Il a bientôt 6 ans, il va à l’école tous les jours et il y travaille bien, ses parents gagnent leur vie largement, il habite un bel appartement et a plein de copains. Et pourtant, depuis quelques semaines il est coléreux, hurle, claque les portes et pleure. Il dessine des soldats israéliens souriants qui portent des blessés palestiniens vers une ambulance ou bien ce sont des palestiniens qui pleurent en portant leurs blessés. Il y a un gros nuage noir tout en haut de la feuille, malgré un soleil présent tous les jours. Ses parents s’inquiètent et "si ça continue on l’emmènera voir un psy". Il a bientôt 6 ans, il est français, il habite Al Qod's (Jérusalem-Est) depuis 1 an, il n’a jamais vu d’affrontement "pour de vrai" (sauf une fois à la télé), il vit dans un milieu protégé et privilégié … Et moi, sa maman, je pense à tous ces enfants palestiniens détruits.
 
Gaëlle Dessus - Bénévole pour "Enfants Réfugiés du Monde" (Al Qod's, le 14 novembre 2000)
 
Point d'information Palestine > N°116 du 18/11/2000

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Au sommaire
 
Réseau Palestine
  1. L'Europe, la France et le Proche-Orient par Georges Labica
  2. Retranscription d'une interview d'Elie Barnavie, réalisée le jeudi 16 novembre 2000, sur la radio belge "La Première"
  3. Israël, un soldat emprisonné pour Objection de conscience
  4. La comptine de Hadil par Hanane Ashrawi - Jérusalem, le 11 novembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Revue de presse
  1. Les rapports accablants des ONG : Israël s'affranchit des droits de l'homme par Jean-Michel Staebler in Med Intelligence du samedi 18 novembre 2000 [http://medintelligence.free.fr]
  2. Leila Shahid déterminée à faire gagner l'égalité par Laurent Léonard in La Provence du vendredi 17 novembre 2000
  3. Où chercher l'espoir quand la violence l'emporte ? par Baudoin Loos in Le Soir du vendredi 17 novembre 2000
  4. "Il y aura des attentats-suicides" par Jean-Pierre Perrin in Libération du vendredi 17 novembre 2000
  5. La guerre des oliviers par Alexandra Schwatzbrod in Libération du vendredi 17 novembre 2000
  6. A Marseille, la conférence Euroméditerranée permet une rencontre entre délégués arabes et israéliens par Laurent Zecchini in Le Monde du vendredi 17 novembre 2000
  7. Shimon Peres : Pourtant, la solution est là, devant nous... par Victor Cyglielman Henri Guirchoun in Le Nouvel Observateur du jeudi 16 novembre 2000
  8. Barak et Arafat entre violence et apaisement par Alexandra Schwartzbrod in Libération du jeudi 16 novembre 2000
  9. "Les Israéliens tuent nos enfants tous les jours" par Didier François in Libération du jeudi 16 novembre 2000
  10. Euromed - La crise au Procge-Orient accapare la conférence de Marseille par Roger Barakeh in L'Orient-Le Jour (quotidien libanais) du jeudi 16 novembre 2000
 
Réseau Palestine

 
1. L'Europe, la France et le Proche-Orient par Georges Labica *
Que l'on accorde ou non la possibilité d'une politique européenne, il est un fait qu'il en existe bel et bien une. C'est ainsi qu'on attendait beaucoup, qu'on était en droit d'attendre beaucoup de la présidence française de l'U. E., en particulier sur la question du Proche-Orient. A la veille de cet événement, Yasser Arafat avait fait plusieurs voyages à Paris. Et la seconde Intifada, le sang à nouveau répandu en Palestine, allait donner une importance encore accrue à une telle opportunité.
A la mi-octobre, une déclaration des chefs d'Etat et de gouvernements de l'U.E. a bien été adoptée. Elle appelle les dirigeants et les peuples des deux parties à cesser la violence. Elle souligne la nécessité de préserver le processus de paix "sur la base des accords de Camp David". Elle s'en remet aux "efforts du secrétaire général des Nations Unies" et renouvelle sa confiance au haut-représentant de la PESC, Javier Solana, afin qu'il poursuive sa mission dans la région. De son côté, ladite ONU adoptait une résolution condamnant Israël pour son "usage excessif de la force", dénonçant les colonies comme "illégales et un obstacle à la paix" et exigeant que "la puissance occupante" respecte la IVème Convention de Genève sur la protection des civils en temps de guerre. La France, qui n'avait pourtant pas ménagé ses efforts pour atténuer le texte, déplorait que les Quinze ne soient pas parvenus à "s'exprimer d'une seule voix". En effet, sous les pressions "à très haut niveau" exercées par Washington et "la campagne acharnée" menée par l'ambassadeur Richard Holbrooke pour contrer le texte présenté par les Palestiniens, la Grande-Bretagne, en fidèle domestique, avait changé d'avis, cependant que l'abstention allemande entraînait, nous dit-on, celle de l'Italie, des Pays-Bas, du Danemark et de la Suède .
Le constat ne souffre d'aucune ambigüité.
1/ Il s'agit moins du décalage entre la position de l'E.U. et celle de l'O.N.U.,-encore prendra-t-on garde d'oublier que cette dernière ne s'est guère souciée, en 50 ans, de faire appliquer la moindre de ses résolutions sur le Proche-Orient, que de l'E.U. elle-même, qui est en pleine régression. Qu'il suffise de rappeler la déclaration de Berlin du 25 mars 1999, à l'issue d'un sommet des Quinze, réaffirmant : " le droit permanent et sans restriction des Palestiniens à l'autodétermination incluant l'option d'un Etat (...)La création d'un Etat palestinien démocratique , viable et pacifique...serait la meilleure garantie de la sécurité d'Israël". A l'époque, déclare M. A. Moratinos, envoyé spécial de l'U. E. pour le processus de paix au P.-O., "sur un sujet aussi sensible et déterminant pour l'avenir de cette région que la création d'un Etat palestinien, les Quinze ont parlé d'une seule voix"  .
Qu'a fait la France, durant sa présidence, pour l'avènement d'un tel Etat? Elle s'est alignée sur les positions les plus réservées de ses partenaires, ce qui revenait à dissuader l'Autorité palestinienne de proclamer son Etat, comme elle s'y était engagée, le 13 septembre. Le ministre français, H. Védrine, bon praticien, par ailleurs, de la langue de bois Quai d'Orsay, n'a pas manqué de gloser sur le qualificatif de "viable", dès avant la prise de responsabilité française : un Etat, oui, mais "viable", ce qui, par hypothèse, était exclu. Comme si la viabilité de l'Etat palestinien ne dépendait pas précisément de sa reconnaissance, celle-là emportant autonomie, frontières reconnues, entrée dans le concert des nations, sécurité, possibilité de contracter, autrement dit toutes les prérogatives attachées de droit à la reconnaissance. Comme si une décision européenne pouvait demeurer unilatérale et sans exemplarité internationale.
L'effort consenti par l'U.E.notamment pour les élections palestiniennes de janvier 1996, se réduit aujourd'hui à un bouche-trou de 27 millions d'euros destiné à compenser le non règlement par Israël de son aide mensuelle à l'Autorité (décision du 9. 11 courant). Et le porte-parole du Quai d'Orsay, interrogé le 7. 11, continue à dénoncer "la spirale de la violence" et à s'indigner de l'accusation de pratiquer deux poids deux mesures. A moins que demain, l'Euromed de Marseille, ou, après-demain, le sommet de Nice, où s'achèvera la présidence française, ne réserve la divine surprise d'une condamnation de l'occupant israélien, assortie de l'obligation du retrait des territoires annexés en 67, du démantèlement des colonies, du retour des réfugiés, de la libération des prisonniers politiques et de la reconnaissance d'un Etat avec Al -Qods comme capitale.
2/ La division de l'Europe, partant, sur ce point de politique étrangère, se manifeste ouvertement. Celle de la France, au plus haut niveau de ses responsables, n'a rien à lui envier. Le 4 novembre au soir, le premier ministre, apparemment sans état d'âme, s'est rendu, avec quelques caciques de la "Gauche plurielle", au dîner offert par le CRIF, pour se faire chapitrer par le président de cette association. L. Jospin a ainsi encaissé un diagnostic qui prétendait entériner un clivage entre l'Elysée, jugé pro-palestinien, et Matignon, savoir lui-même, considéré comme pro-israélien (les "terroristes" du Hezbollah n'auraient pas été un lapsus?). Il n'a pas bronché davantage, sinon en répétant la thèse du balancement, quand il a entendu : "Sortant d'une position balancée, la France s'est mise à nouveau hors jeu". "La France hors jeu" : qui démentira M. Hadjenberg? Assurément pas...la réalité, qui fournit, de façon tout aussi éclatante la raison des divisions, externe et interne, collective et nationale. On ne la cherchera pas ailleurs que dans ce qu'il faut bien appeler la servilité à l'égard de la super-puissance etatsunienne, une servilité qu'a encore accusée, en la consacrant, l'expédition de l'OTAN contre la Yougoslavie.
Quand on s'est opposé aussi résolument que possible, en l'absence de tout moyen, aux "frappes" punitives, qu'elles concernent l'Irak, où elles n'ont pas cessé, ou la Serbie, on ne saurait certes souhaiter qu'elles s'étendent à Tel-Aviv. On ne peut cependant que s'étonner de comment dire ?, ...du "deux poids, deux mesures".Car en quoi l'indignation serait-elle moindre pour les Palestiniens, poussés à l'exil, par centaines de milliers, parfois depuis 1948, que celle que viennent de susciter les Kosovars? Pourquoi les implantations forcées de colons sur les terres palestiniennes ne seraient-elles pas assimilables à une forme de purification ethnique? Qu'est-ce qui fait qu'Ariel Sharon ne soit pas passible d'un tribunal international? Les plus élémentaires droits de l'homme ne sont-ils pas violés quand on oppose des hélicoptères d'assaut et des chars à des enfants tireurs de pierres? Au nom de quelle éthique le peuple palestinien se verrait-il privé du droit d'être protégé contre les exactions de son occupant? A quel titre, sinon celui de la démission européenne, serait-ce le déjà ex-Président des E. U. qui constituerait, avec l'aide de la C.I.A., la commission d'enquête, exigée par le drame du P.-O.?
Ajoutons qu'il est d'autres sanctions que celle des B52. L'U.E. elle-même a eu recours, dans le passé, à des restrictions de ses livraisons agricoles, au moment où les E.U. en personne exerçaient un chantage aux dollars sur leur protégé israélien. Ne pourrait-on, par exemple, suspendre la Convention passée entre l'U.E. et Israël, dont un article pose la condition du respect des droits de l'homme, afin, par exemple, de faire respecter la IVème Convention de Genève ? Serait-il exorbitant de recourir, par exemple, à des mesures diplomatiques, que ne craint pas de prendre, par exemple, le Maroc,-il est vrai sous la pression de manifestations de masse?
L'Europe refuse de tenir le rôle qui lui revient, celui de juge-arbitre, comme on dit au football, au lieu et place d'un parrain (acception sicilienne)qui s'est d'autant plus disqualifié que, sans lui, Israël ne pourrait pas se compoter comme un Etat hors droit. La France, de son côté, n'en finit plus de brader le crédit qui lui restait dans le monde arabe. Dans les deux cas, l'Intifada II sert de révélateur :la construction libérale européenne ne prendra pas plus en considération les droits des peuples opprimés que ceux de ses propres travailleurs.
* Georges Labica est philosophe. [dernier ouvrage publié : "Dictionnaire critique du marxisme" de Georges Labica aux Presses Universitaires de France (1999) 1240 pages - ISBN 2130498728]
 
