Point d'information Palestine > N°117 du 21/11/2000

Réalisé par l'AMFP - BP 33 - 13191 Marseille FRANCE
Phone + Fax : +33 491 089 017 - E-mail : amfpmarseille@wanadoo.fr
Association loi 1901 - Membre de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux (Trésorier)

Si vous ne souhaitez plus recevoir
(temporairement ou définitivement) nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante : amfpmarseille@wanadoo.fr.
Ce point d'information est envoyé directement à 1463 destinataires.
 

Au sommaire
 
Réseau Palestine
  1. Les Observateurs internationaux, c'est nous ! Manifeste des étrangers vivant dans les Territoires palestiniens occupés (novembre 2000)
  2. Aujourd'hui à 23h20, sur France 3, "Israël-Palestine : une terre deux fois promise" > seconde partie
  3. Aux origines des événements, la guerre de 1947-1949 par Dominique Vidal (retranscription d'une conférence donnée à Paris, le 9 novembre 2000, à l'invitation du groupe "Chrétiens et Proche-Orient")
  4. Tanya Reinhart : Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas [Traduit de l'anglais par Giorgio Basile]
  5. Au sommaire du dernier numéro de Manière de voir "Proche-Orient, rebâtir la paix" publié par Le Monde diplomatique (N° 54 - novembre/décembre 2000)
Revue de presse
  1. Le plus court chemin pour sortir de la crise in Al-Qod's (quotidien palestinien) du lundi 20 novembre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
  2. Abed Rabbo : une reprise du processus de paix comme avant l'Intifada est impossible in Al-Ayyam (quotidien palestinien) du lundi 20 novembre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
  3. Fatah : les policiers palestiniens tués par les Forces israéliennes de défense tentaient d'empêcher des attaques armées par Amira Hass in Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 19 novembre 2000 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
  4. L'Europe indispose les Arabes par Baudoin Loos in Le Soir (quotidien belge) du lundi 20 novembre 2000
  5. Barak intensifie la guerre économique par Alexandra Schwartzbrod in Libération du samedi 18 et dimanche 19 novembre 2000
  6. L'offensive israélienne s'intensifie par Pierre Barbancey in L'Humanité du vendredi 17 novembre 2000
  7. Amira Hass : "Les Palestiniens sont vraiment patients" entretien réalisé par Pierre Barbancey in L'Humanité du vendredi 17 novembre 2000
  8. Premier Sommet de la femme arabe, sous le signe de la solidarité à l'Intifada Dépêche de l'Agence France Presse du jeudi 16 novembre 2000, 15h32
Réseau Palestine

 
Un e-mail reçu de Claude Abou-Samra - Ramallah, lundi 20 novembre 2000 21:27 - Les étrangers résidant dans les territoires palestiniens s'organisent. Ce soir, à l'appel de femmes grecques, italiennes et espagnoles, plusieurs centaines de femmes étrangères et palestiniennes ont manifesté à Ramallah, représentant une vingtaine de nationalités,  épouses de Palestiniens vivant en Palestine et étrangères travaillant dans le pays. Les manifestantes se sont rendues au siège de la Croix Rouge Internationale à Ramallah en demandant une protection pour le peuple palestinien et un engagement de la communauté internationale pour faire respecter le droit. Dans le même sens des étrangers ont signé par dizaine le manifeste ci-dessous qui va être publié et envoyé à toutes les représentations internationales. Une nouvelle manifestation est prévue à Ramallah dimanche prochain.
1. Les Observateurs internationaux, c'est nous ! Manifeste des étrangers vivant dans les Territoires palestiniens occupés (novembre 2000)
Nous, citoyens non-palestiniens, non-arabes, résidant dans les territoires palestiniens occupés de Gaza et de Cisjordanie, y compris Jérusalem-est, ne représentant d'autre autorité que celle de notre conscience, désirons nous exprimer clairement, à la lumière des conditions actuelles. Nous déplorons la décision de différentes représentations consulaires et diplomatiques de rapatrier leurs employés et leurs citoyens. Il en va de même, à plus forte raison, des agences de l'ONU et des autres organisations internationales qui ont abandonné les Palestiniens à leur sort au moment même où ils ont le plus besoin de services et d'une présence internationale. Nous comprenons par contre les individus qui, pour des raisons personnelles, ont décidé de partir durant cette période difficile. Quant à nous, nous allons rester ici, sur le terrain, où le devoir et l'honneur requièrent notre présence. Ceci n'est pas du goût de l'occupant, lequel, après avoir adressé des avertissements répétés aux membres des médias internationaux en blessant par balles plusieurs d'entre eux, n'a pas épargné un médecin allemand,  le docteur Harald Fischer, abattu par un missile à Beit Jala, et auquel, du fait de l'intensité des tirs israéliens on n'a pas pu porter secours pendant deux heures, durant lesquelles il a péri. Néanmoins, nous resterons, avec nos maris, femmes, enfants et parents, pour continuer nos activités légitimes et aujourd'hui essentielles, en tant que travailleurs et témoins de la lutte et des peines du peuple palestinien. Nous sommes renforcés dans notre détermination par des déclarations émanant du Conseil de Sécurité de l'ONU (Résolution No. 1322 du 7 octobre 2000), d'Amnesty International, du Haut Commissaire de l'ONU pour les Droits de l'Homme, Mme. Mary Robinson, qui toutes déplorent l'usage excessif de la force par Israël. Nous nous demandons pourquoi le Comité International de la Croix-Rouge n'a pas le courage de dire tout haut par une Déclaration solennelle depuis son siège à Genève, ce que ses délégués disent en privé. Et nous notons les termes de la résolution (12 novembre 2000) du Forum Civil de la Conférence Euro-Méditerranéenne de Marseille, représentant les sociétés civiles de 27 Etats y compris Israël, qui dénonce les "crimes de guerre" commis par les soldats et colons israéliens dans les territoires occupés. Nous comprenons l'exigence d'une protection internationale et d'observateurs internationaux. Entretemps, nous sommes et nous continuerons d'être les observateurs internationaux, et faisons tout ce qui est dans notre pouvoir pour informer le monde de ce qui se passe en Palestine. Chacun et chacune d'entre nous contribue, dans son domaine d'intervention, à mettre fin à l'occupation et à rendre possible l'exercice du droit inaliénable à l'auto-détermination du peuple palestinien. La création d'un Etat palestinien viable est une condition essentielle pour la paix au Moyen Orient. Afin d'y aboutir, nous appelons à la venue d'un grand nombre de personnes des quatre coins du monde, afin de travailler aux côtés du peuple palestinien et d'agir en tant qu'observateurs internationaux en Palestine. Ils seront les bienvenus.

2. Aujourd'hui à 23h20, sur France 3, "Israël-Palestine : une terre deux fois promise" > seconde partie
La chaïne de télévision française France 3, présente ce mardi 21 novembre 2000, à 23h20, la seconde partie de "Israël-Palestine : une terre deux fois promise", un documentaire francais de William Karel et Hesi Carmel (1997 - 65 minutes).
Les grandes erreurs de l'Histoire par Antoine Perraud in Télérama du 15/11/2000
De 1978 à 1991, de Camp David à la conférence de Madrid, les mêmes causes produisent les mêmes effets. D'abord « la partie médiatrice a toujours penché du côté israélien », souligne Boutros-Ghali. Les palinodies de Jimmy Carter, en venant à représenter Sadate (exaspéré) auprès de Begin (exaspérant) sont évoquées par l'ex-Président, tandis que son ancien conseiller, William Quandt, enfonce le clou avec cruauté, confirmant son rôle dans cette série : l'Américain sardonique épris de vérité, surtout si elle égratigne ses anciens supérieurs ! Alexander Haig est assez bonhomme pour raconter comment il s'est fait piéger par Israël, en juin 1982, lors de la désastreuse guerre du Liban. Sharon, comprend-on malgré ses dénégations, avait manipulé Begin, lui mentant sur les réels objectifs militaires de ce conflit (1).
L'aveuglement des responsables israéliens est patent, de Rabin à propos de l'Intifada (« Je vais leur briser tous les os du corps ») à Shamir, se lavant encore aujourd'hui les mains des morts « non juifs » des camps de Sabra et Chatila. Reste les regrets éternels d'un Shimon Peres ou d'un Abba Eban, sur le nombre d'années perdues et le nombre de morts qui eussent pu être évitées. Le pire a été frôlé au moment de la guerre du Golfe - Israël fut à deux doigts d'intervenir avec des armes non conventionnelles - et la stature de James Baker sort renforcée de cette enquête historique, qui réussit le prodige de substituer l'introspection à la langue de bois. William Karel est un formidable accoucheur.
(1) Sharon a perdu en 1997 un procès intenté au quotidien Haaretz qui affirmait cette vérité quinze ans après les faits.
 
