Revue de presse
1. Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi
15 novembre 2000, 19h25
Une conférence Euromed sous l'influence des violences
au Proche-Orient
MARSEILLE (France) - La 4ème conférence
ministérielle euro-méditerranéenne s'est ouverte mercredi soir à Marseille avec
un ordre du jour et une participation largement influencés par les violences au
Proche-Orient, la Syrie et le Liban boycottant la réunion tandis que la
délégation palestinienne était privée de plusieurs membres empêchés de voyager
par Israël.
La présidence française de l'Union européenne (UE), par la voix
d'Hubert Védrine, a "regretté" ce boycott tout en le "respectant".
"Mais
l'Union européenne est convaincue que la coopération euro-méditérranéenne est
suffisamment importante, en elle-même et pour l'avenir, pour qu'elle puisse et
même qu'elle doive se poursuivre indépendamment des vicissitudes du processus de
paix, même les plus tragiques", a souligné dans son discours d'ouverture le chef
de la diplomatie française, président en exercice de l'UE.
A Damas, le
ministre syrien des Affaires étrangères Farouk al-Chareh a justifié ce boycott
par le refus de la présidence de l'UE de condamner les "agressions israéliennes"
contre les Palestiniens.
Il a indiqué que M. Védrine l'avait informé par
téléphone qu'"une condamnation européenne, si elle a lieu, concernerait les deux
parties", israélienne et palestinienne.
Dans son discours, M. Védrine,
évitant toute condamnation, a réitéré la position de l'UE pour laquelle "il n'y
a pas d'autre chemin possible au Proche-Orient que le dialogue et la recherche
de la paix entre Israéliens et Palestiniens".
"Malgré l'émotion suscitée par
la douleur et la crainte, il faut tout faire pour tenir les engagements pris,
mettre fin aux violences et revenir au calme et à la raison, recréer une
espérance", a-t-il dit.
Le forum euro-méditerranéen entre les Quinze et 12
pays du sud, lancé en 1995 à Barcelone (Espagne), ambitionne de faire du bassin
méditerranéen une zone de dialogue, d'échanges et de coopération qui garantisse
la paix, la stabilité et la prospérité, avec une zone de libre-échange à
l'horizon 2010.
Cinq ans après Barcelone, le dialogue politique est compromis
par le blocage du processus de paix mais le volet économique est lui aussi bien
loin d'avoir atteint les objectifs assignés.
La Commission européenne a fait
le constat que "le volume des échanges entre partenaires méditerranéens
(commerce Sud-Sud), très faible, n'a pas augmenté, que le volume des
investissements de l'UE dans la région reste peu élevé". Quant au programme
d'aide MEDA I de 3,4 milliards d'euros, décidé à Barcelone, à peine 26% ont été
dépensés, bien des projets étant bloqués par "la complexité des
procédures".
Quant aux espoirs d'avancer sur les valeurs démocratiques, il
n'y a pas eu un "dialogue suffisamment franc et sérieux (...) sur les questions
des droits de l'Homme, la prévention du terrorisme ou les migrations", selon la
Commission.
La délégation palestinienne, conduite par le ministre de la
Coopération internationale Nabil Chaath, a appelé dès mercredi l'Europe à faire
preuve de "courage" en adoptant "une position forte". Il a exprimé l'espoir que
la conférence de Marseille prenne "une part active en faveur de la protection
des Palestiniens".
La situation au Proche-Orient devait être abordée au cours
de la première séance de travail, mercredi soir, puis entre les seuls ministres
au cours du dîner. Celui-ci a été dénoncé par M. Chareh.
"Nous avions demandé
à l'UE de ne pas organiser de dîners, car il est impensable, a-t-il dit, que
nous nous asseyions à la même table que le ministre israélien des Affaires
étrangères (Shlomo Ben Ami) au moment où des innocents sont tués en
Palestine".
La conférence a accueilli un participant de dernière minute, la
Libye, avec un statut d'"invité" de la présidence. Tripoli avait pourtant
annoncé sa décision de ne pas venir en raison de la présence d'une délégation
israélienne.
Le dossier économique sera abordé au second et dernier jour de
la conférence, jeudi.
2. Le Soir (quotidien belge) du mercredi 15
novembre 2000
Israël enferme les Palestiniens en Cisjordanie par
Serge Dumont
CISJORDANIE de notre envoyé spécial
Entre les Palestiniens et
nous, ce n'est pas l'intifada. C'est la guerre. Installateur de systèmes
d'épuration d'eau à Tel-Aviv, Oren, 32 ans, fait partie de ces milliers de
réservistes mobilisés par Tsahal (l'armée israélienne) pour assurer la sécurité
des colons juifs circulant sur les routes menant de Jérusalem vers leurs
implantations.
Ce que nous vivons en ce moment n'a plus rien à voir avec les
lancers de pierres que l'on montre à la télévision, affirme-t-il. Ici, notre
pain quotidien est fait d'accrochages armés et d'embuscades. Les Palestiniens
opèrent en équipes de deux à trois personnes et ils sont efficaces.
ACTIONS
DES COLONS
Il a fallu attendre ce lundi pour que la population israélienne
prenne conscience de la gravité de la situation en Cisjordanie. En effet, ce
jour-là, deux jeunes appelés du contingent qui circulaient dans un autobus non
blindé à proximité de l'implantation de Beth-El (banlieue de Ramallah) et un
professeur de gymnastique qui suivait ce transport en pensant être protégé, ont
été tués par des tireurs palestiniens qui ont ensuite pris la fuite en direction
de Ramallah.
Depuis lors, Tsahal a décrété le bouclage complet des
territoires palestiniens (huit villes de Cisjordanie sont soumises au blocus).
Quant au Premier ministre Ehoud Barak, il a interrompu son voyage aux Etats-Unis
et en Grande-Bretagne pour présider à Jérusalem une réunion d'urgence du cabinet
de sécurité.
Les colons juifs jugent cependant cela insuffisant. Ils exigent
une riposte militaire massive et l'arrêt de l'approvisionnement de la population
palestinienne en essence, en eau et en électricité. Si Barak n'ose pas, nous le
ferons nous-mêmes, menace Orna Kiefer, une pédiatre travaillant dans le bloc
d'implantations juives (Beth-El, Psagot, Aram) situé à la périphérie de
Ramallah.
Hier, les habitants des colonies juives de Neve Tsouf et de
Halamich ont d'ailleurs dressé des barrages de pneus enflammés devant les
villages palestiniens voisins. D'autres se sont postés dans la région de
Naplouse pour y retenir les camions-citernes transportant de l'eau et de
l'essence destinés à la population palestinienne.
« GUERRE DES ROUTES
»
Les colons sont d'autant plus nerveux que cette « guerre des routes »
désorganise complètement leur vie quotidienne. La compagnie d'autobus Egged
n'assure plus le service sur les lignes desservant la Cisjordanie.
Quant à la
compagnie téléphonique nationale et à la Société nationale d'électricité, leurs
techniciens ne se rendent plus dans les territoires. Comme les facteurs, les
corps de métier et les chauffeurs-livreurs des grands groupes alimentaires :
Avant le début des émeutes, j'étais livré en trois jours, proteste le gérant du
seul supermarché de Kyriat Arba (banlieue d'Hébron). Maintenant, je dois
attendre plusieurs semaines pour recevoir des pâtes.
Cette dégradation de la
situation était pourtant prévisible. La semaine passée, Marwan Barghouti (le
responsables des milices du Fatah en Cisjordanie) avait promis que son
organisation transformerait la vie des colons en enfer jusqu'à la libération des
territoires occupés par Israël depuis 1967 (la partie de la Cisjordanie et de la
bande de Gaza, ainsi que la partie orientale de Jérusalem).
Le lendemain,
Zyad Abou Aouen (le « bras droit » de Barghouti) avait surenchéri en annoncant
la recrudescence des opérations armées menées par son organisation. Nous avons
le droit légitime de nous battre pour la libération de notre terre occupée et
nous l'utilisons, avait-il alors déclaré.
