Revue de presse
1. Med Intelligence du samedi 18 novembre 2000 [http://medintelligence.free.fr]
Les
rapports accablants des ONG : Israël s'affranchit des droits de l'homme
par Jean-Michel Staebler
L'analyse des derniers rapports des ONG,
Amnesty international, Human Rights Watch et l'israélienne B'Tselem donne le
froid dans le dos. Quelle que soit la violence des Palestiniens ou des Arabes
israéliens, rien ne justifie les pratiques des forces de sécurité de l'Etat
hébreu qui font trop penser aux horreurs que les juifs ont eux-mêmes subis en
d'autres temps. Si Human Watch Right se penche essentiellement sur le
comportement des soldats israéliens lors des manifestations palestiniennes,
Amnesty décrit, preuves à l'appui, les brutalités policières dont ont été ou
sont victimes les Palestiniens comme les citoyens israéliens d'origine arabe.
B'Tselem dénonce plus particulièrement les couvre-feux aux durées excessives à
Hébron et dans d'autres agglomérations arabes, et rappelle un certain nombre de
règles du droit humanitaire international dont les Israéliens se sont
affranchis. Toutes ces ONG rappellent que la répression utilise, non des moyens
policiers, mais des méthodes de guerre, pour accréditer la thèse que l'intifada
al-Aqsa serait en fait une guerre déclenchée contre le peuple israélien. Les
témoignages qu'elles ont recueillis montrent qu'il n'en est rien et que c'est
délibérément que les autorités de l'Etat hébreu ont poussé à l'escalade.
Pour
B'Tselem, rappeler les règles élémentaires des droits humains, c'est déjà
condamner Israël, bien que l'ONG observe que dans quelques rares cas, ceux-ci
n'ont été respectés ni par l'une des parties, ni par l'autre. Première grande
règle, la protection des civils et la distinction entre personnes armées et
personnes non armée. A cet égard, l'organisation précise que l'utilisation des
armes n'est permise que si la vie ou l'intégrité physique des agents qui
assurent le maintien de l'ordre sont menacées. En tout état de cause, la riposte
doit être proportionnelle au danger. Il n'est donc pas question de tirer des
missiles anti-chars dans une foule qui manifeste, ni d'utiliser des balles
caoutchoutées qui peuvent être mortelles. Pas davantage, des personnes blessées
ou le personnel médical venu les secourir ne peuvent être attaqués. Il en est de
même des journalistes qui ne doivent subir aucune violence et dont le matériel
ne peut être détruit ou confisqué. La liberté de mouvement et plus
particulièrement la libre circulation des produits alimentaires et des
médicaments doit être garantie. En conséquence, les couvre-feux ne peuvent être
imposés qu'en dernnière extrémité et pour des durées limitées. Dans son rapport
du 26 octobre, B'Tselem note que les couvre-feux appliqués à Hébron et Hawara se
sont indûment prolongés. Enfin, si l'ONG demande à l'Autorité palestinienne
d'empêcher tout tir palestinien en direction des colonies, elle estime que les
forces de sécurité doivent tout faire pour empêcher les colons d'agresser des
Palestiniens.
A la lumière de ces règles, Human Right Watch a enquêté sur les
incidents d'Um al-Fahm, d'al-Bireh-Ramallah, de Netzarim, ainsi que sur les
agressions dont ont été victimes le personnel médical. A Um al-Fahm, ville
située en territoire israélien, des citoyens israéliens d'origine arabe ont
manifesté le 1er octobre dans la matinée au carrefour de la route principale et
de celle conduisant à Afula-Hadera. Il ne semble pas, d'après les enquêteurs,
que des pierres aient été jetées contre les forces de sécurité, jusqu'à ce que
celles-ci fassent usage de gaz lacrymogènes et de balles caoutchoutées. Dans
l'après-midi, des soldats des forces spéciales israéliennes ont pris position
sur un toit et ont abattu plusieurs citoyens arabes israéliens. Ceux-ci ne
constituaient aucunement une quelconque menace pour les tireurs embusqués et
bien protégés. Le jeune Mohammad Jabarin a été tué par une balle réelle dans le
dos. Le lendemain 2 octobre, les forces spéciales se sont postées au niveau du
carrefour et ont tiré à nouveau des balles caoutchoutées et réelles. Le jeune
Abou Jarrad a été atteint d'une balle en plein coeur et d'une autre au coté
droit. A aucun moment, notent les enquêteurs de Human Rights Watch, les forces
de sécurité n'ont été menacées dans leur vie ou leur intégrité physique. Au
total, ce sont trois jeunes, respectivement âgés de 16, 18 et 24 ans qui ont été
tués et 130 manifestants blessés.
A al-Bireh-Ramallah, l'armée israélienne
s'est positionnée sur la route circulaire et accessoirement à l'hôtel City Inn.
Du 30 septembre au 10 octobre, elle a réprimé des manifestations non armées, non
avec des gaz lacrymogènes, mais avec des balles chemisées en plastique et des
balles réelles. Dans l'après-midi du 1er octobre, un Palestinien a tiré d'un
immeuble en construction sur les jeeps de l'armée israélienne, garées sur la
route circulaire. Aussitôt l'armée a répliqué en tirant sur un poste de premier
secours qui se situait en contrebas. Ce poste médical était clairement identifié
par les signes internationaux.
A Netzarim, de nombreux témoins occulaires
ont rapporté aux enquêteurs de HRW que les Israéliens avaient fait un usage
immodéré et indiscriminé d'armes lourdes. Dans leur rapport, les enquêteurs
précisent que les soldats de Tsahal sont positionnés dans un bunker et qu'ils
bénéficient du soutien de snipers embusqués dans l'enceinte de la colonie. Dans
cette situation idéale, l'armée israélienne a les premiers jours contrôlé le
carrefour avec des tirs à balle caoutchoutées, à enveloppe plastique ou réelles.