3. Aux origines des événements, la guerre de 1947-1949 par Dominique Vidal (retranscription d'une conférence donnée à Paris, le 9 novembre 2000, à l'invitation du groupe "Chrétiens et Proche-Orient")
La tragédie qui ensanglante à nouveau le Proche-Orient dure depuis six semaines.
Elle a fait plus de 185 morts, dont 170 Palestiniens. On sait quelle est l'étincelle qui a mis le feu aux poudres : la visite provocatrice d'Ariel Sharon et des centaines de soldats qui le protégeaient le 28 septembre, sur l'Esplanade des mosquées, troisième Lieu saint de l'islam, puis, le lendemain, les tirs à balles réelles qui firent 7 morts parmi les manifestants sans armes.
On sait également la nature de l'explosif : l'immense frustration des Palestiniens face à sept ans d'un processus de paix qui non seulement n'a pas encore débouché sur l'Etat promis, mais a entraîné un doublement du nombre de colons juifs et aggravé sensiblement les conditions de vie, de travail et de circulation de la population des territoires autonomes et occupés.
Mais la colère qui s'exprime ainsi remonte plus loin : c'est une réaction à la disparition progressive de la Palestine, dont la guerre de 1948-1949 a marqué une première étape décisive. En se penchant sur les origines de l'Etat d'Israël, on rencontre aussi celles du problème des réfugiés palestiniens. D'où l'actualité du travail de ceux qu'on appelle les " nouveaux historiens " israéliens, qui, en moins de quinze ans, ont révisé radicalement l'histoire de ces événements telle que leurs prédécesseurs la racontaient.
Entre le plan de partage de la Palestine adopté par l'Assemblée générale des Nations unies le 29 novembre 1947 et les armistices de 1949 consécutifs à la première guerre israélo-arabe, plusieurs centaines de milliers de Palestiniens ont dû quitter leurs foyers.
Pour les historiens palestiniens et arabes, il s'agit d'une expulsion. La majorité de ces 700 000 à 900 000 réfugiés ont été contraints au départ, au cours des affrontements judéo-palestiniens, puis de la guerre israélo-arabe, dans le cadre d'un plan politico-militaire jalonné de nombreux massacres.
Selon l'historiographie israélienne traditionnelle, au contraire, les réfugiés - 500 000 au maximum - sont partis volontairement, répondant aux appels des dirigeants arabes qui leur promettaient un retour rapide après la victoire. Non seulement les responsables juifs n'auraient pas planifié d'éviction, mais les rares massacres à déplorer - en premier lieu celui de Deir Yassine, le 9 avril 1948 - auraient été le fait des troupes extrémistes affiliées à l'Irgoun de Menahem Begin et au Lehi d'Itzhak Shamir.
Dès les années 50, quelques personnalités israéliennes isolées contestaient cette thèse. Depuis la seconde moitié des années 80, elles ont été rejointes dans leur critique par un certain nombre de journalistes et de chercheurs : Simha Flapan, Tom Segev, Avi Schlaïm, Ilan Pappé et surtout Benny Morris, qui, avec The Birth of the Palestinian Refugee Problem, a " fondé " la nouvelle histoire ( ).
Curieusement, jusqu'en 1998, aucun des ouvrages des " nouveaux historiens " sur la guerre de 1948 - les premiers sont pourtant parus depuis 12 ans - n'a eu l'heur de plaire aux éditeurs français. C'est pourquoi j'ai décidé, avec mon confrère Joseph Algazy, journaliste au quotidien Haaretz, de pallier cet " oubli ". Synthétiser en quelques minutes des années de recherches historiques est une impossible gageure. Disons, pour nous en tenir à l'essentiel, que les " nouveaux historiens " ébranlent en particulier trois mythes sionistes :
- Le premier, c'est la menace mortelle qui aurait pesé sur Israël à l'époque. Contrairement à l'image d'un frêle État juif à peine né et déjà confronté aux redoutables armées d'un puissant monde arabe, les " nouveaux historiens " établissent la supériorité croissante des forces israéliennes (en effectifs, armement, entraînement, coordination, motivation...) à la seule exception de la courte période qui va du 15 mai au 11 juin 1948.
Mais il y a plus. Israël dispose à l'époque d'une carte maîtresse, étudiée par Avi Shlaïm dans Collusion across the Jordan : l'accord tacite passé le 17 novembre 1947 (douze jours avant le plan de partage des Nations unies) par Golda Meïr avec le roi Abdallah de Transjordanie. La Légion arabe, seule armée arabe digne ce nom, s'engageait à ne pas franchir les frontières du territoire alloué à l'État juif en échange de la possibilité d'annexer celui prévu pour l'État arabe.
Assuré, dès février 1948, du feu vert explicite du secrétaire au Foreign Office, Ernest Bevin, ce plan sera effectivement mis en ¦uvre. Comme le Haut comité arabe (palestinien) et l'ensemble des Etats arabes, la Transjordanie a rejeté le plan de partage de l'ONU. Si bien que la Légion arabe participe à la guerre à partir du 15 mai 1948. Mais elle ne pénètrera jamais en territoire israélien et ne prendra jamais l'initiative d'une bataille d'envergure - sauf à Jérusalem.
D'ailleurs, le schéma du 17 novembre 1947 se substituera bel et bien, à la fin des hostilités, au plan de partage du 29 : la Jordanie occupera et annexera la partie arabe de la Palestine, moins les zones conquises par Israël (qui a augmenté sa superficie d'un tiers) et la bande de Gaza occupée par l'Égypte...
- Le deuxième mythe concerne la volonté de paix qu'aurait manifestée Israël au lendemain de la guerre.
Organisée par la Commission de conciliation sur la Palestine des Nations unies, la conférence de Lausanne a notamment été étudiée par Ilan Pappé dans The Making of the Arab-Israeli Conflict. Ses conclusions contredisent largement la thèse traditionnelle.
Les archives montrent que, dans une première phase, Israël fait preuve d'ouverture : le 12 mai 1949, sa délégation ratifie, avec celles des Etats arabes, un protocole réaffirmant à la fois le plan de partage des Nations unies et le droit au retour des réfugiés. Mais, ce même 12 mai 1949, l'Etat juif est admis à l'ONU. De fait, Lausanne finira dans l'impasse. Et Eliahou Sasson, le chef de la délégation israélienne, confiera : " Le facteur qui bloque, c'est aujourd'hui Israël. Par sa position et ses demandes actuelles, Israël rend la seconde partie de la Palestine inutilisable pour tout projet, sauf un - son annexion par un des États voisins, en l'occurrence la Transjordanie ( ). "
Particulièrement significative est la manière dont David Ben Gourion rejette l'offre étonnante du nouveau président syrien, Husni Zaïm, qui propose non seulement de faire la paix, mais aussi d'accueillir 200 000 à 300 000 réfugiés palestiniens. Le temps que Tel Aviv prenne conscience de l'intérêt de la suggestion, il est trop tard : Zaïm est renversé par un coup d'État militaire...
- Mais le mythe plus sérieusement ébranlé concerne l'exode des Palestiniens. Résumons. Benny Morris le montre, les archives ne recèlent aucune forme d'appel national, palestinien ou arabe, à la fuite. Quant aux fameuses exhortations qu'auraient diffusées les radios arabes, on sait depuis l'étude de leurs programmes enregistrés par la BBC qu'il s'agit d'inventions pures et simples ( ).
Certes, dans les semaines suivant le plan de partage, il y eut 70 000 à 80 000 départs volontaires, pour l'essentiel de riches propriétaires terriens et des membres de la bourgeoisie urbaine. Mais après ? Le premier bilan dressé par les Services de renseignement de la Hagana, daté du 30 juin 1948, estime à 391 000 le nombre de Palestiniens ayant déjà quitté le territoire alors aux mains d'Israël. " Au moins 55 % du total de l'exode ont été causés par nos opérations ", écrivent les experts, lesquels ajoutent les opérations des dissidents de l'Irgoun et du Lehi " qui ont directement causé environ 15 % de l'émigration " et les effets de la guerre psychologique de la Hagana : on arrive ainsi à 73 % de départs directement provoqués par les Israéliens. Dans 22 % de cas, le rapport met en cause les " peurs " et la " crise de confiance " répandues dans la population palestinienne. Quant aux appels arabes locaux à la fuite, ils n'entrent en ligne de compte que dans 5 % des cas....
A partir de la reprise des combats, en juillet 1948, la volonté d'expulsion ne fait plus le moindre doute. Un symbole : l'opération de Lydda et de Ramleh, le 12 juillet 1948. " Expulsez-les ! " a dit David Ben Gourion à Igal Allon et Itzhak Rabin. De fait, la violente répression (250 morts,) est suivie de l'évacuation forcée, accompagnée d'exécutions sommaires et de pillages, de quelque 70 000 civils palestiniens - soit près de 10 % de l'exode total de 1947-1949 ! Des scénarios similaires seront mis en ¦uvre jusqu'à la fin 1948 au Nord (la Galilée) au Sud (la plaine côtière et le Néguev).
Ces Palestiniens qu'on expulse, on confisque en même temps leurs biens, grâce à la loi sur les " propriétés abandonnées ", votée en décembre 1948. Israël mettra ainsi la main sur 73 000 pièces d'habitation dans des maisons abandonnées, 7 800 boutiques, ateliers et entrepôts, 5 millions de livres palestiniennes sur des comptes en banque et - surtout - 300 000 hectares de terres ( ). Au total, plus de 400 villes et villages arabes disparaîtront ou deviendront juifs.
Dans 1948 and After, Benny Morris revient plus longuement sur le rôle joué par Yosef Weitz, alors directeur du département foncier du Fonds national juif ( ). Dans son Journal, le 20 décembre 1940, ce sioniste aux convictions tranchées confiait sans détours : " Il doit être clair qu'il n'y a pas de place pour deux peuples dans ce pays (...) et la seule solution, c'est la Terre d'Israël sans Arabes (...) Il n'y a pas d'autre moyen que de transférer les Arabes d'ici vers les pays voisins (...) Pas un village ne doit rester, pas une tribu bédouine. "
Ce programme radical, sept ans plus tard, Yosef Weitz va pouvoir l'appliquer lui-même. Dès avril 1948, il obtient la constitution d'" un organisme qui dirige la guerre avec pour but l'éviction d'autant d'Arabes que possible ". Informel jusqu'à fin juin, officiel ensuite, le " Comité du transfert " supervise la destruction des villages arabes abandonnés ou leur repeuplement par de nouveaux immigrants juifs. Bref, quand David Ben Gourion déclare au Conseil des ministres, le 16 juin 1948, vouloir éviter " à tout prix " le retour des réfugiés, il s'agit, non d'une phrase en l'air, mais d'un programme politique très concret...
Le débat le plus vif porte sur la nature de la politique arabe du Yichouv et de ses forces armées durant les six premiers mois de 1948.