Tout porte à croire que la « guerre
des routes » va prendre progressivement le pas sur la guerre des pierres, qui
s'essouffle. Certes, hier, plusieurs dizaines de Palestiniens ont été blessés en
lançant des pièces de carrelage et des cocktails Molotov contre les soldats de
l'Etat hébreu. Mais ces activités sont devenues marginales. Car maintenant,
c'est à l'arme automatique que Palestiniens et Israéliens s'affrontent.
A
Gaza, les tirs se sont poursuivis dans la soirée. Principalement devant
l'implantation de Gouch Katif (3 morts palestiniens). Mais c'est surtout sur la
Cisjordanie, où un Palestinien a a également été tué mardi près de Ramallah lors
d'une attaque contre sa voiture, apparemment par des colons, que les
Palestiniens centrent leurs efforts. Selon un tract du Fatah diffusé à
Jérusalem-Est, la période s'étendant du 15 novembre à la fin de l'année devrait
« servir à préparer sur le terrain et par le sang l'indépendance de notre futur
Etat ».
Ce qui signifie que la situation va se dégrader. Le bouclage des
territoires palestiniens par Tsahal n'y changera probablement pas
grand-chose.
3. Libération du mercredi 15 novembre 2000
Asphyxié, Hébron vit
au ralenti par Alexandra Schwartzbrod
Hébron envoyée spéciale
Bouclée par l'Etat hébreu, la ville s'appauvrit chaque jour.
Sur la
peinture bleu pastel, Leonardo DiCaprio peine à étreindre sa partenaire.
Déchirée en son milieu, l'affiche de Titanic flotte dans un air saturé
d'aigreurs, comme effrayée à l'idée de se détacher du mur et de tomber au sol,
où des centaines de poulets caquettent et s'ébattent dans la fiente et les
plumes. «C'était la chambre des enfants, nous n'avions pas d'autre choix que d'y
mettre la volaille», explique Sélim el-Hussein, 50 ans, les yeux bouffis par le
manque de sommeil.
Odeur. Depuis un mois, ce marchand de poulets de Hébron
vit avec sa marchandise vivante dans sa petite maison près du marché. Dès le
début des affrontements, les Israéliens ont imposé un couvre-feu permanent sur
la partie de la vieille ville arabe qu'ils contrôlent. Plongeant du jour au
lendemain Sélim et les dizaines de milliers d'habitants palestiniens de cette
zone, dite H2, dans une situation impossible. «Au début, on essayait de faire
les allers et retours entre la boutique et la maison pour aller nourrir les
poulets. Mais les enfants se faisaient battre par les soldats, c'était de plus
en plus dangereux. Alors un jour, quand on a vu que la situation allait durer,
on a profité de deux heures de liberté accordées par les Israéliens pour
transférer les volailles ici. Beaucoup sont mortes, mais celles qui restent, au
moins, on peut s'en occuper sans avoir à sortir», explique le marchand. Depuis,
les dix enfants de la famille se tassent dans trois pièces que dessert un
escalier extérieur, seul moyen de sentir l'air du dehors.
«Je deviens folle,
soupire la mère, ils passent leur temps à se bagarrer, ils me donnent de ces
migraines!...» Privés d'école pour cause de couvre-feu, ses enfants, de 4 à 20
ans, se partagent entre la télévision et la cuisine. L'odeur de la volaille
s'infiltre dans les moindres interstices, le bruit du caquetage est incessant,
les plumes volent jusque dans la ruelle en contrebas. Pour Sélim, le manque à
gagner est de 500 shekels par jour (près de 1 000 francs).
Abandon. Dehors,
la rue principale du marché ressemble à un décor de théâtre en carton-pâte.
Désert. Silencieux. Abandonné. Là où, un mois plus tôt, cris des marchands et
discussions des passants se mêlaient en un brouhaha infernal, les pas résonnent
sur les pavés de pierre. Portes fermées, clous de boucher nus comme la main,
affiches déchirées. Et sur le fronton d'un passage qui ne va plus nulle part,
cette vieille pancarte rouillée: «Autorité palestinienne - ministère de
l'Approvisionnement». «Après 17 heures, quand la nuit tombe, vous marchez là,
vous êtes mort», explique un habitant.
Manque à gagner. Il faut faire
quelques centaines de mètres pour espérer entendre la foule. Atteindre le
parpaing géant qui marque la frontière entre les zones H2 et H1 (gérée par les
Palestiniens), non loin d'un pâté de maisons habité par des colons. Comme au
bout d'un long tunnel, des gens s'agitent et palabrent de l'autre côté dans
leurs vêtements colorés. Trois pas et l'on replonge dans la vie. Une pharmacie,
pourtant, garde ses rideaux baissés, du bon côté du parpaing. Une tête apparaît
dans l'embrasure de la porte, craintive. «On pourrait ouvrir la boutique, on a
le droit, mais comme on est en plein sur la ligne de démarcation, on prend tous
les coups. Les balles des Israéliens traversent la vitre, les pierres des
Palestiniens tombent à nos pieds, personne n'ose entrer», raconte le
propriétaire, Naïm el-Kawasme, 54 ans. Parvient-il encore à travailler? L'homme
secoue la tête, esquisse un sourire. «Ici, on ne sert plus que du thé ou du
café... Même si les clients pouvaient venir jusque-là, les médicaments sont pour
la plupart en train d'expirer, nous n'en recevons plus de l'extérieur.» Il
hausse les épaules. «De toute façon, les gens n'ont plus d'argent... Ils
reviennent aux plantes... Et quand c'est vraiment très grave, on leur donne
gratuitement le peu qu'on a... Même les médecins soignent gratuitement
maintenant...» Pour ce père de douze enfants, le manque à gagner est de 400
shekels par jour (près de 800 francs). «Je vis sur mes économies, explique-t-il.
J'en ai encore pour un mois.»
Etat de siège. Les organisations
internationales ont chiffré à un peu plus de 6 millions de dollars la perte
quotidienne occasionnée à l'économie palestinienne par la nouvelle Intifada.
Selon un expert de la Banque mondiale, les Palestiniens peuvent tenir un mois
sous bouclage israélien. Un bouclage qui interdit à plus de 100 000 d'entre eux
d'aller travailler en Israël, qui empêche les marchandises de circuler et qui
maintient en état de siège certains endroits comme Hébron. Au-delà d'un mois, la
part de la population en dessous du seuil de pauvreté grimpe. Depuis deux mois,
elle serait déjà passée de 21 % à 30 %.
4. Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du
mercredi 15 novembre 2000
Face-à-face par temps agité par Inès
Eissa et Randa Achmawi
Participeront ou ne participeront pas ? Les pays
arabes ont maintenu le suspense jusqu'au bout avant de maintenir le principe de
participer à la conférence Euromed de Marseille ce mercredi et jeudi. S'il y a
eu valse hésitation, c'est en raison de la participation d'Israël à ce forum à
l'heure où la tension bat son plein dans les territoires palestiniens et qu'en
réponse, le sommet arabe du Caire avait décidé de rompre tout contact avec
Israël. La Syrie et le Liban étaient le fer de lance de cette attitude. Les
événements sanglants dans les territoires palestiniens rendent, selon eux, une
rencontre avec Israël extrêmement difficile. Mais un tel boycott aurait purement
et simplement laissé toute latitude à Israël au sein d'une instance qui est dans
l'intérêt des pays arabes. Ensuite, pourquoi boycotter ce forum alors que les
pays arabes et Israël siègent ensemble dans de nombreuses organisations comme
l'Unesco ? « L'Euromed est un forum différent des négociations multilatérales et
par conséquent, les résolutions du sommet arabe ne sont pas valables pour ce
forum », a déclaré à Doha, où s'est tenu le sommet islamique, un membre d'une
délégation arabe impliquée dans les tractations interarabes. Le ministre
égyptien des Affaires étrangères, Amr Moussa, a donné le ton en soulignant qu'un
compromis devait être trouvé. Celui-ci consiste en un projet de résolution fort
défendant l'Intifada pour le faire adopter par leur partenaire européen. Ainsi
dans ce processus de Barcelone destiné essentiellement à une coopération
régionale où l'économie serait le thème prévalant, la question du conflit
arabo-israélien a paru incontournable. Il était difficile de l'évacuer. En fait,
si le processus de Barcelone a paru plutôt économique avec l'objectif de
parvenir à un véritable partenariat euro-méditerranéen, cela est dû à ce que, à
ses débuts en 1995, le processus de paix donnait beaucoup plus à espérer qu'à
l'heure actuelle. Pour les analystes, les efforts de règlement allaient bon
train sous l'impulsion des Etats-Unis. L'Union Européenne (UE) devait consolider
la paix naissante avec un soutien économique. Elle récolterait ainsi les
dividendes et passerait à un autre palier, puisque la paix seule ne suffisait
pas, mais il fallait aussi maintenir cette dernière dans un cadre de stabilité.
