de 2001. Réparties
entre les ministères des transports, du logement, de l'agriculture, des finances
et du commerce, ces allocations budgétaires nouvelles établissaient qu'en dépit
d'un discours visant à la signature d'un accord de paix les autorités
israéliennes n'avaient guère changé leurs pratiques anciennes.
La même conclusion peut être tirée en ce qui concerne la construction de
logements dans les colonies. D'après La Paix maintenant, qui a compilé les
chiffres émanant des services israéliens et palestiniens, et y a ajouté ses
propres études et observations, quelque 200 000 colons vivent aujourd'hui en
Cisjordanie et dans la bande de Gaza, répartis en 161 implantations, dont 90
comptent moins de 500 habitants. S'ajoutent à ces colonies les quartiers juifs
construits autour de Jérusalem, sur des territoires annexés après la guerre de
1967 et qui comptent quelque 180 000 habitants.
Depuis 1993, année où furent signés les accords d'Oslo, le nombre des
logements dans les colonies a augmenté de 52,5 %. Le rythme de la construction,
qui s'était maintenu sous le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, ne s'est pas
ralenti sous celui d'Ehoud Barak, puisque 2 830 logements ont été
construits depuis son arrivée au pouvoir. Durant la même période, 3 500 appels
d'offres ont été lancés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, pour des
programmes de logements et d'équipements liés à la construction. Ces chiffres
vont de pair avec une augmentation de la population des implantations (+ 72 %
entre décembre 1993 et décembre 2000), des routes de contournement pour que les
habitants puissent accéder à leur colonie sans traverser des villes arabes, des
démolitions de maisons palestiniennes (740 maisons détruites entre fin 1994 et
novembre 2000), et même des jours de bouclage consécutifs à divers
incidents.
« Oslo a laissé croire qu'il était possible de faire la paix sans
s'attaquer au problème de la colonisation, a déclaré l'un des dirigeants de La
Paix maintenant. Nous pensons qu'il n'en est rien. Seule une évacuation quasi
totale des colonies le permettra. » Pour des raisons géographiques, prenant en
compte le besoin de continuité territoriale du futur Etat palestinien,
l'organisation pacifiste estime qu'Israël ne peut négocier l'annexion de plus de
5,5 % de territoires palestiniens, contigus à la frontière de 1967, sur lesquels
vivent 42 % des colons. Les autres colonies devront être « graduellement, et
dans un délai raisonnable », démantelées et leurs habitants rapatriés à
l'intérieur des frontières de 1967.
La Paix maintenant se dit convaicu que le démantèlement des colonies est
une idée aujourd'hui majoritairement acceptée en Israël, et encore plus depuis
que la reprise des affrontements impose aux soldats et aux réservistes d'aller
faire leur service dans les territoires.
4. Le Monde du mercredi 6 décembre 2000
Mise en garde d'un ancien chef du Shin Beth
Ami
Ayalon, ancien chef du Shin Beth, le service de sécurité intérieure israélien, a
mis en garde, lundi 4 décembre, contre un « système d'apartheid » dans les
territoires palestiniens. « Israël doit choisir rapidement l'environnement où il
souhaite vivre car le modèle actuel, où se mêlent des caractéristiques de
l'apartheid, n'est pas compatible avec les principes juifs », a-t-il dit. Il a
regretté qu'Israël n'avance, dans la plupart des cas, dans le processus de paix
qu'après une explosion de violence. Il a également déploré que le gouvernement
refuse de libérer des prisonniers du Fatah, mouvement « avec lequel nous avons
signé la paix », et qu'il remette en liberté des terroristes en échange de
soldats israéliens faits prisonniers, citant comme exemple le Hezbollah chiite
libanais. « Quelle leçon les Palestiniens peuvent-ils en tirer ? », s'est-il
interrogé.
5. Libération du mercredi 6 decembre
2000
Proche-Orient : "Nous discutons avec les Israéliens" par
Alexandra Schwartzbrod (à Jérusalem) et Didier François (à Gaza)
Le
porte-parole d'Arafat évoque des tractations en cours.
«L'Intifada n'a été
décrétée par personne, elle ne sera stoppée par personne. Nous ne pouvons pas
nous arrêter là... nous sommes malades et fatigués de l'occupation israélienne»,
a déclaré, hier à Jérusalem, le négociateur palestinien Saëb Erekat. «Barak dit
qu'il veut un accord de paix avant les élections. C'est très facile, il lui
suffit de mettre fin à l'occupation et de retirer ses troupes jusqu'aux
frontières de 1967.» L'Intifada d'al-Aqsa, qui connaissait un léger répit depuis
plusieurs jours, semble loin d'être terminée. Hier, de nouveaux affrontements
meurtriers ont eu lieu en Cisjordanie, à six jours de l'arrivée dans la région
de la Commission internationale d'établissement des faits sur les violences.
Alors qu'aucun mort n'avait été déploré depuis samedi, deux Palestiniens ont été
abattus par des soldats israéliens à Ramallah et dans le village d'al-Khader,
près de Bethléem.
«Heure de vérité». Pour Saëb Erekat, un proche de Yasser
Arafat, qui a été de toutes les discussions à haut niveau durant ces dernières
années, «l'heure de vérité» a sonné pour les Israéliens et les Palestiniens.
«Même dans les pires moments de l'apartheid, les Noirs n'ont pas subi ce que
nous subissons aujourd'hui dans nos villages!...», a-t-il clamé devant la
presse. «A ceux qui brandissent leurs fusils devant nous, nous disons: "Il y a
un moyen plus facile de régler le problème, c'est de mettre fin à l'occupation
israélienne!"»
«Le vrai courage, en ce moment, ce n'est pas de tirer mais de
parler», a déclaré de son côté l'envoyé spécial de l'ONU au Proche-Orient,
Terje-Roed Larsen, en critiquant sèchement Israël pour avoir procédé au blocus
économique des zones autonomes palestiniennes et ainsi provoqué une dégradation
rapide des conditions de vie des Palestiniens. «La situation actuelle n'est pas
tenable. Elle pourrait se poursuivre pendant quelques semaines encore, mais elle
pourrait se détériorer spectaculairement et tragiquement, avec des implications
régionales et une possible guerre, a déclaré le diplomate norvégien à l'agence
Reuters. La seule façon de redresser la situation, c'est que les parties
reviennent rapidement à la table des négociations et y fassent les compromis
douloureux qu'on attend d'elles.»
Tractations. Pour l'instant, aucune
négociation n'est en cours, a assuré Erekat en réponse à des rumeurs
récurrentes. «Il est temps que les Israéliens comprennent que la paix et les
colonies, ce sont deux parallèles qui ne se rejoindront jamais.»
Moins
catégorique dans ses démentis, Marwan Kalafani, le porte-parole de Yasser
Arafat, reconnaît que des tractations sont en cours depuis maintenant une bonne
semaine avec le gouvernement d'Ehud Barak. «Nous discutons avec les Israéliens,
nous a-t-il assuré à Gaza, ce ne sont pas des négociations à proprement parler
mais des contacts, des échanges de vues. Nous avons eu des réunions, directes et
indirectes.»
Après deux mois et demi d'Intifada, les initiatives
diplomatiques se multiplient. «La communauté internationale s'inquiète pour la
stabilité de la région, déclare Kalafani, elle ne peut plus laisser les
Israéliens et les Palestiniens chercher seuls à calmer les tensions. Nous devons
maintenant faire un véritable pas pour relancer le processus de paix. Et pour
que cela soit possible, il faut que les Israéliens prennent des mesures
concrètes qui prouvent aux Palestiniens qu'ils entendent négocier sérieusement
la phase finale des accords d'Oslo.» Si Yasser Arafat «n'a jamais posé de
conditions» à la reprise des pourparlers, souligne Kalafani, «il est clair que
les négociations ne pourront pas reprendre tant qu'Israël poursuivra son
agression contre nous. Nous n'accepterons pas sous la menace de la force les
compromis que nous avions refusés dans les discussions lors de la rencontre de
Camp David». Quatre exigences «immédiates» ont été transmises à Ehud Barak: «Le
retrait des forces israéliennes des positions qu'elles occupent depuis le début
de l'Intifada, la levée du siège des villes, la réouverture des routes autour et
dans les territoires palestiniens, la libre circulation des travailleurs et des
marchandises.»
Négociations. Hier, sur une base militaire du nord d'Israël,
le Premier ministre israélien laissait miroiter l'ouverture de prochaines
négociations, «seul moyen de résoudre le conflit». «Mais nous allons en même
temps rester fermes et résister à toute tentative de nous imposer (des
concessions, ndlr) par la force», a-t-il asséné. Depuis le 28 septembre, 304
personnes ont été tuées dans le cadre de l'Intifada, pour la plupart des
Palestiniens.
Un membre de l'ambassade d'Israël en Jordanie a été blessé par
balle, mardi à Amman. C'est le deuxième attentat contre un représentant de
l'Etat hébreu dans la capitale jordanienne en l'espace de deux semaines.
6. Le Monde du mardi 5 décembre
2000
Proche-Orient : la terre ou la paix ? par Jimmy Carter
LA
politique du fait accompli que continuent de mener certains dirigeants
israéliens par l´implantation de colonies en territoire occupé est une raison
profonde de l´échec de la diplomatie américaine depuis des années et de la
permanence de la violence au Proche-Orient. Leur caractère délibéré d´îlots ou
de forteresses sur des terres palestiniennes rend les colons vulnérables aux
attaques, en l´absence de protection militaire massive, et fait échouer les
Israéliens qui recherchent la paix, en même temps qu´il prive tout gouvernement
palestinien d´une intégrité territoriale effective.
En septembre 1978 à Camp
David, le président Anouar El Sadate, le premier ministre Menahem Begin et
moi-même avons passé l´essentiel de notre temps à débattre de cette question
avant de finalement nous mettre d´accord sur les termes d´une paix entre
l´Egypte et Israël et sur une solution des problèmes liés au peuple palestinien.
Les dispositions bilatérales qui ont été prises ont abouti à un traité global et
durable pour l´Egypte et Israël, rendu possible en dernière minute par
l´acceptation israélienne d´évacuer ses colons du Sinaï. Le non-respect de
semblables contraintes, en revanche, à propos du statut de la Cisjordanie et de
Gaza a conduit à la confrontation et à une violence persistantes.
L´ensemble
de mes propositions aux deux intéressés reprenait la position officielle du
gouvernement américain, se fondant sur la législation internationale acceptée à
la fois par les Etats-Unis, l´Egypte, Israël, ainsi que par d´autres pays, et
reprise dans la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies.
L´engagement légitime de notre gouvernement à soutenir cette résolution
équilibrée n´a pas changé.
Si l´acceptation de la résolution 242 a été à Camp
David une question litigieuse, le premier ministre Menahem Begin l´a finalement
reconnue applicable, « en toutes ses parties ». Le texte souligne « le caractère
inadmissible de l´acquisition de territoire par la guerre et la nécessité
d´œuvrer à l´établissement d´une paix juste et durable dans laquelle chaque Etat
de la région pourra vivre en sécurité ». Il y est demandé le « retrait des
forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit [de
1967] » et le droit de chaque Etat à « vivre en paix à l´intérieur de frontières
sûres et reconnues, libre de toutes menaces ou actes de violence ».
Il était
clair que les colonies d´implantation israéliennes dans les territoires occupés
constituaient une violation directe de cet accord et, selon la position
américaine depuis longtemps établie, représentaient tout à la fois « un fait
illégal et un obstacle à la paix ». En conséquence, M. Begin s´engageait à ce
qu´il n´y ait pas d´implantations nouvelles jusqu´à la conclusion des dernières
négociations de paix. Mais, sous la pression du Likoud, il refusa par la suite
de tenir cet engagement, en donnant comme explication que, pour lui, l´ensemble
des discussions devaient s´achever dans les trois mois.
Certaines conditions
importantes figuraient dans les accords de Camp David concernant l´autonomie
palestinienne et l´occupation des terres. Avec ce point clé : « Le gouvernement
militaire israélien et son administration civile se retireront dès qu´une
autorité indépendante aura été librement élue par les habitants de ces régions
en remplacement de l´actuel gouvernement militaire ». Cette période de
transition a fait suite dans les territoires occupés à des élections approuvées
par les Palestiniens et le gouvernement d´Israël, qui se sont déroulées en
janvier 1996 sous la surveillance du Carter Center. Ont été élus 88 membres du
Conseil palestinien, présidé par Yasser Arafat. Cette autorité indépendante,
dotée d´une autonomie limitée, s´est réunie pour la première fois en mars
1996.
Il a alors été également convenu qu´une fois établis les pouvoirs et
les responsabilités de l´Autorité palestinienne, il serait opéré « un retrait
des forces armées israéliennes et le redéploiement de ce qui restait de ces
forces sur des positions spécifiques de sécurité ».
Très tôt au cours des
pourparlers de Camp David, nous avons compris qu´il ne serait pas possible de
résoudre la question de la souveraineté sur Jérusalem-Est, et avons proposé
concernant cette ville le paragraphe suivant, sur lequel nous étions parvenus à
un accord complet : « Cité de la paix, Jérusalem est sacrée pour le judaïsme,
pour la chrétienté et pour l´islam, et tous les peuples doivent y avoir libre
accès et jouir du libre exercice de leur culte et du droit de visite et de
passage sur les Lieux saints sans distinction ni discrimination. Les Lieux
saints propres à chaque religion seront placés sous l´administration et le
contrôle de leurs représentants respectifs. Un membre du conseil municipal
supervisera les principales activités revenant à la ville telles que services
publics, transports publics et tourisme, et s´assurera que chaque communauté
peut y maintenir ses institutions culturelles et éducatives. »
A la dernière
minute, pourtant, après plusieurs jours de consentement unanime, Sadate et Begin
tombèrent d´accord sur le fait qu´il y avait déjà suffisamment de sujets à
controverse dans les pourparlers pour demander que ce paragraphe, bien que
conservant le soutien de l´une et l´autre parties, soit supprimé du texte final.
Des lettres furent échangées par les deux dirigeants, exprimant les positions
légitimes de leur gouvernement sur le statut de Jérusalem-Est. Leur avis
divergeait quant à la souveraineté, évidemment, mais l´un et l´autre affirmaient
que la ville ne devait pas être divisée.
Comme convenu, je les informai que «
la position des Etats-Unis sur Jérusalem restait celle qui avait été exprimée
par l´ambassadeur Arthur Goldberg à l´Assemblée générale des Nations unies du 14
juillet 1967, puis par l´ambassadeur Charles Yost au Conseil de sécurité des
Nations unies le 1er juillet 1969 ». De fait, Jérusalem-Est y était considéré
comme faisant partie des territoires occupés, au même titre que la Cisjordanie
et Gaza.
L´accord de Camp David fut signé et proclamé dans l´enthousiasme par
les trois dirigeants que nous étions. Avec l´arrivée de Ronald Reagan à la
présidence, il advint une période de relative inactivité au Proche-Orient,
exception faite de l´invasion israélienne du Liban et de l´expulsion de Beyrouth
des forces de l´OLP qui s´en est suivie. Le président Reagan se saisit de
l´annonce de cet événement, le 1er septembre 1982, pour s´adresser à la nation
sur la Cisjordanie et les Palestiniens. Il déclara en toute clarté : « L´accord
de Camp David reste le fondement de notre politique. » Son discours comportait,
par ailleurs, les déclarations suivantes : « Les Palestiniens résidant en
Cisjordanie et à Gaza auront pleine autonomie dans leurs affaires propres.
»
« Les Etats-Unis n´accepteront pas que soit accaparée quelque terre que ce
soit dans le but d´implanter des colonies pendant la période de transition. En
vérité, plus que toute autre action, le gel immédiat des implantations par
Israël pourrait créer la confiance indispensable à une participation plus large
à ces discussions. La poursuite des implantations n´est en aucun cas nécessaire
à la sécurité d´Israël et ne fait que réduire la foi des Arabes dans la possible
négociation finale d´une issue libre et juste. »
En 1991, un affrontement
majeur s´est produit entre les gouvernements d´Itzhak Shamir et de George Bush
au sujet des colonies israéliennes de Cisjordanie, les Américains menaçant de
retirer leur soutien financier si les implantations se poursuivaient. Une
rencontre fut organisée cette même année à Madrid, à laquelle participaient les
Etats-Unis, la Syrie et d´autres pays arabes, ainsi qu´un certain nombre de
Palestiniens qui ne représentaient pas officiellement l´OLP. Lors de la
conférence de presse tenue le 1er novembre, le secrétaire d´Etat James Baker
déclarait : « Lorsque nous avons négocié avec Israël, nous avons négocié sur le
principe de la terre contre la paix, sur le principe d´un retrait total du
territoire en échange de relations pacifiques… Telle est exactement notre
position, et nous souhaitons qu´elle soit aussi appliquée dans les négociations
entre Israéliens et Syriens, entre Israéliens et Palestiniens. Cette position
qui est la nôtre n´a été modifiée en rien. »
Les médiateurs norvégiens ont,
en septembre 1993, échafaudé un accord entre le premier ministre israélien,
Itzhak Rabin, et le président de l´OLP, Yasser Arafat, engageant les deux
parties dans un processus en plusieurs étapes. Bien qu´il n´ait pas participé à
ces négociations, notre gouvernement a célébré les accords d´Oslo à la Maison
Blanche et a bâti les pourparlers de paix ultérieurs sur ces accords et sur ceux
de Camp David. De tels efforts n´ont pas abouti à ce jour et cette année ont
ressurgi entre Israéliens et Arabes une violence et une animosité sans égales
depuis plus d´un quart de siècle.