Dans son premier livre, Benny Morris s'en tenait à une thèse " centriste " : " Le problème palestinien est né de la guerre, et non d'une intention, juive ou arabe ( ). " Il a nuancé cette appréciation dans son deuxième livre, 1948, en définissant le transfert comme " un processus cumulatif, aux causes enchevêtrées, mais [avec] un déclencheur majeur, un coup de grâce [en français dans le texte], en forme d'assaut de la Hagana, de l'Irgoun ou des Forces de défense d'Israël dans chaque localité ( ) ". Benny Morris nie cependant l'existence d'un plan d'expulsion et tend à disculper David Ben Gourion, ce qui contredit nombre d'éléments que l'historien rapporte lui-même :
- Benny Morris souligne en effet l'engagement de longue date de Ben Gourion en faveur du projet de " transfert " (suggéré, en 1937, par la Commission britannique Peel). Il nous apprend de surcroît, archives à l'appui, que les textes du mouvement sioniste comme les Journaux de ses dirigeants ont été systématiquement expurgés pour gommer toute allusion à ce " transfert ".
- Benny Morris décrit en permanence Ben Gourion menant d'une main de fer l'entreprise d'expulsion des Arabes et de confiscation de leurs biens et insiste également sur ce qu'il appelle le " facteur atrocité ". L'historien montre en effet que, loin de représenter une " bavure " extrémiste, le massacre de Deir Yassine a été précédé et suivi de nombreux autres commis par la Hagana, puis par Tsahal, de la fin 1947 à la fin 1948. A ce sujet, il faut signaler le livre que Benny Morris vient de publier en hébreu, à partir de certaines des archives encore secrètes, mais auxquelles il a eu accès : il y raconte une série de massacres insoutenables commis par les soldats israéliens dans les villages arabes dont ils se rendaient maîtres, notamment en Galilée.
- S'agissant du plan Dalet, mis en oeuvre à partir de la fin mars 1948, Benny Morris hésite. A la page 62 de The Birth, il estime que " le plan D n'était pas un plan politique d'expulsion des Arabes de Palestine ". Mais, page 64, il écrit : " A partir du début avril, il y a des traces claires d'une politique d'expulsion à la fois au niveau national et local en ce qui concerne certains districts et localités stratégiques-clés. " Etonnantes contradictions !
- A mon sens, le fait que les archives n'aient pas révélé de directive globale dans ce sens ne suffit pas à nier le phénomène et les responsabilités de la direction du Yichouv. Au contraire. Encore faut-il mesurer que cette dernière s'est appuyée sur le consensus extrêmement solide existant dans son appareil politique et militaire.
Résumons : moins de trois ans après la libération des camps d'extermination, l'immense majorité des juifs de Palestine considèrent qu'ils poursuivent le combat pour la survie. D'autant qu'ils vivent le refus arabe du partage comme une nouvelle menace pour leur existence, et ignorent le caractère extrêmement favorable des rapports de force. Après une phase défensive, ils passeront donc sans état d'âme à l'offensive, pour atteindre l'objectif fixé par leurs dirigeants : un Etat juif aussi grand et homogène que possible.
Comme l'écrit Benny Morris, " Ben Gourion voulait clairement que le moins d'Arabes possible demeurent dans l'État juif. Il espérait les voir partir. Il l'a dit à ses collègues et assistants dans des réunions en août, septembre et octobre. Mais (...) Ben Gourion s'est toujours abstenu d'émettre des ordres d'expulsion clairs ou écrits ; il préférait que ses généraux "comprennent" ce qu'il souhaitait les voir faire. Il entendait éviter d'être rabaissé dans l'histoire au rang de "grand expulseur" et ne voulait pas que le gouvernement israélien soit impliqué dans une politique moralement discutable ( ). "
Une dernière réflexion à propos des enjeux actuels de ce débat historique.
La postface rédigée par Joseph Algazy éclaire l'insertion des " nouveaux historiens " dans un mouvement qui va bien au-delà : la recherche ce qu'on appelle le " post-sionisme ". Pour résumer, Israël doit-il en rester au sionisme traditionnel, et notamment s'attacher à demeurer un État juif ? Ou bien doit-il se doter d'une identité nouvelle, et en premier lieu devenir l'État de tous ses citoyens ? Inutile de souligner combien cette bataille est inséparable de celle qui oppose camp de la paix et camp nationaliste...
Mais la connaissance et la reconnaissance des conditions de cette double naissance - celle d'Israël et celle du problème des réfugiés palestiniens - est surtout au c¦ur de l'éventuelle réconciliation entre les peuples. La paix entre eux passe évidemment, à mes yeux, par la création d'un véritable État palestinien souverain. Mais la réconciliation exige beaucoup plus : que toutes les parties au conflit assument leur histoire.
Reste à préciser jusqu'à quel point les travaux des " nouveaux historiens " ont pénétré leur société. Ne le cachons pas : de prime abord, ils ont surtout choqué la majorité de leurs concitoyens. Et pour cause : ce n'est sur une page d'histoire parmi d'autres qu'ils ont contribué à rétablir la vérité. Non, ce qui a été mis à nu, c'est bel et bien le " péché originel " d'Israël. Le droit des survivants du génocide hitlérien à vivre en sécurité dans un Etat devait-il exclure celui des filles et fils de la Palestine à vivre, eux aussi, en paix dans leur Etat ? La réponse à cette question concerne le passé, bien sûr, mais aussi le présent. Car l'injustice commise ne peut-être réparée qu'en réalisant, avec un demi-siècle de retard, le droit des Palestiniens à une patrie.
Plus que les querelles de spécialistes, cet enjeu explique pourquoi le contre-feu s'organise, dès le début des années 80. A peine les premiers articles de Benny Morris parus, ils suscitent une polémique, qui ne cessera pas. A l'origine de ces brûlots, on trouve d'" anciens historiens ", qui campent sur leurs positions de l'époque, réaffirmant - contre toute évidence - le caractère soi-disant volontaire de l'exil des Palestiniens et niant toute responsabilité de la direction sioniste. Tel ou tel pan de la version orthodoxe sera défendu, à des degrés divers, par Shabtaï Teveth, mais également par de plus jeunes spécialistes, comme Anita Shapira, Avraham Sela, Itamar Rabinovich ou Efraïm Karsh.
Parallèlement à ce débat d'idées, les coups bas ne manquent pas. Ainsi ses ¦uvres vaudront à Benny Morris de perdre son poste de journaliste au Jerusalem Post. Et il lui faudra douze ans pour décrocher un poste universitaire, en l'occurrence à l'université David Ben Gourion de Beersheva. Mais les descendants du père fondateur exigeront - en vain - du recteur de ladite université qu'il licencie Benny Morris ou modifie le nom de son université !
C'est qu'entre-temps, l'affrontement autour des thèses des " nouveaux historiens " a pris un caractère public. Après avoir été cantonné aux publications spécialisées, le plus souvent confidentielles, le débat a gagné les journaux, et notamment dans le quotidien Haaretz. Il est alimenté par la parution de plusieurs livres - à l'époque en anglais, soulignons-le : les premières traductions en hébreu n'apparaîtront qu'au début des années 90.
Avec le cinquantième anniversaire de l'Etat d'Israël, en avril-mai 1998, c'est l'apogée : même la très conformiste série télévisée Tekuma (Renaissance), consacrée à l'histoire d'Israël, fait brièvement état, dans son émission sur 1948, de l'expulsion par Israël des civils palestiniens - avec des images inédites qui frapperont évidemment ses centaines de milliers de téléspectateursŠ
Désormais, les thèses des " nouveaux historiens ", si elles restent sans doute minoritaires, apparaissent incontournables : impossible de les ignorer. A preuve le nouveau manuel d'histoire d'Eyal Nave, publié à la rentrée de 1999. Tout en préservant, sur l'essentiel, la vision traditionnelle de la première guerre israélo-arabe, cet ouvrage n'en signale pas moins que le rapport de forces, à l'époque, était très favorable aux armées juives, et que celles-ci ont bien chassé nombre de Palestiniens.
Moins médiatisé, mais plus significatif encore est le livre intitulé La lutte pour la sécurité d'Israël ( ). Ses auteurs - un groupe de chercheurs issus des services de renseignement de l'armée, qui ont eu le privilège d'accéder à des documents couverts par la loi sur les secrets officiels - n'hésitent pas à égorger quelques-unes des vaches sacrées du pays. Ainsi, le livre ne souscrit pas à la thèse officielle selon laquelle les forces armées d'Israël étaient, en 1948, très inférieures à celles des armées arabes - selon les auteurs, Tsahal avait 32 000 combattants contre 32 500 pour l'ensemble des forces arabes, néanmoins mieux armées - et reconnaît que le départ des Palestiniens n'a pas été volontaire. Si l'establishment militaire et politique israélien cherche ici à manifester un certain libéralisme académique, dans des limites soigneusement mesurées, il n'en avalise pas moins sur le fond, plusieurs thèses essentielles des " nouveaux historiens ".
La percée de ces dernières ne signifie bien sûr pas que, dans son immense majorité, la société israélienne ait répondu aux questions que lui pose son histoire. Sur l'essentiel, elle reste indécise : favorable à la paix, elle hésite à en payer le prix ; hostile à l'oppression religieuse, elle n'est pas pour autant prête à la séparation de la synagogue et de l'Etat ; rétive aux discriminations, elle envisage pourtant de retirer leur droit de vote aux citoyens arabes.
Le seul saut véritablement qualitatif : dans la conscience du problème palestinien et des responsabilités qu'Israël a pris dans sa création. A preuve cet étonnant sondage, sur lequel je conclurai. Selon le Centre de politologie de l'université de Tel-Aviv, 46,8% des Israéliens juifs estiment qu'Israël est responsable, partiellement ou entièrement, du problème des réfugiés palestiniens. Mieux : 31 % reconnaissent que les forces juives, en 1948, ont expulsé les Palestiniens. Mais seuls 11,5 % estiment que tous les réfugiés qui le souhaitent doivent avoir le droit au retour.
Voilà qui éclairera la lanterne de ceux qui, durant les premières semaines de l'Intifada Al-Aqsa, ont cherché - vainement - le mouvement pacifiste israélien. Entre aspirer à la paix et être prêt à en payer le prix, il y a encore un fossé.
Merci de votre attention.
Le Groupe Chrétiens et Proche-Orient c/o Justice et Paix - 17 rue Notre Dame des Champs - 75006 Paris
 