Elle est ensuite passée uniquement aux tirs réels. Lorsque des observateurs de
HRW se sont rendus sur place le 8 octobre, Ils ont découvert des lanceurs de
pierres qui ne dispoaient ni de cocktails molotov, ni d'armes automatiques, mais
étaient agressés par des tirs venus de la zone tenue par les Israéliens. c'est
dans ce type de circonstance d'ailleurs que le petit Mohammad al-Dirah a été tué
et qu'ambulances comme taxis subissent des tirs venus de la colonie ou du
bunker. Ainsi, le 30 septembre, l'ambulance qui tentait de recueillir le petit
Mohammad al-Durah a-t-elle subi des tirs provenant du blockhaus. Le 2 octobre,
une autre ambulance dans laquelle se trouvait l'infirmier d'urgence Mu'in
Abu'Aish a été tirée à la mitrailleuse lourde à partir du bunker. A noter aussi
le mitraillage le 1er octobre d'une zone adjacente de l'hôpital de Netzarim par
un hélicoptère armé. Les interventions en cours à l'hôpital ont dû être
interrompues.
Dans son rapport du 10 novembre 2000, Amnesty International se
penche plus particulièrement sur les brutalités policières dont les Arabes ont
été victimes, et qui mettent en relief la culture d'impunité dont les forces de
l'odre israéliennes bénéficient. Après avoir noté que "plus de 400 personnes,
dont 30 enfants, se trouvent encore en détention depuis le 30 octobre", les
enquêteurs d'Amnesty estiment que les deux tiers des détenus sont des Arabes
israéliens. Les tribunaux n'accordent que très peu de libertés conditionnelles
avant le procès des prévenus et nombre d'entre eux ont été privés de
l'assistance d'un avocat pendant plusieurs jours. "L'isolation des détenus
semble être la tactique utilisée par les autorités et plus particulièrement par
les agents des services secrets". En outre, les textes sur la délinquance
juvénile ne sont pas appliqués lorsqu'un enfant ou un adolescent est arrêté. Les
enquêteurs d'Amnesty ont pu relever que dans de nombreux dossiers, l'inexistance
de preuves était flagrante et que les brutalités envers les prévenus étaient
chose courante.
A Kufar Kana dans le Nord de la Galilée, une douzaine
d'officiers de police sont venus arrêter Bakr Saïd, 15 ans, à 2 heures du matin
le 24 octobre. L'adolescent a été immédiatement interrogé par trois agents en
civil qui, selon un autre détenu, l'ont frappé et menacé. Le jeune prévenu a
ensuite été présenté au juge qui l'a fait mettre en liberté conditionnelle. A
Madj al-Kroum, un chauffeur d'autobus a cru reconnaître le jeune Khatib Ali, âgé
de 18 ans comme un lanceur de pierres contre son véhicule. Il l'a conduit au
poste de police où il a été frappé à coups de pieds et de poings. Menotté dans
sa cellule au barreau d'une fenêtre, Khatib Ali, citoyen israélien, n'a reçu
aucun soin. Le juge à qui il a été présenté a recommendé qu'il soit examiné par
un médecin de la police. A Shufat le 1er octobre, ce sont Iyad Qaymeri, 17 ans,
et Usama Zayneh, 19 ans qui ont été arrêtés, alors qu'ils se trouvaient dans un
groupe qui lançait des pierres. Les soldats qui les ont interpellés, sans qu'il
n'y ait de preuves contre eux, les ont ligotés et battus avant de les livrer à
la police. Menottés, ils ont été interrogés chacun pendant une heure. Chaque
question était appuyée d'une gifle. Un détenu du centre de détention de
Moscobiyyeh, Ahmad al-Shawish, a été placé en isolation pendant sept heures pour
avoir osé demander une aspirine... Quant à Yoav Bar, après avoir été traîné par
les jambes sur cinquante mètres puis tabassé dans le car de police, il s'est
retrouvé avec trois os de sa main gauche cassés. La police a refusé de lui
donner des soins.
Sans doute, cette énumération est-elle fastidieuse, mais
elle montre que la politique de M. Barak n'a fait que libérer une xénophobie
latente chez le peuple juif. Maxime Rodinson écrivait : " Le fait d'être victime
de pratiques ignobles n'a jamais prémuni personne contre un engagement dans des
actions tout à fait analogues". Aujourd'hui, les Israéliens ont franchi la ligne
jaune. Et il est maintenant difficile d'espérer que les deux peuples de cette
terre se réconcilient avant longtemps.
2. La Provence du vendredi 17 novembre 2000
Leila Shahid
déterminée à faire gagner l'égalité par Laurent Léonard
La déléguée générale de Palestine en France prône le respect de l'autre
tout autour de la Méditerranée, du Proche-Orient… dans la cité phocéenne.
Sa disponibilité et sa gentillesse ont de quoi surprendre, au vu de ses
responsabilités, des multiples sollicitations médiatico-politiques dont elle
fait constamment l'objet et du risque qu'elle encourt en multipliant ses sorties
et ses rendez-vous. Leila Shahid est assurément l'un des meilleurs porte-parole
de la cause palestinienne dans le monde. Rencontrée hier matin à l'hôtel Sofitel
du Vieux-Port, où elle a résidé à l'occasion du sommet euroméditerranéen qui
s'est tenu les 15 et 16 novembre à Marseille, la déléguée générale de Palestine
en France a accepté, avant de s'envoler pour Paris, de nous livrer son
appréciation sur la situation au Proche-Orient, et sa vision de Marseille, une
ville qu'elle connaît bien, qu'elle apprécie, mais où, pour elle, la coexistence
des différentes communautés n'est pas aussi exemplaire que certains le disent.