Les grandes questions restées non résolues
sont toujours celles des frontières définitives de l´Etat d´Israël, du retour
des Palestiniens chassés de leur foyer ou des compensations à leur accorder, du
statut enfin de Jérusalem. Il apparaît quasi inévitable que les Etats-Unis
s´engagent dans de nouveaux efforts de paix, mais il est improbable qu´un
véritable progrès puisse être réalisé sur l´une quelconque de ces questions
aussi longtemps qu´Israël persistera dans sa politique d´implantations,
illégales selon les lois internationales que soutiennent les Etats-Unis ainsi
que toutes les nations.
Beaucoup de questions se posent dans la recherche
d´une solution à la fin de la violence au Proche-Orient, mais l´on n´échappera
pas à celle qui est essentielle : la terre ou la paix ?
Jimmy Carter est
ancien président des Etats-Unis. Traduit de l´anglais (Etats-Unis) par Sylvette
Gleize
7. Le Soir (quotidien belge)
du samedi 2 décembre 2000
L'autre résistance des Palestiniens
par Agnès Gorissen
Tous les Palestiniens ne lancent pas des pierres.
Certains ont choisi de lutter par la contrebande, d'autres par les
études.
BETHLÉEM, RAMALLAH de notre envoyée spéciale
Le minibus s'enfonce
dans les petites rues de Bethléem, puis grimpe sur les hauteurs de la cité.
Arrivé au milieu de nulle part, le chauffeur s'arrête, regarde partout autour de
lui, à l'affût du moindre indice d'une présence. Apparemment convaincu, il se
remet en route résolument, quitte la route et s'engage sur un chemin de terre.
Un des passagers, un chrétien, esquisse un signe de croix.
Le voyage se
poursuit ainsi, chaotique, pendant une période qui semble infinie. Voies
caillouteuses et champs se succèdent. Ici et là, dans le faisceau des phares qui
déchire la nuit noire, un véhicule calciné apparaît. Soudain, le chauffeur, à
nouveau, s'arrête et coupe toute source lumineuse. Nouveau signe de
croix.
Prudemment, en évitant de pousser le moteur, le conducteur avance le
nez du minibus sur la route qui s'étale au bout du champ. Avant de démarrer en
trombe puis d'emprunter, l'air de rien, l'allure de n'importe quel véhicule. En
route pour Jérusalem. Sans passer par le checkpoint israélien. Les sacs de
fruits et légumes qui encombrent les moindres recoins du véhicule pourront être
vendus.
Combien sont-ils, les Palestiniens qui déjouent ainsi le bouclage
imposé par l'Etat hébreu ? Impossible à dire. Mais ils sont nombreux. A dos
d'âne ou en voiture, ils le font par nécessité, pour se rendre à l'hôpital d'une
autre zone palestinienne dont ils sont coupés ou pour gagner quelques sous en
faisant un peu de commerce. Mais, dans l'esprit de beaucoup, c'est aussi une
forme de résistance, une façon de dire aux Israéliens que personne ne peut
contrôler leur vie.
C'est dangereux, reconnaît un volailler de Bethléem, qui
préfère évidemment ne pas donner son nom. Hier, une balle a atteint mon
véhicule. Et, si je me fais prendre, je risque une forte amende et la
confiscation de mon moyen de transport et de mes marchandises. En fait, c'est
interdit aussi bien par les Israéliens que par l'Autorité palestinienne. Mais je
n'ai pas le choix. Et personne ne peut m'obliger à mourir de faim.
Le
volailler est passé maître dans l'art du commerce par « voies non officielles »,
selon l'expression qu'il emploie lui-même. J'utilise des camions avec des
plaques israéliennes et un chauffeur palestinien. Pour éviter les contrôles
israéliens, on passe par des routes en terre. Apparemment, il n'est pas le seul
à connaître le filon. Ici et là, sur les étals, des caisses portant des
inscriptions en hébreu traduisent clairement la provenance des
produits.
ÉTUDIER, C'EST L'AVENIR
Les Palestiniens ont développé d'autres
formes de résistance pacifique. Sur les hauteurs de Ramallah se dresse
l'imposant campus de l'université de Birzeit. En cet après-midi ensoleillé, à la
sortie des cours, des grappes d'étudiants discutent devant le bâtiment
administratif. On commente la situation politique et militaire, le bouclage des
territoires palestiniens, les difficultés de la vie quotidienne. La décision de
l'Autorité palestinienne de maintenir les cours, aussi.
C'est bien, cette
décision, estime Jamil. Il est important que les jeunes Palestiniens continuent
malgré tout. Moi, je veux montrer aux Israéliens qu'ils peuvent faire tout ce
qu'ils veulent, ils n'arriveront pas à gâcher ma vie en m'empêchant d'étudier et
d'obtenir mon diplôme. Iyad renchérit : Pourquoi les Israéliens étudieraient-ils
et pas nous ? L'éducation est une autre sorte d'arme, elle permet d'être maître
de son environnement, de son avenir.
Continuer à suivre les cours représente
pourtant des sacrifices. Avec le bouclage israélien, les étudiants, qui viennent
des quatre coins des territoires palestiniens, sont coincés dans l'enclave de
Ramallah et obligés de louer des chambres sur le campus - heureusement pas trop
chères. Mais ils ignorent quand ils pourront rentrer chez eux. Tant pis. On ne
veut pas rester à la maison, affirme Nadeem. Etudier, c'est notre avenir et
celui de notre pays.
UNE PALESTINE DÉMOCRATIQUE
Sagement installées dans
le bureau de leur professeur de français - un Belge -, Sirin, Rana, Abeer et May
partagent le même avis. Ce pays a besoin de bons cerveaux, fait valoir Sirin.
C'est notre forme de guerre contre Israël. Rana va plus loin. Pour cette jeune
fille au français parfait, l'éducation est la clé de l'indépendance. Moi, par
exemple, je voudrais m'orienter vers l'activité du tourisme. C'est un domaine
qui permet d'être en contact avec les autres pays et de réduire la dépendance,
économique et intellectuelle, des Palestiniens vis-à-vis d'Israël.
Cet avenir
que les étudiants veulent construire, comment le voient-ils ? Hormis Sirin, qui
se prononce pour une Palestine s'étendant jusqu'à Tel-Aviv, la plupart
reconnaissent qu'il faudra bien arriver à un partage et à une coexistence
pacifique avec Israël. Quant au système politique de la future Palestine, ils
sont unanimes : elle doit être démocratique. Et, insiste Rana, débarrassée de la
corruption.
8. Le Monde du samedi 2 décembre 2000
Des appels au boycottage
des produits américains et israéliens commencent à circuler en Egypte
par Alexandre Buccianti
Ces actions de solidarité avec les « frères
de l'Intifada » ont le soutien des religieux. Des campagnes de boycottage de
produits américains, destinées à protester contre ce qui est perçu comme un
soutien inconditionnel des Etats-Unis à Israël, ont été lancées dans plusieurs
pays arabes. En Egypte, des listes d'articles mis à l'index circulent, et leurs
auteurs n'hésitent pas devant les dérives racistes. D'abord circonscrite au
courrier électronique, leur diffusion a été relayée par la presse d'opposition.
LE CAIRE de notre correspondant
La « guerre » contre les Etats-Unis a
commencé en Egypte à la mi-octobre, par la prise du Kentucky Fried Chicken de
l'université du Caire. Pour les étudiants en colère qui saccageaient le
fast-food, c'était une manière de venger les « frères palestiniens de l'Intifada
». En s'en prenant à l'établissement fondé par le colonel Sanders, les
manifestants envoyaient « se faire frire » les Américains, « ces alliés
inconditionnels des Israéliens ».
Ce qui n'aurait pu être qu'un geste
symbolique est devenu au bout de six semaines un véritable djihad. Le grand
mufti d'Egypte a décrété une fatwa (avis de jurisprudence islamique),
apparentant le boycottage des produits américains et israéliens à la guerre
sainte, qui est du devoir de tout musulman. Il a même qualifié de « criminel »
l'importateur de tels produits. Le cheikh d'Al-Azhar, la plus haute autorité
morale de l'islam sunnite, lui a emboîté le pas, vendredi 1er décembre, en
déclarant que « tout produit étranger pouvant aider l'ennemi, qu'il soit
américain ou autre, doit être boycotté ».
PEPSI-COLA, McDONALD'S...
Pour donner plus de poids à sa sentence, le
dignitaire musulman a fait sa déclaration lors d'une conférence devant
l'association des hommes d'affaires d'Alexandrie. Un auditoire qui était
pratiquement acquis à la cause, puisque le président de la chambre de commerce
de la deuxième ville d'Egypte avait publié, le 6 novembre, un communiqué
affirmant que les commerçants alexandrins allaient rompre tout lien économique
avec Israël. Cet exercice est relativement facile vu la faiblesse des échanges
économiques avec l'Etat hébreu (54,4 millions de dollars hors pétrole en 1999),
mais plus difficile quand il s'agit des Etats-Unis (3,4 milliards de dollars,
soit 4 milliards d'euros, en 1999).
Les hommes d'affaires, dont l'image est déjà
ternie par une série de scandales financiers, ne peuvent pas ignorer la grogne
croissante de l'opinion publique contre l' « Oncle Sam ». Cette colère s'est
traduite par la mise en circulation d'une série de listes de produits «
américains et juifs » à boycotter. Les listes ont d'abord circulé par courrier
électronique, avant d'être mises sur papier. Leurs auteurs n'ont hésité devant
aucun abus ni aucune dérive, y compris raciste.
La première société touchée a été Pepsi-Cola. «
Pepsi est le diminutif de Pay Every Penny to Save Israel » (payez jusqu'au
dernier centime pour sauver Israël), pouvait-on lire sur Internet. Puis cette
interprétation a été mise à la portée de tout le monde par la presse
d'opposition, qui s'est empressée d'affirmer que la multinationale
subventionnait « l'entité sioniste ». McDonald's n'a pas échappé aux
pourfendeurs des « sionistes impérialistes américains » et, pour contrer la
baisse d'affluence, le clown Ronald a dû se résoudre à vendre deux « Big Mac »
pour le prix d'un.
Entre autres produits de fabrication américaine,
Marlboro a elle aussi été visée, ce qui a forcé la compagnie à reporter d'une
semaine la hausse de 5 % du prix de ses cigarettes. Ariel, la lessive de
l'Américain Proctor & Gamble, a été identifiée au chef du Likoud israélien «
le boucher Ariel Sharon ». Dans son logo de trois atomes tournoyants, les
pourfendeurs d'Israël et des Etats-Unis ont vu une étoile de David.
Le gouvernement a refusé de prendre part à la
campagne de boycottage, mais la télévision d'Etat, elle, ne s'est pas privée de
surfer sur la vague. Le présentateur d'un programme très populaire a détaillé la
liste des produits incriminés et conseillé aux téléspectateurs de boire, par
exemple, des jus de fruit plutôt que des boissons gazeuses américaines. Pour
amortir les choses, l'un des hommes d'affaires invités par le programme a estimé
que plutôt que de menacer des milliers de postes de travail et un capital
égyptien dans son écrasante majorité, il vaudrait mieux « faire dans le sérieux
en cessant, par exemple, d'acheter des Boeing ».
9. Le Magazine (hebdomadaire
libanais) du vendredi 1er décembre 2000
Poursuite de l'intifada, élections
anticipées : Les choix restreints d'Israël
La position
palestinienne actuelle est autrement meilleure qu'avant l'intifada, et ce malgré
les coûts humains et matériels exorbitants. Du côté israélien, les élections
anticipées et le changement gouvernemental qui en résultera ne modifieront pas
la nature des choix auxquels sera confronté le nouveau gouvernement.
PARIS,
DE NOTRE CORRESPONDANT
«Pour vos enfants, pour nos enfants, de grâce,
colons, soyez courageux, faites preuve d'audace et de raison et revenez de votre
gré au sein de l'Etat d'Israël. A l'heure où les endeuillés pleurent leurs morts
et où les blessés luttent pour survivre, réfléchissons ensemble à la manière
d'éviter la mort et la blessure, la destruction et le deuil. Examinons ce qui
est digne de combat au prix de la vie pour la défense de l'Etat d'Israël et ce
pour quoi la mort n'a ni de sens ni de raison.» L'auteur de ces lignes, le
romancier israélien Abraham B. Yehoshua, loin de faire partie de la poignée de
militants antisionistes engagés dans la lutte pour les droits des Palestiniens,
exprime ici un état d'esprit encore minoritaire mais digne d'attention, car
pouvant porter des significations importantes pour l'avenir. A l'instar du
mouvement des quatre mères, également minoritaire à ses débuts, il pourrait, en
fonction des évolutions politiques et militaires, s'étendre à différents
secteurs de l'opinion publique israélienne et faire éclater le consensus qui y
règne. Les faits sont têtus... Ils témoignent que malgré les tueries
quotidiennes, l'assassinat des cadres et militants, les bombardements, le
bouclage des zones palestiniennes et l'asphyxie des populations, l'intifada
continue.
Le scénario de la liquidation de Arafat
Les menaces d'Ehud Barak, de ses ministres et de ses généraux n'y
changeront rien. Elles reflètent, au contraire, leur embarras face à la marge de
manœuvre de plus en plus étroite dont ils disposent. De son côté, la partie
palestinienne, bien qu'étant au début de sa longue marche, a réalisé
d'indéniables avancées.
Dans son éditorial du 21 novembre du Yediot Aharonot,
le journaliste Ron Ben Yishaï, très proche de l'actuel gouvernement israélien,
envisageait trois scénarios relatifs à la confrontation actuelle en Palestine.
Le premier serait la guerre totale. Son objectif sera l'écrasement de l'Autorité
palestinienne ou l'obtention de sa part d'une reddition inconditionnelle. Cette
option ne lésinera ni sur les moyens à utiliser ni sur l'ampleur des dégâts à
infliger aux Palestiniens. Elle supposerait la disparition de toutes les «lignes
rouges», donc la possible liquidation physique des responsables de l'Autorité,
voire de son président lui-même. L'exacerbation de la tension qu'elle
provoquerait augmentera nécessairement les risques de dérapage vers un conflit
régional avec les pays arabes avoisinants (ce risque a été longuement évoqué
lors d'une conférence organisée au Caire par le Centre arabe d'étude
stratégique). Le journaliste Mohammad Saïd Ahmad a signalé que l'existence d'un
«vide de pouvoir» à Washington à cause des résultats de l'élection
présidentielle, d'un gouvernement israélien affaibli et d'une direction
palestinienne qui contrôle de moins en moins ses troupes, augmente le risque
considérablement. Un tel conflit mènera à une internationalisation de la crise
et à la tenue d'une conférence de paix dans le cadre de laquelle se déroulerait
une re-négociation globale israélo-arabe. Celle-ci sera autrement plus
défavorable à Israël que l'actuelle formule de «paix séparée».
Le second
scénario suppose une acceptation par Israël d'un déploiement d'observateurs
internationaux sans armes. Une telle force ne pourrait empêcher les attentats
contre les colons et les actions de guérillas contre les forces d'occupation
mais embarrasserait ces derniers par sa simple présence, limitant ainsi
l'ampleur de leurs ripostes. L'aboutissement, à terme, de cette situation serait
une reprise des négociations dans de mauvaises conditions pour Israël.
La séparation unilatérale
Le
troisième scénario serait une action militaire d'envergure, prolongée dans le
temps, qui causerait des dommages graves à l'Autorité palestinienne et à la
population jusqu'à ce que, épuisées, elles acceptent un cessez-le-feu. L'action
militaire ira de pair avec la mise en œuvre de ce qu'Ehud Barak appelle la
séparation unilatérale, c'est-à-dire la détermination par Israël en fonction de
ses seuls impératifs nationaux, d'une ligne frontalière avec l'entité
palestinienne et le déploiement de l'armée le long de cette zone qui serait
matérialisée par des clôtures et des checkpoints. Ce troisième scénario soulève
d'abord le problème de la mobilisation des réservistes car sa réalisation
l'implique. Cette mobilisation pour un conflit de longue durée, coûteux en vies
humaines, aura comme effet, expérience libanaise à l'appui, d'accélérer la crise
en Israël et d'engendrer un mouvement pour le retrait des forces d'occupation.
Quant à la proposition de retrait unilatéral, Alain Diekhoff, politologue
français aux convictions pro-israéliennes, souligne son irréalisme: «D'abord, le
tracé de cette frontière inclura-t-il uniquement les trois blocs de colonies
métropolitaines (proches de Tel-Aviv et Jérusalem)? Quid de la vallée du
Jourdain? Si aucune implantation n'était évacuée et si Israël maintenait un
contrôle total sur toutes les frontières, la séparation ne changerait
strictement rien à la situation actuelle. Barak voudrait que la frontière soit
la plus étanche possible, l'installation de barrière physique allant de pair
avec un découplage économique, la césure économique étant impossible à mettre en
pratique. La Palestine demeure le quatrième partenaire commercial d'Israël...
Quant aux Palestiniens, leur dépendance par rapport à Israël est énorme en
termes d'échanges comme de transferts salariaux. Toute rupture brutale aurait
des conséquences économiques catastrophiques et des répercussions politiques
dévastatrices.»
Entraîné par une étroite logique militaire, Ehud Barak, tenté
par ce troisième scénario, se trouve débordé à sa droite par le Likoud qui a
réussi à mobiliser une majorité absolue à la Knesset pour voter une proposition
de loi en faveur d'élections générales anticipées. Témoins de la radicalisation
d'une partie importante de la société israélienne, les résultats de ces
élections, qu'ils accouchent d'un gouvernement Likoud ou d'un gouvernement
d'union nationale, ne pourront qu'accentuer le risque de dérapage signalé plus
haut. La répression tous azimuts érigée en projet politique avec le slogan
démagogique «Laisser l'armée vaincre» ne permettra pas pour autant de venir à
bout de l'intifada et augmentera les risques d'extension du conflit au-delà des
frontières palestiniennes. L'expérience a par ailleurs prouvé que les actuels
leaders de la droite sont de piètres dirigeants: qui d'autre que Sharon mène
l'armée israélienne dans «l'aventure libanaise» avec les conséquences que l'on
connaît? L'isolement politique et diplomatique d'Israël n'a-t-il pas été l'un
des résultats de l'action du gouvernement Natanyahu?