4. Tanya Reinhart : Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas [Traduit de l'anglais par Giorgio Basile]
Tanya Reinhart enseigne la linguistique et les études culturelles à l'université de Tel-Aviv et à l'université d'Utrecht. L'article qui suit est paru dans "Indymedia News" du 10 novembre 2000.
La précedente Intifada, qui a duré six années, de 1987 à 1993, a fait au total 18.000 blessés palestiniens. Aujourd'hui, nous en somme déjà à 7.000 en un mois. Un nombre alarmant d'entre eux ont été victimes de blessures à la tête ou aux jambres (genoux), causés par des tirs soigneusement ajustés et, de plus en plus souvent, à balles réelles. Beaucoup ne s'en remettront pas, ou bien resteront handicapés à vie.
Alors que les médias nous occupent avec des cessez-le-feu, des initiatives de paix, des « réductions de la violence », les crimes israéliens se poursuivent sans relâche dans les Territoires occupés. Pour appréhender l'étendue de ces crimes quotidiens, nous devrions nous intéresser aux blessés, et pas seulement au nombre de morts qui croît rapidement. Vendredi 3 novembre, la chaîne CNN faisait état d'un « calme relatif » dans les Territoires. Pourtant, ce jour-là, on comptait déjà 276 personnes blessées en cours d'après-midi (rapport de LAW du 3 novembre), et le décompte était finalement de « 452 Palestiniens [qui] ont été blessés vendredi dans les Territoires, selon le Croissant Rouge » (titre d'un article paru dans Ha'aretz du 5 novembre).
Samedi 4 novembre, alors que les médias couvraient en long et en large l'appel lancé par Barak « au leader palestinien Yasser Arafat pour retourner à la table de nogociation et mettre un terme aux effusions de sang palestino-israéliennes dans l'intérêt de la paix » (AP), Ha'aretz faisait état de « 153 nouveaux cas de blessures reçues au cours d'affrontements avec les troupes israéliennes », dont « 5 écoliers de Sa'ir (près d'Hébron) qui sont dans un état extrêmement critique » (rapport du 4 novembre de Addameer, une association de défense des droits de l'Homme et de soutien aux prisonniers).
Plus de 7.000 Palestiniens ont été blessés jusqu'ici. Plusieurs sources médicales palestiniennes indiquent qu'un nombre alarmant d'entre eux sont blessés à la tête ou aux jambes (aux genoux notamment), blessures causées par des tirs précis et, de plus en plus souvent, par des balles réelles (Dr. Jumana Odeh, Directeur du Palestinian Happy Child Center, 24 octobre; Law, rapport du 2 novembre). Nombre d'entre eux ne s'en remettront pas, ou resteront handicapés pour le restant de leurs jours.
Un tel échantillonage de blessures ne peut être accidentel. Dan Ephron, correspondant à Jérusalem du Boston Globe, cite les conclusions d'une délégation du PHR (Physicians for Human Rights) [ voir note ]: « Des médecins américains qui ont enquêté sur l'usage de la force par Israël en Cisjordanie et Gaza sont arrivés à la conclusion que les soldats israéliens semblent viser délibérément la tête et les jambes des manifestants palestiniens, même dans des situations ne mettant pas leur vie en danger. » Des médecins de cette délégation ont expliqué que les officiers de police sont entraînés à viser la poitrine dans les situations dangereuses (puisqu'il s'agit de la cible présentant la plus grande surface), donc le fait que les Palestiniens soient touchés à la tête ou aux jambes suggère qu'ils l'ont été dans des situations où les tireurs ne sont pas en danger et disposent du temps suffisant pour bien viser, et dès lors qu'ils cherchent délibérément à nuire à des gens désarmés.
En fait, les Israéliens ne cherchent même pas à dissimuler leurs stratégies. On peut trouver sans peine des interviews comme celle-ci dans les médias israéliens: Le bataillon de Nahshon est prêt en cas de guerre civile par Arieh O'Sullivan.
JERUSALEM (27 octobre) - « J'ai touché deux personnes... aux genoux. C'est destiné à leur briser les os et les immobiliser, mais sans les tuer », déclare le Sergent Raz, un tireur d'élite du bataillon de Nahshon.
« Ce que j'ai ressenti? ...Eh bien, à vrai dire, j'étais plutôt satisfait de moi-même », confie le soldat d'une vingtaine d'années. « Je me sentais capable de faire ce pour quoi on m'a entraîné, et cela m'a donné suffisamment d'assurance pour penser qu'en cas de situation de guerre réelle, je serais capable de défendre mes camarades et moi-même. »
Une pratique courante consiste à viser les yeux avec des balles recouvertes de caoutchouc, un manège pratiqué par les soldats bien entraînés, qui requiert un maximum de précision. Des cas de blessures oculaires sont signalés chaque jour. « Le 11 octobre, le El Mizan Diagnostic Hospital à Hébron a examiné 11 Palestiniens touchés aux yeux, dont 3 enfants. Le El Nasir Ophthalmic Hospital de Gaza a traité 16 cas, dont 13 enfants. Neuf d'entre eux ont perdu un oeil » (LAW, rapport du 19 octobre). « Du 29 septembre au 25 octobre 2000, le St. John Eye Hospital de Jérusalem a traité 50 patients atteints de blessures oculaires » (LAW, rapport du 2 novembre).
A contrario des comptes rendus habituels, qui font mention de « combats », les victimes ne sont pas seulement des manifestants. Voici un cas parmi d'autres, sur lequel LAW a enquêté: Maha Awad, une femme de 36 ans vivant avec sa famille à El Bireh (près de Ramallah) dans un appartement juste en face de la colonie juive de Psagot. « Le mercredi 4 octobre 2000 au soir, elle était à la maison... Elle se rappelle que: "Vers 9 heures, nous avons entendu des tirs dans le quartier; c'étaient des coups tirés au hasard, mais nourris. Nous ne savions pas ce qui se passait, mais nous étions très effrayés. J'ai fermé la pièce où je me trouvais et suis allée sur le balcon afin de fermer la porte. À ce moment, j'ai été touchée à l'oeil droit par une balle qui a traversé la porte vitrée du balcon". » « Maha ne fut pas, cependant, la seule personne de cette famille a être sérieusement blessée cette nuit-là. Après l'avoir amenée à l'hôpital, son frère de 54 ans (en visite - il réside aux États-Unis) retourna à la maison afin d'y prendre quelques vêtements pour Maha. Alors qu'il cherchait à voir l'endroit d'où était parti le coup qui avait atteint sa soeur, il fut atteint d'une balle à l'estomac. » Il est difficile de n'avoir pas le sentiment d'une sorte de partie de chasse, jouée de sang-froid par des tireurs d'élite bien entraînés et disposant d'un équipement sophistiqué.
Des balles perdues ne pourraient toucher autant de gens avec tant de précision aux yeux ou aux genoux. L'armée israélienne a été soigneusement préparée à ce qui passe aujourd'hui: « Mise en place il y a juste un an pour venir à bout des tensions en Cisjordanie... L'IDF (Israel Defence Forces) a entraîné quatre bataillons en vue de conflits de faible intensité, et Nashon est le bataillon spécialisé pour les cas de guerre civile. Ses troupes s'entraînent dans des simulacres de villages palestiniens construits dans deux bases de l'IDF. » (Jerusalem Post, Arieh O'Sullivan, 27 octobre 2000). Dès lors, des unités israéliennes spécialement entraînées, visent, tirent et touchent leurs cibles d'une manière délibérée: estropier, mais maintenir au plus bas les statistiques de mortalité. Les médias israéliens font ouvertement (et assez fièrement) état de cette tactique. Le même article du Jerusalem Post explique que « la stratégie générale de l'IDF est de priver les Palestiniens du grand nombre de morts que les Palestiniens souhaitent - prétend l'armée -, afin de gagner le soutien du reste du monde et de les renforcer ainsi dans leur lutte pour l'indépendance. » Nous faisons tout notre possible pour ne pas tuer... » déclare le Lieutenant-Colonel Yoram Loredo, le commandant qui a mis sur pied le bataillon de Nahshon. »
La raison en est assez claire: un grand nombre de morts palestiniens chaque jour ne peut passer inaperçu, même des médias et gouvernements occidentaux les plus favorables à Israël. Barak a été assez explicite à ce sujet. « Le premier ministre a déclaré que, si le nombre de morts palestiniens n'avait pas été de 140 à ce jour, mais bien de 400 ou de 1.000, cela... aurait pu avoir de graves conséquences pour Israël. » (Jerusalem Post, 30 octobre). Avec une moyenne stable de cinq morts par jour, ils espèrent qu'Israël peut rester « hors d'affaire » pour encore de longs mois. Dans un monde tellement habitué à l'horreur, beaucoup estiment que 180 morts par mois est triste et déplorable, mais ne constitue pas une atrocité contre laquelle le monde entier doit se liguer.
Les « blessés » sont à peine mentionnés : ils « ne comptent pas » dans les statistiques arides de la tragédie. Qui s'inquiétera de leur devenir après qu'ils aient été blessés, dans des hôpitaux surpeuplés et sous-équipés ? Qui se donnera la peine de penser à tous ceux qui mourront lentement, des suites de leurs blessures, ou qui resteront handicapés, aveugles, mutilés pour le restant de leur vie ? Qui réfléchira aux chances de survie d'un peuple assiégé et soumis à la famine ?
Jamais dans le passé Israël n'a osé répondre quotidiennement avec un tel déploiement de force brutale à l'encontre de manifestants jetant des pierres. Au cours des six années de la première Intifada (1987-1993), il y eut 18.000 Palestiniens blessés. Aujourd'hui, après seulement un mois, ils sont déjà 7.000. Ce à quoi nous assistons est une nouvelle phase. Israël a déclenché une destruction programmée et systématique des infrastructures, des villes, et des civils palestiniens.
Par ses offensives massives à l'encontre de manifestants en colère, l'armée israélienne a provoqué et encouragé une escalade dans l'usage des armes à feu. Sous prétexte de mettre fin à des échanges de tirs (et souvent sans même ce prétexte), des quartiers résidentiels sont bombardés pratiquement chaque nuit par des hélicoptères et des tanks, en faisant usage de missiles, mitrailleuses et autres armes de précision, pendant que l'armée invite les habitants à évacuer « en vue d'assurer leur protection ». Les colons ont toute liberté pour attaquer, tirer sur des gens et détruire des biens privés. À Hébron, une attaque israélienne particulièrement violente a été engagée dans une opération qui semble être une tentative d'étendre les quartiers juifs. Tout cela mis ensemble constitue une pression énorme sur les habitants des zones en bordure des colonies juives, pour les forcer à les évacuer et à permettre l'extension des terres précédemment confisquées par Israël. Dans les faits, des terres sont confisquées chaque jour, morceau par morceau. Sur tout cela, et sur bien d'autres choses encore, des rapports désespérés de source palestinienne sont publiés chaque jour plus nombreux. Il nous appartient maintenant de faire le choix de savoir.
Il n'y a pas si longtemps, le monde occidental était choqué et irrité par les atrocités commises par Milosevic à l'encontre des Albanais du Kosovo, qualifiées d'épuration ethnique. Mais ce qu'Israël vient de commencer à mettre en oeuvre est bien pire.
Confronté aux attaques terroristes contre les institutions et les civils serbes au Kosovo, Milosevic a certes répliqué brutalement, faisant usage d'une « force excessive ». Ces actes étaient criminels. Mais il n'a pas envoyé des hélicoptères Apache bombarder des zones résidentielles, comme le fait Israël. Il n'a pas assiégé les villes kosovares; il n'a pas envoyé des tanks pour lancer des missiles, pas plus qu'il n'a envoyé des tireurs d'élite ayant pour mission de blesser et tuer massivement.
Israël doit être sanctionné.
Nous vous invitons à consulter régulièrement le site "Solidaires du Peuple palestinien" créé et animé par Giorgio Basile sur http://www.solidarite-palestine.org ou vous retrouverez de nombreux autres témoignages.
 