Déclamé sans hésitation, dans un français parfait, son discours est tout à la
fois modéré et passionné. Elle-même se dit "très ambitieuse pour la
Méditerranée", notamment pour la Palestine: "Nous sommes le dernier Etat à
réclamer notre droit à exister libre et souverain". Elle prône la paix -"nous
avons opté depuis longtemps pour le dialogue"- tout en justifiant l'intifada:
"C'est le minimum d'une résistance civile. Après 33 années d'occupation par
Israël, les Palestiniens se montrent très patients".
Dynamique et souriante,
Leila Shahid n'est pas près de baisser les bras.
La Palestine veut un jumelage avec la cité phocéenne
Concernant le rapprochement entre les Marseillais et les Palestiniens,
Leila Shahid déplore l'absence de partenariat officiel: "La Ville de Marseille
n'est jumelée avec aucune ville palestinienne, au contraire de la Région
Provence-Alpes-Côte d'Azur qui s'est rapprochée de Khan-Younes, situé dans la
bande de Gaza. Toutes nos tentatives pour faire jumeler la cité phocéenne avec
une ville de la Palestine n'ont jamais été couronnées de succès, et je le
regrette profondément". Pour l'heure, Marseille est jumelée avec 11 villes -dont
Haïfa- et a passé des accords de coopération avec 20 autres.
Un sommet important sur le difficile chemin de la
paix
Leila Shahid se déclare "satisfaite" du sommet euroméditerranéen de
Marseille. Pour la déléguée générale de Palestine en France, "la plupart des
Etats arabes ont participé à Euromed malgré la tragédie qui se déroule dans les
territoires palestiniens occupés. C'est rassurant". Le processus enclenché en
1995 à Barcelone pour tenter de créer une communauté euroméditerranéenne "tient
le coup face à la guerre. Je crois au devenir d'une telle communauté, ou plutôt
d'un tel partenariat, dans un monde à redéfinir depuis la fin de la
bipolarisation. Tout autour de la Méditerranée, nous sommes d'une même
civilisation, qui a connu la paix jusqu'au colonialisme". Ce partenariat est lié
à un retour à la paix, selon Leila Shahid. "La question israélo-arabe est
centrale. Car la Palestine est une terre sainte pour les juifs, les chrétiens et
les musulmans, qui touche chaque citoyen du monde. Si Israël et la Palestine
arrivent à faire la paix, ce sera comme une pierre jetée au milieu de la mer qui
provoquera des cercles concentriques jusqu'au rivage des autres pays
méditerranéens. Voilà pourquoi un sommet tel celui de Marseille, où nous étions
tous autour de la table, est important".
3. Le Soir (quotidien belge) du vendredi 17
novembre 2000
Où chercher l'espoir quand la violence l'emporte ? par
Baudoin Loos
Que se passe-t-il au Proche-Orient ? Tous les repères auxquels
chacun s'était habitué depuis sept ans de processus de paix sont balayés par
l'intifada palestinienne et la répression israélienne. Que veulent Arafat et
Barak ? Les Palestiniens et les Israéliens ? Il n'y a pas de solution militaire,
dit-on. Mais la violence règne en maître.
ANALYSE
Quand un ministre
palestinien comme Ziyad Abou Zayyad en vient à déclarer à la radio israélienne
mercredi que l'intifada continuera jusqu'au terme de l'occupation israélienne
des territoires palestiniens, le message, parce que charrié par la modération
faite homme, prend son sens. Celui d'une direction palestinienne amenée à
improviser la gestion d'une révolte non programmée, qui conforte certes ses
revendications, mais qui l'éloigne en même temps de la table des négociations où
les parties conservent malgré tout un improbable rendez-vous final.
Yasser
Arafat a retrouvé sa popularité en résistant aux pressions israélo-américaines
de Camp David, en juillet, quand on lui offrit bien moins que la légalité
internationale qu'il était venu quérir, soit la souveraineté sur 22 % de la
Palestine conquis par Israël à la Jordanie et à l'Egypte en juin 1967. Cette
popularité, il ne veut pas l'hypothéquer en appelant à la cessation des
hostilités sans la certitude qu'il pourra dire aux familles des victimes que
leur être cher n'est pas mort pour rien.
Mais, même s'il le voulait,
pourrait-il éteindre le brasier ? Rien n'est moins sûr, et quand les
observateurs évoquent la « libanisation » des territoires, cette évolution peut
aller jusqu'à la perte totale de contrôle des événements par le leadership
palestinien et l'émergence de chefs de milices locaux.
LA « RETENUE » DE
BARAK
Le Premier ministre israélien, lui, s'efforce de conjurer le pire. Face
à une opinion publique de plus en plus excédée, il continue à prêcher la
retenue. Notamment pour ne pas flétrir encore l'image d'Israël dans le monde et,
surtout, ne pas provoquer parmi les Palestiniens des massacres qui pousseraient
la communauté internationale à intervenir. Ce sera un long et complexe combat
pour le futur de ce pays, a-t-il dit hier aux Israéliens. Si nous avions pensé
que deux mille morts au lieu de deux cents auraient résolu le problème, nous
aurions usé de plus de force. Mais nous pensons que cela donnerait un résultat
contraire.
Mais Ehoud Barak reste un militaire qui fait de la politique. Et
sa « retenue » tient compte de son opinion publique échaudée. Elle consiste
ainsi à faire tirer sur les protestataires - les victimes sont rarement les
auteurs de coups de feu, mais plutôt des manifestants violents le plus souvent
incapables de menacer la vie des soldats -, ou à faire assassiner, une heure
avant qu'Arafat ne voie Clinton, un petit chef local du Fatah par une roquette
d'hélicoptère alors qu'un enlèvement était possible.
La solution militaire
appliquée - avec retenue, de son point de vue - qui comprend aussi le bouclage
des enclaves palestiniennes « autonomes » et ses sévères conséquences
économiques, n'induit qu'une détermination plus grande encore des Palestiniens.