Deux mois après le début
de l'intifada, la partie palestinienne a marqué indéniablement des points. Elle
a prouvé sa «capacité de nuisance» en rendant les territoires «ingouvernables»
pour les forces d'occupation et «invivables» pour les colons. Elle se retrouve
aujourd'hui renforcée par une unité nationale qui englobe l'ensemble des
factions palestiniennes, toutes tendances confondues. Cette unité, il faut le
rappeler, était perdue depuis 1982.
Le deuxième point, c'est le retour de la
centralité de la cause palestinienne dans le monde arabe. Même si cette
centralité est plus symbolique qu'autre chose pour le moment, l'aide financière
décidée au sommet du Caire tardant à être déboursée, elle a réussi à bloquer le
processus de normalisation israélo-arabe qui constituait un objectif stratégique
majeur de la politique américaine. La mobilisation populaire arabe a baissé
d'intensité en comparaison avec les premières semaines de l'intifada, mais elle
s'installe aussi dans la durée avec des périodes d'intensification ou de
relâchement. La partie palestinienne prône aux Etats-Unis et à toutes les
puissances concernées par la «stabilité» dans la région que sa «capacité de
nuisance», en cas de non-satisfaction de ses revendications, dépasse de loin les
frontières de la Palestine.
10. Le Nouvel Observateur du jeudi
30 novembre 2000
Bons offices de Russie... par
René Backmann
La crise israélo-palestinienne permet à Moscou de
retrouver son rôle de « parrain » du processus de paix...
Six mois après le retrait de l'armée israélienne
du Sud-Liban, des chasseurs bombardiers frappés de l'étoile de David ont tiré
six missiles, dimanche, sur des collines et des vallons proches des villages
libanais de Chebaa et Kfar Chouba, tandis que des hélicoptères de combat et des
canons à longue portée pilonnaient le même secteur. Cette offensive, présentée
par l'état-major israélien comme « une frappe ponctuelle et limitée », répondait
à l'explosion, quelques heures plus tôt, d'une charge télécommandée qui avait
tué un sergent-chef de l'armée israélienne et blessé deux autres soldats.
L'engin explosif avait été placé au bord d'une route dans le secteur « des
fermes de Chebaa », occupé depuis 1967 par Israël mais revendiqué par la Syrie
et le Liban. C'est dans ce même secteur que le Hezbollah a enlevé trois soldats
israéliens, le mois dernier.
« Israël doit réagir avec force et intelligence
et ne pas se laisser entraîner dans des aventures », a déclaré Ehoud Barak, en
annonçant que son pays s'apprêtait à saisir l'ONU d'une plainte contre le Liban.
Aux prises avec l'Intifada armée des Palestiniens et avec une situation
intérieure difficile (voir l'article de Victor Cygielman), le Premier ministre
cherche visiblement à éviter l'internationalisation de la crise au moment où les
voisins arabes d'Israël semblent tentés, eux, par l'escalade diplomatique.
Beyrouth et Damas, que Jérusalem tient pour responsables des activités du
Hezbollah sur la frontière nord d'Israël et qui ne sont pas connus pour leur
soutien résolu à la cause palestinienne ont certes d'autres chats à fouetter
avec leurs problèmes domestiques - notamment le retrait du Liban des 35 000
soldats syriens, réclamé avec une insistance croissante par l'opinion libanaise
- mais il en va différemment avec l'Egypte et la Jordanie.
Premier pays arabe à signer un accord de paix
avec Israël, en mars 1979, l'Egypte a protesté contre « le recours excessif à la
force » par Israël en rappelant son ambassadeur à Tel-Aviv, mais entend
poursuivre son rôle d'intermédiaire entre Israéliens et Palestiniens. « La
situation sur le terrain reste la même mais il y a une volonté d'Israël de
mettre fin à la crise actuelle », déclarait dimanche le ministre des Affaires
étrangères égyptien, Amr Moussa, après un entretien d'une heure entre le
président Moubarak et le conseiller d'Ehoud Barak pour les questions de
sécurité, Danny Yatom. Quant au souverain jordanien, Abdallah II, dont le
royaume a également conclu un traité de paix avec Israël en 1994, il a de son
côté décidé de ne pas nommer - pour le moment - de nouvel ambassadeur en Israël,
tout en appelant, comme le président égyptien, à la mise en place rapide de la
commission internationale d'enquête sur les vio- lences en Cisjordanie et à
Gaza.
Même la Russie, parrain jusqu'alors distant du
processus de paix d'Oslo, semble décidée à utiliser la crise
israélo-palestinienne pour tenter un retour sur la scène diplomatique du
Proche-Orient. Vladimir Poutine, qui recevait la semaine dernière au Kremlin
Yasser Arafat, a pris l'initiative de le mettre en communication téléphonique
avec Ehoud Barak avant de se déclarer favorable « à une présence internationale
» dans les territoires occupés.
Ces grandes manoeuvres diplomatiques, qui se sont
poursuivies à Vienne avec la rencontre entre la secrétaire d'Etat américaine
Madeleine Albright et son homologue russe, Igor Ivanov, n'ont débouché, pour
l'instant, sur aucun résultat concret. Le déploiement en Cisjordanie et à Gaza
des 2000 mille « observateurs non-armés » demandés par l'Autorité palestinienne
n'est toujours pas programmé. Mais Ehoud Barak aurait indiqué dimanche à un
diplomate étranger qu'il était - pour la première fois - « disposé à l'envisager
si le niveau de violence baissait de manière sensible
».
11. Arabic Media Internet Network du
vendredi 30 novembre 2000
Qui, à l'Autorité
palestinienne, va s'occuper des sirènes ? par Daoud Kuttab [traduit de l'anglais
par Marcel Charbonnier]
Mon ami, Khaled Batrawi, est ingénieur. Il
travaille à Ramallah. Je suis aller le voir mardi soir, et je l'ai trouvé abattu
par l'absence de réponse internationale à ce qui se passe chez nous. Entre
autres choses, Khaled est en colère, car il pense que les officiels locaux de
l'Autorité palestinienne ne font pas ce qu'il faudrait pour préparer les civils
contre les raids actuels au mortier lourd ou les bombardements de
missiles.
Les autorités municipales ne mettent pas comme condition aux permis
de construire l'équipement des bâtiments en abris anti-aériens. Le résultat,
c'est que la plupart de maisons et des immeubles d'appartements n'offrent aucun
endroit où les habitants pourraient s'abriter lorsque les bombardements
commencent.
Khaled a rencontré le gouverneur de Ramallah et d'autres
responsables, il leur a suggéré que certains parkings souterrains pourraient
être convertis en abris temporaires en y aménageant des salles de bains et des
cuisines, ainsi que des entrepôts pour des biens non-périssables de première
nécessité.
Radwan Shalbi est musicien et compositeur. Il était chez lui, dans
son appartement situé au quatrième étage, avec son épouse et leur bébé lorsque
Ramallah a été bombardée, la semaine dernière.
En l'absence d'abri dans
l'immeuble, les Shalbi ont tout simplement décidé de rester là où ils se
trouvaient et de laisser faire la chance. Ils ont entendu un bruit assourdi,
provenant de la terrasse, mais n'y ont pas apporté beaucoup d'importance. Ce
n'est que le lendemain qu'ils se sont rendu compte, une fois montés à la
terrasse de l'immeuble, qu'il s'y trouvait une bombe non-explosée. Ils sont
certains que si cette bombe avait explosé, ils auraient été tués.
Les
histoires analogues de personnes qui ne savent où aller durant les bombardements
abondent.
Un autre sujet de préoccupation pour mon ami Khaled, c'est
l'absence de sirène qui pourrait permettre d'avertir les gens de l'imminence
d'un raid. Il s'inquiète, parce que si, sous un quelconque prétexte, Israël
décidait de bombarder un quartier en pleine nuit, par exemple, les gens
pourraient être tués dans leur lit, à cause de l'impossibilité de les avertir
pour qu'ils se mettent à l'abri dans un lieu plus sûr.
M. Abdel-Aziz Abu
Sneneh, soixante ans, qui dormait dans sa chambre lorsqu'une bombe a
complètement détruit sa maison, a été tué sur le coup.
L'idée des sirènes
d'alarme semble surréaliste. Seuls les pays avec de vraies frontières ont
recours aux sirènes d'alarme...
La Palestine n'est pas un état, en vertu du
droit international, Israël est toujours responsable de la sécurité générale des
Palestiniens vivant sous son occupation militaire... sauf dans les enclaves
contrôlées par l'Autorité palestinienne...
Des pays équipés de systèmes de
surveillance aérienne sophistiqués peuvent estimer l'approche des avions
ennemis, des sirènes peuvent être utilisées afin de donner aux civils un temps
parfois largement suffisant pour rejoindre des abris. Nous l'avons vu lorsque
des missiles Scud irakiens ont été lancés ; nous le constatons régulièrement
lorsque des roquettes Katiusha sont tirées contre le nord d'Israël.
Les
Palestiniens n'ont pas de système de surveillance aérienne ; ils sont en contact
régulier avec les Israéliens, via les comités de liaison.
Après le lynchage
de deux soldats israéliens dans le centre de Ramallah, Israël a informé
l'Autorité palestinienne de son intention de bombarder son QG. C'était la
manière de procéder initiale, mais ce type de coordination s'est perdue dans les
sables, et Israël a de plus en plus souvent recours à des bombardements de zones
résidentielles sans aucune forme d'avertissement.
J'ai été interpellé par la
question des sirènes d'alarme, si bien que j'ai décidé d'y donner suite avec un
certain nombre d'officiels de l'Autorité. J'ai contacté Sami, un ancien officier
de la caserne de pompiers de Jérusalem Est, qui a travaillé à Jérusalem comme
membre du réseau national israélien des urgences. Il a reçu une formation en
Israël et en Angleterre.
Maintenant à la retraite, Sami a été chargé par
l'Autorité palestinienne d'assurer une mission d'assistant au ministère de la
protection civile. Il a été nommé numéro deux en Cisjordanie dans ce domaine et
promu au grade de colonel dans la police palestinienne.
Sami n'étant pas, de
ce fait, disponible, j'ai parlé avec son chef, le brigadier-général Abdel Hayy
Abdel Wahid, directeur de l'Unité de Défense passive dans les forces de la
Sécurité publique palestinienne. Wahid a accueilli très favorablement la
suggestion d'un système d'alerte par sirènes et il m'a indiqué qu'il y songeait
très sérieusement, mais que l'autorisation présidentielle était
indispensable.
"Pourquoi demandez-vous au Président Arafat d'approuver ce
genre de détails ?" lui ai-je demandé.
Wahid m'a expliqué qu'étant donné que
les sirènes peuvent aussi effrayer la population, elles pourraient avoir un
effet contraire au but recherché. Il a aussi fait valoir qu'il serait nécessaire
de déterminer différentes modulations, correspondant à différents types
d'urgences. Wahid a évoqué la nécessité de mettre sur pied un programme
d'information au plan national, en collaboration avec les stations télévision et
radio régionales.
Une infrastructure électronique, avec un poste de commande
central doit aussi être mise en place. Avec la séparation entre Gaza et la
Cisjordanie, cela n'irait pas sans difficulté, si bien qu'il serait peut-être
nécessaire d'opter pour des systèmes d'alerte régionaux. Chaque municipalité
serait responsable de ses propres sirènes d'alarme.
Je ne sais pas si le
Brigadier-général Abdel Wahid pourra rencontrer le Président Arafat, et, le cas
échéant, s'il recevra le feu vert et les fonds indispensables au financement de
l'installation d'un réseau de sirènes d'alarme national, voire même de réseaux
régionaux.
Ce qui, pour moi, est clair, c'est que le peuple palestinien n'est
absolument pas préparé au type de bombardements qui se produisent, parfois de
manière quotidienne, dans la plupart des grandes villes et autour de ces
dernières.
Ce qui est arrivé à M. Abu Sneneh et ce qui aurait pu arriver à
mon ami Radwan et à sa famille ne peut qu'être qualifié de crimes de guerre.
Néanmoins, les responsables palestiniens ont à charge de protéger la population
civile contre ces actions criminelles des Israéliens.
12.
Le Monde du jeudi 30 novembre 2000
Histoire de famille à Gaza par Bruno Philip
Père, fils, petit-fils, trois hommes, trois générations parlent de leur
peuple, de leur pays perdu, du camp « provisoire » où ils vivent ensemble depuis
plus d´un demi-siècle. L´un, nostalgique, ne croit plus à la paix ; le second,
pratique, y aspire encore ; le troisième, membre des forces de sécurité de
Yasser Arafat, se bat
TROIS hommes : le grand-père, massif dans sa « jalabiya
» bleue, visage ridé et affable sous le keffieh traditionnel ; l´un des fils,
chemise à carreaux et pantalon de velours, moustache sévère et regard un peu
sombre qu´éclaire soudain un sourire inattendu ; et l´un des fils de ce fils,
blouson et jeans noirs, le kalachnikov à portée de main, genre voyou sympa, la
lèvre un rien moqueuse. Mohamad, Ibrahim et Maher, trois hommes sirotant leur
café noir dans une grande pièce dénudée couverte de minces tapis, trois
personnages incarnant trois périodes d´une histoire tourmentée, trois
générations de la famille Mabho. Une famille pléthorique, comme souvent en
Palestine : environ soixante-dix personnes, soixante-dix réfugiés, résidents du
plus grand et du plus peuplé des camps de la bande de Gaza, celui de
Jabalia.
Mohamad, le patriarche, soixante-huit ans, fut un fellah, fils de fellah
d´une grande famille de propriétaires terriens du village de Beit Tina, près de
l´actuel Ashkelon israélien, anciennement Majda, ville arabe du temps de
l´empire ottoman puis du mandat britannique. « Mon père était le plus grand
agriculteur du village, on possédait cinquante hectares de terre. » Mohamad
Mabho a seize ans en 1948, lors de la déroute des armées arabes devant les
soldats israéliens. Il doit quitter ses terres, avec toute sa famille. « Nous
étions onze, mes parents, mes frères et sœurs, ma femme – car j´étais déjà marié
–, et la femme de mon frère. Je me souviens du jour où mon père nous a dit :
»Partons ! On ne va pas mourir ici !« Alors nous sommes partis. A pied, sur des
ânes, sur des chameaux. La nuit, les avions israéliens nous bombardaient, nous
et les soldats égyptiens en fuite. On s´en est allé vers Gaza, quelques dizaines
de kilomètres plus loin. » Mohamad ouvre sa boîte de tabac en métal et se roule
méthodiquement une cigarette. Il fait un geste ample de la main : « C´était une
nation tout entière qui fuyait ! »
Les chiffres sont à la hauteur de cette affirmation : entre 1947 et fin
1948, durant un affrontement en trois temps, suivant d´abord l´affrontement
intercommunautaire judéo-arabe, puis l´offensive militaire sioniste précédant la
création de l´Etat d´Israël, et enfin le déclenchement de la guerre
israélo-arabe après le 15 mai 1948, environ huit cent mille des neuf cent mille
Palestiniens résidant sur le territoire du futur Israël vont devoir quitter leur
domicile.
Les Mabho s´installent à Gaza. D´abord, ils louent une chambre chez des
particuliers. « Onze personnes dans une pièce de quatre mètres sur cinq. On y a
vécu plus d´un an. A onze dans la même pièce. » En 1950, les Nations unies leur
fournissent des tentes. Ils couchent sur la plage de Gaza. Une autre année à
vivre le long de la Méditerranée, puis la famille déménage pour le camp de
Jabalia. Les années passant, le camp de toiles devient bidonville et le
bidonville une ville de béton bientôt surpeuplée. Entre-temps, le fils de fellah
est devenu vendeur de légumes au marché. « On avait des vergers de citrons,
d´oliviers, d´amandiers, de coton. On a tout laissé derrière nous. Quand on est
arrivé à Gaza, il nous restait seulement l´or des bracelets de nos femmes à
vendre. Et le » tapu «, les actes de propriété de nos terres. »
Comme la plupart des réfugiés, les Mabho n´imaginaient pas, à l´arrivée
dans Gaza, que leur exode allait durer. « On se disait : c´est pour une semaine,
un mois, un an. Puis on s´est dit, c´est pour quelques années. Mais un
demi-siècle, plus d´un demi-siècle, ça non, jamais ! »
Mohamad est retourné, à plusieurs reprises, sur ses terres. La première
fois, en 1967, juste avant la guerre de six jours. La dernière fois en 1986, à
la veille de la première Intifada. Là-bas, il a revu les champs et les vergers
de son père. Mais sa maison n´existait plus : « Les colons l´avaient détruite. »
Il a parlé aux Israéliens qui s´y étaient installés. Il leur a dit : « Vous
habitez chez moi ! » Ils lui ont dit : « Ce n´est plus chez vous ! »Et puis,
soutient Mohamad, « les colons juifs ont ajouté : »Nous vous avons pris vos
terres de force, si vous les voulez, reprenez-les donc par la force !« »
A la réflexion, estime Mohamad, ce qui se passe aujourd´hui, en ces temps
violents de deuxième Intifada, en ces temps où le processus de paix s´est
réincarné en processus de guerre, n´est pas si différent de l´époque de la «
nakba », ce « désastre » de 1948, qui reste dans la mémoire collective
palestinienne comme l´une des étapes décisives de l´interminable affrontement
israélo-arabe : « Les Juifs sont les plus forts aujourd´hui, ils l´étaient déjà
hier. C´est la même histoire. » Pour le vieux fellah, fils de propriétaire
devenu vendeur de légumes d´un camp de réfugiés, la paix semble, pour toujours,
une impossible perspective. « Entre les Juifs et les Arabes, il n´y aura jamais
le calme, assène-t-il avec un geste désabusé, même s´ils nous donnent une partie
de la Palestine d´avant. Les Juifs d´aujourd´hui, ceux qui ont le pouvoir, ce
sont des gens venus de l´étranger. Pas comme ceux avec qui on coexistait du
temps de mon enfance. »
Mohamad explique : « A cette époque, on était voisins, on était amis avec
les Juifs de Palestine, les Juifs qui habitaient ici avant l´arrivée des
sionistes. On faisait la fête avec eux. Ils nous invitaient à leurs mariages, on
les invitait aux nôtres. On était comme des frères. Aujourd´hui, les Juifs sont
des oppresseurs. Et si Arafat a voulu enclencher le processus de paix, c´est par
faiblesse. Les Juifs peuvent rester ici, en Palestine, mais sous souveraineté
palestinienne. S´ils le veulent, on les acceptera et ils seront les bienvenus.