5. Au sommaire du dernier numéro de Manière de voir "Proche-Orient, rebâtir la paix" publié par Le Monde diplomatique (N° 54 - novembre/décembre 2000)
Engrenages, Ignacio Ramonet
Le risque d'une perpétuelle soumission, Edward W. Said
Comment la paix fut manquée, Alain Gresh
Israël a besoin d'un Etat palestinien, Shimon Pérès
D'abord le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, Monique Chemillier-Gendreau
Maale Adumim, une bombe à retardement, Eitan Felner
Le piège du sommet de Camp David, Amnon Kapeliouk
Sept ans pour rien ? Eric Rouleau
Du sionisme au post-sionisme, Zeev Sternhell
Israël, une société se déchire, Dominique Vidal et Joseph Algazy
Pourquoi le mouvement pacifiste peine à mobiliser les Israéliens, Uri Avnery
La Palestine en quête de démocratie, Graham Usher
Réfugiés, un lancinant rêve de retour, Alain Gresh
Vers une « paix armée » au Proche-Orient, Geoffrey Aronson
L'Union européenne à la recherche d'un rôle actif, Miguel Angel Moratinos
L'abcès syrien, Alain Gresh
Quand le Liban se libéra, Hana Jaber et Mounzer Jaber
Guerre non déclarée contre l'Irak, Denis Halliday
Le monde arabe orphelin de la démocratie, Gilbert Achcar
Ces Frères musulmans saisis par la modernité, Wendy Kristianasen
Chronologie
Petit atlas israélo-palestinien, Philippe Rekacewicz
Les textes-clés du conflit
Sites Internet, Olivier Pironet
Vous pouvez vous procurer "Manière de voir" en kiosque (45 F), ou en vous adressant à : "Le Monde diplomatique" Boutique - 21 bis, rue Claude Bernard - 75242 Paris cedex 05 <boutique@lemonde.fr> Prix (port compris) : 51 F (France) 56 F (Autres pays).
 