Pour ceux-ci, qui pleurent plus de deux cents morts, dont une cinquantaine
d'enfants, et soignent huit mille blessés, dont mille resteront handicapés à
vie, la « retenue » israélienne a quelque chose d'obscène.
LES COLONIES TUENT
LA PAIX
Et la diplomatie ? Barak répète qu'il cherchera, dès l'extinction des
feux, à reprendre le processus de paix. Et Arafat est allé dans ce sens, devant
les caméras israéliennes, lors des funérailles de sa sœur Leah Rabin mercredi:
Il existe toujours une petit lueur d'espoir au fond de ce sombre tunnel. Avec le
plus grand respect, je dépose une fleur de Palestine sur votre tombe et
renouvelle mon engagement à la paix des braves. Il n'y a pas d'autre
option.
Bien des Israéliens ne manqueront pas d'y voir le double langage de
celui qui parle de paix et fait la guerre. Mais cette « guerre », les
Palestiniens de la base, ceux qui admirent le Hezbollah libanais qui a vaincu
Israël par le sacrifice du sang, disent la mener pour chasser l'occupant,
l'armée mais aussi les colons. Car voilà le point qui les avait convaincus que
l'Etat juif ne menait pas un processus de paix honnête : depuis sept ans, Israël
n'a cessé de couver les colonies juives dans les territoires occupés, dont la
population a quasi doublé - quatre cent mille colons, actuellement, avec les
implantations autour de la Jérusalem arabe - dans des colonies dilatées et
servies par de nouvelles routes à leur usage exclusif.
Ces colonies, qui
morcellent le paysage palestinien, avaient été souvent bâties dans le but
d'anéantir tout espoir de paix. Il revient sans doute aux Israéliens, et
certains ont commencé à le faire, de se demander enfin si « paix » et « colonies
» ne sont pas deux termes inconciliables. Politiquement et humainement.
4. Libération du vendredi 17 novembre 2000
"Il y aura des
attentats-suicides" par Jean-Pierre Perrin
Khaled Meshaal,
principal stratège du Hamas, annonce un durcissement de l'Intifada :
Doha
(Qatar) envoyé spécial
Principal stratège politique du Hamas et président de son bureau politique
- la plus haute instance de l'organisation - Khaled Meshaal est devenu célèbre
le 25 septembre 1997 lorsque le Mossad (les services secrets israéliens) avaient
tenté de l'empoisonner en pleine rue à Amman. L'affaire s'était soldée par un
échec retentissant pour Israël, contraint non seulement de fournir l'antidote
pour sauver le chef du Hamas mais aussi de libérer plusieurs responsables de ce
parti, dont Cheikh Ahmed Yacine, son guide spirituel. Depuis, Meshaal, qui a
pourtant la nationalité jordanienne, a été expulsé du pays sous la pression des
Etats-Unis, voire de l'Autorité palestinienne, et un mandat d'arrêt a été lancé
contre lui par la Cour de sûreté d'Amman. Adversaire résolu de Yasser Arafat,
qui l'avait accusé de trahison, il incarne la ligne la plus dure du Hamas.
Actuellement, il vit entre la Syrie, l'Iran, le Yémen et le Qatar où il a
répondu aux questions de Libération.
- Au sommet de la Conférence islamique de Doha vous avez rencontré
Yasser Arafat. C'était la première fois en cinq ans. Est-ce que cette réunion
traduit un rapprochement entre le Hamas et l'Autorité palestinienne ?
- C'est la première fois depuis 1995, mais on s'est croisé en 1997, après
que les services secrets israéliens aient tenté de m'assassiner. Cette rencontre
avec Arafat ne représente en rien un changement de nos positions. Elle
s'explique par l'Intifada qui a permis la réunification du peuple palestinien
que les négociations (avec les israéliens, ndlr) avaient divisé. Cela dit, le
Hamas continue à s'opposer aux accords d'Oslo parce qu'ils sont porteurs d'une
injustice et ne s'intéressent pas aux intérêts du peuple palestinien, ni ne
coïncident avec nos objectifs.
- Si Arafat reprend un jour prochain des négociations avec les
Israéliens quelle sera votre attitude?
- Nous continuerons l'Intifada. L'ennemi ne partira que sous les pressions
de la résistance. Vous savez très bien qu'il n'y a aucune autre solution à la
crise actuelle que la résistance pour recouvrer nos droits. L'administration
américaine est incapable de faire la moindre pression sur les Israéliens et les
Européens n'ont pas le pouvoir de jouer un rôle dans la région.
- Est-ce que vous en voulez à Arafat d'avoir emprisonné tant de vos
militants?
- C'est évident. L'emprisonnement de mes frères dans les geôles n'est pas
imputable à des Palestiniens mais à des Palestiniens aux ordres des Américains.
Ces prisonniers ont été arrêtés à cause de leurs positions politiques. C'est
pourquoi nous demandons à Arafat la libération de tous les prisonniers. Ceux qui
ont été libérés l'ont été grâce à l'Intifada. C'est donc le peuple qui a ouvert
les portes des prisons...
- L'Intifada va-t-elle prendre d'autres formes?
- L'Intifada, avec sa dynamique, va se développer sous d'autres formes.
Lors de la première Intifada, en 1987, nous sommes partis de la pierre et du
couteau pour arriver aux cocktails Molotov, puis aux fusils et enfin aux
opérations suicide. Cette nouvelle Intifada va se développer de façon naturelle,
d'autant que le terrorisme israélien, l'assassinat par l'armée de femmes et
d'enfants et le nombre de martyrs - 210 et 10 000 blessés - va provoquer une
réaction des jeunes Palestiniens et les pousser à se défendre par tous les
moyens.
- Y compris des bombes humaines?