Mais pas au prix de la confiscation de notre terre ! En tant qu´Etat, Israël est
un corps étranger en Palestine ! »
IBRAHIM, l´un des fils de Mohamad (ils sont sept enfants), a quarante-deux
ans. Ibrahim avoue volontiers, désignant son père : « Nous n´avons pas la même
histoire. Il a vécu des choses que je ne peux même pas imaginer. Ça a été dur
pour lui ! Moi, cela fait quinze ans que je travaille en Israël, comme
carreleur, pour le compte d´une entreprise israélienne avec un patron juif. »
Ibrahim est l´un de ces dizaines de milliers de travailleurs palestiniens des
zones contrôlées par l´Autorité palestinienne depuis les accords de paix d´Oslo
à aller quotidiennement travailler en Israël. Il ne le peut plus depuis deux
mois, depuis le début de l´Intifada, l´Etat hébreu ayant bouclé les frontières
de Gaza et de Cisjordanie. Mais Ibrahim réserve son amertume aux dirigeants
israéliens. Pas au peuple de cet Israël où il a « plein d´amis ».
« Quand les hélicoptères israéliens ont bombardé Gaza [lundi 20 novembre],
mon patron m´a appelé d´Israël pour demander comment ça allait, si je n´avais
pas trop peur. »Fais attention à toi«, m´a-t-il dit. Vous savez, les Juifs, ils
sont comme nous. Ils sont aussi écœurés que nous par la politique de leurs
leaders, la seule chose qu´ils veulent c´est ce que nous voulons : la paix !
Durant la première Intifada, en 1987, quand l´armée, comme aujourd´hui, a bouclé
Gaza, j´ai été hébergé pendant quinze jours à Ashdod, en Israël, chez des Juifs
originaires de Turquie. Même qu´un soir, alors que les militaires patrouillaient
les rues pour voir si des Arabes ne se seraient pas cachés en ville, mes amis
juifs leur ont dit : »Non, il n´y a pas d´Arabe chez nous.« Et moi, j´étais chez
eux, nourri logé ! », raconte Ibrahim en s´esclaffant. Il ajoute, sérieux : « Je
n´ai pas travaillé depuis deux mois. Mais mon patron me paie encore et continue
à m´envoyer un chèque chaque mois. Mon père ne peut pas penser de la même façon.
Il ne les connaît pas, les Israéliens. Moi, ça fait tellement d´années que je
les côtoie, je parle hébreu, j´ai appris à les connaître. Eux et nous savons
que, si on arrive à s´entendre, ce pays sera le Singapour du Proche-Orient. Il y
a de la place pour nos deux peuples. Mais à la condition d´arriver à une paix
équitable pour eux et pour nous. »
Et l´Intifada, dans tout cela ? Qu´en pense donc Ibrahim, le travailleur
immigré en Israël, l´ami des Juifs ? Le fils Mabho réfléchit un long moment
avant de répondre. La réponse semble lui coûter. Il allume encore une cigarette
puis finit par lâcher : « Si cette révolte sert à quelque chose, alors
faisons-la. Sinon, je ne vois pas pourquoi on continuerait. » Mais qu´en
pense-t-il ? « Je ne sais pas. Je ne peux pas vous dire. Mais je crois que nos
dirigeants doivent mûrement réfléchir, peser le pour et le contre avant de
prendre la décision de savoir s´il faut prolonger cette révolte. » Puis il
s´explique : « J´ai commencé à travailler quand j´avais quinze ans. J´ai dix
enfants, six garçons et quatre filles. Je n´ai jamais lancé de pierres sur un
soldat israélien. Ni durant la première Intifada ni maintenant. J´ai une famille
à nourrir. Et je n´ai pas envie que mes enfants y participent non plus. Alors
que voulez-vous que je vous dise : les Israéliens sont les forts, nous, on est
les faibles. »
Maher, vingt-deux ans, fils d´Ibrahim, petit-fils de Mohamad. Le jeune
homme, qui tient un kalachnikov sur ses genoux, est policier. Pas n´importe
quelle police : il est membre de la sécurité préventive, les redoutables et
redoutées forces de sécurité et de renseignement intérieur du puissant Mohamad
Dahlan, l´homme fort, l´homme lige de Yasser Arafat. Qui, après une longue lune
de miel avec l´armée israélienne au temps du « processus d´Oslo », est désormais
décrit chaque jour par Israël – à tort ou à raison – comme le cerveau des
opérations de guérilla contre Tsahal. Mais le jeune Maher, lui, est aussi un «
vieux » militant du Fatah, parti d´Arafat et principale formation de ce qui fut
l´OLP, l´Organisation de libération de la Palestine.
Lors de la première Intifada, à quinze ans, Maher était sur les barricades,
jetant des pierres aux soldats d´Israël. Il a été blessé en 1993. A trois
reprises. Il lève la jambe de son pantalon, montre les cicatrices que lui ont
laissées les balles. Il a été en prison. Une fois, durant dix-huit jours, en
1992. Il se rappelle comment les matons faisaient semblant de lui apporter une
cigarette et finissaient par l´écraser devant lui pour le narguer. Comment ils
faisaient de même avec un verre d´eau quand il avait très soif. « Mais que
peut-on attendre d´une force d´occupation ? », commente Maher.
Quand la paix se profile, après la signature des accords d´Oslo, en 1993,
le jeune militant se souvient avoir été « plein d´espoir ». « Je n´étais pas
pleinement satisfait, concède-t-il ; bien sûr, c´était une paix tronquée et
après la reconnaissance de l´Etat d´Israël par Arafat, on savait que l´on ne
récupérerait jamais la Palestine de mon grand-père. Mais, comme dit un vieux
proverbe de chasseur arabe, »mieux vaut un oiseau capturé dans la main que dix
autres inaccessibles sur leurs branches«. Oui, nous avons cru à cette paix,
l´espoir, pour nous les jeunes, était immense. Et on savait qu´il fallait nous
adapter à une nouvelle situation : c´est-à-dire coexister avec les Juifs. » Mais
aujourd´hui ? Maher fait une moue en se levant. Le jeune homme est pressé et
doit se rendre à un rendez-vous « secret », ainsi l´exige son travail. «
L´Intifada d´aujourd´hui, on la voit venir depuis longtemps. Ça fait un bout de
temps qu´on savait que tout allait exploser. »
Maher disparaît. Mohamad l´aïeul est parti se coucher. Il est tard. Son
fils Ibrahim désigne de la main l´étroite ruelle qui court dans l´immense camp
de Jabalia : « Je parlais de la paix. Mais pas à n´importe quel prix. Je suis né
dans ce camp il y a quarante-deux ans. Je travaille en Israël, mais j´ai
toujours vécu ici, à Gaza. Et j´ai toujours su que je n´étais pas chez moi. Un
jour, je le sais, et nous le savons tous, je retournerai sur la terre de ma
famille. Et mon père le sait aussi. Et si lui n´y retourne pas, et si moi je n´y
retourne pas, ce sera mon fils qui ira. »Il montre l´immeuble sans grâce qu´est
sa maison. « Ici, en comparaison de ce que nous avons eu, c´est rien. Ici, en
comparaison de ce que nous étions, nous ne sommes rien ! »
13. The New York Times (quotidien
américain) du vendredi 30 novembre 2000
Israël : crise politique dans la guerre
par Deborah Sontag [traduit de l'anglais
par Marcel Charbonnier]
Jérusalem, 29 novembre. Tandis que la
campagne électorale israélienne venait d'être lancée officieusement aujourd'hui,
les experts politique locaux prévoyaient déjà des turbulences sur tous les
fronts.
Anticipant un remake de la compétition entre Barak et Netanyahu, dans
les élections du printemps prochain, ils y voient l'affrontement de deux
premiers ministres déchus, sur le fond d'un système politique profondément en
crise, et au beau milieu d'un conflit très violent avec les Palestiniens.
Et
encore, là, je vous parle des experts optimistes...
"C'est une crise
extrêmement sérieuse", a déclaré Yaron Ezrahi, un politologue éminent. "Au beau
milieu d'une situation d'urgence entre nous et les Palestiniens, la Knesset
déclare une guerre politique entre Juifs. Généralement, les démocraties
suspendent le débat politique durant de telles périodes d'urgence. Pas nous.
Nous accentuons délibérément nos conflits internes au moment même où le pays est
en état de siège".
Il est clair que le conflit affectera la campagne, et que
la campagne affectera le déroulement du conflit.
Déjà, aujourd'hui, M. Barak
a annulé un séminaire de brainstorming axé sur la manière de retourner à la
table des négociations, pour consacrer son temps aux considérations de politique
intérieure. Mais la violence, elle, ne pouvait pas être mise de côté : les
soldats israéliens ont tué quatre Palestinien à Gaza, des terroristes selon
leurs dires, et des Palestiniens armés ont blessé grièvement un automobiliste
israélien en Cisjordanie.
Lundi, M. Barak, le soldat le plus décoré d'Israël,
a revêtu sa tenue de combat face au Parlement, la Knesset, en ébullition contre
lui. Il a pris de court ses opposants en leur donnant ce qu'ils disaient vouloir
: la possibilité de tenir de nouvelles élections.
Dans ses remarques, M.
Barak, politicien qui ne se reconnaît pas comme tel, s'est plaint du fait que la
politicaillerie avait gagné. Un gouvernement responsable ne peut se permettre
d'envisager la tenue d'élections dans une situation d'urgence nationale, a-t-il
dit aux législateurs.
Aujourd'hui, en revanche, M. Barak allait plus loin que
simplement "envisager". Il se préparait pour les primaires. Il a rencontré
Avraham Burg, le président du parlement, pour lui demander s'il était prêt à
être candidat, face à lui, pour la direction du parti Travailliste. M. Burg, qui
est resté silencieux toute la journée, contrairement à son habitude, envisage
sérieusement cette éventualité, que M. Barak semble considérer plus comme une
épine dans le pied que comme une menace.
"Le premier ministre préfère
considérer les primaires comme un épisode qui sera très vite dépassé", a
commenté Binyamin Ben-Eliezer, ministre de la communication fidèle de Barak.
"Elles doivent être tenues d'ici un mois, ou une quarantaine de jours, si bien
que nous serons libres, après ça, lui, Barak, pour conduire les affaires
diplomatiques et militaires et le parti, pour préparer les
élections."
Plusieurs experts estiment que M. Barak a besoin de restaurer le
calme et d'assurer un certain modus vivendi avec les Palestiniens s'il veut être
réélu. "Le sort de M. Barak est désormais entre les mains de l'homme qu'il
méprise apparemment le plus au monde : Yasser Arafat", a écrit hier
l'éditorialiste politique Nahum Barnea.
Mais les initiatives
diplomatiques seront très difficiles à prendre dans le contexte d'une campagne
électorale difficile, quelles que soient par ailleurs les inclinations
personnelles de M. Arafat. Les opposants à M. Barak arguent d'ores et déjà du
fait qu'il n'est plus mandaté pour prendre des décisions cruciales. "Avec 79
députés votant contre lui, M. Barak a perdu la capacité à conduire le processus
de paix dans la période qui s'ouvre", a dit Dore Gold, ancien ambassadeur
d'Israël à l'ONU. "Ajoutez à cela qu'Arafat est parfaitement conscient des
besoins de Barak, ce qui signifie que l'avantage de ce dernier est réduit comme
jamais il ne l'a été et qu'il devrait se montrer encore plus conciliant, au
moment où l'opinion publique est devenue plus intransigeante".
Ariel Sharon,
leader du parti d'opposition Likud, a déclaré aujourd'hui qu'il se portait
candidat contre M. Barak au poste de premier ministre. Mais aucun député Likud
n'a exprimé son soutien à M. Sharon publiquement jusqu'à maintenant. La plupart
des gens s'attendent à ce que M. Netanyahu, qui a abandonné l'arène politique
après sa défaite cuisante face à M. Barak en mai 1999, va y revenir afin de
contester à M. Sharon la direction du parti, avant de se porter candidat aux
législatives face à M. Barak.
"Dans les sondages dont j'ai eu connaissance,
Netanyahu battrait n'importe quel autre candidat, et de beaucoup", a indiqué
Meir Sheetrit, un député du Likud. "C'est pourquoi je sais que si Netanyahu
revient, c'est en vue des élections".
Limor Livnat, un officiel du Likud
bardé de ses propres ambitions, a fait la confidence suivante : "Quiconque
prendra la tête du Likud sera le futur premier ministre d'Israël. Même si on
mettait un balai à la tête du parti - et ça ne sera pas un balai - il battrait
Barak".
M. Barak est convenu de tenir de nouvelles élections juste
dix-sept mois après sa prise de fonction, en principe pour un mandat de quatre
ans. M. Netanyahu a chuté après 19 mois à la tête du gouvernement. Ceci amène
certains Israéliens à se demander si le système politique n'est pas au moins
aussi fautif que les leaders eux-mêmes.
"Quand je regarde la situation d'un
point de vue non politique, je vois le deuxième premier ministre à tomber au
milieu de son mandat, et je commence à me demander, avec inquiétude, si nous ne
sommes pas entrés dans une bourrasque d'instabilité politique chronique", a
commenté Yuval Steinitz, un député Likud.
Certains Israéliens blâment le
système électoral adopté il y a quatre ans, qui a fait du système politique
israélien un hybride entre les régimes quasi-parlementaire et
quasi-présidentiel. M. Netanyahu et M. Barak sont, en effet, les deux (premiers)
premiers ministres israéliens à avoir été élus au suffrage universel. En les
élisant, les Israéliens étaient invités à déposer deux bulletins, l'un pour le
choix du premier ministre, et l'autre pour la détermination des composantes du
parlement. Ceci a donné un pouvoir important à une multitude de petits partis,
affaibli le parti Travailliste et le Likud, et dilué le lien existant auparavant
entre le Parlement et le premier ministre.
Dalia Itzik, ministre de
l'environnement, a déclaré que la capacité de M. Barak à gouverner était obérée
par la faiblesse du parti Travailliste (à la Knesset). C'est encore le parti le
plus important. Mais, avec seulement 23 députés sur 120 (au total), M. Barak ne
dispose pas de l'"outil parlementaire" lui évitant des négociations de marchands
de tapis destinées à gagner le soutien de petites formations, a-t-elle
ajouté.
Une campagne pour revenir à l'ancien système de vote unique, dès les
élections du printemps prochain, est en train de gagner de l'audience : un
projet de loi a d'ores et déjà été déposé au parlement. 21 députés travaillistes
(sur les 23) ont décidé de soutenir cette initiative, les deux députés
travaillistes opposés à cette proposition de loi étant Haïm Ramon, autre rival
potentiel de M. Barak, et M. Barak lui-même, qui aurait bien du mal à la
soutenir publiquement, étant donné que les électeurs pourraient en déduire qu'il
est effrayé de la perspective d'un affrontement seul-à-seul avec M. Netanyahu.
Les députés du Likud sont nombreux à la soutenir, également. Mais, et ce n'est
pas une surprise, les petits partis qui sont les principaux bénéficiaires du
système des deux votes (pour la charge de premier ministre et pour l'élection
des députés, NdT) ne seront vraisemblablement pas favorable à un changement en
ce sens.
Si le système (électoral) ne change pas, M. Barak aura-t-il assez
de troupes pour diriger ? Lui qui voulait être le premier ministre de
"tout-le-mon-de", comme l'assénait son slogan de campagne, a fini par se
retrouver on ne peut plus seul. Il a commencé son mandat avec une méga-coalition
de 75 députés (sur 120 au total, rappelons-le), de droite comme de gauche, laïcs
comme religieux. Il ne lui en reste plus que 30. Il a commencé avec des
ambitions d'étendre le parti Travailliste en une nouvelle coalition appelée "Un
Israël", et il se retrouve avec un parti affaibli, démoralisé, inquiet de son
identité.
14. Al-Nahar (quotidien libanais)
du jeudi 29 novembre 2000
Aspects économiques de l'intifada
palestinienne par Kamal Dib [traduit de
l'arabe par Marcel Charbonnier]
(Kamal Dib est un économiste libanais, résidant au
Canada.)
Sur le terrain, Israël enregistre un
succès éclatant, puisque la bourse des victimes, morts et blessés, relève 250
morts et 10 000 blessés palestiniens, en deux mois d'intifada, tandis que le
nombre des morts israéliens ne dépasse pas vingt personnes (non-arabes) et cent
blessés. Mais il existe un marché d'une autre nature, très actif lui aussi, dans
le contexte de cet affrontement militaire inégal. Cet autre affrontement, c'est
la guerre économique, dans laquelle plusieurs indices montrent que les pertes
d'Israël sont plus importantes que les pertes palestiniennes.