C'est ainsi que de nombreux pays, dont l'Egypte, ont tenté d'orienter le
partenariat euro-méditerranéen vers des voies qui ne s'opposent pas à l'aspect
politique et sécuritaire qui fait le fond du conflit arabo-israélien. « Il ne
faut pas que Barcelone soit l'otage du processus », a déclaré Mahdi Fathallah,
adjoint du ministre égyptien des Affaires étrangères pour les affaires
européennes (lire L'Entretien, page 6).
Un vœu pieux ? Zeinab Abdel-Azim,
professeur de sciences politiques à l'Université du Caire, estime qu'il faudrait
« donner de l'élan au processus de Barcelone dans les directions où il n'y a pas
de divergence, à l'exemple des dossiers économiques, sociaux et écologiques ».
Elle souligne que depuis la troisième conférence euro-méditerranéenne des
ministres des Affaires étrangères, les 15 et 16 avril 1999, l'Egypte et
l'ensemble des pays arabes avaient fait cette option.
Il s'agissait de
remédier à l'échec de la deuxième conférence qui s'est tenue à Malte en avril
1997, affirme-t-elle. Cette réunion était prévue dans un pays arabe, mais avec
les problèmes suscités à l'époque par le premier ministre israélien Benyamin
Netanyahu, les Arabes n'ont pas accepté d'inviter Israël à un forum se tenant
dans l'un de leurs pays. Les Pays-Bas qui présidaient alors l'UE ont sauvé la
situation en réunissant la conférence à Malte. Depuis, le forum ne se tient pas
dans un pays arabe. Une résolution de la Ligue arabe adoptée en 1998 a stipulé
que tant que le processus était en panne, aucune réunion de l'Euromed ne devait
se tenir dans un pays arabe. Afin de sauver le processus de Barcelone, on a
essayé de le dépolitiser plus ou moins.
Entreprise hasardeuse si l'on songe,
puisque cette coopération euro-méditerranéenne était conçue pour gérer une
situation de paix. « Même si ce forum n'a pas été conçu pour discuter des
questions de ce genre, le processus de paix s'impose naturellement et fait même
partie du programme du forum. Il est prévu qu'on y discute une plus grande
implication des Européens dans le processus de paix », indique une source
européenne au Caire. La preuve pour lui qu'une telle implication s'impose de
plus en plus et qu'on ne saurait partager tout à fait les tâches, les Etats-Unis
pour le politique et l'Europe pour l'économique. Plus encore, la présence de
Javier Solana, représentant de la politique étrangère dans l'UE, et de Miguel
Moratinos, envoyé spécial pour le Proche-Orient, lors de la dernière conférence
de Charm Al-Cheikh, n'a pas dérangé les parties prenantes dont les Etats-Unis. «
De plus, en cette époque de transition aux Etats-Unis où l'on ne sait pas encore
qui sera leur prochain président et une stratégie envers le Moyen-Orient n'est
pas encore mise au point, ce serait le moment d'impliquer de plus en plus
l'Europe dans le processus de paix », ajoute la source.
Il faut donc nager
dans les eaux houleuses du politique et de l'économique pour assurer
l'efficacité de la coopération euro-méditerranéenne.
impossible de côtoyer
l'Histadrouth
Mais l'agitation reste de mise. Non seulement la Libye a
décidé de ne pas participer à l'Euromed, estimant que la rencontre avait pour
objectif « d'intégrer Israël dans l'espace méditerranéen » selon Hassouna
Chaouch, un haut responsable du ministère libyen des Affaires étrangères, mais
les syndicats arabes invités à participer à Marseille à un forum syndical
Euromed ont également rejeté une telle participation. Leur argument : « La
présence du délégué du syndicat israélien Histadrouth ». Ils ont ainsi contraint
les organisateurs, la Confédération Européenne des Syndicats (CES) et la
Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL) à écourter les débats
de ce « forum syndical euro-méditerranéen » organisé avant le sommet Euromed.
Les syndicats arabes invités et les organisations régionales (CISA,
Confédération Internationale des Syndicats Arabes), et les USTMA (Union
Syndicale des Travailleurs du Maghreb) ont estimé qu'il était « impossible de
côtoyer les représentants de l'Histadrouth qui a soutenu la politique répressive
du gouvernement israélien à l'encontre des Palestiniens », a expliqué Rajab
Maatoub, vice-secrétaire général de la Cisa. De plus, les syndicalistes arabes
reprochent aux syndicats européens de ne pas avoir été à la hauteur de la
solidarité souhaitée avec le peuple et les travailleurs palestiniens face aux
derniers développements dramatiques.
Ainsi, l'aspect social, culturel et
humain devant s'établir lui aussi entre les deux rives de la Méditerranée semble
compromis, du moins gravement affecté par l'état actuel des choses.
C'est ce
qui explique l'effort déployé pour sortir Barcelone de l'ornière du politique.
Les Européens, les premiers, ont agi dans ce sens. Face à un constat arabe selon
lequel ce processus est devenu inutile, la Grande-Bretagne, qui a présidé
l'Union européenne en 1998, a agi en sorte que des voies parallèles soient
trouvées. A Palerme, une réunion ad hoc des ministres des Affaires étrangères
s'est tenue en juin ; il a été décidé qu'il faudrait que « Barcelone donne
l'élan au processus de paix et non le contraire », rapporte Zeinab Abdel-Azim.
Ceci s'est répercuté de manière favorable sur la conférence de Stuttgart en
1999. « Là, les partenaires sont parvenus à séparer Barcelone et le processus de
paix, tout en reconnaissant le fait que le manque de progrès dans les
négociations arabo-israéliennes affecte Barcelone », précise la politologue.
Les Arabes et la realpolitik
A l'heure actuelle, nous sommes de nouveau
face à une situation où le processus de Barcelone tarde à avancer. Pourtant, de
l'avis des observateurs dans la capitale égyptienne, il serait préjudiciable
pour les pays arabes de compromettre leurs relations avec l'UE, puisqu'il est de
leur intérêt de développer des liens avec la première puissance économique
mondiale. Ce qu'il faut, c'est rechercher une formule permettant de contourner
ces difficultés et de ne pas gaspiller la chance qui s'offre aux pays arabes.
Javier Solana a ainsi relevé lors de ses conversations, dernièrement au Caire,
avec Esmat Abdel-Méguid, secrétaire général de la Ligue arabe, et Yasser Arafat,
président de l'OLP, qu'on ne pouvait pas demander à l'UE d'être plus impliquée
dans le processus de paix si on pense à boycotter le forum. Selon des sources
bien informées, Abdel-Méguid était d'accord sur ce point. D'ailleurs, « il
aurait été dommage que la Syrie et le Liban ne participent pas à la réunion
puisqu'ils représentent des parties importantes du point de vue régional », a
souligné la source européenne.
Du côté du Quai d'Orsay, on a relevé
l'importance de l'enjeu de la réunion. Le porte-parole a souligné : « Cinq ans
après Barcelone, qui a lancé le partenariat euro-méditerranéen, je souhaite que
cette conférence soit l'occasion d'un bilan et d'un nouveau départ. Il nous faut
arrêter ensemble des nouvelles orientations sur la base du bilan qui aura été
dressé de la mise en œuvre des trois volets du partenariat ».