2. Retranscription d'une interview d'Elie Barnavie, réalisée le jeudi 16 novembre 2000, sur la radio belge "La Première"
L'invité de Matin Première aujourd'hui est Elie Barnavi, tout nouvel ambassadeur d'Israël en France et qui vient de vivre plusieurs
mois en Belgique. Il publie un livre sur le 20ième siècle des juifs, un dictionnaire qui se veut critique publié aux éditions Calmann-Lévy. Rencontre entre Elie Barnavi et Jean-Pierre Jacqmin dans un instant mais d'abord son choix musical : La Moldau, de Smetana.
Jean-Pierre Jacqmin - Elie Barnavi, bonjour. D'abord le choix musical, la Moldau de Smetana, c'est une oeuvre que vous reprenez
souvent. Pourquoi ?
- C'est, chaque fois que j'en ai l'occasion, d'abord parce que c'est une musique merveilleuse et aussi dans ce contexte parce que c'est le thème musical qui est repris dans l'hymne national israélien.
- Si on fait référence au livre qui est composé d'un certain nombre de chapitres qui fonde (nt?) le XXe siècle du point de vue des Juifs et d'un certain nombre de personnages, quels sont les hommes ou les femmes qui pourraient amener une solution dans le conflit entre les Palestiniens et les Israéliens pour le moment?
- Il faudrait se reporter d'abord aux grands ancêtres intellectuels du sionisme. Je pense à des gens comme Herzl lui-même, le fondateur du sionisme politique, qui ne figure pas dans cet ouvrage parce que c'est un homme du XIXe siècle. Mais des hommes qui se sont inscrits dans son sillage, comme Martin Buber par exemple. Vous voyez le philosophe et théologien juif qui enseigna à l'Université hébraïque (de Jérusalem) et autour de ces hommes s'est créé un mouvement qui s'appelait l'Alliance pour la Paix. Ils avaient comme idée que le sionisme ne pouvait vraiment se réaliser que non seulement dans la paix avec les voisins arabes, mais dans une espèce de symbiose de proche complicité avec eux. Ils avaient fondé une Alliance pour la Paix qui n'a eu malheureusement qu'un temps. Mais vous posez la question politique qui n'est pas dans l'ordre de la philosophie et de la morale. Mais dans l'ordre de la morale politique, dans l'ordre de l'action politique, l'homme vers qui tout revient, c'est Ben Gurion, le fondateur de l'État, un activiste d'ailleurs, un homme dur. Et cela pourrait paraître paradoxal, mais ce ne l'est qu'en apparence: Ben Gurion possédait cette vertu, cette double vertu indispensable aux grands hommes d'État, qui est à la fois la vision et le pragmatisme. Et Ben Gurion, j'ai l'intime conviction, évidemment improuvable, que Ben Gurion aurait compris, aurait su comment
faire les choses autrement.
- Est-ce que la classe dirigeante israélienne a vraiment bien conscience du problème actuel? Ou les difficultés politiques qui se posent sont là, très très présentes, y compris en interne, et empêchent justement d'avoir ce pragmatisme, d'avoir les coudées franches?
- La classe politique est comme toutes les classes politiques en démocratie. Elle est en partie, les hommes et les femmes peuvent être ou paraître inconscients et mis ensemble, ils ont des réflexes de classe, de parti, d'intérêts partisans qui sont ce qu'ils sont et qui empêchent ... Comment dirais-je? Qui rend la clairvoyance de l'individu moins opératoire que ce qu'elle devrait être. C'est-à-dire la classe politique israélienne ne s'arrête pas de se déchirer, de se disputer parce que c'est comme ça que les choses se passent...
- C'est vrai aussi qu'un gouvernement pour le moment, transitoire...
- ... Bancal enfin, qui est minoritaire, soutenu de façon tout à fait provisoire par un parti de l'opposition, dont les jours, dit-on, sont
comptés. Et donc la classe politique israélienne n'est certainement pas à la hauteur des événements. Mais je dirais, et ce n'est pas seulement à cause de leurs fonctions, croyez bien, je dirais que jamais la classe politique en démocratie ne semble à la hauteur des événements tragiques. Jamais. C'est dans la nature de la démocratie.
- C'est après coup qu'on se rend compte qu'ils étaient à la hauteur des événements? Ou la démocratie n'est pas le bon système pour gérer ce genre de problème?
- Non, je ne dis pas ça. La démocratie est le seul système pour gérer ce genre d'événement. Le drame de la démocratie, inhérent à sa nature,c 'est qu'elle est vraiment très lente à se mobiliser. Parce que c'est le gouvernement de la parole et de la délibération par
définition. Et qu'elle met beaucoup de temps à se mettre en place. D'où le sentiment d'inefficacité qui vous saisit. Dans la dictature,
évidemment, c'est quand même plus facile: on décide, on fait. En apparence. Il est vrai aussi qu'une fois qu'elle est mobilisée, elle est
invincible et toute l'Histoire, l'Histoire contemporaine l'a prouvé abondamment. La seule guerre que la démocratie soit incapable de remporter, c'est la guerre coloniale. Et là, il y a évidemment une leçon à tirer, cela est évident. Les guerres coloniales sont
ingagnables pour la bonne raison que ...
- Si vous l'appliquez à ce qui se passe en Israël pour le moment, vous diriez que les Territoires que certains disent occupés, 'les
territoires' sont perdus pour Israël?
- Oui, bien sûr, mais ça, on le sait depuis longtemps. Ce n'est pas une surprise. La surprise de la vague de violence actuelle ne tient pas au fait qu'Israël n'a pas encore compris qu'il lui fallait rendre les territoires. Ca,c 'est quelque chose qui est déjà réglé. D'où mon étonnement devant ce qui se passe et ma difficulté à comprendre vraiment,e t je ne suis pas le seul. Je crois qu'on est un peu sorti de la politique, là, au Proche Orient. On a fait de la politique, on a fait pendant longtemps une guerre idéologique. Bon. On en est sorti avec les accords d'Oslo, on est entré en politique. On est en train de sortir de la politique maintenant pour aller de nouveau vers une espèce de recul de 20 ans! Il y a une vague de violence qui ne s'explique pas rationnellement puisque on était déjà en train de régler le problème politiquement. Et ça, les Israéliens le savent, dans leur immense majorité, ils sont prêts à payer le prix de la paix et on l'a bien montré à Camp David et dans la foulée de Camp David. Bon, je comprends que les Palestiniens n'aient pas été heureux avec tout ce qu'on leur proposait, ça se discutait encore. J'aurais pu même comprendre à la rigueur, une brusque flambée de violence de façon à dire: Bon, ça en se passera pas comme ça! Mais encore faut-il savoir s'arrêter. Vous connaissez le mot de Thorez: il fut savoir finir une grève. Et bien, il faut savoir finir une guerre aussi, et j'ai l'impression qu'ils ont perdu le contrôle de cette affaire-là. Et les Israéliens...
- Quand vous dites 'ils', c'est clairement les Palestiniens?
- Oui, l'Autorité palestinienne.
- Pour vous, ce sont eux essentiellement les fauteurs de troubles?
- Oui, les fauteurs de troubles, ce sont... C'est-à-dire ceux qui ont pris l'initiative de cette chose-là, c'est évident que ça n'était pas une initiative israélienne, qu'ils n'y avaient aucun intérêt.
- Même la présence de M.Sharon, par exemple?
- Mais on s'en serait bien passé, comme l'a dit Shimon Perez, mais même si on considère que c'est l'allumette qui a allumé le baril, on pouvait comprendre encore une fois une brusque flambée de protestation, y compris violente, mais on ne comprend pas: la visite de Monsieur Sharon sur l'Esplanade des Mosquées, comme ils disent, que nous appelons le Mont du Temple, n'explique sûrement pas 45 jours d'émeutes sanglantes. Ça, non, on n'est plus dans cette logique-là. Et donc là, je m'interroge, comme beaucoup d'observateurs: quel est exactement l'objet de cette chose-là? Est-ce que vraiment Yasser Arafat contrôle ses troupes? OU ils ne les contrôle pas? Ce sont des questions politiques graves et malheureusement, je n'ai pas de réponse claire à cela. Personnellement je me demande même si lui-même a une réponse évidente à ça et je crois que ces troubles sont là pour rester un certain temps.
- Certains redoutaient que ces troubles dérapent encore davantage. Je veux dire: malheureusement, on est de nouveau entré dans une espèce de banalisation de la violence, on compte un peu les 2 - 3 - 4 - 8 morts tous les jours...
- Ce n'est pas dit que les dérapages.... Je crois que la volonté de tout le monde est que ça ne dérape pas. La volonté du cercle des États qui nous entourent, ils l'ont bien montré au Caire, les pays arabes, les régimes modérés à l'exception de Kadhafi et tout ça. Personne n'a intérêt à ce que ça se mue en une guerre totale. Les Israéliens bien entendu non, mais les Palestiniens non plus. Bon. Alors dire cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de dérapage, parce que souvent les événements, déjà en 67, personne ne voulait la guerre, vous savez,c 'était... C'est comme ça que les choses échappent aux apprentis sorciers et c'est ça qui est extraordinairement inquiétant. Alors il y a la banalisation de la violence et puis il y a le fait qu'on en sait pas comment ça va s'arrêter mais maintenant, je n'exclus plus une conflagration grave. Ce n'est pas encore impossible. Tous les ingrédients sont là, c'est-à-dire une espèce de routine de la violence, un vide de pouvoir à Washington, un pouvoir pas très assuré à Jérusalem et un pouvoir pas très assuré à Gaza non plus puisque... puisque Arafat a pis le train en marche et qu'il n'a pas cru pouvoir s'opposer à la vague de violence. Il y a des choses, il faudrait des longs développements, nous n'avons pas le temps d'expliquer ce qui se passe à l'intérieur de l'Autorité palestinienne, les conflits entre ce qu'ils appellent les Tunisiens et les locaux, les Tunisiens qui sont venus de Tunis et qui sont très différents dans leur style de vie, dans leur philosophie de l'action, tout est différent et il y a des inimitiés et des haines terribles.
- Quelle ressemblance aussi entre les deux peuples! Les gens de l'extérieur, les gens de l'intérieur, ceux qui sont nés en Palestine, sont qui sont nés ailleurs, les séfarades....?
- C'est l'une des leçons tragique de notre conflit avec les Palestiniens, c'est que ce sont des peuples qui sont finalement les plus
proches. Vous savez qu'il y a une boutade qui dit que les Israéliens sont les Arabes des Juifs et les Palestiniens, les Juifs des Arabes.
- Il y a un peu plus d'un an, on s'était rencontré quand Monsieur Barak avait gagné les élections, et là, on en arrivait à la conclusion que le processus de paix,c 'était quelque chose qui était entré dans les moeurs, dans les mentalités, c 'était parti. Et que le débat en Israël, ça allait être entre les ultra orthodoxes et la société laïque. Un an plus tard, les prévisions qu'on faisait à ce moment-là, s'avèrent réduites à néant?
- Non, franchement, je ne le crois pas. Vraiment, je ne le crois pas. Je pourrais vous dire,e t ce ne serait pas faux, que c'est en fin de processus que la violence est la plus dure et que... Songez à ce qui s'est passé pendant la guerre d'Algérie, ou la fin de la guerre d'Algérie. Mais si vous voulez, les péripéties sont ce qu'elles sont et 'aurais mauvaise grâce à en pas reconnaître que j'avais pas prévu cela, j'avais prévu des moments très difficiles, tout le monde avait fait à ce moment-là, des retours de bâton. Mais pas ça, pas sous cette forme, on ne prévoit jamais cette forme. Une façon qu'il était facile de prévoir la première intifada: c'était normal qu'à un moment quelconque, quelque chose se passe. Les modalités, c'est impossible à prévoir. Mais ce dont je suis certain,c 'est que la direction est là et que Camp David, malgré ce qu'on dit, a été un échec seulement relatif. Et que il n'y a pas d'alternative. Donc qu'on ... (?) Ça, tout le monde vous le dira, même les gens les plus désespérés, dans les deux camps, vous diront: il faudra bien y arriver. La seule alternative étant le cataclysme dont personne ne veut, on y arrivera. C'est vrai que le chemin est semé d'embûches, mais ce n'est pas une surprise. La surprise,c 'est la façon dont les embûches se présentent à nous. Mais pour le reste, nous savions qu'il y aurait encore des moments difficiles. Combien de temps ça va durer encore? Combien de victimes il faudra encore pour arriver à l'inévitable? Ce sont les seules questions? Mais que l'inévitable finisse par arriver ça, je n'en doute pas.
- Elie Barnavi, je vous remercie. Je vous souhaite un bon séjour à Paris.
 