Le Conseil
économique palestinien estime que l'économie palestinienne a subi des pertes
d'un montant total de 900 millions de dollars au cours des quarante-quatre jours
écoulés depuis le déclenchement de l'intifada, le 28 septembre dernier, tandis
qu'Israël perdait cette même somme dans le seul secteur du tourisme. Mais
la question est posée de la pertinence d'une comparaison entre les deux
économies israélienne et palestinienne. En effet, Israël est un pays industriel
hautement développé, dont la production intérieure brute atteint 120 milliards
de dollars annuellement, tandis que la "Palestine" représente, en réalité, un
ensemble de régions soumises à l'occupation, jouissant d'une autonomie
restreinte et d'une infrastructure économique embryonnaire, dont le produit
intérieur brut ne dépasse pas les 4 milliards de dollars annuels.
Ainsi, les
pertes enregistrées par l'économie palestinienne s'élèvent à 25% de son produit
intérieur brut annuel, environ, tandis que les pertes de l'économie israélienne
ne représentent pas plus de 5% du produit intérieur brut israélien. Mais la
comparaison ne s'arrête pas là, car l'économie israélienne ne manquera pas de
subir des pertes plus importantes si la situation reste aussi explosive jusqu'à
l'année prochaine.
L'économie
palestinienne
Le Conseil économique palestinien a estimé les
pertes subies au cours des six premières semaines de l'intifada comme suit
:
- 300 millions de dollars de pertes dues à des destructions
d'infrastructures et aux dégâts subis par les biens immobiliers privés ;
-
100 millions de manque à gagner pour l'autorité palestinienne, attribuables au
gel des redevances dues par Israël, au marasme des échanges commerciaux et au
déficit des taxes sur ces derniers ;
- 100 millions de dollars de pertes dans
le secteur agricole ;
- 260 millions de dollars de salaires non-perçus, en
raison de l'interdiction faite aux travailleurs palestiniens de rejoindre leur
lieux de travail en Israël (rappelons que 125 000 travailleurs de Gaza et de
Cisjordanie travaillent à l'intérieur de la "ligne verte") ;
- 220 millions
de dollars de pertes diverses, liées au blocus, à la fragmentation du territoire
palestinien, à la politique visant à affamer et à paupériser la population, à
entraîner la fermeture des institutions éducatives et des services économiques
pour des périodes indéterminées.
Les médias palestiniens estiment les pertes
quotidiennes subies par l'économie palestinienne à 19,5 millions de dollars, en
prenant en compte la totalité des secteurs productifs.
En sus de ces pertes
directes, le directeur de la Monnaie palestinienne, Monsieur Fuad Bsiso, estime
que "les pertes induites seront très importantes, à court terme, en particulier
sur le plan des investissements et des opportunités de développement." En effet,
un grand nombre d'investisseurs ont décidé de geler des projets en cours de
réalisation, pour une valeur de 80 millions de dollars, tandis que les états
donateurs décidaient de geler de nombreux projets à cause du blocus imposé par
Israël aux territoires palestiniens.
Le ministère palestinien de l'industrie
estime les pertes quotidiennes du secteur industriel à 5 millions de dollars,
soit 220 millions de dollars sur les 44 jours d'intifada. Il faut noter une
grave crise d'approvisionnement en matières premières, qui représentent 75 pour
cent des intrants, en raison de la fermeture par Israël des ports et des
aéroports, et du blocus qu'il impose aux territoires palestiniens. La production
est réduite aux 20% des capacités.
Ces données confirment l'avertissement
lancé par la Banque Mondiale, dans un communiqué détaillé, publié le 17
novembre, sur le fait que le blocus provoque des pertes catastrophiques à
l'économie palestinienne, qui s'élèvent à 210 millions de dollars, et qui estime
que la prolongation du blocus jusqu'à la fin de cette année aurait pour effet de
porter ces pertes à 620 millions de dollars, tandis que, si le blocus devait
durer toute l'année 2001, les pertes se monteraient alors à 1,7 milliard de
dollars, ce qui correspondrait à une réduction de l'économie à la moitié de sa
capacité au bout de six mois, ce qui obérerait gravement la capacité de
l'économie palestinienne de se redresser à l'avenir, sa situation ressemblant
fortement à celle du Liban au sortir de la guerre civile, en 1990.
A
l'intérieur de la ligne verte, existe une deuxième économie palestinienne :
celle des Palestiniens de 1948, qui représentent 20% de la population
israélienne et qui sont en butte au boycott des achats de leurs productions ou
de leurs prestations de services de la part des Juifs. La plupart des
entreprises arabes, en Israël, dépendent de la demande juive. La clientèle juive
représente, en effet, 80% de l'ensemble de la demande de produits et de services
arabes. Les patrons arabes ont recours, actuellement, à des licenciements
massifs, confrontés qu'ils sont à des pertes énormes de chiffre
d'affaires.
Il est vraisemblable que l'effondrement économique des Arabes
israéliens entraînera une recrudescence de violences et de problèmes sociaux. La
Galilée et la région de Safad sont les plus menacées par une explosion sociale
consécutive à l'effondrement de l'économie arabe israélienne.
De même, la
crise économique frappe la Jordanie et l'Egypte, deux pays arabes entretenant
avec Israël des relations économiques, industrielles, commerciales et
touristiques. Le Liban n'est pas épargné, en raison de la tension régnant dans
la région. L'un des indices de la manière dont le Liban est affecté est le grave
revers subi par le secteur touristique : il y a eu une affluence minime aux
compétitions sportives pour la Coupe asiatique, qui se déroulaient à Beyrouth et
dans la plupart des régions libanaises, si bien que l'on a pu comparer les
stades à des cimetières désertiques entre les tombes desquels siffle un vent
mauvais, tandis que les hôtels de la capitale étaient loin d'enregistrer les
nuitées escomptées.
L'économie
israélienne
Les pertes de l'économie israélienne sont multiples
et ramifiées, car l'économie israélienne est très développée et sophistiquée. Il
y a les coûts militaires, estimés à 1,5 million de dollars chaque jour, soit
environ 100 millions de dollars sur deux mois (d'intifada). La bourse subit des
baisses en valeurs et en effets de commerce, le shekel (monnaie israélien)
s'effondre face au dollar, tandis que la valeur des exportations vers les
territoires palestiniens est en chute libre. Les pertes liées à l'absence de la
main-d'oeuvre palestinienne des entreprises israéliennes s'élèvent à 600
millions de dollars. Le secteur touristique a perdu, à lui seul, 900 millions de
dollars. Sur le plan monétaire, l'indicateur d'inflation s'est élevé pour la
première fois depuis plusieurs années, tandis que la banque centrale israélienne
s'est avérée incapable d'obtenir l'avance de 800 millions de dollars qu'elle
escomptait recevoir de Washington en rétribution du retrait israélien du
Liban.
Le tourisme
Le secteur touristique israélien est promis à des
chocs dévastateurs à court terme. Alors que le pourcentage des annulations de
réservations de voyages atteignait, au cours du mois d'octobre, environ le
tiers, on s'attend à ce qu'elles atteignent 80% en novembre. Cela n'est pas sans
conséquences pour les visites de groupes qui comportent des sites palestiniens,
en particulier Bethléem, Ramallah et Jérusalem-Est et, pour certaines d'entre
elles, la Jordanie et l'Egypte. Trois millions de touristes étaient attendus en
Israël durant l'an 2000, et trois millions cinq cent mille touristes en 2001.
Les prévisions pour 2000 ont été ramenées à deux millions de visiteurs, et à
moins de deux millions pour 2001. En tenant compte du fait que la préparation
des voyages des touristes américains et européens nécessite, en moyenne, neuf
mois, on peut escompter que le tourisme ne redeviendrait florissant, si les
troubles cessaient demain, pas avant la fin 2001 (Source : Ha-Aretz, 19 octobre
2000).
Au congrès mondial du tourisme de Londres (15 novembre), le ministre
palestinien du tourisme a indiqué que le tourisme israélien enregistrait des
pertes de 90%, tandis qu'il était réduit à sa plus simple expression dans les
territoires palestiniens. En 1999, Israël a pu tirer plus de 4 milliards de
dollars de son secteur touristique : 3,8 millions de touristes s'y sont rendus
cette même année. Il est probable que les pertes, pour l'ensemble de l'année
2000, représenteront le tiers d'une activité normale, environ. Il y a un lien
organique entre l'activité touristique israélienne et l'activité du secteur
touristique palestinien : le blocus des régions palestiniennes et le
bombardement d'infrastructures touristiques, hôtels, casinos..., se traduisant
obligatoirement par une diminution du nombre de visiteurs dans les territoires
palestiniens et par la quasi-absence de pélerins désireux de se rendre sur les
lieux saints de Cisjordanie.
Le marché financier
Sur le plan monétaire, la banque centrale
israélienne poursuivait un programme échelonné d'abaissement du coût de
l'escompte. Mais, depuis la fin octobre, elle n'a pas réussi à soutenir le
rythme des ajustements à la baisse de ce taux, dans un contexte inflationniste
dépassant de 80 points le taux de référence américain, pour atteindre 250 points
actuellement, ce qui représente la différence entre le taux de l'escompte
américain (6,5%) et le taux relevé en Israël (8,3%).
Ceci signifie qu'Israël
ne sera pas en mesure d'abaisser son taux d'escompte pour de nombreux mois à
venir, dans un contexte de déplacement de capitaux quittant le shekel israélien
pour le dollar. Ce contexte monétaire affecte la bourse de Tel-Aviv, qui a
baissé, à son tour, comme baissaient les obligations et les bons du trésor
israéliens, fierté et valeurs sûres du système financier israélien.
Les
Palestiniens perdront vraisemblablement beaucoup, et leurs difficultés
quotidiennes ne pourront que s'aggraver de part le repli de leur économie à la
moitié de ses capacités. Mais le temps ne travaille pas pour Israël, dont les
activités sont extrêmement diversifiées, car ce pays s'oriente depuis plusieurs
années vers une économie de services, dont la bonne marche dépend avant tout de
la sécurité et de la stabilité. La prolongation de l'intifada jusqu'au printemps
prochain signifierait une récession économique, voire un effondrement, en
Israël, situation que ce pays n'a jamais connu depuis sa création, en 1948,
puisqu'au contraire, ses guerres contre les Arabes ont toutes correspondu à des
paliers dans l'expansion de son économie florissante...
Qui souffrira le plus
? Les Palestiniens, à n'en pas douter. Mais qui pourra retirer sa main de l'étau
de l'autre le premier ? C'est la Question.
15. Arabic Media Internet Network du
mercredi 28 novembre 2000
Lettre ouverte au Président Arafat
par Haydar Abd al-Shafi [traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
Excellence,
L'intifada
palestinienne unique, dont nous vivons les gloires et les difficultés, n'a pas
été déclenchée par un événement fortuit ou sous l'empire d'une réaction
émotionnelle, mais elle résulte de la conviction renforcée par l'expérience que
nos droits spoliés ne pourront être recouvrés et rendus effectifs au moyen de
négociations vidées de leur contenu, mais bien grâce à une lutte organisée,
seule à même de donner aux négociations le contenu garantissant leur efficacité
et l'obtention de l'intégralité de nos droits. De plus, l'intifada, avec ses
multiples gages de courage, d'esprit de sacrifice et d'abnégation, nous place
tous - et vous, en premier lieu, Excellence - devant des responsabilités
historiques, sur les modalités de sa prise en considération sous tous aspects et
avec tout ce qui en découle en matière de devoirs et de responsabilités, en vue
de la rendre efficace, de faire aboutir sa mission en répondant à ses exigences
en ce qui concerne les différents aspects de la vie des citoyens,
organisationnels, économiques et en matière de
mobilisation.
Excellence,
Nous avons besoin d'un effort organisationnel
effectif et persévérant, allant dans le sens de la mobilisation des
potentialités négligées et inutilisées dont nous ne manquons pas, d'une manière
objective n'obéissant pas à des considérations personnelles ou de caste, en
veillant en tout à l'affirmation du règne de l'état de droit et du respect des
droits de l'homme et en mobilisant le principe de la responsabilité et de la
transparence dans l'utilisation de l'argent public. Je vous demande, en faisant
appel à vos responsabilités historiques, de veiller à l'établissement et au
renforcement d'un gouvernement d'unité nationale, qui établisse un modèle
d'action organisée, seul à même de répondre de manière effective aux besoins
essentiels des citoyens, dans les circonstances présentes, de manière à assurer
la continuation de la lutte (intifada), d'en renforcer l'efficacité et de
garantir le succès de sa mission.
Salutations - le 28 novembre 2000 (2
Ramadan 1421 de l'Hégire).
16. Al-Safir (quotidien libanais)
du mercredi 27 novembre 2000
Les Palestiniens face aux conséquences
du blocus économique israélien par Nahid Hattir [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
(Nahid Hattir est
économiste du bureau palestinien des statistiques à Damas)
Durant les années d'occupation, de 1967 à 2000, les
autorités occupantes israéliennes ont confisqué, au bénéfice des colonies, 85%
des ressources hydriques palestiniennes totales, estimées à 750 millions de m3,
entraînant la crise du secteur agricole palestinien. La puissance occupante en
est arrivée à contrôler 90% du commerce extérieur palestinien global, plaçant la
balance commerciale palestinienne sous le signe constant du déficit en faveur
d'Israël, jusqu'en 2000 compris. En conséquence de quoi, environ 120 000
Palestiniens ont été contraints de travailler dans les emplois inférieurs de
l'économie israélienne - ceux qui étaient délaissés par la main-d'oeuvre
israélienne.
Depuis le début des années 80, les revenus des Palestiniens
travaillant en Israël ont commencé à s'élever peu à peu, pour atteindre à la fin
de la décennie un quart du produit national palestinien, soit, en 1999, environ
4,2 milliards d'US$, rendant la main-d'oeuvre palestinienne plus captive que
jamais du marché de l'emploi israélien, sur le fond d'une économie palestinienne
incapable d'absorber la force de travail disponible, bien qu'un mot d'ordre de
boycott du "travail juif" ait été proclamé dès l'occupation, en 1967. Ainsi, la
main-d'oeuvre palestinienne employée en Israël est devenue une carte politique
entre les mains de ce dernier. Ce phénomène s'est accentué au cours de
l'Intifada, qui a éclaté le 7 décembre 1987 et s'est poursuivie sept années
durant. La pression économique israélienne a été remise à l'ordre du jour, avec
l'Intifada "d'Al-Aqsa", qui a débuté le 28 septembre 2000. L'interdiction totale
opposée aux Palestiniens de se rendre à leur travail en Israël a des
conséquences graves pour le fonctionnement de l'économie palestinienne générale,
causant à cette dernière un manque à gagner estimé à 8 millions d'US$ par jour,
soit 240 millions d'US$ par mois.
Ce manque à gagner est appelé à être
cumulatif si l'intifada devait se prolonger, entraînant les bouclages des
territoires et la pression économique de la part d'Israël, pour aboutir, le cas
échéant, à un manque à gagner annuel de 2 800 millions d'US$. L'interdiction du
travail, frappant 120 000 travailleurs palestiniens, a des conséquences graves
immédiates pour un nombre équivalent de familles palestiniennes, qui
représentent environ 720 000 personnes, soit 24% de la population des
Territoires (environ 3 millions de personnes, en 2000). Cette situation rend
indispensable l'ouverture des marchés arabes du travail, en particulier dans les
pays du Golfe, à la main-d'oeuvre palestinienne, afin que les Palestiniens
puissent résister aux coups de force économiques qu'Israël tente de leur asséner
de manière quotidienne et qui visent à épuiser l'intifada économiquement, afin
de contraindre les Palestiniens à se soumettre aux conditions édictées par
Israël dans le cadre de négociations qui, déjà, penchent structurellement en
faveur de la partie israélienne.
Les décisions du sommet arabe du Caire, en
particulier, celle de créer deux fonds d'aide, atteignant la somme d'environ un
milliard de dollars, étaient absolument nécessaires pour soutenir la résistance
du peuple palestinien et la défense de son droit à vivre sur ses terres et à
conserver ses lieux saints. Mais, seule, l'ouverture des marchés arabes du
travail présenterait un intérêt économique, politique et stratégique, sur le
long terme, par ses effets induits positifs sur la capacité de l'économie
palestinienne à échapper progressivement à l'emprise de l'économie
israélienne.
17. Al-Quds (quotidien
palestinien) du mercredi 27 novembre 2000
Silence des intellectuels ? par le
Dr. Talal al-Sharif [traduit de l'arabe par Marcel
Charbonnier]
Des amis me
demandent pourquoi j'écris moins d'articles, depuis le début de l'intifada,
alors que j'étais assez prolixe avant qu'elle n'éclate ? Comment expliquer cette
régression, dans le contexte de crise actuel, alors qu'on a besoin plus que
jamais d'expression, de publication, d'idées ? Certes, la période est avide
d'idées et de prises de parole. Mais il s'agit, en l'occurrence, de la parole du
leader politique et de l'idée directrice de la lutte populaire, avec toutes ses
forces vives, et ce rôle échoit à des responsables, à des personnes spécialisées
dans la gestion d'un front et dans l'influence directe que pourraient exercer
des personnalités compétentes et expérimentées dans la mobilisation des troupes
et la conduite des opérations, et Dieu sait qu'il n'en manque pas. Quant aux
écrivains, aux intellectuels, aux penseurs, leur rôle est d'entrer en résonnance
avec la nouvelle réalité, après avoir vibré avec le statu quo ante et en avoir
analysé les tenants et les aboutissants, après avoir construit une vision et une
pensée, exposée dans des articles afin qu'on s'en approprie et qu'elle devienne
un bien social général sur lequel le politique puisse appuyer son traitement de
la crise.