De quoi
suggérer que pour des raisons pratiques et réalistes, les objectifs les plus
ambitieux seront revus à la baisse. Ainsi, la réunion de Marseille a lieu au
niveau des ministres des Affaires étrangères, alors que le président Jacques
Chirac aurait souhaité qu'elle regroupe les chefs d'Etat et de gouvernements des
27 pays. La conjoncture proche-orientale n'a pas permis de réaliser ce but. Le
réalisme devrait conduire les pays arabes à ne pas poser comme condition que
l'UE joue un rôle fondamental dans le processus de paix. « Il faut que l'on
s'engage dans le processus de Barcelone même si celui-ci s'avère peu efficace en
ce qui concerne un règlement au Proche-Orient », estime Zeinab Abdel-Azim.
Un complément du processus de paix
De toute façon, le processus de
Barcelone n'a pas été mis au point pour réaliser un tel objectif ni pour
s'ajouter aux différents acteurs tentant de résoudre la question
proche-orientale. Ses buts correspondent à ceux de l'Union européenne et ceux
des principales parties arabes prenantes, qui étaient de profiter des succès
éventuels du processus de paix, Madrid, Oslo, Charm Al-Cheikh et autres.
D'ailleurs, dans le cadre de ces mêmes accords, le principal rôle accordé à
l'Europe figure dans les multilatérales, qui sont plus ou moins le volet
économique du processus de paix.
De plus, certains observateurs ne sont pas
convaincus de l'utilité d'un débat politique sur le conflit arabo-israélien dans
le cadre de l'Euroméditerranée. Le politologue Mohamad Al-Sayed Sélim évoque à
cet égard de nombreux points de divergences politiques où Israël est au centre,
comme l'exigence européenne de faire de la région une zone exempte d'armes de
destruction massive avec comme priorité les armes chimiques et bactériologiques,
le nucléaire intervenant plus tard, « c'est-à-dire après le processus de paix.
Ce qui consacre la suprématie israélienne actuelle. L'Etat hébreu étant le seul
à posséder l'arme nucléaire parmi les pays des rives sud »,
soutient-il.
Ainsi, entre ceux qui voient qu'il faut tabler sur l'économique,
le social et le culturel, et ceux qui considèrent que le conflit arabo-israélien
est incontournable et doit figurer dans tout forum, il existe un fossé assez
large. C'est ce qui empêche que l'on profite de la coopération entre les deux
rives. « C'est uniquement lorsque tous les points de vue seront mis sur la table
qu'on pourra tenter de faire émerger des positions communes en termes de
coopération », souligne une source européenne au Caire.
C'est donc un
obstacle à surmonter. Des pays comme l'Egypte, s'ils ont initié le processus de
paix, c'était entre autres pour ne pas craindre le face-à-face avec Israël dans
les différentes instances internationales. Auparavant, Israël bénéficiait de
l'avantage d'être souvent le seul présent dans beaucoup de forums. L'Autorité
palestinienne, première intéressée, considère elle aussi qu'il faudrait être
présent à l'Euromed en dépit de « la surdité politique de l'Europe » et de «
l'attitude minimaliste » de la France, comme le dit Leïla Chahid, représentante
de l'Autorité palestinienne à Paris.
5. Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du
mercredi 15 novembre 2000
Pas d'éclaircie sur le front économique
par Fouad Mansour
Marseille, de notre envoyé spécial
26 %, c'est
le chiffre qui a le plus circulé à Marseille lors des forums économiques et
civils organisés en marge des réunions des ministres des Affaires
étrangères.
A travers le programme d'assistance déclaré à Barcelone en 1995,
l'Europe devait verser une assistance de près de 4,685 milliards d'Ecus (à
l'époque) aux pays du Sud. Et seulement 26 % des autorisations financières ont
pu être déboursées, ce qui a attiré les critiques des économistes ou membres des
sociétés civiles présentes à Marseille, surtout que la modalité et les sommes du
second programme, MEDA 2, seront discutés lors du sommet politique jeudi. Entre
autres, les représentants du Sud mettent en cause la lenteur des procédures
bureaucratiques communautaires à Bruxelles (par exemple, un projet régional type
doit être accepté trois fois par les Etats membres, par le Comité Euromed, puis
par la Commission européenne).
Le Tunisien Mourad Allal, coordinateur du
collectif des organisations non gouvernementales pour le forum civil Euromed,
ajoute que les programmes MEDA ont largement montré leur insuffisance au moment
où les écarts entre les deux rives ne cessent de s'accroître. Le forum civil a
envoyé un message au sommet appelant à alléger la lourdeur bureaucratique et
aussi à prendre en considération les petits projets. « La tendance affichée par
l'UE de ne pas prendre en considération les petits projets est inadmissible »,
estime-t-il.
Le professeur Jean-Louis Reffers, doyen de la faculté des
sciences économiques de l'Université de la Méditerranée et directeur du rapport
Méditerranée, 20 ans pour réussir, critique, suite à une question d'Al-Ahram
Hebdo, « la complexité des circuits administratifs des pays du Sud, ces pays
n'ont pas parfois de projets intéressants à offrir à l'UE et ont souvent des
lignes de crédits non utilisés. Il y a aussi un manque de transparence et
l'Union européenne veut s'assurer que l'argent n'ira pas dans les poches de
quelqu'un ».
En dehors des questions ayant trait à l'amélioration des
procédures, qui seront abordées dans le cadre du programme MEDA 2 (environ 5,2
milliards d'euros) à l'issue de la conférence de Marseille, Reffers recommande à
l'Europe de rééquilibrer l'équation économique.
En effet, depuis Barcelone,
l'excédant commercial des pays du Nord a augmenté de 15 milliards à 30 milliards
d'euros en 5 ans. « Et si le déficit commercial du sud de la Méditerranée
vis-à-vis de l'Europe continue de se développer, malgré la reprise de croissance
en Europe, cela veut dire que les pays de l'UE se sont créés un espace de
discrimination (positive) à leur profit. (ndlr : les marchés du Sud seront plus
ouverts à l'UE qu'aux autres pays). Cela doit nécessairement, si l'UE est juste,
être rééquilibré soit par des investissements directs assez suffisants pour
équilibrer l'excédant commercial, soit par une augmentation de son aide beaucoup
plus que les 5 milliards de la MEDA 2, soit en ouvrant son marché au produit
agricole de la Méditerranée ».
Et sur la question de savoir si ces sujets
seront discutés pleinement au sommet, surtout le volet investissement, il semble
qu'on en soit loin.
L'attrait de l'Est
Ceci en raison notamment de
l'intégration progressive des pays de l'ancien bloc de l'Est qui suscite un
intérêt croissant chez beaucoup de pays européens, surtout l'Allemagne. On parle
même d'un bras de fer Sud-Nord en Europe. Depuis 5 ans, lors de chaque réunion
multilatérale, les pays de la Méditerranée rappellent aux Européens que pour la
période 1995-1999, l'aide européenne a été trois fois plus élevée pour l'Est.
Les investissements, eux, sont 5 fois plus élevés qu'au Sud. En effet, 12 pays
de l'ancien bloc de l'Est frappent à la porte de l'UE. Ce regard vers l'Est
dérange beaucoup d'experts du Sud. La prochaine présidence de la Suède, si rien
n'est achevé à Marseille, lors de la présidence française, portera l'intérêt
sûrement loin de la Méditerranée. On parle même d'un intérêt vers les pays
nordiques et baltes.
Quant au troisième volet, celui visant à favoriser les
échanges culturels et humains, sa progression est indéniable, en dépit d'une
politique européenne restrictive en matière de visas. « L'ambiguïté du processus
de Barcelone vient du fait que cette idée généreuse est née de la crainte du
terrorisme et de l'islamisme », estime Paul Balta, un spécialiste du dossier. Un
chiffre peut suffire ; les visas accordés par la France aux Algériens a baissé
de 900 000 en 1989 à 50 000 en 1999. Il faut être clair ici, il s'agit seulement
d'une zone de libre-échange de biens et au maximum des idées ...
6. Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du
mercredi 15 novembre 2000
Modèle méditerranéen contre modèle proche-oriental
par Mohamed Sid-Ahmed
Deux logiques se heurtent : celle qui
considère la Méditerranée à partir du Proche-Orient et celle qui considère le
Proche-Orient à partir de la Méditerranée. La première logique considère le
conflit arabo-israélien comme la référence et la base. Elle n'envisage les
relations euro-arabes qu'au travers de ce conflit. La seconde logique, à
l'inverse, considère le conflit arabo-israélien dans la perspective d'aboutir à
un partenariat euro-arabe autour de la Méditerranée, et cela dans le cadre de la
« mondialisation ».
La première logique passe du particulier (conflit
régional entre Arabes et Israéliens) au général (relations entre les pays
méditerranéens en général), alors que la seconde fait l'inverse.
Aujourd'hui,
on assiste au paroxysme des divergences entre les deux logiques. Deux raisons à
cela.
Tout d'abord, à cause de l'acuité du conflit arabo-israélien ayant
abouti au redéclenchement de l'Intifada et à l'improbabilité d'un règlement de
la question palestinienne en général et de Jérusalem en particulier (car elle
concerne non seulement les Palestiniens mais tous les Arabes et tous les
musulmans). Toutes les autres questions sont devenues secondaires — y compris
les tentatives de créer un partenariat euro-arabe et peut-être même
euro-africain via la Méditerranée — et cela parce que cette cause est des plus
essentielles.
La seconde raison est la tenue, cette semaine à Marseille, de
la 4e réunion des ministres des Affaires étrangères du « processus de Barcelone
». Il s'agit d'un « processus de partenariat » rassemblant les 15 pays européens
membres de l'Union Européenne (UE) ainsi que 12 pays du bassin méditerranéen
(par ordre alphabétique : l'Algérie, l'Autorité palestinienne, Chypre, l'Egypte,
Israël, la Jordanie, le Liban, Malte, le Maroc, la Syrie, la Tunisie et la
Turquie). Il est tout à fait naturel qu'une réunion ayant pour référence «
Barcelone » passe du « général » au « particulier » et que la cause
palestinienne ne soit pas celle qui décide du cours des événements.
Quelle
logique doit avoir la priorité ? Notons que la Syrie et le Liban ont soulevé la
question de la participation des pays arabes à une réunion où Israël est
représenté. Et ce, après la décision prise au dernier sommet arabe du Caire, de
boycotter Israël.
Il s'agit d'un dilemme ! Notamment parce que les décisions
du sommet n'étaient pas claires à ce sujet et que cette décision ne concerne pas
les pays ayant conclu des accords de paix avec Israël (l'Egypte et la Jordanie).
Quant à l'Autorité palestinienne, ses relations avec l'Etat hébreu sont rompues,
mais l'objectif est de reprendre les négociations et par conséquent de mettre
fin au boycott et non pas le contraire.
Il est à noter que la Syrie n'a pas
boycotté les réunions du « processus de Barcelone » bien qu'Israël y ait pris
part. Paradoxalement, la Syrie avait toujours boycotté les conférences du
Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord qui ont commencé à Casablanca en 1994 et
auxquelles Israël participait. Ce qui est déterminant dans la position syrienne
n'est pas le fait qu'Israël soit présent ou non dans les réunions, mais que ces
réunions concernent le « Proche-Orient » ou la « Méditerranée ».
Les réunions
concernant le Proche-Orient sont sujettes à des manœuvres israélo-américaines
répondant à une logique purement israélienne qui consiste à exclure tout
médiateur du processus de paix à l'exception de Washington, connu pour son
alignement sans réserve sur Israël. Tandis que celles concernant la Méditerranée
font espérer que l'Europe pourra jouer un rôle dans le processus de paix. Et ce
pour éviter que Washington ne monopolise le rôle du médiateur.
Mais
aujourd'hui, le processus de paix a atteint un tel degré de détérioration que
cela a poussé la Syrie à réclamer le boycott de n'importe quelle réunion à
laquelle Israël assiste, qu'elle concerne le « Proche-Orient » ou la «
Méditerranée ».
Ceci dit les théâtres proche-oriental et méditerranéen n'ont
pas que des points de divergence. Car les deux comportent une confrontation
déséquilibrée entre deux parties : entre Israël et les Arabes dans le premier,
et entre l'UE et le monde arabe dans le second. Et la partie la plus forte,
aussi puissante soit-elle, ne peut se permettre de négliger la plus faible,
surtout à l'ère de la mondialisation. Cette dernière est caractérisée par la
chute des barrières entre les sociétés et le mélange de celles-ci ; que les
parties concernées l'approuvent ou pas.
Ajoutons qu'il existe deux faces au «
partenariat euro-méditérranéen ». Mais quelle est la plus importante ? Est-ce la
« sécurité européenne » ? Ou bien le « développement » des pays du sud et de
l'est de la Méditerranée ?
Si c'est la sécurité qui régit la logique de l'UE
dans l'instauration d'un partenariat, il s'agit d'une réédition de l'âge
impérialiste où le colonisateur prétendait apporter la civilisation aux peuples
primitifs. Mais cela avait échoué car les peuples se sont révoltés contre
l'oppression dont ils étaient victimes. Pour éviter que le partenariat
euro-méditerranéen ne se transforme en une nouvelle forme de colonisation, pour
qu'il contribue positivement au développement des pays méditerranéens, il faut
éviter le déséquilibre entre les parties. Tel est le défi que doivent relever
les pays méditerranéens les moins développés. Les derniers événements en
Palestine laissent penser que l'intérêt accordé par Israël à ses voisins est
essentiellement sécuritaire. Il s'agit d'isoler les Palestiniens de la société
israélienne pour éviter tout danger sécuritaire. C'est une relation bien connue
de l'époque coloniale. Elle entretient la tension et empêche la paix, quels que
soient les accords conclus. La question est donc de savoir quel sera le modèle
qui prendra le dessus : le modèle méditerranéen ou proche-oriental. Le
partenariat euro-méditerranéen sera-t-il à même de créer des relations entre
l'UE et les pays arabes qui pourrait contribuer au développement de ces derniers
en harmonie avec leurs voisins du Nord ? Cette expérience pourrait-elle se
généraliser jusqu'à inclure les relations israélo-arabes ? Ou bien, au
contraire, la dégradation de ces relations portera-t-elle préjudice au
partenariat euro-méditerranéen ?
7. Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du
mercredi 15 novembre 2000
L'Europe à l'épreuve
Cinq ans après
son lancement, le processus de Barcelone n'a pas réussi à donner tous les
résultats escomptés. La perspective d'une zone de libre-échange en 2010 ainsi
que le développement de la paix et de la stabilité en Méditerranée sont au
centre des engagements du partenariat euro-méditerranéen. Mais pour l’instant,
peu a été réalisé.
L’Europe des Quinze reconnaît cependant l’importance
cruciale de la Méditerranée pour la politique extérieure de l'Union Européenne
(UE). « Le partenariat avec les pays méditerranéens représentait pour l’UE une
priorité majeure », avait affirmé récemment Chris Patten, commissaire européen
aux relations extérieures. « C'est encore dans notre intérêt que nous aidions à
consolider le processus de paix au Moyen-Orient », a-t-il poursuivi. Pourtant,
la crise du Proche-Orient — qui ne cesse de retarder la réalisation des projets
euro-méditerranéens — a révélé au grand jour l'absence d'une politique commune
des Quinze vis-à-vis d'une région dont la stabilité lui est pourtant
essentielle, et qui dépend plus de l'Europe que des Etats-Unis pour son
développement économique.
Cette faiblesse de l'UE sur son flanc sud accentue
le scepticisme profond concernant la mise en place d'une organisation collective
de la sécurité autour du bassin méditerranéen. La France, présidente en exercice
de l'UE, souhaitait faire adopter une charte euro-méditerranéenne pour la paix
et la stabilité à l'occasion de la 4e conférence ministérielle de Marseille les
15 et 16 novembre, regroupant les Quinze et leur douze partenaires du sud et de
l'est de la Méditerranée. Or, cette conférence intervient au pire moment alors
que les relations arabo-israéliennes sont en pleine désintégration.