3. Israël, un soldat emprisonné pour Objection de conscience
YESH GVUL (Il y a une limite) - mouvement de soldat des forces de défense israéliennes [FDI = Tsahal]  qui refusent de servir l'occupation, nous informe que Noam Kuzar, un jeune conscrit de 19 ans, a été condamne le 25 octobre a 28 jours de prison militaire, pour avoir refuse de participer aux actuelles opérations militaires de répression des protestations palestiniennes. La veille, son unité a été informée d'un changement dans le déroulement de l'entraînement. Elle devait aller renforcer les troupes de Tsahal, qui sont engagées dans le contrôle de la révolte Palestinienne. Kuzar a annonce a ses officiers qu'il ne pourrait pas participer a de telles actions en toute conscience. Il a donc simplement refuse de monter dans le bus. Depuis ces derniers jours, YESH GVUL reçoit des douzaine d'appels téléphoniques, de soldats comme de réservistes, mais aussi de leur familles. Les activistes de cette
association pensent que si la confrontation continue, le nombre de soldats qui refuseront d'y prendre part augmentera dramatiquement. Pour plus de detail : Ron Kuzar <kuzar@research.haifa.ac.il>
 
4. La comptine de Hadil par Hanane Ashrawi - Jérusalem, le 11 novembre 2000 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Il y a des mots durs à prononcer / Hé-il-cop-tère est le plus dur à dire. / A-pa-che ou Co-bra, n'en parlons pas. / Mais comment ça peut rester immobile en l'air ? / Ca, je ne le comprends pas. / Qu'est-ce qui le tient suspendu ? / Qu'est-ce qui en supporte le poids ? / (C'est pas les nuages, ça je sais) / Ca envoie une sorte d'éclair - si doux. / Puis ça fait un bruit assourdissant. / La maison tremble. / (Il y a des trous dans le mur, juste à côté de mon lit) / Flash - Boom ! - éclair - bruit / J'ai bien du mal à dormir / (j'ai eu honte, quand j'ai mouillé mon matelas, mais personne ne m'a grondé) / Avion... ah, voilà un mot plus facile... / Ca vole : TAYYARA, / Ma maman m'a dit / Qu'un mot doit avoir un sens / Qu'un nom, aussi, doit avoir un sens, / Comme le mien, / HADIL : roucoulement de la colombe. / Les tanks, eux, font un bruit différent : / Ils tremblent tout quand ils tirent. / DABBABEH est un nom pataud, / Aussi lourd que ce qu'il veut dire. / HADIL, la colombe, roucoule ; / DABBABEH, le tank, rampe ; / Ma maman, elle pleure
Et elle pleure et elle pleure / Mon frère, Rami, est étendu, / MORT. / Il gît, il gît, les yeux / fermés, / atteint d'une balle dans la tête. / (La balle est la femelle du plomb - RASASA : elle tue, / Mon crayon est le plomb mâle - RASAS : il écrit). /
Quelle différence, entre une bombe et une balle ? / (Qu'est-ce qu'un obus de 50, / ou un obus de 80 ?) / Les nombres sont encore plus rebutants que les mots... / Je compte jusqu'à dix, puis dix et un, puis dix et deux... / Mais, que se passe-t-il après dix et dix ? / Comment pourrais-je le savoir ? / Rami, mon frère, était un / Parmi des centaines de tués. / On dit qu'il y a des milliers de blessés. / Mais qu'est-ce qui fait plus ? / Cent ? Ou mille ? (MIYYEH ou ALF ?) / Je ne sais pas..., c'est / Si grand, si étendu, si énorme / Si beaucoup, tellement trop. / Palestine - FALASTIN - j'en ai l'habitude. / Ce n'est pas aussi difficile à prononcer / Ca veut dire : "Nous sommes ici - pour y rester" / Même si c'est un endroit difficile / Pour les enfants, et pour les mères, aussi. / Car des soldats tirent / Des avions bombardent / Des tanks tonnent / Des gaz nous font pleurer / (mais je ne pense pas que ma maman pleure à cause d'eux) ; / Je devrais aller la voir et l'entourer de mes bras, / M'asseoir un moment sur ses genoux, / Lui caresser le visage (avec mes doigts mouillés), / La regarder dans les yeux / Jusqu'à ce que je m'y voie moi-même / Comme une petite fille dans le regard de sa mère. / Si les mots ont un sens, Maman, / Que veut dire IS-RA-ËL ? / Que veut dire un mot / S'il est mélangé à d'autres, / Si tous les soldats, tous les tanks, / Tous les avions et tous les fusils sont / IS-RA-I-LI ? / Que font-ils ici, / Dans un endroit que je connais / Dans un mot que je connais : Palestine, / Dans une vie que je ne connais plus ?
 
Revue de presse
 
1. Med Intelligence du samedi 18 novembre 2000 [http://medintelligence.free.fr]
Les rapports accablants des ONG : Israël s'affranchit des droits de l'homme
par Jean-Michel Staebler
L'analyse des derniers rapports des ONG, Amnesty international, Human Rights Watch et l'israélienne B'Tselem donne le froid dans le dos. Quelle que soit la violence des Palestiniens ou des Arabes israéliens, rien ne justifie les pratiques des forces de sécurité de l'Etat hébreu qui font trop penser aux horreurs que les juifs ont eux-mêmes subis en d'autres temps. Si Human Watch Right se penche essentiellement sur le comportement des soldats israéliens lors des manifestations palestiniennes, Amnesty décrit, preuves à l'appui, les brutalités policières dont ont été ou sont victimes les Palestiniens comme les citoyens israéliens d'origine arabe. B'Tselem dénonce plus particulièrement les couvre-feux aux durées excessives à Hébron et dans d'autres agglomérations arabes, et rappelle un certain nombre de règles du droit humanitaire international dont les Israéliens se sont affranchis. Toutes ces ONG rappellent que la répression utilise, non des moyens policiers, mais des méthodes de guerre, pour accréditer la thèse que l'intifada al-Aqsa serait en fait une guerre déclenchée contre le peuple israélien. Les témoignages qu'elles ont recueillis montrent qu'il n'en est rien et que c'est délibérément que les autorités de l'Etat hébreu ont poussé à l'escalade.
Pour B'Tselem, rappeler les règles élémentaires des droits humains, c'est déjà condamner Israël, bien que l'ONG observe que dans quelques rares cas, ceux-ci n'ont été respectés ni par l'une des parties, ni par l'autre. Première grande règle, la protection des civils et la distinction entre personnes armées et personnes non armée. A cet égard, l'organisation précise que l'utilisation des armes n'est permise que si la vie ou l'intégrité physique des agents qui assurent le maintien de l'ordre sont menacées. En tout état de cause, la riposte doit être proportionnelle au danger. Il n'est donc pas question de tirer des missiles anti-chars dans une foule qui manifeste, ni d'utiliser des balles caoutchoutées qui peuvent être mortelles. Pas davantage, des personnes blessées ou le personnel médical venu les secourir ne peuvent être attaqués. Il en est de même des journalistes qui ne doivent subir aucune violence et dont le matériel ne peut être détruit ou confisqué. La liberté de mouvement et plus particulièrement la libre circulation des produits alimentaires et des médicaments doit être garantie. En conséquence, les couvre-feux ne peuvent être imposés qu'en dernnière extrémité et pour des durées limitées. Dans son rapport du 26 octobre, B'Tselem note que les couvre-feux appliqués à Hébron et Hawara se sont indûment prolongés. Enfin, si l'ONG demande à l'Autorité palestinienne d'empêcher tout tir palestinien en direction des colonies, elle estime que les forces de sécurité doivent tout faire pour empêcher les colons d'agresser des Palestiniens.
A la lumière de ces règles, Human Right Watch a enquêté sur les incidents d'Um al-Fahm, d'al-Bireh-Ramallah, de Netzarim, ainsi que sur les agressions dont ont été victimes le personnel médical. A Um al-Fahm, ville située en territoire israélien, des citoyens israéliens d'origine arabe ont manifesté le 1er octobre dans la matinée au carrefour de la route principale et de celle conduisant à Afula-Hadera. Il ne semble pas, d'après les enquêteurs, que des pierres aient été jetées contre les forces de sécurité, jusqu'à ce que celles-ci fassent usage de gaz lacrymogènes et de balles caoutchoutées. Dans l'après-midi, des soldats des forces spéciales israéliennes ont pris position sur un toit et ont abattu plusieurs citoyens arabes israéliens. Ceux-ci ne constituaient aucunement une quelconque menace pour les tireurs embusqués et bien protégés. Le jeune Mohammad Jabarin a été tué par une balle réelle dans le dos. Le lendemain 2 octobre, les forces spéciales se sont postées au niveau du carrefour et ont tiré à nouveau des balles caoutchoutées et réelles. Le jeune Abou Jarrad a été atteint d'une balle en plein coeur et d'une autre au coté droit. A aucun moment, notent les enquêteurs de Human Rights Watch, les forces de sécurité n'ont été menacées dans leur vie ou leur intégrité physique. Au total, ce sont trois jeunes, respectivement âgés de 16, 18 et 24 ans qui ont été tués et 130 manifestants blessés.
A al-Bireh-Ramallah, l'armée israélienne s'est positionnée sur la route circulaire et accessoirement à l'hôtel City Inn. Du 30 septembre au 10 octobre, elle a réprimé des manifestations non armées, non avec des gaz lacrymogènes, mais avec des balles chemisées en plastique et des balles réelles. Dans l'après-midi du 1er octobre, un Palestinien a tiré d'un immeuble en construction sur les jeeps de l'armée israélienne, garées sur la route circulaire. Aussitôt l'armée a répliqué en tirant sur un poste de premier secours qui se situait en contrebas. Ce poste médical était clairement identifié par les signes internationaux.
A Netzarim, de nombreux témoins occulaires ont rapporté aux enquêteurs de HRW que les Israéliens avaient fait un usage immodéré et indiscriminé d'armes lourdes. Dans leur rapport, les enquêteurs précisent que les soldats de Tsahal sont positionnés dans un bunker et qu'ils bénéficient du soutien de snipers embusqués dans l'enceinte de la colonie. Dans cette situation idéale, l'armée israélienne a les premiers jours contrôlé le carrefour avec des tirs à balle caoutchoutées, à enveloppe plastique ou réelles. Elle est ensuite passée uniquement aux tirs réels. Lorsque des observateurs de HRW se sont rendus sur place le 8 octobre, Ils ont découvert des lanceurs de pierres qui ne dispoaient ni de cocktails molotov, ni d'armes automatiques, mais étaient agressés par des tirs venus de la zone tenue par les Israéliens. c'est dans ce type de circonstance d'ailleurs que le petit Mohammad al-Dirah a été tué et qu'ambulances comme taxis subissent des tirs venus de la colonie ou du bunker. Ainsi, le 30 septembre, l'ambulance qui tentait de recueillir le petit Mohammad al-Durah a-t-elle subi des tirs provenant du blockhaus. Le 2 octobre, une autre ambulance dans laquelle se trouvait l'infirmier d'urgence Mu'in Abu'Aish a été tirée à la mitrailleuse lourde à partir du bunker. A noter aussi le mitraillage le 1er octobre d'une zone adjacente de l'hôpital de Netzarim par un hélicoptère armé. Les interventions en cours à l'hôpital ont dû être interrompues.
Dans son rapport du 10 novembre 2000, Amnesty International se penche plus particulièrement sur les brutalités policières dont les Arabes ont été victimes, et qui mettent en relief la culture d'impunité dont les forces de l'odre israéliennes bénéficient. Après avoir noté que "plus de 400 personnes, dont 30 enfants, se trouvent encore en détention depuis le 30 octobre", les enquêteurs d'Amnesty estiment que les deux tiers des détenus sont des Arabes israéliens. Les tribunaux n'accordent que très peu de libertés conditionnelles avant le procès des prévenus et nombre d'entre eux ont été privés de l'assistance d'un avocat pendant plusieurs jours. "L'isolation des détenus semble être la tactique utilisée par les autorités et plus particulièrement par les agents des services secrets". En outre, les textes sur la délinquance juvénile ne sont pas appliqués lorsqu'un enfant ou un adolescent est arrêté. Les enquêteurs d'Amnesty ont pu relever que dans de nombreux dossiers, l'inexistance de preuves était flagrante et que les brutalités envers les prévenus étaient chose courante.
A Kufar Kana dans le Nord de la Galilée, une douzaine d'officiers de police sont venus arrêter Bakr Saïd, 15 ans, à 2 heures du matin le 24 octobre. L'adolescent a été immédiatement interrogé par trois agents en civil qui, selon un autre détenu, l'ont frappé et menacé. Le jeune prévenu a ensuite été présenté au juge qui l'a fait mettre en liberté conditionnelle. A Madj al-Kroum, un chauffeur d'autobus a cru reconnaître le jeune Khatib Ali, âgé de 18 ans comme un lanceur de pierres contre son véhicule. Il l'a conduit au poste de police où il a été frappé à coups de pieds et de poings. Menotté dans sa cellule au barreau d'une fenêtre, Khatib Ali, citoyen israélien, n'a reçu aucun soin. Le juge à qui il a été présenté a recommendé qu'il soit examiné par un médecin de la police. A Shufat le 1er octobre, ce sont Iyad Qaymeri, 17 ans, et Usama Zayneh, 19 ans qui ont été arrêtés, alors qu'ils se trouvaient dans un groupe qui lançait des pierres. Les soldats qui les ont interpellés, sans qu'il n'y ait de preuves contre eux, les ont ligotés et battus avant de les livrer à la police. Menottés, ils ont été interrogés chacun pendant une heure. Chaque question était appuyée d'une gifle. Un détenu du centre de détention de Moscobiyyeh, Ahmad al-Shawish, a été placé en isolation pendant sept heures pour avoir osé demander une aspirine... Quant à Yoav Bar, après avoir été traîné par les jambes sur cinquante mètres puis tabassé dans le car de police, il s'est retrouvé avec trois os de sa main gauche cassés. La police a refusé de lui donner des soins.
Sans doute, cette énumération est-elle fastidieuse, mais elle montre que la politique de M. Barak n'a fait que libérer une xénophobie latente chez le peuple juif. Maxime Rodinson écrivait : " Le fait d'être victime de pratiques ignobles n'a jamais prémuni personne contre un engagement dans des actions tout à fait analogues". Aujourd'hui, les Israéliens ont franchi la ligne jaune. Et il est maintenant difficile d'espérer que les deux peuples de cette terre se réconcilient avant longtemps.
 