Revue de presse
 
1. Al-Qod's (quotidien palestinien) du lundi 20 novembre 2000
Le plus court chemin pour sortir de la crise [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Le premier ministre israélien, Ehud Barak, et son chef d'état major, le général Shaül Mofaz ont considéré, hier, que le blocus hermétique imposé par Israël aux territoires palestiniens, ainsi que les "pressions" militaires et politiques, avaient commencé à faire leur effet, en voulant pour preuve la diminution de l'intensité des manifestations populaires et les instructions des autorités palestiniennes interdisant tout tir d'arme à feu à partir des régions "A" ou de régions peuplées, ou à partir de tout rassemblement de foule.
Si la direction israélienne a toujours, dans le passé, considéré les choses sous cet angle, et si elle n'a cessé de répéter qu'elle était avant tout soucieuse de faire baisser la tension, la question qu'elle devrait se poser est la suivante : quelles mesures Israël a-t-il prises, en contrepartie ? Le premier ministre israélien a-t-il donné à ses troupes l'ordre de cesser le feu contre les civils désarmés ? A-t-il fait un geste montrant son intention d'alléger le blocus qui frappe les villes, les villages et les camps de réfugiés palestiniens ?
Jusqu'à hier, au soir, la partie palestinienne n'a pu remarquer aucun changement dans la position israélienne ; les martyrs ont continué à tomber, ainsi que les blessés. Pis : Israël a encore resserré le blocus en interdisant le passage des produits alimentaires et des carburants vers les territoires palestiniens et il a déployé des blindés supplémentaires dans la bande de Gaza, tandis que l'armée israélienne détruisait de vastes superficies de terres agricoles, des hangars, des puits d'irrigation dans plusieurs régions, et ce ne sont là que quelques exemples.
Il est évident que l'équation posée aujourd'hui, et que le monde entier peut voir, c'est : un peuple palestinien désarmé, dont la plupart des terres restent soumises à occupation, et ce peuple, qu'il vive dans les territoires autonomes ou ailleurs, est soumis à un embargo militaire et économique total par la plus puissante armée du Moyen-Orient. Il découle de cette situation que la clé permettant de mettre un terme au cycle infernal de la violence et à l'escalade se trouve entre les mains d'Israël qui semble toujours vouloir résoudre les problèmes au moyen du blocus militaire et économique, alors même que cette mesure a fait la démonstration de son inanité au cours des décennies passées, comme il a échoué dans différentes régions du monde, théâtres de conflits similaires ou approchants.
Ce qu'il convient de dire, à ce point, c'est que le problème fondamental, que la direction israélienne ne veut pas voir, c'est la cause palestinienne et les exigences que sa solution soit conforme à la légalité internationale, et restitue leurs droits aux Palestiniens. Aucune tentative d'imposer une alternative à cette solution ne saurait réussir : ni la force armée, ni le blocus économique, ni d'affamer les populations civiles, car de telles options ne sauraient amener à l'instauration de la paix mais, bien au contraire, entraîneraient un surcroît de haine et la prolongation indéfinie du conflit.
Ces bases étant rappelées, si la direction israélienne est authentiquement soucieuse de sortir de la crise actuelle, elle doit prendre l'initiative de cesser le feu, lever le blocus des territoires palestiniens et reconnaître que le peuple palestinien refuse l'occupation et que son insurrection n'a pas surgi du néant, mais que sa principale cause est l'entêtement israélien à refuser de reconnaître ses droits légitimes.
Ainsi, le plus court chemin pour mettre un terme à la violence, panser les plaies et mettre un terme au conflit, c'est la reconnaissance par Israël, clairement proclamée, du droit pour le peuple palestinien d'établir son état indépendant sur la totalité des territoires occupés en 1967. Il y même plus urgent pour Israël : admettre que toute tentative de résoudre le conflit par les moyens militaires et les pressions économiques ne connaîtra pas d'autre sort que celui des tentatives précédentes déployées par les différents gouvernements israéliens successifs en la matière.
 
2. Al-Ayyam (quotidien palestinien) du lundi 20 novembre 2000
Abed Rabbo : une reprise du processus de paix comme avant l'Intifada est impossible [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Gaza - Un responsable palestinien éminent a indiqué hier que les Palestiniens refuseraient de reprendre les mêmes négociations de paix que celles auxquelles ils ont participé avec Israël, avant l'éclatement des violences, le 28 septembre dernier.
Yasser Abed Rabbo, ministre de la culture et de l'information, membre du comité exécutif de l'OLP, a déclaré à la radio palestinienne que la raison pour laquelle les Palestiniens refuseraient de reprendre les négociations telles qu'elles se déroulaient avant l'intifada est que ces négociations sont devenues sans objet, qu'elles ne sont plus qu'une façon de tourner en rond en vain.
Abed Rabbo a dit : "la partialité américaine pour Israël est également l'une des causes pour lesquelles nous ne voulons pas reprendre les négociations sur leur mode antérieur".
Abed Rabbo prône une reprise des négociations avec Israël, mais conditionnée par des assurances internationales comparables à celles qui garantissaient la conférence de Madrid, en 1991, et le dernier sommet de Charm-al-Shaykh.
Il a ajouté : "Ces garanties doivent être suivies de l'envoi de forces internationales d'interposition dans les territoires palestiniens afin d'assurer une application scrupuleuse et fiable des décisions 242 et 383 du Conseil de Sécurité".
Rappelons que les Palestiniens et les Israéliens avaient participé à un sommet à Camp David en juin dernier, dans une tentative de parvenir à un accord définitif mettant fin à leur conflit historique, mais qu'ils avaient échoué, comme l'on sait, dans cette tentative.
 
3. Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 19 novembre 2000
Fatah : les policiers palestiniens tués par les Forces israéliennes de défense tentaient d'empêcher des attaques armées
par Amira Hass [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Deux officiers de la Sécurité palestinienne, tués vendredi matin à Jéricho par des artilleurs israéliens étaient en train de tenter d'empêcher de jeunes Palestiniens de tirer contre les soldats de l'armée israélienne, a déclaré une source du Fatah à notre journal.
Cette source palestinienne nous a expliqué que les deux policiers abattus, le lieutenant Hassid Farwan (45 ans) et le lieutenant colonel Haled Slameh (35 ans) ne faisaient, en tentant de s'opposer aux tirs des jeunes manifestant, qu'appliquer des ordres explicites reçus de leurs supérieurs.
Rejetant l'accusation selon laquelle les deux officiers supérieurs s'apprêtaient à tirer contre une position de l'armée israélienne, notre source du Fatah insiste sur le fait que les deux policiers palestiniens agissaient conformément à l'ordre très strict d'empêcher les Palestiniens de s'en prendre aux soldats israéliens. Leurs efforts visant à empêcher les jeunes de tirer contre les soldats des Forces israéliennes de Défense n'ont pas été divulgués au public palestinien, indique cette même source, "afin de préserver l'honneur des deux policiers tués".
Récemment, des membres du Fatah et d'autre mouvements avaient critiqué les tirs de Palestiniens contre l'armée israélienne, avançant la raison que les tirs "ne sont pas efficaces et détournent l'attention du caractère populaire" de l'insurrection. Néanmoins, explique notre source, la révélation d'efforts actifs destinés à mettre un terme à des tirs anti-israéliens suscite un écho extrêmement négatif dans le public palestinien, qui est "ulcéré par le meurtre quotidien d'adolescents et d'enfants palestiniens sans armes".
La direction du Fatah a conclu de cette affaire qu'Israël veut faire monter l'escalade dans son affrontement avec les Palestiniens, ajoute notre source. "Il est plus facile à l'armée israélienne de faire usage des moyens répressifs dont elle dispose, contre les Palestiniens", indique-t-elle, "lorsqu'elle peut prétendre qu'elle agit à titre de représailles".
Comme exemple de la distorsion de la réalité des violences par Israël, notre source nous cite l'assassinat jeudi soir de Yusef Saliman Awad (25 ans), un membre du Fatah de Beit Omar, dans la région d'Hébron. Suivant la version des faits donnée par l'armée israélienne, Awad aurait tenté d'arracher son arme à un soldat israélien. Le Fatah rejette cette allégation.
Des sources palestiniennes avancent qu'Awad et un autre homme ont été arrêtés à un point de contrôle israélien à l'entrée de Beit Omar, qu'on leur a ordonné de descendre de leur voiture et de s'éloigner à pied. Ces sources disent qu'Awad aurait refusé d'abandonner son véhicule, en raison de ses craintes que des unités de mustaravim ("arabisants") (forces infiltrées dans les Territoires) pourraient l'utiliser pour lancer des opérations contre des militants du Fatah. Awad a été tué à bout portant par un soldat israélien, avancent les sources citées.
 
4. Le Soir (quotidien belge) du lundi 20 novembre 2000
L'Europe indispose les Arabes
par Baudoin Loos
Entre l'Europe des Quinze et le Sud méditerranéen, tout se passe comme si d'énormes espoirs avaient été suscités puis peu à peu déçus. La conférence de Marseille, qui s'est tenue mercredi et jeudi derniers, en atteste. Il s'agissait de la quatrième Conférence ministérielle euroméditerranéenne, destinée à faire le point sur le « procesus de Barcelone ». Celui-ci, lancé en 1995 par l'Europe avec douze pays méditerranéens (1), avait l'ambition de préparer une vaste zone de libre-échange à l'horizon 2010 à travers des accords d'association et aussi des aides européennes. Cinq ans plus tard, la morosité l'emporte et les événements de Palestine ont terriblement alourdi l'atmosphère, deux pays, la Syrie et donc le Liban, refusant même de se déplacer à un sommet où siégerait Israël.
Désillusion ? Tel est le sentiment général des pays arabes, majoritaires dans la partie méridionale de ce partenariat euroméditerranéen. Eux, à qui un effort très important est demandé pour s'adapter aux exigences d'une libéralisation des échanges économiques, constatent que 26 % seulement des aides annoncées - 3,4 milliards d'euros, déjà considérés par d'aucuns comme une aumône - ont été versés, en raison de la complexité des procédures financières européennes. Bien que de nouvelles promesses aient conclu le conclave de Marseille (5,35 milliards d'euros et un flot de bonnes intentions), rien n'ôtera des esprits sud-méditerranéens que l'Europe pense et agit en fonction des défis de l'Est européen, à savoir le processus d'élargissement de l'Union et les blessures balkaniques. Aux dépens du Sud.
« NEUTRALITÉ PERNICIEUSE »
Mais, à Marseille, les Arabes n'ont pu s'empêcher d'axer leurs reproches vis-à-vis de l'Europe sur un autre point : sa position dans les événements qui déchirent les territoires palestiniens. En effet, aucune autre priorité ne pouvait s'imposer à leurs yeux en raison du traumatisme vécu par les opinions publiques arabes qui assistent impuissantes à ce qu'elles considèrent comme un carnage perpétré par Israël au sein de la population palestinienne.
Et, dans ce dossier, ces Arabes ont trouvé dans la cité phocéenne des Européens qui reconnaissaient modestement le leadership américain dans le processus de paix israélo-palestinien, si tant est que l'expression a encore un sens. Certes, le communiqué final de la conférence fait-il allusion au soutien européen à l'établissement d'un Etat palestinien à brève échéance et de préférence par la négociation, mais cela n'a pas empêché le Palestinien Nabil Chaath de qualifier de pernicieuse la neutralité européenne, qui la fait refuser de condamner Israël. L'Europe espère un rôle qui soit acceptable par Israël, a dit le ministre palestinien, mais ce pays ne veut justement aucun rôle pour l'Europe dans ce dossier... Et de se demander pourquoi l'Europe s'attache à un jugement balancé entre des lanceurs de pierres et une armée d'occupation qui tire à balles réelles. Les Européens doivent montrer qu'ils soutiennent la légalité internationale qui est bafouée par le blocus des territoires palestiniens imposé par Israël, a-t-il encore ajouté.
La France, souvent accusée par l'Etat juif de favoriser les intérêts arabes, n'a pas voulu confirmer cette impression à Marseille. L'Europe veut peser sur les événements et pas seulement énoncer des principes, a expliqué Hubert Védrine, chef de la diplomatie française. En fait, les divisions des Quinze sont un secret de polichinelle. En témoigne l'extrême prudence des conclusions formelles de la présidence française, comme cette phrase sur le blocus israélien : De nombreux ministres ont souligné l'importance qui s'attache à rétablir au plus vite la liberté de circulation des biens et des personnes dans les territoires palestiniens et à lever les restrictions actuelles.
(1) Le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, l'Egypte, Israël, Chypre, Malte, la Syrie, le Liban, la Turquie, la Jordanie et l'entité palestinienne.
 