En fait,
les crises successives du processus de paix n'ont cessé de retarder la mise sur
pied d'un tel pacte promu par la France, l'Italie et l'Espagne. En outre, cette
charte suscite la méfiance des pays du Sud. Prenant la mesure des difficultés,
la France doit proposer à Marseille un texte minimal qui constituera plus un
cadre de dialogue et de négociation que l'organisation d'une sécurité
collective. « Il s'agira d'un accord-cadre évolutif, non-contraignant, qui
devrait se situer progressivement dans la durée afin de créer une zone de
sécurité », a indiqué Jean-Pierre Courtois, chargé du suivi du processus de
Barcelone au Quai d'Orsay.
Le modeste contenu de cette charte traduit aussi
l'absence de cohésion des Quinze, qui a été révélée lors des déplacements en
ordre dispersé de responsables européens dans la région. En fait, chaque
Etat-membre de l’UE continue à intervenir avec sa propre diplomatie, ce qui
suscite parfois une certaine cacophonie.
Certes, le représentant de la
diplomatie européenne, Javier Solana, a réussi à rendre plus visible l'UE —
notamment lors de sa participation au sommet de Charm Al-Cheikh pour mettre fin
à la violence entre Palestiniens et Israéliens —, mais les pays arabes demandent
davantage. Ils réclament plus qu'un simple accompagnement économique des
négociations de paix, et une implication plus vigoureuse sur le front politique,
par le biais de pressions sur l'Etat hébreu, que les gouvernements européens
rechignent à exercer de peur de compromettre leur rôle auprès des Israéliens.
Mais, pour les Etats arabes, cette extrême prudence européenne efface plutôt le
rôle des Quinze plus qu'elle ne le sauve auprès de Tel-Aviv.
8. Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du
mercredi 15 novembre 2000
Invitation à rompre avec Israël
Le
sommet de l'Organisation de la Conférence Islamique (OCI), marqué par l'absence
de deux dirigeants arabes de taille, le président Moubarak et le roi Mohamad VI
du Maroc, a « invité », à l'issue de ses travaux lundi soir, les pays membres
ayant des relations avec Israël à les rompre et s'est engagé à apporter tout le
soutien aux Palestiniens.
« Les dirigeants (de l'OCI) invitent les Etats
membres ayant des relations avec Israël ou qui ont entrepris des mesures en vue
d'établir de telles relations dans le cadre du processus de paix à les rompre »,
précise la déclaration finale du 9e sommet à Doha.
Dans le document baptisé «
Déclaration sur l'Intifada d'Al-Aqsa et de l'indépendance de la Palestine », les
dirigeants des 56 pays de l'OCI ont recommandé aux Etats membres de suspendre
toute forme de normalisation avec Israël jusqu'à ce qu'il applique les
résolutions de l'Onu sur la Palestine, Jérusalem et le conflit israélo-arabe.
Les participants au sommet ont également affirmé leur engagement à reconnaître
l'Etat palestinien indépendant dès sa proclamation. Le texte avertit que les
pays membres « sont déterminés à rompre leurs relations avec tout Etat qui
transférerait son ambassade à Jérusalem ou reconnaîtrait la Ville sainte pour
capitale d'Israël ». Il dénonce et rejette les résolutions du Congrès et les
déclarations américaines prévoyant la reconnaissance de Jérusalem comme capitale
d'Israël et le transfert dans la Ville sainte de l'ambassade américaine. En ce
qui concerne l'Etat palestinien, le président iranien, Mohamad Khatami, avait
proposé un plan pour « un règlement fondamental de la crise du Proche-Orient et
le retour au calme dans la région ». Ce plan prévoit « un retour de tous les
Palestiniens dans leur patrie » et « un référendum permettant aux musulmans,
chrétiens et juifs de se prononcer sur (la nature) de leur futur Etat
indépendant », a indiqué M. Khatami. Il consiste à établir un « Etat palestinien
indépendant (...) avec Jérusalem pour capitale » et à lui donner la possibilité
de déterminer qui « habitera son territoire ».
La Déclaration finale demande
par ailleurs à l'Onu et au Conseil de sécurité d'assurer une protection
internationale au peuple palestinien et de « mettre fin aux massacres perpétrés
par les autorités d'occupation israéliennes » contre les Palestiniens. Elle
réclame « une commission d'enquête internationale neutre » sur les violences qui
ont fait plus de 217 tués, des Arabes dans leur quasi-totalité, depuis le 28
septembre. L'émir du Qatar, Hamad bin Khalifa Al-Thani, a également proposé
l'envoi d'une mission ministérielle de l'OCI à l'Onu en vue d'obtenir un arrêt «
de l'agression israélienne » contre les Palestiniens.
Selon la déclaration,
le sommet s'engage à apporter le soutien et l'appui total aux Palestiniens, dont
il salue « l'Intifada légitime contre l'occupation israélienne » en Cisjordanie
et à Gaza. Les dirigeants musulmans appellent dans ce contexte à organiser « des
collectes de fonds pour le triomphe de l'Intifada » et de contribuer au
financement des deux fonds arabes d'aide aux Palestiniens, créés en octobre par
le sommet arabe du Caire, avec au total un milliard de dollars. A cet égard,
l'Egypte avait proposé d'augmenter d'un milliard de dollars ces fonds arabes,
mais cette proposition n'a pour finir pas été retenue.
9.
Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 15 novembre
2000
Adoucissement du texte par Rania Adel
Les pays arabes ont
réussi à rallier leurs partenaires africains et asiatiques au sommet islamique
de Doha à ce texte qui avait suscité des réticences parmi les 17 pays africains
et les 14 pays asiatiques membres de l'OCI. A l'encontre de l'Iran, de l'Iraq et
du Soudan qui ont prôné la rupture totale et lancé un appel au djihad, les pays
africains estimaient que « la question de la rupture avec Israël est une
question de souveraineté ».
Les réticences des pays africains et asiatiques,
dont certains entretiennent des relations avec Israël, s'expliquent en partie
par le maintien par des pays arabes d'ambassades israéliennes dans leurs
capitales, ont expliqué des participants. « Et pour preuve, a indiqué un délégué
africain, le Qatar, pays hôte du sommet islamique, ne s'est décidé à fermer la
représentation commerciale israélienne à Doha que deux jours avant l'ouverture
du sommet ». L'Arabie saoudite avait menacé de boycotter ce sommet si le Qatar
ne fermait pas la mission israélienne.
La méfiance s'est manifestée dès
l'élaboration du projet de résolution du sommet en conférence ministérielle
vendredi : un projet initial stipulant que « le sommet demande aux Etats membres
(...) à rompre », a été modifié par la formule « le sommet invite ... », rendant
le texte moins contraignant. « Les pays africains ont insisté sur le terme
inviter pour laisser à chaque pays la liberté de décider (de rompre ou non)
selon ses intérêts », a affirmé un membre d'une délégation africaine. « Mais,
a-t-il ajouté, il faut bien sûr insister pour qu'Israël respecte les accords
conclus avec les Palestiniens et l'avertir qu'il est allé trop loin » dans la
répression de l'Intifada.
Les responsables palestiniens ont affiché leur
satisfaction des résultats du sommet islamique. Le responsable palestinien
chargé de Jérusalem, Fayçal Al-Husseini, a, à cette occasion, rejeté sur le
premier ministre israélien Ehud Barak la responsabilité des appels au boycott
d'Israël par les pays islamiques réunis à Doha. « C'est sa politique dans les
territoires palestiniens qui ne l'aide ni à faire la paix ni à entretenir des
relations normales avec le monde », a déclaré M. Husseini. Il réagissait à des
déclarations de M. Barak qui a déploré dimanche à Washington les appels à la
rupture et à l'affrontement avec Israël lancés lors du sommet de Doha et appelé
à un règlement négocié du conflit israélo-palestinien.