2. La Provence du vendredi 17 novembre 2000
Leila Shahid déterminée à faire gagner l'égalité
par Laurent Léonard
La déléguée générale de Palestine en France prône le respect de l'autre tout autour de la Méditerranée, du Proche-Orient… dans la cité phocéenne. Sa disponibilité et sa gentillesse ont de quoi surprendre, au vu de ses responsabilités, des multiples sollicitations médiatico-politiques dont elle fait constamment l'objet et du risque qu'elle encourt en multipliant ses sorties et ses rendez-vous. Leila Shahid est assurément l'un des meilleurs porte-parole de la cause palestinienne dans le monde. Rencontrée hier matin à l'hôtel Sofitel du Vieux-Port, où elle a résidé à l'occasion du sommet euroméditerranéen qui s'est tenu les 15 et 16 novembre à Marseille, la déléguée générale de Palestine en France a accepté, avant de s'envoler pour Paris, de nous livrer son appréciation sur la situation au Proche-Orient, et sa vision de Marseille, une ville qu'elle connaît bien, qu'elle apprécie, mais où, pour elle, la coexistence des différentes communautés n'est pas aussi exemplaire que certains le disent. Déclamé sans hésitation, dans un français parfait, son discours est tout à la fois modéré et passionné. Elle-même se dit "très ambitieuse pour la Méditerranée", notamment pour la Palestine: "Nous sommes le dernier Etat à réclamer notre droit à exister libre et souverain". Elle prône la paix -"nous avons opté depuis longtemps pour le dialogue"- tout en justifiant l'intifada: "C'est le minimum d'une résistance civile. Après 33 années d'occupation par Israël, les Palestiniens se montrent très patients".
Dynamique et souriante, Leila Shahid n'est pas près de baisser les bras.
La Palestine veut un jumelage avec la cité phocéenne
Concernant le rapprochement entre les Marseillais et les Palestiniens, Leila Shahid déplore l'absence de partenariat officiel: "La Ville de Marseille n'est jumelée avec aucune ville palestinienne, au contraire de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur qui s'est rapprochée de Khan-Younes, situé dans la bande de Gaza. Toutes nos tentatives pour faire jumeler la cité phocéenne avec une ville de la Palestine n'ont jamais été couronnées de succès, et je le regrette profondément". Pour l'heure, Marseille est jumelée avec 11 villes -dont Haïfa- et a passé des accords de coopération avec 20 autres.
Un sommet important sur le difficile chemin de la paix
Leila Shahid se déclare "satisfaite" du sommet euroméditerranéen de Marseille. Pour la déléguée générale de Palestine en France, "la plupart des Etats arabes ont participé à Euromed malgré la tragédie qui se déroule dans les territoires palestiniens occupés. C'est rassurant". Le processus enclenché en 1995 à Barcelone pour tenter de créer une communauté euroméditerranéenne "tient le coup face à la guerre. Je crois au devenir d'une telle communauté, ou plutôt d'un tel partenariat, dans un monde à redéfinir depuis la fin de la bipolarisation. Tout autour de la Méditerranée, nous sommes d'une même civilisation, qui a connu la paix jusqu'au colonialisme". Ce partenariat est lié à un retour à la paix, selon Leila Shahid. "La question israélo-arabe est centrale. Car la Palestine est une terre sainte pour les juifs, les chrétiens et les musulmans, qui touche chaque citoyen du monde. Si Israël et la Palestine arrivent à faire la paix, ce sera comme une pierre jetée au milieu de la mer qui provoquera des cercles concentriques jusqu'au rivage des autres pays méditerranéens. Voilà pourquoi un sommet tel celui de Marseille, où nous étions tous autour de la table, est important".
 
3. Le Soir (quotidien belge) du vendredi 17 novembre 2000
Où chercher l'espoir quand la violence l'emporte ?
par Baudoin Loos
Que se passe-t-il au Proche-Orient ? Tous les repères auxquels chacun s'était habitué depuis sept ans de processus de paix sont balayés par l'intifada palestinienne et la répression israélienne. Que veulent Arafat et Barak ? Les Palestiniens et les Israéliens ? Il n'y a pas de solution militaire, dit-on. Mais la violence règne en maître.
ANALYSE
Quand un ministre palestinien comme Ziyad Abou Zayyad en vient à déclarer à la radio israélienne mercredi que l'intifada continuera jusqu'au terme de l'occupation israélienne des territoires palestiniens, le message, parce que charrié par la modération faite homme, prend son sens. Celui d'une direction palestinienne amenée à improviser la gestion d'une révolte non programmée, qui conforte certes ses revendications, mais qui l'éloigne en même temps de la table des négociations où les parties conservent malgré tout un improbable rendez-vous final.
Yasser Arafat a retrouvé sa popularité en résistant aux pressions israélo-américaines de Camp David, en juillet, quand on lui offrit bien moins que la légalité internationale qu'il était venu quérir, soit la souveraineté sur 22 % de la Palestine conquis par Israël à la Jordanie et à l'Egypte en juin 1967. Cette popularité, il ne veut pas l'hypothéquer en appelant à la cessation des hostilités sans la certitude qu'il pourra dire aux familles des victimes que leur être cher n'est pas mort pour rien.
Mais, même s'il le voulait, pourrait-il éteindre le brasier ? Rien n'est moins sûr, et quand les observateurs évoquent la « libanisation » des territoires, cette évolution peut aller jusqu'à la perte totale de contrôle des événements par le leadership palestinien et l'émergence de chefs de milices locaux.
LA « RETENUE » DE BARAK
Le Premier ministre israélien, lui, s'efforce de conjurer le pire. Face à une opinion publique de plus en plus excédée, il continue à prêcher la retenue. Notamment pour ne pas flétrir encore l'image d'Israël dans le monde et, surtout, ne pas provoquer parmi les Palestiniens des massacres qui pousseraient la communauté internationale à intervenir. Ce sera un long et complexe combat pour le futur de ce pays, a-t-il dit hier aux Israéliens. Si nous avions pensé que deux mille morts au lieu de deux cents auraient résolu le problème, nous aurions usé de plus de force. Mais nous pensons que cela donnerait un résultat contraire.
Mais Ehoud Barak reste un militaire qui fait de la politique. Et sa « retenue » tient compte de son opinion publique échaudée. Elle consiste ainsi à faire tirer sur les protestataires - les victimes sont rarement les auteurs de coups de feu, mais plutôt des manifestants violents le plus souvent incapables de menacer la vie des soldats -, ou à faire assassiner, une heure avant qu'Arafat ne voie Clinton, un petit chef local du Fatah par une roquette d'hélicoptère alors qu'un enlèvement était possible.
La solution militaire appliquée - avec retenue, de son point de vue - qui comprend aussi le bouclage des enclaves palestiniennes « autonomes » et ses sévères conséquences économiques, n'induit qu'une détermination plus grande encore des Palestiniens. Pour ceux-ci, qui pleurent plus de deux cents morts, dont une cinquantaine d'enfants, et soignent huit mille blessés, dont mille resteront handicapés à vie, la « retenue » israélienne a quelque chose d'obscène.
LES COLONIES TUENT LA PAIX
Et la diplomatie ? Barak répète qu'il cherchera, dès l'extinction des feux, à reprendre le processus de paix. Et Arafat est allé dans ce sens, devant les caméras israéliennes, lors des funérailles de sa sœur Leah Rabin mercredi: Il existe toujours une petit lueur d'espoir au fond de ce sombre tunnel. Avec le plus grand respect, je dépose une fleur de Palestine sur votre tombe et renouvelle mon engagement à la paix des braves. Il n'y a pas d'autre option.
Bien des Israéliens ne manqueront pas d'y voir le double langage de celui qui parle de paix et fait la guerre. Mais cette « guerre », les Palestiniens de la base, ceux qui admirent le Hezbollah libanais qui a vaincu Israël par le sacrifice du sang, disent la mener pour chasser l'occupant, l'armée mais aussi les colons. Car voilà le point qui les avait convaincus que l'Etat juif ne menait pas un processus de paix honnête : depuis sept ans, Israël n'a cessé de couver les colonies juives dans les territoires occupés, dont la population a quasi doublé - quatre cent mille colons, actuellement, avec les implantations autour de la Jérusalem arabe - dans des colonies dilatées et servies par de nouvelles routes à leur usage exclusif.
Ces colonies, qui morcellent le paysage palestinien, avaient été souvent bâties dans le but d'anéantir tout espoir de paix. Il revient sans doute aux Israéliens, et certains ont commencé à le faire, de se demander enfin si « paix » et « colonies » ne sont pas deux termes inconciliables. Politiquement et humainement.
 