5. Libération du samedi 18 et dimanche 19 novembre 2000
Barak intensifie la guerre économique par Alexandra Schwartzbrod
Israël bloque les transferts de droits de douanes et de la TVA.
Jérusalem, de notre correspondante
Plus que jamais, les actes et les mots divergent en Israël et dans les territoires palestiniens. Si les affrontements continuent sur le terrain, souvent très violents, les dirigeants essaient de se montrer favorables à une reprise des négociations. Comme si leur court et récent voyage respectif aux Etats-Unis, loin de la haine qui secoue la région, les avait ramenés - du moins momentanément - à davantage de raison. Vendredi, Yasser Arafat a confirmé solennellement avoir ordonné l'arrêt des tirs à partir des secteurs sous son contrôle. «Nous faisons tout ce que nous pouvons pour empêcher tout Palestinien de tirer», a-t-il déclaré à Gaza dans une interview à deux télévisions, dont l'AFP a récupéré une copie. Une déclaration aussitôt qualifiée de «manipulation» par l'armée israélienne. «Arafat manipule la situation», a déclaré vendredi le général Giora Eiland, chef des opérations de l'armée israélienne. «C'est ce qu'il dit publiquement, mais vous n'avez pas connaissance de tous les autres messages qu'il envoie à Barghouti et à certains autres de ses hommes», a poursuivi l'officier général en faisant référence au chef du Fatah (le mouvement de Yasser Arafat) pour la Cisjordanie, bête noire des Israéliens.
Manipulation ou impuissance, les injonctions d'Arafat n'ont en tout cas pas permis d'éviter les heurts. Quatre nouveaux Palestiniens ont été tués vendredi dans des affrontements avec l'armée israélienne, portant à 241 le nombre total des tués (palestiniens dans leur immense majorité) depuis le début de l'Intifada, le 28 septembre.
Le chef du gouvernement israélien, lui, se débat toujours entre la droite, qui réclame un usage beaucoup plus important de la force militaire contre les Palestiniens, et les pressions internationales, qui l'enjoignent de changer de tactique. Pour calmer les uns et les autres, Ehud Barak a décidé de recourir à l'arme... économique. Après avoir instauré un bouclage des territoires, qui a réduit au chômage quelque 120 000 Palestiniens, puis un blocus en début de semaine, il a intensifié la pression en bloquant le transfert aux territoires des droits de douane et de la TVA prélevés sur les produits destinés à la Cisjordanie et à la bande de Gaza, et qui transitent par le territoire israélien. Selon le quotidien israélien Ha'aretz de vendredi, plus rien ne rentrerait dans les territoires, à l'exception des biens considérés comme «humanitaires» (nourriture, médicaments), et les Palestiniens commenceraient à manquer de carburant.
Il semblerait, en revanche, que le Premier ministre israélien ne soit plus loin d'accepter une «petite» présence d'observateurs internationaux non armés sous l'égide de l'ONU - une proposition française -, dans un geste de bonne volonté visant à «tendre la perche à Yasser Arafat pour permettre à ce dernier de revenir à la table des négociations la tête haute», analysait vendredi le quotidien Maariv. C'est que Barak continue peut-être à lire les sondages. Toujours selon Maariv, si les Israéliens plébiscitent encore l'ex-Premier ministre de droite Benjamin Netanyahou (47 %, contre 29 % à Barak), ils sont 56 % à prôner un accord de paix définitif avec les Palestiniens.
 
6. L'Humanité du vendredi 17 novembre 2000
L'offensive israélienne s'intensifie par Pierre Barbancey
Les Palestiniens ont porté en terre le corps d 'un médecin allemand, Harry Fischer, tué par un missile israélien. L 'état- major militaire multiplie les pressions sur les dirigeants politiques.
Reportage. DE NOTRE ENVOYE SPECIAL A JERUSALEM .
Les raids sur les localités palestiniennes se multiplient. Dans la nuit de mercredi à jeudi, des hélicoptères de combats ont attaqué trois bases du Fatah à Tulkarem et Salfit ( nord de la Cisjorda-nie) et à Hébron ( sud) , ainsi qu 'un dépôt de munitions à Jéricho ( est) .Cinq Palestiniens ont été blessés,l 'un d 'eux a dû être amputé d 'une jambe. Jeudi matin, un garçon de douze ans est décédé des suites de ses blessures de la veille à Khan Younes. La petite bourgade de Beit Jala, à la périphérie de Bethléem, est particulièrement visée. Depuis plusieurs jours maintenant, la colonie d 'implantation juive de Gilo est devenue une base militaire pour répliquer aux tirs palestiniens qui partent de Beit Jala sans jamais faire de blessés.Cela n 'a pas empêché Tsahal d 'utiliser des missiles mercredi soir. Deux maisons ont té détruites et le siège local de la 'Force 17 ', la garde personnelle de Yasser Arafat, a été touché. Cinq Palestiniens ont été blessés. Mais surtout un médecin allemand de cinquante- huit ans,Harry Fischer, marié à une Palestinienne et père de deux enfants, a été abattu par un missile. Son corps est resté deux heures au milieu de la route à Beit Jala, l 'armée israélienne ayant empêché une ambulance d 'arriver sur les lieux. Des centaines de Palestiniens ont participé à son enterrement. La tête du médecin était coiffée d 'un kefieh palestinien traditionnel et la partie inférieure du corps couverte des drapeaux palestinien et allemand. 'Ton sang n 'a pas été versé en vain, l 'armée israélienne le paiera ', criaient des femmes entourant l 'épouse du défunt. Sur une banderole, on pouvait lire : 'Dr H. Fischer : un pionnier au service de l 'homme en Palestine jusqu 'à ce que les missiles israéliens le déchiquettent dans l 'exercice de sa mission sacrée '. Tout porte à croire que l 'offensive israélienne n 'en est qu 'à ses débuts.Pour la première fois, l 'armée n 'a pas prévenu de ses attaques. C 'est un miracle si le nombre de morts n 'est pas plus important. L 'état- major militaire multiplie les pressions sur les dirigeants politiques. Non sans cynisme, le premier ministre israélien, Ehud Barak, a expliqué : 'Si nous pensions qu 'avec 2000 morts palestiniens au lieu de 200 actuellement nous réglerions quoi que ce soit, nous agirions dans ce sens, mais il n 'y a pas de solution miracle, car un règlement ne pourra être trouvé qu 'autour de la table des négociations. ' Pourquoi, dans ces conditions, autoriser l 'armée à tuer comme elle le fait chaque jour? Sans doute parce qu 'Ehud Barak pense que si les négociations doivent reprendre, il faut que les Palestiniens soient à genoux. vient d'ailleurs d 'avouer l 'utilisa tion d 'une autre arme, économique celle- là. Il a an-noncé, hier, qu 'Israël avait gelé, 'ces derniers jours ' et jusqu 'à nouvel ordre, les transferts des fonds dus à l 'Autorité palestinienne en vertu des accords d 'autonomie. Ceux- là prévoient en effet que les droits de douane et la TVA prélevée sur les produits destinés à la Cisjordanie et à la bande de Gaza qui transitent en territoire israélien doivent être restitués. Yasser Arafat a réagi à cette mesure en affirmant que cela faisait 'partie de la guerre contre nous de la part de Barak, qui est aussi une guerre de roquettes,d 'avions et de tanks '. Il a ajouté que cette mesure,entrée en vigueur 'il y a plu-sieurs mois ', mettait les territoires palestiniens 'dans une situation économique critique '. Cette nouvelle dégradation de la situation survient alors que l 'émis saire américain Denis Ross est actuellement au Proche- Orient. Il a rencontré Ehud Barak à Jérusalem,puis Yasser Arafat à Gaza. L 'idée d 'un sommet tripartite avant le départ de Bill Clinton de la Maison- Blanche est toujours dans l 'air. Mais dans l 'état actuel des choses on voit mal ce que Palestiniens et Israéliens peuvent se dire, et surtout, décider.