- Oui, il y aura des attentats-suicides. Toute personne faible, si on
l'enferme dans un coin, va employer tous les moyens pour se défendre. Le monde
s'inquiète de voir des opérations suicide ou d'autres opérations menées par les
Palestiniens pour se défendre mais il se tait sur ce qu'endure notre peuple. Les
Etats-Unis condamnent ce qu'ils appellent le terrorisme palestinien mais pas le
vrai terrorisme israélien, c'est pour cela que nous souhaitons que la position
européenne ne ressemble pas à celle des Américains. Plusieurs peuples européens
savent ce que fut l'occupation allemande, c'est pourquoi ils doivent prendre en
considération la situation du peuple palestinien.
- Des chefs du Fatah répètent que le Hamas n'est plus présent dans
l'actuelle Intifada...
- Le Fatah se présente comme le moteur de cette Intifada parce qu'il ne
veut pas que le Hamas y joue un rôle. L'autorité palestinienne et le Fatah
voient un concurrent dans le Hamas. Le Fatah a aujourd'hui le pouvoir, les
armes, les moyens sécuritaires et ceux d'influencer les médias palestiniens.
Agissant pour le compte de l'Autorité palestinienne, il essaye d'annihiler le
rôle des autres organisations. Mais la réalité est différente. C'est le Hamas
qui, le premier, a donné l'alerte au moment de la visite d'Ariel Sharon à
l'Esplanade des mosquées. Les manifestations sont parties des universités avec,
en tête, des militants islamistes. Et, jusqu'à aujourd'hui, 70% des manifestants
sont proches du Hamas. Mais parce que le Fatah connaît l'importance du mouvement
islamique dans les manifestations, il nous a demandé de diminuer le nombre de
nos sympathisants, d'agiter moins de drapeaux et de lancer moins de slogans.
- Quelles différences voyez-vous entre l'Intifada de 1987 et celle
d'aujourd'hui?
- Dans celle d'aujourd'hui, il y a moins de points de confrontation entre
l'armée israélienne et notre peuple. Cela, à cause des accords d'Oslo qui ont
conduit à un redéploiement de l'armée israélienne. La situation actuelle fait
qu'elle contrôle des positions fortes et il n'est pas facile d'arriver jusqu'aux
soldats ennemis. De plus, les colonies israéliennes sont situées sur des
hauteurs et peuvent donc tirer sur les villages palestiniens. Nous avons
aujourd'hui une situation qui ressemble à un front mais un front qui n'existe
pas puisqu'il n'y a aucune égalité entre les forces en présence.
- Qu'est-ce qui pourrait inciter le Hamas à proposer un arrêt des
violences?
- L'occupation israélienne est une violence en elle-même. Les Palestiniens
ne font que de l'autodéfense qui est une réponse légale à cette occupation. La
violence continuera en Palestine jusqu'à ce que l'occupation israélienne cesse.
L'objectif de la résistance palestinienne est de libérer tout notre territoire.
Sans cela, il n'y aura ni stabilité, ni paix dans la région. La paix est liée à
la justice et tant qu'il y aura de l'injustice il n'y aura pas de paix.
- Cette Palestine inclut-elle Tel- Aviv ?
- Bien sûr. Les Palestiniens qui vivaient dans l'ancienne Palestine de
1948, s'ils ne reviennent pas chez eux, est-ce qu'ils connaîtront une paix
juste? La continuation de l'occupation ne lui donne aucune légitimité. En
France, pendant l'occupation nazie, le général de Gaulle a refusé de reconnaître
le gouvernement de Vichy parce qu'il considérait qu'il ne représentait pas
l'Etat français. La division du droit ne donne aucune paix.
- Le conflit israélo-palestinien ressemble de plus en plus à une
guerre de religion et de moins en moins à une guerre nationaliste. Etes-vous
partisan d'un tel changement?
-Il ne faut pas négliger la partie religieuse du conflit. La mosquée
Al-Aqsa et Al-Qods (Jérusalem, en arabe, ndlr) ont une grande importance dans le
cœur des musulmans, de même que les lieux saints chrétiens qui ont la même
importance chez les musulmans. Et la nation arabe et islamique ne peut en aucun
cas accepter comme légitime l'occupation de ces lieux saints et vous avez
remarqué que même la gauche israélienne, des hommes comme Shimon Peres et Yossi
Beihin, ont utilisé un langage très religieux pour parler de Al-Aqsa, un langage
qui ne diffère pas de celui du Likoud ou du Shas. Je me demande pourquoi le
monde s'inquiète de la façon dont les musulmans réagissent à propos de leurs
lieux saints et ne s'inquiètent pas des déclarations des dirigeants israéliens.
5. Libération du vendredi 17 novembre 2000
La guerre des
oliviers par Alexandra Schwatzbrod
A Harès, l'armée arrache les
arbres. Les enfants, à terrain découvert, seraient la cible des colons.
Harès
envoyée spéciale
De la route, on ne voit que des cailloux, des cactus, des
ordures, des fers à béton qui trouent le ciel. Et des oliviers. Des dizaines
d'oliviers cul par-dessus tête, racines en l'air, fruits écrasés. Zaher fait
doucement glisser sa main sur une branche. «L'agriculteur met 70 ans à faire
pousser ses arbres... En une seconde, il ne les retrouve plus.» Il y a trois
semaines, les soldats israéliens sont venus arracher les arbres qui entouraient
le village palestinien de Harès, au milieu de la Cisjordanie. Zaher sourit: «Il
paraît que c'est un arbre terroriste!» Les oliviers poussaient à la sortie du
village, le long d'une route empruntée par les colons. «Ils disent que c'est
pour protéger les mouvements des colons, pour avoir un angle de vue plus large»,
raconte un habitant. Une simple «précaution». Pour que les Palestiniens ne se
cachent pas pour lancer des pierres sur les voitures des colons.