4. Libération du vendredi 17 novembre 2000
"Il y aura des attentats-suicides"
par Jean-Pierre Perrin
Khaled Meshaal, principal stratège du Hamas, annonce un durcissement de l'Intifada :
Doha (Qatar) envoyé spécial
Principal stratège politique du Hamas et président de son bureau politique - la plus haute instance de l'organisation - Khaled Meshaal est devenu célèbre le 25 septembre 1997 lorsque le Mossad (les services secrets israéliens) avaient tenté de l'empoisonner en pleine rue à Amman. L'affaire s'était soldée par un échec retentissant pour Israël, contraint non seulement de fournir l'antidote pour sauver le chef du Hamas mais aussi de libérer plusieurs responsables de ce parti, dont Cheikh Ahmed Yacine, son guide spirituel. Depuis, Meshaal, qui a pourtant la nationalité jordanienne, a été expulsé du pays sous la pression des Etats-Unis, voire de l'Autorité palestinienne, et un mandat d'arrêt a été lancé contre lui par la Cour de sûreté d'Amman. Adversaire résolu de Yasser Arafat, qui l'avait accusé de trahison, il incarne la ligne la plus dure du Hamas. Actuellement, il vit entre la Syrie, l'Iran, le Yémen et le Qatar où il a répondu aux questions de Libération.
- Au sommet de la Conférence islamique de Doha vous avez rencontré Yasser Arafat. C'était la première fois en cinq ans. Est-ce que cette réunion traduit un rapprochement entre le Hamas et l'Autorité palestinienne ?
- C'est la première fois depuis 1995, mais on s'est croisé en 1997, après que les services secrets israéliens aient tenté de m'assassiner. Cette rencontre avec Arafat ne représente en rien un changement de nos positions. Elle s'explique par l'Intifada qui a permis la réunification du peuple palestinien que les négociations (avec les israéliens, ndlr) avaient divisé. Cela dit, le Hamas continue à s'opposer aux accords d'Oslo parce qu'ils sont porteurs d'une injustice et ne s'intéressent pas aux intérêts du peuple palestinien, ni ne coïncident avec nos objectifs.
- Si Arafat reprend un jour prochain des négociations avec les Israéliens quelle sera votre attitude?
- Nous continuerons l'Intifada. L'ennemi ne partira que sous les pressions de la résistance. Vous savez très bien qu'il n'y a aucune autre solution à la crise actuelle que la résistance pour recouvrer nos droits. L'administration américaine est incapable de faire la moindre pression sur les Israéliens et les Européens n'ont pas le pouvoir de jouer un rôle dans la région.
- Est-ce que vous en voulez à Arafat d'avoir emprisonné tant de vos militants?
- C'est évident. L'emprisonnement de mes frères dans les geôles n'est pas imputable à des Palestiniens mais à des Palestiniens aux ordres des Américains. Ces prisonniers ont été arrêtés à cause de leurs positions politiques. C'est pourquoi nous demandons à Arafat la libération de tous les prisonniers. Ceux qui ont été libérés l'ont été grâce à l'Intifada. C'est donc le peuple qui a ouvert les portes des prisons...
- L'Intifada va-t-elle prendre d'autres formes?
- L'Intifada, avec sa dynamique, va se développer sous d'autres formes. Lors de la première Intifada, en 1987, nous sommes partis de la pierre et du couteau pour arriver aux cocktails Molotov, puis aux fusils et enfin aux opérations suicide. Cette nouvelle Intifada va se développer de façon naturelle, d'autant que le terrorisme israélien, l'assassinat par l'armée de femmes et d'enfants et le nombre de martyrs - 210 et 10 000 blessés - va provoquer une réaction des jeunes Palestiniens et les pousser à se défendre par tous les moyens.
- Y compris des bombes humaines?
- Oui, il y aura des attentats-suicides. Toute personne faible, si on l'enferme dans un coin, va employer tous les moyens pour se défendre. Le monde s'inquiète de voir des opérations suicide ou d'autres opérations menées par les Palestiniens pour se défendre mais il se tait sur ce qu'endure notre peuple. Les Etats-Unis condamnent ce qu'ils appellent le terrorisme palestinien mais pas le vrai terrorisme israélien, c'est pour cela que nous souhaitons que la position européenne ne ressemble pas à celle des Américains. Plusieurs peuples européens savent ce que fut l'occupation allemande, c'est pourquoi ils doivent prendre en considération la situation du peuple palestinien.
- Des chefs du Fatah répètent que le Hamas n'est plus présent dans l'actuelle Intifada...
- Le Fatah se présente comme le moteur de cette Intifada parce qu'il ne veut pas que le Hamas y joue un rôle. L'autorité palestinienne et le Fatah voient un concurrent dans le Hamas. Le Fatah a aujourd'hui le pouvoir, les armes, les moyens sécuritaires et ceux d'influencer les médias palestiniens. Agissant pour le compte de l'Autorité palestinienne, il essaye d'annihiler le rôle des autres organisations. Mais la réalité est différente. C'est le Hamas qui, le premier, a donné l'alerte au moment de la visite d'Ariel Sharon à l'Esplanade des mosquées. Les manifestations sont parties des universités avec, en tête, des militants islamistes. Et, jusqu'à aujourd'hui, 70% des manifestants sont proches du Hamas. Mais parce que le Fatah connaît l'importance du mouvement islamique dans les manifestations, il nous a demandé de diminuer le nombre de nos sympathisants, d'agiter moins de drapeaux et de lancer moins de slogans.
- Quelles différences voyez-vous entre l'Intifada de 1987 et celle d'aujourd'hui?
- Dans celle d'aujourd'hui, il y a moins de points de confrontation entre l'armée israélienne et notre peuple. Cela, à cause des accords d'Oslo qui ont conduit à un redéploiement de l'armée israélienne. La situation actuelle fait qu'elle contrôle des positions fortes et il n'est pas facile d'arriver jusqu'aux soldats ennemis. De plus, les colonies israéliennes sont situées sur des hauteurs et peuvent donc tirer sur les villages palestiniens. Nous avons aujourd'hui une situation qui ressemble à un front mais un front qui n'existe pas puisqu'il n'y a aucune égalité entre les forces en présence.
- Qu'est-ce qui pourrait inciter le Hamas à proposer un arrêt des violences?
- L'occupation israélienne est une violence en elle-même. Les Palestiniens ne font que de l'autodéfense qui est une réponse légale à cette occupation. La violence continuera en Palestine jusqu'à ce que l'occupation israélienne cesse. L'objectif de la résistance palestinienne est de libérer tout notre territoire. Sans cela, il n'y aura ni stabilité, ni paix dans la région. La paix est liée à la justice et tant qu'il y aura de l'injustice il n'y aura pas de paix.
- Cette Palestine inclut-elle Tel- Aviv ?
- Bien sûr. Les Palestiniens qui vivaient dans l'ancienne Palestine de 1948, s'ils ne reviennent pas chez eux, est-ce qu'ils connaîtront une paix juste? La continuation de l'occupation ne lui donne aucune légitimité. En France, pendant l'occupation nazie, le général de Gaulle a refusé de reconnaître le gouvernement de Vichy parce qu'il considérait qu'il ne représentait pas l'Etat français. La division du droit ne donne aucune paix.
- Le conflit israélo-palestinien ressemble de plus en plus à une guerre de religion et de moins en moins à une guerre nationaliste. Etes-vous partisan d'un tel changement?
-Il ne faut pas négliger la partie religieuse du conflit. La mosquée Al-Aqsa et Al-Qods (Jérusalem, en arabe, ndlr) ont une grande importance dans le cœur des musulmans, de même que les lieux saints chrétiens qui ont la même importance chez les musulmans. Et la nation arabe et islamique ne peut en aucun cas accepter comme légitime l'occupation de ces lieux saints et vous avez remarqué que même la gauche israélienne, des hommes comme Shimon Peres et Yossi Beihin, ont utilisé un langage très religieux pour parler de Al-Aqsa, un langage qui ne diffère pas de celui du Likoud ou du Shas. Je me demande pourquoi le monde s'inquiète de la façon dont les musulmans réagissent à propos de leurs lieux saints et ne s'inquiètent pas des déclarations des dirigeants israéliens.
 