En d'autres termes, pour moi, l'écrivain authentique est celui qui
entre en interaction avec le réel, qui en rejette les scories et en met en
valeur les aspects positifs, le poussant dans le sens du changement et
avertissant des dangers futurs dont il est porteur, et c'est ce que je pense
avoir fait, avant l'intifada. Nous vivions une situation faite d'angoisse
réelle, face à un avenir peut-être plus létal que les bombardements que nous
subissons en cet instant, ces bombardements qui constituent, en dépit de toutes
leurs victimes, une sorte d'aiguillon poussant notre peuple à aller de l'avant
et cela, d'autant plus qu'une lecture approfondie de tout ce qui se passe nous
montre que nous sommes plus en position de force qu'auparavant, et que nous
sommes plus sereins en ce qui concerne ce qui menaçait nos constantes, nos
principes et notre avenir, avant cette intifada, qui met un terme à sept années
stériles, au cours desquelles nous mourrions chaque jour d'abattement, de
temporisation, de l'arrogance israélienne, du complot international.
Aujourd'hui, nous incarnons la volonté, nous ne sommes plus anesthésiés à la
paix frelatée et aux négociations stériles, utilisées par Israël comme un
paravent pour continuer à s'emparer de territoires et à imposer de nouveaux
faits accomplis. C'est ce même paravent qui cachait la réalité aux yeux du monde
et jouait le rôle d'une drogue, pour nous, afin de nous amener à patienter
encore de longues années en nous berçant de rêves et d'illusions.
L'écrivain
authentique est celui qui recompose le puzzle, qui replace les moellons, pour
reconstruire une position solide. Avant l'intifada, c'était la mission des
décideurs chargés de capter la résultante du mouvement populaire. L'écrivain, à
l'instar de tout citoyen, demeure un participant, un observateur, un combattant,
accumulant, rassemblant, analysant, déconstruisant l'événement inédit afin de
déterminer s'il peut se reposer, confiant, sur son orientation, tant au niveau
du peuple qu'au niveau directionnel : tel est l'écrivain utile à son peuple,
l'écrivain donnant pour la simple beauté du don, et non parce qu'il est
contraint de noircir deux colonnes d'un journal chaque jour, ou d'exercer la
profession de l'écriture dans un but alimentaire, ou parce qu'il est prêt à
écrire vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sans se soucier de savoir si ce
qu'il écrit est juste ou non, si l'idée est exposée au moment idoine ou non.
Ceux-là ne bâtissent pas une prise de position, ils ne font qu'enregistrer leurs
états d'âme et leurs réactions.
Mais un écrivain capable d'observer la
réalité, de vivre en symbiose avec cette dernière pour la refléter dans ses
écrits, en écarter ce qu'il juge négatif, a besoin de concentration, de
précision, il n'a pas besoin d'idée trouvée par hasard ou laborieusement
fabriquée afin qu'elle accompagne le réel : de telles idées sont incapables d'en
changer quoi que ce soit. Nous sommes confrontés à une situation à laquelle
aucun élément ne manque, dans laquelle le but est clair. Cette situation nous
dit qu'une étape, avec toutes ses données propres, est terminée, et qu'une étape
nouvelle a commencé, dont le mot d'ordre a été lancé avant-même l'éclatement de
l'intifada, chose qui confirme que cette étape nouvelle est l'instrument destiné
à amender les aspects négatifs de l'étape précédente et leurs
conséquences.
Cette étape nouvelle est celle d'un pas en avant, pour notre
peuple, et non d'un pas en arrière. Dans le sens où le sang qui coule nous dit,
avant toute chose, qu'il ne saurait y avoir de concessions sur une quelconque
des causes remises à plus tard (dans les négociations, NdT), ni sur
l'application scrupuleuse des résolutions de l'ONU, ni en matière de retrait de
tous les territoires occupés en 1967. Il nous dit aussi que la décision
palestinienne est claire et nette, et que cette clarté implique que tous les
éléments de la force permettant de la faire prévaloir soient réunis, au premier
chef desquels l'élargissement de la participation à la lutte afin de partager
les charges et d'affronter collectivement les défis, une direction nationale
unitaire, afin d'assurer la continuation du mouvement jusqu'à la réalisation de
ses objectifs et l'établissement d'un Etat indépendant ayant la totalité de
Jérusalem pour capitale, le retour des réfugiés sans obstruction et le
changement de bien des symboles et des aspects négatifs de l'étape
précédente.
Nous avons besoin de réunir toutes les potentialités
palestiniennes afin d'atteindre cet objectif. Et, si nous sommes plus forts que
par le passé, ceci nécessite toutefois une impulsion plus forte afin de ne pas
être confrontés à des revers dramatiques contre lesquels nous aurions négligé de
nous prémunir.
Un gouvernement d'unité nationale est plus que jamais
nécessaire et urgent pour pouvoir commencer à construire notre nouvelle position
sur des fondations bâties réellement par l'ensemble du peuple et de ses
représentants, afin de pouvoir traverser les écueils de l'étape présente et
atteindre le port du succès.
C'est ce que peut faire un écrivain, dans les
fumées des batailles, dans lesquelles il s'efforce de découvrir les éléments de
la force, et de les consolider, en ne se contentant nullement de "jubiler" de ce
qui advient, ou de stigmatiser les insuffisances des acteurs sur le champ de
bataille, mais en rassemblant les éléments permettant le renouvellement de la
force en vue de la réalisation de l'espérance.
18. Ha'Aretz
(quotidien israélien) du jeudi 23 novembre
2000
Washington n'est plus persuadé que Barak
use de retenue par Nitsan Horovitz [traduit de l'hébreu par le service
de presse de l'ambassade de France à Tel-Aviv]
L'attentat de Hadéra a porté un énième coup aux efforts de paix de
l'administration démocrate sortante. Mais dans la condamnation que les
Américains se sont empressés de rendre publique hier, on pouvait déceler un ton
nouveau qui caractérise depuis quelques jours les propos émis par Washington :
une volonté de tenir la balance égale. Si après Camp-David les Américains
rejetaient de façon générale la responsabilité sur les Palestiniens, ce qui
ressort aujourd'hui, c'est que les Etats-Unis soulignent la nécessité pour les
deux parties d'arrêter les violences et d'agir en faveur de la paix.
A la
suite du bombardement à Gaza, le département d'Etat a publiquement exprimé sa
réprobation. "Les Israéliens doivent comprendre qu'un recours disproportionné à
la force n'est pas la manière adéquate de résoudre les problèmes." L'AIPAC a
réagi avec virulence. "Dans une période de crise comme celle-ci, les Etats-Unis
doivent soutenir Israël et non pas exprimer des critiques à son encontre alors
qu'Israël défend ses citoyens", a déclaré Tom Walliger qui préside l'influent
groupe de pression qu'est l'AIPAC.
" Quels citoyens Israël défend-il au juste
en bombardant Gaza ?", se demandait un haut fonctionnaire américain. "Frapper
aveuglément des civils, est-ce cela qui conduira à réduire la violence ? Une
opération de ce type est en soit un acte de violence grave." Dans une allocution
publique, le porte-parole de la Maison-Blanche a précisé qu'une riposte aussi
disproportionnée ne faisait qu'alimenter l'engrenage de la violence, un cercle
vicieux que les deux parties doivent rompre.
Les Américains sont en désaccord
avec la vision selon laquelle il serait possible de conduire à un retour au
calme par une surenchère de la violence. "La violence ne peut pas régler des
problèmes de sécurité", ne cesse de répéter Madeleine Albright. A Washington, la
confiance faite à Barak se lézarde en ce qui concerne sa politique de retenue.
"A en juger par ce qui se passe sur le terrain, ce n'est pas de retenue dont il
s'agit", faisait remarquer avec diplomatie un haut fonctionnaire
américain.
Ce changement de ton de la part des Américains n'est pas
surprenant. Après les élections, alors que les considérations électorales ne
sont plus un sujet brûlant, l'administration américaine sortante se sent libre
d'agir de façon mieux adaptée à la situation sur le terrain. L'administration
américaine est arrivée à la conclusion qu'il fallait faire preuve d'une approche
plus équilibrée afin de promouvoir une solution et, également, de préserver des
intérêts particulièrement importants.
Washington est soumis aux pressions de
pays arabes alliés des Etats-Unis. Les Etats-Unis cherchent à éviter ce qui
pourrait nuire aux régimes en place dans ces pays et redoutent un embrasement
régional, une recrudescence du terrorisme, l'effondrement de la politique menée
envers l'Irak. Aussi les Etats-Unis ont-ils accepté l'exigence des Palestiniens
d'associer des acteurs internationaux à une commission d'enquête et n'ont-ils
pas manifesté à haute voix d'opposition particulière à diverses initiatives
visant à envoyer des forces internationales sur le terrain, qu'il s'agisse de
forces d'observation, de forces de l'ordre, etc. Avant-hier, malgré l'opposition
d'Israël, les Etats-Unis ont fait savoir que la commission d'établissement des
faits allait se mettre au travail dans les plus brefs délais possibles.
Il
est indubitable que le président Clinton continue de consacrer, durant les
derniers jours qui restent avant la fin de son mandat, "toute l'énergie et
l'effort" nécessaires pour ramener les parties à la table des négociations.
L'incertitude qui règne en ce moment au sujet du résultat définitif des
élections présidentielles aux Etats-Unis confère à l'action de Clinton un poids
inattendu. Il n'y a toujours pas de président élu, et il n'y a donc pas non plus
d'équipe de transition, ni de définition précise des fonctions, notamment de
celles du secrétaire d'Etat et du conseiller pour la sûreté nationale. Toute
l'attention continue de se porter sur Bill Clinton.
Toutefois, il a lui-même
reconnu qu'il serait difficile d'organiser une conférence au sommet tant que la
violence continuerait avec l'intensité qu'elle a atteinte à présent. Clinton ne
demande plus une cessation de la violence pour les besoins de la reprise des
négociations, mais il se contentera désormais "d'une diminution relative" de la
violence. Néanmoins, les événements amers de ces derniers temps ne cessent de
lui infliger camouflet sur camouflet, et dans les interviews qu'il accorde en ce
moment, alors qu'il est temps de faire le bilan, il définit déjà l'échec au
Moyen-Orient comme la plus grande déception de son mandat
présidentiel.
19. Ha'Aretz
(quotidien israélien) du jeudi 23 novembre
2000
L'exposition
Bonnard, assurée contre les dommages de guerre, sera inaugurée demain au Musée
de Tel-Aviv par Dana Gilerman
[traduit de l'hébreu par le service de presse de l'ambassade de France à
Tel-Aviv]
Avec un retard de deux semaines,
l'exposition Pierre Bonnard sera inaugurée demain au Musée de Tel-Aviv.
L'exposition était censée commencer au début du mois de novembre, avant la
réunion du conseil d'administration du musée, mais avait été repoussée en raison
des problèmes de sécurité liés à la situation actuelle.
Le musée fait savoir
que la Direction des Musées de France a autorisé le prêt des oeuvres de Bonnard,
revenant en cela sur sa décision prise au mois de septembre au vu de la
situation en matière de sécurité. C'est après l'intervention de M. le président
de la République française Jacques Chirac, de M. le Premier ministre Lionel
Jospin et de Mme la ministre de la Culture Catherine Tasca que la Direction des
Musées de France a finalement de nouveau accordé son autorisation pour l'envoi
des tableaux.
L'autorisation a été donnée dès que la compagnie d'assurances a
accepté d'établir un contrat spécial couvrant les oeuvres en cas de dommages de
guerre, ce qui a entraîné, aux dires du musée, un surcoût important dans la mise
en oeuvre de l'exposition. Ce surcoût se traduira par un supplément de 10
shekels prélevés sur chaque billet d'entrée. Le prix du billet comprend un
audio-guide et l'accès aux collections permanentes du musée. La quasi-totalité
des oeuvres de l'exposition Bonnard sera exposée, puisque seuls 9 tableaux n'ont
pu être prêtés. Conservatrice : Nehama Gourelnik.
20. Le Devoir (quotidien canadien)
du mercredi 22 novembre 2000
Hébron : "Interdit de circuler"
par Joyce Napier
Mauvais jour pour le Proche-Orient, hier, où la
violence s'est poursuivie, faisant au moins deux autres morts. L'Égypte a
rappelé son ambassadeur en Israël pour répondre à «l'utilisation délibérée de la
force». De son côté, Washington s'est fait critique à l'égard d'Israël, pressant
l'État hébreu de ne pas alimenter un cycle de violence et se disant préoccupé
par la puissance de feu utilisée contre les Palestiniens. Nos informations en
page B 7.
Hébron, Cisjordanie - La jeep de l'armée, munie d'un haut-parleur,
parcourt les rues qui se vident petit à petit. Assis sur la banquette arrière,
un soldat, à peine sorti de l'adolescence, aboie des ordres au micro.
«Gens
d'Hébron, il est interdit de circuler. Interdiction de circuler. Un couvre-feu
est de rigueur. Gens d'Hébron, il est interdit de circuler, un couvre-feu est en
vigueur.»
La voix métallique retentit dans les ruelles, dans les échoppes,
jusqu'à l'intérieur des maisons.
La jeep arrive au marché, le souk, comme on
l'appelle ici, où une demi-douzaine de maraîchers traînent encore. Les autres,
les collègues et les clients, chassés par la voix métallique, sont déjà rentrés
chez eux. La jeep s'immobilise à deux mètres à peine de là.
«Gens d'Hébron,
il est interdit de circuler. Interdiction de circuler. Un couvre-feu est de
rigueur.»
Un homme âgé, coiffé de la keffieh traditionnelle palestinienne, se
tourne vers la jeep et commence à hurler, en arabe, aux trois jeunes soldats à
l'intérieur: «Non, je ne veux pas rentrer chez moi, je ne veux pas, je n'irai
pas!», lance-t-il en agitant les bras. «Je ne veux pas, je ne veux pas!»
La
jeep ne bouge pas, la voix métallique reprend, en arabe, avec l'accent hébreu:
«Gens d'Hébron, il est interdit de circuler... »
Le vieil homme continue de
crier encore un moment et, une fois lassé de lancer des injures au véhicule de
l'armée israélienne, il se défoule sur les boîtes vides qui jonchent le sol du
souk abandonné, en parlant tout seul.
Il finira par obtempérer et rentrera
chez lui, comme les 40 000 autres Palestiniens qui vivent dans cette petite
tranche de la ville d'Hébron.
À Hébron, en Cisjordanie, dans cette tranche
israélienne, tous les Palestiniens sont punis. Tous, femmes, personnes âgées,
nouveaux-nés, commerçants et fripons, jusqu'au dernier qui se promène dans les
rues de la ville assiégée et qui parle tout seul.
Une garde à vue
collective
Depuis plus de 40 jours, Israël impose à cette population arabe un
couvre-feu presque complet, interrompu par de brefs moments de liberté: les
Palestiniens d'Hébron peuvent alors sortir de chez eux pour faire des courses,
voir les amis, la famille, ouvrir la boutique, passer chez le pharmacien, faire
du vélo.
Douze mille écoliers ne vont plus à l'école, la clinique est vide,
la pharmacie est ouverte, quelques heures par-ci, quelques heures par-là. Pour
les urgences, «on s'en remet à Dieu».
Hébron est une ville divisée: un côté
est contrôlé par l'autorité palestinienne, l'autre par Israël. Jeu du destin,
quelque 40 000 Palestiniens vivent dans la tranche israélienne, dominée par
trois colonies juives qui forment une sorte de forteresse en plein centre de la
ville et qui abrite 500 colons venus s'y installer illégalement à partir de
1967. Ces 500 résidants juifs ne sont pas visés par le couvre-feu. Lorsque les
Palestiniens sont enfermés chez eux, la ville appartient à 500 résidants
privilégiés.
Depuis le début des affrontements, la colonie juive d'Hébron est
l'une des cibles préférées des hommes armés palestiniens, qui prennent position
sur les collines qui surplombent l'îlot juif. Tous les jours, les hommes armés,
qui se trouvent du côté palestinien, tirent sur la colonie, et les 12 bataillons
israéliens, qui sont là pour protéger la colonie, ripostent à coups de
roquettes.
Les 40 000 Palestiniens sont coincés entre les deux.
«Non
seulement nous sommes enfermés chez nous, nous devons de plus nous éloigner des
fenêtres et rester allongés quand les combats commencent», raconte Ahmad Ali, un
instituteur temporairement au chômage.
Avant le passage de la jeep à la voix
métallique, en cette journée de novembre, les 40 000 Palestiniens d'Hébron ont
eu cinq heures de liberté. C'est-à-dire que le couvre-feu a été levé de 8h à
13h. Cinq heures à l'air libre pour aérer les échoppes, faire les courses ou
tout simplement pédaler dans les rues où il est désormais interdit aux Arabes de
circuler en voiture.
«Je suis en prison», explique Ihab Abou Snene, dix ans,
assis sur son vélo. «Nous sommes chez nous à ne rien faire de la
journée.»
«Qu'est-ce que je vais faire quand je vais rentrer chez moi?»,
demande un client qui profite de ces rares heures de liberté au souk. «Je vais
me disputer avec ma femme, voilà ce que je vais faire, c'est tout ce qu'il y a
faire.»
Le marché est bondé, le Tout-Hébron est dehors, tout le monde parle
du couvre-feu.
«En 40 jours, on nous a permis de sortir sept fois, explique
un maraîcher. On ne peut plus travailler, on n'a plus d'argent. Au marché, on
échange des denrées, on fait du troc, on achète nos provisions à
crédit.»
Mais ce n'est pas le premier couvre-feu à Hébron, bien au contraire.