10. Ha'Aretz (quotidien israélien) du mardi 14
novembre 2000
Le faux compromis de Camp David par Amira Hass [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
"Il ne s'agit pas de la générosité israélienne,
mais du morcellement territorial qui n'autorisera pas la création d'un état
palestinien", dit Fayçal Husseïni.
A la suite du sommet de Camp David, des
officiels réunis à la Maison de l'Orient (Jérusalem) ont pris l'initiative
d'illustrer au moyen de cartes les initiatives qui y étaient arrêtées, ainsi que
les objections des Palestiniens aux propositions de Barak. "L'équipe israélienne
n'a pas proposé de cartes", dit Fayçal Husseïni, chef de l'équipe des
négociateurs palestiniens, "aussi, nous l'avons fait nous-mêmes : nous avons
préparé des cartes qui feront apparaître immédiatement la nature du compromis
qui nous est proposé là-bas (à Camp David) : un compromis qui n'en est pas un".
Les propositions israéliennes, mises en cartes, iront rejoindre d'autres cartes
qui décrivent en détail les propositions faites par les Palestiniens pour un
règlement. Les touches finales apportées aux cartes des propositions
palestiniennes et les projets qui les sous-tendent sont colligées par la
Jerusalem Task Force, une équipe de spécialistes que Husseïni a mise sur pied en
mai de cette année.
Husseïni et son état-major (task force), présidé par le
Dr. Manuel Hasasian de l'Université de Bethléem, avait à l'origine l'intention
de présenter l'atlas ainsi réuni à leurs collègues israéliens, aux Américains
hôtes du sommet et à différents observateurs européens, Husseïni précisant qu'il
s'agissait pour les Palestiniens de respecter l'engagement mutuel, pris à Camp
David, de ne pas diffuser d'informations dans les médias. "Nous n'avions aucun
intérêt à divulguer quoi que ce soit : ce que nous recherchions, ce n'était pas
des problèmes supplémentaires, mais bien une solution".
Toutefois,
l'explosion de l'Intifada et la stupeur dont elle a frappé les Israéliens quant
à ses causes, l'ont incité à rendre publiques ces cartes, avant même que les
négociations ne reprennent. Ainsi, c'est du moins ce qu'espèrent les
Palestiniens, les parties concernées comprendront pourquoi les propositions
formulées par Israël n'étaient pas un compromis digne de ce nom, ni une marque
de générosité de leur part : elles consistent en un partage territorial qui
obère toute possibilité d'établir un état palestinien viable. Après Camp David,
dit Husseïni, ses collègues, qui avaient été en contact avec les négociateurs
israéliens, se sont rendu compte du fait qu'aucun d'entre eux n'avait de réel
mandat pour négocier. Tout est entre les mains de Barak. Au même moment,
l'Intifada 2000 explosait, avant toute reprise réelle des négociations. Pour
Husseïni, l'opinion publique mondiale "entichée d'une impression d'immense
générosité de la part d'Israël à Camp David", n'a pas compris pourquoi les
Palestiniens étaient aussi en colère. Décision a alors été prise de rendre les
cartes publiques, afin d'expliquer les raisons de la révolte et de la colère
populaires - le fait qu'ils sont toujours soumis à la loi de la puissance
occupante - et, aussi, pour servir de document de base permettant une reprise
des négociations.
Pour le Dr. Hasasian, à Camp David, les Israéliens sont
restés dans le flou. Tantôt ils parlaient d'annexer 5 % de la Cisjordanie,
tantôt ils évoquaient le chiffre de 10 %. Parfois, les calculs étaient basés sur
une Cisjordanie réduite, diminuée de la zone H (no man's land de 1948), de
Jérusalem-Est et de la Mer Morte. Parfois encore, les calculs étaient basés sur
l'aire conquise en 1967. Toutefois, explique le Dr. Hasasian, les cartes sont
basées sur des estimations et des conclusions relatives aux propositions
formulées à Camp David : il ne s'agit pas de cartes ayant fait l'objet d'un
consensus. Pour Husseïni, la question de Jérusalem est décisive si l'on veut
comprendre l'objection opposée par les Palestiniens aux propositions de Barak :
ce n'est pas lié à l'importance religieuse de la ville, mais à sa situation
géographique, à son emplacement stratégique conditionnant la continuité
géographique de l'Etat palestinien et, par conséquent, sa validité. "Israël veut
déterminer des frontières permanentes fondées sur les implantations - nous
disons, quant à nous, que l'avenir des implantations sera déterminé par les
frontières".
Husseïni répète tout ce qui a déjà été dit par toute instance
palestinienne et ce qu'il pense être le message de l'Intifada en cours : le
principe doit être un retour aux frontières du 4 juin 1967. Du moment où Israël
acceptera ce principe, les Palestiniens seront prêts à en négocier une
application nuancée, notamment pour ce qui concerne le devenir des colonies :
évacuation, échange territorial, garantie de la citoyenneté palestinienne aux
colons désirant rester. "Cependant, dès la conférence de Madrid, nous avions
compris que les négociations devaient se baser sur les résolutions 242 et 338 de
l'ONU", ajoute Husseïni. "Les négociations ne portent pas sur les résolutions
(de l'ONU), mais sur la manière de les mettre en application".
Selon lui, il
n'y a pas de contradiction entre reprise des négociations et poursuite de
l'Intifada. "Après tout, à la fin du compte, une solution n'est envisageable
qu'à travers des négociations. Les Israéliens considèrent qu'ils peuvent
négocier tout en construisant et en agrandissant leurs colonies. J'en déduis que
je peux négocier tandis que l'Intifada continue. Autrement, Israël devrait
arrêter immédiatement toute construction dans les colonies".
L'état-major de
Jérusalem (Task Force) travaille en liaison permanente avec la délégation
emmenée par Abu Mazen (Mahmud Abbas), mais il a pris l'initiative de dresser les
cartes, de manière indépendante, précise Husseïni. Jérusalem est objet de débat,
et là, encore une fois, le point d'achoppement est constitué par les colonies.
C'est pourquoi il est convaincu que son initiative est de nature à affecter le
processus de négociation dans son ensemble. Selon les données dont dispose la
"task force" de Jérusalem, les terrains construits palestiniens n'occupent pas
plus de 5 % de la superficie de la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est).
L'emprise des colonies (y compris Jérusalem-Est) représente 1,8 % de la
Cisjordanie. Ces chiffres illustrent éloquemment tant l'ampleur de la
construction israélienne depuis 1967 que les restrictions imposées au
développement palestinien.
D'après les Palestiniens, la proposition faite par
Israël à Camp David - qui a été couchée sur les cartes mises au point par la
Maison de l'Orient de Jérusalem - perpétuent le principe suivant : développement
juif + expansion démographique + Jérusalem en tant que métropole-capitale et, en
contre-partie : morcellement et séparation des agglomérations palestiniennes +
marginalisation de la Jérusalem palestinienne (géographiquement, politiquement
et économiquement) + frein mis au processus naturel de transformation de
Bethléem-Jérusalem-Ramallah en une métropole palestinienne.
Eûssent les
Palestiniens été désireux d'accepter la solution israélienne pour Jérusalem (qui
inclut le bloc d'Adumim - 120 km2 autour de Ma'aleh Adumim et le bloc d'Etzion -
ils auraient, du même coup, accepté la division en deux de l'Etat palestinien :
une partie Nord et une partie Sud, avec un passage, entre les deux, sous
contrôle israélien. L'exigence formulée par Israël à Camp David de contrôler
deux routes est-ouest (l'autoroute Trans-Samarie et la route Tel-Aviv-Amman, en
cours de construction) aurait pour conséquence la division de l'Etat palestinien
en trois cantons, comme disent les Palestiniens pour résumer la situation, et
les liens entre ces trois cantons seraient en permanence à la merci d'Israël,
armée et colons.
11. Déclaration du Porte-parole du Quai d'Orsay (Paris, le
mardi 14 novembre 2000)
- Avez-vous un commentaire sur ce qui se passe dans les Territoires
?