5. Libération du vendredi 17 novembre 2000
La guerre des oliviers
par Alexandra Schwatzbrod
A Harès, l'armée arrache les arbres. Les enfants, à terrain découvert, seraient la cible des colons.
Harès envoyée spéciale
De la route, on ne voit que des cailloux, des cactus, des ordures, des fers à béton qui trouent le ciel. Et des oliviers. Des dizaines d'oliviers cul par-dessus tête, racines en l'air, fruits écrasés. Zaher fait doucement glisser sa main sur une branche. «L'agriculteur met 70 ans à faire pousser ses arbres... En une seconde, il ne les retrouve plus.» Il y a trois semaines, les soldats israéliens sont venus arracher les arbres qui entouraient le village palestinien de Harès, au milieu de la Cisjordanie. Zaher sourit: «Il paraît que c'est un arbre terroriste!» Les oliviers poussaient à la sortie du village, le long d'une route empruntée par les colons. «Ils disent que c'est pour protéger les mouvements des colons, pour avoir un angle de vue plus large», raconte un habitant. Une simple «précaution». Pour que les Palestiniens ne se cachent pas pour lancer des pierres sur les voitures des colons.
Provocations. Le problème, c'est que l'angle de vue ainsi dégagé a donné des idées. Vendredi, des colons auraient organisé une descente sur Harès. Ils se seraient postés là où leur route asphaltée croise le chemin principal du village. «J'étais là, je regardais, et tout à coup, je vois quatre ou cinq gosses qui tombent», raconte Zaher. «Il y en avait un, accroché à ce poteau, la jambe explosée par une balle. Un autre, plus âgé, a voulu monter dans une voiture; un sniper lui a tiré dans les couilles, il n'en a plus.» Les jeunes avaient-ils lancé des pierres? Zaher hausse les épaules: «Chaque fois qu'il y a des militaires et des colons, ils essaient de provoquer les enfants et de les faire venir. Dès qu'ils s'approchent, ils leur tirent dessus.» Dans les champs ou les chemins d'alentour, traînent des balles caoutchoutées et des éclats de grenades lacrymogènes.
Alertée, une pacifiste israélienne, Neta Golan, affiliée au mouvement Gush Shalom, s'est installée dans le village il y a trois jours. Pour témoigner. «Les soldats ont tué un enfant ici, la semaine dernière. Je n'étais pas là quand les colons ont tiré mais je les ai vus manifester à l'entrée du village, provoquant les gosses... Nous allons organiser une présence permanente. Jusqu'à ce que la violence israélienne s'arrête.» Interrogé, le secrétaire de la colonie Revava, située à quelques centaines de mètres, se défend: «Nous, on est très religieux, comment voulez-vous qu'on aille tirer un vendredi soir, jour de sabbat?» Selon les villageois, leurs agresseurs venaient d'Ariel, à plusieurs kilomètres, où seule une petite minorité de colons est religieuse. Quant à la police, elle est formelle: «Dès que nous avons entendu parler de ces agissements, nous avons ouvert une enquête.»
Désespoir. Pilant net sur la route, une femme colon hurle en direction d'un journaliste qui discute avec un soldat et un villageois: «Vous êtes à vomir! Ils nous tuent et vous les soutenez!» «Les gens ici sont désespérés, explique Zaher. Ils perdent espoir dans le reste du monde qui parle, qui parle... mais ne fait rien.» Hier, d'autres pacifistes israéliens ont rejoint Neta Golan à Harès. Pour aider à replanter les oliviers.
 
6. Le Monde du vendredi 17 novembre 2000
A Marseille, la conférence Euroméditerranée permet une rencontre entre délégués arabes et israéliens
par Laurent Zecchini
MARSEILLE, de notre envoyé spécial
Le principal mérite de la conférence euroméditerranéenne, qui s'est ouverte mercredi 15 novembre à Marseille, est qu'elle ait lieu, et qu'elle joue le rôle modeste que lui laissent les temps difficiles que connaît le processus de paix au Proche-Orient : servir de lieu de rencontre entre délégués arabes et israéliens. Dans la mesure où elle est la seule instance où ces discussions – qui ne sont pas des négociations – peuvent se tenir, la volonté de la présidence française de ne pas annuler le rendez-vous de Marseille peut se comprendre. Les représentants de l'Autorité palestinienne, Leila Shahid et Nabil Chaath, respectivement déléguée générale de Palestine en France et ministre de la coopération internationale et du plan, ont donc pu échanger des arguments – via des discours successifs – avec le ministre israélien des affaires étrangères, Shlomo Ben Ami.
Ce choix, la Syrie n'a pas voulu le faire, imitée par le Liban. De Damas, Farouk El Chareh, ministre syrien des affaires étrangères, a justifié sa décision de boycottage de la réunion en invoquant le refus de la présidence française de condamner les « agressions israéliennes » contre les Palestiniens. Il est impensable « que nous nous asseyions à la même table que le ministre israélien des affaires étrangères au moment où des innocents sont tués en Palestine », a-t-il dit. Selon lui, le chef de la diplomatie française, Hubert Védrine, aurait répondu qu'« une condamnation européenne, si elle a lieu, concernerait les deux parties », c'est-à-dire israélienne et palestinienne. L'entourage du ministre des affaires étrangères a démenti une telle citation. Ce différend mineur illustre la position incertaine de l'Union européenne dans le processus de paix, c'est-à-dire, à bien des égards, l'inanité de ses efforts.
« TOUT DOIT ÊTRE FAIT »
Marseille représentait une occasion qu'il fallait saisir, parce qu'une rupture du dialogue arabo-israélien serait la pire des situations, mais nul ne pense que les contacts noués dans la cité phocéenne puissent peser sur le cours des événements. Mercredi soir, une séance de travail suivie d'un dîner réunissant les ministres des affaires étrangères ont été consacrés au Proche-Orient et, jeudi matin, la troïka européenne (MM. Védrine, Chris Patten, commissaire européen chargé des relations extérieures, et Javier Solana, haut-commissaire pour la politique extérieure et de sécurité commune (PESC)), accompagnée d'Anna Lindh, ministre suédoise des affaires étrangères (la Suède succède à la France pour la présidence tournante de l'UE), devait rencontrer l'ensemble des délégations arabes.
Avec quel espoir ? Hubert Védrine considère que l'Union est dans son rôle en rappelant aux deux parties, comme il l'a fait lui-même au cours du dîner, qu'elles doivent appliquer les engagements qu'elles ont pris, parce que « tout doit être fait pour faire retomber la tension ». Au-delà, il estime que la coopération euro-méditerranéenne « est suffisamment importante, en elle-même et pour l'avenir, pour qu'elle puisse et même qu'elle doive se poursuivre indépendamment des vicissitudes du processus de paix, même les plus tragiques ». La construction européenne, soutient-il, serait « diminuée, mutilée », si elle n'avait pas cette dimension méditerranéenne. Quant à la « valeur ajoutée » des Européens dans la région, un haut diplomate français qui connaît bien le dossier proche-oriental la considère comme symbolique.
« DE LA RHÉTORIQUE »
« Nous ne le dirons pas officiellement, explique-t-il, mais dès l'instant où il s'agit de défendre une position commune des Quinze, celle-ci, compte tenu de leurs positions divergentes, ne peut être que minimaliste. De toute façon, il est faux de dire que l'Europe n'a plus d'influence au Proche-Orient : la vérité est qu'elle n'a jamais eu aucun rôle. Elle ne perd pas pied, elle aide les uns et les autres à se rencontrer, elle crée des situations, à titre d'intermédiaire. » Dans ces conditions, quel sens peut avoir l'appel lancé par Michel Vauzelle, président de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui – comme plusieurs délégués arabes – a demandé à l'Union européenne de « s'impliquer dans une action diplomatique active et directe » pour sauver le processus de paix ? « Aucun, c'est de la rhétorique », commente notre interlocuteur décidément sans illusion.
Il ajoute que, lors de sa récente entrevue avec Bill Clinton, Yasser Arafat l'a lui-même reconnu : « Il a dit au président américain que le rôle de l'Union ne peut être que complémentaire de celui des Etats-Unis, et que c'est à Washington de prendre des initiatives. » Il n'empêche. Pour la présidence française, cette rencontre de Marseille a déjà prouvé son utilité : le « processus de Barcelone » « a survécu à l'impasse du processus de paix au Proche-Orient, et c'est déjà un résultat »…
 