On peut dire qu'Hébron est renommée pour ses couvre-feux. Quand vous dites aux
gens ailleurs dans les territoires palestiniens qu'il y a un couvre-feu à
Hébron, la chose suscite à peine l'intérêt de votre interlocuteur: «Ah! bon, un
couvre-feu, encore?»
Par exemple, en 1994, un colon juif nommé Baruch
Goldstein est entré dans la mosquée à la Tombe des Patriarches, à Hébron, et a
ouvert le feu: 29 fidèles musulmans ont été massacrés.
Pour maintenir l'ordre
et prévenir un soulèvement, Israël a imposé un couvre-feu à toute la population
palestinienne sous son contrôle ainsi qu'à toutes les familles en deuil.
Même
le premier ministre israélien de l'époque, Yitzhak Rabin, un des architectes du
processus de paix, assassiné l'année suivante, avait confié aux journalistes qui
le suivaient lors d'une visite à Washington qu'il était «très mal à l'aise» à
cause de cette affaire. «La colonie juive d'Hébron est une folie», avait-il
déclaré.
C'est la cinquième fois que la jeep passe dans la rue des Martyrs,
qui longe le souk. Il ne reste qu'un homme qui empile patiemment des boîtes de
carton vides qu'il tente en vain de placer en équilibre sur son âne. Debout à
côté de lui, un jeune soldat qui pourrait être son fils, en tenue de combat, lui
enjoint de se dépêcher et de rentrer chez lui. Assis à leurs fenêtres jusqu'à la
prochaine «sortie collective», les gens d'Hébron regardent passer les soldats et
les colons juifs, les seuls qui ont le droit d'être dehors.
De chez lui,
Idres Zahde, un boucher de 52 ans, voit la caserne militaire au pied de la
colline où sa maison est perchée. La ville est tellement silencieuse qu'on peut
entendre les conversations des soldats en bas.
Dans cette maison qui
appartenait à son grand-père, ils sont huit. Dans un mois, sa femme Fatayeh
accouchera du septième enfant. «Quand tu es Palestinien, tu es coupable. Un
Palestinien vivant est un Palestinien coupable», dit Idres Zahde.
Il est 15h.
Au loin, on entend des coups de feu sporadiques. Les Palestiniens du secteur
palestinien, de l'autre côté, commencent l'attaque sur la colonie juive que
protègent les soldats. La soirée et la nuit seront mouvementées. Idres Zahde se
blottira avec sa famille dans la pièce à l'arrière de la maison.
21. Ha'Aretz (édition anglaise du
quotidien israélien) du lundi 20 novembre 2000
Attention : ces tirs à
balles réelles sont interdits aux moins de douze ans ! par Amira Hass
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Il ne sait pas
combien d'enfants ont été tués au cours des violences des deux mois écoulés.
Tout ce qu'il sait, c'est que l'armée vise quiconque mérite d'être visé. Une
journée dans la vie ordinaire d'un sniper de l'armée israélienne.
Vous pouvez trouver des soldats comme lui à
n'importe quel barrage militaire en Cisjordanie ou à Gaza. Mais nous l'avons
rencontré dans une ville israélienne. Il a le même âge que bien de ceux qui
affrontent les Forces israéliennes de Défense. Il sourit, timide mais franc, et
a une prédilection pour les sciences humaines. En civil, on le verrait bien en
partance pour l'Inde ou l'Amérique du Sud.
"Tous les jours, les consignes en matière
d'ouverture du feu changent, et quelquefois, elles changent même plusieurs fois
dans une même journée", dit-il.
"Chaque jour, avant notre sortie, ils
définissent les principes régissant l'utilisation des armes. Ca aussi, ça
change, selon les endroits. Il y a des endroits où les ordres sont moins sévères
qu'à d'autres. Les ordres, et c'est bien ainsi, sont que nous devons être très
sélectifs, très précis. Ou bien, ça dépend des jours. Après le lynchage (des
deux soldats à Ramallah), par exemple, les ordres étaient beaucoup plus flous
qu'ils ne l'étaient encore la veille. Mais généralement, les instructions en
matière d'ouverture du feu ne sont pas du tout permissives. On pourrait avoir
l'impression que je n'attends que ça, de pouvoir tirer mais, au contraire, je
suis satisfait du fait que les ordres d'ouvrir le feu sont
circonstanciés."
- Comment savez-vous qu'ils le sont ? Quels
sont les critères ?
- "Les snipers reçoivent des ordres très précis
lorsqu'il s'agit de tirer. Contre des gens qui lancent des cocktails molotov,
vous visez les jambes, mais quelqu'un qui tire une arme peut être descendu
direct."
On vous donne des caméras vidéo.
"Ils appellent çà un kit de
documentation, et ils veillent à ce que toute personne tuée soit enregistrée en
direct. De cette manière on pourra vérifier qu'elle avait plus de douze ans, et
qu'elle était armée."
- Ca veut dire que les chiffres donnés par
les Palestiniens sont faux ?
- "Ca m'est difficile à dire, mais je me souviens
de certains cas où nous avons tiré contre des gens qui étaient certainement des
adultes, en priant pour que le soldat "preneur de vues" ait bien filmé la scène,
parce qu'autrement, on nous accuserait d'avoir abattu un enfant. Ca se pourrait
qu'il y ait des déclarations erronées, il peut aussi y avoir eu des erreurs,
qu'un enfant ait été tué à cause d'une erreur stupide d'un soldat. Et je n'ai
jamais entendu les Forces israéliennes de Défense s'en vanter, après coup,
évidemment..."
- Qu'est-ce qu'une erreur ? C'est quand le
fusil bouge ?
- "Par exemple, quelqu'un dit à d'autres soldats
qu'il a identifié un suspect - nous avons identifié un garçon qui fait des
mouvements bizarre, peut-être veut-il prendre une pierre par terre, ou quelque
chose dans ce genre. Le soldat qui a identifié le suspect demande avec
insistance l'autorisation d'ouvrir le feu dans sa direction. L'autorité
supérieure, l'officier, ne la donne pas, bien entendu, et le gars continue à
insister. Si bien que l'officier finit par céder, par dire : " si tu penses
qu'il est tellement suspect, fais un tir d'avertissement - un tir
d'avertissement, c'est à 20 mètres, dans une zone ouverte. Au cours du de
briefing, après coup, il s'avère qu'il a vu la tête du gars dans son viseur
télescopique, il a déporté son arme de cinq mètres, mais le vent... Le fusil
n'était pas pointé aussi précisément, mais il l'a atteint en pleine
tête..."
- Savez-vous combien de personnes ont été
tuées ?
- "Non. J'ai entendu plusieurs chiffres selon les
endroits, mais je n'en donnerais pas ma main à couper..."
- Et combien d'enfants
?
- "Je ne peux pas estimer, du tout, le nombre
d'enfants qui ont été tués".
- Comment expliquez-vous que des gens aient
été atteints dans la partie supérieure du corps ? Subissez-vous un entraînement
?
- "L'armée israélienne tire de manière très
sélective, elle descend tous ceux qui ont besoin d'être descendus - ou, au
moins, quatre-vingt-dix pour cent. Ca veut dire, tous ceux qui lancent un
cocktail Molotov et peuvent, de ce fait, tuer quelqu'un d'autre - alors, si
quelqu'un détient un cocktail Molotov : on le descend. On ne lui tire pas dessus
avec une arme automatique, mais on le vise avec une arme de précision, qui n'est
généralement pas une arme à longue portée. Un sniper, de 200 mètres, n'a aucun
problème pour atteindre la tête et, certainement, s'il vise la tête, la partie
supérieure du corps - y'a pas de lézard. Un cocktail Molotov met en danger les
soldats, dans la Jeep, 25 mètres plus loin..."
"Un sniper, c'est comme un
pilote, son travail est très net, sûr, mais il y a aussi d'autres snipers, et
alors là, le travail devient très dangereux. Le vrai danger, pour un sniper,
c'est un autre sniper : un Palestinien. Et les Palestiniens en ont. Il y en a
même certains qui ne sont pas manchots. Si vous avez les flingues qu'il faut et
la bonne visibilité, vous avez, malheureusement, cinquante pour cent de chances
d'atteindre la cible. Dans cette guerre, les portées sont rapprochées. Un sniper
est testé sur des distances de 500-600 mètres. Le type qui atteint sa cible à
ces distances-là, c'en est un, un vrai de vrai.
- Quand commencez-vous à être performants
?
- "En tant que snipers, nous prenons beaucoup de
précautions et regardons, même si on ne nous le demande pas, en instruction, de
façon à repérer les endroits où il pourrait y avoir d'autres snipers - des
maisons, des fenêtres qui pourraient trahir le reflet de quelqu'un, parce que
c'est ça qui flanque vraiment la trouille. Ce qui fait peur, aussi, c'est les
balles perdues. En face, ils tirent sans viser. D'autant plus que l'armée
israélienne est très inquiète du fait qu'Arafat pourrait décider de déployer les
forces de police palestiniennes. Pour le moment, les policiers agissent,
parfois, de leur propre initiative. Mais si Arafat prend la décision, l'armée
aura plus d'un problème, tout simplement parce que les policiers palestiniens
sont mieux entraînés. Les gars du Tanzim ne sont pas entraînés, personne ne les
a aidés à faire de l'exercice, et parfois, quand la radio annonce "échanges de
tirs", ça nous fait marrer. Ca n'est pas le Hizbollah, que l'armée israélienne a
entraînés, autrefois, ça n'est pas le Hamas que l'Iran a entraînés, ça n'est
même pas la police palestinienne qui a reçu toute l'assistance imaginable pour
s'entraîner. L'armée israélienne l'a regardée s'entraîner, et elle en connaît le
niveau. Les policiers palestiniens sont capables de tirer avec précision et ils
ont des armes précises et fiables. C'est de ça, dont l'armée israélienne a
peur.
"Je dois dire que l'armée de défense israélienne est prête à faire face
à ce type de troubles. Je me rappelle que, environ deux mois avant que ça
commence, je ne pensais pas pareil. J'étais heureux de vivre et optimiste, après
l'élection de Barak, confiant dans la poursuite du processus de paix. Nous
avions eu une discussion avec le commandement, et ils nous ont dit que,
malheureusement, l'armée s'attendait à des troubles. Ils nous ont dit alors que
c'était Arafat qui en avait, en quelque sorte, besoin, pour établir un état. Ils
nous ont dit qu'Arafat avait pris modèle sur Israël, que l'établissement d'un
état par la force et avec beaucoup de morts est une bonne chose : ça renforce le
leader, un peu, mais ils nous ont dit que, surtout, ça donne aux habitants des
valeurs, un "esprit de corps" (en français dans le texte), comme chez nous.
"Ca a été la même chose pour Israël, après trois guerres, au cours
desquelles sept armées coalisées nous ont attaqués. Les officiers savaient que
quelque chose allait se passer, ce qu'ils ne savaient pas, c'était quoi,
exactement : une guerre, des troubles, des manifestations ? Mais ils se sont
préparés à faire face à une guerre. Il y a des plans d'urgence qui prévoient,
avec une précision étonnante, ce qui se passerait si les Palestiniens décident
(la proclamation de l'Etat, NdT). Et s'ils décident, alors, en quelques jours,
nous occupons les territoires que nous leur avons donnés (aux Palestiniens, NdT)
et nous installons un gouvernement militaire, comme dans les années cinquante,
quelque chose du genre. Bien sûr, c'est terrible. Même moi, simple soldat, j'ai
entendu parler de ces plans..."
- Vous rappelez-vous comment tout ça a
commencé ?
- "Mon père a pris la peine d'entrer dans une
colère noire quand Sharon est allé visiter le Mont du Temple. Moi, je pensais, à
l'époque, que c'était le non-événement-type".
- Ne saviez-vous pas que, la veille, quatre
personnes avaient été tuées à la mosquée, et deux autres près de l'hôpital
Makassed ?
- "Non, je n'en savais rien. Je pense que, le
premier jour passé, vous êtes devenu un soldat. Le premier et le dernier jour du
service militaire, vous redevenez vous-même, vous retournez à vos opinions
politiques, et après vous essayez de vous extraire. A mon avis, la plupart des
implantations juives au-delà des frontières de 1967 n'ont pas d'importance. Mais
à partir du moment où vous êtes un soldat de la défense, et vous l'êtes à cent
pour cent, les gens deviennent très importants pour vous. Nous, les Israéliens,
nous devons décider sur une ligne claire, parce que si nous décidons que nous
n'allons jamais rendre les colonies, nous, les soldats, il nous sera beaucoup
plus facile de nous battre. En ce moment même, je suis persuadé qu'Arafat le
sait aussi très bien."
- Quelqu'un
qui s'apprête à jeter un cocktail Molotov bouge tout le temps. Comment
faites-vous pour viser quelqu'un qui bouge tout le temps ?
- "Ca dépend des distances. A cent mètres, c'est
pas difficile. Nous faisons des exercices là-dessus, et il y a aussi des cibles
faciles, tout dépend de la distance. A cinq cent mètres, vous savez qu'il est
inutile de viser la tête, mais que vous devez viser le milieu du corps, parce
que c'est plus facile, et vous devez tenir compte du vent, de la déviation
balistique, mais à cent mètre, c'est même pas la peine, c'est trop facile... Au
Liban, un sniper devait être beaucoup mieux entraîné, les distances allaient de
700 m à 1000 m. Ici, c'est cent mètres."
- Viser la tête, c'est facile
?
- "Ouais... Les mecs, là-bas, et ceux qui
lancent des cocktails Molotov, aussi, même ceux qui tirent, marquent
instinctivement un temps d'arrêt, une seconde, pour décider contre quoi ils vont
tirer ou lancer le cocktail : cette seconde donne au sniper cinq ou six
secondes, et y'a pas de problème. Si le gars s'arrête, même si vous êtes loin,
la tête n'est pas un problème.
- Derrière les Jeeps, je vois quelqu'un,
debout, avec un fusil. N'est-ce pas un sniper ?
- "Ordinairement, ce gars-là tire des balles en
caoutchouc".
- Et vous, vous tirez avec quoi
?
- "Un sniper tire des balles réelles, mortelles,
des balles plus grosses que celles d'un M-16, mais la qualité de ces balles est
supérieure à celles d'une mitraillette, par exemple";
- Les Palestiniens disent que l'armée
israélienne utilise des canons à haute vélocité. Est-ce le cas
?
- "Pour les snipers, le canon à haute vélocité
n'est pas si efficace que ça, moins efficace, en tout cas, que pour un M-16
ordinaire. La question, c'est de savoir si l'effet est aussi critique qu'on veut
bien le dire. La balle d'un sniper tue si elle atteint sa cible. C'est une balle
revêtue de métal : entièrement recouverte de métal. Dans une balle ordinaire, la
partie inférieure n'est pas chemisée de métal, ce qui interfère avec son
aérodynamisme : à la partie inférieure, non-recouverte, l'air attaque le plomb
superficiellement, un peu à la manière dont l'air peut éroder la surface d'une
montagne. Progressivement, l'air s'introduit à l'intérieur du projectile, ce qui
en dévie la trajectoire. Avec les armes utilisées par les snipers, ce phénomène
n'intervient pas. "
- Vous voulez dire que le plomb de leurs
balles est entièrement recouvert de métal dur ?
- "Oui. Et, de ce fait, la balle est plus
aérodynamique. Elle arrive plus loin et plus précisément. Ce qui est aussi
important, c'est l'arme elle-même, le canon : rien ne doit lui être attaché.
Idéalement, à côté de chaque sniper, il doit y avoir quelqu'un qui vise, équipé
de jumelles".
- Mais, bien sûr, vous voyez, vous aussi
...
- "Vous voyez à travers le téléobjectif si vous
avez eu la personne, mais vous ne voyez jamais exactement où la balle va. Et
s'il y a quelqu'un dont le job est de viser, il peut voir même ça. Avec des
jumelles ordinaires, vous pouvez voir les reflets laissés par la balle en
mouvement, la poussière, l'étain, alors le gars vous dit que vous visez à deux
heures, à soixante centimètres de votre cible. Si un sniper ne fait pas mouche
dès la première balle, la seconde est la bonne, à tous les coups".
- Vous donne-t-on l'ordre de viser la tête,
ou avez-vous le choix ?
- "Si on dit à un sniper de tirer, il va
vouloir viser la tête. Parce que, si un sniper tire, c'est pour tuer et pas pour
autre chose. Sauf dans certains cas particuliers - dans la guerre actuelle, ça
n'arrive pas beaucoup - où on vous dit de viser les jambes, et c'est aussi à des
snipers qu'on demande ce genre de services."
- Pourquoi ça n'arrive pas souvent
?
- "Il y avait une politique, voulant que l'on ne
tire que contre des gens qui mettent réellement des vies en danger. Ceci est de
nature à limiter les tirs de l'armée israélienne de défense et aussi le nombre
de blessés, mais ça augmente sans doute le nombre de tués. En attendant, l'armée
israélienne fait tout ce qu'elle peut pour ne pas tirer, pour ne pas tuer, pour
les laisser manifester un peu - peut-être aussi à cause de ce dont ils nous ont
parlé, deux mois avant que ça commence - pour permettre à Arafat d'avoir ses
manifestations sans lui donner, à lui, mais aussi, à d'autres pays, de prétexte
pour déclencher une guerre".
- N'y a-t-il pas un risque de voir se
développer une compétition pour savoir qui va le plus utiliser de snipers
?