- La situation dans les Territoires...
- Les Territoires palestiniens. Occupés.
- Vous m'ôtez les mots de la bouche...
- On va revenir à l'idée que ce sont des territoires disputés et non
pas occupés...
- Non point.
- Est-ce que ce sont des territoires occupés, ou bien disputés ou
discutés ?
- Les résolutions des Nations unies fournissent la réponse, et j'en reviens
au fond, si vous le voulez bien. Nous suivons bien sûr avec les sentiments que
vous imaginez l'évolution de la situation, qui est une situation toujours grave.
Dans cette conjoncture, comme l'a dit le ministre à l'Assemblée nationale le 8
novembre, notre priorité absolue c'est toujours de faire tout ce qui est en
notre pouvoir pour que la tension retombe complètement et que les affrontements
cessent. C'est ce que nous disons en tant que Français, en tant qu'Européens.
C'est d'ailleurs aussi ce qui est dit par le secrétaire général des Nations
unies, par les Américains, par l'ensemble des intervenants qui font passer des
messages aux responsables israéliens et palestiniens.
- Votre langage n'a pas changé et il n'est pas adapté à la gravité de
la situation. Israël a imposé un embargo sur la zone ''A'' des Territoires
palestiniens. C'est quelque chose d'assez important : il ne s'agit pas d'une
zone ''B'', ''C'' ou de partage, mais d'une zone ''A'', c'est-à-dire sous
administration palestinienne complète. Cela ne mérite-t-il pas un petit
commentaire ou une petite réaction ?
- Encore une fois, nous sommes bien d'accord sur la gravité de la
situation, le ''contexte très difficile'', comme le disait le ministre. Nos
efforts visent à ce que les affrontements cessent, à ce que la tension retombe
complètement. Et ce que nous disons aussi, c'est qu'il faut que les uns et les
autres s'abstiennent de toute décision unilatérale qui ferait remonter les
tensions et qui compromettrait la reprise des négociations. Cela fait partie de
notre position.''
- Où en sont les consultations au Conseil de sécurité en vue de
dépêcher des observateurs dans les Territoires palestiniens ?
- Des consultations se poursuivent sur ce sujet au Conseil de sécurité des
Nations unies. Je rappelle qu'au départ le président Arafat a proposé la
création par les Nations unies d'une force internationale de protection des
populations civiles palestiniennes. On a noté les réactions américaine et
israélienne à cette idée. Dans ce débat, la France, avec d'autres pays, a
suggéré une présence internationale d'observation, pour autant bien sûr que les
parties en acceptent le principe. Cette présence internationale pourrait faire
rapport aux Nations unies sur les violences qu'elle pourrait constater.
J'ajouterais que les Nations unies sont dans leur rôle, lorsqu'il s'agit d'aider
les protagonistes à reprendre la situation en main pour mettre un terme durable
aux affrontements. Le déploiement d'une présence internationale d'observation
pourrait peut-être faire partie de mesures de confiance propres à favoriser le
retour au calme et son maintien.''
- Avez-vous un échéancier ?
- Non, aucun.
- Avez-vous des échos en provenance des autres membres du Conseil de
sécurité ?
- Comme je vous l'ai dit, nous ne sommes pas les seuls à le suggérer.
D'autres membres ont réagi plutôt favorablement, mais nous n'en sommes qu'au
début du débat.
12. Le Magazine (hebdomadaire libanais) du
vendredi 10 novembre 2000
Bertrand Badie : "La colonisation bloque la paix"
propos recueillis par Caroline Hajjar
Politologue français agrégé de sciences politiques, Bertrand Badie axe ses
priorités sur l'Etat de droit et la souveraineté nationale. Il prend, dès 1993,
position dans le conflit israélo-arabe en soutenant que les accords d'Oslo vont
aboutir à une impasse. Sept ans après, les événements lui donnent raison.
- Quel est l'avenir du processus de paix dans la région ?
- Le
processus de paix selon la méthode d'Oslo me paraît compromis, tout comme la Pax
américana. Et le processus tel qu'Israël l'a conduit, qui suppose de privilégier
le bilatéralisme par rapport au multilatérisme et au régionalisme, aboutit
également à une impasse. Israël a pensé pouvoir débiter par tranches la question
israélo-arabe alors qu'elle est un tout. Nous sommes arrivés au bout des
possibilités que la méthode bilatérale (Israël-Egypte, Israël-Jordanie,
Israël-Pales-tine) pouvait apporter.
Il y a un quatrième aspect du processus
qui est cassé. C'est ce que j'appelle le post-sionisme: on sait que la paix ne
serait possible que si l'Etat palestinien devenait un Etat comme les autres,
mais il faut qu'Israël soit aussi un Etat comme les autres.
L'un des grands
problèmes est qu'Israël n'est pas un Etat comme les autres. Il installe sa
domination dans la région sur des postulats de nature sacrée, absolue, donc non
sujets à négociation. Or, tout doit être négocié dans une paix. Il est
impossible de l'envisager sous forme de négociations partielles.
- On a
l'impression qu'Israël veut concilier le monde arabe. Un peu comme si un mariage
étrange se constituait, comme si les époux faisaient un contrat de mariage avant
de se poser la question de savoir s'ils veulent vivre ensemble. C'est la
véritable question à se poser en amont : est-ce qu'une coexistence entre Israël
et les pays arabes fait sens ?
- Elle doit être discutée, bien que dans la construction sioniste, ce débat
ne fasse pas sens puisqu'elle renvoie à un absolu sur lequel on ne transige pas.
Cinquante ans de conflit israélo-arabe révèlent que les méthodes répressives
n'ont jamais pu aboutir. Israël a cru dès le départ, mais surtout à partir de
1967, pouvoir régler la question par la conquête. Quel est le résultat
aujourd'hui? On constate qu'Israël n'est pas en mesure de gérer ses conquêtes.
- Pensez-vous qu'Israël pourrait une fois encore transposer le conflit
sur le territoire libanais ?
C'est un scénario qu'on entend souvent.
Mais je ne suis pas sûr qu'il soit rationnel. Parce que l'on voit ce que peut
apporter l'idée de déplacement d'un conflit, mais on voit aussi les risques qui
lui sont associés.
Finalement, toute attaque d'Israël contre le Liban s'est
toujours soldée par un échec que les Israéliens ont eu énormément de mal à
gérer. Par ailleurs, il y a le paramètre important du Hezbollah qui semble
représenter une dissuasion assez forte dans le contexte actuel et qui me paraît
de nature à tempérer les intentions israéliennes. D'un point de vue
géostratégique, ce scénario est peu raisonnable. Mais il y a aussi des
considérations intérieures: l'arithmétique parlementaire, une opinion publique
incertaine, l'armée israélienne qui constitue un groupe de pression en soi et
qui dispose d'une latitude d'action assez forte. Par rapport à ces paramètres
beaucoup plus difficiles à rationaliser et à classer, ce genre d'aventure ne me
paraît pas impossible.
- Quel est, selon vous, l'avenir de Jérusalem et des colons en
Cisjordanie et à Gaza ?
- Le grand facteur qui bloque tout est
effectivement les implantations de colonies juives en Palestine. Ce phénomène
continue encore en partie, et en partie seulement, à servir l'idéologie
sioniste. Tant que se pérennisent ces colonies juives, il y a chez le
Palestinien le sentiment de l'irréalité du scénario de construction d'un Etat
palestinien tel qu'envisagé par Israël.
- Quel sera le sort des réfugiés palestiniens originaires des
territoires de 1948 ?
- Côté israélien, il n'y a rien de nouveau ! Je
crains que la question des réfugiés n'appartienne, côté arabe, au chapitre des
compromis à passer. On lâche un certain nombre d'exigences légitimes concernant
les réfugiés pour obtenir un avantage sur d'autres points qui sont extrêmement
sensibles, comme la nature de l'Etat palestinien qui devrait naître de ces
accords de paix et, éventuellement, l'avenir de Jérusalem. Je vois mal à court
terme ce que l'on peut attendre. A moyen et long terme
peut-être...