7. Le Nouvel Observateur du jeudi 16 novembre 2000
Shimon Peres : Pourtant, la solution est là, devant nous... par Victor Cyglielman Henri Guirchoun
Une interview du ministre israélien de la Coopération régionale
L'écart entre les positions des négociateurs israéliens et palestiniens n'a cessé de se réduire depuis Oslo, affirme l'ancien Premier ministre. Mais les sentiments restent plus forts que la raison. Or, pour gagner la paix, il faut discuter, avec des gens qu'on ne comprend pas toujours »
Le Nouvel Observateur. - Vous nous recevez au moment où le camp de la paix est de nouveau endeuillé avec la mort de Leah Rabin.
Shimon Peres. - Leah était une femme à la personnalité formidable, une femme irremplaçable, intelligente, curieuse et informée de tout, jusqu'à la fin... Après la mort de Rabin, elle était devenue son drapeau, sa voix, engagée en faveur de la paix avec une foi inébranlable. Elle m'avait demandé de la représenter à Paris, pour l'inauguration du parc qui portera le nom d'Itzhak Rabin. A mon retour, je lui avais fait en détail le récit de la cérémonie. Cela a peut-être été l'une des dernières consolations de sa vie...
N. O. - Il y a deux semaines, vous aviez conclu un accord de cessez-le-feu avec Yasser Arafat. Or les affrontements se sont poursuivis et même intensifiés. Pourquoi ?
S. Peres. - Immédiatement après cet accord, il y a eu une baisse sensible du niveau de la violence. Arafat a donné des ordres en ce sens. Des ordres clairs qui, c'est vrai, n'ont pas été suivis partout à la lettre. Alors, il faut d'abord prendre en compte la douleur, la colère, ce flot de sentiments qui alimente, bien sûr, la violence, de part et d'autre. Mais il y a d'autres raisons, à mon avis plus essentielles, et qui concernent le rôle des médias. Car, aujourd'hui, ce que montre la télévision est plus fort que ce qui se passe réellement sur le champ de bataille. C'est une donnée fondamentale. Les images qui sont diffusées en flot continu rendent très difficile le contrôle des émotions et des réactions des deux peuples.
Puis, au-delà de tout cela, il y a une évidence : on ne peut pas mettre un terme à un conflit comme celui-ci par la grâce d'une seule rencontre. Il faut négocier sans arrêt, même et surtout si ce n'est facile pour personne.
N. O. - Contrairement à ce qui semble être la ligne officielle en Israël, vous ne croyez donc pas qu'il faille attendre l'arrêt des violences pour reprendre la négociation ?
S. Peres. - Non. Il s'agit de sauver des vies humaines, et dans ce cas il faut agir sans attendre. Personne ne peut se permettre le luxe de différer la négociation. Par ailleurs, je ne suis pas du tout sûr qu'en ce moment Israël se retrouve dans une situation qui lui permette de considérer que dans le camp d'en face, chez les Palestiniens, une seule personne, un seul dirigeant a les moyens d'un contrôle total de la situation. Chacun de son côté doit faire des efforts pour réduire l'intensité des affrontements. Tout en poursuivant le dialogue.
N. O. - Vous avez rappelé que l'OLP et Arafat restent des partenaires de paix...
S. Peres. - Oui, absolument !
N. O. - Mais les Palestiniens ont-ils encore des partenaires en Israël ? Autrement dit, Barak comprend-il Arafat ?
S. Peres. - Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que, pour arrêter une guerre, pour gagner la paix, il faut discuter avec des gens qu'on ne comprend pas toujours. On ne négocie pas lorsqu'il y a un accord mais pour parvenir à un accord. Dans des pourparlers, il y a les arrière-pensées, les préventions, les blocages, et les idées fausses que se font toujours les uns sur les autres. Aboutir à se connaître, à se comprendre, c'est l'objet même, le but de la négociation.
N. O. - Comme d'autres exécutions dans le passé, l'exécution, la semaine dernière, du chef local du Fatah Hussein Abayat n'a servi à rien puisque les tirs sur la ville de Gilo, dans la banlieue de Jérusalem, ont repris. Pourquoi l'armée israélienne refait-elle les mêmes erreurs en employant les mêmes méthodes ?
S. Peres. - Je ne crois pas que l'armée israélienne ait une méthode, à proprement parler. Pour nous, il s'agit de faire cesser les tirs sur Gilo. Lorsque l'on tire sur des habitations, nous sommes contraints de répliquer, nous n'avons pas le choix. L'armée a considéré ce responsable du Fatah comme le principal instigateur, l'organisateur des attaques sur Gilo, elle a agi en conséquence. Mais je ne veux pas entrer dans le détail de cette affaire...
N. O. - Depuis Oslo, à Camp David et ailleurs, Arafat répète partout qu'il est prêt à un accord qui reposerait sur la base des frontières de 1967. Comment Israël peut-il espérer parvenir à la paix sans évacuer les territoires occupés ?
S. Peres. - Nous sommes dans une situation étrange, étonnante. L'écart entre les positions des négociateurs israéliens et palestiniens n'a cessé de se réduire au fil des discussions. Mais, dans le même temps, la distance entre les dirigeants des deux parties a, elle, au contraire, augmenté. Voilà le paradoxe auquel nous sommes confrontés !
Quand nous avons commencé à Oslo, les positions des uns et des autres étaient inconciliables. Un compromis paraissait impossible. Les Palestiniens se référaient à la carte des Nations unies tracée lors du partage de 1947, qui leur conférait 80% du territoire de la Palestine, celle de l'époque du mandat britannique. Israël voulait toute la Palestine, qu'elle avait conquise. Aujourd'hui, les Palestiniens font référence aux cartes de 1967, celles des lignes d'avant la guerre des Six-Jours, ce qui leur attribuerait 22% du territoire initial. Et Israël a accepté de renoncer à ses conquêtes. Il y a donc une solution, elle est là, devant nous. Hélas, les distances d'ordre psychologique demeurent plus grandes que les prétentions territoriales. Les sentiments restent plus forts que la raison.
N. O. - Le refus de démanteler les colonies est-il raisonnable ?
S. Peres. - A Camp David, nous étions très près d'une solution, y compris au sujet des implantations. La majorité des colons, soit environ 150 000 personnes, sont concentrés sur une portion qui n'excède pas 2 à 3% du territoire de la Cisjordanie. L'idée qui a émergé était la suivante : les Palestiniens se verraient attribuer des terres ailleurs, en échange de cette petite portion de territoire. Là encore, le compromis est possible. Mais nous n'y sommes pas parvenus. Et, au fond, c'est ce qui me rend le plus perplexe. Car j'ai la certitude qu'à Camp David Israël s'est montré très généreux dans ses propositions...
N. O. - Pourquoi les pourparlers ont-ils alors abouti à un échec total.
S. Peres. - Peut-être à cause de la méthode retenue pour cette négociation, qui n'était pas vraiment directe. Peut-être aussi à cause de l'énorme pression de la couverture médiatique et des multiples polémiques qui ont précédé et accompagné ici ou là toutes les discussions. Peut-être, enfin, parce que nous étions, semblait-il, au bout du chemin. A Camp David, il s'agissait de trouver toutes les réponses, toutes les solutions, de parvenir à un règlement final du conflit. L'importance de l'enjeu a entraîné une crispation au sein des deux camps. C'est peut-être tout cela ensemble...
N. O. - Israël refuse la présence d'une force d'interposition internationale. Mais que pensez-vous de la proposition française d'un envoi d'observateurs non armés ?
S. Peres. - Des observateurs étrangers ne permettront pas de résoudre quoi que ce soit. D'ailleurs, je ne connais pas de meilleurs observateurs que les télévisions. Et nous n'en manquons pas. A mon avis, l'essentiel est de relancer le plus tôt possible des négociations directes pour trouver les solutions qui nous permettront de vivre ensemble, Israéliens et Palestiniens, comme vous avec les Allemands ou les Italiens. C'est-à-dire normalement. Sans observateurs.
N. O. - Si les affrontements israélo-palestiniens se poursuivent, ne craignez-vous pas une extension régionale du conflit ?
S. Peres. - Croyez-moi, je suis déjà amplement comblé avec ses dimensions actuelles ! Le coeur du conflit israélo-arabe était et reste le conflit israélo-palestinien. C'est là que résident les menaces, et c'est là que réside l'espoir. Il faut se concentrer sur le sujet palestinien.
N. O. - Treize morts : les émeutes des Arabes israéliens ont été réprimées sans la moindre retenue. La gauche n'a-t-elle pas déjà perdu ce vote arabe sans lequel elle ne peut prétendre à une prochaine victoire électorale ?
S. Peres. - Il ne faut pas courir après le vote arabe. C'est inutile. Si nous parvenons à un accord avec les Palestiniens, nous regagnerons le vote arabe. Autrement, c'est exact, nous ne pourrons pas gagner les prochaines élections. C'est la réalité qui compte, pas les impressions ni les sondages...
N. O. - Vous êtes redevenu très populaire en Israël. Dans l'hypothèse probable d'une élection anticipée, ne seriez-vous pas le meilleur candidat du camp de la paix ?
S. Peres. - Je ne cherche rien, je n'attends rien. Il en a toujours été ainsi et je n'ai pas changé. Ma popularité n'est pas un tremplin vers le pouvoir, ni vers aucun poste. Je reste seulement au service de la paix. Quand je suis entré dans l'actuel gouvernement, on m'a demandé ce que je voulais faire et à quel poste. J'ai répondu que je souhaitais être responsable d'un secteur qui n'existait pas encore, et je suis devenu ministre de la Coopération régionale. Il y a longtemps que je sais que le vrai pouvoir ne repose pas sur les titres ni sur les honneurs, mais sur le destin, sur les idées et sur la rigueur morale.
 
8. Libération du jeudi 16 novembre 2000
Barak et Arafat entre violence et apaisement
par Alexandra Schwartzbrod
Le Premier ministre israélien serait prêt à un accord sans exiger la fin de l'Intifada.
Jérusalem de notre correspondante
Plus encore que les jours passés, la journée d'hier s'est terminée en Israël et dans les territoires palestiniens sur une impression de grande tristesse, et aussi de désarroi. D'abord parce que le lot quotidien de morts ne diminue pas. Au moins huit Palestiniens, souvent très jeunes, ont encore été abattus par les forces israéliennes et des dizaines, blessés au cours d'affrontements. Tristesse aussi à l'occasion des obsèques de Léa Rabin, qui ont donné lieu à une émouvante oraison de Yasser Arafat, exceptionnellement retransmise par la télévision israélienne: «Léa, ma sœur, je te souhaite le repos. Dans les moments difficiles, tu t'es toujours rangée au côté de mon partenaire Rabin.» Tristesse ensuite parce qu'il flottait hier, côté palestinien, un sentiment de rendez-vous manqué. Cette «journée de l'Indépendance», qui commémorait la proclamation symbolique d'un Etat palestinien en exil, le 15 novembre 1988 à Alger, aurait dû célébrer la toute nouvelle indépendance; elle n'a fait que souligner un peu plus l'état d'asphyxie dans lequel se trouvent les Palestiniens, au lendemain du blocus décrété par les Israéliens sur leurs territoires. Enfin, un désarroi immense parce que, près de deux mois après le début du conflit, nul ne semble avoir de stratégie de rechange, chacun paraît tâtonner et décider en fonction des rapports de force du moment.
Embuscades. Yasser Arafat et Ehud Barak continuent à osciller entre violence et apaisement, jouant de l'une ou de l'autre au mépris parfois de toute logique. Le leader palestinien n'a pas désavoué les embuscades de lundi qui avaient entraîné la mort de quatre Israéliens. Mais il a ordonné à ses troupes, mardi, d'arrêter les tirs contre des cibles israéliennes. Tout en appelant les Palestiniens à manifester massivement contre l'occupation par Israël des territoires conquis en juin 1967, réclamant l'expulsion de tous les Israéliens de Cisjordanie et de la bande de Gaza afin de pouvoir y établir un Etat indépendant. Ziad Abou Zyyad, ministre au sein de l'exécutif palestinien, a déclaré hier que le soulèvement se poursuivrait jusqu'au terme de l'occupation. Estimant que celui-ci était «très proche», Arafat a même déclaré qu'il voyait «de la lumière au bout du tunnel».
Jour d'attaques. Barak, lui, se comporte comme s'il croyait encore aux chances de la diplomatie. Pour la première fois depuis Camp David, il se serait montré prêt hier, selon la radio de l'armée, à conclure un accord avec les Palestiniens qui n'inclurait pas de clause décrétant l'arrêt du conflit. «Israël ne veut pas d'une victoire militaire», affirmait hier le journaliste Ze'ev Shiff à la une du quotidien Ha'aretz. «D'abord parce que le pays espère toujours reprendre les négociations. Et aussi parce qu'il ne veut pas d'un embrasement régional. Israël attend donc de voir comment les Palestiniens vont se comporter aujourd'hui, 15 novembre, que l'Autorité palestinienne a décrété jour d'attaques contre Israël...»
Pétition. Pour la première fois depuis le début des affrontements, l'armée israélienne a arrêté, dans la nuit de mardi à mercredi en Cisjordanie, quinze responsables du Fatah, le mouvement d'Arafat. Et hier soir, le cabinet de sécurité israélien était réuni à Jérusalem, présidé par Barak, pour décider d'éventuelles mesures face à la poursuite de l'Intifada. Face à l'accroissement possible de la violence, des intellectuels et des universitaires palestiniens ont rédigé cette semaine une pétition réclamant une «base de travail équitable» pour arriver à la paix. «Nous avons perdu tout espoir de régler les inégalités actuelles dans le cadre des accords d'Oslo et avec la médiation des Etats-Unis», écrivent-ils.
 
9. Libération du jeudi 16 novembre 2000
"Les Israéliens tuent nos enfants tous les jours"
par Didier François
A Gaza, l'Autorité palestinienne craint les dérapages des jeunes révoltés.
Gaza envoyé spécial
Regard tourné vers le ciel, les policiers palestiniens cherchent à distinguer les chasseurs qui, depuis le matin, vrombissent dans les nuages. Un ballet permanent, lourd de menaces. La tension est palpable. Baraquements, casernes, commissariats ont tous été évacués, hier à Gaza, en prévision d'une nuit de représailles. Et chacun de supputer sur les cibles probables de bombardements attendus, puisque l'armée israélienne a fait savoir qu'elle entendait venger la mort de ses soldats tués lors des violents accrochages de ces derniers jours.
Reprise en main. De retour d'une série de consultations à l'étranger, Arafat a immédiatement convoqué son Conseil de sécurité. Une réunion d'urgence, dans la nuit de mardi à mercredi, pour une reprise en main de ses troupes. Sur la nature de ces discussions, les responsables militaires palestiniens restent muets. «Le raïs a rendu compte aux officiers supérieurs de ses derniers entretiens avec Bill Clinton et de ses rencontres avec les dirigeants arabes lors de la conférence islamique», assure Abdelhakim Awad, secrétaire général des «chebiba», organisation de jeunesse du Fatah et colonne vertébrale de la nouvelle Intifada. «J'ai entendu dire qu'il avait donné l'ordre au chef de la Sûreté nationale, d'interdire l'usage des armes contre les Israéliens. Je ne suis pas sûr que cela soit vrai. Si leur armée nous attaque, notre devoir reste de la combattre.»
Les débats sont vifs au sein de la direction nationaliste, envenimés par la décision de la police palestinienne de relâcher, lundi, trois soldats et quatre colons armés qui, perdus, avaient été interceptés près de Khan Younès. Malgré ce geste de bonne volonté, les forces israéliennes n'ont pas retenu leur feu contre les jeunes émeutiers de cette ville, tuant deux d'entre eux le même jour. Une manifestation de quelque 2 000 personnes, dont de nombreux militants du Fatah, a assiégé pendant plusieurs heures le quartier général régional de la Sécurité nationale.
«Ligne rouge». Furieux contre la décision de leurs chefs, des policiers se sont joints aux révoltés avant d'aller vider leurs chargeurs contre les postes israéliens fermant l'entrée de Kfar Darom. «La population n'a fait qu'exprimer ses sentiments, plaide Abdelhakim Awad, elle était très en colère contre les officiers. Je comprends leurs contraintes. Ils avaient la responsabilité de ces prisonniers. Mais nous ne pouvons pas accepter éternellement que seuls les Palestiniens doivent respecter la vie. Les Israéliens assassinent nos enfants tous les jours. Notre sang n'est pas de l'eau.»
Si les groupes d'autodéfense du Fatah acceptent avec réticence «de ne pas initier les combats», le Tanzim s'estime «en droit de riposter si les Israéliens attaquent notre peuple dans nos territoires». L'organisation refuse catégoriquement de mettre un terme à la révolte des pierres. «Lors du sommet islamique, Arafat a soutenu officiellement la poursuite de l'Intifada, souligne un autre cadre des «chebiba», mais comme simple mouvement de désobéissance civile, sans recours à des initiatives militaires. L'Autorité ne veut pas franchir la ligne rouge. Elle craint une escalade qui l'empêcherait de retourner à la table des négociations. Depuis plusieurs jours, la direction tente d'empêcher les tirs sur des soldats ou des colons. Elle a peur que cela donne au gouvernement israélien l'excuse qu'il attend pour utiliser toute sa puissance contre les Palestiniens. Et si Arafat ne s'est pas prononcé publiquement sur les actions armées du Fatah ou d'autres, les pressions pour les faire cesser sont aussi discrètes que nombreuses, soit en interdisant aux volontaires de s'approcher des colonies, soit en refusant de leur fournir des munitions.»
 