Provocations. Le problème, c'est que l'angle de vue ainsi dégagé a donné des
idées. Vendredi, des colons auraient organisé une descente sur Harès. Ils se
seraient postés là où leur route asphaltée croise le chemin principal du
village. «J'étais là, je regardais, et tout à coup, je vois quatre ou cinq
gosses qui tombent», raconte Zaher. «Il y en avait un, accroché à ce poteau, la
jambe explosée par une balle. Un autre, plus âgé, a voulu monter dans une
voiture; un sniper lui a tiré dans les couilles, il n'en a plus.» Les jeunes
avaient-ils lancé des pierres? Zaher hausse les épaules: «Chaque fois qu'il y a
des militaires et des colons, ils essaient de provoquer les enfants et de les
faire venir. Dès qu'ils s'approchent, ils leur tirent dessus.» Dans les champs
ou les chemins d'alentour, traînent des balles caoutchoutées et des éclats de
grenades lacrymogènes.
Alertée, une pacifiste israélienne, Neta Golan,
affiliée au mouvement Gush Shalom, s'est installée dans le village il y a trois
jours. Pour témoigner. «Les soldats ont tué un enfant ici, la semaine dernière.
Je n'étais pas là quand les colons ont tiré mais je les ai vus manifester à
l'entrée du village, provoquant les gosses... Nous allons organiser une présence
permanente. Jusqu'à ce que la violence israélienne s'arrête.» Interrogé, le
secrétaire de la colonie Revava, située à quelques centaines de mètres, se
défend: «Nous, on est très religieux, comment voulez-vous qu'on aille tirer un
vendredi soir, jour de sabbat?» Selon les villageois, leurs agresseurs venaient
d'Ariel, à plusieurs kilomètres, où seule une petite minorité de colons est
religieuse. Quant à la police, elle est formelle: «Dès que nous avons entendu
parler de ces agissements, nous avons ouvert une enquête.»
Désespoir. Pilant
net sur la route, une femme colon hurle en direction d'un journaliste qui
discute avec un soldat et un villageois: «Vous êtes à vomir! Ils nous tuent et
vous les soutenez!» «Les gens ici sont désespérés, explique Zaher. Ils perdent
espoir dans le reste du monde qui parle, qui parle... mais ne fait rien.» Hier,
d'autres pacifistes israéliens ont rejoint Neta Golan à Harès. Pour aider à
replanter les oliviers.
6. Le Monde du vendredi 17 novembre 2000
A Marseille, la
conférence Euroméditerranée permet une rencontre entre délégués arabes et
israéliens par Laurent Zecchini
MARSEILLE, de notre envoyé spécial
Le principal mérite de la conférence euroméditerranéenne, qui s'est ouverte
mercredi 15 novembre à Marseille, est qu'elle ait lieu, et qu'elle joue le rôle
modeste que lui laissent les temps difficiles que connaît le processus de paix
au Proche-Orient : servir de lieu de rencontre entre délégués arabes et
israéliens. Dans la mesure où elle est la seule instance où ces discussions –
qui ne sont pas des négociations – peuvent se tenir, la volonté de la présidence
française de ne pas annuler le rendez-vous de Marseille peut se comprendre. Les
représentants de l'Autorité palestinienne, Leila Shahid et Nabil Chaath,
respectivement déléguée générale de Palestine en France et ministre de la
coopération internationale et du plan, ont donc pu échanger des arguments – via
des discours successifs – avec le ministre israélien des affaires étrangères,
Shlomo Ben Ami.
Ce choix, la Syrie n'a pas voulu le faire, imitée par le
Liban. De Damas, Farouk El Chareh, ministre syrien des affaires étrangères, a
justifié sa décision de boycottage de la réunion en invoquant le refus de la
présidence française de condamner les « agressions israéliennes » contre les
Palestiniens. Il est impensable « que nous nous asseyions à la même table que le
ministre israélien des affaires étrangères au moment où des innocents sont tués
en Palestine », a-t-il dit. Selon lui, le chef de la diplomatie française,
Hubert Védrine, aurait répondu qu'« une condamnation européenne, si elle a lieu,
concernerait les deux parties », c'est-à-dire israélienne et palestinienne.
L'entourage du ministre des affaires étrangères a démenti une telle citation. Ce
différend mineur illustre la position incertaine de l'Union européenne dans le
processus de paix, c'est-à-dire, à bien des égards, l'inanité de ses
efforts.
« TOUT DOIT ÊTRE FAIT »
Marseille représentait une occasion qu'il
fallait saisir, parce qu'une rupture du dialogue arabo-israélien serait la pire
des situations, mais nul ne pense que les contacts noués dans la cité phocéenne
puissent peser sur le cours des événements. Mercredi soir, une séance de travail
suivie d'un dîner réunissant les ministres des affaires étrangères ont été
consacrés au Proche-Orient et, jeudi matin, la troïka européenne (MM. Védrine,
Chris Patten, commissaire européen chargé des relations extérieures, et Javier
Solana, haut-commissaire pour la politique extérieure et de sécurité commune
(PESC)), accompagnée d'Anna Lindh, ministre suédoise des affaires étrangères (la
Suède succède à la France pour la présidence tournante de l'UE), devait
rencontrer l'ensemble des délégations arabes.
Avec quel espoir ? Hubert
Védrine considère que l'Union est dans son rôle en rappelant aux deux parties,
comme il l'a fait lui-même au cours du dîner, qu'elles doivent appliquer les
engagements qu'elles ont pris, parce que « tout doit être fait pour faire
retomber la tension ». Au-delà, il estime que la coopération
euro-méditerranéenne « est suffisamment importante, en elle-même et pour
l'avenir, pour qu'elle puisse et même qu'elle doive se poursuivre indépendamment
des vicissitudes du processus de paix, même les plus tragiques ». La
construction européenne, soutient-il, serait « diminuée, mutilée », si elle
n'avait pas cette dimension méditerranéenne. Quant à la « valeur ajoutée » des
Européens dans la région, un haut diplomate français qui connaît bien le dossier
proche-oriental la considère comme symbolique.