7. L'Humanité du vendredi 17 novembre 2000
Amira Hass : "Les Palestiniens sont vraiment patients" entretien réalisé par Pierre Barbancey
Journaliste juive israélienne, Amira Hass " couvre " la société palestinienne pour le quotidien Ha'aretz. Depuis sept ans, elle vit dans les territoires palestiniens, à Gaza puis à Ramallah. C'est dans cette ville que nous l'avons rencontrée.
De notre envoyé spécial à Ramallah.
- Comment avez-vous vécu l'évolution de la situation dans les territoires palestiniens ?
- Amira Hass. Très souvent les Palestiniens me demandent ce que je pense d'eux. Je leur réponds que je les trouve vraiment patients. Ils sont toujours surpris parce que ce n'est pas l'image que l'on a d'eux. J'ai suivi leur vie pendant sept ans. · leur place, j'aurais explosé depuis des années. Lorsque je vois aujourd'hui toutes ces manifestations, je continue à penser qu'ils sont patients. L'explosion de colère est vraiment spontanée. On est même surpris de la façon dont ils vont se faire tuer. Mais en réalité, au cours des sept dernières années, la guerre était différente, mais c'était une guerre tout de même. Une guerre d'usure, qui les fatiguait. Pendant sept ans, les gens savaient que cela ne pouvait continuer ainsi. Ils n'ont pas arrêté de donner une chance à la paix, puis une autre, puis une autre, puis encore une autre. Mais ce que je note également, c'est l'absence de l'Autorité palestinienne. Ses représentants ne viennent même pas ès qualités aux funérailles. C'est dramatique mais pas vraiment étonnant. Vous pouvez voir depuis des années leur éloignement de la société.
Le changement touche aussi le Fatah. Pendant sept ans, ses dirigeants ont joué le jeu, même s'ils souffraient eux-mêmes ou leurs proches du manque de liberté de mouvement, de la présence des colonies. Et soudain, les gens ont dit " non ". Toutes ces années ont été marquées par la peur de l'avenir, à cause de ces déceptions, parce que le processus de paix ne les a pas vraiment touchés. La colère contre l'armée israélienne et les colons a toujours existé même si elle n'était pas exprimée collectivement comme maintenant.
- En lisant la presse israélienne on a tendance à penser que vous êtes assez isolée parmi vos confrères ?
- Amira Hass. Lorsque je me rends aux funérailles d'un Palestinien de quatorze ans, je sais que je vais écrire pour un public israélien. Je dois penser à la manière de les atteindre. Etant israélienne, je ne peux pas écrire comme une Palestinienne. Je dois faire en sorte que mes lecteurs réalisent que c'est horrible, parce qu'ils ne s'en rendent pas compte. J'aimerais que le simple fait d'écrire l'âge du mort les choque. Mais ça ne les choque pas. C'est peut-être aussi parce que je suis de gauche, que je suis issue d'une famille communiste, de parents survivants de l'Holocauste, que je pense nécessaire de vivre dans la société que je "couvre".
- N'est-ce pas trop dur de s'affronter au consensus de la société israélienne ?
- Amira Hass. Je ne pense pas que le consensus soit si fort qu'on le pense généralement. Mais ce n'est pas mon problème. Aussi longtemps que Ha'aretz publiera mes articles, ce sera tant mieux. Maintenant, avec cette Intifada, les gens parlent des colonies. Je ne pense pas que ce que j'écris changera le monde, mais j'espère que cela touchera des gens du camp israélien pour la paix. La question des colonies a pérennisé une attitude israélienne de base : ne pas tenir compte du principe d'égalité. Si vous vivez dans une colonie qui a des terres, de l'espace, de l'eau, tout ce que n'ont pas les gens qui vivent dans les villages alentours ou dans les camps de réfugiés, et que vous gardez cette situation intacte, alors vous pérennisez le concept d'inégalité. C'est la raison de l'Intifada.
- Trouvez-vous des raisons d'être optimiste ?
- Amira Hass. Je ne vois pas arriver les changements dans la société israélienne qui pourraient répondre aux demandes politiques palestiniennes (coexistence de deux Etats dans les frontières de 1967). C'est pourtant le seul chemin. Malheureusement, prévaut toujours l'idée qu'il faut contenir les Palestiniens par des moyens militaires ou en imposant des encerclements. L'Intifada sera longue et très dure pour les Palestiniens. En Israël, le problème n'occupera plus la première page des journaux. En Israël, il existe un courant militaire, économique et idéologique israélien très important qui veut stopper toute dynamique pouvant amener à la création d'un Etat palestinien, régler la question des réfugiés de 1948 ou celle des colonies. Pour ce courant, une voie pacifique signifierait l'obsolescence de la supériorité militaire, de l'hégémonie économique et de l'oppression. La paix est contraire à leurs intérêts. Même si la majorité des Israéliens veut la paix, le chemin sera long. Ils doivent comprendre que s'ils veulent vivre ici en tant que communauté juive, qu'individus juifs, ils doivent le faire d'une autre manière, et non pas dans un Etat exclusivement ethnique.
 
8. Dépêche de l'Agence France Presse du jeudi 16 novembre 2000, 15h32
Premier Sommet de la femme arabe, sous le signe de la solidarité à l'Intifada

LE CAIRE - Le Premier sommet de la femme arabe, qui s'ouvre samedi au Caire en présence de neuf premières dames arabes dont Soha Arafat, la femme du président palestinien Yasser Arafat, sera placé sous le signe de la solidarité à l'Intifada, la révolte palestinienne, selon les organisateurs.
Outre Soha Arafat et l'épouse du président égyptien Suzanne Moubarak, hôtesse de ce sommet inédit, les femmes des présidents libanais Andrée Lahoud, soudanais Fatima Al-Béchir, tunisien Leila Ben Ali, ainsi que la reine Rania de Jordanie et la princesse Lala Mariam, soeur du roi du Maroc Mohammed VI, prendront part à cette réunion qui durera trois jours.
L'épouse de l'émir de Bahrein cheikha Sabika al-Khalifa, ainsi que la femme du président djiboutien Khadra Heid participeront également au sommet organisé par la Ligue arabe en coopération avec le Conseil national de la femme (Egypte) et l'Institut Hariri (Liban).
La Ligue arabe avait été informée de la participation au sommet de la femme du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, Safiya, mais la Libye a décidé finalement de se faire représenter par une délégation dirigée par Mme Salma Chaabane Abdel Gabbar, ministre adjoint des Affaires sociales, selon la Ligue arabe.
Dix-huit des 22 membres de la Ligue arabe seront présents au sommet, mais neuf pays seront représentés par des personnalités moins importantes: la Libye, les Emirats arabes unis, l'Irak, le Koweit, la Tunisie, la Syrie, le Yémen, l'Algérie et la Mauritanie. Et quatre pays ne participeront pas au sommet: l'Arabie Saoudite, le Qatar, le Sultanat d'Oman et les Iles Comores.
Convoqué initialement pour débattre de la condition de la femme dans le monde arabe, "le sommet sera cependant placé sous le signe de l'Intifada d'al-Aqsa qui s'est imposée comme l'évènement le plus important dans le monde arabe", selon les organisateurs.
Un gala de soutien à la lutte des femmes palestiniennes se tiendra samedi soir en marge des travaux auxquels prendront part au total environ 400 personnalités du monde arabe. Une ligne téléphonique spéciale sera établie pour recevoir des donations destinées "à soutenir la lutte des femmes palestiniennes contre la violence israélienne", selon la même source.
Participantes et participants discuteront toutefois de plusieurs questions, dont notamment "les répercussions de l'héritage culturel sur le rôle de la femme arabe", les moyens de promouvoir "la participation de la femme au processus de prise de décision politique" et "les moyens de promouvoir l'action des organisations non-gouvernementales" spécialisées dans le soutien aux femmes.
L'année 2000 avait été proclamée "Année de la femme arabe" lors de la première conférence des femmes parlementaires arabes en novembre 1999.
Le statut de la femme dans le monde arabe varie d'un pays à l'autre. En matière de droits civiques, la femme égyptienne a été la première à acquérir le droit de vote, en 1956, alors que la femme saoudienne n'a toujours pas droit à une carte d'identité.
En ce qui concerne le statut personnel, la femme tunisienne est celle qui bénéficie de la législation la plus libérale dans le monde arabe, prévoyant notamment l'interdiction de la polygamie.