10. L'Orient-Le Jour (quotidien libanais) du jeudi 16 novembre 2000
Euromed - La crise au Proche-Orient accapare la conférence de Marseille
par Roger Barakeh
Marseille, de notre envoyé spécial
Loin du discours officiel de l’Exécutif bruxellois, les régions de l’Europe méridionale veulent affirmer haut et fort leur appartenance méditerranéenne et réclamer une réorientation de la politique de l’UE vers le Sud de la Mare Nostrum.
En effet, le Midi de la France, tout comme le Mezzogiorno et l’Andalousie, espère se démarquer du «cœur» européen, matérialisé par l’axe Milan-Paris-Francfort-Londres, et renforcer la position des régions dites «latines» face à une Europe qu’ils qualifient d’«anglo-saxonne».
Bien qu’ils aient bénéficié largement de l’aide communautaire, ces régions entendent bien changer leur statut d’assistés pour jouer un rôle plus prépondérant et s’affirmer en tant que pôle européen dynamique.
C’est pour cette raison que l’Europe méridionale a puisé dans son passé florissant pour asseoir les fondements de sa puissance à venir.
En effet, le poids du Sud européen a commencé à décliner dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, et a quasiment perdu de sa valeur après l’aboutissement du processus de décolonisation.
Les ports du Sud ont cessé de jouer le rôle d’interface avec l’Afrique et le Moyen-Orient. Tant par l’émancipation des colonies que par le progrès des transports et l’émergence de deux nouveaux concurrents commerciaux, à savoir l’ex-URSS et les États-Unis.
Le Sud de l’Europe va donc rechercher sa prospérité perdue dans l’autre rive de la Méditerranée.
Et c’est pour cette raison qu’il cherche à exploiter une structure existante, le Partenariat euro-méditerranéen, dit «processus de Barcelone», lancé lors de la conférence réunie les 27 et 28 novembre 1995 dans la capitale catalane.
Les réunions Marseille I
Profitant de la conférence ministérielle euro-méditerranéenne qui se tient à Marseille, à l’heure où les chefs de la diplomatie des quinze pays de l’Union européenne et de ses douze partenaires méditerranéens commençaient à affluer à la cité phocéenne, la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille-Provence (CCI-MP) a convoqué des journalistes et des représentants de la société civile méditerranéens dans le but de médiatiser sa stratégie et ses visions.
Une série de réunions se sont en effet déroulées la semaine dernière, rassemblant des représentants des Conseils économique et social français et européens, des journalistes des pays du Sud de la Méditerranée et des représentants de syndicats et d’unions patronales régionaux.
Lors de ces réunions, baptisées Marseille I, les représentants européens ont exposé leurs idées et leurs actions visant à renforcer le partenariat Euromed et les moyens pour y parvenir.
Ainsi, le président du Conseil scientifique de l’institut de la Méditerranée* Jean-Louis Reiffers a plaidé pour la mise en œuvre d’une politique d’ouverture de l’UE envers ses partenaires du Sud. Pour lui, les motifs sont à la fois économiques et démographiques : l’Europe, selon lui, est confrontée au problème du vieillissement croissant de sa population. Elle est condamnée à perdre 75 millions d’actifs d’ici à 20 ans, ce qui va créer des problèmes de retraités.
Les prévisions les plus optimistes font état de 70 % des revenus consacrés aux systèmes de retraite.
Pour pallier ce problème, le Sud, qui va avoir une stabilisation démographique (sauf pour la Jordanie et la Syrie), constituerait un réservoir de main-d’œuvre, alors qu’il peine à créer les quelque 66 millions d’emplois nécessaires pour les deux décennies à venir. La complémentarité démographique serait un filon à exploiter et renforcerait l’idée de partenariat.
Par ailleurs, les nouvelles technologies représentent 1 % de la croissance du produit intérieur brut en Europe contre 2 à 3 % aux États-Unis, et donc «si on n’utilise pas les 20 ans à venir pour faire entrer les pays méditerranéens dans la nouvelle économie, ces pays resteront dans le sous-développement», estime M. Reiffers.
«L’Europe doit s’engager davantage sur le plan politique. Il y a actuellement le comité de Barcelone… mais il faut un secrétariat politique, une commission chargée du partenariat comme il en existe pour l’élargissement», poursuit-il.
«Du côté des pays du Sud de la Méditerranée, il faut aller plus vite dans les réformes, mais sans pour autant agir brutalement», ajoute-t-il.
«L’objectif de l’UE serait de “mettre le paquet” le plus tôt possible afin de faire converger les économies des pays sud-méditerranéens avec l’UE».
Pour lui, le processus de Barcelone pêche par le manque de moyens mis en œuvre. «Le discours de l’UE tend toujours à inciter le Sud à appliquer des réformes. Les pays méditerranéens répliquent en demandant toujours plus de fonds et évoquent les problèmes politiques… ce qui bloque les discussions et le partenariat, estime M. Reiffers, et donc, lors des conférences, il faut faire un saut, il faut innover et changer».
Le rôle de la société civile
Pour Roger Briesch, représentant du président du Comité économique et social européen, la politique d’ouverture de l’UE se traduit par l’élargissement sur le flanc Est et par le partenariat sur le flanc Sud. Il demande un développement harmonieux, une égalité entre le Sud et l’Est, et déplore l’intérêt accordé en priorité aux pays d’Europe centrale et orientale. «La préoccupation actuelle de Bruxelles, c’est l’Europe des 27, et il y a un problème de confrontation avec les pays nordiques, qui se sentent plus proches des pays qui constituaient l’ex-bloc soviétique», estime M. Briesch. «Il faut donner la priorité à Euromed, aux dépens de l’élargissement, car l’élargissement est un processus naturel déjà entamé, alors que les vrais problèmes d’intégration doivent être confrontés avec le Sud», poursuit-il.
Même son de cloche chez Giovanni Gennari, président du CES italien : «En réalité, l’élargissement accapare toutes les énergies… c’est un danger pour le Sud qui est mis en marge du processus d’ouverture». M. Gennari s’étonne du paradoxe de l’évolution et du progrès. Alors qu’avant la Deuxième Guerre mondiale des milliers d’Italiens ont émigré en France, au Royaume-Uni et aux É-U sans pour autant avoir besoin de visas, la situation est tout à fait différente actuellement pour les émigrés du Sud malgré le principe de libre-échange européen !
Le président du CES français Jacques Dermagne explique la marginalisation du Sud par la chute du mur de Berlin qui a entamé le divorce Nord-Sud au profit du rapprochement Nord-Est. La crise économique a changé aussi la donne et a imposé plus d’étanchéité envers le Sud.
Une étanchéité qui se traduit par plus de restrictions envers la libre circulation des personnes (délivrance de visas) et la réduction des investissements européens, qui se sont rabattus sur les pays de l’Est, déjà industrialisés et bénéficiant d’une stabilité politique.
Le président de l’Union patronale de Marseille, Raymond Vidil, va dans le même sens en affirmant que «les Anglo-Saxons préfèrent mettre leur argent là où c’est sûr, pas en Méditerranée». Il va même jusqu’à affirmer que «ceux qui ont créé le programme Meda n’aiment pas la Méditerranée». «Et puisque selon lui, il n’y a pas plus de bonne volonté de la part de l’UE, il faut “laisser Meda aux Méditerranéens”, à savoir les régions de l’Europe méridionale».
Pour cela, «l’UE manque de voix fortes et de visionnaires», affirme Jean-Louis Chauzy, président du CES du Languedoc-Roussillon.
Investir dans l’homme
M. Chauzy n’est pas le seul à critiquer la «bureaucratie stérile» de Bruxelles.
Le Club de Marseille**, émanant du CCI-MP, reproche tout aussi à l’UE son «pragmatisme forcené» et son manque de vision politique. Le président du Club, Henry Roux-Alezais, préfère investir dans l’homme, «objet de tout les dangers», nutrition, sida, chômage, exclusion, racisme…
Selon lui, l’UE avait tort de créer une monnaie commune avant de bâtir un homme européen vivant en harmonie avec ses voisins. Pour ce chef d’entreprise épris d’humanisme à l’Erasme, «on ne peut lancer un partenariat avec des accords de libre-échange portant sur le commerce et réduisant les pays du Sud au rôle de consommateurs». Le Club de Marseille, dans un appel solennel adressé à l’occasion de la conférence de l’Euromed, confirme que le «processus engagé à Barcelone est un échec :
les échanges Nord-Sud sont de plus en plus déséquilibrés sous couvert d’une amorce de libre échange, qui favorise nos industries (NDLR : européennes) sans ouvrir de débouchés aux produits agricoles des pays du Sud. Notre espace humain reste fermé ne laissant au Sud qu’une alternative : l’intégrisme islamique ou la dépendance des multinationales».
M. Roux-Alezais affirme ainsi qu’«avec une Europe qui exporte pour 40 milliards de dollars par an et le Sud pour 5 milliards, l’UE ne s’intègrera jamais à ses partenaires».
Tant et si bien que le Club de Marseille propose «que des initiatives à court terme soient prises dans la perspective d’une adhésion à plus long terme pour les pays qui s’engagent délibérément dans les réformes; q’un plan de la Méditerranée doit être élaboré couvrant notamment : la circulation des personnes, la formation des hommes, l’ouverture totale de l’espace économique incluant les domaines agricoles et les services, les échanges scientifiques, les moyens de financement particulièrement grâce à une réorientation de la BERD vers le Sud. Le Sud de la Méditerranée reçoit en aide au développement un euro par an et par habitant alors que l’Est reçoit aujourd’hui le double et les investissements directs y sont 5 fois inférieurs . Les régions défavorisées de l’Union européenne, quant à elles, obtiennent 220 euros par habitant/an. C’est pourquoi l’accès rapide aux fonds structurels est vital pour les pays du Sud. Si rien n’est proposé, ces pays se tourneront naturellement vers d’autres partenaires».
Cette dernière menace a été reprise par M. Dermagne qui affirme que la nécessité doit accompagner la générosité : «Si on ne s’occupe pas du Sud, les États-Unis le feront»…