« DE LA RHÉTORIQUE »
« Nous
ne le dirons pas officiellement, explique-t-il, mais dès l'instant où il s'agit
de défendre une position commune des Quinze, celle-ci, compte tenu de leurs
positions divergentes, ne peut être que minimaliste. De toute façon, il est faux
de dire que l'Europe n'a plus d'influence au Proche-Orient : la vérité est
qu'elle n'a jamais eu aucun rôle. Elle ne perd pas pied, elle aide les uns et
les autres à se rencontrer, elle crée des situations, à titre d'intermédiaire. »
Dans ces conditions, quel sens peut avoir l'appel lancé par Michel Vauzelle,
président de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui – comme plusieurs
délégués arabes – a demandé à l'Union européenne de « s'impliquer dans une
action diplomatique active et directe » pour sauver le processus de paix ? «
Aucun, c'est de la rhétorique », commente notre interlocuteur décidément sans
illusion.
Il ajoute que, lors de sa récente entrevue avec Bill Clinton,
Yasser Arafat l'a lui-même reconnu : « Il a dit au président américain que le
rôle de l'Union ne peut être que complémentaire de celui des Etats-Unis, et que
c'est à Washington de prendre des initiatives. » Il n'empêche. Pour la
présidence française, cette rencontre de Marseille a déjà prouvé son utilité :
le « processus de Barcelone » « a survécu à l'impasse du processus de paix au
Proche-Orient, et c'est déjà un résultat »…
7. Le Nouvel Observateur du jeudi 16 novembre 2000
Shimon Peres : Pourtant, la solution est là, devant nous...
par Victor Cyglielman Henri Guirchoun
Une interview du ministre
israélien de la Coopération régionale
L'écart entre les positions des
négociateurs israéliens et palestiniens n'a cessé de se réduire depuis Oslo,
affirme l'ancien Premier ministre. Mais les sentiments restent plus forts que la
raison. Or, pour gagner la paix, il faut discuter, avec des gens qu'on ne
comprend pas toujours »
Le Nouvel Observateur. - Vous nous recevez au moment où le camp de la paix
est de nouveau endeuillé avec la mort de Leah Rabin.
Shimon Peres. - Leah était une femme à la personnalité formidable, une
femme irremplaçable, intelligente, curieuse et informée de tout, jusqu'à la
fin... Après la mort de Rabin, elle était devenue son drapeau, sa voix, engagée
en faveur de la paix avec une foi inébranlable. Elle m'avait demandé de la
représenter à Paris, pour l'inauguration du parc qui portera le nom d'Itzhak
Rabin. A mon retour, je lui avais fait en détail le récit de la cérémonie. Cela
a peut-être été l'une des dernières consolations de sa vie...
N. O. - Il y a deux semaines, vous aviez conclu un accord de cessez-le-feu
avec Yasser Arafat. Or les affrontements se sont poursuivis et même intensifiés.
Pourquoi ?
S. Peres. - Immédiatement après cet accord, il y a eu une baisse sensible
du niveau de la violence. Arafat a donné des ordres en ce sens. Des ordres
clairs qui, c'est vrai, n'ont pas été suivis partout à la lettre. Alors, il faut
d'abord prendre en compte la douleur, la colère, ce flot de sentiments qui
alimente, bien sûr, la violence, de part et d'autre. Mais il y a d'autres
raisons, à mon avis plus essentielles, et qui concernent le rôle des médias.
Car, aujourd'hui, ce que montre la télévision est plus fort que ce qui se passe
réellement sur le champ de bataille. C'est une donnée fondamentale. Les images
qui sont diffusées en flot continu rendent très difficile le contrôle des
émotions et des réactions des deux peuples.
Puis, au-delà de tout cela, il y a une évidence : on ne peut pas mettre un
terme à un conflit comme celui-ci par la grâce d'une seule rencontre. Il faut
négocier sans arrêt, même et surtout si ce n'est facile pour personne.
N. O. - Contrairement à ce qui semble être la ligne officielle en Israël,
vous ne croyez donc pas qu'il faille attendre l'arrêt des violences pour
reprendre la négociation ?
S. Peres. - Non. Il s'agit de sauver des vies humaines, et dans ce cas il
faut agir sans attendre. Personne ne peut se permettre le luxe de différer la
négociation. Par ailleurs, je ne suis pas du tout sûr qu'en ce moment Israël se
retrouve dans une situation qui lui permette de considérer que dans le camp d'en
face, chez les Palestiniens, une seule personne, un seul dirigeant a les moyens
d'un contrôle total de la situation. Chacun de son côté doit faire des efforts
pour réduire l'intensité des affrontements. Tout en poursuivant le dialogue.
N. O. - Vous avez rappelé que l'OLP et Arafat restent des partenaires de
paix...
S. Peres. - Oui, absolument !
N. O. - Mais les Palestiniens ont-ils encore des partenaires en Israël ?
Autrement dit, Barak comprend-il Arafat ?
S. Peres. - Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que, pour arrêter une
guerre, pour gagner la paix, il faut discuter avec des gens qu'on ne comprend
pas toujours. On ne négocie pas lorsqu'il y a un accord mais pour parvenir à un
accord. Dans des pourparlers, il y a les arrière-pensées, les préventions, les
blocages, et les idées fausses que se font toujours les uns sur les autres.
Aboutir à se connaître, à se comprendre, c'est l'objet même, le but de la
négociation.
N. O. - Comme d'autres exécutions dans le passé, l'exécution, la semaine
dernière, du chef local du Fatah Hussein Abayat n'a servi à rien puisque les
tirs sur la ville de Gilo, dans la banlieue de Jérusalem, ont repris. Pourquoi
l'armée israélienne refait-elle les mêmes erreurs en employant les mêmes
méthodes ?