- "Avec nous, c'est hors de question. Quelqu'un m'a
dit qu'à l'endroit où il était, des mecs sont venus (des manifestants, NdT) et
que les vétérans étaient en colère parce que les jeunes recrues n'étaient pas
assez maîtres d'eux-mêmes. Ils avaient la gâchette facile. Mais même moi, qui
m'étais promis de tout faire pour ne pas tirer, avant mon service, si vous êtes
à l'armée, avec votre arme et que vous faites une sortie alors qu'il y a un
risque de tomber dans une embuscade, c'est terrible à dire, mais vous espérez
que ça peut servir à quelque chose. Vous restez en faction toute la nuit, c'est
terrible d'ennui et vous êtes crevé, et ce qui vous fait aller de l'avant, c'est
l'idée que vous allez réellement attraper les méchants et que vous aller leur
donner une bonne leçon."
"A une autre faction, des anciens sont venus pour
prendre notre relève, et ils n'en revenaient pas de voir que les bleus tiraient
autant. Dès qu'ils ont dit : "stop", vous devez cesser de tirer immédiatement.
Mais ça leur prenait une minute, avant de s'arrêter. Ils étaient mordus. C'est
ce genre de trucs, à mon avis, qui menace l'armée de défense : le manque de
contrôle. Il y a même des soldats pour tirer des balles caoutchoutées, mais qui
mettent une balle ordinaire par-dessus : ça en renforce encore la force.
Généralement, ça tue."
- A votre connaissance, y a-t-il enquête en
cas de tir injustifié ?
- "Tout tir de l'armée israélienne de défense
fait l'objet d'un rapport et d'une enquête".
"Je me suis déjà trouvé à des
endroits où il y a eu des manifestations, au cours desquelles les Palestiniens
ont ouvert le feu les premiers."
- Voulez-vous dire que les tirs des
Palestiniens sont pathétiques ?
- "Absolument. Oui. C'est le mot. Généralement, les
tirs des Palestiniens sont pathétiques."
- Et l'armée savait que c'était
pathétique...
- "Oui. Leurs tirs sont complètement pathétiques.
Et avant même que leurs tirs ne commencent, vous savez qu'ils va s'agir, dans la
majorité des cas, de tirs en l'air..."
- C'est de la gesticulation
?
- "Bien sûr, et l'armée israélienne le sait
parfaitement."
- Alors, pourquoi tuer ? Pourquoi ne pas,
simplement, blesser ?
- "Si vous décidez de blesser des gens, il y
aura de plus en plus de blessés, et la question, c'est de savoir si ça serait
mieux. Blesser les gens, ça suscite encore plus de haine".
- Qui vous le dit ?
- "C'est ce que je pense. C'est-à-dire, si vous
blessez quelqu'un, même le simple fait d'être atteint, tandis qu'il crie, vous
indique que c'est douloureux".
- L'armée de défense israélienne savait
pertinemment que les tirs du Fatah était simple gesticulation, et que
l'ajustement des tirs aurait pu être évité, mais néanmoins, "le tir des
Palestiniens s'est amélioré", ce qui veut dire, en clair, que la politique de
réponse sévère n'a servi à rien.
- "J'ai un ami colon, et pour lui, les tirs ne sont
pas pathétiques du tout. D'après lui, chaque fois que ceux d'en face tirent,
nous devons leur donner un avertissement en tirant en retour, mais beaucoup plus
fort. Si c'était à lui que vous parliez en ce moment, la conversation serait
toute autre. Vous me parlez, à moi, et par tempérament je me demande plutôt si
je ne devrais pas me contenter de les laisser tirer, sans répliquer. Mais en
tant que soldat, je ne me pose pas de questions. Ou plutôt, je me pose des
questions, mais il y a les ordres, et je sais d'avance que si ceux d'en face
tirent, la question que vous devez poser, c'est celle de savoir si vous devez
continuer à tirer, ou si ça suffit comme ça ..."
"Ca serait triste pour
l'armée israélienne de défense si ça ne se passait pas comme ça. Les erreurs se
produisent par ce que les choses ne sont pas menées correctement. Quelqu'un
décide de tirer, ou quelqu'un d'autre décide du contraire. Maintenant, je vais
être plus direct : l'armée israélienne tire parce que, de toute manière, il y a
des cas où des soldats sont tués."
- Pensez-vous que c'est par vengeance
?
- "Je ne sais pas si l'armée israélienne se
venge. Mais à chaque fois, après chaque incident sérieux, c'est politique, c'est
palpable. En tant que soldat, vous savez que si les journaux du jour relatent
beaucoup de pépins arrivés à l'armée israélienne, on va vous donner
l'autorisation de tirer davantage. Que, le soir-même, je vais tirer plus que je
n'avais tiré la veille".
- Parce que vous le voulez, ou parce qu'on
vous laisse faire ?
- "Parce qu'ils me laissent faire. Je ne voulais
pas tirer autant, même si beaucoup de soldats aimeraient pouvoir tirer. Au
début, moi aussi, je voulais tirer, et après avoir tiré deux ou trois fois, j'ai
dit : basta".
- Vous n'avez pas tué
d'enfants...
- Non, mais tous les snipers non plus, n'ont pas
tué d'enfants.
- Mais, cependant, des enfants ont été
atteints, blessés ou tués après avoir été atteints à la tête. A moins que ce
n'aient été des erreurs...
- "Si c'étaient des enfants, c'étaient des
erreurs".
- On en parle, de ça, dans l'armée
?
- "Ils nous en parlent beaucoup. Ils nous
interdisent formellement de tirer sur des enfants."
- Comment formulent-ils cette interdiction
?
- "Vous ne pouvez pas tirer sur des enfants jusqu'à
l'âge de douze ans"
- Comme ça... un enfant au-dessus de douze
ans, c'est permis ?
- "Douze ans et
plus, c'est permis. Ce n'est plus un enfant, à cet âge, le garçon a déjà fait sa
Bar Mitzvah (!), quelque chose dans ce genre..."
- L'âge de la Bar Mitzvah, c'est treize
ans...
- "Possible. Mais : douze ans et plus : vous pouvez
tirer... voilà ce qu'ils nous disent..."
- Mais enfin : ça veut dire qu'à partir de
douze ans, vous avez l'autorisation d'abattre des
enfants...
- "De toute façon, douze ans et au-dessous, ça ne
me semble pas correspondre à ce qu'est la définition d'un enfant, même si, aux
Etats-Unis, un enfant peut avoir vingt-trois ans."
- D'après le droit international, la
définition d'un enfant est : toute personne au-dessous de l'âge de dix-huit ans
accomplis.
- "On est enfant jusqu'à dix-huit ans
?"
- Bon, alors, pour l'armée israélienne, on
est adulte à douze ans ?
- "A en croire ce que l'armée dit à ses soldats. Je
ne sais pas si c'est ce que l'armée de défense israélienne dit aux
médias".
- Et, par conséquent, on est enfant jusqu'à
douze ans. N'y a-t-il pas d'ordres de tirer dans les jambes, et non dans la
tête, entre douze et dix-huit ans ?
- "Bien sûr, nous essayons de veiller à ce que
celui qu'on vise ait plus de vingt ans".
- Avec dix secondes pour prendre la
décision ?
- "Durant les dix secondes à ma disposition, je
dois estimer quel est l'âge (de ma cible potentielle NdT)
- Et aussi, tenir compte de la direction du
vent, de la déviation de la trajectoire dans tel ou tel sens, de la manière dont
il peut faire un bond de côté au dernier moment...."
- "Certes. Mais
les snipers ne commettent pratiquement jamais d'erreur. Les erreurs sont faites
par des gens qui ne sont pas de vrais snipers"
- Et, comme par hasard, c'est ce qui
aboutit aux enfants atteints à la tête, et tout ça, c'est la faute à pas de
chance ?
- "Si vous me dites que vous avez vu beaucoup
d'enfants atteints à la tête, alors, c'est des snipers".
- Bien. Donc, vous me dites que notre
définition de ce qu'est un enfant n'est pas la vôtre ?
- "Eh oui, votre définition est
différente..."
- Parce que pour vous, c'est quelqu'un qui
n'a pas plus de douze ans ?
- "Yep"
- Mais un enfant de treize ans ne porte pas
d'armes, quel que soit le nom que vous lui donniez : enfant, teenager, ou
adulte...
- "Il ne porte pas d'arme, mais il porte un
cocktail Molotov, et dans certains cas il est possible aussi de tirer sur des
gens qui jettent des cocktails Molotov".
- Savez-vous combien de personnes ont été
tuées hier ?
- "Non. Je le
regrette".
- D'après ce que vous me dites, à savoir
que des instructions de prudence vous sont donnés, à vous les snipers, je déduis
que toutes les personnes qui ont été tuées étaient armées. Mais ce ne semble pas
être le cas, parce que je connais bien les événements sur le terrain.
- "Pour moi non plus, ça ne semble pas être le cas.
On ne peut rien y faire, si l'armée décide qu'elle doit réagir et répondre, il y
aura beaucoup d'erreurs et un nombre relativement élevé de personnes vont être
tuées. Mais, d'un autre côté, beaucoup plus de personnes encore pourraient être
tuées."
- J'ai vu un document donnant des
instructions en vue de l'ouverture des tirs
- "Impossible. Ils ne distribuent aucun document de
ce genre. Tout est fait en conformité aux ordres donnés par le commandement le
matin même".
- Je reviens à la limite des douze ans :
pourquoi cet âge a-t-il été retenu ?
- "J'ai entendu dire qu'il était important, pour
les forces de défense israéliennes, de savoir si quelqu'un avait ou non plus de
douze ans, j'en ai déduit que douze ans était un âge-limite. Ils ne nous ont pas
indiqué d'âge. Ils nous ont juste dit qu'on ne devait pas tirer sur des enfants.
L'armée ne spécifie pas d'âge. Nous faisons tout notre possible pour ne pas
tuer, pour ne pas avoir d'incidents avec de nombreux morts. Six morts, ça va. Il
aurait pu y en avoir bien plus."
- Qu'entendez-vous, par "normal"
?
- "Parce qu'ils nous ont tiré dessus. Si quelqu'un
vous tire dessus, même si c'est pathétique, vous devez répliquer".
22. Russkaïa Misl
(hebdomadaire russe paraissant à Paris) du jeudi 16 novembre
2000
Israël : la guerre est devenue routine
par Alexandre Verkhovski [traduit du russe par Marcel
Charbonnier]
La première moitié du mois de novembre a convaincu
tous les observateurs, et même les politiques, que la guerre en Palestine n’est
pas une flambée passagère, mais bien une nouvelle phase,
appelée - hélas - à se prolonger, d’un conflit cinquantenaire. On
en veut pour preuve non seulement les reportages sur le terrain, mais aussi la
lassitude visible des médiateurs, au premier rang desquels, les Etats-Unis. Les
visites effectuées, la semaine dernière, par Yasser Arafat et Ehud Barak chez
Clinton n’ont rien donné, et cela n’a apparemment étonné personne.
A proprement parler, les événements guerriers, au
cours de ce mois, évoquent de moins en moins l’intifada, c’est-à-dire la "guerre
des pierres", mais de plus en plus une guerre "normale". Au début novembre, les
organisations radicales ont pris, en tous les cas, certaines mesures préventives
de façon à limiter la participation des jeunes adolescents à la "guerre des
pierres", si bien que le nombre des incidents semblables à ceux auxquels on a pu
assister au cours de la première quinzaine a quelque peu diminué. En revanche,
le nombre d’attaques à la bombe, l’utilisation de mines et d’armes à feu,
notamment des mitrailleuses, a augmenté. De plus, les Israéliens répliquent eux
aussi avec toutes les sortes possibles et imaginables d’armes et, parfois, même,
avec des tirs de canons de tanks.
Le terrorisme classique n’est pas non plus
démodé... L’explosion d’une voiture piégée, le 2 novembre, dans le marché juif
de Jérusalem, a fait voler en éclats l’accord de cessez-le-feu conclu la veille
au soir par Arafat et le ministre plénipotentiaire de Barak, l’ex-premier
ministre Shimon Pérès. Naturellement, les chances que ce cessez-le-feu soit
respecté étaient, dès le départ, extrêmement minces.
Mais, sitôt après l’attentat, au lieu déclarations
apaisantes prévues, de la part de Barak et d’Arafat, on a entendu des menaces
réciproques et les affrontements se sont poursuivis. Le 9 novembre, des
hélicoptères israéliens ont tiré des roquettes contre une automobile dans
laquelle se trouvait l’un des commandants éminents du Tanzim (la branche
militaire de l’organisation d’Arafat : le Fatah) et chef de la section de
Béthleem du Fatah, Husseïn Obeïd, accusé par les autorités israéliennes de trois
assassinats. Obeïd a été tué, ses compagnons et quelques passants ont été
blessés. En réplique, la direction du Fatah a déclaré que le mouvement n’était
plus tenu d’observer une trêve durant quelques négociations de paix que ce soit,
et qu’il se considérait en état de guerre. Arafat, quant à lui, a exprimé son
attachement personnel au processus de paix, mais il a ajouté que tous ne
pensaient pas comme lui. Et, en effet, déjà la veille, le commandant en chef du
Tanzim, Marwan Barghuthi, avait déclaré : "l’Intifada continue, et les gens qui
sont convaincus du contraire mettent leur vie en danger". Le 13 novembre, Arafat
a rencontré, officiellement pour la première fois, le commandant en chef des
brigades armées du Hamas, Khalid Meshaal.
On l’aura compris, Arafat ne se prononce pas
- et ne se prononcera pas, à l’avenir - contre le "processus de paix"
en tant que tel, car sinon, l’autonomie palestinienne s’effondrerait, et il lui
faudrait survivre encore un siècle politique dans le rôle de leader dépourvu de
perspective de la diaspora politique. Mais même le pacifisme proclamé du leader
de l’OLP se fait de plus en plus rarement entendre. Et la ressemblance entre lui
et Milosevitch devient de plus en plus frappante, ce Milosevitch dont le pouvoir
dépendait, de la même manière, du soutien que lui apportait une tension
internationale ininterrompue.
Dans l’ensemble, le monde musulman est sur des
positions identiques. Toutefois, on y trouve des partisans fidèles du jihad
contre Israël, mais aussi des pays qui coopèrent avec Israël et qui n’ont pas
motif à s’en plaindre. Mais l’Organisation de la Confédération Islamique, qui
rassemble des pays musulmans allant du Soudan et de l’Iran à l’Egypte et aux
républiques musulmanes de l’ex-URSS, réunie en sommet le 12 novembre, a adopté
des résolutions très fermes à l’encontre d’Israël, parmi lesquelles on trouvait
même un appel à la rupture des relations diplomatiques avec ce pays. Toutefois,
cet appel n’est pas une obligation faite aux membres de l’Organisation de la
Confédération Islamique.
C’est dans ce contexte que la session du Comité
Exécutif de l’OLP, durant laquelle aurait dû être prise la résolution de
proclamer l’Etat palestinien indépendant, a été une nouvelle fois ajournée sine
die. En guise de compensation, la police palestinienne et les combattants des
organisations radicales se sont efforcés, depuis vendredi dernier, d’intensifier
leurs attaques. Le 12 novembre, le quartier hiérosolymitain de Gilo a été
atteint, pour la première fois, par des tirs diurnes. Le lendemain, là aussi,
pour la première fois, des Palestiniens ont tiré, en plein jour, sur des
automobiles, dans cette partie des "territoires" demeurée sous le contrôle des
autorités israéliennes.
La pression
occidentale
Dès les années soixante-dix, déjà, l’opinion
publique occidentale, principalement européenne, considérait avec beaucoup de
sympathie le mouvement national des Arabes palestiniens. Dans ce phénomène,
l’ONU tient le pupitre de premier violon, puisqu’en son temps, l’Organisation a
qualifié le sionisme d’avatar du racisme. De là découle l’extrême méfiance des
Israéliens envers l’ONU et leur réticence vis-à-vis de l’idée avancée par Arafat
d’envoyer des forces d’interposition de l’ONU dans les territoires. La
proposition d’Arafat, formulée officiellement le 8 novembre, sera examinée par
le Conseil de Sécurité le 22. Les Etats-Unis y opposeront vraisemblablement leur
veto, et la résolution sera sans doute repoussée. Mais l’Europe est prête,
d’ores et déjà, à réexaminer cette idée : la France a proposé, à titre de
compromis, de mettre sur pied une mission de deux mille observateurs
civils.
Une délégation d’Amnesty International, de retour
de Palestine, a déjà énoncé ses conclusions. Selon les propres termes du
directeur de la mission d’enquête Claudio Cordoné, l’armée et la police
israéliennes font un tel usage excessif de la force, que leurs agissements
peuvent être qualifiés de crimes de guerre. Claudio Cordoné considère que, pour
faire face à des cocktails Molotov, la police doit utiliser des boucliers, et
non des balles revêtues de caoutchouc.
Il convient de ne pas négliger l’opinion de
l’Organisation de défense des droits de l’homme dépendant de l’Autorité
palestinienne. Naturellement, les forces militaires et la police israéliennes
sont très bien équipées pour leur propre défense, ayant tiré les leçons de la
première Intifada. Ceci explique d’ailleurs que leurs pertes soient aussi peu
importantes. Des suites de la crise actuelle, les victimes arabes ont été
environ neuf fois plus nombreuses que les victimes israéliennes. Visiblement,
les Israéliens auraient pu éviter de recourir à des tirs de balles
caoutchoutées, qui entraînent des traumas sérieux et qui, parfois,
tuent.
Amnistie Internationale a également critiqué les
radicaux arabes, pour les tirs dirigés contre les implantations juives, mais
cette critique a été formulée en des termes beaucoup moins virulents. Il est
possible que la raison de cette relative clémence soit simplement que les
défenseurs des droits de l’homme émettent des exigences beaucoup plus dures à
l’endroit d’un gouvernement qu’ils ne le font lorsqu’il s’agit d’individus.
Simplement, le problème est que, comme par hasard, ces "individus" constituent
la direction et l’active de toutes les organisations politiques significatives
de l’Autorité autonome palestinienne.