S. Peres. - Je ne crois pas que l'armée israélienne ait une méthode, à
proprement parler. Pour nous, il s'agit de faire cesser les tirs sur Gilo.
Lorsque l'on tire sur des habitations, nous sommes contraints de répliquer, nous
n'avons pas le choix. L'armée a considéré ce responsable du Fatah comme le
principal instigateur, l'organisateur des attaques sur Gilo, elle a agi en
conséquence. Mais je ne veux pas entrer dans le détail de cette affaire...
N. O. - Depuis Oslo, à Camp David et ailleurs, Arafat répète partout qu'il
est prêt à un accord qui reposerait sur la base des frontières de 1967. Comment
Israël peut-il espérer parvenir à la paix sans évacuer les territoires occupés ?
S. Peres. - Nous sommes dans une situation étrange, étonnante. L'écart
entre les positions des négociateurs israéliens et palestiniens n'a cessé de se
réduire au fil des discussions. Mais, dans le même temps, la distance entre les
dirigeants des deux parties a, elle, au contraire, augmenté. Voilà le paradoxe
auquel nous sommes confrontés !
Quand nous avons commencé à Oslo, les positions des uns et des autres
étaient inconciliables. Un compromis paraissait impossible. Les Palestiniens se
référaient à la carte des Nations unies tracée lors du partage de 1947, qui leur
conférait 80% du territoire de la Palestine, celle de l'époque du mandat
britannique. Israël voulait toute la Palestine, qu'elle avait conquise.
Aujourd'hui, les Palestiniens font référence aux cartes de 1967, celles des
lignes d'avant la guerre des Six-Jours, ce qui leur attribuerait 22% du
territoire initial. Et Israël a accepté de renoncer à ses conquêtes. Il y a donc
une solution, elle est là, devant nous. Hélas, les distances d'ordre
psychologique demeurent plus grandes que les prétentions territoriales. Les
sentiments restent plus forts que la raison.
N. O. - Le refus de démanteler les colonies est-il raisonnable ?
S. Peres. - A Camp David, nous étions très près d'une solution, y compris
au sujet des implantations. La majorité des colons, soit environ 150 000
personnes, sont concentrés sur une portion qui n'excède pas 2 à 3% du territoire
de la Cisjordanie. L'idée qui a émergé était la suivante : les Palestiniens se
verraient attribuer des terres ailleurs, en échange de cette petite portion de
territoire. Là encore, le compromis est possible. Mais nous n'y sommes pas
parvenus. Et, au fond, c'est ce qui me rend le plus perplexe. Car j'ai la
certitude qu'à Camp David Israël s'est montré très généreux dans ses
propositions...
N. O. - Pourquoi les pourparlers ont-ils alors abouti à un échec total.
S. Peres. - Peut-être à cause de la méthode retenue pour cette négociation,
qui n'était pas vraiment directe. Peut-être aussi à cause de l'énorme pression
de la couverture médiatique et des multiples polémiques qui ont précédé et
accompagné ici ou là toutes les discussions. Peut-être, enfin, parce que nous
étions, semblait-il, au bout du chemin. A Camp David, il s'agissait de trouver
toutes les réponses, toutes les solutions, de parvenir à un règlement final du
conflit. L'importance de l'enjeu a entraîné une crispation au sein des deux
camps. C'est peut-être tout cela ensemble...
N. O. - Israël refuse la présence d'une force d'interposition
internationale. Mais que pensez-vous de la proposition française d'un envoi
d'observateurs non armés ?
S. Peres. - Des observateurs étrangers ne permettront pas de résoudre quoi
que ce soit. D'ailleurs, je ne connais pas de meilleurs observateurs que les
télévisions. Et nous n'en manquons pas. A mon avis, l'essentiel est de relancer
le plus tôt possible des négociations directes pour trouver les solutions qui
nous permettront de vivre ensemble, Israéliens et Palestiniens, comme vous avec
les Allemands ou les Italiens. C'est-à-dire normalement. Sans observateurs.
N. O. - Si les affrontements israélo-palestiniens se poursuivent, ne
craignez-vous pas une extension régionale du conflit ?
S. Peres. - Croyez-moi, je suis déjà amplement comblé avec ses dimensions
actuelles ! Le coeur du conflit israélo-arabe était et reste le conflit
israélo-palestinien. C'est là que résident les menaces, et c'est là que réside
l'espoir. Il faut se concentrer sur le sujet palestinien.
N. O. - Treize morts : les émeutes des Arabes israéliens ont été réprimées
sans la moindre retenue. La gauche n'a-t-elle pas déjà perdu ce vote arabe sans
lequel elle ne peut prétendre à une prochaine victoire électorale ?
S. Peres. - Il ne faut pas courir après le vote arabe. C'est inutile. Si
nous parvenons à un accord avec les Palestiniens, nous regagnerons le vote
arabe. Autrement, c'est exact, nous ne pourrons pas gagner les prochaines
élections. C'est la réalité qui compte, pas les impressions ni les sondages...
N. O. - Vous êtes redevenu très populaire en Israël. Dans l'hypothèse
probable d'une élection anticipée, ne seriez-vous pas le meilleur candidat du
camp de la paix ?
S. Peres. - Je ne cherche rien, je n'attends rien. Il en a toujours été
ainsi et je n'ai pas changé. Ma popularité n'est pas un tremplin vers le
pouvoir, ni vers aucun poste. Je reste seulement au service de la paix. Quand je
suis entré dans l'actuel gouvernement, on m'a demandé ce que je voulais faire et
à quel poste. J'ai répondu que je souhaitais être responsable d'un secteur qui
n'existait pas encore, et je suis devenu ministre de la Coopération régionale.
Il y a longtemps que je sais que le vrai pouvoir ne repose pas sur les titres ni
sur les honneurs, mais sur le destin, sur les idées et sur la rigueur
morale.